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Ce document est une thèse de doctorat portant sur les éléments constitutifs de l'infraction en droit pénal. La thèse analyse de manière approfondie la notion d'éléments constitutifs et propose une structure de l'infraction.

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Les éléments constitutifs, essai sur les composantes de

l’infraction
Claire Ballot Squirawski

To cite this version:


Claire Ballot Squirawski. Les éléments constitutifs, essai sur les composantes de l’infraction. Droit.
Université Paris-Sud Saclay, 2017. Français. �tel-02863363�

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abroad, or from public or private research centers. publics ou privés.
NNT : 2017SACLS168

Thèse de doctorat
de l’Université Paris-Saclay
préparée à l’Université Paris-Sud

École doctorale n◦ 578


Sciences de l’Homme et de la Société

Spécialité de doctorat : sciences juridiques

par

Claire Ballot – Squirawski

Les éléments constitutifs


Essai sur les composantes de l’infraction

Thèse présentée et soutenue à Sceaux, le 6 juillet 2017

Composition du Jury :

Directeur de thèse : M. Emmanuel Dreyer Professeur, École de Droit de la Sorbonne


Présidente : Mme Haritini Matsopoulou Professeure, Université Paris-Sud
Rapporteurs : M. Xavier Pin Professeur, Université Lyon III
M. François Rousseau Professeur, Université Nantes
Examinatrice : Mme Valérie Malabat Professeure, Université Bordeaux
NNT : 2017SACLS168

Thèse de doctorat
de l’Université Paris-Saclay
préparée à l’Université Paris-Sud

École doctorale n◦ 578


Sciences de l’Homme et de la Société

Spécialité de doctorat : sciences juridiques

par

Claire Ballot – Squirawski

Les éléments constitutifs


Essai sur les composantes de l’infraction

Thèse présentée et soutenue à Sceaux, le 6 juillet 2017

Composition du Jury :

Directeur de thèse : M. Emmanuel Dreyer Professeur, École de Droit de la Sorbonne


Présidente : Mme Haritini Matsopoulou Professeure, Université Paris-Sud
Rapporteurs : M. Xavier Pin Professeur, Université Lyon III
M. François Rousseau Professeur, Université Nantes
Examinatrice : Mme Valérie Malabat Professeure, Université Bordeaux
L’Université Paris-Sud n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions
émises dans cette thèse ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

iii
Sommaire

Première partie L’identification substantielle des éléments constitutifs 31


Titre I Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse 35
Chapitre 1 La naissance de l’outil d’analyse 37
Chapitre 2 La dénaturation de l’outil d’analyse 71

Titre II Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification 105


Chapitre 1 L’exercice de qualification 109
Chapitre 2 Le schéma de qualification 143

Seconde partie L’analyse structurelle des éléments constitutifs 243


Titre I Les éléments objectifs de l’infraction 245
Chapitre 1 L’élément matériel de l’infraction 247
Chapitre 2 L’élément antijuridique de l’infraction 297

Titre II L’élément subjectif de l’infraction 371


Chapitre 1 L’élément psychologique de l’infraction 373
Chapitre 2 Les conséquences de la réunion des données psychologiques sur la notion
de responsabilité 445

v
Remerciements

Mes remerciements les plus sincères vont avant tout à Monsieur le Professeur Emmanuel
Dreyer, pour avoir accepté de diriger cette thèse. Qu’il trouve ici l’expression de ma profonde
reconnaissance pour ses conseils constants et bienveillants ainsi que pour la liberté qu’il m’a
laissée dans le traitement de ces travaux.

Aux Professeurs Valérie Malabat, Haritini Matsopoulou, Xavier Pin et François Rousseau,
pour m’avoir fait l’insigne honneur d’accepter de juger ce travail.

À Monsieur Laurent Saenko, pour ses précieux éclairages.

À Anaïs, Noémie, Julie, Benjamin, Pauline et Olivier qui, par leur amitié, ont contribué à la
richesse de ces années.
Plus particulièrement encore, à Benoît, pour toute son aide, à Fanny et Nicolas pour leur
soutien constant, tant matériel que moral, ainsi qu’à Damien pour ses conseils indispensables,
dont j’espère n’avoir trahi ni la lettre, ni l’esprit.

À Donya et Nicolas pour leur amitié sans faille et leur soutien inconditionnel. À ma famille
pour leur aide et leur présence tout au long de ce travail.

À Jonathan, pour tout ! Tout simplement.

vii
Liste des principales abréviations

Adde Également
AJCT Actualité Juridique des Collectivités Territoriales
AJDA Actualité Juridique de Droit Administratif
AJ famille Actualité Juridique famille
AJ pén. Actualité Juridique pénal
al. Alinéa
art. Article
Ass. plén. Assemblée plénière
Bull. civ. Bulletin des arrêts des Chambres civiles de la Cour de cassation
Bull. crim. Bulletin des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation
Code de com. Code de commerce
Code de proc. pén. Code de procédure pénale
Code de propr. intell. Code de propriété intellectuelle
Code de trav. Code du travail
Code d’instr. crim. Code d’instruction criminelle
Code pén. Code pénal
CA Cour d’appel
Cass. com. Chambre commerciale de la Cour de cassation
Cass. crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation
Cass. soc. Chambre sociale de la Cour de cassation
Cass. Cour de cassation
CCE Communication Commerce Électronique
CEDH Cour européenne des droits de l’homme
chron. Chronique
CJEG Cahiers Juridiques de l’Électricité et du Gaz
coll. Collection
Comp. Comparer
concl. Conclusion
Cons. const. Conseil Constitutionnel
cons. Considérant
Contra En sens contraire
D. Dalloz
dir. Sous la direction de
doctr. Doctrine
Dr. fisc. Revue droit fiscal
Dr. pén. Revue droit pénal
Dr. soc. Revue droit social
éd. Édition
ex. Exemple
fasc. Fascicule
Gaz. Pal. Gazette du Palais
ibid. Ibidem (même endroit)
id. Idem (même chose)
infra Ci-dessous
in Dans

ix
J. Cl. PLA Juris-Classeur Propriété Littéraire et Artistique
J. Cl. Procédure pénale Juris-Classeur Procédure pénale
J. Cl. Pénal Code Juris-Classeur Pénal Code
JCP E. Juris-Classeur Périodique, édition Entreprise
JCP G. Juris-Classeur Périodique, édition générale
JCP Juris-Classeur Périodique (Semaine juridique)
JO Journal Officiel
juris. Jurisprudence
LGDJ Librairie générale de droit et de jurisprudence
no Numéro
obs. Observations
op. cit. Opere citato (œuvre citée)
p. Page(s)
préc. Précité
PUAM Presses universitaires d’Aix-Marseille
PUF Presses Universitaires de France
RDI Revue de droit immobilier
RDPC Revue de droit pénal et de criminologie
RDSS Revue de droit sanitaire et social
Resp. civ. et assur. Revue responsabilité civile et assurances
Rev. crit. dr. intern. priv. Revue critique de droit international privé
Rev. dr. trav. Revue du droit du travail
Rev. pénit. Revue pénitentiaire
Rev. société Revue des sociétés
RGDIP Revue Générale de Droit International Public
RIDA Revue Internationale du Droit d’Auteur
RIDC Revue Internationale de Droit Comparé
RIDP Revue Internationale de Droit Pénal
RIDPC Revue Internationale de Doctrine et de législation Pénale Comparée
RJS Revue de Jurisprudence Sociale
RPDP Revue Pénitentiaire et de Droit Pénal
RSC Revue de science criminelle et de droit comparé
RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil
RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial
RTD eur. Revue Trimestrielle de Droit européen
Rép. dr. civ. Répertoire de droit civil
Rép. dr. pén. Répertoire de droit pénal
Rép. dr. soc. Répertoire du droit des sociétés
S. Sirey (Recueil Sirey)
s. Suivant(e)s
spéc. Spécialement
supra Ci-dessus
t. Tome
TGI Tribunal de grande instance
th. thèse
Trib. correc. Tribunal correctionnel
vo Verbo (mot)
v. Voir
vol. Volume

x
Introduction

1. Les éléments – Le terme élément, communément utilisé dans la langue française, est
emprunté aux doctrines physiques anciennes 1 . Il désignait alors les quatre éléments que sont
l’eau, le feu, la terre et l’air. Considérés comme étant à l’origine de toute chose, leur juste
répartition était supposée permettre l’équilibre du monde 2 . La doctrine des quatre éléments est
ainsi originellement chargée d’une dimension philosophique et métaphysique, qu’elle a perdue
par la suite, lorsque les éléments sont devenus un instrument scientifique 3 . Il est désormais
acquis que tout atome est composé de différents éléments, dont le nombre a significativement
augmenté au cours des siècles, et qui se définissent comme « des corps simples, des substances
indécomposées et regardées provisoirement comme indécomposables » 4 . Par extension, le terme
désigne aujourd’hui « tout ce qui entre dans la composition d’une autre chose et sert à la
former » 5 . Constitutifs, les éléments le sont parce qu’ils entrent dans la constitution de leur
objet et, qu’ensemble, ils le forment 6 . L’expression « éléments constitutifs », que l’on retrouve en
différentes matières, relève d’ailleurs en cela du pléonasme, car les éléments sont, par hypothèse,
nécessairement constitutifs de leur objet.
Le recours à des éléments afin de détailler la composition ou la structure d’une entité ou
d’une notion est particulièrement fréquente. L’on évoque ainsi les éléments constitutifs d’un
écosystème, de la notion de civilisation 7 , ou encore de l’État, depuis la célèbre présentation

1. V. Dictionnaire Le trésor de la langue française, v° Élément et le dictionnaire Le Gaffiot, v° Elementum.


2. Sénèque, Questions naturelles, Livre III, X, Œuvres complètes, trad. par J. Baillard, t. 2, Hachette,
1861 : « Rien ne s’épuise de ce qui revient sur soi-même. Chaque élément est soumis à ces retours alternatifs.
Toutes les pertes de l’un vont enrichir l’autre ; et la nature tient ses différentes parties comme pondérées dans une
balance, de peur que, les proportions dérangées, l’équilibre du monde ne soit rompu. »
3. V. E. Scerri, Le tableau périodique, Son histoire et sa signification, 2011, EDP, p. XV et s.
4. Dictionnaire le Littré, v° Élément.
5. Ibid.
6. Ibid., v° Constitutif. Comp. Encyclopédie Larousse « Qui entre nécessairement dans la constitution, la
composition de quelque chose ». Et Dictionnaire de l’Académie française ; Dictionnaire Le trésor de la langue
française, v° Constitution.
7. J. Lacroix, Éléments constitutifs de la notion de civilisation, Cours professé à la Semaine sociale de
Versailles, Chron. sociale de France, 1942.

1
Les éléments constitutifs de l’infraction

de Carré de Malberg 8 . En droit, ils permettent plus généralement aux auteurs ou aux
juridictions de détailler la composition de différentes notions, telles le contrat 9 , ou le fond de
commerce 10 . Le législateur y a d’ailleurs également recours et l’on trouve ainsi dans le Code
de la propriété intellectuelle le détail et l’énumération des éléments constitutifs d’une marque 11 ,
ou encore la mention des éléments constitutifs du salaire 12 , du patrimoine 13 , du prix 14 , des
exploitations agricoles 15 , etc. L’emploi de l’expression y est alors littéral, pour ne permettre
qu’une décomposition de la notion considérée en divers éléments essentiels.

2. Des éléments incontournables en droit pénal – Mais en droit pénal, l’expression


semble prendre un sens tout autre et une importance particulière. « Irremplaçable » 16 , tel est
l’adjectif utilisé par Messieurs Conte et Maistre du Chambon pour qualifier la notion 17 . Et
il est vrai que, malgré des controverses, la division de l’infraction en plusieurs éléments s’est
si bien imposée que l’on peine à imaginer un droit pénal dépourvu d’eux. Ils sont devenus
progressivement un instrument incontournable et indispensable en cette matière. Didactiques,
ils permettent de détailler les exigences propres à chaque incrimination dans une démarche
analytique 18 . Toute infraction s’appréhende à travers ses divers éléments constitutifs, lesquels
sont indispensables à sa caractérisation. Des divergences existent, mais traditionnellement, il est
admis que les éléments constitutifs de l’infraction sont au nombre de trois 19 : l’élément légal,

8. R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, t. 1, éd. du CNRS, 1962, p. 1, nos 1 et
s.
9. V. not. P. Fieschi-Vivet, « Les éléments constitutifs du contrat de travail », RJS 1991, p. 414, s’agissant
des éléments constitutifs du contrat de travail, ou B. Saintourens, Rép. dr. soc., Société civile, 2012, nos 11 et
s., s’agissant de ceux du contrat de société. Comp. L. Boyer, Rép. dr. civ., Contrats et conventions, 1993, no 111,
s’agissant des conventions en général.
10. J. Derruppé et T. de Ravel D’Escaplon, Rép. dr. com., Fonds de commerce, 2016, nos 29 et s.
11. V. les articles L.711-1 et s. du Code de propr. intell., insérée dans un chapitre intitulé : « Éléments constitutifs
de la marque ».
12. Code du trav., art. R.3232-1.
13. Code de com., art. L.526-8.
14. Ibid. art. L.143-6.
15. Code rural et de la pêche maritime, art. D.321-2.
16. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, 7ème éd., Armand Colin, 2004, p. 171, no 301.
17. Notion « irremplaçable », les éléments constitutifs sont par ailleurs « un instrument d’analyse indispensable »
et « correspondent à une exigence technique du droit pénal ». Ibid., p. 172, no 301.
18. En ce sens, J.-H. Robert, « Histoire des éléments de l’infraction », RSC 1977, p. 269. Comp. A. Decocq,
Droit pénal général, Armand Colin, 1971, p. 149 : « Par élément, ou élément constitutif, de l’infraction, au sens le
plus strict, seul exact, on désigne la conduite définie par la qualification légale comme illicite, en d’autres termes,
l’acte infractionnel, considéré du point de vue analytique. »
19. J. Leroy, Droit pénal général, 6ème éd., LGDJ, 2016, p. 58, no 87 ; O. Décima, S. Detraz et E. Verny,
Droit pénal général, 2ème éd., LGDJ, 2016, 107, no 209. Comp. C. Porteron, Rép. dr. pén., Infraction, 2002, no 61 :
« Dans une conception classique, toute infraction pénale nécessiterait la réunion de trois éléments constitutifs. Un
élément légal : l’acte accompli doit être réprimé par un texte. Un élément matériel : l’acte réprimé ou, à tout le
moins, son commencement d’exécution, doit avoir été matériellement réalisé. Un élément psychologique ou moral :
cet acte doit avoir été accompli par une personne dotée d’une volonté libre et consciente. »

2
Introduction

l’élément matériel et l’élément moral 20 . Ces éléments seraient présents dans toute infraction,
dès lors qu’ils relèvent de sa structure générale.
L’utilisation d’éléments dans l’analyse de l’infraction n’est d’ailleurs pas propre à la France.
Elle se retrouve en Hongrie 21 , en Angleterre, aux États-Unis, en Italie, en Allemagne, en
Suisse, en Espagne, en Belgique 22 , ainsi que dans bon nombre de pays Arabes, où des éléments
proches des nôtres ont pu être utilisés et la division parfois légalement consacrée 23 . Les éléments
identifiés varient sensiblement dans ces différents pays ou ne sont pas toujours appréhendés de la
même manière, mais, schématiquement, deux groupes peuvent être identifiés. Dans un premier,
l’infraction est présentée essentiellement par une dualité de principe entre le fait et la volonté,
dualité similaire à celle que nous connaissons en France, encore que d’autres éléments puissent
s’y adjoindre. C’est alors de la réunion de ces deux ou trois éléments autonomes que l’infraction
est constituée. L’on retrouve cette tendance par exemple en Belgique 24 , ou dans les pays de
Common law, qui ont une approche relativement proche de la nôtre, bien que l’élément légal n’y
existe pas 25 . La dualité y est exprimée par les expressions latines d’actus reus et de mens rea 26 .
L’actus reus renvoie à l’exigence d’un acte extérieur et rejoint, en cela, notre élément matériel ;
la mens rea renvoie à l’exigence d’une volonté coupable et rejoint notre élément moral 27 .
Dans un second groupe, le schéma suivi est inspiré de l’analyse allemande et, outre la

20. V. entres autres G. Stéfani et G. Levasseur, Droit pénal général, 10ème éd., Précis Dalloz, 1978, p. 106,
n 84 ; B. Bouloc, Droit pénal général, 2ème éd., Précis Dalloz, 2011, p. 101, no 101 et p. 211, no 223 ; C. Paulin,
o

Droit pénal général, 6ème éd., Litec, 2010, p. 15, no 20 ; B. Bouloc et H. Matsopoulou, Droit pénal général et
procédure pénale, 20ème éd., Sirey, 2016, p. 57, no 79 et p. 103, nos 140 et s. ; P. Conte et P. Maistre du Chambon,
Droit pénal général, op. cit., p. 171, no 300 ; O. Décima, S. Detraz et E. Verny, Droit pénal général, op. cit., 107,
no 209, encore que dans ces derniers ouvrages, l’élément légal soit appréhendé comme un élément constituant.
21. A. Meszaros, « La complicité en droit pénal hongrois », RSC 2005, p. 265.
22. V. J. Pradel, Droit pénal comparé, 4ème éd., Dalloz, 2016, p. 73, no 45.
23. Tel a été le cas dans les codes libanais ou syrien. V. M. Mostafa, Principes de droit pénal des pays arabes,
Institut de droit comparé de Paris, LGDJ, 1972, p. 41, no 38. L’auteur procède à un bref rappel des différentes
sources ayant influencé ces codes, rappel édifiant quant aux éléments retenus dans les différents pays (ibid., p. 11,
nos 9 et s.). Adde. R. Bustos et M. Valenzuela Bejas, Le système pénal des pays de l’Amérique latine, trad. par
J. Bernat de Celis, A. Pedone, 1983.
24. V. F. Tulkens et M. van De Kerchove, Introduction au droit pénal, aspects juridiques et criminologiques,
Bruxelles, E. Story-Scientia, 1991, not. p. 198 et s.
25. Des exigences relatives à l’incrimination existent, mais la spécificité du droit dans ces pays fait qu’elles ne
prennent pas l’importance qu’elles peuvent avoir en France. J. Cedras, Le droit pénal américain, PUF, collection
Que sais-je ?, 1997, p. 40.
26. Pour le droit anglais, v. not. R. Cross et E. Ely, « La responsabilité pénale » in Introduction au droit criminel
de l’angleterre, sous la dir. de M. Ancel et L. Radzinowicz, Institut de droit comparé de Paris, éditions de l’Épargne,
1959, p. 35, p. 35, et pour le droit américain, J. Cedras, Le droit pénal américain, op. cit., p. 39, et H. Wechsler,
« La culpabilité et l’infraction, L’intention coupable dans le Model Penal Code » in Le système pénal des États-Unis
d’Amérique, sous la dir. de M. Ancel et L. B. Schwartz, Institut de droit comparé de Paris, éditions de l’Épargne,
1964, p. 35.
27. A. Ashworth, Principles of criminal law, 6ème éd., Oxford university press, 2009, p. 84 : « It has been
traditionnal for writers on English criminal law to approach the analysis of offences by means of two concepts with
Latin names, actus reus and mens rea : the actus reus consists of the prohibited behaviour or conduct, including any
specified consequences ; the mens rea is usually described as the mental element –the intention. » L’auteur utilise
par ailleurs les termes « conduct elements and fault elements » pour les désigner.

3
Les éléments constitutifs de l’infraction

question de la responsabilité, s’organise autour des deux concepts fondamentaux que sont la
typicité et l’antijuridicité 28 . La typicité rappelle en partie notre élément légal en ce qu’elle
signifie que le comportement accompli doit correspondre au comportement décrit par un texte
d’incrimination. Pour autant, il s’agit, dans l’approche allemande, d’apprécier la typicité du
comportement, autrement dit sa conformité au type tant dans sa dimension matérielle que dans
sa dimension morale, de sorte qu’elle ne recouvre pas tout à fait l’élément légal français 29 .
Quant à l’antijuridicité, elle tient schématiquement à la contrariété entre le comportement et
la norme et/ou l’atteinte à un bien juridique, et n’est que peu utilisée en France 30 , pour n’avoir
été que très partiellement reçue dans l’élément injuste. La compréhension des éléments diffère
donc de l’approche française en ce qu’elle ne s’inscrit pas tout à fait dans la même démarche. Il
ne s’agit pas véritablement d’additionner ici des éléments autonomes dont la somme formerait
l’infraction, mais davantage d’apprécier les caractéristiques du comportement infractionnel 31 .
À l’inverse, en France, les éléments résultent d’une décomposition structurelle de l’infrac-
tion. Le raisonnement se fait alors par une sorte de jeu de construction, dans lequel l’infraction
est le résultat de l’adjonction des différentes données qui la composent. C’est par la vérification
successive de chacune d’elles que le comportement pourra être qualifié. L’infraction est, en
quelque sorte, le résultat de ce raisonnement de construction par adjonction 32 . Il s’est du reste
si bien imposé qu’il est appliqué assez systématiquement, aussi bien par la doctrine que par la
jurisprudence.

3. Doutes – Bien que leur utilisation soit systématique, les éléments ne font pour autant
pas l’objet d’un consensus. Au contraire même. Les débats relatifs aux différents éléments de
l’infraction sont nourris en raison de la diversité des analyses doctrinales, certaines tendant plus

28. Selon A. Vitu, « De l’illicéité en droit criminel français », Bulletin de la société de législation comparée
1984, p. 129, le terme d’antijuridicité doit être évité, car il n’est qu’une transposition littérale des termes allemands
et n’est de ce fait pas satisfaisant. Il lui préfère donc celui d’illicéité. Néanmoins, le terme antijuridicité demeure très
largement utilisé dans les études consacrées à la doctrine allemande. En outre, le terme illicéité renvoie davantage
à la conception formelle de l’antijuridicité (v. infra, nos 175 et s.) dès lors qu’elle suggère une contrariété avec le
droit. Pour ces raisons, il a été fait le choix d’opter pour la terminologie d’antijuridicité.
29. Ainsi, la typicité peut regrouper les éléments légal, matériel et moral. X. Pin, « La traduction des concepts
de droit pénal : l’exemple franco-allemand » in Droit et langues étrangères : la traduction juridique est-elle du
domaine du spécialiste, du linguiste ou s’ouvre-t-elle au jurilinguisme ?, Presses Universitaires de Perpignan, 2001,
p. 43.
30. Pour une analyse plus approfondie, v. infra, nos 175 et s.
31. Le modèle allemand d’analyse de l’infraction fera l’objet d’une analyse plus poussée ultérieurement. V. infra,
no 63.
32. Cette idée selon laquelle les éléments constitutifs sont les données sur lesquelles sont bâties les différentes
infractions se trouve déjà exprimée chez Ortolan qui, exposant la distinction entre les éléments constitutifs et les
circonstances aggravantes, explique que dans les faits rencontrés dans le délit, certains forment « les conditions, les
éléments indispensables pour l’existence même du délit ». Il poursuit : « Nous disons conditions, parce que ce sont
ces faits dont le délit est en quelque sorte bâti ou construit (de condere, fonder, construire) ; par la même raison,
ces faits se nomment éléments ou faits constitutifs. » J. Ortolan, Éléments de droit pénal, Pénalité, juridiction,
procédure, 3ème éd., t. 1, Henri Plon, 1863, p. 451, no 1053.

4
Introduction

récemment à remettre en cause l’opposition matérialité/moralité qui est pourtant l’articulation


fondamentale de la construction française. À cela s’ajoute une compréhension et une utilisation
parfois littérale de l’expression faisant alors perdre à la division traditionnelle sa dimension de
principe. La division tripartite de l’infraction apparaît pour ainsi dire en crise. Les difficultés
sont anciennes et trouvent leurs sources dans l’absence de définition des éléments, mais elles
s’amplifient à la faveur de la diversification des approches doctrinales et de l’évolution du droit
pénal. Les incertitudes sont telles qu’il est aujourd’hui possible de douter tant de l’opportunité
de la division tripartite que de son utilité. Pour autant, les éléments constitutifs demeurent
prometteurs et conserver une approche en termes d’éléments présente un intérêt réel, à la double
condition toutefois de repenser l’outil et de parvenir à déterminer aussi bien ce qu’est un élément
constitutif, que quels sont les éléments de l’infraction. Ainsi, là où l’opportunité douteuse de
la division traditionnelle pourrait encourager à son abandon (I), l’intérêt avéré des éléments
constitutifs pousse lui au renouvellement de l’approche en termes d’éléments (II).

§ 1. L’opportunité douteuse de la division traditionnelle

4. Une utilité limitée – Bien que la division de l’infraction en trois éléments soit assez
systématiquement présentée comme celle communément admise et que le recours aux éléments
constitutifs soit systématique en droit pénal, l’intérêt comme l’opportunité de la présentation
traditionnelle peuvent être discutés. Ils le peuvent à deux titres. En premier lieu, l’utilisation
faite des éléments constitutifs ne rejoint pas toujours la division traditionnelle en trois éléments,
mais s’en éloigne au contraire (A). En second lieu, la division de principe ne restitue pas
parfaitement la réalité (B), pour ne pas être vraiment communément admise et pour ne pas
toujours correspondre à la diversité des incriminations.

A. Une utilisation éloignée de la division traditionnelle

5. La mention des éléments dans la loi – Les éléments sont aujourd’hui très largement
mobilisés, que ce soit en doctrine ou en droit positif. Mais leur utilisation en trahit parfois une
acception littérale. Ils ne servent alors qu’à décortiquer les infractions pour en faire ressortir les
données indispensables. Même l’emploi des éléments dans la loi paraît éloigné de la division en
trois éléments.
L’infraction ne faisant pas l’objet d’une définition générale, l’on ne trouve pas dans le Code
pénal de texte venant expressément préciser ses éléments de structure. Aujourd’hui, l’expression
est globalement absente du droit positif, mais, antérieurement, elle apparaissait dans d’anciens
textes, notamment relatifs à la localisation de l’infraction dans l’espace. Était réputée « commise
sur le territoire de la République toute infraction dont un acte caractérisant un de ses éléments

5
Les éléments constitutifs de l’infraction

constitutifs a été accompli en France » 33 . Lors de la refonte du Code pénal en 1994, la rédaction
a été abandonnée, faisant disparaître du même coup et pendant un temps l’expression du droit
positif. Ce n’est que récemment qu’elle a refait son apparition dans le Code de procédure pénale,
à l’occasion d’une loi en date du 27 février 2017. L’article 9-1 de ce code consacre désormais
en son alinéa 3 la jurisprudence relative au report du départ du délai de prescription de l’action
publique en matière d’infractions occultes ou dissimulées. Aux termes de cet article, le délai
court à partir du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions
permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique. L’infraction occulte, visée
par l’article 9-1, y est en outre définie comme celle qui, « en raison de ses éléments constitutifs,
ne peut être connue ni de la victime ni de l’autorité judiciaire » 34 . La notion est donc mobilisée
comme moyen d’identification de cette catégorie d’infraction, mais sans que soient précisés les
éléments en question.
Par ailleurs, l’on trouve également mention des éléments à l’article 111-3, aux termes duquel
« nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par
la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement » 35 .
La référence n’est pas expresse, mais la mention des « éléments » y est éloquente, car dans
l’ancien Code pénal, il n’était pas fait référence à eux dans l’article correspondant. Le principe
de légalité n’y apparaissait qu’à propos de la peine et il était plus simplement prévu que « nulle
contravention, nul délit, nul crime, ne peuvent être punis de peines qui n’étaient pas prononcées
par la loi avant qu’ils fussent commis » 36 . Si les éléments ne sont pas plus précisés qu’à l’article 9-
1 du Code de procédure pénale, l’on est naturellement tenté de penser que les éléments auxquels
le législateur fait référence dans ces deux textes sont les trois éléments constitutifs communément
admis en doctrine 37 .

6. L’appréhension des éléments dans la loi – Un doute sur ce point subsiste néanmoins.
En définissant l’infraction occulte comme celle qui ne peut être connue « en raison de ses
éléments constitutifs », l’article 9-1 paraît ne faire référence qu’aux spécificités matérielles

33. Code de proc. pén., art. 693, ancien. Comp. ancien Code pén., art. 334-1 et 334-2.
34. Code de proc. pén., art. 9-1, al. 4.
35. Nous soulignons.
36. Ancien Code pén. art. 4.
37. Un élément supplémentaire pourrait faire pencher en faveur de cette solution. Un arrêté, codifié dans le Code
de procédure pénale, fait expressément état des trois éléments. Il ne s’agit là que d’un arrêté fixant le programme
d’examen pour certains corps de métiers, de sorte que la référence à la construction doctrinale est cohérente, mais
sont expressément inclus aux programmes en question « les éléments constitutifs de l’infraction », soit « l’élément
légal, l’élément matériel, l’élément moral ». Code de proc. pén., art. A36-2, s’agissant de l’examen technique
préalable à la désignation des agents des douanes chargés de l’exercice de certaines missions de police judiciaire.
Pour les autres corps de métier concernés par des examens du même type, ne sont visés que les éléments constitutifs
de l’infraction, sans précisions supplémentaires. V. art. A5 du Code de proc. pén. pour les gendarmes officiers de
police judiciaire ; art. A16 pour les officiers de police judiciaire de la police nationale et art. A36-10-3 pour les
agents des services fiscaux chargés de l’exercice de certaines missions de police judiciaire.

6
Introduction

des infractions et, plus précisément, à leurs modes de commission. De la sorte, l’expression
renverrait bien plus à un démembrement de l’élément matériel qu’aux trois éléments tradi-
tionnels. La rédaction de l’ancien article 334-1 du Code pénal allait de manière encore plus
marquée dans ce sens. Il disposait en effet que les peines prévues en matière d’attentat aux
mœurs « seront prononcées alors même que les divers actes qui sont les éléments constitutifs
des infractions auraient été accomplis dans des pays différents » 38 . Les éléments paraissaient
alors réduits aux actes, autrement dit aux exigences matérielles des incriminations. Certes, une
telle acception ne peut être retenue, car ainsi entendus, les éléments se confondraient avec les
« faits constitutifs » dont il est désormais fait état dans le Code pénal en matière de localisation
des infractions dans l’espace. L’expression est utilisée à l’article 113-2 alinéa 2 du Code pénal,
lequel répute commise sur le territoire de la République une infraction « dès lors qu’un de ses
faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire ». Or, il n’est pas certain que les deux expressions se
rejoignent. Par la mention des faits constitutifs, sont visées les données matérielles et tangibles de
l’infraction, qui en permettent la localisation. Plus précisément, l’expression doit être considérée
« comme équivalente à celle d’actes caractérisant un des éléments constitutifs » 39 , anciennement
utilisée dans le Code de procédure pénale. Le terme de « fait » a simplement été préféré à
celui d’« acte » antérieurement employé pour son caractère plus objectif 40 . La localisation de
l’infraction n’est ainsi possible qu’au lieu de réalisation de certains éléments seulement. Elle
renvoie à une décomposition des données matérielles de l’infraction, qui inclurait les conditions
préalables. En effet, la jurisprudence utilise l’expression pour s’affranchir de la notion d’élément.
Alors qu’elle semble avoir admis la distinction doctrinale opérée entre condition préalable et
éléments constitutifs 41 , elle admet de localiser l’infraction au lieu d’existence de la première 42 .
La condition préalable, extérieure aux éléments de l’infraction, entrerait donc dans la catégorie
plus vaste des « faits constitutifs ». Les expressions d’éléments constitutifs et de faits constitutifs,
toutes deux utilisées par le législateur, ne se confondent donc pas, pour renvoyer chacune à deux
choses différentes.
Le constat n’est toutefois pas suffisant à lever tout doute quant au fait que les éléments
visés par le législateur soient les éléments utilisés en doctrine. Car il ressort de l’article 9-1

38. Nous soulignons.


39. Circulaire générale présentant les dispositions du nouveau code pénal, Ministère de la Jutice, 1993,
Direction des JO, p. 16.
40. V. Débats parlementaires du Sénat, Compte rendu intégral, 19ème séance du mercredi 10 mai 1989, Direction
des JO, p. 614.
41. Par un arrêt, certes ancien, elle a en effet utilisé la distinction et opposé la condition préalable aux éléments
constitutifs de l’infraction. Cass. crim., 30 mars 1971, Bull. crim., no 114.
42. V. en matière d’abus de confiance, Cass. crim., 12 fév. 1979, Bull. crim., no 60 ; D. 1979, IR, p. 177, obs.
G. Roujou de Boubée ; RSC 1979, p. 575, obs. P. Bouzat, et Cass. crim., 2 déc. 2009, Bull. crim. ; Dr. pén.
2010, Comm. no 42, obs. M. Véron. La tendance est néanmoins antérieure à la modification de l’article relatif à la
localisation de l’infraction dans l’espace, de sorte que la jurisprudence est d’interprétation délicate sur ce point.

7
Les éléments constitutifs de l’infraction

du Code de procédure pénale une acception relativement littérale des termes. De même, en
prévoyant que la sanction d’un comportement est conditionnée par la définition antérieure de ses
éléments, l’article 111-3 exige-t-il que toute infraction soit définie en son élément matériel et en
son élément moral, ou n’exige-t-il plus simplement qu’un exposé détaillé des comportements,
lequel permettrait de dégager les diverses conditions de sa sanction ? L’on est d’autant plus tenté
de pencher en faveur de la seconde solution que les trois éléments de l’infraction ne peuvent
entrer tous dans les prévisions de l’article 111-3 du Code pénal dès lors que tous ne peuvent pas
être « définis ». Ainsi en est-il de l’élément légal qui est, par hypothèse, l’élément définissant
l’infraction 43 . La mobilisation des éléments dans la loi paraît donc éloignée de la division
traditionnelle.

7. L’appréhension des éléments dans la jurisprudence – De même en est-il en jurispru-


dence, où une utilisation littérale des éléments se retrouve parfois. Certes, le Conseil constitu-
tionnel et la Cour de cassation visent régulièrement les éléments matériel et moral dans leurs
décisions et arrêts. Ainsi, le Conseil constitutionnel affirme classiquement que « la culpabilité
ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d’actes pénalement sanctionnés » 44 . Dès
lors, « la définition d’une incrimination [...] doit inclure, outre l’élément matériel de l’infraction,
l’élément moral, intentionnel ou non, de celle-ci » 45 . De même, lorsque la Cour de cassation
contrôle la caractérisation d’une infraction, s’assure-t-elle que les juges du fond l’ont bien
caractérisée en tous ses éléments, autrement dit en son élément matériel et en son élément
moral 46 . Pour autant, les éléments sont souvent mobilisés dans une approche bien plus littérale.
Par exemple, dans une décision en date du 20 janvier 1981 portant sur les incriminations de
menaces, le Conseil constitutionnel avait été saisi d’une question portant sur une imprécision
de la loi, notamment au regard du terme « menace ». Ce dernier avait été jugé suffisamment
précis, de même « que les divers autres éléments constitutifs des infractions visées [lesquels]
sont énoncés sans ambiguïté, notamment en ce qui concerne l’objet des menaces, leur caractère
conditionnel ou inconditionnel, les personnes à qui elles sont adressées » 47 . Ici, l’expression
permet tout au plus de renvoyer aux diverses exigences des textes. Et un tel emploi n’est pas
rare, loin s’en faut. Dans une décision plus récente sur la loi relative à la transparence, à la lutte
contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, l’utilisation est similaire. Cette

43. D’où sa qualification par Messieurs Conte et Maistre du Chambon d’élément constituant de l’infraction.
P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 171, no 300. Comp. O. Décima, S. Detraz
et E. Verny, Droit pénal général, op. cit., 107, no 209.
44. Cons. const., 16 juin 1999, no 99-411 DC ; D. 1999, p. 589, obs. Y. Mayaud ; D. 2000, p. 197, obs. S.
Sciortino-Bayart ; AJDA 1999, p. 694, obs. J.-E. Schoettl ; D. 2000, p. 113, obs. G. Roujou de Boubée.
45. Ibid.
46. La formule est habituelle, qui veut que l’infraction soit caractérisée en tous ses éléments, « tant matériel
qu’intentionnel ». V. par ex. Cass. crim. 20 avr. 2007, no 16-82.222.
47. Cons. const. 20 janv. 1981, préc. Nous soulignons.

8
Introduction

loi avait apporté une modification à l’incrimination de dénonciation calomnieuse. Il y était prévu
que se rendrait coupable d’une telle dénonciation « celui qui dénonce [...], un fait de nature
à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et qu’il sait totalement
ou partiellement inexact » 48 . Le Conseil constitutionnel avait alors considéré que les éléments
constitutifs de l’infraction étaient insuffisamment définis, dès lors qu’était plus spécifiquement
incriminée la dénonciation de faits opérée « en dernier ressort, en public » sans que soit précisés
les actes ou procédures antérieurs en question 49 . Dans cette décision, l’expression n’est une
nouvelle fois utilisée que pour désigner une exigence propre à cette incrimination – ici l’exigence
relative au dernier ressort –, que le Conseil estime insuffisamment précisée.
La même utilisation littérale se retrouve au reste de la même manière dans certains arrêts de
la Cour de cassation. Certes, la formule habituelle voulant que les infractions soient caractérisées
en tous leurs éléments, « tant matériel qu’intentionnel » suggère que les éléments constitutifs
seraient de deux 50 . Mais cette idée est tempérée par le fait que le pluriel est parfois utilisé
concernant l’élément matériel. La formule est dans beaucoup d’arrêts ainsi rédigée et suggère
une pluralité quant à ce dernier : « les énonciations de l’arrêt attaqué [...] mettent la Cour
de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction,
caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit » 51 . En outre, les
éléments visés par la Cour ne se cantonnent pas aux éléments matériel et moral, dès lors que
diverses exigences légales sont présentées comme des éléments constitutifs. L’exemple le plus
parlant est sans doute le préjudice, dont la nature constitutive est l’objet d’un débat aussi constant
qu’ancien 52 . La solution est aujourd’hui acquise en jurisprudence, selon laquelle le préjudice
est un élément constitutif de certaines infractions, telles l’escroquerie et l’abus de confiance 53 .
Les éléments constitutifs ne sont donc pas prédéfinis et de deux (ou trois), mais dépendent de
l’infraction particulière analysée.

48. Cons. const., 8 déc. 2016, no 2016-741 DC, cons. 138.


49. Ibid., cons. 139 : « en incriminant la dénonciation de faits opérée « en dernier ressort, en public », sans
préciser à quels actes ou procédures antérieurs il est ainsi renvoyé, le législateur n’a pas suffisamment défini les
éléments constitutifs de cette infraction. »
50. Cass. crim. 20 avr. 2007, préc.
51. Cass. crim., 15 avril 2015, Bull. crim., no 93. Il est toutefois particulièrement difficile d’interpréter cette
formule, tant l’emploi du pluriel se révèle hasardeux. Ainsi est-il parfois employé pour des infractions simples, alors
que le singulier est employé dans le cas d’infractions habituellement considérées comme complexes. Le singulier
ou le pluriel est même parfois employé indifféremment pour une même infraction sans aucune justification : v.
s’agissant de l’escroquerie, Cass. crim., 7 déc. 2016, no 15-84.886 où est visé l’élément matériel et Cass. crim., 1
juin 2016, no 15-80.230 où sont visés les éléments matériels.
52. Revenant sur les hésitations jurisprudentielles en la matière, M.-L. Lanthiez, « Du préjudice dans quelques
infractions contre les biens », D. 2005, chron. p. 464.
53. Cass. crim., 28 janv. 2015, Bull. crim., no 24 ; D. actualité 2015, note L. Priou-Alibert ; D. 2015, p. 845,
note L. Saenko ; AJ pén. 2015, p. 311, obs. G. Beaussonie ; D. 2015, pan. p. 1506, obs. C. Mascala ; Dr. pén.
2015, no 64, obs. M. Véron, s’agissant de l’escroquerie et Cass. crim., 26 oct. 1994, Bull. crim., no 340 ; RSC 1995,
p. 582, obs. R. Ottenhof, s’agissant de l’abus de confiance.

9
Les éléments constitutifs de l’infraction

Enfin, la même ambivalence s’observe en doctrine, où l’utilisation des éléments trahit une
compréhension parfois littérale des termes se traduisant par une variation du nombre d’éléments
identifiés selon l’infraction considérée. Ainsi, le vol posséderait quatre éléments, tout comme
le faux 54 , tandis que l’abus de confiance en comporterait trois 55 , et le viol deux 56 . La même
tendance s’observe d’ailleurs parfois dans des études de droit pénal anglais. Par exemple, en
matière de vol, Monsieur Kenny détaille cinq éléments : le fait (soit prendre ou emporter), la
propriété du bien, l’objet du vol, l’absence de consentement du propriétaire et l’intention 57 . Il ne
se contente donc pas du balancement actus reus/mens rea. En France comme en Angleterre, le
droit pénal spécial s’affranchit ainsi parfois de la division générale de l’infraction, pour s’adapter
aux spécificités de chaque incrimination.

8. Des éléments dépendants de leur objet – Cette ambivalence s’explique au demeurant


relativement facilement au regard de la définition des éléments constitutifs. Car les éléments
désignent de manière générale ce qui entre dans la composition d’une chose et la forme. Tout
dépend alors de l’objet considéré. Or, l’infraction recouvre plusieurs réalités. Le terme est lui-
même ambivalent et peut renvoyer aussi bien à l’infraction accomplie par l’agent – l’infraction-
action –, qu’à celle décrite par le législateur – l’infraction incriminée – 58 , ou encore à la notion
elle-même, prise en tant qu’objet d’étude du droit pénal général 59 . Si ces trois acceptions
renvoient à des réalités différentes, leur composition particulière ne varie-t-elle pas nécessaire-
ment ? La divergence entre les éléments constitutifs de l’infraction-action et ceux de l’infraction-
description a déjà été mise en lumière par des auteurs 60 . Mais n’en va-t-il pas de même pour

54. H. Matsopoulou et J.-H. Robert, Traité de droit pénal des affaires, PUF, 2004, p. 224, nos 118 et s.
55. C. Mascala, Rép. dr. pén., Abus de confiance, 2003, no 60.
56. A. Darsonville, Rép. dr. pén., Viol, 2011, no 9.
57. C. S. Kenny, Esquisse du droit criminel anglais, trad. par A. Paulian, 9ème éd., Marcel Giard, 1921, p. 234
et s. Comp. R. A. Collings, « Les infractions contre les personnes » in Le système pénal des États-Unis d’Amérique,
sous la dir. de M. Ancel et L. B. Schwartz, Institut de droit comparé de Paris, éditions de l’Épargne, 1964, p. 59,
p. 61 et s., et F. A. Allen, « Les infractions contre la propriété » in Le système pénal des États-Unis d’Amérique,
sous la dir. de M. Ancel et L. B. Schwartz, Institut de droit comparé de Paris, éditions de l’Épargne, 1964, p. 83,
opérant une même « dissection » des infractions.
58. J.-H. Robert, « Histoire des éléments de l’infraction », art. préc. V. égal. J.-P. Doucet, La loi pénale, Gazette
du Palais, Litec, 1986, p. 97 et s.
59. On pourrait ici s’interroger sur le point de savoir si l’infraction a été suffisamment théorisée pour qu’il soit
possible d’y voir une notion. Malgré l’approche pratique retenue en France et l’absence de réelle théorie générale de
l’infraction, parfois soulevée par les auteurs étrangers (S. Manacorda, « Théorie générale de l’infraction, lacunes
ou spécificités de la science pénale ? », RDPC 1999, p. 35), une réponse positive semble pouvoir être apportée dès
lors qu’elle a fait l’objet d’un effort de synthèse et d’une définition générale. Elle entre à ce titre dans la définition
de la notion qui, « descriptive de l’objet », « part du réel et le synthétise » (X. Bioy, « Notions et concepts en
droit, Interrogations sur l’idée d’une distinction » in Les notions juridiques, sous la dir. de G. Tusseau, Economica,
2009, p. 21). Elle est plus précisément « une idée générale que l’âme a acquise, qui donne déjà une connaissance de
l’essence de la chose, mais qui a besoin d’être développée » (S. Auroux (dir.), Les notions philosophiques, 2ème éd.,
PUF, 1998, t. 2, « Notion ».). Plus généralement, sur la notion de notion et la distinction entre la notion et le concept,
v. Notions et concepts en droit, sous la dir. de G. Tusseau, Economica, 2009.
60. V. not. J.-H. Robert, « Histoire des éléments de l’infraction », art. préc. Cette subtilité se retrouve dans l’idée
selon laquelle l’élément légal serait un élément constituant, car il est alors constituant de l’infraction-comportement.

10
Introduction

les éléments de la notion d’infraction, prise en son sens général et abstrait, ou encore pour
ceux de chaque infraction incriminée ? À l’égard de chacune de ces dernières, les éléments
constitutifs renvoient aux « divers aspects de l’acte incriminé » 61 , ou encore aux « divers termes
que l’analyse peut distinguer dans sa définition légale » 62 . Ils dépendent donc forcément de
l’infraction précisément considérée, sans pour autant être identiques aux trois éléments de
l’infraction-notion 63 .
Ainsi les éléments du vol ne sont pas les éléments de la dénonciation calomnieuse, parce
que les exigences légales diffèrent. Au terme de l’article 311-1 du Code pénal, le vol consiste en
« la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui ». Si l’on tente d’identifier les divers aspects
du comportement incriminé, et selon le détail de décomposition, il est possible d’identifier
jusqu’à quatre éléments. Ils tiendront à la soustraction, à la fraude, à l’objet du vol et au
caractère approprié de ce dernier 64 . Ces éléments diffèrent logiquement des éléments de la
dénonciation calomnieuse qui est, quant à elle, « la dénonciation, effectuée par tout moyen et
dirigée contre une personne déterminée, d’un fait qui est de nature à entraîner des sanctions
judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l’on sait totalement ou partiellement inexact,
[...] adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une
autorité ayant le pouvoir d’y donner suite ou de saisir l’autorité compétente, soit aux supérieurs
hiérarchiques ou à l’employeur de la personne dénoncée » 65 . Dans une approche analytique de ce
texte, peuvent être identifiés cinq éléments indispensables à la caractérisation de l’infraction : un
élément relatif au fait de dénonciation, un élément relatif à ses modalités, un élément relatif aux
caractéristiques propres au fait dénoncé, un élément relatif au destinataire, et enfin un élément
relatif à la connaissance de la fausseté totale ou partielle du fait dénoncé. La dissection des
différents textes d’incrimination conduit donc à dégager des éléments variables, dont le nombre
et la teneur dépendent des exigences légales et qui peuvent, du reste, ne pas correspondre aux
trois éléments qui sont ceux de l’infraction prise en tant que notion du droit pénal général 66 .
Au regard de sa faible mobilisation en droit pénal spécial, l’on peut douter tant de l’utilité de
la division traditionnelle que de son opportunité. Elle n’apparaît pas répondre parfaitement aux

61. J. Pradel, Traité de droit pénal et de sciences criminelles comparées, 12ème éd., Cujas, 1999, p. 297, no 322.
62. R. Vouin, Manuel de droit criminel, LGDJ, 1949, p. 147, no 230.
63. L’affirmation est vraie que l’on considère l’infraction décrite ou l’infraction accomplie.
64. Retenant quatre éléments constitutifs pour le vol, v. M. Véron, Droit pénal spécial, 14ème éd., Sirey, 2012,
p. 267, no 369. D’autres auteurs ne scindent pas la chose et son caractère approprié, pour n’y voir qu’un seul élément,
de sorte que le vol sera constitué de trois éléments. J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, 6ème éd.,
Édition Cujas, 2014, p. 528, no 847. Pour d’autres, enfin, la chose sera non pas un élément constitutif, mais une
condition préalable. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, 7ème éd., Précis Dalloz, 2014, p. 123, nos 101 et s. Comp.
V. Malabat, Droit pénal spécial, 7ème éd., Dalloz, 2015, p. 389, no 737-738, retenant également deux éléments,
mais en intégrant la chose objet du vol à sa matérialité.
65. Code pén., art. 226-10.
66. C’est en cette matière, en effet, qu’ils sont en premier lieu mobilisés, pour n’être pas forcément repris dans
les études des différentes incriminations.

11
Les éléments constitutifs de l’infraction

exigences de cette matière et semble, plus largement, ne pas correspondre à la diversité des
incriminations.

B. Une réalité éloignée de la division traditionnelle

9. La diversité des divisions – Si elle est de principe, la division traditionnelle est loin
de retranscrire la réalité de la matière, dans laquelle on observe une forte diversité tant des
approches doctrinales que des incriminations. Tout d’abord, présenter cette division comme
celle communément admise est sous beaucoup d’aspects trop absolu. Car pour traditionnelle
qu’elle soit, la division élément légal, matériel et moral n’est pas acquise. Elle est au contraire
si discutée qu’il est devenu commun de la présenter suivie des discussions qui l’entourent 67 .
Quant aux divergences doctrinales, elles sont à ce point nombreuses qu’il a pu être constaté en
la matière un « grand désordre » 68 , lequel laisse du reste perplexes les auteurs étrangers lorsqu’ils
s’intéressent à l’étude française de l’infraction 69 .
Deux éléments d’explication à cela peuvent être avancés. Le premier pourrait venir de ce
que l’infraction prise en tant que notion générale demeure mal connue et peut être appréhendée
de différentes façons. Or, l’acception que l’on en retient se répercute nécessairement sur les
éléments identifiés. Le second élément tient quant à lui au fait que les éléments constitutifs
n’ont pas réellement été étudiés. Le plus souvent, ils servent d’annonce de plan, mais sans être
envisagés pour eux-mêmes 70 . Par exemple, dans l’ouvrage de Villey, auteur ayant particulière-
ment contribué au développement de l’analyse duale de l’infraction, il est simplement écrit que
« l’infraction se compose de deux éléments : l’élément matériel et l’élément intentionnel » 71 ,
le terme élément n’étant ni défini ni expliqué. Et, sous réserve des quelques définitions très
générales précédemment évoquées, la même démarche s’observe dans les manuels plus récents 72 .

67. Opérant de la sorte, v. entre autre J. Leroy, Droit pénal général, op. cit., p. 58, no 87 ; O. Décima, S. Detraz
et E. Verny, Droit pénal général, op. cit., 107, no 209 ; P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général,
op. cit., p. 171, no 300 ; C. Porteron, Infraction, op. cit., no 61.
68. M.-L. Rassat, Droit pénal général, 2ème éd., Ellipses, cours magistral, 2006, p. 276, no 249 évoquant « un
grand désordre dans la doctrine française contemporaine ».
69. S. Manacorda, « Théorie générale de l’infraction, lacunes ou spécificités de la science pénale ? », art. préc. ;
K. Ambos, « Réflexions sur la théorie française de l’infraction pénale du point de vue allemand » in Vers un nouveau
procès pénal ?, Société de législation comparée, 2008, p. 147.
70. La seule étude dédiée à eux (J.-H. Robert, « Histoire des éléments de l’infraction », art. préc.), si fondamen-
tale et riche soit-elle, est tournée vers leur histoire, non vers la signification et la fonction de l’outil. D’autres études
font état des éléments constitutifs (M.-C. Delpech, « De l’infraction, Ses conditions, ses éléments, ses caractères »,
Extrait de la revue générale du droit, de la législation, et de la jurisprudence 1879), ou de certains d’entre eux
(v. par ex. A. Vitu, « L’élément légal et l’élément matériel de l’infraction devant les perspectives ouvertes par la
criminologie et les sciences de l’homme » in Confrontation de la théorie générale de la responsabilité pénale avec
les données de la criminologie, Travaux du colloque de science criminelle de Toulouse, Dalloz, 1969, p. 39), mais
sans qu’il soit procédé à une analyse de l’élément en lui-même.
71. E. Villey, Précis d’un cours de droit criminel, A. Durand et Pédone-Lauriel, 1876, p. 95.
72. V. par ex. C. Paulin, Droit pénal général, op. cit., p. 15, no 20.

12
Introduction

Il s’ensuit que, selon la conception retenue de l’infraction et la compréhension des éléments


constitutifs, leur nombre variera majoritairement de un à quatre.
Par exemple, des auteurs comme Messieurs Pradel et Jeandier retiennent une approche
objective et restreinte de l’infraction. Pour eux, il n’existe donc qu’un unique élément, qui
tient à l’élément matériel : le fait infractionnel 73 . Retenant pareillement une approche objective,
mais associée à une conception plus large de l’infraction, Messieurs Merle et Vitu font, pour
leur part, état de deux éléments, à savoir l’élément matériel et l’élément légal 74 . Dans une
approche plus subjective, les éléments ne peuvent être identiques, car l’élément matériel n’est
plus suffisant pour constituer l’infraction. S’y ajoute donc un élément moral. L’admission de
cet élément fait naître une dualité matérialité/moralité interne à l’infraction et qui peut, en
outre, être complétée par des éléments légal et/ou injuste, si bien que le nombre d’éléments
identifiés peut être de deux, de trois ou de quatre. Ces variations sont par ailleurs amplifiées par
les propositions doctrinales tendant à l’identification de nouveaux éléments, lesquels s’ajoutent
ou se substituent aux éléments pré-existants. Ainsi a-t-il été proposé un élément temporel 75 , un
élément antijuridique 76 , ou encore un élément préalable 77 .
En outre, et au delà de la conception objective de l’infraction, la conception traditionnelle
opposant un élément de matérialité à un élément d’intentionnalité est de plus en plus remise
en cause. Cette opposition ne serait qu’une étape dans l’analyse de l’infraction, étape pouvant
et devant être dépassée. L’infraction est alors perçue comme une notion subjective, mais sans
que la complémentarité du fait et de la volonté donne lieu à deux éléments distincts. L’on
pense ici bien sûr en premier lieu aux travaux de Monsieur Dana 78 , mais aussi à des thèses
plus récentes, proposant de retenir une approche plus unitaire de l’infraction inspirée de la
division allemande 79 . Or, cette remise en cause pourrait trouver des arguments en sa faveur dans
l’évolution actuelle du droit pénal, qui, sans contredire directement la division traditionnelle,
modifie très certainement la teneur des différents éléments.

73. J. Pradel, Traité de droit pénal et de sciences criminelles comparées, op. cit., p. 298, nos 322 et s., et W.
Jeandidier, Droit pénal général, 2ème éd., Droit privé Montchrétien Domat, 1991, p. 239, nos 211 et s.
74. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, Problèmes généraux de la science criminelle, 2ème éd., Cujas,
1973, p. 372, nos 318 et s.
75. L. Saenko, Le temps en droit pénal des affaires, 2008, Thèse, Paris 1.
76. V. not. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, 2011, Institut
Universitaire Varenne, plus spéc. en seconde partie.
77. L. Rousvoal, L’infraction composite : essai sur la complexité en droit pénal, 2011, Thèse, Rennes, 1, spéc.
p. 113, no 193.
78. C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, 1982, LGDJ, not. p. 58, nos 56 et s.
79. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 276, no 233 ;
L. Rousvoal, L’infraction composite : essai sur la complexité en droit pénal, th. préc., p. 129, nos 230 et s. et p. 139,
no 251. V. déjà en ce sens, E. Daskalakis, La notion d’unité et de pluralité d’infractions et son rôle dans le procès
pénal, 1969, Thèse, Paris, p. 23 et s.

13
Les éléments constitutifs de l’infraction

10. L’évolution des éléments traditionnels – En effet, le développement d’un droit pénal
préventif a, dans une certaine mesure, favorisé une évolution des éléments matériel et moral.
Traditionnellement, l’élément matériel est un fait, mais un fait non équivoque 80 . Bien que
les auteurs aient toujours admis que des actes préparatoires soient incriminés de manière
autonome, seuls des faits entretenant une relation temporelle et causale suffisante avec un
résultat dommageable pouvaient à leurs yeux être pénalement sanctionnés 81 . Or, la volonté
d’appréhender les comportements en amont, avant la production du résultat redouté, entraîne
une certaine dilution de l’élément matériel. Les infractions formelles et surtout les infractions
obstacles se développent à tel point qu’elles n’apparaissent plus être des techniques spéciales
d’incrimination. Les nouvelles infractions de lutte contre le terrorisme illustrent à elles-seules
le propos. De manière générale, les incriminations appréhendent de plus en plus des comporte-
ments potentiellement dangereux, encore éloignés du résultat redouté par le législateur 82 . Cette
conception préventive du droit pénal modifie de la même manière l’appréhension de l’élément
moral. L’intention coupable est supplantée depuis un temps déjà par la notion de dangerosité.
L’on ne sanctionne pas un comportement pour ce qu’il révèle d’hostilité à l’égard des valeurs
protégées par le droit pénal, mais plus largement pour ce qu’il suggère la dangerosité, réelle ou
potentielle, de l’agent.
Outre l’évolution qu’elle implique dans l’appréhension des éléments matériel et moral, une
telle tendance n’est-elle pas de nature à remettre en cause l’opposition traditionnelle, laquelle
pourrait ne plus être à même de restituer la diversité structurelle des incriminations ? La dualité
élément matériel/ élément moral serait alors discutable pour n’être que de principe. La critique
est d’ailleurs faite par un auteur anglais, selon qui la distinction actus reus et mens rea utilisée
en Common law présente pour défaut majeur de n’être qu’une manière d’exprimer un principe
général, non représentatif de la multitude des hypothèses de responsabilité. De ce fait, elle
serait en partie inadaptée 83 . Cette critique n’est-elle pas tout aussi vraie pour la division
française ? Les éléments constitutifs ne sont-ils pas simplement la formulation d’un principe
qui ne se retrouve pas forcément dans la diversité des incriminations ? Les remises en cause de
l’opposition traditionnelle ne trouvent-elles pas, à un moment ou un autre, leur substrat dans une
certaine inadéquation de la présentation traditionnelle à la réalité actuelle du droit pénal ? L’idée
selon laquelle l’intention en matière de contravention est quasi-irréfragablement présumée 84 ne

80. V. R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., Sirey, 1912, p. 132, no 66.
81. V. ibid.
82. G. Giudicelli-Delage, « Droit pénal de la dangerosité - Droit pénal de l’ennemi », RSC 2010, p. 69.
83. A. Ashworth, Principles of criminal law, op. cit., p. 84-85 : « the distinction is nothing more than an
analytical tool, and a rather « rough and ready » one. It does have implications [...]. It also has some shortcomings ».
L’auteur poursuit en écrivant « with thousands of strict liability offences and many other variations of liability, what
many refer to as the general part is no more than a set of aspirational principles ».
84. En ce sens, C. Ambroise-Castérot, Rép. dr. pén., Présomption d’innocence, 2013, no 45.

14
Introduction

permet-elle pas, justement, et au prix d’un artifice peu convaincant, de maintenir l’apparence
d’un principe qui n’est en réalité pas effectif ?
Un tel constat pourrait aller en faveur de l’abandon de l’opposition traditionnelle. Du moins
impose-t-il d’en vérifier le bien-fondé. Plus largement, il pourrait aboutir à la remise en cause du
principe même d’une division de l’infraction en divers éléments de structure. Mais, n’est-ce pas
justement à raison de ce qu’ils expriment comme attachement à des principes fondamentaux, que
les éléments devraient être conservés ? Car, bien que non représentatifs de certaines spécificités
ou dérives, ils permettent d’exprimer une certaine conception de la responsabilité pénale. À ce
titre, précisés et prédéterminés, les éléments peuvent être un outil indispensable du droit pénal
et répondre ainsi tant aux exigences théoriques de cette matière qu’à ses exigences pratiques. En
effet, les éléments permettent de façonner l’infraction, d’en imposer une certaine conception.
C’est là l’un de leurs intérêts fondamentaux.

§ 2. L’intérêt avéré des éléments constitutifs

11. Éléments constitutifs et principe de légalité – Malgré une utilisation parfois littérale
et une certaine incompatibilité de la division traditionnelle avec la diversité actuelle des incrimi-
nations, les éléments constitutifs ont un intérêt fondamental qui tient à leur fonction au regard
du principe de légalité. En effet, il ne suffit pas qu’une sanction ait été prévue à l’avance pour
qu’un comportement puisse être réprimé, encore faut-il que les éléments de l’infraction en cause
soient définis par la loi ou le règlement 85 . Or, le législateur n’est pas totalement libre en la
matière. Si le Conseil constitutionnel rappelle régulièrement qu’il ne dispose pas d’un pouvoir
d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement 86 , il s’assure tout de même
que les infractions présentent une structure respectueuse de certains principes généraux 87 . À ce
titre, il impose que le législateur prévoie, outre l’élément matériel de l’infraction, son élément
moral. L’importance des éléments au regard du principe de légalité se prolonge en outre dans
le principe selon lequel ils sont indispensables à la caractérisation de l’infraction et doivent

85. Se fondant sur les dispositions constitutionnelles dont cet article est l’écho, le Conseil constitutionnel impose
en outre que les infractions soient définies en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire. Cons.
const. 20 janv.1981, n° 80-127 DC, cons. 7 et, plus récemment, Cons. const. 7 avr. 2017, n° 2017-625 QPC. Encore,
le Conseil sauve-il « parfois, des textes à la rédaction imparfaite en apportant lui-même les précisions attendues »
par le biais de réserves d’interprétations. B. de Lamy, « Le principe de la légalité criminelle dans la jurisprudence
du Conseil constitutionnel », Cahiers du Conseil constitutionnel 2009, no 26.
86. Pour un rappel récent, Cons. const., 8 déc. 2016, no 2016-741 DC.
87. Il a pour ce faire souvent recours à des réserves d’interprétations. V. par ex. Cons. const., 13 mars 2003,
no 2003-467 DC, cons. 73 : « Considérant, en troisième lieu, que l’occupation du terrain d’autrui rend vraisemblable
la volonté de commettre l’infraction ; que la condamnation de l’ensemble des occupants illicites du terrain dans
les conditions prévues par la disposition contestée n’est pas contraire à l’article 9 de la Déclaration de 1789 dès
lors que s’appliqueront de plein droit, dans le respect des droits de la défense, les principes généraux du droit pénal
énoncés aux articles 121-3 et 122-3 du code pénal [...] ».

15
Les éléments constitutifs de l’infraction

par suite être vérifiés par les juges pour que la condamnation soit légale 88 , ce dont s’assure au
demeurant la Cour de cassation.
Ce rapport entre éléments constitutifs et légalité des condamnations était déjà exprimé par
Garraud. Ainsi, « lorsqu’une juridiction pénale déclare un individu coupable d’une infraction,
cette déclaration implique qu’elle a constaté 1° que tel individu avait participé à la perpétration
de tel fait (élément matériel) ; 2° qu’il y avait participé avec discernement et volonté (élément
moral) ; 3° que ce fait était prévu et puni par la loi à laquelle cet individu devait obéissance
(élément légal) ; 4° que cet acte ne se justifiait pas par l’exercice d’un droit (élément injuste).
Si l’un de ces éléments fait défaut, le juge ne peut condamner l’inculpé ; il doit, suivant les cas,
soit l’absoudre, soit l’acquitter » 89 . Mais ce rôle particulier, accordé aux éléments, ne dépend-il
pas de leur identification préalable ? Une réponse mitigée s’impose. À dire vrai, les exigences de
l’article 111-3 du Code pénal sont remplies que les éléments soient prédéterminés ou non. Dans
le second cas, il ne s’agirait pour le législateur que d’une définition du comportement et de la
vérification par le juge des éléments préalablement définis. Dans le premier cas, à l’inverse, les
éléments seraient préétablis dans leur nombre et leur teneur et devraient être vérifiés par le juge
parce que préalablement prévus par le législateur. Deux approches se conçoivent donc. Dans
la première, le recours aux éléments peut être le moyen d’imposer au juge la vérification des
exigences légales des textes. Dans la seconde, il peut être le moyen de lui imposer la vérification
de certains éléments particuliers, nécessaires en toute hypothèse, parce que le législateur aura dû
les définir préalablement dans les incriminations. Dans un cas comme dans l’autre, les éléments
conditionnent la caractérisation des infractions. Par conséquent, que l’expression soit ou non
entendue en son sens littéral, il faut admettre que les éléments constitutifs peuvent jouer un rôle
au regard de la légalité des condamnations. Toutefois, l’importance de ce rôle est variable selon
que le législateur est, ou non, libre dans la détermination des éléments des incriminations. Or,
il ne l’est pas totalement, un comportement ne pouvant être incriminé et sanctionné que s’ils
présentent certaines caractéristiques.
En ce domaine, les éléments constitutifs jouent donc un rôle primordial. Liés à la définition
de l’infraction, ils en expriment une certaine conception (A), laquelle s’impose au législateur. À
ce titre, ils peuvent en outre en être aussi être la mesure (B).

88. En ce sens J.-P. Delmas Saint-Hilaire, « Les principes de la légalité des délits et des peines, Réflexions sur
la notion de légalité en droit pénal » in Mélanges en l’honneur du Doyen Pierre Bouzat, Éditions A. Pedone, 1980,
p. 149. Dans le même sens, J.-P. Doucet, La loi pénale, op. cit., p. 97.
89. R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 91, no 43.

16
Introduction

A. Les éléments constitutifs, vecteurs d’une certaine conception de l’infraction

12. Des éléments de définition de l’infraction aux éléments constitutifs – Les éléments
généraux sont sous-tendus depuis l’origine par cette idée selon laquelle ils sont des éléments
préétablis et indispensables, parce qu’ils participent d’une approche théorique de l’infraction.
L’habitude d’étudier l’infraction grâce aux divers éléments de sa structure s’est imposée très tôt
pour se généraliser dans le courant du XIXème siècle. Mais l’on trouve déjà les prémices d’une
telle analyse chez des auteurs du XVIIIème siècle. Dans des ouvrages de cette époque, le crime est
parfois présenté à travers des exigences diverses. L’étude proposée par Muyart de Vouglans
est à ce titre particulièrement édifiante. Il définit ainsi le crime : « c’est un acte défendu par la
Loi, par lequel on cause un préjudice à un tiers, par son dol ou par sa faute » 90 . Il explicite par la
suite sa définition de manière tout à fait intéressante. Muyart de Vouglans explique d’abord ce
qu’il faut entendre par acte, affirmant notamment qu’il faut distinguer par principe deux choses
dans le crime : « le dessein et l’exécution, consilium et eventus » 91 et que « la simple volonté qui
n’a pas encore passé les bornes de la pensée, n’est point mise au nombre des crimes » 92 . Suivent
ensuite des développements sur les lois pouvant défendre l’acte, ces lois étant entendues très
largement dès lors qu’elles intègrent le droit civil, canonique, les ordonnances et les coutumes.
Il est par ailleurs précisé que, « de ce que le Crime est un acte défendu par la Loi, il s’ensuit que
tout ce qui est fait de l’autorité ou avec permission de la Loi, ne sauroit être réputé crime » 93 . Il
achève enfin avec des explications relatives à la distinction entre la faute et le dol, assorties d’un
exposé des différents cas pouvant se rencontrer 94 .
D’aucuns pourraient voir dans ces développements les premières manifestations de la
division actuelle de l’infraction. Bien que les exigences diffèrent sensiblement dans leurs
contenus, l’on retrouve l’idée d’une complémentarité entre un fait et une volonté, une certaine
– mais toute relative – importance du droit dans la détermination des crimes, ainsi que l’absence
de criminalité de l’action accomplie dans l’exercice d’un droit comme, par exemple, lorsque
l’acte est accompli « dans la nécessité de la juste défense » 95 . Même la cause du crime est
abordée, puisque l’auteur voit en lui un acte qui cause un préjudice à un tiers, pouvant être
« ou le Public ou le Particulier » 96 .
Si ces différentes exigences ne sont pas encore exprimées en éléments constitutifs, leur

90. P.-F. Muyart de Vouglans, Institutes au droit criminel, ou Principes généraux en ces matières, suivant le
droit civil, canonique, et la jurisprudence du Royaume, 1757, p. 1.
91. Ibid., p. 2.
92. Ibid., p. 3.
93. Ibid., p. 4.
94. Ibid., p. 6 à 9.
95. Ibid., p. 4.
96. Ibid., p. 5.

17
Les éléments constitutifs de l’infraction

exposé évoque une certaine constance dans la définition générale de l’infraction et atteste d’un
lien très fort entre les premiers et la seconde. Ce n’est qu’après la Révolution que l’habitude
d’étudier l’infraction à travers des éléments constitutifs s’est imposée. Les auteurs ont alors
commencé à y avoir systématiquement recours. Seuls certains d’entre eux ont adopté une
approche originale. L’on pense ici à Ortolan 97 , à Roux 98 ou encore à Vidal et Magnol 99 , qui
utilisent parfois des éléments constitutifs, mais dont la teneur s’éloigne de la division tripartite
ou duale de l’époque. Malgré quelques nuances, ces auteurs partagent leur étude entre le fait
infractionnel et le sujet actif du délit et n’ont donc pas recours à une division de l’infraction
en deux éléments. Ce faisant, ils remettent l’homme au cœur de l’analyse, en insistant sur
une approche plus subjective de la responsabilité pénale, cette approche se traduisant par une
opposition entre l’homme et l’acte, et non réellement entre deux composantes de l’infraction.
Mais, très majoritairement, à partir du XIXème siècle, les auteurs ont recours aux éléments
constitutifs tels que nous les connaissons aujourd’hui 100 , que ce soit dans les études exégétiques
des codes ou dans les manuels généraux. Villey 101 , Lainé 102 , Garraud 103 , Chauveau et
Hélie 104 sont autant d’auteurs qui ont utilisé les éléments et participé à faire de la division de
l’infraction un instrument de son étude. Le parallélisme est parfois flagrant entre la présentation
de Muyart de Vouglans et celle de Garraud. Ce dernier définit l’infraction comme « un fait,
ordonné ou prohibé par la loi à l’avance, sous la sanction d’une peine proprement dite, et qui ne
se justifie pas par l’exercice d’un droit » 105 et identifie comme éléments constitutifs : un élément
de fait externe, un élément de volonté, un élément tenant à l’existence d’un texte d’incrimination
et un élément d’absence de justification 106 . Les éléments de définition précisés par Muyart de
Vouglans deviennent ainsi pour Garraud, sous des acceptions bien entendu différentes, des
éléments constitutifs.

97. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit.


98. J.-A. Roux, Droit pénal et procédure pénale, Sirey, 1920.
99. G. Vidal, Cours de droit criminel et de sciences pénitentiaire, refondue et mise au courant de la législation
et de la jurisprudence par Joseph Magnol, 9ème éd., t. 1, Rousseau et Cie, 1947.
100. Il est intéressant de remarquer que cette tendance n’est pas propre au droit pénal. En droit de la responsabilité
civile délictuelle, la faute ou la responsabilité ont également commencé à faire l’objet d’une étude à travers des
éléments constitutifs dans le courant du XIXème siècle. V. infra, no 16.
101. E. Villey, Précis d’un cours de droit criminel, op. cit. Parce que Villey est l’un des premiers auteurs à avoir
utilisé les éléments de l’infraction à la manière dont nous les utilisons aujourd’hui, le choix a été fait de travailler
à partir de la première édition de son ouvrage, édition qui permet réellement de mesurer toute l’influence de cet
auteur en la matière. Il est à noter que peu de modifications substantielles ont été apportées entre la première édition
en date de 1876 et la sixième et dernière édition, en date de 1906.
102. A. Lainé, Traité élémentaire de droit criminel, t. 1, 1879.
103. R. Garraud, Traité théorique et pratique du droit pénal français, 3ème éd., Librairie de la société du recueil
général des lois et des arrêts et du journal du Palais, 1913.
104. A. Chauveau et F. Hélie, Théorie du Code pénal, 5ème éd., 1872.
105. R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 60, no 36.
106. En outre, l’idée selon laquelle l’infraction ne s’entendrait que d’un acte préjudiciable se retrouve, certes
différemment, chez certains pénalistes où l’infraction est un acte lésionnaire ou qui nuit à la société.

18
Introduction

13. La peine, élément non constitutif – Pour autant, le recours aux éléments ne permet
pas une définition parfaite de l’infraction, dès lors que les éléments constitutifs identifiés par la
doctrine ne désignent pas chacune des choses qui y entrent. Ils ne sont que certaines d’entre elles.
Ainsi, si l’exigence d’un texte défendant le comportement 107 , est érigée en élément constitutif, la
peine, elle, ne bénéficie pas du même traitement. Pourtant, les deux sont des éléments techniques
de définition de l’infraction, cette dernière étant définie comme « tout fait prévu et puni par
la loi d’une peine proprement dite » 108 . En tant que « comportement actif ou passif prohibé
par la loi et passible d’une peine » 109 , l’infraction possède deux caractéristiques essentielles :
une incrimination et la peine qui sanctionne le comportement 110 . Elles sont les deux données
fondamentales de l’infraction, sans lesquelles celle-ci ne peut exister et la responsabilité ne
peut se concevoir 111 . Elles en sont, par extension, les marqueurs, les signes distinctifs. Or, là
où l’incrimination devient assez tôt un élément constitutif, la peine, elle, reste en marge de
la catégorie. Au regard de la pensée de Garraud, la solution surprend d’autant plus que la
menace d’une peine suffit à définir sommairement l’infraction 112 . Les éléments constitutifs
n’intègrent donc pas tous les éléments de définition pour n’en concerner que certains, de sorte
que constitutifs, ils ne le sont pas totalement, ou du moins, pas de l’infraction en un sens général.

14. Des éléments issus de principes généraux – C’est en réalité de l’infraction plus
strictement entendue que ces éléments sont constitutifs. Il existe un lien indéniable entre les
éléments de définition de l’infraction et les éléments constitutifs, en ce que les seconds ont
vocation à permettre de préciser ce qu’il faut entendre par infraction. Mais plus spécifiquement,
ils sont mobilisés dans la délimitation du comportement infractionnel. Autrement dit, ils sont
l’occasion d’insister sur les caractéristiques du comportement pouvant faire l’objet d’une peine.
Ils recouvrent, dans leur ensemble, ses particularités. Ceci vaut d’ailleurs dans une certaine

107. Ou le sanctionnant, c’est selon. Tout dépend ici de si l’on admet ou non que le droit pénal a un caractère
normatif, autrement dit qu’en sanctionnant un comportement, il en fait du même coup l’interdiction. V. infra, no 175.
108. E. Garçon, Code pénal annoté, Nouvelle édition refondue et mise à jour par Messieurs Rousselet, Patin
et Ancel, Recueil Sirey, 1952, p. 1, note 1. Dans le même sens, J.-A. Roux, Droit pénal et procédure pénale,
op. cit., p. 61, no 65 : elle est « l’acte contraire au droit, auquel la loi attache une peine comme conséquence de
son accomplissement ». Comp. H. Donnedieu de Vabres, Précis de droit criminel, 3ème éd., Petits précis Dalloz,
1953, p. 24, no 61 : l’infraction est « la violation d’une loi de l’État, résultant d’un acte externe de l’homme, positif
ou négatif, et qui est frappé d’une peine ».
109. G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, 11ème éd., Association Henri Capitant, PUF, 2016, v° Infraction.
110. F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, 6ème éd., Corpus droit privé, Economica, 2009, p. 9,
no 22. Les auteurs définissent également l’infraction comme « un comportement interdit sous la menace d’une peine
telle qu’il est défini de manière générale et impersonnelle par la loi pénale ».
111. J. Carbonnier, Sociologie juridique, nouv. éd., PUF, 2004, p. 398 : « Toute loi pénale a deux bras : un
interdit et une menace contre ceux qui le violeraient, l’incrimination et la peine ».
112. R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 61-62, no 36. Comp., plus récemment, P.
Lascoumes et C. Barberger, « De la sanction à l’injonction : « le droit pénal administratif » comme expression
du pluralisme des formes juridiques sanctionnatrices », RSC 1988, p. 45 : « le seul critère opérationnel de
l’incrimination est l’existence d’une peine rétribuant un comportement et susceptible d’être prononcée par un juge ».

19
Les éléments constitutifs de l’infraction

mesure aussi pour le texte d’incrimination, puisque l’infraction, dans sa conception légaliste, est
avant tout la violation de la loi 113 . L’enjeu est donc de circonscrire le comportement infractionnel
par une approche plus théorique de l’infraction.
Cet enjeu est perceptible lorsque l’on s’intéresse à la naissance des éléments constitutifs.
Bien que le texte d’incrimination soit quelque peu à mi-chemin entre la précision substantielle
et la précision technique de l’infraction, les éléments ne paraissent pas être la seule expression
d’une systématisation de la structure des différentes infractions. Historiquement, les deux
premiers éléments constitutifs identifiés et utilisés ont permis de préciser le comportement
infractionnel en le circonscrivant. Certes, les éléments dégagés lors de l’étude de la notion
d’infraction sont parfois présentés comme le fruit d’un effort de synthèse. Monsieur Decocq
explique ainsi que « chaque infraction particulière a ses éléments spécifiques, énumérés par le
texte qui la prévoit, et dont l’étude relève du droit pénal spécial. Mais, en dépit de leur grande
diversité, ceux-ci peuvent être regroupés en quelques catégories générales. En poussant plus
loin l’effort de synthèse, on peut les ramener à un ou plusieurs archétypes. C’est en ce sens
qu’on parle d’éléments communs à toutes les infractions, dont l’étude ressortit au droit pénal
général » 114 . L’étude des différents textes permettrait donc de dégager certains traits généraux,
présents dans toutes les infractions, qui en révéleraient la structure générale.
Pour autant, si le droit pénal général se nourrit sans aucun doute des constats effectués lors de
l’analyse des différentes incriminations, les éléments matériel et moral pourraient ne pas être le
fruit d’une systématisation. Leur émergence et leur développement peuvent être situés à la fin du
XVIIIème siècle 115 , époque à laquelle, mettant l’accent sur le trouble causé à la société 116 , le droit
pénal était relativement objectif dans sa conception, ce qui se retrouvait immanquablement dans
la formulation des incriminations. La volonté n’était souvent pas précisée dans les infractions du
Code de 1791, et celles-ci étaient majoritairement envisagées sous leur seul aspect objectif, sans
que ne soit prévue de disposition générale relative à la volonté, comme on peut en trouver dans
notre Code actuel. Au demeurant, la définition de l’infraction inscrite dans le Code des délits et
des peines traduit assez bien cela. L’infraction y était ainsi définie : « Faire ce que défendent, ne
pas faire ce qu’ordonnent les lois qui ont pour objet le maintien de l’ordre social et la tranquillité

113. Pour Fauconnet, l’infraction tient avant tout à une transgression, au rapport existant entre le comportement
et la norme. Elle est donc un comportement de violation de la règle. V. P. Fauconnet, La responsabilité, Étude
de sociologie, 2ème éd., Alcan, 1928, p. 275. Adde. P. Poncela, « Autour de l’ouvrage de Paul Fauconnet : une
dimension sociologique de la responsabilité pénale », Archives de philosophie du droit, La responsabilité 1977, t.
22, p. 123. La difficulté est toutefois que l’infraction ne réside peut-être pas dans la violation de la norme pénale,
celle-ci paraissant sanctionner plutôt qu’interdire.
114. A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., p. 149. Dans le même sens, P. Conte, Droit pénal spécial, 5ème éd.,
LexisNexis, 2016, p. 1, no 2.
115. V. infra, nos 27 et s. et plus spéc. nos 36 et s.
116. V. C. Beccaria, Traité des délits et des peines, Librairie de la bibliothèque nationale, 1869, p. 91-92.

20
Introduction

publique, est un délit » 117 . Cette définition, qui est la seule à avoir été proposée par le législateur,
est essentiellement légaliste et matérielle. Elle ne fait de l’infraction que la violation d’une loi
utile au maintien de l’ordre social et à la tranquillité publique.
La synthèse des différentes incriminations ne pouvait donc être le substrat des éléments maté-
riel et moral. Il reste que la responsabilité n’y était pas envisagée de manière strictement objective.
L’infraction a toujours intégré à sa définition ou dans sa conception une complémentarité de
principe entre un fait externe de l’homme et une volonté coupable 118 . Il s’agit là des limites du
droit pénal qui ne peut, par principe, connaître que des faits externes et volontaires 119 . C’est
justement ce principe fondamental, parfois mis à mal sous l’Ancien régime, que le législateur
révolutionnaire a entendu réaffirmer. Par une loi procédurale en date des 16 et 29 septembre
1791, il a ainsi prévu une obligation particulière en la matière, selon laquelle un crime ne peut
être caractérisé et, par suite, sanctionné, sans que les juges aient constatés l’intention de son
auteur 120 .
Plus que le fruit d’une systématisation des différentes incriminations, les éléments consti-
tutifs pourraient donc être l’expression d’une conception particulière de l’infraction ou plus
largement de la responsabilité pénale, dont ils garantissent par ailleurs l’effectivité. L’élément
légal se situe d’ailleurs dans cette dynamique, en ce qu’il rappelle et confirme l’importance d’une
incrimination préalable. Sur ce point, l’on peut donc donner raison à Monsieur Ashworth : les
éléments sont avant tout l’expression de principes généraux. Plus particulièrement, les éléments
constitutifs permettent de préciser la nature du comportement infractionnel, sa substance. Les
deux éléments principaux que sont l’élément matériel et l’élément moral traduisent ainsi deux
données immuables de ce comportement : ses deux composantes essentielles, que sont le fait et
la volonté. Ils permettent de la sorte de préciser substantiellement ce qu’est, ou devrait être, une
infraction.

15. Le resserrement de l’objet des éléments – Pour autant, cet intérêt des éléments dans
la détermination et la délimitation du comportement infractionnel a été quelque peu perdu de

117. Code des délits et des peines de 1795, art. 1er . Cette définition de l’infraction, très légaliste, était du reste
incomplète, car la sanction n’y jouait aucun rôle significatif. En ce sens, R. Garraud, Précis de droit criminel,
11ème éd., op. cit., p. 61, no 36.
118. La volonté coupable ne recouvrait certes pas ce que nous pouvons entendre aujourd’hui.
119. Le principe est déjà affirmé par Muyart de Vouglans, qui tempère l’affirmation sans pour autant la remettre
totalement en cause : « L’on vient de dire que le dessein seul n’est point puni par les Loix humaines ; mais lorsque ce
dessein est manifesté par quelqu’acte extérieur, & que le coupable est surpris en faisant des efforts pour commettre
le Crime, il n’est pas moins punissable que s’il l’avoit entièrement consommé, ce qui s’entend surtout lorsque
ce Crime est de sa nature atroce, & c’est dans ce sens que la loi veut qu’on considère moins l’événement que la
volonté ». P.-F. Muyart de Vouglans, Institutes au droit criminel, op. cit., p. 3. Il cite alors les crimes d’assassinat
ou de lèse-majesté, ce dernier étant par ailleurs régulièrement présenté comme l’exception à la règle selon laquelle
la pensée non manifestée par des actes extérieurs ne peut être sanctionnée. V. A. Laingui, La responsabilité pénale
dans l’ancien droit, 1970, LGDJ, p. 132 et p. 136.
120. Sur cette loi et son importance dans le développement des éléments constitutifs, v. infra, nos 35 et s.

21
Les éléments constitutifs de l’infraction

vue à la faveur de l’identification de nouveaux éléments et d’un souci d’approfondissement


structurel de l’infraction. Déjà l’élément légal trahissait cette logique pour être à mi-chemin
entre la nature particulière du comportement et la définition technique de l’infraction. Mais c’est
surtout l’identification et l’autonomie de la condition préalable qui illustrent le propos. Cette
notion, relativement récente, est le résultat d’une dissociation des exigences légales antérieures
au comportement accompli par l’agent et extérieures à lui, de celles intrinsèques à l’activité
infractionnelle proprement dite 121 . Les éléments constitutifs, internes et contemporains au
comportement infractionnel se référeraient donc à cette dernière activité, et à elle seule. Les
éléments ne sont alors plus réellement constitutifs de l’infraction. Ou du moins ne le sont-ils
ni de celle décrite, ni de la notion générale, parce qu’ils ne sont pas suffisants à la former. Ils
ne le sont que de l’infraction accomplie. Avec l’admission de la condition préalable, l’objet des
éléments se trouve particulièrement resserré : il n’est pas le comportement infractionnel apprécié
largement, il n’est que le comportement dépendant directement de l’agent. La distinction permet
ainsi d’approfondir le détail de la structure de l’infraction, mais au prix d’une certaine distance
entre les éléments et la substance du comportement infractionnel.
Rien n’imposait, a priori, un tel resserrement de l’objet des éléments constitutifs, qui résulte
davantage d’un décorticage de la structure de l’infraction que d’un raisonnement à partir de
ce que sont les éléments constitutifs et de leur fonction éventuelle. Au contraire, même, ce
resserrement éloigne ceux-ci de la détermination de ce qu’est intrinsèquement l’infraction. L’on
s’est concentré sur un problème pratique et structurel, en se désintéressant en un sens de l’intérêt
plus global des éléments qui permettaient de circonscrire la notion et d’encadrer la répression.

16. Éléments constitutifs et faute civile délictuelle – Les éléments constitutifs peuvent
pourtant avoir vocation à cela, ou du moins peuvent-ils participer à la précision de la notion
d’infraction. Ils ont d’ailleurs été en partie utilisés ainsi en droit de la responsabilité civile
délictuelle, où l’on retrouve une utilisation des éléments dans la précision de la nature interne
de leur objet 122 . L’approche de la responsabilité délictuelle par la faute, le lien de causalité et

121. V. not. J.-P. Doucet, « La condition préalable à l’infraction », Gaz. Pal. 1972, p. 726.
122. À l’inverse, la tendance au recours aux éléments constitutifs ne s’observe pas en d’autres matières connaissant
également d’une responsabilité pour faute. En droit administratif par exemple, la responsabilité est appréhendée par
le triptyque faute, causalité, préjudice, (D. Truchet, Droit administratif, 6ème éd., PUF, 2015, p. 377, no 1135), la
causalité étant parfois envisagée à travers une notion d’imputabilité signifiant que le dommage doit se rattacher au
fait d’une personne (J. Rivero, Droit administratif, réedition, Dalloz, 2011, p. 229, nos 267 et s. ; J. Waline, Droit
administratif, 25ème éd., Dalloz, 2014, p. 498, nos 466 et s.). Ni la faute ni la responsabilité ne sont envisagées à
travers des éléments. Évoquant toutefois les « faits constitutifs » de la faute de service, mais de manière tout à fait
générale, P. Chrétien, N. Chifflot et M. Tourbe, Droit administratif, 14ème éd., Sirey, 2014, p. 651, no 761. En
règle générale, il n’y a pas véritablement de développements théoriques consacrés à la faute, ce qui explique sans
doute l’absence de mobilisation d’éléments constitutifs. Les auteurs en donnent une simple définition, pour ensuite
en exposer les différents types. V. not. M. de Villiers et de Berranger., Droit public général, 7ème éd., LexisNexis,
2015, p. 462, nos 466 et s. Comp. R. Chapus, Responsabilité publique et responsabilité privée, Les influences

22
Introduction

le préjudice y est parfois supplantée par une division de son fait générateur en divers éléments,
qui ne peuvent que rappeler les éléments dégagés en droit pénal. Saleilles, à l’instar d’Aubry
et Rau, utilisait ainsi des éléments constitutifs pour expliquer la nature et la consistance de la
faute 123 . Deux éléments distincts ont ainsi pu être dégagés : un élément objectif consistant dans
« un fait contraire au droit » et un élément subjectif, tenant à la faute au sens moral, c’est-à-
dire à l’imputabilité 124 . D’autres auteurs y ont ajouté un élément d’illicéité, encore utilisé dans
certains manuels récents 125 . De manière générale, la tendance à la présentation de la faute à
travers ses éléments constitutifs est demeurée, au moins tant que la faute est restée subjective.
L’étude en deux éléments proposée par Saleilles, l’un subjectif, l’autre objectif, a ainsi été
abondamment reprise et, malgré l’abandon de l’élément subjectif dans le cadre du mouvement
d’objectivation qu’a connu la responsabilité civile, le recours à des éléments constitutifs s’est en
partie perpétué 126 . En cette matière, leur intérêt théorique a d’ailleurs été bien plus exploité,
ces derniers permettant vraiment de dégager une notion de faute et de la théoriser par une

réciproques des jurisprudences administrative et judiciaire, 2010, Réédition, La mémoire du droit, p. 1294, nos 1453
et s. Ni la nature, ni la structure de la faute ne sont particulièrement approfondies, ce qu’illustre parfaitement cette
affirmation selon laquelle la faute serait « une catégorie empirique, profondément casuistique et donc contenue
entièrement dans l’appréciation des faits ». C. Vautrot-Schwarz, La qualification juridique en droit administratif,
2010, LGDJ, p. 180, no 235.
123. C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français, D’après la méthode de Zachariae, 4ème éd., t. 4, Marchal
et Billard (Paris), 1871, not. p. 746, no 444.
124. V. R. Saleilles, Étude sur les sources de l’obligation dans le projet de Code civil allemand, F. Pichon (Paris),
1889, p. 84, no 62.
125. V. M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, Responsabilité civile et quasi-contrats, 3ème éd., t. 2, PUF,
2007, p. 92, où l’on trouve l’explication selon laquelle « l’élément objectif nécessaire à la qualification de la faute
comprend plus précisément deux éléments : un élément matériel et un élément d’illicéité ». Comp. A. Bénabent,
Droit des obligations, 13ème éd., Montchrestien, 2012, p. 390, no 542, qui retient lui un élément juridique relatif à
la qualification juridique du comportement comme non conforme à ce que l’on peut attendre du bon citoyen, et Y.
Buffelan-Lanore et V. Larribau-Terneyre, Droit civil, Les obligations, 13ème éd., Sirey, 2012, p. 673, no 1847.
Carbonnier utilise quant à lui la dénomination d’élément sociologique, celui-ci s’ajoutant aux éléments matériel
et humain (si l’homme est un corps, « c’est avant tout une volonté » (en italique dans le texte)). J. Carbonnier,
Droit civil, Vol. II : Les biens, les obligations, PUF, Quadrige manuels, 2004, p. 2294, no 1136 et p. 2297, no 1138.
Il faut par ailleurs noter que chez certains auteurs, l’acte matériel est inclus dans l’illicite, celui-ci se définissant
comme l’acte en violation d’un droit. Un troisième élément tient alors parfois au dommage. Ainsi, Monsieur Bosc
explique que les trois éléments du délit tiennent au fait de causer à autrui un dommage, que le dommage ait été
commis par son auteur en dehors de l’exercice d’un droit et que cet auteur ait été conscient de ses actes, c’est-à-dire
qu’il ait joui de sa liberté morale. J. Bosc, Essai sur les éléments constitutifs du délit civil, 1901, A. Rousseau,
p. 7. Cette approche conduit en réalité à faire porter les éléments davantage sur la responsabilité que sur la faute
stricto sensu, ce qui explique la prise en compte du dommage et de la causalité. Rappr. H. Germette, Essai sur les
rapports de l’élément matériel et de l’élément intentionnel dans la responsabilité civile, 1903, A. Rousseau, p. 38 et
s., qui estime pour sa part que le fait est considéré avant tout comme dommageable. L’élément matériel tient de ce
fait chez cet auteur au dommage, qu’il estime extérieur à la faute, quand bien même il serait un élément essentiel de
la responsabilité. La faute est alors définie comme la violation d’un droit, violation pouvant être intentionnelle ou
objective (Ibid, p. 272 et s. puis p. 278.) et les éléments constitutifs portent sur la responsabilité dans son ensemble.
126. V. not. G. Cornu, Étude comparée de la responsabilité délictuelle en droit privé et en droit public, 2010,
Réédition, La mémoire du droit, p. 191 ; A. Rabut, De la notion de faute en droit privé, 1949, LGDJ, p. 25, nos 15 et
s. ; M. Bacache-Gibeili, Traité de droit civil, Les obligations, la responsabilité civile extracontractuelle, 3ème éd.,
t. 5, Economica, 2016, p. 146, nos 134 et s. ; G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Les conditions de la responsabilité,
4ème éd., LGDJ, Traité de droit civil, 2013, p. 438, nos 441 et s.

23
Les éléments constitutifs de l’infraction

étude très approfondie de sa définition, de sa substance et de sa nature 127 . La division a par


ailleurs fait en droit civil l’objet d’études dédiées 128 , dont on ne trouve pas d’équivalent en droit
pénal 129 . L’illicéité, notamment, y a été davantage exploitée et a fait l’objet de bien plus amples
développements, pour être déterminante dans la conception retenue de la faute. Elle est « un
manquement à une obligation préexistante » 130 , d’où il suit que la faute est un acte contraire au
droit 131 .
La division retenue rappelle donc immanquablement la division de l’infraction, hormis dans
l’importance accordée à l’illicite. Mais son intérêt est essentiellement didactique et théorique,
sans avoir la même dimension pratique plus spécifique au droit pénal et qui résulte du principe de
légalité. En droit civil, il s’agit avant tout de détailler ce qu’est la faute en précisant sa teneur 132 .
En d’autres termes, il existe une corrélation entre la définition de la faute et les éléments
identifiés, ceux-ci permettant soit de préciser la définition retenue, soit de perfectionner la notion.
Or, cet intérêt théorique, qui s’observe aussi en droit pénal, n’a peut-être pas été suffisamment
exploité. Pourtant, si les éléments constitutifs interviennent dans la détermination de la teneur
du comportement infractionnel, ils doivent, par suite, contribuer à une approche plus théorique
de la notion, ce qui n’est pas tout à fait le cas aujourd’hui.

17. Une approche théorique en doctrine allemande – À l’inverse, l’utilisation des élé-
ments constitutifs en Allemagne illustre très bien cet intérêt de l’outil. Les éléments n’ont
pas seulement permis de préciser ce qu’était une infraction, mais ont contribué à façonner

127. Sur les évolutions de la définition de la faute et les différentes conceptions retenues, v. not. H. et L.
Mazeaud et A. Tunc, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, 6ème éd.,
Montchrestien, 1965, p. 470, nos 392 et s., et R. Chapus, Responsabilité publique et responsabilité privée, th. préc.,
p. 351, nos 346 et s.
128. J. Bosc, Essai sur les éléments constitutifs du délit civil, th. préc., et H. Germette, Essai sur les rapports de
l’élément matériel et de l’élément intentionnel dans la responsabilité civile, th. préc.
129. Encore faut-il préciser que l’usage s’est par la suite quelque peu essoufflé, de sorte que les éléments
constitutifs n’y ont pas pris la place qu’ils occupent désormais en notre matière. Le mouvement d’objectivation de la
faute a fait disparaître l’idée d’une dualité d’éléments. À cela s’est ajouté une relativisation de l’élément d’illicéité,
à la double faveur des discussions relatives à son opportunité (v. G. Marty, « Illicéité et responsabilité » in Études
juridiques offertes à Léon Julliot de la Morandière, Dalloz, 1964, p. 339) et du développement des théories du
risque qui modifient la conception de la responsabilité civile et de ses fondements. Combinés, ces deux évolutions
ont sans doute contribué à faire perdre aux éléments constitutifs leur intérêt en droit civil.
130. R. Chapus, Responsabilité publique et responsabilité privée, th. préc., p. 1294, no 1453, citant l’auteur.
131. Ici, l’illicéité est entendue formellement, mais le recours au comportement du bon père de famille participe
lui davantage d’une approche matérielle.
132. Il est possible ici de s’interroger sur l’influence de l’analyse de l’infraction sur celle de la faute civile. Les
deux tendances se sont développées sensiblement à la même époque en doctrine, mais l’émergence des éléments
constitutifs en législation pénale est légèrement antérieure. Certaines études dédiées aux éléments constitutifs de
la faute civile suggèrent une influence notable de la division de l’infraction sur la construction civiliste (v. not.
J. Bosc, Essai sur les éléments constitutifs du délit civil, th. préc.), les éléments identifiés tenant parfois à l’élément
matériel, l’élément moral et l’élément légal, étant précisé que la faute civile s’étant objectivée, l’élément moral a
par la suite disparu. V. not. P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, 4ème éd., Manuel Litec, 2016, p. 199,
nos 297 et s., et F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, 11ème éd., Précis Dalloz, 2013,
p. 777, no 718, où la présentation de l’élément légal rappelle fortement son acception pénale. L’influence pourrait
d’ailleurs s’expliquer par le lien qui existe entre la faute civile délictuelle et l’infraction pénale.

24
Introduction

l’infraction et à en révéler les contours. C’est à partir d’une approche plus générale de la matière
et de la fonction du droit pénal que les éléments ont été identifiés. Le concept d’antijuridicité
y a pris une importance considérable, notamment à travers les travaux de von Liszt, lequel a
assigné au droit pénal une fonction spéciale de protection renforcée des valeurs essentielles de la
société 133 . Cette approche fonctionnelle a enrichi l’analyse de l’infraction, dotée d’un élément
antijuridique qui, sous son aspect matériel, retranscrit l’objectif de protection du droit pénal.
L’infraction est, en Allemagne, un acte contraire aux valeurs de la société. Plus précisément
encore, elle est un acte attentatoire à ces valeurs qui « implique matériellement la lésion ou la
mise en péril d’un bien juridique » 134 .
L’essor de l’antijuridicité dans sa dimension matérielle a contribué à donner un certain
visage à la notion d’infraction. Celle-ci n’est pas seulement en droit pénal allemand un acte
contraire au droit, elle est un comportement volontaire d’atteinte. L’infraction y est en consé-
quence définie comme un acte typique et antijuridique 135 . Les éléments constitutifs dégagés
ne permettent pas seulement de conditionner la caractérisation des infractions, ils révèlent
aussi l’essence de l’infraction : les données sans lesquelles un comportement ne peut pas être
pénalement sanctionné.

18. Une approche plus pratique en doctrine française – En France, l’utilisation des
éléments est demeurée plus pratique. Il serait parfaitement réducteur d’affirmer qu’ils n’y
ont pas été théoriquement mobilisés dès lors qu’ils ont participé à l’approfondissement de la
définition de l’infraction. Mais leur rôle est resté en partie cantonné au conditionnement de la
caractérisation des infractions, sans que l’on en exploite suffisamment les autres intérêts. Les
éléments ont été trop peu étudiés pour eux-mêmes, et leur(s) fonction(s) trop peu précisée(s).
Ils sont omniprésents, mais paradoxalement assez peu définis, comme si le sens à donner
à l’expression s’imposait de lui-même. L’élément constitutif a été pour beaucoup façonné a
posteriori, au fil de l’eau et à la faveur de l’identification de nouveaux éléments potentiels et
des discussions relatives à leur opportunité. Pour cette raison, le recours aux éléments, comme
les éléments identifiés, présentent certains paradoxes. Au reste, les discussions n’ont peut être pas
été suffisamment synthétisées, de sorte que l’on ignore toujours, au fond, ce qu’est un élément
constitutif et ce dont il est constitutif. Les éléments participent en partie de la précision de ce
qu’est le comportement infractionnel et de la définition de l’infraction, mais ils ne sont pas
suffisamment mobilisés d’un point de vue théorique.

133. F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, trad. par R. Lobstein, 17ème éd., M. V. Giard et E. Brière, 1911,
p. 98, §.13.
134. Ibid., p. 170, §.26.
135. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, Contribution à une théorie générale
de l’illicéité, 2003, Thèse, Nancy 2, p. 11. Retenant une approche inspirée de l’analyse allemande, X. Pin, Droit
pénal général, 8ème éd., Dalloz, collection cours, 2017.

25
Les éléments constitutifs de l’infraction

Certes, des approches plus conceptuelles de l’infraction ont été proposées, mais sans
réellement aboutir. En effet, des auteurs se sont intéressés à ce qu’était l’infraction, tentant de
déterminer ce qu’il fallait entendre par crime et ce qui en était la cause 136 : « Pour qu’il y ait res-
ponsabilité criminelle, il faut d’abord qu’il y ait crime ; il faut donc que l’acte, indépendamment
de la personne de l’agent, ait présenté aux yeux du législateur les conditions réelles requises pour
mériter d’être interdit sous la menace de flétrissure » 137 . Et l’auteur de s’interroger : « Qu’est-ce
que le crime ? » 138 Les caractéristiques habituelles sont reprises, mais il s’agit alors d’identifier
ce qui fait l’infraction. Si Tarde retient une approche essentiellement légaliste, selon les auteurs,
les données permettant de préciser l’essence de l’infraction peuvent varier. Pour Garofalo, il
s’agit d’une offense aux sentiments de pitié et de probité : « [...] ce qui n’est que la violation
d’un droit, ce qui ne blesse ni le sentiment de pitié, ni celui de probité, ne saurait plus être
considéré comme un crime [...] » 139 . Pour d’autres auteurs, comme Hamon, c’est la lésion ou
la nuisance que provoque l’infraction 140 . Plus largement, et plus récemment, pour Pinatel, il
s’agit de la réaction sociale que provoque le crime 141 . Majoritairement, la démarche suivie par
les auteurs est de parvenir à dégager l’essence de l’infraction, en un sens, le crime naturel entendu
comme concept général et abstrait 142 , valant en tout temps et en tout lieu. Ces considérations
rejoignent les limites et la théorie du droit de punir, car dès lors que l’infraction est définie

136. La démarche tend à identifier ce qui est la cause pour ainsi dire universelle de l’incrimination, autrement
dit, le trait commun de toutes les infractions. Elle se distingue donc nettement de la démarche criminologique,
qui s’intéresse elle aux causes de la criminalité et plus particulièrement du passage à l’acte. Selon les écoles et
les époques, les causes identifiées ont varié. Les études criminologiques de l’infraction et de ses causes ont été
particulièrement nombreuses au XIXème siècle et ont donné lieu à d’importants débats quant aux causes de la
criminalité. v. l’ouvrage de Monsieur R. Garofalo, La criminologie, Étude sur la nature du crime et la théorie de
la pénalité, 2ème éd., Alcan, 1890, not. p. 56 et s. ; G. Tarde, La philosophie pénale, 5ème éd., A. Storck, 1900, p. 69
et s., plus axé sur la responsabilité ; J. Gouzer, « Théorie du crime », Archives de l’anthropologie criminelle et des
sciences pénales 1894, p. 255, ainsi que les théories relatives à l’homme criminel : C. Lombroso, L’homme criminel,
Criminel-né, fou moral, épileptique : étude anthropologique et médico-légale ; trad. sur la IVe éd. italienne par
MM. Regnier et Bournet, Alcan, 1887 ; E. Ferri, La sociologie criminelle, A. Rousseau, 1893.
137. G. Tarde, Essais et mélanges sociologiques, A. Storck, 1895, p. 141.
138. Ibid.
139. R. Garofalo, La criminologie, op. cit., not. p. 42. Ayant recours aux sentiments collectifs, v. égal. E.
Durkheim, De la division du travail social, réédition, PUF, 1991, p. 74-75 : « C’est cette solidarité qu’exprime
le droit répressif, du moins dans ce qu’elle a de vital. En effet, les actes qu’il prohibe et qu’il qualifie de crime
sont de deux sortes : ou bien ils manifestent une dissemblance trop violente contre l’agent qui les accomplit et le
type collectif, ou bien ils offensent l’organe de la conscience commune. » Comp. P. Fauconnet, La responsabilité,
op. cit., p. 247 et s.
140. A. Hamon, « De la définition du crime », Archives de l’anthropologie criminelle et des sciences pénales
1893, p. 242. Dans son article, Hamon procède par ailleurs à une synthèse édifiante des différentes approches
possibles, qui illustre la volonté chez certains auteurs de préciser socialement l’infraction et que l’on retrouve
d’ailleurs pareillement chez G. Tarde, La philosophie pénale, op. cit., p. 69 et s.
141. J. Pinatel, « L’apport de l’histoire et de la psychologie sociale à la compréhension de l’évolution du concept
de crime », RSC 1967, no 209.
142. Dans la théorie hégélienne, le concept est plus abouti que la notion et présente un niveau supérieur
d’abstraction. V. F.-P. Bénoit, « Notions et concepts, instruments de la connaissance juridique, Les leçons de la
philosophie du droit de Hegel » in Mélanges en l’honneur du Professeur Gustave Peiser, Presses Universitaires de
Grenoble, 1995, p. 23.

26
Introduction

au regard du sentiment qu’elle cause ou de la règle violée, le comportement susceptible d’être


incriminé se trouve précisé. La doctrine française est toutefois restée relativement peu réceptive
à ces approches conceptuelles et sociologiques, pour partie dépendantes des partis pris de chaque
auteur. Elle s’en est tenue, dans l’ensemble, à une définition légaliste de l’infraction 143 . Dans
sa conception générale, elle est, en France, un acte contraire au droit. C’est ainsi qu’elle est
principalement définie, de sorte que ses deux signes distinctifs seraient l’incrimination et la peine.
Mais, si ces deux critères participent clairement de sa définition technique, à bien y regarder, ils
ne permettent ni d’identifier l’infraction, ni de la conceptualiser.

B. Les éléments constitutifs, mesure de l’infraction

19. Des intérêts interdépendants – Il existe un enjeu théorique au fait de préciser sub-
stantiellement l’infraction. Cet enjeu est philosophique, sociologique ou politique, car il permet
d’encadrer la répression en déterminant ce qu’est l’infraction et, éventuellement, ce qui fait
l’infraction ; mais il est aussi juridique, car l’infraction est la notion centrale de la matière pénale
et à toute notion est attachée un régime. Or, l’infraction est une notion particulière, qui dans
sa conception moderne est fondée sur différentes règles générales. Les éléments constitutifs
ne sont pas seulement déduits de la définition de l’infraction, c’est en réalité à partir d’eux
qu’elle est formée. Il y a donc un intérêt fondamental à l’identification des éléments constitutifs.
Cet intérêt est double. Il est en premier lieu pratique, car il est indispensable de savoir quels
éléments doivent être définis par le législateur pour être, par suite, vérifiés par le juge. Il est en
second lieu théorique, car l’infraction est bâtie sur ces éléments, qui en révèlent la substance et
la particularisent.
Les deux intérêts associés à la détermination des éléments, pratique d’un côté, théorique
de l’autre, sont étroitement liés. La structure de l’infraction ne dépend-elle pas intimement
de la conception que l’on en a ? Les éléments identifiés ne permettent-ils pas justement de
restituer cette conception, de la rendre sensible aux sens, en même temps que de s’assurer
qu’un comportement donné est bien, intrinsèquement, une infraction ? En s’assurant qu’un
comportement vérifie tous les éléments d’un texte d’incrimination, ne s’assure-t-on pas du
même coup qu’il possède tous les attributs de l’infraction, qu’il est une infraction ? Les éléments
devraient donc révéler une structure générale et immuable de l’infraction, qui soit l’expression de
sa substance. Ils sont, en cela, une manière de viser les composantes essentielles et nécessaires de
l’infraction, qui lui donnent une physionomie de principe. Or, ils restent aujourd’hui incertains

143. Contestant une telle démarche dès lors qu’ « il faut toujours tenir compte, pour l’établissement des incrimi-
nations, de l’état des mœurs publiques et des principes de droit politique, variables dans chaque pays et à chaque
époque », R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 60, no 36.

27
Les éléments constitutifs de l’infraction

et difficilement identifiables.

20. La nécessaire détermination des éléments – Pourtant, il semble que l’intérêt des
éléments constitutifs au regard du principe de légalité soit renforcé par leur détermination. À
ce titre, ne devraient-ils pas être préétablis dans leur nature, dans leur nombre et dans leur
consistance ? Pour ce faire, il est nécessaire dans un premier temps de parvenir à identifier
substantiellement l’élément constitutif, par sa nature, afin de déterminer ce que sont les éléments
constitutifs. Ce n’est que dans un second temps qu’il sera possible de déterminer quels sont les
éléments constitutifs. Il ne s’agira alors pas, dans un premier temps, de préciser la teneur exacte
de chacun, mais simplement d’en déterminer l’essence.
L’étude de l’émergence et du développement du recours aux éléments est à ce titre riche
d’enseignements. Elle met en lumière leurs fonctions initiales. Celles-ci sont partagées entre
un enjeu pratique de caractérisation des infractions grâce à la vérification de leurs différentes
composantes et un enjeu théorique de détermination des caractéristiques du comportement
infractionnel, les deux fonctions étant, par ailleurs, intimement liées. Il en résulte que, tant au
regard de leur fonction pratique qu’au regard de leur fonction théorique, les éléments peuvent être
appréhendés avant tout comme un outil. Toutefois, dans leur utilisation, les éléments constitutifs
sont tiraillés entre deux approches, l’une littérale, l’autre plus spéciale, laquelle voit dans les
éléments des données préétablies et, en un sens, immuables. Sans doute est-ce la raison pour
laquelle les divers éléments identifiés ne suivent pas tous la même logique et ne présentent pas
tous les mêmes caractéristiques. Ils restent trop dépendants des infractions analysées, si bien qu’il
n’est possible, à partir de l’utilisation actuelle des éléments, ni d’identifier ce qu’est un élément,
ni d’identifier quels sont les éléments. Pour autant, les éléments constitutifs demeurent mobilisés
dans une démarche de généralisation de l’analyse des différentes infractions, dont ils expriment
les données essentielles et communes. C’est parce qu’ils révèlent la structure immuable de
l’infraction – autrement dit de ses composantes essentielles – qu’ils sont fondamentaux, aussi
bien à l’étude de l’infraction-notion, qu’à l’exercice de qualification. C’est donc au regard de
cette double fonction qu’il sera possible de proposer une conception de l’outil, conforme à ce
qu’il est déjà en partie et respectueuse de l’intégrité de l’infraction.
Une approche fonctionnelle et renouvelée des éléments constitutifs pourrait par ailleurs
permettre de dégager les éléments constitutifs de l’infraction. En effet, les éléments sont avant
tout un outil de qualification des infractions, mais ils ne peuvent l’être que parce qu’ils expriment
une certaine conception de l’infraction. Dès lors qu’ils révèlent la nature et la teneur du com-
portement constitutif d’une infraction pénale, ils donnent aussi le schéma devant être suivi pour
s’assurer qu’un comportement est bien constitutif d’une infraction. Il s’ensuit que les éléments
ne devraient pas être identifiés à partir d’une définition de celle-ci, qui ne peut qu’être relative, ou
d’une synthèse des différentes incriminations. Par contre, ils peuvent être déduits des principes
28
Introduction

généraux qui sous-tendent l’infraction et qui lui donnent une morphologie particulière, ceux
dans lesquels elle prend ses racines et sa nature. Peut être y a-t-il une erreur dans le fait de voir
dans les éléments le fruit d’une synthèse de la structure des différentes incriminations. N’est-ce
pas en réalité une démarche inverse qu’il faut mettre en œuvre, démarche qui a, du reste, conduit
à l’identification des premiers éléments ? Si les infractions possèdent des éléments communs,
c’est parce que ceux-ci sont l’expression d’une certaine conception de la responsabilité pénale,
qui ne peut saisir que certains comportements. Ainsi, l’infraction, en tant que notion générale,
présente des composantes incontournables et irréductibles qui se retrouvent dans sa structure.
Tous les comportements ne peuvent relever du droit pénal. Cette affirmation découle du principe
de subsidiarité de ce droit, mais elle tient aussi au respect des libertés individuelles. C’est en
identifiant les principes auxquels est soumise la responsabilité pénale et en analysant la manière
dont ceux-ci se retrouvent dans la structure de son fait générateur principal qu’est l’infraction
que pourront être identifiés les différents éléments constitutifs. Ces principes sont divers, mais
ils façonnent la morphologie du comportement infractionnel.

21. Des éléments d’identification de l’infraction – Cette étude sera bien sûr l’occasion
de revenir sur les différents éléments proposés et utilisés par la doctrine ou la jurisprudence.
Pour autant, la démarche ne partira pas des éléments actuels, lesquels sont largement discutés.
Au reste, il ne s’agit pas réellement d’apprécier l’opportunité de tel ou tel élément. Les très
nombreux débats doctrinaux ont épuisé le sujet, autant qu’ils ont montré la difficulté d’un
consensus. L’enjeu est plus large. Il vise à questionner et repenser la division de l’infraction,
afin de parvenir à dégager un schéma d’analyse, tant de l’infraction-notion que des infractions.
Cela ne signifie pas que le schéma proposé ne rejoindra pas, au moins partiellement, le schéma
actuel, car celui-ci contient une part de vérité. En outre, il ne s’agit pas de découvrir une
structure originale de l’infraction, jusqu’alors ignorée de tous. Il faut s’interroger sur le point
de savoir si des principes généraux de la matière ne peut être dégagée une structure particulière
du comportement infractionnel et identifiés les éléments constitutifs de l’infraction. Issus des
principes fondamentaux, les éléments constitutifs en mettent en lumière les composantes : ils les
restituent, les expriment et par conséquent, permettent de dégager les contours de cette notion
fondamentale du droit pénal. C’est en ce sens qu’ils sont la mesure de l’infraction et permettent
de l’identifier.
Pour cette raison, les éléments identifiés devront dans un second temps être analysés isolé-
ment, afin d’en approfondir et d’en déterminer la teneur. D’un point de vue pratique, cette analyse
plus spécifique paraît essentielle. Identifier les éléments ne peut suffire, encore faut-il savoir ce
que chacun recouvre concrètement et quelles vérifications il appelle. D’un point de vue théorique,
l’enjeu n’est pas moins fondamental, car identifier les éléments constitutifs est insuffisant pour
préciser la teneur exacte du comportement infractionnel. Il faut en épuiser l’étude, en détailler
29
Les éléments constitutifs de l’infraction

les implications pour tenter de proposer une conception de l’infraction, autrement dit, pour
déterminer ce qu’elle est, ou devrait être. Cette étude sera l’occasion de confronter le schéma
dégagé à la réalité des incriminations. En effet, une structure déduite des principes gouvernant
la responsabilité pénale ne peut que donner la structure idéale de son fait générateur. Elle est
l’expression, sinon de ce qu’est aujourd’hui une infraction, au moins de celle qu’elle devrait
être. Or, tous les comportements pénalement sanctionnés ne partagent pas la même structure. Il
n’est d’ailleurs pas certain que la grande distinction entre les différentes infractions soit celle qui
oppose les infractions matérielles aux infractions formelles, car, à y regarder de plus près, les
deux catégories sont sous-tendues par une même logique et présentent une structure similaire,
faute d’être parfaitement identiques. Par contre, certains comportements pénalement sanctionnés
qui dérogent à certains principes applicables en matière pénale, s’éloignent sensiblement de
la structure idéale dégagée par l’absence de l’un des éléments identifiés. Cette spécificité
structurelle se prolonge au demeurant parfois dans des spécificités quant au régime de ces
infractions. Ce constat conduira in fine à s’interroger sur la diversité des faits générateurs de
responsabilité pénale : faut-il admettre qu’il existe différentes catégories d’infractions, certaines
présentant une structure idéale et d’autres possédant une structure dérogatoire, ou existe-t-il, aux
côtés de l’infraction, d’autres faits générateurs de responsabilité ayant une structure qui leur est
propre ?

22. Annonce de plan – L’étude des éléments constitutifs et celle de l’infraction appa-
raissent ainsi complémentaires parce que, prédéterminés, les éléments peuvent révéler l’essence
de l’infraction et ses composantes essentielles. C’est à partir d’elles qu’est bâtie l’infraction,
si bien que la compréhension de la notion ne peut que gagner à la détermination de ses
composantes.
Il s’agira ainsi dans un premier temps d’identifier substantiellement les éléments constitutifs,
à partir de leur nature et de leur fonction (Partie 1), pour pouvoir, dans un second temps analyser
structurellement les différents éléments identifiés (Partie 2).

Première partie : L’identification substantielle des éléments constitutifs

Seconde partie : L’analyse structurelle des éléments constitutifs

30
Première partie

L’identification substantielle des éléments


constitutifs

23. L’essai manqué d’une systématisation – L’analyse devenue traditionnelle de l’infrac-


tion veut que celle-ci fasse l’objet d’une étude divisée en trois éléments. Cette division trouve
ses origines dans l’affirmation de principe de la complémentarité du fait et de la volonté 1 ,
principe affirmé dans la loi en 1791 2 . Cette loi imposait aux juges de se prononcer sur l’intention
de l’auteur des faits. Au moins en apparence, elle mettait au même niveau l’importance de
la matérialité du fait et de sa moralité dans la caractérisation de l’infraction. S’il n’est pas
certain que l’enjeu ait vraiment été alors une caractérisation duale de l’infraction comme nous
l’entendons aujourd’hui, l’exigence de vérification de la volonté formulée dans la loi en 1791 est
devenue un enjeu de politique jurisprudentielle. Le Tribunal puis la Cour de cassation ont utilisé
pour asseoir leur contrôle ce qui est parfois désigné en doctrine par l’expression de « question
intentionnelle » 3 . Mais c’est surtout sous l’impulsion de la doctrine que le recours aux éléments
s’est développé et qu’ils ont été mis au service d’une étude de l’infraction. Les deux éléments

1. Les auteurs anciens utilisaient anciennement le plus souvent la terminologie d’intention. Les propositions
de distinction entre les notions d’imputation, de volonté et d’intention furent essentiellement développées à
partir du milieu du XIXème siècle. Lorsqu’il est utilisé de manière générale comme expression du principe de
complémentarité, le terme d’intention n’est toutefois pas le plus approprié car dans son acception moderne, il
renvoie à l’élément moral des infractions intentionnelles. Le terme de volonté sera donc privilégié malgré la
terminologie utilisée par les anciens auteurs lorsqu’il n’est question que d’une exigence générale et non d’une
intention proprement dite.
2. Loi des 16 et 29 sept. 1791, J.-B. Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements
et avis du Conseil d’État, 1824, Guyot et Scribe, p. 331 et s.
3. G. Sicard, « La « question intentionnelle » et la terreur judiciaire dans le Sud-ouest » in La culpabilité, actes
des XX èmes Journées d’histoire du droit, sous la dir. de J. Hoareau-Dodinau et P. Texier, Limoges, 2001, p. 633.

31
Partie 1. L’identification substantielle des éléments constitutifs

initiaux que sont l’élément matériel et l’élément moral relèvent d’une conception particulière de
celle-ci, car subjective. Ils sont une expression de cette conception et ont été utilisés en doctrine
pour préciser la teneur de l’infraction. Initialement concentrés sur le comportement infractionnel
dont ils révélaient la particularité, les éléments constitutifs se sont par la suite diversifiés. Mis
en lien avec la définition générale de l’infraction, ils ont peu à peu intégré certaines de ses
données telle l’exigence d’un texte d’incrimination qui, tout en restant liées au comportement
infractionnel, relèvent plus largement de la définition de la notion. La diversification des
éléments et leur élargissement rend malaisé leur délimitation et identification, de sorte qu’il
est intéressant de revenir sur l’évolution qui a eu lieu afin d’en cerner les enjeux.

24. La variabilité des analyses – Quelle qu’ait été cette évolution, le lien entretenu entre
les éléments et la définition de l’infraction a conduit la doctrine à en approfondir l’analyse à
travers une étude scindée en trois données immuables. L’analyse en trois temps conduit à une
caractérisation s’articulant autour de la détermination du texte applicable, de la vérification de
l’élément matériel et enfin de la vérification de son élément moral. Bien que l’utilisation des
éléments se soit imposée aujourd’hui aussi bien en doctrine qu’en jurisprudence, leur intérêt
est limité par la démultiplication des éléments qui en traduisent des approches variables. Il
est particulièrement difficile de parvenir à déterminer ce que sont réellement les éléments
constitutifs et lesquels ils sont, notamment parce que l’analyse en trois temps ne se maintient
pas de manière systématique. Selon ce dont ils ont vocation à faciliter l’analyse, les éléments
identifiés sont variables et logiquement dépendants de leur objet. Adossés aux différentes
incriminations, ils ne sont souvent que l’occasion d’une énumération des exigences légales.
Dépendants dans ce contexte de chaque texte ou de la catégorie particulière d’infractions, ils
ne permettent en rien une analyse systématique mettant en exergue la structure particulière de
l’infraction. Théoriquement, les éléments révèlent la structure invariable de toute infraction,
mais en pratique, ils n’en permettent pas toujours une analyse ordonnée dès lors que l’étude des
incriminations suit très peu le triptyque. Soit les éléments dégagés par les auteurs s’en éloignent
en raison des spécificités structurelles des différentes incriminations, soit des éléments spéciaux
viennent s’ajouter aux éléments généraux identifiés.

25. Les éléments comme outil – Cette tendance est regrettable car elle relativise fortement
l’intérêt des éléments. Ils pourraient pourtant avoir une réelle utilité à la fois dans l’effort
d’approfondissement de la notion d’infraction par l’invariabilité structurelle qu’ils révèlent et, à
la fois, dans l’analyse des faits en vue de leur qualification. Le recours aux éléments constitutifs
peut présenter ce double intérêt, tant théorique que pratique au regard de leur double fonction
d’approfondissement de la notion d’infraction et de garants de la légalité des condamnations.
Car déduits de la structure générale de l’infraction, ils peuvent guider et encadrer efficacement

32
Partie 1. L’identification substantielle des éléments constitutifs

l’exercice de qualification.
Pour ce faire, il est toutefois nécessaire de préciser la nature des éléments, mais aussi de
parvenir à les identifier. Leur multiplication en doctrine, associée à leur variabilité, rend la
démarche malaisée et tend à faire perdre de vue l’intérêt de la division tripartite de l’infraction.
Pourtant, si l’utilisation actuelle des éléments participe de l’indétermination de l’outil, il est
possible, au regard de ses fonctions, de tenter de déterminer ce qu’ils sont. Parce qu’ils sont en
premier lieu un outil d’analyse de l’infraction, ils peuvent par extension être un outil fondamental
de qualification dès lors qu’est dégagé un schéma général et unique. Ce schéma peut se déduire
soit d’un effort de systématisation des différentes incriminations existantes, soit de la définition
générale d’infraction, autrement dit, de la notion. Dans un cas comme dans l’autre, l’exercice
de qualification pourrait s’appuyer sur les éléments et le schéma de qualification dégagé. Ces
derniers deviendraient à ce titre un outil utile, tant au droit pénal général pour lequel ils seront
l’expression des spécificités de la notion d’infraction, que pour le droit pénal spécial pour lequel
ils serviront de schéma d’étude des incriminations. Aujourd’hui outil déficient dans l’analyse
de l’infraction (Titre 1), les éléments constitutifs peuvent donc devenir un outil fondamental de
qualification (Titre 2).

33
Titre I

Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

26. Des éléments de l’infraction aux éléments des infractions – Bien qu’ils soient un
outil incontournable du droit pénal et que le recours à eux soit aujourd’hui systématique,
beaucoup de zones d’ombres entourent les éléments constitutifs. L’outil apparaît relativement
peu précis, car tiraillé entre deux fonctions, l’une de généralisation, l’autre de spécialisation.
Alors qu’ils pourraient être un outil général d’analyse de l’infraction, les éléments tendent à se
rapprocher excessivement de simples conditions et ne permettent alors qu’une énumérations des
exigences spécialement prévues dans chaque incrimination.
Historiquement, pourtant, les éléments se sont développés dans un contexte bien particulier
qui semble à première vue ne pas s’accorder avec cette seconde fonction. Leur émergence est liée
à la procédure mise en place qui, si elle ne modifiait pas substantiellement un principe déjà acquis,
eut le mérite d’inscrire dans la loi la règle selon laquelle l’infraction ne peut être constituée que
par la réunion d’un fait et d’une volonté. Elle rendait par suite obligatoire la constatation par les
jurés de l’intention de l’auteur. C’est à partir de cette obligation procédurale, mais surtout de son
utilisation par la jurisprudence que s’est développée l’idée d’une approche duale de l’infraction.
Les deux éléments, issus de la loi et dégagés par la jurisprudence, ont donné lieu en doctrine à
une analyse de l’infraction divisée en différents éléments.
Aujourd’hui, les débats relatifs aux éléments de l’infraction demeurent fournis et l’on s’inter-
roge sur le statut à accorder à de nombreuses données. L’outil a été trop peu étudié pour lui-même
et, dès lors, trop peu défini. Paradoxalement, alors que l’opposition élément matériel/élément
moral est de plus en plus critiquée comme étant artificielle, tout tend à devenir élément de
l’infraction. Les études des textes d’incrimination abondent en ce sens, où le nombre d’éléments
identifiés est fonction des exigences légales et non d’un triptyque général. Car finalement, toute
condition formellement exigée dans une incrimination est constitutive de l’infraction considérée

35
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

au sens où elle est nécessaire à son existence légale 1 . Mais est-elle pour autant un élément
constitutif de l’infraction ? Rien n’est moins sûr. L’utilisation actuelle des éléments montre
les incertitudes qui entourent l’outil, autant que son caractère incontournable. La difficulté
fondamentale est en réalité qu’un glissement s’est opéré : l’on est passé de l’affirmation dans
la loi d’une complémentarité structurelle entre deux données fondamentales révélant l’essence
de l’infraction, à un découpage des infractions en autant d’éléments que de conditions entrant
dans leurs définitions.
C’est donc en revenant sur la naissance de l’outil d’analyse que des indices d’identification
des éléments et de leur intérêt peuvent être trouvés (Chapitre 1), tandis que l’explication à la
faible utilité de l’outil peut être trouvée dans sa relative dénaturation (Chapitre 2).

1. Ainsi entendus, les éléments constitutifs visent alors « simplement ce qui est condition d’existence de
l’infraction ». J. Larguier, « La localisation internationale de l’infraction », RSC 1980, chron. p. 417.

36
Chapitre 1

La naissance de l’outil d’analyse

27. Une origine procédurale – Les éléments constitutifs sont issus du principe de la
complémentarité entre le fait et la volonté. Ce principe est particulièrement ancien, mais a
trouvé un écho particulier suite à une loi procédurale en date des 16 et 29 septembre 1791 2 . Elle
renvoie, en substance, aux deux éléments que sont l’élément matériel et moral. Cette loi faisait
obligation aux jurés de se prononcer sur la volonté de l’auteur des faits. Parce qu’elle imposait
théoriquement une certaine effectivité de la vérification de la volonté, et parce qu’elle affirmait
son caractère indispensable aux côtés du fait pour constituer l’infraction, elle a accrédité l’idée
selon laquelle l’infraction serait constituée de deux éléments de même importance et devant,
donc, tous deux faire l’objet d’une vérification par le juge. L’exigence procédurale de vérification
de la volonté a ainsi contribué à révéler une dualité structurelle.
Si l’affirmation de la complémentarité du fait et de la volonté est antérieure à cette loi,
l’influence de l’obligation procédurale qu’elle contient ne peut être négligée. Elle a en effet
donné lieu à une jurisprudence constante relative aux deux éléments de l’infraction. Repris en
doctrine, ils sont alors devenus un véritable outil d’analyse, car faire des exigences factuelle et
morale deux éléments distincts permet de mettre ces deux exigences sur un pied d’égalité et
d’insister en conséquence sur l’importance d’une double vérification.
C’est ainsi de la complémentarité entre le fait et la volonté que sont issus les deux éléments
initiaux de l’infraction. D’une simple exigence procédurale, la dualité est finalement devenue
une règle de fond (Section 1). Par la suite, la division de l’infraction en éléments a été largement
reprise par la doctrine qui a développé et enrichi l’analyse (Section 2).

2. J.-B. Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du Conseil d’État,
op. cit., p. 331 et s.

37
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

Section 1 – D’une exigence procédurale à une règle de fond

28. L’impact inattendu de la loi de 1791 – L’exigence de la volonté en matière de


responsabilité pénale n’est certes pas née avec les éléments constitutifs. Au contraire, la com-
plémentarité entre le fait et la volonté apparaît être une constante en matière de responsabilité
pénale. Cependant, si l’exigence du fait et surtout sa vérification effective n’ont jamais soulevé
de véritables problèmes 3 , l’exigence de la volonté était à l’inverse bien plus de façade. Elle
était certes de principe, mais elle n’avait pas d’influence véritable. Essentiellement présentée de
manière négative, car réduite aux conditions d’imputabilité, elle ne faisait pas forcément l’objet
d’une vérification effective. C’est ainsi pour donner une certaine effectivité à l’importance de la
volonté dans la qualification des faits que le législateur a pris, à la Révolution, une loi faisant
obligation aux juges de poser aux jurés une question relative à la volonté de l’accusé.
Essentiellement symbolique et d’ordre procédural, cette loi ne pouvait à elle seule garantir
l’effectivité pratique de l’élément moral pour deux raisons. Tout d’abord, « l’intention » visée
par le législateur n’était en rien définie. Cette carence pouvait conduire à réduire la question au
seul examen des capacités intellectuelles de l’agent et, donc, à ne rien changer à l’état du droit.
La glose de la loi ne suggère d’ailleurs pas de changements révolutionnaires dans l’appréhension
de la volonté par rapport aux règles énoncées dans les ouvrages datant de l’Ancien régime.
Ensuite, cette disposition s’insère dans une loi d’inspiration classique mettant en place une
procédure particulièrement complexe et rigide ne laissant que très peu de place à une réelle
appréciation par les juges et les jurés. La question sur l’intention est devenue un véritable
enjeu en jurisprudence. La Cour de cassation, soucieuse d’affirmer son contrôle jurisprudentiel
s’est emparée de cette question pour censurer les arrêts dans lesquels les juges ne s’étaient pas
prononcés sur ce point. De l’affirmation constante de la complémentarité entre le fait et la volonté
(I), et grâce à l’influence de la jurisprudence (II), est ainsi venue l’habitude de scinder la structure
de l’infraction en deux éléments essentiels : l’élément matériel et l’élément moral.

§ 1. L’affirmation de la complémentarité du fait et de la volonté

29. Une règle procédurale fondamentale – La complémentarité du fait et de la volonté est


un principe général de la matière. Or, bien que son affirmation soit particulièrement ancienne,
elle ne s’est imposée que très progressivement. Surtout, elle ne pouvait initialement servir de

3. D’un point de vue théorique, les enjeux relatifs à ce point ont longtemps été concentrés sur la détermination
du seuil à partir duquel le droit pénal a vocation à intervenir, c’est-à-dire sur la définition du commencement
d’exécution.

38
Chapitre 1. La naissance de l’outil d’analyse

support à une étude de la notion d’infraction. Cela s’explique notamment par le fait que même
si la responsabilité est depuis longtemps en partie subjective, l’exigence d’un élément moral
tel que nous le concevons aujourd’hui est elle très récente. La volonté était certes en principe
indispensable, mais les ouvrages anciens attestent d’une faible prise en compte de celle-ci : elle
n’est que très peu développée et sa vérification effective n’est que rarement exigée.
La loi de 1791 n’apporte pas sur ce point de changement majeur car l’importance de
la volonté y est finalement assez théorique. Mais elle consacre légalement le principe en
imposant formellement aux jurés en matière criminelle de se prononcer sur la volonté de l’auteur
d’une infraction. Obligation leur est faite de qualifier le comportement au regard tant de la
matérialité de l’acte que de la volonté de son auteur. Par l’utilisation qui en fut faite, cette double
vérification a imprimé à l’infraction un caractère dual qu’elle possédait déjà par principe, mais
dont l’effectivité était antérieurement fortement réduite.
Il faut dès à présent préciser que la loi de 1791 se révèle paradoxale pour différentes raisons
et que, de ce fait, son importance est sujette à débats. Quant au fond, elle n’emporte pas de
conséquences majeures. Mais quant à ses conséquences, cette consécration légale (B) d’un
principe constant en matière de responsabilité pénale (A) s’est révélée déterminante dans l’essor
de l’analyse de l’infraction à travers une dualité d’éléments constitutifs.

A. La complémentarité entre le fait et la volonté, constante de la responsabilité


pénale

30. Les prémices de l’exigence de la volonté – Les criminalistes sous l’Ancien régime
affirmaient déjà le principe selon lequel le crime se compose du fait et de la volonté 4 . Bien
avant, déjà, la responsabilité pénale s’était teintée d’une certaine subjectivité. Seule une approche
dite « archaïque » ou « primitive » 5 de la responsabilité est parfois décrite comme éminemment
objective et mécanique. Cette responsabilité a pu être présentée comme concentrée en premier
lieu sur le groupe, non sur l’individu, et l’acte appréhendé à travers le dommage causé. Les
procès d’animaux, par exemple, participeraient de cette approche 6 . Reste que si certains droits
anciens sont marqués par une forte objectivité, la prise en compte de la volonté s’observe très tôt 7 .
En effet, la distinction opérée entre le dommage trouvant une cause volontaire et celui trouvant

4. V. not. D. Jousse, Traité de la justice criminelle de France, 1771, t. 1, p. 10, no 14, et P.-F. Muyart de
Vouglans, Institutes au droit criminel, op. cit., p. 2 et s. Les auteurs visent tous deux néanmoins l’intention.
5. M. Poirier, « Les caractères de la responsabilité archaïque » in La responsabilité pénale, Travaux du colloque
de philosophie pénale, Dalloz, 1961, p. 19.
6. Monsieur Poirier relate de tels procès ayant pu avoir lieu sous l’Ancien régime, mais il serait excessif de
présenter la responsabilité de cette époque comme systématiquement mécanique. Ibid.
7. Dans le Code d’Hammourabi ou dans les anciens droits d’Asie Mineure où la matérialité du fait suffisait
à mettre en jeu la responsabilité de son auteur. V. J. Gaudemet, « Le problème de la responsabilité pénale dans
l’Antiquité » in La responsabilité pénale, travaux du colloque de philosophie pénale, Dalloz, 1961, p. 51.

39
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

une cause accidentelle induisait déjà une certaine prise en considération de la volonté dans la
responsabilité 8 . En outre, déjà dans le droit grec 9 , puis davantage encore dans le droit romain,
l’on trouve trace de l’importance de la prise en compte d’une volonté accompagnant l’action.
Outre la distinction dans certaines infractions entre le crime volontaire et le crime involontaire,
la volonté de l’auteur permettait la caractérisation du délit ou au moins influait sur la sanction
prononcée 10 . Un rescrit de l’Empereur Hadrien souligne et atteste de l’importance ainsi accordée
à la volonté dans la formation du délit, le seul résultat matériel de l’acte devant, aux termes de
ce rescrit, être considéré comme insuffisant 11 . De même trouve-t-on plus tard dans le Digeste de
Justinien la distinction entre la culpa et le dolus et l’affirmation selon laquelle « les infractions
se caractérisent par la volonté et l’intention du délinquant » : « maleficia voluntas et propositum
delinquentis distinguit » 12 .
Encore faut-il préciser que si l’importance de la volonté est mise en exergue, celle-ci pouvait
se déduire directement du seul examen des faits 13 , ce qui en limitait nécessairement la valeur.
Mais, même teintée d’une certaine objectivité, la responsabilité ne faisait pas totalement abstrac-
tion des considérations psychologiques et dès le Vème siècle, la notion de volonté s’est introduite
en droit positif comme fondement de la sanction pénale 14 . Par la suite, le développement du droit
canonique permettra aux considérations psychologiques de prendre davantage d’importance
dans la responsabilité pénale. C’est en effet sous l’influence de ce droit que l’idée d’imputabilité
morale se développe véritablement et est mise en exergue 15 .

31. Volonté et Ancien droit – Forte de plusieurs siècles d’affirmation, l’importance de la


volonté s’impose ainsi progressivement et malgré l’existence d’infractions dites « matérielles »,
elle irrigue l’Ancien droit criminel 16 . Quand bien même elle ne recouvrirait alors pas tout à fait le

8. M. Poirier, « Les caractères de la responsabilité archaïque » in La responsabilité pénale, Travaux du colloque


de philosophie pénale, op. cit. V. égal. J. Le Foyer, Exposé du droit pénal normand au XIII ème siècle, Librairie
du recueil Sirey, 1931, p. 47.
9. J. Gaudemet, « Le problème de la responsabilité pénale dans l’Antiquité » in La responsabilité pénale,
travaux du colloque de philosophie pénale, op. cit.
10. En ce sens, J.-M. Carbasse, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, 2ème éd., PUF, collection droit
fondamental, 2006, p. 48, nos 21 et s.
11. Ibid. Sur ce rescrit, v. égal. J. Gaudemet, « Le problème de la responsabilité pénale dans l’Antiquité » in La
responsabilité pénale, travaux du colloque de philosophie pénale, op. cit.
12. D. 47, 2, 55. La traduction est celle de Henri Hulot, (Metz l’an XII – 1803). Sur cette sentence, v. A. Laingui,
« Les adages du droit pénal », RSC 1986, p. 29.
13. En ce sens, A. Laingui, La responsabilité pénale dans l’ancien droit, th. préc., p. 34. Ceci reste encore en
un sens le cas, la jurisprudence ayant souvent recours à des présomptions.
14. En ce sens, J. Gaudemet, « Le problème de la responsabilité pénale dans l’Antiquité » in La responsabilité
pénale, travaux du colloque de philosophie pénale, op. cit.
15. Au XIIème siècle, les canonistes mettent ainsi en relief la volonté comme « condition préalable à toute
responsabilité pénale ». R. Mezt, « La responsabilité pénale dans le droit canonique médiéval » in La responsabilité
pénale, travaux du colloque de philosophie pénale, Dalloz, 1961, p. 83. V. égal. J. Le Foyer, Exposé du droit pénal
normand au XIII ème siècle, op. cit., p. 48.
16. Sur l’importance de la volonté dans l’Ancien droit criminel, v. A. Laingui, Histoire du droit pénal, 2ème éd.,
PUF, collection Que sais-je ?, 1993, p. 88. et du même auteur, La responsabilité pénale dans l’ancien droit, th. préc.

40
Chapitre 1. La naissance de l’outil d’analyse

sens que nous lui accordons aujourd’hui, l’exigence d’une volonté libre et éclairée était présente.
Elle conditionnait ainsi la responsabilité de l’auteur des faits 17 ou tout du moins permettait une
modulation de la peine 18 . Si elle n’était pas réellement constitutive de l’infraction, elle était donc
prise en compte dans la décision de culpabilité.

32. L’exigence constante du fait – Or, dès lors que la volonté est présentée comme étant
de principe, sa complémentarité avec le fait s’impose assez naturellement. Le fait est en effet une
constante en matière de responsabilité, davantage encore que la volonté. L’Ancien droit connaît
des hypothèses où n’est appréhendée que l’intention, mais la règle selon laquelle la pensée seule
échappe au droit est en effet elle aussi très tôt formulée 19 . Elle interdit, en principe, la répression
de la seule pensée. Affirmée également dans le Digeste de Justinien, la règle cogitationis poenam
nemo patitur 20 a aujourd’hui valeur d’adage 21 . La seule intention, même malveillante, ne saurait
être réprimée dès lors qu’elle ne s’est pas encore manifestée concrètement, au minimum à travers
un commencement d’exécution. La fixation du seuil de répression implique une modification du
monde extérieur, c’est-à-dire une action révélant la volonté ou l’intention malveillante de son
auteur. De ce fait, l’infraction implique toujours, au minimum, un acte.
Ce principe est affirmé expressément dans les ouvrages du XVIIIème siècle. L’on se souvient
que Muyart de Vouglans, lorsqu’il définit le crime, explique que « le dessein seul n’est pas
punissable par la justice des hommes » car « le Crime est un acte, factum » 22 , ce qui implique que
« la simple volonté qui n’a pas encore passé les bornes de la pensée, n’est point mise au nombre
des crimes, parce que le pouvoir des Lois et de leurs Ministres ne peut s’étendre, non plus que
leur connaissance, au-delà des actes extérieurs » 23 . Par ces précisions, l’auteur détermine le
moment à partir duquel le droit criminel a vocation à intervenir : l’acte ou un commencement
d’exécution. Or, de la même manière la volonté est exigée par principe à cette époque. Ainsi
trouve-t-on dans l’œuvre de Jousse l’affirmation selon laquelle « c’est une règle générale qu’il

17. En ce sens, P. Bouzat et J. Pinatel, Traité de droit pénal et de criminologie, 2ème éd., t. 1, Dalloz, 1970,
p. 197, no 119. Dans le même sens, R. Charles, Histoire du droit pénal, 4ème éd., PUF, collection Que sais-je ?,
1976, p. 43.
18. La démence est ainsi présentée par Tiraqueau comme une cause d’atténuation de la peine. V. A. Laingui,
Le De poenis temperadis de Tiraqueau, 1559, Introduction, traduction et notes, Économica, 1986, p. 47. Cependant,
s’agissant du cas de l’infraction commise par une personne somnambule, il va plus loin et estime « qu’on ne doit pas
tenir pour faute ce qui arrive à celui qui dort ». Cette présentation suggère donc davantage l’absence de responsabilité
qu’une simple atténuation de la peine. Ibid., p. 60.
19. Sous l’Ancien droit, la seule exception résidait dans les crimes de lèse-majesté et tenait essentiellement à des
circonstances historiques. V. A. Laingui, La responsabilité pénale dans l’ancien droit, th. préc., p. 132 et p. 136.
Muyart de Vouglans exigeait tout de même (par principe) que le dessein fut manifesté par des actes extérieurs.
P.-F. Muyart de Vouglans, Institutes au droit criminel, op. cit., p. 3.
20. D. 48, 19, 18.
21. V. A. Laingui, « Les adages du droit pénal », art. préc.
22. P.-F. Muyart de Vouglans, Institutes au droit criminel, op. cit., p. 3.
23. Ibid., p. 2 et s.

41
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

n’y a point de crime sans une volonté de le commettre » 24 .

33. Une complémentarité de principe – Associées, ces deux exigences conduisent les
pénalistes de l’Ancien droit à affirmer que l’infraction est composée par la réunion d’un fait et
d’une volonté : « l’on voit bien [...] qu’il faut distinguer dans le crime le fait de l’intention ; [...]
qu’en un mot, c’est principalement par la réunion du fait extérieur avec l’intention que se forme
le crime » 25 .
Le principe d’une complémentarité entre le fait et la volonté est donc posé très tôt et affirmé
de manière relativement constante. Cependant, il est important de relever qu’il n’est en rien
utilisé par les auteurs au service d’une quelconque analyse de l’infraction. L’infraction est donc
conçue comme un fait volontaire, mais sans aboutir à une caractérisation nécessairement duale.
Celle-ci ne s’est imposée que plus tard, grâce à une loi procédurale permettant à l’exigence de
la volonté de prendre une certaine effectivité.

B. L’affirmation légale de la complémentarité du fait et de la volonté

34. Importance de la loi de 1791 – L’importance pratique de la loi des 16 et 29 septembre


1791 ne doit pas être exagérée, car elle n’apporte que peu de changements par rapport aux
affirmation de l’Ancien droit. Toutefois, c’est avec cette loi sur laquelle il convient de revenir
(1) que la double dimension de l’infraction trouve un premier fondement légal par la mise en
place d’une procédure spécifique. Celle-ci impose aux juges de se prononcer sur la volonté de
l’auteur des faits 26 . Même si elle est discutée quant à son influence réelle, cette loi associée
aux dispositions ultérieures relatives à la question portant sur l’intention et confirmant son
importance (2), a fortement encouragé la prise en compte de la volonté dans la caractérisation
de l’infraction.

1. La loi procédurale des 16 et 29 septembre 1791

35. Une exigence procédurale – Dans le prolongement des revendications formulées


pendant le siècle des Lumières et pour lutter contre l’arbitraire, la procédure pénale est en
grande partie repensée au lendemain de la Révolution. L’acte reste exigé par principe, en ce
qu’il fixe le seuil minimum de la répression, mais cette exigence est insuffisante et implique pour
être parfaite la seconde limitation traditionnelle tenant à l’exigence d’une volonté sous-tendant
l’action. Le principe reste le même, mais la particularité du nouveau droit qui se met en place

24. D. Jousse, Traité de la justice criminelle de France, op. cit., t. 1, p. 10, no 14.
25. P.-F. Muyart de Vouglans, Les loix criminelles de France dans leur ordre naturel, 1780, p. 2.
26. La loi vise l’intention, une question spécifique devant être posée aux jurés quant à son existence, d’où la
terminologie utilisée en doctrine de « question sur l’intention ».

42
Chapitre 1. La naissance de l’outil d’analyse

est d’en consacrer textuellement la seconde dimension dans la loi des 16 et 29 septembre 1791.
Dans cette loi, il est expressément prévu qu’en matière de crime – mais de crime seulement –,
les jurés devront se prononcer sur l’intention de l’auteur des faits. L’article 19 du Titre VII de
la loi prévoit ainsi que « le président résumera l’affaire, fera remarquer aux jurés les principales
preuves pour et contre l’accusé ; il terminera en leur rappelant avec simplicité les fonctions qu’ils
ont à remplir, et en posant nettement les diverses questions qu’ils doivent décider relativement
au fait, à son auteur et à l’intention. » L’article 21 précise quant à lui : « Le président posera les
questions relatives à l’intention résultant de l’acte d’accusation, ou qu’il jugera résulter de la
défense de l’accusé ou du débat » 27 . Outre les questions portant sur les faits, les jurés devront
donc en principe répondre également à des questions portant sur l’intention de leur auteur.

36. Une exigence paradoxale à l’air du droit pénal classique – Il y a dans l’importance
accordée par cette loi à la volonté dans la caractérisation de l’infraction un certain paradoxe qui
mérite d’être relevé tant il recèle d’indications quant aux hésitations relatives à l’importance
réelle de cette loi. Elle s’inscrit en effet dans une conception classique 28 du droit pénal, par
principe hostile à une trop grande prise en compte de l’intention. Le droit révolutionnaire se
veut une réponse aux excès de l’Ancien régime et à l’arbitraire des condamnations qui pouvait
y avoir court. Le Traité des délits et des peines de Beccaria a eu en la matière une influence
considérable, et le droit pénal révolutionnaire puise en grande partie ses nouveaux principes dans
les percepts de l’auteur. Or, si le droit pénal prôné par Beccaria est particulièrement novateur
et se veut plus mesuré, il repose sur une approche particulière de la responsabilité et sur une
vision utilitaire de la peine 29 . En réponse à l’arbitraire de l’Ancien régime, ce droit est fondé sur
la légalité et l’égalité stricte des citoyens devant la loi et la sanction. Or, dans cette perspective
d’égalité parfaite, la volonté se trouve mise en retrait. L’idée est que la prise en compte de celle-ci
serait la porte ouverte à l’arbitraire et romprait ainsi l’égalité des citoyens devant la loi pénale 30 .
Cette idée est résumée dans l’affirmation de Beccaria selon laquelle la vraie mesure de la gravité
des crimes est le tort qu’ils font à la société et non l’intention du coupable 31 .

27. J.-B. Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du Conseil d’État,
op. cit., t. 3, p. 339.
28. Les idées de Beccaria ont permis l’émergence d’un droit pénal dit classique. Ce droit pénal est dit classique,
car reposant sur une doctrine traditionnelle et dont les sources premières sont les œuvres de Montesquieu,
Beccaria, Rousseau, Bentham et Feuerbach. En ce sens, R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit.,
t. 1, p. 108, nos 58 et s.
29. L’utilitarisme fut développé par Bentham qui a critiqué la théorie du contrat social qu’utilisait Beccaria.
Néanmoins, les deux auteurs ayant été inspirés par la doctrine d’Helvetius, certains auteurs rattachent Beccaria
à l’utilitarisme. V. X. Martin, « Du temps des lumières à 1810 : anthropologie et droit criminel » in Les colloques
du Sénat, Bicentenaire du Code pénal, 1810-2010, [en ligne], 2010, p. 65.
30. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., t. 1, p. 112, no 61. V. égal. E. Garçon, Le droit pénal,
Origines, évolutions, état actuel, Payot, 1922.
31. C. Beccaria, Traité des délits et des peines, op. cit., p. 91-92.

43
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

37. Droit pénal classique et limitation de l’influence de la volonté sur la répression –


Pour respecter l’égalité devant la loi et l’égalité des condamnations, les juges se sont vus
privés de toute marge de manœuvre dans la fixation de la peine 32 . Le délinquant est envisagé
comme « le violateur lucide du pacte social » 33 et sa volonté n’est dès lors que peu ou pas
prise en compte dans la détermination de la peine. Encore faut-il préciser que ni Beccaria ni
les tenants de l’École classique ne nient totalement l’importance de la dimension morale de la
responsabilité, car celle-ci implique le libre arbitre de l’agent. Cependant, celui-ci est un postulat
pour la doctrine classique qui ne s’attarde donc pas sur ce point 34 . En outre, cette première
présomption se double d’une seconde, devenue traditionnelle, celle selon laquelle la violation
de la loi est présumée consciente. L’on voit bien alors la très faible effectivité pratique de la prise
en compte de la volonté 35 . Pour cette raison, Messieurs Bouzat et Pinatel expliquent que le
délinquant n’est envisagé à travers l’infraction que comme un être abstrait 36 . La réduction de la
dimension morale de l’infraction au libre arbitre et le postulat existant en la matière conduisent
à une condamnation quasi automatique : « celui qui, pouvant agir bien, agit mal, est coupable.
Étant coupable, il doit être châtié » 37 .
Le Code de 1791, tout comme le Code des délits et des peines de 1795, est dans la droite
ligne de la conception classique du droit pénal 38 . Le Code de 1791 ne prévoit en effet pas de règle
tenant à une exigence de principe de la volonté dans la constitution des infractions. Pour certaines
infractions seulement est exigé un dessein particulier ou une intention méchante. De manière
générale, les incriminations y sont essentiellement objectives et dénuées de considérations
morales. Surtout, le caractère accidentel du fait ou la bonne foi sont spécifiquement mentionnés
comme des exceptions à la caractérisation de certaines d’entre elles 39 , ce qui pourrait suggérer
qu’elles ne le sont que pour ces infractions particulières.

38. Une procédure en deux temps, obstacle à l’examen de la volonté – De ce fait,


l’affirmation dans la loi des 16 et 29 septembre 1791 de l’exigence de la vérification de
l’intention apparaît relativement à contre-courant des conceptions qui sous-tendent le Code pénal

32. Le magistrat est réduit à un rôle qui a pu être qualifié de « distributeur automatique des peines », sans aucun
pouvoir d’individualisation : P. Bouzat et J. Pinatel, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit., p. 95, no 35.
33. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., t. 1, p. 115, no 65.
34. Ibid., t. 1, p. 112, no 62. V. égal. R. Merle, « Confrontation du droit pénal classique et de la défense sociale »,
RSC 1964, p. 725.
35. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., t. 1, p. 116, no 65.
36. Dans le même ordre d’idée, Roux reproche à l’École classique d’être restée « dans le dogmatisme abstrait,
loin de la réalité vivante », faute de connaissances précises sur le monde des criminels. J.-A. Roux, Droit pénal et
procédure pénale, op. cit., p. 12, no 11.
37. P. Bouzat et J. Pinatel, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit., p. 100, no 39.
38. En ce sens, R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 116, no 65.
39. Respectivement pour l’homicide et pour la bigamie : Code pén., 1791, Partie 2, Titre 2, Section 1, art. 1
(homicide) et art. 33 (bigamie).

44
Chapitre 1. La naissance de l’outil d’analyse

promulgué dans le même temps. En outre, elle n’est pas véritablement novatrice par rapport à
l’Ancien droit. L’on trouve déjà chez Muyart de Vouglans des développements consacrés aux
différents types de dol, à l’occasion desquels il explique que le dol peut être manifeste ou présumé.
Alors que le second s’induit de l’analyse des faits 40 , le premier « se prouve par la qualité même du
crime ; c’est-à-dire lorsque le Crime est tel de sa nature qu’aucune circonstance ne peut l’excuser,
et qu’il ne peut avoir été commis autrement que dans une mauvaise intention » 41 . Or, on trouve
l’explication dans la glose de la loi de 1791 selon laquelle pour certains crimes, « l’inspection
du cadavre, de la maison brûlée, ou de la pièce falsifiée, rend la certitude de ces faits absolument
complète indépendamment des considérations ultérieures sur le nom du coupable et sur les faits
qui l’ont fait agir. » 42 . Ce constat n’est pas sans rappeler le dol présumé de l’Ancien droit, celui
qui résulte directement du crime accompli.
Par ailleurs la procédure mise en place en matière criminelle atteste elle aussi d’une approche
classique. Celle-ci se déroule en deux temps. Dans le premier, un jury d’accusation est saisi.
Celui-ci doit se prononcer sur l’opportunité de l’accusation et donc d’un renvoi de l’accusé
devant le tribunal criminel. Pour ce faire, il doit constater dans un acte d’accusation l’acte et le
fait que cet acte a été commis « méchamment et à dessein » 43 . Cependant, il ne s’agit en principe
que d’une simple constatation 44 et il n’est pas prévu de véritables discussions sur ce point 45 .
La difficulté est donc qu’au stade du jugement, la volonté du suspect a déjà été théoriquement
constatée dans l’acte d’accusation.
Si l’acte d’accusation conclut qu’il y a matière à renvoi, l’accusé est présenté au tribunal
criminel composé lui aussi d’un jury, cette fois de jugement 46 . C’est normalement à ce stade
que l’appréciation de la volonté devrait prendre toute son importance et c’est donc là que les
jurés sont théoriquement appelés à se prononcer sur son existence. Il est certes expressément

40. P.-F. Muyart de Vouglans, Les loix criminelles de France dans leur ordre naturel, op. cit., p. 12 :
« L’on appelle dol présumé, celui dont la preuve ne se tire point tant de la nature du Crime en lui-même, que
des circonstances dont il a été accompagné, précédé ou suivi ».
41. Ibid.
42. J.-B. Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du Conseil d’État,
op. cit., t. 3, p. 499.
43. Ibid., t. 3, p. 335.
44. Les questions portant sur l’intention relèvent en effet des dispositions relatives à la procédure devant le
tribunal criminel. Dans la loi, un premier titre est en effet consacré au juré d’accusation. Les titres suivants sont
consacrés à divers points de procédure, puis il est question dans le titre VI des règles propres au tribunal criminel.
Suit enfin le titre VII consacré à l’examen de la conviction, titre dans lequel sont prévues les règles spécifiques à la
question ou aux questions propres à l’intention. Ibid., p. 335 à 339.
45. Le jury d’accusation n’entendait en principe pas le suspect pour se prononcer sur l’acte d’accusation. En
ce sens, B. Schnapper, « Le jury criminel » in Une autre justice, contributions à l’histoire de la justice sous la
Révolution française, sous la dir. de R. Badinter, Fayard, 1989, p. 149.
46. Sur la procédure criminelle mise en place en 1791, v. not. E. Sélignam, La justice en France pendant la
Révolution, Plon, 1901, p. 435 et s., et A. Esmein, Histoire de la procédure criminelle en France, et spécialement de
la procédure inquisitoire depuis le XIIIème siècle à nos jours, Panthéon Assas, 2010, p. 417 et s., et A.-C. Saphore,
La jurisprudence criminelle de la Cour de cassation sous la Révolution et l’Empire, 2002, Thèse, Bordeaux IV,
p. 208 et s., et H. Remy, Des Principes généraux du Code pénal de 1791, 1910, Paris, not. p. 15 et s.

45
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

mentionné dans la glose de la loi qu’il « peut arriver que la nature de l’accusation ait changé par
la défense de l’accusé et les preuves fournies par lui », de sorte que « l’on reconnaîtra qu’il serait
impossible, sans une injustice révoltante, d’astreindre les jurés à s’en tenir au strict contenu de
l’acte d’accusation » 47 . Néanmoins, au stade du jugement, le jury reste strictement lié par l’acte
d’accusation qui a lui-même constaté théoriquement l’existence d’une intention pour renvoyer
l’accusé 48 . Dès lors, si les jurés doivent se prononcer sur la volonté de l’auteur des faits, celle-ci
n’est pas véritablement vérifiée, car il en a d’ores et déjà été préjugé dans l’acte d’accusation,
mais sans réelle discussion. La constatation de la dimension morale de l’infraction semble ainsi
relever de la simple exigence formelle 49 et ne pas emporter de changements notables par rapport
aux principes antérieurs. La question de la volonté ne semble pas avoir réellement vocation à
être étudiée par les tribunaux et la responsabilité demeure donc en grande partie objective.

39. Une loi à l’importance discutée – Pour cette raison, là où certains auteurs voient dans
cette loi les prémices de la naissance des deux éléments de l’infraction 50 , d’autres nuancent for-
tement l’idée. Procédurale, et propre à la matière criminelle, elle ne consacrerait en rien ni cette
dualité d’éléments 51 ni la complémentarité du fait et de la volonté. La question intentionnelle
aurait en effet tout juste eu pour vocation initiale de permettre l’acquittement de l’accusé en cas
de légitime défense ou de force majeure 52 , c’est-à-dire qu’elle n’apporterait fondamentalement

47. J.-B. Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du Conseil d’État,
op. cit., p. 499.
48. En ce sens, B. Schnapper, « Le jury criminel » in Une autre justice, contributions à l’histoire de la justice
sous la Révolution française, op. cit. ; G. Sicard, « La « question intentionnelle » et la terreur judiciaire dans le
Sud-ouest » in La culpabilité, actes des XX èmes Journées d’histoire du droit, op. cit. V. égal. J.-B. Duvergier,
Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du Conseil d’État, op. cit., t. 3, p. 498 : « Ce
qui est bien essentiel de ne pas perdre de vue, c’est que toute la délibération du jury de jugement a pour base l’acte
d’accusation. C’est à cet acte que les jurés doivent s’attacher. ».
49. Sur ce point, v. J. Ferrand, « Quand la forme emporte le fond, de l’incidence des formes processuelles sur
la genèse de la théorie générale de l’infraction », RSC 2013, p. 505.
50. En ce sens, J.-H. Robert, « Histoire des éléments de l’infraction », art. préc.
51. En ce sens, J. Ferrand, « Quand la forme emporte le fond », art. préc. L’auteur explique que l’exigence
mentionnée se situe au stade de l’examen de la culpabilité, celle-ci étant déjà présumée par les règles de compétences.
La loi inviterait donc simplement les jurés, au cours du procès, à faire état de l’existence de l’intention, exigence
de pure forme, la vérification de l’intention étant négative. L’auteur admet néanmoins que cette loi a pu avoir pour
conséquence indirecte de mettre en exergue l’importance de la dimension morale de l’infraction, importance qui
donnera plus tard naissance à l’élément moral.
52. En ce sens, B. Schnapper, « Le jury criminel » in Une autre justice, contributions à l’histoire de la justice
sous la Révolution française, op. cit. Malgré le fait que cette lecture de la question relative à l’intention est tout à
fait conforme à l’esprit classique du droit pénal, l’affirmation peut être nuancée, car la loi prévoit l’acquittement
de l’accusé lorsque le jury aura décidé que le fait a été commis « involontairement, sans aucune intention de nuire,
ou pour la légitime défense de soi ou d’autrui » (Titre VIII, art. 2. V. J.-B. Duvergier, Collection complète des
lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du Conseil d’État, op. cit., t. 3, p. 341.). L’absence de volonté semble
donc conduire à l’acquittement, au même titre que la légitime défense. Pour une approche plus nuancée que celle
de Monsieur Schnapper, v. G. Sicard, « La « question intentionnelle » et la terreur judiciaire dans le Sud-ouest »
in La culpabilité, actes des XX èmes Journées d’histoire du droit, op. cit., relevant que la question intentionnelle a
rempli la fonction assignée par le législateur de 1791, celle de cerner les mobiles pour apprécier la méchanceté de
l’accusé.

46
Chapitre 1. La naissance de l’outil d’analyse

rien de nouveau par rapport au principe admis de longue date par les pénalistes.

2. La confirmation de l’importance de la question sur l’intention

40. Relativisation du caractère symbolique de la loi – Toutefois, l’importance de cette


loi quant à la naissance des éléments constitutifs ne semble pas négligeable 53 . Qu’elle n’ait
pas apporté de modifications significatives au regard des solutions déjà en vigueur ne change
finalement rien à l’influence qu’elle a pu avoir sur la naissance de l’analyse duale de l’infraction.
D’un point de vue strictement formel, l’importance de la volonté dans la qualification des faits
y est fermement affirmée. D’ailleurs, si le contexte révolutionnaire suggère que la loi de 1791
limiterait l’exigence de la volonté à la seule imputation morale de l’infraction, la glose de cette
loi suggère au contraire une réelle prise en compte de la volonté, dépassant les seuls cas de la
légitime défense ou de la force majeure. Outre le fait que l’absence de volonté est expressément
mentionnée par la loi comme devant entraîner un acquittement 54 , il est précisé dans sa glose que
« la loi a porté plus loin encore la prévoyance ; et, comme c’est l’intention qui fait le crime, elle
a voulu que les jurés [...] puissent scruter [...] la moralité du fait » 55 . Ainsi, pour les crimes, la
culpabilité impliquera que les jurés aient vérifié « l’existence matérielle du fait qui avait constitué
le corps du délit », puis sa « moralité » 56 . La justification de l’exigence procédurale tient donc
à une spécificité de fond relative à la constitution de l’infraction. Une telle présentation n’est
par ailleurs pas sans faire écho à la dénomination qui sera retenue quelque temps plus tard pour
désigner les deux éléments de l’infraction 57 . Si la loi n’a pas en elle-même donné naissance aux
éléments constitutifs, son influence en la matière ne peut être totalement négligée. 58

41. La généralisation de la question sur l’intention – Au reste, cette disposition n’est


pas demeurée isolée, mais a été par la suite confirmée et généralisée, notamment par un décret
de la Convention nationale du 14 Vendémiaire an III 59 . Pour comprendre l’intérêt de ce décret,

53. En ce sens, J.-H. Robert, « Histoire des éléments de l’infraction », art. préc.
54. Loi des 16 et 29 septembre 1791, préc. Titre VIII, art. 2 (v. J.-B. Duvergier, Collection complète des lois,
décrets, ordonnances, règlements et avis du Conseil d’État, op. cit., t. 3, p. 341.)
55. Ibid., t. 3, p. 499.
56. Ibid. Même pour les crimes pour lesquels l’existence du dol est inhérente aux faits, la volonté devra être
constatée.
57. Monsieur Robert y voit ainsi l’origine des épithètes des deux futurs éléments de l’infraction. J.-H. Robert,
« Histoire des éléments de l’infraction », art. préc.
58. Il est à ce titre intéressant de remarquer qu’à partir du XIXème siècle, les approches doctrinales de l’infraction
se sont développées dans de nombreux pays. Le recours à l’identification de divers éléments en son sein est
particulièrement fréquent, mais les autres pays européens (à l’exception de la Belgique, dont le droit est très proche
du nôtre et a subi son influence) ne s’en tiennent le plus souvent pas à une analyse scindée entre le fait et l’acte. La
complémentarité y apparaît certes, mais elle est intégrée à des éléments relativement différents de ceux utilisés par la
doctrine française. L’approche française est en fait bien plus proche de l’approche retenue dans les pays de Common
law, encore que la dualité d’éléments ait une importance moins fondamentale dans l’analyse de l’infraction.
59. 5 octobre 1794. Sur ce décret, A.-C. Saphore, La jurisprudence criminelle de la Cour de cassation sous la
Révolution et l’Empire, th. préc., p. 267.

47
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

il faut dès à présent préciser que le Tribunal de cassation avait rapidement pris l’habitude de
sanctionner les arrêts dans lesquels la question relative à l’intention n’apparaissait pas. Dans un
premier temps, ces annulations avaient concerné essentiellement des infractions pour lesquelles
un dessein particulier était exigé 60 . Le décret dont il est question fut pris justement suite à une
affaire dans laquelle une femme avait été condamnée pour faux témoignage en matière civile,
sans que la question relative à l’intention ait été posée au jury. L’arrêt n’avait pas fait l’objet
d’une annulation, ce qui ne saurait finalement étonner au regard de la jurisprudence de l’époque,
et dès lors que le texte relatif à l’infraction n’exigeait pas d’intention particulière 61 . Par suite,
la femme avait pris l’initiative d’une pétition, ayant donné lieu au décret précité. Par ce dernier,
l’importance de la question relative à l’intention est alors non seulement fermement réaffirmée,
mais encore expressément généralisée. Il y est précisé : « Considérant qu’il ne peut exister de
crime là où il n’y a point d’intention de le commettre ; que le grand bienfait de l’institution des
jurés criminels consiste principalement en ce que l’intention des prévenus doit être examinée et
appréciée, à la différence de l’ancienne instruction criminelle qui ne s’arrêtait qu’aux faits » 62 .
De cette décision, il résulte une obligation générale de toujours poser la question relative
à l’intention en matière criminelle, même lorsque le texte n’exige pas d’intention particulière.
Certes, l’importance de ce décret est limitée par son domaine, car la question sur l’intention
n’est toujours exigée qu’en cette matière. L’exigence d’une question particulière, générale et
systématique a en outre par la suite disparu, pour être désormais comprise dans la question
relative à la culpabilité 63 . Il n’en demeure pas moins que la réitération de la règle dans le
décret de 1794 atteste d’une volonté législative affichée de rendre effective la vérification (ou
la constatation) de la volonté dans la caractérisation de l’infraction dès lors qu’elle conditionne
l’existence du crime. Par ailleurs, le Code des délits et des peines du 3 Brumaire an IV reprend
également la question relative à l’intention. La procédure de la loi de 1791 y est en effet

60. Faisant état des nombreuses annulations en la matière, ibid., p. 264.


61. Le texte relatif au faux témoignage en matière civile disposait en effet simplement que : « Quiconque sera
convaincu du crime de faux témoignage en matière civile, sera puni de la peine de dix années de gêne ». Code pén.
du 25 sept. – 6 oct. 1791, Partie 2, Titre II, Sect. II, art. 47.
62. J.-B. Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du Conseil d’État,
op. cit., t. 7, p. 290.
63. Bien que les jurés doivent être interrogés sur tous les éléments constitutifs des infractions reprochées (S.
Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, 10ème éd., LexiNexis, 2014, p. 1307, no 2456), aux termes de l’article
349 du Code de procédure pénale, la question relative au fait principal est ainsi rédigée : « l’accusé est-il coupable
d’avoir commis tel fait ? » Sont inclus dans la question tous les éléments constitutifs de l’infraction. Par ailleurs,
« si les éléments constitutifs d’un crime ou d’un délit peuvent être décomposés en plusieurs questions, ils sont
habituellement réunis en une question unique » (H. Angevin, J. Cl. Procédure pénale, art. 347-354, fasc. 20, Cour
d’assises – Questions, 2008, no 94). Il n’est donc pas posé de question distincte sur le fait matériel et l’intention,
mais une réponse positive à la question de culpabilité implique que l’accusé a matériellement et volontairement
accompli l’infraction. Une question particulière n’est posée que dans le cas où une intention spécifique est exigée
dans l’incrimination. V. du même auteur, La pratique de la Cour d’assises, Traité-formulaire, 5ème éd., LexisNexis,
2012, p. 324, no 799 et p. 326, no 801.

48
Chapitre 1. La naissance de l’outil d’analyse

codifiée, et avec elle, l’exigence de cette question 64 . Les jurés, au stade du jugement, devront par
conséquent obligatoirement se prononcer sur la matérialité des faits, puis sur leur moralité 65 .
La loi de 1791 n’est ainsi pas totalement isolée. S’il est certain que l’ensemble du droit pénal
post-révolutionnaire est profondément marqué par une conception classique de la répression,
l’importance de la volonté dans l’existence de l’infraction n’est pas totalement négligée et
dépasse les seules conditions d’imputabilité. Mais c’est surtout au regard de la tendance à
analyser l’infraction en deux éléments distincts que cette loi a eu une influence conséquente.
Certes, elle n’a pas elle-même véritablement consacré la dualité d’éléments de l’infraction, ce
d’autant que l’exigence procédurale était exclusivement prévue en matière criminelle. Mais elle
a servi de fondement à une jurisprudence abondante qui fut quant à elle décisive.

§ 2. L’influence de la jurisprudence sur l’affirmation des deux éléments

42. La jurisprudence et l’intention – Parce qu’elle s’insère dans une conception classique
de la répression, la loi de 1791 ne pouvait à elle seule à garantir une vérification effective des deux
composantes de l’infraction. Si certains auteurs ne lui accordent qu’une portée essentiellement
symbolique, son influence n’est pas totalement négligeable, car c’est sur ce fondement que s’est
développée une jurisprudence relative à l’élément moral. Non seulement les jurés ont utilisé la
question sur l’intention dans le but de tempérer les rigueurs du système répressif mis en place,
mais, en outre, la Cour de cassation a utilisé ce fondement pour annuler les arrêts dans lesquels
les jurés ne s’étaient pas prononcés sur cette question (A). Or, si la volonté est nécessaire à
la condamnation, c’est bien parce que l’infraction est constituée de deux éléments de valeur
et d’importance égales. De la règle procédurale, la Cour de cassation déduit et affirme en
conséquence l’existence des deux éléments constitutifs de l’infraction (B).

A. L’utilisation de la question sur l’intention par la jurisprudence

43. Le détournement de la question par les tribunaux – Rapidement, la question relative


à l’intention prévue par la loi de 1791 puis par le Code des délits et des peines de 1795 est

64. Code des délits et des peines du 3 Brumaire an IV, Partie 3, Titre V, art. 393 et s. Pour un exposé de la
procédure mise en place, v. not. A.-C. Saphore, La jurisprudence criminelle de la Cour de cassation sous la
Révolution et l’Empire, th. préc., p. 208 et s.
65. Code des délits et des peines, art. 374 : « La première question tend essentiellement à savoir si le fait qui
forme l’objet de l’accusation, est constant ou non ; la seconde, si l’accusé est, ou non, convaincu de l’avoir commis,
ou d’y avoir coopéré. Viennent ensuite les questions qui, sur la moralité du fait, et le plus ou le moins de gravité
du délit, résultent de l’acte d’accusation, de la défense de l’accusé, ou du débat. Le président les pose dans l’ordre
dans lequel les jurés doivent en délibérer, en commençant par les plus favorables à l’accusé. » ; et art. 393 : « Le
juré qui a déclaré le fait constant et l’accusé convaincu, donne ensuite sa déclaration sur la moralité du fait, d’après
les questions intentionnelles posées par le président. »

49
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

devenue un véritable enjeu en matière de répression. Tout d’abord, les jurés l’ont utilisée afin
de compenser la rigueur excessive de la procédure 66 . Le juge n’avait en effet pas de marge
de manœuvre dans la fixation de la peine une fois la culpabilité de l’auteur des faits constatée
par le jury 67 . La loi prévoyait une égalité rigoureuse des citoyens, si bien que leur quantum
était très strictement encadré 68 , les juges ne possédant pas de réel pouvoir de modulation ou
d’individualisation en la matière. Pour compenser des condamnations parfois trop sévères ou
trop peu conformes à la spécificité des faits, les jurés ont donc utilisé les questions propres
à l’intention afin de permettre l’acquittement des accusés et de les faire ainsi échapper à des
peines trop lourdes et peu adaptées. En d’autres termes, les jurés refusaient parfois d’admettre
l’existence de l’intention, même lorsque les faits étaient avérés, si la peine encourue était jugée
excessive. Détournée par les tribunaux 69 , la question relative à l’intention fut ainsi un moyen
d’adapter la répression aux « circonstances réelles de l’infraction et de réintroduire de l’équité
au sein d’un système répressif d’une extraordinaire rigidité » 70 .

44. Un motif d’annulation – Mais c’est surtout grâce à la jurisprudence du Tribunal


puis de la Cour de cassation que la question sur l’intention prend une véritable importance et
que la vérification positive de la volonté devient – en principe – véritablement nécessaire à la
caractérisation de l’infraction. En effet, le Tribunal de cassation, soucieux d’étendre son contrôle,
trouve avec l’obligation de poser une question relative à l’intention de l’auteur un moyen efficace
d’affirmer son rôle juridictionnel et sa fonction jurisprudentielle, tous deux étroitement entendus
en 1790 71 . L’usage d’annuler les jugements dans lesquels la question relative à l’intention n’a

66. Dénonçant toutefois une mauvaise utilisation de la question sur l’intention, X. Martin, « Du temps des
lumières à 1810 : anthropologie et droit criminel » in Les colloques du Sénat, Bicentenaire du Code pénal, 1810-
2010, op. cit. Il existe un débat sur le point de savoir si la question était effectivement détournée ou si les jurés,
comprenant mal le terme « intention », prenaient en compte les mobiles. Ibid. ; R. Griffon, De l’intention en
droit pénal, 1911, Recueil Sirey, p. 20 ; J.-M. Thevenon, L’élément objectif et l’élément subjectif de l’infraction,
Contribution à l’étude de leurs définitions et de leurs rapports, 1942, Thèse, Lyon, p. 74.
67. Le rôle des juges est en effet de « prononcer [...] la peine prévue par la loi » : Loi des 16 et 29 septembre
1791, Titre VIII, art. 7 (v. J.-B. Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements et avis
du Conseil d’État, op. cit., p. 341.)
68. Le système révolutionnaire fait l’objet en doctrine de nombreuses critiques en raison des excès liés à cette
conception trop stricte de la légalité. V. not. E. Garçon, Le droit pénal, op. cit., p. 92. La législation mise en
place a ainsi pu être qualifiée d’injuste en ce qu’elle créait « une égalité regrettable entre les auteurs d’une même
infraction ». P. Bouzat et J. Pinatel, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit., t. 1, p. 95, no 35.
69. Sur ce détournement de la question sur l’intention, v. not. G. Sicard, « La « question intentionnelle » et la
terreur judiciaire dans le Sud-ouest » in La culpabilité, actes des XX èmes Journées d’histoire du droit, op. cit., et
B. Schnapper, « Le jury criminel » in Une autre justice, contributions à l’histoire de la justice sous la Révolution
française, op. cit.
70. B. Schnapper, « Le jury criminel » in Une autre justice, contributions à l’histoire de la justice sous la
Révolution française, op. cit. L’utilisation de la question sur l’intention, qu’elle soit liée à un détournement ou à
une mauvaise application, a motivé sa disparition dans le Code de 1810. V. J.-M. Thevenon, L’élément objectif et
l’élément subjectif de l’infraction, th. préc., p. 74, citant les propos du rapporteur à la commission législative lors
de la séance du corps législatif du 3 février 1810.
71. En ce sens, A.-C. Saphore, La jurisprudence criminelle de la Cour de cassation sous la Révolution et
l’Empire, th. préc., p. 415. Sur ce point, v. égal. J. Ferrand, « Quand la forme emporte le fond », art. préc.

50
Chapitre 1. La naissance de l’outil d’analyse

pas été posée se développe rapidement 72 , encore que les annulations ne concernent au départ que
des condamnations pour des infractions nécessitant une intention au sens propre du terme 73 .
Par la suite et avec l’affirmation de la généralisation de la question sur l’intention à tous
les crimes, la jurisprudence se généralise elle aussi et se veut de plus en plus exigeante 74 . La
règle est désormais celle selon laquelle, les deux questions – celle portant sur les faits d’une
part et celle portant sur la moralité de l’autre – doivent faire l’objet de questions distinctes 75 ,
conformément aux exigences procédurales du Code de 1795, et à peine de nullité. Si les raisons
du développement de cette jurisprudence sont essentiellement de politique juridictionnelle 76 , il
n’en demeure pas moins qu’elle encourage sur le plan des principes une caractérisation et une
approche duale de l’infraction. Ces deux composantes nécessaires à la condamnation révèlent
en effet une règle de fond.

B. De la procédure à la structure de l’infraction

45. La perpétuation de la jurisprudence par la Cour de cassation – Les annulations


sont initialement liées à une simple règle procédurale et par suite uniquement fondées sur
la loi de 1791 ou l’article 393 du Code des délits et des peines. Mais la règle procédurale
exprime plus précisément une conception relativement subjective de l’infraction et reflète donc
sa structure. Dès la première moitié du XIXème siècle et par justification de l’importance de la
règle procédurale, celle-ci est de plus en plus présentée comme étant composée de deux éléments.
Bien que cette dernière ne soit plus expressément prévue dans la loi, elle demeure de principe
pour la Cour de cassation, justement parce que l’infraction ne peut s’entendre que d’un fait
volontaire.
Le fondement de la jurisprudence en la matière ne peut plus être les textes révolutionnaires.
Mais il est intéressant de remarquer que la Cour de cassation maintient et précise la jurisprudence
du Tribunal par une interprétation des nouveaux textes en vigueur. En effet, le Code d’instruction
criminelle de 1808 ne reprend pas formellement l’obligation faite aux juges de poser des
questions relatives à l’acte et à la volonté. Au contraire, les questions posées aux jurés pendant
les délibérations concernent exclusivement la vérification du fait. L’article 337 impose à chaque

72. Selon Madame Saphore, ces annulations pour absence de déclaration sur l’intention sont un moyen détourné
d’annuler les questions complexes pour lesquelles la cassation a été exclue suite à un décret Flahant. V. A.-C.
Saphore, La jurisprudence criminelle de la Cour de cassation sous la Révolution et l’Empire, th. préc., p. 263 et s.
73. Ibid., p. 264.
74. Ibid., p. 415 et s.
75. V. not., T. cass., 1er Thermidor an VII, Bull. 1799, no 508, cassant un arrêt au motif que la question sur
l’intention avait été confondue avec celle portant sur le fait matériel. Dans le même sens, T. cass., 9 Frimaire an
VII, Bull. 1799, no 140.
76. V. A.-C. Saphore, La jurisprudence criminelle de la Cour de cassation sous la Révolution et l’Empire,
th. préc., not. p. 265 et s. et p. 415 et s., et J. Ferrand, « Quand la forme emporte le fond », art. préc., l’enjeu, pour
le Tribunal de cassation, étant d’affirmer son rôle juridictionnel.

51
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

membre du jury de répondre à la question suivante : « L’accusé est-il coupable d’avoir commis
tel meurtre, tel vol ou tel autre crime avec toutes les circonstances comprises dans le résumé de
l’acte d’accusation ? » 77 . L’article 345 régit quant à lui ainsi les réponses pouvant être faites à la
question sur la culpabilité : « 1°. Si le juré pense que le fait n’est pas constant ou que l’accusé n’en
est pas convaincu, il dira : « Non, l’accusé n’est pas coupable. » En ce cas, le juré n’aura rien de
plus à répondre. 2°. S’il pense que le fait est constant, et que l’accusé en est convaincu, il dira :
« Oui l’accusé est coupable d’avoir commis le crime, avec toutes les circonstances comprises
dans la position des questions. » [...] » 78 .
La question posée ne contient donc aucun référence expresse à la volonté 79 . Quant à l’article
345, il ne vise que le fait. Pourtant, la règle en la matière demeure inchangée, car l’abandon de
la question sur l’intention n’avait pas pour objet de nier la dimension nécessairement volontaire
de l’infraction 80 . La Cour de cassation reprend donc l’exigence procédurale révolutionnaire en
estimant que « le mot coupable employé dans l’article 337 du Code d’instruction criminelle
exprime tout à la fois la moralité du fait et sa matérialité ; d’où il suit que la question doit, pour
être complète, être posée de manière à comprendre ce double élément » 81 .

46. Une solution imposée par la structure infractionnelle – Outre que cette solution
est le prolongement parfait des solutions déjà formulées par le Tribunal de cassation sur le
fondement du Code des délits et des peines, la terminologie employée est évocatrice. La
Cour désigne les deux conditions de l’infraction sous le vocable d’élément. Par ailleurs, la
jurisprudence qui se développe à cette époque marque un glissement flagrant d’une question
essentiellement formelle – rédaction des arrêts de condamnation – à une question de fond. Ceci
est d’autant plus intéressant que l’exigence de fond se trouve généralisée et non plus cantonnée
aux seuls crimes. La jurisprudence de cette époque suggère en effet une constitution duale de
toutes les infractions, en insistant sur l’importance de la volonté dans sa caractérisation. Un arrêt
de 1826 est à ce titre particulièrement significatif. La Cour y énonce que « le mot coupable y
est employé dans un sens complexe, qui exprime la MORALITÉ du fait en même temps que
sa MATÉRIALITÉ 82 , en même temps que son existence purement physique ». Elle y affirme
surtout que « c’est la moralité d’un fait, et non sa simple matérialité qui le constitue crime

77. Code d’instr. crim. art. 337. Comp. Code de proc. pén. art. 349, al. 1 : « Chaque question principale est posée
ainsi qu’il suit : « L’accusé est-il coupable d’avoir commis tel fait ? ».
78. Code d’instr. crim. art. 345.
79. L’intention n’était toutefois pas occultée, car la question sur l’intention était implicitement comprise dans
celle plus générale sur la culpabilité. V. R. Griffon, De l’intention en droit pénal, th. préc., p. 21.
80. Ibid.
81. Cass. crim. 26 janv. 1827, Bull. no 16. Reprenant les mêmes termes, v. égal. Cass. crim. 19 fév. 1859, Bull.
o
n 58. Cette formulation devient en fait très fréquente à partir des années 1820.
82. En majuscule dans l’arrêt.

52
Chapitre 1. La naissance de l’outil d’analyse

ou délit » 83 . La moralité est donc ici très expressément liée à la constitution de l’infraction,
que sa nature soit délictuelle ou criminelle 84 . Une telle position est au demeurant parfaitement
conforme à l’esprit de la loi de 1791. Dans cette loi, en effet, les motivations affichées quant à la
mise en place de la question relative à l’intention étaient d’insister sur la dimension morale des
infractions. La glose de la loi qui a déjà été mentionnée en atteste 85 . Or, si le Code d’instruction
criminelle ne mentionne pas expressément l’importance de la volonté dans la caractérisation
de l’infraction, la présentation faite par Barris avant la promulgation du Code d’instruction
criminelle et de son article 337, et reproduite par Monsieur Robert dans son célèbre article dédié
à L’histoire des éléments de l’infraction, contient, elle, en substance l’idée des deux éléments
constitutifs. Barris y affirmait que « tout délit se compose de deux éléments : d’un fait qui en
constitue la matérialité et de l’intention qui conduit à ce fait et en détermine la moralité » 86 .
L’idée qui sous-tend la règle procédurale demeure donc la même, mais du point de vue de la
jurisprudence, un glissement est nécessaire. Là où le Tribunal de cassation se concentrait sur un
problème purement formel, la Cour de cassation justifie elle la solution par la structure duale
de l’infraction. Cette structure impose une interprétation particulière du terme « culpabilité »,
celui-ci impliquant la volonté de l’auteur des faits.
Même si elle est d’abord d’ordre procédural, la solution qui s’affirme illustre ainsi une
conception duale de la structure infractionnelle. De l’exigence de principe d’une mention relative
à l’existence de l’intention, l’on glisse progressivement en jurisprudence vers l’affirmation de
l’existence de deux éléments constitutifs. Cette dernière fut très rapidement reprise et développée
par la doctrine afin de servir l’analyse de l’infraction.

83. Cass. crim., 13 mai 1826, Bull. crim., no 95.


84. La Cour de cassation n’a en effet pas recours à la présomption de plus en plus utilisée par la doctrine
en matière contraventionnelle, ce qui explique que malgré la généralisation de la structure duale aux délits, les
contraventions ne soient pas visées. Ainsi affirme-t-elle à propos d’une contravention qu’« il ne s’agit pas d’un délit
se composant de deux éléments, la matérialité du fait et l’intention coupable, mais d’une contravention punissable
du moment que le fait qui la constitue s’est réalisé, sans qu’il soit besoin de rechercher l’intention de celui qui la
commise ». Cass. crim., 15 sept. 1854, Bull. crim., no 284.
85. V. supra, no 40.
86. V. J.-H. Robert, « Histoire des éléments de l’infraction », art. préc. Monsieur Robert fait également état de
l’influence de la loi de 1791 et du Président Barris sur la jurisprudence de la Cour de cassation. Sur ce point, v.
égal. A.-C. Saphore, La jurisprudence criminelle de la Cour de cassation sous la Révolution et l’Empire, th. préc.,
p. 525. Barris a en effet été Président de la Chambre criminelle de 1806 à 1824.

53
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

Section 2 – Le développement par la doctrine des éléments constitutifs

47. Le développement d’une approche théorique – Alors que les deux éléments de
l’infraction s’imposent en jurisprudence et que l’importance de l’élément moral s’affirme, le
droit connaît une certaine évolution. Une conception théorique se développe qui, pour le droit
pénal plus particulièrement, encourage un approfondissement doctrinal de la matière. Outre
une dimension philosophique plus marquée 87 , les manuels de droit criminel s’intéressent par
conséquent davantage à la théorie générale et notamment à la notion de l’infraction.
Parce qu’ils permettent de manière particulièrement pédagogique d’approfondir et de
détailler son étude, les éléments constitutifs se révèlent fort utiles dans ce contexte et sont
par conséquent très largement utilisés par la doctrine. Les ouvrages de la seconde moitié du
XIXème siècle font ainsi de plus en plus appel à la dualité d’éléments dans l’étude et l’analyse
de l’infraction. Il ne s’agit alors plus seulement d’insister sur l’importance de sa dimension
morale, mais véritablement d’utiliser les éléments au service d’une définition plus avancée de
l’infraction. Elle est définie de manière générale, chacune de ses composantes faisant l’objet
d’une étude approfondie.
De cet effort d’approfondissement, et en raison du lien très ténu entre définition de
l’infraction et identification des éléments, résulte l’identification à la fin du XIXème siècle de
nouveaux éléments. Deux autres données fondamentales sont mises en lumière. La première,
qui rencontrera un certain succès, tient à l’exigence d’un texte de loi, la seconde, dont le statut
est davantage discuté, tient à l’absence de cause de justification.
Le développement des éléments comme outil doctrinal d’analyse de l’infraction (I), a ainsi
contribué à la découverte de nouveaux éléments au XIXème siècle (II).

§ 1. Le développement d’un outil doctrinal

48. Une utilisation au service de l’infraction – Les auteurs se sont assez rapidement
emparés des éléments mentionnés par la jurisprudence. La complémentarité du fait et de la
volonté est certes depuis longtemps admise en matière de responsabilité pénale, mais, initiale-
ment, elle n’est pas utilisée pour permettre d’analyser l’infraction. Progressivement, et par le
biais du recours aux éléments constitutifs, cette double exigence est mobilisée dans ce cadre
par la doctrine. Non seulement le recours aux éléments se développe considérablement et est

87. Sur les évolutions en la matière et sur un certain recul des développements philosophiques dans les manuels
contemporains, v. P. Poncela, « Droit de punir et pouvoir de punir, une problématique de l’État », Archives de
philosophie du droit, Philosophie pénale 1983, t. 28, p. 123.

54
Chapitre 1. La naissance de l’outil d’analyse

rapidement généralisé (A), mais en outre, l’analyse est systématisée. Ils permettent alors de
présenter l’infraction autour de règles valant pour l’ensemble des comportements incriminés.
L’essor des éléments constitutifs s’inscrit à ce titre dans une démarche de théorisation de
l’infraction (B).

A. La généralisation du recours aux éléments dans l’étude de l’infraction

49. La reprise des éléments constitutifs par la doctrine – Alors que l’utilisation des élé-
ments en jurisprudence s’impose, la doctrine prend elle aussi l’habitude de présenter l’infraction
à travers eux. Au départ, les éléments ont un sens relativement général. L’expression est utilisée,
mais sans prendre d’acception particulière. L’on trouve ainsi mention des éléments constitutifs
dans la Théorie du Code pénal de Chauveau et Hélie, ainsi que dans d’autres ouvrages
davantage dédiés à la dimension générale du droit pénal. À titre d’exemple, Trébutien explique
dans son ouvrage paru en 1854 qu’il existe « deux conditions essentielles et constitutives de
la criminalité ». Dans la marge, ces conditions sont désignées sous le vocable d’éléments 88 ,
terminologie faisant écho à l’expression utilisée par la Cour de cassation. Reste que le terme
« élément » ne semble pas prendre un sens spécifique et qu’il est possible de ne voir dans
cette tendance qu’un pur choix terminologique permettant de mettre en valeur la dualité de
l’infraction.
Toutefois, la présentation en éléments est par la suite systématisée par Molinier qui identifie
de la même manière un élément matériel et un élément moral dans tout fait incriminé 89 . La
construction doctrinale se développe alors rapidement, sous l’impulsion d’auteurs tels que
Villey, Lainé ou Garraud. Le premier affirme dans son ouvrage que « l’infraction se compose
de deux éléments : l’élément matériel et l’élément intentionnel » 90 , tandis que les deux autres
poussent plus loin la décomposition de l’infraction et parviennent à en identifier jusqu’à quatre 91 .
Aux deux précédents s’ajoutent alors les éléments légal et injuste.

50. Une complémentarité initialement éloignée de l’analyse de l’infraction – Or, chez


ces auteurs, il existe réellement une volonté d’étudier la structure interne de l’infraction grâce à
ses éléments constitutifs et de préciser par ce biais la teneur du comportement infractionnel,

88. E. Trébutien, Cours élémentaire de droit criminel, t. 1, A. Durand, 1854, p. 90.


89. V. Molinier, Traité théorique et pratique du droit pénal, annoté et mis au courant de la Législation et la
Jurisprudence les plus récentes par G. Vidal, t. 2, Arthur Rousseau, 1894, p. 30. Cet auteur serait le premier à
systématiser l’analyse. En ce sens, J.-H. Robert, « Histoire des éléments de l’infraction », art. préc. (Si le Traité
de Molinier est paru en 1894, son cours date pour sa part de 1850. V. Molinier, Programme du cours de droit
criminel fait à la Faculté de Toulouse, impr. de Bonnal et Gibrac (Toulouse), 1851.)
90. E. Villey, Précis d’un cours de droit criminel, op. cit., p. 95.
91. V. A. Lainé, Traité élémentaire de droit criminel, op. cit., p. 98, no 123, identifiant trois éléments et R.
Garraud, Traité théorique et pratique du droit pénal français, 3ème éd., op. cit., t. 1, p. 290, no 134, en identifiant
quatre.

55
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

ce qui n’était pas le cas avant. Antérieurement, le principe de la complémentarité du fait


et de la volonté était certes affirmé, mais cela n’aboutissait pas à une analyse véritablement
duale de l’infraction. Les ouvrages des criminalistes de l’Ancien régime ne contiennent en
effet pas véritablement d’étude générale. Ils sont, à cette époque, destinés essentiellement à
une étude « pratique » de la matière 92 . De ce fait, ils consistent en un exposé des différentes
règles applicables. Les infractions sont présentées succinctement et expliquées à travers des
illustrations jurisprudentielles et des considérations procédurales. Il est tout de même souvent
procédé à une rapide présentation générale contenant l’exposé de certains principes gouvernant
la matière pénale. À cette occasion est affirmée la double exigence du fait et de la volonté 93 .
Cependant, l’affirmation de principe ne conduit en rien à fournir un schéma d’analyse de
l’infraction. Elle a d’autant moins vocation à cela que la volonté est essentiellement appréhendée
négativement et se réduit souvent à un strict minimum 94 . De ce fait, dans la majorité des cas, la
volonté n’est ni précisée ni développée 95 . Ainsi, non seulement l’infraction, en son sens général
et abstrait, ne fait l’objet que de développements préliminaires, mais en outre, lors de l’étude des
différentes infractions, la moralité est grandement occultée 96 .
Il en sera d’ailleurs de même dans les études exégétiques du Code pénal de la première
moitié du XIXème siècle dans lesquelles, de la même manière, les auteurs s’attardent peu sur
la définition de la notion d’infraction et n’utilisent pas réellement la complémentarité entre
le fait et l’acte pour permettre une analyse des incriminations 97 . Dans la Théorie du Code
pénal, par exemple, les infractions sont essentiellement présentées à travers leurs différentes
conditions d’existence 98 . En outre, si l’on trouve bien sûr affirmé le principe selon lequel

92. Sur la dimension pratique des ouvrages de l’Ancien droit pénal, v. J.-M. Carbasse, Histoire du droit
pénal et de la justice criminelle, op. cit., p. 141, no 70. L’auteur met ainsi en garde le lecteur contre le « danger
d’anachronisme à plaquer sur l’Ancien droit criminel les catégories abstraites et nettes du droit contemporain de la
responsabilité pénale ».
93. Le Traité de Jousse illustre parfaitement cette tendance : la première partie du tome 1 traite très succincte-
ment du crime en général, de la participation aux infractions et des peines. Le reste du tome 1 et le tome 2 sont
ensuite consacrés à des points de procédure pénale. Quant aux tomes 3 et 4, ils sont relatifs à l’étude des différentes
infractions. La partie consacrée à l’équivalent du droit pénal général est ainsi particulièrement faible par rapport au
reste des développements.
94. V. supra, no 30.
95. Il est tout de même à noter que Les lois criminelles dans leur ordre naturel de Muyart de Vouglans contient
quelques développements relatifs à l’intention et un exposé des différents dols (op. cit. p. 10 à 19.). Mais il ne s’agit
pas réellement pour l’auteur de s’atteler à une analyse du crime comme concept. Le dol est appréhendé comme une
des causes produisant le crime (ce dernier devant être apprécié dans son fait, sa cause et son événement).
96. Hors les cas d’exigence marquée d’un dol spécial et les infractions involontaires caractérisées par une
faute d’imprudence, de négligence ou d’impéritie. V. par exemple P.-F. Muyart de Vouglans, Institutes au droit
criminel, op. cit., p. 513-514. Concernant les infractions où une intention particulière est exigée, il est fait mention
de cette intention, mais elle n’est pas développée outre mesure : v. par exemple s’agissant du meurtre par guet-apens
pour lequel il est simplement fait état de son caractère délibéré par trahison, D. Jousse, Traité de la justice criminelle
de France, op. cit., t. 3, p. 248.
97. V. J. Carnot, Commentaire sur le Code pénal, B. Warée, 1823–1824, ou J.-B. Duvergier, Code pénal
annoté, A. Guyot et Scribe éd., 1833.
98. Et ce, quand bien même le vocable employé est souvent celui d’éléments. V. infra, no 92.

56
Chapitre 1. La naissance de l’outil d’analyse

l’infraction se compose du fait et de la volonté, ce n’est qu’à l’occasion de développements


consacrés à la récidive et non pas au titre d’une définition générale et dédiée de l’infraction 99 .
Que l’infraction ne fasse pas l’objet d’une étude spécifique s’explique d’ailleurs assez facilement,
car ces ouvrages sont des études linéaires du Code pénal, c’est-à-dire article par article. Or, le
Code de 1810 ne contient pas de définition de l’infraction.

51. L’intérêt des éléments dans un contexte de subjectivisation – L’absence de réelle


approche théorique de l’infraction associée à la relativisation de l’importance de la volonté ne
permet donc pas la mise en place d’une analyse duale de celle-ci. Or, des courants doctrinaux plus
sensibles à une approche davantage subjective de la responsabilité pénale se développent dans
le courant du XIXème siècle. L’École éclectique notamment 100 tempère les excès de l’approche
classique en recentrant l’analyse sur la personne du délinquant 101 . La responsabilité morale
de celui-ci devient un élément central 102 , de sorte que la répression se conçoit moins de
manière objective. Aux conditions propres à l’imputabilité sont alors ajoutées des considérations
psychologiques plus importantes. L’infraction ne doit pas être seulement consciente, elle doit
être voulue 103 . Or, la dualité d’éléments constitutifs permet parfaitement d’insister sur cette
conception de la responsabilité pénale en mettant sur un pied d’égalité le fait et la volonté dans
la caractérisation de l’infraction 104 . La dualité d’éléments de l’infraction est donc affirmée, mais,
contrairement à la tendance antérieure, elle est surtout utilisée à la fois pour en encourager une
conception légèrement plus subjective et pour généraliser son analyse.

99. A. Chauveau et F. Hélie, Théorie du Code pénal, op. cit., t. 1, p. 305, no 196.
100. Sur les apports de cette doctrine par rapport à la doctrine classique, v. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit
criminel, op. cit., p. 113, no 62. Parmi les auteurs apparentés à ce mouvement, il est possible de citer Messieurs
Ortolan, Rossi et Cuche (ibid.). Ce mouvement est dit éclectique, car opérant un compromis entre les positions
de l’École classique et celles des positivistes. V. not. J.-A. Roux, Droit pénal et procédure pénale, op. cit., p. 12,
no 11, et P. Cuche, « L’éclectisme en droit pénal », Rev. pénit. 1907, juil–oct.
101. Même si la conception de la répression et les fonctions associées à la peine sont très différentes, les autres
courants doctrinaux qui se développent (École de la défense sociale et École positiviste) sont eux aussi axés sur la
personne du délinquant.
102. En ce sens, R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 113, no 62.
103. Ortolan insiste sur la faute (au sens large) qui doit s’ajouter à l’imputabilité. Cette faute est la mesure
de la culpabilité et doit être recherchée dans l’agent, non abstraitement dans les faits. V. J. Ortolan, Éléments
de droit pénal, op. cit., p. 102, nos 230 et s. Ortolan rompt ainsi avec les excès de l’utilitarisme de Beccaria.
Si la dimension morale de l’infraction est parfois limitée à sa plus simple expression (c’est-à-dire aux conditions
d’imputabilité), les différents degrés de volonté font l’objet d’études dédiées. V. not. E. Villey, « De l’intention en
matière pénale », La France judiciaire 1876, p. 1, retenant pour sa part une approche assez limitée de l’intention.
104. L’exigence de l’intention est parfois présentée comme dénuée de fondements techniques. Elle serait « le fruit
de l’équité ou de l’opportunité » (B. Mercadal, « Recherche sur l’intention en droit pénal », RSC 1967, p. 1) et
fondée sur des considérations scientifiques, morales et historiques (J. Hall, « Note sur les délits involontaires »,
RSC 1963, p. 328). Il est à noter que ce dernier auteur accorde une telle importance à l’intention en matière pénale
qu’il se prononce en faveur de l’élimination des délits involontaires de la sphère du droit pénal proprement dit.

57
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

B. La tentative de théorisation de l’infraction

52. L’infraction, objet d’étude – Peu à peu, les éléments constitutifs deviennent en
doctrine un outil au service de l’infraction. Ils ne servent pas uniquement à la qualification pénale
des faits, mais, de manière plus générale, ils permettent aux auteurs d’approfondir l’analyse de
l’infraction. Un lien très fort s’observe en effet entre les éléments et sa définition. Si certains
auteurs, à l’image de Garraud, en proposent une à partir des éléments identifiés 105 , il semble
que les éléments se déduisent de la définition générale de l’infraction, dont ils permettront par
la suite une analyse approfondie.
Il faut à ce titre préciser que le XIXème siècle est marqué par un mouvement de théorisation du
droit. La destination pratique des ouvrages en la matière se maintient durant la première moitié
du XIXème siècle où les analyses exégétiques du Code pénal sont particulièrement nombreuses 106 .
Ces analyses exégétiques répondent parfaitement à l’ambition pratique de l’enseignement au
début du Consulat, marqué par un fort besoin de reconstitution des professions judiciaires 107 .
L’enjeu de l’enseignement est alors de former des praticiens ayant une bonne maîtrise des codes
impériaux, sans que soit accordée de place réelle aux analyses théoriques et critiques du droit 108 .
Une évolution s’opère néanmoins dans le courant de la seconde moitié du XIXème siècle, dans
le contexte de théorisation et d’enrichissement de l’enseignement du droit. Notamment, le droit
administratif et son enseignement se développent, du même qu’une science du droit public 109 .

105. Garraud écrit en effet dans son précis : « En résumé, si l’on veut embrasser, dans une définition exclu-
sivement juridique, les éléments communs à toute infraction, on dira : c’est un fait, ordonné ou prohibé par la
loi à l’avance, sous la sanction d’une peine proprement dite, et qui ne se justifie pas par l’exercice d’un droit. »
R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 60, no 36. La définition de l’infraction est ainsi
la résultante des éléments identifiés par l’auteur, encore que Garraud fasse le choix d’une définition objective,
n’incluant donc pas la dimension morale alors pourtant que l’auteur y voit bien un élément de l’infraction.
106. Pour n’en citer que quelques-unes des plus connues, J. Carnot, Commentaire sur le Code pénal, op. cit. ;
A. Chauveau et F. Hélie, Théorie du Code pénal, op. cit. (la première édition date des années 1830. Il est toutefois
à noter que la démarche de ses auteurs est légèrement différente, car elle ne se veut pas purement exégétique.) ;
J.-B. Duvergier, Code pénal annoté, op. cit., et A. Blanche, Études pratiques sur le Code pénal, t. 3, Cosse et
Marchal, 1861, encore que ce dernier ouvrage soit légèrement postérieur.
107. M. Baldovini, La classification académique du droit, entre droit public et droit privé, sur un paradoxe de
la science du droit, 2009, Thèse, Caen, p. 343.
108. Monsieur Bonnecase explique ainsi que les professeurs devaient se contenter « du commentaire rigoureuse-
ment orthodoxe des Codes », l’objectif étant de « former des praticiens et non pas des jurisconsultes, des savants ».
J. Bonnecase, La pensée juridique française de 1880 à l’heure présente, ses variations et ses traits essentiels, t. 1,
Delmas éditeur, 1933, p. 234. Sur la conception napoléonienne des écoles du droit et ses conséquences sur les
méthodes d’enseignement, v. égal. M. Baldovini, La classification académique du droit, entre droit public et droit
privé, th. préc.
109. En ce sens, A. Esmein, Rapport présenté au conseil supérieur de l’Instruction publique sur un projet d’arrêté
portant réorganisation de l’agrégation des Facultés de droit, A. de Beauchamp, Recueil des lois et règlements
sur l’enseignement supérieur, 1889–1898, p. 607, p. 608. Antérieurement, l’enseignement du droit public était
fortement négligé, voire inexistant. Seul le droit pénal, alors encore une matière de droit public, était enseigné en
raison de sa dimension pratique très marquée, encore que son enseignement n’ait pendant longtemps pas fait l’objet
d’un cours dédié. Celui-ci était en effet partagé avec celui des procédures pénales et civiles. V. M. Baldovini, La
classification académique du droit, entre droit public et droit privé, th. préc., not. p. 343 et 348. Sur la place de
l’enseignement du droit public et du droit criminel, v. égal. J. Bonnecase, La pensée juridique française de 1880

58
Chapitre 1. La naissance de l’outil d’analyse

La matière juridique dans son ensemble est entrée dans le courant du XIXème siècle dans ce que
Esmein a appelé un « mouvement scientifique » 110 . En matière de droit pénal, le changement est
tout à fait perceptible dans les manuels qui deviennent davantage théoriques. L’exégèse est peu
à peu abandonnée au profit d’analyses critiques et théoriques qui s’inscrivent dans un renouveau
de la pensée juridique et de son enseignement 111 . Des développements préliminaires teintés de
considérations philosophiques relativement conséquents sont ainsi consacrés aux justifications
du droit de punir et aux fonctions du droit pénal. Cela se ressent également sur les notions
générales, dont l’étude est davantage approfondie. Dans ce contexte, l’infraction, entendue en
son sens général et abstrait, devient un objet d’étude à part entière 112 . Elle devient l’élément
central du droit pénal général et fait l’objet d’une étude détaillée, de sorte qu’il n’est plus
simplement fait état de certains principes généraux de la matière. Les auteurs s’efforcent ainsi
davantage d’en préciser la définition et la constitution.

53. L’approfondissement de la notion d’infraction – Ainsi, alors que Trébutien ne


définissait l’infraction que comme la résultante « d’un fait ou d’une omission prévue et punie
par une loi pénale française proprement dite », Villey affine lui l’analyse et va plus loin dans
le détail de ses caractéristiques. Il la définit comme « toute action ou inaction contraire à un
commandement posé par la loi sous une sanction pénale et qui ne se justifie pas par l’exercice
d’un droit » 113 . De cette définition, Villey déduit deux éléments 114 et deux conséquences 115 .
Non seulement la définition de l’infraction se précise, mais encore les éléments permettent-
ils de la détailler, car chaque élément est ensuite étudié de manière approfondie dans les ouvrages.
De manière générale, c’est ainsi la notion d’infraction que l’on tente de préciser via le recours
aux éléments 116 . Outil d’analyse, ils le sont alors de deux points de vue. Ils permettent tout
d’abord de généraliser la structure de l’infraction entendue abstraitement et s’insèrent de ce fait

à l’heure présente, op. cit., p. 237, ainsi que le rapport de A. Esmein préc.
110. A. Esmein, Rapport présenté au conseil supérieur de l’Instruction publique sur un projet d’arrêté portant
réorganisation de l’agrégation des Facultés de droit, op. cit., p. 608.
111. La préface du premier volume de l’œuvre de Messieurs Chauveau et Hélie atteste elle aussi de cette
mutation qui commence à voir le jour. Leur œuvre se situe en effet à la jonction de deux conceptions du droit
et de son enseignement. Les auteurs y expliquent ainsi qu’ils souhaitent réaliser un ouvrage à la fois exégétique,
destiné aux magistrats et praticiens, et à la fois théorique, ce qui explique notamment le choix du titre.
112. Le premier auteur à consacrer dans son ouvrage des développements conséquents à la notion d’infraction est
Rossi (P. Rossi, Traité de droit pénal, Barbezat et Cie, 1829), mais c’est essentiellement dans la seconde moitié du
XIXème siècle que la partie générale du droit pénal se développe et que l’infraction devient donc un objet d’analyse.
113. E. Villey, Précis d’un cours de droit criminel, op. cit., p. 62.
114. Ibid., p. 95.
115. Les deux conséquences sont que le fait ait été prévu par une loi (1), à laquelle l’individu devait obéissance
(2). Ibid., p. 62. Il s’ajoute à ces deux conséquences principales l’étude des faits justificatifs. Ibid., p. 82.
116. V. M. Fromont et H. Jescheck, Introduction au droit allemand, trad. par A. Rieg, t. 2, Cujas, 1984, p. 266.
Dans cet ouvrage, monsieur Jescheck explique que « le concept d’infraction est, dans la doctrine pénale allemande
comme française, précisée par un certain nombre d’éléments ».

59
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

dans une démarche de théorisation 117 . En outre, et de manière plus concrète, ils fournissent un
schéma d’analyse des textes d’incrimination 118 . De ce fait, les éléments constitutifs sont encore
aujourd’hui très largement utilisés pour servir de plan d’étude, tant de la notion d’infraction 119 ,
que des différentes infractions dans le cadre plus spécifique du droit pénal spécial 120 .

54. Conclusion : un outil au service d’une analyse générale – Parce que les deux
éléments mentionnés par la jurisprudence sont une constante en matière infractionnelle, ils
permettent à la fois une approche généralisée de l’infraction et un approfondissement de la notion
grâce à l’étude détaillée de sa structure. Le développement en doctrine des éléments constitutifs
a ainsi conduit à faire des éléments un outil au service de l’analyse de l’infraction. La démarche
d’approfondissement a du reste conduit les auteurs à identifier d’autres éléments. Parce qu’ils
sont déduits en doctrine de la définition de l’infraction, d’autres conditions fondamentales à son
existence ont été érigées en éléments constitutifs.

§ 2. L’identification de nouveaux éléments

55. L’adjonction des éléments légal et injuste – Un siècle après l’émergence des deux
éléments initiaux, la doctrine a déduit de la définition de l’infraction deux autres éléments.
Il ne s’agit pas ici de discuter la légitimité ou l’opportunité de ces éléments identifiés, mais
simplement de proposer un rapide état des lieux de l’approche traditionnelle de l’infraction. Le
nombre d’éléments pouvant être identifiés peut être fixé à quatre et inclut, outre les éléments
matériel et moral, l’élément légal et l’élément injuste.
Parce que l’exigence d’un texte d’incrimination est une condition sine qua non de la
répression depuis la Révolution, des auteurs ont érigé la légalité criminelle au rang d’élément
constitutif. Dans le même ordre d’idée, parce que l’absence de justification apparaît être
fondamentale à la possibilité de réprimer le comportement, l’injuste a été pareillement érigé en
élément de l’infraction. L’un comme l’autre n’ont pour autant pas emporté de véritable consensus
en doctrine. Reste néanmoins que l’analyse traditionnelle retient majoritairement la légalité au

117. À ce titre, Monsieur Robert s’interroge en ces termes : « L’analyse fondée sur les éléments de l’infraction
est-elle plus qu’une technique didactique, exprime-t-elle aussi, en droit pénal général, une théorie de l’infraction, est-
elle intimement liée à la nature de cette notion ? » J.-H. Robert, « Histoire des éléments de l’infraction », art. préc.
Si l’analyse française n’est jamais parvenue totalement à une théorisation de l’infraction à travers ses éléments, les
analyses allemande ou italienne ont elles très explicitement utilisé les éléments dans cette démarche.
118. V. infra, no 76.
119. V. not. P. Bouzat et J. Pinatel, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit., p. 141, nos 75 et s. ; Y.
Mayaud, Droit pénal général, 3ème éd., PUF, collection droit fondamental, 2010, p. 170, nos 161 et s. ; B. Bouloc,
Droit pénal général, op. cit., p. 97, no 99 ; F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, op. cit., p. 393,
nos 430 et s. ; M.-L. Rassat, Droit pénal général, op. cit., p. 276, no 249, etc.
120. Pour ne citer que quelques ouvrages, P. Conte, Droit pénal spécial, op. cit. ; V. Malabat, Droit pénal spécial,
op. cit. ; J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, op. cit. ; M. Véron, Droit pénal spécial, op. cit. ; M.-
L. Rassat, Droit pénal spécial, op. cit.

60
Chapitre 1. La naissance de l’outil d’analyse

titre des éléments de l’infraction (A), élément auquel est parfois (bien que plus rarement) ajouté
l’injuste (B).

A. La légalité érigée en élément

56. L’élément, outil de valorisation – S’agissant de l’élément légal de l’infraction – c’est-


à-dire de l’exigence d’un texte d’incrimination antérieur aux faits –, une remarque doit être
apportée. Outre que les éléments sont un outil de définition et d’analyse de l’infraction, ils
s’avèrent être aussi un outil de valorisation de certaines conditions particulières. Ceci est
parfaitement perceptible dans l’affirmation de l’élément moral de l’infraction, pour lequel
l’enjeu a pu être d’insister sur le caractère indispensable de la vérification de la volonté pour
caractériser l’infraction. Ceci se retrouve également dans le cas de l’élément légal dans lequel
le principe de légalité se trouve rappelé et mis en valeur.
Car ériger la légalité pénale en élément de l’infraction présente un intérêt évident, celui de
mettre en valeur le principe en insistant sur son aspect fondamental. Certes, les ouvrages anciens
présentaient déjà les différents aspects du principe de légalité, mais en établissant un lien entre
le principe et la caractérisation de l’infraction, les auteurs lui donnent une force et une valeur
particulière. Les développements liés à la légalité sont alors mis directement en relation avec la
caractérisation de l’infraction, ce qui permet d’insister sur les enjeux pratiques du principe. De
ce fait, l’élément légal s’avère être un moyen d’évoquer un principe fondamental. Il permet de le
mettre en valeur en insistant sur son caractère indispensable. L’élément légal sert ainsi à la fois
à insister sur l’importance pratique du texte d’incrimination, mais il est également en quelque
sorte le prétexte permettant le rappel tant des grands principes contenus dans la Déclaration des
Droits de l’Homme et du Citoyen que de l’évolution qu’a connu la répression pénale.

57. La déduction de l’élément légal de la définition de l’infraction – Au reste, l’identi-


fication de l’élément légal s’insère tout à fait dans la démarche suivie par les auteurs lorsqu’ils
identifient les différents éléments de l’infraction. Si les deux éléments initiaux 121 , moral et
matériel, ont été identifiés d’abord par la loi et la jurisprudence, l’élément légal est pour sa
part une construction purement doctrinale. Dès lors que les auteurs déduisent les éléments de la
définition de l’infraction, l’exigence d’un texte semble pouvoir être ajoutée aux deux éléments
déjà identifiés. L’admission de l’élément légal est une illustration de ce lien très particulier qui
a pu unir définition de l’infraction et éléments constitutifs.
Cet élément a fait son apparition dans le Traité de Lainé qui semble être le premier à

121. Le terme est ici employé à raison de l’ordre chronologique d’identification des éléments.

61
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

avoir envisagé l’exigence d’une loi comme un élément de l’infraction 122 . S’il est le premier
à ériger en élément constitutif la légalité, le choix opéré par Lainé se situe en fait dans le
prolongement de la présentation de l’infraction faite par Villey 123 . Ce dernier envisageait
lui les éléments constitutifs à travers une dualité stricte, bien qu’il déduisît de la définition
de l’infraction deux conséquences majeures. Villey explique ainsi que l’infraction est une
action ou inaction contraire à un commandement posé par la loi sous la menace d’une sanction
pénale 124 . De la première partie de sa définition, il déduit une conséquence, relative à l’exigence
d’un fondement légal 125 . La peine ne peut être infligée que si le fait était prévu et puni par la
loi, l’agent devant en outre obéissance à celle-ci 126 . Il consacre alors des développements à
l’application de la loi dans le temps et dans l’espace, mais sans analyser cette double exigence
comme élément de l’infraction.
Reprise par Lainé, l’analyse se modifie légèrement dès lors que cet auteur déduit pour sa
part de la première conséquence identifiée par Villey l’existence d’un élément constitutif. Ainsi,
selon lui, pour qu’un fait soit une infraction, « il faut qu’il ait été prohibé par la loi, sous la menace
d’une peine proprement dite, et à l’avance ». Et de conclure : « Voilà l’élément légal. » 127 . Il se
déduit donc de la définition de l’infraction, dont il conditionne l’existence légale.

58. Un élément inabouti – Pour Lainé, l’élément légal consiste très précisément en
l’existence d’une loi antérieure aux faits. Il semble se limiter à la simple affirmation selon
laquelle le juge ne peut prononcer de peine pour des faits non incriminés, l’interprétation de la
loi par le juge devant en outre être purement déclarative 128 . Cette approche restrictive se conçoit,
car elle résulte du constat selon lequel il n’y a pas d’infraction sans loi. L’étude de cet élément est
alors assez concise. L’auteur n’y consacre que quatre pages, ce qui est sans commune mesure avec
les développements consacrés aux deux autres éléments. Ainsi, si Lainé a envisagé le premier
la légalité comme un élément constitutif, son analyse ne semble pas totalement aboutie, et ce
d’autant plus qu’il renvoie l’étude de l’application de la loi dans le temps et dans l’espace à une
partie ultérieure.

122. En ce sens, J.-H. Robert, « Histoire des éléments de l’infraction », art. préc.
123. Ibid.
124. E. Villey, Précis d’un cours de droit criminel, op. cit., p. 62.
125. Une seconde conséquence, tenant à l’absence de justification, se retrouvera chez d’autres auteurs dans
l’élément injuste.
126. E. Villey, Précis d’un cours de droit criminel, op. cit., p. 62.
127. A. Lainé, Traité élémentaire de droit criminel, op. cit., p. 90, no 124.
128. Il explique rejoindre en cela l’opinion d’Hélie. Ibid., p. 102 no 127. L’on retrouve ici l’empreinte de la
conception classique du rôle des juges qui ne sont « que la bouche qui prononce les paroles de la loi, des êtres
inanimés qui n’en peuvent modérer ni la force, ni la vigueur » C.-L. Montesquieu, De l’Esprit des lois, Folio,
essais, 2005, Livre XI, chapitre VI, p. 243. Cette conception du rôle du juge était partagée avec Beccaria pour
qui le rôle du juge devait se limiter à la formulation d’un syllogisme. C. Beccaria, Traité des délits et des peines,
op. cit., p. 29.

62
Chapitre 1. La naissance de l’outil d’analyse

59. Le développement de l’élément légal – Ce fut grâce à Garraud que l’élément légal
put s’enrichir. Il reprit l’idée d’analyser l’incrimination comme un élément constitutif tout en
développant son contenu selon les développements proposés par Villey. L’auteur explique ainsi
que la déclaration de culpabilité implique quatre affirmations. La troisième tient à l’obligation
de vérifier « que l’acte était prévu et puni par la loi à laquelle [l’individu] devait obéissance » 129 .
L’élément légal de l’infraction consiste donc en l’existence d’une loi antérieure à laquelle l’agent
était soumis. Cette précision par rapport à l’analyse de Lainé permet d’élargir son contenu.
Garraud estime que son étude implique celle de l’application de la loi dans le temps et
dans l’espace, un premier propos étant en outre consacré à son interprétation 130 . En pratique,
l’élément légal impose au juge la vérification de l’existence d’une loi d’incrimination applicable
à l’agent. Dès lors, son étude nécessite fort logiquement, outre la vérification d’un fondement
légal, la vérification de ses conditions d’application.

60. La diffusion de l’élément légal en doctrine – Cette conception proposée par


Garraud a par la suite été celle suivie par la majorité des auteurs adhérant à l’élément légal 131
. Bien qu’il soit parfois discuté en doctrine en raison de son caractère préalable 132 , l’élément
légal a en effet reçu un accueil plutôt favorable et est venu compléter l’étude de la structure
interne de l’infraction dans de nombreux ouvrages. À la suite de Lainé et de Cuche, de
nombreux auteurs ont fait le choix de se rallier à une analyse tripartite de l’infraction, le troisième
élément tenant à l’élément légal. Figurent notamment parmi ces auteurs Monsieur Donnedieu
de Vabres 133 , Messieurs Merle et Vitu, 134 , Messieurs Stéfani et Levasseur 135 , Monsieur

129. R. Garraud, Précis de droit criminel, 1ère éd., Sirey, 1881, p. 67, no 148.
130. R. Garraud, Traité théorique et pratique du droit pénal français, 3ème éd., op. cit., p. 291, nos 136 et s.
131. V. not. H. Donnedieu de Vabres, Traité élémentaire de droit criminel et de législation pénale comparée,
3ème éd., Sirey, 1943, p. 47, nos 89 et s. ; P. Bouzat et J. Pinatel, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit.,
p. 142, nos 76 et s. Par la suite, la compréhension de cet élément a néanmoins évolué. V. infra, no 161. Quelques
nuances sont par ailleurs à relever et résultent notamment de l’intégration des faits justificatifs. Ainsi, Cuche
procède à la même étude que Garraud, mais réfutant l’élément injuste, il intègre les faits justificatifs à l’élément
légal, ceux-ci le paralysant. P. Cuche, Précis de droit criminel, 3ème éd., Petits précis Dalloz, 1929, p. 36, nos 29 et
s. et p. 53, no 50.
132. Sur ce point, v. infra, no 159.
133. H. Donnedieu de Vabres, Précis de droit criminel, op. cit., p. 25, no 64.
134. Encore faut-il nuancer la position de ces auteurs, car s’ils retiennent bien l’élément légal en tant qu’élément
constitutif, Messieurs Merle et Vitu réservent intégralement l’étude de l’élément moral à celle de la culpabilité,
l’excluant de ce fait de l’étude de la structure de l’infraction. Selon eux, l’élément moral ne concerne pas les faits,
mais le délinquant et est donc « étranger à la constitution morphologique de l’infraction » (R. Merle et A. Vitu,
Traité de droit criminel, op. cit., p. 372, no 318). De ce fait, ils se rapprochent des auteurs ayant une conception
objective de celle-ci et ne retiennent pas une division tripartite. V. infra, nos 227 et s.
135. G. Stéfani et G. Levasseur, Droit pénal général, op. cit., p. 106, no 84.

63
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

Bouloc 136 , Monsieur Mayaud 137 , ainsi que et Messieurs Conte et Maistre du Chambon 138 .

61. Une faible réception jurisprudentielle – Quant à la jurisprudence, sa position sur le


sujet est relativement incertaine. Une certaine réticence peut être observée. Car, outre le fait que
la Cour de cassation se contente le plus souvent de viser les éléments matériel et moral lorsqu’elle
évoque les éléments constitutifs 139 , des arrêts semblent suggérer l’absence d’adhésion de la Cour
à l’idée d’un élément légal. Alors que celui-ci est expressément visé par la cour d’appel ou dans
les moyens, la Cour de cassation a tendance à utiliser en réponse la formule générale désignant
les deux éléments traditionnels et donc à ne pas se prononcer sur l’existence de cet élément 140 .
Pour autant, la position de la Cour n’est pas certaine, et dans d’autres arrêts, à l’inverse, il est
fait expressément mention de l’élément légal et de sa vérification. Dans un arrêt récent, la Cour
de cassation a ainsi cassé pour violation de la loi un arrêt rendu par une juridiction de proximité
au motif « qu’à défaut d’élément légal les infractions ne pouvaient être constituées » 141 .
Toutefois, les arrêts portant explicitement sur l’élément légal restent limités, ce qui ne
permet pas d’affirmer avec certitude un éventuel prolongement jurisprudentiel à la proposition
doctrinale faisant de l’exigence d’un texte un élément constitutif. La reconnaissance de l’élément
légal est trop ponctuelle pour y voir une réelle admission de principe. Il est certain que la Cour
s’assure de l’existence d’un texte, mais il est bien moins certain qu’elle admette avec la doctrine,
en plus de l’élément matériel et de l’élément moral, un troisième élément tenant à la légalité.
Reste que, parce que l’existence d’un texte de loi est indispensable à l’existence d’une
infraction, une partie non négligeable de la doctrine admet que ce texte s’analyse en élément
constitutif de celle-ci. L’analyse majoritaire traditionnelle peut alors être considérée comme
étant celle retenant trois éléments constitutifs au sein de l’infraction, tenant à l’élément matériel,
l’élément moral et l’élément légal. À ces éléments s’ajoute parfois un dernier élément tenant à

136. B. Bouloc, Droit pénal général, op. cit., p. 101, no 101 (l’élément légal est traité séparemment) et p. 211,
no 223, (s’agissant des éléments matériel et moral).
137. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 21, no 10, dans une certaine mesure dès lors qu’il juge
l’expression d’élément légal maladroite, mais estime qu’elle traduit tout de même bien « la place dominante de
la loi dans ce qui est au cœur de la répression ».
138. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 129, no 219 et p. 172, no 300.
139. La formule fréquemment utilisée suggère une énumération limitative des éléments. La Cour vérifie en effet
que les juges ont caractérisé les infractions, « en tous [leurs] éléments, tant matériel que moral ». L’expression se
retrouve particulièrement fréquemment depuis les années 1965 : v. not. Cass. crim., 15 avril 2015, préc. ; Cass. crim.
27 nov. 2013, Bull. crim., no 239 ; Cass. crim. 21 juin 2011, Bull. crim., no 149 ; Cass. crim. 5 avr. 2005, Bull. crim.,
no 118 ; Cass. crim. 7 oct. 1997, Bull. crim., no 324 ; Cass. crim. 12 déc. 1983, Bull. crim., no 337, Cass. crim. 6 déc.
1967, Bull. crim., no 315.
140. V. par ex. Cass. crim., 7 juin 1995, no 94-84.336 ; Cass. crim., 15 oct. 1998, no 97-83.580 ; Cass. crim., 19
mai 2010, no 09-82.287.
141. Cass. crim. 28 mai 2013, no 12-86.078. Comp. Cass. crim. 2 juin 1993, Bull. crim., no 198, qui, s’agissant du
délit d’importation sans déclaration de marchandises prohibées, reproche à une Cour d’appel de n’avoir pas vérifié
si « l’élément légal de la prévention au regard du caractère prohibé de la marchandise ne s’en trouvait pas modifié
et, le cas échéant, si les faits n’étaient pas susceptibles de recevoir une qualification différente ».

64
Chapitre 1. La naissance de l’outil d’analyse

l’injuste. Cet élément a connu bien moins de succès que les trois autres, mais un état des lieux de
l’analyse traditionnelle impose de revenir rapidement sur son admission, dès lors qu’une partie
de la doctrine y adhère, soit qu’il s’ajoute aux trois autres éléments, soit qu’il se substitue à
l’élément légal.

B. L’injuste, élément discuté de l’infraction

62. Quatrième élément de l’infraction – L’émergence de l’élément injuste en France est


contemporaine à celle de l’élément légal. Sa paternité est attribuée à Garraud qui a déduit
de la définition de l’infraction l’existence de quatre éléments. Le quatrième élément identifié
correspond en fait à ce qui ne relevait pour Villey que d’une des conséquences de cette
définition : l’absence de cause de justification. Issu d’un concept allemand parfaitement positif
relatif à l’antijuridicité de l’acte infractionnel (1), la conception française de l’injuste le réduit
paradoxalement à une approche essentiellement négative (2).

1. L’antijuridicité en doctrine allemande

63. Les éléments de l’infraction en doctrine allemande – En doctrine allemande, l’in-


fraction, pour exister, doit être antijuridique, de sorte que l’antijuridicité est admise au titre
des éléments de l’infraction 142 . Plus précisément, l’infraction se définit en Allemagne comme
un comportement typique, antijuridique et coupable. La typicité renvoie à l’exigence d’un
fondement légal à la répression. Elle s’entend toutefois plus largement que notre élément légal.
En effet, outre l’exigence d’un texte, c’est la conformité du comportement avec les prévisions
légales qui est exigée au titre de la typicité. Quant à l’antijuridicité, elle renvoie au caractère
injuste de l’acte accompli. L’infraction n’est pas simplement perçue en droit allemand comme
un acte contraire au droit, elle est aussi une atteinte à l’intérêt protégé par le texte. S’assurer
de l’antijuridicité du comportement consiste par conséquent à vérifier qu’il était effectivement
contraire à cet intérêt. Schématiquement, la qualification dans l’analyse allemande conduit donc
à apprécier l’action au sens large (soit dans sa matérialité et dans sa moralité) pour en apprécier

142. Le législateur allemand a lui-même précisé qu’en cas de légitime défense ou d’état de nécessité, les faits
« ne sont pas antijuridiques », consacrant par là même la théorie de l’antijuridicité. En ce sens, J. Walther,
L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 95, citant le Code pénal allemand. La notion,
essentielle en doctrine allemande, a néanmoins fait l’objet de débats quant à son statut, certains auteurs estimant
que l’antijuridicité relèverait davantage de l’essence de l’infraction que de sa constitution. V. L. Jimenez de Asua,
« L’antijuridicité », RIDP 1951, p. 273, citant Monsieur De Marsico. Selon ce dernier, l’antijuridicité ne devrait pas
s’analyser en un élément du délit car elle ne se trouve pas en décomposant le délit dans ses éléments de structure. Elle
serait un caractère du délit, perceptible dans chacun de ses éléments et dans l’ensemble du délit. Monsieur Jimenez
de Asua conteste pour sa part cette position. Selon lui, l’injuste est bel et bien un élément du fait punissable et ne
relève pas de son essence spécifique.

65
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

la typicité (Tatbestandsmässigkeit) et l’antijuridicité (Rechtswidrigkeit) 143 . Enfin est appréciée


la responsabilité de l’auteur. Comme en doctrine française, les éléments subjectifs sont donc
partagés entre l’analyse de l’action et de la responsabilité de l’agent. Par ailleurs, l’appréciation
de l’action n’est pas véritablement autonome 144 . Elle entretient un lien très fort avec la typicité,
puisqu’en appréciant l’action, l’on s’interroge sur sa typicité et inversement (analyser la typicité
du comportement, c’est s’assurer que l’action accomplie correspond bien à l’action incriminée).
Dans son acception matérielle, l’exigence d’antijuridicité 145 conduit schématiquement à
vérifier non seulement que le comportement est contraire à la norme 146 , mais également qu’il
porte atteinte au bien juridique protégé par l’incrimination 147 .

64. L’antijuridicité, élément positif de l’infraction – De cette imbrication de l’atteinte


au bien et de la contrariété à la norme vient en Allemagne la théorie de la justification. En effet,
un comportement peut être contraire à la norme sans pour autant porter atteinte au bien juridique
s’il ne mérite plus la protection qui lui était accordée, plusieurs biens juridiques entrant alors en
conflit 148 . Dans ce dernier cas, l’acte sera conforme à l’ordre social, la conduite de l’agent n’étant
pas opposée à la société. N’étant pas antijuridique, le comportement ne sera donc pas constitutif
d’une infraction. Dans le cas où des valeurs entreraient en conflit, l’ordre social impose en effet
de sacrifier la valeur moindre pour que survive la valeur supérieure 149 .
Bien que lié à la théorie de la justification, l’élément antijuridique n’en est pas moins un
élément parfaitement positif de l’infraction 150 . Selon cette théorie, il n’y a ainsi pas seulement
justification de l’infraction, il y a plus largement obstacle à sa constitution, car l’antijuridicité
en est un élément essentiel. Or, la construction française de l’injuste n’a repris que ce second
aspect de la doctrine allemande. Elle n’envisage l’antijuridique qu’à travers sa conséquence, ce
qui explique sa dimension exclusivement négative.

143. Pour une présentation schématique de l’infraction, v. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé
franco-allemand, th. préc., p. 11. Cette analyse, retenue par von Listz (F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand,
op. cit., not. p. 169, nos 26 et s.), est présentée par Monsieur Walther comme étant la plus communément admise.
144. En ce sens, J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 9.
145. V. infra, no 175.
146. Il s’agit là de l’aspect formel de l’antijuridicité.
147. Le concept de bien juridique peut être rapproché de notre conception de la valeur protégée.
148. J.-H. Robert, « Histoire des éléments de l’infraction », art. préc., exposant la théorie de Binding et du même
auteur, Droit pénal général, 6ème éd., PUF, Thémis droit, 2005, p. 250. Le conflit est alors entendu relativement
aux différents biens juridiques en présence, et non simplement, comme la conception française le suggère, entre
différentes normes.
149. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 77. L’antijuridicité
matérielle serait de ce fait le fondement dogmatique de l’analyse allemande de la justification et aurait permis la
naissance de la justification par l’état de nécessité, admise comme fait justificatif depuis une décision du Tribunal
d’Empire du 11 mars 1927. Ibid., p. 78 et s.
150. Il faut néanmoins préciser qu’il fait l’objet d’une présomption. Ibid., p. 193.

66
Chapitre 1. La naissance de l’outil d’analyse

2. La conception négative de l’élément injuste

65. La réception de l’injuste par Garraud – Garraud est le premier à introduire dans
l’analyse française l’injuste 151 . Dans la première édition de son précis, l’auteur explique la
notion d’infraction et identifie en son sein un élément injuste tenant au fait que l’acte « ne se
justifie pas par l’exercice d’un droit » 152 . Cette définition, qui sera maintenue dans les éditions
ultérieures de ses ouvrages ne fait ainsi pas directement état de l’antijuridicité de l’acte 153 . Il est
simplement expliqué qu’un fait peut devenir juste dans certaines circonstances faisant disparaître
son caractère délictueux 154 .

66. Une réception parcellaire – Lorsqu’il envisage l’élément injuste, Garraud ne le fait
ainsi qu’à travers une de ses conséquences – la justification de l’acte – sans exploiter la subtilité
de la pensée allemande faisant de la valeur protégée une composante de l’infraction. C’est
cette seule conséquence qu’il érige en élément, élément exclusivement négatif dès lors qu’il
ne tient qu’à l’absence de justification. Ce choix peut s’expliquer par la conception française de
l’infraction 155 qui s’entend davantage comme une violation de la loi que comme une atteinte 156 .
Il a, quoi qu’il en soit, contribué à imprégner l’injuste en France d’un caractère exclusivement
négatif.
En effet, les auteurs qui ont à sa suite repris l’idée d’un élément injuste se sont conformés à
l’analyse de Garraud 157 , sans réellement s’intéresser à sa justification profonde et à la notion
d’antijuridicité 158 . Madame Rassat explique par exemple dans son ouvrage qu’à côté des deux

151. La notion d’injuste est déjà présente chez Rossi pour qui l’infraction se définit comme un acte en violation
d’un droit. L’auteur, d’origine italienne, fait donc entrer dans une certaine mesure l’antijuridicité en droit français,
sans toutefois en faire un élément constitutif dès lors qu’il ne procède pas à une analyse de l’infraction à travers des
éléments constitutifs. P. Rossi, Traité de droit pénal, op. cit., p. 5 puis p. 10 et s.
152. R. Garraud, Précis de droit criminel, 1ère éd., op. cit., p. 67, no 148.
153. Garraud n’utilise dans ses ouvrages l’antijuridicité que de manière timide à partir de la seconde édition
du Traité et sa présentation de l’élément injuste reste profondément négative. V. R. Garraud, Traité théorique et
pratique du droit pénal français, 2ème éd., Librairie de la société du recueil général des lois et des arrêts et du journal
du Palais, 1898, t. 1, p. 166, no 90.
154. R. Garraud, Traité théorique et pratique du droit pénal français, 1ère éd., t. 1, Librairie de la société du
recueil général des lois et des arrêts et du journal du Palais, 1888, p. 123, no 80.
155. En ce sens, M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc.,
p. 351, no 551.
156. Ibid., p. 104, nos 169 et s.
157. V. not. P. Garraud et M. Laborde-Lacoste, Précis élémentaire de droit pénal, 4ème éd., Recueil Sirey, 1943,
p. 44, no 77 ; J. Larguier, P. Conte et P. Maistre Du Chambon, Droit pénal général, 22ème éd., Mémentos Dalloz,
série droit privé, 2014, p. 58 et s. ; P. Salvage, Droit pénal général, 8ème éd., Presse universitaire de Grenoble, 2016,
p. 61, no 108 ; J. Verhaegen, « Le fait qualifié infraction » in Mélanges offerts à Robert Legros, Éd. de l’Université
de Bruxelles, 1985, p. 749. Retenant l’exception de bonne foi dans la diffamation au titre de l’élément injuste, v.
également P. Conte, « La bonne foi en matière de diffamation, notion et rôle » in Mélanges offerts à A. Chavanne,
litec, 1990, p. 49. La dimension de l’élément injuste reste également chez cet auteur éminemment négative, la bonne
foi permettant de ne pas retenir l’infraction en raison de son caractère légitime. L’élément injuste tiendrait alors,
outre l’absence des faits justificatifs « classiques », à cette absence de bonne foi.
158. Dans les ouvrages de droit pénal général, il n’y a guère que Messieurs Robert et Pin qui consacrent des
développements fournis à l’antijuridicité et traitent les causes de justifications dans le prisme de cette notion. V. X.

67
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

éléments positifs de l’infraction, il existe un élément négatif tenant à l’absence de justification.


Et de poursuivre qu’en cas de fait justificatif, l’infraction ne peut être poursuivie en raison
du fait « qu’elle ne se forme pas à défaut d’un de ses éléments rationnels » 159 . Cet élément
est ainsi un élément « proprement négatif [et] constitué par l’absence de toute cause légale de
justification » 160 .

67. Le caractère minoritaire de l’admission de l’injuste – Cet aspect négatif de l’élé-


ment injuste explique en partie le faible intérêt suscité par la doctrine à son égard, d’autant
que, outre un certain double emploi avec l’élément moral 161 , bon nombre d’auteurs retenant
l’élément légal considèrent qu’en présence d’un fait justificatif, c’est l’élément légal – et non
pas un éventuel élément injuste – qui se trouve paralysé. Les causes objectives de justification
seraient en effet liées à la légalité en ce qu’elles sont des circonstances enlevant « son caractère
illégal à un acte dommageable volontaire » 162 . L’acte n’est alors pas analysé pour sa contrariété
avec l’ordre social, mais davantage pour sa contrariété avec la loi.
Sans doute en raison de ce double emploi, les rares auteurs admettant l’élément injuste
rejettent dans le même temps l’élément légal. Ils conservent alors une division tripartite de
l’infraction, mais le troisième élément sera relatif à l’injuste 163 . Seuls quelques auteurs, encore
plus rares, admettent le cumul des deux éléments et optent alors comme Garraud pour une
division de l’infraction en quatre éléments 164 . En raison de la faible réception de l’injuste en
doctrine française, il est donc possible d’affirmer que majoritairement l’analyse traditionnelle

Pin, Droit pénal général, op. cit., p. 218, nos 223 et s., et J.-H. Robert, Droit pénal général, op. cit., p. 250, ce dernier
retenant l’antijuridicité pour elle-même, et non à travers l’idée de l’élément injuste. Pour une admission de l’injuste
dans sa dimension positive comme négative comme élément de l’infraction, v. égal. J. Walther, L’antijuridicité
en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 157 et s., et M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien
juridique protégé par le droit pénal, th. préc., spéc. p. 350, nos 551et s. D’autres auteurs mentionnent également
l’antijuridicité, mais sans la développer outre mesure. V. J.-P. Doucet, « La condition préalable à l’infraction »,
art. préc., p. 97, ou Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 421, no 399, qui envisage pour sa part les faits
justificatifs comme rendant l’acte conforme à l’ordre public. V. égal. G. Stéfani et G. Levasseur, Droit pénal
général, op. cit., p. 106, no 84. Les auteurs mentionnent bien l’antijuridicité dans sa conception allemande, mais
estiment que l’élément injuste, même à travers la notion d’antijuridicité, se confond avec l’élément légal. Dans le
même sens, A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., p. 150.
159. M.-L. Rassat, Droit pénal général, op. cit., p. 273, no 230.
160. R. Vouin, Manuel de droit criminel, op. cit., p. 148, no 231 puis p. 173, no 261. Pour cet auteur, cet élément
peut-être considéré comme une composante spécifique de l’élément moral, ce qui le conduit à admettre la possibilité
de l’élément injuste, mais à ne pas l’ériger en élément autonome.
161. V. ibid. Pour une analyse des faits justificatifs comme obstacle à l’imputabilité dans le prisme de la contrainte,
v. égal. C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 161, nos 153 et s. V. égal. F. Rousseau,
L’imputation dans la responsabilité pénale, 2009, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, p. 169, nos 149 et s.
L’auteur ne se place pas dans le cadre de la contrainte, mais propose l’idée d’un motif légitime comme fondement
aux faits justificatifs. Les faits justificatifs seraient alors également des causes de non-imputabilité. Il faut noter que
la place de l’imputabilité dans le schéma infractionnel diffère entre ces deux auteurs.
162. P. Cuche, Précis de droit criminel, op. cit., p. 53, no 50.
163. Parmi ces auteurs, v. M.-L. Rassat, Droit pénal général, op. cit., et X. Pin, Droit pénal général, op. cit.
164. V. not. P. Salvage, Droit pénal général, op. cit., p. 17, no 29.

68
Chapitre 1. La naissance de l’outil d’analyse

de l’infraction conduit aujourd’hui à étudier celle-ci à travers ses éléments légal, matériel et
moral tout en rejetant l’élément injuste.

* *
*

68. Conclusion du Chapitre 1 : un outil d’analyse de l’infraction et des infractions –


Ce rapide état des lieux a permis de revenir sur la division traditionnelle de l’infraction en trois
éléments. Traditionnelle, l’analyse l’est devenue en raison des intérêts majeurs que présentait
cette approche. Il en effet possible de trouver dans le contexte historique du XIXème siècle les
explications du très fort retentissement de l’affirmation jurisprudentielle selon laquelle l’infrac-
tion se constitue de deux éléments, l’un matériel, l’autre moral. Ces explications tiennent à la fois
au développement de la dimension générale du droit pénal et à l’affirmation d’une conception
plus subjective de la responsabilité. Dans un tel contexte, le recours aux éléments constitutifs se
révélait particulièrement utile. De par son aspect didactique, la distinction entre deux éléments
a permis aux auteurs d’expliciter la notion d’infraction en généralisant sa structure. En outre,
parce que leur identification est la résultante d’une volonté affichée de valorisation de la volonté
dans la caractérisation de l’infraction, elle répondait parfaitement aux attentes d’une approche
plus subjective de la responsabilité.
L’écho doctrinal de la présentation jurisprudentielle fut ainsi très fort. Dès la fin du
XVIIIème siècle, les auteurs adhèrent très majoritairement à cette approche. L’affirmation selon
laquelle l’infraction est composée d’un élément matériel et d’un élément moral devient ainsi
tout à fait classique. La dualité d’éléments a cependant été très rapidement dépassée. Si certains
auteurs ne retiennent encore aujourd’hui que l’élément matériel et l’élément moral 165 , la
doctrine majoritaire opte pour une division tripartite de l’infraction. L’élément légal est venu
s’ajouter aux deux précédents, le plus souvent au détriment de l’élément injuste avec lequel
il tend à faire double emploi. Cette identification découle assez directement des définitions
proposées de l’infraction, mais étonnamment, elle n’en retranscrit pas toutes les données. Car
si l’incrimination (qui est aussi un élément technique de définition) est devenue un élément
constitutif, la peine, elle, bien que techniquement tout aussi fondamentale à la qualification
infractionnelle d’un comportement, est restée en marge des éléments, sans doute parce qu’elle
n’en est que l’effet. Elle ne participe pas d’une conception particulière de l’infraction. Il reste
que l’identification de ces deux nouveaux éléments rend moins lisible la fonction de l’outil. Ils

165. V. not. A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., et F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général,
op. cit.

69
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

apparaissent davantage comme un instrument de valorisation de certaines données, mais leurs


liens avec la définition de l’infraction sont aussi confus que leurs liens avec le comportement
infractionnel auquel ils étaient initialement liés.
En définitive, ce rappel historique est un point de départ quelque peu incertain à l’identifi-
cation des éléments constitutifs. Certes, il a permis de revenir sur l’intérêt des éléments, mais
aussi – et de manière bien plus intéressante au regard de l’enjeu d’identification – de dégager une
idée de ce qu’ils sont et de leur source. Ils apparaissent comme des données communes à toutes
les infractions, car inhérentes à leur structure. Par suite, ils se déduisent logiquement – mais
partiellement – de la définition générale de l’infraction, qu’ils permettent d’affiner. Leur intérêt
est donc double : préciser la notion, mais aussi systématiser la caractérisation des infractions.
C’est en cela qu’ils sont un outil d’analyse, aussi bien de l’infraction que des infractions. Il
reste que si ces premiers constats sont fondamentaux et ne doivent pas être perdus de vue,
l’identification des éléments n’est aujourd’hui pas si simple, ne serait-ce qu’à raison de la
diversification des éléments généraux. L’outil a, dans un sens, été victime de son succès. Outre
le fait que les trop nombreuses variations doctrinales se révèlent être la résultante d’une certaine
insuffisance de l’outil, les éléments constitutifs sont utilisés en doctrine à profusion. Une telle
omniprésence est forcément néfaste. Elle affecte l’identité et l’efficacité de l’outil, conduisant à
une certaine dénaturation de leur nature première.

70
Chapitre 2

La dénaturation de l’outil d’analyse

69. L’ambivalence du terme constitutif – On l’a vu, les éléments constitutifs paraissent
intimement dépendants de la structure générale de l’infraction et de la définition de la notion.
Constitutifs, ils le sont alors en ce qu’ils révèlent la substance de l’infraction, la manière dont
elle est composée. S’ils permettent l’analyse des infractions (et incriminations), c’est avant tout
parce qu’ils découlent de la nature même de l’infraction, prise en son sens général et abstrait.
L’analyse qu’ils permettent est alors généralisée et ordonnée. Elle suit un schéma prédéfini qui
s’adapte aussi bien à l’approfondissement de la définition de l’infraction qu’à la qualification
des comportements.
La dualité initiale d’éléments ainsi que le développement par la doctrine de l’outil s’inscrit
dans cette approche et cette compréhension du terme constitutif. Mais une autre utilisation
des éléments existe. La démarche de généralisation n’est pas toujours suivie en doctrine, pour
être parfois supplantée par une analyse spéciale, qui résulte sans doute des enjeux propres à
l’étude et à la caractérisation des différentes infractions. Les éléments permettent dans certains
cas de dégager les différentes exigences des textes ou les particularités de certaines catégories
d’infraction présentant un élément constitutif propre. Les éléments sont alors constitutifs tout
simplement parce qu’ils entrent dans la constitution de l’infraction considérée et que leur
vérification est imposée par le principe de légalité.

70. Les éléments, des conditions indispensables – Cette seconde acception sous-tend
beaucoup d’analyses et plus généralement l’approche retenue en droit pénal spécial. Le triptyque
est souvent délaissé au profit d’une énumération des conditions 166 indispensables à la caracté-
risation des infractions. Cette utilisation des éléments est néfaste. Elle tend à leur faire perdre
toute identité et toute spécificité, parce qu’ils n’apparaissent pas toujours comme le reflet de la
structure générale de l’infraction. Elle peut néanmoins trouver une explication dans la distinction

166. Le terme est employé ici dans un sens commun, comme ce qui conditionne, sans avoir égard à la particularité
temporelle de la condition par rapport à l’élément.

71
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

proposée en doctrine entre les éléments généraux – communs à toutes les infractions – et les
éléments spéciaux – propres à chaque infraction. La justification est séduisante. Elle permet de
conserver l’idée d’une structure commune, tout en expliquant la démultiplication des éléments
identifiés dans l’analyse des différents textes d’incrimination. Bien que séduisante, elle n’est
toutefois pas probante, parce qu’elle ne permet ni d’expliquer les nombreuses incohérences qui
demeurent, ni les différences de traitement entre les données exigées dans les textes. Surtout,
les éléments se trouvent privés de la fonction initiale de systématisation que l’on pouvait leur
pressentir. Leur utilité, alors toute relative, se cantonne au seul droit pénal général.
L’inconstance dans l’utilisation des éléments et dans la compréhension de leur caractère
constitutif entraîne une importante remise en cause de l’intérêt des éléments comme outils. En
perte d’identité (Section 1), les éléments sont aussi en perte d’utilité (Section 2).

Section 1 – La perte d’identité des éléments

71. Un outil polymorphe – L’utilisation des éléments constitutifs en doctrine illustre la


polymorphie de l’outil. Les caractéristiques des éléments et la compréhension de leur caractère
constitutif dépendent de la démarche suivie par les auteurs. Lorsque celle-ci tient à un effort
de généralisation de l’analyse de l’infraction et des incriminations, les éléments s’inscrivent
aussi dans une démarche générale de théorisation de l’infraction. Ils présentent alors des
caractéristiques particulières et leur identification est directement dépendante de l’acception
retenue de l’infraction. Cette démarche de généralisation s’observe toujours parfaitement en
droit pénal général, où les éléments permettent une étude de l’infraction et en révèlent la structure
invariable. Mais elle est souvent supplantée par une démarche de spécialisation, aussi bien dans
l’étude plus spécifique de certaines catégories d’infractions, que dans l’analyse des différents
textes d’incrimination. En effet, lorsque l’enjeu de l’analyse se concentre sur les particularités
de chaque infraction, les éléments constitutifs permettent essentiellement – voire exclusivement –
d’énumérer les différentes conditions requises par les textes. L’identité des éléments ainsi que
la compréhension de l’outil est donc variable et l’expression ne semble pas toujours renvoyer
à la même chose, selon que les éléments sont mobilisés dans le cadre d’une démarche de
généralisation de l’étude ou dans le cadre d’une démarche de spécialisation. L’identité des
éléments de l’infraction (I) ne recoupe donc pas l’identité des éléments des infractions (II).

72
Chapitre 2. La dénaturation de l’outil d’analyse

§ 1. L’identité des éléments de l’infraction

72. Des éléments indispensables, car inhérents à l’infraction – Dans une démarche
de généralisation, les éléments sont intimement dépendants de la nature du comportement
infractionnel et de la définition de l’infraction. La conception retenue de l’infraction s’imprime
sur sa structure – ou inversement. Les éléments sont indispensables à la caractérisation des
infractions, avant tout parce qu’ils en révèlent la substance. Ils se distinguent par conséquent
par leur caractère commun à toutes les infractions, quelles que soient par ailleurs les spécificités
de ces dernières.
À cette première caractéristique, il a pu plus récemment en être ajoutée une seconde
insistant particulièrement sur le fait que l’infraction est avant tout un comportement. Il a alors
été remarqué que certaines données, bien qu’indispensables à la caractérisation d’une infraction,
ne dépendaient pas directement de l’activité et ne pouvaient donc s’apparenter à un élément
constitutif de l’infraction-comportement. Les éléments constitutifs présenteraient donc cette
double spécificité d’être à la fois communs à toutes les infractions (A), et à la fois internes
et contemporains au comportement infractionnel (B).

A. Des éléments communs aux infractions

73. L’importance du caractère commun – Dès lors que les éléments identifiés résultent
de la nature de l’infraction, ils présentent forcément pour caractéristique d’être communs à toutes
les infractions. Le triptyque répond tout à fait à cette logique. Dans ce prolongement, d’autres
éléments ont également pu être proposés, soit à partir de la nature constatée de l’infraction, soit à
partir d’une certaine approche de l’infraction. Le caractère commun se révèle alors déterminant
dans l’identification de tels éléments (1). Ils sont en quelque sorte la mesure de l’infraction
et en révèlent la substance. C’est à ce titre qu’ils en sont constitutifs et qu’ils permettent une
systématisation des analyses (2).

1. Le caractère commun, déterminant dans l’identification des éléments

74. Le caractère commun justifiant de nouveaux éléments – Issus de la définition


générale de l’infraction, les éléments constitutifs se caractérisent essentiellement si ce n’est
exclusivement par leur caractère commun. C’est lui qui sera déterminant dans le statut à accorder
à certaines données et qui justifiera qu’elles puissent, ou non, être érigées en éléments autonomes.
Les quatre éléments dégagés par la jurisprudence et la doctrine répondent parfaitement à ce
caractère. Mais d’autres éléments ont pu être proposés, justement à raison de leur généralité.
Ainsi, des auteurs plaident en faveur d’un élément antijuridique qui serait une version positive
de l’injuste et qui imprimerait à l’infraction une conception particulière : elle serait un compor-
73
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

tement volontaire portant atteinte ou mettant en danger une valeur essentielle à la société. Par
conséquent, la caractérisation des infractions se ferait aussi au regard de leur antijuridicité 167 .
Toujours au regard d’une approche générale et systématique de l’infraction, il a également
pu être proposé l’identification d’un élément temporel. L’importance de la condition temporelle
a parfois été relevée en doctrine 168 , mais tout en demeurant liée à l’élément matériel et seulement
pour certaines infractions 169 . Selon Monsieur Saenko, le temps pourrait pourtant être un
élément de l’infraction dès lors que « l’infraction pénale, avant d’être la réunion d’une matérialité
et d’une intentionnalité, est d’abord et avant tout une structure temporelle : elle est un fait de
l’homme accompli au cours du temps mathématique » 170 . Cet élément, dépendant de la nature
de l’infraction, consisterait dans « le moment de la punissabilité de l’infraction, c’est-à-dire
l’espace de temps mathématique dans lequel [...] les éléments matériel et moral doivent être
accomplis » 171 . Commun à toutes les infractions et utile à la qualification pénale des faits, cet
élément dépendrait donc de la constitution de l’infraction au même titre que la matérialité ou la
moralité. Fondamental, il fixerait en effet des frontières et déterminerait par conséquent l’espace
de temps au cours duquel les faits qui sont commis peuvent recevoir une qualification pénale 172 .

75. Le caractère commun, exclusif de l’autonomie de certaines données – À l’inverse,


certaines données, bien qu’exigées dans certaines incriminations, ne seront pas considérées
comme des éléments autonomes, justement parce qu’elles ne sont pas systématiques. C’est le
cas notamment des mobiles.
Par mobiles, il faut entendre les motifs ayant poussé l’agent à agir comme il l’a fait 173 .
En principe, ces mobiles sont parfaitement étrangers à la caractérisation des infractions. Ils
n’influent pas sur l’existence de l’infraction et ne peuvent ôter à l’acte son caractère infractionnel,
quand bien même ils seraient louables 174 . Par conséquent, ils ne font pas partie des éléments
constitutifs et sont du reste traditionnellement distingués de la notion de dol 175 dans la définition
de laquelle ils n’entrent pas 176 . L’infraction sera caractérisée dès lors que le comportement était

167. Se prononçant en faveur de cet élément, v. entre autres J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé
franco-allemand, th. préc., p. 157 et s., et M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le
droit pénal, th. préc., spéc. p. 350, nos 551et s., et procédant à l’analyse de l’infraction à travers un élément d’illicéité,
X. Pin, Droit pénal général, op. cit., p. 204, no 211.
168. A. Tsarpalas, Le moment et la durée des infractions pénales, 1967, LGDJ.
169. Ibid., p. 30, no 36. V. égal. G. Lucazeau, « Le temps en droit pénal, Recherche comparative sur l’influence
du temps en droit pénal étatique et dans le système coutumier de Nouvelle-Calédonie », RSC 1990, p. 521, qui en
propos liminaires regrette que le temps ne soit pas compté au nombre des éléments constitutifs de l’infraction.
170. L. Saenko, Le temps en droit pénal des affaires, th. préc., p. 683, no 897.
171. Ibid., p. 324, no 430.
172. Ibid., p. 585, no 770.
173. En ce sens, A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., p. 216.
174. En ce sens, Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 237, no 221.
175. En ce sens, F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, op. cit., p. 441, no 477. Les auteurs
expliquent que le dol est propre à chaque infraction, alors que les mobiles diffèrent selon les individus.
176. En ce sens, A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., p. 216.

74
Chapitre 2. La dénaturation de l’outil d’analyse

volontaire, quelles qu’en soient les raisons profondes.


Le principe connaît toutefois des exceptions, essentiellement dans le cas où un texte
d’incrimination fait spécifiquement état des mobiles 177 . Ce sera par exemple le cas pour certaines
infractions où un but particulier doit avoir été recherché par l’agent 178 . Mais dès lors qu’il
n’est qu’une donnée ponctuelle, il ne peut être érigé en élément autonome. Assez logiquement,
et à raison de son lien avec l’élément moral, le mobile entrera alors en considération dans
l’appréciation de l’élément moral 179 . L’infraction en question ne sera en effet caractérisée que
si l’agent poursuivait le but mentionné par le texte d’incrimination 180 .
Déduits de la nature de l’infraction et communs à toutes les infractions, les éléments ont une
double fonction qui est celle qui a été observée à l’occasion du retour sur le développement des
éléments comme outil d’analyse. D’un point de vue théorique, ils servent la conceptualisation
de l’infraction, d’un point de vue plus pratique, ils permettent une systématisation de l’analyse
des infractions. Les éléments dégagés peuvent en effet fournir un schéma cohérent et invariable
d’analyse et de caractérisation. Par contre, la peine, bien qu’étant le critère principal d’identi-
fication de l’infraction et intégrant à ce titre sa définition, n’a semble-t-il jamais été érigée en
élément. Cette particularité peut sans doute s’expliquer par le fait que la peine est totalement
étrangère à la substance de l’infraction, pour n’en être que la conséquence légale. Au reste, elle
n’exprime aucun principe fondamental de la matière, si bien qu’il n’y a pas d’utilité à y voir
un élément constitutif. Élément de l’infraction, elle l’est pourtant dans un sens technique, car
elle entre en compte dans ce qui fait légalement l’infraction. Mais étrangère à sa nature et au
comportement infractionnel, elle reste en marge des éléments constitutifs. La particularité est à
noter, car elle renforce le pressentiment selon lequel les éléments peuvent avoir un intérêt non
simplement dans une définition superficielle et légaliste de l’infraction, mais dans une définition
plus substantielle, qui met aussi en lumière les principes auxquelles elle est soumise.

177. V. not. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 238, no 222. En outre, le législateur érige parfois en
circonstance aggravante le mobile de l’auteur. Tel est par exemple le cas du mobile d’ordre raciste. V. du même
auteur, Rép. dr. pén., Meurtre, 2006.
178. Ces infractions se rencontrent particulièrement dans le Livre IV : Des crimes et délits contre la nation, l’État
et la paix publique, et plus précisément dans les infractions terroristes. Sur les liens existants entre le but et le
mobile, v. J. Chazal, Essai sur la notion de mobile et de but en droit pénal, 1929, Thèse, Lyon.
179. Il se rapproche dans ce cas de l’exigence d’un dol spécial. En ce sens, A. Decocq, Droit pénal général,
op. cit., p. 217.
180. Ce n’est toutefois que ce but précis qui sera pris en compte dans la constitution de l’infraction. Il ne s’agit
pas d’une prise en compte générale des mobiles. Peu importe par exemple qu’en plus du but visé, l’agent ait agi
pour des raisons lucratives. Sur ce point, v. P. Mimin, « L’intention et le mobile » in La Chambre criminelle et sa
jurisprudence, Recueil d’études en hommage à la mémoire de M. Patin, Cujas, 1965, p. 112.

75
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

2. Les éléments, outil de systématisation

76. Le schéma de caractérisation de l’infraction – Parce qu’ils révèlent la substance de


l’infraction et sont communs à toutes les infractions, les éléments ont une fonction très marquée
de généralisation de l’étude et de la caractérisation des infractions. Cet intérêt apparaît toujours
assez nettement aujourd’hui et reste le principal enjeu en la matière. Les éléments imposent par
suite un schéma logique dans l’analyse des faits et dans leur qualification.
Le recours aux éléments de l’infraction s’est développé comme cela a été vu afin d’imposer
une qualification pénale des faits en deux étapes. Les juges ne pouvaient conclure à l’existence
de l’infraction qu’après en avoir vérifié les conditions matérielles – première étape – et morales
– seconde étape. Outre l’idée que chaque infraction est constituée par le fait et la volonté, c’est
donc un schéma de qualification qui fut proposé par le recours aux éléments. Ce schéma apparaît
très clairement dans le Code des délits et des peines de 1795. Du point de vue procédural, il est
prévu que chaque membre du jury doit dans un premier temps se prononcer sur le fait 181 dont
l’accusé est convaincu 182 . Enfin, il doit se prononcer sur la « moralité du fait » 183 . L’idée qui
sous-tend cet ordre logique est que si le fait n’est pas constant, il n’est pas utile de s’intéresser
à la volonté, puisque seule, elle est insuffisante pour engager la responsabilité. De même, la
constance du fait ne suffit pas non plus à caractériser l’infraction de sorte qu’à la vérification de
la matérialité suit très logiquement la vérification de la moralité. Le fait est nécessaire, mais non
suffisant.
Un tel schéma n’est aujourd’hui plus imposé par le Code de procédure pénale 184 , mais
l’idée d’une caractérisation de l’infraction en plusieurs étapes demeure. Non seulement elle est
suivie par une partie de la doctrine, mais elle relève communément de l’approche analytique qui
caractérise la démarche française. Monsieur Dreyer explique à ce titre que le schéma logique
conduisant à la responsabilité pénale débute avec le constat du fait par le juge, à la suite de quoi,
le juge doit s’assurer que la personne suspectée d’avoir commis ce fait est apte à en répondre 185 .
De manière très générale, les ouvrages présentent d’ailleurs systématiquement dans un premier

181. Code des délits et des peines, art. 389 : « Chaque juré déclare d’abord si le fait porté dans l’acte d’accusation
est constant ou non. »
182. Ibid. art. 390 : « Si cette première déclaration est affirmative, il en fait une seconde sur l’accusé, pour décider
s’il est ou non convaincu. »
183. Ibid. art. 393 : « Le juré qui a déclaré le fait constant et l’accusé convaincu, donne ensuite sa déclaration sur
la moralité du fait, d’après les questions intentionnelles posées par le président. »
184. Assez étonnamment, le Code de procédure pénale exige simplement qu’il soit délibéré et voté sur « le fait
principal » puis, s’il y a lieu, sur les causes d’irresponsabilité. V. Code de proc. pén. art. 356 : « La cour et le jury
délibèrent, puis votent, par bulletins écrits et par scrutins distincts et successifs, sur le fait principal d’abord, et s’il
y a lieu, sur les causes d’irresponsabilité pénale ». Une telle rédaction peut surprendre car elle n’impose pas de
vérification effective de la volonté dès lors que le terme « fait » est essentiellement objectif. Elle suggère donc une
vérification négative de la volonté dans les seuls cas où l’accusé invoquera une cause subjective d’irresponsabilité.
185. E. Dreyer, Droit pénal général, 4ème éd., LexisNexis, 2016, p. 517, no 662.

76
Chapitre 2. La dénaturation de l’outil d’analyse

temps l’élément matériel de l’infraction, puis son élément moral. L’ordre qui permet d’aboutir à
la certitude de la culpabilité est du reste la résultante logique de la complémentarité du fait et de la
volonté, ainsi que du principe selon lequel le droit pénal ne peut saisir la seconde prise pour elle-
même. Certains auteurs retiennent par conséquent systématiquement une approche duale des
incriminations. Majoritairement et assez généralement, l’alternance entre un élément matériel
et un élément moral sera retenue dans les ouvrages, dans le cadre de l’étude des différents textes.
C’est notamment le cas de Madame Rassat, dans son manuel de droit pénal spécial 186 .

77. Doctrine étrangère – L’idée selon laquelle les éléments constitutifs fournissent un
schéma logique d’analyse se retrouve au demeurant à l’étranger, et notamment dans les doctrines
d’inspiration allemande. En doctrine suisse, par exemple, les trois éléments identifiés imposent
une caractérisation de l’infraction en trois temps. L’infraction y est définie comme un acte
« typique, illégal et fautif » 187 , ce qui donne les différentes étapes du raisonnement 188 . Il en
est de même en droit pénal allemand. Selon Monsieur Walther, l’infraction peut en effet
s’analyser comme « la somme des éléments qui la composent » 189 . La méthode veut donc que les
différents éléments soient appréciés dans un ordre particulier : « La concrétisation de l’un va être
le préalable de l’existence de l’autre. Le déroulement de ces étapes de l’analyse est fondement
du contenu en soi, selon la doctrine allemande. Ce déroulement est dicté par l’interdépendance,
la préséance de ces éléments entre eux. Il s’effectue dans un certain ordre non seulement par
souci de clarté pédagogique ou par respect des règles de l’argumentation, mais par la contrainte
issue de la nature même de l’agencement de ces éléments » 190 .

78. Un outil de qualification et d’analyse – Dans cette logique, et au regard de l’infraction


commise, les éléments constitutifs sont ainsi en grande partie un outil d’analyse des faits en
vue de leur qualification. Ils imposent un schéma au juge, lui permettant de conclure à la
caractérisation de l’infraction. Il y a donc bien derrière cette idée une démarche de généralisation,
car le même schéma s’imposera, quel que soit le comportement accompli et la qualification
pénale susceptible d’être retenue. C’est du reste pour cette raison que les éléments constitutifs
peuvent également servir l’analyse de l’infraction entendue de manière abstraite et théorique.
Dès lors que les éléments constitutifs fournissent les grandes étapes de la caractérisation de
l’infraction, c’est bien qu’ils en révèlent la structure commune tout en mettant en lumière ses

186. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, op. cit. V. égal. P. Conte, Droit pénal spécial, op. cit., et V. Malabat,
Droit pénal spécial, op. cit.
187. P. Graven et B. Sträuli, L’infraction pénale punissable, 2ème éd., Staempfli éd., 1995, cité par J. Walther,
L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 195. Le schéma est très proche de celui retenu
par la doctrine allemande.
188. Ibid., étant précisé que ces trois exigences cumulatives sont articulées et pas seulement juxtaposées.
189. Ibid., p. 193.
190. Ibid., p. 195.

77
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

conditions sine qua non et inversement.


Historiquement déterminante, cette caractéristique des éléments à pu être complétée au
XXème siècle par un second caractère, permettant d’insister plus particulièrement sur le lien
entre élément constitutif et comportement accompli.

B. Des éléments internes et contemporains au comportement

79. L’autonomie de la condition préalable – Parce que l’infraction est avant tout un
comportement, les éléments pourraient être compris comme étant constitutifs de ce dernier
et donc comme devant être en lien direct avec lui. À cet égard, une distinction a pu être
proposée entre l’élément constitutif et la condition préalable à l’infraction 191 . Conceptualisée
par Monsieur Vouin 192 , la condition préalable peut se définir comme la situation que la
réalisation de l’infraction perturbe. Plus précisément, Monsieur Vouin explique que certains
éléments qui conditionnent l’application de la peine doivent s’analyser comme « la définition
du domaine dans lequel l’infraction peut se commettre » et s’opposent de ce fait à « l’acte
proprement constitutif » 193 . Que ce soit au regard de la doctrine majoritaire ou de la jurispru-
dence 194 , la condition préalable se détache donc des éléments de l’infraction, entendue comme
comportement, et n’en suit pas le régime. Sans doute, l’affirmation mérite-t-elle aujourd’hui
d’être nuancée, car la jurisprudence n’accorde plus de réelles conséquences à l’autonomie de
cette condition. Celle-ci permet par exemple de localiser l’infraction dans l’espace, ce à quoi
la doctrine était initialement opposée 195 . Pour cette raison, notamment, la distinction entre

191. Il est permis d’hésiter sur la terminologie exacte devant être employée. Pour certains auteurs, la condition
préalable est simplement opposée aux éléments constitutifs, tout en restant interne à l’infraction. Elle est alors la
condition préalable de l’infraction. Pour d’autres, elle est une situation antérieure à sa réalisation et est extérieure
à l’infraction. Elle est alors davantage la condition préalable à l’infraction. Majoritairement, la condition préalable
paraît considérée en doctrine comme étant extérieure à l’infraction dans son entier. Reste que bien qu’extérieure à
l’infraction, elle conditionne tout de même son existence juridique, de sorte que l’extériorité n’est pas parfaite.
192. En ce sens, J.-P. Doucet, « La condition préalable à l’infraction », art. préc. ; A. Tsarpalas, Le moment et
la durée des infractions pénales, th. préc., p. 23, no 15 ; B. Thellier de Poncheville, La condition préalable de
l’infraction, 2006, Thèse, Lyon 3, p. 1, no 1. Néanmoins, la nécessité de distinguer les éléments constitutifs de la
condition préalable aurait été formulée dès 1813 par Barris. Ibid. p. 10, no 5.
193. R. Vouin, Précis de droit pénal spécial, 1ère éd., Dalloz, 1953, p. 3, no 2. V. égal., du même auteur,
« Observations sur l’unité de la justice criminelle » in Aspects Nouveaux de la pensée juridique, recueil d’études en
hommage à Marc Ansel, t. 2, A. Pedone, 1975, p. 241. Reprenant la même définition, J. Pradel, Principes de droit
criminel, Cujas, 1999, p. 71, no 54.
194. La distinction a été admise en jurisprudence par un arrêt en date du 31 mars 1971 : Cass. crim., 30 mars
1971, Bull. crim., no 114, Gaz. Pal. 1971, 2, 406. Un arrêt ancien d’un Tribunal correctionnel reproduit en partie par
M. Decocq avait déjà fait une distinction entre les éléments constitutifs et la condition préalable : « il convient
de distinguer entre les éléments qui font réellement partie du fait punissable et ceux qui, sans pouvoir être
rationnellement compris dans l’agissement délictueux, sont plutôt une condition nécessaire imposée par la loi » : v.
A. Decocq note sous Cass. crim., 27 oct. 1966, Rev. crit. dr. intern. priv. 1967, p. 741, citant Trib. correc. Seine,
29 juin 1906.
195. La solution a néanmoins été consacrée légalement lors de la réforme du Code pénal. Désormais, l’article
113-2, alinéa 2, vise les « faits constitutifs » en matière de localisation de l’infraction, ce qui permet d’inclure dans
les éléments intervenant en la matière la condition préalable.

78
Chapitre 2. La dénaturation de l’outil d’analyse

condition préalable et éléments constitutifs est parfois critiquée, que ce soit du fait des faibles
conséquences pratiques de la distinction ou parce que, même préalable, « le cadre dans lequel
se déroule l’infraction est partie intégrante de l’incrimination » 196 .
Le principe demeure toutefois inchangé pour une partie de la doctrine qui se rallie à l’idée
de l’autonomie de la condition préalable 197 . Ici, l’exclusion de cette condition des éléments
constitutifs repose sur le lien établi entre eux et le comportement accompli. En tant que
situation devant préexister à l’infraction, elle est le domaine dans lequel elle va se dérouler.
La condition préalable est donc marquée d’une antériorité, mais aussi d’une extériorité par
rapport au comportement accompli par l’agent. Elle n’en relève pas à proprement parler et
subit simplement les conséquences découlant de sa réalisation. Par conséquent, elle doit être
distinguée des éléments constitutifs qui sont pour leur part strictement liés au comportement
et à la commission de l’infraction 198 . La condition préalable est ainsi marquée d’une double
spécificité. Elle est « tout à la fois extérieure et antérieure à l’infraction » 199 et peut de ce fait ne
pas avoir de coloration pénale ou être déjà teintée d’un caractère illicite 200 .

80. L’intérêt de ces caractères dans l’exclusion d’autres données – La distinction a


par ailleurs été utilisée pour contester l’opportunité de l’élément légal. De même que pour la
condition préalable, des auteurs ont fait remarquer que le texte de loi précédait l’infraction 201 .
Il la conditionne donc, mais au sens propre du terme. Il en est un prérequis 202 . En outre, il ne
relève pas de l’activité infractionnelle de l’agent. Il ne fait que la décrire. La condition préalable
et le texte de loi présentent donc des similitudes qui devraient conduire à exclure l’une et l’autre
de la catégorie des éléments constitutifs.
Enfin, ce double caractère justifie aussi dans une certaine mesure l’extériorité des conditions

196. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 173, no 302. Ces auteurs l’intègrent
donc à l’élément matériel. Pour une approche critique de cette condition, v. égal. J. Larguier, « La localisation
internationale de l’infraction », art. préc.
197. Pour n’en citer que quelques-uns : J. Pradel, Principes de droit criminel, op. cit., p. 71, no 54 ; C. Lombois,
Droit pénal international, 2ème éd., précis Dalloz, 1979, p. 348, no 255 ; M.-L. Rassat, Droit pénal général, op. cit.,
p. 273, no 230 ; E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 184, no 224 ; J.-P. Doucet, « La condition préalable
à l’infraction », art. préc. ; B. Thellier de Poncheville, La condition préalable de l’infraction, th. préc., p. 54,
no 77 ; A. Tsarpalas, Le moment et la durée des infractions pénales, th. préc., p. 23, no 15.
198. Monsieur Rousvoal, constatant le caractère très large de la condition préalable, a néanmoins proposé
l’admission d’un élément préalable pouvant accueillir les objets non constitutifs de l’infraction et qui ne sont pas
des conditions préalables stricto sensu. L. Rousvoal, L’infraction composite : essai sur la complexité en droit
pénal, th. préc., p. 113, no 194.
199. J.-P. Doucet, « La condition préalable à l’infraction », art. préc. Dans le même sens, B. Thellier de
Poncheville, La condition préalable de l’infraction, th. préc., p. 543, no 989, et L. Rousvoal, L’infraction
composite : essai sur la complexité en droit pénal, th. préc., p. 113, no 194.
200. En ce sens, Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 221, no 199, et J.-P. Doucet, « La condition préalable
à l’infraction », art. préc. V. égal. J.-H. Robert, « Histoire des éléments de l’infraction », art. préc., et M.-L. Rassat,
Droit pénal général, op. cit., p. 273, no 230.
201. M.-L. Rassat, Droit pénal général, op. cit., p. 273, no 230.
202. V. not. J.-P. Doucet, La loi pénale, op. cit., p. 98.

79
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

d’imputabilité par rapport à l’infraction. Quand bien même l’imputabilité pourrait être rattachée
à l’élément moral de l’infraction 203 , la position majoritaire admet aujourd’hui que ses conditions
soient extérieures à l’infraction. Elles se révéleraient être bien plus en lien avec le délinquant
qu’avec le comportement infractionnel stricto sensu et trouveraient ainsi naturellement leur place
au sein de la responsabilité 204 .
Cette distinction permet essentiellement d’affiner la compréhension de la structure de l’in-
fraction et est moins en relation avec la substance de l’infraction. Mais elle permet d’insister sur
l’activité de l’agent comme donnée essentielle. Quoi qu’il en soit, la distinction entre l’élément
et la condition s’inscrit dans une démarche générale d’étude de la structure infractionnelle. Bien
qu’elle soit une notion particulièrement utile au droit pénal spécial 205 , elle permet une certaine
compréhension de l’infraction et une caractérisation cohérente de celle-ci. Dans une approche
générale de l’infraction et de sa structure, l’identité des éléments tient donc à une double
spécificité : ils sont communs à toutes les infractions, et directement dépendant du comportement
infractionnel. Mais cette identité particulière n’existe que dans cette démarche, car dans une
démarche plus spéciale et concentrée sur les différents textes, c’est le caractère indispensable
des éléments qui est exclusivement mis en avant.

§ 2. L’identité des éléments des infractions

81. Des éléments indispensables par application du principe de légalité – Si dans la


première démarche les éléments sont indispensables parce qu’ils sont inhérents à l’infraction,
dans une seconde démarche, ils le sont plus simplement par application du principe de légalité.
La donnée mentionnée dans un texte d’incrimination est nécessaire à la caractérisation de
l’infraction : elle peut donc en être un élément constitutif, au sens où elle conditionne l’existence
de l’infraction considérée.
Le droit positif oscille entre les deux approches présentées. Lorsque la Cour de cassation

203. Elle l’a longtemps été (v. not. R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 106, nos 76 et s., et
E. Villey, « De l’intention en matière pénale », art. préc.) est l’est toujours pour certains auteurs. V. not. P. Conte
et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 200, no 349.
204. F. Rousseau, L’imputation dans la responsabilité pénale, th. préc., p. 60, nos 54 et s. Monsieur Jourdain
expliquait déjà dans sa thèse que par suite du développement du concept d’imputabilité, celui-ci est devenu une
condition de la responsabilité en ce qu’il permet la désignation du responsable. P. Jourdain, Recherche sur
l’imputabilité en matière de responsabilités civile et pénale, 1982, Thèse, Paris II, p. 129, nos 111 et s. et p. 221,
no 227. V. également du même auteur, « Retour sur l’imputabilité » in Les droits et le Droit, Mélanges dédiés à
Bernard Bouloc, Dalloz, 2007, p. 511 : l’unité du concept juridique de faute impliquerait d’analyser l’imputabilité
comme une condition de la responsabilité et non comme un élément de la faute.
205. La notion n’existerait qu’en droit pénal spécial, ce qui limiterait son importance. L. Saenko, Le temps en
droit pénal des affaires, th. préc., p. 573, no 751. Et il est vrai que M. Vouin, s’il a conceptualisé la notion dans
son ouvrage de droit pénal spécial, ne reprend pas les développements spécifiques à la condition préalable dans son
manuel de droit criminel.

80
Chapitre 2. La dénaturation de l’outil d’analyse

énonce de manière limitative les éléments de l’infraction 206 , elle paraît les faire dépendre de sa
nature nécessairement duale. À l’inverse, la règle procédurale voulant que l’intention particulière
(dol spécial) exigée par un texte fasse l’objet d’une question distincte en matière criminelle
renvoie plutôt à une démultiplication des éléments, chacun devant être vérifié par application
du principe de légalité 207 . Dans cette seconde approche, l’on voit que les caractéristiques
des éléments ne sont plus les mêmes. Ils n’ont par ailleurs plus la même identité et plus la
même utilité. Le caractère indispensable, déterminant, devient en effet suffisant. Cette tendance
s’observe aussi bien lorsque des éléments particuliers propres à certaines catégories d’infractions
sont identifiés (A), que de manière générale en droit pénal spécial où l’on constate un éclatement
des éléments constitutifs (B).

A. Le raisonnement par catégorie

82. Les infractions de préjudice – Des éléments spécifiques à certaines infractions ont
pu être identifiés, soit par la jurisprudence, soit par la doctrine. C’est tout d’abord le cas du
préjudice, lorsqu’il est spécialement exigé dans les textes d’incrimination. Le débat relatif à sa
place en droit pénal est ancien et fourni 208 . Il n’est pas encore ici question de revenir de manière
approfondie sur ce débat 209 , mais simplement d’observer que le préjudice, lorsqu’il est exigé par
les textes d’incrimination, paraît un élément constitutif de l’infraction considérée.
C’est initialement s’agissant du faux que le préjudice a pu être analysé comme tel. Non exigé
de manière expresse dans l’ancien Code pénal 210 , le préjudice a en effet été très tôt érigé par la
jurisprudence en élément constitutif de cette infraction 211 . Il n’est ainsi pas rare de lire dans les
ouvrages de droit pénal que le préjudice, en matière de faux, en est un élément constitutif 212 .
Dépassant le strict cas de l’infraction de faux, le préjudice est aujourd’hui considéré comme un
élément constitutif dès lors qu’il est exigé formellement par la loi. Il est par conséquent possible

206. V. en note supra, no 61.


207. Sur cette exigence, H. Angevin, La pratique de la Cour d’assises, op. cit., p. 324, no 799.
208. Les nombreuses études dédiées au préjudice attestent de la vigueur du débat. Parmi les plus générales, il
est possible de citer H. Donnedieu de Vabres, Essai sur la notion de préjudice dans la théorie générale du faux
documentaire, Recueil Sirey, 1943 ; du même auteur, « Quelques observations sur le rôle du préjudice en droit
pénal français », RIDPC 1938, p. 2 ; G. Rabut-Bonaldi, Le préjudice en droit pénal, 2016, Dalloz.
209. V. infra, no 357.
210. En ce sens, Y. Mayaud, « La résistance du droit pénal au préjudice » in Les droits et le Droit, Mélanges
dédiés à Bernard Bouloc, Dalloz, 2007, p. 807.
211. Ibid. V. égal. M.-L. Lanthiez, « Du préjudice dans quelques infractions contre les biens », art. préc. Pour
une analyse ancienne et critique de cette tendance, v. A. Blanche, Études pratiques sur le Code pénal, op. cit.,
p. 165, no 123.
212. En ce sens, J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, op. cit., p. 750, no 1223 ; H. Matsopoulou
et J.-H. Robert, Traité de droit pénal des affaires, op. cit., p. 234, no 122. ; A. Vitu, Traité de droit criminel, Droit
pénal spécial, Cujas, 1982, t. 1, p. 935, no 1193. Contra, J. Larguier et P. Conte, Droit pénal des affaires, 11ème éd.,
Armand Colin, 2004, p. 249, no 264.

81
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

d’affirmer que l’abus de confiance comporte un élément tenant au préjudice 213 , car « l’exigence
du préjudice, en tant qu’élément constitutif de l’infraction, découle du texte d’incrimination » 214 .
De même en est-il pour l’escroquerie. Malgré quelques hésitations, la Cour de cassation a
affirmé dans un arrêt remarqué qu’ « en l’absence de tout préjudice, l’un des éléments du délit
d’escroquerie fait défaut » 215 . Par cette solution, réitérée par un arrêt de 1992 216 puis récemment
par un arrêt de 2015 217 , elle érigeait donc au rang d’élément constitutif le préjudice.
Il en résulte que le préjudice pourrait être un élément constitutif autonome 218 , partiellement
général. Il n’est en effet pas propre à une infraction en particulier, mais commun à toutes les
infractions dont les incriminations en feront état.

83. Les infractions aggravées – C’est par ailleurs également le cas des circonstances
aggravantes, pour lesquelles une tendance similaire existe. Selon certains auteurs, elles pour-
raient elles aussi s’analyser comme des éléments constitutifs autonomes, propres aux infractions
aggravées. Il n’est pas ici question de la formule jurisprudentielle évoquant parfois les éléments
constitutifs de ces circonstances, car une telle utilisation de l’expression est trop abusive pour en
tirer un quelconque enseignement 219 . Plus intéressante par contre est la proposition doctrinale
selon laquelle les circonstances aggravantes pourraient s’analyser en éléments constitutifs de
l’infraction aggravée 220 . Cette proposition s’oppose à la distinction traditionnellement opérée
entre élément constitutif et circonstance aggravante 221 . Il était en effet admis que les circons-
tances aggravantes ne pouvaient relever de la catégorie des éléments constitutifs dès lors que

213. C. Mascala, Abus de confiance, op. cit. Dans le même sens, R. Vouin, Précis de droit pénal spécial, op. cit.,
p. 60, no 63 ; H. Matsopoulou et J.-H. Robert, Traité de droit pénal des affaires, op. cit., p. 107, no 39.
214. C. Mascala, Abus de confiance, op. cit. L’auteur regrette par ailleurs le fait « que la Cour de cassation ne
se montre pas très exigeante quant à la preuve de l’existence de préjudice, considérant que celui-ci peut découler
en considération des circonstances de fait directement de la seule constatation du détournement ». Cette tendance
serait « contestable car, dans ces conditions, le préjudice exigé par la loi ne remplit pas un rôle décisif au sein des
éléments constitutifs de l’infraction, ce qui est contraire aux prévisions du législateur ». Ibid, no 86. Dans le même
sens, v. M.-L. Lanthiez, « Du préjudice dans quelques infractions contre les biens », art. préc.
215. Cass. crim., 3 avr. 1991, Bull. crim., no 155 ; RTD com. 1992, p. 254, note P. Bouzat ; JCP 1991, IV, 281,
obs. G. Azibert ; D. 1991, p. 275, obs. G. Azibert ; D. 1992, p. 400, note C. Mascala.
216. Cass. crim., 15 juin 1992, Bull. crim., no 234 ; RTD com. 1993, p. 586, note P. Bouzat ; D. 1993, p. 15, obs.
G. Azibert ; Dr. pén. 1992, comm. no 282, obs. M. Véron ; Gaz. Pal. 1992, chron., p. 18, chron. J.-P. Doucet.
217. Cass. crim., 28 janv. 2015, Bull. crim., no 24 ; D. actualité 2015, note L. Priou-Alibert ; D. 2015, p. 845,
note L. Saenko ; AJ pén. 2015, p. 311, obs. G. Beaussonie ; D. 2015, pan. p. 1506, obs. C. Mascala ; Dr. pén.
2015, no 64, obs. M. Véron.
218. Par rapport aux trois éléments traditionnels.
219. V. not. Cass. crim., 2 juil. 1987, Bull. crim., no 279, où dans un attendu de principe, la Cour déclare : « Attendu
que les questions relatives aux circonstances aggravantes doivent en énoncer tous les éléments constitutifs ». Et plus
récemment, Cass. crim., 21 fév. 2007, Bull. crim., no 55. Une telle approche fait perdre tout intérêt à la construction
doctrinale, d’autant que les circonstances aggravantes n’impliquent pas toutes une pluralité d’éléments.
220. V. C. de Jacobet de Nombel, Théorie générale des circonstances aggravantes, 2006, Dalloz. Cette
position est aujourd’hui présentée comme la conception moderne des circonstances aggravantes (v. L. Rousvoal,
L’infraction composite : essai sur la complexité en droit pénal, th. préc., p. 126, no 204).
221. V. not. R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 92, no 46 et p. 356, no 190, et J. Ortolan,
Éléments de droit pénal, op. cit., p. 454, no 1062, et M. Dalloz, Rép. dr. pén., Circonstances aggravantes, 2001.

82
Chapitre 2. La dénaturation de l’outil d’analyse

l’aggravation présuppose justement que l’infraction principale soit constituée 222 . Parce qu’elle
ne fait que l’aggraver, la circonstance aggravante n’influe pas sur sa caractérisation et ne participe
donc pas de sa structure.
Toutefois, la proposition faite par Madame de Jacobet de Nombel est tout à fait séduisante
dès lors que l’on admet « une valeur juridique propre » à l’infraction aggravée 223 , celle-ci
devenant une catégorie d’infractions à part entière 224 . Dans ce cas, en effet, la circonstance
aggravante est indispensable à l’existence de l’infraction aggravée et la conditionne. De ce fait,
elle pourrait relever de sa structure constitutive et en être un élément autonome.

84. L’absence de caractère interne et contemporain de certaines circonstances aggra-


vantes – La tendance à l’identification d’éléments propres à certaines catégories d’infractions
est regrettable. Elle s’inscrit dans une acception très générique des éléments et laisse en outre un
profond sentiment d’incohérence. Par exemple, on ne peut s’empêcher de remarquer une certaine
incompatibilité entre l’analyse des circonstances préalables comme éléments constitutifs et l’au-
tonomie de la condition préalable. Certes, l’idée selon laquelle les éléments seraient nécessaire-
ment en lien direct avec le comportement a toujours été discutée en doctrine 225 et tous les auteurs
n’adhèrent pas à l’autonomie de la condition préalable. Elle se trouve en tout cas remise en cause
par la proposition doctrinale relative aux circonstances aggravantes. Si certaines circonstances
dépendent directement de l’activité infractionnelle de l’agent (vol commis avec violence par
exemple 226 ), d’autres sont en fait bien plus proches de la notion de condition préalable. Ce
sera notamment le cas pour la qualité de la victime ou de l’auteur. Celle-ci est préexistante à
l’infraction de base et conditionne parfois son aggravation. Or, même au regard de l’infraction
aggravée 227 , cette qualité reste antérieure et extérieure à l’infraction. D’ailleurs, selon Messieurs

222. Elles sont parfois qualifiées pour cette raison d’éléments « accidentels », s’ajoutant à l’infraction constituée.
R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 92, no 46, et A. Chavanne, « Les circonstances
aggravantes en droit français », RIDP 1965, p. 527.
223. C’est notamment ce que propose Madame de Jacobet de Nombel. C. de Jacobet de Nombel, Théorie
générale des circonstances aggravantes, th. préc., not. p. 22, no 34, et du même auteur, « L’originalité de la
circonstance aggravante de guet-apens », RSC 2010, p. 545. V. égal. E. Letouzey, La répétition d’infractions, 2016,
Dalloz, p. 91, no 137, qualifiant l’infraction aggravée d’« entité juridique autonome » et L. Rousvoal, L’infraction
composite : essai sur la complexité en droit pénal, th. préc., p. 126, nos 204 et s., adhérant lui aussi à cette
proposition.
224. Le terme de « famille » d’infraction peut être également utilisé s’agissant de ces infractions. Selon Monsieur
Doucet (J.-P. Doucet, « Les familles d’infractions », RDPC 1975, p. 759) en effet, des familles d’infractions
peuvent être identifiées et se composent d’une infraction de base et d’infractions dérivées, certaines l’étant par
aggravation. Dans ce cas toutefois, le raisonnement se fait par rapport à un type d’infraction en particulier de sorte
que prises pour elles seules, les infractions aggravées relèvent davantage d’une catégorie. En effet, selon Monsieur
Cazalbou, les catégories d’infractions s’organisent « autour de particularités remarquables » P. Cazalbou, Étude
des infractions de conséquence, Contribution à une théorie des infractions conditionnées, 2016, LGDJ, p. 2, no 2.
Monsieur Cazalbou tient néanmoins les deux termes pour synonymes. Ibid.
225. V. not. J. Larguier, « La localisation internationale de l’infraction », art. préc.
226. Code pén. art. 311-4, 4°.
227. L’infraction aggravée peut ne pas avoir la même structure que l’infraction d’origine, c’est-à-dire que leurs
éléments constitutifs ne sont pas toujours identiques, car la circonstance aggravante n’est pas uniquement un élément

83
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

Merle et Vitu, la qualité de l’auteur est une condition préalable à certaines infractions 228 . Si
l’infraction aggravée a effectivement une existence propre, lorsqu’une circonstance aggravante
tenant à la qualité de l’auteur est remplie, elle devient donc davantage la condition préalable
de l’infraction aggravée qu’un de ses éléments constitutifs. De même, les circonstances tenant
au lieu, si elles ne sont pas à proprement parler antérieures au comportement, ne dépendent en
rien de l’activité de l’agent, de sorte qu’il est difficile de leur reconnaître le caractère d’élément
constitutif « de l’infraction ». Le double attribut interne et contemporain ne peut donc pas se
vérifier pour l’intégralité des circonstances aggravantes.

85. Des éléments partiellement généraux – En réalité, dans l’analyse de la structure


de ces catégories d’infractions, seul le caractère essentiel est déterminant, mais par simple
application de la légalité, non plus pour ce qu’il révèle de l’infraction. Le raisonnement n’est
pas totalement dirigé vers une infraction en particulier, car l’élément identifié est commun
à la catégorie d’infraction considérée. La tendance est toutefois regrettable parce qu’elle nie
le caractère commun des éléments et le lien qu’ils entretiennent avec la définition générale
de l’infraction. La fonction de systématisation est parfois avancée, comme pour le préjudice
ou les circonstances aggravantes, mais elle se révèle partielle et permet un mouvement de
catégorisation des infractions. L’effort n’est plus tant relatif à la généralisation de la structure de
l’infraction prise en tant que concept, qu’à la mise en lumière des spécificités relatives à chaque
catégorie d’infractions. L’élément constitutif tenant à la circonstance aggravante est propre à la
catégorie des infractions aggravées, de la même manière que le préjudice est un élément propre
à certaines infractions contre les biens ou contre les personnes. Dans le cadre d’un affinement
des différentes catégories d’infractions existantes, de telles propositions sont particulièrement
riches. Elles restent cependant limitées à cette démarche 229 . Les circonstances aggravantes, de
même que le préjudice, demeurent en marge de la notion d’infraction et ne participent pas de
sa structure commune. Ils ne sont que partiellement généraux, au regard d’une catégorie bien
particulière d’infraction 230 .

supplémentaire par rapport à l’infraction d’origine. C. de Jacobet de Nombel, « L’originalité de la circonstance


aggravante de guet-apens », art. préc.
228. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 507, no 387.
229. Ceci est d’ailleurs parfaitement assumé par Madame de Jacobet de Nombel pour les circonstances
aggravantes. Elle estime que « c’est de la nature de l’infraction que doit dépendre la qualité de ses éléments et
non l’inverse », car « le contraire supposerait que l’on puisse identifier la qualité de ces derniers indépendamment
de l’infraction qui la compose, ce qui est impossible ». Est en outre précisé que l’élément constitutif, comme la
circonstance aggravante, « ne se définissent pas en eux-mêmes ». C. de Jacobet de Nombel, Théorie générale des
circonstances aggravantes, th. préc., p. 114, no 173.
230. Selon Monsieur Cazalbou (P. Cazalbou, Étude des infractions de conséquence, th. préc., p. 2, no 2), les
catégories d’infractions trouvent leur place à mi-chemin des deux niveaux du droit pénal. Ceci pourrait expliquer
le fait que certains de leurs éléments ne soient que partiellement généraux. Ils ne sont généraux qu’au regard de la
catégorie envisagée, mais non au regard du concept abstrait d’infraction.

84
Chapitre 2. La dénaturation de l’outil d’analyse

Cette tendance prive d’identité les éléments, qui ne possèdent pas d’autre spécificité que
d’être une donnée exigée dans un texte. Ils ne sont plus tant les éléments de l’infraction
(permettant par ailleurs l’étude des incriminations par le schéma qu’ils révèlent) ; ils sont les
éléments des incriminations, ce qui s’observe au demeurant très bien en droit pénal spécial.

B. L’éclatement des éléments en droit pénal spécial

86. Éléments et conditions d’existence – L’utilisation des éléments en droit pénal spécial
s’inscrit de manière assez nette dans une acception générique des éléments, ceux-ci ne renvoyant
qu’aux conditions d’existence des différentes infractions. En effet, la synonymie entre l’élément
et la condition (en son sens commun de ce qui conditionne) est latente dans les ouvrages de droit
pénal spécial (1). Elle était au contraire patente dans la plupart des ouvrages anciens (2).

1. Une synonymie latente

87. Une énumération de conditions – Dans le cadre de l’étude des textes, les auteurs
ont essentiellement tendance à procéder à une énumération. Les éléments ne correspondent
pas totalement aux trois éléments majoritairement retenus, soit que la division se détache de la
division traditionnelle, soit que le nombre d’éléments identifiés soit supérieur et variable selon
les auteurs.

88. Un schéma mal adapté aux infractions non intentionnelles – Il est à noter tout
d’abord que les analyses des textes d’incrimination ne suivent pas toujours le schéma résultant de
la division tripartite de l’infraction. Tel est par exemple le cas en matière d’infractions non inten-
tionnelles. Ces infractions ont cela de particulier qu’elles sont des infractions « ouvertes » 231 , ce
qui permet de retenir des actes de natures variées, qu’ils soient de commission ou d’omission.
Elles ne sont définies que comme le fait de « causer » 232 un résultat déterminé (mort ou blessures)
par faute. La matérialité de l’acte importe donc ici assez peu et seul est formellement précisé
le résultat. L’explication de ces infractions et des spécificités des incriminations se trouve de ce
fait presque entièrement comprise dans l’étude de l’élément moral. Ceci est d’autant plus vrai
que le régime de la faute pénale est particulièrement complexe et appelle donc des explications
approfondies.
Dans l’étude de ces infractions, l’on remarque ainsi une certaine valorisation de l’élément
moral au détriment de l’élément matériel. En raison de cette matérialité ouverte et de l’absence
totale de précision quant à l’acte incriminé, l’élément matériel prend en effet une importance

231. En ce sens, A. Vitu, Traité de droit criminel, Droit pénal spécial, op. cit., t. 2, p. 1425, no 1766.
232. Code pén. art. 221-6, s’agissant de l’homicide involontaire.

85
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

toute relative. L’on a ainsi le sentiment « que les agissements matériels imputables ou coupables
ne sont pas caractérisés autrement que par la faute non intentionnelle qu’ils révèlent » 233 . Ce
constat fait par Messieurs Merle et Vitu, est relatif à l’ancienne incrimination d’homicide
involontaire, mais il conserve aujourd’hui encore tout son sens dès lors que l’actuel article 221-
6 est demeuré silencieux quant à l’acte matériel. Parce que l’élément déterminant de la répression
est ici la faute, la division en trois éléments se révèle relativement mal adaptée pour l’étude de
ces incriminations. Madame Rassat écrit ainsi que « l’exposé de l’atteinte par imprudence à
l’intégrité corporelle d’autrui se coule mal dans le moule habituel de description des infractions.
En effet, ce qu’on reproche à l’auteur des faits, c’est d’avoir eu un comportement qui intègre
d’une façon indissociable un élément matériel et une intention coupable » 234 .
En la matière, le schéma suivi se révèle de ce fait original. Des éléments sont bel et bien
identifiés, car si le Code pénal ne développe pas outre mesure le fait, il mentionne, par exemple
au titre de l’homicide involontaire, la faute, le lien de causalité (est incriminé le fait de « causer »
la mort) et le résultat mortel. Il en résulte alors une analyse en trois éléments, lesquels résident
justement dans l’exigence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la faute et
le dommage 235 .
Particulièrement proche de la présentation civiliste 236 , le schéma d’analyse se distingue donc
fondamentalement des éléments constitutifs traditionnellement admis dès lors que les éléments
constitutifs des infractions par imprudence tiennent pour certains auteurs à un élément moral
(une faute), à un résultat (le préjudice renvoie au moins indirectement à lui) et à un lien de
causalité, ce dernier ayant une importance considérable en ce qu’il conditionne le degré de faute
exigé. Cette division est d’autant plus étonnante que beaucoup d’auteurs estiment justement que
l’élément matériel comprend l’acte, le résultat et le lien de causalité 237 . Or, parce que l’acte a
une importance moindre en matière non intentionnelle, l’élément matériel n’est pas exploité en
tant que tel, mais se trouve subdivisé en deux éléments qui lui sont traditionnellement rattachés.
La matérialité de l’acte, au sens strict, est quant à elle occultée et ne sera, au mieux, traitée dans
les manuels qu’avec la faute 238 .

233. A. Vitu, Traité de droit criminel, Droit pénal spécial, op. cit., t. 2, p. 1424, no 1765.
234. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, op. cit., p. 411, no 364.
235. J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, op. cit., p. 81, no 67. Cette présentation est retenue dans de
nombreux ouvrages de droit pénal spécial. V. not. R. Vouin, Précis de droit pénal spécial, op. cit., p. 234, no 179 ;
M. Véron, Droit pénal spécial, op. cit., p. 94, nos 123 et s. Comp. V. Malabat, Droit pénal spécial, op. cit., p. 91,
no 166.
236. Il est possible de lire à ce propos que « comme dans le quasi-délit civil, il faut un dommage, une faute et un
lien de causalité ». J. Larguier, P. Conte et S. Fournier, Droit pénal spécial, 15ème éd., Mémentos Dalloz, série
droit privé, 2013, p. 67.
237. V. infra, no 253.
238. Ainsi pour Monsieur Vitu, le premier élément constitutif est un « comportement fautif », ce qui lui permet de
traiter ensemble l’exigence d’un acte, quelle que soit sa nature, et l’exigence d’une faute. A. Vitu, Traité de droit

86
Chapitre 2. La dénaturation de l’outil d’analyse

89. L’hétérogénéité des analyses – Si étonnante soit-elle, cette analyse relève en réalité
d’une tendance relativement généralisée en droit pénal spécial. Celle-ci tient au fait que chaque
condition exigée est considérée comme un élément de l’infraction envisagée, sans que ne
soit toujours maintenue la tripartie traditionnelle. De manière générale, l’étude des textes
d’incrimination n’est pas uniformisée. Outre le cas particulier des infractions non intentionnelles,
le triptyque légalité, matérialité, moralité est en effet assez souvent abandonné au profit d’une
énumération d’éléments. Que l’élément légal ne soit pas développé dans ce cadre semble tout à
fait cohérent, car il ne renvoie alors qu’à la mention du texte d’incrimination 239 . Mais c’est plus
généralement la tripartie qui n’est pas maintenue en droit pénal spécial. Les éléments matériel
et moral sont bien entendu majoritairement précisés, mais les auteurs ne procèdent pas – ou
rarement – à une division duale de l’étude des textes 240 .
De manière assez générale, l’on remarque en effet à l’occasion de l’étude des textes
d’incrimination que le terme d’élément constitutif y prend un sens tout à fait général et ne
désigne alors que les différentes conditions que l’étude des textes permet de dégager. De ce
fait, le nombre d’éléments identifié par les auteurs lors de l’étude des textes d’incrimination est
rarement de trois, et même lorsqu’il sera de trois, les différents éléments ne seront pas exactement
le reflet des éléments légal (ou injuste), matériel et moral. Selon les cas, des éléments particuliers
se substitueront à l’un, comme dans le cas des infractions non intentionnelles. Dans d’autres cas,
chaque élément sera subdivisé en autant d’éléments de même nature que de conditions en son
sein 241 .

90. Exemples – Par exemple, les infractions complexes se distingueraient par leur pluralité
d’élément matériel 242 , de même que certaines infractions simples. Par exemple, l’infraction
d’empoisonnement pourrait posséder plusieurs éléments matériels : « Le premier élément maté-

criminel, Droit pénal spécial, op. cit., t. 2, p. 1424, no 1765. Comp. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, op. cit.,
p. 411, no 364.
239. Les questions relatives à son applicabilité aux faits d’espèce (application de la loi dans le temps et dans
l’espace) ne dépendent pas de l’analyse du texte lui-même. En soi, la mention du texte épuise donc dans la majorité
des cas l’étude de cet élément.
240. Des exceptions notables résident dans les ouvrages de Madame Rassat (M.-L. Rassat, Droit pénal spécial,
op. cit.) et de Monsieur Conte (P. Conte, Droit pénal spécial, op. cit.), dans lesquels chaque infraction est étudiée
en précisant tout d’abord dans son élément matériel puis son élément moral. V. égal. V. Malabat, Droit pénal
spécial, op. cit.
241. À ce titre, certains auteurs emploient le pluriel pour désigner chaque élément, ce qui suggère que l’infraction
ne serait pas constituée d’un élément matériel et d’un élément moral, mais d’autant d’éléments matériels et moraux
que de conditions relatives au fait et à la volonté. V. not. R. Garraud, Traité théorique et pratique du droit pénal
français, 3ème éd., op. cit., t. 1, p. 472, no 223, et V. Molinier, Traité théorique et pratique du droit pénal, op.
cit., p. 94 et s.). Le pluriel est en outre utilisé par la Cour de cassation, mais assez étonnamment uniquement
pour l’élément matériel. Elle vise en effet fréquemment dans ses attendus « les éléments matériels [(pluriel)] et
intentionnel [(singulier)] » de l’infraction en question.
242. Elle est, pour Monsieur Decocq, une infraction « à éléments matériels multiples ». A. Decocq, Droit pénal
général, op. cit., p. 168. Dans le même sens, J. Pradel, Principes de droit criminel, op. cit., p. 81, no 67, et V.
Malabat, Rép. dr. pén., Faux, 2004, no 7.

87
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

riel réside dans l’acte d’empoisonner », « le second [...] tient au moyen employé, la substance
mortifère » 243 . Dans d’autres cas, encore, des éléments particuliers s’ajouteront aux deux
éléments généraux. Il en résultera un éclatement des éléments, chaque condition devenant un
élément constitutif de l’infraction considérée.
De toutes ces tendances, il résulte forcément une très grande variabilité des analyses et
des éléments identifiés pour une même infraction. Ainsi dans l’infraction de faux ordinaire,
le nombre d’éléments variera selon les auteurs. La présentation traditionnelle du faux veut
ainsi qu’il soit constitué de trois éléments. À la matérialité et à la volonté s’ajoute un élément
spécifique tenant au préjudice 244 . Un élément supplémentaire est alors identifié, en partie
caractéristique des infractions contre les biens. Cependant, les éléments identifiés ne se limitent
pas toujours à ces trois conditions. Ainsi, Madame Matsopoulou et Monsieur Robert en
identifient-ils quatre 245 . Ils tiennent respectivement au document, à l’altération de la vérité 246
au caractère préjudiciable, et enfin à l’élément moral 247 . La même présentation se retrouve dans
l’ouvrage de Messieurs Larguier et Conte 248 , encore que chez ces auteurs les deux éléments
principaux tiennent au document et à l’altération, le préjudice et la mauvaise foi y étant largement
rattachés 249 . Ajoutant un ultime élément aux quatre précités, Messieurs Pradel et Danti-Juan
identifient pour leur part cinq éléments constitutifs 250 .
De même, pour l’infraction de vol, les éléments identifiés varieront entre deux – et il ne
s’agira alors que des éléments matériel et moral – et quatre, la chose objet du vol étant parfois
érigée en élément constitutif à part entière 251 , voire dédoublée en deux éléments constitutifs
distincts 252 .

91. Le statut de la condition préalable, une explication insuffisante – Une partie des
différences peut s’expliquer par le statut incertain de la condition préalable, mais l’on remarque
aussi et surtout une tendance à analyser chaque condition d’existence de l’infraction en élément
constitutif. Cette tendance peut sembler regrettable parce qu’elle nuit à la cohérence des analyses.

243. A. Prothais note sous Cass. crim., 22 juin 1994, D. 1995, p. 85. V. égal. du même auteur, Tentative et
attentat, 1985, LGDJ, p. 168, no 244.
244. V. not. A. Lepage, P. Maistre Du Chambon et R. Salomon, Droit pénal des affaires, 3ème éd., LexisNexis,
2013, p. 106, nos 309, et W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, 6ème éd., Précis Dalloz, 2005, p. 30, no 24. Pour
une approche critique de la présentation traditionnelle, v. A. Blanche, Études pratiques sur le Code pénal, op. cit., t.
3, p. 165, no 123. Certains auteurs s’en tiennent par ailleurs aux deux éléments matériel et moral, l’élément matériel
étant néanmoins dédoublé. V. Malabat, Droit pénal spécial, op. cit., p. 565, no 981.
245. H. Matsopoulou et J.-H. Robert, Traité de droit pénal des affaires, op. cit., p. 224, nos 118 et s.
246. Il s’agit ici selon les auteurs de l’élément matériel de l’infraction. Ibid., p. 229, nos 121 et s.
247. Ibid., p. 224, no 118 à p. 237, no 123.
248. J. Larguier et P. Conte, Droit pénal des affaires, op. cit., p. 249, no 264 à p. 255, no 276.
249. Ibid., p. 249, no 264.
250. J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, op. cit., p. 745, no 1215. Le document valant titre est alors
décomposé en deux éléments constitutifs.
251. Ibid., p. 528, no 847.
252. M. Véron, Droit pénal spécial, op. cit., p. 267, nos 270 et s.

88
Chapitre 2. La dénaturation de l’outil d’analyse

Les éléments varient en effet dans leur nombre, mais aussi dans leur nature puisque ces éléments
« supplémentaires » tiendront tantôt à la condition préalable, tantôt au préjudice, tantôt à d’autres
exigences propres à chaque texte 253 . En réalité, ce que suggère cette tendance est une acception
générale de l’expression « élément constitutif ». Ceux-ci ne sont rien d’autre que les conditions
indispensables à la caractérisation des infractions, si bien qu’il est logique que leur identification
donne lieu à une énumération en droit pénal spécial. Cette synonymie suggérée par les études
de droit pénal spécial n’est du reste pas nouvelle : on la trouve parfois de manière patente dans
certains ouvrages anciens.

2. Une synonymie patente

92. Un héritage des études exégétiques – Une telle utilisation des éléments constitutifs
lors de l’étude des textes d’incrimination n’est pas récente. Elle est au contraire l’héritage
d’œuvres exégétiques anciennes dans lesquelles les éléments constitutifs n’étaient en réalité rien
d’autre qu’un vocable désignant les différentes conditions de l’infraction. L’œuvre de Messieurs
Chauveau et Hélie est à ce titre édifiante. La dualité est ainsi admise par principe et les
auteurs ont tendance à identifier systématiquement un fait matériel principal 254 . Toutefois, l’on
remarque tout au long de l’ouvrage une utilisation très générale des éléments constitutifs, ceux-
ci permettant de viser, sous un vocable unique, toutes les conditions d’existence des infractions
envisagées. Par exemple, s’agissant des violences volontaires ayant entraîné une interruption de
travail inférieure à vingt jours, il est expliqué qu’« il faut que le prévenu ait fait des blessures
ou porté des coups, c’est là l’élément matériel du délit ; qu’il ait agi volontairement, c’est-à-dire
avec intention de nuire » 255 , étant alors précisé que « le deuxième élément du crime ou du délit
est la volonté » 256 . À ces deux éléments s’en ajoute cependant un troisième qui est relatif au fait
que les violences « n’aient pas produits une incapacité de travail de plus de vingt jours » 257 .

253. Ainsi, dans l’ouvrage de Mesieurs Pradel et Danti-Juan, la chose objet du vol qui peut s’analyser en
condition préalable est présentée par les auteurs comme un élément constitutif. Ceci est d’ailleurs d’autant plus
étonnant que Monsieur Pradel affirme dans d’autres ouvrages que la condition préalable se situe en effet en amont
des éléments constitutifs car elle est « le domaine dans lequel se réalise l’infraction » et est de ce fait « extra-pénale ».
J. Pradel, Principes de droit criminel, op. cit., p. 71, no 54). En outre, dans le cadre des risques causés à autrui, la
condition préalable tenant à l’obligation de sécurité ou de prudence est bien présentée comme étant préalable et non
constitutive. J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, op. cit., p. 528, no 848, concernant le vol, et p. 128,
no 131, concernant les risques. De même, dans le manuel de Monsieur Veron, la chose objet du vol est subdivisée
en deux éléments constitutifs distincts (M. Véron, Droit pénal spécial, op. cit., p. 269, no 369), de même que le
premier mariage est un élément constitutif de la bigamie (ibid., p. 421, no 584) alors que la remise dans l’abus de
confiance est bien présentée comme étant préalable aux différents éléments constitutifs (ibid., p. 310, no 438).
254. A. Chauveau et F. Hélie, Théorie du Code pénal, op. cit., t. 1, p. 305, no 196. V. égal. ibid., t. 4, p. 33. La
volonté ne fait l’objet de développements spécifiques que dans certains cas particuliers impliquant des précisions,
ce qui est assez classique dans les ouvrages du début du XIXème siècle.
255. Ibid., t. 4, p. 25, no 1330.
256. Ibid., t. 4, p. 34, no 1336.
257. Dans un tel cas, la qualification était aggravée. Ibid., t. 4, p. 25, no 1330.

89
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

Assez généralement, on remarque que les éléments ne visent pas uniquement la dimension
matérielle ou morale de l’infraction. Au contraire, ils se démultiplient en autant d’éléments
autonomes que de conditions essentielles à son existence. Ainsi, s’agissant du vol, les trois
éléments constitutifs exposés tiennent à la soustraction, acte matériel consommant le vol 258 , à
la fraude 259 , et à la chose d’autrui 260 . De même, s’agissant de l’adultère, Messieurs Chauveau
et Hélie affirment que le fait que l’un des agents soit marié est considéré comme « l’un des
trois éléments nécessaires pour constituer le crime », les deux autres éléments étant l’union
consommée et la volonté coupable de la personne mariée 261 .
Le troisième élément s’explique dans ces différents cas par le fait que la condition préalable
n’était alors pas considérée comme ne relevant pas des éléments constitutifs 262 . Cette spécificité
ne permet cependant pas, ici non plus, de justifier totalement de l’existence d’un troisième
élément. Ce dernier ne tient en effet pas uniquement à ce qui pourrait être aujourd’hui analysé
comme la condition préalable à l’infraction. Concernant par exemple l’infraction d’emploi de
substances nuisibles, les auteurs dénombrent là encore trois éléments permettant de constituer
l’infraction. Ces trois éléments sont respectivement « que des substances aient été administrées
volontairement à autrui ; que ces substances [...] soient nuisibles à la santé ; enfin qu’elles aient
occasionné une maladie ou incapacité de travail personnel » 263 . Ici, l’élément intentionnel se
trouve inclus dans la matérialité du fait (emploi des substances) et les deux autres éléments
tiennent respectivement à la condition préalable et à l’obtention du résultat.

93. L’œuvre de Garçon – Cette tendance à la démultiplication des éléments constitutifs


s’observe également quelques années plus tard dans l’œuvre de Garçon. L’on retrouve ainsi
dans le célèbre Code pénal annoté l’analyse devenue traditionnelle du vol 264 , dans laquelle sont

258. Ibid., t. 5, p. 45, no 1901.


259. Ici, le développement de l’élément moral s’explique sans doute par la précision de l’exigence d’un dol spécial
dans le texte d’incrimination. Dans beaucoup d’autres infractions, l’élément moral n’est en effet pas précisé.
260. A. Chauveau et F. Hélie, Théorie du Code pénal, op. cit., t. 5, p. 29, no 1884.
261. Ibid., t. 4, p. 317, no 1606.
262. Sur l’admission de la condition préalable et son développement en doctrine, v. supra, no 79.
263. A. Chauveau et F. Hélie, Théorie du Code pénal, op. cit., t. 4, p. 80, no 1381.
264. L’ouvrage de Messieurs Chauveau et Hélie a particulièrement marqué la doctrine, si bien que les ouvrages
exégétiques de la seconde moitié du XIXème reprennent des présentations très similaires V. par ex. s’agissant du
vol J.-E. Boitard, Leçons de droit criminel, contenant l’explication complète des Codes pénal et d’instruction
criminelle, 10ème éd., Cotillon éd., 1872, p. 393, nos 414 et s., ou A. Blanche, Études pratiques sur le Code pénal,
op. cit., t. 5, p. 395, no 418. Dans ce dernier ouvrage, la présentation surprend par ailleurs. Monsieur Blanche
semble en effet particulièrement attaché à la dualité de l’infraction. Il conteste ainsi la présentation traditionnelle
du faux en trois éléments car la définition du faux « ne doit comprendre que les deux éléments constitutifs de
tous les crimes, l’élément physique et l’élément intentionnel » ibid., t. 3, p. 165, no 123. Selon lui, l’analyse en
trois éléments laisse penser que le faux serait un crime d’une nature particulière en suggérant que l’adjonction
d’un troisième élément serait nécessaire, alors qu’il « n’est pas de nature exceptionnelle. Il existe sous les mêmes
conditions que les autres crimes, il est constitué dès qu’il y a coexistence de l’élément matériel et de l’élément
moral. » Ibid., t. 3, p. 164, no 123.

90
Chapitre 2. La dénaturation de l’outil d’analyse

identifiés trois éléments constitutifs, l’un d’eux étant relatif à la chose d’autrui 265 . L’utilisation
générale de l’expression est en outre particulièrement patente dans cet ouvrage où le nombre
d’éléments tend à augmenter significativement. Il est par exemple expliqué, concernant la
trahison de l’article 76 de l’ancien Code pénal, que « les éléments constitutifs de [l’infraction]
sont au nombre de quatre ». Ces éléments consistent dans le fait que l’auteur soit français, qu’il
s’agisse d’un secret de défense nationale, qu’il y ait eu livraison ou possession d’un tel secret et
enfin que cette livraison soit faite à une puissance étrangère 266 . De même, dans l’infraction
d’abus de confiance l’auteur identifie jusqu’à six éléments constitutifs 267 ... Or, tout comme
La théorie du Code pénal de Messieurs Chauveau et Hélie, le Code pénal annoté a eu une
influence remarquable. L’analyse des textes proposée par Garçon est en effet fréquemment
reprise, de sorte qu’une utilisation générale des éléments constitutifs s’est perpétuée en la matière
et s’observe aujourd’hui dans les manuels de droit pénal spécial. En cette matière, encore plus
qu’en droit pénal général, les éléments ne semblent désigner que les conditions d’existence des
infractions. Ils ne sont que les éléments des incriminations.

94. La synonymie élément/condition – Du reste, la synonymie ne résulte pas seulement


de la démultiplication des éléments dans les ouvrages exégétiques. Elle apparaît aussi à travers
l’interchangeabilité des termes. Dans l’ouvrage de Chauveau et Hélie, les développements
relatifs à la corruption en sont un des nombreux exemples. Il y est écrit que le texte d’incri-
mination « établit avec beaucoup de netteté les trois éléments constitutifs du crime, les trois
conditions dont le concours seul peut justifier l’application de ses pénalités » 268 . L’absence
de spécificité terminologique, associée à la démultiplication des éléments constitutifs dans
l’analyse des textes d’incrimination entraînent ainsi dans l’ouvrage de Messieurs Chauveau
et Hélie une confusion parfaite entre l’élément et la condition, les premiers n’ayant aucune
particularité. Plus précisément, le recours aux deux éléments alors utilisés par la jurisprudence
est utile essentiellement pour rappeler le principe général de la complémentarité entre le fait et
la volonté 269 , mais il n’est utilisé pour le reste que dans le cadre de l’énumération des conditions
requises par chaque texte. La dualité d’éléments, si elle est affirmée par principe, n’est pas mise
au service d’une analyse des infractions. Le terme « élément » ne semble ainsi pas prendre un
sens spécifique dans la Théorie du Code pénal, non plus que dans d’autres ouvrages anciens.
Messieurs Chauveau et Hélie ne sont en effet pas les seuls à tenir les termes pour synonymes.

265. E. Garçon, Code pénal annoté, op. cit., t. 2, p. 570, note no 1.


266. Ibid., t. 1, p. 307, note no 5.
267. Ibid., t. 3, p. 175, note no 6.
268. A. Chauveau et F. Hélie, Théorie du Code pénal, op. cit., t. 2, p. 597, no 834.
269. Ainsi peut-on lire assez classiquement qu’ « un crime a deux éléments, la matérialité du fait, et la criminalité
de l’agent ». Ibid., t. 1, p. 305, no 196. V. également ibid., t. 4, p. 33.

91
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

Comme cela a déjà pu être mentionné 270 , Trébutien expliquait en 1854 l’existence de « deux
conditions essentielles et constitutives de la criminalité ». Ces conditions étaient mentionnées
en marge comme étant les « éléments nécessaires à l’existence d’une infraction » 271 .

95. Une méthode d’identification révélatrice de la synonymie – En outre, y compris


dans les méthodes d’identification des éléments constitutifs proposées, la confusion est pré-
gnante. Par exemple, lorsqu’ Ortolan explique comment identifier les éléments, il préconise de
se reporter à la définition donnée par la loi de chaque infraction, de l’analyser avec soin et d’en
faire « sortir tout ce qui est la condition sine qua non de l’existence du délit ». Et de conclure :
« ce sont là les faits ou éléments constitutifs » 272 . La technique d’identification mise au point par
Ortolan correspond ainsi tout à fait à la démarche adoptée par Messieurs Chauveau et Hélie,
puis plus tard par Garçon. Lorsque dans la Théorie du Code pénal sont présentés les éléments
constitutifs d’une infraction, il est en fait simplement mis en lumière les différentes conditions
la composant. Il en va de même dans le Code pénal annoté. Dans l’ouvrage d’Ortolan 273 ,
comme dans ceux de Chauveau et Hélie ou de Garçon, la terminologie permet ainsi tout au
plus d’insister sur le caractère indispensable de certaines conditions. En conséquence, l’élément
constitutif semble avoir pour seule spécificité de conditionner l’existence de l’infraction.

96. Perpétuation de la synonymie – Il est certain que ces ouvrages sont antérieurs à
l’émergence de la notion de condition préalable, de sorte que la distinction entre la condition
et l’élément n’avait sans doute pas le même intérêt qu’aujourd’hui. Cependant, le recours aux
éléments semble y appeler une simple énumération de données indispensables, bien plus qu’il
ne permet de dégager une structure commune. Aujourd’hui, malgré l’importance théorique
prise par les éléments constitutifs, l’enjeu semble être resté dans une grande mesure le même.
Étonnamment, la nature particulière de la condition n’est appréhendée que par le caractère
préalable à l’infraction. En effet, la démarche en droit pénal spécial reste très proche des
méthodes de Messieurs Chauveau et Hélie et des ouvrages similaires qui ont suivi. Il s’y
observe en effet toujours une certaine démultiplication des éléments identifiés, mais aussi une
certaine absence d’uniformité entre les analyses selon les infractions envisagées 274 .

270. V. supra, no 49.


271. E. Trébutien, Cours élémentaire de droit criminel, op. cit., p. 90.
272. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 453, no 1059.
273. Dans cet ouvrage, il y a en outre pareillement une interchangeabilité des termes. Ainsi peut-on par exemple
lire que les délits intentionnels sont ceux « dans lesquels l’intention est une condition constitutive du délit même ».
Ibid., p. 251, no 609.
274. Cette tendance s’observe notamment pour les infractions non intentionnelles qui prennent chez certains
auteurs une structure particulière, mais pas uniquement. À titre d’exemple, Monsieur Véron opte pour le meurtre,
comme pour la majorité des infractions, pour la distinction traditionnelle matérialité/moralité. Pourtant, dans le cas
du vol, quatre éléments sont identifiés sans que cette particularité structurelle ne soit expliquée autrement que par
les exigences des textes. V. M. Véron, Droit pénal spécial, op. cit.

92
Chapitre 2. La dénaturation de l’outil d’analyse

La synonymie n’est pas nouvelle, au contraire. Elle est néanmoins accentuée par la valori-
sation du caractère indispensable. Associées, ces deux tendances tendent à restreindre l’utilité
des éléments.

Section 2 – La perte d’utilité des éléments

97. Justification possible à l’utilisation des éléments – L’utilisation des éléments en droit
pénal spécial trouve une justification théorique. Selon certains auteurs, aux éléments généraux et
communs à toutes les infractions s’ajouteraient des éléments spéciaux, propres à chacune d’elles.
Une infraction ne serait donc pas constituée uniquement des éléments légal, matériel et moral.
À ces trois éléments s’en ajouteraient d’autres, dépendants des exigences textuelles.
La justification est, il faut l’admettre, séduisante. Elle permet une conciliation entre la
fonction de généralisation des éléments et le détail nécessaire des différentes conditions légales
d’existence des différentes infractions. Cependant, cette justification se révèle insuffisante. Elle
ne permet pas de lever toutes les difficultés liées au rapprochement entre éléments et conditions
et les incohérences que cette proximité fait naître. Surtout, admettre l’adjonction d’éléments
généraux et spéciaux conduit à légitimer les énumérations faites en droit pénal spécial au prix
de la remise en cause de toute utilité des éléments. Dès lors que les éléments constitutifs appellent
une énumération de conditions, ils ne permettent pas de dégager un schéma d’analyse. Malgré un
caractère séduisant lié à la justification qu’elle propose à l’énumération de conditions auxquelles
donnent lieu beaucoup d’analyse de droit pénal spécial, la distinction entre les éléments spéciaux
aux éléments généraux (I) se révèle donc contestable (II).

§ 1. La distinction éléments généraux et spéciaux

98. Exposé de la distinction – Une explication à la tendance observée en droit pénal


spécial peut être trouvée dans la distinction doctrinale faite entre les éléments constitutifs
généraux et les éléments constitutifs spéciaux. L’idée développée par certains auteurs est que
toute infraction est constituée en premier lieu des éléments généraux. Ces éléments renvoient
au triptyque légalité, matérialité, moralité (et/ou injuste). Ils sont dits généraux, car communs
à toutes les infractions. S’y ajoutent des éléments spéciaux, qui sont, eux, propres à chaque
infraction. Ces éléments sont donc spécifiques et viennent en supplément des éléments généraux.
Ils se déduisent directement des textes d’incrimination.

93
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

La distinction est peu utilisée dans les manuels récents qui n’en font du reste pas état 275 .
Elle permet toutefois d’expliquer de manière assez convaincante l’utilisation faite des éléments
en droit pénal spécial. Développée par Lainé, elle consiste à admettre que les éléments légal,
matériel et moral sont des éléments, « essentiels » et « communs » à toutes les infractions 276 . À
côté de ces éléments, il existe au sein de chaque infraction d’autres éléments « propres » à elle et
qui « la distinguent des autres » 277 . La distinction fut reprise par Garraud qui explique quant à
lui que « toute infraction se constitue de deux espèces d’éléments bien distincts : les uns lui sont
communs avec toutes les autres infractions : ce sont les éléments généraux, constitutifs de tout
délit ; les autres lui servent d’éléments propres, lui assignent une place à part, lui donnent un
caractère particulier : ce sont les éléments spéciaux, constitutifs de tel délit. De sorte que toute
infraction, comme tout individu a deux noms : un nom de famille : on l’appelle une infraction ;
un nom propre : on l’appelle un vol, un faux, un meurtre. » 278 . Les éléments spéciaux, propres
à chaque infraction permettent ainsi pour chacune d’elle « de l’individualiser parmi toutes les
infractions classées et étudiées par le droit pénal spécial » 279 .

99. Conciliation – Une telle distinction permet indéniablement de concilier l’utilisation


faite des éléments en droit pénal général avec celle faite en droit pénal spécial. Les éléments
généraux conservent en effet leurs particularités. Outre le fait qu’ils sont indispensables à
la caractérisation des infractions, ils conservent leur caractère commun. Ils demeurent donc
liés à l’effort de conceptualisation de l’infraction dont ils expriment la structure. Quant aux
éléments spéciaux, ils répondent aux exigences du droit pénal spécial pour lequel un détail de
chaque condition requise est nécessaire pour exposer exhaustivement les exigences de chaque
incrimination. La conciliation permise par l’adjonction des deux types d’éléments est donc
évidente. Elle permet une justification de la différence qui s’observe entre les deux pans de la
matière. En droit pénal général, les éléments gardent leurs spécificités et permettent une étude
théorique et analytique de l’infraction. Ils révèlent ainsi le socle minimal de l’infraction, celui
sans lequel l’incrimination ne saurait répondre aux exigences du principe de légalité. En droit
pénal spécial, les éléments appellent davantage une énumération des données nécessaires à la
caractérisation des infractions.
Par conséquent, la distinction éléments généraux et spéciaux permet d’expliquer beaucoup
des incohérences décelables dans les analyses actuelles. Le préjudice serait ainsi un élément
supplémentaire en raison de son caractère spécial. Il s’ajoute aux trois éléments généraux dont la

275. On la trouve toutefois exposée dans l’ouvrage de Monsieur Vouin. R. Vouin, Manuel de droit criminel,
op. cit., p. 148, no 230.
276. A. Lainé, Traité élémentaire de droit criminel, op. cit., p. 98, no 124.
277. Ibid.
278. R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 91, no 45.
279. R. Vouin, Manuel de droit criminel, op. cit., p. 148, no 230.

94
Chapitre 2. La dénaturation de l’outil d’analyse

composition ne peut se trouver modifiée pour une infraction en particulier. Même l’autonomie
de la condition préalable se trouve préservée. Les éléments spéciaux perdent sans doute leur
caractère commun, mais il est possible de considérer qu’ils restent internes et contemporains à
l’infraction.
Si intéressante soit-elle, cette distinction est toutefois particulièrement contestable. Non
seulement la justification à la démultiplication des éléments par ce biais est insuffisante, mais
encore la distinction entraîne une relativisation de l’utilité des éléments comme outil d’analyse.

§ 2. Une distinction contestable

100. Une justification incomplète – La distinction proposée par certains auteurs entre les
éléments généraux et les éléments spéciaux permet d’expliquer les différences d’utilisation qui
s’observent entre la partie générale et la partie spéciale du droit pénal. Toutefois, la justification
se heurte à de sérieuses limites. Elle se révèle insuffisante et ne permet pas de lever toutes les
difficultés. Comment expliquer, par exemple, que le préjudice puisse être un élément autonome
alors que d’autres conditions sont intégrées aux éléments généraux ? En réalité, la distinction
permet tout juste d’apporter un semblant de justification à l’utilisation générale des éléments
constitutifs et à l’imprécision de l’outil. Elle n’est qu’une justification de façade à la synonymie
latente entre les éléments et les conditions d’existence des infractions. Dès lors, les éléments
n’auront d’utilité que dans le cadre du droit pénal général. Surtout, et de manière fort regrettable,
ils ne pourront plus avoir pour fonction ni de préciser la définition de l’infraction ni de
systématiser les analyses.
Séduisante, la distinction entre les éléments généraux et les éléments spéciaux n’est donc
pas probante. Outre le fait qu’elle ne permet pas d’expliquer certaines incohérences (A), elle
conduit à cantonner l’utilité des éléments à la seule partie générale de la matière (B).

A. Des incohérences persistantes

101. Une justification a posteriori – Les limites à la justification par le recours aux
éléments spéciaux des énumérations faites en droit pénal spécial s’expliquent en partie par
le fait que cette justification n’a été faite qu’a posteriori. On ne trouve pour la première fois
l’explication que dans l’ouvrage de Lainé qui date de 1879. Or, certains ouvrages exégétiques
mentionnaient déjà depuis quelques années les éléments de l’infraction, mais sans procéder à une
étude des textes d’incrimination ordonnée autour des deux éléments dégagés par la jurisprudence.
L’un des exemples déjà évoqué est celui de la Théorie du Code pénal de Messieurs Chauveau
et Hélie dont la première édition date des années 1830. Si les auteurs faisaient bien référence
aux éléments constitutifs et mentionnaient par principe la dualité d’éléments, l’analyse des textes

95
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

donnait lieu à une énumération d’éléments exigés par les textes, sans que les éléments matériel et
moral soient toujours expressément mentionnés. Par conséquent, la distinction opérée par Lainé
entre les éléments généraux et les éléments spéciaux ne paraît qu’une justification à l’utilisation
faite des éléments dans les analyses exégétiques. En atteste l’exemple donné par l’auteur de
l’infraction de vol pour laquelle les éléments identifiés sont en tous points conformes à ceux
avancés dans la Théorie de Code pénal 280 .

102. L’absence de maintien de la structure générale – Par ailleurs, la proposition de


Lainé ne permet pas toujours de justifier les éléments identifiés dans l’étude des incriminations.
En effet, si les éléments généraux sont des éléments communs à toutes les infractions, ils en
constituent le socle minimum. Ils sont les éléments de base devant toujours se retrouver. Or,
les analyses des textes font parfois l’économie d’un des éléments. C’est le cas dans la Théorie
du Code pénal, où l’élément moral n’est pas systématiquement explicité 281 . Le plus souvent, il
n’est développé de manière autonome que dans les cas où une intention particulière est exigée,
ou pour les infractions nécessitant une faute 282 . L’absence de maintien des éléments généraux
apparaît également aujourd’hui dans les études des infractions non intentionnelles. Le recours
aux éléments spéciaux ne peut expliquer la particularité des éléments retenus en la matière,
ceux-ci n’étant pas conformes au triptyque général. Plus précisément, dans ce cas, il n’y a pas un
élément spécial venant s’ajouter aux éléments généraux, mais une division de l’élément matériel
en deux éléments distincts tenant au résultat et au lien de causalité 283 . L’énumération procède
ici du détail des textes d’incrimination, mais elle ne correspond pas à l’adjonction d’éléments
spéciaux au schéma de base matérialité/moralité.
Par ailleurs, le schéma éléments généraux/éléments spéciaux laisse théoriquement une place
à la condition préalable. En raison de son antériorité, celle-ci demeure autonome et extérieure
aux éléments constitutifs. En principe, elle ne devrait donc pas être considérée comme un
élément spécial. Or, et malgré le fait qu’elle soit une notion utile essentiellement en droit
pénal spécial, elle ne se maintient pas systématiquement lors des analyses des incriminations.
Théoriquement, son autonomie peut se cumuler avec l’idée d’éléments spéciaux. Mais en réalité,
ce cumul complexifie l’analyse et les auteurs ont parfois tendance à ajouter la condition préalable
au nombre des éléments. Elle devient donc dans beaucoup de cas un élément spécial, propre
à certaines infractions. Du reste, la théorie des circonstances aggravantes comme éléments
constitutifs des infractions aggravées développée dans des thèses récentes semble de facto

280. Comp. A. Lainé, Traité élémentaire de droit criminel, op. cit., p. 98, no 123, et A. Chauveau et F. Hélie,
Théorie du Code pénal, op. cit., t. 5, p. 29, nos 1884 et s.
281. V. supra, no 92.
282. A. Chauveau et F. Hélie, Théorie du Code pénal, op. cit., t.4, p. 118, no 1409.
283. La causalité est souvent intégrée à l’élément matériel en doctrine. V. not. P. Conte et P. Maistre du
Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 174, no 302.

96
Chapitre 2. La dénaturation de l’outil d’analyse

remettre en cause l’autonomie de la condition préalable. Dans le cadre de l’infraction aggravée,


le statut de la victime ou le lieu de commission des faits seront en effet des éléments spéciaux ou
partiellement généraux. Pourtant, ils ne sont pas internes à l’infraction. Leur existence précède
temporellement sa réalisation 284 . Dans le cadre de l’infraction simple, ils n’en seraient donc que
des conditions préalables.

103. Incohérence relative à l’autonomie du préjudice – De la même manière, des


incohérences majeures existent quant à l’autonomie accordée à certains éléments spéciaux. En
effet, toutes les conditions indispensables à la caractérisation d’une infraction ne seront pas
systématiquement considérées comme des éléments autonomes. Par exemple, lorsqu’un mobile
est exigé, celui-ci n’est pas envisagé comme un élément spécial autonome. En raison de son
lien avec l’élément moral, il l’intègre naturellement, souvent au titre de l’exigence d’un dol
spécial 285 . À l’inverse, pourtant, le préjudice est lui érigé en élément autonome. Or, il est
difficile de trouver une justification à la différence de traitement opérée 286 . Le préjudice est
très proche du résultat de l’infraction dans les infractions contre les biens, d’autant que la
Cour de cassation par la souplesse dont elle fait preuve en la matière semble admettre que
l’existence du préjudice est inhérente à la réalisation de l’infraction. Il peut ne pas être de nature
pécuniaire 287 et peut surtout « découler en considération des circonstances de fait directement
de la seule constatation du détournement » 288 dans le cas de l’abus de confiance. Autrement dit,
la commission de l’infraction et la réalisation du résultat (le détournement du bien) semblent
entraîner de facto un préjudice pour la victime 289 . Du reste, non seulement le préjudice rejoint
le résultat en ce qu’il est un effet de l’infraction, mais encore est-il intimement lié à la réalisation
du résultat. Le plus souvent, ne résulte-t-il pas du seul détournement du bien et de l’atteinte au
droit de propriété qui en résulte ? Il est de ce point de vue une individualisation du résultat légal

284. V. supra, no 84.


285. V. supra, no 75.
286. Du reste, l’idée selon laquelle le préjudice pourrait être un élément autonome est peu admissible car elle
reviendrait à admettre qu’un élément constitutif puisse parfois faire l’objet d’une présomption irréfragable. Dans le
faux en écriture publique ou authentique (Code pén. art. 441-4), le préjudice est irréfragablement présumé. L’idée
d’une présomption irréfragable prive totalement les éléments constitutifs d’intérêt. Pour une critique de la souplesse
des juges en la matière, v. E. Dreyer, Droit pénal spécial, 3ème éd., Ellipses, collection Cours magistral, 2016,
p. 518-519, no 1127.
287. Cass. crim., 28 janv. 2015, Bull. crim., no 24 ; D. actualité 2015, note L. Priou-Alibert ; D. 2015, p. 845,
note L. Saenko ; AJ pén. 2015, p. 311, obs. G. Beaussonie ; D. 2015, pan. p. 1506, obs. C. Mascala ; Dr. pén.
2015, no 64, obs. M. Véron.
288. Cass. crim, 5 mars 1980, Bull. crim., no 80 ; Cass. crim., 26 oct. 1994, Bull. crim., no 340 ; RSC 1995, p. 582,
obs. R. Ottenhof.
289. Une solution similaire existe en matière d’escroquerie, encore que de manière assez surprenante, la Cour ne
déduise pas forcément le préjudice de la remise, mais « de ce que l’acte n’a pas été librement consenti », ce qui
suggère qu’ « au lieu d’une atteinte au patrimoine [...], l’escroquerie causerait ainsi une atteinte au consentement ».
L. Saenko note sous Cass. crim., 28 janv. 2015, D. 2015, p. 845. V. égal. W. Jeandidier, Droit pénal des affaires,
op. cit., p. 15, no 11, et X. Pin, Le consentement en matière pénale, 2002, LGDJ, p. 81, no 67.

97
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

de l’infraction dans la personne de la victime 290 . Or, le résultat n’est pour sa part jamais un
élément spécial. Pour la grande majorité des auteurs, il est en effet une composante de l’élément
matériel. Indispensable à la caractérisation des infractions matérielles, il est communément
admis qu’il relève de leurs éléments constitutifs. Cependant, parce qu’il est la conséquence de
l’acte accompli par l’agent, il dépend de l’élément matériel de ces infractions 291 . Pour autant,
il n’est pas une composante systématique de cet élément. L’intégration du résultat à l’élément
matériel ne peut en effet être totalement généralisée en raison de la distinction existant entre
les infractions matérielles, formelles et obstacles 292 . Parce que les deux dernières ne sont pas
conditionnées par la réalisation du résultat réel, celui-ci ne participe pas « de leur matérialité
constitutive, générant ainsi une distinction entre les infractions matérielles et les infractions
formelles ou obstacles » 293 . Il s’ensuit que l’élément matériel serait composé d’une constante,
le comportement, auquel s’ajoute une variable, le résultat 294 .
Comment justifier alors que le préjudice puisse être un élément autonome, là où le résultat
n’est qu’une composante de l’élément matériel ? La composition de l’élément matériel est déjà
fonction du type d’infraction considérée dès lors que le résultat redouté par le législateur n’a à
être vérifié que pour une catégorie particulière d’infraction. L’autonomie du préjudice est donc
surprenante. La composition des éléments est fonction de l’infraction – ou du type d’infraction –
considérée. Rien ne s’oppose en conséquence à ce que le préjudice intègre l’élément matériel
lorsqu’il est exigé, de même que le mobile intègre en certains cas l’élément moral. Aucune
explication autre que son caractère supplémentaire n’étant avancée pour justifier l’autonomie du
préjudice comme élément constitutif, rien ne permet de justifier cette position.

290. V. infra, no 359.


291. V. not. J.-Y. Maréchal, Essai sur le résultat dans la théorie de l’infraction pénale, 2003, L’harmattan, p. 503,
no 763 ; V. Malabat, « Le délit dit de « mise en danger », la lettre et l’esprit », JCP 2000, doctr. 208 ; Y. Mayaud,
« La résistance du droit pénal au préjudice » in Les droits et le Droit, Mélanges dédiés à Bernard Bouloc, op. cit.
Dans les manuels, l’étude du résultat est par conséquent majoritairement intégrée à l’étude de l’élément matériel. V.
not. A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., p. 170 ; R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 481,
no 422 ; Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 173, no 162 ; J. Pradel, Traité de droit pénal et de sciences
criminelles comparées, op. cit., p. 357, no 395 ; P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit.,
p. 180, no 312 ; X. Pin, Droit pénal général, op. cit., p. 160, no 164. V. égal. J.-M. Thevenon, L’élément objectif et
l’élément subjectif de l’infraction, th. préc., p. 33 et s.
292. Une généralisation parfaite de la composition de l’élément matériel est néanmoins possible dès lors que l’on
retient la distinction entre le résultat réel, résultat redouté par le législateur, et le résultat légal, fixant le seuil de
consommation des infractions. Ce second résultat pourra être une atteinte à la valeur protégée pour les infractions
matérielles. Il rejoindra alors le résultat réel. Il pourra au contraire se situer en amont dans les infractions formelles
et obstacles.
293. Y. Mayaud, « La résistance du droit pénal au préjudice » in Les droits et le Droit, Mélanges dédiés à Bernard
Bouloc, op. cit.
294. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 173, no 162. Sur la caractère variable de l’élément matériel
selon la nature des infractions, v. V. Malabat, « Retour sur le résultat de l’infraction » in Mélanges en l’honneur
du Professeur J.-H. Robert, LexisNexis, 2012, p. 443.

98
Chapitre 2. La dénaturation de l’outil d’analyse

104. Incohérence relative à l’autonomie des circonstances aggravantes – De la même


manière, admettre les circonstances aggravantes comme des éléments autonomes peut sembler
incohérent. Certaines d’entre elles sont en effet intimement liées à l’un des éléments généraux.
Tel est le cas de la préméditation vis-à-vis de l’élément moral, ou encore du mobile. Celui-ci
n’est en effet souvent pris en compte qu’au titre de l’aggravation. Ainsi en est-il pour le meurtre
à raison de l’orientation sexuelle de la victime 295 . Si l’infraction aggravée est effectivement une
entité juridique autonome, cette circonstance aggravante ne vient-elle pas simplement modifier
la consistance de son élément moral, plutôt que de s’y ajouter en tant qu’élément autonome 296 ?
Le même raisonnement peut être suivi s’agissant de l’usage d’une arme. Dans le cas par exemple
de violences volontaires commises avec l’usage d’une arme 297 , cet usage semble davantage
intégrer la matérialité du comportement, surtout lorsque la violence résulte de cette utilisation.
L’acte matériel de violence ne peut que difficilement être dissocié de la circonstance aggravante
qui en constitue le moyen de réalisation.
L’usage fait des éléments constitutifs apparaît excessif et bien trop systématique pour être
justifié. Omniprésent en droit pénal, tout semble devoir être un élément de l’infraction. Les
éléments apparaissent essentiellement être une manière de valoriser certaines données, mais au
détriment d’une cohérence d’ensemble. La distinction entre les éléments généraux et spéciaux
n’est qu’un semblant de justification à une utilisation parfaitement générale des éléments qui ne
tendent concrètement qu’à être une expression permettant de désigner les conditions requises par
les textes. Du reste, la distinction emporte avec elle la remise en cause de la fonction théorique
de systématisation des éléments constitutifs.

B. L’utilité des éléments cantonnée au droit pénal général

105. L’absence d’utilité en droit pénal spécial – Que ce soit sous couvert du recours aux
éléments spéciaux ou non, les éléments constitutifs ne permettent, en droit pénal spécial que
d’isoler et d’expliquer les différentes exigences requises par les textes. Les éléments n’ont alors
pas la même fonction en droit pénal général et en droit pénal spécial. En droit pénal général,
ils permettent de préciser la structure interne de l’infraction et d’établir un ordre logique dans
l’analyse des infractions afin d’en permettre une caractérisation minutieuse. Par conséquent,

295. Code pén. art. 221-4, 7°


296. En réalité, dans ce cas, la circonstance modifie à la fois la perception de l’élément moral et celle de
l’élément matériel. Pour le mobile raciste ou discriminatoire, l’article du Code pénal exige en effet une manifestation
matérielle du mobile. La circonstance aggravante ne peut être constituée que si « l’infraction est précédée,
accompagnée ou suivie de propos, écrits, utilisation d’images ou d’objets ou actes de toute nature portant atteinte
à l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de
leur orientation ou identité sexuelle vraie ou supposée ». Code pén. art. 132-77.
297. Code pén. art. 222-13, 10°.

99
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

leur utilité ne devrait pas être cantonnée au droit pénal général. Au contraire, le schéma fourni
devrait pouvoir être transposé pour chaque texte d’incrimination afin d’en permettre une étude
méthodique.
L’énumération de conditions est par contre assez peu compatible, tant avec l’idée d’une
systématisation de l’analyse des infractions, qu’avec celle selon laquelle un schéma d’analyse
serait fourni par les éléments généraux. La systématisation n’est pas possible dès lors que les
éléments généraux sont fondus dans la masse des différents éléments identifiés et ne se main-
tiennent pas systématiquement. Le fait que l’étude des infractions ne soit pas systématiquement
faite en faisant mention des éléments généraux et en les spécifiant remet en cause l’idée d’une
structure commune. Bien plus, elle suggère une dissociation fort problématique entre l’étude
générale de l’infraction et son étude spéciale, au moins lorsqu’il y a en droit pénal spécial un
affranchissement du schéma d’étude fourni par le droit pénal général.
De même, l’idée d’un ordre logique dans l’analyse des faits devient difficilement concevable.
À ce titre, Lainé expliquait que les éléments généraux sont ceux « que le juge doit examiner avant
tout » 298 , ce qui suggère qu’ils devraient être vérifiés avant les éléments spéciaux. Cependant,
selon les incriminations, un tel ordre peut manquer de cohérence, notamment lorsque les
éléments spéciaux se trouveront en lien étroit avec l’un ou l’autre des éléments généraux. Les
énumérations faites en droit pénal spécial ne suivent d’ailleurs pas une telle logique. Il semble en
effet bien plus cohérent de vérifier dans un premier temps tous les éléments liés à la matérialité
des faits puis ceux liés à la moralité. L’ordre logique imposé par les éléments généraux demeure
donc, mais il n’est plus mis en valeur, ce qui est regrettable. Les éléments constitutifs sont
simplement une suite de vérifications.

106. Une utilité potentielle en droit pénal spécial – Pourtant, l’outil est prometteur au
regard des deux matières. Le droit pénal spécial pourrait en effet tirer profit du schéma proposé
par les éléments généraux, notamment en terme d’uniformisation des analyses des différents
textes. Le nombre d’éléments identifiés pour une infraction donnée devrait être invariable. Il
est fonction des exigences légales, non des courants doctrinaux. Le détail des exigences de
chaque incrimination peut du reste parfaitement être effectué dans le cadre donné par les
éléments généraux. Les ouvrages de Madame Rassat ou de Monsieur Conte en attestent.
L’étude de chaque infraction suit le schéma logique donné par les éléments généraux admis
par ces auteurs. En outre, si les éléments ont théoriquement vocation à fournir un schéma
d’analyse des infractions, d’un point de vue plus pratique, ils ont une fonction essentielle, celle
de permettre la qualification des faits. Or, les exigences de l’exercice de qualification ne peuvent
se satisfaire d’une vérification désordonnée de conditions. C’est dans cet exercice que l’existence

298. A. Lainé, Traité élémentaire de droit criminel, op. cit., p. 98, no 124.

100
Chapitre 2. La dénaturation de l’outil d’analyse

d’un schéma prédéfini d’analyse prend tout son sens. Par la revalorisation du caractère commun
des éléments, ceux-ci pourraient par conséquent se révéler être un outil prometteur. Du point
de vue du droit pénal général, leur lien avec la conceptualisation de l’infraction n’en serait que
renforcé. D’un point de vue plus pratique, les éléments auraient alors réellement pour fonction
de guider l’analyse de l’infraction.
Au reste, même certains éléments spéciaux s’inscrivent dans une démarche de systémati-
sation. La transcription du préjudice et des circonstances aggravantes en éléments constitutifs
l’illustre. L’intérêt d’ériger en élément constitutif la circonstance aggravante est en effet de faire
ressortir la particularité des infractions aggravées qui présentent une structure certes spécifique,
mais tout de même commune à toutes les infractions de cette catégorie. De la même manière,
la généralisation de l’analyse du préjudice comme élément de certaines infractions contre les
biens met en valeur une catégorie particulière d’infraction, les infractions de préjudice. Il
apparaît dès lors que les éléments constitutifs restent liés à une démarche de systématisation de
l’analyse des différentes infractions. Mais il est particulièrement regrettable que cette démarche
ne soit que catégorielle. L’approfondissement des différentes catégories d’infractions conduit
à insister sur les structures propres des infractions de chacune de ces diverses catégories. Or,
la multiplication des structures particulières est néfaste à une éventuelle conceptualisation de
l’infraction, car elle met en valeur les spécificités de chaque catégorie au détriment de l’idée
d’une structure commune. La catégorisation présente sans doute l’intérêt de permettre d’insister
sur les similitudes au sein d’une même catégorie, mais elle fait parfois oublier que derrière
toutes ces catégories – dont le nombre ne cesse au demeurant d’augmenter – il existe un concept
primaire et général qu’il est nécessaire de préciser. Les différents types d’infractions ne se
définissent et, éventuellement, ne se particularisent que par rapport à lui. Or, de ce point de vue,
il existe encore trop d’incertitudes sur la structure générale de l’infraction et sur les éléments
généraux qui la constituent.
Ce constat de la très grande variabilité dans les éléments identifiés, souvent fait par
des auteurs étrangers, est regrettable. Il trahit l’absence de théorie française de l’infraction
et les difficultés de précision de sa structure. Monsieur Ambos dénombrait ainsi récemment
sept variantes dans l’analyse française de l’infraction 299 . Le constat est partagé par Monsieur
Manacorda qui déplorait lui les approches partiellement différentes proposées par chaque
auteur, davantage par « souci d’originalité » que par une volonté de construire une théorie de
l’infraction 300 .

299. K. Ambos, « Réflexions sur la théorie française de l’infraction pénale du point de vue allemand » in Vers un
nouveau procès pénal ?, op. cit.
300. S. Manacorda, « Théorie générale de l’infraction, lacunes ou spécificités de la science pénale ? », art. préc.

101
Titre I. Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse

* *
*

107. Conclusion du Chapitre 2 – Dans une première démarche, générale, les éléments
constitutifs ont une fonction relativement évidente, qui réside dans une systématisation des
analyses grâce à la mise en place d’un schéma prédéfini. Dès lors que les infractions relèvent d’un
même modèle, elles doivent pouvoir être analysées selon le même schéma. Pourtant, cette utilité
des éléments est remise en question par l’utilisation qui en est faite lorsque l’étude se concentre
sur les incriminations. Lors de l’étude des textes d’incriminations, les auteurs ont tendance à
énumérer autant d’éléments que de conditions requises par les textes. Les éléments n’ont alors
pas d’identité propre. Constitutifs, ils ne le sont qu’à travers les exigences légales, mais ils portent
alors sur les différentes incriminations, non sur l’infraction. Cette ambivalence dans la nature
et l’objet des éléments est regrettable. Elle les prive de toute identité et de beaucoup de leur
utilité potentielle. Leur fonction initiale ne devrait pourtant pas être perdue de vue, malgré les
difficultés pratiques auxquelles une entreprise de systématisation pourrait être confrontée. En
effet, les éléments constitutifs ont une utilité fondamentale en matière de qualification. Leur
vocation n’est pas uniquement de conditionner celle-ci, elle peut être aussi de la guider.

* *
*

108. Conclusion du Titre 1 – Ce premier titre a été l’occasion de revenir sur l’analyse
traditionnelle de l’infraction afin d’en proposer un état des lieux. L’étude de l’infraction
s’organise majoritairement autour des trois éléments que sont l’élément légal, l’élément matériel
et l’élément moral. Deux de ces éléments ont leur origine dans la complémentarité de principe
entre le fait et la volonté. Leur affirmation légale est issue d’une loi de 1791 imposant aux juges
de se prononcer sur la volonté de l’auteur des faits. Sous l’impulsion de la jurisprudence et de la
doctrine, cette loi a encouragé la formulation devenue traditionnelle selon laquelle une infraction
est toujours constituée par la réunion d’un élément matériel et d’un élément moral. Par la suite,
la doctrine a déduit de la définition de l’infraction deux autres éléments. Si l’élément légal a été
relativement bien reçu, l’élément injuste fait lui l’objet de plus de réserves en raison notamment
de son caractère négatif. De la sorte, la position la plus courante est celle retenant trois éléments,
l’élément légal étant ajouté aux éléments matériel et moral. Le recours aux éléments constitutifs
a permis d’approfondir l’analyse théorique de l’infraction, tout en la présentant à travers un
schéma didactique et systématique. C’est en ce sens que les éléments sont devenus un outil
d’analyse.
Ce simple constat aurait alors dû conduire une identification de la teneur de l’outil et des
102
Chapitre 2. La dénaturation de l’outil d’analyse

éléments de l’infraction. Mais cette double identification ne pouvait être effectuée abstraction
faite de l’état actuel de l’utilisation des éléments, d’autant que l’élément légal entretient un lien
plus distend que les éléments matériel et moral avec le comportement infractionnel. S’il exprime
un principe de la matière et une caractéristique technique de la définition de l’infraction, il n’en
retranscrit pas la nature particulière ou la substance. Ce constat fait déjà naître un doute quant à
l’identité de l’élément constitutif et quant à la démarche à suivre en vue de l’identification des
éléments constitutifs.
Le doute est renforcé par l’utilisation des éléments. En droit pénal général, l’outil conserve
sa fonction initiale. La division de l’infraction permet d’en approfondir l’étude, tout en mettant
en lumière ses spécificités structurelles et formelles. Mais une approche plus spéciale et dirigée
vers les différentes incriminations s’éloigne de cette fonction. Outil de valorisation, les éléments
ne sont pas utilisés pour faire ressortir les spécificités de la notion d’infraction, mais pour insister
sur les exigences propres à chaque incrimination. Le schéma général d’analyse est alors perdu
de vue pour faire place à une énumération qui, si elle répond à n’en pas douter aux exigences du
principe de légalité, a pour effet de cantonner l’utilité de l’outil au droit pénal spécial. Constitutifs,
les éléments ne le sont que parce qu’ils entrent dans la compositions des infractions. La tendance
n’est pas nouvelle. Le développement des éléments ne semble pas avoir suivi la même logique
dans la dimension générale de la matière et dans sa dimension plus spéciale. Une explication
aurait certes pu être trouvée dans la distinction proposée par certains auteurs entre les éléments
généraux et les éléments spéciaux. Pour autant, celle-ci s’est révélée insuffisante, d’autant que
des incohérences demeurent lorsque l’on procède à une étude d’ensemble des éléments. En
réalité – et l’idée qui sous-tend les éléments spéciaux en est l’aveu –, l’étude des éléments
constitutifs des incriminations est essentiellement un prétexte à une énumération de conditions.
Ce constat est regrettable en ce qu’il affecte l’identité et l’utilité des éléments en droit pénal, dont
le succès ne se dément pourtant pas. Or, leur utilité est réelle. Les éléments peuvent être un outil
particulièrement riche justement parce qu’ils ont vocation à permettre une analyse approfondie
de l’infraction et, par suite, une analyse invariable et prédéfinie des infractions.

103
Titre II

Les éléments constitutifs, outil fondamental de


qualification

109. La fonction de généralisation, fonction essentielle – L’état actuel de la doctrine


ne permet pas de déterminer et d’identifier les éléments, dès lors que leur nature comme leur
fonction est partiellement incertaine. Il faut par conséquent repartir de l’intérêt pressenti des
éléments. Au regard de ce qui vient d’être vu, il est double : il est tout d’abord théorique et
permet une meilleure appréhension et compréhension de l’infraction. Il est ensuite pratique et
tient à l’analyse aussi bien des textes que des faits. Ces deux intérêts ne sont pas incompatibles,
en attestent certains ouvrages de droit pénal spécial dans lesquels la division générale est
maintenue de manière systématique. Plus largement, le succès des éléments suggère une utilité
de l’outil. Elle peut justement résider dans l’ordonnancement des vérifications indispensables à
la déclaration de responsabilité, par un schéma général et invariable de qualification des faits,
lequel serait déduit de la structure générale de l’infraction.
Cet intérêt des éléments est de toute évidence leur intérêt principal, si ce n’est exclusif.
D’autres peuvent certes être identifiés, mais ils sont bien moins déterminants. En premier lieu,
la localisation de l’infraction ne dépend pas d’eux, mais de la notion plus vague et assurément
plus large de « faits constitutifs » 1 . L’expression avait été préférée à celle utilisée auparavant à
l’article 693 du Code de procédure pénale d’ « acte caractérisant l’un des éléments constitutifs
de l’infraction » 2 . Elle autorise la localisation de l’infraction au lieu de réalisation d’un acte
matériel d’exécution, mais aussi au lieu d’existence de la condition préalable. Elle est en tout

1. Code pén., art. 113-2.


2. Le terme de « fait » a semble-t-il été préféré à celui d’acte en raison de son caractère plus objectif. V. Débats
parlementaires du Sénat, op. cit., p. 614, et Circulaire générale présentant les dispositions du nouveau code pénal,
op. cit., p. 16.

105
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

cas interprétée comme telle par la Cour de cassation 3 , la tendance étant à la décomposition des
infractions « en autant de « faits » que possible afin de multiplier les occasions de rattachement
au territoire de la République » 4 . Par ailleurs, les éléments constitutifs interviennent certes
dans la détermination de la consommation 5 , mais sans en être le critère exclusif. Comme le
remarque Monsieur Maréchal, si l’on retient l’extériorité de la condition préalable par rapport
aux éléments constitutifs, il est alors plus juste de parler de la réunion des conditions d’existence
de l’infraction 6 . Il s’ensuit que si l’intérêt des éléments ne réside pas exclusivement dans une
généralisation de l’analyse des infractions, il y tient pour beaucoup.

110. Approche fonctionnelle des éléments – Or, cette dernière fonction permet de déga-
ger une définition fonctionnelle des éléments constitutifs ; d’en préciser l’essence et l’identité.
Les éléments imposent un ordre logique dans l’analyse des infractions et jouent un rôle central
en matière de qualification. C’est à l’occasion de la qualification des faits que l’ordre de
vérification résultant du schéma imposé par les éléments constitutifs se révèle primordial. Et
le rôle des éléments en cette matière se dédouble. Ils permettent une comparaison minutieuse du
comportement et du texte d’incrimination pressenti, ce qui encourage l’idée d’une énumération
de conditions. Mais les éléments constitutifs permettent aussi et avant tout de déterminer
ce texte. C’est par une analyse ordonnée du comportement sous ses différents angles que
le texte d’incrimination adapté pourra être identifié. La fonction de qualification est ici le
prolongement de la fonction d’analyse de la notion d’infraction. Si l’infraction, prise en son sens
général possède une structure particulière, toute infraction doit être qualifiée au regard de cette
structure. Par ailleurs, on s’en souvient, malgré la diversification des éléments, les deux éléments
principaux étaient relatifs à la teneur du comportement infractionnel. Ils permettaient de préciser
la substance de l’infraction, entendue comme comportement. De manière générale, les éléments
constitutifs peuvent donc guider l’exercice de qualification par les différents angles d’analyse
du comportement qu’ils imposent. Ils sont, d’un point de vue pratique, avant tout un outil de
qualification, indispensable à l’exercice de qualification (Chapitre 1). L’outil précisé dans sa
nature et sa fonction, il sera alors possible de dégager le schéma d’analyse et de qualification
des infractions (Chapitre 2), autrement dit, d’identifier les différents éléments constitutifs dans

3. V. not. Cass. crim., 2 déc. 2009, Bull. crim. ; Dr. pén. 2010, Comm. no 42, obs. M. Véron, pour une
localisation de l’infraction d’abus de confiance au lieu de la remise préalable.
4. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 1308, no 1870. Comp. A. Huet et R. Koering-Joulin, Droit
pénal international, 3ème éd., PUF, coll. Thémis, 2005, p. 220, no 131, qui évoquent eux une tendance des tribunaux
« à « atomiser » des infractions afin de les mettre en contact avec le territoire français ».
5. La consommation est souvent définie comme la réunion de tous les éléments constitutifs de l’infraction. A.
Tsarpalas, Le moment et la durée des infractions pénales, th. préc., p. 172, no 259 ; B. Thellier de Poncheville,
La condition préalable de l’infraction, th. préc., p. 34, no 42.
6. J.-Y. Maréchal, Essai sur le résultat dans la théorie de l’infraction pénale, th. préc., p. 283, no 415.

106
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

leur essence. Car les incertitudes doctrinales quant aux éléments identifiés et la variabilité des
analyses ne peuvent conduire qu’à repenser et préciser ce schéma.

107
Chapitre 1

L’exercice de qualification

111. Nature et fonction des éléments – Les éléments constitutifs répondent à deux enjeux
d’importance similaire. L’un d’eux est théorique : les éléments ont été utilisés par la doctrine
pour tenter de préciser la notion d’infraction. C’est pour cette raison qu’ils ont été déduits en
partie de sa définition 7 . L’autre est pratique et a précédé historiquement l’enjeu théorique. Il tient
à une certaine rigueur dans la qualification du comportement eu égard aux faits accomplis et à la
volonté. À cet égard, les éléments ne sont pas à proprement parler des éléments de définition de
l’infraction. Si, mis ensemble, ils la constituent, c’est parce ce qu’ils sont issus de sa structure
et de la nature du comportement incriminé. Autrement dit, parce qu’ils révèlent la substance
de l’infraction, ils peuvent être utiles à l’approfondissement de la notion d’infraction. Mais ils
ne sont pas en tant que tel des éléments de définition. C’est pour cette raison, d’ailleurs, que la
peine n’a pas sa place au sein des éléments constitutifs, bien qu’elle participe de sa définition
technique.
En pratique, la fonction première des éléments est donc de conditionner la qualification
des faits, mais en la guidant. C’est en ce sens que les éléments sont un schéma d’analyse.
Parce qu’ils invitent le juge à envisager le comportement sous différents angles, il est possible
de considérer les éléments comme des angles d’analyse du comportement, imposant un ordre
logique et prédéterminé dans la qualification des faits. Du rôle des éléments dans l’exercice de
qualification (Section 1) peut donc être déduite leur nature (Section 2).

7. V. supra, nos 53 et s.

109
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

Section 1 – Le rôle des éléments en matière de qualification

112. La qualification, enjeu principal – À l’occasion de l’exercice de qualification, les


éléments prennent une importance pratique particulière. Ils sont indispensables à la caractéri-
sation de l’infraction et conditionnent par conséquent totalement la qualification. Le lien entre
éléments constitutifs et qualification est d’autant plus évident que c’est en fait dans cet exercice
que se situe leur intérêt premier. Revenir sur cette fonction des éléments est par conséquent
essentiel. D’elle dépend en grande partie la conception à retenir de l’outil. Or, l’exercice de
qualification est complexe et peut se concevoir de différentes manières. Non seulement la
qualification peut viser l’exercice accompli par le juge ou celui effectué par le législateur, mais
en outre, la qualification judiciaire intervient à différents stades de la procédure. Par conséquent,
elle ne suit pas toujours totalement la même logique.
Comprendre l’intérêt des éléments en matière de qualification nécessite donc de revenir sur
leur rôle dans les exercices de qualification légale et judiciaire (I), ainsi que sur les modalités de
l’exercice de qualification judiciaire (II).

§ 1. Un rôle commun aux exercices de qualification légale et judiciaire

113. Un terme polysémique – En matière pénale, le terme de qualification recouvre


plusieurs opérations. Il désigne l’exercice accompli par le législateur lorsqu’il incrimine un
comportement. Il désigne au demeurant l’exercice accompli par le juge ou l’autorité de poursuite
lorsqu’ils sont saisis des faits. Ces deux aspects de la qualification doivent être précisés (A), car
les éléments interviennent dans les deux cas. Il est par conséquent intéressant de voir dans quelle
mesure les éléments sont utiles à l’un et à l’autre. En outre, parce que les éléments interviennent
dans les deux exercices, leur objet est nécessairement dual (B). Ils sont tout autant ceux de
l’infraction, entendue comme comportement, que ceux de l’incrimination.

A. De la qualification légale et de la qualification judiciaire

114. Généralités – Le terme de qualification 8 désigne en droit civil en premier lieu une
« opération intellectuelle d’analyse juridique, consistant à prendre en considération l’élément
qu’il s’agit de qualifier (fait brut, acte, règle, etc.) et à le faire entrer dans une catégorie juridique
préexistante [...] en reconnaissant en lui les caractéristiques essentielles de la catégorie de

8. Pour une étude détaillée de la qualification, v. T. Janville, La qualification juridique des faits, 2004, PUAM.

110
Chapitre 1. L’exercice de qualification

rattachement » 9 . En droit pénal, il est un terme polysémique 10 , pouvant désigner différentes


opérations.

115. Qualification légale : définition – Dans une première acception, la qualification est
l’opération accomplie par le législateur lorsqu’il attribue un nom à un comportement qu’il
souhaite incriminer 11 . Ainsi, le fait donner la mort à autrui volontairement est qualifié de meurtre
par le législateur. Il s’agit de la qualification légale du comportement 12 . Cette qualification est
intimement liée à l’opération d’incrimination. Le législateur ne peut en principe pas se contenter
de nommer un comportement, c’est-à-dire de le qualifier légalement. Il doit en outre le prévoir,
à la fois dans sa dimension objective et dans sa dimension subjective. Sur ce dernier point,
l’article 121-3 suffit en réalité à assurer le caractère intentionnel du comportement, de sorte
que le législateur peut ne pas définir outre mesure l’infraction dans sa dimension subjective.
Reste que si au sens strict, la qualification légale ne désigne que le nom de l’infraction (meurtre,
vol, etc.), elle est dépendante de la description qui lui est associée. L’opération de qualification
légale renvoie par conséquent à l’exercice d’incrimination. La qualification en elle-même (le
nom) n’est que le résultat de l’opération. Cet exercice de définition et de description, propre au
droit pénal, est directement imposé par le principe de légalité. Le législateur ne peut se contenter,
comme en droit civil, d’un texte général exposant les conditions abstraites dans lesquelles la
responsabilité d’une personne peut être engagée 13 . Il doit déterminer le plus précisément et
le plus finement possible le comportement particulier susceptible d’engager la responsabilité
pénale des individus.

116. Qualification judiciaire : définition – Par ailleurs, la qualification est, selon la défi-
nition de Garraud, « la détermination du rapport légal existant ente un fait délictueux et les
dispositions de la loi qui lui sont applicables » 14 . Elle est donc l’opération intellectuelle par
laquelle le juge confronte une situation concrète aux prévisions abstraites de la loi et s’assure que
les faits coïncident avec les prévisions légales 15 . Cette opération est plus précisément désignée

9. G. Cornu, Vocabulaire juridique, préc., v° Qualification.


10. En ce sens, E. Gallardo-Gonggryp, La qualification pénale des faits, 2013, PUAM, p. 28, no 15.
11. V. not. B. Perreau, De la qualification en matière criminelle, 1926, LGDJ, p. 5, no 2, et E. Gallardo-
Gonggryp, La qualification pénale des faits, th. préc., p. 29, no 18.
12. E. Gallardo-Gonggryp, La qualification pénale des faits, th. préc., p. 29, no 18. V. néanmoins Y. Mayaud,
Droit pénal général, op. cit., p. 299, no 280, qui associe davantage cette terminologie à la répartition des infractions
entre les crimes, délits et contraventions.
13. Malgré la multiplication de régimes spéciaux de responsabilité, le principe général demeure celui selon
lequel « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est
arrivé à le réparer » (Code civ. art. 1240). Ce texte général donne les trois conditions essentielles et suffisantes à
l’engagement de la responsabilité civile : un fait un dommage et un lien de causalité.
14. R. Garraud, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, t. 2, Recueil Sirey,
1909, p. 333, no 537.
15. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 481, no 613.

111
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

par le vocable de qualification judiciaire 16 des faits 17 . Là où la qualification légale est le nom
donné par le législateur au comportement qu’il incrimine, la qualification judiciaire est le nom
attribué par le juge – ou l’autorité de poursuite – au comportement dont il est saisi. De même
que pour la qualification légale, le nom n’est donc que le résultat de l’opération. L’exercice de
qualification consiste quant à lui à déterminer le texte applicable.
Par suite de la présentation de Monsieur Perreau 18 , les auteurs estiment majoritairement
que la qualification judiciaire s’opère en deux temps 19 . Dans le premier, il s’agit de qualifier les
faits, c’est-à-dire d’identifier les faits poursuivis avec ceux prévus par les textes d’incrimination.
Dans le second, il est nécessaire de qualifier l’infraction, c’est-à-dire de déterminer plus
précisément sa nature selon la catégorie (crime, délit, contravention) dont elle relèvera in fine en
fonction des circonstances de sa commission 20 . Dans la démarche de la qualification judiciaire,
les faits ne seront constitutifs d’une infraction, et donc qualifiés pénalement, que s’ils entrent
dans la définition fournie par le texte d’incrimination 21 .

117. Fonction des éléments – Que l’on se situe dans l’opération de qualification légale
ou de qualification judiciaire, les éléments constitutifs sont pareillement capitaux. L’on sait
qu’en vertu du principe de légalité, le législateur doit décrire précisément et intelligiblement
les éléments des infractions qu’il entend incriminer 22 . Mais c’est essentiellement dans le cadre
de la qualification judiciaire que l’intérêt des éléments est évident. C’est par conséquent sur lui
qu’il conviendra de s’attarder en premier lieu.
L’opération de qualification du comportement nécessite que le juge confronte les faits

16. E. Gallardo-Gonggryp, La qualification pénale des faits, th. préc., p. 29, no 18 ; B. Perreau, De la
qualification en matière criminelle, th. préc., p. 35, no 12. Elle est qualifiée de judiciaire par opposition à la
qualification légale.
17. V. not. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 506, no 384.
18. Monsieur Perreau a en effet proposé cette distinction dans sa thèse consacrée à la qualification en matière
criminelle. Il relève à ce titre qu’elle avait déjà été pressentie par Monsieur Breuillac (Des changements de
qualification, thèse Lyon, 1905). V. B. Perreau, De la qualification en matière criminelle, th. préc., p. 8, no 4.
19. V. not. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 524, nos 400 et s., et E. Gallardo-Gonggryp,
La qualification pénale des faits, th. préc., p. 47, no 45, encore que cette dernière en a une approche plus critique.
20. Par exemple, le fait de soustraire frauduleusement la chose d’autrui sera d’abord qualifié de vol (qualification
des faits) puis, selon que les faits ont été commis avec certaines circonstances aggravantes, il sera qualifié de
délit ou éventuellement de crime (qualification de l’infraction). Cette distinction est quelque peu artificielle, car la
qualification de l’infraction découle directement de la qualification des faits. Elle en est la simple conséquence. La
qualification des faits ne s’arrête en effet pas à la caractérisation de l’infraction simple. Elle intègre ses circonstances
aggravantes. La qualification de l’infraction conduit ainsi simplement à tirer les conséquences de la qualification
des faits, quant à la nature précise de l’infraction commise (crime, délit, de droit commun, militaire... (v. R. Merle
et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p 506, no 384)) et donc au régime éventuellement applicable.
21. En ce sens, C. Ambroise-Castérot, « L’objet de la qualification » in La qualification dans le procès pénal,
actes du colloque organisé par l’École nationale de la magistrature et l’Institut de sciences criminelles et de la
justice de Bordeaux, sous la dir. de O. Décima, Cujas, 2013, p. 19.
22. Pour une affirmation de ce principe par le Conseil constitutionnel, v. not. Cons. const., 16 juin 1999, no 99-
411 DC ; D. 1999, p. 589, obs. Y. Mayaud ; D. 2000, p. 197, obs. S. Sciortino-Bayart ; AJDA 1999, p. 694, obs.
J.-E. Schoettl ; D. 2000, p. 113, obs. G. Roujou de Boubée.

112
Chapitre 1. L’exercice de qualification

qui lui sont soumis avec les descriptions légales contenues dans les textes d’incrimination. La
qualification ne peut se faire que si les éléments prévus par les textes se vérifient effectivement
dans les faits. Le juge doit en conséquence procéder à une telle vérification et établir l’existence
des éléments constitutifs de l’infraction en question. Cet enjeu est systématiquement souligné
par la doctrine 23 . La fonction première des éléments est de conditionner la qualification des
faits parce que les éléments sont indispensables à la caractérisation des infractions. Il en résulte
que l’intérêt principal des éléments réside dans l’exercice de qualification judiciaire à l’occasion
duquel le juge « doit constater avec exactitude chacun des éléments constitutifs du crime ou
du délit [...] ; car il ne peut y avoir de crime ou de délit qu’autant que toutes les conditions de
l’incrimination de la loi peuvent être présumées se trouver dans les faits qui font l’objet de la
poursuite » 24 .
L’intérêt des éléments dans l’exercice de qualification s’impose de lui-même. Il est de
l’essence même des éléments qui sont en premier lieu des conditions sine qua non d’existence
des infractions 25 . La qualification du comportement n’est par conséquent concevable que si
tous les éléments prévus par les textes se vérifient dans les faits, quelle que soit par ailleurs
la conception que l’on retient de ceux-ci. Il s’agit au reste de la conséquence du principe de
légalité dont on déduit une obligation pesant sur le législateur de définir les infractions en des
termes clairs et précis. Si le législateur doit décrire minutieusement le comportement qu’il entend
réprimer 26 , le juge doit pour sa part s’assurer que les éléments décrits sont bien présents en fait,
c’est-à-dire que le comportement correspond en tous points aux prévisions légales.
Au demeurant, cet enjeu se retrouve également dans la démarche plus théorique d’étude des

23. V. not. E. Gallardo-Gonggryp, La qualification pénale des faits, th. préc., not. p. 110, no 144 ; B. Perreau,
De la qualification en matière criminelle, th. préc., p. 51, no 17 (la fonction même du juge est de rechercher si les
« faits réunissent bien les éléments constitutifs d’une infraction punissable ») ; J.-P. Delmas Saint-Hilaire, « Sang
contaminé et qualification pénale ... avariée », Gaz. Pal. 1992, doctr. p. 674 ; J. Larguier, « Théorie des ensembles
et qualification pénale » in Mélanges offerts à A. Chavanne, litec, 1990, p. 95 ; R. Parizot et S. Detraz, « Le choix
de la qualification » in La qualification dans le procès pénal, actes du colloque organisé par l’École nationale de
la magistrature et l’Institut de sciences criminelles et de la justice de Bordeaux, sous la dir. de O. Décima, Cujas,
2013, p. 51. V. égal. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 481, no 614 : le juge doit s’assurer « que toutes les
conditions prévues par une loi qu’il s’apprête à appliquer son bien réunies ».
24. F. Hélie, Traité de l’instruction criminelle, 2ème éd., t. 5, H. Plon, 1866, p. 99, no 2068, à propos de
l’instruction.
25. En ce sens, J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 453, no 1059.
26. Il s’agit là au moins d’un principe de la matière, mais il est vrai que le législateur ne le respecte pas toujours.
Le contrôle du Conseil constitutionnel est du reste souvent jugé insuffisant par la doctrine. Tout d’abord, il juge
que la clarté des textes peut s’apprécier au regard des interprétations et précisions jurisprudentielles en cas de
question prioritaire de constitutionnalité (v. P. Conte, « La QPC et le petit bricoleur », Dr. pén. 2013, étude, no 8).
En outre, en cas d’imprécision, le Conseil a souvent recours à des réserves d’interprétation. Sur l’usage de ces
réserves, A. Cappello, La constitutionnalisation du droit pénal, 2014, LGDJ, p. 32, nos 36 et s. De la sorte, il évite
de censurer des textes qui ne sont pas parfaitement clairs. Pour une partie de la doctrine, ces réserves sont contraires
au principe de légalité. V. not. P. Maistre du Chambon, « Le déclin du principe de légalité en matière pénale » in
Mélanges en l’honneur de doyen Roger Decottignies, Presses Universitaires de Grenoble, 2003, p. 212, et pour une
position plus nuancée, A. Cappello, La constitutionnalisation du droit pénal, th. préc., p. 89, no 111.

113
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

textes. Lorsqu’une incrimination est étudiée et lorsque ses éléments constitutifs sont explicités,
c’est en effet bien pour faire ressortir les conditions sous lesquelles les infractions seront
susceptibles d’être caractérisées. Les éléments se déduisent donc des textes d’incrimination
et doivent se vérifier dans le comportement. Ils guident l’exercice de qualification. Outre son
aspect didactique, le découpage de l’infraction en divers éléments invite « le juge à examiner
méticuleusement la situation que la partie poursuivante prétend infractionnelle et à y appliquer
une méthode analytique » 27 .

B. Une dualité d’objet

118. L’ambivalence de l’infraction – De cette fonction des éléments constitutifs, il est


possible de déduire une conséquence relative au débat concernant l’objet des éléments constitu-
tifs. Une question qui s’est en effet posée a été de savoir si cet objet était l’infraction entendue
comme comportement, ou l’infraction telle que décrite par le législateur, c’est-à-dire à dire
l’incrimination. Le terme « infraction » peut renvoyer à deux réalités sensiblement différentes
en ce qu’il peut désigner soit l’infraction-description, soit l’infraction-action. La distinction a
notamment été étudiée par Monsieur Robert à l’occasion de son article consacré à l’histoire
des éléments constitutifs et, par la suite, par Monsieur Doucet. Ces deux auteurs insistent sur
une importante distinction existant entre l’infraction au sens d’incrimination, et l’infraction au
sens de fait tombant sous le coup de la loi pénale. Autrement dit, il y a d’un côté le concept,
l’infraction créée par le législateur – soit la description abstraite d’un comportement dans un
texte 28 – et de l’autre le comportement adopté par le délinquant et qui tombe sous le coup de
la loi. Ce second cas correspond à l’infraction réellement commise. La première « infraction »
renverrait en fait à l’incrimination légale 29 , ou infraction-description 30 ; la seconde étant le délit
concret 31 ou l’infraction-action 32 .

119. Les éléments de l’infraction-description – De cette distinction, il résulterait une sub-


tilité quant à l’objet des éléments constitutifs. Selon Monsieur Robert, le texte d’incrimination
ne peut en effet qu’être extérieur au délit concret, au comportement adopté par l’agent. De ce fait,
il ne peut être constitutif de l’infraction-action. Tout juste est-il une condition de la sanction du
comportement 33 , mais extérieur et nécessairement préalable à lui, il ne peut en être un élément

27. J.-H. Robert, « Histoire des éléments de l’infraction », art. préc.


28. Ibid.
29. J.-P. Doucet, La loi pénale, op. cit., p. 97.
30. J.-H. Robert, « Histoire des éléments de l’infraction », art. préc.
31. J.-P. Doucet, La loi pénale, op. cit. L’auteur utilise également le vocable d’infraction judiciaire.
32. J.-H. Robert, « Histoire des éléments de l’infraction », art. préc.
33. Ibid.

114
Chapitre 1. L’exercice de qualification

constitutif 34 .
Toutefois, si l’élément légal ne peut être constitutif de l’infraction-action, Monsieur Robert
relève que la loi est une composante déterminante de l’infraction en tant que concept, c’est-à-
dire de l’infraction-description. Avant de vérifier si une infraction est caractérisée en l’espèce,
encore faut-il que l’infraction existe en tant que telle et cette existence est conditionnée par la
présence d’un texte de loi décrivant le comportement en lui associant une peine. Selon l’auteur,
la loi serait ainsi l’élément essentiel de l’infraction-description.
Cet objet spécifique de l’élément légal avait déjà été perçu par Garraud. Cependant, sa
présentation tend à dissocier les différents éléments constitutifs en faisant relever l’élément
matériel et l’élément moral de l’infraction alors que l’élément légal est pour sa part celui de
l’incrimination 35 . Or, comme le relève Monsieur Robert, les trois éléments sont nécessairement
liés. Autrement dit, ils ont forcément le même objet, en conséquence de quoi, tous trois devraient
porter sur l’infraction-description, mais avec une différence de nature. L’élément légal est alors
le contenant, la forme, et les éléments matériel et moral sont pour leurs parts le contenu, la
matière 36 , tous trois demeurant liés par ce rapport. Ces deux derniers, même liés à l’infraction-
description, renvoient donc au comportement de l’agent. Ils sont la description abstraite de
l’activité concrète exigée pour constituer l’infraction.

120. La dualité d’objet – Toutefois, on a vu que les éléments constitutifs ont pour utilité
principale de guider la qualification pénale des faits. Ils se déduisent du texte d’incrimination
– de l’infraction-description – pour se vérifier dans le comportement – dans l’infraction-action.
Ceci s’explique par le fait que les éléments ont également un rôle à jouer dans la qualification
légale dès lors que le législateur a pour obligation de décrire les éléments du comportement qu’il

34. V. également M.-L. Rassat, Droit pénal général, op. cit., p. 273, no 230. L’auteur estime que le texte de loi,
préalable à l’infraction, ne peut s’analyser qu’en une condition et non comme un élément constitutif car l’élément
est concomitant à l’événement alors que la condition le précède.
35. En effet, lorsque Garraud traite des éléments matériel et moral, il les fait fort logiquement porter sur
l’infraction (l’infraction est étudiée dans son Traité dans « ses éléments matériels » puis « dans ses éléments
moraux » R. Garraud, Traité théorique et pratique du droit pénal français, 2ème éd., op. cit.). Mais lorsqu’il
envisage l’élément légal, l’objet de cet élément n’est pas totalement similaire dès lors qu’il intitule le titre relatif à cet
élément « Élément légal de l’incrimination » (ibid., p. 219, no 116). L’auteur ne justifie ni n’explique cette nuance
sémantique qui pourrait ne relever que d’une confusion entre l’incrimination et l’infraction. Dans la première édition
de son Précis, les éléments portent en effet tous sur l’infraction. À partir de la seconde édition, si la présentation
générale reste la même – les éléments constitutifs étant ceux de l’infraction –, les éléments ont tous pour objet
l’incrimination dans les titres, alors qu’il fait une distinction dans le Traité qui est pourtant postérieur...
36. J.-H. Robert, « Histoire des éléments de l’infraction », art. préc. Comp. P. Conte et P. Maistre du
Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 171, no 300 ; O. Décima, S. Detraz et E. Verny, Droit pénal général,
op. cit., 107, no 209 (les éléments matériel et moral sont constitutifs alors que l’élément légal est constituant
de l’incrimination) et E. Fortis, L’élément légal dans les infractions d’imprudence portant atteinte à l’intégrité
corporelle, 1989, Thèse, Lille, p. 12, no 4 (l’élément légal décrit tandis que les éléments matériel et moral sont
décrits).

115
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

entend incriminer. Dès lors, les éléments de l’un sont nécessairement les éléments de l’autre 37 .
Ils sont aussi bien ceux de l’infraction entendue comme comportement dont ils conditionnent
la caractérisation (opération de qualification judiciaire), que ceux de l’incrimination, dont leur
consistance exacte se déduit.
Le rôle des éléments et leur importance dans les opérations de qualification permettent ainsi
de conclure à une dualité d’objet. Prévus et décrits par les textes et vérifiés dans le comportement,
ils sont tout autant ceux de l’infraction que ceux de l’incrimination.
C’est toutefois essentiellement dans le cadre de la qualification judiciaire qu’ils sont
mobilisés. Ils interviennent alors aux différents stades auxquels s’effectue la qualification. Afin
de comprendre dans quelle mesure, il est nécessaire de se pencher sur les différentes modalités
de qualification selon les différents stades auxquels elle s’effectue.

§ 2. Les modalités de l’exercice de qualification judiciaire

121. Méthodes de qualification – L’exercice de qualification peut se concevoir de deux


manières, relativement liées, mais procédant de logiques différentes. L’on peut en effet appré-
hender la qualification comme exclusivement dirigée par l’analyse des faits. Dans ce cas, la
démarche est inductive. L’analyse minutieuse des faits – ou du résultat constaté – permet de res-
serrer le cercle des qualifications légales applicables jusqu’à arriver à la « bonne » qualification.
L’on peut aussi appréhender la qualification comme une opération de comparaison. En partant
toujours des faits, l’on pressent une qualification qui semble applicable. Il s’agira alors d’en
vérifier l’applicabilité effective.
Du point de vue des éléments, chaque approche leur imprime une acception particulière. Or,
la doctrine a parfois tendance à insister sur l’intérêt des éléments dans l’exercice de comparaison
et à trop peu les mobiliser au stade préalable, celui du choix de la qualification. En pratique,
il est vrai, l’exercice de qualification mélange ces deux approches, de sorte que les éléments
se trouvent tiraillés entre deux méthodes de qualification. Il ne faut cependant pas occulter
l’intérêt pratique des éléments dans une approche plus théorique de la qualification, car même si
l’approche pratique relève davantage de la comparaison, elle reste initialement sous-tendue par
la même logique. Elle est en effet intermédiaire, en ce qu’elle emprunte des deux démarches.
Deux démarches de qualification sont donc théoriquement concevables. Il conviendra

37. En ce sens, J.-J. Haus, Principes généraux du droit pénal belge, 2ème éd., t. 1, Librairie générale de Ad.
Hoste, 1874, p. 202, no 280. Selon lui, les éléments constitutifs s’appliquent indifféremment aussi bien au délit
abstrait qu’au délit concret. Cette position ne contredit d’ailleurs pas l’affirmation selon laquelle « ce qui participe
de l’incrimination n’est pas toujours constitutif de l’infraction ». Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 221,
no 198. Elle implique simplement une identité entre les éléments décris dans les textes et les éléments vérifiés par
le juge.

116
Chapitre 1. L’exercice de qualification

d’exposer ces deux démarches (A), avant de démontrer que la démarche suivie en pratique
présente un caractère intermédiaire (B).

A. Les différentes démarches de qualification judiciaire

122. Les deux approches de la qualification – Deux conceptions de la qualification


s’opposent. L’une est sans doute davantage idéaliste, l’autre plus réaliste, car orientée vers les
difficultés pratiques que peut soulever l’exercice de qualification.
La qualification suppose nécessairement un choix. Celui du fondement légal qui va permettre
la répression du comportement. Or, ce choix peut être le point de départ de l’exercice ou en
être le point d’arrivée. En effet, il est tout d’abord possible de ne concevoir la qualification que
comme une opération d’analyse du comportement. En partant des faits et en les analysant, il est
possible de resserrer le cercle des qualifications légales applicables. Ici, le choix de qualification
est donc le résultat de l’opération. Il ne peut s’effectuer qu’à terme. De l’analyse des faits, par
une démarche inductive l’on déduit la qualification applicable.
De manière légèrement différente, il est aussi possible de considérer la qualification comme
un aller-retour incessant entre le fait et le droit. Dans ce cas, l’analyse du comportement permet
de pressentir une qualification applicable dont il s’agira alors de vérifier l’applicabilité par un
exercice de comparaison entre le fait et le droit. Il faudra alors s’assurer que la qualification
choisie correspond en tous points au comportement, ou que le comportement en vérifie tous les
éléments. À défaut, il faudra se tourner vers une qualification subsidiaire. Le choix est ici opéré
en amont et l’opération de qualification tiendra essentiellement à la vérification de l’applicabilité
du fondement choisi.
Ces deux démarches sont sous-tendues par des enjeux diamétralement opposés. L’enjeu
est-il de trouver la qualification adaptée, ou de trouver une qualification qui puisse recevoir
application en l’espèce ?

123. Des enjeux différents – C’est ici toute la difficulté de la matière, car les enjeux
pratiques et les enjeux théoriques ne se rejoignent pas totalement. D’un point de vue strictement
théorique, le principe de légalité impose une certaine rigueur à l’exercice de qualification. La
logique par laquelle il est sous-tendu est qu’un comportement ne peut être réprimé que s’il a
été au préalable incriminé. Dès lors, il s’agit de déterminer si le comportement entre dans les
prévisions légales, non de parvenir à le faire entrer dans une prévision légale. Ceci impose donc
d’analyser le comportement pour aboutir, éventuellement, à la qualification adaptée. À défaut,
le comportement ne pourra être sanctionné pénalement.
En revanche, du point de vue pratique, l’impunité est parfois difficile à admettre et la
qualification répond aussi à des enjeux d’ordre politique. Il s’agit donc souvent davantage de

117
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

trouver une qualification applicable, afin de réprimer les faits. Le constat fait par Monsieur
Decocq l’illustre parfaitement : « il s’agit moins de vérifier qu’un fait répréhensible tombe
sous le coup d’une qualification légale, que de trouver une qualification légale permettant de
le réprimer » 38 .

124. Qualification et opportunité – Des auteurs ont montré la fonction éminemment


politique de l’acte de qualification 39 . En droit pénal, celui-ci ne correspond pas nécessairement
à une vérité, contrairement à ce que le principe de légalité pourrait suggérer. Monsieur Cayla 40
explique, s’agissant de la qualification en général, qu’elle est un acte qui consiste à donner
à la chose un nom qui convient, non pas à cette chose, mais au sort qu’on veut lui faire
subir en vertu de déterminations foncièrement politiques. Et de conclure : « c’est en fonction
du résultat pratique souhaité qu’il est décidé qu’un objet mérite tel nom » 41 . Ces remarques
s’appliquent parfaitement à la matière pénale et se sont parfois vérifiées dans des affaires
dont les enjeux politiques étaient considérables. Aux qualifications a priori les plus adaptées
ont pu être préférées des qualifications moins graves. L’affaire du sang contaminé et le choix
des qualifications opérées par les autorités de poursuite (tromperie sur la qualité des produits
sanguins) en furent un exemple flagrant 42 , conduisant au résultat ubuesque où un drame sanitaire
fut envisagé sous une qualification commerciale.
Du point de vue pratique, la qualification est donc motivée par des considérations parfois
étrangères à l’exacte qualification des faits, qu’elles soient d’ordre répressif ou non. L’opportunité
ne conduit pas toujours à appliquer la qualification la plus sévèrement punie, au contraire. La
pratique de la correctionnalisation l’illustre au même titre que les qualifications proposées dans
le cadre de l’affaire du sang contaminé. D’un point de vue théorique et idéaliste, la qualification
devrait pourtant répondre à une démarche inductive de recherche de la « vraie » qualification. Les
éléments peuvent alors être perçus comme des angles d’analyse du comportement. À l’inverse,
lorsque l’on se situe dans l’exercice de comparaison, les éléments se révèlent davantage être des
conditions devant être vérifiées par le juge.

125. Exemple – Un exemple permettra d’illustrer le propos. Prenons le cas d’ un homme


qui en frappe un autre avec un couteau et qui décède. Dans la première approche, théorique et
idéaliste, il s’agira d’analyser les faits sous leurs différents angles, correspondant aux éléments

38. A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., p. 131.


39. V. not. O. Cayla, « La qualification ou la vérité du droit », Droits 1993, no 18, p. 3, renvoyant not. aux travaux
de C. Perelman.
40. Ibid.
41. Ibid.
42. V. J.-P. Delmas Saint-Hilaire, « Sang contaminé et qualification pénale ... avariée », art. préc. Ce sont
aussi des considérations d’opportunités qui déterminent la pratique de la correctionnalisation de faits susceptibles
de recevoir une qualification criminelle.

118
Chapitre 1. L’exercice de qualification

constitutifs. Le comportement sera donc envisagé sous son aspect matériel. On constate alors
matériellement qu’un coup a été porté, à l’aide d’un couteau et que le décès s’en est suivi.
D’un point de vue strictement matériel, différentes qualifications sont donc envisageables :
meurtre, assassinat 43 , coups mortels, éventuellement même, homicide involontaire. Il est alors
nécessaire d’analyser ce même comportement sous son angle subjectif pour parvenir à un
choix de qualification 44 . Du même comportement, il s’agit donc de déduire la qualification
moralement adaptée. On constate alors que le coup a été porté dans une région vitale, à l’aide
d’une arme dont s’était préalablement muni l’agent. Ces constatations guident alors vers la
qualification de meurtre (ou d’assassinat), car elles révèlent non seulement le caractère volontaire
des coups portés, mais aussi la volonté de l’auteur de tuer la personne 45 . Dans une telle démarche,
le cheminement de la qualification épuise l’exercice de comparaison, car c’est à partir des
constatations que le choix de qualification est opéré.
Dans la seconde démarche de qualification, l’approche est sensiblement différente. L’énoncé
conduit à pressentir la qualification de meurtre, parce que c’est celle qui vient en premier à
l’esprit au vu du résultat. Il s’agit alors de voir si la qualification pressentie est effectivement
applicable et seront successivement vérifiés les différents éléments que l’analyse préalable de
l’incrimination de meurtre a permis de dégager. Si tous se vérifient en l’espèce, il est alors
possible d’appliquer la qualification pressentie. Si l’un fait défaut, il est alors été nécessaire de
se rabattre sur une qualification subsidiaire, en partant là encore de celle qui semble à première
vue pouvoir s’appliquer à aux faits.
Bien que la résolution universitaire du cas pratique et le syllogisme, tel qu’il est enseigné,
poussent à la deuxième approche, la première démarche reste plus conforme au principe de
légalité. Elle impose, en partant de l’analyse des faits, de trouver la qualification adaptée. Pour
autant, en pratique, la démarche suivie est davantage intermédiaire.

B. Une démarche intermédiaire

126. Du fait au droit ou du droit au fait – Si le principe en matière de qualification est


que l’exercice parte des faits pour aller au droit (1), la démarche pratique est quant à elle mixte.
Elle résulte en effet d’un aller-retour incessant entre le fait et le droit (2).

43. Si l’on envisage l’infraction aggravée comme une entité autonome.


44. En ce sens, J.-P. Doucet, Le jugement pénal, 3ème éd., Saint-Gildas-de-Rhuys éd., 2008, p. 60 : « c’est après
avoir déterminé les circonstances et les conditions dans lesquelles un coup mortel a été porté que le tribunal pourra,
dans la phase suivante du raisonnement, choisir entre les qualifications prévues par le législateur : homicide par
imprudence, homicide par coups volontaires ou homicide intentionnel ».
45. En ce sens, Cass. crim., 5 fév. 1957, Bull. crim., no 110 ; Cass. crim., 13 nov. 1990 ; RSC 1991, p. 345, obs.
G. Levasseur ; Cass. crim., 6 janv. 1993 ; RSC 1993, p. 773, obs. G. Levasseur.

119
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

1. Le principe : une qualification des faits vers le droit

127. Qualification par l’autorité de poursuites – La difficulté lorsque l’on s’intéresse à


la démarche suivie en pratique pour qualifier les faits est que cet exercice intervient à différents
stades de la procédure 46 et peut par conséquent ne pas relever exactement de la même démarche.
L’exercice de qualification est, selon Garraud, la première opération que doit faire toute
autorité pénale 47 . Par conséquent, il intervient en premier lieu au moment du choix de la
poursuite des faits, celle-ci n’étant concevable que s’ils sont susceptibles de recevoir une qua-
lification pénale. Dès l’origine des poursuites, l’autorité de poursuite doit donc procéder à une
qualification « prima facie » 48 , ayant par hypothèse un caractère provisoire 49 . Cette qualification
s’opère donc théoriquement à partir des faits. Il s’agit, à partir de faits tangibles, de trouver une
qualification applicable. Théoriquement, donc, les autorités de poursuites devraient analyser les
faits sous tous leurs aspects pour tenter de les qualifier. Selon les éléments que l’enquête aura
pu faire ressortir, l’autorité de poursuite optera pour la qualification a priori applicable aux
faits. Ici, la démarche semble donc relativement inductive. L’analyse des faits permet de trouver
la qualification appropriée. Cette qualification opérée par l’autorité de poursuite est toutefois
provisoire. Provisoire, elle l’est dès lors que la qualification choisie est susceptible d’évoluer
non seulement au fil de l’enquête, mais aussi et surtout lors du jugement.

128. Qualification par l’autorité de jugement – Une seconde opération de qualification


intervient en effet au stade du jugement 50 . À ce stade, et en raison de la qualification provisoire
retenue par l’autorité de poursuite, il serait possible de cantonner le rôle du juge à un exercice
de comparaison. En d’autres termes, le tribunal saisi des faits se contenterait de dire si ou non,
l’incrimination pressentie est applicable, autrement dit si l’infraction est caractérisée en tous ses
éléments. La tâche des juges consisterait dans cette hypothèse « à vérifier que la loi invoquée
par le Ministère public est susceptible de recevoir application » 51 . Sans doute, d’ailleurs, est-ce
parfois en pratique le cas. Devant des faits simples, le juge pourra se contenter de vérifier les
différents éléments requis par le texte visé dans l’acte de saisine. Ceci pourrait du reste être

46. Sur les différents stades auxquels s’opère l’opération de qualification, v. not. E. Dreyer, Droit pénal général,
op. cit., p. 483, no 617.
47. R. Garraud, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, op. cit., p. 333,
no 537. Dans le même sens, R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 506, no 384. C’est la
conséquence du principe nullum crimen sine lege qui impose aux autorités de poursuites de s’assurer qu’un texte
est applicable aux faits : P. Bouzat et J. Pinatel, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit., t. 1, p. 147, no 81.
48. G. Barbier, « De l’objet de la qualification et de l’intérêt de s’en saisir à la façon d’Aristote » in La
qualification dans le procès pénal, actes du colloque organisé par l’École nationale de la magistrature et l’Institut
de sciences criminelles et de la justice de Bordeaux, sous la dir. de O. Décima, Cujas, 2013, p. 29.
49. En ce sens, G. Levasseur, Cours de droit pénal complémentaire, 1960, p. 237.
50. Il s’agit alors de la qualification définitive (ibid.), encore que celle-ci soit susceptible d’être remise en cause
devant la Cour de cassation.
51. J.-P. Doucet, Le jugement pénal, op. cit., p. 21.

120
Chapitre 1. L’exercice de qualification

conforté par l’encadrement procédural de la requalification par le juge 52 .


Toutefois, le juge n’est pas tenu par la qualification choisie par l’autorité de poursuites 53 . En
principe, le juge doit en effet retenir la qualification la plus appropriée aux faits. Par conséquent,
au stade du jugement, le juge « ne se contente pas de sanctionner un état juridique préexistant
dont il confirmerait l’existence, mais il donne aux faits un caractère juridique définitif » 54 .
N’étant pas tenu par la qualification opérée au stade de la poursuite, il ne doit en principe pas
s’attacher exclusivement à la qualification prima facie 55 . Il doit au contraire lui aussi partir des
faits et s’attacher à rechercher l’exacte qualification 56 . En principe, donc, la démarche suivie
par le juge devrait aussi être la démarche inductive. Le juge n’est pas saisi d’une qualification
dont il devrait vérifier l’applicabilité. Il est saisi des faits bruts et il lui revient de déterminer
la qualification exactement applicable. Parce qu’il est saisi in rem, le rôle du juge ne saurait se
limiter à cette stricte comparaison.

129. Conception matérielle de la cause de l’action publique – Cette démarche de qualifi-


cation semble donc résulter de la consécration de la conception matérielle de la cause de l’action
publique 57 . La question s’était posée de savoir si une personne, relaxée pour une infraction
involontaire, pouvait par la suite être à nouveau poursuivie pour les mêmes faits, mais sous la
qualification d’infraction volontaire, ou inversement. Après avoir répondu positivement à cette

52. V. A. Guéry et C. Guéry, « De la difficulté pour le juge pénal d’appeler un chat, un chat, (requalification
« stricte » ou « élargie » : devoir et pouvoir du Tribunal correctionnel) », Dr. pén. 2005, étude, 5 et 6. Cet encadrement
est toutefois motivé essentiel par le respect des droits de la défense. Les conditions de la requalification sont donc
de ne rien changer aux faits dénoncés (règle résultant du principe de saisie in rem) et que la défense ait été appelée
à présenter ses observations. V. égal. J.-P. Doucet, Le jugement pénal, op. cit., p. 40.
53. Sur les conditions de requalifications de la qualification retenue dans l’acte de saisine, v. not. ibid., p. 39 et
s. ; A. Guéry et C. Guéry, « De la difficulté pour le juge pénal d’appeler un chat, un chat », art. préc.
54. O. Décima, L’identité des faits en matière pénale, 2008, Dalloz, p. 55, no 85.
55. Il faut toutefois préciser que le juge ne peut dénaturer les faits compris dans l’acte de saisine. Par conséquent,
il n’est pas totalement libre en matière de qualification. Par exemple, si l’acte de saisine fait état d’une abstention,
le juge ne pourra requalifier les faits en comportement positif de commission, sauf à dénaturer les faits décrits
dans l’acte. Les autorités de poursuite ont de ce point de vue un pouvoir relativement fort. Elles peuvent orienter
la qualification judiciaire. Sur cette limite à la liberté de qualification du juge, v. Y. Mayaud, Droit pénal général,
op. cit., p. 181, no 170.
56. V. not. G. Levasseur, Cours de droit pénal complémentaire, op. cit., p. 243 : « pour procéder à la qualifica-
tion, il faut rechercher parmi les textes d’incrimination [...] un texte d’incrimination qui s’adapte parfaitement aux
faits commis par l’individu ». V. égal. E. Gallardo-Gonggryp, La qualification pénale des faits, th. préc., p. 47,
no 44 : dans l’exercice de qualification, il s’agit de « dégager du fait les éléments constitutifs d’une infraction ».
57. Selon Monsieur Décima, dans la conception matérielle, il est fait au juge « l’obligation de rechercher la
qualification la plus adéquate ». Elle se distingue d’une conception formelle qui ferait du pouvoir de requalification
du juge une liberté. O. Décima, L’identité des faits en matière pénale, th. préc., p. 50, no 81. Dans cette dernière
conception, l’infraction « est avant tout la contradiction de l’agissement humain à l’impératif légal », de sorte que
« la matérialité des faits est accessoire face à la norme qui seule est, à proprement parler, constitutive du délit
poursuivi » ibid., p. 26-27, no 41. La cause de l’action publique résiderait ainsi dans l’élément légal de l’infraction.
Ibid., p. 27, no 42. À l’inverse, dans la conception matérielle, l’interdit est accessoire et l’action devient l’élément
principal. Ibid., p. 50, no 80.

121
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

question 58 , la Cour de cassation a opéré un revirement 59 , consacrant une conception matérielle


de la cause de l’action publique 60 . Dans cette conception, le juge est saisi du fait brut sans aucune
coloration juridique 61 et il lui revient de déterminer la qualification applicable. La décision de
relaxe ou d’acquittement signifie donc que l’examen des faits n’a pas permis d’aboutir à une
qualification. Autrement dit, aucune qualification n’était applicable en l’espèce. Il en résulte qu’il
n’est pas possible de rejuger une personne pour les mêmes faits, même sous une qualification
pénale différente 62 .

130. Le cas particulier du pourvoi : un contrôle de qualification – Il n’y a qu’au stade du


pourvoi en cassation, dernière étape de la qualification, que la démarche se révélera foncièrement
différente. Parce que les juges de cassation sont les juges du droit, et non du fait, leur démarche
se trouve nécessairement inversée. Leur rôle consiste à dégager des textes d’incrimination les
différents éléments exigés. Ils en précisent l’interprétation, pour s’assurer que le texte a été
correctement appliqué par les juges du fond. En d’autres termes, la Cour de cassation procède
pour sa part « à une interprétation préalable du texte fondant la poursuite et s’assure que, ainsi
compris, ce texte a été correctement appliqué » 63 . Ce contrôle de qualification mobilise donc
lui aussi les éléments constitutifs car c’est à travers eux que la légalité de la condamnation sera
appréciée. La Cour s’assurera que tous ont bien été vérifiés – au moins formellement – par les
juges dans les faits. Son rôle consiste simplement à s’assurer que les juges ont caractérisé toutes
les données prévues par les textes. Ils partent du droit – du texte d’incrimination –, et non pas
du fait qu’ils n’ont pas à apprécier. Cependant, il ne s’agit pas ici à proprement parler d’une
qualification. Les juges de cassation se contentent de contrôler la qualification choisie par les
juges du fond et sa bonne application. Il n’est de ce fait pas étonnant que la démarche soit inversée
et parte alors du droit.
Pour le reste, et en principe, la qualification part des faits pour en arriver au droit. Le

58. Cass. crim. 30 janv. 1840, S. 1840, p. 252. Plus largement, la question se posait de savoir si une personne
pouvait être poursuivie pour des mêmes faits sous une qualification différente. Sur l’évolution jurisprudentielle en
la matière, v. ibid., p. 33, nos 51 et s. et p. 52, no 82. V. égal. G. Barbier, « De l’objet de la qualification et de l’intérêt
de s’en saisir à la façon d’Aristote » in La qualification dans le procès pénal, actes du colloque organisé par l’École
nationale de la magistrature et l’Institut de sciences criminelles et de la justice de Bordeaux, op. cit.
59. Cass. crim., 20 mars 1956 ; D. 1957, p. 33, note P. Hugueney.
60. En ce sens, O. Décima, L’identité des faits en matière pénale, th. préc., p. 52, no 82.
61. En ce sens, G. Barbier, « De l’objet de la qualification et de l’intérêt de s’en saisir à la façon d’Aristote »
in La qualification dans le procès pénal, actes du colloque organisé par l’École nationale de la magistrature et
l’Institut de sciences criminelles et de la justice de Bordeaux, op. cit.
62. La solution, imposée par le principe non bis in idem, est en outre celle qui ressort de l’art. 368 du CPP qui
dispose qu’« aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits,
même sous une qualification différente ». V. O. Décima, L’identité des faits en matière pénale, th. préc., p. 33, nos 51
et s. et p. 52, no 82. Ce texte ne trouve néanmoins pas d’équivalent en matière correctionnelle ou contraventionnelle.
Sur ce point, v. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 514, no 391.
63. V. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 483, no 617.

122
Chapitre 1. L’exercice de qualification

choix de la qualification définitive dépend en premier lieu de l’analyse du comportement 64 ,


dont il s’agit de dégager la qualification applicable. Pour autant, la démarche concrète ne peut
être totalement inductive. Un aller-retour entre le droit et le fait est inévitable en matière de
qualification judiciaire.

2. La pratique : l’aller-retour entre les faits et le droit

131. Dimension répressive de la purge des qualifications – Tout d’abord, il faut relever
que si la conception matérielle de l’action publique semble imposer une démarche inductive, elle
donne aussi lieu à une règle essentiellement répressive. Le juge doit envisager le comportement
« sous toutes ses qualifications possibles » 65 . Parce que la qualification est par hypothèse
évolutive 66 , mais en conséquence aussi de la consécration de la conception matérielle, la
condamnation comme la relaxe ne peuvent intervenir qu’à l’issue d’un « inventaire complet
des incriminations pouvant être retenues » 67 . Or, cette obligation se rapproche davantage de
l’idée selon l’enjeu est bien plus de trouver une qualification applicable que la qualification
adaptée. En outre, la démarche peut rester sous-tendue par le seul exercice de comparaison, la
qualification pouvant se faire par élimination jusqu’à dégager celle effectivement applicable. En
effet, l’obligation de « purge des qualifications » 68 a une fonction éminemment répressive. Dès
lors que l’on interdit de rejuger une personne sous une autre qualification, il devient nécessaire,
au stade du jugement, d’envisager toutes les qualifications possibles, afin de ne pas laisser impuni
celui dont le comportement tombe sous le coup de la loi pénale.

132. L’aller-retour entre le fait et le droit – De manière générale, en pratique, la qua-


lification s’effectuera donc nécessairement par un mouvement d’aller-retour entre le fait et le
droit. Une qualification ayant pour point de départ exclusif le fait pour en arriver directement à
la qualification exacte relève de l’idéal. Le réflexe et la logique imposent assez certainement en
premier lieu de vérifier l’applicabilité de la qualification prima facie pour ensuite, à défaut, se
tourner vers une autre qualification. Et même lorsque le juge ne partira pas de la qualification
prima facie, la démarche demeura mixte. Comme le relève Monsieur Walther, pour déduire
quelle sera la règle juridique applicable, « le juge procédera d’abord de manière empirique

64. Et ce malgré l’encadrement procédural de la requalification.


65. Cass. crim. 23 avr. 1992, Bull. crim., no 178 ; et Cass. crim. 23 janv. 2001, Bull. crim., no 18.
66. Les éléments de preuve comme la compréhension des faits sont en effet susceptibles d’évoluer tant au stade
de l’enquête que du jugement.
67. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 142, no 135. Madame Gallardo-Gonggryp évoque à ce titre
« la purge des qualifications applicables ». E. Gallardo-Gonggryp, La qualification pénale des faits, th. préc.,
p. 145, nos 202 et s. V. égal. H. Croze, Recherche sur la qualification en droit processuel français, 1981, Thèse,
Lyon 3, p. 11, no 5.
68. E. Gallardo-Gonggryp, La qualification pénale des faits, th. préc., p. 145, nos 202 et s.

123
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

et intuitive » 69 . Puis, « fort de ces qualifications potentielles, le juge ou toute autre personne
impliquée dans une telle démarche, va pratiquer le raisonnement juridique per se, le va-et-vient
entre les deux complexes conceptuels que sont la norme applicable et les faits à qualifier » 70 .
Cet aller-retour entre le fait et le droit existe du reste dès le stade des poursuites et n’est
pas propre à la phase de jugement. Levasseur explique ainsi que « partant d’une atteinte aux
biens, le représentant du ministère public va songer à plusieurs qualifications possibles. Il va
les prendre l’une après l’autre et va écarter celles où il manque un élément ou une condition
préalable » 71 . Il est inhérent à l’exercice de qualification, sans toutefois être de nature à remettre
en cause le principe selon lequel celui-ci part du fait pour aller vers le droit.

133. L’importance de l’analyse préalable des faits – En effet, pressentir une qualifi-
cation implique forcément au préalable une analyse globale des faits. C’est d’elle qu’on va
isoler quelques qualifications applicables, avant de commencer par envisager la plus probable.
L’exemple donné par Levasseur, et qui vient d’être évoqué, le montre bien. De même, si l’on
reprend l’exemple proposé précédemment de l’homme assénant un coup mortel à l’aide d’un
couteau à un tiers, il est évident que la qualification d’homicide involontaire ne serait même
pas envisagée. L’analyse rapide (presque instantanée) des faits conduit à l’éliminer dès le départ.
Les coups portés avec un couteau ne peuvent faire penser à une faute, qui est la caractéristique
majeure de l’homicide involontaire. Le simple fait de l’affirmer montre toutefois bien que la
résolution de l’exercice débute bien par une analyse sommaire des faits qui permet déjà de faire
un premier tri dans la masse considérable des qualifications légales. La résolution du cas et
l’exercice de qualification ont bien débuté par une appréciation sommaire des faits matériels,
pour en déduire 1° qu’il ne pouvait s’agir d’une faute, 2° que la qualification de violences
volontaires ne peut être envisagée en raison de la constatation du décès.
Cela montre qu’en pratique, la qualification est un aller-retour entre le fait et le droit. Son
point de départ est bien le fait, dont on envisage une analyse globale et rapide et dont on va
déduire la qualification, a priori la plus adaptée. Les règles procédurales applicables en la
matière confirment du reste cette approche « mixte » de la qualification. En pratique, les subtilités
procédurales conduisent à mêler intimement les deux modes de qualification. Selon le stade de
la procédure auquel on se situe, l’exercice de qualification s’inscrira davantage dans l’une ou

69. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 401, citant F.-M.
Schrœder, « Le nouveau style judiciaire », Méthodes du droit, éd. Dalloz, 1978, p. 1466.
70. Ibid., p. 402. Comp. B. Bouloc, Procédure pénale, 25ème éd., Dalloz, 2016, p. 542, no 641 : le juge « doit
dégager la nature de l’infraction de l’analyse des faits qui lui sont soumis, et rechercher si les éléments constitutifs
tels qu’ils résultent de la loi se trouvent réunis dans ces faits ».
71. G. Levasseur, « La qualification des infractions », Revue juridique et politique 1974, p. 175. Dans le même
sens, A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., p. 131 : « En présence d’un fait répréhensible, on commence en
pratique par isoler la ou les qualifications légales qui paraissent, a priori, susceptible de s’y appliquer. On doit alors
vérifier si les conditions prévues par la loi pour l’existence de l’infraction sont réunies ».

124
Chapitre 1. L’exercice de qualification

l’autre démarche.
Quelle que soit la démarche, les éléments constitutifs conservent un rôle central. Ils sont
fondamentaux dès la poursuite, et jusqu’au contrôle de qualification. Quelle que soit la démarche
de qualification retenue (idéaliste ou par comparaison), les éléments restent en effet l’outil
principal de la qualification. Or, la démarche théorique suggère une conception particulière des
éléments, compatible avec la démarche intermédiaire qui en emprunte certains aspects.

Section 2 – Les conséquences de l’exercice de qualification sur la nature des


éléments

134. Recherche d’une conception compatible avec la démarche inductive – L’exercice


de qualification renseigne sur la nature potentielle des éléments. Traditionnellement, l’idée
suggérée par la doctrine est que les éléments s’ajoutent les uns aux autres pour constituer
l’infraction. Cependant, cette conception n’est pas compatible avec la démarche théorique et
idéaliste imposée par le principe de légalité. Bien que cette démarche ne soit jamais réellement
suivie, l’exercice pratique emprunte à la fois à la démarche inductive et à la fois à la démarche
comparative. Les éléments doivent par conséquent être compatibles avec ces deux conceptions.
Or, l’idée selon laquelle l’infraction se caractérise par la somme des éléments qui la compose est
dirigée exclusivement par la démarche comparative. Elle occulte la démarche initiale d’examen
des faits pour aboutir à une qualification envisageable. C’est donc de la complexité de la
démarche intermédiaire qu’il faut déduire la nature des éléments. L’on s’aperçoit alors que,
loin de n’être que des conditions devant être vérifiées par le juge, les éléments lui imposent
d’apprécier les faits sous différents angles. C’est ici qu’il faut trouver l’essence des éléments.
Ils sont des angles d’analyse du comportement (I), et dès lors qu’ils sont des angles d’analyses,
ils présentent nécessairement un caractère composite (II) et épuisent l’exercice de qualification.
Il s’ensuit que l’idée d’une adjonction d’éléments généraux et d’éléments spéciaux n’est plus
concevable.

§ 1. Les éléments, angles d’analyse du comportement

135. À chaque démarche sa conception de l’élément – Quelle que soit la démarche


adoptée, les éléments demeurent fondamentaux en matière de qualification parce qu’ils la condi-
tionnent. Le rôle des éléments dans la qualification apparaît du reste d’autant plus fondamental
à l’heure du foisonnement législatif. Si la règle Nullum crimen sine lege a perdu de son utilité

125
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

en matière de limitation du droit de punir et de garantie de sa subsidiarité, elle sert désormais le


respect des qualifications 72 . Les fondements législatifs s’étant multipliés, les éléments ne servent
plus seulement à déterminer si un comportement est pénalement punissable. Ils servent aussi à
déterminer sur quel fondement ce comportement est punissable.
Reste que chaque démarche de qualification imprime une certaine fonction aux éléments.
Dans la première approche, inductive, les éléments permettent, en partant de l’analyse du
comportement, d’aboutir à une qualification légale. La comparaison, s’il y en a une, part
donc des faits pour aller vers le droit. Les éléments ne peuvent alors se concevoir comme de
simples conditions s’ajoutant les unes aux autres. Ils sont dans ce cas une manière d’analyser le
comportement, un guide dans l’exercice de qualification. Si l’on raisonne à partir des éléments
traditionnels, les éléments matériel et moral conduisent ainsi le juge ou l’autorité de poursuite à
envisager d’abord le comportement sous sa matérialité pour en tirer des conclusions, puis sous
sa moralité. Par conséquent, les éléments se révèlent être des angles d’analyse du comportement.
Ils incitent à analyser les faits sous leur aspect matériel puis sous leur aspect moral 73 , non à
additionner une donnée matérielle et une donnée morale. Il ne s’agit pas de constater deux
éléments distincts et séparés. Leur fonction n’est pas seulement de conditionner la qualification ;
elle est aussi de la guider vers la qualification adaptée.
À l’inverse, dans la seconde démarche, celle de comparaison d’un texte pressenti avec
le comportement accompli, les éléments tendent bien plus à être des conditions à vérifier. La
démarche de comparaison du droit au fait conduit à identifier dans le texte toutes les conditions
de caractérisation de l’infraction, pour pouvoir s’assurer qu’elles se vérifient dans les faits.

136. La nécessaire conciliation – Or, comme cela vient d’être expliqué, la réalité de la
démarche de qualification se situe à mi-chemin entre les deux approches 74 . La démarche de
comparaison prend nécessairement sa source dans une analyse globale et générale des faits.
Les éléments doivent donc répondre aux exigences de la démarche inductive et à celles de la
démarche de comparaison, parce que l’exercice de qualification conduira le juge à alterner entre
les deux. La démarche est inductive dans le tri des qualifications, puis comparative pour parvenir
au choix définitif de qualification.

137. Une conciliation opérée à partir de la démarche inductive – Plusieurs remarques


peuvent alors être faites. Tout d’abord, même dans la démarche de comparaison pure, les

72. En ce sens, J. Léauté, « Le changement de fonction de la règle « nullum crimen sine lege » in Dix ans de
conférences d’agrégation, études de droit commercial offertes à J. Hamel, Dalloz, 1961, p. 81.
73. Le schéma de qualification ne sera précisé qu’ultérieurement. Toutefois, pour simplifier l’analyse, il est
possible de réfléchir ici à partir des éléments traditionnels, car quel que soit le schéma retenu, la fonction des
éléments demeure inchangée.
74. V. supra, no 132.

126
Chapitre 1. L’exercice de qualification

éléments tendent à imposer un schéma « classique » de qualification. En effet, les différentes


exigences légales ne sont pas vérifiées de manière anarchique parce que les éléments ont habitué
à un raisonnement en deux temps. Le rôle des éléments n’est-il pas, comme le soulignait
Monsieur Robert, d’imposer au juge de suivre une méthode analytique 75 et de l’empêcher
« d’apprécier trop rapidement l’action du prévenu dans un mouvement unique et synchrétique
[sic] de la pensée » ? Que ce soit en doctrine française ou étrangère, le recours à une division
de l’infraction en éléments présente l’intérêt indéniable de guider l’exercice de qualification.
Il ne s’agit pas uniquement de comparer les exigences légales avec le comportement. Il s’agit
avant tout d’imposer une démarche dans la qualification et, par extension, une démarche dans
la comparaison. Pour que les éléments soient un outil et qu’ils présentent une utilité, il est donc
nécessaire de préserver cette fonction des éléments qui est, au demeurant, celle imposée par
la démarche inductive. Celle-ci est en effet fondée essentiellement sur l’idée d’un schéma de
qualification. Par conséquent, il serait possible de concilier les exigences des deux démarches
en partant de l’idée selon laquelle les éléments ont d’abord pour fonction de fournir un schéma
de qualification.
Par ailleurs, la démarche inductive est plus respectueuse du principe de légalité. Si en
pratique l’on cherche systématiquement une qualification adaptée parce que l’impunité peut
apparaître comme une injustice, la légalité impose de s’interroger sur le fait de savoir si le
comportement accompli était incriminé. En d’autres termes, il s’agirait de trouver la qualification
adaptée, en admettant du même coup la marge de relaxe qui est le sacrifice nécessaire à la
préservation des libertés individuelles. En outre, la logique qui sous-tend la démarche inductive
présente un avantage indéniable qui mérite d’être conservé, même à l’occasion de l’exercice de
comparaison. Cet avantage est celui de préserver l’intégrité de l’infraction parce qu’elle pousse
à raisonner à partir du comportement, analysé et apprécié dans son ensemble, tant du point de
vue matériel que moral.

138. Conception de l’infraction – En effet, le défaut majeur de la démarche de compa-


raison que ne présente pas la démarche inductive est de suggérer que l’infraction se constitue
par adjonction. Elle serait la somme des éléments qui la compose 76 . Or, cette conception de
l’infraction en occulte l’essence nécessairement unitaire. Elle est avant tout un comportement
humain 77 , pénalement qualifié. Comme le préconisait Monsieur Dana, il faut appréhender

75. J.-H. Robert, « Histoire des éléments de l’infraction », art. préc.


76. Expliquant que l’infraction est classiquement présentée comme étant la réunion des éléments qui la com-
posent, C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 57, no 54.
77. En ce sens, E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 178, no 219. Dans le Vocabulaire juridique, elle
est définie comme « un comportement actif ou passif, prohibé par la loi et passible d’une peine ». G. Cornu,
Vocabulaire juridique, préc., v° Infraction. La désignation de l’infraction sous le vocable d’ « acte » est toutefois la

127
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

l’infraction comme un tout. Elle est « une entité substantielle et indivisible » 78 . En effet,
l’infraction est simplement la dénomination que prend le comportement de l’homme lorsqu’il
est qualifié pénalement. Si la qualification peut se concevoir comme un jeu de construction dans
lequel le juge, à partir des faits, déduit l’existence des éléments constitutifs 79 , l’infraction, elle,
demeure intègre parce qu’elle reste un comportement. C’est donc ce comportement, apprécié
globalement, qu’il s’agit de parvenir à qualifier. Dès lors, et même si l’exercice de comparaison
est nécessaire à la qualification, l’intégrité de l’infraction doit être préservée.
La qualification n’est donc pas le résultat d’une adjonction. L’idée du fonctionnement par
adjonction n’est qu’une métaphore qui laisse à penser que l’infraction se construit par l’ajout
d’un premier élément à un deuxième, puis à un troisième et éventuellement un quatrième.
Pourtant, l’infraction ne se construit pas : elle existe virtuellement dès l’accomplissement du
comportement. Ce n’est que sa qualification – et donc sa répression – qui est conditionnée par
certaines vérifications. Et celle-là est le résultat d’une analyse d’une même entité sous des angles
différents pour en faire ressortir tous les aspects.

139. Proposition : les éléments comme angles d’analyse – Parce que la conception des
éléments correspondant à la démarche inductive est plus conforme à l’essence de l’infraction
(elle en respecte l’unité dans l’exercice de qualification), c’est d’elle qu’il faut partir. Dans
cette démarche, les éléments fournissent un schéma de qualification en imposant au juge une
appréciation du comportement sous ses différents angles afin de parvenir à la qualification
adéquate. Or, cette conception des éléments est parfaitement compatible avec les exigences
pratiques de la qualification. La comparaison entre le fait et le droit n’est certes possible
qu’à condition de pouvoir au préalable dégager des textes les différentes conditions exigées.
Toutefois, les textes ont le même référentiel que l’infraction. Incrimination et infraction sont
l’une comme l’autre un comportement. Dans le premier cas, c’est le comportement décrit,
analysé abstraitement 80 et de manière détaillée. Le législateur explique ce qu’il entend par vol,
escroquerie, meurtre... Dans le second cas, c’est le comportement réalisé et qui va se trouver
correspondre à une incrimination particulière, donc être qualifié.

plus fréquente. Cependant, le terme comportement est préférable car il suggère une prise en compte plus globale de
l’activité. Pour von Liszt (F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., t. 1, p. 169, no 26), comme pour
Monsieur Dana (C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 23, no 20), elle est une « action
humaine ».
78. Ibid., p. 57, no 55. Et l’auteur de préciser « l’infraction est un tout qui existe ou n’existe pas ». V. égal. E.
Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 181, no 221, où Monsieur Dreyer, critiquant la division traditionnelle et
l’opposition entre un élément matériel et un élément moral évoque « l’unité profonde du comportement érigé en
infraction ».
79. En ce sens, J. Larguier, « Théorie des ensembles et qualification pénale » in Mélanges offerts à A. Chavanne,
op. cit. Comp. T. Ivainer, « L’interprétation des faits en droit », JCP G. 1986, I, 3235.
80. Et non pas simplement défini. En ce sens, R. Gassin, « Les définitions dans les textes en matière pénale »,
Revue de la recherche juridique, droit prospectif 1987, p. 1019.

128
Chapitre 1. L’exercice de qualification

Il est donc possible d’appliquer la même méthode d’analyse à l’incrimination en la transpo-


sant de manière abstraite. En analysant le comportement décrit sous ses différents angles, il est
en effet possible d’en faire ressortir les différentes exigences d’ordre matériel et d’ordre moral.
Ce sont ces différentes exigences qu’il conviendra de vérifier lors de l’exercice de comparaison
effectué à l’occasion de la qualification. Abstraitement, l’on précisera donc la consistance
des différents aspects du comportement. Concrètement, l’on pourra continuer à analyser le
comportement sous ses différents angles et préserver ainsi l’intégrité de l’infraction. Car c’est
là l’avantage considérable de cette conception des éléments. C’est que, fondée sur une approche
idéaliste de la qualification, elle en encourage une approche globale. Il n’est plus question
de vérifier différentes conditions, il est question d’appliquer la même démarche d’analyse à
l’incrimination comme à l’infraction. Or, celle-ci commence avec une analyse d’ensemble du
comportement, qu’il soit décrit ou commis.
Ainsi, l’on rejoindra Monsieur Dana, sur ce point : il faut considérer l’infraction « comme
une entité, indivisible, que l’on saisit, non pas à travers des « éléments » séparés, mais sous des
angles différents qui, à la différence des premiers, éclairent les divers aspects que cette entité
peut avoir sans en altérer l’unité » 81 . Si cette position impliquait le rejet des éléments pour
Monsieur Dana, il est aussi possible de considérer qu’elle en révèle l’essence. Les éléments
constitutifs ne sont pas simplement des conditions s’additionnant les unes aux autres pour aboutir
à la caractérisation de l’infraction. Ils fournissent simplement les différents angles d’analyse du
comportement dans l’optique d’en guider la qualification, tant il est vrai que l’infraction est avant
toute chose un comportement et qu’un comportement est intègre, et non pas divisé en divers
éléments. C’est l’analyse pratique qui a conduit à cette habitude de scinder l’infraction. Elle a
fait perdre de vue cette réalité que l’infraction est un comportement pénalement qualifié. Il n’est
pas composé de différents éléments, il est apprécié sous ses différents aspects afin d’identifier
la qualification légale la plus appropriée. C’est, du reste, ce qui explique que parfois, élément
matériel et élément moral soient difficilement dissociables. Dès lors qu’ils ne sont que deux
manières différentes d’analyser un même comportement, tous deux peuvent reposer sur la même
constatation. Dans les infractions par imprudence par exemple, le constat d’un comportement
matériellement imprudent témoigne nécessairement d’une faute psychologique d’imprudence 82 .

140. Transition – À l’occasion de la comparaison entre le comportement accompli et


le comportement décrit, la démarche demeure similaire. Il s’agira toujours d’envisager le
comportement sous son angle matériel, de vérifier à cette occasion qu’il concorde avec le texte,

81. C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 59, no 57. Dans le même sens, p. 159, no 215.
82. En ce sens, V. Malabat, Appréciation in abstracto et appréciation in concreto en droit pénal, 1999, Thèse,
Bordeaux 4, p. 293, no 357 et p. 296, no 361.

129
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

puis sous son angle moral et de vérifier là-aussi s’il concorde avec le texte 83 . Les éléments
serviront alors de guide à la qualification, que l’on se situe dans la démarche inductive ou dans
l’exercice de comparaison. Ils serviront du reste ainsi aussi bien de guide à la qualification
que de guide à l’analyse des textes d’incrimination. La conséquence qui en résulte est que
l’analyse du comportement sous ses différents angles épuise la qualification. Dès lors, il n’est
plus possible de raisonner ni par addition de conditions ni par adjonction d’éléments généraux
et d’éléments spéciaux. Les diverses exigences des textes intègrent en effet l’un ou l’autre des
angles d’analyses.

§ 2. Les éléments, ensembles composites

141. Les ensembles comme ensembles – Quels que soient les éléments retenus, ils ne
sont ainsi que différentes manières d’apprécier un seul et même comportement 84 . Il ne s’agit
donc pas d’une multitude de conditions se déduisant des textes et devant se vérifier dans les
faits. Il s’agit, à l’occasion de l’analyse du comportement, de s’assurer que le comportement
accompli correspond effectivement au comportement décrit. Il en résulte que chaque angle
d’analyse peut impliquer différentes vérifications. Les éléments doivent être envisagés comme
des ensembles composites intégrant en leurs seins les différentes exigences légales. Ce n’est qu’à
cette condition que l’écueil de l’adjonction de conditions peut être évité. Affirmer l’évidence de
ce caractère composite (A) ne suffit toutefois pas, encore faut-il préciser la composition théorique
des éléments (B).

A. Le caractère composite des éléments

142. Évidence du caractère composite – Envisager les éléments comme des angles d’ana-
lyse du comportement se révèle conforme tant à la rigueur nécessaire à l’exercice de qualification
en vertu du principe de légalité, qu’à ce qu’est réellement une infraction. Comme le relève
Madame Gallardo-Gonggryp, « le juge doit s’efforcer de retenir la qualification pénale qui
restituera de la manière la plus fidèle les faits de toutes leurs dimensions » 85 , ce qui nécessite
une approche globale à l’occasion de laquelle il doit « appréhender l’action principale dans sa
dimension matérielle et morale » 86 . Cette conception des éléments comme des dimensions de

83. Dans le cadre des éléments traditionnellement admis.


84. Par exemple, Claudius Saturninus, fréquemment cité dans les ouvrages plus anciens, estimait que le délit
devait être considéré « causa, persona, loco, tempore, qualitate, quantite et eventu » (C. Saturninus, De poenis,
L. 16, nO 1, cité not. par E. Villey, Précis d’un cours de droit criminel, op. cit., p. 135-136). On voit alors bien,
quels que soient les éléments effectivement identifiés, ils ne sont finalement que différentes manières d’apprécier
et d’analyser un même comportement.
85. E. Gallardo-Gonggryp, La qualification pénale des faits, th. préc., p. 110, no 144.
86. Ibid., p. 96, no 121.

130
Chapitre 1. L’exercice de qualification

l’infraction 87 est tout à fait séduisante parce qu’elle suggère elle aussi des angles d’analyses des
faits. Surtout, elle exprime parfaitement l’idée selon laquelle les éléments sont nécessairement
composites. Les éléments doivent se concevoir comme des entités complexes parce qu’ils
renvoient concrètement à des faits qui sont eux-mêmes complexes.
Du reste, la très grande majorité des auteurs retient une conception composite des éléments,
ce qui montre bien que les éléments peuvent être appréhendés comme des ensembles. Cette
conception est simplement parfois biaisée par les énumérations opérées en droit pénal spécial,
ou par l’admission d’éléments spéciaux, mais elle demeure toujours latente. Les éléments
de l’infraction se conçoivent comme des ensembles, permettant d’ordonner l’analyse et les
différentes conditions exigées par les textes selon leurs colorations matérielles ou morales. Par
exemple, beaucoup d’auteurs – si ce n’est la majorité – admettent que l’élément matériel est
composé de différentes conditions. Il ne se limite pas au fait matériel accompli, mais intègre en
outre le résultat 88 alors analysé comme la conséquence des actes d’exécution 89 , et la causalité 90 .
De la même manière, pour les auteurs qui intègrent l’imputabilité à l’élément moral 91 , même
s’ils sont minoritaires, ce dernier sera nécessairement composite puisque constitué par la volonté
et son préalable, les conditions d’imputation 92 . La logique n’est malheureusement pas étendue à
toutes les conditions liées à la matérialité ou à la moralité 93 , mais elle traduit bien une conception
composite des éléments. L’élément matériel (ou l’élément moral) n’est pas une condition en
particulier, il est un ensemble intégrant différentes exigences liées à la matérialité (ou à la
moralité).

143. Intérêt du caractère composite – Il est par conséquent regrettable que le recours
aux éléments constitutifs spéciaux et l’acception générale des éléments conduisent la doctrine
comme la jurisprudence à ne pas pousser la logique à son terme. Parce qu’ils sont des angles
d’analyse du comportement, ils invitent le juge ou l’étudiant à vérifier l’adéquation de celui-
ci avec les exigences légales, tant dans leurs aspects matériels que moraux. La conception

87. V. égal. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 173, no 162, ou p. 234, no 216, ou J.-P. Delmas Saint-
Hilaire, « Sang contaminé et qualification pénale ... avariée », art. préc. évoquant eux aussi les « dimensions » des
infractions.
88. La très grande majorité des auteurs estime que le résultat est une composante de l’élément matériel, au moins
pour les infractions matérielles. V. supra, no 103.
89. En ce sens, J.-Y. Maréchal, Essai sur le résultat dans la théorie de l’infraction pénale, th. préc., p. 202,
no 288, et R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 578, no 459.
90. V. F. Rousseau, L’imputation dans la responsabilité pénale, th. préc., p. 81, no 69, et J. Pradel, Droit pénal
général, 20ème éd., Cujas, 2014, p. 339, no 399 (ce dernier préfère évoquer le préjudice et non le seul résultat).
91. V. not. R. Vouin, Manuel de droit criminel, op. cit., p. 161, nos 246 et s. ; P.-A. Pageaud, « La notion
d’intention en droit pénal », JCP 1950, I, 876 ; E. Daskalakis, Réflexions sur la responsabilité pénale, PUF, 1975,
p. 10.
92. En ce sens, O. Décima, L’identité des faits en matière pénale, th. préc., p. 157, no 266 : « L’élément moral
de l’incrimination possède par principe deux composantes que sont l’imputabilité et la faute ».
93. V. supra, nos 103 et s.

131
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

des éléments devant être la même du point de vue pratique et du point de vue théorique,
dans l’étude des textes d’incriminations, les éléments devraient ainsi pareillement désigner les
différentes dimensions de l’infraction. Envisagés de cette manière, ils permettent de dégager
et d’organiser les différentes conditions posées par les textes, afin de mettre en lumière ce qui
devra être concrètement vérifié à l’occasion de l’analyse du comportement sous ses différents
aspects. Ainsi, l’avantage de retenir une conception composite des éléments serait de permettre
de concilier les exigences de l’étude détaillée des incriminations – et donc la nécessité de préciser
les différentes conditions exigées – avec la mise en exergue d’un schéma constant d’analyse et de
qualification via le recours à différents éléments. Seraient ainsi conciliés les caractères commun
et indispensable des éléments constitutifs.
L’intérêt de cette approche des éléments constitutifs est par conséquent double. Elle permet
en premier lieu de maintenir un schéma d’analyse invariable, tant du comportement dans
l’exercice de qualification, que des textes d’incriminations. Elle permet en second lieu de
préserver l’intégrité de l’infraction qui n’est pas divisée en différentes conditions. Les éléments
pourraient ainsi réellement devenir un guide de la qualification et d’étude en droit pénal spécial.
Reste néanmoins à préciser la composition théorique des éléments.

B. La composition des éléments

144. Généralités – L’étude détaillée de chaque élément et de sa composition fera l’objet


de développements ultérieurs 94 , mais il faut dès à présent relever, en partant de l’analyse
traditionnelle, que parmi les différentes composantes des éléments, il est possible d’identifier
une donnée centrale et pour ainsi dire principale qui est prévue systématiquement par les textes
et différentes circonstances gravitant autour. Par exemple, à s’en tenir à l’analyse traditionnelle
et majoritaire de l’élément matériel, celui-ci est composé à titre principal d’un fait et, le cas
échéant, d’un résultat. Le fait se révèle être la donnée principale tout simplement parce que
l’infraction ne peut pas se concevoir sans un fait concret, fût-ce une abstention. De même au
sein de l’élément moral, la volonté s’avère-t-elle être la donnée principale et fondamentale, celle
en l’absence de laquelle aucune infraction n’est concevable 95 . À cette volonté pourra s’ajouter
une intention particulière, voire l’exigence d’un mobile.

145. Des circonstances constitutives – Il semble dès lors tout à fait concevable de ratta-
cher les différentes données exigées par les textes à l’un ou l’autre des éléments, selon leurs
colorations particulières. À ce titre, une notion relativement ancienne et assez peu exploitée

94. V. infra, no 246.


95. Toute infraction, même non intentionnelle suppose en effet une volonté car la faute pénale, même simple, est
nécessairement volontaire.

132
Chapitre 1. L’exercice de qualification

par la doctrine peut se révéler utile : celle de circonstance constitutive. Elle n’était certes pas
utilisée exactement dans le même sens, mais l’idée qui la sous-tend se révèle particulièrement
intéressante.
Le premier à faire appel à cette notion, en plus de celle d’élément constitutif, est Ortolan.
Lorsqu’il analyse la composition du délit, Ortolan explique ainsi qu’il est nécessaire de
distinguer trois choses dans sa constitution. La première est relative aux éléments constitutifs,
qui sont les éléments indispensables à l’existence même du délit. À côté d’eux, peuvent être
identifiés des « circonstances, ou faits accessoires » 96 qui peuvent être de deux types. Les
premières s’ajoutent au délit et en modifient la criminalité 97 . Ortolan explique ainsi que « ces
circonstances peuvent être de nature soit à emporter aggravation (circonstances aggravantes),
soit à emporter atténuation ou même, dans certains cas, exemption totale de peine » 98 . Quant
aux secondes, elles sont propres selon l’auteur aux délits complexes : « l’un [des éléments]
étant considéré logiquement comme le fait principal, c’est par rapport à celui-ci que les autres
sont qualifiés de circonstances, quoique la réunion de tous soit indispensable pour que le
délit existe » 99 . Ces secondes circonstances sont nommées « circonstances constitutives » par
l’auteur 100 . Ces circonstances sont ainsi nommées parce qu’elles s’ajoutent à un premier élément
que ce soit le délit dans le cas des circonstances aggravantes, ou un élément constitutif dans
le cas des circonstances constitutives. S’agissant des circonstances aggravantes ou atténuantes,
Ortolan écrit en effet : « les faits de cette [...] nature sont qualifiés de circonstances, parce
que le délit existant, ils se placent, ils se groupent alentour (de circum-stare), en qualité de faits
accessoires (de ad-cedere, mot qui contient une idée analogue), et en forment des modalités. » 101
Il est toutefois possible de transposer le raisonnement aux autres circonstances, en admettant
que les circonstances gravitent autour d’une donnée principale en venant la compléter, parce
qu’elles sont des modalités de réalisation de celle-ci ou, plus précisément parce qu’elles sont
des particularités qui l’accompagnent.
La même distinction entre les circonstances constitutives et aggravantes est reprise par
Villey de manière fort similaire. L’auteur écrit en effet : « toute infraction se compose d’un
fait, autour duquel peuvent venir se ranger des circonstances, qui en constituent ou en modifient
la criminalité. La circonstance constitutive est celle qui fait le délit ; la circonstance aggravante

96. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 451, no 1054.


97. Ibid.
98. Ibid.
99. Ibid.
100. Ibid. Il faut toutefois préciser que Ortolan a de l’infraction une analyse particulière dès lors qu’il sépare
l’étude du délit et des conditions liées au sujet actif. L’identification des circonstances constitutives ne se fait donc
que dans le cadre d’une analyse essentiellement objective de l’infraction.
101. Ibid.

133
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

en augmente la criminalité : supprimez la première, et il n’y a plus d’infraction ; supprimez la


seconde, il reste une infraction moins grave » 102 .

146. Principal et circonstances – Or, au vue des données visées par les auteurs, les
circonstances constitutives apparaissent chez Villey ou Ortolan comme une manière de
désigner ce que des auteurs ont par la suite appelé des éléments spéciaux. Cependant, l’intérêt de
la présentation d’Ortolan est d’établir un rapport entre les différentes données qui composent
l’infraction 103 . Toutes ne sont pas mises exactement au même niveau dès lors que l’auteur
identifie au sein du délit des données (qualifiées d’éléments) qui constituent le principal et des
circonstances qui en sont, en un sens, l’accessoire en ce qu’elles accompagnent le principal, tout
en demeurant pareillement indispensables. Intégrées à une approche composite des éléments
constitutifs, il serait alors possible de considérer que ces circonstances ne s’ajoutent pas vérita-
blement aux éléments, mais au contraire qu’elles participent de leurs compositions.
Le caractère composite des éléments s’observe déjà s’agissant de l’élément matériel. Il
reste néanmoins limité, alors qu’il pourrait être généralisé via le recours aux circonstances
constitutives. Rien ne justifie que certaines données – tel le résultat – soient intégrées à l’élément
matériel, tandis que d’autres – tel le préjudice – soient au contraire des éléments indépen-
dants 104 . Il peut en réalité être identifié au sein de chaque élément une donnée principale
(celle que Ortolan qualifie d’élément) dépendant directement de l’activité de l’agent, ainsi
qu’une multitude de données spéciales accompagnant sa réalisation. Tout élément pourrait
ainsi être composé d’une donnée principale et d’exigences complémentaires – ou circonstances
constitutives – entourant sa réalisation.
En effet, parmi les exemples cités et développés par Villey figurent notamment le lieu
du délit, le temps 105 , la qualité de l’agent ou du patient, les mobiles, la fraude, les moyens
d’exécutions 106 , etc. Or, si l’on s’intéresse à ces différentes circonstances, on peut remarquer

102. E. Villey, Précis d’un cours de droit criminel, op. cit., p. 135. Étant précisé que ces circonstances varient à
l’infini.
103. Villey ne précise pour sa part pas le rapport existant entre les circonstances constitutives et les éléments
constitutifs. Le plan de l’ouvrage suggère toutefois que les circonstances s’ajoutent aux éléments puisqu’elles ne
sont pas intégrées au chapitre consacré aux éléments constitutifs.
104. V. supra, no 103.
105. E. Villey, Précis d’un cours de droit criminel, op. cit., p. 140. V. égal. J. Ortolan, Éléments de droit
pénal, op. cit., p. 451, no 1054. Il s’agit alors du cas où un moment précis est exigé par les textes d’incrimination
(l’exemple cité par Villey est celui de chasse en temps prohibé), mais non de l’élément temporel qui a été dégagé
par la suite. On retrouve ces mêmes circonstances chez Garraud, qui tend néanmoins pour sa part à les ériger en
éléments constitutifs. Concernant le lieu du délit, Garraud écrit ainsi que le Locus delicti peut-être amené à jouer
le rôle d’élément constitutif lorsque le texte d’incrimination prévoit un lieu particulier pour la commission du délit
R. Garraud, Traité théorique et pratique du droit pénal français, 2ème éd., op. cit., t. 2, p. 500, no 582. De même
s’agissant du temps. Ibid., t. 2, p. 504, no 587.
106. E. Villey, Précis d’un cours de droit criminel, op. cit., p. 137. Selon qu’elles sont prévues au titre de
l’aggravation ou pour la constitution du délit, ces différentes circonstances pourront être soit de nature aggravantes,
soit de nature constitutives.

134
Chapitre 1. L’exercice de qualification

qu’elles sont toutes en relation plus ou moins étroite avec l’un des éléments identifiés. Ainsi,
le temps et le lieu du délit donnent les circonstances spatiales et temporelles dans lesquelles le
fait doit avoir été réalisé, les moyens d’exécutions sont quant à eux les circonstances factuelles
de sa réalisation. De même, l’exigence d’une qualité particulière s’agissant de l’auteur ou de la
victime se trouve liée aux faits appréciés sous leur angle matériel, car elles sont relatives à la
personne devant accomplir ces faits (qualité objective) ou sur laquelle ils devront être accomplis
(quand bien même la connaissance de cette qualité, lorsqu’elle est exigée serait-elle dépendante
de l’élément moral). De la sorte, elles se trouvent toutes en relation étroite avec l’élément
matériel. À l’inverse, les mobiles et la fraude sont quant à elles des circonstances davantage
liées à l’élément moral, parce qu’elles impriment à la volonté une coloration particulière.

147. Appréciation large des circonstances – Les circonstances constitutives apparaissent


alors relativement larges. Elles ne dépendront pas toutes à proprement parler de l’activité
accomplie par l’agent 107 , tout simplement parce qu’elles peuvent simplement l’accompagner ou
lui servir de contexte. Cela se justifie d’autant plus qu’il s’agit d’apprécier un comportement sous
ses différents aspects, afin de pouvoir le qualifier pénalement. Dès lors, toute condition, toute
donnée indispensable à la caractérisation de l’infraction intègre d’une manière ou d’une autre
les éléments constitutifs. Envisager le comportement d’un point de vue objectif, c’est l’apprécier
de manière globale dans toute sa dimension matérielle, c’est-à-dire non seulement quant au
fait accompli, mais aussi quant aux circonstances dans lesquelles il est accompli. Détacher le
fait des circonstances n’a que peu de sens au regard de la qualification pénale, car celles-ci la
conditionnent tout autant et sont en partie indissociables du fait lui-même. L’infraction reste un
comportement humain, non une adjonction de différentes conditions et c’est ce comportement,
envisagé dans son ensemble qu’il faut analyser et qualifier 108 . Or, le temps du délit, son lieu
de réalisation sont autant de données indispensables à la qualification, car le comportement ne
devient infraction que par le contexte de sa réalisation.
Il importe donc d’avoir une vision d’ensemble du comportement infractionnel en intégrant
aux éléments toutes les données qui participent de la qualification pénale des faits. Les circons-
tances constitutives doivent dès lors être entendues largement et non être cantonnées aux données
strictement intrinsèques à l’activité de l’agent, parce que les éléments constitutifs permettent
d’apprécier l’activité infractionnelle dans son ensemble. Le fait que certaines données soient en
marge de l’acte infractionnel entendu stricto sensu ne suffit pas à les exclure des éléments de
l’infraction dès lors qu’elles ont une influence sur la constitution de l’infraction.

107. Ainsi en est-il par exemple des exigences temporelles ou spatiales, mais aussi d’autres données formant le
contexte dans lequel se produit l’infraction.
108. V. supra, no 138.

135
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

148. Remise en cause des caractères internes et contemporains – Une telle position se
révèle assez frontalement incompatible avec l’affirmation selon laquelle les éléments viseraient
les données internes et contemporaines à l’infraction. Toutefois, deux choses doivent être
relevées. La première est qu’admettre que les éléments doivent nécessairement être internes
et contemporains à l’infraction conduit à en exclure de nombreuses conditions, tels le temps
ou le lieu qui s’ils sont contemporains, ne sont pas internes à l’activité infractionnelle et ne
dépendent pas d’elle. Or, cela ne se justifie pas réellement dès lors que l’on admet que les
éléments constitutifs ne sont qu’un guide d’analyse et de qualification et imposent simplement
d’apprécier le comportement sous ses différents aspects. Il s’agit du comportement apprécié
largement ; de ce qui fait la substance du comportement infractionnel, non nécessairement de ce
qui relève plus strictement de l’action de l’agent.
La seconde est que ces deux critères ont essentiellement été mis en place pour justifier
l’autonomie de la condition préalable. Or, ils ne sont pas tout à fait probants, y compris au
regard de la condition préalable. Ils peuvent parfois se vérifier pour certaines d’entre elles. Plus
précisément, même si la condition préalable est antérieure à la réalisation de l’acte matériel
caractérisant l’infraction, elle peut s’insérer dans le comportement infractionnel envisagé plus
généralement. Deux exemples permettent de l’illustrer. Le premier est relatif à l’abus de
confiance. Dans cette infraction, la remise du bien est en principe préalable au détournement 109 .
L’agent doit avoir reçu et accepté le bien, à charge de restitution ou d’un usage particulier. L’acte
matériel d’exécution de l’infraction réside quant à lui dans le détournement. Le comportement
infractionnel commence donc en principe avec ce détournement, puisque la remise et l’accepta-
tion peuvent être totalement détachées de lui et, surtout, parfaitement licites. Elle est par suite
la condition préalable à l’abus de confiance 110 . Pourtant, l’agent peut directement participer à
la réalisation de la condition préalable, puisqu’il est parti à la remise qu’il doit en principe avoir
acceptée. Dès lors, celle-ci peut ne pas être totalement extérieure au comportement en ce sens que
l’agent aura pu jouer un rôle direct quant à sa réalisation. Autrement dit, l’individu peut, sans
toutefois provoquer totalement la remise, l’encourager en ce qu’il projette déjà son infraction
future. Surtout, l’on peut tout à fait imaginer que l’agent a déjà une intention frauduleuse lorsqu’il
accepte la remise. Dans un tel cas, la remise – même si elle demeure temporellement préalable
et même si elle est opérée par la victime – et l’acception relèvent en partie du comportement.
La condition reste certes « préalable », mais uniquement à l’acte d’exécution de l’infraction que
constitue le détournement.

109. Code pén. art. 314-1 : « L’abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui,
des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de
les représenter ou d’en faire un usage déterminé. »
110. V. not. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, op. cit., p. 207, no 175-176, et J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit
pénal spécial, op. cit., p. 569, no 914. Pour ces trois auteurs, la condition préalable se décompose en trois conditions.

136
Chapitre 1. L’exercice de qualification

Le second exemple est relatif au cas des infractions de conséquences. Si l’infraction


d’origine est la condition préalable de celle de conséquence 111 , le caractère antérieur et extérieur
est parfois également mis à mal. Si l’on prend l’exemple du recel, infraction de conséquence
typique, l’infraction principale a au moins pu être encouragée par le receleur qui prend alors
part à la survenance de la condition préalable. Un arrêt récent illustre une telle possibilité. Un
salarié avait recelé divers biens en demandant à ses collègues de se livrer à des manœuvres
douteuses. S’il n’a été déclaré coupable que de l’infraction de recel 112 , il y a dans ses agissements
une certaine participation à l’infraction de vol 113 dès lors qu’il en est, au moins en partie, à
l’origine 114 . Le lien entre l’infraction de recel et la condition préalable est alors trop ténu pour
admettre que celle-ci est extérieure à l’infraction. La condition s’intègre dans une démarche
d’ensemble, dans un comportement infractionnel se concluant par la consommation du recel,
quand bien même elle serait antérieure à l’acte caractérisant l’infraction. Admettre qu’elle est
extérieure à l’infraction elle-même n’est donc pas toujours conforme à la très grande diversité
des conditions préalables existantes et aux multiples modes de commission des infractions.
Au demeurant, cela conduit à analyser le comportement de manière trop étriquée. Qualifier
implique une vision d’ensemble. Ainsi faut-il admettre que « le comportement de l’auteur de
l’infraction est [...] proprement indissociable de sa prétendue condition préalable puisque celle-
ci participe de son caractère délictueux et donc de son érection au rang d’infraction » 115 . En effet,
le comportement ne peut être appréhendé indépendamment de son contexte duquel participe
la condition préalable, qui, du reste, conditionne la qualification. De ce fait, malgré l’intérêt
théorique qu’il présente, le caractère interne et contemporain est sans doute le moins praticable
des trois attributs des éléments constitutifs et, par conséquent, le plus discutable.

111. L’analyse de l’infraction d’origine comme condition préalable de l’infraction de conséquence fait néanmoins
l’objet d’un débat doctrinal. Si la doctrine majoritaire se prononce en faveur d’une telle analyse, (v. not. J.-P. Doucet,
« La condition préalable à l’infraction », art. préc. ; W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, op. cit., p. 25, no 21 ;
M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, op. cit., p. 268, no 232 ; M. Véron, Droit pénal spécial, op. cit., p. 3331, no 468 ;
B. Thellier de Poncheville, La condition préalable de l’infraction, th. préc., p. 61, no 93), d’autres auteurs la
critiquent (v. P. Cazalbou, Étude des infractions de conséquence, th. préc., p. 252, nos 573 et s.).
112. Cass. crim., 12 mai 2015, Bull. crim., no 102 ; D. actualité 2015, obs. L. Priou-Alibert. Madame Priou-
Alibert qualifie pour sa part l’infraction d’origine de condition préalable de l’infraction de conséquence. Cet arrêt
participerait dès lors de l’affaiblissement de la condition préalable car en l’espèce la Cour s’est contentée de l’origine
douteuse des biens recelés, rejetant le moyen invoqué par le demandeur selon lequel la Cour d’appel n’avait pas
identifié l’infraction originaire. Une telle solution tend ainsi « à dénier à cette condition préalable toute autonomie
dans la constitution du recel. » : L. Priou-Alibert obs. sur Cass. crim., 12 mai 2015, D. actualité 2015.
113. Le recel était d’ailleurs initialement une forme de complicité. Il reste présenté en doctrine comme une forme
de complicité a posteriori, incriminée de manière autonome. Sur ce point, v. not. B. Thellier de Poncheville, La
condition préalable de l’infraction, th. préc., p. 58, no 88.
114. Monsieur Bouzat utilise ainsi pour ce type de recel la dénomination de « recel-complicité ». V. P. Bouzat
obs. sur Cass. crim., 17 mai 1989, RSC 1990, p. 576. Cette terminologie illustre parfaitement le rôle joué par le
délinquant dans la réalisation de l’infraction d’origine et, donc dans la réalisation de la condition préalable dès
lors bien sûr que l’on admet que l’infraction d’origine puisse s’analyser en condition préalable de l’infraction de
conséquence.
115. P. Cazalbou, Étude des infractions de conséquence, th. préc., p. 253, no 575.

137
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

149. Circonstances constitutives et localisation dans l’espace de l’infraction – Faut-il


alors considérer que chaque donnée intégrant les éléments constitutifs en tant que circonstance
constitutive ou en tant que donnée principale permet de localiser l’infraction dans l’espace ?
L’expression de « faits constitutifs » utilisée dans le Code pénal 116 renvoie très certainement à un
démembrement des éléments constitutifs, si bien qu’il pourrait sembler possible d’inclure dans
cette expression toutes les données exigées par les textes. Encore faut-il rappeler que le terme de
« faits », justement préféré à raison de son caractère objectif 117 , ne peut renvoyer à une donnée
d’ordre moral. À l’évidence, il ne peut s’agir ici que de données matérielles et tangibles. Mais la
question se pose de savoir s’il doit s’agir d’un fait accompli par l’agent. L’ancienne rédaction de
l’article 693 du Code de procédure pénale pouvait le suggérer dès lors qu’était « réputée commise
sur le territoire de la République toute infraction dont un acte caractérisant un de ses éléments
constitutifs a été accompli en France ». L’article visant l’acte « accompli » en France, il aurait
été possible de considérer que seule l’activité matérielle de l’agent permettait le rattachement
de l’infraction sur le Territoire. La première hypothèse de rattachement aurait alors résidé alors
dans l’infraction complexe, pour laquelle un seul des actes d’exécution aurait été accompli en
France. Par ailleurs, l’article aurait permis de localiser l’infraction au lieu d’accomplissement
d’un acte qui « caractérise un élément constitutif même s’il ne l’accomplit pas » 118 , autrement
dit, un acte qui « manifeste [...] l’engagement dans la commission » 119 . La jurisprudence ne
s’en est quant à elle pas tenue à une application aussi stricte. Par certains arrêts, elle avait
pu sembler limiter l’application du texte au cas des infractions complexes. Dans un arrêt en
date du 27 octobre 1966, elle affirmait, s’agissant du délit des non-représentations d’enfant, que
« l’article 693 du code de procédure pénale ne pouvait, en l’espèce, recevoir application, aucun
acte caractérisant un des éléments constitutifs de l’infraction relevée, qui par sa nature, n’est pas
complexe, n’ayant été commis sur le territoire de la République » 120 . Néanmoins, de manière
générale, la Cour de cassation a toujours appliqué assez largement l’article. Non seulement,
elle appliquait la théorie de l’indifférence 121 , localisant l’infraction indifféremment au lieu de
l’action ou du résultat 122 , mais en outre, elle a très tôt admis la prise en compte de conditions
préalables. Par un arrêt un date du 12 février 1979, elle localisait ainsi un abus de confiance

116. Code pén., art. 113-2 al. 2.


117. Débats parlementaires du Sénat, op. cit., p. 614.
118. C. Lombois, Droit pénal international, op. cit., p. 309, no 253.
119. Ibid. Dans le même sens, C. Fayard, « La localisation internationale de l’infraction », RSC 1968, p. 753.
120. Cass. crim., 27 oct. 1966, Bull. crim., no 244 ; Rev. crit. dr. intern. priv. 1967, p. 741, note A. Decocq. Dans
le pourvoi, le père tentait de faire valoir la nature complexe du délit, afin que soit localisée l’infraction au lieu
d’exercice du droit de garde. Dans le même sens, Cass. crim., 16 juil. 1969, Bull. crim., no 228.
121. V. C. Lombois, Droit pénal international, op. cit., p. 305, no 250.
122. Pour un cas de localisation d’un délit de contrefaçon au lieu de l’atteinte portée aux droits de l’auteur : Cass.
crim., 2 fév. 1977, Bull. crim., no 41.

138
Chapitre 1. L’exercice de qualification

en France, alors que seule la remise préalable avait eu lieu sur le territoire de la République 123 .
Critiquable à la lecture de l’article 693, la solution l’est assurément moins à celle de l’article
113-2 alinéa 2. En effet, cet article n’évoque plus les faits (ou actes) commis, mais ceux ayant
eu lieu sur le territoire de la République 124 . Ne semblent donc pas pris en compte que des faits
accomplis par l’agent. Des conditions pré-existantes ou indépendantes de son activité pourraient
donc permettre la localisation de l’infraction. Reste que l’exigence d’un « fait » demeure, ce qui
devrait faire obstacle à une application trop large de l’article 113-2. Toutes les circonstances
constitutives ne peuvent donc pas permettre la localisation de l’infraction, si elles ne sont pas
des faits. Bien que la jurisprudence de la Cour de cassation tendent à admettre l’inverse, une
application conforme à la lettre de l’article serait donc de réputer commise en France l’infraction
dont un des faits d’exécution – qu’il réalise ou non l’exécution achevée de l’infraction – a eu lieu
sur le territoire de la République. L’extension au résultat peut quand à elle se justifier par le fait
que sa survenance dépend directement de l’activité de l’agent et, donc, des faits accomplis par
lui. Par ailleurs, il y a un intérêt indéniable à pouvoir poursuivre en France des comportements
ayant troublé l’ordre public français 125 .

150. Conclusion – Sans doute, l’approche proposée des éléments est-elle finalement très
proche de celle tenant à adjoindre des éléments spéciaux aux éléments généraux. Elle permet
toutefois davantage de préserver l’intégrité de la notion d’élément constitutif et de fournir un
schéma constant d’analyse. Au reste, une telle approche s’impose finalement assez naturellement.
Vérifier par exemple l’élément matériel, est-ce simplement s’assurer que le fait pris isolément
a été commis, ou est-ce plus globalement s’intéresser à la manière dont il a été commis et
dans quelles circonstances pour s’assurer qu’il y a bien une correspondance de la matérialité du
comportement avec les prévisions légales ? De même s’agissant de l’élément moral, lorsqu’une
intention ou un mobile particulier est exigé, apprécier la volonté de l’agent ne peut se limiter à
l’examen de la seule volonté à laquelle on ajouterait a posteriori une appréciation de l’intention
ou des mobiles. La doctrine ne raisonne d’ailleurs pas ainsi pour l’élément moral pour lequel au
contraire, les différentes données s’ajoutent les une aux autres pour caractériser l’élément. Sans
doute l’idée d’une adjonction est-elle critiquable, mais elle montre bien le caractère composite
de cet élément et la nécessité de regrouper dans l’appréciation des faits les conditions présentant
une coloration similaire. Tout cela résulte à la fois du fait que l’infraction est une entité qu’il

123. Cass. crim., 12 fév. 1979, Bull. crim., no 60 ; D. 1979, IR, p. 177, obs. G. Roujou de Boubée ; RSC 1979,
p. 575, obs. P. Bouzat. Dans le même sens, Cass. crim., 13 oct. 1981, Bull. crim., no 271.
124. Code pén., art. 113-2 al. 2 : « L’infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors
qu’un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire. »
125. Encore que dans le cas où le comportement est totalement accompli à l’étranger, la circonstance de
connaissance de la loi, indispensable à la qualification des faits peut poser problème malgré la présomption existant
en la matière.

139
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

faut envisager dans toute sa globalité et complexité et du fait que les éléments sont les outils
de sa qualification parce qu’ils fournissent un schéma qui en guide l’exercice. Le caractère
composite des éléments constitutifs permet du reste de mieux rendre compte de l’agencement
des différentes données exigées dans la caractérisation des infractions, car toutes se trouvent liées
à l’une ou l’autre des dimensions théoriques de l’infraction – voire aux deux –, de sorte qu’elles
devront être vérifiées par le juge lors de l’analyse du comportement sous l’angle correspondant.
La conséquence logique de cette approche est dès lors relative aux éléments spéciaux, dont l’idée
ne peut être retenue.

* *
*

151. Conclusion du Chapitre 1 – On l’a vu, l’intérêt pratique principal des éléments
réside dans l’exercice de qualification. Ils permettent de dégager un schéma d’analyse et d’en
guider l’opération. Le principe de légalité impose de vérifier toutes les conditions prévues par les
textes. Mais un ordre cohérent et progressif est nécessaire, car ces conditions sont multiples et de
nature variable. Faisons ici une comparaison avec le droit de la responsabilité civile délictuelle.
En cette matière, un texte général régit les circonstances dans lesquelles un individu peut engager
sa responsabilité. Ce texte prévoit trois conditions générales (une faute, un lien de causalité et
un dommage), ce qui impose de facto un ordre cohérent dans le raisonnement qui mène à la
déclaration de responsabilité 126 . Le droit pénal ne connaît pas d’équivalent, car le principe de
légalité impose une incrimination particulière pour chaque comportement susceptible d’engager
la responsabilité pénale de son auteur. Aucun texte ne suggère d’ordre logique en la matière.
Les éléments constitutifs permettent justement de compenser la complexité de l’exercice de
qualification en imposant une cohérence dans la caractérisation de l’infraction. Ils mettent
en lumière les étapes nécessaires à la qualification des faits. Un raisonnement par adjonction
d’éléments variables n’est donc pas souhaitable, parce qu’il brise la cohérence d’ensemble.
Peu importent la complexité du comportement ou les circonstances qui l’accompagnent à ce
stade. Il s’agit de difficultés d’ordre casuistique qui ne doivent pas faire perdre de vue les étapes
indispensables à l’engagement de la responsabilité pénale. Toutes ces circonstances particulières
doivent bien sûr être envisagées, mais dans le cadre plus général du schéma dégagé. L’intérêt des
éléments dans l’exercice de qualification n’est donc pas seulement un exercice de comparaison
entre les spécificités du comportement accompli et les exigences formulées dans un texte. Il n’est

126. La faute en droit de la responsabilité civile est elle-même parfois envisagée à travers des éléments rappelant
ceux du droit pénal. V. supra, no 16.

140
Chapitre 1. L’exercice de qualification

pas limité à la seule confrontation du fait au droit.


En principe, la qualification se conçoit à partir des faits. C’est par une étude du comporte-
ment que l’on parvient à dégager une qualification applicable. Il est vrai néanmoins que cette
démarche de qualification inductive ne se retrouve pas toujours en pratique, où l’exercice de
qualification est aussi et surtout dépendant d’un exercice de comparaison entre le fait et le droit.
Cela résulte en partie de la procédure applicable. Les juges, lorsqu’ils sont saisis de faits, le sont
par un acte de saisine précisant une qualification. Même s’ils demeurent saisis des faits bruts
et ne sont donc pas tenus par la qualification prima facie, leur rôle les conduira nécessairement
à vérifier l’applicabilité de la qualification pressentie. Au demeurant, cela résulte aussi d’une
attitude assez naturelle. N’a-t-on pas davantage tendance à pressentir une qualification à partir
de l’énoncé des faits, puis à vérifier si celle-ci est effectivement applicable ?
Mais peu importe finalement, car même lorsque la qualification est faite par le biais de
l’exercice de comparaison, elle reste sous-tendue par la même logique. En vérifiant qu’un
comportement correspond à une qualification légale, l’on vérifie du même coup qu’il répond
à la notion d’infraction ; qu’il en vérifie tous les attributs. Le schéma reste le même, il est imposé
par la nature de l’infraction et par sa structure générale et invariable. Les éléments ne doivent
donc pas être perçus comme une énumération de conditions à vérifier. Du point de vue de
l’incrimination, ils sont la description des différentes dimensions de l’infraction. Du point de
vue de l’infraction, ils sont les différents angles sous lesquels le comportement doit être analysé.
Ils imposent alors un ordre logique d’analyse afin de permettre, en partant des faits, d’aboutir à
la qualification pénale la mieux adaptée.

La nature de l’outil ayant été identifiée, il reste désormais à identifier les différentes étapes
de la qualification. Pour ce faire, il faut prendre de la distance avec le schéma traditionnel,
notamment parce que celui-ci est très discuté et participe de deux logiques différentes, certains
éléments étant des éléments techniques de définition, d’autres étant concentrés sur la substance
de l’infraction. D’ailleurs, il ne s’agit pas ici seulement d’en apprécier l’opportunité. Il s’agit de
tenter de dégager le schéma le plus adapté.

141
Chapitre 2

Le schéma de qualification

152. Origine du schéma : rejet de la synthèse des incriminations – Afin d’identifier les
éléments de l’infraction, la première question qu’il convient de résoudre est de savoir d’où doit
être dégagé le schéma. Plusieurs possibilités sont envisageables. L’une d’elles pourrait tenir
à une synthèse de la structure des différentes infractions. Toutefois, la très grande diversité
des incriminations et leur éparpillement rendent presque impossible un tel travail. Par ailleurs,
si les incriminations étaient initialement relativement succinctes, elles sont aujourd’hui d’une
étonnante complexité 127 . Le nombre des conditions prévues a significativement augmenté.
Les incriminations ont perdu une part de leur généralité pour s’adapter à des comportements
particuliers 128 . Ce degré de détail se fait sans doute en apparence dans le respect du principe
de légalité, mais il opère au prix d’une complexité grandissante de la matière et d’un manque
cruel de lisibilité des incriminations 129 . Attentatoires aux libertés car intervenant de plus en
plus souvent en amont sur l’iter criminis, les incriminations sont par ailleurs particulièrement
circonstanciées afin d’en encadrer le champs d’application et souvent associées d’exceptions. La
circonspection des anciens textes n’est plus de mise. Il en résulte qu’une synthèse des constats
faits lors de l’analyse des différents textes risquerait de se solder par un échec.

153. Le droit pénal général, une matière de principes – En outre, une autre raison qui a
déjà pu être abordée s’oppose à une démarche en termes de synthèse 130 . Certes, le droit pénal
général est né d’une systématisation des constats du droit pénal spécial 131 . La majorité des

127. Faisant état de la densification des normes, mais aussi de la norme, J. Leroy, « La densification normative
du Code pénal » in Faut-il « regénéraliser » le droit pénal ?, sous la dir. de G. Beaussonie, LGDJ, 2015, p. 75.
128. Il s’agit là du recours à ce que Madame Delmas-Marty appelle le « droit pénal magique » où la diversifi-
cation des incriminations « est comme le reflet des peurs à exorciser ». M. Delmas-Marty, Le flou du droit, PUF,
1986, p. 67.
129. De ce point de vue, les exigences de légalité sont poussées trop loin. Les incriminations, tout en étant claires
et précises, doivent demeurer générales.
130. V. supra, no 14.
131. Les infractions ont en effet précédé la conceptualisation et l’effort de définition de l’infraction. V. not. A.
Vitu, Traité de droit criminel, Droit pénal spécial, op. cit., p. 12, no 4.

143
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

auteurs s’accorde d’ailleurs à considérer que le premier s’est construit des constats du second,
lequel en constitue le terreau 132 . Cependant, on observe un enrichissement réciproque des deux
matières 133 , ainsi qu’une certaine émancipation du droit pénal général, non pas en ce qu’il ne
traduirait plus une systématisation du droit pénal spécial, mais en ce qu’il trouve des fondements
qui lui sont propres et qui se répercutent ensuite en droit pénal spécial. L’émergence et le
développement de grands principes propres à la matière pénale et qui ne puisent pas leurs sources
dans le droit pénal spécial favorisent ce mouvement à double sens entre les deux disciplines. Le
droit pénal général est aujourd’hui une matière de principes, au sein desquels il puise les règles
applicables aux différentes branches de la matière pénale, de sorte que « dans l’état actuel de
la science, la théorie d’aujourd’hui va du général au particulier » 134 . La Révolution a joué ici
un rôle fondamental en imposant une certaine vision de la répression pénale et en apportant
des restrictions fortes au pouvoir de punir. C’est dans ces restrictions et dans l’encadrement du
pouvoir des juges que les éléments constitutifs ont pris leur source. Ils furent au moins autant
– sinon plus – une manière d’affirmer et d’imposer un principe général de la matière que le seul
fruit d’une systématisation du droit pénal spécial 135 .

154. Origine du schéma : la conception de l’infraction – C’est donc de ces règles et


principes propres à l’incrimination qu’il convient de partir, parce que ces règles contiennent
une conception particulière de l’infraction, tant incriminée que commise. Certes, la démarche
part alors davantage de ce qui devrait être que de ce qui est. Mais le droit pénal est en perte de
cohérence. La diversification des infractions, la multiplication des catégories et des régimes
particuliers font perdre de vue les concepts généraux. La cohérence de la matière ne peut
que partir des concepts qui en sont la base. C’est donc eux qu’il convient en premier lieu de
préciser. Le prisme des principes généraux pourrait ainsi mettre en lumière la structure idéale
de l’infraction, autrement dit, l’infraction telle qu’elle devrait être et ce qu’elle n’est pourtant pas
toujours. Si c’est de ses éléments que l’infraction est construite, ceux-ci précèdent logiquement
les différentes incriminations : ils en sont à la base. Ces principes permettent ainsi de dégager une
structure générale et un schéma de qualification, en même temps qu’ils permettent d’approfondir
l’analyse de l’infraction ; de préciser ce qu’est, intrinsèquement, une infraction.

132. Pour Monsieur Conte, il en constitue le « substrat », car le droit pénal général procède d’une « systématisa-
tion » des différentes incriminations. P. Conte, Droit pénal spécial, op. cit., p. 1, no 2. V. égal. M.-L. Rassat, Droit
pénal spécial, op. cit., p. 3, no 3 ; J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, op. cit., p. 13, no 2.
133. Faisant état de l’influence réciproque des deux branches du droit pénal, P. Conte, Droit pénal spécial, op. cit.,
p. 1, no 3.
134. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, op. cit., p. 3, no 3. Dans le même sens, A. Vitu, Traité de droit criminel,
Droit pénal spécial, op. cit., p. 9, no 1.
135. Pour certains auteurs, les éléments traditionnels sont issus d’une démarche de systématisation. En ce sens,
P. Conte, Droit pénal spécial, op. cit., p. 1, no 2. Mais l’on s’en souvient, historiquement, il n’est pas certain que les
deux éléments initiaux aient été le fruit d’une telle démarche. Ils sont aussi et surtout la résultante d’une conception
particulière de la répression pénale et de l’infraction qui en est la cause. V. supra, nos 35 et s.

144
Chapitre 2. Le schéma de qualification

Si les infractions incriminées présentent certains traits communs, c’est justement parce que
ces traits sont imposés par des principes supérieurs auxquels le législateur ne peut déroger 136 .
Ces principes donnent aux diverses infractions une physionomie commune. Ils montrent aussi
que l’infraction ne se conçoit que d’une certaine façon, parce que le droit pénal ne peut
empiéter excessivement sur les libertés individuelles. Avec l’encadrement du pouvoir de punir,
le législateur a perdu un peu de sa liberté dans la détermination des incriminations. Les
principes contenus dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui se sont
développés et affirmés contribuent à dessiner les contours de la notion d’infraction. Celle-ci
répond abstraitement à des règles établies que le législateur devra respecter lorsqu’il procédera à
l’incrimination de divers comportements. C’est donc d’elles qu’il faut partir et de la conception
« moderne » de l’infraction. Elles donnent les repères nécessaires à la qualification légale des
incriminations, ceux sans lesquels l’incrimination sera contraire au principe de légalité. Or, si
ces étapes sont indispensables à la qualification légale des faits – soit la description et l’analyse
abstraite du comportement par le législateur –, ne le sont-elles pas nécessairement aussi à leur
qualification judiciaire 137 ? Les éléments ont une fonction eu égard au principe de légalité, et ce,
tant au regard de la qualification légale que de la qualification judiciaire. Du point de vue de la
qualification légale, s’ils ne sont pas explicités par le législateur de manière suffisamment claire
et précise, le texte de loi ne sera pas conforme aux règles à valeur constitutionnelle. Il fera par
conséquent (en principe) l’objet d’une censure. Du point de vue de la qualification judiciaire, si
leur existence n’est pas vérifiée en l’espèce par le juge, et conformément aux prévisions légales,
la condamnation n’est pas légale. Elle fera alors (toujours en principe) l’objet d’une cassation.
Par conséquent, les éléments qui sont la mesure de l’infraction et que le législateur doit préciser
se retrouvent dans les éléments que le juge doit vérifier. La qualification pénale des faits permet
d’affirmer que le comportement est infractionnel (qu’il possède tous les attributs de l’infraction),
parce qu’il présente tous les attributs requis par une incrimination.
Pour finir, il faut aussi relever que cette approche rejoint pour partie la démarche initialement
suivie par les auteurs, lorsqu’ils ont tenté d’identifier les différents éléments de l’infraction. Ils

136. V. toutefois P. Lascoumes et C. Barberger, « De la sanction à l’injonction : « le droit pénal administratif »


comme expression du pluralisme des formes juridiques sanctionnatrices », art. préc., s’interrogeant en ces termes :
« Peut-on prétendre ramener le droit pénal à un modèle unique où l’on puiserait des critères de validité ? L’idéal-
type de l’incrimination « classique » s’est-il d’ailleurs jamais imposé comme modèle unique ? Ne gagnerait-on pas
à raisonner plutôt, ici comme ailleurs, de façon pluraliste en considérant que, pas plus que d’autres, le droit pénal
spécial n’a connu de forme pure et qu’il est formé d’un assemblage de dispositions de qualification et sanction,
spécifiques et interdépendantes ? »
137. Fondamentalement, la qualification judiciaire est le reflet de la qualification légale dans le monde concret.
La première est le nom attribué par le législateur à un comportement, la seconde est ce même nom, mais attribué
par le juge au même comportement. Pour la première, le nom – vol, meurtre –, est donc aussi le résultat de la
qualification. L’exercice passe quant à lui par la description minutieuse du comportement qui a vocation à recevoir
cette dénomination.

145
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

partaient de la définition générale de la notion, dont ils déduisaient les composantes de toute
infraction pénale 138 . Pour notre part, nous partirons des principes qui sous-tendent l’infraction,
parce que sa définition est parfois variable et qu’il ne s’agit pas tant de définir extérieurement
l’infraction que d’en préciser la substance et les conditions de la punissabilité du comportement.
Elle présente certes, quels que soient les auteurs, des traits communs, mais selon les choix opérés,
l’accent sera davantage mis sur certains aspects 139 , ce qui fait des différentes définitions un outil
trop incertain.

155. Annonce – C’est donc des exigences propres à la répression pénale et de la conception
qu’ils engendrent de l’infraction que sera déduit le schéma de qualification. Ces exigences, issues
majoritairement du principe de légalité, sont de deux ordres. L’une est relative à une exigence de
forme : elle tient à l’existence d’un texte de loi. Cette règle de forme ne peut néanmoins pas être
considérée comme constitutive de l’infraction au regard de la conception retenue des éléments
(Section 1). Envisager l’infraction sous son angle légal, c’est en effet tout simplement qualifier
les faits. Les autres exigences sont quant à elles des exigences de fond et correspondent aux
différents angles d’analyse du comportement (Section 2).

Section 1 – L’exigence de forme : une exigence non constitutive

156. Texte de loi et élément légal – La conception moderne de l’infraction prend sa source
en premier lieu dans le principe de légalité. C’est donc de ce principe qu’il convient de dégager
les règles générales auxquelles doit répondre l’infraction. En premier lieu, le principe de légalité
impose le recours à la loi en matière de répression pénale. Le premier principe en matière pénale
est ainsi relatif à l’exigence d’un texte (I), sans lequel l’infraction ne peut exister. C’est en raison
de ce caractère fondamental que certains auteurs avaient pu voir dans l’exigence d’un fondement
légal un élément de l’infraction. Il est vrai au demeurant que cette exigence est une constante en
matière pénale, si bien que l’élément légal remplit en apparence toutes les caractéristiques des
éléments dès lors que déduit de la définition générale de l’infraction, sa vérification est toujours
indispensable. Au regard de la conception qui en est proposée, une difficulté apparaît néanmoins.
Envisager le comportement sous son angle légal, n’est-ce pas tout simplement tenter de qualifier

138. V. supra, no 53 et nos 58 et s.


139. À titre d’exemple, pour certains auteurs, elle ne sera que le fait objectif, alors que pour d’autres, elle est un
acte, ou encore un comportement. Ces subtilités sont lourdes de conséquences quant à la conception de l’infraction
et, par extension, quant aux éléments retenus.

146
Chapitre 2. Le schéma de qualification

les faits ? L’élément de définition technique de l’infraction, l’élément légal renvoie en réalité
directement à l’exercice de qualification (II). Il n’en est pas un guide, il en est le support.

§ 1. L’exigence d’un texte

157. Bref retour sur le principe – Le principe relatif à l’exigence d’un texte fondant la
répression est tellement ancré dans notre conception du droit pénal qu’il n’appelle qu’un bref
retour. Il résulte du principe de légalité affirmé au lendemain de la Révolution 140 et est par
conséquent inscrit dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Cette exigence
d’un texte est la première en matière de légalité criminelle 141 . Il résulte en effet de l’article 7 de
la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, au terme duquel « nul homme ne peut être
accusé, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi », et de l’article 8 (« La loi ne
doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en
vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée »). Ces
articles imposent par conséquent deux choses : tout d’abord, la nature du fondement en matière
de répression pénale est la loi. Ensuite, la loi doit préciser et déterminer les cas dans lesquels
une personne peut être accusée, arrêtée ou détenue, et sous quelles formes. Donner compétence
à la représentation nationale en matière pénale apparaissait comme un moyen efficace de lutter
contre l’arbitraire 142 en encadrant et en limitant le rôle des juges, à la fois dans la détermination
des infractions et dans la fixation des peines 143 .
Souvent résumée par l’adage nullum crimen, nulla pœna, sine lege dont la paternité revient,

140. Concernant l’apparition précoce du principe de légalité en droit canonique, v. cependant J.-M. Carbasse,
Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, op. cit., p. 171, no 86 bis. V. égal. A.-G. Chloros, « Essai sur
l’origine et la fonction de la légalité » in Mélanges en l’honneur de Paul Roubier, t. 1, Librairies Dalloz et Sirey,
1961, p. 123.
141. Le principe de légalité inclut plusieurs impératifs découlant de la DDHC (non-rétroactivité ou nécessité des
délits et des peines...). Toutefois, le Conseil constitutionnel utilise ce vocable essentiellement pour viser l’exigence
d’un texte. En son sens strict, le principe de légalité exige donc la précision des termes de l’infraction. V. L. Favoreu,
« La constitutionnalisation du droit pénal et de la procédure pénale, Vers un droit constitutionnel pénal » in Droit
pénal contemporain, Mélanges en l’honneur d’André Vitu, Cujas, 1989, p. 169.
142. En ce sens, D. Rebut, « Le principe de la légalité des délits et des peines », RPDP 2001, p. 249. V. égal.
M.-C. Roca, « Le principe de la légalité et l’incrimination », RPDP 2001, p. 272.
143. La maxime « toutes les peines sont arbitraires en ce royaume » et les célèbres lettres de cachet sont devenues
le symbole du despotisme de l’Ancien Régime, bien que de nombreux auteurs tendent désormais à nuancer le
caractère attentatoire de ces lettres tout d’abord parce qu’une légalité coutumière existait, mais aussi parce que
celles-ci étaient fréquemment expédiées dans l’intérêt de familles ou de communautés. V. not. J.-L. Gazzanica,
« La dimension historique des libertés et droits fondamentaux » in Libertés et droits fondamentaux, sous la dir.
de R. Cabrillac, M.-A. Frison-Roche et T. Revet, Dalloz, 2001, p. 11, et E. Michelet, « Article 7, Histoire,
analyse et commentaires » in La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, sous la dir. de G. Conac,
M. Debene et G. Teboul, Economica, 1993, p. 159. Leur multiplication et le développement de la pratique des
lettres en blanc ont tout de même grandement participé de la symbolique accordée à la pratique. V. J.-M. Carbasse,
Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, op. cit., p. 390, no 210.

147
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

s’agissant de la seconde partie de l’affirmation, à Feuerbach 144 , l’importance de la loi en


matière pénale est également affirmée dans la Convention européenne de Sauvegarde des Droits
de l’Homme en son article 7 145 . Elle figure en outre aussi dans notre Code pénal. L’article 111-3
dispose en effet que « nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments 146
ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par
le règlement. Nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi, si l’infraction est
un crime ou un délit, ou par le règlement, si l’infraction est une contravention ». Il s’agit là du
rappel de l’aspect formel de la légalité, qui impose le recours à la loi dans la détermination des
délits et des peines 147 .

158. Une composante de la définition de l’infraction – L’exigence d’un fondement légal


intègre de ce fait la définition moderne de l’infraction. L’infraction ne se conçoit pas aujourd’hui
détachée de ce support légal. En son absence, ou en cas d’inapplicabilité du texte d’incrimi-
nation aux faits d’espèce 148 , l’infraction ne peut pas être caractérisée. Toutes les définitions
de l’infraction intègrent donc cette donnée fondamentale. Carrara la définissait ainsi comme
« la violation d’une loi de l’État, résultant d’un acte externe de l’homme, positif ou négatif,
socialement imputable, ne se justifiant pas par l’accomplissement d’un devoir ou l’exercice
d’un droit, et qui est punie d’une peine prévue par la loi » 149 . Garraud la définissait quant
à lui comme « un fait, ordonné ou prohibé par la loi à l’avance, sous la sanction d’une peine
proprement dite, et qui ne se justifie pas par l’exercice d’un droit » 150 . Pour Messieurs Merle
et Vitu, elle est « l’acte que lois punissent d’une peine » 151 .

144. En ce sens, A. Laingui, « Les adages du droit pénal », art. préc. Dans son ouvrage, Feuerbach expose en
fait trois principes : le premier est l’axiome latin nulla pœna sine lege, d’où il suit que toute peine est conditionnée
par l’existence de la menace de l’action : nulla pœna sine crimine. Enfin, il achève son raisonnement par le fait que
la menace légale du fait est conditionnée par l’établissement légal d’une sanction juridique : nullum crimen sine
pœna legali. P. Feuerbach, Lehrbuch des gemeinen in Deutschland gültigen peinlichen Rechts, 5ème éd., Heyer,
1812, p. 20, nos 17 et s.
145. CESDH, art. 7-1 : « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a
été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. »
146. Nous soulignons.
147. Par opposition à la légalité matérielle qui renverrait pour sa part à la qualité de la loi (ou plus largement
de la norme). Pour une analyse de ces deux aspects de la légalité, v. not. D. Zerouki, La légalité criminelle :
enrichissement de la conception formelle par une conception matérielle, 2001, Thèse, Lyon 3. Pour une définition
de la légalité formelle, W. Benessiano, Légalité pénale et droits fondamentaux, 2011, PUAM, p. 123, no 186 ; C.
Claverie-Rousset, « La légalité criminelle », Dr. pén. 2011, étude 16. Sur la légalité dans sa conception matérielle
et l’exigence d’intelligibilité, v. égal. M.-A. Frison-Roche et W. Baranès, « L’accessibilité et l’intelligibilité de la
loi », D. 2000, chron. p. 361.
148. Ce sera par exemple le cas en cas de problème relatif à l’application de la loi dans le temps ou dans l’espace.
149. Cette définition proposée par Carrara est reprise dans de nombreux manuels. V. not. H. Donnedieu de
Vabres, Traité élémentaire de droit criminel et de législation pénale comparée, op. cit., p. 47, no 89.
150. R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 60, no 36.
151. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 33, no 7.

148
Chapitre 2. Le schéma de qualification

159. Élément légal et caractéristiques des éléments constitutifs – C’est justement parce
que la loi est devenue une donnée de la définition de l’infraction, qui ne se conçoit pas sans
elle, qu’il a pu en être déduit un élément de l’infraction à la fin du XIXème siècle 152 . L’idée s’est
partiellement imposée, selon laquelle l’élément légal serait constitutif de l’infraction, soit plus
précisément, serait l’élément constituant les deux autres 153 . Et il est vrai au demeurant que l’élé-
ment légal présente les caractéristiques propres aux éléments constitutifs. Il est indispensable à
la caractérisation de l’infraction et il est une exigence commune à toutes les infractions. Seuls les
caractères interne et contemporain font défaut, ce qui a motivé pour certains auteurs son rejet. Par
définition, la loi doit précéder l’infraction, si bien qu’une partie non négligeable de la doctrine
préfère y voir un préalable et non une composante de celle-ci 154 . Malgré les hésitations sur ce
dernier point, l’exigence d’un fondement légal pourrait être un élément dès lors qu’elle relève
bien de la conception moderne de l’infraction et présente les caractères principaux des éléments.
Cependant, ériger le fondement légal au rang d’élément constitutif se révèle impossible au regard
de la fonction des éléments.

§ 2. Le fondement légal, support de la qualification

160. Le rôle du texte dans la qualification – Le principe de légalité n’impose pas


simplement un fondement légal à la répression. Il veut qu’elle ne soit envisageable que si le
comportement fait l’objet d’une incrimination spécifique. La condition imposée par le principe
de légalité réside donc essentiellement dans la possibilité de qualifier pénalement les faits au
regard d’un texte particulier. Ce n’est que sous cette condition que la peine associée pourra être
prononcée. Si l’on prend l’exemple de l’élément matériel, il sera caractérisé si l’acte accompli
par l’agent correspond à l’acte prévu par le législateur. Symétriquement, l’élément légal ne sera
« caractérisé » que si le comportement accompli par l’agent correspond au comportement prévu
par le législateur.
Il y a donc plus qu’un simple lien entre l’exigence d’un texte et la qualification. L’enjeu n’est
pas seulement qu’il existe un texte, l’enjeu est que ce texte soit applicable. Dès lors, analyser
le comportement sous son angle légal, c’est en réalité procéder à l’opération de qualification.
La détermination du texte effectivement applicable en sera le résultat. L’exigence d’un texte

152. V. supra, no 57.


153. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 171, no 300 ; E. Fortis, L’élément
légal dans les infractions d’imprudence portant atteinte à l’intégrité corporelle, th. préc., p. 12, no 4 ; O. Décima,
S. Detraz et E. Verny, Droit pénal général, op. cit., 107, no 209. L’élément légal décrit les éléments matériel et
moral. Comp. J.-H. Robert, « Histoire des éléments de l’infraction », art. préc.
154. V. C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 14, no 14, citant notamment les propos
de A. Decocq. L’auteur précise en outre que l’étude de la loi précède l’examen de l’infraction mais ne peut
rationnellement y participer. Ibid., p. 59, no 57. V. égal. M.-L. Rassat, Droit pénal général, op. cit., p. 273, no 230.

149
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

imposée par le principe de légalité et l’exercice de qualification relèvent donc de la même logique,
de sorte que le texte ne peut être une étape de la qualification. Au mieux en est-il le résultat.
Déterminer le texte applicable, puis l’appliquer (c’est-à-dire prononcer la peine prévue par ce
texte), n’est-ce pas en effet tout simplement qualifier les faits ? L’exigence d’un texte ne participe
pas d’un schéma de qualification. On ne peut la concevoir comme la première étape, parce que
la qualification part des faits. De même, pressentir un texte applicable n’est en rien suffisant.
Encore faut-il que celui-ci le soit effectivement. Dans une démarche de comparaison, le texte est
donc à la fois la première étape, mais il en est aussi la dernière. Plus exactement, il sous-tend la
comparaison de son entier parce qu’il est le support de l’exercice de qualification.

161. Approche initiale de l’élément légal : le caractère central de la légalité –


L’élément légal tel qu’il est envisagé par la doctrine illustre d’ailleurs parfaitement cette relation
très étroite qui unit l’exigence du texte à l’exercice de qualification et le fait que le texte ne saurait
être la première étape de celui-ci. Il faut ici remarquer qu’il y a eu une évolution significative
concernant cet élément de l’infraction. Hier comme aujourd’hui, l’élément légal renvoie en
premier lieu au principe de légalité 155 . Le premier élément de l’infraction tiendrait à « une
loi violée » 156 , au fondement légal de la répression. Cependant, que le comportement réalisé
soit incriminé ne suffit pas. Encore faut-il, comme l’avait souligné Villey en son temps, que
l’individu doive obéissance à la loi d’incrimination 157 , autrement dit, qu’il soit soumis à cette loi.
Si Lainé s’était contenté de l’exigence d’un texte au titre de l’élément légal 158 , la plupart de ses
successeurs intégraient à son étude celle des conditions d’applications du texte. Par conséquent,
l’étude de l’élément légal contenait le plus souvent l’étude du principe de légalité et des sources
du droit pénal, celle de l’application de la loi dans le temps et dans l’espace et enfin celle de
l’interprétation de la loi 159 . Il y avait dans cette démarche, un écueil fondamental. L’élément
légal était en fait essentiellement un prétexte à l’étude du principe de légalité et à ses corollaires.
Les différentes données rattachées à l’élément légal renvoyaient donc aux règles découlant de
ce principe. Ce faisant, il n’était, comme le dénonçait fort justement Monsieur Vouin, « qu’une
manière de parler - et pas la meilleure - en vue de rappeler le grand principe de la légalité des

155. L’élément légal désignerait ce principe. V. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 21, no 10.
156. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 506, no 384. Plus exactement, le premier élément
serait le texte d’incrimination, car comme l’ont démontré certains auteurs, le droit pénal ne donne pas la règle, il
n’est qu’un droit sanctionnateur. L’infraction n’est donc pas la violation de la loi pénale, elle est un comportement
interdit sous la menace d’une peine. V. infra, no 175.
157. E. Villey, Précis d’un cours de droit criminel, op. cit., p. 62.
158. V. supra, nos 57 et s.
159. V. R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 93, nos 47 et s. ; P. Cuche, Précis de droit
criminel, op. cit., p. 23, nos 19 et s. Et pour des auteurs plus récents, v. H. Donnedieu de Vabres, Traité élémentaire
de droit criminel et de législation pénale comparée, op. cit., p. 49 nos 92 et s. (encore que l’application de la loi n’y
soit pas développée) ; P. Bouzat et J. Pinatel, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit., p. 142, nos 76 et s. ;
G. Stéfani et G. Levasseur, Droit pénal général, op. cit., p. 107, nos 85 et s.

150
Chapitre 2. Le schéma de qualification

incriminations » 160 . Cet élément encourageait en outre un cantonnement du principe de légalité


à la légalité des délits par le lien très étroit qui unissait ce principe avec lui. Or, la légalité sous-
tend la matière pénale dans son ensemble 161 . En envisageant les conditions d’application de
la loi, les auteurs montraient toutefois l’insuffisance de la seule exigence du fondement légal.
Encore fallait-il que le texte d’incrimination puisse être appliqué ; que l’agent y soit soumis.
Envisager l’étude de l’application de la loi dans l’espace et le temps semble de ce point de vue
tout à fait justifié. Reste le cas de l’interprétation stricte de la loi pénale. Sans doute, celle-ci
relevait-elle aussi de l’élément légal parce qu’elle découle également du principe de légalité. En
donnant pouvoir au législateur en matière pénale, l’idée était de limiter l’arbitraire des juges. Ils
ne devaient être que la « bouche » de la loi. Il était donc logique que l’interprétation de la loi et
la limitation du pouvoir des juges soient liées dans les manuels à l’étude du principe de légalité.
Mais en abordant la question de l’interprétation stricte de la loi, les auteurs empiétaient sur la
question de l’application de l’incrimination aux faits.
Il manque donc une étape dans les développements opérés. En envisageant l’application de
la loi dans l’espace et dans le temps, les auteurs s’intéressaient déjà au fait de savoir si le texte
pouvait être appliqué d’un point de vue procédural. Ce faisant, ils présumaient de ce que le texte
en question était bien le texte applicable aux faits.

162. Approche actuelle de l’élément légal : caractère central de la qualification – C’est


justement à cet égard qu’une évolution peut être observée dans les manuels. Désormais, et
depuis le célèbre Traité de Messieurs Merle et Vitu, le principe de légalité est majoritairement
envisagé indépendamment de l’étude de l’infraction. L’intérêt fondamental de ce choix est de
permettre de redonner toute sa place à ce principe et d’en envisager les différents aspects. La
légalité reprend ainsi un rôle central : elle ne s’applique pas uniquement à l’infraction, mais à la
matière pénale dans un ensemble 162 . Dès lors, la question principale étudiée au titre de l’élément
légal est celle de la qualification, tant dans son aspect légal que judiciaire 163 . Il y a dans cette
démarche quelque chose de tout à fait logique. L’exigence d’un texte n’a de sens que s’il s’agit

160. R. Vouin, Manuel de droit criminel, op. cit., p. 149, no 231.


161. Certains auteurs préfèrent d’ailleurs parler de la légalité de la répression afin d’embrasser sous la même
expression tous les aspects de la légalité pénale. Cette expression inclut, outre la légalité des incriminations et des
peines, la légalité de la procédure. V. G. Levasseur, « La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de
1789 » in Les grands principes de la Déclaration des droit de l’homme et le droit répressif français, ses origines -
sa pérennité, sous la dir. de C.-A. Colliard et G. Conac, La documentation française, 1990, p. 233.
162. Sur cette dénomination, v. M. Delmas-Marty, « Réflexion sur la matière pénale » in L’enseignement des
sciences criminelles aujourd’hui, actes du colloque de l’Université Montpellier I, sous la dir. de C. Lazerges, Érès,
collection criminologie et sciences de l’homme, 1991, p. 15.
163. V. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 507, no 385 ; P. Conte et P. Maistre du
Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 134, no 228 ; J. Pradel, Droit pénal général, op. cit., p. 287, no 331. V.
égal. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., qui traite ensemble le cas de l’élément légal et de la qualification
dans une partie consacrée au support du droit pénal.

151
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

du texte applicable. La première question est donc bien de savoir si les faits peuvent recevoir une
qualification pénale. Au regard de l’infraction, le texte n’en est l’élément constitutif qu’au terme
de l’exercice de qualification.

163. Défauts de l’approche actuelle – Le défaut de cette analyse est cependant double.
Tout d’abord, s’il apparaît justifié de traiter de manière autonome le principe de légalité, la
question de l’applicabilité du texte dans l’espace et dans le temps est indéniablement liée à
l’opération de qualification. De même en est-il de la question de l’interprétation de la loi pénale.
Celle-ci est indissociable de la qualification, parce que la question de l’interprétation se pose au
moment de la qualification 164 . C’est parce que l’on vérifie l’adéquation entre le comportement et
un texte d’incrimination que l’on a besoin d’interpréter ce texte 165 . Comme l’explique Monsieur
Leroy, les faits soumis au juge ne correspondent jamais exactement à la situation abstraite
décrite. Ainsi, « dans toute qualification, on décèle une interprétation des faits », de sorte que
« l’interprétation de la loi est partie intégrante de l’interprétation des faits » 166 . L’idée est qu’en
qualifiant, on interprète tant les faits que le droit, dans le but de les faire correspondre. Or, les
questions afférentes à l’interprétation sont désormais majoritairement traitées avec le principe de
légalité dont elles découlent, c’est-à-dire le plus souvent à l’occasion de l’étude de la loi comme
source du droit criminel 167 . S’il peut sembler cohérent de traiter ensemble la source du droit et
son interprétation, la présentation retenue a pour défaut de ne pas mettre en valeur le lien entre
interprétation et qualification.

164. N’est-il pas vrai en effet que « quelle que soit la précision de la loi pénale, il est toujours nécessaire
d’interpréter pour qualifier » ? (v. J.-C. Saint-Pau, « L’interprétation des lois », RSC 2015, p. 272) Cette affirmation
illustre le lien de dépendance qui unit les deux opérations. Comp. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 139,
no 130 : « L’interprétation stricte de la loi pénale ne prend pleinement son sens que sous couvert d’applications
concrètes, c’est-à-dire par référence au travail de qualification. Il ne servirait à rien de régler les difficultés de
compréhension d’un texte pour ne pas en relever, dans le même temps, son adéquation aux faits ». Pour une approche
plus nuancée, F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, op. cit., p. 243, no 287. Selon ces auteurs, la
qualification doit être distinguée de l’interprétation, même si les deux opérations sont étroitement imbriquées.
165. En ce sens, V. E. Gallardo-Gonggryp, La qualification pénale des faits, th. préc., p. 31, no 19. Madame
Gallardo-Gonggryp regrette que l’interprétation soit envisagée en dehors de la qualification. Selon elle en effet,
« on n’interprète pas la loi abstraitement, mais en référence à des faits que l’on entend subsumer sous les concepts
contenus dans cette loi ». Elle réfute par conséquent l’idée selon laquelle l’interprétation précéderait la qualification.
Les deux sont indissociables parce que « l’interprétation est, aux côtés de l’appréciation, une composante de la
qualification en droit pénal ». Il est d’ailleurs à relever que la typicité allemande (v. infra, no 164) lie elle bien le
problème de qualification et celui de l’interprétation des lois. En ce sens, R. Merle et A. Vitu, Traité de droit
criminel, op. cit., p. 507, no 385. Ces auteurs traitent néanmoins quant à eux les deux points séparément.
166. J. Leroy, « Les qualifications du fait et l’interprétation de la loi » in Histoire et méthodes d’interprétation en
droit criminel, sous la dir. de F. Stasiak, Dalloz, 2015, p. 43.
167. V. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 77, nos 123 et s., et J. Pradel, Droit
pénal général, op. cit., p. 217, nos 245 et s. Pour Messieurs Merle et Vitu, ces questions étaient plus largement
rattachées à l’étude du droit criminel. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 246, nos 168 et s.
Comp. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 133, nos 124 et s., qui ne limite pas l’étude de l’élément légal au
problème de la qualification, mais qui consacre la première partie de son ouvrage à la loi comme support du droit
pénal. Le premier chapitre est consacré à la légalité, qu’il associe dans une certaine mesure à l’élément légal (p. 21,
no 10), les chapitres suivants traitant de l’application et de l’interprétation de la loi ainsi que de la qualification.

152
Chapitre 2. Le schéma de qualification

Le second défaut est quant à lui de ne pas aller au bout du raisonnement. La doctrine a
parfaitement raison d’avoir recentré le débat sur l’applicabilité du texte aux faits, car l’élément
légal n’est celui de l’infraction que si le comportement correspond aux prévisions légales.
Toutefois, il n’est pas le premier élément de l’infraction. On ne peut conclure à l’existence d’un
texte applicable qu’après avoir envisagé les autres éléments. Ceci est vrai quelle que soit la
démarche de qualification effectuée, car même dans l’exercice de comparaison, il n’est que le
texte pressenti. Il ne sera appliqué – autrement dit le comportement ne recevra sa dénomination
légale – qu’à l’issue de la comparaison. En d’autres termes, le texte pressenti ne deviendra
l’élément légal de l’infraction qu’au terme de l’exercice de comparaison. Messieurs Conte et
Maistre du Chabon expliquent en outre dans leur ouvrage que l’intérêt de l’élément légal
réside aussi – et surtout – dans la description des éléments 168 . Du point de vue de l’infraction,
son intérêt réside par extension dans la vérification de l’adéquation du comportement aux faits.
C’est l’essence de cet élément. Dire qu’il faut un texte fondant la répression, c’est exiger que le
comportement entre dans ses prévisions.

164. Typicité et élément légal – Envisagé de la sorte, l’élément légal se rapproche de la


notion de « typicité » utilisée en doctrine allemande. Le type y est un élément de l’infraction
et correspond, comme notre élément légal, au texte d’incrimination. Plus exactement, il s’agit
de « la description abstraite de l’action prévue dans un texte d’incrimination » 169 . La typicité
renvoie par conséquent « à la comparaison du comportement, de ses conséquences et de l’état
d’esprit de l’agent à la description du texte d’incrimination » 170 . Elle suppose donc un type, mais
la typicité est en réalité une manière de désigner l’exercice de qualification 171 . Le type n’étant
que la description de l’infraction, l’enjeu fondamental tient dans la vérification de la typicité du
comportement 172 . Le recours à la typicité présente donc cet avantage d’insister sur l’intérêt de
l’élément légal, ou du type, mais il montre aussi qu’élément légal et qualification relèvent de la

168. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 129, no 219.
169. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 10. V. égal. E. Dargentas,
« La norme pénale et la recherche autonome des valeurs dignes de la protection pénale », RPDP 1977, p. 411.
170. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 333, no 514.
171. X. Pin, Droit pénal général, op. cit., p. 153, no 154 : « Une infraction est constituée dès lorsque ses modalités
concrètes correspondent à un type de conduite préalablement incriminé. Cela signifie qu’en présence d’un fait ayant
l’apparence d’une infraction, il est nécessaire de vérifier, d’une part, que ce fait a été réalisé dans la situation décrite
par l’incrimination et, d’autre part, qu’il l’a été suivant le processus également décrit. »
172. La typicité allemande est liée au principe Nullum crimen et implique la vérification de l’adéquation entre
l’acte concret et la description abstraite du texte d’incrimination. Elle implique donc, pour que l’action soit
punissable, que celle-ci corresponde à un certain type prévu par la loi. Si elle ne se confond pas avec, elle se
rapproche sensiblement de l’élément légal retenu par une partie de la doctrine française, tout en étant pour sa
part dotée d’une fonction supplémentaire. Sur la typicité, v. not. J. Darbellay, Théorie générale de l’illicéité en
droit civil et en droit pénal, Arbeiten aus des iuristichen Seminar der Universität Freiburg, Éditions universitaires,
Fribourg, 1955, p. 25, no 10.

153
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

même logique 173 .


Car exiger un texte, c’est exiger avant tout que le comportement lui corresponde, qu’il soit
donc qualifiable ou typique. Le type – ou texte d’incrimination – n’a d’intérêt qu’au regard de la
typicité – ou concordance – du comportement. Poser le principe d’un élément légal, ce n’est pas
seulement exiger un fondement légal, c’est exiger que le comportement tombe sous le coup de la
loi ; qu’il soit en adéquation avec le texte. Il est certes l’expression d’un principe général, mais
il se confond en réalité avec l’exercice de qualification. Il est le pont entre le fait et le droit parce
qu’il est le nom (ou numéro) que l’on attache aux faits. C’est lui qui fait entrer le comportement
dans la sphère du droit pénal. Par conséquent, il ne peut ni être un élément de l’infraction ni être
un élément de l’incrimination. Il n’en est que le support, qui attache un nom à un comportement
décrit.
Du reste, envisager le texte d’incrimination comme élément constitutif n’a que peu de
sens. Cela n’a que peu de sens tout d’abord parce que, comme le relevait Monsieur Doucet,
le texte se confond avec l’incrimination (ou infraction-description), à tel point qu’il n’est plus
exact de considérer qu’il la constitue 174 . Le texte n’est que le support de l’incrimination. Il
l’institue bien plus qu’il ne la constitue. Il n’est pas un outil de la qualification légale, il en
est simplement la matérialisation et le moyen. Il n’entre pas dans l’exercice de qualification qui
consiste, pour le législateur, en partant du résultat qu’il redoute, à décrire le comportement qu’il
entend réprimer et à le nommer 175 . Par ailleurs, le principe de légalité remplit déjà la fonction de
rappel de l’exigence textuelle. L’intérêt des éléments ne peut être purement théorique. Il ne peut
se résumer à la formulation de principes : il doit par ailleurs les rendre effectifs. Or, encore une
fois, l’effectivité de l’élément légal, dont la formulation est assurée par la Déclaration des Droits
de l’Homme et du Citoyen, passe par la vérification de la typicité du comportement. Il n’est donc
pas un élément participant du schéma de qualification. Il est la qualification elle-même.

165. Un élément désignant l’opération de qualification – Au regard de l’incrimination


comme au regard de l’infraction, ce prétendu élément se confond donc totalement avec sa fonc-
tion. Cela est d’autant plus vrai lorsque l’on envisage les éléments constitutifs comme des angles
d’analyse. Analyser sous l’angle légal le comportement accompli, c’est le qualifier. Le texte
de loi sous-tend la qualification dans son entier justement parce qu’il décrit le comportement
et en présente les caractéristiques essentielles. Analyser l’incrimination sous son angle légal
n’a du reste pas réellement de sens. L’exigence d’un texte ne participe donc pas du schéma

173. En doctrine allemande, l’action et le type ne sont d’ailleurs pas tout à fait deux éléments autonomes, parce que
l’action est appréciée à l’occasion de l’examen de la typicité du comportement, c’est-à-dire de sa correspondance
au texte. V. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 9.
174. V. J.-P. Doucet, La loi pénale, op. cit., p. 98 : « L’incrimination légale qui fixe les éléments constitutifs
d’une infraction ne saurait à l’évidence viser que des éléments étrangers à elle-même. »
175. V. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 40, nos 32 et s.

154
Chapitre 2. Le schéma de qualification

de qualification, elle est la qualification. Et la tendance actuelle à n’envisager l’élément légal


que sous cet angle en est l’aveu. Le fondement légal n’est qu’un support du point de vue de
l’incrimination. Du point de vue de l’infraction, il est le point de départ de la qualification (texte
pressenti), l’exercice de qualification par comparaison (la vérification de l’applicabilité du texte)
et le résultat de la qualification (le nom ou numéro attribué au comportement).
Principe général de la matière, l’exigence d’un texte a, il est vrai, contribué à imposer une
conception formelle de l’infraction. Cependant, elle n’en est pas véritablement un élément ni
au regard de la conception proposée, ni véritablement au regard de la fonction des éléments.
L’exigence de forme issue du principe de légalité ne doit par conséquent pas s’analyser en
élément, ni de l’infraction ni même de l’incrimination. Il ne participe que d’une définition
formelle de l’infraction, mais il ne la constitue pas. Il en va différemment des principes de fond
existant en matière infractionnelle, eux intimement liés à la substance de l’infraction.

Section 2 – Les exigences de fond : des exigences constitutives

166. Importance de la valeur protégée et complémentarité fait-volonté – À côté de


l’exigence de forme, il existe en droit pénal certaines règles de fond. Devenues des principes
généraux de la matière, elles résultent le plus souvent du principe de légalité, ou en sont des
corollaires 176 .
L’une d’elle tient au principe de nécessité des délits et des peines. En la matière, le législateur
a un très large pouvoir d’appréciation et il n’existe pas de contrôle effectif de la production
législative. Le problème vient de la difficulté d’apprécier la nécessité des incriminations et des
peines, sans verser dans un contrôle d’opportunité. L’absence de critères objectifs d’appréciation
de la nécessité complexifie en outre les choses. Pourtant, la nécessité de la répression est depuis
longtemps prise en compte dans la définition de l’infraction. L’infraction est profondément
marquée par l’idée d’injuste 177 , qui a d’ailleurs été intégrée – bien que négativement – dans

176. Sur la diversification des principes généraux et de leurs sources, notamment en matière pénale, v. M. Puech,
« Les principes généraux du droit (Aspect pénal) » in Journée de la société de législation comparée, Société de
législation comparée, 1980, n° spécial, vol. 2, p. 337.
177. Le droit pénal doit tendre à la recherche d’un équilibre en ne proscrivant que les comportement portant
atteinte à la justice humaine. Bien que l’infraction soit appréhendée de manière légaliste en France, l’injuste intègre
sa conception par ce truchement. V. V. Molinier, Traité théorique et pratique du droit pénal, op. cit., p. 45 et s. sur
l’injuste, et p. 213 sur la définition légaliste de l’infraction. Comp. P. Rossi, Traité de droit pénal, op. cit., p. 241 : « Il
est certain que si l’on veut se borner au sens pratique, le délit n’est que l’infraction de la loi pénale. Cette définition
est claire [...] ; elle est aussi suffisante, une et une peine proprement ; elle est aussi suffisante, comme guide pour les
jurisconsultes praticiens, et pour tout homme, comme règle ordinaire de conduite légale. Mais cette définition est
insuffisante pour la théorie. La théorie réclame une définition tirée de la nature des choses, une définition vraie en

155
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

la constitution de l’infraction. Mais, si l’on pressent dans ces exigences le substrat d’un élément
constitutif, les liens entre injuste et nécessité restent à préciser, de même que les critères
d’appréciation de l’un et de l’autre. Or, un critère peut être trouvé en faisant appel à la théorie
allemande de l’infraction. Celui-ci, tenant à l’antijuridicité, est d’autant plus intéressant qu’il
conduit la doctrine allemande à identifier un élément constitutif antijuridique.
Il ne s’agit pas ici de transposer une théorie qui trouve sa source dans des concepts
éloignés des nôtres. Les deux approches, française et allemande, sont sur de trop nombreux
points différentes. Cependant, l’analyse allemande possède des outils intéressants, dont il peut
être opportun de s’inspirer. À travers la notion d’antijuridicité, un indice de la gravité du
comportement peut être identifié et permettre de donner au contrôle de nécessité un critère
d’appréciation. Le principe, posé par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen,
trouverait alors un prolongement dans la constitution des incriminations et des infractions (I) par
l’identification d’un nouvel élément, non calqué sur l’élément allemand mais en partie inspiré
de lui.
À ce premier principe de fond, s’en ajoute par ailleurs un second. Il est relatif à la
complémentarité entre le fait et la volonté en matière infractionnelle. Les deux principes selon
lesquels l’infraction doit se manifester concrètement et ne peut être que volontaire demeurent
fondamentaux. La conception « moderne » de la responsabilité et de son fait générateur qu’est
l’infraction fait de la dualité matérialité/moralité une réalité indéniable et par conséquent
incontournable (II).

§ 1. Le prolongement du principe de nécessité dans la constitution de


l’infraction

167. Un principe issu de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen – Parmi


les principes auxquels est soumis le droit pénal figure le principe de nécessité 178 . Si ce principe
est formel quant aux peines, il est moins explicite quant aux incriminations. L’article 8 de la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen dispose en effet que « la loi ne doit établir
que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Malgré tout, l’exigence de nécessité
concerne aussi les incriminations. La doctrine a en effet toujours admis que la nécessité de la
peine rejaillissait sur sa source qu’est l’infraction 179 . Si l’incrimination n’est pas nécessaire car
ne répond à aucun besoin, comment la peine qui lui est associée pourrait, elle, l’être ? Au reste,

tout temps et en tout lieu. Elle nous paraît découler naturellement des principes du droit de punir et de l’ensemble
des doctrines que nous avons exposées au Ier livre ».
178. V. Le principe de nécessité en droit pénal, Actes de la journée d’études radicales, sous la dir. de O. Cahn et
K. Parrot, LEJEP, 2013, p. 17.
179. En ce sens, Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 30, no 21.

156
Chapitre 2. Le schéma de qualification

deux arguments conduisent à admettre que le principe de nécessité ne saurait se cantonner aux
peines. Tout d’abord, l’article 5 pose une limitation formelle au pouvoir de punir en énonçant
que « la loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société ». Il s’en déduit qu’un
comportement ne peut être incriminé que pour le danger ou la nuisance qu’il représente. Ensuite,
le fait que seule la peine ait été expressément mentionnée à l’article 8 s’explique par la confiance
mise dans la loi et le législateur au siècle des Lumières 180 . Cumulés 181 , les articles 5 et 8
instaurent donc à la fois un principe de nécessité des incriminations dont le principe de nécessité
des peines est le complément.
Parce que le droit doit respecter les libertés individuelles et que le droit pénal y porte
justement atteinte, le recours à cette matière ne peut être qu’exceptionnel 182 . Il s’ensuit que les
comportements incriminés doivent présenter un certain degré de gravité, rendant indispensable
le recours au droit pénal pour les sanctionner 183 .

168. Nécessité et fondement du pouvoir de punir – La nécessité des incriminations


devrait guider le législateur par la limitation au pouvoir de punir qu’elle engendre. Plus,
dans l’exercice de qualification, le législateur n’est pas seulement guidé, il est limité dans sa
décision 184 . La doctrine estime à ce titre que l’incrimination doit être justifiée « par une nuisance

180. Sur ce point, v. F. Rousseau, « Le principe de nécessité, Aux frontières du droit de punir », RSC 2015, p. 257.
Monsieur Rousseau explique en outre qu’un contrôle de l’action législative relatif à la nécessité des incriminations
n’avait pas été envisagé par Beccaria. La loi étant l’émanation parfaite de la volonté générale, un tel contrôle n’était
pas concevable. Il conduit en effet à admettre la possibilité d’une défaillance de la loi, ce qui n’est pas pensable au
siècle des Lumières.
181. Des auteurs regrettent le délaissement de l’article 5, notamment par le Conseil constitutionnel lors de son
contrôle. L’article 5 étant parfois analysé comme étant le véritable siège de la nécessité des incriminations, certains
auteurs estiment que les deux articles devraient être liés. En ce sens, R. Parizot, « Pour un véritable principe
de nécessité des incriminations » in Politique(s) criminelle(s), Mélanges en l’honneur du professeur C. Lazerges,
Dalloz, 2014, p. 245. V. égal. F. Rousseau, « Le principe de nécessité », art. préc. Il faut toutefois remarquer que le
rattachement de la nécessité des incriminations à l’article 5 de la DDHC n’est pas si évident. Il présuppose admis
un certain pouvoir normatif au droit pénal dès lors que l’article 5 énonce que « la loi n’a le droit de défendre » que
certaines actions. Or, il n’est pas certain que les incriminations défendent les comportements. Formellement, elles
se contentent de les sanctionner. Or, cette conception du droit pénal fait l’objet d’un débat ancien et récurrent en
doctrine.
182. Monsieur Léauté rappelle à ce titre que le principe Nullum crimen sine lege imposait que le droit pénal soit
réduit au strict nécessaire. J. Léauté, « Le changement de fonction de la règle « nullum crimen sine lege » in Dix
ans de conférences d’agrégation, études de droit commercial offertes à J. Hamel, op. cit.
183. Sur le développement d’une exigence positive sous l’impulsion du droit communautaire (obligation faite
aux États de protéger certaines valeurs par le recours au droit pénal) à côté de l’exigence négative, v. R. Parizot,
« Pour un véritable principe de nécessité des incriminations » in Politique(s) criminelle(s), Mélanges en l’honneur
du professeur C. Lazerges, op. cit., et F. Rousseau, « Le principe de nécessité », art. préc.
184. En ce sens, R. Parizot, « Pour un véritable principe de nécessité des incriminations » in Politique(s)
criminelle(s), Mélanges en l’honneur du professeur C. Lazerges, op. cit. V. égal. M. Delmas-Marty, « Légalité
pénale et prééminence du droit » in Droit pénal contemporain, Mélanges en l’honneur d’André Vitu, Cujas, 1989,
p. 151 : L’article débute par cette affirmation : « Même pénale, la loi n’a pas tous les droits. » Madame Cappello
explique quant à elle qu’il pèse sur le législateur un devoir de mesure. Ce devoir est fonction du caractère nuisible de
l’acte imposé par l’article 5 de la DDHC (celui-ci s’appréciant au regard des biens juridiques collectifs protégés par
les incriminations), et en référence au caractère utile de l’incrimination (A. Cappello, La constitutionnalisation du
droit pénal, th. préc., p. 269, nos 367 et s.).

157
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

grave » causée à cette dernière 185 . Élément plutôt technique de définition de l’infraction, le
principe de nécessité a une signification particulière qui oriente la conception de l’infraction.
Même dans une approche formelle et légaliste de celle-ci, l’infraction a toujours été perçue
comme une nuisance ; un trouble 186 et seul les comportements nuisibles mériteraient d’être
sanctionnés.
La difficulté est toutefois de parvenir à dégager des critères d’appréciation de la nécessité. Or,
si l’on en revient aux ouvrages anciens, la nécessité des incriminations est liée à leur légitimité,
autrement dit, au fondement du droit de punir, à ses fonctions et à ses limites 187 . C’est donc du
fondement et du but du droit pénal 188 que doivent être déduits les critères d’appréciation de la
nécessité (A). L’état actuel de la doctrine française ne permet pourtant pas de dégager des critères
précis, mais elle emprunte parfois à la doctrine allemande le recours à la protection de valeurs
essentielles. Or, la théorie de l’antijuridicité, développée en Allemagne a pour particularité de se
retrouver dans la constitution de l’infraction à travers un élément constitutif. Un enrichissement
de l’analyse française par les apports de la doctrine allemande s’avère donc envisageable (B).

A. Des critères déduits des fondements du droit de punir

169. L’absence de critères prédéterminés – Parce qu’elle est liée aux théories relatives
au fondement du droit de punir, l’appréciation de l’incrimination nécessaire est évolutive. Elle
dépend du but assigné au droit pénal et de ses limites. Il serait profondément anachronique
de poser comme des critères acquis d’appréciation de la nécessité les données actuellement
proposées et utilisées par la doctrine. Rien, d’ailleurs, dans les articles 5 et 8 ne permet de
préciser le principe. Il n’est pas expliqué à quoi doivent être strictement nécessaires les peines,
ni ce qu’il faut entendre par « actions nuisibles ». Un bref rappel historique relatif aux théories
dégagées s’impose donc (1), afin de voir si des critères de nécessité peuvent être identifiés.
Toutefois, les théories françaises ne permettent pas de dégager de critères fiables, et c’est donc
vers la théorie allemande de protection des biens juridiques qu’il faudra se tourner (2)

185. R. Parizot, « Pour un véritable principe de nécessité des incriminations » in Politique(s) criminelle(s),
Mélanges en l’honneur du professeur C. Lazerges, op. cit.
186. Le crime s’apprécierait notamment par la réaction sociale qu’il engendre. V. J. Pinatel, « L’apport de
l’histoire et de la psychologie sociale à la compréhension de l’évolution du concept de crime », art. préc.
187. V. par ex. V. Molinier, Traité théorique et pratique du droit pénal, op. cit., p. 45 : « Une société a une
destinée qui lui est assignée par sa nature et par le fait de son existence. Elle doit aussi développer ses forces
physiques et sa puissance intellectuelle. Elle ne peut le faire qu’avec l’ordre et la sécurité. Tout ce qui est nécessaire
pour leur maintien est dès lors légitime, toutes les fois que les moyens employés ne blessent pas la justice. »
188. Théoriquement, le fondement du droit pénal devrait être distingué de son but, le second se déduisant du
premier, car étant dépendant et limité par lui. En effet, le but poursuivi par le législateur n’est légitime que
s’il prend sa source dans le fondement de ce droit. Les deux demeurent toutefois intimement liés et parfois
confondus, notamment parce que la détermination des fondements du droit de punir est en premier lieu abstraite et
philosophique.

158
Chapitre 2. Le schéma de qualification

1. Rappel historique

170. Évolutions : du contrat social à l’éclectisme – Dans le droit pénal classique de


Beccaria, qui a inspiré le droit pénal révolutionnaire et les principes inscrits dans la Déclaration
des Droits de l’Homme et du Citoyen 189 , le droit pénal repose sur le contrat social. Si l’on replace
ces articles dans leur contexte historique, la nécessité dont il est question à l’article 8 renvoie au
fait que les libertés transférées à l’État et qui justifient le droit de punir ne sont que la portion
strictement nécessaire à la vie en société. De même en est-il du caractère nuisible de l’article 5.
Pour Beccaria, les hommes, quittant l’état de nature et de guerre, ont abandonné une portion
de leur liberté, portion « dont l’abandon était nécessaire pour obtenir la sécurité dans la vie
sociale » 190 . Il explique que le fondement du droit de punir réside dans « la nécessité de défendre
le dépôt de la sûreté publique contre les usurpations des particuliers » 191 . Le droit de punir trouve
donc sa légitimité dans la nécessité de régir certains aspects de la vie en communauté et cette
nécessité en est aussi la limite.
Par la suite, les justifications du pouvoir de punir et le but assigné au droit pénal ont
évolué. L’utilitarisme de Bentham verra dans le droit pénal le moyen d’assurer la plus grande
somme de bien-être aux individus. L’incrimination nécessaire est celle venant sanctionner un
acte produisant plus de douleur que de bien-être 192 . La nécessité des incriminations et surtout
des peines s’apprécie alors au regard de leur utilité et du mal que les délits ont fait naître 193 .
Plusieurs autres théories suivront par la suite (École de la défense sociale, théorie de la justice
absolue de Kant, théorie de la conservation défendue notamment par Hélie, etc.), chacune
assignant un nouveau but, mais aussi de nouvelles limites à ce droit et aux fonctions de la
peine 194 . Elles donneront finalement naissance à la doctrine dite éclectique, dont il a déjà été
question 195 . Intermédiaire, et majoritaire à la fin du XIXème siècle 196 , cette doctrine opère une

189. V. Molinier, Traité théorique et pratique du droit pénal, op. cit., p. 51.
190. Ibid., p. 52, exposant les différentes théories du droit de punir.
191. C. Beccaria, Traité des délits et des peines, op. cit., p. 22.
192. En ce sens, L. Maillard, Étude historique sur la politique criminelle (l’utilitarisme), Larose, 1899, p. 51 :
« Pour savoir s’il convient d’ériger tel ou tel acte en délit il s’agit donc de mesurer les diverses sortes de maux qui en
résultent et de les comparer impartialement avec les biens ou plaisirs qui peuvent également en résulter, sans tenir
compte d’aucune idée préconçue de justice ou de morale. »
193. Bentham écrit que « selon le principe de l’utilité, on appelle délit tout mal que l’on croit devoir être prohibé
à raison du mal qu’il fait naître ou tend à faire naître ». J. Bentham, Traités de législation civile et pénale, publiés
en français par Ét. Dumont, 3ème éd., t. 2, Rey et Gravier, 1830, p. 2. La répression du délit se fait donc selon un
calcul qui permettra de rétablir un certain degré de satisfaction, celui-ci devant être plutôt surabondant, autrement
dit en faveur de celui qui a souffert l’injure. Ibid., p. 82.
194. Les ouvrages du XIXème siècle font souvent état des différentes théories et les exposent successivement en en
montrant les limites. Ainsi est-ce le cas dans l’ouvrage d’Ortolan (J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit.,
p. 80, nos 176 et s.), dans le Traité de Molinier (V. Molinier, Traité théorique et pratique du droit pénal, op. cit.,
p. 44 et s.) ou encore dans le précis de Garraud (R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 16,
nos 14 et s.). V. égal. A. Gilardin, Étude philosophique sur le droit de punir, Chambet aîné éditeur, 1841.
195. Supra, no 51.
196. En ce sens, V. Molinier, Traité théorique et pratique du droit pénal, op. cit., p. 70.

159
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

synthèse entre les différentes théories, et plus précisément entre l’idée de justice et d’utilité 197 ,
afin de tempérer les excès et imperfections de chacune d’elles.
Ce compromis se retrouve notamment chez Ortolan pour qui la légitimité du droit de
punir tient à ces deux critères que sont le juste et l’utile 198 . Plus précisément, cette légitimité
résulte de l’impératif de conservation et de bien-être de la société : « ce n’est qu’à cause et dans
la limite de son droit de conservation et de bien-être que la société est autorisée à s’immiscer
dans la punition des actes injustes ». Les incriminations présentent donc un double aspect de
nécessité et d’utilité, qui fixe les limites du droit de punir 199 . Elles ne pourront être vues comme
nécessaires que si elles s’inscrivent strictement dans le but et dans les limites assignés à ce
droit. Si ces deux critères peuvent être le substrat d’un élément injuste ou de nécessité, leurs
consistances respectives restent à préciser, d’autant que la conception du juste et de l’utile est
évolutive. Les préceptes des auteurs anciens ne peuvent être collés aux conceptions modernes,
au risque d’une totale inadaptation.

171. Positions de la défense sociale nouvelle – Aujourd’hui, la doctrine pénaliste s’est


quelque peu désintéressée de la question du fondement du droit pénal. Les débats se sont
davantage concentrés sur la fonction de la répression, sans prétendre en amont à une théorisation
du droit de punir. À cet égard, l’infraction n’a pas fait l’objet en France d’un effort de concep-
tualisation comme elle a pu le faire dans d’autres pays. Toutefois, il est nécessaire de revenir ici
sur l’influence qu’a pu avoir l’École de la défense sociale nouvelle, parce qu’elle a contribué à
la mise en place d’un droit pénal plus subjectif et à la prise en compte de la dangerosité dans la
politique pénale.
Si elle se sépare de la doctrine positiviste sur de nombreux points, la doctrine de la défense
sociale nouvelle en admet certains aspects 200 . Elle place notamment la dangerosité ainsi que la
prévention au cœur de la réflexion et de la politique criminelle. Le but préventif de la répression
ne conduit pas expressément Ancel à prôner une répression en amont sur l’iter criminis 201 .

197. Ibid., p. 68.


198. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 86, no 190.
199. Ibid.
200. Sur les liens existants entre le positivisme, la défense sociale et la défense sociale nouvelle (points de
convergences et de divergences), v. M. Ancel, La défense sociale nouvelle, 3ème éd., Cujas, 1981, p. 29 et s. et
p. 75 et s.
201. L’objectif de prévention peut être rempli notamment par certaines mesures politiques préventives. Dans les
courants positivistes et de défense sociale ancienne, la prévention pouvait passer par des mesures éducatives ou
des mesures de sûreté ante delictum. V. entre autres, A. Prins, La défense sociale et les transformations du droit
pénal, Misch et Thron, 1910, not. p. 156, pour la défense sociale et pour une présentation générale L. Maillard,
Étude historique sur la politique criminelle (l’utilitarisme), op. cit., p. 82 et s. Il est à noter que sur ce dernier point,
s’il admet les intérêts que peut présenter certaines mesures ante delictum (M. Ancel, La défense sociale nouvelle,
op. cit., p. 233), Monsieur Ancel précise que la défense sociale nouvelle est hostile à l’instauration d’un régime
préventif discrétionnaire (ibid., p. 232). Sur ce point, v. égal. J. Danet, « La dangerosité, une notion criminologique,
séculaire et mutante », Champ pénal[en ligne] 2008, V.

160
Chapitre 2. Le schéma de qualification

Néanmoins, l’état dangereux développé par les doctrines positivistes et de défense sociale est
partiellement repris 202 et peut encourager en répression préventive. Ceci est d’autant plus vrai
au regard des fonctions assignées à la peine 203 qui devient essentiellement préventive. Associées
à l’objectif préventif de la politique criminelle, ces fonctions conduisent la défense sociale
nouvelle à proposer une nouvelle approche du phénomène criminel en mettant le délinquant
au cœur de la répression. C’est ainsi un droit pénal subjectif qui est voulu par les défenseurs
de cette doctrine, dans lequel la personnalité du délinquant aurait un rôle fondamental et serait
prise en compte tout au long du procès 204 . Cette position va donc dans le sens d’un subjectivisme
accru du droit pénal, déjà proposé par Gramatica 205 , et s’oppose à la vision classique et néo-
classique qui se concentrait sur l’acte et sur le dommage. Il se voulait essentiellement objectif,
afin de garantir une stricte égalité devant la loi et de limiter l’arbitraire des juges dans les
condamnations 206 . Si les éclectiques ont accordé une place plus importante au délinquant et
insisté sur le caractère fondamental de la volonté dans la caractérisation de l’infraction, cette
prise en compte demeure trop timide et en grande partie artificielle aux yeux de partisans de la
défense sociale nouvelle 207 , qui critiquent notamment la fiction de présomption de connaissance
de la loi et l’absence de prise en compte des mobiles 208 .

172. Influence de la défense sociale nouvelle sur la conception du droit pénal – Ces
propositions ne sont pas mises directement en lien avec la nécessité des incriminations et ses
critères d’appréciation 209 , mais ils ont eu une influence certaine sur la matière et la conception
du droit pénal. La dangerosité et la logique préventive se retrouvent aujourd’hui dans notre
législation pénale à travers la prise en compte croissante du risque 210 qui aujourd’hui « irrigue
[...] profondément notre nouveau code pénal » 211 . Ainsi peut-on lire que « les techniques
juridiques dites des « délits-obstacles » et des « infractions de prévention » ont permis de

202. Encore faut-il à nouveau préciser que la défense sociale nouvelle n’adhère pas à toutes les positions de ces
deux écoles et n’en tire pas les mêmes conséquences.
203. Une des revendications principales de la défense sociale est de substituer à l’expiation et la répression punitive
comme réaction contre le crime la prévention de la délinquance et la récupération du délinquant. M. Ancel, La
défense sociale nouvelle, op. cit., p. 35.
204. Ibid., p. 212 et s.
205. F. Gramatica, Principes de défense sociale, Éditions Cujas, 1963, p. 30 et s. Monsieur Ancel ne le rejoint
toutefois pas sur l’ensemble de sa construction et se détache notamment des positions de Gramatica quant à la
question de l’abolition de la responsabilité pénale au profit de la notion d’asocialité. M. Ancel, La défense sociale
nouvelle, op. cit., p. 108.
206. Supra, no 36.
207. M. Ancel, La défense sociale nouvelle, op. cit., p. 206 et s.
208. Ibid., p. 210-211.
209. Bien qu’elle dégage des orientations de politique criminelle, la doctrine de la défense sociale se concentre
essentiellement sur la répression et ses fonctions.
210. Sur la mutation du danger au risque, J. Danet, « La dangerosité, une notion criminologique, séculaire et
mutante », art. préc. La dangerosité des agents semble devoir être révélée par leurs comportements. À la dangerosité
de la personne, l’on substitue donc la dangerosité des actes.
211. Ibid.

161
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

concilier l’exigence de l’élément matériel avec l’idée d’ « état dangereux prédélictuel » utilisé et
développé par cette école 212 . On la retrouve par ailleurs dans le recours aux mesures de sûreté,
dont le nombre a sensiblement augmenté 213 .
La prise en compte de la dangerosité et le subjectivisme accru voulu par les partisans
de la défense sociale se retrouvent enfin indirectement dans la justification de la répression
des différents comportements. Garraud expliquait déjà la différence de conception selon les
visions objective et subjective. Dans la première vision, il n’est tenu compte de la volonté,
quelque certaine qu’elle soit, que si elle se réalise par un acte en lui-même criminel, c’est-à-
dire troublant l’ordre public 214 . Dans la seconde, l’acte est incriminé parce qu’il manifeste une
volonté sérieuse de commettre le délit et « permet de mesurer la témébilité du délinquant » 215 . Or,
le développement d’une approche subjectiviste peut être observé. Elle est illustrée en premier lieu
par la définition « moderne » de l’élément matériel. La doctrine classique et néo-classique voyait
dans l’exigence du fait le refus de la répression de la pensée. Mais, outre sa matérialisation, ce
qu’exigeaient les auteurs était un fait tangible, univoque, la répression devant trouver sa source
dans l’acte et le dommage créé 216 , non dans la volonté et la violation de règles morales 217 .
Aujourd’hui, beaucoup de définitions de l’élément matériel traduisent davantage une vision
subjective qui fait écho aux revendications de la défense sociale 218 . L’élément matériel et

212. R. Gassin, S. Cimamonti et P. Bonfils, Criminologie, 7ème éd., Dalloz, 2011, p. 757, no 858.
213. V. H. Matsopoulou, « Le développement des mesures de sûreté justifiées par la « dangerosité » et l’inutile
dispositif applicable aux malades mentaux, Commentaire de la loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la
rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental », Dr. pén. 2008, étude,
no 5. La doctrine a à ce titre pu parler de renouveau des mesures de sûreté : du même auteur, « Le renouveau des
mesures de sûreté », D. 2007, p. 1607. L’un des critères en matière de rétention de sûreté mentionné par l’article
706-53-13 du Code de procédure pénale tient justement à la « particulière dangerosité », entendue comme « le risque
de commettre une infraction identique à celle ayant justifié la condamnation prononcée » Sur ce point, v. du même
auteur, « Le développement des mesures de sûreté justifiées par la « dangerosité » et l’inutile dispositif applicable
aux malades mentaux », art. préc. La circonstance aggravante de récidive procède de la même logique : elle serait
en effet justifiée par le fait que celui qui persiste à commettre des infractions malgré une première condamnation
« manifeste une dangerosité extrême ». C. de Jacobet de Nombel, Théorie générale des circonstances aggravantes,
th. préc., p. 77, no 117, citant A. Légal, « Les conditions et les effets de la récidive », RSC. 1937, p. 599.
214. R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 146, no 64.
215. Ibid.
216. V. les dév. de Ortolan consacrés à l’importance du résultat. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit.,
p. 405, nos 957 et s.
217. Les développements consacrés à la tentative chez les différents auteurs rattachés à la doctrine éclectique
sont éloquents à ce sujet. Par exemple, Ortolan s’oppose à une répression similaire de l’infraction tentée et de
l’infraction consommée. Selon lui, se concentrer sur la volonté pour justifier une similarité de répression, c’est être
dans l’idée de justice absolue et nier la dimension nécessairement physique du délit (ibid., p. 408, no 969). Il est en
outre intéressant de relever que l’élément matériel n’est jamais défini chez ces auteurs comme la matérialisation de
la pensée coupable.
218. V. E. Dreyer, « L’objet de la sanction pénale », D. 2016, p. 2583 : « Ainsi, la responsabilité pénale paraît-
elle de moins en moins objective et les fonctions de la peine évoluent en conséquence : il s’agit moins de rétribuer
un acte que de transformer ou éliminer son auteur. Dans cette perspective, chacun sait que le droit pénal prend en
compte de plus en plus le délinquant et de moins en moins l’infraction. ». V. égal. du même auteur, « Droit pénal :
droit de l’infraction ou droit du délinquant ? » in Faut-il rethéoriser le droit pénal ?, colloque des 13-14 oct. 2016,
Orléans, à paraître, 2016.

162
Chapitre 2. Le schéma de qualification

son rôle y sont redéfinis. Il est, pour beaucoup d’auteurs, une matérialisation de la volonté
coupable 219 . Dans cette conception, c’est donc elle, en premier lieu, qu’a vocation à saisir le
droit pénal. La volonté coupable participe d’une dangerosité de l’agent que le fait ne sert qu’à
révéler. Cette conception était celle défendue par Gramatica, selon qui la seule « cogitatio »,
qui ne peut entraîner de responsabilité ou révéler la périculosité, ne peut constituer un indice
d’antisocialité 220 . « L’antisocialité objective doit donc s’extérioriser. [...] Elle se présente comme
une action (ou une omission) ainsi que comme un acte concret, parce que c’est là la forme
extérieure, physique, matérielle qui peut fournir la preuve [...] de la volonté du sujet » 221 .
L’élément matériel apparaît ici comme le marqueur de la dangerosité de l’agent, qui, elle-même,
révèle la nécessité de la répression 222

173. Dangerosité et nécessité – Dès lors qu’elle est devenue une donnée fondamentale
en matière répressive, faut-il voir dans la dangerosité le critère actuel d’appréciation de la
nécessité des incriminations et, par suite, la base d’un élément de l’infraction ? La notion a
pris très certainement une place considérable dans notre droit pénal. Elle s’observe aussi bien
dans certaines définitions doctrinales de l’élément matériel, que dans la répression sur le terrain
de la tentative de l’infraction impossible 223 , ou encore dans le développement d’un droit pénal
préventif fondé sur le risque et la répression de l’état dangereux 224 et d’un droit pénal dit de
l’ennemi 225 reposant lui aussi sur la dangerosité. Cependant, il serait à la fois contre-productif
et excessif d’intégrer la dangerosité à l’appréciation de la nécessité. Excessif, parce que les excès
des théories fondées sur l’état dangereux ont été dénoncées. Ainsi, le développement du droit
pénal préventif et des infractions obstacles est-il parfois critiqué en doctrine comme opérant
au détriment des libertés individuelles 226 . Or, c’est justement à un équilibre entre répression et
libertés individuelles que permet de tendre le principe de nécessité. L’on voit alors à quel point

219. V. infra, no 255. Déjà, Fauconnet écrivait que « l’élément matériel, toujours nécessaire d’ailleurs, est consi-
déré moins en lui-même que comme manifestation de la résolution criminelle ». P. Fauconnet, La responsabilité,
op. cit., p. 99. Citant l’auteur, v. égal. E. Dreyer, « L’objet de la sanction pénale », art. préc.
220. F. Gramatica, Principes de défense sociale, op. cit., p. 59, no 37.
221. Ibid.
222. Celle-ci étant comme, nous l’avons vu, essentiellement dirigée vers un objectif de prévention et de récupé-
ration du délinquant.
223. Ici, l’intention prend le dessus sur le défaut de matérialité.
224. Les infractions obstacles peuvent être présentées comme l’incrimination de comportements sanctionnés pour
eux-mêmes, car intrinsèquement dangereux. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 562, no 726.
225. V. infra, no 188.
226. O. Cahn, « Le principe de nécessité en droit pénal - thèse radicale » in Le principe de nécessité en droit
pénal, Actes de la journée d’études radicales, sous la dir. de O. Cahn et K. Parrot, LEJEP, 2013, p. 17. Pour
une étude critique du développement des incriminations et sanctions préventives, v. égal. X. Pin, « Une politique
criminelle française en quête de rationalité : le cas français » in Rationalité pénale et démocratie, sous la dir. de
J. Boulad-Ayoub, M. Antaki et P. Robert, PUL, 2013, p. 39, et R. Parizot, « L’anticipation de la répression » in
Le principe de nécessité en droit pénal, Actes de la journée d’études radicales, sous la dir. de O. Cahn et K. Parrot,
LEJEP, 2013, p. 123.

163
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

il serait contre-productif – contradictoire même – d’intégrer la prise en compte de la dangerosité


dans l’appréciation de la nécessité au nom d’un objectif de prévention du droit pénal. Floue,
cette notion permet une répression de plus en plus fréquente, très en amont sur l’iter criminis.
Par l’objectif préventif assigné au droit pénal, elle conduit à une remise en cause du seuil
minimal de répression que devrait représenter le commencement d’exécution caractérisant la
tentative. Or, si les anciens auteurs ont toujours admis que des actes préparatoires puissent être
érigés en infractions autonomes à raison de leur gravité 227 , le principe du seuil minimal de
la répression demeurait le commencement d’exécution 228 . Le nombre croissant des infractions
obstacles bouleverse pourtant le principe, si bien qu’il a pu être évoqué une « normalisation de
l’exception » 229 .
Si cet état de fait peut être analysé comme une dérive ou un renversement des principes de
la matière, c’est que la dangerosité et l’objectif de prévention ne peuvent pas et ne doivent pas
être pris en compte au titre de la nécessité des incriminations, au risque de légitimer toutes les
incriminations préventives, comme c’est déjà en partie le cas 230 . C’est donc vers d’autres critères
qu’il faut se tourner. La difficulté est cependant que la doctrine française semble se désintéresser
des fondements et limites du droit de punir. Et si Ortolan voyait dans le juste et l’utile la mesure
et la limite du droit pénal, ces deux données méritent d’être approfondies, car elles peuvent en
l’état apparaître elles-mêmes trop floues pour être utilisées efficacement. En effet, l’utile ne peut
tenir comme il l’a été démontré à la répression des comportements dangereux et doit donc avoir
une autre mesure. Quant au juste, il signifie que l’on ne peut incriminer « que les actes dont le

227. R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 151, no 66 ; J. Ortolan, Éléments de droit pénal,
op. cit., p. 339, nos 800 et s. et p. 418, no 987.
228. Il est à ce sujet intéressant de relever que dans certains manuels anciens, l’élément matériel n’était traité qu’à
travers la théorie de la tentative. L’enjeu était alors, en détaillant les étapes du crime de déterminer le degré minimum
d’intervention du droit pénal. V. par ex. P. Cuche, Précis de droit criminel, op. cit., p. 63, no 63, et R. Garraud,
Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 145, no 63.
229. R. Parizot, « L’anticipation de la répression » in Le principe de nécessité en droit pénal, Actes de la journée
d’études radicales, op. cit. Elle conduit au reste à des incohérences, notamment quant à l’application de la théorie
de la tentative. En principe, la tentative ne devrait pas pouvoir être appliquée pour ce type d’infraction car la
consommation se situe en deçà du commencement d’exécution. Mais rien ne permet vraiment d’exclure la tentative
en appréciant le commencement d’exécution au regard du comportement incriminé. Il s’agit alors d’actes tendant
directement à la préparation d’actes préparatoires à une autre infraction. La logique de la tentative s’en trouverait
bouleversée. Pour certaines infractions obstacles, la tentative est en effet théoriquement envisageable. Par exemple,
la participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation des infractions de génocide
est de nature criminelle (Code pén., art. 212-3). Elle peut donc théoriquement faire l’objet d’une tentative.
230. Un auteur a pu montrer un renversement du principe de nécessité au gré des politiques sécuritaires. Monsieur
Cahn écrit à ce sujet que « les paradigmes de la nécessité semblent s’être modifiés. Conçus en droit pénal libéral
pour garantir que le recours à la répression demeure l’ultima ratio, ils participent, dans la définition néo-libérale/néo-
conservatrice, de la satisfaction de la demande sociale [...] et, surtout, de l’utilité politique que peut présenter
l’intervention législative ». Et de poursuivre : « la nécessité ne consiste plus à donner au corps social les mesures
pénales dont il a besoin mais les mesures qu’il réclame ». O. Cahn, « Le principe de nécessité en droit pénal - thèse
radicale » in Le principe de nécessité en droit pénal, Actes de la journée d’études radicales, op. cit.

164
Chapitre 2. Le schéma de qualification

châtiment est jugé conforme à la justice par le groupe social » 231 . Le problème reste donc entier
car il est alors nécessaire de parvenir à déterminer quels sont ces actes.
Il est possible ici de se tourner vers la doctrine allemande qui a réellement déduit des
fondements du droit de punir un critère de limitation de ce droit, critère qui participe de la
nature et de la fonction de l’infraction 232 et qui se trouve au demeurant de plus en plus repris et
utilisé en France.

2. La protection des biens juridiques en doctrine allemande

174. Généralités – Fondamentale en doctrine allemande, la notion d’antijuridicité rejoint


aujourd’hui l’exigence de nécessité, avec cette particularité qu’elle donne lieu à un élément
constitutif appelé élément antijuridique. Encore faut-il préciser que l’antijuridicité n’est pas
initialement liée à une exigence de nécessité des peines. Elle est originairement liée à une
théorisation de l’infraction. Mais, reliée au but du droit pénal, elle a pu être utilisée par la doctrine
à cet effet.
Peu utilisée en doctrine française 233 , l’antijuridicité est une notion centrale en droit allemand
et qui a fait l’objet de multiples études, de nombreux auteurs ayant contribué à la façonner.
Intimement liée au concept de bien juridique, elle s’est tout d’abord entendue formellement,
avant de prendre une dimension matérielle sous l’influence des travaux de von Liszt. Il ne s’agira
pas ici de retracer tout l’historique du principe d’antijuridicité 234 , mais simplement de l’exposer
rapidement afin d’en expliquer les principales caractéristiques. L’exposé se concentrera sur les

231. R. Gassin, S. Cimamonti et P. Bonfils, Criminologie, op. cit., p. 682, no 777. Même ainsi compris, le juste
peut être complexe à déterminer de manière générale parce qu’il renvoie à l’idéal de justice. Malgré le fait que
l’on peut considérer qu’il y a « dans l’esprit des hommes la conscience très nette de la distinction du juste et de
l’injuste », le juste reste une notion fuyante. P. Roubier, Théorie générale du droit : histoire des doctrines juridiques
et philosophie des valeurs sociales, réédition, Dalloz, 2005, p. 123, no 14.
232. À ce titre, il est possible de considérer que l’antijuridicité contribue aussi bien au développement de
l’infraction comme notion fonctionnelle que comme notion conceptuelle. Sur la distinction, v. M.-T. Calais-Auloy,
« Du discours et des notions juridiques, (notions fonctionnelles et conceptuelles) », Petites affiches 1999, no 157, p. 4.
233. Encore qu’un regain d’intérêt puisse être remarqué en faveur de l’élément antijuridique. En effet, certaines
thèses récentes font appel à la notion et la mettent au service de l’analyse de l’infraction. Parmi les principales, il est
possible d’en citer deux véritablement consacrées à la notion d’antijuridicité et à son intégration en droit français :
J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., et M. Lacaze, Réflexions sur le
concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc. Exploitant également la notion, v. égal. G. Rabut-
Bonaldi, Le préjudice en droit pénal, th. préc. Pour une thèse plus ancienne ayant fait appel au concept de bien
juridique, v. égal. P. Philippot, Les infractions de prévention, 1977, Thèse, Nancy.
234. Si l’essentiel de la documentation en la matière est étrangère en raison du faible intérêt de la doctrine française
à cet égard, des études particulièrement approfondies du principe d’antijuridicité et du concept de bien juridique
existent en langue française. À ce titre, il faut citer à nouveau les thèses de Madame Lacaze (M. Lacaze, Réflexions
sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc.) et de Monsieur Walther (J. Walther,
L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc.), ainsi que l’ouvrage plus ancien de Monsieur
Darbellay consacré à l’illicéité (J. Darbellay, Théorie générale de l’illicéité en droit civil et en droit pénal,
op. cit.).

165
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

travaux de Binding et de von Liszt qui ont considérablement contribué à son développement,
le premier dans sa dimension formelle, le second dans sa dimension matérielle.

175. Antijuridicité formelle – Historiquement, la première acception de l’antijuridicité


est formelle 235 . Celle-ci renvoie à la contrariété du comportement adopté par un individu avec
la norme. Elle est donc « la contradiction qui existe entre l’action et le droit » 236 et c’est de cette
contrariété que naît l’infraction.
Le point de départ de l’analyse chez Binding comme chez von Liszt tient au but du droit
qui est la conservation et la protection de certains intérêts. La norme vient donc protéger ce
que la doctrine allemande désigne comme des biens juridiques 237 . Dans l’antijuridicité formelle,
développée et défendue notamment par Binding, elle est la pierre angulaire du système pénal 238 .
Cette norme ne dépend cependant pas de ce droit. Au contraire, Binding démontre qu’elle lui
est extérieure. L’infraction n’est pas analysée comme la violation de la loi pénale. Elle ne peut
l’être dès lors qu’elle réunit au contraire les éléments que celle-ci prévoit 239 . Binding explique
à ce sujet qu’il y a dans toute règle pénale une norme, ou précepte, qui donne le comportement à
accomplir. À cette norme s’ajoute la sanction du comportement contraire. Or, la norme n’est pas
contenue dans l’incrimination qui ne mentionne que la sanction 240 . Le droit pénal ne prescrit pas
de comportement : il n’a pas de valeur normative intrinsèque 241 , pour se contenter de sanctionner
les comportements contraires à certaines règles. Le comportement « normal » est donc contenu
dans d’autres règles 242 , car, selon la formule célèbre du Durkheim, le droit pénal « ne dit pas

235. En ce sens, J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 44. Elle-même
se scinde en deux approches, l’une subjective – il s’agit alors d’une contrariété intentionnelle au droit –, l’autre
objective. V. ibid., p. 45 et s.
236. Ibid., p. 44.
237. Schématiquement, ce concept peut être rapproché de la notion de valeur protégée. V. infra, no 181.
238. En ce sens, F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 96, §16. Von Liszt reproche d’ailleurs ce
choix à Binding. Selon lui, cette position est arbitraire et conduit à un délaissement du bien juridique alors pourtant
que c’est lui que la norme a vocation à protéger.
239. Sur ce point, v. not. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal,
th. préc., p. 51, no 51. Plus précisément, l’infraction est pour Binding l’élément de fait, contraire à la norme auquel
se rattache la peine. Von Listz explique que la loi pénale sert chez Binding essentiellement à justifier la poursuite
de la transgression de la norme. V. F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 97, §16.
240. Pour un exposé détaillé de la théorie de la norme de Binding, v. J. Darbellay, Théorie générale de l’illicéité
en droit civil et en droit pénal, op. cit., p. 89, nos 37 et s. Adde. T. Király, « La qualification de l’infraction et la
constatation de la vérité », RIDP 1972, p. 99.
241. En ce sens, E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 70, no 90. Contra, P. Conte et P. Maistre du
Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 15, no 31. Un débat existe en doctrine quant au fait de savoir si le droit
pénal a un caractère déclaratif et simplement sanctionnateur, ou s’il est en lui-même normatif. V. infra, no 191.
242. En effet, si la prohibition contient nécessairement un impératif juridique, car elle est l’impératif accompagné
de la négation (R. Capitant, Introduction à l’étude de l’illicite : l’impératif juridique, 1928, Dalloz, p. 78.),
la sanction ne fait que renforcer l’impératif contenu dans une autre norme. Ibid., p. 49 et s. Cette approche a
néanmoins fait l’objet de débats. Il est en effet possible d’admettre que « sanctionner d’une peine, c’est interdire,
c’est reconnaître tel degré d’illicéité d’un comportement incriminé » (J. Darbellay, Théorie générale de l’illicéité
en droit civil et en droit pénal, op. cit., p. 107, no 45). Sur ce sujet, Kelsen explique quant à lui que si un ordre
juridique impose une conduite sous la menace d’une sanction, cela « implique que la conduite qui conditionne la

166
Chapitre 2. Le schéma de qualification

tout d’abord, comme le fait le droit civil : voici le devoir, mais tout de suite : voici la peine. » 243 .
Un exemple peut très facilement en être trouvé dans les infractions d’imprudence. Dans ces
infractions, la faute est « une défaillance par rapport à une norme de conduite » 244 . Or, le droit
pénal ne vient que sanctionner cette défaillance. À aucun moment il n’explicite la norme de
conduite, éventuellement prévue dans d’autres droits. L’on voit bien donc que la norme violée
par l’individu est extérieure au droit pénal. Pour Binding, elle relève plus généralement du droit
public 245 .
L’antijuridicité formelle participe donc d’une conceptualisation de l’infraction qui se
révèle être un comportement contraire à la norme 246 . La justification de sa sanction tient à
l’incrimination de ce comportement.

176. L’absence de limite au droit de punir dans la théorie de Binding – Si elle permet
d’expliquer et de conceptualiser l’infraction, cette conception ne permet par contre pas de
limiter le droit de punir, au contraire. Elle légitime le droit pénal en lui donnant pour objectif la
protection des normes et des biens juridiques que ces dernières consacrent, mais elle n’implique
pas de contrôle des incriminations. La raison en est que la détermination des biens juridiques,
chez Binding, relève du législateur. Le point de départ de toute incrimination est l’objet de
la norme – soit le bien juridique – auquel la loi pénale va accorder une protection. Il faut donc
déterminer, parmi les différents intérêts et valeurs propres à la société, lesquels sont susceptibles
d’être des biens juridiques protégés par le droit pénal, car la doctrine allemande, comme la
doctrine française, s’entend à considérer que toutes les valeurs ne peuvent faire l’objet d’une

sanction est défendue, [donc] que la conduite contraire est ordonnée ». H. Kelsen, Théorie pure du droit, trad. par
C. Eisenmann, 2ème éd., LGDJ, 1999, p. 121. Selon lui, la norme de conduite normale (tu ne dois pas tuer) est
superflue dès lors que la norme de défense est en vigueur (le meurtre est puni) car le contenu de la première norme
se retrouve sous forme négative dans la seconde norme. Ibid., p. 62.
243. E. Durkheim, De la division du travail social, op. cit., p. 41. Cette citation de Durkheim est très
fréquemment utilisée lorsqu’il s’agit d’expliquer le concept de norme extra-pénale. L’auteur renvoie en ce point
à la théorie de Binding.
244. En ce sens, C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 342, no 329.
245. En ce sens, J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 28. Le
rattachement se fait exclusivement au droit public, ce qui vaudra à Binding de nombreuses critiques. V. J.
Darbellay, Théorie générale de l’illicéité en droit civil et en droit pénal, op. cit., p. 106, no 45. V. égal. L. Jimenez
de Asua, « L’antijuridicité », art. préc., et M. van De Kerchove, « Les frontières des normes pénales, Pour une
sociologie des frontières » in Normes, normes juridiques, normes pénales, sous la dir. de P. Robert, F. Soubiran-
Paillet et M. Van De Kerchove, t. 2, L’Harmattan, 1997, p. 77. Pour une analyse critique de la théorie de Binding,
v. J. Darbellay, Théorie générale de l’illicéité en droit civil et en droit pénal, op. cit., p. 89, nos 37 et s. et p. 104,
no 44. Le défaut de cette théorie, selon Monsieur Darbellay, est qu’elle a poussé Binding à identifier pour chaque
comportement incriminé une norme spécifique violée, ce qui conduit à un émiettement des normes et la suppression
de l’unité du régime juridique. Monsieur Darbellay juge donc la théorie de Beling (cet auteur s’inscrit dans
la lignée de Binding, notamment dans sa conception du bien juridique, tout en apportant des rectificatifs à la
théorie des normes.) préférable, car lui raisonne en termes de normalité ou anormalité de l’action, sans avoir besoin
d’identifier autant de normes que de textes d’incriminations.
246. L’approche est à la fois fonctionnelle et conceptuelle, car dirigée vers la fonction de protection de l’infraction
et vers son essence.

167
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

protection pénale. La question qui se pose alors est de savoir si les biens juridiques s’imposent
au législateur (ils sont préexistants et le législateur ne fait que les protéger), ou s’ils sont la
résultante d’un choix du législateur. Or, pour Binding, les biens sont le fruit du jugement du
législateur. C’est à lui, par une démarche volontariste 247 , de déterminer les biens juridiques
qu’il entend protéger 248 . C’est donc lui, et lui seul, qui crée librement ces biens. Cette idée est
notamment expliquée par Dargentas qui écrit que « le législateur, au moment de la création
de la norme, se trouve devant une multitude de valeurs ou d’intérêts » 249 . Il lui revient alors
de décider « que telle valeur ou tel intérêt sont dignes de sa protection » 250 . C’est donc par
le choix du législateur que des intérêts ou valeurs deviennent « juridiquement intéressants » et
« se transforment en biens juridiques qui imposent, aux destinataires de la norme, un devoir
juridique » 251 . On voit alors que l’antijuridicité chez Binding ne peut pas réellement encadrer
le droit pénal. Pour Dargentas le législateur est au moins guidé dans son choix par des « valeurs
essentielles de base » 252 , la théorie de Binding ne permet pas d’analyse critique de législation
dès lors que c’est le législateur qui détermine les biens et les normes 253 . Poussée à l’extrême,
cette liberté de choix peut donc conduire le législateur à des excès, car le législateur est libre
de « définir le contenu [des biens juridiques], aussi néfaste soit-il » 254 . Il n’y a donc pas de
limite au jus puniendi et il est par conséquent difficilement concevable d’apprécier la nécessité
des incriminations dont le jugement revient seul au législateur. Issue de l’étude de la notion
d’infraction, la construction est essentiellement dirigée vers l’explication des objectifs du droit
pénal, soit la protection des normes. Dans la théorie de Binding, même si le concept de bien
juridique apparaît, l’accent est essentiellement mis sur la contrariété entre le comportement et le
droit. C’est l’atteinte au droit qui est sanctionnée, avant que ne soit sanctionnée l’atteinte à une
valeur.

247. En ce sens, J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 381.
248. Le bien juridique est « tout ce qui du point de vue du législateur est important pour l’ordre juridique et dont
le pacifique maintien est assuré par les normes ». V. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé
par le droit pénal, th. préc., p. 52, no 53, citant l’auteur.
249. E. Dargentas, « La norme pénale et la recherche autonome des valeurs dignes de la protection pénale »,
art. préc.
250. Ibid.
251. Ibid.
252. Ibid.
253. En ce sens, M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 53,
no 57.
254. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 382. Cette conception fut
notamment défendue par Mezger, qui a adhéré au régime nazi, et pour qui le législateur pouvait déterminer les biens
juridiques librement, au nom d’une morale issue de son seul jugement. En ce sens, M. Lacaze, Réflexions sur le
concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 65, nos 84 et s. V. égal. G. Marinucci et E. Dolcini,
« La Constitution et le droit pénal en Italie », RSC 1996, p. 317. Les auteurs y évoquent la problématique du choix
des biens juridiques et écrivent : « L’expérience italienne sous le fascisme le montre bien, les normes incriminatrices
peuvent être construites selon la forme libérale de l’atteinte aux biens juridiques, mais elles peuvent en même temps
avoir des contenus absolument non libéraux. »

168
Chapitre 2. Le schéma de qualification

177. Antijuridicité matérielle – Cette approche du bien juridique a notamment été criti-
quée par von Liszt 255 . C’est à lui que l’on doit le glissement d’une conception formelle de l’an-
tijuridicité vers une conception matérielle 256 , devenue aujourd’hui majoritaire en Allemagne 257 .
Dans cette conception, le comportement est une infraction en ce que l’action, « contrevenant
formellement à un commandement ou à une interdiction de l’ordre juridique, implique matériel-
lement la lésion ou la mise en péril d’un bien juridique » 258 . Ainsi, « c’est parce qu’il y a violation
d’un bien juridique qu’il est possible de parler en cas d’infraction d’un acte asocial, nuisible à la
société humaine » 259 . La théorie de von Liszt se distingue de celle de Binding sur deux points.
Premièrement, la contrariété n’est plus simplement formelle, elle est aussi matérielle. Par
conséquent, il ne s’agira pas seulement de considérer la contrariété d’un comportement au
regard de la norme. Pour être antijuridique, l’infraction devra également porter atteinte au bien
qu’elle protège, la norme n’étant qu’un moyen de protéger les biens juridiques 260 . L’infraction,
dans son aspect antijuridique, n’est donc pas seulement contraire à la norme. Elle est aussi un
comportement contraire à un intérêt. Pour von Liszt, est antijuridique l’action qui réalise la
transgression d’une norme – antijuridicité formelle – et qui est « un comportement nuisible à la
société » 261 – antijuridicité matérielle.
Or – et c’est là le second apport de la théorie développée – von Liszt retient une conception
très différente du bien juridique. Schématiquement, il explique que le droit en général a pour
objet la protection des intérêts vitaux de la société. Ces intérêts, protégés par le droit, deviennent
alors des intérêts juridiques 262 , l’auteur précisant que « ce n’est pas l’ordre juridique qui
détermine les intérêts, c’est la vie ; mais la défense par le droit fait de l’intérêt vital un intérêt
juridique » 263 . Les intérêts préexistent donc. Ils ne font pas l’objet d’une consécration par le
législateur qui se contente de les protéger. Cette protection accordée par le droit peut être

255. En ce sens, M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc.,
p. 54, no 59. L’auteur reproche à Binding de s’être trop concentré sur la norme et d’avoir par conséquent oublié
l’importance du bien juridique. V. F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 96, §.13.
256. En ce sens, J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 77. La paternité
de l’expression d’antijuridicité matérielle lui est d’ailleurs attribuée. V. L. Jimenez de Asua, « L’antijuridicité »,
art. préc.
257. Ibid. Comprise comme la contrariété entre le comportement et la norme, l’antijuridicité ne se distingue en
effet pas suffisamment de la typicité.
258. F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 170, §.26.
259. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 77.
260. F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 96, §.13 : « La protection que l’ordre juridique
garantit aux intérêts de la vie est la protection par les normes ».
261. F. von Liszt et E. Schmidt, « Lehrbuch des deutschen Strafrechts », 1927, p. 173, cité par J. Walther,
L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 78. L’antijuridicité matérielle renvoie par
conséquent plus largement à l’injustice de l’acte. Ibid., p. 78 et s.
262. F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 94, §.13. von Liszt a critiqué sur ce point les travaux
de Binding. Alors que ce dernier voyait le bien juridique comme un bien du droit (« ein Gut des Rechts »), von
Liszt estime lui que le bien juridique est un bien des hommes (au sens d’êtres humains) (« ein Gut des Menschen »).
V. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 385, , citant les auteurs.
263. F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 94, §.13.

169
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

renforcée par le recours au droit pénal et ainsi être assurée par la menace d’une peine 264 . Le
droit pénal, parce qu’il a pour objet la protection particulière d’intérêts essentiels, sanctionne
donc les comportements antijuridiques susceptibles de porter atteinte à ceux-ci. Mais ces intérêts
ne résultent pas seulement d’un choix du législateur. Ils ont une origine « préjuridique » 265 . Ils
sont simplement protégés par le législateur, non déterminés par lui.

178. L’antijuridicité matérielle, substrat d’une limitation du droit de punir – Dès lors
que les biens juridiques sont préexistants, le domaine du droit pénal se trouve « strictement
limité par un principe exclusif de protection de [ces] biens [...] » 266 . La position de von Liszt
conduit donc à admettre que la sélection des biens juridiques par le législateur puisse faire l’objet
d’une analyse critique 267 . Il admet en effet la possibilité d’une erreur du législateur dans la
détermination de l’illicite, bien qu’il remarque que même en ce cas, le juge sera tenu d’appliquer
la loi, car « corriger le droit en vigueur est au-delà des limites de sa mission » 268 .
Von Liszt ne déduit donc pas de l’antijuridicité la possibilité de contrôler la nécessité
des incriminations. Sa théorie contient simplement l’admission d’une discussion quant à leur
contenu et la possibilité d’une erreur d’appréciation du législateur, mais sans y attacher de
conséquence particulière. Il considère que le juge ne peut corriger le droit en vigueur – ce
qui n’est qu’une application du principe de légalité – et il ne dit rien d’un éventuel contrôle
extrajudiciaire des lois. Comme en France, cela s’explique par la confiance placée dans la loi.
L’admission d’une approche véritablement critique des incriminations n’est intervenue que plus
tard, grâce à « la rupture avec le dogme de la rationalité indubitable de la loi » 269 . C’est alors dans
l’antijuridicité matérielle que les auteurs trouveront un critère d’appréciation de la nécessité des
incriminations. La théorie de von Liszt contient en substance un principe d’exclusive protection
des biens juridiques 270 qui sera repris et utilisé par une partie de la doctrine. L’idée est alors

264. Ibid., p. 98, §.13 : Le droit pénal a pour mission générale la défense des intérêts vitaux et « le droit pénal
a pour mission spéciale la défense renforcée d’intérêts particulièrement dignes de protection ». Il faut ici préciser
que ces intérêts, s’ils sont issus des intérêts vitaux, sont librement choisis par le législateur : « tous les intérêts sans
exception peuvent bénéficier de la protection renforcée par la peine. Dans toutes les branches du droit, le droit pénal
intervient comme complément et comme élément de sécurité ». Ibid., p. 100, §.13.
265. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 54, no 60.
266. Ibid., p. 58, no 70. Par ailleurs, le principe d’ultima ratio intervient en complément en permettant de
ne pas imposer au législateur la protection systématique de tous les biens juridiques. En ce sens, F. Palazzo,
« Constitutionalisme en droit pénal et droits fondamentaux, (avec une référence particulière à l’Italie) », RSC 2003,
p. 709.
267. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 59, no 70.
L’auteur relève en outre que von Liszt ne s’est pas privé de critiquer certaines infractions. Toutefois, elle remarque
que la doctrine n’est pas unanime quant au fait que la théorie de von Liszt conduise effectivement à une limite du
jus puniendi. Pour certains auteurs, elle permettrait au contraire de le légitimer par la protection des intérêts vitaux
qu’il permet.
268. F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 206, §.32.
269. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 59, no 72.
270. Ibid.

170
Chapitre 2. Le schéma de qualification

que seule la protection d’un bien juridique peut légitimer le recours au droit pénal. La doctrine
considère donc majoritairement en Allemagne et dans les pays d’inspiration allemande que la
légitimité du recours au droit pénal est cantonnée à la protection des biens juridiques. En s’en
éloignant, l’État ferait preuve d’arbitraire 271 . Dans les pays ayant recours à la notion de bien
juridique, les auteurs s’appuient donc sur ce concept pour préciser le principe de nécessité et
sont, dans une certaine mesure, parfois suivis par les juridictions constitutionnelles 272 .

179. Le bien juridique, composante indispensable de l’incrimination – Par extension,


l’antijuridicité peut donc aboutir à une limitation du droit de punir. Elle le peut à deux titres.
Tout d’abord, la doctrine allemande s’entend majoritairement à réfuter aujourd’hui l’idée d’une
libre consécration des biens par le législateur. Il ne peut donc pas déterminer seul les valeurs
protégées. Certes, il reste libre dans son choix lorsqu’il décide de protéger pénalement une
valeur, mais les biens juridiques renvoient aux valeurs essentielles de la société. C’est donc à
partir d’elles, et dans le respect des différentes valeurs que s’opère le choix des biens pénalement
protégés. Ensuite, la finalité du droit pénal étant la protection de ces valeurs, les infractions ne
se conçoivent pas indépendamment de tout bien juridique. L’infraction dans les pays d’inspira-
tion allemande est antijuridique. Elle est donc appréhendée comme un comportement lésant
ou mettant en péril un bien juridique, le principe étant érigé en élément de l’infraction 273 .
L’antijuridicité n’est donc pas fondée sur un éventuel principe de nécessité, mais par les règles
qui la sous-tendent, elle conduit indirectement à un encadrement du droit de punir 274 . Ce
but du droit pénal se retrouve logiquement dans la fonction de l’infraction, qui tient soit à la
protection des biens juridiques par la menace d’une peine, soit à la sanction de l’atteinte. Cette
fonction s’incorpore à la notion d’infraction, en ce qu’elle en révèle une conception particulière.
L’infraction est une atteinte à un bien juridique. L’on voit alors comment la fonction du droit
pénal et le principe de nécessité intègrent la conception et la structure de l’infraction : elle n’est
pas seulement un comportement volontaire, elle est un comportement dirigé contre une valeur
protégée.

271. Ibid., p. 212, no 345.


272. Madame Lacaze explique ainsi que malgré une certaine réticence des juges dans le contrôle de nécessité,
le Tribunal constitutionnel espagnol exige depuis une décision du 2 juillet 1981 (STC 22/1981) la protection d’un
bien juridique pour que la limitation des droits induite par l’incrimination soit conforme à la Constitution. Ibid.,
p. 214, no 346.
273. L’infraction est en droit pénal allemand une action illicite, fautive et typique. Les définitions doctrinales et
jurisprudentielles de l’infraction intègrent systématiquement ces trois données. V. not. M. Fromont et H. Jescheck,
Introduction au droit allemand, op. cit., p. 267.
274. S’agissant du droit pénal italien, Messieurs Marinucci et Dolcini expliquent par exemple que « le choix
opéré par la Constitution en faveur du modèle de l’infraction comme atteinte aux biens juridiques débouche sur
des conséquences contraignantes pour le législateur autant que pour l’interprète ». G. Marinucci et E. Dolcini,
« La Constitution et le droit pénal en Italie », art. préc. V. égal. F. Palazzo, « Constitution, Cour constitutionnelle
et droit pénal : 30 ans d’expérience italienne, traduction, C. Brochier », RSC 1986, p. 1.

171
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

180. Antijuridicité et élément de l’infraction – Par suite l’apport de l’antijuridicité n’est


pas cantonné à la limitation du droit de punir et ne sert donc pas simplement l’appréciation de la
légitimité des incriminations. L’antijuridicité est une composante fondamentale de l’infraction
pour la doctrine allemande. Elle est une action typique et antijuridique, ce qui signifie que la
qualification des faits est conditionnée par leur antijuridicité 275 , au sens matériel de lésion ou
mise en péril d’un bien juridique protégé.
La théorie allemande est donc ce fait particulièrement intéressante, d’autant que, fort
logiquement, des similitudes peuvent s’observer entre les caractéristiques prêtées à l’infraction
en Allemagne et en France. Si la doctrine française n’a pas recours à la notion de bien juridique
et n’y voit pas un élément de l’infraction, il est parfois fait mention de la valeur protégée par
l’incrimination. La théorie allemande pourrait donc servir de base à l’identification d’un élément
en lien avec le principe constitutionnel de nécessité.

B. L’enrichissement de l’analyse française par l’approche allemande

181. Préalable : convergences et divergences – Bien que la doctrine française ait pendant
longtemps réduit l’élément injuste à une dimension strictement négative et se soit désintéressée
de la notion d’antijuridicité, un rapprochement semble possible. La doctrine française fait preuve
ces dernières années d’un regain d’intérêt à l’égard des théories allemandes et mobilise parfois
le critère de protection des valeurs essentielles dans l’appréciation de la nécessité. Subsidiaire,
le droit pénal ne doit sanctionner en principe que des comportements graves 276 et attentatoires
aux valeurs essentielles de la société 277 . Certains auteurs proposent donc d’avoir recours à ces
dernières pour apprécier la nécessité des incriminations 278 , ce qui n’est pas sans rappeler la
position allemande.
Une transposition de l’élément antijuridique allemand est en premier lieu possible en raison
de la proximité entre le bien juridique et la valeur protégée utilisée en droit pénal français. Le
concept de bien juridique a connu de nombreuses évolutions en doctrine allemande 279 , mais il
peut s’analyser comme une valeur essentielle protégée par le droit pénal. Chez von Liszt, déjà,

275. Elle ne fera toutefois pas l’objet d’une vérification effective, car de la typicité du comportement est déduite
son antijuridicité. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 193.
276. Évaluant la nécessité de l’incrimination contenue à l’article 431-1 au regard de la gravité du comportement,
v. E. Dreyer et C. Rojinsky, « L’entrave aux libertés publiques, une incrimination dangereuse ? », D. 2004, p. 716.
277. R. Parizot, « Pour un véritable principe de nécessité des incriminations » in Politique(s) criminelle(s),
Mélanges en l’honneur du professeur C. Lazerges, op. cit. ; F. Rousseau, « Le principe de nécessité », art. préc.
278. J.-H. Robert, Droit pénal général, op. cit., p. 225 ; R. Parizot, « Pour un véritable principe de nécessité
des incriminations » in Politique(s) criminelle(s), Mélanges en l’honneur du professeur C. Lazerges, op. cit. ; A.
Cappello, La constitutionnalisation du droit pénal, th. préc., p. 269, nos 367 et s. V. égal. M. Lacaze, Réflexions
sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 310, no 474.
279. Les biens juridiques peuvent avoir un contenu variable selon les auteurs et tenir à des intérêts, des valeurs,
des principes « supra-législatifs », etc. V. not. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 560, no 435.

172
Chapitre 2. Le schéma de qualification

le bien juridique est un intérêt vital de la société, protégé par le droit en général (ce qui en fait un
intérêt juridique) et par le droit pénal en particulier (ce qui l’érige en intérêt juridique protégé ou
bien juridique) 280 . Pour d’autres auteurs, le bien juridique fut perçu comme une valeur protégée,
dématérialisée 281 , tendant à se confondre avec la ratio legis de l’incrimination 282 . La Seconde
Guerre mondiale a en outre conduit à un renforcement du lien entre le bien juridique et les valeurs
essentielles 283 , car le droit pénal nazi n’avait pas rejeté l’idée d’antijuridicité matérielle 284 ,
défendant par contre l’idée selon laquelle le législateur devait être libre dans l’érection des
biens juridiques 285 . Le recours aux valeurs fondamentales permet de prévenir, dans une certaine
mesure, les excès du législateur dont le choix, s’il reste libre, est tout de même encadré.
L’ampleur des études consacrées au concept par les doctrines d’inspiration allemande est
telle qu’ il peut sembler réducteur de l’assimiler totalement à la terminologie française de valeur
protégée 286 ou d’intérêt protégé, qui n’a pas fait l’objet d’un approfondissement comparable en
doctrine française 287 . Un rapprochement reste néanmoins possible dès lors que, dématérialisé,

280. F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 94, §13.
281. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 64, no 80.
Pour les partisans de Kant, les biens juridiques sont des « valeurs que l’on ne saurait voir, mais auxquelles on
peut adhérer ». V. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 386, citant G.
Radbruch, « Grundzüge der Rechtsphilosophie », Leipzig, 1914, p. 1 et s.
282. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 64, nos 80 et
s.
283. Ibid., p. 74, nos 105 et s.
284. En ce sens, J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 381.
285. Mezger envisageait en effet le bien juridique comme une valeur objective. L’objet de l’infraction est pour
lui une valeur morale et le législateur est libre de déterminer et protéger les biens juridiques au nom d’une morale
issue de son seul jugement. V. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal,
th. préc., p. 65, nos 84 et s. Les positions de cet auteur sont souvent dénoncées comme ayant facilité les dérives vers
le pénal national-socialiste. Ibid., p. 65, no 84.
286. Si elle a pu être contestée en raison de sa défectuosité terminologique (J.-Y. Maréchal, Essai sur le résultat
dans la théorie de l’infraction pénale, th. préc., p. 85 no 102), l’expression bien juridique est parfois préférée à celle
de valeur protégée par les auteurs français. On trouve par exemple dans la thèse de Madame Ponseille l’explication
selon laquelle la valeur est en un sens conditionnée par l’hypothèse d’une adhésion à elle. Elle ne devient donc un
bien juridique qu’en vertu du vœu formulé par le législateur. L’on retrouve ici la démarche de von Listz et son
explication de transformation des intérêts essentiels d’une société en biens juridiques. V. A. Ponseille, L’infraction
de prévention en droit pénal français, 2001, Thèse, Montpellier, p. 117, no 101, citant Monsieur Ricœur et Monsieur
Pinatel.
287. Il n’est d’ailleurs pas certain que les deux expressions soient totalement assimilables. Selon Madame Lacaze,
elles doivent être distinguées. Elle rejette à ce titre l’expression d’intérêt protégé trop empreinte de logique
économique (M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 309,
no 473). Plus généralement, si certains auteurs français voient dans l’intérêt protégé un substrat possible en vue de
l’introduction de l’antijuridicité en droit français (v. J.-H. Robert, « L’environnement considéré comme un intérêt
protégé identifiable, l’implantation sauvage de panneaux publicitaires », RSC 2001, p. 814), les études dédiées
au bien juridique le rapprochent davantage de l’idée de valeur que d’intérêt. Ceci peut s’expliquer par le fait que
la valeur aurait un degré de précision supplémentaire par rapport à l’intérêt. En effet, la notion de valeur protégée
recouvrirait celle d’intérêt dès lors que « le choix des valeurs sociales passe nécessairement par la détermination des
intérêts dont la protection est indispensable à l’équilibre de la société » (N. Case-Gaillarde, L’ordre public pénal,
Essai sur la dimension substantielle de la notion, 2003, Thèse, Lyon 3, p. 134, no 218). En cela, elle se rapproche
fortement de la notion de bien juridique utilisée par les doctrines d’inspiration allemande. Pour une distinction
entre le bien juridique et l’intérêt protégé, v. égal. P. Graven et B. Sträuli, L’infraction pénale punissable, op. cit.,
no 56) qui, pour leurs parts, considèrent l’intérêt protégé comme un genre de subdivision du bien juridique.

173
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

le bien juridique allemand tend lui aussi à désigner des valeurs. Les études francophones dédiées
à ce sujet permettent d’ailleurs ce rapprochement, où le bien juridique est souvent rattaché ou
assimilé à l’idée de valeur protégée. Dargentas explique par exemple que le droit pénal protège
« les valeurs ou intérêts essentiels pour la société, autrement dit [il] protège les biens juridiques
qui sont indispensables au bien commun » 288
Si la législation pénale devait s’organiser autour de valeurs essentielles, celles-ci pourraient
servir dans l’appréciation du juste, l’impératif de protection permettant quant à lui d’apprécier
l’utile. Cependant, plusieurs obstacles existent à cette transposition, de sorte qu’elle pourrait
ne pas être souhaitable 289 . Au regard des dangers que peut présenter l’approche allemande et
des spécificités de l’analyse française, il suit qu’un enrichissement de l’analyse française par la
théorie allemande mérite d’être envisagé, mais qu’il ne peut aller jusqu’à la transposition pure
et simple de l’élément antijuridique allemand (1). Cet enrichissement conduirait tout de même
à identifier dans la structure de l’infraction un élément antijuridique, ce qui n’est au reste pas
de nature à bouleverser totalement l’analyse française qui tient d’ores et déjà compte dans une
certaine mesure des valeurs protégées dans les exercices de qualification (2).

1. La nécessaire adaptation de l’élément antijuridique

182. Une intégration souhaitable – La construction actuelle de notre droit pénal s’oppose
en partie à la transposition de l’élément antijuridique. En outre, l’utilisation des valeurs peut
conduire à une instrumentalisation problématique de celle-ci. Pour ces raisons, une transposition
parfaite n’apparaît ni possible ni souhaitable (a), et c’est davantage vers une adaptation qu’il
convient de se tourner. Car l’antijuridicité présente tout de même des intérêts considérables (b)
qui justifient son intégration en droit pénal français.

a. L’impossibilité d’une transposition parfaite de l’élément antijuridique

183. Double motif – L’impossibilité d’une transposition parfaite de l’élément antijuri-


dique allemand apparaît tout d’abord à raison de l’absence de prise en compte réelle de

288. E. Dargentas, « La norme pénale et la recherche autonome des valeurs dignes de la protection pénale »,
art. préc.
289. Des auteurs se prononcent en faveur d’une introduction de l’élément antijuridique en droit pénal français.
Proposant la prise en compte de cet élément dans le cadre d’une restructuration de l’infraction selon le modèle
allemande, v. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc.,
essentiellement en Partie 2. Monsieur Pin retient lui aussi cet élément dans son manuel de droit pénal général dans
une approche relativement proche de l’analyse allemande. X. Pin, Droit pénal général, op. cit. Retenant également
une approche inspirée de l’analyse allemande, J.-H. Robert, Droit pénal général, op. cit. Pour d’autres études en
faveur de l’introduction en droit pénal français du concept d’antijuridicité, v. J. Walther, L’antijuridicité en droit
pénal comparé franco-allemand, th. préc., ainsi que G. Rabut-Bonaldi, Le préjudice en droit pénal, th. préc., not.
p. 198, no 282, et du même auteur, « L’antijuridicité. Plaidoyer en faveur de l’élément injuste », Travaux de l’Institut
de sciences criminelles et de la justice 2011, p. 63.

174
Chapitre 2. Le schéma de qualification

l’antijuridicité en droit positif français (α), et à raison de certains dangers liés à la conception
matérielle de l’antijuridicité (β).

α. L’absence de prise en compte réelle de l’antijuridicité en droit positif français

184. Droit pénal français : un droit sanctionnateur – Bien que son introduction en droit
pénal français soit de plus en plus proposée par la doctrine, la transposition d’un élément
antijuridique inspiré de l’élément allemand se heurte à plusieurs difficultés. Outre le fait que
la doctrine française n’a jamais totalement rejoint la doctrine allemande ni quant au but du droit
pénal, ni quant à sa légitimité 290 , la première difficulté tient à une différence fondamentale de
conception du droit pénal entre nos deux pays. Il n’est pas inutile de rappeler à ce sujet que
la limitation du droit de punir par le principe de nécessité, telle qu’elle est formulée dans la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, prend ses sources dans la théorie du contrat
social 291 . Il serait anachronique et erroné de rattacher directement ce principe à la protection
de valeurs essentielles. Si certains auteurs font aujourd’hui de la valeur protégée un des critères
d’appréciation de la nécessité, il n’en était à l’origine pas réellement un. Malgré les évolutions
dans les justifications au droit de punir, le droit pénal français est resté dans son but dirigé vers la
régularisation de la vie en société. Le droit pénal est perçu comme un droit sanctionnateur avant
d’être un droit protecteur 292 . Il est, selon Molinier, « l’ensemble des règles qui ont pour objet
d’assurer l’ordre et la sécurité au sein des sociétés par l’intimidation qu’on obtient au moyen
des peines infligées au nom et dans l’intérêt du corps social » 293 . Son but est la conservation et
le bien-être social, « en tendant plus particulièrement à procurer l’observation du droit dans la
société au moyen de l’application d’un mal infligé à celui qui a violé le droit » 294 . Si les auteurs
raisonnaient parfois en terme d’atteinte, c’est assez largement de l’atteinte à la paix publique
dont il s’agit 295 . Selon la célèbre expression de Rousseau, les lois pénales ne sont pas tant
une espèce particulière de lois que « la sanction de toutes les autres » 296 . Or, cette conception

290. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que von Liszt dans son Traité ne s’intéresse pas à la justification
du droit de punir. Sa réflexion part exclusivement du but du droit pénal, d’où il déduit une conception particulière
de l’infraction. F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 94, §13 à p. 96. C’est cette conception
qui introduit l’idée d’une limitation du droit de punir. En France, la démarche est légèrement différente. Si l’on
prend l’exemple de Ortolan, la réflexion débute avec la justification du droit de punir (Ortolan insiste d’ailleurs
sur l’importance à distinguer la légitimité du but du droit pénal). Selon lui, le droit de punir est justifié par la
conservation et le bien-être de la société. C’est de cette justification qu’il tire sa légitimité et c’est elle qui lui
assigne des limites ainsi qu’un but particulier. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 85, no 188 à p. 87,
no 192.
291. Supra, no 170.
292. Le développement du droit pénal préventif tempère il est vrai le propos, car il va dans le sens de la protection
des individus contre les comportements jugés dangereux.
293. V. Molinier, Traité théorique et pratique du droit pénal, op. cit., p. 83.
294. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 86, no 190.
295. V. Molinier, Traité théorique et pratique du droit pénal, op. cit., p. 84.
296. J.-J. Rousseau, Du Contrat social, Alcan, 1896, p. 92 (Liv. II, chap. XII).

175
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

fondamentalement sanctionnatrice du droit pénal est demeurée et se retrouve aujourd’hui dans


la justification du caractère mixte 297 du droit pénal 298 .
L’infraction n’est par conséquent pas en France une atteinte à une valeur. Elle peut l’être,
mais elle est en premier lieu une atteinte à la loi ou, plus largement, au droit. L’utilisation
de la valeur protégée comme critère d’appréciation de la nécessité ne suffit pas à modifier la
conception française de l’infraction qui demeure éminemment légaliste 299 .

185. Difficultés de généralisation de l’exigence de valeur protégée – Parce que le droit


pénal est avant tout considéré comme une violation du droit, la valeur protégée n’y a par ailleurs
pas une importance absolue. Il serait exagéré d’affirmer que le droit pénal s’organise dans son
entier autour de la protection de valeurs essentielles, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord,
la protection des valeurs s’avère parfois incomplète. Par exemple, la protection de la propriété
par le droit pénal ne s’étend pas aux immeubles s’agissant des appropriations frauduleuses 300 .
La critique peut toutefois ici être tempérée, car l’explication tient à une simple application du
principe d’ultima ratio 301 . Le droit pénal peut avoir vocation à protéger des valeurs essentielles,
sans que ces valeurs aient vocation à être protégées contre toutes les atteintes. La théorie de
protection des biens juridiques emporte-t-elle réellement l’idée d’une nécessité positive des

297. C’est-à-dire ne relevant ni totalement du droit public, ni totalement du droit privé. La revendication du
caractère mixte du droit pénal, qui est aujourd’hui très largement admise, vient de ce qu’il est la sanction des
autres droits. Par conséquent, il ne pourrait se réduire à l’une ou l’autre branche. V. not. P. Conte et P. Maistre
du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 15, no 31 ; R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit.,
p. 184, no 135 ; comp. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 160, no 188. La tendance à analyser le droit pénal
en droit mixte n’est en outre pas propre aux pénalistes, mais très largement admise. V. C. Larroumet, Introduction
à l’étude du droit privé, 6ème éd., t. 1, Économica, 2013, p. 55, no 95 ; P. Malaurie et P. Morvan, Introduction au
droit, 6ème éd., Defrénois, 2016, p. 85, no 74.
298. Le caractère sanctionnateur du droit pourrait à première vue apparaître inconciliable avec son autonomie.
Le premier renvoie à l’idée selon laquelle le droit pénal est la sanction des autres droits et répond donc aux règles
du droit violé. À l’inverse, l’autonomie du droit pénal signifie qu’il n’est pas lié par les définitions et conceptions
des autres matières, ce qui tend à lui donner une portée normative (v. entre autres J.-L. Goutal, « L’autonomie
du droit pénal : reflux et métamorphose », RSC 1980, p. 911). Or, il est admis que le droit pénal a une certaine
autonomie : V. Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal, sous la dir. de G. Stefani, Dalloz, 1956, p. 228.
Toutefois, il faut tempérer cette idée, tout d’abord parce que « les deux visions du droit pénal, sanctionnateur et
autonome, ne sont pas inconciliables et encore moins antithétiques » (J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal
comparé franco-allemand, th. préc., p. 75, citant, R. Vouin, « La justice criminelle et l’autonomie du droit pénal »,
D. 1947, chron. p. 82), ensuite parce que « l’autonomie dont il s’agit est une autonomie de concepts et elle n’est
que cela » (F. Grua, « Les divisions du droit », RTD civ. 1993, p. 59). Elle ne démontre pas le caractère normatif
du droit pénal, mais illustre simplement une certaine autonomie dans les conceptions retenues.
299. Madame Lacaze a pu montrer à quel point cette conception était ancrée dans notre droit : M. Lacaze,
Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 104, nos 169 et s. et plus
précisément p. 116, nos 190 et s. s’agissant de l’analyse de la justification comme un conflit de normes en droit
français.
300. Sur ce point et contestant la dimension normative que certains auteurs prêtent au droit pénal, v. E. Dreyer,
Droit pénal général, op. cit., p. 68, no 90. Le fait que la protection accordée aux biens juridiques ne soit pas absolue
est un argument utilisé notamment par un auteur allemand (le professeur Jakobs) au soutien de sa remise en cause
du concept de bien juridique. V. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal,
th. préc., not. p. 219, no 358.
301. V. F. Palazzo, « Constitutionalisme en droit pénal et droits fondamentaux », art. préc.

176
Chapitre 2. Le schéma de qualification

incriminations ? À l’évidence non, ou elle ne pourrait justement plus être efficacement mobilisée
à la limitation du droit pénal. Il s’agirait là d’un détournement du principe de protection.
Par contre, au regard de la systématisation de l’exigence du bien juridique, la transposition
de l’élément antijuridique se révèle plus complexe. En effet, il serait faux d’affirmer qu’en
droit pénal français toutes les incriminations protègent une valeur. Ce serait procéder à une
généralisation loin d’être conforme à l’état de notre droit dès lors que certaines incriminations ne
semblent pas protéger une valeur en particulier. Plusieurs infractions existent, qui ne viennent pas
véritablement protéger directement une valeur. Ainsi en est-il des incriminations sanctionnant
des comportements susceptibles d’entraîner des dysfonctionnements dans l’entreprise. La non-
tenue de l’assemblée générale ordinaire des associés dans les délais légaux 302 , par exemple,
n’est pas directement un comportement attentatoire à une valeur essentielle. Peut-être pourrait-
on parvenir à rattacher ces comportements à certaines valeurs, mais le rattachement apparaîtrait
pour partie artificiel et détaché de l’objectif premier de ces incriminations. Ici, le droit pénal
apparaît véritablement et simplement la sanction d’un autre droit 303 .

186. Difficultés d’identification des valeurs – En outre, l’identification de la valeur pro-


tégée par les textes peut paraître parfois hasardeuse. Le plan du Code pénal est à ce titre
un indicateur utile 304 , mais grandement insuffisant. Étant justement conçu au regard de biens
juridiques auxquels les infractions portent atteinte, le positionnement d’une incrimination au
sein du Code donne une indication de la valeur qu’elle protège 305 . Cependant, le classement
des incriminations est dénué de portée normative 306 . En outre, les controverses sur les valeurs
protégées par certains textes sont nombreuses. Pour n’en citer que deux, l’abus de confiance est
tiraillé entre la propriété et la confiance, l’escroquerie entre la propriété et le consentement. Or,
la valeur protégée permet en partie d’orienter l’application du texte à raison de l’importance
qu’elle est susceptible de prendre en matière d’interprétation. Par ailleurs, le classement des
incriminations au sein du Code pénal contient de nombreuses incohérences dont la doctrine
ne se lasse pas de faire état 307 , à quoi s’ajoute l’éclatement des infractions dans les différents

302. Code de com., art. L.241-5.


303. Le droit pénal technique dans son entier s’insrit dans cette logique. V. infra, nos 337 et s.
304. Au moins pour les infractions codifiées dans le Code pénal. Il en va de même en Allemagne où le plan du
Code est pareillement agencé selon les biens juridiques protégés. V. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal
comparé franco-allemand, th. préc., p. 388.
305. En ce sens, Y. Mayaud, « La loi pénale, instrument de valorisation sociale » in Livre du bicentenaire du
Code pénal et du Code d’instruction criminelle, Dalloz, 2010, p. 3.
306. Rappelant ce principe, S. Detraz note sous Cass. crim., 19 fév. 2014, Gaz. Pal. 2014, 1, p. 1698.
307. V. not. C. Lazerges, « À propos des fonctions du nouveau code pénal français », Archives de politique
criminelle 1995, no 17, p. 7. S’agissant plus particulièrement des incohérences contenues dans le Livre II, v. A.
Lepage, « La place des incriminations dans le Livre II du Code pénal, Quels enjeux pour la codification ? » in Le
nouveau Code pénal 20 ans après, État des questions, sous la dir. de L. Saenko, LGDJ, 2014, p. 139. Le Livre
V fait en outre l’objet de très nombreuses critiques en raison de son caractère « fourre-tout ». V. not. V. Malabat,

177
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

codes, qui conduit à ce qu’elles ne soient pas toutes soumises à une classification par la
valeur protégée. Comment admettre, par exemple, que le détournement d’objet saisi est une
appropriation frauduleuse 308 – portant donc atteinte à la propriété –, alors que l’infraction doit
être commise par celui qui fait l’objet de la saisie – et qui reste donc le véritable propriétaire ?
Dans un tel cas, il y a certes un détournement au mépris de la saisie opérée, mais la valeur
protégée ne peut être la propriété.
Outre les classifications discutables, il n’est en plus pas rare que le législateur désigne une
valeur par le classement de l’incrimination dans le Code alors que l’incrimination semble porter
atteinte à une valeur différente, ce qui peut engendrer des difficultés d’interprétation. Plusieurs
exemples peuvent en être donnés. L’un d’eux tient à l’infraction d’abandon de famille, incriminée
à l’article 227-3. Cet article figure dans le Chapitre relatif aux atteintes aux mineurs et à la famille.
Cependant, l’abandon de famille consiste à ne pas respecter, en connaissance de cause, une
décision de justice imposant de verser une prestation en raison d’une obligation familiale prévue
par le Code civil. Si un tel comportement pourrait, il est vrai, mettre en danger le bénéficiaire
de la prestation en question ou porter atteinte au lien familial, l’incrimination semble davantage
justifiée par la volonté de faire respecter les décisions de justice 309 .
Il en est de même s’agissant de l’incrimination du mariage forcé 310 . Cette infraction figure au
Chapitre II du Livre II consacré aux atteintes à l’intégrité physique et psychique de la personne.
Pourtant, cet article réprime le fait, certes de contraindre une personne à contracter mariage,
mais en ayant recours à « des manœuvres dolosives afin de la déterminer à quitter le territoire
de la République » 311 . Cet article, particulièrement circonstancié, ne réprime donc pas tant une
atteinte à l’intégrité, même psychique 312 , qu’une atteinte au consentement de la personne 313 , à
sa liberté de contracter ou de ne pas contracter mariage 314 .

187. Difficulté de généralisation de l’atteinte – La difficulté d’identification des valeurs


s’ajoute donc à la distance entretenue entre certains comportements incriminés et les valeurs
protégées. Or, si toutes les infractions ne supposent pas la protection d’une valeur, toutes ne

« Quel avenir pour le Livre V du Code pénal ? » in Le nouveau Code pénal 20 ans après, État des questions, sous
la dir. de L. Saenko, LGDJ, 2014, p. 173.
308. Code pén., art. 314-6, figurant au Titre I du Livre III consacré aux appropriations frauduleuses.
309. En ce sens, A. Gouttenoire-Cornut, « La répression pénale de l’abandon d’enfant », AJ famille 2002,
p. 244.
310. Code pén., art. 222-14-4.
311. Ibid.
312. Le propre des manœuvres dolosives est de tromper, non d’exercer une violence psychologique.
313. Estimant que la valeur atteinte est la filiation, v. G. Beaussonie, « Loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant
diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et
des engagements internationaux de la France », RSC 2013, p. 861.
314. La difficulté ici est que le Chapitre IV, consacré justement aux atteintes aux libertés de la personne, ne traite
que d’une liberté malgré l’emploi du pluriel. Les infractions qui y figurent sont en effet relatives aux atteintes à la
liberté d’aller et venir.

178
Chapitre 2. Le schéma de qualification

supposent pas d’atteinte ou de mise en danger de celle-ci. L’antijuridicité tient parfois à une
simple contrariété au droit, et est alors épuisée par la typicité du comportement, c’est-à-dire par
sa correspondance avec le texte d’incrimination. L’absence de valeur protégée pour certaines
infractions rend donc par extension impossible la systématisation de l’exigence du caractère
attentatoire du comportement.
En outre, le développement du droit pénal préventif vient s’ajouter à cette difficulté de
systématisation. L’antijuridicité en Allemagne ne se traduit pas forcément par une lésion du
bien juridique et il a toujours été admis que l’antijuridicité puisse résulter d’une simple mise
en danger. Or, en France, certaines infractions sont trop éloignées du résultat redouté par le
législateur pour qu’il soit possible de considérer que le comportement entraîne effectivement
une mise en danger de la valeur protégée. C’est notamment le cas pour les infractions obstacles.
Pour ces infractions est incriminé un état dangereux, faisant peser un risque, mais un risque
abstrait et parfois non clairement identifié dans les incriminations 315 . En effet, pour certaines
d’entre elles, l’incrimination ne fait pas obstacle à une infraction déterminée. Le comportement
est incriminé pour lui-même, pour son caractère dangereux, mais il n’est pas incriminé au
regard d’un résultat redouté spécifiquement identifié. Peu importe, donc, le risque concret
que fait peser le comportement et peu importe à l’égard de quelle valeur. Plus généralement,
d’ailleurs, l’absence de mise en danger réelle d’une valeur protégée n’aura aucune conséquence.
L’infraction sera caractérisée indépendamment de la réalité du risque et, donc, indépendamment
de l’absence de mise en danger effective consécutive au comportement. Cette solution s’impose
pour toutes les infractions obstacles, qu’elles soient déterminées ou indéterminées. Peu importe
que le porteur d’une arme n’ait pas utilisé son arme ou n’ait même en aucun cas eu l’intention
de l’utiliser. L’infraction de port d’arme illicite sera caractérisée selon la catégorie dont relève
l’arme, du simple fait que l’agent soit trouvé porteur d’une arme hors de son domicile 316 .

188. Le développement d’un droit pénal préventif : le droit pénal de l’ennemi –


Aujourd’hui, le recours à ces techniques d’incrimination se développe et se fait en outre à la
faveur de l’émergence depuis plusieurs années d’un droit pénal, appelé en doctrine allemande
droit pénal de l’ennemi 317 . Ce droit pénal, prétendument empreint du droit de la guerre 318

315. Il s’agit alors de ce qu’il est possible d’appeler une infraction obstacle indéterminée. Sur la distinction entre
les infractions obstacles déterminées et indéterminées, v. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 562, nos 726
et s.
316. Code de la sécurité intérieure, art. L317-8.
317. Pour une explication de ce droit pénal, v. not. M. Papa, « Droit pénal de l’ennemi et de l’inhumain : un débat
international », RSC 2009, p. 3, et plus généralement l’ensemble du dossier consacré au Droit pénal de l’ennemi
(RSC, numéro 1/2009). Cette expression est notamment celle utilisée par Monsieur Jakobs, auteur d’un essai et de
différentes chroniques sur le sujet.
318. S’interrogeant sur le fait de savoir « si les règles qualifiées de manifestations d’un droit pénal de l’ennemi
sont encore du « droit » ou si l’on a inscrit en paragraphes de véritables règles de guerre », Monsieur Jakobs

179
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

est sous-tendu par une logique de « guerre contre le crime » 319 et conduit, entre autres, à
la prolifération d’incriminations en amont sur l’iter criminis. Son développement est depuis
plusieurs années favorisé par la lutte contre le terrorisme 320 , qui conduit à des procédures
dérogatoires et à une remise en cause de certains principes du droit pénal 321 . La répression
intervient très en amont et sont sanctionnés, à titre autonome, de simples actes préparatoires,
de sorte que semble se mettre en place un droit pénal « qui donne à la société des droits sur les
individus à raison de ce qu’ils sont, et non plus à partir de ce qu’ils ont fait, ainsi que l’imposait le
droit pénal moderne depuis la fin du 18ème siècle pour le moins » 322 . Ce droit pénal de l’ennemi,
décrit par Monsieur Jakobs 323 , présente plusieurs particularités, en raison de son but propre
et des personnes contre lesquelles il est dirigé. La dangerosité semble devoir ici justifier que le
comportement réprimé présente donc des spécificités structurelles. La répression est préventive,
fondée sur un état dangereux 324 . Elle ne prend pas sa source dans une atteinte et n’est pas justifiée
par elle. En d’autres termes, l’antijuridicité n’est ici pas matérielle.
Plusieurs critiques ont été opposées à ce droit présenté par Monsieur Jakobs 325 , car le droit
pénal de l’ennemi lui permet de justifier un régime profondément dérogatoire à l’encontre de
ceux qualifiés « d’ennemis » 326 . Il conduit, toujours selon cet auteur, à une distinction entre le

conclut que la réponse « est la voie médiane » et voit dans le droit pénal de l’ennemi un droit d’exception dont les
États ne pourraient pas se passer. G. Jakobs, « Aux limites de l’orientation par le droit : le droit pénal de l’ennemi »,
RSC 2009, p. 7.
319. M. Delmas-Marty, « Le paradigme de la guerre contre le crime : légitimer l’inhumain ? », RSC 2007,
p. 461.
320. Il faut en effet préciser que le droit pénal de l’ennemi n’est pas limité à la lutte contre le terrorisme. Le
terroriste n’est pour Monsieur Jakobs que le cas extrême. V. G. Jakobs, « Aux limites de l’orientation par le droit :
le droit pénal de l’ennemi », art. préc. Mettant en garde contre la réduction du traitement du droit pénal de l’ennemi
à la lutte contre le terrorisme, G. Giudicelli-Delage, « Droit pénal de la dangerosité - Droit pénal de l’ennemi »,
art. préc.
321. M. Delmas-Marty, « Le paradigme de la guerre contre le crime : légitimer l’inhumain ? », art. préc.
322. G. Giudicelli-Delage, « Droit pénal de la dangerosité - Droit pénal de l’ennemi », art. préc. Sur les
difficultés relatives à cette question, v. égal. E. R. Zaffaroni, « Dans un État de droit il n’y a que des délinquants »,
RSC 2009, p. 43.
323. Cet auteur se propose non pas de théoriser un tel droit, mais simplement de constater son existence : G.
Jakobs, « Aux limites de l’orientation par le droit : le droit pénal de l’ennemi », art. préc. Pour une critique de cette
position, G. Giudicelli-Delage, « Droit pénal de la dangerosité - Droit pénal de l’ennemi », art. préc.
324. À ce sujet, Monsieur Jakobs évoque la différence entre la culpabilité et la dangerosité comme fondement
de la répression et bâtit sa réflexion sur une opposition entre « la culpabilité du criminel versus sa dangerosité ; le
citoyen coupable versus un individu dangereux, aussi versus l’ennemi, à l’extrême le terroriste ». G. Jakobs, « Aux
limites de l’orientation par le droit : le droit pénal de l’ennemi », art. préc.
325. V. par ex. C. Lazerges et H. Henrion-Stoffel, « Le déclin du droit pénal : l’émergence d’une politique
criminelle de l’ennemi », RSC 2016, p. 649 : « C’est le droit en quelque sorte du renoncement au Droit pour certains,
les ennemis. »
326. Ibid., et G. Giudicelli-Delage, « Droit pénal de la dangerosité - Droit pénal de l’ennemi », art. préc. :
selon Madame Giudicelli-Delage, « en présentant, comme une évidence neutre, l’existence d’un droit pénal de
l’ennemi, en le théorisant, Jakobs, ne l’aurait-il pas voulu, le légitime comme une catégorie du pensable ». Pour
beaucoup d’auteurs, en constatant l’existence de ce droit, Monsieur Jakobs participe en effet à sa légitimation,
d’autant qu’il conclut à son utilité et à son caractère indispensable. Évoquant à ce sujet le lien entre la science pénale
et la politique pénale v. égal. E. R. Zaffaroni, « Dans un État de droit il n’y a que des délinquants », art. préc. : « Le
savoir pénal du XXIème siècle ne peut pas ne pas reconnaître sa nature politique. La dogmatique juridique pénale

180
Chapitre 2. Le schéma de qualification

citoyen et l’ennemi, distinction qui « induit la dépersonnalisation des ennemis les privant des
droits fondamentaux » 327 en raison de leur « dangerosité ».
Or, des manifestations d’un tel droit peuvent effectivement être observées. Les récents
évènements de janvier 2015 et novembre 2016 ont amplifié le développement de procédures
dérogatoires qui s’inscrivent assez significativement dans la dynamique du droit de l’ennemi
décrit par Monsieur Jakobs 328 . Ainsi, la loi n˚ 2016-731 du 3 juin 2016, renforçant la lutte
contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement est « largement irriguée d’une
idéologie sécuritaire fondée sur la lutte contre le terrorisme, dans la droite ligne des précédentes
réformes antiterroristes. Le trait saillant de cette législation nouvelle réside dans l’organisation
de régimes d’exception » 329 . Certaines des incriminations créées s’inscrivent elles aussi dans
une logique préventive et détachée du risque concret d’atteinte aux valeurs protégées. C’est
notamment le cas de l’infraction prévue à l’article 421-2-5-2 de Code pénal consistant dans la
consultation habituelle d’un site internet faisant l’apologie du terrorisme, censuré par le Conseil
constitutionnel dans sa décision du 10 février 2017 330 , avant d’être rétablie par le législateur par
la loi relative à la sécurité publique.

189. La crise du concept de bien juridique – À ces obstacles en droit positif à la


transposition de l’élément antijuridique s’ajoute la crise que connaît en Allemagne le concept de
bien juridique. Le développement du droit pénal préventif n’est pas propre à la France, comme
l’exemple du droit pénal de l’ennemi a pu l’illustrer. En Allemagne, il conduit à des difficultés
au regard du principe d’antijuridicité et à une remise en cause par une partie de la doctrine de
l’utilité du bien juridique 331 . Le concept a évolué et a dû s’adapter aux évolutions du droit pénal.
La catégorie des biens pouvant être protégés s’est étendue afin, notamment, d’intégrer des biens

n’a pas d’autre finalité que de servir de projet à un pouvoir de l’État [...]. »
327. C. Lazerges et H. Henrion-Stoffel, « Le déclin du droit pénal : l’émergence d’une politique criminelle
de l’ennemi », art. préc., citant G. Giudicelli-Delage, « Droit pénal de la dangerosité - Droit pénal de l’ennemi »,
art. préc.
328. Sur les évolutions législatives vers un droit pénal de la dangerosité et de l’ennemi, v. C. Lazerges et H.
Henrion-Stoffel, « Le déclin du droit pénal : l’émergence d’une politique criminelle de l’ennemi », art. préc., et
J.-F. Giacuzzo, « Le gel des avoirs : une limitation de la propriété du « terroriste-ennemi », Constitutions 2016,
p. 269.
329. R. Ollard, « La réforme pénale du 3 juin 2016 : aspects de droit pénal », La lettre juridique 2016, no 662.
La loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l’état d’urgence prévoit également des procédures dérogatoires et
une substitution du juge administratif au juge judiciaire pour certaines perquisitions. Critiquant cette substitution,
H. Matsopoulou, « La loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril
1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste », JCP G. 2016, 911.
V. égal. la loi no 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique qui contient elle aussi des dispositions
allant vers un droit pénal de l’ennemi.
330. Cons. const., 10 fév. 2017, no 2016-611-QPC ; D. actualité 2017, obs. D. Goetz ; AJDA 2017, p. 433, obs.
V. Goesel-Le Bihan.
331. Madame Lacaze explique qu’il existe ainsi en Allemagne un courant abolitionniste (dont fait partie Monsieur
Jakobs) du concept de bien juridique, qui, s’il est minoritaire, connaît tout de même un certain succès. M. Lacaze,
Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 216, nos 350 et s.

181
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

collectifs, à tel point que pour certains auteurs « la notion est une construction devenue de plus
en plus complexe et dont les contours sont artificiels, allant jusqu’à en adopter une définition
quasi impressionniste » 332 .
Or, non seulement certains nouveaux biens juridiques font débat et altèrent la définition
du concept comme l’environnement ou l’ordre économique 333 , mais encore l’élargissement des
biens juridiques protégés s’accompagne, comme le relève Madame Lacaze, « d’une modifica-
tion des formes d’atteinte qui peuvent [leur] être portées » 334 . En effet, pour les biens juridiques
dits « diffus » tels que l’environnement ou l’ordre économique, il n’est pas certain qu’ils
puissent faire l’objet d’une lésion consécutive au comportement. Pour la doctrine majoritaire, les
infractions concernées sont donc analysées comme des infractions de risque purement abstrait, le
risque étant établi dès que la conduite prohibée est adoptée et ne se vérifiant pas consécutivement
au comportement. Ces infractions apparaissent donc « contraires à l’exigence d’une atteinte lato
sensu (lésion ou risque concret), constatée ex post, pour le bien juridique » 335 .
Faisant état de la crise que connaît le concept de bien juridique en Allemagne, Madame
Lacaze admet donc que les nouvelles théories développées par les auteurs pour tenter d’expli-
quer le dépassement du concept puissent donner l’impression « d’une perte de substance du bien
juridique, [...] qui pourrait être un élément d’explication de l’impuissance du concept à garantir
les principes fondamentaux du droit pénal dégagé par la doctrine sur son fondement » 336 . La
crise du concept est en outre favorisée par une faiblesse du contrôle de l’exclusive protection
des biens juridiques. La Cour constitutionnelle fédérale allemande est, comme le Conseil
constitutionnel, particulièrement prudente lors du contrôle de nécessité. Elle refuse d’empiéter
sur le domaine du législateur et d’apprécier l’opportunité de ses choix 337 . La même chose
s’observe en Espagne où le Tribunal constitutionnel exige certes qu’un bien juridique soit
protégé, mais est globalement très réticent à sanctionner les lois, estimant notamment que le
législateur est le seul juge de la proportionnalité 338 .
Il faut donc admettre un certain échec de l’antijuridicité et du recours au bien juridique dans
l’encadrement du recours au droit pénal. Si l’antijuridicité a permis de dégager une certaine
conception de l’infraction, elle ne parvient à expliquer l’infraction moderne qu’au prix de
nombreuses adaptations 339 , sans parvenir en outre à faire obstacle à certaines dérives du droit

332. J. Leblois-Happe, X. Pin et J. Walther, « Chronique de droit pénal allemand, Période du 1er janvier 2007
au 31 décembre 2007 », RIDP 2007, p. 621.
333. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 209, no 341.
334. Ibid., p. 210, no 341.
335. Ibid., p. 211, no 343.
336. Ibid., p. 212, no 344.
337. M. Verdussen, Contours et enjeux du droit constitutionnel pénal, E. Bruylant, Bruxelles, 1995, p. 144 et s.
et p. 150 et s.
338. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 214, no 345.
339. Sur ces évolutions, ibid., p. 88, nos 138 et s. et p. 209, nos 341 et s.

182
Chapitre 2. Le schéma de qualification

pénal et notamment au développement du droit pénal de l’ennemi qui connaît le même essor
outre Rhin.
Enfin, il faut souligner que le concept d’antijuridicité matérielle présente certains dangers
qu’il convient de ne pas occulter.

β. Les dangers de la conception matérielle de l’antijuridicité

190. Double danger – Dangereuse, l’admission d’un élément antijuridique peut l’être
non seulement en raison du caractère normatif dont se teinte le droit pénal par le biais de
l’antijuridicité matérielle (i), mais aussi parce que la valeur protégée permet de légitimer la
répression (ii).

i. Le caractère normatif favorisé par l’antijuridicité matérielle

191. Antijuridicité matérielle et vocation normative du droit pénal – L’antijuridicité,


dans sa conception matérielle, encourage une approche normative du droit pénal. Ou, plus
précisément, elle en relativise le caractère purement sanctionnateur dès lors que la raison de la
norme pénale n’est plus dans l’interdit violé, mais dans la valeur bafouée. Au demeurant, le choix
opéré entre les valeurs essentielles et l’érection de certaines d’entre elles en valeurs protégées
– ou biens juridiques – permet à lui seul de conférer un aspect normatif au droit pénal 340 . Loin
de se contenter de sanctionner un comportement attentatoire, son but tient à la protection. Il
permettrait donc aussi de prescrire le comportement normal, respectueux des valeurs essentielles
de la société.
Le débat sur le caractère normatif ou non du droit pénal est un débat récurrent en doctrine,
y compris en France 341 . Si l’infraction y est en premier lieu une violation de la loi, la question
se pose de savoir si le comportement normal (la règle de conduite) est prescrit par le droit pénal
ou extérieur à lui. On retrouve ici la théorie de Binding ainsi que l’opposition entre le caractère
extra-pénal de la norme. La problématique est en partie insoluble parce qu’elle renvoie à la
conception et la fonction du droit pénal et qu’aucune ne semble s’imposer de manière irréfutable.
Le droit pénal positif contient des dispositions qui peuvent venir au soutien de l’une ou l’autre

340. V. not. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 15, no 31, pour qui le choix opéré
par le législateur entre les valeurs dignes ou non de protection est en lui-même « déjà normatif ». De même, pour
Madame Lacaze, les biens juridiques ayant vocation à être protégés par le droit pénal sont des biens juridico-pénaux,
soit « une émanation de la valeur, consacrée par une valorisation normative du législateur pénal » (M. Lacaze,
Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 310, no 474), la protection de
cette valeur étant la finalité de l’infraction (ibid., p. 307, no 469).
341. Ainsi, pour Messieurs Conte et Maistre du Chambon, le droit pénal est « une discipline juridique
normative » (P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 15, no 31), alors que pour
Monsieur Dreyer, il ne saurait avoir de portée normative dès lors que la règle de conduite est extra-pénale, ou peut
plus largement être extra-juridique et relever du droit naturel. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 70, no 90.

183
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

approche. Ainsi, les incriminations permettant de garantir le respect de normes contenues dans
d’autres droits plaident en faveur du caractère sanctionnateur du droit pénal. L’on pense ici aux
infractions au Code de la route, aux infractions aux réglementations applicables en droit social
ou en droit de la santé, etc. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir dans les codes des textes consacrés
aux règles applicables, suivis de textes d’incriminations sanctionnant les manquements à ces
règles 342 . À l’inverse, d’autres incriminations ne peuvent pas être reliées parfaitement à une
norme précise pré-existante et semblent par conséquent contenir en creux le comportement
attendu. Ici, certaines évolutions dans la législation sont particulièrement édifiantes. Par exemple,
le clientélisme en matière de prostitution a pendant longtemps été toléré et ne faisait pas l’objet
de normes spécifiques 343 . Récemment, le législateur a fait le choix de sanctionner les personnes
ayant recours aux services de prostitués. L’interdiction de ce comportement, jusqu’alors toléré,
n’a été affirmée que par le biais du droit pénal. Par la nouvelle incrimination, le législateur
précise donc les contours de la dignité de la personne ainsi que ses rapports avec les libertés
individuelles. À ce titre, la loi pénale peut être considérée comme normative.

192. Discussion sur le caractère normatif – En soit, le droit pénal présente sans doute
un aspect normatif. L’enjeu est de ne pas le favoriser à l’excès au risque d’exagérer la fonction
expressive traditionnellement accordée à la loi pénale en en faisant à proprement parler un
instrument de valorisation sociale 344 . Il n’est pas opportun d’utiliser la loi pénale pour régir
les rapports des individus entre eux, ne serait-ce que parce que cette utilisation encourage un
glissement du droit pénal vers la morale 345 . L’accent est mis sur un critère d’utilité sociale 346 ,
au détriment de son corollaire indispensable qu’est le juste 347 . Or, comme le relève Madame
Giudicelli-Delage, la légitimité et la limite du droit pénal résident dans ces deux critères de

342. La législation relative au port d’arme en donne un très bon exemple. Les normes applicables en la matière
sont prévues au Chapitre II du Titre I du Livre III du Code de la sécurité intérieure consacré à l’acquisition et la
détention des armes et munitions, tandis que les dispositions pénales et les diverses incriminations sont prévues au
Chapitre IV du même titre.
343. Était sanctionné jusqu’alors le recours de mineurs ou de personnes vulnérables. Sur les évolutions et apports
de la loi de 2016, v. not. R. Parizot, « La prostitution, infraction sans texte », RSC 2016, p. 373, qui voit dans ce
texte « la marque d’une politique prohibitionniste qui ne dit pas son nom ».
344. V. Y. Mayaud, « La loi pénale, instrument de valorisation sociale » in Livre du bicentenaire du Code pénal
et du Code d’instruction criminelle, op. cit.
345. Selon Monsieur Mayaud, le droit pénal rejoint la morale par efficience, parce qu’il gagne à ériger en valeur
ce qui est facteur de cohésion sociale. Ibid. Monsieur Pinatel a également mis en lumière les liens existant entre
le droit pénal, la morale et les valeurs en expliquant que l’infraction doit être ressentie comme une transgression
du système des valeurs sociales par la population pour que sa punition soit considérée comme juste. J. Pinatel,
« Infractions et valeurs morales », RSC 1972, p. 664. Or, le lien entre droit pénal et moral ne doit pas être exagéré
et ne devrait surtout pas conduire à voir dans le droit pénal un instrument de moralisation. Malgré des interactions,
la distinction, fondamentale aux yeux des anciens criminalistes, doit demeurer. V. entre autres R. Garraud, Précis
de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 6, no 7. Mettant en garde contre les dangers d’un rapprochement et d’une
confusion entre le droit et la morale, E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 131, nos 158 et s.
346. Y. Mayaud, « La loi pénale, instrument de valorisation sociale » in Livre du bicentenaire du Code pénal et
du Code d’instruction criminelle, op. cit.
347. V. not. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 84, no 185.

184
Chapitre 2. Le schéma de qualification

juste et d’utile, « combinaison indispensable, rappelait Garraud, car, isolés l’un de l’autre, le
juste et l’utile conduiraient à des conséquences également dangereuses » 348 . Surtout, le droit
pénal ne devrait pas être utilisé pour prescrire le comportement « normal » : « Il faut éviter
d’imposer sous la menace d’une peine des normes de comportement. À défaut, il n’y aurait
plus de délinquants mais uniquement des anormaux par rapport à des règles de portée générale
exprimant la volonté d’un État totalitaire. » 349
En outre, le caractère normatif du droit pénal est en partie inconciliable avec sa subsidia-
rité 350 . S’il est utilisé pour prescrire les comportements normaux et respectueux des valeurs, il
n’est plus l’ultima ratio du droit. Il devient au contraire un outil de législation. Sans doute le
droit pénal présente-t-il un certain caractère normatif par les définitions et concepts qui lui sont
propres, mais exagérer et généraliser ce caractère présente le danger d’une restriction excessive
des libertés individuelles au nom de valeurs parfois imprécises. Les valeurs protégées ne sont
alors plus la limite du recours à la répression, mais un instrument politique de légitimation.

ii. La légitimation de la répression par la protection des valeurs

193. La valeur protégée comme légitimation de la répression – L’autre danger relatif


à l’antijuridicité matérielle est qu’elle permet indirectement de légitimer le droit pénal et la
répression. Von Liszt déduisait du but du droit pénal la protection de certains intérêts vitaux.
Ce faisant, il légitimait le recours à la répression dès lors que les incriminations poursuivent
le but assigné au droit pénal. La protection des biens juridiques est donc à la fois l’objectif
de la matière, sa limite et sa justification. Déterminer les fondements et le but du droit criminel
conduit nécessairement à lui donner toute sa légitimité dès lors qu’il répond aux objectifs définis.
Cette remarque n’est bien entendu pas propre à l’antijuridicité. La recherche des fondements du
droit de punir et de ses limites conduit inéluctablement à légitimer ce droit 351 . Cependant dès
lors que la protection devient la justification, une instrumentalisation des valeurs essentielles
par le législateur est possible. La valeur protégée – le bien juridique – a donc deux fonctions.
La première est juridique : elle permet d’expliquer le pouvoir de punir et le but du droit pénal
tout en fixant les limites. La seconde est politique 352 : elle permet au législateur de justifier et
de légitimer les incriminations. Or, la légitimation du pouvoir de punir présente un danger : « il

348. G. Giudicelli-Delage, « Droit pénal de la dangerosité - Droit pénal de l’ennemi », art. préc.
349. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 65, no 88.
350. E. Dreyer, « La subsidiarité du droit pénal » in Mélanges en l’honneur du Professeur Jacques-Henri Robert,
LexisNexis, 2012, p. 247.
351. Cette problématique d’inversement de la fonction du principe de nécessité apparaît avec force dans l’article
de Monsieur Cahn consacré à ce sujet. O. Cahn, « Le principe de nécessité en droit pénal - thèse radicale » in Le
principe de nécessité en droit pénal, Actes de la journée d’études radicales, op. cit.
352. V. O. Décima, L’identité des faits en matière pénale, th. préc., p. 102, no 160, écrivant au sujet de la valeur
protégée que « politique, elle est imprécise, faute d’avoir été légalement définie ».

185
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

serait trop naïf, pour ne pas dire coupablement naïf, que le droit pénal du XXIème siècle prétende
ignorer que, chaque fois qu’il légitime l’exercice du pouvoir punitif, il légitime un domaine du
pouvoir qui va être mis en œuvre par des agences qui, durant plus d’un siècle, ont démontré,
de façon accablante, leur capacité à commettre les plus grands massacres de toute l’histoire de
l’humanité. [...] Comment peut-on expliquer qu’au siècle dernier le savoir juridique pénal ait
ignoré qu’il habilitait le pouvoir d’institutions qui commettaient de telles tueries ? » 353 .

194. La liberté dans la détermination des valeurs – Car on s’en souvient, la question
de la liberté du législateur dans la désignation des biens dignes de protection est fondamentale.
Aux partisans du caractère préexistant du bien juridique se sont opposés les partisans d’une
libre consécration par le législateur 354 . Dans ce second cas (conception positiviste), les biens
juridiques sont créés par le législateur dans le cadre d’un choix qui n’appartient qu’à lui. Un
contrôle n’est alors pas envisageable, car il s’agirait d’un pur contrôle d’opportunité. À l’inverse,
si les valeurs protégées sont préexistantes et simplement « révélées » par le législateur, la
sélection qu’il opère pourra être discutée et contrôlée 355 .
Les excès du national-socialisme ont conduit la doctrine allemande à une profonde remise
en cause de la première conception 356 . Les dangers d’une libre détermination des valeurs
est évident, mais il peut être aujourd’hui relativisé. Que les valeurs protégées par le droit
pénal résultent d’un choix du législateur ne peut être contesté 357 . Ce choix est motivé par des
conceptions culturelles, morales 358 et plus largement par les politiques criminelles mises en
œuvre. Mais il trouve dorénavant un encadrement solide par le biais des droits fondamentaux
qui s’imposent à lui dans la détermination des valeurs 359 . Issues de droits fondamentaux,
ces valeurs, essentielles aux yeux des différentes sociétés, s’imposent au législateur qui se
contente de les protéger, éventuellement via le recours au droit pénal 360 . Les valeurs pénalement

353. E. R. Zaffaroni, « Dans un État de droit il n’y a que des délinquants », art. préc.
354. revenant sur ce débat ancien, v. J. Pinatel, « L’apport de l’histoire et de la psychologie sociale à la
compréhension de l’évolution du concept de crime », art. préc.
355. V. supra, no 177.
356. En ce sens, M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 74,
nos 105 et s.
357. V. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 381, selon qui « la
conception positiviste semble être la plus réaliste. Les biens juridiques naissent d’un tel « Bewertungsakt », un
jugement de valeur du législateur qui fixe les biens juridiques dignes de protection ».
358. En ce sens, ibid., p. 381 et s. ; Y. Mayaud, « Ratio legis et incrimination », RSC 1983, p. 597.
359. Ces textes sont en effet présentés de manière à constater certains droits fondamentaux, non de manière à
les consacrer. C’est ce qui ressort notamment du préambule de la DDHC, qui présente la Déclaration comme
l’ « expos[er] » des « droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme ». Dans l’esprit des rédacteurs de la
Déclaration, le législateur ne fait donc que constater et affirmer des droits préexistants. La Déclaration universelle
des droits de l’homme relève de la même logique. Elle fut en effet motivée par l’idée « qu’il est essentiel que les
droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême
recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression » (DUDH, préambule).
360. Certains auteurs s’interrogent à ce titre sur une éventuelle obligation d’incriminer à destination du législateur.
En ce sens, A. Cappello, La constitutionnalisation du droit pénal, th. préc., p. 272, no 374. La Constitution italienne

186
Chapitre 2. Le schéma de qualification

protégées ont ainsi pour beaucoup un fondement supra-législatif, même s’il n’est pas toujours
constitutionnel 361 . Tel est le cas des valeurs vie, dignité, humanité, liberté, vie privée, propriété,
etc. Au demeurant, même lorsque ces valeurs ne trouvent pas directement de fondement dans
le bloc de constitutionnalité, elles sont au moins implicitement garanties par lui. Il en résulte
que les valeurs protégées par le législateur ne peuvent venir en négation de celles protégées par
le bloc de constitutionnalité. Ainsi, pas plus en France qu’en Italie, « le législateur ne peut ni
transformer en délit l’exercice du droit, ni protéger pénalement les biens auxquels porte atteinte
celui qui exerce le droit, à moins qu’il ne s’agisse de biens relevant de la Constitution » 362 .

195. Malléabilité de certaines valeurs – Le problème n’est pas résolu pour autant, car
les valeurs sont évolutives, dans leur nombre comme dans leur conception, ce qui pose la
question de l’identification de nouvelles valeurs par le législateur. En outre, même en admettant
que les valeurs essentielles s’imposent au législateur, il reste la question essentielle de leur
délimitation. Or, certaines valeurs, pourtant reconnues unanimement comme essentielles, n’ont
pas de définition arrêtée. L’on pense ici en premier lieu à la dignité de la personne, dont
l’affirmation comme valeur essentielle de notre société date de la Seconde Guerre mondiale 363 .
Le concept s’est aujourd’hui imposé dans notre droit 364 et est affirmé dans les grands textes
d’après-guerre. Il apparaît en outre comme une valeur protégée dans notre Code pénal au
Chapitre V du Titre II du Livre II. Créatrice de droits, la dignité justifie aussi une restriction
des libertés individuelles. La dignité humaine « est un concept que le juriste utilise facilement,
avec une certaine délectation » 365 . Pour autant, aucun texte ne définit précisément ce qu’il faut
entendre par là 366 . Procédant à une tentative de conceptualisation, un auteur remarque qu’il
s’agit « d’un concept évolutif, selon les conceptions changeantes de l’opinion, et non point

contient par exemple certaines obligations en ce sens (v. G. Marinucci et E. Dolcini, « La Constitution et le droit
pénal en Italie », art. préc.). Au niveau européen, des obligations d’incrimination existent par ailleurs et participent
à l’essor du principe de nécessité positive. V. F. Rousseau, « Le principe de nécessité », art. préc. Mettant en
garde contre un possible inversement dans l’usage des droits de l’homme, ceux-ci pouvant être utilisés à des fins
répressives, v. D. Salas, La volonté de punir, Essai sur le populisme pénal, Hachette, col. Pluriel, 2010, p. 224 et
s.
361. Sur l’importance de la Constitution en la matière en Italie, v. F. Palazzo, « Constitution, Cour constitution-
nelle et droit pénal : 30 ans d’expérience italienne », art. préc. : « La Constitution est destinée à influencer le droit
pénal, d’une part en tant que garde-fou à l’intervention répressive de l’État, d’autre part en tant qu’indicateur des
valeurs dignes de protection pénale ».
362. G. Marinucci et E. Dolcini, « La Constitution et le droit pénal en Italie », art. préc.
363. C. Neirinck, « La dignité humaine ou le mauvais usage d’une notion philosophique » in Éthique, droit et
dignité de la personne, mélanges Christian Bolze, Économica, 1999, p. 39.
364. Selon Monsieur Borella, elle est présentée comme un axiome dans les textes juridiques postérieurs à 1945.
F. Borella, « Le concept de dignité de la personne humaine » in Éthique, droit et dignité de la personne, mélanges
Christian Bolze, Économica, 1999, p. 29.
365. C. Neirinck, « La dignité humaine ou le mauvais usage d’une notion philosophique » in Éthique, droit et
dignité de la personne, mélanges Christian Bolze, op. cit.
366. En ce sens, F. Borella, « Le concept de dignité de la personne humaine » in Éthique, droit et dignité de la
personne, mélanges Christian Bolze, op. cit.

187
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

[d’un] principe intangible qui s’impose au législateur » 367 . Malléable et floue, la notion est par
conséquent parfois dénoncée pour sa flexibilité et son imprécision 368 , mais reste pourtant utilisée
fréquemment par le législateur. Dans le Code pénal, elle apparaît soit directement comme un
objet de protection (autrement dit comme valeur protégée), soit comme la cause d’incriminations
protectrices d’autres valeurs 369 . La distinction n’est pas toujours évidente à faire, et la dualité
d’intervention du concept dans la justification des incriminations illustre la très large utilisation
des valeurs qui peut être faite par le législateur lorsqu’il souhaite légitimer de nouveaux textes.
Elle ne peut en outre qu’inquiéter car non définie, cette valeur peut permettre la justification de
textes variés, et l’on pourrait s’inquiéter avec Madame Neirinck du fait qu’avec ce concept, « un
retour à l’ordre moral est [...] à craindre » 370 .

196. Insuffisance de l’antijuridicité dans l’appréciation de la nécessité – C’est


d’ailleurs à ce titre que le recours à la valeur protégée peut se révéler insuffisant dans le
contrôle de la nécessité des incriminations. En effet, une troisième problématique tient au fait
que la protection d’une valeur puisse devenir le seul critère d’appréciation de la nécessité.
L’antijuridicité suppose en principe une atteinte, mais elle ne tient pas directement compte de la
gravité du comportement. L’injuste induit une gradation, l’atteinte étant de gravité supérieure à
la mise en danger, le risque concret de gravité supérieur au risque abstrait 371 . Mais elle permet
essentiellement de justifier et de quantifier la peine. Le simple danger doit, en principe, être
sanctionné moins sévèrement que la lésion du bien juridique 372 . La gravité du comportement
n’est donc pas à proprement parler une composante de l’antijuridicité. Celle-ci se concentre
sur l’injustice de l’acte, sur sa contrariété avec l’ordre social. Elle intègre la gravité de ses
conséquences qui peuvent aller de la mise en danger à la lésion 373 , mais elle n’est pas centrée
sur la gravité du comportement.

367. Ibid.
368. C. Neirinck, « La dignité humaine ou le mauvais usage d’une notion philosophique » in Éthique, droit et
dignité de la personne, mélanges Christian Bolze, op. cit.
369. En ce sens, J.-F. Seuvic, « Variations sur l’humain comme valeurs socialement protégées » in Éthique, droit
et dignité de la personne, mélanges Christian Bolze, Économica, 1999, p. 339.
370. C. Neirinck, « La dignité humaine ou le mauvais usage d’une notion philosophique » in Éthique, droit et
dignité de la personne, mélanges Christian Bolze, op. cit.
371. V. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 37. V. égal. M. Lacaze,
Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 47, no 41. Il faut préciser
qu’en doctrine allemande, l’injuste désigne le comportement qualifié d’antijuridique. En ce sens, J. Walther,
L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 12.
372. Ainsi, la gradation de l’injuste intervient dans le contrôle de proportionnalité. Toutefois, il est à noter qu’à
ce titre aussi, les juridictions constitutionnelles des pays ayant consacré l’antijuridicité font preuve de réserve
et admettent parfois qu’un comportement engendrant un risque abstrait soit plus sévèrement réprimé qu’un
comportement faisant naître un risque concret. V. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé
par le droit pénal, th. préc., p. 214, no 345.
373. Des auteurs allemands ont proposé de distinguer la réprobation de l’acte qui est un élément essentiel et la
réprobation du résultat qui est secondaire. Dans les infractions formelles ou obstacles, seul l’acte est réprimé. Ibid.,
p. 78, nos 117 et s.

188
Chapitre 2. Le schéma de qualification

Sans doute, celle-ci apparaît-elle à double titre. À travers le caractère injuste du com-
portement, c’est-à-dire à travers le fait qu’il est opposé à la société tout d’abord. À travers
l’atteinte qu’il entraîne ensuite, qu’elle soit une lésion ou une mise en danger. Cependant, la
doctrine allemande ne fait pas de la gravité de l’acte une composante de l’antijuridicité ni une
condition de la nécessité de l’incrimination. Les choix d’incrimination du législateur doivent
donc essentiellement être guidés par la protection des biens juridiques. Certes, le droit doit
tendre à un équilibre en délimitant les rayons d’action des individus tout en garantissant les
libertés individuelles 374 , mais pour von Liszt, le droit pénal n’est pas nécessairement un droit
subsidiaire. Son intervention est guidée par la nécessité d’une protection accrue de certains
biens juridiques. Il est présenté comme étant un droit « secondaire » et « complémentaire » 375 ,
intervenant comme élément de sécurité 376 . Son intervention est donc justifiée au regard des
intérêts protégés, mais non spécifiquement au regard de la gravité du comportement, dont
l’appréciation peut d’ailleurs être perturbée par le raisonnement en termes de valeurs.
En France, l’accent est à raison essentiellement mis sur ce point. Quelle que soit la gravité
de l’atteinte, le droit pénal n’a pas vocation à intervenir si le comportement n’est pas lui-même
particulièrement grave 377 . Or, si un contrôle de nécessité existe aussi aujourd’hui en droit
allemand, l’antijuridicité ne fournit pas à proprement parler de critères d’appréciation du point de
vue de la gravité de l’acte seul. L’introduction d’un élément antijuridique présenterait donc des
intérêts au regard de l’appréciation de la nécessité, mais elle ne devrait pas conduire à occulter le
critère de gravité qui permet de préserver la subsidiarité de la répression. Le danger en la matière
est alors d’accorder une dimension trop fortement expressive à la loi pénale par l’utilisation des
valeurs et confondre de ce fait la valeur protégée comme critère de nécessité et la valeur protégée
comme outil de communication.
Est-ce alors à dire que l’antijuridicité doit être abandonnée en raison des dangers qu’elle
représente et des difficultés de transposition ? À l’évidence non, car le concept allemand présente
de nombreux intérêts, notamment au regard du principe de nécessité.

b. L’intérêt de l’introduction de l’antijuridicité en droit pénal français

197. L’intérêt du concept d’antijuridicité : la mise en valeur du caractère attentatoire –


Si des obstacles à une transposition de l’élément antijuridique existent, ils ne sont pas insurmon-
tables, surtout si cette introduction se fait à la faveur d’une adaptation. Le concept allemand

374. V. F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 96, §.13.
375. Ibid., p. 100, §.13.
376. Ibid.
377. Cette idée se retrouve d’ailleurs au niveau international. Si la CEDH impose aux États la protection par le
droit pénal de certaines valeurs prééminentes, un recours de nature pénale n’est pas obligatoire par exemple lorsque
l’atteinte est involontaire. V. F. Massias, « Chronique international des droits de l’homme », RSC 2003, p. 405.

189
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

d’antijuridicité présente des intérêts non négligeables qui pourraient venir enrichir l’analyse
française. Tout d’abord, il est certain que la fonction de protection du droit pénal ne doit pas
être exagérée. L’exagérer conduirait à des excès de prévention dont il faut se garder 378 . La
protection des valeurs essentielles s’opère par la menace d’une peine, mais elle ne peut aller
jusqu’à justifier une répression trop en amont, à titre préventif. Or, c’est là tout l’intérêt de
l’antijuridicité matérielle. Car si elle fait de la protection des valeurs l’objectif principal du
droit pénal, elle fait aussi du caractère attentatoire du comportement la mesure de la répression.
Outre la théorie des biens juridiques, l’antijuridicité inscrit le caractère attentatoire de l’acte au
cœur de la théorie allemande de l’infraction et c’est aussi en cela qu’elle peut être un critère
d’appréciation de la nécessité des incriminations. Ne peut-on pas en effet considérer qu’en
limitant les interdictions posées par la loi aux seuls actes nuisibles à la société 379 , l’article 5 de la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen semble « n’autoriser que l’incrimination des
actions qui ont un impact objectivement et visiblement négatif sur la société » 380 ? L’introduction
de l’antijuridicité matérielle en droit français pourrait compenser les faiblesses actuelles du
contrôle de nécessité. Et si les auteurs ne sont pas d’accord sur la manière de limiter l’inflation
législative, le constat est unanime de la nécessité d’une production législative plus raisonnée 381 .
Il est vrai que le risque de verser dans un contrôle d’opportunité des incriminations existe,
mais ce seul risque ne doit pas faire disparaître tout contrôle. La doctrine a d’ailleurs pu
démontrer les dangers supérieurs présentés par son absence. L’inflation législative qu’elle laisse
perdurer engendre une perte de légitimité du droit pénal et une dilution des valeurs protégées 382 .
Outre ces deux dangers, l’inflation législative et l’effet déclaratif de plus en plus marqué des
lois d’incriminations conduisent à une certaine banalisation du droit pénal 383 . Omniprésent, il
n’est plus un garde-fou efficace. Certaines incriminations ne font pas l’objet d’une application

378. La doctrine de la défense sociale nouvelle se prévaut d’ailleurs en partie de certaines théories de von Liszt.
M. Ancel, La défense sociale nouvelle, op. cit., p. 72 et s.
379. Ce qui implique d’admettre que l’article 5 participe bien de la conception de la nécessité.
380. A. Cappello, La constitutionnalisation du droit pénal, th. préc., p. 274, no 377. L’auteur approuve donc
l’idée selon laquelle le droit pénal doit avoir pour objet la protection des biens juridiques.
381. V. par ex. V. Malabat, « Les infractions inutiles. Plaidoyer pour une production raisonnée du droit pénal »
in La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, opinio doctorum, sous la dir. de V. Malabat, B. de
Lamy et M. Giacopelli, Dalloz, 2009, p. 71 ; du même auteur, « Le champ inutile du droit pénal : les doubles
incriminations » in Le champ pénal, Mélanges en l’honneur du professeur Reynald Ottenhof, sous la dir. de J. De
la Cuesta et J.-F. Thony, Dalloz, 2006, p. 155.
382. En ce sens, A. Darsonville, « Ordre public et droit pénal » in Ordre public, sous la dir. de C.-A. Dubreuil,
Cujas, 2011, p. 287. Dans ce second cas, la fonction expressive associée au droit pénal est remise en cause. Sur les
fonctions traditionnelles du droit pénal, v. C. Lazerges, « De la fonction déclarative de le loi pénale », RSC 2004,
p. 194.
383. Selon Madame Lazerges, aux fonctions traditionnelles du droit pénal pourrait s’ajouter une fonction
déclarative des objectifs politiques. La fonction première des incriminations est ainsi aujourd’hui « d’être le symbole
d’une politique », de sorte que le législateur est de plus en plus indifférent aux questions techniques d’interprétation
et de mise en œuvre des textes. V. ibid. V. égal. R. Parizot, « L’incrimination de participation à une bande ayant
des visées violentes, un nouvel exemple de mépris(e) à l’égard des principes du droit pénal », D. 2009, p. 2701,
pour qui l’incrimination de la participation à une bande violente n’était qu’« un effet d’annonce ».

190
Chapitre 2. Le schéma de qualification

effective faute de moyens suffisants 384 . En outre, la systématisation du recours à ce droit entame
sa portée dissuasive en relativisant le caractère de gravité qui devrait lui être associé 385 . C’est
par conséquent sa fonction pédagogique qui en sort affectée.
Le droit pénal ne devrait pas être le droit qui sanctionne toute violation d’un autre droit. Il est,
et doit rester, le droit qui sanctionne des violations graves, si l’on souhaite voir demeurer cette
fonction. C’est pour ces différentes raisons que la mise en place d’un contrôle effectif de nécessité
se révèle essentielle. Elle seule permettrait de garantir le caractère subsidiaire du droit pénal et
contribuerait à redonner au droit pénal ses fonctions initiales en préservant le nécessaire équilibre
entre la répression et le respect des libertés individuelles 386 . Or, c’est justement à ce titre que
l’élément antijuridique pourrait se révéler particulièrement utile : il permettrait de dégager un
indice objectif de la gravité du comportement incriminé 387 .
En effet, le critère actuellement proposé en doctrine et qui tient à lui est prometteur, mais
incomplet, notamment parce que la gravité du comportement est une donnée au moins aussi
subjective que celle de dangerosité. À elle seule, la gravité permet certes un encadrement de
la pénalité, mais elle ne répond pas à des critères précis 388 . Dès lors, elle justifierait aussi bien
une répression en amont, indépendamment des suites du comportement et permettrait donc le
recours à un droit pénal de la dangerosité, parce que le comportement serait jugé intrinsèquement
grave 389 . C’est pourtant d’elle qu’il convient de partir. Parce qu’il est une atteinte aux libertés
individuelles, le droit pénal doit être subsidiaire et non systématique. C’est donc en premier lieu
un motif de gravité qui doit servir de curseur dans le recours ou non à ce droit. Or, l’antijuridicité

384. V. T. Garé, « La dissimulation du visage dans l’espace public » in La diversité du droit, mélanges en
l’honneur de Jerry Sainte-Rose, Bruylant, 2012, p. 543.
385. Monsieur Ripert dénonçait déjà la systématisation du recours au droit pénal et l’édiction de peines inutiles
et non prononcées en matière de droit pénal économique : « À punir ainsi sans mesure tous les faits contraires à la
réglementation économique, le législateur court le risque d’habituer les esprits à ne voir dans la répression que le
risque d’une opération innocente en elle-même [...] » et achevait : « Il est toujours mauvais d’habituer les esprits à
l’irrespect de la loi ». G. Ripert, Aspects juridiques du capitalisme moderne, LGDJ, 1946, p. 243.
386. Selon Madame Darsonville, le contrôle de nécessité est ainsi essentiel pour garantir l’ordre public parce
que les incriminations non nécessaires peuvent induire une atteinte à des libertés fondamentales. A. Darsonville,
« Ordre public et droit pénal » in Ordre public, op. cit.
387. Cette exigence de gravité est intimement liée au concept de crime. Du moins considère-t-on que « pour
que l’on puisse parler de crime, il faut qu’un acte suscite dans le groupe des perturbations émotionnelles intenses,
susceptibles de déterminer la réaction sociale ». J. Pinatel, « L’élément matériel de l’infraction devant la crimino-
logie et les sciences de l’homme », RSC 1967, p. 910. Le concept d’infraction et la légitimité de la répression est
intimement lié à cette réaction sociale qui dépend elle-même du caractère nuisible de l’acte, lui-même de plus en
plus associé à la protection des valeurs essentielles contre d’injustes atteintes.
388. Faisant ce constat, E. Fortis et M. Segonds, « La dépénalisation du droit du travail : un objectif caduc
? », Rev. dr. trav. 2012, p. 402 : « On retrouve l’incantation selon laquelle le droit pénal doit être réservé aux
actes les plus « graves » sans que l’on connaisse précisément les critères de la gravité ». V. toutefois F. Stasiak,
« Dépénaliser : quoi, pourquoi, comment ? » in Droit pénal : le temps des réformes, sous la dir. de V. Malabat,
B. de Lamy et M. Giacopelli, Litec, 2011, p. 31, pour qui, justement, la gravité du comportement « se détermine
par la nature de la faute, par la valeur lésée et par le dommage qui en résulte ».
389. D’ailleurs, les notions de gravité et de dangerosité sont intimement liées. L’incrimination autonome d’actes
préparatoires est souvent justifiée en doctrine soit à raison de leur dangerosité, soit à raison de leur gravité. En un
sens, la dangerosité du comportement en laisse présumer la gravité.

191
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

peut venir ici compléter l’appréciation de la gravité du comportement par un indice relativement
objectif.
L’antijuridicité allemande présente en effet cet intérêt fondamental de permettre une
utilisation du caractère attentatoire du comportement pour limiter la répression en amont : le
comportement n’est antijuridique et injuste que parce qu’il porte – ou est susceptible de porter –
atteinte à une valeur essentielle. À l’inverse, en France, l’atteinte n’apparaît que comme une
variable 390 , ce qui lui donne un caractère négligeable ou, du moins, peu déterminant au regard de
la conceptualisation de l’infraction. Les conséquences du comportement ne sont pas réellement
prises en compte. Pourtant, elles peuvent être un indice fort de la nécessité à avoir recours au droit
pénal. L’admission d’un élément antijuridique 391 inspiré de l’élément allemand permettrait de
dégager un indice de gravité du comportement, complémentaire de la teneur des autres éléments.
Il conduirait à remettre le caractère attentatoire de l’acte au cœur de l’incrimination et de la
répression, s’opposant ainsi au développement d’un droit pénal préventif ou de l’ennemi.

198. Une proximité temporelle et causale – En effet c’est aussi et surtout au regard des
conséquences du comportement sur ces valeurs que la gravité pourrait être appréciée. Perçu
en premier lieu comme une atteinte portée à une valeur, le comportement infractionnel ne
devrait alors pas pouvoir entretenir un lien trop distendu avec l’atteinte effective. Le lien entre
l’incrimination et la valeur qu’elle protège devrait donc apparaître avec une certaine évidence.
En d’autres termes, il ne suffit pas pour le législateur de désigner une valeur ou de la rendre
identifiable – par le classement des infractions dans le Code, cette obligation peut déjà formel-
lement être considérée comme remplie. Encore faut-il que l’incrimination vienne effectivement
protéger cette valeur 392 . Ceci implique une certaine proximité entre le comportement incriminé
et l’atteinte à la valeur qu’il est susceptible d’engendrer. L’intérêt de ne concevoir l’infraction

390. V. not. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 173, no 162, qui le qualifie ainsi le résultat réel et V.
Malabat, « Retour sur le résultat de l’infraction » in Mélanges en l’honneur du Professeur J.-H. Robert, op. cit. Il
s’agit ici du résultat juridique selon la construction de Messieurs Conte et Maistre du Chambon. V. infra, no 323.
391. La terminologie antijuridique ou d’injuste est préférable à celle d’illégalité, car un élément d’illégalité
signifierait simplement une contrariété entre l’acte et la norme, l’élément d’antijuridicité intègre en outre la
contrariété entre l’acte et la valeur protégée par la norme.
392. Il s’ensuit que même ainsi comprise, l’antijuridicité ne se conçoit qu’au regard de la protection de valeurs,
ce qui impliquerait en premier lieu une certaine systématisation. Si le droit positif français n’est pas entièrement
construit autour d’elles, elles demeurent fondamentales et sous-tendent pour beaucoup les raisonnements. Un
élément antijuridique imposerait donc au législateur une certaine rigueur dans l’exercice d’incrimination. La valeur
protégée par le texte devrait en effet être clairement identifiée ou identifiable afin de garantir sa réalité. Elle ne
pourrait par ailleurs pas être trop floue ou trop large, sauf à vider cet élément de sa substance. Il est en effet
de jurisprudence constante que le Conseil constitutionnel veille à ce que les textes d’incrimination précisent les
éléments constitutifs des comportements réprimés. Sans doute fait-il souvent preuve de souplesse dans son examen,
mais le principe demeure et les censures ou réserves d’interprétations permettent de limiter partiellement les
imprécisions des textes. Un élément dirigé vers le caractère attentatoire du comportement inclurait nécessairement
dans une certaine mesure la valeur protégée. Il imposerait par conséquent que la valeur protégée soit au moins
identifiable. Le contrôle effectué par le Conseil constitutionnel pourrait alors s’opérer via l’élément antijuridique.

192
Chapitre 2. Le schéma de qualification

en premier lieu comme un comportement attentatoire à un bien juridique conduit à exiger une
relation causale et temporelle suffisante entre le comportement et la potentialité d’atteinte. Une
telle approche permettrait d’encadrer la répression en prévenant une répression trop en amont.
Une décision mérite à ce titre d’être relevée. Il s’agit de la décision du 16 juillet 1996 qui a déjà
pu être évoquée 393 . Dans cette décision, le Conseil avait justement censuré des dispositions qui
sanctionnaient des comportements n’entretenant pas de lien suffisant avec l’activité terroriste 394 .
Même si les hypothèses de censure sur ce point sont rares, il est à souligner que le contrôle existe
d’ores et déjà. L’appréciation de l’antijuridicité du comportement pourrait alors le renforcer,
d’autant que le Conseil semble avoir désormais plus fréquemment recours aux valeurs protégées
dans l’appréciation de la nécessité.

199. Le développement récent du contrôle constitutionnel à l’aune de la valeur proté-


gée – La faiblesse du contrôle opéré a fréquemment été dénoncé en doctrine 395 , où le Conseil
s’est souvent contenté d’un contrôle minimaliste. Théoriquement, l’exigence de nécessité des
incriminations devrait le conduire à s’assurer de l’utilité et de la nécessité de celle-ci. En
pratique cependant, le Conseil se refuse à se substituer au législateur. Il est vrai qu’un tel
contrôle est en pratique malaisé, surtout en l’absence de critères objectifs d’appréciation. Le
risque est alors pour le Conseil de s’adonner à un contrôle d’opportunité du recours au droit
pénal et non à un simple contrôle de la nécessité des incriminations 396 . Cependant, la faiblesse
du contrôle opéré a pu faire douter un temps de son effectivité. Pendant longtemps, la loi ne
semblait pouvoir être censurée qu’en cas de disproportion manifeste 397 . Les hypothèses de

393. Cons. const., 16 juil. 1996, no 96-377 DC ; D. 1997, p. 69, note B. Mercuzot ; JCP G. 1996, II, 22709, note
V. Nguyen Van Tuong.
394. Madame Cappello voit d’ailleurs dans cette décision la preuve de ce que la nécessité des incriminations
n’est démontrée que si elles sont guidées par le souci de protéger les biens juridiques collectifs. Cette exigence est
une condition de la « légitimité du droit pénal ». A. Cappello, La constitutionnalisation du droit pénal, th. préc.,
p. 277, no 381.
395. V. not. R. Parizot, « Pour un véritable principe de nécessité des incriminations » in Politique(s) criminelle(s),
Mélanges en l’honneur du professeur C. Lazerges, op. cit. ; A. Darsonville, « Ordre public et droit pénal » in Ordre
public, op. cit. ; F. Rousseau, « Le principe de nécessité », art. préc. Certains auteurs approuvent au contraire les
réserves du Conseil en la matière. V. not. B. de Lamy, « L’effet rebond de l’inconstitutionnalité de la garde à vue
en matière d’escroquerie en bande organisée », RSC 2016, p. 399.
396. En ce sens, R. Koering-Joulin et J.-F. Seuvic, « Droits fondamentaux et droit criminel », AJDA 1998,
p. 106, et F. Rousseau, « Le principe de nécessité », art. préc. Une partie de la doctrine est d’ailleurs favorable
à ces réserves, estimant qu’elles permettent l’effectivité du principe de légalité. En ce sens, J.-P. Delmas Saint-
Hilaire, « Sans nécessité loi pénale ne vaut », Politeïa 2004, p. 113. V. égal. P. Conte note sous Cass. crim., 5 déc.
2000, JCP 2001, II, 10615.
397. V. not. Cons. const., 16 juil. 1996, no 96-377 DC ; D. 1997, p. 69, note B. Mercuzot ; JCP G. 1996, II, 22709,
note V. Nguyen Van Tuong ; Cons. const., 16 juin 1999, no 99-411 DC ; D. 1999, p. 589, obs. Y. Mayaud ; D.
2000, p. 197, obs. S. Sciortino-Bayart ; AJDA 1999, p. 694, obs. J.-E. Schoettl ; D. 2000, p. 113, obs. G. Roujou
de Boubée. Adde, G. Tillement, « Le contrôle de la nécessité des incriminations par le juge pénal », Dr. pén. 2003,
chron. no 34. V. égal. Cons. const., 13 mars 2003, no 2003-467 DC. La solution reste d’actualité aujourd’hui.

193
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

censure pour défaut de nécessité étaient par conséquent rarissimes 398 . Même le cas de double
incrimination n’entraîne pas de facto la censure 399 . La jurisprudence du Conseil est parfois
hésitante en la matière, mais il a longtemps été jugé que le principe nécessité ne fait pas obstacle
à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l’objet de poursuites
différentes et, par conséquent, donner lieu à un cumul de sanctions 400 . Or, il est justement à
noter un certain assouplissement du Conseil constitutionnel dans l’appréciation de la nécessité
des incriminations, encore qu’il soit partiellement de façade. Récemment, le Conseil a admis
d’opérer un contrôle de nécessité, opérant un revirement quant au cumul de poursuites en matière
de délit d’initié 401 . Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à un cumul de
sanction, il a procédé à une comparaison entre le délit d’initié, incriminé à l’article L. 464-1
du Code monétaire et financier, et le délit de manquement d’initié, prévu à l’article L. 621-15
du même Code. Estimant que les sanctions encourues étaient de même nature, il a jugé que
« la répression du manquement d’initié et celle du délit d’initié poursuivent une seule et même

398. V. Cons. const., 16 juil. 1996, no 96-377 DC ; D. 1997, p. 69, note B. Mercuzot ; JCP G. 1996, II, 22709,
note V. Nguyen Van Tuong. Pour une déclaration récente de non-conformité, v. Cons. const., 10 mars 2011,
no 2011-625 DC ; AJDA 2011, p. 1097, note D. Ginocchi ; D. 2011, chron., p. 1162, chron. P. Bonfils ; D. 2012,
p. 1638, obs. V. Bernaud et N. Jacquinot ; AJCT 2011, étude, p. 182, obs. J.-D. Dreyfus ; Constitutions 2011,
p. 223, obs. A. Darsonville ; Constitutions 2011, chron., p. 581, chron. V. Tchen ; RSC 2011, chron., p. 728,
chron. C. Lazerges ; RSC 2011, étude, p. 789, note M.-A. Granger ; RSC 2012, p. 227, obs. B. de Lamy. Dans
cette décision, le Conseil opère un contrôle de proportionnalité et estime que « le législateur s’est fondé sur des
critères manifestement inappropriés à l’objet poursuivi » (Cons. 43).
399. En ce sens, A. Cappello, La constitutionnalisation du droit pénal, th. préc., p. 278, nos 384 et s.
400. Pour un rappel de cette règle, v. Cons. const., 18 mars 2015, no 2014-453/454 QPC ; D. 2015, p. 894, note
A.-V. Le Fur et D. Schmidt ; D. 2015, p. 874, note O. Décima ; D. 2015, p. 1506, obs. C. Mascala ; D. 2015,
p. 1738, obs. J. Pradel ; AJDA 2015, étude, p. 1191, obs. P. Idoux, S. Nicinski et E. Glaser ; Rev. société 2015,
p. 380, note H. Matsopoulou ; RSC 2015, p. 374, obs. F. Stasiak ; RTD com. 2015, p. 317, obs. N. Rontchevsky.
La seule réserve tient traditionnellement à la peine, dont le cumul est encadré par le principe de proportionnalité.
V. Cons. const., 24 oct. 2014, no 2014-423 QPC ; Constitutions 2014, chron., p. 492, chron. O. Le Bot ; Dr. pén.
2015, comm. p. 14, obs. V. Peltier. Peut-être pour pallier l’insuffisance du contrôle effectué par le Conseil, la
Cour de cassation a pu dans deux arrêts effectuer en la matière un contrôle de constitutionnalité déguisé par le
biais d’un contrôle de conventionnalité. V. Cass. crim., 16 janv. 2001, Bull. crim., no 10 ; D. 2001, p. 2346, note
B. de Lamy ; D. 2001, p. 1067, note J.-F. Renucci ; Cass. crim., 19 juin 2001, Bull. crim., no 149 ; JCP 2002, II,
10064, obs. D. Commaret ; JCP 2002, II, 10064, note A. Lepage ; D. 2001, p. 2539, note B. Beigner et B. de
Lamy ; RSC 2002, p. 119, note J. Francillon ; D. 2002, p. 1462, obs. J. Pradel ; Gaz. Pal. 2002, 1, no 120, note
Y. Monnet ; RSC 2002, p. 96, obs. B. Bouloc ; RSC 2002, p. 592, obs. J.-P. Delmas Saint-Hilaire ; Adde. J.-
P. Delmas Saint-Hilaire, « Contrôle par le juge répressif de la nécessité de l’ingérence du législateur : problème
de légalité pénale », RSC 2002, p. 592 ; Cass. crim., 4 sept. 2001, Bull. crim., no 170 ; RTD civ. 2002, p. 186, note
R. Libchaber ; RSC 2002, p. 95, note B. Bouloc ; D. 2002, p. 1794, note B. de Lamy ; RSC 2002, p. 125, note
J. Francillon ; Cass. crim., 12 déc. 2007, Bull. crim., no 311 ; Dr. pén. 2008, 34, obs. J.-H. Robert ; RSC 2009,
p. 162, note B. de Lamy ; AJ pén. 2008, p. 88, obs. M.-C. Charbonnier ; RTD com. 2008, p. 640, obs. B. Bouloc.
La pratique avait fortement inquiété une partie de la doctrine qui y voyait un « retour à l’Ancien droit » (J.-P. Delmas
Saint-Hilaire, « Contrôle par le juge répressif de la nécessité de l’ingérence du législateur : problème de légalité
pénale », art. préc.) ou à « l’arbitraire du juge » (P. Conte, note sous Cass. crim., 5 déc. 2000, préc.). De telles
décisions ne peuvent toutefois qu’être limitées dans leur domaine et ne devraient – théoriquement – plus intervenir
avec la procédure de question prioritaire de constitutionnalité.
401. Cons. const., 18 mars 2015, no 2014-453/454 QPC ; D. 2015, p. 894, note A.-V. Le Fur et D. Schmidt ; D.
2015, p. 874, note O. Décima ; D. 2015, p. 1506, obs. C. Mascala ; D. 2015, p. 1738, obs. J. Pradel ; AJDA 2015,
étude, p. 1191, obs. P. Idoux, S. Nicinski et E. Glaser ; Rev. société 2015, p. 380, note H. Matsopoulou ; RSC
2015, p. 374, obs. F. Stasiak ; RTD com. 2015, p. 317, obs. N. Rontchevsky.

194
Chapitre 2. Le schéma de qualification

finalité de protection du bon fonctionnement et de l’intégrité des marchés financiers ; [...] que ces
deux répressions protègent en conséquence les mêmes intérêts sociaux » 402 . Il s’ensuit que ces
deux articles « méconnaissent le principe de nécessité des délits et des peines » et doivent donc
être déclarés contraires à la Constitution 403 . Pour ce faire, le Conseil a dégagé quatre critères
cumulatifs. Les poursuites doivent être différentes, elles doivent pouvoir être engagées contre les
mêmes personnes et les sanctions doivent être de même nature 404 . Le dernier critère tient quant à
lui à l’identité d’intérêt protégé 405 . L’admission du cumul des poursuites dépend par conséquent
partiellement de cette notion, à laquelle la décision fait expressément référence. L’identité
d’intérêt s’opposerait au cumul des poursuites tandis que la poursuite d’intérêts différents ou
complémentaires le permettrait, sous réserve de la proportionnalité des sanctions prononcées 406 .
La solution a été réaffirmée dans un arrêt en date du 24 juin 2016, le Conseil ayant alors eu
recours une nouvelle fois à un quadruple examen 407 .
Cette jurisprudence est intéressante à deux titres. Tout d’abord, elle semble donner une
relative effectivité au contrôle de nécessité en matière de cumul de poursuites et de double
incrimination 408 . En outre, elle semble intégrer partiellement les propositions doctrinales ten-
dant à faire de l’intérêt ou de la valeur protégée par les textes l’un des critères d’appréciation
de la nécessité 409 . En effet, dans sa décision du 18 mars 2015, lorsqu’il évoque la finalité

402. Ibid., cons. 25.


403. Ibid., cons. 28. Comp. Cons. const., 30 sept. 2016, no 2016-572 QPC ; Rev. société 2017, p. 99, note
H. Matsopoulou, s’agissant du cumul des poursuites pour le délit et le manquement de diffusion de fausses
informations.
404. Sur le quadruple examen opéré par le Conseil, C. Mascala, « La contagion de la remise en cause de la
constitutionnalité des doubles poursuites pénales et administratives : affaire Wildenstein », RSC 2016, p. 75.
405. Il faut en outre préciser que par sa décision en date du 24 juin 2016, le Conseil constitutionnel a fait disparaître
l’exigence relative à l’identité d’ordre de juridiction mentionné jusqu’alors. V. Cons. const., 24 juin 2016, no 2016-
546 QPC ; JCP G. 2016, I, 1814, note S. Detraz ; Dr. fisc. 2016, p. 3, obs. P. Schiele ; Dr. pén. 2016, p. 43, obs.
V. Peltier ; JCP G. 2016, I, 1453, note M. Collet et P. Collin.
406. En ce sens, G. Roujou de Boubée, « Chronique de jurisprudence », D. 2015, p. 2465.
407. Dans cette décision, le Conseil ne juge néanmoins pas les dispositions mises en causes comme étant
inconstitutionnelles, car elles sont selon lui complémentaires pour assurer une lutte effective contre la fraude fiscale.
Cons. const., 24 juin 2016, no 2016-546 QPC ; JCP G. 2016, I, 1814, note S. Detraz ; Dr. fisc. 2016, p. 3, obs.
P. Schiele ; Dr. pén. 2016, p. 43, obs. V. Peltier ; JCP G. 2016, I, 1453, note M. Collet et P. Collin. Pour une
décision récente, v. égal. Cons. const., 10 fév. 2017, no 2016-611-QPC ; D. actualité 2017, obs. D. Goetz ; AJDA
2017, p. 433, obs. V. Goesel-Le Bihan. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a opéré un contrôle de
proportionnalité entre l’atteinte portée à l’exercice de la liberté de communication et la nécessité de l’incrimination
et a censuré l’article 421-2-5-2 du Code pénal dès lors que « les dispositions contestées portent une atteinte à
l’exercice de la liberté de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée » (Cons. 16).
408. Sous réserve que les poursuites ne soient pas jugées complémentaires comme dans la décision du 24 juin
2016, ce qui limite fondamentalement la portée de ces décisions.
409. V. not. A. Darsonville, « Ordre public et droit pénal » in Ordre public, op. cit., et F. Rousseau, « Le
principe de nécessité », art. préc., et R. Parizot, « Pour un véritable principe de nécessité des incriminations »
in Politique(s) criminelle(s), Mélanges en l’honneur du professeur C. Lazerges, op. cit. V. égal. du même auteur,
« L’incrimination de participation à une bande ayant des visées violentes, un nouvel exemple de mépris(e) à l’égard
des principes du droit pénal », art. préc. :« Une incrimination nouvelle n’est nécessaire que si elle repose sur un
bien juridique identifié ». Comp. M. Delmas-Marty, « Pour des principes directeurs de législation pénale », RSC
1985, p. 225, proposant notamment l’intérêt protégé comme critère en matière de dépénalisation. Selon Madame

195
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

de l’incrimination, le Conseil le fait au regard du fonctionnement des marchés financiers.


Ce fonctionnement ne peut certes pas être regardé comme une valeur essentielle, méritant
la protection pénale. Cependant, les infractions concernées incriminent plus précisément des
« atteintes portées à l’ordre public économique » 410 . Est ainsi distinguée ici la finalité de loi
de la valeur qu’elle protège 411 . De même, dans la décision en date du 24 juin 2016 relative
à un cumul de sanctions en matière de fraude fiscale, le Conseil prend soin de préciser que
« selon l’article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l’entretien de la force publique et pour les
dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable, elle doit être également
répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Il en découle l’objectif de valeur
constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale » 412 . Suit alors un contrôle de proportionnalité
entre la répression mise en place par le législateur et la finalité poursuivie, soit la protection de
la valeur.

200. Les insuffisances du contrôle opéré – La prise en compte des valeurs protégées dans
le contrôle de nécessité ne doit toutefois pas être exagérée. Tout d’abord, les valeurs identifiées
sont relativement larges (l’ordre public économique est de nature à justifier de nombreuses
incriminations 413 et la décision de 2016 fait référence à un principe découlant d’un texte à
valeur constitutionnelle, bien plus qu’à une valeur). En outre, le Conseil ne s’interroge jamais
vraiment sur le fait que le comportement incriminé soit effectivement attentatoire à une valeur.
Il s’en remet à ce titre à l’appréciation du législateur. Notamment dans sa décision du 7 octobre
2010, relative à la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, le Conseil
avait ainsi opéré un contrôle de proportionnalité et s’était assuré que le législateur opérait une

Parizot, ces critères pourraient également servir au contrôle de nécessité. Jugeant à l’inverse que la valeur protégée
est un « critère peu prévisible », B. de Lamy, « L’effet rebond de l’inconstitutionnalité de la garde à vue en matière
d’escroquerie en bande organisée », art. préc.
410. Cons. const., 18 mars 2015, no 2014-453/454 QPC ; D. 2015, p. 894, note A.-V. Le Fur et D. Schmidt ; D.
2015, p. 874, note O. Décima ; D. 2015, p. 1506, obs. C. Mascala ; D. 2015, p. 1738, obs. J. Pradel ; AJDA 2015,
étude, p. 1191, obs. P. Idoux, S. Nicinski et E. Glaser ; Rev. société 2015, p. 380, note H. Matsopoulou ; RSC
2015, p. 374, obs. F. Stasiak ; RTD com. 2015, p. 317, obs. N. Rontchevsky. L’ordre public s’avère toutefois être
une valeur particulièrement large et, par conséquent, discutable.
411. Sur la nécessité de cette distinction, R. Parizot, « L’incrimination de participation à une bande ayant des
visées violentes, un nouvel exemple de mépris(e) à l’égard des principes du droit pénal », art. préc.
412. Cons. const., 24 juin 2016, no 2016-546 QPC ; JCP G. 2016, I, 1814, note S. Detraz ; Dr. fisc. 2016, p. 3,
obs. P. Schiele ; Dr. pén. 2016, p. 43, obs. V. Peltier ; JCP G. 2016, I, 1453, note M. Collet et P. Collin. Il est
ici toutefois dommage que le Conseil raisonne essentiellement au regard de la finalité des incriminations, non de la
valeur qu’elles protègent. En effet, comme le relève Madame Parizot, « une incrimination [...] n’est jamais justifiée
par l’objectif affiché par la loi [...], sinon toutes les lois seraient justifiées, un but étant toujours poursuivi ». R.
Parizot, « L’incrimination de participation à une bande ayant des visées violentes, un nouvel exemple de mépris(e)
à l’égard des principes du droit pénal », art. préc. Ce n’est donc pas en termes de finalité de la loi qu’il faut raisonner.
Cette finalité peut simplement laisser apercevoir la valeur protégée par l’incrimination, mais elle ne la suppose pas.
413. Refusant que l’ordre public puisse en lui-même être une valeur protégée par le droit pénal, v. A. Darsonville,
« Ordre public et droit pénal » in Ordre public, op. cit. L’ordre public économique apparaît de la même manière
extensif. Pour une position plus nuancée, N. Case-Gaillarde, L’ordre public pénal, th. préc., p. 130, no 212 : la
première valeur protégée serait l’ordre public, lequel s’exprimerait dans de nombreuses incriminations.

196
Chapitre 2. Le schéma de qualification

conciliation « non manifestement disproportionnée » 414 . Comme le relève Madame Cappello,


le Conseil ne s’était cependant pas interrogé sur le fait de savoir si les pratiques en causes
pouvaient effectivement constituer un danger et méconnaissait les exigences minimales de vie
en société. Sur ce point, le législateur est souverain 415 . Seule une décision peut être ici évoquée,
dans laquelle le Conseil constitutionnel avait sanctionné une loi incriminant un comportement
en relation causale trop indirecte 416 .
Enfin, la décision de juin 2016 admet le cumul de sanctions dès lors qu’elles apparaissent
complémentaires dans le but poursuivi de lutte contre la fraude fiscale 417 . Le critère relatif à
la valeur protégée ne joue donc ici pas pleinement le rôle de limitateur qui pourrait être le
sien. En effet, la valeur protégée semble davantage utilisée par le Conseil dans le cadre d’un
contrôle de proportionnalité. En d’autres termes, il ne s’intéresse pas à la légitimité ou à la
précision de la valeur protégée. En revanche, l’importance de cette valeur aura des conséquences
quant à la sévérité du Conseil dans son contrôle. Une valeur d’importance moindre – ordre
public économique – ne nécessitera qu’une protection limitée. Le cumul des poursuites et des
sanctions est donc exclu, car non nécessaire 418 . À l’inverse, celle trouvant un fondement à
valeur constitutionnelle – l’objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale –
pourra faire l’objet d’un cumul. Les poursuites sont alors jugées complémentaires dans la
protection de la valeur en cause 419 . Le contrôle reste par conséquent limité à un seul contrôle de
proportionnalité 420 , tandis que l’existence d’une valeur et la nécessité de sa protection ne sont

414. Cons. const., 7 oct. 2010, no 2010-613 DC, cons. 5.


415. A. Cappello, La constitutionnalisation du droit pénal, th. préc., p. 273, no 375.
416. Cons. const., 16 juil. 1996, no 96-377 DC ; D. 1997, p. 69, note B. Mercuzot ; JCP G. 1996, II, 22709,
note V. Nguyen Van Tuong. Il faut toutefois noté que la relation causale est appréciée entre le comportement
incriminé et l’accomplissement d’un acte terroriste, et non entre lui et l’atteinte. Le Conseil avait en effet censuré
une incrimination au motif que le comportement incriminé n’était « pas en relation immédiate avec la commission
de l’acte terroriste ».
417. La gravité du comportement ne justifie ainsi pas le recours au droit pénal proprement dit, il justifie un cumul
de poursuites nécessaire à la protection de la valeur en cause. Pourtant, l’on pourrait au contraire considérer que le
recours aux poursuites pénales devrait être un palier supplémentaire (et non complémentaire) pouvant être franchi
par l’administration fiscale en cas de fraude grave.
418. Cons. const., 18 mars 2015, no 2014-453/454 QPC ; D. 2015, p. 894, note A.-V. Le Fur et D. Schmidt ; D.
2015, p. 874, note O. Décima ; D. 2015, p. 1506, obs. C. Mascala ; D. 2015, p. 1738, obs. J. Pradel ; AJDA 2015,
étude, p. 1191, obs. P. Idoux, S. Nicinski et E. Glaser ; Rev. société 2015, p. 380, note H. Matsopoulou ; RSC
2015, p. 374, obs. F. Stasiak ; RTD com. 2015, p. 317, obs. N. Rontchevsky.
419. Cons. const., 24 juin 2016, no 2016-546 QPC ; JCP G. 2016, I, 1814, note S. Detraz ; Dr. fisc. 2016,
p. 3, obs. P. Schiele ; Dr. pén. 2016, p. 43, obs. V. Peltier ; JCP G. 2016, I, 1453, note M. Collet et
P. Collin. Dans le commentaire de la décision, l’ancrage constitutionnel de l’objectif contre la fraude fiscale
est expressément mis en avant comme ayant motivé en partie la décision. V. le commentaire de la décision en
date du 24 juin 2016, déc. préc., disponible à l’adresse suivante : http ://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-
constitutionnel/root/bank/download/2016545QPC2016545qpc_ccc.pdf.
420. Le Conseil n’a en effet pas modifié sa jurisprudence générale relative à ce contrôle. Il estime par conséquent
toujours qu’il ne bénéficie pas du même pouvoir d’appréciation du législateur. V. le commentaire préc. de la décision
en date du 24 juin 2016. Par conséquent, non seulement il n’est pas certain que le Conseil admette de contrôler que la
valeur protégée est effectivement essentielle, mais encore son utilisation semble-t-elle cantonnée au cas spécifique
de la double incrimination.

197
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

pour leurs parts pas appréciées. La valeur protégée est donc prise en compte dès lors qu’elle est
mentionnée et intervient dans le contrôle opéré, mais elle n’est pas totalement exploitée. À ce
titre l’identification d’un élément antijuridique pourrait donc renforcer le contrôle en lui donnant
un cadre.
Outre un intérêt au regard de l’appréciation de la proportionnalité 421 , un élément antiju-
ridique pourrait donc être particulièrement utile dans le cadre du contrôle de nécessité, dont
les insuffisances sont regrettables 422 . Contrôler l’existence de l’élément antijuridique condui-
rait donc le Conseil à s’attacher aux conséquences du comportement incriminé 423 , de même
qu’apprécier le comportement accompli sous son angle antijuridique conduirait le juge à en
apprécier les suites. N’est-ce pas d’ailleurs déjà le cas, où la légitimité de la répression dépend
de la proximité temporelle et causale avec l’obtention du résultat redouté par le législateur ?
La définition du commencement d’exécution, à elle seule, illustre le propos qui veut qu’il soit
constitué par tous les actes qui tendent directement et immédiatement à la consommation du
délit 424 .

201. Tempérament : l’antijuridicité comme indice – Que ce soit au regard de la quali-


fication judiciaire ou au regard de l’incrimination, ces conséquences peuvent être vues comme
un indice objectif de la gravité du comportement. Toutefois, deux tempéraments doivent être
apportés. Même construite au regard d’un système de valeurs, l’importance de la valeur protégée
ne doit pas être exagérée, ni pour justifier l’incrimination ni pour justifier la répression. Afin
d’éviter les écueils qui ont été abordés, les valeurs ne doivent être utilisées que comme une
limitation du droit pénal, dans le strict cadre du principe de légalité. Elles ne doivent pas en

421. En droit pénal allemand, l’élément antijuridique permet un tel contrôle de proportionnalité, qui se pro-
longe sur l’appréciation de la proportionnalité de la sanction. Il sert une gradation de l’injuste qui conduit
– théoriquement – à une échelle cohérente des peines selon que le comportement engendre une lésion, un risque
abstrait ou un risque concret d’atteinte au bien juridique protégé. Même s’il a pu être admis qu’un risque abstrait
puisse être sanctionné plus durement qu’un risque concret (M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique
protégé par le droit pénal, th. préc., p. 214, no 346, citant un arrêt du Tribunal constitutionnel espagnol du 2 oct.
1997, STC 161/1997), la proportionnalité de la sanction dépend donc en principe de l’intensité du résultat. Sur
la proportionnalité en droit français, v. M.-C. Sordino, « De la proportionnalité en droit pénal » in Mélanges en
l’honneur du Professeur Jacques-Henri Robert, LexisNexis, 2012, p. 711.
422. L’appréciation de la nécessité des incriminations ne pouvant toutefois relever que du juge constitutionnel,
le seul moyen d’écarter un texte dont la légitimité est discutable reste le recours à la question prioritaire de
constitutionnalité.
423. La variété immense des incriminations rend impossible la systématisation, ce qui pourrait ici s’opposer à
l’élément antijuridique. Mais, l’intérêt de passer par la conception de l’infraction et par les principes auxquels
elle répond est justement d’éviter les difficultés en la matière, d’autant qu’aujourd’hui, tous les éléments semblent
pouvoir être remis en cause par la diversité des incriminations, mais c’est l’avantage des éléments généraux, de
montrer l’infraction telle qu’elle pourrait être, même si elle ne l’est pas toujours.
424. Cass. crim., 3 mai 1974, Bull. crim., no 157 ; Cass. crim., 15 mai 1979, Bull. crim., no 175 ; D. 1979, IR,
p. 525, obs. M. Puech ; D. 1980, p. 409, obs. M.-J. Cambassédès ; RSC 1980, p. 969, obs. J. Larguier ; Gaz. Pal.
1980, 1, no 88, note P.L.G.

198
Chapitre 2. Le schéma de qualification

permettre un contournement, comme elles le permettent parfois aujourd’hui 425 , mais doivent au
contraire compléter utilement ce principe en garantissant la subsidiarité de la répression.
En outre, il faut préciser que si la conception matérielle encourage il est vrai une approche
normative du droit pénal, elle ne la présuppose pas. L’objectif de la loi pénale était pour von
Liszt la protection de certaines valeurs, méritant une protection particulière et supplémentaire
par le droit pénal. Si ce choix est en lui-même normatif, cela ne suppose pas une remise en cause
de la théorie de Binding car l’incrimination demeure la sanction d’un comportement attentatoire.
Elle permet d’identifier le comportement normal, mais indirectement en ce sens qu’il peut se
déduire d’elle 426 , mais qu’elle ne le prescrit pas. Pour rester subsidiaire et pour garantir un
équilibre dans l’exercice des libertés individuelles, le droit pénal doit rester en premier lieu
sanctionnateur 427 et non pas prescripteur. La fonction expressive de la loi pénale devrait se

425. Ainsi, le recours aux valeurs protégées ne devraient pas permettre de justifier un cumul de qualification.
Aujourd’hui, elles sont utilisées dans le cas du concours dit idéal de qualification. Les critères permettant le cumul de
qualification sont relatifs à l’élément matériel, à l’élément moral et à la valeur protégée par le texte (v. C. Ambroise-
Castérot, « L’objet de la qualification » in La qualification dans le procès pénal, actes du colloque organisé par
l’École nationale de la magistrature et l’Institut de sciences criminelles et de la justice de Bordeaux, op. cit.). La
solution, admise par la Cour de cassation à l’occasion de l’arrêt Ben Haddadi du 3 mars 1960, est celle du cumul en
cas d’unité de fait. Initialement, il était proposé que la solution d’un tel conflit soit trouvée dans l’appréciation de
l’élément moral. C’est d’ailleurs ce que suggérait la Cour de cassation lorsqu’elle jugeait dans l’arrêt Ben Haddadi
que pouvaient être caractérisés « deux crimes simultanés commis par le même moyen, mais caractérisés par des
intentions coupables essentiellement différentes » (Cass. crim., 3 mars 1960, Bull. crim., no 138 ; RSC 1961, p. 105,
obs. A. Légal). Par la suite, c’est aussi au regard des valeurs protégées qu’a pu être justifié le cumul. La solution
apparaît dans l’arrêt en date du 5 mai 1966 rendu par la Cour de cassation. La justification du cumul était alors
relative au fait que le comportement pouvait être réprimé par deux dispositions dont l’objet est différent. Cass.
crim., 5 mai 1966, Bull. crim., no 139 ; RSC 1967, p. 176, obs. A. Légal. Selon Monsieur Dekeuwer, la valeur
protégée est alors un critère de renfort. A. Dekeuwer, « La classification des concours de qualification », RSC
1974, p. 511. Or, si les valeurs atteintes peuvent guider le choix de qualification, elles ne devraient pas permettre le
contournement de la règle non bis in idem dans le cas où un seul fait matériel est caractérisé. Pour une admission
récente et critiquable de la possibilité de cumul entre le délit de valeurs protégées et de mise en danger, v. Cass. crim.,
16 nov. 2016, à paraître ; D. actualité 2016, obs. C. Fonteix ; AJ pén. 2017, p. 83, obs. J.-P. Céré : « d’une part, le
délit et les contraventions considérées diffèrent dans leurs éléments constitutifs, le premier n’étant pas caractérisé
par la seule inobservation des prescriptions réglementaires, d’autre part, le délit de mise en danger d’autrui et les
contraventions au code de la route protègent des intérêts distincts, le premier visant à préserver les personnes d’une
exposition directe à un risque immédiat de mort ou de blessures particulièrement graves, les secondes s’inscrivant
dans un ensemble de dispositions réglementaires ayant pour objet la police de la circulation routière ». L’on voit bien
ici la perversion du détournement de la valeur protégée, où l’identité d’éléments constitutifs est indifférente (car
finalement, si les éléments de la contravention sont différents de ceux du délit, ce n’est que parce qu’ils sont inclus
dedans). La solution est justifiée par l’identification de deux intérêts différents, ce qui pourra malheureusement être
fréquemment le cas tant que le législateur n’aura pas eu l’occasion de déterminer avec précision l’intérêt protégé... Il
restera sujet aux aléas des interprétations. D’ailleurs, la Cour de cassation se garde bien de préciser l’intérêt protégé
par l’incrimination du comportement contraventionnel (la police de la circulation routière n’est de toute évidence
pas en elle-même une valeur) ! Ici, une utilisation à bon escient de la valeur protégée aurait dû conduire à un refus
de cumul : la même faute ne peut être sanctionnée qu’une seule fois, au titre de la qualification spéciale et adaptée,
ici le délit de mise en danger dès lors que les juges parvenaient effectivement à identifier un risque.
426. Certains auteurs parlent à ce titre de contenu normatif implicite. V. J. Walther, L’antijuridicité en droit
pénal comparé franco-allemand, th. préc., not. p. 128, citant, J.-F. Seuvic, L’incrimination de l’escroquerie : étude
législative et jurisprudentielle, thèse Nancy, 1984, p. 122, et p. 176 et s. .
427. V. toutefois ibid., p. 75. Selon Monsieur Walther, le droit pénal est certes sanctionnateur, mais cela en peut
être ni sa seule caractéristique, ni sa seule fonction. S’il est certain que la fonction du droit pénal et de la pénalité ne
se limite pas à la seule sanction, cela ne signifie toutefois pas qu’il doive être appréhendé comme un droit normatif.

199
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

limiter à un rappel de l’importance que le législateur accorde à certaines valeurs, sans aller
jusqu’à signifier que l’incrimination dicte la règle de conduite.
Enfin, les conséquences du comportement sont un indice, ce qui signifie que l’atteinte n’est
pas à elle seule de nature à justifier la répression. La gravité du comportement est plus large
et s’apprécie aussi au regard des autres éléments. En outre, l’absence de caractère attentatoire
doit de la même manière être regardée comme un indice de l’absence de la nécessité du recours
au droit pénal. Mais là encore, une gravité objective du comportement pourrait être de nature à
justifier la répression 428 . Il ne s’agit pas de faire de l’élément antijuridique la mesure du droit
pénal et sa légitimité, mais d’en faire un outil au service de l’encadrement de la répression, qui
se prolongera au reste dans l’exercice de qualification judiciaire.
De ce point de vue, l’identification d’un élément antijuridique n’est pas de nature à
bouleverser totalement l’analyse, ne serait-ce que parce que la valeur protégée est déjà utilisée
en matière de qualification. Cette utilisation conforte l’idée selon laquelle l’antijuridicité peut
être une expression concrète de la nécessité, tant parce qu’elle exprime une certaine conception
de l’infraction que parce qu’elle guide déjà partiellement la qualification.

2. L’intervention de la valeur protégée en matière de qualification

202. Annonce – Bien que l’antijuridicité ne soit pas utilisée en France, la valeur protégée
intervient pour sa part d’ores et déjà, aussi bien dans l’exercice de qualification légale (a),
que dans l’exercice de qualification judiciaire (b), ce qui conforte la possibilité et l’intérêt de
l’introduction d’un élément antijuridique.

a. L’intervention de la valeur protégée dans l’exercice de qualification légale

203. Un Code construit autour de valeurs – Le droit pénal actuel se construit au moins
en partie autour de la protection de valeurs essentielles. Le plan du Code pénal, tout d’abord,
en atteste. L’une des fonctions de la loi pénale tient à sa fonction expressive 429 et le législateur,
lorsqu’il incrimine un comportement, exprime l’importance qu’il attache à la valeur à laquelle
ce comportement porte atteinte. C’est ainsi qu’avait été pensé le droit pénal lors de sa réforme 430

428. Il ne s’agit pas ici de proposer le retour à un droit pénal purement objectif et concentré sur le seul dommage
résultant de l’infraction.
429. Monsieur Badinter expliquait à ce propos lors de la présentation du projet de Code pénal que, outre une
fonction répressive, le Code pénal devait remplir une fonction expressive : « Toute société repose sur certaines
valeurs reconnues par la conscience collective. Ces valeurs se traduisent par des interdits. [...] Ainsi la loi pénale
exprime-t-elle par les sanctions qu’elle édicte le système de valeurs d’une société. C’est la fonction expressive de la
loi pénale ». R. Badinter, Projet de nouveau code pénal, 1988, Dalloz, p. 10-11. V. égal. C. Lazerges, « À propos
des fonctions du nouveau code pénal français », art. préc. ; du même auteur, « De la fonction déclarative de le loi
pénale », art. préc.
430. R. Badinter, Projet de nouveau code pénal, op. cit., p. 10-11.

200
Chapitre 2. Le schéma de qualification

et, malgré certaines dérives, c’est ainsi qu’il reste pensé. Le nouveau Code se voulait être
l’expression des valeurs fondamentales de la société 431 et être inspiré des droits de l’homme 432 ,
ce qui en explique le plan. Les infractions y sont classées au regard des valeurs que les
incriminations permettent de protéger.

204. Valeur protégée et opération d’incrimination – Par ailleurs, l’opération d’incrimi-


nation prend en partie compte de la valeur protégée, soit qu’elle motive l’incrimination, soit
qu’elle la justifie. C’est ainsi en partie au regard de la protection de certaines valeurs que de
nouvelles infractions sont parfois créées par le législateur. Un exemple récent en la matière peut
être donné et réside dans la sanction du clientélisme en matière de prostitution. La répression des
clients de prostitués 433 a été légitimé par le législateur au regard de la dignité de la femme. Dans
sa présentation du projet de loi lors de la lecture définitive par l’Assemblée nationale, la Ministre
des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes dénonçait la prostitution comme « une
profonde atteinte à la dignité humaine » et défendait le texte proposé en rappelant le préambule
de la convention de l’ONU selon lequel : « la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir
la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la
valeur de la personne humaine » 434 . La valeur protégée dignité est ici mobilisée au soutien de la
justification de l’incrimination.
En outre, l’opération de qualification peut également avoir pour point de départ la prise en
compte d’une valeur et le souci de protection qui l’accompagne. À ce titre, il est intéressant
de remarquer que les juridictions internationales, et plus précisément la CEDH, imposent aux
législateurs internes de garantir effectivement certaines valeurs, au besoin en ayant recours au
droit pénal. Il s’agit de ce que la doctrine appelle parfois le principe de nécessité positive 435 .
Plus généralement, certains auteurs affirment que l’exercice d’incrimination est sous-tendu
dans son entier par la protection des valeurs 436 . Et il est vrai que la prise en compte des valeurs
dans l’exercice d’incrimination apparaît à plus d’un titre et il est possible de considérer que

431. Ibid.
432. Ibid., p. 31 : « Sur quelles valeurs est fondée aujourd’hui la société française ? Sur quels principes s’accordent
aujourd’hui la quasi-unanimité des Français ? Les droits de l’homme. » Et de poursuivre : « Pour exprimer les
valeurs de notre temps, le nouveau Code pénal doit être un code humaniste, un code inspiré par les droits de
l’homme. »
433. Code pén. art. 611-1.
434. Assemblée nationale, Débats parlementaires, Séance du 6 avr. 2016.
435. Cette obligation peut être vue comme une forme d’ingérence et une atteinte à la subsidiarité du droit pénal.
Elle n’est donc pas toujours accueillie avec bienveillance. V. not. F. Rousseau, « Le principe de nécessité », art. préc.
436. Ainsi, selon Monsieur Mayaud, « la manière dont l’incrimination se forme relève d’une démarche intel-
lectuelle toujours identique à elle-même, procédant d’une opération de pure logique » (Y. Mayaud, Droit pénal
général, op. cit., p. 40, no 32). Il précise par ailleurs qu’ « aucune infraction n’échappe à ce modèle » (ibid., p. 41,
no 33). Sans doute y a-t-il dans cette opinion une part d’excès car le rattachement à une valeur s’opère en pratique
parfois a posteriori, afin de légitimer les incriminations nouvelles. En outre, le développement des infractions
obstacles ne protégeant pas une valeur en particulier contredit cette affirmation. Enfin, le droit pénal semble avoir
pour fonction de n’être que le « gendarme » du droit ; « il ne lui appartient pas de régler ; il lui appartient de

201
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

lorsque le législateur procède à une incrimination, c’est, au moins en partie, en considération de


la nécessité de protéger une valeur conte les atteintes pouvant lui être portées. L’incrimination est
donc essentiellement motivée par un résultat que le comportement est susceptible de produire
et que le législateur redoute 437 . Le mécanisme d’incrimination apparaît théoriquement suivre
un schéma logique 438 : parce qu’il redoute un résultat en particulier, le législateur va prévoir
les différents comportements susceptibles de lui porter atteinte et les ériger en infractions 439 .
L’exercice de qualification légale semble devoir débuter à ce stade, puis se poursuivre avec la
description des différents comportements 440 . Par conséquent, ce serait en premier lieu à raison
de son antijuridicité matérielle que le comportement serait incriminé : parce qu’il engendre une
atteinte injuste à une valeur.

b. L’intervention de la valeur protégée dans l’exercice de qualification judiciaire

205. Différents stades d’intervention – La valeur protégée peut intervenir à l’occasion de


l’interprétation 441 de la loi (α), et conditionne en outre la qualification (β).

α. Un outil d’interprétation

206. Un indice de l’esprit de la loi – Tout comme le bien juridique en droit allemand, la
valeur protégée a un caractère fondamental en matière de qualification judiciaire. Tout d’abord,
elle est d’une certaine utilité dans le cadre de l’interprétation des lois 442 . Il est vrai que le droit

sanctionner ». R. Garraud, Traité théorique et pratique du droit pénal français, 3ème éd., op. cit., p. 203, no 98.
Faisant écho à la doctrine allemande, Garraud considère néanmoins que « le droit pénal est le gendarme utilisé
pour défendre les intérêts juridiques » et que l’infraction « implique donc une agression contre les biens protégés ».
Ibid.
437. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 562, no 726. Dans le même sens, Y. Mayaud, Droit pénal général,
op. cit., p. 41, nos 33 et s.
438. Même s’il ne le suit pas toujours en pratique et s’en éloigne de plus en plus.
439. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 41, nos 33 et s. V. égal. P. Conte et P. Maistre du Chambon,
Droit pénal général, op. cit., p. 173, no 302 et p. 175, no 303, et Y. Mayaud, « Ratio legis et incrimination », art. préc.,
et du même auteur, « La loi pénale, instrument de valorisation sociale » in Livre du bicentenaire du Code pénal et
du Code d’instruction criminelle, op. cit.
440. Si elle n’est pas totalement déterminante dans la détermination de la répression (v. E. Dreyer, Droit pénal
général, op. cit., p. 135, no 163), la valeur protégée peut en outre permettre dans une certaine mesure une gradation
dans l’échelle des peines. Celle-ci ne peut cependant pas être fonction de la seule valeur. Elle dépend aussi
théoriquement nécessairement du degré d’atteinte susceptible de résulter du comportement et de la gravité de ce
dernier. En la matière, le Code pénal traduit dans une certaine mesure une échelle dans la gradation des peines selon
la valeur protégée (les atteintes aux biens sont par exemple essentiellement de nature délictuelle), bien qu’il souffre
en la matière de nombreuses incohérences.
441. L’interprétation peut sembler être une étape distincte de l’opération de qualification stricto sensu. Toutefois,
c’est à l’occasion de la qualification que la question de l’interprétation des textes se pose en vue de leur application.
Sur le caractère indissociable de la qualification et de l’interprétation, v. supra, no 163.
442. S’agissant par ex. de l’influence de la valeur protégée dans l’application de la loi du 4 août 1994 relative à
l’emploi de la langue française, v. J.-P. Delmas Saint-Hilaire, « Il est parfois important pour le juge de dire quel
est « le bien juridique » qu’a voulu protéger le législateur », obs. sur Cass. crim., 14 nov. 2000, RSC 2001, p. 584.
Selon que l’objectif de protection est le consommateur ou selon que l’objectif est culturel (sauvegarde de la langue

202
Chapitre 2. Le schéma de qualification

français est plus hostile à l’interprétation téléologique que le droit allemand. En Allemagne,
c’est au regard du but du législateur – et donc du bien qu’il entend protéger – que les textes
d’incrimination seront interprétés 443 . Comme le relève Madame Lacaze, l’interprétation y est
beaucoup plus souple qu’en France et le bien juridique y occupe « une place prépondérante,
ce concept s’identifiant avec la finalité poursuivie par la loi » 444 . En France, l’importance de
la valeur protégée y est bien moindre. Le principe posé par l’article 111-4 du Code pénal
est celui de l’interprétation stricte 445 . Des auteurs font toutefois remarquer que l’exigence de
cet article ne saurait conduire à une interprétation restrictive qui méconnaîtrait la fonction du
juge et figerait le droit pénal 446 . À l’interprétation littérale, qui a connu ses heures de gloire
à l’époque de la Révolution, est donc préférée en doctrine une interprétation téléologique 447 .
Celle-ci demeure néanmoins beaucoup plus stricte qu’en Allemagne 448 . L’interprétation doit
être déclarative, c’est-à-dire qu’elle doit restituer les termes de la loi et sa raison d’être 449 . La
lettre de la loi reste quant à elle la frontière que l’interprète ne peut franchir sans raison grave 450 .
Cependant, dans le cadre de l’interprétation téléologique des textes, la doctrine admet qu’afin
d’en restituer le sens exact, le juge puisse en utiliser l’esprit. À ce titre, un auteur affirme que
la ratio legis des incriminations se révèle « essentielle pour ce qu’elle permet d’applications
conformes à ce qui a motivé l’intervention du législateur » 451 .
L’esprit des textes peut se déduire de différentes choses. Il peut se déduire des travaux
préparatoires, des débats parlementaires ou encore de la valeur protégée par le texte qui en
exprime sa raison d’être. C’est en principe la protection d’une valeur qui motive l’intervention
du législateur et c’est en ce sens qu’elle peut être utile à son interprétation. La jurisprudence y
a ainsi parfois recours, tout comme aux objectifs de la loi même si elle ne le fait que rarement

française sur le territoire national), le texte pourrait s’appliquer différemment.


443. En ce sens, J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 399. V. égal. du
même auteur, « L’interprétation en droit pénal allemand » in Histoire et méthodes d’interprétation en droit criminel,
sous la dir. de F. Stasiak, Dalloz, 2015, p. 79. Le même principe se retrouve en droit pénal italien : « l’interprète
sera tenu de reconstruire les différents types de crime conformément au « principe de l’atteinte » (« il n’est pas
d’infraction sans atteinte aux biens juridiques ») : ce qui comporte qu’entre plusieurs significations éventuellement
compatibles avec la lettre de la loi, il devra procéder à un choix, en s’appuyant sur le critère du bien juridique et
en considérant comme insignifiants les comportements ne constituant pas une atteinte au bien. ». G. Marinucci et
E. Dolcini, « La Constitution et le droit pénal en Italie », art. préc.
444. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 134, no 230.
445. Code pén. art. 111-4 : « La loi pénale est d’interprétation stricte. »
446. En ce sens, v. not. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 249, no 169.
447. Pour une approche plus réservée, v. cependant E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 457, nos 587 et s.
448. En ce sens, M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc.,
p. 134, no 230.
449. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 134, no 124.
450. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 249, no 170.
451. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 135, no 127. Pour une position plus critique, v. E. Dreyer, Droit
pénal général, op. cit., p. 457, no 587.

203
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

ouvertement 452 . Cette discrétion des tribunaux peut s’expliquer par les écueils auxquels peut
conduire l’utilisation de la valeur protégée dans l’exercice d’interprétation. Des auteurs y sont
d’ailleurs hostiles. La difficulté est qu’ici, le recours à la valeur protégée peut se révéler contraire
au principe de légalité et n’être qu’un prétexte à un contournement de la règle de l’interprétation
stricte 453 . L’utilisation de la valeur protégée en matière d’interprétation des textes devrait au
contraire être mise au service de l’encadrement de leur application et non de leur extension.
Madame Lacaze affirme d’ailleurs à ce titre que dans beaucoup de pays ayant recours à la notion
de bien juridique, l’utilisation qui en faite permet d’encadrer l’application des textes 454 .

207. Valeur protégée et nature du préjudice – Bien qu’elle ne soit pas toujours utilisée
ouvertement par les Tribunaux, l’on trouve trace en doctrine de l’influence de la valeur protégée
par le texte sur son interprétation dans les difficultés que peut poser l’exigence d’un préjudice.
Pour certains auteurs, la nature du préjudice qui doit être vérifié par le juge lors de la qualification
dépend de la valeur protégée par l’incrimination 455 . Ainsi, un simple préjudice moral ne devrait
pas être suffisant en matière d’escroquerie ou d’abus de confiance 456 .
L’infraction d’abus de faiblesse illustre parfaitement le propos. Cette infraction était
initialement réprimée en tant qu’infraction voisine de l’escroquerie. Elle figurait donc parmi
les infractions contre les biens à l’article 313-4 avant d’être déplacée à l’occasion d’une loi
du 12 juin 2001, pour intégrer les infractions contre les personnes. Si des modifications ont
été apportées quant aux personnes pouvant faire l’objet de l’abus de faiblesse 457 , l’infraction est
restée identique dans sa matérialité. Est incriminé « l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de
la situation de faiblesse [d’un mineur ou d’une personne vulnérable] pour conduire ce mineur ou
cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables » 458 . Est donc
exigé un préjudice dans la constitution de l’infraction. Or, si la Cour de cassation avait admis

452. Monsieur Di Marino relève à ce sujet que les décisions faisant référence aux objectifs de la loi sont rares,
mais que « l’impact du recours aux objectifs est, malgré des apparences trompeuses, important au niveau de
l’interprétation de la loi pénale ». G. Di Marino, « Le recours aux objectifs de la loi pénale dans son application »,
RSC 1991, p. 505. Monsieur Walther évoque quant à lui une « discrétion troublante » de la jurisprudence
lorsqu’elle utilise la valeur protégée ou les objectifs des lois dans ses interprétations. J. Walther, L’antijuridicité
en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 399.
453. Critiquant cette utilisation, E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 139, no 165, citant l’affaire dans
laquelle un automobiliste avait été condamné pour des violences volontaires à l’encontre de la conductrice d’une
autre voiture, pour avoir frapper sur sa carrosserie. Cass. crim., 18 mars 2008, Bull crim., no 65, Dr. pén., 2008,
comm. 84, obs. Véron.
454. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 215, no 348.
455. C. Mascala obs. sur Cons. const., 18 mars 2015, D. 2015, p. 1506.
456. Nous verrons toutefois que rien ne s’oppose à cette solution. V. infra, no 357.
457. Est désormais visée la « personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de
pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement ». Code pén., art. 223-15-2.
458. Ibid.

204
Chapitre 2. Le schéma de qualification

de manière contestable 459 que le préjudice puisse être seulement potentiel 460 , il était possible
de considérer au regard de la valeur protégée que sa nature devait être patrimoniale. Néanmoins,
dès lors que l’infraction n’a plus vocation à protéger les biens des personnes, mais les personnes
elles-mêmes, le préjudice ne peut plus s’entendre de nature strictement patrimoniale 461 . Un
arrêt relativement récent va d’ailleurs dans ce sens, dans lequel la Cour de cassation a admis
la caractérisation d’un abus de faiblesse dans une espèce où un médecin-psychiatre avait obtenu
des faveurs d’ordre sexuel d’une de ses patientes 462 . Cet arrêt est intéressant à deux titres. Tout
d’abord, en l’espèce, aucun préjudice d’ordre patrimonial n’existait, sans pour autant que le
caractère préjudiciable ne soit discuté dans l’arrêt. Il s’ensuit que le préjudice retenu au titre
de l’abus de faiblesse peut ne pas être d’ordre patrimonial 463 . En outre, la Cour de cassation
a dû dans cet arrêt se prononcer sur l’interprétation à retenir du terme « acte » visé par le
code. Le demandeur faisait valoir le fait que les faveurs obtenues étant d’ordre sexuel, il ne
pouvait s’agir d’un acte au sens juridique du terme, seul visé par le texte. Dans le cadre d’une
infraction contre les biens, l’argument aurait pu perdurer. Cependant, dès lors que l’abus de
faiblesse est une infraction contre les personnes, il serait incohérent de limiter ainsi le champ
d’application du texte 464 . Au regard de la valeur protégée, l’acte visé peut donc « être tant
matériel que juridique » 465 et consister en des actes sexuels obtenus en abusant de la faiblesse
d’une personne 466 . L’on voit alors l’influence que peut avoir la valeur protégée sur l’application

459. Pour une critique en la matière, v. not. E. Dreyer, Droit pénal spécial, op. cit., p. 471, no 989, et M.-L.
Lanthiez, « Du préjudice dans quelques infractions contre les biens », art. préc.
460. Cass. crim., 12 janv. 2000, Bull. crim., no 15 ; D. 2001, p. 813, note J.-Y. Maréchal ; Dr. pén. 2000, no 69,
obs. M. Véron ; RSC 2000, p. 614, obs. R. Ottenhof.
461. En ce sens, E. Dreyer, Droit pénal spécial, op. cit., p. 471, no 989.
462. Cass. crim., 19 fév. 2014, no 12-87.558 ; Dr. pén. 2014, no 30, obs. M. Véron ; Gaz. Pal. 2014, 1, p. 1698,
note S. Detraz ; Dr. pén. 2015, chron. p. 3, obs. V. Peltier.
463. La Cour de cassation semble du reste admettre que le préjudice puisse être purement moral. Elle considère
en effet que le fait de pousser une personne à faire un testament est un acte préjudiciable, même lorsque le testament
n’est pas mis en œuvre. Le préjudice matériel n’est alors que purement hypothétique. Par conséquent, lorsque la
Cour approuve les juges du fond d’avoir admis que la personne « se soit trouvée conduite à un acte qui lui ait
été gravement préjudiciable » (Cass. crim., 21 oct. 2008, no 08-81.126 ), c’est, semble-t-il, qu’elle admet que ce
préjudice puisse être simplement moral. En ce sens, M. Véron obs. sur Cass. crim., 19 fév. 2014, Dr. pén. 2014,
no 30.
464. Madame Ambroise-Castérot explique que sous l’empire de l’ancien article, « le champ d’application de
l’abus de faiblesse était encore trop limité et le législateur souhaita l’étendre afin de lutter contre les mouvements
sectaires (les parlementaires avaient écarté l’option qui consistait à créer un délit de « manipulation mentale »). Il
ne s’agissait plus de réprimer des infractions contre les biens (ce que sont l’abus de confiance, l’escroquerie et les
infractions assimilées), mais des infractions contre les personnes, des infractions de mise en danger. ». C. Ambroise-
Castérot, Rép. dr. pén., Consommation, 2016.
465. Cass. crim., 19 fév. 2014, no 12-87.558 ; Dr. pén. 2014, no 30, obs. M. Véron ; Gaz. Pal. 2014, 1, p. 1698,
note S. Detraz ; Dr. pén. 2015, chron. p. 3, obs. V. Peltier.
466. La solution a ainsi pu être approuvée en raison de « l’absence de précision dans le texte » et dès lors « que
le délit est rangé parmi les infractions contre les personnes et non plus parmi celles contre les biens ». G. Roujou
de Boubée, « Chronique de jurisprudence », D. 2014, p. 2423. Dans le même sens, mais ayant une position plus
nuancée en raison des difficultés relatives à la détermination du préjudice dans de telles hypothèses, v. S. Detraz,
note sous Cass. crim., 19 fév. 2014, préc.

205
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

des textes et être, à ce titre utile à la qualification. Cette idée est renforcée par les autres
manifestations de l’importance de la valeur protégée en la matière.

β. Une condition de la qualification

208. Un guide dans le choix de la qualification applicable – Lorsque l’on s’intéresse


à la qualification judiciaire, l’on remarque qu’elle s’opère pour beaucoup à partir de la valeur
atteinte par le comportement ou mise en danger par lui. Le résultat du comportement, ses
conséquences tangibles, sont souvent les premières perceptibles et, par suite, le premier indice
permettant d’orienter la qualification pénale des faits. Envisagée du point de vue de la valeur
transgressée ou atteinte par l’infraction, elle intègre véritablement le processus de qualification
judiciaire. Comme le relève Madame Gallardo-Gonggryp, dès lors que la valeur protégée
est une composante de l’incrimination (elle en est sa raison d’être), elle ne peut que se retrouver
dans la qualification des faits. Ainsi est-il possible d’affirmer qu’une « qualification conforme au
principe de légalité représentera nécessairement la valeur sociale transgressée dans les faits » 467 ,
ne serait-ce que par le biais du résultat. Cette règle est imposée par le principe de légalité 468 :
si l’incrimination est dirigée vers une valeur en particulier, l’infraction l’est nécessairement
elle aussi. Cette valeur se matérialisera éventuellement dans la condition préalable exigée par
l’incrimination 469 , tandis que l’atteinte à la valeur prendra corps à travers le résultat visé dans le
texte. Surtout, lorsqu’il y a lésion, c’est la valeur atteinte qui va guider le choix de qualification.
Il ne s’agit certes pas là de la valeur au sens abstrait du terme. C’est à partir de ce que von
Liszt désignait comme l’objet de l’action – c’est-à-dire le bien juridique concrétisé 470 – que
s’oriente la qualification. Il n’en demeure pas moins que la valeur protégée se révèle être un
outil aidant au choix de la prémisse dans le syllogisme 471 . Elle permet de dégager différents
textes, potentiellement applicables aux faits et dont il faudra par la suite vérifier la parfaite
adéquation avec le comportement appréhendé dans sa globalité. En d’autres termes, la valeur
transgressée ou atteinte permet d’opérer un premier tri dans la masse des qualifications légales. Il
ne s’agit là cependant que d’un guide, d’un indice des qualifications éventuellement applicables.
Ce n’est que par la suite que la valeur protégée devient une étape déterminante de la qualification
judiciaire par le choix définitif qu’elle permet d’opérer. Ainsi, un même fait peut conduire à des
qualifications différentes. Des coups portés à autrui peuvent être qualifiés de différentes manières
selon la valeur visée et éventuellement atteinte. Ils peuvent être constitutifs de violences, de

467. E. Gallardo-Gonggryp, La qualification pénale des faits, th. préc., p. 364, no 534.
468. Ibid.
469. V. infra, nos 285 et s.
470. Sur cette distinction, v. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal,
th. préc., p. 60, no 74, et J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 385.
471. En ce sens, J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 401.

206
Chapitre 2. Le schéma de qualification

coups mortels (dans ces deux cas, la valeur visée est l’intégrité physique, mais dans le deuxième,
la valeur atteinte est la vie), ou encore de meurtre (dans ce dernier cas, la valeur visée est la
vie). L’appréciation est ici intimement liée à la consistance de l’élément moral, mais celui-ci
s’apprécie au regard des valeurs protégées par les textes et au regard de la valeur atteinte dans
les faits.

209. L’importance de la valeur protégée au regard de la fonction expressive de la


qualification – En outre, l’adéquation valeur protégée, valeur transgressée s’impose au regard
de la cohérence du droit pénal, en raison de la fonction expressive de la loi que la qualification
judiciaire doit restituer. C’est en partie à travers la répression des atteintes aux valeurs que leur
protection devient effective 472 . Par conséquent, il est nécessaire, tant au regard du principe de
légalité qu’au regard de l’effectivité de la protection par le droit pénal, que la qualification
judiciaire s’opère à partir de la valeur atteinte par le comportement ou mise en danger. Une
dissociation entre la valeur effectivement atteinte par le comportement et celle protégée par
le texte choisi pour la qualification conduit à limiter la fonction expressive de la qualification
judiciaire 473 . L’on peut citer ici encore le cas de l’affaire du sang contaminé. En cas de
dissociation, la qualification ne restitue plus la protection accordée par la loi et lui fait perdre
de son effectivité. Cette dissociation est alors selon Madame Gallardo-Gonggryp « un signe
révélateur de non-conformité avec le principe de légalité » 474 .
Une qualification ne peut donc en principe pas être retenue si une dissociation s’observe
entre la valeur protégée et la valeur transgressée, parce que la répression n’est alors plus justifiée
par l’atteinte ou la mise en danger de la valeur. La justification de l’incrimination (la marque
de sa nécessité) ne peut que se retrouver dans la répression du comportement. S’il doit être
sanctionné, c’est parce qu’il a engendré une lésion ou une mise en danger de la valeur protégée.
Ce n’est qu’à cette condition que la qualification peut être conforme au principe de légalité, car
ce n’est qu’à cette condition qu’elle retranscrit l’incrimination dans sa complexité. C’est à juste
titre qu’une telle dissociation est critiquée par la doctrine lorsqu’elle s’observe 475 .

472. En ce sens, E. Gallardo-Gonggryp, La qualification pénale des faits, th. préc., p. 362, no 531.
473. Monsieur Delmas-Saint-Hilaire avait contesté les qualifications proposées par le Ministère public dans
l’affaire du sang contaminé en expliquant que « l’ensemble des justiciables [...] trouve dans les qualifications pénales
retenues par les juridictions répressives [...] de précieux indicateurs des valeurs morales et sociales que la justice
[...] veut protéger ». L’une des fonctions de la qualification judiciaire est ainsi selon lui pédagogique. Elle tient à
la réprobation d’un comportement intolérable et à la mise en valeur des valeurs protégées. V. J.-P. Delmas Saint-
Hilaire, « Sang contaminé et qualification pénale ... avariée », art. préc.
474. E. Gallardo-Gonggryp, La qualification pénale des faits, th. préc., p. 366-367, no 537.
475. Le cas de la correctionnalisation est parfois également discuté. V. not. ibid., p. 373, no 547. Cependant,
cette hypothèse n’entraîne pas nécessairement de dissociation au regard de la valeur protégée. Dans les cas de
viol par exemple, la valeur (consentement) demeure la même même en cas de disqualification. C’est la gravité du
comportement qui n’est alors plus en adéquation avec les prévisions légales et qui se trouve sous-valorisée.

207
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

210. Concours de qualifications – Enfin, dès lors que la valeur protégée est un guide en
matière de qualification, l’une des questions qui se pose naturellement est celle de savoir si
la pluralité de valeurs visées ou atteintes doit conduire à un cumul de qualification. En soi, la
pluralité de qualifications est tout à fait concevable. Dès lors que chaque incrimination protège
une valeur en particulier, les fonctions expressive 476 et pédagogique 477 de la qualification
pourraient justifier que soient retenues autant de qualifications que de valeurs atteintes ou
mises en danger. D’ailleurs, la question ne se pose pas vraiment quand les différentes atteintes
seront la résultante de comportements distincts, quand bien même ils entretiendraient une
proximité temporelle. Dans ce cas, il y aura concours réel d’infraction. Chaque acte recevra
une qualification pénale et il y aura autant de déclarations de responsabilité que d’infractions
caractérisées.
L’hypothèse dans laquelle la question se pose de manière bien plus problématique est celle
où la pluralité de valeurs atteintes résulte d’un même comportement. Le principe de l’unité
de qualification impose théoriquement un choix 478 , ce choix pouvant être imposé par le jeu
des aggravations. Plusieurs cas sont envisagés par le législateur qui érige l’une des atteintes en
circonstance aggravante de l’infraction caractérisée par l’autre. La solution est alors imposée
par les textes, sans réellement que les valeurs protégées viennent jouer un rôle déterminant dans
le choix de qualification. La seule difficulté qui peut survenir en la matière est l’hypothèse
du concours idéal dans laquelle la pluralité de valeurs atteintes conduit à une pluralité de
qualifications 479 .

211. Synthèse : un élément concevable – Bien que la doctrine française n’ait pas recours
ni à l’antijuridicité ni à la notion de bien juridique, il est possible d’identifier aujourd’hui une
certaine prise en compte de la valeur protégée. Elle n’est certes pas centrale dans l’opération
de qualification, mais elle peut être amenée à y jouer un rôle, soit qu’elle conditionne celle-ci
à travers l’exigence du résultat ou de la condition préalable, soit qu’elle oriente celle-ci lors de
l’interprétation et l’application des textes. Parce que la valeur protégée prend une importance en
matière de qualification judiciaire et qu’elle constitue un élément fondamental de l’incrimination,
l’admission d’un élément constitutif inspiré de l’élément antijuridique allemand et intégrant
cette valeur se révèle tout à fait concevable. L’appréciation de la contrariété du comportement
avec la valeur protégée par le texte est une étape nécessaire de la qualification. Elle en est
une étape dès lors que pour conclure à l’adéquation entre le comportement et l’incrimination

476. Ibid., p. 362, no 530.


477. J.-P. Delmas Saint-Hilaire, « Sang contaminé et qualification pénale ... avariée », art. préc.
478. Sur les justifications du principe, v. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 516, no 393, et
A. Dekeuwer, « La classification des concours de qualification », art. préc.
479. V. supra, no 201.

208
Chapitre 2. Le schéma de qualification

il faut vérifier à la fois sa contrariété au regard de la valeur protégée et les circonstances qui
entourent l’atteinte. Ce n’est que sous condition de ce double examen que le comportement peut
effectivement être qualifié d’injuste. Autrement dit, ce n’est qu’à l’issue de cet examen que la
vérification de l’adéquation entre le comportement et le texte d’incrimination est parfaite.
Si la doctrine française ne s’est pas attardée sur l’élément injuste, c’est en partie parce
qu’elle ne s’est pas autant attachée à conceptualiser l’infraction. Cependant, et comme le relève
Monsieur Manacorda, par le biais des principes fondamentaux, les doctrines française et
allemande se rejoignent sur de nombreux points 480 . Dès lors que la doctrine française ne s’est pas
attachée à développer une définition conceptuelle de l’infraction, l’un des moyens pour parvenir
à en préciser la structure réside justement dans le recours à ces droits fondamentaux. Ils dictent et
imposent une certaine conception de l’infraction qui ne peut que se prolonger dans sa structure, à
l’image de ce qui a permis l’émergence des éléments matériel et moral. Également l’expression
d’un principe de la matière, ils imposent une caractérisation de l’infraction qui en respecte le
contenu. Ce principe, relatif à la complémentarité du fait et de la volonté s’est d’ailleurs toujours
maintenu, de sorte que la dualité d’éléments qui en est l’expression apparaît incontournable.

§ 2. L’incontournable dualité d’éléments

212. Complémentarité fait-volonté et dualité d’éléments – Bien qu’elle soit parfois


critiquée comme étant dépassée 481 , la dualité d’éléments restitue un principe fondamental de
la matière : celui de la complémentarité entre le fait et la volonté. Il n’a certes pas en France de
fondement formel à valeur constitutionnelle, mais la complémentarité a été reconnue au niveau
international comme un principe général du droit pénal. Cette reconnaissance ne peut qu’asseoir
la légitimité d’un principe devenu incontestable et d’ores et déjà ancré dans la tradition pénale
française. La complémentarité est une règle de fond, fondamentale et affirmée aujourd’hui de
manière générale dans le Code pénal. Indissociable de la notion d’infraction, elle se retrouve
dans sa structure à travers deux éléments. Les éléments traditionnels, qui en sont l’expression,
méritent d’être conservés malgré les critiques dont ils font l’objet. Si ces dernières doivent être
entendues, elles ne sont pas de nature à renverser le principe. La complémentarité entre un

480. S. Manacorda, « Théorie générale de l’infraction, lacunes ou spécificités de la science pénale ? », art. préc.
L’encadrement de la répression par les droits fondamentaux opère dans les deux cas. En France, les droits
fondamentaux sont plutôt le point de départ de l’analyse, en Allemagne, ils opèrent parfois pour limiter et encadrer
les effets des théories développées.
481. V. not. C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 58, nos 56 et s. Selon Monsieur Dana,
le découpage de l’infraction en deux éléments doit pouvoir être dépassé, car il n’est qu’une étape dans l’effort de
synthèse : l’infraction devrait pouvoir être considérée comme une entité indivisible. V. égal. M. Lacaze, Réflexions
sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 276, no 233, pour qui la distinction entre un
élément objectif et un élément subjectif est dépassée.

209
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

élément matériel et un élément moral est la seule structure à même d’exprimer la conception
moderne de l’infraction et de guider efficacement l’exercice de qualification.
Le principe de la complémentarité et ses fondements historiques ont d’ores et déjà été
étudiés 482 . Il ne sera donc question ici que de démontrer que la complémentarité entre le fait
et la volonté demeure un principe de la matière dès lors qu’elle s’analyse aujourd’hui comme un
principe général du droit. En soi, il n’est jamais contesté en doctrine où les critiques porteront
essentiellement sur son manque d’effectivité ou sur le caractère artificiel de la division de
l’infraction en deux éléments. Cette dernière critique renvoie en a deux problématiques. La
première est celle de la scission du comportement en deux données distinctes. La seconde à
une problématique ancienne, celle de savoir si la volonté doit être rattachée à l’infraction ou au
délinquant. Les hésitations sont réelles en la matière et ne peuvent être occultées. Pour autant,
c’est bien au regard de l’infraction que doit s’apprécier la volonté. Cette dernière s’est imposée
comme une notion subjective et ne peut se définir que comme un comportement volontaire, si
bien que principe général du droit (A), la complémentarité entre le fait et la volonté est inhérente
à l’infraction (B).

A. La complémentarité, principe général du droit

213. Fondements – Le principe de la complémentarité du fait et de la volonté trouve


en France un fondement législatif (1). Partagé par de nombreux pays, il est en outre en droit
international un principe général du droit (2).

1. Un fondement législatif en droit interne

214. Un principe fondé sur les articles 8 et 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et
du Citoyen – Bien que la complémentarité fait-volonté ne soit pas expressément affirmée dans
le bloc de constitutionnalité, le Conseil semble en faire un principe à valeur constitutionnelle,
notamment sur le fondement de l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du
Citoyen. La Déclaration ne mentionne pas expressément l’exigence d’une adjonction du fait et
d’une volonté en matière répressive et aucun autre texte ne contient de disposition à ce sujet 483 .
Néanmoins, le Conseil constitutionnel a pu affirmer que « la culpabilité ne saurait résulter de
la seule imputabilité matérielle d’actes pénalement sanctionnés ; qu’en conséquence, et confor-
mément aux dispositions combinées de l’article 9 précité et du principe de légalité des délits

482. V. supra, no 30.


483. Encore que l’article 10 affirme que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu
que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi », ce qui fait obstacle à la répression des délits
de pure opinion.

210
Chapitre 2. Le schéma de qualification

et des peines affirmé par l’article 8 de la même Déclaration, la définition d’une incrimination
[...] doit inclure, outre l’élément matériel de l’infraction, l’élément moral, intentionnel ou non,
de celle-ci » 484 . C’est ainsi de la nécessité des peines et de la présomption d’innocence que le
Conseil déduit la constitution nécessairement duale de l’infraction.
Le fondement retenu peut étonner, car aucun des deux articles ne fait état de l’exigence de
la volonté en matière de responsabilité pénale ou de sa complémentarité avec le fait. Comme
le relève Madame Cappello, rien dans l’article 8 ni dans l’article 9 ne s’oppose expressément
à l’admission d’une responsabilité strictement objective 485 . Peut-être peut-on considérer que la
nécessité des délits et des peines est conditionnée par la répression des seuls comportements
volontaires, mais l’article n’impose pas en lui-même une telle limitation de la responsabilité
pénale. Le même constat peut être fait s’agissant de l’article 9 qui, relatif à la présomption
d’innocence, exige simplement que la preuve de la culpabilité soit démontrée, non que cette
culpabilité soit appréciée subjectivement. L’on sait toutefois l’interprétation subjective de ce
terme qui prévaut depuis longtemps dans la jurisprudence judiciaire 486 .

215. Un fondement législatif – C’est en réalité vers la loi qu’il faut se tourner pour
trouver un fondement exprès à la complémentarité. Absent de l’ancien Code pénal, il résulte
désormais de la combinaison des articles 121-3 et 121-5 qui, ensemble, fixent les limites de
la répression. Construit autour de l’affirmation de principes et de valeurs, le Code de 1994 est
profondément humaniste dans sa présentation générale. Il consacre notamment par principe le
caractère intentionnel des crimes et délits dans son article 121-3. Cet article énonce ainsi qu’il
« n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre » 487 . Par sa généralité, cet
article emportait entre autres la suppression des infractions matérielles en s’opposant à ce qu’une
infraction puisse n’être constituée que par le fait 488 . L’affirmation ne vaut toutefois que pour les
crimes et délits, non pour les contraventions qui demeuraient, dans l’esprit du législateur des
infractions purement matérielles. Il reste que l’article 121-3 consacre bien l’exigence générale

484. Cons. const., 16 juin 1999, no 99-411 DC ; D. 1999, p. 589, obs. Y. Mayaud ; D. 2000, p. 197, obs. S.
Sciortino-Bayart ; AJDA 1999, p. 694, obs. J.-E. Schoettl ; D. 2000, p. 113, obs. G. Roujou de Boubée, cons.
16. Dans les mêmes termes, Cons. const., 25 fév. 2010, no 2010-604 DC, cons. 11. Cette décision est certes ambiguë
parce qu’elle semble n’exiger, au titre de l’élément moral, qu’une simple imputabilité morale, ce à quoi l’élément
moral ne devrait pas être réduit. Néanmoins, elle reprend l’exigence générale d’un élément moral et en conséquence
réaffirme le principe d’une dualité d’éléments sur le fondement est la DDHC. En l’absence de précision dans les
textes, le Conseil s’en remet au demeurant à l’exigence formulée à l’article 121-3, de sorte qu’il s’agit bien de
l’exigence d’une intention et non d’une simple imputabilité.
485. A. Cappello, La constitutionnalisation du droit pénal, th. préc., p. 45, no 50.
486. V. supra, no 45.
487. L’intention étant un degré supérieur à la volonté et ne concernant que certaines infractions, il y a dans la
rédaction de l’article 121-3 une maladresse relative à l’emploi du terme intention là où celui de volonté aurait été
préférable.
488. À l’exception des contraventions qui demeurent les seules infractions matérielles subsistant en droit pénal
dans le nouveau Code. V. Circulaire générale présentant les dispositions du nouveau code pénal, op. cit., p. 29.

211
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

d’un élément moral dans la constitution de l’infraction 489 . Sauf précision particulière relative à
l’exigence d’un mobile particulier, cet élément moral consistera dans le caractère intentionnel du
crime ou du délit. Il ne se réduira à la faute qu’en certaines hypothèses mentionnées aux alinéas
2 et 3, c’est-à-dire dans le cas des infractions de mise en danger et d’imprudence. En l’absence
de précision dans les textes, c’est donc le principe de l’intention qui devrait l’emporter 490 .
Certes, la dualité de l’infraction n’est pas expressément formulée par cet article, non plus que
la complémentarité du fait et de la volonté. Mais, combiné avec l’article 121-5, ces articles posent
ensemble le principe 491 . Bien qu’il n’existe pas de texte qui soit le parallèle parfait de l’article
121-3, le Code pénal contient une affirmation du caractère indispensable du fait en son article
121-5 dans l’exigence d’un commencement d’exécution en matière de tentative. aux termes de
cet article, la tentative ne sera constituée que si elle est « manifestée par un commencement
d’exécution » 492 . Cette rédaction rappelle immanquablement le principe selon lequel la pensée
seule échappe au droit pénal. L’exigence d’un commencement d’exécution révélant la tentative
interdit de remonter en amont sur l’iter criminis en matière répressive. L’on exige que la pensée se
soit matérialisée et révèle de manière certaine la volonté de son auteur de commettre l’infraction
projetée. Dans le droit pénal moderne, aucune infraction constituée du seul élément moral
n’existe donc. Messieurs Conte et Maistre du Chambon expliquent à ce propos que l’élément
matériel a une double origine. Non seulement, dans un régime libéral, la seule pensée est
insuffisante, car le principe inverse conduirait à supprimer les libertés individuelles. Mais encore
cet élément permet-il de donner à l’incrimination son identité juridique. Il est le « révélateur
d’une attitude psychologique » 493 .
Bien que le législateur tende à développer une répression anticipée dans le cadre du
développement d’un droit pénal préventif, les actes préparatoires semblent être le seuil minimal
ne pouvant être dépassé. Le principe n’est pas formellement énoncé, mais il est une constante
en matière de droit pénal. L’article 121-5, en ce qu’il encadre les limites de la caractérisation de
la tentative, contient donc en substance le second aspect de la dualité d’éléments. Combinés,
les articles 121-3 et 121-5 restituent l’essence de l’infraction telle que nous la concevons

489. Le Conseil constitutionnel qualifie d’ailleurs l’exigence de l’article 121-3 du Code pénal de principe général
du droit pénal. Cons. const., 13 mars 2003, préc., cons. 73.
490. Pour une application de cette règle par le Conseil constitutionnel, celui-ci ayant recours à une réserve
d’interprétation, v. Cons. const., 16 juin 1999, no 99-411 DC ; D. 1999, p. 589, obs. Y. Mayaud ; D. 2000, p. 197,
obs. S. Sciortino-Bayart ; AJDA 1999, p. 694, obs. J.-E. Schoettl ; D. 2000, p. 113, obs. G. Roujou de Boubée,
considérant 16.
491. Ainsi est-il possible de considérer, non pas que l’article 121-3 « contient toute la substance de l’infraction
pénale, et [...] en révèle ainsi les éléments dits constitutifs ». (en ce sens, L. Saenko, Le temps en droit pénal des
affaires, th. préc., p. 129, no 183), mais que cette substance est révélée par la combinaison de cet article avec l’article
121-5.
492. Code pén. art. 121-5.
493. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 173, no 302.

212
Chapitre 2. Le schéma de qualification

aujourd’hui. Quel que soit son degré de matérialité ou son degré de volonté, elle est, par un
principe qui ne saurait connaître d’exception, une action volontaire de l’homme. L’absence
de reconnaissance expresse à la complémentarité n’en altère ni la vigueur ni le caractère
incontournable. Elle est principe du droit pénal, tant du point de vue de notre droit interne que
du point de vue du droit international.

2. Un principe général du droit en droit international

216. Un principe mitigé en droit européen – Tout d’abord, il faut préciser qu’en droit
international comme en droit français, la dualité d’éléments n’est pas expressément consacrée.
Au niveau européen tout d’abord, aucun texte normatif n’en fait état ni n’exige par principe
la vérification d’un élément moral dans la caractérisation de l’infraction. Seule la présomption
d’innocence, affirmée par les articles 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme
et 48 de la Charte des droits fondamentaux pourrait ici faire naître une obligation en ce sens, à
l’image de ce que décide le Conseil constitutionnel en droit interne. Ces deux articles proclament
la présomption d’innocence jusqu’à ce que la culpabilité de la personne ait été légalement
établie 494 . Aucun des textes ne précise ce qu’il faut entendre par « culpabilité », mais ce
terme se conçoit mal de façon strictement objective. C’est au demeurant ce que suggèrent les
jurisprudences de la Cour européenne des Droits de l’Homme et de la Cour de justice de l’Union
européenne dès lors qu’aucune des deux n’admet en principe que la volonté puisse être présumée
de manière irréfragable.
À titre d’exemple, à l’occasion d’une question préjudicielle posée par la Belgique, la Cour
de justice des Communautés européennes, devenue Cour de justice de l’Union européenne, s’est
prononcée sur une directive concernant les opérations d’initiés et les manipulations de marché.
Cette directive impose aux États membres de prendre des sanctions administratives pour ces
opérations. Or, elle ne prévoit ces opérations que de manière objective, sans référence à un
éventuel élément moral. Dans ce contexte, la Cour a décidé qu’il n’y avait pas contradiction avec
la Convention européenne des Droits de l’Homme, l’intention se présumant de la matérialité des
faits. Cette présomption a été jugée conforme à la Convention, et notamment à la présomption
d’innocence dès lors qu’elle n’est pas irréfragable 495 . De cette décision, et d’autres rendues
dans des contextes similaires 496 , il serait possible de déduire que la Cour de justice intègre par
principe l’idée d’une dualité d’éléments dans la caractérisation de l’infraction, le fait seul étant

494. CESDH, art. 6 et Charte des droits fondamentaux, art. 48.


495. CJCE, 3ème ch., 23 déc. 2009, no C-45/08. Il convient de préciser que s’il s’agit en principe d’une sanction
administrative, la Cour admet que celle-ci puisse s’analyser en sanction pénale : « eu égard à la nature des infractions
en cause ainsi qu’au degré de sévérité des sanctions qu’elles sont susceptibles d’entraîner, de telles sanctions peuvent
être, aux fins de l’application de la CEDH, qualifiées de sanction pénales ».
496. Comp. CJCE, 6ème ch., 1er fév. 2001, no C-66/99 et CJCE, 5ème ch., 11 juill. 2002, no C-371/99.

213
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

insuffisant.
Une telle affirmation est pourtant à nuancer, car si la Cour refuse la possibilité de pré-
somptions irréfragables, elle a admis la possibilité d’une responsabilité strictement matérielle en
matière d’infractions administratives 497 . Dans un arrêt en date du 10 juillet 1990, notamment 498 ,
elle a ainsi admis la responsabilité d’un employeur pour l’infraction commise par l’un de ses
employés. Or, dans cette hypothèse, aucune faute personnelle de l’employeur n’avait à être prise
en compte : l’employeur ne pouvait absolument pas échapper à la sanction pénale prévue. Cette
responsabilité, qualifiée de « stricte » 499 dépasse l’hypothèse de l’infraction « matérielle ». Pour
cette catégorie d’infraction, en effet, même si aucun élément moral au sens propre n’est exigé,
l’auteur pourra se dégager de sa responsabilité en prouvant l’existence d’une force majeure, ou
plus largement d’une cause de non-imputabilité 500 . En cas de responsabilité stricte, à l’inverse,
même l’existence de la force majeure ne fera pas obstacle à la culpabilité de son auteur, raison
pour laquelle cette jurisprudence 501 apparaît en contradiction totale avec les principes généraux
du droit pénal 502 . Certains principes fondamentaux sont partagés par tous les pays de l’Union
européenne et celui du principe de l’élément moral en matière pénale en fait partie 503 . Elle va
en outre à l’encontre de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme qui
refuse elle une responsabilité pénale excluant totalement la possibilité de rapporter la preuve de
l’absence de toute faute personnelle 504 .

217. Une dualité de principe pour les TPI – Si aucun texte normatif ne fait état de
l’exigence d’une dimension subjective à la responsabilité pénale et si la jurisprudence de la Cour
de justice de l’Union européenne est ambiguë en la matière, la solution est beaucoup plus nette
en droit international. Là encore, aucun texte ne se prononce formellement sur ce point, mais les
Tribunaux pénaux internationaux ad hoc ont en plusieurs occasions fait état de l’élément moral

497. S. Manacorda, « Le droit pénal européen et l’Union européenne », D. 2000, p. 95.


498. CJCE, 10 juil. 1990, Hansen, C-326/88.
499. J. Pradel, G. Cortens et G. Vermeulen, Droit pénal européen, 3ème éd., Dalloz, 2009, p. 689, no 639.
500. Ibid. C’est notamment le cas en droit français en matière contraventionnelle.
501. La solution a été réitérée à différentes reprises : CJCE, 2 oct. 1991, C-7/90 VandeVenne ; CJCE, 7 févr 1997,
C-177/95, Ebony Maritime et Loten Navigation et CJCE, 11 juil. 2002, C-210/00, Käserai Champignon Hofmeister
c/ Hauptzollant Hamburg-Jonas. Dans ce dernier arrêt néanmoins, il faut remarquer que la Cour ne reconnaît pas le
caractère pénal de la sanction administrative encourue par le demandeur (§43). Elle admet donc la possibilité d’une
responsabilité stricte, mais cette responsabilité n’est pas, pour la Cour, de nature pénale. La Cour déduit alors du
caractère non pénal « que le principe « Nulla poena sine culpa » n’est pas applicable à cette sanction » (§44).
502. Elle est ainsi non seulement contraire à la présomption d’innocence, mais aussi au principe Nulla poena
sine culpa. En ce sens, J. Pradel, G. Cortens et G. Vermeulen, Droit pénal européen, op. cit., p. 689, no 639.
V. également S. Manacorda, « Le droit pénal européen et l’Union européenne », art. préc., qui voit dans de telles
dérogations à l’imputation des infractions « un éloignement important des postulats classiques de la responsabilité
pénale ».
503. En ce sens, J. Pradel, G. Cortens et G. Vermeulen, Droit pénal européen, op. cit., p. 464, no 454. (V.
infra, no 219).
504. Ibid., p. 689, no 639.

214
Chapitre 2. Le schéma de qualification

des infractions. Tout d’abord, et malgré l’absence de disposition générale 505 , les définitions des
infractions contenues dans les statuts des Tribunaux et explicitées dans les arrêts contiennent
le plus souvent une dimension morale. C’est ainsi le cas pour le génocide 506 , la torture 507 , le
viol 508 , et plus largement pour les crimes contre l’Humanité 509 . En outre, dans les décisions, les
infractions sont souvent envisagées en deux temps, l’actus reus – correspondant schématique-
ment à notre élément matériel – étant distingué du mens rea 510 – correspondant schématiquement
à notre élément moral. L’exigence générale de l’élément moral est appréhendée soit comme une
règle coutumière, soit comme un principe général du droit 511 .
Au-delà de la seule exigence d’une culpabilité subjective, c’est au reste la dualité d’éléments
elle-même qui a pu être analysée en principe général du droit. Le Tribunal pénal international
pour l’Ex-Yougoslavie a affirmé que : « C’est un principe général du droit que l’établissement
de la culpabilité pénale passe par l’analyse de deux éléments. Le premier des deux peut être
qualifié d’élément matériel ou actus reus : c’est l’acte physique nécessaire à l’infraction. Dans
tout homicide, l’élément matériel est clairement constitué par la mort de la victime [...] l’autre
élément constitutif de tout homicide est l’élément moral ou mens rea. » 512
L’infraction internationale est par conséquent très souvent envisagée par la doctrine à travers
une dualité d’éléments 513 , celle-ci comprenant systématiquement un élément subjectif 514 . Selon

505. En ce sens, P. Pourzand, « Nature de l’élément moral et stratégie judiciaire de la Cour pénale internatio-
nale », RSC 2014, p. 1.
506. V. les statuts des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda.
507. La solution est aujourd’hui consacrée dans la Convention des Nations Unies contre la torture de 1984 : la
torture consiste en tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales sont provoquées
intentionnellement à une personne, notamment afin d’obtenir d’elle des renseignements ou aveux.
508. V. not. la décision du TPIY, Ch. II 10 déc. 1998, Furundzija, not. §162 (s’agissant de la torture) et §185
(s’agissant du viol).
509. Les crimes contre l’Humanité énumérés notamment dans les statuts du Tribunal de Nuremberg contiennent
en effet une dimension morale dès lors que les « raisons » pour lesquelles les infractions ont été commises doivent
être politiques, raciales ou religieuses. Il s’agit là d’une prise en compte des mobiles, dépassant donc la volonté au
sens propre.
510. V. not. TPIY, Ch. II 10 déc. 1998, Furundzija, préc. Sur cette tendance, v. O. de Frouville, Droit pénal
international, Source, incriminations, responsabilité, Pedonne, 2012, p. 73, et E. David, Élément de droit pénal
international et européen, Bruxelles, 2009, p. 642, no 12.2.16.
511. Sur cette tendance, v. P. Pourzand, « Nature de l’élément moral et stratégie judiciaire de la Cour pénale
internationale », art. préc. En droit interne, le Conseil constitutionnel qualifie également l’exigence de la volonté
contenue à l’article 121-3 du Code pénal de principe général : Cons. const. 13 mars 2003, no 2003-467 DC, cons.
73.
512. TPIY, 16 nov. 1998, n° IT-96-21-T, Delalic, Mucic, Delic, Landzo, § 424 et 425.
513. V. not. S. Glaser, L’infraction internationale, ses éléments constitutifs, et ses aspects juridiques, LGDJ,
1957, p. 10. L’auteur ajoute à ces éléments les éléments légal, injuste et pénal. Son approche est très inspirée
de la conception allemande, puisque la dimension subjective est partagée entre l’acte (élément matériel), qui est
nécessairement volontaire, et l’élément moral relatif à la faute (p. 10 et 11). La tendance se trouve égal. dans les
manuels plus récents : E. David, Élément de droit pénal international et européen, op. cit., p. 641, no 12.2.14, et
O. de Frouville, Droit pénal international, op. cit., p. 73, et D. Rebut, Droit pénal international, 2ème éd., Dalloz,
2014, not. p. 592, no 1011.
514. S. Glaser, L’infraction internationale, op. cit., p. 113. Est ainsi toujours exigé un dol qui peut être soit direct,
soit indéterminé : du même auteur, « L’élément moral de l’infraction internationale », RGDIP 1955, no 4.

215
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

Monsieur Glaser, la responsabilité pénale ne peut désormais qu’être subjective et l’élément


décisif en matière de répression pénale n’est plus le fait matériel ni ses résultats, mais la part
morale que l’auteur a pris à son acte 515 .

218. La consécration du principe général dans les statuts de CPI – Par ailleurs, le
principe de l’élément moral a été expressément reconnu dans le Statut de Rome de la Cour pénale
internationale. L’article 30 du statut prévoit que « sauf disposition contraire, nul n’est pénalement
responsable et ne peut être puni à raison d’un crime relevant de la compétence de la Cour que
si l’élément matériel du crime est commis avec intention et connaissance », cet article prenant
pour titre la dénomination d’« élément psychologique » 516 . Bien qu’il réserve la possibilité d’une
disposition contraire, il conduit bien à exiger par principe un élément moral. En outre, cet article
ne se contente pas de mentionner l’exigence de cet élément. La complémentarité fait-volonté est
expressément mentionnée dès lors que l’article 30 dispose que « l’élément matériel » doit avoir
été commis avec intention 517 . Surtout, l’exigence d’une volonté accompagnant le fait apparaît
dans le Statut en tant que principe général du droit. L’article 30 relatif à l’élément psychologique
figure en effet dans un chapitre relatif aux principes généraux du droit pénal 518 et est ainsi
prévu au côté de grands principes, telle l’exigence d’un texte de loi 519 ou la non-rétroactivité du
statut 520 .

219. Un principe commun aux ordres juridiques internes – Analyser la dualité d’élé-
ments en tant que principe général du droit apparaît au demeurant tout à fait justifié, celle-ci
étant admise dans beaucoup de pays. Selon les cas, son affirmation doctrinale se prolonge dans
une reconnaissance jurisprudentielle 521 , ou fera explicitement l’objet d’une consécration légale.

515. Selon l’auteur, cette évolution marque le progrès du droit pénal « mais aussi sa dignité ». S. Glaser,
L’infraction internationale, op. cit., p. 111.
516. Pour une analyse de cet article et de ses incohérences rédactionnelles, v. P. Pourzand, « Nature de l’élément
moral et stratégie judiciaire de la Cour pénale internationale », art. préc. L’auteur souligne ainsi notamment
l’étrangeté de l’adjonction de l’intention puis de la connaissance.
517. Statut de Rome, art. 30. L’élément matériel peut également être identifié à l’article 25 qui prévoit la
responsabilité individuelle de celui qui « commet » le crime, « l’ordonne », ou apporte son concours à sa commission
(Statut de Rome, art. 25). Il est donc bien exigé dans les trois cas un fait, encore que l’élément matériel soit entendu
largement en droit pénal international car la personne peut ne pas avoir commis elle même l’élément matériel du
crime en question : v. D. Rebut, Droit pénal international, op. cit., p. 592, no 1011.
518. Statut de Rome, Chap. III.
519. L’article 22 est relatif au principe Nullum crimen sine lege et l’article 23 au principe Nulla poena sine lege.
520. Statut de Rome, art. 24.
521. C’est notamment le cas en Belgique où les éléments identifiés sont très proches des nôtres (V. not. F. Tulkens
et M. van De Kerchove, Introduction au droit pénal, op. cit., p. 198, et J.-J. Haus, Principes généraux du droit
pénal belge, op. cit., T. 1, p. 194, no 267. Il est en outre intéressant de relever que la même incertitude est présente en
doctrine belge et en doctrine française, ceci s’expliquant sans doute par leur proximité. En effet Haus écrit que « ces
éléments concernent, les uns, la matérialité de l’acte, les autres, la culpabilité de l’agent ». L’élément moral se trouve
donc tiraillé entre l’infraction et l’agent. Haus aurait en outre consacré en droit belge la dualité entre matérialité et
moralité. En ce sens, J. Verhaegen, « Le fait qualifié infraction » in Mélanges offerts à Robert Legros, op. cit.) ou
en Suisse (P. Graven et B. Sträuli, L’infraction pénale punissable, op. cit., p. 14 et s.).

216
Chapitre 2. Le schéma de qualification

Cette dernière peut être de plusieurs ordres. Soit il est fait état de l’exigence de l’intention, si bien
que comme en France, la dualité d’éléments de l’infraction se trouve au minimum suggérée, car
la répression ne peut intervenir qu’avec le fait 522 , soit l’infraction fait l’objet d’une définition
légale dont il sera possible de déduire les différents éléments 523 , soit enfin, la législation fait
directement état des différents éléments constitutifs 524 .
La distinction opérée par les Tribunaux pénaux internationaux est par ailleurs celle utilisée
dans les pays de Common law 525 où, ce « principe cardinal du droit criminel » 526 est exprimé par
la maxime « actus non facit reum nisi mens sit rea ». Comme en France, la doctrine en déduit
donc que : « pour constituer un délit et pour soumettre le délinquant à une peine éventuelle
[...], l’existence d’un élément mental est [...] nécessaire au même titre que celle d’un élément
physique » 527 . Les deux éléments utilisés par la doctrine en Common law et repris par la
jurisprudence tiennent, on s’en souvient 528 , à l’actus reus et au mens rea 529 . En droit anglais,
comme en droit américain, la dualité est utile à la fois à l’étude de l’infraction en permettant de
mettre en exergue ses deux composantes irréductibles, et à sa caractérisation.
L’on voit bien ainsi que l’importance de la volonté dans la constitution de l’infraction et la
dualité d’éléments qui en résulte sont généralisées. Elles sont ensemble partagées par des pays
dont les systèmes juridiques sont pourtant fort divergents. Voir dans l’exigence d’une dualité
d’élément un principe général se justifie ainsi parfaitement, car ce principe est commun aux
ordres juridiques internes et à l’ordre international 530 . Une ambiguïté demeure toutefois et est
relative à la place de l’élément moral dans le schéma de la responsabilité pénale.

522. C’est notamment le cas en Allemagne, ou la jurisprudence définit en outre l’infraction en faisant ressortir
ses éléments constitutifs (v. J. Pradel, Droit pénal comparé, op. cit., p. 73, no 45, et M. Fromont et H. Jescheck,
Introduction au droit allemand, op. cit., p. 267), en Italie, en Autriche, au Portugal ou en Suède (v. J. Pradel, Droit
pénal comparé, op. cit., p. 73, no 45).
523. En ce sens, ibid., p. 62, no 39. C’est notamment le cas en Grèce où l’infraction est définie à l’article 14 comme
un acte injustifié, imputable à son auteur et puni par la loi.
524. C’est le cas dans certains pays arabes. V. M. Mostafa, Principes de droit pénal des pays arabes, op. cit., p. 41,
no 38. L’auteur critique par ailleurs cette tendance, les éléments constitutifs n’étant pour lui qu’une classification
doctrinale et ne devant dès lors pas figurer dans la législation.
525. La distinction mens rea/actus reus est partagée par tous les pays de Common law et les Américains l’utilisent
donc également. En ce sens, v. not. J. Cedras, Le droit pénal américain, op. cit., p. 39 ; Le système pénal des États-
Unis d’Amérique, sous la dir. de M. Ancel et L. B. Schwartz, Institut de droit comparé de Paris, éditions de
l’Épargne, 1964, p. 83.
526. V. J. Pradel, Droit pénal comparé, op. cit., p. 71, no 44, citant un arrêt de 1949, affaire Younghusband v.
Luftig.
527. C. S. Kenny, Esquisse du droit criminel anglais, op. cit., p. 47.
528. V. supra, no 2.
529. Sur ces éléments, v. not. R. Cross et E. Ely, « La responsabilité pénale » in Introduction au droit criminel
de l’angleterre, op. cit., p. 35, pour le droit anglais et J. Cedras, Le droit pénal américain, op. cit., p. 39, pour le
droit américain.
530. En droit international public, les principes généraux du droit se définissent comme des principes communs
aux ordres juridiques internes et à l’ordre international. G. Cornu, Vocabulaire juridique, préc., v° Principe génréral
du droit.

217
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

B. Une complémentarité inhérente à l’infraction

220. L’incertitude dans la localisation de l’élément moral – Une ambiguïté particuliè-


rement ancienne doit désormais être abordée. Elle est relative à l’incertitude qui entoure la place
de l’élément moral en matière de responsabilité pénale. L’hésitation se retrouve d’ailleurs aussi
en matière internationale. En affirmant à l’article 30 que « nul n’est pénalement responsable
[...] que si l’élément matériel du crime est commis avec intention », le Statut de Rome fait-il de
l’élément moral une condition de la seule responsabilité ou du crime lui-même ? L’interrogation
est ancienne et est une problématique récurrente de la matière. Mais dès lors que l’infraction
est une notion subjective (1), la volonté doit être rattachée à lui. La complémentarité inhérente à
l’infraction se prolonge alors dans sa structure et doit donner lieu à une analyse en deux éléments
(2).

1. L’infraction, notion subjective

221. L’infraction, comportement volontaire – La doctrine française reconnaît unani-


mement le caractère subjectif de la volonté, mais elle hésite parfois à intégrer les données
subjectives à l’infraction. Deux grandes tendances peuvent être à ce titre relevées dans l’analyse
de la responsabilité. L’une tient à une approche objective de l’infraction, l’autre à une confusion
entre l’infraction et la responsabilité, les éléments étant alors davantage rattachés à la seconde.
Ces deux approches sont toutefois à rejeter (b), car s’il est vrai que le rattachement de l’élément
moral à l’infraction est depuis longtemps incertain (a), l’infraction ne peut s’entendre que comme
un comportement volontaire.

a. Une incertitude ancienne

222. L’infraction : un fait – Que l’infraction soit un fait n’est pas douteux. L’élément
matériel a nécessairement pour objet principal l’infraction. Celle-ci se définit essentiellement
par lui et les textes d’incriminations en attestent : très souvent, l’infraction sera décrite comme
étant « le fait » de faire ou ne pas faire quelque chose 531 . Or, justement parce que l’infraction est
souvent appréhendée dans les textes par le fait seul, ou le fait et ses conséquences, il est possible
de douter que l’élément moral en dépende directement, car de nombreuses incriminations sont
envisagées de manière objective. Cela a toujours été le cas et l’était d’ailleurs de manière encore
plus prononcée dans les codes anciens qui ne contenaient pas de dispositions générales relatives
à l’exigence de la volonté. Plus encore, la définition de l’infraction du Code des délits et des

531. Ainsi en est-il du meurtre (Code pén. art 221-1), de l’homicide involontaire (art. 221-6), du génocide (211-1),
de l’extorsion (312-1), comme de la plupart des incriminations.

218
Chapitre 2. Le schéma de qualification

peines du 3 Brumaire an IV était teintée d’une très forte objectivité : l’infraction consiste à
« faire ce que défendent, ne pas faire ce qu’ordonnent les lois qui ont pour objet le maintien de
l’ordre social et la tranquillité publique ». Il n’y a dans cette définition aucune prise en compte
expresse du caractère volontaire de l’action, ce qui s’explique par la conception classique de la
responsabilité pénale.

223. Un rattachement incertain – Ainsi, malgré la reconnaissance d’une dualité d’élé-


ments en la matière, il est possible de douter du fait que la volonté conditionne effectivement
la caractérisation de l’infraction. Évoquer la « moralité du fait » 532 comme le fait la Cour de
cassation peut ainsi sembler relever d’un raccourci, d’autant que c’est bien la culpabilité qui,
pour la Cour, implique à la fois de s’interroger sur la matérialité du fait et sur sa moralité 533 .
En outre, même si l’émergence des éléments de l’infraction s’inscrit dans un mouvement de
subjectivation, ce mouvement n’est pas propre à l’appréciation de l’infraction. Il est bien plus
global. Preuve en est, lorsque l’on évoque les évolutions qu’a connue la matière pénale, il est le
plus souvent question du mouvement de subjectivation de la responsabilité dans son ensemble.
La question se pose alors de savoir si les deux éléments ont bien le même objet de référence,
car la volonté étant celle de l’agent, elle pourrait ne conditionner à proprement parler que la
décision de culpabilité, sans pour autant être constitutive du fait générateur de la responsabilité.
La doctrine a sur ce point longtemps été hésitante. On remarque une réelle difficulté dans les
ouvrages de la fin du XVIIIème siècle et du début du XIXème quant à la localisation des données
psychologiques dans le schéma de la responsabilité 534 . Ainsi, alors qu’était affirmée l’existence
de deux éléments pour constituer l’infraction, l’étude de l’élément intentionnel se trouvait parfois
traitée à l’occasion des développements consacrés à la personne punissable 535 , soit en marge
de l’étude de l’infraction. La moralité n’est ainsi pas tant chez ces auteurs celle du fait que
celle du délinquant. À titre d’exemple, Garraud et Laborde-Lacoste identifient ainsi quatre
éléments au sein de l’infraction, éléments qu’ils déduisent directement de sa définition. Ces
quatre éléments sont l’élément matériel, l’élément légal, l’élément injuste et l’élément moral 536 .
Toutefois, l’étude de l’élément moral – qui est bien pour ces auteurs celui de l’infraction 537 –
est réservée à un Livre II relatif à l’imputabilité, distinct du Livre I consacrée quant à lui à

532. V. not. Cass. crim. 26 janv. 1827, Bull. no 16 et Cass. crim. 19 fév. 1859, Bull. no 58.
533. Arrêts préc.
534. Les débats relatifs à la localisation de l’intention et de l’imputabilité sont anciens. Des articles de Villey de
1876 sont ainsi dédiés à cette épineuse question. V. not. E. Villey, « De l’intention en matière pénale », art. préc.,
et du même auteur, « De l’intention, de l’ignorance, de l’erreur et de la bonne foi en matière pénale », La France
judiciaire 1876, p. 313.
535. Soulignant cette tendance, v. J.-H. Robert, « Histoire des éléments de l’infraction », art. préc.
536. P. Garraud et M. Laborde-Lacoste, Précis élémentaire de droit pénal, op. cit., p. 19, no 12.
537. Ibid., p. 60-61.

219
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

l’infraction 538 . Associer la dimension morale à l’homme plutôt qu’à l’infraction procède d’un
certain réalisme, car elle ne dépend pas à proprement parler de l’acte qui marque l’infraction.

224. Des conditions en lien avec l’agent – Tout juste l’acte permet-il de la révéler. En
outre, pendant longtemps, l’exigence d’une condition morale a été réduite à son strict minimum,
c’est-à-dire essentiellement aux conditions d’imputabilité de l’acte. Ce n’est que progressive-
ment que l’exigence de l’intention a conduit à une appréciation de la volonté de l’agent dépassant
ces conditions. Or, celles-ci, relatives notamment au discernement, sont éminemment liées à
l’agent et ne dépendent pas de l’acte. L’action du délinquant existe indépendamment de ses
capacités mentales et de la compréhension qu’il a eu ou non des faits qu’il a commis. Le
discernement et la liberté sont des données antérieures et extérieures à l’infraction. Pourtant,
elles sont étroitement liées à la volonté et l’étaient encore davantage dans les ouvrages anciens.
Par suite, si l’imputabilité peut ou doit être considérée comme extérieure à l’infraction, il
devient possible d’extraire de celle-ci l’élément moral dans son ensemble. La difficulté est
particulièrement visible dans l’ouvrage de Garraud et Laborde-Lacoste. S’ils font état d’un
élément moral, dans la définition de l’infraction, cet élément se résume à la possibilité d’imputer
l’acte à son auteur et ces développements relatifs à l’élément moral sont réservés à l’étude de
l’imputabilité. Au titre de l’imputabilité sont alors traitées des conditions tenant à l’exigence
du discernement et de la liberté de l’auteur, mais aussi celles tenant à l’exigence d’une faute,
son degré pouvant varier selon qu’est exigée ou non une intention 539 . Ensemble, ces différentes
conditions forment l’élément moral 540 .
Considérées dans leur globalité, les données d’ordre psychologique pourraient ainsi ne pas
dépendre directement de l’infraction. Elles porteraient alors davantage sur ses suites, c’est-à-
dire qu’elles dépendraient de l’appréciation de la responsabilité de l’agent 541 . Dans une telle
hypothèse, la responsabilité resterait appréciée de manière subjective, si bien que la dualité
d’éléments serait préservée, mais au prix soit d’une approche objective de l’infraction, soit d’une
confusion entre celle-ci et la responsabilité.

538. Ibid., p. 19, no 12. La même tendance se rencontre chez E. Trébutien, Cours élémentaire de droit criminel,
op. cit., p. 106 et s. La volonté fait l’objet dans son ouvrage d’un titre consacré aux personnes punissables, alors
que l’infraction se compose selon lui de deux éléments. V. également V. Molinier, Traité théorique et pratique
du droit pénal, op. cit., où, dans le titre consacré aux « éléments moraux des délits », l’élément moral est souvent
envisagé comme « élément de la responsabilité » ibid., p. 94 et s.
539. P. Garraud et M. Laborde-Lacoste, Précis élémentaire de droit pénal, op. cit., p. 61, no 131 et 132.
540. Ibid., p. 61, no 132.
541. Selon les auteurs, l’objet de l’élément moral pourra varier, mais il s’agit essentiellement de différences dans
les acceptions terminologiques que véritablement des différences de conception.

220
Chapitre 2. Le schéma de qualification

b. Le refus du rattachement de l’élément moral à la responsabilité

225. Les différentes approches doctrinales – Pour bien comprendre les hésitations en la
matière, il est nécessaire d’exposer les différentes approches doctrinales existantes en tentant
de les systématiser et d’en montrer les principales limites. La première approche retenue par
une partie de la doctrine est une approche objective de l’infraction. Cette approche se révèle
fondamentalement incompatible avec l’essence de l’infraction (α) 542 . La seconde approche tend
à faire porter directement les éléments sur la responsabilité. Elle évite par conséquent les écueils
de l’approche objective de l’infraction, mais conduit pour sa part à ne pas distinguer les deux
notions (β).

α. L’incompatibilité de l’approche objective de l’infraction

226. Annonce – Cette approche sera tout d’abord expliquée (i), avant qu’en soient abor-
dées les limites (ii).

i. Exposé de l’approche objective

227. L’infraction comme fait matériel – S’ils ne nient en rien la complémentarité du fait
et de la volonté – celle-ci est admise unanimement –, certains auteurs rattachent l’ensemble des
données psychologiques à la responsabilité. Retenir une conception objective de l’infraction
n’est pas totalement contraire à l’approche subjective qui prévaut. La majorité des auteurs
retenant une telle approche admettent en effet que les données d’ordre psychologique ne peuvent
être totalement occultées 543 . Cependant, ils tirent les conséquences du lien très fort existant
entre l’élément moral et l’agent en séparant cet élément de la constitution de l’infraction.
Ainsi affirme-t-on que « la faute, qui est un état d’esprit particulier, paraît certainement plus
proche de l’homme que de l’acte » 544 . Ceci se justifierait par le fait que la volonté « émane de
l’homme pour rejaillir sur l’acte » 545 . Par conséquent, la grande distinction existant en matière
pénale devrait être opérée au sein de la responsabilité et conduirait à séparer le fait, c’est-à-
dire l’infraction, et l’homme 546 . Cette distinction entre l’homme et l’infraction est relativement

542. Elle fait d’ailleurs l’objet de critiques. V. not. A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., p. 151 et s. ; C.-
A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 40, no 35 ; M.-L. Rassat, Droit pénal général, op. cit.,
p. 272, no 230.
543. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 504, no 383. Comp. M. Laborde-Lacoste, De la
responsabilité pénale dans ses rapports avec la responsabilité civile et la responsabilité morale, 1918, Imprimerie
de l’Université Bordeaux, p. 183 et s., qui retient une approche objective de l’infraction, tout en insistant sur
l’importance de la dimension subjective, en lien avec la responsabilité.
544. W. Jeandidier, Droit pénal général, op. cit., p. 239, no 211.
545. Ibid., p. 240, no 211.
546. En ce sens, J. Pradel, Traité de droit pénal et de sciences criminelles comparées, op. cit., p. 298, no 322 :
« dans la théorie de l’infraction, la grande distinction est celle de l’acte et de la personne ». V. égal. du même auteur,

221
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

ancienne. C’est déjà ainsi que procédaient des auteurs comme Ortolan, Roux ou Molinier.
Cependant, la conception de l’infraction retenue par ces auteurs était plus ambiguë, car prise
indépendamment de la distinction opérée, la définition de l’infraction n’était pas purement
objective 547 . À l’inverse, chez les auteurs retenant de nos jours une approche objective, toutes les
conséquences sont tirées du rattachement de l’élément moral à la responsabilité. L’infraction y
est alors envisagée comme un « concept purement matériel » 548 et parfaitement assimilée au fait,
ce qui les conduit à retenir une conception purement objective de l’infraction 549 . L’appréciation
de la volonté demeure, mais l’élément moral est analysé comme étant « étranger à la constitution
morphologique de l’infraction » 550 .

228. Ambiguïtés jurisprudentielles – Que l’élément moral soit celui de la responsabilité


est en soi concevable, car le lien entre lui et l’agent est indéniable. En outre, un arrêt de la
Chambre criminelle pourrait aller dans le sens d’une approche objective de l’infraction. Dans
un arrêt en date du 8 janvier 2003 551 , elle a en effet admis la responsabilité d’un complice en
l’absence d’intention chez l’auteur principal. En l’espèce, un premier homme avait été poursuivi
pour exportation illicite de produits stupéfiants, tandis qu’un second l’était lui pour complicité de
ce délit, pour avoir mis en relation l’auteur principal avec le fournisseur des produits et donné des
instructions au premier s’agissant de leur livraison. Or, il n’avait pas pu être pu être démontré
que l’auteur principal ait eu conscience de la nature des produits qu’il transportait. Celui-ci
avait donc été relaxé. En toute logique, cette relaxe aurait dû conduire à celle du complice en
raison de l’absence de fait principal punissable servant de support à la complicité. Pourtant,
dans cet arrêt, la Cour de cassation a approuvé la solution de la Cour d’appel qui avait estimé
que le complice avait pour sa part parfaitement connaissance de la nature des produits et devait
donc être condamné. Selon la Cour de cassation, « l’existence d’un fait principal punissable, soit
l’exportation illicite de stupéfiants, a été souverainement constatée par la cour d’appel », de sorte
que la relaxe en faveur de l’auteur principal « n’exclut pas la culpabilité d’un complice ».

Droit pénal général, op. cit., p. 284, no 329.


547. V. infra, no 229.
548. J. Pradel, Principes de droit criminel, op. cit., p. 78, no 63.
549. Selon Messieurs Merle et Vitu, la définition objective est « certainement la plus exacte », de sorte que
« c’est d’elle qu’il faut partir ». R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 504, no 383. Approuvant
ce choix, v. G. Levasseur, « Étude de l’élément moral de l’infraction » in Confrontation de la théorie générale de
la responsabilité pénale avec les données de la criminologie, Travaux du colloque de science criminelle, Toulouse,
Dalloz, 1969, p. 81. La doctrine objectiviste qui sous-tend la réduction des éléments constitutifs au seul élément
matériel a eu énormément de succès en Allemagne où elle a conduit à certains excès (R. Merle et A. Vitu, Traité
de droit criminel, op. cit., p. 504, no 383). Aujourd’hui, l’approche majoritaire en Allemagne est une approche
subjective, les données d’ordre psychologique étant partagées, un peu comme en France, entre l’analyse de l’action
et l’analyse de la responsabilité. V. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc.,
p. 9 et s.
550. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 505, no 383.
551. Cass. crim., 8 janv. 2003, Bull. crim., no 5 ; RSC 2003, p. 553, obs. B. Bouloc ; D. 2004, p. 310, obs. B. de
Lamy ; D. 2003, p. 2661, obs. E. Garçon ; JCP 2003, II, 10159, obs. W. Jeandidier.

222
Chapitre 2. Le schéma de qualification

Cet arrêt ne porte pas directement sur l’élément moral, mais la solution apportée par la Cour
peut s’analyser en faveur d’une conception objective de l’infraction. La Cour admet en effet ici
que la complicité peut porter sur un simple fait matériel. Dès lors, deux interprétations sont
possibles. La première conduit à conclure que la Cour de cassation fait une application contra
legem de l’article 121-7 552 en se contentant d’un fait principal objectivement punissable comme
support de la complicité 553 . Cette solution transparaît déjà dans une jurisprudence établie de la
Cour selon laquelle il est possible de poursuivre le complice alors même que l’auteur principal
n’a été poursuivi, ni condamné 554 , ni même identifié 555 . Dans de telles hypothèses, si l’existence
du fait peut effectivement être constatée, l’élément moral ne peut lui pas être concrètement vérifié
dès lors qu’il est en pratique impossible de s’assurer de l’existence de la volonté de commettre
les faits. Par extension, il devrait être impossible de caractériser l’infraction principale puisque
l’intention en est une composante 556 . Or, l’article 121-7 ne se contente pas de viser un fait
principal. Il vise expressément un crime ou un délit en son alinéa 1 et une infraction en son
alinéa 2. Ainsi, s’il est possible de considérer que la Cour de cassation fait une application
contra legem de l’article 121-7, il est aussi possible d’estimer que la Cour retient ici une
conception objective de l’infraction. Dépourvu d’élément moral, le crime ou le délit existerait
indépendamment de la volonté de son auteur. Il pourrait alors servir de support à la complicité.
Cependant, non seulement l’appréciation objective de l’infraction se limite en jurisprudence au
problème de la complicité, de sorte qu’il serait excessif de conclure au fait que la Cour admet
une telle conception 557 , mais encore cette solution serait alors contraire à l’article 121-3 qui fait
textuellement de la volonté une condition d’existence du délit.

552. Approuvant cependant cette solution et estimant que ce qui importe du point de vue de la complicité est bien
plus la punissabilité de l’acte que celle de l’auteur, de sorte que la solution ne serait pas contra legem, v. B. de
Lamy, « La culpabilité du complice est autonome ou les méandres de la criminalité d’emprunt », obs. sur Cass.
crim., 8 janv. 2003, D. 2004, p. 310.
553. Une telle solution est d’autant plus critiquable que le complice apparaîtrait dans cet arrêt plus comme auteur
(moral) que véritablement comme complice. En ce sens, V. Malabat et J.-C. Saint-Pau, « Le droit pénal général
malade du sang contaminé », Dr. pén. 2004, chron. p. 2. V. égal. E. Garçon obs. sur Cass. crim., 8 janv. 2003, D.
2003, p. 2661.
554. Cass. crim., 21 mai 1990, Bull. crim., no 203 ; RSC 1993, p. 100, obs. G. Levasseur ; D. 1992, p. 153,
obs. J. Le Calvez : « l’acquittement de la personne, renvoyée comme auteur principal d’un crime, n’exclut pas la
culpabilité de complices de cette action dès lors que [...] l’existence du fait criminel a été établie par la réponse
affirmative de la Cour et du jury à la question qui leur était posée dans une forme abstraite sur la matérialité
du crime ». La solution est néanmoins moins critiquable que l’arrêt de 2003, car l’ancienne incrimination de la
complicité ne visait en effet pas systématiquement le crime ou le délit mais dans ses alinéa 2 et 3 uniquement
« l’action ». V. Code pén. ancien, art. 60. L’appréciation du fait principal pouvait ainsi dépendre du type de
complicité. En ce sens, J. Le Calvez obs. sur Cass. crim., 21 mai 1990, D. 1992, p. 153. Contra, G. Levasseur
obs. sur Cass. crim., 21 mai 1990, RSC 1993, p. 100.
555. V. Cass. crim., 3 mars 1959, Bull. crim., no 145. Dans ce cas, la solution pourrait s’expliquer par le fait que
les conditions d’imputation sont présumées.
556. En ce sens, B. Bouloc obs. sur Cass. crim., 8 janv. 2003, RSC 2003, p. 553. L’auteur critique la solution en
ce qu’elle encourage l’objectivation de la responsabilité pénale.
557. V. infra, no 231.

223
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

Ainsi, quand bien même le rattachement de l’élément moral à la responsabilité pourrait


sembler à la fois réaliste et concevable, l’appréciation objective de l’infraction à laquelle il
conduit est pour sa part contraire à la loi dès lors qu’elle fait expressément de la volonté une
condition constitutive de l’infraction.

ii. Les limites de l’approche objective

229. Une approche non strictement objective dans les ouvrages anciens – Les limites
de l’approche objective sont de différents ordres. Tout d’abord, il faut relever que même d’un
point de vue général et théorique, l’on remarque qu’il est difficile de réduire l’infraction au
seul fait. L’infraction est un acte de l’homme 558 . Or, en tant qu’acte, elle ne peut être purement
objective, car la notion d’acte ou d’action inclut l’idée de volonté. L’acte est l’action d’un être
capable d’intention 559 et en cela, il contient nécessairement une part de subjectivité 560 . En outre,
les anciens criminalistes que la doctrine actuelle invoque parfois au soutien de la conception
objective de l’infraction 561 avaient une position relativement mitigée. Si le plan des ouvrages
atteste en effet d’une approche objective, la définition de l’infraction retenue ne revient pas à
assimiler celle-ci au fait matériel.
Des auteurs comme Ortolan ou Roux avaient opté pour une distinction entre l’agent et
le fait dans l’étude du droit pénal. Dans leurs ouvrages respectifs, l’agent est véritablement
au cœur de l’analyse malgré une approche relativement objective de l’infraction. D’importants
développements sont ainsi consacrés à l’étude du délinquant afin d’insister sur l’importance
des considérations psychologiques dans la répression. Ceci conduit ces auteurs à envisager
séparément l’étude du sujet actif de l’infraction de l’étude du délit. Dans sa partie consacrée au
droit pénal général, Ortolan étudie ainsi tout d’abord les sujets de l’infraction 562 puis le délit
en lui-même 563 . Et dans le cadre de l’étude du sujet actif – c’est-à-dire de l’agent – sont abordés
les différents degrés de la culpabilité 564 . La culpabilité renvoyant pour cet auteur à la faute, il
y est donc question à la fois des conditions d’imputabilité et de la théorie de l’intention. Les
données psychologiques sont par conséquent absentes de l’étude du délit dans laquelle l’auteur
se concentre notamment sur ses éléments de fait et sur la tentative. La division contient donc

558. L’acte est d’ailleurs l’élément essentiel de la définition de l’infraction en doctrine allemande. V. A.
Kaufmann, « Le rôle de la notion d’acte en droit pénal allemand » in Annales de l’Université des sciences sociales
de Toulouse, t. 21, Université des sciences sociales de Toulouse, 1973, p. 11.
559. Dictionnaire de l’Académie française, v° Intention.
560. C’est la raison pour laquelle l’analyse allemande tend à faire dépendre certaines données subjectives de
l’analyse de l’acte. V. not. F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 169 et s., § 26.
561. V. not. J. Pradel, Droit pénal général, op. cit., p. 284, no 329.
562. Des premiers développements sont consacrés au sujet actif et des seconds, plus succincts, au sujet passif.
563. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit.
564. La culpabilité est ici entendue au sens de faute, celle-ci pouvant aller de la simple faute de négligence au dol.

224
Chapitre 2. Le schéma de qualification

cette spécificité d’opposer le délit (l’infraction), à son auteur, et non de distinguer deux éléments
nécessaires à la constitution du délit.
L’infraction y apparaît de ce fait relativement objective et n’intègre a priori pas de
considérations psychologiques spécifiques. Reste néanmoins que, l’infraction, si elle n’est qu’un
fait, est tout de même un fait de l’Homme. Ortolan justifie ainsi la division de son étude entre
le sujet actif et le délit. Il explique que « ce ne sont pas les faits qui violent le droit, qui sont
punissables, ce sont les personnes : ce n’est que par transposition d’idée, par figure de langage,
qu’on s’exprime quelquefois autrement ». Parce que l’infraction est un fait de l’homme, un acte,
le délinquant est véritablement central 565 . Mais l’auteur précise : « Pour qu’un fait soit reconnu
délit, il faut donc le considérer avant tout dans la personne de laquelle ce fait provient, ou,
en d’autres termes, dans la personne de l’agent. C’est dans l’agent que résident avant tout les
conditions essentiellement constitutives du délit ; la matérialité de l’acte et de ses résultats ne
vient qu’ensuite. » 566 Contrairement à ce que laisse penser le plan général de l’ouvrage qui tend à
ajouter à l’infraction des considérations liées à son auteur, est ici suggéré le fait que les conditions
relatives à la personne de l’agent sont parties intégrantes de l’infraction. Là où le plan en induit
une approche objective, l’importance accordée au sujet actif du délit conduit à l’inverse à une
conception davantage subjective 567 .
La même tendance se retrouve dans l’ouvrage de Roux, qui, après avoir consacré une
première partie à la loi pénale, envisage dans une deuxième partie l’ « étude de l’infraction » 568 .
Cette dernière est alors limitée à l’analyse des actes punissables et de la complexité de réalisation
de ces actes, tandis que l’étude du délinquant n’est envisagée que dans la Partie 3 de l’ouvrage 569 .
Là encore, le choix du plan suggère une approche strictement objective de l’infraction. Toutes
les considérations psychologiques, des conditions d’imputabilité à l’intention, sont en effet réser-
vées à l’étude de l’auteur du fait, si bien que l’infraction semble se cantonner au fait. Pour autant,
comme Ortolan, Roux appréhende fort logiquement l’infraction en tant que « manifestation
d’une activité humaine » 570 et relève que les mouvements extérieurs indépendants de la volonté
sont insusceptibles d’être retenus par le droit pénal 571 . Il en conclut donc que l’infraction est
« la manifestation fautive d’une volonté agissant contre le droit » 572 . Dès lors qu’elle est une
manifestation « fautive », la volonté intègre ainsi bien directement la constitution de l’infraction

565. Ortolan considère que l’étude de l’agent est la première par ordre d’importance. J. Ortolan, Éléments de
droit pénal, op. cit., p. 98, no 219.
566. Ibid.
567. La définition de l’infraction ne conduit du reste pas de façon certaine à une conception objective dès lors
qu’elle est définie par Ortolan comme une « action ».
568. J.-A. Roux, Droit pénal et procédure pénale, op. cit., p. 61, no 65.
569. Ibid., p. 98, no 99.
570. Ibid., p. 61, no 65.
571. Ibid., p. 62, no 65.
572. Ibid.

225
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

au regard de cette définition 573 . Là encore, si la distinction opérée suggère une conception
objective de l’infraction, celle-ci n’est pas parfaite.

230. Un élément de l’infraction pour le législateur – Surtout, et outre le fait que la


conception objective est donc théoriquement difficilement concevable, elle ne peut être aujour-
d’hui retenue. La conception objective de l’infraction est fondamentalement incompatible avec
le droit positif. Dans le Code pénal, l’infraction est en effet appréhendée indiscutablement de
manière subjective. Le premier argument en la matière est relatif à la lettre de l’article 121-3.
Selon cet article, « il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ». C’est
donc ici bien l’existence légale de l’infraction qui est directement conditionnée par la volonté
de son auteur dès lors que l’infraction est par principe volontaire. Les textes ne se contentent
pas de prévoir la dimension matérielle des infractions. Encore en précisent-ils la dimension
morale 574 , soit de façon spécifique, soit par le biais de l’exigence générale de l’article 121-3.
L’infraction de meurtre n’est pas le fait de tuer, c’est le fait de tuer volontairement. On voit alors
que l’infraction intègre nécessairement des considérations d’ordre moral. À défaut, comment
distinguer d’ailleurs l’infraction volontaire de l’infraction par imprudence ? Si l’infraction n’est
que le fait (donner la mort par exemple) et que la volonté lui est totalement extérieure, alors rien
ne distingue l’homicide non intentionnel, des coups mortels ou du meurtre. Les trois seraient
une seule et même infraction 575 , seule la répression variant en fonction de la volonté de l’auteur.
Ce n’est pourtant pas là la volonté du législateur. Les deux infractions sont semblables dans
leurs résultats, mais très différentes dans leur constitution. Il n’est pas concevable d’admettre que
ces infractions se différencient uniquement dans leur matérialité. C’est dans leur essence qu’elles
se distinguent ; dans le type de comportement réprimé. Les deux infractions ne sont donc pas
similaires, ni dans leur matérialité ni dans leur moralité, et l’acte pris seul ne peut permettre
la qualification pénale des faits parce qu’il ne permettrait pas d’opter entre les différentes
incriminations des comportements menant au résultat mortel. Or, c’est bien de cette qualification
qu’il faut partir pour déterminer la sanction applicable. La volonté est d’abord indispensable à la
qualification, bien avant de conditionner la culpabilité et la peine. C’est d’ailleurs ce qu’illustre la
jurisprudence relative au concours idéal de qualification en se fondant notamment sur l’intention

573. Très proche de l’analyse d’Ortolan, l’ouvrage de Monsieur Vidal contient la même ambiguïté. Lorsqu’il
explique la notion d’infraction, il précise bien que l’infraction disparaît s’il n’y a pas d’imputabilité (G. Vidal,
Cours de droit criminel et de sciences pénitentiaire, op. cit., p. 77, no 64) et que toute infraction suppose « un lien
moral rattachant l’acte à son auteur, permettant de lui imputer cet acte » (ibid., p. 79, no 65). Cependant, le plan
général de l’ouvrage conduit à une opposition entre l’infraction traitée dans un livre I à travers son élément matériel,
et la responsabilité, traitée dans un livre II, dans lequel il est question du sujet actif.
574. En ce sens, M.-L. Rassat, Droit pénal général, op. cit., p. 272, no 229.
575. Du point de vue purement factuel, l’homicide par imprudence peut résulter d’un fait positif. Un comporte-
ment positif factuellement proche du meurtre (appuyer sur la détente d’une arme chargée par exemple) peut donc
être constitutif de l’élément matériel de l’homicide par imprudence (par exemple si l’agent ignorait que l’arme fut
chargée).

226
Chapitre 2. Le schéma de qualification

de l’auteur des faits pour admettre le cumul 576 .


Dès lors, bien qu’il soit incontestable que la faute – tout comme l’acte d’ailleurs – est celle
de l’homme, elle relève, tout comme l’acte, de l’infraction. L’infraction est le comportement
physique et moral accompli par l’agent et conforme au texte d’incrimination 577 , texte prévoyant
justement le degré de faute ou de volonté nécessaire à l’existence de l’infraction. De ce point
de vue, l’argumentaire de Monsieur Decocq, repris par Monsieur Dana dans sa thèse est
particulièrement convaincant. L’auteur explique que « la loi ignore l’homicide. Elle ne connaît
que le meurtre [...] », de sorte qu’il est inexact de dire qu’ « un homicide a été commis (infraction
objectivement constatée), son auteur est coupable de meurtre (responsabilité subjective relevée),
il faut dire et on le dit : « un meurtre a été commis », c’est-à-dire une infraction subjective a été
commise » 578 .

231. Un élément de l’infraction pour la jurisprudence – La jurisprudence ne s’y trompe


d’ailleurs pas. Qu’elle soit judiciaire ou constitutionnelle, elle intègre bien l’élément moral à
l’infraction.
Tout d’abord, il faut préciser que les arrêts pouvant être mis en relation avec une approche
objective de l’infraction sont tous relatifs au problème spécifique de la complicité 579 . Par ailleurs,
dans ces arrêts, la Cour désigne expressément le fait principal, sans jamais viser ni l’infraction, ni
le crime ou le délit 580 . Dès lors, même si cette jurisprudence est fortement critiquable du point de
vue des exigences de l’article 121-7 581 , il semble bien que ce soit le fait principal, support de la
complicité, qui peut faire l’objet d’une vérification strictement objective et non l’infraction elle-
même. Ainsi, si une hésitation demeure au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, elle
n’est relative qu’à la localisation de l’imputabilité. Sur ce point, en effet, ni l’arrêt Laboube 582 ,

576. En ce sens, C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 45, no 41.
577. En ce sens, E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 178, no 219, et J.-H. Robert, Droit pénal général,
op. cit., p. 103.
578. C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 41, no 36, citant ; A. Decocq, Droit pénal
général, op. cit., p. 153 et s. Parmi les autres arguments relevés en faveur de l’approche subjective, l’auteur remarque
en outre qu’admettre l’existence de l’infraction indépendamment de son auteur conduirait à admettre son existence
même si elle n’est pas « commise » par l’homme. C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc.,
p. 40, no 35.
579. V. supra, no 228.
580. V. Cass. crim., 8 janv. 2003, Bull. crim., no 5 ; RSC 2003, p. 553, obs. B. Bouloc ; D. 2004, p. 310, obs.
B. de Lamy ; D. 2003, p. 2661, obs. E. Garçon ; JCP 2003, II, 10159, obs. W. Jeandidier : la Cour s’assure en
effet que l’existence du « fait principal punissable », non de l’infraction principale, a été démontrée par les juges
d’appel.
581. La jurisprudence se contente de ce fait principal objectivement punissable, alors qu’elle devrait exiger une
infraction.
582. Cass. crim., 13 déc. 1956, Bull. crim., no 840 ; D. 1957, p. 349, note M. Patin. L’arrêt affirme que « toute
infraction, même non intentionnelle, suppose en effet que son auteur ait agi avec intelligence et volonté », mais
sans toutefois faire une distinction entre l’infraction et la responsabilité, de sorte qu’il est difficile d’utiliser cet
arrêt pour affirmer que les conditions de l’imputabilité relèvent de l’infraction. Sur cette incertitude, v. C.-A. Dana,
Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 93, no 88. L’auteur estime néanmoins qu’avec cet arrêt, « la

227
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

ni les solutions ultérieures ne permettent d’affirmer avec certitude si l’imputabilité conditionne


ou non l’infraction 583 . S’agissant de la volonté, la position est par contre plus nette. Pour la
Cour de cassation, l’élément matériel comme l’élément moral sont bien ceux des infractions.
Elle s’assure en effet toujours, selon une expression consacrée, que les juges ont bien caractérisé
l’infraction, en tous ses éléments, tant matériel qu’intentionnel 584 .
Quant au Conseil constitutionnel, il affirme que « la culpabilité ne saurait résulter de la seule
imputabilité matérielle d’actes pénalement sanctionnés ; qu’en conséquence [...] la définition
d’une incrimination, en matière délictuelle, doit inclure, outre l’élément matériel de l’infraction,
l’élément moral, intentionnel ou non, de celle-ci » 585 . Ainsi, la volonté ne dépend pas de la seule
culpabilité. Certes, la culpabilité ne saurait résulter des seuls actes, mais c’est bien parce que,
en amont, la volonté est une condition de l’infraction. Est expressément visé l’élément moral de
celle-ci.

232. Une approche inconciliable avec la conception de l’infraction comme compor-


tement humain – Qu’il s’agisse de la position légale et jurisprudentielle en la matière, la
position se justifie parfaitement au regard de la conception de l’infraction comme comportement.
Parce qu’elle est un comportement, elle ne peut qu’être une association de données d’ordre
matériel et de données d’ordre morale. Certes, la volonté est d’abord celle de l’agent, si bien
qu’il est possible de considérer que si l’activité délictueuse n’est fautive, ce n’est que parce que
la volonté de l’homme vient s’imprimer sur le fait 586 . Toutefois, la faiblesse du raisonnement
réside justement dans l’assimilation de l’infraction au fait 587 . Car l’infraction ne se limite pas à
l’acte, elle est un « acte humain » 588 . Il est par conséquent tout à fait logique que le législateur
appréhende les comportements à l’occasion de l’exercice de qualification légale tant dans leur

Cour de cassation avait atteint le degré le plus affiné de la conception subjective de l’infraction », dépassant en cela
les prévisions légales : ibid., p. 92, no 87.
583. Les décisions rendues notamment en matière de complicité suggèrent cependant plutôt que l’imputabilité
serait une condition de la responsabilité, sans toutefois conditionner l’infraction.
584. Monsieur Dana relève en outre que la conception mixte du commencement d’exécution retenue par la
Cour de cassation démontre son choix d’une approche subjective de l’infraction : C.-A. Dana, Essai sur la notion
d’infraction pénale, th. préc., p. 44, no 40. Cependant, cet argument ne vaut dans toute sa force que si l’on admet
que la tentative relève de la catégorie de l’infraction pénale. Sur ce point, v. infra, no 489.
585. Cons. const., 16 juin 1999, no 99-411 DC ; D. 1999, p. 589, obs. Y. Mayaud ; D. 2000, p. 197, obs.
S. Sciortino-Bayart ; AJDA 1999, p. 694, obs. J.-E. Schoettl ; D. 2000, p. 113, obs. G. Roujou de Boubée,
considérant 16. Dans les mêmes termes, Cons. const., 25 fév. 2010, no 2010-604 DC, cons. 11. Comp. Cons. const.,
18 janvier 1985, no 84-183 DC, cons. 12.
586. V. not. W. Jeandidier, Droit pénal général, op. cit., p. 240, no 211.
587. Sur la doctrine allemande et la définition de l’infraction à travers le seul acte, v. A. Kaufmann, « Le rôle de la
notion d’acte en droit pénal allemand » in Annales de l’Université des sciences sociales de Toulouse, t. 21, op. cit. Il
faut toutefois préciser, comme l’explique Monsieur Kaufmann, qu’une grande partie de la doctrine allemande a une
vision subjective de l’acte. Von Listz explique ainsi : « l’idée d’acte suppose [...] avant tout une façon volontaire
d’agir du délinquant » (F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 178, no 28) et que le vouloir, entendu
comme l’impulsion de volonté « caractérise l’acte » (ibid., p. 179, no 28).
588. A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., p. 153.

228
Chapitre 2. Le schéma de qualification

dimension matérielle que morale. Il s’ensuit que la qualification judiciaire des faits dépendra à
la fois du fait matériel et de la volonté. Ce n’est qu’à cette condition qu’elle sera constitutive
d’une infraction, soit un comportement, conforme au texte d’incrimination.
L’approche objective de l’infraction ne pouvant être retenue, il reste désormais à envisager
l’analyse faisant dépendre directement la complémentarité de la responsabilité.

β. Les limites de la confusion infraction-responsabilité

233. Annonce – De même que précédemment, les analyses doctrinales retenant une pré-
sentation de la responsabilité à travers ses éléments constitutifs seront présentées (i), avant d’être
discutées en raison du caractère préférable de la division de l’infraction (ii).

i. Exposé de la division de la responsabilité

234. Le rejet des éléments constitutifs – Fort différente de l’approche objective de l’in-
fraction, une approche centrée sur la responsabilité est parfois retenue. Deux auteurs retiennent
ainsi une distinction entre le fait et l’imputabilité, mais sans toutefois assimiler au fait l’infraction.
Il s’agit de Monsieur Dreyer et de Monsieur Robert. L’un comme l’autre n’ont pas recours aux
éléments constitutifs et, l’un comme l’autre, dirigent l’analyse vers une autre notion que celle
d’infraction. Si Monsieur Dreyer réfute explicitement la division de l’infraction en éléments
qu’il juge caricaturale 589 , Monsieur Robert n’explique pour sa part pas véritablement son choix.
Dans la première édition de son manuel de Droit pénal général, il évoque toutefois un déclin
de la division de l’infraction en éléments, notamment en raison des différences de nature des
éléments matériel et moral et de l’élément légal 590 . Il ne fait plus état de ce déclin dès la
seconde édition, mais relève néanmoins toujours les incohérences de la division 591 . Il est vrai
que si les différents éléments ont pu être vivement critiqués, la division s’est toujours maintenue
en doctrine et l’élément légal demeure utilisé par bon nombre d’auteurs. Dans le manuel de
Monsieur Dreyer comme dans le manuel de Monsieur Robert, ce sont ainsi les incohérences
inhérentes à la traditionnelle tripartie qui semblent en expliquer le rejet. Dans le premier manuel
comme dans le second, l’infraction n’est ainsi pas présentée à travers ses divers éléments.

235. Un objet d’étude élargi – L’approche choisie par ces auteurs se veut alors plus large
et c’est la responsabilité dans son ensemble qui est envisagée, ce qui conduit à étudier dans
un premier temps le fait pour lui-même puis dans un second temps les exigences propres à la

589. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 179, no 221.


590. J.-H. Robert, Droit pénal général, PUF, 1988, p. 107. Sur cette différence, v. supra, no 119.
591. Ce constat sera maintenu jusqu’à la dernière édition en date de l’ouvrage. V. J.-H. Robert, Droit pénal
général, op. cit., p. 104.

229
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

personne du délinquant. Au titre des conditions préalables à la responsabilité pénale, Monsieur


Dreyer envisage ainsi tout d’abord le fait pénal, puis l’imputabilité 592 . Quant à Monsieur
Robert, son étude est axée sur la culpabilité entendue comme l’état de la personne ayant adopté
« le comportement physique et mental décrit par un texte d’incrimination » 593 . L’étude de la
décision de culpabilité est proposée par l’auteur à travers une division entre le fait infractionnel
considéré dans sa matérialité et l’imputation 594 . Au titre de l’imputation sont traitées des causes
traditionnelles de non-imputabilité, mais aussi de l’intention et de l’imprudence, présentées
comme des conditions diversifiées de cette dernière 595 . Toutes les conditions relatives à la mora-
lité sont ainsi traitées ensemble, mais entretiennent un lien incertain avec l’infraction. Dans ces
deux ouvrages, la subtilité dépend en réalité de l’objet de l’imputation. Si c’est l’infraction qu’il
s’agit d’imputer, alors la distinction rejoint en réalité l’opposition infraction/agent, l’infraction
étant alors objective. À l’inverse, si c’est l’acte qu’il s’agit d’imputer, l’approche reste duale,
mais fondée sur une notion plus large que l’infraction : celle de responsabilité ou de culpabilité.
Or, aucun des deux auteurs ne vise véritablement l’infraction. Pour Monsieur Dreyer, c’est
le « comportement semblant correspondre à celui qu’envisage le texte d’incrimination » qui
doit pouvoir être imputé à son auteur 596 , tandis que pour Monsieur Robert, c’est la « situation
infractionnelle » 597 , l’imputation désignant selon lui « l’ensemble des décisions qui, après que
le juge a constaté une situation infractionnelle non justifiée, l’amène à en déclarer coupable une
personne déterminée » 598 , étant précisé que l’application de certaines incriminations nécessite
de s’interroger sur l’intention de l’auteur des faits 599 . Dans un cas comme dans l’autre, c’est donc
vraisemblablement le comportement qui est imputé, sans toutefois qu’il soit encore totalement
préjugé de sa qualification infractionnelle.

236. Spécificités du choix opéré – Ces deux approches sont en conséquence doublement
spécifiques. Tout d’abord, très peu d’auteurs renoncent purement et simplement à l’usage des
éléments constitutifs 600 , même lorsqu’ils renoncent à la dualité de l’infraction. Ensuite, ces

592. L’intention est traitée avec la faute au titre de l’établissement de la responsabilité et de la caractérisation de
l’infraction. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit.
593. J.-H. Robert, Droit pénal général, op. cit., p. 189.
594. À quoi s’ajoutent des développements relatifs au texte d’incrimination et à l’existence d’un intérêt protégé.
Ibid.
595. Ibid., p. 316.
596. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 595, no 782.
597. J.-H. Robert, Droit pénal général, op. cit., p. 286.
598. Ibid. Monsieur Robert tient en outre l’imputation et la responsabilité comme synonyme, à l’instar
d’Ortolan. Comp. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 100, no 223.
599. J.-H. Robert, Droit pénal général, op. cit., p. 316.
600. Outre Messieurs Dreyer et Robert, il est possible de citer Monsieur Dana. Ce dernier a en effet préconisé
l’abandon des éléments constitutifs, estimant que le découpage de l’infraction en éléments doit pouvoir être dépassé,
car il n’est qu’une étape dans l’effort de synthèse : l’infraction devrait pouvoir être considérée comme une entité
indivisible. C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 58, nos 56 et s. Parmi les auteurs

230
Chapitre 2. Le schéma de qualification

auteurs se distinguent de ceux ayant pu retenir une distinction homme/acte, car leurs ouvrages
ne suggèrent pas une approche objective de l’infraction, et ne relèvent en rien d’une difficulté
dans le rattachement de l’élément moral. Ils résultent d’une volonté de distinguer en droit
pénal ce qui relève du fait de ce qui relève de son imputation à l’agent. En définitive, ce choix
rejoint donc pour beaucoup la division de l’infraction en deux éléments constitutifs. Or, si cette
présentation permet, au même titre que la distinction élément matériel-élément moral, de garantir
une approche subjective de l’infraction, la dualité d’éléments lui demeure préférable en ce qu’elle
délimite les frontières de la notion d’infraction.

ii. L’infraction, objet préférable

237. La proximité entre l’infraction et la responsabilité – Le choix d’une distinction


entre le fait infractionnel et l’imputabilité présente l’avantage indéniable de ne pas conduire
à une approche objective de l’infraction. Toutefois, lorsque l’on s’attarde sur la définition que
ces auteurs en ont, l’on remarque que c’est elle qui fait l’objet de l’étude. Monsieur Dreyer
considère en effet l’infraction comme la seule source de la responsabilité pénale 601 . Elle en est
le fait générateur 602 et se définit comme « un comportement humain, abstraitement envisagé
par la loi ou le règlement et que l’on menace d’une peine » 603 . Monsieur Robert, lorsqu’il
aborde la distinction entre l’infraction et l’incrimination, explique quant à lui également que
l’incrimination est l’infraction décrite, et que le mot infraction « s’applique au comportement
quand il coïncide avec la description légale » 604 .
L’infraction désigne ainsi chez ces deux auteurs le comportement concret accompli
par l’agent, comportement correspondant aux prescriptions légales du texte d’incrimination.
L’infraction ne naît donc qu’avec le comportement et n’existe juridiquement qu’à l’issue de la
qualification pénale des faits, soit lorsque l’on s’est assuré de la parfaite adéquation entre ce
comportement et celui décrit par la loi. La conséquence directe et immédiate de son existence
est alors la responsabilité de son auteur, reconnu coupable de l’infraction. Or, dans l’ouvrage de
Monsieur Dreyer comme dans celui de Monsieur Robert, l’appréciation de la responsabilité
– pour le premier – et de la culpabilité – pour le second – revient fort logiquement à caractériser
l’infraction, soit, en d’autres termes, à en vérifier toutes les conditions d’existence. Monsieur

plus anciens, il est également possible de citer l’ouvrage de Rossi. Cependant, le choix de l’auteur demeure plus
classique car le délit est étudié à travers les actes, le mal du délit et sa moralité. Quand bien même ne seraient pas
utilisés d’éléments constitutifs, la division est ainsi relativement similaire à la division de l’infraction en éléments.
V. P. Rossi, Traité de droit pénal, op. cit.
601. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 205, no 252.
602. Ibid., p. 178, no 219.
603. Ibid.
604. J.-H. Robert, Droit pénal général, op. cit., p. 103.

231
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

Dreyer explique en effet que le schéma logique conduisant à la responsabilité pénale débute
avec le constat du fait par le juge, à la suite de quoi le juge doit s’assurer que la personne
suspectée d’avoir commis ce fait est apte à en répondre. Ces préalables établis, le juge peut
alors s’interroger sur la volonté et sur le degré de réalisation des faits, c’est-à-dire se demander
s’ils correspondent à une infraction consommée ou tentée 605 . En d’autres termes, ces étapes
conditionnent tout autant la caractérisation de l’infraction que l’établissement de la responsabi-
lité, ce qui est confirmé par le fait que l’infraction est pour monsieur Dreyer la condition de la
responsabilité 606 , non pas une condition de la responsabilité. La responsabilité nécessite donc la
caractérisation de l’infraction, mais se suffit de cette caractérisation, si bien que lorsque l’étude
porte sur la responsabilité, elle porte aussi avant tout sur l’infraction.
Le même constat peut être fait relativement à la démonstration de Monsieur Robert. Chez
cet auteur, l’étude est consacrée à la culpabilité de l’agent. Cela s’explique par le fait que, comme
Ortolan, Monsieur Robert tient la responsabilité et l’imputabilité comme un même concept,
mais analysé sous deux angles différents 607 . La culpabilité est quant à elle entendue comme l’état
de celui qui a adopté le comportement physique et moral décrit par le texte d’incrimination. Le
terme infraction désignant pour sa part le comportement coïncidant avec la description légale,
l’on peut admettre qu’elle est ce comportement décrit, tant dans sa dimension physique que
dans sa dimension morale, si bien que la culpabilité est, assez logiquement, l’état de celui qui
a commis l’infraction. L’établissement de la culpabilité revient donc ici aussi à caractériser
l’infraction. Les conditions de l’une ne correspondent-elles pas alors aux conditions de l’autre,
au moins s’agissant du fait infractionnel et des conditions d’imputation ? Entendue comme
le comportement adopté par l’agent et conforme au texte, l’infraction en arrive presque à se
confondre avec sa suite directe qu’est la déclaration de culpabilité. Partant, la distinction du fait
et des données psychologiques est aussi inhérente à l’infraction qu’à sa conséquence. Autrement
dit, même si l’étude se veut plus large et portant sur une notion englobant l’infraction, l’on peut
estimer que la complémentarité des deux ensembles est aussi propre à l’infraction. Même si
son objet diffère quelque peu, la distinction rejoint alors peu ou prou la distinction au sein de
l’infraction entre un élément matériel et un élément moral.

238. Les difficultés d’identification de l’infraction – Cependant, une distinction au sein


de l’infraction peut sembler préférable en raison du risque de confusion entre infraction et
responsabilité que la division de la seconde fait naître. Lorsque la distinction se fait au sein
de la responsabilité, une incertitude surgit quant aux contours réels de l’infraction. Le recours à

605. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 517, no 662.


606. Ibid., p. 205, no 252.
607. J.-H. Robert, Droit pénal général, op. cit., p. 286.

232
Chapitre 2. Le schéma de qualification

l’approche en deux temps, vérification du fait, imputation du fait, peut en effet induire en erreur
en suggérant que ce qu’il s’agit d’imputer à l’agent est l’infraction 608 , infraction qui est alors
entendue objectivement. Outre cette ambiguïté, la difficulté est surtout de distinguer ce qui relève
de l’infraction, de ce qui relève de ses suites. C’est là le regret que l’on peut avoir lorsqu’une
notion plus large que l’infraction fait l’objet de l’étude distinguant le fait de son imputation : celui
de ne plus cerner avec certitude les contours de l’infraction pénale et ses conditions propres. Or,
l’infraction étant la pierre angulaire du droit pénal 609 , il est dommage de ne pas la maintenir
au cœur de l’analyse. De ce point de vue, les éléments constitutifs se révèlent plus satisfaisants
parce qu’ils ont justement pour fonction principale de servir l’analyse de l’infraction en mettant
en valeur les différentes étapes de sa caractérisation.
En définitive, une telle présentation encourage donc la confusion que l’on trouve parfois
entre la responsabilité et son fait générateur qu’est l’infraction. Elle rejoint par conséquent
partiellement la présentation de Messieurs Desportes et Le Gunehec qui retiennent certes des
éléments constitutifs, mais en les faisant porter directement sur la responsabilité. Les auteurs
expliquent d’ailleurs à ce sujet qu’« il serait plus exact et respectueux [...] de parler des éléments
constitutifs non pas de l’infraction mais de la responsabilité » 610 . Plus largement, pour une partie
de la doctrine, il serait inexact de distinguer infraction et responsabilité, car l’infraction est
l’unique objet de la responsabilité 611 .
Une telle position est pourtant inconciliable avec l’analyse la plus courante de la complicité
qui refuse justement d’y voir une infraction. Cette position, confirmée par la jurisprudence
hostile à l’admission de la tentative de complicité 612 , conduit à faire de la complicité un fait
générateur de responsabilité, sans pour autant qu’il soit une infraction.

239. L’examen tardif de la volonté – En résumé, l’approche fait-imputabilité encourage


une confusion des conditions de l’infraction avec les conditions de la responsabilité, sans
que les frontières de l’infraction ne soient précisément délimitées. La volonté ne semble plus
conditionner la responsabilité parce qu’elle est nécessaire à l’existence de l’infraction, elle la
conditionne tout simplement parce qu’elle en est une condition directe. L’on rejoint alors l’une

608. Ceci est d’autant plus vrai que la doctrine majoritaire raisonne ainsi.
609. Plus que la pierre angulaire du droit pénal, Monsieur Dana y voit son seul et unique noyau. C.-A. Dana,
Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 273, no 264.
610. F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, op. cit., p. 393, no 430. Au-delà de la seule
caractérisation de l’infraction, la « réunion [des éléments constitutifs] est nécessaire pour engager la responsabilité
pénale d’un individu ». Ibid. Dans le même sens, J.-C. Soyer, Droit pénal et procédure pénale, 21ère éd., LGDJ,
2012, p. 95, no 148. Les éléments portent dans cet ouvrage de ce fait directement sur la responsabilité.
611. V. not. C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 35, no 28 et p. 273, no 264. Messieurs
Desportes et Le Gunehec sont de cet avis. V. F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, op. cit., p. 393,
no 430. Pour une critique de cette tendance, v. F. Rousseau, L’imputation dans la responsabilité pénale, th. préc.,
p. 15, no 10. Dans cette optique, les conditions de l’infraction sont alors aussi les conditions de la responsabilité.
612. V. infra, no 490.

233
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

des critiques que l’on peut objecter à l’approche objective de l’infraction, celle de décaler trop
dans le temps l’appréciation de la volonté et de la faire dépendre davantage du moment de la
déclaration de culpabilité et de détermination de la peine que de caractérisation des infractions.
La scission entre l’appréciation du fait et celle de la volonté peut paraître par conséquent d’autant
plus marquée. Or, le caractère caricatural des éléments constitutifs est justement dénoncé parce
qu’il conduit à séparer trop les analyses en suggérant une approche autonome de chaque
élément 613 . Il est certain que le premier stade du raisonnement et de la qualification pénale réside
dans la matérialité de l’acte 614 . L’enchaînement logique conduit donc à envisager d’abord le
fait, puis la volonté de son auteur. Cependant, cet enchaînement ne peut faire oublier que c’est le
comportement dans sa globalité et sa complexité qui doit être analysé. C’est en premier lieu pour
la caractérisation de l’infraction que la volonté est exigée, non simplement pour la responsabilité
de son auteur. La complémentarité s’impose en effet comme étant inhérente à l’infraction avant
de conditionner la responsabilité. Considérer que la responsabilité pénale de l’auteur ne peut
être que matérielle et subjective se conçoit donc et est en tous points conforme aux exigences du
droit positif. Cependant, cette position complexifie légèrement l’opération de qualification en lui
faisant perdre l’intégrité de son support, ce qui est regrettable. Les difficultés inhérentes à cette
opération devraient au contraire pousser à préciser au mieux son objet. La responsabilité ne peut
que suivre la qualification. Elle en est la conséquence 615 . Elle implique donc au préalable que
l’opération ait été menée à son terme, ce qui suppose que son support soit précisément délimité.
La confusion entretenue entre l’infraction et la responsabilité n’est donc pas souhaitable de ce
point de vue. Elle brise l’ordre logique qui veut que l’action soit d’abord qualifiée pour que la
responsabilité de son auteur soit engagée. C’est donc bien en tant qu’éléments de l’infraction
que l’exigence de complémentarité du fait et de la volonté doit se traduire.

2. La complémentarité comme éléments de l’infraction

240. Analyse objective et analyse subjective du comportement – La distinction entre la


responsabilité et le fait résulte pour beaucoup d’un rejet de la division de l’infraction à raison
de son caractère artificiel. Pourtant, les critiques émises à l’encontre des éléments constitutifs
pourraient facilement être tempérées dès lors que l’on admet que les éléments ne sont pas des

613. V. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 161, no 215.


614. En ce sens, C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 38, no 32 : l’acte matériel
n’est que le « point de départ de l’analyse infractionnelle ». Comp. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 517,
no 662.
615. Ortolan expliquait déjà que la responsabilité était le fait de répondre de (de respondere, répondre). C’est
d’ailleurs pour cette raison qu’il estimait qu’imputabilité et responsabilité tendaient à se confondre : « les faits ne
nous sont imputables que lorsque nous avons à en répondre ; et dire que nous avons à en répondre, c’est dire qu’ils
doivent nous être imputés » J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 99, no 222.

234
Chapitre 2. Le schéma de qualification

conditions juxtaposées pour former l’infraction. Les appréhender comme des angles d’analyse
du comportement permet alors de préserver l’intégrité de ce dernier. L’infraction moderne ne
pouvant se définir que comme une action volontaire, elle doit, pour être caractérisée, pouvoir
être étudiée tant du point de vue du fait que de l’intention. C’est du reste ainsi que sont
conçues la majorité des qualifications légales. Tout du moins, idéalement, c’est ainsi qu’elles
devraient l’être. L’infraction étant un comportement volontaire de l’homme, le législateur a
l’obligation d’en préciser les différents aspects, sous le contrôle du Conseil constitutionnel. C’est
par conséquent ainsi qu’il faut procéder pour la qualification judiciaire. C’est en analysant le
comportement sous son angle matériel puis sous son angle moral que l’on peut parvenir à le
qualifier en s’assurant de la parfaite adéquation entre l’activité accomplie et l’activité incriminée.
Ceci conduit donc à envisager le comportement dans sa globalité sous un angle objectif puis
sous un angle subjectif. Les éléments conditionnent de ce fait la qualification, tout en la guidant,
via les conclusions tirées de chaque analyse. Ainsi, malgré les critiques dont font l’objet les
deux éléments de l’infraction, la complémentarité qu’elle impose ne peut être considérée comme
dépassée 616 . Dans la grande majorité des pays, il est d’ailleurs procédé de la sorte.

241. Le modèle allemand : fusion des deux éléments – Il est vrai que parfois, ces
deux exigences seront réunies en un seul et même élément, afin de préserver l’intégrité du
comportement. C’est notamment le cas dans l’analyse allemande où le Tatbestandsmässigkeit
– typicité de l’action –, élément constitutif de l’infraction 617 , contient la vérification du fait et de
la volonté 618 . Cette présentation a l’avantage de préserver le caractère unitaire de l’infraction.
La doctrine allemande conçoit véritablement les éléments comme les différentes étapes de la
qualification et les analyses du comportement sous son angle matériel et sous son angle moral
sont en fait réunies en une seule et même étape. C’est l’action, dans son ensemble, qu’il s’agit
d’analyser dans le but de vérifier sa typicité (conformité avec le texte d’incrimination). Parce
qu’elle permet de dépasser l’opposition entre la matérialité et la moralité, la fusion des deux
éléments traditionnels en un à l’image de la construction allemande a pu être proposée 619 .
Pourtant, et même si le recours aux deux éléments peut paraître dépassé, la complémentarité
entre la volonté et le fait est une constante en matière pénale, y compris dans la conception
allemande de l’infraction. L’approche allemande ne le nie d’ailleurs pas, où la vérification du

616. Critiquant le caractère dépassé de la distinction élément objectif/élément subjectif, v. M. Lacaze, Réflexions
sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 267, no 433.
617. V. supra, no 63.
618. M. Fromont et H. Jescheck, Introduction au droit allemand, op. cit., p. 267.
619. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., not. p. 324,
no 498. Dans le même sens et plaidant en faveur d’une définition de l’acte proche de celle de von Liszt comme un
mouvement volontaire, v. L. Rousvoal, L’infraction composite : essai sur la complexité en droit pénal, th. préc.,
p. 129, nos 230 et s. et p. 139, no 251.

235
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

Tatbestandsmässigkeit suppose de s’intéresser à l’acte dans sa manifestation physique, mais aussi


à la volonté qui le sous-tend. La réunion de ces deux dimensions en un seul et même élément ne
fait donc pas disparaître le fait que le comportement doit bel et bien-être analysé sous ses deux
aspects. Les explications de von Liszt l’illustrent du reste totalement. L’infraction est selon lui
une « action humaine » 620 . Or, l’acte suppose non seulement une façon d’agir, mais aussi une
manifestation de volonté 621 . Il s’apprécie ainsi de manière subjective, à la fois du point de vue
de sa manifestation physique et du vouloir qui le caractérise 622 . Dès lors, si les deux dimensions
de l’acte sont réunies en un seul et même élément, la vérification de celui-ci impliquera bien une
double vérification.

242. Rejet de la proposition de fusion des deux éléments – La différence réside donc
dans le fait que dans l’approche allemande, est réunie en un seul élément toute l’appréciation de
l’acte, entendu en son sens subjectif. À l’inverse, l’approche française maintient une certaine
opposition entre le fait et la volonté. Toutefois, dans une approche comme dans l’autre, la
caractérisation de l’infraction ne sera possible que si un comportement volontaire, correspondant
à un texte d’incrimination, peut être constaté. L’intérêt de la fusion des deux éléments en un
réside dès lors entièrement dans le fait qu’il encourage davantage une conception unitaire et
globale de l’infraction.
Toutefois, plusieurs remarques peuvent être faites. Tout d’abord, le recours aux deux élé-
ments matériel et moral est profondément ancré dans l’analyse française. Il prend sa source dans
un enjeu historique qu’il serait dommage d’occulter. Il permet en outre d’insister fortement sur
l’importance de la volonté et sur le caractère nécessairement subjectif de la responsabilité pénale.
L’approche allemande n’occulte en rien cette dimension subjective, mais la complémentarité
fait/volonté est moins visible dans les trois éléments retenus. Enfin, le recours à deux éléments
distincts n’est pas incompatible avec une approche globale de l’infraction, bien au contraire.
Le caractère caricatural de l’opposition entre un élément matériel et un élément moral peut
être dépassé si l’on ne conçoit plus les éléments comme deux conditions séparées devant se
vérifier indépendamment l’une de l’autre, mais comme deux angles d’analyse d’un seul et
même comportement. Il ne s’agit dans ce cas plus d’opposer deux éléments autonomes et de les
additionner pour caractériser l’infraction. Il s’agit simplement d’admettre que le comportement
accompli doit correspondre au comportement incriminé, qu’il soit envisagé sous son angle
matériel ou sous son angle moral. L’opération de qualification ne peut pas faire l’économie
de cette double analyse, de sorte que continuer à envisager l’infraction par le prisme de son

620. F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., t. 1, p. 169, no 26.
621. V. ibid., t. 1, p. 178, no 28.
622. Ibid.

236
Chapitre 2. Le schéma de qualification

élément matériel et de son élément moral se révèle justifié. Il ne s’agit finalement que de deux
façons différentes de présenter le même principe – celui selon lequel l’infraction est forcément
un comportement volontaire. La présentation en deux éléments s’inscrit dans une tradition
doctrinale française et, malgré ses défauts, présente l’intérêt fondamental d’insister du point
de vue théorique sur l’importance fondamentale de la volonté.

* *
*

243. Conclusion du Chapitre 2 – Ce chapitre a été l’occasion de préciser le schéma pou-


vant être suivi dans l’exercice de qualification judiciaire. Si ce schéma pourrait être déduit d’une
systématisation des incriminations, une autre voie a été préférée. L’éclatement des incriminations
ainsi que leurs très grandes diversités rendent impossible un travail parfait de synthèse. En outre,
le droit pénal est une matière de principes. Toutes les incriminations se doivent de répondre
à des règles, de sorte que le législateur doit s’y conformer lorsqu’il procède aux incriminations
des divers comportements. Elles donnent les principales caractéristiques des infractions. Elles en
révèlent l’essence et permettent de dégager une structure idéale de l’infraction – ses composantes
essentielles –, soit par extension les deux étapes de leurs caractérisations.

Ces règles sont de deux ordres. L’une est de forme, les autres de fond. Quant à la règle de
forme, l’infraction ne se conçoit pas indépendamment d’un texte. Le principe de légalité qui
gouverne la matière contient l’exigence d’un fondement législatif – ou réglementaire pour les
contraventions. Toutefois, il a été vu que l’exigence d’un texte ne peut s’analyser en élément de
l’infraction au regard de la conception proposée des éléments constitutifs. L’élément légal ne
peut renvoyer à la seule exigence d’un fondement légal : il implique aussi que ce fondement
soit applicable, c’est-à-dire que le comportement corresponde en tous points aux exigences
du texte d’incrimination. Il s’agit là de ce que la doctrine allemande appelle la typicité du
comportement, sa correspondance avec le texte de loi, ou type. Par conséquent, l’infraction ne
peut être caractérisée en son élément légal qu’à l’issue de l’exercice de qualification. L’on voit
alors qu’envisager le comportement sous son angle légal, c’est tout simplement procéder à cet
exercice. Non seulement, le texte de loi ne permet pas en tant que tel de guider la qualification
(il en est le support) mais encore, l’élément légal n’a de sens qu’au regard de la correspondance
entre le comportement et la loi. Il se confond donc totalement avec sa fonction qualifiante. Il
n’est par conséquent pas un élément constitutif de l’infraction.

Quant aux règles de fond, elles sont au nombre de deux. La première résulte du principe de
nécessité des incriminations, prévu aux articles 5 et 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme

237
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

et du Citoyen. Ce principe est intimement lié aux limites du droit de punir, qui a toujours permis
de préciser les conditions du recours au droit pénal. Il n’existe toutefois pas à l’heure actuelle de
critères précis d’appréciation de la nécessité des incriminations. Afin de tenter de dégager des
critères, il a été fait appel à la théorie de l’antijuridicité de droit allemand. En Allemagne, cette
théorie a pu justifier le droit de punir avant d’être utilisé comme une limitation par le principe
d’exclusive protection des biens juridiques, principe qui se retrouve dans la constitution de
l’infraction à travers un élément antijuridique. Or, une partie de la doctrine propose aujourd’hui
d’introduire dans l’analyse française un élément antijuridique ou injuste inspiré de l’approche
allemande.
Pour autant, il n’a pas paru opportun de transposer le modèle allemand en raison des
différences de conception entre notre droit pénal et le droit allemand et de certains dangers liés
au principe d’exclusive protection des biens juridiques. Il reste que la théorie allemande présente
l’avantage d’insister sur les conséquences des comportements incriminés. En cela, elle pourrait
permettre un encadrement de la production législative en fournissant un critère d’appréciation
de la nécessité des incriminations. Outre la teneur des éléments matériel et moral, la gravité du
comportement peut être appréciée au regard des conséquences qu’il est susceptible d’emporter
plus ou moins directement. Ce caractère potentiellement attentatoire pourrait être un indice de
la nécessité de son incrimination. Il se prolongerait dans la constitution de l’infraction à travers
un élément antijuridique inspiré de l’élément allemand. D’ailleurs, il a pu être remarqué que la
valeur protégée intervient déjà dans les différents exercice de qualification, ce qui illustre l’intérêt
d’un tel élément aussi bien au regard de l’encadrement de la qualification légale que de celui de
la qualification judiciaire.

Le second principe auquel est soumis l’infraction est celui de la complémentarité qui a donné
naissance aux éléments constitutifs. Il n’est certes pas imposé expressément, mais le Conseil
constitutionnel a affirmé, sur le fondement des articles 9 et 7 de la Déclaration des Droits de
l’Homme et du Citoyen, que l’infraction ne pouvait être constituée par la seule imputation
matérielle d’un fait. Le législateur a donc l’obligation de prévoir, outre l’élément matériel,
l’élément moral de celle-ci. Aujourd’hui, celui-ci se trouve prévu et affirmé à l’article 121-3
du Code pénal, de sorte que bien que le Conseil n’ait pas précisé la consistance de l’élément
moral, le principe selon lequel l’infraction est nécessairement un comportement volontaire
s’impose. Il s’impose d’autant plus qu’il est, au regard du droit international, un principe général
du droit. L’infraction ne se conçoit donc que comme un comportement volontaire. Des doutes
peuvent toutefois exister quand au fait que la volonté relève ou non de la structure de l’infraction.
Si la responsabilité pénale ne peut être que subjective, l’infraction pourrait, elle, être une
notion objective. Cette position, parfois défendue en doctrine ne peut toutefois être retenue. La
conception objective de l’infraction n’est pas conforme à l’état actuel du droit, de sorte que la
238
Chapitre 2. Le schéma de qualification

complémentarité entre le fait et la volonté caractérise bien l’infraction.


Restait à savoir si cette complémentarité devait être exprimée à travers un élément unique
ou à travers deux éléments. Les doctrines d’inspiration allemande apprécient en effet l’action
comme un tout, de sorte que l’élément constitutif correspondant intègre à la fois des données
matérielles et des données psychologiques. La dualité d’éléments a toutefois été préférée, parce
qu’elle est conforme à la tradition française. Au reste, l’idée des deux éléments est souvent
critiquée en raison de son caractère artificiel. Elle suggère que le fait et la volonté peuvent
s’apprécier de manière autonome. Or, ce caractère artificiel peut facilement être contourné
si l’on ne conçoit plus l’infraction comme une addition d’éléments, mais comme une entité
indivisible devant être appréciée et envisagée sous différents angles en vue de sa qualification.
Les deux éléments traditionnels, s’ils doivent être précisés, peuvent dès lors être conservés. Ils
imposent une double appréciation du comportement permettant de vérifier le principe selon
lequel l’infraction ne peut être qu’un comportement volontaire.

* *
*

244. Conclusion du Titre 2 – Afin de parvenir à identifier les éléments constitutifs, il a


été au préalable nécessaire de partir de leur fonction. Celle-ci est double car les éléments sont
aussi bien un outil d’étude de l’infraction que des infractions. Dans ce second cas, elle prend
une importance toute particulière, car l’intérêt des éléments n’est pas seulement de conditionner
la caractérisation des infractions. Il est aussi de guider la qualification. Or, deux démarches
sont concevables en matière de qualification : l’une est inductive, l’autre est comparative. Si la
méthode comparative se suffit d’une vérification des diverses conditions posées par les textes,
la démarche inductive nécessite pour sa part bien plus une analyse ordonnée des faits avant
de conclure à la qualification adaptée. En pratique, la méthode de qualification emprunte des
deux démarches. Elle implique une première analyse, permettant de dégager une qualification
applicable, laquelle est suivie de la vérification de son applicabilité. Or, outre le fait que les
éléments peuvent être un outil particulièrement utile dans l’analyse des faits qui est le point
de départ nécessaire de toute qualification, il est également important qu’ils puissent répondre
aussi bien aux exigences de la démarche inductive qu’à celles de la démarche comparative.
La conception des éléments qui a été proposée est donc celle selon laquelle les éléments
imposeraient des angles d’analyse du comportement. Une telle approche présente plusieurs
avantages. Tout d’abord, elle permet de préserver l’intégrité de l’infraction. Celle-ci étant un
comportement humain, elle est une entité indivisible. Il n’est donc pas cohérent d’imaginer que
l’infraction est la résultante de l’adjonction de divers éléments. L’infraction existe en amont.

239
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

Ce n’est que sa qualification en tant qu’infraction et sa répression qui nécessitent différentes


vérifications. Les éléments ne doivent donc pas être compris comme des conditions s’ajoutant les
unes aux autres pour créer l’infraction. Ils doivent être compris comme des manières d’analyser
ce comportement pour aboutir, éventuellement, à leur qualification pénale. Ainsi conçus, ils
pourraient être un véritable outil de qualification, fondé sur la structure générale de l’infraction,
et permettant d’en guider efficacement l’exercice.
Une fois une telle conception des éléments dégagée, il restait à identifier les éléments
constitutifs, autrement dit, à déterminer le schéma devant être suivi dans l’exercice de quali-
fication. Issu des principes applicables à la matière, ce schéma pourrait s’organiser autour de
trois angles d’analyse. Le comportement devrait non seulement être apprécié d’un point de vue
matériel, mais aussi d’un point de vue antijuridique et d’un point de vue moral. Ces trois angles
d’analyse permettent non seulement de conclure à la qualification adaptée, mais aussi de vérifier
l’applicabilité de la qualification pressentie.

240
Chapitre 2. Le schéma de qualification

245. Conclusion de la Partie 1 – L’identification des éléments constitutifs ne pouvait


être envisagée qu’après un état des lieux de leur utilisation actuelle et de leur mobilisation
dans l’analyse de l’infraction. Majoritairement, celle-ci semble devoir inévitablement passer
par l’étude de ses trois (ou quatre) éléments. Les deux premiers sont issus d’une loi de 1791
et de l’utilisation qui en a été faite par la jurisprudence à des fins de politique jurisprudentielle.
Réceptionnés et développés par la doctrine, l’élément matériel et l’élément moral ont été mis
au service d’une étude générale et approfondie de l’infraction, parce qu’ils en révélaient la
conception nécessairement subjective et mettaient en lumière les deux composantes essentielles
de son existence. Par la suite, d’autres éléments déduits de la définition de l’infraction ont
été identifiés. Ces éléments ne relevaient certes pas totalement de la même approche, mais ils
montrent avec force l’intérêt des éléments constitutifs dans l’approfondissement de l’analyse
de l’infraction et dans une volonté de définition. Liés à la définition générale de l’infraction,
ils permettent de détailler sa structure. Par extension, ils auraient alors dû permettre l’étude de
n’importe quelle incrimination.
Pourtant, l’utilisation des éléments rompt parfois ce lien particulier entre eux et l’infraction,
parce qu’à l’occasion de l’étude des différents textes, ils tendent à devenir les éléments des infrac-
tions. Autrement dit, ils ne révèlent pas une structure invariable, mais permettent d’expliciter les
différentes exigences contenues dans chacun des textes. Cette utilisation pourrait ne pas être vue
comme une dérive, car elle est contemporaine au développement des éléments dans les ouvrages
généraux. Mais elle atteste, en revanche, d’une ambivalence de l’outil et d’une utilisation parfois
variable selon la matière et l’objet considéré.

L’état actuel de l’utilisation des éléments ne pouvait pas conséquent permettre ni d’identifier
l’élément constitutif dans son acception générale, ni les éléments constitutifs. L’absence de
cohérence en la matière aurait au reste pu conduire au rejet des éléments, ou du moins au constat
de leur faible utilité. Toutefois, l’omniprésence des éléments en laisse apercevoir l’intérêt. Peut-
on réellement aujourd’hui envisager un droit pénal sans les éléments constitutifs de l’infraction ?
L’expression s’est imposée, elle est utilisée à profusion, parfois même avec excès. Le succès des
éléments vient de ce qu’ils sont un outil d’analyse et de qualification en puissance. Dès lors
que l’on en revient à leurs intérêts principaux, leur utilité est évidente. C’est donc une approche
fonctionnelle qui a été choisie. Au regard de l’infraction, ils permettent de la préciser, de la
conceptualiser. Au regard des infractions, ils ne permettent pas seulement de conditionner la
qualification, ils permettent de la guider. Cette fonction particulière découle de leur caractère
général et commun. Issus de la structure générale de l’infraction, ils se retrouvent nécessairement
dans toutes les incriminations et permettent donc une qualification logique et ordonnée, celle-
ci ne pouvant se faire qu’à l’issue d’une analyse du comportement sous ses différents angles.
L’identification des éléments a alors été possible à partir des principes généraux qui sous-tendent
241
Titre II. Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification

la conception moderne de l’infraction. Le droit pénal est une matière de principe et l’infraction
ne peut être qu’une synthèse des différentes incriminations. Au contraire, toute incrimination
répond à des règles préétablies. Le législateur n’est pas libre en la matière. De ces règles pouvait
être déduite la structure idéale de l’infraction. Elle est un comportement volontaire, dont la
répression est nécessaire, eu égard à sa gravité, laquelle trouve un critère objectif d’appréciation
dans l’atteinte susceptible d’en résulter.

Les trois éléments dégagés tiennent donc à la matérialité, à la moralité et à l’antijuridicité.


L’idée d’un schéma d’analyse doit conduire à établir un ordre dans la vérification de ces
trois éléments. Chacun d’eux est forcément étroitement lié aux autres, car tous ont un même
référentiel : le comportement apprécié dans sa complexité. La qualification ne devient certaine
qu’après avoir analysé les faits sous ces trois angles qui relèvent de l’essence de l’infraction. La
démarche inductive rend alors l’ordre d’analyse relativement évident. Le constat premier part le
plus souvent du fait tangible ou de son résultat, car ce sont eux qui sont perceptibles par les sens.
Mais une fois le résultat constaté, c’est à partir de l’examen des faits que la qualification peut
être envisagée. La qualification ne peut que partir des faits matériels, leur analyse débouchant
par suite sur l’appréciation de leur caractère attentatoire. À l’appréciation des premiers suit donc
logiquement l’évaluation de leurs conséquences. L’appréciation de la volonté est, quant à elle,
comme nous le verrons, conditionnée par les constats dégagés à l’occasion de l’appréciation du
comportement sous ses angles matériel et antijuridique, de sorte qu’elle intervient au terme de
l’analyse.

Le schéma de qualification ayant été dégagé, il reste désormais à préciser la composition


exacte de chaque élément ainsi que leurs régimes, car beaucoup de doutes peuvent exister en
la matière. Il ne suffit pas d’affirmer que l’infraction pénale est un comportement volontaire et
antijuridique, encore faut-il préciser ce qu’il faut entendre par élément matériel, élément moral
et élément antijuridique.

242
Seconde partie

L’analyse structurelle des éléments


constitutifs

246. Les angles objectifs et l’angle subjectif – Les éléments peuvent être appréhendés
comme des angles d’analyses du comportement dont l’étude conditionne la qualification pénale
des faits. Au nombre de trois, ils s’agencent de manière logique et donnent un schéma guidant
l’analyse du comportement.
Lors du choix de la qualification pressentie, l’analyse peut partir soit des faits en eux-mêmes,
soit du résultat, dès lors qu’il est souvent le révélateur du type d’infraction commise. L’exercice
de qualification nécessite toutefois une vérification minutieuse de l’ensemble des prévisions
légales. Cette qualification part logiquement des données perceptibles et tangibles, autrement dit,
des constatations objectives. Ces constatations se partagent entre l’élément matériel, renvoyant
aux faits à proprement parler, et l’élément antijuridique consistant en l’atteinte à la valeur
protégée. Cette dernière, qui prend corps dans le résultat de l’infraction, est la suite des faits
accomplis. Il s’ensuit qu’élément matériel et élément antijuridique sont intimement liés. Ils
le sont non seulement parce qu’ils portent sur le même référentiel – le comportement –, mais
aussi parce qu’ils impliquent tous deux une analyse de l’infraction sous des angles objectifs
et tangibles. À l’analyse du comportement sous ces deux angles s’ajoute une analyse plus
subjective, permettant d’envisager la volonté de l’auteur des faits et de parfaire la qualification.

247. Nécessité d’approfondir la composition de chaque élément – L’intérêt d’appro-


fondir la consistance des différents éléments est double. Elle est bien entendue pratique, car
l’identification des éléments ne peut suffire à résoudre les problèmes pouvant naître à l’occasion

243
Partie 2. L’analyse structurelle des éléments constitutifs

de la qualification. Les incriminations sont souvent circonstanciées, de sorte que les vérifications
nécessaires lors de l’analyse du comportement sous ses différents angles sont multiples. Chacun
d’entre eux pose des difficultés spécifiques, liées soit à la diversité des incriminations, soit aux
ambiguïtés de l’analyse traditionnelle. La composition de chaque élément mérite donc d’être
approfondie et précisée, tant d’un point de vue général qu’au regard de certaines catégories
particulières d’infractions. Elle permettra de délimiter les deux éléments objectifs, mais aussi
de préciser l’élément antijuridique tel qu’il a été proposé. Par ailleurs, l’élément moral pose des
difficultés considérables. Parce qu’il est en lien avec la personne du délinquant, les exigences
subjectives sont souvent partagées en doctrine entre l’infraction et la responsabilité. Une telle
approche, si elle présente des avantages indéniables d’un point de vue répressif, n’est en rien
conforme à la réalité et à l’intégrité de l’infraction.
L’on devine alors des enjeux subsidiaires. Car les éléments permettent de préciser la notion
d’infraction, de la délimiter et de l’identifier. Pour se faire, il est indispensable de déterminer ce
que recouvre chaque élément par leur analyse structurelle, afin de préciser la notion d’infraction.
Par ailleurs, il est important déterminer les liens qu’elle entretient avec la responsabilité,
autrement dit, de parvenir à la localiser dans le schéma plus large de la responsabilité. En effet,
non seulement se prononcer en faveur de la réunion des données psychologiques au sein de
l’élément moral emporte des conséquences non négligeables quant au schéma responsabilité,
mais encore certains comportements pénalement sanctionnés ne répondent pas à la structure
idéale dégagée. Pour autant, ils sont incontestablement des faits générateurs de responsabilité.

248. Double étude – La précision de la structure de l’infraction et de ses liens avec


la responsabilité implique par conséquent de revenir sur chaque élément afin de le détailler.
Schématiquement, les trois éléments peuvent être rattachés soit à une analyse objective du
comportement concentrée sur des données tangibles, soit à une analyse subjective 1 , concentrée
sur la psychologie de l’auteur des faits. La structure de l’infraction sera donc étudiée à travers
ses éléments objectifs (Titre 1) puis à travers son élément subjectif (Titre 2).

1. L’opposition est empruntée à Monsieur Thévenon. J.-M. Thevenon, L’élément objectif et l’élément subjectif
de l’infraction, th. préc. Monsieur Thévenon fait le choix de la terminologie d’élément objectif plutôt que d’élément
matériel. Il réserve la terminologie « matérielle » à l’activité physique de l’agent et précise qu’à coté de cette activité,
il existe des faits constitutifs objectifs qui ne sont pas matériels, mais qui restent objectifs. Ibid., p. 10.

244
Titre I

Les éléments objectifs de l’infraction

249. Difficultés – L’infraction appréciée sous ses angles objectifs appelle des constatations
variées. Certaines dépendent directement des faits accomplis, d’autres des suites de ces faits. Il
s’ensuit que les premières relèvent de l’élément matériel, les secondes de l’élément antijuridique.
Pour chaque élément, il sera nécessaire d’en délimiter et d’en préciser la constitution
spécifique, puisque nous avons vu que les éléments ne pouvaient être que composites. Il
faudra donc identifier la donnée principale de chacun, donnée systématique qui se retrouve
toujours, qu’elle que soit l’infraction considérée. Par ailleurs, cette donnée doit toujours être
appréciée dans son contexte 1 , autrement dit, au regard des circonstances qui l’accompagnent.
Les incriminations prévoient parfois une multitude de circonstances qu’il s’agira d’identifier
pour chaque donnée principale. L’exercice est délicat, en raison de la démultiplication des
données exigées par les textes. Ils sont aujourd’hui fortement circonstanciés. Cette tendance
n’est pas tant liée au respect du principe de légalité qu’au développement d’un droit pénal de
circonstance. Les incriminations deviennent une réponse à un fait particulier ou à une mode qu’il
s’agit de décrire dans un texte en guise de réponse 2 . La conséquence en est un accroissement
des conditions prévues par les textes, sans que soit réellement suivie une logique d’ensemble.

250. Répartition des circonstances – Une répartition des circonstances exigées reste
néanmoins possible et nécessaire 3 . Chaque donnée principale s’insère dans un contexte révélé

1. Le terme est ici pris au sens de l’ « ensemble des circonstances dans lesquelles se produit un fait ».
Dictionnaire le Grand Robert, v° Contexte.
2. A. Giudicelli, « Le principe de la légalité en droit pénal français », RSC 2007, p. 509 : « La société
hypermoderne, soumise à l’urgence, marquée par l’individualisme et l’éphémère, est aussi consommatrice de règles
pénales dont l’objet n’est parfois que de répondre à des besoins ponctuels ou à des demandes de circonstance : droit
pénal « magique », « rite incantatoire », « instrument de politique spectacle », les expressions ne manquent pas
pour désigner la fonction de communication que peut remplir à notre époque la norme pénale. »
3. Une telle répartition peut apparaître artificielle, mais elle est théoriquement nécessaire au regard de la rigueur
qu’impose l’exercice de qualification.

245
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

par les particularités qui accompagnent et distinguent sa réalisation. S’intéresser aux circons-
tances de réalisation des faits nécessite donc de replacer le fait accompli dans son contexte
factuel. L’élément matériel intègre fort logiquement diverses données, relatives au lieu, au temps
ou encore à la qualité de l’agent. Quant à l’élément antijuridique, il s’agira du contexte dans
lequel se réalise l’atteinte. Ce contexte ne peut s’apprécier qu’au regard de l’élément matériel
qui l’a déjà grandement révélé. Lors de l’analyse du comportement sous son angle antijuridique,
il reste à se demander si en plus de correspondre matériellement aux faits, le comportement a
eu pour conséquence – ou était susceptible d’avoir pour conséquence – le résultat redouté par le
législateur. Cet élément intégrera alors assez naturellement l’objet de l’atteinte, et les conditions
de l’atteinte.
Malgré leur proximité, ces deux éléments ont donc des constitutions propres qui permettent
d’analyser tant la dimension factuelle du comportement que sa dimension antijuridique, l’une
comme l’autre ayant des conséquences sur la qualification retenue. Ce sont ces compositions
qu’il s’agira de préciser, pour l’élément matériel tout d’abord (Chapitre 1), puis pour l’élément
antijuridique (Chapitre 2).

246
Chapitre 1

L’élément matériel de l’infraction

251. Précision terminologique – L’élément matériel se définit en premier lieu comme un


fait 4 , un acte 5 ou plus largement une action, par laquelle l’infraction prend corps et se révèle 6 .
Si les termes d’acte et de fait peuvent être tenus pour synonymes 7 , l’acte peut être distingué
par sa coloration subjective. En doctrine allemande, l’appréciation de l’acte n’est ainsi pas
purement objective. L’infraction est en premier lieu une action 8 , dont l’étude intègre à la fois
des considérations objectives et des considérations subjectives 9 .
Le terme acte peut donc appeler une approche teintée de considérations mixtes. D’un point
de vue purement sémantique, l’élément matériel peut tout à fait renvoyer à lui. Il semble même
le terme le plus approprié dès lors qu’il induit une analyse de l’activité sous un angle matériel
et objectif 10 . Toutefois, parce que le terme de « fait » est davantage objectif, il lui est préférable.
L’idée n’est pas ici de dénier la dimension nécessairement subjective du comportement infrac-
tionnel, ni même d’opposer formellement une dimension objective à une dimension subjective.
Mais l’appréciation des faits tout comme la comparaison entre le fait et le droit débute par une

4. G. Stéfani et G. Levasseur, Droit pénal général, op. cit., p. 183, no 157 ; X. Pin, Droit pénal général,
op. cit., p. 133, no 147. V. égal. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 521, no 664.
5. B. Bouloc, Droit pénal général, op. cit., p. 213, no 224. Les termes d’acte et de fait sont au demeurant
souvent tenus pour synonyme.
6. En ce sens, J. Pinatel, « L’élément matériel de l’infraction devant la criminologie et les sciences de
l’homme », art. préc. V. égal. P. Bouzat et J. Pinatel, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit., p. 182,
no 111.
7. Dans le dictionnaire Littré, le fait est défini en premier lieu comme la chose faite, l’acte, l’action. À l’inverse,
l’acte est défini dans dictionnaire Larousse comme la « manifestation concrète de l’activité volontaire de quelqu’un,
considérée en tant que fait objectif et accompli ».
8. V. A. Kaufmann, « Le rôle de la notion d’acte en droit pénal allemand » in Annales de l’Université des
sciences sociales de Toulouse, t. 21, op. cit.
9. V. supra, no 241. Cette approche s’explique par le fait qu’il s’agit pour la doctrine allemande d’apprécier
la typicité du comportement. Autrement dit, il importe de s’assurer que l’action accomplie et l’action décrite
correspondent l’une à l’autre. Dès lors, il est nécessaire de l’apprécier globalement, tant d’un point de vue objectif
que subjectif.
10. Contra, C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 30, no 26, qui estime que dès lors
que l’extériorisation de la volonté délictueuse peut prendre n’importe quelle forme (action ou abstention), il est
impossible d’attacher le mot acte à l’expression élément matériel.

247
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

constatation du fait accompli. Elle permet d’orienter la qualification, autant qu’elle permet de
révéler l’infraction.

252. Un élément complexe – Dès lors qu’il renvoie aux faits matériellement constatables,
l’élément matériel ne présente à première vue que peu de difficultés. Il en résulte que, contrai-
rement à l’élément moral ou même à l’élément antijuridique, il a fait l’objet de peu d’études
dédiées 11 . Pourtant, il est un élément complexe du fait de la large définition traditionnelle qui en
est faite (il a théoriquement vocation à intégrer l’ensemble des données objectives et tangibles)
et variable du fait de la très forte diversité des comportements incriminés. En outre, les textes ne
visent que très rarement un fait envisagé isolément, de sorte que la caractérisation de l’élément
matériel appelle différentes vérifications.
Dans l’analyse objective et factuelle du comportement en vue de sa qualification, le fait
accompli est donc fondamental ; il est la composante décisive de l’élément matériel (Section 1).
Mais ce fait ne peut être appréhendé isolément. Il ne peut être apprécié que dans son contexte.
L’exercice de qualification implique donc aussi de s’attacher aux circonstances accompagnant
la réalisation du fait (Section 2).

Section 1 – Le fait, composante décisive de l’élément matériel

253. Fait et variations du fait – Envisagé comme la dimension matérielle de l’infraction,


l’élément matériel a traditionnellement vocation à intégrer différentes données. Dans beaucoup
de manuels, il est exposé à travers l’étude du comportement, celle du résultat et celle de la
causalité 12 . Ainsi compris, il renvoie effectivement à tout ce qui est matériellement et physique-
ment perceptible. Il est, en quelque sorte, la partie visible de l’infraction. Traditionnellement,
l’élément matériel était d’ailleurs désigné par l’expression « corps du délit » 13 . Selon Ortolan,
l’expression est utilisée « en faisant abstraction de la nature morale qui s’y trouve unie forcément.
[Elle] est prise au sens physique, pour désigner l’ensemble complet des éléments matériels dont

11. Constatant qu’il n’y a ainsi pas de théorie de l’élément matériel comme il peut y en avoir une de l’élément
moral, F. Tulkens et M. van De Kerchove, Introduction au droit pénal, op. cit., p. 215.
12. V. not. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 174, no 302 ; J. Pradel, Droit
pénal général, op. cit., p. 339, no 399 (encore que cet auteur préfère la notion de préjudice à celle de résultat) ;
F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, op. cit., p. 395, no 431 ; X. Pin, Droit pénal général, op. cit.,
p. 134, no 148. Pour une analyse du résultat comme élément constitutif distinct et propre à l’infraction matérielle,
v. L. Rousvoal, L’infraction composite : essai sur la complexité en droit pénal, th. préc., p. 473, no 1195.
13. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 484, no 1132.

248
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

se forment le délit » 14 .
Une approche plus stricte de l’élément matériel est toutefois nécessaire dès lors que l’on
retient un élément antijuridique. Certaines données en lien avec le caractère attentatoire du
comportement trouveront leur place dans cet élément plutôt que dans l’élément matériel qui
se concentre en premier lieu sur le fait accompli, fait qui se révèle être la donnée principale de
l’élément matériel (I). La diversité des infractions impose tout de même davantage de précisions,
car il est susceptible de prendre des formes différentes selon le type d’infraction commise. Ainsi
est-il nécessaire d’en étudier les variations (II), afin de préciser ce qu’il faut entendre par fait
accompli.

§ 1. Le fait à titre principal

254. La complexité de l’élément matériel – L’élément matériel est, a priori, l’élément


le plus facile à cerner, ce qui explique du reste le peu d’études qui lui sont consacrées. Il
renvoie à l’évidence au fait accompli par l’agent, constitutif d’une infraction particulière. Mais
en disant cela, a-t-on réellement tout dit ? Car, en définitive, que faut-il entendre par fait
accompli ? En réalité, l’élément matériel se distingue par sa grande complexité, non du seul
fait de son caractère composite, mais aussi du fait d’incertitudes dans sa conceptualisation.
Complexe, il l’est tout d’abord théoriquement. L’on se souvient que deux approches de l’élément
matériel sont possibles 15 . Dans une première, l’exigence d’un fait ne sert qu’à faire obstacle
à la répression de l’opinion. Il est exigé pour lui-même, parce que le droit pénal ne doit
pas réprimer que des comportements matériels. Dans une seconde approche, plus subjective,
l’élément matériel est le révélateur de la volonté, sa matérialisation. Les deux approches se
rejoignent sur l’exigence du fait matériel, mais elles sont théoriquement très différentes, parce
qu’elles prêtent à l’élément matériel deux fonctions distinctes. Complexe, il l’est aussi sous un
aspect plus pratique, parce qu’en tant qu’attitude, il renvoie à tous les faits accomplis par l’agent,
tout au long de son entreprise criminelle, non à un fait en particulier. L’élément matériel apparaît
inséparable de l’analyse de l’iter criminis. L’on pourrait alors hésiter sur le point de savoir ce
qui constitue vraiment à titre principal l’élément matériel, tant il est vrai qu’il s’agit d’apprécier
le comportement – et donc l’activité matérielle – dans son ensemble sous son angle matériel et
factuel.
On le voit donc, si l’élément matériel apparaît à première vue se distinguer par sa simplicité,

14. Ibid. V. égal. R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 60-61, no 36 : « L’infraction
implique toujours un acte extérieur de l’homme. [...]. Ces actes, dont l’ensemble forme le corps du délit, c’est-à-
dire le délit lui-même envisagé dans ses éléments externes ou physiques, abstraction faite de ses éléments internes
ou moraux (le délinquant), peuvent consister, soit en des actions (faire), soit en des inactions (ne pas faire). »
15. V. supra, no 172.

249
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

il est en réalité marqué d’une très forte complexité, aussi bien théorique (A), que pratique (B).
Affirmer qu’il est un fait à titre principal ne peut donc suffire, il faut approfondir son étude pour
pouvoir préciser le propos.

A. La complexité théorique de l’élément matériel

255. Conception subjective et conception objective – Initialement objectif, l’élément


matériel tenait en doctrine classique et néo-classique à l’exigence d’un fait nuisible, troublant
l’ordre public. L’acte est exigé pour lui-même, parce que le droit pénal n’a pas pour objet la
pensée, même coupable. La répression intervient à raison du trouble matériel causé. La volonté
demeure fondamentale, au moins dans la doctrine néo-classique, mais l’approche est objective :
la volonté est prise en compte parce qu’elle accompagne un acte nuisible à la conservation ou au
bien-être de la société. L’ouvrage d’Ortolan illustre parfaitement cette première approche. Il
écrit : « C’est dans la diversité des faits par lesquels le droit est violé et l’intérêt social compromis
que gît la diversité des délits [...]. Nous savons que ces faits ne peuvent être que des actions ou
inactions de l’homme, à l’extérieur, réunissant ce double caractère, d’une part qu’elles soient
contraires à la justice absolue, et d’autre part que la répression en importe à la conservation ou
au bien-être social. » 16
À l’inverse, l’élément matériel peut n’être appréhendé que comme la matérialisation de la
pensée coupable. La volonté n’échappe au droit pénal que tant qu’elle ne s’est pas matérialisée.
La fonction de l’élément matériel est ici modifiée. Il ne s’agit pas d’exiger un acte troublant
l’ordre public. L’élément matériel permet en réalité d’appréhender la volonté de l’auteur des
faits. La sanction n’a pas comme source première le fait, elle a pour source première la volonté.
Partant du même principe nemo cogitationis poenam patitur, l’élément matériel peut donc être
appréhendé de deux manières et se voir prêter deux fonctions différentes.
Si la jurisprudence retient une conception mixte du commencement d’exécution, les
définitions doctrinales de l’élément matériel se partagent entre les deux approches. À la faveur
du mouvement de subjectivation de la responsabilité pénale, beaucoup d’auteurs retiennent
une définition subjective de l’élément matériel, mais sans qu’un consensus réel puisse être
observé. Il est défini par Messieurs Merle et Vitu comme « la manifestation extérieure de la
volonté délictueuse sous la forme des gestes et attitudes décrits par la loi d’incrimination » 17 , ou
encore comme « le révélateur d’une attitude psychologique particulière » par Messieurs Conte
et Maistre du Chambon 18 . À l’inverse, il est « l’attitude positive ou négative réprimée par la

16. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 338, no 798-799.


17. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 604-605, no 479.
18. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 172, no 302. Retenant également
une définition subjective : J. Pinatel, « L’élément matériel de l’infraction devant la criminologie et les sciences de

250
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

loi » pour Madame Rassat ou Monsieur Pradel 19 .

256. Conséquences – Si la différence peut paraître essentiellement théorique, l’approche


retenue de l’élément matériel aura deux conséquences. La première tient au degré minimal
d’intervention du droit pénal. Dans une approche objective, il s’agira d’un acte déjà nuisible
et attentatoire à l’ordre public. Des actes préparatoires pourront être incriminés à titre autonome,
mais exceptionnellement parce qu’ils sont déjà en eux-mêmes particulièrement graves et atten-
tatoires. Dans une approche subjective, l’acte devra permettre de révéler la témébilité de son
auteur 20 . Or, celle-ci peut être révélée par des actes moins marqués par leur caractère nuisible ;
plus éloignés encore de l’atteinte. L’approche subjective autorise davantage une répression
anticipée, parce qu’elle est centrée sur la dangerosité révélée, non sur la nuisance. L’autre
conséquence tient, fort logiquement et dans le même ordre d’idées, à la définition retenue du
commencement d’exécution. Les deux problématiques sont intimement liées. La fonction que
l’on donne à l’élément matériel a des conséquences aussi bien sur la détermination du seuil
général d’intervention du droit pénal (détermination du types de faits pouvant être incriminés),
que sur celle de son seuil spécial lorsque l’infraction n’est pas totalement consommée (définition
du commencement d’exécution et admission plus ou moins large de la répression de la tentative).
Il est certain que l’élément matériel est un révélateur d’une volonté délictuelle. Mais il y
a une différence fondamentale entre le fait d’admettre que lorsque la volonté délictuelle s’est
révélée matériellement, elle doit être saisie par le droit pénal 21 et le fait de considérer que
l’élément matériel n’est que le révélateur de la pensée. Dans un cas, le droit pénal saisit le fait
pour lui-même, dans l’autre il saisit la pensée par le fait. L’on peut s’interroger à ce titre sur le
point de savoir si l’objet premier du droit pénal est réellement la pensée coupable et si c’est elle
que la peine vient sanctionner 22 . Une approche trop fortement subjective ne rapproche-t-elle pas

l’homme », art. préc., et P. Bouzat et J. Pinatel, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit., p. 182, no 111 :
l’élément matériel est « le fait extérieur par lequel l’infraction se révèle » ; B. Bouloc, Droit pénal général, op. cit.,
p. 213, no 224, retenant une définition similaire ; C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc.,
p. 30, no 26. Dans une décision récente, le Conseil constitutionnel a retenu une approche subjective, censurant
partiellement l’incrimination de délit d’entreprise terroriste individuelle prévu par l’article 421-2-6 du Code pénal.
Il a estimé en effet qu’en incriminant la recherche des objets ou des substances de nature à créer un danger pour
autrui, sans circonscrire les actes de recherche concernés, « le législateur a permis que soient réprimés des actes ne
matérialisant pas, en eux-mêmes, la volonté de préparer une infraction ». Cons. const., 17 avr. 2017, no 2017-625
QPC ; D. actualités 2017, obs. D. Goetz, cons. 17.
19. M.-L. Rassat, Droit pénal général, op. cit., p. 314, no 267, et J. Pradel, Droit pénal général, op. cit., p. 339,
o
n 399. Retenant également une définition plus objective, F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général,
op. cit., p. 395, no 431 ; G. Stéfani et G. Levasseur, Droit pénal général, op. cit., p. 183, no 157 ; X. Pin, Droit
pénal général, op. cit., p. 133, no 147.
20. R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 146, no 64.
21. Dans ce cas, « le souci de protéger les libertés individuelles cède devant la nécessité de garantir l’ordre
public ». E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 521, no 664.
22. Dans la conception subjective, la peine vient sanctionner davantage la volonté que l’on a pu appréhender
grâce au fait que le fait volontaire lui-même. Rejoignant cette problématique, v. E. Dreyer, « L’objet de la sanction

251
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

excessivement le droit pénal de la morale ? L’exigence d’un fait limite le risque d’arbitraire 23 ,
ainsi que l’immixtion du droit dans le for intérieur des individus. L’élément matériel révèle la
pensée coupable et en est la matérialisation, mais ce n’est pas là sa seule fonction : il est aussi et
avant tout, pensons-nous, un fait pouvant avoir des conséquences dommageables pour la société
et les individus. La définition et la conception retenue de l’élément matériel n’ont d’enjeux
que théoriques, puisqu’en pratique, le fait est toujours exigé. Cependant, même théorique, elle
reste fondamentale parce qu’elle participe de l’orientation générale de la matière et de son
seuil minimal d’intervention. Qu’il ait ou non pour fonction première la matérialisation de la
volonté, la définition de l’élément matériel comme une attitude soulève une dernière difficulté
lorsque l’on tente d’identifier ce qui le caractérise à titre principal. Il est souvent défini comme
une attitude 24 . Ainsi entendu, l’élément matériel ne désigne donc pas le seul fait accompli. Il
intègre plus largement « tous les actes dont la commission est synonyme de criminalité ou de
délinquance » 25 , ce qui rend mal aisé la détermination de sa donnée principale.

B. La complexité pratique de l’élément matériel

257. Élément matériel et iter criminis – Défini comme une attitude, le comportement
ne semble pas renvoyer simplement au fait marquant l’exécution de l’infraction. L’étude de
l’élément matériel emporte deux enjeux qui se rejoignent. Elle implique de définir abstraitement
l’élément matériel, autrement dit de déterminer à partir de quel moment un comportement peut
être saisi par le droit pénal au titre d’une infraction. Elle implique en outre de régler le sort
de l’infraction non consommée 26 , autrement dit, de déterminer à partir de quel moment le
comportement peut être appréhendé par le droit pénal alors même que le résultat redouté n’est
pas survenu.
L’étude de l’élément matériel est donc indissociable de celle de l’iter criminis, si bien
qu’elle passe notamment par celle de la tentative et du commencement d’exécution 27 . Pendant
longtemps, la tentative a d’ailleurs été le seul point développé par les auteurs. Beaucoup ne

pénale », art. préc., et du même auteur, « Droit pénal : droit de l’infraction ou droit du délinquant ? » in Faut-il
rethéoriser le droit pénal ?, colloque des 13-14 oct. 2016, Orléans, op. cit.
23. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 521, no 664.
24. En ce sens, M.-L. Rassat, Droit pénal général, op. cit., p. 314, no 267 ; J. Pradel, Droit pénal général,
op. cit., p. 341, no 400.
25. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 173, no 163.
26. Ces deux enjeux apparaissent assez explicitement dans le précis de Garraud. R. Garraud, Précis de droit
criminel, 11ème éd., op. cit., p. 145, no 63.
27. Il est toutefois à noter que certains auteurs font remarquer que l’iter criminis ne se conçoit que pour les
infractions de commission, les infractions d’omission dès lors que l’abstention consomme l’infraction sans stade
antérieur possible. P.-E. Trousse, Droit pénal, Les Novelles. Corpus juris belgici, t. 1, Larcier, Bruxelles, 1956,
vol. 1, no 2348.

252
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

proposaient d’étude de l’élément matériel qu’à travers elle 28 . Aujourd’hui, elle s’est diversifiée
en raison de la grande disparité des comportements incriminés. L’élément matériel permet une
classification des infractions selon le type de fait décrit. Sont donc expliqués les différents modes
de commission des infractions, ainsi que les variations dans la durée que l’élément matériel peut
connaître. Néanmoins, l’étude de l’iter criminis demeure intimement liée à celle de l’élément
matériel, de sorte que son étude intègre toujours, le plus souvent, celle de la tentative 29 .
Or, dès lors que l’élément matériel est appréhendé et expliqué à travers les différentes étapes
du chemin du crime, il semble, par extension, que l’analyse concrète de l’élément matériel d’une
infraction n’invite pas seulement à s’attarder sur le fait d’exécution, mais plus globalement sur
tous les actes y ayant mené. Lorsque Monsieur Mayaud définit le comportement comme « tous
les actes » synonymes de criminalité ou délinquance 30 , n’invite-t-il pas à apprécier tout l’iter
criminis, c’est-à-dire tous les actes concrètement réalisés et qui ont mené, éventuellement, à la
consommation de l’infraction ? En tant qu’attitude, l’élément matériel ne peut se cantonner à
un acte en particulier. Il conduit très certainement à apprécier tout le comportement sous un
angle objectif. Toutefois, à titre principal, l’élément matériel a besoin d’un référent. Qu’il puisse
varier dans son intensité, tant dans l’incrimination que dans l’infraction, ne fait pas de doute.
Mais à titre principal, l’élément matériel renvoie toujours à un fait particulier, celui d’exécution
de l’infraction.

258. Unité du fait – Appréhender dans sa globalité, l’élément matériel renvoie sans aucun
doute au comportement ; à l’activité. Il invite à analyser l’ensemble des faits accomplis par
l’agent ainsi que les circonstances dans lesquelles ces faits ont pu se dérouler. Mais plus particu-
lièrement, il conduit à isoler, dans la masse des faits accomplis, le fait marquant l’exécution de
l’infraction – ou à défaut celui qui s’apparentera à son commencement d’exécution –, parce que
c’est ce fait qu’il s’agira de comparer. Ceci ne signifie pas pour autant que ce fait soit forcément
singulier. Il peut être un ensemble, soit par exemple des coups portés ou des manœuvres. Mais
il ne s’agit pas là de s’intéresser à l’ensemble des faits ayant mené à la réalisation de l’infraction.
Il s’agit d’isoler le fait – ou ensemble de faits – caractéristique de l’élément matériel d’une
infraction en particulier. En d’autres termes, analyser le comportement sous son angle matériel,

28. V. par ex. P. Cuche, Précis de droit criminel, op. cit., p. 63, no 63, et R. Garraud, Précis de droit criminel,
11 éd., op. cit., p. 145, no 63.
ème

29. La tentative est donc traitée soit au titre de l’étude du résultat (v. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit
criminel, op. cit., p. 625, no 493 ; P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 186, no 324 ;
J. Pradel, Droit pénal général, op. cit., p. 353, no 417), soit en lien avec l’élément matériel (v. M.-L. Rassat, Droit
pénal général, op. cit., p. 314, no 267 ; F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, op. cit., p. 412, no 449 ;
X. Pin, Droit pénal général, op. cit., p. 147, no 165). Traitent à l’inverse la tentative dans des développements à part,
Messieurs Bouzat et Pinatel (P. Bouzat et J. Pinatel, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit., p. 287,
no 198), ainsi que Monsieur Dreyer (E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 695, no 919).
30. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 173, no 163.

253
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

c’est effectivement retracer matériellement le chemin du crime de l’agent, mais dans le but de
parvenir à identifier le fait susceptible de correspondre à l’élément matériel d’une incrimination.

259. Facilité théorique de détermination du fait – Théoriquement, la détermination du


fait constitutif de l’élément matériel est relativement aisée. Comme l’ont déjà fait remarquer des
auteurs, la définition des infractions débute le plus souvent par l’expression « le fait de » 31 . Dans
d’autres cas, l’infraction sera définie par un nom commun qui en marquera la matérialité. Parfois,
ce fait ou nom sera expressément précisé, même s’il revient le plus souvent à la jurisprudence de
définir exactement les termes et ce qu’ils recouvrent. Ainsi, le vol est une soustraction 32 , l’abus
de confiance le fait de détourner 33 , l’embuscade le fait d’attendre 34 . Schématiquement, le fait
principal caractérisant l’exécution de l’infraction est très fréquemment le verbe employé dans
le texte ou le nom servant à la définir. Malgré des hésitations qui peuvent survenir sur le sens à
accorder à ces verbes, la description abstraite du comportement est relativement précise.
À l’inverse, parfois, le fait principal est décrit en des termes relativement larges ou appré-
hendé à travers son seul résultat. C’est alors à partir d’une analyse plus globale du comportement
décrit par le texte qu’il sera possible d’isoler le fait visé. Par exemple, le meurtre est « le fait de
donner volontairement la mort à autrui » 35 . Le verbe « donner » implique un comportement
positif, mais il ne donne pas de réelle indication sur la consistance exacte de l’élément matériel.
L’on déduit toutefois du comportement décrit qu’il s’agira de coups, de violences, de tout fait
positif accompli et pouvant conduire au résultat mortel 36 . D’un point de vue théorique, la
détermination du fait matériel incriminé ressortira donc soit avec une certaine évidence du
vocable employé 37 , soit imposera tout d’abord d’apprécier globalement le comportement décrit,
afin d’isoler et de préciser la nature des faits pouvant entrer dans les prévisions légales. L’analyse
des incriminations n’est par conséquent pas différente de l’analyse du comportement accompli.
Il importera théoriquement de parvenir à identifier les faits matériels susceptibles d’entrer dans
le champs de l’incrimination, tout simplement parce que le comportement accompli ne pourra
être qualifié que s’il correspond matériellement aux prévisions légales.

31. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 521, no 664. ; F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal
général, op. cit., p. 395, no 431.
32. Code pén., art. 313-1.
33. Ibid., art. 314-1.
34. Ibid., art. 222-15-1.
35. Ibid., art. 221-1.
36. E. Dreyer, Droit pénal spécial, op. cit., p. 26, no 52.
37. Et même si ce vocable peut ensuite conduire à des difficultés d’interprétation.

254
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

260. Fait principal et exécution achevée – C’est ainsi le fait principal, ou plus exactement
le fait correspondant à l’exécution matérielle et achevée 38 de l’infraction qui est la composante
principale de l’élément matériel. En soi, l’exécution de l’infraction correspond à « une succes-
sion d’actes dirigés vers la consommation de l’infraction » 39 . Elle est un « processus » 40 pouvant
s’inscrire dans une certaine durée. En d’autres termes, elle débute d’un point de vue matériel
avec les actes préparatoires et s’achève au terme des actes d’exécution proprement dits, car c’est
en effet avec la réalisation du fait principal prévu par le texte que l’exécution de l’infraction
prend fin 41 . C’est au regard de la seule matérialité des faits, de ce que fait l’agent, que l’élément
matériel doit être apprécié et délimité. Et à cet égard, ses suites importent peu. L’infraction est
exécutée dans sa totalité au moment où le fait décrit (schématiquement, le verbe) est accompli
totalement, que le résultat s’en soit suivi ou non 42 . Dans le cas du vol, par exemple, l’exécution
de l’infraction sera matériellement achevée dès lors que la soustraction aura eu lieu, c’est-à-dire
au moment où la chose aura été prise et/ou déplacée et indépendamment encore de l’atteinte à la
propriété que la soustraction crée. Que l’agent conserve la chose, la revende, la détruise 43 ou la
restitue ne change rien à la caractérisation matérielle du vol. Éventuellement, ces suites pourront
constituer le fait principal d’autres infractions 44 , mais l’exécution de l’infraction de vol s’achève,
elle, avec la soustraction 45 . C’est ce fait qui constitue la donnée principale de l’élément matériel,
car c’est autour de lui que se jouera la qualification. Il servira de référence, que ce soit au regard
de l’infraction consommée ou au regard de l’infraction tentée.

261. Difficulté pratique de détermination du fait – En pratique, toutefois, la détermina-


tion du fait principal peut être complexe. Il peut s’insérer dans un comportement plus global
et, surtout, ne se résume que rarement à ce que prévoit la loi. C’est la raison pour laquelle

38. Sur l’exécution achevée, v. A. Tsarpalas, Le moment et la durée des infractions pénales, th. préc., p. 170,
no 255. Il s’agit du moment auquel tous les actes d’exécution de l’infraction ont été réalisés, c’est-à-dire le moment
auquel l’exécution telle que prévue par l’incrimination est arrivée à son terme.
39. Ibid., p. 170, nos 255 et s.
40. Ibid., p. 170, no 255.
41. V. néanmoins A. Prothais, Tentative et attentat, th. préc., p. 372, no 509, estimant que « l’exécution prend fin
avec le rôle actif de l’agent ». Cette idée de rôle actif ne peut toutefois s’apprécier qu’au regard d’une incrimination
en particulier.
42. La réalisation du résultat marque elle la consommation de l’infraction, encore que celle-ci soit également
conditionnée par les autres éléments de l’infraction.
43. Si la Cour de cassation admet la répression sur le terrain du vol de l’appréhension d’une chose pour la détruire
(v. Cass. crim., 12 mars 1969 ; D. 1970, p. 385, note M. Delmas-Marty ; JCP 1970, II, 16536, note R. de Lestang,
et Cass. crim., 14 janv. 1986 ; D. 1986, IR, p. 405, obs. G. Roujou de Boubée), la doctrine est parfois critique à
ce sujet. La qualification de vol est alors choisie au détriment de celle de destruction de bien, qui voit son champ
d’application corrélativement restreint. V. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, op. cit., p. 148, no 120.
44. Encore que le concours réel soit alors exclu, car les faits peuvent dans certains de ces cas se révéler
indivisibles, de sorte que seule une qualification sera retenue. Ce sera notamment le cas pour le vol suivi du recel.
V. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 495, no 633.
45. Même dans l’hypothèse où cette soustraction prendrait un certain temps, l’exécution s’achèvera lorsque la
soustraction sera effective.

255
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

l’opération de qualification a pu être comparée à un jeu de construction 46 . Il s’agira soit pour


le juge d’isoler au sein d’une pluralité de faits celui ou ceux caractérisant l’élément matériel
d’une infraction, soit, à l’inverse, à partir de différents faits séparés, de les assembler afin de
reconstruire le fait matériel constitutif d’une infraction. L’enjeu demeure quoi qu’il en soit
inchangé. Le juge devra parvenir à isoler ou à reconstituer le fait principal correspondant à une
incrimination en particulier. L’analyse du comportement sous son angle matériel conduit donc
systématiquement et logiquement le juge à apprécier l’ensemble des actes accomplis par l’agent
et à retracer le chemin parcouru. Mais cette analyse est dirigée vers un but particulier au moment
de l’appréciation objective des faits, celui d’isoler le fait principal accompli sera déterminant de
la qualification. La grande variété des incriminations a néanmoins pour conséquence de fortes
variations en ce domaine, le fait pouvant varier dans sa nature et dans son intensité.

§ 2. Les variations du fait

262. Multiplicité des variations – Le fait principal des incriminations varie dans sa
consistance d’une infraction à l’autre. Il peut être d’omission, de commission, complexe, répété,
etc. Il est par conséquent nécessaire de s’intéresser à ces différentes variations afin de voir, selon
les catégories d’infractions, ce qu’il faut entendre par fait principal d’exécution.
L’élément matériel est depuis longtemps utilisé par la doctrine au service d’une classification
des infractions, selon la forme particulière exigée dans les textes. Cette fonction de l’élément
matériel n’est en rien remise en cause par la conception proposée des éléments. Il est ici
simplement nécessaire de s’assurer que les variations du fait ne sont pas susceptibles de remettre
en cause l’analyse selon laquelle l’élément matériel serait à titre principal composé du fait
marquant l’exécution de l’infraction.

263. Exclusion des variations dans la durée – Il faut préciser que les classifications
opérées à partir du type de fait incriminé concernent le mode de commission ou la durée.
Toutefois, les variations dans la durée ne sont pas propres à l’élément matériel. Si la doctrine
étudie traditionnellement ces variations au titre de cet élément, il est plus juste de considérer
que le caractère continu ou instantané affecte, non pas seulement l’élément matériel, mais
l’infraction dans sa globalité. Ceci est d’autant plus vrai lorsque l’on admet l’existence d’un
élément antijuridique. C’est en effet le comportement dans son entier qui s’inscrit ou non dans
le temps et, en la matière, les éléments moral et antijuridique sont tout aussi déterminants
que l’élément matériel dans la fixation du seuil de consommation. L’étude du comportement
sous son angle matériel est donc a priori indifférente à la durée du fait qui pourra certes être

46. V. J. Larguier, « Théorie des ensembles et qualification pénale » in Mélanges offerts à A. Chavanne, op. cit.

256
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

matériellement constatée, mais qui n’influera pas sur sa caractérisation. En outre, ces variations
dans la durée ne sont pas en lien direct avec la structure interne de l’infraction, du moins,
n’affectent-elles pas la teneur de l’élément matériel. Il ne s’agit alors que de s’intéresser au
temps de la consommation, mais non à la consistance du fait. Ne seront donc étudiées ici que
les variations du fait dans son intensité, autrement dit dans son mode de commission (A). Une
difficulté particulière liée à l’infraction complexe dans laquelle le fait est présenté comme plural
mérite en outre des développements complémentaires (B).

A. Les variations dans le mode de commission

264. Diversité – La première distinction pouvant être faite dans le mode d’exécution des
infractions est entre les infractions d’omission et les infractions de commission. Le fait principal
peut ainsi prendre différentes formes : il peut être un fait commis ou il peut être un fait omis ; il
peut être positif ou il peut être négatif ; il peut être un comportement actif ou un comportement
passif.

265. Le fait de refus – Ces différentes formes de commission ne renvoient pas toutes à la
même chose. Le fait commis est par hypothèse positif et actif, mais, dans certaines hypothèses,
pourra se traduire par un refus et, sans devenir totalement négatif, sera une inaction. Les
hypothèses de sanction d’un refus sont relativement nombreuses et variées. La discrimination
se commet matériellement par une distinction opérée 47 , celle-ci pouvant prendre la forme d’un
refus de fourniture d’un bien ou d’un service ou d’un refus d’embaucher 48 . De même, la non-
représentation d’enfant a pour fait principal d’exécution un refus. Il s’agit alors de « refuser
indûment de représenter un enfant mineur à la personne qui a le droit de le réclamer » 49 . Il
n’y a dans ces hypothèses pas d’action accomplie au sens strict du terme, les infractions se
caractérisant justement par l’absence de réalisation du fait attendu. Toutefois, il ne s’agit pas là
d’un acte d’omission. Le fait demeure un fait positif – celui de refuser – bien qu’il se traduise
concrètement négativement, autrement dit, par une inaction.
De même en est-il lorsque l’infraction se caractérise matériellement par un comportement
strictement passif. Il pourra néanmoins demeurer un fait de commission. L’ancien délit de
racolage pouvait par exemple se commettre de cette manière, l’article visant aussi bien le
comportement actif que l’attitude passive 50 . Le comportement, passif, n’en reste pas moins
une attitude positive. Un autre exemple peut être trouvé dans le délit de prise illégale d’intérêt

47. Code pén., art. 225-1.


48. Ibid., art. 225-2, 1°, 3° et 6°.
49. Ibid. art. 227-5. Le déni de justice relève de la même logique. Le contexte est différent, mais l’infraction
demeure caractérisée par un refus, celui de rendre justice. Ibid. art. 434-7-1.
50. Ibid. art. 225-10-1, abrogé.

257
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

incriminé à l’article 432-12. Cette infraction pourra se commettre par un fait principal actif
(prendre un intérêt quelconque) ou passif (conserver un intérêt) 51 , qui rejoint alors toutefois
dans cette hypothèse l’abstention. Dans tous les cas, il est possible d’identifier un fait, qu’il soit
passif ou de refus, marquant l’exécution achevée de l’infraction.

266. Le fait omis – Le cas de l’abstention peut à l’inverse paraître plus problématique. Si le
fait positif de commission reste de loin le plus fréquent, des hypothèses d’infractions d’omission
se rencontrent toutefois également et de plus en plus fréquemment 52 . Outre le fait qu’il est passif,
le fait est, pour ces infractions, un fait d’omission et d’inaction. Parler de fait d’exécution pour
une abstention peut alors sembler inapproprié. L’infraction ne se commet pas matériellement par
un fait, elle se commet justement par l’absence de fait. Ces infractions viennent le plus souvent
garantir le respect d’obligations résultant soit de réglementations ou législations particulières
(non-déclaration d’accouchement 53 ), soit de décisions de justice (abandon de famille 54 ), soit
encore de devoir de solidarité sociale 55 (non-assistance à personne en péril 56 ). Matériellement,
ces infractions sont exécutées lorsque l’obligation pesant sur l’agent n’est pas respectée.
Retranscrire la matérialité de ces infractions par l’exigence d’un « fait » peut donc paraître
inapproprié, non pas qu’elles soient totalement dépourvues de matérialité, mais parce qu’elles
s’exécutent justement par l’absence du fait normalement attendu. En outre, ces infractions
d’omission se distinguent du reste des infractions de commission du point de vue de la
conception de l’élément matériel. Si l’on admet que l’élément matériel est la matérialisation
de la pensée coupable, l’objection est d’autant plus forte parce que, dans l’infraction d’omission,
l’intention de l’auteur ne s’est justement pas matérialisée physiquement.
Il faut toutefois tempérer ces objections. Tout d’abord, la volonté blâmable se matérialise
aussi dans l’abstention. Ne pas soumettre à une obligation dont on a parfaitement connaissance
traduit la volonté de s’y soustraire. De même en est-il de celui qui passe son chemin devant une
personne nécessitant une assistance. L’absence d’intervention de sa part traduit au minimum
une indifférence à la valeur protégée qui se matérialise dans l’abstention. Certes, il est alors plus
complexe de savoir si l’absence de réaction est la matérialisation d’une pensée 57 , mais cette

51. Ibid. art. 432-12.


52. En ce sens, E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 526, no 668. Le droit pénal technique contient
beaucoup d’infractions d’abstention et son développement participe donc de cet essor.
53. Code pén. art. 433-18-1.
54. Ibid. art. 227-4. Refusant toutefois d’y voir un délit d’omission, M. Rolland, « Le délit d’omission », RSC
1965, p. 583. Il y aurait dans ces hypothèses un refus d’agir, matérialisant une volonté de se soustraire à l’obligation
en cause et caractéristique donc d’un acte positif.
55. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 613, no 485.
56. Code pén., art. 223-6 al. 2.
57. V. D. Rebut, L’omission en droit pénal : pour une théorie de l’équivalence entre l’action et l’inaction, 1993,
Thèse, Lyon, p. 7, no 4.

258
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

matérialisation sera déduite de la connaissance du péril ou de la conscience de l’obligation 58 .


Au regard de la conception objective de l’élément matériel, la difficulté est d’ailleurs moindre,
car le comportement, même d’abstention, peut être nuisible à la société, ce qui apparaîtra
d’autant plus évident lorsqu’un dommage n’aura pas été empêché. Par ailleurs, si le terme
de fait n’est pas parfaitement adapté pour un comportement passif, le comportement demeure
matériellement perceptible. Il s’observe, comme le souligne Monsieur Dreyer, « par rapport
à son environnement qui n’a pas été modifié comme il aurait dû » 59 . L’infraction sera donc
exécutée totalement au moment à l’action positive attendue de l’agent ne sera pas accomplie,
soit que l’abstention traduise un refus – et dans ce cas, il est tout à fait possible d’y voir un fait –,
soit qu’elle soit véritablement un comportement passif. L’omission reste un « acte humain », une
« conduite humaine » 60 , malgré tout. Passif et négatif, le comportement n’en devra pas moins
pouvoir être constaté objectivement et matériellement 61 .
Les principales variations dans le mode de commission du fait ayant été envisagées, il faut
désormais s’attarder sur un cas particulier relatif à la pluralité de faits. Il s’agit de l’hypothèse
des infractions complexes.

B. La pluralité de faits

267. Préalable : la distinction entre les infractions complexes et d’habitudes – Dans


leur définition traditionnelle, les infractions complexes sont celles qui nécessitent au titre
de leur élément matériel la réalisation de plusieurs actes. Plus exactement, les infractions
complexes sont celles « dont la consommation suppose [...] l’accomplissement de plusieurs actes
matériels de nature différente » 62 . Deux choses sont à remarquer à partir de cette définition.
Tout d’abord, la précision selon laquelle les actes doivent être de nature différente permet de

58. Ibid., p. 606, no 609.


59. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 526, no 669.
60. D. Rebut, L’omission en droit pénal : pour une théorie de l’équivalence entre l’action et l’inaction, th. préc.,
p. 11, no 8.
61. Malgré le fait que les hypothèses d’infraction d’omission se multiplient, elles restent bien moins fréquentes
que celles de commission. Par ailleurs, la répression des abstentions est strictement conditionnée par leur prévision
dans les incriminations. Le refus d’assimilation du comportement passif au comportement actif (hypothèse de la
commission par omission) est de principe. Sur ce sujet, v. not. M. Rolland, « Le délit d’omission », art. préc.,
et D. Rebut, L’omission en droit pénal : pour une théorie de l’équivalence entre l’action et l’inaction, th. préc.
Certaines infractions se distinguent néanmoins par leur matérialité ouverte. Sans expressément incriminer l’action
et l’omission, le législateur incrimine largement un comportement qui pourra alors prendre une forme ou l’autre.
Ce cas se rencontre notamment dans les infractions non intentionnelles dont le fait principal n’est pas précisé.
Matériellement, et de manière générale, la faute peut prendre soit une forme positive, soit une forme négative. Dans
un cas comme dans l’autre, elle se matérialisera donc comme pour toute autre infraction à travers un fait positif ou
négatif.
62. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 617, p. 487.

259
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

distinguer l’infraction complexe de celle d’habitude 63 . L’infraction d’habitude se distingue par


la réitération d’un même fait 64 , la répression du comportement trouvant justement sa cause dans
cette réitération 65 . À l’inverse, l’infraction complexe ne répond pas à une logique de réitération.
Pour la première, bien qu’il y ait deux faits principaux accomplis, c’est dans la réitération qu’est
le blâme. C’est donc dans ce second acte qu’il faut identifier le fait principal, parce que c’est lui
qui marque l’exécution achevée de l’infraction 66 , peu importe par ailleurs le nombre ultérieur de
réitération 67 . À l’inverse, l’infraction complexe se caractérise par la pluralité d’actes de nature
différente devant être accomplis. Comme l’a relevé un auteur, ces actes ne sont pas seulement
juxtaposés, « ils forment un ensemble cohérent » 68 .

268. Pluralité de faits matériels – Ces différents actes matériels dépendent de l’élément
matériel. Pour certains auteurs, pourtant, l’infraction complexe est une infraction « à éléments
matériels multiples » 69 . Sa particularité viendrait donc de ce qu’elle « ne peut être tenue pour
consommée que si tous ses éléments matériels ont été accomplis » 70 . Une telle présentation n’est
pas conforme à l’économie des éléments constitutifs. La démultiplication de chaque élément en
autant d’éléments de même nature que de conditions en son sein 71 réduit les éléments constitutifs
à une simple énumération de conditions 72 . Elle permet certes une énumération, mais ne rend

63. Pour une position plus nuancée, v. L. Rousvoal, L’infraction composite : essai sur la complexité en droit
pénal, th. préc., p. 248, no 504.
64. Encore faut-il ici préciser que certains auteurs ont proposé de distinguer l’habitude de la réitération, la
première s’inscrivant davantage dans la durée. G. Varissamy, « Regard sur le phénomène de la réitération en droit
privé français », D. 1989, p. 279.
65. C. Claverie-Rousset, L’habitude en droit pénal, 2011, Thèse, Bordeaux IV, p. 25, no 13 : « La spécificité
de l’infraction d’habitude est donc de requérir plusieurs faits, intrinsèquement licites, mais dont la répétition forme
une infraction. »
66. Pris isolément, le premier acte n’a pas de nature infractionnelle, ce n’est qu’avec la réitération que l’infraction
entre véritablement dans sa phase finale d’exécution. Le fait principal réalisant l’exécution achevée de l’infraction
tient donc à la réitération, le premier l’accompagnant dans l’analyse comme circonstance constitutive.
67. La localisation de l’infraction dans le temps pourra être affectée, mais uniquement parce que la consomma-
tion de l’infraction, qui intervient dès la réitération, peut être continue.
68. L. Rousvoal, L’infraction composite : essai sur la complexité en droit pénal, th. préc., p. 239, no 480.
Ces actes seraient selon l’auteur liés en pratique par une « supra-volonté » (ibid.). C’est dans cet état psychique
particulier que résiderait en réalité la différence fondamentale entre l’infraction complexe et l’infraction d’habitude.
L’auteur admet donc que l’infraction complexe puisse être caractérisée par deux faits identiques comme l’infraction
d’habitude. Ibid., p. 248, no 504.
69. A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., p. 168. V. égal. J. Pradel, Principes de droit criminel, op. cit.,
p. 81, no 67.
70. A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., p. 168.
71. La tendance n’est du reste pas limitée à l’infraction complexe et l’on trouve parfois la référence à plusieurs
éléments matériels ou moraux y compris pour des infractions simples. V. par ex. A. Prothais, note sous Cass. crim.,
22 juin 1994, préc. évoquant les deux éléments matériels de l’empoisonnement.
72. L’idée d’une pluralité d’éléments matériels trouve il est vrai un certain prolongement en jurisprudence.
La Cour de cassation vise fréquemment dans ses attendus « les éléments matériels [(pluriel)] et intentionnel
[(singulier)] » des infractions. Toutefois, cette tendance est valable pour tous les types d’infractions, y compris les
infractions simples. V. par ex. Cass. crim. 15 avril 2015, préc., s’agissant d’une agression sexuelle ; ou Cass. crim.
24 oct. 1990, Bull. crim., no 355, s’agissant du vol. En outre, le singulier est systématiquement utilisé s’agissant de
l’élément moral même dans le cas où celui-ci se dédouble. V. not. s’agissant d’une infraction de blanchiment, Cass.

260
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

pas compte de la structure de l’infraction. L’élément matériel ne saurait être plural. Il est unique,
mais composite. Ainsi est-il plus exact de considérer l’infraction complexe comme une infraction
pour laquelle plusieurs faits sont exigés au titre de son élément matériel 73 .

269. Une catégorie mal délimitée – Il reste alors à se demander si les différents faits
matériels constitutifs des infractions complexes sont tous deux au même plan – autrement dit,
s’ils forment ensemble la donnée principale de l’élément matériel – ou si l’un doit être analysé
comme le principal, l’autre n’étant qu’une circonstance de son accomplissement. Cette question
appelle une réponse mitigée. En effet, la catégorie des infractions complexes est aujourd’hui
mal identifiée, ce qui entraîne des confusions dans l’appréhension de sa structure. La majorité
des infractions complexes identifiées par la doctrine se révèlent être des infractions simples
pour lesquelles le législateur a spécifié l’emploi d’un moyen en particulier. Ces infractions ne
présentent par conséquent pas de spécificité structurelle et ne sont pas à proprement parler des
infractions complexes (1), ce qui a par conséquent conduit certains auteurs à douter de l’op-
portunité de cette catégorie d’infractions. Reste néanmoins que certains textes d’incrimination
contiennent effectivement le détail de différents faits devant être accomplis par l’agent. Ces
infractions plaident en faveur du maintien de la catégorie des infractions complexes (2), sans
toutefois engendrer là non plus de réelle particularité structurelle.

1. L’absence de spécificité structurelle des infractions dites complexes

270. Identification de l’infraction complexe : l’exemple erroné de l’escroquerie – La


difficulté en matière d’infraction complexe tient à une incohérence entre la définition doctrinale
proposée et l’exemple typique qui en est donné. Au regard de cette définition, l’infraction n’est
supposée accomplie dans sa totalité qu’une fois réalisés les différents actes décrits dans le texte.
Or, l’exemple donné par la doctrine tient à l’infraction d’escroquerie. Celle-ci se scinderait
matériellement en deux faits distincts : l’un tient aux manœuvres frauduleuses, l’autre à la remise
de la chose. Et il est vrai que cette infraction, par son économie, est une infraction qui semble
devoir s’inscrire dans le temps. Les manœuvres frauduleuses pourront en effet être multiples et
ne pas être immédiatement déterminantes de la remise. Temporellement, la remise peut donc être
éloignée des manœuvres, dès lors qu’elle aura été déterminée par elle. En outre, ici la remise est

crim 7 avr. 2004, Bull. crim., no 92, et Cass. crim. 2 juin 2010, Bull. crim., no 99. Pourtant, cette infraction peut
s’analyser comme impliquant une dualité au sein de son élément moral, la connaissance de la délinquance de la
personne aidée et la volonté d’apporter son aide étant exigées. En ce sens, M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, op. cit.,
p. 1118, no 1034 ; J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, op. cit., p. 602, no 967 ; H. Matsopoulou et
J.-H. Robert, Traité de droit pénal des affaires, op. cit., p. 163, no 69. Il est donc particulièrement difficile, sinon
impossible de tirer des conclusions de ce choix de rédaction.
73. V. not. G. Stéfani et G. Levasseur, Droit pénal général, op. cit., p. 189, no 164 ; M.-L. Rassat, Droit pénal
général, op. cit., p. 301, no 257 ; Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 183, no 173.

261
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

en un sens voulu. Elle n’a pas été extorquée, même si le consentement a été vicié. Par conséquent,
l’infraction semble réellement s’exécuter en deux temps : le premier est celui du stratagème, le
second est celui dans lequel le stratagème provoque la remise.
Néanmoins, il n’y a pas dans ce cas deux faits distincts accomplis par l’agent. Les manœuvres
pourront être la résultante de plusieurs faits qui, mis ensemble les caractériseront. Mais cela n’est
pas suffisant à conférer à cette infraction la nature d’une infraction complexe, parce qu’elles
sont l’unique fait – ou ensemble de faits réunis par contraction ou addition 74 – exigé au titre
de l’élément matériel. La remise n’est en effet que le résultat de l’infraction et n’est d’ailleurs
en rien le fait de l’agent 75 . Il importe qu’elle ait été déterminée par les manœuvres 76 , mais
elle n’est pas un fait accompli par l’agent. Il n’y a donc pas un acte de tromperie et un acte
de détermination de la remise. Il y a une tromperie, commise par des manœuvres frauduleuses,
déterminant la remise d’un bien quelconque. Dès lors, l’escroquerie ne relève pas de la catégorie
des infractions complexes. Elle est une infraction simple et matérielle. 77 . Elle est donc à titre
principal une tromperie accomplie par un moyen particulier. Les précisions relatives aux types
de mensonges et manœuvres admis ne font que détailler la manière dont doit s’accomplir cette
tromperie pour tomber sous le coup de la loi pénale. Il s’agit par conséquent d’éléments de
définition du fait principal qui s’intègrent à lui, au même titre que la violence est un fait principal
de l’extorsion.

271. Remise en cause de la catégorie des infractions complexes – Dès lors que la
catégorie des infractions complexes se trouve privée de sa principale application, il est possible
de douter de son existence réelle 78 et ce, d’autant que les autres exemples donnés en doctrine
ne sont pas plus convaincants. Le délit de favoritisme, parfois érigé en infraction complexe 79 ,
l’illustre. Cette infraction consiste dans le fait « de procurer ou de tenter de procurer à autrui
un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant
pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les
délégations de service public » 80 . L’acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires
est ici encore le moyen utilisé afin de procurer à autrui un avantage injustifié, résultat de

74. V. infra, no 280.


75. Traitant ainsi la remise, v. not. V. Malabat, Droit pénal spécial, op. cit., p. 426, no 788.
76. Il s’agit là simplement de l’exigence formelle du lien de causalité.
77. En ce sens, E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 531, no 674. V. égal. L. Rousvoal, L’infraction
composite : essai sur la complexité en droit pénal, th. préc., p. 237, no 473. Certains auteurs contournent la difficulté
en identifiant le second acte dans l’acceptation de la remise (V. par ex. C. Porteron, Infraction, op. cit., no 68) .
Toutefois, les manœuvres étant accomplies dans le but de déterminer cette remise, il semble artificiel d’analyser
l’acte acceptation comme un fait distinct de la tromperie. Elle est impliquée dès le départ par la réalisation de la
tromperie. Pour une critique de cette tendance, v. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 531, no 674.
78. En ce sens, ibid., p. 531, nos 674 et s.
79. L. Rousvoal, L’infraction composite : essai sur la complexité en droit pénal, th. préc., p. 237, no 474.
80. Code pén. art. 432-14.

262
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

l’infraction. Il est vrai que le fait que cette infraction puisse être réprimée alors que l’avantage
n’a pas été procuré pourrait suggérer une scission de l’élément matériel en un fait d’octroi et un
fait de violation des dispositions législatives ou réglementaires. Toutefois, l’octroi demeure le
résultat de l’infraction, ce que montre l’assimilation de la tentative et de l’infraction consommée
en la matière. Peu importe que l’avantage ait ou non été procuré, il demeure le résultat, quand
bien même il n’aurait pas à être effectivement atteint 81 . Le fait principal tient ici au moyen
employé pour procurer l’avantage, c’est-à-dire un acte en violation des dispositions législatives
ou réglementaires.
Le même raisonnement peut être tenu pour la plupart des infractions présentées comme étant
des infractions complexes 82 . Le plus souvent, la complexité tiendra en réalité à l’assimilation du
résultat à un acte matériel. Par conséquent, le moyen décrit par le texte en vue de son obtention
apparaît dans toutes ces hypothèses comme le seul fait de l’agent et, donc, comme la donnée
principale de ces infractions.

272. Le cas particulier des agressions sexuelles – Une seule hypothèse semble déroger
frontalement à ce constat. Il s’agit des infractions d’agressions sexuelles 83 . En effet, pour
ces infractions, l’atteinte sexuelle doit être commise « avec violence, contrainte, menace ou
surprise » 84 . Le moyen permettant l’atteinte est donc ici l’usage de violence ou d’un autre
élément de contrainte. Transposer le raisonnement principal à ce type d’infraction conduirait
donc à voir dans ce moyen la donnée principale de l’infraction et dans l’atteinte sexuelle le
résultat 85 . Une telle lecture de l’article 222-22 n’est pas totalement contraire à sa lettre. Toutefois,
elle se révèle difficilement conciliable avec l’économie de ces infractions, et ce, pour plusieurs
raisons.
Tout d’abord, le viol semble réellement être caractérisé par deux actes réalisant ensemble
l’atteinte sexuelle. Le premier est l’emploi d’un moyen de contrainte au sens large ou de surprise,
le second est l’acte de pénétration, de nature sexuelle. Il y a donc ici deux faits matériels réalisés
par l’agent. Le premier tend à outrepasser l’absence de consentement à la relation sexuelle, le
second est l’acte sexuel en lui-même. Le résultat des infractions d’agressions sexuelles réside
dans la violation de la liberté sexuelle, autrement dit, dans le fait d’imposer une relation – ou un

81. La similitude de répression entre l’avantage effectivement procuré et la tentative fait ici de cette infraction une
infraction formelle. Pour une position plus nuancée, v. H. Matsopoulou et J.-H. Robert, Traité de droit pénal des
affaires, op. cit., p. 209, no 100 : « Pour que l’incrimination de l’article 432-14 condition préalable soit constituée,
il est nécessaire que le fonctionnaire ou l’agent public ait procuré à autrui un avantage injustifié ».
82. V. L. Saenko, Le temps en droit pénal des affaires, th. préc., p. 314, no 423.
83. Pour une analyse de ces infractions comme des infractions complexes, v. L. Rousvoal, L’infraction
composite : essai sur la complexité en droit pénal, th. préc., p. 232, no 462.
84. Code pén. art. 222-22.
85. Se rapprochant de cette solution, V. Malabat, Droit pénal spécial, op. cit., p. 168, 307, qualifiant la
pénétration de résultat du viol.

263
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

acte – sexuelle non consentie. Le degré de cette atteinte est variable et dépend du caractère plus
ou moins poussé de la relation sexuelle imposée. De même que le degré d’atteinte à l’intégrité
physique conduit à des gradations de la répression, le degré d’atteinte à la liberté sexuelle justifie
lui aussi plusieurs paliers de peines. La gravité du comportement ne se mesure alors pas à la
gravité du moyen employé, mais à la gravité de l’atteinte subie. Le fait de subir des caresses ou
attouchements est ainsi moins sévèrement réprimé que le fait de subir un acte de pénétration. Dès
lors, il pourrait sembler possible de voir dans la pénétration le degré d’atteinte subie. Néanmoins,
la difficulté reste qu’ici, les attouchements ou la pénétration ne sont pas réellement les suites du
comportement, ils sont indissociables de lui dès lors qu’ils sont directement le fait de l’agent.
En outre, admettre que la donnée principale tiendrait au moyen employé conduirait ici à
admettre que l’infraction puisse être accomplie sans réelle activité matérielle de la part de l’agent.
En effet, il a toujours été admis que la contrainte puisse être d’ordre moral. Or, l’article 222-
22-1 admet désormais que la contrainte morale peut « résulter de la différence d’âge existant
entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci
exerce sur cette victime ». La contrainte morale peut donc résulter des seules circonstances
factuelles 86 , c’est-à-dire de la différence d’âge et de l’autorité de l’agent, sans qu’il ne soit
plus besoin de caractériser en la matière un abus 87 . Cette admission semble imposer de voir
dans l’acte sexuel imposé le fait principal et dans le moyen employé un indice de l’absence de
consentement de la victime. Un arrêt en matière de tentative de viol conduit en outre à la même
conclusion 88 . Un homme ayant tenté d’avoir une relation sexuelle, mais n’ayant pu réaliser l’acte
de pénétration en raison d’une déficience momentanée, avait été en l’espèce renvoyé devant la
Cour d’assises pour tentative de viol. Dans le pourvoi, il était notamment invoqué le fait que « le
seul fait de placer sur son sexe un préservatif ne caractérise pas le commencement d’exécution
du crime de viol » 89 . Le pourvoi avait été rejeté, la Cour de cassation estimant que les juges
avaient caractérisé « le commencement d’exécution et l’absence de désistement volontaire et
ainsi justifié la mise en accusation » 90 . Elle voyait alors dans le fait de mettre un préservatif soit
constitutif d’un commencement d’exécution de l’infraction de viol 91 . Celui-ci ne se situait pas

86. Cette possibilité interdit au reste de voir dans les infractions d’agression sexuelle des infractions complexes.
Les actes apparaissent trop intimement liés entre eux. Il ne s’agit pas véritablement de plusieurs faits de natures
différentes accomplis dans le temps.
87. La jurisprudence antérieure à la loi du 8 février 2010 exigeait un tel abus, encore qu’elle semblait réserver
l’hypothèse du très jeune âge des victimes. Pour une hypothèse dans laquelle la Cour a admis que soit déduit de
l’absence de discernement un abus d’autorité, Cass. Crim., 11 juin 1992, Bull. crim., no 228 ; RSC 1993, p. 781,
obs. G. Levasseur.
88. Cass. crim., 10 janv. 1996, Bull. crim., no 14 ; Dr. pén. 1996, p. 97, obs. M. Véron ; RSC 1996, p. 656, obs.
Y. Mayaud ; RSC 1996, p. 846, obs. B. Bouloc.
89. Ibid.
90. Ibid.
91. En ce sens, Y. Mayaud obs. sur Cass. crim., 10 janv. 1996, RSC 1996, p. 656.

264
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

dans l’état de contrainte de la victime, mais dans la mise du préservatif, révélatrice de l’intention
de l’agent d’avoir une relation sexuelle.

273. L’état de contrainte, circonstance factuelle de réalisation du fait – Ainsi faut-il


admettre que l’état de contrainte – qu’il résulte de la violence, la menace, la contrainte au sens
strict ou la surprise – tient aux circonstances de réalisation du fait principal, celui-ci résidant
pour sa part dans l’acte sexuel imposé. Quand bien même l’usage d’un des quatre moyens décrits
par les textes d’incrimination serait le révélateur de l’absence de consentement et le moyen de
passer outre, il faut voir dans ces infractions un cas particulier. Le moyen employé ne peut être
ici assimilé au fait principal au regard de la matérialité de ces infractions.
À l’inverse, la grande majorité des infractions dites complexes se caractérisent par le fait
que le législateur a précisé le moyen de commission du fait. Dès lors que ce moyen ne vient que
préciser la manière dont l’infraction doit matériellement être réalisée, il doit s’analyser comme
la composante principale de l’élément matériel. L’infraction complexe ne présente de ce fait pas
de spécificité structurelle, ce qui conduit à remettre en cause le bien-fondé de cette catégorie.
Toutefois, il est effectivement possible d’identifier certaines infractions se caractérisant par une
pluralité de faits matériels, ce qui plaide au contraire pour le maintien de la catégorie des
infractions complexes.

2. La survivance relative de la catégorie des infractions complexes

274. Pluralité d’actes : le crime de disparition forcée – Si les infractions complexes


classiquement identifiées par la doctrine se caractérisent en réalité par un moyen en vue d’un
certain résultat, certaines infractions semblent réellement se distinguer par une pluralité d’actes
matériels. Tel est le cas par exemple en matière de disparition forcée, crime qui consiste en
un acte « de privation de liberté d’une personne [...] lorsque ces agissements sont suivis de sa
disparition et accompagnés soit du déni de la reconnaissance de la privation de liberté, soit de
la dissimulation du sort qui lui a été réservé ou de l’endroit où elle se trouve » 92 . À la lecture
de cet article, il semble que l’infraction se commette en deux temps. À l’acte d’arrestation, de
détention ou d’enlèvement illégal doit suivre celui de la négation du sort qui lui a été réservé.
Comme le souligne un auteur, « le cœur de l’infraction est là, qui consiste à faire disparaître une
personne, c’est-à-dire à la fois la priver de liberté et priver les autres de ses nouvelles. Il s’agit,
en définitive, d’effacer l’existence d’une personne » 93 . Dans cette infraction, les deux faits sont

92. Code pén. art. 221-12.


93. G. Beaussonie, « Loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine
de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France », art.
préc.

265
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

intimement liés, mais n’entretiennent pas de lien de causalité, en ce sens que le premier n’est pas
le moyen de réalisation du second. Le crime est ici exécuté par l’adjonction d’un fait de privation
de liberté et d’un fait de déni 94 et la qualification est donc conditionnée par la vérification de
ces deux faits.

275. Autres exemples – D’autres exemples d’infractions caractérisées par deux faits dis-
tincts peuvent être trouvés. Il a ainsi pu être donné l’exemple de la filouterie 95 , lorsqu’elle
consiste dans le fait « de se faire attribuer et d’occuper effectivement une ou plusieurs chambres
dans un établissement louant des chambres » 96 . En outre, différentes infractions de droit pénal
des affaires présentent la spécificité d’être constituées de plusieurs faits matériels n’entretenant
pas entre eux de lien de causalité 97 . Un exemple en la matière est celui de l’infraction incriminée
à l’article L.247-1 du Code de commerce et consistant dans « le fait, pour les membres du
directoire, du conseil d’administration ou les gérants des sociétés visées à l’article L.233-16 [...]
de ne pas établir et adresser aux actionnaires ou associés, dans les délais prévus par la loi, les
comptes consolidés ». L’infraction est ici constituée par l’absence d’établissement des comptes,
mais aussi par le fait qu’ils n’aient pas étés adressés aux associés.

276. Le détail des étapes de l’infraction – Dans ces différentes infractions, les actes
exigés au titre de l’élément matériel n’entretiennent pas de lien de causalité entre eux. Ce
n’est pas dire qu’ils ne soient pas en lien, mais le premier fait décrit n’est pas le moyen
d’accomplissement du second. Ces infractions semblent donc présenter une structure spécifique,
issue de la pluralité de faits de nature différente exigée pour la caractérisation de leurs éléments
matériels. Toutefois, dans ces hypothèses, la pluralité de faits exigés se révèle essentiellement
liée à une décomposition de l’iter criminis, c’est-à-dire des différents actes aboutissant à la
consommation des infractions. Les incriminations ne font pas état d’un moyen permettant
d’arriver à un résultat, mais de plusieurs faits successifs.
L’énumération légale se prolonge logiquement dans une obligation pour le juge de vérifier
l’existence des différentes étapes mentionnées dans les textes. Ici, tout se passe comme si le
législateur avait détaillé l’iter criminis et imposé au juge de vérifier non pas seulement la
corrélation du fait final accompli avec le fait incriminé, mais l’ensemble du chemin parcouru.
L’infraction n’est exécutée dans sa totalité qu’à l’issue de la réalisation des différents faits décrits,

94. Encore que rien dans le texte n’impose que le déni soit le fait de la même personne. L’économie de
l’incrimination suggérerait davantage un contexte de déni dès lors qu’il s’agit d’incriminer les agissements de l’État
ou de ses représentants.
95. V. L. Saenko, Le temps en droit pénal des affaires, th. préc., p. 316, no 427.
96. Code pén. art. 313-5 2°. Nous soulignons.
97. V. L. Saenko, Le temps en droit pénal des affaires, th. préc., p. 316, nos 427 et s., et les différents exemples
cités par l’auteur.

266
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

de sorte que la qualification des faits est conditionnée par eux 98 .

277. L’absence de réelle spécificité structurelle – Par conséquent ces infractions pré-
sentent effectivement une spécificité, mais qui ne conduit pas à un bouleversement dans leur
structure. Comme pour toute autre infraction, leur caractérisation impose une analyse d’en-
semble des faits accomplis sous leur angle matériel. Mais, pour ces infractions en particulier,
la vérification des différentes étapes menant à l’exécution complète de l’infraction est imposée
par les textes 99 . Le juge se trouve alors davantage guidé dans l’exercice de qualification. Du point
de vue de leur structure, ces infractions ne présentent donc pas de spécificité particulière. À titre
principal, elles sont constituées du fait achevant l’exécution de l’infraction, ce fait s’insérant
dans un ensemble de circonstances, dont certaines, factuelles, devront également être vérifiées
par le juge.
Dès lors, s’il est possible de voir dans ces infractions des infractions complexes, la pluralité
de faits mentionnés dans les textes n’emporte pas de conséquence notable. Pour ces infractions
comme pour toutes les autres, le juge devra se conformer au principe de légalité et vérifier
l’adéquation du comportement accompli et du comportement prévu. Il devra vérifier l’existence
du fait principal marquant l’exécution de l’infraction et des autres circonstances exigées par
les textes. Qu’il s’agisse des infractions abusivement considérées comme complexes ou non,
la catégorie des infractions complexes ne présente donc pas de spécificité d’un point de vue
structurel. Comme toute infraction, leur élément matériel est composé à titre principal d’un
fait et de circonstances constitutives. Les variations du fait principal s’illustrent par conséquent
essentiellement dans le mode de commission prévu par les textes, mais ne se situent pas dans
une pluralité de celui-ci.

98. L’infraction de préparation d’actes terroristes, définie à l’article 421-2-6 du Code pénal relève de la même
logique. Ici, l’infraction terroriste n’a pas a être accomplie mais doit avoir simplement préparée. Or, cette préparation
doit être révélée par deux faits distincts, l’un de détention de substance de nature à créer un risque, l’autre
d’activité matérielle particulière (différentes hypothèses sont visées). Ne pouvant se contenter d’un seul de ces
faits, particulièrement équivoque, le législateur voit dans le cumul l’indice objectif de la préparation d’une infraction
terroriste : il détaille donc ici l’iter criminis, mais en amont du commencement d’exécution. Ce n’est qu’avec de le
second fait que la préparation sera matériellement suffisamment révélée pour pouvoir être appréhendée. Il convient
de préciser que l’article a fait l’objet d’une censure partielle par le Conseil constitutionnel, celui-ci ayant estimé
qu’« en retenant au titre des faits matériels pouvant constituer un acte préparatoire le fait de « rechercher ... des
objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui », sans circonscrire les actes pouvant constituer
une telle recherche dans le cadre d’une entreprise individuelle terroriste, le législateur a permis que soient réprimés
des actes ne matérialisant pas, en eux-mêmes, la volonté de préparer une infraction. » Cons. const., 17 avr. 2017,
no 2017-625 QPC ; D. actualités 2017, obs. D. Goetz, cons. 17.
99. Par exemple, pour l’infraction prévue à l’article L.247-1 du Code de commerce, ce qui est principalement
réprimé est le défaut d’information des actionnaires et associés, autrement dit, le fait que les comptes consolidés
ne leur ont pas adressé. En effet, le seul défaut d’établissement des comptes n’est pas suffisant à caractériser
l’infraction. C’est à travers une suite logique de faits que le législateur appréhende ce comportement, soit par
l’absence d’établissement et l’absence d’information. De même en est-il pour la filouterie. Ce que l’on réprime,
c’est le fait de profiter d’un service sans être en mesure de le payer. L’infraction n’est donc pas caractérisée par
la seule sollicitation du service, elle l’est par la démarche consistant à se faire attribuer un service et à profiter
indûment.

267
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

L’étude des variations du fait ayant été envisagée, il faut désormais s’attarder sur les
circonstances accompagnant la réalisation du fait. Elles sont en effet toutes aussi fondamentales
à la qualification judiciaire des faits, soit qu’elle la guide, soit qu’elle la conditionne.

Section 2 – Les circonstances du fait

278. Double utilité du contexte – Si l’élément matériel est composé à titre principal
du fait, celui-ci ne saurait être analysé isolément. L’environnement factuel dans lequel il se
déroule est tout aussi fondamental et, ce, à deux titres. Tout d’abord, l’isolation du fait et sa
caractérisation nécessitent le plus souvent – si ce n’est toujours – une approche générale et
globale du comportement, ce qui est tout à fait logique au regard de la conception proposée
des éléments. Le fait s’insère dans un contexte particulier qui peut permettre de l’identifier et
de le caractériser. En outre, les textes d’incriminations encadrent de plus en plus fréquemment
les circonstances dans lesquelles un fait est punissable. Conformément au principe de légalité,
ces différentes circonstances prévues par les textes devront donc être vérifiées par le juge. Elles
conditionnent la qualification tout autant que le fait principal. Les textes peuvent inviter le juge
à envisager le contexte en s’interrogeant sur la qualité de l’agent, les moyens employés, le lieu
de commission, etc. Ces circonstances intègrent l’élément matériel dès lors qu’elles délimitent
le contexte factuel dans lequel doit se réaliser le comportement 100 .
Les circonstances accompagnant la réalisation du fait principal peuvent donc être fonda-
mentale à deux titres, soit qu’elles soient indispensables à la caractérisation du fait principal
(I), soit qu’elles soient indispensables à la caractérisation l’élément matériel (II). Dans la
première hypothèse, les circonstances permettront de caractériser le fait principal (elles ne sont
donc pas des circonstances constitutives). Dans la seconde, elles sont à proprement parler des
particularités accompagnant la réalisation de ce fait et intègrent donc cette catégorie.

§ 1. L’importance des circonstances dans la caractérisation du fait

279. Caractérisation du fait principal par contraction ou addition – Identifier théori-


quement la donnée principale de l’élément matériel présente un intérêt didactique en permettant
de préciser et détailler la consistance de cet élément. Toutefois, en pratique, le fait principal ne
peut être apprécié seul. Souvent, le contexte de sa réalisation, les différents actes accomplis

100. Elles intégreront l’élément antijuridique lorsqu’elles seront directement relatives à la valeur protégée par le
texte.

268
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

et les circonstances qui l’entourent sont déterminants dans l’exercice de qualification. Ils le
sont en premier lieu parce que la détermination et la caractérisation du fait principal peuvent
nécessiter un travail de reconstruction de la part du juge. Cette nécessité a notamment été mise
en lumière par Monsieur Larguier dans son article consacré à la théorie des ensembles 101 .
Il y est expliqué que le juge va parfois procéder à un assemblage de différents faits dans la
recherche de la qualification 102 . Cet assemblage n’est pas seulement utile à la recherche de la
qualification adéquate, il l’est aussi pour la caractérisation du fait principal accompli par l’agent.
Le fait principal peut en effet ne pas consister en un fait unique. Abstraitement, il peut être
envisagé comme tel (le vol est ainsi la soustraction, l’abus de confiance, le détournement...),
mais en pratique, et même dans le cas des infractions instantanées, les comportements sont
complexes et il sera difficile pour le juge d’isoler un fait unique constitutif du fait principal d’une
incrimination. Il sera alors nécessaire pour le juge de procéder à une reconstruction des faits par
« addition » ou par « contraction » 103 . Dans un cas, la caractérisation du fait se fera grâce à une
adjonction de différents éléments qui, pris isolément, ne sont pas constitutifs d’une infraction
(reconstruction par addition des faits). Dans l’autre cas, le fait principal apparaîtra à l’issue d’une
analyse d’ensemble. Réunifiés, les faits accomplis permettront de mettre en lumière l’existence
du fait principal (reconstruction par contraction des faits) 104 .

280. Application à l’escroquerie – L’un des exemples les plus flagrants en la matière
et que donne Monsieur Larguier est celui de l’escroquerie 105 . Si l’usage d’un faux nom ou
d’une fausse qualité peut résulter d’un fait unique et, donc, peut être assez facilement isolé,
les manœuvres frauduleuses, elles, résultent forcément d’une pluralité de faits. L’on sait en
effet que hors les cas prévus par le texte, le simple mensonge ne peut suffire à caractériser
l’élément matériel de l’escroquerie 106 . Des vérifications essentielles s’imposent à tout un
chacun 107 , de sorte que pour être de nature à « tromper » 108 , le mensonge doit résulter de
manœuvres frauduleuses. Ces manœuvres peuvent être la résultante de faits venant corroborer le
mensonge 109 . C’est alors par un raisonnement par adjonction que les manœuvres frauduleuses

101. J. Larguier, « Théorie des ensembles et qualification pénale » in Mélanges offerts à A. Chavanne, op. cit.
102. Ibid.
103. Ibid. V. égal. E. Gallardo-Gonggryp, La qualification pénale des faits, th. préc., p. 96, nos 122 et s.
104. J. Larguier, « Théorie des ensembles et qualification pénale » in Mélanges offerts à A. Chavanne, op. cit.
105. Madame Gallardo-Gonggryp l’utilise également. V. E. Gallardo-Gonggryp, La qualification pénale
des faits, th. préc., p. 100, no 127.
106. Cass. crim., 20 juil. 1960, Bull. crim., no 382 ; D. 1961, p. 191, note A. Chavanne ; JCP 1961, II, 11973,
note Y. Guyon ; Cass. crim., 1er nov. 1991, Bull. crim., no 399.
107. En ce sens, M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, op. cit., p. 165, no 143.
108. Code pén. art. 313-1.
109. Cass. crim., 12 nov. 1864 ; Cass. crim., 27 avr. 1955, Bull. crim., no 209 ; Cass. crim., 6 juil. 1966, Bull.
crim., no 193 ; Cass. crim., 18 juil. 1968, Bull. crim., no 233 ; Cass. crim., 8 nov. 1976, Bull. crim., no 317.

269
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

seront reconstituées 110 .


Un autre exemple, donné par Monsieur Larguier et repris par Madame Gallardo-
Gonggryp 111 , est celui du mandataire se portant acquéreur d’un immeuble pour ensuite le
revendre à un prix plus élevé sans rien révéler au mandant 112 . Comme l’explique Monsieur
Larguier, pris isolément, le fait d’acheter un bien ou le fait de le vendre ne peuvent être
constitutifs de l’élément matériel d’une infraction. Mais, « l’ensemble de ces opérations, ces
deux éléments, mis en contact, va faire apparaître l’escroquerie » 113 lorsque les deux faits
émanent de la même personne. Dans ces différentes hypothèses, les différents faits accomplis
permettent ensemble la caractérisation de la donnée principale de l’élément matériel.

281. Illustration hors escroquerie – Cette qualification du fait principal par adjonction ou
contraction n’est du reste pas propre à l’infraction d’escroquerie, même si cette infraction offre
un terrain privilégié en la matière. Par exemple, le raisonnement par adjonction pourra s’observer
dans les hypothèses de violences volontaires et essentiellement dans les cas de chocs émotifs. En
la matière, la Cour de cassation reprend régulièrement les différents faits accomplis et ayant été
de nature à causer un choc émotif à la victime 114 . Le choc peut ne pas être la conséquence d’un
fait en particulier, mais de l’adjonction de plusieurs faits, constitutifs ensemble du fait positif
caractérisant l’élément matériel des violences volontaires. Ainsi, la Cour a pu juger qu’était
constitutive de violences volontaires « l’exhibition d’un couteau de poche ouvert, lorsque les
circonstances qui l’ont accompagnée, et notamment la nature des paroles prononcées, lui ont
donné un caractère menaçant » 115 . Cet arrêt illustre parfaitement l’influence du contexte et des
circonstances factuelles dans la qualification du fait principal. Dans ce cas, elles ne sont pas des
exigences particulières, mais permettent simplement de révéler l’existence du fait d’exécution
d’une infraction spécifique.
Si les circonstances peuvent se révéler fondamentales dans l’exercice de qualification, elles
peuvent aussi être fondamentales dans la caractérisation de l’élément matériel, lorsque les textes
d’incrimination en prévoient.

110. La Cour de cassation juge ainsi que si de simples mensonges, même produits par écrit, ne peuvent caractériser
la manœuvre frauduleuse constitutive de l’escroquerie, il en est autrement lorsque, à ces mensonges, se joint un fait
extérieur leur donnant créance. V. not. Cass. crim., 16 mars 1970, Bull. crim., no 107 ; JCP 1971, II, 16813, note
B. Bouloc.
111. J. Larguier, « Théorie des ensembles et qualification pénale » in Mélanges offerts à A. Chavanne, op. cit.,
et E. Gallardo-Gonggryp, La qualification pénale des faits, th. préc., p. 100, no 127.
112. Les faits sont ceux d’un arrêt rendu par la Chambre criminelle, en date du 18 juillet 1985, Bull. crim., no 273.
113. J. Larguier, « Théorie des ensembles et qualification pénale » in Mélanges offerts à A. Chavanne, op. cit.
Monsieur Larguier voit dans ce cas une hypothèse de qualification par contraction.
114. V. not. Cass. crim., 21 nov. 1988, Bull. crim., no 392 ; RSC 1989, p. 320, obs. G. Levasseur, dans une
hypothèse où la victime s’était elle-même blessée en sautant par la fenêtre pour échapper à son agresseur. C’est au
regard du comportement violent et des menaces que les faits ont été caractérisés.
115. Cass. crim., 9 mars 1949, Bull. crim., no 69.

270
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

§ 2. L’importance des circonstances dans la caractérisation de l’élément


matériel

282. Les circonstances dans la loi – Les circonstances dans lesquelles le fait est accompli
peuvent présenter une importance fondamentale à un autre titre. Il ne s’agit alors plus d’apprécier
largement les faits et de caractériser le fait principal grâce à diverses circonstances. Il s’agit au
contraire pour le juge de l’obligation de vérifier les circonstances dans lesquelles le fait principal
a été accompli.
Les textes de loi prévoient souvent des circonstances particulières pour que le fait soit
punissable. Ces circonstances sont relativement variées. Elles pourront, selon les comportements
incriminés, être relatives au lieu de réalisation du fait, à l’agent l’ayant accompli, à l’emploi
d’un moyen particulier, etc. Ces circonstances accompagnant la réalisation du fait en sont
donc des circonstances constitutives lorsqu’elles sont exigées par la loi (A). En outre, dans
certaines hypothèses, les textes se contenteront de circonstances qui justifieront à elles seules
la répression et dispenseront le juge de l’obligation de caractériser l’élément matériel (B). Les
circonstances sont alors à elles seules suffisantes, parce qu’elles laissent supposer la commission
d’une infraction.

A. Les circonstances constitutives exigées par la loi

283. Diversité des circonstances – Si les incriminations ont toujours contenu certaines
exigences de lieu, de fait, éventuellement de temps 116 , elles sont de plus en plus fréquentes
et de plus en plus nombreuses. Il n’est pas rare de trouver dans le Code pénal des textes
décrivant de manière particulièrement circonstanciée un comportement. La précision parfois
excessive des textes impose alors diverses vérifications au juge. Synthétiquement, les différentes
circonstances relatives à la matérialité des faits mentionnés dans les textes seront relatives au
lieu de l’infraction, à son objet, au moyen employé, à un cadre particulier, ou encore à la qualité
du sujet actif. Ce sont ces différentes circonstances qu’il s’agira de présenter.

284. Le caractère perturbateur de la condition dite préalable – Toutefois, l’analyse est


ici perturbée par la notion de condition dite préalable. Entendue très largement en doctrine, celle-
ci tend à intégrer des exigences particulièrement variées et entretenant parfois un lien distendu
et/ou indirect avec la valeur protégée. En tant que révélatrice de la valeur protégée par le texte
et parce ce qu’elle en est la matérialisation dans le monde réel, la condition préalable est en lien

116. Les circonstances de temps sont relativement rares. Parfois, les infractions nécessiteront que le fait principal
se soit inscrit dans la durée, mais ces exigences renvoient à la durée du fait principal et non à une circonstance
constitutive.

271
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

avec l’élément antijuridique dont elle dépend 117 . Reste que par sa définition et par l’utilisation
qui en est faite en doctrine, la condition dite préalable tend à inclure un très grand nombre
des exigences légales. Son utilité se révèle à ce titre douteuse. Beaucoup de données rattachées
actuellement à elle apparaissent en réalité intimement liées à l’élément matériel et ne devraient
pas en être artificiellement détachées. La remise en cause de cette condition (1), permettra de
déterminer plus précisément les circonstances dépendant de cet élément (2).

1. La remise en cause de la condition dite préalable

285. Dualité de définitions – La condition dite préalable peut être appréhendée de deux
manières. Pour Monsieur Vouin, elle est le domaine dans lequel se commet l’infraction et
s’oppose de ce fait à l’acte constitutif 118 . Elle intégrera donc la valeur protégée, sans toutefois
se confondre avec elle. Mais une autre définition, plus restrictive, s’est partiellement imposée.
Elle serait « la situation juridique mise sous la protection de la loi pénale » 119 . Autrement dit, la
situation juridique protégée par la loi pénale 120 . Elle s’oppose aux éléments constitutifs qui sont
eux « l’atteinte prohibée à cette situation » 121 .
Les deux définitions sont relativement proches, mais ne se recoupent pas parfaitement. Dans
la définition de Monsieur Vouin, le lien entre condition préalable et valeur protégée est moins
marqué. La première permet certes d’identifier la seconde 122 , mais elle a plus largement vocation
à intégrer les différentes conditions légales extérieures à la conduite de l’agent. La catégorie est
donc particulièrement large et intègre des données très variées. Elle est le réceptacle de toutes
les conditions qui n’intègrent pas la matérialité « mais permettent seulement de la révéler » 123 .
À l’inverse, la définition proposée par Monsieur Decocq est tournée vers la valeur protégée, qui
en est la donnée fondamentale, bien que non exclusive 124 . La valeur protégée a sa place au sein

117. Infra, no 380.


118. R. Vouin, Précis de droit pénal spécial, op. cit., p. 3, no 2. Comp. J.-P. Doucet, « La condition préalable à
l’infraction », art. préc., qui y voit la base de l’infraction.
119. M.-P. Lucas de Leyssac, Décision de justice civile et répression pénale, 1975, Thèse, Paris II, p. 228, no 289.
Plus récemment, elle a été définie comme « une situation juridique de droit ou de fait, distincte de l’infraction et
qui représente, au sein de l’incrimination, le bien juridique pénalement protégé ». B. Thellier de Poncheville,
La condition préalable de l’infraction, th. préc., p. 543, no 989.
120. Cette définition, qui est celle de Monsieur Decocq (A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., p. 81-82), est
parfois présentée comme la plus commune. V. L. Rousvoal, L’infraction composite : essai sur la complexité en
droit pénal, th. préc., p. 94, no 159.
121. A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., p. 88.
122. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 182, no 222.
123. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 221, no 199. Comp. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit.,
p. 181, no 222, et B. Bouloc, Droit pénal général, op. cit., p. 211, no 223.
124. « La valeur sociale protégée est attachée à une situation de droit ou de fait que la conduite (éléments de
l’infraction) a pour effet de perturber et qui constitue la condition préalable ». A. Decocq, Droit pénal général,
op. cit., p. 81-82.

272
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

de la situation perturbée par l’infraction sans se confondre avec elle 125 . Par exemple, dans le
cadre du meurtre, la valeur protégée est la vie ; la situation que la commission de l’infraction va
venir perturber – autrement dit la condition préalable – est de ce fait l’existence d’une personne
vivante.

286. L’utilité limitée de la condition préalable – Ces deux définitions, proches mais non
réductibles, conduisent à une ambiguïté dans la délimitation de la condition. Elles encouragent,
au demeurant, un élargissement de la catégorie qui a vocation à intégrer tout ce qui n’est
pas directement accompli par l’agent. La définition de Vouin le permettait parfaitement, et la
consécration qui en a été faite en jurisprudence aussi 126 . Dans une plus faible mesure, même les
définitions de Monsieur Decocq, de Madame Lucas de Leyssac et de Madame Thellier
de Poncheville rendent possible un tel élargissement. Perçue comme une situation 127 , la
condition préalable est large et composite. Beaucoup de conditions peuvent être mises plus
ou moins directement en relation avec la situation protégée par le texte, de sorte qu’elle peut
inclure plusieurs données et revenir à délimiter le cadre dans lequel l’infraction se déroule.
Une illustration du propos peut être trouvée dans le traitement des infractions d’agressions
sexuelles. Ces incriminations viennent essentiellement protéger la liberté sexuelle 128 . L’emploi
de la violence, de la menace, de la contrainte ou de la surprise n’est pas en soi la matérialisation
de la valeur, mais il révèle l’absence de consentement. Autrement dit, il permet de vérifier
positivement une condition préalable essentiellement négative. Il ne s’agit pas à proprement
parler de la situation protégée, mais ces exigences permettent de la vérifier, de sorte que le moyen
employé pour obtenir contre le gré de la personne la relation sexuelle peut être lié à la condition
préalable de l’infraction 129 .
Or, entendue aussi largement, la condition préalable n’est pas d’une utilité significative. Elle
ne sert finalement à rien d’autre qu’à séparer au sein de l’élément matériel le fait d’exécution
des circonstances qui l’entourent. Il faut ici rejoindre Monsieur Rousvoal dans le constat qui le
conduit à proposer un élément préalable à l’infraction. En effet, et pour reprendre ses termes, la
catégorie des conditions préalables est devenue « le réceptacle de tout le reste » 130 , c’est-à-dire

125. En ce sens, X. Pin, Droit pénal général, op. cit., p. 131, no 144 : les conditions préalables « ne se confondent
pas avec l’intérêt juridique protégé ».
126. Sont opposées aux actes délictueux la ou les conditions imposées par la loi. V. Cass. crim., 30 mars 1971,
Bull. crim., no 114.
127. Cette précision a d’ailleurs pu être critiquée pour son artifice (L. Rousvoal, L’infraction composite : essai
sur la complexité en droit pénal, th. préc., p. 95, no 159).
128. En ce sens, E. Dreyer, Droit pénal spécial, op. cit., p. 134, no 287.
129. L’étude de ces moyens est donc souvent liée en doctrine à l’absence de consentement. V. not. A.
Darsonville, Viol, op. cit., no 20, ou M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, op. cit., p. 643, no 580. Pour une analyse
critique de cette tendance, l’auteur préférant voir dans l’infraction de viol une infraction complexe, L. Rousvoal,
L’infraction composite : essai sur la complexité en droit pénal, th. préc., p. 232, nos 462 et s.
130. Ibid., p. 111, no 189.

273
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

de tout ce qui ne relève pas directement de l’activité accomplie par l’agent 131 .

287. Rejet de la définition large – La condition préalable, entendue aussi largement, n’est
pas un outil pertinent. Son utilité comme sa raison d’être peuvent être remises en cause. Tout
d’abord, le caractère externe de la condition préalable nie l’intégrité de l’infraction. L’infraction,
n’est pas uniquement l’acte de l’agent (les coups portés volontairement) : c’est un comportement
dans son ensemble qu’il a été possible de qualifier pénalement. Il est inexact de considérer que
certaines conditions, parce qu’elles sont extérieures à l’activité de l’agent sont distinctes de
l’infraction. L’infraction n’existe que dans son contexte, car indépendamment de lui, elle ne
peut être caractérisée. Il n’y a pas infraction si les coups portés l’ont été dans un sac de sable. Il
n’y a infraction que si ces coups ont été portés à un homme (dans ce cas, il s’agira de violences
volontaires 132 ), sur un bien (dans ce cas il s’agira de destruction ou dégradation de biens 133 ),
ou encore sur un animal (dans ce cas, il s’agira de mauvais traitement envers les animaux 134 ).
L’infraction n’est donc pas l’acte accompli pris pour lui-même, ce qui a été réalisé par l’agent et
dépend entièrement de lui. L’infraction est un comportement qui ne peut être dénommé comme
tel que parce qu’il a été réalisé dans un domaine particulier et a atteint une valeur particulière.
Certaines conditions sont effectivement distinctes de l’activité infractionnelle, mais elles ne sont
pas pour autant distinctes de l’infraction 135 . Elles ne sont pas dans la loi pénale et « hors de
l’infraction » 136 , parce que l’infraction n’est pas cantonnée à l’activité matérielle. Elle n’est
donc pas seulement constituée par ce qui dépend de l’agent, elle est également constituée par
son contexte.
Ensuite, étendues à l’ensemble du domaine dans lequel se déroule l’infraction, toutes les
conditions relatives au contexte, à l’environnement dans lequel se déroulent les faits dépen-
draient de l’élément antijuridique. Or, cette approche permet certes d’analyser les textes et d’en
partager les conditions, mais elle ne permet en rien de guider la qualification en partant des faits.

131. Pour remédier à ce problème, Monsieur Rousvoal propose l’admission d’un élément préalable venant
s’ajouter à la condition préalable et pouvant accueillir les objets non constitutifs de l’infraction et qui ne sont pas
des conditions préalables stricto sensu. La distinction viendrait alors de ce que « la condition préalable est tournée
vers le commandement extra-pénal : c’est le pont jeté par la loi vers le précepte extra-pénal [alors que l’élément]
préalable est tournée vers la violation incriminé : il en est la structure externe en quelque sorte ». Ibid., p. 113,
no 194. L’un comme l’autre serait prévu par les textes d’incrimination, mais extérieur à l’infraction.
132. Code pén., art. 222-7 et s.
133. Ibid., art. 322-1.
134. Ibid., art. R.654-1.
135. Ainsi, affirmer que « la condition préalable est une situation juridique [...] distincte de l’infraction » (B.
Thellier de Poncheville, La condition préalable de l’infraction, th. préc., p. 543, no 989) pourrait être jugé
partiellement inexact, car cette affirmation relève d’une vision trop étriquée de l’infraction, celle-ci se limitant aux
actes volontaires accomplis par l’agent. Il est d’ailleurs à souligner que Monsieur Vouin opposait la condition
préalable « l’acte proprement constitutif », mais non à l’infraction. R. Vouin, Précis de droit pénal spécial, op. cit.,
p. 3, no 2.
136. En ce sens, L. Rousvoal, L’infraction composite : essai sur la complexité en droit pénal, th. préc., p. 113,
no 194.

274
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

Elle relève d’une approche par adjonction de conditions. Il s’agit d’étudier les incriminations
pour en dégager des conditions devant être vérifiées les unes après les autres dans les faits. Mais
elle ne permet pas une démarche inductive, car il est difficile d’isoler le domaine dans lequel
se réalise le comportement pour l’apprécier abstraitement. Surtout, cela conduit par la suite à
apprécier les faits seuls, indépendamment de tout contexte.

288. Une condition relative à la valeur protégée – C’est donc la conception retenue de
la condition préalable qui peut dans son entier être remise en cause. Elle ne devrait pas s’étendre
à une situation, de droit ou de fait, protégée par la loi, mais, plus strictement, se restreindre à la
matérialisation de la valeur protégée. Les circonstances de réalisation du fait d’exécution, même
préalables à lui, ne devraient en effet pas en être si artificiellement séparées. Par exemple, la
valeur que l’incrimination de vol protège est le droit de propriété d’autrui, ce qui ne concerne
pas directement l’objet du vol. N’a d’intérêt au regard de la condition relative à la valeur que
l’existence d’un droit de propriété, non la nature du bien volé (bien meuble ou immeuble,
corporel ou incorporel...). Cette question ne concerne que le champ d’application de l’infraction,
l’objet spécifique visé par le texte d’incrimination. Mais en tant que telle, la nature de cet objet
est indifférente à l’atteinte à la valeur propriété. Ce n’est en effet pas la chose en tant que telle que
le vol vient protéger, mais le droit de propriété sur la chose. Ainsi, les moyens de commission
de l’infraction – telle la substance mortifère dans l’empoisonnement 137 – qui ne sont que des
modalités d’exécution du fait principal 138 , ne peuvent être rattachés qu’à lui.
Seule la condition relative à la valeur protégée, entendue strictement, peut être utilement
distinguée 139 , mais sans être pour autant extérieure à l’infraction. Elle relève de l’élément
antijuridique, parce que c’est sur elle que se produit l’atteinte. Ce rattachement ne doit d’ailleurs
pas nuire à l’intégrité de la qualification. Dans plusieurs hypothèses, son existence sera constatée
dès l’analyse du comportement sous son angle matériel. Mais dans d’autres (existence d’un
droit de propriété par exemple), sa vérification pourra donner lieu à discussion. C’est alors plus
spécifiquement à l’occasion de l’analyse du comportement sous son angle antijuridique que celle-
ci aura lieu. Il s’agira alors de déterminer si l’atteinte à la valeur est effective ou non. Quant aux
autres circonstances, elles dépendent par contre effectivement de l’élément matériel.

137. Beaucoup d’auteurs y voient pourtant la condition préalable à l’empoisonnement. V. not. E. Dreyer, Droit
pénal spécial, op. cit., p. 35, no 79, ou M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, op. cit., p. 371, no 329. La nature mortifère
est certes une condition qui précède temporellement l’acte d’emploi ou d’administration, mais elle n’est pas ici une
expression de la valeur protégée par l’incrimination. Elle n’en est qu’une condition.
138. En ce sens, B. Thellier de Poncheville, La condition préalable de l’infraction, th. préc., p. 12, no 19,
encore que l’auteur semble considérer la substance mortifère dans l’empoisonnement comme une de ses conditions
préalables (v. p. 274, no 499) alors pourtant qu’elle n’est que le moyen de l’attentat à la vie.
139. La condition relative à la valeur se limiterait alors à l’existence d’une personne en vie pour les infractions
contre les personnes, la qualité de cette personne lorsqu’elle fait l’objet d’une protection particulière, le droit de
propriété pour les infractions contre les biens, etc.

275
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

2. Les circonstances constitutives de l’élément matériel

289. Déterminations des circonstances – Les circonstances dépendantes de l’élément


matériel sont particulièrement variées. L’élément matériel est l’occasion pour le juge d’analyser
le comportement sous un angle matériel et physique. Ce comportement s’insère dans un contexte
qu’il sera nécessaire pour le juge d’analyser non seulement parce que l’appréciation des faits
accomplis ne peut être faite abstraction faite de leur contexte, mais aussi parce que celui-ci peut
être déterminant dans la caractérisation de l’infraction.
Les circonstances constitutives ont pu être définies comme les particularités qui accom-
pagnent et distinguent la donnée principale. Or, le fait se distingue et se caractérise par la
personne l’ayant accomplie, par le lieu dans lequel il a été accompli, par l’objet sur lequel il a
été accompli ou encore par le moyen ayant permis son accomplissement. Les exigences légales
relatives au sujet actif, au lieu, à l’objet, ou au moyen peuvent donc être intégrées à l’élément
matériel. Ensemble, ces exigences légales forment le contexte matériel dans lequel se déroule le
fait décrit.
Les circonstances constitutives de l’élément matériel étant particulièrement nombreuses,
elles seront envisagées à travers leur diversité (a), et à travers les cas particuliers relatifs à
certaines catégories d’infractions (b).

a. La diversité des circonstances constitutives

290. Difficultés relatives aux circonstances de lieu – Les circonstances tenant au lieu,
tout d’abord, pourront intégrer la matérialité de l’infraction et être vérifiées à l’occasion de
l’analyse du comportement sous son angle matériel. Elles seront d’ailleurs le plus souvent
constatées en même temps qu’est analysé le fait. Toutefois, l’exigence d’un lieu en particulier
relève le plus souvent de la protection spéciale accordée par la loi à certains d’entre eux. Tel
est le cas par exemple du domicile, protégé par l’article 226-4 du Code pénal qui réprime
l’introduction et le maintient dans le domicile d’autrui 140 . Dans ce cas, l’exigence tenant au
lieu renvoie directement à la valeur protégée. La vérification du statut du bien – autrement dit
la vérification du fait qu’il s’agit effectivement d’un domicile 141 – relève alors davantage de

140. Lorsque la violation est le fait d’une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission
de service public dans l’exercice de ses fonctions, la répression se fera sur le fondement de l’article 432-7.
141. La notion de domicile retenue en jurisprudence est relativement large dès lors qu’il s’agit de tout lieu où
la personne a le droit se dire chez elle (Cass. crim., 26 fév. 1963, Bull. crim., no 92 ; Cass. crim., 13 oct. 1982,
Bull. crim., no 218 ; RSC 1983, p. 670, obs. G. Levasseur ; Cass. crim., 24 avr. 1985, Bull. crim., no 158 ; RSC
1986, p. 103, obs. G. Levasseur). Quoi qu’il en soit, les juges devront vérifier qu’il s’agit bien d’un domicile, dès
lors que « ce texte n’[a] pas pour objet de garantir d’une manière générale les propriétés immobilières contre une
usurpation ». Cass. crim., 22 janv. 1997, Bull. crim., no 31 ; Dr. pén. 1997, p. 78, obs. M. Véron ; Cass. crim.,
30 oct. 2006, Bull. crim., no 31 ; AJ pén. 2007, p. 32, obs. C. Saas ; RTD civ. 2007, p. 87, note J. Hauser ; RSC
2007, p. 83, note Y. Mayaud ; RDI 2007, p. 85, note G. Roujou de Boubée.

276
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

l’élément antijuridique que de l’élément matériel. Dans les cas où l’exigence d’un lieu particulier
pour la commission de l’infraction est la traduction de la protection particulière accordée à ce
lieu, il faut donc admettre que cette circonstance relève de l’élément antijuridique et non du
matériel 142 .
De même en est-il pour les infractions conditionnées par leur publicité 143 . Certains
comportements ne peuvent être pénalement sanctionnés que s’ils sont réalisés en public ou
dans un lieu accessible au public. L’exhibition sexuelle 144 , l’ancien délit de racolage public 145 ,
l’interdiction de dissimulation du visage 146 , ou la vente à la sauvette 147 , en donnent quelques
exemples. L’exigence de publicité sert dans ce cas à deux choses. Elle trace une frontière
entre la sphère privée et la sphère publique. Ce faisant, elle limite la restriction apportée
aux libertés individuelles à la seule sphère publique. Une difficulté survient alors, car ces
incriminations ne sont pas toutes officiellement destinées à protéger l’ordre public ou la vie
en communauté. Les incriminations viennent en protection d’autres valeurs, telle l’intégrité de
la personne pour l’exhibition ou la dignité pour l’ancien délit de racolage 148 . Par conséquent,
cette circonstance de lieu est en principe étrangère à l’antijuridicité matérielle du comportement
et devrait relever théoriquement de l’élément matériel. La circonstance relative au lieu permet
davantage de restreindre le champ d’application des incriminations (dans la sphère privée,
les libertés individuelles priment) qu’elle ne révèle la valeur protégée. Elle n’est donc pas la
matérialisation de la condition préalable qui ne prend pas corps avec elle, sauf à admettre que
ces infractions viennent simplement garantir le respect de certaines règles de vie en société.

291. Circonstances relatives au sujet actif – De même en est-il des exigences relatives
au sujet actif. En de nombreuses hypothèses, les infractions ne peuvent être commises que
par certaines personnes en particulier. Il s’agit de ce que la doctrine appelle parfois des
infractions attitrées 149 . Ces conditions devront par conséquent être vérifiées par le juge lors de
la qualification. Elles seront, selon les cas, des circonstances constitutives du fait matériel des

142. Tel est le cas par exemple pour la violation des établissements pénitentiaires (Code pén. art. 434-35-1) ou
l’introduction sur un terrain militaire (Code pén., art. 413-5).
143. Pour une étude de ces infractions et du rôle de la publicité dans la constitution des infraction, L. Facq, De
la publicité, élément constitutif de l’infraction, 1935, G. Thomas.
144. Code pén., art. 222-32.
145. Ibid., art. 225-10-1, abrogé.
146. Loi 2010-1192 du 11 oct. 2010, art. 1 et 3.
147. Code pén., art. 446-1.
148. L’interdiction de dissimulation du visage étant une simple contravention, elle est en premier lieu une règle
de vie en société. La circulaire du 2 mars 2011 relative à la mise en œuvre de la loi précise d’ailleurs que « se
dissimuler le visage, c’est porter atteinte aux exigences minimales de la vie en société ». Elle rattache néanmoins à
tire subsidiaire le comportement à une atteinte à la dignité humaine et à l’égalité. Quant à la vente à la sauvette, son
incrimination vise à protéger les « dispositions réglementant les professions exercées dans les lieux publics » (titre
du Chapitre IV dans lequel l’article est inséré).
149. L. Saenko, « Brèves réflexions sur la catégorie des infractions « attitrées », Gaz. Pal. 2015, no 307, p. 20.

277
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

infractions simples ou des infractions aggravées 150 . Dans les deux cas, c’est au regard de cette
qualité qu’agit l’agent, et dans beaucoup d’hypothèses, en faisant usage de cette qualité.

292. Les circonstances tenant au moyen employé – Particulièrement diverses, les préci-
sions contenues dans les textes peuvent également pour certaines poser l’exigence de l’emploi
d’un moyen en particulier. Tel est en premier lieu le cas lorsque le texte prévoit que l’agent a
utilisé un objet ou un moyen particulier. Par exemple, l’empoisonnement ne peut être commis
que par emploi ou administration (fait principal) d’une substance mortifère. L’infraction ne
peut être commise que par administration, mais toutes les substances ne sont pas concernées.
Devront être utilisées des substances « de nature à entraîner la mort » 151 pour l’empoisonnement
puisse être matériellement caractérisé. Il en va de même pour certaines destructions de biens.
Est ainsi réprimée la destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à
autrui, notamment par l’effet d’une substance explosive ou d’un incendie 152 . Pour tomber sous
le coup de ce texte, la destruction du bien doit donc être faite par l’emploi d’un moyen particulier.
Il ne s’agit pas ici de la forme que doit prendre le fait matériel, autrement dit de son mode
de commission, il s’agit ici du moyen permettant de réaliser le fait matériel. Il est donc une
particularité accompagnant la réalisation du fait principal de destruction. Il s’ensuit qu’il est
théoriquement possible de différencier le moyen renvoyant à la modalité de réalisation du fait
principal et qui s’incorpore à ce fait du moyen servant à la réalisation de ce même fait.

293. Les précisions relatives au fait principal – Des difficultés peuvent toutefois surgir
lorsque le moyen employé se confond en réalité avec le fait principal d’exécution. Par exemple,
au titre de la discrimination, ne seront des distinctions punissables au sens de l’article 225-1 que
les distinctions commises à l’occasion des faits prévus à l’article 225-2, soit le refus d’un bien
ou d’un service, l’entrave à l’exercice normal d’une activité économique, etc. Les précisions
apportées par l’article 225-2 permettent donc de circonscrire des faits de discrimination à
des faits de refus 153 , d’entrave 154 ou de subordination 155 . Toutes les distinctions ne sont pas
punissables, seuls certains faits permettant d’opérer une distinction le sont 156 .
Il ne s’agit pas dans ces différents cas à proprement parler d’emploi d’un moyen particulier.

150. Ces conditions liées au sujet actif peuvent être révélatrices des obligations pesant sur cette personne ou
du devoir de probité dont elle doit faire preuve. Elles sont alors révélatrices de l’utilisation de la loi pénale pour
garantir le respect d’une norme extra-pénale et pourraient, de ce fait être appréhendées comme des composantes
de l’élément antijuridique. Elles ne sont toutefois pas non plus une matérialisation de la valeur protégée, si bien
qu’elles ne dépendent pas de lui.
151. Code pén. art. 221-5.
152. Code pén. art. 322-6, al. 1.
153. Code pén. art. 225-2 1°, 3° et 6°
154. Ibid. 2°
155. Ibid. 4° et 5°
156. D’autres exemples tiennent à l’infraction consistant à déterminer une personne à quitter le territoire en vue
de lui faire contracter un mariage, qui ne peut être commise que par des manœuvres dolosives (Code pén. art. 222-

278
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

Ces précisions légales tendent ici à préciser le mode de commission de l’infraction. En d’autres
termes, elles définissent le fait principal en le cantonnant à certains faits particuliers. Elles ne
peuvent par conséquent pas s’analyser en des circonstances constitutives. Elles ne sont pas à
proprement parler des particularités qui accompagnent et distinguent le fait principal. Elles sont
ce fait principal lui-même et par conséquent sont relatives à la donnée principale de l’élément
matériel et non à ses circonstances constitutives.

294. Les circonstances tenant au cadre – Outre le moyen employé, les textes font souvent
état de certaines particularités factuelles servant de cadre à la réalisation du fait matériel. Ce
contexte factuel peut être de deux ordres, dès lors qu’il peut être soit créé par l’agent 157 , soit
être un simple cadre dans lequel se déroule le fait principal. Par exemple, le bizutage ne sera
constitué que si les actes imposés le sont dans un cadre scolaire 158 . Cette infraction vient en
complément des incriminations de faits de violence, pour sanctionner des actes dégradants et
humiliants non violents 159 . Le cadre scolaire prévu par le texte est alors non pas révélateur de
la valeur protégée qui est la dignité 160 , il est un encadrement de la répression et une réponse à
certaines pratiques excessives observées à l’occasion d’initiations. De même en est-il des crimes
ou délits de guerre qui ne pourront être commis que dans un contexte de conflit armé 161 .
Ce cadre prévu par certains textes peut toujours être relié à la matérialité du comportement
même lorsqu’il est révélateur de la valeur protégée par le texte. Ce n’est en effet alors qu’au regard
du texte qu’apparaît le lien entre la circonstance décrite et l’élément antijuridique. Cependant,
au regard de l’analyse du comportement, elle restera constatée avec les faits, tout simplement
parce qu’elle leur sert de contexte. L’infraction commise, comme l’incrimination, demeure un
tout de sorte que chaque élément peut imprimer des spécificités aux autres. Regardées sous

14-4), aux atteintes à l’intimité de la vie privée, qui ne seront sanctionnées que si le fait accompli consiste en la
captation, l’enregistrement, la transmission ou la fixation (Code pén. art. 226-1, 1° et 2°), ou encore à l’extorsion
dans laquelle l’obtention du bien se traduit matériellement par un fait de violence, de menace ou de contrainte (Code
pén. art. 312-1).
157. Le même raisonnement peut en effet être tenu pour les précisions légales tenant au cadre et pouvant dépendre
de l’activité de l’agent, telles les circonstances de réunion, lorsqu’elles ne sont pas prévues comme des causes
d’aggravation.
158. Le texte vise les « manifestations ou de réunions liées aux milieux scolaire et socio-éducatif ». Code pén. art.
225-16-1.
159. Il y a tout de même une difficulté et un recoupement matériel entre l’incrimination du bizutage et les
incriminations de violences volontaires. L’article 225-16-1, parce qu’il dispose expressément que le bizutage est
constitué « hors les cas de violences » semble exclure de son champ d’application les faits de violences. Or, la Cour
de cassation admet depuis longtemps de sanctionner sur le terrain des violences volontaires des faits de nature à
causer chez la victime un choc émotif. Les traitements dégradants ne peuvent-ils pas alors aussi s’analyser selon la
matérialité des faits comme des faits de violence psychologique ? Quoi qu’il en soit, dès lors que les faits accomplis
seront des faits de violences, la répression s’opérera sur le fondement des articles 222-7 et suivant du Code pénal.
En ce sens, Y. Mayaud, Rép. dr. pén., Violences volontaires, 2008.
160. V. D. Viriot-Barrial, Rép. dr. pén., Dignité de la personne humaine, 2014.
161. Les crimes et délits de guerre, incriminés au Livre IV bis du Code pénal ont tous pour cadre l’existence d’un
conflit armé. L’article 461-1 dispose à ce propos que « constituent des crimes ou des délits de guerre les infractions
[...] commises, lors d’un conflit armé international ou non international et en relation avec ce conflit ».

279
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

l’angle matériel, ces circonstances sont un ensemble dans lequel s’insère et se déroule le fait.
Elles lui sont intimement liées dès lors qu’elles permettent aussi sa réalisation. Regardées sous
l’angle antijuridique, elles seront le support du caractère antijuridique du comportement. Dans
l’exercice de qualification, le fait ne pouvant pas être apprécié indépendamment du cadre dans
lequel il se déroule, c’est en premier lieu au titre de l’élément matériel qu’elles seront vérifiées.
C’est le cas par exemple pour l’infraction d’atteinte à l’intimité de la vie privée. Dans
cette infraction, les paroles doivent avoir été prononcées à titre confidentiel ou la personne dont
l’image sera fixée doit s’être trouvée dans un lieu privé 162 . Ce cadre privé révèle en un sens
l’atteinte. Dès lors que les paroles et les images ont un caractère privé, leur captation ou leur
fixation relève d’une immixtion dans l’intimité de leur vie privée. Si elles font apparaître en
partie l’élément antijuridique de l’infraction, elles participent aussi de sa matérialité en décrivant
un contexte matériel dans lequel le comportement se produit. Contrairement aux circonstances
de lieu, qui si elles peuvent être constatées dès l’analyse de la matérialité des faits, relèvent à
proprement parler de l’élément antijuridique, le cadre général de commission du fait dépend lui
de l’élément matériel. Il pourra par contre servir d’indice dans la constatation de l’antijuridicité.
Outre ces différentes circonstances constitutives, certaines catégories d’infractions pos-
sèdent des circonstances qui leurs sont propres et qu’il convient d’envisager.

b. Les circonstances propres à certaines catégories d’infractions

295. Annonce – Deux catégories d’infractions méritent d’être approfondies. Il s’agit des
infractions aggravées, pour lesquelles certaines circonstances aggravantes sont des circonstances
constitutives de l’élément matériel de l’infraction aggravée (α), et des infractions de consé-
quences pour lesquelles l’infraction d’origine est parfois analysée à tort comme intégrant sa
structure (β).

α. Les circonstances aggravantes, circonstances constitutives de l’infraction aggravée

296. L’autonomie des infractions aggravées – Outre ces différentes circonstances consti-
tutives pouvant varier selon les exigences des textes, des circonstances aggravantes peuvent
venir s’ajouter au fait principal. La proposition doctrinale voyant dans l’infraction aggravée une
entité autonome ne peut qu’être approuvée 163 . Du point de vue de la qualification, l’infraction
aggravée ne s’analyse pas véritablement en deux temps, contrairement à ce que suggère l’analyse
traditionnelle. La raison de cette caractérisation en deux temps est double. Elle est liée en premier
lieu à la conception retenue de la circonstance aggravante. Celle-ci ne serait que le complément

162. Code pén. art. 226-1.


163. V. supra, no 83.

280
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

d’une infraction principale dont elle ne modifierait pas la substance : elle entraînerait simplement
une augmentation du quantum de la peine encourue. Elle est en second lieu, et par extension,
d’ordre procédural. La circonstance aggravante implique en effet que la personne poursuivie
soit d’abord reconnue coupable des faits principaux. Par conséquent, devant la cour d’assises, la
question relative à une circonstance aggravante se réfère nécessairement à une question portant
sur le fait principal 164 . Ce n’est qu’une fois la culpabilité de l’auteur reconnue pour l’infraction
principale que la question relative aux circonstances aggravantes pourra être posée. Il s’ensuit
qu’il n’est pas nécessaire de demander aux jurés si l’accusé est coupable 165 dès lors que la
culpabilité a déjà été vérifiée par la réponse affirmative à la question principale 166 . Du point de
vue procédural, la circonstance aggravante suppose donc caractérisée l’infraction principale à
laquelle elle ne fait que s’ajouter.
Toutefois, dès lors que la qualification pénale s’opère à partir du comportement apprécié dans
sa globalité, il peut sembler artificiel d’isoler les éléments du comportement correspondant aux
circonstances aggravantes pour qualifier l’activité indépendamment d’eux. Si le comportement
doit s’apprécier selon une logique d’ensemble, il semble alors que les circonstances aggravantes
en soient indissociables, car c’est lui qu’il faudra qualifier, soit d’infraction autonome si un texte
se révèle adéquat, soit d’infraction aggravée 167 .
Au regard de la qualification pénale des faits et de la conception retenue des éléments
constitutifs, admettre que les circonstances aggravantes intègrent les éléments constitutifs de
l’infraction aggravée est non seulement envisageable, mais encore souhaitable car elle préserve
l’intégrité de l’infraction. Madame de Jacobet de Nombel a en effet démontré que les spécifici-
tés procédurales étaient insuffisantes à faire obstacle à l’analyse de l’infraction aggravée comme
une infraction autonome 168 . Cette position ne peut du reste qu’être approuvée, car l’infraction
est un comportement, réprimé par la loi, et pénalement qualifié. Or, la qualification retenue en
cas d’aggravation est bien celle d’infraction aggravée. L’aggravation n’est pas un simple complé-
ment, elle est partie intégrante de l’infraction commise 169 . Au reste, l’infraction aggravée répond
aux exigences propres à l’infraction. Elle est un comportement faisant l’objet d’une incrimination
particulière (les circonstances aggravantes sont en effet soumises au principe de légalité) 170 et est

164. H. Angevin, La pratique de la Cour d’assises, op. cit., p. 340, no 852.


165. Cass. crim. 5 juill. 1978, Bull. crim., no 222.
166. En cas de réponse négative à cette question, celles relatives aux circonstances aggravantes doivent fort
logiquement être déclarées sans objet. H. Angevin, La pratique de la Cour d’assises, op. cit., p. 340, no 852 et
p. 418, no 1089.
167. Selon Madame Gallardo-Gonggryp, il s’agit ici d’une qualification par contraction, liée au fait que le
principe de qualification « impose une approche globale des faits envisagés dans leur intégralité ». E. Gallardo-
Gonggryp, La qualification pénale des faits, th. préc., p. 100, no 128.
168. C. de Jacobet de Nombel, Théorie générale des circonstances aggravantes, th. préc., p. 58, nos 98 et s.
169. En ce sens, ibid., p. 59, no 99. V. égal. E. Letouzey, La répétition d’infractions, th. préc., p. 91, nos 137.
170. V. C. de Jacobet de Nombel, Théorie générale des circonstances aggravantes, th. préc., p. 28, nos 38 et s.

281
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

sanctionnée d’une peine propre 171 . Elles en présentent enfin tous les éléments. Les infractions
aggravées reçoivent donc bien une qualification légale dans le Code pénal, à laquelle est associée
une sanction pénale 172 . En tant qu’infractions, elles devraient ainsi présenter une structure
similaire à la catégorie dont elles relèvent. Elles seraient par conséquent composées des mêmes
éléments constitutifs, que les circonstances aggravantes intégreraient en tant que circonstances
constitutives parce qu’elles sont des modalités d’exécution du comportement.

297. Les circonstances aggravantes matérielles ou mixtes – Les circonstances aggra-


vantes d’ordre matériel peuvent être considérées comme des circonstances constitutives de
l’élément matériel s’ajoutant au fait principal. Ce sera le cas à la fois pour les circonstances
aggravantes strictement matérielles et pour les circonstances aggravantes s’imprimant sur plu-
sieurs éléments à la fois. Le port ou l’usage d’une arme viennent ainsi accompagner le fait de
violence 173 ou de vol 174 . Cette particularité accompagne le fait principal et son exécution. Elle
est indissociable du comportement accompli, envisagé d’un point de vue matériel. C’est donc
dans son ensemble que l’élément matériel de l’infraction aggravée doit être qualifié.
Le plus souvent, les circonstances aggravantes s’imprimeront sur les différents éléments de
l’infraction, du moins lorsque la connaissance de l’existence de la circonstance sera requise 175 .
Surtout, elles modifient dans certains cas légèrement le comportement incriminé. Ses particula-
rités peuvent alors se retrouver dans les différents éléments. Ceci est lié au caractère intègre de
l’infraction aggravée qui relève de la même logique que l’infraction simple et est conforté pour
beaucoup par les prévisions légales. En effet, pour beaucoup de circonstances aggravantes essen-
tiellement matérielles, le législateur a expressément prévu leur caractère volontaire 176 . De même,
certaines circonstances essentiellement intellectuelles doivent se matérialiser physiquement.
C’est par exemple le cas du mobile discriminatoire. Celui-ci est a priori d’ordre intellectuel,
mais il doit, au terme de l’article 132-76 du Code pénal, être révélé matériellement 177 . Comme
le mobile raciste appartient au seul domaine des sentiments, il ne peut être réprimé que s’il s’est

171. Ibid., p. 38, nos 57 et s.


172. Elle répond donc aux deux caractéristiques principales de l’infraction que sont l’incrimination et la sanction.
F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, op. cit., p. 10, no 23. Par ailleurs, de manière générale, ces
infractions partagent la structure idéale dégagée, au même titre que l’infraction simple.
173. Code pén. art. 222-13, 10°
174. Ibid. art. 311-8.
175. V. infra, no 438.
176. V. par ex. la circonstance aggravante tenant à la dissimulation du visage, celle-ci devant être volontaire (Code
pén., art. 311-4, 10° : « Lorsqu’il est commis par une personne dissimulant volontairement en tout ou partie son
visage afin de ne pas être identifiée »). Ceci sera également le cas lorsque la circonstance aggravante est en outre
une infraction autonome (vol avec violence par exemple (Ibid. art. 311-4, 4°)).
177. Code pén. art. 132-76, alinéa 2 : « La circonstance aggravante définie au premier alinéa est constituée lorsque
l’infraction est précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature portant
atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie la victime à
raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou
une religion déterminée. »

282
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

concrétisé de manière tangible. Adossé à une infraction principale, il intègre ainsi à la fois sa
dimension matérielle et sa dimension morale. L’infraction aggravée ne pourra être caractérisée
que si le comportement révèle, outre les spécificités de l’infraction simple, l’exigence d’une
manifestation concrète du motif discriminatoire du point de vue de sa matérialité et le mobile
discriminatoire du point de vue de sa moralité 178 . En outre, ce mobile se retrouvera également
dans le cadre de l’élément antijuridique, la valeur protégée dans le cadre de l’infraction aggravée
(par exemple l’intégrité physique et l’égalité) et atteinte par le comportement étant alors
dédoublée 179 .

298. Aggravation et pluralité de faits – Il faut toutefois approfondir quelque peu, car si
la circonstance aggravante impose le plus souvent de vérifier une circonstance d’ordre factuel ou
l’emploi d’un moyen particulier (utilisation d’une arme, circonstance de fait particulière), dans
d’autres hypothèses, l’aggravation suppose réellement une dualité de faits. Le vol avec violence,
par exemple, consiste à aggraver le vol à raison d’une action concomitante à celui-ci. Il y a
dans cette hypothèses plusieurs actes distincts. Or, le législateur ne s’intéresse pas forcément
à la relation causale entre les deux actes. Il y a deux activités qui se juxtaposent et qui sont
constitutives de deux infractions différentes en concours, que le législateur règle. L’on a donc
un fait principal qui correspond à l’exécution achevée de l’infraction simple, auquel s’ajoute un
autre fait principal dont l’accomplissement marque l’exécution de l’infraction aggravée. L’on
se trouve alors face à une forme d’infraction complexe (plusieurs actes de natures différentes
sont exigés dans la réalisation de l’infraction). Mais ici, il ne s’agit pas du détail des étapes de
l’infraction. L’aggravation fait naître une hypothèse véritable d’infraction complexe caractérisée
par une superposition d’actes de natures différentes et tous deux indispensables à la caractérisa-
tion de l’infraction aggravée. Comment régler alors ce cas particulier ? Les deux faits doivent-ils
être regardés ensemble comme principaux ? La solution pourrait tout à fait se concevoir, surtout
si l’on part du comportement accompli. Elle ne s’impose toutefois pas, parce que dans cette
hypothèse, le législateur a lui-même réglé le conflit de qualification. Certes, ici, il faut bien
vérifier deux faits, mais au regard de la qualification finale, l’un deviendra le fait principal,
l’autre l’accompagnant et justifiant l’aggravation de la répression. Plus précisément, c’est ici le

178. L’article 132-76 alinéa 1 précise en effet qu’il y a aggravation « lorsque l’infraction est commise à raison de
l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une
religion déterminée. » Le même raisonnement peut être suivi pour la circonstance aggravante de tortures et actes
de barbarie. Dès lors que le législateur a employé la qualification légale de l’infraction autonome correspondante,
la circonstance aggravante devra en présenter les mêmes spécificités structurelles, tant du point de vue de l’élément
matériel que de l’élément moral. Sur ce point, v. C. de Jacobet de Nombel, Théorie générale des circonstances
aggravantes, th. préc., p. 70, no 110.
179. De même en est-il des circonstances aggravantes tenant au atteintes aux personnes dans les infractions contre
les biens. Par exemple, la circonstance aggravante de violences s’imprime sur la matérialité du fait, elle doit en outre
être volontaire et traduit un dédoublement de la valeur atteinte : atteinte au bien par le vol, à la personne par les
violences qui l’ont accompagnées.

283
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

fait principal de la qualification absorbante qui reste la donnée principale de l’élément matériel
de l’infraction aggravée. L’autre est une circonstance qui accompagne son accomplissement.
Outre le problème particulier de l’infraction aggravée, une hypothèse mérite également
d’être approfondie. Il s’agit de l’infraction de conséquence.

β. Rejet de l’analyse de l’infraction d’origine comme circonstance de l’infraction de


conséquence

299. Rejet des analyses de l’infraction d’origine comme condition préalable ou comme
élément constitutif – L’infraction de conséquence présente une originalité, dont l’on peut
légitimement se demander si elle est ou non de nature structurelle. Ce type d’infraction ne peut
être caractérisé que si le comportement s’insère dans un cadre particulier, celui que lui fournit
l’infraction d’origine. L’infraction de conséquence prend en d’autres termes « sa source » 180
dans l’infraction d’origine. La question se pose donc de savoir comment l’infraction d’origine
doit s’analyser par rapport à l’infraction de conséquence. Il faut tout d’abord, fort logiquement,
exclure la qualification de condition préalable à l’infraction d’origine. La répression de l’infrac-
tion de conséquence vient compléter la répression de l’infraction d’origine 181 . L’une, comme
l’autre, protègent la même valeur. Or, cette valeur ne peut se matérialiser dans l’infraction
d’origine 182 . Elle a été atteinte par elle, mais ne matérialise pas en elle. Ainsi, si l’infraction
d’origine est bien une condition de l’infraction de conséquence, elle ne peut en être une condition
préalable 183 .
Selon une autre analyse, l’infraction d’origine serait un élément constitutif (localisant) de
l’infraction de conséquence 184 . Cette catégorie d’infraction, comme souvent, se particulariserait

180. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 537, no 683.


181. Ainsi, si l’infraction de conséquence est incriminée, c’est parce qu’elle détermine en pratique la commission
de l’infraction d’origine. En ce sens, ibid., p. 538, no 684.
182. Contra, B. Thellier de Poncheville, La condition préalable de l’infraction, th. préc., p. 14, no 20. Selon
l’auteur, l’infraction d’origine représente négativement le bien juridique protégé. V. égal. L. Rousvoal, L’infraction
composite : essai sur la complexité en droit pénal, th. préc., p. 99, nos 168 et s., qui qualifie néanmoins l’infraction
d’origine de condition préalable particulière, de « second rang » (p. 101, no 171) dès lors qu’elle n’est pas la situation
protégée, mais la référence à la situation protégée contre l’infraction d’origine.
183. Pour un rejet de l’analyse de l’infraction d’origine comme condition préalable, mais selon un autre raisonne-
ment, v. P. Cazalbou, Étude des infractions de conséquence, th. préc., p. 252, nos 573 et s.
184. Ibid., p. 250-251, nos 570 et s. Encore faut-il préciser que Monsieur Cazalbou semble tenir pour synonyme
l’expression de « faits constitutifs » visée à l’article 113-2 et celle d’élément constitutif. Il écrit ainsi : « Bien plus
convaincante nous paraît la prise en compte de l’infraction principale au titre d’élément constitutif localisant de
l’infraction conditionnée », pour ensuite traiter de l’infraction principale comme « fait constitutif localisant ». Il
fonde notamment son analyse sur un arrêt dans lequel la Cour de cassation avait localisé en France un recel commis
à l’étranger dès lors que l’infraction d’origine avait été réalisée en France, et refuse pour cette raison de voir dans
l’infraction d’origine une condition préalable de celle de conséquence. V. Cass. crim., 26 sept. 2007, Bull. crim.,
no 224 ; Dr. pén. 2007, no 150, obs. M. Véron ; D. 2008, p. 1179, note D. Rebut ; RSC 2008, p. 69, obs. E. Fortis ;
RSC 2008, p. 360, obs. R. Finielz ; RPDP 2008, p. 651, note D. Chilstein. V. égal. sur cet arrêt M. Segonds,
« Le principe de territorialité à l’épreuve passée, présente et future du délit de recel », JCP G. 2008, II, 10047.

284
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

donc par l’existence d’un élément constitutif spécifique relatif à l’infraction d’origine 185 . Une
telle analyse relève d’une utilisation trop large des éléments constitutifs et déjà critiquée 186 .

300. Un rapport de connexité – Reste que les deux comportements sont étroitement en
lien et que la caractérisation de l’infraction de conséquence est partiellement conditionnée par
la caractérisation de l’infraction d’origine. En principe, pour retenir l’infraction de conséquence,
les juges devront « s’expliquer sur l’existence de l’infraction préalable ayant procuré les choses
recelées » 187 . Il est possible donc d’hésiter sur la relation qui unit les deux. Les décisions
relatives à la localisation de l’infraction de recel dans l’espace, rendent l’hésitation encore
plus forte. Dans un premier temps, la Cour de cassation a pu affirmer l’autonomie des deux
infractions 188 , n’y voyant que des infractions connexes 189 . Allant plus loin, elle a par la suite
considéré que les deux infractions étaient unies par un lien d’indivisibilité 190 , ce qui permettait
une extension de compétence des tribunaux français à l’infraction d’origine dans l’hypothèse
où seuls les faits de recel avaient été commis en France 191 . La compétence résulte alors d’une
« exception jurisprudentielle » 192 à l’article 113-2. Adoptant un raisonnement différent, elle a
enfin opéré un rattachement de faits de recel commis à l’étranger par application directe de
l’article 113-2, dès lors que les faits de vol avaient été commis en France 193 . Elle faisait alors
de l’infraction d’origine une composante de la structure de l’infraction de conséquence. Au

L’argument n’est néanmoins que peu probant dès lors que la Cour de cassation admet de localiser l’infraction
au lieu de réalisation de sa condition préalable. L’arrêt préc. ne peut donc permettre de conclure que l’infraction
d’origine ne pourrait être la condition préalable de celle de conséquence. Pour une hypothèse de localisation de
l’abus de confiance au lieu de la remise, v. Cass. crim., 12 fév. 1979, Bull. crim., no 60 ; D. 1979, IR, p. 177, obs.
G. Roujou de Boubée ; RSC 1979, p. 575, obs. P. Bouzat, et Cass. crim., 2 déc. 2009, Bull. crim. ; Dr. pén. 2010,
Comm. no 42, obs. M. Véron.
185. Selon Monsieur Cazalbou cet élément constitutif se retrouverait également dans la complicité, les deux
types d’infraction étant pareillement conditionnés par la réalisation d’une autre infraction. P. Cazalbou, Étude des
infractions de conséquence, th. préc., p. 251, nos 572 et s. et p. 52, nos 83 et s., sur l’analyse croisée de la complicité
et de l’infraction de conséquence proprement dite.
186. V. supra, no 106.
187. P. Maistre du Chambon, Rép. dr. pén., Recel, 2009, no 14.
188. Cass. crim., 17 mai 1939, Bull. crim., no 114 ; Cass. crim., 16 janv. 1964, Bull. crim., no 16.
189. Cass. crim., 9 nov. 2004, Bull. crim., no 274 ; RSC 2005, p. 293, note G. Vermelle, étant précisé par ailleurs
que « l’extorsion de signature et de bien et le recel dudit bien constituent des infractions distinctes ». La connexité
entre l’infraction de recel et celle d’origine est par ailleurs affirmée à l’article 203 du Code de procédure pénale.
190. Cass. crim., 15 mars 2006, Bull. crim., no 78 ; AJ pén. 2006, p. 269, obs. M.-E. C. ; RSC 2006, p. 634, obs.
A. Giudicelli.
191. À l’inverse de la connexité, Cass. crim., 31 mai 2016, à paraître ; D. 2016, p. 1989, note D. Rebut ; D. 2016,
chron. p. 1597, obs. G. Guého ; AJ pén. 2016, p. 487, obs. D. Brach-Thiel ; D. 2016, pan. p. 2424, obs. G. Roujou
de Boubée ; D. actualité 2016, obs. D. Goetz ; Dr. pén. 2016, no 122, obs. P. Conte.
192. A. Giudicelli, « Compétence du juge français pour des faits commis à l’étranger par un ambassadeur de
France », obs. sur Cass. crim., 15 mars 2006, RSC 2006, p. 634, citant F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal
général, op. cit., n° 396. La solution ne trouve d’ailleurs pas de fondement législatif. V. D. Rebut, Droit pénal
international, op. cit., p. 41, no 59.
193. Cass. crim., 26 sept. 2007, Bull. crim., no 224 ; Dr. pén. 2007, no 150, obs. M. Véron ; D. 2008, p. 1179,
note D. Rebut ; RSC 2008, p. 69, obs. E. Fortis ; RSC 2008, p. 360, obs. R. Finielz ; RPDP 2008, p. 651, note
D. Chilstein. Adde M. Segonds, « Le principe de territorialité à l’épreuve passée, présente et future du délit de
recel », JCP 2008, I, 10047.

285
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

regard de la nature de l’infraction d’origine par rapport à celle de conséquence, l’extension de


compétence sur le fondement de l’indivisibilité 194 ou sur le fondement de 113-2 ne conduit
pas à la même conclusion. Dans le premier cas, les deux infractions sont autonomes d’un
point de vue structurel, mais reliées entre elles par un rapport de cause à effet 195 si fort que
la compréhension de l’une ne peut se faire sans la compréhension de l’autre 196 . Dans le second,
l’infraction d’origine s’incorpore à la structure de l’infraction de conséquence dont elle est un
fait constitutif 197 .
Les hésitations jurisprudentielles ne permettent pas de trancher dans un sens ou dans l’autre.
En réalité, si les deux infractions apparaissent intimement liées, il n’est pas certain qu’elles
puissent être analysées ni comme indivisibles ni comme structurellement dépendantes. Dans
l’incrimination du recel, par exemple, il est exigé que le bien recelé soit issu d’un crime ou
d’un délit 198 . En principe, donc, il est nécessaire pour pouvoir caractériser le recel d’avoir, au
préalable, caractérisé une infraction d’origine. Afin de savoir si structurellement l’infraction
d’origine est une composante de l’infraction de conséquence, il faut par conséquent se demander
si la caractérisation complète de la première est nécessaire à celle de la seconde. Dans l’affirma-
tive, il serait effectivement possible de voir dans l’infraction d’origine une composante de celle
de conséquence. Or, la Cour de cassation se contente parfois d’une qualification abstraite 199
et affirme même que la qualification exacte de l’infraction d’origine est sans incidence sur la
caractérisation du recel 200 . Seule la certitude de l’origine délictueuse du bien importe. Ce n’est
par conséquent pas la caractérisation concrète d’une infraction qui est exigée. Son existence
est en réalité indifférente dès lors que les circonstances rendent certaine l’origine illicite du bien

194. Ou de la connexité, les deux notions ne se distinguant que par une différence de degré. D. Brach-Thiel obs.
sur Cass. crim., 31 mai 2016, AJ pén. 2016, p. 487.
195. D. Rebut note sous Cass. crim., 31 mai 2016, D. 2016, p. 1989 : ne sont pas indivisibles des faits qui ne
sont pas « matériellement indépendants au sens où les uns ne sont pas la cause ou la résultante des autres ».
196. V. Cass. crim., 31 mai 2016, à paraître ; D. 2016, p. 1989, note D. Rebut ; D. 2016, chron. p. 1597, obs.
G. Guého ; AJ pén. 2016, p. 487, obs. D. Brach-Thiel ; D. 2016, pan. p. 2424, obs. G. Roujou de Boubée ; D.
actualité 2016, obs. D. Goetz ; Dr. pén. 2016, no 122, obs. P. Conte : les faits sont indivisibles « lorsqu’ils sont
rattachés entre eux par un lien tel que l’existence des uns ne se comprendrait pas sans l’existence des autres ».
197. Pour une critique de la solution, v. D. Chilstein note sous Cass. crim., 26 sept. 2007, RPDP 2008, p. 651,
qui écrit que tout se passe comme si la Cour de cassation voulait substituer à une indivisibilité externe liant deux
infractions distinctes une indivisibilité interne résultant de la structure des infractions de conséquence. L’auteur voit
dans cette pratique « une économie de raisonnement ».
198. Code pén., art. 321-1.
199. L’auteur de l’infraction d’origine peut ne pas avoir été poursuivi ou même identifié. Cass. crim., 24 nov.
1964, Bull. crim., no 345 ; Cass. crim., 10 oct. 1972, Bull. crim., no 277, et plus récemment Cass. crim., 9 juin 2015,
no 14-80.713. Dans ce cas, la qualification ne peut être qu’abstraite et partielle dès lors que l’élément moral ne sera
pas concrètement vérifié.
200. Cass. crim., 19 juin 2001, Bull. crim., no 149 ; JCP 2002, II, 10064, obs. D. Commaret ; JCP 2002, II, 10064,
note A. Lepage ; D. 2001, p. 2539, note B. Beigner et B. de Lamy ; RSC 2002, p. 119, note J. Francillon ; D.
2002, p. 1462, obs. J. Pradel ; Gaz. Pal. 2002, 1, no 120, note Y. Monnet ; RSC 2002, p. 96, obs. B. Bouloc ;
RSC 2002, p. 592, obs. J.-P. Delmas Saint-Hilaire. Les circonstances exactes de l’infraction d’origine sont donc
indifférentes : Cass. crim., 13 mai 1991, no 90-83.520.

286
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

recelé, si bien que seule la qualification abstraite est importante. Dans la qualification du recel, le
juge devra donc simplement s’interroger sur l’origine du bien. Il n’y a donc que cette circonstance
qui intègre l’exercice de qualification et qui peut donc être regardée comme circonstance de
la réalisation du fait principal de l’infraction de conséquence. L’indifférence de l’infraction
d’origine ne peut conduire à analyser le comportement concret comme un fait constitutif 201 .
Ceci est d’autant plus vrai que la Cour de cassation a jugé que le recel reste punissable même
si l’auteur de l’infraction d’origine a été relaxé par une décision devenue définitive 202 . Il y a
donc une contradiction à se contenter de l’origine du bien dans la caractérisation de l’infraction
et à affirmer par ailleurs que l’infraction d’origine est un fait constitutif de l’infraction de
conséquence pour permettre la localisation en France du recel commis à l’étranger. À vrai
dire, l’affirmation d’un rapport d’indivisibilité n’est pas plus satisfaisante. Certes, les deux
comportements sont intimement liés. Cependant, la Cour de cassation n’estime pas de manière
générale que l’existence des faits de recel ne se comprend pas sans l’existence des faits, par
exemple, de vol, au contraire. En réalité, dans l’arrêt de 2006 où lequel l’indivisibilité des
infractions a été reconnue, il n’y avait pas d’autre moyen pour permettre la compétence des
tribunaux français. Dans cette espèce, le recel avait été commis en France, tandis que l’infraction
d’origine (fourniture illicite et habituelle de visas autorisant l’entrée et le séjour d’étrangers en
France) avaient été commise à l’étranger. Il était donc impossible d’appliquer l’article 113-2
alinéa 2 et l’extension de compétence sur le fondement de la connexité a souvent été discutée
et critiquée 203 . La solution n’en est pas moins discutable. S’il existe sans doute un rapport de
connexité entre les différents faits 204 , il ne semble pas aller jusqu’à une indivisibilité 205 . Le
rapport de cause à effet ne va pas jusqu’à rendre matériellement dépendante la compréhension
et la caractérisation des deux infractions.

301. Conclusion – Ce tour d’horizon des circonstances constitutives accompagnant la


réalisation du fait principal en a montré la grande diversité. Celles-ci pourront être relatives

201. Contra, P. Cazalbou, Étude des infractions de conséquence, th. préc., p. 251, no 570. Selon lui, la spécificité
structurelle des infractions de conséquences permet seule de justifier l’extension de compétence à l’infraction
principale qui en est un fait constitutif.
202. Cass. crim., 9 fév. 1956, Bull. crim., no 148 ; D. 1956, p. 501, note M.R.M.P ; JCP 1956, II, 9574, note
J. Larguier, et Cass. crim., 15 mai 1957, Bull. crim., no 412.
203. En ce sens, D. Rebut, note sous Cass. crim., 31 mai 2016, préc. L’arrêt du 31 mai 2016 l’exclu d’ailleurs
en affirmant que la localisation en France est possible « dans le seul cas où il existe un lien d’indivisibilité ». Cass.
crim., 31 mai 2016, à paraître ; D. 2016, p. 1989, note D. Rebut ; D. 2016, chron. p. 1597, obs. G. Guého ; AJ pén.
2016, p. 487, obs. D. Brach-Thiel ; D. 2016, pan. p. 2424, obs. G. Roujou de Boubée ; D. actualité 2016, obs.
D. Goetz ; Dr. pén. 2016, no 122, obs. P. Conte.
204. En ce sens, B. Thellier de Poncheville, La condition préalable de l’infraction, th. préc., p. 59, no 89.
205. Reste que la différence entre les deux est parfois malaisée et que le Code de procédure pénale admet
l’extension de compétence dans l’ordre interne en cas de simple connexité. L’article 382 alinéa 3 dispose que « la
compétence du tribunal correctionnel s’étend aux délits et contraventions qui forment avec l’infraction déférée au
tribunal un ensemble indivisible ; elle peut aussi s’étendre aux délits et contraventions connexes, au sens de l’article
203 ».

287
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

au domaine dans lequel se déroule l’infraction, autrement dit à son environnement. D’autres se
rapprocheront davantage de modalités d’exécution du fait principal. S’il peut paraître artificiel de
séparer le fait, donnée principale, des circonstances matérielles de son accomplissement, cette
dissociation permet d’un point de vue théorique de préciser et d’identifier la composition de cet
élément. Parce que le fait se déroule dans un contexte, il doit s’apprécier au regard de celui-ci et
dans le cadre général qu’il lui fournit. Il reste néanmoins théoriquement possible de préciser ce
qui relève du fait d’exécution et ce qui relève des circonstances de son exécution.
Si les circonstances entourant la réalisation du fait principal conditionnent la caractérisation
de l’élément matériel, elles peuvent aussi suffire à justifier la répression, même en l’absence de
caractérisation du fait principal.

B. Les circonstances, sources de dispense de vérification du fait

302. Préalable : les présomptions en droit pénal – Le droit pénal est hostile aux pré-
somptions. Il n’en admet en principe que peu 206 . Surtout, la présomption d’innocence conduit
– toujours en principe – à n’admettre que des présomptions simples 207 . Ces présomptions
peuvent être soit d’origine légale, soit d’origine jurisprudentielle. Qu’elles soient judiciaires 208
ou légales 209 , elles conduisent à induire 210 un fait de la seule démonstration d’un autre fait 211 .
Bien qu’elles puissent sembler entrer en contradiction avec la présomption d’innocence, les
présomptions en matière pénale sont admises dès lors « que lesdites présomptions [...] réservent
la possibilité d’une preuve contraire et laissent entiers les droits de la défense » 212 .

206. Il a pu être affirmé qu’en la matière « il ne peut y avoir de présomption légale », l’enjeu étant la manifestation
« de la vérité absolue ». C. J. A. Mittermaier, Traité de la preuve en matière criminelle, trad. par C.-A. Alexandre,
Cosse et N. Delamotte éd., 1848, p. 420.
207. Sur la présomption irréfragable en matière contraventionnelle, v. toutefois infra, nos 429 et s.
208. Ces présomptions sont également appelées présomptions du fait de l’homme.
209. Les présomptions, qu’elles soient légales ou judiciaires, mettent toutes deux en œuvre les mêmes méca-
nismes : J. Ghestin et G. Goubeaux, avec le concours de M. Fabre-Magnan, Traité de droit civil, Introduction
générale, 4ème éd., LGDJ, 1995, p. 699, no 717. Fondées toutes deux sur une idée de probabilité, elles relèvent en
effet pareillement de la déduction, sauf dans le cas des présomptions antéjudiciaires (J. Chevalier, Cours de droit
civil approfondi, La charge de la preuve, Paris, 1958, p. 217 et s.), qui renvoient à des faits que le juge doit considérer
pour acquis et qui ne repose pas nécessairement sur une idée de probabilité. Sur les présomptions et leurs spécificités,
v. R. Decottignies, Les présomptions en droit privé, 1950, LGDJ, not. p. 16, nos 4 et s., et C. Quétand-Finet, Les
présomptions en droit privé, 2013, IRJS édition, not. p. 63, no 90 et p. 97, no 144.
210. Sur les hésitations doctrinales quant au caractère inductif ou déductif du raisonnement présomptif, v. R.
Decottignies, Les présomptions en droit privé, th. préc., p. 10. Selon l’auteur, la doctrine majoritaire considère la
présomption comme une induction.
211. P. Merle, Les présomptions légales en droit pénal, 1970, LGDJ, p. 2, no 3, citant J. Chevallier, « La charge
de la preuve », Cours polycopiés, Les Cours de Droit, 1558-1959, p. 218.
212. Cass. crim., 6 nov. 1991, Bull. crim., no 397 ; Cass. crim., 9 avr. 1992, Bull. crim., no 155. Quant à la
CEDH, elle a jugé que « Tout système juridique connaît de présomptions de fait ou de droit ; la Convention n’y met
évidemment pas obstacle en principe, mais en matière pénale elle oblige les États contractants à ne pas dépasser à
cet égard un certain seuil [. . . ] L’article 6, § 2 [...] commande aux États de les enserrer dans des limites raisonnables
prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense ». La Cour s’attache par conséquent

288
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

303. Présomptions d’élément moral et présomptions d’élément matériel – Dans la plu-


part des cas, la présomption portera sur l’élément moral de l’infraction. La raison en est simple.
Sonder les esprits est chose impossible et la preuve de cet élément peut être particulièrement
malaisée à rapporter. Le recours à des présomptions en la matière se conçoit donc aisément,
d’autant que lorsque ces présomptions sont véritablement simples, elles n’affectent ni le régime
des éléments constitutifs ni la nature de l’infraction 213 .
À côté de ces présomptions d’élément moral existent également des présomptions relatives
à l’élément matériel. Celles-ci sont moins fréquentes en raison de l’importance que recouvre
cet élément. Il est la matérialisation de l’infraction, la manifestation tangible de son existence,
de sorte que des présomptions en la matière se conçoivent difficilement. Cependant, des pré-
somptions d’élément matériel peuvent être trouvées 214 . Elles s’observeront dans des hypothèses
où c’est en réalité la commission d’une infraction dans son ensemble qui est présumée 215 .
Les infractions douanières en donnent certains exemples. D’autres peuvent être trouvés dans
les infractions de non-justification de ressources. Plus largement que le fait, ou même que
l’élément matériel, c’est alors l’existence d’une autre infraction qui se trouve présumée en tous
ses éléments. Ces présomptions entraînent une dispense pour le juge qui n’aura pas à vérifier
l’élément matériel de l’infraction présumée. Plus précisément, les circonstances suffiront alors
à justifier la répression, sans qu’il soit besoin de caractériser le fait principal.
C’est ainsi à travers les hypothèses dans lesquelles c’est en réalité la commission d’une
infraction dans son ensemble qui est présumée (1) que peuvent être observés des cas de
présomption d’élément matériel. Le recours à ces présomptions présente un intérêt répressif
évident, il renverse – notamment – l’équilibre de l’élément matériel dont la donnée principale
n’aura pas à être prouvée. La répression sera alors justifiée exclusivement par des circonstances
laissant supposer la commission d’une infraction (2).

à s’assurer que le texte contenant la présomption « a été appliqué au requérant d’une manière compatible avec la
présomption d’innocence ». CEDH, 7 oct. 1988, req., no 10519/83. Dans le même sens, v. CEDH, 25 sept. 1992,
req., no 13191/87. Sur l’ensemble de la question, v. J. Buisson, Rép. dr. pén., Preuve, 2013, nos 27 et s.
213. Ces présomptions feront l’objet d’une étude ultérieure à l’occasion de celle de l’élément moral de l’infraction.
V. infra, nos 418 et s.
214. Sur les anciennes présomptions d’élément matériel ayant existé dans l’ancien code pénal, v. P. Merle, Les
présomptions légales en droit pénal, th. préc., p. 50, nos 44 et s.
215. Certains auteurs considèrent également comme des présomptions d’élément matériel les hypothèses dans
lesquelles une personne est présumée responsable d’un fait, comme l’hypothèse prévue à l’article L. 121-2 du
Code de la route, tenant pour responsable des infractions à la réglementation sur le stationnement des véhicules
le titulaire du certificat d’immatriculation. V. not. J. Buisson, Preuve, op. cit., no 36. Sur ce point, v. égal. infra,
no 459.

289
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

1. Les présomptions de commission d’une infraction

304. Hypothèses visées – Relativement rares, les présomptions relatives à l’élément maté-
riel s’observent dans deux hypothèses : les infractions douanières (a) et les infractions de non-
justification de ressources (b). Dans un cas comme dans l’autre, le déplacement de l’objet de la
preuve entraîne une présomption de commission d’une infraction.

a. Les présomptions en matière d’infractions douanières

305. Les présomptions de contrebande – Si le droit pénal est par principe hostile aux
présomptions, le droit pénal douanier y a pour sa part fréquemment recours 216 . L’infraction de
contrebande en donne un exemple typique 217 . La contrebande est définie à l’article 417 du Code
des douanes comme l’importation ou l’exportation de marchandises « en dehors des bureaux
ainsi que de toute violation des dispositions légales ou réglementaires relatives à la détention
et au transport des marchandises à l’intérieur du territoire douanier » 218 . Les articles 418 à
422 du même Code prévoient en outre différentes hypothèses de présomptions de contrebande.
Sont ainsi présumées avoir été introduites en contrebande « les marchandises visées aux articles
215, 215 bis et 215 ter [...] à défaut soit de justification d’origine, soit de présentation de l’un
des documents prévus par ces mêmes articles » 219 . C’est ici essentiellement de la nature des
marchandises découvertes que sera déduite l’existence d’une contrebande 220 . Dans d’autres
hypothèses, la contrebande sera déduite du lieu de découverte des marchandises 221 . L’article
419 prévoit en effet que « les animaux de la catégorie de ceux qui sont prohibés ou fortement
taxés à l’entrée sont réputés avoir été importés en fraude et les animaux de la catégorie de ceux
dont la saisie est prohibée ou assujettie à des droits sont réputés faire l’objet d’une tentative

216. Outre les présomptions, le droit pénal douanier a également recours à des fictions particulièrement sévères.
Ainsi, l’article 392 du Code des douanes prévoit que « le détenteur de marchandises de fraude est réputé responsable
de la fraude ». Il s’agit ici d’un mécanisme relativement proche du recel, à la différence que le détenteur est ici tenu
responsable de la fraude, « c’est-à-dire de la violation de la règle enfreinte par un autre que lui-même » (C. J. Berr,
Rép. dr. pén., Douanes, 2009, no 59). Il ne s’agit donc pas d’une présomption (reposant sur une idée de probabilité),
mais d’une fiction (sur la différence entre la présomption et la fiction, v. R. Decottignies, Les présomptions en
droit privé, th. préc., p. 15, no 4, et G. Wicker, Les fictions juridiques : contribution à l’analyse de l’acte juridique,
1996, LGDJ, p. 12, no 3-2). La règle est d’autant plus sévère qu’aucun élément moral n’est ici exigé. Ainsi a-t-il
été jugé qu’il importe peu que le prévenu ait ignoré être détenteur (Cass. crim., 4 sept. 2002, Bull. crim., no 157
). Il s’agit ici non seulement d’un cas de responsabilité pénale du fait d’autrui, mais aussi d’une présomption de
culpabilité. Tout juste le détenteur pourra-t-il tenter de s’exonérer en démontrant l’existence d’une force majeure. V.
C. J. Berr, Douanes, op. cit., no 60. La CEDH n’a néanmoins pas jugé cette disposition contraire à la Convention.
CEDH, 7 oct. 1988, req., no 10519/83.
217. L’infraction d’importation ou exportation sans déclaration suit la même logique : l’infraction est incriminée
à l’article 423 du Code des douanes et les articles 424 à 428 prévoient les différentes hypothèses dans lesquelles
l’infraction sera présumée.
218. Code des douanes, art. 417, 1°
219. Ibid., art. 419.
220. En ce sens, C. J. Berr, Douanes, op. cit., no 90.
221. Ibid., no 91.

290
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

d’exportation en contrebande [...] lorsqu’ils sont trouvés dans la zone définie à l’article 208 1°
en violation des dispositions des articles 208 et 210 ci-dessus et des décrets, arrêtés et règlements
pris pour leur application » 222 .

306. Une présomption générale – Les présomptions de contrebande prévues aux articles
418 à 422 du Code des douanes ne sont pas uniquement relatives au fait principal. Elles sont
au contraire particulièrement larges et englobent l’infraction de contrebande dans sa totalité. Ce
n’est en effet pas simplement le fait principal d’importation ou d’exportation qui est présumé,
mais ce fait et les circonstances qui l’entourent. La présomption d’importation résultera de la
présence de la marchandise sur le territoire national, tandis que le caractère illicite de cette
importation sera déduit des circonstances dans lesquelles la marchandise aura été découverte.
Même l’élément moral de l’infraction est ici présumé. Il l’est du reste de manière générale
en matière d’infractions douanières. Ces infractions ont longtemps été considérées comme
des infractions matérielles ne nécessitant pas d’élément moral. Si elles n’en sont aujourd’hui
plus et sont désormais soumises au principe de l’article 121-3 223 , il demeure en la matière
une présomption simple de mauvaise foi à l’encontre des auteurs des actes matériels 224 . C’est
par conséquent l’infraction dans son entier qui est ici présumée par le jeu de cette double
présomption. Bien qu’elle reste matériellement perceptible par la présence des marchandises,
ses éléments n’auront pas à être démontrés lorsque les circonstances prévues par les textes seront
réunies.
S’ils portent sur l’ensemble des éléments de l’infraction de contrebande, les différents cas
de présomption de contrebande emportent en premier lieu une présomption d’élément matériel.
Ici, le fait principal n’aura pas à être démontré, non plus que les circonstances qui l’entourent.
Une situation similaire se retrouve dans le cas des infractions de non-justification de ressources.

b. Les présomptions en matière de non-justification de ressources

307. Le jeu des assimilations – Les infractions de non-justification de ressources pré-


sentent une originalité par rapport aux infractions douanières. Il existe a en la matière un
déplacement de l’objet de la preuve qui conduit à une assimilation.
La non-justification de ressources est incriminée dans différentes hypothèses. Elle l’est

222. Code des douanes, art. 421, 1°. Les articles 208 et 210 prévoient respectivement une obligation de déclaration
pour les animaux se trouvant dans la zone concernée et l’interdiction de faire circuler ces animaux sans un acquit-
à-caution délivré par le service des douanes.
223. Sur l’admission progressive d’un élément moral dans la caractérisation des infractions douanières, v. P. de
Guardia, « L’élément intentionnel dans les infractions douanières », RSC 1990, p. 487.
224. Ibid. Cette présomption, initialement irréfragable, est devenue une présomption simple à la suite de
l’abrogation par la loi du 8 juillet 1987 de l’ancien article 369, 2° qui posait une interdiction en la matière de
rapporter la preuve contraire.

291
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

tout d’abord, en vertu de l’article 321-6 qui sanctionne « le fait de ne pas pouvoir justifier de
ressources correspondant à son train de vie ou de ne pas pouvoir justifier de l’origine d’un bien
détenu, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes qui soit se livrent à
la commission de crimes ou de délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement et procurant
à celles-ci un profit direct ou indirect, soit sont les victimes d’une de ces infractions ». La non-
justification est ici assimilée au recel 225 , bien qu’elle fasse l’objet d’une sanction propre.
Une incrimination similaire existe en outre en matière de proxénétisme. Est ainsi assimilé
au proxénétisme 226 – c’est-à-dire au fait de tirer profit de la prostitution d’autrui – le fait « de
ne pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie tout en vivant avec une
personne qui se livre habituellement à la prostitution ou tout en étant en relations habituelles avec
une ou plusieurs personnes se livrant à la prostitution » 227 . Des dispositions similaires existent
également pour les infractions d’exploitation de la mendicité 228 , de vente à la sauvette 229 ou
encore en matière de terrorisme 230 .

308. Assimilation et présomption – Il est possible de voir ces infractions comme étant des
infractions autonomes malgré les assimilations évoquées et ayant par conséquent une structure
propre. À s’en tenir à ce raisonnement, c’est alors directement l’absence de justification qui
est incriminée. Elle est alors considérée comme l’élément matériel de l’infraction 231 . Toutefois,
une telle lecture des textes en question ne convainc pas. En effet, ce n’est pas tant l’impossibilité
de justifier de ses ressources qui justifie l’édiction d’une peine que la relation existant entre la
personne en cause et d’autres individus se livrant à la commission d’infractions. À proprement
parler, les textes en question ne créent pas d’infractions autonomes. Ils opèrent un déplacement
de l’objet de la preuve (auquel est en outre associé un inversement puisque ce sera à la personne
suspectée de rapporter la preuve de l’origine de ses ressources) : les relations de la personnes
suffisent à faire présumer sa participation à une entreprise délictuelle ou criminelle. L’article
225-6 assimile expressément la non-justification de ressources au proxénétisme. Quant à l’article
321-6, il relève d’une assimilation au recel profit 232 . Il est certes reproché dans ces textes la non-

225. Elle est en effet incriminée dans une section relative aux « infractions assimilées au recel ou voisines de
celui-ci ». Code pén., Livre III, Titre II, Chapitre 1, Section 2.
226. L’assimilation ne peut pas être directement faite avec le recel comme dans le cas de l’article 321-6 en raison
du caractère non infractionnel de la prostitution. La logique sous-tendant ces deux textes est néanmoins la même.
Il s’agit de sanctionner les personnes bénéficiant du produit de certains comportements.
227. Code pén. art. 225-6.
228. Ibid., art. 225-12-5, alinéa 2.
229. Ibid., art. 225-12-8, alinéa 3.
230. Ibid., art. 421-2-3.
231. V. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, op. cit., p. 1005, no 945, estimant que le fait de ne pouvoir justifier de
ses ressources est l’élément matériel de l’infraction prévue à l’article 321-6.
232. En ce sens, M. Véron, Droit pénal spécial, op. cit., p. 339, no 480-1. Il faut toutefois relever que la sanction
diffère : la peine encourue au titre de l’article 321-6 est en effet inférieure à celle prévue par l’article 321-1

292
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

justification de ses ressources, mais si cette non-justification tombe sous le coup de la loi pénale,
ce n’est que parce qu’elle laisse présumer, soit une activité de proxénétisme, soit un partage des
profits résultants de la commission d’autres infractions. Autrement dit, dans le cas de l’article
321-6, la non-justification laisse supposer l’existence d’un recel et plus précisément d’un recel-
profit 233 . La justification ou non des ressources se situe donc davantage dans un problème de
preuve 234 que dans la matérialité d’une infraction autonome.

309. Présomption de recel – Bien que la Cour de cassation refuse de voir dans ces textes
une quelconque présomption de responsabilité pénale 235 , il existe bel et bien en la matière une
présomption tant sévère que générale. C’est en effet le recel dans son ensemble qui est légalement
présumé 236 . Dès lors, la présomption portera tant sur l’origine des fonds que sur l’intention
de l’auteur. L’on présumera en effet que les ressources de l’agent ont une origine frauduleuse,
origine connue de lui 237 . Reste que l’agent pourra renverser cette présomption de connaissance
de l’illicéité de l’activité de son entourage. En outre, cette présomption de connaissance de
l’origine des fonds n’est pas toujours appliquée, la Cour de cassation ayant pu, dans un arrêt
au moins, approuver une Cour d’appel ayant pris une décision de relaxe au motif « que la preuve
n’est pas rapportée qu’ils aient été sciemment en relations habituelles avec une personne se
livrant au trafic de stupéfiants » 238 . Il n’en demeure pas moins que le déplacement de l’objet de

incriminant le recel. L’assimilation n’est donc pas parfaite, car elle ne se propage pas à la sanction, comme si
l’agent devait bénéficier du recours à la présomption.
233. Évoquant une présomption de recel-profit dans le cas de l’ancien article 222-39-1 qui sanctionnait la non-
justification de ressources pour une personne étant en relation avec des individus se livrant à un trafic de stupéfiants,
v. J.-F. Seuvic, « Drogues et stupéfiants : trafics (articles 222-34 et s. du code pénal) et toxicomanie (code de la
santé publique) », D. 1996, p. 895.
234. Le texte précise ici le moyen d’échapper à la présomption de recel-profit pour quelqu’un ayant des relations
habituelles avec une personne se livrant à la commission d’infractions. Qualifiant cependant le comportement
réprimé à l’article 321-6 de « délit spécifique dont il appartient à l’accusation de rapporter la preuve », v. Cass.
crim., 13 juin 2012, no 12-90.027 ; Gaz. Pal. 2012, no 37, obs. S. Detraz ; Dr. pén. 2012, no 128, obs. M. Véron.
Cette affirmation est contestable, car la seule preuve relevant de l’accusation portera sur les relations de l’agent.
Peu importe, par ailleurs, que l’auteur de l’infraction d’origine ait été condamné. V. Cass. crim., 27 fév. 2013, Bull.
crim., no 50 ; AJ pén. 2013, p. 276, obs. G. Royer ; D. actualités 2013, obs. L. Priou-Alibert ; Gaz. Pal. 2013,
p. 32, obs. E. Dreyer ; Dr. pén. 2013, no 71, obs. M. Véron.
235. Cass. crim., 13 juin 2012, no 12-90.027 ; Gaz. Pal. 2012, no 37, obs. S. Detraz ; Dr. pén. 2012, no 128, obs.
M. Véron. (arrêt rendu à propos de l’article 321-6 et dans lequel il a été jugé que le délit de non-justification de
ressources est défini de façon claire et précise et ne repose sur aucune présomption de responsabilité pénale.). Cette
négation a pu être qualifiée de sophisme dès lors que cette infraction sert à pallier l’absence de preuve suffisante
des faits supputés. V. S. Detraz obs. sur Cass. crim., 13 juin 2012, Gaz. Pal. 2012, no 37. Qualifiant la présomption
de l’article 225-6 de présomption de culpabilité heurtant la présomption d’innocence, v. égal. F. Deferrard, Le
suspect dans le procès pénal, LGDJ, 2005, p. 43.
236. En ce sens, E. Dreyer, Droit pénal spécial, op. cit., p. 589, no 1280.
237. En ce sens, M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, op. cit., p. 1005, no 945. Appliquant cette présomption en
retenant que les prévenus « ne pouvaient ignorer le caractère frauduleux de l’usage des fonds qui alimentaient leur
train de vie », Cass. crim., 5 déc. 2001, no 00-87.546.
238. Cass. crim., 25 juin 2003, no 02-86.182 ; Dr. pén. 2003, no 142, obs. M. Véron. Dès lors, les faits
demeureraient intentionnels car il reste nécessaire de démontrer « que l’agent avait conscience de fréquenter des
délinquants ». E. Dreyer, Droit pénal spécial, op. cit., p. 589, no 1281.

293
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

la preuve emporte une présomption d’élément matériel, c’est-à-dire du fait de proxénétisme ou


du fait de recel, celui-ci n’ayant alors pas à être prouvé. Les circonstances suffisent ici à entraîner
une sanction.

2. Les circonstances, cause exclusive de la répression

310. Intérêt répressif des présomptions – Si ces présomptions peuvent paraître particu-
lièrement sévères, elles sont justifiées par la difficulté dans les matières concernées de rapporter
la preuve de la commission des infractions en cause. Ainsi, s’agissant des présomptions de
contrebande, Monsieur Berr explique que « la contrebande est une infraction instantanée qui,
par essence, ne laisse pas de traces. Aussi bien resteraient impunis les agissements frauduleux
qui n’auraient pas fait l’objet d’une constatation sur le fait, si le législateur n’avait prévu d’en
déduire la commission à partir de certaines présomptions » 239 . De même, les textes sanctionnant
l’absence de justification de ressources permet-elle de sanctionner la personne « qui gravitent
dans l’orbite de la délinquance et dont on présume qu’elle en vie » 240 , sans toutefois pouvoir le
prouver. Ces présomptions permettent donc de pallier les difficultés probatoires en la matière
et d’assurer de ce fait une répression efficace, y compris des personnes vivant des profits tirés
d’activités infractionnelles.
Toutefois, ces présomptions légales conduisent à une dispense totale de preuve s’agissant de
l’infraction dont la commission est supposée. Certes, le principe de légalité impose que soient
vérifiées les conditions d’intervention de la présomption, mais, une fois ces conditions vérifiées,
le juge n’aura pas à vérifier que l’agent a effectivement commis l’infraction. La répression se
passe alors de fait principal et n’est justifiée que par le contexte, parce qu’il laisse supposer la
commission de l’infraction. Il y a dans ce cas un déplacement de la preuve, qui conduit à ne pas
vérifier positivement l’existence des différents éléments de l’infraction présumée. En un sens, la
suspicion pesant sur l’agent suffit à rendre inutile la vérification de certains éléments par le jeu
de la présomption légale.

311. Dispense de preuve du fait ou dissociation des faits – Plus précisément, du point
de vue du fait réprimé, ces présomptions conduisent selon les cas à deux choses. En matière
douanière, la contrebande sera déduite, par exemple, de la présence de certaines marchandises
en certains lieux. Dans ce cas, il y a réellement une dispense de preuve de l’élément matériel. Le
fait de contrebande n’aura ici pas à être démontré, non plus du reste qu’aucun autre fait particulier.
Les circonstances suffisent à présumer l’infraction de contrebande sans qu’un élément matériel
particulier vienne se substituer à l’élément matériel de la contrebande et au fait principal qui le

239. C. J. Berr, Douanes, op. cit., no 89.


240. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, op. cit., p. 1005, no 945.

294
Chapitre 1. L’élément matériel de l’infraction

caractérise.
Les délits de non-justification de ressources conduisent à une situation légèrement différente.
Dans ces hypothèses, en effet, un comportement matériel est prévu par le législateur. Il s’agit de
l’impossibilité de justifier des ressources correspondant à son train de vie. Il s’opère donc une
certaine disjonction entre le fait incriminé et le fait effectivement sanctionné. Du strict point de
vue des textes d’incriminations, le comportement décrit est relatif à l’impossibilité de justifier
de ses ressources. Pourtant, à travers ce comportement, c’est le fait de recel ou l’activité de
proxénétisme qui est visé. L’assimilation et le déplacement de l’objet de la preuve aboutissent
en quelque sorte à sanctionner un comportement à raison d’un autre au regard de certaines
circonstances. Ce sont elles qui justifient alors la répression et non véritablement le fait accompli
et le résultat qu’il engendre.

* *
*

312. Conclusion du Chapitre 1 – L’étude de l’élément matériel au regard de la conception


proposée des éléments constitutifs a permis de mettre en lumière sa structure. Cet élément
invite le juge à apprécier le comportement dans son ensemble sous un angle objectif et factuel
afin de constater et apprécier les faits. En pratique, une dissociation de l’élément matériel est
peu concevable. Le juge ne peut en effet apprécier séparément un fait. Celui-ci ne peut être
envisagé que dans son environnement, car c’est à partir de l’ensemble des faits accomplis et des
circonstances factuelles que peut être isolé le fait principal et, au besoin, reconstitué ce fait par
un exercice de qualification par adjonction ou contraction.

D’un point de vue plus théorique, il est toutefois possible de détailler la structure de
l’élément matériel. Outre l’aspect didactique de cette démarche de décomposition, au regard
de la consommation et de l’exécution de l’infraction, ce détail présente un intérêt évident de
précision de la structure des infractions.
À titre principal, l’élément matériel se constitue par un fait. Plus précisément, il s’agit du
fait prévu par le texte et permettant l’exécution complète de l’infraction. Dans la majorité des
cas, ce fait correspondra au verbe utilisé dans le texte d’incrimination (donner, détourner) ou
au nom commun servant de définition de l’infraction (la soustraction). Parfois, le verbe ou le
nom fera l’objet de précisions supplémentaires dans les textes. L’infraction ne pourra alors se
commettre que par le moyen particulier mentionné. Lorsque ce moyen éclaire et conditionne la
manière dont le fait doit être accompli, il intègre le fait principal, celui-ci ne pouvant que prendre
la forme précisée par le texte pour permettre la qualification de l’élément matériel.

295
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

Outre l’exigence d’un fait, les textes d’incrimination prévoient souvent différentes circons-
tances dans lesquelles le fait principal doit être accompli. Ces circonstances factuelles intègrent
l’élément matériel en tant que circonstances constitutives. La détermination de ces circonstances
a rendu indispensable la redéfinition de la condition préalable, afin de déterminer ce qui relevait
de cette condition et devait donc être rattaché à l’élément antijuridique et ce qui relevait de
l’élément matériel. Large, la définition actuelle de la condition préalable conduit à en faire
une notion extensive intégrant tout ce qui ne relève pas directement du fait de l’agent. Cette
définition fait perdre de l’intérêt à la notion en rendant trop distant son lien avec la valeur protégée
par les textes. Il a donc été proposé d’abandonner la condition préalable telle qu’actuellement
définie, pour ne conserver qu’une circonstance relative à la valeur protégée et dépendante pour
sa part de l’élément antijuridique. Quant aux autres circonstances de faits ne correspondant pas
à la matérialisation de cette valeur, qu’elles soient de lieu, de moyen, ou encore de fait, elles
dépendent de l’élément matériel. De même en est-il des circonstances aggravantes qui, au regard
de l’infraction aggravée, intègrent sa structure et viennent modifier la composition des éléments
de l’infraction simple et, plus précisément, de leurs circonstances constitutives.

L’élément matériel ayant été structurellement analysé, il est désormais nécessaire de s’ap-
pesantir sur l’autre angle objectif d’analyse du comportement, qui, complémentaire à l’élément
matériel, permet d’orienter la qualification.

296
Chapitre 2

L’élément antijuridique de l’infraction

313. Caractère immatériel du bien juridique et de l’atteinte en doctrine allemande –


Également dépendant de l’analyse objective du comportement 241 , l’élément antijuridique
renvoie au caractère attentatoire de l’acte au regard des valeurs protégées. Or, en doctrine
allemande, cette atteinte est abstraite. Selon von Liszt, « l’acte est matériellement illicite, en
tant qu’atteinte aux intérêts vitaux [...] protégés par les normes juridiques, donc en tant que
lésion ou mise en péril d’un intérêt juridique » 242 . Mais l’intérêt vital dont il est ici question
n’est qu’une valeur essentielle pour von Liszt. Autrement dit, et pour reprendre les termes de
Monsieur Walther, l’intérêt n’est qu’intellectuel, spirituel et issu de l’ordre social 243 . Il ne
désigne pas l’objet auquel l’infraction porte réellement et concrètement atteinte. Surtout, en
tant que concept, l’intérêt dont il est question est immatériel est n’est donc pas susceptible de
subir une lésion au sens physique du terme 244 . Par conséquent, l’atteinte au bien juridique qui
conditionne la caractérisation de l’infraction allemande ne se conçoit qu’abstraitement. Elle
n’est pas la conséquence concrète et tangible de l’activité matérielle et ne renvoie en rien au
résultat de l’infraction. Ce résultat, qui atteint pour von Liszt l’objet de l’action dans lequel
s’est concrétisé le bien juridique 245 , dépend pour sa part de l’analyse de l’action 246 . En d’autres
termes, il y a d’un côté l’atteinte abstraite à une valeur, entendue elle aussi abstraitement, et,
de l’autre, l’atteinte concrète à un objet qui est une matérialisation de cette valeur. L’atteinte

241. En ce sens, J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 35 :
« l’antijuridicité est incontestablement une des notions centrales de ce qui fait l’objectivité de l’infraction ». Il
est à ce titre à préciser que deux appréciations de l’antijuridicité existent. L’une est objective, l’autre subjective
et conduit donc à apprécier la volonté de l’agent. En Allemagne, le courant objectif est depuis longtemps très
largement majoritaire. V. not. L. Jimenez de Asua, « L’antijuridicité », art. préc.
242. F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 205, §.32.
243. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 391.
244. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 60, no 74.
245. Ibid.
246. F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 181, §.28 : « Le résultat forme donc une partie
intégrante de la notion d’acte ». Von Liszt est du reste particulièrement critique à l’égard des théories séparant le
résultat de l’acte. Ibid., p. 206, §.32.

297
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

abstraite relève de l’antijuridicité, alors que l’atteinte concrète renvoie au résultat et relève, elle,
de l’action.

314. Un élément conceptuel – Cette distinction entre le bien juridique et l’objet de l’ac-
tion 247 se prolonge donc dans une distinction entre l’atteinte abstraite et le résultat de l’infraction.
Dès lors que l’antijuridicité n’intègre pas à proprement parler ce résultat 248 , elle est une donnée
relativement conceptuelle. L’élément antijuridique n’implique pas de vérification effective pour
le juge, d’autant que de la typicité du comportement sera présumée son antijuridicité, car si le
comportement se révèle matériellement et moralement conforme au texte, il est, par hypothèse,
antijuridique 249 . La présomption ne sera renversée que dans le cas où sera invoqué un fait
justificatif.

315. Un élément éloigné des enjeux de l’exercice de qualification – Dès lors, soit l’on
admet un élément antijuridique à l’image de celui utilisé en doctrine allemande dont l’intérêt
dépendrait essentiellement des textes d’incrimination, soit l’on tente de prolonger significati-
vement l’intérêt de cet élément dans l’exercice de qualification judiciaire. Présumé et abstrait,
l’élément antijuridique est de faible utilité dans cet exercice. Il est avant tout un guide pour le
législateur. Tel qu’envisagé par la doctrine allemande, il n’appelle pas d’analyse particulière
du comportement. Or, un élément présentant ce degré d’abstraction est assez peu compatible
avec l’analyse française de l’infraction. Celle-ci demeure imprégnée de considérations pratiques.
Les éléments n’ont pas seulement vocation à permettre une théorisation de l’infraction, ils ont
aussi vocation à permettre une analyse pratique du comportement, incriminé et commis. Cet
enjeu ne doit pas être perdu de vue. Il donne aux éléments constitutifs dans l’analyse française
une coloration particulière. Ils sont les garants de la légalité tant des incriminations que des
condamnations.
Par conséquent, une tentative d’intégration de l’élément antijuridique – dont les avantages
théoriques et pratiques ont été soulignés 250 – ne semble pouvoir aboutir que si cet élément se
voit doté d’un réel contenu positif. Il doit être, aux côtés des éléments matériel et moral, un
angle d’analyse du comportement. La seule prise en compte de la valeur protégée entendue
abstraitement est dans cette optique insuffisante, d’autant que c’est essentiellement au regard du
caractère attentatoire que cet élément a pu être proposé. Or, l’atteinte, quelque soit sa nature,

247. Monsieur Walther emploie lui les termes d’objet de l’agression. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal
comparé franco-allemand, th. préc., p. 391.
248. Les éléments de l’infraction allemande sont intimement liés. La typicité et l’antijuridicité portent en effet
toutes deux sur l’action. Toutefois schématiquement, l’analyse de la typicité de l’action – et de son résultat – précède
celle de l’appréciation de son antijuridicité.
249. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 193.
250. V. supra, no 197.

298
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

doit être matérialisée pour prendre une importance réelle en matière de qualification judiciaire.
Reste alors à identifier le support de cette matérialisation. Intuitivement, celle-ci semble devoir
être le résultat de l’infraction, non seulement parce qu’il est la conséquence des faits matériels,
mais aussi parce que c’est à travers lui que s’observe l’effectivité de l’atteinte 251 .
Tout comme le fait, l’atteinte ne peut néanmoins être appréhendée seule et indépendamment
des circonstances qui entourent sa survenance. C’est en effet au moins autant au regard du résultat
matérialisant l’atteinte, composante décisive de l’élément antijuridique (Section 1), qu’au regard
des circonstances dans lesquelles elle survient (Section 2), que peut être apprécié le caractère
antijuridique du comportement.

Section 1 – Le résultat, composante décisive de l’élément antijuridique

316. Le rattachement traditionnel du résultat à l’élément matériel – Au regard du


comportement, un élément antijuridique concret conduit à s’intéresser au caractère attentatoire
du comportement, c’est-à-dire au résultat qui en est résulté. Une difficulté semble devoir faire
obstacle à cette solution car, si le résultat a toujours été considéré comme essentiel à la
constitution d’une infraction 252 , il est aujourd’hui plus précisément majoritairement considéré
comme étant une composante de l’élément matériel 253 . L’analyse française rejoint en cela
l’analyse allemande : les suites du comportement ne semblent pas pouvoir être détachées des
actes d’exécution. L’intégration du résultat dans l’élément matériel rejoint l’idée selon laquelle
ce dernier est la matérialisation de l’infraction. Le résultat est une réalité visible et tangible qui
est un indice de sa commission 254 . L’intégrer au corps du délit peut donc se concevoir au regard
de la dimension matérielle – au sens physique du terme – du résultat.
Toutefois, intégré à l’élément matériel, le résultat apparaît alors être celui des actes

251. Contra, L. Rousvoal, L’infraction composite : essai sur la complexité en droit pénal, th. préc., p. 471,
no 1056. Selon cet auteur, le résultat ne peut pas être l’atteinte à l’intérêt juridique protégé. Il estime en effet que
la violation de l’intérêt ne tient pas à une part de l’infraction (le résultat), car elle est l’infraction et la fonde. Ibid.,
p. 473, no 1059 à p. 475, no 1061. Il est certain que c’est l’infraction dans sa globalité, autrement dit le comportement
accompli, qui viole l’intérêt ou la valeur protégée. Toutefois, l’atteinte que subi cet intérêt prend elle bien corps dans
le résultat de l’infraction. Ce n’est pas seulement la violation de la valeur qui fonde l’incrimination, mais l’atteinte
subie par elle. Et cette atteinte se retrouve dans la constitution de l’infraction dont elle conditionne la qualification.
252. Ortolan expliquait déjà que « le délit sans le mal produit est incomplet ; un des éléments manque, l’élément
final ». J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 407, nos 964 et s.
253. V. supra, no 253.
254. Allant plus loin, Monsieur Lomblois estime que le résultat ne s’entend pas comme une conséquence. Action
et résultat sont selon lui deux occasions de repérer l’élément matériel, car celui-ci est action et résultat. Les deux
renverraient ainsi à « la même chose, envisagée sous un aspect actif ou passif ». C. Lombois, Droit pénal général,
Hachette, Fondamentaux, 1994, p. 56.

299
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

d’exécution de l’infraction, bien plus que celui de l’infraction appréciée globalement 255 . Il est
la suite de l’attitude 256 , mais de l’attitude envisagée objectivement. C’est ainsi sa dimension
physique et palpable qui prime dans sa localisation dans le schéma infractionnel.

317. Le résultat, conséquence du comportement – Que le résultat soit physiquement


perceptible ne se discute pas. Il est en en outre une donnée objective : les différents résultats que
le droit pénal appréhende sont la mort, les blessures, la privation de propriété ou une multitude
d’autres formes d’atteintes. Il est donc une donnée physiquement et objectivement constatable.
Toutefois, il apparaît réducteur de faire du résultat une composante de l’élément matériel 257 .
Le résultat n’est pas la résultante des seuls actes d’exécution 258 . Il est certes la conséquence
de ces actes, mais il est aussi plus généralement la conséquence du comportement. Il n’est
pas uniquement la suite de l’acte ; il est, comme le relève Monsieur Dreyer, la conséquence
du comportement 259 , mais du comportement envisagé dans sa globalité, autrement dit, du
comportement volontaire. C’est en cela qu’il est le résultat de l’infraction 260 . En outre, le résultat
participe bien plus de la concrétisation de l’atteinte à la valeur protégée que de la révélation du
fait accompli.

318. Raisonnement à partir du résultat redouté – Pour autant, il ne suffit pas d’affirmer
que l’antijuridicité peut prendre corps dans le résultat de l’infraction, car la doctrine a identifié
différents types de résultats selon les catégories d’infractions. dès lors toute infraction possé-
derait un résultat légal, plus ou moins confondu avec le résultat redouté par le législateur et
source réelle de l’incrimination. Ce résultat légal varierait donc et pourrait être soit matériel,
soit juridique, selon que l’infraction est de nature formelle ou matérielle.
En raison de son caractère systématique, ce résultat légal apparaît à première vue comme le
plus à même de servir de support à la matérialisation de l’antijuridicité. Il n’en est toutefois rien,

255. Le résultat serait ainsi celui des actes d’exécution et non pas celui de l’infraction. En ce sens, J.-Y. Maréchal,
Essai sur le résultat dans la théorie de l’infraction pénale, th. préc., p. 202, no 288. Messieurs Merle et Vitu
évoquent très explicitement dans leur ouvrage « le résultat des actes d’exécution », bien qu’ils n’expliquent pas ce
choix. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 609, no 482, puis p. 627.
256. Selon Monsieur Pradel, l’élément matériel « consiste en une attitude débouchant le souvent sur une suite
plus ou moins concrète, un préjudice ou dommage effectif ». C’est pour cette raison qu’il peut être décomposé en
trois données : le comportement, le préjudice et le lien de causalité. J. Pradel, Droit pénal général, op. cit., p. 339,
no 399.
257. V. not. B. Bouloc, Droit pénal général, op. cit., p. 213, no 224. L’auteur écrit : « L’élément matériel consiste
donc dans un fait ou un acte mais il ne consiste pas dans le résultat de cet acte ». L’élément matériel est ainsi
constitué quand bien même l’acte n’aurait pas laissé de trace matérielle ou provoqué de conséquence nuisible.
258. Contra, J.-Y. Maréchal, Essai sur le résultat dans la théorie de l’infraction pénale, th. préc., p. 202, no 288 :
« l’atteinte ne peut constituer que le résultat des actes d’exécution de l’infraction, avec lesquels elle doit être en
relation de cause à effet ».
259. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 559, no 722, mais estimant que ce caractère postérieur exclut le
résultat des éléments constitutifs.
260. Il est vrai que cette expression peut sembler impropre parce qu’elle suggère qu’il est la conséquence de
l’infraction. Ibid.

300
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

car sa systématisation présente une limite fondamentale tenant à son caractère artificiel. C’est
en réalité essentiellement à travers le résultat redouté 261 qu’il convient de raisonner (I), parce
qu’il est la source de l’incrimination. Même si ce résultat ne nécessite pas toujours d’être vérifié
par le juge, il demeure fondamental dans l’appréciation de l’antijuridicité du comportement, et
ce à travers l’appréciation de la causalité qui prend alors le rôle de révélateur subsidiaire de
l’antijuridicité (II).

§ 1. Le résultat redouté, résultat retenu

319. Pluralité de résultats – Si la terminologie de résultat peut apparaître limpide (le


résultat dans son sens commun n’est-il pas tout simplement ce qui résulte d’une action, d’un
fait ? 262 ), elle a fait l’objet de nombreuses distinctions doctrinales qui en ont fortement complexi-
fié le sens. Proposer de retenir le résultat redouté comme substrat de l’antijuridicité implique par
conséquent de revenir auparavant sur les différents résultats utilisés en doctrine, afin de mettre
en lumière les insuffisances du résultat légal (A) et d’en écarter par conséquent l’utilisation dans
l’appréciation de l’antijuridicité au profit du résultat redouté (B).

A. Les insuffisances du résultat légal comme donnée principale de


l’antijuridicité

320. Annonce – Un retour sur les différents résultats identifiés par la doctrine est au
préalable nécessaire (1), afin de comprendre les insuffisances du résultat légal et les raisons
de son rejet dans l’analyse de l’antijuridicité (2).

1. Exposé des différents résultats

321. Variations du résultat et degré d’antijuridicité en doctrine allemande – Si l’élé-


ment antijuridique reflète le caractère attentatoire du comportement au regard de la valeur pro-
tégée, il semble logique que le résultat, qui représente justement cette atteinte, en soit la concré-
tisation. Cela semble d’autant plus concevable que l’antijuridicité et le résultat connaissent des
variations similaires.
Pour von Liszt, le résultat est avant tout un changement dans le monde extérieur. Selon lui,
l’infraction est un acte qui « exige en plus l’apparition d’un changement dans le monde extérieur
(subi par les hommes ou par les choses). Nous appelons ce changement résultat » 263 . De cette

261. Ibid., p. 559, no 722 à p. 561, no 724.


262. Dictionnaire le Littré, v° Résultat.
263. F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 181, §.28.

301
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

définition dont on perçoit déjà la largesse, il résulte que toute infraction suppose un résultat 264 . Sa
nature connaîtra par contre des différences de degrés car, si toute infraction implique un résultat
extérieur, il peut exister des différences quantitatives dans les résultats exigés 265 . Il varie donc
entre une atteinte au sens propre, soit une lésion du bien juridique, et une mise en danger de ce
bien. Ainsi, même les infractions de mises en danger contiennent selon von Liszt l’exigence
d’un résultat, non seulement parce qu’elles entraînent elles aussi une modification du monde
extérieur 266 , mais aussi parce que « le danger est en soi un résultat » 267 .
Ces deux degrés de résultat que sont la lésion et la mise en danger renvoient fort logiquement
aux deux degrés de l’antijuridicité 268 . En effet, toujours selon von Liszt, l’acte est matérielle-
ment illicite en tant que « lésion ou mise en péril d’un intérêt juridique » 269 . L’antijuridicité ne
se traduit donc pas par la seule lésion de l’intérêt protégé.
En Allemagne, un courant avait pu se prononcer en faveur d’une conception très rigoriste
dans laquelle l’infraction ne pourrait être punissable que si elle entraînait un dommage effectif 270 .
Cette position aurait conduit à ne considérer l’antijuridicité que comme une atteinte au sens de
lésion du bien juridique. Toutefois, cette position, critiquée en France car faisant « la part trop
belle au délinquant » 271 , n’a jamais été totalement appliquée. L’antijuridicité n’y est donc pas
perçue de manière si étroite et son intensité varie, comme pour le résultat et selon les prévisions
des textes d’incrimination, entre la lésion du bien – atteinte effective – et sa mise en péril.

322. Mal du délit, résultat légal et résultat réel – Bien qu’elle utilise également des
degrés différents de résultat, la doctrine française n’a, pour sa part, pas exactement recours à
cette variation entre le résultat de lésion et celui de mise en danger 272 . Si originairement le
résultat a été assez peu étudié, il a récemment fait l’objet d’études approfondies 273 .

264. Partant du même constat, le développement de la théorie du résultat a abouti en doctrine italienne à la
remise en cause de la distinction entre les infractions matérielles et formelles sur la base du constat de l’existence
systématique d’un résultat. V. P. Spiteri, « L’infraction formelle », RSC 1966, p. 497.
265. F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 182, §.28.
266. Pour von Liszt, la seule perception par les sens de l’acte réalise la modification du monde extérieur (ibid.).
267. Ibid. Étant précisé que ce résultat de danger ne tire son importance que de son rapport avec un autre résultat
non survenu, mais conçu du législateur.
268. Si l’antijuridicité est abstraite parce que les biens juridiques, valeurs immatérielles ne peuvent subir de lésion,
elle reste en lien avec le comportement accompli. L’infraction ne peut donc pas léser ou mettre en danger le bien
juridique, mais elle lèse ou met en danger l’objet de l’action.
269. F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 205, §.32.
270. Sur ce courant, v. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 606, no 480.
271. Ibid.
272. Les différents résultats identifiés par la doctrine française sont inspirés des travaux des doctrines allemande
et italienne. En ce sens, E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 558, no 718.
273. V. not. J.-Y. Maréchal, Essai sur le résultat dans la théorie de l’infraction pénale, th. préc.

302
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

Initialement, le résultat était présenté en doctrine comme étant le mal du délit 274 , ce mal 275
consistant en la conséquence de l’infraction et permettant de justifier la répression. Ortolan
expliquait ainsi que « le délit est un fait complexe. Une force d’action ou d’inaction de la part
d’une personne ; elle en atteint une autre en violation du droit et produit un résultat plus ou moins
préjudiciable : c’est cet ensemble qui constitue le délit » 276 . Par conséquent, « le délit sans le mal
produit est incomplet ; un des éléments manque, l’élément final » 277 .
Aujourd’hui, la définition du résultat s’est complexifiée et différents types en ont été
identifiés 278 . En France, une distinction a notamment été opérée entre le résultat réel et le
résultat légal. C’est à Monsieur Decocq qu’on la doit. Selon lui, un premier résultat dit réel
ou sociologique peut être identifié pour toute infraction. Il renvoie au dommage ou au préjudice
social que le législateur redoute. Bien que les textes n’en fassent pas toujours état, ce résultat est
« la source réelle de la qualification légale » 279 et peut, à ce titre, se rapprocher de l’atteinte à la
valeur protégée. Essentiellement théorique, le résultat réel s’oppose à un autre résultat, appelé
résultat légal. Ce second résultat est le résultat concret, celui qui consomme l’infraction et qui
permettra sa localisation 280 .
L’intérêt de la distinction entre le résultat réel et le résultat légal est notamment d’expliquer
la différence existant entre les infractions formelles et matérielles. Toute infraction se définit
au regard du résultat réel, celui redouté par le législateur et qui justifie le recours au droit
pénal. Selon le degré de protection qu’il souhaite accorder à la valeur protégée, le législateur
pourra remonter plus ou moins en amont sur l’iter criminis. Il fera alors soit coïncider le résultat
légal (celui consommant l’infraction) avec le résultat réel (celui justifiant l’incrimination), soit
permettra la répression en amont en identifiant un résultat légal détaché du résultat réel. Dans

274. La notion a été étudiée par Ortolan et par l’italien Rossi, mais les développements de ces auteurs ont été
assez peu repris par leurs contemporains. (V. ibid., p. 28, no 16). L’expression de mal du délit figure ainsi dans
certains ouvrages, mais sans être explicitée. V. par ex. R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit.,
p. 159, no 69 et plus spécifiquement p. 161, no 69. : le mal du délit est mentionné, mais il ne sert qu’à fixer le seuil
de consommation de l’infraction sans faire l’objet d’une étude approfondie.
275. Rossi explique que le mal résultant d’un acte peut être moral, matériel ou mixte, mais que seul le mal mixte
est le véritable sujet de la justice humaine et la justification de la répression. P. Rossi, Traité de droit pénal, op. cit.,
p. 25 et s.
276. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 97, no 218. Par la suite, il procède comme Rossi à une
distinction entre différents maux. Pour lui, le mal peut être direct, mal dont souffre la personne lésée, ou indirect,
mal social et général, cause de la pénalité publique. Le lien entre le mal direct et indirect est primordial, car pour
Ortolan, le mal indirect n’est pas suffisant : il est la cause fondamentale de la pénalité, mais ce mal indirect n’existe
qu’à cause du mal direct contenu dans le délit, autrement dit, le mal directement préjudiciable au droit d’autrui. Ibid.,
p. 405, nos 957 et s.
277. Ibid., p. 407, nos 964 et s.
278. Retraçant le développement de la notion dans les doctrines française, v. J.-Y. Maréchal, Essai sur le résultat
dans la théorie de l’infraction pénale, th. préc., p. 44, nos 37 et s.
279. A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., p. 171. V. égal. Y. Mayaud, Le mensonge en droit pénal, 1979,
L’hermès, p. 238, no 360 : ce résultat est « la projection d’un dommage à éviter sur la qualification pénale ». L’auteur
précise qu’il est un « dommage concret, mais non individualisé ». Ibid., p. 239, no 361.
280. A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., p. 171 et s.

303
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

le premier cas, l’infraction sera matérielle, dans le second, elle sera formelle. Bien que le
résultat réel demeure la source de l’incrimination, il sera alors indifférent à la consommation
de l’infraction.

323. Résultat matériel et résultat juridique – Pour être complet dans l’exposé des dif-
férents résultats pouvant être identifiés, il est nécessaire de préciser qu’une autre distinction a
pu être opérée 281 . Pour Messieurs Conte et Maistre du Chambon, le résultat réel – que les
auteurs appellent résultat sociologique – ne présente pas d’intérêt particulier au regard du droit
pénal. Il n’a, selon eux, d’intérêt véritable qu’au regard de la politique criminelle, pour aider
le législateur dans l’opération d’incrimination 282 . Le résultat réel, ou sociologique, ne serait
que « le reflet d’un système de valeur auquel la société adhère », de sorte qu’il importerait
« plus au législateur en termes de politique criminelle qu’au juriste en termes de technique
juridique » 283 . Ce n’est donc pas grâce à lui que peut s’opérer la distinction entre l’infraction
matérielle et l’infraction formelle. Par conséquent, Messieurs Conte et Maistre du Chambon
procèdent à une distinction au sein du résultat légal. Comme pour Monsieur Decocq, celui-ci
correspond, pour les auteurs, au seuil de l’illicite fixé par le législateur ; « il est le résultat pénal
qui déclenche la répression, aussitôt qu’il a été produit par le délinquant » 284 . Ce résultat peut
être de deux types. Il peut être soit matériel, soit juridique 285 . Le résultat matériel réside dans
la modification du monde extérieur qui résulte de l’acte matériel prohibé 286 et est le seul requis
dans les infractions formelles 287 . Le résultat juridique caractérise quant à lui les infractions qui
entraînent une atteinte effective à la valeur protégée, autrement dit, les infractions matérielles. Il
se rapproche du sociologique et peut se confondre avec lui 288 .

281. Pour une distinction plus originale, mais ayant des conséquences similaires (en ce sens, J.-Y. Maréchal,
Essai sur le résultat dans la théorie de l’infraction pénale, th. préc., p. 110, nos 141 et s.), v. M. Puech, Droit pénal
général, Litec, 1988, p. 211, nos 582 et s. L’auteur distingue un résultat social d’atteinte ou de menace à l’égard
d’un bien juridique déterminé et un résultat individuel correspondant à la situation de la victime de l’infraction.
Plus récemment, proposant de distinguer un résultat typique dans les infractions matérielles et un résultat illicite
davantage abstrait d’atteinte ou de mise en danger de la valeur dans les infractions formelles et obstacles, v. G.
Rabut-Bonaldi, Le préjudice en droit pénal, th. préc., p. 199, no 283.
282. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 180, nos 312 et s. Chez ces auteurs,
l’utilité du résultat réel est donc limitée à la désignation de la valeur protégée. En ce sens, J.-Y. Maréchal, Essai
sur le résultat dans la théorie de l’infraction pénale, th. préc., p. 106, no 136.
283. P. Conte, L’apparence en matière pénale, 1984, Thèse, Grenoble, no 823.
284. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 182, no 319.
285. Ibid., p. 181, no 316. Sur l’interversion terminologique du résultat légal et juridique entre la thèse de Monsieur
Conte et l’ouvrage de Messieurs Conte et Maistre du Chambon, v. J.-Y. Maréchal, Essai sur le résultat dans
la théorie de l’infraction pénale, th. préc., p. 108, no 139.
286. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 181, no 317.
287. Il existe ici une ambiguïté terminologique quant à ces deux résultats. Si le résultat matériel est désormais
un critère de distinction entre les infractions matérielles et formelles (en ce sens, A. Ponseille, L’infraction de
prévention en droit pénal français, th. préc., p. 93, no 81), il sera pour certains auteurs la marque des infractions
matérielles, alors qu’il est pour Messieurs Conte et Maistre du Chambon la marque des infractions formelles.
288. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 181, no 317.

304
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

324. La possible matérialisation dans le résultat légal – L’antijuridicité pourrait donc


se matérialiser dans le résultat légal, dès lors que toute infraction semble en posséder un. C’est
alors par la vérification de ce résultat que le caractère attentatoire du comportement pourrait être
vérifié. Si une telle solution pourrait sembler envisageable, elle n’est en réalité pas souhaitable,
à la fois en raison de l’artifice tenant à la systématisation du résultat et à la fois parce qu’elle
impliquerait d’avoir recours à l’idée imprécise de mise en péril comme degré d’antijuridicité.

2. Le résultat légal, résultat rejeté

325. Imprécision du résultat légal – Le résultat légal comme support de l’antijuridicité


doit être rejeté parce qu’imprécis, il se révèle artificiel et de faible utilité dans l’analyse de la
structure de l’infraction. Sa définition extensive en fait un critère peu fiable (a). Le concept
mériterait par conséquent d’être précisé. Or, si l’idée de mise en danger, utilisée en doctrine
allemande, peut dans une certaine mesure permettre une définition plus fine de ce résultat, elle
se révèle, elle aussi peu praticable (b).

a. Une définition extensive

326. La proximité du résultat légal et des actes d’exécution dans les infractions for-
melles – En doctrine française comme étrangère, la systématisation du résultat dans la structure
de l’infraction est permise par une définition relativement souple de la notion. Il se définit
comme la modification du monde extérieur résultant de la réalisation matérielle des faits. Ainsi
compris, le résultat n’est pas forcément une atteinte : il peut être localisé relativement haut sur
l’iter criminis et, donc, peut être identifié y compris dans la structure d’infractions réprimées
indépendamment de cette dernière. La souplesse de cette définition et la systématisation qu’elle
permet ont un avantage pratique considérable : celui de dégager un critère de consommation
unique pour toutes les infractions. Quelle que soit la catégorie dont relève le comportement
incriminé, l’infraction est consommée lorsque son résultat légal peut être constaté, que celui-ci
corresponde ou non au résultat redouté par le législateur.
Il ne faut toutefois pas exagérer l’intérêt du résultat légal qui se révèle en réalité essentielle-
ment théorique. En effet, s’il fixe le seuil de l’illicite, il se confond en fait pour beaucoup avec
les actes d’exécution dans l’hypothèse des infractions formelles. Comme l’admettent Messieurs
Conte et Maistre du Chabon, ou encore Monsieur Decocq, le résultat de ces infractions
se confond plus ou moins avec la conduite incriminée 289 . Le résultat matériel, premier degré
du résultat légal, peut ainsi être difficile à distinguer du comportement illicite dont il est très

289. Ainsi dans l’empoisonnement (Code pén., art. 221-5), l’attentat à la vie s’exécute et se consomme par
l’utilisation ou l’administration de la substance.

305
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

proche 290 .
Cela tient pour beaucoup à sa définition : dès lors que le résultat légal, dans sa plus
faible expression, est la modification du monde extérieur causée par l’infraction, il est la
conséquence directe et immédiate du fait accompli. Sa proximité avec lui est telle qu’il se confond
concrètement avec.

327. Faiblesses de la définition – Deux remarques peuvent alors être faites. La première
tient au fait que l’exigence du résultat rejoint ici totalement l’exigence traditionnelle d’un fait
matériel. Tout acte implique en lui-même une modification du monde extérieur, si bien que le
fait vérifie à lui seul la condition relative au résultat. Des auteurs ont pu faire remarquer que
la modification du monde extérieur n’apparaissait pas être un bon critère dès lors que l’acte
réalise déjà, en lui-même, cette modification 291 . Ce critère ne permet donc pas d’identifier un
premier degré de résultat, marquant la consommation de l’infraction formelle ou de l’infraction
obstacle. La consommation n’intervient en fait qu’avec l’exécution complète et achevée de
l’infraction – autrement dit la réalisation du fait matériel et de ses circonstances –, mais elle n’est
pas marquée par la réalisation d’un résultat qui serait la conséquence du fait matériel accompli
et qui devrait être vérifié en plus de lui dans l’exercice de qualification 292 . La systématisation
du résultat et l’identification d’un type de résultat au sein de toutes les infractions présentent
donc l’intérêt d’une généralisation de la structure de l’élément matériel 293 dont la constitution
n’est plus dépendante du type d’infraction envisagé. Elle repose cependant sur un artifice, car si
toutes les infractions se conçoivent au regard d’un résulté redouté par le législateur, toutes ne se
consomment pas par un résultat, au sens de conséquences des actes d’exécution 294 .
Par ailleurs, défini uniquement au regard de la modification du monde extérieur, le résultat
légal ne permet pas de résoudre toutes les difficultés pratiques que peuvent poser les textes

290. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 181, no 317. Comp. A. Decocq, Droit
pénal général, op. cit., p. 171, pour qui la description du résultat légal peut être plus ou moins explicite, plus ou
moins confondue avec la conduite.
291. L. Rousvoal, L’infraction composite : essai sur la complexité en droit pénal, th. préc., p. 468, no 1047.
Approuvant ce constat, v. égal. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 558, no 719.
292. Pour Monsieur Maréchal, le résultat devrait être perçu comme une « atteinte concrète ou abstraite à un
intérêt protégé [...], étroitement dépendante du principe de légalité [...], qui constitue l’effet ou la conséquence des
actes d’exécution ». J.-Y. Maréchal, Essai sur le résultat dans la théorie de l’infraction pénale, th. préc., p. 253,
no 371.
293. Relevant le caractère séduisant de l’analyse dans cette perspective, v. V. Malabat, « Retour sur le résultat
de l’infraction » in Mélanges en l’honneur du Professeur J.-H. Robert, op. cit.
294. Parce qu’il est une conséquence, certains auteurs estiment que le résultat ne fait pas partie des éléments
constitutifs. Il leur est au contraire postérieur et extérieur à l’infraction. V. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit.,
p. 559, no 722. Cette position peut pourtant être discutée, car même s’il est certain que le résultat est postérieur
au comportement, strictement entendu, il reste intimement lié à lui, tant dans sa dimension matérielle que morale.
Au reste, il est indispensable à la qualification judiciaire des infractions matérielles de sorte qu’il participe bien
de l’infraction caractérisée. L’infraction demeure un tout et ne peut pas être détachée de ses suites, surtout lorsque
celle-ci conditionne la qualification retenue.

306
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

d’incrimination, justement parce qu’il ne se détache pas suffisamment de l’exécution de l’infrac-


tion. Un exemple permettra d’illustrer le propos et tient à l’incrimination de l’empoisonnement.
Matériellement, l’infraction est caractérisée par l’emploi ou l’administration d’une substance
mortifère 295 . Le seul critère tenant à la modification du monde extérieur ne permet pas ici
de résoudre une problématique classique en la matière : l’emploi seul, non suivi d’administra-
tion, est-il suffisant à consommer l’infraction ou n’est-il qu’un commencement d’exécution en
l’absence de toute absorption ? Employer la substance engendre une modification du monde
extérieur, de sorte qu’il est possible d’y voir déjà le résultat légal de l’incrimination. Au demeu-
rant, l’utilisation du terme « ou » suggère que le crime est consommé dès l’emploi 296 . Pourtant,
la jurisprudence semble fixer ce résultat en aval, dès lors qu’elle voit parfois dans l’emploi
tendant à l’administration, mais non suivi d’absorption, un commencement d’exécution de
l’empoisonnement 297 . Hésitante, la doctrine admet également pour partie que la consommation
de l’infraction n’intervienne qu’avec le contact entre le poison et le corps de la victime 298 , de
sorte que le résultat légal se situerait davantage au stade de l’administration de la substance 299 .
L’enjeu est en réalité de parvenir à identifier l’emploi consommant l’infraction, tant il est certain
que l’emploi, seul, est incriminé au titre de l’infraction consommée. La même hésitation se
retrouve dans d’autres textes 300 . Elle montre l’insuffisance de la définition du résultat légal par
la seule modification du monde extérieur ainsi que les limites de ce que Monsieur Maréchal
a pu appeler « la théorie de « l’école moderne du résultat » 301 et des distinctions et subtilités
qu’elle propose.

328. Nécessité d’un critère supplémentaire – En réalité, pour que le résultat légal puisse
présenter un intérêt pratique, il est nécessaire de parvenir à en déterminer a priori et de manière
générale l’essence. Même sans avoir recours au critère de modification du monde extérieur,

295. Code pén., art. 221-5.


296. Historiquement, c’est d’ailleurs cette solution qui prévalait. P.-F. Muyart de Vouglans, Les loix criminelles
de France dans leur ordre naturel, op. cit.
297. V. A. Prothais note sous TGI Mulhouse, 6 fév. 1992, D. 1992, p. 301.
298. A. Vitu, Traité de droit criminel, Droit pénal spécial, op. cit., t. 2, p. 1392, no 1731.
299. Ainsi, la mise à disposition pourrait n’être qu’un commencement d’exécution, alors même que la substance
a préalablement fait l’objet d’un emploi. V. ibid. Comp. E. Dreyer, Droit pénal spécial, Ellipses, 2ème éd., 2012,
p. 38, no 83. L’auteur retient toutefois une position plus nuancée dans l’édition postérieure de son ouvrage.
300. Ainsi peut-on s’interroger sur le fait de savoir si l’infraction de risque causé à autrui a pour résultat légal le
risque abstrait, inhérent à la faute commise, ou un risque concret devant résulter de cette faute. La faute étant une
modification du monde extérieur, elle pourrait permettre de localiser le résultat légal au stade de sa conséquence
directe et immédiate, soit au seul risque abstrait. Sur ce point, v. J. Chacornac, « Le risque comme résultat dans
les infractions de mise en danger, les limites de la distinction des infractions matérielles et formelles », RSC 2008,
chron. p. 849.
301. J.-Y. Maréchal, Essai sur le résultat dans la théorie de l’infraction pénale, th. préc., p. 143, no 195.
Monsieur Maréchal fait état dans sa thèse des limites des constructions proposée et des contradictions observables
dans leurs applications pratiques. Ces limites, ainsi que la fragilité de la théorie moderne du résultat le conduisent
à la rejeter.

307
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

le résultat légal ne permet pas de délimiter la frontière entre la consommation et l’exécution


achevée pour les infractions ne nécessitant aucune atteinte. En effet, il se confond avec les actes
d’exécution. Il s’agit en réalité simplement de déduire de l’exécution achevée l’existence d’un
résultat. Mais non défini a priori, ce résultat n’apporte pas grand-chose à l’analyse de l’infraction
et de sa structure. Ce n’est donc qu’à cette condition de définition qu’il pourrait être un critère
en matière de consommation et un outil d’encadrement de la production législative.
Le critère de la mise en danger pourrait ici venir en renfort des insuffisances de la définition
du résultat légal et de l’imprécision de ce résultat dans les infractions formelles. Dans les pays
ayant recours au concept de bien juridique, l’antijuridicité permet d’encadrer la répression en
exigeant par principe que le comportement entraîne a minima une mise en danger de ce dernier.
La définition large du résultat se trouve donc en un sens complétée par le principe d’antijuridicité
et de protection des biens juridiques, selon lequel le comportement doit au minimum mettre en
danger le bien protégé. Le type de résultat exigé par les textes permet de déterminer le degré
d’antijuridicité du comportement. Ainsi, le danger est un résultat en soi 302 , parce qu’il traduit
cette antijuridicité, soit la mise en péril des biens juridiques qui en résultent.

329. La mise en péril, résultat légal rejeté – Le raisonnement opéré en doctrine alle-
mande pourrait sans doute être transposé par une adaptation de notre lecture des textes d’in-
crimination. Il est sans doute possible pour la grande majorité des incriminations d’identifier
une valeur, protégée directement ou indirectement, et mise en péril par les comportements
constitutifs d’infractions formelles ou obstacles. Le résultat légal consisterait alors soit en une
lésion, soit en une mise en danger la valeur protégée 303 . Sa définition pourrait par ce biais être
complétée utilement afin d’en permettre une identification plus précise. En outre, l’antijuridicité,
prenant corps dans le résultat légal, connaîtrait alors une variation dans son intensité, allant de
la lésion à la mise en danger de la valeur selon le type de résultat légal exigé par les textes
d’incrimination.
Une telle approche serait sans doute la plus compatible avec l’analyse allemande. Toutefois,
la mise en danger n’apparaît pas être un critère plus satisfaisant ni pour la détermination du seuil
minimal d’antijuridicité, ni pour préciser la consistance du résultat légal.

b. La mise en danger, critère impraticable

330. L’impossible assimilation des infractions formelles à des infractions de mise en


danger – Plusieurs éléments s’opposent à l’utilisation de la mise en danger dans la définition

302. F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 182, §28.
303. C’est notamment ce que propose Madame Lacaze dans sa thèse. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de
bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc.

308
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

du résultat légal et dans la détermination du degré minimal d’antijuridicité. Le premier tient à


une différence dans les distinctions retenues en France et en Allemagne. En effet, la différence
entre les infractions formelles lato sensu et les infractions matérielles ne rejoint pas totalement
celle utilisée en doctrine allemande entre les infractions de risque et celles de lésion 304 . Les
infractions formelles ne sont pas totalement assimilables en France à des infractions de mise
en danger 305 , ne serait-ce que parce qu’elles peuvent, dans les faits, se traduire par la lésion
de la valeur protégée. En France, l’infraction formelle tient avant tout à l’incrimination d’un
moyen 306 .
Si les distinctions ne correspondent pas parfaitement, il est toutefois possible de remarquer
des similarités. En effet, il ressort des différentes théories que tous les comportements incriminés
le sont au regard d’un résultat redouté par le législateur 307 , autrement dit, d’une atteinte à un
bien juridique individuel ou collectif que celui-ci entend prévenir. Selon les cas, ce résultat sera
exigé par les textes d’incrimination 308 , de sorte que l’infraction se caractérisera par une atteinte
effective à la valeur protégée. Pour d’autres incriminations, la consommation de l’infraction se
situera en amont. Est alors incriminé un comportement de nature à porter atteinte à un intérêt
protégé 309 . Ce qui est sanctionné n’est pas l’atteinte, mais un moyen pouvant y conduire 310 . Il
s’agit donc toujours de prévenir un effet précis 311 . Les infractions formelles se rapprochent par
conséquent au moins partiellement d’infractions de mise en danger. Pour Rocco, les infractions
matérielles étaient d’ailleurs des infractions de lésion et les infractions formelles, des infractions
de péril 312 . De manière générale, les infractions formelles permettraient donc une répression

304. En ce sens, J.-Y. Maréchal, Essai sur le résultat dans la théorie de l’infraction pénale, th. préc., p. 94,
no 115. Le droit allemand connaît et utilise également la notion d’infraction formelle, mais elle rejoint en réalité celle
d’infraction de risque : dans ces infractions, le comportement apparaît au législateur « en lui-même, en dehors de
tout résultat, [...] déjà dangereux ». J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc.,
p. 213. Plus précisément, la doctrine allemande distingue plusieurs types d’infractions de mise en danger, celle-ci
pouvant être abstraite ou concrète ou l’infraction pouvant être de nature obstacle M. Lacaze, Réflexions sur le
concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 210, no 343. Madame Lacaze fait un parallèle
entre ces différentes catégories et les catégories françaises d’infractions formelles, obstacles et de risque.
305. Étudiant les relations entre les infractions formelles et les infractions de mise en danger, Madame Ponseille
constate que la comparaison entre les deux conduit selon les auteurs soit à un rapprochement (les deux pouvant être
vues comme équivalentes ou assimilables), soit à un éloignement. Pour sa part, Madame Ponseille voit dans les
infractions de mise en danger une forme particulière d’infraction formelle. A. Ponseille, L’infraction de prévention
en droit pénal français, th. préc., p. 47, nos 34 et s.
306. Plus précisément, elle se définit par l’incrimination d’un moyen et l’indifférence de réalisation du résultat
redouté. V. M. Freij, L’infraction formelle, 1975, Thèse, Paris II, p. 100.
307. Il s’agira du résultat réel de Monsieur Decocq et du résultat sociologique de Messieurs Conte et Maistre
du Chambon.
308. Le résultat réel correspondra alors au résultat légal.
309. J.-H. Robert, Droit pénal général, op. cit., p. 212. V. égal. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 213,
no 191, selon qui sont incriminées des actions ou omissions qui « incarnent la potentialité de dommage ».
310. P. Spiteri, « L’infraction formelle », art. préc.
311. Ibid. ; R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 650, no 516 ; Y. Mayaud, Droit pénal
général, op. cit., p. 217, no 195.
312. P. Spiteri, « L’infraction formelle », art. préc., citant l’auteur.

309
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

en amont, à raison de la menace que le comportement fait peser sur la valeur sociale 313 . L’on
retrouve donc à la fois l’idée de von Liszt selon laquelle toute infraction contient un résultat et
l’idée selon laquelle ce résultat varie entre une mise en danger et une atteinte effective.

331. Refus d’une transposition du raisonnement allemand – Il reste qu’une assimila-


tion des infractions formelles lato sensu et des infractions de mise en danger serait pour partie
excessive 314 . Par exemple, l’incrimination du clonage reproductif 315 vise certes à empêcher et
réprimer de telles pratiques, mais davantage à raison d’une hostilité à leur égard que pour le
danger qu’elles font peser sur l’espèce humaine. De même, certaines infractions parfois appelées
« formalistes » 316 ne relèvent pas à proprement parler d’une idée de mise en danger, de sorte que
ce serait par artifice que l’on systématiserait la mise en danger dans les infractions déjà existantes.
Par ailleurs, la mise en danger n’apparaît pas être un critère suffisamment précis pour
permettre un encadrement efficace de la production législative. Outre le fait qu’il reviendrait
à faire du danger la mesure possible de l’antijuridicité, il resterait à parvenir à déterminer le
seuil de mise en danger exigé pour considérer que l’incrimination répond bien aux canons de
la nécessité. Or, ce seuil ne semble pas pouvoir être fixé de manière objective 317 . Il dépend
du degré de fonction préventive accordée au droit pénal. La mise en danger est par suite un
critère trop flou et trop peu objectif pour pouvoir être mobilisé utilement dans le cadre d’un
contrôle de nécessité. Il ne peut être un critère suffisamment précis pour encadrer l’exercice
de qualification légale. Par extension, il ne peut servir de matérialisation à l’antijuridicité dans
la qualification judiciaire. L’idée de mise en danger invite à incriminer des comportements à
raison de leur dangerosité, ce qui est de nature à permettre une répression très en amont 318 , sauf
à exiger un danger concret et effectif, ce que la doctrine allemande n’admet d’ailleurs plus. Il est
désormais admis, dans les pays ayant recours au concept de bien juridique, que le risque résultant
du comportement puisse être abstrait 319 . La seule limite de principe tient encore au refus du
risque purement abstrait et réalisé dès la conduite prohibée 320 . Mais même la frontière entre le

313. J.-Y. Maréchal, Essai sur le résultat dans la théorie de l’infraction pénale, th. préc., p. 109, no 139.
314. Des propositions de transposition de l’analyse allemande ont pour cette raison été critiquées en ce qu’elles
conduiraient à bouleverser exagérément des distinctions admises de manière générale. V. ibid., p. 94, no 115,
critiquant la construction proposée par Monsieur Philippot dans sa thèse consacrée aux infractions de prévention.
315. Code pén., art. 214-2 : « Le fait de procéder à une intervention ayant pour but de faire naître un enfant
génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée est puni de trente ans de réclusion criminelle et
de 7 500 000 euros d’amende. »
316. Il s’agit d’incriminations sanctionnant le manquement à certaines règles de formalisme et pour lesquelles le
vocable d’infraction formelle est parfois jugé impropre. V. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit.,
p. 648, no 514. V. égal. A. Ponseille, L’infraction de prévention en droit pénal français, th. préc., p. 21, no 12.
317. Supra, no 173.
318. Un risque en la matière serait d’encourager la généralisation des infractions de prévention qui connaît déjà
un essor formidable, en faisant du danger un critère d’intervention du droit pénal.
319. L’antijuridicité intervient alors dans son rôle de gradation de l’injuste : la répression devra, en principe, être
moindre dans cette hypothèse.
320. V. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 211, no 343.

310
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

risque abstrait, purement abstrait, et le risque concret est fluctuante et difficilement déterminable,
d’autant que le risque relève encore plus d’une logique de probabilité que la mise en danger 321 . Il
semble par conséquent difficile, voire impossible, de déterminer de manière générale et objective
le risque ou le danger qui pourrait être retenu comme résultat minimum des infractions.
De même, si l’on se place sur le terrain de la qualification judiciaire, l’appréciation de la mise
en danger peut s’avérer délicate. Si l’on reprend l’exemple de l’empoisonnement, l’utilisation
du critère de la mise en péril de la valeur protégée ne se révèle pas déterminant. La question
demeure entière : le risque survient-il seulement au stade de l’absorption de la substance ou
l’est-il en amont, dès sa présentation ou son utilisation ? Il s’agit ici d’une question de degré,
dont l’appréciation contient une part trop grande de subjectivisme.

332. Double imprécision – On le voit donc, le danger ne peut être un critère suffisamment
précis, ni d’encadrement de la qualification légale et de la production législative, ni d’enca-
drement de la qualification judiciaire. Or, il n’existe pas d’autres critères permettant de venir
préciser la consistance du résultat légal pour les infractions ne se consommant pas par une
atteinte effective. Par conséquent, la systématisation du résultat légal doit être rejetée et ce n’est
pas à partir de lui que pourra être apprécié le caractère attentatoire du comportement.

B. Le résultat redouté, incarnation du caractère attentatoire

333. Caractère fondamental du résultat redouté – Si le résultat légal peut s’analyser


comme étant une composante essentielle de toute infraction, un autre résultat peut quant à lui
être analysé comme une donnée systématique. Il s’agit du résultat redouté par le législateur, celui
que Monsieur Decocq appelle le résultat réel 322 . Ce résultat est présenté en doctrine comme la
source réelle de l’infraction, sa raison d’être.
Malgré son importance et son caractère général, son intérêt juridique est parfois contesté :
son utilité serait cantonnée à des enjeux de politique criminelle 323 . Ce résultat pourrait pourtant
être le siège de l’antijuridicité, dès lors qu’il se trouve à la fois être – théoriquement – une
étape déterminante de l’opération d’incrimination 324 , et à la fois un indice objectif de la

321. Le risque est un péril dans lequel entre l’idée de hasard. Dictionnaire le Littré, v° Risque.
322. A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., p. 171.
323. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 180, nos 312 et s.
324. Certes, parfois le législateur ne procède pas selon l’ordre « logique » d’incrimination qui supposerait de
partir d’un résultat redouté pour parvenir à l’incrimination du comportement susceptible d’y mener. En diverses
occasions, la procédure se révèle pour partie inversée : le législateur constate un comportement qu’il réprouve et
c’est à partir de ce comportement qu’est bâtie l’incrimination. Cette méthode d’incrimination peut servir le même
objectif, mais elle traduit davantage une approche normative d’interdiction d’un comportement qu’une approche
en termes de protection. Nombre d’incriminations récentes illustrent à merveille ce propos, tels l’interdiction de
la dissimulation du visage, ou très récemment le délit d’entrave numérique à l’IVG. V. S. Detraz, « Incrimination
de l’entrave numérique à l’IVG, À propos de la loi du 20 mars 2017 », JCP G. 2017, 650. Le rattachement à

311
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

gravité du comportement. Que le législateur parte d’un résultat redouté dans le processus
d’incrimination, ou qu’il parte du comportement, ce résultat demeure fondamental, dès lors que
c’est essentiellement à raison de ses conséquences, probables ou certaines, qu’un comportement
est réprimé. Une incrimination ne peut être perçue comme nécessaire si elle ne s’insère pas dans
les limites et l’objectif du droit pénal.

334. Résultat redouté et consommation de l’infraction – Le raisonnement en termes


de résultat redouté pourrait conduire à une remise en cause de la solution voulant que le
résultat légal, en tant que seuil de l’illicite, marque la consommation de l’infraction 325 . À
l’inverse de l’exécution, la consommation est appréhendée comme un moment, le dernier,
marquant l’achèvement du processus criminel 326 . Selon les infractions, il pourra se distinguer
de l’exécution achevée ou, au contraire, se confondre avec elle. Généralisé à toutes les catégories
d’infractions, le résultat légal peut servir de marqueur de la consommation. À l’inverse, le
résultat redouté ne peut être que le marqueur des infractions formelles, dès lors que celui-ci
n’est pas nécessaire à leurs répressions, où l’exécution achevée est, en la matière, suffisante. Ne
pas retenir le résultat légal pourrait donc être problématique, car la détermination du moment de
la consommation est primordial dans la localisation de l’infraction dans le temps. Pour autant,
un raisonnement par le résultat redouté ne change fondamentalement pas les solutions acquises,
car le critère habituel en matière de consommation est avant la caractérisation de l’infraction en
tous ses éléments 327 . Le résultat légal n’est qu’un marqueur matériel, mais il n’est pas suffisant.
Ce qui importe, c’est la typicité parfaite entre le comportement accompli et le comportement
décrit, tant sous un angle objectif que subjectif. On le voit donc, le raisonnement en termes de
résultat n’est pas de nature à modifier la solution déjà acquise. Au reste, au regard de l’infraction

une valeur protégée ne se fait alors qu’a posteriori, en partie afin de justifier l’incrimination et la sanction qui
lui est attachée. Un tel processus d’incrimination ne peut satisfaire, car il procède d’une utilisation des valeurs
à des fins de légitimation. À ce titre, il est justement intéressant de remarquer que l’artifice du rattachement du
comportement à la protection d’une valeur est révélé par l’absence de caractère attentatoire de ces incriminations
nouvelles. Le comportement est dans ces cas incriminé pour lui-même, à raison d’une dangerosité présupposée ou
d’une contrariété avec une « norme » de conduite. Mais il n’est pas réellement incriminé au regard de l’atteinte
pouvant en résulter. L’incrimination participe alors d’un message politique, mais non d’un objectif général sous-
tendant la matière.
325. En ce sens, A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., p. 171. Comp. P. Conte et P. Maistre du Chambon,
Droit pénal général, op. cit., p. 182, no 319, qui y voit le seuil de l’illicite permettant de déclencher la répression. V.
égal. L. Rozes, « L’infraction consommée », RSC 1975, p. 603. Pour une approche critique, J.-Y. Maréchal, Essai
sur le résultat dans la théorie de l’infraction pénale, th. préc., p. 266, no 384. Monsieur Maréchal, qui s’oppose
à la systématisation du résultat légal, estime pour sa part que le résultat n’est le critère que pour un nombre limité
d’infractions.
326. L’exécution est un processus qui peut être divisé dans le temps, alors que la consommation est « un moment
précis », « le dernier qui vient dans le temps pour la réalisation complète de l’infraction ». A. Tsarpalas, Le moment
et la durée des infractions pénales, th. préc., p. 170, no 256.
327. Elle résultera de la réalisation complète du comportement « dans les conditions décrites par les dispositions
légales » ibid., p. 172, no 259. L’auteur écrit : « Dans le temps de la réalisation de l’infraction, il y a un instant dans
lequel les éléments constitutifs de l’infraction se réunissent. À cet instant, toutes les infractions pénales, quelque
soit la catégorie à laquelle elles appartiennent se consomment. » Ibid., p. 172, no 260.

312
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

formelle, le critère objectif de la consommation se situera logiquement à l’exécution achevée du


comportement, tandis que pour les infractions matérielles, il se situera à la réalisation du résultat
redouté. Peu importe, par ailleurs, que la consommation puisse s’inscrire dans le temps selon
les incriminations.

335. Questions résiduelles – Il reste que si l’on admet que le législateur incrimine en
premier lieu au regard d’un résultat redouté – ou devrait le faire –, c’est donc à partir de lui que
peut être construit le raisonnement. Il apparaît être une donnée plus praticable et plus objective
que l’idée de modification du monde extérieur ou de mise en danger.
Afin de préciser la nature de ce résultat redouté, il reste toutefois deux questions subsidiaires
qui méritent d’être abordées. La première est de savoir si le résultat redouté par le législateur
peut consister en un risque (ici, le risque n’est pas appréhendé comme résultat légal, mais comme
résultat réel), la seconde est de savoir si le résultat redouté peut consister en la violation de la
loi.

336. Résultat redouté et risque – La première question résulte pour beaucoup de l’incri-
mination des risques causés à autrui. Si l’on a vu que la mise en danger est un critère trop subjectif
pour permettre de préciser le résultat légal des infractions constituées indépendamment d’une
lésion, la question se pose de savoir si le risque peut être, en lui-même, le résultat réel, redouté
par le législateur 328 . La lecture mais surtout l’application de l’article 223-1 du Code pénal par la
Cour de cassation pourrait le suggérer. Ceci a conduit un auteur à proposer de considérer le risque
comme le résultat de cette infraction et d’autres infractions de mise en danger 329 . La structure
originale de cette infraction pourrait en effet justifier ce raisonnement. Le fait matériel consiste
ici en une faute de nature délibérée, devant être en relation causale et temporelle avec un risque
grave 330 . Le risque, même s’il peut n’être qu’hypothétique, doit être réel et être la conséquence
directe et immédiate de la faute. La Cour de cassation « situe le lien d’immédiateté entre le
manquement aux obligations et le risque causé, et non entre le risque et la mort ou l’infirmité
permanente » 331 . Le résultat en lien causal avec les faits accomplis semble donc devoir être ce

328. Tout un chapitre du Code pénal est relatif à des infractions de simple mise en danger. Code pén., Libre I,
Titre II, Chap. III.
329. J. Chacornac, « Le risque comme résultat dans les infractions de mise en danger », art. préc.
330. Il doit exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une
mutilation ou une infirmité permanente. Code pén., art. 223-1.
331. Rapport annuel de la Cour de cassation, 2011 [en ligne], à propos de Cass. Crim., 30 oct. 2007, Bull. crim.,
no 261 ; D. 2008, pan. p. 2390, obs. F. G. Trébulle ; AJ pén. 2008, p. 91, obs. S. Lavric ; RSC 2008, p. 75, obs.
Y. Mayaud ; RDI 2008, p. 97, obs. G. Roujou de Boubée. V. égal. Cass. crim., 16 fév. 1999, Bull. crim., no 24 ;
RSC 1999, p. 581, obs. Y. Mayaud ; D. 2000, p. 9, note E. Cerf ; Dr. pén. 1999, p. 82, obs. M. Véron ; RSC 1999,
p. 808, obs. B. Bouloc ; RSC 1999, p. 837, obs. G. Giudicelli-Delage. Pour une application récente, Cass. Crim.,
19 avr. 2017, no 16-80.695, à paraître ; D. actualités 2017, obs. S. Fucini. Dans un cas d’exposition à des poussières
d’amiante, la Cour de cassation a estimé l’infraction de risques causés à autrui suffisamment caractérisée à raison

313
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

risque 332 . Toutefois, il ne peut s’agir ici que d’un résultat légal. Il est intermédiaire au regard du
résultat redouté par le législateur, qui est d’ailleurs expressément mentionné dans le texte et qui
tient à l’atteinte grave à l’intégrité physique. Plus généralement, le risque pris en compte dans les
incriminations l’est au regard d’une atteinte finale qu’il s’agit d’éviter 333 . Il n’est qu’un résultat
intermédiaire, mais non le résultat final, source de l’incrimination 334 . Le risque n’est donc pas
un résultat en soi.

337. Résultat redouté et violation du droit – De la même manière, la question se pose


de savoir si ce résultat redouté peut être la seule violation d’une norme extra-pénale. Certaines
infractions semblent en effet n’avoir pour résultat qu’une contrariété entre le comportement
accompli et la norme prescrite. L’on en trouve dans le Code pénal 335 , mais aussi dans d’autres
codes. Il s’agit des infractions que Messieurs Merle et Vitu appellent des infractions for-
malistes 336 et, plus largement, d’infractions relevant du droit pénal dit « technique » 337 ou
« administratif » 338 . Le développement de droits spécialisés a deux conséquences. La première
est le développement des incriminations dénuées de résultat 339 ; la seconde est le développement
d’incriminations s’inscrivant dans une logique strictement sanctionnatrice de non-respect d’une
norme de forme d’origine légale ou réglementaire 340 . Par conséquent, ce droit est davantage
concentré sur une démarche injonctive et dirigiste 341 que répressive.

du risque de développer un cancer du poumon ou un cancer de la plèvre dans les trente à quarante ans suivant
l’inhalation de poussières d’amiante.
332. Retenant une approche fonctionnelle du résultat, Monsieur Chacornac déduit de l’extériorité du risque par
rapport aux actes d’exécution le fait qu’il s’agit du résultat de l’infraction.
333. Ce résultat final apparaîtra avec plus ou moins d’évidence dans les textes. Pour le délaissement de personne
hors d’état de se protéger, il est par exemple identifiable dans l’aggravation de la répression à raison de l’atteinte
physique en ayant résulté (mort ou mutilation). Code pén., art. 223-3. Pour les infractions obstacles indéterminées,
il n’est pas précisé et est donc très général.
334. Von Liszt expliquait déjà que si le danger est un résultat en soi, « ce résultat ne tire son importance que de
son rapport avec un autre résultat non survenu, mais conçu par nous » et qui consiste en un dommage. F. von Liszt,
Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 182, §28.
335. V. par ex. l’article 433-18-1 qui incrimine « le fait, pour une personne ayant assisté à un accouchement, de ne
pas faire la déclaration prescrite par l’article 56 du code civil dans les délais fixés par l’article 55 du même code ».
336. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 648, no 514.
337. Ce droit renvoie aux différentes branches techniques du droit pénal : droit pénal économique, droit pénal
social, droit pénal fiscal, droit pénal de la santé publique, etc.
338. P. Lascoumes et C. Barberger, « De la sanction à l’injonction : « le droit pénal administratif » comme
expression du pluralisme des formes juridiques sanctionnatrices », art. préc. Les auteurs s’opposent à une réflexion
dichotomique opposant un droit pénal « classique » au droit pénal administratif.
339. V. par ex. l’article 413-2 du Code de la consommation qui réprime la simple détention de poids ou instruments
de mesure faux, indépendamment de toute utilisation. Le recours fréquent aux incriminations obstacle a d’ailleurs
été critiquée en doctrine. V. P. Conte, « 1905-2005 : cent ans de protection pénale du consommateur », Dr. pén.
2006, étude, no 4.
340. Ce que Madame Delmas-Marty appelle le droit pénal « bureaucratique », dont le développement est
critiquable pour ce qu’il « entraîne à terme la dévalorisation de la loi pénale et contient toujours en germe l’insécurité
juridique du citoyen, qui vit sous la menace d’une poursuite à l’initiative de quelque fonctionnaire plus savant et
plus exigeant ». M. Delmas-Marty, Le flou du droit, op. cit., p. 66.
341. Dans une conception restrictive, le droit pénal économique englobe « l’ensemble des lois pénales destinées
à protéger les intérêts du pays en matière économique ». Il est lié à l’ordre public de direction, et non de protection.

314
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

La conception légaliste et sanctionnatrice du droit pénal français, associée au développement


remarquable de ce droit technique 342 , tendrait à laisser admettre que le résultat redouté par le
législateur puisse n’être que le non-respect de la loi. Toutefois, une telle solution serait pour
partie contradictoire avec le principe d’ultima ratio du droit pénal, parce qu’elle ferait primer
la seule dimension sanctionnatrice de la matière. Si le droit pénal est le gendarme du droit, il
reste fondé sur un principe de nécessité basé sur la gravité du comportement et de ses suites. À
ce titre, le résultat de violation de la loi ne peut être qu’un résultat intermédiaire, mais non le
résultat final, redouté par le législateur, car la seule violation de la loi est insuffisante à fonder la
nécessité de l’incrimination.

338. Caractère abstrait de l’atteinte – À ce propos, il faut d’ailleurs remarquer que la


plupart de ces infractions peut en réalité être rattachée à la protection d’une valeur au sens large.
Ainsi les infractions en matière de droit du travail viennent-elles protéger le salarié dans ses droits
individuels et collectifs 343 ; les infractions relatives aux pratiques anticoncurrentielles, le bon
fonctionnement du marché économique 344 et plus précisément la loi de l’offre et la demande 345 ;
les infractions boursières, la confiance des individus dans le système économique 346 ; les infrac-
tions fiscales, l’égalité des contribuables devant l’impôt 347 . En outre, et malgré le fait qu’elles ont
une vocation politique très marquée 348 , certaines d’entre elles présentent une structure matérielle
intégrant un résultat. Par exemple, les pratiques anticoncurrentielles d’abus de position domi-
nante 349 supposent un abus de marché qui viennent en perturber l’équilibre. Le résultat redouté

J. Pradel, Droit pénal économique, 2ème éd., Dalloz, 1990, p. 3. Dans une approche plus large, il intègre toutefois
la protection des individus dans leurs rapports économiques. Ibid.
342. Monsieur Dreyer évoque à ce titre « l’obésité du droit pénal économique ». E. Dreyer, « La sécurité
juridique et le droit pénal économique », Dr. pén. 2006, étude, no 20.
343. L’objectif premier du droit pénal du travail est la protection du salarié face à l’employeur. C’est lui qui,
historiquement, a justifié le développement de la matière (G. Levasseur, « Droit social et droit pénal » in Études
de droit du travail offertes à André Brun, Librairie sociale et économique, 1974, p. 320). Cantonnée, initialement à la
protection individuelle du travailleur, la matière englobe aussi aujourd’hui la collectivité des salariés R. Salomon et
A. Martinel, Droit pénal social, Droit pénal du travail et de la sécurité sociale, 3ème éd., Économica, 2016, p. 181,
no 312. Des auteurs, dont Monsieur Salomon et Madame Martinel, raisonnent donc pour certains également au
regard des valeurs protégées par les textes.
344. Ces infractions permettraient d’assurer le bon fonctionnement des marchés et leur saine structure. G. Royer,
L’efficience en droit pénal économique, Étude de droit positif à la lumière de l’analyse économique du droit, 2009,
LGDJ, p. 91, no 74.
345. Ibid., p. 91, no 75.
346. Ibid., p. 91, no 74.
347. Cons. const., 24 juin 2016, no 2016-546 QPC ; JCP G. 2016, I, 1814, note S. Detraz ; Dr. fisc. 2016, p. 3,
obs. P. Schiele ; Dr. pén. 2016, p. 43, obs. V. Peltier ; JCP G. 2016, I, 1453, note M. Collet et P. Collin.
348. En droit pénal économique, l’un des enjeux et la direction de l’économie et l’application des politiques mises
en place. En ce sens, F. Ghelfi-Tastevin, Droit pénal économique et des affaires, Gualino, 2001, p. 17 ; J. Pradel,
Droit pénal économique, op. cit., p. 3. V. égal. G. Fournier, « Le droit pénal et le risque de l’instrumentalisation
de l’éthique dans la vie des affaires » in Aspects organisationnels du droit des affaires : mélanges en l’honneur de
Jean Paillusseau, D., 2003, p. 273, qui insiste lui sur la vocation éthique des infractions économiques.
349. L’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché
intérieur est prohibée par le Code de commerce (art. 420-2), tandis que l’article 420-6 réprime « le fait, pour

315
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

n’est donc pas exclusivement une contrariété avec la loi, parce que la norme violée permet le
respect d’une valeur ou d’un principe dont le législateur entend garantir le respect. Toutefois,
l’atteinte est ici relativement abstraite et peut ne pas se prolonger dans le temps. Elle est en outre
très proche du comportement, à tel point qu’il serait excessif d’affirmer que ces infractions se
consomment par la vérification d’une atteinte, consécutive à ce dernier. Le caractère abstrait
ou collectif de la valeur en question 350 ne peut conduire qu’à une atteinte présentant le même
degré d’abstraction 351 . Cependant, cette situation se vérifie pour d’autres types d’infractions
ne relevant pas du droit pénal technique. Dès lors que la valeur protégée est abstraite (honneur,
dignité, etc.), sa vérification n’est pas réellement surabondante. Plus exactement, elle se déduit
des faits. Cela ne remet en rien en cause l’idée d’un élément antijuridique. Si les éléments
sont des angles d’analyse du comportement, il est possible de déduire des faits et de leurs
circonstances constitutives leur caractère attentatoire. Il n’y a ici pas une atteinte, matériellement
et objectivement constatable, qui s’ajouterait au fait matériel, mais l’analyse des faits permet
tout de même d’en faire ressortir et d’en vérifier le caractère attentatoire 352 . Le même fait,
observé sous deux angles différents, peut amener à deux conclusions complémentaires. L’abus
de position dominante est attentatoire au bon fonctionnement des marchés, même si l’atteinte
est abstraite.

toute personne physique de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception,
l’organisation ou la mise en œuvre de pratiques visées [à l’article] 420-2 ».
350. Ces valeurs protégées sont souvent ce que les Allemands appellent des biens juridiques diffus. Il s’agit
de biens collectifs, tels que la santé publique, le marché économique, etc., pour lesquels une lésion ex post est
difficilement envisageable. En ce sens, M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit
pénal, th. préc., p. 211, no 343.
351. V. J.-Y. Maréchal, Essai sur le résultat dans la théorie de l’infraction pénale, th. préc., p. 163, no 228, selon
qui l’intérêt protégé peut être concret, l’atteinte étant alors elle aussi concrète, ou abstrait et l’atteinte sera également
abstraite.
352. De ce point de vue, certaines décisions relatives à des infractions matérielles classiques apparaissent
contestables. L’on pense ici notamment aux solutions retenues par la Cour de cassation en matière d’atteinte à
la vie privée par la captation d’images. En la matière, la Cour semble se contenter du comportement volontaire de
fixation de l’image d’un tiers dans un lieu privé sans son consentement. Elle a en effet pu juger que « constitue une
atteinte volontaire à l’intimité de la vie privée le seul fait de fixer, enregistrer et transmettre sans le consentement
de celle-ci l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé ». Cass. crim., 16 fév. 2010, Bull. crim., no 25 ;
D. 2010, p. 768, obs. S. Lavric ; D. 2010, p. 2732, obs. T. Garé ; AJ pén. 2010, p. 340, obs. C. Duparc ; CCE
2010, no 66, obs. A. Lepage ; JCP G. 2010, 1258, obs. E. Tricoire ; Gaz. Pal. 2010, p. 23, obs. S. Detraz. Non
seulement la circonstance d’intimité fait ici défaut (v. E. Dreyer, « Droit de la presse et droits de la personnalité,
janvier 2010 - décembre 2010 », D. 2011, p. 780), mais encore la Cour suggère-t-elle que l’atteinte soit inhérente
au fait matériel et n’impose pas la vérification supplémentaire d’une atteinte à l’intimité de la vie privée. Si une
telle vérification est difficile, l’atteinte peut tout de même se déduire des circonstances factuelles. Sans donner lieu
à une vérification supplémentaire peu concevable, elle peut donc résulter de la matérialité du comportement. Les
arrêts rendus en matière de captation de son sont de ce point de vue plus satisfaisants. En s’attachant au contenu
des paroles enregistrées ou captées, les juges peuvent vérifier le caractère attentatoire du comportement au regard
de l’intimité de la vie privée de la personne dont les paroles ont été interceptées. Cass. Crim., 14 fév. 2006, Bull.
crim., no 38 ; AJ pén. 2006, p. 218, obs. C. Saas ; D. 2007, p. 399, obs. G. Roujou de Boubée ; D. 2007, p. 1184,
obs. J.-C. Saint-Pau.

316
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

339. L’absence d’antijuridicité matérielle des infractions strictement formalistes – La


difficulté reste néanmoins que beaucoup d’infractions se révèlent être des infractions strictement
formalistes, sanctionnant le manquement à certaines règles de forme 353 et totalement dénuées
de caractère attentatoire 354 . Par exemple, le Code du travail contient nombre d’incriminations
qui ne supposent aucune atteinte autre que la violation des règles applicables en droit social. La
norme pénale permet alors de garantir l’effectivité de la norme sociale 355 , mais elle ne permet
que cela. L’article L.1248-6 en donne un exemple parmi tant d’autres. Il réprime le « fait de
ne pas établir par écrit le contrat de travail à durée déterminée et de ne pas y faire figurer la
définition précise de son motif, en méconnaissance du premier alinéa de l’article L.1242-12 » 356 .
Si cet article peut éventuellement être mis en lien avec la protection du salarié, le comportement
n’apparaît pas en lui-même attentatoire. Surtout, la sanction pénale se révèle d’autant moins
nécessaire que l’article L.1242-12 du Code du travail répute conclu pour une durée indéterminée
le contrat de travail conclu pour une durée déterminée ne respectant pas la règle de l’écrit et de
précision de son motif. La protection du salarié peut apparaître suffisamment garantie par une
telle règle, de même que la sanction de l’employeur peu diligent, qui subira les conséquences
d’une telle requalification. L’absence de caractère matériellement attentatoire révèle ici la faible
nécessité du recours au droit pénal. L’antijuridicité est ici exclusivement formelle, de sorte
qu’elle sera inhérente à la réalisation du comportement décrit. Une telle infraction ne peut donc
être caractérisée par rapport à un élément antijuridique d’atteinte qui est absent de la structure
de son incrimination.
Une telle utilisation du droit est néfaste. Le droit pénal n’y exprime qu’une « nécessité
d’obéissance des sujets au pouvoir » 357 dans lequel la sanction est détachée du juste 358 . Si dans
ces matières, « seules les sanctions pénales [...] ont un suffisant pouvoir dissuasif » 359 , le recours
systématique à ce type de sanction apparaît largement excessif et, trop souvent, non strictement

353. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 648, no 514.
354. Il n’est pas encore ici question de la répression des comportements en amont du résultat redouté. Le droit
pénal technique connaît de nombreuses incriminations obstacles, mais ce problème étant partagé par toutes les
incriminations de ce type, il fera l’objet de développements ultérieurs. V. infra, no 347.
355. E. Fortis et M. Segonds, « La dépénalisation du droit du travail : un objectif caduc ? », art. préc.
356. Cet article prévoit quant à lui l’obligation d’un écrit et de détermination du motif.
357. Cette conception du droit est pour Monsieur Roubier la marque d’un pouvoir politique autocratique. P.
Roubier, Théorie générale du droit : histoire des doctrines juridiques et philosophie des valeurs sociales, op. cit.,
p. 122, no 14.
358. S’agissant du droit pénal économique qui présente des écueils similaires, Monsieur Pradel écrit d’ailleurs
que ce droit a pour spécificité d’être marqué d’une « amoralité » : « le public ne perçoit pas l’infraction comme
immorale ». J. Pradel, Droit pénal économique, op. cit., p. 10.
359. Ibid., p. 5, s’agissant du droit pénal économique. Dans le même sens et pour la même matière, W. Jeandidier,
Rép. dr. pén., Infractions économiques, 2006 « Le triomphe du capitalisme, l’obsession de la réussite financière ont
en quelques décennies profondément transformé les sociétés. En conséquence l’office du droit pénal en une matière
aussi sensible que primordiale est incontournable. »

317
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

nécessaire 360 . L’absence d’élément antijuridique permet ici de révéler « l’anormalité » de ces
incriminations, pour lesquelles une composante essentielle fait défaut 361 . Bien qu’ils soient
effectivement des faits générateurs de responsabilité pénale 362 , de tels comportements ne
peuvent idéalement être appréhendés comme des infractions, parce que leurs incriminations
n’en respectent pas les principes directeurs. Au regard de la production législative, l’on voit ici
l’intérêt que pourrait présenter un tel élément dans un objectif de limitation de la systématisation
de recours au droit pénal.

340. Conclusion : un résultat redouté d’atteinte – Ne pouvant être ni de pur risque, ni


de seule contrariété au droit, le résultat redouté doit ainsi être conçu en premier lieu comme
une atteinte 363 . Faut-il alors en déduire que l’infraction ne devrait se concevoir que comme
un comportement de lésion ? Assurément non. Raisonner en termes d’atteinte n’est pas de
nature à exclure totalement toute répression anticipée, car le résultat redouté peut ne pas être
indispensable à la caractérisation de l’infraction consommée. Le raisonnement peut en effet se
déplacer sur le terrain de la causalité.

§ 2. La causalité, révélateur subsidiaire de l’antijuridicité

341. Infractions matérielles et présence systématique du résultat – Pour les infractions


véritablement matérielles, la vérification de l’élément antijuridique ne soulève pas de réelle
difficulté. Tout juste faut-il remarquer que, pour certaines d’entre elles, le résultat sera très proche
du comportement, à tel point qu’il ne sera pas totalement détachable du fait accompli. S’il en
est la conséquence, il peut ne pas en être à proprement parler une suite. Toutefois, comme cela
a été vu, un raisonnement par addition de différents éléments n’est pas souhaitable. Il faut donc
conserver à l’esprit que les éléments constitutifs sont des angles d’analyse d’un comportement
et sont utilisés en vue de sa qualification. L’antijuridicité du comportement peut donc être

360. V. par ex. l’article 242-5 du Code de la consommation qui prévoit une peine de deux ans d’emprisonnement
et 150 000€ d’amende à l’encontre du professionnel qui ne remettrait pas à son client un exemplaire signé du contrat
pour les contrats conclus hors établissements.
361. La doctrine relève d’ailleurs fréquemment la faible effectivité de ces incriminations pour lesquelles les
sanctions ne sont que peu prononcées. V. P. Lascoumes et C. Barberger, « De la sanction à l’injonction : « le
droit pénal administratif » comme expression du pluralisme des formes juridiques sanctionnatrices », art. préc. ;
E. Dreyer, « La sécurité juridique et le droit pénal économique », art. préc. ; P. Conte, « 1905-2005 : cent ans de
protection pénale du consommateur », art. préc. ; E. Fortis et M. Segonds, « La dépénalisation du droit du travail
: un objectif caduc ? », art. préc. L’on peut d’ailleurs voir dans cette faible effectivité l’illustration a posteriori de la
faible nécessité de certaines incriminations. Retenant une position plus nuancée à raison du potentiel effet dissuasif
de la menace d’une peine, P. Conte, « 1905-2005 : cent ans de protection pénale du consommateur », art. préc.
Ces matières font en outre l’objet de débats récurrents relatifs à leurs dépénalisations.
362. V. infra, nos 482 et s. et infra, nos 494 et s.
363. En ce sens, J.-Y. Maréchal, Essai sur le résultat dans la théorie de l’infraction pénale, th. préc., not. p. 199,
no 285.

318
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

déduite des faits matériels et des circonstances de leur réalisation ou, selon les spécificités du
comportement incriminé, se vérifier séparément de ces faits 364 .
C’est ainsi essentiellement pour les infractions de nature formelle, et plus précisément pour
la sous-catégorie des infractions obstacles que des difficultés surviennent. Si pour les premières,
le caractère attentatoire s’observe à travers la causalité (A), il est en revanche absent pour les
secondes (B).

A. Le déplacement de l’antijuridicité dans les infractions formelles

342. Le caractère déterminant de la causalité – Pour les infractions formelles, l’analyse


se révèle légèrement plus complexe que pour les infractions matérielles, car le résultat redouté
ne conditionne pas leur caractérisation. Les infractions formelles peuvent par conséquent être
consommées indépendamment de la survenance de tout résultat lésionnaire.
Il faut ici écarter la proposition de Monsieur Philippot, selon laquelle les infractions
formelles seraient pareillement des infractions de lésion d’un bien juridique à raison de la
volonté de l’agent. Retenant une approche très subjective, Monsieur Philippot définit l’intention
coupable comme « la volonté de lésion d’un bien juridique » 365 . Il en déduit alors que cette
intention « constitue déjà une atteinte à la valeur qu’entend protéger la loi pénale » et conclu :
« en mettant tantôt l’accent sur le résultat matériel, tantôt sur l’intention, le droit pénal réprime
la lésion d’un bien juridique. C’est donc toujours la lésion juridique qui, dans le droit classique,
entraîne l’intervention de la loi pénale » 366 . Outre le fait que cette approche fait du résultat
une notion mouvante 367 , tantôt matérielle, tantôt intellectuelle, elle fait de manière contestable
de l’intention coupable la mesure de la répression. La seule recherche intellectuelle d’un
résultat apparaît suffisante à légitimer la répression au nom de l’objectif de protection des biens
juridiques. Exagérément subjective, une telle position ne peut être retenue en raison des dangers
évidents qu’elle comporte. Poussée à son paroxysme, cette approche ne permettrait-elle pas la
répression des délits d’opinion ou des infractions putatives ?
À dire vrai, il faut rejeter l’artifice de la systématisation du résultat et admettre que les
infractions formelles ne se consomment que par l’exécution achevée du comportement incriminé.

364. Ainsi, si l’on prend l’exemple du vol, l’atteinte à la propriété doit exister pour que l’infraction soit consommée.
Cependant, cette atteinte se déduit logiquement du fait matériel de soustraction (élément matériel), et du droit
de propriété antérieur (condition relative à la valeur protégée qui peut être analysée comme une circonstance
constitutive de l’antijuridicité). L’analyse de l’élément matériel et des circonstances qui l’entourent, qu’elles relèvent
de cet élément ou de l’antijuridique, permet de déduire la réalisation du résultat redouté.
365. P. Philippot, Les infractions de prévention, th. préc., p. 52.
366. Ibid., p. 53. L’auteur admet par ailleurs plus classiquement que la mise en danger caractérisant un dommage
purement potentiel soit substituée à la lésion. Elle est selon lui un résultat produit par l’activité de l’agent et par
conséquent distinct d’elle.
367. En ce sens, J.-Y. Maréchal, Essai sur le résultat dans la théorie de l’infraction pénale, th. préc., p. 93,
no 114.

319
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

Le résultat redouté est ici indifférent, ou plus précisément, sa survenance est indifférente. Car
le résultat redouté n’est pas, à proprement parler, totalement étranger à la structure de ces
infractions. Leur consommation se situe certes en amont de l’obtention du résultat redouté,
mais la répression demeure justifiée par ce résultat. Pour les doctrines allemande et italienne,
ces infractions sont des infractions de mise en danger des biens juridiques 368 , à la différence
des infractions matérielles qui sont des infractions de lésion. Le législateur incriminerait ici
un moyen en vue de prévenir un effet précis 369 . Mais bien plus qu’une simple mise en danger,
le comportement est sanctionné parce que, selon toute vraisemblance et selon le cours normal
des choses, le comportement va – ou peut – produire le résultat redouté. L’infraction formelle
ne se distingue pas par la seule mise en danger de la valeur. Non seulement le comportement
peut aller jusqu’à la lésion, mais encore tend-il directement à elle ou est matériellement et
moralement dirigé vers elle. C’est ainsi sur le terrain de la causalité que se déplacent les enjeux
de la qualification. Si le résultat redouté n’a pas à être vérifié, le comportement doit être en
mesure de le provoquer, de sorte que « son pouvoir causal est essentiel » 370 .

343. Variations du lien de causalité : certitude et probabilité – Ce déplacement de la


réflexion sur le terrain de la causalité apparaît très nettement dans les textes d’incrimination. Le
comportement, ou plus précisément le moyen employé ou l’objet de l’infraction, doit être « de
nature à » produire un certain résultat ou encore tendre vers lui. Ainsi les substances (donc le
moyen employé) doivent être de nature à entraîner la mort dans l’empoisonnement 371 , les faits
dénoncés doivent être de nature à entraîner des sanctions dans la dénonciation calomnieuse 372 ,
les informations transmises à une puissance étrangère doivent être, par leur divulgation ou leur
réunion, de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation dans la livraison
d’informations à une puissance étrangère 373 , tandis que les pratiques mises en œuvre en matière
d’eugénisme doivent tendre à l’organisation de la sélection des personnes 374 . Pour toutes ces
infractions, il sera nécessaire de s’assurer que le moyen employé ou l’objet de l’infraction était

368. P. Spiteri, « L’infraction formelle », art. préc.


369. Ibid. L’emploi d’un moyen seul ne permet pas de préjuger du caractère formel de l’infraction (en ce sens,
M. Freij, L’infraction formelle, th. préc., p. 100). Les deux critères de définition de l’infraction formelle tiennent
donc l’emploi d’un moyen et à l’indifférence du résultat (A. Ponseille, « L’incrimination du mandat criminel ou
l’article 221-5-1 du code pénal », Dr. pén. 2004, no 10, p. 23, no 13). Toutefois, la diversification des infractions
formelles s’oppose en partie à ce critère positif de distinction tenant à l’incrimination d’un moyen. Certaines
infractions formelles sont simplement le fait de faire quelque chose sans que le moyen n’apparaisse déterminant. V.
par ex. l’infraction de clonage (Code pén., art. 214-2) qui est « le fait de procéder à une intervention », sans que
cette intervention ne soit vraiment précisée. C’est ici le but recherché et la finalité de l’intervention qui importent
bien plus que le moyen employé. L’incrimination demeure concentrée sur un comportement particulier susceptible
d’engendrer un certain résultat.
370. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 566, no 730.
371. Code pén., art. 221-5.
372. Ibid., art. 226-10.
373. Ibid., art. 411-6.
374. Ibid., art. 214-1.

320
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

bien en mesure d’entraîner le résultat redouté. Il en va du respect du principe de légalité. Ici, le


moyen employé rend certaine la survenance du résultat. Seul l’aléa dans sa réalisation n’est pas
pris en compte.
Dans d’autres hypothèses, la sanction est justifiée non plus par une certitude, mais par une
probabilité de réalisation de résultat. L’incrimination est donc davantage fondée sur un risque,
mais la causalité entre le comportement et le résultat redouté demeure fondamentale. Ainsi
en est-il du faux pouvant « avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant
des conséquences juridiques » 375 . Plus éloigné du résultat redouté, le comportement entretient
une relation causale plus distante avec lui. Il reste néanmoins fondamental de s’assurer que
le document altéré présentait bien certaines caractéristiques, de sorte que le résultat redouté
(établissement d’un droit ayant des conséquences juridiques) peut effectivement découler du
comportement.
Le raisonnement en termes de causalité présente un intérêt certain dans la détermination du
seuil de consommation de l’infraction. Ainsi dans l’exemple de l’empoisonnement est incriminé
le fait d’attenter à la vie d’une personne à l’aide d’une substance de nature à entraîner la mort. Le
fait entretenant une relation causale directe et certaine avec le résultat redouté de mort ne peut
être ici que l’administration ou la présentation de la substance employée. À l’inverse, le simple
emploi, autrement dit la simple utilisation de la substance, est insuffisante, parce qu’elle est en
relation causale incertaine avec le résultat mortel.

344. Cas particulier : l’intention dirigée vers le résultat redouté – Dans d’autres hypo-
thèses encore, le résultat redouté apparaît à travers l’intention de l’agent, le but recherché. Il
s’agit entres autres ici des comportements accomplis « en vue de » 376 ou « dans le but de » 377 .
Le résultat redouté se retrouve dans ces infractions dans leur élément moral. Toutefois, il n’est
pas cantonné à cet élément, car il ne suffit pas, pour que les infractions soient caractérisées,
que l’agent ait poursuivi le but mentionné par le texte. Le comportement accompli doit être de
nature à produire ce résultat, sauf à admettre la possibilité de réprimer une infraction putative ou
surnaturelle. La précision légale quant au but recherché impose donc également de s’intéresser
sous l’angle objectif au pouvoir causal de l’acte. Le raisonnement part ainsi toujours du résultat
redouté par le législateur, même s’il se déplace dans l’exercice de qualification judiciaire sur
l’appréciation de la causalité. En un sens, le comportement reste donc attentatoire, car la
survenance du résultat redouté relève de la certitude ou d’une très forte probabilité.

375. Ibid., art. 441-1.


376. V. par ex. l’incrimination d’organisation de son insolvabilité (ibid., art. 314-7) ou de modification des preuves
(art. 434-4).
377. V. par ex. ibid., p. 322-14, ou, évoquant une intervention « ayant pour but de », le délit de clonage ibid., art.
214-2.

321
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

345. Difficulté résiduelle : les infractions d’abstention – Seule une difficulté pourrait
subsister. Elle est relative aux infractions d’abstention présentant une structure formelle 378 . Il
est parfois affirmé qu’aucun lien de causalité n’est exigé et, plus largement, qu’il serait inexact
de parler de causalité pour ces infractions 379 qui loin de « causer » l’atteinte, ne font simplement
pas obstacle à sa réalisation 380 . Cependant, il peut sembler exagéré d’affirmer que la causalité
est étrangère à la constitution des infractions. Prenant l’exemple d’une personne assistant sans
réagir à la noyade d’une autre, Monsieur Dreyer explique qu’il est certain « qu’en plongeant à
son secours, le témoin passif aurait pu sauver autrui, de sorte qu’il l’aurait empêché de mourir
et assume, de ce fait, une responsabilité dans son décès » 381 . Faisant appel à la théorie de
l’équivalence des conditions 382 , Monsieur Dreyer conclut qu’il « ne fait nul doute [...] que
la passivité du témoin est l’une des causes du décès par noyade d’autrui » 383 . Et il est vrai
que dans cette hypothèse, le comportement de l’agent a concouru à la réalisation du résultat
redouté ou entretient un pouvoir causal avec lui. L’on voit alors que la causalité n’est en rien
étrangère aux infractions d’abstention. Le pouvoir causal du comportement de l’agent au regard
du résultat redouté (mort, atteinte à l’intégrité, etc.) reste primordial, peu importe du reste que
le résultat soit ou non survenu. Il s’agira en effet de s’assurer que l’auteur était bien en mesure
de prêter à la victime une assistance, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit par son action
personnelle, soit en provoquant un secours 384 . L’auteur ne cause pas directement le dommage ou
le risque imminent, mais sa passivité intervient dans la réalisation du dommage ou sa possibilité
de survenance.

346. Le pouvoir causal du comportement – Loin d’être une particularité des infractions
matérielles 385 , la causalité est donc tout autant une donnée déterminante dans la qualification des

378. Tel est le cas de l’infraction de non-assistance à personne en péril, qui est au regard de sa classification dans
le Code une infraction de mise en danger. Aucun résultat de lésion n’est donc ici exigé.
379. X. Pin, Droit pénal général, op. cit., p. 141, no 158 : pour caractériser la causalité, il faut se demander ce qu’il
serait advenu si le comportement n’avait pas eu lieu. « Cette définition conduit à exclure logiquement la recherche
d’un lien de causalité pour les infractions de pure omission [...]. »
380. V. not. J.-C. Saint-Pau, « Les causalités dans la théorie de l’infraction » in Mélanges en l’honneur du
Professeur Jacques-Henri Robert, LexisNexis, 2012, p. 679.
381. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 574, no 745.
382. V. J.-C. Saint-Pau, « Les causalités dans la théorie de l’infraction » in Mélanges en l’honneur du Professeur
Jacques-Henri Robert, op. cit., cité par l’auteur.
383. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 574, no 745.
384. Code pén., art. 223-6.
385. Constatant que le lien de causalité est souvent envisagé pour les infractions matérielles seulement, parce
qu’elles supposent un résultat auquel rattacher l’acte P.-A. Bon, La causalité en droit pénal, 2006, Faculté de droit
et des sciences sociales de Poitiers, LGDJ, p. 25, no 67. La doctrine n’est toutefois pas unanime et des auteurs ont
souligné l’existence d’un lien de causalité en matière d’infraction formelle : v. S. Keyman, « Le résultat pénal »,
RSC 1968, p. 781 ; Y. Mayaud, « Quelle certitude pour le lien de causalité dans la théorie de la responsabilité
pénale ? » in Une certaine idée du droit, Mélanges offerts à André Decocq, Litec, 2004, p. 475. Si la causalité
n’est souvent envisagée dans les manuels que pour les infractions matérielles, c’est essentiellement à raison de
l’importance particulière que prend la causalité dans ces infractions.

322
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

infractions formelles. Malgré ce qui a pu être soutenu, elle n’est, en outre, pas à proprement parler
« virtuelle » 386 . Selon Monsieur Bon, un lien de causalité existerait bien dans les infractions
formelles. Virtuel, il relierait l’acte à la modification du monde extérieur, mais sa démonstration
ne serait pas utile « puisque le résultat juridique n’est alors pas distinct de l’activité matérielle
elle-même » 387 . Ceci interdit pour lui de considérer l’exigence du lien de causalité autrement
que comme un mécanisme d’imputation 388 . Pourtant, l’exigence d’un lien de causalité dépasse
la seule imputation. La virtualité du lien résulte, dans la présentation de Monsieur Bon, de
ce qu’il n’envisage que le lien reliant l’acte d’exécution au résultat légal juridique. Mais c’est
en premier lieu au regard du résultat redouté que la causalité se révèle déterminante. Le lien de
causalité est, il est vrai, virtuel car en l’absence de survenance du résultat, aucun lien rattachant le
fait à ses conséquences ne peut être identifié. Mais la causalité, elle, ne l’est pas totalement 389 en
ce que son existence est déterminante, et ce, malgré l’absence de survenance du résultat redouté.
L’appréciation de la causalité permet ici de s’assurer du caractère causal du comportement,
c’est-à-dire de sa capacité à produire le résultat redouté 390 . Basé sur une probabilité et sur la
potentialité du comportement à engendrer le résultat, il demeure donc concret. S’il se déduit en
grande partie de la matérialité du comportement (fait matériel et circonstances constitutives), le

386. P.-A. Bon, La causalité en droit pénal, th. préc., p. 31, no 85, et D. Portolano, Essai d’une théorie générale
de la provocation, 2012, LGDJ, p. 395, no 329.
387. P.-A. Bon, La causalité en droit pénal, th. préc., p. 61, no 167.
388. Ibid., p. 61, no 168.
389. Les termes de causalité et de lien de causalité peuvent être tenus pour synonymes, la causalité se définissant
comme un lien unissant la cause à l’effet. V. Encyclopédie Larousse, v° Causalité. Monsieur Bon relève d’ailleurs
que souvent, les deux ne semblent pas renfermer de contenu différent. P.-A. Bon, La causalité en droit pénal,
th. préc., p. 3, no 8. Toutefois, et comme le relève l’auteur, le lien s’entend d’une liaison rattachant un évènement
à un autre, alors que la causalité renvoie davantage au principe. Ibid., p. 3, no 9. Il est donc possible de considérer
que l’appréciation du lien de causalité est plus étroite que l’appréciation de la causalité au sens large.
390. Le raisonnement est ici en réalité très proche de celui opéré en matière de tentative. En effet, dès lors que
le législateur érige en infraction consommée ce qui serait au regard d’une infraction matérielle un commencement
d’exécution (v. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 648, no 514), il est nécessaire de s’assurer
que les faits matériels tendent directement au délit. Infraction formelle et tentative sont souvent rapprochées en
doctrine, car « la tentative et la consommation formelle semblent procéder de la même inspiration pénale » (A.
Prothais, Tentative et attentat, th. préc., p. 113-114, no 155. V. égal. A. Decocq, Droit pénal général, op. cit.,
p. 183 : les infractions formelles sont selon lui des agissements « qui seraient constitutif d’une tentative si le résultat
réel était défini comme résultat légal ». Contra, M.-L. Rassat, Droit pénal général, op. cit., p. 317, no 270, qui refuse
de voir dans l’infraction formelle l’érection d’une tentative en infraction autonome. Il s’agit pour Madame Rassat
de l’incrimination d’un moyen à raison du danger social qu’il peut représenter et indépendamment de son résultat. La
diversification des infractions formelles s’oppose peut-être en partie à une systématisation de la présentation de ces
infractions comme des tentatives d’autres infractions. Toutefois, deux choses peuvent être remarquées. La première
tient au lien historique entre l’infraction formelle et la tentative. En effet, il semble que « l’infraction formelle
trouve son origine dans la notion d’attentat » (M. Freij, L’infraction formelle, th. préc., p. 3. Comp. P. Spiteri,
« L’infraction formelle », art. préc.), lui-même longtemps considéré comme une tentative (La citation de Ortolan
est célèbre : « attentat n’est autre chose que tentative, attenter autre chose que tenter. Dans notre ancien langage
du droit ces mots n’ont pas d’autre sens. » J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 444, no 1036.). La
seconde tient au fait que les infractions formelles opèrent une répression en amont. Or, le lien de causalité entre le
comportement accompli et le résultat redouté rappelle, au moins pour les infractions formelles stricto sensu, le jeu
de la tentative et la définition du commencement d’exécution, le comportement devant tendre au résultat.

323
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

pouvoir causal est une condition de la qualification judiciaire 391 . Ici encore, il pourra se déduire
de l’analyse du fait ou de certaines circonstances, qu’elles soient liées à la réalisation du fait, ou
propres au caractère attentatoire. Mais son absence fera obstacle à la qualification des faits sur
le fondement de l’infraction consommée. La causalité révèle donc l’antijuridicité matérielle de
l’acte et permet de s’assurer que la mise en danger de la valeur a bien été effective en l’absence
de réalisation du résultat redouté.
Si leur élément antijuridique est moins prononcé que pour les infractions matérielles, les
infractions formelles présentent donc une structure similaire qui répond aux principes de la
matière. La gravité du comportement apparaît en partie à raison des conséquences qu’il tend
à emporter. L’exercice de qualification légale est tendu vers le résultat redouté, si bien que la
répression anticipée peut apparaître justifiée 392 . Il n’en va pas de même pour les infractions
obstacles qui présentent, pour leurs parts, une spécificité structurelle bien plus problématique.

B. L’absence d’antijuridicité dans les infractions obstacles

347. L’absence de pouvoir causal – Si la distinction entre les infractions obstacles et


les infractions formelles stricto sensu n’est pas toujours aisée à faire 393 , la causalité peut être,
en la matière, d’un certain secours 394 . En effet, pour les infractions obstacles, il est enseigné
que la causalité fait défaut : le comportement, s’il est dangereux, est sans portée dommageable
immédiate et effective 395 . Selon Monsieur Mayaud, l’infraction obstacle est ainsi celle qui
n’entretient pas « de lien de causalité avec un résultat précis » 396 . Elle se caractérise donc par une
répression en amont sur l’iter criminis, entraînant non seulement la disparition de l’exigence du
résultat redouté dans la qualification judiciaire, mais aussi un amoindrissement de l’importance
du lien de causalité 397 .
Les infractions obstacles se partageraient entre des incriminations de comportements
intrinsèquement dangereux, sans référence à un résultat redouté particulier et des hypothèses de

391. V. Y. Mayaud, « Quelle certitude pour le lien de causalité dans la théorie de la responsabilité pénale ? » in
Une certaine idée du droit, Mélanges offerts à André Decocq, op. cit., pour qui la causalité doit être certaine, c’est-
à-dire établie dans sa réalité également pour les infractions formelles. Constitutive, elle est alors une certitude de
potentialité : « La certitude, dans les infractions formelles, ne se manifeste pas par un dommage sensible, comme
c’est le cas pour les infractions matérielles, mais par un dommage possible. Son objet n’est pas l’effectivité, mais
bien la potentialité [...] », étant précisé que « peut être certain ce qui n’est pas effectif ».
392. La relativisation de l’élément d’atteinte est compensée par la gravité subjective du comportement. Une
infraction formelle de pure imprudence se conçoit par conséquent fort mal. Même si le résultat n’a pas à être
recherché, le comportement devrait rester volontaire.
393. V. A. Prothais, Tentative et attentat, th. préc., p. 330, no 470, pour qui le domaine des infractions obstacles ne
se distingue pas assez de celui des infractions formelles, ce qui conduit en doctrine à des hésitations de catégorisation
entre les auteurs.
394. A. Ponseille, L’infraction de prévention en droit pénal français, th. préc., p. 31, no 23.
395. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 650, no 516.
396. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 214, no 193.
397. En ce sens, A. Prothais, Tentative et attentat, th. préc., p. 330, nos 470 et s.

324
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

sanction autonome d’actes préparatoires d’autres infractions 398 . Dans le premier cas, le résultat
redouté par le législateur n’est qu’un risque abstrait et général. Intrinsèque au comportement,
le risque ne nécessitera pas de vérification supplémentaire effective par le juge. Ici, même
l’appréciation du pouvoir causal de l’acte ne semble pas prendre d’importance particulière
car le risque, abstrait, ne peut être véritablement détaché du comportement. L’incrimination ne
protège pas une valeur en particulier, mais potentiellement plusieurs valeurs contre des risques
divers 399 . C’est ici un comportement contraire à l’ordre public qui est réprimé. Dans le second
cas, un résultat redouté plus concret existe et est parfois expressément identifié dans les textes,
comme dans l’incrimination du mandat criminel 400 . Il est alors similaire à l’infraction que le
législateur entend prévenir 401 . Les comportements sanctionnés peuvent alors être rapprochés
d’actes préparatoires, incriminés de manière autonome.

348. Des éléments constitutifs atrophiés – Dans les deux cas, ces infractions apparaissent
donc être fortement dérogatoires aux principes de la matière. L’élément matériel se trouve ici
atrophié 402 dès lors que fait incriminé se situe en amont de ce qui est traditionnellement admis
en matière de tentative. Sont réprimés des comportements contraires à l’ordre public 403 , de
préparation criminelle ou de participation, en amont de la réalisation d’un fait principal. Dans ce
dernier cas, les textes exigent, le plus souvent, que la préparation soit caractérisée par « par un ou
plusieurs faits matériels » 404 , ce qui permet de maintenir l’exigence de manifestation extérieure
de la volonté coupable. Ce maintien est toutefois partiel, dès lors qu’il permet une répression
très tôt sur l’iter criminis et théoriquement indifférente au désistement volontaire. Les trois
éléments apparaissent par conséquent amputés, car l’atrophie des éléments objectifs se répercute
sur l’élément subjectif. L’on se contente ici de « faits matériels », au demeurant non définis,

398. V. la distinction opérée par Monsieur Dreyer (E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 562, nos 727 et
s.) entre les infractions obstacles déterminées et les infractions obstacles indéterminées.
399. Pour une approche plus nuancée, v. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par
le droit pénal, th. préc., p. 318, no 489 et p. 336, no 522. Selon elle, les infractions obstacles correspondent à des
comportements dangereux pour un bien juridique primaire, mais il n’est pas nécessaire de s’assurer d’une réelle
mise en danger de ce bien.
400. Code pén., art. 221-5-1.
401. Il en va ainsi pour les textes incriminant des comportements de participation à la préparation de certaines
infractions données.
402. Selon Madame Ponseille, en matière d’infractions de prévention, l’atrophie de l’élément matériel s’ac-
compagne d’une hypertrophie de l’élément moral. Ces infractions sont « une manifestation supplémentaire et
paroxystique de la subjectivisation du droit pénal ». A. Ponseille, L’infraction de prévention en droit pénal français,
th. préc., p. 214, no 207. Toutefois, non seulement il n’est pas certain que l’élément moral soit suffisant à compenser
l’atrophie des éléments objectifs au regard de la nécessité des incriminations, mais encore cette hypertrophie est-
elle parfois très théorique. Certaines infractions obstacles sont des infractions de pur comportement pour lesquelles
l’élément moral se réduit parfois à la conscience de violer la loi (conscience au demeurant présumée par la maxime
nul n’est sensé ignorer la loi). Les infractions de port d’armes, ou de conduite en état d’ébriété, par exemple, peuvent
être analysées comme des infractions de prévention et ne présentent pas d’hypertrophie de leur élément moral.
403. De ce point de vue, leur structure et leur raison d’être se rapprochent de celles des contraventions. V. infra,
nos 429 et s.
404. V. entre autre Code pén., art. 214-4.

325
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

qui ne seraient pas de nature à permettre une répression sur le terrain de la tentative à raison
de leur caractère équivoque 405 . Loin de satisfaire aux exigences traditionnelles de la matière
pénale, cette précision permet au contraire de les contourner dans le respect – apparent – de la
légalité. Ces infractions se situent en amont des exigences relatives à la tentative et permettent
une répression par un contournement des règles qui lui sont propres. La causalité n’est pas
totalement occultée ici, car certaines infractions obstacles viennent en prévention d’un résultat
redouté, mais elle n’a ni à être certaine – ce qui est le plus problématique –, ni à être directe. Elle
est en réalité déplacée : ce que le législateur entend prévenir n’est pas tant un résultat particulier
que la réalisation future d’une autre infraction 406 . Il s’ensuit que l’effectivité du risque et de la
mise en danger de la valeur éventuellement protégée apparaît indifférente à la caractérisation de
l’infraction 407 . En outre, s’agissant des infractions obstacles indéterminées, le résultat redouté
n’est ni une composante de l’incrimination, ni une composante de l’infraction.

349. Une spécificité structurelle – Il en résulte qu’à première vue, ces incriminations
ne remplissent pas les canons de l’infraction pénale. Les éléments matériel et moral sont
atrophiés, quant à l’antijuridicité, elle se révèle pour le moins très incertaine. Fondée sur
une mise en danger, abstraite et hypothétique, elle est douteuse. Elle n’existe réellement que
dans sa dimension formelle de contrariété au droit. Sans doute ne faut-il pas exagérer la
conséquence de l’inexistence du résultat redouté sur la nécessité de la répression. Comme il
l’a été observé, le caractère attentatoire n’est qu’un indice de la gravité du comportement, qui
peut éventuellement être révélée autrement. Toutefois, le fait que chaque élément constitutif
présente une amputation majeure et que l’élément antijuridique soit absent dans sa dimension
matérielle est problématique et traduit l’anormalité de ces faits générateurs de responsabilité. La
répression à titre préventif est sans doute dans certaines d’hypothèses souhaitable et nécessaire.
Mais le développement des infractions obstacles s’opère au détriment des libertés individuelles,
sans que l’équilibre auquel devrait tendre le droit répressif apparaisse totalement respecté. Il faut
tout simplement admettre qu’ici, l’élément antijuridique est absent et n’existe qu’en apparence
par le rattachement opéré par le législateur entre le comportement jugé dangereux et le résultat
auquel il pourrait éventuellement aboutir. Par conséquent, ces incriminations ne répondent pas
à la structure idéale de l’infraction.
Un tel constat est-il alors de nature à remettre en question cette structure ? On peut tout à
fait le penser. Mais la science pénale n’a pas pour fonction de légitimer les écarts législatifs. Elle
ne peut les expliquer que dans une certaine mesure. L’élément antijuridique permet de mettre

405. V. R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 132, no 66.
406. V. infra, no 483.
407. L’aspect matériel de l’antijuridicité est donc totalement absent. Celle-ci se résumera à sa dimension négative,
lorsque l’illicéité de l’acte sera susceptible d’être contrecarrée par la preuve d’un fait justificatif.

326
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

en lumière la spécificité de ces infractions 408 . Il en fait ressortir les « anormalités » et dresse un
obstacle à la « normalisation de l’exception » 409 qui s’observe aujourd’hui. Si, ponctuellement,
la nécessité de ces incriminations peut être objectivement appréciée grâce à d’autres éléments,
l’absence totale d’atteinte, y compris en termes de probabilité, est problématique et se répercute
sur la consistance des autres éléments. Dès lors, leur nature infractionnelle est fortement
douteuse 410 . La sanction pénale de tels comportements devrait donc demeurer exceptionnelle
parce que leurs incriminations ne répondent pas totalement aux principes directeurs de la matière

350. Le recours artificiel aux présomptions – Il faut ici préciser que dans les pays ayant
recours au concept d’antijuridicité, il est parfois fait appel à une présomption irréfragable
de risque en matière d’infraction obstacle 411 . Cependant, une telle position contient une part
d’artifice qui ne parvient pas à masquer le fait que même en raisonnant à partir de la mise en
danger, celle-ci n’est, dans ces hypothèses, pas effective et n’a du reste pas à l’être. De même, la
proposition faite par Madame Lacaze n’est pas tout à fait satisfaisante. Selon elle, l’infraction
obstacle présente pour particularité de léser un bien collectif (par exemple la sécurité routière)
et de mettre en danger un bien primaire (la vie ou l’intégrité physique des usagers de la route),
sans que cette mise en danger n’ait à être vérifiée 412 . La mise en danger du bien primaire est
donc abstraite et peut ne pas être effective. Par ailleurs, dans le cadre de l’appréciation de
l’antijuridicité positive du comportement, la lésion du bien juridique secondaire (dans l’exemple
donné, la sécurité routière) sera présumée 413 . Refusant d’admettre les délits de pure activité,
Madame Lacaze pose toutefois comme principe le caractère réfragable de cette présomption 414 ,
mais dans l’hypothèse très restreinte correspondant à l’insignifiance 415 .
Le recours à la présomption est ici rendu indispensable par la particularité structurelle des
infractions obstacles. Cependant, ce procédé conduit in fine à priver l’élément antijuridique
proposé par Madame Lacaze de réelle utilité. En admettant que la lésion du bien secondaire
puisse être abstraite et présumée, toute incrimination se trouve finalement justifiée et l’intérêt

408. Son utilisation présente l’intérêt d’insister sur la structure des infractions obstacles et sur leur contrariété
avec les principes généraux de la matière.
409. R. Parizot, « L’anticipation de la répression » in Le principe de nécessité en droit pénal, Actes de la journée
d’études radicales, op. cit.
410. V. infra, no 494.
411. Critiquant cette position, v. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal,
th. préc., p. 318, no 489.
412. Ibid., p. 335, no 522.
413. Ibid., p. 374, no 592. La présomption de lésion du bien secondaire est ici suffisante pour la qualification
judiciaire des faits.
414. Ibid.
415. L’exemple donné par Madame Lacaze est celui d’une personne ayant mal garé sa voiture et qui, à l’issue
d’une soirée arrosée se met au volant, mais uniquement pour déplacer celle-ci de quelques mètres afin de la garer
correctement. Dans cette hypothèse, et par application du principe d’insignifiance, la présomption d’antijuridicité
pourrait être renversée, car la lésion du bien secondaire n’apparaît pas effective. Ibid., p. 374, no 593.

327
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

de cet élément dans la qualification judiciaire fortement relativisé. Selon Madame Lacaze,
« la nature même des délits obstacles impose de considérer que le risque abstrait pour le bien
juridique primaire est suffisant à la qualification de l’antijuridicité » 416 . La remarque correspond,
il est vrai, à la réalité des infractions obstacles. Mais elle remet à elle seule en question
l’effectivité de l’antijuridicité pour ce type d’infraction et donc l’existence d’un éventuel élément
antijuridique, commun à toutes les incriminations. En outre, l’antijuridicité ne joue plus son rôle
d’encadrement de la répression ni au stade de l’incrimination (tous les comportements peuvent
être incriminés au regard du risque abstrait qu’ils font peser sur les biens juridiques primaires),
ni au stade de la qualification judiciaire, dès lors qu’elle parvient à être systématisée de manière
artificielle. La systématisation de l’analyse se fait ici au prix d’une remise en cause regrettable
de l’intérêt de l’élément antijuridique. De toute façon inconcevable lorsque l’on raisonne à partir
du résultat redouté, une présomption d’antijuridicité n’apparaît, par conséquent, pas souhaitable
même lorsque l’on admet que le résultat puisse n’être qu’une mise en danger.

351. Conclusion – L’intérêt d’un élément antijuridique ne peut être maintenu que si l’on
s’oppose à une systématisation artificielle. Il faut donc admettre que les infractions obstacles
sont dénuées de caractère attentatoire, en raison de l’indifférence cumulée du résultat redouté
et de la causalité, tant dans l’incrimination que dans l’infraction. Une telle absence devrait
être compensée par d’autres éléments objectifs d’appréciation de la gravité du comportement.
Or, l’atrophie des éléments matériel et moral rend très souvent douteuse la conformité de
ces incriminations aux principes fondamentaux auxquels toute incrimination devrait répondre.
L’absence de réelle prise en compte du résultat redouté révèle un problème structurel pour ces
comportements et les distingue nettement des autres types d’infractions que sont les infractions
matérielles et les infractions formelles.
La nature du résultat permettant la matérialisation de l’atteinte ayant été précisée, il convient
désormais de s’intéresser aux circonstances de l’atteinte, afin d’identifier les circonstances
constitutives de l’élément antijuridique.

Section 2 – Les circonstances de l’atteinte

352. Circonstances constitutives et circonstances paralysantes – Si l’élément antijuri-


dique se révèle en premier lieu par l’atteinte à la valeur protégée que le résultat engendre,
il ne dépend à l’évidence pas que de lui. L’antijuridicité est révélée par le résultat, mais les

416. Ibid., p. 376, no 595.

328
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

circonstances dans lesquelles se réalise l’atteinte sont également fondamentales. Elles participent
de la constitution de l’élément antijuridique en tant que circonstances constitutives ou, à l’inverse,
peuvent être de nature à ôter au comportement son caractère antijuridique. Dans ce dernier
cas, les circonstances ne dépendent plus de la caractérisation de l’élément antijuridique. Elles
viennent au contraire révéler l’absence d’antijuridicité de l’atteinte. L’infraction n’est, en cette
hypothèse, pas véritablement justifiée puisqu’elle n’est en réalité pas caractérisée.
Les circonstances qui entourent le caractère attentatoire du comportement peuvent donc
avoir deux effets opposés : certaines participent de l’élément antijuridique et sont indispensables
à sa caractérisation (I), d’autres, au contraire, révèlent l’absence d’antijuridicité du comporte-
ment et font par conséquent obstacle à celle-ci (II).

§ 1. Les circonstances indispensables à la caractérisation de l’élément


antijuridique

353. L’importance du contexte – Les circonstances constitutives accompagnant l’atteinte


principale sont variées. Parmi elles figure tout d’abord la pluralité d’atteintes. Dans certains cas,
en effet, l’infraction ne se sera caractérisée qu’à la condition d’un dédoublement du caractère
attentatoire du comportement. La survenance du résultat redouté ne sera alors pas suffisante. Par
ailleurs, le contexte dans lequel se déroule l’atteinte est fondamental. Il tient aux faits accomplis,
mais également à certaines données pouvant directement être rattachées à l’antijuridicité. Dès
lors que l’antijuridicité du comportement n’est vérifiée que si le résultat trouve sa source dans
le fait d’exécution et porte atteinte à la valeur protégée par le texte, il sera nécessaire de
s’intéresser, pour sa caractérisation, à la valeur protégée ainsi qu’au lien de causalité entre le
fait et l’atteinte 417 .
Outre les cas de dédoublement de l’atteinte (A), il sera donc nécessaire d’étudier les autres
circonstances constitutives que sont la causalité et la circonstance tenant à la valeur protégée
(B).

A. Les circonstances résultant d’un dédoublement du caractère attentatoire

354. Individualisation et pluralité – Les circonstances résultant d’un dédoublement du


caractère attentatoire se rencontrent dans deux hypothèses. La première est celle où une indi-
vidualisation de l’atteinte est exigée en plus du résultat redouté (1), la seconde est celle ou une

417. Il faut dès à présent préciser que le lien de causalité n’est une circonstance constitutive que pour les infractions
matérielles pour lesquelles il est indispensable de s’intéresser au contexte de l’atteinte et d’en identifier la source.
Pour les infractions formelles, la causalité reste comme on la vu fondamentale, mais elle sa vérification intègre celle
de la donnée principale de l’élément antijuridique.

329
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

pluralité d’atteinte est exigée (2). Toutefois, une circonstance constitutive ne peut réellement être
identifiée que dans le second cas.

1. L’individualisation de l’atteinte : l’exigence d’un préjudice

355. Préalable : la nécessaire distinction du résultat et du préjudice – Le législateur


impose parfois au juge de s’intéresser à l’individualisation de l’atteinte. Celle-ci aura, par
exemple, une importance dans la détermination de la qualification applicable pour certaines
infractions contre les personnes 418 . Elle semble aussi devoir avoir un intérêt pour les incrimina-
tions pour lesquelles un préjudice est exigé. Notion relevant plutôt du droit civil, le préjudice a
toujours soulevé des problèmes en droit pénal. Avant de s’intéresser à sa place dans la structure
infractionnelle, une précision est nécessaire en raison d’une ambiguïté terminologique. Certains
auteurs confondent en effet les notions de résultat et de préjudice et estime, t que les infractions
matérielles se distingueraient des infractions formelles par l’exigence de ce dernier 419 . Certains
auteurs vont même jusqu’à proposer d’abandonner la notion de résultat, trop obscure, pour
lui préférer celle de préjudice 420 . Cette proposition, tout comme la confusion entre les deux
notions, n’est toutefois pas convaincante. Le préjudice est une notion emprunte de considérations
civilistes. Distingué en droit civil par certains auteurs du dommage, il est la conséquence de la
lésion 421 et, plus précisément, la conception que la victime se fait de lui et qui ouvre pour elle
un droit à réparation 422 . Dès lors, une telle assimilation du préjudice et du résultat n’apparaît
pas souhaitable pour deux raisons.
Tout d’abord, elle tend à faire de la lésion de l’intérêt particulier de la victime l’indicateur
de la consommation, ce qui est contraire à la finalité du droit pénal 423 . Le droit pénal prend
certes en compte le dommage subi par la victime, mais il s’intéresse avant tout à l’atteinte à
la valeur que produit l’infraction. La réparation du dommage relève elle de la responsabilité
civile. Le préjudice de la victime n’est pas, en règle générale, un facteur déterminant en matière

418. L’on pense ici en premier lieu aux infractions de violences volontaires ou de blessures involontaires pour
lesquelles le résultat d’atteinte à l’intégrité ne permet pas à lui seul d’opter pour une qualification.
419. La distinction résulte des propositions faites par Monsieur Donnedieu de Vabres (H. Donnedieu de
Vabres, « Quelques observations sur le rôle du préjudice en droit pénal français », art. préc., et du même auteur,
Essai sur la notion de préjudice dans la théorie générale du faux documentaire, op. cit.). Sur cette tendance dans
la doctrine actuelle, v. G. Rabut-Bonaldi, Le préjudice en droit pénal, th. préc., p. 149, no 188. S’inscrivant dans
cette analyse, Madame Malabat écrit ainsi que le faux est une infraction formelle dès lors que le préjudice n’est pas
exigé. V. V. Malabat, Faux, op. cit., no 47. Pour une position plus nuancée, v. toutefois du même auteur, « Retour
sur le résultat de l’infraction » in Mélanges en l’honneur du Professeur J.-H. Robert, op. cit.
420. J. Pradel, Droit pénal général, op. cit., p. 351, nos 414 et s.
421. Droit de la responsabilité et des contrats, régimes d’indemnisation, sous la dir. de P. le Tourneau, 10ème éd.,
Dalloz action, 2014, p. 567, no 1305.
422. V. S. Rouxel, Recherches sur la distinction du dommage et du préjudice en droit civil français, 1994, Thèse,
Grenoble II, p. 9.
423. En ce sens, G. Rabut-Bonaldi, Le préjudice en droit pénal, th. préc., p. 170, no 232.

330
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

infractionnelle. En atteste l’indifférence du consentement de la victime, impuissant, en principe,


à retirer au comportement son caractère infractionnel. L’on voit donc bien que le préjudice,
inexistant dans cette hypothèse, n’a pas de rôle à jouer en matière répressive.
Ensuite, confondre résultat et préjudice rend totalement surabondante son exigence expresse
dans certains textes. Si certaines incriminations en font état, c’est, semble-t-il, bien parce qu’une
condition supplémentaire y est requise 424 . Le préjudice apparaît donc distinct du résultat qui est,
au regard de l’incrimination, l’atteinte à la valeur protégée et, au regard de l’infraction, cette
même atteinte concrétisée 425 .

356. Position du problème – Bien qu’elles soient relativement peu nombreuses, certaines
infractions du Code pénal intègrent dans leurs définitions légales l’exigence d’un préjudice.
Ainsi en est-il de l’abus de faiblesse, de la soustraction frauduleuse d’énergie, de l’escroquerie,
de l’abus de confiance, du faux 426 et de certaines infractions aggravées 427 . Pour chacune de
ces infractions, les textes d’incrimination en font expressément état, de sorte qu’il conditionne
théoriquement leurs caractérisations 428 .
Reste alors à savoir comment entendre ce préjudice. Sa mention en plus du résultat redouté
suggérerait qu’il soit une circonstance supplémentaire, devant se vérifier en plus de lui. Si elle
semble conforme au principe de légalité, cette solution doit pourtant être écartée en raison de
l’impossibilité tenant à la détermination de la nature du préjudice exigé (a). Le préjudice n’est
en réalité qu’une hypothèse d’individualisation du résultat dans la personne de la victime, mais
qui se révèle inhérent à lui (b).

a. L’impossible détermination de la nature du préjudice exigé

357. Faible utilité de la valeur protégée dans la détermination de la nature du préjudice


exigé – Parce qu’il est formellement exigé par les textes, la réaction première serait de conclure
à une vérification effective et autonome du préjudice. Cette solution s’impose au regard du
principe de légalité. La condamnation ne pourra être légale que si peuvent être vérifiés dans le
comportement les différents éléments constitutifs de l’infraction. Reste néanmoins à déterminer
la nature du préjudice exigé. Or, en la matière, les textes d’incriminations sont muets. L’une
des solutions serait alors de se tourner vers la valeur protégée par le texte d’incrimination. Ce
raisonnement est parfois celui suivi en doctrine. La caractérisation des infractions contre les

424. En ce sens, M.-L. Lanthiez, « Du préjudice dans quelques infractions contre les biens », art. préc.
425. En cela, le résultat peut donc être un dommage.
426. Code pén., art. 223-15-2 ; 311-2 ; 313-1 ; 314-1 et 441-1.
427. V. par ex. ibid., art. 225-4-10, ou ibid., art. 312-2, encore que la mention du préjudice serve essentiellement
dans ces hypothèses à désigner le sujet passif de l’infraction.
428. À l’exception du faux pour lequel le Code se contente d’un préjudice éventuel. Ibid., art. 441-1.

331
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

biens nécessiterait alors que soit vérifié un préjudice d’ordre pécuniaire ou matériel ; les infrac-
tions contre les personnes pourraient être caractérisées en présence d’un préjudice seulement
moral 429 .
S’agissant des infractions contre les biens, un préjudice matériel ou pécuniaire se concevrait
assez facilement. Néanmoins, le recours à la valeur protégée ne permet pas vraiment de
restreindre ainsi la nature du préjudice exigé. En effet, il n’est pas certain que les infractions
d’atteinte aux biens protègent en premier lieu le patrimoine de la personne, si bien que restreindre
le préjudice au seul préjudice pécuniaire ne serait pas justifié. Ces infractions ne sont en tout cas
pas appliquées ainsi, et ce, depuis longtemps. À défaut, comment expliquer, au regard de la
protection du patrimoine, que des copies d’examen puissent faire l’objet d’un vol 430 ? De même,
le vol d’usage d’un bien, sanctionné sur le terrain du vol depuis 1959 431 , ne porte aucune atteinte
au patrimoine de son propriétaire dès lors qu’il peut ne pas être privé définitivement de son bien.
Dans cette hypothèse, il n’y a ni préjudice pécuniaire, ni préjudice matériel. L’infraction ne porte
atteinte qu’au droit de propriété de la victime, mais non à son patrimoine ou à la chose en elle-
même. Ainsi enseigne-t-on que « la valeur de la chose est indifférente » 432 et qu’une chose peut
faire l’objet d’un vol dès lors qu’elle fait l’objet « d’un droit privatif » 433 . Le vol protège donc
en premier lieu la propriété et il semble cohérent d’admettre que les infractions voisines du vol
également.
De manière générale, la valeur protégée ne permet donc pas de déduire avec certitude la
nature du préjudice exigé, sauf à admettre que, par l’exigence du préjudice, le législateur a
justement entendu diriger la protection vers la chose ou vers le patrimoine 434 . Si la mention
du préjudice pourrait aller dans ce sens, des difficultés demeurent. L’escroquerie, par exemple,
n’est pas seulement constituée par la remise d’un bien. Elle l’est aussi par la fourniture d’un
service ou par l’engagement pris par une personne. Ces hypothèses ne semblent pas réellement
compatibles avec la compréhension de l’escroquerie comme une atteinte au bien stricto sensu
ou au patrimoine 435 . Par ailleurs, le raisonnement est particulièrement malaisé à transposer à
l’hypothèse du faux. La valeur protégée est ici la confiance publique, ce qui explique par ailleurs

429. Appliquant ce raisonnement à l’abus de faiblesse, E. Dreyer, Droit pénal spécial, op. cit., p. 470, no 989,
et plaidant en faveur du même raisonnement en matière d’escroquerie, C. Mascala obs. sur Cass. crim., 28 janv.
2015, D. 2015, pan. p. 1506.
430. Paris, 24 juin 1965 ; JCP 1966, II, 14700, note D. Bécourt.
431. V. E. Dreyer, Droit pénal spécial, op. cit., p. 424, no 893.
432. Ibid., p. 420, no 883.
433. Ibid., p. 420, no 882.
434. Dans ce dernier cas, l’escroquerie ou l’abus de confiance ne serait pas possible lorsque le bien escroqué ou
détourné ne sera d’aucune valeur, ce qui apparaîtrait relativement peu cohérent au regard des incriminations.
435. Non plus du reste que comme une atteinte à la propriété. C’est là toute l’ambiguïté de cette infraction qui a
pu être analysée comme une infraction d’atteinte au consentement. V. X. Pin, Le consentement en matière pénale,
th. préc., p. 81, no 67.

332
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

que le préjudice puisse n’être qu’éventuel 436 . La valeur protégée ne permet pas ici de préciser
la nature du préjudice. Non seulement la victime du préjudice peut aussi bien être un particulier
que l’État, mais encore le préjudice semble-t-il parfaitement pouvoir n’être que moral pour
cette infraction 437 . Il faut par conséquent renoncer à l’utilisation de la valeur protégée dans
la détermination de la nature du préjudice exigé par les textes. Exiger un préjudice d’ordre
patrimonial pour les infractions contre les biens induit au demeurant un changement de valeur
protégée dont il n’est pas certain qu’il ait été voulu par le législateur.

358. Impasse – La mention du préjudice sans précision quant à sa nature dans les textes
conduit en partie à une impasse. Le recours à la valeur protégée pourrait certes permettre un
encadrement en la matière, mais elle n’est à la réflexion pas un critère suffisant. Comment déduire
de la protection de la propriété un type particulier de préjudice ? L’atteinte n’est-elle ressentie par
la victime dans son droit autant que dans son patrimoine ? Le préjudice apparaît alors pouvoir
être aussi bien matériel que moral. Or, s’il peut n’être que moral, il n’est plus réellement une
circonstance supplémentaire devant être vérifiée en plus du résultat redouté et indépendamment
de lui. Au contraire, il n’est alors concrètement qu’une hypothèse d’individualisation de ce
dernier, mais qui n’en est pas réellement détachable.

b. Une individualisation inhérente à la survenance du résultat

359. Un préjudice réparable – De manière générale, le préjudice se définit comme une


atteinte subie par une personne dans son corps, son patrimoine ou ses droits et qui ouvre à
la victime un droit à réparation 438 . Par conséquent, la mention du préjudice dans un texte
d’incrimination pourrait signifier que, outre l’atteinte au bien juridique protégé, il est nécessaire
que le comportement ait aussi porté atteinte à une personne dans son corps, son patrimoine ou ses
droits, ouvrant ainsi pour elle un droit à réparation 439 . Le préjudice mentionné par le texte serait
alors tout simplement le préjudice au sens civil, celui ouvrant droit à réparation pour la victime.
Dans ce cas, en plus de l’atteinte concrète à la valeur protégée matérialisée par le résultat de
l’infraction, la qualification des faits serait conditionnée par le fait que cette atteinte ait touché la

436. V. H. Donnedieu de Vabres, Essai sur la notion de préjudice dans la théorie générale du faux documentaire,
op. cit., p. 10. Le Code pénal vise en effet une altération « de nature à causer un préjudice ». Code pén., art. 441-1.
437. L’argument est d’ailleurs renforcé par le fait que pour certaines hypothèses de falsification aggravées, le
législateur a pris la peine de préciser qu’elles devaient être faite « en vue porter préjudice [...] au patrimoine d’autrui »
ibid., art. 441-9, al. 2. La précision n’existant pas pour le faux en général, c’est semble-t-il que le préjudice dont il
est question au titre du faux n’est pas limité au préjudice patrimonial.
438. G. Cornu, Vocabulaire juridique, préc., v° Préjudice.
439. Le préjudice présenterait alors « un intérêt procédural, en aidant à identifier la personne qui a « personnelle-
ment souffert du dommage directement causé par l’infraction » au sens de l’art. 2 c. pr. pén. », S. Detraz note sous
Cass. crim., 14 mai 2014, Gaz. Pal. 2014, p. 31. Le préjudice est parfois distingué du dommage : R. Ollard, « La
distinction du dommage et du préjudice en droit pénal », RSC 2010, p. 561.

333
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

victime dans son corps, son patrimoine ou ses droits et ait fait naître un droit réparation – quelque
soit par ailleurs la nature du préjudice – à son égard.

360. Bref rappel historique – L’origine historique des infractions de préjudice plaide en
faveur de cette approche. Ces infractions prennent, pour au moins trois d’entre elles, direc-
tement leurs origines dans le crime de stellionat 440 . Ce crime existait déjà en droit romain.
Particulièrement large, il embrassait toutes les hypothèses de tromperies n’ayant pas de nom
particulier 441 . Six cas étaient expressément visés 442 , parmi lesquels on trouve des hypothèses
se rapprochant du faux ou de l’escroquerie 443 . Ce crime donnait naissance à une action pénale à
côté de l’action née de la tromperie, autrement dit, du dol, dont la fonction indemnisatrice était
marquée 444 . Ainsi trouve-t-on dans le Digeste l’explication selon laquelle « le stellionat peut être
reproché à ceux qui ont fait quelque chose par dol, s’il n’y a pas d’autre crime dont on puisse les
accuser : car, ce qui dans le droit privé donne l’action de dol, dans les crimes donne accusation
de stellionat » 445 .
Repris dans l’Ancien droit, le crime de stellionat permettait de sanctionner celui qui, pour
de l’argent, avait menti à son créancier quant à la consistance ses biens 446 , ou plus généralement,
le crime de celui « qui par dol vend, cède ou engage une chose qu’il avait déjà cédée, vendue ou
engagée à une autre personne » 447 , ainsi que divers autres des faits de tromperie. Si le stellionat
de l’Ancien droit ne se confond ni avec notre infraction de faux, ni avec celle d’escroquerie, les
hypothèses visées rappellent fortement la seconde infraction. En outre, le lien existant avec le dol
qui sous-tendait le stellionat demeure aujourd’hui 448 . Monsieur Donnedieu de Vabres relève
de ce fait, s’agissant de l’infraction de faux, que « l’origine du stellionat, qui procède du dol civil,

440. V. H. Donnedieu de Vabres, Essai sur la notion de préjudice dans la théorie générale du faux documentaire,
op. cit., p. 3 et s., pour le faux ; L. Saenko, note sous Cass. crim., 28 janv. 2015, préc., s’agissant de l’escroquerie
et qualifiant également l’abus de confiance de stellionat, P. Rossi, Traité de droit pénal, op. cit., t. 1, p. 316.
441. H. Donnedieu de Vabres, Essai sur la notion de préjudice dans la théorie générale du faux documentaire,
op. cit., p. 4, citant D. Jousse, Traité de la justice criminelle de France, op. cit., t. IV, p. 125. V. égal. D. Diderot
et J. L. R. d’Alembert, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, t. 16, Faulche,
1751–1765, p. 512.
442. Ibid.
443. Les hypothèses visées dans le Digeste se rapprochent essentiellement de l’escroquerie. Toutefois, il est à
noter que le faux et le stellionat entretiennent des liens étroits dans l’Ancien droit. Lorsqu’il expose l’infraction de
faux, Jousse y intègre ainsi des cas de stellionat. V. D. Jousse, Traité de la justice criminelle de France, op. cit., t.
III, p. 376. Il mentionne par exemple dans son traité les cas de fausses qualités et affirme que « ceux qui prennent
une qualité, qu’ils n’ont point, pour tromper les autres sont aussi coupables du crime de faux ». Ibid.
444. En ce sens, J. Betoulle, « L’aspect « délictuel » du dol dans la formation des contrats » in Rapport annuel
de la Cour de cassation, 2001.
445. D. 47, 20, 3. La traduction est celle préc. de Henri Hulot.
446. D. Jousse, Traité de la justice criminelle de France, op. cit., t. IV, p. 125.
447. Ibid.
448. Dans l’infraction d’escroquerie, s’agit justement de « tromper » une personne. Code pén., art. 313-1. Par
ailleurs, escroquerie et faux, bien que très différentes, sont deux incriminations permettant de sanctionner des faits
de tromperie.

334
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

suffit à montrer que l’existence du préjudice est impliquée dans la notion de ce délit » 449 .

361. L’indifférence de la nature du préjudice – L’exigence du préjudice pour caracté-


riser les infractions de faux et d’escroquerie s’est maintenue 450 . Il semblerait donc que le
préjudice permettant de caractériser ces infractions est le préjudice civil, par ailleurs réparé
au titre de la responsabilité délictuelle en cas de faute dolosive 451 . Dans cette hypothèse, le
préjudice visé pourrait alors être de nature patrimoniale comme extra-patrimoniale, dès lors que
le dol est susceptible d’engendrer un dommage moral 452 pouvant être réparé sur le fondement
de la responsabilité délictuelle. Par conséquent, si le préjudice visé dans les incriminations de
faux et d’escroquerie s’entend au sens du préjudice ouvrant droit à réparation au regard de la
responsabilité civile, il semble alors logique d’admettre qu’il en est de même pour les autres
incriminations faisant état du préjudice 453 .
L’appréciation du préjudice renvoyant au préjudice réparable semble à première vue être
celle retenue par la Cour de cassation. Il est désormais de jurisprudence constante, quelle que soit
l’infraction considérée, que le préjudice exigé puisse ne pas être de nature pécuniaire. Rappelée
récemment à propos de l’escroquerie 454 , la solution vaut aussi pour le faux où le préjudice
pourra être matériel ou moral et léser un intérêt privé ou un intérêt social 455 , pour l’abus de
confiance où il pourra résulter des circonstances du détournement 456 ou encore pour l’abus de

449. H. Donnedieu de Vabres, Essai sur la notion de préjudice dans la théorie générale du faux documentaire,
op. cit., p. 4.
450. Il faut ici préciser que la question a été davantage discutée en matière d’escroquerie. L’ancien Code pénal
n’exigeait expressément le préjudice pour aucune de ces deux infractions. Tout juste, l’article 405 visait-il le fait
« d’escroquer la totalité ou partie de la fortune d’autrui ». Néanmoins, en matière de faux, l’exigence d’un préjudice
éventuel s’est perpétuée via la jurisprudence. Le Code de 1791 avait consacré une appréciation subjective du
préjudice, intégrant son éventualité à l’élément moral de l’infraction (était en effet sanctionné celui qui « sera
convaincu d’avoir méchamment et à dessein de nuire à autrui, commis le crime de faux ». Code pén., 1791,
Partie 2, Titre 2, Section 2, art. 41.). Malgré l’abandon du dol spécial par la suite, l’éventualité du préjudice s’est
maintenue, pour être désormais objectivement exigée à l’article 441-1 de l’actuel Code pénal. Sur l’opposition dans
l’Ancien droit entre l’appréciation subjective (défendue par Muyart de Vouglans) du préjudice et son appréciation
objective (défendue par Jousse), ibid., p. 11.
451. En droit civil, le dol commis par l’un des contractants donne lieu à une action en nullité relative. Celle-
ci peut traditionnellement être cumulée avec une action en responsabilité délictuelle en réparation des préjudices
subis (Civ. 1ère , 4 fév. 1975, Bull. civ., no 43 ; Civ. 1, 14 nov. 1979, Bull. civ., no 279 ), ce dernier pouvant consister
dans la perte de chance de n’avoir pas contracté à des conditions plus favorables. Le contractant a par ailleurs la
possibilité de confirmer la convention et de ne demander que des dommages et intérêts. V. P. Malaurie, L. Aynès
et P. Stoffel-Munck, Droit des obligations, 8ème éd., LGDJ, 2016, p. 295, no 512.
452. Pour une hypothèse de réparation du préjudice résultant d’une réticence dolosive, v. Cass. Com., 30 mars
2016, Bull., no 14-11.684, à paraître.
453. S’agissant de l’abus de confiance, la solution pourrait s’imposer d’autant plus que cette infraction supposait
dans l’ancien Code un contexte contractuel. Le détournement pourrait alors être rapproché du dol dans l’exécution
du contrat.
454. Cass. crim., 28 janv. 2015, Bull. crim., no 24 ; D. actualité 2015, note L. Priou-Alibert ; D. 2015, p. 845,
note L. Saenko ; AJ pén. 2015, p. 311, obs. G. Beaussonie ; D. 2015, pan. p. 1506, obs. C. Mascala ; Dr. pén.
2015, no 64, obs. M. Véron.
455. Cass. crim., 19 fév. 1975, Bull. crim.
456. Cass. crim, 5 mars 1980, Bull. crim., no 80 ; Cass. crim., 26 oct. 1994, Bull. crim., no 340 ; RSC 1995, p. 582,
obs. R. Ottenhof. Pour une hypothèse d’autant plus contestable que l’infraction avait été considérée comme

335
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

faiblesse où il peut être purement moral 457 . Parce qu’il est mentionné dans les textes, le préjudice
doit effectivement être constaté par les juges, mais sa nature pourra être patrimoniale ou extra-
patrimoniale.

362. Disparité de préjudices – L’appréciation large du préjudice ne signifie pas pour


autant que le préjudice constitutif des infractions citées soit le préjudice réparable en respon-
sabilité civile. En effet, la Cour de cassation en a, en matière pénale une vision relativement
autonome. Tout d’abord, elle admet qu’en matière de faux l’intérêt lésé puisse être social. Or,
le préjudice social n’est, en lui-même, pas admis 458 . Par ailleurs, le préjudice utilisé dans la
qualification des faits ne se confond pas toujours avec le préjudice par la suite réparé. L’arrêt
récent rendu en matière d’escroquerie, dont il a déjà été question, illustre parfaitement le
propos 459 . Dans l’espèce qui a donné lieu à cet arrêt, un faux acte de garantie bancaire avait
été produit par un individu dans le cadre d’une cession de titres d’un club de football. Ce faux
acte avait conduit le propriétaire des titres à conclure une convention dans laquelle il s’engageait
à ne plus entamer de discussions ou négociations avec un tiers susceptible d’être intéressé par
l’acquisition des titres. L’individu ayant produit la fausse garantie fut condamné pour escroquerie.
Comme aucun préjudice économique ni, plus largement matériel, ne pouvait être caractérisé
en l’espèce, la question de l’existence d’un préjudice se posait. Cet arrêt fut donc l’occasion
pour la Cour de cassation de rappeler qu’en matière d’escroquerie, le préjudice peut ne pas être
pécuniaire. Elle affirme qu’il « est établi lorsque l’acte opérant obligation n’a pas été librement
consenti par la victime mais a été obtenu par des moyens frauduleux » 460 .
La solution est classique. Mais ce qui intéresse plus particulièrement dans cet arrêt, c’est
que tandis que le préjudice retenu au titre de la caractérisation de l’infraction tient au fait que
l’obligation n’avait pas été librement consentie, le préjudice réparé au titre de l’action civile
intentée par les héritiers de la victime est lui une perte de chance. En effet, « la victime s’était
interdit, pendant la durée d’application de la convention, de rechercher un autre acquéreur » 461 .

constituée alors que le bien (un enregistrement) ne faisait pas réellement l’objet d’un droit de propriété dès lors
qu’il ne remplissait pas les conditions de la protection par le droit d’auteur, v. Cass. crim., 16 déc. 2015, Bull. crim.,
no 304 ; D. 2016, p. 587, note L. Saenko ; RTD com. 2016, p. 345, note B. Bouloc ; AJ pén. 2016, p. 144, obs.
P. Kerloegan ; Dalloz IP/IT 2016, p. 140, obs. J. Daleau.
457. V. supra, no 207.
458. Monsieur Mayaud en conclut donc que dans ce cas « ledit préjudice perd de son identité civile ». Y. Mayaud,
« La résistance du droit pénal au préjudice » in Les droits et le Droit, Mélanges dédiés à Bernard Bouloc, op. cit.
459. Cass. crim., 28 janv. 2015, Bull. crim., no 24 ; D. actualité 2015, note L. Priou-Alibert ; D. 2015, p. 845,
note L. Saenko ; AJ pén. 2015, p. 311, obs. G. Beaussonie ; D. 2015, pan. p. 1506, obs. C. Mascala ; Dr. pén.
2015, no 64, obs. M. Véron.
460. Ibid. La solution n’était pas non plus sur ce point nouvelle. V. par ex : Cass. crim., 15 déc. 1943, Bull. crim.,
no 153 ; D. 1945, p. 131, note H. Donnedieu de Vabres.
461. Cass. crim., 28 janv. 2015, Bull. crim., no 24 ; D. actualité 2015, note L. Priou-Alibert ; D. 2015, p. 845,
note L. Saenko ; AJ pén. 2015, p. 311, obs. G. Beaussonie ; D. 2015, pan. p. 1506, obs. C. Mascala ; Dr. pén.
2015, no 64, obs. M. Véron.

336
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

Cet arrêt atteste donc de ce que « le préjudice réparable n’est pas le préjudice constitutif de
l’infraction » 462 et démontre une certaine autonomie du préjudice constitutif de l’infraction par
rapport au préjudice pris en compte au titre de la responsabilité civile 463 . Une telle dissociation
des préjudices peut ici surprendre, d’autant qu’elle ne trouve pas véritablement d’explication 464 .
Elle rend encore plus flou le traitement du préjudice en droit pénal. En effet, si la tromperie
commise a entraîné un préjudice pour la victime, n’est-ce pas ce préjudice qui a par ailleurs
vocation à être réparé 465 ? Inversement, si le préjudice dont il est question dans les textes doit
s’apprécier largement, pourquoi la perte de chance que constate par ailleurs la Cour ne permet-
elle pas de caractériser l’infraction ?
Il y a en la matière une incohérence majeure qui dérange d’autant plus qu’elle conduit, du
point de vue pénal, à priver totalement l’exigence d’un préjudice d’effectivité 466 . Celui-ci est en
réalité inhérent au comportement accompli par l’agent et au résultat de l’infraction. Là où les
textes suggéreraient une vérification supplémentaire, la Cour intègre le préjudice dans le résultat
de l’infraction.

363. Utilité résiduelle du préjudice – Une approche plus rigoureuse serait ici sans doute
souhaitable. Mais elle ne devrait pas conduire à restreindre l’exigence du préjudice à un préjudice
patrimonial dès lors que rien ne l’impose. Rémanence du lien très fort entre ces infractions et le
dol civil, il ne s’agit que du préjudice au sens de préjudice réparable et la seule condition devant
être vérifiée à ce titre est ce caractère. En matière de qualification judiciaire, il faut toutefois
admettre que la solution serait pour beaucoup inchangée. Dès lors que le préjudice peut être
patrimonial comme extra-patrimonial, il est grandement inhérent à la survenance du résultat
redouté. Il est en effet difficilement concevable d’imaginer qu’une infraction puisse ne pas causer,
au minimum, un préjudice extra-patrimonial. L’exigence du préjudice conduit théoriquement à
exiger un degré supplémentaire dans l’atteinte, une individualisation de celle-ci ouvrant un droit
à réparation, mais un degré en grande partie artificiel 467 . En pratique, il impose simplement

462. L. Saenko, note sous Cass. crim., 28 janv. 2015, préc.


463. La différence de préjudice pourrait tenir au caractère strictement extra-patrimonial du préjudice résultant ici
du dol. L’action attachée à la personne n’est en effet pas transmissible aux héritiers. Toutefois, il n’est pas certain ici
que les dommages et intérêts puissent être considérés comme attachés à la personne et rien dans l’arrêt ne suggère
une telle explication à la dissociation des préjudices. Par ailleurs, les héritiers ont obtenu au titre de la perte de
chance le dédommagement des préjudices tant matériel que moral de la victime, ce qui contredit une telle lecture
de l’arrêt.
464. L’autonomie du droit pénal par rapport au droit civil n’est pas nouvelle et permettrait sans doute d’expliquer
ici la dissociation. Mais elle complexifie ici inutilement l’analyse des incriminations et crée une incohérence peu
satisfaisante.
465. V. L. Saenko, note sous Cass. crim., 28 janv. 2015, préc.
466. Regrettant l’inutilité de la condition tenant au préjudice au regard des solutions jurisprudentielles, C.
Mascala, Abus de confiance, op. cit., no 58 ; M.-L. Lanthiez, « Du préjudice dans quelques infractions contre
les biens », art. préc.
467. V. E. Dreyer, Droit pénal spécial, op. cit., p. 448, no 962.

337
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

de s’assurer que le résultat de l’infraction (atteinte à la propriété, à la personne, à la confiance


publique) a bien été ressenti par la victime. De toute évidence, une telle exigence n’a que peu
d’intérêt 468 , car l’individualisation de l’atteinte va de pair avec la constatation du résultat 469 .
S’il participe de l’antijuridicité du comportement, c’est parce qu’il est le résultat de l’infraction,
tel que ressenti par la victime, mais il faut admettre que sauf l’hypothèse où la victime fera elle-
même état de l’absence de préjudice, cette exigence est incluse dans le résultat de l’infraction.
L’exigence d’une individualisation à travers la mention du préjudice se révèle donc essen-
tiellement théorique et son utilité très résiduelle, si bien qu’il serait excessif d’y voir une
circonstance constitutive. Il n’en est pas de même dans les cas où le législateur impose la
vérification d’une pluralité d’atteintes. Dans ces hypothèses, l’une des atteintes accompagne le
résultat de l’infraction et doit donc s’analyser comme une circonstance constitutive de l’élément
antijuridique.

2. La pluralité d’atteintes

364. Hypothèses – Certaines infractions pour être caractérisées nécessitent une pluralité
d’atteintes. Il ne s’agit pas ici de l’hypothèse du concours idéal de qualification dans laquelle un
même comportement lésant deux valeurs distinctes pourra recevoir deux qualifications venant
en cumul. Dans ce cas, le juge tire des conséquences juridiques – et discutables 470 – du fait qu’un
même acte puisse avoir été tendu vers la lésion de deux valeurs différentes. Ici, le cas qui nous
intéresse plus précisément est autre. Il s’agit de l’hypothèse dans laquelle la pluralité d’atteintes
est directement exigée par le texte d’incrimination et conditionne par conséquent la qualification
judiciaire des faits. Le dédoublement peut être soit le fruit d’une circonstance aggravante (1), qui
permettra alors de sanctionner le caractère doublement antijuridique du comportement, soit le
fruit d’une surqualification (2).

a. Le dédoublement résultant d’une circonstance aggravante

365. Hypothèses – Il est relativement fréquent que l’atteinte portée à une valeur autre
que celle protégée par l’infraction simple soit érigée en circonstance aggravante. Dans cette
hypothèse, l’infraction aggravée ne caractérise pas une atteinte à une valeur, mais deux atteintes
à deux valeurs différentes. L’appréciation de l’antijuridicité du comportement doit alors conduire

468. S’interrogeant sur l’intérêt de cette exigence, v. W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, op. cit., p. 34, no 28.
469. Ainsi, dans le cadre du faux, l’offense au « sentiment général de confiance dans les actes », résultat
de l’infraction que Monsieur Donnedieu de Vabres identifie comme le préjudice de droit H. Donnedieu de
Vabres, Essai sur la notion de préjudice dans la théorie générale du faux documentaire, op. cit., p. 47, semble
nécessairement être de nature à induire un préjudice au moins moral pour l’État.
470. V. supra, no 201.

338
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

le juge à apprécier ces deux atteintes afin de qualifier l’infraction aggravée. Deux hypothèses
peuvent être ici distinguées, bien qu’elles aboutissent à une même solution.

366. L’infraction comme circonstance aggravante d’une autre infraction : la résolution


d’un concours réel – La première est celle où une infraction est érigée en circonstance
aggravante d’une autre infraction. Tel est le cas du meurtre « qui précède, accompagne ou
suit un autre crime » 471 . Dans cette hypothèse, deux infractions distinctes se superposent.
Elles n’entretiennent pas nécessairement de rapport causal dans le sens où l’une ne sert pas
nécessairement la commission de l’autre, mais elles entretiennent une proximité temporelle qui
les rend inséparables. Le juge devra alors parvenir à caractériser les éléments constitutifs de
chacune des infractions à partir du comportement accompli par l’agent. Si l’une d’elles devient
l’infraction principale, l’autre servant d’aggravation, ce n’est que par le choix du législateur qui
impose la solution de résolution du concours réel d’infractions.
La résolution du conflit peut d’ailleurs sembler parfois surprenante au regard de la fonction
expressive de la qualification. Comme le remarque Madame Gallardo-Gonggryp, une telle
résolution conduit à ordonner les valeurs : la valeur représentée par la qualification absorbante
prime la valeur représentée par la qualification absorbée 472 . Or, dans certains cas, l’échelle des
valeurs se trouve quelque peu bouleversée. C’est le cas notamment dans l’infraction de vol
accompagné ou suivi de tortures et actes de barbarie 473 . La qualification de vol caractérisée
par l’atteinte aux biens absorbe celle de tortures et actes de barbarie caractérisée par l’atteinte
aux personnes.

367. Les autres circonstances aggravantes – La seconde hypothèse est celle dans
laquelle l’atteinte à une autre valeur, sans être constitutive d’une seconde infraction, aggrave
la sanction encourue. Dans ce cas, le comportement du délinquant vient lèse deux valeurs
différentes. Tel sera le cas lorsque l’aggravation sera due à la qualité de la victime, à l’objet
du vol 474 etc. Toutes ces circonstances participent d’un dédoublement de la valeur protégée et,
corrélativement, du caractère attentatoire du comportement.
Dans le premier cas comme dans le second, la question se pose de savoir si l’une des
valeurs doit être considérée comme principale par rapport à l’autre. L’unité de l’infraction
aggravée pourrait conduire à une réponse négative. En analysant le comportement sous son angle
antijuridique, le juge constatera la pluralité d’atteintes résultant du comportement accompli. Du
point de vue théorique toutefois, l’atteinte principale semble devoir rester celle de l’infraction

471. Code pén., art. 221-2.


472. E. Gallardo-Gonggryp, La qualification pénale des faits, th. préc., p. 376, no 551.
473. Code pén., art. 311-10.
474. Lorsque l’objet, à raison de sa nature particulière (objet classé, découverte archéologique, bien culturel, etc.),
fait l’objet d’une protection spécifique. Ibid., art. 311-4-2.

339
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

simple parce que c’est elle qui, en premier lieu, sera déterminante dans le choix de qualification.
La valeur atteinte à titre principal par le comportement reste donc celle de l’infraction simple,
l’autre étant une circonstance de cette atteinte, une particularité l’accompagnant.

b. Le dédoublement résultant d’une surqualification

368. L’exemple de l’infraction de terrorisme – Une autre hypothèse dans laquelle le


caractère attentatoire du comportement se dédouble mérite d’être envisagée. Il s’agit de certains
cas de « surqualification » 475 . Certaines infractions (relativement rares) présentent en effet un
caractère mixte, notamment parce qu’elles s’apparentent à des hypothèses d’aggravation érigées
en infractions autonomes 476 .
Ces infractions sont à la fois matérielles au regard d’une première valeur qui doit être
effectivement lésée, et à la fois formelles au regard d’une seconde valeur pour laquelle la lésion
n’aura pas à être effective. Un exemple peut en être donné, relatif à l’infraction de terrorisme
incriminée à l’article 421-1 du Code pénal. Sont visés divers comportements, constitutifs eux-
mêmes d’infractions, et qui peuvent, à raison du contexte et de l’intention de leur auteur être qua-
lifiés de terrorisme. L’article dispose ainsi que « constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles
sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but
de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, les infractions suivantes » 477 .
Sont alors énumérées diverses infractions : atteinte volontaire à la vie, à l’intégrité, vol, etc...
L’infraction servant de base à la qualification d’acte terroriste devra donc en premier lieu
être caractérisée 478 . C’est ensuite, à raison du contexte terroriste et du but poursuivi, que la
qualification de terrorisme pourra être retenue 479 . Selon les textes d’incrimination et au regard de
l’infraction support – celle constitutive de l’acte terroriste – c’est donc soit une atteinte effective
qui est exigée, soit un comportement susceptible d’y conduire. Par exemple, pour les infractions
d’atteintes à la vie qui sont visées par l’article 421-1 480 , une atteinte effective sera exigée pour
le meurtre, tandis que l’attentat sera suffisant pour l’empoisonnement.

369. Doublement de l’atteinte – À ce premier caractère attentatoire s’en ajoute un second


dès lors que l’entreprise doit avoir pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimida-

475. L’hypothèse visée ici est celle dans laquelle une infraction, en raison de son contexte, est susceptible de
recevoir une qualification particulière.
476. Ces cas illustrent parfaitement le fait que les infractions aggravées peuvent et doivent s’analyser comme des
infractions à part entière, possédant leurs propres éléments constitutifs.
477. Code pén., art. 412-1.
478. En ce sens, J. Alix, J. Cl. Pénal Code, Terrorisme, 2015, nos 21 et s.
479. Ibid., no 122 et no 142. Monsieur Mayaud intègre pour sa part la finalité terroriste dans le contexte terroriste.
V. Y. Mayaud, Rép. dr. pén., Terrorisme, 2015, nos 103 et s.
480. L’article vise de manière générale les atteintes volontaires à la vie (art. 421-1, 1°), ce qui inclut donc le
meurtre et l’empoisonnement. En ce sens, J. Alix, Terrorisme, op. cit., no 27.

340
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

tion ou la terreur 481 . Cette précision confère à l’infraction de terrorisme un caractère formel. Le
trouble grave à l’ordre public par l’intimidation ou la terreur doit avoir été recherché, mais il n’a
pas forcément à avoir été obtenu pour que la qualification puisse être retenue. L’incrimination de
terrorisme présente donc un caractère hybride. Deux résultats redoutés différents peuvent être
identifiés dans la caractérisation de cette infraction. Le premier est le résultat de l’infraction
constitutive de l’acte terroriste, le second est l’atteinte à la paix publique, le trouble grave à
l’ordre public. Selon le type d’infraction dont il est question, le premier devra ou non être vérifié.
Le second, quant à lui, ne sera envisagé qu’à travers la causalité 482 .
D’autres infractions présentent la même nature hybride. Il est possible, entre autres, de citer
l’infraction de génocide 483 . Le texte, s’il ne vise pas des infractions mais des « actes », dispose
que l’infraction est constituée par des actes portant atteinte à la vie, à l’intégrité, etc., accomplis
en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe 484 . Cette
infraction suppose donc une atteinte effective (par exemple à la vie), mais ne suppose pas que
ces atteintes aient effectivement eu pour conséquence la destruction totale ou même partielle du
groupe visé. Si cette destruction peut être considérée comme inhérente aux actes d’atteinte à la
vie (la destruction partielle est alors vérifiée), certains actes, tels le transfert forcé d’enfants ou
les mesures d’entrave des naissances 485 , peuvent ne pas entraîner immédiatement la destruction
visée. Le résultat redouté par le législateur peut donc ne pas avoir atteint, sans toutefois que la
qualification de génocide soit exclue.

370. L’infraction support, moyen de l’atteinte à la paix publique – Le dédoublement


qui s’observe en matière de surqualification ne peut être traité parfaitement à l’identique des
hypothèses classiques de circonstances aggravantes liées au caractère attentatoire du compor-
tement. Dans l’infraction de terrorisme, par exemple, le « contexte terroriste » 486 justifie tant
un régime procédural dérogatoire, qu’une augmentation du quantum de la peine encourue 487 .

481. La rédaction retenue conduit à exiger la vérification de ce but au regard de l’entreprise terroriste et non de
l’agent. V. infra, no 440.
482. Il s’agira alors de s’assurer du fait que le comportement est de nature à causer un trouble grave à l’ordre public.
Il faut toutefois relever que ce second résultat est relativement artificiel, car les infractions constitutives des actes
terroristes engendrent par hypothèse un trouble à l’ordre public. C’est donc essentiellement la gravité du trouble et
les moyens envisagés pour y parvenir qui pourront être discutés. Il faut ici préciser que le texte n’exige pas non plus
que l’intimidation ou la terreur soit effective. Selon Madame Alix, « ni le trouble, ni a fortiori l’intimidation ou la
terreur n’ont à être constatés : ils demeurent cantonnés au stade d’une potentialité » J. Alix, Terrorisme, op. cit.,
no 150.
483. Code pén., art. 211-1.
484. Ici, les actes énumérés « peuvent recevoir des qualifications d’infractions de droit commun », « mais ce qui
fait entrer ces agissements dans le champs d’application de l’article 211-1 du Code pénal, c’est l’existence d’un
« plan concerté ». A. Lepage et H. Matsopoulou, Droit pénal spécial, PUF, 2015, p. 23, no 26.
485. Code pén., art. 211-1.
486. Y. Mayaud, Terrorisme, op. cit., no 103.
487. L’aggravation de la peine est par ailleurs fonction de celle encourue au titre de l’infraction constitutive de
l’acte de terrorisme. Code pén., art. 421-3.

341
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

Comme dans l’hypothèse des infractions aggravées supposant une dualité d’atteinte 488 , l’une
d’elles peut ici être théoriquement regardée comme principale, l’autre l’accompagnant à titre
de circonstance. Cependant, il n’est pas possible ici de raisonner totalement comme en matière
de circonstance aggravante, car le contexte terroriste modifie trop fortement la perception du
comportement accompli.
En effet, le terrorisme se définit principalement par l’atteinte particulièrement grave à
l’ordre public et à la paix publique qu’une infraction est susceptible d’entraîner. L’acte terroriste,
autrement dit l’infraction commise et qui servira de support à la qualification de terrorisme, ne
peut pas ici être appréhendée comme principal. Il est, en quelque sorte, le moyen de l’infraction
de terrorisme. L’acte accompli par l’agent n’a pas d’autonomie propre en la matière. Il réside
entièrement dans la commission de l’infraction support. Le contexte terroriste vient donc
certes modifier les éléments constitutifs de l’infraction support, comme en matière d’infraction
aggravée 489 , mais les deux infractions entretiennent une relation causale : c’est par l’atteinte
causée par l’infraction support que peut être réalisée l’atteinte grave à l’ordre public propre à
l’infraction de terrorisme. La première est donc le moyen de la seconde.
Apprécier l’antijuridicité du comportement en vue de la qualification de terrorisme conduira
donc le juge à apprécier le contexte dans lequel l’atteinte commise via l’infraction support est
réalisée. C’est de cette analyse que pourra ressortir le caractère antijuridique du comportement
au regard de les valeurs protégées que sont la paix publique et la Nation. L’infraction contre les
personnes ou les biens devient, en raison du contexte, une infraction contre la Nation. Au regard
de la qualification finale, c’est donc le résultat redouté, propre à l’infraction fin, qui constitue la
donnée principale de l’élément antijuridique de ces infractions. L’atteinte réalisée par l’infraction
moyen l’accompagne et la met en lumière. Elle est par conséquent une circonstance constitutive,
à l’instar d’autres données.

488. Le terrorisme se rapproche de cette hypothèse et non de celle dans laquelle une infraction est aggravée par
la commission d’une autre infraction, car ici il n’y a pas de concours réel d’infractions. Il ne s’agit pas de deux
infractions différentes, mais d’une infraction recevant une qualification particulière en raison du contexte de sa
commission.
489. Le fait doit être accompli dans un environnement matériel particulier, c’est-à-dire en relation avec une
entreprise terroriste. De même, outre l’intention exigée pour caractériser celle-ci, le juge devra s’assurer que l’agent
avait connaissance du contexte terroriste dans lequel s’inscrivait son acte. Plus précisément, « l’agent doit [...]
comprendre la nature et la portée de son propre comportement, mais encore du contexte terroriste dans lequel
il inscrit ce comportement. Et il doit avoir la volonté d’inscrire son acte dans ce contexte » J. Alix, Terrorisme,
op. cit., no 153. Quant à l’antijuridicité du comportement, on l’a vu, elle se dédouble elle aussi et le juge devra donc
l’apprécier au regard du contexte terroriste.

342
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

B. Les autres circonstances constitutives de l’élément antijuridique

371. Précision des circonstances – Outre les cas de dédoublement de l’atteinte résultant
– ou pouvant résulter – du comportement, la caractérisation de l’élément antijuridique pourra
nécessiter un lien de causalité (1) ainsi qu’une circonstance tenant à la valeur protégée (2).

1. Le lien causalité, circonstance de l’atteinte

372. Annonce – L’importance de la causalité au regard de l’élément antijuridique a déjà


été abordée dans le cadre des infractions formelles pour lesquelles elle se substitue à l’atteinte
effective dans la caractérisation de la donnée principale de ce dernier. C’est donc ici plus spécifi-
quement l’importance du lien de causalité 490 dans les infractions matérielles qui nous intéressera.
Afin d’appréhender son rôle en la matière, il sera nécessaire de revenir sur son importance
(a), ainsi que sur les atténuations de l’exigence du lien de causalité et leurs conséquences sur
l’existence de l’élément antijuridique (b).

a. L’importance du lien causalité dans les infractions matérielles

373. Caractère consubstantiel du principe de causalité – N’est antijuridique que le


comportement qui porte atteinte à une valeur. Cette affirmation contient en substance toute
l’importance que peut prendre la causalité dans la caractérisation des infractions et, plus
particulièrement, dans l’appréciation du caractère antijuridique du comportement. Le lien de
causalité est fondamental en matière pénale car l’infraction dans ses dimensions objectives
repose entièrement sur sa vérification. Elle donne au comportement son unité : « établir un
lien de causalité permet [...] de relier les deux aspects objectifs d’une infraction matérielle :
un comportement et le résultat. » 491 Comme cela a été vu, la causalité est toujours fondamentale
en matière de qualification. Si l’exigence d’un lien de causalité concret est propre aux infractions
matérielles, la causalité se retrouve aussi dans les infractions formelles 492 .
Le principe de causalité apparaît donc comme une constante en matière d’infraction. Plus

490. Il faut dès à présent préciser que le lien de causalité présente divers aspects en droit pénal. Il peut en effet être
apprécié sous un angle objectif (il s’agit alors de s’assurer que le résultat trouve bien sa cause dans le dommage)
et sous un angle subjectif (il permet alors « la désignation matérielle du ou des personnes devant répondre de
l’infraction ». P.-A. Bon, La causalité en droit pénal, th. préc., p. 15, no 40. V. égal. J.-C. Saint-Pau, « Les causalités
dans la théorie de l’infraction » in Mélanges en l’honneur du Professeur Jacques-Henri Robert, op. cit. : la causalité
se dédouble entre celle reliant l’acte et le résultat et celle reliant l’infraction et le responsable.). Toutefois, le lien de
causalité appréciée sous ce second angle renvoie à la notion d’imputabilité. Il a alors pour fonction la désignation
du responsable et rejoins de ce fait l’opération d’imputation. Au regard de l’antijuridicité, c’est essentiellement
l’aspect objectif qui intéresse, celui reliant le résultat aux faits accomplis.
491. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 574, no 744.
492. Supra, no 342.

343
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

précisément, il a pu être écrit que le principe de responsabilité n’existe pas sans la causalité 493 .
Monsieur Saint-Pau explique qu’elle lui est « consubstantielle » 494 notamment parce qu’ « on
ne saurait admettre qu’un individu doive répondre d’un comportement qui n’est en rien dans la
réalisation du mal que le législateur souhaite éviter par la menace de la répression pénale » 495 .
Au titre de l’élément antijuridique, c’est donc ce lien que le juge devra vérifier. Il sera apprécié
comme donnée principale pour les infractions formelles, et comme circonstance constitutive
pour les infractions matérielles. Après avoir constaté la lésion, il lui faudra analyser les circons-
tances de cette lésion pour déterminer si celle-ci trouve sa cause dans le comportement accompli
par l’agent.

374. Caractères du lien de causalité – Sans revenir de manière approfondie sur l’appré-
ciation du lien de causalité, il convient de préciser que celui-ci est appréhendé en France 496 en
principe au regard de la théorie de la causalité adéquate 497 . Dans la majorité des cas, l’analyse
du lien de causalité ne posera pas de difficulté. Il s’imposera de lui-même au regard des faits.
Il sera donc établi le plus souvent par voie de présomption et ne fera l’objet d’une analyse que
lorsqu’il sera discuté 498 .
Quant à ses caractères, le lien de causalité doit être certain 499 . Il n’a pas à être exclusif
et peut être direct ou indirect. Quoi qu’il en soit, la rupture du lien de causalité entre les faits
et le résultat fait obstacle à la caractérisation de l’élément antijuridique. Le comportement ne
peut être regardé comme antijuridique s’il n’est pas la cause déterminante de la réalisation du
résultat redouté par le législateur. En effet, la lésion d’une valeur n’est pas sanctionnée pour elle-
même. Elle l’est parce qu’elle est la résultante d’un comportement grave. L’importance du lien
de causalité est donc fondamentale et ne devrait pas, en principe, subir d’entorse.

493. Y. Mayaud, « Quelle certitude pour le lien de causalité dans la théorie de la responsabilité pénale ? » in Une
certaine idée du droit, Mélanges offerts à André Decocq, op. cit.
494. J.-C. Saint-Pau, « Les causalités dans la théorie de l’infraction » in Mélanges en l’honneur du Professeur
Jacques-Henri Robert, op. cit.
495. Ibid. Ceci ne signifie pas pour autant que le lien de causalité soit le seul critère déterminant en matière de
répression. Comme le relève Madame d’Hauteville, « l’intervention du droit pénal ne doit pas dépendre du seul
lien de causalité ». A. d’Hauteville, « Brèves remarques sur le nouveau principe de la dualité des fautes civiles et
pénales d’impurdence » in Le champ pénal, Mélanges offerts à Reynald Ottenhof, Dalloz, 2006, p. 151. C’est pour
cela d’ailleurs que la nécessité d’une incrimination dépend également de la gravité du comportement en cause. V.
supra, no 168.
496. En doctrine allemande, des hésitations similaires existent entre la théorie causalité adéquate et l’équivalence
des conditions. V. M. Fromont et H. Jescheck, Introduction au droit allemand, op. cit., p. 268.
497. Encore que la théorie de l’équivalence des conditions ne soit pas totalement écartée par la loi du 10 juillet
2000, au contraire. Si cette loi semble consacrer la théorie de la causalité adéquate et plus précisément la théorie de
la causa proxima (v. not. P. Conte, « Le lampiste et la mort », Gaz. Pal. 2001, chron. no 2), il a pu être relevé que
« la théorie de l’équivalence des conditions continue à régir la causalité, dont elle préserve l’unité » (P. Morvan,
« L’irrésistible ascension de la faute caractérisée : l’assaut avorté du législateur contre l’échelle de la culpabilité »
in Le droit pénal à l’aube du troisième millénaire, Mélanges offerts à Jean Pradel, Cujas, 2006, p. 461).
498. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 575, no 747.
499. Selon Monsieur Dreyer, ce caractère est consubstantiel à la notion et « ne mérite pas d’en être distingué ».
E. Dreyer, « La causalité directe de l’infraction », Dr. pén. 2007, étude, no 9.

344
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

b. Les hypothèses d’atténuation du lien de causalité

375. Généralités – Malgré son importance théorique, dans certaines hypothèses, la réalité
du lien de causalité peut apparaître mise à mal. Deux cas soulèvent ici des interrogations. Le
premier est relatif à l’hypothèse de la répression de l’auteur intellectuel d’un comportement. Le
second est lui relatif à la causalité indirecte pour laquelle l’intensité du lien est moindre.
Le premier cas qui mérite d’être abordé est celui de la répression de l’auteur « moral » 500
de l’infraction, parce qu’il y a dans cette hypothèse rupture du lien de causalité. La terminologie
d’auteur moral permet de désigner, on le sait, celui qui provoque autrui à commettre une
infraction. Deux cas doivent être distingués, selon la bonne ou mauvaise foi de l’auteur matériel.

376. Rupture du lien de causalité : la répression de l’auteur intellectuel – Dans le


premier cas, l’auteur « matériel » des faits est de bonne foi. L’auteur « moral » 501 qui le pousse
à accomplir le comportement infractionnel abuse alors de sa mauvaise compréhension de la
situation ou de son incapacité à comprendre le caractère répréhensible des faits qu’on le pousse
à commettre. L’élément matériel est donc accompli par une personne qui n’a pas réellement
conscience de commettre une infraction. Il est traditionnellement admis que le problème se situe
alors sur le terrain de l’imputabilité des faits à l’agent 502 . Le défaut de conscience conduit ici
à une impossibilité d’imputer les faits et, par conséquent, à écarter la responsabilité de l’auteur
matériel. La répression se « déplace » alors sur la tête de l’auteur dit moral, celui ayant poussé
autrui, en connaissance de cause, à la réalisation des faits.
Dans cette hypothèse, il y a donc des faits commis, mais ces faits ne peuvent être réprimés
sur la tête de l’auteur matériel, celui-ci n’étant pas pénalement responsable, faute de pouvoir lui
imputer l’infraction. Il s’opère alors en quelque sorte une dissociation de la dimension objective
et de la dimension subjective de l’infraction 503 . L’élément matériel et l’élément antijuridique
sont réalisés par une personne, tandis que l’élément moral se vérifie chez une seconde personne.
C’est cette seconde personne qui va alors être déclarée responsable de l’infraction. Or, dans
cette hypothèse, la lésion n’entretient pas de lien de causalité avec le comportement accompli
par la personne déclarée responsable. Il y a ici une rupture du lien de causalité qui devrait
rendre impossible la caractérisation de l’élément antijuridique. Certes, le comportement de

500. J. Pouyanne, L’auteur moral de l’infraction, 2003, PUAM.


501. La distinction entre l’auteur « matériel » et l’auteur « moral » est ancienne. Ortolan la faisait déjà et
expliquait que le cas le plus fréquent était celui dans lequel l’auteur moral est aussi auteur matériel du délit.
J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 167, no 412.
502. Il est toutefois plus exact dans cette hypothèse de considérer que c’est l’élément moral dans son entier qui
fait défaut. V. infra, nos 466 et s.
503. V. J. Pouyanne, L’auteur moral de l’infraction, th. préc., p. 239, no 317, estimant notamment que l’élément
matériel et l’élément moral doivent toujours pouvoir donner lieu à une analyse séparée et que l’élément matériel peut
être neutre, autrement dit, détaché de l’élément moral. Une telle proposition conduit à nier totalement l’intégrité de
l’infraction et est du reste contraire au principe de légalité.

345
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

provocation est subjectivement antijuridique en ce qu’il est moralement dirigé contre une valeur
protégée par le droit pénal, mais il n’est pas objectivement antijuridique, car il ne cause pas
matériellement le résultat. La répression de l’auteur moral, admise par la jurisprudence 504 , est
donc particulièrement contestable. Elle s’explique par de pures considérations répressives 505 ,
mais revient à nier l’antijuridicité objective du comportement. La causalité n’est ici pas atténuée,
elle est inexistante.
Sans avoir recours à l’élément antijuridique, la doctrine critique d’ailleurs parfois cette
solution jurisprudentielle. La répression se fait ici au prix d’une réification de l’auteur matériel de
bonne foi qui, outre un problème éthique fondamental 506 , est en contradiction avec le principe de
légalité. En effet, « nier l’intervention de l’exécutant revient à déformer le texte d’incrimination
en raisonnant par analogie » 507 . En outre, la dissociation des éléments qu’entraîne cette solution
est choquante, parce qu’elle nie l’intégrité de l’infraction. Les comportements incriminés le
sont de manière intègre, de sorte qu’il est difficilement concevable que leurs différents élé-
ments puissent être accomplis de manière autonome par des agents différents. Enfin, l’élément
antijuridique et l’importance qu’y prend le lien de causalité mettent d’autant plus en lumière
l’impossibilité de qualifier judiciairement les faits dans une telle hypothèse.

377. Détournement du lien de causalité : la répression du complice comme auteur intel-


lectuel – De même, la répression du provocateur comme auteur dans l’hypothèse où le tiers est
de mauvaise foi se révèle incompatible avec l’exigence d’antijuridicité du comportement. La
jurisprudence a, par exemple, admis la répression en qualité de coauteur d’un agent commercial
et de son employeur dans l’hypothèse d’un abus de faiblesse commis par le premier sur ordre du
second 508 . Cette solution relève d’une « volonté normative et gratuite » 509 et n’emporte aucune
conséquence pratique 510 . Dans un tel cas, en effet, l’infraction principale est bien constituée
en tous ses éléments. Le provocateur peut donc être poursuivi et sanctionné en qualité de
complice 511 .

504. V. not. Cass. crim., 8 oct. 1996, Bull. crim., no 261 ; Dr. pén. 1997, comm. no 45, obs. M. Véron.
505. Ici, la complicité ne peut être retenue faute de fait principal punissable, encore que dans l’hypothèse où seules
les conditions d’imputation font défaut, la jurisprudence relative à la complicité permet la répression de l’auteur
moral sur le terrain de la complicité. L’infraction est en effet alors caractérisée, mais n’est simplement pas imputable
à son auteur.
506. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 580, no 759. V. toutefois J. Pouyanne, L’auteur moral de
l’infraction, th. préc., p. 245, nos 322 et s.
507. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 581, no 759. V. égal. du même auteur, « La causalité directe de
l’infraction », art. préc. : « [...] la loi pénale ne permet pas de punir toutes les atteintes aux valeurs qu’elle protège ;
toute participation à cette atteinte ne peut être prise en compte, au risque de faire de l’incrimination un simple
prétexte, un alibi pour la répression. »
508. Cass. crim., 1er fév. 2000, Bull. crim., no 52 ; Dr. pén. 2000, comm. no 59, obs. J.-H. Robert.
509. J.-H. Robert obs. sur Cass. crim., 1er fév. 2000, Dr. pén. 2000, comm. no 59.
510. Ibid.
511. C’était d’ailleurs la solution adoptée par la Cour d’appel dans l’arrêt qui a donné lieu à cassation.

346
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

Au regard de l’élément antijuridique, cette solution est particulièrement problématique. La


complicité présente en effet une antijuridicité qui, bien qu’atténuée, est propre 512 . Un lien de
causalité doit en principe être vérifié en la matière, mais il porte sur le caractère causal du fait de
complicité dans la réalisation de l’infraction principale 513 . Ici, le lien de causalité entre l’atteinte
à la valeur protégée est donc détourné. Au regard du comportement accompli par le complice,
il n’est qu’indirect et plus précisément accessoire car participatif ou incitatif. L’analyse du lien
de causalité devrait ici conduire à réprimer le comportement du commettant sur le terrain de
la complicité 514 , le préposé étant le seul auteur principal de l’infraction, car son comportement
seul est en relation causale directe et principale avec le résultat de l’infraction.

378. Le cas particulier de l’auteur médiat – Reste tout de même l’hypothèse de l’auteur
médiat, cas devant être distingué de celui de l’auteur moral 515 . Ici, l’infraction n’est pas repro-
chée à celui qui réalise matériellement l’acte directement dommageable, mais à celui dont la
faute se révèle être la cause déterminante du dommage 516 . Tel est le cas du commettant (médecin,
employeur...) se voyant reprocher l’atteinte réalisée par son préposé 517 . Le lien causalité retenue
en jurisprudence est alors considéré comme direct. L’on pourrait donc s’interroger ici sur une
hypothèse de responsabilité du fait d’autrui ou de rupture du lien de causalité. Il semble en effet
que comme dans l’hypothèse de l’auteur moral, l’auteur médiat se voit imputer un fait matériel
et antijuridique qu’il n’a pas lui-même commis. L’hypothèse est ici néanmoins sensiblement
différente parce que le comportement de l’agent entre matériellement en lien de causalité avec
la réalisation du dommage. La faute commise par l’interne 518 , ou celle du salarié ne fait que
révéler la faute commise par le médecin ou l’employeur. Ici, le défaut d’attention ou l’omission
se traduisent matériellement. Il ne s’agit pas alors d’une rupture du lien de causalité, mais de la
recherche de la cause déterminante du dommage. La théorie de la causalité adéquate n’impose en
effet pas celle de la cause proxima. Est antijuridique non pas le comportement en lien immédiat
avec le dommage, mais celui qui le cause véritablement.
Si la répression de l’auteur médiat apparaît concevable au regard de l’antijuridicité, c’est

512. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 418, no 667.
513. Sur l’exigence de la causalité en matière de causalité et les difficultés pouvant survenir, v. P. Salvage, « Le
lien de causalité en matière de complicité », RSC 1981, p. 42, et infra, no 486.
514. En ce sens, E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 581, no 760.
515. V. J. Pouyanne, L’auteur moral de l’infraction, th. préc., p. 234, nos 312 et s.
516. Sur la responsabilité du subordonnée dans ces hypothèses, V. Malabat, « La responsabilité pénale du
subordonné » in Les droits et le Droit, Mélanges dédiés à Bernard Bouloc, Dalloz, 2007, p. 681.
517. V. E. Dreyer, « L’imputation des infractions en droit pénal du travail », RSC 2004, p. 813. Comp. J.-C. Saint-
Pau, « L’insécurité juridique de la détermination du responsable en droit pénal de l’entreprise », Gaz. Pal. 2005,
p. 134, s’agissant du chef d’entreprise qui pourrait être appréhendé comme auteur médiat de l’infraction commise
par un auteur immédiat.
518. Cass. crim., 10 fév. 2009, Bull. crim., no 117 ; RSC 2009, p. 371, note Y. Mayaud ; AJ pén. 2009, p. 224,
obs. J.-R. Demarchi ; RDSS 2009, p. 696, note M. Guigue et M. Touillier.

347
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

toutefois sous réserve que le lien exigé ne soit pas détourné. La théorie de la causalité adéquate
ne doit pas permettre de réprimer comme auteur direct celui qui n’a en réalité que permis la
réalisation du dommage, ou celui dont le comportement n’apparaît pas en lien suffisant avec
sa survenance. À cet égard, la responsabilité de l’employeur peut paraître parfois excessive. Si
les faits commis par ses préposés peuvent être considérés comme révélant sa propre faute 519 ,
le lien de causalité entre elle et le résultat dommageable doit continuer d’exister. En d’autres
termes, il ne faut pas ici réprimer ce qui ne devrait être qu’une infraction obstacle (par exemple le
manquement de l’employeur aux règles de sécurité) 520 sur le terrain d’une infraction matérielle
par une appréciation extensive – et donc contestable – de la causalité. Le comportement doit, en
toute hypothèse, demeurer objectivement antijuridique.

379. Relativisation de l’intensité du lien de causalité en matière indirecte – Est-ce alors


à dire que le caractère indirect de la causalité fait obstacle à la caractérisation de l’élément
antijuridique ? Assurément non. Mais les caractéristiques du lien de causalité posées par les
textes doivent guider la répression et la répartir entre les hypothèses de participation à l’infraction
à titre principal ou accessoire. Le principe de légalité impose une telle solution. Rien ne
s’oppose par contre à ce que l’intensité du lien de causalité puisse varier, dès lors toutefois
que les textes de loi le prévoient. Il est ainsi possible que le comportement cause directement
ou indirectement le dommage 521 . L’antijuridicité apparaît moins marquée dans le second cas
puisque le comportement n’est pas directement attentatoire à la valeur protégée. L’efficacité de
la protection peut toutefois conduire le législateur à admettre un lien de causalité d’intensité
inférieure 522 , mais qui maintient l’exigence du pouvoir causal du comportement tant que la
causalité demeure certaine.

519. V. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 426, no 676.
Madame Lacaze défend par ailleurs une idée d’imputation de l’injuste. Selon elle, le sujet actif de l’injuste peut ne
pas être l’auteur matériel du comportement antijuridique. Il se voit alors « imputer » l’injuste. Ibid., p. 429, nos 680
et s. Cette idée n’est toutefois pas totalement satisfaisante, car elle relève trop d’une construction de l’infraction, en
partie artificielle. Que la qualification puisse se faire par construction n’est pas contestable. Mais il s’agit toujours
de « reconstituer » le comportement infractionnel, de lui rendre son intégrité et son homogénéité, non de construire
l’infraction à partir d’éléments épars, vérifiés chez des individus différents. Si l’enjeu répressif peut conduire à
ces solutions, l’équilibre auquel doit tendre le droit pénal et dont le principe de légalité et ses corollaires sont les
garants ne peut lui s’en satisfaire. Toute atteinte aux valeurs essentielles n’a pas nécessairement vocation à trouver
une réponse pénale.
520. E. Dreyer, « L’imputation des infractions en droit pénal du travail », art. préc.
521. L’on pense en la matière en premier lieu aux infractions non intentionnelles, mais le législateur a prévu pour
certaines infractions que le comportement peut entretenir un lien de causalité indirect avec le résultat redouté. C’est
le cas notamment pour les infractions de corruption passive et de trafic d’influence commise par des personnes
exerçant une fonction publique : Code pén., art. 432-11.
522. Sans doute, dans ce cas, le comportement doit-il être marqué d’une certaine gravité pour que la répression
demeure nécessaire et légitime. Le caractère indirect de l’antijuridicité du comportement est alors dans une certaine
mesure compensé par sa gravité. L’article 121-3 répond en partie à cette idée : dans l’hypothèse d’une causalité
indirecte, la faute exigée est d’une gravité supérieure (caractérisée ou délibérée). Ibid., art. 121-3, al. 4. La gravité
se traduit il est vrai davantage dans l’élément moral, mais elle vient tout de même compenser le caractère indirect
de la causalité.

348
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

La difficulté en la matière est alors toutefois de définir la causalité indirecte. Si « la causalité


crée le lien sans lequel la responsabilité deviendrait excessive » 523 , il est nécessaire que ce
lien soit d’une intensité suffisante pour justifier la sanction pénale. Or, l’alinéa 4 de l’article
121-3, siège du lien de causalité indirect, est relativement obscur sur ce point et soulève des
difficultés d’interprétation 524 . Tout d’abord, le critère utilisé pour déterminer la nature du lien
de causalité peut être soit d’ordre spatio-temporel, soit fonction du caractère déterminant 525 . Si
ce second critère est semble-t-il celui utilisé par la jurisprudence 526 , encore est-il nécessaire
de déterminer jusqu’où il est possible de remonter dans l’enchaînement des faits en matière
de causalité indirecte. En effet, si le comportement se révèle en relation trop indirecte avec le
dommage, c’est à la fois l’antijuridicité du comportement et sa typicité qui devient douteuse 527 .
Le lien de causalité doit donc rester réel même lorsqu’il est indirect et ne pas conduire à une
dénaturation du comportement incriminé. À cette condition, il n’y a pas de rupture du lien de
causalité et l’antijuridicité du comportement demeure objectivement caractérisée. Ce n’est que
l’intensité du lien qui est alors affecté. Dès lors que les textes d’incrimination le prévoient, un
lien indirect ne fait alors pas obstacle à la caractérisation de l’élément antijuridique.
La première circonstance constitutive de l’élément antijuridique ayant été envisagée, il
convient désormais de s’intéresser à la seconde, relative à la circonstance tenant à la valeur
protégée, parfois désignée sous le vocable de condition préalable.

2. La circonstance relative à la valeur protégée, circonstance du caractère


attentatoire

380. L’objet de l’action infractionnelle – Les contours de la condition dite préalable


ayant d’ores et déjà été précisés 528 , on se contentera ici de rappeler que seule la condition relative

523. E. Dreyer, « La causalité directe de l’infraction », art. préc.


524. Sur la possibilité d’avoir en outre recours à la complicité en cas de causalité indirecte et pour une tentative
de conciliation de l’article 121-3 avec les règles de la complicité, v. F. Rousseau, « Complice ou auteur indirect
d’une infraction non intentionnelle ? », Dr. pén. 2007, étude, no 11.
525. V. Y. Mayaud, « La causalité directe dans les violences involontaires, cause première ou « paramètre
déterminant » ? », RSC 2002, p. 100.
526. En ce sens, ibid. V. Cass. Crim., 21 janv. 2014, Bull. crim., no 17 ; RSC 2014, p. 59, obs. Y. Mayaud ; D.
2014, p. 1317, obs. P. Conte.
527. Plus précisément, il y a alors une forme de dissociation entre le comportement que l’on reproche à l’agent et
le résultat concret que l’on utilise à cette fin. Ainsi, le comportement reproché au décideur public tient davantage
à une défaillance dans l’exercice de ses fonctions qu’à un comportement fautif attentatoire aux valeurs protégées,
qu’il s’agisse de l’intégrité ou de la vie. Cette position peut être rapprochée de celle de Monsieur Dreyer qui plaide
en faveur d’incriminations autonomes pour les fautes commises par ces personnes. La variation du lien de causalité
conduit selon lui à une contrariété avec le principe de légalité et, plus précisément, à un défaut de précision dans le
comportement décrit. Ainsi relève-t-il que « le comportement reproché à un auteur direct n’est pas le même que le
comportement reproché à un auteur indirect » et en conclue-t-il que la loi pénale doit « prendre en compte ce que
le défaut d’autorité a de spécifique en incriminant distinctement celui qui n’est pas à la hauteur de ses fonctions ».
E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 588, no 769.
528. Supra, no 287.

349
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

à la valeur protégée a été retenue. Elle est une émanation de la valeur protégée par le texte
d’incrimination, autrement dit, il s’agit ici de la circonstance dans la laquelle la valeur protégée
prend corps. Elle représente cette valeur dans le monde réel et est par conséquent l’objet de
l’action infractionnelle.
Dès lors, elle ne renvoie pas aux différentes données permettant de délimiter le champ
de l’activité infractionnelle. Elle n’est que l’objet que le résultat va atteindre. Par exemple, les
infractions contre les personnes auront toutes pour circonstance représentative de la valeur autrui.
Les infractions ne pouvant être commises que contre certaines personnes auront, elles, pour
circonstance le sujet actif présentant les particularités prévues par le texte. Les infractions contre
les biens ayant pour objet la protection de la propriété auront toutes pour circonstance tenant à la
valeur le caractère approprié du bien. De même encore lorsqu’un lieu particulier est mentionné
et que ce lieu bénéficie via l’incrimination d’une protection particulière. Mais cette circonstance
se limite à ce caractère, elle ne s’étend pas, par exemple, à la nature du bien, sauf lorsqu’un bien
en particulier est protégé 529 . C’est donc simplement cette circonstance qu’il s’agira de vérifier
, car c’est sur elle que le résultat va avoir un impact négatif. Il ne s’agit donc que de vérifier
l’existence de l’objet, non ses attributs, sauf lorsque ceux-ci, prévus par les textes révéleront
une protection particulière. Cette position n’est pas de nature à remettre en cause les diversités
pouvant exister au sein de cette circonstance. La valeur protégée pouvant varier, la circonstance
la matérialisant le peut aussi.

381. L’absence de vérification supplémentaire – Analyser les circonstances de l’atteinte


à la valeur protégée, c’est, avant tout, s’assurer que l’objet atteint par le comportement cor-
respond bien à l’objet protégé par le texte. Cet objet n’est donc pas à proprement parler une
particularité accompagnant la donnée principale. Il est plus exactement l’objet sur lequel est
réalisée cette donnée. Mais sa vérification accompagnera bien la vérification de l’atteinte, de
sorte qu’il est possible d’y voir une circonstance constitutive.
Dans la très grande majorité des cas, l’objet de l’atteinte n’appellera pas d’analyse par-
ticulière. Plus exactement, il ne sera pas vérifié en dehors de la vérification du résultat. La
constatation de celui-ci emportera la constatation de l’objet. Dès lors qu’il ne s’agit ici que de
s’assurer que la valeur protégée s’est effectivement concrétisée dans le monde réel, l’analyse
de l’objet de l’infraction ne sera pas de nature à soulever de difficultés particulières. La seule
hypothèse pouvant soulever une difficulté est celle bien connue de l’infraction impossible,
justement lorsque l’objet de l’incrimination fera défaut dans les faits.

529. V. le cas précité du vol d’un bien classé ou protégé : Code pén., art. 311-4-2.

350
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

382. L’hypothèse de l’infraction impossible – Le problème de la répression de l’infrac-


tion impossible a été la source de débats fournis en doctrine, les auteurs ayant proposé des
solutions différentes selon les causes de l’impossibilité 530 . La jurisprudence, quant à elle, semble
aujourd’hui admettre la répression de l’infraction impossible dans toutes les hypothèses. Ainsi
la Cour de cassation a-t-elle assimilé à l’infraction manquée l’infraction impossible dans le cas
de coups mortels portés à une personne déjà morte 531 .
Une partie de la doctrine demeure toutefois hostile à telle solution 532 , notamment lorsque
l’objet de l’infraction fait défaut. La justification tient le plus souvent à une conception objective
de la tentative selon laquelle, pour pouvoir être tentée, l’infraction doit pouvoir être achevée.
Comme l’affirmait déjà Rossi, la notion de commencement d’exécution impose l’impunité, tant
il est vrai qu’elle suppose « la possibilité d’atteindre le but par l’application plus ou moins
prolongée du moyen » 533 . Plus largement, la répression de l’infraction impossible se révélerait
contraire au principe de légalité, au moins lorsque cette impossibilité est de droit 534 . Garraud
expliquait à ce sujet que « les éléments qui constituent le crime réalisé doivent se trouver,
au moins en puissance, dans la tentative elle-même » 535 . Par conséquent, lorsque le délit est
« légalement impossible » parce qu’un de ses éléments constitutifs n’existe pas et ne peut exister
même sous forme de tentative, le comportement ne peut être réprimé 536 .

383. Conception objective et conception subjective – C’est en retenant une conception


plus subjective de la tentative que la Cour de cassation a admis la répression même lorsque l’objet
de l’infraction fait défaut. Il est à noter que cette conception subjective n’est évidemment pas
totalement incompatible avec la fonction accordée à l’élément matériel. Au contraire, l’approche

530. Les auteurs ont longuement discuté les différentes hypothèses d’impossibilité, avec des conclusions diffé-
rentes selon que l’impossibilité est de fait ou de droit, relative ou absolue. V. not. R. Garraud, Précis de droit
criminel, 11ème éd., op. cit., p. 163, n70. Révélateur de la complexité du débat, un changement de point de vue chez
Garraud est à relever. Alors que dans la première édition de son Traité, l’auteur est fondamentalement opposé à
la sanction du délit impossible lorsque l’impossibilité est absolue (du même auteur, Traité théorique et pratique du
droit pénal français, 1ère éd., op. cit., p. 303, no 182). Dans la seconde édition, il fait état du caractère choquant de
l’impunité et préfère à la distinction impossibilité absolue et impossibilité relative la distinction impossibilité de
droit et impossibilité de fait (du même auteur, Traité théorique et pratique du droit pénal français, 2ème éd., op. cit.,
p. 394, no 206), la première seule devant conduire à l’impunité. L’impossibilité de fait est quant à elle indépendante
de la volonté de l’agent et permet donc la répression. Ibid., p. 399, no 209.
531. Cass. crim., 16 janv. 1986, Bull. crim., no 25 ; D. 1986, p. 265, note D. Mayer et C. Gazounaud ; D. 1986,
p. 265, note J. Pradel ; JCP 1987, II, 20774, note G. Roujou de Boubée ; Gaz. Pal. 1986, 1, p. 377, note J.-
P. Doucet ; RSC 1986, p. 839, obs. A. Vitu ; RSC 1986, p. 849, obs. G. Levasseur.
532. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 647, no 512 ; P. Conte et P. Maistre du Chambon,
Droit pénal général, op. cit., p. 193, no 338 ; E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 708, no 944 ; B. Thellier
de Poncheville, La condition préalable de l’infraction, th. préc., p. 258, no 398 ; M. Lacaze, Réflexions sur le
concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 379, nos 602 et s.
533. P. Rossi, Traité de droit pénal, op. cit., p. 311.
534. Sur la différence impossibilité de droit et impossibilité de fait, v. R. Garraud, Précis de droit criminel,
11ème éd., op. cit., p. 163, no 70.
535. Ibid., p. 168, no 70.
536. Ibid.

351
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

subjective de cet élément pourrait aujourd’hui dicter cette solution. Appliquée à la tentative, la
fonction de matérialisation de la volonté coupable prêtée à l’élément matériel semble justifier la
répression de l’infraction impossible. Par hypothèse, le fait a été exécuté dans son intégralité, de
sorte que la pensée coupable est bien révélée matériellement de façon suffisante pour permettre
la répression. Dans une approche subjective, la tentative ne vient pas sanctionner le fait accompli
par la criminalité de l’agent, « mais la criminalité de l’agent révélée par le fait accompli » 537 .

384. Compatibilité entre l’exigence d’antijuridicité et la répression en doctrine et


jurisprudence allemande – Outre le caractère discutable d’une approche purement subjective
de l’élément matériel, l’admission d’un élément antijuridique devrait imposer une autre solution,
car le comportement est alors sanctionné en raison de l’atteinte à une valeur qu’il produit ou est
susceptible de produire. Le fait n’est donc pas seulement le révélateur de la pensée coupable, il
est aussi attentatoire à une valeur, ce qui en justifie la sanction. Pourtant, et malgré l’importance
de l’élément antijuridique en droit pénal allemand, la jurisprudence allemande admet, elle aussi,
la répression sur le terrain de la tentative 538 . L’hypothèse de l’infraction impossible a également
conduit à des débats en Allemagne 539 , où l’importance de l’antijuridicité pourrait constituer un
obstacle à la répression lorsque aucun bien juridique n’a effectivement été mis en danger 540 .
Toutefois, la répression de l’infraction impossible faute de bien juridique concret sur le terrain
de la tentative n’est pas totalement incompatible avec la manière dont est traitée l’antijuridicité
en Allemagne. Une partie de la doctrine admet la distinction opérée par von Liszt entre l’objet
de l’action et le bien juridique. On se souvient en effet que von Liszt appréhende abstraitement
le bien juridique 541 . Il n’est qu’une valeur et appartient pour lui au monde des idées. En tant
que valeur abstraite, il ne peut donc pas faire l’objet d’une lésion. Par conséquent, la lésion
résultant de l’infraction ne porte pas sur le bien juridique, valeur abstraite, mais sur l’objet
concret de l’action (par exemple, la victime d’un meurtre). Dans l’hypothèse d’une infraction
impossible, ce n’est donc pas le bien juridique qui fait défaut, mais simplement l’objet de l’action.
Puisque l’antijuridicité est appréciée de manière abstraite, il est possible de considérer que le
comportement dirigé contre une valeur (les coups portés à une personne que l’on croit vivante)
est antijuridique même si le bien juridique n’a pas pris corps (la personne était déjà morte). En

537. Ibid., p. 164, no 70.


538. Le Tribunal d’Empire avait ainsi admis par un arrêt en date du 18 juin 1881 la répression d’un meurtre
sur cadavre, la solution ayant été réitérée dans une autre hypothèse d’infraction impossible dans un arrêt de la
Cour fédérale de justice du 14 mai 1995. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand,
th. préc., p. 395. Sur les conditions de répression de l’infraction impossible en tant que tentative, v. M. Fromont et
H. Jescheck, Introduction au droit allemand, op. cit., p. 273, et N. Hustin-Denies et D. Spielmann, L’infraction
inachevée en droit pénal comparé, Bruylant, 1997, p. 85 et s.
539. V. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 393 et s.
540. Le Code pénal italien de 1889 s’opposait ainsi à la répression de l’infraction impossible. V. R. Garraud,
Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 169, no 70.
541. Supra, no 313.

352
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

effet, et comme le relève Madame Lacaze, si le bien juridique n’est qu’une valeur idéale, il
existe nécessairement dans le cadre de l’infraction impossible, quand bien même il n’y serait
que purement abstrait 542 .

385. Rejet de la virtualité de l’antijuridicité en matière de tentative – Dans le cadre


d’une approche plus concrète de l’élément antijuridique, la solution est toutefois plus discutable.
Cette solution prive en partie l’antijuridicité de son intérêt car ici, le comportement n’apparaît
pas objectivement antijuridique. Les hypothèses d’impossibilité liées à l’objet de l’infraction
devraient conduire à l’impunité de l’auteur en raison de l’absence totale d’antijuridicité concrète
du comportement. Non seulement les faits ne conduisent pas au résultat redouté par le législateur,
mais, en plus, ils ne sont pas dirigés contre la valeur concrète. Or, même si la tentative suppose
une absence d’atteinte et plus largement de résultat légal 543 , l’infraction tentée devrait demeurer
marquée d’une antijuridicité concrète. Rien ne permet en matière de tentative de basculer sur
une antijuridicité purement abstraite et virtuelle. Elle reste sous-tendue par la même logique de
protection des valeurs.
Dans l’hypothèse de la tentative, l’exigence d’un commencement d’exécution traduit le
principe selon lequel la pensée criminelle doit s’être suffisamment manifestée, mais elle implique
aussi que la réalisation de l’infraction en question ait été commencée. Tentative et infraction
formelle présentent la même caractéristique de réprimer des comportements avant l’atteinte
effective, à raison du pouvoir causal du comportement. Sans s’intéresser ici spécifiquement à
la nature de la tentative, il est donc déjà possible d’affirmer que le comportement demeure
sanctionné à raison de son antijuridicité. La tentative n’est pas sanctionnée pour elle-même.
Même si elle peut s’analyser en infraction, elle n’a pas d’autonomie. Elle ne se définit que
par rapport à une autre infraction dont elle emprunte les éléments constitutifs 544 . Il s’ensuit
que comme l’infraction tentée, la tentative peut s’analyser à travers les trois éléments matériel,
antijuridique et moral. Simplement, ces éléments – ou plus précisément les éléments objectifs –
ne sont pas totalement caractérisés, ce qui fait obstacle à la répression de l’infraction consommée.
La tentative – comme l’infraction tentée – possède donc un élément antijuridique qui doit s’être
concrétisé 545 . Or, dans l’hypothèse où la matérialisation de la valeur protégée fait défaut, le
comportement ne s’avère plus objectivement antijuridique. L’antijuridicité ne se révèle ni par le
résultat de l’infraction qui, par hypothèse, n’a pas été atteint, ni par la circonstance matérialisant

542. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 195, no 319.
Monsieur Walther relève en outre que la conception de la tentative étant aujourd’hui mixte, en Allemagne comme
en France, la volonté de l’auteur et la dangerosité de son comportement contribuent à justifier la répression sur le
terrain de la tentative. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 393 et s.
543. Selon la distinction opérée par Messieurs Conte et Maistre du Chambon.
544. V. infra, no 489.
545. Dès lors qu’on ne s’en tient pas à une appréciation purement abstraite du bien juridique.

353
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

la valeur protégée qui fait ici défaut. L’antijuridicité n’est que virtuelle.
Admettre la répression sur le terrain de la tentative conduit donc à considérer que,
contrairement à l’infraction consommée, l’infraction tentée peut n’être marquée que d’une
antijuridicité virtuelle. La gravité du comportement est certes vérifiée. Toutefois, la gravité
de ses conséquences, mesure de l’antijuridicité, ne l’est pas 546 . Elle rend alors douteuse la
nécessité de la répression, tant au regard de l’élément antijuridique qu’au regard du principe
de légalité. Admettre une antijuridicité virtuelle en matière de tentative conduit en effet à ouvrir
trop largement le champ de la répression au détriment du principe de légalité. Dès lors que les
infractions consommées supposent que les valeurs protégées aient pris corps dans le monde
réel, il faut admettre que la tentative de ces mêmes infractions est conditionnée par la même
concrétisation de la valeur. Le comportement ne peut être considéré, ni comme antijuridique,
ni comme typique 547 lorsque la circonstance tenant à la valeur protégée exigée par la loi fait
défaut 548 .

386. Rapprochement de l’infraction putative – Enfin, admettre la répression de l’infrac-


tion impossible ne peut qu’ouvrir la voie à la répression de l’infraction putative. Si les deux
hypothèses ne se recoupent pas parfaitement, elles intègrent des hypothèses similaires. En effet,
l’infraction putative est celle qui n’existe que dans l’esprit de son auteur. Sa sanction n’est en
principe pas possible, notamment parce qu’elle ne représente pas de réel danger social 549 . Or, le
cas du meurtre sur cadavre n’existe que dans l’esprit de son auteur. Si l’antijuridicité peut n’être
que virtuelle et déduite de la volonté de l’agent, rien ne s’oppose en principe à la répression
de l’infraction impossible lorsque la valeur que l’auteur pense atteindre est effectivement une
valeur protégée par le droit pénal. La répression ne se trouve alors pas encadrée par le principe
d’antijuridicité mais, au contraire, justifiée par lui à raison d’une antijuridicité morale et virtuelle.
Il s’agirait là d’un contournement du concept d’antijuridicité et de l’utilité du bien juridique qui,
loin d’être pertinent, est dangereux et contraire à l’économie de ce principe et de bien d’autres
de la matière.

387. L’impossibilité liée au moyen employé – Reste toutefois une difficulté relative aux
cas où l’impossibilité ne réside pas dans le défaut de matérialisation de la valeur protégée,

546. Certains auteurs estiment que l’infraction impossible est une infraction commise, mais insusceptible de
recevoir une qualification pénale. En ce sens, R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 645, no 512.
Sur ce point, v. égal. X. Pin, Le consentement en matière pénale, th. préc., p. 166, nos 195 et s.
547. Estimant que le comportement est bien antijuridique mais n’est par contre pas typique, v. toutefois M. Lacaze,
Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 377, no 599 et p. 379, 602.
548. V. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 708-709, no 945, citant R. Merle et A. Vitu, Traité de droit
criminel, op. cit., p. 647, no 512 : « il faut rappeler en effet que : « la tentative, pour tomber sous le coup de la loi [...]
doit constituer le commencement d’exécution d’un acte susceptible de recevoir en lui-même, s’il était consommé,
une qualification pénale », ce à quoi l’absence de condition préalable s’oppose.
549. E. Villey, Précis d’un cours de droit criminel, op. cit., p. 95.

354
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

mais dans le moyen employé. Le comportement peut-il être considéré comme objectivement
antijuridique lorsque, par exemple, un individu tente d’empoisonner une personne avec une
substance inoffensive ? Le cas se distingue très nettement de l’hypothèse dans laquelle la valeur
protégée ne s’est pas matérialisée (cas du meurtre sur cadavre par exemple). Ici, l’antijuridicité
n’est pas totalement virtuelle, elle prend son substrat dans la circonstance relative à la valeur qui
est bien présente. En revanche, le pouvoir causal du comportement n’est absolument pas effectif
si la substance administrée se révèle être inoffensive.
Il est tout d’abord à remarquer que le défaut de typicité existe alors comme dans le cas
où la matérialisation de la valeur fait défaut. Par ailleurs, admettre des moyens inopérants au
prétexte de la croyance erronée de l’auteur des faits en leur capacité à produire le résultat
redouté conduirait là encore à admettre très largement la répression. Quid, en effet, de ce
qui est parfois désigné comme une infraction « surnaturelle » 550 ? Monsieur Dreyer donne ici
l’exemple d’une personne convaincue de posséder des pouvoirs magiques et déterminées à user
de ceux-ci pour procéder à une interruption illégale de grossesse 551 . Faut-il alors admettre que
la volonté de l’auteur suffise à démontrer sa dangerosité, faute de pouvoir illustrer la dangerosité
de l’acte accompli ? Ici encore, il nous faut conclure à l’absence de répression. Sans doute, le
comportement peut-il être considéré comme subjectivement antijuridique en ce que l’auteur a la
volonté de porter atteinte à une valeur. Reste qu’il n’est toutefois pas objectivement antijuridique,
parce qu’il n’est objectivement pas dangereux pour la valeur protégée. La présence irréfutable
d’un des éléments de l’infraction ne peut ici venir compenser l’absence d’un autre. L’infraction
est sans doute moralement constituée, mais elle ne l’est ni matériellement (le moyen employé
n’est pas le bon), ni antijuridiquement (le moyen n’est pas de nature à mettre produire le résultat
redouté 552 ). L’élément moral ne peut pallier l’absence des deux autres éléments, sauf à admettre
une remise en cause complète du principe de légalité pénale 553 . L’aberration du procédé ne peut
suffire à justifier une différence de traitement. Dès lors que le procédé employé est insusceptible
de produire le résultat redouté, la répression pénale devrait être exclue.
À l’inverse, lorsque le moyen employé entre dans les prévisions légales et/ou est susceptible
de produire le résultat redouté, la répression doit être possible sur le terrain de la tentative.
Ainsi en est-il d’une substance effectivement mortifère, mais administrée en trop faible dose 554 ,

550. V. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 709, no 947.


551. Ibid., p. 710, no 947.
552. Ici, le pouvoir causal disparaît tout bonnement. Or, en matière de tentative d’infraction formelle, il devrait
demeurer certain, bien que plus éloigné de la réalisation du résultat redouté. Le raisonnement s’opère alors en termes
d’éventualité de survenance du résultat, ce qui ne se vérifie pas lorsque le moyen employé n’est pas de nature à le
produire.
553. Du reste, comme le relève Monsieur Dreyer, « le droit pénal n’aurait pas grand chose à y gagner ». Il s’agirait
ici en un sens d’une « chasse aux sorcières ». E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 710, no 947.
554. L’éventualité de réalisation du résultat existe alors.

355
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

de l’utilisation d’un couteau émoussé pour commettre un meurtre, etc. Dans ces hypothèses,
certes, il n’y a pas d’atteinte à la valeur protégée à raison du moyen employé, mais le pouvoir
éventuellement causal du comportement demeure suffisamment effectif pour justifier le recours
au droit pénal. Ainsi entendu, l’élément antijuridique serait donc un précieux indicateur du
caractère objectivement répréhensible du comportement (c’est-à-dire les limites de la répression
de l’infraction manquée) et, par extension, du caractère objectivement nécessaire de la sanction
pénale.

388. Transition – Les circonstances constitutives que sont la causalité et la circonstance


relative à la valeur protégée ayant été envisagées, ainsi que les conséquences devant être
attachées à leur inclusion dans l’élément antijuridique, il reste désormais à s’attacher au contexte
de l’atteinte qui, s’il ne révèle pas l’antijuridicité du comportement, permet au contraire de
contredire celle-ci.

§ 2. Les circonstances obstacles à la caractérisation de l’infraction sous son


angle antijuridique

389. L’antijuridicité matérielle, fondement de la justification en Allemagne – En doc-


trine allemande, la théorie des faits justificatifs et l’antijuridicité sont étroitement liées. Le
mécanisme de justification y est envisagé comme un mécanisme de pondération des biens
juridiques 555 . Le principe est qu’en cas de conflit, le bien juridique de valeur inférieure doit
être sacrifié si le bien de valeur supérieure ne peut être préservé qu’à ce prix 556 . L’antijuridicité
matérielle est donc le siège de la justification 557 ce qui emporte certaines conséquences. Dès
lors que les faits justificatifs sont un conflit de valeurs et non un conflit de normes, il n’est pas
nécessaire que ceux-ci soient expressément prévus par la loi 558 . Notamment, le consentement
de la victime peut plus facilement être pris en compte comme élément de justification en

555. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 95 : « [...] le fondement
théorique du mécanisme de la justification peut être trouvé en substance dans la mise en balance des biens juridiques
protégés [...] ».
556. F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 205, §32.
557. L’antijuridicité matérielle est présentée comme le fondement dogmatique de l’analyse allemande de la
justification et a conduit à l’admission de la justification par l’état de nécessité, par une décision du Tribunal
d’Empire du 11 mars 1927. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 78
et s. Le législateur allemand rattache également parfois expressément la justification à l’antijuridicité. Il est précisé
qu’en cas de légitime défense ou d’état de nécessité, les faits « ne sont pas antijuridiques ». Ibid., p. 95, citant le
Code pénal allemand.
558. Le fondement antijuridique conduit à une admission beaucoup plus large des causes de justification en
droit allemand qu’en droit français. Elles n’ont ainsi pas nécessairement une source légale. V. M. Fromont et
H. Jescheck, Introduction au droit allemand, op. cit., p. 269.

356
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

Allemagne 559 qu’en France où l’approche des faits justificatifs est légaliste.
Dès lors qu’est proposée la prise en compte d’un élément antijuridique, il semble naturel
de rattacher comme en Allemagne le mécanisme de la justification à l’antijuridicité 560 , et ce,
d’autant que la conception française de la justification repose aussi, au moins en partie, sur une
mise en balance d’intérêts. Des obstacles à un tel rattachement existent toutefois (A), mais sans
pour autant être de nature à s’y opposer totalement (B).

A. Les obstacles au rattachement de la justification à l’élément antijuridique

390. Une conception fortement légaliste – La première difficulté qui pourrait s’opposer
au rattachement de la justification à l’élément antijuridique vient de la conception française.
Différentes approches peuvent être trouvées en doctrine 561 , mais, traditionnellement, il est admis
que les faits justificatifs paralysent l’élément légal de l’infraction 562 . En effet, la conception
française de la justification est en premier lieu légaliste. Sur ce point, l’approche allemande se
distingue assez nettement de l’approche française. Le législateur et une majorité de la doctrine
française appréhendent la justification à travers un conflit de normes 563 , ce qui explique qu’ils
soient traditionnellement rattachés à l’élément légal. Les faits justificatifs sont en principe prévus

559. Il est admis comme cause de justification extra-légale pour les infractions des biens individuels disponibles.
X. Pin, « La théorie du consentement de la victime en droit pénal allemand, Éléments pour une comparaison »,
RSC 2003, p. 259. La jurisprudence limite toutefois comme nous le verrons l’admission de ce fait justificatif dans
certaines hypothèses.
560. D’autres hypothèses, telles l’amnistie ou les immunités, pourraient être rattachées en négatif à l’élément
antijuridique et le sont parfois en doctrine (v. J.-H. Robert, Droit pénal général, op. cit., p. 281, pour l’immunité).
Elles seront toutefois exclues dès lors qu’elles ne font à proprement parler pas obstacle à la caractérisation de
l’élément antijuridique. En effet, l’amnistie opère a posteriori. Elle ne fait pas disparaître l’antijuridicité du
comportement, mais efface juste, par artifice, l’existence de l’infraction. Quant à l’immunité, elle fait simplement
obstacle aux poursuites, mais n’affecte pas à proprement parler l’élément antijuridique. (V. par ex. Code pén., art.
311-12. L’article affirme : « Ne peut donner lieu à des poursuites pénales le vol commis [...] »).
561. L’on pense ici notamment aux auteurs admettant que la justification paralyse la qualification, position qui
rejoint pour partie celle du rattachement à l’élément légal (A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., p. 295 ; J.
Pradel, Traité de droit pénal et de sciences criminelles comparées, op. cit., p. 315, nos 337 et s.). Une autre approche,
plus subjective, consiste à considérer que les faits justificatifs ont des conséquences sur l’élément moral, soit parce
qu’ils consistent en un motif légitime (F. Rousseau, L’imputation dans la responsabilité pénale, th. préc., p. 196,
nos 149 et s., et M. Reix, Le motif légitime en droit pénal, Contribution à la théorie générale de la justification, 2012,
Thèse, Bordeaux IV, p. 477, nos 484 et s. Rappr. J.-P. Gagnieur, Du motif légitime comme fait justificatif, 1941,
Blanquet, not. p. 13 et s., l’auteur se prononçant par ailleurs en faveur d’une admission du motif légitime comme
fait justificatif (ibid. p. 102), soit parce qu’ils relèvent de la même logique que la contrainte (C.-A. Dana, Essai
sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 152, no 144). Enfin, certains auteurs admettant un élément injuste,
font dépendre la justification de lui : X. Pin, Droit pénal général, op. cit., p. 179, nos 200 et s. ; J.-H. Robert, Droit
pénal général, op. cit., p. 250 ; J. Larguier, P. Conte et P. Maistre Du Chambon, Droit pénal général, op. cit.,
p. 56 ; P. Salvage, Droit pénal général, op. cit., p. 61, no 108 ; M.-L. Rassat, Droit pénal général, op. cit., p. 273,
no 230.
562. V. A. Flasquier, L’état de nécessité en droit pénal, Contribution à la théorie générale des faits justificatifs,
2003, Thèse, Montpellier, p. 166, nos 363 et s., se prononçant notamment en faveur du rattachement négatif de l’état
de nécessité à l’élément légal.
563. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 116, no 190.

357
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

par la loi 564 . Le conflit entre la loi d’incrimination et la loi de justification conduit à paralyser la
première lorsque les conditions de la seconde sont vérifiées. Les faits justificatifs sont en outre
prévus de manière étroite et soumis à des conditions strictes, ce qui, là encore, procède d’une
approche essentiellement normative et légaliste de la justification 565 .
Ce type d’approche ne peut étonner, lorsque l’on sait que la conception française de
l’infraction est elle-même légaliste. L’infraction est avant tout, en France, une « transgression de
la loi » 566 . Il est dès lors tout à fait logique que les causes de justification trouvent leur source en
France dans la loi ou, plus largement, dans une norme. De même que seul le législateur a le pou-
voir d’incriminer les comportements qu’il juge contraire à l’ordre social, lui seul semble avoir le
pouvoir de neutraliser la répression en rendant l’acte accompli légitime 567 . Traditionnellement,
la justification est rattachée en doctrine à l’exercice d’un droit ou à l’accomplissement d’un
devoir. Ortolan expliquait ainsi que « justifier c’est rendre juste ; il y a justification quand
l’acte est démontré juste, conforme au droit » 568 . De manière relativement similaire, Cuche
définissait le fait justificatif comme « une circonstance qui enlève son caractère illégal à un acte
dommageable volontaire qui, sans cette circonstance, devrait constituer une infraction, mais
qui, avec cette circonstance apparaît comme l’exercice d’un droit ou l’accomplissement d’un
devoir » 569 . Partant, il est possible de considérer que « le phénomène justificatif est la solution
logique d’un conflit de loi » 570 . L’analyse française est ici encore très éloignée de l’analyse
allemande, dans laquelle les faits justificatifs relèvent d’un conflit d’intérêts.

391. L’antijuridicité et le juste en doctrine allemande – En outre, la raison première 571


du rattachement de la justification à l’antijuridicité en Allemagne pourrait être un argument
supplémentaire en défaveur d’une transposition de la solution en France. Il vient en effet du lien
très fort unissant le concept d’antijuridicité au juste et au but du droit pénal. Dans la construction
de von Liszt, le droit dans son entier est dirigé vers un but de protection des intérêts vitaux de la
société et le droit pénal est un outil de cette protection. Le juste et l’injuste dépendent donc de cet
objectif. L’antijuridicité matérielle du comportement tient à sa contrariété avec le but du droit

564. Selon la distinction courante, les faits justificatifs généraux sont ceux énumérés aux articles 122-4 à 122-7.
En ce sens, A. Flasquier, L’état de nécessité en droit pénal, th. préc., p. 139, no 293.
565. X. Pin, « L’infraction juste » in Mélanges en l’honneur du Professeur J.-H. Robert, LexisNexis, 2012, p. 585.
566. C’est ainsi que Monsieur Mayaud la présente à travers l’intitulé de la deuxième partie de son ouvrage.
Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 171, no 161. Elle est selon lui, une « fracture sociale ».
567. En ce sens et pour justifier l’absence de prise en compte du consentement de la victime comme cause de
justification, P. Salvage, « Le consentement en droit pénal », RSC 1991, p. 699. V. égal. X. Pin, Le consentement
en matière pénale, th. préc., p. 194, no 223, qui explique que la conception légaliste française s’oppose à l’admission
du consentement comme fait justificatif, parce que la permission individuelle ne faire échec aux incriminations qui
sont des normes d’ordre public.
568. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 465, no 1085.
569. P. Cuche, Précis de droit criminel, op. cit., p. 53, no 50.
570. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 559, no 433.
571. D’un point de vue historique.

358
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

pénal de protection des intérêts essentiels érigés en biens juridiques. Elle disparaît par contre
en cas de conformité avec ce but 572 . Il existe donc un lien particulièrement ténu, quasi exclusif,
entre le but de protection des biens juridiques et l’antijuridicité chez von Liszt. Cette dernière
n’est pas seulement un indice du juste et, par extension, de la nécessité de la répression en droit
pénal allemand, elle en est la mesure 573 .
Certains auteurs français retiennent un raisonnement assez proche en expliquant la jus-
tification par l’utilité sociale du comportement justifié. Ainsi trouve-t-on dans l’ouvrage de
Madame Rassat l’explication selon laquelle, tout en ayant les apparences d’une infraction, un
comportement peut ne pas être « antisocial » et « au contraire favorable aux intérêts de bien
compris de la société » 574 , de sorte qu’il ne sera pas punissable. De manière plus parlante encore,
Monsieur Mayaud estime que lorsqu’un fait justificatif est vérifié « la responsabilité n’est pas,
parce qu’elle ne recoupe plus l’objectif premier du droit pénal, qui est de sanctionner ce qui va
à l’encontre des intérêts de la société » 575 .

392. Incohérence au regard de l’adaptation proposée – Or, une transposition pure et


simple de l’antijuridicité en droit pénal français ne nous a semblé ni possible ni souhaitable 576 .
L’antijuridicité a été retenue parce qu’elle met en lumière l’importance des conséquences du
comportement dans l’appréciation de la nécessité de son incrimination, mais non au regard
d’un but exclusif de protection, ce qui éloigne l’élément antijuridique tel qu’il a été proposé de
l’élément allemand. La nécessité des incriminations, non plus que le juste, ne peut être appréciée
au seul regard de la protection de valeurs jugées essentielles. L’appréciation de la nécessité d’une
incrimination est également conditionnée par la gravité du comportement en cause, dont les
conséquences attentatoires sur les valeurs protégées ne sont qu’un indice. C’est ce qui garantit le
caractère subsidiaire de ce droit. Nécessité et antijuridicité ne se recoupent donc pas totalement.
En outre, dès lors que l’accent a été mis sur le caractère attentatoire du comportement, il pourrait
apparaître réducteur de rattacher la justification à l’élément antijuridique. Malgré tout, un tel
rattachement demeure envisageable.

572. « [...] la lésion ou la mise en péril d’un intérêt juridique n’est matériellement illicite que si elle est
en contradiction avec les buts de l’ordre juridique réglant la vie collective ; cette lésion ou mise en péril est
matériellement licite, même dirigée contre des intérêts juridiques protégés, lorsqu’elle répond à ces buts de l’ordre
juridique et par suite de la vie collective elle-même, et dans la mesure où elle y répond. » F. von Liszt, Traité de
droit pénal allemand, op. cit., p. 205-206, §32.
573. Cette explication reste partiellement utilisée par certains auteurs pour expliquer le mécanisme de justification.
En ce sens, J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 224.
574. M.-L. Rassat, Droit pénal général, op. cit., p. 370, no 316. V. égal. J.-Y. Chevallier, « L’état de nécessité,
Le rôle du Doyen P. Bouzat dans la reconnaissance de l’infraction nécessaire en droit positif » in Mélanges en
l’honneur du Doyen Pierre Bouzat, A. Pedone, 1980, p. 117.
575. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 421, no 399.
576. Supra, no 182.

359
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

B. Le rattachement de la justification à l’élément antijuridique

393. Justification et pondération d’intérêts – Malgré le fait que la justification par le


but du droit pénal n’apparaisse pas tout à fait satisfaisante, le rattachement de la justification à
l’élément antijuridique tel que nous le proposons est possible. Les faits justificatifs opéreraient
alors en négatif sur lui, dès lors toutefois que leurs conditions auront été démontrées 577 . En
Allemagne, certains auteurs expliquent la justification de manière légèrement différente et
raisonnent aujourd’hui en termes de pondération d’intérêts 578 . Cette approche rejoint pour partie
l’idée d’utilité sociale de l’acte, sans se confondre totalement avec elle. L’acte n’est pas forcément
utile à la société, mais « la pesée des intérêts en présence » 579 conduit à exclure la répression à
raison des circonstances. Monsieur Walther affirme ainsi que « si l’on veut isoler un principe
commun, il faudrait dire que tous les faits justificatifs ont comme objectif la juste régulation
sociale de conflits d’intérêts par la mise en balance de biens juridiques protégés, concrétisation
de l’antijuridicité matérielle » 580 . Or, malgré la conception légaliste, la pesée des intérêts en
présence n’est pas étrangère à l’approche française de la justification, bien au contraire.

394. Une conception non exclusivement légaliste – Tout d’abord, il faut remarquer que
l’idée selon laquelle la justification prend sa source dans la loi est incomplète. Elle n’est que la
conséquence de la conception française de l’infraction et de la prépondérance de la loi en matière
pénale, ajoutée au constat de l’intégration dans la loi des faits justificatifs 581 . Comme le relèvent
Messieurs Merle et Vitu, c’est à partir de l’analyse des hypothèses légales de justification que
les auteurs ont déduit le fait que celle-ci prenait sa source dans l’accomplissement ou l’exercice
d’un droit et, plus largement, qu’a été mise en évidence la règle selon laquelle la justification
tient à un conflit de normes 582 . Pour autant, s’il est souvent affirmé que la jurisprudence ne
peut créer de toute pièce un fait justificatif 583 , ce principe n’a jamais été appliqué dans toute sa
rigueur 584 . La Cour de cassation a pu admettre des cas de justifications non expressément prévus

577. Le caractère antijuridique du comportement se déduit de la conformité entre lui et l’incrimination. Invoquer
un fait justificatif peut permettre de démontrer qu’à raison des circonstances, l’atteinte ne peut pas être regardée
comme injuste. Il s’agit ici d’un moyen de défense, l’absence de fait justificatif étant présumée.
578. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 124.
579. L’expression est empruntée à Monsieur Pin : X. Pin, Droit pénal général, op. cit., p. 190, no 211.
580. J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 125.
581. En outre, l’approche purement légaliste ne permet pas à elle seule d’expliquer pourquoi la justification opère.
582. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 558, no 433.
583. Ibid., p. 558, no 432 ; M.-L. Rassat, Droit pénal général, op. cit., p. 371, no 317.
584. La doctrine approuve d’ailleurs parfois les libertés prises par les juges et relève qu’une appréciation extensive
des causes de justification ne peut être considérée comme contraire au principe de légalité dès lors que ce principe
« assure la protection de la liberté individuelle et n’a donc pas à jouer contre les intérêts de la personne poursuivie ».
M.-L. Rassat, Droit pénal général, op. cit., p. 371, no 317. Dans le même sens, P. Bouzat et J. Pinatel, Traité de
droit pénal et de criminologie, op. cit., p. 385, no 279 ; R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 558,
no 432 ; J.-Y. Chevallier, « L’état de nécessité, Le rôle du Doyen P. Bouzat dans la reconnaissance de l’infraction
nécessaire en droit positif » in Mélanges en l’honneur du Doyen Pierre Bouzat, op. cit.

360
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

par la loi, tel l’état de nécessité 585 . L’admission de ce fait justificatif s’inscrit parfaitement dans
une démarche de pondération d’intérêts opposés 586 dès lors qu’elle tient à la nécessité de la
commission d’une infraction en vue de la sauvegarde d’un autre intérêt. Elle trouve en outre sa
limite dans la proportionnalité des moyens employés au regard du danger. Toutes les atteintes
ne peuvent donc être justifiées. Monsieur Chevalier écrit à ce propos que « la répression perd
son fondement quand, sous l’empire de la nécessité, l’agent choisit de sauvegarder un bien dont
la valeur est supérieure à la valeur du bien qu’il sacrifie, ou même à la rigueur un bien de valeur
équivalente » 587 .

395. La prise en compte des intérêts en France – C’est ainsi en partant du constat selon
lequel la justification trouve aussi sa source dans d’autres principes que la jurisprudence a pu
étendre les hypothèses de justification à des cas non directement visés 588 . Or, sans aller jusqu’à
affirmer l’utilité sociale de l’acte accompli, il est possible de constater que dans la majorité
des hypothèses, la justification procède d’une mise en balance d’intérêts. L’on observe ainsi
de manière relativement systématique deux intérêts en conflit dans les causes objectives de
justification. Il s’agira de l’impératif de défense face à une atteinte ou un danger contre la
protection de la valeur atteinte par l’infraction commise en réponse (vie, intégrité ...) dans le cas
de la légitime défense ou de l’état de nécessité 589 ; de l’exercice des droits de la défense contre le
droit de propriété de l’employeur dans le fait justificatif spécial dégagé par la jurisprudence 590 ;
de la liberté d’expression et d’information contre l’honneur et la réputation dans le cas de
l’exceptio veritatis 591 ; du respect de la loi ou du commandement de l’autorité légitime contre

585. J.-Y. Chevallier, « L’état de nécessité, Le rôle du Doyen P. Bouzat dans la reconnaissance de l’infraction
nécessaire en droit positif » in Mélanges en l’honneur du Doyen Pierre Bouzat, op. cit.
586. V. néanmoins G. Roujou de Boubée, « La théorie générale de la justification » in Les causes d’irresponsa-
bilité pénale, t. 30, Annales de l’Université des sciences sociales de Toulouse, 1982, p. 11, qui refuse de manière
générale d’avoir recours à l’antijuridicité pour expliquer le mécanisme de la justification. S’agissant de l’état
de nécessité, il écrit néanmoins que « toute loi à sa raison d’être. Lorsque cette raison disparaît, la loi s’efface
naturellement ». Cependant, la cause de la disparition ne peut être trouvée que dans l’utilité sociale de l’acte. Or,
elle-même semble devoir s’apprécier à l’issue d’une mise en balance des intérêts en présence.
587. J.-Y. Chevallier, « L’état de nécessité, Le rôle du Doyen P. Bouzat dans la reconnaissance de l’infraction
nécessaire en droit positif » in Mélanges en l’honneur du Doyen Pierre Bouzat, op. cit. L’estimation de la valeur des
intérêts en présence peut toutefois apparaître pour partie hasardeuse. Von Liszt admettait d’ailleurs ici un risque
d’arbitraire dans les décisions. F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, op. cit., p. 207, §.32. Le contrôle de
proportionnalité est à ce titre sans doute plus objectif et permet des solutions équivalentes.
588. En ce sens, R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 559, no 434. La légitime défense, l’ordre
de la loi et le commandement de l’autorité légitime étaient prévus par le Code aux articles 327 et 328, mais ces
causes de justification étaient légalement cantonnées aux infractions contre l’intégrité corporelle. Quant à l’état de
nécessité, il n’était admis que dans des cas très particuliers. V. J.-Y. Chevallier, « L’état de nécessité, Le rôle du
Doyen P. Bouzat dans la reconnaissance de l’infraction nécessaire en droit positif » in Mélanges en l’honneur du
Doyen Pierre Bouzat, op. cit.
589. V. C. Duprac, « La légitime défense, contours d’une notion de droit pénal » in Légitimes défenses, sous la
dir. de R. Kherad, LGDJ, 2006, p. 83.
590. V. not. J.-C. Saint-Pau, « L’enregistrement clandestin d’une conversation », Dr. pén. 2008, no 17.
591. G. Levasseur, « Réflexions sur l’exceptio veritatis » in Mélanges offerts à A. Chavanne, litec, 1990, p. 111.

361
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

les valeurs protégées par les incriminations 592 . Le nouveau fait justificatif prévu à l’article 122-9
relève également de cette logique de pondération d’intérêts, dès lors qu’il est expressément prévu
que « n’est pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la
loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en
cause » 593 .

396. Proportionnalité et nécessité – En outre, la pesée des intérêts en présence à laquelle


il est procédé est révélée par le double contrôle opéré dans la majorité des cas. Le premier tient
à un contrôle de la stricte nécessité de la commission d’une infraction, le juge vérifiant que
« l’agent n’avait pas d’autres choix » 594 . Le second à un contrôle de proportionnalité, notamment
au regard des moyens employés.
La nécessité est ainsi une condition expresse de la légitime défense 595 , de l’état de
nécessité 596 , de la révélation nécessaire d’un secret 597 , ainsi que de l’usage d’une arme par
des fonctionnaires de police 598 . Elle est en outre exigée par la Cour de cassation dans certaines
hypothèses relatives à l’autorisation de la loi 599 , dont l’application de l’article 73 du Code de
procédure pénale donne un exemple 600 , ainsi que pour le fait justificatif spécial de droit de la
défense en matière d’infraction contre les biens. L’exigence se retrouve alors dans la condition

592. Certains faits justificatifs spéciaux relèvent moins de cette logique, encore qu’il soit possible d’identifier
deux intérêts opposés de manière relativement systématique. En effet, dans certains cas, il s’agit davantage pour
le législateur de restreindre le champ d’application d’une incrimination que d’opérer une pesée d’intérêt. Ces
hypothèses de restriction du champ d’application d’un texte ne recoupent pas tout à fait la même logique que les
faits justificatifs à proprement parler. L’on peut alors se demander si une telle qualification est réellement adaptée,
car elle conduit à intégrer dans une même catégorie des mécanismes légèrement différents. Un exemple tient à
l’infraction de discrimination dont le législateur a encadré négativement le champs d’application en prévoyant à
l’article 225-3 du Code pénal que les dispositions de l’article 225-2 « ne sont pas applicables » dans toute une série
d’hypothèses (comp. Code pén., art. 226-14, qui assez maladroitement intègre dans les exceptions l’autorisation ou
l’ordre de la loi). Bien que la doctrine y voit des faits justificatifs spéciaux (v. not. M. Danti-Juan, Rép. dr. pén.,
Discrimination, 2014, no 47), il semblerait plus juste de n’y voir que des exceptions légales. La circulaire du 2 mars
2011 relative à la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public (JORF n°0052 du 3 mars 2011
p. 4128) utilise d’ailleurs cette terminologie à propos des cas dans lesquels l’infraction de dissimulation du visage
ne peut être sanctionnée. Monsieur Garé, dans son article dédié à cette incrimination les traite également bien
plus comme des exceptions justifiées par l’impossibilité de généraliser totalement le texte, que comme des causes
justificatives à proprement parler. T. Garé, « La dissimulation du visage dans l’espace public » in La diversité du
droit, mélanges en l’honneur de Jerry Sainte-Rose, op. cit. Le comportement n’est pas justifié dans une pareille
hypothèse, il n’entre simplement pas dans le champ d’application du texte. La qualification est paralysée a priori
et non a posteriori.
593. Code pén., art. 122-9.
594. X. Pin, Droit pénal général, op. cit., p. 207, no 231.
595. Code pén., art. 122-5, qui vise « un acte commandé par la nécessité de la légitime défense ».
596. Ibid., art. 122-7.
597. Ibid.
598. Ibid., art. 122-4-1. V. égal. Code de sécurité intérieure, art. L.435-1 et D. Goetz, « Principales mesures de
la loi « Sécurité publique », D. actualités 2017, concernant les nouvelles dispositions applicables en la matière.
599. En ce sens, X. Pin, Droit pénal général, op. cit., p. 194, no 216. On en trouve trace également dans le
commandement de l’autorité légitime : le caractère manifestement illégal de l’ordre fait disparaître la nécessité
de s’y conformer.
600. L’article 73 du Code de proc. pén. prévoit que « dans les cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d’une
peine d’emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier de

362
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

selon laquelle les documents appréhendés doivent être « strictement nécessaires à l’exercice des
droits de sa défense » 601 . Quant à l’appréciation de la proportionnalité, elle entre en jeu pour
les quatre faits justificatifs généraux prévus par le Code pénal 602 et se retrouve dans le cadre du
commandement de l’autorité légitime 603 . Il en va de même pour l’ordre ou la permission de la
loi 604 .

397. Caractère relatif des exceptions – Certains faits justificatifs ne nécessitent toutefois
pas expressément ce double contrôle 605 . Ainsi en matière de droit de la défense, seule la nécessité
semble exigée. Toutefois, et même si ce fait justificatif engage « le droit pénal général lui-
même » 606 , il semble peu vraisemblable que ce fait justificatif puisse être admis hors tout
contrôle de proportionnalité. Par exemple, au regard de la justification du vol, il apparaît
difficilement concevable de le retenir dans des cas où les documents auraient été acquis avec
l’usage de la violence. Son domaine semble devoir se limiter aux infractions contre les biens,
commises sans violence (abus de confiance, vol, escroquerie), ce qui implique un raisonnement
en termes de proportionnalité 607 .
L’exceptio veritatis se distingue elle aussi, dès lors qu’elle n’est textuellement conditionnée
ni par l’exigence de nécessité ni par un quelconque contrôle de proportionnalité 608 . Reste que les

police judiciaire le plus proche ». L’usage de la force, par exemple, pourra être justifié à la condition toutefois qu’il
soit « nécessaire et proportionné aux conditions de l’arrestation » Cass. crim., 13 avr. 2005, Bull. crim., no 131 ;
D. 2005, p. 2029, note J.-L. Lennon ; JCP 2005, I, 165, obs. A. Maron ; Dr. pén. 2005, Comm. no 117, obs.
A. Maron ; RSC 2006, p. 419, note J. Buisson. Comp. CA Douai, 9 juin 1988 ; D. 1991, p. 66, obs. G. Azibert, et
Cass. crim., 26 mars 2006, Bull. crim., no 88 ; D. 2006, p. 2721, obs. A.-S. Chavent-Leclère. De même, l’usage
de la force par un policier ne sera justifié que si elle était nécessaire. V. Cass. crim., 19 oct. 1994 ; Dr. pén. 1995,
p. 36, obs. M. Véron.
601. La solution, désormais classique, a été à nouveau rappelée récemment : Cass. soc., 15 mars 2015, Bull.,
no 68 ; D. 2015, chron. p. 871, obs. N. Sabotier ; AJ pén. 2015, p. 316, obs. D. Brach-Thiel.
602. C’est en outre ce qui justifie que la légitime défense ne puisse être retenue pour justifier un homicide
volontaire en réponse à une atteinte contre les biens (Code pén., art. 122-5, alinéa 1). L’admission de la légitime
défense face à une atteinte contre les biens se conçoit totalement, mais la valeur vie conserve sa primauté sur la
valeur bien.
603. En ce sens, X. Pin, Droit pénal général, op. cit., p. 194, no 216.
604. En ce sens, ibid.
605. La bonne foi pourrait entrer dans ces exceptions. Toutefois, l’admission de la bonne foi comme fait justificatif
est problématique. Si elle est parfois présentée comme un telle dans le cas des infractions douanières, elle est
d’avantage un moyen de renverser la présomption de mauvaise foi existant en la matière et ne s’apparente donc
pas à un fait justificatif. Plus problématique est le cas de la bonne foi en matière de diffamation, car ses conditions
d’admission sont si strictes qu’il ne s’agit pas parfaitement d’un renversement de la présomption existant en la
matière. Reste qu’y voir un fait justificatif est excessif. Certes, la présomption en matière de diffamation est si sévère
qu’elle conduit à une modification de la nature de l’infraction, mais la bonne foi reste un moyen de renversement de
la présomption (sur ce point, v. infra, no 423), non à une hypothèse de justification. En ce sens, B. de Lamy, « La
bonne foi en matière de diffamation : un faux ami », D. 1998, p. 499. Contra, P. Conte, « La bonne foi en matière
de diffamation, notion et rôle » in Mélanges offerts à A. Chavanne, op. cit.
606. J.-P. Doucet, « Les droits de la défense, faits justificatifs méconnus », Gaz. Pal. 1972, 2, p. 595.
607. Pour une étude générale des droits de la défense comme fait justificatif et des limites de son admission, v.
ibid., et Y. Mayaud, « Les droits de la défense, cause d’irresponsabilité pénale » in Sciences pénales et sciences
criminologiques, Mélanges offerts à R. Gassin, PUAM, 2007, p. 295.
608. Loi du 29 juil. 1881, art. 35.

363
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

strictes conditions dans lesquelles la preuve de la vérité peut être rapportée induisent clairement
une pesée d’intérêts. Refuser que la preuve de la vérité puisse être rapportée lorsque les faits
sont relatifs à la vie privée 609 , n’est-ce pas, admettre que la vie privée prime sur la liberté
d’expression ?

398. Absence d’antijuridicité et disparition de la nécessité de la répression – Légaliste


en ce que la source première de la justification est la loi, celle-ci n’en est donc pas moins
fortement imprégnée d’une logique de pondération d’intérêts et de valeurs. Or, cette pondération
trouve assez naturellement sa place dans un élément antijuridique tourné vers le caractère
attentatoire du comportement. En effet, à raison des circonstances qui entourent la réalisation
du fait et de l’atteinte, ses conséquences n’apparaissent plus comme un marqueur objectif
de sa gravité et de son caractère répréhensible. Au contraire, au regard de la nécessité du
comportement accompli 610 et/ou du fait qu’il se révèle, in fine, juste, la nécessité de la répression
devient douteuse. Il est alors possible de considérer que la justification opère en négatif sur
l’élément antijuridique, faisant obstacle à la qualification judiciaire des faits. Les effets sont
plus larges qu’une simple absence de responsabilité. Le comportement ne peut être pénalement
qualifié parce que l’infraction n’est pas caractérisée faute d’être antijuridique.

399. Une admission limitée des faits justificatifs extra-légaux – Faut-il alors admettre
comme en Allemagne que tout comportement nécessaire ou juste à raison de la pesée des intérêts
en présence puisse être justifié, même en l’absence de texte ? L’un des apports fondamentaux de
l’antijuridicité est de permettre d’expliquer le mécanisme de la justification, mais également de
permettre l’admission de faits justificatifs extra-légaux. Une réponse mitigée à la question posée
s’impose. Tout comme les autres éléments, la caractérisation de l’élément antijuridique relève
de l’appréciation du juge. Or, l’infraction nécessaire est sans doute un indice fort de l’absence
de nécessité de la répression et, donc, de disparition de l’injuste. Les récents débats autour de
la légitime défense 611 donnent en outre à la problématique une résonance particulière, débats
auxquels s’ajoute un arrêt récent de la Cour de cassation à l’occasion duquel il a été jugé qu’à
raison des circonstances (agissements s’inscrivant dans le cadre d’une enquête sérieuse, destinée
à servir un débat d’intérêt général), des faits d’escroquerie ne pouvaient être sanctionnés. En
l’espèce, elle opère clairement une pondération d’intérêts puisqu’elle estime que la sanction

609. Loi du 29 juil. 1881, art. 35.


610. Pour une proposition de prise en compte de l’infraction nécessaire dans la justification, v. X. Pin,
« L’infraction juste » in Mélanges en l’honneur du Professeur J.-H. Robert, op. cit.
611. V. C. Fleuriot, « Femmes battues : « il ne faut pas créer un régime de légitime défense différée », D.
actualité 2016, ainsi que le projet de loi relatif à la sécurité publique adopté en première lecture au Sénat le 24
janvier 2017 traitant notamment de l’usage des armes par les policiers.

364
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

constituerait « une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression » 612 .


Malgré cette décision, il faut souligner qu’en principe, la conception légaliste française
devrait imposer que l’appréciation négative de l’élément antijuridique soit encadrée par la loi.
Les textes d’incriminations s’imposent au juge et si la pondération d’intérêts et la stricte nécessité
du comportement peuvent être un indice d’une absence de nécessité de la répression 613 , cet
indice doit – toujours en principe – être entériné et conforté par la loi. La marge de manœuvre
que s’accorde le juge en la matière est conforme à la conception matérielle de l’antijuridicité.
Mais elle devrait rester encadrée afin que l’appréciation de l’antijuridicité ne devienne pas une
source d’arbitraire, privant au reste d’intérêt le strict encadrement des faits justificatifs légaux.
Cette problématique rejoint par ailleurs la problématique récurrente relative au consente-
ment. Une atteinte à l’intégrité physique peut être justifiée par le consentement de la victime en
matière de sport de combat, d’opérations chirurgicales, de pratiques sadomasochistes 614 , etc.
Pourtant, le consentement ne peut être rattaché dans ces hypothèses à aucun fait justificatif
général prévu par la loi 615 . Si la conception légaliste française ne peut expliquer parfaitement
ici l’absence de répression, la théorie allemande, elle, le peut 616 . La nécessité de protection du
bien juridique disparaît avec le consentement de la personne 617 . Il y est donc un fait justificatif
lorsque le bien juridique protégé par l’incrimination en cause est un bien disponible 618 . Le
principe connaît toutefois certaines limites tenant aux droits fondamentaux et à la notion de
bonnes mœurs 619 .
Il semble difficile aujourd’hui d’occulter le caractère justificatif que peut avoir en certaines

612. Cass. crim., 26 oct. 2016, Bull. crim., no 15-83.774, à paraître ; RSC 2016, p. 767, obs. H. Matsopoulou ;
Légipresse 2017, comm. no 346, note H. Leclerc.
613. La nécessité pourrait s’apprécier notamment au regard de l’urgence : X. Pin, « L’infraction juste » in
Mélanges en l’honneur du Professeur J.-H. Robert, op. cit.
614. L’arrêt du 17 février 2005 rendu par la CEDH consacre le droit d’entretenir des relations sexuelles même
violentes. En l’espèce, la victime avait cessé de consentir, ce qui justifiait, outre l’extrême violence des faits,
la condamnation. CEDH, 17 fév. 2005, Bull. crim., no 42758/98 et 45558/99 ; RTD civ. 2005, p. 341, obs. J.-
P. Marguénaud. Adde : M. Fabre-Magnan, « Le sadisme n’est pas un droit de l’homme », D. 2005, p. 2973,
et X. Pin, « Le consentement à la lésion de soi-même en droit pénal, Vers la reconnaissance d’un fait justificatif ? »,
Droits 2009, p. 83.
615. Encore qu’il soit dans certains cas possible de le rattacher à l’autorisation de la loi. X. Pin, Le consentement
en matière pénale, th. préc., p. 230, no 261 : le consentement justificatif « est une modalité particulière de la
justification par autorisation de la loi, au sens de l’article 121-4 ». Mais, dans le cas des pratiques sadomasochistes,
il faudra alors voir dans la liberté sexuelle (qui au demeurant n’est pas formellement consacrée) une autorisation
légale, ce qui est pour le moins artificiel.
616. J.-H. Robert, Droit pénal général, op. cit., p. 251.
617. Ibid., p. 279.
618. X. Pin, « La théorie du consentement de la victime en droit pénal allemand », art. préc.
619. Ibid. Selon Monsieur Pin, le critère du raisonnable devrait conduire à réprimer les comportements choquants
pour le plus grand nombre, avec en outre une ultime limite objective tenant à la dignité humaine. Du même auteur,
« L’infraction juste » in Mélanges en l’honneur du Professeur J.-H. Robert, op. cit. Dans les faits ayant donnés lieu
à l’arrêt K.A. et A.D. c/ Belgique, la condamnation serait donc justifiée également au regard de l’extrême gravité
des atteintes subies par la victime.

365
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

hypothèses le consentement 620 . La Cour de cassation s’octroie un pouvoir de plus en plus


large dans l’appréciation de la nécessité de la répression, notamment sous l’influence de la
Cour européenne des Droits de l’Homme. Il a été remarqué que cette dernière n’impose
« pas seulement au juge pénal un contrôle de légalité consistant à vérifier la conformité d’une
incrimination aux principes européens, mais également un contrôle de nécessité consistant à
vérifier la proportionnalité d’une condamnation pénale au regard des droits consacrés par la
Convention. Dans cette perspective, la Convention européenne des droits de l’homme parti-
cipe au renouvellement des causes de justification. Au côté des faits justificatifs internes et
traditionnels, apparaissent des causes de justification qui consistent à apprécier, en fonction
de critères pragmatiques, la proportionnalité entre une condamnation pénale et le respect d’un
droit fondamental : liberté d’expression ; droit au procès équitable... » 621 Cet élargissement va
sans doute dans le sens d’une prise en compte de l’antijuridicité dans sa dimension matérielle
et est, à ce titre, à approuver. Encore reste-t-il quelques incohérences. Par exemple, comment
expliquer que le caractère involontaire du résultat obtenu puisse être de nature à faire obstacle
à l’admission de la légitime défense ? Si le raisonnement opère par pondération d’intérêts (et
rien ne justifierait que les faits justificatifs légaux soient soumis à une autre approche, d’autant
que la loi ne fait pas de l’intention du résultat une condition de la légitime défense), la seule
intention du comportement intéresse, peu importe que le résultat finalement obtenu ait dépassé
les prévisions de l’agent 622 .
Quoiqu’il en soit, il est certain que la mise en balance des intérêts peut être un indice
fort de l’absence de nécessité de la répression et doit, dans une certaine mesure pouvoir être
pris en compte par le juge, même sans texte 623 . Tel serait le cas lorsque l’intérêt atteint par le

620. Monsieur Pin relève à ce tire que les auteurs s’opposant à l’admission du consentement comme fait justificatif
doivent admettre « un nombre grandissant d’atténuations ou d’exceptions ». X. Pin, « Le consentement à la lésion
de soi-même en droit pénal », art. préc.
621. J.-C. Saint-Pau, « L’enregistrement clandestin d’une conversation », art. préc. Comp. plus spécialement sur
l’effet justificatif de l’art. 10 de la CEDH, du même auteur, « Obs. sous Cass. crim., 12 juin 2007 et CEDH, 7 juin
2007 », RPDP 2008, no 116.
622. La doctrine critique assez majoritairement la solution jurisprudentielle voulant que le résultat ait été voulu.
V. not. J. Pradel, Principes de droit criminel, op. cit., p. 200, no 222 ; J.-H. Robert, Droit pénal général, op. cit.,
p. 269-270. À ce sujet, un arrêt récent peut être perçu comme un assouplissement, la Cour de cassation ayant affirmé
que la légitime défense pouvait être retenue dès lors « qu’il n’existait pas de disproportion entre l’agression et les
moyens de défense employés, peu important à cet égard le résultat de l’action ». Cass. crim., 17 janv. 2017, no 15-
86.481, à paraître ; D. actualité 2017, obs. C. Benelli-de Bénazé. Dans cette espèce, un homme c’était défendu
en parant les coups de son adversaire, provoquant sa chute. Or, celle-ci avait eu pour conséquence la tétraplégie de
l’agresseur. L’arrêt ne consacre pas (loin de là) l’admission de la légitime défense lorsque l’infraction commise est
finalement involontaire, car dans le cas des violences volontaires, seule l’atteinte à l’intégrité doit avoir été voulue,
sans égard au dommage final. Toutefois, il apparaît clairement qu’ici le dommage avait très largement dépassé les
prévisions de l’agent, dont il n’était même pas certain qu’il est eu l’intention de porter un coup à son adversaire.
Par ailleurs, la généralité de l’attendu selon lequel le résultat de l’action importe peu mérite d’être relevé.
623. En faveur d’une admission très large du consentement comme fait justificatif, v. toutefois R. Doublier,
« Le consentement de la victime » in Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal, sous la dir. de G. Stefani,
Dalloz, 1956, p. 188. Selon lui, il serait souhaitable qu’ « une conciliation intervienne qui, laissant à l’État ses

366
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

comportement est disponible et lorsque l’atteinte reste de faible gravité. La préservation des
libertés individuelles impose dans une certaine mesure cette solution et une stricte appréciation
des intérêts en présence est de nature à permettre l’établissement d’un équilibre. Mais cette
prise en compte ne peut être totalement libre, sauf à ouvrir la porte à l’arbitraire 624 . Le
droit allemand encadre d’ailleurs l’admission des faits justificatifs extra-légaux. Le légalisme
français pèche sans doute parfois par sa rigidité, mais il est aussi le gage d’une certaine égalité
de traitement qu’est de nature à mettre à mal le développement des faits justificatifs extra-
légaux. L’antijuridicité dans sa dimension matérielle donne un fondement et une justification
à l’impossibilité de qualifier le comportement en présence d’un fait justificatif, mais il n’est
pas certain qu’une admission large des causes de justifications ultra legem soit véritablement
souhaitable. Ici comme ailleurs un équilibre doit être trouvé par l’enrichissement des deux
conceptions, ce qui n’emporte pas forcément l’abandon total de notre approche légaliste.

* *
*

400. Conclusion du Chapitre 2 – Second angle d’analyse permettant la qualification des


faits d’un point de vue objectif, l’élément antijuridique conduit à apprécier les conséquences
du comportement et, plus particulièrement, son caractère attentatoire. Inspiré de l’analyse
allemande, cet élément aurait pu avoir pour donnée principale le résultat légal de l’infraction.
L’antijuridicité aurait alors variée entre un premier degré de mise en danger et un second degré
de lésion, selon le résultat légal fixé par le législateur. Cette approche n’a toutefois pas été celle
suivie pour deux raisons. La première tient au caractère difficilement réductible des infractions
formelles à des infractions de mise en danger. La seconde tient au caractère peu praticable
de la notion de mise en danger comme seuil minimal de l’antijuridicité. Subjective, elle ne
permet ni d’encadrer suffisamment la répression, ni de résoudre toutes les difficultés relatives
à la consommation de certaines infractions formelles. C’est donc à partir du résultat redouté
par le législateur qu’il a été proposé de raisonner. Ce résultat est une constante en matière
d’incrimination, bien que sa vérification par le juge ne soit pas toujours requise. Il demeure
malgré tout déterminant, parce que textuellement, le comportement doit tendre à sa réalisation.
Formellement exigé pour les infractions matérielles, il conduit à s’intéresser au pouvoir causal
du comportement dans le cas des infractions formelles. Le recours à la causalité présente

pouvoirs d’action, restitue à l’individu, dans toute la mesure du possible, la responsabilité des décisions qu’il a
volontairement prises ».
624. Remarquant qu’à « un jugement légal abstrait opéré a priori se substitue donc un jugement de valeur prétorien
concret réalisé a posteriori », Monsieur Saint-Pau s’interroge en ses termes : « Plus flexible, le droit pénal restera-t-
il cependant prévisible ? » J.-C. Saint-Pau, « Obs. sous Cass. crim., 12 juin 2007 et CEDH, 7 juin 2007 », art. préc.

367
Titre I. Les éléments objectifs de l’infraction

ici l’avantage de permettre de déterminer plus finement le moment de consommation de ces


infractions. Seules les infractions obstacles, qu’elles soient déterminées ou indéterminées, sont
structurellement indifférentes au résultat redouté et n’entretiennent pas de pouvoir causal avec lui.
Attentatoires aux libertés individuelles, ses incriminations apparaissent de nécessité douteuse
au regard des conséquences du comportement. L’élément antijuridique permet ici de mettre en
lumière l’anormalité de ces incriminations, qui ne répondent pas totalement aux principes de la
matière. L’absence de caractère attentatoire ne suffit certes pas à remettre en cause leur nécessité,
mais il devrait être compensé par un degré supérieur de gravité du comportement, ce qui n’est
pas toujours le cas. Les infractions formalistes en donnent d’ailleurs un exemple topique. En
réalité, ces incriminations présentent des éléments constitutifs atrophiés, aussi bien d’ailleurs
du point de vue objectif que subjectif.

* *
*

401. Conclusion du Titre 1 – Dans sa dimension objective, l’infraction est composée de


deux éléments complémentaires tenant à la matérialité et l’antijuridicité. Leur proximité conduit
à certaines difficultés de délimitation de chacun, mais il a été possible d’identifier pour chaque
élément une donnée principale et fondamentale, ainsi que des circonstances l’accompagnant.
À titre principal, l’élément matériel est composé du fait marquant l’achèvement de l’exécu-
tion de l’infraction. La caractérisation de ce fait pourra nécessiter un exercice de reconstruction
par le juge, expliquant la possible prise en compte de différentes données pour le caractériser. Son
étude a été l’occasion de revenir sur les variations qu’il est susceptible de connaître, notamment
dans son intensité. Quant aux circonstances l’accompagnant, elles sont diverses. Les textes
contiennent parfois une multitude de précisions relatives au cadre, à la qualité de l’agent, ou
encore au moyen employé 625 . Dès lors qu’elles sont mentionnées dans les textes d’incrimination,
leur vérification sera indispensable, conformément au principe de légalité.
Quant à l’élément antijuridique, c’est une approche concrète qui a été choisie. Il s’agit pour
le juge d’apprécier le comportement au regard de ses suites, afin de parfaire la qualification.
L’identification de la donnée principale a toutefois soulevé certaines difficultés. Les différences
de conception entre la France et l’Allemagne ne rendent pas possible une transposition parfaite
qui, par ailleurs, n’est pas forcément souhaitable. Parmi les différents résultats identifiés par la
doctrine, c’est le résultat redouté qui a été retenu. Plus objectif que la notion de mise en danger,

625. Celui-ci n’est qu’une circonstance constitutive lorsqu’il ne constitue pas le fait principal. Dans ce dernier cas,
il est la donnée principale de l’élément, comme dans l’hypothèse des fausses infractions complexes.

368
Chapitre 2. L’élément antijuridique de l’infraction

il permet de fixer de manière plus stricte le seuil théorique de l’illicéité du comportement. Ce


résultat a permis d’insister sur l’anomalie structurelle des infractions obstacles, éloignées à la
fois temporellement et causalement du résultat redouté.
Les deux éléments objectifs de l’infraction ayant été envisagés, il faut désormais s’attacher
à l’étude de l’infraction sous son angle subjectif.

369
Titre II

L’élément subjectif de l’infraction

402. Une problématique empiétant sur les contours de la responsabilité – Les problé-
matiques soulevées par la dimension subjective de l’infraction sont nombreuses, notamment en
raison du caractère ambigu de l’élément moral. La volonté étant celle de l’agent, la doctrine
a longtemps été hésitante quant à son rattachement parfait à l’infraction. Si nous avons pu
voir que ce rattachement s’imposait dès lors que l’infraction ne peut être qu’un comportement
volontaire 1 , une difficulté demeure. Elle est relative aux contours de l’infraction et à la place
des conditions d’imputabilité dans le schéma de la responsabilité pénale. La problématique
dépasse le strict cadre de la première pour empiéter sur le lien qu’elle entretient avec la
seconde. En effet, dans l’approche majoritaire certaines données subjectives sont détachées de
l’infraction pour dépendre directement de sa conséquence. Analyser de l’infraction sous son
angle subjectif implique par conséquent une approche plus large, qui intègre les problématiques
liées au lien entre infraction et responsabilité. Non seulement la détermination de la structure de
l’infraction en dépend, mais encore la conception retenue de l’élément moral éclaire la notion
de responsabilité pénale.

403. Imputabilité et élément psychologique – À l’heure actuelle, la doctrine majoritaire


considère les conditions d’imputation comme des conditions extérieures à l’infraction. À ce
titre, elles conditionneraient directement la responsabilité et non son fait générateur. Les
conséquences de cette approche sont importantes quant à la notion d’infraction, et notamment
pour l’élément moral qui se trouve réduit à la portion congrue. Pour cette raison – entre
autres – le rattachement des conditions d’imputabilité à la responsabilité plutôt qu’à l’infraction
est discutable. Certes, il repose sur un courant jurisprudentiel ayant permis la répression de
comportements commis par des personnes pour lesquelles ces conditions n’étaient pas vérifiées,

1. V. supra, nos 220 et s.

371
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

mais il n’en demeure pas moins qu’il conduit à se contenter d’une approche très abstraite de
la volonté et, par suite, à priver d’effectivité sa vérification lors de la qualification judiciaire.
Les conditions d’imputabilité ne pouvant pas, selon nous, être détachées de l’appréciation de la
volonté, il apparaît plus opportun de réunir au sein de l’infraction les données psychologiques,
dans un élément qui en porte le nom. C’est par conséquent une approche large de la dimension
subjective de l’infraction qui sera proposée, approche dans laquelle toutes les données liées à la
psychologie de l’agent se trouvent réunies au sein de l’élément psychologique 2 .
Cette conception de l’élément psychologique entraîne deux conséquences majeures. La
première est de rattacher les causes subjectives d’irresponsabilité directement à l’infraction :
elles sont des obstacles à la qualification pénale des faits. La seconde est de priver la respon-
sabilité de toute condition propre, hormis l’infraction. Celle-ci est son principal fait générateur
et lorsqu’elle est caractérisée, la réponse pénale présente une certaine automaticité. Est-ce alors
à dire que les deux notions seraient confondues ? Ce n’est pas certain, car si la responsabilité
est la conséquence immédiate de la qualification pénale des faits, elle est aussi la conséquence
d’autres actes pénalement répréhensibles. La réunification des conditions psychologiques au sein
de l’infraction a donc des conséquences importantes sur la perception de la responsabilité, mais
elle n’entraîne pas pour autant une confusion des notions.
L’on voit donc que l’analyse de l’infraction sous son angle subjectif conduit dans un premier
temps à s’attacher à la composition de l’élément psychologique (Chapitre 1), puis, dans un
second temps, à s’attarder sur les conséquences de la réunion des données psychologiques dans
la structure infractionnelle (Chapitre 2).

2. La terminologie d’élément psychologique sera retenue pour cette raison, car plus large que celle d’élément
moral et plus à même de recouvrir l’ensemble des données psychologiques.

372
Chapitre 1

L’élément psychologique de l’infraction

404. Un élément complexe – L’élément psychologique est sans aucun doute le plus diffi-
cile à appréhender des éléments, mais aussi le plus fondamental. Le plus difficile à appréhender,
d’abord, en raison du fait que son étude théorique en France est tardive 3 , malgré sa grande com-
plexité. Il fait appel à différents concepts, particulièrement malaisés à délimiter théoriquement et
à définir. Les terminologies varient d’un auteur à l’autre, de même que la consistance précise de
l’élément. Le plus fondamental, ensuite, parce que cet élément, témoigne à la fois « de l’option
d’un système répressif » 4 et permet à la fois de parfaire la qualification judiciaire des faits.
On sait qu’un même fait matériel et antijuridique peut aboutir à de multiples qualifications. La
volonté de l’agent sera alors déterminante dans le choix définitif. C’est en ce sens que l’élément
psychologique guide et achève celle-ci 5 .

405. Un élément composite – Dans son contenu, l’élément psychologique de l’infraction


conduit à apprécier la volonté de l’auteur des faits parce qu’elle est, en un sens, la mesure de
sa culpabilité. Cette exigence de volonté ne soulève pas réellement de problème, bien qu’elle
appelle certaines précisions, notamment quant aux différents degrés pouvant être exigés selon les
incriminations. Mais ce qui importe plus particulièrement, c’est de parvenir à déterminer ce que
l’on entend lorsque l’on affirme que le comportement doit être apprécié sous un angle subjectif
pour pouvoir être qualifié. L’analyse de l’infraction sous cet angle appelle-t-elle simplement une
analyse abstraite de la volonté ayant sous-tendue le comportement, ou conduit-elle à s’intéresser
à la perception qu’a eu l’agent de son acte, celle-ci devant correspondre à la perception décelable
dans le texte ou qui découle logiquement de l’analyse du comportement décrit dans ce dernier ?

3. Les ouvrages de l’Ancien droit ne contiennent pas d’analyse approfondie de la volonté exigée.
4. B. Mercadal, « Recherche sur l’intention en droit pénal », art. préc., s’agissant plus particulièrement de
l’importance de l’intention dans le système répressif. L’auteur précise qu’elle « est sa coloration, l’expression de
son éthique » et « permet de mesurer son degré de sévérité ».
5. A. Demichel, « Le droit pénal en marche arrière », D. 1995, p. 213 : « Il semble que cet élément puisse être
le lien qui existe entre la volonté de l’auteur d’un acte et la nocivité de cet acte, qui constitue en quelque sorte le
vécu subjectif de l’élément matériel et qui permet de passer de cet élément matériel à la qualification légale. »

373
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

L’on devine déjà que c’est cette seconde approche qui sera privilégiée parce qu’elle seule donne à
la définition de l’infraction comme comportement humain tout son sens. Il s’ensuit que l’analyse
de l’infraction sous son angle subjectif imposera différentes vérifications, et qu’à la volonté,
composante décisive de l’élément psychologique (Section 1), s’ajouteront les circonstances
l’accompagnant (Section 2), et dont l’existence est tout aussi fondamentale à la qualification
pénale du comportement.

Section 1 – La volonté, composante décisive de l’élément psychologique

406. Volonté et caractérisation de la volonté – Lorsque l’on s’intéresse à l’élément moral,


la première condition qui vient à l’esprit est sans doute celle relative au dol général, soit la
volonté d’accomplir l’infraction telle qu’incriminée 6 . Ce dernier n’est pourtant pas la donnée
principale de l’élément psychologique, et ce pour deux raisons. La première tient au fait que le
dol, classiquement opposé à la faute, est une particularité des seules infractions intentionnelles.
Malgré son nom, il n’a donc pas d’aspect général et systématique. La seconde tient à la définition
du dol général qui est entièrement dirigée vers la violation de la loi. Héritage de la conception
légaliste française de l’infraction, cette définition est relativement théorique et artificielle. Si elle
recèle une part considérable d’indications quant aux données intégrant l’élément psychologique,
ce n’est pas à partir d’elle qu’il sera possible d’en déterminer la donnée principale. C’est au
contraire à partir de l’exigence minimale commune à toutes les infractions que sera précisée
la teneur de cet élément : l’exigence d’un comportement volontaire. La volonté apparaît donc
comme la donnée principale de l’élément psychologique, donnée qui connaît des variations
dans son intensité selon les exigences légales. Reste que si elle est primordiale, immatérielle et
abstraite, sa vérification peut poser problème. En la matière, les juges auront souvent recours
à des déductions et des présomptions. Une telle tendance n’apparaît pas fondamentalement
choquante au regard de l’intégrité de l’infraction et de la conception proposée des éléments
dès lors, du moins, qu’elle n’emporte ni une dispense totale d’analyse du comportement sous
son angle subjectif, ni une modification de la nature de l’infraction.
À l’étude de la volonté, constante en matière infractionnelle (I), suivra celle de sa caractéri-
sation (II).

6. V. infra, no 408.

374
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

§ 1. L’exigence constante de la volonté

407. Volonté et variations de la volonté – L’identification de la donnée principale peut


poser problème en raison de la très grande diversité des incriminations et des éléments psy-
chologiques correspondants. La volonté exigée varie en effet sensiblement selon les différents
textes et la nature précise des infractions considérées. Toutefois, dès lors que l’on fait abstraction
de l’opposition traditionnelle entre la culpa et le dolus, une systématisation apparaît possible
autour de l’exigence générale de volonté. Constante en matière infractionnelle, elle connaît
simplement des variations dans son intensité. Il n’apparaît donc pas opportun de raisonner à
partir de l’opposition traditionnelle qui est un obstacle à la systématisation (A). Il suffit de
constater que la volonté est toujours exigée et est susceptible de varier selon les exigences
légales (B). L’analyse du comportement sous son angle subjectif réside donc avant tout dans
l’appréciation de la volonté et de son intensité.

A. L’opposition culpa et dolus, obstacle à la systématisation

408. De la faute et du dol – Historiquement, l’étude de la dimension subjective de


l’infraction s’organisait autour d’une opposition fondamentale entre les infractions involontaires
caractérisées par une faute (culpa) et les infractions volontaires caractérisées par un dol.
L’opposition est ancienne. Elle était déjà exposée par Muyart de Vouglans qui distinguait
les infractions commises dans le dessein de nuire, de celles commises sans un tel dessein 7 .
L’exigence de la complémentarité entre le fait et la volonté se traduisait concrètement soit par
la nécessité d’un comportement fautif, soit par celle d’un comportement dolosif, c’est-à-dire
accompli avec une intention malveillante. La faute y apparaissait donc comme le degré le plus
faible de l’élément psychologique.
Toutefois, l’opposition ne permet pas de préciser efficacement la teneur de l’élément
psychologique pour deux raisons. La première tient à l’ambivalence de la terminologie de
faute. En effet, la faute peut être considérée comme une notion tout à fait générale sous-tendant
l’élément psychologique dans son ensemble 8 , mais l’affirmation ne peut suffire dès lors qu’ « en
réalité il y a faute toutes les fois que nous avons failli à un devoir, que ce soit sans intention ou, à
plus forte raison, avec intention d’y faillir, et c’est précisément ce que nous exprimons dans notre

7. P.-F. Muyart de Vouglans, Institutes au droit criminel, op. cit., p. 6. Cette présentation est directement
héritée du droit romain et se retrouve dans le Digeste. V. J. Ortolan, Explication historique des Instituts de
l’empereur Justinien, 8ème éd., t. 3, Henri Plon, 1870, p. 354, no 1635.
8. Ainsi, il est possible de considérer que cet élément est systématiquement constitué par une faute. En ce
sens, G. Levasseur, « Étude de l’élément moral de l’infraction » in Confrontation de la théorie générale de la
responsabilité pénale avec les données de la criminologie, Travaux du colloque de science criminelle, Toulouse,
op. cit.

375
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

langue française, où nous avons consacré comme termes techniques, en droit pénal et pour tous
les cas, les mots coupable, culpabilité, sans distinguer s’il s’agit de délits non intentionnels ou de
délits intentionnels. » 9 . En outre, la notion de faute en droit pénal est floue. Parce que certaines
infractions non intentionnelles se définissent essentiellement par elle, elle intègre parfois dans
le langage des juristes des considérations matérielles et intellectuelles.
La seconde raison qui justifie de ne pas partir de cette opposition est qu’elle repose
sur une définition particulière du premier qui n’est pas totalement convaincante. L’opposition
culpa/dolus tient en grande partie au fait que les infractions intentionnelles, à l’inverse de celles
commises par imprudence, sont des comportements accomplis avec la volonté de violer la loi.
Le dol n’est plus défini de manière générale comme une intention de nuire, comme il pouvait
l’être chez Muyart de Vouglans. Il est, communément, une violation volontaire de la loi. Si
l’on s’en tient à la définition la plus courante qui est celle de Garçon, le dol général consiste
« à savoir que l’acte qu’on va commettre est défendu et à vouloir cependant le commettre » 10 .
L’on voit alors l’importance toute particulière que prend la violation voulue de la loi : la volonté
du comportement accompli n’est appréhendée que par la volonté d’accomplir le comportement
sanctionné. C’est cette volonté qui était décisive pour Garraud 11 et elle le reste dans la plupart
des définitions proposées dans les ouvrages. Ainsi, pour Messieurs Conte et Maistre du
Chambon, le dol général renvoie à la volonté tendue vers la violation de la loi pénale 12 . Pour
Monsieur Pradel il tient à la connaissance de l’interdit et à la volonté de le transgresser malgré
tout 13 . Et de manière similaire, Monsieur Pin y voit « l’intention de violer la loi pénale ou
d’enfreindre l’interdit pénal » 14 .

409. Le double artifice du dol général – Deux critiques peuvent être faites à cette
approche. La première tient à l’artifice sur lequel elle repose. Car finalement, la volonté de
violer la loi est fondamentalement indifférente à la qualification du comportement. Sans doute,
la connaissance de la loi est-elle importante. Toutefois, celle-ci est présumée 15 et la présomption
est particulièrement difficile à renverser 16 . Au demeurant, il est quelque peu abstrait et artificiel

9. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 151, no 381.


10. E. Garçon, Code pénal annoté, op. cit., t. 1, note ss art. 1, p. 8, no 81. Cette définition est régulièrement
reprise dans les manuels. V. entres autres B. Bouloc, Droit pénal général, op. cit., p. 251, no 280.
11. En ce sens, R. Griffon, De l’intention en droit pénal, th. préc., p. 82. Garraud écrit en effet, à propos plus
généralement de l’intention, qu’elle « consiste [...] dans la conscience, chez l’agent, qu’il accomplit l’acte comme
délit ». R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 182, no 80.
12. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 217, no 380.
13. J. Pradel, Droit pénal général, op. cit., p. 454, no 554.
14. X. Pin, Droit pénal général, op. cit., p. 181, no 187. V. égal. Y. Mayaud, « La volonté à la lumière du
nouveau code pénal » in Mélanges en l’honneur du Professeur Jean Larguier, Presses Universitaires de Grenoble,
1993, p. 203, pour qui le dol général consiste en une « adhésion » à l’acte.
15. Certains auteurs voient d’ailleurs dans la connaissance de la loi davantage une fiction qu’une présomption.
C. Hardouin-Le Goff, « Les fictions légales en droit pénal », Dr. pén. 2009, étude, p. 1.
16. Il s’agit dans ce cas de prouver une erreur de droit, selon les conditions de l’article 122-3.

376
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

de concevoir la volonté exigée au titre du dol général comme une volonté de violer la loi, au
détriment d’une volonté dirigée vers le comportement accompli. Si celle-ci existe, elle n’a
pas réellement à être vérifiée par le juge et est, quoi qu’il en soit, impliquée nécessairement
par l’adjonction de la présomption de connaissance de la loi et la vérification du caractère
volontaire de l’acte. Elle n’est que d’une importance pratique – et théorique 17 – très accessoire.
Le problème du caractère artificiel du dol général vient en partie de cette approche légaliste dont
il est pourtant possible de s’affranchir. La caractérisation de l’infraction présuppose, certes, une
connaissance de la loi (il s’agit là du reflet du principe de légalité sur l’élément psychologique de
l’infraction), mais la volonté ne sera que dans certains cas une simple volonté de violer celle-ci.
Cette hypothèse se rencontre essentiellement pour les infractions techniques de simple violation
d’une obligation légale ou réglementaire 18 . Mais de manière générale, et au regard de l’exercice
de qualification, la volonté de violer la loi n’est pas effectivement prise en compte et elle n’a pas
d’importance significative. D’ailleurs, Messieurs Merle et Vitu, écrivaient que la définition du
dol général donnée par Garçon ne pouvait être comprise que comme impliquant « un rapport de
concordance entre les faits tels que les a compris l’agent et les faits décrits par la loi » 19 , l’agent
étant moralement coupable « lorsque les actes matériels dont il a conscience coïncident avec ceux
qui sont pénalement incriminés » 20 . C’est en réalité la volonté de commettre l’acte, et, selon les
infractions, la volonté tendue vers l’obtention du résultat, qui est véritablement déterminante, tant
du point de vue théorique que pratique 21 . C’est cette volonté qui constitue la donnée principale
des infractions intentionnelles parce que c’est elle qui conditionne la qualification et permet de
la parfaire. La connaissance de la loi est davantage une circonstance qui accompagne la volonté
de l’acte. Si elle participe bien de l’existence de l’infraction, elle ne relève pas à proprement
parler de la volonté 22 .
La seconde critique – qui était déjà sous-jacente à la première – tient quant à elle à l’artifice
auquel conduit la définition. Car la violation volontaire de la loi n’a jamais à être vérifiée. La
présomption de connaissance de la loi conduit finalement, au regard de la définition proposée, à

17. Elle permet toutefois d’expliquer l’ampleur et l’étendue de la volonté. Dès lors que l’agent doit avoir voulu
accomplir le comportement tel qu’il est décrit dans les textes, il doit avoir eu connaissance de toutes les circonstances
prévues par le texte au moment de l’accomplissement des faits. V. infra, no 436.
18. Il s’observe alors une atrophie discutable de l’élément psychologique car la connaissance de la loi étant
présumée, la violation sera, par extension, regardée comme volontaire. V. infra, no 433.
19. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 730, no 580. Comp. R. Merle, « La culpabilité
devant les sciences humaines et sociales, Rapport de synthèse présenté au Colloque international du cinquantenaire
de l’Institut de criminologie et de sciences pénales de Toulouse », RSC 1976, p. 29.
20. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 730, no 580.
21. Au soutien de cette position, il est possible de renvoyer à l’étude de Monsieur Hosni consacrée à l’erreur
de droit et qui explique qu’en Allemagne, d’après la théorie dite de la culpabilité, « la place systématique de
la connaissance de la loi n’est nullement au sein de l’intention criminelle. Cette intention se contente d’une
connaissance des faits constitutifs de l’infraction et d’une volonté dirigées vers ces faits. C’est alors « une intention
de fait ». N. Hosni, « L’erreur de droit et son influence sur la responsabilité pénale », RSC 1999, p. 711.
22. Une partie de la doctrine allemande adopte un raisonnement relativement similaire. Ibid.

377
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

s’affranchir de toute vérification positive. Par le constat du fait qu’un individu a agi, présomption
faite de la connaissance de la loi, l’infraction est du même coup caractérisée objectivement et
subjectivement, l’accent n’étant pas concrètement mis sur la volonté du comportement. Le dol
général n’appelle donc pas de constatation particulière et la culpabilité de l’agent ne dépend que
de données présumées 23 : l’imputabilité de l’acte et la connaissance de la loi 24 .
Aussi ne peut-on que rejoindre Monsieur Dana lorsqu’il constatait qu’« ainsi perçue,
l’intention perd nécessairement toute spécificité. Elle ne rend plus compte de telle ou telle forme
de culpabilité. Elle répond de la définition même de la notion d’infraction, située dans un système
légaliste. » 25 Le concept de dol général n’est en effet pas utile en l’état et c’est donc à partir du
degré minimum exigé en matière infractionnelle qu’il nous faut raisonner.

410. Imputabilité et volonté, constantes en matière infractionnelle – En réalité, en


matière infractionnelle, il existe deux constantes d’ordre intellectuel. La première tient à l’impu-
tabilité, ou plus précisément aux données qui la conditionnent, la seconde tient à la volonté. La
responsabilité pénale ne se conçoit pas si l’agent ayant commis les faits ne possédait pas certaines
qualités psychologiques. Il s’agit là des conditions d’imputabilité de l’infraction. Par ailleurs,
tout comportement pénal, en application du principe de complémentarité, présente forcément
une donnée morale qui ne saurait se réduire aux seules capacités psychiques de l’agent 26 . Elle
tient, au minimum, au caractère volontaire du comportement accompli 27 , caractère exigé y
compris en matière non intentionnelle 28 . Aux fins de systématisation, c’est par conséquent

23. Le débat est d’ailleurs ancien : Villey estimait déjà que dans la majorité des cas, l’infraction est constituée
par la seule volonté, entendue comme faculté de vouloir et, donc, limitée à l’imputabilité. La définition de la volonté
faisait l’objet de débats nourris entre les partisans d’une exigence positive (volonté de l’acte au minimum) et les
auteurs cantonnant l’exigence de volonté aux conditions d’imputabilité, estimant, en conséquence, que l’infraction
n’est pas constituée que dans des cas d’erreur. Les échanges entre Villey et Le Sellier à La France judiciaire
illustrent parfaitement les oppositions en la matière. V. E. Villey, « De l’intention en matière pénale », art. préc.,
et du même auteur, « De l’intention, de l’ignorance, de l’erreur et de la bonne foi en matière pénale », art. préc., et
A.-F. Le Seyllier, « De l’intention en matière pénale », La France judiciaire 1876, p. 111. V. égal. A. Gilardin,
Étude philosophique sur le droit de punir, op. cit., p. 86, qui s’interrogeait en ces termes : « Qu’est-ce donc que
cette révérendissime sentence des légistes, que tout délit se compose nécessairement du fait et de l’intention ? Un
piège la plupart du temps. » Selon lui, toutes les infractions ne nécessitent pas de vérifier une intention, la violation
consciente de la loi, présumée, étant suffisante.
24. En ce sens, C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 462, no 466. Comp. R. Legros,
L’élément moral dans les infractions, 1952, Recueil Sirey, p. 142, no 166 : « En réalité, dans la doctrine classique
la notion d’intention a été vidée de son contenu. Telle qu’elle est reçue, cette notion n’ajoute rien ; que l’intention
soit requise ou non, le résultat est toujours le même : l’infraction existe dès qu’elle est matériellement réalisée, sauf
à l’auteur de s’en justifier. » Il en conclut que le dol général est une notion « inutile » et « factice ». Ibid., p. 148,
no 174.
25. C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 462, no 466. Monsieur Dana se prononce
en faveur d’une valorisation du dol spécial, détaché de la présomption de connaissance de la loi. Il tiendrait à une
intention de nuire ou de porter atteinte à la valeur protégée. Ibid., p. 475, nos 481 et s.
26. Sous réserve toutefois du problème posé par les contraventions. V. infra, nos 429 et s.
27. J.-M. Thevenon, L’élément objectif et l’élément subjectif de l’infraction, th. préc., p. 88.
28. C’est la raison pour laquelle la distinction ne se fait pas entre les infractions volontaires ou non, mais entre les
infractions intentionnelles ou non. Ibid., p. 69. Garraud l’expliquait déjà, refusant la distinction entre le dol et la

378
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

dans ces deux exigences communes à toutes les infractions qu’il serait possible d’identifier la
donnée principale de l’élément psychologique. Plus précisément, c’est vers la volonté qu’il faut
se tourner, dès lors que l’imputabilité se révèle davantage être un prérequis à la responsabilité. Là
encore, ses conditions ne font pas l’objet d’une vérification effective : présumées, le Ministère
public n’a pas à démontrer leurs existences 29 . Prise dans son ensemble, elle est un contexte psy-
chique préalable et ne peut par conséquent être la donnée principale de l’élément psychologique.
Par contre, la volonté, elle, doit, théoriquement, être toujours vérifiée, y compris en matière
non intentionnelle 30 , et quand bien même son existence pourra se déduire de l’examen des faits.
Sans pour autant être réductible à une simple conscience 31 , la notion conduit fort simplement
à exiger que le comportement soit voulu 32 : il s’agit de la volonté d’accomplissement du fait,
quelque soit sa nature, celle-ci pouvant prendre différentes formes selon le type d’infraction
considéré.

B. Les variations de la volonté

411. Identification des degrés – Si la volonté est une constante, l’élément psychologique,
comme les autres éléments, est dépendant des prévisions légales. Différents degrés de volonté
peuvent donc être exigés selon les incriminations. Il s’agira tout d’abord d’identifier ces
différents degrés (1), avant de s’intéresser au problème particulier posé par la catégorie des
infractions formelles (2).

1. Les degrés de la volonté

412. De la volonté à l’intention – aux termes de l’article 121-3 du Code pénal, la volonté
peut aller d’une faute de simple négligence à une intention 33 . Le premier degré de volonté – en

faute et préférant distinguer dans la faute les cas où celle-ci est intentionnelle des cas où elle est non intentionnelle :
« On comprend par ces explications en quoi consiste la volonté quand elle est opposée à l’intention, et comment la
volonté peut exister là où l’intention fait défaut. ». R. Garraud, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle
et de procédure pénale, op. cit., p. 182, no 80.
29. V. not. G. Levasseur, « Étude de l’élément moral de l’infraction » in Confrontation de la théorie générale de
la responsabilité pénale avec les données de la criminologie, Travaux du colloque de science criminelle, Toulouse,
op. cit. Ceci justifie, pour l’auteur, un transfert des conséquences de l’élément moral au chapitre de la responsabilité.
30. Garraud affirmait déjà : « La faute n’est pas un défaut de volonté, mais un défaut de prévoyance. » R.
Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 182, no 80.
31. Celle-ci dépend de l’imputabilité. En ce sens, Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 236, no 220.
32. En tant que « faculté de déterminer librement ses actes en fonction de motifs rationnels » (Encyclopédie
Larousse, v° volonté. Comp. Dictionnaire de l’Académie française : « Qui se fait sans contrainte, de pure volonté. »),
la volonté apparaît très intimement liée aux conditions d’imputabilité qui tiennent justement traditionnellement aux
capacités intellectuelles de l’agent et, donc, à sa capacité de comprendre et à sa liberté de vouloir (v. infra, no 449).
Ce n’est que par artifice que l’on parvient à dissocier les deux. Toutefois, la liberté peut être perçue comme un
préalable de la volonté, centrée elle sur l’adhésion au fait accompli.
33. Y. Mayaud, « De l’article 121-3 du code pénal à la théorie de la culpabilité en matière criminelle et
délictuelle », D. 1997, chron. p. 37.

379
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

un sens le seuil minimal pouvant aboutir à une responsabilité pénale – tient donc à la faute non
intentionnelle 34 , elle-même connaissant divers degrés 35 . Sous son angle moral, la faute sera
une négligence ou une imprudence 36 , mais qui se traduira forcément dans un comportement
volontaire. En d’autres termes, le fait à l’origine du dommage est toujours voulu, bien que les
conséquences qui en résultent ne l’aient elles pas été. À proprement parler, la volonté n’est
donc une donnée suffisante que pour les infractions non intentionnelles. Pour les autres, elle
devra toujours être d’un degré supérieur, à savoir une intention, qui est plus précisément la
volonté tendue vers un résultat particulier 37 . Elle implique donc à la fois le caractère volontaire
du fait accompli et la recherche d’une conséquence particulière, tenant dans la majeure partie
des cas à l’atteinte 38 . La question peut alors se poser de savoir s’il s’agit d’une intention au
sens propre, ou si une simple conscience du résultat suffit 39 . La volonté de l’acte, associée
à la conscience de la possibilité du résultat, caractérise en réalité un degré intermédiaire de
volonté. Il s’agit alors d’un dol éventuel, caractérisé par l’admission du risque. Mais de manière
générale, c’est une volonté du résultat qui devra être vérifiée pour les infractions intentionnelles.
Pour les infractions matérielles, la solution s’imposerait théoriquement par un parallélisme
entre la dimension objective de l’infraction et sa dimension subjective. L’exigence matérielle du
résultat s’imprime (sauf précision légale) sur l’élément psychologique de l’infraction. Le résultat
peut être abstrait, mais la volonté n’en demeure pas moins, en principe, tendue vers lui. En
pratique, toutefois, les deux peuvent être difficilement différenciables, tant volonté et intention
sont intimement mêlées. Elles le seront tout d’abord pour certaines infractions dans lesquelles

34. Refusant toutefois que l’on puisse faire relever la faute et le dol d’une doctrine commune, L. Jimenez de
Asua, « Les problèmes modernes de la culpabilité » in Mélanges en hommage à Jean Constant, Faculté de droit de
Liège, 1971, p. 147. Rappr. E. Descheemaeker, « La dualité des torts en droit français, Délits, quasi-délits et la
notion de faute », RTD civ. 2010, p. 435.
35. A. Ponseille, « La faute caractérisée en droit pénal », RSC 2003, p. 79.
36. Code pén., art. 121-3. Elle variera entre une faute ordinaire de négligence et une faute délibérée, praeter-
intentionnelle.
37. V. entre autres E. Villey, « De l’intention en matière pénale », art. préc., étant précisé que l’auteur en retient
une approche critique.
38. La recherche d’un résultat particulier est parfois désignée sous le vocable de « dol spécial ». Toutefois, le
concept de dol spécial est fort peu praticable à raison des divergences doctrinales dans sa compréhension. Pour
certains auteurs, il ne tient qu’à la volonté tendue vers le résultat (v. not. I. Moine-Dupuis, « L’intention en droit
pénal : une notion introuvable ? », D. 2001, p. 2144 ; J. Pradel, Droit pénal général, op. cit., p. 458, no 560 :
« Dans le dol général, il y a volonté de l’acte alors que dans le dol spécial, il y a en outre volonté d’un résultat »).
Mais il peut être aussi entendu comme l’exigence d’une intention particulière ou d’un résultat déterminé, en plus du
dol général (v. not. B. Bouloc, Droit pénal général, op. cit., p. 251, no 280 ; M. Benillouche, « La subjectivisation
de l’élément moral de l’infraction, plaidoyer pour une nouvelle théorie de la culpabilité », RSC 2005, p. 529). Pour
d’autres enfin, il tient à l’exigence d’un mobile particulier (X. Pin, Droit pénal général, op. cit., p. 184, no 189 ;
P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 219, no 384, ou Y. Mayaud, Droit pénal
général, op. cit., p. 269, no 253).
39. Le problème a été particulièrement étudié en Allemagne, où différentes théories ont été proposées. Certaines
d’entre elles sont exposées par Monsieur Griffon dans sa thèse, De l’intention en droit pénal, th. préc., p. 27 et s.
V. égal. J.-M. Thevenon, L’élément objectif et l’élément subjectif de l’infraction, th. préc., p. 69 et p. 86 et s., sur
la théorie du risque antérieur consenti.

380
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

le fait et le résultat sont presque confondus. Dans ce cas, il n’y a pas à proprement parler de
vérification d’une volonté tendue vers le résultat. Celle-ci est en un sens impliquée par le carac-
tère volontaire du comportement. En outre, de manière générale il ne s’agit pas véritablement de
deux vérifications consécutives. Par exemple, l’intention de faire mal caractérisant l’infraction
de violences volontaires 40 , présuppose le caractère volontaire des coups portés, de même que les
coups portés volontairement ne se conçoivent pas sans une intention de faire mal. C’est la raison
pour laquelle il serait ici artificiel de concevoir l’intention par une adjonction de deux éléments
de volonté. Elle ne devrait être envisagée que comme un degré de cette dernière. L’idée selon
laquelle le dol spécial – entendu comme une intention particulière – viendrait s’ajouter au dol
général 41 est caricaturale. Il ne s’agit en réalité que d’un degré supérieur exigé par le législateur,
mais non de l’adjonction de deux données psychologiques distinctes. Ainsi, pour le meurtre, il ne
s’agit pas réellement de vérifier que les coups ont été portés volontairement (dol général) et avec
l’intention de tuer (dol spécial). Il s’agit de vérifier que les coups ont été portés dans l’intention
de tuer. Dans l’affirmative, il s’agira d’un meurtre 42 , dans la négative, de violences volontaires
et, s’il s’avère que le fait n’était pas intentionnel, de blessures involontaires. La Cour de cassation
ne raisonne d’ailleurs pas en termes d’adjonction lorsqu’elle déduit de la localisation des coups
l’animus necandi 43 . Elle constate, au regard du comportement accompli, l’intention homicide
dans sa globalité, ce qui emporte le caractère volontaire du moyen employé.

413. Le but poursuivi, degré de l’élément psychologique – Le même raisonnement peut


en outre être tenu s’agissant de la poursuite d’un but particulier. Par exemple, l’article 322-14 du
Code pénal incrimine « le fait de communiquer ou de divulguer une fausse information dans le
but de faire croire qu’une destruction, une dégradation ou une détérioration dangereuse pour les
personnes va être ou a été commise ». Le but poursuivi (faire croire à) doit être impérativement
vérifié par le juge. Il est une donnée indispensable à la caractérisation de l’élément psycholo-
gique 44 , parce que le but poursuivi, dans tous les cas où la loi le spécifie « devient le critère
de la répression et fixe sa limite » 45 . Ce n’est pas pour autant qu’il est véritablement distinct de

40. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, op. cit., p. 383, no 341. Le dommage effectivement subi, bien qu’indis-
pensable à la détermination du texte applicable, n’a toutefois pas à être recherché. La symétrie entre la dimension
objective et la dimension subjective est relative.
41. En ce sens, v. entre autres A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., p. 210.
42. L’on ne peut donc retenir cumulativement les violences et l’homicide, même en cas de pluralité de coups,
parce que l’intention est unique et dirigée vers le résultat de mort.
43. V. infra, no 419.
44. Le principe a toujours été admis par les tribunaux, même s’il n’a pas été toujours été appliqué avec toute la
rigueur que le principe de légalité impose. Pour une affirmation ancienne du principe et une critique des hypothèses
dans lesquelles les tribunaux ont pu se contenter d’une simple volonté, v. M. Laborde-Lacoste, « Le but de l’agent,
élément constitutif de l’infraction dans la législation, la doctrine et la jurisprudence française », RIDP 1926, p. 125.
45. Ibid.

381
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

la volonté exigée 46 (ici volonté de divulguer des informations), ni qu’il conduise à une double
vérification. L’existence du but (faire croire à une fausse information) induit nécessairement
le caractère volontaire du fait matériel (révélation volontaire d’une information que l’on sait
fausse) 47 . Le mobile, ou l’intention particulière exigée, n’est pas ici surabondant 48 . Elle oriente
simplement la vérification de la volonté vers une donnée particulière. L’adjonction d’un dol
général et d’un dol spécial dans ces hypothèses a sans doute une vertu didactique, mais elle
ne correspond pas à la réalité, dans laquelle intention et volonté sont interdépendantes 49 . Elle
est une transcription discutable des différents degrés de volonté pouvant être exigés selon les
incriminations par l’exigence de conditions additionnelles. Le raisonnement en termes de degrés
se révèle en réalité plus praticable : le caractère simplement volontaire du fait est caractéristique
des infractions non intentionnelles, l’intention, qu’elle soit générale ou spécifiée dans le texte, est,
elle, caractéristique des infractions intentionnelles. Elle portera en principe sur le fait matériel
(caractère volontaire) comme sur le résultat (intention).

414. Les degrés intermédiaires : le dol éventuel et le dol dépassé – Entre ces deux
degrés de volonté, des degrés intermédiaires peuvent tout de même être identifiés. Il s’agit
de ce que la doctrine désigne parfois sous le vocable de dol dépassé et de dol éventuel 50 . Le
premier repose sur une dissociation entre l’intention de l’agent (le résultat voulu) et le résultat
obtenu. Pour les infractions concernées, c’est donc bien une intention qui est exigée par les textes
d’incrimination, mais une intention portant sur un résultat moins grave que celui obtenu. Quant
au deuxième, il est caractéristique des infractions de risque et permet d’expliquer que l’agent
ait à subir les conséquences du comportement malgré le fait qu’il ne les a pas recherchées. Il
repose sur la volonté de l’acte accompli et la nécessaire conscience des conséquences pouvant
en résulter, l’idée étant que l’agent qui accomplit volontairement un comportement dangereux a
conscience des risques qu’il représente et doit en accepter les conséquences. Le dol éventuel
repose donc sur l’acceptation du risque de survenance du résultat. La construction permet
d’expliquer la volonté exigée pour certaines infractions de mise en danger, qui présentent

46. Contra ibid. : c’est « une condition distincte soit de l’intention proprement dite, soit des moyens frauduleux ».
47. Et inversement, la révélation volontaire en connaissance de cause d’une information permet d’établir le but
poursuivi par l’agent.
48. La chose se vérifie pour toutes les infractions pour lesquelles un but particulier est exigé. Ainsi, le but
poursuivi tenant à déterminer une personne à contracter un mariage présuppose le caractère volontaire des
manœuvres employées (Code pén., art. 222-14-4), le but relatif à l’obtention d’un acte de nature sexuelle présuppose
que les pressions exercées aient été volontaires (ibid., art. 222-33), ou encore le but de faire naître un enfant
génétiquement identique à une autre personne présuppose-t-il du fait que le prélèvement de gamètes a été consenti
en connaissance de cause (ibid., art. 511-1).
49. Il est toutefois à noter que d’un point de vue procédurale, la mention d’une intention particulière ou d’un
mobile spécifique fait devant la Cour d’assises l’objet d’une question spécifique. H. Angevin, La pratique de la
Cour d’assises, op. cit., p. 324, no 799 et p. 326, no 801.
50. V. not. J. Cedras, « Le dol éventuel : aux limites de l’intention », D. 1995, p. 18.

382
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

assurément un degré de culpabilité supplémentaire par rapport aux simples comportements


imprudents. Elle doit néanmoins être cantonnée à ces infractions-là 51 , car l’idée d’acceptation
du risque est en partie théorique. Il reste que pour elles, il sera en principe nécessaire de s’assurer
que le caractère volontaire de l’acte va jusqu’à la conscience de ses conséquences et qu’il y a donc
acceptation de celles-ci. La problématique du dol éventuel et de la question de la vérification ou
non de la conscience du risque rejoignent en réalité pour beaucoup le problème de l’intention
exigée pour les infractions formelles et, ce, d’autant plus qu’il est caractéristique de certaines
d’entre elles.

2. L’intention exigée dans les infractions formelles

415. Un raisonnement par symétrie – Le débat relatif à l’intention exigée dans les
infractions formelles découle d’une compréhension parfaitement symétrique des différentes
dimensions de l’infraction. Traditionnellement, il est exigé une concordance parfaite entre la
dimension objective et la dimension subjective du comportement, en raison de la définition
proposée du dol général. L’agent devant avoir voulu le comportement tel qu’incriminé, son
intention doit être dirigée vers l’ensemble des éléments prévus par le texte et tels que prévus par
le texte. Que les infractions matérielles supposent une intention entendue comme la recherche
du résultat redouté se conçoit facilement dès lors que l’on admet qu’une telle symétrie existe.
L’infraction matérielle étant un fait dirigé vers un résultat particulier, sous l’angle subjectif, c’est
donc l’intention dirigée vers ce même résultat qui est exigée. Le cas des infractions formelles par
contre est plus problématique. Dès lors que le comportement n’a objectivement pas à produire
le résultat redouté par le législateur, la question se pose de savoir si l’agent doit ou non avoir
une volonté tendue vers lui. Dans certains cas, l’intention sera exigée par le biais de la prise
en compte du but 52 , si bien que la question de l’intention ne se posera pas. Elle est d’ores et
déjà résolue dans les textes. Mais pour d’autres infractions, l’élément psychologique n’est pas
précisé, ce qui conduit à des incertitudes. Essentiellement théorique, la problématique a eu un
retentissement particulier dans le cas de l’affaire du sang contaminé à l’occasion de laquelle la
Cour de cassation a affirmé que le crime d’empoisonnement suppose « l’intention de donner la
mort, élément moral commun à l’empoisonnement et aux autres crimes d’atteinte volontaire à
la vie de la personne » 53 .

51. V. toutefois J.-M. Thevenon, L’élément objectif et l’élément subjectif de l’infraction, th. préc., p. 64 et s.,
faisant une application plus générale de cette approche et estimant que pour beaucoup d’infractions de résultat,
l’agent doit avoir conscience d’un rapport plus ou moins possible de causalité, autrement dit, de la possibilité de
survenance du résultat.
52. V. par ex. pour l’infraction de clonage reproductif, Code pén., art. 214-2, et la plupart des crimes et délits de
guerre (art. 461-1 et s.)
53. Cass. crim., 18 juin 2003, Bull. crim., no 127 ; D. 2004, p. 1620, note D. Rebut ; D. 2004, Somm. p. 2751, obs.
S. Mirabail ; D. 2005, p. 195, note A. Prothais ; JCP 2003, II, 10121, note M.-L. Rassat ; Dr. pén. 2003, Comm.

383
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

416. Le problème spécifique posé par l’empoisonnement – Déjà, avant les arrêts de
2003 et 1998, deux approches de l’empoisonnement s’opposaient, certains auteurs rejetant l’exi-
gence d’un dol spécial, tandis que d’autres en faisaient au contraire une donnée indispensable 54 .
La solution a donc donné lieu à un débat important et à des critiques virulentes de la part
d’une partie de la doctrine. Pour certains, la solution relative au caractère indispensable de
l’animus necandi est critiquable dès lors que « l’intention criminelle [...] constitue au plan
psychologique le strict reflet de l’élément matériel de l’infraction » 55 . Par conséquent, « en
application du rapport de concordance, de correspondance ou d’adéquation entre l’élément
matériel et l’élément moral, il faut rationnellement conclure que les deux intentions criminelles
sont distinctes » 56 . Si l’on raisonne en termes de symétrie, la solution s’impose évidemment.
Pour autant, l’affirmation peut être tempérée si l’on raisonne à partir du résultat redouté
par le législateur. Adoptant un raisonnement dirigé vers ce résultat, des auteurs avaient pu faire
remarquer que l’empoisonnement était fondé sur une logique de mort 57 et non sur une logique
de risque 58 . Et en effet, l’incrimination est dans son entier dirigée vers le résultat mortel. Que le
législateur ne tienne pas compte de la survenance ou non de ce résultat ne change rien au fait que
le comportement doit tendre matériellement, de manière directe et certaine, à lui. Le caractère
mortifère des substances ne laisse aucun doute quant au rapport de causalité exigé. La mort est
la suite logique de l’infraction, quand bien même elle n’intégrerait pas la dimension objective
de l’incrimination. Ce pouvoir causal du comportement s’imprime sur l’élément psychologique
qui est sous-tendu par la même logique de mort.
D’ailleurs, le texte d’incrimination exige que l’agent ait attenté à la vie d’autrui 59 . Si,
comme l’affirmait Ortolan, attenter n’est rien d’autre que tenter 60 , il n’est absolument pas
illogique d’exiger que le comportement soit psychologiquement tendu vers le résultat redouté 61 .

p. 97, obs. M. Véron ; RSC 2003, p. 781, obs. Y. Mayaud. Adde. V. Malabat et J.-C. Saint-Pau, « Le droit pénal
général malade du sang contaminé », art. préc. Et précédemment, Cass. crim., 2 juil. 1998, Bull. crim., no 211 ; D.
1998, p. 457, note J. Pradel ; D. 2000, somm. p. 26, obs. Y. Mayaud ; JCP 1998, II, 10132, note M.-L. Rassat ;
JCP 1999, I, 112, obs. M. Véron ; RSC 1999, p. 98, obs. Y. Mayaud. Adde. A. Prothais, « N’empoisonnez donc
plus à l’arsenic ! », D. 1998, chron. p. 334, et du même auteur, « Le sida ne serait-il plus, au regard du droit pénal,
une maladie mortelle ? », D. 2001, chron. p. 2053.
54. V. Y. Mayaud, « L’empoisonnement, une logique de mort, (À propos de l’affaire du sang contaminé) », RSC
1995, chron. p. 347, faisant état de cette opposition doctrinale.
55. V. Malabat et J.-C. Saint-Pau, « Le droit pénal général malade du sang contaminé », art. préc.
56. Ibid. Comp. A. Lepage et H. Matsopoulou, Droit pénal spécial, op. cit., p. 57, no 81.
57. Y. Mayaud, « L’empoisonnement, une logique de mort », art. préc. : « le crime s’inscrit dans une logique
de mort à laquelle adhère nécessairement l’auteur du comportement. »
58. En ce sens, D. Mayer, « La notion de substance mortelle en matière d’empoisonnement », D. 1994, p. 325 :
« si le procédé tendant à donner la mort est ainsi stigmatisé c’est forcément parce qu’intrinsèquement il comporte
plus qu’un risque ou une probabilité. »
59. Code pén., art. 221-5.
60. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 444, no 1036.
61. La tentative est l’exemple type de l’absence de symétrie parfaite entre la dimension objective et la dimension
subjective. Ici, par hypothèse, le résultat doit ne pas s’être produit. Il doit pourtant avoir été recherché.

384
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

La symétrie dimension objective/dimension subjective n’est pas parfaite, mais elle n’est pas non
plus totalement rompue. Le pouvoir nécessairement causal du comportement existe aussi bien
d’un point de vue objectif que subjectif. Objectivement, le comportement doit tendre à la mort.
Il le doit donc aussi subjectivement, car ce n’est finalement que de l’aléa dans la réalisation du
résultat dont le législateur n’a pas entendu tenir compte. Ce n’est donc, nous semble-t-il, pas
seulement un problème de démonstration de l’intention homicide qui se pose ici 62 . La simple
conscience du risque de mort ne suffit pas, non plus que la connaissance du caractère mortifère.
Mais, ici comme ailleurs, l’administration en connaissance de cause d’une substance que l’on
sait mortifère est un indicateur de l’intention homicide, tant il est vrai que la dissociation entre
l’intention d’empoisonner et l’intention de tuer apparaît artificielle 63 . Il reste que l’intention
homicide est indispensable : les infractions d’administration de substances nuisibles et d’em-
poisonnement ne se distinguent pas seulement par la nature de la substance administrée. Elles
se distinguent également par leurs éléments psychologiques, l’une étant tendue vers l’atteinte à
l’intégrité physique, l’autre vers l’atteinte à la vie. Dès lors qu’objectivement, le comportement
devra tendre de manière certaine au résultat, l’intention au sens propre semble devoir être vérifiée
par le juge lors de la qualification des faits.

417. Éventualité du résultat redouté et conscience du risque – Par contre, lorsque dans
sa dimension objective est incriminée une probabilité de survenance du résultat ou une éven-
tualité, il est logique de raisonner également d’un point de vue subjectif en termes d’éventualité.
Une simple volonté de l’acte associée à la conscience ou connaissance de l’éventualité du résultat
devrait suffire.
Il faut ici aller plus loin et empiéter sur la catégorie plus particulière des infractions
obstacles, pour lesquelles un comportement est incriminé à raison du risque de réalisation d’une
infraction qu’il fait peser. Pour certaines de ces infractions, l’élément moral est particulièrement
atrophié et l’accomplissement du comportement en connaissance de cause suffit (port d’armes
ou infractions routières). Mais pour les infractions de mise en danger, la question mérite des
approfondissements. Ces infractions de mise en danger ne présentent-elles pas forcément un
caractère praeter intentionnel ? En d’autres termes, le comportement est volontaire (violation

62. Certains auteurs, se prononçant en faveur de l’animus necandi, raisonnent en termes de preuve de l’intention.
Celle-ci devrait exister, mais n’aurait pas à être démontrée en plus de la connaissance du caractère mortifère de la
substance. V. par ex. Y. Mayaud, « L’empoisonnement, une logique de mort », art. préc. : « en raison du caractère
formel de l’infraction, c’est de manière incidente que la preuve en est faite. N’étant pas élément de l’infraction,
l’intention homicide n’a pas à être démontrée. Cependant, parce qu’elle est implicitement contenue dans ce qui
participe de la criminalité du comportement, elle est indissociable de la connaissance du caractère mortifère des
substances administrées. ». Comp. D. Mayer, « La notion de substance mortelle en matière d’empoisonnement »,
art. préc. : « l’administration d’une substance dont on connaît le pouvoir mortel est révélatrice d’une intention
d’empoisonner ».
63. Ibid. Comme le relève l’auteur, il ne faut pas raisonner en termes de risque, mais en termes de certitude du
caractère mortifère.

385
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

délibérée d’une règle de prudence ou de sécurité, délaissement d’une personne que l’on sait
vulnérable, etc.), mais ne doit-il pas l’être avec la conscience du danger qu’il fait peser ? Par
exemple, dans l’incrimination de risques causés à autrui 64 , la question se pose de savoir si la
seule violation délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence suffit ou s’il
faut, en plus, caractériser la conscience (hypothèse de dol éventuel), voire même la connaissance
du risque causé 65 . Dans un arrêt en date du 16 février 1999, la Cour de cassation avait pu
apporter une première précision en affirmant qu’il n’était pas nécessaire « de constater que
l’auteur du délit avait eu connaissance de la nature du risque particulier effectivement causé par
son manquement » 66 . C’était là exclure de l’élément psychologique la connaissance exacte 67 du
risque causé. Mais la solution laissait en suspend la question de la conscience du risque 68 . Or,
par un second arrêt, la Cour de cassation semble avoir limité l’élément psychologique au seul
caractère délibéré de la violation en affirmant que « l’élément intentionnel de l’infraction résulte
du caractère manifestement délibéré de la violation d’une obligation particulière de prudence
ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, de nature à causer un risque immédiat de
mort ou de blessures graves à autrui » 69 . Dans cette espèce, deux surfeurs avaient déclenché une
avalanche en pratiquant le surf sur une piste interdite par un arrêté municipal. Par la solution
apportée, la Cour concentre l’élément « intentionnel » 70 sur le caractère délibéré de la violation,
alors même qu’en l’espèce, les demandeurs invoquaient justement l’absence de conscience du
risque causé.
Il reste que comme cela a été remarqué, la Cour n’a pas pris « directement position sur cette
question » 71 . Si elle se contente du caractère volontaire et délibéré de la violation, elle ne répond
pas expressément à la question de la conscience du risque. Deux approches sont alors possibles.
Soit l’on considère qu’en violant délibérément la norme l’agent aurait dû avoir conscience du

64. Pour un exposé des différentes approches possibles de l’élément psychologique de l’infraction de risques
causés à autrui, v. M. Puech, « De la mise en danger d’autrui », D. 1994, p. 153.
65. Sur cette question, v. not. V. Malabat, « Le délit dit de « mise en danger », la lettre et l’esprit », art. préc.
66. Cass. crim., 16 fév. 1999, Bull. crim., no 24 ; RSC 1999, p. 581, obs. Y. Mayaud ; D. 2000, p. 9, note E. Cerf ;
Dr. pén. 1999, p. 82, obs. M. Véron ; RSC 1999, p. 808, obs. B. Bouloc ; RSC 1999, p. 837, obs. G. Giudicelli-
Delage.
67. La Cour de cassation vise le risque « particulier ».
68. B. Bouloc, « Délit de mise en danger. Élément intentionnel », obs. sur Cass. crim., 9 mars 1999, RSC 1999,
p. 808 : « C’est dire que le délit de mise en danger, s’il ne requiert pas, à l’évidence, la volonté d’obtenir un résultat,
suppose quand même une conscience d’un danger et l’espoir qu’il ne se réalisera pas nécessairement. »
69. Cass. crim., 9 mars 1999, Bull. crim., no 34 ; D. 2000, p. 81, note M.-C. Sordino et A. Ponseille ; D. 2000,
p. 227, obs. J. Mouly ; JCP 1999, II, 10188, note J.-M. Do Carmo Silva ; RSC 1999, p. 581, obs. Y. Mayaud ;
RSC 1999, p. 808, obs. B. Bouloc.
70. Des auteurs ont critiqué l’imprécision de la Cour en la matière, car si l’infraction suppose un élément
moral, elle ne suppose pas au sens propre un élément intentionnel. B. Bouloc, « Délit de mise en danger. Élément
intentionnel », obs. sur Cass. crim., 9 mars 1999, préc. ; M.-C. Sordino et A. Ponseille, « Un skieur averti en vaut
deux : une décision qui risque de « faire boule de neige », note sous Cass. crim., 9 mars 1999, D. 2000, p. 81.
71. M.-C. Sordino et A. Ponseille, « Un skieur averti en vaut deux : une décision qui risque de « faire boule
de neige », note sous Cass. crim., 9 mars 1999, préc.

386
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

risque créé, ce qui rejoindrait la logique de la faute caractérisée pour laquelle la conscience
du risque n’a pas à être démontrée dès lors que l’agent « ne pouvait [l’]ignorer » 72 . Soit l’on
considère que la conscience du danger est nécessaire, mais que la démonstration de la violation
manifestement délibérée emporte finalement celle de la conscience du danger 73 . Comme en
matière d’empoisonnement, la volonté de l’acte serait alors un indicateur de la conscience ou
de la recherche du résultat. Cette seconde position n’est pas totalement exclue à la lecture de
l’arrêt du 9 mars 1999, dans lequel la Cour de cassation reprend les circonstances factuelles
(récidive de l’un des deux surfeurs, signalement par les services météorologiques le jour des
premiers faits d’un risque maximum d’avalanche, caractère expérimenté des deux individus), ce
qui laisse supposer, au minimum, que les agents auraient dû avoir conscience du danger, mais
ce qui peut également permettre de démontrer que les agents ne pouvaient pas ne pas avoir
conscience du risque. Cette seconde solution, si elle n’est pas la plus évidente à la lecture de la
solution, serait la plus logique. Elle permettrait une certaine cohérence dans le traitement des
différents comportements pénalement sanctionnés, qu’ils soient de nature formelle ou obstacle 74 .
L’infraction ne peut se concevoir comme psychologiquement tendue vers l’atteinte à l’intégrité,
mais, dès lors qu’objectivement elle tend à une éventualité de survenance de ce résultat (risque),
elle devrait psychologiquement intégrer cette éventualité à travers la conscience du danger
pouvant résulter de la violation manifestement délibérée. L’incrimination présente un caractère
obstacle dès lors que le comportement est incriminé en vue de prévenir et empêcher la réalisation
future d’une infraction non intentionnelle. Il s’ensuit que le lien de causalité est déplacé entre
le comportement accompli et la possibilité de réalisation d’une infraction 75 . Mais d’un point
de vue psychologique, le comportement restant volontaire, il devrait intégrer la conscience de
cette possibilité. Le dol éventuel devrait donc impliquer la conscience du risque – mais non
nécessairement la connaissance exacte du danger –, celle-ci pouvant se déduire de l’ensemble
des circonstances factuelles. Par cette violation, l’agent « prend délibérément un risque dont il
ne veut pas la réalisation » 76 . En violant une obligation particulière, l’agent accepte ce dernier

72. Pour une position plus nuancée, v. toutefois G. Giudicelli-Delage, « Faute caractérisée et prévision du
risque », obs. sur Cass. crim., 11 fév. 2003, RSC 2003, p. 801.
73. Se rapprochant de cette option, sans l’admettre totalement, v. M.-C. Sordino et A. Ponseille, « Un skieur
averti en vaut deux : une décision qui risque de « faire boule de neige », note sous Cass. crim., 9 mars 1999, préc. :
« En réalité, l’enjeu est probatoire : le texte facilite la preuve de l’élément moral puisqu’il suffit de démontrer que
la violation de l’obligation est délibérée pour en déduire, éventuellement, mais pas nécessairement, la conscience
du risque. » Dans le même sens, V. Malabat, Droit pénal spécial, op. cit., p. 135-136, no 242.
74. Il est en effet incohérent que la Cour de cassation puisse estimer que l’infraction d’empoisonnement exige
une intention parce qu’elle est sous-tendue par la logique de mort qui est le résultat redouté mais considérer par
ailleurs que le résultat redouté en matière de risques causés est totalement étranger à sa constitution psychologique.
75. V. infra, no 483.
76. J. Cedras, « Le dol éventuel : aux limites de l’intention », art. préc.

387
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

et, par extension, la possibilité de sa réalisation 77 .


Pour conclure, en matière d’infractions formelles et obstacles, il est possible de considérer
que la donnée principale de l’élément psychologique devrait varier selon le degré de pouvoir
causal du comportement exigé d’un point de vue objectif. En cas de certitude de réalisation du
résultat redouté, l’élément psychologique sera une intention au sens propre, alors qu’en cas de
probabilité ou d’éventualité, il ne sera qu’une conscience de la possibilité de sa survenance. Reste
la difficulté générale en la matière de démonstration de l’intention. Sa constatation ne peut en
effet être faite qu’à partir de la dimension objective du comportement, ce qui pourrait conduire
à une différence probatoire majeure entre la composante objective et la composante subjective
de l’infraction, les éléments de la seconde n’ayant pas à être prouvés. Il n’en est pourtant rien,
car c’est à partir de l’observation du comportement accompli sous un angle subjectif que pourra
être constatée – et par suite caractérisée – la volonté ou l’intention de l’auteur.

§ 2. La caractérisation de la volonté

418. Le recours aux présomptions en matière d’élément psychologique – La caractéri-


sation de l’élément psychologique soulève des difficultés. Parce qu’il invite à s’intéresser à la
pensée de l’agent, la preuve des différentes données qui le composent est mal aisée. Pourtant,
ces données doivent en principe pouvoir être démontrées par le Ministère public pour que le
comportement puisse recevoir une qualification pénale. À défaut, l’infraction ne pourra pas être
caractérisée.
L’on perçoit alors la difficulté, car le recours à des preuves tangibles en la matière est illusoire.
En réalité, ce n’est que de l’observation du comportement accompli que pourra être induite
la volonté ou l’intention de l’auteur. La preuve des composantes de l’élément psychologique
ne peut donc être directe et c’est par un mécanisme de présomptions que le comportement
pourra être qualifié dans sa dimension subjective. Ces présomptions sont en premier lieu des
présomptions dites du fait de l’homme. Elles rejoignent totalement l’idée selon laquelle il s’agit
d’induire de l’analyse du comportement sous son angle subjectif la volonté de son auteur. Mais
les présomptions peuvent prendre une importance tout autre en opérant parfois un déplacement
contestable de l’objet de la preuve, ou encore un déplacement de la charge de la preuve.
Dans un cas comme dans l’autre ces présomptions deviennent problématiques parce qu’elles
conduisent à une dénaturation des infractions et, plus précisément, de la teneur de leurs éléments

77. Une difficulté tient alors à l’absorption de la qualification en cas de réalisation du dommage. Dans ce cas,
la qualification retenue est de nature non intentionnelle. Toutefois, en cas de faute délibérée, il est possible de
considérer que le dol est toujours éventuel, ce qui justifie l’aggravation de la répression. Mais ce dol éventuel est
impliqué par la violation manifestement délibérée d’une norme de sécurité ou de prudence.

388
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

psychologiques.
Il en découle que si dans le premier cas le recours aux présomptions n’est pas problématique
en ce qu’il conduit simplement à une preuve par induction de l’intention (A), dans le second
cas, les présomptions mises en place sont discutables parce qu’elles affectent l’obligation de
caractérisation de la volonté (B).

A. La preuve de l’intention par induction

419. Le recours aux présomptions dites du fait de l’homme – La démonstration de la


volonté ou de l’intention n’est pas concevable par la preuve directe. Il s’agit ici de « fouiller
dans la conscience humaine, dont les sens externes de l’observateur ne peuvent pénétrer les
profondeurs ; dont l’instruction seule, tirée des faits du dehors, peut aider à reconnaître les
secrets. Or, l’inquisiteur ne paraît guère pouvoir s’attacher qu’à la démonstration des caractères
extérieurs du crime [...] » 78 . Par conséquent, « dans la plupart des cas, c’est à l’aide de
présomptions et par voie d’induction que l’intentionnalité se constate » 79 . La caractérisation
de la volonté ne semble donc pouvoir se faire que par la preuve indirecte 80 , raison pour laquelle
les auteurs évoquent ici souvent des présomptions du fait de l’homme 81 . L’objet de la preuve
est déplacé, car c’est à partir de l’analyse du fait accompli et, plus largement, du comportement
dans sa globalité, que pourra être induite la volonté ayant animé l’agent 82 .
La Cour de cassation admet parfaitement la logique de tels mécanismes. Le meurtre en
donne un excellent exemple, pour lequel elle admet une présomption d’animus necandi. Ainsi
a-t-elle pu reprocher à une cour d’appel de ne pas s’être expliquée « sur le caractère volontaire
de l’acte de tirer avec l’arme à feu sur la victime, lequel constituerait une présomption sérieuse
d’un fait criminel » 83 . L’intention homicide pourra ainsi s’induire du caractère volontaire des
coups portés dans une région vitale 84 ou de leur force 85 . L’utilisation de présomption n’est

78. C. J. A. Mittermaier, Traité de la preuve en matière criminelle, op. cit., p. 157.


79. Ibid. Comp. J. Chevalier, Cours de droit civil approfondi, op. cit., p. 80 : « Ce déplacement de la preuve
constitue le raisonnement par présomption. C’est ainsi que seront toujours établis les faits psychologiques, les
intentions parce qu’ils sont insusceptibles de constatation directe [...] ».
80. En matière de preuve indirecte, le juge doit faire un choix parmi les différentes interprétations possibles des
indices, ce qui donne naissance à une présomption. V. R. Decottignies, Les présomptions en droit privé, th. préc.,
p. 304.
81. V. G. Levasseur obs. sur Cass. crim., 9 janv. 1990, RSC 1990, p. 337, citant Monsieur Véron.
82. En ce sens, J.-L. Mouralis, Rép. dr. civ., Preuve, 2011, no 665.
83. Cass. crim., 2 oct. 1996, Bull. crim., no 342 ; RSC 1997, p. 108, obs. Y. Mayaud. La solution est ancienne :
Cass. crim., 13 juin 1931, Bull. crim., no 169 ; Cass. crim., 20 oct. 1955, Bull. crim., no 415 ; Cass. crim., 6 oct.
1956, Bull. crim., no 708.
84. Cass. crim., 5 fév. 1957, Bull. crim., no 110 ; Cass. crim., 18 juin 1991, no 91-82.033 ; RSC 1992, p. 73,
obs. G. Levasseur ; Dr. pén. 1991, 277, obs. M. Véron ; Cass. crim., 6 janv. 1993 ; RSC 1993, p. 773, obs. G.
Levasseur.
85. Cass. crim., 9 janv. 1990, Bull. crim., no 15 ; RSC 1990, p. 337, obs. G. Levasseur.

389
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

d’ailleurs pas limitée au cas du meurtre 86 , bien que ce soit à cette occasion qu’elle s’observe
le plus fréquemment.

420. Une caractérisation par les faits – Les circonstances factuelles sont ici autant
d’indices objectifs de la volonté ou de l’intention de l’agent 87 . Les présomptions ne sont que
l’expression d’un raisonnement par induction qui s’impose naturellement en matière infrac-
tionnelle. L’autonomie des éléments n’est que théorique. L’admettre concrètement reviendrait
à nier leur interdépendance et l’intégrité de l’infraction. La qualification pénale des faits s’opère
à partir du comportement, dont il est tiré différentes conclusions selon l’angle d’analyse en
question. Pour cette raison, il semble pour partie excessif de voir dans les mécanismes mis
en place une présomption d’élément psychologique. Celui-ci, en tant qu’angle d’analyse du
comportement, ne peut pas à proprement parler être présumé. Il conduit simplement le juge
à apprécier le comportement d’un point de vue subjectif, c’est-à-dire à tirer des conclusions
quant à la volonté de l’agent à partir de l’analyse du comportement. La volonté ne se constate
pas, « elle « s’apprécie », s’induit des circonstances de fait qui la rendent vraisemblable » 88 . Des
constatations matérielles peuvent donc être tirées des conséquences, tant pour la caractérisation
de l’infraction dans ses dimensions objectives que pour la caractérisation de l’infraction dans sa
dimension subjective. Si la volonté tend à être présumée par la preuve du fait, c’est parce qu’elle
ne peut être démontrée qu’à travers eux, à l’occasion de l’analyse du comportement sous son
angle subjectif.
À l’inverse, il est des hypothèses dans lesquelles la volonté fait l’objet de présomptions bien
plus vigoureuses et bien plus problématiques en ce qu’elles ne reposent pas simplement sur « un
raisonnement tendant à la révélation de la vérité [...] d’une façon indirecte » 89 .

B. Les présomptions affectant l’obligation de caractérisation de la volonté

421. Problèmes relatifs aux présomptions de volonté – Si le raisonnement inductif est


de l’essence même de l’élément psychologique, il est possible d’observer certaines hypothèses
dans lesquelles la volonté de l’agent sera présumée de manière bien plus problématique. La
volonté et l’intention ne sont pas systématiquement vérifiées de manière positive par le juge.

86. De nombreux délits se sont ainsi vus dotés de ce qui a pu être qualifié d’une « présomption de malignité
jusqu’à preuve contraire ». P. Mimin, « L’intention et le mobile » in La Chambre criminelle et sa jurisprudence,
Recueil d’études en hommage à la mémoire de M. Patin, op. cit. Par exemple, dans les délits de non-justification de
ressources, il sera présumé la connaissance de l’origine des fonds. En ce sens, M.-L. Rassat, Droit pénal spécial,
op. cit., p. 1005, no 945.
87. Sur le lien entre l’indice et la présomption et leur assimilation, v. C. J. A. Mittermaier, Traité de la preuve
en matière criminelle, op. cit., p. 427 et s.
88. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 181, no 221.
89. F. Terré, Introduction générale au droit, 10ème éd., Dalloz, 2015, p. 484, no 582, définissant ainsi les
présomptions du fait de l’homme.

390
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

Dans certaines hypothèses, le juge se trouve dispensé de l’analyse du comportement sous son
angle subjectif par le jeu de présomptions, le plus souvent judiciaires, particulièrement sévères.
Ces présomptions sont problématiques parce que, selon les hypothèses, soit elles entraînent une
dénaturation des infractions (1) en opérant un glissement du terrain intentionnel vers le terrain
non intentionnel, soit parce qu’elles aboutissent, in fine, à dispenser totalement le juge d’une
analyse du comportement sous son angle subjectif (2).

1. La dénaturation de l’infraction par le recours aux présomptions

422. Double hypothèse – Deux types de présomptions relativement problématiques


peuvent être rencontrées. Les premières sont relatives à un inversement de la charge de la preuve
(a), les secondes sont des cas particulièrement sévères de déplacement de l’objet de la preuve
(b). Si ces deux types de présomptions ne participent pas totalement de la même logique 90 ,
elles conduisent en pratique, dans un cas comme dans l’autre, à un glissement dans la nature de
l’infraction.

a. Les présomptions par inversement de la charge de la preuve

423. Diffamation et présomption jurisprudentielle de mauvaise foi – Une première


série de présomptions portant sur l’intention peut être identifiée et tient à un inversement de
la charge de la preuve. Les infractions de diffamation et d’injure en fournissent une illustration.
Pour ces deux infractions réprimées à l’article 29 de loi de 1881 (alinéa 1 et 2), la jurispru-
dence a dégagé l’existence d’une présomption de mauvaise foi 91 . En matière d’injure, il s’agit
essentiellement d’un simple raisonnement inductif, tant il peut être considéré comme certain
que celui qui profère des injures par voie écrite veut porter atteinte à l’honneur de celui qui
en est la victime 92 . À l’inverse, en matière de diffamation, il est véritablement possible de
parler de présomption par inversement de la charge de la preuve. En effet, l’établissement du
caractère diffamatoire des propos émis suffit pour la jurisprudence, sans qu’il soit besoin de
constater en sus la mauvaise foi du diffamateur 93 qui est alors présumée 94 . La solution pourrait

90. Ibid., p. 480, nos 580 et s.


91. Madame Rassat explique à ce titre que la jurisprudence fonde cette présomption sur l’article 35 bis de
la même loi. Cet article prévoit une présomption légale de mauvaise foi en cas de reproduction d’un propos
déjà jugé diffamatoire. L’extension de la présomption à des propos diffamatoires émis pour la première fois est
néanmoins contestable car elle fait naître selon l’auteur un risque de modification de l’infraction vers une infraction
de négligence. V. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, op. cit., p. 586, no 535.
92. Cette infraction, tout comme la diffamation n’implique pas d’intention de nuire. Ibid.
93. Cass. crim., 23 déc. 1968, no 67-93.252. La Cour de cassation estime en outre que cette présomption n’est
pas contraire à la CESDH dès lors qu’il est possible de rapporter la preuve de sa bonne foi.
94. Il ne s’agit toutefois pas réellement d’une présomption par déplacement de l’objet de la preuve, car ici
l’intention n’est pas induite de la matérialité du comportement. La constatation de la dimension objective de
l’infraction emporte un inversement de la charge de la preuve. Ce sera au prévenu de démontrer sa bonne foi.

391
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

se comprendre : « comment une personne peut-elle, par exemple, dire faussement d’une autre
qu’elle a un lourd passé pénal sans avoir nécessairement conscience d’atteindre son honneur
et par conséquent de la diffamer ? » 95 La connaissance de la fausseté du fait semble emporter
la démonstration de la mauvaise foi du prévenu, encore qu’il soit possible ici d’objecter que la
conscience n’implique pas nécessairement l’intention. Il s’agirait donc de se contenter du simple
caractère volontaire de la révélation.

424. Sévérité et effets de la présomption – Toutefois, la présomption se révèle bien


plus large, car il ne s’agit pas simplement de déduire de la connaissance de la fausseté du
fait une intention particulière. Elle tient tout simplement à un inversement de la charge de
la preuve. En effet, de manière constante, la jurisprudence estime non seulement que les
imputations diffamatoires sont faites avec l’intention de nuire, mais en plus qu’elles sont faites
en connaissance de la fausseté du fait. Autrement dit, la caractérisation de l’infraction sous ses
angles objectifs suffit et ce sera au prévenu de rapporter la preuve de l’absence de mauvaise
foi de sa part. Et il sera particulièrement difficile de renverser la présomption établie. La Cour
n’admet en effet le renversement de la présomption pesant sur le diffamateur que par un fait
justificatif de bonne foi. La solution est particulièrement étonnante tant un fait justificatif de
bonne foi est difficilement concevable. Non seulement il semble peu compatible avec l’économie
habituelle des éléments constitutifs de présumer ainsi la mauvaise foi, mais encore, renverser la
présomption de mauvaise foi en rapportant la preuve de sa bonne foi devrait tout simplement
conduire à admettre que l’élément moral de l’infraction fait défaut, non que cette infraction se
trouve justifiée 96 . La qualification de fait justificatif est erronée 97 , mais elle illustre parfaitement
l’ambiguïté qui entoure la présomption de mauvaise foi dans la diffamation. Celle-ci est à ce
point forte qu’elle conduit en réalité à dispenser le juge d’apprécier l’infraction sous son angle
subjectif.
En outre, la preuve de la bonne foi est soumise à quatre conditions cumulatives tenant à la
sincérité de l’intéressé, à l’existence d’un but légitime, au fait que l’imputation litigieuse soit
proportionnée au but poursuivi et enfin à une obligation de prudence 98 . La Cour de cassation a

95. P. Conte, « La bonne foi en matière de diffamation, notion et rôle » in Mélanges offerts à A. Chavanne,
op. cit.
96. V. B. de Lamy, « La bonne foi en matière de diffamation : un faux ami », art. préc., s’étonnant pour sa part
de ce qu’un fait justificatif puisse neutraliser l’élément psychologique alors qu’il devrait agir sur l’élément légal.
97. V. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, op. cit., p. 589, no 535 : « ce qu’il y a de plus grave, dans cette
jurisprudence, est qu’elle commet une erreur fondamentale de qualification, pourtant non critiquée par la doctrine.
La jurisprudence qualifie, en effet, la preuve de la bonne foi de fait justificatif, ce qui est, à l’évidence, faux puisqu’il
ne s’agit que de la preuve d’une absence d’élément moral de l’infraction ». Opérant toutefois une différence entre la
bonne foi en tant que fait justificatif et la bonne foi comme absence d’élément moral. P. Conte, Droit pénal spécial,
op. cit., p. 295, no 419, et du même auteur, « La bonne foi en matière de diffamation, notion et rôle » in Mélanges
offerts à A. Chavanne, op. cit.
98. Sur ces conditions, v. B. de Lamy, « La bonne foi en matière de diffamation : un faux ami », art. préc.

392
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

ainsi jugé que la bonne foi n’est pas constituée par la croyance dans l’exactitude des faits allégués
et l’absence d’animosité personnelle. Sont exigées en outre prudence et circonspection 99 . Cette
double exigence fait alors tendre l’infraction vers la matière non intentionnelle. Une telle solution
étonne donc, car la croyance dans l’exactitude des faits et l’absence d’animosité conduisent
nécessairement à douter de la réalité de l’existence d’une intention coupable. Dès lors, elle est
en contradiction avec le caractère nécessairement intentionnel de l’infraction. La prudence relève
d’une logique de faute, non d’intention. Le cumul des conditions exigées au titre de la bonne
foi illustre la sévérité de la présomption qui dépasse la seule induction du caractère diffamatoire
des propos une intention de porter atteinte à l’honneur. Ici, la mauvaise foi est acquise et il ne
s’agit pas de déduire un fait inconnu d’un fait connu.
La sévérité de la solution est pour cette raison contestable. Non seulement l’exercice de
qualification se trouve amputé d’une de ses composantes essentielles dès lors que les juges
n’auront pas à s’assurer de l’existence de l’élément psychologique, mais encore la nature
intentionnelle de l’infraction est-elle grandement relativisée 100 .

425. Une présomption similaire en matière de contrefaçon – Or, ce type de mécanisme


ne se rencontre pas qu’en matière de diffamation. On le retrouve de manière similaire dans
l’infraction de contrefaçon en matière littéraire et artistique 101 , où une présomption de mauvaise
foi similaire a été dégagée par la jurisprudence. Pour cette incrimination, les textes incriminant
la contrefaçon se contentent d’en préciser la matérialité 102 , si bien que la question a pu se
poser de son caractère strictement matériel. Il reste que la doctrine s’est très tôt accordée sur
le caractère volontaire de cette infraction, l’article 121-3 du Code pénal imposant au demeurant
désormais cette solution 103 . Aux termes de l’article L.335-2 du Code de la propriété littéraire et
artistique, la contrefaçon résulte de « toute édition d’écrits, de composition musicale, de dessin,
de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris
des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs ». D’un point de vue moral, l’infraction
se caractérise en conséquence par « la volonté d’exploiter une œuvre protégée » 104 . L’élément
psychologique implique de ce fait la connaissance du caractère protégé de l’œuvre, mais surtout
l’intention de l’exploiter. Or, cette intention peut être déduite de la matérialité du comportement :
l’édition d’une œuvre ou sa reproduction laisserait présumer une volonté d’exploitation. En

99. Cass. crim., 3 juin 1975, Bull. crim., no 142.


100. Madame Rassat conteste à ce titre la modification de la nature de l’infraction que la présomption induit.
M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, op. cit., p. 589, no 535.
101. Code de propr. intell., art. L.335-2.
102. En ce sens, S. Durrande, « L’élément intentionnel de la contrefaçon et le nouveau code pénal », RSC 1999,
p. 319.
103. Ibid. ; E. Dreyer, J. Cl. PLA, fasc. 1610, Contrefaçon, 2014 : plus précisément, la solution s’impose par le
jeu combiné de l’article 121-3 du Code pénal et par l’article 339 de la loi no 92-1336 du 16 déc. 1992.
104. S. Durrande, « L’élément intentionnel de la contrefaçon et le nouveau code pénal », art. préc.

393
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

outre, l’article 111-1 du même code dispose de l’exclusivité, mais aussi de l’opposabilité à
tous du droit de propriété incorporelle de l’auteur sur son œuvre 105 . Il contient en creux une
présomption de connaissance des droits d’autrui, d’où il a pu être déduit en jurisprudence une
présomption de mauvaise foi en matière de contrefaçon 106 . La présomption de mauvaise foi
s’imposerait en la matière, car celui qui reproduit ou représente sans autorisation une œuvre
contrefaite a pleinement conscience d’opérer en violation des droits du propriétaire et donc d’agir
frauduleusement 107 .
Si la présomption de mauvaise foi peut sembler identique à celle valant en matière de
diffamation, elle ne l’est en réalité pas totalement, pour être encore plus sévère. En effet, dans
les deux cas, le prévenu ne pourra se dégager de la responsabilité qu’en rapportant la preuve
de sa bonne foi. Toutefois, en matière de diffamation, la bonne foi à démontrer s’entend de
manière objective en ce qu’elle renvoie à l’idée de loyauté 108 . Sa preuve est très strictement
encadrée, mais la personne prévenue de diffamation pourra tenter de démontrer qu’elle s’est
comportée de manière loyale 109 . À l’inverse, la bonne foi dont il faudra rapporter la preuve en
cas de contrefaçon s’entend de manière subjective, c’est-à-dire qu’elle renvoie à la croyance
erronée en l’existence d’une situation juridique régulière 110 . En d’autres termes, elle renvoie
à l’hypothèse générale de l’erreur 111 : en cas de contrefaçon, la présomption de mauvaise
foi ne cédera que devant la preuve d’une erreur, de droit ou de fait. En principe, elle reste
réfragable. Néanmoins, la preuve de la bonne foi sera particulièrement malaisée à rapporter
pour deux raisons. Tout d’abord, l’erreur de droit est très strictement encadrée, ce qui rendra
presque impossible sa démonstration 112 . Ensuite, quant à l’erreur de fait, elle se heurtera à la
présomption de connaissance des droits, qui dresse un obstacle difficilement surmontable à son
admission 113 . Le prévenu devra démontrer qu’il n’avait pas conscience de l’atteinte portée aux
droits du titulaire ; qu’il a commis une erreur légitime, excusable 114 .

105. Code de propr. intell., art. L.111-1 : « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de
sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. »
106. Cette présomption, bien que non expressément prévue par la loi se rattache donc à l’article L.111-1. En ce
sens, E. Dreyer, Contrefaçon, op. cit. Tout en étant une construction prétorienne, elle se trouve ainsi rattachée de
manière quelque peu artificielle à un fondement légal.
107. En ce sens, P. Bouzat, « La présomption de mauvaise foi en matière de contrefaçon littéraire et artistique »,
RIDA 1972, p. 171.
108. Sur la distinction entre la bonne foi en sa dimension objective et sa dimension subjective, v. R. Vouin, La
bonne foi, notion et rôle actuels en droit privé français, 1939, LGDJ, p. 34, nos 24 et s., et J. Groffe, La bonne foi
en droit d’auteur, 2015, Institut Universitaire Varenne, p. 12-13, no 10.
109. J. Groffe, La bonne foi en droit d’auteur, th. préc., p. 154, no 244.
110. G. Cornu, Vocabulaire juridique, préc., v° Bonne foi. V. égal. J. Groffe, La bonne foi en droit d’auteur,
th. préc., p. 12-13, no 10.
111. A. Decocq, « Rapport général » in La bonne foi, Travaux de l’association H. Capitant, t. XLIII, Litec, 1992,
p. 365.
112. V. infra, no 468.
113. En ce sens, S. Durrande, « L’élément intentionnel de la contrefaçon et le nouveau code pénal », art. préc.
114. V. J. Groffe, La bonne foi en droit d’auteur, th. préc., p. 156, no 249.

394
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

426. Conséquence de la présomption sur la nature de l’infraction – Le caractère indis-


pensable de la volonté se trouve donc partiellement nié par l’inversement de la charge de la
preuve. Peu importe, d’ailleurs, « l’existence d’indices venant accréditer, ou non, le principe de
cette mauvaise foi » 115 , puisqu’il ne s’agit pas d’un déplacement de l’objet de la preuve, mais
d’un inversement pur et simple. En outre, comme en matière de diffamation, en limitant la bonne
foi à la démonstration d’une erreur excusable, la jurisprudence encourage une relativisation du
caractère intentionnel de l’infraction de contrefaçon. En effet, ce qui est reproché n’est pas tant un
acte volontaire de contrefaçon que l’absence de diligences. Comme le relève Monsieur Dreyer,
« le dénominateur commun à tous les acteurs de la contrefaçon semble être leur absence de
diligence pour s’assurer qu’ils n’étaient pas en train, quel que soit le fait matériel reproché, de
s’approprier l’œuvre d’autrui, une telle absence de vérification s’appréciant bien entendu de
façon plus ou moins sévère suivant le rôle joué par chacun » 116 . L’auteur de la contrefaçon
aurait dû avoir conscience des droits du titulaire de l’œuvre contrefaite, ou, tout du moins,
aurait dû s’informer des éventuels droits existant dessus. Ce n’est qu’en démontrant qu’il a été
particulièrement diligent que le prévenu pourra renverser la présomption de mauvaise foi par la
démonstration du caractère excusable de son erreur.
Peut-être ne faut-il pas exagérer l’importance de la présomption de mauvaise foi 117 , d’autant
que les juges la relèvent le plus souvent à l’encontre de l’auteur de la contrefaçon 118 . Mais la
présomption dénature la consistance de la volonté exigée. Dès lors que l’absence de diligences
permet de retenir la mauvaise foi de l’individu, l’infraction perd son caractère intentionnel
au profit de l’idée de faute 119 . Ce glissement a d’ailleurs conduit des auteurs à proposer une
distinction entre une infraction de contrefaçon véritablement intentionnelle et une infraction de
contrefaçon par négligence 120 .
La présomption joue ici un rôle considérable et particulièrement néfaste. L’effacement
qu’elle permet de la caractérisation du comportement sous son angle subjectif affecte de manière
fort contestable la nature intentionnelle de l’infraction réprimée. La contrefaçon, infraction
nécessairement intentionnelle, ne devrait être caractérisée que pour des comportements inten-

115. E. Dreyer, Contrefaçon, op. cit.


116. Ibid.
117. En ce sens, A. Lucas, J.-H. Lucas et A. Lucas-Schloetter, Traité de la propriété littéraire et artistique,
4ème éd., Lexisnexis, 2012, p. 878, no 1082. Rapp. P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, 10ème éd., PUF,
2017, p. 816, no 760.
118. Dans la très grande majorité des cas, le juge fait en effet état de la présomption tout en confortant sa position
par des indices de la mauvaise foi du prévenu. En ce sens, E. Dreyer, Contrefaçon, op. cit. ; A. Lucas, J.-H. Lucas
et A. Lucas-Schloetter, Traité de la propriété littéraire et artistique, op. cit., p. 878, no 1082.
119. V. P. Bouzat, « La présomption de mauvaise foi en matière de contrefaçon littéraire et artistique », art. préc. :
« la grande portée donnée à la présomption de mauvaise foi aboutit à faire de la contrefaçon plus une infraction de
simple négligence qu’une infraction intentionnelle ». Dans le même sens, E. Dreyer, Contrefaçon, op. cit.
120. Ibid., et J. Groffe, La bonne foi en droit d’auteur, th. préc., p. 158-159, nos 253 et s.

395
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

tionnels, sans pouvoir s’étendre à des faits de négligence. Lorsqu’elle aboutit à une modification
du caractère intentionnel d’une infraction, la présomption relative à la donnée principale de
l’élément psychologique entre en conflit évident avec le principe de légalité. Particulièrement
critiquable, le phénomène s’observe pourtant aussi dans le cas de présomptions judiciaires par
déplacement de l’objet de la preuve.

b. Les présomptions par déplacement de l’objet de la preuve

427. Généralité du phénomène – Les présomptions par déplacement de l’objet de la


preuve 121 sont également parfois l’occasion de dénaturations. Le phénomène peut être observé
en droit pénal des affaires. L’intention s’induira logiquement des circonstances et de la consta-
tation objective des faits 122 . De telles présomptions sont au reste expressément admises et
encouragées par le droit européen. Des directives communautaires ont ainsi précisé qu’en
matière de blanchiment, l’intention peut être établie « sur la base de circonstances de faits
objectifs » 123 . En soi, il n’y a rien de contestable à la mise en place de présomptions d’intention,
d’autant que, lorsque l’intention s’induit simplement de l’analyse des faits, elle se trouve établie.
Pour autant, en droit pénal des affaires, le même glissement de la matière intentionnelle à la
matière non intentionnelle a été observé 124 . A été critiquée une tendance vers l’admission du
dol éventuel, soit l’assimilation de « la faute lourde non intentionnelle au dol » 125 .
De même, en matière d’infractions contre les biens, la Cour de cassation semble trop souvent
se contenter d’une faute. S’agissant de l’escroquerie, il a ainsi été jugé que « l’absence de bonne
foi pourra résulter de l’impossibilité pour le prévenu de ne pas se douter de l’origine suspecte
des fonds » 126 . La solution a été appliquée de la même manière au recel. Dans l’espèce qui a
donné lieu à un arrêt en date du 27 juin 2012, un homme avait fait l’acquisition à l’occasion
d’un vide-grenier d’un scooter à un prix modeste. Or, le vendeur n’avait pas été en mesure de
lui remettre les documents en règle. En cause d’appel, les juges avaient jugés que l’attention
du prévenu, compte tenu de son âge, aurait dû être attirée sur ces circonstances douteuses. Un
pourvoi avait été formé par l’acheteur qui invoquait l’absence de vérification de l’élément moral

121. Il s’agit alors de présomptions du fait de l’homme.


122. Sur ce point, v. Y. Muller-Lagarde, « La bonne foi : « Peau de chagrin » du droit pénal des affaires », Gaz.
Pal. 2009, p. 26.
123. Directive no 91/308/CEE du 10 juin 1991 relative à la prévention et à l’utilisation du système financier aux
fins de blanchiment de capitaux et article 1C de la directive no 2001/97/CE du 4 déc. 2001 modifiant la directive
préc.
124. R. Merle, « L’évolution du droit pénal français contemporain », D. 1977, chron. p. 303 ; Y. Muller-
Lagarde, « La bonne foi : « Peau de chagrin » du droit pénal des affaires », art. préc. ; W. Jeandidier, « L’élément
moral des infractions d’affaire ou l’art de la métamorphose » in Une certaine idée du droit, Mélanges offerts à André
Decocq, Litec, 2004, p. 369.
125. R. Merle, « L’évolution du droit pénal français contemporain », art. préc.
126. Cass. crim., 31 janv. 2007, no 05-85.886 ; D. 2007, p. 1843, note B. Bouloc ; Rev. société 2007, p. 351, note
H. Matsopoulou ; RTD com. 2007, p. 617, obs. B. Bouloc.

396
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

du délit de recel par les juges du fond. Celui-ci est cependant rejeté par la Cour de cassation, pour
qui la cour d’appel a « sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous leurs éléments, tant
matériels qu’intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable » 127 .
S’il est vrai que, dans cet arrêt, les circonstances étaient particulièrement douteuses, il est à
noter que la vérification de l’intention y est négative. Il n’est pas affirmé que les faits laissaient
présumer l’élément psychologique, ni qu’ils s’en induisaient la volonté de leur auteur. Il est
jugé que l’attention de l’acheteur « aurait dû être attirée » par les conditions douteuses de son
acquisition. En d’autres termes, les juges n’ont pas vérifié que l’acheteur avait bien conscience de
l’origine frauduleuse du bien ; ils se sont contentés d’estimer qu’il ne devait pas ne pas en avoir
conscience. De l’affirmation selon laquelle l’agent ne pouvait pas ignorer l’origine d’un bien 128 ,
l’on glisse alors vers l’idée selon laquelle l’agent aurait dû avoir conscience de cette origine. Une
telle solution aboutie par suite à sanctionner l’absence de diligences en matière de recel, bien
plus que la volonté de receler. Comme il a pu l’être relevé, l’expression employée par les juges
contient tout au plus l’affirmation de « l’existence d’un simple dol éventuel, inassimilable au dol
général » 129 .

428. De « l’ignorance interdite » – Il s’ensuit qu’en matière de recel – comme en matière


d’infractions d’affaires – un glissement s’observe d’une théorie de la connaissance obligée
(l’agent ne pouvait pas ne pas savoir 130 ) vers une théorie de « l’ignorance interdite » 131 (l’auteur
n’aurait pas dû ignorer que 132 ). Un tel glissement est critiquable à deux titres. Tout d’abord, si
la preuve contraire est concevable dans le premier cas, elle l’est bien moins dans le second,
où seule pourra être admise la preuve de la bonne foi en sa dimension subjective. Autrement
dit, est seule concevable un renversement de la présomption par la démonstration d’une erreur
excusable. En outre, là encore, sous couvert d’une présomption d’intention, la jurisprudence
permet en réalité une modification de la nature de ces infractions qui se teintent d’une simple
négligence blâmable. Sont alors sanctionnés sous la même incrimination des comportements
véritablement volontaires et des comportements simplement négligents.
Outre le caractère condamnable de cette théorie de « l’ignorance interdite » qui entre
en contradiction évidente avec le principe de légalité 133 , le caractère indispensable de la

127. Cass. crim, 27 juin 2012, Bull. crim., no 11-86.555 ; Gaz. Pal. 2012, no 36, obs. S. Detraz.
128. La solution est fréquente en matière de recel. V. par ex. Cass. crim., 5 mai 1993, no 91-83.101 ; RSC 1994,
p. 340, obs. P. Bouzat.
129. S. Detraz obs. sur Cass. crim, 27 juin 2012, Gaz. Pal. 2012, no 36.
130. Pour une critique de cette tendance et de la présomption de responsabilité qu’elle contient, v. B. Bouloc
note sous Cass. crim., 31 janv. 2007, D. 2007, p. 1843.
131. Ces expressions sont not. utilisées par Madame Muller-Lagarde, « La bonne foi : « peau de chagrin » du
droit pénal des affaires », art. préc.
132. Ibid.
133. Le champ des incriminations se trouve considérablement élargi par ces pratiques.

397
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

caractérisation des faits sous leur élément psychologique est particulièrement affaibli par ce
qui dépasse de beaucoup le domaine de la présomption. La donnée principale de l’élément
psychologique exigée théoriquement par le texte d’incrimination ne fait absolument plus l’objet
d’une vérification positive, si bien que l’on peut s’interroger sur son caractère strictement
indispensable. La jurisprudence est donc à la fois contraire à la légalité et à l’économie des
éléments constitutifs. Elle nie l’exigence de typicité et remet de ce fait en cause l’utilité des
éléments dans la caractérisation de l’infraction. Mais plus problématique encore est le cas de la
présomption irréfragable de volonté, dont une au moins peut être identifiée en matière pénale.

2. La dispense d’analyse subjective du comportement : la présomption irré-


fragable en matière contraventionnelle

429. Une possible spécificité probatoire – Outre les présomptions qui, non seulement
affectent l’obligation de vérification de la volonté de l’agent, mais aussi opèrent un glisse-
ment dans la teneur de la volonté vérifiée, il existe une hypothèse de présomption dispensant
totalement le juge d’analyser le comportement sous son angle subjectif. Elle se rencontre en
matière contraventionnelle. Pour cette catégorie d’infractions, il est possible d’hésiter entre une
spécificité structurelle et une spécificité probatoire 134 . Malgré des désaccords, une partie de la
doctrine se prononce en faveur de la seconde approche 135 . Les contraventions étant, pour le
législateur, des infractions 136 , elles doivent répondre à la complémentarité de principe. Or, en
la matière, il a toujours été admis que la dimension subjective n’a pas à être vérifiée par le juge.
Plus, le défaut d’intention ne fait pas obstacle à la qualification des faits 137 , non plus que la bonne

134. V. not. et F. Chabas, « La notion de contravention », RSC 1969, p. 1 et p. 281, revenant sur les deux approches
retenues en doctrine. Pour une troisième catégorie d’auteurs, la faute serait incluse dans les faits contraventionnels.
En d’autres termes, elle résulterait de la contravention à la loi. En ce sens, R. Legros, L’élément moral dans les
infractions, th. préc., p. 14, no 14, et R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 582, no 515. Mais il
faut admettre, comme le souligne Monsieur Merle, qu’une telle solution ne résout rien car toute infraction contient
un acte en contradiction d’une loi. Selon lui, donc, cette position reviendrait à nier le concept d’intention. P. Merle,
Les présomptions légales en droit pénal, th. préc., p. 126, no 123.
135. B. Bouloc, Droit pénal général, op. cit., p. 241, no 266 ; F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal
général, op. cit., p. 69, no 113 ; W. Jeandidier, Droit pénal général, op. cit., p. 219, no 193 ; C. Ambroise-
Castérot, Présomption d’innocence, op. cit. ; A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., p. 226, qui relève par
ailleurs que la présomption est l’opinion « classique » en doctrine et cite l’opinion de Monsieur Garçon. Estimant
néanmoins que les contraventions sont « sans connotation morale », v. X. Pin, Droit pénal général, op. cit., p. 41,
no 35. Dans le même sens, J. Pradel, Traité de droit pénal et de sciences criminelles comparées, op. cit., p. 271,
no 283.
136. Elles sont visées par l’article 111-1 comme des infractions. Par ailleurs, il a pu être remarqué qu’elles donnent
lieu à l’application de sanctions pénales et relèvent des juridictions pénales. S. Detraz, « Faut-il maintenir les
contraventions dans le domaine pénal ? » in Droit pénal : le temps des réformes, sous la dir. de V. Malabat, B. de
Lamy et M. Giacopelli, Litec, 2011, p. 39.
137. La solution est constante en jurisprudence depuis le XIXème siècle. V. not. Cass. crim., 6 déc. 1867, Bull.
crim., no 248 : « Qu’en concluant de ces faits que le prévenu n’avait pas eu l’intention de tirer sur cette pièce de
gibier, l’arrêt attaqué a admis une excuse arbitraire, donné à l’acquittement de X... une base illégale et violé les

398
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

foi du contrevenant 138 . La Cour de cassation affirme en effet « qu’en matière de contravention, il
suffit, en principe, pour l’application de la loi pénale, que le fait punissable soit matériellement
constaté ; que dès lors l’excuse tirée de la bonne foi n’est pas de nature à faire disparaître la
contravention » 139 .
Ancienne, la solution est d’ailleurs consacrée par l’article 121-3 qui n’affirme le principe
de l’intention que pour les crimes et les délits. Pour les contraventions, à l’inverse, il est
simplement précisé qu’ « il n’y a point de contravention en cas de force majeure » 140 . De cette
simple précision, il résulterait une spécificité procédurale. En raison de l’objet de ce type
d’infraction et de la faible peine associée 141 , la preuve de la volonté n’aurait pas à être rapportée
en matière contraventionnelle, celle-ci étant présumée par l’article 121-3 142 de manière quasi
irréfragable 143 .

430. Une évidente spécificité structurelle – En réalité, il est possible de douter de cette
spécificité procédurale. Bien plus qu’il ne semble admettre une présomption de volonté, l’article

dispositions des divers articles ci-dessus visé ». V. égal. Cass. crim., 16 nov. 1976, Bull. crim., no 325 ; Cass. crim.,
1er mars 1994, no 93-83.709. Et s’agissant d’un délit matériel, Cass. crim., 27 mai 1959, Bull. crim., no 279.
138. Une exception existe néanmoins pour les infractions douanières pour lesquelles la bonne foi est constitutive
d’un fait justificatif en matière délictuelle comme contraventionnelle : Cass. crim., 20 fév. 1997, Bull. crim., no 73 ;
RTD com. 1997, p. 694, obs. B. Bouloc. Selon Monsieur Bouloc, la Cour de cassation reconnaît implicitement
« que les contraventions comportent un élément moral, même si celui-ci fait l’objet d’une présomption favorable
à l’accusation ». Néanmoins, et outre le fait qu’il est étonnant de qualifier l’absence d’intention de fait justificatif,
l’attendu demeure circonstancié au cas des infractions douanières pour lesquelles le principe est admis depuis 1988
(Cass. crim., 28 nov. 1988, Bull. crim., no 399 ) et une loi du 8 juillet 1987 levant l’interdiction en matière douanière,
pour le contrevenant, de rapporter la preuve de sa bonne foi. La solution n’a jamais été généralisée depuis lors. Sur
les infractions douanières et l’admission progressive d’un élément moral dans leur caractérisation, v. P. de Guardia,
« L’élément intentionnel dans les infractions douanières », art. préc.
139. Cass. crim., 16 nov. 1976, Bull. crim., no 325. En l’espèce, était invoquée une erreur de fait, qui avait d’ailleurs
été retenue par la cour d’appel.
140. Code pén., art. 121-3, al. 5.
141. Levasseur relève ainsi que les contraventions ont pour particularité d’avoir dans l’opinion publique « le
caractère d’une faute vénielle », dont le châtiment, de faible gravité, n’entraîne aucune déconsidération à l’égard
du condamné. G. Levasseur, « Une révolution en droit pénal : le nouveau régime des contraventions », D. 1959,
p. 121. C’est en outre la faiblesse des peines qui justifie en la matière la possibilité de cumul de sanctions (Code
pén., art. 132-7). En ce sens, G. Quero, « Le cumul des contraventions et ses problèmes », Gaz. Pal. 1976, doctr.
p. 284.
142. En ce sens, E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 303, no 371.
143. C. Ambroise-Castérot, Présomption d’innocence, op. cit., no 45 : « La faute est alors tout simplement
présumée, de manière quasi irréfragable ». La seule possibilité légalement prévue étant la force majeure, la
présomption de volonté semble donc pouvoir être renversée dans ce cas particulier. Le Conseil constitutionnel
s’oppose pourtant en apparence à une telle présomption. Cons. const., 10 mars 2011, no 2011-625 DC ; AJDA 2011,
p. 1097, note D. Ginocchi ; D. 2011, chron., p. 1162, chron. P. Bonfils ; D. 2012, p. 1638, obs. V. Bernaud et
N. Jacquinot ; AJCT 2011, étude, p. 182, obs. J.-D. Dreyfus ; Constitutions 2011, p. 223, obs. A. Darsonville ;
Constitutions 2011, chron., p. 581, chron. V. Tchen ; RSC 2011, chron., p. 728, chron. C. Lazerges ; RSC 2011,
étude, p. 789, note M.-A. Granger ; RSC 2012, p. 227, obs. B. de Lamy : « le législateur ne saurait instituer de
présomption de culpabilité en matière répressive ; [...] toutefois, à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent
être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu’elles ne revêtent pas de caractère irréfragable ».
Toutefois, dans cette hypothèse, c’est davantage à l’admission de cas de responsabilité du fait d’autrui que le Conseil
s’est opposé. En effet, selon lui, la loi, « en permettant de punir le représentant légal à raison d’une infraction
commise par le mineur, a pour effet d’instituer, à l’encontre du représentant légal, une présomption irréfragable de
culpabilité ». Comp. Cons. const., 10 juin 2009, no 2009-580 DC.

399
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

121-3 en son alinéa 5 affirme la spécificité de la « faute » contraventionnelle (s’il est possible ici
de parler de « faute »), qui n’a à être ni intentionnelle, ni volontaire 144 . C’est au demeurant
ce que semble suggérer le législateur lorsqu’il qualifie dans la Circulaire du 14 mai 1993 la
contravention d’infraction matérielle 145 . Celle-ci peut être constituée, selon ses termes, « même
en l’absence de faute » 146 . Le fait, dès lors qu’il contrevient à la loi, constitue l’infraction, sans
qu’il soit besoin de s’interroger sur la faute de son auteur 147 .
Le recours à la présomption irréfragable permet de maintenir le principe de l’importance
de la volonté 148 , mais sans doute au prix d’un artifice. Une telle présomption relève bien plus
du domaine de la fiction 149 que de celui de la présomption 150 : « Parce que cette règle exclut
la preuve contraire [...], elle conduit à attacher l’effet produit au seul fait connu. Autrement
dit, la présomption irréfragable réalise une réduction du nombre des conditions déterminant
l’application d’une solution donnée » 151 . Par conséquent, que l’on raisonne en termes de
spécificité structurelle ou de spécificité probatoire, le résultat est inchangé. En matière de
contravention, par principe, le juge est totalement dispensé d’analyser le comportement sous
son angle subjectif.

431. L’importance résiduelle des données subjectives – Les données subjectives ne sont
certes pas totalement ignorées en la matière, en ce que l’infraction ne sera pas caractérisée en cas
de force majeure. Par ailleurs, la doctrine s’accorde à considérer que l’absence des conditions

144. V. Circulaire générale présentant les dispositions du nouveau code pénal, op. cit., p. 29, où il est expliqué
que cette précision a pour but de « mettre en évidence le caractère particulier de la faute contraventionnelle ».
145. Dans la circulaire préc. il est ainsi affirmé que les contraventions demeurent les seules « infractions
matérielles » subsistant en droit pénal. Sur les infractions matérielles demeurant toutefois en droit européen. V.
R. Bouscant, « La faute dans les infractions aux règles de concurrence en droit européen », RTD eur. 2000, p. 67.
146. Circulaire générale présentant les dispositions du nouveau code pénal, op. cit., p. 29. C’est par conséquent
ce qu’admet le Conseil d’État, qui affirme expressément « que les contraventions constituent, sauf dispositions
contraires, des infractions matérielles ne comportant pas d’élément intentionnel » CE, 9 et 10ème sous-sections
réunies, 16 juil. 2008, Recueil Lebon ; RTD com. 2008, p. 750, obs. F. Pollaud-Dulian ; CCE 2008, comm. 111,
obs. C. Caron.
147. Messieurs Chauveau et Hélie l’affirmaient déjà : la contravention n’est constituée que par « le seul fait
matériel » A. Chauveau et F. Hélie, Théorie du Code pénal, op. cit., t. 6, p. 286. La responsabilité a ainsi pu être
qualifiée en la matière de « causale » par M. Hauriou note sous CE, 8 mai 1896, S. 1897, 3, p. 113. Néanmoins,
Hauriou pousse particulièrement loin le raisonnement, ce qui lui a valu de très nombreuses critiques de la part de
la doctrine. Il estime en effet que pour les contraventions, contraires à l’ordre de fait établi par les règles de police,
« il n’est pas besoin [qu’elles] proviennent d’une volonté responsable ». Ainsi, selon lui, la répression serait possible
même en présence d’une cause de non imputabilité.
148. Admettant avoir cédé à la tentation de la généralisation en la matière, G. Levasseur, « Étude de l’élément
moral de l’infraction » in Confrontation de la théorie générale de la responsabilité pénale avec les données de la
criminologie, Travaux du colloque de science criminelle, Toulouse, op. cit.
149. La fiction s’oppose à la réalité et, plus particulièrement, à la réalité juridique. C. Perelman, « Présomptions
et fictions en droit, Essai de synthèse » in Les présomptions et les fictions en droit, sous la dir. de C. Perelman et
P. Foriers, Bruylant, 1974, p. 339.
150. En ce sens, G. Wicker, Les fictions juridiques : contribution à l’analyse de l’acte juridique, th. préc., p. 12,
no 3, et A.-M. Leroyer, Les fictions juridiques, 1995, Thèse, Paris II, p. 204. Pour une position plus nuancée,
C. Hardouin-Le Goff, « Les fictions légales en droit pénal », art. préc.
151. G. Wicker, Les fictions juridiques : contribution à l’analyse de l’acte juridique, th. préc., p. 12, no 3.2.

400
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

d’imputabilité fait également obstacle à la caractérisation de l’infraction 152 . C’est tout de même
restreindre la composante subjective de l’infraction à sa plus simple expression 153 , d’autant
qu’en tant que cause d’irresponsabilité, la force majeure est un moyen de défense. Plus largement,
les conditions d’imputabilité ne font pas l’objet d’une vérification effective 154 , si bien qu’il
est souvent admis qu’elles font également l’objet d’une présomption. La caractérisation des
contraventions se passe donc totalement d’une analyse du comportement sous son angle subjectif.
La seule matérialité des faits est ici suffisante pour engager la responsabilité de leur auteur, sans
qu’il soit besoin d’envisager le comportement ni sous son angle subjectif ni sous son angle
antijuridique.

432. Une double spécificité structurelle – Les contraventions présentent donc une par-
ticularité dans leur qualification qui est elle-même la résultante de cette double spécificité
structurelle 155 : ces infractions sont dépourvues à la fois de composante intellectuelle et de
composante antijuridique. Messieurs Chauveau et Hélie le relevaient déjà : « Parmi les actions
punissables il n’existe qu’une seule distinction qui soit vraie, parce qu’elle est puisée dans leur
nature. En effet, les unes prennent leur criminalité dans la moralité du fait, dans l’intention de
l’agent : on les appelle crimes ou délits. Les autres ne sont que des infractions matérielles à des
prohibitions ou à des prescriptions de la loi ; elles existent par le seul fait de la perpétration ou
de l’omission et indépendamment de l’intention de l’agent. Ce sont les contraventions » 156 . On
retrouve dans cette distinction deux critères discriminants qui font la spécificité des contraven-
tions : l’absence totale de prise en compte de la volonté et l’absence de caractère attentatoire
du comportement (les contraventions ne sont que des infractions à des prescriptions légales).
En effet, contrairement aux crimes et aux délits, les contraventions n’ont vocation qu’à assurer
une discipline collective et à régler la vie en communauté 157 . Leur punition ne vient pas

152. V. not. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 306, no 291. V. toutefois Cass. crim., 20 juin 2000, no 99-
86.984, affirmant que « seule la force majeure [est] de nature à supprimer l’infraction ». Elle ne statuait néanmoins
pas sur un cas de défaut d’une des conditions de l’imputabilité.
153. Si l’on rattache les conditions d’imputabilité à la responsabilité et non à l’infraction, la composante subjective
des contraventions est du reste totalement absente.
154. Il n’existe ainsi aucune obligation pour les juges de se prononcer sur les capacités intellectuelles de l’agent. La
vérification du caractère volontaire ou intentionnel du comportement accompli suffit. Même en matière criminelle,
la Cour de cassation estime qu’« aucune disposition du code de procédure pénale ne fait obligation au juge
d’instruction d’ordonner, dans le cadre d’une information ouverte en matière criminelle, une expertise psychiatrique
ou psychologique ». Cass. crim., 24 août 2016, no 16-83.546. C’est donc, en principe, à l’accusé qu’il revient d’en
faire la demande.
155. Pour les autres spécificités des contraventions par rapport aux crimes et délits, v. S. Detraz, « Faut-il
maintenir les contraventions dans le domaine pénal ? » in Droit pénal : le temps des réformes, op. cit.
156. A. Chauveau et F. Hélie, Théorie du Code pénal, op. cit., cité par S. Detraz, « Faut-il maintenir les
contraventions dans le domaine pénal ? » in Droit pénal : le temps des réformes, op. cit.
157. En ce sens, P. Merle, Les présomptions légales en droit pénal, th. préc., p. 128, no 125, reprenant sur ce
point la position de Monsieur Légal (A. Légal, « La responsabilité sans faute » in La Chambre criminelle et sa
jurisprudence, Recueil d’études en hommage à la mémoire de M. Patin, Cujas, 1965, p. 129). Dans le même sens,

401
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

réellement sanctionner une atteinte à un intérêt protégé 158 , raison pour laquelle la contravention
a un caractère « purement matériel qui revient à faire fi des nuances d’ordre psychologique ou
moral » 159 .
L’intérêt de la distinction proposée par Messieurs Chauveau et Hélie est donc d’insister
sur la double spécificité structurelle de cette catégorie. Par ailleurs, les critères utilisés dans la
distinction faite par les auteurs permettent de nuancer l’opposition entre les délits et crimes d’une
part et les contraventions d’autre part. L’opposition n’est en effet pas aussi marquée. S’il est vrai
que les contraventions sont en règle générale des comportements essentiellement attentatoires
à l’ordre public et dénués de dimension psychologique, la catégorie est particulièrement hété-
rogène 160 . Certains délits ayant été disqualifiés en contraventions, les textes font selon les cas
ou non état d’une atteinte et d’une intention particulière. L’exemple le plus typique réside dans
le délit de violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure à huit
jours 161 . Cette infraction, bien qu’elle relève aujourd’hui de la catégorie des contraventions, n’en
est pas moins aux termes de la loi une infraction intentionnelle. Pour ce type de contraventions,
la qualification suivra le schéma classique. Le caractère volontaire étant légalement précisé, il
devra impérativement être vérifié et prouvé par le Ministère public pour que la condamnation
soit légale 162 . Il en va de même du caractère attentatoire 163 . La double spécificité structurelle
ne vaut donc que pour une partie d’entre elles.

433. Une nature infractionnelle douteuse – Cette double spécificité a conduit certains
auteurs à douter du caractère véritablement infractionnel des contraventions et à l’opportunité
de les maintenir dans le champ du droit pénal 164 . Dans certains pays, dont l’Allemagne, l’Italie
ou les Pays-Bas, les contraventions font d’ailleurs l’objet d’une répression administrative. Les
doutes sont d’autant plus importants quant à la nature des contraventions qu’elles ne suivent

Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 309, no 294. Pour une analyse critique de cette spécificité, v. égal.
P. Heitzmann, De la notion de contravention, 1938, Nancy, Société d’impressions typographiques, p. 29 et s.
158. Les contraventions sont « des infractions à la discipline sociale plutôt que des atteintes aux valeurs essen-
tielles de la société ». S. Detraz, « Faut-il maintenir les contraventions dans le domaine pénal ? » in Droit pénal :
le temps des réformes, op. cit.
159. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 310, no 294.
160. F. Chabas, « La notion de contravention », art. préc. V. égal. P. Heitzmann, De la notion de contravention,
th. préc., et A. Légal, « La responsabilité sans faute » in La Chambre criminelle et sa jurisprudence, Recueil
d’études en hommage à la mémoire de M. Patin, op. cit.
161. Code pén., art. R.625-1. V. not. C. Courtin, Rép. dr. pén., Contravention, 2010.
162. En ce sens, E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 169, no 203.
163. Même en l’absence d’ITT, l’atteinte à l’intégrité doit être vérifiée.
164. Certains auteurs estiment en effet envisageable le recours à une procédure administrative pour ce type de
contraventions, à l’image de l’Allemagne. J.-H. Robert, Droit pénal général, op. cit., p. 93 ; W. Jeandidier, Droit
pénal général, op. cit., p. 216, no 190. V. égal. S. Detraz, « Faut-il maintenir les contraventions dans le domaine
pénal ? » in Droit pénal : le temps des réformes, op. cit. Monsieur Detraz relève qu’il serait alors nécessaire d’opérer
un tri dans les incriminations des contraventions afin de déterminer l’ampleur de la dépénalisation et de déterminer
l’organe compétent pour connaître des contraventions dépénalisées.

402
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

pas totalement le même régime que les crimes et les délits, notamment en matière de cumul
des sanctions 165 . Au moins pour les contraventions dont la qualification ne dépend que de la
matérialité des faits, les sortir du domaine pénal permettrait à la fois à restaurer la cohérence du
droit pénal et d’accroître l’efficacité de la répression 166 .
Il est par ailleurs intéressant de relever que ces spécificités structurelles ne sont pas propres
aux contraventions. On les retrouve également dans certaines infractions dites formalistes où le
seul résultat redouté par le législateur tient à la violation de la norme et où l’appréciation de
l’intention n’a pas à intervenir dans l’exercice de qualification. En effet, la Cour de cassation
admet en la matière que la constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescrip-
tion légale ou réglementaire implique l’intention de commettre l’infraction 167 . Elle relativise ce
faisant l’obligation pour les juges de caractériser les faits au regard de l’intention de l’agent.
Ici aussi, le comportement n’aura pas à être analysé sous son angle subjectif. Dès lors que
la connaissance de la loi est présumée, sa violation ne peut être faite qu’en connaissance de
cause, si bien qu’il n’est pas nécessaire de s’attacher à apprécier la perception que l’agent a
pu avoir de son acte. Ces comportements présentent donc la même structure matérielle que les
contraventions 168 .
Sans revenir sur la problématique de la classification tripartite des infractions 169 et sans
prétendre trancher le difficile débat relatif à la dépénalisation des contraventions et des infrac-
tions techniques, il faut donc constater ici que la structure de ces comportements rend leur
nature infractionnelle douteuse. Leurs caractérisations ne suivent pas le schéma classique, ni
sous l’angle antijuridique, ni sous l’angle psychologique, que le juge est totalement dispensé
d’apprécier. Pour ces comportements, ce n’est pas seulement la donnée principale de l’élément
psychologique qui fait défaut. Plus largement, la qualification se fera indépendamment d’une

165. Ainsi, le Code pénal (art. 132-7) prévoit expressément et de manière dérogatoire la possibilité du cumul
des sanctions. Ce principe a conduit à une inquiétude au sein de la doctrine en raison du caractère exorbitant que
pouvait prendre le cumul et ce d’autant plus que la jurisprudence a, dans un premier temps, admis la qualification
de plusieurs contraventions même en cas de faute unique avant d’opérer un revirement. V. J.-C. Fourgoux,
« Infractions contre l’ordre économique », RSC 1984, p. 755, et J. Salvaire, « Le cumul idéal de contraventions »,
JCP 1960, I, 1588. En outre, les contraventions ne peuvent faire l’objet ni d’une tentative ni de complicité (hormis
par instigation). V. S. Detraz, « Faut-il maintenir les contraventions dans le domaine pénal ? » in Droit pénal : le
temps des réformes, op. cit.
166. Ibid. V. égal. J.-H. Robert, « Pour une restauration de la contravention de police » in Le droit pénal à l’aube
du troisième millénaire, Mélanges offerts à Jean Pradel, Cujas, 2006, p. 161.
167. V. par ex. Cass. crim., 16 juin 2009, no 08-87 ;911, cité par S. Detraz, « Faut-il maintenir les contraventions
dans le domaine pénal ? » in Droit pénal : le temps des réformes, op. cit. Comp. Cass. crim., 25 mai 1994, no 93-
85.158 ; D. 1995, p. 366, obs. J.-H. Robert ; D. 1995, p. 97, obs. B. Bouloc.
168. Pour cette raison, Monsieur Robert estime que « ce droit devrait retourner dans le berceau où il naquit, le
domaine des contraventions ». J.-H. Robert, « Pour une restauration de la contravention de police » in Le droit pénal
à l’aube du troisième millénaire, Mélanges offerts à Jean Pradel, op. cit. Comp. S. Detraz, « Faut-il maintenir
les contraventions dans le domaine pénal ? » in Droit pénal : le temps des réformes, op. cit., qui s’interroge sur
l’opportunité d’étendre une éventuelle dépénalisation à ces infractions.
169. Les deux problématiques sont intimement liées. Toutefois, certaines contraventions présentant tous les
attributs des infractions, la division semble devoir demeurer.

403
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

prise en compte de la psychologie de l’agent. La seule hypothèse dans laquelle des données
d’ordre psychologique seront envisagées sera celle où est invoquée l’absence d’une des condi-
tions relatives à l’imputabilité des faits.
C’est d’ailleurs désormais sur ces conditions qu’il convient de s’attarder et, plus largement,
sur les circonstances constitutives de la volonté dont elles relèvent.

Section 2 – Les circonstances de la volonté

434. Identification des circonstances – Plus encore que pour les autres angles d’analyse,
il peut sembler artificiel de scinder la dimension psychologique en une donnée principale et
des circonstances la particularisant. Comme l’affirmait Monsieur Pageaud, « il est arbitraire
et artificiel de séparer, dans une conduite humaine, chacune des facultés intellectuelles ou
mentales d’un individu » 170 . L’intention ou la volonté ne peuvent s’apprécier que dans leur
ensemble. D’un point de vue plus théorique et dans un objectif didactique, il faut toutefois
remarquer que le constat de la volonté ou de l’intention n’est pas suffisant. L’exigence de
volonté est générale : elle ne porte pas seulement sur le fait principal, mais se propage à tout le
comportement. L’élément psychologique inclus donc, pour les infractions intentionnelles, outre
l’intention proprement dite, la connaissance du contexte factuel et antijuridique dans lequel vient
se dérouler le fait. Le plus souvent, le constat de l’intention fait à l’occasion de l’analyse du
comportement sous son angle subjectif emportera le constat de la connaissance du contexte
factuel, de sorte que les deux seront indissociables. Mais s’il peut paraître artificiel de séparer
l’intention de la connaissance des autres circonstances, il n’en reste pas moins que théoriquement,
cette connaissance est indispensable et s’ajoute à l’intention proprement dite. Elle peut donc être
analysée en circonstances constitutives, devant être vérifiée par le juge.
Par ailleurs, analyser le comportement sous son angle subjectif, c’est s’intéresser à la
perception qu’a eue l’agent de son acte, afin de voir si elle correspond à une qualification légale.
C’est donc de manière concrète qu’il convient d’apprécier cette perception et non détachée de
son contexte. Il est vrai, toutefois, que la volonté retenue lors de qualification des faits repose
sur un certain nombre d’hypothèses, considérées comme acquises par le juge. Elles tiennent aux
capacités intellectuelles de l’agent et à son libre arbitre, ainsi qu’à la connaissance de l’illégalité
de son comportement. Bien que considérées comme acquises et donc non systématiquement
vérifiées, ce sont ces hypothèses qui rendent la volonté coupable et, par conséquent, punissable.

170. P.-A. Pageaud, « La notion d’intention en droit pénal », art. préc.

404
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

Elles ne peuvent donc pas être séparées du comportement. Sans elles, la volonté est abstraite et la
répression n’apparaît pas justifiée. Elles forment par conséquent une autre série de circonstances
constitutives, qui ont la particularité de ne pas devoir être forcément vérifiées par le juge. Elles
sont présumées, de sorte que l’exercice de qualification se concentrera essentiellement sur la
volonté ou l’intention de l’auteur des faits. Elles restent néanmoins indispensables pour que la
perception qu’a eue l’agent de son acte soit similaire à la perception attendue pour caractériser
l’infraction. Ces hypothèses, ou prémisses, tenues pour acquises par le juge forment donc une
série de circonstances constitutives, qui, à l’inverse de celles devant être vérifiées (I), seront
présumées (II).

§ 1. Les circonstances constitutives donnant lieu à une vérification

435. Circonstances constitutives et connaissance – Le caractère volontaire du compor-


tement ne s’apprécie pas seulement au regard de l’intention de commettre les faits. L’élément
psychologique porte également sur les autres circonstances, qu’elles soient factuelles ou antijuri-
diques. La connaissance de ces circonstances s’ajoute donc à l’intention (A), étant précisé qu’ici
comme pour les autres éléments, les circonstances aggravantes peuvent modifier dans certains
cas la consistance de l’élément psychologique de l’infraction simple. Selon les cas, l’influence
des circonstances aggravantes sur l’élément subjectif sera toutefois variable (B).

A. La connaissance des circonstances objectives

436. De la symétrie entre la dimension objective et la dimension subjective – Comme


cela a déjà évoqué, la doctrine considère qu’il existe une certaine symétrie entre la dimension
objective et la dimension subjective de l’infraction. Pour que l’élément psychologique soit
caractérisé, il ne suffit donc pas que le fait en lui-même soit intentionnel. L’intention se propage
aux autres circonstances exigées par les textes. Dans l’approche traditionnelle, cette règle résulte
de la définition du dol général selon laquelle l’agent doit avoir voulu accomplir le comportement
décrit par la loi. Il doit donc avoir, au minimum, connaissance ou conscience des différentes
circonstances 171 qui accompagne le fait. Il en résulterait un véritable « parallélisme » 172 entre
la composition de la dimension objective de l’infraction et la composition de sa dimension
subjective.

171. En ce sens, J.-M. Thevenon, L’élément objectif et l’élément subjectif de l’infraction, th. préc., p. 99 :
l’intention « englobe nécessairement la connaissance des faits extérieurs quels qu’ils soient ». Dans le même sens,
R. Griffon, De l’intention en droit pénal, th. préc., p. 121. S’agissant des faits externes autres que l’activité
matérielle, Monsieur Thévenon estime par contre qu’il faut alors parler de conscience et non de volonté. J.-
M. Thevenon, L’élément objectif et l’élément subjectif de l’infraction, th. préc., p. 96.
172. Ibid., not. p. 147.

405
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

Si une certaine symétrie entre la dimension objective et la dimension subjective existe


indéniablement, la justification par le recours à une définition légaliste du dol général n’est
pas satisfaisante. Est-ce réellement parce que l’agent a voulu violer la loi et accomplir le
comportement décrit que la concordance doit exister ? La justification de la symétrie ne peut
être trouvée dans un tel artifice. Elle est par contre partiellement confortée par l’article 121-
3. Selon cet article, « il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre » 173 .
Cette rédaction suggère donc que l’intention doit porter sur le comportement tel que décrit dans
l’incrimination. Pour autant, la symétrie ne ressort que partiellement de ce texte, car tout dépend
de ce qui est visé par l’expression « crime ou délit ». Est-ce le crime ou le délit décrit (infraction
description), ou celui commis (infraction action) ? Dans le premier cas, l’article 121-3 est une
consécration pure et simple de la définition strictement légaliste du dol général. Dans le second,
il impose plus simplement que les faits aient été commis intentionnellement. À bien y réfléchir,
l’opposition n’est en définitive peut-être pas si fondamentale qu’il y paraît. Car peu importe, en
réalité, que l’agent ait eu connaissance des différentes exigences du texte d’incrimination ou, plus
généralement, qu’il ait entendu violer le texte en accomplissant exactement le comportement
prévu. Ce qui est exigé en revanche en vue de la qualification, c’est une corrélation parfaite
entre le comportement accompli et le comportement décrit, cette corrélation étant aussi bien
intellectuelle que matérielle et antijuridique. La perception qu’a eue l’agent de son acte doit
donc correspondre à la perception qui résulte du texte d’incrimination, de sorte que le caractère
volontaire se propage aux différentes circonstances constitutives du comportement. Ne pas avoir
une conception légaliste de la volonté ne remet donc pas en cause le principe car le comportement
accompli par l’agent doit être voulu dans sa globalité et sa complexité. Ce n’est qu’à cette
condition qu’il correspondra objectivement et subjectivement au comportement incriminé. Le
caractère intentionnel se propage à l’ensemble de celui-ci, décrit comme accompli, si bien qu’il
est possible sur ce point de rejoindre la conception légaliste du dol général impliquant que
« l’agent a voulu l’acte avec toutes ses particularités » 174 .
L’élément psychologique ne se cantonne donc pas à la volonté de l’acte, mais implique une
conscience du contexte factuel dans lequel vient se dérouler l’infraction. Il s’ensuit notamment
que l’agent devra avoir connaissance de la condition relative à la valeur protégée 175 et des
différentes circonstances 176 . De même, la volonté ne porte en principe pas seulement sur le

173. Code pén., art. 121-3. Nous soulignons.


174. C. de Jacobet de Nombel, Théorie générale des circonstances aggravantes, th. préc., p. 85, no 131.
175. En ce sens, mais s’agissant plus largement de la condition dite préalable, B. Thellier de Poncheville, La
condition préalable de l’infraction, th. préc., p. 317, no 579.
176. Notamment, l’agent devra avoir conscience des circonstances de lieu, de qualité du sujet, ou plus largement
des différentes circonstances factuelles. S’agissant plus spécifiquement des circonstances aggravantes, v. infra,
no 438.

406
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

fait principal, mais s’étend au moyen employé. C’est le comportement, dans son ensemble, qui
doit être intentionnel, ce qui implique que l’intention porte sur toutes les circonstances prévues
par les textes.

437. Le caractère indissociable de l’intention – La question se pose alors de savoir si


cette connaissance du contexte factuel et antijuridique est une circonstance venant s’adjoindre
à la volonté du fait principal ou si elle dépend de cette volonté parce qu’elle s’y incorpore.
Théoriquement, il est tout à fait possible de considérer que, outre la volonté d’accomplisse-
ment du fait ou l’intention, il est nécessaire de vérifier que cette volonté s’accompagne de la
connaissance du contexte dans lequel le comportement prend place. Autrement dit, il s’agit pour
le juge, dans l’exercice de qualification, non seulement de s’assurer que le comportement était
voulu et éventuellement intentionnel, mais aussi de la connaissance par l’agent des différentes
circonstances constitutives. Cette approche répond parfaitement à l’exercice de qualification
par comparaison. Toutefois, l’analyse du comportement sous son angle subjectif présente
une spécificité qui impliquera que, dans beaucoup de cas, la constatation de l’intention sera
indissociable de la connaissance du contexte. La solution n’est pas choquante dès lors que cette
connaissance n’est pas douteuse. L’intention est un tout, outre le fait qu’elle ne peut faire l’objet
de preuves tangibles. Sa vérification ne peut donner réellement lieu à un exercice de comparaison,
condition par condition. C’est donc, le plus souvent, l’élément psychologique dans sa globalité
qui sera constaté, emportant l’affirmation de l’intention et de la connaissance du contexte. Celle-
ci sera au demeurant également déduite des constatations objectives. Ainsi, l’intention de tuer par
empoisonnement ne se conçoit pas sans la connaissance du caractère mortifère de la substance,
de même que l’évasion ne peut être intentionnelle qu’avec la connaissance de la qualité de
détenu 177 . Dans beaucoup d’hypothèses, c’est donc l’intention dans son ensemble qui sera
constatée, ce qui ne signifie pas pour autant que la connaissance du contexte soit indifférente.

B. L’influence variable des circonstances aggravantes

438. L’admission limitée de la connaissance des circonstances aggravantes objectives –


Par ailleurs, la connaissance du contexte factuel se propage en principe aussi aux circonstances
aggravantes. Le cas des infractions aggravées imposera par conséquent le plus souvent une
vérification supplémentaire quant à l’intention de l’agent, par rapport à la consistance de
l’infraction simple. L’intention exigée au titre de l’infraction simple se retrouvera toujours dans
l’infraction aggravée, mais elle sera dans beaucoup de cas complétée. La première question qui
se pose ici est de savoir si l’agent doit vouloir l’infraction aggravée, ou au moins, s’il doit avoir

177. Code pén., art. 434-27.

407
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

conscience de commettre une infraction particulièrement grave. Dans certaines hypothèses, la


question sera assez facile à résoudre, ne serait-ce que parce qu’elle se déduira des exigences
légales.
Mais le cas des circonstances aggravantes objectives est relativement problématique,
qu’elles soient relatives à une exigence matérielle ou à une exigence relevant de l’antijuridique.
La question se pose alors de savoir si la connaissance de l’existence de la circonstance aggravante
intègre celle du contexte factuel. A priori, une réponse positive s’impose dès lors que l’on se
prononce en faveur de l’analyse de l’infraction aggravée comme une infraction autonome. Dans
le cas des infractions intentionnelles, la circonstance aggravante s’intègre au comportement
et devrait le modifier aussi bien objectivement que subjectivement 178 . Celles tenant à l’âge
ou à la qualité de la victime devraient donc être connues de l’agent. L’argument se trouve
renforcé par le fait que la circonstance aggravante vient ici sanctionner une dualité d’atteinte.
Le comportement apparaît d’autant plus blâmable qu’il est dirigé contre une personne ou une
catégorie de personnes, ou commis en raison de la qualité particulière de la victime. Il s’agit
alors de la prise en compte des mobiles. Lorsque c’est à ce titre que l’infraction est aggravée,
il est évident que la circonstance aggravante devra être connue de l’auteur. Elle devra même
avoir été déterminante du comportement. Dans les autres cas, la solution la plus satisfaisante
semble également être celle selon laquelle la connaissance du contexte s’étend aux circonstances
aggravantes. La qualité de la victime ou la nature particulière du bien venant modifier la
qualification, elles devraient être connues de l’auteur de l’infraction lors de la commission 179 .
Deux arguments s’opposent toutefois à cette solution. La première tient au fait que le
législateur a parfois précisé expressément que la qualité devait être connue de l’auteur des
faits ou apparente. Dans le cas du meurtre, par exemple, la connaissance de la qualité de
la victime est exigée lorsque l’infraction est commise sur une personne d’une particulière
vulnérabilité ou sur magistrat, un juré, un avocat, un officier public ou ministériel, etc. 180 Or,
si cette précision n’est faite que pour certaines circonstances, c’est selon toute vraisemblance
que l’aggravation sera retenue dans tous les autres cas indépendamment d’une quelconque
connaissance chez l’auteur des faits 181 . Par ailleurs, la jurisprudence semble se contenter de la
constatation objective de la circonstance aggravante en l’absence de précision légale. Monsieur
Thévenon le constatait déjà 182 et Madame de Jacobet de Nombel relève également que « la

178. En ce sens, C. de Jacobet de Nombel, Théorie générale des circonstances aggravantes, th. préc., p. 130,
nos 129 et s.
179. À l’inverse, l’argument ne vaut pas en matière non intentionnelle. Ibid., p. 100, nos 151 et s.
180. Code pén., art. 221-4, 3° et 4°.
181. En ce sens, P. Conte, Droit pénal spécial, op. cit., p. 42, no 58. L’auteur estime toutefois que la solution
contraire serait préférable.
182. J.-M. Thevenon, L’élément objectif et l’élément subjectif de l’infraction, th. préc., p. 103. Selon lui, il
conviendrait pourtant « de n’appliquer les circonstances aggravantes qu’à chacun des auteurs ou des complices

408
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

jurisprudence n’a [...] jamais exigé une connaissance des circonstances aggravantes. Bien au
contraire, elle considère en ce qui concerne le complice, que celui-ci en répond quand bien
même il les aurait ignorées » 183 . La connaissance des circonstances objectives n’est donc pas
de principe et n’aura pas à être vérifiée dans tous les cas. De manière regrettable, l’élément
psychologique de l’infraction aggravée n’intégrera pas systématiquement cette donnée en tant
que circonstance de l’intention de l’infraction principale.

439. L’exigence d’une circonstance intellectuelle supplémentaire : les circonstances


aggravantes subjectives – À l’inverse, pour les circonstances aggravantes d’ordre subjectif,
une vérification supplémentaire sera toujours nécessaire et ne se traduira pas par une simple
connaissance. La préméditation ou le mobile, par exemple, doivent être expressément constatés
lors de la qualification de l’infraction aggravée. Il s’agit alors d’une volonté particulière qui
vient s’ajouter à l’intention de commettre l’infraction principale. Elle la particularise et justifie
l’aggravation de la répression. Ces circonstances particulières devront donc être vérifiées, parce
qu’elles conditionnent la qualification aggravée. Tout comme l’intention et la connaissance du
contexte factuel, elles seront constatées à partir du comportement accompli. Selon la Cour de
cassation, c’est plus précisément dans « les faits qui ont accompagné l’acte de l’auteur principal »
que devra être recherchée la circonstance de préméditation. Quant au mobile, le législateur a
parfois prévu les conditions matérielles permettant de constater son existence. Par exemple, le
mobile discriminatoire devra être révélé à travers des propos, des écrits, des images, des objets
ou des actes 184 , la circonstance aggravante s’imprimant alors sur les différents éléments de
l’infraction.
Par ailleurs, certaines circonstances aggravantes donneront lieu véritablement à une double
vérification, l’intention étant pour ainsi dire dédoublée. Ainsi, lorsque la circonstance tiendra à
la réalisation d’une action particulière, celle-ci devra nécessairement être intentionnelle. Le vol
accompagné d’un acte de violences ou de destruction 185 ne peut être qualifié de vol aggravé que
si l’agent avait l’intention de commettre l’acte de violences ou de destruction qui a accompagné
celui de vol. En effet, il « forme l’une des modalités du comportement d’ensemble qui constitue
l’infraction aggravée » 186 . L’intention relative à l’infraction principale (ici le vol) doit donc se
doubler d’une intention relative à la circonstance aggravante qui en est la circonstance constitu-
tive, parce qu’elle se trouve absorbée par la qualification de vol. Le raisonnement sera le même
dans l’hypothèse d’un concours complet d’infractions. Lorsque le meurtre est aggravé à raison de

qui en ont eu connaissance ». Ibid., p. 111.


183. C. de Jacobet de Nombel, Théorie générale des circonstances aggravantes, th. préc., p. 85-86, no 132.
184. Code pén., art. 132-76.
185. Ibid., art. 311-4.
186. C. de Jacobet de Nombel, Théorie générale des circonstances aggravantes, th. préc., p. 85, no 131.

409
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

la commission d’un autre crime, deux infractions distinctes doivent être caractérisées dans leur
totalité, la qualification de meurtre absorbant l’autre qualification (qui pourra au demeurant être
un autre meurtre 187 ). Le législateur ayant lui-même réglé le conflit de qualifications, il faut alors
considérer que l’infraction érigée en circonstance aggravante de l’autre vient la particulariser,
ses différentes composantes devenant, a posteriori, des circonstances constitutives intégrées aux
différents éléments constitutifs de l’infraction aggravée.

440. Le cas particulier de la surqualification – Le même raisonnement doit par ailleurs


être tenu en cas de surqualification. L’hypothèse de la surqualification a déjà été abordée 188 . Il
s’agit d’une forme particulière d’aggravation de certaines infractions à raison du contexte dans
lequel elles prennent place. Il ne s’agit pas ici de la résolution d’un concours réel, mais d’une
circonstance dont la gravité et la dualité d’atteinte qu’elle engendre entraînent un changement
complet de qualification. Que ce soit en matière de terrorisme 189 ou de génocide 190 , une
infraction moyen est commise en vue de causer une atteinte, soit à la Nation, soit à l’espèce
humaine. Il y a donc une infraction support, commise intentionnellement 191 , et qui s’insère
dans une entreprise plus large, soit terroriste, soit de destruction d’un groupe de personnes. Les
incriminations tendent donc à la prise en compte des mobiles, encore que ne soit expressément
exigé qu’une relation causale entre l’infraction moyen et le but poursuivi. L’article 421-1 du Code
pénal se contente de la commission de l’infraction en relation intentionnelle avec l’entreprise
terroriste, tandis que l’article 211-1 du même code exige que l’infraction soit accomplie en
exécution d’un plan concerté tendant à la destruction d’un groupe. La qualification de terrorisme
ou de génocide nécessite donc que soit vérifiée une relation intentionnelle et causale entre
l’infraction accomplie et l’entreprise plus large dans laquelle elle s’insère. Il n’est pas nécessaire,
par contre, que l’agent ait eu à proprement parler un mobile terroriste ou génocidaire 192 . En
effet, le but visé à l’article 421-1 de trouble grave à l’ordre public par l’intimidation ou la
terreur et textuellement celui de l’entreprise. C’est donc à son encontre qu’il doit être vérifié 193
et non à l’encontre de l’individu ayant commis l’infraction moyen. La Cour de cassation a eu
l’occasion de le rappeler récemment : « Attendu que c’est à tort que, pour écarter la circonstance
de terrorisme, l’arrêt retient que [...] les agissements reprochés aux mis en examens n’ont pas

187. Ibid., p. 72, no 113.


188. V. supra, no 368.
189. Code pén., art. 421-1.
190. Ibid., art. 211-1.
191. Toutes les infractions visées dans les articles sont évidemment intentionnelles, ce qui s’impose dès lors
qu’elles sont commises avec un mobile particulier.
192. Contra, A. Lepage et H. Matsopoulou, Droit pénal spécial, op. cit., p. 844, no 1171, identifiant un dol
spécial en matière de terrorisme.
193. En ce sens, J. Alix, Terrorisme, op. cit., nos 145 et s.

410
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

de finalité terroriste » 194 . La solution peut être approuvée dès lors que cette finalité terroriste ne
concerne que l’entreprise terroriste, mais non nécessairement l’infraction commise. Toutefois,
elle présente par certains aspects un caractère trop général. Il est certain que le texte ne fait état
que du but poursuivi par l’entreprise terroriste, de sorte qu’il n’est pas nécessaire que l’agent
ait lui aussi poursuivi ce but. Le législateur se contente d’une relation intentionnelle entre le
comportement commis et l’entreprise. Plus précisément, il est prévu que l’infraction doit être
« intentionnellement en relation avec une entreprise [terroriste] » 195 , ce qui suggère une causalité
objective et subjective. En d’autres termes, l’agent doit avoir au minimum conscience de la
finalité terroriste de l’entreprise et inscrire dans une certaine mesure son infraction dans cette
entreprise. Le raisonnement peut être transposé au génocide, infraction pour laquelle le Code
pénal exige que ce soit le plan concerté qui tende à la destruction totale ou partielle d’un groupe.
Au regard de l’individu, il ne s’agira donc que de s’assurer qu’il avait conscience d’accomplir
son infraction dans un cadre particulier.
En toute logique, cette connaissance du but de l’entreprise terroriste ou du plan concerté
pourrait s’analyser comme une circonstance constitutive de l’intention de l’agent de commettre
une infraction contre les personnes – ou les biens s’agissant du terrorisme. Néanmoins, celle-ci
est le moyen de l’infraction de terrorisme ou de génocide. Si la finalité terroriste n’a pas être
démontrée, l’intention d’accomplir l’acte en relation avec l’entreprise terroriste doit, elle, être
certaine. Au regard de la qualification finale, c’est donc cette relation intentionnelle particulière
qui est prise en compte et qui justifie la peine. La qualification de terrorisme absorbe la
qualification de l’infraction moyen. L’intention exigée à titre principal est donc la commission de
l’infraction moyen en relation intentionnelle avec l’entreprise terroriste. Elle absorbe l’intention
caractéristique de cette dernière, qui peut être regardée comme sa circonstance. C’est au regard
de la surqualification qu’il faut raisonner et, dans ce prisme, l’accomplissement des faits en
relation causale avec l’entreprise terroriste se révèle être la donnée fondamentale permettant
la qualification, de même que la qualification de vol aggravé par des violences volontaires
absorbe la qualification de violences. Quoi qu’il en soit, ces deux composantes de l’élément
psychologique devront être vérifiées par le juge pour que la qualification puisse être retenue.
À côté des différentes circonstances constitutives faisant l’objet d’une vérification effective,
coexistent par ailleurs d’autres circonstances qui seront tenues pour acquises par le juge et qui
ne feront donc pas l’objet de vérifications, sauf si leur absence est invoquée comme moyen de
défense. Ce sont ces circonstances qu’il s’agit désormais d’envisager.

194. Cass. crim., 10 janv. 2017, no 16-84.596, à paraître ; AJ pén. 2017, p. 79, note J. Alix.
195. Code pén., art. 421-1.

411
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

§ 2. Les circonstances constitutives donnant lieu à présomption

441. Circonstances d’imputabilité et connaissance de la loi – Les circonstances consti-


tutives considérées comme acquises et ne faisant pas l’objet d’une vérification effective sont
de divers ordres. La première d’entre elle tient à la connaissance de la loi, tandis que les
autres renvoient au contexte psychologique dans lequel prend place la volonté ou l’intention.
La doctrine traite néanmoins depuis longtemps à part ce contexte. Les circonstances tenant à
la capacité de comprendre et à la liberté dépendraient de l’imputabilité de l’infraction et se
rattacheraient à la responsabilité de l’auteur de l’infraction. Le comportement resterait volontaire
et, donc, constitutif d’une infraction même en l’absence de l’une de ces conditions. Cette
solution, confortée par certaines décisions jurisprudentielles, est pourtant contestable. Non
seulement elle conduit à une scission dans l’appréciation de la volonté, mais encore repose-t-
elle sur un artifice. En effet, l’idée même d’imputation est une fiction, qui ne présente pas de
réelle utilité, tant il peut sembler excessif de détacher ainsi totalement la question des capacités
intellectuelles de l’agent de l’appréciation de sa volonté. Les circonstances d’imputabilité sont
intimement liées à elle, de sorte qu’elles peuvent s’analyser en circonstances constitutives. Elles
sont un prérequis de la volonté, et tenues pour acquise par le juge lors de la qualification.
Les circonstances constitutives faisant l’objet d’une présomption se partagent entre la
connaissance de la loi d’une part (A) et les circonstances d’imputabilité d’autre part (B).

A. La connaissance de la loi

442. L’importance de la connaissance de la loi – Une première circonstance constitutive


faisant l’objet d’une présomption a déjà pu être identifiée. Elle tient à la connaissance de la loi et
a déjà été abordée, pour être exclue de la donnée principale vérifiée lors de l’analyse subjective
du comportement 196 . Elle n’intègre pas à proprement parler la volonté, qui restera punissable
même en l’absence d’intention ou de conscience de violer la loi. Pour autant, la connaissance
de la loi n’est pas totalement indifférente. L’infraction, surtout dans sa conception française, est
une violation de celle-ci de sorte qu’elle semble devoir être au minimum consciente.

443. La présomption de connaissance de la loi – Cette particularité de l’élément psycho-


logique et qui accompagne l’intention est toutefois considérée comme acquise, par hypothèse.
Elle ne sera pas vérifiée par le juge, pour être présumée. Les raisons de cette présomption ont été
suffisamment développées pour qu’il ne soit pas nécessaire de s’y attarder 197 . Synthétiquement,

196. V. supra, no 409.


197. V. entre autres, N. Hosni, « L’erreur de droit et son influence sur la responsabilité pénale », art. préc. ; A.
Françon, « L’erreur en droit pénal » in Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal, sous la dir. de G. Stefani,

412
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

elles tiennent à la nécessaire connaissance de l’illicéité du comportement pour les infractions les
plus communes 198 , ainsi qu’à la cohérence du système pour les autres infractions, et notamment
pour les infractions plus techniques. Ce sont ces mêmes raisons qui justifient la force de la
présomption en la matière, qui a longtemps eu un caractère irréfragable 199 . L’erreur dans la
connaissance de l’illicéité du comportement n’était pas admise dans l’ancien Code pénal et ne
l’est que de manière très stricte aujourd’hui. On comprend parfaitement la rigueur en la matière,
tant les dangers d’une admission trop large sont évidents. Admettre l’absence de responsabilité
à raison d’une ignorance du droit en vigueur reviendrait à « ouvrir toute grande une porte qui
permettrait tous les abus et bien des fraudes » 200 . Par conséquent, si le Code pénal a admis qu’une
erreur sur le droit puisse être invoquée en renversement de la présomption de connaissance de
la loi, ce n’est qu’à la condition que l’erreur invoquée ait été invincible 201 .
Outre cette première circonstance constitutive présumée, d’autres données intellectuelles
seront considérées comme acquises par le juge. Il s’agit des circonstances aujourd’hui rattachées
à l’imputabilité.

B. Les circonstances d’imputabilité

444. Préalable : précisions terminologiques – À titre liminaire, il est nécessaire de pré-


ciser qu’une difficulté d’ordre terminologique se rencontre lorsqu’on analyse les différentes
données psychologiques relatives à la responsabilité. Elle tient à une utilisation parfois diffé-
rente d’un auteur à l’autre des termes. Ainsi, la culpabilité peut s’entendre de la décision de
responsabilité appliquée à une personne déterminée 202 , ou renvoyer à la dimension fautive
(intellectuelle ou non) de l’infraction (culpa la faute) 203 . Dans ce dernier cas, elle est une
condition de la responsabilité 204 , mais aussi de l’infraction, dès lors que l’on en retient une

Dalloz, 1956, p. 228 ; S. Plawski, « L’erreur de droit et son influence sur la responsabilité pénale », RSC 1962,
p. 445.
198. Il s’agit des infractions relevant du droit naturel (N. Hosni, « L’erreur de droit et son influence sur la
responsabilité pénale », art. préc.) ou de celles qui rejoignent la morale (A. Françon, « L’erreur en droit pénal » in
Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal, op. cit.).
199. Garraud expliquait ainsi que ni l’ignorance pure et simple de la loi, ni l’erreur de droit – soit la mauvaise
compréhension de la loi – ne pouvaient être admises comme excuses. R. Garraud, Précis de droit criminel,
11ème éd., op. cit., p. 188, no 82.
200. J.-P. Doucet, « Une discussion sur l’erreur de droit », RSC 1962, p. 497.
201. Sur l’erreur de droit et ses conséquences, v. infra, no 468.
202. Il s’agit de l’état de la personne ayant adopté le comportement physique et mental décrit par le texte
d’incrimination. J.-H. Robert, Droit pénal général, op. cit., p. 190. Comp. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit
criminel, op. cit., p. 507, no 449. Elle est, comme la responsabilité, une conséquence de la caractérisation de
l’infraction en tous ses éléments.
203. Sur les distinctions en la matière et l’absence de consensus, v. not. J. Vidal, « La conception française de la
culpabilité » in Annales de l’Université des sciences sociales de Toulouse, t. 24, Université des sciences sociales de
Toulouse, 1976, p. 45.
204. En ce sens, R. Ottenhof, « Imputabilité, culpabilité et responsabilité en droit pénal », Archives de politique
criminelle 2000, t. 22, p. 71, qui y ajoute l’imputabilité.

413
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

approche subjective 205 . L’imputabilité – ou du moins ses conditions – et la culpabilité sont


alors indéniablement « deux composantes de la responsabilité pénale » 206 . Même si les termes
ne sont parfois pas toujours interprétés de manière identique, le principe qui sous-tend cette
affirmation est acquis. La question qui se pose reste néanmoins de savoir à quel titre les
conditions d’imputabilité sont des composantes de la responsabilité. Le sont-elles directement
et indépendamment, ou le sont-elles parce qu’elles conditionnent, en amont, l’infraction ? La
doctrine majoritaire penche en faveur de la première solution en rattachant ces conditions à la
seule responsabilité et plus précisément au mécanisme d’imputation (subjective) de l’infraction.
Ce mécanisme se révèle pourtant grandement artificiel. La cohérence de l’analyse gagnerait à
sa remise en cause et à son abandon, les conditions traditionnellement associées à l’imputabilité
trouvant bien plus logiquement leurs places dans la structure infractionnelle.

445. Commission et imputation – L’idée d’imputation induit schématiquement, dans sa


présentation, l’idée que l’on caractérise dans un premier temps une infraction puis, dans un
second temps, qu’elle soit mise au compte de son auteur, autrement dit, qu’elle lui soit imputée.
L’imputation est alors double : elle est en premier lieu objective (désignation de la personne
soupçonnée comme auteur de l’infraction) et en second lieu subjective (capacité de l’auteur à
répondre de l’infraction commise). Dans sa première composante, l’imputation ne soulève pas
réellement de difficultés, puisqu’il ne s’agit que de s’assurer que la personne soupçonnée est
bien celle qui a commis les faits. Dans sa seconde composante, au contraire, le mécanisme peut
apparaître plus artificiel, car il s’agit de déterminer si l’infraction commise peut être mise au
compte de l’agent. L’idée est ancienne. On la trouve exposée et développée dans les ouvrages
d’Ortolan ou de Rossi. Elle présente un inconvénient majeur, celui de ne plus considérer
l’infraction comme commise. La notion d’imputation, en sa dimension subjective, prend en
effet le pas sur la notion de commission qui devrait pourtant régir la matière 207 . De manière
générale, l’infraction devrait être considérée comme commise par son auteur (1) et non imputée
à lui. L’imputation de l’infraction (2) ne se conçoit réellement que dans un cas particulier dans
lequel une personne morale, reconnue responsable des faits, n’est pourtant pas celle qui les a
personnellement accomplis 208 .

205. La culpabilité est alors liée au caractère fautif de l’acte et, donc, liée à l’élément moral ou psychologique.
R. Vouin, Manuel de droit criminel, op. cit., p. 162, no 247 ; P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal
général, op. cit., p. 216, no 376.
206. J. Léauté, « Le rôle de la faute antérieure dans le fondement de la responsabilité pénale », D. 1981, chron.
p. 295.
207. En ce sens, L. Saenko, « Brèves réflexions sur la catégorie des infractions « attitrées », art. préc.
208. Il s’agit là de l’hypothèse de la responsabilité pénale des personnes morales. Il faut dès à présent préciser que
pour certains auteurs, l’organe ou le représentant est la personne morale, de sorte qu’elle « commet personnellement
les infractions par l’intermédiaire de ses organes ou représentants ». J.-C. Saint-Pau, « La responsabilité pénale des
personnes morales : réalité ou fiction » in Le risque pénal dans l’entreprise, sous la dir. de P. Conte et al., Litec,

414
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

1. L’infraction commise

446. Annonce – Afin de comprendre le mécanisme d’imputation et les motifs pouvant


conduire à le critiquer, il est nécessaire de commencer par l’exposer à travers l’approche
majoritaire (a), avant d’en contester le bien-fondé (b).

a. L’approche majoritaire de l’imputation

447. L’imputation et ses conditions dans le schéma de la responsabilité – L’explication


du mécanisme de l’imputation (α), sera suivie de l’analyse de la place actuelle de ses conditions
dans le schéma général de la responsabilité pénale (β).

α. Le mécanisme d’imputation

448. Définitions – Il convient au préalable de préciser qu’imputabilité et imputation ne


sont pas totalement synonymes. L’imputabilité renvoie à la possibilité d’imputer 209 et aux
données qui la conditionnent, tandis que l’imputation désigne le mécanisme tenant à imputer à
la personne un comportement 210 . La distinction entre les deux ne doit toutefois pas être exagérée
dès lors que le raisonnement en terme d’imputabilité n’a de sens que si l’on admet l’imputation du
comportement à la personne. Et inversement, l’imputation ne sera possible qu’une fois vérifiées
les conditions propres à l’imputabilité. Les deux participent donc de la même logique 211 : il
s’agit de vérifier les conditions relatives à l’imputabilité parce qu’elles sont indispensables à
l’imputation de l’infraction.
Cela étant précisé, il convient de définir le mécanisme d’imputation. Ortolan et Rossi font
partie des premiers auteurs à avoir consacré d’amples développements à l’imputabilité. Le terme
d’imputabilité vient chez Rossi de la nécessité de pouvoir imputer à son auteur le fait à l’origine
du mal 212 . Le droit pénal sanctionnant les actions spontanées des êtres intelligents et libres 213 ,
certaines capacités intellectuelles minimums doivent être vérifiées chez l’agent au moment de la

2003, p. 71, no 125. Toutefois, parce que le texte fait expressément état d’un cas d’imputation, il pourrait sembler
excessif d’affirmer que la personne morale a commis les infractions.
209. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 98, no 220 : l’« imputabilité [est une] idée abstraite, qui, en
cette qualité d’abstraction, ne se peut exactement définir ; en quelque sorte, possibilité d’imputer ».
210. V. égal. F. Rousseau, L’imputation dans la responsabilité pénale, th. préc., p. 11, no 7 : les deux termes
relèvent d’un même concept, mais l’imputabilité renvoie à un état, tandis que l’imputation renvoie à une action.
Comp. E. Dreyer, « Responsabilité pénale des personnes morales : question d’imputation ou d’imputabilité
? », Gaz. Pal. 2015, no 307, p. 24, mais évoquant l’imputation de la responsabilité : « C’est l’attribution de la
responsabilité de l’infraction soit sur une base naturelle qui évoque essentiellement la causalité (l’infraction est
attribuée à l’auteur des actes matériels d’exécution), soit sur une base artificielle en respectant les choix du
législateur ».
211. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 98, no 220 ; F. Rousseau, L’imputation dans la responsabi-
lité pénale, th. préc., p. 9, nos 6 et s.
212. P. Rossi, Traité de droit pénal, op. cit., p. 22.
213. Ibid., p. 106.

415
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

commission des faits pour que l’on puisse lui en faire supporter les conséquences. L’imputabilité
se double par ailleurs d’un mécanisme dit d’imputation qui consiste, selon la célèbre présentation
d’Ortolan, à mettre l’acte au compte de la personne 214 . Ce dernier explique que chaque
membre du corps social possède un compte sur lequel nos actions sont portées, en mal ou en bien.
L’imputabilité consiste à mettre l’action sur ce compte – en mal s’agissant d’une infraction 215 –,
le compte devant alors être réglé et l’agent devant répondre de son acte 216 . Chez Ortolan,
l’imputabilité se caractérise par une absence de degré et n’est pas susceptible de variations. Sa
vérification est soit positive, impliquant alors la responsabilité de l’agent, soit négative, excluant
alors toute responsabilité 217 . L’imputabilité recouvre donc communément deux dimensions 218 :
tout d’abord, elle impose que soient vérifiées les conditions de l’imputabilité, puis, dans un
second temps, que soit effectuée l’imputation du fait à l’agent. Beaucoup d’auteurs procèdent
pour cette raison à une distinction entre deux types d’imputabilités, l’une tenant à la personne,
l’autre tenant à l’acte.

449. Les conditions de l’imputabilité – Quant aux conditions exigées pour pouvoir impu-
ter le comportement à son auteur, elles tiennent aux capacités intellectuelles de l’individu. Bien
que les présentations soient parfois variables, il ressort d’une analyse globale deux conditions
permettant de retenir la responsabilité de l’auteur des faits. Majoritairement et schématiquement,
l’imputabilité impliquera une faculté de comprendre – intelligence, discernement – et une liberté
de vouloir 219 . Cette présentation était celle de Rossi 220 . Quelques variations peuvent tout de
même être relevées et certains auteurs, à la suite d’Ortolan, mettront davantage en avant la
raison morale de l’agent dans une approche plus large de l’intelligence. La raison morale est en
effet plus large que cette dernière, car elle implique une conscience du juste et de l’injuste 221 .
Outre cette conscience, l’imputabilité suppose une possibilité de choix entre le défendu et

214. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 98, no 220. Rossi définit ce mécanisme comme la déclaration
d’imputabilité appliquée à un acte déterminé comme étant d’un individu désigné. P. Rossi, Traité de droit pénal,
op. cit., p. 106.
215. L’imputation pourra tout de même être faite à bien en cas de fait justificatif rendant alors l’acte légitime.
J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 172, no 428.
216. Ibid., p. 99, no 222.
217. Ortolan distingue par cette spécificité l’imputabilité de la culpabilité dont elle relève. Alors que la
culpabilité se mesure, la faute pouvant être plus ou moins grave, l’imputabilité n’a elle pas de degrés. Ibid., p. 101,
no 225 – dans le même sens, R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 165, no 76.
218. Contra, R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 612 et s. : en définissant l’imputabilité
comme la mise de l’action au compte de l’individu, les auteurs procéderaient à une confusion avec la culpabilité
rendant la notion d’imputabilité inutile. Celle-ci doit être considérée comme désignant seule « l’exigence chez
l’auteur d’une volonté libre et d’une intelligence lucide ».
219. V. not. C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 73, no 70.
220. P. Rossi, Traité de droit pénal, op. cit., p. 104 : l’imputabilité comprend l’intelligence et la liberté.
221. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 98, no 220.

416
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

le permis 222 , possibilité garantie par l’autre condition tenant à la liberté. « Imputer un fait à
quelqu’un, c’est donc affirmer qu’il en est en premier lieu la cause efficiente, et en second lieu
la cause éclairée sur la justice ou l’injustice de ce fait. La première condition de l’imputabilité
c’est la liberté ; et la seconde c’est la raison morale, ou la connaissance du juste ou de l’injuste
de l’action. » 223
Les présentations varient légèrement autour de ces différentes exigences. Ainsi, dans la suite
de la présentation de Rossi, Messieurs Merle et Vitu font de l’intelligence et de la liberté les
conditions de l’imputabilité 224 , tandis que des auteurs comme Villey se situeront davantage
dans la lignée de la pensée d’Ortolan en exigeant la liberté et la raison morale 225 . Dans le
prolongement de l’idée de connaissance du juste et de l’injuste, Garraud exige pour sa part la
conscience et le discernement 226 tandis que chez Messieurs Conte et Maistre du Chambon, les
conditions tiendront toujours au discernement, doublé cette fois de la volonté et de la liberté 227 .
Si l’accent peut être mis sur une condition ou une autre selon les auteurs, il ressort toujours
des analyses l’idée générale selon laquelle l’imputabilité s’apprécie eu égard à la capacité de
discernement de l’agent prise sous un double angle : sa capacité à comprendre (discernement au
sens étroit) et à vouloir (liberté).

β. La place de l’imputabilité dans le schéma de la responsabilité

450. Le rattachement des conditions d’imputabilité à l’élément psychologique : posi-


tion minoritaire – La difficulté relative aux données conditionnant l’imputation des faits a
toujours été de parvenir à les situer dans le schéma de la responsabilité pénale. Ortolan retenait
une approche en partie objective de l’infraction 228 . L’opposition utilisée par lui tenant au fait et
à l’agent, si bien qu’il rattachait fort logiquement l’imputabilité à l’étude du sujet actif. Cette
approche conduisait, certes, à ne pas traiter les conditions d’imputation dans le strict cadre du

222. Comp. J. Léauté, « Le rôle de la faute antérieure dans le fondement de la responsabilité pénale », art. préc. :
c’est dans la possibilité préalable d’opter entre le défendu et le permis que se situe, pour lui, l’imputabilité.
223. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 100, no 222.
224. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 612, no 544. Dans le même sens, W. Jeandidier,
Droit pénal général, op. cit., p. 375, no 340.
225. E. Villey, Précis d’un cours de droit criminel, op. cit., p. 108.
226. R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 165, nos 76 et s. La même présentation est faite
dans l’ouvrage de Messieurs Garraud et Laborde-Lacoste, à la seule nuance que conscience et discernement
sont les conditions de l’imputabilité par le truchement de la responsabilité. P. Garraud et M. Laborde-Lacoste,
Précis élémentaire de droit pénal, op. cit., p. 61.
227. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 200, no 349. Dans un sens similaire,
Madame Tulkens et Monsieur Van de Kerchove exigent quant à eux la conscience et la volonté : F. Tulkens et
M. van De Kerchove, Introduction au droit pénal, op. cit., p. 234. Plus en marge, car estimant que la liberté relève
de l’élément moral, Monsieur Rousseau met pour sa part en avant la conscience infractionnelle, renvoyant à l’idée
de conscience morale, et une condition morale tenant « à l’exigence d’un état d’esprit anti-social ou immoral ». V.
F. Rousseau, L’imputation dans la responsabilité pénale, th. préc., p. 42, nos 30 et s. et p. 199, no 172.
228. V. supra, no 229.

417
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

délit, mais elle ne conduisait pas pour autant à dissocier volonté – ou intention – et conditions
d’imputabilité. En effet, pour Ortolan, la culpabilité, prise au sens de faute morale, implique
au préalable vérifiées l’imputabilité et l’intention de l’agent 229 . L’imputabilité apparaît, dans
cette présentation, intimement liée à ses capacités intellectuelles, mais aussi à la volonté en ce
qu’elle en est en quelque sorte le premier stade : à la capacité de vouloir l’acte suit la volonté
d’accomplissement. C’est ce même lien entre imputabilité et volonté qui ressort de façon encore
plus explicite de l’ouvrage de Villey qui, à la suite d’Ortolan, a consacré d’importants
développements à la notion. La pensée de Villey est particulièrement intéressante dès lors
qu’il retient pour sa part un découpage de l’infraction en deux éléments constitutifs. Or, Villey
lie expressément les conditions d’imputation à l’élément intentionnel 230 . Lorsqu’il traite de
cet élément, l’auteur introduit ainsi ses développements : « la loi est un commandement ; le
commandement suppose la liberté chez celui auquel il s’adresse » 231 et traite alors des conditions
de l’imputabilité. Dans ces conditions, figure l’intelligence, au sens de raison morale, la volonté
libre, mais aussi l’intention 232 .
Cette tendance à inclure l’imputabilité à l’infraction n’est pas nouvelle. Déjà, Rossi, lorsqu’il
envisageait l’imputabilité, la liait à l’infraction dès lors que celle-ci se trouvait étudiée dans un
Livre 2 consacré au délit 233 . Cette approche fut aussi celle de Lainé, pour qui l’élément moral
impliquait, en premier lieu, que le fait soit imputable à l’agent 234 . De même, dans l’ouvrage
de Garraud, l’élément moral correspond à l’étude des conditions de la culpabilité 235 , l’une
de ces conditions étant la vérification de l’imputabilité 236 . Plus récemment, une telle analyse a
pu être retenue par Messieurs Conte et Maistre du Chambon, qui rattachent explicitement
l’imputabilité à l’élément moral 237 , refusant par ce choix d’en faire une condition de la
seule responsabilité 238 . Cette position faisant de l’imputabilité une composante de l’élément
moral est aujourd’hui minoritaire, mais elle reste tout de même partagée par une partie de

229. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 101, no 227 et p. 109, nos 255 et 256.
230. E. Villey, Précis d’un cours de droit criminel, op. cit., p. 107 et s., encore faut-il préciser que Villey a
une approche très restrictive de l’intention, ce qui s’explique par la faible importance que Villey accorde à cette
dernière et à la volonté de l’acte et à l’intention. V. du même auteur, « De l’intention en matière pénale », art. préc.
231. E. Villey, Précis d’un cours de droit criminel, op. cit., p. 107.
232. Ibid., p. 118.
233. V. P. Rossi, Traité de droit pénal, op. cit.
234. A. Lainé, Traité élémentaire de droit criminel, op. cit., p. 138 : l’auteur assimile l’élément moral à la
culpabilité et traite de l’imputabilité à l’occasion de l’étude de l’élément moral de l’infraction.
235. R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 106, no 76 : « Rechercher si l’auteur du délit
est en faute [en italique dans le texte] relativement au fait qui lui est reproché, c’est étudier la moralité [en italique
dans le texte] du délit. De là est venu l’usage de désigner, sous le nom d’élément moral du délit, l’ensemble des
conditions de la culpabilité. »
236. Ibid., p. 106, nos 76 et s. Ainsi, pour Garraud en cas de non-imputabilité, la culpabilité disparaît.
237. L’imputabilité étant distinguée de l’imputation matérielle, P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal
général, op. cit., p. 200, no 349.
238. Ibid.

418
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

la doctrine. Retiennent ainsi l’imputabilité comme composante de l’élément moral Monsieur


Vouin 239 , Monsieur Pageaud 240 , Monsieur Décima 241 , Monsieur van de Kerchove et
Madame Tulkens en droit belge 242 .

451. Le rattachement des conditions d’imputation au délinquant : position majori-


taire – Majoritairement, néanmoins, les conditions d’imputabilité font dans les manuels l’objet
de développements en marge de l’infraction. Elles ne dépendraient donc pas tant de sa constitu-
tion interne que de l’agent. La fracture dans la présentation fut initiée par Cuche, soucieux de
concilier une analyse subjective de la responsabilité pénale et l’analyse de l’infraction à travers
ses éléments 243 . La notion d’imputabilité, telle que présentée par Ortolan est précieuse, car elle
s’insère dans une analyse mettant en valeur l’importance et la considération que le droit pénal
doit réserver à la personne du délinquant. Dans son ouvrage, Cuche retient une approche assez
proche, mais moins objective, en optant pour une analyse de l’infraction à travers trois éléments,
à laquelle il adjoint une étude du délinquant. L’étude de l’infraction intègre par conséquent les
données subjectives liées à la volonté. Mais toutes les données psychologiques ne sont pas reliées
à l’infraction. Le titre traitant de l’infraction est suivi d’un second portant pour sa part sur « le
délinquant », à l’occasion duquel l’auteur envisage notamment le jeune âge et la démence comme
obstacles à la répression de l’acte 244 , obstacles similaires à ceux que l’on vise aujourd’hui sous
le vocable de causes de non-imputabilité.
La présentation est devenue classique : la tendance visant à envisager l’imputabilité à
l’occasion de l’étude de la personne punissable est aujourd’hui très majoritaire en doctrine 245 .
Le schéma adopté est alors le suivant : l’infraction fait l’objet d’une première étude construite
autour des éléments matériel et moral 246 , étude à laquelle fait suite celle du délinquant et de sa

239. R. Vouin, Manuel de droit criminel, op. cit., p. 161, nos 246 et s.
240. P.-A. Pageaud, « La notion d’intention en droit pénal », art. préc.
241. O. Décima, L’identité des faits en matière pénale, th. préc., p. 157, no 266 : « L’élément moral de
l’incrimination possède par principe deux composantes que sont l’imputabilité et la faute ». Des thèses récentes se
prononcent en faveur de la réintégration des conditions d’imputation à la structure infractionnelle. V. P. Cazalbou,
Étude des infractions de conséquence, th. préc., p. 193, no 443.
242. F. Tulkens et M. van De Kerchove, Introduction au droit pénal, op. cit., p. 234. De manière plus nuancée,
v. égal. C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., not. p. 262, nos 252 et s. Pour ce dernier
auteur, l’imputabilité est nécessairement une condition de l’infraction, celle-ci devant se définir comme une action
humaine imputable – ibid., p. 23, no 20. Néanmoins, l’auteur conteste l’analyse en terme d’éléments constitutifs et,
par suite, le lien entre l’imputabilité et le seul élément moral. Selon lui, le découpage de l’infraction en éléments doit
pouvoir être dépassé car il n’est qu’une étape dans l’effort de synthèse : l’infraction devrait pouvoir être considérée
comme une entité indivisible. Ibid., p. 58, nos 56 et s. Si l’auteur rejette les éléments constitutifs, son analyse intègre
néanmoins l’imputabilité à la structure interne de l’infraction et entre dans sa définition. La portée de cette position
se trouve néanmoins nuancée par l’assimilation faite entre infraction et responsabilité (ibid., p. 273, no 264).
243. Sur l’effort de conciliation fait par Cuche des deux analyses concurrentes, v. J.-H. Robert, « Histoire des
éléments de l’infraction », art. préc.
244. P. Cuche, Précis de droit criminel, op. cit., p. 81, no 84.
245. Pour une analyse de cette tendance, v. C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 35,
no 28.
246. Auxquels s’ajoutent l’étude des autres éléments éventuellement retenus par chaque auteur.

419
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

responsabilité. La solution qui prévaut est donc celle du caractère externe de l’imputabilité par
rapport à l’infraction 247 . Parfois liée à la culpabilité 248 , celle-ci est alors très majoritairement
considérée comme une condition de la responsabilité 249 , au sein de laquelle elle trouverait
naturellement sa place 250 .
Il en résulte que, schématiquement, la responsabilité comprendrait deux exercices succes-
sifs : tout d’abord la qualification d’une infraction composée d’éléments, puis son imputation, à
travers la vérification des conditions de l’imputabilité 251 . Cette approche est d’ailleurs confortée
par certaines solutions jurisprudentielles qui admettent qu’une infraction puisse être caractérisée
et faire l’objet d’une complicité punissable même lorsque l’auteur ne disposait pas de toutes
ses facultés intellectuelles au moment des faits 252 . Or, si les conditions d’imputation étaient
indispensables à la caractérisation de l’infraction, la complicité ne pourrait être retenue, faute
de fait principal de nature infractionnelle 253 . L’absence d’imputabilité laisse donc subsister le
caractère infractionnel de l’action 254 . Pour autant, la position de la jurisprudence en la matière
n’est pas si claire. Tout d’abord, certaines solutions rendues sous l’empire de l’ancien Code pénal
pourrait s’expliquer par la rédaction de l’article 60 consacré à la complicité, qui ne visait pas
systématiquement le crime ou le délit mais, dans ses alinéas 2 et 3, uniquement « l’action ». La

247. Cette approche est celle soutenue par Monsieur Rousseau dans sa thèse, L’imputation dans la responsabilité
pénale, th. préc.
248. V. not. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 100, no 223. La responsabilité est présentée chez
Ortolan comme la conséquence directe et immédiate de l’imputabilité : elle lui est si directement liée que les
deux notions tendent à se confondre et à être synonymes. Ibid. L’imputabilité ne peut alors pas être une condition
de la responsabilité et est présentée comme une condition de la culpabilité. Pour une appréciation similaire, v.
E. Daskalakis, Réflexions sur la responsabilité pénale, op. cit., p. 14-15, et J.-H. Robert, Droit pénal général,
op. cit., p. 286. Contra, F. Rousseau, L’imputation dans la responsabilité pénale, th. préc., p. 13, no 8 : l’imputation
ayant pu être analysée comme une composante de la responsabilité, les deux notions ne peuvent, par définition, pas
être identiques.
249. En ce sens, C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 35, no 28.
250. F. Rousseau, L’imputation dans la responsabilité pénale, th. préc., p. 60, nos 54 et s. ; P. Jourdain, Recherche
sur l’imputabilité en matière de responsabilités civile et pénale, th. préc., p. 129, nos 111 et s. et p. 221, no 227. Adde.
du même auteur, « Retour sur l’imputabilité » in Les droits et le Droit, Mélanges dédiés à Bernard Bouloc, op. cit.
251. Le caractère successif se déduit du fait que l’infraction subsiste même en cas de cause de non imputabilité. La
caractérisation de l’infraction est donc indépendante des conditions d’imputabilité, ce qui suggère qu’elle est vérifiée
en premier lieu pour être par la suite imputée à son auteur. S’interrogeant sur le point de savoir si l’imputabilité est
un avant ou un après et constatant pour les partisans de l’extériorité de l’imputabilité, l’infraction est caractérisée,
puis qu’il est procédé « dans un second temps seulement [à] son rattachement à un individus », P. Cazalbou, Étude
des infractions de conséquence, th. préc., p. 193, no 443.
252. V. not. Cass. crim., 21 mai 1990, Bull. crim., no 203 ; RSC 1993, p. 100, obs. G. Levasseur ; D. 1992, p. 153,
obs. J. Le Calvez.
253. La jurisprudence, comme la doctrine majoritaire, sont opposées à une telle solution. V. J. Pradel et A.
Varinard, Les grands arrêts du droit pénal général, 20ème éd., Dalloz, 2016, p. 500.
254. B. Bouloc, obs. sur Cass. crim., 8 janv. 2003, préc. (l’arrêt commenté portait néanmoins sur une espèce
dans laquelle l’intention de l’auteur de l’infraction principale n’était pas certaine. Elle dépassait de ce fait la seule
question de l’imputabilité.). V. égal. S. Fournier, « Le nouveau code pénal et le droit de la complicité », RSC 1995,
p. 475, approuvant la solution selon laquelle l’acte demeure punissable en cas de cause de non imputabilité et peut
dès lors faire l’objet d’une complicité punissable.

420
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

solution aurait donc pu être dépendante du type de complicité 255 . Ensuite, dans certains arrêts,
et notamment dans celui du 8 octobre 2003, la Cour de cassation s’est clairement contentée
d’un fait objectivement punissable 256 . Peu importe, dans cette optique, que l’infraction soit
effectivement punie, ou même qu’elle soit vérifiée en tous ses éléments : la matérialité de l’acte
pourra servir de support à la complicité 257 . La solution, frontalement contraire à la lettre de
l’article 121-7, ne peut dans cet arrêt s’expliquer par l’extériorité des conditions d’imputabilité,
ce qui rend incertaine l’analyse de la jurisprudence en la matière. Enfin, le célèbre arrêt Laboube
pourrait être utilisé en faveur du maintien des conditions d’imputation au sein de la structure
infractionnelle. Dans cet arrêt, la Cour de cassation affirmait que « toute infraction [...] suppose
que son auteur ait agi avec intelligence et volonté » 258 . Un mineur, âgé de six ans au moment
des faits, n’ayant pas le minimum de raison nécessaire pour comprendre la nature et la portée de
l’acte qu’on lui reproche, ne peut donc se voir reprocher l’infraction commise. Plus précisément,
la Cour de cassation présente comme un principe général du droit que l’infraction suppose que
son auteur ait agi avec intelligence. Elle ne se prononce pas expressément sur la localisation des
conditions de l’imputabilité dans le schéma de la responsabilité, mais semble tout de même en
faire une condition de l’infraction 259 , bien plus que de la responsabilité dès lors que selon ses
termes, c’est bel et bien la première qui suppose que son auteur ait agi avec intelligence.
La position inverse s’est pourtant imposée en doctrine et semble avoir les faveurs de
législateur, pour qui l’infraction commise par un dément n’en est pas moins parfaitement
caractérisée 260 . Elle repose pourtant sur un artifice et sur une déformation de la responsabilité,
raison pour laquelle elle devrait être rejetée.

b. L’artifice de l’approche majoritaire

452. Double remise en cause – Les inconvénients majeurs de l’approche majoritaire (α)
nous conduisent à une remise en cause tant du mécanisme d’imputation que de l’extériorité
des conditions d’imputabilité par rapport à la structure infractionnelle. Est donc proposée une
réunification des données psychologiques au sein de l’élément psychologique (β)

255. V. J. Le Calvez, obs. sur Cass. crim., 21 mai 1990, préc. Contra, G. Levasseur, obs. sur Cass. crim., 21 mai
1990, préc.
256. V. égal. Cass. crim., 15 déc. 2004, no 03-87.827 ; Dr. pén. 2005, Comm. no 79, obs. J.-H. Robert.
257. V. not. B. de Lamy, « La culpabilité du complice est autonome ou les méandres de la criminalité d’emprunt »,
obs. sur Cass. crim., 8 janv. 2003, préc.
258. Cass. crim., 13 déc. 1956, Bull. crim., no 840 ; D. 1957, p. 349, note M. Patin. Sur cet arrêt et ses suites,
v. également X. Pin, « Les âges du mineur, réflexions sur l’imputabilité et la capacité pénale du mineur », Gaz.
Pal. 2012, p. 5, et C. Lazerges, « Fallait-il modifier l’ordonnance numéro 45-174 du 2 février 1945 ? », RSC 2003,
p. 172, et C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 92, no 87, et J. Pradel et A. Varinard,
Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., p. 675.
259. En ce sens, P. Bonfils, « Le discernement en droit pénal » in Sciences pénales et sciences criminologiques,
Mélanges offerts à Raymond Gassin, PUAM, 2007, p. 97.
260. Circulaire générale présentant les dispositions du nouveau code pénal, op. cit., p. 32.

421
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

α. Les inconvénients de l’approche majoritaire

453. Remarque préalable – Le mécanisme d’imputation s’est imposé en doctrine et n’est


que très rarement discuté dans son fondement. Il repose sur un principe difficilement contestable
selon lequel l’infraction, pour être réprimée, doit avoir été commise de manière consciente et
voulue. L’idée qui sous-tend l’imputation n’est pas réfutable. La responsabilité pénale ne peut
être purement mécanique, de sorte que le principe s’est imposé très tôt 261 . Ce n’est donc pas
le principe qu’il exprime qu’il s’agit de discuter ici, mais la manière dont il est retranscrit et
appliqué. Le mécanisme d’imputation suppose de prendre un comportement et de l’imputer à
une personne. Plus précisément, la responsabilité étant la conséquence de la caractérisation de
l’infraction, il suppose de prendre l’infraction, déjà caractérisée, et de la mettre au compte de
celui qui l’a commise. L’idée pourrait se concevoir, car le constat premier et celui des faits,
constat suivi de l’identification du coupable et de la vérification de ce qu’il les a commis et doit
donc en répondre. Mais l’imputation, dans sa composante subjective, ne suit pas tout à fait cette
logique, dès lors que ce n’est pas le comportement, objectivement constaté, qu’il s’agit d’imputer.
Il s’agit véritablement, pour la doctrine et la jurisprudence, de caractériser une infraction en son
élément matériel et moral (ce qui suppose, dans la majorité des cas, que l’auteur soit identifié),
puis d’en rendre une personne responsable. Il s’ensuit que l’imputation se décline sous deux
angles : le premier est matériel et est relatif à l’identification de l’agent comme étant à l’origine
des faits. Le second est intellectuel et est relatif au fait de savoir si l’infraction peut être mise au
compte de celui qui l’a accomplie 262 . L’infraction semble alors naître hors de la personne pour
venir ensuite sur lui, à l’issue de l’opération d’imputation.

454. Un rattachement contestable de l’infraction préalablement caractérisée – C’est


cette idée de déplacement de l’infraction sur la tête de l’agent qu’il s’agit de discuter. Le droit
pénal a connu un mouvement de subjectivation. L’agent se trouve au cœur de la répression
et l’approche subjective de l’infraction n’est plus véritablement discutée 263 . Mais n’est-ce
pas fondamentalement paradoxal de définir l’infraction comme un comportement – donc, par
hypothèse humain – et de percevoir l’élément matériel comme une expression tangible de la

261. V. supra, no 30.


262. Il est ainsi possible de distinguer l’imputabilité physique de l’imputabilité morale (P. Jourdain, « Retour sur
l’imputabilité » in Les droits et le Droit, Mélanges dédiés à Bernard Bouloc, op. cit., et du même auteur, Recherche
sur l’imputabilité en matière de responsabilités civile et pénale, th. préc., p. 6, nos 4 et s.) ou encore l’imputabilité de
l’imputation matérielle (P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 200, no 349). Tirant
les conséquences de cette dualité, Messieurs Conte et Maistre du Chambon estiment ainsi que seule l’imputabilité
de la personne peut relever de l’élément moral, l’imputabilité matérielle lui étant quant à elle extérieure. Pour une
autre distinction, v. R. Legros, L’élément moral dans les infractions, th. préc., p. 46, no 49, qui fait pour sa part
une distinction entre imputabilité de la faute (lien causal entre la faute et l’agent) et imputabilité de l’infraction
(imputabilité du fait au prévenu).
263. Seuls de rares auteurs la retiennent. V. supra, no 227.

422
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

volonté coupable de son auteur et, dans le même temps, de considérer que l’infraction naît et est
caractérisée en dehors de l’agent ? Qu’elle existe ou peut exister indépendamment de lui comme
entité autonome pour lui être ensuite rattachée ? En tant que comportement humain, l’infraction
ne devrait pas pouvoir être détachée de son auteur ni caractérisée indépendamment de lui. Elle
n’existe qu’à travers lui. Si « la responsabilité naît hors du sujet responsable » 264 et « vient sur
lui parce qu’il se trouve engagé dans des circonstance qui l’engendrent » 265 , l’infraction elle
est commise par l’agent et ne saurait naître hors de lui 266 . Le fait de pouvoir lui reprocher
les faits relève de la logique même de la responsabilité et est conditionné par la vérification
qu’il a bien commis une infraction, autrement dit, par la qualification pénale des faits sur sa
tête. Au reste, l’idée selon laquelle l’infraction naîtrait hors de l’agent conduirait à admettre
que l’infraction puisse être caractérisée de manière totalement abstraite, sans que soit vraiment
prise en compte la perception par l’agent de son acte, ce qui ne peut être le cas. Elle n’est
pas imputée à un individu, elle est commise par lui 267 , raison pour laquelle il peut en être
déclaré responsable. D’ailleurs, la dualité du mécanisme d’imputation rejoint la dualité dans
la caractérisation de l’infraction. Cela ne saurait étonner. Il s’agit de savoir si une infraction a
été commise par une personne en particulier. L’idée de commission englobe les deux aspects
de l’imputation. La qualification du comportement implique donc de s’assurer que la personne
soupçonnée est bien l’auteur des faits et que ces faits sont bien objectivement et subjectivement
constitutifs d’une infraction. La responsabilité pénale prend sa source dans la commission d’une
infraction, non dans son imputation qui est un mécanisme virtuel et, par suite, artificiel. Monsieur
Saenko écrit d’ailleurs à ce sujet, que la catégorie des infractions attitrées 268 présente l’intérêt
de recentrer « le processus de constitution sur l’origine de l’infraction (c’est-à-dire l’auteur),
au lieu de voir en elle une source de responsabilité préexistante qu’il s’agirait, après coup, de
raccrocher (d’imputer, donc) à une personne. Cette approche très rustique de l’infraction nous
paraît être la bonne dans la mesure où, pour les personnes physiques à tout le moins, l’infraction
ne sera jamais imputable à quelqu’un d’autre qu’à son auteur – c’est là une conséquence directe
du principe de personnalité de la responsabilité pénale. » 269 Le principe est ancien et se prolonge

264. P. Fauconnet, La responsabilité, op. cit., p. 104.


265. Ibid.
266. Fauconnet raisonne pour sa part en termes d’imputation, l’infraction devant être mise sur le compte de son
auteur. Ibid., p. 106.
267. Ainsi serait-il opportun « de supplanter la (fausse) notion d’imputation de l’infraction pour revenir à la (vraie)
notion de commission. » L. Saenko, « Brèves réflexions sur la catégorie des infractions « attitrées », art. préc.
268. Infractions ne pouvant être commises que par certaines personnes visées dans les textes d’incrimination.
269. L. Saenko, « Brèves réflexions sur la catégorie des infractions « attitrées », art. préc. V. égal. du même
auteur, « De l’imputation par amputation ou le mode allégé d’engagement de la responsabilité pénale des personnes
morales », Dr. pén. 2009, étude, p. 14 : « la qualité de l’auteur ou, du moins, son existence étant une condition
de l’infraction, le quoi ne saurait être déterminé avant le qui. [...] Pour les personnes physiques, la question de
l’imputation ne se pose donc pas car, ipso facto, l’infraction n’est imputable qu’à la personne qui la commet, c’est-
à-dire qui la tente ou la consomme. »

423
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

dans le principe de personnalité des peines : en matière de crime, la règle générale veut qu’« il
n’y a que celui qui l’a commis qui doit en porter la peine » 270 . La responsabilité pénale est,
en principe, la conséquence de l’accomplissement d’un comportement susceptible de recevoir
une qualification pénale. Elle n’est pas la conséquence de l’imputation d’une infraction 271 ,
elle est la conséquence de sa commission. L’article 121-4 répute d’ailleurs auteur celui qui
« commet les faits incriminés », non celui qui se voit imputer ces faits ou, plus largement, une
infraction préalablement caractérisée. En réalité, l’imputation, au sens de rattachement, de mise
au compte, n’a de sens que lorsqu’il s’agit de faire supporter à une personne les conséquences
d’une infraction qu’elle n’a pas elle-même commise, autrement dit dans les cas où le principe
de responsabilité du fait personnel connaît un aménagement.

455. La scission problématique de la volonté résultant de l’imputation – Par ailleurs,


le mécanisme d’imputation, tel qu’il est traditionnellement admis, engendre une scission dans
l’appréciation des données psychologiques. En effet, dès lors que l’infraction est constituée
selon l’approche doctrinale majoritaire par la réunion d’un élément matériel et d’un élément
moral, une partie au moins des considérations psychologiques relèvera du second élément.
La capacité de comprendre et de vouloir conditionne donc la seule imputation, tandis que la
volonté conditionne elle la caractérisation de l’infraction. L’intention ou la volonté n’est alors
pas envisagée comme un tout, elle se trouve disloquée en deux phases d’appréciations, l’analyse
de la volonté – qu’elle aille ou non jusqu’à l’intention – précédant paradoxalement l’analyse de
la capacité de vouloir 272 .
Or, la division en deux phases implique, au moins dans sa présentation, une scission
temporelle de l’étude de la psychologie de l’agent, scission apparaissant d’autant plus artificielle
que l’on vérifiera d’abord l’existence de l’infraction – et donc la concordance de la volonté de
l’agent avec l’élément psychologique prévu par le texte d’incrimination – puis la possibilité
d’imputer l’infraction à son auteur afin de l’en déclarer responsable 273 . C’est à ce second

270. Jousse, Traité de la Justice criminelle de France, 1771, t. III, p. 687, cité par S. Frossard, « Quelques
réflexions relatives au principe de la personnalité des peines », RSC 1998, p. 703.
271. V. néanmoins la position développée par Monsieur Lagoutte dans sa thèse et exposée dans un article paru au
RSC selon laquelle « tout fait générateur doit faire l’objet d’une attribution à un responsable ». J. Lagoutte, « Les
conditions de la responsabilité en droit privé. Éléments pour une théorie générale de la responsabilité juridique »,
RSC 2013, p. 991.
272. De nombreux ouvrages procèdent à une analyse partagée entre l’infraction envisagée à travers ses éléments
et la responsabilité ou le délinquant, et cette présentation impliquera toujours une scission des données d’ordre
psychologique (v. entre autres, X. Pin, Droit pénal général, op. cit. ; Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit. ;
H. Donnedieu de Vabres, Précis de droit criminel, op. cit. ; F. Rousseau, L’imputation dans la responsabilité
pénale, th. préc.).
273. V. toutefois E. Dreyer, « Responsabilité pénale des personnes morales : question d’imputation ou d’im-
putabilité ? », art. préc. : « l’imputabilité est une question qui s’envisage en principe avant, et non après, celle
de l’infraction : à l’égard des personnes physiques, il ne sert à rien de vérifier si les faits sont constitutifs d’une
infraction lorsqu’ils ne sont pas imputables à leur auteur. Cela n’a aucun sens car en l’absence de volonté libre et

424
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

stade qu’est théoriquement appréciée la capacité qu’a pu avoir l’auteur de l’acte d’apprécier
la portée de ses actes et d’adopter un comportement qu’il sait infractionnel. Les conditions
d’imputation étant présumées, dans la plupart des cas, la seconde phase (celle de déclaration
de la responsabilité) ne fera pas l’objet de vérifications surabondantes. Même ce recours à la
présomption illustre l’artifice du mécanisme qui ne sert finalement qu’à contourner les règles
légales dans des hypothèses de complicité, pour lesquelles il est indispensable de parvenir à
caractériser une infraction. Des auteurs ont certes pu soutenir le bien-fondé de cette dualité
temporelle : pour pouvoir être responsable, il faudrait au préalable qu’existe une infraction à
imputer 274 . Mais en réalité, la responsabilité n’est que la conséquence de la vérification de ce
que l’agent a effectivement commis un comportement, pénalement qualifiable. D’ailleurs, toute
l’ambiguïté du mécanisme tient dans ce paradoxe qui veut que l’imputabilité soit effectuée a
posteriori, une fois l’infraction caractérisée en tous ses éléments, alors que ses conditions sont
un préalable à la volonté. Cette logique ne suggère-t-elle pas en réalité une dissociation entre les
conditions d’imputabilité (présumées) et le mécanisme d’imputation, les premières ne relevant
pas tout à fait du second 275 ? L’artifice de la construction est visible, raison pour laquelle le
raisonnement en termes de commission apparaît plus convaincant. L’analyse du comportement
sous son angle subjectif ne saurait conduire à se contenter de ce que le comportement matériel
révèle de la volonté de son auteur. Cette analyse aboutit en fait à admettre dans un premier
temps que l’agent a voulu l’acte et éventuellement son résultat puis, alors que l’infraction est
caractérisée dans son entier, à s’interroger sur la capacité de cette même personne à vouloir l’acte

éclairée, on ne peut caractériser d’intention ou de relâchement d’attention ». Si la logique implique un tel ordre,
l’idée de mise au compte suggère l’inverse dès lors du moins que c’est l’infraction qu’il s’agit d’imputer et non pas
simplement le comportement objectif. Monsieur Dreyer relève d’ailleurs que « l’imputabilité n’est débattue qu’a
posteriori compte tenu de la présomption d’intelligence et de volonté pesant sur eux ».
274. V. not. M.-L. Rassat, Droit pénal général, op. cit., no 245. V. égal. P. Fauconnet, La responsabilité, op. cit.,
p. 346 et s. : il y aurait deux étapes dans la responsabilité. La première tient à une responsabilité objective, sorte
de pré-jugement : on désigne quelqu’un comme responsable, et c’est parce qu’il est désigné que l’on va ensuite
vérifier son état mental. Si l’on découvre alors des conditions d’irresponsabilité, la sanction ou l’incrimination en
sera modifiée. Il y aurait ainsi « un mélange de deux responsabilités », « l’une a sa source dans le crime et l’autre
dans le patient ». Ibid., p. 348.
275. L’ambiguïté est en partie liée à la distinction des conditions d’imputabilité du mécanisme d’imputation.
Certains auteurs procèdent à cette distinction, voyant dans le second un mécanisme matériel. Mais d’autres on
une acception large de l’imputation qui englobe les conditions d’imputabilité. V. F. Rousseau, L’imputation dans
la responsabilité pénale, th. préc., p. 9, no 6. La première approche, seule, est compatible avec le caractère préalable
de ces conditions, mais elle a pour désavantage de séparer totalement, y compris dans le temps, l’imputabilité de
l’imputation. Or, rien ne justifie de séparer ainsi deux concepts qui relèvent d’une même logique et de conférer
au deux termes un sens différents. En ce sens, ibid., p. 9, no 7. En outre, il semble qu’elle rejoigne le concept de
commission : les capacités intellectuelles de l’agent étant vérifiées en amont (donc, on le suppose, à l’occasion de
l’analyse du comportement sous son angle subjectif), la personne de l’auteur est déjà identifiée. Il s’agit alors de
savoir si elle a commis une infraction et le mécanisme d’imputation apparaît superflu, car aucun rattachement n’est
nécessaire dès lors que l’on a constaté que l’agent a commis volontairement des faits constitutifs d’une infraction.
Seule la déclaration de responsabilité suit ce constat.

425
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

accompli 276 . Mais peut-on vraiment admettre de retenir l’intention alors même que l’agent se
trouvait dans une situation lui ôtant sa capacité de vouloir ? La solution est problématique. Elle
conduit à avoir une approche mécanique et abstraite de la volonté 277 , si bien que l’extériorité
de l’imputabilité vide d’intérêt l’analyse du comportement sous son angle subjectif. La question
n’est plus tant de savoir qu’elle perception l’agent a eu de son comportement ou s’il a voulu
commettre l’infraction. D’ailleurs, la question relative à la culpabilité de l’agent semble intégrer
celle de sa capacité à avoir compris et voulu le comportement. La question posée aux jurés en
matière criminelle peut être rédigée en ces termes : l’accusé est-il coupable d’avoir commis tel
fait, ce qui implique « non seulement que cet accusé a matériellement commis l’infraction qui
lui est imputée, mais encore que sa volonté de la commettre était libre » 278
Pourtant, l’acte volontaire devrait s’entendre comme un acte choisi. La volonté implique une
certaine adhésion psychologique au fait accompli. Temporellement, l’appréciation de la volonté
de l’auteur de l’acte devrait suivre ou être concomitante à la vérification de sa capacité de vouloir
l’acte et de l’apprécier en tant que comportement infractionnel. Ne semble-t-il pas acquis que
« la conscience [est] un préalable à toute infraction » 279 ? Elle conditionne la volonté. Le fait que
les conditions d’imputation soient présumées traduit du reste cette logique : la constatation du
caractère volontaire présuppose ou devrait emporter celle de la capacité de l’agent à avoir pu le
comprendre 280 . Le rattachement a posteriori des conditions d’imputabilité à la responsabilité
inverse donc le mécanisme et le dénature.

β. La réunion des données psychologiques

456. Proposition : la réintégration des conditions dites d’imputabilité à l’élément psy-


chologique – L’engouement en faveur du mécanisme d’imputation et sa revendication en tant

276. En ce sens, P. Jourdain, Recherche sur l’imputabilité en matière de responsabilités civile et pénale, th. préc.,
p. 137, no 119 : « un vol n’en est pas moins un vol s’il est accompli par un fou ».
277. À ce titre, il a pu être fait état de « l’anéantissement de l’élément moral de l’infraction » : P. Cazalbou,
Étude des infractions de conséquence, th. préc., p. 195, no 445. Quant à Monsieur Dreyer, il évoque une « pétition
de principe » : E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., no 769, cité par l’auteur. Surtout lorsque la volonté ou
l’intention sera elle-même présumée, il faut bien constater que l’analyse du comportement sous son angle subjectif
ne sera qu’illusoire.
278. H. Angevin, La pratique de la Cour d’assises, op. cit., p. 324, no 799. Monsieur Angevin remarque par
ailleurs que « le Code de procédure pénale, en sa rédaction issue de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, a prévu des
questions particulières sur l’existence d’une cause d’irresponsabilité pénale. Le mot coupable ne doit, par exception,
pas figurer dans la question principale lorsqu’est posée une question relative à une cause d’irresponsabilité pénale ».
Du même auteur, Cour d’assises – Questions, op. cit., no 83.
279. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 237, no 220. Monsieur Mayaud refuse néanmoins que la
conscience intègre la définition de l’intention et procède à une appréciation distincte de l’élément moral et de
l’imputabilité.
280. En pratique, l’état d’esprit de l’agent ne s’apprécie-t-il pas dans sa totalité, soit à l’occasion de l’examen
de la volonté, soit à l’occasion de l’examen des capacités psychiques de l’agent, sans qu’il ne soit fait une double
appréciation, si bien que selon l’angle choisi, l’examen de l’un absorbera l’examen de l’autre ?

426
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

que concept autonome opèrent au détriment de la dimension subjective de l’infraction. Or,


la responsabilité pénale n’est qu’une réponse 281 venant en sanction d’un acte. C’est donc sa
cause, son fait générateur qui se doit d’être apprécié subjectivement. Par ailleurs, l’analyse du
comportement sous son angle subjectif ne devrait pas simplement conduire à s’intéresser à la
volonté révélée par le fait, mais à la perception de l’agent. L’unité conceptuelle de l’infraction et
sa définition comme un comportement humain conduisent par conséquent à une double remise
en cause, à la fois du mécanisme même d’imputation et du rattachement de ses conditions à la
responsabilité. La capacité de comprendre et de vouloir le comportement s’intègre à l’élément
psychologique parce que la volonté ne devrait pas pouvoir être retenue si elle n’est pas libre
et consciente. « Dire de l’agent qu’il est en faute, qu’il est coupable : 1° c’est donc affirmer
qu’il est dans un état psychique lui assurant la possibilité de se comporter normalement, de se
déterminer par les règles de la conduite sociale ; 2° c’est affirmer en même temps que l’agent a
connu la signification antisociale de sa conduite, ou bien qu’il aurait pu et dû la connaître. » 282
L’analyse du comportement sous son angle subjectif doit donc conduire le juge à apprécier la
volonté de l’agent mais non indépendamment de sa liberté et de sa capacité de discernement 283 .
Il serait vain d’essayer de dénommer précisément les différentes circonstances de l’imputa-
bilité. Les variations et subtilités des analyses sont nombreuses. Elles se rejoignent néanmoins
sur deux grandes idées. La première tient à la liberté de l’agent ou à son libre arbitre. La volonté
doit être libre, soit non contrainte 284 . La seconde tient à la capacité de discernement de l’agent,
qui intègre sa capacité de comprendre, mais aussi une forme de conscience morale 285 . Ces
données sont indissociables, selon nous, de la volonté. Le caractère volontaire ou intentionnel
de l’acte ne peut être retenu dans la caractérisation d’une infraction que s’il s’accompagne
d’elles. Ces dernières étant le contexte de la première et la particularisant en lui donnant son

281. C’est, pour Ortolan, l’obligation de répondre de quelque chose. J. Ortolan, Éléments de droit pénal,
op. cit., p. 100, no 223. Il s’agit là du sens étymologique de la responsabilité. V. M. Villey, « Esquisse historique
sur le mot responsable », Archives de philosophie du droit, La responsabilité 1977, t. 22, p. 45. Initialement, le
sens de respondere était de se tenir garant, se porter caution. Sur ce point, v. égal. G. Viney, « La responsabilité »,
Archives de philosophie du droit, Vocabulaire fondamental du droit 1990, t. 35, p. 275, et J. Rochfeld, Les grandes
notions du droit privé, 2ème éd., PUF, 2013, p. 482.
282. R. Garraud, Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 179, no 77.
283. Quand bien même ce second aspect pourrait être présumé. L’argument de la présomption existant en la
matière a parfois été utilisée au soutient du caractère non constitutif des conditions d’imputabilité (G. Levasseur,
« Étude de l’élément moral de l’infraction » in Confrontation de la théorie générale de la responsabilité pénale avec
les données de la criminologie, Travaux du colloque de science criminelle, Toulouse, op. cit. V. égal. P. Bonfils,
« Le discernement en droit pénal » in Sciences pénales et sciences criminologiques, Mélanges offerts à Raymond
Gassin, op. cit., faisant état de l’argument de Levasseur). Toutefois, il est à remarquer que la connaissance de la
loi est aussi présumée. Pourtant, personne n’envisage de la sortir de la structure infractionnelle ou de la séparer de
la volonté. L’argument n’est en réalité utilisé que pour l’imputabilité et sans doute pas pour les bonnes raisons.
284. Que la liberté soit rattachée à l’imputabilité ou à la culpabilité (entendue comme la faute), elle demeure en
tout état de cause un prérequis.
285. V. F. Rousseau, L’imputation dans la responsabilité pénale, th. préc., p. 42, nos 30 et s. et p. 199, no 172. V.
égal. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 483, no 451.

427
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

caractère coupable et répréhensible, il est possible – théoriquement – d’y voir des circonstances
constitutives de la volonté, encore qu’en pratique, les deux semblent devoir s’apprécier ensemble.

457. Les obstacles à la solution proposée – Certes, le traitement des causes subjectives
d’irresponsabilité semble incompatible avec une telle proposition. En effet, le législateur n’a
pas opéré de distinction entre les deux catégories, pourtant classiquement admises en doctrine.
Au contraire, il semble que le législateur ait entendu remettre en cause la distinction en traitant
ensemble toutes les situations susceptibles de faire obstacle à la responsabilité 286 . Or, en axant la
répression sur le délinquant 287 , il pourrait sembler que le législateur ait entendu s’éloigner d’une
problématique de caractérisation de l’infraction. D’ailleurs, dans la Circulaire générale présen-
tant les dispositions du nouveau Code pénal, il est précisé s’agissant de l’irresponsabilité pour
trouble psychique ou neuropsychique que l’expression « il n’y a ni crime ni délit » anciennement
employée à l’article 64 avait été abandonnée pour montrer « que cette cause d’irresponsabilité
et également prévue en matière contraventionnelle et qu’elle ne supprime pas l’existence de
l’infraction » 288 . C’était donc affirmer à l’article 121-3 l’importance de la volonté, mais d’une
volonté abstraite et indifférente aux capacités intellectuelles de l’agent. Le législateur donnait
raison, sur ce point, à la doctrine majoritaire qui voyait dans les conditions d’imputabilité des
conditions de la seule responsabilité. En outre, l’indifférence des conditions d’imputabilité sur la
structure infractionnelle semble avoir été renforcée par la loi du 25 février 2008, instaurant une
procédure de jugement des personnes irresponsables en vertu de l’article 122-1 du Code pénal.
La nouvelle procédure permet en effet de juger une personne atteinte d’un trouble psychique ou
neuropsychique au moment des faits et de l’en déclarer auteur. Pour autant, la personne demeure
irresponsable, de sorte que seules des mesures de sûreté pourront être prononcées 289 . La mise
en place de cette procédure a pu être analysée comme « la relégation de l’imputabilité (du moins

286. Monsieur Pradel évoquait au sujet de l’avant projet de révision du Code pénal une volonté de destruction de
la distinction entre les causes objectives et subjectives en les mettant toutes sur le même plan. J. Pradel, « L’avant
projet de révision du code pénal », D. 1977, chron. p. 115. Reprenant l’argument, Monsieur Lepointe faisait quant
à lui état d’une tentative de destruction de la théorie des faits justificatifs. E. Lepointe, « De l’impunité et la non
punissabilité, À propos d’une tentative de destruction de la théorie des faits justificatifs », D. 1978, chron. p. 225.
Adde. du même auteur, « Justifié, donc irresponsable, Contribution à la théorie darwinienne de la variation des
espèces », D. 1996, chron. p. 247.
287. Citant l’avant-projet définitif de code pénal (Doc. fr., 1978, Comm., p. 45), Monsieur Lepointe rappelle
« que les membres de la commission de 1974 exprimaient l’opinion que la distinction traditionnelle entre les faits
justificatifs et ce qu’ils décrivaient comme des « causes d’irresponsabilité subjective » n’avait plus de raison d’être,
« dès lors que la répression était axée sur la personne du délinquant et qu’il convenait [...] d’examiner sa position
personnelle au regard des causes d’irresponsabilité ». Ibid.
288. Circulaire générale présentant les dispositions du nouveau code pénal, op. cit., p. 32.
289. Sur la procédure applicable et les mesures pouvant être prononcées, v. H. Matsopoulou, « Le développe-
ment des mesures de sûreté justifiées par la « dangerosité » et l’inutile dispositif applicable aux malades mentaux »,
art. préc., et du même auteur, « L’application des « peines », puis des « mesures de sûreté », aux personnes atteintes
de troubles mentaux : l’incohérence jurisprudentielle et ses conséquences, (à propos de l’arrêt de la chambre
criminelle du 16 décembre 2009) », Dr. pén. 2010, étude, no 4, concernant plus spécifiquement les difficultés de
qualifications des sanctions en cause.

428
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

en cas de trouble mental) au rang de simple condition de la responsabilité pénale, de sorte que
son absence n’est plus déterminante de l’innocence de l’individu » 290 . Par extension, il semble
donc que les conditions de l’imputabilité (ou au moins celle tenant au discernement) ne soient
nullement exigées au titre de la caractérisation de l’infraction 291 . La juridiction devra en effet
se prononcer sur la commission des faits et, donc, a priori, sur l’infraction commise. Seule la
déclaration de responsabilité demeure impossible.

458. Relativisation – Toutefois, les textes ne disposent pas expressément de la survie de


l’infraction, non plus qu’ils ne donnent la raison de l’irresponsabilité. La précision n’est contenue
que dans la circulaire. Loin d’en relativiser l’importance, il faut ici constater qu’il n’existe pas
d’obstacle absolu à la solution proposée. Que la responsabilité disparaisse est une chose, mais
la raison de sa disparition devrait résider dans un obstacle à la caractérisation de l’infraction.
D’ailleurs, l’uniformisation des causes d’irresponsabilité aurait dû, si elle avait été appliquée
dans sa globalité, conduire à la remise en cause de l’effet des faits justificatifs sur l’existence
de l’infraction. Or, et comme l’avait prédit Monsieur Pradel 292 , la distinction est demeurée.
Il est toujours admis que les causes objectives opèrent in rem. Elles font disparaître totalement
l’infraction, de sorte que ni la complicité ni la coaction ne sont en principe possible 293 . Par
ailleurs, dans la majorité des cas, elles entraînent également une irresponsabilité civile 294 . À
l’inverse, les causes subjectives peuvent faire l’objet d’une complicité ou d’une coaction et
laissent subsister la responsabilité civile de l’auteur de l’infraction 295 . Rien, dans le Code,
ne fait obstacle à cette solution et il serait donc possible de considérer que toutes les causes
d’irresponsabilité ont pour effet en amont de faire obstacle à la qualification du comportement.
Même la procédure applicable en cas de trouble psychique ou neuropsychique ne fait pas
totalement obstacle à cette solution. Il est intéressant de remarquer que les textes du Code de
procédure pénale relatifs à celle-ci ne font jamais état ni de l’infraction, ni du crime, ni du

290. S. Detraz, « La création d’une nouvelle décision de règlement de l’instruction : la décision d’irresponsabi-
lité pénale pour cause de trouble mental », RSC 2008, p. 873.
291. Ibid.
292. J. Pradel, « L’avant projet de révision du code pénal », art. préc.
293. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 562-563, no 438. Pour une application de l’effet in
rem des faits justificatifs par une chambre d’instruction dans un cas de complicité, v. l’arrêt rendu par la Chambre
de l’instruction de la cour d’appel de Grenoble, du 14 mai 2014 et l’arrêt rendu par la Cour de cassation dans la
même affaire qui confirme implicitement l’effet in rem. En effet, la Cour de cassation casse l’arrêt au motif que « les
agissements ainsi analysés comprenaient des modalités de mise en œuvre susceptibles de constituer des atteintes
involontaires à l’intégrité d’autrui » : Cass. crim., 27 oct. 2015, no 14-84.952.
294. Sur le principe et ses exceptions, v. infra, no 477.
295. V. infra, nos 473 et s.

429
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

délit. Il est systématiquement – et classiquement 296 – fait mention des faits commis 297 , mais
non de l’infraction commise 298 . En effet, « la loi du 25 février 2008 omet [...], pour rendre le
nouveau statut d’irresponsable pénalement opérationnel en toute occasion, de régler le problème
de l’incidence du trouble mental sur la constitution de l’infraction pénale » 299 . Antérieurement à
la loi de 2008, la déclaration d’irresponsabilité intervenait en amont, avant qu’un tribunal ne soit
saisi. L’irresponsabilité s’accompagnait donc de l’absence de qualification des faits sur la tête
de la personne atteinte du trouble 300 . Si une infraction demeurait et pouvait servir de support à
un acte de complicité, ce n’était qu’à l’état de qualification objective, abstraite et désincarnée,
la volonté étant constatée sans égard à ses spécificités. On peut se demander si la solution ne
reste pas la même aujourd’hui. La personne pourra être jugée et reconnue auteur des faits, forme
d’imputation objective ou « matérielle » 301 , mais la qualification n’est pas parfaite car elle fait
partiellement abstraction de la dimension subjective du comportement. Il est possible de n’y voir
qu’un diminutif de qualification, abstraite et, pour partie, objective 302 , qui permet de reconnaître
comme auteur des faits une personne qui n’en sera pour autant pas tenue responsable 303 . La
position emporte certes des conséquences qui sont d’ailleurs générales pour toutes les causes
subjectives d’irresponsabilité, et dont il s’agira de préciser l’ampleur 304 . Pour l’heure, il s’agit
de constater que si des obstacles à l’analyse proposée existent, une conciliation reste possible
et permettrait de gommer certains artifices de l’approche actuelle en recentrant l’analyse sur

296. Cette rédaction est sans doute liée à une volonté d’uniformité entre les différentes procédures, mais elle reste
intéressante à relever dans ce cas particulier pour lequel, justement, la question de la commission d’une infraction
se pose.
297. Code de proc. pén., art. 706-133 : en cas d’irresponsabilité fondée sur l’article 122-1, le tribunal correctionnel
déclare « que la personne a commis les faits qui lui étaient reprochés ». Les autres textes renvoient également à
la commission des faits : ibid. art. 706-122 et 349-1. Les textes relatifs aux mesures de sûreté qui pourront être
prononcées en cas de déclaration d’irresponsabilité visent eux bien les infractions.
298. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que l’article 349-1 relatif à la procédure devant la Cour d’assises
vaut pour toutes les causes d’irresponsabilité, qu’elles soient objectives ou subjectives. Dans tous les cas, les
jurés devront répondre à une première question relative à la commission des faits (« L’accusé a-t-il commis tel
fait ? »), puis à une seconde relative à la cause d’irresponsabilité (« L’accusé bénéficie-t-il pour ce fait de la
cause d’irresponsabilité pénale prévue par l’article... du code pénal selon lequel n’est pas pénalement responsable
la personne qui... ? »). La déclaration relative à la commission des faits n’emporte donc pas systématiquement
reconnaissance de l’existence d’une infraction.
299. S. Detraz, « La création d’une nouvelle décision de règlement de l’instruction : la décision d’irresponsabi-
lité pénale pour cause de trouble mental », art. préc.
300. Depuis la loi Perben II, le juge d’instruction devait néanmoins se prononcer sur l’existence de « charges
suffisantes établissant que l’intéressé a commis les faits qui lui sont reprochés ». Code de proc. pén. art. 177, al. 2,
anciennement.
301. J. Pradel, « Une double révolution en droit pénal français avec la loi du 25 février 2008 sur les criminels
dangereux », D. 2008, p. 1000.
302. Monsieur Detraz évoque des « faits objectivement infractionnels » ou la « culpabilité matérielle », tout en
relevant qu’ici, la volonté est vérifiée, seule les conditions d’imputabilité font défaut. S. Detraz, « La création
d’une nouvelle décision de règlement de l’instruction : la décision d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble
mental », art. préc.
303. Le statut d’« irresponsable pénalement » se situe ainsi selon Monsieur Detraz « à mi-chemin entre ceux
de coupable et d’innocent ». Ibid.
304. V. infra, no 473.

430
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

l’infraction commise et non sur l’infraction imputée. La bonne compréhension de l’élément


psychologique n’en serait que facilitée. Ce n’est que dans certaines hypothèses résiduelles que
le mécanisme d’imputation aura vocation à opérer et encore n’emportera-t-il pas de déplacement
de l’appréciation des données subjectives à un stade ultérieur à la caractérisation de l’infraction.

2. L’infraction imputée

459. Les hypothèses exclues du mécanisme d’imputation – Dès lors que l’on raisonne en
termes de commission, le mécanisme d’imputation semble devoir devenir tout à fait résiduel. Il
n’est utile que dans l’hypothèse où une personne se voit imputer (rattacher) une infraction carac-
térisée en tous ses éléments alors qu’elle ne la pas personnellement commise. Par conséquent,
plusieurs hypothèses pour lesquelles l’on pourrait être tenté de raisonner en matière d’imputation
sont à exclure.
Tout d’abord, il convient d’exclure les exceptions au principe de personnalité des peines dès
lors qu’elles ne conduisent pas à l’imputation d’une infraction. L’une d’elles se rencontre par
exemple en matière d’infractions routières. L’article L.121-3 du Code de la route prévoit ainsi
que « le titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule est redevable pécuniairement de
l’amende encourue pour [certaines] infractions » 305 au Code de la route. Ici, s’il y a bien entorse
au principe de personnalité des peines, il n’y a pas imputation de l’infraction commise par autrui
dès lors que ce même article précise expressément en son alinéa 2 que « la personne déclarée
redevable en application des dispositions du présent article n’est pas responsable pénalement de
l’infraction ». Il ne s’agit donc pas ici d’un cas d’imputation 306 . Celui qui subit la peine n’est
simplement pas l’auteur de l’infraction 307 .
Par ailleurs, le cas de la responsabilité du chef d’entreprise et, plus largement, de l’auteur
médiat, doivent également être exclus des hypothèses d’imputation. En effet, le chef d’entreprise

305. Code de la route, art. L.121-3.


306. À l’inverse, il serait possible de voir dans les dispositions de l’article L.121-2 une hypothèse d’imputation.
Selon cet article, « le titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule est responsable pécuniairement des infrac-
tions à la réglementation sur le stationnement des véhicules ou sur l’acquittement des péages pour lesquelles seule
une peine d’amende est encourue, à moins qu’il n’établisse l’existence d’un événement de force majeure ou qu’il ne
fournisse des renseignements permettant d’identifier l’auteur véritable de l’infraction. » Il est toutefois possible ici
d’hésiter entre une présomption de culpabilité (en ce sens, S. Detraz, « Faut-il maintenir les contraventions dans
le domaine pénal ? » in Droit pénal : le temps des réformes, op. cit.) et un réel mécanisme d’imputation. Il s’agit ici
d’une responsabilité à raison de contraventions, de sorte qu’il n’y a pas tout à fait caractérisation d’une infraction
en tous ses éléments, puis imputation de l’infraction à une personne. Il y a plus précisément la constatation d’un
fait et la désignation, par voie de présomption de la personne responsable.
307. Pour une autre hypothèse, v. l’article L. 4741-2 du Code du travail qui « permet au tribunal, compte tenu des
circonstances de fait et des conditions de travail de l’intéressé, de mettre à la charge de l’employeur le paiement total
ou partiel des amendes et des frais de justice prononcés contre un préposé qui a provoqué la mort ou des blessures
en commettant une infraction à la législation du travail. » J.-P. Céré, Rép. dr. pén., Peine (nature et prononcé), 2008,
no 23.

431
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

se voit reprocher sa propre faute 308 , mais ne se voit pas imputer une infraction 309 . Il commet
indirectement l’atteinte, mais se voit reprocher sa propre infraction, dont les éléments constitutifs
seront vérifiés sur sa tête 310 . Encore faut-il relever que certaines hypothèses tendent au contraire
bien plus vers des cas d’imputation d’une infraction commise par un auteur immédiat. Ainsi
en est-il lorsque la Cour de cassation admet la responsabilité d’un chef d’entreprise pour une
infraction intentionnelle à laquelle il n’a pas directement et personnellement pris part 311 . En
principe, le respect de l’article 121-1 devrait conduire à caractériser la participation du chef
d’entreprise à la commission de l’infraction. Reste que ces exceptions mises à part et de manière
générale, c’est à raison de son fait personnel et, donc, de l’infraction personnellement commise
que l’auteur médiat engage sa responsabilité. La souplesse de la Cour de cassation dans la
caractérisation des fautes ne suffit pas à basculer ici dans un mécanisme d’imputation d’une
infraction, non personnellement commises.
De même en est-il pour le cas de l’auteur moral. Il ne s’agit pas ici non plus de lui imputer
une infraction d’ores et déjà caractérisée en tous ses éléments. Au mieux, lui impute-t-on le
fait matériel accompli par un autre – l’auteur matériel, réifié 312 . Mais par hypothèse, c’est sur
sa tête que sera vérifiée l’intention coupable. Dans ces deux dernières hypothèses, les agents
commettent personnellement une infraction, dont ils sont par ailleurs tenus pour responsable. Il
n’y a donc pas besoin de passer par un mécanisme d’imputation. L’infraction doit simplement
être caractérisée en tous ses éléments à leur égard.

460. L’hypothèse de responsabilité en « cascade » et l’absence d’imputation – À l’in-


verse, une hypothèse relativement proche de la responsabilité de l’auteur médiat soulève
davantage de difficultés. Il s’agit du mécanisme de responsabilité en cascade mis en place en
matière d’infractions commises par voie de presse. S’agissant des infractions prévues par la
loi du 29 juillet 1881 et commises par cette voie, un mode particulier de responsabilité est
prévue qui déroge au droit commun. « L’article 42 de la loi sur la presse établit une hiérarchie
dans l’imputation de ces infractions : il place, dans le rôle d’auteur principal, l’éditeur ou, s’il

308. F. Rousseau, « La répartition des responsabilités dans l’entreprise », RSC 2010, p. 804 : « la responsabilité
pénale du dirigeant demeure une responsabilité fondée sur une faute personnelle du dirigeant ».
309. « On en déduira qu’il y avait dès l’origine responsabilité pour faute et que cette faute était et reste propre au
chef d’entreprise, seul le fait matériel étant en quelque sorte « emprunté » au subordonné. » A. Coeuret, « La
responsabilité en droit pénal du travail, Continuité et rupture », RSC 1992, p. 475.
310. Encore ici pourrait-on nuancer le propos, tant la faute est dans ces hypothèses systématiquement retenue. Le
constat du « défaut de surveillance ne sera le plus souvent qu’une référence purement formelle » A. Demichel, « Le
droit pénal en marche arrière », art. préc. L’on tend alors à une responsabilité du fait d’autrui, sous couvert de la
caractérisation d’une faute personnelle. Il n’en demeure pas moins que l’infraction reprochée au commettant est
bien une infraction personnellement commise, caractérisée par sa propre faute.
311. V. not. crim. 6 oct. 1955 : Bull. crim., n° 38 ; 28 févr. 1956 : JCP 1956, II, 9304, note R. De Lestang ; Crim ;
17 oct. 1967 : Bull. crim., n° 250 ; 6 mai 1996 : Dr. pén. 1996, comm. n° 261 (1er arrêt), note J.-H. Robert ; 28 oct.
1998 : Bull. crim., n° 281., cités par F. Rousseau, « La répartition des responsabilités dans l’entreprise », art. préc.
312. Pour une critique de la solution jurisprudentielle, v. supra, no 375.

432
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

s’agit d’un périodique, le directeur de la publication qui doit s’être déclaré au procureur de la
République (L. 29 juill. 1881, art. 6 à 9) ; si ce personnage est inconnu ou ne s’est pas déclaré, le
rédacteur du texte délictueux est l’auteur de l’infraction et si lui-même est inconnu, il est suppléé
par l’imprimeur dont le nom doit être inscrit sur tous les imprimés (L. 29 juill. 1881, art. 2)
[...]. » 313 . Ainsi appréhendée, la responsabilité semble liée au fait d’autrui (l’auteur par exemple
de propos diffamatoires), de sorte qu’il s’agirait de l’imputation à l’éditeur ou au directeur de
publication de l’infraction commise par un tiers 314 . Reste que dès lors que l’on admet que c’est
par la publication que se consomment les infractions, le raisonnement par imputation n’est plus
possible. Or, il est admis que « les infractions en cause se consomment par la publication de
sorte que la rédaction de l’écrit ou la réalisation de l’interview à publier ne sauraient en elles-
mêmes matérialiser l’infraction » 315 . Il est alors possible de considérer que la responsabilité de
l’éditeur ou du directeur de publication est liée à l’obligation de surveillance pesant sur lui 316 .
En effet, « est en cause, non le fait matériel de publication, mais la décision de publier prise par
une personne tenue de vérifier que les droits des tiers ne sont pas injustement lésés. » 317 À s’en
tenir à ce raisonnement, il s’agit alors de reprocher au directeur de publication ou à l’éditeur
son comportement personnel, de sorte qu’il n’est plus possible de raisonner par imputation 318 .
Il s’agit de l’infraction commise par lui en autorisant la publication d’un document portant
atteinte aux droits d’un tiers 319 . Reste toutefois que la Cour de cassation admet en la matière une
présomption d’intention ayant un caractère irréfragable 320 , ce qui pose la question de l’existence
d’une responsabilité de plein droit 321 .

313. J.-H. Robert, J. Cl. Pénal Code, art. 121-7, fasc. 20, Complicité, 2015, no 84.
314. Monsieur Dreyer relève que bien souvent, on ne voit « dans cette « cascade » qu’un mécanisme spécifique
d’imputation de la responsabilité ». E. Dreyer, Responsabilités civile et pénale des médias, 3ème éd., LexisNexis,
2011, p. 232, no 455.
315. J. Bossan, J. Cl. Pénal Code, fasc. 3050, Responsabilité pénale en cascade dans la presse écrite et l’édition,
2015, no 46.
316. Ibid., no 47 : « Les auteurs de premier rang sont responsables de plein droit à raison de l’obligation de
surveillance qu’implique leur fonction. » Des auteurs critiquent toutefois cette approche, car cette obligation de
surveillance est en pratique souvent illusoire. Évoquant cette difficulté, v. not. E. Dreyer, « L’auteur de l’infraction
de presse : auteur naturel ou artificiel ? », Dr. pén. 2008, étude, no 9 : « Le responsable éditorial est le plus souvent
incapable de contrôler l’ensemble de ce qui est publié sous son nom. En pratique, c’est rarement lui qui prend la
décision de transmettre un message diffamatoire, injurieux ou provocant au public. »
317. E. Dreyer, Responsabilités civile et pénale des médias, op. cit., p. 246, no 486.
318. Toutefois, les responsabilités par défaut prévues à l’article en question reposent elles sur un mécanisme
d’imputation et une responsabilité du fait d’autrui. Il a néanmoins pu être souligné que « l’importance de cette
responsabilité « en cascade » ne doit pas être exagérée car elle n’est jamais mise en œuvre : c’est un bel exemple
de disposition efficace sans être effective ». E. Dreyer, « L’auteur de l’infraction de presse : auteur naturel ou
artificiel ? », art. préc.
319. Approuvant ce raisonnement, v. J. Bossan, Responsabilité pénale en cascade dans la presse écrite et
l’édition, op. cit., nos 46 et s. Raisonnant à l’inverse par imputation participative, F. Rousseau, L’imputation dans
la responsabilité pénale, th. préc., p. 386, no 290.
320. E. Dreyer, Responsabilités civile et pénale des médias, op. cit., p. 246, no 486.
321. Ibid., p. 247, no 489, citant Cass. crim. 29 nov. 1994, Bull. crim., no 384. Quoiqu’il en soit, la présomption
d’intention conduit là encore à une modification de la nature de l’infraction. L’on reproche davantage à l’éditeur ou

433
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

461. Difficulté : les hypothèses d’imputation « collective » – Un autre cas pourrait égale-
ment soulever quelques difficultés. Il est relatif à certaines hypothèses de participation criminelle,
pour lesquelles une sorte d’imputation collective semble se dessiner 322 . En premier lieu, un
cas d’imputation collective, exploité par Monsieur Manacorda 323 , peut être observé en droit
pénal international. Il s’agit du délit d’appartenance à un groupe criminel 324 retenu par les juges
à Nuremberg et « inspiré de la notion anglo-américaine de conspiracy » 325 . Il s’agit, dans le
cas où des personnes agissent « de concert dans un but commun », d’admettre que les crimes
commis par l’un puissent engager la responsabilité de tous les membres du groupe, en qualité de
coauteurs 326 . Nous sommes donc bien ici face à une hypothèse d’imputation collective, justifiée
par le but criminel commun, d’une infraction caractérisée à l’égard d’un des membres du groupe.
Madame Delmas-Marty relève toutefois que la pratique a été critiquée en raison des atteintes
au principe de légalité qu’elle engendre et qu’elle n’est pas admise par le Statut de Rome 327 , ce
qui devrait s’opposer à l’avenir à une telle imputation collective 328 .
On retrouve par ailleurs un mécanisme quelque peu similaire en droit pénal français
en matière de complicité dite corespective 329 . Dans le cas de la scène unique de violences,
la Cour de cassation admet de retenir la responsabilité des différents protagonistes à raison
de la qualification pénale « correspondant aux blessures les plus graves » 330 . Les différents
participants à la scène de violences se voient donc reprocher la même infraction, en raison de
la difficulté de déterminer le rôle de chacun dans la réalisation du dommage 331 . L’infraction,
caractérisée au regard des blessures les plus graves, semble donc imputée collectivement à

au directeur de publication un défaut de surveillance de sa part, qu’une intention coupable. Ibid. : « La présomption
est ainsi justifiée : le fait de laisser paraître est assimilé au fait de vouloir l’atteinte. L’éditeur et le directeur de la
publication ne peuvent pas dire qu’ils ne savaient pas puisqu’ils avaient précisément pour fonction de vérifier. »
322. Certaines infractions, tel le génocide, se prêtent à cette idée d’imputation collective (V. R. Parizot, « Stefano
Manacorda, Imputazione collettiva e responsablità personale. Uno studio sui paradigmi ascrittivi nel diritto penale
internazionale », RSC 2009, p. 713, présentant l’ouvrage de S. Manacorda). La responsabilité reste néanmoins
fondée sur la démonstration d’une participation active (directe ou indirecte) au génocide.
323. Ibid.
324. Plus largement, les Tribunaux pénaux ad hoc ont utilisé la notion d’entreprise criminelle conjointe. M.
Delmas-Marty, Les Forces imaginantes du droit (IV), Vers une communauté de valeurs, Éditions du seuil, 2011,
p. 107-108.
325. Ibid., p. 107.
326. Ibid., p. 108.
327. Ibid., p. 109.
328. Sur les nouvelles formulations retenues par la suite, ibid., p. 109 et s.
329. Pour une critique de cette théorie, v. E. Baron, La coaction en droit pénal, 2012, Thèse, Bordeaux IV, p. 132,
nos 148 et s.
330. F. Rousseau, « De quelques réflexions sur la responsabilité collective, Aspects de droit civil et de droit
pénal », D. 2011, p. 1983.
331. Encore que la Cour de cassation applique parfois cette théorie dans des hypothèses dans lesquelles les rôles
pourraient être identifiés. Ibid. : « [...] en matière de violences collectives, la jurisprudence n’hésite pas à apprécier
globalement les faits, alors même qu’elle serait en mesure de déterminer les faits accomplis par chacun des coauteurs
au cours de la scène collective de violence » et l’arrêt cité par l’auteur.

434
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

l’ensemble des participants 332 . Néanmoins, il ne semble pas qu’il s’agisse ici réellement d’une
application du mécanisme d’imputation 333 . La qualification sera en effet partagée par tous les
participants, mais à condition de pouvoir démontrer un fait de participation volontaire 334 . Dans
les différents cas où un dommage peut être reproché aux différentes personnes ayant participé à
sa réalisation, la jurisprudence met en place ce qui a été qualifié de « mécanisme de présomption
de causalité tiré d’un fait collectif » 335 . Pour autant, il ne s’agit pas ici d’une hypothèse de
responsabilité collective 336 , non plus que d’imputation collective. Tout au plus impute-t-on un
résultat à l’ensemble des participants, mais par simple application des règles de complicité. En
d’autres termes, c’est à raison du fait commis de participation que les différents protagonistes
se voient sanctionnés pour un même résultat. La responsabilité est conditionnée par l’existence
d’un fait personnel de participation aux violences et d’une volonté de s’y associer 337 , mais sans
qu’il s’agisse d’imputer à l’ensemble des participants une même infraction. Comme dans toutes
les hypothèses de complicité, la responsabilité résulte du fait de participation personnellement
commis par l’agent. Il ne peut en effet s’agir ici d’un mécanisme d’imputation, car le complice
commet son propre fait générateur de responsabilité 338 . Ce n’est que par assimilation qu’il se voit
puni comme auteur 339 , mais il ne se voit en aucun cas imputer des faits qu’il n’a pas lui-même
commis 340 .

462. La responsabilité pénale des personnes morales, hypothèse résiduelle d’imputa-


tion – Les hypothèses non caractéristiques de cas d’imputation ayant été écartées, il faut désor-
mais se pencher sur les situations dans lesquelles il sera véritablement procédé à l’imputation
d’une infraction. En réalité, une seule hypothèse demeure et est relative à la responsabilité
pénale des personnes morales, où un mécanisme d’imputation est expressément prévu 341 . Le

332. Sans évoquer d’imputation collective, Monsieur Rousseau écrit qu’en cas de scène unique de violences, il
est procédé à une appréciation globale des faits et à une imputation de la qualification « à l’ensemble des participants
à la scène collective ». Ibid.
333. Contra, ibid.
334. V. J.-C. Saint-Pau, « Les causalités dans la théorie de l’infraction » in Mélanges en l’honneur du Professeur
Jacques-Henri Robert, op. cit., qui évoque « un fait personnel de participation ».
335. F. Rousseau, « De quelques réflexions sur la responsabilité collective », art. préc. Les auteurs raisonnent
majoritairement à partir d’un problème causal.
336. En ce sens, E. Baron, La coaction en droit pénal, th. préc., p. 123, no 136.
337. Quand bien même le dommage final n’aurait pas été recherché, la participation doit, elle, rester volontaire. À
défaut, la complicité corespective (qui implique vérifiées les conditions de la complicité, donc le caractère volontaire
de la participation) ne serait pas concevable.
338. Plus généralement, sur l’absence d’imputabilité en matière de complicité, v. infra, no 485.
339. Code pén., art. 121-6.
340. V. égal. infra, no 485.
341. Les fondements particuliers de la responsabilité pénale des personnes morales et le mode original d’imputa-
tion purement matériel a conduit un auteur à soutenir une dualité de responsabilité pénale. L’une subjective et pour
ainsi dire traditionnelle est la responsabilité pénale des personnes physiques. L’autre serait une responsabilité objec-
tive, applicable aux personnes morales. N. Stonestreet, La notion d’infraction pénale, 2009, Thèse, Bordeaux IV,
not. p. 401, nos 372 et s. Toutefois, l’infraction devant (théoriquement) être qualifiée en tous ses éléments pour que

435
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

Code pénal dispose en la matière que les personnes morales sont responsables « des infractions
commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants » 342 . Cet article décrit ce faisant
un mécanisme parfait d’imputation 343 : il vise les infractions « commises [...] par leurs organes
ou représentants », dont il s’agit de rendre responsable la personne morale 344 . Le texte impose
donc un raisonnement en deux temps. Dans le premier, l’infraction doit être caractérisée en tous
ses éléments, dans le second, elle doit être imputée à la personne morale, parce qu’elle a été
commise pour son compte 345 .
Il ne saurait s’agir de revenir ici sur les multiples controverses et débats relatifs à l’admission
ou aux conditions de la responsabilité pénale des personnes morales, mais simplement d’analyser
le mode de responsabilité dont il s’agit. La difficulté en la matière est que la personne morale,
être « désincarné » 346 , ne peut pas commettre, à proprement parler, d’infraction. Elle ne le peut
pas matériellement à titre personnel 347 et elle ne le peut pas intellectuellement. Par conséquent,
il ne s’agit ni d’une hypothèse de responsabilité pour l’infraction personnellement commise
par la personne morale 348 , ni d’une hypothèse de participation. L’infraction commise « pour

la responsabilité de la personne morale puisse être engagée, il n’est pas certain qu’il s’agisse d’une responsabilité
objective. Par contre, il est indéniable qu’elle repose sur un mécanisme tout à fait original qui aboutit à imputer à
une personne l’infraction commise par un tiers.
342. Code pén., art. 121-2.
343. Pour des positions plus nuancées, v. E. Dreyer, « Responsabilité pénale des personnes morales : question
d’imputation ou d’imputabilité ? », art. préc. ; J.-C. Saint-Pau, « La responsabilité pénale des personnes morales :
réalité ou fiction » in Le risque pénal dans l’entreprise, op. cit.
344. V. P. Morvan, « La personne morale maltraitée par le droit pénal » in Le Bicentenaire du code pénal, Éd.
Panthéon-Assas, 2010, p. 171.
345. Sur le sens à donner à cette expression, v. H. Matsopoulou, Rép. dr. soc., Responsabilité pénale des
personnes morales, 2002, no 33. Cette précision conduit à exclure une hypothèse de responsabilité du fait d’autrui.
Selon Monsieur Saint-Pau, il n’y a donc « pas dérogation, mais adaptation du principe de responsabilité du fait
personnel ». J.-C. Saint-Pau, « La responsabilité pénale des personnes morales : réalité ou fiction » in Le risque
pénal dans l’entreprise, op. cit., no 124. La personne morale ne pouvant pas, matériellement et psychologiquement,
commettre une infraction, elle ne le fait que par l’intermédiaire d’un de ses organes ou représentants.
346. Ibid., no 125, et F. Desportes, « Les conditions d’imputation d’une infraction à une personne morale », CJEG
2000, p. 426.
347. Pour une position plus nuancée, J.-C. Saint-Pau, « La responsabilité pénale des personnes morales : réalité
ou fiction » in Le risque pénal dans l’entreprise, op. cit., no 135 : l’activité de la personne physique peut s’analyser
comme celle de la personne morale par la fiction de la représentation.
348. Des auteurs ont pu proposer une double hypothèse de responsabilité. Soit la responsabilité pénale des
personnes morales serait liée à un cas de représentation, soit elle serait une responsabilité directe et personnelle
à raison de sa faute diffuse. V. ibid., no 150. Comp. J.-Y. Maréchal, « Plaidoyer pour une responsabilité directe
des personnes morales », JCP 2009, I, 249. Sur la capacité pénale de la personne morale, v. égal. H. Dumont,
« Criminalité collective et principaux responsables : échec ou mutation du droit pénal ?, Conclusion », RSC 2012,
p. 109. Dans ce cas, la personne morale serait auteur, au même titre que l’auteur physique. Revenant égal. sur le
débat, E. Dreyer, « Responsabilité pénale des personnes morales : question d’imputation ou d’imputabilité ? »,
art. préc. Toutefois, il n’est pas certain que le législateur ait entendu faire de l’auteur visé à l’article 121-4 un
auteur aussi bien physique que moral. V. J. Tricot, « Le droit pénal à l’épreuve de la responsabilité des personnes
morales : l’exemple français », RSC 2012, p. 19. À défaut, l’admission d’une responsabilité pénale des personnes
morales par représentation n’aurait pas été véritablement nécessaire car une assimilation des deux « catégories »
d’auteurs aurait été suffisante. Elle apparaît en outre d’autant moins nécessaire si l’on admet que l’organe ou le
représentant sont la personne morale (J.-C. Saint-Pau, « La responsabilité pénale des personnes morales : réalité
ou fiction » in Le risque pénal dans l’entreprise, op. cit., no 124). Dans ce cas, ne sommes-nous pas tout simplement

436
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

le compte de » ne correspond pas à une idée de participation à l’infraction, ni par aide ou


assistance, ni par instigation. Il s’agit ici d’une hypothèse de « commission » d’une infraction par
l’intermédiaire de l’un de ses organes ou représentants. Il semble donc bien, dans ce cas précis,
que l’on soit face à un mécanisme d’imputation, à proprement parler 349 , dès lors que la personne
morale est reconnue responsable d’une infraction qui peut lui être rattachée. Que l’on raisonne
en termes de représentation 350 ou en termes de responsabilité indirecte ou par ricochet 351
change finalement assez peu la solution. Comme le relève Monsieur Saint-Pau, ce n’est que
par une fiction dans la « technique d’imputation de l’infraction » 352 que l’on peut raisonner
en termes de représentation. Cela permet, sans doute, de contourner certaines difficultés. Mais
le raisonnement prend toujours sa source dans l’imputation directe à la personne morale de
l’infraction commise par un intermédiaire, l’organe ou le représentant. L’on demeure donc dans
un raisonnement par rattachement. Reste qu’ici, on se détache du cas « classique » d’imputation
ou, tout du moins, des conditions qui en font la particularité. Il ne s’agira en effet que de s’assurer
de la personnalité juridique de la personne morale, qu’elle soit de droit public 353 ou de droit privé,
mais bien entendu pas de conditions relatives à des capacités de comprendre et de vouloir qui ne
sauraient se concevoir dans ce cas-là. C’est en fait ici que l’on voit le mécanisme d’imputation
dans sa plus pure expression, qui ne consiste pas à vérifier qu’une personne est coupable de
l’infraction, mais que l’infraction commise peut être causalement rattachée à cette personne,
malgré l’absence d’activité concrète de sa part. Et c’est par la condition de l’infraction commise
« pour le compte » de la personne morale que ce rapport causal sera vérifié 354 .

463. Imputation et caractérisation de l’infraction – Dès lors que l’on raisonne en termes
d’imputation, l’infraction doit en principe être caractérisée avant de pouvoir être imputée. La

systématiquement dans le champ de l’article 121-4 (v. L. Saenko, « De l’imputation par amputation ou le mode
allégé d’engagement de la responsabilité pénale des personnes morales », art. préc.) (est auteur de l’infraction celui
qui commet les faits), qui ne précise pas la catégorie juridique de l’auteur ? Pourquoi l’assimilation de l’organe ou
du représentant ne va-t-elle pas jusqu’à son terme, c’est-à-dire jusqu’à effacer l’idée même de représentation ?
349. Raisonnant en termes d’imputation, H. Matsopoulou, « La présomption d’imputation d’une infraction
commise au sein de l’entreprise à la personne morale », note sous Cass. crim., 25 juin 2008, Rev. société 2008,
p. 873 : le fait que l’infraction doive être commise pour le compte de la société « signifie que, avant de condamner
une personne morale pour une infraction déterminée, les organes ou représentants, ayant commis celle-ci, doivent
nécessairement être identifiés ». En d’autres termes, l’infraction doit pouvoir être caractérisée en tous ses éléments,
aussi bien matériel que psychologique.
350. J.-C. Saint-Pau, « La responsabilité pénale des personnes morales : réalité ou fiction » in Le risque pénal
dans l’entreprise, op. cit., not. no 125 ; H. Dumont, « Criminalité collective et principaux responsables : échec ou
mutation du droit pénal ? », art. préc. ; J. Tricot, « Le droit pénal à l’épreuve de la responsabilité des personnes
morales : l’exemple français », art. préc.
351. F. Desportes, « Les conditions d’imputation d’une infraction à une personne morale », art. préc.
352. J.-C. Saint-Pau, « La responsabilité pénale des personnes morales : réalité ou fiction » in Le risque pénal
dans l’entreprise, op. cit., no 125.
353. Sur les personnes de droit public pouvant engager leur responsabilité pénale, H. Matsopoulou,
Responsabilité pénale des personnes morales, op. cit., no 12.
354. Ce qui exclut de la responsabilité pénale des personnes morales les infractions commises dans le but exclusif
de la personne physique les ayant commises (viol, meurtre etc.)

437
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

lettre de l’article 121-2 du Code pénal impose au demeurant cette solution, en évoquant l’infrac-
tion commise. Bien qu’elle soit accomplie par un organe ou représentant, la personne morale se
voit imputer l’infraction commise par un « autre ». Il s’ensuit que l’infraction doit en principe
être caractérisée en tous ses éléments, avant de pouvoir être imputée à la personne morale. Cette
exigence a soulevé des difficultés d’interprétation, notamment parce que le texte n’imposerait
pas expressément d’identifier la personne physique, organe ou représentant 355 . Il exige tout de
même une infraction « commise », ce qui en principe ne peut se concevoir sans identification de
son auteur 356 , celle-ci étant au moins indispensable à l’analyse du comportement accompli par
l’agent sous un angle subjectif.
Si l’on raisonne au regard du mécanisme d’imputation, deux difficultés majeures surviennent
alors. La première tient au fait que l’infraction peut être commise par un organe de la personne
morale. Or, si le représentant est, a priori, une personne physique, l’organe peut pour sa part
être un organe collectif. La difficulté vient alors de ce que le droit pénal français ne connaît pas
de cas de responsabilité collective 357 . D’ailleurs, l’infraction commise par un organe collégial
ne relève pas de cette logique dès lors que la responsabilité pénale de l’organe n’implique pas
la responsabilité pénale de ses membres. Il faut donc admettre ici une fiction. L’organe, comme
entité, commet l’infraction, sans qu’il s’agisse ici d’une hypothèse d’imputation. Par conséquent,
les éléments seront vérifiés sur sa tête 358 .
La deuxième difficulté tient à la vérification de l’élément psychologique et se dédouble. Car
si la dimension matérielle de l’infraction peut aisément être constatée et imputée à la personne
morale, la vérification de son élément psychologique nécessite, en toute logique, que l’intention
ou la volonté puisse être vérifiée chez son ou ses auteurs 359 . De là deux problématiques. La

355. En ce sens, F. Desportes, « Les conditions d’imputation d’une infraction à une personne morale », art. préc.
Il est prévu assez largement dans la Circulaire générale présentant le Code pénal que « la responsabilité pénale de la
personne morale pourra être engagée, alors même que n’aura pas été établie la responsabilité pénale d’une personne
physique », notamment dans le cas où les infractions seront commises par des organes collectifs. Circulaire générale
présentant les dispositions du nouveau code pénal, op. cit., p. 25.
356. « Traditionnellement, parce que justement l’organe est essentiel au mécanisme de l’imputation [...], la
responsabilité pénale d’une personne morale ne saurait être engagée sans qu’il ne soit identifié [...]. » L. Saenko,
« De l’imputation par amputation ou le mode allégé d’engagement de la responsabilité pénale des personnes
morales », art. préc.
357. Proposant une « responsabilité collective, fondée sur la faute d’entreprise » en matière de droit pénal de
l’environnement, v. A. Nieto Martin, « Éléments pour un droit international pénal de l’environnement », RSC
2012, p. 69.
358. Ce qui permet une dissociation de la responsabilité de l’organe et de ses membres. A contrario, l’imputation
impliquant une infraction caractérisée, l’on voit mal ce qui s’opposerait à la responsabilité individuelle de chacun
de ses membres.
359. V. H. Matsopoulou, « La présomption d’imputation d’une infraction commise au sein de l’entreprise à la
personne morale », note sous Cass. crim., 25 juin 2008, préc.

438
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

première tient à la caractérisation de l’intention 360 de l’organe en cas d’organe collégial 361 , la
seconde tient à l’hypothèse de l’anonymat de l’auteur des faits, faits que l’on entend imputer à
la personne morale. Dans ce cas, sauf à recourir à une présomption de culpabilité de l’organe
ou du représentant, il ne sera pas possible de retenir la responsabilité de la personne morale,
faute d’avoir pu caractériser une infraction sous tous ses angles et, notamment, sous son
angle subjectif. La jurisprudence a beaucoup hésité en la matière, entre une « présomption
de commission » 362 des faits par un organe ou un représentant et l’obligation pour les juges
de vérifier que les faits étaient bien l’œuvre d’un organe ou d’un représentant de la personne
morale. Si elle a pu admettre assez largement la présomption de commission 363 , elle semble
aujourd’hui revenir à une vérification plus stricte de l’infraction commise 364 . Fondamentalement
discutable en ce qu’elle ne permet pas une analyse positive et concrète du comportement sous son
angle subjectif 365 , une telle présomption de commission n’en est pas moins utilisée en d’autres
domaines. Ainsi, en matière de complicité, la responsabilité du complice peut-elle être retenue,
quand bien même l’auteur des faits principaux n’aurait pas été poursuivi ou identifié 366 . Dans

360. Plus largement, et de manière générale, l’idée il est difficilement concevable que la personne morale ne puisse
« ni réaliser les éléments matériels d’une infraction [ou] commettre une faute ». C. Mouloungui, « L’élément moral
dans la responsabilité pénale des personnes morales », RTD com. 1994, p. 441.
361. Faut-il alors vérifier la volonté chez chacun de ses participants ? La doctrine majoritaire ne le pense pas dès
lors que la responsabilité pénale de la personne morale n’implique pas nécessairement la responsabilité pénale de
chacun des membres de l’organe.
362. L. Saenko, « Responsabilité pénale des personnes morales. Identification de l’organe ou du représentant.
Mise en examen », obs. sur Cass. crim., 12 avr. 2016, RTD com. 2016, p. 563.
363. Elle a ainsi pu admettre une telle présomption de commission tant pour des infractions non intentionnelles
qu’intentionnelles. En faveur de l’admission de la présomption, v. entre autres Cass. crim., 25 juin 2008, Bull.
crim., no 167 ; Rev. société 2008, p. 873, note H. Matsopoulou ; D. 2009, pan. p. 1723, obs. C. Mascala ; Dr.
pén. 2008, p. 140, obs. M. Véron, pour une infraction intentionnelle (faux) et récemment Cass. crim., 18 juin
2013, Bull. crim., no 144 ; D. actualité 2013, obs. D. Le Drevo ; RSC 2014, p. 807, obs. Y. Mayaud ; Gaz. Pal.
2016, p. 26, obs. E. Dreyer. Inversement, exigeant une identification de l’organe ou du représentant, Cass. crim.,
11 avr. 2012, Bull. crim., no 94 ; D. 2012, p. 1381, note J.-C. Saint-Pau ; D. 2012, pan. p. 1698, obs. C. Mascala ;
RSC 2012, p. 375, obs. Y. Mayaud ; RSC 2012, p. 377, obs. A. Cerf-Hollender ; Rev. société 2012, p. 52, note
H. Matsopoulou ; AJ pén. 2012, p. 415, obs. B. Bouloc ; Procédures 2012, no 189, obs. A.-S. Chavent-Leclère ;
Rev. pénit. 2012, p. 698, obs. F. Chopin, et plus récemment, Cass. crim., 22 mars 2016, no 15-81.484 ; D. 2016,
pan. p. 2424, obs. G. Roujou de Boubée ; AJ pén. 2016, p. 381, obs. J. Lasserre Capdeville ; Cass. crim., 6 sept.
2016, no 14-85.205. Adde. Cass. crim., 12 avr. 2016, no 15-86.169 ; RTD com. 2016, p. 563, obs. L. Saenko ; D.
2016, pan. p. 2424, obs. G. Roujou de Boubée.
364. Une question prioritaire de constitutionnalité avait d’ailleurs été posée à ce sujet, mais la Cour de cassation
s’était opposée à son renvoi au motif que l’argumentaire, « sous le couvert de la prétendue imprécision des
dispositions critiquées, tend en réalité à contester l’application qu’en fait la Cour de cassation ; qu’elle ne satisfait
pas dès lors aux exigences du texte constitutionnel [article 61-1 de la Constitution] ». Cass. crim., 11 juin 2010,
no 09-87.884 ; JCP G. 2010, II, 1030, note J.-H. Robert ; JCP G. 2010, II, 1031, note H. Matsopoulou ; D. 2010,
pan. p. 2732, obs. G. Roujou de Boubée ; RSC 2011, p. 177, note B. de Lamy.
365. Madame Matsopoulou évoque à ce sujet une atteinte à l’interprétation stricte de la loi pénale et au principe
de la présomption d’innocence. H. Matsopoulou, « La présomption d’imputation d’une infraction commise au sein
de l’entreprise à la personne morale », note sous Cass. crim., 25 juin 2008, préc., et du même auteur, « Responsabilité
pénale des personnes morales et infractions du droit pénal des affaires » in Dépénalisation de la vie des affaires et
responsabilité pénale des personnes morales, sous la dir. de M. Daury-Fauveau et M. Benillouche, PUF, 2009,
p. 81.
366. La solution est acquise, qui veut que « la circonstance que les auteurs principaux d’un délit sont restés
inconnus et n’ont pu être poursuivis ne saurait exonérer les complices de leur responsabilité pénale dès lors que

439
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

ce cas, il n’existe pas d’infraction punissable. Tout juste sa commission, et donc l’existence
d’un fait principal punissable, est-elle présumée. La présomption de commission apparaît pour
partie contraire à la lettre des textes, que ce soit en matière de complicité ou de responsabilité
pénale des personnes morales, parce qu’elle conduit à une appréciation totalement abstraite
et désincarnée de l’élément psychologique. L’on peut donc se satisfaire de ce que la Cour
de cassation tende à abandonner ce terrain, au moins dans le cas de la responsabilité pénale
des personnes morales. Mais d’un point de vue purement théorique, que la présomption de
commission soit admise ou non, il s’agit dans tous les cas d’un mécanisme réel d’imputation
d’une infraction. Dans le meilleur des cas, l’infraction est caractérisée en tous ses éléments dans
la personne de l’organe ou du représentant identifié, puis imputée à la personne morale. Dans
le pire des cas, l’infraction est présumée commise par un organe ou un représentant, puis, de la
même manière, imputée à la personne morale. Il reste que dès lors que l’on raisonne en matière
d’imputation, les responsabilités sont essentiellement additives 367 . Si les débats parlementaires
n’allaient pas en ce sens 368 , la lettre du texte, elle, le suggère. C’est peut-être un des défauts
du recours au mécanisme d’imputation. Il implique une infraction caractérisée en tous ses
éléments et, donc, la responsabilité pénale de son auteur direct 369 . L’on voit mal, alors, au nom
de quoi l’auteur de l’infraction pourrait s’affranchir de sa responsabilité 370 . Le seul cas serait
celui de la faute simple en relation causale indirecte avec le dommage, réglé par le législateur.
L’article 121-3 s’oppose alors à la responsabilité de la personne physique, mais non à celle de
la personne morale. Ici, la solution légale est totalement contradictoire 371 . Aucune infraction
ne pourra être caractérisée dans cette hypothèse à l’encontre de l’auteur indirect, la nature de

les constatations souveraines des juges du fond établissent l’existence d’un fait principal punissable. » Cass. crim.,
3 mars 1959, Bull. crim., no 145 ; Cass. crim., 18 nov. 1976, Bull. crim., no 332 ; Cass. Crim., 28 mai 1990, Bull.
crim., no 214 ; RSC 1991, p. 346, obs. G. Levasseur. Pour une application récente de l’admission de la complicité
alors que l’auteur principal n’avait pu être identifié, v. Cass. crim., 28 janv. 2014, no 12-88.175 ; Dr. pén. 2014,
comm. p. 35, obs. M. Véron.
367. Critiquant cette conséquence chez les auteurs raisonnant en termes de responsabilité par ricochet, v. J. Tricot,
« Le droit pénal à l’épreuve de la responsabilité des personnes morales : l’exemple français », art. préc.
368. Ibid.
369. Hors le cas de l’organe pour lequel la responsabilité collective ne se conçoit pas.
370. Seul le principe non bis in idem pourrait s’opposer à une condamnation du dirigeant comme auteur de
l’infraction et comme représentant de la personne morale. Toutefois, la jurisprudence n’apparaît pas favorable à
une telle solution, dès lors que n’est pas jugé contraire au principe susnommé le cumul de sanctions fiscales à
l’encontre d’une société et pénale à l’encontre de son dirigeant. Pour un arrêt récent, Cass. Crim., 6 déc. 2017,
no 16-81.857, à paraître ; D. actualité 2017, obs. W. Azoulay. La Cour de justice de l’Union européenne a d’ailleurs
affirmé récemment à ce sujet que le principe « ne peut, en tout état de cause, pas être méconnu si ce n’est pas la
même personne qui a été sanctionnée plus d’une fois pour un même comportement illicite ». CJUE, 5 avr. 2017,
no C-217/15, no 19.
371. En ce sens, J. Consigli, « La responsabilité pénale des personnes morales pour les infractions involontaires
: critères d’imputation », RSC 2014, p. 297. Selon Madame Tricot, c’est justement avec la théorie de la représenta-
tion qu’une telle « indépendance des culpabilités des personnes physiques et des personnes morales prend alors tout
son sens. » J. Tricot, « Le droit pénal à l’épreuve de la responsabilité des personnes morales : l’exemple français »,
art. préc.

440
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

la causalité excluant la caractérisation de l’infraction 372 . Pourtant, l’article 121-3 n’exclut que
la responsabilité pénale de la personne physique, et non celle de la personne morale qui, à en
croire les débats parlementaires 373 , pourrait être engagée. Il s’agit donc dans cette hypothèse
d’une fiction, permettant d’imputer à la personne morale une infraction, bien qu’elle ne puisse
objectivement pas être caractérisée 374 .
La responsabilité pénale des personnes morales se révèle donc être la seule hypothèse dans
laquelle il est procédé à proprement parler à une imputation d’une infraction antérieurement
caractérisée. Dans tous les autres cas, l’imputation comme mode de liaison entre l’infraction
et son auteur s’avère inutile et contestable. C’est en termes de commission qu’il convient de
raisonner. La question ne devrait pas être de savoir si une infraction existe abstraitement et
virtuellement. Elle ne peut qu’être de savoir si une infraction a été commise. Il s’ensuit que
l’infraction est inséparable de son auteur et que le comportement ne peut être apprécié sans
égard à lui.

* *
*

464. Conclusion du Chapitre 1 – L’étude de l’élément psychologique en a montré les


nombreuses particularités. L’intégrité de l’intention rend difficile sa décomposition. En pra-
tique, l’élément psychologique sera apprécié dans son ensemble, la vérification de l’intention
emportant logiquement le constat de la connaissance du contexte accompagnant la réalisation
des faits. En outre, elle n’est pas susceptible de faire l’objet d’une preuve directe et c’est au
regard du comportement que pourra être démontrée l’intention. Son analyse sous un angle
subjectif permettra au juge de faire différentes constatations et de parfaire la qualification selon
la perception qu’a eue l’agent de son acte.

Théoriquement, néanmoins, il reste possible de distinguer différentes données au sein de


l’élément psychologique. La donnée principale tient fort logiquement à la volonté, qui est une
constante en matière infractionnelle. Exigée pour toutes les infractions, son intensité connaît
des variations. Selon les incriminations, une simple faute sera exigée, tandis que pour les

372. L’article 121-3 vise expressément le crime ou le délit.


373. En ce sens, F. Desportes, « Les conditions d’imputation d’une infraction à une personne morale », art. préc. ;
J. Consigli, « La responsabilité pénale des personnes morales pour les infractions involontaires : critères d’impu-
tation », art. préc.
374. L’incohérence législative, maintes fois relevée, n’en est pour autant toujours pas corrigée. Elle est d’autant
plus problématique qu’elle encourage le débat entre l’admission de la faute diffuse (la personne morale est l’auteur
de l’infraction, fusse par représentation) et le raisonnement par imputation que la lettre de 121-2 suggère, mais
qui ne peut être appliqué dans toute sa logique dans le cas d’une faute simple en relation causale indirecte avec le
dommage.

441
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

infractions intentionnelles, il s’agira d’une intention proprement dite, soit d’une volonté dirigée
vers un résultat particulier. Le raisonnement en termes de degrés de volonté est apparu plus
convaincant et plus réaliste que la distinction parfois opérée entre la faute et le dol, celui-ci
pouvant être général ou spécial. Il le rejoint en grande partie, mais en s’affranchissant de la
définition trop légaliste du dol général qui veut que l’intention soit dirigée vers la violation
de la loi. Cette définition est artificielle et éloignée de la démarche pratique. Il est en effet
indifférent que l’individu ait entendu violer la loi et accomplir précisément le comportement que
celle-ci incriminait. L’infraction n’est sans doute pas tant la volonté d’enfreindre la loi, que la
volonté d’accomplir un comportement que l’on sait pourtant (ou que l’on devrait savoir) interdit.
L’enjeu est de savoir si le comportement accompli tombe sous le coup d’une incrimination, ce
qui implique de s’assurer que la perception qu’a eue l’agent de son acte correspond bien à celle
résultant du texte d’incrimination.

Cette approche ne remet pas en cause la symétrie existant entre la dimension objective et
la dimension subjective de l’infraction, mais elle en induit une compréhension différente. Dans
l’approche traditionnelle, l’agent doit avoir eu connaissance des différentes circonstances parce
qu’il devait savoir que ces différentes circonstances étaient prévues par la loi. Lorsque l’on
se détache de l’approche légaliste, la symétrie demeure, mais pour une autre raison. L’agent
doit avoir eu une perception et une compréhension de son comportement conforme en tout
point au comportement type décrit dans l’incrimination. Cette parfaite compréhension n’est
donc possible que si l’individu a eu connaissance du contexte dans lequel s’est inscrit son
fait. L’intention n’a de sens et ne correspond au type qu’accompagnée de la connaissance des
différentes circonstances objectives.

La question s’est alors également posée de savoir si cette identité de perception supposait
que l’agent ait eu une parfaite maîtrise de ses facultés intellectuelles. L’incrimination permet
de décrire un comportement type, commis par une personne se trouvant dans des circonstances
« normales ». C’est ce comportement qui se trouve sanctionné. Dès lors, la concordance entre la
perception que doit avoir l’agent de son acte et la perception concrète qu’a eu l’agent de son acte
ne s’entend-elle pas forcément d’une perception libre et consciente ? La liberté et la capacité de
discernement sont des prérequis en matière de responsabilité pénale, mais ils sont aujourd’hui
très majoritairement rattachés à la seule volonté. L’infraction existerait donc indépendamment
d’eux. Le défaut majeur de cette approche est de s’en tenir à une appréciation abstraite et
désincarnée de la volonté. L’infraction n’est pas envisagée comme commise par l’individu,
elle lui est imputée. C’est cette idée de déplacement qui suggère que l’infraction naîtrait hors
de l’homme pour lui être par la suite rattachée que nous avons critiquée. Le raisonnement en
termes de commission est en effet apparu plus réaliste et le plus à même de redonner à l’idée de

442
Chapitre 1. L’élément psychologique de l’infraction

volonté coupable tout son sens. Il implique une réintégration de la prise en compte des conditions
d’imputabilité dans l’exercice de qualification. En d’autres termes, il implique la réintégration
des conditions d’imputabilité à l’élément psychologique.
Les conséquences quant aux effets des causes subjectives de non-culpabilité ne peuvent alors
plus être de faire simplement obstacle à la responsabilité de l’individu. C’est la caractérisation de
l’infraction qui est paralysée par l’absence d’une volonté libre et consciente. Cette réintégration
des circonstances de liberté et de discernement au sein de l’élément psychologique a des
conséquences bien évidemment quant à la structure de l’infraction, mais elle en a aussi quant à
la compréhension de la responsabilité. Celle-ci, n’ayant plus d’autre condition d’existence que
l’infraction, ne se confond-elle pas en réalité avec elle ?

443
Chapitre 2

Les conséquences de la réunion des données psychologiques sur la


notion de responsabilité

465. Des conséquences en lien avec la responsabilité – La réunion des différentes don-
nées psychologiques au sein de l’élément du même nom emporte certaines conséquences.
Celles-ci sont de deux ordres. Elles tiennent en premier lieu à l’effet des causes subjectives
d’irresponsabilité. Dès lors que les circonstances de liberté et de discernement sont intégrées à
la structure infractionnelle, les causes subjectives d’irresponsabilité qui agissent en négatif sur
elles ne peuvent plus avoir un effet cantonné à la responsabilité. Elles influent en amont, sur la
culpabilité et sur la caractérisation de l’infraction sous son angle subjectif.
Par ailleurs, la réintégration des conditions d’imputabilité au sein de la structure infraction-
nelle conduit à vider la responsabilité de toute condition propre, autre que l’infraction. Elle ne
dépend alors que de la caractérisation de cette dernière pour en être la conséquence directe et
immédiate. Infraction et responsabilité ne sont-elles dès lors pas qu’une seule et même notion ?
Une réponse négative s’impose. Malgré l’absence de conditions spécifiques à la responsabilité,
la confusion entre le fait générateur et ses suites ne doit pas être faite. La responsabilité et
l’infraction ne répondent pas tout à fait de la même logique dès lors que l’une est la conséquence
de l’autre. En outre, il n’est pas certain que la responsabilité pénale ait pour fait générateur
unique l’infraction. En effet, la doctrine est très majoritairement réticente à admettre que la
complicité posséderait une nature infractionnelle. Cet acte pénalement répréhensible, une fois
qualifié, donne pour autant lieu à une déclaration de responsabilité. Si la complicité ne devait
effectivement pas être une infraction, infraction et responsabilité ne pourraient logiquement être
confondues, la seconde ayant plusieurs types de faits générateurs. Or, tel est bien le cas. La
complicité repose sur une théorie particulière et présente par ailleurs une structure qui s’éloigne
par certains aspects de celle de l’infraction telle qu’elle a été dégagée.
La réunion des données psychologiques au sein de l’infraction impose donc de repenser
l’influence que peuvent avoir les causes de non-culpabilité (Section 1), mais aussi de s’intéresser
aux conséquences de cette réunion sur la compréhension de la responsabilité. Si elle peut, à

445
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

première vue, conduire à une confusion entre responsabilité et infraction, les deux notions
demeurent en réalité bien distinctes (Section 2).

Section 1 – L’influence des causes de non-culpabilité

466. Effet et conséquences – Le rattachement des circonstances de liberté et de discer-


nement à l’infraction conduit à repenser le mécanisme d’irresponsabilité dans l’hypothèse où
est invoquée une cause subjective de non-culpabilité. En effet, ces causes ne peuvent plus être
perçues comme faisant simplement obstacle à l’imputation de l’infraction et, par extension, à
la responsabilité de son auteur. Leur effet est plus général. Il se situe en amont et tient à une
paralysie de la caractérisation de l’infraction (I), à l’instar de l’effet des causes objectives. Un tel
effet n’est pas sans conséquences, car les causes subjectives d’irresponsabilité laissent subsister
l’existence de l’infraction dans l’approche traditionnelle (II).

§ 1. Un obstacle à la caractérisation de l’infraction

467. Diversité des causes de non-culpabilité – L’approche théorique traditionnelle des


causes d’irresponsabilité veut que celles-ci se partagent entre les causes objectives et les causes
subjectives. Les premières, également appelées faits justificatifs, ont déjà été abordées 375 et
paralysent la caractérisation de l’infraction en opérant en négatif sur l’élément légal, l’élément
injuste ou l’élément antijuridique, selon les auteurs. Les secondes, également appelées causes
de non-imputabilité, ne font en principe pas obstacle à la caractérisation de l’infraction dès lors
que les conditions d’imputabilité lui sont extérieures. Ces causes peuvent être ramenées à trois :
le trouble psychique ou neuropsychique 376 , l’état de contrainte 377 , et l’erreur 378 , encore que
l’influence de l’erreur, qu’elle soit de droit ou de fait, ne fait pas l’objet d’un consensus. Cette
difficulté illustre d’ailleurs les incertitudes en la matière. Car si certains auteurs font de ces deux
types d’erreur – ou de l’une d’entre elles – des obstacles à l’imputation de l’infraction 379 , il est
aussi possible de considérer qu’elles font, l’une comme l’autre, obstacle à la vérification de la

375. V. supra, no 391.


376. Code pén., art. 122-1.
377. Ibid., art. 122-2.
378. Le Code pénal ne vise que l’erreur de droit (ibid., art. 122-3), mais l’erreur de fait a aussi pour conséquence
de faire disparaître la responsabilité.
379. Contestant la distinction entre l’erreur de droit et l’erreur de fait, Monsieur Puech estime que l’erreur ne
s’entend que de l’erreur de droit et serait, au moins s’agissant de l’erreur invincible, une cause de non-imputabilité.
M. Puech, « L’erreur en droit pénal » in Les causes d’irresponsabilité pénale, Annales de l’Université des sciences
sociales de Toulouse, 1982 t. 30, 1981, p. 65. Voyant également dans l’erreur de droit une cause de non-imputabilité,

446
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

volonté, telle que prévue par le texte et permettant de caractériser l’infraction.


Quoi qu’il en soit, les causes subjectives d’irresponsabilité n’influent pas toutes sur la même
donnée de l’élément psychologique et peuvent être réunies en deux catégories. La première est
relative à l’erreur et, plus précisément, à l’erreur de droit. La seconde est plus large et intègre le
trouble psychique ou neuropsychique ainsi que la contrainte. Dans un cas comme dans l’autre,
elles révèlent l’absence de l’une des circonstances accompagnant la volonté et permettront de
renverser les présomptions existantes. Mais là où la première révélera un défaut de connaissance
de la loi (A), les secondes révéleront soit une absence de liberté, soit un défaut de discernement
(B).

A. L’erreur sur le droit, ou le renversement de la présomption de connaissance


de la loi

468. L’erreur invincible – La connaissance de la loi intègre certes l’élément psycholo-


gique, mais tout en faisant l’objet d’une présomption particulièrement forte. Il ne serait pas
envisageable d’en admettre un renversement trop facile ou trop systématique. Si le législateur
en a fait dans le nouveau Code pénal une présomption réfragable, il a par conséquent encadré
très strictement la possibilité de rapporter la preuve contraire. aux termes de l’article 122-3, n’est
pas pénalement responsable « la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit qu’elle
n’était pas en mesure d’éviter, pouvoir légitimement accomplir l’acte ».
Bien que l’erreur de droit soit prévue dans le Code à la suite des autres causes subjectives
d’irresponsabilité et soit parfois considérée en doctrine comme une cause de non-imputabilité,
elle n’influe pas de la même manière que ces autres causes sur la qualification pénale du
comportement 380 . C’est à la circonstance de connaissance de la loi qu’elle vient faire obstacle.
Elle se distingue en cela de l’erreur de fait 381 , qui elle affecte la donnée principale de l’élément
psychologique par l’effet de la disparition de la connaissance d’une circonstance objective 382 .
Il faut par ailleurs préciser que l’article est général, de sorte qu’il peut être invoqué en principe
pour toutes les infractions. La doctrine fait néanmoins parfois remarquer que l’erreur sur le droit

Y. Mayaud, « L’erreur en droit pénal » in L’erreur, sous la dir. de J. Foyer, F. Terré et C. Puigelier, Cahier des
sciences morales et politiques, 2007, p. 125.
380. Sur son admission très restrictive, J. Herrmann, « Quel avenir pour l’erreur sur le droit ? », Dr. pén. 2016,
no 3.
381. Contra, M. Puech, « L’erreur en droit pénal » in Les causes d’irresponsabilité pénale, op. cit. Des auteurs
ont pu s’opposer à la distinction dès lors que toutes les erreurs auraient une dimension juridique. La distinction
mérite toutefois d’être maintenue car l’erreur portant sur la légalité du comportement accompli ne relève pas de la
même logique que l’erreur sur la bonne appréhension des faits. Elles ne relèvent d’ailleurs pas du même régime.
382. V. infra, no 470.

447
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

ne se conçoit que dans le cas des infractions intentionnelles 383 . Les infractions par imprudence
reposant sur l’idée de faute sont a priori indifférentes à l’existence d’une erreur. Toutefois, pour
les incriminations reposant sur un dol éventuel, l’erreur sur le droit devrait pouvoir être invoquée
utilement. En matière de faute délibérée, elle peut donc se concevoir, encore que les conditions
très strictes de son admission rendent l’hypothèse peu probable. Il n’en demeure pas moins que
théoriquement, la connaissance de l’obligation est présumée et qu’il devrait être possible pour
un prévenu de rapporter la preuve d’une erreur en la matière, ce qui aurait au demeurant des
conséquences quant à l’appréciation du caractère manifestement délibéré de la violation.
Par ailleurs, l’article n’apporte pas de précisions quant au type d’erreur admissible. Toute
erreur sur le droit devrait donc pouvoir être invoquée. Toutefois, les débats parlementaires ne font
état que de deux cas : le premier est relatif au défaut de publication du texte, le second, à l’infor-
mation erronée fournie par l’autorité administrative préalablement à l’acte 384 . L’hypothèse de
défaut de publication se rencontrera très rarement. Un tel défaut déplace d’ailleurs en principe
le débat sur une question d’application du texte, mais sans que se pose la question de l’erreur
sur le droit. Il ne s’agirait donc que de l’hypothèse dans laquelle les textes renvoient « à des
annexes comportant des spécifications techniques. C’est le défaut de ces annexes qui pourrait
justifier l’erreur de droit » 385 . Quant à l’information erronée, elle fait l’objet d’une interprétation
très stricte en jurisprudence. L’avis donné par un maire, ou une note de l’administration des
douanes 386 , parce qu’ils ne sont que des avis, ne sont ainsi pas des « informations » susceptibles
d’engendrer une erreur sur le droit 387 .
C’est en outre une démarche active qui est attendue de la part des justiciables, sur lesquels
pèse une obligation de s’informer 388 . La passivité est exclusive de l’erreur de droit, car l’igno-
rance de la loi ne saurait être une excuse 389 . La jurisprudence impose donc au citoyen « un

383. J.-P. Doucet, « Une discussion sur l’erreur de droit », art. préc. Contra, N. Hosni, « L’erreur de droit et son
influence sur la responsabilité pénale », art. préc.
384. Circulaire générale présentant les dispositions du nouveau code pénal, op. cit., p. 33.
385. F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, op. cit., p. 662, no 686.
386. Cass. crim., 15 oct. 2002, no 01-87.640 ; Dr. pén. 2003, no 25, obs. J.-H. Robert ; Dr. pén. 2003, no 31, obs.
M. Véron ; RSC 2003, p. 343, obs. J.-H. Robert, et Cass. crim., 20 janv. 2015, Bull. crim., no 19 ; D. actualité 2015,
obs. C. Fonteix ; D. 2015, pan. p. 2465, obs. G. Roujou de Boubée ; AJ pén. 2015, p. 142, obs. M.-C. Sordino ;
RSC 2015, p. 639, obs. E. Fortis ; Dr. soc. 2015, chron. p. 629, obs. R. Salomon ; RTD com. 2015, p. 395, obs.
B. Bouloc ; Dr. pén. 2015, no 32, obs. M. Véron, cités par E. Fortis, « Causes d’irresponsabilité pénale. Erreur
sur le droit », obs. sur Cass. crim., 20 janv. 2015, RSC 2015, p. 639.
387. En ce sens, ibid.
388. Pour une application récente, Cass. crim., 20 janv. 2015, Bull. crim., no 19 ; D. actualité 2015, obs. C.
Fonteix ; D. 2015, pan. p. 2465, obs. G. Roujou de Boubée ; AJ pén. 2015, p. 142, obs. M.-C. Sordino ; RSC 2015,
p. 639, obs. E. Fortis ; Dr. soc. 2015, chron. p. 629, obs. R. Salomon ; RTD com. 2015, p. 395, obs. B. Bouloc ; Dr.
pén. 2015, no 32, obs. M. Véron. Dans cet arrêt, un chef d’entreprise de nationalité allemande avait été condamné
pour travail dissimulé. Il invoquait sa croyance erronée en une identité de législation entre la France et l’Allemagne.
La Cour de cassation approuve la cour d’appel de ne pas avoir retenue l’erreur dès lors que le prévenu pouvait
solliciter l’avis de l’inspection du travail quant à l’étendue de ses obligations.
389. Hors le cas de défaut de publication. Garraud expliquait déjà que celui qui, ne s’informant pas, commet sans
le savoir une infraction, ne peut se prévaloir de son ignorance car celle-ci est nécessairement fautive. R. Garraud,

448
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

minimum d’effort dans l’obtention d’informations concernant l’existence ou l’interprétation de


la règle applicable. Il ne saurait dès lors être question d’exonérer un prévenu de sa responsabilité
pénale si, au préalable, il ne s’est pas renseigné » 390 . Actif, le comportement doit par ailleurs
l’être à double titre, car toute information erronée ne permet pas une exonération de responsa-
bilité. Pour certaines d’entre elles 391 , le prévenu doit également mettre en doute les réponses
qui lui sont apportées ; « s’interroger sur la pertinence des renseignements, en l’occurrence faux,
que l’on a obtenus » 392 . C’est en réalité plus précisément une erreur provoquée qui semble être
exigée en la matière.

469. De la présomption de connaissance de la loi à une obligation de connaissance –


Ce très strict encadrement de l’erreur sur le droit donne des indications quant à la circonstance
psychologique de connaissance de la loi. Non seulement elle reste présumée, mais encore ne
cède-t-elle pas devant la seule ignorance du droit. C’est ainsi une obligation de connaissance de
la loi qui pèse sur le justiciable 393 . Si cette circonstance accompagne en principe la volonté, elle
ne fera donc l’objet d’aucune vérification par le juge. Lorsque l’erreur invincible sera démontrée,
elle disparaîtra, faisant ainsi échec à la caractérisation de l’infraction. Le comportement demeure
dans cette hypothèse parfaitement volontaire. Par suite, ce n’est pas directement la donnée
principale de l’élément psychologique qui est affectée par la démonstration de l’erreur, bien
que la bonne foi fasse disparaître le caractère répréhensible et coupable du comportement.

470. Erreur de fait et disparition de l’intention – Le cas de l’erreur de droit se distingue


sur ce point de l’erreur de fait qui « s’analyse en une méprise sur la matérialité de l’acte
accompli » 394 , de sorte qu’elle « supprime le dol général » 395 . Cette erreur, à l’inverse de l’erreur
sur le droit, porte véritablement sur les faits et le comportement accompli 396 . L’affirmation
doit toutefois être précisée à la fois pour comprendre l’effet de l’erreur et les types d’erreurs
admissibles. S’agissant du second point, il faut dès à présent mentionner que pour être admise,

Précis de droit criminel, 11ème éd., op. cit., p. 188, no 81. L’ignorance de la loi se distingue donc de l’erreur sur le
droit.
390. E. Fortis, « Causes d’irresponsabilité pénale. Erreur sur le droit », obs. sur Cass. crim., 20 janv. 2015, préc.
391. Ainsi en va-t-il pour les informations données par un professionnel du droit, ou contenues dans des
instructions ministérielles. Elles ne suffisent pas à établir « le caractère invincible de l’erreur ». E. Dreyer, Droit
pénal général, op. cit., p. 236, no 292, citant, Cass. crim., 7 janv. 2004, Bull. crim., no 5 ; JCP G. 2004, II, 10060,
note C. Pomart, et Cass. crim., 9 nov. 2004, Bull. crim., no 273 ; AJ pén. 2005, p. 23, obs. C. S. Enderlin ; Dr.
pén. 2005, comm. no 35, obs. M. Véron.
392. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 236, no 292.
393. Ou au moins une obligation de s’informer. Ibid., p. 235, no 291.
394. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 731, no 581.
395. Ibid.
396. Comme le relève Monsieur Mayaud, à la différence de l’erreur sur le droit, « le contexte juridique n’est plus
en cause. Il n’est plus question de s’interroger sur la bonne assimilation des textes, mais d’apprécier la manière dont
les faits ont été psychologiquement intégrés par leur auteur ». Y. Mayaud, « L’erreur en droit pénal » in L’erreur,
op. cit.

449
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

l’erreur doit porter sur des éléments essentiels de l’incrimination et doit être telle qu’elle ne rend
plus vraisemblable la volonté de commettre l’infraction. Ainsi, l’erreur sur les qualités d’un
produit administré s’oppose au fait que l’agent ait pu vouloir commettre un empoisonnement.
L’erreur rend impossible l’intention d’attenter à la vie. Plus généralement, il est admis que
pour être admise, l’erreur de fait doit « détruire l’intention » 397 . Elle s’oppose aux conclusions
pouvant résulter de l’analyse du comportement sous son angle subjectif : alors que celle-ci
laisse vraisemblablement penser à un accomplissement volontaire – voire intentionnel – du
comportement, l’erreur sur le fait renverse la vraisemblance. Pour cette raison, elle est souvent
reliée à une hypothèse de démonstration par l’agent de sa bonne foi 398 .
On le voit donc, ce type d’erreur ne vient pas influencer le contexte de la volonté. Il neutralise
la qualification des faits parce que la volonté de l’agent n’apparaît pas correspondre à la volonté
exigée au titre de l’incrimination. Plus précisément, en cas d’erreur, le comportement n’est
plus dirigé contre la valeur protégée 399 . Le lien entre l’erreur de fait et la valeur protégée est
particulièrement intéressant, car il permet de circonscrire les hypothèses d’erreur admissible
de manière bien plus efficace que si on lie l’erreur à la matérialité des faits. Il ne s’agit pas de
limiter l’erreur à la circonstance relative à la valeur protégée, mais de cantonner l’admission
de l’erreur à l’hypothèse où, bien que portant sur des circonstances factuelles, l’erreur prive le
comportement d’antijuridicité subjective. Ainsi en est-il en cas d’erreur sur les qualités d’un
produit que l’on ignore mortifère, d’une erreur sur la propriété de la chose dont on s’empare et
que l’on croit être à soi 400 , etc. Le comportement reste volontaire en ce que le fait est voulu, mais
il n’est pas dirigé contre la valeur protégée, ni intentionnellement, ni même consciemment 401 .
À l’inverse, des erreurs qui n’altèrent pas l’antijuridicité subjective du comportement n’auront
pas d’influence sur la caractérisation de l’infraction. Ainsi l’erreur sur la victime laisse subsister
l’intention de tuer 402 . L’erreur de fait ne se rattache donc pas à la circonstance de connaissance
de la loi, mais directement à l’intention. Si les deux erreurs se rejoignent quant à leur effet sur
la qualification des faits sous leur angle subjectif, elles ne s’opposent pas à la qualification au
même titre.
Reste une dernière hypothèse d’erreur, celle dans la croyance erronée d’une circonstance

397. Ibid.
398. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 732, no 581 ; E. Dreyer, Droit pénal général,
op. cit., p. 676, no 886 ; Y. Mayaud, « L’erreur en droit pénal » in L’erreur, op. cit.
399. V. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 677, no 888 : « cette erreur doit être substantielle, c’est-à-dire
qu’elle doit porter sur l’élément même qui détermine la culpabilité : l’intérêt protégé. »
400. Ici, l’erreur de fait prend une dimension juridique, ce qui n’en modifie pas pour autant la nature dès lors
qu’elle reste une mauvaise appréhension par l’agent de la réalité des choses. En ce sens, ibid., p. 676, no 887, citant
B. Thellier de Poncheville, La condition préalable de l’infraction, th. préc., p. 312, no 607.
401. Encore faut-il préciser que pour être retenue, l’erreur ne doit pas être inexcusable. Ibid., p. 677, no 888.
402. Cass. crim., 18 fév. 1922, Bull. crim., no 82 ; S. 1922, 1, p. 329, note J.-A. Roux ; Cass. crim., 4 janv. 1978,
Bull. crim., no 5 ; RSC 1978, p. 859, obs. G. Levasseur.

450
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

constitutive objective. La croyance de la minorité de la victime, par exemple ou du caractère


mortifère d’une substance se révélant finalement inoffensive permet-elle de pallier l’absence
objective de la circonstance en question ? L’hypothèse rejoint celle de l’infraction putative et de
l’infraction impossible et une réponse négative s’impose donc. Si la répression est envisageable,
ce ne peut être que sur le terrain de la tentative. Elle reste toutefois discutable en ce qu’elle
conduit à admettre une antijuridicité virtuelle dès lors que le résultat redouté ne peut en aucun
cas être atteint 403 . Lorsque l’erreur porte sur la circonstance relative à la valeur, elle devrait
donc faire obstacle à la qualification des faits, toutes les fois qu’en réalité, le comportement
n’est pas susceptible d’aboutir au résultat redouté. Il en va d’ailleurs de même dans le cas où
l’erreur de fait ne porte que sur une circonstance aggravante qui implique, sur le plan objectif
et antijuridique, une dualité d’atteinte 404 . L’erreur de fait, quelle que soit la circonstance exacte
sur laquelle elle portera, a donc un effet qui diffère de celui de l’erreur de droit. Dans les deux
cas, il sera fait obstacle à la caractérisation de l’infraction, mais pour un motif est totalement
différent. Pour la première, l’admission de l’erreur démontrera en réalité un défaut de volonté,
par l’absence de connaissance d’une circonstance constitutive, tandis que, dans la seconde, la
volonté n’est pas directement affectée. Ce n’est que la conscience de l’illégalité du comportement
qui fait défaut. La caractérisation de l’infraction devient impossible en raison du renversement
de la présomption appliquée en la matière.
Les autres causes de non-culpabilité ont un effet similaire et emportent elles-aussi un
renversement d’une présomption relative à une circonstance constitutive de la volonté.

B. Les autres causes de non-culpabilité, ou le renversement des présomptions


de liberté et de discernement

471. Le trouble psychique ou neuropsychique et la contrainte – Il s’agit désormais


de se concentrer sur les causes subjectives opérant soit sur la liberté, soit sur la capacité de
discernement. Sans prétendre à une analyse détaillée de ces causes, il s’agit plus précisément de
s’attacher à leurs effets dès lors que ce sont eux qui participent de la problématique de la structure

403. V. supra, no 385.


404. Retenant une position plus nuancée, C. de Jacobet de Nombel, Théorie générale des circonstances
aggravantes, th. préc., p. 87, no 134 : celui qui croyant tuer son père atteint un tiers a bien l’intention de commettre
un parricide. Il serait alors possible de retenir la qualification de tentative de meurtre sur ascendant. La jurisprudence
se prononce toutefois assez logiquement en sens contraire et ne retient que le meurtre consommé sur la personne
du tiers. V. Cass. crim., 18 fév. 1922, Bull. crim., no 82 ; S. 1922, 1, p. 329, note J.-A. Roux, affirmant à la fois
que « l’intention homicide est caractérisée dès lors que le coupable à la volonté de donner la mort, et alors même
qu’il a tué une personne autre que celle qu’il se proposait d’atteindre » et jugeant en l’espèce que « ledit fait ne
présentait pas le caractère d’une tentative d’homicide volontaire, puisque la mort s’en était suivie ». La solution,
rendue dans une hypothèse de simple erreur sur la personne doit pouvoir être transposée au parricide, sauf à faire
primer l’infraction voulue par l’agent mais non réalisée sur l’infraction commise et consommée dans sa totalité.

451
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

infractionnelle. Ces deux causes sont le trouble psychique ou neuropsychique d’une part et la
contrainte d’autre part. Que ce soit le trouble psychique ou neuropsychique ou la contrainte,
les causes subjectives de non-culpabilité opèrent en négatif sur les présomptions tenant à la
capacité de discernement et à la liberté. Quant au premier prévu à l’article 122-1, est pris en
compte celui qui abolit « le discernement de la personne ou le contrôle de ses actes » 405 . Il prive
donc en premier lieu l’agent de sa capacité de discernement 406 , mais peut aussi conduire à le
priver de sa liberté.
La contrainte opérera quant à elle plus particulièrement sur la liberté d’action de l’agent.
Elle peut être tout d’abord physique et il faudra alors démontrer que l’agent n’a pu se conformer
à la loi en raison d’un évènement imprévisible et irrésistible 407 . Comme la Cour de cassation l’a
rappelé récemment, la contrainte physique « ne peut résulter que d’un événement imprévisible
et insurmontable qui place l’auteur de l’infraction dans l’impossibilité absolue de se conformer
à la loi » 408 . Dans ce cas, il est d’ailleurs possible de se demander si le défaut de liberté ne
remet pas plus fondamentalement en question l’existence de la volonté 409 . Celui qui, contraint
physiquement, commet une infraction peut ne pas avoir à proprement parler de volonté de la
commettre.
Dans un arrêt, par exemple, la Cour de cassation a pu admettre un cas de force majeure
résultant de « la présence de verglas sur une route, lorsque le danger en résultant s’est trouvé,
en raison des conditions atmosphériques, subitement localisées sur une surface réduite » 410 . Ici,
outre le fait que le comportement accompli n’est pas libre, il est difficile de considérer qu’il
y a eu une faute, qu’elle soit d’imprudence ou de négligence si l’accident n’est que le résultat
de la présence de la plaque de verglas, dans l’hypothèse, certes, rarissime, où sa présence était
elle-même imprévisible. La Cour de cassation l’admet d’ailleurs, lorsqu’elle ajoute que la force
majeure peut être retenue dans cette hypothèse dès lors « qu’aucune faute ni contravention
au code de la route ne peut être relevée contre le prévenu » 411 . De même en est-il pour la

405. Code pén., art. 122-1, al. 1.


406. Une autre hypothèse d’absence de discernement conduisant à exclure la culpabilité de l’agent tient au jeune
âge. Cass. crim., 13 déc. 1956, Bull. crim., no 840 ; D. 1957, p. 349, note M. Patin. Adde. X. Pin, « Les âges du
mineur, réflexions sur l’imputabilité et la capacité pénale du mineur », art. préc. ; C. Lazerges, « Fallait-il modifier
l’ordonnance numéro 45-174 du 2 février 1945 ? », art. préc.
407. En ce sens, Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 485, nos 454 et s. Elle rejoint ici la notion de force
majeure. V. J.-M. Aussel, « La contrainte et la nécessité en droit pénal » in Quelques aspects de l’autonomie du
droit pénal, sous la dir. de G. Stefani, Dalloz, 1956, p. 253. La question de l’imprévisibilité suscite toutefois des
débats et renvoie au moins indirectement à la question de la faute antérieure. V. M. Danti-Juan, Rép. dr. pén., Force
majeure, 2015, nos 50 et s.
408. Cass. crim., 15 nov. 2006, no 06-80.087 ; D. 2007, pan. p. 2636, obs. G. Roujou de Boubée ; JCP 2007, II,
10062, note J.-Y. Maréchal ; Dr. pén. 2007, p. 16, obs. M. Véron.
409. En ce sens, F. Rousseau, L’imputation dans la responsabilité pénale, th. préc., p. 94, nos 80 et s.
410. Cass. crim., 18 déc. 1978, Bull. crim., no 357 ; D. 1979, IR, p. 214, obs. M. Puech ; JCP 1980, II, 19261,
note N. Alvarez ; RSC 1979, p. 558, obs. G. Levasseur.
411. Cass. crim., 27 fév. 1958, Bull. crim., no 205.

452
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

personne prise d’un malaise brutal et imprévisible 412 . L’on voit alors le défaut fondamental
de la distinction trop absolue qu’entraîne l’extériorité des conditions d’imputation par rapport
à la structure infractionnelle. Volonté, discernement et liberté sont trop intimement liés pour
pouvoir les séparer totalement. Selon les cas, la contrainte n’affectera aussi bien la circonstance
de liberté que la volonté, dans d’autres, elle n’affectera que la première, le comportement restant
par ailleurs voulu. Ce sera notamment le cas si la contrainte, au lieu d’être physique, est d’ordre
moral. L’article 122-2 du Code pénal n’apportant sur ce point aucune précision, les deux formes
de contraintes peuvent être retenues. La contrainte morale devra être extérieure à l’agent 413 (elle
ne saurait résulter de l’impulsivité du prévenu 414 ) et consister en une force irrésistible 415 . En
d’autres termes, elle doit, chez l’auteur des faits, avoir « annihilé sa liberté de décision » 416 .
Dans ce cas, le comportement accompli peut l’être volontairement, bien qu’il ne le soit pas
librement 417 ce qui exclut la culpabilité.

472. Faits justificatifs et contrainte – Par ailleurs, les causes objectives d’irresponsabilité
peuvent également être reliées à la contrainte. Des auteurs se prononcent en ce sens et font
remarquer que les cas de légitime défense – ou d’état de nécessité – sont autant d’hypothèses dans
lesquelles l’agent agit sous la contrainte d’une force à laquelle il n’a pu résister 418 . L’argument
est convaincant. Il montre que l’intégrité du comportement et de l’infraction peut conduire à ce
qu’un défaut dans la corrélation entre les faits accomplis et les faits prévus se retrouve sous les
divers angles d’analyse 419 . Car il est incontestable que les causes objectives d’irresponsabilité
influent sur la dimension subjective du comportement. Bien que voulu, il n’est pas totalement

412. « Justifie la décision de relaxe du conducteur d’une automobile poursuivi pour homicides involontaires, mise
en danger d’autrui et défaut de maîtrise, l’arrêt qui retient que, victime d’un malaise brutal et imprévisible qui lui a
fait perdre le contrôle de l’accélération de son véhicule, lancé à une vitesse croissante sur l’autoroute puis l’aire de
repos où il s’est immobilisé après avoir heurté les véhicules occupés par les victimes, le prévenu a agi sous l’empire
d’une contrainte à laquelle il n’a pu résister. » Cass. crim., 5 nov. 2005, Bull. crim., no 295 ; D. 2006, p. 1582, note
E. Dreyer ; D. 2006, pan. p. 1652, obs. G. Roujou de Boubée ; Dr. pén. 2006, p. 32, obs. M. Véron ; RSC 2006,
p. 61, obs. Y. Mayaud.
413. V. néanmoins M. Danti-Juan, Force majeure, op. cit., no 49.
414. Cass. crim., 11 avr. 1908 ; S. 1909, 1, p. 473, note J.-A. Roux.
415. Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 489, nos 456 et s.
416. Cass. crim., 16 mars 1972, Bull. crim., no 108.
417. V. par ex., Dijon, 19 déc. 1984 ; RSC 1985, p. 812, obs. G. Levasseur : « Doivent être exonérés de toute
responsabilité pénale, comme ayant cédé à une contrainte morale irrésistible résultant d’une menace d’enlèvement
et de la crainte pour leur petit-fils d’un mal suffisamment prégnant pour abolir leur volonté et leur liberté de choix,
des prévenus de non-représentation d’enfant dès lors qu’ils pouvaient craindre que le père ne mette à profit l’exercice
du droit de visite et d’hébergement pour emmener l’enfant en Algérie où il avait conservé des liens, et dès lors que
l’état de santé de cet enfant nécessitait une surveillance médicale régulière. »
418. V. principalement C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 161, nos 153 et s.
419. Ainsi, Madame Cartier a pu écrire s’agissant de l’état de nécessité que « opposer systématiquement l’acte
nécessaire à la personne contrainte est une pure vision de l’esprit. Il y a, dans les deux cas, une situation objective
et une réaction subjective, et il sera souvent difficile de ne pas les apprécier globalement. » (M.-A. Cartier,
« Contrainte et nécessité » in Les causes d’irresponsabilité pénale, t. 30, Annales de l’Université des sciences
sociales de Toulouse, 1982, p. 27).

453
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

libre dans des cas de légitime défense. Selon les causes de justification, l’argument sera par
contre plus ou moins convaincant. En cas de défense, il est certain que la liberté est mise à mal.
À l’inverse l’ordre ou le commandement de l’autorité légitime, l’exceptio veritatis, l’exercice
des droits de la défense sont autant d’hypothèses dans lesquelles la volonté n’est pas affectée
au point de créer une décorrélation entre la perception par l’agent du comportement qu’il a
accompli et la perception attendue pour pouvoir qualifier les faits. C’est ici la pondération
des intérêts qui ne rend plus nécessaire la répression. Dans les cas de légitime défense ou
d’état de nécessité, à l’inverse, la nécessité de la répression est affectée de deux manières. Elle
l’est à la fois en raison de la sauvegarde d’un intérêt que la réalisation des faits a permis et
à la fois en raison de la perception qu’a eue l’agent de son acte, et qui ne correspond pas
exactement à celle attendue. Dans un sens, l’effet de la légitime défense est double. Il justifie
l’infraction par la pondération des intérêts et vient aussi s’opposer à la parfaite caractérisation
de l’infraction sous son angle subjectif. Bien que voulu, le comportement accompli ne l’a pas
été totalement librement. Théoriquement, le rattachement de la légitime défense à l’élément
antijuridique semble quoi qu’il en soit préférable car, ici, des conditions strictes d’admission ont
été prévues, qui conduisent notamment à ne pas tenir compte d’un éventuel défaut de liberté en
cas de disproportion manifeste.

473. Des obstacles à la qualification – Pour en revenir aux causes subjectives, à pro-
prement parler, dans un cas comme dans l’autre, c’est une des circonstances de la volonté
qui disparaît avec la démonstration de l’existence d’une de ces causes. Or, dès lors que l’on
se prononce en faveur de la prise en compte de ces circonstances dans la qualification du
comportement, c’est l’existence de l’infraction qui est remise en cause. L’analyse de l’activité
de l’agent sous son angle subjectif devrait donc ici aboutir à l’impossibilité de qualifier le
comportement en raison de l’absence de culpabilité du prévenu : la volonté n’est pas une volonté
consciente et, donc, n’est pas une volonté coupable.
Bien que cette solution soit partiellement remise en cause par la Circulaire générale de
présentation du nouveau Code pénal 420 , elle est, selon nous, la plus respectueuse de l’intégrité
de la notion d’infraction, celle-ci ne pouvant être caractérisée que sur la tête de son auteur.
Les hypothèses d’atténuation de la peine en cas d’altération des facultés mentales ou de
minorité semblent d’ailleurs conforter l’idée. La cause de l’atténuation de la responsabilité
ne peut pas être dans l’imputation. Celle-ci n’est pas susceptible de varier : soit le fait peut
être objectivement et intellectuellement imputé à l’agent, soit il ne le peut pas. L’imputation,

420. V. supra, no 457.

454
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

lorsqu’elle se conçoit, ne connaît pas de degrés 421 . Si la responsabilité en connaît, n’est-ce pas
alors en raison de la culpabilité de l’auteur 422 ? Bien que pleinement caractérisée sous son angle
subjectif, l’infraction ne mérite pas la même sanction parce que le comportement volontaire
d’une personne dont les facultés ont été altérées lors de la commission des faits n’apparaît pas
aussi blâmable que le comportement volontaire de celui qui a agi en pleine connaissance de
cause.

474. L’exception relative à la faute antérieure – Une dernière question doit ici être
abordée. Elle est relative à la question de la faute antérieure de l’auteur des faits, celle-ci pouvant,
selon les cas, soit déboucher sur une hypothèse de contrainte (disparition de la liberté), soit
priver la personne de son discernement. Le second cas serait par exemple celui de la personne
s’enivrant au point de perdre le contrôle de ses actes. Quant au premier, le cas est célèbre du
marin, détenu au poste de police en raison de son état d’ébriété, puis condamné pour désertion.
La Cour de cassation avait alors jugé qu’ « en admettant que sa détention au poste de police
ait mis un marin inculpé de désertion dans l’impossibilité absolue de se rendre à son bord,
cette détention, occasionnée par la faute qu’il avait commise en se mettant en état d’ivresse,
n’a pas constitué un événement qu’il n’ait pu éviter » 423 . Il en résulte, de manière générale,
l’impossibilité pour un individu d’invoquer la force majeure dans l’hypothèse où il aurait lui-
même « commis une faute qui a été, dans la réalité, génératrice de ladite force majeure » 424 . Le
principe doit par ailleurs être également appliqué dans le cas où la faute antérieure a conduit à
une abolition du discernement, comme dans l’hypothèse de l’état d’ébriété 425 .
Si l’on en comprend parfaitement la logique 426 , cette solution pourrait sembler contradic-
toire avec l’exigence d’une volonté consciente dans la caractérisation de l’infraction et encore
davantage d’une intention en matière d’infractions intentionnelles. La personne ivre, au point
de voir son discernement aboli ou de perdre le contrôle de ses actes, ou la personne détenue

421. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 101, no 225, et R. Garraud, Précis de droit criminel,
11ème éd., op. cit., p. 165, no 76.
422. Ortolan se prononçait en ce sens in Éléments de droit pénal, op. cit., p. 112, no 267.
423. Cass. crim., 29 janv. 1921 ; S. 1922, 1, p. 185, note J.-A. Roux.
424. Cass. crim., 30 juin 1981, Bull. crim., no 223. Pour une application du principe dans le cadre de l’état de
nécessité, v. Cass. crim., 1er juin 2010, Bull. crim., no 96 ; D. 2010, p. 1792, obs. F. G. Trébulle ; AJ pén. 2010,
p. 393, obs. J. Lasserre Capdeville, adde T. Potaszkin, « Affaire de l’ourse Cannelle : action civile et état de
nécessité, obs. sur CA Pau, 10 sept. 2009 », D. 2010, p. 484, faisant état des débats doctrinaux relatifs à la condition
d’imprévisibilité du danger en matière d’état de nécessité.
425. V. not. T. corr. Nevers, 30 janv. 1976 : Gaz. Pal. 1976. 2. Somm. 227 : « La jurisprudence dominante se
refuse à voir dans l’ivresse une cause légale d’exemption de peine, solution satisfaisante sur le plan logique : il y
aurait en effet une contradiction évidente, alors que l’ivresse est de plus en plus souvent réprimée en tant que telle
par la législation récente, de la retenir comme une cause d’atténuation ou d’exemption de responsabilité dans les
hypothèses non visées par le législateur ». Il est en outre à noter que l’ivresse est une circonstance aggravante de
certaines infractions (Code pén., art. 221-6-1, 2° ; 222-19-1, 2° et 222-20-1, 2°).
426. Elle peut en outre s’expliquer en cas de force majeure par les conditions d’extériorité ou d’imprévisibilité.
Sur les controverses quant à ces conditions, M. Danti-Juan, Force majeure, op. cit., nos 50 et s.

455
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

au poste de police et ne pouvant pas remplir ses obligations n’ont pas, l’une comme l’autre,
à proprement parler, ni une volonté consciente de commettre une infraction, ni une intention.
Monsieur Léauté voyait dans ces hypothèses des exceptions et estimait que « toutes les fois
que l’état de non-imputabilité au temps de l’action résulte, directement, d’une faute antérieure,
cet état n’empêche pas la seconde composante de la responsabilité pénale qu’est la culpabilité
d’exister » 427 . Ces exceptions pourraient d’ailleurs trouver une explication par une application
particulière du dol éventuel. En se mettant lui-même dans une situation susceptible de le priver de
sa liberté ou de ses capacités de discernement, l’agent fautif admet les conséquences pouvant en
résulter et dont il devrait avoir conscience. « En agissant ainsi, l’auteur a par imprudence ou par
négligence accepté le risque de commettre le fait matériel constitutif de l’infraction pendant la
période d’inconscience. » 428 La volonté porterait donc dans cette hypothèse sur l’acceptation de
se mettre dans un état d’inconscience et, donc, « sur un fait tout différent de l’activité matérielle
elle-même » 429 . L’explication est séduisante. Toutefois, elle repose sur une idée d’acceptation
des risques qui est fort différente de la compréhension habituelle de l’intention de commettre une
infraction. L’artifice est dérangeant, qui consiste à substituer une imprudence à une intention dans
la caractérisation des infractions. Il s’agit ici d’admettre qu’en commettant sa faute, l’individu
en a accepté les conséquences. Or, si le recours au dol éventuel peut se concevoir dans certaines
hypothèses 430 , il reste très problématique en matière d’infraction intentionnelle. En effet, la
théorie des risques acceptés conduit alors à sanctionner au titre d’une intention ce qui n’est
finalement qu’une imprudence fautive. L’explication n’est donc pas totalement satisfaisante.
Il semble qu’il faille ici s’en tenir à l’incohérence majeure qui résulterait de la possibilité
d’invoquer sa propre faute pour pouvoir se dégager de sa responsabilité pénale et qui justifie,
dans une certaine mesure, l’artifice du dol éventuel ou, plus généralement et plus simplement,
une certaine indifférence au défaut évident d’une volonté consciente lors de la commission des
faits.
Dans tous les autres cas, l’absence d’une circonstance de la volonté (discernement ou liberté)
peut être analysée comme faisant obstacle à la caractérisation de l’infraction. Les conséquences
de cette solution méritent alors d’être abordées. Elles portent sur l’impossible maintien, en l’état,
de la distinction entre l’effet in personam des causes subjectives et l’effet in rem des causes
objectives.

427. J. Léauté, « Le rôle de la faute antérieure dans le fondement de la responsabilité pénale », art. préc. Dans
le cas de la personne maintenue au poste, pourtant, même la culpabilité fait défaut, car rien ne permet de supposer
que la personne ait volontairement entendue se soustraire à ses obligations.
428. J.-M. Thevenon, L’élément objectif et l’élément subjectif de l’infraction, th. préc., p. 85.
429. Ibid., p. 86.
430. Il serait ici possible d’utiliser cette théorie pour justifier l’aggravation en matière de blessures ou homicide
non intentionnels commis par un conducteur en état d’ébriété.

456
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

§ 2. Les conséquences de l’impossibilité de caractériser l’infraction

475. Relativisation – L’enjeu de la remise en cause de la distinction entre l’effet in rem


des unes et in personam des autres peut et doit être relativisé. En effet, il faut remarquer que la
distinction repose sur des fondements fragiles. Elle n’est en réalité pas réellement expliquée,
pour être simplement constatée. Or, le constat est tributaire de la localisation préalable des
conditions d’imputation dans le schéma de la responsabilité pénale. En outre, les différences de
régime entre les causes objectives et les causes subjectives d’irresponsabilité pénale peuvent être
expliquées autrement que par l’idée selon laquelle les premières paralyseraient la caractérisation
de l’infraction, tandis que les secondes ne feraient obstacle qu’à la responsabilité de son auteur.
L’harmonisation de l’effet des différentes causes d’irresponsabilité n’est donc pas de nature à
bouleverser l’ensemble des solutions. Pour autant, elle en modifie certaines.

476. L’absence de fait principal punissable et ses conséquences quant à la complicité –


La première tient à la différence de régime en cas de complicité ou de coaction selon que la cause
d’irresponsabilité est subjective ou objective. Il est pour l’heure admis que la complicité ou la
coaction demeurent punissables en cas de cause subjective d’irresponsabilité (effet in personam),
alors qu’elle sera impossible en cas de fait justificatif (effet in rem). Dès lors que l’on rattache
les circonstances de discernement et de liberté à la qualification de l’infraction, la solution doit
être remise en cause. Les faits commis sous l’emprise de la contrainte ou d’un trouble psychique
ou neuropsychique n’étant plus susceptibles de recevoir de qualification infractionnelle, ils ne
pourront pas servir de support à une condamnation pour complicité. Par contre, s’agissant de
la coaction, la solution ne s’impose pas dans les mêmes termes. L’infraction étant commise par
plusieurs personnes, c’est au regard de chacune d’elle que doit s’apprécier la culpabilité. Rien
ne fait donc obstacle à ce qu’un auteur puisse être reconnu responsable de l’infraction qu’il
a commise volontairement et en parfaite connaissance de cause, quand bien même un autre
participant profiterait d’une cause subjective de non-culpabilité.
Pour la complicité, la solution ne peut néanmoins pas être la même. L’article 121-7 visant une
infraction, il est indispensable de parvenir à caractériser dans sa globalité une infraction pour
pouvoir retenir la complicité. Dès lors que la cause subjective de non-culpabilité est analysée
comme faisant obstacle à la qualification infractionnelle du comportement, la complicité devient
impossible. Il est certain que l’impunité du complice dans une telle hypothèse peut paraître
discutable. Elle ne l’est toutefois pas davantage que dans le cas où la cause d’irresponsabilité
invoquée serait de nature objective. L’impunité du complice qui, à la différence de l’auteur
principal, ne se trouvait pas dans une situation qui lui permettrait d’invoquer une cause objective
d’irresponsabilité est toute aussi problématique que dans l’hypothèse où la cause d’irresponsa-
bilité est subjective. Le cas semble d’école, mais il n’est pas totalement inconcevable. Ainsi en

457
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

serait-il de celui qui fournit une arme dans l’espoir qu’elle sera utilisée pour commettre une
infraction, l’arme étant finalement utilisée dans un contexte de défense. Ou encore de celui qui
assiste son collègue avec une intention malveillante lors d’un vol, le premier ne bénéficiant pas
pour sa part du fait justificatif relatif à l’exercice des droits de la défense. Des auteurs estiment
que dans pareille situation, le complice ne devrait pas pouvoir bénéficier du fait justificatif propre
à l’auteur 431 . Toutefois, la solution s’impose dès lors que la complicité n’a pas pour support une
infraction dans ces hypothèses.
En matière de causes de non-culpabilité, l’impunité pourrait être contournée par le recours
à la théorie de l’auteur moral, parfois utilisé par la jurisprudence. Toutefois, la tendance à
réprimer comme auteur l’instigateur repose sur une réification de l’auteur matériel et sur
une dissociation des différents éléments de l’infraction 432 , ce qui n’en fait pas une solution
satisfaisante. Reste alors le recours à une qualification objective du comportement, artifice
auquel a parfois également recours la Cour de cassation. Là encore, cependant, la solution n’est
pas satisfaisante, parce qu’elle est difficilement conciliable avec la lettre de l’article 121-7 qui
ne se contente pas de mentionner un fait objectivement punissable. L’impunité est ici imposée
par l’interprétation stricte des textes et ne pourrait être évitée qu’au prix d’une intervention
législative.

477. Irresponsabilité pénale et irresponsabilité civile – Une autre conséquence tradition-


nellement attachée à l’effet in personam des causes subjectives d’irresponsabilité tient au fait
que seule la responsabilité pénale est exclue. La responsabilité civile, elle, reste possible. À
l’inverse, les causes objectives supprimeraient toute responsabilité, tant pénale que civile 433 . Le
rattachement des circonstances de discernement et de liberté à l’infraction pourrait, ici aussi,
sembler remettre en cause la solution. Pourtant, il n’en est rien. Tout d’abord, il faut préciser que
la distinction qui vient d’être présentée est trop absolue pour être exacte. Elle passe sous silence
les quelques exceptions existantes. Ainsi, la réparation dans l’hypothèse de la justification par
l’état de nécessité fait l’objet de discussions. Parce que l’intérêt sacrifié est celui d’un tiers, la
doctrine se prononce parfois en faveur de la réparation 434 . Par ailleurs, en matière d’autorisation
de la loi, il est admis que la personne doit tout de même respecter l’obligation générale de

431. F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, op. cit., p. 667, no 693.
432. V. supra, no 375.
433. Présentée comme naturelle par certains pénalistes (v. not. H. Rouidi, « Une notion pénale à l’épreuve de la
responsabilité civile : les faits justificatifs », RSC 2016, p. 17), l’affirmation a pu être discutée, à la fois en raison
de son caractère trop absolu et à la fois parce que l’affirmation selon laquelle les faits justificatifs excluent toute
responsabilité civile « ne fait l’objet d’aucune démonstration ». J. Pelessier, « Faits justificatifs et action civile »,
D. 1963, p. 121.
434. V. not. H. et L. Mazeaud et A. Tunc, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et
contractuelle, op. cit., p. 550, no 488-2 ; M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, op. cit., p. 98. Le fondement
de la réparation n’est néanmoins pas évident car il est difficile dans ce cas de parvenir à caractériser la faute
civile. Messieurs Mazeaud et Monsieur Tunc proposent d’avoir recours à l’hypothèse de la gestion d’affaire ou

458
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

prudence et de diligence imposée par l’article 1382 du Code civil, devenu l’article 1240 435 .
À l’inverse, la contrainte, cause subjective de non-culpabilité, pourra permettre également une
irresponsabilité civile si elle remplit par ailleurs les conditions de la force majeure exigées en la
matière 436 .
Ensuite, la différence d’effet des causes objectives et des causes subjectives en matière de
responsabilité civile ne repose pas sur la disparition de l’infraction dans le premier cas 437 . Il
suffit pour s’en convaincre d’en revenir à ce qu’écrivent les civilistes à ce sujet. Admise depuis
longtemps s’agissant de la légitime défense 438 , la justification de l’absence de responsabilité
ne tient pas à l’existence ou non de l’infraction. Elle puise dans les règles propres à la matière.
La faute antérieure de la victime du dommage ou la définition même de la faute sont autant
d’explications à l’irresponsabilité civile dans les cas où la responsabilité a été exclue par l’effet
d’un fait justificatif 439 . S’agissant du cas de la légitime défense, Messieurs Mazeaud et Tunc
l’expliquent d’ailleurs en écrivant que la responsabilité est supprimée, « non pas, bien entendu,
parce que la responsabilité pénale est supprimée, mais par application directe des principes qui
définissent la faute en droit civil » 440 . Au reste, les responsabilité civile et pénale peuvent parfois
être décorrélées à raison de l’existence d’une faute antérieure de la victime et la responsabilité
civile diminuée là où la responsabilité pénale demeure intacte. Le récent arrêt rendu dans l’affaire
Kerviel et le revirement de jurisprudence dont il a été l’occasion illustrent le propos 441 . Dans
cette affaire, la responsabilité pénale du trader avait été retenue, mais la faute de la victime
avait entraîné la réduction de son droit à réparation 442 . La solution peut être approuvée car « la

à une utilisation de l’enrichissement sans cause (désormais enrichissement injustifié, Code civ. art. 1300), tout en
constatant qu’une extension des règles normales serait nécessaire dans la plupart des cas. H. et L. Mazeaud et
A. Tunc, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, op. cit., p. 550-551,
no 488-2. Comp. B. Bouloc et H. Matsopoulou, Droit pénal général et procédure pénale, op. cit., p. 158, no 205 ;
X. Pin, Droit pénal général, op. cit., p. 235, no 241.
435. En ce sens, P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, op. cit., p. 228, no 339, citant Civ. 2ème , 14 juin
1972 ; D. 1973, p. 423, note E. Lepointe.
436. H. et L. Mazeaud et A. Tunc, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et
contractuelle, op. cit., p. 549, no 488-2.
437. Contra, H. Rouidi, « Une notion pénale à l’épreuve de la responsabilité civile : les faits justificatifs », art.
préc. : « Il s’agit là d’une conséquence logique qui découle de l’absence d’infraction. »
438. Cass. crim., 31 mai 1972, Bull. crim., no 184 : « La légitime défense de soi-même exclut toute faute et ne
peut donner lieu à une action en dommages-intérêts en faveur de celui qui l’a rendue nécessaire par son agression
[...] ».
439. V. not. les explications données pour chaque fait justificatif par Messieurs Mazeaud et Tunc (H. et L.
Mazeaud et A. Tunc, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, op. cit.,
p. 547, nos 488 et s.) ou Monsieur Brun (P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, op. cit., p. 228, nos 339
et s.. Comp. M. Bacache-Gibeili, Traité de droit civil, op. cit., p. 180, no 155.
440. H. et L. Mazeaud et A. Tunc, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et
contractuelle, op. cit., p. 552, no 489.
441. Cass. crim., 19 mars 2014, Bull. crim., no 86 ; D. 2014, p. 219, obs. T. Coustet ; D. 2014, p. 912, note
J. Lasserre Capdeville ; D. 2014, p. 1564, obs. C. Mascala ; AJ pén. 2014, p. 293, note J. Gallois ; RSC 2015,
p. 379, obs. F. Stasiak ; RTD civ. 2014, p. 389, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2014, p. 427, obs. B. Bouloc.
442. Versailles, 23 sept. 2016, no 14/01570 ; RTD com. 2016, p. 873, obs. L. Saenko ; D. 2016, p. 1927, obs.
J. Lasserre Capdeville ; JCP 2016, I, 1087, obs. E. Dezeuze.

459
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

faute de la victime n’interfère pas sur le lien de causalité entre l’infraction commise par l’auteur
et le dommage subi par elle » 443 . L’infraction reste caractérisée, mais la faute de la victime
influera malgré tout sur l’ampleur de son droit à réparation. Les deux responsabilité ne sont pas
parfaitement indissociables parce qu’elles reposent sur des logiques différentes.
Si l’on tente de systématiser les différents motifs d’irresponsabilité, s’agissant plus spécifi-
quement des cas où l’infraction est justifiée, l’on remarque qu’ils prennent très majoritairement
leur source soit dans un conflit de devoir 444 , soit, plus généralement, dans la définition civile
de la faute 445 , et non dans la disparition de l’infraction. Il est alors possible de pousser plus
loin le raisonnement. On s’en souvient, la faute en responsabilité civile délictuelle est parfois
présentée à travers des éléments qui ne sont pas sans rappeler ceux de l’infraction 446 . Comme
en droit pénal, leur nombre est variable, mais pour certains auteurs, ils tiennent à un élément
matériel et un élément illicite ou juridique 447 , l’élément subjectif ayant lui été abandonné. Cette
présentation était au demeurant celle de Aubry et Rau, qui expliquaient déjà en 1871 que le
délit civil étant un fait de l’homme, il doit consister en un acte illicite, imputable et commis
dans l’intention de nuire 448 . L’illicéité n’est donc pas étrangère à la définition de la faute en
droit civil 449 , dans laquelle elle a été assez largement mobilisée. L’on trouve son origine en droit

443. L. Saenko, « Affaire Kerviel : quand la faute de la victime réduit (beaucoup) son droit à réparation », obs.
sur Versailles, 23 sept. 2016, RTD com. 2016, p. 873. Pour une position plus nuancée à raison de la généralité de la
solution de la Cour de cassation, P. Jourdain, « Incidence de la faute de la victime en cas d’infraction volontaire
contre les biens : la Cour de cassation modifie sa jurisprudence », obs. sur Cass. crim., 19 mars 2014, RTD civ. 2014,
p. 389, et ce pour deux raisons. Tout d’abord, « l’arrêt ne se contente pas [...] de constater que la jurisprudence
de la Chambre criminelle ne pouvait en l’espèce s’appliquer parce que le prévenu n’avait bénéficié d’aucun
enrichissement personnel. Il énonce un principe de partage de responsabilité entre les coauteurs d’un dommage,
sans faire la moindre allusion à la dérogation jusque-là admise en matière d’infraction intentionnelle contre les
biens ». Par ailleurs, « en envisageant l’hypothèse d’une pluralité de fautes ayant concouru au dommage, il semble
englober non seulement les cas de concours entre la faute du responsable et celle de la victime, mais également
les cas de fautes concurrentes commises par des coauteurs de dommage. Or, dans cette dernière hypothèse, il n’est
plus exact de dire que la responsabilité des coauteurs n’est « engagée » que dans une certaine « mesure ».
444. H. et L. Mazeaud et A. Tunc, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et
contractuelle, op. cit., p. 547, no 488 ; M. Bacache-Gibeili, Traité de droit civil, op. cit., p. 174, no 150.
445. Celle-ci étant un manquement à une obligation pré-existante selon la définition de Planiol (v. par ex. M.
Bacache-Gibeili, Traité de droit civil, op. cit., p. 161, no 143), le raisonnement en termes de conflit de devoir relève
déjà de la notion de faute. Quant à la faute antérieure de la victime du comportement justifié, elle n’intervient que
dans l’hypothèse de la légitime défense.
446. On trouve ainsi l’expression dès 1871, dans l’œuvre de Messieurs Aubry et Rau (C. Aubry et C. Rau,
Cours de droit civil français, op. cit., p. 746, no 444 et p. 754, no 446), puis par la suite dans l’ouvrage de Saleilles
(R. Saleilles, Étude sur les sources de l’obligation dans le projet de Code civil allemand, op. cit., p. 84, no 62). V.
supra, no 16.
447. V. not. M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, op. cit., p. 92, et A. Bénabent, Droit des obligations,
op. cit., p. 390, no 542, et Y. Buffelan-Lanore et V. Larribau-Terneyre, Droit civil, op. cit., p. 673, no 1847. V.
égal. J. Carbonnier, Droit civil, op. cit., p. 2294, no 1136 et p. 2297, no 1138, retenant un élément matériel : le fait
ou comportement physique ou intellectuel ; un élément humain : le fait doit être celui de l’homme, étant entendu
que si l’homme est un corps, « c’est avant tout une volonté » (en italique dans le texte) ; et un élément sociologique
que l’on peut désigner comme l’illicite.
448. C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français, op. cit., p. 746, no 444.
449. Les projets de réformes du code civil proposaient d’ailleurs d’intégrer à celui-ci une définition de la faute
intégrant la notion d’illicéité. L’avant projet Catala la définissait ainsi comme « la violation d’une règle de conduite

460
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

romain où le dommage causé devait l’être « damnum injuria datum », soit sans droit 450 . Selon
Messieurs Mazeaud et Monsieur Tunc, la responsabilité étant la sanction de la violation d’une
règle de droit, « il va de soi que celui qui agit conformément au droit, d’une manière licite, n’est
pas responsable » 451 .
La question se pose alors de savoir si l’illicéité civile et l’illicéité pénale se confondent,
ou si les enjeux particuliers de chaque matière en permettraient des appréciations différentes.
La logique d’indemnisation qui sous-tend la responsabilité civile pourrait en effet justifier
une approche différente de l’illicéité. Pour autant, la cohérence et l’unité de l’ordre juridique
devraient conduire à considérer une symétrie. Ce que le législateur a reconnu comme licite au
regard du droit pénal doit également l’être au regard des autres matières 452 . Par conséquent,
l’existence d’un fait justificatif devrait opérer en négatif aussi bien sur l’élément illicite de la faute
civile que sur l’élément antijuridique de l’infraction pénale. Évidente lorsque le comportement
accompli était ordonné par la loi 453 , la solution peut être transposée aux autres causes objectives
de justification prévues par le législateur.
Il faut toutefois remarquer que tous les auteurs ne retiennent pas un élément illicite dans
la faute. La doctrine préfère parfois définir la faute non pas tant au regard de l’illicéité, que de
manière plus générale au regard d’une norme de conduite. Mais la nuance ne change finalement
pas grand-chose. Là encore, en admettant que dans certaines situations un individu puisse
légitimement accomplir un acte normalement constitutif d’une infraction, le législateur n’en
admet-il pas, par extension, que le comportement normal du bon père de famille placé dans
une telle situation est celui qui le conduit à commettre l’infraction ? Ainsi, que le fait justificatif
conduise ou non à l’accomplissement d’un acte socialement utile 454 , la réunion de ses conditions

imposée par une loi ou un règlement ou le manquement au devoir général de prudence ou de diligence » (P. Catala,
Rapport sur l’avant-projet de réforme du droit des obligations, (Articles 1101 à 1386 du Code civil) et du droit de la
prescription (Articles 2234 à 2281 du Code civil), 2005, La Documentation française, p. 155), tandis que le rapport
Terré propose d’introduire un article définissant la faute comme suit : « La faute consiste, volontairement ou par
négligence, à commettre un fait illicite » F. Terré, Groupe de travail sur le projet intitulé « Pour une réforme du
droit de la responsabilité civile », 2012, Site de la Cour de cassation [en ligne], p. 1. Adde. Pour une réforme du
droit de la responsabilité civile, sous la dir. de F. Terré, Dalloz, 2011. Ces propositions n’ont toutefois pas été
retenues.
450. H. et L. Mazeaud et A. Tunc, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et
contractuelle, op. cit., p. 37, no 27. Dans le même sens, G. Marty, « Illicéité et responsabilité » in Études juridiques
offertes à Léon Julliot de la Morandière, op. cit.
451. H. et L. Mazeaud et A. Tunc, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et
contractuelle, op. cit., p. 466, no 389.
452. La question se pose alors de savoir si le raisonnement pourrait être transposé aux faits justificatifs ayant une
origine jurisprudentielle. Mais ici aussi, la reconnaissance par le juge pénal de la licéité du comportement devrait
fort logiquement faire obstacle à l’admission de son illicéité au regard du droit civil.
453. Dans ce cas, la licéité du comportement s’impose avec évidence.
454. Reprenant l’argumentaire développé dans sa thèse par Monsieur Bergeret (La notion de fait justificatif en
matière de responsabilité pénale et son introduction en matière de responsabilité délictuelle et contractuelle, thèse
Grenoble, 1946) Monsieur Pellessier subordonne l’effet exonératoire des faits justificatif en responsabilité civile
à cette considération. Selon lui, si le fait justificatif justifie un acte socialement utile, la responsabilité civile doit

461
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

d’existence devrait permettre de considérer le comportement comme normal – et donc non


fautif –, en raison des circonstances. La responsabilité civile serait alors exclue par suite de
l’absence de faute, ce qui est déjà finalement assez largement admis.
La difficulté résiduelle se trouve alors dans le traitement des responsabilités dites objectives
que connaît le droit de la responsabilité civile. La responsabilité du fait des choses 455 , par
exemple, ne nécessite pas que soit rapportée la preuve de l’existence d’une faute 456 . L’absence de
faute ou d’illicéité du comportement résultant de l’existence d’un fait justificatif ne devrait donc
pas être de nature à faire obstacle à la responsabilité civile. Pourtant, la Cour de cassation a admis
que l’état de légitime défense soit exclusif de toute responsabilité civile, même sur le fondement
de l’article 1384 alinéa 1 457 . Classique quant à la responsabilité délictuelle pour faute 458 , la
solution s’imposait moins dans le cadre des responsabilités objectives 459 . Si l’on comprend
l’enjeu de la solution 460 , elle ne peut être justifiée par l’absence d’illicéité ou d’anormalité du
comportement, celui-ci n’étant justement pas pris en compte. La solution pourrait par contre
s’expliquer par l’existence d’une faute antérieure de la victime 461 . Hors ce cas, l’absence de
responsabilité civile ne semble pas devoir trouver de justification satisfaisante en matière de

être exclue, parce que la faute repose sur un blâme et que « la société ne peut blâmer celui qui sert le bien commun ».
Dans les autres hypothèses, les faits justificatifs ne devraient pas exclure par principe la caractérisation d’une faute
civile. J. Pelessier, « Faits justificatifs et action civile », art. préc.
455. Code civ., art. 1242.
456. La faute y est présumée et « la présomption de faute du gardien ne peut être détruite que par la démonstration
de la force majeure ou du cas fortuit (Civ. 15 mars 1921, DP 1922. 1. 25, note Ripert) ». L. Grynbaum, Rép. dr.
civ., Responsabilité du fait des choses inanimées, 2011, no 15.
457. Civ. 2ème , 22 avr. 1992, Bull. civ., no 27 ; D. 1992, p. 353, note J.-F. Burgelin ; Resp. civ. et assur. 1992,
comm. p. 257, obs. H. Groutel ; RTD civ. 1992, p. 768, obs. P. Jourdain.
458. P. Jourdain, « La légitime défense, fait justificatif de la responsabilité de l’article 1384, alinéa 1er », obs.
sur Civ. 2ème , 22 avr. 1992, RTD civ. 1992, p. 768.
459. La solution, affirmée au regard de l’article 1384, devenu l’article 1242, vaut de manière générale dès lors
que la Cour de cassation vise assez largement « les « actions en dommages-intérêts ». Ibid.
460. Il y aurait un certain paradoxe à admettre la responsabilité de celui qui se défend en faisant usage d’une chose
là où celui qui se défendra sans chose sera lui irresponsable. V. ibid.
461. Ibid. : « Le meilleur fondement de l’effet exonératoire attribué par l’arrêt à la légitime défense ne serait-il pas
en effet de considérer que la provocation de la victime, lorsqu’elle est constitutive d’une légitime défense, est une
espèce particulière de faute de la victime qui exclut, en raison de sa gravité, tout droit à réparation ou, pour reprendre
l’expression de la Haute juridiction, « toute action en dommages-intérêts » ? ». Pour une utilisation récente de la
faute antérieure en matière de légitime défense, v. Cass. crim., 18 juin 2015, no 13-88.263 ; AJ pén. 2015, p. 610,
obs. D. Aubert ; D. actualité 2015, note L. Priou-Alibert. L’arrêt est étonnant car la Cour de cassation, plutôt que
d’affirmer la solution classique selon laquelle la légitime défense est exclusive de la responsabilité civile, reproche
à une cour d’appel ayant prononcé une condamnation à des dommages et intérêts malgré la relaxe fondée sur
la légitime défense de ne pas avoir recherché « si la victime n’avait pas commis des fautes ayant concouru à la
réalisation de son dommage, de nature à justifier une exclusion ou une atténuation de la responsabilité du prévenu ».
La solution pourrait être expliquée par la volonté de garantir l’effectivité du double degré de juridiction. (en ce
sens, L. Priou-Alibert note sous Cass. crim., 18 juin 2015, D. actualité 2015) Quoi qu’il en soit, elle montre que
l’irresponsabilité civile n’est pas la conséquence de l’irresponsabilité pénale. Mais outre la question évidente de
la faute antérieure de la victime, la problématique devrait se résoudre sur la définition de la faute, tant il semble
inconcevable de pouvoir retenir une faute dans un comportement permis par le droit. La solution voulant que « la
légitime défense de soi-même exclut toute faute » est bien plus satisfaisante. (Cass. crim., 13 déc. 1989, Bull. crim.,
no 478 ).

462
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

responsabilité objective. Celle-ci ne repose pas sur une mise en balance des intérêts. Elle répond
simplement à une logique indemnisatrice, si bien que même le caractère socialement utile de
l’acte serait une explication bien fragile 462 .
Par conséquent, que les causes objectives et subjectives influent ou non toutes sur la quali-
fication infractionnelle du comportement ne change rien aux solutions déjà acquises. L’absence
de responsabilité en matière de cause objective tient à leur raison d’être et au constat de la
licéité, tant civile que pénale, du comportement justifié. Par contre, les causes de non-culpabilité
n’ayant pas pour effet de rendre licite le comportement (il n’est simplement pas constitutif d’une
infraction), la responsabilité civile reste possible parce qu’elle est indifférente à la culpabilité
intellectuelle de l’agent 463 .

478. Absence de caractérisation de l’infraction et action civile – Quant à la dernière


difficulté que pourrait engendrer le rattachement des circonstances de discernement et de liberté
à la caractérisation de l’infraction, elle est relative à l’admission de l’action civile. En principe,
l’action civile devant le juge pénal n’est ouverte qu’à ceux qui ont « personnellement souffert du
dommage directement causé par l’infraction » 464 . L’impossibilité de caractériser une infraction
emporte donc avec elle l’impossibilité d’obtenir réparation sur le fondement de l’action civile.
L’affirmation doit toutefois être nuancée. Le Code de procédure pénale prévoit expressément
en matière criminelle que « la partie civile, dans le cas d’acquittement comme dans celui
d’exemption de peine, peut demander réparation du dommage résultant de la faute de l’accusé,
telle qu’elle résulte des faits qui sont l’objet de l’accusation » 465 . Dès lors, « un verdict négatif
ne met pas obstacle à ce que la cour d’assises examine si le fait poursuivi, dépouillé des
circonstances qui lui imprimaient le caractère d’un crime, n’en est pas moins dommageable
et de nature à engager, en cas de faute constatée à la charge de l’accusé, la responsabilité
civile de celui-ci » 466 . L’inexistence de l’infraction constatée lors du jugement ne fait donc pas
nécessairement obstacle à la survie de l’action civile. Par ailleurs, dans le cas de l’article 122-1
du Code pénal, la déclaration d’irresponsabilité pénale laissera au juge la faculté de se prononcer
sur la responsabilité civile sur le fondement de l’article 414-3 du Code civil 467 . Enfin, en matière
correctionnelle, la réparation demeure possible malgré la décision de relaxe. La question a donné

462. Le problème pourrait notamment se poser pour l’état de nécessité pour lequel une faute antérieure de la
victime est peu concevable. Dans l’hypothèse des régimes spéciaux de responsabilité objective, l’exclusion de la
réparation serait alors difficilement justifiable autrement que par des considérations d’équité qui imposerait de ne
pas traiter différemment des cas fondamentalement similaires.
463. Hors le cas de force majeure, lorsque les conditions particulières exigées en droit civil seront remplies.
464. Code de proc. pén., art. 2.
465. Ibid. art. 372.
466. Cass. crim., 20 oct. 1993, Bull. crim., no 298.
467. V. H. Matsopoulou, J. Cl. Procédure pénale, fasc. 20, Procédure et décisions d’irresponsabilité pénale pour
cause de trouble mental, 2008, no 10.

463
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

lieu à une jurisprudence abondante dans le cas de l’appel de la seule partie civile. La solution
semble désormais acquise, selon laquelle « le dommage dont la partie civile, seule appelante d’un
jugement de relaxe, peut obtenir réparation de la part de la personne relaxée résulte de la faute
civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite » 468 . Les conséquences du
rattachement des causes subjectives à l’infraction quant à l’admission de l’action civile peuvent
donc être relativisées. Elles seront du reste les mêmes qu’en matière de justification objective.

479. Transition – Si l’importance des conséquences du rattachement des circonstances de


discernement et de liberté à l’infraction peuvent être nuancées, celles tenant à une éventuelle
confusion entre l’infraction et la responsabilité qu’elle serait susceptible d’engendrer le peuvent
aussi. Bien que toutes les conditions de la responsabilité soient alors exigées en amont lors de
la qualification des faits, la distinction entre les deux notions mérite d’être conservée.

Section 2 – L’absence de confusion entre l’infraction et la responsabilité

480. Éléments constitutifs et conceptualisation de l’infraction – Malgré le rattachement


de l’ensemble des conditions de la responsabilité à l’infraction, l’intérêt de la distinction entre
les deux notions demeure. Si l’infraction et la responsabilité ne peuvent pas et ne doivent pas être
confondues, c’est en premier lieu parce que l’une est la conséquence de l’autre. À ce titre, elles
méritent être distinguées. Par ailleurs, dans une démarche de précision de la notion d’infraction,
il existe un autre intérêt à la distinction. En effet, si l’infraction est la pierre angulaire du droit
pénal et de la responsabilité, la question se pose de savoir si elle en est l’unique.
Il convient à ce sujet de préciser à titre liminaire que les principes sur lesquels reposent
les éléments identifiés ne sont pas propres à la seule infraction. L’hésitation quant à l’objet de
l’élément moral a déjà été envisagée 469 . Le choix a été fait de rattacher cet élément à l’infraction
en raison des enjeux liés à la qualification. Mais il est possible de considérer que c’est la
responsabilité pénale dans son ensemble qui est subjective et qu’elle ne l’est pas qu’à raison
de la structure de son fait générateur principal. De la même manière, le principe de nécessité
affirmé à l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ne porte pas sur
l’infraction. C’est plus généralement la peine qui y est soumise 470 . Ce principe concerne donc

468. Cass. crim., 5 fév. 2014, Bull. crim., no 35 ; D. actualité 2014, obs. F. Winckelmuller ; D. 2014, p. 807,
note L. Saenko ; AJ pén. 2014, p. 422, obs. C. Renaud-Duparc ; Dr. pén. 2014, comm. no 46, note A. Maron et
M. Haas ; Dr. pén. 2014, étude, no 10, note A. Bonnet.
469. V. supra, no 220.
470. DDHC, art. 8 : « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ».

464
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

plus largement toute la matière pénale. Il s’applique dès lors qu’une peine est encourue, qu’elle
qu’en soit la raison. Il s’ensuit que tout fait générateur de responsabilité, puisqu’il donne lieu ou
est susceptible de donner lieu au prononcé d’une peine, doit répondre à ce principe, tout comme à
celui de la complémentarité entre le fait et la volonté. Les éléments constitutifs, par leur fonction
et par leur fondement, ne sont donc pas intrinsèquement liés à l’infraction. Malgré tout, ils le
sont très intimement. Les éléments ne peuvent porter directement sur la responsabilité qui n’a
pas à proprement parler de structure. Elle est une conséquence, la réponse attachée à un fait ou un
acte. C’est donc son fait générateur qui présente certaines spécificités structurelles, et ce sont ces
dernières que les éléments peuvent mettre en lumière. L’infraction étant la « pierre angulaire »
du droit pénal, la principale – exclusive même pour certains 471 – source de responsabilité, c’est
en premier lieu sur elle qu’ils portent. Ils révèlent la structure idéale du fait générateur de
responsabilité pénale, autrement dit, sa forme la plus aboutie. Mais il est tout à fait concevable
d’imaginer qu’un acte pénalement réprimé, tout en répondant aux différents principes énoncés,
n’ait pas une structure parfaitement infractionnelle.
Or, tous les comportements sanctionnés d’une peine n’ont pas la même structure, si bien
qu’il faut s’interroger sur les liens existants entre infraction et responsabilité. Si en matière
strictement infractionnelle la responsabilité est dénuée de conditions propres, il n’est pas certain
que la responsabilité ait pour unique fait générateur l’infraction. L’enjeu de l’identification des
éléments constitutifs a été de dégager un schéma général et invariable d’analyse du compor-
tement. Ce schéma permet aussi bien la caractérisation d’une infraction en particulier que la
qualification infractionnelle du comportement. Autrement dit, en analysant le comportement
sous ses différents angles, l’on s’assure du même coup qu’il possède bien tous les attributs
de l’infraction (notion) et d’une incrimination (infraction effectivement commise). À l’inverse
du droit civil, le droit pénal ne contient pas de disposition générale révélant les différentes
conditions de la responsabilité. Il ne connaît que de textes spéciaux, possédant des conditions
propres. L’infraction est la figure de proue du droit pénal, mais elle n’a pas de conditions
préétablies. L’intérêt des éléments constitutifs et du schéma dégagé est justement de faire
ressortir les différentes données inhérentes à toutes les infractions et toujours exigées pour
que la responsabilité puisse être engagée. Mais tout comme il existe différents types de res-
ponsabilité civile (responsabilité pour faute, responsabilité objective fondée sur la théorie du
risque, responsabilité du fait d’autrui, etc.), n’existe-t-il pas aussi en droit pénal différentes
hypothèses d’engagement de la responsabilité, autrement dit, différents types de faits générateurs
de responsabilité pénale 472 ? Elle trouve sa cause en premier lieu dans la commission d’une

471. C.-A. Dana, Essai sur la notion d’infraction pénale, th. préc., p. 35, no 28.
472. En droit civil, la diversification des régimes de responsabilité a conduit certains auteurs à s’interroger sur la
dilution de la notion et sur le point de savoir si la responsabilité juridique était véritablement un concept possédant

465
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

infraction, mais ne peut-elle pas avoir une autre cause ? La polymorphie des faits générateurs de
responsabilité (I) invite ainsi à s’interroger sur leur nature (II).

§ 1. La polymorphie des faits générateurs de responsabilité

481. Des comportements dépourvus d’élément antijuridique – À l’évidence, certains


comportements ne présentent pas tous les attributs de l’infraction, tels qu’ils ont été dégagés.
Certains d’entre eux, dérogatoires aux principes généraux de la matière, ont du même coup
une spécificité structurelle. Ils sont dépourvus d’élément antijuridique dès lors qu’ils ne sont
pas, en eux-mêmes, attentatoires à une valeur, ni directement, ni même indirectement. Tel est
le cas, nous l’avons vu, des infractions contraventionnelles et des infractions dites formalistes
de simple contrariété à une règle de forme 473 . Tel est aussi le cas des comportements relevant
de la catégorie des infractions obstacles. À ces divers comportements (A), doit être ajoutée la
complicité qui, bien que présentant un lien de causalité avec l’infraction commise, n’est pas non
plus, en elle-même, attentatoire (B).

A. La diversité des comportements non attentatoires

482. Contraventions et infractions formalistes – Une précision s’impose dès à présent


quant aux contraventions, car la généralité du propos ne doit pas faire oublier que certaines
d’entre elles étant d’anciens délits, elles ne posent aucune difficulté. Leur structure interne est
parfaitement conforme à celle dégagée. Pour les autres, à l’inverse, une double spécificité a été
présentée 474 , qui rejoint celle des infractions dites formalistes. La répression n’est pas prévue
en protection d’une valeur particulière, de sorte que le comportement ne peut pas être regardé
comme attentatoire ou potentiellement attentatoire. Elle ne vient qu’assurer une discipline
collective, c’est-à-dire le respect de certaines règles générales de vie en société, ou de certaines
normes techniques. La qualification de ces comportements est donc indépendante de la volonté
de l’agent et d’un quelconque lien de causalité entre lui et une atteinte. Si le comportement peut
être regardé comme antijuridique, ce n’est que de manière formelle, à raison de sa contrariété au
le droit.

483. Le déplacement du lien de causalité – De manière quelque peu différente, les


comportements relevant de la catégorie des infractions obstacles sont également dépourvus
d’antijuridicité. Ils ne sont pas directement ou indirectement attentatoires à une valeur. Pour

un contenu réel. V. not. G. Viney, « La responsabilité », art. préc.


473. Supra, no 337.
474. V. supra, nos 429 et s.

466
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

ces infractions, un lien de causalité existe bien, mais il est déplacé en amont. Il se situe
entre le comportement accompli et l’infraction à laquelle la sanction préventive entend faire
obstacle. Sont sanctionnés des actes, qui à raison des circonstances, font peser un risque accru
de réalisation d’une infraction, soit parce qu’ils révèlent une certaine périculosité, soit parce
qu’ils peuvent être à l’origine d’une faute. Dans les deux cas, la répression anticipée emporte
une double atrophie des éléments constitutifs : l’élément matériel est appréhendé plus tôt
que de principe et l’élément antijuridique présente une causalité éloignée et, de manière plus
problématique, incertaine.
Le premier cas s’observe dans la répression des comportements de participation à un
groupement, ou, plus largement dans la sanction de comportements de participation ne répondant
pas aux règles posées par l’article 121-7 du Code pénal, comme en matière de complicité
manquée 475 . Il ne peut y avoir de relation, même participative, entre le comportement de
l’instigateur et l’infraction projetée. Par contre, il est possible de considérer que le comportement
de l’instigateur, lorsqu’il est accompli dans sa globalité, est de nature à permettre la commission
d’une infraction. Le lien de causalité est donc déplacé et reste pour partie incertain, bien qu’il
ne soit pas totalement inexistant 476 .
Ce même déplacement s’observe dans le second cas, lorsque sont incriminés des compor-
tements à risques ou dangereux. Ainsi en est-il de l’infraction de risques causés à autrui, ou
encore les délits routiers. L’une comme les autres permettent d’appréhender et de sanctionner des
comportements qui rendent possible la réalisation d’un accident et, donc, d’une infraction non
intentionnelle. La répression intervient à titre préventif, en vue de faire obstacle à la réalisation
future d’une infraction, mais elle est indifférente à la probabilité réelle de survenance de cette
infraction. Le fait que le législateur n’ait pas considéré la présence d’un tiers comme nécessaire
à la caractérisation de l’infraction de risques causés en atteste et met en lumière l’incertitude du
pouvoir causal du comportement 477 .

475. Hypothèse du mandat criminel (Code pén., art. 221-5-1) ou de la sanction de provocations non suivies d’effet.
V. par ex. l’art. 211-2, al. 2 s’agissant du génocide.
476. Dans certaines hypothèses, le pouvoir causal est très hypothétique et peut tendre à la répression de
comportements strictement matériels. La répression de la fabrication ou de la mise à disposition d’outils pouvant
servir à la commission d’une infraction l’illustre. V. par ex. ibid., art. 323-3-1, concernant les instruments permettant
les atteintes aux STAD ; ou art. 226-3, concernant les dispositifs techniques permettant la réalisation d’atteintes à la
vie privée. Ici, la répression intervient particulièrement en amont (par exemple, l’article 323-3-1 préc. se contente
de la seule détention) et en toute indifférence d’un lien de causalité avec une éventuelle infraction principale, la
fourniture de moyens pouvant par ailleurs être non-intentionnelle (art. 226-3 préc.).
477. Il est en effet possible de lire dans la circulaire du 24 juin 1994 relative à l’application, en matière de
circulation routière, des dispositions du nouveau code pénal relatives à la mise en danger que « l’article 223-1
n’exige pas que le comportement incriminé ait causé un risque à une personne déterminée, qu’elle soit identifiée ou
seulement identifiable. » et que « d’une façon générale, des faits commis alors qu’aucune personne n’était présente,
et qui ne pouvaient donc effectivement entraîner une atteinte corporelle, pourront cependant tomber sous le coup de
l’article 223-1 dès lors qu’ils étaient susceptibles d’entraîner une telle atteinte, justement à raison du risque qu’une
personne se trouve sur les lieux. » Circulaire du 24 juin 1994 relative à l’application, en matière de circulation

467
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

Le Conseil constitutionnel semble par ailleurs faire de l’existence d’une possible relation
causale entre le comportement appréhendé et la réalisation future d’une infraction l’un des cri-
tères d’appréciation de la nécessité. L’arrêt est ancien, où le Conseil censurait une incrimination
au motif que le comportement incriminé n’était « pas en relation immédiate avec la commission
de l’acte terroriste » 478 , mais il mérite d’être rappelé. Il a d’ailleurs pu être remarqué que la
principale restriction à la liberté du législateur était justement d’ordre causal 479 .
Le comportement n’est donc pas encore attentatoire 480 , mais le déplacement du lien de cau-
salité semble laisser subsister la nécessité de la répression. Pour autant, la spécificité structurelle
ne devrait pas être occultée. La sanction de ces comportements est prévue par dérogation aux
règles générales de la matière, que ce soit par dérogation à celle d’une complémentarité du fait et
de la volonté, ou par dérogation aux règles de la sanction de la participation ou du seuil minimal
d’intervention du droit pénal. Cette spécificité structurelle suggère d’ailleurs que la distinction ne
soit pas tant entre les infractions formelles et matérielles, les infractions obstacles faisant partie
des premières, mais entre les infractions d’atteinte, même potentielles (infractions matérielles
et formelles), et les infractions non intrinsèquement attentatoires (infractions obstacles, de
contrariété au droit ou contraventions).

484. La spécificité de l’association de malfaiteurs – La répression des comportements


de participation à un groupement met tout à fait en lumière une certaine méconnaissance des
principes de la matière. Les comportements pénalement sanctionnés, bien qu’intrinsèquement
dangereux, ne sont pas en eux-mêmes attentatoires. La répression intervient alors en contour-
nement des règles relatives à la tentative et/ou à la complicité. Pour beaucoup d’infractions,
un texte spécifique vient en effet réprimer les actes préparatoires dès lors qu’ils sont accom-
plis par plusieurs personnes 481 . Sont alors incriminés des actes préparatoires accomplis en

routière, des dispositions du nouveau code pénal relatives à la mise en danger, no 54, Ministère de la Jutice, Bulletin
officiel du Ministère de la justice, p. 124. Par conséquent, des auteurs estiment qu’il « n’est pas nécessaire que
quelqu’un se soit trouvé effectivement en danger au moment où l’obligation particulière de prudence ou de sécurité
a été violée : il s’agit de victimes potentielles ». D. Caron et C. Carbonaro, J. Cl. Pénal Code, art. 233-1 et 223-2,
fasc. 20, Risques causés à autrui, 2015, no 22. La jurisprudence est quant à elle plus hésitante. Sur les hésitations en
la matière, v. V. Malabat, « Le délit dit de « mise en danger », la lettre et l’esprit », art. préc., et les arrêts cités par
l’auteur. Par ailleurs, il faut préciser que cette solution ne modifie pas la nécessaire conscience du risque. V. supra,
no 417.
478. Cons. const., 16 juil. 1996, no 96-377 DC ; D. 1997, p. 69, note B. Mercuzot ; JCP G. 1996, II, 22709, note
V. Nguyen Van Tuong.
479. V. A. Cappello, La constitutionnalisation du droit pénal, th. préc., p. 277, no 380.
480. Il n’est pas matériellement antijuridique.
481. V. par ex. Code pén., art. 212-3 pour le génocide ; art. 214-4 pour l’eugénisme ou le clonage reproductif ; art.
222-14-2, pour les violences contre les personnes ou destruction de biens ; art. 323-4 pour les infractions contre les
STAD ; art. 421-2-1 pour le terrorisme etc.

468
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

« bande organisée » 482 , ou, plus exactement accomplis par une association de malfaiteurs 483 .
Théoriquement, l’association de malfaiteurs devrait être différenciée de la bande organisée 484 .
Les auteurs les distinguent parfois pour des raisons procédurales 485 et la Cour de cassation s’est
récemment prononcée en ce sens 486 . Pour autant, la distinction est étonnante dès lors que les
textes sont rédigés en des termes parfaitement identiques 487 . Il en résulte que l’une n’est que la
circonstance aggravante, l’autre un comportement réprimé de manière autonome 488 . Autrement
dit, l’association de malfaiteurs devrait être appréhendée comme bande organisée lorsque les
infractions projetées ont été commises.
Quoi qu’il en soit, la répression autonome de l’association de malfaiteurs permet de remonter
en amont sur l’iter criminis et de sanctionner des actes préparatoires accomplis par plusieurs
personnes ne pouvant pas encore être considérées comme des complices ou coauteurs, faute

482. Ibid., art. 132-71, définissant la circonstance aggravante de bande organisée : « Constitue une bande
organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par
un ou plusieurs faits matériels, d’une ou de plusieurs infractions. »
483. Ibid., art. 450-1. L’association de malfaiteurs doit être distinguée du groupe de combats défini à l’article
431-13. V. M. Culioli et P. Gioanni, Rép. dr. pén., Association de malfaiteurs, 2007, no 4. Les actes préparatoires
ne sont pas exigés dans ce second cas pour lequel la seule participation est sanctionnée à l’article 431-14. Est
ici appréhendé un comportement participatif, mais qui n’est pas en lien avec une infraction particulière. Il est
simplement « susceptible » de l’être. Ce type d’infraction est en outre une illustration d’un cas de principe de
nécessité positif dès lors que la Décision-cadre du 24 octobre 2008 relative à la lutte contre la criminalité organisée
demande aux États membres de l’Union européenne de prendre les mesures nécessaires pour punir la participation
à une organisation criminelle. V. R. Parizot, « Organisation criminelle versus association de malfaiteurs et
associazione per delinquere : quel socle à la lutte contre la criminalité organisée en France et en Italie ? », RSC
2017, p. 1.
484. En ce sens, M. Culioli et P. Gioanni, Association de malfaiteurs, op. cit., no 9.
485. Ibid. ; M.-H. Gozzi obs. sur Cass. crim., 8 juil. 2015, D. 2015, pann. p. 2465. Les deux hypothèses n’ont
d’ailleurs pas un champ d’application identique.
486. Elle admet de manière tout à fait critiquable un cumul entre l’infraction commise en bande organisée et
l’association de malfaiteurs. Cass. crim., 19 janv. 2010, Bull. crim., no 11 ; AJ pén. 2010, p. 201, obs. M.-E. C. ; Dr.
pén. 2010, comm. no 43, obs. M. Véron. En outre, dans un arrêt en date du 8 juillet 2015, elle a pu affirmer que
« la bande organisée suppose la préméditation des infractions et, à la différence de l’association de malfaiteurs, une
organisation structurée entre ses membres », (Cass. crim., 8 juil. 2015, Bull. crim., no 172 ; D. 2015, pann. p. 2465,
obs. M.-H. Gozzi ; D. actualité 2015, obs. C. Benelli-de Bénazé ; D. 2015, p. 2541, note R. Parizot) ce qui ne
résulte nullement des textes. Sur ce point, v. la note de Madame Parizot sur cet arrêt.
487. Seul le champs d’application diffère. L’on voit alors mal comment les deux pourraient être caractérisés « par
des faits matériels distincts » (Cass. crim., 19 janv. 2010, Bull. crim., no 11 ; AJ pén. 2010, p. 201, obs. M.-E. C. ; Dr.
pén. 2010, comm. no 43, obs. M. Véron), et ce, malgré la récente distinction opérée par la Cour de cassation, les faits
de bande organisée recoupant ceux d’association de malfaiteurs. La justification selon laquelle « après une analyse
des faits, il s’est avéré que ceux-ci, bien qu’étant juridiquement identiques, étaient en réalité distincts » (P. Bonfils
et E. Gallardo, Rép. dr. pén., Concours d’infractions, 2015, no 20) ne convainc pas dès lors que théoriquement les
deux notions sont définies en des termes strictement identiques. Peu importe alors la diversité des faits matériels,
la circonstance de bande organisée devrait absorber la qualification d’association de malfaiteurs.
488. En ce sens, H. Angevin, J. Cl. Pénal Code, art. 132-71, fasc. 20, Circonstances aggravantes - bande organisée,
2014, no 32 « Une infraction commise en bande organisée est donc un crime ou un délit commis par des participants
à une association de malfaiteurs. » et R. Parizot, « « Ceci n’est pas une pipe » : l’association de malfaiteurs et
la bande organisée selon la Cour de cassation », note sous Cass. crim., 8 juil. 2015, D. 2015, p. 2541 : « Les deux
notions sont synonymes. La circulaire du 2 septembre 2004 de présentation des dispositions relatives à la criminalité
organisée de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ne
dit d’ailleurs pas autre chose : la circonstance aggravante de bande organisée « doit (...) s’analyser comme la prise
en compte, après l’infraction, de l’existence d’une association de malfaiteurs qui avait pour objectif de commettre
cette infraction ».

469
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

d’infraction tentée. L’article 450-1 du Code pénal, en réprimant un « délit d’association de


malfaiteurs » 489 , permet donc de déroger aussi bien aux règles relatives à la tentative (répression
en amont du commencement d’exécution) qu’aux règles relatives à la complicité (répression d’un
comportement participatif alors que l’infraction principale n’est ni commise, ni tentée) 490 , pour
la préparation collective de toutes les infractions punies d’au moins cinq ans d’emprisonnement,
certains textes spéciaux venant par ailleurs sanctionner plus sévèrement la participation au grou-
pement pour la préparation de certaines infractions particulières 491 . La pluralité de participants
est souvent avancée comme une justification à la répression dérogatoire des actes préparatoires,
car « en s’unissant, en organisant, en programmant leurs diverses activités délictueuses, en
conférant une certaine permanence à leur réunion, les malfaiteurs augmentent leur puissance
et font ainsi peser sur la société une dangereuse insécurité » 492 . Ici, ce n’est pas la relation de
participation qui est présumée, comme ce peut être le cas en matière de « happy slapping » 493 .
C’est au contraire son constat qui permet de justifier une répression dès la préparation, la pluralité
d’instigateurs rendant probable la réalisation de l’infraction ou des infractions projetées 494 . Peu
importe, par contre, qu’il soit prévu que l’infraction projetée le soit par l’ensemble du groupe ou
par une partie seulement. Tous les protagonistes sont traités de la même manière. Ils sont tous
auteurs de l’infraction de participation au groupement, en raison du caractère autonome de la
répression 495 .
Encore est-il possible de nuancer le propos et de rapprocher l’hypothèse d’une complicité
corespective. En effet, les faits matériels de préparation doivent certes avoir été accomplis par
l’association – si bien qu’il pourrait s’agir d’une infraction collective 496 – mais le caractère

489. M. Culioli et P. Gioanni, Association de malfaiteurs, op. cit., no 1.


490. V. F. Rousseau, « De quelques réflexions sur la responsabilité collective », art. préc. : « l’association de
malfaiteurs apparaît donc comme un acte préparatoire collectif à commettre un crime ou un délit. »
491. L’on a donc une répression à trois niveaux : la répression générale de l’association de malfaiteurs en vue de
la préparation d’une infraction punie d’au moins cinq ans d’emprisonnement (art. 450-1), la répression spéciale de
l’association de malfaiteurs en vue de la commission de certaines infractions (par ex. art. 212-3 pour les crimes
contre l’humanité) et les infractions aggravées car commises en bande organisée. V. A. Lepage et H. Matsopoulou,
Droit pénal spécial, op. cit., p. 859, no 1190.
492. A. Vitu, J. Cl. Pénal Code, art. 450-1, fasc. 20, Participation à une association de malfaiteurs, 2014, no 3.
493. Infra, no 486.
494. F. Rousseau, « De quelques réflexions sur la responsabilité collective », art. préc. : « il y a fort à parier
en effet que cette entreprise collective ira à son terme en raison du renfort mutuel des coauteurs. » L’infraction
commise en bande organisée peut sembler s’apparenter à une hypothèse de coaction plus de complicité, encore que
l’infraction commise en bande organisée pourrait l’être en qualité de coauteurs ou de complices, selon la relation
causale. L’on concédera toutefois le peu d’intérêt pratique de la distinction. V. E. Baron, La coaction en droit
pénal, th. préc., p. 52, no 39 : « être membre d’une bande organisée, ce n’est pas nécessairement être coauteur de
l’infraction tentée ou consommée par cette même bande, même si l’on envisage l’infraction commise de la sorte
comme une infraction collective par nature. »
495. Ibid., p. 53, no 40 : « s’interroger sur le fait de savoir si le participant a agi à titre de coauteur ou de complice
ne présente pas d’intérêt : au regard de l’association de malfaiteurs, il aura réalisé l’infraction, et en sera donc
auteur. »
496. L’infraction collective « résulte de la prise en considération par la loi de cette même pluralité de délinquants,
chiffrée ou non, à titre d’élément constitutif ». C. Dupeyron, « L’infraction collective », RSC 1973, p. 357. Elle se

470
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

collectif ne préjuge pas du titre de responsabilité de chacun des participants. Surtout, il importe
peu de savoir qui, au sein de l’association a réalisé les faits matériels caractérisant la préparation
d’une infraction. La seule participation au groupement suffit, sans que l’on ait à s’interroger sur
le rôle présent ou futur de chacun des protagonistes. Ici, la pluralité de participants et le soutien
mutuel qu’ils s’apportent justifie un relâchement très important du lien de causalité.
La répression apparaît donc justifiée, mais elle repose de manière flagrante sur un dépla-
cement du lien de causalité. Le législateur n’a pas tenté d’appréhender un comportement en
relation causale certaine ou fortement probable avec un résultat redouté. Il a voulu appréhender
un comportement susceptible de déboucher sur l’exécution d’une infraction.

B. L’absence de caractère attentatoire en matière de complicité

485. L’absence d’antijuridicité propre à la complicité – Un dernier comportement peut


être rapproché de ces hypothèses parce qu’il ne présente pas non plus à proprement parler
d’élément antijuridique. Il s’agit de la complicité. La complicité est parfois présentée comme
un mode particulier d’imputation de l’infraction, ce que suggère d’ailleurs l’idée d’emprunt
de criminalité. Parce que le complice contribue à la réalisation de l’infraction principale, on lui
imputerait l’infraction commise par lui et par l’auteur principal pour lui en faire subir la sanction.
Ainsi peut-on lire que « l’infraction à laquelle ont contribué l’auteur principal et le complice leur
est imputée sous la même qualification » 497 . Le mécanisme d’imputation permettrait d’ailleurs
d’expliquer que le complice ait à répondre des circonstances aggravantes « matérielles » 498
relatives à l’acte, et ce, même s’il les avait ignorées 499 . Pour autant, il ne semble pas qu’il
s’agisse ici d’une hypothèse d’imputation. Le complice engage sa responsabilité à raison du
comportement qu’il a lui même commis. L’imputation conduit à affirmer qu’une personne est la
cause efficiente et éclairée du dommage 500 . Or, en matière de complicité, au moins par assistance,
le complice n’est pas la cause du dommage, il ne fait qu’y participer. Par suite, on ne lui impute
pas l’infraction commise par l’auteur principal. L’assimilation ne va pas jusque là : le complice

distingue de l’infraction commise collectivement, c’est-à-dire par plusieurs coauteurs. Ibid.


497. J.-H. Robert, Complicité, op. cit., no 55. V. égal. M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique
protégé par le droit pénal, th. préc., p. 418, nos 667 et s.
498. Abandonnant la classification entre les circonstances réelles, personnelles et mixtes, la Cour de cassation
tend à décider que les circonstances matérielles établies à l’égard d’un des participants le sont à l’égard de tous,
tandis que les circonstances morales restent propres à chaque participant. S. Fournier, Rép. dr. pén., Complicité,
2013, no 144, et J.-H. Robert, Complicité, op. cit., nos 59 et s.
499. Cass. crim., 21 mai 1996, Bull. crim., no 206 ; Dr. pén. 1997, 213, obs. M. Véron ; RSC 1997, p. 101, obs.
B. Bouloc : « le complice encourt la responsabilité de toutes les circonstances qui qualifient l’acte poursuivi, sans
qu’il soit nécessaire que celles-ci aient été connues de lui ».
500. J. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., p. 100, no 222. Le raisonnement est opéré en termes de causalité,
l’enjeu étant de déterminer qui est la source matérielle et morale du fait ou du mal qui en est résulté. L’agent doit
en être « la cause première, la cause efficiente et responsable ». Ibid., p. 408, no 968.

471
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

commet un acte de participation et c’est cet acte qui lui est reproché. Il lui est reproché son
propre comportement d’aide, d’assistance ou de provocation. Ainsi est-il coupable de complicité
de tel crime ou de tel délit, non du crime ou du délit lui-même et ce, même s’il est sanctionné
comme s’il en avait été l’auteur. Simplement, parce qu’il a contribué à la réalisation du dommage,
c’est au regard de l’infraction commise par l’auteur principal que la sanction sera déterminée.
Il lui emprunte certes une partie de la qualification retenue contre lui et, par extension, la
peine encourue, mais il n’y a pas imputation de l’infraction principale commise par l’auteur
au complice, qui reviendrait du reste à un cas de responsabilité du fait d’autrui.
Par contre, il est vrai que le mécanisme sur lequel repose la complicité est tout à fait
spécifique et emporte, ici encore, une spécificité structurelle. Car le comportement du complice
n’est pas par lui-même attentatoire et n’est pas susceptible de l’être. Il ne peut porter atteinte
à une valeur essentielle qu’à travers le comportement d’un tiers, sans commettre lui-même
ladite atteinte. Un lien de causalité matériel peut donc également être identifié, mais il n’est
que participatif et peut être particulièrement lâche. La causalité matérielle prend donc en ce
domaine aussi une importance particulière 501 , mais relève d’une logique spécifique dès lors
que le lien est simplement partiel et participatif. L’analyse de la complicité au regard de son
caractère attentatoire en met donc en lumière toute la spécificité. Si le comportement est
attentatoire, il ne l’est que par l’intermédiaire de l’activité de l’auteur principal. Pris en lui-
même et indépendamment de cette dernière, le fait de complicité n’est pas antijuridique. Il ne le
devient que par l’éclairage de l’infraction principale sur l’activité du complice 502 .

486. L’importance pratique relative de la causalité en matière de complicité – En


outre, si la causalité prend théoriquement une importance considérable, son utilité pratique
est réduite. L’importance du lien de causalité résulte implicitement des textes 503 dès lors
que le complice doit avoir « facilité la préparation ou la consommation » 504 de l’infraction

501. En ce sens, P. Salvage, « Le lien de causalité en matière de complicité », art. préc. ; F. Defferrard, « La
provocation », RSC 2002, p. 233.
502. La qualification de la complicité présente à ce titre la spécificité tout à fait originale de dépendre d’un
évènement postérieur au comportement accompli. Des assouplissements ont certes été admis en jurisprudence.
Tout d’abord, il a été jugé que « si la complicité ne peut résulter que d’actes antérieurs ou concomitants au fait
principal, la preuve de l’intention frauduleuse peut se déduire de comportements ultérieurs » (Cass. crim., 4 nov.
1991, Bull. crim., no 391 ). Surtout, « l’aide ou l’assistance postérieure au délit, mais résultant d’un accord antérieur,
constitue un acte de complicité » (Cass. crim., 21 juin 1978, Bull. crim., no 207 ; D. 1979, IR, p. 37, obs. M. Puech ;
Cass. crim., 11 juil. 1994, Bull. crim., no 274 ; RSC 1995, p. 343, obs. B. Bouloc). Mais de manière générale, le
comportement du complice, accompli en amont, voit sa répression « conditionnée » (le terme peut sembler inadapté
tant la condition est normalement marqué par l’antériorité) à la fois par un comportement postérieur, mais aussi par
la possibilité de le qualifier pénalement – fusse abstraitement.
503. En ce sens, E. Baron, La coaction en droit pénal, th. préc., p. 163 no 187 : « Les définitions [que le
législateur] donne du complice ne peuvent laisser de place au doute quant à l’exigence d’un lien de causalité entre
les actes du complice et l’infraction réalisée ».
504. Code pén., art. 121-7 al. 1.

472
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

principale ou provoqué à sa commission 505 . En principe, l’aide doit donc avoir été effective,
c’est-à-dire qu’elle a dû permettre ou faciliter l’activité de l’auteur. Pour autant, en pratique,
la jurisprudence est parfois relativement souple dans la vérification du lien de causalité entre
l’activité du complice et la réalisation de l’infraction principale. En d’autres termes, elle ne
s’assure pas toujours avec rigueur de ce que l’aide ou l’assistance a bien eu une influence
dans l’accomplissement de l’infraction principale. Il faut ici préciser le propos, car la Cour
de cassation n’a jamais expressément admis que l’activité du complice puisse n’être en rien
intervenue dans la réalisation de l’infraction principale. Une partie de la doctrine estime certes
que le comportement du complice peut être réprimé même si l’aide apportée n’a été en pratique
d’aucun secours. Ainsi peut-on lire qu’« un acte de complicité reste punissable même s’il n’a
procuré aucune aide directe à l’auteur principal pour commettre son infraction », car « il suffit
que les moyens aient pu servir à [sa] commission et aient été fournis dans l’intention de faciliter
sa réalisation » 506 . Monsieur Pradel avait également pu faire état d’une tendance répressive
de la Cour de cassation pour qui il importerait peu « que l’auteur ne se soit pas servi en fait
du moyen mis à sa disposition par le complice » 507 ou que l’auteur ait choisi un autre modus
operandi que celui initialement prévu avec le complice 508 . Des arrêts sont souvent cités au
soutien de la répression de la complicité indépendamment de toute relation causale, mais dans
aucun d’entre eux, la Cour ne s’est prononcée expressément en ce sens. Le plus fréquemment cité
en la matière est ancien et date du 17 mai 1962 509 , arrêt à l’occasion duquel la question s’était
posée de savoir si la complicité pouvait être retenue alors que l’arme fournie par le complice
n’avait pas été utilisée. En l’espèce, il s’agissait en effet d’un vol commis sans violences, mais
avec port d’arme, l’arme ayant été remise par un tiers. La Cour de cassation avait alors considéré
que la fourniture de l’arme permettait de retenir la responsabilité du complice. La solution est
toutefois relativement ambiguë, car relative à une difficulté d’application de l’ancien article 60.
Cet article prévoyait que seraient punis comme complices « ceux qui auront procuré des armes,
des instruments, ou tout autre moyen qui aura servi à l’action ». Or, en l’espèce, il n’y avait pas
eu usage de l’arme fournie, de sorte qu’elle n’avait pas littéralement servi à l’action. À cette
difficulté, la Cour de cassation répond « que le fait [...] d’avoir procuré une arme ayant servi au
fait principal, vol commis avec port d’arme [...] constitue à lui seul, aux termes de l’article 60
précité, un mode légal de complicité » 510 . Elle semble donc considérer que l’arme a servi à la

505. Ibid., art. 121-7 al. 2.


506. H. Renout, Droit pénal général, 18ème éd., Larcier, Paradigme, 2013, p. 203.
507. J. Pradel, « Tentative et abandon en cas de participation de plusieurs personnes à une infraction », RIDC
1986, no 2, p. 735, p. 747.
508. Ibid.
509. Cass. crim., 17 mai 1962 ; D. 1962, p. 473 ; RSC 1962, p. 102, obs. A. Légal.
510. Ibid.

473
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

commission de l’infraction bien qu’elle n’ait pas été utilisée 511 . Quant aux autres arrêts cités, ils
ne sont pas non plus tout à fait convaincants 512 . À dire vrai et à notre connaissance, la Cour de
cassation ne s’est en réalité jamais expressément prononcée sur la question 513 .
Pour autant, l’admission du seul soutient moral est de nature à permettre une vérification
presque systématique de l’existence du lien de causalité. Ainsi, s’il a pu être remarqué que
dans l’ensemble, la jurisprudence penche plutôt en faveur d’une prise en compte effective
de la causalité, au moins par le biais du soutien moral apporté à l’auteur principal 514 , et ce
même lorsque le complice a été passif 515 , cette tendance peut aussi être perçue comme un
contournement de l’exigence de causalité. Elle en facilite en tout cas grandement la vérification,
car lorsque les faits accomplis par le complice auront été connus de l’auteur principal, le soutien
moral pourra toujours être caractérisé. La complicité sera systématiquement retenue, sans qu’il
soit besoin de s’assurer effectivement du comportement d’aide effectivement commis.
Bien que relativisée, l’exigence d’un rapport de causalité demeure toutefois par cette
exigence de connaissance de l’activité du complice. Elle se trouve par ailleurs confortée par la
solution majoritairement proposée en doctrine en matière de « happy slapping ». Le législateur
a fait le choix de sanctionner de manière autonome ce comportement 516 et, ce faisant, a instauré

511. Par ailleurs, l’agent avait également fourni des instructions si bien qu’il est difficile d’analyser cet arrêt
comme consacrant l’indifférence totale de la causalité en matière de complicité.
512. Sont égal. parfois cité : Cass. crim., 13 mars 1963, Bull. crim., no 116, jugeant que l’utilisation des lettres
fournies par le complice n’avait pas à être démontrée dans un cas de complicité d’abus de blanc-seing dès lors
qu’une au moins avait été adressée par lui à un notaire ; Cass. crim., 31 janv. 1974, Bull. crim. ; JCP G. 1975, II,
17984, note A. Mayer-Jack ; RSC 1975, p. 679, obs. J. Larguier ; admettant la complicité alors que le modus
operandi arrêté avec le complice n’a pas été finalement celui suivi, ou encore Cass. crim., 22 janv. 1991, Bull.
crim., no 36, jugeant qu’il n’est pas besoin d’établir que le moyen fourni ait été indispensable à la commission de
l’infraction reprochée à l’auteur principal. Adde. J. Larguier, « La complicité par agissements non indispensables
à la commission du fait principal », RSC 1984, p. 489.
513. Dans un arrêt, la Cour de cassation avait au reste pu traiter comme une tentative de complicité non punissable
des actes d’assistance qui n’avaient pas été menés à leur terme. Cass. crim., 23 mars 1978, Bull. crim., no 116 ; D.
1979, p. 319, note B. Bouloc.
514. En ce sens, E. Baron, La coaction en droit pénal, th. préc., p. 166, nos 194 et s. L’admission du soutient
purement moral est ancienne : T. corr. Aix en provence, 14 janv. 1947 ; JCP 1947, II, 3465, note R. Béraud :
« Il convient d’admettre qu’une attitude passive qui, normalement, ne constitue qu’une abstention non punissable,
peut, dans des circonstances particulières et de la part de certaines personnes (en l’espèce, un gardien de la paix
qui laisse un collègue commettre un vol au cours d’une patrouille), revêtir le caractère d’une coopération coupable ;
ce caractère réside bien moins dans le comportement de la personne pris en lui-même que dans l’influence que ce
comportement a pu exercer sur l’esprit de l’auteur de l’infraction, dans l’espérance qu’il a pu faire naître dans sa
conscience. »
515. La Cour de cassation admet en effet dans certains cas la répression de la complicité passive. Pour une
illustration récente, Cass. crim., 13 sept. 2016, no 15-85.046 ; Dr. pén. 2016, no 153, obs. P. Conte. En l’espèce, un
médecin n’était intervenu à aucun moment pendant les séances d’épilation au laser suivies par une cliente, laquelle
avait subi des brûlures.
516. La doctrine doute d’ailleurs de la nécessité de ce texte, non seulement parce qu’en cas d’entente entre l’auteur
des violences et la personne filmant les faits, la complicité peut être caractérisée en retenant le soutien moral apporté
à l’auteur principal, mais aussi parce que d’autres textes pouvaient éventuellement retenu. Selon Madame Lepage,
« l’acte d’enregistrement pourrait même constituer, indépendamment de toute sanction par le biais de la complicité,
une infraction autonome, comme le délit de non-assistance à personne en péril », A. Lepage, « Les dispositions
concernant la communication dans la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance », CCE 2007,

474
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

« une présomption de complicité entre lui et l’auteur de l’infraction » 517 . Cette présomption
résulte directement de l’assimilation du fait de filmer la scène à la complicité 518 . En présumant
l’existence d’un acte de complicité, le législateur établit donc plus exactement une présomption
de relation causale entre le comportement de celui qui filme et de celui qui commet l’infraction,
celle-ci prenant la forme d’un soutien moral ou d’une incitation. La question se pose alors de
savoir si cette présomption présente un caractère irréfragable – de sorte qu’il importerait peu
que l’auteur principal n’ait en réalité pas bénéficié de ce soutient –, ou un caractère simple.
Le législateur est resté muet sur ce sujet, se contentant de prévoir que l’enregistrement des
images doit être fait « sciemment » 519 . Il a par ailleurs prévu certains faits justificatifs fondés sur
l’utilité sociale de l’enregistrement réalisé 520 . Le fait justificatif relatif au but poursuivi pourrait
d’ailleurs suggérer que seul ce but légitime serait de nature à renverser la présomption de compli-
cité. Par conséquent, il a été relevé que « si l’on s’en tient à la lettre du texte, le prétendu complice
ne pourrait pas utilement soutenir que l’auteur principal ignorait jusqu’à son existence » 521 . Pour
autant, une telle solution est difficilement concevable si l’on admet que la complicité repose
nécessairement sur une relation causale entre l’activité du complice et l’infraction commise ou
tentée par l’auteur principal. La doctrine penche donc en faveur du caractère simple et remarque
que, malgré la lettre du texte, « les principes supérieurs [...] devraient [...] assurer le succès de
cette défense qui établit l’absence de tout lien de complicité. » 522
En définitive, si l’exigence d’un lien de causalité semble rester le principe, son importance
pratique est quelque peu réduite. Ce constat conforte le fait que l’acte de complicité n’est pas
en lui-même attentatoire et donc pas intrinsèquement antijuridique 523 . Sans doute la répression

étude 13, no 6.
517. J.-H. Robert, Complicité, op. cit., no 91.
518. Code pén. art. 222-33-3 : « Est constitutif d’un acte de complicité des atteintes volontaires à l’intégrité de la
personne prévues par les articles 222-1 à 222-14-1 et 222-23 à 222-31 et 222-33 et est puni des peines prévues par
ces articles le fait d’enregistrer sciemment, par quelque moyen que ce soit, sur tout support que ce soit, des images
relatives à la commission de ces infractions. »
519. Code pén., art. 222-3-3, al. 1.
520. En ce sens, S. Detraz, « L’enregistrement d’images de violence : un cas de présomption légale de compli-
cité », Dr. pén. 2007, no 23. Il s’agit de l’enregistrement fait ou diffusé dans un but d’information, ou afin de servir
de preuve en justice. Code pén., art. 222-33-3, al. 3.
521. J.-H. Robert, Complicité, op. cit., no 92.
522. Ibid. Dans le même sens, S. Detraz, « L’enregistrement d’images de violence : un cas de présomption légale
de complicité », art. préc. : « L’assimilation de l’enregistrement à une hypothèse de complicité apparaît alors par
trop excessive et appellerait logiquement la possibilité de renverser la « présomption de complicité ».
523. L’approche de Madame Lacaze qui considère qu’il y a alors « imputation du comportement antijuridique
d’autrui » (M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., p. 418,
no 666) semble d’ailleurs aller dans ce sens. La doctrine allemande considère quant à elle que l’atteinte est accessoire
et reste à ce titre antijuridique, ce qui se justifie notamment par le caractère immatériel du bien juridique. Ainsi,
« le complice à l’infraction est donc punissable, parce que même sans agir typiquement à titre personnel, il porte
atteinte au bien juridique – protégé par l’incrimination – de manière médiate, par sa participation aux actes typiques
de l’auteur principal. Il se « solidarise avec l’injuste d’autrui », participe au « mépris de la valeur sociale atteinte
». J. Walther, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. préc., p. 399.

475
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

est-elle tout à fait nécessaire en la matière, mais la complicité ne suit pas le schéma dégagé à
titre général car l’un des éléments, l’élément antijuridique, fait défaut.

487. Doutes – Que ce soit en matière de complicité, d’infractions obstacles, de seul contra-
riété au droit ou de contraventions, la répression peut se révéler nécessaire et justifiée, parce
que ces comportements sont susceptibles d’entrer en jeu dans la réalisation d’une infraction.
Pour autant, ils ne présentent pas la structure idéale dégagée. Cette spécificité structurelle n’est
d’ailleurs qu’une illustration supplémentaire du caractère dérogatoire de la répression de ces
comportements, s’agissant des infractions obstacles et des infractions de seule contrariété au
droit. Il est alors possible de se demander s’ils sont, ou non, des infractions stricto sensu.

§ 2. La nature incertaine des faits générateurs de responsabilité

488. Spécificité structurelle et nature des faits générateurs – La responsabilité pénale


est le plus souvent envisagée comme unitaire. À l’inverse de la responsabilité civile qui possède
différents fondements et peut par suite prendre différentes formes, la responsabilité pénale
ne semble devoir être la conséquence que de la commission d’une infraction. C’est la raison
pour laquelle l’absence de condition propre à la responsabilité résultant de la réunification des
données psychologiques pourrait faire pencher en faveur d’une confusion de la responsabilité et
de l’infraction. La première n’aurait qu’un seul type de fait générateur, et c’est alors lui qui
apparaîtrait polymorphe. Il ne renverrait pas à une notion unique, mais à plusieurs réalités,
structurellement différentes. La définition qui est traditionnellement donnée de l’infraction
conforte cette idée. En tant que « la violation d’une loi de l’État, résultant d’un acte externe de
l’homme, positif ou négatif, socialement imputable, ne se justifiant pas par l’accomplissement
d’un devoir ou l’exercice d’un droit, et qui est punie d’une peine prévue par la loi » 524 , elle a
vocation à prendre des formes variées selon la teneur des comportements incriminés. L’enjeu de
cette thèse a pourtant été d’en dégager une structure commune, conforme aux principes généraux
de la matière. Si les éléments constitutifs révèlent la structure idéale de l’infraction et son essence,
ils en sont aussi – et du même coup – la mesure. Or, l’étude des différents comportements
sanctionnés dans le Code pénal a permis de constater que tous ne partageaient pas la même
structure.
Ce constat pourrait à lui seul suggérer une incompatibilité dans la structure dégagée. Il
n’en est pourtant rien, car les spécificités structurelles qui ont été mises en lumière ne font que
conforter le constat par ailleurs évident du caractère dérogatoire de ces comportements au regard

524. Cette définition proposée par Carrara est reprise dans de nombreux manuels. V. not. H. Donnedieu de
Vabres, Traité élémentaire de droit criminel et de législation pénale comparée, op. cit., p. 47, no 89.

476
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

des règles générales de la matière. Ne faut-il pas alors admettre que l’infraction n’est qu’un fait
générateur de responsabilité parmi d’autres ? Elle est le plus abouti et le plus conforme aux
principes généraux de la matière. La responsabilité pénale posséderait alors elle aussi plusieurs
fondements ; plusieurs faits générateurs, ce qui fort logiquement devrait avoir des conséquences
quant au régime de chacun. La réunification des données psychologiques n’emporterait donc
pas la confusion des deux notions. On le devine, la spécificité structurelle nous pousse vers une
réponse positive. Ces comportements ne partagent pas la structure idéale de l’infraction. Ils sont,
en quelque sorte, des formes allégées d’engagement de la responsabilité.
L’irréductibilité de la responsabilité pénale à l’infraction s’observe d’ailleurs déjà : la
complicité n’est pas une infraction (A) et n’en suit donc pas le régime. N’est-il pas alors possible
de s’interroger sur la nature des autres faits générateurs de responsabilité ne possédant pas tous
les éléments propres à l’infraction (B) ?

A. L’absence de nature infractionnelle de la complicité

489. Préalable : une problématique récurrente – Alors que la définition traditionnelle


de l’infraction est assez large, la complicité n’est majoritairement pas considérée comme en
étant une. Pourtant, elle en vérifie toutes les conditions. Elle est bien un comportement humain
volontaire, sanctionné d’une peine. La question de la nature de la complicité – tout comme
celle de la tentative – est une problématique récurrente de la matière. S’agissant de la tentative,
les hésitations sont moins fortes. Elles restent permises dès lors que la tentative ne présente
pas d’autonomie parfaite. En effet, elle ne peut être appréhendée qu’à travers la description
d’une incrimination dont elle est une réduction. Plus précisément, ses conditions peuvent être
exposées de manière générale à travers les exigences de l’article 121-5 : un commencement
d’exécution, une intention de commettre l’infraction commencée et une absence de désistement
volontaire. Mais la qualification des faits n’est possible qu’au regard de la description légale
de l’infraction tentée. La teneur du commencement d’exécution ainsi que de l’intention dépend
des textes d’incrimination. La tentative n’est qu’une infraction inachevée et n’a pas d’éléments
propres 525 : ils se conçoivent seulement au regard de la définition de l’infraction tentée. Pour

525. Contra, J.-Y. Maréchal, Essai sur le résultat dans la théorie de l’infraction pénale, th. préc., p. 280, no 408,
reprenant et approuvant l’opinion de M. Conte et estimant que le comportement décrit à l’article 121-5 doit
s’analyser en « une infraction à part entière comportant ses propres éléments constitutifs ». En tant qu’infraction
autonome, elle pourrait d’ailleurs s’analyser à travers un élément matériel, le commencement d’exécution, et un
élément moral, la volonté irrémédiable de commettre l’infraction ou l’absence de désistement volontaire. Ibid.
Proposant également de séparer la tentative entre un élément moral et un élément matériel, A. Prothais, Tentative et
attentat, th. préc., p. 341, nos 477 et s. La Cour de cassation évoque elle aussi les éléments constitutifs de la tentative,
v. not. Cass. crim., 18 janv. 1989, no 88-81.713 ; Cass. crim., 15 mars 1994, no 93-81.607 ; Cass. crim., 29 juin 1999,
Bull. crim., no 160 ; JCP E. 2000, no 704, note X. Pin ; RTD com. 2000, p. 199, obs. B. Bouloc ; Dr. pén. 1999,
p. 12, obs. J.-H. Robert ; Cass. crim., 18 oct. 2000, no 00-82.876. La tendance est d’ailleurs ancienne, pour dater du

477
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

autant, l’infraction tentée reste bien une infraction. Ni sa structure ni son régime ne diffèrent de
l’infraction stricto sensu. Certes, appréhender la tentative comme une infraction tentée semble
la priver de facto d’autonomie et donc de nature infractionnelle. Un arrêt au moins peut être
cité comme allant dans ce sens. Dans une affaire assez particulière portant sur un problème
de procédure en matière de justice militaire, la Cour de cassation avait ainsi jugé « que la
tentative d’un crime ou d’un délit constitue une des modalités de l’infraction dont elle forme
le commencement d’exécution. ». Elle ajoute « qu’elle est liée à cette infraction par un lien
étroit et qu’elle ne saurait en être séparée pour être érigée en infraction autonome » 526 . Cet arrêt
est particulièrement intéressant, car il est le seul où la Cour s’est prononcée expressément sur
cette question. La solution a pu être approuvée en ce que la tentative ne peut exister comme crime
spécial. Elle ne serait « qu’un aspect particulier de cette infraction ; plus, elle est cette infraction
même [. . . ] mais empêchée dans sa réalisation. » 527 . Reste que l’arrêt est ancien et isolé. Il est
au demeurant contredit par l’admission de la complicité de tentative 528 . Enfin, le fait que les
éléments de la tentative dépendent de ceux de l’infraction tentée ne suffit pas à remettre en cause
le fait qu’elle soit par ailleurs une infraction. En effet, cela ne signifie pas qu’en commettant une
tentative, l’auteur ne commette pas une infraction. Il s’agit alors simplement d’une infraction
tentée 529 . L’article 121-4 du Code pénal va d’ailleurs dans ce sens lorsqu’il définit l’auteur de
l’infraction comme celui qui commet les faits incriminés ou tente de les commettre 530 .

490. L’emprunt de criminalité, obstacle au caractère infractionnel – En revanche, les


hésitations en matière de complicité sont bien plus importantes. Bien que répondant aux critères
traditionnels de l’infraction, elle demeure un mode original d’engagement de la responsabilité
qui possède une structure différente de celle de l’infraction stricto sensu. L’originalité de ce

développement du recours au éléments constitutifs, et la Cour avait pu affirmer que « le commencement d’exécution
d’une tentative de crime et l’interruption de cette tentative par des circonstances indépendantes de la volonté de
son auteur [...] sont les éléments constitutifs nécessaires pour qu’elle existe » Cass. crim., 23 avr. 1846, Bull. crim.,
no 99.
526. Cass. crim., 8 août 1947 ; D. 1948, p. 293, note A.-L. P.
527. A.-L. P. note sous Cass. crim., 8 août 1947, D. 1948, p. 293.
528. V. par ex. Cass. crim., 19 mars 1998, no 97-86.694. À l’inverse, la tentative de complicité n’est pas admise, ce
qui penche en faveur de l’absence de nature infractionnelle de la complicité. Sur cet différence et ses conséquences,
v. not. C. Gerthoffer, « La tentative et la complicité » in La Chambre criminelle et sa jurisprudence, Recueil
d’études en hommage à la mémoire de M. Patin, Cujas, 1965, p. 153. Encore faut-il préciser que l’explication
pourrait être étrangère à la nature de la tentative. Pendant très longtemps, la tentative a été assimilée parfaitement à
l’infraction consommée (l’article 2 énonçait que la tentative devait être « considérée comme le crime même »), de
sorte qu’elle était soumise au même régime et pouvait ainsi parfaitement servir de support à un acte de complicité.
Messieurs Chauveau et Hélie expliquaient d’ailleurs à ce propos dans leur commentaire des articles 2 et 3 de
l’ancien Code que les complices de tentative « doivent être punis comme les complices du crime consommé ; cela
résulte de l’article 2 qui assimile au crime même la tentative » (A. Chauveau et F. Hélie, Théorie du Code pénal,
op. cit., p. 395, no 265). La double assimilation contenue dans le code pénal entre l’infraction tentée et l’infraction
consommée d’une part, et entre le complice et l’auteur de l’infraction d’autre part imposait cette solution.
529. En ce sens, L. Saenko, Le temps en droit pénal des affaires, th. préc., p. 149, no 209 : « un crime tenté est
bien un crime... et [. . . ] tenter un crime constitue bien un crime... mais un crime tenté ».
530. Ibid.

478
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

fait générateur s’explique habituellement par la théorie sur laquelle il repose d’emprunt de
criminalité.
Différents systèmes sont concevables en la matière 531 , chacun reposant sur une théorie
propre et ayant des conséquences particulières 532 . En France, le Code de 1810 avait adopté la
théorie de l’emprunt de criminalité 533 , reposant sur l’idée selon laquelle « l’acte du complice est
dépourvu de criminalité propre » 534 . Il ne fait « que l’emprunter à l’acte accompli par l’auteur
principal » 535 . Selon cette théorie, la complicité ne peut donc pas s’analyser en une infraction 536 ,
car le comportement du complice n’est criminel qu’au regard de celui de l’auteur principal. Le
complice ne commet pas d’infraction, il s’associe à l’action infractionnelle d’un autre, dont
il emprunte la criminalité. Comme le soulignent Messieurs Merle et Vitu, un tel emprunt
interdit d’analyser la complicité en une infraction autonome puisque « la criminalité de l’acte de
complicité n’apparaît [. . . ] qu’en vertu du reflet projeté par les agissements criminels de l’auteur.
Le complice n’a pas personnellement commis une infraction autonome qui serait juxtaposée à
celle de l’auteur » 537 . Ce fondement théorique de la complicité se présente donc comme un
obstacle dirimant à l’analyse de celle-ci comme une infraction 538 . Il a d’ailleurs conduit à des
spécificités procédurales, relatives notamment à l’impossibilité de sanctionner une tentative de
complicité. La tentative, pour être retenue, implique en effet nécessairement que son objet soit
soit un crime soit un délit. Cette exigence, expressément prévue par le Code pénal 539 , a pour
conséquence, dans le cas où le comportement tenté n’est ni un crime ni un délit, de faire obstacle
à la qualification juridique de la tentative. Pour cette raison, la tentative de complicité n’est pas
susceptible d’être sanctionnée.
La question a eu un écho très particulier, notamment en raison du célèbre arrêt Lacour 540 .
Dans cet arrêt, il s’agissait de savoir si la tentative de complicité pouvait être retenue alors même
que l’infraction dont la personne voulait se rendre complice n’avait pas été commise. En l’espèce,
un tueur à gages embauché en vue d’un assassinat s’était contenté de simuler l’enlèvement de
la victime afin d’obtenir son salaire, avant de dénoncer l’instigateur à la police. Ce dernier,

531. Il n’est pas ici question de traiter de toutes les hypothèses spéciales de complicité et des régimes particuliers
prévus selon les matières, mais de se concentrer sur la théorie générale de la complicité, tel que prévue par l’article
121-7 du Code pénal.
532. Pour un exposé des différents systèmes, v. S. Fournier, Complicité, op. cit., nos 3 et s.
533. Ibid., no 8.
534. S. Fournier, « Le nouveau code pénal et le droit de la complicité », art. préc.
535. Ibid.
536. R. Garraud, Traité théorique et pratique du droit pénal français, 3ème éd., op. cit., t. 3, p. 78, no 915 : « le
fait de complicité ne constitue nullement par lui-même une infraction. ».
537. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 523, no 462.
538. Ce qui crée d’ailleurs une difficulté considérable lorsque les auteurs considèrent en outre que l’infraction est
la seule cause de responsabilité pénale.
539. Code. pén. art. 121-4, deuxièmement.
540. Se faisant l’écho de ce débat et critiquant l’ancienne impunité de l’instigateur, C. Gerthoffer, « La tentative
et la complicité » in Mél. Maurice Patin, op. cit.

479
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

s’étant contenté de donner les instructions en vue de la commission de l’assassinat, il ne pouvait


être poursuivi pour tentative de ce crime 541 . Ses actes ne tendaient en effet qu’à aider l’auteur
principal à commettre une infraction finalement non réalisée. Seule pouvait donc être retenue
la prévention de complicité, mais aucune infraction n’ayant été commise ou tentée, il n’y avait
qu’une tentative de complicité d’assassinat 542 . Or, s’agissant d’une telle qualification, la doctrine
quasi unanime estimait déjà qu’elle n’était pas punissable en France 543 , ce qu’a confirmé la
Cour de cassation 544 . La solution a par la suite été réaffirmée : une telle tentative n’est passible
d’aucune peine, la tentative de complicité n’étant pas prévue par la loi 545 . Or, et dès lors que
« les articles [...] qui prévoient et répriment la complicité des crimes et délits ont une portée
générale et s’appliquent à toutes les infractions. » 546 , la solution ne peut s’expliquer que par le
fait que la complicité n’a pas la qualité d’infraction. Il n’est pas possible d’essayer de se rendre
complice, si cette tentative est totalement infructueuse, car l’acte de complicité pris isolément
et indépendamment de toute autre infraction ne peut servir de support à la tentative. Refuser
la répression de la tentative de complicité conduit donc à admettre que la complicité n’ayant
pas la qualité d’infraction autonome, elle ne peut pas être juridiquement qualifiée de crime ou
de délit. La solution, même si elle pouvait paraître choquante du point de vue de l’impunité
de l’instigateur 547 , était donc parfaitement justifiée au regard de la théorie de l’emprunt de
criminalité.

491. L’effacement de l’emprunt de criminalité – On le voit, la responsabilité pénale peut


avoir d’autres sources que l’infraction stricto sensu et l’effacement de l’emprunt de criminalité
n’est pas de nature à remettre en question cette nature particulière de la complicité. Car il est
certain qu’aujourd’hui l’emprunt de criminalité ne peut plus être une justification suffisante à
l’absence de caractère infractionnel. Le législateur a pris des distances avec cette théorie et si un
emprunt subsiste, il n’est plus que partiel. Alors que l’article 59 de l’ancien Code posait la règle
de principe selon laquelle « les complices d’un crime ou d’un délit seront punis de la même

541. V. néanmoins R. Combaldieu, « Le problème de la tentative de complicité, ou le hasard peut-il être arbitre
de la répression », RSC 1959, p. 454. L’auteur s’interrogeait sur la possibilité de retenir une tentative à l’égard
du donneur d’ordres en retenant une acception large du commencement d’exécution, proposition majoritairement
contestée dans les commentaires relatifs au second arrêt Lacour.
542. En ce sens, à l’occasion du premier arrêt Lacour, R. Vouin note sous Cass. crim., 25 juin 1959, JCP 1959,
II, 11288.
543. Ibid.
544. Cass. crim., 25 oct. 1962, Bull. crim., no 292 (Lacour) et 293 (Benamar) ; D. 1963, p. 221, note P. Bouzat ;
JCP 1963, II, 12985, note R. Vouin ; RSC 1963, p. 553, obs. A. Légal.
545. Cass. crim., 23 mars 1978, Bull. crim., no 116 ; D. 1979, p. 319, note B. Bouloc.
546. Cass. crim., 24 nov. 1980, Bull. crim., no 314.
547. En réponse à cette jurisprudence, de nombreux auteurs ont plaidé en faveur de l’intégration du cas spécifique
de l’instigation non suivie des faits (voir not. C. Gerthoffer, « La tentative et la complicité » in Mél. Maurice Patin,
op. cit.). Après un échec lors de la refonte du Code pénal, le choix a été fait d’une incrimination spéciale du mandat
criminel à l’article 221-5-1 du code pénal. Sur cette incrimination, v. not. A. Ponseille, « L’incrimination du
mandat criminel ou l’article 221-5-1 du code pénal », art. préc.

480
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

peine que les auteurs mêmes de ce crime ou de ce délit », l’article 121-6 du nouveau Code
se contente de prévoir que « sera puni comme auteur le complice de l’infraction ». Or, cette
nouvelle rédaction et la mention « comme auteur » s’avéreraient être bien plus une référence
qu’un emprunt, cela afin d’éviter les difficultés nées de l’ancienne rédaction 548 . En effet, la
théorie absolue de l’emprunt de criminalité qui semblait consacrée dans l’ancien Code avait fait
l’objet de critiques pour l’artifice sur lequel elle reposait et pour les conséquences auxquelles
elle pouvait conduire 549 . Le Doyen Carbonnier avait à ce titre proposé une analyse de la
complicité comme délit distinct « conditionné » 550 . Selon lui, la complicité pourrait parfaitement
s’analyser en une infraction autonome et serait composée d’un élément matériel, d’un élément
psychologique et d’ « une sorte d’élément juridique : le caractère délictueux de l’action d’autrui
avec laquelle les agissements du prévenu ont été en relation » 551 . Carbonnier s’appuyait sur
l’analyse des infractions de conséquence et, notamment, de l’infraction de recel et relevait ainsi
que rien ne s’opposait à analyser un comportement comme une infraction ayant pour origine
une autre infraction. Par cette analyse, il proposait des solutions aux critiques faites à la théorie
concurrente de l’emprunt de criminalité, théorie présentant notamment des imperfections du
point de vue de la répression.
Si la théorie de la complicité délit distinct n’a pas été consacrée dans le nouveau Code, la
nouvelle rédaction a tout de même emporté un relatif effacement de l’emprunt de criminalité.
Il ne faut certes pas exagérer la portée de la modification opérée, qui est pour beaucoup liée à
l’admission de la responsabilité pénale des personnes morales 552 . Conserver l’identité parfaite
de répression entre le complice et l’auteur pouvait, du point de vue des sénateurs, s’avérer
problématique dans le cas où l’auteur et le complice seraient l’un personne morale, l’autre
personne physique, la répression des personnes morales étant envisagée différemment de celle
des personnes physiques 553 . Le choix a donc été fait d’abandonner le caractère absolu de
l’emprunt de criminalité, par une nuance dans l’assimilation : le complice est désormais assimilé
à un auteur 554 ; il est « puni comme auteur » 555 . Cette nuance n’a vraisemblablement pour
conséquence que de punir le complice comme s’il avait été auteur de l’infraction aidée 556 , si
bien que l’assimilation ne conduit pas à faire du complice un auteur d’infraction. Le législateur a

548. En ce sens, P. Poncela, « Livre I du nouveau code pénal », RSC 1993, p. 455.
549. V. principalement J. Carbonnier, « Du sens de la répression applicable aux complices selon l’article 59 du
code pénal », JCP 1952, I, 1034, et J.-H. Robert, « Imputation et complicité », JCP 1975, I, 2720.
550. J. Carbonnier, « Du sens de la répression applicable aux complices selon l’article 59 du code pénal »,
art. préc.
551. Ibid.
552. J.-H. Robert, Complicité, op. cit., no 5.
553. Débats parlementaires du Sénat, op. cit., p. 642.
554. J. Pradel, « Le nouveau code pénal (partie générale) », D. 1993, p. 163.
555. Code pén. art. 121-7.
556. Débats parlementaires du Sénat, op. cit., p. 648.

481
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

en effet souhaité une sorte de gradation dans la responsabilité : le complice demeure un simple
collaborateur à l’infraction 557 ; il n’a pas lui-même commis les faits incriminés. Toutefois, il
semble aujourd’hui évident que l’emprunt n’est plus absolu et déjà sous l’ancien Code, il était
admis que l’emprunt portait essentiellement sur la qualification des faits 558 .

492. Une originalité en retrait – Le caractère relatif de l’emprunt de criminalité s’accom-


pagne par ailleurs d’une perte de spécificité dans le traitement de la complicité. Celle-ci se
rapproche d’une infraction autonome à la fois par le traitement qui en est fait et par une certaine
confusion entre les qualités d’auteur et de complice.
Quant au traitement tout d’abord, la complicité est parfois qualifiée de crime ou de délit par
la jurisprudence : il est ainsi souvent évoqué le délit de complicité 559 . La terminologie utilisée
procède alors d’une inversion des termes, car il ne s’agit pas tant de délit de complicité que de
complicité de délit. Même relatif, l’emprunt de qualification entre la complicité et l’infraction
aidée ne devrait pas transmettre à la complicité la qualité d’infraction pénale. L’inversion
mérite donc d’être soulignée, car elle est significative quant aux incertitudes relatives à la
nature juridique de la complicité. Par ailleurs, la complicité est souvent analysée à travers des
éléments qui lui sont propres. La division traditionnelle s’adapte à l’analyse de la complicité
qui posséderait donc un élément matériel d’acte d’assistance et un élément moral d’intention
de s’associer à un comportement délictueux. À ces éléments constitutifs s’ajoute parfois un
élément légal ne tenant alors pas à l’existence d’un texte d’incrimination, mais à l’existence
d’un fait principal punissable 560 . Très majoritaire dans les manuels de droit pénal, l’analyse de
la complicité à travers des éléments constitutifs semble s’être imposée. L’on trouve ainsi cette
approche dans les ouvrages de Monsieur Donnedieu de Vabres 561 , de Monsieur Decocq 562 ,
de Messieurs Merle et Vitu 563 , et plus récemment dans les manuels de Madame Rassat 564 , de

557. Ibid., p. 640.


558. Monsieur Robert estimait ainsi qu’il était préférable de parler d’ « unité de qualification » plutôt que
d’emprunt de criminalité, car l’emprunt n’est pas total. « Il reste cependant que quelque chose « s’emprunte », se
transmet d’une action vers l’autre : la qualification juridique ». J.-H. Robert, « Imputation et complicité », art. préc.
Dans le même sens, E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 799, nos 1097 et s.
559. Pour n’en citer que quelques uns, Cass. crim., 25 fév. 2015, no 13-86.95 ; Cass. crim., 6 janv. 2015, no 14-
81.189 ; Cass. crim., 23 mars 2005, Bull. crim., no 102 ; Cass. crim., 7 fév. 2006, Bull. crim., no 33 ; Cass. crim.,
31 janv. 2007, Bull. crim., no 25.
560. En ce sens, v. not. B. Bouloc, Droit pénal général, op. cit., p. 226, nos 242 et s. Sans toutefois le qualifier
d’élément légal, la Cour de cassation considère ainsi elle aussi que le fait principal punissable est un des éléments
constitutifs de la complicité. V. not. Cass. crim., 16 fév. 2011, no 10-82.114 : « le fait principal d’homicide volontaire
[...] constitue un des éléments constitutifs de la complicité ». Dans le même sens, Cass. crim., 6 mars 2013, no 12-
80.368.
561. H. Donnedieu de Vabres, Précis de droit criminel, op. cit., p. 204, no 524.
562. A. Decocq, Droit pénal général, op. cit., p. 247.
563. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 527, no 468.
564. Madame Rassat estime que la « complicité est une façon particulière de commettre un acte pénalement
répréhensible. Elle est lato sensu une infraction ». Elle comprend de ce fait une condition préalable, un élément
matériel et un élément moral. M.-L. Rassat, Droit pénal général, op. cit., p. 407, no 353.

482
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

Monsieur Bouloc 565 , de Messieurs Conte et Maistre du Chambon 566 ou encore de Messieurs
Desportes et Le Guihnec 567 .
Les difficultés de distinction entre le coauteur et le complice vont en outre également
dans ce sens 568 . Théoriquement, la distinction entre les deux catégories est aisée à faire. Là
où le complice ne fait que s’associer à l’action criminelle, le coauteur, lui, accomplit l’action
principale en tous ses éléments 569 : l’un commet l’infraction, l’autre un acte d’assistance. Cela
dit, la Cour de cassation traite parfois celui qui n’a fait qu’aider comme un auteur 570 , tandis que
l’assimilation du complice à l’auteur de l’infraction prive également de conséquences pratiques
la distinction 571 .
Enfin, la jurisprudence ne semble pas totalement hostile à la répression de la complicité
de second degré, ce qui pourrait être en argument un faveur de son autonomie. Si l’on réfute
l’analyse de la complicité comme une infraction, la complicité de complicité ne peut pas être
retenue, justement parce qu’une infraction principale est indispensable. Le comportement d’un
complice n’ayant pas de nature infractionnelle propre, l’aide apportée à ce dernier ne devrait
pas tomber sous le coup de l’article 121-7. Pendant longtemps, la jurisprudence a refusé
d’admettre qu’une telle complicité puisse être retenue 572 . Cette solution, approuvée par certains
auteurs, était en partie justifiée par l’emprunt de criminalité, mais aussi par la rédaction du texte
incriminant la complicité. L’article 60 de l’ancien Code pénal visait, pour la complicité par aide
ou assistance, la personne ayant apporté son concours à l’auteur d’un crime ou d’un délit 573 .
Cette rédaction devait donc s’opposer à ce que l’on puisse être complice d’un autre complice, car
l’aide ne pouvait être apportée qu’à l’auteur direct de l’infraction. La solution avait toutefois pu

565. B. Bouloc, Droit pénal général, op. cit., p. 226, nos 242 et s.
566. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 234, no 407.
567. F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, op. cit., p. 516, no 537 : les auteurs concluent : « la
complicité comporte des éléments matériels et un élément intellectuel qui lui sont propres ».
568. La confusion entre les deux qualités est souvent critiquée. V. par. ex. S. Fournier, Complicité, op. cit., no 45 :
« il apparaît qu’en pratique, les notions sont souvent malmenées, voire amalgamées. On peut en effet observer que,
parfois, des complices sont qualifiés de coauteurs et qu’inversement, des coauteurs sont traités en complices. ».
569. V. not. D. Allix, Essai sur la coaction, contribution à l’étude de la genèse d’une notion prétorienne, 1976,
LGDJ, not. p. 121, no 122 et p. 179, no 181, qui revient sur la jurisprudence fondée sur la distinction entre les actes
extrinsèques et intrinsèques à l’action.
570. Jugeant par exemple que « c’est à tort que les juges du fond ont considéré comme complice d’un délit de
vol, le prévenu ayant arrêté son véhicule automobile, après 23 heures, à proximité d’un château, en un point idéal
pour contrôler les voies d’accès et de dégagement, donner l’alerte et permettre une retraite sûre ; il se déduit de ces
constatations que ledit prévenu, en faisant le guet, s’est comporté comme un coauteur. » Cass. crim., 25 janv. 1973 ;
Gaz. Pal. 1973, Somm. p. 94, note J.-P. Doucet ; RSC 1974, p. 580, obs. J. Larguier.
571. Elles demeurent toutefois, notamment dans le cas de certaines circonstances aggravantes, certaines se
transmettant au complice alors que l’infraction aggravée ne pourrait être reprochée à un coauteur. E. Baron, La
coaction en droit pénal, th. préc., p. 19, no 10.
572. Sur le débat doctrinal relatif à cette question et l’évolution jurisprudentielle, v. A. Vitu obs. sur Cass. crim.,
30 mai 1989, RSC 1990, p. 325, et J.-Y. Maréchal obs. sur Cass. crim., 15 déc. 2004, JCP 2005, II, 10050.
573. Pour les autres types de complicité (complicité par dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir
prévue à l’alinéa 1 ou par fourniture d’armes ou de moyens prévue à l’alinéa 2), le code visait par contre « l’action
qualifiée de crime ou de délit ».

483
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

être affirmée de manière générale par la Cour de cassation : « la complicité au second degré, ou
complicité de complicité n’est pas punie légalement » 574 . Pourtant, sous l’empire de l’ancien
Code, des arrêts avaient déjà admis la répression du complice de second rang. Dans un arrêt
de 1989, notamment, la Cour avait jugé qu’entraient dans les prévisions de la complicité des
instructions données en vue de la commission d’une infraction, mais non directement par le
complice. Un tiers pouvait ainsi servir d’intermédiaire dans la transmission, sans pour autant
faire obstacle à la répression du donneur d’instructions initial 575 . Il est à noter que cet arrêt
portait sur une complicité par fourniture d’instructions, complicité prévue à l’alinéa 1 de l’article
60 de l’ancien Code et donc liée au crime ou au délit et non pas à l’auteur de ce crime ou de
ce délit 576 . Il n’était donc pas possible d’en déduire une admission générale de la complicité
par intermédiaire. Or, la solution a été réaffirmée par un arrêt très remarqué du 15 décembre
2004. Il a été jugé que « l’aide ou l’assistance apportée en connaissance de cause à l’auteur de
l’escroquerie, même par l’intermédiaire d’un autre complice, constitue la complicité incriminée
par l’article 121-7 du code pénal » 577 . Cet arrêt est le premier à admettre explicitement et de
manière générale la répression de la complicité de second rang 578 et pourrait aller dans le sens
d’un effacement de la spécificité de la complicité.

493. Une originalité structurelle – Pour autant, et bien que ces différents arguments atté-
nuent très certainement la spécificité de la complicité, ils ne sont pas suffisants à faire douter de
l’originalité de ce fait générateur 579 qui conserve une spécificité structurelle très marquée et qui
ne peut être totalement assimilé à une infraction. Il demeure un comportement participatif dénué
d’antijuridicité propre. Or, cette spécificité structurelle permet justement d’expliquer certaines
solutions, là où les spécificités relatives au régime ne peuvent être totalement convaincantes

574. V. not. Cass. crim., 24 nov. 1980, Bull. crim., no 214. Garçon approuvait d’ailleurs cette solution. V. E.
Garçon, Code pénal annoté, op. cit., t. 1, note sous art 60, no 276.
575. Cass. crim., 30 mai 1989, Bull. crim., no 222 ; RSC 1990, p. 325, obs. A. Vitu. V. égal. J. Pouyanne, L’auteur
moral de l’infraction, th. préc., p. 123, nos 143 et s.
576. Selon Monsieur Vitu, la solution devait être généralisée dès lors qu’il est établi « avec certitude, que le
complice indirect a collaboré, activement et en connaissance de cause, à des agissements dont il savait le caractère
délictueux ». Ainsi, « l’assimilation de la complicité indirecte à la complicité directe ne doit pas être limitée à la
seule hypothèse de la fourniture d’instructions, comme on pourrait le soutenir à la lecture de l’arrêt de 1989. »
A. Vitu, obs. sur Cass. crim., 30 mai 1989, préc.
577. Cass. crim., 15 déc. 2004, Bull. crim., no 322 ; RSC 2005, p. 298, obs. G. Vermelle ; D. 2005, p. 2128, note
G. Royer ; JCP 2005, II, 10050, obs. J.-Y. Maréchal. Adde C. Girault, « Le relâchement du lien de concertation
entre l’auteur principal et le complice », D. 2008, p. 1714.
578. En ce sens, G. Royer note sous Cass. crim., 15 déc. 2004, D. 2005, p. 2128.
579. V. toutefois, O. Décima, L’identité des faits en matière pénale, th. préc., p. 193, no 345 et no 346 : « la cause
de l’action publique [...] ne saurait se limiter au seul fait principal » car elle « doit également inclure les actes
d’exécution de la complicité [...], qui ne peuvent être considérés comme de simples circonstances accessoires ».
L’auteur en conclut qu’ « en ce domaine, le fait infractionnel est donc complexe », ce qui rappelle l’idée selon
laquelle « les modes accessoires de participation criminelle sont des infractions à part entière, distinctes du délit
principal ». Il traite néanmoins de manière similaire le recel et la complicité. Or, s’il est indéniable que les infractions
de conséquence ont bien la qualité infractionnelle, l’affirmation demeure discutable quant à la complicité.

484
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

dès lors qu’elles ne sont pas propres à la complicité 580 . Par contre, la particularité du lien de
causalité qui relie un acte de participation à une infraction commise ou tentée justifie, à elle
seule, aussi bien l’absence de répression de la tentative de complicité, que la possibilité de
sanctionner le complice par intermédiaire. Dans le premier cas, et au-delà du problème relatif
au fait principal, que l’infraction principale n’ait pas été tentée, ou que le comportement du
complice n’ait finalement été d’aucun secours, aucun lien de causalité de participation n’existe.
La causalité est dans ces cas purement hypothétique et ne peut en aucun cas être vérifiée.
Or, même si la Cour de cassation allège la preuve de ce lien grâce à l’admission du soutien
simplement moral, elle semble exiger qu’un rapport de causalité puisse être établi. L’absence de
tout lien de causalité fait obstacle à la qualification du comportement du complice 581 . À l’inverse,
dans le cas de complicité par intermédiaire, le rapport causal peut être vérifié 582 . Il est certes
encore plus distendu, mais il y a bien un lien de causalité participatif entre le comportement
accompli par le complice par intermédiaire et la commission de l’infraction principale, l’aide
fut-elle apportée par un intermédiaire (qu’il soit d’ailleurs ou non de bonne foi). Peu importe
que la complicité intermédiaire soit retenue ou non, car elle n’est pas le fait principal de la
complicité 583 . Admettre la répression en ce cas marque certes un certain relâchement du lien
de concertation exigé entre l’auteur et le complice 584 , mais cela ne revient pas à accorder à
cette cause de responsabilité une nature infractionnelle dès lors que l’acte direct de complicité
n’est pas une infraction autonome servant de support à l’acte de même nature antérieur. L’un
et l’autre se réfèrent à une infraction principale, commise ou tentée et c’est elle seule qui est le
support des différents actes de complicité. La certitude du lien de causalité participatif devrait

580. Les infractions non-intentionnelles, par exemple, ne peuvent faire l’objet ni d’une tentative ni d’une
complicité, encore que la solution soit discutée en doctrine. Ainsi, selon Monsieur Robert, la complicité est
concevable si le complice avait conscience de s’associer à la réalisation d’une infraction. Sur cette question, v. égal.
F. Rousseau, « Complice ou auteur indirect d’une infraction non intentionnelle ? », art. préc. Pour une admission
récente de complicité de blessures involontaires, v. Cass. crim., 13 sept. 2016, no 15-85.046 ; Dr. pén. 2016, no 153,
obs. P. Conte.
581. Le législateur a par contre parfois sanctionné de manière autonome des faits de tentative de complicité,
lorsque ces faits ont manqué leur objectif. (v. par ex. le mandat criminel ou les différentes hypothèses de sanction
de provocation non suivies d’effet). Ces comportements intègrent alors la catégorie dite des infractions obstacles.
582. La solution de l’arrêt du 15 décembre 2004 a ainsi pu être approuvée dès lors que dans le nouveau Code
pénal « le rapport causal exigé par le législateur doit s’établir entre l’aide et l’assistance fournies par le complice
et l’infraction principale, et non pas entre le complice et l’auteur ». J.-Y. Maréchal, obs. sur Cass. crim., 15 déc.
2004, préc. Comp. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., p. 798, no 1096 : « une telle solution ne contrevient
pas au principe de légalité dès lors que l’article 121-7 du Code pénal traite d’une complicité à l’infraction et non
au délinquant. ».
583. Par contre, la complicité de second rang devrait rester pour sa part non punissable (En ce sens, Y. Mayaud,
Droit pénal général, op. cit., p. 407, no 386 ; J.-H. Robert, Droit pénal général, op. cit., p. 353). La distinction tient
au fait qu’en cas de complicité indirecte, la participation reste en relation directe avec le fait principal punissable
(Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., p. 407, no 386), le complice sachant par ailleurs aider l’auteur principal,
alors qu’en cas de complicité de second degré, le complice a simplement conscience d’aider un autre complice,
sans savoir à quoi serviront ses diligences. En ce sens, J.-H. Robert, Droit pénal général, op. cit., p. 353.
584. En ce sens, C. Girault, « Le relâchement du lien de concertation entre l’auteur principal et le complice »,
art. préc.

485
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

par conséquent permettre de retenir la complicité dans cette hypothèse.


Par ailleurs, l’amalgame entre complicité et coaction résulte d’une confusion qui est
regrettable. L’intérêt de la distinction entre la coaction et la complicité n’est plus à démontrer 585
et devrait donc demeurer. À ce titre, le lien de causalité pourrait ici encore être mis à profit,
car l’auteur de l’infraction est celui qui commet l’atteinte ou tente de la commettre. Même
si le lien de causalité peut être indirect et non exclusif, il n’est pas sous-tendu par une idée
d’association à l’activité d’un tiers. La qualification de l’activité du coauteur se fait donc à travers
une analyse générale du comportement sous son angle antijuridique – autrement dit suivant
l’approche générale proposée. À l’inverse, si le rapport de causalité se révèle déformé, parce
que de type participatif, c’est sur le fondement de la complicité que le comportement pourra
éventuellement être sanctionné. Ce critère rejoint celui proposé par Madame Baron dans sa
thèse, qui estime que « dans la mesure où le coauteur participe à sa propre infraction, il semble
être celui qui possède un pouvoir d’action sur le résultat de celle-ci assez intense pour la faire
sienne. Au contraire, parce que le complice participe à l’infraction d’autrui, son pouvoir d’action
sur le résultat infractionnel, son rôle causal, peut se contenter d’être plus ténu. [...] L’intensité
causale de la participation pourrait alors apparaître comme un critère distinctif entre coaction et
complicité. » 586
En définitive, la spécificité structurelle vient en renfort de la théorie de l’emprunt de
criminalité, pour justifier à la fois de la nature particulière de la complicité et des règles
auxquelles ce fait générateur de responsabilité est soumis 587 . Il convient alors de se demander
si les autres comportements qui ne présentent pas la structure idéale dégagée ne pourraient pas
également être des faits générateurs de responsabilité non infractionnels.

B. La possible absence de nature infractionnelle de certains faits générateurs


de responsabilité

494. La complicité, fait générateur parmi d’autres – L’originalité de la complicité et


son absence de nature infractionnelle trouve ses sources et sa raison d’être dans des motifs
tout à fait particuliers qui ne se retrouvent pas pour les autres comportements ne présentant
pas la structure tripartite dégagée. Toutefois, cette originalité démontre que la responsabilité et
l’infraction ne se confondent pas. L’infraction est la principale cause de responsabilité pénale,

585. E. Baron, La coaction en droit pénal, th. préc.


586. Ibid., p. 173, no 204.
587. Cette spécificité structurelle se retrouve d’ailleurs dans toutes les formes de complicité, là où l’emprunt de
criminalité peine à s’appliquer à la complicité par instigation. Sur ce point, v. A. Darsonville, « Faut-il étendre la
notion générale de complicité ? » in Faut-il « regénéraliser » le droit pénal ?, sous la dir. de G. Beaussonie, LGDJ,
2015, p. 151, spéc. p. 159.

486
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

mais elle n’en est à l’évidence pas l’unique. Il existe donc, en droit pénal, au moins une cause de
responsabilité qui n’est pas, stricto sensu, une infraction. Pourtant, la complicité fait bien l’objet
d’une définition dans le Code pénal et est bien sanctionnée d’une peine, fusse par renvoi 588 . Par
conséquent, il semble possible d’admettre qu’à côté de l’infraction stricto sensu il existe d’autres
modes d’engagement de la responsabilité. L’on pense ici aux différents comportements relevant
aujourd’hui des infractions obstacles, techniques ou de contraventions qui ne présentent pas de
caractère attentatoire et un élément psychologique atrophié à l’excès.
L’intérêt de cette approche peut être double. Tout d’abord, elle permet de rappeler le
caractère dérogatoire de la répression en la matière, laquelle devrait donc demeurer exception-
nelle. Car si la répression peut apparaître justifiée, elle intervient ici au mépris de certains
principes fondamentaux (refus d’une répression systématique trop tôt sur l’iter criminis, refus
de la sanction de comportements strictement objectifs etc.). Ensuite, elle permet une certaine
cohérence dans le régime de ces comportements qui peuvent théoriquement faire l’objet d’une
complicité ou d’une tentative, mais qui sont en fait assez peu compatibles avec eux. Car ces
différents comportements sont à y regarder de plus près assez peu propices à faire l’objet de ces
hypothèses et ce, à raison de leur spécificités structurelles.

495. Une tentative peu concevable – S’agissant de la tentative tout d’abord, elle se conçoit
difficilement aussi bien pour les comportements relevant actuellement de la catégorie des
infractions obstacles que pour les infractions dites formalistes ou techniques (et est par ailleurs
exclue en matière contraventionnelle). Pour les secondes, l’exécution matérielle se produit en
un trait de temps et ne suppose pas d’atteinte, de sorte qu’un commencement d’exécution
ne se conçoit pas. Par ailleurs, l’atrophie de leur dimension subjective peut également être
perçue comme un obstacle à la répression de la tentative. Quant aux infractions obstacles, le
propos pourrait être nuancé, car il serait possible de concevoir le commencement d’exécution
au regard de l’exécution achevée de ces infractions. Comme tout comportement pénalement
sanctionné, la caractérisation des infractions en ses différents éléments marque théoriquement
la consommation, si bien qu’un début d’exécution du comportement décrit dans le texte pourrait
s’analyser en un commencement d’exécution de cette infraction particulière. Pour autant, le
commencement d’exécution a toujours été défini de manière générale et au regard des différentes
étapes du schéma du crime. S’il dépend nécessairement du comportement incriminé lorsqu’on
l’applique à une incrimination en particulier, il bénéficie d’une définition générale dans l’étude

588. Il semble peu approprié de parler ici d’incrimination. V. S. Detraz, « La nature de la complicité », Gaz. Pal.
2015, no 307 : « la complicité d’infraction n’est ni une incrimination [...] ni une infraction ». L’on peut certes se
demander si le terme renvoie simplement à l’exigence de définition du comportement pénalement sanctionné ou
plus spécifiquement à l’érection du comportement en infraction. Sur ce point, l’article 121-4 du Code pénal qualifie
d’auteur celui qui « commet les fait incriminés ». Le complice n’étant pas à proprement parler un auteur, c’est donc
que les faits décrits à l’article 121-7 ne sont pas à proprement parler incriminés.

487
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

du chemin du crime et a, à ce titre, toujours été distingué des actes préparatoires, non punissables
car équivoques. C’est donc à partir du résultat redouté par le législateur qu’il doit être possible
de déterminer le commencement d’exécution de l’infraction considérée. Par conséquent, pour
les infractions obstacles, non seulement l’infraction manquée ne se conçoit pas (par hypothèse,
le résultat redouté ne doit pas avoir été atteint), mais encore la tentative suspendue est-elle
impossible, ces infractions étant commises en amont du commencement d’exécution.
Comme pour les infractions non intentionnelles, l’explication tient à la définition de la ten-
tative punissable. Cependant, pour ces dernières, il ne s’agit que d’une incompatibilité résultant
d’une différence de degré dans la volonté exigée. On ne peut pas avoir l’intention de commettre
une infraction qui n’est pas intentionnelle. Pour les infractions obstacles, l’impossibilité est bien
plus fondamentale parce qu’elle tient au fait que le comportement ne se conçoit pas comme un
commencement d’exécution. Il n’y a pas une différence de degré ici, il y a une impossibilité
structurelle.

496. Une complicité peu concevable – De la même manière, la spécificité structurelle des
infractions obstacles rend difficilement concevable la complicité. L’acte de complicité entretient
en principe un rapport causal avec l’atteinte résultant de l’infraction principale soit par la
provocation à la causer, soit par l’aide apportée à l’auteur et ayant concouru à la causer. Or,
en matière d’infractions obstacles, la relation de causalité ne peut exister dans les mêmes
termes. Elle ne pourrait porter que sur le comportement en lui-même, mais sans être en lien
avec une infraction en particulier. Théoriquement et grâce au caractère général de l’article
121-7 du Code pénal, une provocation ou une aide à la commission d’une infraction obstacle
est envisageable. Toutefois, non seulement l’aide ne sera apportée qu’au fait matériel, mais
encore la caractérisation de la provocation ou de l’aide et de son rapport de causalité avec
le comportement accompli peut être difficile à démontrer. Surtout, une difficulté peut surgir
dans certaines hypothèses, car si une atteinte survient, l’infraction principale pourra être non
intentionnelle. La complicité ne pourra alors pas être caractérisée au regard de l’infraction
principale, mais uniquement au regard de la faute, si elle est elle-même constitutive d’une
infraction obstacle. Des juridictions de premier degré ont ainsi retenu la complicité de conduite
en état d’ivresse à l’encontre d’un restaurateur routier ayant servi de l’alcool à un conducteur
déjà ivre 589 , ou des personnes ayant soutenu leur collègue ivre pour le conduire jusqu’à sa
voiture en sachant qu’il envisageait de rentrer chez lui en voiture 590 , des accidents étant survenus.
Toutefois, si certains auteurs se prononcent en faveur de la répression, les décisions sont rares et

589. T. pol. Bar-sur-Seine, 20 mars 1980, Gaz. Pal. 1982, 2, somm. 284.
590. Angers, 3 oct. 2006, JCP 2007, IV, 2029.

488
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

non unanimes 591 . Quant à la Cour de cassation, elle ne s’est jamais expressément prononcée sur
ce point. Or, la solution peut poser problème, car le cumul de qualification entre l’infraction
obstacle et l’infraction matérielle ou formelle consommée n’est en principe pas possible 592 .
S’agissant de la conduite sous l’influence de l’alcool, il semble qu’elles ne puissent pas être
retenues cumulativement 593 . Par principe, « le conducteur ne peut se voir condamner sur la
base de plusieurs incriminations. Il convient de trouver dans ces infractions une seule action
coupable qui correspond à un fait juridique unique » 594 . En cas d’accident de la route, il y aura
donc une dissociation problématique entre l’infraction retenue comme fait principal support de
la complicité (délit de conduite sous l’empire d’un état alcoolique) 595 et celle caractérisée à
l’encontre du conducteur (blessures ou homicide involontaires aggravées).
De la même manière, les infractions obstacles de participation à un groupement ou
d’association de malfaiteurs s’avèrent peu compatibles avec la sanction de la complicité. La
complicité n’est ici pas exclue et des auteurs ont pu se demander si elle ne pourrait pas être
retenue à l’encontre de celui qui fournirait par exemple les locaux à une association, mais
sans par ailleurs y participer activement 596 . Si rien dans les textes ne s’y oppose totalement,
la confusion entre les qualités d’auteur et de complice qui résulte de la sanction autonome
de ces comportements de participation rend peu concevable la complicité. Comme le souligne
Madame Baron, « le fait de fournir au groupement un local lui permettant de se réunir est ainsi
constitutif du délit, puisqu’il s’analyse comme une participation à part entière déjà constitutive
de l’entente ou du groupement, alors même qu’en vertu des principes classiques du droit pénal
général, la fourniture de moyens est considérée comme un acte de complicité. Plus encore, la
complicité étant justement un mode de participation, la complicité d’association de malfaiteurs
ne peut donc se concevoir, car tout acte de complicité est déjà un acte constitutif de l’infraction
[...]. » 597 La solution semble pouvoir être généralisée à toutes les hypothèses d’assistance ou de
provocation sanctionnées de manière autonome. Assez logiquement, la spécificité structurelle
de ces infractions se prolonge donc dans une spécificité procédurale, ce qui irait dans le sens
d’une nature particulière de ces comportements.

591. V. J.-P. Céré, Rép. dr. pén., Conduite (Influence alcool - Usage stupéfiants), 2013, no 13, et les décisions
citées par l’auteur.
592. V. Cass. crim., 11 sept. 2001, Bull. crim., no 176 ; RSC 2002, p. 106, obs. Y. Mayaud ; Gaz. Pal. 2002, p. 34,
note Y. Monnet, en matière de risques causés à autrui. La Cour de cassation a néanmoins récemment admis le
concours idéal de qualification entre le délit de risques causés à autrui et la contravention d’excès de vitesse. Cass.
crim., 16 nov. 2016, à paraître ; D. actualité 2016, obs. C. Fonteix ; AJ pén. 2017, p. 83, obs. J.-P. Céré.
593. En ce sens, J.-P. Céré, Conduite (Influence alcool - Usage stupéfiants), op. cit., no 14.
594. Ibid.
595. Code de la route, art. L234-1.
596. Se prononçant en faveur de la complicité, A. Vitu, Participation à une association de malfaiteurs, op. cit.,
nos 46 et s., cité par E. Baron, La coaction en droit pénal, th. préc., p. 53, no 40. Pour une position plus nuancée,
M. Culioli et P. Gioanni, Association de malfaiteurs, op. cit., nos 100 et s.
597. E. Baron, La coaction en droit pénal, th. préc., p. 53, no 40.

489
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

497. La peine, marqueur de l’infraction ? – Bien sûr, la complicité au moins est conce-
vable pour certains comportements relevant de ces catégories et le législateur a d’ailleurs expres-
sément prévu la complicité par aide ou assistance pour certaines contraventions 598 . Néanmoins,
de manière générale, on remarque que les spécificités structurelles font très souvent obstacle à la
caractérisation d’une tentative ou d’une complicité. Il ne s’agit pas ici seulement de variations
de degrés dans la teneur de la donnée principale de l’un des éléments, mais réellement d’une
spécificité structurelle et du caractère dérogatoire de la sanction de ces comportements. La spé-
cificité structurelle apparaît en fait être un révélateur supplémentaire d’une certaine anormalité
en la matière et l’on voit que la responsabilité peut avoir différentes sources. L’une répond à une
logique d’atteinte et à une structure parfaitement tripartite (infractions matérielles et formelles),
tandis que les deux autres répondent soit à une logique purement légaliste (infractions dites
formalistes et contraventions), soit à une logique préventive (infractions obstacles) et présentent
un ou plusieurs éléments en moins 599 .
La matière gagnerait sans doute en cohérence si, plutôt que de multiplier les exceptions
à l’admission de la tentative et de la complicité, l’on parvenait à délimiter plus efficacement
le champs de l’infraction. L’infraction n’est pas – ou plutôt ne devrait pas être – polymorphe.
Elle est une notion unique répondant à une logique particulière. En soi, il est vrai, l’infraction
est une notion très générale qui renvoie essentiellement à l’interdit : « le crime n’est pas dans
l’acte, mais dans le rapport de l’acte avec la règle : ce qui le constitue, c’est la violation,
l’infraction, la transgression, tous vocables qui impliquent l’idée d’un conflit de force » 600 . Le
terme est emprunté du latin infractio, -onis, rupture, de infrangere, briser, et contient l’idée
de transgression, de violation d’une loi ou d’un engagement 601 . Sa caractéristique principale,
surtout au regard de notre conception légaliste, vient donc de ce rapport entre un comportement
et la transgression de la loi qu’il réalise ; entre l’acte et le droit. L’infraction est cela avant
tout. Elle est donc une notion large, polymorphe et dépendante de l’interdit en question. Mais
cette caractéristique n’a jamais été jugée suffisante. L’infraction ne se définit pas seulement
par l’incrimination et la peine. La doctrine a complété la définition en venant préciser ce
que recouvrait l’interdit, ce qu’il fallait entendre par « acte », par comportement pénalement
sanctionné. Et ce rôle de précision de ce qu’est l’infraction est revenu aux éléments constitutifs.

598. L’admission de la complicité pour les contraventions est très certainement un obstacle à l’absence de caractère
infractionnel de ces comportements pénalement sanctionnés. Mais l’on rejoint ici finalement la position des auteurs
s’interrogeant sur l’opportunité de maintenir ou non les contraventions dans le strict champs du droit pénal (v. supra,
no 433). Si les contraventions devaient relever d’une procédure administrative et, à ce titre, ne plus être à proprement
parler des infractions pénales, la question de la complicité serait nécessairement à repenser.
599. Disparition de l’élément antijuridique, voire de l’Epsy pour les premières ; disparition de l’élément antijuri-
dique et atrophie de l’élément matériel pour les secondes.
600. P. Fauconnet, La responsabilité, op. cit., p. 275.
601. Dictionnaire Le trésor de la langue française, v° Infraction.

490
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

Si l’infraction se définit extérieurement et formellement par l’incrimination et la peine, elle


se définit intérieurement et matériellement par ses éléments, lesquels la délimitent et tracent
les frontières de l’interdit ; de ce que peut saisir le droit pénal dans le respect d’un nécessaire
équilibre dans la préservation des libertés.
Car la peine et l’incrimination ne peuvent suffire à délimiter l’infraction. Qu’est-ce, finale-
ment, que l’incrimination, sinon la mesure érigeant un comportement en infraction 602 , en lui
associant une peine ? Si la description dans un texte est indispensable, ce qui fait finalement le
critère de l’infraction et son signe distinctif, est essentiellement la peine qui vient le sanctionner,
la notion d’infraction s’identifiant en premier lieu par ses effets 603 . Or, la peine est elle-même
une notion qui présente certaines incertitudes. Elle est définie comme un « châtiment édicté par
la loi [...] à l’effet de prévenir et, s’il y a lieu, de réprimer l’atteinte à l’ordre social qualifiée
d’infraction » 604 , d’où il suit qu’en tant que châtiment, elle présente un caractère afflictif et un
caractère infamant 605 . Afflictive, elle l’est dès lors qu’elle frappe le condamné dans sa liberté, son
patrimoine ou ses droits et lui impose une souffrance. Infamante, elle l’est parce qu’elle désigne
à la réprobation sociale celui qu’elle atteint 606 . Ces deux caractères, habituellement présentés
par la doctrine, sont les principales caractéristiques de la peine, qui l’opposent, au moins
théoriquement, aux mesures de sûreté 607 , ou à d’autres types de sanctions ne présentant pas, à
proprement parler, de caractère pénal. La peine possède donc une dimension répressive marquée,
qui en fait une sanction tout à fait particulière. Par ailleurs, lui sont attachées des fonctions
spécifiques d’intimidation, de sanction, de rétribution, de reclassement, voire éventuellement de
réparation 608 .
Si la distinction théorique est aisée une fois les caractéristiques et fonctions de la peine
exposées, la distinction pratique l’est par contre bien moins. Les caractères de cette dernière de
même que ses fonctions rejoignent parfois celles d’autres mesures ou sanctions qui ne sont pas,
par nature, pénales. Ainsi, la distinction entre peine et mesure de sûreté est parfois complexe,
pour ne dépendre finalement que de la terminologie employée par le législateur. En effet,

602. V. G. Cornu, Vocabulaire juridique, préc., v° Incrimination. Comp. J.-P. Doucet, Dictionnaire de droit
criminel, [en ligne] ledroitcriminel.fr : l’incrimination est « le fait, pour le législateur, de décider que telle action
ou omission sera désormais, non seulement interdite, mais encore réprimée par une sanction pénale. » En outre, c’est
justement à travers les éléments constitutifs que le comportement incriminé est décrit. V. G. Cornu, Vocabulaire
juridique, préc., précisant plus exactement que l’incrimination est une « mesure de politique criminelle consistant
pour l’autorité compétente (en principe le pouvoir législatif), à ériger un comportement déterminé [...] en infraction,
en déterminant les éléments constitutifs de celle-ci et la peine applicable. » Nous soulignons.
603. Rien ne s’oppose à cela dès lors que les notions se forment à partir d’une systématisation doctrinale ayant
pu établir « l’implication d’un certain nombre d’effets de droit réguliers » X. Bioy, « Notions et concepts en droit,
Interrogations sur l’idée d’une distinction » in Les notions juridiques, op. cit.
604. G. Cornu, Vocabulaire juridique, préc., v° Peine.
605. En ce sens, E. Bonis-Garçon et V. Peltier, Droit de la peine, 2ème éd., LexiNexis, 2015, p. 2, no 5.
606. Ibid.
607. En ce sens, R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., p. 826, no 655.
608. V. B. Paillard, La fonction réparatrice de la répression pénale, 2007, LGDJ.

491
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

certaines mesures de sûreté présentent incontestablement un caractère afflictif, en atteignant la


personne dans sa liberté ou dans ses droits. La rétention de sûreté en est sans doute l’exemple le
plus prégnant. Quant au caractère infamant, il n’est pas certain qu’il soit moins marqué dans ce
cas qu’en matière de peine proprement dite. La peine ne parvient même pas à se distinguer par
son caractère punitif, car certaines mesures de sûreté présentent également un tel caractère 609 .
L’on pense ici encore à la rétention de sûreté, mais également à certaines mesures dont des
auteurs font remarquer qu’elles sont par ailleurs des peines 610 .
En outre, peines et mesures de sûreté se rejoignent également parfois dans leurs fonctions.
En effet, la peine « revêt une fonction à caractère rétributif » 611 , mais elle a aussi des fonctions
d’élimination, de prévention ou d’intimidation 612 , ainsi que de réadaptation 613 . Quant à la
mesure de sûreté, elle « tend à protéger la société et, partant, à prévenir un état dangereux,
sans égard pour la commission avérée d’une infraction pénale. Elle peut viser soit le traitement
ou la réinsertion de l’intéressé, soit la surveillance ou la neutralisation de l’intéressé » 614 . Les
fonctions ne sont donc pas totalement identiques, mais elles se rejoignent quant à la protection
de la société par la prévention et l’objectif de réinsertion 615 . Ainsi, si théoriquement la mesure
de sûreté « se présente comme le reflet inversé de la peine puisqu’elle n’est pas une punition
d’une faute pénale et ne repose donc pas sur la culpabilité de son auteur, mais un état dangereux
qu’elle a pour vocation de faire cesser pour l’avenir » 616 , en pratique, les deux se rejoignent
parfois. Les hésitations et revirements de qualification qui ont pu avoir cours à l’occasion de la
loi sur le jugement et les mesures applicables aux personnes déclarées irresponsables pour cause
de trouble mental sur le fondement de l’article 122-2 sont d’ailleurs significatifs à cet égard 617 .

609. V. J.-H. Robert, « La punition selon le Conseil constitutionnel », Cahiers du Conseil constitutionnel 2009,
no 26. Le principal critère serait donc organique pour dépendre de l’autorité compétente. V. N. Stonestreet, La
notion d’infraction pénale, th. préc., p. 14, no 6. Mais même ce critère n’apparaît finalement pas déterminant.
610. E. Bonis-Garçon et V. Peltier, Droit de la peine, op. cit., p. 7, no 13. Les auteurs donnent l’exemple des
mesures pouvant être déclarées à l’encontre de ceux déclarés pénalement irresponsables et que l’on trouve à l’art.
131-6 du Code pénal.
611. C. Saas, J. Cl. Pénal Code, Synthèse 50 — Peines applicables aux personnes physiques, 2016, no 2.
612. B. Bouloc, Droit de l’exécution des peines, 4ème éd., Dalloz, 2011, p. 7, no 9 ; A. Beziz-Ayache,
Dictionnaire de droit pénal général et de procédure pénale, 5ème éd., Ellipses, 2011, « Peine » ; J.-P. Céré, Peine
(nature et prononcé), op. cit., no 4. La prévention est alors « négative » : il s’agit « de dissuader d’autres criminels
potentiels de faire de même ». J. Walther, « À justice équitable, peine juste ? », RSC 2007, p. 23.
613. B. Bouloc, Droit de l’exécution des peines, op. cit., p. 8, no 11. Cette fonction est désormais affirmée à
l’article 130-1 du Code pénal : « Afin d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles
infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions : 1°
De sanctionner l’auteur de l’infraction ; 2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion. »
614. C. Saas, Synthèse 50 — Peines applicables aux personnes physiques, op. cit., no 2.
615. Encore qu’ici la prévention ne passe pas par la peur de la sanction.
616. E. Bonis-Garçon et V. Peltier, Droit de la peine, op. cit., p. 5, no 10.
617. Sur les hésitations de la Cour de cassation quant à la qualification des mesures applicables en cas d’irrespon-
sabilité pénale pour trouble mental, v. not. H. Matsopoulou, « L’application des « peines », puis des « mesures
de sûreté », aux personnes atteintes de troubles mentaux : l’incohérence jurisprudentielle et ses conséquences »,
art. préc. ; J. Pradel, « Nature et application dans le temps des mesures créées par la loi du 25 février 2008 à l’égard
des criminels atteints d’un trouble mental », D. 2010, p. 471.

492
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

Et que dire des sanctions « ayant le caractère d’une punition » 618 qui, bien qu’extra-pénales,
sont marquées d’un caractère punitif évident et sont soumises, à ce titre, à certains principes
applicables aux peines proprement dites ? L’on pense également, enfin, à la jurisprudence de
la Cour européenne des droits de l’homme relative à la matière pénale qui permet, là aussi, de
soumettre certaines sanctions à des principes équivalents, bien qu’elles ne relèvent pas en droit
interne du droit pénal 619 , justement à raison de leur caractère punitif. Cette juridiction a une
approche autonome de la peine et ne s’estime pas liée par les qualifications retenues en droit
interne lorsqu’il s’agit de savoir si une sanction donnée est, ou non, une peine. Elle utilise à
cet effet plusieurs critères, et s’attache notamment « à la procédure relative à l’adoption et à
l’exécution de la mesure » 620 , afin de déterminer si son régime juridique présente un caractère
répressif 621 . Elle prend en compte également son volet punitif à travers son but et sa nature 622 .
La solution est alors particulièrement étonnante, puisque l’un des critères principaux dans
la détermination des peines tient au fait qu’une telle sanction est prononcée en réponse à la
commission d’une infraction. Ainsi, la Cour estime que « le point de départ de toute appréciation
de l’existence d’une peine consiste à déterminer si la mesure en question est imposée à la suite
d’une condamnation pour infraction » 623 . L’on voit alors toute l’ambiguïté d’une solution qui
veut que l’infraction s’identifie par la peine et que la peine s’identifie par l’infraction 624 . Si la
peine et l’infraction s’identifient par le lien entre un comportement décrit et la sanction qui lui
est associée, tout comportement faisant l’objet d’une sanction n’est-il pas alors une infraction, et
toute sanction pouvant être prononcée en réponse à un comportement n’est-elle pas une peine ?
En définitive, la peine et l’incrimination ne sont pas des éléments suffisants de définition
de l’infraction 625 , et ne permettent pas non plus de savoir ce qu’est intrinsèquement une
infraction, laissant le législateur seul maître de la question. Ces éléments de définition doivent

618. L’expression est utilisée par le Conseil constitutionnel : v. entres autres Cons. const., 29 nov. 2011, no 2011-
199 QPC ; AJDA 2012, p. 578, note M. Lombard, S. Nicinski et E. Glaser ; RSC 2012, p. 184, obs. J. Danet,
cons. 6 : « Considérant que l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose :
« La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu’en vertu
d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; que les principes ainsi énoncés
[prescription des poursuites] ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais
s’étendent à toute sanction ayant le caractère d’une punition ». Sur cette jurisprudence, v. not. J.-H. Robert, « La
punition selon le Conseil constitutionnel », art. préc.
619. V. not. M. Delmas-Marty, « Réflexion sur la matière pénale » in L’enseignement des sciences criminelles
aujourd’hui, actes du colloque de l’Université Montpellier I, op. cit.
620. E. Bonis-Garçon et V. Peltier, Droit de la peine, op. cit., p. 45, no 95, citant CEDH, 9 fév. 1995, Welch
c/Royaume-Uni, Série A, nO 307A ; RSC 1996, p. 470, obs. Koering-Joulin, §28. V. égal. V. Berger, Jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme, 13ème éd., Sirey, 2014, p. 406, no 4.
621. E. Bonis-Garçon et V. Peltier, Droit de la peine, op. cit., p. 45, no 95.
622. Ibid., p. 45, no 96.
623. Ibid., p. 41, no 88, citant CEDH, 9 fév. 1995, Welch c/Royaume-Uni.
624. Par ailleurs, la Cour ne s’estime pas non plus liée par les qualifications en droit et utilise ses propres critères
pour déterminer s’il y a ou non infraction, qui sont eux-mêmes dépendants de la sanction. Ibid., p. 42, nos 91 et s.
625. Sur l’insuffisance de la peine dans l’identification de l’infraction à raison de la faiblesse de ses caractères, v
égal. N. Stonestreet, La notion d’infraction pénale, th. préc., p. 13, nos 6 et s.

493
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

donc d’être complétés, car l’infraction ne peut être constituée de n’importe quel comportement.
Et ils peuvent l’être par les éléments de l’infraction, qui déduits de structure idéale, en sont
aussi la mesure. À ce titre, le « tout infractionnel » n’est pas souhaitable, parce qu’il nuit à
la conceptualisation de l’infraction en réunissant sous un même vocable des faits générateurs
de responsabilité structurellement différents. C’est la raison pour laquelle il est possible de se
demander si, exceptionnellement, la responsabilité pénale ne trouverait pas sa cause dans un
autre acte pénalement répréhensible que l’infraction. Ces actes, bien que sanctionnés d’une
peine et à ce titre intégrés dans la division tripartite des infractions, ne sont pas des infractions
stricto sensu et n’en suivent pas parfaitement le régime, à l’instar de la complicité. N’avons-nous
pas, en droit pénal aussi, plusieurs formes de responsabilité ? L’une générale est la plus aboutie,
car la plus respectueuse des principes de la matière, une autre est dérogatoire. Elle ne possède
pas les mêmes composantes et permet une répression plus souple. Ce caractère dérogatoire
peut au demeurant être problématique en cette matière, car des libertés sont prises avec les
principes fondamentaux permettant de garantir un certain équilibre dans l’exercice des libertés
individuelles. C’est là s’interroger sur le lien très particulier qui unit la peine à l’infraction.
La peine détermine pour beaucoup le régime procédurale applicable . Tous les comportements
définis dans le Code pénal ou sanctionnés d’une peine sont concernés. Mais la peine suffit-elle
à donner à un comportement la qualité d’infraction, à ce titre susceptible d’être tenté ou aidé ?
L’infraction est nécessairement sanctionnée d’une peine, mais la peine, dont le quantum et la
nature déterminent les règles procédurales applicables, est-elle véritablement le révélateur de
l’infraction et de l’infraction seulement ? Il ne nous semble pas, car ce rôle revient en définitive
aux éléments constitutifs qui, déduits des principes généraux auxquels est soumise l’infraction,
en délimitent aussi la notion 626 .

* *
*

498. Conclusion du Chapitre 2 – La composition proposée de l’élément psychologique


de l’infraction a nécessairement des répercussions quant à la notion de responsabilité pénale.
Cette dernière est en effet perçue comme la conséquence de l’imputation à un individu de
l’infraction commise par lui. Si les conditions traditionnellement rattachées à l’imputabilité sont

626. « L’identification d’une notion suppose le choix des éléments constitutifs qui la particulariseront » (G.
Quintane, « Les notions juridiques et les outils langagiers de la science du droit » in Les notions juridiques, sous la
dir. de G. Tusseau, Economica, 2009, p. 5), ces éléments devant être « les mêmes dans les différents cas, et non pas
différents dans une série de ce qu’ils sont dans une autre [...], car différence signifie ici contrariété » (C. Eisenmann,
« Quelques problèmes de méthodologie des définitions et des classifications en sciences juridiques », Archives de
philosophie du droit, La logique du droit 1966, t. 11, p. 25).

494
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

théoriquement des préalables à la volonté, cette perception de la responsabilité conduit à les


envisager dans un second temps, au moment où l’auteur des faits en est reconnu responsable.
La conséquence majeure du rattachement de ces conditions à la responsabilité est alors que la
disparition d’une de ces conditions laisse subsister l’existence légale de l’infraction. Elle ne fait
obstacle qu’à la responsabilité. La réunion des conditions psychologiques au sein de l’élément
du même nom et la prise de position en faveur de leur vérification lors de la caractérisation
de l’infraction conduit logiquement à remettre en question cette approche. La disparition de
la circonstance de discernement ou de celle de liberté font obstacle à la caractérisation de
l’infraction sous son angle subjectif. La responsabilité pénale est donc paralysée en amont, à
raison de l’impossibilité de qualifier pénalement les faits. Les conséquences de cette position
sont nombreuses. Toutefois leur effet pratique a pu être relativisé. Au regard de la responsabilité
civile, tout d’abord, il n’est pas certain que cette approche emporte des conséquences majeures.
En cette matière, les auteurs font en effet appel à des principes propres au droit civil dans la
résolution des difficultés pouvant naître en cas d’infraction justifiée ou d’absence de culpabilité.
Ainsi, la majorité des solutions resterait inchangée, notamment parce que la responsabilité civile
est objective. La réparation du préjudice causé demeurera possible sur le fondement des règles
propres à cette matière. Seule la possibilité de sanctionner le complice se heurtera à une difficulté
majeure. Dès lors que l’article 121-7 du Code pénal ne se contente pas d’un fait objectivement
punissable, la complicité ne pourra pas être retenue dans le cas où l’infraction n’est pas carac-
térisée. La solution est toutefois la même que celle valant en matière de justification objective
et peut paraître tout aussi injustifiée. Elle résulte directement de l’emprunt de criminalité sur
lequel est fondée la répression du complice.
Par ailleurs, la réunion des données subjectives au sein de l’infraction aurait pu conduire
à faire disparaître l’intérêt d’une distinction entre la responsabilité et son fait générateur, celui-
ci devenant la conséquence directe et immédiate de celle-là. Il n’en est pourtant rien, car la
responsabilité ne possède pas un fait générateur unique. Bien qu’il soit possible de voir dans
l’infraction la seule source de responsabilité pénale, la solution a finalement toujours été admise,
dès lors que la complicité n’a jamais été considérée comme une infraction. Cette approche
originale de la complicité est totalement justifiée et est confortée par la spécificité structurelle de
ce fait générateur de responsabilité. La répression est ici nécessaire et fondée sur un rapport de
causalité participatif, mais les composantes de la complicité ne recoupent pas parfaitement celles
de l’infraction. Loin de remettre en cause le schéma proposé, le constat illustre l’utilité théorique
des éléments constitutifs. Au-delà du fait qu’ils sont un outil utile à la qualification pénale des
faits, ils sont également un outil utile à la définition de l’infraction et à l’approfondissement
de l’étude de la notion. Leur intérêt théorique peut également servir à cela : distinguer au sein
des différents faits générateurs de responsabilité ceux qui répondent à la définition générale de

495
Titre II. L’élément subjectif de l’infraction

l’infraction et doivent donc en suivre le régime, de ceux qui, bien que pouvant donner lieu à
une déclaration de responsabilité restent en marge de la notion. L’infraction est le fait générateur
par excellence de la responsabilité. Il en est la forme la plus aboutie, mais non nécessairement
exclusive.

* *
*

499. Conclusion du Titre 2 – L’analyse de l’infraction sous son angle subjectif a été
l’occasion de revenir sur son élément le plus complexe. Il s’agit, lors de l’analyse du compor-
tement d’un point de vue subjectif, de s’intéresser à la perception qu’a eue l’agent de son acte,
ce qui soulève de nombreuses difficultés. Elles sont liées non seulement à l’impossibilité de
rapporter une preuve directe de la volonté, mais aussi à la difficulté de décomposer les données
psychologiques. Une telle décomposition ne peut être que théorique, pour s’inscrire dans une
démarche didactique. Mais en pratique, l’intention est forcément appréhendée comme un tout
et induite de l’analyse du comportement. C’est pour cette raison, notamment, qu’il a pu être
proposé une remise en cause du mécanisme d’imputation de l’infraction. Traditionnellement,
les auteurs envisagent les conditions d’imputabilité à l’occasion de l’étude de la responsabilité.
Cette démarche est trompeuse. Elle fait de ces conditions des conditions extérieures à l’infraction,
mais encourage aussi leur prise en compte dans un second temps, après sa caractérisation.
Pour cette raison, l’infraction demeure caractérisée malgré la disparition d’une des conditions
d’imputabilité. Pourtant, le discernement et la liberté sont des prérequis. Que le juge les
considère acquis est une chose, mais elles sont indissociables de la volonté ou de l’intention.
L’intégrité de la notion d’infraction et la cohérence de l’exercice de qualification imposent de
réunir ces données dans l’élément psychologique. Elles intéressent directement la qualification
des faits, parce qu’elles participent de la perception qu’a eue l’agent de son acte et, donc, de la
vérification de la volonté ou de l’intention de l’agent.
La réunification des données psychologiques ne devrait toutefois pas conduire à une
confusion entre l’infraction et la responsabilité, car les faits générateurs de responsabilité
pénale ne sont pas réductibles à l’infraction. Parce qu’ils expriment les différentes composantes
de l’infraction, les éléments en sont aussi la mesure. Certes, les divers faits générateurs de
responsabilité font l’objet d’un traitement uniforme dans le Code pénal. Ils sont tous sanctionnés
d’une peine et, à ce titre, relèvent de la division tripartite de l’infraction, mais l’intérêt des
éléments constitutifs peut ne pas être seulement pratique. Il peut également être théorique, en
donnant ou redonnant à la notion d’infraction identité et cohérence.

496
Chapitre 2. Les conséquences de la réunion des données psychologiques

500. Conclusion de la Partie 2 – Cette seconde partie a permis d’envisager la composition


précise des différents éléments de l’infraction. À l’identification substantielle de l’élément
constitutif et des éléments constitutifs de l’infraction devait logiquement suivre l’analyse struc-
turelle de chacun. Ce n’était qu’à cette condition que la structure de l’infraction pouvait être
réellement précisée. Composites et fonctions des exigences particulières des différents textes
d’incrimination, chaque élément se caractérise par une donnée principale, commune à toutes les
infractions, mais dont l’intensité sera sujette à variation. Pour l’élément matériel, il s’agira du
fait d’exécution, pour l’élément antijuridique de l’atteinte et pour l’élément moral, de la volonté.
Chacune est entourée et précisée par différentes circonstances qui révèlent la particularité de
chaque incrimination. Leur diversité ne doit pourtant pas faire perdre de vue l’intégrité et
l’invariabilité de la structure de l’infraction. Déduits des principes généraux de la matière, les
éléments constitutifs permettent de circonscrire l’infraction. Ils en sont la mesure de l’infraction
et permettent de l’identifier.
Tous les comportements pénalement sanctionnés ne répondant pas à cette structure générale,
il devenait indispensable de s’interroger sur les liens existants entre l’infraction et la responsabi-
lité. En droit pénal, l’on réduit trop souvent l’une à l’autre, parce que l’infraction est le principal
fait générateur de responsabilité. Mais en est-elle pour autant l’unique ? Une réponse négative
devait être apportée, ne serait-ce qu’au regard de la particularité de la complicité. Plus largement
et plus généralement, il semble que la responsabilité pénale connaisse différents faits générateurs.
Le principal est bien évidemment l’infraction, mais il n’est pas le seul. Tout comme en droit
civil, des modes allégés de responsabilité semblent exister. Ils ne sont pas totalement contraires
à l’économie de la matière dès lors que la nécessité de la répression apparaît parfois justifiée.
Mais ils demeurent dérogatoires et marqués par une spécificité structurelle. La peine n’apparaît
alors plus un critère déterminant dans la distinction et l’identification de l’infraction. Elle en est
très certainement un indicateur, mais il n’est absolument pas certain qu’elle en soit le marqueur.

497
Conclusion générale

501. La remise en question d’une construction – Malgré une utilisation parfois approxi-
mative des éléments constitutifs de l’infraction, il y a dans l’affirmation selon laquelle ils sont un
instrument « irremplaçable » 627 une part de vérité. Toujours discutée, souvent malmenée, parfois
contestée, la division de l’infraction se maintient avec une insolente constance qui est un indice
de la solidité de ses fondements.
Historiquement, les éléments constitutifs ont permis d’imposer aux juges certaines vérifi-
cations dans la déclaration de culpabilité, le comportement devant être caractérisé aussi bien
matériellement que moralement. Cette double approche était l’expression d’une conception de
la responsabilité pénale et d’une certaine délimitation du comportement infractionnel. Aussi les
éléments constitutifs ont-ils été repris et utilisés par la doctrine dans l’analyse de l’infraction. En
droit pénal général, ils sont devenus les éléments communs à toutes les infractions, dont le juge ne
peut faire l’économie lors de la qualification. C’est de cette simple idée que la nature des éléments
constitutifs peut être déduite. Les éléments permettent de dégager les conditions essentielles de
la responsabilité et, par suite, mettent en lumière un schéma invariable de qualification des faits.
Il faut ici abandonner l’idée d’une construction de l’infraction par la somme de ses éléments.
Elle n’est pas une addition de conditions autonomes, car l’infraction n’est pas construite : elle
est commise. Elle est un comportement pénalement qualifié. C’est à ce titre que les éléments
trouvent toute leur utilité : ils guident le juge dans son exercice de qualification en l’invitant à
envisager le comportement sous différents angles. Les éléments ne sont rien d’autre, mais c’est
en cela qu’ils interdisent au juge une appréciation trop rapide des faits 628 .
Cependant, pour pouvoir utiliser efficacement les éléments, encore faut-il parvenir à les
identifier. Ce n’est qu’en parvenant à dégager un schéma valable pour toutes les infractions
que les éléments peuvent efficacement guider le juge. En outre, le schéma de qualification doit

627. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, op. cit., p. 171, no 301.
628. Prêtant cette fonction aux éléments constitutifs, J.-H. Robert, « Histoire des éléments de l’infraction », art.
préc.

499
Les éléments constitutifs de l’infraction

être invariable parce que l’infraction repose sur un certain nombre de principes. L’identification
d’un tel schéma est nécessaire, mais elle ne peut être faite à partir de l’analyse des différentes
incriminations. Il ne s’agit pas de se demander quels caractères ou traits communs ressortent
de ces dernières. Il faut se demander si l’infraction prise en tant qu’objet d’étude du droit pénal
général présente certains caractères et pourquoi. À dire vrai, la réponse s’impose d’elle-même
à raison des principes sur lesquels l’infraction repose. Les éléments constitutifs ne permettent
pas seulement de qualifier les faits. Ils permettent aussi d’exprimer les composantes essentielles
de l’infraction, de mettre en perspective les caractéristiques du comportement infractionnel et,
ainsi, de révéler la physionomie particulière de l’infraction.

502. La physionomie de l’infraction – Deux principes ont justement pu être dégagés. Le


premier est le principe général de complémentarité du fait et de la volonté. Celui-ci conduit
à faire de l’infraction un comportement volontaire et participe d’une conception subjective
de la responsabilité pénale. Le second est le principe de nécessité. Ce principe renvoie aux
fondements et aux limites du droit de punir, mais il n’existe pas véritablement de critères
d’appréciation de la nécessité des incriminations. La dangerosité ou la gravité sont aujourd’hui
souvent évoquées en doctrine, sans pour autant permettre un encadrement de la production
législative. Ils sont des concepts trop fuyants pour pouvoir être utilement mobilisés. Pourtant,
le critère de gravité pourrait permettre un tel encadrement, pour peu que l’on parvienne à le
définir. La théorie allemande de l’antijuridicité peut être à ce titre une source d’inspiration
et de réflexion pour le juriste français. Il ne s’agit pas de proposer une transposition parfaite
de l’élément allemand. Une telle transposition n’est ni possible, ni souhaitable. Nos cultures
juridiques sont fondamentalement différentes, de même que notre approche de l’infraction. En
outre, la théorie allemande n’est pas exempte de défauts et échoue en partie dans l’encadrement
du pouvoir de punir. Malgré tout, elle présente des intérêts fondamentaux qui méritent d’être
exploités. C’est notamment en ayant recours à ce concept que la doctrine allemande a proposé
un critère d’appréciation de la nécessité des incriminations. Elle l’a déduit du but du droit pénal :
celui de protection des biens juridiques. Ce faisant, le caractère attentatoire du comportement
a été placé au cœur de la réflexion et de la conception retenue de l’infraction. Elle est, en
Allemagne, un comportement antijuridique. C’est de cette idée qu’il est possible de s’inspirer,
parce que l’approche française du droit pénal n’est pas totalement détachée de l’objectif de
protection des valeurs essentielles. Surtout, l’antijuridicité allemande permet de dégager un
critère objectif d’appréciation de la gravité du comportement et, par suite, de la nécessité
de l’incrimination. Ce critère tient au caractère attentatoire ou potentiellement attentatoire du
comportement. L’infraction n’est pas seulement un comportement volontaire, c’est aussi un
comportement d’une particulière gravité, en ce qu’il porte atteinte à une valeur essentielle de
la société.
500
Conclusion générale

Ces deux principes – la complémentarité d’une part, la nécessité d’autre part – donnent sa
physionomie à l’infraction. Ils se retrouvent dans ses différentes composantes et sont exprimés
dans ses éléments constitutifs. Trois éléments ont ainsi pu être dégagés, qui invitent le juge à une
analyse du comportement sous différents angles pour le qualifier. Ils tiennent objectivement aux
éléments matériel et antijuridique et subjectivement à l’élément psychologique.

503. Les éléments, révélateurs de l’infraction – De nature forcément composite, ces


éléments ont dû être approfondis afin de déterminer ce que chacun recouvre. Pour l’élément
matériel, il s’agit du fait d’exécution de l’infraction. Pour l’élément antijuridique, il s’agit du
caractère attentatoire des faits. Ce caractère s’entend de la réalisation du résultat redouté par
le législateur ou du pouvoir causal du comportement au regard de la possibilité de survenance
de ce résultat. C’est en effet une approche concrète de cet élément qui doit être privilégiée, plus
compatible avec l’analyse française et avec la fonction de qualification des éléments. Par ailleurs,
chaque donnée principale est entourée d’un certain nombre de circonstances constitutives qui
la particularisent. Ainsi, le fait s’insère dans un contexte factuel qui devra être apprécié par le
juge. Quant à l’atteinte dans l’élément antijuridique, elle porte sur la circonstance relative à la
valeur. Enfin, le contexte psychologique de la volonté exerce une influence sur la caractérisation
de l’infraction.
Ainsi précisés, les éléments constitutifs révèlent la structure du comportement infractionnel,
envisagé dans son ensemble. Il s’agit d’une structure idéale et de principe. Mais elle présente
l’intérêt de mettre en perspective les spécificités structurelles de certains comportements péna-
lement réprimés. Bon nombre de comportements fulminés de peines présentent un élément
psychologique atrophié et sont par ailleurs dépourvus d’antijuridicité, au sens matériel du terme.
Ils ne sont pas attentatoires et n’entretiennent pas de pouvoir causal avec le résultat redouté. Si
la nécessité de la répression de tels comportements peut apparaître justifiée, il est tout de même
possible de s’interroger sur leur nature. En effet, la spécificité structurelle se double de certaines
particularités dans leurs régimes. Ces comportements sont-ils alors vraiment des infractions ?
Aujourd’hui, ils sont traités comme tels, notamment parce que l’infraction est perçue comme
la source unique de responsabilité pénale. Mais cette solution, qui fait fi de la polymorphie des
faits générateurs de responsabilité, s’impose-t-elle ?
Parce qu’ils sont l’expression des différentes composantes de l’infraction, les éléments
constitutifs peuvent aussi en être la mesure. Autrement dit, ils peuvent permettre d’identifier
et de circonscrire la notion d’infraction. Certes, l’identification d’une structure valant pour tous
les comportements pénalement sanctionnés pourrait sans doute être faite au prix de contorsions.
Mais l’intérêt et l’enjeu de l’analyse de l’infraction par le prisme de ses éléments n’est pas
là. L’identification des composantes de l’infraction doit être faite en montrant les limites d’un

501
Les éléments constitutifs de l’infraction

concept, dont le législateur s’affranchit parfois pour des raisons de politique – éventuellement –
criminelle.

504. Un outil irremplaçable – Toujours discutée, souvent malmenée, parfois contestée, la


division de l’infraction repose sur une part indéniable de vérité. Mais d’une vérité mal comprise
qui a conduit à privilégier un décorticage des infractions au détriment d’une analyse approfondie
de l’infraction, démarche dans laquelle, correctement utilisés, les éléments constitutifs peuvent
être indispensables.

502
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Salomon R. et Martinel A., Droit pénal social, Droit pénal du travail et de la sécurité sociale,
3ème éd., Économica, 2016.
Véron M., Droit pénal spécial, 14ème éd., Sirey, 2012.
Vitu A., Traité de droit criminel, Droit pénal spécial, t. 1 et 2, Cujas, 1982.
Vouin R., Précis de droit pénal spécial, 1ère éd., Dalloz, 1953.

D. Droit comparé, droit international

a. Droit comparé

Ashworth A., Principles of criminal law, 6ème éd., Oxford university press, 2009.
Bustos R. et Valenzuela Bejas M., Le système pénal des pays de l’Amérique latine, trad. par
J. Bernat de Celis, A. Pedone, 1983.
Cedras J., Le droit pénal américain, PUF, collection Que sais-je ?, 1997.

507
Bibliographie

Darbellay J., Théorie générale de l’illicéité en droit civil et en droit pénal, Arbeiten aus des
iuristichen Seminar der Universität Freiburg, Éditions universitaires, Fribourg, 1955.
Feuerbach P., Lehrbuch des gemeinen in Deutschland gültigen peinlichen Rechts, 5ème éd.,
Heyer, 1812.
Fromont M. et Jescheck H., Introduction au droit allemand, trad. par A. Rieg, t. 2, Cujas,
1984.
Graven P. et Sträuli B., L’infraction pénale punissable, 2ème éd., Staempfli éd., 1995.
Haus J.-J., Principes généraux du droit pénal belge, 2ème éd., t. 1, Librairie générale de Ad.
Hoste, 1874.
Hustin-Denies N. et Spielmann D., L’infraction inachevée en droit pénal comparé, Bruylant,
1997.
Kenny C. S., Esquisse du droit criminel anglais, trad. par A. Paulian, 9ème éd., Marcel Giard,
1921.
Mostafa M., Principes de droit pénal des pays arabes, Institut de droit comparé de Paris, LGDJ,
1972.
Pradel J., Droit pénal comparé, 4ème éd., Dalloz, 2016.
Trousse P.-E., Droit pénal, Les Novelles. Corpus juris belgici, t. 1, Larcier, Bruxelles, 1956.
Verdussen M., Contours et enjeux du droit constitutionnel pénal, E. Bruylant, Bruxelles, 1995.

b. Droit international

Berger V., Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, 13ème éd., Sirey, 2014.
David E., Élément de droit pénal international et européen, Bruxelles, 2009.
de Frouville O., Droit pénal international, Source, incriminations, responsabilité, Pedonne,
2012.
Glaser S., L’infraction internationale, ses éléments constitutifs, et ses aspects juridiques,
LGDJ, 1957.
Huet A. et Koering-Joulin R., Droit pénal international, 3ème éd., PUF, coll. Thémis, 2005.
Lombois C., Droit pénal international, 2ème éd., précis Dalloz, 1979.
Pradel J., Cortens G. et Vermeulen G., Droit pénal européen, 3ème éd., Dalloz, 2009.
Rebut D., Droit pénal international, 2ème éd., Dalloz, 2014.

E. Droit civil

Aubry C. et Rau C., Cours de droit civil français, D’après la méthode de Zachariae, 4ème éd.,
t. 4, Marchal et Billard (Paris), 1871.
Bacache-Gibeili M., Traité de droit civil, Les obligations, la responsabilité civile extracon-
tractuelle, 3ème éd., t. 5, Economica, 2016.

508
Ouvrages spéciaux

Bénabent A., Droit des obligations, 13ème éd., Montchrestien, 2012.


Brun P., Responsabilité civile extracontractuelle, 4ème éd., Manuel Litec, 2016.
Buffelan-Lanore Y. et Larribau-Terneyre V., Droit civil, Les obligations, 13ème éd., Sirey,
2012.
Carbonnier J., Droit civil, Vol. II : Les biens, les obligations, PUF, Quadrige manuels, 2004.
Chevalier J., Cours de droit civil approfondi, La charge de la preuve, Paris, 1958.
Fabre-Magnan M., Droit des obligations, Responsabilité civile et quasi-contrats, 3ème éd., t. 2,
PUF, 2007.
Gautier P.-Y., Propriété littéraire et artistique, 10ème éd., PUF, 2017.
Ghestin J. et Goubeaux G., avec le concours de M. Fabre-Magnan, Traité de droit civil,
Introduction générale, 4ème éd., LGDJ, 1995.
Larroumet C., Introduction à l’étude du droit privé, 6ème éd., t. 1, Économica, 2013.
Lucas A., Lucas J.-H. et Lucas-Schloetter A., Traité de la propriété littéraire et artistique,
4ème éd., Lexisnexis, 2012.
Malaurie P., Aynès L. et Stoffel-Munck P., Droit des obligations, 8ème éd., LGDJ, 2016.
Malaurie P. et Morvan P., Introduction au droit, 6ème éd., Defrénois, 2016.
Mazeaud H. et L. et Tunc A., Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle
et contractuelle, 6ème éd., Montchrestien, 1965.
Saleilles R., Étude sur les sources de l’obligation dans le projet de Code civil allemand, F.
Pichon (Paris), 1889.
Terré F., Introduction générale au droit, 10ème éd., Dalloz, 2015.
Terré F., Simler P. et Lequette Y., Droit civil, Les obligations, 11ème éd., Précis Dalloz,
2013.
Viney G., Jourdain P. et Carval S., Les conditions de la responsabilité, 4ème éd., LGDJ,
Traité de droit civil, 2013.

F. Droit public, droit administratif

Carré de Malberg R., Contribution à la théorie générale de l’Etat, t. 1, éd. du CNRS, 1962.
Chrétien P., Chifflot N. et Tourbe M., Droit administratif, 14ème éd., Sirey, 2014.
de Villiers M. et de Berranger., Droit public général, 7ème éd., LexisNexis, 2015.
Rivero J., Droit administratif, réedition, Dalloz, 2011.
Truchet D., Droit administratif, 6ème éd., PUF, 2015.
Waline J., Droit administratif, 25ème éd., Dalloz, 2014.

509
Bibliographie

II. Ouvrages spéciaux

A. Monographies

Daskalakis E., Réflexions sur la responsabilité pénale, PUF, 1975.


Deferrard F., Le suspect dans le procès pénal, LGDJ, 2005.
Donnedieu de Vabres H., Essai sur la notion de préjudice dans la théorie générale du faux
documentaire, Recueil Sirey, 1943.
Doucet J.-P., La loi pénale, Gazette du Palais, Litec, 1986.
— Le jugement pénal, 3ème éd., Saint-Gildas-de-Rhuys éd., 2008.

B. Thèses

Allix D., Essai sur la coaction, contribution à l’étude de la genèse d’une notion prétorienne,
1976, LGDJ.
Baldovini M., La classification académique du droit, entre droit public et droit privé, sur un
paradoxe de la science du droit, 2009, Thèse, Caen.
Baron E., La coaction en droit pénal, 2012, Thèse, Bordeaux IV.
Benessiano W., Légalité pénale et droits fondamentaux, 2011, PUAM.
Bon P.-A., La causalité en droit pénal, 2006, Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers,
LGDJ.
Bosc J., Essai sur les éléments constitutifs du délit civil, 1901, A. Rousseau.
Capitant R., Introduction à l’étude de l’illicite : l’impératif juridique, 1928, Dalloz.
Cappello A., La constitutionnalisation du droit pénal, 2014, LGDJ.
Case-Gaillarde N., L’ordre public pénal, Essai sur la dimension substantielle de la notion,
2003, Thèse, Lyon 3.
Cazalbou P., Étude des infractions de conséquence, Contribution à une théorie des infractions
conditionnées, 2016, LGDJ.
Chapus R., Responsabilité publique et responsabilité privée, Les influences réciproques des
jurisprudences administrative et judiciaire, 2010, Réédition, La mémoire du droit.
Chazal J., Essai sur la notion de mobile et de but en droit pénal, 1929, Thèse, Lyon.
Claverie-Rousset C., L’habitude en droit pénal, 2011, Thèse, Bordeaux IV.
Conte P., L’apparence en matière pénale, 1984, Thèse, Grenoble.
Cornu G., Étude comparée de la responsabilité délictuelle en droit privé et en droit public,
2010, Réédition, La mémoire du droit.
Croze H., Recherche sur la qualification en droit processuel français, 1981, Thèse, Lyon 3.

510
Ouvrages spéciaux

Dana C.-A., Essai sur la notion d’infraction pénale, 1982, LGDJ.


Daskalakis E., La notion d’unité et de pluralité d’infractions et son rôle dans le procès pénal,
1969, Thèse, Paris.
de Jacobet de Nombel C., Théorie générale des circonstances aggravantes, 2006, Dalloz.
Décima O., L’identité des faits en matière pénale, 2008, Dalloz.
Decottignies R., Les présomptions en droit privé, 1950, LGDJ.
Facq L., De la publicité, élément constitutif de l’infraction, 1935, G. Thomas.
Flasquier A., L’état de nécessité en droit pénal, Contribution à la théorie générale des faits
justificatifs, 2003, Thèse, Montpellier.
Fortis E., L’élément légal dans les infractions d’imprudence portant atteinte à l’intégrité
corporelle, 1989, Thèse, Lille.
Freij M., L’infraction formelle, 1975, Thèse, Paris II.
Gagnieur J.-P., Du motif légitime comme fait justificatif, 1941, Blanquet.
Gallardo-Gonggryp E., La qualification pénale des faits, 2013, PUAM.
Germette H., Essai sur les rapports de l’élément matériel et de l’élément intentionnel dans la
responsabilité civile, 1903, A. Rousseau.
Griffon R., De l’intention en droit pénal, 1911, Recueil Sirey.
Groffe J., La bonne foi en droit d’auteur, 2015, Institut Universitaire Varenne.
Heitzmann P., De la notion de contravention, 1938, Nancy, Société d’impressions typogra-
phiques.
Janville T., La qualification juridique des faits, 2004, PUAM.
Jourdain P., Recherche sur l’imputabilité en matière de responsabilités civile et pénale, 1982,
Thèse, Paris II.
Laborde-Lacoste M., De la responsabilité pénale dans ses rapports avec la responsabilité
civile et la responsabilité morale, 1918, Imprimerie de l’Université Bordeaux.
Lacaze M., Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, 2011, Institut
Universitaire Varenne.
Laingui A., La responsabilité pénale dans l’ancien droit, 1970, LGDJ.
Legros R., L’élément moral dans les infractions, 1952, Recueil Sirey.
Leroyer A.-M., Les fictions juridiques, 1995, Thèse, Paris II.
Letouzey E., La répétition d’infractions, 2016, Dalloz.
Lucas de Leyssac M.-P., Décision de justice civile et répression pénale, 1975, Thèse, Paris II.
Malabat V., Appréciation in abstracto et appréciation in concreto en droit pénal, 1999, Thèse,
Bordeaux 4.
Maréchal J.-Y., Essai sur le résultat dans la théorie de l’infraction pénale, 2003, L’harmattan.
Mayaud Y., Le mensonge en droit pénal, 1979, L’hermès.

511
Bibliographie

Merle P., Les présomptions légales en droit pénal, 1970, LGDJ.


Paillard B., La fonction réparatrice de la répression pénale, 2007, LGDJ.
Perreau B., De la qualification en matière criminelle, 1926, LGDJ.
Philippot P., Les infractions de prévention, 1977, Thèse, Nancy.
Pin X., Le consentement en matière pénale, 2002, LGDJ.
Ponseille A., L’infraction de prévention en droit pénal français, 2001, Thèse, Montpellier.
Portolano D., Essai d’une théorie générale de la provocation, 2012, LGDJ.
Pouyanne J., L’auteur moral de l’infraction, 2003, PUAM.
Prothais A., Tentative et attentat, 1985, LGDJ.
Quétand-Finet C., Les présomptions en droit privé, 2013, IRJS édition.
Rabut-Bonaldi G., Le préjudice en droit pénal, 2016, Dalloz.
Rabut A., De la notion de faute en droit privé, 1949, LGDJ.
Rebut D., L’omission en droit pénal : pour une théorie de l’équivalence entre l’action et
l’inaction, 1993, Thèse, Lyon.
Reix M., Le motif légitime en droit pénal, Contribution à la théorie générale de la justification,
2012, Thèse, Bordeaux IV.
Remy H., Des Principes généraux du Code pénal de 1791, 1910, Paris.
Rousseau F., L’imputation dans la responsabilité pénale, 2009, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque
de Thèses.
Rousvoal L., L’infraction composite : essai sur la complexité en droit pénal, 2011, Thèse,
Rennes, 1.
Rouxel S., Recherches sur la distinction du dommage et du préjudice en droit civil français,
1994, Thèse, Grenoble II.
Royer G., L’efficience en droit pénal économique, Étude de droit positif à la lumière de
l’analyse économique du droit, 2009, LGDJ.
Saenko L., Le temps en droit pénal des affaires, 2008, Thèse, Paris 1.
Saphore A.-C., La jurisprudence criminelle de la Cour de cassation sous la Révolution et
l’Empire, 2002, Thèse, Bordeaux IV.
Stonestreet N., La notion d’infraction pénale, 2009, Thèse, Bordeaux IV.
Thellier de Poncheville B., La condition préalable de l’infraction, 2006, Thèse, Lyon 3.
Thevenon J.-M., L’élément objectif et l’élément subjectif de l’infraction, Contribution à l’étude
de leurs définitions et de leurs rapports, 1942, Thèse, Lyon.
Tsarpalas A., Le moment et la durée des infractions pénales, 1967, LGDJ.
Vautrot-Schwarz C., La qualification juridique en droit administratif, 2010, LGDJ.
Vouin R., La bonne foi, notion et rôle actuels en droit privé français, 1939, LGDJ.

512
Rapports, sources officielles

Walther J., L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, Contribution à une


théorie générale de l’illicéité, 2003, Thèse, Nancy 2.
Wicker G., Les fictions juridiques : contribution à l’analyse de l’acte juridique, 1996, LGDJ.
Zerouki D., La légalité criminelle : enrichissement de la conception formelle par une concep-
tion matérielle, 2001, Thèse, Lyon 3.

III. Rapports, sources officielles

Circulaire du 2 mars 2011 relative à la mise en œuvre de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010
interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, Ministère de la Jutice, JORF
n°0052 du 3 mars 2011 p. 4128.
Circulaire du 24 juin 1994 relative à l’application, en matière de circulation routière, des
dispositions du nouveau code pénal relatives à la mise en danger, no 54, Ministère de la
Jutice, Bulletin officiel du Ministère de la justice.
Circulaire générale présentant les dispositions du nouveau code pénal, Ministère de la Jutice,
1993, Direction des JO.
Débats parlementaires du Sénat, Compte rendu intégral, 19ème séance du mercredi 10 mai 1989,
Direction des JO.
Badinter R., Projet de nouveau code pénal, 1988, Dalloz.
Catala P., Rapport sur l’avant-projet de réforme du droit des obligations, (Articles 1101 à
1386 du Code civil) et du droit de la prescription (Articles 2234 à 2281 du Code civil), 2005,
La Documentation française.
Duvergier J.-B., Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du
Conseil d’État, 1824, Guyot et Scribe.
Esmein A., Rapport présenté au conseil supérieur de l’Instruction publique sur un projet
d’arrêté portant réorganisation de l’agrégation des Facultés de droit, A. de Beauchamp,
Recueil des lois et règlements sur l’enseignement supérieur, 1889–1898, p. 607.
Terré F., Groupe de travail sur le projet intitulé « Pour une réforme du droit de la responsabi-
lité civile », 2012, Site de la Cour de cassation [en ligne].

IV. Lexiques, dictionnaires, encyclopédies

A. Lexiques, dictionnaires

Doucet J.-P., Dictionnaire de droit criminel, [en ligne] ledroitcriminel.fr.

513
Bibliographie

Beziz-Ayache A., Dictionnaire de droit pénal général et de procédure pénale, 5ème éd., Ellipses,
2011.
Diderot D. et d’Alembert J. L. R., Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des
arts et des métiers, t. 16, Faulche, 1751–1765.
Auroux S. (dir.), Les notions philosophiques, 2ème éd., PUF, 1998.
Cornu G. (dir.), Vocabulaire juridique, 11ème éd., Association Henri Capitant, PUF, 2016.

B. Encyclopédies juridiques

a. Juris-Classeur

Alix J., J. Cl. Pénal Code, Terrorisme, 2015.


Angevin H., J. Cl. Pénal Code, art. 132-71, fasc. 20, Circonstances aggravantes - bande
organisée, 2014.
— J. Cl. Procédure pénale, art. 347-354, fasc. 20, Cour d’assises – Questions, 2008.
Bossan J., J. Cl. Pénal Code, fasc. 3050, Responsabilité pénale en cascade dans la presse écrite
et l’édition, 2015.
Caron D. et Carbonaro C., J. Cl. Pénal Code, art. 233-1 et 223-2, fasc. 20, Risques causés
à autrui, 2015.
Dreyer E., J. Cl. PLA, fasc. 1610, Contrefaçon, 2014.
Matsopoulou H., J. Cl. Procédure pénale, fasc. 20, Procédure et décisions d’irresponsabilité
pénale pour cause de trouble mental, 2008.
Saas C., J. Cl. Pénal Code, Synthèse 50 — Peines applicables aux personnes physiques, 2016.
Vitu A., J. Cl. Pénal Code, art. 450-1, fasc. 20, Participation à une association de malfaiteurs,
2014.

b. Répertoire Dalloz

Ambroise-Castérot C., Rép. dr. pén., Consommation, 2016.


— Rép. dr. pén., Présomption d’innocence, 2013.
Berr C. J., Rép. dr. pén., Douanes, 2009.
Bonfils P. et Gallardo E., Rép. dr. pén., Concours d’infractions, 2015.
Boyer L., Rép. dr. civ., Contrats et conventions, 1993.
Buisson J., Rép. dr. pén., Preuve, 2013.
Céré J.-P., Rép. dr. pén., Conduite (Influence alcool - Usage stupéfiants), 2013.
— Rép. dr. pén., Peine (nature et prononcé), 2008.
Courtin C., Rép. dr. pén., Contravention, 2010.
Culioli M. et Gioanni P., Rép. dr. pén., Association de malfaiteurs, 2007.

514
Ouvrages collectifs

Dalloz M., Rép. dr. pén., Circonstances aggravantes, 2001.


Danti-Juan M., Rép. dr. pén., Discrimination, 2014.
— Rép. dr. pén., Force majeure, 2015.
Darsonville A., Rép. dr. pén., Viol, 2011.
Derruppé J. et de Ravel D’Escaplon T., Rép. dr. com., Fonds de commerce, 2016.
Fournier S., Rép. dr. pén., Complicité, 2013.
Grynbaum L., Rép. dr. civ., Responsabilité du fait des choses inanimées, 2011.
Jeandidier W., Rép. dr. pén., Infractions économiques, 2006.
Maistre du Chambon P., Rép. dr. pén., Recel, 2009.
Malabat V., Rép. dr. pén., Faux, 2004.
Mascala C., Rép. dr. pén., Abus de confiance, 2003.
Matsopoulou H., Rép. dr. soc., Responsabilité pénale des personnes morales, 2002.
Mayaud Y., Rép. dr. pén., Meurtre, 2006.
— Rép. dr. pén., Terrorisme, 2015.
— Rép. dr. pén., Violences volontaires, 2008.
Mouralis J.-L., Rép. dr. civ., Preuve, 2011.
Porteron C., Rép. dr. pén., Infraction, 2002.
Robert J.-H., J. Cl. Pénal Code, art. 121-7, fasc. 20, Complicité, 2015.
Saintourens B., Rép. dr. soc., Société civile, 2012.
Viriot-Barrial D., Rép. dr. pén., Dignité de la personne humaine, 2014.

V. Ouvrages collectifs

Droit de la responsabilité et des contrats, régimes d’indemnisation, sous la dir. de P. le


Tourneau, 10ème éd., Dalloz action, 2014.
Le principe de nécessité en droit pénal, Actes de la journée d’études radicales, sous la dir. de
O. Cahn et K. Parrot, LEJEP, 2013, p. 17.
Le système pénal des États-Unis d’Amérique, sous la dir. de M. Ancel et L. B. Schwartz, Institut
de droit comparé de Paris, éditions de l’Épargne, 1964, p. 83.
Notions et concepts en droit, sous la dir. de G. Tusseau, Economica, 2009.
Pour une réforme du droit de la responsabilité civile, sous la dir. de F. Terré, Dalloz, 2011.
Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal, sous la dir. de G. Stefani, Dalloz, 1956, p. 228.

515
Bibliographie

VI. Articles de doctrine

Allen F. A., « Les infractions contre la propriété » in Le système pénal des États-Unis
d’Amérique, sous la dir. de M. Ancel et L. B. Schwartz, Institut de droit comparé de Paris,
éditions de l’Épargne, 1964, p. 83.
Ambos K., « Réflexions sur la théorie française de l’infraction pénale du point de vue allemand »
in Vers un nouveau procès pénal ?, Société de législation comparée, 2008, p. 147.
Ambroise-Castérot C., « L’objet de la qualification » in La qualification dans le procès pénal,
actes du colloque organisé par l’École nationale de la magistrature et l’Institut de sciences
criminelles et de la justice de Bordeaux, sous la dir. de O. Décima, Cujas, 2013, p. 19.
Aussel J.-M., « La contrainte et la nécessité en droit pénal » in Quelques aspects de l’autonomie
du droit pénal, sous la dir. de G. Stefani, Dalloz, 1956, p. 253.
Barbier G., « De l’objet de la qualification et de l’intérêt de s’en saisir à la façon d’Aristote »
in La qualification dans le procès pénal, actes du colloque organisé par l’École nationale
de la magistrature et l’Institut de sciences criminelles et de la justice de Bordeaux, sous la
dir. de O. Décima, Cujas, 2013, p. 29.
Beaussonie G., « Loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation
dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engage-
ments internationaux de la France », RSC 2013, p. 861.
Benillouche M., « La subjectivisation de l’élément moral de l’infraction, plaidoyer pour une
nouvelle théorie de la culpabilité », RSC 2005, p. 529.
Bénoit F.-P., « Notions et concepts, instruments de la connaissance juridique, Les leçons de
la philosophie du droit de Hegel » in Mélanges en l’honneur du Professeur Gustave Peiser,
Presses Universitaires de Grenoble, 1995, p. 23.
Betoulle J., « L’aspect « délictuel » du dol dans la formation des contrats » in Rapport annuel
de la Cour de cassation, 2001.
Bioy X., « Notions et concepts en droit, Interrogations sur l’idée d’une distinction » in Les
notions juridiques, sous la dir. de G. Tusseau, Economica, 2009, p. 21.
Bonfils P., « Le discernement en droit pénal » in Sciences pénales et sciences criminologiques,
Mélanges offerts à Raymond Gassin, PUAM, 2007, p. 97.
Borella F., « Le concept de dignité de la personne humaine » in Éthique, droit et dignité de la
personne, mélanges Christian Bolze, Économica, 1999, p. 29.
Bouscant R., « La faute dans les infractions aux règles de concurrence en droit européen »,
RTD eur. 2000, p. 67.
Bouzat P., « La présomption de mauvaise foi en matière de contrefaçon littéraire et artistique »,
RIDA 1972, p. 171.
Cahn O., « Le principe de nécessité en droit pénal - thèse radicale » in Le principe de nécessité
en droit pénal, Actes de la journée d’études radicales, sous la dir. de O. Cahn et K. Parrot,
LEJEP, 2013, p. 17.

516
Articles de doctrine

Calais-Auloy M.-T., « Du discours et des notions juridiques, (notions fonctionnelles et


conceptuelles) », Petites affiches 1999, no 157, p. 4.
Carbonnier J., « Du sens de la répression applicable aux complices selon l’article 59 du code
pénal », JCP 1952, I, 1034.
Cartier M.-A., « Contrainte et nécessité » in Les causes d’irresponsabilité pénale, t. 30,
Annales de l’Université des sciences sociales de Toulouse, 1982, p. 27.
Cayla O., « La qualification ou la vérité du droit », Droits 1993, no 18, p. 3.
Cedras J., « Le dol éventuel : aux limites de l’intention », D. 1995, p. 18.
Chabas F., « La notion de contravention », RSC 1969, p. 1 et p. 281.
Chacornac J., « Le risque comme résultat dans les infractions de mise en danger, les limites
de la distinction des infractions matérielles et formelles », RSC 2008, chron. p. 849.
Chavanne A., « Les circonstances aggravantes en droit français », RIDP 1965, p. 527.
Chevallier J.-Y., « L’état de nécessité, Le rôle du Doyen P. Bouzat dans la reconnaissance de
l’infraction nécessaire en droit positif » in Mélanges en l’honneur du Doyen Pierre Bouzat,
A. Pedone, 1980, p. 117.
Chloros A.-G., « Essai sur l’origine et la fonction de la légalité » in Mélanges en l’honneur de
Paul Roubier, t. 1, Librairies Dalloz et Sirey, 1961, p. 123.
Claverie-Rousset C., « La légalité criminelle », Dr. pén. 2011, étude 16.
Coeuret A., « La responsabilité en droit pénal du travail, Continuité et rupture », RSC 1992,
p. 475.
Collings R. A., « Les infractions contre les personnes » in Le système pénal des États-Unis
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534
Notes de jurisprudence

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— obs. sur Cass. crim., 31 janv. 1974, RSC 1975, p. 679.
— obs. sur Cass. crim., 15 mai 1979, RSC 1980, p. 969.
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— note sous Cass. crim., 19 mars 2014, D. 2014, p. 912.
— obs. sur Cass. crim., 22 mars 2016, AJ pén. 2016, p. 381.
— obs. sur Versailles, 23 sept. 2016, D. 2016, p. 1927.
Lavric S. obs. sur Cass. Crim., 30 oct. 2007, AJ pén. 2008, p. 91.
— obs. sur Cass. crim., 16 fév. 2010, D. 2010, p. 768.
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— obs. sur Cass. crim., 19 mars 2014, D. 2014, p. 1564.
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— note sous Cass. crim., 11 juin 2010, JCP G. 2010, II, 1031.
— note sous Cass. crim., 11 avr. 2012, Rev. société 2012, p. 52.
— note sous Cons. const., 18 mars 2015, Rev. société 2015, p. 380.
— note sous Cons. const., 30 sept. 2016, Rev. société 2017, p. 99.
— obs. sur Cass. crim., 26 oct. 2016, RSC 2016, p. 767.
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— obs. sur Cass. crim., 2 juil. 1998, RSC 1999, p. 98.
— obs. sur Cass. crim., 2 juil. 1998, D. 2000, somm. p. 26.
— obs. sur Cass. crim., 16 fév. 1999, RSC 1999, p. 581.

536
Notes de jurisprudence

— obs. sur Cass. crim., 9 mars 1999, RSC 1999, p. 581.


— obs. sur Cons. const., 16 juin 1999, D. 1999, p. 589.
— obs. sur Cass. crim., 11 sept. 2001, RSC 2002, p. 106.
— obs. sur Cass. crim., 18 juin 2003, RSC 2003, p. 781.
— obs. sur Cass. crim., 5 nov. 2005, RSC 2006, p. 61.
— note sous Cass. crim., 30 oct. 2006, RSC 2007, p. 83.
— obs. sur Cass. Crim., 30 oct. 2007, RSC 2008, p. 75.
— note sous Cass. crim., 10 fév. 2009, RSC 2009, p. 371.
— obs. sur Cass. crim., 11 avr. 2012, RSC 2012, p. 375.
— obs. sur Cass. crim., 18 juin 2013, RSC 2014, p. 807.
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538
Notes de jurisprudence

— note sous Cass. crim., 30 oct. 2006, RDI 2007, p. 85.


— obs. sur Cass. crim., 15 nov. 2006, D. 2007, pan. p. 2636.
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Saenko L. note sous Cass. crim., 5 fév. 2014, D. 2014, p. 807.
— note sous Cass. crim., 28 janv. 2015, D. 2015, p. 845.
— note sous Cass. crim., 16 déc. 2015, D. 2016, p. 587.
— obs. sur Cass. crim., 12 avr. 2016, RTD com. 2016, p. 563.
— obs. sur Versailles, 23 sept. 2016, RTD com. 2016, p. 873.
Saint-Pau J.-C. obs. sur Cass. Crim., 14 fév. 2006, D. 2007, p. 1184.
— note sous Cass. crim., 11 avr. 2012, D. 2012, p. 1381.
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539
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— obs. sur Cass. crim., 21 mai 1996, Dr. pén. 1997, 213.
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— obs. sur Cass. crim., 22 janv. 1997, Dr. pén. 1997, p. 78.
— obs. sur Cass. crim., 2 juil. 1998, JCP 1999, I, 112.
— obs. sur Cass. crim., 16 fév. 1999, Dr. pén. 1999, p. 82.
— obs. sur Cass. crim., 12 janv. 2000, Dr. pén. 2000, no 69.
— obs. sur Cass. crim., 15 oct. 2002, Dr. pén. 2003, no 31.
— obs. sur Cass. crim., 18 juin 2003, Dr. pén. 2003, Comm. p. 97.
— obs. sur Cass. crim., 25 juin 2003, Dr. pén. 2003, no 142.
— obs. sur Cass. crim., 9 nov. 2004, Dr. pén. 2005, comm. no 35.
— obs. sur Cass. crim., 5 nov. 2005, Dr. pén. 2006, p. 32.
— obs. sur Cass. crim., 15 nov. 2006, Dr. pén. 2007, p. 16.
— obs. sur Cass. crim., 26 sept. 2007, Dr. pén. 2007, no 150.
— obs. sur Cass. crim., 25 juin 2008, Dr. pén. 2008, p. 140.
— obs. sur Cass. crim., 2 déc. 2009, Dr. pén. 2010, Comm. no 42.
— obs. sur Cass. crim., 19 janv. 2010, Dr. pén. 2010, comm. no 43.
— obs. sur Cass. crim., 13 juin 2012, Dr. pén. 2012, no 128.
— obs. sur Cass. crim., 27 fév. 2013, Dr. pén. 2013, no 71.
— obs. sur Cass. crim., 28 janv. 2014, Dr. pén. 2014, comm. p. 35.
— obs. sur Cass. crim., 19 fév. 2014, Dr. pén. 2014, no 30.
— obs. sur Cass. crim., 20 janv. 2015, Dr. pén. 2015, no 32.
— obs. sur Cass. crim., 28 janv. 2015, Dr. pén. 2015, no 64.
Vitu A. obs. sur Cass. crim., 16 janv. 1986, RSC 1986, p. 839.
— obs. sur Cass. crim., 30 mai 1989, RSC 1990, p. 325.
Vouin R. note sous Cass. crim., 25 juin 1959, JCP 1959, II, 11288.

540
Notes de jurisprudence

— note sous Cass. crim., 25 oct. 1962, JCP 1963, II, 12985.
Winckelmuller F. obs. sur Cass. crim., 5 fév. 2014, D. actualité 2014.

541
542
Index

Les entrées référencées renvoient aux numéros de paragraphes.

A - théorie de la justification : 64, 389


Abandon de famille : 186 - principe de nécessité (— et) : 197
Abstention : 266 - virtuelle : 385
- causalité : 345 Association de malfaiteurs : 484
Abus de confiance : 82, 356 et s. - complicité : 496
Abus de faiblesse : 207 Atteinte à l’intimité de la vie privée :
Action civile : 478 338 (en note)
Action publique : voir cause de l’action Atteinte à la valeur protégée :
publique - antijuridicité (— et) : 197
Actus reus, mens rea : 2, 219 - atteinte abstraite : 338
Agressions sexuelles : 272 Auteur :
Amnistie : 389 (en note) - intellectuel : 377
Ancel : 171 - médiat : 378 :
Animus necandi : 419 - imputation : 459
- empoisonnement : 416 - moral : 376 :
Antijuridicité : - imputation : 459
- caractère attentatoire du comportement :
B
197
Beccaria : 36, 170
- causalité (— et) : 198, 342
Bentham : 170
- doctrine allemande : 63 et s., 174 et s. :
Biens juridiques : 176 et s.
- antijuridicité formelle : 175 :
- caractère immatériel des — : 313
- antijuridicité matérielle : 177 :
- crise du concept de bien juridique : 189
- antijuridicité matérielle (dangers) :
- diffus : 338 (en note)
190 et s. :
- et valeurs protégées : 181
- antijuridicité matérielle (droit pénal
- libre détermination des — : 176
normatif) : 191 :
- limitation du droit de punir : 179
- bien juridique : 175 :
- objet de l’action (— et) : 313 et s.
- but du droit pénal : 391 :
- origine des — : 177
- élément constitutif : 63, 174 :
Binding : 175
- limite au droit de punir : 177 :
Bizutage : 294
- présomption : 314 :
Bonne foi : 425

543
- fait justificatif de — : 397 (en note) - élément antijuridique : 353 et s. :
But poursuivi : - circonstances aggravantes : 366 :
- degré de la volonté : 413 - lien de causalité : 372 :
- préjudice : 355 :
C
- valeur protégée : 380 et s.
Caractère attentatoire :
- élément matériel : 289 et s. :
- indice de la nécessité : 197
- circonstances aggravantes : 296 :
Causalité : voir aussi Lien de causalité
- diversité : 283 et s. :
- adéquate (théorie de la —) : 374
- lieu : 290 :
- antijuridicité (— et) : 342 et s.
- moyen employé : 292 :
- indirecte : 379
- sujet actif : 291
- infractions d’abstention : 345
- élément psychologique : 434 et s. :
- lien de causalité (— et) : 346
- circonstances d’imputabilité :
- participative : 493
444 et s. :
Cause de l’action publique : 129
- connaissance de la loi : 442 :
Causes de non-culpabilité : 458, 466 et s.
- connaissance des circonstances
- coaction et complicité : 476
objectives : 436 :
- effet des — : 471 et s.
- liberté et discernement : 456
- effet in rem (relativisation) : 475 et s.
- localisation de l’infraction : 149
Causes de non-imputabilité : voir causes
Coaction : 476
de non-culpabilité
- causes d’irresponsabilité : 458
Causes objectives d’irresponsabilité :
- causes de non-culpabilité : 476
voir Faits justificatifs
- complicité (— et) :
Chauveau et Hélie : 92, 101
- confusion : 492 :
Circonstance relative à la valeur
- distinction : 493
protégée : 380
Commission : 445 et s.
Circonstances aggravantes :
- imputation (— et) : 445
- élément antijuridique : 366 et s.
- présomption de commission : 463
- élément psychologique : 438
- primauté sur l’imputation : 454 et s.
- éléments constitutifs de l’infraction
Complémentarité du fait et de la volonté :
aggravée : 83, 104, 296 et s.
33
- et élément matériel : 297 et s.
- éléments constitutifs : 240
- matérielles ou mixtes : 297
- fondements : 214
- surqualification : 368, 440
- principe général du droit : 217 et s.
Circonstances constitutives :
Complicité :
- définition : 145
- auteur intellectuel : 377

544
- causalité participative : 493 Consommation : 109
- causes d’irresponsabilité : 458 - infractions formelles : 342
- causes de non-culpabilité : 476 - résultat redouté : 334
- coaction (— et) : Contrôle de nécessité : 199 et s.
- confusion : 492 : - double incrimination : 199
- distinction : 493 - élément antijuridique (— et) : 197 et s.
- corespective : 461 Contrainte : 471
- de second degré : 492 Contrat social : 170
- délit distinct : 491 Contravention :
- éléments constitutifs : 492 - nature : 433
- fait principal punissable : 228 : - présomption irréfragable : 429
- absence : 476 - spécificité structurelle : 430 et s., 432,
- imputation : 485 482
- lien de causalité : 485 et s. Contrebande : 305
- nature de la — : 490 et s. Contrefaçon : 425
- originalité structurelle : 493 Culpa :
- soutien moral : 486 - et dolus : 408
- tentative de — : 490, 493 Culpabilité : 444
- théorie de l’emprunt de criminalité : Cumul des poursuites : 199
490
D
Concours de qualifications : 210
Dangerosité : 172, 256
- idéal : 201 (en note)
- droit pénal de l’ennemi : 188
Condition préalable :
- nécessité des incriminations (— et) :
- ambiguïté : 286
173
- autonomie : 79
Délit d’initié :
- circonstance relative à la valeur
- cumul des poursuites : 199
protégée (— et) : 288, 380
Délit de favoritisme : 271
- définitions : 285 et s.
Diffamation : 423
- élément préalable (— et) : 79
Dignité (valeur protégée) : 195
- fait constitutif : 6, 15
Discrimination : 293, 395 (en note)
- infraction d’origine : 299
Disparition forcée : 274
- rejet : 288
Dissimulation forcée du visage : 395
- remise en cause : 287
Dol :
Connaissance de la loi : 436
- ancien droit : 38
- présomption (de —) : 443
- dépassé : 414
Consentement de la victime : 389

545
- éventuel : 412, 414 : - préjudice : 355 et s. :
- faute antérieure : 474 - valeur protégée : 380 et s.
- général : - conception retenue : 315
- critique : 409 : - doctrine allemande : 180, voir aussi
- définition : 408 : antijuridicité :
- erreur de fait : 470 - caractère abstrait : 313 et s.
- spécial : 412 : - donnée principale de l’— : 316 et s. :
- empoisonnement : 416 - résultat redouté : 333 et s.
Double incrimination : 199 - faits justificatifs : 389 et s.
Droit pénal : - identification : 181 et s., 197 et s.
- caractère normatif du — : 191 et s. - infractions d’abstention : 345
- classique : 28 - infractions formelles : 342
- de l’ennemi : 188 - infractions matérielles : 341
- droit sanctionnateur : 184 - infractions obstacles : 347
- général et droit pénal spécial : 153 - pouvoir causal : 342 et s.
- préventif : 171 - présomptions : 350
- spécial : - principe de nécessité (— et) : 197
- utilisation des éléments constitutifs : Élément constituant : 2 (en note), 159
70 et s. Élément injuste : 65 et s.
- technique : 337 et s. - caractère négatif : 66
Droits de la défense (fait justificatif Élément légal : 56 et s.
d’exercice des —) : 395 - caractère préalable : 80
- élément constituant : 2 (en note), 159
E
- évolution de l’— : 161
École classique : 36 et s.
- exercice de qualification (— et) : 160
École de la défense sociale nouvelle :
- naissance : 57 et s.
171 et s.
- réception en jurisprudence : 61
École éclectique : 51
- rejet : 160
- fondements du pouvoir de punir : 170
- typicité (— et) : 164
Élément antijuridique :
Élément matériel :
- analyse structurelle : 313 et s.
- analyse structurelle : 251 et s.
- circonstances constitutives : 352 et s. :
- circonstances constitutives : 278 et s. :
- circonstances aggravantes : 365 et s. :
- circonstances aggravantes : 296 :
- dédoublement du caractère
- diversité : 283 :
attentatoire : 354 :
- lieu : 290 :
- lien de causalité : 372 et s. :
- moyen employé : 292 :

546
- sujet actif : 291 - angles d’analyse du comportement :
- complexité : 254 139 :
- conception objective et conception - caractère composite : 141 et s. :
subjective : 255 - circonstances constitutives : 145 :
- donnée principale de l’— : 253 et s. : - composition des — : 144 et s. :
- fait d’exécution : 258 et s. - exercices de qualification : 112 et s. :
- identification : 240 et s. - objet : 120 :
- principe : 33 - outil de qualification : 109 et s. :
Élément moral : - schéma de qualification : 156 et s. :
- délinquant (— et) : 220 et s. - schéma de qualification (origine du
- droit international : 217 schéma) : 152 et s.
- élément de l’infraction : - approche traditionnelle :
- incertitudes : 223 : - caractères : 72 et s. :
- principe : 230 - caractères interne et contemporain :
- Statut de Rome : 218 79 :
Élément préalable : 79 (en note), 286 - caractères interne et contemporain
Élément psychologique : (remise en cause) : 148 :
- analyse structurelle : 404 et s. - circonstances aggravantes : 83 :
- circonstances constitutives : 434 et s. : - conditions (synonymie) : 86 et s. :
- circonstances aggravantes : 438 et s. : - consommation : 109 :
- circonstances d’imputabilité : - critique de la division : 234 :
444 et s. : - définition de l’infraction (— et) : 12 :
- circonstances présumées : 441 et s. : - dénaturation de l’outil : 69 :
- connaissance de la loi : 442 : - élément constituant (— et) :
- connaissance des circonstances 2 (en note), 8 (en note) :
objectives : 436 - études exégétiques : 92 et s. :
- donnée principale de l’— : 406 et s. : - généraux et spéciaux : 98 et s. :
- volonté : 411 et s. - objet (des — ) : 8 :
- identification : 240 et s. - outil de systématisation : 76 et s. :
- imputabilité : 410 - préjudice : 82 :
- principe : 33 - symétrie des éléments : 415, 436 :
- volonté : 406, 410 - utilisation des — : 70 et s.
Élément temporel : 74 - Common law : 2
Éléments constitutifs : - de la complicité : 492
- approche renouvelée : - de la faute civile : 16, 477
- de la tentative : 489 (en note)

547
- doctrine allemande : 2, 17, 63 : - pluralité de — : 267
- fusion des éléments matériel et - variations du — : 262
moral : 241 et s. Fait principal punissable : 228
- faits constitutifs (– et) : 6 Faits constitutifs : 6, 149
- histoire : 12 et s. : - condition préalable (— et) : 6
- loi des 16 et 29 septembre 1791 : Faits générateurs de responsabilité :
35 et s. : - complicité : 496
- loi des 16 et 29 septembre 1791 - diversité : 494
(conséquences pratiques) : 39 et s. : - tentative : 495
- loi des 16 et 29 septembre 1791 Faits justificatifs :
(procédure applicable) : 38 : - approche légaliste : 390
- origine procédurale : 27 et s. : - bonne foi : 397
- réception en doctrine : 49 et s. : - consentement de la victime : 389
- réception en jurisprudence : 45 et s. - contrainte (— et) : 472
- peine : 13 - doctrine allemande : 389 et s.
Empoisonnement : - effet in rem : 475 et s.
- consommation de l’— : 327, 343 - état de nécessité : 394, 395
- élément psychologique de l’— : 416 - exercice des droits de la défense : 395
Emprunt de criminalité (théorie de —) : - extra-légaux : 399
490 et s. - illicéité civile — et) : 477
Erreur : - légitime défense : 396
- contrefaçon : 425 et s. - pondération d’intérêts : 393
- de droit : 443, 468 et s. - pouvoir du juge : 394, 399
- de fait (absence d’antijuridicité - proportionnalité et nécessité : 396
subjective) : 470 - responsabilité civile (effet) : 477
Escroquerie : 270, 280 Faute :
État de nécessité : 394, 395 et s., 472 - antérieure (de la victime) : 474 :
- responsabilité civile : 477 - responsabilité civile : 477
Exceptio veritatis : 395, 397, 472 - civile :
Exécution de l’infraction : 260 - éléments constitutifs : 16, 477
Exégèse : 52 - diffuse : 462
- études exégétiques : 92 et s. - pénale : 408
Faux : 82, 90
F
Fonction expressive :
Fait : 253
- de la loi pénale : 192, 203
- d’exécution (élément matériel) : 258
- de la qualification : 209

548
Force majeure : 431, 474 - hypothèses exclues : 459 :
- imputation collective (délit
G
d’appartenance) : 461 :
Garçon : 93
- responsabilité en cascade : 460 :
Garofalo : 18
- responsabilité pénale des personnes
Garraud : 49
morales : 462
- conceptions subjective et objective
- approche traditionnelle :
(élément matériel) : 172, 255
- définition : 448 :
- élément injuste : 65 et s.
- imputabilité (distinction) : 448 :
- élément légal : 59 et s.
- imputation matérielle et
Génocide : 369
intellectuelle : 453 :
Gramatica : 171
- mécanisme d’— (exposé) : 448 et s. :
H - mécanisme d’— (remise en cause) :
Happy slapping : 486 453 et s. :
Homicide involontaire : - mécanisme d’— (scission de la
- éléments constitutifs de l’— : 88 l’appréciation de la volonté) : 455
Incrimination :
I
- identification de l’infraction : 497
Ignorance interdite : 428
- qualification légale : 115
Illicéité civile et illicéité pénale : 477
- valeur protégée (— et) : 204
Immunités : 389 (en note)
Inflation législative : 152
Imputabilité : 410
Infraction :
- approche traditionnelle : 450 et s. :
- ambivalence de l’— : 118
- critique : 452
- conception objective : 227 et s. :
- condition de la responsabilité : 451
- rejet (de la —) : 229
- conditions d’— : 449 :
- conception subjective : 229
- intégration à l’élément
- critères d’identification de l’— : 497
psychologique : 456
- description et infraction-action : 8,
- définition : 448
119 et s.
- élément psychologique (— et) : 450
- essence : 138
- imputation (distinction) : 448
- indivisibilité de l’— : 138
Imputation :
- responsabilité pénale (— et) :
- approche renouvelée :
- confusion : 237 :
- auteur médiat : 459 :
- distinction : 480
- auteur moral : 459 :
Infractions :
- complicité : 485 :
- aggravées : 296 :

549
- élément psychologique : 438 - spécificité structurelle : 349, 483 :
- attitrées : 291 - tentative : 495
- complexes : 267 et s. : - occultes : 5
- absence de spécificité structurelle : Intention :
277 : - degré de la volonté : 412
- infractions aggravées constitutive d’ - question relative à l’— : 35 et s.
— : 298 : Interprétation de la loi : 206
- infractions d’habitude (— et) : 267 : Iter criminis : 257
- pluralité d’éléments matériels : 90 :
J
- remise en cause : 270 et s. :
Jousse : 32
- survivance : 274 et s.
- d’habitude : 267 L
- d’origine : Lainé : 57, 161
- condition préalable de l’infraction de Légalité :
conséquence : 148, 299 - élément légal : 56 et s., 158, voir aussi
- de conséquence : 299 : cette entrée
- localisation dans l’espace : 300 - principe de — : 157
- douanières : 305 Légitime défense : 395, 396 et s., 472
- formalistes : 331 (en note), 337 et s. : - responsabilité civile : 477
- élément psychologique : 433 : Lien de causalité : 372 et s., voir aussi
- spécificité structurelle : 339, 482 Causalité
- formelles : 330 et s. : - caractères : 374
- indifférence du résultat redouté : 342 : - causalité participative : 493
- lien de causalité et pouvoir causal : - déplacement du — : 483 et s.
346 : Localisation dans l’espace : 6, 149
- pouvoir causal du comportement :
M
342
Mal du délit : 322
- impossibles : 382 et s. :
Mesures de sûreté : 497
- doctrine allemande : 384 :
Mise en danger (résultat) : 321 et s.,
- infraction putative (— et) : 386
329 et s.
- matérielles : 430 :
Mobiles : 75, voir aussi But poursuivi
- résultat redouté : 341
Molinier : 49
- obstacles :
Muyart de Vouglans : 12, 32
- complicité : 496 :
- défaut d’antijuridicité : 347 : N
- présomption d’antijuridicité : 350 : Non bis in idem : 199

550
Non-assistance à personne en péril : 345 - de commission d’une infraction :
Non-justification de ressources : 307 304 et s. :
Nullum crimen sine lege : 135, 157 - contrebande : 305 et s. :
- non-justification de ressources :
O
307 et s.
Objet de l’action (doctrine allemande) :
- de connaissance de la loi : 443 :
313
- obligation de connaissance de la loi
Omission : voir Abstention
(— et) : 469
Ortolan : 229
- de mauvaise foi : 423
- légitimité du droit de punir : 170
- diffamation et contrefaçon : 423 et s.
P - du fait de l’homme : 419
Peine : - élément matériel : 302 et s.
- caractéristiques et fonctions de la — : - élément moral : 303
497 - élément psychologique : 418 :
- critère d’identification de l’infraction : - dénaturation de l’élément
497 psychologique : 427
- élément non constitutif : 13 - irréfragable (contravention) : 429 et s.
- mesure de sûreté (distinction) : 497 Principe :
Poursuites : - d’exclusive protection des biens
- cumul des — : 199 juridiques : 178
Pouvoir causal : 346 - de complémentarité du fait et de la
Pouvoir de punir : volonté : 33, 216 et s. :
- fondements du — : 168 et s. - éléments constitutifs : 240
- juste et utile : 170 - de légalité : 157 :
Pratiques anticoncurrentielles : 338 - élément légal : 158
Préjudice : - de nécessité : 167 :
- distinction du résultat : 355 - caractère attentatoire : 197 et s. :
- élément constitutif : 82, 103 - contrôle de nécessité : 199 et s. :
- historique : 360 - critères d’appréciation : 168,
- individualisation du résultat : 359 169 et s. :
- valeur protégée (— et) : 207, 357 et s. - dangerosité (— et) : 173 :
Présomption : - détournement : 173 :
- circonstances d’imputabilité : 444 - élément antijuridique : 181 et s., 197 :
- d’antijuridicité : 350 - obligation d’incriminer (— et) : 204
- de commission : 463 - de personnalité des peines : 454, 459
- de subsidiarité : 192

551
Proxénétisme : 307 - décorrélation des responsabilités pénale
et civile : 477
Q
- pénale :
Qualification :
- chef d’entreprise (— du) : 459 :
- conception matérielle de l’action
- éléments constitutif de la — : 238 :
publique (— et) : 129
- faits générateurs : 480 et s. :
- contrôle de — : 130
- responsabilité en cascade : 460
- contraction ou addition (— par) : 279
- pénale des personnes morales :
- définitions : 113
462 et s. :
- exercice de — : 132 :
- élément psychologique : 463 :
- autorité de jugement : 128 :
- imputation : 462
- autorité de poursuites : 127 :
Résultat :
- conséquences sur la nature des
- composante de l’élément matériel :
éléments constitutifs : 134 et s. :
- approche traditionnelle : 253, 316 :
- méthodes inductive et comparative :
- rejet de l’approche traditionnelle :
127 et s.
317 et s.
- fonction des éléments constitutifs :
- diversité : 319
112 et s., 117
- doctrine allemande : 321
- judiciaire : 116
- juridique : 323
- légale : 115
- légal : 322 :
- méthodes de — : 122 et s. :
- imprécision : 325 et s.
- enjeux : 123 et s.
- matériel : 323
- purges des qualifications : 131
- mise en danger : 329 et s.
Question relative à l’intention : 35 et s.
- redouté : 333 :
- détournement : 43
- antijuridicité (— et) : 333 :
- généralisation : 41
- consommation (— et) : 334 :
R - infractions matérielles : 341 :
Recel : - risque (— et) : 336 :
- double présomption : 309 - violation de la loi (— et) : 337
- localisation dans l’espace : 300 - réel : 322
- non-justification de ressources (— et) : Risque :
307 et s. - résultat redouté : 336
Responsabilité : Risques causés à autrui : 336
- civile : - élément psychologique : 417
- faits justificatifs (effet) : 477 Roux : 229

552
S Villey : 49, 53, 161
Stellionat : 360 Viol : 272
Subsidiarité (principe de —) : 192 Violences volontaires : 281
Surqualification : 368 Volonté : 410
- ancien droit : 31
T
- caractérisation (présomptions) : 418
Tentative :
- degrés de la — : 412 et s. :
- éléments constitutifs : 489 (en note)
- but poursuivi : 413 :
- nature : 489
- intention : 412
Terrorisme : 368 et s.
von Liszt : 177, 181, 391
Tribunaux pénaux internationaux : 217
Trouble psychique ou neuropsychique :
471
Typicité : 2, 164

U
Utilitarisme : 170

V
Valeur protégée :
- circonstance relative à la — : 288
- condition préalable (— et) : 285
- dignité : 195
- exercice de qualification judiciaire :
205 et s.
- exercice de qualification légale :
203 et s.
- fonction expressive de la qualification :
209
- identification des — : 194 et s.
- identification des — (difficultés) : 186
- indice de la nécessité : 196, 201
- interprétation de la loi : 206
- légitimation des incriminations : 193
- malléabilité : 195
- nature du préjudice : 207
- préjudice (— et) : 357 et s.

553
Table des matières

Sommaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . v

Liste des principales abréviations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ix

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

§ 1 L’opportunité douteuse de la division traditionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5


A Une utilisation éloignée de la division traditionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . 5
B Une réalité éloignée de la division traditionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

§ 2 L’intérêt avéré des éléments constitutifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15


A Les éléments constitutifs, vecteurs d’une certaine conception de l’infraction . . . 17
B Les éléments constitutifs, mesure de l’infraction . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

Première partie L’identification substantielle des éléments constitutifs . 31

Titre I Les éléments constitutifs, outil déficient d’analyse . . . . . . . . . . . . 35

Chapitre 1 La naissance de l’outil d’analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

Section 1 D’une exigence procédurale à une règle de fond . . . . . . . . . . . . . 38

§ 1 L’affirmation de la complémentarité du fait et de la volonté . . . . . . . . . . . . . 38


A La complémentarité entre le fait et la volonté, constante de la responsabilité pénale 39
B L’affirmation légale de la complémentarité du fait et de la volonté . . . . . . . . . 42
1 La loi procédurale des 16 et 29 septembre 1791 . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
2 La confirmation de l’importance de la question sur l’intention . . . . . . . . . 47

§ 2 L’influence de la jurisprudence sur l’affirmation des deux éléments . . . . . . . . . 49


A L’utilisation de la question sur l’intention par la jurisprudence . . . . . . . . . . 49
B De la procédure à la structure de l’infraction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

Section 2 Le développement par la doctrine des éléments constitutifs . . . . . . 54

§ 1 Le développement d’un outil doctrinal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54


A La généralisation du recours aux éléments dans l’étude de l’infraction . . . . . . 55
B La tentative de théorisation de l’infraction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58

§ 2 L’identification de nouveaux éléments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60


A La légalité érigée en élément . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

554
B L’injuste, élément discuté de l’infraction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
1 L’antijuridicité en doctrine allemande . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
2 La conception négative de l’élément injuste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67

Chapitre 2 La dénaturation de l’outil d’analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71

Section 1 La perte d’identité des éléments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72

§ 1 L’identité des éléments de l’infraction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73


A Des éléments communs aux infractions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
1 Le caractère commun, déterminant dans l’identification des éléments . . . . . 73
2 Les éléments, outil de systématisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
B Des éléments internes et contemporains au comportement . . . . . . . . . . . . . 78

§ 2 L’identité des éléments des infractions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80


A Le raisonnement par catégorie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
B L’éclatement des éléments en droit pénal spécial . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
1 Une synonymie latente . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
2 Une synonymie patente . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89

Section 2 La perte d’utilité des éléments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

§ 1 La distinction éléments généraux et spéciaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

§ 2 Une distinction contestable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95


A Des incohérences persistantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
B L’utilité des éléments cantonnée au droit pénal général . . . . . . . . . . . . . . 99

Titre II Les éléments constitutifs, outil fondamental de qualification . . . . . . 105

Chapitre 1 L’exercice de qualification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109


Section 1 Le rôle des éléments en matière de qualification . . . . . . . . . . . . . 110
§ 1 Un rôle commun aux exercices de qualification légale et judiciaire . . . . . . . . . . 110
A De la qualification légale et de la qualification judiciaire . . . . . . . . . . . . . 110
B Une dualité d’objet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114

§ 2 Les modalités de l’exercice de qualification judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . 116


A Les différentes démarches de qualification judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . 117
B Une démarche intermédiaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
1 Le principe : une qualification des faits vers le droit . . . . . . . . . . . . . . . 120
2 La pratique : l’aller-retour entre les faits et le droit . . . . . . . . . . . . . . . 123

555
Section 2 Les conséquences de l’exercice de qualification sur la nature des
éléments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
§ 1 Les éléments, angles d’analyse du comportement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125

§ 2 Les éléments, ensembles composites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130


A Le caractère composite des éléments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
B La composition des éléments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132

Chapitre 2 Le schéma de qualification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143


Section 1 L’exigence de forme : une exigence non constitutive . . . . . . . . . . 146
§ 1 L’exigence d’un texte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147

§ 2 Le fondement légal, support de la qualification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149

Section 2 Les exigences de fond : des exigences constitutives . . . . . . . . . . . 155


§ 1 Le prolongement du principe de nécessité dans la constitution de l’infraction . . . . 156
A Des critères déduits des fondements du droit de punir . . . . . . . . . . . . . . . 158
1 Rappel historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
2 La protection des biens juridiques en doctrine allemande . . . . . . . . . . . . 165
B L’enrichissement de l’analyse française par l’approche allemande . . . . . . . . 172
1 La nécessaire adaptation de l’élément antijuridique . . . . . . . . . . . . . . . 174
a L’impossibilité d’une transposition parfaite de l’élément antijuridique . . . . 174
α L’absence de prise en compte réelle de l’antijuridicité en droit positif français . . 175
β Les dangers de la conception matérielle de l’antijuridicité . . . . . . . . . . . . 183
i Le caractère normatif favorisé par l’antijuridicité matérielle . . . . . . . . . . . . 183
ii La légitimation de la répression par la protection des valeurs . . . . . . . . . . . 185
b L’intérêt de l’introduction de l’antijuridicité en droit pénal français . . . . . 189
2 L’intervention de la valeur protégée en matière de qualification . . . . . . . . . 200
a L’intervention de la valeur protégée dans l’exercice de qualification légale . . 200
b L’intervention de la valeur protégée dans l’exercice de qualification judiciaire 202
α Un outil d’interprétation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202
β Une condition de la qualification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206

§ 2 L’incontournable dualité d’éléments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209


A La complémentarité, principe général du droit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 210
1 Un fondement législatif en droit interne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 210
2 Un principe général du droit en droit international . . . . . . . . . . . . . . . . 213
B Une complémentarité inhérente à l’infraction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218

556
1 L’infraction, notion subjective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218
a Une incertitude ancienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218
b Le refus du rattachement de l’élément moral à la responsabilité . . . . . . . 221
α L’incompatibilité de l’approche objective de l’infraction . . . . . . . . . . . . 221
i Exposé de l’approche objective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
ii Les limites de l’approche objective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224
β Les limites de la confusion infraction-responsabilité . . . . . . . . . . . . . . 229
i Exposé de la division de la responsabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229
ii L’infraction, objet préférable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231
2 La complémentarité comme éléments de l’infraction . . . . . . . . . . . . . . 234

Seconde partie L’analyse structurelle des éléments constitutifs . . . . . . 243

Titre I Les éléments objectifs de l’infraction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245

Chapitre 1 L’élément matériel de l’infraction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247


Section 1 Le fait, composante décisive de l’élément matériel . . . . . . . . . . . 248
§ 1 Le fait à titre principal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249
A La complexité théorique de l’élément matériel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250
B La complexité pratique de l’élément matériel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252

§ 2 Les variations du fait . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 256


A Les variations dans le mode de commission . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257
B La pluralité de faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259
1 L’absence de spécificité structurelle des infractions dites complexes . . . . . . 261
2 La survivance relative de la catégorie des infractions complexes . . . . . . . . 265

Section 2 Les circonstances du fait . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268


§ 1 L’importance des circonstances dans la caractérisation du fait . . . . . . . . . . . . 268

§ 2 L’importance des circonstances dans la caractérisation de l’élément matériel . . . . 271


A Les circonstances constitutives exigées par la loi . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271
1 La remise en cause de la condition dite préalable . . . . . . . . . . . . . . . . 272
2 Les circonstances constitutives de l’élément matériel . . . . . . . . . . . . . . 276
a La diversité des circonstances constitutives . . . . . . . . . . . . . . . . . . 276
b Les circonstances propres à certaines catégories d’infractions . . . . . . . . 280
α Les circonstances aggravantes, circonstances constitutives de l’infraction aggravée 280

557
β Rejet de l’analyse de l’infraction d’origine comme circonstance de l’infraction de
conséquence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 284
B Les circonstances, sources de dispense de vérification du fait . . . . . . . . . . . 288
1 Les présomptions de commission d’une infraction . . . . . . . . . . . . . . . 290
a Les présomptions en matière d’infractions douanières . . . . . . . . . . . . 290
b Les présomptions en matière de non-justification de ressources . . . . . . . 291
2 Les circonstances, cause exclusive de la répression . . . . . . . . . . . . . . . 294

Chapitre 2 L’élément antijuridique de l’infraction . . . . . . . . . . . . . . . . 297


Section 1 Le résultat, composante décisive de l’élément antijuridique . . . . . . 299
§ 1 Le résultat redouté, résultat retenu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301
A Les insuffisances du résultat légal comme donnée principale de l’antijuridicité . . 301
1 Exposé des différents résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301
2 Le résultat légal, résultat rejeté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305
a Une définition extensive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305
b La mise en danger, critère impraticable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 308
B Le résultat redouté, incarnation du caractère attentatoire . . . . . . . . . . . . . 311

§ 2 La causalité, révélateur subsidiaire de l’antijuridicité . . . . . . . . . . . . . . . . . 318


A Le déplacement de l’antijuridicité dans les infractions formelles . . . . . . . . . 319
B L’absence d’antijuridicité dans les infractions obstacles . . . . . . . . . . . . . . 324

Section 2 Les circonstances de l’atteinte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 328


§ 1 Les circonstances indispensables à la caractérisation de l’élément antijuridique . . . 329
A Les circonstances résultant d’un dédoublement du caractère attentatoire . . . . . 329
1 L’individualisation de l’atteinte : l’exigence d’un préjudice . . . . . . . . . . . 330
a L’impossible détermination de la nature du préjudice exigé . . . . . . . . . . 331
b Une individualisation inhérente à la survenance du résultat . . . . . . . . . . 333
2 La pluralité d’atteintes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 338
a Le dédoublement résultant d’une circonstance aggravante . . . . . . . . . . 338
b Le dédoublement résultant d’une surqualification . . . . . . . . . . . . . . . 340
B Les autres circonstances constitutives de l’élément antijuridique . . . . . . . . . 343
1 Le lien causalité, circonstance de l’atteinte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 343
a L’importance du lien causalité dans les infractions matérielles . . . . . . . . 343
b Les hypothèses d’atténuation du lien de causalité . . . . . . . . . . . . . . . 345
2 La circonstance relative à la valeur protégée, circonstance du caractère attentatoire349

558
§ 2 Les circonstances obstacles à la caractérisation de l’infraction sous son angle antiju-
ridique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 356
A Les obstacles au rattachement de la justification à l’élément antijuridique . . . . 357
B Le rattachement de la justification à l’élément antijuridique . . . . . . . . . . . . 360

Titre II L’élément subjectif de l’infraction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 371

Chapitre 1 L’élément psychologique de l’infraction . . . . . . . . . . . . . . . 373


Section 1 La volonté, composante décisive de l’élément psychologique . . . . . 374
§ 1 L’exigence constante de la volonté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 375
A L’opposition culpa et dolus, obstacle à la systématisation . . . . . . . . . . . . . 375
B Les variations de la volonté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 379
1 Les degrés de la volonté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 379
2 L’intention exigée dans les infractions formelles . . . . . . . . . . . . . . . . . 383

§ 2 La caractérisation de la volonté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 388


A La preuve de l’intention par induction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 389
B Les présomptions affectant l’obligation de caractérisation de la volonté . . . . . . 390
1 La dénaturation de l’infraction par le recours aux présomptions . . . . . . . . 391
a Les présomptions par inversement de la charge de la preuve . . . . . . . . . 391
b Les présomptions par déplacement de l’objet de la preuve . . . . . . . . . . 396
2 La dispense d’analyse subjective du comportement : la présomption irréfragable
en matière contraventionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 398

Section 2 Les circonstances de la volonté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 404


§ 1 Les circonstances constitutives donnant lieu à une vérification . . . . . . . . . . . . 405
A La connaissance des circonstances objectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 405
B L’influence variable des circonstances aggravantes . . . . . . . . . . . . . . . . 407

§ 2 Les circonstances constitutives donnant lieu à présomption . . . . . . . . . . . . . . 412


A La connaissance de la loi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 412
B Les circonstances d’imputabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 413
1 L’infraction commise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 415
a L’approche majoritaire de l’imputation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 415
α Le mécanisme d’imputation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 415
β La place de l’imputabilité dans le schéma de la responsabilité . . . . . . . . . . 417
b L’artifice de l’approche majoritaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 421
α Les inconvénients de l’approche majoritaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . 422

559
β La réunion des données psychologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 426
2 L’infraction imputée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 431

Chapitre 2 Les conséquences de la réunion des données psychologiques sur


la notion de responsabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 445
Section 1 L’influence des causes de non-culpabilité . . . . . . . . . . . . . . . . 446
§ 1 Un obstacle à la caractérisation de l’infraction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 446
A L’erreur sur le droit, ou le renversement de la présomption de connaissance de la
loi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 447
B Les autres causes de non-culpabilité, ou le renversement des présomptions de
liberté et de discernement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 451

§ 2 Les conséquences de l’impossibilité de caractériser l’infraction . . . . . . . . . . . 457

Section 2 L’absence de confusion entre l’infraction et la responsabilité . . . . . 464


§ 1 La polymorphie des faits générateurs de responsabilité . . . . . . . . . . . . . . . . 466
A La diversité des comportements non attentatoires . . . . . . . . . . . . . . . . . 466
B L’absence de caractère attentatoire en matière de complicité . . . . . . . . . . . 471

§ 2 La nature incertaine des faits générateurs de responsabilité . . . . . . . . . . . . . . 476


A L’absence de nature infractionnelle de la complicité . . . . . . . . . . . . . . . . 477
B La possible absence de nature infractionnelle de certains faits générateurs de
responsabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 486

Conclusion générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 499


Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 503
I. Ouvrages généraux, traités, manuels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 503
A. Histoire du droit, théorie générale, sociologie criminelle . . . . . . . . . . . . . 503

B. Droit pénal général, procédure pénale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 504

C. Droit pénal spécial, droit pénal des affaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 507

D. Droit comparé, droit international . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 507


a. Droit comparé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 507
b. Droit international . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 508

E. Droit civil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 508

F. Droit public, droit administratif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 509

II. Ouvrages spéciaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 510


560
A. Monographies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 510

B. Thèses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 510

III. Rapports, sources officielles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 513


IV. Lexiques, dictionnaires, encyclopédies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 513
A. Lexiques, dictionnaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 513

B. Encyclopédies juridiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 514


a. Juris-Classeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 514
b. Répertoire Dalloz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 514

V. Ouvrages collectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 515


VI. Articles de doctrine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 516
VII. Notes de jurisprudence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 530
Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 543
Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 554

561
Titre : Les éléments constitutifs, essai sur les composantes de l’infraction.

Mots clés : Imputabilité, responsabilité, éléments constitutifs, qualification, antijuridicité (illicéité),


condition préalable.

Résumé :Les éléments constitutifs sont omnipré- ments peuvent être trouvés. Initialement, ils ont permis
sents en droit pénal. Pourtant, il s’observe un profond de préciser la teneur du comportement infractionnel, en
désordre en la matière, où aucun consensus n’existe. rendant effective une certaine conception de l’infraction.
Ils varient, selon les auteurs, dans leur nombre et leur C’est de cette idée qu’il faut partir : elle éclaire sur ce
contenu. Les hésitations qui les entourent trahissent de que sont et quels sont les éléments. L’infraction répond
profondes incertitudes quant à leur nature, leur objet, ou à des principes qui lui donnent une certaine physionomie.
encore leur fonction. Elle possède à ce tire des composantes essentielles qui
Il existe pourtant un enjeu réel à la détermination des résultent de ce que le législateur n’est pas totalement
éléments. Instrument principalement didactique, ils sont libre dans le choix des comportements incriminés.
aussi un outil au service du principe de légalité. Définis Identifiés puis approfondis pour en déterminer la teneur
par le législateur, ils doivent être vérifiés par le juge pour exacte, les éléments constitutifs peuvent être un outil
que la condamnation soit légale. Or, outre le fait que les efficace, présentant des intérêts aussi bien pratiques que
éléments conditionnent la caractérisation des infractions, théoriques. Ils permettent de circonscrire l’infraction, de
ils peuvent aussi en guider la qualification. Pour ce faire, mieux en appréhender les spécificités et, par suite, de
il faut toutefois parvenir à identifier un schéma d’ana- l’identifier, là où les critères actuels se révèlent insuffi-
lyse qui, révélateur de l’infraction, vaille pour toutes sants. C’est une approche renouvelée de l’outil qui peut
les infractions. Un tel schéma peut être dégagé une être proposé, laquelle conduit à dégager des éléments
fois l’outil précisé. En revenant sur son émergence, des qui, une fois précisés, sont la mesure de l’infraction.
indices de la nature et de la fonction exactes des élé-

Title : The constituent elements, essay on the offence components.

Keywords : Imputability, criminal liability, constituent elements, qualification, illegality, prerequi-


site.

Abstract :Constituent elements are omnipresent in content of the offending behaviour, by making a certain
criminal law. Nevertheless, there is no consensus about conception of the offence effective. It is from this idea
them. They vary through the authors in their number and that we must start : it illuminates what they are and which
content. The hesitations surrounding them betray deep they are. The offence corresponds to principles which
uncertainties about their nature, object or function. give it a certain physiognomy. In this respect, it possesses
There is, however, a real stake in the determination of essential components which result from the fact that the
the elements. As a primarily didactic instrument, they legislator is not completely free in the choice of the
are also a tool for the principle of legality. Defined by conduct complained of.
the legislator, they must be verified by the judge so that Identified and further developed to determine its exact
the conviction is legal. Besides the fact that the ele- content, the elements can be an effective tool with both
ments determine the characterization of infringements, practical and theoretical interests. They make it possible
they can also guide their qualification. In order to do to circumscribe the offence, to understand the specifici-
this, however, it is necessary to identify a pattern of ties and, consequently, to identify it, where the current
analysis that, indicative of the infringement, applies to criteria prove insufficient. It is a renewed approach to the
all infringements. Such a scheme can be cleared once the tool that can be proposed, which leads to the identifica-
tool has been specified. By returning to its emergence, tion of elements that, once specified, are the measure of
clues to the nature and exact function of the elements can the offence.
be found. Initially, they made it possible to specify the

Faculté Jean Monnet


54, Boulevard Desgranges
92330 Sceaux, France

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