Le Sionisme À L'âge Des Dictateurs - Lenni Brenner
Le Sionisme À L'âge Des Dictateurs - Lenni Brenner
Le Sionisme À L'âge Des Dictateurs - Lenni Brenner
Lenni Brenner
1983
Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons
Attribution — Pas d’Utilisation Commerciale — Partage dans les Mêmes Conditions 4.0
International.
2
Table des matières
En guide d’introduction 8
Préface 10
3
TABLE DES MATIÈRES 4
Annexe 1 421
Annexe 2 426
Annexe 3 430
Abbréviations 445
5
TABLE DES ILLUSTRATIONS 6
Edward Mortimer
8
EN GUISE D’INTRODUCTION 9
inévitable, voire dans un certain sens justifiée, tant que des Juifs
vivaient hors de l’État d’Israël.
Il est exact que seule une franche extrême et lunatique du sio-
nisme alla jusqu’à proposer de rallier la guerre aux côtés de l’Al-
lemagne en 1941, dans l’espoir d’établir « l’État juif historique sur
une base nationale et totalitaire, et lié par un traité avec le Reich
allemand. » Malheureusement, ce fut ce groupe que l’actuel premier
ministre d’Israël décida de rallier.
Ce fait donne un caractère d’actualité supplémentaire à ce qui
serait de toutes façons une étude très controversée de l’histoire
sioniste à l’apogée du fascisme européen, écrite par Lenni Brenner,
un écrivain étasunien trotskyste qui se trouve également être juif.
Ce livre est bref (250 pages), vif, et fait l’objet d’une documentation
soignée. M. Brenner est en mesure de citer de nombreux cas où le
sionisme a collaboré avec des régimes anti-sémites, celui d’Hitler
y compris ; il prend également le soin de faire part de l’opposition
envers ce type de politiques au sein du mouvement sioniste.
Rétrospectivement, ces activités ont été défendues comme des
mesures répugnantes, mais nécessaires pour sauver des vies juives.
Mais Brenner démontre que la plupart du temps, cet objectif ne fut
que secondaire. Les dirigeants sionistes voulaient aider les jeunes
Juifs qualifiés et valides à émigrer en Palestine. Ils ne furent jamais
à l’avant-garde de la lutte contre la fascisme en Europe.
Cela n’absout en rien les Alliés de la seconde guerre mondiale
quant à leur cruel refus de mener quelque tentative sérieuse en vue
de sauver les Juifs européens. Comme le dit Brenner, « la Grande-
Bretagne doit être condamnée pour l’abandon des Juifs d’Europe » ;
mais « il n’appartient pas aux sionistes de le faire. »
Préface
10
PRÉFACE 11
commis par Hitler. Mais c’est là que résidait leur erreur : ils fon-
dèrent leur soutien envers Israël et le sionisme sur ce qu’Hitler avait
fait aux Juifs, au lieu de se fonder sur ce que les sionistes avaient
fait aux Juifs. Affirmer qu’une telle approche était intellectuelle-
ment et politiquement inadmissible ne renie en rien les profonds
sentiments que produit l’Holocauste.
Mais le sionisme est une idéolo-
gie, et ses chroniques sont à exami-
ner avec le même œil critique que ce-
lui avec lequel le lecteur devrait scru-
ter l’histoire de toute tendance po-
litique. Le sionisme ne coïncide pas
aujourd’hui, et n’a jamais coïncidé,
avec le Judaïsme ou avec le peuple
juif. L’écrasante majorité des victimes
juives d’Hitler n’étaient pas des sio-
nistes. Il est également exact, et le Figure 0.1 – Lenni Bren-
lecteur est invité à le vérifier par lui- ner
même, que la majorité des Juifs de Po-
logne, en particulier, avaient désavoué
le sionisme à la veille de l’Holocauste, qu’ils détestaient les poli-
tiques menées en septembre 1939 par Menahem Begin, l’un des di-
rigeants du mouvement prétendument « sioniste-révisioniste » de
la capitale polonaise. L’auteur du présent ouvrage, en tant que
Juif anti-sioniste, est insensible à l’accusation selon laquelle l’anti-
sionisme serait équivalent à l’anti-sémitisme et à la « haine de soi
juive. »
Il n’est guère nécessaire d’ajouter que toutes les tentatives d’as-
similer Juifs et sionistes, et par là-même d’attaquer les Juifs en tant
que tels, sont criminelles, et doivent faire l’objet d’une réponse sé-
vère. Il ne saurait exister la moindre confusion entre la lutte contre
le sionisme et l’hostilité envers les Juifs ou le Judaïsme. Le sionisme
prospère sur les craintes que les Juifs ont quant à un nouvel Ho-
locauste. Le peuple palestinien est profondément reconnaissant au
PRÉFACE 12
soutien sans faille que lui accordent les Juifs progressistes, qu’ils
soient religieux — comme Mme Ruth Blau, Elmer Berger, Moshe
Menuhin, ou Israël Shahak — ou athées — comme Felicia Lan-
ger et Leah Tsemel, ainsi que d’autres à gauche. Aucune théorie
nationale, théologique ou sociale ne peut, en aucun cas, se trans-
former en écueil sur le chemin de ces Juifs, d’Israël ou d’ailleurs,
qui sont déterminés à marcher côte à côte avec le peuple palestinien
contre l’injustice et le racisme. On peut affirmer, avec une certitude
scientifique, que, sans l’unité indissoluble des progressistes arabes
et juifs, la victoire sur le sionisme n’est pas seulement difficile : elle
est alors impossible.
Il a fallu, afin que ce livre ne devînt pas une encyclopédie, que les
éléments qu’il expose fissent l’objet d’un tri soigné, afin de pouvoir
établir une image d’ensemble. Il est inévitable que les érudits et
experts en divers sujets trouveront ici matière à se plaindre que
l’attention accordée par le présent ouvrage quant à telle ou telle
spécialité reste insuffisante. Ils auront raison de se plaindre ; des
ouvrages entiers ont été écrits sur chaque facette particulière des
problèmes plus larges que nous abordons ici, et le lecteur est invité
à s’intéresser aux sources citées dans les notes de bas de page. Une
difficulté supplémentaire réside dans le fait que nombre d’éléments
originaux sont rédigés dans des langues que fort peu de lecteurs
connaîtront. Pour y pallier, lorsque cela est possible, nous citerons
des sources et des traductions en anglais, dans le but de laisser au
lecteur sceptique l’opportunité de vérifier les éléments de recherche
sur lesquels nous fondons ce travail.
Comme le lecteur pourra le découvrir en parcourant le présent
ouvrage, les conséquences de l’idéologie sioniste méritent d’être étu-
diées et exposées. C’est ce que nous nous employons à réaliser ici.
En tant qu’anti-sioniste avoué, je conclus sans ambage que le sio-
nisme a entièrement tort ; mais il s’agit de ma conclusion, établie
sur la base des preuves. En résumé, les conclusions sont miennes.
Quant à la pertinence des arguments déployés pour y parvenir, le
lecteur est invité à en juger de lui-même.
Chapitre 1
Le sionisme et
l’antisémitisme avant
l’Holocauste
13
SIONISME ET ANTISÉMITISME AVANT L’HOLOCAUSTE 14
En Ukraine
La Rada était basée sur les professeurs de villages et d’autres
enthousiastes de la langue, trempés dans l’histoire « glorieuse » de
l’Ukraine — à savoir la révolte cosaque de Bogdan Zinovy Chmiel-
nicki au XVIIème siècle contre la Pologne, au cours de laquelle la
paysannerie enragée massacra 100 000 Juifs vus comme des inter-
médiaires travaillant pour les Pans (nobles) polonais. L’idéologie
nationaliste renforça le fiel quant aux « assassins du Christ » dont
les masses rurales illettrées avaient été abreuvées par l’ancien ré-
gime. Des débordements antisémites étaient inévitables avec un tel
climat idéologique, mais les sionistes s’y laissèrent entraîner par des
promesses d’autonomie nationale, et envahirent la Rada. En janvier
SIONISME ET ANTISÉMITISME AVANT L’HOLOCAUSTE 35
En Lituanie
L’implication sioniste lituanienne avec les antisémites fut égale-
ment un échec, quoi qu’heureusement, la Lituanie ne provoqua pas
de pogroms significatifs. Les nationalistes de ce pays étaient dans
une situation extrêmement précaire. Non seulement se voyaient-ils
menacés par le communisme, mais ils luttaient également contre la
Pologne quant à un différend territorial autour de Vilnius. Ils se
sentirent contraints de travailler avec les sionistes, du fait qu’il leur
fallait s’assurer le soutien de la considérable minorité juive de Vil-
nius, et ils surestimèrent également l’influence sioniste sur les puis-
sances alliées, dont l’approbation était un prérequis s’ils voulaient
jamais s’emparer de cette ville. En décembre 1918, trois sionistes
firent leur entrée dans le gouvernement provisoire d’Antanas Sme-
tona et d’Augustinas Voldemaras. Jacob Wigodski devint ministre
aux affaires juives, N. Rachmilovitch vice-ministre au commerce,
et Shimshon Rosenbaum vice-ministre aux affaires étrangères.
39. Abraham Revusky, Encyclopedia Judaica, vol.14, col.134
40. Meir Grossmann, Encyclopedia Judaica, vol.7, col.938
SIONISME ET ANTISÉMITISME AVANT L’HOLOCAUSTE 36
39
LES RACINES DU RACISME SIONISTE 40
à une chrétienne, et craignait que son épouse fût mal vue par les
Orthodoxes du cru 2 . Il était déjà marié lorsqu’il se convertit au
sionisme et, en dépit de sa propre épouse non-juive, il devint lui-
même rapidement un raciste juif confirmé. Le 21 décembre 1903,
il accorda un interview au journal antisémite enragé d’Édouard
Drumont, La Libre Parole, au cours de laquelle il affirma que le
sionisme n’état pas une affaire de religion, mais exclusivement de
race, et qu’« il n’y a personne avec qui je sois plus d’accord sur ce
point que M. Drumont 3 ».
Bien qu’une seule des branches nationales de l’OSM (la fédé-
ration hollandaise, en 1913) essayât jamais de prendre la peine
d’essayer formellement d’exclure les Juifs vivant dans un mariage
mixte, le sionisme cosmopolite mourut précocement avec Herzl en
1904 4 . L’OSM en tant que telle n’eut jamais à prendre position
contre le mariage mixte ; ceux qui y croyaient n’envisagèrent que
rarement de rallier les sionistes, évidemment hostiles. En Europe de
l’Est, à la base du mouvement en termes de nombre, l’OSM par-
tageait les préjugés des communautés orthodoxes environnantes.
Bien que les anciens Juifs aient considéré le prosélytisme et le ma-
riage avec des non-Juifs comme les renforçant, des pressions ul-
térieures exercées par l’Église catholique amenèrent les rabbins à
commencer à considérer les convertis comme une « démangeaison
gênante », et ils abandonnèrent le prosélytisme. Au fil des siècles,
l’auto-ségrégation devint la marque de fabrique des Juifs. Avec le
temps, les masses en vinrent à considérer le mariage mixte comme
une trahison à l’orthodoxie. Bien qu’en occident, certains Juifs mo-
difièrent la religion et constituèrent des sectes de la « Réforme »,
et que d’autres abandonnèrent le Dieu de leurs pères fondateurs,
2. Amos Elon, Herzl, p.255
3. Desmond Stewart, Theodor Herzl, p.322
4. L’OSM est structuré par pays, et des élections sont tenues à l’échelle na-
tionale pour le Congrès sioniste mondial ; les diverses tendances idéologiques,
qui sont mondiales dans leur structure, présentent leurs délégués dans les di-
verses élections nationales
LES RACINES DU RACISME SIONISTE 42
les Juifs sous ce jour ; c’était plutôt l’opposé. Ils pensaient que les
Juifs, parce qu’ils n’avaient pas leur terre, étaient des Untermen-
schen et donc, pour leurs « hôtes », à peine mieux que des sangsues :
la plaie du monde.
Lorsque l’on croit soi-même en la validité de l’exclusivité raciale,
il est difficile d’objecter au racisme de quelqu’un d’autre. Si l’on
croit en outre qu’il est impossible à quelque peuple d’être sain sauf
à rester dans sa propre patrie, on ne peut pas objecter à quelqu’un
d’autre lorsqu’il exclut les « étrangers » de son territoire. En fait, le
sioniste moyen ne s’est jamais considéré comme quittant l’Europe
civilisée pour aller dans une Palestine sauvage. Les faits établissent
de manière évidente que le sang et la terre sionistes ont fourni une
excellente justification pour ne pas lutter contre l’antisémitisme là
où il est apparu. Ce n’était pas la faute des antisémites, c’était le
fait de l’infortune des Juifs en exil. Les sionistes pouvaient affirmer,
la larme à l’oeil, que la perte de la Palestine était la racine de
l’antisémitisme, et que récupérer la Palestine était la seule solution
à la question juive. Toute autre action ne pouvait être que palliative
ou futile.
Walter Laqueur, le doyen des historiens sionistes, a posé la ques-
tion dans son livre, Une histoire du sionisme, de savoir si l’in-
sistance sioniste sur le côté naturel de l’antisémitisme n’était pas
seulement « du grain à moudre pour la propagande nazie 15 . » Tel
fut le cas, sans aucun doute. On peut mieux répondre à la question
de Laqueur par une autre question : est-il difficile de comprendre
le lecteur crédule d’un journal nazi, concluant que ce que disent les
nazis, et que confirment les sionistes — des Juifs — doit bien être
exact ?
On allait trouver pire : tout mouvement juif jacassant sur le
côté naturel de l’antisémitisme était promis, tout aussi « naturel-
lement », à essayer de s’accorder avec les nazis une fois que ceux-ci
auraient pris le pouvoir.
Le sionisme allemand et
l’effondrement de la
république de Weimar
52
SIONISME ALLEMAND ET EFFONDREMENT DE LA
RÉPUBLIQUE DE WEIMAR 53
l’avenir.
Jusqu’à la fin des années 1920, Hitler avait perdu son temps
à essayer de recruter la classe laborieuse dans son parti national
socialiste des travailleurs allemands, mais peu d’entre eux étaient
intéressés : Hitler s’était prononcé pour la guerre, ils s’étaient finale-
ment révoltés contre elle ; Hitler était opposé aux grèves, ils consti-
tuaient de bons syndicalistes. Lorsque la Dépression lui amena
finalement une foule d’adeptes, ce furent les paysans, et non les
travailleurs, qui entrèrent en masse dans son mouvement. Weimar
n’avait rien changé à leur sort ; 27 % d’entre eux avaient toujours
moins d’un hectare à labourer, une autre fraction de 26 % dispo-
sait de moins de 5 hectares. Endettés auprès des banques avant le
début de la crise déjà, ces Chrétiens ruraux se laissèrent facilement
persuader de concentrer leur attention sur les Juifs qui, depuis des
siècles, avaient été identifiés avec les prêts sur gage et l’usure. La
classe professionnelle chrétienne, déjà trempée dans le völkisme du
sabre et de la bière dès l’université, ainsi que les petits commer-
çants, indignés de la compétition supérieure subie de la part des
grands magasins juifs, furent les suivants à abandonner la coalition
qui avait dirigé Weimar depuis sa création, et à rallier les nazis.
D’un petit 2.6 % en 1938, le vote nazi monta à 18.3 % lors des
élections du 14 septembre 1930.
La communauté juive religieuse se tourna vers son organisation
de défense traditionnelle, la Centralverein, l’association centrale
des citoyens allemands de confession juive ; voilà que pour la pre-
mière fois, les propriétaires de grands magasins, qui étaient devenus
une cible de choix pour l’attention des chemises brunes nazies, se
mirent à soutenir la Centralverein. Les dirigeants vieillissants de
la Centralverein n’étaient pas en mesure de comprendre l’effondre-
ment du capitalisme. Ils furent simplement stupéfaits lorsque leur
parti, le DDP, se retourna subitement vers le Staatspartei, mo-
dérément antisémite. Cependant, des membres plus jeunes de la
Centralverein écartèrent les vieux dirigeants et purent amener l’or-
ganisation à utiliser l’argent des grands magasins pour soutenir la
SIONISME ALLEMAND ET EFFONDREMENT DE LA
RÉPUBLIQUE DE WEIMAR 54
propagande anti-nazie du SDP. Après la trahison du DDP, le SPD
récupera environ 60 % de l’électorat juif. Seuls 8 % se tournèrent
vers les communistes, et la Centralverein ne fit preuve d’aucune
générosité en vertu des motifs énoncés selon lesquels ils militaient
contre Dieu ; la seule préoccupation était qu’ils fussent tout aussi
militants contre les angles financiers de la Centralverein.
Chacune des associations juives allemandes vit l’ascension d’Hit-
ler à travers sa propre lorgnette. Les jeunes fonctionnaires du Cen-
tralverein virent que la base de la classe laborieuse du SPD lui
restait loyale, et que les Juifs continuaient de s’intégrer à tous les
échelons du parti. Ce qu’ils ne comprirent pas fut que le SPD était
dans l’incapacité de vaincre Hitler. Avant la première guerre, le
SPF avait constitué le parti socialiste le plus grand du monde, la
fierté de l’Internationale socialiste. Mais il n’était guère que réfor-
miste, et tout au long de la république de Weimar, il ne parvint
pas à établir la solide base socialiste qui aurait permis à la classe
laborieuse allemande de résister aux nazis. Le début de la dépres-
sion se produisit alors que Hermann Müller, un des leurs, était
chancelier. Bientôt, leurs partenaires de la coalition de droite dé-
cidèrent que les travailleurs allaient devoir subir la charge de la
crise, et le remplacèrent par Heinrich Brüning, du parti catholique
Zentrumspartei. Le « chancelier de la faim » préleva des taxes sur
les chanceux ayant un emploi pour payer les allocations toujours
plus faibles des millions de chômeurs, dont les rangs ne cessaient
de grossir. Les dirigeants du SPD savaient qu’il s’agissait d’un sui-
cide, mais tolérèrent Brüning, de crainte qu’il fît entrer Hitler dans
sa coalition pour remplacer l’espace qu’ils auraient laissé vacant.
Ils ne se battirent donc pas contre les réductions pratiquées dans
les aides accordées aux chômeurs. Brüning n’avait rien à offrir à
la classe moyenne désespérée, et celle-ci s’habilla de plus en plus
en chemise brune. Dans les rangs du SPD, Juifs comme non-Juifs
regardèrent cela se produire passivement et assistèrent à l’agonie
de leur parti.
Le KPD communiste se saborda également. Le bolchevisme de
SIONISME ALLEMAND ET EFFONDREMENT DE LA
RÉPUBLIQUE DE WEIMAR 55
Lénine avait dégénéré jusqu’à se transformer en « troisième pé-
riode » d’ultra-gauche, sous Staline, et la Spartakusbund de Rosa
Luxemburg s’était transformée en Front rouge sous Ernst Thäl-
mann. Aux yeux de ces sectaires, tous les autres étaient des fas-
cistes. Les Sozialdemokraten étaient à présent des « Sozial Faschis-
ten », et aucune unité n’était possible avec eux.
Aux élections de 1930, les deux
partis associés à la classe laborieuse
combinés entre eux dépassèrent Hitler
de 37.6 % contre 18.3 %. On aurait pu
l’arrêter ; l’échec leur est attribuable
de n’avoir pas su s’unifier en un pro-
gramme militant de défense physique
conjointe contre les chemises brunes,
et de défense contre le massacre prati-
qué par le gouvernement sur le niveau
de vie des masses : ce fut pour cette
Figure 3.1 – Logo offi-
raison qu’Hitler parvint au pouvoir.
ciel du Roter Frontkämp-
Depuis la seconde guerre mondiale, les
ferbund - Source wikipedia
universitaires occidentaux ont eu ten-
dance à considérer que le KPD avait
« trahi » le SPD au travers du fanatisme de Staline. Dans le camp
stalinien, les rôles sont inversés ; c’est le SPD qu’on accuse de s’être
appuyé sur un élément aussi peu fiable que Brüning. Mais les deux
partis doivent partager la responsabilité de la débâcle.
68
SIONISME ET FASCISME ITALIEN — 1922-1933 69
Le sionisme allemand
propose de collaborer avec
le nazisme
77
LE SIONISME ALLEMAND PROPOSE DE COLLABORER
AVEC LE NAZISME 78
dernière génération de Juifs vers la Palestine, et ils s’employèrent
immédiatement à prendre contact avec des éléments de l’appareil
nazi dont ils estimaient qu’ils pourraient s’intéresser à un tel accord,
sur la base d’une appréciation völkish du sionisme. Kurt Tuchler,
un membre du comité de direction de la ZVfD, persuada le ba-
ron Leopold Itz Edler von Mildenstein de la SS, d’écrire un article
pro-sioniste dans la presse nazie. Le baron accepta, à condition de
visiter d’abord la Palestine, et deux mois après l’arrivée au pouvoir
d’Hitler, les deux hommes et leurs épouses se rendirent en Pales-
tine ; von Mildenstein y resta six mois avait de revenir rédiger ses
articles 2 .
96
LE BOYCOTT JUIF ANTI-NAZI ET L’ACCORD
COMMERCIAL ENTRE SIONISTES ET NAZIS 97
veau chancelier ; en s’alliant avec leurs amis de l’armée ils pouvaient
le faire plier, ou même le remplacer, s’ils devaient subir des pertes
par suite d’un boycott des exportations allemandes organisé par
les Juifs ainsi que ses autres adversaires étrangers. Les propres ex-
perts économiques du régime discutaient avec franchise leur grande
faiblesse, et se montraient extrêmement préoccupés que le Nouvel
Ordre puisse ne pas survivre à une opposition résolue de la part de
l’étranger.
Les Juifs furent très lents à bouger, mais finalement les Vétérans
de guerre juifs 1 de New York, après avoir examiné les conséquences
pour la communauté juive allemande, annoncèrent un boycott com-
mercial le 19 mars 1933, et organisèrent une gigantesque parade de
manifestation le 23. Le maire de New York s’y rendit, ainsi que les
communistes, que les anciens soldats empêchèrent d’entrer dans la
manifestation jusqu’à ce qu’ils abandonnassent leurs bannières. Re-
jeter les milliers de communistes de la communauté juive de New
York ruina les efforts du petit groupe de vétérans. Faisant preuve
d’une extrême naïveté politique, les vétérans firent fi du fait élémen-
taire, que pour qu’un boycott aie la moindre chance de parvenir à
ses fins, il faut qu’il dispose de l’unité la plus large possible derrière
lui. Peu après l’échec des vétérans, Abe Coralnik, un sioniste, ainsi
que Samuel Untermyer, un sympathisant qui avait versé des dons
pour la construction du nouveau stade de l’Université hébraïque
de Jérusalem, formèrent ce qui finit par devenir la Ligue anti-nazie
non sectaire 2 . Cependant, manifester pour un boycott était inter-
dit et Untermyer, un avocat Tammany, ne voulait pas enfreindre la
loi. Bien sûr, sans manifestation de masse, un boycott n’a aucune
chance de se mettre en place, et ceux qui, au sein de la communauté
juive, étaient déterminés à imposer un boycott se tournèrent alors
vers le rabbin Wise et le Congrès juif américain sioniste 3 pour qu’il
1. Jewish War Veterans — JWV, NdT
2. Non-Sectarian Anti-Nazi League, NdT
3. Zionist American Jewish Congress (AJC), NdT
LE BOYCOTT JUIF ANTI-NAZI ET L’ACCORD
COMMERCIAL ENTRE SIONISTES ET NAZIS 98
prît en main les opérations. Au départ, Wise s’opposa à la fois à
des manifestations et à un boycott, mais le 27 mars, il voulait rem-
plir Madison Square Garden avec une marche pour gêner Göring.
Une vaste assemblée d’hommes politiques, d’hommes d’Église, et
de syndicalistes dénonça haut et fort le tyran de Berlin, mais rien ne
fut réalisé pour organiser un soutien de masse. Wise, qui n’avait pas
mobilisé les masses avant qu’Hitler s’emparât du pouvoir, n’était
pas l’homme qui allait le faire à présent. Au contraire, il écrivit
à un ami : « Vous ne pouvez pas imaginer ce que je fais pour ré-
sister aux masses. Ils veulent des scènes de rue gigantesques 4 . »
Il s’opposa à un boycott, espérant que quelques manifestations, à
elles seules, allaient faire pression sur Roosevelt pour qu’il inter-
vînt. Mais le département d’État voyait Hitler comme un bélier
contre le communisme, et les hommes politiques étasuniens, dans
leur volonté désespérée de mettre fin à la Dépression, avaient soif
d’accéder au marché allemand. Le résultat fut que les Démocrates
ne firent rien, ni contre Hitler, ni pour les Juifs. En tant que Dé-
mocrate, Wise continua de se positionner contre un boycott mais,
alors qu’il était en Europe au moins d’août 1933, pour consulter les
dirigeants juifs allemands et prendre part au Congrès du sionisme
mondial, les éléments les plus militants de l’AJC parvinrent à faire
appel à un boycott. Mais l’AJC restait intrinsèquement une orga-
nisation bourgeoise sans expérience de la mobilisation des masses,
et comme la Ligue anti-nazie, elle s’opposa timidement à des pi-
quets appelant au boycott. Son directeur du boycott ne fit rien
de plus intense que de publier de superbes statistiques montrant à
quel point le commerce nazi se trouvait dévasté par le boycott 5 .
Ce ne fut que lorsque son groupe de jeunes finit par se rebeller et
monta un piquet dans une chaîne de grands magasins, à l’automne
1934, que l’AJC autorisa ses affiliés à établir des piquets devant les
4. Carl Voss, Let Stephen Wise Speak for Himself, Dimensions in American
Jewry (automne 1968), p.37
5. Moshe Gottlieb, The Anti-Nazi Boycott Movement in the American Je-
wish Community 1933-1941, PhD thesis, Brandeis University 1967, p.160
LE BOYCOTT JUIF ANTI-NAZI ET L’ACCORD
COMMERCIAL ENTRE SIONISTES ET NAZIS 99
magasins récalcitrants.
128
LE REGARD D’HITLER SUR LE SIONISME 129
prenant de voir à quel point une bonne terre juive sous ses pieds
pouvait dynamiser le Juif : « Le sol l’a refaçonné, et son espèce, en
l’espace de dix ans. Ce nouveau Juif sera un nouveau peuple 18 . »
Pour commémorer l’expédition du baron, Goebbels fit frapper une
médaille : d’un côté, on y voyait la swastika, et sur l’autre face,
l’étoile sioniste 19 .
Au mois de mai 1935, Reinhardt Heydrich, qui était alors chef
des services de sécurité de la SS, et qui deviendrait le tristement
célèbre « Protecteur » des territoires tchèques incorporés au Reich,
écrivit un article, L’Ennemi visible, pour l’organe de presse officiel
de la SS, Das Schwarze Korps. Dans cet article, Heydrich évaluait
les diverses tendances parmi les Juifs, et comparait très injustement
les assimilationnistes aux sionistes. Sa partialité envers le sionisme
n’aurait pas pu être exprimée de manière plus univoque :
Après la prise du pouvoir nazie, nos lois raciales ont
en fait considérablement réduit l’influence immédiate
des Juifs. Mais. . .la question telle qu’il la voit reste :
Comment pouvons-nous retrouver notre ancienne po-
sition. . .Nous devons séparer la communauté juive en
deux catégories. . .les sionistes et ceux favorables à se
laisser assimiler. Les sionistes adhèrent à une position
raciale stricte, et en émigrant vers la Palestine, ils contri-
buent à créer leur propre État juif.
Heydrich leur faisait des adieux affectueux : « L’heure ne peut
être lointaine, où la Palestine sera de nouveau en mesure d’accepter
ses fils, perdus depuis plus de mille ans. Nos meilleurs vœux, ainsi
que notre bien officiel, les accompagneront. 20 . »
18. Leopold von Mildenstein (pseudonyme : von Lim), Ein Nazi fährt nach
Palästina, Der Angriff (le 9 octobre 1934), p.4
19. Jacob Boas, A Nazi Travels to Palestine, History Today (Londres, jan-
vier 1980), p.38
20. Hohne, Order of the Death’s Head, p.333 ; et Karl Schleunes, The Twis-
ted Road to Auschwitz, pp.1934
LE REGARD D’HITLER SUR LE SIONISME 138
nazisme, les nazis n’auraient jamais dit aux Juifs, pas plus que cette
foule, que la place de tout Juif était en Palestine. Peut-être alors
que, au cours de cette nuit à Hanovre, les cris qui furent proférés
auraient été « les Juifs en Pologne », voire directement un « Mort
aux Juifs ». Le sombre fait est que la foule répéta ce que lui avaient
déjà criés les larbins d’Hitler : « Les Juifs en Palestine ! »
LE REGARD D’HITLER SUR LE SIONISME 144
La Palestine - arabes,
sionistes, britanniques et
nazis
Ce furent les Arabes, et non les sionistes, qui forcèrent les nazis
à revoir leur orientation pro-sioniste. Entre 1933 et 1936, 164 267
immigrés juifs entrèrent en Palestine ; dont 61 854 rien que pour
l’année 1935. La minorité juive crût de 18 % de la population en
1931 à 29.9 % en décembre 1935, et les sionistes se voyaient prendre
la majorité dans un avenir peu lointain.
Les Arabes furent les premiers à réagir à ces statistiques. Ils
n’avaient jamais accepté le mandat britannique, avec son objectif
déclaré d’établir un foyer national juif sur leurs terres. Les années
1920 et 1921 avaient été le théâtre d’émeutes ; en 1929, après une
suite de provocations menées par des chauvins sionistes et des fa-
natiques musulmans au niveau du Mur des lamentations, les foules
musulmanes se soulevèrent dans une vague d’atroces massacres, qui
culminèrent avec 135 morts juifs et presque autant de victimes mu-
sulmanes, ces dernières tuées principalement par les Britanniques.
146
LA PALESTINE - ARABES, SIONISTES, BRITANNIQUES ET
NAZIS 147
La politique arabe palestinienne était dominée par une poignée
de riches clans. Les plus nationalistes étaient les Husaynis, dirigés
par le mufti de Jérusalem, al-Hajj Amin al-Husayni, un homme in-
tensément pieux. Sa réponse aux provocations sionistes au niveau
du Mur fut de soulever les fidèles contre les sionistes, considérés
comme des infidèles plutôt que comme des ennemis politiques. Il
faisait preuve de soupçons à l’égard de toute réforme sociale, et
ne se montrait guère disposé à développer un programme politique
pouvant mobiliser la paysannerie palestinienne, dont une grande
partie restait illettrée. Ce fut son absence de programme pour la
majorité paysanne qui garantit qu’il ne pourrait jamais établir de
force politique capable de gérer les sionistes, qui restaient en in-
fériorité numérique, mais se montraient bien plus efficaces. Il fut
contraint de chercher un parrain à l’étranger, pour trouver la force
que ses politiques réactionnaires l’empêchaient de trouver au sein
de la société palestinienne. Il opta pour l’Italie.
L’accord avec Rome resta totalement secret jusqu’à sa divul-
gation accidentelle au mois d’avril 1935, car cet accord était in-
justifiable aux yeux du monde arabe. Mussolini avait utilisé du
gaz empoisonné contre le soulèvement de Senussi de 1935, en Li-
bye, et se montrait en outre ouvertement pro-sioniste. Cependant,
Rome maintenait une position anti-britannique et voulait financer
le mufti sur ce sujet. Le premier paiement fut réalisé en 1934, mais
rien de vraiment concret ne se produisit, que ce fût côté palestinien
ou italien. Des années plus tard, le ministre des affaires étrangères
de Mussolini — son gendre, Galeazzo Ciano — dut reconnaître face
à l’ambassadeur allemand que :
des années durant, il a maintenu des relations constantes
avec le grand mufti, dont les fonds secrets pourraient
faire l’objet d’un récit. Le retour de ce cadeau, chiffré
en millions, n’a pas été considérable, et s’est surtout
confiné à la destruction occasionnelle d’oléoducs, qui
LA PALESTINE - ARABES, SIONISTES, BRITANNIQUES ET
NAZIS 148
dans la plupart des cas purent rapidement être réparés 1 .
Il poursuivit :
13. Klaus Polkehn, The Secret Contacts : Zionism and Nazi Germany 1933-
41, Journal of Palestine Studies (Spring 1976), p.74
LA PALESTINE - ARABES, SIONISTES, BRITANNIQUES ET
NAZIS 160
au sein des cercles nationalistes juifs, les gens sont très
satisfaits de la politique radicale allemande, car la force
de la population juive de Palestine serait tellement ac-
crue par cela que dans un avenir proche, les Juifs pour-
raient disposer de la supériorité numérique sur les Arabes
en Palestine 14 .
Au cours de sa visite à Berlin au mois de février, Polkes avait
proposé que les Haganah puissent tenir lieu d’espions pour le compte
des nazis, et désormais il étalait leur bonne volonté en transmettant
deux renseignements. Il affirma à Hagen et Eichmann :
L’organisation du Congrès mondial panislamique à Ber-
lin est en contact direct avec deux dirigeants arabes pro-
soviétiques : l’émir Shekib Arslan et l’émir Adil Ars-
lan. . .La station radio communiste interdite qui émet
des ondes particulièrement puissantes vers l’Allemagne
est, selon l’affirmation de Polkes, montée sur un camion
qui circule à la frontière germano-luxembourgeoise au
moment des émissions radio 15 .
Ce fut ensuite le tour du mufti de venir essayer de s’associer
le soutien allemand. Cette fois, il envoya directement à Berlin son
agent, le docteur Said Imam, qui avait étudié en Allemagne et était
longtemps resté en contact avec le consulat allemand de Beyrouth,
pour qu’il y formulât une proposition. Si l’Allemagne acceptait de
« soutenir le mouvement d’indépendance arabe idéologiquement et
matériellement, » le mufti répondrait en « disséminant les idées
national-socialistes dans le monde arabo-islamique ; combattant le
communisme, qui semble se répandre graduellement, en usant de
tous les moyens possibles. » Il proposait également « de poursuivre
les actions de terrorisme dans tous les territoires coloniaux ou
sous mandat français habités par des Arabes ou des Mahométans ».
14. Heinz Hohne, The Order of the Death’s Head, p.337
15. Polkehn, The Secret Contacts, p.75
LA PALESTINE - ARABES, SIONISTES, BRITANNIQUES ET
NAZIS 161
S’ils gagnaient, il jurait « de n’utiliser que des ressources finan-
cières et intellectuelles allemandes. » Tout ceci était formulé dans
le contexte d’une promesse de maintenir séparées les races sémite et
aryenne, tâche délicatement stipulée sous les termes : « maintenir
et conserver les convictions nationales des deux peuples 16 . »
La Palestine recevait désormais une attention considérable de
chaque branche concernée de l’État allemand, ainsi que de l’ad-
ministration du parti. Les pro-sionistes continuaient de développer
leurs arguments de poids, surtout les économistes, qui considéraient
que le Ha’avara aidait l’économie allemande. Les critiques des re-
lations entre nazis et sionistes se préoccupaient de ce que le petit
État juif proposé pût être reconnu internationalement et commen-
cer à agir comme un Vatican juif, chose qui pouvait provoquer des
problèmes diplomatiques pour les Allemands et leur traitement des
Juifs. C’était le principal argument développé par Hagen et Eich-
mann dans leur rapport de voyage.
Ce furent les Britanniques qui réglèrent le dilemme nazi. Ils
s’étaient mis à réfléchir à ce qui pourrait suivre s’ils créaient un
petit État sioniste. La possibilité d’une guerre mondiale était évi-
dente et la création d’un État sioniste constituait la garantie que les
Arabes allaient se jeter dans les bras d’Hitler. La possibilité accrue
d’une guerre contre les Japonais belliqueux faisait particulièrement
monter l’importance de maintenir leur capacité à déplacer des ar-
mées dans le Moyen-Orient, par terre et en passant par le canal
de Suez, sans opposition indigène violente. La partition de Peel fut
donc enterrée à la hâte et les Britanniques déterminèrent que la
révolte arabe devait être éteinte avant que l’alliance émergente de
l’Axe pût en tirer parti. La révolte fut sauvagement écrasée par
l’armée britannique, suite à quoi l’immigration sioniste, cause de
la révolte, fut réduite.
Hitler n’avait dès lors plus à s’inquiéter de la possibilité d’un
Vatican juif, mais le fait que les Britanniques avaient pu en propo-
16. Documents on German Foreign Policy, p.779
LA PALESTINE - ARABES, SIONISTES, BRITANNIQUES ET
NAZIS 162
ser l’établissement rendait plausible la possibilité future d’un État
juif. Les calculs militaires allemands à long terme prenaient désor-
mais en compte l’opinion arabe comme facteur de politique étran-
gère. De nombreux diplomates allemands insistaient sur le fait que
l’accord Ha’avara garantissait que l’État finirait par se voir créé,
et l’opinion du bureau des affaires étrangères commença à s’y op-
poser ; cependant, l’idée fut sauvée par l’intervention d’Otto von
Hentig, un diplomate de métier qui avait traité avec les sionistes
sous l’Empereur et sous Weimar. Selon Ernst Marcus, le représen-
tant à Berlin du Ha’avara, von Hentig, « avec son profond amour
pour sa nation et son esprit. . .appréciait les forces dirigeant le sio-
nisme comme élément comparable à ses propres sentiments. » Il
travailla donc avec son associé sioniste pour essayer de maintenir
en vie « un traitement préférentiel de la Palestine. »
Il me conseilla de préparer les éléments appropriés pour
prouver que le nombre d’émigrés juifs partant d’Alle-
magne pour la Palestine, ainsi que leurs contributions
financières à l’établissement de la patrie juive étaient
bien trop réduits pour exercer une influence décisive sur
le développement du pays. Suivant ces instructions, je
compilai un mémorandum qui soulignait la part de Juifs
polonais dans le travail de reconstruction dans toutes
ses phases importantes, décrivait la contribution finan-
cière de la communauté juive étasunienne, et établis-
sait des comparaisons avec le faible effort réalisé par
les Juifs d’Allemagne 17 .
Von Hentig savait que la tâche de persuader Hitler d’aider le sio-
nisme devait être réalisée en personne, et au « moment favorable »,
alors qu’il rirait, serait d’humeur joyeuse et empli de sa bonne vo-
lonté coutumière à l’égard des Juifs. Un jour, au début de l’année
1938, Von Hentig appela pour faire part de bonnes nouvelles : « Le
17. Ernst Marcus, The German Foreign office and the Palestine Question
in the Period 1933-39, Yad Vashem Studies, vol.11, pp.187-8, 191
LA PALESTINE - ARABES, SIONISTES, BRITANNIQUES ET
NAZIS 163
Führer avait pris une décision affirmative et que tous les obstacles
sur la voie de l’émigration vers la Palestine avaient désormais été
déblayés 18 . »
Au départ, les nazis avaient essayé de rester neutres au cours
de la révolte arabe. Le jour du couronnement de 1937, toutes les
colonies des templiers firent flotter la swastika en sympathie avec la
Grande-Bretagne, et reçurent comme ordres stricts de ne pas sollici-
ter l’armée britannique ni d’avoir aucun lien avec les Mosleyites 19 .
Mais Berlin maintint la pression et, alors que l’argent et les émigrés
juifs continuaient de partir vers la Palestine, en 1938, l’amiral Wil-
helm Canaris, chef de la division du renseignement de l’Abwehr, fit
inscrire le mufti sur la liste de ses employés. Cependant, le mufti ne
faisait aucun signe de compétence politique ou militaire et l’argent
qui lui avait été versé de manière irrégulière finit par se tarir 20 . La
politique à suivre resta strictement une non-intervention militaire
dans la révolte arabe, jusqu’à la conférence de Munich de 1938, et
des expéditions d’armes ne furent préparées qu’à la fin de l’année
1938. Même alors, le désir de ne pas se confronter à Londres par
des menaces envers l’Empire britannique amenèrent à l’annulation
soudaine de la première livraison via l’Arabie Saoudite, lorsque les
Allemands furent convaincus que le ministre saoudien des affaires
étrangères était un agent britannique 21 . Les préoccupations alle-
mandes quant à la révolte arabe cessèrent avec l’annulation de la
livraison d’armes,
18. Ibid., pp.192-3
19. H.D. Schmidt, The Nazi Party in Palestine and the Levant 1932-9, In-
ternational Affairs (London, October 1952), p.466
20. Yisraeli, The Third Reich and Palestine, Middle East Studies (May
1971), p.349
21. Documents on German Foreign Policy, p.811
LA PALESTINE - ARABES, SIONISTES, BRITANNIQUES ET
NAZIS 164
L’échec de la collaboration du mufti avec les
dictateurs
Le mufti ne gagna rien, ni à l’époque, ni ultérieurement, du fait
de sa collaboration avec Rome ou Berlin, et les intérêts palesti-
niens n’auraient jamais pu avancer d’un pouce même si les deux
dictateurs avaient essayé d’œuvrer en leur faveur. Lorsque le mufti
se rapproche des nazis, ils encourageaient les Juifs à émigrer vers
la Palestine ; pourtant, pas une seule fois au cours de ses affaires
d’avant-guerre avec les nazis il ne suggéra qu’ils mettent fin à l’émi-
gration même qui était la source de la nouvelle force du sionisme.
Plus tard, au cours de la seconde guerre mondiale, sa haine du Juif
et son anti-communisme le persuadèrent de se rendre à Berlin et de
s’opposer à la libération de Juifs des camps, de crainte que ceux-ci
ne pussent finir en Palestine. Il finit par organiser une armée de SS
musulmans contre les Soviétiques et les partisans yougoslaves.
Le mufti était un réactionnaire incompétent, qui se laisse gui-
der par les sionistes dans son antisémitisme. C’était le sionisme
lui-même, dans sa tentative manifeste de transformer la Palestine
d’une terre arabe en État juif, puis d’en user pour poursuivre outre
mesure l’exploitation de la nation arabe, qui généra la haine du Juif
palestinienne. Le rabbin Yitzhak Hutner, d’Agoudat Israel, donna
une explication lucide de la trajectoire palestinienne.
Mais il devrait être manifeste que jusqu’aux pressions
par le grand public en faveur de l’édification d’un État
juif, le mufti n’avait aucun intérêt pour les Juifs de
Varsovie, de Budapest ou de Vilnius. Ce fut après que
les Juifs d’Europe devinssent une menace à l’encontre
du mufti, du fait de leur afflux imminent sur la Terre
sainte, que le mufti devint pour eux le Malekh Hamoves
— l’incarnation de l’Ange de la Mort. Il y a des années,
il était encore facile de trouver des résidents agés de
Yerushalayim qui avaient conservé en mémoire les re-
LA PALESTINE - ARABES, SIONISTES, BRITANNIQUES ET
NAZIS 165
lations cordiales qu’ils avaient maintenues avec le mufti
dans les années précédant la création d’un État juif. Une
fois que la réalité imminente de l’État d’Israël fut sous
ses yeux, le mufti n’épargna aucun effort pour influencer
Hitler afin qu’il assassine autant de Juifs que possible
dans le temps le plus réduit. Cet épisode honteux, où les
fondateurs et premiers dirigeants de l’État furent claire-
ment un facteur de destruction pour de nombreux Juifs,
a été complètement effacé et supprimé des récits 22 .
Si la collaboration du mufti avec les dictateurs ne peut être
justifiée, il devient absolument impossible de rationaliser les offres
du Haganah d’espionner pour le compte des nazis. Au vu de la levée
de boucliers contre le Ha’avara ainsi que la posture servile de la
ZVfD, il semble certain qu’à tout le moins une minorité significative
de l’OSM aurait voté avec ses pieds, si ces gens avaient eu vent de
la trahison souterraine du Haganah.
166
LE CONGRÈS JUIF MONDIAL 167
Le révisionisme sioniste et
le fascisme italien
174
RÉVISIONNISME SIONISTE ET FASCISME ITALIEN 175
36. New Palestine Party, New York Times (4 décembre 1948) (Letters), p.12
Chapitre 11
Le révisionisme et le
nazisme
198
RÉVISIONNISME ET NAZISME 199
juif.
Oui, nous autres révisionnistes entretenons une grande
admiration pour Hitler. Hitler a sauvé l’Allemagne. Sans
lui, ce pays aurait péri sous quatre ans. Et s’il avait re-
noncé à son antisémitisme, nous l’accompagnerions 2 .
Sans doute que dans les rangs révisionnistes à travers le monde,
nombreux furent ceux à considérer au départ les nazis comme sem-
blables à eux-mêmes : des nationalistes et des fascistes. En 1931,
leur journal étasunien, le Betar Monthly, avait ouvertement déclaré
son mépris pour ceux qui les qualifiaient de nazis.
Lorsque des dirigeants provinciaux de l’aile gauche, pré-
sentant un sionisme insignifiant, comme Berl Locker,
qualifient les révisionnistes et les betarim d’hitlériens,
nous ne sommes pas du tout gênés. . .Les Locker et leurs
amis aspirent à créer en Palestine une colonie de Mos-
cou avec un Arabe, au lieu d’une majorité juive, avec
un drapeau rouge au lieu de l’étendard blanc et bleu,
avec l’Internationale au lieu de la Hatikvah. . .Si Herzl
était fasciste et hitlérien, si une majorité juive sur les
deux rives du Jourdain, ainsi qu’un État juif en Pa-
lestine, résolvant les problèmes économiques, politiques
et culturels de la nation juive relèvent de l’hitlérisme,
alors nous sommes hitlériens 3 .
Les révisionnistes étaient sionistes, et de ce fait, ils partageaient
l’accord fondamental entre leur mouvement et les nazis, selon lequel
les Juifs ne pourraient jamais être de vrais Allemands. Le nazisme
était inévitable et compréhensible. Cette vision fut également très
bien exprimée par Ben Frommer, un révisionniste étasunien, en
1935. Aux yeux de Frommer, le Juif :
2. Elis Lubrany, Hitler in Jerusalem, Weltbühne (Berlin, 31 mai 1932),
p.835
3. Jerusalem or Moscow – Herzl or Lenin, Betar Monthly (15 août 1931),
pp.2, 5-6
RÉVISIONNISME ET NAZISME 200
213
GEORG KARESKI, LE QUISLING SIONISTE D’HITLER
AVANT L’HEURE 214
verser la direction germano-nationale « libérale », et au mois de
janvier 1929, il devint président de la communauté juive de Ber-
lin. Mais cette réussite ne fut que de courte durée, et les libéraux
le mirent en échec au mois de novembre 1930. Kareski était entré
dans la politique allemande lors des élections du Reichstag de 1930,
comme candidat du centre catholique, qui l’attirait du fait des pré-
occupations qu’entretenait ce parti quant à l’éducation religieuse et
du fait de son conservatisme social. Avec Hitler qui approchait du
pouvoir, Kareski rallia les révisionnistes, qu’il se mit à considérer
comme les potentiels équivalents juifs des nazis qui réussissaient
si bien. Ils avaient constitué une faction insignifiante au sein de
la ZVfD, ne remportant que 1 189 voix sur 8 494 lors de l’élection
des délégués du Congrès sioniste mondial de 1931. En 1933, les
révisionnistes étaient encore plus réduits à l’insignifiance du fait
de leurs divisions en cliques rivales. Kareski, avec son prestige de
membre notable de la communauté, n’eut aucune difficulté à deve-
nir le dirigeant de ces forces découragées, ni à les rassembler dans
une nouvelle organisation Staatzionistische.
Au mois de mai 1933, il commit son putsch ridicule au centre
de la communauté juive de Berlin, et fut exclus de la ZVfD. Sa car-
rière et son association avec les nazis continuèrent de se développer
après la scission révisionniste hors de l’OSM, suite à l’échec du boy-
cott anti-nazi au Congrès de Prague. Comme les révisionnistes ne
faisaient de facto plus partie de l’OSM, le bureau à la Palestine de
Berlin reçut pour instruction d’exclure les Betarim des candidats
possibles aux certificats d’immigration. Les révisionnistes répon-
dirent en déclenchant des rixes aux réunions de la ZVfD, en criant :
« Porc marxiste ! Vous êtes tous des sympathisants de l’histadrout,
qui appartient à la deuxième Internationale ! 1 » De ce fait, le siège
de la ZVfD fut temporairement fermé au mois de juin 1934. Au
6 août, l’un des dirigeants du State zionist, le Dr Friedrich Stern,
1. Revisionists Cause Crisis in German Zionism, Palestine Post (25 juin
1934), p.1
GEORG KARESKI, LE QUISLING SIONISTE D’HITLER
AVANT L’HEURE 215
envoya une lettre aux nazis pour expliquer que la croissance de
leur groupe de jeunesse anti-marxiste, le Nationale Jugend Herzlia,
était freinée par leur exclusion à toute émigration, le bureau à la
Palestine étant soi-disant occupé par des soutiens pro-marxistes de
la histadrout de la ZVfD. Stern proposa que le contrôle du bureau
à la Palestine leur fut cédé. La ZVfD eut vent de ce complot du fait
des agissements d’espions du Hechalutz au sein de la Herzlia et du
fait de ses propres contacts avec le régime, si bien que la tentative
échoua 2 . Les nazis comprirent rapidement que s’ils cédaient le bu-
reau à la Palestine au State zionist, l’OSM n’accorderait plus aucun
certificat en Allemagne. Tant que les nazis dépendirent de l’OSM
et des organisations caritatives juives pour organiser l’émigration,
ils ne purent pas imposer de collaborateur à la communauté juive.
La campagne menée par Karoski plaça Jabotinsky dans une po-
sition impossible : alors qu’il dénonçait l’OSM pour le Ha’avara,
son propre mouvement en Allemagne œuvrait pour les nazis, et il
fut bientôt contraint d’annoncer qu’à date, « l’aile du sionisme qui
partage notre vision herzlienne sait également que “marxiste” est
un mot à ne jamais utiliser dans les polémiques 3 . »
Les nazis avaient décidé d’une politique générale favorisant,
parmi les Juifs, les sionistes par rapport aux non-sionistes, et dans
ce cadre, ils décidèrent d’axer leur stratégie vers un encouragement
ouvert pour les State zionists, plutôt que la suppression des « mar-
xistes » de la ZVfD. Le 13 avril 1935, la Gestapo fit savoir à la
police régulière que, désormais, les State zionists allaient recevoir :
exceptionnellement, et de manière toujours révocable,
la permission de laisser ses membres appartenant à la
« National Youth Herzlia » et à la « Brith Hashomrim »
de porter leurs uniformes en intérieur. . .parce que les
2. Herbert Levine, A Jewish Collaborator in Nazi Germany : The Strange
Career of Georg Kareski, 1933-37, Central European History (septembre
1975), p.262
3. Vladimir Jabotinsky, Jews and Fascism, Jewish Daily Bulletin (11 avril
1935), p.2
GEORG KARESKI, LE QUISLING SIONISTE D’HITLER
AVANT L’HEURE 216
224
SÉLECTION DU PEUPLE ÉLU — DOCTRINE DE LA
« CRUAUTÉ SIONISTE » 225
Agency de « voyageurs autorisés », « apatrides » et « non spéci-
fiés », dont nombre de personnes étaient domiciliées en Allemagne
à cette période 4 . En comparaison, l’Encyclopedia Judaica estime à
63 000 le nombre d’émigrés partis pour les États-Unis, 40 000 vers
le Royaume-Uni, 30 000 vers la France, 25 000 vers la Belgique et
25 000 vers l’Argentine 5 . L’International Settlement à Shanghaï en
fit venir environ 16 000 entre 1938 et 1941, et l’Afrique du Sud
5 000 6 .
C’étaient les Britanniques, et non les sionistes, qui détermi-
naient la politique d’immigration de la Palestine, en utilisant une
combinaison de considérations politiques — par exemple, une éva-
luation de la réaction des Arabes, et des évaluations relativement
objectives en lien avec la capacité d’absorption de l’économie juive.
Chaque année, un quota était établi, et les certificats d’immigration
précédents étaient remis à l’OSM. Il y avait toujours des critères
politiques pour les candidats à l’immigration. Les communistes
étaient systématiquement refusés et 6% des certificats devaient être
remis aux agudaistes anti-sionistes, mais, d’un autre côté, les capi-
talistes à 1 000£ se voyaient toujours accorder l’entrée en sus des
quotas. Jusqu’à ce que la révolte arabe de 1936 forçât le manda-
taire à réduire drastiquement l’immigration, la Jewish Agency ne
défia jamais sérieusement Londres quant au nombre proposé de
personnes acceptées, ni quant aux justifications économiques sous-
jacentes.
La propre politique d’immigration de l’OSM avait peu à peu
évolué. Avant la première guerre mondiale, la plupart des immi-
grants provenaient de Russie, mais la révolution bolchevique avait
fini par tarir la source ; au cours de l’ère d’après-guerre, c’était la
Pologne qui avait le plus contribué à l’afflux de colons. La ligne
antisémite du gouvernement polonais d’Endek avait encouragé des
4. Fawzi Abu-Diab, Immigration to Israel, p.6
5. Encyclopedia Judaica, vol.7, col.491
6. David Kranzler, The Jewish Refugee Community of Shanghai, 1938-45,
Weiner Library Bulletin, vol.XXVI, nos.34 (1972-3), p.28
SÉLECTION DU PEUPLE ÉLU — DOCTRINE DE LA
« CRUAUTÉ SIONISTE » 226
milliers de Juifs artisans et provenant des couches inférieures de la
classe moyenne d’envisager l’émigration. Les États-Unis leur ayant
refusé l’entrée du fait des nouvelles restrictions quant à l’immigra-
tion, ils s’étaient tournés vers la Palestine, et leur afflux de capi-
taux produisit bientôt une explosion de l’immobilier à Tel Aviv,
les terrains se retrouvant vendus sur les marchés de Varsovie. Le
fonds national juif, qui organisait les colonies agricoles de l’OSM,
fut également contraint de s’acquitter d’un prix exorbitant pour
ses propres besoins agraires. Tel Aviv se développa par suite de la
nouvelle immigration, mais principalement du fait que des artisans
indépendants polonais y parvenaient ; le vieux patriarche entouré
de sa famille au sens large qui œuvrait sur quelques métiers à tisser.
Les Polonais résolvaient leurs propres problèmes, mais leurs petits
établissements ne pourraient jamais devenir la base d’une écono-
mie sioniste, une nécessité absolue s’ils devaient jamais arracher le
pays aux Arabes. En fin de compte, la bulle immobilière s’effondra,
amenant à la ruine de nombreux petits commerçants et à de vaste
taux de chômage dans les métiers de la construction ; bien que la
chute des prix convînt au fonds national juif, ils devaient désormais
s’occuper des besoins des chômeurs.
L’expérience produisit des changements de politique drastiques,
et il fut décidé qu’ils ne pouvaient pas se permettre d’assumer les
coûts sociaux d’une immigration de petits bourgeois. Dès 1924,
Weizmann commença à dénoncer les nouveaux colons, qu’il voyait
comme apportant avec eux « l’atmosphère du ghetto », et il avertit
que « nous ne construisons pas notre foyer national sur le modèle
de Djika et Nalevki. . .nous sommes ici à la maison, et ce que nous
construisons est voué à l’éternité 7 . »
Ce fut la politique du « pas de Nalevki » — le grand ghetto de
Varsovie — qui détourna le sionisme de la masse des Juifs ordi-
naires, qui pour la plupart n’étaient pas sionistes, ni même ne rele-
vaient des rangs du mouvement de la diaspora sioniste. Ils n’avaient
7. Chaim Weizmann, Trial and Error, p.301
SÉLECTION DU PEUPLE ÉLU — DOCTRINE DE LA
« CRUAUTÉ SIONISTE » 227
pas les compétences ou les ressources nécessaires à la Palestine, si
bien que le sionisme n’allait plus les aider ; les immigrés se ver-
raient sélectionnés strictement à l’avantage de Sion. Jusqu’en Pa-
lestine, l’OSM décida que les chômeurs devaient être encouragés à
ré-émigrer afin d’économiser les dépenses de prestations chômage 8 .
On commença à faire montre d’une forte préférence pour les kib-
boutzim collectivistes de tendance sioniste-travailliste, comme une
alliance développée entre le cercle de Weizmann qui, quoique bour-
geois eux-mêmes, s’employaient désespérément à faire baisser le
coût de la colonisation, et les gauchistes qui avaient une vision
d’une génération de Juifs « sains », désormais détachés des occu-
pations de la « diaspora », établissant une nation socialiste sur sa
propre terre. Leurs jeunes pionniers avaient tourné le dos aux va-
leurs de leurs familles de la classe moyenne et allaient endurer des
privations économiques considérables pour le bien de la cause. Le
sionisme devint une utopie obstinée, qui aida l’image du Juif, mais
n’essaya pas de résoudre le moindre des problèmes subis par les
masses juives en Europe.
L’organisation sioniste
mondiale et le fascisme
italien — 1933-1937
239
L’ORGANISATION SIONISTE MONDIALE ET LE FASCISME
ITALIEN — 1933-1937 240
ambassadeur rencontrer Hitler le 31 mars, l’exhortant à revenir
sur cette décision. Lors de cette rencontre, le Führer fit l’éloge du
Duce, mais Adolf Hitler était le plus grand expert mondial quant
aux Juifs, et n’avait pas besoin qu’on lui explique comment les trai-
ter. Était-ce sa faute si les marxistes de premier-plan étaient des
Juifs ? Et quels débordements avait-il commis contre les Juifs pour
que son nom soit aussi calomnié à l’étranger, répondit-il. Non, ses
admirateurs pourraient peut-être le remercier s’il annulait le boy-
cott, mais ses nombreux ennemis le prendraient comme un aveu de
faiblesse. Hitler demanda que, la prochaine fois que l’ambassadeur
rencontrerait Mussolini :
Ajoutez ceci : Que je ne veux pas savoir si dans deux
ou trois-cents ans mon nom sera vénéré en Allemagne
pour ce que j’espère si ardemment être en mesure de
réaliser pour mon peuple, mais en revanche, je suis bien
sûr d’une chose : dans cinq ou six-cents ans, le nom
d’Hitler sera glorifié partout comme nom de l’homme
qui débarrassa le monde une bonne fois pour toutes du
fléau du judaïsme 1 .
Les Italiens, qui se préoccupaient des desseins que développait
l’Allemagne quant à l’Autriche, étaient par conséquent en relative-
ment bons termes avec les Britanniques, et fournirent à Londres un
rapport sur l’interview d’Hitler, mais il n’existe aucune raison de
penser que Mussolini fît passer ces mots inquiétants aux sionistes,
et on ne dispose d’aucun élément laissant à penser que l’OSM eût
jamais l’idée de demander aux Italiens de leur laisser connaître
des informations de cette nature quant aux intentions d’Hitler. Les
centres d’intérêt de l’OSM étaient le soutien qu’ils escomptaient de
la part de Mussolini en Palestine, l’alliance avec les Britanniques
quant à l’Autriche, et la pression au nom de la communauté juive
1. Daniel Carpi Weizmann’s Political Activity in Italy from 1923 to 1934,
Zionism (Tel Aviv, 1975), p.239
L’ORGANISATION SIONISTE MONDIALE ET LE FASCISME
ITALIEN — 1933-1937 241
allemande dans le cadre des paramètres nazis. Il existait une an-
cienne tradition dans les communautés juives d’Europe de l’Est :
le shtadlin (l’intermédiaire), le riche Juif qui allait voir Haman et
lui versait des pots de vins pour enrayer la colère populaire. Mais
Hitler n’était pas le roi ordinaire de la haine du Juif, ni même un
Petlioura, et la présence d’aucun Juif n’était acceptée à ses côtés.
Bien que le sionisme dût combattre le shtadlinim traditionnel du
fait des jeux de pouvoir au sein des communautés juives, et tirât
grand parti de la timidité de ces gens, l’OSM considérait Musso-
lini comme leur intermédiaire auprès d’Hitler. Amener Mussolini
à murmurer à l’oreille d’Hitler n’était que la plus basse forme de
shtadlinut.
gociait pas avec les « bêtes sauvages 4 ». Le rideau qui persiste sur
cette rencontre nous empêche d’en savoir plus quant à ce dialogue,
mais le 26 avril restait antérieur à l’accord de Sam Cohen avec les
nazis au mois de mai ; même si Weizmann avait eu connaissance
des discussions tenues par Cohen à Berlin, il n’aurait guère pu
soulever ce projet encore vague. Mais le 17 juin, lorsqu’il écrivit à
Mussolini pour solliciter une autre rencontre au mois de juillet, Ar-
losoroff était rentré chez lui après ses propres pourparlers avec les
nazis quant aux termes du Ha’avara étendu, et il est raisonnable de
penser que Weizmann voulut discuter la proposition de participa-
tion fasciste dans la banque de liquidation du secrétaire politique.
Weizmann était désormais en position de prouver aux Italiens que
l’OSM comptait trouver un accord avec Hitler, même si cette orga-
nisation n’était pas en mesure d’ordonner à toute la communauté
juive de cesser les manifestations. Bien qu’il n’existe aucune preuve
4. Carpi, Weizmann’s Political Activity in Italy, p.217
L’ORGANISATION SIONISTE MONDIALE ET LE FASCISME
ITALIEN — 1933-1937 244
quant à l’idée que la conversation du mois d’avril déboucha sur une
tentative par Weizmann d’obtenir la promesse de la part des diri-
geants juifs mondiaux, le rabbin Sacerdoti s’employa à transmettre
les exhortations de Mussolini. Le 10 juillet, il signala au Duce qu’il
avait rencontre cinq dirigeants juifs, le grand rabbin de France,
le président de l’Alliance Israélite Universelle 5 , Neville Laski, di-
rigeant du conseil des représentants des Juifs britanniques, ainsi
que Norman Bentwitch et Victor Jacobson, de l’OSM. Ils avaient
tous convenu de rappeler les manifestants, « si Hitler rétablissait
les [droits des] Juifs 6 . »
253
L’AUTRICHE ET LES « AMIS GENTILS DU SIONISME » 254
à col blanc et les corporations. Bien que les deux groupes bour-
geois fussent hostiles à la démocratie, la force considérable des
socialistes à Vienne, et la dépendance financière de l’Autriche en-
vers la Grande-Bretagne et la France, laissaient présager d’un coup
d’État. Mais les sociaux-démocrates ainsi que les sociaux-chrétiens
prenaient soin de maintenir leurs milices de partis à un niveau sub-
stantiel.
262
LES PARTIS JUIFS D’EUROPE DE L’EST 263
On trouvait des Juifs pour soutenir tous les partis, sauf les an-
tisémites extrémistes. Nombre de locuteurs roumains prospères vo-
taient même pour les partis antisémites les plus modérés, pourvu
qu’ils fissent agir la police contre les voyous. D’autres Juifs, en
Transylvanie, étaient des nationalistes hongrois passionnés. Une
minorité votait pour les sociaux-démocrates ou soutenait les com-
munistes désignés comme hors la loi. Les sionistes, dont les bases
reposaient sur des locuteurs d’autres langues que le roumain, éta-
LES PARTIS JUIFS D’EUROPE DE L’EST 268
retour au parlement avec les voix des Juifs qui ne pouvaient désor-
mais plus voter pour le NPP. Mais ils n’en tirèrent parti que dans
une faible mesure, et leur score à ce suffrage ne s’éleva qu’à 1.4 %.
Si le parti juif et les sociaux-démocrates s’étaient alliés, ils au-
raient au moins obtenu les 2 % requis pour disposer d’un siège mais,
bien entendu, un effort pour un front unifié aurait rallié d’autres
forces en leur direction. Présenter le parti juif sans alliance aux
élections relevait du suicide politique. C’était exactement ce que
voulaient les antisémites ; Octavian Goga, qui devint premier mi-
nistre à l’issue des élections, avait dit aux Juifs pendant la cam-
pagne de « rester chez eux, ou de désigner leurs propres listes de
candidats, et de voter entre eux 6 . »
272
EN ESPAGNE — LES NAZIS SE BATTENT, MAIS PAS LES
SIONISTES 273
sur une échelle aussi importante que les contributions des États fas-
cistes.
On n’a pas de certitude quant au nombre de Juifs qui com-
battirent en Espagne. Ils s’identifiaient comme radicaux plutôt que
comme Juifs, et on ne les compta pas dès lors comme des Juifs. L’es-
timation soigneuse du professeur Albert Prago, qui fut lui-même
un vétéran de ce conflit, estime que les Juifs constituèrent 16 %
des brigades internationales, soit en proportion le groupe ethnique
le plus représenté 1 . On estime que parmi les 2 000 Britanniques,
au moins 214, soit 10.7 %, étaient des Juifs, et les nombres don-
nés pour les Juifs étasuniens sont compris entre 900 et 1 250, soit
30 % environ de la brigade Abraham Lincoln. Le groupe national
de Juifs le plus important était celui des Polonais, qui vivaient en
exil du régime sauvagement anti-communiste de Varsovie. Sur les
quelque 5 000 Polonais, 2 250, soit 45%, étaient juifs. En 1937, les
brigades, pour des raisons de propagande, établirent la compagnie
Naftali Botwin, composée de presque 200 locuteurs yiddish de la
brigade polonaise de Dombrowski. Chose étrange, nul n’a jamais
estimé le nombre de Juifs au sein du contingent allemand Ernst
Thaelmanns, le second contingent national le plus important, mais
ils y étaient bien représentés.
Quelques Italiens étaient également des Juifs ; le plus notable
d’entre eux était Carlo Rosselli, considéré par Mussolini comme son
opposant le plus dangereux au sein de la communauté en exil. Ce
franc-tireur libéral, qui s’était rendu en Espagne avec un certain
temps d’avance sur les communistes, organisa la première colonne
italienne de 130 hommes — pour la plupart des anarchistes, avec
quelques groupes de libéraux et de trotskystes — pour combattre
parmi les rangs de la milice des anarcho-syndicalistes de Catalogne.
Mussolini finit par faire assassiner Carol ainsi que son frère par des
voyous de la Cagoule, un groupe fasciste français, le 9 juillet 1937 2 .
1. Albert Prago, Jews in the International Brigades in Spain, p.6
2. Charles Delzell, Mussolini’s Enemies, pp.147-61
EN ESPAGNE — LES NAZIS SE BATTENT, MAIS PAS LES
SIONISTES 274
« La question n’est pas de savoir pourquoi ils y
sont allés, mais pourquoi nous n’y sommes pas
allés ? »
On comptait 22 sionistes de Palestine en Espagne lorsque la
guerre civile éclata. Il s’agissait de membres de l’Hapoël, l’asso-
ciation athlétique sioniste, en déplacement pour une olympiade de
travailleurs planifiée pour le 19 juillet 1936 à Barcelone, comme pro-
testation contre les Jeux olympiques à venir à Berlin 3 . Presque tous
prirent part aux combats qui se produisirent à Barcelone lorsque
les travailleurs écrasèrent le soulèvement de la garnison locale 4 .
Albert Prago mentionne les noms de deux autres sionistes, ve-
nus pour se battre, et sans doute y en eut-il d’autres, mais ils ne
se déplacèrent qu’à titre strictement individuel. Non seulement le
mouvement sioniste s’opposa-t-il à ce que ses membres de Pales-
tine se rendissent en Espagne, mais le 24 décembre 1937, Ha’aretz,
le quotidien sioniste de Palestine, dénonça les Juifs étasuniens des
brigades Lincoln qui s’étaient rendus en Espagne pour se battre au
lieu de venir travailler en Palestine 5 . Il se trouva des Juifs en Pa-
lestine pour ignorer les exhortations du mouvement sioniste et se
rendre en Espagne, mais on ne connaît pas vraiment leur nombre ;
les estimations vont de 267 à 500, en proportion, le nombre le plus
élevé pour tout pays 6 . L’Encyclopedia of Zionism et Israël les dé-
crivent sous le terme « 400 communistes environ » 7 . On sait que
certains sionistes, à titre individuel, figuraient dans ce nombre, mais
presque tous étaient membres du parti communiste de Palestine.
En 1973, les anciens combattants israéliens du conflit tinrent
3. Anti-Nazi World Olympic Games in Spain on July 19, Palestine Post
(13 juillet 1936), p.1
4. Prago, Jews in the International Brigades in Spain, pp.6-7
5. Morris Schappes, An Appeal to Zionists : Keep War Out of Palestine,
Jewish Life (April 1938), p.11
6. Prago, Jews in the International Brigades in Spain, p.5
7. Communists is Israel, Encyclopedia of Zionism and Israel, vol.2, p.204
EN ESPAGNE — LES NAZIS SE BATTENT, MAIS PAS LES
SIONISTES 275
une réunion et invitèrent les anciens combattants d’autres pays à y
participer. L’un d’entre eux, Saul Wellman, un Juif étasunien, dé-
crivit ultérieurement l’incident le plus important qui marqua l’évé-
nement, qui se produisit lors de la visite de Jérusalem, au moment
de la rencontre avec le maire, Teddy Kolleck. Ils avaient débattu
pour définir s’ils avaient eu raison de se rendre en Espagne au milieu
de la révolte arabe, et Kolleck avait sa propre réponse à apporter à
la discussion : « La question n’est pas de savoir pourquoi ils y sont
allés, mais pourquoi nous n’y sommes pas allés aussi 8 ? »
Plusieurs raisons, toutes profondément enracinées dans le sio-
nisme — et particulièrement dans le sionisme travailliste — per-
mettent d’expliquer cela, alors qu’il était clair que le nazisme s’était
impliqué de manière décisive du côté de Franco. Tous les sionistes
considéraient la résolution de la question juive comme leur tâche la
plus importante, et ils opposaient fermement le nationalisme juif à
tout concept de solidarité internationale ; nul ne dénonçait l’« assi-
milation rouge » plus vigoureusement que les sionistes travaillistes.
Durant la guerre civile d’Espagne, en 1937, Berl Katznelson, édi-
teur en chef de Davar, le quotidien de l’Histadrout, et l’une des
personnalités les plus influentes du mouvement, rédigea un pam-
phlet, sous le titre Constructivisme révolutionnaire, qui était en
premier chef une attaque contre sa propre jeunesse, qui critiquait
de plus en plus la ligne passive du parti quant au fascisme révision-
niste, et son racisme de plus en plus intense à l’encontre des Arabes.
La polémique de Katznelson menait également la charge contre le
coeur même du marxisme : son internationalisme. Il dénonçait les
jeunes sans ambages :
Ils n’ont pas la capacité à vivre leur propre vie. Ils ne
peuvent vivre que la vie de quelqu’un d’autre, et ne pen-
ser que les pensées de quelqu’un d’autre. Quel étrange
altruisme ! Nos idéologues sionistes ont toujours dénoncé
8. Saul Wellman, Jewish Vets of the Spanish Civil War, Jewish Currents
(juin 1973), p.10
EN ESPAGNE — LES NAZIS SE BATTENT, MAIS PAS LES
SIONISTES 276
ce type de Juif — cet intermédiaire révolutionnaire, qui
se prend pour un internationaliste, un rebelle, un guer-
rier, un héros, est en réalité si abject, si lâche, et si
mou, alors même que l’existence de sa propre nation
est en jeu. . .Le spéculateur révolutionnaire passe son
temps à supplier : « Voyez ma modestie, voyez ma dévo-
tion, voyez comme j’observe tous les préceptes révolu-
tionnaires, du plus important au plus trivial ». Comme
cette attitude est fréquente parmi nous, et comme elle
est dangereuse, en cette heure où il est impératif que
nous soyons honnêtes avec nous-mêmes et francs en-
vers nos voisins 9 .
Sur le papier, les sionistes travaillistes appartenaient à l’Inter-
nationale socialiste, mais à leurs yeux, la solidarité internationale
entre travailleurs impliquait uniquement qu’on les soutînt, eux, en
Palestine. Ils collectèrent de petites cagnottes pour l’Espagne, mais
de leurs rangs, pas un seul ne fit officiellement le déplacement pour
s’impliquer dans « les combats de quelqu’un d’autre ». Lors de la
conférence des anciens combattants de 1973, ils avaient repris la
question de savoir s’ils avaient eu raison de se rendre en Espagne
« face aux critiques des dirigeants sionistes et de l’Histadrout en
1936. . .à une époque d’émeutes anti-juives 10 ». Mais au vu des dé-
clarations faites par Enzo Sereni et Moshe Beilenson dans Jews and
Arabs in Palestine, ouvrage publié en 1936, le mois même au cours
duquel les fascistes s’étaient révoltés en Espagne, il est visible que la
pensée des sionistes travaillistes à l’époque n’était pas défendable ;
leur ambition était de conquérir la Palestine, et de dominer écono-
miquement le Moyen-Orient. Les « émeutes » étaient la réponse de
défense naturelle à leurs ambitions, et non l’opposé. Bien que les
rangs de l’Histadrout sympathisassent avec la gauche en Espagne,
avec leurs ambitions, les dirigeants sionistes étaient plus éloignés
9. Berl Katznelson, Revolutionary Constructivism (1937), p. 22
10. Wellman, Jewish Vets of the Spanish Civil War
EN ESPAGNE — LES NAZIS SE BATTENT, MAIS PAS LES
SIONISTES 277
que jamais de la lutte contre le fascisme international. Ce fut au
cours du conflit espagnol que leurs approches des nazis atteignirent
leurs sommets, avec leur demande, au mois de décembre 1936, que
les nazis témoignassent en leur nom devant la commission Peel,
puis avec leurs propositions, émises par l’Haganah, dominée par
les travaillistes, d’espionner pour le compte de la SS en 1937.
Une seule tendance sioniste, Hashomer Hatzaïr, essaya jamais
de se battre avec les implications plus profondes de la révolution
espagnole. Ses membres avaient consacré une energie considérable
pour amener l’Independent Labour Party (ILP) britannique à une
position pro-sioniste, et ils suivaient de près le destin du parti frère
de l’ILP en Espagne, le Partido Obrero de Unificacion Marxista
(POUM). L’échec politique de la stratégie de Front populaire en
Espagne déboucha sur une importante critique des stalinistes et des
sociaux-démocrates. Cependant, rien ne permet d’avancer qu’un
seul de leurs membres se rendit en Espagne, et encore moins de
manière officielle, ou qu’ils firent quoi que ce fût pour la lutte qui
s’y menait, au-delà de lever des cagnottes aux montants insigni-
fiants, en Palestine, pour le POUM. Au cours des années 1930, les
membres d’Hashomer ne s’impliquèrent pas dans la vie politique,
pas même dans les affaires de la communauté juive, en dehors de
Palestine, et restaient à cet égard ceux qui étaient centrés le plus
étroitement de tous les groupes sionistes. Loin de constituer une
quelconque ligne directrice théorique, sur la question espagnole ou
sur les problèmes plus vastes du fascisme et du nazisme, ils per-
dirent des adeptes au profit des stalinistes et des trotskystes, car
ils n’avaient à proposer qu’une rhétorique isolationniste et utopique
au coeur d’une catastrophe mondiale 11 .
Dans les années qui suivirent, la bravoure des hommes de gauche
juifs, qui s’étaient battus et étaient morts en Espagne, fut utilisée
pour prouver que « les Juifs » ne s’étaient pas présentés à l’Ho-
11. Zvi Loker, Balkan Jewish Volunteers in the Spanish Civil War, Soviet
Jewish Affairs, vol.VI, no.2 (1976), p.75
EN ESPAGNE — LES NAZIS SE BATTENT, MAIS PAS LES
SIONISTES 278
L’échec du sionisme à
combattre le nazisme au
sein des démocraties
libérales
280
L’ÉCHEC DU SIONISME À COMBATTRE LE NAZISME AU
SEIN DES DÉMOCRATIES LIBÉRALES 281
composante faible de leurs sociétés, ils finiraient par se faire assimi-
ler. L’émigration de masse en provenance d’Europe de l’Est avait
ranimé l’antisémitisme en Occident, mais s’il faut bien dire que les
cercles d’influence britanniques et étasuniens nourrissaient plus de
préjugés à l’encontre des Juifs en 1933 qu’en 1883, par exemple,
nul n’était prêt à aller aussi loin qu’Hitler. Néanmoins, durant la
Dépression, la Grande-Bretagne ainsi que les États-Unis connurent
une montée conséquente des mouvements antisémites, qui se mirent
à menacer physiquement les communautés juives.
En Grande-Bretagne, c’était Sir Oswald Mosley et la British
Union of Fascists qui incarnaient cette menace. Le conseil des re-
présentants des Juifs britanniques essaya de traiter ce danger en
l’ignorant. Dès le départ, il donna pour instruction aux Juifs de ne
pas provoquer de frictions autour des réunions tenues par Mosley.
Les dirigeants insistaient sur l’idée que les Juifs en soi n’avaient
aucune raison de se battre contre le fascisme, et Neville Laski, pré-
sident du conseil et du comité administratif de la Jewish Agency,
insista sur l’idée que « l’Italie connaît le fascisme, avec 50 000 Juifs
qui y vivent en concorde et en sécurité. . .la communauté juive, ne
constituant pas en soi un corps politique, ne devrait pas se laisser
entraîner dans la lutte contre le fascisme 1 ». La fédération sioniste
britannique soutint sa position dans le journal Young Zionist, au
travers d’un article sur la question, publié dans l’édition du mois de
septembre 1934. Les communistes et le parti travailliste indépen-
dant s’étaient activement confrontés aux adeptes de Mosley dans les
rues, avec le 7 juin une manifestation rassemblant au moins 12 000
personnes aux portes du rassemblement de la BUF à l’Olympia, et
pas moins de 6 937 agents de police avaient été déployés pour proté-
ger 3 000 fascistes de 20 000 opposants à Hyde Park, le 9 septembre.
La communauté juive d’East End considérait le parti communiste
comme son protecteur contre les soutiens de la BUF, et un mouve-
ment croissait au sein de la jeunesse sioniste en faveur d’un soutien
1. Gisela Lebzelter, Political Anti-Semitism in England, 1918-1939, p.142
L’ÉCHEC DU SIONISME À COMBATTRE LE NAZISME AU
SEIN DES DÉMOCRATIES LIBÉRALES 282
à la campagne anti-Mosley. Pour autant, la direction sioniste était
déterminée à l’empêcher. Que se produirait-il si les Juifs luttaient
contre Mosley, et que la BUF l’emportait ?
Le sionisme et la sphère de
co-prosperité japonaise en
Asie du Sud-Est
289
LE SIONISME ET LA SPHÈRE DE CO-PROSPERITÉ
JAPONAISE EN ASIE DU SUD-EST 290
volonté de s’assimiler à la nation chinoise. Capitalistes, et issus de
la classe moyenne, ils n’avaient aucun intérêt à retourner en Union
soviétique, et leur identité juive s’était trouvée renforcée du fait de
la présence de milliers de réfugiés antisémites de l’Armée blanche
répartis en Chine du Nord. Le séparatisme sioniste faisait l’objet
d’une attraction naturelle, et au sein du mouvement, c’était le ré-
visionnisme qui faisait le plus d’adeptes. Les Juifs russes étaient
des commerçants, au sein d’un environnement impérialiste et mi-
litarisé, et le Betar combinait une orientation capitaliste et impé-
rialiste enthousiaste avec un militarisme qui se trouvait des plus
pratiques, dans un contexte de Gardes blancs qui s’étaient trans-
formés en bandits marginaux. Le révisionnisme apparaissait taillé
à façon pour le monde rude qu’ils voyaient tout autour d’eux.
295
LA POLOGNE DE 1918 À 1939 296
sous son propre poids. Dans l’intérêt de l’« unité nationale », ils
annulèrent leurs rassemblements du mois de mai 1939, alors que le
seul salut pour la Pologne aurait été qu’ils mettent les masses en
mouvement face au régime, en exigeant que l’ensemble du peuple
soit armé.
Mais si le Bund et le PPS échouèrent à l’examen final, au moins
combattirent-ils les antisémites polonais. Les sionistes n’en firent
rien. Au contraire, ils rivalisèrent pour s’attirer le soutien des en-
nemis des Juifs.
Chapitre 21
316
LE SIONISME DANS LA POLOGNE DE L’HOLOCAUSTE 317
d’une interview :
Avec un groupe d’amis, nous atteignîmes Lviv [Lem-
berg] en une tentative vaine et désespérée d’essayer de
traverser la frontière et de parvenir à Eretz Yisroël —
mais nous échouâmes. À ce stade, nous ouïmes dire que
Vilnius allait devenir la capitale d’une république de Li-
tuanie indépendante, du fait des Russes 3 .
Les Judenrats
En arrivant à Varsovie, les Allemands tombèrent sur Adam
Czerniakow, sioniste et président de l’association des artisans juifs,
qui dirigeait ce qui restait d’organisation de la communauté juive,
et ils lui ordonnèrent d’établir un Judenrat (un conseil juif) 8 . À
Lodz, la seconde ville de Pologne, Chaim Rumkowski, un autre
homme politique sioniste d’envergure locale, fut également désigné
de la sorte. Ils n’étaient en aucun cas des représentants du mou-
vement sioniste, et ces deux hommes étaient avant la guerre des
personnages sans envergure particulière. Tous les conseils ne furent
pas dirigés par des sionistes ; certains virent à leur tête des intel-
lectuels assimilationnistes, ou des rabbins, et même, dans la ville
de Piotrkow, par un bundiste. Cependant, plus de sionistes furent
désignés à la tête ou au sein des conseils fantoches que tous les
agudistes, bundistes, et communistes réunis. Les nazis avaient le
plus profond mépris pour les Hasids pieux de l’Aguda, et savaient
que les bundistes et les communistes ne se laisseraient jamais ma-
nipuler. En 1939, les nazis avaient divers accords avec les sionistes
d’Allemagne ainsi qu’en Autriche et en Tchécoslovaquie, et savaient
qu’ils ne seraient guère confrontés à des résistances parmi ceux-ci.
Le manque de dirigeants sionistes expérimentés fut encore aug-
menté par le fait que des mois durant, les nazis laissèrent les déten-
7. David Shipler, Israel Hardening Its Stand on Visits, New York Times (3
mars 1982), p.7
8. Bernard Goldstein, The Stars Bear Witness, p.35 ; ainsi que N. Blumen-
thal, N. Eck et J. Kermish (eds.), The Warsaw Diary of Adam Czerniakow,
p.2
LE SIONISME DANS LA POLOGNE DE L’HOLOCAUSTE 322
conseil, fut décidée dans la plupart des cas par un caprice nazi ou
par une politique régionale, pas selon la docilité de tel ou tel ghetto.
gande, et pour l’instant, ils choisirent de ne pas punir les Juifs pour
leur action 17 . Cet épisode marqua la fin de la direction du Bund
au sein de la communauté juive polonaise.
Au cours des quelques premiers mois d’occupation allemande,
les dirigeants des groupes de jeunes sionistes d’Hashomer et d’He-
chalutz, qui s’étaient eux aussi enfui en Lituanie, renvoyèrent des
représentants en Pologne, mais pas dans l’idée d’organiser un soulè-
vement. Ils estimaient que leur tâche était de partager les rigueurs
subies par le peuple et d’essayer de maintenir la morale en faisant
oeuvre de hauts standards moraux. les premières actions militaires
menées par un groupe sioniste furent le fait de Swit (Dawn), un
groupe d’anciens combattants révisionnistes. Ils étaient en lien avec
le Korpus Bezpieczenstwa (KB ou corps de sécurité), une petite
unité polonais alors en contact lointain avec l’AK, et dès 1940, le
KB envoya plusieurs Juifs, dont plusieurs médecins, dans la région
située entre les rivières Bug et San, où ils travaillèrent avec des
éléments de l’AK 18 . Cependant, ni Swit, ni le KB ne nourrissaient
de projets pour une résistance à grande échelle ou pour s’échapper
des ghettos 19 .
La résistance armée juive ne commença à être considérée sérieu-
sement qu’après l’invasion de l’Union soviétique par les Allemands.
Dès le début, les nazis abandonnèrent toute retenue quant à leurs
activités en Union soviétique. Des Einsatzgruppen (groupes d’in-
tervention) se mirent à massacrer systématiquement les Juifs et en
octobre 1941, quatre mois après l’invasion, plus de 250 000 Juifs
avaient été tués lors d’exécutions de masse en Russie blanche et
dans les États baltes. En décembre 1941 furent signalés les pre-
miers gazages sur le sol polonais, à Chelmno, ce qui convainquit
les mouvements de jeunes, le Bund, les révisionnistes et les com-
munistes qu’ils devaient assembler des groupes militaires, mais le
17. Goldstein, The Stars Bear Witness, pp.51-3
18. Wladyslaw Bartoszewski, The Blood Shed Unites Us, p.32
19. Reuben Ainsztein, Jewish Resistance in Nazi Occupied Europe, pp.565-
70
LE SIONISME DANS LA POLOGNE DE L’HOLOCAUSTE 329
gros des dirigeants des partis centraux de l’OSM qui avaient sur-
vécu ne croyaient pas que ce qui s’était produit ailleurs pourrait
advenir à Varsovie, ou bien se convainquirent qu’il n’y avait rien
à faire. Yitzhak Zuckerman, l’un des fondateurs de l’Organisation
juive de combat (OJC) qui unifia les forces de l’OSM avec le Bund
et les communistes, et qui devint plus tard un célèbre historien du
soulèvement de Varsovie, l’a exprimé simplement : « L’organisation
juive de combat s’est soulevée sans les partis, et contre la volonté de
ceux-ci 20 ». Après la guerre, certains des écrits de Hersz Berlinksi,
du Poale Zion « de gauche », furent publiés de manière posthume.
Il a relaté une conférence tenue au mois d’octobre 1942 entre son
organisation et les groupes de jeunesse. La question qui se posait
à eux était de savoir si l’OJC devait disposer uniquement d’un
commandement militaire, ou d’un comité militaro-politique, et les
groupes de jeunesse comptaient éviter la domination des partis :
Les camarades d’Hashomer et d’Hechalutz eurent des
mots sévères envers les partis politiques : « les partis
n’ont aucun droit de nous intimer d’ordres. Sans les jeu-
nesses, ils ne feront rien. Ils ne feront qu’interférer 21 . »
Lors de la conférence des manifestations de résistance juives, te-
nue par l’autorité du souvenir de Yad Vashem au mois d’avril 1968,
des mots amers furent échangés entre les historiens qui avaient pris
part à la lutte et ceux qui continuaient de défendre une approche
de passivité. Yisrael Gutman mit au défi l’un de cette seconde ca-
tégorie, le Dr Nathan Eck :
Pensez-vous que si nous avions attendu jusqu’à la fin, et
agi selon les conseils des dirigeants du parti, la révolte
aurait quand même eu lieu, ou qu’elle n’aurait de toute
manière servi à rien ? Je crois pour ma part qu’il n’y
20. Yitzhak Zuckerman (en débat), Jewish Resistance During the Holocaust,
p.150
21. Hersz Berlinski, Zikhroynes, Drai (Tel Aviv), p.169
LE SIONISME DANS LA POLOGNE DE L’HOLOCAUSTE 330
La connivence entre
sionistes et gouvernement
polonais en exil
336
LA CONNIVENCE ENTRE SIONISTES ET
GOUVERNEMENT POLONAIS EN EXIL 337
« Que ceux qui partagent la foi de Moïse
fassent un pas en avant »
Dans les derniers mois qui précédaient la guerre, les révision-
nistes, parmi lesquels Begin occupait une place éminente (il diri-
geait le Betar polonais à l’époque), avaient négocié avec le capitaine
Runge, chef de la sécurité de la police de Varsovie, pour mettre en
place des unités juives à part dans l’armée, sous commandement
d’officiers polonais 1 . Ils espéraient qu’une fois l’armée allemande
battue par les Polonais et les Juifs, ces derniers, sans leurs com-
mandants polonais, pourraient poursuivre par la conquête de la
Palestine 2 . Ce projet échoua du fait de l’hostilité du Bund, qui
s’opposait à ce que les Juifs fissent l’objet de ségrégation 3 . Aux
mois de septembre et octobre 1941, dans la région soviétique de la
Volga, alors que les nazis avançaient vers Moscou, Miron Sheskin,
commandant en chef du Brith HaChayal (l’union des soldats), l’or-
ganisation des anciens combattants révisionnistes, ainsi que Mark
Kahan, rédacteur du quotidien yiddish polonais Der Moment, réité-
rèrent la même proposition. L’armée polonaise en exil était domi-
née par les antisémites, qui se préoccupaient de maintenir les Juifs
hors de leur armée, et cette proposition d’auto-ségrégation juive les
séduisait. Cependant, aux plus hauts niveaux environnant le com-
mandant en chef de l’armée, le général Wladyslaw Anders, on com-
prenait que la proposition ne serait jamais acceptable aux yeux des
Soviétiques ni des Britanniques. Certains des officiers commandant
la zone de rassemblement de l’armée de l’Oblast de Samara étaient
néanmoins de vieux associés des révisionnistes, et estimaient qu’ils
rendraient service aux Juifs en les séparant dans des unités à eux ;
et le colonel Jan Galadyk, commandant avant la guerre de l’école
d’officiers d’infanterie, se porta volontaire pour diriger un bataillon
1. Menachem Begin Writes, Jewish Press (13 mai 1977), p.4
2. Yisrael Gutman, Jews in General Anders’ Army in the Soviet Union,
Yad Vashem Studies, vol.XII, pp.255-6
3. Bernard Johnpoll, The Politics of Futility, p.248
LA CONNIVENCE ENTRE SIONISTES ET
GOUVERNEMENT POLONAIS EN EXIL 338
ainsi composé. Après la guerre, Kahan a décrit l’unité comme un
modèle pour la Legion juive tant espérée, et en a dépeint une image
positive, la présentant comme un exemple réussi dans les relations
judéo-polonaises. Mais Yisrael Gutman a fait des recherches quant
à l’histoire de l’« armée d’Anders » et nous met en garde quant à la
fiabilité de Kahan 4 . Le rabbin Leon Rozen-Szeczakacz, un agou-
diste mais soutien de l’idée de légion, a mieux fait honneur à la
vérité dans son ouvrage Cry in the Wilderness.
Le 7 octobre 1941, à Totzkoye, tous les Juifs furent rassem-
blés dans un champ et un officier demanda que « ceux qui par-
tagent la foi de Moïse fassent un pas en avant ». La plupart de
ceux qui s’avancèrent furent soudainement congédiés de l’armée.
Les quelques-uns qui, comme Rozen-Szeczakacz, ne furent pas som-
mairement démis furent complètement séparés du reste de l’armée.
Des barbaries commencèrent immédiatement. On donna à la ma-
jorité des Juifs des chaussures trop petites pour leur taille, si bien
qu’ils furent contraints d’essayer de se protéger avec des chiffons
au sein de l’hiver soviétique à -40°C. On les transféra vers une
nouvelle affectation, et on les laissa dans des champs pendant des
jours, et l’armée « oublia » de les approvisionner en nourriture 5 .
Lorsque Rozen Szeczakacz, qui avait été nommé aumônier par le
haut commandement de l’armée, arriva à la nouvelle affectation
du bataillon, à Koltubanka, sa première tâche fut de commencer à
enterrer les très nombreux morts 6 . En fin de compte, après beau-
coup de souffrance et de morts, la situation s’améliora après que
des nouvelles de leur détresse parvinrent à l’ambassadeur polonais
et aux dirigeants bundistes en exil, et le bataillon fut transformé
en une petite unité militaire. Cependant, le grand projet de Légion
juive disparut.
L’armée d’Anders finit par quitter l’Union soviétique pour se
4. Gutman, Jews in General Anders’ Army, pp.262, 265 et 269
5. Leon Rozen-Szeczakacz, Cry in the Wilderness, pp.92-3
6. Gutman, Jews in General Anders’ Army, p.266
LA CONNIVENCE ENTRE SIONISTES ET
GOUVERNEMENT POLONAIS EN EXIL 339
rendre en Iran, où elle prit contact avec l’armée britannique ; les
antisémites essayèrent de laisser en arrière autant de Juifs que pos-
sible et les jeunes en bonne santé se virent refuser l’enrôlement. En-
viron 114 000 personnes furent évacuées aux mois de mars-avril et
août-septembre 1942. Parmi eux, on comptait environ 6 000 Juifs, 5
% parmi les soldats et 7 % parmi les civils. Pour mettre ces chiffres
en perspective, à l’été 1941, avant que la ligne de recrutement an-
tisémite fût proposée, les Juifs avaient constitué environ 40 % des
recrues de l’armée. Malgré la discrimination subie par les soldats
juifs, les révisionnistes Kahan, Sheskin et Begin parvinrent à s’en
sortir en usant de leurs connexions avec l’armée 7 .
Immigration illégale
344
IMMIGRATION ILLÉGALE 345
356
LE RATÉ DES SECOURS DURANT LA GUERRE 357
« J’ai reçu des câbles et des avis clandestins depuis des mois,
qui relatent ces événements. Je parviens, en concours avec les diri-
geants d’autres organisations juives, à les tenir hors de la presse 11 . »
Wise et Goldmann, qui était aux États-Unis durant la guerre,
n’eurent jamais de doute quant à la véracité du rapport de Riegner.
Selon Walter Laqueur, ils craignaient que la publicité n’ajoutât
encore au désespoir des victimes 12 . Yehuda Bauer a la certitude que
les dirigeants juifs étasuniens avaient déjà connaissance du rapport
du Bund 13 .
Le comité d’urgence
Un seul des groupes sionistes comprenait que le sauvetage de-
vait devenir leur priorité absolue. Une poignée d’irgunistes s’était
rendue aux États-Unis afin de lever des fonds pour leur immigration
illégale, et lorsque la guerre éclata, ils y ajoutèrent une demande
de fonds pour une Légion juive qu’ils considéraient, à l’instar de
l’OSM, comme l’objectif immédiat du sionisme. Au mois d’avril
1941, ils remarquèrent des articles écrits par Ben Hecht, l’un des
journalistes les plus célèbres des États-Unis, dans PM, un quoti-
dien new-yorkais libéral, qui déploraient le silence des personna-
lités juives sociales, politiques et littéraires quant à la situation
28. Ibid, pp.7-10
LE RATÉ DES SECOURS DURANT LA GUERRE 377
392
HONGRIE, LE CRIME AU SEIN D’UN CRIME 393
coeur au cours d’une réunion tenue avec des dirigeants juifs, parmi
lesquels se trouvait un Böhm mortifié. Il avait même étudié l’hébreu
durant deux années et demi, même si, comme il le reconnaissait,
il ne le parla jamais correctement. Il avait établi de nombreux ac-
cords avec les sionistes avant la seconde guerre mondiale. En 1937,
il avait négocié avec le représentant du Haganah, Feivel Polkes, et
avait été invité par cette organisation en Palestine. Il avait éga-
lement entretenu des contacts étroits avec les sionistes tchèques.
Voici qu’à nouveau, il allait négocier avec les sionistes locaux.
En 1953, le gouvernement Ben-Gourion traduisit en justice un
pamphlétaire âgé, Malchiel Gruenwald, pour avoir accusé Rezso
Kasztner de collaboration du fait de ses accords avec Eichmann
en 1944. Le procès connut une couverture médiatique internatio-
nale considérable au cours de l’année 1954. Eichmann le suivit sans
doute dans la presse, car il décrivit sa relation avec Kasztner dans
le détail au cours d’interviews enregistrées qu’il accorda en 1955
à un journaliste hollandais nazi, Willem Sassen ; des extraits de
ces interviews furent ultérieurement publiées dans deux articles du
magazine Life, après sa capture en 1960. Gruenwald avait dénoncé
Kasztner pour son silence sur les mensonges nazis quant à l’idée que
les Juifs de Hongrie étaient uniquement réimplantés à Kenyermezo.
En échange [de ces mensonges, NdT], il put organiser le convoi spé-
cial, qui devint en fin de compte un train vers la Suisse, et y placer
sa famille et ses amis. Gruenwald accusa en outre Kasztner d’avoir
par la suite protégé le colonel SS Becher de la pendaison comme
criminel de guerre, en affirmant qu’il avait fait tout son possible
pour sauver des vies juives. Eichmann a décrit Kasztner comme
suit :
Ce Dr Kastner [de nombreuses sources anglicisent le
nom de Kasztner] était un jeune homme d’un âge proche
du mien, un avocat froid comme la glace, et un sioniste
fanatique. Il accepta de contribuer à empêcher les Juifs
de résister à la déportation — et même de contribuer
HONGRIE, LE CRIME AU SEIN D’UN CRIME 402
Le gang Stern
412
LE GANG STERN 413
cutors have risen against Israel in all generations and in all periods
of our diaspora, starting with Haman and ending with Hitler ...
The source of all our woes is our remaining in exile, and the ab-
sence of a homeland and statehood. Therefore, our enemy is the
foreigner, the ruler of our land who blocks the return of the people
to it. The enemy are the British who conquered the land with our
help and who remain here by our leave, and who have betrayed us
and placed our brethren in Europe in the hands of the persecutor.
[2]
Il existe une différence entre un persécuteur et un en-
nemi. En toutes générations et en toute période de notre
diaspora, les persécuteurs se sont levés contre Israël ;
au départ avec Haman, et pour finir avec Hitler. . .La
source de tous nos maux est que nous sommes restés en
exil, ainsi que l’absence d’une terre et d’un État indé-
pendant. Aussi, notre ennemi est l’étranger, le dirigeant
de notre terre, qui empêche le retour du peuple sur celle-
ci. L’ennemi, c’est les Britanniques, qui ont conquis la
terre avec notre aide, et qui restent ici à nos dépends.
Ils nous ont trahis et ont placé nos frères en Europe aux
mains du persécuteur 2 .
Stern se détourna de toute forme de lutte contre Hitler, et se prit
même à rêver d’envoyer un groupe de guérilla en Inde pour aider
les nationalistes de ce pays dans leur combat contre la Grande-
Bretagne 3 . Il attaqua les révisionnistes pour avoir encouragé les
Juifs palestiniens à rallier l’armée britannique, où ils se verraient
traités comme des soldats coloniaux, « jusqu’au point de ne pas
avoir le droit d’utiliser les sanitaires réservés aux soldats euro-
péens » 4 .
2. Martin Sicker, Echoes of a Poet, American Zionist (février 1972), pp.32-3
3. Chaviv Kanaan (en discussion), Germany and the Middle East 1835-
1939, p.165
4. Eri Jabotinsky, A Letter to the Editor, Zionews (27 mars 1942), p.11
LE GANG STERN 415
contact avec les nazis en Turquie, pays neutre, mais il fut arrêté
sur son chemin. Il n’y eut pas d’autre tentative de prendre contact
avec les nazis.
Le projet Stern fut toujours irréel. L’un des fondements de l’al-
liance germano-italienne était que le littoral oriental de la Médi-
terrannée devait faire partie de la sphère d’influence italienne. En
outre, le 21 novembre 1941, Hitler rencontra le Mufti et lui affirma
que bien que l’Allemagne ne pût alors ouvertement appeler à l’in-
dépendance de quelque possession arabe des Britanniques ou des
Français — par désir de ne pas se confronter à Vichy, qui continuait
d’administrer l’Afrique du Nord — lorsque les Allemands s’empa-
reraient du Caucase, ils pratiqueraient un déplacement rapide vers
le Sud jusque la Palestine, et détruiraient l’implantation sioniste.
On trouve en revanche plus de substance quant à l’auto-perception
de Stern en tant que totalitarien. À la fin des années 1930, Stern de-
vint l’un des dirigeants de droite des mécontents révisionnistes qui
voyaient Jabotinsky comme un libéral avec des réserves morales
quant à la terreur pratiquée par l’Irgun à l’encontre des Arabes.
Stern estimait que le seul salut pour les Juifs était de produire leur
propre forme sioniste de totalitarisme, et de pratiquer une rupture
nette avec la Grande-Bretagne qui, quoi qu’il en fût, avait aban-
donné le sionisme avec le livre blanc de 1939. Il avait vu l’OSM
s’arranger du nazisme au travers de l’Ha’avara ; il avait envoyé
Jabotinsky s’empêtrer avec l’Italie ; et il s’était personnellement
étroitement impliqué dans les accords entre les révisionnistes et les
antisémites polonais. Mais Stern estimait qu’il ne s’agissait là que
de demi-mesures.
Stern était l’un des révisionnistes qui pensait que les sionistes,
ainsi que les Juifs, avaient trahi Mussolini, et non l’inverse. Le
sionisme devait montrer à l’Axe qu’il était sérieux, en entrant dans
un conflit militaire direct contre la Grande-Bretagne, afin que les
totalitaires pussent distinguer quelque avantage militaire à s’allier
avec le sionisme. Pour gagner, affirmait Stern, il leur fallait s’allier
avec les fascistes ainsi que les nazis : on ne pouvait pas traiter avec
LE GANG STERN 419
421
ANNEXE 1 422
426
ANNEXE 2 427
Le Mur de Fer
(Nous et les Arabes)
1923
par Vladimir Jabotinsky
Première publication en langue russe, sous le titre O Zheleznoi
Stene in Rassvyet, le 4 novembre 1923.
Publié en anglais dans le Jewish Herald (Afrique du Sud) le 26
novembre 1937.
Transcrit et relu par Lenni Brenner.
Contrairement à l’excellente règle qui préconise d’en venir au
fait sans attendre, je me dois de débuter le présent article par
une introduction personnelle. L’auteur de ces lignes est considéré
comme un ennemi des Arabes, un partisan de leur expulsion, etc.
Cela n’est pas exact. Ma relation émotionnelle à l’égard des Arabes
est semblable à celle que j’entretiens pour tous les autres peuples
— une indifférence polie. Ma relation politique se caractérise selon
deux principes. Pour commencer : l’expulsion des Arabes hors de
Palestine est strictement impossible, quelle qu’en soit la forme. Il
y aura toujours deux nations en Palestine — ce qui me convient
assez, pourvu que les Juifs prennent la majorité. Deuxièmement, je
suis fier d’avoir été membre du groupe qui formula le programme
Helsingfors. Nous le formulâmes non seulement pour les Juifs, mais
430
ANNEXE 3 431
pour tous les peuples, et son fondement est l’égalité entre toutes
les nations. Je suis prêt à jurer, pour nous et nos descendants, que
nous ne détruirons jamais cette égalité, et que nous n’essayerons
jamais d’expulser ou d’oppresser les Arabes. Notre credo, comme le
lecteur peut le constater, est entièrement pacifique. Mais détermi-
ner s’il sera possible d’atteindre nos objectifs pacifiques en suivant
des méthodes pacifiques est une toute autre question. Cela dépend,
non pas de notre relation avec les Arabes, mais uniquement de la
relation des Arabes avec le sionisme.
Je peux, après cette introduction, en venir au fait. Que les
Arabes qui vivent sur la Terre d’Israël puissent de leur plein gré
parvenir à un accord avec nous est à présent, ainsi que dans un
avenir proche, au delà de tout espoir et de tout rêve. J’exprime
catégoriquement cette intime conviction, non du fait de quelque
désir de consterner la faction modérée du camp sioniste mais, au
contraire, par désir de les préserver d’une telle consternation. Outre
ceux qui se sont en pratique montrés « aveugles » depuis l’enfance,
tous les autres sionistes modérés ont depuis longtemps compris qu’il
n’existe pas même le plus faible espoir de jamais obtenir l’accord
des Arabes pour que la Terre d’Israël en « Palestine » devienne un
pays doté d’une majorité juive.
Chaque lecteur a quelque idée de l’histoire reculée des autres
pays qui ont été colonisés. Je lui suggère de s’en remémorer tous les
exemples. S’il s’exerce à trouver un seul cas d’un pays colonisé avec
le consentement de ceux qui y naquirent, il n’y parviendra pas. Les
habitants (nonobstant le fait qu’ils soient civilisés ou sauvages) ont
toujours opposé [à la colonisation] une lutte acharnée. En outre,
la manière d’agir du colonisateur n’a jamais porté à aucune consé-
quence. Les Espagnols qui conquérirent le Mexique et le Pérou, ou
non ancêtres de l’époque de Josué ben Nun, se comportèrent, on
peut le dire, en pillards. Mais ces « grands explorateurs », les An-
glais, Écossais, et Hollandais, qui furent les premiers vrais pionniers
en Amérique du Nord, étaient des gens dotés de très hauts critères
éthiques ; des gens qui désiraient non seulement laisser les peaux-
ANNEXE 3 432
rouges en paix, mais qui n’auraient pas fait mal à une mouche ;
des gens qui en toute sincérité et en toute innocence croyaient que
dans ces forêts vierges et ces vastes plaines, la place ne manquait
pour héberger à la fois l’homme blanc et l’homme rouge. Mais les
natifs firent preuve du même degré de cruauté dans leur résistance
aux colons civilisés qu’aux colons barbares.
Un autre point qui n’eut pas le moidnre effet était quant à
l’existence ou non d’un soupçon quant à l’idée que le colon désirait
faire disparaître les habitants de ses terres. Les vastes régions des
États-Unis ne comptèrent jamais plus d’un ou deux millions d’In-
diens. Les habitants combattirent les colons blancs non par crainte
de se voir expropriés, mais simplement parce que nulle part, et en
aucune époque, un habitant indigène n’a accepté la colonisation de
son pays par d’autres. Tout peuple natif — et cela concerne tout
autant les civilisés que les sauvages — considère son pays comme
son foyer national, dont il sera pour toujours le seul maître. Il n’ac-
ceptera pas volontairement un nouveau maître, ni même un nou-
veau partenaire. Et il en va ainsi également pour les Arabes. Parmi
nous, les partisans du compromis essayent de nous convaincre que
les Arabes sont plus ou moins des imbéciles que nous pourrions du-
per en leur exprimant nos objectifs selon une formulation adoucie,
ou une tribu d’extorqueurs d’argent, qui abandonneront leur droit
de naissance sur la Palestine pour des bénéfices culturels et éco-
nomiques. Je rejette catégoriquement cette évaluation des Arabes
palestiniens. Culturellement, ils ont 500 années de retard sur nous,
spirituellement, ils n’ont ni notre endurance, ni notre force de vo-
lonté, mais les différences internes se limitent à cela. Nous pouvons
parler autant que nous le voudrons de nos bonnes intentions ; mais
ils comprennent aussi bien que nous ce qui n’est pas bon pour eux.
Ils considèrent la Palestine avec le même amour instinctif et la
même vraie ferveur que les Aztèques considéraient le Mexique, ou
le Sioux sa prairie. Penser que les Arabes consentiront de leur plein
gré à la réalisation du sionisme en échange de bénéfices culturels
et économiques que nous pourrions leur consentir est infantile. Ce
ANNEXE 3 433
l’altérer.
Le projet qui suit semble attirer de nombreux sionistes : s’il
est impossible de faire accepter le sionisme par les Arabes de Pa-
lestine, il faut dès lors en obtenir l’acceptation par les Arabes de
Syrie, d’Irak, d’Arabie Saoudite, et peut-être d’Égypte. Même si
cela se pouvait, cela ne changerait rien à la situation fondamen-
tale. Cela ne changerait rien quant à l’attitude des Arabes sur la
Terre d’Israël qui s’étend devant nous. Il y a soixante-dix années,
l’unification de l’Italie fut réalisée, avec la rétention de Trente et
de Trieste par l’Autriche. Cependant, les habitants de ces villes
refusèrent cette situation, et luttèrent contre l’Autriche avec une
vigueur redoublée. S’il était possible (et j’en doute) de discuter de
la Palestine avec les Arabes de Bagdad et de le Mecque comme s’il
s’agissait de quelque zone reculée peu importante et immatérielle,
la Palestine resterait, aux yeux des Palestiniens, non point une
zone reculée, mais leur lieu de naissance, le centre et le fondement
de leur existence nationale. Par conséquent, il serait nécessaire d’y
mener une colonisation contre la volonté des Arabes de Palestine,
c’est-à-dire que les conditions seraient semblables à celles que nous
connaissons à présent.
Mais un accord conclu avec les Arabes vivant hors de la Terre
d’Israël est également une illusion. Pour obtenir des nationalistes
de Bagdad, de la Mecque et de Damas un accord à une contribu-
tion aussi décisive (accepter de sacrifier la préservation du carac-
tère arabe d’un pays situé au coeur de leur future « fédération »),
nous devrions leur proposer quelque chose d’une valeur équivalente.
Nous n’avons que deux choses à offrir : soit de l’argent, soit une
assistance politique, soit encore les deux. Mais nous ne pouvons
leur offrir ni l’un, ni l’autre. Sur le côté financier, il est absurde
de penser que nous pourrions financer le développement de l’Irak
ou de l’Arabie Saoudite, alors que nous n’avons pas assez de fonds
pour la Terre d’Israël. Dix fois plus illusoire encore est l’assistance
politique envers les aspirations politiques arabes. Le nationalisme
arabe se donne les mêmes buts que ceux du nationalisme italien
ANNEXE 3 436
439
440
GLOSSAIRE DES ORGANISATIONS JUIVES ET SIONISTES
445
ABBRÉVIATIONS 446