Théories Du MGMT

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Chapitre 1

Aux sources du management


contemporain

Objectifs
1. Décrire les sources historiques
L a connaissance de l’histoire du manage-
ment peut faciliter la compréhension de
nombre de méthodes et théories de mana-
des méthodes modernes de gement contemporaines. Dans ce chapitre,
management. nous étudierons les origines de nombreux
2. Présenter les apports et concepts actuels et tenterons de démontrer que
­l’actualité de l’école classique du leur évolution reflète non seulement celle des
management. besoins des entreprises, mais aussi celle de la
3. Montrer l’importance du mou- société dans son ensemble.
vement des relations humaines
dans les conceptions modernes
du management. 1.  Management dans l’ère
4. Analyser les liens entre l’émer-
gence des grandes théories du
prémoderne
management et leur contexte Les hommes exercent des activités organi-
sociohistorique d’apparition.
sées et pratiquent le management depuis des
5. Identifier les modèles de réfé- milliers d’années, peut-être même davantage.
rence dans la théorie managé- Certains paléontologues n’ont-ils pas trouvé
riale contemporaine. des traces de taillage de silex à la chaîne du
temps de l’homme de Cro-Magnon1 ? Plus près
de nous, les pyramides d’Égypte et la Grande
Muraille de Chine témoignent que des projets
d’une envergure phénoménale, impliquant des
dizaines de milliers de personnes, étaient déjà
mis en œuvre bien avant l’époque moderne.
Les pyramides en offrent un exemple parti-
culièrement intéressant. La construction d’un
seul de ces monuments occupait des milliers
d’individus pendant plusieurs décennies. Qui
se chargeait d’indiquer à chaque ouvrier ce qu’il
était censé faire ? Qui s’assurait de l’existence
d’un stock suffisant de pierres, afin de prévenir
toute interruption du chantier  ? Ce genre de
responsabilités incombait aux managers. Peu
importe le nom qu’on leur donnait alors  ; il
fallait que quelqu’un planifie le travail, organise
la main-d’œuvre, gère l’approvisionnement en
matériaux et dirige les ouvriers.

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Lorsque l’on entend le nom de Michel-Ange, à quoi pense-t-on ? À un artiste de la Renais-


sance ? À un génie ? Mais pourquoi pas à un manager ? De récentes études ont en effet
révélé que l’image qui lui est traditionnellement associée – celle d’un créatif solitaire sans
cesse ballotté entre angoisse et extase, allongé sur un échafaudage, décorant à lui seul
toute la voûte de la chapelle Sixtine – n’est qu’un mythe2. Il y a quatre cent quatre-vingts
ans de cela, Michel-Ange gérait en réalité une véritable PME. Trente artisans travaillent
avec lui sur la fresque de la chapelle Sixtine. À Florence, une vingtaine d’ouvriers l’aident
à tailler les tombes de marbre de la chapelle funéraire des Médicis et deux cents autres au
moins contribuent, sous sa direction, à la construction de la bibliothèque Laurentienne.
Michel-Ange recrute et forme lui-même ses ouvriers ; il les répartit en équipes et opère
un suivi détaillé du personnel. Chaque semaine, il répertorie ainsi le nom, le nombre de
journées de travail et le salaire de tous ses employés. Parallèlement, Michel-Ange joue
un rôle de superviseur. Chaque jour, il passe en revue les divers chantiers placés sous sa
responsabilité, contrôle l’avancement des travaux et règle les éventuels problèmes.
Ces deux exemples historiques montrent que l’organisation des activités ainsi que la
fonction managériale sont apparues bien avant la révolution industrielle. Pour autant,
ce n’est qu’au cours des tout derniers siècles, et plus particulièrement du xxe siècle, que le
management a réellement commencé à faire l’objet d’une étude systématique, à consti-
tuer un champ de connaissances propre et à s’imposer enfin comme une discipline à
part entière. Cette évolution va de pair avec une très forte croissance du nombre et de la
taille des organisations qui se développent avec l’accélération de la croissance capitaliste
et conduit, sur le plan professionnel, à la montée des préoccupations managériales.

1.1.  La révolution industrielle a-t-elle influencé les méthodes


de management ?
Historiquement, l’évolution la plus importante en matière de management est proba-
blement venue de la révolution industrielle apparue en Grande-Bretagne à la fin du
xviiie siècle. L’énergie mécanique ne tarde pas à se substituer à l’énergie humaine et l’uti-
lisation des machines rend la production industrielle économiquement viable.
Révolution industrielle  — Mouvement sociohistorique et socio-économique né en Grande-Bre-
tagne à la fin du xviiie siècle, avant de se diffuser dans toute l’Europe et l’Amérique du Nord, et carac-
térisé par l’avènement simultané de l’énergie mécanique, de la production de masse et de modes de
transport plus efficaces.

L’énergie mécanique, la production de masse, la réduction des coûts de transport


– conséquence du développement rapide du chemin de fer – et l’absence de réglemen-
tation favorisent en outre la croissance des grosses compagnies. Aux États-Unis, par
exemple, la Standard Oil de John Rockefeller se transforme peu à peu en monopole,
Andrew Carnegie s’approprie les deux tiers de l’industrie sidérurgique et nombre de
leurs confrères fondent d’autres grandes entreprises qui exigent la mise en œuvre d’un
management rigoureux. Le besoin d’une théorie formelle permettant de guider les
managers dans la gestion de leurs affaires se fait alors cruellement sentir.

1.2.  Adam Smith, pionnier du management ?


On a coutume, dans les cours d’économie, de n’évoquer le nom d’Adam Smith (1723-
1790) qu’à travers ses contributions à la doctrine économique classique. Mais La Richesse

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des nations (1776) s’ouvre par un brillant exposé sur les bénéfices économiques que la
division du travail peut apporter aux entreprises et à la société et qui peuvent également
être généralisés au commerce international3. S’appuyant sur l’exemple d’une manufac-
ture d’épingles, Smith note que dix ouvriers, spécialisés chacun dans une tâche précise,
sont capables de produire quelque 48 000 épingles par jour. En revanche, s’ils travaillent
séparément, indépendamment les uns des autres, ces mêmes dix ouvriers pourront déjà
s’estimer heureux d’en fabriquer 200 – ou même 100.
Division du travail  — Décomposition rationnelle du travail en tâches parcellaires et répétitives.
Smith en déduit que la division du travail augmente la productivité, car elle permet
de développer le savoir-faire et la dextérité de chaque ouvrier, évite les pertes de temps
ordinairement liées aux changements de postes et stimule l’apparition d’inventions et
de machines susceptibles de réduire la main-d’œuvre. Aujourd’hui, la grande popularité
des emplois spécialisés – dans certaines activités tertiaires telles que l’enseignement ou
la médecine, tout comme sur les chaînes de montage des usines automobiles – découle
sans aucun doute des avantages économiques soulignés, voilà plus de deux siècles, par
Adam Smith.

2.  L’école classique du management


Les fondements du management moderne sont le fruit du travail d’auteurs et de profes-
sionnels qui, dès le début du xxe siècle, s’attachent à formuler des principes susceptibles
d’améliorer l’efficacité des entreprises. Leurs contributions ayant jeté les bases théoriques
d’une nouvelle discipline baptisée management, nous parlerons à leur égard d’une école
classique du management, laquelle se subdivise en deux sous-catégories : le management
scientifique d’une part et la théorie administrative générale d’autre part. Les théoriciens
du management scientifique (Taylor, Gilbreth, Gantt) envisagent la question du mana-
gement sous l’angle de l’augmentation de la productivité ouvrière, tandis que d’autres
auteurs à l’origine de la théorie administrative (Fayol, Weber) s’intéressent davantage à
l’organisation globale de l’entreprise et aux moyens de la rendre plus efficace.
École classique du management  — Terme servant à désigner les hypothèses des théoriciens du
management scientifique et de la théorie administrative générale.

2.1.  Que doit-on à Frederick Taylor ?


S’il fallait déterminer la date de naissance exacte de la théorie du management moderne,
l’année 1911, qui voit la publication des Principes d’organisation scientifique des usines
de Frederick Taylor (1856-1915), aurait de bonnes chances de l’emporter4. Cet ouvrage,
dont le propos connaît un grand succès, d’abord aux États-Unis puis en Europe, décrit
la théorie du management scientifique – l’utilisation d’une méthodologie scientifique
pour établir la « manière optimale » de réaliser une tâche (le « one best way »). Les études
qu’il mènera avant et après la publication de son livre vont consacrer Taylor comme
le père de la théorie du management scientifique (voir l’encadré). Travaillant comme
consultant, il effectue la plus grande partie de ses missions en Pennsylvanie, au sein des
entreprises sidérurgiques Midvale et Bethlehem. Ingénieur mécanicien issu d’une famille
de quakers puritains, Taylor s’indigne en permanence de l’inefficacité des ouvriers : ils
emploient plusieurs techniques radicalement différentes pour réaliser le même travail et

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ont tendance à « flâner ». Selon lui, la production n’atteint de ce fait qu’un tiers environ
de son maximum potentiel. Aussi décide-t-il de remédier à cette situation par le biais de
l’étude scientifique des emplois ouvriers. Il va consacrer plus de vingt années d’obser-
vation et de recherches à déterminer la manière optimale de réaliser chaque tâche et de
concevoir les systèmes de gestion opérationnelle nécessaires pour ces nouvelles formes
d’organisation du travail.
Management scientifique  — Utilisation d’une méthodologie scientifique pour définir la manière
optimale de réaliser une tâche.

Taylor a pour ambition de révolutionner les mentalités – celles des ouvriers comme celles
des patrons – en établissant des règles claires permettant d’améliorer la productivité. Il
dégage les quatre principes de base du management (voir document 1.1) et affirme que le
respect de ces principes assurera la prospérité de tous : les employés seront mieux payés
et les entreprises verront leurs bénéfices augmenter.
Par l’application des techniques du management scientifique, Taylor s’estime capable
de déterminer la manière optimale d’accomplir une tâche donnée surtout en termes de
temps. Il peut dès lors choisir la personne la plus adaptée pour ce travail et lui apprendre
à le réaliser très précisément de cette façon-là. Pour motiver les ouvriers, il préconise la
mise en place d’une rémunération au rendement individuel. Taylor indique avoir obtenu
ainsi des gains de productivité de 200 % et plus, tout en réaffirmant les fonctions de
planification et de direction des managers et la nécessité pour les ouvriers d’obéir scru-
puleusement aux instructions.

Document 1.1 – Les quatre principes du management de Taylor.

1. Substituer à l’empirisme traditionnel la connaissance scientifique des divers aspects du


travail de chaque individu.
2. Sélectionner, former, éduquer et perfectionner scientifiquement les ouvriers.
3. Établir une coopération franche avec les ouvriers, de manière à s’assurer que l’ensemble
du travail soit effectué conformément aux principes scientifiques établis.
4. Séparer clairement la planification, la supervision et le contrôle des tâches de leur
exécution.

On ne soulignera jamais assez l’impact des travaux de Taylor5. Au cours de la première


décennie du xxe  siècle, il donne de nombreuses conférences publiques afin d’ensei-
gner le management scientifique aux industriels curieux. Entre 1901 et 1911, dix-huit
entreprises au moins adoptent l’une des variantes de sa théorie. En 1908, la Harvard
Business School déclare que l’approche taylorienne constitue désormais la norme du
management moderne et l’impose au cœur de tous ses cursus d’enseignement. En 1909,
Taylor lui-même commence à enseigner à Harvard. Entre 1910 et 1912, deux événements
propulsent le management scientifique sur le devant de la scène. En 1910, la compagnie
Eastern Railroad exige de l’ICC (Interstate Commerce Commission) une augmentation
des tarifs des billets de train. Convoqué devant la commission, un expert en organisation
affirme que les chemins de fer pourraient économiser un million de dollars (l’équivalent
de 17 millions aujourd’hui) en appliquant les principes du management scientifique.
Cette assertion influence l’ensemble des auditions de la commission et éveille l’intérêt du
pays tout entier pour les idées de Taylor. En 1911, Principes d’organisation scientifique des

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usines devient d’emblée un best-seller. Dès 1914, les conceptions tayloriennes ont acquis
une telle popularité qu’à New York, une exposition sur l’efficacité économique inau-
gurée par Taylor attire un public estimé à 69 000 personnes. Bien que ses idées aient été
diffusées non seulement aux États-Unis, mais aussi en France, en Allemagne, en Russie
et au Japon, c’est sur l’industrie américaine que Taylor aura le plus d’influence. En 1908,
le montage de la Ford T demande douze heures vingt ; dans les années 20, une heure
vingt suffit ! La méthode taylorienne va désormais conférer aux entreprises industrielles
américaines un avantage certain sur les firmes des autres pays, ainsi qu’une efficacité que
leur enviera le monde entier – au moins pour une cinquantaine d’années.

Frederick Taylor

Théorie classique
L’expérience menée par Taylor dans le domaine de la fonte brute représente sans doute
l’exemple de management scientifique le plus couramment cité. Les ouvriers chargeaient
des gueuses de fonte de 92 livres sur des chariots. Leur production moyenne s’élevait
à 12,5 tonnes par jour. Taylor était convaincu que l’analyse scientifique de leur travail
permettrait de déterminer la manière optimale de charger les gueuses et de porter ainsi
la production quotidienne à 47 ou 48 tonnes.
Il commença par chercher un sujet solidement bâti et financièrement intéressé. L’indi-
vidu sélectionné, un immigré néerlandais de forte carrure, fut surnommé « Schmidt ».
Comme tous ses collègues, Schmidt gagnait 1,15 dollar par jour – une somme qui, même
à l’époque, suffisait à peine pour vivre. Taylor s’engagea à lui verser 1,85 dollar s’il accep-
tait de faire ce qu’il lui demanderait.
Il lui fit donc charger ses gueuses de fonte en modifiant alternativement divers facteurs,
afin d’en mesurer l’impact sur sa production journalière. Certains jours, Schmidt devait
par exemple soulever les gueuses en dépliant les genoux ; d’autres fois, on lui ordon-
nait de garder les jambes droites et de ne se servir que de son dos. Taylor fit varier les
périodes de repos, la cadence du pas, les postures de chargement et quantité d’autres
variables. Après avoir longuement et méthodiquement expérimenté diverses combi-
naisons de procédures, de techniques et d’outils, Taylor parvint à obtenir le niveau de
productivité espéré. En confiant ce travail à la bonne personne, munie d’un outillage
et d’un équipement adéquat, en l’incitant à respecter à la lettre ses instructions et en
la motivant par une augmentation substantielle de son salaire, Taylor avait atteint son
objectif de 48 tonnes par jour.
Il est important de bien comprendre ce que Taylor avait découvert en arrivant chez
Midvale Steel, et qui l’avait à ce point poussé à vouloir améliorer le fonctionnement de
l’usine. À cette époque, la responsabilité des employeurs et des managers correspondait
encore à un concept assez flou. Il n’existait pour ainsi dire aucune norme permettant de
mesurer l’efficacité du travail. Les ouvriers faisaient exprès de travailler lentement. Les
dirigeants prenaient leurs décisions du fond de leur siège, en se fiant uniquement à leur
intuition. On ne se souciait jamais de savoir si les capacités et les aptitudes des ouvriers
correspondaient aux postes auxquels on les affectait. Pire encore, la direction et le per-
sonnel s’estimaient engagés dans un conflit permanent. Plutôt que de coopérer pour le
bien commun, ils percevaient leur relation comme un antagonisme de forces – si l’un
gagnait quelque chose, c’était forcément au détriment de l’autre.

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6 Management

2.2.  Taylor, et après ?


Les idées de Taylor incitèrent d’autres personnes à mettre au point et à développer leurs
propres méthodes de management scientifique. Ses principaux disciples sont Frank et
Lillian Gilbreth6, ainsi que Henry Gantt.
Entrepreneur en bâtiment, Frank Gilbreth abandonne sa carrière en 1912 pour étudier
le management scientifique, après avoir entendu l’intervention de Taylor lors d’une
conférence professionnelle. Avec sa femme Lillian, psychologue, il travaille sur une
organisation du travail permettant d’éliminer les gestes inutiles. Les époux Gilbreth
expérimentent également la conception et l’utilisation d’outils adaptés, visant à maxi-
miser les performances des ouvriers7. Mais Frank Gilbreth est surtout connu pour ses
expériences sur la réduction du nombre de gestes nécessaires au briquetage qui sont à
l’origine de l’approche des études du mouvement (motion studies).
Les Gilbreth sont parmi les premiers à utiliser des films animés pour étudier les mouve-
ments du corps et des membres. Ils inventent un microchronomètre capable de mesurer
le temps à deux millièmes de seconde près ; ils placent l’appareil dans le champ du
sujet photographié et peuvent ainsi déterminer le temps exact qu’un ouvrier consacre à
chacun de ses mouvements. Les gestes inutiles, invisibles à l’œil nu, peuvent dès lors être
aisément identifiés et éliminés. Les Gilbreth élaborent en outre un système de classe-
ment répertoriant dix-sept mouvements élémentaires de la main – tels que « chercher »,
« choisir », « saisir » ou « tenir » – baptisés « therbligs » (anagramme de Gilbreth). Ce
système leur permet d’analyser plus précisément encore les phases successives des gestes
des ouvriers.
Therbligs  — Système de classification des mouvements inventé par les époux Gilbreth, réperto-
riant dix‑sept gestes élémentaires de la main.

Chez Midvale et Bethlehem, Taylor s’est associé avec le jeune ingénieur Henry Gantt. À
l’instar de Taylor et des époux Gilbreth, Gantt cherche lui aussi, par l’investigation scien-
tifique, à rendre les ouvriers plus efficaces. Il développe certaines idées de Taylor en leur
adjoignant quelques-unes des siennes. Gantt imagine ainsi une méthode de motivation
qui offre aux ouvriers la possibilité d’obtenir une prime s’ils achèvent leur travail avant
la fin du temps imparti. Il introduit également le versement d’une prime au contremaître
pour chaque ouvrier ayant respecté les délais, assortie d’une bonification supplémentaire
si toute son équipe y est parvenue. Gantt élargit de la sorte le champ d’application du
management scientifique, afin de prendre en compte à la fois le travail du manager et
celui de l’ouvrier. Mais il est surtout connu pour avoir inventé un graphique à barres
susceptible de servir d’outil de planification et de contrôle du travail. Ce graphique, dit
« diagramme de Gantt », sera étudié plus en détail au chapitre 16 dédié au management
des opérations.

2.3.  Pourquoi tant d’intérêt pour le management scientifique ?


Aujourd’hui, nombre des principes édictés par Taylor et ses successeurs en vue d’amé-
liorer la productivité paraissent frappés au coin du bon sens. On peut ainsi considérer
que l’évidence même aurait dû commander aux managers, dès cette époque, de sélec-
tionner et de former soigneusement leurs ouvriers avant de leur confier un travail. Pour
bien appréhender l’importance du management scientifique, il faut d’abord comprendre

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Chapitre 1 – Aux sources du management contemporain  7

l’époque dans laquelle Taylor, Gantt et les époux Gilbreth vivent. Le niveau de vie est
très bas. La production nécessite une main-d’œuvre extrêmement abondante. Au début
du siècle, Midvale Steel emploie une vingtaine ou une trentaine d’ouvriers dont l’unique
tâche consiste à charger des gueuses de fonte sur des chariots. De nos jours, un seul
ouvrier équipé d’un élévateur hydraulique pourrait sans doute réaliser en quelques
heures la totalité de leur production quotidienne. Mais ce genre d’appareils n’existe pas
encore. De même, pour que les avancées de Gilbreth en matière de briquetage prennent
tout leur sens, il faut d’abord savoir que la plupart des bâtiments de qualité sont alors
construits en briques, que les terrains sont bon marché et que la plus grande part du coût
de fabrication d’une usine ou d’une maison est imputable aux matériaux utilisés (les
briques) ainsi qu’à la main-d’œuvre.

2.4.  De Henri Fayol à Max Weber : vers une première approche
européenne du management
Henri Fayol et Max Weber ont joué un rôle très important dans le développement de la
théorie administrative générale. Déjà mentionné en début de chapitre, Fayol propose de
définir le management comme un ensemble universel de fonctions : prévoir, organiser,
commander, coordonner et contrôler. Étant donné l’impact de son travail, il convient d’y
revenir ici plus en détail8.
Les écrits de Fayol (1841-1925) sont contemporains de ceux de Taylor, et Fayol prend
connaissance des travaux de Taylor dès 1913. Mais tandis que ce dernier s’intéresse au
management des ateliers en lui appliquant une méthodologie scientifique, Fayol, qui
s’appuie sur l’expérience accumulée tout au long de sa vie professionnelle, traite pour
sa part de l’administration en tant qu’ensemble des activités de management. Taylor,
comme ingénieur et consultant, s’intéresse à l’amélioration de la performance au niveau
des ateliers et des ouvriers individuels, tandis que Fayol, en tant que directeur général
d’une grande entreprise charbonnière – les mines de Commentry (Allier) –, adopte
davantage une vue d’ensemble de l’entreprise et de son développement dans le temps,
en mettant en avant la responsabilité du dirigeant pour le bon fonctionnement et l’har-
monie régnant au sein du corps social.
Fayol distingue le management des autres fonctions courantes de la conduite des affaires,
telles que la comptabilité, la gestion financière, la production ou la distribution. Il
s’agit selon lui d’une activité commune à l’ensemble des entreprises humaines, depuis
l’administration d’un État jusqu’à la tenue de la maison. S’appuyant sur sa très longue
expérience à la tête des mines de Commentry, il propose quatorze principes de manage-
ment – sortes de vérités fondamentales ou universelles pouvant être enseignées dans les
écoles et les universités. Le document 1.2 en dresse la liste.

Document 1.2 – Les quatorze principes du management de Fayol.

1. Division du travail. Identique au principe édicté par Adam Smith. La spécialisation rend
les ouvriers plus efficaces et permet d’améliorer leur rendement.
2. Autorité. Les managers doivent pouvoir donner des ordres. L’autorité qu’ils incarnent leur
confère ce droit. Mais ils sont tenus d’assumer en même temps les responsabilités qui en
découlent.

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8 Management

3. Discipline. Les employés doivent observer et respecter les règles qui régissent le fonc-
tionnement de l’entreprise. Une bonne discipline s’obtient par la combinaison d’une
direction efficace, d’une absence d’ambiguïté entre dirigeants et ouvriers quant aux
règles de l’entreprise et d’un usage judicieux des pénalités liées à leur transgression.
4. Unité de commandement. Chaque employé ne doit recevoir ses ordres que d’un seul
chef.
5. Unité de direction. Il ne doit y avoir qu’un seul chef et qu’un seul programme pour un
ensemble d’opérations visant un même but.
6. Subordination des intérêts individuels à l’intérêt général. Les intérêts d’une per-
sonne ou d’un groupe donné ne doivent jamais prendre le pas sur l’intérêt général de
l’entreprise.
7. Rémunération. Les employés doivent recevoir un juste salaire en contrepartie de leurs
services.
8. Centralisation. La notion de centralisation se rapporte au degré d’implication des
subordonnés dans le processus décisionnel. Entre centralisation (sur la direction) et
décentralisation (vers les employés), tout est question de proportions. L’objectif consiste à
trouver, pour chaque situation, le niveau de centralisation optimal.
9. Ligne hiérarchique. La chaîne de commandement qui s’étend de l’autorité supérieure aux
agents inférieurs porte le nom de ligne hiérarchique et représente une voie de commu-
nication privilégiée. Dans les cas où elle entraînerait un retard trop important, on pourra
toutefois envisager de la court-circuiter, sous réserve d’obtenir l’accord de l’ensemble des
parties et d’informer régulièrement les supérieurs.
1
0. Ordre. Chaque chose et chaque personne doivent toujours se trouver à la bonne place au
bon moment.
11. Équité. Les managers doivent se montrer bons et justes envers leurs subordonnés.
12. Stabilité du personnel. Une rotation élevée du personnel est cause d’inefficacité. Les
dirigeants doivent assurer une gestion méthodique de la main-d’œuvre et disposer d’un
nombre suffisant de remplaçants pour pallier d’éventuels départs.
13. Initiative. Les employés incités à suggérer et à mettre en œuvre de nouvelles idées ont
tendance à s’investir davantage.
14. Union du personnel. La promotion du travail d’équipe favorise l’unité du personnel et
l’harmonie relationnelle au sein de l’entreprise

Tandis que Taylor et Fayol sont issus de la pratique du management dans le monde indus-
triel, la troisième grande figure associée à l’école classique, l’économiste et sociologue
allemand Max Weber (1864-1920), mène une réflexion historique sur le développement
de la société moderne. Au début du xxe siècle, il propose notamment une description de
l’activité organisationnelle fondée sur les relations d’autorité9 en exposant un idéal-type
– en fait, un modèle théorique d’organisation –, qu’il baptise bureaucratie. Ce concept,
sous-jacent aux organisations et administrations qui se sont développées depuis la fin
du xixe siècle (notamment l’administration prussienne), est caractérisé par la division
du travail et la mise en place d’une hiérarchie clairement définie, de règles et de normes
précises, ainsi que d’un mode de relation impersonnel. Weber admet volontiers que
cette bureaucratie idéal-typique n’existe pas dans la réalité et qu’elle constitue plutôt une
reconstruction sélective du monde réel. Bien que ce modèle se veuille davantage un outil
de compréhension qu’un outil de management proprement dit, les idées de base de son
concept ont servi néanmoins de référence pour l’élaboration d’une théorie d’organisation

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Chapitre 1 – Aux sources du management contemporain  9

et d’exécution du travail efficace au sein de groupes à larges effectifs, suivie par beaucoup
de grandes entreprises et administrations publiques jusqu’à aujourd’hui. Le docu-
ment 1.3 présente les caractéristiques du modèle bureaucratique de Weber.
Bureaucratie — Modèle théorique d’organisation défini par Weber et caractérisé par la division du
travail et la mise en place d’une hiérarchie clairement définie, de règles et de normes précises, ainsi
qu’un mode de relation impersonnel.

Document 1.3 – Le modèle bureaucratique de Weber.

• Division du travail. Le travail est décomposé en une série de tâches élémentaires, répé-
titives et précisément définies.
• Hiérarchisation du pouvoir. Les fonctions et les postes sont organisés hiérarchiquement
et chaque subordonné se trouve soumis à l’autorité d’un supérieur.
• Sélection formelle. Tous les membres de la structure organisationnelle sont sélectionnés
en fonction des compétences techniques révélées par leur formation, leur cursus scolaire
ou les résultats d’une évaluation formelle.
• Règles et normes formelles. Afin de réglementer uniformément l’activité des employés,
les managers doivent s’appuyer autant que possible sur un ensemble de règles formelles.
• Impersonnalité. Règlements et contrôles sont appliqués uniformément, de manière à
éviter toute implication personnelle et toute tentation de satisfaire les préférences per-
sonnelles des employés.
• Évolution professionnelle. Les managers sont des agents professionnels, plutôt que les
propriétaires des unités qu’ils dirigent. Ils reçoivent un salaire fixe et évoluent au sein de
l’organisation.

2.5.  Quelle est la continuité de l’école classique du management ?


Les travaux de Taylor, des époux Gilbreth ou de Fayol visaient un même objectif  :
accroître l’efficacité des entreprises. À la fin du xixe et au début du xxe siècle, le monde
du travail se révélait en effet hautement inefficace : la plupart des activités de gestion
n’étaient ni planifiées ni organisées, les responsabilités professionnelles demeuraient
vagues et ambiguës, et les managers, quand ils existaient, n’avaient pas d’idée précise de
ce qu’ils étaient censés faire. Les techniques introduites par les classiques – et en particu-
lier par les adeptes du management scientifique – devaient fournir précisément le moyen
d’y parvenir. Au début du xxe siècle, le niveau de vie était faible, les salaires modestes et
les ouvriers ne possédaient que très rarement leur propre maison. L’industrie réclamait
une main-d’œuvre abondante et il n’était pas rare de voir plusieurs centaines d’ouvriers
effectuer les mêmes tâches éreintantes et répétitives tout au long de la journée. Taylor
n’en considérait donc que plus légitime de passer six mois ou plus à mettre au point la
manière optimale de réaliser ces dernières. Répercutés sur le tarif de l’acier, les gains
de productivité ainsi obtenus permettraient d’élargir le marché, de créer de nouveaux
emplois et d’améliorer le pouvoir d’achat des ouvriers et de leurs familles. Dans le même
ordre d’idée, la standardisation et l’amélioration de l’efficacité des techniques de brique-
tage, conséquences des découvertes de Gilbreth, entraînèrent une forte baisse des coûts
de construction et, par suite, une multiplication des chantiers : la chute des prix permet-
tait aux industriels d’ouvrir un plus grand nombre d’usines et aux particuliers d’accéder
plus facilement à la propriété. En conclusion, l’application des principes du management

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scientifique contribua donc directement, dans beaucoup de pays, à l’élévation du niveau


de vie.
Même si le monde des entreprises a considérablement changé depuis le temps de Taylor,
Fayol et Weber, les principes fondateurs sont toujours à l’œuvre et un grand nombre de
méthodes et concepts actuels de management découlent ainsi directement des contribu-
tions des auteurs classiques.
L’idée de rechercher une adéquation entre l’individu et son travail – et de le former afin
de le rendre plus efficace – correspond par exemple à l’une des applications possibles de
l’«  optimisation  » chère à Taylor. L’ingénierie industrielle, qui dissèque dans leurs
moindres détails les processus de production, plonge elle aussi ses racines dans le mana-
gement scientifique, comme du reste le souci d’adapter le lieu de travail au travailleur, de
créer un environnement professionnel favorisant la productivité ou encore l’importance
que l’on accorde aujourd’hui à la gestion de projet et à la planification. Quant à l’utilisa-
tion de la vidéo comme moyen d’améliorer le rendement – au travail comme sur les pistes
d’athlétisme –, il faut bien entendu y voir l’influence des époux Gilbreth.
L’étude de l’activité de manager – y compris le leadership, la motivation, les politiques
de rémunération, etc. – trouve son origine chez Fayol. Bien que certains de ses prin-
cipes puissent se révéler difficilement applicables à l’immense diversité des entreprises
d’aujourd’hui, ils n’en constituent pas moins un système de référence sur lequel s’ap-
puient nombre de concepts actuels. La bureaucratie de Weber représente une tentative,
toujours actuelle, d’élaborer un modèle idéal d’organisation, ainsi qu’une réponse aux
abus constatés par son auteur. Weber estimait que la bureaucratie permettait d’éliminer
l’ambiguïté, l’inefficacité et le népotisme dont souffraient beaucoup d’organisations
traditionnelles. Si celle-ci n’est plus à présent aussi populaire qu’il y a trente ou quarante
ans, le fonctionnement des organisations les plus importantes participe encore de beau-
coup de ses éléments. Quand une entreprise se restructure, met en place des règles
formelles, redéfinit ses processus ou réévalue ses objectifs à long terme, elle applique
en réalité des principes issus de la théorie administrative générale. Et la notion d’esprit
d’équipe, qu’on ne cesse aujourd’hui de promouvoir, s’apparente par ailleurs très nette-
ment au concept d’« union du personnel » développé en son temps par Fayol10.

3.  L’école des relations humaines


Aucun manager ne peut obtenir ce qu’il désire sans collaborer avec d’autres personnes.
Forts de ce constat, et conscients de la persistance de conflits et de luttes sociales souvent
violents malgré la mise en place de principes de management scientifique, certains
penseurs et chercheurs ont choisi d’étudier l’entreprise sous l’angle de la relation
humaine. L’essentiel de ce qui relève aujourd’hui de la gestion des ressources humaines,
ainsi que la plupart des idées contemporaines sur la motivation ou le leadership, résulte
des travaux menés par ces théoriciens.

3.1.  D’où vient l’approche des relations humaines ?


Tout au long du xixe et jusqu’au début du xxe  siècle, de nombreux auteurs ont reconnu
l’importance indiscutable du facteur humain dans le succès d’une entreprise. Cinq

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Chapitre 1 – Aux sources du management contemporain  11

d’entre eux se sont néanmoins distingués en défendant dès l’origine une approche du
management fondée sur la gestion des relations humaines : il s’agit de Robert Owen, Hugo
Münsterberg, Mary Parker Follett, Elton Mayo et Chester Barnard. Ces critiques du capi-
talisme sauvage et de ses méthodes avaient des origines et des orientations différentes,
mais avec la professionnalisation du management au cours du xxe siècle (par exemple à
travers le développement des business schools, des méthodes de recherche scientifique sur
le management, etc.), on retient essentiellement leur contribution au développement du
courant des relations humaines. Comme les auteurs de l’école classique, l’approche des
relations humaines s’intéresse à la productivité, mais, au lieu d’accentuer l’organisation
du travail, ses auteurs mettent en avant la compréhension des mécanismes psycholo-
giques, la motivation et le travail en groupe.
Qui était Robert Owen ?
Grand homme d’affaires écossais, Robert Owen (1771-1858) achète sa première usine en
1789, à l’âge de 18 ans. Écœuré par la cruauté des méthodes de production en vigueur
dans son pays – l’emploi des enfants (dont beaucoup âgés de moins de 10 ans), les jour-
nées de treize heures, les conditions de travail désastreuses –, il se range dans le camp
des réformistes. Il reproche aux industriels de mieux traiter leurs équipements que leurs
ouvriers, pointant du doigt le fait qu’ils achètent certes les meilleures machines, mais
qu’ils dépensent ensuite le moins possible pour la main-d’œuvre. Owen affirme dès cette
époque que l’argent consacré à l’amélioration des conditions de travail représente l’un
des meilleurs investissements qu’un chef d’entreprise puisse réaliser. Il déclare en outre
que le bien-être des employés peut se révéler extrêmement profitable en termes de mana-
gement tout en permettant de soulager la misère humaine.
Certes, Owen propose une vision utopique de l’environnement de travail. L’histoire du
management retiendra d’ailleurs moins sa réussite que son courage et son attachement
à réduire les souffrances de la classe ouvrière. Avec plus d’un siècle d’avance sur son
époque, il se prononce dès 1825 en faveur d’un horaire réglementé pour tous (dans sa
propre filature, il fera passer le temps de travail de quatorze à douze heures, avec pause
payée pour le repas…), d’une législation sur le travail des enfants, de la promotion de
l’instruction publique, de la fourniture des outils par les entreprises et de l’implication
de ces dernières dans les projets d’utilité collective11.
Pourquoi se souvient-on de Hugo Münsterberg ?
Hugo Münsterberg, psychologue germano-américain, est considéré comme le père de
la psychologie industrielle – l’étude scientifique des individus au travail, en vue d’opti-
miser leur productivité et leur adaptation professionnelle. Dans un texte de 1913 intitulé
Psychology and Industrial Efficiency12, il affirme que l’étude scientifique du comporte-
ment humain permet d’identifier certains schémas de base et d’expliquer les différences
individuelles. Münsterberg recommande l’adoption de tests psychologiques pour
améliorer la sélection des employés, défend l’intérêt des théories d’apprentissage dans
le développement des méthodes de formation et préconise l’étude du comportement
humain afin de déterminer les techniques de motivation les plus efficaces. Il est intéres-
sant de noter que Münsterberg établit pour la première fois un lien entre le management
scientifique et la psychologie industrielle : ces deux disciplines viseraient à améliorer
l’efficacité des entreprises par le biais de l’analyse scientifique, grâce à un meilleur ajus-
tement des compétences individuelles aux exigences des divers emplois. L’essentiel de

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12 Management

nos connaissances actuelles en matière de sélection, de formation professionnelle, de


définition de postes et de motivation s’appuie sur les travaux de Münsterberg.
Pourquoi Mary Parker Follett est-elle considérée comme une pionnière
en matière de management ?
L’Américaine Mary Parker Follett (1868-1933) est l’un des premiers auteurs à soutenir
que l’organisation des entreprises peut être étudiée en combinant les points de vue des
comportements individuels et collectifs13. À une époque où le management scientifique
avec le principe taylorien de l’individualisation des tâches tient le haut du pavé, Follett
défend une vision transversale. À l’encontre de Fayol, elle soutient l’idée que l’intérêt de
l’individu n’a pas à s’effacer devant celui du groupe, tout en soulignant que la gestion
des entreprises doit se fonder sur une éthique collective plutôt que sur l’individualisme.
Le potentiel de chacun ne peut s’exprimer selon elle qu’à travers le groupe. Le travail
du manager consiste donc à harmoniser et à coordonner l’effort collectif – à exercer
le pouvoir avec les employés, au lieu de les en exclure. Managers et ouvriers doivent se
considérer comme des partenaires au sein d’un seul et même groupe. En ce sens, les
managers sont tenus de diriger les employés en s’appuyant davantage sur leur expertise et
leurs connaissances que sur l’autorité formelle liée à leur position. Aujourd’hui, les idées
humanistes de Follett influencent encore profondément notre manière de concevoir la
motivation, le leadership, le pouvoir et l’autorité.
En quoi consistaient les « expériences de Hawthorne » ?
Entamées en 1924, mais poursuivies jusqu’au début des années 1930, les expériences de
Hawthorne représentent incontestablement l’une des plus importantes contributions à
l’approche du management sous l’angle des relations humaines. Initialement destinées
à observer l’évolution de la productivité des ouvriers en fonction de l’éclairage, ces expé-
riences sont entreprises à Cicero, dans l’Illinois, au sein des usines Hawthorne, propriété
de la Western Electric Company14. Ayant réparti les sujets en deux groupes, les ingé-
nieurs de la Western Electric soumettent le premier – le groupe test – à différents niveaux
d’intensité lumineuse, tandis que le second – le groupe témoin – continue de travailler
sous un éclairage constant. Alors qu’ils s’attendaient à ce que le rendement individuel se
révèle directement proportionnel à l’intensité lumineuse, ils constatent que l’intensifi-
cation de l’éclairage du groupe test améliore en réalité le rendement de chacun des deux
groupes. À leur grande surprise, ils découvrent également que ce rendement continue
d’augmenter même si l’on diminue de nouveau la lumière. Le rendement du groupe test
ne commence en fait à diminuer qu’à partir du moment où l’éclairage se trouve réduit
à celui d’une nuit de pleine lune. Les ingénieurs en déduisent que l’intensité lumineuse
n’a pas de répercussion directe sur la productivité du groupe, mais demeurent incapables
d’expliquer les raisons du comportement qu’ils ont observé.
Expériences de Hawthorne  — Ensemble de recherches menées dans les années 1920 et 1930 au
sein de l’entreprise Western Electrics dans le but d’identifier l’impact de l’environnement de travail sur
la productivité des ouvriers. Les résultats de ces recherches ont mis en avant le facteur humain dans
le fonctionnement des organisations.

En 1927, ils proposent à Elton Mayo (1880-1949), psychologue d’origine australienne et


professeur à la Harvard Business School, et à ses collègues de participer à leurs travaux
en tant que consultants. Cette collaboration se poursuivra jusqu’en 1932 et donnera lieu
à de nombreuses expériences touchant à la redéfinition des postes, à l’aménagement du

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Chapitre 1 – Aux sources du management contemporain  13

temps de travail quotidien et hebdomadaire, à l’introduction de périodes de repos, ainsi


qu’aux avantages comparés des grilles de salaires individuelles et collectives15. L’une de
ces expériences vise par exemple à évaluer l’influence d’un système de rémunération à la
pièce sur le rendement d’un groupe. Les résultats démontrent qu’un tel système est loin
d’avoir autant d’impact que la pression et le consentement du groupe, ainsi que l’effet
sécurisant que ce dernier induit. Les normes et références sociales du groupe semblent
donc constituer les déterminants essentiels du comportement des individus dans la
sphère professionnelle.
La plupart des spécialistes s’accordent à penser que les expériences de Hawthorne, sous
la direction de Mayo, influencèrent profondément l’orientation ultérieure des études
en management. Les conclusions de Mayo soulignent l’existence d’un lien étroit entre
sentiments et comportements, de même que l’importance du poids du groupe sur les
comportements individuels ou l’impact des normes collectives sur le rendement des
ouvriers. Elles mettent aussi en avant le fait qu’en matière de productivité, l’argent
pèse bien moins que les normes, les sentiments et la sécurité du groupe – un ensemble
de constatations résumées sous l’appellation d’« effet Hawthorne ». Ces conclusions
suscitèrent un nouvel intérêt pour le facteur humain, eu égard au fonctionnement des
entreprises et à la réalisation de leurs objectifs. Mais elles entraînèrent également un
regain de paternalisme dans la pratique du management.
Les expériences de Hawthorne n’ont cependant pas échappé aux critiques. Certains ont
contesté les protocoles mis en œuvre, l’analyse des résultats, ainsi que les conclusions
qui en ont été tirées16. D’un point de vue historique, il importe assez peu que ces travaux
ne soient pas d’une parfaite rigueur intellectuelle ou que leurs conclusions ne soient pas
pleinement fondées. L’important est qu’ils ont renouvelé l’intérêt des chercheurs pour les
facteurs humains et l’héritage de ces recherches demeure aujourd’hui encore très vivace.
Et Chester Barnard ?
Figure transversale au même titre que Follett, Chester Barnard jette un pont entre les
visions classique et humaniste du management. À l’instar de Fayol, Barnard est un homme
de terrain – il préside la Bell Telephone Company du New Jersey. Contrairement à l’idéal-
type de la bureaucratie de Weber, Barnard voit l’organisation comme un système social
requérant une coopération intersubjective. Il exposera ses idées dans un ouvrage intitulé
The Functions of the Executive17 (1938) et est aujourd’hui considéré comme un des précur-
seurs des approches systémiques qui se sont développées à partir des années 1960.
Barnard considère que le fonctionnement des entreprises, composées d’êtres humains,
repose sur un ensemble d’interactions sociales. La principale fonction du manager
consiste à communiquer avec ses subordonnés et à les stimuler, afin d’obtenir de leur
part un effort plus important. La réussite d’une entreprise dépend en grande partie,
selon Barnard, de la coopération de ses employés et de leur soumission à l’autorité. Mais
aussi, ajoute-t-il, de sa capacité à entretenir de bonnes relations avec les individus et les
institutions qu’elle est amenée à côtoyer régulièrement. En soulignant la dépendance
de l’entreprise vis-à-vis des investisseurs, des fournisseurs, des clients et de ses autres
partenaires, Barnard introduit l’idée selon laquelle les managers doivent en premier
lieu examiner l’environnement externe, pour ensuite adapter leurs méthodes de gestion
de manière à maintenir l’équilibre global. Aussi efficace une entreprise soit-elle, si la

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14 Management

direction se montre incapable d’assurer un approvisionnement continu en matières


premières ou de trouver des débouchés pour ses produits, sa survie se trouve directe-
ment menacée.
L’intérêt actuel des entreprises pour la constitution de groupes de travail interactifs, la
responsabilisation sociale des établissements commerciaux ou encore l’adéquation des
stratégies organisationnelles aux opportunités des marchés découlent en droite ligne
des idées développées en leur temps par Follett et Barnard.
Quelle est l’importance de l’école des relations humaines dans l’histoire
du management ?
Parmi les défenseurs d’une approche axée sur les relations humaines, un deuxième
groupe d’individus mérite d’être distingué pour son indéfectible engagement en faveur
d’une humanisation des méthodes de management. Les acteurs de ce mouvement souli-
gnèrent unanimement l’importance que revêtait à leurs yeux la satisfaction de l’employé
– affirmant qu’un ouvrier satisfait ne pouvait que devenir un ouvrier productif. Pour
l’essentiel, les hommes associés à ce mouvement – Dale Carnegie, Abraham Maslow et
Douglas McGregor – fondèrent davantage leur réflexion sur une conviction philoso-
phique personnelle que sur une solide démonstration scientifique.
Les spécialistes du management omettent souvent de mentionner le nom de Dale
Carnegie. Ses idées ont pourtant influencé de manière considérable l’exercice de cette
discipline. Son ouvrage, How to Win Friends and Influence People18, emporte l’adhé-
sion de millions de lecteurs entre 1930 et 1950 tandis que des milliers de managers et
d’apprentis managers se pressent à l’époque pour assister à ses séminaires. Carnegie
explique en substance que pour réussir, il faut (1) faire en sorte que les autres se sentent
importants, en leur témoignant une sincère reconnaissance de leurs efforts ; (2) faire
bonne impression lors de la première entrevue ; (3) convertir les gens à ses propres vues
en leur laissant la parole, en se montrant compréhensif, et en « ne les accusant jamais
d’avoir tort » ; enfin (4), changer l’attitude des gens en mettant en valeur leurs bons côtés
et en permettant aux fautifs de sauver la face.
Psychologue humaniste, Abraham Maslow propose de classer hiérarchiquement cinq
besoins essentiels : besoins physiologiques, de sécurité, d’appartenance, d’estime et
d’autoaccomplissement19. En termes de motivation, Maslow explique que chacun de ces
besoins doit être satisfait avant que le suivant n’entre en ligne de compte et qu’à partir
du moment où l’un d’eux se trouve comblé, son influence comportementale disparaît.
Bien qu’elle résiste assez mal à l’analyse, cette hiérarchie des besoins demeure proba-
blement l’une des théories les plus connues en matière de motivation. Aucun ouvrage
d’initiation au management, aux rapports sociaux, aux relations humaines, à la psycho-
logie ou au marketing ne peut se permettre de l’ignorer.
Douglas McGregor est surtout connu pour avoir formulé deux séries d’hypothèses
contradictoires sur la nature humaine – la théorie X et la théorie Y20. La première propose
une vision essentiellement négative de l’être humain. Elle affirme qu’il manque d’ambi-
tion, qu’il n’aime pas travailler, qu’il cherche à fuir ses responsabilités et qu’il a besoin
d’être étroitement surveillé pour fournir un travail efficace. À l’opposé, la théorie Y
soutient que l’homme est capable de s’autodiscipliner, qu’il accepte volontiers d’assumer
ses responsabilités et qu’il lui paraît aussi naturel de travailler que de se reposer ou de

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Chapitre 1 – Aux sources du management contemporain  15

s’amuser. McGregor considère que seule cette dernière théorie dépeint au mieux la véri-
table nature de l’ouvrier et doit par conséquent guider l’exercice du management.
Il existe à propos de cet auteur une anecdote qui révèle très clairement l’essence même
de sa pensée. McGregor enseignait depuis une douzaine d’années au Massachusetts
Institute of Technology (MIT) lorsqu’il fut nommé recteur de l’Antioch College. Six
ans après, il sembla admettre que sa philosophie avait rencontré quelques difficultés à
s’adapter aux réalités de l’entreprise.

Je croyais par exemple que le responsable d’une organisation pouvait diriger effi-
cacement en se cantonnant au simple rôle de conseiller. Je pensais pouvoir éviter
d’endosser le costume du « patron ». Inconsciemment, j’espérais sans doute échap-
per à la déplaisante obligation de prendre des décisions délicates, de choisir telle
ou telle ligne de conduite parmi tout un tas de possibilités aussi aléatoires les unes
que les autres, de commettre des erreurs et de devoir en assumer les conséquences.
J’espérais parvenir à me faire aimer de tous – à éliminer disputes et dissensions
en entretenant de « bonnes relations » avec chacun. Jamais je ne m’étais autant
trompé. Il m’a fallu quelques années pour l’admettre, mais j’ai fini par comprendre
qu’un dirigeant ne pouvait éviter d’exercer son autorité, pas plus qu’il ne peut fuir
la responsabilité des événements qui touchent à son organisation21.

L’ironie veut que McGregor ait ensuite réintégré le MIT… pour y prêcher de nouveau,
jusqu’à son dernier souffle, la même doctrine humaniste ! À l’instar de celle de Maslow,
la vision de la nature humaine défendue par McGregor a longtemps fait de nombreux
adeptes parmi les théoriciens et les professionnels du management.
Tous les partisans du mouvement des relations humaines, Carnegie, Maslow et McGregor
en tête, partagent un optimisme inébranlable quant aux capacités de l’être humain.
Même face à des expérimentations ou à des résultats d’enquêtes de terrain aboutissant
à des conclusions plus nuancées, ils restent convaincus de la justesse fondamentale de
la cause qu’ils défendent et de la pertinence de leurs conceptions. Aucune expérience
contradictoire ne réussit jamais à ébranler leurs convictions. Néanmoins, et en dépit de
ce manque d’objectivité, tous exercèrent et continuent d’exercer une influence incontes-
table sur la théorie et la pratique du management.

3.2.  L’approche du management sous l’aspect des relations humaines


est-elle encore d’actualité ?
Deux phénomènes concomitants expliquent l’intérêt suscité, au début des années 1930,
par la gestion des relations humaines. Le premier tient à la remise en cause des classiques
et de leur vision exagérément mécaniste de l’ouvrier. Le second est lié au contexte né de
la Grande Crise de 1929.
Les classiques se représentaient l’entreprise et ses employés comme des machines. Les
managers s’apparentaient à des ingénieurs ; ils assuraient l’approvisionnement régulier
de ces machines et veillaient à ce qu’elles soient correctement entretenues. Si l’employé
se montrait incapable de produire les quantités demandées, il s’agissait d’un simple
problème d’ingénierie. Cette conception posait cependant problème, car elle entraînait
l’aliénation du personnel. Les hommes n’étant pas des machines, ils ne toléraient pas
forcément très bien la froide rigueur de l’entreprise parfaite imaginée par les classiques.

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16 Management

La gestion des relations humaines offrit aux managers le moyen de réduire ce sentiment
d’aliénation et d’améliorer le rendement des ouvriers.
Au cours des années 1930, les effets dévastateurs de la Grande Crise se répercutèrent sur
l’ensemble du globe et renforcèrent considérablement le rôle de l’État dans la vie des gens
et des entreprises. Aux États-Unis, par exemple, Franklin Roosevelt chercha, par le biais
du New Deal, à redonner confiance à une nation sinistrée. L’humanisation de l’environ-
nement de travail répondait désormais aux préoccupations de la société.
Les chercheurs ayant étudié le management sous l’angle des relations humaines se
comptent par centaines. Ainsi, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à
nos jours, leurs travaux – souvent regroupés sous l’appellation « comportement orga-
nisationnel » – nous ont permis d’acquérir une telle masse de connaissances sur le
comportement des individus et des groupes dans l’organisation qu’il est désormais
possible de prévoir celui-ci d’une manière raisonnablement fiable. Notre façon d’aborder
aujourd’hui les questions liées au leadership, à la motivation, à la détection des profils
psychologiques, à la définition des postes et des organigrammes, à la culture d’entre-
prise, à l’optimisation du travail en équipe, à l’évaluation des performances, à la gestion
des conflits, aux enquêtes d’attitudes, à l’orientation professionnelle, à la formation
des cadres, aux processus décisionnels participatifs, aux systèmes de rémunération par
équipes et aux techniques de négociation doit beaucoup aux contributions de ces cher-
cheurs.
Comportement organisationnel — Domaine de recherche et d’enseignement qui s’intéresse au
comportement des individus et des groupes au travail.

4.  L’école quantitative


L’approche quantitative du management, souvent désignée sous le nom de recherche
opérationnelle, s’est développée à partir des méthodes mathématiques et statistiques
mises au point lors de la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre, beaucoup de
méthodes quantitatives exploitées par les militaires trouvèrent une nouvelle application
dans le monde des affaires22. Un groupe d’officiers rejoignit au milieu des années 1940
la Ford Motor Company. Ils y introduisirent aussitôt l’usage des méthodes statistiques
en vue d’améliorer la prise de décisions. Deux membres du groupe, Robert McNamara
et Charles Thornton, devaient par la suite devenir célèbres. McNamara fut nommé
président de Ford, puis ministre de la Défense au sein du gouvernement américain. Au
Pentagone, il s’employa à quantifier les schémas de répartition des ressources sur la base
d’une analyse coût/profit. Il acheva sa carrière à la tête de la Banque mondiale. Thornton
s’en alla fonder de son côté un énorme conglomérat, Litton Industries, en s’appuyant
lui aussi sur des techniques quantitatives pour motiver ses décisions d’acquisition et
d’affectation. Des dizaines d’autres spécialistes en recherche opérationnelle se recon-
vertirent comme consultants. Le cabinet conseil d’Arthur Little commença ainsi dès le
début des années 1950 à traiter les problèmes de management selon des méthodes de RO.
Quelques années plus tard, de très nombreuses firmes possédaient leurs propres équipes
de recherche opérationnelle et l’industrie employait des centaines d’analystes issus de
cette discipline.

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Chapitre 1 – Aux sources du management contemporain  17

Mais que recouvrent réellement ces techniques quantitatives et dans quelle mesure
ont-elles influencé les méthodes de management actuelles  ? L’approche quantita-
tive du management suppose le recours aux statistiques, aux modèles mathématiques
d’optimisation et de gestion de l’information et aux simulations informatiques. La
programmation linéaire peut ainsi permettre aux managers d’améliorer la répartition
de leurs ressources. L’échelonnement des travaux tire par ailleurs grand profit d’une
analyse sous l’angle du chemin critique, tandis que la détermination du niveau optimal
des stocks se trouve facilitée par l’adoption des modèles économiques de réapprovision-
nement. En règle générale, l’approche quantitative contribue directement à la prise de
décisions, en particulier dans le domaine de la planification et du contrôle.
Les approches quantitatives, conjuguées à une approche spécifique par rapport à
l’association des collaborateurs, ont également joué un rôle important dans le dévelop-
pement des techniques modernes de management de la qualité. Après la Seconde Guerre
mondiale, des entreprises japonaises commencent à mettre en place des concepts issus
d’un petit cercle d’experts en gestion de qualité, dont les membres les plus connus étaient
W. Edwards Deming et Joseph M. Juran. Les succès des industriels japonais furent le
point de départ d’un intérêt grandissant pour les méthodes de Deming et Juran dans les
entreprises occidentales.

5.  L’organisation comme système ouvert


Nous ne nous sommes jusqu’à présent intéressé qu’à certaines conceptions bien spéci-
fiques du management. Si chacune reflète le contexte social de son époque, elles sont
toutes demeurées relativement isolées les unes des autres et elles se sont surtout consacrées
au fonctionnement interne des organisations. À partir des années 1960, les théoriciens
du management se sont davantage intéressés aux liens que l’entreprise entretient avec son
environnement. Deux approches illustrent cette perspective : l’analyse systémique et la
théorie de la contingence.

5.1.  Comment l’analyse systémique s’intègre-t-elle au monde


du management ?
Au milieu des années 1960, l’idée consistant à analyser l’entreprise selon une perspective
systémique s’attire, pour une décennie, une très large audience. L’approche systémique
définit le système comme un ensemble d’éléments interdépendants agencés de manière
à former un tout cohérent. Les sociétés sont donc des systèmes, tout comme les ordina-
teurs, les automobiles, les entreprises ou l’organisme de chaque animal et de chaque être
humain.
Approche systémique — Définit le système comme un ensemble d’éléments interdépendants
agencés de manière à former un tout cohérent.

Il existe deux grands types de systèmes : les systèmes ouverts et les systèmes fermés.
Les systèmes fermés n’interagissent jamais avec leur environnement et n’en subissent
aucune influence. À l’inverse, une approche sous l’angle de systèmes ouverts reconnaît
l’existence d’interactions dynamiques entre le système et son environnement (voir docu-
ment 1.4). Quand il est question des entreprises en tant que systèmes, cela renvoie bien

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18 Management

sûr aujourd’hui à la notion de systèmes ouverts. Cela signifie que l’on prend en compte
les interactions permanentes entre l’entreprise et son environnement.

Document 1.4 – L’entreprise et son environnement.

Environnement

Organisation

Processus
Entrées de transformation Sorties

Matières premières Activités professionnelles Produits et services


Ressources humaines des employés Résultats financiers
Capital Activités de management Information
Technologie Technologie et méthodes Résultats humains
Information d’exploitation

Feed-back

Environnement

Systèmes fermés — Systèmes qui n’interagissent pas avec leur environnement et qui n’en su-
bissent aucune influence.

Systèmes ouverts — Systèmes qui interagissent dynamiquement avec leur environnement et qui
transforment les ressources qu’ils traitent.

L’entreprise (et l’équipe qui la dirige) ne se contente pas d’interagir avec son environnement :
elle en est aussi totalement dépendante. En termes de management, on dit que l’entreprise
dialogue avec ses parties prenantes (stakeholders). Ce terme désigne tout groupe poten-
tiellement affecté par les décisions et les orientations de l’entreprise. Il peut notamment
s’agir des pouvoirs publics, des syndicats, des entreprises concurrentes, des employés, des
fournisseurs, des clients, des leaders d’opinion locaux ou de certaines associations en plus
des actionnaires ou propriétaires d’une entreprise. Le travail d’un manager consiste à coor-
donner toutes ces composantes afin d’atteindre les objectifs fixés. La plupart des dirigeants
comprennent bien que la survie de l’entreprise dépend entièrement du comportement des
consommateurs. Ils ont conscience que le lancement prématuré d’un nouveau produit, sans
s’être d’abord assuré que celui-ci répond aux besoins ou aux envies de clients potentiels, peut
avoir des conséquences désastreuses. Lorsqu’une telle erreur entraîne une réduction des
bénéfices, il arrive que l’entreprise vienne à manquer de ressources pour payer les salaires ou
les impôts, pour acheter de nouveaux équipements ou rembourser les emprunts. L’approche
systémique reconnaît l’existence de ce genre de relations et souligne le fait que les mana-
gers doivent prendre conscience de leur importance et des contraintes potentielles qui s’y
rattachent. Le débat sur la responsabilité sociale de l’entreprise répond en partie aux mêmes
observations. Les comportements frauduleux des cadres d’Enron, d’Arthur Andersen, de
WorldCom ou autres sont susceptibles d’entraîner la promulgation de lois et de normes
nouvelles en matière de comptabilité et de gestion. Ils amènent de surcroît le grand public à
s’interroger encore davantage sur la déontologie et la légitimité des entreprises.
Parties prenantes (ou stakeholders) — Tout groupe potentiellement affecté par les décisions et
les orientations de l’entreprise.

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Chapitre 1 – Aux sources du management contemporain  19

L’approche systémique reconnaît par ailleurs que les entreprises ne fonctionnent jamais
en vase clos. Leur survie requiert une interaction efficace avec leur environnement,
lequel englobe notamment les conditions économiques, l’état du marché, l’activité poli-
tique, les progrès technologiques et l’évolution des mœurs. Le mépris prolongé de l’un
ou l’autre de ces facteurs peut très vite se révéler préjudiciable.
D’un point de vue managérial, l’approche systémique est en fin de compte extrême-
ment pertinente. Les fonctions du manager imposent en effet à celui-ci de coordonner et
de combiner tout un ensemble d’activités professionnelles afin qu’un système composé
d’éléments interdépendants (l’entreprise) puisse atteindre ses objectifs. Et bien qu’elle
n’en fournisse aucune description spécifique, l’approche systémique propose en défini-
tive, comparée à l’approche par les processus, une représentation beaucoup plus claire de
cette mission. Au surplus, le fait d’envisager le manager comme un lien entre l’entreprise
et son environnement conduit celle-ci à se montrer plus attentif envers ses partenaires
clés – clients, fournisseurs, agences gouvernementales, population locale.

5.2.  Qu’apporte au management la théorie de la contingence ?


Comme la vie elle-même, le management fonctionne selon des principes qui n’ont rien
d’évident 23. Les compagnies d’assurance savent bien que tous les êtres humains ne
présentent pas les mêmes risques de tomber gravement malade. Des facteurs tels que l’âge,
la condition physique et la consommation d’alcool ou de tabac influencent la santé de
chacun. De même, il est impossible d’affirmer que les élèves apprennent moins en suivant
un cours par correspondance qu’en face d’un véritable enseignant. De nombreuses études
démontrent en effet que certains facteurs contingents, comme le contenu des cours ou les
schémas d’apprentissage des individus, déterminent l’efficacité de l’enseignement.
À partir des années 1960, la théorie de la contingence (parfois qualifiée d’approche
situationnelle) est venue remplacer certains principes de management trop simplistes.
Étant donné l’immense diversité des entreprises – en termes de taille, d’objectifs, de
tâches, etc. – il serait en effet très étonnant que l’on puisse dégager des principes univer-
sellement applicables, susceptibles de s’adapter à toutes les situations. En d’autres termes,
les programmeurs d’Oracle ne sauraient être managés comme les ingénieurs commer-
ciaux de cette même entreprise, et encore moins comme les vendeurs des Galeries
Lafayette. Pour autant, il ne suffit pas bien entendu d’affirmer que « tout dépend des
cas ». Il faut aussi expliquer en quoi chaque cas diffère du cas précédent. Les défenseurs
de la théorie de la contingence – parmi lesquels figurent la plupart des théoriciens et des
professionnels du management – se sont employés à identifier les différents facteurs qui
entrent en ligne de compte. Le document 1.5 en détaille quatre.

Document 1.5 – Quatre facteurs de contingence fondamentaux.

• Taille de l’entreprise. L’effectif d’une entreprise influence de manière considérable le tra-


vail des managers. Plus il est important, plus les problèmes de coordination s’intensifient.
De ce fait, la structure organisationnelle d’une entreprise de cinquante mille employés
a toutes les chances de se révéler inefficace au sein d’une PME de cinquante personnes.
• Type de technologie. Pour exercer son activité, l’entreprise exploite une technologie
– un processus qui consiste à transformer des ressources en produits. Les technologies
usuelles et les technologies propriétaires, ou non standard, exigent des structures organi-
sationnelles, des modes de gestion et des systèmes de contrôle différents.

© 2016 Pearson France - Management + MyLab, 9e édition - Stephen Robbins, David DeCenzo, Mary Coulter, Isabelle Né, Charles-Clemens Rüling
20 Management

• Incertitude environnementale. Le degré d’incertitude lié aux évolutions politiques,


techno­logiques, socioculturelles et économiques influence le processus managérial. Une
méthode qui fonctionne à la perfection dans un environnement stable et prévisible peut
se révéler totalement inappropriée au sein d’un environnement changeant et imprévisible.
• Particularités individuelles. Les individus diffèrent entre autres par leurs ambitions,
leur autonomie, leur capacité à tolérer l’ambiguïté et leurs attentes. Ces différences indi-
viduelles revêtent une importance particulière quant aux choix du manager en termes de
techniques de motivation, de style de leadership et de définition de postes.

Cette liste n’a certes rien d’exhaustif, mais elle répertorie les variables le plus couramment
utilisées et donne une bonne idée de ce que l’on entend par « facteur de contingence »24.
Comme on peut le voir ici, les facteurs de contingence influencent notablement le travail
des managers – c’est-à-dire leur manière de coordonner et de combiner l’ensemble des
activités professionnelles.
Théorie de la contingence (ou approche situationnelle) — Approche intégrée du manage-
ment, qui affirme qu’il n’existe pas une méthode idéale qu’il suffirait d’appliquer, mais que les types
d’approches ou de solutions envisagées dépendent toujours du contexte et de la situation rencon-
trés.

Qu’est-ce qui se cache derrière les théories de management ?


Questions critiques

Questions critiques
Les théories de management ne fournissent pas uniquement des outils aux managers
pour organiser et gérer les organisations de façon plus efficace. Comme nous l’avons
démontré ci-dessus, elles sont également et toujours le reflet d’une réalité sociale et éco-
nomique, et représentent souvent les intérêts des acteurs dominants à un moment donné.
Derrière leur aspect d’outil se cachent fréquemment d’autres questions : comment redis-
tribuer les gains de productivité obtenus par les principes tayloriens ? L’individualisation
des ouvriers et l’attribution de la planification du travail aux managers ne répondent-
elles pas aussi à une volonté d’affaiblir la position des contremaîtres et de renforcer les
possibilités de contrôle et en conséquence de soumission des ouvriers  ? L’accent que
Fayol met sur l’union du personnel et la complémentarité des différents membres du
corps social ne perpétue-t-il pas une vision des rapports de pouvoir et d’autorité quasi
naturelle ? Est-ce que les préceptes issus des recherches qui suivent le courant des rela-
tions humaines ne visent-ils pas également, en premier lieu, la maximisation des profits,
même s’ils se basent sur d’autres leviers d’action ?
Un second point de discussion concerne le sens de « progrès » dans les connaissances de
gestion. Contrairement aux sciences « dures », ainsi qu’à l’utopie scientifique à laquelle
adhère Taylor, il est beaucoup plus difficile en économie et en gestion de prouver la
supériorité d’une méthode sur une autre. En même temps, un nombre important d’ac-
teurs – chercheurs, consultants, formateurs, maisons d’édition, etc. – tirent en partie
leur légitimité de leur capacité à proposer de nouveaux et meilleurs concepts et outils
de gestion. L’incertitude des managers quant aux théories, méthodes et outils à utili-
ser, d’une part, et leur multiplicité, d’autre part, mènent dans la pratique à l’émergence
de véritables « modes » de management qui s’articulent autour de certains concepts et
outils (par exemple, Total Quality Management, Business Process Reengineering, Custo-
mer Relationship Management, etc.). Autrement dit : l’utilisation de concepts et d’outils
de gestion en entreprise ne suit pas nécessairement une logique d’amélioration de la
performance, mais résulte souvent de mécanismes comme le mimétisme ou l’existence
de croyances collectives concernant la légitimité de telle ou telle méthode.

© 2016 Pearson France - Management + MyLab, 9e édition - Stephen Robbins, David DeCenzo, Mary Coulter, Isabelle Né, Charles-Clemens Rüling

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