Le Régime Juridique Des Actes Administratifs Unilatéraux
Le Régime Juridique Des Actes Administratifs Unilatéraux
Le Régime Juridique Des Actes Administratifs Unilatéraux
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Un acte administratif est le produit d'une volonté, celle d'une autorité administrative d'obtenir un certain résultat
par l'adoption de cet acte.
Il en est des actes administratifs comme des lois, qui naissent et meurent, c'est-à-dire sont adoptées pour
répondre à un certain besoin, et son abrogées lorsque les circonstances changent, ce qui exige un changement
du droit.
Les questions qui se posent sont moins relatives à la vie de l'acte administratif qui, s'il n'est pas contesté,
s'applique tant qu'il n'est pas rapporté, qu'à sa naissance et à sa disparition. Une décision administrative
produisant des effets de droit, il est indispensable que tant son édiction que sa disparition soient entourées
de garanties.
La question à laquelle il s'agit de répondre est de savoir à quelles conditions un acte administratif doit répondre
pour pouvoir être considéré comme valide au regard du droit. Les exigences sont relatives aussi bien à la
forme de l'acte qu'au contenu de celui-ci.
Il faut signaler d'abord, sans qu'il soit nécessaire d'y insister, que les actes administratifs doivent être datés, ce
qui est dans l'intérêt même de l'administration car l'absence de datation aurait pour conséquence que le délai
de recours ne pourrait pas commencer à courir à l'encontre de la décision.
Les actes administratifs doivent également comporter un timbre, qui est en quelque sorte la « signature » du
service concerné et qui est aussi une expression de la volonté de l'administration.
L'acte administratif doit comporter des visas. Ces derniers sont les références législatives et réglementaires
sur le fondement desquelles l'autorité administrative a pris l'acte. L'omission de visas ou l'erreur dans les visas
n'a généralement pas d'incidence sur la régularité de l'acte (en ce sens CE Ass. 16 mai 1947, Gourlet, CE Ass ;
12 avril 1972, Benasse). Les visas sont cependant importants car ils donnent éventuellement une indication
sur le raisonnement suivi par le juge administratif, l'absence de référence ou au contraire la référence à une
disposition constitutionnelle ou législative déterminée peut constituer une précieuse indication.
D'une manière générale les formalités sont instituées en vue de protéger les citoyens contre l'arbitraire possible
de l'administration, et non de leur compliquer la vie. Cela explique la tendance du juge administratif à rapprocher
la procédure administrative non contentieuse de la procédure contentieuse.
Mais le juge veut éviter tout formalisme inutile. C'est ainsi que l'absence des nom et prénom du signataire d'un
acte ne constitue pas un vice substantiel dès lors que la signature est bien connue du destinataire (décision
de la présidente d'un centre intercommunal d'action sociale de prononcer un licenciement : CAA Bordeaux 13
mars 2012, Mmme Hamou, req. n° 11BX01870).
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Conditions formelles des actes administratifs : Correspondant à :
Permet au délai de recours, de commencer à la
Date
date prévue
Correspond à l'expression de la volonté de
1 timbre
l'administration
Indiquent le raisonnement suivi par l’autorité
Des visas
administrative
A. La procédure consultative
La consultation est très répandue dans l'administration, au point que l'on a parlé d'administration consultative
pour désigner ce phénomène qui se manifeste par la multiplication des comités et commissions.
La prolifération est telle que, de temps en temps, les pouvoirs publics procèdent à un recensement des
commissions qui ne servent plus pour les supprimer. Du point de vue juridique, la question n'est pas de savoir si
les commissions sont trop nombreuses ou pas, si elles aident ou paralysent le processus de prise de décision,
mais de dire quand et sous quelles conditions un organisme consultatif est consulté avant la prise d'une
décision. Trois observations peuvent être données à cet égard sur les avis que rendent des organismes.
En premier lieu, il faut s'interroger sur les différents types d'avis que l'on rencontre. On peut distinguer quatre
sortes d'avis, en allant de l'avis le moins contraignant à l'avis le plus contraignant.
L'avis le moins contraignant est l'avis spontané. C'est d'abord un avis qui n'est prévu par aucun texte. Pour
autant il n'est pas interdit, car on ne peut empêcher une autorité administrative de chercher à s'éclairer avant
de prendre une décision, même si aucune disposition n'en prévoit l'existence. De ce fait l'avis spontané n'est
entouré d'aucune exigence formelle, il n'apparaît nulle part, il peut prendre la forme d'un coup de téléphone
donné par une autorité administrative à une autre autorité administrative, ou à une autorité juridictionnelle.
Et, naturellement, n'ayant pas été prévu par un texte, l'avis est libre, l'autorité qui l'a demandé est libre de le
demander ou de ne pas le demander, de la suivre ou de ne pas le suivre.
L'avis facultatif, à la différence de l'avis spontané, est prévu par un texte. Celui-ci déclare généralement que
l'autorité concernée « pourra » prendre l'avis de tel ou tel organisme. L'avis facultatif se rapproche de l'avis
spontané par l'absence d'obligation : l'autorité concernée peut ou non solliciter l'avis, elle peut ou non le suivre.
L'avis obligatoire se différencie de l'avis facultatif en ce que, ainsi que sa dénomination l'indique, il doit
obligatoirement être demandé. En revanche, et comme le précédent avis, il peut ne pas être suivi. Il faut prendre
garde à ce sur quoi porte l'obligation : c'est seulement sur la demande d'avis, non sur l'avis lui-même.
L'avis conforme est le plus contraignant, car, ici, l'obligation ne porte pas seulement sur la demande d'avis,
mais sur l'avis lui-même : l'autorité administrative concernée doit non seulement solliciter l'avis, mais elle doit
également le suivre. A vrai dire la contrainte est telle, dans cette hypothèse, que l'on a le sentiment que
l'autorité théoriquement détentrice du pouvoir de décision est dépossédée de ce dernier au profit de l'organisme
consulté, puisqu'elle ne peut s'écarter de l'avis qu'il a donné. La vraie difficulté est de savoir si l'on se trouve
dans le cadre d'un avis « simplement » obligatoire, ou d'un avis conforme : R. Odent, dans son Contentieux
administratif, fait valoir que l'expression « sur avis de » signifie que l'on se trouve dans le cadre d'un avis
obligatoire, tandis que l'expression « de l'avis de » signifie que l'on se trouve dans le cadre d'un avis conforme.
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En deuxième lieu, en ce qui concerne la procédure de la consultation, celle-ci doit être régulière.
Et, pour être régulière, la consultation « doit être effective, loyale et complète » (concl. Braibant sur CE 15 mars
1974, Syndicat national CGT-FOdes fonctionnaires et agents du commerce intérieur et des prix). Le juge vérifie
la réalité de la consultation et apprécie les motifs invoqués au soutien d'un défaut de consultation, lorsque
celle-ci était prévue (CE 26 avril 1974, Comité de liaison étudiants pour la rénovation universitaire, CLERU), il
contrôle la composition et le fonctionnement de l'organisme consulté (CE Sect. 13 mars 1970, Ministre d'Etat
chargé des affaires culturelles c/Dame Benoist d'Anthenay). Il arrive même au juge d'estimer, dans certains
domaines où les éléments de fait sont importants, que l'écoulement d'un trop long délai entre la consultation
et la décision vicie cette dernière (11 décembre 1987, Ministre de l'intérieur c/ Stasi).
Par ailleurs, l'organisme consulté ne peut se prononcer que s'il est composé de personnes qui en sont
membres. Cependant la participation de personnes non membres peut ne pas être irrégulière « eu égard
à la composition de cet organisme, à son objet et aux conditions dans lesquelles il a délibéré ». Mais une
commission composée d'une personne ne peut valablement délibérer (CE 11 février 1981, Mme Cornée). La
composition de l'organisme doit également garantir l'impartialité de la consultation.
On a inventé la théorie de la « consultation impossible » pour les cas où il ne peut être reproché à
l'administration de n'avoir pas procédé à une consultation qui était prévue parce cela n'était pas possible. Trois
cas de consultation impossible apparaissent en jurisprudence :
• lorsque l'organisme à consulter n'existe plus (CE Sect. 13 juillet 1953, Fédération nationale des
entreprises à commerces multiples),
• lorsque cet organisme n'existe pas encore (CE 18 octobre 1968, Ville de Sceaux), sauf si le retard
à installer l'organisme en question est délibéré (CE Sect. 1er juillet 1966, Société d'exploitation de la
clinique St Roch),
• lorsque, enfin, l'organisme, quoiqu'existant, est mis hors d'état de fonctionner, par exemple parce
que ses membres refusent de siéger (CE Sect. 12 octobre 1956, Baillet).
• Lorsque l'avis est facultatif, l'administration concernée conserve sa liberté d'apporter à son texte toutes
les modifications qu'elle souhaite, et sans avoir d'obligation de saisir à nouveau l'organisme en question.
• Dans le cas d'un avis obligatoire, l'administration ne peut renoncer à la consultation que si elle renonce
à sa décision et, lorsqu'elle a procédé à la consultation, elle ne dispose que de deux possibilités : soit
prendre la décision qui avait été soumise à la consultation, sans tenir compte de l'avis (puisque, répétons-
le, l'obligation ne porte que sur la demande de consultation), soit adopter une décision conforme à l'avis
rendu. En d'autres termes l'administration ne peut pas tenir compte partiellement de l'avis, car cela
reviendrait à détourner la procédure, l'organisme consulté se serait peut-être prononcé différemment s'il
avait été saisi du texte que l'administration a retenu.
B. La procédure contradictoire
Le principe de la procédure contradictoire est issu d'un vieil adage romain audi alteram partem ce qui traduit
presque littéralement, signifie « écoute l'autre partie ». en d'autres termes une autorité administrative doit,
avant de prendre des décisions qui peuvent avoir des conséquences sur les personnes concernées, entendre
leur point de vue, leur permettre de se défendre.
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L'origine de ce principe, en France, est sans doute le célèbre « scandale des fiches » qui eut lieu au tout début
du vingtième siècle. A un moment de notre histoire marqué par le déchaînement des passions, le ministre
de la guerre confia au Grand Orient de France, loge maçonnique, le soin d'établir des fiches sur un certain
nombre de hauts fonctionnaires, en particulier les officiers, fiches sur lesquelles étaient indiquées les opinions
philosophiques et surtout religieuses des intéressés, ceci conditionnant leur avancement. Un membre du Grand
Orient vendit ces fiches à un député de droite qui se présenta à l'assemblée avec, provoquant un scandale
qui entraîna, entre autres, le départ du ministre de la guerre. A la suite de ce scandale fut votée la loi du 22
avril 1905 sur la communication du dossier, loi qui, d'ailleurs, ne s'appliqua pas aux militaires (on était en un
temps où la guerre se profilait à l'horizon, on considéra que l'application de telles dispositions à l'armée n'était
pas souhaitable compte tenu des circonstances)
Ce principe du contradictoire a été consacré, ainsi qu'on l'a vu dans une leçon précédente, comme un principe
général du droit (CE 5 mai 1944, Dame veuve Trompier-Gravier), il est donc applicable sans texte, et la
Cour de justice des communautés européennes s'est également prononcée dans le même sens (CJCE 21
novembre 1991, Technische Universität München). Deux points sont à préciser, concernant l'étendue de
l'obligation, d'une part, le contenu de l'obligation, d'autre part.
• En ce qui concerne l'étendue de l'obligation, elle s'applique d'abord aux sanctions. Les sanctions sont
des actes unilatéraux qui ont des conséquences sur le statut de la personne qui en est l'objet. Dans les
fonctions publiques, la loi a prévu toute une gamme de sanctions, allant du blâme et de l'avertissement
à la révocation sans droit à pension. Il n'est cependant pas toujours évident de savoir si la mesure prise
est ou non une sanction. Dans l'affaire Dame Trompier-Gravier, il s'agissait du retrait d'une autorisation
d'exploiter un kiosque à journaux, c'était incontestablement une sanction. De même, un retrait de
nationalité est une sanction (CE 7 mars 1958, Epoux Speter). Le retrait d'un titre, celui de « centre
dramatique national » à une troupe a également été considéré comme une sanction, bien qu'en l'espèce
cela ne fût pas évident (mais cela se comprend car le retrait de ce « label » peut avoir des conséquences
financières, notamment la perte ou la réduction de subventions, CE 16 avril 1975, La Comédie de
Bourges, Rec. Leb. p. 231). Est encore une sanction l'annulation d'une prime qui avait été promise à une
entreprise pour sa délocalisation (CE 11 décembre 1992, Société Inefor, Rec. Leb. p. 439).
• L'obligation s'applique aux mesures prises en considération de la personne. Ce sont des mesures
qui affectent une personne dans sa situation, qui lui sont défavorables mais qui, par définition,
ne peuvent pas être considérées comme des sanctions. Elles sont prises par une autorité
administrative en raison du comportement de l'intéressé, qui ne satisfait pas l'administration et dans
des situations où celle-ci dispose d'un pouvoir discrétionnaire ou d'une large marge d'appréciation.
Deux exemples peuvent illustrer ce type de mesures. Une première application est celle d'un
relèvement de fonctions, mais dans des cas où la personne concernée ne se trouvait pas protégée
par un statut (comme l'un des statuts de la fonction publique, par exemple), c'est-à-dire dans le
cas des fonctions à la discrétion du gouvernement (tel fut le cas du directeur de l'Agence France
Presse (AFP) révoqué de ses fonctions CE 24 juin 1949 Nègre, CE 20 janvier 1956 Nègre). Une
seconde application est celle d'un refus d'agrément (par exemple un refus d'agrément d'auto-école,
CE Sect. 4 mai 1962, Dame Ruard).
• L'obligation s'applique encore aux décisions individuelles défavorables. Cette catégorie de
mesures avait d'abord été prévue par un décret du 28 novembre 1983, mal rédigé, et aujourd'hui
abrogé. L'obligation résulte, aujourd'hui, de la loi du 12 avril 2000 qui vise les mesures devant être
motivées en application de la loi du 11 juillet 1979 en exigeant qu'elles soient précédées d'une
procédure contradictoire. Cette procédure est cependant écartée par le juge administratif lorsque
un autre texte prévoit une procédure équivalente. Tel est le cas des décrets d'extradition (CE Ass.
8 mars 1985, Garcia Henriquez, AJDA 1985, p. 407, chron. Hubac et Schoettl), ceci ne s'appliquant
pas, en revanche, aux reconduites à la frontière (CE Sect. 19 avril 1991, Demir, AJDA 1991, p.
641, concl. Leroy).
• En ce qui concerne le contenu de l'obligation, celui-ci comporte un minimum, qui peut éventuellement
être augmenté. Trois exigences doivent au minimum être respectées pour que le principe du
contradictoire soit respecté.
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• La première obligation est d'informer la personne visée par l'acte susceptible d'être pris qu'une
procédure est en cours et, s'il y a lieu, l'administration doit communiquer les griefs qui sont
reprochés à l'intéressé et qui expliquent le déclenchement de la procédure.
• La deuxième obligation est de donner un délai raisonnable à l'intéressé pour répondre. On
comprend parfaitement cette notion de délai raisonnable car on ne peut exiger le même délai selon
que, pour caricaturer, la personne habite à Paris ou dans une lointaine collectivité d'outre-mer.
• Enfin, et c'est la troisième obligation, l'administration ne peut se prononcer avant que l'intéressé ait
pu présenter sa défense. Cette obligation est distincte de la précédente : si elle n'était pas prévue,
le délai ne servirait à rien si l'administration ne prenait pas la peine de prendre connaissance de la
réponse. Au-delà de ce minimum incompressible, la loi du 12 avril 2000, précitée, prévoit d'autres
mesures de nature à assurer le principe du contradictoire, comme la possibilité de se faire assister
d'un conseil. Cette possibilité, par exemple en prenant un avocat, se révèle extrêmement utile en
pratique.
Le principe du parallélisme des formes signifie que lorsque une décision administrative a été prise en respectant
certaines formes, en cas de silence du texte, la décision inverse ne peut être prise qu'en suivant la même
procédure (CE Sect. 18 novembre 1938, Société languedocienne de TSF). La notion d'acte « inverse » ou
« contraire » est appréciée très strictement par le juge : la révocation du directeur du Centre national de la
cinématographie n'est pas l'inverse de sa nomination (CE Sect. 10 avril 1959, Fourré-Cormeray) ; le rejet d'une
demande d'autorisation de changement de nom n'est pas l'acte inverse de l'autorisation de changer de nom
car si cette dernière ne peut résulter que d'un décret en Conseil d'Etat, la première peut être adoptée par
décision du Garde des Sceaux (CE 10 décembre 1993, M. Raimbaud).
La question qui s'est longtemps posée a été de savoir si l'acte administratif devait ou non comporter les motifs
qui en étaient à l'origine, et un large débat existait en ce domaine. La position traditionnelle du juge était
claire : le principe était celui de la non motivation, le juge se réservant, dans certains cas, d'exiger que l'acte fût
motivé (on peut citer, parmi les exceptions jurisprudentielles au principe de non motivation, donc l'obligation
de motivation, CE Ass. 27 novembre 1970, Agence maritime Marseille-Frêt).
Le législateur a apporté sa propre réponse en adoptant la loi du 11 juillet 1979 sur la motivation des actes
administratifs.
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estimant, probablement avec raison, qu'un tel principe pourrait soulever des difficultés insurmontables dans
des cas auxquels on n'aurait pas pensé et dans lesquels la motivation, ou bien ne serait pas possible, ou bien
ne serait pas souhaitable.
Le législateur a donc pris un autre parti, consistant à définir des catégories d'actes devant être motivés. Cette
méthode paraît rassurante, elle donne le sentiment de maîtriser ce que l'on énonce à travers une énumération,
même si, intellectuellement, le procédé n'est guère enthousiasmant (mais c'est également la démarche qui est
systématiquement suivie à l'échelon communautaire, pour des raisons qui peuvent se comprendre). Les actes
devant être motivés constituent deux catégories, très inégales d'ailleurs.
Une première catégorie est constituée, selon la loi, des décisions individuelles défavorables. Le législateur a
énuméré toute une série de décisions qui doivent être considérées comme telles. Ce sont :
• Les décisions qui restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une
mesure de police.
• Les décisions qui infligent une sanction.
• Les décisions qui subordonnent l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictive ou qui imposent
des sujétions.
• Les décisions qui retirent ou abrogent une décision créatrice de droits
• Les décisions qui opposent une prescription, une forclusion ou une déchéance
• Les décisions qui refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui
remplissent les conditions légales pour l'obtenir.
• Les décisions qui refusent une autorisation (ces dernières ayant été rajoutées par la législateur par une
loi du 17 janvier 1986).
Une seconde catégorie est constituée par les décisions individuelles qui dérogent aux règles générales fixées
par les lois ou les règlements.
Ces catégories de décisions devant être motivées ont donné lieu à une très abondante jurisprudence. Elles ne
sont en effet pas aussi claires qu'elles le paraissent dans l'énumération. Quelques exemples vont le montrer.
Si l'on prend dans la première catégorie les « décisions qui restreignent l'exercice des libertés publiques », la
première question que l'on se pose est de savoir ce qu'est une liberté publique. Or, s'il n'existe pas de difficultés
pour qualifier comme telles des libertés telles que la liberté d'aller et venir, la liberté de penser, la liberté de
pratiquer la religion de son choix, la liberté d'adhérer à une association ou à un syndicat, ou encore d'exercer
une activité professionnelle, pour ne citer que quelques exemples, dans d'autres cas le doute est permis, et
les solutions adoptées par le juge peuvent laisser perplexe.
Jurisprudence
Une décision rendue en 1983 témoigne de la réticence du juge à donner à cette notion de libertés publiques
un contenu trop large. Des parents avaient demandé de faire admettre en classe primaire leur fils âgé de cinq
ans (alors que l'âge normal est de six ans), il leur fallait donc une dérogation. Celle-ci leur fut refusée par une
décision de l'inspecteur d'académie non motivée. Sur recours des parents le tribunal administratif de Lyon
annula le refus de l'inspecteur d'académie en estimant que cette décision restreignait l'exercice d'une liberté
publique, celle de recevoir un enseignement, et qu'elle aurait dû, de ce fait, être motivée. Pour rendre son
jugement, le tribunal s'était inspiré d'une circulaire du 10 janvier 1980 qui donnait une (longue) énumération
indicative des décisions devant être motivées et, dans cette énumération se trouvait précisément « le refus
d'admettre un enfant à l'école primaire avant l'âge de six ans ».
Cependant, en appel, le Conseil d'Etat a, d'abord, estimé que la circulaire était dépourvue de caractère
réglementaire, ensuite que la loi sur la motivation ne permettait pas d'inclure la décision de l'inspecteur
d'académie parmi les décisions restreignant l'exercice d'une liberté publique. Mais, ainsi que l'ont fait observer
les commentateurs, cette décision est source de paradoxe : en vertu de la loi, la décision de l'inspecteur
d'académie autorisant l'inscription d'un enfant en classe primaire avant l'âge de six ans doit être motivée,
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car elle déroge aux règles posées par une loi du 11 juillet 1971 et un décret du 28 novembre 1976. Ainsi, et
c'est là le paradoxe, la décision qui autorise l'inscription doit être motivée, tandis que celle qui refuse une telle
inscription n'a pas à être motivée, alors que c'est là que la motivation serait la plus utile.
Donnons encore quelques exemples tirés d'une jurisprudence récente. Un refus de maintenir en activité doit
être motivé car étant un refus d'autorisation (CE 23 décembre 2011, Mme Maille, req. n° 329 016). En revanche
(et bien que ceci ne concerne qu'un nombre limité de personnes), le refus d'inscription au registre du sceau
de France (qui est le document officiel, tenu par la Répubique, des titres de noblesse) n'est pas au nombre
des décisions administratives défavorables dont la loi du 11 juillet 1979 impose qu'elles soient obligatoirement
motivées (CE 7 mai 2012, Garde des Sceaux c/ M. Colonna-Waleuski, req. n° 349976).
Il n'existe pas d'exigence sans limites, ou de principes sans exception, tout au moins dans des domaines tels
que le droit.
Le législateur a fort bien vu qu'il était des circonstances dans lesquelles on ne pouvait exiger la motivation.
Trois situations illustrent cette absence d'obligation, les deux premières se comprenant facilement, la troisième
étant moins évidente à comprendre.
• L'obligation ne s'applique pas, d'abord, dans l'hypothèse de l'urgence absolue, le principe en étant
compréhensible, la notion d'urgence absolue beaucoup plus difficile, éventuellement, à apprécier
(l'urgence est déjà une situation de crise, l'urgence absolue ne peut que susciter l'interrogation).
• L'obligation ne s'applique pas, ensuite, dans l'hypothèse où l'exigence se heurte à un secret dont
on considère qu'il doit être protégé, qu'il s'agisse, par exemple, du secret médical, du secret des
délibérations gouvernementales ou encore du secret de la défense nationale (sur ce dernier V. CE 23
mars 1994, Société Matiex).
• La troisième exception ou limite est la situation suivante : la motivation n'est pas exigée lorsque une
décision implicite intervient dans un cas où la décision explicite aurait dû être motivée mais, dans ce cas,
l'intéressé est en droit de demander dans le délai de recours contentieux les motivations de la décision
implicite et ces motifs doivent alors lui être communiqués dans le mois de la demande.
D'une part, le juge n'admet pas la motivation par référence. Il serait trop facile, en effet, à une autorité
administrative de faire simplement référence à une disposition législative ou réglementaire, ce qui serait un
véritable détournement de l'exigence et ne pourrait être considéré comme une véritable motivation.
D'autre part, et l'on se trouve dans le même ordre d'idée consistant à faire prévaloir le réalisme et l'effectivité
d'une exigence sur les considérations de principe, la motivation ne peut pas se limiter à l'énoncé de
considérations abstraites mais doit exposer les « éléments de fait » qui sont à l'origine de la décision, car sinon
la motivation ne serait qu'un faux-semblant. Si cela se comprend bien on trouve également certaines limites.
L'une d'entre elles mérite d'être relevée, d'autant qu'elle ne soulève guère d'objections, il s'agit de la motivation
des décrets de dissolution de conseils municipaux. Bon an, mal an, une cinquantaine de conseils municipaux
sont ainsi dissous, pratiquement toujours pour la même raison, l'impossibilité de fonctionnement de l'institution
du fait des divisions qui se sont installées parmi les membres du conseil (ceux qui gagnent ensemble une
élection connaissent dans un premier temps un moment de satisfaction, voire d'exaltation, puis, quelques mois
après, des divergences peuvent naître, ceux qui étaient unis en viennent à s'opposer).
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Section 2. L'exécution des actes
administratifs
Les actes administratifs sont pris pour être exécutés, l'exécution étant elle-même destinée à permettre un
fonctionnement normal de l'administration qui a en charge l'intérêt général. Cette exécution s'inscrit dans le
temps, le temps de l'administration et du gouvernement qui a donné ses directives à la cette dernière, avec
la question qui se pose de l'autorité de ces actes.
A supposer qu'une autorité administrative soit compétente pour édicter un acte, qu'elle se conforme aux
exigences de forme concernant l'adoption de cet acte, cela ne suffit pas pour que ledit acte puisse être
applicable en vertu de la seule volonté de son auteur : des règles relatives à l'entrée en vigueur doivent être
respectées, et, par ailleurs, les actes administratifs se voient appliquer un principe essentiel, celui de non
rétroactivité.
Tout acte administratif, quel qu'il soit, et sauf exceptions, inévitables ici comme ailleurs, n'est opposable aux
administrés que s'il a reçu une publicité. La publicité (qui vient de publicus, c'est-à-dire qui concerne le peuple,
et de populus, le peuple) consiste d'abord à faire connaître, donner une publicité à une chose c'est lui donner
un caractère public. On a donc prévu une publicité pour les textes.
La publicité traditionnelle est prévue elle-même par un texte. C'est ainsi que selon des ordonnances royales de
1816 et de 1817, puis d'un décret de 1870 (pris peu de temps après le désastre de Sedan, dans une France en
partie occupée) les lois et règlements entrent en vigueur un jour franc après l'arrivée du numéro qui les contient
au chef-lieu de département. En ce qui concerne les actes des collectivités territoriales, les règles diffèrent,
évidemment, selon la taille de la collectivité, parce qu'il faut toujours tenir compte des petites communes : pour
les communes de 3500 habitants et plus, les départements et les régions, ainsi que la collectivité territoriale de
Corse et les établissements publics de coopération (intercommunale, interdépartementale, mixtes), un décret
du 20 septembre 1993 (ce qui est relativement récent) a institué une obligation de publication dans un recueil
d'actes administratifs propre à chaque collectivité.
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Ces règles anciennes avaient besoin d'être « modernisées », c'est-à-dire adaptées aux exigences et aux
techniques de notre temps. C'est ce qui a été réalisé par l'ordonnance N° 2004-164 du 20 février 2004.
Ces dispositions méritent d'être précisées sur les points suivants, qui concernent des situations particulières.
En deuxième lieu, les textes peuvent imposer des modalités particulières de publicité, et l'un des exemples
les plus simples est celui du permis de construire, pour lequel une double publicité est exigée, l'affichage en
mairie et sur le terrain, ceci pour des raisons que chacun comprend aisément, surtout s'il est voisin de celui
qui a obtenu un permis de construire.
En premier lieu, et il n'y a pas besoin d'insister longuement sur ce point, la France comporte des territoires
lointains pour lesquels, malgré les moyens modernes de communication, il est indispensable de prévoir des
modalités particulières.
En troisième lieu, il arrive, à l'inverse, que rien ne soit prévu, c'est-à-dire qu'aucun mode de publicité ne soit
prévu explicitement pour certaines dispositions. Et c'est à propos de la publication de dispositions dans un
bulletin interne à l'Ecole nationale de la santé, alors que lesdites dispositions pouvaient intéresser (au sens
juridique) d'autres personnes, que le Conseil d'Etat a imposé l'exigence d'une publicité suffisante, cette notion
variant nécessairement selon les circonstances et les situations (V. CE 25 janv. 1974, Sieur Jean et autres,
ainsi que CE 13 déc. 1974 Demoiselle du Gratet du Bouchage).
En cinquième lieu, certains actes administratifs, avec lesquels on est désormais familiarisé pour les avoir
rencontrés précédemment, ne font l'objet d'aucune publicité, ou d'une publicité variable, ce sont les actes qui,
normalement, n'ont pas d'effets à l'égard des administrés, circulaires et instructions notamment. Les positions
sur cette question sont partagées. Certains estiment que ces actes n'ont effectivement pas à faire l'objet d'une
publicité, si ce n'est à l'égard des agents concernés, et que les citoyens n'ont pas à en connaître. D'autres
considèrent, et l'on se rangera ici dans cette catégorie, estiment que les circulaires doivent être publiées (c'est
d'ailleurs, désormais, souvent le cas), d'abord parce que la communication électronique le permet facilement,
ensuite parce que la connaissance de ces textes par les citoyens est loin d'être inutile dans la mesure où, d'une
part, les agents publics se réfèrent d'abord à la circulaire (et non à la loi ou au règlement) pour appliquer le droit,
d'autre part parce que l'explicitation que comporte une circulaire est presque toujours utile, voire indispensable
à la compréhension d'un texte.
L'entrée en vigueur d'un acte peut également être subordonnée à d'autres exigences que la publicité. Cela
vaut essentiellement pour les collectivités territoriales : l'obtention de la liberté par la suppression de la tutelle
- avec toutes les nuances et les réserves que l'on a été amené à faire en la matière - ne pouvait être obtenue
qu'en garantissant les droits de l'Etat et le contrôle administratif dont le Conseil constitutionnel a rappelé qu'il
doit permettre « d'assurer le respect des lois, et, plus généralement, la sauvegarde des intérêts nationaux
auxquels, de surcroît, se rattache l'application des engagements internationaux » de la France.
Pour cette raison le législateur de 1982 (dispositions aujourd'hui codifiées au Code général des collectivités
territoriales) a subordonné l'entrée en vigueur des actes des collectivités territoriales non seulement à une
publicité mais également à leur transmission au représentant de l'Etat, cette transmission pouvant s'effectuer
par voie électronique, et la preuve de la réception pouvant être faite par tout moyen, l'accusé de réception,
immédiatement délivré, pouvant être utilisé à cet effet mais n'étant pas une condition du caractère exécutoire
des actes.
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Plusieurs raisons militent en faveur d'une non rétroactivité des actes administratifs. On se bornera à signaler,
car n'étant pas juridique, l'obscur sentiment que l'on peut avoir que le fait de revenir sur des situations passées
heurte un certain nombre de convictions. Sur un plan plus juridique, les arguments suivants peuvent être
invoqués.
Le code civil déclare dans son article 2 : « La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif ».
Les rédacteurs du code civil, instruits par l'histoire, savaient combien il peut être dangereux, pour les citoyens,
d'adopter des lois rétroactives. Ce qui vaut pour le législateur - avec, là encore, et nécessairement, des
exceptions - vaut à plus forte raison pour l'administration, dont les actes ne sont pas adoptés contradictoirement
et publiquement, comme c'est le cas pour les lois.
Une deuxième raison, qui rejoint le bon sens, et qui correspond à une forte exigence, tient à l'impératif de
sécurité juridique. Il n'y a plus ni liberté ni égalité, ni possibilité d'avoir des activités sûres si les normes peuvent
revenir sur des situations antérieures. La sécurité juridique, consacrée aujourd'hui par le juge, et à laquelle
les citoyens sont sensibilisés, implique à la fois que l'on ne puisse régir pour le passé et une certaine stabilité
des normes émises. Naturellement, et ainsi que nous allons le voir, cet impératif de sécurité juridique peut
s'opposer à la nécessité d'adapter les normes.
On fait valoir, également, un troisième argument, selon lequel la rétroactivité porte atteinte à la répartition
temporelle des compétences (ce que l'on appelle la compétence ratione temporis) dans la mesure où, si on
l'admet, l'auteur d'une norme empiète sur la compétence dont disposait, au moment où l'acte sur lequel on
revient, une autre autorité.
Le Conseil d'Etat a consacré pour la première fois le principe de non rétroactivité des actes administratifs dans
une décision du 28 février 1947, Ville de Lisieux et a fait de ce principe un principe général du droit dans sa
décision, déjà analysée, du 25 juin 1948, Société du journal « L'Aurore ».
En premier lieu, les actes administratifs peuvent s'appliquer immédiatement à des situations qui ont leur origine
dans le passé, mais qui n'ont pas acquis de caractère définitif. Ainsi que l'écrit R. Chapus : « application
immédiate ne signifie pas application rétroactive », et le principe est, pour les règlements comme pour les lois,
celui de l'application immédiate.
En deuxième lieu, peuvent être rétroactifs les actes administratifs pris en application d'une loi (ou
d'une convention internationale) elle-même rétroactive, en supposant celle-ci constitutionnelle. Le Conseil
constitutionnel a été amené à plusieurs reprises à examiner des lois comportant des dispositions rétroactives.
En troisième lieu, même en l'absence de loi rétroactive, des actes administratifs peuvent être rétroactifs. Tel est
le cas, notamment, et ainsi qu'on le verra plus loin, lorsque l'autorité administrative peut légalement procéder
au retrait (rétroactif) de certains de ses actes. Tel fut le cas, également, du temps de la tutelle, de l'approbation
des actes des autorités locales par les autorités de tutelle dont les actes rétroagissaient (logiquement) à la
date d'entrée en vigueur de ceux pris par les précédentes.
Ces exceptions sont en définitive limitées et ne remettent pas en cause le principe de non rétroactivité.
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B. La sortie de vigueur des actes administratifs
Les actes administratifs ne sont pas destinés à s'appliquer indéfiniment, ne serait-ce que parce que les
circonstances changent.
A notre époque, d'ailleurs, ce serait plutôt l'inverse qui se produit : les pouvoirs publics ont tendance à changer
très souvent les règles, et le Conseil d'Etat a attiré l'attention à plusieurs reprises, dans ses rapports, sur les
inconvénients qui en résultaient.
Quoi qu'il en soit, la sortie de vigueur des actes administratifs obéit à des règles qui peuvent paraître parfois
subtiles parce que le juge cherche en permanence à concilier la nécessaire adaptation des normes avec
l'indispensable protection des droits des citoyens. Pour comprendre le régime juridique applicable il faut garder
à l'esprit que trois types de considérations entrent en jeu :
Afin que les choses soient parfaitement claires dès le départ, on tiendra pour acquis que l'abrogation est la
disparition des actes pour l'avenir, tandis que le retrait est, par définition, rétroactif.
L'abrogation est, normalement, ce qu'il y a de plus simple, parce qu'il s'agit « seulement » de faire disparaître
l'acte pour l'avenir, ce qui, a priori, est le moins susceptible de gêner, de porter atteinte à des droits. Encore
convient-il de distinguer selon la nature de l'acte, le problème, et sa solution, pouvant être différents selon
les cas de figure.
L'abrogation d'un acte réglementaire est le cas de figure qui ne soulève guère de difficultés. Les citoyens ne
disposent d'aucun droit au maintien d'un acte à portée générale (CE 17 mars 1911, Blanchet). L'abrogation
est possible à tout moment, alors même que l'acte aurait été édicté pour une certaine durée (CE 25 juin
1954, Syndicat de la Meunerie à seigle). Encore faut-il, naturellement, que l'acte d'abrogation soit lui-même
régulier (CE 29 mars 1968, Manufacture des pneumatiques Michelin, Rec. p. 214). Les explications de ce droit
d'abrogation reconnu à l'administration tiennent précisément au caractère général de l'acte en question, qui
le fait ressembler, matériellement, à la loi, à l'absence d'intangibilité de l'acte administratif, au fait que, par sa
généralité, l'acte ne peut être considéré comme créant des droits ou des obligations spécifiques à un groupe
limité de personnes.
Si l'administration a le droit de retirer un acte réglementaire, peut-elle y être obligée ? Le juge a répondu par
l'affirmative, dès lors que l'acte en question présente un caractère irrégulier. Les citoyens se sont vu reconnaître
un véritable droit à obtenir l'abrogation d'un règlement illégal, que l'illégalité existe dès l'origine (CE 3 février
1989, Compagnie Alitalia), ou que cette illégalité résulte de changements survenus dans les circonstances de
droit (CE 10 janvier 1930, Despujol ; 10 janvier 1964, Syndicat national des cadres des bibliothèques) ou de
fait (CE 10 janvier 1964, Ministre de l'agriculture c/ Simonnet).
En ce qui concerne l'abrogation d'un acte non réglementaire, il convient de distinguer. Si l'acte n'a pas fait naître
de droits, il peut toujours être abrogé. Cette abrogation peut avoir lieu, soit à l'initiative de l'administration, soit,
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en vertu d'un principe général du droit, sur demande d'un administré fondée sur l'illégalité de l'acte résultant
de changements survenus dans les circonstances de droit ou de fait postérieurement à son édiction (CE 30
novembre 1990, Association Les Verts, Rec. p. 339, RFDA 1991 p. 571, concl. Pochard : obligation pour
l'administration les modifier les actes relatifs au découpage des cantons lorsque l'évolution démographique
postérieure fait apparaître de trop grandes disparités dans le nombre d'électeurs).
Si l'acte a créé des droits, l'acte ne peut normalement plus être remis en cause, mais il ne s'agit pas d'une
véritable intangibilité, dans la mesure où l'autorité administrative peut revenir sur cet acte par un acte dit acte
contraire.
La première hypothèse est celle dans laquelle on a affaire à un acte régulier. Le principe est clair : le retrait
d'un acte, individuel ou réglementaire, pris régulièrement, et créateur de droits, est impossible. Si l'acte n'a pas
créé de droits, la situation est simple car l'acte peut être retiré.
Ce qui est moins simple, c'est de savoir ce qu'est un acte créateur de droits. Il est délicat de définir ou de
déterminer les actes créateurs de droits. L'examen de la jurisprudence permet de le faire négativement, à
partir des actes non créateurs de droits. C'est ainsi que ne sont pas créateurs de droits, parmi les actes
réglementaires, les autorisations de police, ou encore les autorisations d'occupation du domaine public, qui
présentent toujours un caractère précaire et révocable. Ne sont pas créateurs de droits, parmi les actes non
réglementaires, les actes qualifiés d'inexistants, ou encore les actes purement recognitifs, c'est-à-dire ceux par
lesquels l'administration ne fait que tirer le conséquences, en prenant un acte, d'un autre acte pris auparavant,
les actes seulement provisoires, les actes conditionnels. Les décisions défavorables ne créent évidemment
pas de droits au profit des personnes qu'elles visent, mais elles peuvent, en revanche, créer des droits au profit
de tiers (dans la fonction publique, un refus de nomination, ou une sanction telle que la révocation, peuvent
créer des droits au profit des autres fonctionnaires), le juge les analyse, selon les cas, tantôt comme des
décisions créatrices de droits, tantôt comme des décisions non créatrices de droits.
Une deuxième hypothèse est celle des actes irréguliers. La jurisprudence sur ces derniers fut longtemps fixée
par une décision de principe, la décision Dame Cachet. La solution résultant de cette décision a largement
été modifiée par la décision Ternon.
La solution de la décision Dame Cachet, rendue le 3 novembre 1922, consistait à lier les conditions du retrait
au délai de recours contentieux. Dans le cas d'une décision irrégulière ayant créé des droits, les autorités
administratives ne peuvent procéder à un retrait que « tant que les délais du recours contentieux ne sont
pas expirés » et, dans le cas où un recours était formé par le requérant devant le juge administratif, le retrait
pouvait intervenir tant que le juge n'avait pas statué. La solution était parfaitement logique : l'administration
peut procéder au retrait pendant le délai où l'acte peut être annulé. C'est pourquoi, appliquant cette logique,
le juge décidait que lorsque le délai de recours ne commençait pas à courir - parce que l'acte n'avait pas fait
l'objet de la publicité adéquate - le retrait demeurait possible (CE 6 mai 1966, Ville de Bagneux, RDP 1967
p. 339, concl. Braibant, AJDA 1966 p. 485, chron. Puissochet et Lecat). L'inconvénient de cette solution était
d'introduire un risque d'insécurité juridique.
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La décision Ternon, du 26 octobre 2001 (RFDA 2002, p. 77, note P. Delvolvé ; AJDA 2001, p. 1034, chron.
Guyomar et Collin, 2002 p. 738, note Y. Gaudemet) introduit un découplage entre le retrait et le délai de
recours : « l'administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est
illégale, que dans le délai de quatre mois de la prise de décision ». Cette solution évite les risques d'insécurité
signalés avec la décision dame Cachet, mais elle comporte un autre inconvénient dans la mesure où, passé ce
délai de quatre mois, l'administration ne peut plus procéder au retrait, alors même que l'illégalité serait flagrante
et que son annulation aurait été prononcée par le juge administratif s'il avait été saisi.
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Une troisième hypothèse, qui a soulevé, elle aussi, des difficultés considérables, est celle des décisions
implicites. Par définition, ces décisions implicites ne font pas l'objet d'une publicité. L'application de la
jurisprudence dame Cachet aurait redoublé l'insécurité juridique, puisque l'acte irrégulier aurait pu être retiré
à tout moment. Pour éviter cette conséquence, le juge administratif avait décidé, dans la décision Eve du 14
novembre 1969 (Rec. p. 498, concl. Bertrand), que les décisions implicites illégales ne pouvaient être retirées,
sauf si elles avaient fait l'objet d'une publicité, auquel cas on retombait dans la jurisprudence Dame Cachet
(CE 1er juin 1973, Ministre de l'équipement et du logement c/ Epoux Roulin, Rec. p. 390).
La loi du 12 avril 2000, relative à l'amélioration des relations entre l'administration et les citoyens, a anéanti
la jurisprudence Eve et posé de nouvelles règles. D'une part, le retrait des décisions implicites d'acceptation
peut intervenir « pendant la durée de l'instance au cas où un recours contentieux a été formé ». Ces décisions
peuvent également être retirées « pendant le délai de recours contentieux » si « des mesures d'information
des tiers ont été mises en oeuvre » (tel est le cas, notamment, des permis de construire obtenus tacitement).
D'autre part, lorsque aucune mesure d'information des tiers n'a été mise en oeuvre le retrait peut être prononcé
« pendant le délai de deux mois à compter de la date à laquelle est intervenue la décision ».
Il est possible de dire que l'acte administratif n'a pas une autorité équivalente à d'autres actes, revêtus d'une
autorité particulière, mais que cette autorité, néanmoins, est supérieure à celle d'actes de personnes privées.
Tout d'abord, donc, l'acte administratif n'a pas l'autorité de la chose jugée. Celle-ci caractérise, comme son nom
l'indique, la force de l'acte pris par une autorité juridictionnelle en la forme juridictionnelle. On parle également
de « force de vérité légale » qui s'attache à une décision juridictionnelle. L'acte administratif n'a jamais une
telle « force ». Deux différences séparent l'acte administratif de la décision juridictionnelle.
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• D'une part, le jugement - pris au sens large du terme - est, une fois définitif, incontestable, tandis que
l'acte administratif, même lorsqu'il a acquis sa « définitivité », demeure doublement contestable, par la
voie d'une exception en illégalité d'abord, par la voie d'une action en responsabilité ensuite.
• D'autre part, un jugement ne peut jamais faire l'objet d'une abrogation ou d'un retrait alors que, et ainsi
qu'on vient de le voir, cela est possible, sous certaines conditions, pour l'acte administratif.
Cependant, l'acte administratif a une autorité supérieure à celle des actes de droit privé. Certes, l'acte
administratif n'a pas la nature d'acte authentique, il ne fait donc foi que jusqu'à preuve du contraire (CE 4
mai 1955, Athias). Il présente néanmoins une triple supériorité sur les actes de droit privé. En premier lieu,
l'administration dispose, ainsi que nous l'avons vu dans la leçon sur les actes unilatéraux, du « privilège du
préalable », qui le droit d'imposer aux tiers des obligations sans leur consentement. En deuxième lieu, l'autorité
administrative n'a pas besoin de recourir au juge pour que ses actes puissent être exécutés, elle se donne elle-
même le titre exécutoire. C'est pourquoi le recours au juge administratif n'est pas, sauf exceptions, suspensif
de l'acte administratif contesté, alors que le recours devant le juge judiciaire est, lui, normalement suspensif.
En troisième lieu, l'administration peut parfois recourir à la force pour obtenir l'exécution de ses décisions sans
avoir besoin de s'adresser au juge - c'est ce que montre le paragraphe suivant - alors que les personnes
privées ne peuvent jamais, par elles-mêmes, procéder à une exécution forcée, ce qui serait un retour à l'état
primitif et au règne de la force.
Pour faire en sorte que ses décisions soient exécutées, l'administration dispose de deux voies.
La voie normale est celle des sanctions : une décision non exécutée (en supposant que cette dernière a été
prise par l'autorité compétente, dans le cadre de ses fonctions) va pouvoir donner lieu à des sanctions. Deux
types de sanctions sont envisageables.
• On peut penser, d'abord, aux sanctions pénales. Des sanctions pénales répriment les contraventions aux
règlements faits par l'autorité administrative et, par ailleurs, le législateur a institué des sanctions pour des
infractions spécifiques (par exemple toutes les législations relatives aux circonstances exceptionnelles
et, parmi elles, au temps de guerre). .
• Il existe également des sanctions administratives, et ces dernières sont extrêmement nombreuses :
les automobilistes (ils sont nombreux) connaissent les sanctions afférentes aux infractions relatives au
non respect du code de la route (les retraits de points sont une réalité douloureuse pour nombre de
conducteurs) ; la réglementation relative aux débits de boissons prévoit des sanctions administratives
en cas de non respect de la réglementation (la fermeture administrative d'un débit de boisson par le
préfet, en est une, et l'on imagine facilement les incidences financières que cela peut avoir) ; enfin,
parmi d'autres, on peut citer les sanctions disciplinaires, qui concernent (potentiellement) des millions
de personnes. Les sanctions administratives soulèvent d'innombrables questions, et les juridictions
tant nationales (Conseil constitutionnel notamment) qu'européennes (Cour européenne des droits de
l'homme) cherchent à encadrer ces multiples sanctions administratives qui sont susceptibles de porter
des atteintes importantes aux droits des personnes. Soulignons, sans que l'on puisse développer ici
ce point, que l'une des difficultés que l'on rencontre est celle consistant à distinguer les sanctions
disciplinaires des mesures de police
A côté de ces sanctions « normales », on trouve une hypothèse exceptionnelle, celle de l'exécution forcée.
Rappelons d'abord fermement qu'en principe l'administration n'a pas le droit de recourir à la force pour faire
exécuter ses décisions. Ce recours à l'exécution forcée est bien quelque chose de tout à fait exceptionnel, qui
a été reconnu à l'administration par le juge, mais dans des conditions très restrictives.
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Les conclusions du commissaire du gouvernement Romieu sur la décision du Tribunal des conflits du 2
décembre 1902 Société immobilière de Saint Just résument très bien les conditions du recours à l'exécution
forcée. Celle-ci ne peut intervenir que dans trois cas :
• lorsque l'exécution forcée est prévue par une loi (auquel cas il n'y a pas à s'interroger, sauf à se poser
la question de la constitutionnalité de la loi) ;
• lorsque aucune autre sanction n'existe (une affaire illustre cette hypothèse, CE 17 mars 1911, Abbé
Bouchon) ;
• lorsqu'il y a urgence (l'hypothèse de l'urgence est la moins évitable qui soit, le commissaire du
gouvernement Romieu l'illustrait en déclarant, de manière très réaliste : « quand la maison brûle, on ne
va pas demander au juge l'autorisation d'appeler les pompiers »).
Quant à la légalité de l'exécution forcée, si l'on se trouve dans l'un des cas précédents, elle est subordonnée
à la réunion de trois conditions :
• que l'exécution forcée trouve sa source dans une texte de loi précis ;
• que l'administration se soit heurtée à une « mauvaise volonté caractérisée » des intéressés ;
• que l'exécution forcée ne tende qu'à la réalisation d'une opération prescrite par la loi
Le recours à l'exécution forcée est encadré et limité. Si l'administration excède se pouvoirs, elle est sanctionnée
par le juge.
• D'une part, en effet, l'administration procède à l'exécution forcée à ses risques et périls et, si la décision
dont elle a cherché l'exécution est par la suite annulée, elle s'expose à devoir verser des dommages
intérêts (CE 27 février 1903, Zimmermann, Rec. p. 180).
• D'autre part, le recours à l'exécution forcée peut être illégal alors même que la décision dont
l'administration a recherché l'exécution est légale. La responsabilité de l'administration peut alors
être engagée soit devant les juridictions administratives s'il n'y a pas eu atteinte au droit de propriété ou
à une liberté fondamentale (CE 8 avril 1961, Dame Klein, Rec. p. 216, D 1961, p. 587, concl. Henry), soit
devant les juridictions judiciaires dans le cas inverse, où l'on dira qu'il y a voie de fait. Ainsi, par exemple,
l'exhumation de corps viole « le respect dû aux tombes des morts » et se révèle constitutive d'une voie
de fait (TC 25 novembre 1963, Commune de Saint-Just Chaleyssin, Rec. p. 793, concl. Chardeau)
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