Histoire

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HISTOIRE DES SCIENCES

ET RÉFLEXION EPISTEMOLOGICHE DES ÉLÈVES

Pierre Fillon

L'histoire des sciences et des techniques est VAriésienne de l'enseignement


scientifique : toujours annoncée, rarement mise en pratique dans les classes. Cet
articlesepropose démontrercommentsonintroduction, mêmemodeste, permettrait
de:
- modifier les pratiques des professeurs en les incitant à la pluridisciplinarité et
en les encourageant à prendre en considération les représentations de leurs
élèves ;
- faire réfléchir les élèves d'une part sur leurs conceptions sur la science et la
technique dans la société et d'autre part sur lapossibilitê de reconsidérer leurs
propres modèles spontanés qui font obstacle à la construction du savoir
scientifique à la lumière de modèles scientifiques historiques.

Depuis la fin du 19e siècle, les différents ministres de l'Éduca-


tion nationale et l'Académie des sciences sollicitent les pro-
fesseurs de sciences en leur demandant d'intégrer dans leur
enseignement des éléments d'histoire des sciences. Malgré une
une incitation incitation institutionnelle (il y a eu une épreuve d'histoire des
souvent répétée sciences dans le concours d'agrégation de physique jusque
mais peu de dans les années 1920) ce vœu est resté vain aussi bien dans les
réalisations programmes officiels (où l'idée est seulement abordée mais
pratiques aucune instruction donnée) que dans les pratiques d'enseigne-
ment scientifique.
D'une part les quelques enseignants ayant tenté d'intégrer un
peu d*HST (1) dans leurs cours se sont bornés la plupart du
temps :
- à faire une étude chronologique des découvertes scientifiques
et techniques ;
quelques - à citer quelques anecdotes qui sont le plus souvent caricatu-
tentatives. rales ;
- à présenter succinctement la biographie de quelques «sa-
vants».
D'autre part, lorsqu'on aborde la possibilité d'utiliser autre-
ment 1*HST en sciences, les professeurs, malgré u n intérêt
manifeste, s'interrogent immédiatement sur les aspects et
problèmes suivants :
- le parallélisme entre les difficultés des élèves à construire
certains concepts et celles rencontrées par les physiciens de
l'époque à les élaborer ;

(1) Dans la suite de l'article, l'histoire des sciences et des techniques sera
notée HST.

ASTER N°12. 1991. Informatique, regards didactiques. INRP, 29. rue dTJlm. 75230. Paris Cedex 05.
92

- la crainte que les élèves ne se souviennent de concepts


périmés plutôt que de ceux actuellement admis par la com-
munauté scientifique ;
- l'idée que l'introduction de l'HST ne pourrait se faire qu'en
construisant les concepts avec les élèves dans l'ordre histo-
des interrogations rique de leur découverte ;
et des craintes de - la perte de temps par rapport à un enseignement axiomatique
la part des qui serait plus efficace. En effet, le modèle dominant de
professeurs l'enseignement scientifique est de type axiomatique ; une
présentation rigoureuse et claire, y compris appuyée sur un
dispositif expérimental de démonstration, serait le moyen le
plus adéquat pour transmettre la connaissance scientifique.
Nous n'entrerons pas ici dans u n tel débat, mais nous
soulignerons simplement que les résultats même de l'ensei-
gnement scientifique, qui reste actuellement très fortement
axiomatique pour diverses raisons, montrent que ce type
d'enseignement ne convient qu'à une minorité d'élèves et
éloigne de la science un nombre trop important déjeunes.
Enfin, on peut remarquer que les interrogations des profes-
seurs envers un tel enseignement sont essentiellement
des interrogations internes à la discipline. Rares sont ceux qui soulignent l'in-
internes à la térêt d'une possibilité d'approches complémentaires et con-
discipline vergentes avec des disciplines telles que les sciences humaines,
la philosophie et la biologie. Les relations complexes entre la
science, la technique et la société ne sont pas envisagées.
Ces interrogations et craintes sont sûrement à l'origine de la
réticence des enseignants à utiliser l'HST (on peut aussi ajouter
le manque de formation dans ce domaine des professeurs de
sciences).
Aussi est-il apparu nécessaire qu'un groupe de recherche
pluridisciplinaire de l'INRP organise une réflexion sur les
finalités et les conditions d'utilisation et de mise en œuvre d'un
enseignement d'HST au niveau des collèges et lycées. Cette
recherche-action avait aussi pour mission de proposer, après
expérimentation dans les classes, des séquences d'enseignement
intégrant l'HST (2). Ce travail de réflexion et de proposition
pluridisciplinaire a été complété par une étude interne à la
discipline sur la prise en compte des représentations des élèves
et de l'histoire des sciences pour aider l'élève à construire u n
concept scientifique <3).
Ces deux réflexions (d'une part pluridisciplinaire et d'autre part
disciplinaire) ont permis de dégager deux axes possibles

(2) Le rapport relatif à cette recherche doit être publié dans la collection
Rapports de Recherche à l'INRP au cours de l'année 1991.
(3) FILLON P., La prise en compte des représentations et de V histoire des
sciences peut-elle aider l'élève à construire un concept scientifique ?
Mémoire de DEA de didactique des sciences physiques, Université
Paris 7,1988.
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deux modes d'utilisation de l'HST dans l'enseignement. Ces deux orienta-


d'utilisation de tions ont la même finalité : aider l'élève à réfléchir sur ses
l'histoire des propres représentations en ce qui concerne les sciences.
sciences...
La première utilisation possible de l'HST a une tendance plus
l'une à tendance culturelle et vise la modification ou la création de certaines
culturelle et représentations sociales sur la science. Elle a été plus par-
pluridisciplinaire... ticulièrement analysée par le groupe de recherche INRP. Dans
ce cas, l'approche est externe à la discipline et nécessite la
pluridisciplinarité.
La deuxième utilisation est en général interne à la discipline et
l'autre à donc plus souvent disciplinaire. Elle vise à aider l'élève à mieux
orientation construire un concept scientifique particulier mais aussi à
didactique et considérer autrement s e s propres représentations relatives
disciplinaire à celui-ci, en les confrontant d'une part à l'expérience et d'autre
part aux modèles construits par les premiers physiciens ayant
abordé ce domaine. Les hypothèses méthodologiques proposées
dans cette deuxième orientation ont été développées et analy-
sées partiellement dans le projet de recherche correspondant
au mémoire de DEA cité précédemment. Elles demandent
encore des validations dans un cadre plus général lors de
recherches à venir.
Cet article se propose d'exposer les deux orientations qu'il nous
semble possible de donner à un enseignement d'HST dans le
secondaire. En ce qui concerne l'orientation culturelle, seules
les représentations des élèves sur les aspects sociaux-écono-
miques des relations Science-Technique-Société l4) seront
présentées (avant et après un enseignement d'histoire des
sciences). Pour l'orientation didactique, une séquence péda-
gogique sera présentée après avoir examiné les similitudes et
différences entre les représentations des élèves et u n modèle
historique des scientifiques. Pour chacun des axes retenus, les
difficultés rencontrées et les limites d'utilisation mises en
évidence seront dégagées.

1. MODIFIER LES REPRESENTATIONS SOCIALES


SUR LA SCIENCE CHEZ LES ÉLÈVES

1.1. Les objectifs culturels de l'enseignement


de l'HST
Les apports majeurs de l'enseignement de l'HST dans les
collèges et les lycées se retrouvent aussi bien dans les appro-
ches disciplinaires que pluridisciplinaires.
L'enseignement de l'HST i n c i t e à la pratique de la
pluridisciplinarité entre des disciplines qui traditionnellement
s'ignorent. L'ouverture indispensable vers les autres discipli-
nes s'avère profitable aux élèves (décloisonnement des disciplines

(4) Dans la suite de l'article Science-Technique-Société sera noté STS.


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ouverture vers les avec un meilleur transfert des connaissances et méthodes


autres disciplines acquises dans une discipline vers une autre) mais aussi aux
parla professeurs qui comprennent mieux les avantages du travail en
pluridisciplinarité équipe et de la concertation qui permet la mise en commun des
idées.
Il permet de créer ou modifier des représentations sociales
sur la science chez les élèves.
De nombreux rapports incitent à la construction d'une cul-
ture scientifique chez les élèves ; citons par exemple le
rapport Bourdieu-Gros ,5) :
«L'enseignement des mathématiques ou de la physique tout
construire une autant que celui de la philosophie ou de l'histoire, peut et doit
culture permettre de préparer à l'histoire des idées, des sciences ou des
scientifique chez techniques (cela, évidemment, à condition que les enseignants
les élèves par une soient/ormes en conséquence). \...]un enseignement capable de
modification de professer à la fois la science et l'histoire des sciences ou
leurs l'epistemologie... »
représentations
sur les relations Outre une étude des relations STS, cette formation passe aussi
S.T.S. par une interrogation sur ce qu'est la science et sur ses
présupposés éthiques. Ces deux niveaux d'étude interfèrent
fréquemment et obligent dans un cas comme dans l'autre à
prendre en compte et souvent à remettre en cause les représen-
tations spontanées des élèves.
• Les relations science - technique - société
Un enseignement de l'HST s'oppose à l'image d'une technique
qui découle de la science pour montrer des moments de re-
lative indépendance de l'une par rapport à l'autre, et l'absence
de relation mécanique entre ces domaines. En effet, la relation
entre la science et la technique est souvent pensée comme
s'opposer à la linéaire, la science préparant la mise au point d'objets techniques
représentation de qui ne seraient que le résultat d'une sorte de bricolage ingénieux
la technique en des savoirs. M. Daumas est de ce point de vue catégorique : «H
aval de la estdetraditkmde subwdonnerledéveloppementdes techniques
science auprogrès scientifique. Rienn'estmoins exact Rfautabandonner
le schéma élémentaire suivant lequel la connaissance scientifi-
que des problèmes naturels a conduit, d'époque en époque,
l'évolution des techniques. Il n'y a pas un siècle seulement que
les sciences exercent une influence prof onde sur les techniques,
alors que probablement depuis les origines de la pensée les
techniques ont suggéré aux savants les sujets de leur recher-
che.» ™ Contrairement à la science dont le développement
procède, pour beaucoup d'auteurs, de ruptures, de rectifications
la technique se d'erreurs, de réorganisations fondamentales de la pensée, la
construit de technique se développerait plutôt de façon continue et
façon cumulative cumulative. La liaison entre science et technique est alors
et continue située comme u n fait récent et de plus en plus subordonné aux

(5) BOURDIEU P., GROS ¥.. Propositions pour l'enseignement de l'ave-


nir, Paris, Ministère de l'Éducation Nationale, 1985.
(6) DAUMAS M., Histoire générale des techniques. Tome 1, Paris, PUF,
1979.
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finalités économiques et sociales que se donnent les sociétés.


L'économie contribue à arrimer la science à l'univers de la
technique devenu, depuis u n peu plus d'un siècle, un univers
technologique. Il devient donc impossible de penser séparé-
ment sauf pour la clarté de tel ou tel moment de la réflexion, les
trois termes de Science, Technique et Société.
la science Il montre le poids de la demande sociale aussi bien pour la
comme la science que pour la technique, mettant ainsi en cause dans un
technique répond grand nombre de situations l'idée d'une science désintéressée ;
à une demande les pouvoirs aussi bien politiques, qu'économiques ou culturels
sociale interviennent constamment pour orienter ou modifier les axes
de recherche.
Il situe le chercheur, le scientifique dans un environnement
le chercheur ne social ; celui-ci n'est pas un solitaire dont l'esprit n'est préoc-
travaille pas cupé que de faire progresser la science ou d'améliorer les
isolément conditions de vie mais il est soumis à des influences sociales,
économiques et politiques.
rompre avec une Il rompt avec l'idée d'une hiérarchie entre la science, activité
hiérarchie entre la gratuite tournée vers la seule connaissance, et la technique qui
science et la serait asservie aux intérêts économiques et financiers.
technique
• L'epistemologie des sciences
L'enseignement de l'HST : permet de faire travailler les élèves
sur la méthode scientifique et de les placer en situation de
conflit vis-à-vis de représentations spontanées telles que la
faire réfléchir théorie suit l'expérience ou que la théorie ou le modèle sont
l'élève sur la vrais. La mise en situation historique montre que les théories
méthode scientifiques sont des produits historiques, qu'elles sont remises
scientifique en cause, réélaborées, soumises perpétuellement à la critique
de la pensée mais aussi de l'expérience. Ce type d'étude, menée
avec des élèves, est un moyen pour essayer de leur faire prendre
conscience de l'assimilation fréquente entre le discours et la
réalité dont traite ce discours.
Il souligne l'importance et l'utilité des débats, des contro-
les théories verses, des conflits... dans la production des théories
scientifiques font scientifiques ; celles-ci sont l'objet d'entreprises de réfutation.
l'objet de L'enseignement de l'HST permet de dévoiler à l'élève ce que lui
réfutations masque en partie l'enseignement scientifique qu'il reçoit au
collège et au lycée. En effet l'enseignement traditionnel propose
à l'élève des concepts, modèles ou théories entièrement cons-
truits et qui ne peuvent être soumis à réfutation en raison de
leur acceptation par la communauté scientifique.
Il s'intéresse d'abord à l'histoire des problèmes plus qu'à
recentrer celle des résultats. Cet aspect prend en partie à contre-pied
l'enseignement l'enseignement scientifique traditionnel qui se focalise plus
scientifique sur les particulièrement sur les résultats. Cela permet de relativiser,
problèmes plutôt auprès des élèves, les acquis de la science et de souligner le rôle
que sur les essentiel pour l'élaboration de la connaissance scientifique des
résultats
tâtonnements, erreurs et remises en cause. Cela peut permet-
tre à l'élève de prendre conscience par comparaison, de son
propre mode de construction du savoir et de modifier à ses yeux
(mais aussi à ceux de ses professeurs) le statut de l'erreur.
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le discours Il montre que la science mais aussi l'histoire est un construit.


scientifique est Le discours historique est une reconstruction humaine à partir
une de faits au même titre que le discours scientifique. Chaque
reconstruction domaine ayant ses caractéristiques et limites propres. Un
humaine domaine nouveau, pour la plupart des élèves, comme l'est l'HST
offre un terrain plus souple pour cette prise de conscience.
Il réfléchit sur les conditions de transfert d'un concept d'une
réfléchir sur les science à l'autre. Sans approfondir cette question avec des
transferts de élèves du secondaire, l'HST offre des occasions pour attirer leur
concept d'une attention sur l'emploi des concepts dans différents systèmes
science â l'autre théoriques (du point de vue de leur évolution d'une discipline
à l'autre, des domaines de validité différents e t c . ) .
• Les implications éthiques de la production
scientifique et technique
La production technique et scientifique est un acte à la fois
individuel et social qui met en jeu des valeurs. Des questions
déjà anciennes resurgissent aujourd'hui avec encore plus
d'acuité sur la signification du progrès scientifique, sur le rôle
des sciences et des techniques dans le façonnage de nos
sociétés, sur les valeurs impliquées par les orientations de
recherche scientifique et technique. De son côté l'enseignant,
l'enseignement vis-à-vis de l'élève, n'est pas un simple instructeur qui livre des
des sciences résultats scientifiques ou techniques ; depuis toujours l'en-
implique seignement des sciences, tant de la nature que de l'homme et
l'enseignement de la société, implique l'enseignement d'une éthique : rigu-
d'une éthique eur, honnêteté, esprit rationnel et critique, respect des résul-
tats expérimentaux ...
Cette orientation justifie encore plus fortement un travail, une
interrogation et une mise en cause des représentations que
chacun, élève et enseignant, a de la production scientifique et
technique et des conditions d'insertion de cette production
dans la société. Elle demande une réflexion sur les présupposés
culturels et éthiques de cette production et de sa place dans la
société.
• Des apprentissages méthodologiques et
une motivation
On peut citer :
- tous les savoir-faire et méthodes développés par la lecture de
textes historiques,
- les compétences que développent les travaux sur la chrono-
logie ou la périodisation ; ils montrent que toute élaboration
de l'une comme de l'autre résulte de choix.
A l'articulation des finalités d'ordre didactique et de celles
susciter la d'ordre culturel, u n enseignement d'HST peut être un moyen
motivation des de motivation des élèves à la science et à la réflexion sur la
élèves â la science par le biais de la culture. Celle-ci peut permettre aux
science élèves de comprendre comment la mise au point de certaines
techniques, dont les conséquences sur la société ont été ou sont
97

construire des encore très importantes, n'a abouti que par la maîtrise de
représentations certains concepts scientifiques fondamentaux. Cette approche
des disciplines amène certains élèves à être demandeurs de connaissances
scientifiques plus scientifiques.
ouvertes
Il travaille sur les conditions d'élaboration du savoir et contri-
bue ainsi à la construction de représentations «ouvertes»
des disciplines scolaires et, au delà, des savoirs scientifiques.
Celles-ci peuvent favoriser les résultats des élèves dans la
discipline. Cette hypothèse a été confirmée par les résultats
obtenus lors d'une recherche INRP sur l'articulation CM2-6 e :
*R existe des liens entre la réussite scolaire des élèves dans une
discipline et les représentations que ceux-ci ont de son objet, de
sa fonction, de ses méthodes, de son champ d'application,...
Ainsi des élèves pour qui une discipline scolaire n'a de finalité
qu'elle-même, rencontrent plus de difficultés que ceuxpourqui la
discipline à une utilité sociale ou pratique.» ™
Une enquête auprès d'élèves de collèges montre quelques-unes
de leurs représentations sur les relations STS qui ont été
relevées avant enseignement et comment elles ont évolué après
u n enseignement d'HST qui les avait choisies comme objectifs.
les D'une part, seront présentées celles très ancrées dans l'esprit
représentations des élèves d'une science désintéressée et d'une technique
des élèves sur les orientée vers le profit et les aspects matériels et d'autre part,
relations STS et celle de la technique qui ne serait qu'une application a poste-
leur évolution riori de la science. Ces visions des relations STS chez les élèves
après sont pour les historiens des obstacles à la construction du
enseignement
savoir historique par exemple sur les deux révolutions indus-
trielles au 19 e siècle. Le choix de ces objectifs-obstacles à
dominante socio-économique à l'intérieur du groupe INRP a été
orienté par sa composition pluridisciplinaire. Les séquences
d'enseignement réalisées ont porté sur l'histoire du transport
de l'électricité et de l'éclairage électrique.

1.2. Représentations des élèves sur les relations


entre la science, la technique et la société
• Avant tout enseignement d'HST
En classe de quatrième (50 élèves), la question suivante est
posée :

«Selon vous, quel facteur joua le rôle le plus important dans le foisonnement des
inventions au 19e siècle : le hasard, Vimagination, Vobservation, le besoin, l'ar-
gent ? Classez-les du plus important au moins important.»
Les élèves privilégient l'imagination (1 élève sur 2) et l'ob-
servation (1 élève sur 3) comme causes des nombreuses
inventions au 19 e siècle. Le hasard, le besoin et surtout l'argent

(7) Les enseignements enCM2 et en6e-Ruptures et continuités, Paris.INRP,


collection Rapports de Recherches, 1987.
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pour les élèves, n'ont que peu d'influence pour eux. Avant cette question, les
l'imagination et élèves avaient étudié, dans le cadre des programmes de la
l'observation sont classe, les progrès scientifiques et techniques au 19e siècle (la
les principales révolution industrielle). Cet enseignement n'avait pas les ca-
causes des
découvertes au ractéristiques décrites précédemment pour une introduction
19e siècle de raST.
Toujours en quatrième, la question suivante a été posée.

«Selon vous, qu'est-ce qui poussa les hommes à exploiter les inventions nouvelles
a- le désir d'améliorer les conditions de vie
b- le désir de gagner de l'argent
c - la fascination exercée par le progrès
d - le désir de rendre son pays plus puissant ?
Choisissez une réponse parmi les 4 proposées.»

Deux élèves sur trois choisissent la formulation a ; 1 sur 3 la


formulation c ; les deux autres n'étant pratiquement pas
l'amélioration des choisies par les élèves.
conditions de vie On retrouve, partiellement ces résultats en seconde et première ;
est un facteur à ce niveau l'aspect économique est davantage pris en compte
prépondérant à sans devenir prépondérant (15 à 20 % des élèves).
l'exploitation des
inventions ; n apparaît donc assez nettement que les élèves, avant tout
l'aspect enseignement portant sur l'HST, montrent une mécon-
économique est naissance des mécanismes économiques qui interviennent
sous-estimé entre la science, la technique et la société.
Cependant dans une question relative aux raisons du décalage
chronologique entre le premier transport de l'électricité (1882)
et l'électrification complète des campagnes françaises (vers
1950), l'aspect économique est pris en compte par les élèves de
2 e cycle. La question était formulée de la manière suivante :

«En 1882 est réalisé le premier transport d'électricité par Desprez


En 1884 un quartier de New York est éclairé à l'électricité
En 1900 le premier métro est inauguré à Paris
En 1920 commence l'électrification des campagnes
En 1946 EDF, qui vient d'être créée, achève l'électrification des campagnes.
=> Comment expliquez-vous le décalage entre le premier transport de l'électricité
(1882) et l'électrification des campagnes (1920/1953) ?»

Une autre représentation sociale, l'image du savant pas-


sionné et désintéressé, surgit lorsqu'on évoque les relations
les élèves ont une S.T.S. à travers l'individu. Même si la question a comme
image support un texte sur Edison évoquant sa motivation mercantile
désintéressée du (voir ci-dessous), une majorité d'élèves (environ 2 sur 3) place
savant au 19° la passion de la recherche en tête ; sa volonté de faire des profits
siècle est rejetée en dernière position ! Dans l'esprit des élèves, on
relève aussi souvent la volonté d'améliorer le sort de l'humanité
comme motivation du savant dans son travail.
99

Voici le récit que fait Edison de la fabrication des lampes :


Au moment où nous inaugurâmes Y éclairage électrique, il nous fallut une usine pour
la fabrication des lampes. La Compagnie Edison ne semblant pas disposée à
entreprendre la production, nous organisâmes une petite fabrique de lampes à
Menlo-Park avec V argent que je pus prélever tant sur mes autres inventions que sur
mes droits, et avec certaines sommes qui mefurent avancées. A cette époque, le prix
de revient d une lampe était d'un dollar vingt-cinq environ. Dans ces conditions, je
fis cette remarque à la Compagnie : «Si vous voulez passer avec moi un contrat,
valable jusqu'à l'expiration des brevets, jefabriquerai toutes les lampes dont aura
besoin la Compagnie, et je les livrerai au prix de quarante cents par lampe». La
Compagnie sauta sur cette offre et un contrat fut dressé. Nous achetâmes alors à une
vente publique, à Harrison, dans le New Jersey, une grandefabrique de toile cirée.
Nous réussîmes à l'acquérir à un très bon prix, ne payant comptant qu'une petite
somme. La fabrique de lampes fut alors transférée de Menlo-Park à Harrison.
La première année, la lampe nous revenait à 1 dollar et 10 cents. Nous la vendions
40 cents ; heureusement nous n'en eûmes pas plus de trente à quarante mille à
fournir. L'année suivante, elles nous revenaient à 70 cents, et nous la vendions
toujours 40 cents. On en fabriqua beaucoup ;par conséquent, nous perdîmes plus
d'argent la seconde année que la première. La troisième année, je parvins à
construire des machines et à modifier les procédésjusqu'à ce que ce prix fut abaissé
et que les lampes ne nous coûtassent plus que 50 cents environ. Le prix de vente étant
le même : 40 cents, je perdis plus d'argent cette année-là que les autres, la vente
augmentant rapidement.
La quatrième année, j'abaissai le prix de revient à 37 cents, et je rattrapai en une
année tout l'argent que f avais perdu antérieurement. Finalement les lampes ne me
coûtèrent plus que 22 cents ;je les vendais 40 cents, et on enfabriquait des millions,
ce qui fit que dans les milieuxfinanciers on estima l'affaire lucrative ; on en conclut
qu'il fallait l'avoir et nous obtînmes tout l'argent que nous désirions.
Nous avions fondé les usines de Harrison, avec un capital initial réparti en cent
actions, ou parts, de 100 dollars chacune. Un de nos employés se trouva bientôt gêné
et vendit deux actions à un certain Bob Cutting. Jusqu'alors, nous n'avions rien
donné comme intérêt ; or, nous arrivions au point où l'administration pouvaitfixer
chaque samedi soir un dividende, ce que nous n'avions pas encore fait à l'époque
où Cutting avait acheté ses actions aussi, après avoir touché ses dividendes trois
semaines consécutives, il nous téléphona, désirant savoir quel était cet établisse-
ment qui pouvait ainsi payer un dividende hebdomadaire. L'usine faisait alors un
chiffre d'affaires de 1 085 000 dollars.(8)
=> Pour quelles raisons Edison s'intéresse-t-il à la mise au point de la lampe à
incandescence ?
* il est passionné par la Recherche
* il veut réaliser des profits
* il est dans un milieu, les États-Unis, favorable
* la découverte de la lampe prolonge celle du phonographe qu'il vient de réaliser
* il répond aux préoccupations du gouvernement américain.
Choisissez parmi ces réponses, celles qui vous paraissent vraies, et classez-les par
ordre d'importance en les numérotant 1,2, 3.

(8) MEADOWCROFT W., Edison, Paris, Payot.


100

certains pays Le pays dans lequel est faite la découverte semble orienter aussi
semblent favoriser le choix des élèves. A titre d'exemple, les États-Unis sont pour
aux yeux des eux un pays qui permet à u n inventeur de mieux exploiter sa
élèves l'éclosion découverte.
des découvertes
Au cours de discussions de classe (en 1 e r et 2 e cycles), on a pu
cerner une différence entre les images que se font les élèves du
chercheur et d u technicien-découvreur. Dans l'esprit de
beaucoup d'entre eux, le chercheur travaille souvent seul,
sans relation avec la société :
- pour financer ses propres besoins et ses recherches
le technicien a - pour exploiter les résultats de ses recherches
une image - pour participer à la vie politique de la société.
différente du Alors que le technicien est plus en relation avec la société :
scientifique ; il est
plus en relation - c'est u n «bricoleur de génie» qui s'intéresse au quotidien des
avec la société ; il gens
est impliqué - il est plus attaché à l'argent que le savant (il est moins
économiquement désintéressé et doit rechercher des financements pour ses
travaux)
- il s'occupe plus de l'exploitation de ses découvertes.
A la suite d'entretiens individuels, on a relevé aussi bien dans
le 1 e r que le 2 e cycle, que les relations entre la science et la
technique sont mal perçues. Une hiérarchisation existe dans
les élèves voient l'esprit d'une majorité d'élèves : la technique n'est qu'une
la technique application de la science ; elle est moins noble, moins
comme une valorisante que cette dernière. Pour eux, la connaissance
application de la
science technique ne peut être antérieure à la connaissance scientifi-
que. Les élèves n'ont pas idée que :
- des objets techniques fonctionnent parfois sans que l'on
sache scientifiquement pourquoi ;
- les scientifiques ont besoin de nouvelles techniques pour
faire progresser leurs recherches (ex. : appareils de mesures,
d'enregistrement, e t c . ) .
il y a peu de lien Par ailleurs, les élèves ne font pratiquement jamais le lien
entre la science, entre la science et la technique d'une part et la société
la technique et la
société d'autre part :
- les découvertes scientifiques ou techniques ne sont jamais
replacées dans leur contexte historique
- les découvertes ne sont pas impulsées par une volonté
d'exploitation industrielle et commerciale
- les recherches ne sont pas orientées en fonction de besoins
sociaux.
Enfin des entretiens individuels et des discussions de groupe
les élèves ont une ont permis de mettre en évidence que les élèves ont une vision
vision linéaire et linéaire de l'histoire. En effet, ces discussions (avant tout
finaliste de enseignement de l'HST) ont permis de montrer que les élèves
l'histoire avaient des tendances finalistes : toutes les découvertes
scientifiques et techniques antérieure ne peuvent mener qu'à la
situation où nous sommes actuellement. Pour les élèves, la
progression de la recherche scientifique et technique n'est pas
objet de débat, de doute ou de rupture ; ils expriment une idée
de progrès constants, cumulatifs, sans erreurs et sans les
101

soubresauts dûs à des changements d'orientation provoqués


par des remises en cause incessantes. Cette vision cumulative
de l'histoire du savoir technique correspond assez bien à celle
des historiens des techniques que sont Daumas, Gilles et
Caron. Par contre, elle est en complète contradiction, en ce qui
concerne l'histoire de la construction du savoir scientifique,
avec les idées généralement développées par les historiens des
sciences (Russo, Taton et Koyré).
Cette vision de l'histoire en ce qui concerne la science n'est-elle
pas influencée en partie par le positivisme ambiant dans
l'enseignement scientifique qui ne fait retenir et enseigner, par
souci d'efficacité que les découvertes, modèles, théories qui se
sont avérés fructueux pour la construction de la connaissance
la science scientifique. Toutes les voies suivies au cours de l'histoire,
enseignée est le reconnues par la suite comme erronées par la communauté
résultat d'une scientifique, sont oubliées par celle-ci et par suite non ensei-
histoire Jugée gnées. Les élèves ne peuvent ainsi prendre conscience que les
connaissances scientifiques et techniques actuellement ensei-
gnées sont passées à travers ce filtre ; ces connaissances sont
le résultat d'une histoire jugée a posteriori. Ce jugement n'est
jamais présenté de façon explicite et reste toujours du domaine
du non-dit.
Cette vision linéaire de l'histoire n'est pas seulement due à
l'influence de l'enseignement. Nous émettons l'hypothèse que
une vision linéaire les capacités de raisonnement des élèves interviennent aussi.
de l'histoire En effet un mode d'enchaînement linéaire des événements, où
demande peu un événement ne dépend que d'un autre, demande moins
d'effort de mise d'efforts de mise en relation par l'élève (analogue aux fonctions
en relation à à une seule variable en sciences) que des enchaînements
l'élève ramifiés où plusieurs événements interviennent sur u n autre
(fonctions à plusieurs variables).
• Après un enseignement d'HST
Dans les différentes équipes de la recherche INRP, les relations
STS liées aux obstacles choisis ont été abordées à partir de deux
thèmes (se reporter a u rapport de la recherche, à paraître à
l'INRP), T'histoire du transport de l'électricité et l'histoire de
l'éclairage électrique (travaux d'Edison).
Un post-test a été réalisé après chacune de ces séquences pour
évaluer leurs influences sur les représentations sociales des
élèves qui avaient été observées en pré-test. Pour faire ces
évaluations, certaines questions utilisées avant enseignement
ont été reprises.
après un Il apparaît alors que les élèves (quel que soit leur niveau) ne
enseignement minimisent plus l'aspect économique dans les relations
d'HST les élèves S.T.S. (en particulier comme raison à l'exploitation des in-
ont moins ventions). Cependant, les représentations des élèves peuvent
tendance à être modifiées différemment selon la séquence utilisée. Ainsi,
minimiser l'aspect après l'étude du transport de l'électricité, une majorité d'élèves
économique qui mettent en avant l'aspect financier, pensent que c'est en
dans les relations
STS raison du faible coût de l'énergie hydraulique que Berges s'est
intéressé à celle-ci. Très peu d'entre eux choisissent la volonté
102

de ce dernier de faire des profits. Par contre, cet aspect apparaît


davantage chez les élèves après avoir étudié la démarche
d'Edison, sans cependant supplanter dans leur esprit sa pas-
sion de la recherche.
Par contre, après enseignement et quel que soit le support
moins d'élèves utilisé, un élève sur trois pense que les relations entre la science
pensent à une et la technique se font dans les deux sens, sans que l'une soit
hiérarchie entre la primordiale sur l'autre. Us ne sont plus qu'un tiers à penser que
science et la la science est toujours en amont de la technique.
technique
Il apparaît aussi assez nettement après enseignement, que le
développement des techniques est influencé par les facteurs
suivants :
- l'argent disponible pour financer les recherches (en particu-
lier celui de l'État)
- les gains financiers qui peuvent être dégagés par les dévelop-
pements industriels, conséquences de ces recherches
- le développement des communications (en particulier dans le
monde scientifique et technique)
- des éléments personnels liés à des motivations de nature
désintéressée et psychologique (attrait pour les techniques
nouvelles, curiosité e t c . ) .
Enfin après enseignement, on assiste à la juxtaposition dans
l'esprit des élèves :
de certaines représentations très ancrées :
• le chercheur passionné qui répond à des critères indivi-
certaines duels indépendants du contexte social
représentations • les sciences et les techniques qui permettent les progrès et
très ancrées l'amélioration du bien-être des hommes
subsistent • la référence à des images historiques et mythiques : Volta,
Napoléon, les États-Unis, le rôle de l'État...
de connaissances précises et bien intégrées :
d'autres sont • la science et la technique sont en inter-relation
modifiées • la science et la technique sont intégrées aux besoins d'une
société, en dépendant de problèmes économiques et fi-
nanciers
• une évolution des conditions de développement des scien-
ces et techniques au cours du 19 e siècle.
(9)
1.3. Les écueils et difficultés
L'enseignement de l'HST présente des risques et fait face à des
difficultés dont il faut apprécier la signification et l'importance.
Les unes et les autres ne sont pas du même ordre et les réponses
apportées diffèrent selon les projets. Nous en retiendrons trois,
à titre d'exemple :
• L'anecdote. Une tradition, souvent rattachée à une conception
obsolète de la biographie, fait une place encombrante à l'anec-

(9) Rapport de recherche INRP sur renseignement de l'HST (à paraître).


103

l'utilisation de dote. Celle-ci peut être utile ou plaisante sous condition d'être
l'anecdote doit limitée et située comme telle. Inversement, un usage trop
être limitée appuyé conduira au renforcement des idées contre lesquelles
nous nous élevions précédemment ; la production scientifique
et technique est réduite à des circonstances hasardeuses, au
«génie» de tel ou tel découvreur...
• L'anachronisme. Pour l'historien, tout anachronisme est a
priori une erreur. Mais être averti du fait n'est pas nécessairement
être protégé du danger. L'anachronisme peut se cacher dans
bien des lieux. Sans faire ici de longs développements
épistémologiques, nous rappellerons pour mémoire tous les
débats de la communauté des historiens sur le rôle de la
personnalité même du chercheur dans la construction de
l'objet historique et du discours sur cet objet. Si la chronologie
des faits doit être rigoureusement établie, celle-ci n'est pas
l'anachronisme donnée au départ mais résulte des choix établis en fonction du
est une erreur en ou des problèmes que l'on se propose de traiter. Mais la
soi chronologie n'est pas l'histoire et c'est dans le travail de
construction d'un discours, d'un récit qui ordonne et relie les
différents éléments de la chronologie que se trouve l'essentiel
du travail de l'historien. Si cette reconstruction est toujours
l'œuvre de quelqu'un, u n risque particulier d'anachronisme
existe avec ÎHST. En effet une de ses particularités est d'être
une histoire jugée ; de ce fait, il est singulièrement difficile
d'analyser les productions historiques, textes ou expérimen-
tations par exemple, en respectant autant que faire se peut les
logiques intellectuelles et scientifiques qui étaient celles de
leurs auteurs.
• Le mythe de l'explication par les origines. Les faits scien-
tifiques qu'il importe de comprendre sont ceux d'aujourd'hui ;
les concepts et théories scientifiques que l'élève doit s'appro-
prier sont ceux d'aujourd'hui. L'EHST n'a pas pour objet de
(dé)montrer une filiation continue, sorte de généalogie que l'on
un enseignement pourrait remonterjusqu'auxorigines. Les théories d'aujourd'hui
d'HST n'implique ne sont pas contenues «potentiellement» dans celles d'hier ou
pas l'idée d'une d'avant-hier. Introduire u n EHST n'est pas construire l'idée
progression d'une progression nécessaire. Ce problème à la fois historique
nécessaire et êpistémologique concerne tous les domaines du passé des
sociétés ; l'enseignement de l'histoire scolaire, à vouloir intro-
duire une compréhension de la succession, privilégie ceux des
événements que l'on présentera dans une relation de cause-
conséquence, et qui apparaîtront alors comme découlant
inéluctablement les u n s des autres. L'EHST par les ruptures et
réorganisations intellectuelles et matérielles qu'il offre à l'étude
est u n moyen de pallier cette difficulté ; mais, les choix des
objets étudiés et les présentations qui seront mises en œuvre
feront place à ce souci.
104

2 . CONSIDÉRER AUTREMENT
SES REPRÉSENTATIONS ET MIEUX CONSTRUIRE
UN CONCEPT SCIENTIFIQUE
Cette finalité fixée à l'introduction de 1*HST dans l'enseigne-
ment secondaire de la physique nécessite de la part du profes-
seur les mises en relations suivantes lors de la construction de
séquences pédagogiques :

Modèles spontanés ^ Modèles historiques

X
(élèves) (physiciens)

I
Expérimentation ^
\
„ Modèle scientifique
(communauté scientifique)

2.1. Délimitation du domaine des sciences


physiques concerné
Vouloir utiliser 1*HS lors de la construction de concepts en
sciences physiques pose u n certain nombre de problèmes.
- Un premier écueil est celui de la durée nécessairement plus
grande pour réaliser une telle approche par rapport à l'intro-
il n'est pas duction traditionnelle du concept. Il n'est pas question de
nécessaire vouloir aborder tous les concepts de la physique de cette
d'aborder tous les manière, faute de temps pour traiter l'ensemble des program-
concepts par le mes. Il faut donc faire u n choix parmi les différents points des
biais de l'HST programmes. Il paraît judicieux d'utiliser alors le concept
d'objectif-obstacle défini par J.-L. Martinand (10).
»Plus exactement, renonçant à définir de manière exhaustive et
»opérationnelle», les objectifs, nous avons proposé de les »carac-
tériser» par les aspects obtenus avec ce type d'analyse et
susceptibles d'aider au mieux les maîtres. Dans cet esprit, notre
proposition principale consiste à »focaliser» les objectifs sur les
obstacles susceptibles d'être franchis par les élèves. [...]
Cette conception nouvelle des »objectifs-obstacles» a une double
origine. Nous venons d'en rappeler la source pragmatique. Mais
il y a aussi une source théorique : c'est la notion d'obstacle
épistémologique, élaborée par Bachelard en explorant l'histoire
des idées scientifiques, et sur la base de son expérience de
professeur de physique. R nes'agäpaspournous de transformer
en objectifs les obstacles repérés par Bachelard, il s'agit défaire
rejoindre deux courants : celui des pédagogues qui cherchent à
travers les objectifs à rendre plus efficaces les actions didacti-
ques et celuides épistémologues qui s'intéressent aux difficultés

(10) MARTINAND J.-L., Connaître et transformer la matière, Berne,


P. Lang, 1986.
105

qu'affronte la pensée scientifique. La notion d'objectif-obstacle


nous paraît être un moyen pour transformer en instrument
didactique les résultats des recherches actuellement en plein
développement, et qui portent sur les modes de résolution de
problèmes adoptés spontanément par les élèves, ou les repré-
sentations qu'ils se font des phénomènes physiques.»
Une telle analyse des différents domaines de la physique en
termes d'objectif-obstacles permet de réduire considérablement
le nombre des objectifs pour lesquels u n traitement spécifique
(de plus longue durée en raison de la procédure didactique
employée) est nécessaire pour que l'obstacle repéré soit
franchissable par une majorité d'élèves.
un parallélisme - Un deuxième écueil provient de la nécessité d'un parallélisme
partiel doit exister (même partiel) entre le modèle spontané des élèves et celui
entre le modèle des premiers physiciens qui fait ou a fait obstacle à la cons-
élève et le truction du modèle actuellement accepté par la communauté
modèle historique scientifique. Précisons tout de suite notre position à ce sujet,
l'élève de 1990 n'est pas dans la situation des chercheurs du
début du 19 e siècle (par exemple pour l'électrocinétique) aussi
bien pour les connaissances et les capacités de raisonnement
qu'ils possèdent que pour leurs environnements matériels et
l'ontogenèse ne sociaux. L'ontogenèse ne récapitule pas la Phylogenese : les
récapitule pas la obstacles rencontrés par les uns et les autres pour construire
Phylogenese le savoir en ce domaine ont des origines et des natures
différentes. Cependant, on constate que malgré tout, et cela
dans de nombreux cas, là où ont buté les chercheurs, les élèves
rencontrent aussi des difficultés. Bien souvent, les modèles
le domaine choisi spontanés que peuvent avoir les élèves ont des ressemblances
doit avoir été troublantes avec les modèles initiaux des physiciens. C'est ce
étudié du point parallélisme ténu que nous nous proposons d'exploiter. Pour
de vue des bien cerner ce dernier, cela impose tout d'abord que ce domaine
représentations ait été étudié aussi bien en didactique de la physique (en ce
des élèves ainsi
que de celui de qui concerne les représentations et raisonnements spontanés
l'epistemologie des élèves) qu'en histoire des sciences (en ce qui concerne
du savoir l'epistemologie) et qu'un répertoire de textes historiques
pouvant être utilisés avec les élèves ait été constitué. Actuelle-
ment, les intersections entre les champs de la didactique et
ceux de l'HS ne sont pas très fréquents. Il en existe surtout en
mécanique et en électrocinétique. Les corpus de textes histori-
ques correspondant à un domaine particulier de la physique et
une étude pouvant être utilisés à des fins pédagogiques avec des élèves du
comparée des secondaire sont encore très rares dans la littérature d'HS.
modèles des Ensuite, l'analyse du «parallélisme*» des modèles spontanés
élèves et doit avoir été faite pour bien cerner les différences et les
historiques doit similitudes entre les natures et les origines des obstacles
avoir été réalisée rencontrés dans les deux niveaux précités. A notre connais-
sance de telles analyses n'ont pas été entreprises de façon
systématique ; seuls quelques essais ont été tentés.
L'approche proposée ici vise à faire prendre conscience à
l'élève de son modèle personnel pour expliquer u n phéno-
mène physique déterminé ; modèle qui fait obstacle à la cons-
106

l'expérience est truction de son propre savoir. Cette prise de conscience de son
confrontée avec modèle explicatif personnel se fait par confrontation à d'autres
le modèle des expériences qu'il ne permet pas d'expliciter (articulation ex-
élèves et le périence-modèle personnel). Cette prise de conscience est
modèle historique renforcée par la comparaison avec le modèle initial proposé
par les physiciens qui conduisait sensiblement aux mêmes
difficultés (articulation modèle historique-modèle personnel).
Ce renforcement social permet une déculpabilisation de l'élève
en modifiant le statut de l'erreur relatif à u n mode de pensée
il y a focalisation spontanée inhérent à la plupart des individus. Il focalise
de l'élève sur l'élève sur l'obstacle qu'il doit franchir avec l'aide de son
l'obstacle professeur pour construire u n savoir scientifique. Cette stra-
tégie, qui intègre 1TIS, a en outre l'avantage de montrer à l'élève
que le savoir scientifique est le résultat d'une construction
humaine avec ses erreurs et ses rectifications.
Pour rendre plus concrètes ces propositions prenons un exemple
de séquence dont une partie a été expérimentée et évaluée dans
le cadre de la recherche INRP sur l'enseignement de l'HST.
Toutes les considérations précédentes ont permis de choisir
une partie extrêmement limitée de l'électrocinétique présentant
u n obstacle majeur à franchir par les élèves : la construction
du concept de courant, dans le cas de circuits électriques
simples en série ne contenant que des conducteurs métal-
liques.
Ce domaine très limité a été particulièrement bien étudié ces
dernières années, aussi bien du point de vue didactique que du
point de vue épistémologique. De plus, il a l'avantage de pouvoir
être abordé aussi bien en 1 e r cycle (classe de quatrième) qu'en
2 e cycle (classe de seconde).

2.2. Présentation du modèle élémentaire utilisé par


les physiciens
Avant toute étude des modèles spontanés des élèves et des
modèles de départ des physiciens, il est important de rappeler
le modèle élémentaire actuellement admis et enseigné dans le
secondaire. C'est le modèle qui doit être acquis par les élèves à
la fin de leurs études au lycée.
modèle simplifié Prenons le cas d'un circuit comprenant une pile et une ampoule.
du courant Du point de vue énergétique, la pile a une double fonction :
électrique dans - elle stocke de l'énergie sous forme chimique
les conducteurs - elle transforme cette énergie chimique en énergie électrique.
métalliques De même, l'ampoule a deux fonctions :
- elle transforme l'énergie électrique qu'elle reçoit en énergie
thermique et lumineuse
- elle ne stocke pas de l'énergie mais la dissipe dans le milieu
extérieur.
Au niveau élémentaire avec les élèves, le problème est de fournir
une représentation du mécanisme qui assure le transfert
d'énergie. D'où le point de vue matériel, le véhicule de
l'énergie de la pile à l'ampoule est le courant électrique. Dans
107

un conducteur métallique, la conduction est assurée par les


électrons de conduction ou électrons libres. Si le conducteur
n'est pas relié aux deux bornes d'une pile, les mouvements des
électrons libres sont désordonnés et aléatoires ; ils sont sta-
tistiquement au repos. Lorsqu'il est raccordé aux deux bornes
d'une pile, l'ensemble des électrons libres du conducteur se met
en mouvement dans une même direction et un même sens (de
la borne négative à la borne positive de la pile). La présence
d'une pile dans un circuit fermé provoque le mouvement
d'ensemble des électrons libres : ce dernier est appelé
courant électrique.
La pile jouant, si on veut, le rôle d'une pompe à électrons (elle
ne stocke ni ne crée des électrons), la quantité d'électrons
libres dans le circuit reste constante ; en régime perma-
nent, il n'y a donc ni accumulation ni disparition de charges
ni localement ni globalement.
Lors du passage des électrons libres dans le filament de
l'ampoule, ceux-ci entrent en collision avec les atomes du
filament. L'échauflement qui en résulte est responsable de la
lumière émise. L'intensité du courant électrique étant définie
comme la quantité de charge électrique traversant une section
du conducteur par unité de temps. Cette intensité est donc
constante en tout point du circuit-série. Cela est toujours
vrai quels que soient les composants branchés dans le
circuit. En particulier, si on branche plusieurs ampoules
identiques, celles-ci brilleront de la même façon (mais moins
fortement que si il n'y en avait qu'une seule ; la pile restant
toujours la même).

2.3. Étude comparative sommaire du modèle


utilisé spontanément par les élèves et de celui
élaboré initialement par les physiciens de la
le modèle des première moitié du 19 e siècle
courants
antagonistes En électrocinétique, les élèves comme les physiciens du début
serait une du 19e siècle utilisent ou ont utilisé des modèles qui en
conséquence de apparence sont relativement proches ; ce sont le modèle des
la nécessité courants antagonistes et le modèle circulatoire avec épuisement
opératoire du de courant. Dans cet article, nous nous limiterons d'une part
branchement de à l'étude comparative des modèles des courants antagonistes
l'ampoule sur la des élèves et des chercheurs du début du 19 e siècle et d'autre
pile part à la présentation d'exemple de séquence pédagogique
réalisée en classe.
• Caractéristiques du modèle pour les élèves
D'après l'étude faite par Tiberghien et Delacôte (11) certains
enfants reconnaissent l'importance des deux pôles de la pile par
lesquels ils font sortir deux courants qui se rejoignent dans

(11) TIBERGHIEN A. et DELACÔTE G., «Manipulations et représenta-


tions de circuits électriques simples chez les enfants de 7 à 12 ans»,
Revue Française de Pédagogie, 34,1976.
108

l'ampoule où ils sont consommés. Pour ces auteurs, le modèle


spontané des courants antagonistes est une conséquence de la
nécessité opératoire du branchement de l'ampoule sur la pile.
Osborne (12) a aussi montré l'utilisation spontanée, par des
élèves du primaire, de ce modèle explicatif dans le cas du
branchement d'une ampoule sur une pile ronde. En 1984,
Shipstone évalue à environ 40 %, le pourcentage des élèves de
12 ans qui utilisent ce modèle pour expliquer les phénomènes
observés dans u n circuit-série comprenant plusieurs ampou-
les (13). Il note par ailleurs que ce nombre décroît Jusqu'à
devenir pratiquement nul à 17 ans. Enfin, Johsua {l4* en re-
prenant les travaux de Maury (15) et Anderson (16) émet l'hy-
pothèse que ce modèle recouvre plusieurs représentations :
- «Pour certains élèves, les deuxßls transportent le même type de
courant. «H faut deuxßls pour amener plus de courant». Cette
représentation est en fait une amélioration de la représentation
untfdaire, souvent produite par la nécessité de tenir compte de
l'expérience, qui impose la présence de deuxßls (Maury, 1981)»
- «Pour d'autres, il y a bien deux courants différents qui sortent
de la pile pour aller à l'ampoule «faire des étincelles». Cette
représentation peut être produite par la nécessité d'intégrer
cognitivement la présence d'une dissymétrie sur la pile
la contradiction (préalablement connue par certains élèves), mais elle peut aussi
entre les aspects constituer un premier pas vers une tentative de résoudre la
matériels et contradiction entre les aspects matériel et énergétique du «fluide».
énergétiques du Ici, deux fluides différents sont en mouvement (sous l'as-
«fluide» pect matériel) et, de leur rencontre, naît un événement
entraînerait nouveau (énergétique) (Anderson, 1984). Cependant, la perte
certains élèves à d'énergie est encore complètement liée à la perte des «matières».
construire le Parfois, ces dernières sont présentées comme «stockées» sépa-
modèle des rément dans la pile (un réservoir «plus», un réservoir «moins»).
courants L'épuisement de lapûe correspond à l'épuisement de ces stocks.
antagonistes La représentation «à courants antagonistes» peut en définitive
apparaître comme intermédiaire entre la représentation unifilaire
et les représentations «circulatoires». Cet état peut s'interpréter,
à notre avis, dans le cadre d'une tentative de résorption de la
contradiction due aucaractère «mixte» de la métaphore dufiuide».

(12) OSBORNE R., «Toward modifying children's ideas about electric


curent». Journal ofresearch in science and technological education, 1,
1983.
(13) SHIPSTONED.-M., «Astudy of children's understanding of electricity
in simple circuits». European journal of science education, 6,1984.
(14) JOHSUA S. et DUPIN J. J., Représentations et modélisations : le
«débat scientifique» dans la classe et l'apprentissage de la physique,
Berne, P. Lang, 1989.
( 15 ) MAURY L., Expériencepédagogique à V école élémentaire, Montpellier,
IREM, 1981.
(16) ANDERSON A., Pupil's thinking and course requirements in science
teaching. Project n° 2131, University of Gothenburg, 1980.
109

• Caractéristiques du modèle pour les premiers


physiciens
Jusque dans les années 1840, les physiciens furent influen-
cés par l'électrostatique et utilisèrent en le transposant et en
le modifiant progressivement le «scheme électrostatique de
décharge» pour modéliser les phénomènes observés lors de
montage utilisant la pile de Volta. Brièvement, les physiciens
considéraient la pile comme une bouteille de Leyde ayant la
propriété de se décharger et se recharger continuellement.
les physiciens, Ainsi, ils imaginaient un double courant d'électricité posi»
influencés par tive et négative sortant des bornes de la pile et circulant en
l'électrostatique, sens inverse dans le circuit. Il est à signaler qu'en 1750,
pensèrent à la Franklin, en électrostatique, avait fait l'hypothèse d'un courant
présence de unique lors de la décharge ; celle-ci ne fut pas retenue par la
deux courants communauté scientifique qui penchait plutôt à l'époque pour
antagonistes l'hypothèse des deux fluides. Ampère écrivait en 1822 : «On est
généralement d'accord qu'elle (l'action électromotrice) continue à
porter les deux électricités dans les deux sens où elle les portait
auparavant, en sorte qu'il en résulte un double courant, l'un
d'électricité positive, l'autre d'électricité négative, partant en
sens inverses des points où l'action électromotrice a lieu et (17)
allant
se réunir dans la partie du circuit opposée à ces points.»
Ampère continuait : «Lescourants, dontjeparle, vontens'accé-
lérantjusqu'à ce que l'inertie des fluides électriques et la résis-
tance qu'ils éprouvent par l'imperfection des meilleurs conduc-
teurs fassent équilibre à la force électromotrice ; après quoi, ils
continuent indéfiniment avec une vitesse constante tant que
cette force conserve la même intensité.»
le modèle des Quelques années plus tard, son modèle s'était modifié, il
courants écrivait en 1826 : «...Lesdeuxfluides parcourent continuellement
antagonistes
s'affine d'année les fils conducteurs d'un mouvement extrêmement rapide, en se
en année réunissant et se séparant alternativement dans les intervalles
decesfils»... puis «C'estdanscejluideélectriqueiritermoïéculaire
Ampère introduit (avec les molécules métalliques du conducteur) que se passent
le concept de tous les mouvements, toutes les décompositions et recompositions
courant sans qui constituent le courant électrique.»
abandonner
l'idée des Malgré cela, c'est dès 1820 qu'Ampère introduisait le concept
courants de courant électrique sans abandonner l'idée des courants
antagonistes antagonistes.

(17) BENSEGHIR A., Influence des conceptions électrostatiques du début


du 19e siècle sur la formation des concepts de Vélectrocinétique.
Mémoire de DEA d'histoire et philosophie des sciences, Université
Paris 1,1981.
110

MEMOIRE
Présenté à Vacadémie royale des Sciences, le a oc-
tobre i 8 a o , où 5<? trouve compris le résumé de
ce qui avait été lu à la même Académie les 18
vt a5 septembre i 8 a o , sur les effets des cottrans
électriques.
PAR M. ÀitrfcfcE.

Mate lorsque les deit* corps ou le« denx systèmes de


enrps entre lesquels l'action électromiitrice , produite
par le conlnct dns métaux, n l!ett/soiit d'ailleurs cri
communication par des rorps conducteurs — • -
--*- il en résulte nn doubla courant,
l'un d'électricité positire , l'nutro d'électricité négative,
partant en »ens opposé« des points où l'action électro-
motrice n Heu, cl allnht se réunir dans in parile du
circuit opposée A ces points. »• »» . » • »-C'cslcetéiat
de l'électricité dans une série de corps élcctromotcurs et
conducteurs, que je nommerai, pour abréger, courant
électrique} et comme j'aurai sans cesse A parler des deux
sens opposés suivant lesquels se meuvent les deux élec-
tricités , je sous-entendra! toutes les fois qu'il en sera
question, pour éviter une répétition fastidieuse, aptes
les mots sens da courant électrique t ceux-ci : de Y élec-
tricité positive} en sorte que s'il est question, par exem-
ple, d'une pile vollaîque, l'expression : direction du
courant électrique dans In pile t désignera la direction
qui va de l'extrémité où l'hydrogène sc dégage dans Is
décomposition de l'ean, A celle où l'on obtient de l'osi-
cene} et celle-ci i direction du courant électriqutt dans te.
conducteur qui établit ia communication entre les deux
extrémités de la pile, désignera la direction qui va, au
contraire, de l'extrémité où le produit l'oxigène A celle où
se développe l'hydrogène.

AMPÈRE (1775-1836), cité in Annales de Chimie et de Physique, 1820 (Tome 15).


Ill

• Commentaires
On peut constater dans ce cas une grande similitude entre le
raisonnement spontané des élèves et celui des physiciens du
début du 19 e siècle. Cependant l'origine de ce raisonnement est
fort différente.
- Pour les physiciens, le paradigme du scheme de décharge
de l'électrostatique est très pregnant dans leur esprit j u s -
qu'en 1840 ; la pile est considérée comme u n condensateur à
charge et décharge continues. Ils envisagent donc les effets
malgré une dans le circuit (dont la notion ne se dégagera que vers 1820-
apparente 1825) comme la conséquence de deux courants antagonistes.
similitude les deux De plus, pour mieux répondre aux phénomènes observés et aux
modèles se premières mesures effectuées, ils feront évoluer le modèle en le
distinguent sur de complexiflant tout en mettant en place progressivement le
nombreux points modèle circulatoire de courant unique qui ne s'imposera que
dans la deuxième partie du 19 e siècle.
- Pour les élèves, il semblerait que la nécessité expérimentale de
placer deux fils pour alimenter une ampoule par une pile ayant
deux bornes différenciées soit à l'origine de l'utilisation spon-
tanée du modèle des courants antagonistes. Les élèves de 10
ans n'ayant aucune idée des phénomènes électrostatiques, ils
n'envisagent pas la pile comme un condensateur (bien qu'ils la
considèrent comme un réservoir d'électricité) ayant la possibilité
de se décharger et se recharger. Cependant, le vécu de l'élève
(observation d'étincelles lors du branchement d'une fiche dans
une prise) pourrait renforcer l'induction vers ce modèle.
Enfin, l'introduction du modèle circulatoire de courant unique
fait disparaître rapidement le modèle précédent. Les deux
modèles ne semblent pas coexister dans l'esprit des élèves.

2.4. Stratégie pédagogique adoptée dans les


séquences d'enseignement
• La question de la prise en compte des
raisonnements spontanés des élèves dans
l'enseignement
Les séquences d'enseignement s'adressant à des élèves de 13-
14 ans en classe de quatrième (en respectant le niveau où se fait
l'introduction du modèle du courant dans les programmes
officiels), nous avons vu que les études de didactique relatives
à ce sujet avaient mis essentiellement en évidence deux modè-
les spontanés utilisés par les élèves dans le champ couvert par
les situations envisagées. Rappelons que ces deux modèles
principaux sont :
- modèle des courants antagonistes
- modèle circulatoire d'un courant unique avec épuisement.
Faut-il prendre en compte ces modèles spontanés ou faut-il les
ignorer purement et simplement en imposant le modèle scien-
tifique ?
112

Ce deuxième point de vue revient à admettre que la chose


enseignée efface automatiquement la connaissance spontanée
antérieure. Or depuis les travaux de Piaget, nous savons qu'un
élève n'est pas vierge devant la connaissance, que des
structures cognitives existent dans l'esprit de l'élève et
qu'elles interfèrent avec les apports nouveaux. Dans l'en-
seignement traditionnel, on adopte le deuxième point de vue, on
ignore totalement les connaissances et modes de raisonnement
spontanés de l'élève ce qui conduit inconsciemment l'élève à les
refouler temporairement. Citons à ce propos une publication de
l'équipe de didactique des sciences de l'INRP en 1980 ll8) : «ce
traditionnellement, qu'ilfaut voir, c'est que si les représentations sont ignorées, elles
l'enseignement ne sont pas en réalité évacuées, elles sont seulement refoulées...
ignore les le sujet n'acquiert qu'une illusion de savoir : un savoir purement
représentations verbal, l'application stéréotypée d'une recette, mais les vieilles
des élèves conceptions reparaîtront à la première occasion un peu inhabi-
tuelle.»
Le savoir implicite constitue un obstacle majeur pour
l'enseignement et il est indispensable de le prendre en
compte ! Mais comment ? Faut-il comme Bachelard le propose
détruire la connaissance antérieure ? »L'esprit scienttßque ne
peut se constituer qu'en détruisant l'esprit non scientifique»(19).
Ou encore faut-il, comme le propose un groupe de chercheurs
de l'INRP, se servir des représentations des élèves comme
d'une voie d'approche pour l'enseignant dans la construction
d'une stratégie pédagogique'20'. L'enseignant devant les rec-
tifier pour en faire, pour l'élève, progressivement un savoir
scientifique. Mais cela ne revient-il pas à les détruire d'une
certaine manière ? Dans cette dernière approche l'enfant est
actif, il est lui-même partie prenante dans la construction de
ses connaissances.
Ces deux approches sont extrêmes et une approche plus
nuancée doit être prise en compte. Mais à ce niveau se pose une
doit-on faire question : que ce soit par destruction ou évolution doit-on
disparaître les foire disparaître les raisonnements naturels ? Cette ques-
raisonnements tion a été posée par J.L. Closset (21) dans sa thèse. Citons-la :
spontanés des *Dans l'immense majorité des cas, nous y répondons le plus
élèves ? clairement qui soü : non. Ein effet, le savoir commun n'a rien
d'une tare génétique : le plus souvent, ÜestutÜe.tts'estd'ailleurs
construit en fonction de nécessaês opératoires et y répond en
général d'une façon plus simple, plus rapide et finalement plus
efficace que le savoir scientifique.» et encore : «On en arrive à
cette situation paradoxale, à savoir que les raisonnements faux

(18) HOST (coord) «Activités d'éveil scientifiques à l'école élémentaire -


Démarchespédagogiques eninitiationphysique et technologique», Paris,
INRP, collection Recherches Pédagogiques, 108,1980.
(19) BACHELARD G., «Laformation de l'esprit scientifique», Paris, Vrin,
1938.
(20) HOST (coord.), op. cit. note 18
(21 ) CLOSSET J-L., Le raisonnement séquentiel en électrocinétique, Thèse
de 3e cycle, Paris 7,1983.
113

conduisent à des résultatsjustes là où des raisonnementsjustes


ne permettraient pas de conclure.*
Parmi les raisonnements spontanés utilisés par les élèves on
peut déterminer trois catégories :
une - les raisonnements naturels qui sont pleinement compati-
catégorisation bles avec la connaissance scientifique. Ils devraient être
peut être réalisée privilégiés par renseignement ;
en ce qui - ceux qui sont illégitimes mais qui encadrés par l'expé-
concerne les
différents rience et le contact direct avec le réel, conduisent à des
raisonnements prévisions correctes et sont utiles voire indispensables. Il ne
spontanés des semble pas nécessaire de les modifier dans un premier temps ;
élèves - ceux qui engendrent l'erreur, car utilisés en dehors des
situations pour lesquelles ils étaient opératoires. Il sera néces-
saire de les modifier.
Ces deux approches, avons-nous dit, tendent à détruire les
raisonnements spontanés ; or on peut émettre l'hypothèse, à
un certain partir des résultats d'un certain nombre de travaux, que ces
nombre de représentations sont indestructibles. En effet, il a été montré
travaux montrent dans des recherches menées à l'INRP(22) que, si celles-ci ont pu
que ces être remplacées dans l'esprit des élèves par un savoir scienti-
représentations fique dans des situations données, dès que l'élève se retrouve
seraient dans une situation nouvelle inconnue de lui, il aura tendance
indestructibles
à réutiliser les schemes spontanés construits antérieurement.
• La prise en compte des raisonnements spontanés
par les élèves eux-mêmes
Si on se place maintenant du point de vue de l'élève, apprendre
la physique, c'est construire, à côté d'un savoir commun déjà
structuré et opératoire, un savoir scientifique dont les moda-
lités de construction sont différentes.
Du point de vue opératoire, le savoir commun est en général
plus rapide à mobiliser et demande moins d'efforts que le savoir
scientifique. Le savoir commun faisant intervenir des relations
moins complexes que celles qui sont mises en œuvre par la
connaissance scientifique. Mais le mode de structuration du
savoir scientifique est souvent en rupture avec l'ancienne.
Citons à ce propos A. Kerlan (23) : *On objectera que les obstacles
construire du épistémologiques sont des exemples incontestables de
savoir scientifique, l'interférence de l'ordre subjectif et de l'ordre scientifique. Mais
c'est rompre c'est précisément ce en quoi ils constituent des obstacles. Les
souvent avec franchir implique nécessairement la disjonction des deuxordres.
d'anciennes A la notion d'obstacle doit être associée celle de rupture ou de
structures de coupure épistémologique...» Ce que résume Bachelard en : »La
pensée science divise le sujet».
Or si cette rupture semble nécessaire pour ancrer la nouvelle
connaissance, celle-ci n'efface pas l'ancienne. Aussi est-il
nécessaire que les élèves prennent conscience de l'exis-

(22) KERLAN A., «Didactique etépistémologie : éclairages bachelardiens»,


ASTER, 5, Didactique et histoire des sciences, 1987.
(23) Voir note 22
114

aussi faut-il que tence de leurs raisonnements naturels pour être en mesure
les élèves aient de leur assigner des limites au-delà desquelles ils auront à
conscience de s'en défier. Pour atteindre un tel objectif, il est nécessaire :
leurs
représentations - dans un premier temps de déstabiliser le raisonnement
naturel de relève en le mettant en échec ; pour cela, nous
proposons trois étapes :
• faire prendre conscience à l'élève de son mode de raison-
nement spontané en le confrontant par exemple à celui de
ses camarades qui utilisent des raisonnements différents.
Ainsi il faut placer les enfants dans des situations expéri-
mentales ou de pensée où ils pourront exprimer leurs repré-
sentations,
• montrer à l'élève que son mode de raisonnement aboutit
il faut les mettre à des conclusions incompatibles avec l'expérience dans
en échec de certains cas,
différentes
manières pour • lorsque cela s'y prête, essayer de délimiter les situations où
renforcer la prise son raisonnement est compatible avec l'expérience, des
de conscience situations où il ne l'est pas ;
- dans un deuxième temps, nous proposons l'utilisation de
textes historiques pour montrer aux élèves que les physi-
ciens ayant étudié les premiers ces situations ont eu le
même genre d'obstacles à surmonter (même si les situations
l'HST peut des élèves et des premiers physiciens ne sont pas totalement
permettre un semblables). L'objectif visé par l'introduction de l'histoire des
renforcement de sciences est de créer une relation sciences-société qui n'est
type social pratiquement pas envisagée actuellement. Mais principalement
l'utilisation de textes historiques vise à renforcer l'ancrage du
mode de raisonnement scientifique que l'on désire faire acquérir
aux élèves en leur montrant que les physiciens ont été obligés
de changer leur mode de raisonnement. On peut émettre
l'hypothèse que ce renforcement de type social (les physi-
ciens faisant partie de la communauté scientifique) permettra
une rupture plus profonde que celle qui s'appuie actuellement
sur la confrontation avec l'expérience ;
une confrontation - dans un troisième temps, à l'aide de diverses situations
des différents
modèles à expérimentales e t aussi de textes historiques, mettre en
l'expérience est place un raisonnement scientifique. Cela ne peut avoir lieu
toujours sans l'aide du professeur qui doit servir de guide. Si on néglige
nécessaire cette dernière étape, le raisonnement naturel peut s'adapter et
même sortir renforcé du conflit cognitif créé dans la première
étape. L'histoire des sciences, là encore, permettant d'étayer,
par son aspect social et institutionnel, l'ancrage dans l'esprit
des élèves du modèle scientifique.

2.5. Exemple de séquence expérimentée avec des


élèves : Ampère et le sens conventionnel du
courant
L'extrait des Annales de physique et chimie (p. 110) montre
dans quelles conditions Ampère introduit le concept de courant
électrique et propose u n sens conventionnel pour celui-ci.
115

Problématique et stratégie d'enseignement


er
En 1 cycle, l'introduction du sens conventionnel du courant
dans les conducteurs métalliques puis celle du modèle élec-
tronique du courant posent des problèmes à un nombre
important d'élèves. En effet, on constate que ces élèves ont du
mal à mémoriser le sens conventionnel du courant, le confon-
dant avec le sens du déplacement des électrons de conduction
du conducteur métallique. Quelques entretiens individuels
avec des élèves ont permis de cerner les principales raisons de
ces difficultés.
Les élèves ne comprennent pas les raisons du choix du sens
conventionnel du courant. La plupart du temps, ce sens leur
est imposé de façon dogmatique sans la moindre explication.
les élèves ne Les expériences présentées (celle d'CErsted avec l'aiguille
comprennent pas aimantée ou celle où on observe le sens de rotation d'un petit
les raisons de moteur ou encore celle de l'électrolyse de l'eau par exemple)
l'existence de justifient, en partie l'hypothèse d'un courant unique (à condition
deux modèles de de déplacer l'aiguille ou le moteur le long du circuit ou encore
courant dans les
métaux l'électrolyseur), mais en rien le sens particulier choisi par
Ampère.
Les élèves sont perturbés par l'introduction, quelques se-
maines après, du modèle électronique du courant faisant
intervenir des charges électriques élémentaires négatives se
déplaçant en sens inverse du sens conventionnel. La com-
préhension de cette modélisation demande la connaissance
préalable du modèle simplifié de l'atome et de son opérationna-
lisation sur quelques phénomènes qu'il permet d'expliquer.
Enfin ces deux modèles de courant unique viennent se
superposer au modèle spontané de courants antagonistes
qui est présent dans l'esprit de plus de la moitié des élèves de
quatrième avant d'aborder ces notions. Actuellement, il n'est
absolument pas tenu compte des représentations préalables
des élèves dans les séquences d'enseignement traditionnelles.
Nous avons donc émis l'hypothèse que ces différents éléments
créent un obstacle à l'assimilation et l'opérationnalisation par
les élèves de ces deux modèles d'apparence contradictoire.
Aussi, pour permettre aux enfants de mieux comprendre,
accepter et rendre opératoire ces deux modèles, nous pensons
qu'une articulation entre la prise de conscience de leur propre
représentation, l'utilisation de quelques éléments d'HS et la
réalisation de quelques expériences, est susceptible de les aider
à surmonter l'obstacle précédemment décrit.
• Émergence des représentations des élèves sur le
courant électrique

faire émerger les Dans un premier temps, il est indispensable de faire émerger les
représentations représentations des élèves sur le courant électrique (avant que
des élèves les deux modèles ne soient abordés) dans les deux buts
suivants :
- pour que le professeur puisse construire sa séquence en
fonction de celles-ci
116

- pour que les élèves puissent prendre conscience de leur


propre mode de raisonnement spontané et de celui de leurs
camarades.
Pour cela, dans les classes de l'expérimentation nous avons
utilisé un questionnement de type papier-crayon.

«Pour expliquer V expérience schématisée ci-dessous, choisis laphrase qui te paraît


la plus correcte :

1. Un courant circule de la borne + de la pile vers l'ampoule.


2. Un courant circule de la borne + de la pile vers la borne - en passant par
l'ampoule.
3. Deux courants circulent en partant l'un de la borne +, l'autre de la borne - de la
pile. Ils se rencontrent dans l'ampoule.»

Avec les élèves de deux classes de quatrième, environ les deux


leur faire prendre tiers d'entre eux choisissent le modèle des courants antagonis-
conscience que tes et un tiers celui du courant unique circulant d'une borne à
leurs camarades l'autre de la pile. Le modèle unìfìlaire avec arrêt du courant
n'ont pas dans l'ampoule n'est pratiquement pas choisi par les élèves.
forcément la
même Cette étude, dans un deuxième temps, est réinvestie en classe
représentation pour faire prendre conscience aux élèves que leur propre mode
qu'eux de raisonnement n'est pas isolé dans la classe, qu'ils sont
plusieurs à penser de la même manière, mais que d'autres n'ont
pas le même modèle explicatif spontané qu'eux.
• Utilisation du texte d'Ampère et Introduction du
sens conventionnel du courant
Ce texte permet de faire prendre conscience aux élèves que les
physiciens du début du 19 e siècle expliquaient ce type de phé-
le texte d'Ampère nomène sensiblement comme eux et de leur présenter la raison
permet aux du choix du sens conventionnel par Ampère. A propos de la
élèves de prendre comparaison du modèle des courants antagonistes des élèves
conscience que et des premiers physiciens, on pourra se reporter à l'analyse
les physiciens du comparative citée plus haut (p. 111).
19° siècle avaient
des idées assez Ce texte est difficile à comprendre pour de jeunes élèves et
semblables nécessite de prendre certaines précautions. Deux sortes de
difficultés ont été rencontrées par les élèves :
117

Du point de vue du vocabulaire :


l'action électromotrice : action de mise en mouvement de
l'électricité par la pile ;
Corps électromoteurs : corps pouvant provoquer une action
électromotrice : pile par exemple à l'époque ;
Confusion entre direction et sens dans le texte : les élèves font
eux-mêmes cette confusion ;
Qxigène oxygène (orthographe différente au début du 19 e
siècle).
- Du point de vue des tournures de phrases : la deuxième partie
du texte n'est constituée que par une phrase compliquée et très
longue. Il est nécessaire de la couper en plusieurs parties
limitées par les points-virgules. En absence de manipulation et
de schématisation cette partie du texte est incompréhensible
par de jeunes élèves.
Dans l'expérimentation, nous avons partagé le texte en deux
parties.
La première partie, traitée collectivement, permet de faire
trouver par les élèves qu'Ampère propose une explication assez
semblable à celles d'un grand nombre d'élèves de la classe.
Cette partie est assez simple (à part quelques mots à expliquer)
et la mise en relation entre leurs représentation et l'explication
d'Ampère est facilement réalisée par les élèves.
La deuxième partie qui explique les raisons du choix par
Ampère d'un sens conventionnel pour le courant est aussi sans
grande difficulté pour les élèves. Par contre, la fin de cette partie
est plus délicate en raison de la longueur de la phrase dans
laquelle Ampère définit le sens conventionnel du courant d'une
part dans la pile et d'autre part dans le conducteur réunissant
pour une bonne ses bornes. Pour permettre la compréhension et donc la déter-
compréhension mination par les élèves eux-mêmes du sens conventionnel du
du texte, la courant, sa reformulation en termes plus simples, il est indis-
réalisation de pensable de faire réaliser l'expérience par les élèves et de la
l'expérience faire schématiser en indiquant le sens conventionnel dans la
décrite et sa pile et dans le reste d u circuit. Il est intéressant alors de faire
schématisation porter les signes des deux bornes de la pile sur le schéma, pour
sont nécessaires
permettre ensuite aux élèves de trouver plus facilement une
formulation plus simple à mémoriser.
En prenant ces précautions, les tâches d'expérimentation, de
schématisation et de reformulation du sens conventionnel
choisi par Ampère ne posent pratiquement pas de difficultés à
des élèves de quatrième.
• Expériences complémentaires pour montrer que le
modèle des courants antagonistes n'est pas
opératoire pour expliquer certains phénomènes
nouvelles A ce moment de la séquence d'enseignement, il est important de
confrontations faire manipuler les élèves pour qu'ils s'aperçoivent par eux-
des modèles à
des expériences mêmes que le modèle des courants antagonistes ne permet pas
de comprendre certaines observations expérimentales.
118

Nous avons fait réaliser par les élèves les manipulations


suivantes :
1 - Dans un circuit constitué d'un générateur et d'une ampoule
adaptée, nous leur avons demandé de placer à différents
endroits du circuit une aiguille aimantée sous le fil et de noter
le sens de déviation de l'aiguille (en circuit ouvert, le fil est placé
parallèlement à l'aiguille aimantée).
2 - Dans un circuit similaire, nous leur avons demandé de
placer un petit moteur d'un côté puis de l'autre de l'ampoule et
de noter le sens de rotation du moteur.
3 - Enfin de recommencer ces expériences en intervertissant
les connexions des fils sur les bornes du générateur.
A la suite de cette phase d'observation, il a été demandé de dire
quel(s) modèle(s) des deux présentés (des courants antagonis-
tes et du courant unique) permet(tent) de rendre compte des
observations faites dans :
- la manipulation 1
- la manipulation 2
- la manipulation 3 par rapport successivement aux manipu-
lations 1 et 2.
résultats et En ce qui concerne les observations 1,2 et 3 la quasi-totalité des
difficultés élèves ont réalisé des observations correctes (à noter que
rencontrées par quelques élèves ont eu du mal à respecter les consignes de la
les élèves
première manipulation, en particulier à placer le fil du circuit
ouvert parallèle à l'aiguille).
Pour l'interprétation de ces observations avec l'un ou l'autre des
modèles disponibles, les élèves ont éprouvé quelques difficultés
en raison du passage du niveau phénoménologique à un niveau
d'abstraction. Cependant, environ deux élèves sur trois ont
bien exprimé que le modèle des courants antagonistes leur
semblait inadapté pour expliquer ces phénomènes. Le modèle
du courant unique leur permet de comprendre pourquoi l'aiguille
aimantée ou le moteur tournent dans le même sens tout le long
du circuit.
Par contre les comparaisons entre la manipulation 3 et les
manipulations 1 et 2 et leur interprétation possible avec les
deux modèles n'ont été réussies que par un peu moins d'un
élève sur deux. On peut émettre l'hypothèse que la tâche
intellectuelle demandée aux élèves est, dans ce cas, supérieure
aux capacités moyennes de ces derniers, à ce niveau d'âge, en
raison de la nécessité de mise en relation comparative de trois
observations et la prise en compte successive de deux modèles
abstraits pour les interpréter.
Après une phase de récapitulation collective dans laquelle il a
été montré que seul le modèle du courant unique permet de
unanimité sur comprendre l'ensemble de ces observations, il a été demandé
l'arbitraire du aux élèves si ces diverses observations prouvent le sens du
choix d'Ampère
courant unique décidé par Ampère ? Les réponses ont été
pratiquement unanimes pour indiquer que ces expériences ne
permettent pas de savoir dans quel sens se déplace le courant
unique. Il a été insisté alors sur l'aspect arbitraire de ce choix
effectué par Ampère.
119

• Introduction d u modèle du courant électrique dans


les conducteurs métalliques actuellement accepté
par la communauté scientißoue
Pour éviter que le modèle des courants antagonistes ne soit
renforcé par le texte d'Ampère chez les élèves qui l'avaient
exprimé et ne s'installe chez ceux qui ne l'avaient pas, il est
passer nécessaire d'introduire rapidement ensuite le modèle électroni-
rapidement au que. Cette approche nécessite d'abord comme pré-requis la
modèle
électronique connaissance du modèle simplifié de l'atome. Il est conseillé de
situer dans l'histoire (fin du 19 e siècle) cette hypothèse élec-
tronique de la nature du courant dans les conducteurs métal-
liques.
• Évaluations réalisées de la séquence
Par des entretiens individuels réalisés dans les semaines qui
ont suivi la séquence, la plupart des élèves interrogés ont cité
Ampère. Ils ont ajouté qu'il pensait à l'existence de courants
évaluation dans antagonistes mais que pour des raisons pratiques il a proposé
les semaines qui u n courant unique avec un sens fixé arbitrairement qu'ils
ont suivi... connaissaient tous. Us ont été marqués par le fait que de
nombreux élèves avaient la même idée initiale qu'Ampère et qui
s'est avérée fausse ensuite.
Plus de la moitié des élèves ont dit spontanément avoir apprécié
la présentation d'une connaissance en physique associée au
... positive. savant qui l'a émise pour la première fois. Quelques-uns ont dit
mieux s'en souvenir.
Ainsi, l'utilisation ponctuelle de l'HS en articulation avec des
manipulations peut permettre de motiver et renforcer davan-
tage l'ancrage de connaissances dont l'acquisition posait pro-
blème auparavant.
Un an après la séquence, la question, qui avait été posée pour
faire apparaître les représentations des élèves, leur a été
présentée. Tous les élèves ont choisi le modèle du courant
unique circulant d'une borne à l'autre de la pile. A la question,
... de même un quel est ce sens, 90 % des élèves ont donné la bonne réponse
an après (certains rajoutant le sens des électrons de conduction dans les
conducteurs métalliques). Sur des classes n'ayant pas parti-
cipé à l'expérimentation, un peu moins d'un élève sur deux se
souvient du sens conventionnel du courant un an plus tard et
environ 20 % des élèves choisissent encore le modèle des
courants antagonistes.

CONCLUSION

A l'heure où toutes les instances au niveau national (mais aussi


de nombreux pays) s'interrogent sur les finalités de l'enseigne-
ment scientifique et les moyens à mettre en œuvre pour
augmenter le flux d'élèves scientifiques et techniques dont
notre société a besoin, la réflexion sur un enseignement de
l'HST peut apporter certains éléments de réponse.
120

D'une part, un enseignement de l'HSTdans la formation initiale


des professeurs peut permettre à ces derniers d'acquérir une
véritable culture scientifique en les confrontant aux aspects
philosophiques mais aussi économiques, politiques et sociaux
de la science et de la technique. Cette possibilité de prise de
recul par rapport a u savoir disciplinaire reçu ne peut être que
bénéfique. C'est pour eux l'occasion de remettre en cause des
représentations sociales sur la science et de s'interroger sur les
obstacles rencontrés parles chercheurs lors de l'élaboration du
savoir scientifique.
D'autre part, l'introduction d'un enseignement d'HST dans les
collèges et lycées présente u n double intérêt pour l'enseigne-
ment scientifique.
- Pour les professeurs, il peut être l'occasion d'une réflexion
sur leurs pratiques pédagogiques en développant l'ouverture
de leur enseignement disciplinaire vers les disciplines voisines.
En effet, u n enseignement de l'HST tel qu'il a été présenté ne
p e u t être, en ce qui concerne l'aspect culturel, que
pluridisciplinaire. Par ailleurs, il peut inciter les professeurs, à
propos de certains obstacles didactiques majeurs, à utiliser un
modèle pédagogique constructiviste prenant en compte les
représentations des élèves.
- Pour les élèves, le contact même partiel avec l'HST peut être
l'occasion de modifier un certain nombre de leurs représen-
tations sur la science en général mais aussi en ce qui
concerne des points particuliers du savoir scientifique
qu'ils ont à construire. Cette double approche ayant pour but
de construire des éléments d'une réelle culture scientifique
ouverte vers l'histoire des idées mais aussi les relations science-
technique et société. Elle est souvent une source de motivation
vis-à-vis de l'enseignement des sciences. C'est aussi u n élément
pour lutter contre 4'insularisation des savoirs liés à la division
en disciplines juxtaposées»(24) mais au-delà de la modification
des idées des élèves sur la science, un tel enseignement peut
amener l'élève à réfléchir sur ses représentations sponta-
nées et son mode de raisonnement intuitif. Cette orientation
métacognitive des apprentissages, liée à l'utilisation de l'HST,
pourrait donner u n caractère innovant à cet enseignement.
Malgré toutes les réserves spontanément émises sur l'introduc-
tion de l'HST par les scientifiques et les enseignants des
sciences, les orientations culturelles et métacognitives méri-
tent d'être des axes de recherches en didactique des sciences
dans les prochaines années.

Pierre FILLON
Collège Charles Péguy, Paris 19 e
Équipe de didactique des sciences
expérimentales, INRP

(24) Rapport de l'académie des sciences pour l'histoire des sciences et des
techniques dans l'enseignement scientifique, Institut de France, Aca-
démie des sciences, 1984.

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