Histoire
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Pierre Fillon
(1) Dans la suite de l'article, l'histoire des sciences et des techniques sera
notée HST.
ASTER N°12. 1991. Informatique, regards didactiques. INRP, 29. rue dTJlm. 75230. Paris Cedex 05.
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(2) Le rapport relatif à cette recherche doit être publié dans la collection
Rapports de Recherche à l'INRP au cours de l'année 1991.
(3) FILLON P., La prise en compte des représentations et de V histoire des
sciences peut-elle aider l'élève à construire un concept scientifique ?
Mémoire de DEA de didactique des sciences physiques, Université
Paris 7,1988.
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construire des encore très importantes, n'a abouti que par la maîtrise de
représentations certains concepts scientifiques fondamentaux. Cette approche
des disciplines amène certains élèves à être demandeurs de connaissances
scientifiques plus scientifiques.
ouvertes
Il travaille sur les conditions d'élaboration du savoir et contri-
bue ainsi à la construction de représentations «ouvertes»
des disciplines scolaires et, au delà, des savoirs scientifiques.
Celles-ci peuvent favoriser les résultats des élèves dans la
discipline. Cette hypothèse a été confirmée par les résultats
obtenus lors d'une recherche INRP sur l'articulation CM2-6 e :
*R existe des liens entre la réussite scolaire des élèves dans une
discipline et les représentations que ceux-ci ont de son objet, de
sa fonction, de ses méthodes, de son champ d'application,...
Ainsi des élèves pour qui une discipline scolaire n'a de finalité
qu'elle-même, rencontrent plus de difficultés que ceuxpourqui la
discipline à une utilité sociale ou pratique.» ™
Une enquête auprès d'élèves de collèges montre quelques-unes
de leurs représentations sur les relations STS qui ont été
relevées avant enseignement et comment elles ont évolué après
u n enseignement d'HST qui les avait choisies comme objectifs.
les D'une part, seront présentées celles très ancrées dans l'esprit
représentations des élèves d'une science désintéressée et d'une technique
des élèves sur les orientée vers le profit et les aspects matériels et d'autre part,
relations STS et celle de la technique qui ne serait qu'une application a poste-
leur évolution riori de la science. Ces visions des relations STS chez les élèves
après sont pour les historiens des obstacles à la construction du
enseignement
savoir historique par exemple sur les deux révolutions indus-
trielles au 19 e siècle. Le choix de ces objectifs-obstacles à
dominante socio-économique à l'intérieur du groupe INRP a été
orienté par sa composition pluridisciplinaire. Les séquences
d'enseignement réalisées ont porté sur l'histoire du transport
de l'électricité et de l'éclairage électrique.
«Selon vous, quel facteur joua le rôle le plus important dans le foisonnement des
inventions au 19e siècle : le hasard, Vimagination, Vobservation, le besoin, l'ar-
gent ? Classez-les du plus important au moins important.»
Les élèves privilégient l'imagination (1 élève sur 2) et l'ob-
servation (1 élève sur 3) comme causes des nombreuses
inventions au 19 e siècle. Le hasard, le besoin et surtout l'argent
pour les élèves, n'ont que peu d'influence pour eux. Avant cette question, les
l'imagination et élèves avaient étudié, dans le cadre des programmes de la
l'observation sont classe, les progrès scientifiques et techniques au 19e siècle (la
les principales révolution industrielle). Cet enseignement n'avait pas les ca-
causes des
découvertes au ractéristiques décrites précédemment pour une introduction
19e siècle de raST.
Toujours en quatrième, la question suivante a été posée.
«Selon vous, qu'est-ce qui poussa les hommes à exploiter les inventions nouvelles
a- le désir d'améliorer les conditions de vie
b- le désir de gagner de l'argent
c - la fascination exercée par le progrès
d - le désir de rendre son pays plus puissant ?
Choisissez une réponse parmi les 4 proposées.»
certains pays Le pays dans lequel est faite la découverte semble orienter aussi
semblent favoriser le choix des élèves. A titre d'exemple, les États-Unis sont pour
aux yeux des eux un pays qui permet à u n inventeur de mieux exploiter sa
élèves l'éclosion découverte.
des découvertes
Au cours de discussions de classe (en 1 e r et 2 e cycles), on a pu
cerner une différence entre les images que se font les élèves du
chercheur et d u technicien-découvreur. Dans l'esprit de
beaucoup d'entre eux, le chercheur travaille souvent seul,
sans relation avec la société :
- pour financer ses propres besoins et ses recherches
le technicien a - pour exploiter les résultats de ses recherches
une image - pour participer à la vie politique de la société.
différente du Alors que le technicien est plus en relation avec la société :
scientifique ; il est
plus en relation - c'est u n «bricoleur de génie» qui s'intéresse au quotidien des
avec la société ; il gens
est impliqué - il est plus attaché à l'argent que le savant (il est moins
économiquement désintéressé et doit rechercher des financements pour ses
travaux)
- il s'occupe plus de l'exploitation de ses découvertes.
A la suite d'entretiens individuels, on a relevé aussi bien dans
le 1 e r que le 2 e cycle, que les relations entre la science et la
technique sont mal perçues. Une hiérarchisation existe dans
les élèves voient l'esprit d'une majorité d'élèves : la technique n'est qu'une
la technique application de la science ; elle est moins noble, moins
comme une valorisante que cette dernière. Pour eux, la connaissance
application de la
science technique ne peut être antérieure à la connaissance scientifi-
que. Les élèves n'ont pas idée que :
- des objets techniques fonctionnent parfois sans que l'on
sache scientifiquement pourquoi ;
- les scientifiques ont besoin de nouvelles techniques pour
faire progresser leurs recherches (ex. : appareils de mesures,
d'enregistrement, e t c . ) .
il y a peu de lien Par ailleurs, les élèves ne font pratiquement jamais le lien
entre la science, entre la science et la technique d'une part et la société
la technique et la
société d'autre part :
- les découvertes scientifiques ou techniques ne sont jamais
replacées dans leur contexte historique
- les découvertes ne sont pas impulsées par une volonté
d'exploitation industrielle et commerciale
- les recherches ne sont pas orientées en fonction de besoins
sociaux.
Enfin des entretiens individuels et des discussions de groupe
les élèves ont une ont permis de mettre en évidence que les élèves ont une vision
vision linéaire et linéaire de l'histoire. En effet, ces discussions (avant tout
finaliste de enseignement de l'HST) ont permis de montrer que les élèves
l'histoire avaient des tendances finalistes : toutes les découvertes
scientifiques et techniques antérieure ne peuvent mener qu'à la
situation où nous sommes actuellement. Pour les élèves, la
progression de la recherche scientifique et technique n'est pas
objet de débat, de doute ou de rupture ; ils expriment une idée
de progrès constants, cumulatifs, sans erreurs et sans les
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l'utilisation de dote. Celle-ci peut être utile ou plaisante sous condition d'être
l'anecdote doit limitée et située comme telle. Inversement, un usage trop
être limitée appuyé conduira au renforcement des idées contre lesquelles
nous nous élevions précédemment ; la production scientifique
et technique est réduite à des circonstances hasardeuses, au
«génie» de tel ou tel découvreur...
• L'anachronisme. Pour l'historien, tout anachronisme est a
priori une erreur. Mais être averti du fait n'est pas nécessairement
être protégé du danger. L'anachronisme peut se cacher dans
bien des lieux. Sans faire ici de longs développements
épistémologiques, nous rappellerons pour mémoire tous les
débats de la communauté des historiens sur le rôle de la
personnalité même du chercheur dans la construction de
l'objet historique et du discours sur cet objet. Si la chronologie
des faits doit être rigoureusement établie, celle-ci n'est pas
l'anachronisme donnée au départ mais résulte des choix établis en fonction du
est une erreur en ou des problèmes que l'on se propose de traiter. Mais la
soi chronologie n'est pas l'histoire et c'est dans le travail de
construction d'un discours, d'un récit qui ordonne et relie les
différents éléments de la chronologie que se trouve l'essentiel
du travail de l'historien. Si cette reconstruction est toujours
l'œuvre de quelqu'un, u n risque particulier d'anachronisme
existe avec ÎHST. En effet une de ses particularités est d'être
une histoire jugée ; de ce fait, il est singulièrement difficile
d'analyser les productions historiques, textes ou expérimen-
tations par exemple, en respectant autant que faire se peut les
logiques intellectuelles et scientifiques qui étaient celles de
leurs auteurs.
• Le mythe de l'explication par les origines. Les faits scien-
tifiques qu'il importe de comprendre sont ceux d'aujourd'hui ;
les concepts et théories scientifiques que l'élève doit s'appro-
prier sont ceux d'aujourd'hui. L'EHST n'a pas pour objet de
(dé)montrer une filiation continue, sorte de généalogie que l'on
un enseignement pourrait remonterjusqu'auxorigines. Les théories d'aujourd'hui
d'HST n'implique ne sont pas contenues «potentiellement» dans celles d'hier ou
pas l'idée d'une d'avant-hier. Introduire u n EHST n'est pas construire l'idée
progression d'une progression nécessaire. Ce problème à la fois historique
nécessaire et êpistémologique concerne tous les domaines du passé des
sociétés ; l'enseignement de l'histoire scolaire, à vouloir intro-
duire une compréhension de la succession, privilégie ceux des
événements que l'on présentera dans une relation de cause-
conséquence, et qui apparaîtront alors comme découlant
inéluctablement les u n s des autres. L'EHST par les ruptures et
réorganisations intellectuelles et matérielles qu'il offre à l'étude
est u n moyen de pallier cette difficulté ; mais, les choix des
objets étudiés et les présentations qui seront mises en œuvre
feront place à ce souci.
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2 . CONSIDÉRER AUTREMENT
SES REPRÉSENTATIONS ET MIEUX CONSTRUIRE
UN CONCEPT SCIENTIFIQUE
Cette finalité fixée à l'introduction de 1*HST dans l'enseigne-
ment secondaire de la physique nécessite de la part du profes-
seur les mises en relations suivantes lors de la construction de
séquences pédagogiques :
X
(élèves) (physiciens)
I
Expérimentation ^
\
„ Modèle scientifique
(communauté scientifique)
l'expérience est truction de son propre savoir. Cette prise de conscience de son
confrontée avec modèle explicatif personnel se fait par confrontation à d'autres
le modèle des expériences qu'il ne permet pas d'expliciter (articulation ex-
élèves et le périence-modèle personnel). Cette prise de conscience est
modèle historique renforcée par la comparaison avec le modèle initial proposé
par les physiciens qui conduisait sensiblement aux mêmes
difficultés (articulation modèle historique-modèle personnel).
Ce renforcement social permet une déculpabilisation de l'élève
en modifiant le statut de l'erreur relatif à u n mode de pensée
il y a focalisation spontanée inhérent à la plupart des individus. Il focalise
de l'élève sur l'élève sur l'obstacle qu'il doit franchir avec l'aide de son
l'obstacle professeur pour construire u n savoir scientifique. Cette stra-
tégie, qui intègre 1TIS, a en outre l'avantage de montrer à l'élève
que le savoir scientifique est le résultat d'une construction
humaine avec ses erreurs et ses rectifications.
Pour rendre plus concrètes ces propositions prenons un exemple
de séquence dont une partie a été expérimentée et évaluée dans
le cadre de la recherche INRP sur l'enseignement de l'HST.
Toutes les considérations précédentes ont permis de choisir
une partie extrêmement limitée de l'électrocinétique présentant
u n obstacle majeur à franchir par les élèves : la construction
du concept de courant, dans le cas de circuits électriques
simples en série ne contenant que des conducteurs métal-
liques.
Ce domaine très limité a été particulièrement bien étudié ces
dernières années, aussi bien du point de vue didactique que du
point de vue épistémologique. De plus, il a l'avantage de pouvoir
être abordé aussi bien en 1 e r cycle (classe de quatrième) qu'en
2 e cycle (classe de seconde).
MEMOIRE
Présenté à Vacadémie royale des Sciences, le a oc-
tobre i 8 a o , où 5<? trouve compris le résumé de
ce qui avait été lu à la même Académie les 18
vt a5 septembre i 8 a o , sur les effets des cottrans
électriques.
PAR M. ÀitrfcfcE.
• Commentaires
On peut constater dans ce cas une grande similitude entre le
raisonnement spontané des élèves et celui des physiciens du
début du 19 e siècle. Cependant l'origine de ce raisonnement est
fort différente.
- Pour les physiciens, le paradigme du scheme de décharge
de l'électrostatique est très pregnant dans leur esprit j u s -
qu'en 1840 ; la pile est considérée comme u n condensateur à
charge et décharge continues. Ils envisagent donc les effets
malgré une dans le circuit (dont la notion ne se dégagera que vers 1820-
apparente 1825) comme la conséquence de deux courants antagonistes.
similitude les deux De plus, pour mieux répondre aux phénomènes observés et aux
modèles se premières mesures effectuées, ils feront évoluer le modèle en le
distinguent sur de complexiflant tout en mettant en place progressivement le
nombreux points modèle circulatoire de courant unique qui ne s'imposera que
dans la deuxième partie du 19 e siècle.
- Pour les élèves, il semblerait que la nécessité expérimentale de
placer deux fils pour alimenter une ampoule par une pile ayant
deux bornes différenciées soit à l'origine de l'utilisation spon-
tanée du modèle des courants antagonistes. Les élèves de 10
ans n'ayant aucune idée des phénomènes électrostatiques, ils
n'envisagent pas la pile comme un condensateur (bien qu'ils la
considèrent comme un réservoir d'électricité) ayant la possibilité
de se décharger et se recharger. Cependant, le vécu de l'élève
(observation d'étincelles lors du branchement d'une fiche dans
une prise) pourrait renforcer l'induction vers ce modèle.
Enfin, l'introduction du modèle circulatoire de courant unique
fait disparaître rapidement le modèle précédent. Les deux
modèles ne semblent pas coexister dans l'esprit des élèves.
aussi faut-il que tence de leurs raisonnements naturels pour être en mesure
les élèves aient de leur assigner des limites au-delà desquelles ils auront à
conscience de s'en défier. Pour atteindre un tel objectif, il est nécessaire :
leurs
représentations - dans un premier temps de déstabiliser le raisonnement
naturel de relève en le mettant en échec ; pour cela, nous
proposons trois étapes :
• faire prendre conscience à l'élève de son mode de raison-
nement spontané en le confrontant par exemple à celui de
ses camarades qui utilisent des raisonnements différents.
Ainsi il faut placer les enfants dans des situations expéri-
mentales ou de pensée où ils pourront exprimer leurs repré-
sentations,
• montrer à l'élève que son mode de raisonnement aboutit
il faut les mettre à des conclusions incompatibles avec l'expérience dans
en échec de certains cas,
différentes
manières pour • lorsque cela s'y prête, essayer de délimiter les situations où
renforcer la prise son raisonnement est compatible avec l'expérience, des
de conscience situations où il ne l'est pas ;
- dans un deuxième temps, nous proposons l'utilisation de
textes historiques pour montrer aux élèves que les physi-
ciens ayant étudié les premiers ces situations ont eu le
même genre d'obstacles à surmonter (même si les situations
l'HST peut des élèves et des premiers physiciens ne sont pas totalement
permettre un semblables). L'objectif visé par l'introduction de l'histoire des
renforcement de sciences est de créer une relation sciences-société qui n'est
type social pratiquement pas envisagée actuellement. Mais principalement
l'utilisation de textes historiques vise à renforcer l'ancrage du
mode de raisonnement scientifique que l'on désire faire acquérir
aux élèves en leur montrant que les physiciens ont été obligés
de changer leur mode de raisonnement. On peut émettre
l'hypothèse que ce renforcement de type social (les physi-
ciens faisant partie de la communauté scientifique) permettra
une rupture plus profonde que celle qui s'appuie actuellement
sur la confrontation avec l'expérience ;
une confrontation - dans un troisième temps, à l'aide de diverses situations
des différents
modèles à expérimentales e t aussi de textes historiques, mettre en
l'expérience est place un raisonnement scientifique. Cela ne peut avoir lieu
toujours sans l'aide du professeur qui doit servir de guide. Si on néglige
nécessaire cette dernière étape, le raisonnement naturel peut s'adapter et
même sortir renforcé du conflit cognitif créé dans la première
étape. L'histoire des sciences, là encore, permettant d'étayer,
par son aspect social et institutionnel, l'ancrage dans l'esprit
des élèves du modèle scientifique.
faire émerger les Dans un premier temps, il est indispensable de faire émerger les
représentations représentations des élèves sur le courant électrique (avant que
des élèves les deux modèles ne soient abordés) dans les deux buts
suivants :
- pour que le professeur puisse construire sa séquence en
fonction de celles-ci
116
CONCLUSION
Pierre FILLON
Collège Charles Péguy, Paris 19 e
Équipe de didactique des sciences
expérimentales, INRP
(24) Rapport de l'académie des sciences pour l'histoire des sciences et des
techniques dans l'enseignement scientifique, Institut de France, Aca-
démie des sciences, 1984.