Cerveau 2fpsycho11
Cerveau 2fpsycho11
Cerveau 2fpsycho11
& Psycho
& Psycho
Cerveau
Cerveau
Donner
Donner l’envie
d’appre
d’ap rendre
ndre
Des élèves motivés
• Travailler
avec plaisir
France métro. : 6,95€, Bel. : 8,20€, Lux. : 8,20€, Maroc : 90 MAD, Port. Cont.: 8,90€, Suisse :15 FS, Canada : 11,99 $ CAN., TOM :1170 XPF, DOM : 8,25€
• Être attentif
• Corriger
ses erreurs
Stimuler le cerveau
• La motivation
• L’autonomie
• La mémoire
L’ESSENTIEL
AOÛT - OCTOBRE 2012
M 03690 - 11 - F: 6,95 E - RD
3:HIKNQJ=UU[^Z[:?k@a@b@l@a;
AOÛT
www.cerveauetpsycho.fr
Pour la Science
8 rue Férou, 75278 Paris cedex 06
Standard : Tel. 01 55 42 84 00
C
Site Internet : Philippe Ribeau-Gesippe, assisté de Yoan Bassinet
Marketing : Élise Abib sir d’apprendre que manifestent notamment les
Direction financière : Anne Gusdorf enfants. À l’image de l’Enfant d’éléphant des
Direction du personnel : Marc Laumet
Fabrication : Jérôme Jalabert, assisté de Marianne Sigogne Histoires comme ça de Rudyard Kipling (1865-
Presse et communication : Susan Mackie 1936), les petits sont naturellement d’une « insa-
Directrice de la publication et Gérante : Sylvie Marcé
Conseillers scientifiques : Philippe Boulanger et Hervé This tiable curiosité ». Mais également à l’instar des proches du
Ont également participé à ce numéro : Bettina Debû, héros de cette nouvelle, les adultes sont parfois sourds à ces
Hans Geisemann, Mélanie Jucla.
questions. Quand les réponses qu’obtiennent les enfants ne les
Publicité France
Directeur de la publicité : Jean-François Guillotin satisfont pas, quand ils ne les comprennent pas, quand ils
([email protected]), assisté de Nada Mellouk-Raja n’osent plus en poser, leur curiosité naturelle s’émousse.
Tél. : 01 55 42 84 28 ou 01 55 42 84 97
Télécopieur : 01 43 25 18 29
Service abonnements
Aux enseignants et aux parents de comprendre alors com-
Ginette Bouffaré : Tél. : 01 55 42 84 04 ment les motiver pour qu’ils reprennent confiance en eux et
Espace abonnements : laissent à nouveau leur curiosité s’exprimer. Et c’est là que les
http://tinyurl.com/abonnements-pourlascience
Adresse e-mail : [email protected] spécialistes des sciences du cerveau notamment peuvent appor-
Adresse postale : ter leurs connaissances sur la façon dont les élèves apprennent,
Service des abonnements - 8 rue Férou - 75278 Paris cedex 06
sur leurs motivations, leurs erreurs de raisonnement, mais aussi
Commande de magazines ou de livres :
0805 655 255 (numéro vert) leurs difficultés, telles que l’inattention ou la dyslexie. Ces
Diffusion de Cerveau & Psycho : diverses connaissances peuvent aider les enfants, y compris
Contact kiosques : À juste titres ; Benjamin Boutonnet
Tel : 04 88 15 12 41 ceux qui se rebellent ou se résignent, à retrouver le plaisir d’ap-
Canada : Edipresse : 945, avenue Beaumont, Montréal, Québec, prendre. Dans sa lettre aux instituteurs rédigée en 1883, le
H3N 1W3 Canada.
Suisse : Servidis : Chemin des châlets, 1979 Chavannes - 2 - Bogis ministre de l’Instruction publique Jules Ferry qualifiait la tâche
Belgique : La Caravelle : 303, rue du Pré-aux-oies - 1130 Bruxelles des maîtres « d’une très grande importance – extrêmement
Autres pays : Éditions Belin : 8, rue Férou - 75278 Paris Cedex 06
simple, mais extrêmement difficile ».
Toutes les demandes d’autorisation de reproduire, pour le public français
ou francophone, les textes, les photos, les dessins ou les documents
contenus dans la revue « Cerveau & Psycho », doivent être adressées par
L’envie de comprendre devient alors une seconde nature. On
écrit à « Pour la Science S.A.R.L. », 8, rue Férou, 75278 Paris Cedex 06. s’interroge sur chaque expérience de la vie, sur le monde envi-
© Pour la Science S.A.R.L.
Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et de
ronnant, sur les personnes rencontrées, sur soi. Et plus on se
représentation réservés pour tous les pays. Certains articles de ce pose de questions (ou plus on en pose aux personnes compé-
numéro sont publiés en accord avec la revue Spektrum der tentes), plus on mesure son ignorance, ce qui renforce sa curio-
Wissenschaft (© Spektrum der Wissenschaft Verlagsgesellschaft, mbHD-
69126, Heidelberg). En application de la loi du 11 mars 1957, il est sité intellectuelle et son désir de comprendre. Et, pour paraph-
interdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente revue raser Virgile, sans doute faudrait-il dire : « On se lasse de tout,
sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du
droit de copie (20, rue des Grands-Augustins - 75006 Paris).
excepté de comprendre. » Mais pour le poète, les deux étaient
certainement indissociables.
Art et neurosciences
Les troubles de l’apprentissage La leçon de lecture 94
La leçon (1906) de Pierre-Auguste Renoir
analysée par un neurobiologiste.
Les racines de la démotivation 66 François Sellal
Un enfant peut être démotivé ou rebelle. Les motivations
« négatives » doivent être prises en compte à l’école. Test
Alain Lieury et Fabien Fenouillet Êtes-vous motivé ? 96
La maladie de l’inattention 70 Un test simplifié qui vous permettra d’évaluer
la motivation de votre enfant à l’école.
Difficultés de concentration, impulsivité, agitation motrice :
les troubles de l’attention touchent un enfant sur 20.
Vania Herbillon
Des problèmes de calcul
et de lecture 76
Les mécanismes neurobiologiques impliqués dans
les difficultés de lecture et de calcul se dévoilent.
Ce numéro comporte un encart d’abonnement Cerveau & Psycho broché
Yves Chaix et Jean-François Demonet en p. 32 de la totalité du tirage et une offre d’abonnement en p. 21.
Préface
Donner
l’envie d’apprendre
L’« envie » nous pousse à apprendre et à agir.
C’est une autre façon de nommer la motivation, qui permet
notamment aux élèves de réussir leur « métier » : acquérir
des connaissances pour s’épanouir.
L
des situations ludiques ou d’apprentissage en
« dynamisme » du comportement, groupes. Quand le contexte change, l’intérêt et
ce que l’on nomme communément donc la motivation disparaissent…
« l’envie ». Mais l’envie n’est qu’une Pour comprendre les effets de la motiva-
des multiples formes de la motiva- tion, il faut en démêler les causes et d’abord
tion. Étymologiquement, le terme motivation définir précisément le phénomène. C’est ce à
vient du verbe latin moveo qui signifie mouvoir, quoi travaillent les chercheurs qui étudient
bouger. Depuis quelques dizaines d’années, les non pas la motivation, mais les motivations,
chercheurs en psychologie tentent de compren- qu’elles soient positives ou négatives, tel le
dre ce dynamisme, c’est-à-dire ce qui motive découragement. Pourquoi un enfant motivé
l’homme à agir et l’enfant à apprendre. À la fin perd-il cet élan et cette soif d’apprendre qui
du XIXe siècle, les scientifiques cherchaient à caractérisent les petits ? Comment redonner
comprendre l’instinct plus que la motivation, l’envie d’apprendre à ceux qui l’ont perdue ?
mais ce terme est aujourd’hui tombé en désué- Comment éviter que des enfants ne se rebel-
tude quand il s’agit de motivation humaine ; il lent contre le système et ne se mettent en
Fabien Fenouillet
est réservé à l’étude du comportement animal. marge de l’école, et très vite de la société ? En
est professeur Toutefois, il persiste dans quelques expressions, étudiant précisément les différentes facettes
de psychologie par exemple l’instinct maternel (la motivation des phénomènes « motivationnels ».
cognitive
et coresponsable d’une mère à s’occuper de son enfant).
du master 2 Pour parler de motivation, on emploie sou- Un phénomène
de Psychologie vent, outre l’instinct, des termes tels que besoin,
cognitive appliquée curiosité, envie, intérêt ou encore plaisir. Il est
aux nombreuses facettes
à l’Université Paris- équivalent de dire qu’un élève est motivé pour La motivation peut être étudiée comme phé-
Ouest-Nanterre- apprendre ou que ce qu’il apprend l’intéresse, nomène global, mais aussi en tant qu’ensem-
La Défense. mais dans ce second cas, on comprend mieux ble de manifestations – par exemple le but à
Alain Lieury pourquoi il apprend. Un élève intéressé, et atteindre et l’intérêt – qui caractérisent des
est professeur donc motivé, est-il plus performant dans ses aspects possibles du dynamisme du compor-
émérite apprentissages qu’un élève qui ne l’est pas ? tement. Il est impossible de dissocier la moti-
de psychologie Pas nécessairement, car la motivation n’est vation des motifs, lesquels peuvent être liés à
cognitive pas le seul déterminant de la réussite scolaire, l’intérêt pour l’activité, à l’estime de soi, aux
de l’Université
et l’intérêt est parfois temporaire. En 1992, buts à atteindre, aux besoins, etc.
Rennes 2,
et ancien directeur Ulrich Schiefele, de l’Université de Postdam en Cependant, avoir un motif pour agir ne
du Laboratoire Allemagne, a proposé le concept d’intérêt suffit pas. De nombreuses théories soulignent
de psychologie « situationnel », qui se manifeste seulement que pour qu’une personne soit motivée, elle
expérimentale. dans le contexte où il émerge, par exemple dans doit non seulement anticiper positivement ce
pocket
t cl a s s iq u e et
nible e n fo r m a
,95 € – D is p o
ente : 6
96 page
s–p r ix d e v Cerveau & Psycho no 52
Face au bruit et à une agitation ininterrompue, chacun
aspire à retrouver calme et sérénité. La méditation permet
d’y parvenir. Elle améliore le bien-être psychique et la santé,
ainsi que la concentration et l’attention des enfants.
En plus de ce dossier, retrouvez les incontournables de Cerveau & Psycho,
par exemple la critique psychologique du film Les Aventures de Tintin.
➔ Feuilletez les premières pages sur www.cerveauetpsycho.fr
➔ Trouvez le kiosque le plus proche sur http://bit.ly/cerveauetpsycho-en-kiosque
La motivation, moteur
de l’apprentissage
Pourquoi un enfant demande-t-il à aller à l’école et à faire
ses devoirs ? Le plaisir d’apprendre, l’estime de soi,
les récompenses, les sanctions et de nombreuses
formes de motivations interviennent.
ourquoi un enfant est-il motivé à ratoire ne se déplace dans son labyrinthe que
P
Fabien Fenouillet
est professeur habiller ses poupées des heures s’il est affamé et récompensé ; à l’Université
de psychologie durant, à jouer tard le soir aux Yale aux États-Unis, Clark Hull a proposé que
cognitive jeux vidéo ou à lire un roman ? la motivation est déterminée par le « besoin »
et coresponsable Pourquoi n’a-t-il pas envie d’aller (de se nourrir) potentialisé par le « renforce-
du master 2 à l’école ou de lire ? Pourquoi certains sont-ils ment » (le rat est récompensé) ; c’est la loi du
de Psychologie si démotivés qu’ils ne peuvent même pas se renforcement. Chez l’animal, le renforcement
cognitive appliquée
à l’Université Paris- lever le matin ? La motivation est l’ensem- positif ou récompense est par exemple la nour-
Ouest-Nanterre- ble des raisons et des facteurs qui influent sur riture dans un labyrinthe. À l’inverse, pour
La Défense. le comportement, la façon d’agir ou de pen- empêcher un pigeon d’agir, on peut, par exem-
Alain Lieury ser. La plupart des situations de la vie quoti- ple, éteindre la lumière : c’est un renforcement
est professeur
dienne, à l’école ou à la maison, mettent en négatif ou punition.
émérite œuvre une forme ou une autre de motiva-
de psychologie tion. Les psychologues tentent depuis long- L’estime de soi
cognitive temps d’expliquer le comportement de l’être
de l’Université humain et ce qui le pousse à agir, mais les Les parents et les enseignants n’ont pas
Rennes 2, théories de la motivation sont récentes. attendu les chercheurs pour trouver cette loi
et ancien directeur Prenons l’exemple de l’apprentissage de du renforcement : c’est le principe de la carotte
du Laboratoire l’élève à l’école. Les récompenses et les puni- et du bâton. De fait, plusieurs études montrent
de psychologie
tions ne suffisent pas à expliquer pourquoi que les compliments, par exemple « Qu’est-ce
expérimentale.
les enfants adorent l’école (ou la détestent) : que tu lis bien ! », et les réprimandes, « Tu
le plaisir d’apprendre et d’autres formes de aurais pu t’appliquer, recommence ! », utilisés
motivation jouent un rôle prépondérant. à l’école fonctionnent selon la loi du renfor-
Les premières recherches expérimentales sur cement. L’enfant doit travailler (c’est le besoin)
la motivation sont nées entre les années 1920 et fait ce qu’il peut pour obtenir des récompen-
et 1950, quand les scientifiques s’intéressaient ses et éviter les punitions (c’est le renforce-
à l’apprentissage... chez l’animal. On utilisait ment). Notons que cette loi est appliquée dans
alors des modèles animaux – le rat et la sou- le monde du marketing : le vendeur est payé
ris notamment – en pensant qu’ils disposaient avec un salaire minimum insuffisant (c’est le
des mêmes mécanismes neuronaux et com- besoin) et il reçoit une prime ou un bénéfice
portementaux que l’homme. Or le rat de labo- à chaque vente (c’est le renforcement).
Le sentiment d’efficacité
ou de compétence
Selon le psychologue américain Albert
Bandura, la motivation est essentiellement
contrôlée par le sentiment d’efficacité per-
sonnelle, qui serait en quelque sorte une
nuance du besoin d’estime. Ce dernier cor-
respond à la vision globale que l’on a de
soi, alors que le sentiment d’efficacité est
plus spécifique de certaines compétences
dans un domaine particulier. Par exemple,
un élève peut avoir une bonne estime de
lui-même, car il est choyé par ses parents
et qu’il a de nombreux copains ; mais cet
enfant peut se sentir faible, voire nul, en
espagnol ou en musique. Son sentiment
Orange Line Media / Shutterstock.com
de la motivation consiste à se fixer un objec- vation a été découverte chez le singe par le psy-
tif supérieur à un standard personnel, de chologue américain Harry Harlow (1905-
sorte que l’individu augmente son efficacité. 1981). Alors que l’on supposait que les singes
L’engagement dans l’action s’explique alors ne travaillaient que pour obtenir une récom-
par le renforcement du sentiment d’efficacité. pense alimentaire (des bananes par exemple),
La connaissance des résultats est nécessaire Harlow a observé avec étonnement qu’ils pou-
pour déterminer mentalement si l’on a pro- vaient faire des jeux (des puzzles), pendant
gressé entre son résultat et son niveau initial. une longue période, sans aucune récompense,
Si la progression est assez importante, elle simplement pour le plaisir de l’activité. Il a
procure un sentiment d’efficacité. donc supposé que certains besoins, telles la
Cette théorie s’applique à de nombreux curiosité et la nécessité de manipuler un objet,
domaines et explique les diverses « passions » correspondent à d’autres motivations, sans
et hobbies qu’on ne peut pas justifier par renforcement. Il les a nommées les motiva-
autant de besoins. Une personne commence tions « intrinsèques », car elles viennent de
une activité par hasard – parce que c’est la soi. Il est alors nécessaire de réinterpréter la
mode, ses parents la lui ont imposée ou elle loi du renforcement comme une autre moti-
veut imiter un ami. Si elle se sent mentale- vation : la motivation « extrinsèque », com-
ment satisfaite (c’est le sentiment d’effica- mandée par des renforcements extérieurs.
cité), elle va se fixer des défis de plus en plus
importants : par exemple, l’enfant réalise des Récompensé par le plaisir
constructions de plus en plus compliquées ;
l’alpiniste tente d’atteindre des sommets tou- E. Deci a confirmé l’existence de la motiva-
jours plus élevés ; le collectionneur de tim- tion intrinsèque chez l’homme ; dans une pre-
bres, d’insectes, de voitures, recherche tou- mière étape, il a proposé à des étudiants de
jours la « pièce » unique. jouer à des puzzles en trois dimensions. La moi-
Alors n’agissons-nous que pour obtenir des tié d’entre eux étaient payés à chaque puzzle
récompenses, dépasser nos limites, battre des réussi, l’autre n’obtenait rien. Dans une seconde
records, et éviter des sanctions ? Non, des étape de libre choix où l’on proposait aux étu-
études plus récentes ont identifié une autre diants d’autres jeux, des magazines ou les
gamme de motivations. Cette forme de moti- mêmes puzzles, seuls les étudiants non payés
continuaient de jouer (voir la figure 3). Ainsi,
quand on renforce une activité (par exemple,
par une récompense monétaire), la motiva-
tion intrinsèque – ici le plaisir de jouer – se
transforme en une motivation extrinsèque…
L’étudiant ne joue plus pour le plaisir, mais
pour obtenir une récompense. Certes, la moti-
vation extrinsèque est efficace, mais elle s’ar-
rête dès que les renforcements disparaissent.
Alors qu’en motivation intrinsèque, l’individu
agit pour le plaisir que lui procure l’activité et
prolonge le jeu. La motivation intrinsèque est
la motivation de la persévérance.
Ensuite, E. Deci et R. Ryan, ainsi que d’au-
tres chercheurs, ont montré que toutes sortes
de renforcements ou de contraintes engen-
drent une diminution de la motivation intrin-
sèque ; c’est par exemple le cas quand l’élève
se sent surveillé, quand on impose un temps
Cerveau & Psycho
limite de jeu ou d’examen, ou quand un pro- misme, etc.), mais à des situations antérieures
fesseur contrôle en permanence le travail et où l’individu aurait intégré qu’il n’avait pas
l’attitude de ses élèves. prise sur le cours des événements.
Que se passe-t-il si la motivation diminue ? Car ce n’est pas le choc électrique (faible dans
L’enfant est-il démotivé ? Il est fréquent d’en- la première phase de l’expérience) qui crée cette
tendre un parent dire que son enfant n’ap- résignation, mais bien le fait de ne pas pouvoir
prend plus, car il est découragé et résigné. À agir. Les scientifiques ont montré que diver-
quoi cela correspond-il ? La démotivation et ses situations engendrent le même état chez
le découragement peuvent avoir des consé- l’homme. Les premiers ont été Caroll Dweck,
quences dramatiques, en ce qui concerne la professeur de psychologie sociale, et ses collè-
réussite scolaire notamment. Les premières gues à l’Université Stanford aux États-Unis. Ils
expériences mettant en évidence ces facet- ont proposé à des élèves de résoudre des pro-
tes de la motivation sont issues des recher- blèmes de réflexion. Quand les expérimenta-
ches chez l’animal. En 1975, le psychologue teurs rendaient les parties infaisables (par
américain Martin Seligman travailla avec exemple en créant des erreurs), certains élè-
deux groupes de chiens. Dans la première ves se résignaient et pensaient qu’ils n’étaient
phase de l’expérience, les chiens du premier pas assez intelligents pour réussir. D’autres
groupe pouvaient éviter un faible choc élec- situations, à l’école notamment, peuvent créer
trique en appuyant sur un bouton, tandis de la résignation. En 1989, Stéphane Ehrlich et
que ceux du second groupe étaient soumis Agnès Florin, à l’Université de Nantes, ont
aux mêmes chocs sans pouvoir les éviter. Dans
la seconde phase de l’expérience, les deux grou-
pes devaient sauter une barrière pour éviter
un choc électrique de forte puissance. Le plaisir d’apprendre est
la motivation de la persévérance.
Le découragement
Les chiens n’ayant pas pu éviter les chocs
dans la première phase ne réagissaient pas dans montré que la surcharge de travail en dictée ou
la seconde ; ils étaient devenus passifs, résignés. en mathématiques (trop de notions à assimi-
Selon M. Seligman, cette passivité a été apprise ler) décourage les élèves. Et en 1996, nous avons
durant la première phase où les chiens étaient constaté que c’est aussi le cas dans l’apprentis-
impuissants. Il a nommé cet état la « résigna- sage des cartes de géographie.
tion apprise ». Ce phénomène est fondamen- Ainsi, il existe trois types de motivations :
tal, car il suggère que, dans de nombreuses extrinsèque et intrinsèque qui sont positives, et
situations, le découragement ou la démotiva- la résignation (ou démotivation) qui est néga-
tion ne sont pas forcément dus à des facteurs tive. Pour en tenir compte, E. Deci et R. Ryan
de personnalité (anxiété, manque de dyna- ont proposé la théorie de l’autodétermination
(en anglais Self-determination Theory), selon jectée. Dans la troisième forme, nommée
laquelle ces trois types de motivations corres- régulation identifiée, l’individu considère l’ac-
pondent à divers degrés du sentiment d’au- tivité comme étant importante pour lui :
tonomie. Quand un individu choisit lui- « J’essaie d’avoir de bonnes notes, car c’est
même son activité, pour le plaisir de la important pour le métier que je voudrais faire
pratiquer, il a un fort sentiment d’autono- plus tard. » Pour la dernière forme de moti-
mie : c’est la motivation intrinsèque. Quand vation extrinsèque, ou régulation intégrée,
son environnement contrôle plus ou moins l’individu réalise une activité peu intéressante,
ses loisirs, la motivation extrinsèque est à mais qui est en accord avec ses valeurs. C’est
l’œuvre. Enfin, quand cette activité n’a plus le cas par exemple du tri sélectif que les éco-
de sens pour lui, il est démotivé. logistes s’astreignent à respecter, alors que cela
E. Deci et R. Ryan ont précisé leur théo- ne présente guère d’intérêt pour eux-mêmes.
rie en distinguant quatre formes de motiva- Robert Vallerand, de l’Université du Québec
tion extrinsèque. L’activité d’un individu peut à Montréal, a proposé une théorie de la moti-
être régulée par des renforcements extérieurs vation qui s’insère dans cette perspective,
(c’est la régulation externe) ; par exemple, mais apporte quelques nuances ; son modèle
l’élève va à l’école parce qu’il y est contraint hiérarchique de la motivation (en anglais
par la loi. Ou bien l’élève se plie aux règles Hierarchical Model of Intrinsic and Extrinsic
sociales : « Je le fais sinon j’aurais honte de Motivation) s’applique notamment au sport,
moi ; je travaille à l’école pour que mes parents et précise pourquoi certains athlètes persévè-
soient fiers de moi. » C’est la régulation intro- rent ou abandonnent. R. Vallerand suppose
que trois formes de motivation intrinsèque
existent : une motivation orientée vers la
connaissance (c’est la découverte), une autre
orientée vers l’accomplissement (c’est la satis-
Besoin d’estime
ou compétence faction d’atteindre des objectifs personnels)
perçue et une orientée vers la recherche de sensations
MOTIVATION
(c’est l’excitation).
INTRINSÈQUE
« a captation de l’attention est cours est plus difficile que par le passé. Deux
pendant 12 années une semaine d’école de récréations quotidiennes –, soit sur une année
six jours avec trois après-midi libres. Elle abou- entière 864 heures de cours pour seulement
tit à la conclusion qu’idéalement, les cours 144 jours d’école. Cette situation a une consé-
devraient être plutôt répartis entre 8 heures 30 quence évidente : les limites de l’attention des
et 12 heures 30, avec un accueil en classe durant enfants sont dépassées. Ainsi, François Testu,
environ 30 minutes. Évidemment, cela pose des professeur de psychologie à l’Université de
difficultés de réorganisation de la vie scolaire Tours, a souligné que les études internatio-
et périscolaire, mais la réalité physiologique est nales d’évaluation des niveaux à l’écrit, en
un fait dont on ne peut faire abstraction. lecture et en compétences mathématiques
Aujourd’hui, les journées d’école sont avaient généralement reculé dans les pays
surchargées au regard des capacités atten- (rares) qui avaient adopté la semaine de qua-
tionnelles naturelles des enfants, a fortiori tre jours au moment de l’entrée en vigueur
dans un contexte où leur attention est déjà de cette mesure (voir l’encadré page 20).
captée de multiples façons par l’environne-
ment. La semaine de quatre jours, en vigueur Des week-ends trop longs ?
depuis 2008, a certainement contribué à cet
état de fait. L’abolition de l’école le samedi Par ailleurs, un certain nombre d’études ont
matin, associée à l’absence de cours le mer- établi que les performances mnésiques sont
credi, crée une situation où toutes les heures meilleures après un week-end d’une journée
sont concentrées sur ces quatre journées. Les et demie comparées à un week-end de deux
écoliers français ont ainsi les journées d’école jours comme avec la semaine actuelle de qua-
les plus longues du monde avec un nombre tre jours. En effet, les rythmes de l’enfant sont
total de jours de scolarité le plus court sur une imposés par des stimulations que l’on nomme
année : chaque journée à l’école élémentaire synchroniseurs, tels que l’heure du coucher et
compte cinq heures et demie de travail péda- celle du réveil, les devoirs, l’heure à laquelle
gogique – sans compter les 30 minutes de commence l’école le matin, etc. Deux jours
d’interruption dus au week-end perturbent
les rythmes de la semaine, avec généralement
un coucher et un lever plus tardifs, et des acti-
L’attention du matin au soir vités qui ne mobilisent pas l’attention au
même moment de la journée. Il faut alors se
e 1960 à 2011, la plupart des études sur l’attention des enfants
D ont utilisé des variantes de l’épreuve des lettres barrées, dite
épreuve de barrage, proposée pour la première fois à la fin du
« recaler » en début de semaine. Plus l’envi-
ronnement des enfants met en place des
périodes longues avec des couchers et des
XIXe siècle par les psychologues Alfred Binet et Benjamin Bourdon,
levers tardifs, plus il est difficile de revenir
et qui visait à évaluer l’attention des enfants. Depuis lors, ces épreu-
au fonctionnement habituel de la semaine.
ves de barrage consistent à retrouver un élément cible (une let-
Dès lors, si l’on se fiait à ces études d’im-
tre particulière) plusieurs fois présent au sein d’une série d’autres
pact des week-ends longs, il serait plus judi-
éléments qu’il faut ignorer (d’autres lettres). En 1967, une expé-
cieux de réintroduire la matinée du samedi.
rience a été mise au point, qui consistait à demander à des sujets,
En juillet 2011, un rapport du Comité de
à plusieurs moments de la journée, de réaliser une épreuve de bar-
pilotage sur les rythmes scolaires a été publié.
rage. Elle a ainsi montré que les performances attentionnelles
Il proposait de porter la durée des horaires
varient au cours de la journée : elles augmentent de façon conti-
nue du matin jusqu’en fin d’après-midi, pour décroître ensuite
scolaires de 8 heures 30 à 15 heures 30, au lieu
durant la soirée, avec cependant une forte baisse aux alentours de
de 16 heures 30. C’est probablement un pas
13 heures. Cette courbe est proche de celle de l’évolution, au cours dans la bonne direction.
de la journée, de la température corporelle – un indicateur impor- Reste la question des vacances d’été, dont la
tant du métabolisme. En conséquence, cette forme d’attention per- longueur pose un certain nombre de difficul-
ceptive fluctue selon des rythmes biologiques. tés. En effet, en imaginant une semaine de cinq
jours, chaque jour comptant une heure d’ap-
prentissages en moins, la durée des apprentis-
sages resterait à peu près équivalente, aux envi-
rons de 864 heures par an. La question qui se
pose aujourd’hui est : ce nombre est-il suffi-
8h00 11h00 13h00 18h00 19h00 sant ? En 1910, le nombre d’heures par an était
de 1310. Ce nombre n’a fait que décroître sur
Pour une tâche à six lettres, le phénomène est performances quotidiennes, que lorsque des
amplifié, et l’avantage d’une mémorisation à élèves maîtrisent un exercice, leur réussite varie
long terme se fait sentir même en soirée. peu en fonction de la journée, alors que pour
Qu’en tirer pour la pratique pédagogique ? un nouvel exercice, la performance est sujette
Le niveau de maîtrise des apprentissages déter- aux variations du cycle circadien. Une épreuve
mine l’équilibre entre ces deux formes d’at- maîtrisée fait appel à des compétences et des
tention. Les règles acquises la veille, telles les routines automatisées : elle nécessite par consé-
opérations arithmétiques, gagneraient à être quent moins d’attention endogène qu’un nou-
pratiquées plus tôt dans la matinée. La décou- vel apprentissage. Dès lors, les activités en classe
verte de stratégies nécessaires aux nouveaux pourraient être également alternées selon leur
apprentissages, comme les accords syntaxiques caractère attractif, le niveau de contrôle atten-
ou les déclinaisons grammaticales, pourrait tionnel qu’elles demandent et le degré de maî-
être appliquée en début d’après-midi. En effet, trise atteint. Par exemple, les tâches mieux maî-
les règles mémorisées de la veille ou la mise trisées ou apprises la veille, requérant moins
en œuvre des stratégies d’apprentissage requiè- de contrôle attentionnel, gagneraient à être
rent plus d’attention endogène. En revanche, réalisées en début de journée.
les travaux de calligraphie, d’appariements Si l’application de ce principe d’ajustement
visuel, spatial ou phonologique à partir de for- des activités scolaires par matière peut être
mes nouvelles, profitant plus aisément à l’at- facilement réalisable en école primaire, elle
tention exogène et sollicitant moins la mémoire nécessite au collège et au lycée de prévoir des
de travail, seraient réalisés en fin de matinée. emplois du temps où les mêmes matières ne
sont pas toujours enseignées dans la semaine
Écriture le matin, aux mêmes heures de la journée. Les évalua-
tions des connaissances ou compétences acqui-
grammaire l’après-midi ? ses dans chaque matière devraient être logi-
Il ne serait guère raisonnable de vouloir quement placées le matin.
graver de telles propositions dans le marbre, Cela signifie aussi que les apprentissages
et de les imposer au corps enseignant. Dans peuvent être déplacés dans la journée au cours
l’idéal, les instituteurs peuvent réfléchir à ce de l’année. Une tâche nouvelle serait abordée
qui, selon eux, relève plutôt de l’attention en fin de matinée pendant quelques semaines,
endogène à pratiquer en début de matinée ou puis à mesure que son assimilation progresse,
en début d’après-midi, et de l’attention exo- elle pourrait être déplacée en début de mati-
gène à réserver plutôt en fin de matinée. née pour laisser le créneau optimal (vers
Le chronopsychologue F. Testu a constaté, 11 heures) libre pour des situations nouvelles
dans ses expériences sur les fluctuations des requérant une attention perceptive optimale.
1 an • 48 € So
3 Esse it
nt
offerts iels
!
au lieu de 69,50 €
En cadeau, le CD Le Cerveau
Un entretien avec le neurologue Yves Agid.
CD audio de 60 minutes - Collection « L’Académie raconte les sciences »
édité par De Vive Voix - Mars 2012 – Valeur : 9,90 € - Réf. 444119
❑ Oui, je m’abonne 1 an et reçois 6 numéros de Cerveau & Psycho + 4 numéros de L’Essentiel Cerveau & Psycho au prix
de 48 € * (au lieu de 69,50 €, prix de vente au numéro).
*Offre valable en France métropolitaine et d’outre-Mer. Pour l’étranger, participation aux frais de port à ajouter au prix de l’abonnement : Europe 11,50 € - autres pays 23 €.
❑ Je préfère m’abonner 2 ans et reçois 12 numéros de Cerveau & Psycho + 8 numéros de L’Essentiel Cerveau & Psycho au prix
de 91 € * (au lieu de 139 €, prix de vente au numéro).
*Offre valable en France métropolitaine et d’outre-Mer. Pour l’étranger, participation aux frais de port à ajouter au prix de l’abonnement : Europe 23 € - autres pays 46 €.
Offre reservée aux nouveaux abonnés, valable jusqu’au 30.11.2012
Quelle que soit la fomule choisie, je reçois en cadeau le CD « Le Cerveau » (444119) et bénéficie des versions numériques
en créant mon compte sur www.cerveauetpsycho.fr
À noter : vos numéros seront expédiés au format classique (21 x 28 cm). Si vous souhaitez les recevoir au format pocket (16,5 x 23 cm), merci de cocher la case ci-contre ❑.
Date d’expiration
Signature obligatoire
CP : Ville : Clé
(les 3 chiffres au dos de votre CB)
Pays : Tél.* :
* Pour le suivi client (faculatif)
Je souhaite recevoir la newsletter Cerveau & Psycho à l’adresse e-mail suivante (à remplir en majuscule) :
ESE11GF –
En application de l’article 27 de la loi du 6 janvier 1978, les informations ci-contre sont indispensables au traitement de votre commande. Elles peuvent donner lieu à l’exercice du droit d’accès et de rectification auprès du groupe
Pour la Science. Par notre intermédiaire, vous pouvez être amené à recevoir des propositions d’organismes partenaires. En cas de refus de votre part, merci de cocher la case ci-contre ❑.
Inhiber
son cerveau
pour raisonner
L’un des moteurs
de l’apprentissage est de corriger
ses erreurs de raisonnement
M. Lightman / Shutterstock.com
L
Olivier Houdé
est professeur brale en particulier apportent indis- psychologique des individus n’échappe au label
de psychologie cutablement des clés pour mieux « neuro », qu’on s’en réjouisse ou qu’on le
à l’Université Paris comprendre les comportements hu- déplore : neuroéconomie, neuropédagogie, etc.,
Descartes. mains normaux et pathologiques. sont de nouveaux champs d’exploration de la
Le domaine médical en offre déjà beaucoup psychologie expérimentale contemporaine.
d’exemples, le domaine de l’économie quel- Cela soulève bien entendu des questions
ques-uns, et ce sera le cas, peut-être plus encore, éthiques, déjà analysées dans le domaine bio-
dans le domaine de l’éducation. Au-delà de la médical, mais qui peuvent se poser aussi dans
le domaine de l’éducation où la réflexion bio-
éducative reste à conduire. Quoi qu’il en soit
et sans céder à une vision trop scientiste et
naïve, voire idéologiquement dangereuse,
En Bref d’une technoscience de l’éducation parfaite-
• Les recherches en « neuropédagogie » peuvent éclairer ment contrôlée et contrôlable, on ne peut
certains mécanismes cognitifs et cérébraux de l’apprentissage. refuser l’idée qu’une recherche pédagogique
• L’apprentissage de l’inhibition de certains automatismes nouvelle, exploitant les ressources actuelles
permet d’éviter les biais de raisonnement. Les élèves de l’imagerie cérébrale, puisse éclairer cer-
prennent ainsi conscience de leurs erreurs de logique. tains mécanismes neurocognitifs d’appren-
• Le cerveau ayant « appris » à inhiber ses erreurs se reconfigure : tissage dont dépendent des phénomènes édu-
le cortex préfrontal contrôle le raisonnement. catifs, sociaux et culturels plus complexes.
L’apprentissage est une modification de la dans le cerveau lorsque, sous l’effet d’un
capacité à réaliser une tâche sous l’effet d’une apprentissage, on passe, au cours d’une même
interaction avec l’environnement. Dès la nais- tâche de raisonnement, d’un mode percep-
sance, le bébé est génétiquement programmé tif facile, automatisé, mais erroné, à un mode
pour apprendre. Il est par exemple capable de logique, difficile et exact. Il y a alors un bas-
reproduire par imitation des modèles (mou- culement des activations cérébrales, de la
vements du visage ou des mains) que lui pré- partie postérieure du cerveau au cortex pré-
sente l’adulte, ce qui montre que son cerveau frontal, ce qui se traduit par une dynamique
est d’emblée réceptif à l’apprentissage culturel cérébrale inverse de celle qui a lieu lors de
humain. Pour l’essentiel, on peut considérer l’automatisation.
qu’il existe, chez l’adulte comme chez l’enfant,
deux formes complémentaires d’apprentissa- Apprendre l’inhibition
ges cognitifs : l’automatisation par la pratique
et le contrôle par l’inhibition. Voyons ce que
avec un professeur
cachent ces notions. Le premier type d’apprentissage, l’auto-
Dans le cas de l’automatisation par la pra- matisation par la pratique, correspond aux
tique, l’imagerie cérébrale fonctionnelle a connaissances générales, bien établies, appri-
permis de montrer que la partie préfrontale ses par la répétition, la mémorisation, et qui
(avant) du cerveau est activée en premier lieu ; doivent être connues de tous (les programmes
en effet, la mise en place des habiletés néces- à l’école par exemple). C’est ce que l’on nomme
site un contrôle exécutif et un effort cognitif « l’intelligence cristallisée » par la culture. À
(apprendre par cœur une liste de mots écrits l’inverse et de façon complémentaire, le second
par exemple). Puis ces habiletés s’automati- type d’apprentissage, le contrôle par l’inhibi-
sent avec la pratique et c’est la partie posté- tion, fait appel à l’imagination, à la capacité de
rieure du cerveau ainsi que les régions sous- changer de stratégie de raisonnement en inhi-
corticales qui prennent le relais. bant les automatismes habituels (eux-mêmes
Dans le cas inverse (on parle de désauto- cristallisés). C’est « l’intelligence fluide ».
matisation), il s’agit d’apprendre à inhiber Apprentissage et intelligence sont étroite-
les automatismes acquis pour changer de ment liés via la culture et le raisonnement.
stratégie cognitive. L’imagerie cérébrale a mis Décrivons de façon plus détaillée l’appren-
en évidence les modifications qui s’opèrent tissage de l’inhibition, forme d’apprentissage
a b c
1. Lors des tests de logique, on demande aux volontaires 90 pour cent des sujets proposent comme réponse : un carré
de déplacer des formes colorées présentées sur un écran d’ordi- rouge à gauche d’un cercle jaune (c).Ils se trompent et commettent
nateur pour répondre à des règles déductives du type : « S’il y a un ce que l’on nomme une erreur perceptive. Pour rendre la règle
carré rouge à gauche, alors il y a un cercle jaune à droite » (a). La fausse, il faut rendre l’antécédent vrai, c’est-à-dire ne pas mettre de
totalité des personnes testées réussit ce problème (b). Mais si on carré rouge à gauche (on met,par exemple,un carré vert) et rendre
demande aux participants de rendre fausse la règle « S’il n’y a pas la conclusion fausse, c’est-à-dire ne pas mettre un cercle jaune à
de carré rouge à gauche, alors il y a un cercle jaune à droite », alors droite (on place, par exemple, un losange bleu à droite).
cognitif (ou plus exactement « métacognitif ») que tous les mêmes erreurs de logique (voir la
explorée ces dernières années par la neuro- figure 1) ; l’apprentissage consiste à inhiber ces
pédagogie expérimentale et absente (pour le biais de raisonnement. Les questions d’appren-
moment) des programmes scolaires. Il s’agit tissage et de plasticité neurocognitive, essen-
d’étudier un mécanisme particulier de correc- tielles en psychologie de l’enfant et de l’ado-
tion d’erreurs dans le cerveau humain. Pour ce lescent, le sont aussi en neurosciences cognitives.
faire, on développe une sorte de « pédagogie Pour l’exemple des erreurs de raisonne-
de laboratoire » : apprendre à l’individu (et à ment logique, nous avons émis l’hypothèse
travers lui à son cerveau) à inhiber ses erreurs que la difficulté des individus tient, dans cer-
systématiques (ou biais) de raisonnement. Par taines situations pièges, à ce que deux straté-
exemple, on propose à des volontaires de dépla- gies de raisonnement entrent en compétition
cer des formes colorées sur un écran d’ordina- et se télescopent dans leur cerveau, l’une per-
teur pour répondre à des règles déductives. Mais ceptive (ou sémantique selon les cas : une
pour certaines règles, les participants font pres- croyance sur le monde), l’autre logique. Face
Lcle en’yjaune
volontaire doit rendre fausse la règle déductive « S’il
a pas de carré rouge à gauche, alors il y a un cer-
à droite », en sélectionnant sur un écran d’or-
exercice préliminaire, en présentant quatre cartes (A,
D, 3 et 7), chacune ayant, d’un côté une lettre, de l’autre
un chiffre. Les quatre cartes sont disposées face aux per-
dinateur deux formes géométriques. Pour améliorer le sonnes testées qui doivent indiquer quelle(s) cartes(s) il
score – mauvais – des participants à ce test (90 pour cent est indispensable de retourner pour vérifier si la règle est
de réponses fausses), on dispose de trois stratégies d’ap- toujours respectée : « S’il y a un A d’un côté d’une carte,
prentissage : l’inhibition de la stratégie perceptive, l’expli- alors il y a un 3 de l’autre. » La réponse erronée corres-
cation logique et la répétition de la tâche. pondant à un biais de raisonnement serait A et 3. Ce pro-
Éliminons d’emblée la troisième qui ne donne aucun résul- blème est connu sous le nom de test de Wason.
tat : la répétition d’une « tâche piège », pour laquelle on ne Pour vérifier la règle, on doit effectivement retourner A
comprend pas l’origine de l’erreur, ne corrige pas l’erreur. pour savoir si oui ou non il y a un 3 au dos, mais il est inu-
Dans la condition d’apprentissage de l’inhibition de la tile de vérifier ce qu’il y a au dos du 3 : ou bien c’est un A et
stratégie perceptive, on tente d’inhiber les biais de rai- la règle n’est pas mise en défaut ; ou bien c’est un D et la
sonnement. Pour ce faire, on émet des « alertes » qui pré- condition requise (il y a un A d’un côté) n’est pas remplie :
viennent le participant des pièges de raisonnement. On dès lors, la carte 3 ne peut pas rendre la règle fausse. En
lui explique d’où vient l’erreur, on le met en garde pour revanche, la seconde carte à tirer est le 7 : si de l’autre côté
qu’il ne tombe pas dans le piège, c’est-à-dire qu’il ne se du 7, on a un A, la règle est fausse ! Ainsi, la réponse cor-
laisse pas abuser par les formes et par les couleurs en recte est A et 7,car seules ces deux cartes sont susceptibles
oubliant la consigne logique. Dans la deuxième stratégie de rendre la règle fausse, c’est-à-dire de présenter un cas
(l’explication logique), on se contente d’expliquer la logi- où l’antécédent est vrai (A) et le conséquent faux (non-3).
que de la tâche sans expliciter les causes des erreurs. Au début de l’apprentissage, tous les participants font
Comment procède-t-on ? Nous proposons d’abord un l’erreur et proposent la paire A et 3 (voir la figure a). On
Exercice préliminaire
a
à cette compétition neuronale, les élèves d’autrui. Par exemple, un professeur mettait en
feraient des erreurs s’ils ne parvenaient pas garde les sujets en leur précisant qu’ils devaient
à inhiber la stratégie perceptive (ou séman- éviter un piège perceptif, une erreur de raison-
tique), sans qu’il s’agisse pour autant d’un nement, et qu’ils ne devaient pas se laisser abu-
manque de logique en tant que tel. ser par les formes ni par les couleurs. C’est
l’apprentissage dit « métacognitif », car il porte
Un apprentissage efficace sur les stratégies cognitives à sélectionner. La
deuxième condition était l’explication logique
Pour le montrer, nous avons d’abord testé, et rationnelle du problème, réalisée par le même
par des études de psychologie expérimentale, professeur. Et le dernier apprentissage était la
l’efficacité de trois conditions d’apprentissage répétition de la tâche, ce qui correspond aux
sur des groupes de sujets indépendants : la pre- effets de la pratique (voir l’encadré ci-dessous).
mière condition consistait à inhiber une stra- Seul l’apprentissage de l’inhibition s’est
tégie perceptive avec des instructions venant révélé efficace, c’est-à-dire source de progrès
réalise alors les deux procédures d’apprentissage choi- gnent le critère d’apprentissage, c’est-à-dire lorsqu’ils sont
sies : l’explication logique (voir le scénario b) et l’appren- capables d’expliquer de façon autonome la résolution
tissage de l’inhibition de la stratégie perceptive (voir le scé- correcte de la tâche de sélection de cartes. Ils finissent
nario c). Dans l’explication logique, on explique de façon par réussir par l’une ou l’autre des procédures (b2 et c2).
« froide » comment réfléchir pour réussir ce test (b1). Sont-elles pour autant équivalentes ? Non, car dans la
Dans l’autre méthode d’apprentissage (c1), le « profes- dernière étape de l’expérience, on refait le test avec la
seur» ne se contente pas de cet enseignement froid, mais tâche initiale (rendre fausse la règle : « S’il n’y a pas de
donne en plus des « conseils d’inhibition », prévient lors- carré rouge à gauche, alors il y a un cercle jaune à
que l’« élève » risque de se laisser abuser par ses per- droite ») et l’on constate que la méthode d’explication
ceptions, fait intervenir une dimension émotionnelle dans logique échoue (b3) tandis que la méthode d’apprentis-
son enseignement qui n’apparaît pas dans la méthode pré- sage de l’inhibition des biais de raisonnement donne des
cédente. La procédure se termine lorsque les sujets attei- résultats meilleurs (c3).
Pendant l’apprentissage Après l’apprentissage
b1 b2 b3
Explication logique
c1 c2 c3
Inhibition de la stratégie
perceptive
2. L’apprentissage de l’inhibition a b
des erreurs de raisonnement se traduit
par une modification du débit sanguin cérébral,
visible en imagerie fonctionnelle. Lorsque
les sujets se trompent quand on leur demande
de rendre fausse la règle logique : « S’il n’y a pas
O. Houdé, CNRS
de carré rouge à gauche, alors il y a un cercle
jaune à droite », le débit sanguin est plus élevé
dans les régions postérieures et perceptives
du cerveau (a). Quand ils ont appris à inhiber
leur erreur, le débit sanguin est modifié, Arrière Avant Arrière Avant
et les régions antérieures (préfrontales)
sont davantage activées (b).
cognitifs transférables aux problèmes logiques fluide se déclenche et s’observe chez l’élève
du même type : le taux de réussite, initialement après l’intervention pédagogique d’autrui.
inférieur à 10 pour cent, a dépassé les 90 pour Éducation et neurosciences peuvent donc se
cent lors de la résolution du second problème. conjuguer ; l’imagerie cérébrale a apporté la
Alors que dans les deux autres conditions (l’ex- visualisation de l’effet pédagogique précé-
plication logique et la pratique), la proportion demment testé en psychologie expérimentale
d’erreurs était comparable au niveau initial face du raisonnement.
à des problèmes du même type. C’est donc le L’adulte, comme l’enfant, peut sans doute
mécanisme exécutif de blocage (l’inhibition) apprendre à inhiber les stratégies inadéquates
qui faisait psychologiquement défaut aux indi- de trois façons : soit en analysant lui-même ses
vidus interrogés et non pas la logique formelle échecs et en constatant ses erreurs, soit par imi-
ou la pratique (comme c’est le cas pour d’au- tation, soit en étant instruit par autrui, comme
tres situations d’apprentissage). dans l’étude réalisée. Dès lors, on pourrait déve-
lopper à l’école une pédagogie de « l’inhibi-
Une façon de penser tion » (au sens positif du terme) et du contrôle
cognitif en général. Or l’école apprend plu-
reconfigurée tôt l’activation des connaissances, dans tou-
Que se passe-t-il dans le cerveau des élèves tes les matières, que l’inhibition cognitive.
avant et après l’apprentissage de l’inhibition Certains psychologues, tels qu’Adele Diamond
de la stratégie perceptive, c’est-à-dire avant et au Canada, testent déjà avec succès, dès l’école
après la correction de l’erreur de raisonnement ? maternelle, des programmes expérimentaux
Existe-t-il un support biologique, neuronal (et de ce type : par exemple, le programme Tools
lequel ?) montrant que les élèves ont appris à of the Mind où l’on apprend aux jeunes enfants
inhiber une stratégie ? Nous avons repris la l’inhibition et le contrôle cognitifs. Aux États-
même expérience en observant l’activité céré- Unis, l’équipe de Michael Posner a montré
brale des sujets par imagerie fonctionnelle comment des exercices de contrôle attention-
avant l’apprentissage avec le professeur, et après. nel modifient le cerveau de jeunes enfants
Nous avons observé une spectaculaire recon- (4-6 ans) dans des régions telles que le cortex
figuration – ou plasticité – des réseaux neu- préfrontal et le cortex cingulaire antérieur.
ronaux, de la partie postérieure du cerveau à Dans une autre étude, nous avons comparé
sa partie antérieure, dite préfrontale (voir la les conséquences cérébrales de l’apprentissage
figure 2). Cette expérience illustre ainsi de de l’inhibition (qui implique des mises en
façon dynamique comment peut se mettre en garde sur le danger du piège perceptif, c’est-à-
place, sous l’effet d’une forme particulière de dire sur l’erreur possible) et de l’apprentissage
pédagogie expérimentale, un processus d’abs- rationnel et logique, que l’on peut considérer
traction par inhibition cognitive (de la comme plus « froid » et scolaire. Au niveau
réponse perceptive à la réponse logique) dans comportemental, nous avons à nouveau trouvé
le cerveau. C’est « le cerveau qui apprend en que seul l’apprentissage de l’inhibition est effi-
inhibant ». En d’autres termes : l’intelligence cace dans les situations pièges étudiées.
En outre, nous avons montré qu’une région sionnés, à juste titre, par leurs recherches et
du cerveau s’active plus lors de l’apprentissage leurs découvertes, ont néanmoins en ce
de l’inhibition que lors de l’apprentissage logi- domaine un devoir d’humilité.
que : c’est le cortex préfrontal ventro-médian
droit. Cette région se situe dans « l’intimité » Neuropédagogie :
du cerveau droit, à l’avant (préfrontal), en bas
(ventro) et au milieu (médian), près du sys-
un devoir d’humilité
tème limbique qui est considéré comme « le D’abord parce qu’il s’agit de premières don-
cerveau des émotions ». nées encore ponctuelles et partielles. Ensuite
Depuis les travaux du neuropsychologue parce qu’il ne faut pas dire aux professeurs des
Antonio Damasio aux États-Unis, on sait que écoles ce qu’ils doivent faire dans leurs classes,
cette région paralimbique est impliquée dans mais simplement les informer, ainsi que les
les relations étroites entre émotion, senti- cadres de l’éducation et hommes politiques,
ment de soi et raisonnement. Dans notre cas, des avancées scientifiques récentes en matière
il s’agit de l’émotion liée au sentiment de d’apprentissages cognitifs et d’intervention
s’être trompé, d’être « tombé dans un piège », pédagogique. Ces découvertes, tel le rôle péda-
mais de pouvoir néanmoins corriger son gogique positif de l’inhibition cognitive et son
erreur de raisonnement ; c’est une émotion apprentissage cérébral, sont parfois contre- Bibliographie
complexe mêlant peur (de se tromper) et intuitives pour les professionnels. Mais elles O. Houdé,
plaisir (de se corriger). C’est ici l’apprentis- peuvent avoir des conséquences importantes La psychologie
sage du contrôle inhibiteur qui déclenche dans la société et l’éducation. de l’enfant, (Que sais-
je ?), Paris, PUF, 2012.
et entretient cette émotion. La pédagogie est un « art » qui doit s’ap-
puyer sur des connaissances scientifiques A. Diamond
et K. Lee, Interventions
Le rôle de l’émotion actualisées. En apportant des indications pré- shown to aid executive
cises sur les capacités et les contraintes du function development
En mesurant la différence de débit sanguin « cerveau qui apprend », la psychologie et in children
cérébral, nous avons confirmé que le cortex l’imagerie cérébrale peuvent aider à expli- 4 to 12 years old,
in Science, vol. 333,
préfrontal ventro-médian droit est activé chez quer, au cas par cas, pourquoi certaines situa- pp. 959-964, 2011.
tous les élèves qui accèdent à la réponse logi- tions d’apprentissage sont efficaces, alors que O. Houdé,
que après l’apprentissage de l’inhibition (donc d’autres ne le sont pas. Par exemple, les résul- First insights
après correction de l’erreur), alors qu’il ne tats exposés ici incitent, face aux blocages, on neuropedagogy
l’est pas chez ceux qui restent dans l’erreur erreurs ou difficultés de certains élèves, à of reasoning, in Thinking
& Reasoning, vol. 13,
après un apprentissage logique « froid ». La tenir compte des résultats acquis en neuro- pp. 81-89, 2007.
théorie d’A. Damasio est une théorie de la pédagogie. En l’occurrence, il s’agit de deux
O. Houdé, Neural
« conscience réflexive », c’est-à-dire que l’émo- mécanismes clés, sans doute liés à des phé- foundations of logical
tion liée au sentiment de soi participe à l’ac- nomènes éducatifs, sociaux et culturels plus and mathematical
tivité cognitive. C’est bien ce que nous obser- complexes : d’une part, l’inhibition de stra- cognition, in Nature
vons : avant l’apprentissage de l’inhibition, les tégies neurocognitives en compétition et, Reviews Neuroscience,
vol. 4, pp. 507-514,
participants ne sont pas conscients (n’ont pas d’autre part, l’émotion associée au sentiment 2003.
le sentiment) qu’ils commettent une erreur de soi, qui paraissent toutes deux utiles au O. Houdé et al.,
de logique (ils pensent tous répondre juste !). cerveau (parfois plus que la pure logique) Access to deductive
Alors qu’après, ils en sont conscients – état dit pour corriger ses erreurs de raisonnement. logic depends
de conscience réflexive. En retour, le monde de l’éducation, bien on a right ventromedial
prefrontal area devoted
Après avoir exposé ces exemples de recher- informé de la pratique quotidienne, pour- to emotion and feeling,
ches en neuropédagogie expérimentale, rappe- rait suggérer des idées originales d’expéri- in NeuroImage, vol. 14,
lons, pour conclure, que les scientifiques, pas- mentation aux neuropédagogues... I pp. 1486-1492, 2001.
ien ne va plus dans le monde de agissent selon cette loi. Dans ces expérien-
R
Alain Lieury
est professeur la notation ! Fin 2010, une péti- ces, des élèves filles, du CM1 à la sixième,
émérite tion s’est élevée contre les notes devaient résoudre le plus de problèmes pos-
de psychologie scolaires et une autre pour leur sibles parmi 30 en 15 minutes, chaque jour,
cognitive maintien, alors que le ministre cinq fois par semaine. Dans un premier
de l’Université de l’Éducation, de son côté, soutenait les groupe, chaque élève était réprimandée
Rennes 2, notes. Que penser d’une telle controverse ? publiquement sans tenir compte des répon-
ancien directeur
du Laboratoire Mais d’abord de quoi parle-t-on ? En fait, il ses correctes. Dans un deuxième groupe,
de psychologie existe deux grandes catégories d’évaluation : chaque élève recevait des compliments (quel
expérimentale. l’« évaluation contrôlante » et l’« évaluation que soit le résultat réel). Il existait aussi un
informative », dont les mécanismes et les groupe « ignoré », et un groupe témoin tra-
effets divergent. vaillant sans exigence de résultats. Le groupe
Les notes peuvent être une façon de contrô- complimenté progressa rapidement pour
ler l’élève, de le « punir » en cas de résultats atteindre une vingtaine de problèmes réso-
insuffisants ou de le récompenser en cas de lus en cinq jours d’entraînement. Tous les
bons résultats. C’est ce qu’on nomme l’éva- autres groupes stagnèrent. Ainsi, les renfor-
luation contrôlante. Elle correspond à la loi cements positifs et négatifs ne sont pas symé-
dite du renforcement, selon laquelle la moti- triques. Mieux vaut encourager que punir.
vation est déterminée par le besoin multiplié
par le renforcement (positif ou récompense, Encourager l’élève
négatif ou punition). Plusieurs expérien-
ces ont montré que les compliments et les En fait, une autre recherche concernant
réprimandes, classiquement utilisés à l’école, l’apprentissage de cartes de géographie par
des étudiants plus âgés a montré que les ren-
forcements négatifs (stigmatisation de « l’in-
compétence ») agissent négativement chez
les étudiants les plus faibles. Toutefois, chez
Les notes sont des chiffres, [...] les étudiants de niveau élevé, les renforce-
c’est aux enseignants de les utiliser ments positifs et négatifs produisent une
augmentation de 50 pour cent des perfor-
comme un outil et non de les faire mances par rapport à des sujets témoins de
ressentir comme un fléau. niveau équivalent. Il faut donc dissocier la
récompense de la punition, et tenir compte
de l’âge des élèves auxquels on s’adresse.
Les notes peuvent aussi constituer une éva- l’élève soit motivé par le simple fait de tra-
luation dite informative. Celle-ci donne à vailler la matière, et non par des gratifica-
l’élève des informations sur le niveau de sa per- tions extérieures) résulte de deux besoins
formance. Une expérience du psychologue fondamentaux : le besoin de se sentir com-
américain Albert Bandura le montre : des étu- pétent et celui de choisir librement ses acti-
diants devaient s’entraîner à soulever des
poids, sous prétexte de mettre au point des
exercices d’aérobic. Trois conditions étaient
prévues : dans une première dite de « but
seul », les étudiants devaient soulever à cha-
que séance 40 pour cent de plus qu’à l’essai
précédent. Dans une deuxième condition dite
de « feedback seul », on informait chaque étu-
diant qu’il avait soulevé tant de kilogrammes.
Il s’agissait en fait d’un chiffre fictif, qui cor-
respondait pour tous les participants à une
progression supposée de 24 pour cent. Enfin,
dans le troisième groupe, nommé « but + feed-
back », on fixait l’objectif – augmenter la per-
Elena Rostunova / Shutterstock.com - Cerveau & Psycho
Clavier ou stylo :
comment apprendre
à écrire ?
La reconnaissance des lettres passe autant par la mémoire
du geste que par la mémoire visuelle. C’est pourquoi
des enfants ayant appris à lire et à écrire avec
un clavier les reconnaissent moins bien ensuite.
Vive l’apprentissage de la calligraphie !
Un programme cérébral
d’écriture
Quand on écrit, l’information nerveuse qui
détermine l’ordre d’écriture des traits consti-
tuant les caractères est codée dans certaines
zones du cerveau : le cortex moteur et le cor-
tex somatosensoriel. Elle forme en quelque
sorte une mémoire du mouvement des sen-
sations qui lui sont associées : on parle de
mémoire sensorimotrice. Or cette mémoire
semble parfois utile chez des personnes pré-
sentant des difficultés de lecture. Ainsi, dans
certains cas d’alexie pure, c’est-à-dire lorsque
des patients porteurs d’une lésion cérébrale
deviennent incapables de reconnaître des
lettres, leur performance est parfois amélio-
Sergei Telegin / Shutterstock
entre la forme visuelle d’un caractère et son que nous avons placé des volontaires dans des
identité est rompu, il est possible d’accéder scanners d’imagerie par résonance magné-
au sens du caractère en faisant appel à sa tique fonctionnelle (IRMf), qui visualisent le
représentation motrice. cerveau en action, et nous leur avons montré
La reconnaissance visuelle des caractères des lettres qu’ils devaient reconnaître.
kanji ne nécessite pas toujours leur exécution L’objectif était de révéler le réseau cérébral
manuelle. Toutefois, des chercheurs se sont mis en jeu lorsque des droitiers observent des
demandé si cette activité motrice ne serait pas lettres. Nous souhaitions aussi nous assurer
mise en jeu de façon automatique dans le cer- que d’éventuelles activations motrices obte-
veau, même en absence de mouvement mani- nues dans cette situation perceptive correspon-
feste. Lors d’une étude d’imagerie cérébrale, daient bien à des mouvements d’écriture. Pour
ils ont présenté à des sujets japonais les pre- cela, nous avons mis en place deux stratégies.
miers traits d’un kanji et leur ont demandé de
retrouver l’intégralité du caractère. Ils ont Lire, c’est écrire
observé que des zones du cerveau normale-
ment mises en jeu dans l’écriture du kanji D’une part, nous avons comparé l’acti-
étaient activées dans ces conditions. Ainsi, vation cérébrale suscitée par des formes
retrouver les kanji en mémoire sensorimotrice connues et inconnues (des lettres et des
engendrerait une sorte d’écriture mentale, « pseudolettres », symboles ressemblant à des
automatique et non intentionnelle. lettres, mais n’appartenant pas à l’alphabet).
Qu’en est-il dans notre système alphabéti- Si nos hypothèses étaient fondées, les pseudo-
que ? Là aussi, il s’agit d’associer des traits et lettres, n’ayant jamais été écrites par les sujets,
de les reconnaître comme formant une seule ne devaient correspondre à aucune représen-
et même lettre. Dans ce cas, une question tation motrice prédéfinie en mémoire et ne
s’impose : pourquoi les zones cérébrales sen- devaient donc pas entraîner d’activations
sorimotrices, qui commandent les mouve- motrices. D’autre part, nous avons mesuré l’ac-
ments et reçoivent en même temps les ten- tivité cérébrale des sujets lorsqu’ils écrivaient,
sions musculaires résultant du mouvement, afin de repérer les zones cérébrales mises en
ne seraient-elles pas mises en œuvre automa- œuvre par l’écriture. Ainsi, nous avons constaté
tiquement, comme chez les Japonais ? C’est que seule la vue de lettres (et non de pseudo-
précisément pour répondre à cette question lettres) active, chez des droitiers, une zone
1. Quelles zones du cerveau s’activent quand on les écrit (b) : la même aire (une zone du
quand on lit des lettres ? En partie les mêmes que cortex prémoteur gauche chez les droitiers) s’active
quand on les écrit avec un stylo. On enregistre les aussi bien à la lecture qu’à l’écriture (flèches en a et
aires qui s’activent quand on lit des lettres (a) et en b). En revanche, quand on enregistre l’activité
LETTRES
Lecture Écriture
a b
z z
D D
Jean-Luc Velay
située dans le cortex prémoteur gauche, qui (inconsciente des mouvements que l’on exé-
s’active également lorsque les sujets écrivent cute en écrivant). Lire, c’est aussi un peu écrire,
les lettres et les pseudolettres (voir la figure 1). et un réseau neuronal étendu participe à ce pro-
Cette zone du cortex prémoteur intervien- cessus. Or ce réseau se mettrait en place quand
drait dans les mouvements graphiques. Le fait on apprend en même temps à lire et à écrire
que seul l’hémisphère gauche, qui commande avec un stylo. Pendant cette période, les enfants
les mouvements de la main droite, soit activé qui apprennent la lettre A associent sa forme
par la présentation visuelle des lettres, conforte visuelle avec le son [a] et le mouvement qui
l’idée selon laquelle ces activations sont bien permet d’écrire un A. Cela s’explique par le fait
reliées aux mouvements réalisés par la main que la correspondance entre le mouvement
pendant l’écriture, car la main droite est com- graphique et la forme produite est unique : à
mandée par le cortex moteur de l’hémisphère chaque lettre correspondent un seul mouve-
gauche. Nous avons toutefois cherché à le véri- ment et donc un « patron moteur » spécifique.
fier en réalisant une expérience similaire avec
des gauchers (qui ne savaient pas écrire de la Le clavier : plus arbitraire
main droite). Pourquoi cette précaution ?
Chez les gauchers, c’est l’hémisphère droit qui La situation diffère lorsqu’on écrit avec un
prend en charge les mouvements d’écriture. clavier. Il s’agit cette fois d’atteindre un point
Les résultats de cette expérience ont confirmé du clavier où se trouve une forme donnée. La
que la même zone du cortex prémoteur, cette correspondance entre le mouvement et la
fois dans l’hémisphère droit, s’active lorsque forme de la lettre est arbitraire : un mouve-
les gauchers identifient des lettres. Ces résul- ment identique peut aboutir à la production
tats montrent que les mouvements de l’écri- de deux lettres différentes, et inversement, la
ture sont en quelque sorte « simulés » men- même touche peut être atteinte par des mou-
talement pendant la lecture. vements distincts… Il n’y a pas une relation
De telles observations confirment ce que l’on unique entre la lettre et le mouvement, et rien
pensait depuis quelques années : les lettres dans le mouvement d’atteinte des touches ne
seraient représentées dans le cerveau de façon renseigne sur la forme ou l’orientation de la
« plurimodale », c’est-à-dire qu’on les perçoit lettre formée. Si, comme nous le supposons,
non seulement par la vue, mais aussi par le il est essentiel de développer la perception des
toucher, ou plutôt par la simulation mentale mouvements de la main pour bien apprendre
cérébrale déclenchée par la lecture et l’écriture uniquement à l’écriture. La lecture des pseudo-
de pseudolettres, des symboles qui ressemblent à lettres n’active pas de représentation motrice déjà
des lettres, mais n’en sont pas (c et d), on constate mémorisée. En somme, lire, c’est écrire, et un réseau
que la même aire du cortex prémoteur s’active neuronal étendu participe à ce processus.
PSEUDOLETTRES
Lecture Écriture
c d
D D
© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 33
6-Ess11_pxxxxx_clavier_stylo_velay_bsl.qxp 4/07/12 10:39 Page 34
mal orientés
et plus longtemps
reconnaître si
un caractère est
correctement orienté
(à droite, en rouge) que
Cerveau & Psycho
à reconnaître les lettres, il ne devrait pas être Le clavier, aménagé pour cette étude, com-
indifférent d’apprendre à lire au clavier et portait uniquement les 15 touches nécessai-
au stylo. C’est ce que nous avons vérifié avec res pour écrire les lettres à apprendre.
notre collègue M.-T. Zerbato-Poudou, de Avant l’apprentissage et trois, puis quatre
l’Institut universitaire de formation des maî- semaines après, nous avons testé la capacité
tres d’Aix-Marseille, auprès de jeunes enfants. des enfants à reconnaître visuellement les let-
Bibliographie tres. Sur un écran d’ordinateur, quatre carac-
J.-P. Fischer, Tenir un stylo tères étaient présentés, dont trois étaient mal
L’écriture en miroir, orientés ou déformés. L’enfant devait mon-
in Cerveau & Psycho,
dès l’âge de quatre ans trer la bonne lettre du doigt.
n° 52, juillet-août 2012. L’enseignement de la lecture et de l’écri- Chez les enfants les plus âgés (entre quatre
M. Longcamp ture commence très tôt, en général à partir et cinq ans), nous avons constaté que l’écri-
et al., Contribution
de la motricité
de la deuxième année de maternelle. Pour ture manuscrite était bénéfique : les enfants
graphique les besoins de notre expérience, il nous fal- reconnaissaient mieux les lettres qu’ils avaient
à la reconnaissance lait donc procéder avec des enfants de pre- écrites à la main. Au contraire, les enfants ayant
visuelle des lettres, mière et de deuxième année de maternelle, appris au clavier avaient des difficultés à recon-
in Psychologie âgés de trois à cinq ans. Le principe était naître certaines lettres. Cet avantage se mani-
Française, vol. 55,
pp. 181-194, 2010. simple : proposer à un premier groupe d’en- feste dès la fin de l’apprentissage et persiste une
M. Longcamp fants un apprentissage traditionnel de l’écri- semaine plus tard. Ainsi, il est bon d’appren-
et al., Learning ture manuscrite, à un second groupe un dre à écrire avec un stylo si l’on souhaite déve-
through hand- or apprentissage des lettres au clavier, et observer lopper, chez un enfant âgé de quatre à cinq ans,
type-writing influences lequel a finalement les meilleures performan- une bonne reconnaissance visuelle des lettres.
visual recognition
of new graphic
ces de reconnaissance des lettres. Le clavier semble peu recommandé à cet âge.
shapes : Behavioral Soixante-seize enfants âgés de 33 à 57 mois En revanche, nous n’avons pas constaté cet
and functional imaging ont participé à l’expérience. Ils ont été répar- effet sur les plus jeunes. Cela résulterait du fait
evidences, in Journal tis en deux groupes de 38, chaque groupe se que les structures neuronales contrôlant la
of Cognitive
composant de trois classes d’âges : les petits motricité fine, nécessaire pour produire des
Neuroscience,
vol. 20, pp. 802-815, (33 à 41 mois), les moyens (42 à 50 mois) et mouvements précis des doigts et du poignet,
2008. les grands (plus de 50 mois). ne sont pas suffisamment matures chez ces
J.-L. Velay et al., Lors de la phase d’apprentissage, nous tout-petits. D’ailleurs, les lettres qu’ils produi-
De la plume au avons fait apprendre aux enfants 15 lettres sent sont souvent éloignées du modèle. Par
clavier : Est-il toujours majuscules pendant trois semaines. Pour les conséquent, non seulement ils voient une let-
utile d’enseigner
l’écriture manuscrite ?, enfants du groupe « écriture manuscrite », tre mal tracée, mais de plus, les signaux senso-
in Comprendre chaque lettre était présentée sur une feuille rimoteurs engendrés par leurs mouvements ne
les apprentissages : de papier et les enfants devaient la reproduire sont pas adéquats pour informer correctement
Sciences cognitives juste au-dessous. Pour le groupe « clavier », le cerveau sur la forme esquissée par le crayon.
et éducation, sous la
direction de E. Gentaz
chaque lettre était présentée sur un écran Nous avons aussi observé que les enfants ont
et P. Dessus, Dunod, d’ordinateur et les enfants devaient la taper tendance à confondre les lettres qu’ils ont appri-
pp. 69-82, 2004. au clavier, afin qu’elle s’affiche sous le modèle. ses avec leur image en miroir. Cette tendance
est naturelle en bas âge, mais, il faut peu à peu naissance visuelle. Cela a-t-il un impact sur la
apprendre à ne plus faire cette confusion, sinon lecture, quand il s’agit de percevoir et de recon-
l’on devient « mauvais lecteur », une catégorie naître des mots et non plus des lettres isolées ?
d’élèves en difficulté dont font partie les dys- Il reste à le vérifier. En tout état de cause, il
lexiques. Nous pensons que les mouvements paraît très probable que, lorsque l’on sait mieux
d’écriture à la main peuvent aider à mieux reconnaître les lettres, on a franchi une étape
reconnaître l’orientation des lettres. importante dans l’apprentissage de la lecture.
Pour preuve, nous avons conçu une expé- Alors, faut-il apprendre à écrire à la main pour
rience semblable avec des adultes. Cette fois, avoir une meilleure maîtrise de l’écrit et de la
nous leur demandions d’apprendre à écrire lecture ? La réponse semble bien être oui.
de nouveaux caractères, empruntés à des sys-
tèmes graphiques étrangers tels le tamoul ou Ne pas bannir le clavier !
le bengali (voir la figure 2). Chaque partici-
pant a appris un jeu de caractères, soit en les Doit-on pour autant bannir définitivement
écrivant à la main, soit en les tapant sur un l’ordinateur pour apprendre à écrire ? Non.
clavier conçu à cet effet. Puis nous avons En effet, si l’écriture manuscrite enrichit la
demandé à tous les adultes de décider le plus représentation des caractères et facilite leur
vite possible si ces caractères présentés sur reconnaissance chez la majorité des enfants,
l’écran étaient bien ou mal orientés. Ainsi, les elle pourrait produire l’effet inverse chez ceux
adultes ayant écrit les caractères à la main qui, pour des raisons diverses, ont des difficul-
reconnaissaient mieux leur orientation que tés à effectuer les mouvements fins et précis
ceux ayant tapé les caractères sur le clavier. imposés par l’écriture. Dans ce cas, l’usage du
L’écriture manuscrite est bénéfique aussi bien clavier, beaucoup plus simple au plan moteur,
pour les petits que pour les grands. associé à l’ordinateur pour lequel les enfants
Ces résultats suggèrent que les mouvements manifestent un engouement prononcé, consti-
d’écriture participent à la représentation et à tuerait une étape intermédiaire pour préparer
la mémorisation des caractères et à leur recon- le passage à l’écriture manuscrite. I
Comment enseigner
la lecture ?
Les méthodes d’enseignement de la lecture, la globale
et la syllabique, mettent en œuvre des aptitudes
et des mécanismes cognitifs et cérébraux distincts...
mais nécessaires. Il faut intégrer ces deux
apprentissages : ce sont les « méthodes mixtes ».
T
Alain Lieury
est professeur tre de l’Éducation nationale, biais de « codages ». Ainsi, le codage phono-
émérite Gilles de Robien, a interdit par logique réalise une équivalence entre cer-
de psychologie décret la méthode globale dans tains groupes de lettres nommés graphèmes
cognitive l’enseignement de la lecture… et des entités sonores nommées phonèmes.
de l’Université C’est le retour de la méthode syllabique de La lecture met en jeu quatre codages fonda-
Rennes 2, grand-papa, une régression. mentaux, les codages dits visuographique,
ancien directeur
du Laboratoire En réalité, le décret du 24 mars 2006 ne cite phonologique, lexical et sémantique. Il faut
de psychologie pas le terme de méthode globale, mais recom- comprendre ces codages pour saisir l’enjeu
expérimentale. mande « un entraînement systématique à la de la méthode globale.
relation entre graphèmes et phonèmes », ce qui
est conseillé par la majorité des chercheurs du Lire, c’est réaliser
domaine. Une grande part de l’incompréhen-
sion tient, à mon sens, à la méconnaissance des
quatre tâches mentales
mécanismes en jeu et au vocabulaire ambigu Abordons tout d’abord le codage visuo-
des méthodes. Commençons par un petit his- graphique. Il s’agit des mécanismes par les-
torique pour rappeler l’origine des méthodes. quels l’œil et le cerveau perçoivent et iden-
Derrière cet acte apparemment tout sim- tifient les différents éléments graphiques de
ple qu’est la lecture, se cache une activité très l’écriture, syllabes, mots, phrases. Or ce que
complexe mettant en jeu de multiples systè- nous enseignent les recherches sur la per-
mes de perception et de mémoire, telles la ception, c’est que la vision n’est pas pano-
vision, l’audition, la mémoire lexicale et la ramique. L’acuité visuelle n’est réalisée que
mémoire sémantique. Ces systèmes de per- par une toute petite partie centrale de la
Le champ fovéal
est minuscule et ne permet
de voir net qu’un seul mot
à la fois. La périphérie
de la rétine couvre
un grand angle, mais
la vision y est floue.
Angle de vue
Angle de vue de la fovéa
périphérique
Périphérie
de la rétine
Fovéa
Raphael Queruel
Nerf optique
Vient ensuite le codage lexical : dans la lec- cent sur les codages visuographique et pho-
ture, les lettres (orthographe) ou les sons nologique, moins elle est globale. À l’inverse,
(codage lettres-phonèmes) servent d’indices une méthode entièrement globale met uni-
pour retrouver les bons mots dans la mémoire quement l’emphase sur les codages lexical et
lexicale. C’est pourquoi, par exemple, les sémantique. Dans la réalité, c’est un mélange
enfants se trompent de mots lorsque certains des quatre qui est pratiqué par les ensei-
indices se ressemblent. Ils lisent « bateau » à gnants. C’est ce que révèle l’enquête (réali-
Bibliographie la place de « barreau ». Des expériences mon- sée sur 1 253 enseignants) de Éliane et Jacques
trent naturellement que, plus le vocabulaire Fijalkow, de l’Université de Toulouse, pour le
A. Lieury, Tous
les secrets de votre
est riche, plus la lecture est correcte et rapide. ministère de l’Éducation nationale en 1993.
cerveau, Dunod, Enfin, intervient le codage sémantique, qui
2012. sous-tend la compréhension de ce qui est lu. La plupart des enseignants
A. Lieury, Pour comprendre, il faut connaître la fonc-
Psychologie cognitive, tion du mot dans la phrase, identifier le mot
sont d’accord
Coll. Manuels visuels
sous différentes formes conjuguées (syn- Selon cette enquête, 91 pour cent des ensei-
de licence, Dunod,
2008. taxe), les marques de temps, d’où la néces- gnants insistent sur « la maîtrise des corres-
R. Goigoux, sité d’exercices appropriés. pondances entre les lettres et les mots » (codage
Apprendre à lire phonologique) et 85 pour cent souhaitent que
à l’école : les limites Les méthodes mixtes les élèves puissent reconnaître des mots ou les
d’une approche anticiper dans une phrase (codages lexical et
idéovisuelle, se sont imposées sémantique). L’étude montre aussi que l’ac-
in Psychologie
Française, vol. 45, Toute méthode est bonne du moment cent mis sur l’activité plutôt phonologique ou
2000. qu’elle permet ces quatre codages fondamen- sémantique varie au cours de l’année. Ainsi,
E. Jamet, Lecture taux. Faute de recherches avancées, les pre- pour le plus grand nombre des enseignants
et réussite scolaire, miers psychologues et pédagogues ont eu l’in- français (et suisses), en début d’année les deux
Dunod, 1997.
tuition de certaines de ces étapes, mais parfois tiers du temps sont consacrés aux activités
J. Gombert en excluant l’une ou l’autre, d’où les critiques « structurantes » (codage phonologique) et un
et M. Fayol,
La Lecture, formulées par la suite par les enseignants et tiers aux activités signifiantes, mais ce rapport
compréhension, les chercheurs. Les concepteurs des métho- s’inverse en fin d’année.
in Manuel des récentes ont pris en compte ces critiques, En conséquence, sur le terrain de la prati-
de Psychologie pour si bien que les méthodes actuelles sont majo- que scolaire, on est loin d’une guerre civile
l’Enseignement, sous
la dir. de D.Gaonac’h ritairement mixtes, c’est-à-dire faisant appel entre partisans de la lecture syllabique et les
et C.Golder, Hachette, à plusieurs des éléments évoqués ci-dessus. Il tenants de la méthode globale : la majorité
1995. est évident que plus une méthode met l’ac- des enseignants pratiquent... les deux ! I
L’apprentissage
dans le cerveau
Quelles capacités cognitives sont sollicitées par un apprentissage ?
Quelles sont les aires cérébrales qui y participent ? Les mécanismes
neurocognitifs impliqués se révèlent, et l’on découvre
qu’il est possible de les stimuler et de les entretenir.
Les neurosciences
inspirent l’enseignement
Psychologues et neuroscientifiques identifient six grandes
capacités cérébrales à prendre en compte pour favoriser
les apprentissages. D’où l’intérêt d’établir des passerelles
entre les recherches et les pratiques enseignantes.
Daniel Favre, l’heure où tant de questions enseignants n’ont pas jugé pertinent d’intro-
docteur
en neurosciences,
est professeur
en sciences
de l’éducation
à l’IUFM
de Montpellier.
À se posent sur l’enseignement,
on se prend à rêver : et si les
connaissances sur le cerveau
dont nous disposons aujour-
d’hui servaient à mieux comprendre com-
ment les élèves apprennent et à mieux cibler
les méthodes et stratégies utilisées pour trans-
duire, comme pour les futurs psychologues,
des bases de neurosciences. Car c’est bien le
cerveau qui permet d’apprendre, et ce der-
nier obéit à des règles de fonctionnement.
Les neuroscientifiques savent à quel point
émotion et cognition sont liées. L’appren-
tissage n’est pas possible sans que ne se pro-
mettre les connaissances ? Mais dans les sphè- duise une déstabilisation cognitive, un pro-
res de l’enseignement, on ignore à peu près cessus d’« assimilation et d’accommodation »
tout de la façon dont notre cerveau permet comme l’a nommé le psychologue suisse Jean
d’avoir prise sur le temps et l’espace, l’atten- Piaget (1896-1980). Cette déstabilisation
tion, la motivation et, d’une façon générale, cognitive qui a des répercussions au plan affec-
la régulation des émotions. tif engendre dans un premier temps une frus-
Aujourd’hui, on peut se demander pour- tration liée au fait que ce que l’on savait n’est
quoi ceux qui conçoivent la formation des plus pertinent et qu’on doit le remettre en
question. En effet, la nécessité de l’apprentis-
sage se présente quand on s’aperçoit que nous
En Bref ne disposons pas des savoir-faire ni des res-
sources nécessaires à la résolution de tel ou tel
• Six fonctions cognitives et affectives jouant un rôle clé problème. Il faut alors sortir de la sécurité de
dans l’apprentissage ont été identifiées. la routine, et tant que l’apprentissage n’est
• Ces fonctions cognitives sont toutes sous-tendues pas terminé, les frustrations s’accumulent à
par une même aire cérébrale : les lobes frontaux. chaque « raté ». Ces frustrations résultent
• Une meilleure prise en compte de cette réalité psychobiologique presque toujours du fait que nous prenons
éviterait sans doute bien des échecs scolaires. conscience que nous ne sommes pas tout-
puissants et que nous devons rectifier l’image résout l’énigme posée par un labyrinthe que
que nous avons de nous-mêmes, ce qui nous son cerveau libère de la dopamine dans sa
rend plus modestes. C’est le désir d’obtenir partie préfrontale (voir la figure 2). Des émo-
« tout, et tout de suite » qui, parce qu’il n’est tions agréables peuvent donc accompagner un
pas satisfait, peut engendrer des frustrations apprentissage réussi. Comme chacun a pu
de plus en plus difficiles à supporter. le vérifier par lui-même, tout apprentissage
réussi, tout gain d’autonomie procure un
« Naturellement » motivé plaisir particulier qui n’est dû qu’à soi-même.
L’apprentissage est « naturellement » motivé,
La déstabilisation cognitive et affective pré- sans qu’il soit besoin d’une source externe.
sente dans tout apprentissage ouvre chez Que conclure de ce préambule ? Qu’appren-
l’« apprenant » une période de vulnérabilité au dre suscite des émotions différentes selon les
cours de laquelle il ne faut pas l’affaiblir. Car personnes et aussi selon que l’apprentissage en
1. Les savoirs
l’élève affaibli peut devenir à son tour affai- se mémorisent est à son début, en cours ou terminé. Tout porte
blissant : l’échec scolaire entraîne la violence et se construisent à penser que lors d’un apprentissage au moins
scolaire, comme l’ont montré diverses études. grâce au cerveau. deux types d’émotions et de motivations oppo-
Heureusement, le cerveau de l’homme et de Et pourtant, sées et complémentaires, de l’ordre de la perte
nombreux mammifères est également orga- les professionnels de sécurité pour la première et du plaisir d’in-
nisé pour fournir des « récompenses biologi- de l’enseignement nover pour la seconde, animent l’apprenant.
ques », en particulier sous forme de dopamine, connaissent encore Le phénomène d’assimilation et d’accom-
à l’individu qui explore et résout des problè- assez peu les grandes modation met aussi en exergue l’importance
mes ou surmonte des difficultés. On a montré lois du fonctionnement de la flexibilité mentale dans les processus
que c’est précisément au moment où le rat cérébral. d’apprentissage. Ce qui suscite de l’anxiété
Anatomical design - Sunny_baby / Shutterstock.com
Sextoacto / Shutterstock
que le cerveau est naturellement
motivé pour l’apprentissage.
chez l’élève en situation d’apprentissage, Ces aires antérieures du cerveau font partie
c’est bien souvent le fait de devoir renon- des structures nerveuses apparues le plus
cer momentanément à ce qu’il croyait vrai récemment dans l’évolution des vertébrés.
pour accéder à de nouvelles méthodes de Ce sont également celles dont la maturation
résolution, ou à de nouvelles représenta- s’achève en dernier puisque la fin de la myéli-
tions. Cette capacité relève de la flexibilité nisation des fibres nerveuses des lobes frontaux
mentale, une capacité qui dépend de certai- humains a lieu vers l’âge de 15-16 ans. Le volu-
nes zones du cerveau, en l’occurrence les me des lobes frontaux augmente au cours de
lobes frontaux. Ce sont aussi les lobes fron- la croissance pour constituer chez l’homme
taux qui donnent la possibilité d’avoir une presque un tiers de la totalité du cortex, un
prise sur nos émotions, ce qui permet au record absolu chez les primates (voir la figure 3).
jeune de ne pas être esclave de ses émotions, Que font les lobes frontaux en classe, lors-
mais d’en prendre conscience et de les uti- que le professeur fait son cours ? Ils remplis-
liser au mieux pour progresser. sent six grandes fonctions, qui peuvent aussi
Comme nous le verrons, les lobes frontaux être considérées comme six grands « pou-
sont la clé de l’apprentissage : comprendre voirs » donnés à un sujet sur le temps, l’espace
leur fonctionnement et le faire comprendre et l’affectivité. Trois de ces fonctions – capa-
aux personnes chargées de l’enseignement cité de représentation, flexibilité mentale et
projette un éclairage nouveau sur la façon planification – donnent à l’élève une prise sur
dont l’être humain apprend. le temps au cours de l’apprentissage ; deux
Une particularité de l’être humain semble autres – attention et initiative – lui confèrent
résider dans la possibilité qu’il a de prendre, un pouvoir sur l’espace. La dernière, la modu-
en partie, les « commandes » de lui-même. lation émotionnelle, permet de réguler son
C’est possible pour la motricité des jambes vers niveau d’émotivité pour tirer le meilleur parti
l’âge de un an. Parfois, la commande est mixte : des situations d’apprentissage. Voyons en quoi
c’est le cas pour la respiration, qui fonctionne consistent ces six grandes fonctions.
en grande partie sur un mode automatique,
mais peut aussi être contrôlée volontairement, Voir les yeux fermés
par exemple avant de plonger en apnée.
La cabine de pilotage qui offre une prise sur La première fonction des lobes frontaux est
le temps, l’espace et nos émotions est rarement l’évocation de ce qui n’est pas présent : c’est la
présentée aux élèves et peu d’enseignants ou capacité de représentation mentale. La perma-
de parents connaissent les possibilités du cer- nence des perceptions sensorielles en l’absence
veau de ceux dont ils ont en charge l’éducation. de nouveaux stimulus est, en effet, la condition
C’est la conscience qui fait l’objet de l’éduca- nécessaire pour disposer de représentations
tion ; or la structure nerveuse, qui offre la pos- durables du monde et de soi. On peut ainsi
sibilité de « prendre conscience », est consti- évoquer le visage d’un parent ou d’un ami, sa
tuée essentiellement par nos lobes frontaux. chambre d’enfant. Tout se passe comme si, au-
dessus du plan des yeux et à environ 30 centi- ont utilisé la « pédagogie des yeux fermés »
mètres en avant, dans un « espace psychique pour faire effectuer mentalement à des élèves
privé », nous pouvions convoquer d’anciennes un exercice complexe leur paraissant impos-
perceptions sensorielles visuelles. Il en est de sible, par exemple un saut au cheval-d’arçons.
même pour les autres sens : auditif, olfactif, tac- Ce faisant, ils ont permis aux élèves de repé-
tile ou vestibulaire, mais les évocations sont rer l’étape qui les bloquait et, après quelques
moins faciles à repérer spatialement. Avec nos simulations mentales, de se débloquer et de
lobes frontaux, nous voyons sans les yeux, visualiser l’ensemble du mouvement… Puis
entendons sans les oreilles… de le réaliser effectivement ! Chaque ensei-
Cet espace de simulation pourrait permet- gnant peut essayer de reprendre, en classe,
tre d’apprendre les yeux fermés.Voici un exem- cette notion fondamentale concernant les
ple en géométrie inspiré de la pédagogie de lobes frontaux : il s’agit de travailler sur la
Caleb Gattegno, auteur en 1972 de l’ouvrage visualisation et l’imagination, deux actes men-
Ces enfants : nos maîtres ou la subordination de taux qui stimulent ces aires cérébrales et aident
l’enseignement à l’apprentissage. Cette leçon à mieux aborder les concepts traités.
particulière commencerait ainsi : « Veuillez fer-
mer les yeux et visualiser un carré ou un rec- Se remettre en question
tangle vertical. Une fois que cette image est sta-
ble, visualisez un axe vertical qui coupe les La deuxième grande fonction des lobes fron-
deux côtés horizontaux par leurs milieux et taux permet d’échapper à la répétition et, par
faites bouger ce carré ou ce rectangle autour conséquent, d’apprendre. Il s’agit de la capa-
de cet axe qui reste fixe. Une fois que le qua- cité d’abandonner une règle, une façon de
drilatère a été rendu mobile autour de cet axe, résoudre un problème, une représentation ou
faites-le tourner de plus en plus vite… Que un comportement, pertinents à un moment
voyez-vous ? » Ce petit exercice, qui doit nous donné, mais qui ne correspondent plus aux exi-
montrer le cylindre engendré par la rotation gences d’une situation nouvelle.
du carré ou du rectangle, présente l’avantage Si apprendre consiste, comme on le pense
de fournir une expérience perceptive person- actuellement en sciences de l’éducation, à
nelle avant de se voir attribuer par l’enseignant changer de système de représentation, alors
la définition du cylindre et la formule qui per- chacun dispose de l’équipement nécessaire
met de calculer son volume. pour apprendre tout au long de sa vie. Rappe-
Dans cet exemple, l’élève devient acteur lons que, d’après le principe d’assimilation
et explorateur ; celui pour qui cet exercice est et d’accommodation de Piaget, l’élève doit
plus difficile ou inhabituel pourra être accom- pouvoir se séparer d’anciennes représen-
pagné afin de voir avec lui à quelle étape il n’y tations pour les faire évoluer face au pro-
parvient pas et pourquoi. blème à résoudre. Or si le changement de
Je connais plusieurs professeurs d’éduca- règles dans un test classique de flexibilité
tion physique et sportive qui, intuitivement, mentale en laboratoire se fait sans difficulté,
3. Les lobes frontaux (en blanc) se sont développés au fil de l’évolution, durant des millions d’années. Notre espèce
a progressivement acquis des capacités cognitives, telles que la planification, l’attention ou la capacité de représentation,
qui sont aujourd’hui les piliers de l’apprentissage chez l’enfant. L’enseignement gagnerait certainement à tenir compte
de l’existence de ces capacités spécifiques de l’être humain qui se sont élaborées au fil du temps.
Raphael Queruel
L’apprentissage
modifie le cerveau
Le simple fait d’apprendre modifie la structure
du cerveau. Les neurones se connectent davantage,
et les « câbles de communication » à longue distance
se renforcent pour mieux transmettre l’information.
l n’y a pas d’âge pour s’instruire. Hugo, Considérons les cellules nerveuses, ou neu-
Cortex Cingulum
Substance
blanche
Corps calleux
balles en l’air pendant une minute. Outre les Malgré l’absence d’entraînement, la substance
examens IRM, qui révèlent les différences struc- grise avait continué à augmenter, ce qui n’était
turelles de la substance grise entre le début et pas le cas de la substance blanche. Nous en
la fin de l’entraînement, nous avons recouru ignorons encore la cause.
à une mesure dite d’imagerie par tenseur de
diffusion, qui permet d’analyser la substance La gaine de myéline
blanche (voir l’encadré page 53). À la fin de l’ex-
périence, les participants, tous débutants dans
s’épaissit
l’art de jongler, étaient devenus suffisamment En 2005, le groupe de recherche suédois du
habiles pour maintenir les trois balles en l’air neuroscientifique et pianiste Fredrik Ullén, de
pendant au moins deux cycles. Évidemment, le l’Institut Karolinska de Stockholm, est arrivé à
plus intéressant pour nous était l’évolution de une conclusion similaire. Ces chercheurs ont
leur cerveau : la substance grise et la substance mesuré la substance blanche de différents pia-
blanche avaient augmenté, contrairement au nistes professionnels avec la même méthode.
groupe témoin n’ayant pas appris à jongler. Ils ont constaté que l’épaisseur de la substance
Les régions concernées étaient les lobes blanche était directement liée au nombre
pariétaux. Cette structure sous-tend la coordi- d’heures de pratique du piano pendant l’en-
nation visuomotrice. Toutefois, les modifica- fance. Plus le musicien avait passé de temps à
tions de la substance blanche ne reflétaient pas jouer du piano pendant sa jeunesse, plus la cou-
le degré d’expertise acquis : son épaississement che de myéline était épaisse. C’était surtout vrai
semblait résulter de l’entraînement régulier et dans deux régions : la capsule interne, qui
non du succès ou de l’échec des mouvements. contrôle le mouvement des doigts, et le corps
Une autre observation nous a surpris : après calleux, qui permet la communication entre les
une pause de quatre semaines sans entraîne- deux hémisphères cérébraux. On peut avancer
ment, nous avons à nouveau soumis les par- deux hypothèses : soit la substance blanche s’est
ticipants à des mesures d’imagerie cérébrale. développée en raison de l’apprentissage assidu
a b c
Signal
Neurone
présynaptique
de l’aire CA1 Glutamate
de l’hippocampe
Récepteur Récepteur Calcium
AMPA NMDA
Récepteur
NMDA
Raphael Queruel
Neurone Sodium
postsynaptique Magnésium et potassium
de l’aire CA3
Récepteur Amplification du
AMPA signal nerveux
du piano, soit les personnes ayant naturelle- de l’Institut Riken de recherche sur le cerveau
ment une substance blanche plus développée à Wako au Japon, a découvert que chez des sin-
(par exemple pour des raisons génétiques) ont ges, lors d’un entraînement intensif, de nou-
plus de facilités pour apprendre le piano. velles connexions nerveuses pouvaient s’éta-
L’imagerie par tenseur de diffusion est la blir. Dans ces expériences, les biologistes ont
méthode permettant d’analyser la structure appris à des macaques à pêcher à l’aide d’un
et le développement des axones dans le cer- râteau. Ils ont observé, dans les aires cérébra-
veau humain. Mais elle n’est pas assez pré- les impliquées dans le maniement d’outils, des
cise, de sorte que l’on ne connaît pas le détail connexions supplémentaires, absentes chez les
des modifications cérébrales intervenant lors animaux n’ayant pas suivi cet entraînement.
d’un apprentissage. Les modifications obser- Les modifications macroscopiques observées
vées pourraient alors avoir plusieurs causes qu’il chez l’homme pourraient ainsi être dues à la
est impossible de distinguer : soit les axones des fois à un épaississement de la gaine de myéline
jongleurs et des pianistes sont mieux isolés des axones et à de nouvelles connexions.
grâce à une gaine de myéline plus épaisse, soit Les mécanismes cellulaires ou moléculai-
de nouvelles connexions se créent, soit encore res mis en jeu lors de la modification de la
les axones eux-mêmes se sont épaissis. Ces trois substance blanche restent inconnus, et de
mécanismes donneraient la même image. nombreuses questions restent ouvertes : quel-
Des analyses histologiques pratiquées sur les sont les mutations génétiques ou les méca-
des animaux de laboratoire permettent d’al- nismes physiologiques susceptibles d’influer
ler plus loin. En 1996, l’équipe de Bernard Zalc, sur la formation de la gaine de myéline ? La
de l’Université Pierre et Marie Curie à Paris, substance grise peut-elle être remaniée à l’âge
a mis en évidence sur des souris que l’activité adulte ou seulement pendant l’enfance ?
épaissit la gaine de myéline autour des axones. En revanche, il est avéré que si la substance
En outre, en 2006, l’équipe de Sayaka Hihara, blanche peut se développer, elle peut aussi
La gaine de myéline
es fibres nerveuses transmettent les signaux électriques
Lmyéline
beaucoup plus vite et plus efficacement grâce à la gaine de
qui les entoure. Certaines cellules gliales, nommées
oligodendrocytes, produisent des membranes lipidiques qui
s’enroulent plusieurs fois autour des axones et forment cette
gaine. D’autres cellules gliales, les astrocytes, peuvent stimu-
ler le processus, puisqu’elles détectent les signaux circulant Ion potassium
dans les axones. La gaine de myéline n’enrobe pas complète- Axone
ment les axones : elle s’interrompt au niveau de rétrécisse-
ments nommés nœuds de Ranvier, où la membrane de l’axone
est à nu. Ce n’est qu’en ces sites dénudés qu’un potentiel d’ac-
tion peut être produit par des flux d’ions traversant la mem- Nœud
de Ranvier
brane cellulaire. Ce signal électrochimique déclenche un nou- Canal ionique
veau flux d’ions, qui circule très rapidement dans la cellule
nerveuse jusqu’au prochain nœud où il crée un nouveau poten-
tiel d’action. L’excitation « saute » ainsi de nœud en nœud, ces Ion sodium
derniers jouant le rôle d’amplificateurs des signaux électriques.
Raphael Queruel
Impulsion
nerveuse
Gaine de myéline
J. Scholtz et M. Klein
Isotrope
corps humain, la plupart des protons cerveau, la méthode permet de locali-
appartiennent à des molécules d’eau, ser les membranes cellulaires.Les fibres
lesquelles représentent 70 à 80 pour nerveuses,analogues à des tuyaux,per-
cent du cerveau. mettent à l’eau de circuler le long de la
Visualisation des axones
Grâce à leur énergie thermique, les fibre, mais limitent les mouvements
de la substance blanche par imagerie
molécules d’eau se déplacent dans des dans les autres directions.
par tenseur de diffusion. Les espaces
directions aléatoires – on dit qu’elles Le degré de restriction de ces blancs indiquent les endroits
diffusent. En l’absence de frontières, mouvements de diffusion est nommé où les molécules d’eau sont
elles diffusent dans toutes les directions anisotropie fractionnelle. Une aniso- contraintes d’adopter un mouvement
sur la même distance : il s’agit alors tropie fractionnelle nulle représente selon une direction privilégiée, entre
d’une diffusion isotrope.Toutefois, si le cas d’une diffusion isotrope, sans membranes des axones (diffusion dite
elles sont confinées dans un espace clos direction privilégiée. Une valeur égale anisotrope). Les zones noires
comme dans une cellule,entourées de à 1 reflète une diffusion entièrement représentent les endroits du cerveau
membranes,leur parcours est perturbé anisotrope, c’est-à-dire unidirection- où la diffusion n’a pas de direction
et une direction de diffusion est privi- nelle, par exemple dans une fibre ner- privilégiée, par exemple dans
légiée : celle des membranes. La diffu- veuse longue et fine. les ventricules (diffusion isotrope).
régresser. C’est le cas dans les maladies qui Hambourg-Eppendorf, avec des sujets âgés
endommagent la gaine de myéline et pertur- de 50 à 67 ans. Ils ont constaté qu’apprendre à
bent la transmission des signaux. La sclérose jongler a également favorisé un épaississement
en plaques, dont le mécanisme comporte vrai- de la substance grise. En revanche, on ignore
semblablement une attaque de la myéline du encore si la substance blanche subit aussi des
système nerveux central par des cellules immu- modifications chez ces sujets plus âgés. Si c’était
nitaires, fait partie de ces maladies. De telles le cas, des entraînements ciblés pourraient
attaques ralentissent, voire interrompent, la ralentir la détérioration des connexions ner-
transmission du signal dans des nerfs indispen- veuses associée au vieillissement.
sables. Le nerf optique ou la moelle épinière
peuvent ainsi être touchés, provoquant des Apprendre à tout âge
troubles visuels ou des paralysies des membres. Bibliographie
La maladie d’Alexander, trouble métaboli- En tout état de cause, même si certaines J. Scholtz et al.,
que qui atteint certains enfants en bas âge, se structures cérébrales dégénèrent avec l’âge, Training induces
caractérise par une production insuffisante de cela ne signifie pas nécessairement que les changes in white-
matter achitecture,
myéline à cause d’une mutation génétique. facultés cognitives en pâtissent. Le cerveau in Nature
L’influx nerveux n’est plus conduit efficace- peut s’adapter à de nouvelles situations et si Neuroscience, vol. 12,
ment, et le développement moteur et cognitif la performance de certaines zones du cerveau pp. 1370-71, 2009.
de ces enfants s’en trouve ralenti. Les chercheurs diminue au fil des ans, d’autres aires peuvent C. Lubetzki,
soupçonnent aussi des modifications de la voir leur activité augmenter. Myélinisation
gaine de myéline dans d’autres maladies, qu’il Tout cela signifie-t-il que chacun doit et sclérose en plaques,
in Pour la Science,
s’agisse de la schizophrénie ou de l’autisme. apprendre à jongler pour garder un cerveau pp. 44-49, n° 323,
Les volontaires suivis dans les expériences performant ? Le mélange d’apprentissage et septembre 2004.
conduites à Oxford ou à Regensburg étaient d’entraînement physique semble effective- J.-A. Girault,
relativement jeunes. Mais les personnes âgées ment une piste intéressante. Mais il existe bien Les nœuds de Ranvier,
peuvent aussi apprendre à jongler. Quelle est d’autres compétences dont l’apprentissage le secret d’une
conduction rapide,
la plasticité de leur cerveau ? Pour le savoir, contribue à la plasticité cérébrale, que ce soit in Pour la Science,
en 2008, A. May et son équipe ont reproduit la danse ou les échecs. Conclusion : il n’y a pp. 44-49, n° 323,
leur expérience à la Clinique universitaire de pas d’âge pour apprendre ! I septembre 2004.
Un système cérébral
de la motivation ?
Envisager une récompense, et l’obtenir ; redouter
une punition, et l’éviter ; ces deux formes de motivation
favorisent les apprentissages. Les neuroscientifiques
commencent à identifier les systèmes cérébraux mis en jeu.
Motivation versus
renforcement
La situation étudiée par Thorndike paraît
rudimentaire comparée à celle d’un écolier
qui essaie de retenir une poésie pour la réci-
ter à son professeur. Mais pour les scientifi-
ques qui se sont efforcés de la décomposer en
processus élémentaires, elle est au contraire
complexe. Elle mélange notamment un méca-
nisme de motivation par incitation (déclen-
ché par la vue du poisson) et un mécanisme
d’apprentissage par renforcement (déclenché
par l’obtention du poisson). Ce sont là deux
effets des récompenses souvent confondus en
pratique, mais qui peuvent être séparés : la
motivation pousse l’animal à agir, tandis que
le renforcement l’incite à recommencer.
Transposons cette séparation de l’appren-
tissage par renforcement à ce qui se passe
à l’école : si le professeur annonce à l’avance
que le premier de la classe aura une récom-
pense, il motive les élèves à faire davantage
d’efforts. S’il ne promet rien, mais qu’il
récompense l’élève ayant bien travaillé, il ren-
force son comportement pour la suite.
En Bref
• L’apprentissage par renforcement positif
Junial entreprise - Viktoriya / Shutterstock.com
Cortex
cingulaire Neurone véhiculant
la dopamine
Neurone véhiculant
la sérotonine
Glossaire
G Apprentissage par
Cortex
renforcement positif :
Raphael Queruel
orbitofrontal
lorsqu’une action Striatum
apporte satisfaction
ou récompense,
elle est volontiers
reproduite si l’individu
se retrouve dans
le même contexte. Les chercheurs en neurosciences ont identi- réseau signale les récompenses obtenues, et
G Apprentissage par fié les régions du cerveau qui s’activent quand renforce le comportement en augmentant l’ef-
renforcement négatif : un animal, ou un homme, anticipe une récom- ficacité des transmissions neuronales dans les
lorsqu’une action pense ou en reçoit une. Ce sont surtout le cor- circuits impliqués dans la tâche.
engendre une punition tex orbitofrontal, situé vers l’avant et vers le bas Mais l’implication de ce réseau lors des
ou une perte, elle (juste au-dessus des orbites, derrière le front), apprentissages par renforcement est plus com-
n’est pas reproduite des noyaux sous-corticaux tel le striatum, et des plexe qu’il n’y paraît. Voyons pourquoi. Après
si l’individu se retrouve systèmes neuromodulateurs (qui modulent la Thorndike, est né un courant scientifique
dans le même transmission entre neurones), tel celui des neu- nommé behaviorisme, qui s’est concentré sur
contexte. rones dopaminergiques (voir la figure 1). ce type d’apprentissages. Ainsi, les psycholo-
G Motivation : gues américains John Watson (1878-1958) et
processus par lequel Les renforcements positifs Burrhus Skinner (1904-1990) ont placé des
les récompenses animaux (des rats ou des pigeons dans la plu-
espérées guident
dans le cerveau part des cas) dans des situations où la récom-
le comportement. Ces régions et systèmes cérébraux forment pense n’est pas annoncée, pour éliminer le phé-
G Conditionnement un réseau qui est mis en jeu pour les récom- nomène de motivation. Par exemple, un rat est
instrumental : penses primaires (recevoir à manger) et com- dans une cage munie d’une pédale qui déclen-
c’est l’apprentissage plexes (obtenir un diplôme). Ce réseau s’ac- che la chute d’une graine, et rien ne permet au
par renforcement tive d’abord quand on espère une récompense, rat d’anticiper le phénomène ; mais vient un
d’une association et il « motive » le comportement en stimulant moment où le rat monte par hasard sur la
entre un contexte les régions cérébrales qui interviennent dans pédale et obtient sa récompense. S’engage
et une action. la tâche à accomplir, par exemple le cortex alors le processus d’apprentissage par ren-
G Conditionnement moteur s’il s’agit d’un effort physique. Nous forcement, qui permet au rat d’associer l’ac-
classique : avons d’ailleurs montré que la partie ventrale tion d’appuyer sur la pédale et l’arrivée de
c’est l’apprentissage du striatum représente un nœud central de ce la récompense dans la cage. On nomme
par renforcement réseau motivationnel : elle est capable d’ac- conditionnement instrumental l’apprentis-
d’une association tiver aussi bien un effort physique qu’un effort sage par renforcement d’une association entre
entre deux contextes. mental (voir l’encadré page 58). Puis le même un contexte et une action. Cela s’oppose au
conditionnement classique décrit par Ivan veau sait à quoi s’attendre. Où est codée l’er-
Pavlov (1849-1936), où un chien apprend à reur de prédiction dans le cerveau ?
associer deux contextes (le son d’une cloche Dans les années 1980, l’équipe du profes-
et l’obtention d’une saucisse). seur de neurophysiologie Wolfram Schultz en
Pour Skinner, l’ensemble des apprentissages Suisse étudiait l’activité des neurones dopa-
se résumerait à un conditionnement instru- minergiques chez le singe. À l’époque, on
mental. Il pensait que l’on pouvait former des pensait que ces neurones participaient sur-
pompiers ou des électriciens simplement en tout aux paramètres liés au mouvement,
manipulant les renforcements. Skinner illus- puisque leur dégénérescence dans la maladie
trait ce principe en montrant qu’il avait appris de Parkinson provoque des symptômes
à des pigeons des comportements « arbitrai- moteurs. Mais W. Schultz et ses collègues ont
res » uniquement en utilisant des récompen- fait une observation surprenante : lorsqu’ils
ses : par exemple, ses pigeons faisaient trois donnent à un singe une récompense qu’il
tours sur eux-mêmes la tête en bas. Mais cette n’attend pas, ses neurones dopaminergiques
vision caricaturale des apprentissages a été bat- réagissent. Puis ils ont montré que ce sont
tue en brèche au milieu du XXe siècle avec l’avè- effectivement ces neurones qui codent l’er-
nement des sciences cognitives et les différen- reur de prédiction pour les récompenses.
tes théories de la motivation. Toutefois, même Ainsi, le mécanisme cérébral responsable
s’il est invraisemblable que les processus de de l’apprentissage par renforcement a été mis
renforcement suffisent pour apprendre, il ne au jour : la libération de dopamine, provo-
faut pas négliger leur rôle. quée par une récompense imprévue, renforce
les synapses des circuits fronto-striataux (entre
Apprendre de ses échecs le cortex frontal et le striatum) qui ont parti-
cipé au comportement. Au contraire, si la
En outre, dans la situation proposée par récompense n’est pas obtenue, la dopamine
Thorndike, on constate que le chat n’apprend diminue et les synapses impliquées dans le
pas seulement quand il réussit à ouvrir la porte comportement s’affaiblissent.
de sa cage. Il apprend aussi de ses échecs, c’est- Si ce mécanisme est correct, les patients
à-dire quand ses actions ne lui permettent pas souffrant de la maladie de Parkinson et dont
de se libérer. Dans l’apprentissage intervien- le cerveau ne produit pas suffisamment de
nent donc des renforcements négatifs, qui limi- dopamine ne devraient pas apprendre par ren-
tent les actions inutiles. Dans les années 1970, forcement positif. Et c’est le cas : ces patients
Robert Rescorla, professeur émérite de psy-
chologie de l’Université de Pennsylvanie, et
Allan Wagner, professeur de psychologie de
l’Université Yale, aux États-Unis, ont identifié 2. L’apprentissage
la « grandeur » qui permet les renforcements par renforcement
positifs et négatifs : c’est l’erreur de prédiction, consiste à adapter
c’est-à-dire la différence entre le résultat obtenu son comportement
et le résultat attendu. Autrement dit, pour le en fonction
cerveau, c’est un signal de surprise précédé d’un des récompenses
obtenues, mais aussi
signe « positif » quand c’est mieux que prévu,
des punitions subies.
« négatif » quand c’est moins bien.
Par exemple, si un élève
Ainsi, quand l’erreur de prédiction est nulle, a une mauvaise note
on n’apprend pas, puisqu’on peut prévoir le en dictée, il s’appliquera
résultat. Selon Rescorla et Wagner, d’un essai davantage la prochaine
Szasz-Fabian Ilka Erika / Shutterstock.com
R
Alain Lieury
est professeur l’histoire de France, capitales du guant la mémoire au second plan. C’est sans
émérite monde, tables de multiplication : doute pour cette raison, qu’au sens populaire,
de psychologie lorsqu’un élève doit assimiler tou- y compris à l’école, la mémoire est souvent
cognitive tes ces connaissances, il a l’im- réduite au sens d’apprentissage « par cœur ».
de l’Université pression d’apprendre par cœur. Il faut bien en
Rennes 2,
passer par-là, même si cela peut sembler inu- Mémoire et raisonnement
ancien directeur
du Laboratoire tile. Après tout, les téléphones portables don-
de psychologie nent aujourd’hui accès à Internet et toutes les Qu’en est-il réellement ? Dans quelle mesure
expérimentale. connaissances sont à portée de main ! Mais ce la mémorisation favorise-t-elle la compréhen-
serait une grave erreur de cesser d’apprendre, sion et le raisonnement, ou les entrave-t-elle ?
car le par cœur est une méthode d’apprentis- La conception cartésienne donna quelques
sage... qui en favorise d’autres, mettant en signes de faiblesse lorsqu’au XIXe siècle, le
œuvre différents types de mémoire. neurologue Charcot rendit la notion de
L’attitude des philosophes, psychologues mémoire plus complexe. C’est lui qui démon-
et neuroscientifiques sur la mémorisation a tra notamment, en observant des cas clini-
connu de multiples rebondissements. De ques, l’existence de « plusieurs mémoires ».
l’Antiquité à la Renaissance, la mémoire était Avec les connaissances de son temps, il asso-
la faculté la plus précieuse ; mais Descartes cia ces mémoires aux sens et à la motricité :
dès lors, on envisagea la possibilité de mémoi-
res visuelle, auditive, motrice, olfactive…
Dans les années 1960, la mémoire acquiert
En Bref ses lettres de noblesse. Tout se joue d’abord
• L’apprentissage par cœur, parfois décrié, revient au goût du jour, dans le cadre des études « homme-machine »
car on découvre qu’il développe la mémoire lexicale. (télécommunications, ordinateur…) où cer-
• L’acquisition d’un vocabulaire étendu et de nombreuses notions tains chercheurs vont jusqu’à penser que l’in-
dépend aussi de la mémoire du sens. telligence repose sur la mémoire. On met en
• L’important est de ne pas « saturer » l’élève de connaissances : avant une hiérarchie de mémoires spéciali-
des études récentes livrent quelques méthodes simples sées, des mémoires sensorielles aux mémoi-
pour ne pas transformer l’apprentissage en torture inutile. res abstraites... La mémoire sensorielle visuelle
est la capacité à « photographier » par exem- est de relier, par un programme informatique,
ple une ligne de chiffres sur un écran, et à les un mot d’une langue étrangère à son homo-
citer de mémoire lorsque l’écran s’éteint. logue natif. Par exemple, chaque fois que l’or-
Diverses expériences ont montré que le nom- dinateur rencontre dans le texte, le mot pêche,
bre de chiffres rappelés diminue rapidement il traduit par fishing. Évidemment, les problè-
si l’instruction d’énoncer ces chiffres inter- mes ne tardent pas à apparaître. Si la phrase
vient plus de 250 millisecondes après l’extinc- est : « Pour le dessert, je voudrais des pêches
tion de l’écran. Cette mémoire est donc éphé- Melba », on aboutit à une traduction cocasse…
mère. L’équivalent dans le domaine sonore, L’idée géniale de A. Collins et R. Quillian fut
la mémoire auditive aurait une durée légère- de tenir compte du fait que la plupart des mots
ment supérieure, de 2,5 secondes : si l’on fait
entendre à quelqu’un une suite de sons, puis
qu’on lui demande de réaliser une rapide tâche
de calcul mental (tâche de distraction), la capa-
cité à citer de mémoire un des sons de la série
devient très faible si la tâche de distraction dure
plus de 2,5 secondes.
Ainsi, à court terme (moins de cinq secon-
des), une présentation visuelle de lettres ou
mots est moins efficace qu’une présentation
auditive. Mais le rappel des données visuelles
ou auditives au bout de plusieurs secondes
(environ dix secondes et plus) est équivalent.
L’explication en a été donnée par le chercheur
anglais John Morton : selon lui, les informa-
tions visuelles ou auditives ne font que transi-
ter dans des mémoires sensorielles, et se retrou-
vent fusionnées dans une mémoire commune,
la mémoire lexicale ou mémoire des mots.
sont polysémiques (dotés de plusieurs sens, tels ce qui se passe si l’on demande à un enfant si
disque, feuille ou pêche), et qu’il faut une inter- un canari a un estomac. Dans ce cas, le réseau
face entre le lexique étranger et le lexique natif, sémantique sera activé pour trouver qu’un
un « interpréteur de sens ». Cet interpréteur de canari est un oiseau, donc un animal, qui, par
sens utilise les mots du contexte (dessert, conséquent, doit avoir un estomac…
Melba…) pour choisir le meilleur sens, qui
guide alors vers la bonne unité lexicale dans Les connaissances
la mémoire lexicale. Supposant que notre
mémoire est naturellement conçue ainsi,
fondent le raisonnement
A. Collins et R. Quillian découvrent la mémoire Dans ce dernier cas, l’information est recons-
du sens, qu’ils nomment « mémoire séman- tituée – « inférée » est le terme technique – à
tique » (du grec semantikos, signification). partir d’informations contenues dans d’autres
Comment imaginer le stockage de quelque parties de l’arborescence. Qu’est-ce que l’in-
chose d’aussi abstrait que le sens ? Leur théo- férence ? Comme le montre cet exemple, c’est
rie repose sur deux principes. un raisonnement qui relève, non de la logique
Le premier est celui de hiérarchie catégo- formelle, mais d’un réseau de connaissances.
rielle. Il stipule que les concepts de la mémoire Voilà pourquoi certains chercheurs pensent que
sémantique sont classés de façon hiérarchique, l’intelligence se nourrit de la mémoire : plus la
les catégories étant emboîtées dans des catégo- mémoire stocke de connaissances, plus les infé-
ries allant des plus particulières aux plus géné- rences sont variées et correctes.
rales, à la façon d’une arborescence : la catégo- Évidemment, l’enfant ne naît pas avec une
rie Canari appartient à la catégorie Oiseau, mémoire sémantique pré-imprimée. Comment
Oiseau à celle de Vertébré, Vertébré à celle se construit-elle ? Les souvenirs font partie
d’Animal, etc. Le second principe, dit d’écono- de ce que le professeur émérite, de l’Université
mie cognitive, veut que seules les propriétés (ou de Toronto au Canada, Endel Tulving, a
traits sémantiques) spécifiques soient classées nommé la mémoire épisodique, somme des
avec les concepts associés. Par exemple, la pro- événements que nous avons mémorisés.
priété jaune est classée avec le concept de canari, Selon lui, chaque fois que nous lisons un
mais des propriétés plus générales comme bec mot déjà connu (par exemple, le mot bateau)
ou ailes sont classées avec le concept d’oiseau. ou que nous voyons un bateau dans un port
Dans ce modèle, la mémoire sémantique ou dans un documentaire, le concept associé
est organisée sous forme d’une arborescence fait l’objet d’un nouvel « épisode » stocké
économique. Un élève comprend des connais- dans la mémoire épisodique.
sances qu’on lui propose de deux façons. Soit M’intéressant aux apprentissages scolaires,
par un accès direct à l’information qui four- j’ai fait l’hypothèse que la mémoire sémanti-
nit le sens : par exemple, on sait que le canari que chez l’enfant est fabriquée à partir de
est jaune, car l’information jaune est déjà l’abstraction de tels épisodes. Si le premier
stockée en mémoire. Soit par inférence : c’est épisode canari pour un enfant est souvent
Les racines
de la démotivation
Un enfant peut être démotivé, rebelle ou il peut vouloir fuir
l’école. Les motivations « négatives » sont aujourd’hui
étudiées, et devraient être prises en compte à l’école.
L
Alain Lieury Dweck, professeur de psychologie sociale, et ses
est professeur la motivation que l’on cherche à évi- collègues de l’Université Stanford aux États-
émérite ter, car elle interfère avec les appren- Unis, ont montré que certains élèves se rési-
de psychologie tissages, à l’école notamment. L’élève gnent s’ils sont confrontés à des problèmes inso-
cognitive démotivé n’apprend pas facilement lubles. De même, en France, Stéphane Ehrlich
de l’Université et peut même évoluer vers une forme plus et Agnès Florin, de l’Université de Nantes, ont
Rennes 2, grave de démotivation : la résignation (ou le déterminé que des élèves faibles se découragent
et ancien directeur
du Laboratoire découragement), qui peut provoquer une en dictée et en mathématiques lorsque la
de psychologie dépression, voire le suicide. Comment par- demande est excessive, par exemple quand il y
expérimentale. vient-on à une telle situation et peut-on l’évi- a trop de problèmes à résoudre. Et si ces élè-
Fabien Fenouillet ter ? Nous présentons ici ce type de motiva- ves se découragent, c’est parce que l’enseigne-
est professeur tions négatives – résignation, rébellion et ment n’est pas adapté à leurs capacités.
de psychologie fuite – et montrons que les élèves concernés
cognitive ont souvent les moyennes scolaires les plus fai- Trop de problèmes
et coresponsable bles. Toutefois, rien n’est inéluctable.
du master 2 En 1975, alors qu’il travaillait sur le stress,
à résoudre
de Psychologie le psychologue américain Martin Seligman En 1996, nous avons obtenu le même résul-
cognitive appliquée expliqua que le découragement s’acquiert tat avec l’apprentissage de cartes de géogra-
à l’Université Paris-
Ouest-Nanterre- quand on a l’impression de n’avoir aucune phie : le découragement dépend de la sur-
La Défense. prise sur le cours des événements. Les consé- charge de travail. Par exemple, lorsqu’une carte
quences d’un apprentissage de la résignation (l’Amérique) comporte en plus des 24 villes à
sont importantes dans le domaine de l’éduca- apprendre, 24 noms indiqués (qu’il ne faut pas
tion, les élèves résignés dans une matière ayant retenir), certains élèves se résignent : ils com-
souvent un niveau faible. Par exemple, Caroll mencent à apprendre les villes aux premiers
essais, comme les autres élèves, puis s’arrêtent
complètement, alors que les autres en retien-
En Bref nent toujours plus à chaque nouvel essai. Il
• L’enfant peut se résigner s’il est incapable de résoudre s’agit là d’une résignation apprise, car les élè-
un problème dans une situation. Cette forme de « démotivation » ves faibles avaient, lors des premiers essais,
peut conduire à des échecs scolaires. un rythme d’apprentissage comparable à
• L’enfant rebelle se sent compétent, mais ne tolère aucune celui des élèves motivés. Beaucoup de facteurs
contrainte. À l’inverse, l’enfant faible dans une matière, peuvent conduire un élève à se résigner : par
mais autonome, n’a qu’une envie : abandonner. exemple il ne se sent pas compétent dans un
questionnaires, de sorte que nous avons, avec vrai ou tout à fait vrai, nous avons déterminé
Sonia Lorant, de l’Université de Strasbourg, leurs motivations.
adapté une échelle de motivation existante Ainsi, la plupart des élèves de 3e sont ani-
en y ajoutant la rébellion et la fuite. En 2011, més par une motivation positive : 38 pour cent
nous avons soumis ce questionnaire à une ont une motivation extrinsèque, et 31 pour
centaine d’élèves de 3e pour déterminer quel cent une motivation intrinsèque. Cependant,
type de motivation les animait : une motiva- en classe de 3e, c’est la motivation extrinsèque
tion extrinsèque – « Je veux devenir méde- qui domine alors que nous avions montré que
cin » ou « Je veux que mes parents soient fiers les élèves de 6e ont plutôt une motivation
de moi » –, une motivation intrinsèque, par intrinsèque. En outre, en 3e, presque un élève
exemple le plaisir d’apprendre, ou des moti- sur trois est en motivation négative : c’est la
vations négatives, telles que la résignation, la rébellion qui domine (14 pour cent des effec-
rébellion ou la fuite. tifs), contre 10 pour cent pour la démotiva-
Quatre affirmations correspondaient à cha- tion (ou résignation), la fuite étant la catégo-
que type de motivation. Ainsi, pour tester la rie la moins représentée avec 7,3 pour cent.
rébellion : « Je comprends que certains élè- Le plaisir d’apprendre diminue-t-il avec l’âge ?
ves s’opposent aux professeurs. » Ou pour C’est ce que semblent indiquer nos résultats,
mettre en évidence la fuite : « Je fais semblant ce qui obligerait les élèves à trouver d’autres
d’être malade pour éviter l’école. » L’élève moyens de se motiver. Et ceux qui n’en trou-
devait cocher une réponse parmi cinq : pas veraient pas se résigneraient ou se rebelleraient.
du tout vrai ; un peu vrai ; plutôt vrai ; vrai ;
tout à fait vrai. En estimant les réponses aux- Des conséquences
quelles les élèves avaient répondu plutôt vrai,
négatives à l’école
Or les motivations qui animent les élèves ont
Besoin d’estime des conséquences sur leurs résultats scolaires.
ou compétence
perçue En effet, nous avons montré avec le même
questionnaire que précédemment, pour les
motivations positives (intrinsèque et extrinsè-
RÉBELLION MOTIVATION
que), que plus les élèves sont sûrs de leurs
INTRINSÈQUE réponses (réponses vrai et tout à fait vrai), plus
leurs résultats scolaires dans une matière clas-
« Je m’oppose toujours « J’adore apprendre
aux professeurs » des choses intéressantes » sique (français, mathématiques, anglais, his-
« Cet exercice est trop « J’aime écrire toire-géographie, etc.) sont élevés. Les résultats
facile pour moi » et dessiner »
sont inverses pour les élèves « négativement »
motivés (voir l’encadré page ci-contre). Et les
MOTIVATION effets sont semblables pour les matières plus
EXTRINSÈQUE
manuelles ou ludiques, la musique, les arts plas-
« Je veux devenir « Papa est fier
médecin » de moi » Besoin tiques et le sport par exemple. Ainsi, plus un
d’autonomie élève est démotivé dans une matière, plus sa
moyenne scolaire est faible. À l’inverse, plus un
élève est motivé, plus sa moyenne est élevée.
« À quoi ça sert d’aller « Je suis trop malade... En revanche, quand on compare ces résul-
à l’école ? » je ne vais pas à l’école »
« De toute façon, je « Dès que je peux, tats sur la motivation des élèves avec leur
n’y arriverai pas ! » j’arrête les cours » sentiment de compétence et leur sentiment
d’autonomie, nos hypothèses quant aux
RÉSIGNATION ABANDON
FUITE
mécanismes produisant la rébellion et la fuite
apparaissent en partie fausses. Nous suppo-
sions en effet que la rébellion correspondait à
2. Les auteurs ont proposé une extension du modèle de
un état motivationnel déterminé à la fois par
E. Deci et R. Ryan, en y intégrant la rébellion et la fuite : les motivations
négatives, comme les motivations positives, résulteraient d’un besoin de une forte contrainte et un sentiment de com-
compétence et d’un besoin d’autonomie. Un élève est rebelle s’il a une pétence élevée, de sorte que l’individu consi-
forte estime de lui, mais ne se sent pas autonome. Et un élève a envie de dère que son échec est dû au professeur, à
fuir l’école s’il se sent incompétent, mais autonome. l’école ou au système scolaire. Or la rébellion
est bien liée à un sentiment de contrainte fort,
ous avons étudié la motivation Résignation les réponses pas du tout vrai à 9,49
N des élèves, en demandant à plus
de 100 collégiens de classe de 3e de
a
31 %
10 %
Rébellion
14 %
pour les réponses vrai et plus (b).
Même baisse des résultats pour la
Motivation Fuite
répondre à un questionnaire de plus intrinsèque 7% rébellion, de 11,65 à 8,6, ainsi que
de 40 propositions.Chaque catégorie 38 %
pour la fuite dont la moyenne passe
de motivation contient environ qua- Motivation extrinsèque de 11,81 à 7,74.Plus l’élève est démo-
tre items. Pour la motivation intrinsè- tivé, plus sa moyenne est faible.
que :« J’essaie de bien faire au collège,
car j’apprends des choses qui m’inté- MOTIVATIONS ANIMANT LES ÉLÈVES 14 b
Résignation
ressent. » Pour la motivation extrin- Quand les élèves sont sûrs de leurs 13 Rébellion
sèque : « Je travaille en classe, parce réponses,ils cochent plutôt vrai,vrai ou Fuite
La maladie
de l’inattention
Difficultés de concentration, impulsivité, agitation motrice :
les troubles de l’attention touchent un enfant sur 20.
Les causes de ce mal sont mieux connues ; diverses
pratiques éducatives et des thérapies adaptées sont efficaces.
attention étant une fonction cogni- tée puisque l’on retrouve fréquemment des
l’augmentation des transporteurs dopaminer- l’émotion –, dont le dysfonctionnement pro- 1. L’enfant atteint
giques provoque une diminution de la dopa- voque chez l’animal une agitation motrice de trouble
mine extracellulaire, de sorte que la transmis- excessive ; enfin, un système noradrénergique de l’attention
sion des informations neuronales au sein du et sérotoninergique lié aux activités cogniti- a des difficultés
réseau reliant le cortex au striatum ralentit, ce ves telles que l’attention, l’apprentissage, la à se concentrer
qui rendrait la région frontale moins opéra- mémoire et la perception des situations stres- et tout est prétexte
tionnelle. La transmission nerveuse par la santes : l’attention dirigée serait altérée. à distraction.
dopamine serait alors moins efficace : les Les origines du trouble de l’attention avec La cause en est
régions frontales contrôleraient moins bien hyperactivité sont mal comprises et probable- en partie biologique.
l’activité des zones sous-corticales gérant les ment multifactorielles. Des gènes intervenant
mouvements ou l’attention visuelle. dans la régulation de la transmission dopa-
Les régions frontales peuvent elles-mêmes minergique semblent associés à certaines for-
présenter un mauvais fonctionnement. Plu- mes de troubles de l’attention. C’est aussi le
sieurs études d’imagerie cérébrale ont mis en cas de facteurs environnementaux tels que les
évidence une réduction du volume du cer- complications de la grossesse, des infections,
veau, et plus particulièrement des lobes fron-
taux. De surcroît, le cortex préfrontal dor-
solatéral et le gyrus cingulaire antérieur de
ces enfants – deux régions clés du système
exécutif, chef d’orchestre de nos conduites – En Bref
présenteraient une trop faible activation. • Environ cinq pour cent des enfants souffrent de troubles
Des travaux chez l’animal mettent égale- de l’attention. Sautes de concentration, difficulté à planifier
ment en lumière le rôle de différents systè- des raisonnements, oublis, impulsivité sont des handicaps.
mes neuronaux : l’un d’eux, utilisant l’his- • La communication entre neurones semble perturbée,
tamine comme neurotransmetteur, module que ce soit à cause de facteurs génétiques, d’infections
l’éveil, et un mauvais fonctionnement se tra- périnatales ou de troubles du sommeil.
duirait par des troubles de la vigilance et de la • Des médicaments donnent de bons résultats, mais c’est
motivation ; un système utilisant l’hypocrétine aux parents et aux éducateurs d’enseigner aux enfants la patience
– un neuromédiateur impliqué dans le com- et de les protéger contre les stimulations rapides et faciles,
portement locomoteur, la prise alimentaire et omniprésentes dans l’environnement moderne.
vent à une absence de diagnostic, voire à des veillant, en évitant les sanctions systémati-
erreurs de diagnostic. ques, sans effet. Il faut rappeler très souvent
Selon les cas, le médecin optera pour un les règles : ne pas couper la parole et attendre
traitement médicamenteux, des aménage- son tour, regarder avant de traverser la route.
ments dans l’environnement ou le milieu Devant un surcroît d’agitation, on permet-
éducatif de l’enfant, ou pour des thérapies tra à l’enfant de se défouler, de se lever de table
cognitives et comportementales. Sur le plan pour aller chercher l’eau ou le sel. Pour le tra-
des médicaments, le traitement de référence vail scolaire le soir à la maison, il est impéra-
est le méthylphénidate, un psychostimulant tif de réduire au maximum toutes les sources
figurant au tableau des stupéfiants. Pourquoi de distractions possibles en évitant par exem-
donner un excitant à un enfant déjà trop ple de faire les devoirs devant la télévision ;
remuant ? Cette molécule bloque la recapture limiter les accessoires, jouets et affiches pré-
de la dopamine et de la noradrénaline, ce qui sents devant ou sur le bureau. Toutes les situa-
renforce l’action de ces deux neurotransmet- tions offrant de multiples stimulations gênent
teurs : le circuit qui relie le cortex frontal et l’enfant en favorisant l’éparpillement et la dis-
le striatum et qui est déficient chez le jeune tractibilité. Toujours sur le plan éducatif, l’hy-
patient redevient efficace et active les struc- giène de vie, notamment sur le plan de l’ali-
tures préfrontales nécessaires au contrôle de mentation et du sommeil, compte également :
l’attention. L’enfant est plus attentif, recou- les boissons sucrées et excitantes doivent être
vre une meilleure mémoire de travail et ses contrôlées – notamment le soir avant d’aller
performances scolaires s’améliorent ; il com- au lit. Les heures de coucher doivent être régu- 3. Les troubles
met moins d’erreurs, se montrant tout à la lières en semaine tout comme le week-end, du sommeil,
fois plus rapide, réfléchi, organisé et calme. afin d’offrir une bonne récupération. notamment
une fragmentation
Un trouble attentionnel engendre lenteur,
du sommeil, entraînent
Un traitement efficace erreurs et manque d’autonomie dans le tra-
des troubles
vail scolaire. Des adaptations pédagogiques de l’attention.
L’efficacité du méthylphénidate est établie : simples sont par conséquent recommandées. Le syndrome dit
il permet d’éviter l’apparition de problèmes Ainsi, il convient de bien capter l’attention de des jambes sans repos
sérieux et de sortir certains enfants de situa- l’enfant avant de lui donner une consigne, est parfois en cause.
tions catastrophiques d’échec scolaire, de laquelle doit être simple et concise afin de ne Or le cortex
redoublements multiples et de mauvaise pas surcharger sa mémoire de travail. Les préfrontal, essentiel
orientation, ou même d’exclusion sociale. À doubles tâches doivent être évitées. Par exem- pour le maintien
ce titre, le risque de présenter à l’adolescence ple, on peut proposer à l’enfant de relire son de l’attention,
un syndrome dépressif ou des conduites à ris- devoir, mais en vérifiant une règle à la fois : est sensible au manque
que, telles la délinquance ou la toxicomanie, la première fois, il relira en vérifiant que les de sommeil.
est bien supérieur chez des enfants non trai-
tés que chez des enfants traités. Malgré ces
avantages, la prescription de méthylphéni-
date ne doit être envisagée que lorsque l’in-
tensité des symptômes et leurs répercussions
scolaires ou sociales le justifient pleinement,
et ce toujours en accord avec les parents et
l’enfant. En France, ce médicament est utilisé
sur une courte période (un ou deux ans), par-
fois uniquement pendant les jours d’école.
Parents et éducateurs jouent un rôle de pre-
mier plan auprès de l’enfant présentant un
trouble de l’attention (voir la figure 4). Tout
d’abord, le diagnostic doit les aider à compren-
dre qu’il « ne fait pas exprès », qu’il ne s’agit ni
gsmad / Shutterstock.com
5,90
€
L’intelligence : comment la cultiver ? no 9 (fév. 12) ❑ 076909 ❑ 076809
Les racines de la violence no 8 (nov. 11) ❑ 076908 ❑ 076808
d è s le ❑ 076907 ❑ 076807
2 e nu Les émotions au pouvoir no 7 (août 11)
a c he mé ro Dans le dédale des mémoires no 6 (mai 11) ❑ 076906 ❑ 076800
té !
Cerveau homme / femme no 5 (fev. 11) ❑ 076905 ❑ 076806
Le cerveau mélomane no 4 (nov. 10) ❑ 076904 ❑ 076805
Cerveau, amour et désir no 3 (août 10) - ❑ 076804
Le sommeil et ses troubles no 2 (mai 10) - ❑ 076803
Drogues et cerveau no 1 (fév. 10) - ❑ 076802
Illusions : des pièges pour le cerveau hors-série (août 09) - ❑ 076801
BON DE COMMANDE Groupe Pour la Science • 628 avenue du Grain d’Or • 41350 Vineuil
Tél. : 0 805 655 255 • e-mail : [email protected]
3e réf. x 5,90 € = € ❑ Je souhaite recevoir la newsletter Cerveau & Psycho à l’adresse e-mail suivant :
VPESE11 • Offre valable jusqu’au 31.11.2012.
4e réf. x 5,90 € = € @
e
5 réf. x 5,90 € = €
Je choisis mon mode de règlement :
e
6 réf. x 5,90 € = € ❑ par chèque à l’ordre de Pour la Science
Frais port (4,90 € France – 12 € étranger) + € ❑ par carte bancaire No
Date d’expiration
❑ Je commande également la reliure Cerveau & Psycho Signature obligatoire
(capacité 12 nos au format classique) au prix de 14 € + € Code de sécurité
(les 3 chiffres au dos de votre CB)
TOTAL À RÉGLER €
En application de l’article 27 de la loi du 6 janvier 1978, les informations ci-dessus sont indispensables au traitement de votre commande. Elles peuvent donner lieu à l’exercice du droit d’accès et de rectification auprès
du groupe Pour la Science. Par notre intermédiaire, vous pouvez être amené à recevoir des propositions d’organismes partenaires. En cas de refus de votre part, merci de cocher la case ci-contre ❑.
Près d’un enfant sur dix présente des difficultés pour lire,
écrire ou faire des calculs. Les mécanismes neurobiologiques
impliqués se dévoilent et facilitent la rééducation.
© Shutterstock/Robert Szakiel
AVANT ENTRAÎNEMENT
mise en relation des graphèmes avec les pho-
nèmes, qui est pourtant indispensable à l’ap-
prentissage de la lecture et de l’orthographe.
La plupart des études utilisant des techni-
ques d’imagerie fonctionnelle – l’imagerie par
résonance magnétique fonctionnelle ou la
tomographie par émission de positons – mon-
trent un dysfonctionnement des régions par- Cortex pariétal
ticipant aux traitements phonologiques et
APRÈS ENTRAÎNEMENT
situées le long d’une structure nommée la scis-
sure de Sylvius de l’hémisphère gauche.
Cortex
occipito-
Une hypoactivité temporal
cérébrale dès sept ans
Hémisphère droit Hémisphère gauche
Ce sont notamment la région postérieure
pariéto-temporale et la région antérieure
1. Chez un enfant âgé de dix ans atteint d’une dyslexie
frontale inférieure gauches. En effet, lors de
associée à des troubles de la vision et de l’attention, on constate
tâches impliquant un traitement phonologi- une hypoactivité des régions occipito-temporale et pariéto-temporale
que – des exercices de rimes ou de manipu- gauches (en haut, l’activité cérébrale est enregistrée en IRM fonctionnelle).
lation de phonèmes, par exemple l’enfant doit Deux mois plus tard, après un entraînement visuel intensif (par exemple
trouver les deux mots qui riment parmi les repérer un trajet dans un labyrinthe), l’IRM fonctionnelle montre une
trois mots qui lui sont proposés –, la première forte augmentation de l’activité cérébrale dans les cortex occipito-
aire est souvent peu activée et la seconde est, temporaux et pariétaux supérieurs gauches
selon l’âge des sujets, soit hyper-, soit hypo- et droits quand l’enfant lit un texte (en bas) ; cette augmentation
activée. Ces anomalies caractériseraient les de l’activité cérébrale s’accompagne d’une amélioration
personnes dyslexiques et ne dépendraient pas des performances de lecture.
du niveau de lecture ou de la difficulté de la
tâche cognitive proposée dans le scanner.
Notons que la plupart des ectopies – ces Depuis le début des années 2000, un cer-
anomalies de structure présentes dans le cer- tain nombre d’études montrent que l’hypo-
veau des dyslexiques – se répartissent le long activité des régions postérieures pariéto-tem-
de la scissure de Sylvius gauche. Mais on porale et occipito-temporale gauches existe
ignore comment elles modifient l’activité des dès l’âge de sept ans, c’est-à-dire dès le début
régions cérébrales concernées. de l’apprentissage de la lecture.
En outre, les sujets dyslexiques ont par- Ces résultats vont à l’encontre de l’hypo-
fois des anomalies de traitement visuel, ce thèse selon laquelle de longues années de dif-
qui nuit à l’analyse de la forme des mots ficultés en lecture engendrent le déficit d’ac-
indispensable à la mise en place d’une lec- tivation observé chez les adultes dyslexiques ;
ture rapide et efficace. Le traitement global le dysfonctionnement serait présent d’em-
du mot lu met en œuvre le circuit occipito- blée dans l’organisation du cortex. De plus,
temporal gauche. Or cette région contient, Sally et Bennett Shaywitz et leurs collègues,
d’après les neurobiologistes Laurent Cohen, de l’Université Yale, ont montré que les enfants
à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, et Stanislas et les adultes dyslexiques ayant les niveaux de
Dehaene, du Collège de France, une aire qui lecture les plus bas – évalués par des tests com-
se spécialise pour la reconnaissance de la portementaux – sont aussi ceux pour lesquels
forme visuelle des mots ; cette aire serait l’activité de ces régions est la plus faible.
sous-activée chez les personnes dyslexiques Toutefois, le cerveau « gauche » des dys-
par rapport à des sujets contrôles. Qui plus lexiques ne serait pas tout seul… S. Shaywitz
est, tous les dyslexiques, quelle que soit leur et ses collègues ont montré que l’activité céré-
langue maternelle (anglais, français ou ita- brale augmente avec l’âge dans les régions
lien), présentent une hypoactivité de cette frontales inférieures gauches et droites des
région temporale inférieure. sujets dyslexiques lors d’un exercice de rimes.
Le réseau du calcul
l n’existe pas de région spécifique dédiée au calcul arabes, mis en jeu dans les calculs complexes et les juge-
Ibraux
– pas de « bosse des maths ».Trois systèmes céré-
distincts, mais interconnectés, sous-tendent les
ments de parité. Le troisième, l’analogique, est sous-tendu
par les régions pariétales droites et gauches (en orange)
trois formats de représentation mathématique du « tri- autour du sillon horizontal intrapariétal ; il code l’impor-
ple code ». Selon cette théorie proposée par S. Dehaene tance des nombres et permet les comparaisons, l’esti-
et L. Cohen, l’information numérique se décompose mation des quantités ou les calculs approximatifs.
en trois formats : un verbal, un visuel et un analogique. En outre, le cortex préfrontal (en vert) intervient dans
Le premier est lié aux aires du langage – aires de Broca la mémoire de travail et les mécanismes de planification
et de Wernicke (en rose) – situées dans l’hémisphère et de contrôle, ces aptitudes participant aux calculs com-
gauche ; il permet de compter et de retenir les tables plexes et à la résolution de problèmes.
d’addition et de multiplication. Le deuxième correspond Quelques données de l’imagerie cérébrale suggè-
aux régions occipito-temporales (en violet) des deux rent que la dyscalculie serait due à des anomalies des
hémisphères ; il est nécessaire pour l’écriture en chiffres régions pariétales.
Sillon horizontal
Cortex pariétal Cortex intra-pariétal
préfrontal Gyrus cingulaire
antérieur
Gyrus
angulaire
Aires du langage
Delphine Bailly
Cortex
occipito-temporal
HÉMISPHÈRE DROIT HÉMISPHÈRE GAUCHE
l’animal, ces gènes interviennent dans les chologiques des enfants dyscalculiques.
mécanismes de la migration neuronale… Or Selon le modèle théorique du « triple code »
c’est justement des anomalies de ce phéno- proposé par S. Dehaene et L. Cohen à la fin
mène qui engendrent la formation des ecto- des années 1990, l’information numérique
pies, dont la mise en évidence chez l’homme peut être manipulée dans trois formats de
a été, rappelons-le, le point de départ des représentation : un format dit verbal, impli-
recherches sur les causes neurobiologiques qué dans le comptage, l’apprentissage et la
de la dyslexie. Ces études confirment aussi mémorisation des faits numériques (tables
le caractère complexe de la dyslexie : plu- d’addition ou de multiplication) ; un format
sieurs gènes jouent vraisemblablement un visuel, nécessaire pour l’écriture en chiffres
rôle. Cette complexité expliquerait en par- arabes mise en œuvre dans les calculs com-
tie l’hétérogénéité observée en clinique, car plexes (par exemple, pour un enfant de huit
les troubles des enfants dyslexiques ou dys- ans, calculer 53 – 39) et les jugements de
orthographiques sont très différents. parité ; et un format analogique qui code
En ce qui concerne la dyscalculie – ou plu- l’importance des nombres et permet les com-
tôt les dyscalculies –, les recherches dans ce paraisons, l’estimation des quantités ou les
domaine sont moins abondantes que sur la calculs approximatifs.
dyslexie. On ignore par exemple s’il existe des
ectopies dans le cerveau des dyscalculiques. Pas de bosse des maths
Néanmoins, depuis quelques années, de nou-
veaux modèles théoriques et les études en Ainsi, Michael Von Aster et son équipe à
imagerie fonctionnelle permettent de formu- Berlin distinguent trois types de dyscalcu-
ler des hypothèses concernant les déficits en lies : les dyscalculies verbales engendrant des
calcul rencontrés dans l’enfance. difficultés dans la mise en œuvre des routi-
La dyscalculie concernerait 3,6 à 7,7 pour nes de comptage pour réaliser des additions,
cent des enfants scolarisés. Elle serait moins et dans le stockage et la récupération d’in-
fréquente que la dyslexie et serait associée aux formations arithmétiques ; les dyscalculies
troubles de la lecture dans 17 à 64 pour cent visuelles correspondant à des problèmes de
des cas (les études et les méthodes d’évalua- lecture et d’écriture des nombres en chiffres
tion de l’arithmétique jouant sans doute un arabes ; et les dyscalculies analogiques (ou
rôle dans cet écart), ainsi qu’à des générales) entraînant des déficits dans pra-
troubles de l’attention. De fait, seul tiquement tous les domaines de l’activité
un tiers des enfants dyscalculiques numérique. Nous verrons que les enfants
ne souffre que de ce trouble. concernés par ce dernier type de dyscalculie
Différentes classifications ont été sont privés du « sens du nombre », une
© Shutterstock/Maria Pavlova
vités de calcul, la contribution d’une région région chromosomique, ni aucun gène candi-
du cortex pariétal des deux hémisphères : le dat n’ont été proposés dans les dyscalculies.
sillon horizontal intrapariétal. Ce dernier serait En général, quand un enfant souffre de
le support d’une représentation sémantique dyscalculie, les méthodes de rééducation
du nombre, indépendante du code verbal. concernent les difficultés cognitives qui sous-
Dans le lobe pariétal gauche, le gyrus angu-
laire participe aussi au calcul, mais, contraire-
ment au sillon intrapariétal, il dépend du code
verbal et participe à la récupération des infor- La rééducation des enfants dyslexiques
mations arithmétiques mémorisées. Pour les ou dyscalculiques doit être adaptée
calculs plus complexes ou la résolution de pro-
blèmes, interviennent la mémoire de travail et aux performances et aux difficultés
des mécanismes de planification et de contrôle de chaque enfant.
qui incombent aux aires préfrontales.
« Le sens du nombre » est une aptitude uni-
verselle nécessaire à la représentation et à la
manipulation des valeurs numériques sans le tendent le trouble : on ne rééduque pas de la
langage. Cette capacité cognitive serait en par- même façon un enfant ayant des difficultés
tie innée : dès les premiers mois de la vie, l’en- importantes dans le domaine de la mémoire
fant manipule les nombres dans des opérations de travail qu’un enfant avec un déficit visuos-
mettant en jeu au maximum trois éléments, patial. À l’heure actuelle, aucune étude scien-
mais il ne peut qu’estimer des collections de tifique n’évalue une approche rééducative
plus de trois objets (« il y en a beaucoup », c’est- spécialisée pour les dyscalculies ; on sait
à-dire plus de trois). Toutefois, le développe- cependant que certaines interventions en
ment du code analogique permettant à l’en- milieu scolaire ont une réelle efficacité.
fant et à l’adulte l’estimation des quantités ou Pour les troubles « dys », l’objectif est de Bibliographie
les calculs approximatifs sur les grands nom- comprendre l’influence des facteurs généti- B. Butterworth et al.,
bres est progressif pendant la phase présco- ques, mais aussi environnementaux. Un Dyscalculia : from brain
laire et les premières années de l’école primaire. grand projet européen, nommé Neurodys, to education,
Qui plus est, on sait que les capacités verbales, est actuellement en cours ; on espère que les in Science, vol. 332,
pp. 1049-1053, 2011.
visuospatiales et exécutives – l’attention et la résultats permettront de mieux comprendre
S. Shaywitz et al.,
mémoire de travail – jouent un rôle important. les liens entre caractéristiques génétiques, The education
activité cérébrale et performances dans les of dyslexic children
Une perte tests de langage. Il permettra peut-être d’iden- from childhood
tifier certains mécanismes de ces pathologies. to young adulthood,
du sens du nombre À l’école, les méthodes d’enseignement de in Annual Review
of Psychology, vol. 59,
Un consensus semble se dégager : la dyscal- la lecture et du calcul ont évolué et prennent pp. 451-475, 2008.
culie serait une perte du « sens du nombre » en compte les résultats scientifiques concer- M. Von Aster et
due à un dysfonctionnement des circuits neu- nant les bonnes stratégies d’apprentissage. Elles R. Shalev, Number
ronaux participant à cette capacité. On pense visent plusieurs niveaux et modes de représen- development
notamment à une anomalie pariétale. On a mis tation du langage ; il s’agit aussi bien des uni- and developmental
dyscalculia,
en évidence une diminution du volume du cor- tés (comme la syllabe) qui constituent les mots in Developmental
tex, d’une part, dans la région pariétale gauche que le sens porté par les mots ou les phrases. Medicine and Child
d’adolescents dyscalculiques, anciens préma- De plus, les capacités d’expression écrite sont Neurology, vol. 49,
turés d’intelligence normale, d’autre part, au encouragées parallèlement à l’apprentissage pp. 868-873, 2007.
niveau du sillon intrapariétal droit de jeunes de la lecture, tant il est vrai que l’expression et J.-F. Démonet et al.,
l’analyse orthographique se renforcent mutuel- Developmental
filles présentant une maladie génétique et souf-
dyslexia, in Lancet,
frant d’une dyscalculie associée à des difficul- lement. En outre, les enfants sont entraînés au vol. 363, pp. 1451-
tés de visualisation de l’espace. calcul approximatif et de tête, ce qui reste une 1460, 2004.
Ce trouble aurait une cause génétique. En bonne pratique d’après les résultats récents sur S. Dehaene et al.,
effet, il existe une fréquence élevée d’antécé- les troubles de l’apprentissage. Enfin, le goût Arithmetic
dents de dyscalculie dans les familles d’enfants de la lecture et l’attrait de la découverte d’un and the brain,
in Current Opinion
présentant cette pathologie. Mais cette hypo- récit doivent être communiqués aussi tôt que in Neurobiology,
thèse génétique est moins étayée que dans le possible par tous les adultes qui entourent l’en- vol. 14, pp. 218-224,
domaine des dyslexies, et, à ce jour, aucune fant, leurs parents et leurs enseignants. I 2004.
Dormir pour
mieux apprendre
Les adolescents ne devraient pas négliger leur sommeil :
la mémorisation à long terme d’informations pertinentes
est meilleure après une bonne nuit de sommeil. Les souvenirs
sont non seulement « consolidés », mais ils sont aussi triés.
B
venirs et des connaissances en mémoire à long
sante est essentiel au bien-être… terme. Examinons comment les informations
chacun a déjà ressenti les effets sont mémorisées durant le sommeil.
négatifs d’un déficit en sommeil : Depuis une vingtaine d’années, plusieurs étu-
le manque de concentration, d’at- des où l’on empêchait des volontaires de dor-
tention et d’énergie, l’irritabilité ou encore la mir ont montré que le sommeil lent profond,
fatigue. Le sommeil permet à l’organisme de prédominant en début de nuit, permet de
récupérer (physiquement et psychiquement) consolider, c’est-à-dire de stocker à long terme,
et de sécréter l’hormone de croissance, mais il des souvenirs en mémoire épisodique. Cette
joue aussi un rôle crucial dans les mécanismes mémoire enregistre tous les événements vécus
d’apprentissage et de mémorisation. De nom- que l’on est capable de situer précisément dans
breuses études confirment qu’un sommeil de le temps et dans l’espace (par exemple, le jour
bonne qualité, en quantité suffisante, et des de son mariage). En laboratoire, on évalue cette
rythmes biologiques réguliers participent au forme de mémoire avec des exercices consistant
bon fonctionnement de la mémoire. à mémoriser des séries de mots, même si ce type
De façon schématique, on distingue deux de tâche n’explore qu’une facette de la mémoire
types de sommeil : le sommeil lent et le som- épisodique, sans tenir compte des dimensions
meil paradoxal. Le premier est divisé en som- spatiale et temporelle des souvenirs.
Géraldine Rauchs meil lent léger et en sommeil lent profond, et
travaille dans l’Unité c’est au cours du sommeil paradoxal que sur- Les phases du sommeil
INSERM U1077 viennent la majorité des rêves. Ces différents
de Neuropsychologie stades de sommeil se succèdent au cours de À l’inverse, le sommeil paradoxal, qui pré-
et neuroanatomie la nuit en cycles d’environ 90 minutes. Une domine en fin de nuit, favoriserait la consoli-
fonctionnelle
activité électroencéphalographique et un dation des apprentissages procéduraux, c’est-
de la mémoire
humaine, environnement neurochimique spécifiques à-dire la mémoire des capacités et savoir-faire
à l’Université caractérisent chaque stade, et fournissent des (par exemple, jouer du piano). D’autres tra-
de Caen- conditions favorables à un processus lent et vaux ont montré que le sommeil lent profond
Basse-Normandie. complexe qui aboutit au stockage des sou- et le sommeil paradoxal participaient tous deux
à la consolidation des souvenirs quel que soit Les techniques d’imagerie cérébrale (la 1. Les adolescents
le type de mémoire mis en jeu. tomographie par émission de positons ou TEP manquent souvent
Pour étudier les liens entre sommeil et et l’imagerie par résonance magnétique fonc- de sommeil
apprentissage, nous avons utilisé une épreuve tionnelle ou IRMf) ont permis aux scientifi- et somnolent
qui nous a permis d’évaluer les différentes ques de mieux comprendre le rôle du som- dans la journée :
facettes de la mémoire épisodique, c’est-à- meil dans la consolidation des souvenirs. Avec ils ne mémorisent
dire le contenu factuel et les dimensions spa- ces outils, on observe le cerveau fonctionner, pas correctement
tiale et temporelle. Les volontaires devaient c’est-à-dire les régions dont l’activité aug- les informations
qu’ils entendent…
mémoriser deux listes de mots (contenu fac- mente ou diminue, au cours des différents
tuel) et pour chaque mot, leur position sur stades du sommeil, mais aussi lors d’une
une feuille de papier (dimension spatiale) et tâche de mémorisation. On étudie ces para-
la liste où il se trouvait (dimension tempo- mètres chez des sujets ayant dormi et d’au-
relle). Puis nous avons ou non privé les par- tres privés de sommeil après l’apprentissage
ticipants de sommeil – plus précisément de et l’on compare leurs activités cérébrales.
certaines phases de sommeil – et avons éva- Grâce à ces techniques, on a montré que la
lué comment ils retenaient ces mots. consolidation des souvenirs repose sur un
Ainsi, nous avons montré que le sommeil mécanisme de réactivation des neurones dans
lent profond consolide surtout les aspects
temporels du souvenir, alors que le sommeil
paradoxal est bénéfique à la mémorisation
des caractéristiques spatiales. D’autres étu-
des soulignent que le sommeil lent léger
En Bref
participe aussi à ce processus. En fait, la suc- • Les différentes phases du sommeil participent à la mémorisation
cession ordonnée des différents stades de des apprentissages, qu’ils soient épisodiques, tel retenir des mots,
ou procéduraux, par exemple faire du vélo.
sommeil au cours de la nuit refléterait les
divers traitements que subit la trace mnési- • Dans l’hippocampe, les ondes du sommeil « réactivent »
que et qui la rendent stable et résistante aux les neurones, de sorte que la trace mnésique est consolidée.
interférences et à l’oubli. • Le sommeil favorise aussi le tri des informations pertinentes.
l’hippocampe, une des régions essentielles à stockage à long terme des souvenirs. D’autres
la mémorisation et aux apprentissages. Pour travaux ont également montré que les ondes
ce faire, Philippe Peigneux et ses collègues, lentes et les fuseaux de sommeil, caractéris-
de l’Université de Liège, ont proposé à des tiques respectivement du sommeil lent pro-
étudiants d’apprendre à se repérer dans une fond et lent léger, sont importants dans ce
ville virtuelle complexe (cette tâche de navi- processus. Ces données ont permis aux scien-
gation spatiale active un certain nombre de tifiques de proposer un modèle de consoli-
régions du cerveau dont l’hippocampe). Puis, dation des souvenirs au cours du sommeil.
au cours de la nuit suivante, ils ont enregistré Pour la mémoire épisodique, les informa-
l’activité cérébrale de ces sujets, notamment tions qui viennent d’être acquises seraient
lors des épisodes de sommeil lent profond. réactivées par l’hippocampe lors du sommeil
lent profond. Ces réactivations permettraient
La réactivation de « graver » plus profondément les traces
mnésiques au sein des réseaux de neurones.
nocturne des neurones Elles surviendraient en même temps que dif-
Ils ont constaté que l’hippocampe était férentes ondes du sommeil lent (ondes len-
réactivé au cours du sommeil chez les sujets tes et fuseaux), le tout favorisant le transfert
soumis au préalable à l’apprentissage spatial, des souvenirs vers le cortex, c’est-à-dire des
alors qu’il ne l’était pas chez des sujets n’ayant régions de la substance grise situées à la sur-
pas réalisé la tâche. Cette structure cérébrale face du cerveau, où ils seraient stockés à long
« rejoue» la partition durant la nuit. En outre, terme (voir la figure 2). Ce dialogue nocturne
plus l’hippocampe était réactivé au cours de la entre l’hippocampe et les aires corticales ne
nuit, plus les performances des sujets, mesu- se fait que si les concentrations de certaines
rées le lendemain matin, étaient bonnes. Ces substances telles que l’acétylcholine, un neu-
données confirment l’existence d’un méca- rotransmetteur, et le cortisol, une hormone
nisme de réactivation des traces mnésiques du stress, sont faibles en début de nuit. Ce
durant le sommeil, phénomène déjà observé mécanisme de stockage des informations est
chez le rongeur à partir d’enregistrements de probablement semblable pour la mémoire
l’activité électrique de différentes cellules de procédurale, mais il impliquerait des régions
l’hippocampe nommées « cellules de lieu ». distinctes du cerveau.
La réactivation d’ensembles de neurones En conséquence, le sommeil participe à la
n’est pas le seul mécanisme permettant le mémorisation des souvenirs. Mais le cerveau
Comment gérer
les classes difficiles ?
Quelques élèves perturbateurs ou agités transforment
parfois une classe en chaos. L’enseignant peut intervenir
pour restaurer un meilleur climat de travail et rétablir
avec les élèves une relation d’autorité
respectueuse et bienveillante.
D
Jean-Claude
Richoz gnants sont de plus en plus sou- discipline, il importe de réagir avant que le
est professeur vent confrontés à des classes phénomène ne prenne plus d’ampleur.
formateur à la Haute difficiles à gérer, où règne une L’expérience acquise dans le recadrage de
école pédagogique certaine indiscipline. Ils se plai- telles classes montre que l’on peut intervenir
de Lausanne, gnent du manque d’éducation et d’intérêt des avec succès dans bon nombre de cas. Dans cet
en Suisse. élèves, ainsi que de la pénibilité de leurs condi- article, nous décrivons brièvement les moyens
tions de travail. Confrontés à d’importantes utilisés par des enseignants pour restaurer un
difficultés pour exercer leur métier, certains climat de travail et rétablir avec leurs élèves
finissent par ne plus éprouver de plaisir à une relation d’autorité respectueuse et bien-
enseigner, sont fatigués, découragés et parfois veillante. Les indications fournies dans ce
même dégoûtés par leurs élèves. Des enquê- cadre portent essentiellement sur les clas-
tes effectuées dans des classes primaires mon- ses maternelles et primaires, parce qu’il est
trent qu’une classe sur quatre ou sur cinq, assez facile d’agir à ces niveaux de la scola-
selon les endroits, est concernée. Cette pro- rité et qu’une intervention précoce représente
portion est élevée et requiert une prise de la meilleure des préventions pour éviter une
dégradation plus sérieuse des situations dans
les collèges.
Une classe peut être qualifiée de difficile
En Bref quand un enseignant ne peut pas exercer cor-
• Les classes difficiles sont le plus souvent le fait d’un petit nombre rectement son métier et que la majorité des
d’élèves perturbateurs, agités ou opposants. élèves ne peut plus se concentrer et travailler
• De nombreux enseignants n’osent malheureusement plus dans le calme, à cause de perturbations diver-
faire preuve d’autorité devant leurs classes, parce qu’ils doutent ses. Souvent, les problèmes sont mineurs
ou ont peur de passer pour... autoritaires. (bavardages, agitation, refus de travailler, pas-
• Pour établir un climat de travail dans une classe, il faut créer sivité, etc.), mais leur multiplication et leur
une bonne relation affective avec les élèves, faire respecter accumulation finissent par entraver sérieuse-
certaines règles essentielles et ne pas hésiter à sanctionner. ment le travail des enseignants et des élèves.
Il est important de considérer qu’une classe L’élève perturbateur bavarde souvent, dé-
n’est en soi jamais difficile, mais qu’elle le range la classe, ne respecte pas les règles, cha-
devient dans un contexte relationnel et des hute, attire l’attention de ses camarades, les
circonstances particulières. Une même classe distrait et les fait rire, interrompt l’ensei-
peut parfois être quasi ingérable pendant gnant, fait intentionnellement du bruit et
quelques semaines ou quelques mois et rede- émet souvent des remarques ou des com-
venir ensuite normale, simplement parce que mentaires à haute voix. L’élève agité ne reste
les difficultés se sont aplanies avec le temps pas tranquille sur sa chaise, se lève, se déplace,
ou parce qu’on a pris des mesures appropriées n’est pas attentif, se laisse facilement distraire,
pour rétablir un climat de travail et une rela- joue et fait du bruit avec son matériel. Il est
tion positive de l’enseignant avec ses élèves. aussi impulsif, interrompt les autres, prend
spontanément la parole, peine à terminer son
Qu’est-ce travail, ne fait pas ce qu’on lui demande, est
peu ou mal organisé, et oublie ses affaires.
qu’un élève difficile ? Enfin, l’élève opposant refuse de travailler,
Au niveau individuel, un élève est perçu 1. Une classe de faire ce qui est demandé, ne fait pas ses
comme difficile quand il demande tellement sur quatre ou cinq devoirs, n’obéit pas, conteste, exprime ouver-
d’attention et d’énergie que l’enseignant ne selon les endroits tement son désintérêt, provoque, répond à
peut plus enseigner et s’occuper du reste de serait difficile : l’enseignant, le défie, se met en colère, est
la classe comme il devrait le faire. On dis- présence d’élèves grossier, insulte, menace, fait des crises, etc.
tingue principalement des élèves difficiles de bruyants, tapageurs, Dans les classes qui posent problème, on
type perturbateur, agité ou opposant, certains refusant les activités trouve en moyenne cinq élèves difficiles
enfants présentant parfois plusieurs de ces de la classe ; ambiance (sur 20), avec à peu près autant d’élèves per-
caractéristiques (voir la figure 4). tendue et délétère. turbateurs et agités et un nombre plus faible
d’élèves opposants, mais ces derniers représen-
tent un facteur de gêne important. Certaines
classes sont même parfois perçues comme dif-
ficiles par les enseignants en raison de la pré-
sence d’un seul élève de type opposant.
primaires, il importe d’expliquer avec une Contrairement aux pratiques en vogue ces
conviction particulière les suivantes : la classe 20 dernières années, qui faisaient fortement
est un lieu de travail ; les élèves obéissent à l’en- appel à l’autodiscipline des enfants en visant
seignant ; chaque élève a le droit d’apprendre ; très tôt le développement de leur autonomie,
l’enseignant a le devoir et le droit d’enseigner ; les études des psychologues Jean Piaget et
chacun est capable et a de la valeur ; chacun Lawrence Kohlberg montrent que l’appren-
doit se sentir en sécurité pour travailler. tissage des règles suit un processus d’acqui-
sition qui passe par différentes étapes. Ces
Apprendre des règles étapes correspondent aux grandes phases du
développement moral de l’être humain et
Dans la plupart des situations où l’enseigne- doivent être respectées pour que l’enfant
ment est difficile, l’analyse montre que les ensei- accède progressivement à une autonomie
gnants ont mis en place des règles pratiques, morale mature et responsable. Pour en faci-
par exemple, celles qui concernent les déplace- liter la mise en pratique, on peut distinguer
ments en classe, le rangement du matériel, les de façon simplifiée trois phases principales
sorties aux toilettes, le fait de manger en classe, dans ce long apprentissage : la phase du per-
les oublis ou les arrivées tardives, en bref la ges- mis et du défendu durant la petite enfance,
tion du quotidien. Mais ils pratiquent peu de la phase de la morale hétéronome durant
rituels, tels que serrer la main des élèves à la l’enfance et la phase de la morale autonome
porte, leur demander de se lever au début d’une à partir de l’adolescence (voir la figure 2).
leçon, attendre qu’un silence parfait s’installe Ce schéma met en évidence que l’appren-
avant de commencer, ou encore instaurer la tissage des règles passe en fait par un appren-
lecture quotidienne d’une histoire ou le colo- tissage sous-jacent de l’obéissance, qui s’ef-
riage d’un mandala durant cinq minutes après fectue lui aussi selon une progression en
la récréation (voir la figure 3). Par ailleurs, les trois phases : l’obéissance imitative et impo-
enseignants oublient le plus souvent d’explici- sée, à inculquer impérativement au petit
ter les règles les plus essentielles de l’enseigne- enfant en lui donnant des repères éducatifs
ment, en particulier la règle du travail et celle concrets, précis et répétés ; l’obéissance
de l’obéissance. Dans les situations probléma- spontanée et naturelle de l’enfant à l’adulte,
tiques, certaines classes deviennent pour cette qui se développe sur fond de relation affec-
raison des « zones de non-droit ». L’enseignant tive durant l’enfance ; et l’obéissance inté-
n’a plus le droit d’enseigner et les élèves qui riorisée, ou autodiscipline, qui apparaît à
veulent travailler n’ont plus le droit de le faire. l’adolescence et conduit progressivement à
La première chose à entreprendre dans la maturité morale de l’adulte. Durant les
une classe difficile à gérer est de rétablir des deux premières phases de ce développement
règles de travail et de les faire respecter, mais (correspondant aux classes maternelles et
encore faut-il poser ce cadre correctement. primaires), l’enfant en est donc encore à l’âge
de la morale hétéronome, c’est-à-dire d’une passent ensuite bien plus facilement. Quand
morale qui doit venir de l’extérieur, et la rela- surviennent des oppositions ou contestations,
tion d’autorité dépend principalement du il suffit de rappeler que « c’est la maîtresse qui
lien affectif qui l’unit aux adultes représen- décide » ; si la maîtresse a réussi à tisser avec
tant l’autorité. L’enfant accepte les règles eux de bonnes relations affectives, les enfants
qui lui sont imposées s’il existe une relation acceptent très bien qu’il en soit ainsi.
de cœur avec l’adulte. Il a besoin de vivre
dans une atmosphère de sécurité affective et Soigner
accorde une foi totale et une confiance abso-
lue aux personnes pour qui il a de l’affection.
la relation affective
Il veut leur faire plaisir ou leur ressembler. La meilleure façon de restaurer un climat de
C’est l’âge des « Mon papa a dit… », « Ma travail dans une classe qui dysfonctionne est
maîtresse a dit… » contre lesquels il n’y a pra- de rétablir en parallèle la relation d’autorité et
tiquement rien à faire, si ce n’est s’incliner. la relation affective avec les élèves concernés.
La relation d’autorité dans les classes mater- Un recadrage disciplinaire influe déjà en soi
nelles et primaires doit donc être verticale, sur la relation enseignant-élèves, car il apporte
hiérarchique et permettre à l’enfant de vivre aux enfants une plus grande sécurité affective.
l’expérience de l’obéissance à l’adulte, de Mais il est essentiel de mettre en œuvre des acti-
reconnaître et d’accepter que c’est l’adulte qui vités spéciales pour créer un meilleur climat de
commande. Elle passe par la contrainte morale classe et des conditions favorables à la relation.
des enseignants qui, avec conviction et déter- La plus simple et la meilleure consiste à racon-
3. Un mandala
mination, posent des exigences et des limites, est un coloriage ter ou à lire une histoire par jour à la classe avec
apprennent à l’enfant à respecter des règles, en d’une figure centrée un petit rituel de transition pour emmener les
sanctionnant sans état d’âme les écarts de que les enseignants enfants dans le monde de l’imaginaire (voir la
conduite. Durant la période de la morale hété- peuvent proposer figure 6). Mais il en existe bien d’autres, comme
ronome, cette expérience de l’obéissance est durant cinq minutes le coloriage de mandalas, des activités rythmi-
très naturelle pour l’enfant. C’est l’âge où il a après une récréation, ques, des jeux de mémorisation de mots, la
envie et est disposé à obéir, car il considère au par exemple pour réactivation de poésies ou de chants en fin de
plus profond de lui-même que les règles vien- permettre aux élèves matinée ou de semaine, etc.
nent des adultes et qu’elles sont sacrées. de retrouver un climat Dans ces diverses activités, l’intention péda-
Dans les classes maternelles et primaires, de concentration, tout gogique primordiale est de travailler sur le plan
l’enseignant peut par exemple dire aux en éprouvant du plaisir relationnel en sortant momentanément du
enfants, dès le premier jour de la rentrée sco- à colorier. Une telle domaine strict des apprentissages. Ces activi-
laire : « Dans cette classe, c’est la maîtresse qui activité doit tés spéciales touchent les enfants à différents
commande et qui décide. Les enfants lui obéis- se dérouler dans niveaux de leur être, principalement sur les
sent. » À l’âge de la morale hétéronome, les un silence absolu. plans imaginatif, ludique, créatif, en jouant sur
enfants acceptent très bien qu’une autorité leur penchant pour les rythmes, en leur faisant
s’impose hiérarchiquement, et les choses se exercer leur extraordinaire mémoire et en sti-
mulant l’éveil de leur individualité. Elles appa-
raissent moins scolaires que celles pratiquées
4. L’élève d’ordinaire en classe et deviennent rapidement
perturbateur sources de détente et de plaisir partagé entre
distrait les autres, l’enseignant et les élèves. L’expérience montre
les fait rire pendant qu’elles contribuent grandement à ce que des
que le maître enseignants confrontés à des situations diffici-
enseigne, n’écoute les réussissent à ramener la sérénité dans leur
Monkey Business Image / Shutterstock
transgressions, car aucun système de règles ne à appliquer dans les classes enfantines et pri-
fonctionne sans sanctions. Assez fréquemment, maires ; c’est une mesure simple, immédiate
les enseignants ont des hésitations ou même et très efficace avec presque tous les enfants.
des réticences à sanctionner, parce qu’ils ne sont Une autre sanction efficace, en particulier
pas convaincus de la nécessité de le faire et ne quand un enfant dérange une activité collec-
savent pas comment s’y prendre. En général, ils tive, consiste à lui demander de retourner
punissent les élèves plutôt que de les sanction- s’asseoir un moment à sa place et de croiser
ner, ce qui est précisément une des causes des les bras en silence, en attendant que l’ensei-
difficultés qui surviennent. Les expériences de gnant lui fasse signe de revenir dans le groupe.
recadrage de nombreuses classes et élèves dif- Là aussi, trois à quatre minutes suffisent pour
ficiles montrent que la sanction est une néces- permettre à un enfant de retrouver son calme
sité éducative, qu’elle sécurise les enfants et que et l’inciter à mieux respecter les règles pour
l’art de sanctionner s’apprend vite. Si l’on pro- le reste de la journée.
cède avec détermination, il n’est pas nécessaire L’expérience montre qu’avec ces deux sanc-
de sanctionner souvent, ni durant une longue tions, il est déjà possible de résoudre un grand
période, pour que le recadrage réussisse. nombre de problèmes de comportements
dans les classes enfantines et primaires. Mais
Sanctionner sans punir il s’agit de respecter certains principes pour
que la mesure soit perçue comme une sanc-
Pour être concret, si un enfant perturbe tion et non comme une punition. Une sanc-
la classe, en bavardant par exemple, il suffit tion est une peine à endurer, un prix à payer
que l’enseignant lui demande de se lever, de pour avoir commis une faute, transgressé une
pousser sa chaise, de croiser les mains dans règle. Or la même mesure peut être soit une
le dos et de rester ainsi debout derrière son sanction, soit une punition. C’est l’attitude
pupitre pendant trois minutes. La première de l’enseignant, sa façon de signifier la sanc-
fois, l’enseignant explique à l’enfant qu’il est tion et son intention au moment où il agit
pénalisé en devant rester debout parce qu’il qui feront que la mesure sera acceptée comme
n’a pas respecté telle ou telle règle. Au terme une sanction méritée, ou au contraire vécue
de la pénalité, l’enseignant indique à l’enfant comme une punition injuste ou humiliante
qu’il peut se rasseoir. Quand les élèves sont qui engendrera de la rancœur chez l’élève.
habitués, un simple geste suffit pour signifier La peine à endurer ou le prix à payer pour
la sanction. C’est la toute première sanction une faute est une punition quand l’intention
qui accompagne l’acte vise l’enfant lui-même
et non son comportement, et a pour inten-
tion de le faire souffrir, de le stigmatiser ou de
l’humilier. Envoyer un élève dans un coin de
la classe ou à sa place, en s’adressant à lui de
façon blessante et en lui disant qu’il n’est
qu’un bon à rien ou en le traitant de nul, est
un exemple de punition qui n’est pas rare (voir
la figure 5). La peine à endurer ou le prix à
Art et neurosciences
La leçon de lecture
« La Leçon » peinte par Pierre-Auguste Renoir en 1906
dégage une impression de calme et de jeu,
favorable à l’apprentissage de la lecture.
uand Pierre-Auguste Renoir
Q
François Sellal motiver, il faut l’habileté et la douceur persua-
dirige le Service (1841-1919) peint La Leçon sive de Madame Bielle, mais aussi l’encourage-
de neurologie en 1906, il a déjà produit ment et la surveillance de la petite fille un peu
à l’Hôpital Pasteur plusieurs tableaux de le- plus âgée située à droite. Elle surplombe le livre
de Colmar. çons tels que la Leçon de et son léger sourire lui confère le rôle tutélaire,
piano (1889), le plus connu, la série des Jeunes mais affectueux, de celle qui a déjà vécu cette
filles au piano, et la Leçon de guitare (1897). expérience. Sans doute les hésitations du gar-
Ce thème de l’apprentissage musical lui a sans çon lui rappellent-elles son propre apprentis-
doute été inspiré par l’enseignement musical sage, maintenant maîtrisé, et lui donnent-elles
qu’il a suivi auprès du compositeur français la fierté de savoir lire.
Charles Gounod (1818-1893).
Moins connu, ce tableau met en scène L’envie d’apprendre à lire
Claude, dit Coco, le troisième fils que Renoir
a eu d’Aline Charigot. Jean Renoir, le cinéaste, Mais on devine aussi chez Coco une envie
était leur deuxième fils. Claude est né en 1901 de se plier au travail requis : il dirige son
et a cinq ans lorsqu’est peinte cette scène d’ap- regard là où porte la main de l’institutrice, et
prentissage de la lecture. La personne la plus sa main gauche est sur la ligne à lire. Cela
âgée, située à gauche du tableau et à laquelle indique l’application qu’il accorde au déchif-
revient la coordination de cette tâche, est frement, sans doute hésitant et laborieux.
Madame Bielle, l’institutrice. De la toile, se dégage une impression de
On devine beaucoup de bienveillance dans calme et de douceur ; probablement les meil-
son attitude : le bras gauche qui s’appuie sur leures conditions pour que l’apprentissage
le dossier de la chaise de Claude enveloppe se fasse bien... Le secret est de faire passer le
et soutient délicatement l’enfant ; la main travail pour un jeu, d’éviter la contrainte et
droite, reposée sur le livre, indique la ligne à le stress. C’est ce qu’avaient déjà compris les
suivre, sans qu’un index autoritaire n’intime Romains, qui utilisent le même mot, ludus,
un ordre quelconque ; la bouche entrouverte pour désigner l’école et le jeu. La confusion de
trahit l’attention portée par l’enseignante à sa ces deux activités n’est-elle pas le meilleur
tâche : accompagner l’élève dans cette décou- garant de l’acceptabilité et de la réussite de l’ap-
verte de la lecture. prentissage, tant la tâche est de longue haleine ?
Bibliographie
La pose de l’enfant n’est pas celle d’un petit C’est ce qu’aurait exprimé Renoir, au crépus-
Jean Renoir, garçon avide de savoir et concentré. On remar- cule de sa vie : en rendant ses pinceaux à l’in-
Pierre-Auguste Renoir, que une certaine nonchalance dans son main- firmière, il aurait déclaré : « Je crois que je com-
mon père, Folio, 1999. tien, la tête appuyée sur la main droite. Pour le mence à y comprendre quelque chose. » I
C equ’un
questionnaire permet de tester la motivation de l’élève, à l’école, au collège ou au lycée. Ce n’est
exemple illustratif. Lisez chaque série de questions et cochez une seule réponse.
Je travaille en classe parce que je veux Dès que j’aurai l’âge, je quitterai l’école :
apprendre de nouvelles choses : 0 J Vrai
5 J Vrai 1 J Plutôt vrai
4 J Plutôt vrai 2 J Un peu vrai
1 J Un peu vrai 3 J Faux
0 J Faux
J’essaie de bien faire, parce que j’apprends
des choses qui m’intéressent : Faites le total des points correspondant à chaque réponse
5 J Vrai que vous ou votre enfant avez cochée :
4 J Plutôt vrai
1 J Un peu vrai
0 J Faux SCORE ENTRE 17 ET 25 : votre enfant est en motivation
J’essaie de bien faire, parce que j’aurais intrinsèque, il aime découvrir des choses nouvelles et
une mauvaise image de moi si je ne le faisais pas : l’école lui fournit cette opportunité. Il fait sans doute
3 J Vrai ses devoirs avec le même plaisir que lorsqu’il joue, et
2 J Plutôt vrai a probablement de bonnes notes.
1 J Un peu vrai
SCORE ENTRE 14 ET 17 : votre enfant est plutôt en moti-
0 J Faux
vation extrinsèque comme la plupart des enfants.Tout
J’essaie de bien faire pour que mes professeurs ce qui se fait à l’école ne l’enthousiasme pas, mais il le
pensent que je suis un(e) bon(ne) élève : fait pour vous faire plaisir ou parce qu’il comprend qu’il
3 J Vrai est nécessaire d’apprendre pour réussir plus tard.
2 J Plutôt vrai
1 J Un peu vrai SCORE ENTRE 8 ET 13 : votre enfant n’est pas très
0 J Faux motivé, il va à l’école parce que c’est obligatoire ou uni-
Je n’arrive pas à savoir à quoi cela sert quement pour vous faire plaisir. Avant que votre enfant
de travailler en classe : ne soit complètement démotivé ou se rebelle, essayez
0 J Vrai de le remotiver en augmentant sa compétence perçue
1 J Plutôt vrai (avec des cours particuliers par exemple) et en lui fai-
2 J Un peu vrai sant choisir une activité (ou plusieurs) qui lui plaise.
3 J Faux
Je comprends que certains élèves s’opposent SCORE ENTRE 0 ET 7 : votre enfant ne se plaît pas à
aux professeurs : l’école ; soit il se rebelle contre le système, soit il est
0 J Vrai complètement démotivé. Dès qu’il aura l’âge légal, il vou-
1 J Plutôt vrai dra quitter le système scolaire qu’il ne juge pas adapté
2 J Un peu vrai à ses attentes. Essayez de le remotiver (voir comment
3 J Faux au score entre 8 et 13) !