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L’ESSENTIEL - n° 11 • L’envie d’apprendre

& Psycho

& Psycho
Cerveau

Cerveau
Donner
Donner l’envie
d’appre
d’ap rendre
ndre
Des élèves motivés
• Travailler
avec plaisir
France métro. : 6,95€, Bel. : 8,20€, Lux. : 8,20€, Maroc : 90 MAD, Port. Cont.: 8,90€, Suisse :15 FS, Canada : 11,99 $ CAN., TOM :1170 XPF, DOM : 8,25€

• Être attentif
• Corriger
ses erreurs

Stimuler le cerveau
• La motivation
• L’autonomie
• La mémoire

Les troubles à l’école


• Le manque
de sommeil
• La dyslexie
• La rébellion
- OCTOBRE 2012

L’ESSENTIEL
AOÛT - OCTOBRE 2012

M 03690 - 11 - F: 6,95 E - RD

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AOÛT

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Éditorial Françoise PÉTRY

www.cerveauetpsycho.fr
Pour la Science
8 rue Férou, 75278 Paris cedex 06
Standard : Tel. 01 55 42 84 00

Directrice de la rédaction : Françoise Pétry


L’Essentiel Cerveau & Psycho
Rédactrice en chef : Françoise Pétry
Rédactrice : Bénédicte Salthun-Lassalle
Cerveau & Psycho
Rédacteur : Sébastien Bohler Indispensable
curiosité
Pour la Science
Rédacteur en chef : Maurice Mashaal
Rédacteurs : François Savatier, Marie-Neige Cordonnier,
Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly
Dossiers Pour la Science
Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

Directrice artistique : Céline Lapert « On se lasse de tout, excepté d’apprendre. »


Secrétariat de rédaction/Maquette : Virgile
Annie Tacquenet, Sylvie Sobelman, Pauline Bilbault,
Raphaël Queruel, Ingrid Leroy
ette phrase du poète latin Virgile traduit le plai-

C
Site Internet : Philippe Ribeau-Gesippe, assisté de Yoan Bassinet
Marketing : Élise Abib sir d’apprendre que manifestent notamment les
Direction financière : Anne Gusdorf enfants. À l’image de l’Enfant d’éléphant des
Direction du personnel : Marc Laumet
Fabrication : Jérôme Jalabert, assisté de Marianne Sigogne Histoires comme ça de Rudyard Kipling (1865-
Presse et communication : Susan Mackie 1936), les petits sont naturellement d’une « insa-
Directrice de la publication et Gérante : Sylvie Marcé
Conseillers scientifiques : Philippe Boulanger et Hervé This tiable curiosité ». Mais également à l’instar des proches du
Ont également participé à ce numéro : Bettina Debû, héros de cette nouvelle, les adultes sont parfois sourds à ces
Hans Geisemann, Mélanie Jucla.
questions. Quand les réponses qu’obtiennent les enfants ne les
Publicité France
Directeur de la publicité : Jean-François Guillotin satisfont pas, quand ils ne les comprennent pas, quand ils
([email protected]), assisté de Nada Mellouk-Raja n’osent plus en poser, leur curiosité naturelle s’émousse.
Tél. : 01 55 42 84 28 ou 01 55 42 84 97
Télécopieur : 01 43 25 18 29
Service abonnements
Aux enseignants et aux parents de comprendre alors com-
Ginette Bouffaré : Tél. : 01 55 42 84 04 ment les motiver pour qu’ils reprennent confiance en eux et
Espace abonnements : laissent à nouveau leur curiosité s’exprimer. Et c’est là que les
http://tinyurl.com/abonnements-pourlascience
Adresse e-mail : [email protected] spécialistes des sciences du cerveau notamment peuvent appor-
Adresse postale : ter leurs connaissances sur la façon dont les élèves apprennent,
Service des abonnements - 8 rue Férou - 75278 Paris cedex 06
sur leurs motivations, leurs erreurs de raisonnement, mais aussi
Commande de magazines ou de livres :
0805 655 255 (numéro vert) leurs difficultés, telles que l’inattention ou la dyslexie. Ces
Diffusion de Cerveau & Psycho : diverses connaissances peuvent aider les enfants, y compris
Contact kiosques : À juste titres ; Benjamin Boutonnet
Tel : 04 88 15 12 41 ceux qui se rebellent ou se résignent, à retrouver le plaisir d’ap-
Canada : Edipresse : 945, avenue Beaumont, Montréal, Québec, prendre. Dans sa lettre aux instituteurs rédigée en 1883, le
H3N 1W3 Canada.
Suisse : Servidis : Chemin des châlets, 1979 Chavannes - 2 - Bogis ministre de l’Instruction publique Jules Ferry qualifiait la tâche
Belgique : La Caravelle : 303, rue du Pré-aux-oies - 1130 Bruxelles des maîtres « d’une très grande importance – extrêmement
Autres pays : Éditions Belin : 8, rue Férou - 75278 Paris Cedex 06
simple, mais extrêmement difficile ».
Toutes les demandes d’autorisation de reproduire, pour le public français
ou francophone, les textes, les photos, les dessins ou les documents
contenus dans la revue « Cerveau & Psycho », doivent être adressées par
L’envie de comprendre devient alors une seconde nature. On
écrit à « Pour la Science S.A.R.L. », 8, rue Férou, 75278 Paris Cedex 06. s’interroge sur chaque expérience de la vie, sur le monde envi-
© Pour la Science S.A.R.L.
Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et de
ronnant, sur les personnes rencontrées, sur soi. Et plus on se
représentation réservés pour tous les pays. Certains articles de ce pose de questions (ou plus on en pose aux personnes compé-
numéro sont publiés en accord avec la revue Spektrum der tentes), plus on mesure son ignorance, ce qui renforce sa curio-
Wissenschaft (© Spektrum der Wissenschaft Verlagsgesellschaft, mbHD-
69126, Heidelberg). En application de la loi du 11 mars 1957, il est sité intellectuelle et son désir de comprendre. Et, pour paraph-
interdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente revue raser Virgile, sans doute faudrait-il dire : « On se lasse de tout,
sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du
droit de copie (20, rue des Grands-Augustins - 75006 Paris).
excepté de comprendre. » Mais pour le poète, les deux étaient
certainement indissociables.

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 1


7 39

Motiver les élèves à l’école L’apprentissage dans le cerveau


La motivation, l’attention et l’inhibition sont des moteurs Les mécanismes cérébraux et cognitifs impliqués
de l’apprentissage. Les psychologues étudient dans les apprentissages se révèlent. On découvre
comment les mettre en œuvre. comment les renforcer.

Donner l’envie d’apprendre 4 Clavier ou stylo :


Préface Fabien Fenouillet et Alain Lieury comment apprendre à écrire ? 30
Écrire les lettres favorise leur mémorisation,
ainsi que la lecture ; l’usage du clavier ne le permet pas.
Jean-Luc Velay et Marieke Longcamp
Motiver les élèves à l’école
Comment enseigner la lecture ? 36
Il faut associer les méthodes de lecture globale et syllabique
La motivation, pour que les élèves apprennent à lire correctement.
moteur de l’apprentissage 8 Alain Lieury
De nombreuses formes de motivations existent :
le plaisir d’apprendre, l’estime de soi,
les récompenses, l’autonomie, etc. L’apprentissage dans le cerveau
Fabien Fenouillet et Alain Lieury

Pour une meilleure Les neurosciences


attention à l’école 14 inspirent l’enseignement 40
Des journées plus courtes, des semaines plus longues Six capacités cérébrales favorisent les apprentissages.
et moins de congés amélioreraient l’attention des élèves. Les enseignants devraient les prendre en compte.
Christophe Boujon et Sandrine Poupet Daniel Favre

Inhiber son cerveau pour raisonner 22 L’apprentissage modifie le cerveau 48


La correction des erreurs de raisonnement, via Les neurones se connectent davantage et leurs « câbles
l’inhibition cérébrale, est un moteur de l’apprentissage. de communication » se renforcent quand on apprend.
Olivier Houdé Jan Scholtz et Miriam Klein

« Pour » les notes Un système cérébral


à l’école élémentaire ! 28 de la motivation ? 54
Le système de notation est utile à l’école s’il permet Les neuroscientifiques identifient les systèmes cérébraux
d’informer l’élève sur ses performances. mis en jeu dans différentes formes de motivation.
Alain Lieury Mathias Pessiglione

2 L’envie d’apprendre © Cerveau & Psycho

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65
n° 11 - Trimestriel août - octobre 2012

Elena Rostunova / Shutterstock.com


Donner l’envie
d’apprendre
Les troubles de l’apprentissage
Élève démotivé, inattentif, rebelle, agité…
Plusieurs facteurs perturbent les apprentissages.
Des solutions efficaces existent.
En couverture : Artur Gabrysiak / Shutterstock.com - Cerveau & Psycho

Apprendre par cœur Comment gérer


ou comprendre ? 60 les classes difficiles ? 88
Il faut valoriser l’apprentissage par cœur, mais il est Des élèves perturbateurs ou agités transforment parfois
indispensable de comprendre ce que l’on apprend. une classe en chaos. Mais l’enseignant peut intervenir !
Alain Lieury Jean-Claude Richoz

Art et neurosciences
Les troubles de l’apprentissage La leçon de lecture 94
La leçon (1906) de Pierre-Auguste Renoir
analysée par un neurobiologiste.
Les racines de la démotivation 66 François Sellal
Un enfant peut être démotivé ou rebelle. Les motivations
« négatives » doivent être prises en compte à l’école. Test
Alain Lieury et Fabien Fenouillet Êtes-vous motivé ? 96
La maladie de l’inattention 70 Un test simplifié qui vous permettra d’évaluer
la motivation de votre enfant à l’école.
Difficultés de concentration, impulsivité, agitation motrice :
les troubles de l’attention touchent un enfant sur 20.
Vania Herbillon
Des problèmes de calcul
et de lecture 76
Les mécanismes neurobiologiques impliqués dans
les difficultés de lecture et de calcul se dévoilent.
Ce numéro comporte un encart d’abonnement Cerveau & Psycho broché
Yves Chaix et Jean-François Demonet en p. 32 de la totalité du tirage et une offre d’abonnement en p. 21.

Dormir pour mieux apprendre 84


La mémorisation à long terme d’informations pertinentes Rendez-vous sur le site de Cerveau & Psycho
est meilleure après une bonne nuit de sommeil.
Géraldine Rauchs cerveauetpsycho.fr

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1-Ess11_pxxxxxx_preface_fenouillet_bsl.qxp 3/07/12 16:59 Page 4

Préface

Donner
l’envie d’apprendre
L’« envie » nous pousse à apprendre et à agir.
C’est une autre façon de nommer la motivation, qui permet
notamment aux élèves de réussir leur « métier » : acquérir
des connaissances pour s’épanouir.

a motivation permet d’expliquer le

L
des situations ludiques ou d’apprentissage en
« dynamisme » du comportement, groupes. Quand le contexte change, l’intérêt et
ce que l’on nomme communément donc la motivation disparaissent…
« l’envie ». Mais l’envie n’est qu’une Pour comprendre les effets de la motiva-
des multiples formes de la motiva- tion, il faut en démêler les causes et d’abord
tion. Étymologiquement, le terme motivation définir précisément le phénomène. C’est ce à
vient du verbe latin moveo qui signifie mouvoir, quoi travaillent les chercheurs qui étudient
bouger. Depuis quelques dizaines d’années, les non pas la motivation, mais les motivations,
chercheurs en psychologie tentent de compren- qu’elles soient positives ou négatives, tel le
dre ce dynamisme, c’est-à-dire ce qui motive découragement. Pourquoi un enfant motivé
l’homme à agir et l’enfant à apprendre. À la fin perd-il cet élan et cette soif d’apprendre qui
du XIXe siècle, les scientifiques cherchaient à caractérisent les petits ? Comment redonner
comprendre l’instinct plus que la motivation, l’envie d’apprendre à ceux qui l’ont perdue ?
mais ce terme est aujourd’hui tombé en désué- Comment éviter que des enfants ne se rebel-
tude quand il s’agit de motivation humaine ; il lent contre le système et ne se mettent en
Fabien Fenouillet
est réservé à l’étude du comportement animal. marge de l’école, et très vite de la société ? En
est professeur Toutefois, il persiste dans quelques expressions, étudiant précisément les différentes facettes
de psychologie par exemple l’instinct maternel (la motivation des phénomènes « motivationnels ».
cognitive
et coresponsable d’une mère à s’occuper de son enfant).
du master 2 Pour parler de motivation, on emploie sou- Un phénomène
de Psychologie vent, outre l’instinct, des termes tels que besoin,
cognitive appliquée curiosité, envie, intérêt ou encore plaisir. Il est
aux nombreuses facettes
à l’Université Paris- équivalent de dire qu’un élève est motivé pour La motivation peut être étudiée comme phé-
Ouest-Nanterre- apprendre ou que ce qu’il apprend l’intéresse, nomène global, mais aussi en tant qu’ensem-
La Défense. mais dans ce second cas, on comprend mieux ble de manifestations – par exemple le but à
Alain Lieury pourquoi il apprend. Un élève intéressé, et atteindre et l’intérêt – qui caractérisent des
est professeur donc motivé, est-il plus performant dans ses aspects possibles du dynamisme du compor-
émérite apprentissages qu’un élève qui ne l’est pas ? tement. Il est impossible de dissocier la moti-
de psychologie Pas nécessairement, car la motivation n’est vation des motifs, lesquels peuvent être liés à
cognitive pas le seul déterminant de la réussite scolaire, l’intérêt pour l’activité, à l’estime de soi, aux
de l’Université
et l’intérêt est parfois temporaire. En 1992, buts à atteindre, aux besoins, etc.
Rennes 2,
et ancien directeur Ulrich Schiefele, de l’Université de Postdam en Cependant, avoir un motif pour agir ne
du Laboratoire Allemagne, a proposé le concept d’intérêt suffit pas. De nombreuses théories soulignent
de psychologie « situationnel », qui se manifeste seulement que pour qu’une personne soit motivée, elle
expérimentale. dans le contexte où il émerge, par exemple dans doit non seulement anticiper positivement ce

4 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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qui peut se produire, mais aussi estimer si ses


actes ont des chances de produire l’effet
recherché. Cette « vision de l’avenir » accom-
pagnant la motivation n’apparaît pas claire-
ment pour certains motifs, tel le besoin de se
nourrir ou l’instinct maternel, mais pour
d’autres, il est plus facile de montrer que l’an-
ticipation du résultat influe beaucoup sur le
dynamisme du comportement. Ainsi, dans le
cadre de l’apprentissage scolaire ou universi-
taire, la croyance que nourrit l’élève sur sa
capacité à maîtriser certaines matières est un
meilleur indicateur de sa performance aux
examens que le motif de son action, par
exemple devenir avocat.
D’autres stratégies sont à prendre en
compte si l’on veut avoir une vision complète
de la motivation. C’est, par exemple, le cas de
Petro Feketa/Shutterstock.com

la procrastination, c’est-à-dire le fait de tou-


jours remettre au lendemain ses décisions ou
actions. Cela suggère que la prise de décision
implique des mécanismes motivationnels
complexes. Et pour se motiver encore plus,
une fois la décision prise, certaines person-
nes envisagent le pire en espérant secrètement
obtenir le meilleur, par exemple lors d’exa-
mens importants. Cette stratégie, nommée Dès lors, la motivation est le moteur par Quand apprendre
pessimisme défensif, utilise l’anxiété d’un excellence de l’apprentissage. Parfois les est un jeu, les résultats
possible échec comme moteur de l’action : enfants la perdent, avec le risque de se sentir obtenus sont toujours
elle est souvent mise en place par les meil- exclus ou, au contraire, de devenir des enfants meilleurs.
leurs élèves et doit être considérée comme rebelles qui perturbent les classes.
une stratégie de réussite et non d’échec. Ainsi, comme nous allons le voir dans ce
dossier, les recherches sur la motivation per-
Pour que la motivation mettent, par exemple, d’expliquer que l’anxiété
de l’élève découragé qui se trouve en situation Bibliographie
perdure… d’échec n’est pas la même que celle de l’indi-
F. Fenouillet,
Ces exemples montrent que pour compren- vidu qui envisage le pire pour obtenir le meil- Les théories
dre ce qu’est la motivation, il ne suffit pas de leur. Dans le premier cas, on peut entrevoir des de la motivation,
répertorier les différents motifs de l’action, tel solutions pour sortir l’élève de la spirale infer- Dunod, août 2012.
le plaisir d’agir. Qui plus est, la motivation évo- nale dans laquelle il s’est engagé : l’enseignant L. Cosnefroy
lue au fil du temps et il faut en tenir compte peut par exemple diminuer sa charge de tra- et F. Fenouillet,
pour comprendre le dynamisme du compor- vail. Dans le second cas, l’enseignant doit Motivation
et apprentissages
tement humain. Ainsi, dans les apprentissa- ajuster son comportement ; s’il rassure cet scolaires, in P., Carré
ges scolaires, la motivation a un effet sur les élève qui utilise le pessimisme défensif pour & F., Fenouillet (Ed.),
performances à condition de persister au-delà se motiver, ce dernier réussira... moins bien. Traité de psychologie
d’un simple effort ponctuel... Et ce sont alors Tous ces aspects, et d’autres telle l’attention, de la motivation,
Dunod, 2009.
les théories dites de la volition qui prennent évoqués dans ce numéro, permettront aux
A. Lieury
le relais des théories de la motivation en cher- parents, aux enseignants et aux élèves de com- et F. Fenouillet,
chant à mettre au jour les mécanismes mis en prendre comment faire pour que la motiva- Motivation et Réussite
place pour atteindre un objectif à long terme. tion perdure au fil des années d’études. I scolaire, Dunod, 2006.

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ente : 6
96 page
s–p r ix d e v Cerveau & Psycho no 52
Face au bruit et à une agitation ininterrompue, chacun
aspire à retrouver calme et sérénité. La méditation permet
d’y parvenir. Elle améliore le bien-être psychique et la santé,
ainsi que la concentration et l’attention des enfants.
En plus de ce dossier, retrouvez les incontournables de Cerveau & Psycho,
par exemple la critique psychologique du film Les Aventures de Tintin.
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Elena Rostunova / Shutterstock

Motiver les élèves à l’école


Peut-on favoriser les apprentissages à l’école ?
Doit-on noter les devoirs ou utiliser un ordinateur pour enseigner ?
La motivation, l’attention, l’inhibition des comportements
inadaptés sont des moteurs de l’apprentissage.
Les psychologues étudient comment les mettre en œuvre.

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Motiver les élèves à l’école

La motivation, moteur
de l’apprentissage
Pourquoi un enfant demande-t-il à aller à l’école et à faire
ses devoirs ? Le plaisir d’apprendre, l’estime de soi,
les récompenses, les sanctions et de nombreuses
formes de motivations interviennent.

ourquoi un enfant est-il motivé à ratoire ne se déplace dans son labyrinthe que

P
Fabien Fenouillet
est professeur habiller ses poupées des heures s’il est affamé et récompensé ; à l’Université
de psychologie durant, à jouer tard le soir aux Yale aux États-Unis, Clark Hull a proposé que
cognitive jeux vidéo ou à lire un roman ? la motivation est déterminée par le « besoin »
et coresponsable Pourquoi n’a-t-il pas envie d’aller (de se nourrir) potentialisé par le « renforce-
du master 2 à l’école ou de lire ? Pourquoi certains sont-ils ment » (le rat est récompensé) ; c’est la loi du
de Psychologie si démotivés qu’ils ne peuvent même pas se renforcement. Chez l’animal, le renforcement
cognitive appliquée
à l’Université Paris- lever le matin ? La motivation est l’ensem- positif ou récompense est par exemple la nour-
Ouest-Nanterre- ble des raisons et des facteurs qui influent sur riture dans un labyrinthe. À l’inverse, pour
La Défense. le comportement, la façon d’agir ou de pen- empêcher un pigeon d’agir, on peut, par exem-
Alain Lieury ser. La plupart des situations de la vie quoti- ple, éteindre la lumière : c’est un renforcement
est professeur
dienne, à l’école ou à la maison, mettent en négatif ou punition.
émérite œuvre une forme ou une autre de motiva-
de psychologie tion. Les psychologues tentent depuis long- L’estime de soi
cognitive temps d’expliquer le comportement de l’être
de l’Université humain et ce qui le pousse à agir, mais les Les parents et les enseignants n’ont pas
Rennes 2, théories de la motivation sont récentes. attendu les chercheurs pour trouver cette loi
et ancien directeur Prenons l’exemple de l’apprentissage de du renforcement : c’est le principe de la carotte
du Laboratoire l’élève à l’école. Les récompenses et les puni- et du bâton. De fait, plusieurs études montrent
de psychologie
tions ne suffisent pas à expliquer pourquoi que les compliments, par exemple « Qu’est-ce
expérimentale.
les enfants adorent l’école (ou la détestent) : que tu lis bien ! », et les réprimandes, « Tu
le plaisir d’apprendre et d’autres formes de aurais pu t’appliquer, recommence ! », utilisés
motivation jouent un rôle prépondérant. à l’école fonctionnent selon la loi du renfor-
Les premières recherches expérimentales sur cement. L’enfant doit travailler (c’est le besoin)
la motivation sont nées entre les années 1920 et fait ce qu’il peut pour obtenir des récompen-
et 1950, quand les scientifiques s’intéressaient ses et éviter les punitions (c’est le renforce-
à l’apprentissage... chez l’animal. On utilisait ment). Notons que cette loi est appliquée dans
alors des modèles animaux – le rat et la sou- le monde du marketing : le vendeur est payé
ris notamment – en pensant qu’ils disposaient avec un salaire minimum insuffisant (c’est le
des mêmes mécanismes neuronaux et com- besoin) et il reçoit une prime ou un bénéfice
portementaux que l’homme. Or le rat de labo- à chaque vente (c’est le renforcement).

8 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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1. De nombreuses théories tentent


d’expliquer pourquoi un élève est motivé
à l’école... Elles montrent qu’il existe
plusieurs types de motivation.

New York, de compétence perçue, et David


Nicholls, de l’Université de Manchester au
Royaume-Uni, reprend le terme d’ego.
Cependant, dans le cadre de l’apprentis-
sage, les scientifiques montrent que si l’es-
time de soi est importante pour la moti-
vation, elle n’est pas suffisante : croire en
ses capacités de réussite est encore plus
important, indépendamment de la valeur
qu’on accorde à une activité ou à une disci-
pline. D’autres théories ont donc vu le jour.

Le sentiment d’efficacité
ou de compétence
Selon le psychologue américain Albert
Bandura, la motivation est essentiellement
contrôlée par le sentiment d’efficacité per-
sonnelle, qui serait en quelque sorte une
nuance du besoin d’estime. Ce dernier cor-
respond à la vision globale que l’on a de
soi, alors que le sentiment d’efficacité est
plus spécifique de certaines compétences
dans un domaine particulier. Par exemple,
un élève peut avoir une bonne estime de
lui-même, car il est choyé par ses parents
et qu’il a de nombreux copains ; mais cet
enfant peut se sentir faible, voire nul, en
espagnol ou en musique. Son sentiment
Orange Line Media / Shutterstock.com

d’efficacité personnelle est alors faible ou


nul dans ces matières.
La théorie de Bandura s’exprime en
quelques principes. Parce qu’il est capa-
ble de se représenter mentalement ses actes,
l’individu peut anticiper des satisfactions
ou des déceptions issues respectivement de
ses réussites ou de ses échecs. Le « ressort »

Toutefois, d’autres études ont mis en évi- En Bref


dence des besoins plus « sociocognitifs », • Récompenser et sanctionner un élève à l’école est une technique
notamment le besoin d’estime, qui dérive de de motivation, dite extrinsèque ; seules les récompenses donnent
ce que Freud nommait le narcissisme ou l’ego. de bons résultats à court et à long termes.
Ce concept a engendré plusieurs travaux • Mais les motivations qui peuvent animer un élève sont diverses :
autour de l’estime de soi (le self) et plusieurs la motivation intrinsèque ou plaisir d’apprendre, la motivation
théories de la motivation utilisent des varia- extrinsèque contrôlée par différents renforcements, jusqu’à
tions de ce concept : Henry Murray (1893- l’absence de motivation (c’est la démotivation).
1988) parle d’estime de soi, Edward Deci et • Les mécanismes en cause dans les différentes motivations
Richard Ryan, de l’Université de Rochester à sont surtout le sentiment d’efficacité et le sentiment d’autonomie.

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de la motivation consiste à se fixer un objec- vation a été découverte chez le singe par le psy-
tif supérieur à un standard personnel, de chologue américain Harry Harlow (1905-
sorte que l’individu augmente son efficacité. 1981). Alors que l’on supposait que les singes
L’engagement dans l’action s’explique alors ne travaillaient que pour obtenir une récom-
par le renforcement du sentiment d’efficacité. pense alimentaire (des bananes par exemple),
La connaissance des résultats est nécessaire Harlow a observé avec étonnement qu’ils pou-
pour déterminer mentalement si l’on a pro- vaient faire des jeux (des puzzles), pendant
gressé entre son résultat et son niveau initial. une longue période, sans aucune récompense,
Si la progression est assez importante, elle simplement pour le plaisir de l’activité. Il a
procure un sentiment d’efficacité. donc supposé que certains besoins, telles la
Cette théorie s’applique à de nombreux curiosité et la nécessité de manipuler un objet,
domaines et explique les diverses « passions » correspondent à d’autres motivations, sans
et hobbies qu’on ne peut pas justifier par renforcement. Il les a nommées les motiva-
autant de besoins. Une personne commence tions « intrinsèques », car elles viennent de
une activité par hasard – parce que c’est la soi. Il est alors nécessaire de réinterpréter la
mode, ses parents la lui ont imposée ou elle loi du renforcement comme une autre moti-
veut imiter un ami. Si elle se sent mentale- vation : la motivation « extrinsèque », com-
ment satisfaite (c’est le sentiment d’effica- mandée par des renforcements extérieurs.
cité), elle va se fixer des défis de plus en plus
importants : par exemple, l’enfant réalise des Récompensé par le plaisir
constructions de plus en plus compliquées ;
l’alpiniste tente d’atteindre des sommets tou- E. Deci a confirmé l’existence de la motiva-
jours plus élevés ; le collectionneur de tim- tion intrinsèque chez l’homme ; dans une pre-
bres, d’insectes, de voitures, recherche tou- mière étape, il a proposé à des étudiants de
jours la « pièce » unique. jouer à des puzzles en trois dimensions. La moi-
Alors n’agissons-nous que pour obtenir des tié d’entre eux étaient payés à chaque puzzle
récompenses, dépasser nos limites, battre des réussi, l’autre n’obtenait rien. Dans une seconde
records, et éviter des sanctions ? Non, des étape de libre choix où l’on proposait aux étu-
études plus récentes ont identifié une autre diants d’autres jeux, des magazines ou les
gamme de motivations. Cette forme de moti- mêmes puzzles, seuls les étudiants non payés
continuaient de jouer (voir la figure 3). Ainsi,
quand on renforce une activité (par exemple,
par une récompense monétaire), la motiva-
tion intrinsèque – ici le plaisir de jouer – se
transforme en une motivation extrinsèque…
L’étudiant ne joue plus pour le plaisir, mais
pour obtenir une récompense. Certes, la moti-
vation extrinsèque est efficace, mais elle s’ar-
rête dès que les renforcements disparaissent.
Alors qu’en motivation intrinsèque, l’individu
agit pour le plaisir que lui procure l’activité et
prolonge le jeu. La motivation intrinsèque est
la motivation de la persévérance.
Ensuite, E. Deci et R. Ryan, ainsi que d’au-
tres chercheurs, ont montré que toutes sortes
de renforcements ou de contraintes engen-
drent une diminution de la motivation intrin-
sèque ; c’est par exemple le cas quand l’élève
se sent surveillé, quand on impose un temps
Cerveau & Psycho

2. L’estime de soi est une valeur sur laquelle


repose la motivation. Les réseaux sociaux
renforcent l’estime de soi « sociale » : chacun
se sent devenir une personnalité importante.

10 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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limite de jeu ou d’examen, ou quand un pro- misme, etc.), mais à des situations antérieures
fesseur contrôle en permanence le travail et où l’individu aurait intégré qu’il n’avait pas
l’attitude de ses élèves. prise sur le cours des événements.
Que se passe-t-il si la motivation diminue ? Car ce n’est pas le choc électrique (faible dans
L’enfant est-il démotivé ? Il est fréquent d’en- la première phase de l’expérience) qui crée cette
tendre un parent dire que son enfant n’ap- résignation, mais bien le fait de ne pas pouvoir
prend plus, car il est découragé et résigné. À agir. Les scientifiques ont montré que diver-
quoi cela correspond-il ? La démotivation et ses situations engendrent le même état chez
le découragement peuvent avoir des consé- l’homme. Les premiers ont été Caroll Dweck,
quences dramatiques, en ce qui concerne la professeur de psychologie sociale, et ses collè-

a b 3. Le plaisir de jouer et l’envie


d’obtenir une récompense sont deux
types de motivation, la seconde pouvant
supplanter la première. On propose
à des étudiants de jouer à des puzzles
en trois dimensions, la moitié d’entre eux
recevant de l’argent s’ils réussissent
le puzzle. Au début, chaque groupe joue
avec plaisir, mais quand on leur laisse
Jean-Michel Thiriet

le choix, seuls les élèves du premier


groupe continuent de jouer (a).
Ceux qui ont obtenu leur récompense
perdent l’envie de continuer à jouer (b).

réussite scolaire notamment. Les premières gues à l’Université Stanford aux États-Unis. Ils
expériences mettant en évidence ces facet- ont proposé à des élèves de résoudre des pro-
tes de la motivation sont issues des recher- blèmes de réflexion. Quand les expérimenta-
ches chez l’animal. En 1975, le psychologue teurs rendaient les parties infaisables (par
américain Martin Seligman travailla avec exemple en créant des erreurs), certains élè-
deux groupes de chiens. Dans la première ves se résignaient et pensaient qu’ils n’étaient
phase de l’expérience, les chiens du premier pas assez intelligents pour réussir. D’autres
groupe pouvaient éviter un faible choc élec- situations, à l’école notamment, peuvent créer
trique en appuyant sur un bouton, tandis de la résignation. En 1989, Stéphane Ehrlich et
que ceux du second groupe étaient soumis Agnès Florin, à l’Université de Nantes, ont
aux mêmes chocs sans pouvoir les éviter. Dans
la seconde phase de l’expérience, les deux grou-
pes devaient sauter une barrière pour éviter
un choc électrique de forte puissance. Le plaisir d’apprendre est
la motivation de la persévérance.
Le découragement
Les chiens n’ayant pas pu éviter les chocs
dans la première phase ne réagissaient pas dans montré que la surcharge de travail en dictée ou
la seconde ; ils étaient devenus passifs, résignés. en mathématiques (trop de notions à assimi-
Selon M. Seligman, cette passivité a été apprise ler) décourage les élèves. Et en 1996, nous avons
durant la première phase où les chiens étaient constaté que c’est aussi le cas dans l’apprentis-
impuissants. Il a nommé cet état la « résigna- sage des cartes de géographie.
tion apprise ». Ce phénomène est fondamen- Ainsi, il existe trois types de motivations :
tal, car il suggère que, dans de nombreuses extrinsèque et intrinsèque qui sont positives, et
situations, le découragement ou la démotiva- la résignation (ou démotivation) qui est néga-
tion ne sont pas forcément dus à des facteurs tive. Pour en tenir compte, E. Deci et R. Ryan
de personnalité (anxiété, manque de dyna- ont proposé la théorie de l’autodétermination

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(en anglais Self-determination Theory), selon jectée. Dans la troisième forme, nommée
laquelle ces trois types de motivations corres- régulation identifiée, l’individu considère l’ac-
pondent à divers degrés du sentiment d’au- tivité comme étant importante pour lui :
tonomie. Quand un individu choisit lui- « J’essaie d’avoir de bonnes notes, car c’est
même son activité, pour le plaisir de la important pour le métier que je voudrais faire
pratiquer, il a un fort sentiment d’autono- plus tard. » Pour la dernière forme de moti-
mie : c’est la motivation intrinsèque. Quand vation extrinsèque, ou régulation intégrée,
son environnement contrôle plus ou moins l’individu réalise une activité peu intéressante,
ses loisirs, la motivation extrinsèque est à mais qui est en accord avec ses valeurs. C’est
l’œuvre. Enfin, quand cette activité n’a plus le cas par exemple du tri sélectif que les éco-
de sens pour lui, il est démotivé. logistes s’astreignent à respecter, alors que cela
E. Deci et R. Ryan ont précisé leur théo- ne présente guère d’intérêt pour eux-mêmes.
rie en distinguant quatre formes de motiva- Robert Vallerand, de l’Université du Québec
tion extrinsèque. L’activité d’un individu peut à Montréal, a proposé une théorie de la moti-
être régulée par des renforcements extérieurs vation qui s’insère dans cette perspective,
(c’est la régulation externe) ; par exemple, mais apporte quelques nuances ; son modèle
l’élève va à l’école parce qu’il y est contraint hiérarchique de la motivation (en anglais
par la loi. Ou bien l’élève se plie aux règles Hierarchical Model of Intrinsic and Extrinsic
sociales : « Je le fais sinon j’aurais honte de Motivation) s’applique notamment au sport,
moi ; je travaille à l’école pour que mes parents et précise pourquoi certains athlètes persévè-
soient fiers de moi. » C’est la régulation intro- rent ou abandonnent. R. Vallerand suppose
que trois formes de motivation intrinsèque
existent : une motivation orientée vers la
connaissance (c’est la découverte), une autre
orientée vers l’accomplissement (c’est la satis-
Besoin d’estime
ou compétence faction d’atteindre des objectifs personnels)
perçue et une orientée vers la recherche de sensations
MOTIVATION
(c’est l’excitation).
INTRINSÈQUE

« J’adore apprendre Motivé et persévérant


des choses intéressantes »
« J’aime écrire R.Vallerand et ses collègues ont notamment
et dessiner »
montré que la persévérance dans une activité
dépend de la motivation intrinsèque. En 2001,
« Je veux devenir MOTIVATION ils ont évalué, avec des questionnaires, la moti-
médecin » EXTRINSÈQUE
vation de plus de 600 joueuses de handball.
« Papa est fier
de moi » Besoin
Ainsi, la perception d’autonomie est plus fai-
d’autonomie ble chez les sportives qui souhaitent aban-
donner que chez les joueuses qui continuent.
D’après la théorie de l’autodétermination, les
« À quoi ça sert d’aller motivations intrinsèques, notamment la décou-
à l’école ? » verte et la satisfaction d’atteindre des objectifs,
« De toute façon,
je n’y arriverai pas ! » sont plus fortes chez les joueuses persévéran-
tes que chez celles qui veulent abandonner.
RÉSIGNATION Plusieurs études en milieu scolaire (au lycée
et à l’université) ont confirmé ce résultat. Par
exemple, on a demandé à 1 000 élèves anglo-
phones inscrits dans un cours optionnel de
4. Dans le modèle proposé par les auteurs,
français de répondre à un questionnaire de
les motivations résultent d’un besoin de compétence et d’un besoin
d’autonomie. Quand un individu est compétent dans un domaine
motivation ; ceux qui se sentaient les moins
qu’il a librement choisi, il « prend du plaisir» et est mû par une motivation motivés intrinsèquement dès la première
intrinsèque. Mais s’il se sent moins compétent ou que la contrainte semaine de cours abandonnaient avant la fin
augmente, il passe en motivation extrinsèque. Dès que l’individu du premier semestre, c’est-à-dire plus tôt que
se sent contraint ou incompétent, il est démotivé. les élèves motivés. La motivation intrinsèque
favorise la persévérance à l’école.

12 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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L’essentiel, c’est de penser qu’on est le meilleur :


voilà un des moteurs du plaisir à pratiquer
une activité ou à apprendre.

Toutefois, nous avons vu que la motivation tions. La compétence perçue et l’autonomie


dépend d’un autre besoin : l’estime de soi, ou déclenchent, ensemble, les motivations.
selon A. Bandura, le sentiment d’efficacité per- En conséquence, selon notre modèle (voir
sonnelle. L’être humain doit se sentir compé- la figure 4), la motivation intrinsèque corres-
tent, beau, fort, etc. C’est sans doute l’expres- pond au cas où l’individu se sent compétent
sion de ce besoin qui pousse les enfants à rêver et a l’impression d’avoir librement choisi son
qu’ils sont des superhéros ou des princesses, activité. On constate que les activités des pas-
et les adultes qu’ils passent à la télévision. Les sionnés sont presque toujours des choix per-
réseaux sociaux, tel Facebook, correspondent sonnels, de la collection de timbres aux jeux
en grande partie à ce besoin d’estime de soi : vidéo, des mots croisés aux sports... Notons
on « passe à la télévision » sans avoir décou- que la compétence (qui est forte en motiva-
vert un vaccin, un nouveau carburant non pol- tion intrinsèque) est souvent subjective et ne
luant ou sorti un disque (voir la figure 2). correspond pas forcément à la réalité ; c’est le
L’ensemble de ces travaux nous ont conduits cas de la petite fille qui coud maladroitement
à proposer une variante de la théorie de E. Deci des robes pour sa poupée, mais qui s’imagine
et R. Ryan (et R. Vallerand) : nous considé- être une grande couturière ; ou du gâteau à
rons les différentes motivations comme le résul- moitié brûlé que des enfants ont préparé pour Bibliographie
tat de deux besoins fondamentaux, le besoin leurs parents, qui est bien meilleur que celui
S. Blanchard et al.,
de compétence et le besoin d’autonomie. du pâtissier. L’essentiel, c’est de penser qu’on Motivation et sentiment
E. Deci, R. Ryan et R. Vallerand montrent bien est le meilleur : voilà un des deux moteurs du d’efficacité personnelle
que la compétence perçue intervient dans leur plaisir à pratiquer une activité ou à appren- chez les élèves de 6e
modèle, mais de façon indirecte, en valorisant dre (l’autre étant, rappelons-le, le fait de choi- de Collège, in Bulletin
de Psychologie,
l’autonomie ; en d’autres termes, ce qui importe sir librement son activité). à paraître, 2012.
pour l’individu, c’est qu’il ait pris l’initiative de Mais dès que la sensation de compétence
F. Fenouillet,
l’activité. À l’inverse, A. Bandura ne tient baisse ou que la contrainte augmente, ou les Les théories
compte que du sentiment d’efficacité person- deux à la fois, l’individu ne fait plus l’activité de la motivation,
nelle et pense que l’autonomie n’intervient pas. pour le plaisir qu’elle procure, mais pour les Dunod, août 2012.
avantages qui y sont associés : c’est la motiva- A. Lieury et al.,
tion extrinsèque (sous ses différentes formes). Psychologie pour
« Je suis le meilleur ! » l’enseignant, coll.
Enfin, la baisse de la compétence perçue « manuels visuels »,
Dans notre modèle, les deux besoins sont dans un climat de contrainte ou d’obligation Dunod, 2010.
fondamentaux et interagissent. Par exemple, peut démotiver, décourager ou entraîner la L. Pelletier et al.,
nous venons d’étudier auprès de 31 120 élèves résignation. Ainsi, dès qu’un professeur fait Associations among
de classe de 6e comment le sentiment d’effica- sentir à un élève qu’il est mauvais, ou que ses perceived autonomy
support, forms
cité personnelle et les trois types de motiva- parents l’obligent à faire une activité où il se
of self-regulations
tions sont liés. Si l’on identifie la compétence sent incompétent, celui-ci peut glisser vers la and persistence :
perçue au sentiment d’efficacité personnelle démotivation : il se décourage. A prospective study,
de A. Bandura, on trouve qu’elle augmente Pour développer l’envie d’apprendre, il in Motivation and
avec la motivation intrinsèque, qu’elle est faut valoriser à la fois le sentiment de com- Emotion, vol. 25,
pp. 279-306, 2001.
indépendante de la motivation extrinsèque pétence et le besoin d’autonomie. Un ensei-
R. Ryan et E. Deci,
et qu’elle diminue quand la démotivation gnant peut par exemple adapter la difficulté Intrinsic and extrinsic
augmente. D’autres recherches sur le senti- à des groupes d’élèves et développer des acti- motivations : classic
ment d’autonomie, notamment une étude de vités « libres ». Ces dernières existent déjà : ce definitions and new
Luc Pelletier et de l’équipe de R. Vallerand à sont par exemple les classes nature et décou- directions,
in Contemporary
Montréal réalisée auprès de 369 nageurs de verte, les exposés, les exercices en groupes ou Educational
compétition, obtiennent les mêmes relations les travaux personnels encadrés (les TPE) que Psychology, vol. 25,
entre le sentiment d’autonomie et les motiva- l’on pratique au collège et au lycée. I pp. 54-67, 2000.

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Motiver les élèves à l’école

Pour une meilleure


attention à l’école
Comment améliorer l’attention des élèves,
aujourd’hui fragmentée par un excès de stimulations ?
Journées plus courtes, semaines plus longues
et congés moins étendus sont à l’étude, ainsi
que de nouvelles méthodes pédagogiques.

« a captation de l’attention est cours est plus difficile que par le passé. Deux

L aujourd’hui un énorme mar-


ché mondial. Il est massif au
sens où il touche toutes les
générations, toutes les couches
sociales. […] Le niveau de captation audio-
visuelle atteint ainsi plus de six heures par
jour aux États-Unis. […] Jamais l’humanité
enquêtes diligentées par la Direction de l’éva-
luation et de la prospective du ministère de
l’Éducation nationale en 1994 et 1995 faisaient
déjà ressortir (et c’était avant les téléphones
portables, Facebook et les jeux vidéo omnipré-
sents) que la majorité des enseignants trou-
vait difficile le manque d’attention des élèves.
n’a connu un tel phénomène d’hallucination De surcroît, un peu moins de la moitié des
collective, hyperréaliste, hypersynchronisée. enseignants soutenait qu’une séquence d’ap-
En 1939, il y a moins de 70 ans, 55 pour cent prentissage était réussie quand ils parvenaient
des Français n’avaient ni radio, ni téléphone, ni à maintenir l’attention des élèves.
Christophe télévision bien sûr : le seul moyen de synchro-
Boujon nisation de leur attention à un niveau au-delà S’adapter aux nouvelles
est maître de leur famille, c’était le garde champêtre ou le
de conférences curé. Et cela n’arrivait qu’une fois par semaine,
contingences
et chercheur dans et pendant une heure ou deux. Il y avait aussi Pour autant, il ne faudrait pas en tirer des
le Laboratoire évidemment l’instituteur qui captait alors l’at- conclusions trop hâtives qui consisteraient à
de psychologie
des Pays de la Loire tention des enfants six heures par jour. » interpréter l’agitation comportementale de un
(UPRES EA 4638), Ainsi s’exprime le philosophe Bernard ou plusieurs élèves comme le signe indubita-
à l’Université Nantes- Stiegler dans l’ouvrage collectif Enfants tur- ble d’un défaut irrémédiable d’attention et, au
Angers-Le Mans où bulents : l’enfer est-il pavé de bonnes préven- contraire, la docilité comportementale et la
Sandrine Poupet tions ? Il nous invite à réfléchir sur l’attention bienveillance offertes par d’autres comme la
est étudiante dont sont capables les enfants aujourd’hui, à preuve de leur niveau élevé d’attention. Ce qui
en Master l’école. Les enseignants ne le démentiront pas. est indéniable, c’est que l’attention des élèves
de psychologie. Obtenir l’attention des enfants pendant les est moins facile à capter et à maintenir qu’elle

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l’a été en d’autres temps. Elle ne peut plus se début d’après-midi, avant de remonter en fin 1. Le rêve de tout
concevoir comme une injonction naturelle de d’après-midi (voir l’encadré page 16). La capa- enseignant :
l’enseignant : « Maintenant, fais attention », et cité de détection visuelle, notamment, suit cette captiver son auditoire.
il faut prendre en compte d’autres contingen- évolution. Pour la plupart des apprentissages Outre le talent
ces. Que faire face à cette évolution, largement liés à l’écrit ou à la lecture, mieux vaut une personnel, les lois
imputable aux nouveaux rythmes de vie et de bonne matinée de cours, suivie d’une partie de physiologiques
la famille ? Quels bénéfices pourrait-on tirer de l’après-midi consacrée à d’autres activités péri- et psychologiques
l’application des données biologiques et psy- éducatives (artistiques, culturelles et sportives). qui régissent
chologiques liées aux rythmes scolaires ? Des Ces dernières permettent aussi aux enfants, les fluctuations
données scientifiques existent. Nous en donne- mais sous une autre forme, de développer leurs de l’attention au fil
de la journée doivent
rons ici les grandes lignes en espérant qu’elles fonctions exécutives et l’estime de soi.
être prises en compte.
puissent être un jour reconnues et partagées par Claire Leconte, professeur en psychologie
l’ensemble de la communauté éducative : ensei- de l’éducation à l’Université de Lille 3, suit
gnants, animateurs socioculturels et... parents. depuis 1996 un groupe scolaire lillois qui a eu

Des journées chargées


Aujourd’hui, à l’école primaire, les enseigne- En Bref
ments sont répartis sur quatre journées de huit • Selon des données scientifiques récentes, l’attention des enfants
heures, comportant cinq heures et demie d’en- augmente au cours de la journée ; elle est optimale en fin de matinée.
seignements fondamentaux. Cette situation • Il serait préférable de concentrer les apprentissages le matin,
est-elle adaptée aux capacités attentionnelles et de prévoir des journées moins longues, mais plus nombreuses.
de l’enfant ? L’attention chez les plus jeunes • Une meilleure attention peut être obtenue en apprenant
n’est pas uniforme au cours de la journée. De aux élèves à gérer leurs « fonctions exécutives », telles
multiples études ont établi qu’elle est maximale que planification, gestion de la mémoire de travail, alternance
en fin de matinée, puis baisse notablement en entre diverses tâches et résistance aux distractions.

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pendant 12 années une semaine d’école de récréations quotidiennes –, soit sur une année
six jours avec trois après-midi libres. Elle abou- entière 864 heures de cours pour seulement
tit à la conclusion qu’idéalement, les cours 144 jours d’école. Cette situation a une consé-
devraient être plutôt répartis entre 8 heures 30 quence évidente : les limites de l’attention des
et 12 heures 30, avec un accueil en classe durant enfants sont dépassées. Ainsi, François Testu,
environ 30 minutes. Évidemment, cela pose des professeur de psychologie à l’Université de
difficultés de réorganisation de la vie scolaire Tours, a souligné que les études internatio-
et périscolaire, mais la réalité physiologique est nales d’évaluation des niveaux à l’écrit, en
un fait dont on ne peut faire abstraction. lecture et en compétences mathématiques
Aujourd’hui, les journées d’école sont avaient généralement reculé dans les pays
surchargées au regard des capacités atten- (rares) qui avaient adopté la semaine de qua-
tionnelles naturelles des enfants, a fortiori tre jours au moment de l’entrée en vigueur
dans un contexte où leur attention est déjà de cette mesure (voir l’encadré page 20).
captée de multiples façons par l’environne-
ment. La semaine de quatre jours, en vigueur Des week-ends trop longs ?
depuis 2008, a certainement contribué à cet
état de fait. L’abolition de l’école le samedi Par ailleurs, un certain nombre d’études ont
matin, associée à l’absence de cours le mer- établi que les performances mnésiques sont
credi, crée une situation où toutes les heures meilleures après un week-end d’une journée
sont concentrées sur ces quatre journées. Les et demie comparées à un week-end de deux
écoliers français ont ainsi les journées d’école jours comme avec la semaine actuelle de qua-
les plus longues du monde avec un nombre tre jours. En effet, les rythmes de l’enfant sont
total de jours de scolarité le plus court sur une imposés par des stimulations que l’on nomme
année : chaque journée à l’école élémentaire synchroniseurs, tels que l’heure du coucher et
compte cinq heures et demie de travail péda- celle du réveil, les devoirs, l’heure à laquelle
gogique – sans compter les 30 minutes de commence l’école le matin, etc. Deux jours
d’interruption dus au week-end perturbent
les rythmes de la semaine, avec généralement
un coucher et un lever plus tardifs, et des acti-
L’attention du matin au soir vités qui ne mobilisent pas l’attention au
même moment de la journée. Il faut alors se
e 1960 à 2011, la plupart des études sur l’attention des enfants
D ont utilisé des variantes de l’épreuve des lettres barrées, dite
épreuve de barrage, proposée pour la première fois à la fin du
« recaler » en début de semaine. Plus l’envi-
ronnement des enfants met en place des
périodes longues avec des couchers et des
XIXe siècle par les psychologues Alfred Binet et Benjamin Bourdon,
levers tardifs, plus il est difficile de revenir
et qui visait à évaluer l’attention des enfants. Depuis lors, ces épreu-
au fonctionnement habituel de la semaine.
ves de barrage consistent à retrouver un élément cible (une let-
Dès lors, si l’on se fiait à ces études d’im-
tre particulière) plusieurs fois présent au sein d’une série d’autres
pact des week-ends longs, il serait plus judi-
éléments qu’il faut ignorer (d’autres lettres). En 1967, une expé-
cieux de réintroduire la matinée du samedi.
rience a été mise au point, qui consistait à demander à des sujets,
En juillet 2011, un rapport du Comité de
à plusieurs moments de la journée, de réaliser une épreuve de bar-
pilotage sur les rythmes scolaires a été publié.
rage. Elle a ainsi montré que les performances attentionnelles
Il proposait de porter la durée des horaires
varient au cours de la journée : elles augmentent de façon conti-
nue du matin jusqu’en fin d’après-midi, pour décroître ensuite
scolaires de 8 heures 30 à 15 heures 30, au lieu
durant la soirée, avec cependant une forte baisse aux alentours de
de 16 heures 30. C’est probablement un pas
13 heures. Cette courbe est proche de celle de l’évolution, au cours dans la bonne direction.
de la journée, de la température corporelle – un indicateur impor- Reste la question des vacances d’été, dont la
tant du métabolisme. En conséquence, cette forme d’attention per- longueur pose un certain nombre de difficul-
ceptive fluctue selon des rythmes biologiques. tés. En effet, en imaginant une semaine de cinq
jours, chaque jour comptant une heure d’ap-
prentissages en moins, la durée des apprentis-
sages resterait à peu près équivalente, aux envi-
rons de 864 heures par an. La question qui se
pose aujourd’hui est : ce nombre est-il suffi-
8h00 11h00 13h00 18h00 19h00 sant ? En 1910, le nombre d’heures par an était
de 1310. Ce nombre n’a fait que décroître sur

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un siècle, avec deux décrochements notables


au moment de l’adoption des congés payés, 1400
puis en 1968 (voir la figure 2). La conséquence

Heures de cours annuelles


1300
directe en est que les élèves doivent apprendre
aujourd’hui la même chose avec 450 heures de 1200
classe en moins.
Sachant que leur attention est en outre 1100
accaparée par des sollicitations qui n’exis-
1000
taient pas auparavant, il serait peut-être judi-
cieux de leur redonner un peu plus de temps, 900
réparti de façon adaptée, pour qu’ils puissent
acquérir ces compétences et ces connaissan- 800
1910 1930 1950 1970 1990 2010
ces. Cela supposerait, notamment, d’écour-
ter l’immense pause d’été, par ailleurs préju-
diciable aux rythmes de l’enfant qui prend 2. Le nombre d’heures de cours à l’école n’a fait que diminuer
souvent d’autres habitudes de coucher, les- depuis 100 ans. L’augmentation de la part des congés a été
quelles modifient la courbe de son attention déterminante, ainsi que, plus récemment, l’adoption de la semaine
au fil de la journée. Là encore, le rapport du de quatre jours en 2008. Malgré cette diminution, le nombre de jours
Comité de pilotage sur les rythmes scolaires d’école est si faible (144 sur l’année) que les journées d’école
semble avoir pris la dimension du problème. des Français sont les plus longues du monde. Une situation
Les connaissances acquises sur les fluctua- peu compatible avec le rythme de l’attention.
tions de l’attention peuvent aussi aider à
mieux agencer les différents apprentissages au
fil de la journée. Les psychologues américains
Simon Folkard et Timothy Monk ont étudié visuelle de certains motifs ou de lettres), et
ces fluctuations en faisant réaliser plusieurs d’autres l’attention et la mémoire de travail.
fois par jour trois variantes de l’épreuve des La première forme d’attention est exogène
lettres barrées. La version modifiée fait inter- (attention automatiquement attirée par les
venir, non plus la seule capacité attentionnelle, caractéristiques physiques de l’environne-
mais la mémoire de travail. Les enfants ont ment), la seconde endogène (attention contrô-
pour consigne de mémoriser deux, quatre ou lée volontairement et avec plus d’effort par
six lettres cibles qu’ils doivent barrer dans un l’individu à partir de ses représentations men-
texte qu’on leur donne à lire. tales de l’environnement). On peut comparer
l’attention exogène à la réaction à la nouveauté
L’attention endogène et l’attention endogène à la concentration.
Cette expérience montre que l’attention endo-
Qu’observe-t-on dans pareil cas ? Les per- gène est plus « fraîche » le matin, et l’atten-
formances des enfants ayant réalisé les trois tion perceptive exogène, plutôt en fin de mati-
épreuves ne sont pas identiques (voir la née et en milieu d’après-midi.
figure 3). Pour la tâche à deux lettres, propre Il semble que la mémoire de travail dépende
aux tâches d’attention visuelle maintenue, on moins que l’attention perceptive (visuelle,
observe une progression de l’attention au fil notamment) des fluctuations du métabo-
de la journée, de 8 heures 30 à 17 heures envi- lisme. Lorsqu’elle est peu sollicitée, ce sont les
ron. Mais pour la tâche à quatre lettres, qui variations d’attention perceptive qui détermi-
fait aussi intervenir la mémoire de travail, on nent les variations de performance au fil de la
observe le contraire, c’est-à-dire une diminu- journée, produisant une augmentation jusqu’à
tion jusqu’à 17 heures, puis un regain entre 17 heures. En revanche, quand elle est mise à
17 heures et 19 heures 30, suivi d’une dernière l’épreuve avec une tâche à quatre lettres, c’est
phase de diminution. Pour la tâche à six let- elle qui joue le rôle de facteur limitant. Elle
tres, on constate aussi une décroissance jusqu’à s’épuise dans un premier temps, avant de pas-
17 heures et une augmentation au-delà. ser le relais à la mémoire à long terme : les
Comment interpréter ces différences selon quatre lettres passent de la mémoire de tra-
les tâches ? Certaines font intervenir une vail à une mémoire plus profonde à partir de
forme d’attention perceptive (reconnaissance 17 heures, et les performances s’améliorent.

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Pour une tâche à six lettres, le phénomène est performances quotidiennes, que lorsque des
amplifié, et l’avantage d’une mémorisation à élèves maîtrisent un exercice, leur réussite varie
long terme se fait sentir même en soirée. peu en fonction de la journée, alors que pour
Qu’en tirer pour la pratique pédagogique ? un nouvel exercice, la performance est sujette
Le niveau de maîtrise des apprentissages déter- aux variations du cycle circadien. Une épreuve
mine l’équilibre entre ces deux formes d’at- maîtrisée fait appel à des compétences et des
tention. Les règles acquises la veille, telles les routines automatisées : elle nécessite par consé-
opérations arithmétiques, gagneraient à être quent moins d’attention endogène qu’un nou-
pratiquées plus tôt dans la matinée. La décou- vel apprentissage. Dès lors, les activités en classe
verte de stratégies nécessaires aux nouveaux pourraient être également alternées selon leur
apprentissages, comme les accords syntaxiques caractère attractif, le niveau de contrôle atten-
ou les déclinaisons grammaticales, pourrait tionnel qu’elles demandent et le degré de maî-
être appliquée en début d’après-midi. En effet, trise atteint. Par exemple, les tâches mieux maî-
les règles mémorisées de la veille ou la mise trisées ou apprises la veille, requérant moins
en œuvre des stratégies d’apprentissage requiè- de contrôle attentionnel, gagneraient à être
rent plus d’attention endogène. En revanche, réalisées en début de journée.
les travaux de calligraphie, d’appariements Si l’application de ce principe d’ajustement
visuel, spatial ou phonologique à partir de for- des activités scolaires par matière peut être
mes nouvelles, profitant plus aisément à l’at- facilement réalisable en école primaire, elle
tention exogène et sollicitant moins la mémoire nécessite au collège et au lycée de prévoir des
de travail, seraient réalisés en fin de matinée. emplois du temps où les mêmes matières ne
sont pas toujours enseignées dans la semaine
Écriture le matin, aux mêmes heures de la journée. Les évalua-
tions des connaissances ou compétences acqui-
grammaire l’après-midi ? ses dans chaque matière devraient être logi-
Il ne serait guère raisonnable de vouloir quement placées le matin.
graver de telles propositions dans le marbre, Cela signifie aussi que les apprentissages
et de les imposer au corps enseignant. Dans peuvent être déplacés dans la journée au cours
l’idéal, les instituteurs peuvent réfléchir à ce de l’année. Une tâche nouvelle serait abordée
qui, selon eux, relève plutôt de l’attention en fin de matinée pendant quelques semaines,
endogène à pratiquer en début de matinée ou puis à mesure que son assimilation progresse,
en début d’après-midi, et de l’attention exo- elle pourrait être déplacée en début de mati-
gène à réserver plutôt en fin de matinée. née pour laisser le créneau optimal (vers
Le chronopsychologue F. Testu a constaté, 11 heures) libre pour des situations nouvelles
dans ses expériences sur les fluctuations des requérant une attention perceptive optimale.

3. L’attention fluctue au cours de la journée, avec


un profil différent selon les tests pratiqués. Lorsque le test
demande peu de mémoire de travail (faire attention à deux 4 lettres
lettres énoncées initialement, et les barrer dans un texte),
les fluctuations correspondent à celles de l’attention perceptive,
avec un minimum le matin et un maximum en fin d’après-midi
à 17 heures. Lorsque le test fait davantage appel à la mémoire
de travail (quatre lettres à mémoriser et à repérer), cette forme
d’attention exogène ne détermine plus autant les résultats.
Ce sont les fluctuations de la mémoire de travail (attention 6 lettres
endogène) qui ont un rôle sur les variations des performances
au test : les résultats sont meilleurs le matin et diminuent jusqu’à
17 heures, pour ensuite augmenter de nouveau et décroître
finalement au-delà de 19 heures 30. Enfin, lorsque la charge
en mémoire de travail est maximale (six lettres), on observe 2 lettres
une diminution des résultats jusqu’à 17 heures,
puis une augmentation jusqu’au coucher. 8h30 11h30 17h00 18h30

18 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


3-Ess11_pxxxxx_attention_boujon_bsl.qxp 4/07/12 12:01 Page 19

4. Discuter pour maintenir


l’attention. Pour s’assurer que l’attention
d’un enfant reste mobilisée lors d’un apprentissage,
l’enseignant peut lui poser diverses questions.
Il vérifie ainsi si l’enfant reste concentré
sur la tâche demandée ou bien s’il commence
à « décrocher ».

Dmitry Shironosov / Shutterstock.com


En supposant que les enseignements soient
répartis de façon à s’adapter au mieux aux
rythmes attentionnels de l’enfant, comment
exploiter au mieux ce « temps d’attention » ?
Les recherches fondamentales nous ont appris
que cette faculté mentale est difficile à maîtri-
ser de l’extérieur, et qu’il ne suffit pas d’obte-
nir qu’un individu regarde dans une direction
pour qu’il perçoive réellement et mémorise les
informations qui y sont délivrées. En d’autres Ainsi, en classe, un enfant peut très bien
termes, il ne suffit pas de demander aux élèves avoir le regard posé sur le tableau, sans rien
de regarder le tableau, d’écouter l’enseignant, voir de ce qui y est écrit. De même, il peut
de « faire attention », pour que l’attention soit sembler plongé dans son cahier de mathéma-
réellement engagée. tiques et sur des lignes d’additions ou de sous-
tractions, sans rien en retenir. L’enseignant va
Le maître, certes essayer de solliciter son attention, de
faire en sorte que son regard et son écoute se
guide attentionnel portent sur ce qu’il voit ou entend, mais il n’a
Chacun a constaté ce phénomène : nous aucun moyen de vérifier qu’il y réussit.
pouvons avoir le regard posé sur une page L’enfant est seul à pouvoir vérifier qu’il fait
d’un livre, sans faire réellement attention à ce attention. Il faut l’amener à la découverte et
que nous lisons. Nous pouvons arriver en bas à l’utilisation de ses outils mentaux, qui lui
de la page sans avoir rien retenu. Cet effet sur- permettent de savoir s’il fait attention ou non.
prenant est qualifié de cécité attentionnelle. Il prendra ainsi les commandes de son atten-
Daniel Simons et l’équipe du Laboratoire de tion, en supervisant lui-même les grandes éta-
cognition visuelle de l’État d’Illinois ont étu- pes de résolution d’un nouveau problème.
dié ce phénomène, et montré que nous pou- Pour cela, il faut faire appel aux fonctions
vons être aveugles à des éléments pourtant exécutives de l’enfant, qui correspondent aux
totalement incongrus, lorsque notre atten- grandes stratégies d’exécution d’une tâche. La
tion ne s’y fixe pas. planification, la surveillance des données
Il a ainsi utilisé une expérience restée célè- maintenues temporairement en mémoire et
bre, où un personnage déguisé en gorille tra- du moment où l’on peut les oublier, la gestion
verse un terrain de basket sans être aperçu par de l’alternance entre deux tâches, et l’inhibi-
les spectateurs. L’enregistrement des déplace- tion sont les quatre principales composantes
ments oculaires montre que le regard des spec- des fonctions exécutives dans le domaine du
tateurs s’est posé plusieurs fois près de cet élé- contrôle attentionnel des activités.
ment saillant. Dès lors, l’absence de perception Prenons l’exemple d’un jeune élève à qui
consciente est interprétée comme résultant l’on demande combien font 13 + 9, le tout
d’une sélection attentionnelle : l’attention se multiplié par 4. Pour réaliser cette opération,
focaliserait sur les déplacements du ballon et l’élève doit d’abord mettre en œuvre sa capa-
des joueurs. D. Simons explique ce phénomène cité d’inhibition (réprimer l’envie de faire
de la façon suivante : l’homme n’est pas capa- autre chose), activer une stratégie de planifi-
ble de percevoir ou de se rappeler des objets cation (je vais m’asseoir, prendre mon stylo,
ou des détails très différents de ceux sur les- et effectuer la tâche. Pour cela, d’abord, cal-
quels il porte volontairement son attention. culer 13 + 9, puis multiplier par quatre), et

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 19


3-Ess11_pxxxxx_attention_boujon_bsl.qxp 4/07/12 12:01 Page 20

ces deux activités sur lesquelles il peut reve-


La semaine de quatre jours sur la sellette nir plusieurs fois. Il lui est conseillé de diffé-
rer le plus tard possible la plus attrayante, en
n 1996, une étude de Nicole Dévolvé, professeur de psycho- la considérant comme une récompense. En
E logie à l’Université de Toulouse, et de sa collègue W. Davila, a
comparé quatre modes d’organisation hebdomadaire : quatre jours
dehors de l’école, certaines pratiques éduca-
tives peuvent également développer les fonc-
de six heures et demie (comme aujourd’hui), quatre jours de six tions exécutives d’inhibition et de planifica-
heures, neuf demi-journées dont le samedi matin, et neuf demi- tion. Il existe ainsi un test dit du cadeau
journées dont le mercredi matin. Les résultats mesurés sur les différé, qui consiste à offrir un cadeau à un
performances mnésiques des élèves montrent que l’organisa- enfant de deux à trois ans, et à lui demander
tion en quatre journées de six heures et demie semble la plus per- de l’ouvrir plus tard. Une telle situation fait
turbante pour les processus de mémorisation. Une autre étude appel aux fonctions d’inhibition et de planifi-
a évalué l’influence de la durée du week-end (deux jours ou un cation, essentielles dans la gestion et la résolu-
jour et demi) sur les performances mnésiques d’élèves de l’école tion de nombreuses activités quotidiennes.
primaire durant la journée du lundi. Les résultats montrent que À l’école, savoir parfaitement les mettre en
les performances mnésiques, évaluées par les performances de application peut être très utile pour résoudre
rappel d’informations mémorisées avant le week-end et la qua- un exercice : savoir prendre le temps de com-
lité de la mémorisation, sont meilleures après une interruption prendre la consigne d’un exercice ou d’une
d’un jour et demi qu’après une coupure de deux jours. activité avant de se lancer dans sa réalisation.
Toutefois, de telles recommandations doi-
vent être prises en compte dans le respect des
caractéristiques individuelles propres à cha-
Bibliographie une stratégie de surveillance des données à que élève. Celles-ci déterminent en grande
manipuler en mémoire (dans 13 + 9, com- partie les fluctuations des performances. Il
C. Leconte, mencer par ajouter les unités, obtenir « deux faut y inclure la quantité de sommeil néces-
Des rythmes de vie et je retiens un », mémoriser le « un » jusqu’à saire chaque jour (il existe des petits et des
aux rythmes scolaires :
quelle histoire !, l’addition des dizaines, pour obtenir deux, gros dormeurs), la meilleure heure de lever
Presses universitaires enfin oublier cette donnée pour passer à l’étape et de coucher (certains élèves sont plus per-
du Septentrion, 2011. suivante de l’exercice). formants le matin, d’autres le soir) et les stra-
H. Montagner, tégies employées pour identifier et isoler des
Les temps, les rythmes
et la sécurité affective
Les fonctions exécutives éléments dans une scène visuelle complexe
de l’enfant :
(certaines personnes ont tendance à voir plu-
fondements obligés Au fil de cette démarche mentale, l’ensei- tôt l’arbre ou plutôt la forêt, elles sont dites
de l’aménagement gnant peut vérifier que l’élève a engagé son « indépendantes à l’égard du champ », ou
du temps scolaire, attention, en lui demandant comment il va « dépendantes à l’égard du champ »).
in Les Cahiers
s’y prendre : l’élève répond qu’il exécute Reste évidemment la question de la moti-
Pédagogiques, 2008.
d’abord l’addition, puis la multiplication. Un vation, essentielle dans la mobilisation des
Ch. Boujon,
Attention tel échange permet à l’enseignant de savoir facultés attentionnelles. La meilleure motiva-
et contrôle de l’activité, que l’enfant met en œuvre la stratégie de pla- tion, on le sait aujourd’hui, est la motivation
D. Gaonac’h (coord.) : nification. En outre, cela fixera chez l’enfant intrinsèque, liée au plaisir d’apprendre. Mais
Psychologie cognitive l’habitude de procéder ainsi. De même l’en- avant d’en arriver là, les étapes nécessaires à
et bases
neurophysiologiques seignant peut interroger l’élève sur les don- l’acquisition des compétences peuvent être
du fonctionnement nées qu’il conserve en mémoire dans les dif- ingrates. Nous pensons que l’enseignant, en
cognitif, PUF, 2006. férentes étapes de l’addition (te souviens-tu entrant dans le jeu attentionnel de l’enfant (en
Ch. Boujon, de la retenue ? Très bien, maintenant tu peux lui posant des questions sur la façon dont il
Attention l’oublier, car tu n’en as plus besoin, etc.). Ainsi, met en œuvre les différentes composantes de
et apprentissage
le contact permanent avec les fonctions exé- ses fonctions exécutives, par exemple), suscite
(chapitre 8), A. Weil-
Barais (coord.) : cutives de l’enfant et les stratégies qu’il appli- chez lui une valorisation et un intérêt. En lui
Les apprentissages que est un moyen assez sûr de vérifier que son demandant s’il a réussi à faire attention à tel
scolaires, Bréal, 2004. attention n’a pas décroché. ou tel aspect de l’apprentissage, ou ce qui a le
F. Testu Pour ce qui concerne la capacité d’alter- plus retenu son attention durant le cours, on
et R. Fontaine, nance des tâches, il est possible de proposer à lui confère un statut qui le gratifie. L’attention
L’enfant et ses rythmes.
Pourquoi il faut l’élève de réaliser deux activités (un exercice peut alors être une porte d’entrée vers la moti-
changer l’école, peu attrayant et une activité plus ludique). Il vation ; loin d’être un pensum, elle peut alors
Calmann-Lévy, 2001. gère l’alternance dans l’accomplissement de devenir un outil puissant. I

20 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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les comportements humains
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Motiver les élèves à l’école

Inhiber
son cerveau
pour raisonner
L’un des moteurs
de l’apprentissage est de corriger
ses erreurs de raisonnement
M. Lightman / Shutterstock.com

et de choisir une stratégie cognitive


adéquate. L’inhibition de certains
automatismes cérébraux est nécessaire.

es neurosciences et l’imagerie céré- santé, aucun secteur de la société ni de la vie

L
Olivier Houdé
est professeur brale en particulier apportent indis- psychologique des individus n’échappe au label
de psychologie cutablement des clés pour mieux « neuro », qu’on s’en réjouisse ou qu’on le
à l’Université Paris comprendre les comportements hu- déplore : neuroéconomie, neuropédagogie, etc.,
Descartes. mains normaux et pathologiques. sont de nouveaux champs d’exploration de la
Le domaine médical en offre déjà beaucoup psychologie expérimentale contemporaine.
d’exemples, le domaine de l’économie quel- Cela soulève bien entendu des questions
ques-uns, et ce sera le cas, peut-être plus encore, éthiques, déjà analysées dans le domaine bio-
dans le domaine de l’éducation. Au-delà de la médical, mais qui peuvent se poser aussi dans
le domaine de l’éducation où la réflexion bio-
éducative reste à conduire. Quoi qu’il en soit
et sans céder à une vision trop scientiste et
naïve, voire idéologiquement dangereuse,
En Bref d’une technoscience de l’éducation parfaite-
• Les recherches en « neuropédagogie » peuvent éclairer ment contrôlée et contrôlable, on ne peut
certains mécanismes cognitifs et cérébraux de l’apprentissage. refuser l’idée qu’une recherche pédagogique
• L’apprentissage de l’inhibition de certains automatismes nouvelle, exploitant les ressources actuelles
permet d’éviter les biais de raisonnement. Les élèves de l’imagerie cérébrale, puisse éclairer cer-
prennent ainsi conscience de leurs erreurs de logique. tains mécanismes neurocognitifs d’appren-
• Le cerveau ayant « appris » à inhiber ses erreurs se reconfigure : tissage dont dépendent des phénomènes édu-
le cortex préfrontal contrôle le raisonnement. catifs, sociaux et culturels plus complexes.

22 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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L’apprentissage est une modification de la dans le cerveau lorsque, sous l’effet d’un
capacité à réaliser une tâche sous l’effet d’une apprentissage, on passe, au cours d’une même
interaction avec l’environnement. Dès la nais- tâche de raisonnement, d’un mode percep-
sance, le bébé est génétiquement programmé tif facile, automatisé, mais erroné, à un mode
pour apprendre. Il est par exemple capable de logique, difficile et exact. Il y a alors un bas-
reproduire par imitation des modèles (mou- culement des activations cérébrales, de la
vements du visage ou des mains) que lui pré- partie postérieure du cerveau au cortex pré-
sente l’adulte, ce qui montre que son cerveau frontal, ce qui se traduit par une dynamique
est d’emblée réceptif à l’apprentissage culturel cérébrale inverse de celle qui a lieu lors de
humain. Pour l’essentiel, on peut considérer l’automatisation.
qu’il existe, chez l’adulte comme chez l’enfant,
deux formes complémentaires d’apprentissa- Apprendre l’inhibition
ges cognitifs : l’automatisation par la pratique
et le contrôle par l’inhibition. Voyons ce que
avec un professeur
cachent ces notions. Le premier type d’apprentissage, l’auto-
Dans le cas de l’automatisation par la pra- matisation par la pratique, correspond aux
tique, l’imagerie cérébrale fonctionnelle a connaissances générales, bien établies, appri-
permis de montrer que la partie préfrontale ses par la répétition, la mémorisation, et qui
(avant) du cerveau est activée en premier lieu ; doivent être connues de tous (les programmes
en effet, la mise en place des habiletés néces- à l’école par exemple). C’est ce que l’on nomme
site un contrôle exécutif et un effort cognitif « l’intelligence cristallisée » par la culture. À
(apprendre par cœur une liste de mots écrits l’inverse et de façon complémentaire, le second
par exemple). Puis ces habiletés s’automati- type d’apprentissage, le contrôle par l’inhibi-
sent avec la pratique et c’est la partie posté- tion, fait appel à l’imagination, à la capacité de
rieure du cerveau ainsi que les régions sous- changer de stratégie de raisonnement en inhi-
corticales qui prennent le relais. bant les automatismes habituels (eux-mêmes
Dans le cas inverse (on parle de désauto- cristallisés). C’est « l’intelligence fluide ».
matisation), il s’agit d’apprendre à inhiber Apprentissage et intelligence sont étroite-
les automatismes acquis pour changer de ment liés via la culture et le raisonnement.
stratégie cognitive. L’imagerie cérébrale a mis Décrivons de façon plus détaillée l’appren-
en évidence les modifications qui s’opèrent tissage de l’inhibition, forme d’apprentissage

a b c

Tous les dessins sont de Jean-Michel Thiriet

1. Lors des tests de logique, on demande aux volontaires 90 pour cent des sujets proposent comme réponse : un carré
de déplacer des formes colorées présentées sur un écran d’ordi- rouge à gauche d’un cercle jaune (c).Ils se trompent et commettent
nateur pour répondre à des règles déductives du type : « S’il y a un ce que l’on nomme une erreur perceptive. Pour rendre la règle
carré rouge à gauche, alors il y a un cercle jaune à droite » (a). La fausse, il faut rendre l’antécédent vrai, c’est-à-dire ne pas mettre de
totalité des personnes testées réussit ce problème (b). Mais si on carré rouge à gauche (on met,par exemple,un carré vert) et rendre
demande aux participants de rendre fausse la règle « S’il n’y a pas la conclusion fausse, c’est-à-dire ne pas mettre un cercle jaune à
de carré rouge à gauche, alors il y a un cercle jaune à droite », alors droite (on place, par exemple, un losange bleu à droite).

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cognitif (ou plus exactement « métacognitif ») que tous les mêmes erreurs de logique (voir la
explorée ces dernières années par la neuro- figure 1) ; l’apprentissage consiste à inhiber ces
pédagogie expérimentale et absente (pour le biais de raisonnement. Les questions d’appren-
moment) des programmes scolaires. Il s’agit tissage et de plasticité neurocognitive, essen-
d’étudier un mécanisme particulier de correc- tielles en psychologie de l’enfant et de l’ado-
tion d’erreurs dans le cerveau humain. Pour ce lescent, le sont aussi en neurosciences cognitives.
faire, on développe une sorte de « pédagogie Pour l’exemple des erreurs de raisonne-
de laboratoire » : apprendre à l’individu (et à ment logique, nous avons émis l’hypothèse
travers lui à son cerveau) à inhiber ses erreurs que la difficulté des individus tient, dans cer-
systématiques (ou biais) de raisonnement. Par taines situations pièges, à ce que deux straté-
exemple, on propose à des volontaires de dépla- gies de raisonnement entrent en compétition
cer des formes colorées sur un écran d’ordina- et se télescopent dans leur cerveau, l’une per-
teur pour répondre à des règles déductives. Mais ceptive (ou sémantique selon les cas : une
pour certaines règles, les participants font pres- croyance sur le monde), l’autre logique. Face

Les conditions d’apprentissage pour une pédagogie de laboratoire

Lcle en’yjaune
volontaire doit rendre fausse la règle déductive « S’il
a pas de carré rouge à gauche, alors il y a un cer-
à droite », en sélectionnant sur un écran d’or-
exercice préliminaire, en présentant quatre cartes (A,
D, 3 et 7), chacune ayant, d’un côté une lettre, de l’autre
un chiffre. Les quatre cartes sont disposées face aux per-
dinateur deux formes géométriques. Pour améliorer le sonnes testées qui doivent indiquer quelle(s) cartes(s) il
score – mauvais – des participants à ce test (90 pour cent est indispensable de retourner pour vérifier si la règle est
de réponses fausses), on dispose de trois stratégies d’ap- toujours respectée : « S’il y a un A d’un côté d’une carte,
prentissage : l’inhibition de la stratégie perceptive, l’expli- alors il y a un 3 de l’autre. » La réponse erronée corres-
cation logique et la répétition de la tâche. pondant à un biais de raisonnement serait A et 3. Ce pro-
Éliminons d’emblée la troisième qui ne donne aucun résul- blème est connu sous le nom de test de Wason.
tat : la répétition d’une « tâche piège », pour laquelle on ne Pour vérifier la règle, on doit effectivement retourner A
comprend pas l’origine de l’erreur, ne corrige pas l’erreur. pour savoir si oui ou non il y a un 3 au dos, mais il est inu-
Dans la condition d’apprentissage de l’inhibition de la tile de vérifier ce qu’il y a au dos du 3 : ou bien c’est un A et
stratégie perceptive, on tente d’inhiber les biais de rai- la règle n’est pas mise en défaut ; ou bien c’est un D et la
sonnement. Pour ce faire, on émet des « alertes » qui pré- condition requise (il y a un A d’un côté) n’est pas remplie :
viennent le participant des pièges de raisonnement. On dès lors, la carte 3 ne peut pas rendre la règle fausse. En
lui explique d’où vient l’erreur, on le met en garde pour revanche, la seconde carte à tirer est le 7 : si de l’autre côté
qu’il ne tombe pas dans le piège, c’est-à-dire qu’il ne se du 7, on a un A, la règle est fausse ! Ainsi, la réponse cor-
laisse pas abuser par les formes et par les couleurs en recte est A et 7,car seules ces deux cartes sont susceptibles
oubliant la consigne logique. Dans la deuxième stratégie de rendre la règle fausse, c’est-à-dire de présenter un cas
(l’explication logique), on se contente d’expliquer la logi- où l’antécédent est vrai (A) et le conséquent faux (non-3).
que de la tâche sans expliciter les causes des erreurs. Au début de l’apprentissage, tous les participants font
Comment procède-t-on ? Nous proposons d’abord un l’erreur et proposent la paire A et 3 (voir la figure a). On

Exercice préliminaire
a

24 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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à cette compétition neuronale, les élèves d’autrui. Par exemple, un professeur mettait en
feraient des erreurs s’ils ne parvenaient pas garde les sujets en leur précisant qu’ils devaient
à inhiber la stratégie perceptive (ou séman- éviter un piège perceptif, une erreur de raison-
tique), sans qu’il s’agisse pour autant d’un nement, et qu’ils ne devaient pas se laisser abu-
manque de logique en tant que tel. ser par les formes ni par les couleurs. C’est
l’apprentissage dit « métacognitif », car il porte
Un apprentissage efficace sur les stratégies cognitives à sélectionner. La
deuxième condition était l’explication logique
Pour le montrer, nous avons d’abord testé, et rationnelle du problème, réalisée par le même
par des études de psychologie expérimentale, professeur. Et le dernier apprentissage était la
l’efficacité de trois conditions d’apprentissage répétition de la tâche, ce qui correspond aux
sur des groupes de sujets indépendants : la pre- effets de la pratique (voir l’encadré ci-dessous).
mière condition consistait à inhiber une stra- Seul l’apprentissage de l’inhibition s’est
tégie perceptive avec des instructions venant révélé efficace, c’est-à-dire source de progrès

réalise alors les deux procédures d’apprentissage choi- gnent le critère d’apprentissage, c’est-à-dire lorsqu’ils sont
sies : l’explication logique (voir le scénario b) et l’appren- capables d’expliquer de façon autonome la résolution
tissage de l’inhibition de la stratégie perceptive (voir le scé- correcte de la tâche de sélection de cartes. Ils finissent
nario c). Dans l’explication logique, on explique de façon par réussir par l’une ou l’autre des procédures (b2 et c2).
« froide » comment réfléchir pour réussir ce test (b1). Sont-elles pour autant équivalentes ? Non, car dans la
Dans l’autre méthode d’apprentissage (c1), le « profes- dernière étape de l’expérience, on refait le test avec la
seur» ne se contente pas de cet enseignement froid, mais tâche initiale (rendre fausse la règle : « S’il n’y a pas de
donne en plus des « conseils d’inhibition », prévient lors- carré rouge à gauche, alors il y a un cercle jaune à
que l’« élève » risque de se laisser abuser par ses per- droite ») et l’on constate que la méthode d’explication
ceptions, fait intervenir une dimension émotionnelle dans logique échoue (b3) tandis que la méthode d’apprentis-
son enseignement qui n’apparaît pas dans la méthode pré- sage de l’inhibition des biais de raisonnement donne des
cédente. La procédure se termine lorsque les sujets attei- résultats meilleurs (c3).
Pendant l’apprentissage Après l’apprentissage
b1 b2 b3
Explication logique

c1 c2 c3
Inhibition de la stratégie
perceptive

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 25


4-Ess11_pxxxxx_pedago_houde_bsl.qxp 3/07/12 17:05 Page 26

2. L’apprentissage de l’inhibition a b
des erreurs de raisonnement se traduit
par une modification du débit sanguin cérébral,
visible en imagerie fonctionnelle. Lorsque
les sujets se trompent quand on leur demande
de rendre fausse la règle logique : « S’il n’y a pas

O. Houdé, CNRS
de carré rouge à gauche, alors il y a un cercle
jaune à droite », le débit sanguin est plus élevé
dans les régions postérieures et perceptives
du cerveau (a). Quand ils ont appris à inhiber
leur erreur, le débit sanguin est modifié, Arrière Avant Arrière Avant
et les régions antérieures (préfrontales)
sont davantage activées (b).

cognitifs transférables aux problèmes logiques fluide se déclenche et s’observe chez l’élève
du même type : le taux de réussite, initialement après l’intervention pédagogique d’autrui.
inférieur à 10 pour cent, a dépassé les 90 pour Éducation et neurosciences peuvent donc se
cent lors de la résolution du second problème. conjuguer ; l’imagerie cérébrale a apporté la
Alors que dans les deux autres conditions (l’ex- visualisation de l’effet pédagogique précé-
plication logique et la pratique), la proportion demment testé en psychologie expérimentale
d’erreurs était comparable au niveau initial face du raisonnement.
à des problèmes du même type. C’est donc le L’adulte, comme l’enfant, peut sans doute
mécanisme exécutif de blocage (l’inhibition) apprendre à inhiber les stratégies inadéquates
qui faisait psychologiquement défaut aux indi- de trois façons : soit en analysant lui-même ses
vidus interrogés et non pas la logique formelle échecs et en constatant ses erreurs, soit par imi-
ou la pratique (comme c’est le cas pour d’au- tation, soit en étant instruit par autrui, comme
tres situations d’apprentissage). dans l’étude réalisée. Dès lors, on pourrait déve-
lopper à l’école une pédagogie de « l’inhibi-
Une façon de penser tion » (au sens positif du terme) et du contrôle
cognitif en général. Or l’école apprend plu-
reconfigurée tôt l’activation des connaissances, dans tou-
Que se passe-t-il dans le cerveau des élèves tes les matières, que l’inhibition cognitive.
avant et après l’apprentissage de l’inhibition Certains psychologues, tels qu’Adele Diamond
de la stratégie perceptive, c’est-à-dire avant et au Canada, testent déjà avec succès, dès l’école
après la correction de l’erreur de raisonnement ? maternelle, des programmes expérimentaux
Existe-t-il un support biologique, neuronal (et de ce type : par exemple, le programme Tools
lequel ?) montrant que les élèves ont appris à of the Mind où l’on apprend aux jeunes enfants
inhiber une stratégie ? Nous avons repris la l’inhibition et le contrôle cognitifs. Aux États-
même expérience en observant l’activité céré- Unis, l’équipe de Michael Posner a montré
brale des sujets par imagerie fonctionnelle comment des exercices de contrôle attention-
avant l’apprentissage avec le professeur, et après. nel modifient le cerveau de jeunes enfants
Nous avons observé une spectaculaire recon- (4-6 ans) dans des régions telles que le cortex
figuration – ou plasticité – des réseaux neu- préfrontal et le cortex cingulaire antérieur.
ronaux, de la partie postérieure du cerveau à Dans une autre étude, nous avons comparé
sa partie antérieure, dite préfrontale (voir la les conséquences cérébrales de l’apprentissage
figure 2). Cette expérience illustre ainsi de de l’inhibition (qui implique des mises en
façon dynamique comment peut se mettre en garde sur le danger du piège perceptif, c’est-à-
place, sous l’effet d’une forme particulière de dire sur l’erreur possible) et de l’apprentissage
pédagogie expérimentale, un processus d’abs- rationnel et logique, que l’on peut considérer
traction par inhibition cognitive (de la comme plus « froid » et scolaire. Au niveau
réponse perceptive à la réponse logique) dans comportemental, nous avons à nouveau trouvé
le cerveau. C’est « le cerveau qui apprend en que seul l’apprentissage de l’inhibition est effi-
inhibant ». En d’autres termes : l’intelligence cace dans les situations pièges étudiées.

26 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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Le mécanisme de blocage – l’inhibition – fait


psychologiquement défaut aux élèves, et non
pas la logique formelle ou la pratique.

En outre, nous avons montré qu’une région sionnés, à juste titre, par leurs recherches et
du cerveau s’active plus lors de l’apprentissage leurs découvertes, ont néanmoins en ce
de l’inhibition que lors de l’apprentissage logi- domaine un devoir d’humilité.
que : c’est le cortex préfrontal ventro-médian
droit. Cette région se situe dans « l’intimité » Neuropédagogie :
du cerveau droit, à l’avant (préfrontal), en bas
(ventro) et au milieu (médian), près du sys-
un devoir d’humilité
tème limbique qui est considéré comme « le D’abord parce qu’il s’agit de premières don-
cerveau des émotions ». nées encore ponctuelles et partielles. Ensuite
Depuis les travaux du neuropsychologue parce qu’il ne faut pas dire aux professeurs des
Antonio Damasio aux États-Unis, on sait que écoles ce qu’ils doivent faire dans leurs classes,
cette région paralimbique est impliquée dans mais simplement les informer, ainsi que les
les relations étroites entre émotion, senti- cadres de l’éducation et hommes politiques,
ment de soi et raisonnement. Dans notre cas, des avancées scientifiques récentes en matière
il s’agit de l’émotion liée au sentiment de d’apprentissages cognitifs et d’intervention
s’être trompé, d’être « tombé dans un piège », pédagogique. Ces découvertes, tel le rôle péda-
mais de pouvoir néanmoins corriger son gogique positif de l’inhibition cognitive et son
erreur de raisonnement ; c’est une émotion apprentissage cérébral, sont parfois contre- Bibliographie
complexe mêlant peur (de se tromper) et intuitives pour les professionnels. Mais elles O. Houdé,
plaisir (de se corriger). C’est ici l’apprentis- peuvent avoir des conséquences importantes La psychologie
sage du contrôle inhibiteur qui déclenche dans la société et l’éducation. de l’enfant, (Que sais-
je ?), Paris, PUF, 2012.
et entretient cette émotion. La pédagogie est un « art » qui doit s’ap-
puyer sur des connaissances scientifiques A. Diamond
et K. Lee, Interventions
Le rôle de l’émotion actualisées. En apportant des indications pré- shown to aid executive
cises sur les capacités et les contraintes du function development
En mesurant la différence de débit sanguin « cerveau qui apprend », la psychologie et in children
cérébral, nous avons confirmé que le cortex l’imagerie cérébrale peuvent aider à expli- 4 to 12 years old,
in Science, vol. 333,
préfrontal ventro-médian droit est activé chez quer, au cas par cas, pourquoi certaines situa- pp. 959-964, 2011.
tous les élèves qui accèdent à la réponse logi- tions d’apprentissage sont efficaces, alors que O. Houdé,
que après l’apprentissage de l’inhibition (donc d’autres ne le sont pas. Par exemple, les résul- First insights
après correction de l’erreur), alors qu’il ne tats exposés ici incitent, face aux blocages, on neuropedagogy
l’est pas chez ceux qui restent dans l’erreur erreurs ou difficultés de certains élèves, à of reasoning, in Thinking
& Reasoning, vol. 13,
après un apprentissage logique « froid ». La tenir compte des résultats acquis en neuro- pp. 81-89, 2007.
théorie d’A. Damasio est une théorie de la pédagogie. En l’occurrence, il s’agit de deux
O. Houdé, Neural
« conscience réflexive », c’est-à-dire que l’émo- mécanismes clés, sans doute liés à des phé- foundations of logical
tion liée au sentiment de soi participe à l’ac- nomènes éducatifs, sociaux et culturels plus and mathematical
tivité cognitive. C’est bien ce que nous obser- complexes : d’une part, l’inhibition de stra- cognition, in Nature
vons : avant l’apprentissage de l’inhibition, les tégies neurocognitives en compétition et, Reviews Neuroscience,
vol. 4, pp. 507-514,
participants ne sont pas conscients (n’ont pas d’autre part, l’émotion associée au sentiment 2003.
le sentiment) qu’ils commettent une erreur de soi, qui paraissent toutes deux utiles au O. Houdé et al.,
de logique (ils pensent tous répondre juste !). cerveau (parfois plus que la pure logique) Access to deductive
Alors qu’après, ils en sont conscients – état dit pour corriger ses erreurs de raisonnement. logic depends
de conscience réflexive. En retour, le monde de l’éducation, bien on a right ventromedial
prefrontal area devoted
Après avoir exposé ces exemples de recher- informé de la pratique quotidienne, pour- to emotion and feeling,
ches en neuropédagogie expérimentale, rappe- rait suggérer des idées originales d’expéri- in NeuroImage, vol. 14,
lons, pour conclure, que les scientifiques, pas- mentation aux neuropédagogues... I pp. 1486-1492, 2001.

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Motiver les élèves à l’école

« Pour » les notes


à l’école élémentaire !
À condition qu’elles soient utilisées pour informer
l’élève et non pour le décourager.

ien ne va plus dans le monde de agissent selon cette loi. Dans ces expérien-

R
Alain Lieury
est professeur la notation ! Fin 2010, une péti- ces, des élèves filles, du CM1 à la sixième,
émérite tion s’est élevée contre les notes devaient résoudre le plus de problèmes pos-
de psychologie scolaires et une autre pour leur sibles parmi 30 en 15 minutes, chaque jour,
cognitive maintien, alors que le ministre cinq fois par semaine. Dans un premier
de l’Université de l’Éducation, de son côté, soutenait les groupe, chaque élève était réprimandée
Rennes 2, notes. Que penser d’une telle controverse ? publiquement sans tenir compte des répon-
ancien directeur
du Laboratoire Mais d’abord de quoi parle-t-on ? En fait, il ses correctes. Dans un deuxième groupe,
de psychologie existe deux grandes catégories d’évaluation : chaque élève recevait des compliments (quel
expérimentale. l’« évaluation contrôlante » et l’« évaluation que soit le résultat réel). Il existait aussi un
informative », dont les mécanismes et les groupe « ignoré », et un groupe témoin tra-
effets divergent. vaillant sans exigence de résultats. Le groupe
Les notes peuvent être une façon de contrô- complimenté progressa rapidement pour
ler l’élève, de le « punir » en cas de résultats atteindre une vingtaine de problèmes réso-
insuffisants ou de le récompenser en cas de lus en cinq jours d’entraînement. Tous les
bons résultats. C’est ce qu’on nomme l’éva- autres groupes stagnèrent. Ainsi, les renfor-
luation contrôlante. Elle correspond à la loi cements positifs et négatifs ne sont pas symé-
dite du renforcement, selon laquelle la moti- triques. Mieux vaut encourager que punir.
vation est déterminée par le besoin multiplié
par le renforcement (positif ou récompense, Encourager l’élève
négatif ou punition). Plusieurs expérien-
ces ont montré que les compliments et les En fait, une autre recherche concernant
réprimandes, classiquement utilisés à l’école, l’apprentissage de cartes de géographie par
des étudiants plus âgés a montré que les ren-
forcements négatifs (stigmatisation de « l’in-
compétence ») agissent négativement chez
les étudiants les plus faibles. Toutefois, chez
Les notes sont des chiffres, [...] les étudiants de niveau élevé, les renforce-
c’est aux enseignants de les utiliser ments positifs et négatifs produisent une
augmentation de 50 pour cent des perfor-
comme un outil et non de les faire mances par rapport à des sujets témoins de
ressentir comme un fléau. niveau équivalent. Il faut donc dissocier la
récompense de la punition, et tenir compte
de l’âge des élèves auxquels on s’adresse.

28 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


5-Ess11_pxxxxx_notes_lieury_bsl.qxp 4/07/12 12:03 Page 29

Les notes peuvent aussi constituer une éva- l’élève soit motivé par le simple fait de tra-
luation dite informative. Celle-ci donne à vailler la matière, et non par des gratifica-
l’élève des informations sur le niveau de sa per- tions extérieures) résulte de deux besoins
formance. Une expérience du psychologue fondamentaux : le besoin de se sentir com-
américain Albert Bandura le montre : des étu- pétent et celui de choisir librement ses acti-
diants devaient s’entraîner à soulever des
poids, sous prétexte de mettre au point des
exercices d’aérobic. Trois conditions étaient
prévues : dans une première dite de « but
seul », les étudiants devaient soulever à cha-
que séance 40 pour cent de plus qu’à l’essai
précédent. Dans une deuxième condition dite
de « feedback seul », on informait chaque étu-
diant qu’il avait soulevé tant de kilogrammes.
Il s’agissait en fait d’un chiffre fictif, qui cor-
respondait pour tous les participants à une
progression supposée de 24 pour cent. Enfin,
dans le troisième groupe, nommé « but + feed-
back », on fixait l’objectif – augmenter la per-
Elena Rostunova / Shutterstock.com - Cerveau & Psycho

formance à chaque fois de 40 pour cent –, et


on transmettait au sujet un feedback (fictif)
correspondant à une amélioration de 24 pour
cent de sa performance.

Connaître son niveau


On a constaté que, par rapport à un groupe
témoin s’entraînant sans consigne, seul pro-
gresse le groupe à qui l’on annonce clairement
l’objectif et le résultat de ses performances.
La progression est même surprenante : les étu-
diants améliorent leur performance initiale
de 60 pour cent. On comprend facilement vités. Autrement dit, dès que la sensation de
pourquoi. Comment sauter à la perche ou compétence baisse ou que la contrainte s’ac-
courir un 100 mètres si l’on ignore son score ? croît, l’élève ne pratique plus l’activité pour Bibliographie
Comment progresser en orthographe ou en le plaisir qu’elle procure, mais pour les avan-
F. Fenouillet,
mathématiques, sans comprendre la nature tages qui lui sont associés ou pour éviter les La motivation, Dunod,
de ses erreurs ? Il faut une évaluation aussi sanctions. Il fonctionne alors selon un mode 2012.
précise et informative que possible. Sans pour extrinsèque – régulé par des agents exté- A. Lieury, La réussite
autant confondre évaluation et notes. Prenons rieurs : récompenses, bons points, compli- expliquée aux parents,
un exemple : lors d’une dictée, le nombre et ments, mais aussi punitions, réprimandes, Dunod, 2010.
la nature des fautes doivent être signalés, etc. Avec des professeurs sévères ou humi- A. Lieury et al.,
mais on n’est pas obligé de retrancher ce liants, cette motivation extrinsèque peut Motivation et Réussite
scolaire, Dunod, 2006.
nombre de fautes de la note maximale, 20. saper le sentiment de compétence.
F. Fenouillet et al.,
Dans ce dernier cas, l’évaluation redevien- Sachant que certains enseignants prati- Faut-il secouer
drait contrôlante, puisque l’élève pourrait quent l’acharnement évaluatif, friands de ou dorloter les élèves ?
avoir 0 sur 20, ce qui reviendrait à le quali- déclarations tonitruantes telles que : « Tu n’ar- Apprentissage
fier de nul. L’évaluation pourrait être présen- riveras à rien », ou « Votre place n’est pas ici », en fonction
de la motivation
tée sous forme du nombre de fautes. on comprend que certains s’insurgent contre induite par l’ego
La notation doit donc subsister. Pas for- les notes. Mais en réalité, ce sont certains com- et du niveau
cément sous forme de score sur un total portements des enseignants ou parents qu’il de mémoire
de 10 ou 20. Car les dangers de l’évaluation faut changer : les notes sont des chiffres, elles encyclopédique
en géographie,
contrôlante sont réels. Les psychologues n’y sont pour rien et c’est aux enseignants de in Revue de Psychologie
Edward Deci et Richard Ryan montrent ainsi les utiliser comme un outil et non de les faire de l’Éducation, vol. 1,
que la motivation intrinsèque (le fait que ressentir comme un fléau. I pp. 99-124, 1996.

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Motiver les élèves à l’école

Clavier ou stylo :
comment apprendre
à écrire ?
La reconnaissance des lettres passe autant par la mémoire
du geste que par la mémoire visuelle. C’est pourquoi
des enfants ayant appris à lire et à écrire avec
un clavier les reconnaissent moins bien ensuite.
Vive l’apprentissage de la calligraphie !

ans un discours prononcé le

D 23 janvier 2002, Jack Lang,


alors ministre de l’Éducation
nationale, déplorait la dégra-
dation de l’écriture manus-
crite et réclamait avec insistance que l’on
remette l’accent sur son enseignement dans
les écoles. Selon lui, il était urgent de « redon-
ner toutes ses lettres de noblesse à l’activité
d’écriture à l’école ». L’école doit accorder une
Jean-Luc Velay plus grande importance à l’acte d’écrire, à la
est chargé « belle écriture », selon ses propres termes.
de recherche Les programmes d’enseignement ont suivi :
au CNRS, aujourd’hui, ils mettent l’accent sur l’écriture
au Laboratoire cursive, qui doit être enseignée de préférence
de neurosciences avant la fin de l’école maternelle.
cognitives, Pourtant, l’écriture manuscrite est de moins
à Marseille. en moins utilisée au quotidien. La domination
Marieke écrasante du courrier électronique dans les acti-
Longcamp
vités professionnelles et privées, les progrès des
est maître traitements de texte et leur utilisation au bureau,
de conférences la folie des SMS des téléphones portables, tout
au Laboratoire
adaptation cela fait intervenir un clavier, et nous nous sur-
perceptivo-motrice prenons nous-mêmes quand nous reprenons
et apprentissage, notre plume pour écrire à un proche.
à l’Université Paul À l’école, les élèves utilisent des ordinateurs
Sabatier de Toulouse. de plus en plus souvent et de plus en plus tôt.

30 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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Voilà pourquoi certains n’hésitent pas à poser


la question : « Pourquoi ne pas apprendre à En Bref
écrire directement au clavier ? » Cette éventua- • Au quotidien, on utilise de moins en moins souvent le stylo pour
lité, formulée de façon aussi abrupte, a quel- écrire, et davantage un clavier d’ordinateur, de téléphone portable, etc.
que chose de choquant. La plupart d’entre nous • Pourtant, l’écriture à la main provoque l’activation d’une région
considéreraient comme une régression l’éven- cérébrale motrice, qui se « réactive » quand on voit des lettres
tuelle disparition de l’écriture manuscrite, fruit (ou des caractères). Cette activation n’existe pas quand on tape au clavier.
d’une lente évolution technique, culturelle, • La calligraphie serait essentielle à la mémorisation des lettres
sociale et peut-être… biologique. Bien souvent, ou des caractères. Les Japonais l’ont bien compris et écrivent souvent
on se rassure en se disant que ce n’est pas pour « avec leur doigt » pour se remémorer les idéogrammes de leur alphabet.
demain, mais il ne faut pas sous-estimer les
pressions techniques, et surtout économiques,
qui suscitent de nouveaux comportements.
Quel avantage y a-t-il à apprendre l’écriture tissage. Quelle méthode utilisent les élèves pour
manuscrite ? Que perdrait-on si elle n’était plus les mémoriser ? Il faut les écrire des centaines
enseignée ? C’est ce que nous allons examiner, de fois sur le papier, ou avec le doigt, sur la table
en nous appuyant sur les expériences scienti- ou dans l’air. D’ailleurs, lorsqu’un lecteur japo-
fiques les plus récentes du domaine. nais adulte hésite devant un caractère com-
Un détour par l’Extrême-Orient et le monde plexe ou peu fréquent, il fait appel au Ku-sho :
des idéogrammes nous sera profitable. Les il fait mine d’écrire le caractère avec son doigt
idéogrammes japonais, ou kanji, sont à la fois en l’air. C’est un peu ce que vous faites lorsque
très nombreux et visuellement complexes. Les vous ne vous souvenez plus du code d’entrée
traits de plume qui les composent doivent être d’un immeuble, mais que le mouvement de
écrits selon un ordre précis et rigoureusement vos doigts vous aide à le retrouver. Le lecteur
codifié. Savoir lire les kanji demande aux jeu- de kanji trace en l’air les traits constitutifs du
nes Japonais de nombreuses années d’appren- caractère, dans l’ordre approprié, et… sa
signification lui revient en mémoire. Que
déduire de cette observation ? Tout simple-
ment que la forme visuelle des idéogrammes
ne suffit pas toujours pour retrouver leur
sens, et qu’il est parfois utile de faire appel à
la mémoire « sensorimotrice ».

Un programme cérébral
d’écriture
Quand on écrit, l’information nerveuse qui
détermine l’ordre d’écriture des traits consti-
tuant les caractères est codée dans certaines
zones du cerveau : le cortex moteur et le cor-
tex somatosensoriel. Elle forme en quelque
sorte une mémoire du mouvement des sen-
sations qui lui sont associées : on parle de
mémoire sensorimotrice. Or cette mémoire
semble parfois utile chez des personnes pré-
sentant des difficultés de lecture. Ainsi, dans
certains cas d’alexie pure, c’est-à-dire lorsque
des patients porteurs d’une lésion cérébrale
deviennent incapables de reconnaître des
lettres, leur performance est parfois amélio-
Sergei Telegin / Shutterstock

rée si le patient est autorisé à les écrire, ou sim-


plement à les tracer du doigt. On parle alors
de facilitation kinesthésique, une technique
qui fut utilisée pour améliorer la lecture chez
des Japonais souffrant d’alexie. Lorsque le lien

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entre la forme visuelle d’un caractère et son que nous avons placé des volontaires dans des
identité est rompu, il est possible d’accéder scanners d’imagerie par résonance magné-
au sens du caractère en faisant appel à sa tique fonctionnelle (IRMf), qui visualisent le
représentation motrice. cerveau en action, et nous leur avons montré
La reconnaissance visuelle des caractères des lettres qu’ils devaient reconnaître.
kanji ne nécessite pas toujours leur exécution L’objectif était de révéler le réseau cérébral
manuelle. Toutefois, des chercheurs se sont mis en jeu lorsque des droitiers observent des
demandé si cette activité motrice ne serait pas lettres. Nous souhaitions aussi nous assurer
mise en jeu de façon automatique dans le cer- que d’éventuelles activations motrices obte-
veau, même en absence de mouvement mani- nues dans cette situation perceptive correspon-
feste. Lors d’une étude d’imagerie cérébrale, daient bien à des mouvements d’écriture. Pour
ils ont présenté à des sujets japonais les pre- cela, nous avons mis en place deux stratégies.
miers traits d’un kanji et leur ont demandé de
retrouver l’intégralité du caractère. Ils ont Lire, c’est écrire
observé que des zones du cerveau normale-
ment mises en jeu dans l’écriture du kanji D’une part, nous avons comparé l’acti-
étaient activées dans ces conditions. Ainsi, vation cérébrale suscitée par des formes
retrouver les kanji en mémoire sensorimotrice connues et inconnues (des lettres et des
engendrerait une sorte d’écriture mentale, « pseudolettres », symboles ressemblant à des
automatique et non intentionnelle. lettres, mais n’appartenant pas à l’alphabet).
Qu’en est-il dans notre système alphabéti- Si nos hypothèses étaient fondées, les pseudo-
que ? Là aussi, il s’agit d’associer des traits et lettres, n’ayant jamais été écrites par les sujets,
de les reconnaître comme formant une seule ne devaient correspondre à aucune représen-
et même lettre. Dans ce cas, une question tation motrice prédéfinie en mémoire et ne
s’impose : pourquoi les zones cérébrales sen- devaient donc pas entraîner d’activations
sorimotrices, qui commandent les mouve- motrices. D’autre part, nous avons mesuré l’ac-
ments et reçoivent en même temps les ten- tivité cérébrale des sujets lorsqu’ils écrivaient,
sions musculaires résultant du mouvement, afin de repérer les zones cérébrales mises en
ne seraient-elles pas mises en œuvre automa- œuvre par l’écriture. Ainsi, nous avons constaté
tiquement, comme chez les Japonais ? C’est que seule la vue de lettres (et non de pseudo-
précisément pour répondre à cette question lettres) active, chez des droitiers, une zone

1. Quelles zones du cerveau s’activent quand on les écrit (b) : la même aire (une zone du
quand on lit des lettres ? En partie les mêmes que cortex prémoteur gauche chez les droitiers) s’active
quand on les écrit avec un stylo. On enregistre les aussi bien à la lecture qu’à l’écriture (flèches en a et
aires qui s’activent quand on lit des lettres (a) et en b). En revanche, quand on enregistre l’activité

LETTRES
Lecture Écriture

a b

z z
D D
Jean-Luc Velay

32 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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située dans le cortex prémoteur gauche, qui (inconsciente des mouvements que l’on exé-
s’active également lorsque les sujets écrivent cute en écrivant). Lire, c’est aussi un peu écrire,
les lettres et les pseudolettres (voir la figure 1). et un réseau neuronal étendu participe à ce pro-
Cette zone du cortex prémoteur intervien- cessus. Or ce réseau se mettrait en place quand
drait dans les mouvements graphiques. Le fait on apprend en même temps à lire et à écrire
que seul l’hémisphère gauche, qui commande avec un stylo. Pendant cette période, les enfants
les mouvements de la main droite, soit activé qui apprennent la lettre A associent sa forme
par la présentation visuelle des lettres, conforte visuelle avec le son [a] et le mouvement qui
l’idée selon laquelle ces activations sont bien permet d’écrire un A. Cela s’explique par le fait
reliées aux mouvements réalisés par la main que la correspondance entre le mouvement
pendant l’écriture, car la main droite est com- graphique et la forme produite est unique : à
mandée par le cortex moteur de l’hémisphère chaque lettre correspondent un seul mouve-
gauche. Nous avons toutefois cherché à le véri- ment et donc un « patron moteur » spécifique.
fier en réalisant une expérience similaire avec
des gauchers (qui ne savaient pas écrire de la Le clavier : plus arbitraire
main droite). Pourquoi cette précaution ?
Chez les gauchers, c’est l’hémisphère droit qui La situation diffère lorsqu’on écrit avec un
prend en charge les mouvements d’écriture. clavier. Il s’agit cette fois d’atteindre un point
Les résultats de cette expérience ont confirmé du clavier où se trouve une forme donnée. La
que la même zone du cortex prémoteur, cette correspondance entre le mouvement et la
fois dans l’hémisphère droit, s’active lorsque forme de la lettre est arbitraire : un mouve-
les gauchers identifient des lettres. Ces résul- ment identique peut aboutir à la production
tats montrent que les mouvements de l’écri- de deux lettres différentes, et inversement, la
ture sont en quelque sorte « simulés » men- même touche peut être atteinte par des mou-
talement pendant la lecture. vements distincts… Il n’y a pas une relation
De telles observations confirment ce que l’on unique entre la lettre et le mouvement, et rien
pensait depuis quelques années : les lettres dans le mouvement d’atteinte des touches ne
seraient représentées dans le cerveau de façon renseigne sur la forme ou l’orientation de la
« plurimodale », c’est-à-dire qu’on les perçoit lettre formée. Si, comme nous le supposons,
non seulement par la vue, mais aussi par le il est essentiel de développer la perception des
toucher, ou plutôt par la simulation mentale mouvements de la main pour bien apprendre

cérébrale déclenchée par la lecture et l’écriture uniquement à l’écriture. La lecture des pseudo-
de pseudolettres, des symboles qui ressemblent à lettres n’active pas de représentation motrice déjà
des lettres, mais n’en sont pas (c et d), on constate mémorisée. En somme, lire, c’est écrire, et un réseau
que la même aire du cortex prémoteur s’active neuronal étendu participe à ce processus.

PSEUDOLETTRES
Lecture Écriture

c d

D D
© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 33
6-Ess11_pxxxxx_clavier_stylo_velay_bsl.qxp 4/07/12 10:39 Page 34

2. Des adultes Clavier Écriture


manuscrite
ayant appris à écrire

Reconnaissance des caractères


des caractères tamouls
ou bengalis (à gauche)
à la main savent mieux

mal orientés
et plus longtemps
reconnaître si
un caractère est
correctement orienté
(à droite, en rouge) que
Cerveau & Psycho

les adultes ayant appris


à écrire ces mêmes
caractères au clavier
0 1 2
(à droite, en bleu). Nombre de semaines après l’apprentissage

à reconnaître les lettres, il ne devrait pas être Le clavier, aménagé pour cette étude, com-
indifférent d’apprendre à lire au clavier et portait uniquement les 15 touches nécessai-
au stylo. C’est ce que nous avons vérifié avec res pour écrire les lettres à apprendre.
notre collègue M.-T. Zerbato-Poudou, de Avant l’apprentissage et trois, puis quatre
l’Institut universitaire de formation des maî- semaines après, nous avons testé la capacité
tres d’Aix-Marseille, auprès de jeunes enfants. des enfants à reconnaître visuellement les let-
Bibliographie tres. Sur un écran d’ordinateur, quatre carac-
J.-P. Fischer, Tenir un stylo tères étaient présentés, dont trois étaient mal
L’écriture en miroir, orientés ou déformés. L’enfant devait mon-
in Cerveau & Psycho,
dès l’âge de quatre ans trer la bonne lettre du doigt.
n° 52, juillet-août 2012. L’enseignement de la lecture et de l’écri- Chez les enfants les plus âgés (entre quatre
M. Longcamp ture commence très tôt, en général à partir et cinq ans), nous avons constaté que l’écri-
et al., Contribution
de la motricité
de la deuxième année de maternelle. Pour ture manuscrite était bénéfique : les enfants
graphique les besoins de notre expérience, il nous fal- reconnaissaient mieux les lettres qu’ils avaient
à la reconnaissance lait donc procéder avec des enfants de pre- écrites à la main. Au contraire, les enfants ayant
visuelle des lettres, mière et de deuxième année de maternelle, appris au clavier avaient des difficultés à recon-
in Psychologie âgés de trois à cinq ans. Le principe était naître certaines lettres. Cet avantage se mani-
Française, vol. 55,
pp. 181-194, 2010. simple : proposer à un premier groupe d’en- feste dès la fin de l’apprentissage et persiste une
M. Longcamp fants un apprentissage traditionnel de l’écri- semaine plus tard. Ainsi, il est bon d’appren-
et al., Learning ture manuscrite, à un second groupe un dre à écrire avec un stylo si l’on souhaite déve-
through hand- or apprentissage des lettres au clavier, et observer lopper, chez un enfant âgé de quatre à cinq ans,
type-writing influences lequel a finalement les meilleures performan- une bonne reconnaissance visuelle des lettres.
visual recognition
of new graphic
ces de reconnaissance des lettres. Le clavier semble peu recommandé à cet âge.
shapes : Behavioral Soixante-seize enfants âgés de 33 à 57 mois En revanche, nous n’avons pas constaté cet
and functional imaging ont participé à l’expérience. Ils ont été répar- effet sur les plus jeunes. Cela résulterait du fait
evidences, in Journal tis en deux groupes de 38, chaque groupe se que les structures neuronales contrôlant la
of Cognitive
composant de trois classes d’âges : les petits motricité fine, nécessaire pour produire des
Neuroscience,
vol. 20, pp. 802-815, (33 à 41 mois), les moyens (42 à 50 mois) et mouvements précis des doigts et du poignet,
2008. les grands (plus de 50 mois). ne sont pas suffisamment matures chez ces
J.-L. Velay et al., Lors de la phase d’apprentissage, nous tout-petits. D’ailleurs, les lettres qu’ils produi-
De la plume au avons fait apprendre aux enfants 15 lettres sent sont souvent éloignées du modèle. Par
clavier : Est-il toujours majuscules pendant trois semaines. Pour les conséquent, non seulement ils voient une let-
utile d’enseigner
l’écriture manuscrite ?, enfants du groupe « écriture manuscrite », tre mal tracée, mais de plus, les signaux senso-
in Comprendre chaque lettre était présentée sur une feuille rimoteurs engendrés par leurs mouvements ne
les apprentissages : de papier et les enfants devaient la reproduire sont pas adéquats pour informer correctement
Sciences cognitives juste au-dessous. Pour le groupe « clavier », le cerveau sur la forme esquissée par le crayon.
et éducation, sous la
direction de E. Gentaz
chaque lettre était présentée sur un écran Nous avons aussi observé que les enfants ont
et P. Dessus, Dunod, d’ordinateur et les enfants devaient la taper tendance à confondre les lettres qu’ils ont appri-
pp. 69-82, 2004. au clavier, afin qu’elle s’affiche sous le modèle. ses avec leur image en miroir. Cette tendance

34 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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est naturelle en bas âge, mais, il faut peu à peu naissance visuelle. Cela a-t-il un impact sur la
apprendre à ne plus faire cette confusion, sinon lecture, quand il s’agit de percevoir et de recon-
l’on devient « mauvais lecteur », une catégorie naître des mots et non plus des lettres isolées ?
d’élèves en difficulté dont font partie les dys- Il reste à le vérifier. En tout état de cause, il
lexiques. Nous pensons que les mouvements paraît très probable que, lorsque l’on sait mieux
d’écriture à la main peuvent aider à mieux reconnaître les lettres, on a franchi une étape
reconnaître l’orientation des lettres. importante dans l’apprentissage de la lecture.
Pour preuve, nous avons conçu une expé- Alors, faut-il apprendre à écrire à la main pour
rience semblable avec des adultes. Cette fois, avoir une meilleure maîtrise de l’écrit et de la
nous leur demandions d’apprendre à écrire lecture ? La réponse semble bien être oui.
de nouveaux caractères, empruntés à des sys-
tèmes graphiques étrangers tels le tamoul ou Ne pas bannir le clavier !
le bengali (voir la figure 2). Chaque partici-
pant a appris un jeu de caractères, soit en les Doit-on pour autant bannir définitivement
écrivant à la main, soit en les tapant sur un l’ordinateur pour apprendre à écrire ? Non.
clavier conçu à cet effet. Puis nous avons En effet, si l’écriture manuscrite enrichit la
demandé à tous les adultes de décider le plus représentation des caractères et facilite leur
vite possible si ces caractères présentés sur reconnaissance chez la majorité des enfants,
l’écran étaient bien ou mal orientés. Ainsi, les elle pourrait produire l’effet inverse chez ceux
adultes ayant écrit les caractères à la main qui, pour des raisons diverses, ont des difficul-
reconnaissaient mieux leur orientation que tés à effectuer les mouvements fins et précis
ceux ayant tapé les caractères sur le clavier. imposés par l’écriture. Dans ce cas, l’usage du
L’écriture manuscrite est bénéfique aussi bien clavier, beaucoup plus simple au plan moteur,
pour les petits que pour les grands. associé à l’ordinateur pour lequel les enfants
Ces résultats suggèrent que les mouvements manifestent un engouement prononcé, consti-
d’écriture participent à la représentation et à tuerait une étape intermédiaire pour préparer
la mémorisation des caractères et à leur recon- le passage à l’écriture manuscrite. I

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Motiver les élèves à l’école

Comment enseigner
la lecture ?
Les méthodes d’enseignement de la lecture, la globale
et la syllabique, mettent en œuvre des aptitudes
et des mécanismes cognitifs et cérébraux distincts...
mais nécessaires. Il faut intégrer ces deux
apprentissages : ce sont les « méthodes mixtes ».

ollé général ! En 2006, le minis- ception et de mémoire interagissent par le

T
Alain Lieury
est professeur tre de l’Éducation nationale, biais de « codages ». Ainsi, le codage phono-
émérite Gilles de Robien, a interdit par logique réalise une équivalence entre cer-
de psychologie décret la méthode globale dans tains groupes de lettres nommés graphèmes
cognitive l’enseignement de la lecture… et des entités sonores nommées phonèmes.
de l’Université C’est le retour de la méthode syllabique de La lecture met en jeu quatre codages fonda-
Rennes 2, grand-papa, une régression. mentaux, les codages dits visuographique,
ancien directeur
du Laboratoire En réalité, le décret du 24 mars 2006 ne cite phonologique, lexical et sémantique. Il faut
de psychologie pas le terme de méthode globale, mais recom- comprendre ces codages pour saisir l’enjeu
expérimentale. mande « un entraînement systématique à la de la méthode globale.
relation entre graphèmes et phonèmes », ce qui
est conseillé par la majorité des chercheurs du Lire, c’est réaliser
domaine. Une grande part de l’incompréhen-
sion tient, à mon sens, à la méconnaissance des
quatre tâches mentales
mécanismes en jeu et au vocabulaire ambigu Abordons tout d’abord le codage visuo-
des méthodes. Commençons par un petit his- graphique. Il s’agit des mécanismes par les-
torique pour rappeler l’origine des méthodes. quels l’œil et le cerveau perçoivent et iden-
Derrière cet acte apparemment tout sim- tifient les différents éléments graphiques de
ple qu’est la lecture, se cache une activité très l’écriture, syllabes, mots, phrases. Or ce que
complexe mettant en jeu de multiples systè- nous enseignent les recherches sur la per-
mes de perception et de mémoire, telles la ception, c’est que la vision n’est pas pano-
vision, l’audition, la mémoire lexicale et la ramique. L’acuité visuelle n’est réalisée que
mémoire sémantique. Ces systèmes de per- par une toute petite partie centrale de la

36 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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rétine, la fovéa, qui ne « voit » que dans un


angle de deux à quatre degrés, alors que le En Bref
champ visuel total couvre 220 degrés (voir • La lecture met en jeu quatre types de « codage » mental :
la figure page 38). Les analyses de la lecture la perception des éléments graphiques, leur association avec des sons
réalisées avec une caméra élaborée montrent particuliers du langage, le développement de la mémoire lexicale
que les yeux remuent sans arrêt à raison de (des mots) et celui de la mémoire du sens des mots et des phrases.
trois saccades oculaires par seconde de • Chaque méthode d’apprentissage, la globale et la syllabique,
façon à ce que les cibles (visages ou mots) développe plus ou moins ces quatre codages.
soient en face de la fovéa. • Apprendre la lecture en utilisant les deux méthodes est donc
essentiel ; c’est d’ailleurs ce qui se fait dans les écoles en France.
Percevoir et analyser
des groupes de 5 lettres
Le regard se fixe généralement sur chaque
mot du texte, car la fovéa étant très petite on mots ne sont pas « photographiés » ni
ne voit avec acuité qu’un mot d’environ qua- envoyés directement en mémoire sous forme
tre ou cinq lettres. Ainsi, la méthode stricte- globale. Au contraire, il faut chez l’apprenti
ment globale, qui consiste à faire apprendre lecteur une étape précoce de décodage entre
des phrases entières, ne permet pas l’analyse l’assemblage des lettres pour les transformer
des mots ni des lettres. A fortiori, elle n’au- en phonèmes (c’est le codage graphèmes-
torise pas une analyse orthographique cor- phonèmes). Cette étape est nommée par les
recte du mot, puisque les zones fixées corres- chercheurs « maîtrise phonologique ». De
pondent généralement à des parties de mots nombreux travaux de recherche (notamment
et non à un mot entier. la synthèse de Linnea Ehri à l’Université de
Le deuxième type de codage, dit phonolo- New York à partir de 38 études) montrent
gique, réalise une équivalence entre graphè- que l’entraînement à la maîtrise phonolo-
mes et phonèmes. Lorsque nous lisons, les gique facilite l’apprentissage de la lecture.
Marcel Mooij / Shutterstock

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Le champ fovéal
est minuscule et ne permet
de voir net qu’un seul mot
à la fois. La périphérie
de la rétine couvre
un grand angle, mais
la vision y est floue.
Angle de vue
Angle de vue de la fovéa
périphérique

Périphérie
de la rétine

Fovéa

Raphael Queruel
Nerf optique

Vient ensuite le codage lexical : dans la lec- cent sur les codages visuographique et pho-
ture, les lettres (orthographe) ou les sons nologique, moins elle est globale. À l’inverse,
(codage lettres-phonèmes) servent d’indices une méthode entièrement globale met uni-
pour retrouver les bons mots dans la mémoire quement l’emphase sur les codages lexical et
lexicale. C’est pourquoi, par exemple, les sémantique. Dans la réalité, c’est un mélange
enfants se trompent de mots lorsque certains des quatre qui est pratiqué par les ensei-
indices se ressemblent. Ils lisent « bateau » à gnants. C’est ce que révèle l’enquête (réali-
Bibliographie la place de « barreau ». Des expériences mon- sée sur 1 253 enseignants) de Éliane et Jacques
trent naturellement que, plus le vocabulaire Fijalkow, de l’Université de Toulouse, pour le
A. Lieury, Tous
les secrets de votre
est riche, plus la lecture est correcte et rapide. ministère de l’Éducation nationale en 1993.
cerveau, Dunod, Enfin, intervient le codage sémantique, qui
2012. sous-tend la compréhension de ce qui est lu. La plupart des enseignants
A. Lieury, Pour comprendre, il faut connaître la fonc-
Psychologie cognitive, tion du mot dans la phrase, identifier le mot
sont d’accord
Coll. Manuels visuels
sous différentes formes conjuguées (syn- Selon cette enquête, 91 pour cent des ensei-
de licence, Dunod,
2008. taxe), les marques de temps, d’où la néces- gnants insistent sur « la maîtrise des corres-
R. Goigoux, sité d’exercices appropriés. pondances entre les lettres et les mots » (codage
Apprendre à lire phonologique) et 85 pour cent souhaitent que
à l’école : les limites Les méthodes mixtes les élèves puissent reconnaître des mots ou les
d’une approche anticiper dans une phrase (codages lexical et
idéovisuelle, se sont imposées sémantique). L’étude montre aussi que l’ac-
in Psychologie
Française, vol. 45, Toute méthode est bonne du moment cent mis sur l’activité plutôt phonologique ou
2000. qu’elle permet ces quatre codages fondamen- sémantique varie au cours de l’année. Ainsi,
E. Jamet, Lecture taux. Faute de recherches avancées, les pre- pour le plus grand nombre des enseignants
et réussite scolaire, miers psychologues et pédagogues ont eu l’in- français (et suisses), en début d’année les deux
Dunod, 1997.
tuition de certaines de ces étapes, mais parfois tiers du temps sont consacrés aux activités
J. Gombert en excluant l’une ou l’autre, d’où les critiques « structurantes » (codage phonologique) et un
et M. Fayol,
La Lecture, formulées par la suite par les enseignants et tiers aux activités signifiantes, mais ce rapport
compréhension, les chercheurs. Les concepteurs des métho- s’inverse en fin d’année.
in Manuel des récentes ont pris en compte ces critiques, En conséquence, sur le terrain de la prati-
de Psychologie pour si bien que les méthodes actuelles sont majo- que scolaire, on est loin d’une guerre civile
l’Enseignement, sous
la dir. de D.Gaonac’h ritairement mixtes, c’est-à-dire faisant appel entre partisans de la lecture syllabique et les
et C.Golder, Hachette, à plusieurs des éléments évoqués ci-dessus. Il tenants de la méthode globale : la majorité
1995. est évident que plus une méthode met l’ac- des enseignants pratiquent... les deux ! I

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Elena Rostunova / Shutterstock

L’apprentissage
dans le cerveau
Quelles capacités cognitives sont sollicitées par un apprentissage ?
Quelles sont les aires cérébrales qui y participent ? Les mécanismes
neurocognitifs impliqués se révèlent, et l’on découvre
qu’il est possible de les stimuler et de les entretenir.

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L’apprentissage dans le cerveau

Les neurosciences
inspirent l’enseignement
Psychologues et neuroscientifiques identifient six grandes
capacités cérébrales à prendre en compte pour favoriser
les apprentissages. D’où l’intérêt d’établir des passerelles
entre les recherches et les pratiques enseignantes.

Daniel Favre, l’heure où tant de questions enseignants n’ont pas jugé pertinent d’intro-
docteur
en neurosciences,
est professeur
en sciences
de l’éducation
à l’IUFM
de Montpellier.
À se posent sur l’enseignement,
on se prend à rêver : et si les
connaissances sur le cerveau
dont nous disposons aujour-
d’hui servaient à mieux comprendre com-
ment les élèves apprennent et à mieux cibler
les méthodes et stratégies utilisées pour trans-
duire, comme pour les futurs psychologues,
des bases de neurosciences. Car c’est bien le
cerveau qui permet d’apprendre, et ce der-
nier obéit à des règles de fonctionnement.
Les neuroscientifiques savent à quel point
émotion et cognition sont liées. L’appren-
tissage n’est pas possible sans que ne se pro-
mettre les connaissances ? Mais dans les sphè- duise une déstabilisation cognitive, un pro-
res de l’enseignement, on ignore à peu près cessus d’« assimilation et d’accommodation »
tout de la façon dont notre cerveau permet comme l’a nommé le psychologue suisse Jean
d’avoir prise sur le temps et l’espace, l’atten- Piaget (1896-1980). Cette déstabilisation
tion, la motivation et, d’une façon générale, cognitive qui a des répercussions au plan affec-
la régulation des émotions. tif engendre dans un premier temps une frus-
Aujourd’hui, on peut se demander pour- tration liée au fait que ce que l’on savait n’est
quoi ceux qui conçoivent la formation des plus pertinent et qu’on doit le remettre en
question. En effet, la nécessité de l’apprentis-
sage se présente quand on s’aperçoit que nous
En Bref ne disposons pas des savoir-faire ni des res-
sources nécessaires à la résolution de tel ou tel
• Six fonctions cognitives et affectives jouant un rôle clé problème. Il faut alors sortir de la sécurité de
dans l’apprentissage ont été identifiées. la routine, et tant que l’apprentissage n’est
• Ces fonctions cognitives sont toutes sous-tendues pas terminé, les frustrations s’accumulent à
par une même aire cérébrale : les lobes frontaux. chaque « raté ». Ces frustrations résultent
• Une meilleure prise en compte de cette réalité psychobiologique presque toujours du fait que nous prenons
éviterait sans doute bien des échecs scolaires. conscience que nous ne sommes pas tout-

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puissants et que nous devons rectifier l’image résout l’énigme posée par un labyrinthe que
que nous avons de nous-mêmes, ce qui nous son cerveau libère de la dopamine dans sa
rend plus modestes. C’est le désir d’obtenir partie préfrontale (voir la figure 2). Des émo-
« tout, et tout de suite » qui, parce qu’il n’est tions agréables peuvent donc accompagner un
pas satisfait, peut engendrer des frustrations apprentissage réussi. Comme chacun a pu
de plus en plus difficiles à supporter. le vérifier par lui-même, tout apprentissage
réussi, tout gain d’autonomie procure un
« Naturellement » motivé plaisir particulier qui n’est dû qu’à soi-même.
L’apprentissage est « naturellement » motivé,
La déstabilisation cognitive et affective pré- sans qu’il soit besoin d’une source externe.
sente dans tout apprentissage ouvre chez Que conclure de ce préambule ? Qu’appren-
l’« apprenant » une période de vulnérabilité au dre suscite des émotions différentes selon les
cours de laquelle il ne faut pas l’affaiblir. Car personnes et aussi selon que l’apprentissage en
1. Les savoirs
l’élève affaibli peut devenir à son tour affai- se mémorisent est à son début, en cours ou terminé. Tout porte
blissant : l’échec scolaire entraîne la violence et se construisent à penser que lors d’un apprentissage au moins
scolaire, comme l’ont montré diverses études. grâce au cerveau. deux types d’émotions et de motivations oppo-
Heureusement, le cerveau de l’homme et de Et pourtant, sées et complémentaires, de l’ordre de la perte
nombreux mammifères est également orga- les professionnels de sécurité pour la première et du plaisir d’in-
nisé pour fournir des « récompenses biologi- de l’enseignement nover pour la seconde, animent l’apprenant.
ques », en particulier sous forme de dopamine, connaissent encore Le phénomène d’assimilation et d’accom-
à l’individu qui explore et résout des problè- assez peu les grandes modation met aussi en exergue l’importance
mes ou surmonte des difficultés. On a montré lois du fonctionnement de la flexibilité mentale dans les processus
que c’est précisément au moment où le rat cérébral. d’apprentissage. Ce qui suscite de l’anxiété
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2. La dopamine, une substance


associée au plaisir, est libérée dans
le cerveau quand on apprend à trouver
la solution à un problème.
Le neuroscientifique allemand Holger Stark
a étudié le comportement de rats cherchant
la solution à des difficultés (ici, atteindre
une récompense dans un labyrinthe). Le plaisir
est éprouvé même en l’absence
de récompense explicite, preuve

Sextoacto / Shutterstock
que le cerveau est naturellement
motivé pour l’apprentissage.

chez l’élève en situation d’apprentissage, Ces aires antérieures du cerveau font partie
c’est bien souvent le fait de devoir renon- des structures nerveuses apparues le plus
cer momentanément à ce qu’il croyait vrai récemment dans l’évolution des vertébrés.
pour accéder à de nouvelles méthodes de Ce sont également celles dont la maturation
résolution, ou à de nouvelles représenta- s’achève en dernier puisque la fin de la myéli-
tions. Cette capacité relève de la flexibilité nisation des fibres nerveuses des lobes frontaux
mentale, une capacité qui dépend de certai- humains a lieu vers l’âge de 15-16 ans. Le volu-
nes zones du cerveau, en l’occurrence les me des lobes frontaux augmente au cours de
lobes frontaux. Ce sont aussi les lobes fron- la croissance pour constituer chez l’homme
taux qui donnent la possibilité d’avoir une presque un tiers de la totalité du cortex, un
prise sur nos émotions, ce qui permet au record absolu chez les primates (voir la figure 3).
jeune de ne pas être esclave de ses émotions, Que font les lobes frontaux en classe, lors-
mais d’en prendre conscience et de les uti- que le professeur fait son cours ? Ils remplis-
liser au mieux pour progresser. sent six grandes fonctions, qui peuvent aussi
Comme nous le verrons, les lobes frontaux être considérées comme six grands « pou-
sont la clé de l’apprentissage : comprendre voirs » donnés à un sujet sur le temps, l’espace
leur fonctionnement et le faire comprendre et l’affectivité. Trois de ces fonctions – capa-
aux personnes chargées de l’enseignement cité de représentation, flexibilité mentale et
projette un éclairage nouveau sur la façon planification – donnent à l’élève une prise sur
dont l’être humain apprend. le temps au cours de l’apprentissage ; deux
Une particularité de l’être humain semble autres – attention et initiative – lui confèrent
résider dans la possibilité qu’il a de prendre, un pouvoir sur l’espace. La dernière, la modu-
en partie, les « commandes » de lui-même. lation émotionnelle, permet de réguler son
C’est possible pour la motricité des jambes vers niveau d’émotivité pour tirer le meilleur parti
l’âge de un an. Parfois, la commande est mixte : des situations d’apprentissage. Voyons en quoi
c’est le cas pour la respiration, qui fonctionne consistent ces six grandes fonctions.
en grande partie sur un mode automatique,
mais peut aussi être contrôlée volontairement, Voir les yeux fermés
par exemple avant de plonger en apnée.
La cabine de pilotage qui offre une prise sur La première fonction des lobes frontaux est
le temps, l’espace et nos émotions est rarement l’évocation de ce qui n’est pas présent : c’est la
présentée aux élèves et peu d’enseignants ou capacité de représentation mentale. La perma-
de parents connaissent les possibilités du cer- nence des perceptions sensorielles en l’absence
veau de ceux dont ils ont en charge l’éducation. de nouveaux stimulus est, en effet, la condition
C’est la conscience qui fait l’objet de l’éduca- nécessaire pour disposer de représentations
tion ; or la structure nerveuse, qui offre la pos- durables du monde et de soi. On peut ainsi
sibilité de « prendre conscience », est consti- évoquer le visage d’un parent ou d’un ami, sa
tuée essentiellement par nos lobes frontaux. chambre d’enfant. Tout se passe comme si, au-

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dessus du plan des yeux et à environ 30 centi- ont utilisé la « pédagogie des yeux fermés »
mètres en avant, dans un « espace psychique pour faire effectuer mentalement à des élèves
privé », nous pouvions convoquer d’anciennes un exercice complexe leur paraissant impos-
perceptions sensorielles visuelles. Il en est de sible, par exemple un saut au cheval-d’arçons.
même pour les autres sens : auditif, olfactif, tac- Ce faisant, ils ont permis aux élèves de repé-
tile ou vestibulaire, mais les évocations sont rer l’étape qui les bloquait et, après quelques
moins faciles à repérer spatialement. Avec nos simulations mentales, de se débloquer et de
lobes frontaux, nous voyons sans les yeux, visualiser l’ensemble du mouvement… Puis
entendons sans les oreilles… de le réaliser effectivement ! Chaque ensei-
Cet espace de simulation pourrait permet- gnant peut essayer de reprendre, en classe,
tre d’apprendre les yeux fermés.Voici un exem- cette notion fondamentale concernant les
ple en géométrie inspiré de la pédagogie de lobes frontaux : il s’agit de travailler sur la
Caleb Gattegno, auteur en 1972 de l’ouvrage visualisation et l’imagination, deux actes men-
Ces enfants : nos maîtres ou la subordination de taux qui stimulent ces aires cérébrales et aident
l’enseignement à l’apprentissage. Cette leçon à mieux aborder les concepts traités.
particulière commencerait ainsi : « Veuillez fer-
mer les yeux et visualiser un carré ou un rec- Se remettre en question
tangle vertical. Une fois que cette image est sta-
ble, visualisez un axe vertical qui coupe les La deuxième grande fonction des lobes fron-
deux côtés horizontaux par leurs milieux et taux permet d’échapper à la répétition et, par
faites bouger ce carré ou ce rectangle autour conséquent, d’apprendre. Il s’agit de la capa-
de cet axe qui reste fixe. Une fois que le qua- cité d’abandonner une règle, une façon de
drilatère a été rendu mobile autour de cet axe, résoudre un problème, une représentation ou
faites-le tourner de plus en plus vite… Que un comportement, pertinents à un moment
voyez-vous ? » Ce petit exercice, qui doit nous donné, mais qui ne correspondent plus aux exi-
montrer le cylindre engendré par la rotation gences d’une situation nouvelle.
du carré ou du rectangle, présente l’avantage Si apprendre consiste, comme on le pense
de fournir une expérience perceptive person- actuellement en sciences de l’éducation, à
nelle avant de se voir attribuer par l’enseignant changer de système de représentation, alors
la définition du cylindre et la formule qui per- chacun dispose de l’équipement nécessaire
met de calculer son volume. pour apprendre tout au long de sa vie. Rappe-
Dans cet exemple, l’élève devient acteur lons que, d’après le principe d’assimilation
et explorateur ; celui pour qui cet exercice est et d’accommodation de Piaget, l’élève doit
plus difficile ou inhabituel pourra être accom- pouvoir se séparer d’anciennes représen-
pagné afin de voir avec lui à quelle étape il n’y tations pour les faire évoluer face au pro-
parvient pas et pourquoi. blème à résoudre. Or si le changement de
Je connais plusieurs professeurs d’éduca- règles dans un test classique de flexibilité
tion physique et sportive qui, intuitivement, mentale en laboratoire se fait sans difficulté,

3. Les lobes frontaux (en blanc) se sont développés au fil de l’évolution, durant des millions d’années. Notre espèce
a progressivement acquis des capacités cognitives, telles que la planification, l’attention ou la capacité de représentation,
qui sont aujourd’hui les piliers de l’apprentissage chez l’enfant. L’enseignement gagnerait certainement à tenir compte
de l’existence de ces capacités spécifiques de l’être humain qui se sont élaborées au fil du temps.
Raphael Queruel

Chat Chien Singe


Homme

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l’immédiateté pour se projeter dans une tem-


4. Jean Piaget, psychologue suisse, poralité plus longue en introduisant une
a étudié le développement des capacités liberté nouvelle : celle de créer un projet per-
cognitives de l’enfant et a proposé sonnel permettant ainsi à un sujet potentiel
le concept d’assimilation et en devenir de se manifester.
d’accommodation, selon lequel Pour utiliser cette capacité, chaque élève
un élève doit déstabiliser gagnera à avoir une idée claire de la tâche à
ses représentations préexistantes accomplir. L’élève doit aussi avoir conscience
pour qu’elles puissent s’adapter
du temps de son parcours, qu’il s’agisse de
au nouveau problème à résoudre.
l’année scolaire ou, au minimum, d’un tri-
mestre. À cet égard, c’est l’enseignant qui peut
lui permettre de repérer un point de départ
et un point d’arrivée. Comment ? En réalisant
ce qu’on pourrait appeler une « évaluation
l’attachement affectif à des idées et la néces- diagnostique ». Il s’agit pour l’élève d’acqué-
sité de les remettre en question se révèlent rir une vision claire de ce qu’il sait faire, en
parfois anxiogènes. début d’année. Une telle évaluation doit être
À mon sens, cette période de vulnérabi- très précise en fonction de la matière ensei-
lité pour les élèves devrait faire l’objet d’un gnée et du niveau scolaire. De cette façon,
accompagnement sur deux plans. Sur le l’élève sera en mesure de se représenter ses
plan émotionnel, il s’agirait de faire pren- compétences réelles, ce qu’il a déjà acquis par
dre conscience à l’élève de sa propre peur apprentissage, et les compétences et connais-
de se tromper, pour qu’il puisse s’en libérer sances qu’il doit acquérir pour passer dans la
au moins en partie. Sur le plan cognitif, cette classe supérieure ou s’orienter vers les spécia-
situation de remise en question des idées lités de son choix.
préalables peut être l’occasion de réfléchir
de façon moins dogmatique et de se déga- Prendre des initiatives
ger de l’emprise des certitudes. Pendant cette
période d’apprentissage, on peut inviter les Les trois fonctions temporelles des lobes
élèves à préciser leur pensée, à faire des hypo- frontaux agissent en synergie. Par exemple, la
thèses, à se tromper, recommencer, tâtonner, réalisation d’un projet nécessite d’accéder à un
utiliser les erreurs comme des informations espace de représentation et de simulation men-
pertinentes. De cette façon, l’abandon des tale où sont convoquées d’anciennes percep-
idées préalables n’est plus vécu comme angois- tions sensorielles ; de pouvoir se dégager de la
sant, mais comme un moyen de progresser. répétition et de ce qui a été une solution perti-
C’est pourquoi il est important de créer un nente, mais dans un autre contexte ; enfin, de
climat de sécurité, sans jugement ni stress, qui se représenter l’écoulement du temps à venir.
soit suffisant pour que les émotions accompa- Les deux fonctions suivantes des lobes fron-
gnant la déstabilisation cognitive ne soient pas taux, la capacité d’initiative et l’attention,
trop fortes et ne provoquent pas une inhibi- concernent la relation de l’élève avec l’espace.
tion des lobes frontaux. Les évaluations PISA La première lui confère la capacité de
de l’OCDE (Programme international pour le déclencher une suite de gestes pour résoudre
suivi des acquis des élèves) de 2003 ont mon- une tâche donnée. Les neurobiologistes dis-
tré que les élèves français sont sept à huit fois tinguent deux sortes de mouvements à cet
plus nombreux qu’en Finlande à se déclarer égard : d’une part, ceux qui sont hétérodéter-
stressés durant un contrôle de mathématiques. minés (c’est la réaction d’un sujet qui obéit à
une consigne telle que « Lorsque la lampe
Se projeter dans l’avenir rouge s’allumera, vous prendrez avec votre
main droite le cube qui est posé sur la table
Une troisième fonction temporelle des devant vous ! ») et, d’autre part, les mouve-
lobes frontaux confère la capacité de se repré- ments autodéterminés (« Quand vous le déci-
senter l’avenir, de former un projet ou de se derez, prenez le cube ! »).
construire un programme d’action et de véri- Dans le premier cas, les lobes frontaux sont
fier son exécution. Grâce aux lobes frontaux, inactifs. Les personnes aux lobes frontaux lésés
il devient possible de sortir de la logique de restent capables de produire de tels mouve-

44 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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ments en réaction à des injonctions. Toutefois,


dans le second cas, les lobes frontaux sont les Six grandes capacités cérébrales
premières zones du cerveau à devenir actives ;
ce sont eux qui déclenchent le mouvement. l s’agit de la capacité de représentation (imagination), la flexi-
Tout se passe comme si, dans cette partie de
notre cerveau, existait une interface séparant
Itions
bilité mentale (capacité à abandonner d’anciennes représenta-
pour de nouvelles plus adaptées), la planification (organi-
l’espace psychique de représentation (le fait ser son travail selon une échelle de temps), la capacité d’initiative
de se représenter un cube, une décision, un (décider par soi-même de faire tel ou tel exercice), l’attention
mouvement) et les neurones qui comman- (sélectionner les informations pertinentes au milieu des autres)
dent la longue chaîne d’effecteurs (allant des et la régulation des émotions (avoir conscience de l’état affectif
aires motrices corticales aux motoneurones où l’on se trouve au moment de commencer un travail).Toutes
de la moelle épinière responsables de la ces capacités sont associées aux lobes frontaux.
contraction des différents muscles) permet-
tant de saisir l’objet en question. Capacité de représentation
Quel enseignement en tirer ? Certains pro- Imagination
fesseurs donnent à leurs élèves des consignes Capacité d’initiative
du type : « Prenez le livre de mathématiques, Autodétermination
allez à la page 32, faites l’exercice numéro 4 ! »
Il est évident que de telles consignes placent les
élèves en « référence externe », où ils décident
de leurs conduites en réaction à une stimula-
tion qui leur est extérieure. Je trouve impor-
tant que les enseignants puissent ménager des Planification
Conscience du temps
pauses pour solliciter un peu plus les lobes
frontaux de leurs élèves en leur permettant de
passer, au contraire, en référence interne. Par
exemple : « Quand vous pensez avoir compris
telle notion, choisissez un exercice dans telle

Shutterstock - Raphael Queruel


liste pour vérifier que vous l’avez effectivement
comprise et inventez une méthode personnelle Flexibilité mentale : Régulation
pour mémoriser cette définition. » sélection des informations des émotions
Car c’est bien l’enjeu de l’éducation et de pertinentes et abandon
des représentations Attention
l’apprentissage : à chaque étape de la vie sco- inadaptées
laire, du primaire à l’université, l’élève doit
s’autodéterminer, acquérir toujours plus d’au-
tonomie. Alors, proposons-lui le plus tôt
possible un type d’interaction avec l’ensei- L’enjeu, au fil de la scolarité et du développe-
gnant qui favorise la prise d’initiative per- ment d’un enfant, est d’acquérir une certaine
sonnelle. Souvent, il suffit que l’enseignant endurance attentionnelle, pour accéder à la
s’en convainque pour que le ton change et que résolution d’exercices de plus en plus com-
la référence interne soit choisie par le jeune. plexes. Alors pourquoi ne pas inviter les élèves
à se tester, à mesurer, montre en main, com-
Diriger bien de temps ils arrivent à rester focalisés sur
un problème à résoudre ? Et ajouter des points
et maintenir l’attention supplémentaires quand ils progressent ?
Mais abordons la deuxième fonction spa- La capacité d’autodétermination et celle
tiale des lobes frontaux, à savoir la capacité d’endurance attentionnelle, toutes deux
à diriger et à maintenir durablement son sous-tendues par les lobes frontaux, confè-
attention lors de la formation et de la réali- rent une prise sur l’espace extérieur : la pre-
sation d’un projet. Cette capacité est néces- mière permet de déclencher des mouvements
saire pour planifier les actes et les exécuter en selon des intentions, et la seconde de se repé-
conformité avec des intentions ordonnées. rer dans l’espace en identifiant parmi les
L’attention sélective, imputable aux lobes innombrables informations qui nous par-
frontaux, est une faculté qui se développe par viennent celles qui sont signifiantes. Mais
la pratique et l’entraînement (voir la figure 5). pour de nombreuses raisons, l’élève peut ne

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aller à un débordement émotionnel ou, au


5. Ce test évalue la qualité de l’attention, et peut contraire, le moduler ou même l’inhiber selon
aussi apprendre à l’enfant comment être attentif et le rester. L’enfant nos projets. Quand le « pilote » donne son
doit identifier 15 objets entremêlés. Cela l’oblige à concentrer accord aux lobes frontaux et autorise le débor-
son attention sur un motif au milieu d’une multitude d’autres dement émotionnel, agréable ou désagréable,
informations susceptibles de le distraire. à s’installer, ce dernier entraîne en retour une
inhibition fonctionnelle temporaire des lobes
frontaux et donc la perte de contrôle sur le
temps, l’espace et sur les comportements pro-
voqués par ce débordement émotionnel.

Réguler ses émotions


Dans la cabine de pilotage, le pilote qui veut
conserver ce statut doit rester en contact avec
ses émotions, ses sources de motivations et
ses sentiments, bref avec ce qui le meut, lui
donne de l’énergie ou l’en prive. Être vivant,
c’est être traversé par toutes sortes d’émo-
tions généralement peu durables allant de la
détresse paroxystique aux sommets de l’eu-
pas être attentif à ce que l’enseignant lui pro- phorie et du plaisir. La « bonne santé psycho-
pose : envie de distraction, attitude de refus logique » consiste à pouvoir rester conscient
ou de confrontation, besoin de sensations des mouvements s’opérant entre ces extrêmes.
immédiates. En outre, il est d’autant plus important
Cela nous ramène à la question des diffé- d’être en contact avec ses émotions que de leur
rents types de motivations qui interviennent intensité dépend notre perception du monde.
en situation d’apprentissage : la motivation par En effet, dès lors que l’intensité des émotions
sécurisation, à l’origine du plaisir lors de la réa- (agréables ou désagréables) augmente, les lobes
lisation de tâches maîtrisées, ou lorsque l’élève frontaux commencent à être inhibés, suscitant
reçoit de l’affection ou de la reconnaissance ; un sentiment de perdre le contrôle. Le monde
la motivation d’innovation qui procure du plai- intérieur et la réalité extérieure se mélangent
sir lorsque l’élève se sent progresser, ou en phase et le sujet a tendance à projeter ses émotions
de découverte ; et enfin la motivation d’addic- et ses sentiments sur le monde extérieur. Ce
tion, qui favorise les conduites répétitives, en sont des émotions réelles, mais qui ne sont pas
poussant l’élève à satisfaire des jugements qui forcément en relation avec la réalité.
ont été émis sur lui (par exemple, il rate son En revanche, les émotions moins intenses
devoir de mathématiques, car il a toujours n’inhibent pas les lobes frontaux. Ceux-ci,
entendu qu’il était mauvais en mathémati- associés à d’autres structures cérébrales comme
ques, mais il a le plaisir de se sentir exempté le cortex prémoteur où siègent les neurones
à vie de faire des efforts dans cette discipline). miroirs, ont la capacité de réfléchir la réalité
Lorsqu’un élève ne mobilise pas suffisamment extérieure. Il en résulte une sensibilité à autrui,
d’attention lors d’un apprentissage, il faut savoir à ses émotions et ses modes de pensée (en
activer ces deux premières motivations (mais prenant garde de ne pas les confondre avec
pas la troisième !), selon les circonstances. les siens propres). Cela suppose de vérifier
Dernière caractéristique essentielle des que l’on n’est pas soi-même dans un état de
lobes frontaux : ils sont étroitement connec- débordement émotionnel.
tés aux structures nerveuses associées à la Savoir apprécier son état de débordement
genèse des émotions. Mais il s’agit d’une dou- émotionnel est, pour cette raison, un préala-
ble commande, car si les lobes frontaux peu- ble qui paraît indispensable à l’apprentissage.
vent inhiber le fonctionnement du cerveau Apprendre, c’est cultiver une relation d’empa-
affectif et émotionnel, l’inverse est aussi vrai. thie avec l’enseignant, contrôler ses actes et ses
Notre liberté d’action et de pensée réside dans pensées, être dans une attitude favorable.
la possibilité de ne pas obéir à l’impulsivité. On ne se demande pratiquement jamais, au
Cela suppose d’avoir le choix entre se laisser début d’un cours, si les élèves sont dans l’état

46 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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d’esprit correspondant. Il serait profitable de Le phénomène de résilience s’explique en


procéder à cette petite vérification en début et partie par le rôle protecteur et émancipateur
en fin de journée, ou chaque fois que l’état de l’école. En effet, une proportion importante
émotionnel des élèves n’est pas compatible avec d’élèves disposant de « mauvaises cartes » au
l’apprentissage. Il s’agit concrètement d’entraî- départ va pouvoir progresser grâce au rôle res-
ner les élèves à repérer comment ils se sen- taurateur de la motivation de sécurisation
tent intérieurement, puis de leur demander exercé par les tuteurs de résilience que sont
de se situer sur une échelle allant d’un état potentiellement les enseignants.
« 100 pour cent agréable » à « 100 pour cent Pour finir, gardons des lobes frontaux
désagréable ». Une telle pratique attribue une l’image d’une cabine de pilotage qui permet
place légitime à la dimension affective et au
corps de l’élève dans la classe. Elle permet en
outre aux élèves de mettre en mots les effets
qu’ont pu avoir sur eux certains événements Les lobes frontaux permettent au pilote
perturbants et de retrouver des conditions d’établir le plan de vol de l’apprentissage
favorables à l’apprentissage.
et de fixer des objectifs.
Quand les lobes frontaux
sont inhibés au pilote d’apprendre et de s’autoréguler.
Voyons maintenant ce qui se passe chez un C’est aux jeunes élèves d’apprendre à s’ins-
élève qui, pour des raisons qui nous échap- taller aux commandes de cette cabine de pilo-
pent (dysfonctionnement familial, violence tage, mais c’est aux adultes, aux éducateurs,
ou négligence affective), est en situation de aux enseignants d’inciter le jeune à monter
souffrance. Cette souffrance, qu’elle se mani- dans la cabine de lui-même en lui montrant Bibliographie
feste par un repli sur soi ou une hyperacti- les avantages (les six « pouvoirs » que confè-
D. Favre
vité, correspond à un bouillonnement émo- rent les lobes frontaux). Toutefois, l’élève et L. Simonneau,
tionnel se traduisant par une inhibition plus étant avant tout un sujet en devenir, il peut Learning about
ou moins chronique des lobes frontaux. refuser, et il vaut mieux s’y préparer... non-dogmatic thinking,
Dans ce cas, l’élève peut avoir du mal à se in V. Chatzi (dir.),
Psychology of self
représenter ce qu’on lui demande, à changer Et l’enseignant ? regulation, Nova
de représentation ou de comportement, à Science Publishers,
esquisser des projets, à se prendre en main, Une réflexion s’impose à l’enseignant, lui- New York, 2012.
rester attentif et contrôler ses émotions dans même doté de lobes frontaux ! Lui aussi inter- D. Favre, Cessons
la mesure où il tolère mal la frustration. On prète les informations sensorielles et émotion- de démotiver
peut reconnaître dans ces six symptômes le nelles qui arrivent à ses lobes frontaux et il doit les élèves – 18 clés
pour favoriser
déficit fonctionnel, heureusement réversible, rester en contact avec ses émotions et ainsi don- l’apprentissage,
des lobes frontaux. Il ne servirait donc à rien ner l’exemple. Il n’est pas équivalent d’affirmer, Dunod, 2010.
de lui en vouloir (ou de s’en vouloir) : cet sur un mode « projectif » : « Les élèves sont D. Favre, Transformer
élève n’est pas en état d’apprendre et les ensei- pénibles cette année ! » ou d’analyser la situa- la violence des élèves.
gnants ne sont pas des psychologues manda- tion : « Depuis le début de la matinée, je sens Cerveau, motivations
et apprentissage,
tés pour conduire des psychothérapies. monter en moi de l’irritation déclenchée par Dunod, 2007.
En revanche, si l’école peut constituer un lieu le fait que deux élèves bavardent ! » H. Stark et al.,
où il se sent en sécurité et accepté sans juge- Évidemment, on ne sait pas tout des capa- Learning a new
ment, il devient possible de l’observer et de cités d’apprentissage du cerveau humain. Mais behavioral strategy
repérer des fenêtres temporelles durant lesquel- la psychologie a fait un long chemin depuis in the shuttle-box
les ses lobes frontaux sont en quelque sorte Piaget, en devenant maintenant une psycholo- increases prefrontal
dopamine,
débloqués. Il sera opportun de lui proposer à gie de la self regulation compatible avec les in Neuroscience,
ces moments-là des apprentissages dont la réus- acquis des neurosciences : un « portrait de l’ap- vol. 126, pp. 21-29,
site le fera grandir sur le plan psychologique, prenant » plus précis peut être ébauché. Il reste 2004.
fonctionner davantage en référence interne, encore beaucoup à explorer sur le plan des res- J. Mayer et al.,
devenant ainsi moins vulnérable à des environ- sources du cerveau, mais serons-nous capables Emotional intelligence
as a standard
nements familiaux peu favorables. D’ailleurs, de concrétiser ce savoir en pratiques d’ensei- intelligence,
certains enseignants savent détecter intuitive- gnements et d’en faire bénéficier les professeurs in Emotion, vol. 1,
ment ces périodes favorables à l’apprentissage. lors de leur formation professionnelle ? I pp. 232-242, 2001.

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L’apprentissage dans le cerveau

L’apprentissage
modifie le cerveau
Le simple fait d’apprendre modifie la structure
du cerveau. Les neurones se connectent davantage,
et les « câbles de communication » à longue distance
se renforcent pour mieux transmettre l’information.

l n’y a pas d’âge pour s’instruire. Hugo, Considérons les cellules nerveuses, ou neu-

I 23 ans, vient d’apprendre à jongler en


deux semaines d’entraînement quoti-
dien. Bien sûr, cela ne s’est pas fait tout
seul. Au début, les balles lui échappaient
sans cesse. Mais tout à coup, un déclic s’est
produit, et désormais, il réussit à chaque fois.
Sarah, 14 ans, a dû s’entraîner avec assiduité
rones, comme les unités de traitement de
l’information. Le corps cellulaire des neuro-
nes forme notamment ce qu’on appelle la
substance grise qui constitue le cortex, c’est-
à-dire la couche externe du cerveau. Chaque
neurone reçoit des signaux de ses semblables,
signaux transmis d’un neurone à l’autre par
pour maîtriser de nouveaux pas de danse ; et des zones de contact nommées synapses, puis
puis, tout est devenu naturel. Les seniors ne véhiculés par les axones. Ces derniers sont des
sont pas en reste : Thomas, 65 ans, s’est remis prolongements neuronaux connectant les
Jan Scholtz aux échecs et a fait d’incroyables progrès : neurones sur de longues distances et facili-
travaille au Centre après un entraînement intensif face à l’ordi- tant la communication entre les aires céré-
d’IRM fonctionnelle nateur, il gagne presque toutes les parties. brales, même les plus éloignées. Les axones
cérébrale On soupçonne que le cerveau de ces per- forment la substance blanche et sont locali-
de l’Université sonnes s’est reconfiguré. Mais de quelle façon ? sés sous le cortex (voir l’encadré page 50).
d’Oxford. La réponse à cette question est cruciale, car La couleur de la substance blanche est due à
Miriam Klein nous sommes façonnés par l’apprentissage. la myéline, une couche de graisse isolante qui
travaille Nous acquérons en permanence de nouveaux entoure les axones. Cette gaine, produite par
au Département savoirs et des compétences variées. Et pour- des oligodendrocytes, est indispensable à la pro-
Sobell tant, les neuroscientifiques ne savent toujours pagation des signaux neuronaux et à la com-
de neurosciences
motrices pas très bien quelles modifications cérébrales munication entre neurones. Elle assure une
et des troubles accompagnent de telles acquisitions. S’agit-il communication rapide de l’information, sans
du mouvement d’un changement de la communication entre perte d’intensité du signal. La gaine de myéline
à l’Université neurones ou de la structure même du cerveau, est interrompue par ce que l’on nomme des
de Londres. c’est-à-dire du substrat neuronal ? nœuds de Ranvier, si bien que les signaux « sau-

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tent » de nœud en nœud. Sans ces interrup-


tions, les signaux se déplaceraient plus lente- En Bref
ment et leur intensité diminuerait sur les lon- • Le cerveau est constitué de substance grise (les corps cellulaires
gues distances (voir l’encadré page 52). Ainsi, des neurones) et de substance blanche, les fibres nerveuses.
la myéline influe sur la vitesse et sur l’intensité • On sait depuis longtemps que l’apprentissage modifie la substance
des impulsions nerveuses : plus la couche iso- grise dans les zones dédiées au traitement de l’information.
lante est épaisse, plus la communication entre • On découvre que la substance blanche présente aussi une certaine
neurones est rapide. plasticité. C’est pourquoi l’information est de mieux en mieux
Comment se manifeste l’apprentissage d’une transmise d’une région à l’autre du cerveau au fil des apprentissages.
nouvelle compétence ? Par une modification
de la communication entre neurones. Lors de
l’apprentissage d’une capacité motrice (par
exemple, apprendre à jongler), la substance cerveau de traiter l’information de façon
blanche se remodèle. De nouveaux axones sont plus précise, améliorant la coordination des
créés, ou bien la couche de myéline s’épaissit. mouvements et des yeux. L’adaptation de la
Grâce à ces modifications, les signaux nerveux substance blanche conduit à une optimisa-
issus de l’aire visuelle seraient transmis plus tion de la transmission de l’information, celle
vite et plus efficacement vers les régions motri- de la substance grise en assure un meilleur
ces qui commandent les mouvements des traitement (voir l’encadré page 51).
mains. La coordination visuomotrice, c’est-
à-dire la coordination entre les mouvements Augmentation
du bras et l’observation des balles, s’améliore
en lien avec la tâche consistant à jongler.
de la substance blanche
La substance grise pourrait elle aussi se L’une et l’autre sont essentielles pour opti-
modifier. Qu’il s’agisse de la création de nou- miser les performances du cerveau. Un infor-
veaux corps cellulaires ou de nouvelles synap- maticien procède de la même façon lorsqu’il
ses, de telles modifications permettraient au veut améliorer les performances d’un réseau
numérique. D’une part, il cherche à optimi-
ser l’ordinateur en ajoutant des programmes
et, d’autre part, il peut augmenter son débit
Internet pour permettre un accès plus rapide
à l’information. Privilégier uniquement l’un
des deux est inutile : un ordinateur perfor-
mant attendant sans cesse de nouvelles infor-
mations est aussi inutile qu’un ordinateur
peu performant devant gérer un flux d’infor-
mations trop rapide.
En 2004, le neurologue allemand Arne May
et son équipe ont étudié les modifications
cérébrales intervenant chez des apprentis jon-
gleurs suivis à Regensburg. Ils ont observé la
substance grise de 24 volontaires par imagerie
par résonance magnétique, IRM, à différents sta-
des de l’apprentissage de ces novices, pendant
P. Guevara, D. LeBihan et al., LRMN, LNAD, Neurospin, CEA

trois mois. Leur objectif était d’apprendre à


maintenir trois balles en l’air pendant plus d’une
minute. Après l’entraînement, l’examen IRM a
révélé que la substance grise, siège du traite-
ment de l’information dans le cerveau, s’était
développée dans la région des lobes temporaux.
Les millions de câbles Mais qu’en est-il de la substance blanche ?
reliant les corps cellulaires des neurones C’est ce que nous avons examiné dans notre
des différentes régions du cerveau forment laboratoire en 2009. Là encore, 24 volontaires
la substance blanche ; elle apparaît ici colorée se sont entraînés une demi-heure par jour pen-
sur cette image d’IRM de diffusion. dant un mois et demi, pour maintenir trois

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Des connexions dans le cerveau


rès de la moitié de notre cerveau est constituée de substance
P blanche, laquelle entoure les millions de fibres nerveuses reliant
les différentes régions cérébrales. Ces câbles transmettent les signaux
Substance
grise

nerveux à la substance grise des régions éloignées du cortex.

Cortex Cingulum
Substance
blanche

Corps calleux

Le corps calleux est également constitué de


Neurone substance blanche. Les fibres de cette struc-
Raphael Queruel / Derek Jones, Cardiff University

ture connectent les deux hémisphères céré-


braux. Dans chacun des hémisphères se trouve
aussi le cingulum, une voie qui associe des
signaux de natures différentes.
Cervelet
Corps Les axones des neurones constituent le
Axone calleux
cœur des câbles de la substance blanche. Ils
sont recouverts d’une gaine de myéline. Ils
Gaine assurent la transmission des signaux d’une aire
de myéline cérébrale à l’autre.

balles en l’air pendant une minute. Outre les Malgré l’absence d’entraînement, la substance
examens IRM, qui révèlent les différences struc- grise avait continué à augmenter, ce qui n’était
turelles de la substance grise entre le début et pas le cas de la substance blanche. Nous en
la fin de l’entraînement, nous avons recouru ignorons encore la cause.
à une mesure dite d’imagerie par tenseur de
diffusion, qui permet d’analyser la substance La gaine de myéline
blanche (voir l’encadré page 53). À la fin de l’ex-
périence, les participants, tous débutants dans
s’épaissit
l’art de jongler, étaient devenus suffisamment En 2005, le groupe de recherche suédois du
habiles pour maintenir les trois balles en l’air neuroscientifique et pianiste Fredrik Ullén, de
pendant au moins deux cycles. Évidemment, le l’Institut Karolinska de Stockholm, est arrivé à
plus intéressant pour nous était l’évolution de une conclusion similaire. Ces chercheurs ont
leur cerveau : la substance grise et la substance mesuré la substance blanche de différents pia-
blanche avaient augmenté, contrairement au nistes professionnels avec la même méthode.
groupe témoin n’ayant pas appris à jongler. Ils ont constaté que l’épaisseur de la substance
Les régions concernées étaient les lobes blanche était directement liée au nombre
pariétaux. Cette structure sous-tend la coordi- d’heures de pratique du piano pendant l’en-
nation visuomotrice. Toutefois, les modifica- fance. Plus le musicien avait passé de temps à
tions de la substance blanche ne reflétaient pas jouer du piano pendant sa jeunesse, plus la cou-
le degré d’expertise acquis : son épaississement che de myéline était épaisse. C’était surtout vrai
semblait résulter de l’entraînement régulier et dans deux régions : la capsule interne, qui
non du succès ou de l’échec des mouvements. contrôle le mouvement des doigts, et le corps
Une autre observation nous a surpris : après calleux, qui permet la communication entre les
une pause de quatre semaines sans entraîne- deux hémisphères cérébraux. On peut avancer
ment, nous avons à nouveau soumis les par- deux hypothèses : soit la substance blanche s’est
ticipants à des mesures d’imagerie cérébrale. développée en raison de l’apprentissage assidu

50 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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Comment l’apprentissage modifie la substance grise

’ hippocampe est une région centrale du cerveau,


LDepuis
essentielle pour l’apprentissage et la mémoire.
le début des années 1970, on y étudie les méca-
ment postsynaptique. Ainsi, pour un même nombre de
molécules de glutamate libérées par l’élément présy-
naptique, la LTP permet d’activer un plus grand nombre
nismes du « codage » de la mémoire, qui impliquent de récepteurs postsynaptiques (c) ; l’efficacité synapti-
notamment les neurones dits pyramidaux de la que augmente, et ce, à long terme.
région CA3 qui se projettent sur ceux de l’aire CA1 de Or, dans l’aire CA1 de l’hippocampe, la LTP peut ne
l’hippocampe, au niveau des synapses. En quoi consiste concerner qu’un faible nombre de synapses. Cette pro-
le codage de l’information permettant de former les priété permet d’augmenter la capacité de stockage de
souvenirs et de les maintenir en mémoire ? Il corres- chaque neurone. En outre, la LTP dans l’aire CA1 est
pond à un phénomène nommé potentialisation à long associative : une forte activation d’une synapse peut
terme (ou LTP) de la transmission synaptique : en d’au- faciliter la LTP des synapses adjacentes si les deux types
tres termes, l’efficacité de la transmission entre les neu- de connexions sont activés en même temps. Cette pro-
rones présynaptiques (de l’aire CA3) et les neurones priété est un analogue cellulaire de l’apprentissage par
postsynaptiques (de l’aire CA1) est augmentée (a). conditionnement, quand on apprend par exemple à un
chien que le son d’une cloche est suivi d’une récom-
Augmenter l’efficacité synaptique pense. La LTP est mise en place en quelques secon-
des, mais elle dure plusieurs jours, voire plusieurs
La propagation d’un signal (en orange) dans le neu-
années. En effet, la synthèse de nouvelles protéines et
rone présynaptique déclenche la libération, dans la
d’autres mécanismes moléculaires qui n’ont pas encore
synapse, de glutamate, un neurotransmetteur qui se
été élucidés provoquent des changements permanents
fixe sur les récepteurs postsynaptiques de type AMPA
dans les circuits neuronaux.
et les active (b). Ces derniers s’ouvrent et provoquent
D’autres modifications ayant lieu dans différentes
l’entrée d’ions sodium et potassium, qui dépolarisent le
synapses se traduisent aussi par une augmentation dura-
neurone postsynaptique et déclenchent la propagation
ble de l’efficacité synaptique. Ainsi, la libération de glu-
d’un signal (en jaune). Or cette dépolarisation active
tamate par l’élément présynaptique peut être favorisée,
un deuxième type de récepteurs du glutamate situés
en raison de l’afflux de nombreuses vésicules de gluta-
sur les neurones postsynaptiques : les récepteurs NMDA.
mate à la membrane. De plus, de nouvelles synapses
Ces récepteurs sont inactifs quand le neurone est au
connectant de nouveaux neurones (c’est la neuroge-
repos, car des ions magnésium bloquent le canal, empê-
nèse) provoquent des changements pré- et postsynap-
chant l’afflux d’ions. La dépolarisation élimine ces ions
tiques. Et l’on sait aujourd’hui que d’autres cellules céré-
magnésium, de sorte que les récepteurs NMDA s’acti-
brales, non neuronales, participent à cette plasticité
vent et permettent l’entrée de messagers cellulaires :
synaptique : ce sont les cellules gliales, et notamment les
les ions calcium. Ces derniers sont responsables de
astrocytes. En conséquence, plusieurs mécanismes cel-
la LTP, c’est-à-dire qu’ils favorisent l’activation de l’élé-
lulaires et moléculaires permettent de stocker des infor-
ment postsynaptique par le neurone présynaptique : le
calcium active un grand nombre de protéines dans le mations à long terme... et par conséquent d’apprendre.
neurone, ce qui aboutit à une augmentation du nombre Nathalie ROUACH, Laboratoire des interactions neurogliales
de récepteurs AMPA à la membrane synaptique de l’élé- dans la physiopathologie cérébrale, Collège de France, Paris.

a b c
Signal

Neurone
présynaptique
de l’aire CA1 Glutamate
de l’hippocampe
Récepteur Récepteur Calcium
AMPA NMDA
Récepteur
NMDA
Raphael Queruel

Neurone Sodium
postsynaptique Magnésium et potassium
de l’aire CA3
Récepteur Amplification du
AMPA signal nerveux

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 51


9-Ess11_pxxxxx_apprent_scholtz_bsl.qxp 3/07/12 17:09 Page 52

du piano, soit les personnes ayant naturelle- de l’Institut Riken de recherche sur le cerveau
ment une substance blanche plus développée à Wako au Japon, a découvert que chez des sin-
(par exemple pour des raisons génétiques) ont ges, lors d’un entraînement intensif, de nou-
plus de facilités pour apprendre le piano. velles connexions nerveuses pouvaient s’éta-
L’imagerie par tenseur de diffusion est la blir. Dans ces expériences, les biologistes ont
méthode permettant d’analyser la structure appris à des macaques à pêcher à l’aide d’un
et le développement des axones dans le cer- râteau. Ils ont observé, dans les aires cérébra-
veau humain. Mais elle n’est pas assez pré- les impliquées dans le maniement d’outils, des
cise, de sorte que l’on ne connaît pas le détail connexions supplémentaires, absentes chez les
des modifications cérébrales intervenant lors animaux n’ayant pas suivi cet entraînement.
d’un apprentissage. Les modifications obser- Les modifications macroscopiques observées
vées pourraient alors avoir plusieurs causes qu’il chez l’homme pourraient ainsi être dues à la
est impossible de distinguer : soit les axones des fois à un épaississement de la gaine de myéline
jongleurs et des pianistes sont mieux isolés des axones et à de nouvelles connexions.
grâce à une gaine de myéline plus épaisse, soit Les mécanismes cellulaires ou moléculai-
de nouvelles connexions se créent, soit encore res mis en jeu lors de la modification de la
les axones eux-mêmes se sont épaissis. Ces trois substance blanche restent inconnus, et de
mécanismes donneraient la même image. nombreuses questions restent ouvertes : quel-
Des analyses histologiques pratiquées sur les sont les mutations génétiques ou les méca-
des animaux de laboratoire permettent d’al- nismes physiologiques susceptibles d’influer
ler plus loin. En 1996, l’équipe de Bernard Zalc, sur la formation de la gaine de myéline ? La
de l’Université Pierre et Marie Curie à Paris, substance grise peut-elle être remaniée à l’âge
a mis en évidence sur des souris que l’activité adulte ou seulement pendant l’enfance ?
épaissit la gaine de myéline autour des axones. En revanche, il est avéré que si la substance
En outre, en 2006, l’équipe de Sayaka Hihara, blanche peut se développer, elle peut aussi

La gaine de myéline
es fibres nerveuses transmettent les signaux électriques
Lmyéline
beaucoup plus vite et plus efficacement grâce à la gaine de
qui les entoure. Certaines cellules gliales, nommées
oligodendrocytes, produisent des membranes lipidiques qui
s’enroulent plusieurs fois autour des axones et forment cette
gaine. D’autres cellules gliales, les astrocytes, peuvent stimu-
ler le processus, puisqu’elles détectent les signaux circulant Ion potassium
dans les axones. La gaine de myéline n’enrobe pas complète- Axone
ment les axones : elle s’interrompt au niveau de rétrécisse-
ments nommés nœuds de Ranvier, où la membrane de l’axone
est à nu. Ce n’est qu’en ces sites dénudés qu’un potentiel d’ac-
tion peut être produit par des flux d’ions traversant la mem- Nœud
de Ranvier
brane cellulaire. Ce signal électrochimique déclenche un nou- Canal ionique
veau flux d’ions, qui circule très rapidement dans la cellule
nerveuse jusqu’au prochain nœud où il crée un nouveau poten-
tiel d’action. L’excitation « saute » ainsi de nœud en nœud, ces Ion sodium
derniers jouant le rôle d’amplificateurs des signaux électriques.
Raphael Queruel

Impulsion
nerveuse

Gaine de myéline

Les nœuds de Ranvier amplifient les signaux


Axone électriques et les envoient rapidement jusqu’au
Oligodendrocyte
nœud suivant. Des flux d’ions traversant la membrane
participent à ce processus.

52 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


9-Ess11_pxxxxx_apprent_scholtz_bsl.qxp 3/07/12 17:09 Page 53

L’imagerie par tenseur de diffusion

’ , l’imagerie par résonance sion est alors anisotrope.L’imagerie par


Lcomportement
IRM
magnétique, repose sur l’étude du
des protons soumis
tenseur de diffusion tire parti de cette
propriété de la matière.En repérant les
Anisotrope

à un champ magnétique. Dans le directions privilégiées de l’eau dans le

J. Scholtz et M. Klein
Isotrope
corps humain, la plupart des protons cerveau, la méthode permet de locali-
appartiennent à des molécules d’eau, ser les membranes cellulaires.Les fibres
lesquelles représentent 70 à 80 pour nerveuses,analogues à des tuyaux,per-
cent du cerveau. mettent à l’eau de circuler le long de la
Visualisation des axones
Grâce à leur énergie thermique, les fibre, mais limitent les mouvements
de la substance blanche par imagerie
molécules d’eau se déplacent dans des dans les autres directions.
par tenseur de diffusion. Les espaces
directions aléatoires – on dit qu’elles Le degré de restriction de ces blancs indiquent les endroits
diffusent. En l’absence de frontières, mouvements de diffusion est nommé où les molécules d’eau sont
elles diffusent dans toutes les directions anisotropie fractionnelle. Une aniso- contraintes d’adopter un mouvement
sur la même distance : il s’agit alors tropie fractionnelle nulle représente selon une direction privilégiée, entre
d’une diffusion isotrope.Toutefois, si le cas d’une diffusion isotrope, sans membranes des axones (diffusion dite
elles sont confinées dans un espace clos direction privilégiée. Une valeur égale anisotrope). Les zones noires
comme dans une cellule,entourées de à 1 reflète une diffusion entièrement représentent les endroits du cerveau
membranes,leur parcours est perturbé anisotrope, c’est-à-dire unidirection- où la diffusion n’a pas de direction
et une direction de diffusion est privi- nelle, par exemple dans une fibre ner- privilégiée, par exemple dans
légiée : celle des membranes. La diffu- veuse longue et fine. les ventricules (diffusion isotrope).

régresser. C’est le cas dans les maladies qui Hambourg-Eppendorf, avec des sujets âgés
endommagent la gaine de myéline et pertur- de 50 à 67 ans. Ils ont constaté qu’apprendre à
bent la transmission des signaux. La sclérose jongler a également favorisé un épaississement
en plaques, dont le mécanisme comporte vrai- de la substance grise. En revanche, on ignore
semblablement une attaque de la myéline du encore si la substance blanche subit aussi des
système nerveux central par des cellules immu- modifications chez ces sujets plus âgés. Si c’était
nitaires, fait partie de ces maladies. De telles le cas, des entraînements ciblés pourraient
attaques ralentissent, voire interrompent, la ralentir la détérioration des connexions ner-
transmission du signal dans des nerfs indispen- veuses associée au vieillissement.
sables. Le nerf optique ou la moelle épinière
peuvent ainsi être touchés, provoquant des Apprendre à tout âge
troubles visuels ou des paralysies des membres. Bibliographie
La maladie d’Alexander, trouble métaboli- En tout état de cause, même si certaines J. Scholtz et al.,
que qui atteint certains enfants en bas âge, se structures cérébrales dégénèrent avec l’âge, Training induces
caractérise par une production insuffisante de cela ne signifie pas nécessairement que les changes in white-
matter achitecture,
myéline à cause d’une mutation génétique. facultés cognitives en pâtissent. Le cerveau in Nature
L’influx nerveux n’est plus conduit efficace- peut s’adapter à de nouvelles situations et si Neuroscience, vol. 12,
ment, et le développement moteur et cognitif la performance de certaines zones du cerveau pp. 1370-71, 2009.
de ces enfants s’en trouve ralenti. Les chercheurs diminue au fil des ans, d’autres aires peuvent C. Lubetzki,
soupçonnent aussi des modifications de la voir leur activité augmenter. Myélinisation
gaine de myéline dans d’autres maladies, qu’il Tout cela signifie-t-il que chacun doit et sclérose en plaques,
in Pour la Science,
s’agisse de la schizophrénie ou de l’autisme. apprendre à jongler pour garder un cerveau pp. 44-49, n° 323,
Les volontaires suivis dans les expériences performant ? Le mélange d’apprentissage et septembre 2004.
conduites à Oxford ou à Regensburg étaient d’entraînement physique semble effective- J.-A. Girault,
relativement jeunes. Mais les personnes âgées ment une piste intéressante. Mais il existe bien Les nœuds de Ranvier,
peuvent aussi apprendre à jongler. Quelle est d’autres compétences dont l’apprentissage le secret d’une
conduction rapide,
la plasticité de leur cerveau ? Pour le savoir, contribue à la plasticité cérébrale, que ce soit in Pour la Science,
en 2008, A. May et son équipe ont reproduit la danse ou les échecs. Conclusion : il n’y a pp. 44-49, n° 323,
leur expérience à la Clinique universitaire de pas d’âge pour apprendre ! I septembre 2004.

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 53


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L’apprentissage dans le cerveau

Un système cérébral
de la motivation ?
Envisager une récompense, et l’obtenir ; redouter
une punition, et l’éviter ; ces deux formes de motivation
favorisent les apprentissages. Les neuroscientifiques
commencent à identifier les systèmes cérébraux mis en jeu.

pprendre – un nouveau mé- actionnant la porte de sa cage, pour attra-

A tier, un théorème mathémati-


que, un cours d’histoire, etc. –
peut être une motivation en soi
pour un bon nombre de per-
sonnes. Mais comment motiver quelqu’un qui
ne l’est pas « intrinsèquement » ? Chaque
parent ou enseignant a sa recette, et les conseils
per un poisson placé dehors. L’étude com-
mença par une série d’échecs, de sorte que
Thorndike détermina comment les chats
échouent à apprendre. Par exemple, il est inu-
tile de faire une démonstration au chat, avec
un expérimentateur tirant sur la ficelle : le
chat n’apprend pas par imitation. Il ne sert
en tous genres abondent. Que nous disent les à rien non plus de prendre la patte du chat
neurosciences à ce sujet ? Notre compréhen- pour tirer avec lui sur la ficelle, ni de lui faire
sion du cerveau étant encore relativement gros- observer l’exercice réalisé avec succès par un
sière, nous, neuroscientifiques, ne disposons autre chat qui connaît l’expérience.
pas de la précision requise, au regard des théo-
ries psychologiques, pour apporter des répon- Le chat et l’écolier
ses irréfutables. Toutefois, pour certains débats,
les données des neurosciences devraient être
face aux récompenses
prises en compte. Le dilemme de la carotte Selon Thorndike, le chat n’apprend que par
Mathias et du bâton – ou comment distribuer récom- « essais et erreurs ». Excité par la présence du
Pessiglione penses et punitions – fait partie de ceux-là, poisson derrière la porte de sa cage, le chat se
est chercheur car nous commençons à connaître les struc- met à griffer ce qui l’entoure et en vient, par
à l’Institut tures cérébrales mises en jeu. hasard, à accrocher la ficelle qui ouvre la
du cerveau
Au début du XIXe siècle, le psychologue porte. Mais ce seul succès ne suffit pas pour
et de la moelle
épinière, américain Edward Lee Thorndike (1874-1949) que le chat comprenne comment la porte
de l’Hôpital a été le premier à s’intéresser à la « science des s’ouvre : si on le remet dans la cage, il tâtonne
de la Pitié-Salpêtrière récompenses ». Celui-ci étudiait comment un à nouveau un long moment avant de réussir
à Paris. chat pouvait apprendre à tirer sur une ficelle à déclencher le mécanisme. Toutefois, au fil

54 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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des tests, le chat est de plus en plus rapide


pour sortir de sa cage et prendre le poisson.
Cette forme progressive d’apprentissage,
aujourd’hui nommée apprentissage par ren-
forcement, fut décrite par Thorndike en 1911
comme la loi de l’effet : lorsqu’un comporte-
ment apporte satisfaction, il est plus volon-
tiers reproduit si l’animal se retrouve dans le
même contexte. Ce que l’on nomme récom-
pense est la propriété du stimulus donnant
satisfaction (ici, le goût du poisson) ; ce que
l’on nomme renforcement est le processus
favorisant le lien entre le contexte (la cage) et
le comportement (tirer sur la ficelle).

Motivation versus
renforcement
La situation étudiée par Thorndike paraît
rudimentaire comparée à celle d’un écolier
qui essaie de retenir une poésie pour la réci-
ter à son professeur. Mais pour les scientifi-
ques qui se sont efforcés de la décomposer en
processus élémentaires, elle est au contraire
complexe. Elle mélange notamment un méca-
nisme de motivation par incitation (déclen-
ché par la vue du poisson) et un mécanisme
d’apprentissage par renforcement (déclenché
par l’obtention du poisson). Ce sont là deux
effets des récompenses souvent confondus en
pratique, mais qui peuvent être séparés : la
motivation pousse l’animal à agir, tandis que
le renforcement l’incite à recommencer.
Transposons cette séparation de l’appren-
tissage par renforcement à ce qui se passe
à l’école : si le professeur annonce à l’avance
que le premier de la classe aura une récom-
pense, il motive les élèves à faire davantage
d’efforts. S’il ne promet rien, mais qu’il
récompense l’élève ayant bien travaillé, il ren-
force son comportement pour la suite.

En Bref
• L’apprentissage par renforcement positif
Junial entreprise - Viktoriya / Shutterstock.com

– avec récompense – met en œuvre un circuit


cérébral où intervient la dopamine.
• Ce circuit comprend notamment
le striatum, où se trouverait un centre
de la motivation qui s’active d’autant plus
que les récompenses sont importantes.
• L’apprentissage par renforcement
négatif ferait intervenir d’autres structures
cérébrales, qui restent à déterminer.

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1. Le circuit cérébral de la récompense comprend notamment le cortex orbitofrontal


et des noyaux sous-corticaux, tel le striatum. La dopamine fait partie de ce réseau, qui s’active
quand on espère une récompense et qu’on l’obtient. De même, le circuit cérébral de la punition
contiendrait des régions corticales – le cortex cingulaire notamment – et des noyaux
sous-corticaux. Il serait modulé par un autre messager, peut-être la sérotonine.
Ce réseau s’activerait quand on redoute une punition ou qu’on en reçoit une.

Cortex
cingulaire Neurone véhiculant
la dopamine

Neurone véhiculant
la sérotonine

Glossaire
G Apprentissage par
Cortex
renforcement positif :

Raphael Queruel
orbitofrontal
lorsqu’une action Striatum
apporte satisfaction
ou récompense,
elle est volontiers
reproduite si l’individu
se retrouve dans
le même contexte. Les chercheurs en neurosciences ont identi- réseau signale les récompenses obtenues, et
G Apprentissage par fié les régions du cerveau qui s’activent quand renforce le comportement en augmentant l’ef-
renforcement négatif : un animal, ou un homme, anticipe une récom- ficacité des transmissions neuronales dans les
lorsqu’une action pense ou en reçoit une. Ce sont surtout le cor- circuits impliqués dans la tâche.
engendre une punition tex orbitofrontal, situé vers l’avant et vers le bas Mais l’implication de ce réseau lors des
ou une perte, elle (juste au-dessus des orbites, derrière le front), apprentissages par renforcement est plus com-
n’est pas reproduite des noyaux sous-corticaux tel le striatum, et des plexe qu’il n’y paraît. Voyons pourquoi. Après
si l’individu se retrouve systèmes neuromodulateurs (qui modulent la Thorndike, est né un courant scientifique
dans le même transmission entre neurones), tel celui des neu- nommé behaviorisme, qui s’est concentré sur
contexte. rones dopaminergiques (voir la figure 1). ce type d’apprentissages. Ainsi, les psycholo-
G Motivation : gues américains John Watson (1878-1958) et
processus par lequel Les renforcements positifs Burrhus Skinner (1904-1990) ont placé des
les récompenses animaux (des rats ou des pigeons dans la plu-
espérées guident
dans le cerveau part des cas) dans des situations où la récom-
le comportement. Ces régions et systèmes cérébraux forment pense n’est pas annoncée, pour éliminer le phé-
G Conditionnement un réseau qui est mis en jeu pour les récom- nomène de motivation. Par exemple, un rat est
instrumental : penses primaires (recevoir à manger) et com- dans une cage munie d’une pédale qui déclen-
c’est l’apprentissage plexes (obtenir un diplôme). Ce réseau s’ac- che la chute d’une graine, et rien ne permet au
par renforcement tive d’abord quand on espère une récompense, rat d’anticiper le phénomène ; mais vient un
d’une association et il « motive » le comportement en stimulant moment où le rat monte par hasard sur la
entre un contexte les régions cérébrales qui interviennent dans pédale et obtient sa récompense. S’engage
et une action. la tâche à accomplir, par exemple le cortex alors le processus d’apprentissage par ren-
G Conditionnement moteur s’il s’agit d’un effort physique. Nous forcement, qui permet au rat d’associer l’ac-
classique : avons d’ailleurs montré que la partie ventrale tion d’appuyer sur la pédale et l’arrivée de
c’est l’apprentissage du striatum représente un nœud central de ce la récompense dans la cage. On nomme
par renforcement réseau motivationnel : elle est capable d’ac- conditionnement instrumental l’apprentis-
d’une association tiver aussi bien un effort physique qu’un effort sage par renforcement d’une association entre
entre deux contextes. mental (voir l’encadré page 58). Puis le même un contexte et une action. Cela s’oppose au

56 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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conditionnement classique décrit par Ivan veau sait à quoi s’attendre. Où est codée l’er-
Pavlov (1849-1936), où un chien apprend à reur de prédiction dans le cerveau ?
associer deux contextes (le son d’une cloche Dans les années 1980, l’équipe du profes-
et l’obtention d’une saucisse). seur de neurophysiologie Wolfram Schultz en
Pour Skinner, l’ensemble des apprentissages Suisse étudiait l’activité des neurones dopa-
se résumerait à un conditionnement instru- minergiques chez le singe. À l’époque, on
mental. Il pensait que l’on pouvait former des pensait que ces neurones participaient sur-
pompiers ou des électriciens simplement en tout aux paramètres liés au mouvement,
manipulant les renforcements. Skinner illus- puisque leur dégénérescence dans la maladie
trait ce principe en montrant qu’il avait appris de Parkinson provoque des symptômes
à des pigeons des comportements « arbitrai- moteurs. Mais W. Schultz et ses collègues ont
res » uniquement en utilisant des récompen- fait une observation surprenante : lorsqu’ils
ses : par exemple, ses pigeons faisaient trois donnent à un singe une récompense qu’il
tours sur eux-mêmes la tête en bas. Mais cette n’attend pas, ses neurones dopaminergiques
vision caricaturale des apprentissages a été bat- réagissent. Puis ils ont montré que ce sont
tue en brèche au milieu du XXe siècle avec l’avè- effectivement ces neurones qui codent l’er-
nement des sciences cognitives et les différen- reur de prédiction pour les récompenses.
tes théories de la motivation. Toutefois, même Ainsi, le mécanisme cérébral responsable
s’il est invraisemblable que les processus de de l’apprentissage par renforcement a été mis
renforcement suffisent pour apprendre, il ne au jour : la libération de dopamine, provo-
faut pas négliger leur rôle. quée par une récompense imprévue, renforce
les synapses des circuits fronto-striataux (entre
Apprendre de ses échecs le cortex frontal et le striatum) qui ont parti-
cipé au comportement. Au contraire, si la
En outre, dans la situation proposée par récompense n’est pas obtenue, la dopamine
Thorndike, on constate que le chat n’apprend diminue et les synapses impliquées dans le
pas seulement quand il réussit à ouvrir la porte comportement s’affaiblissent.
de sa cage. Il apprend aussi de ses échecs, c’est- Si ce mécanisme est correct, les patients
à-dire quand ses actions ne lui permettent pas souffrant de la maladie de Parkinson et dont
de se libérer. Dans l’apprentissage intervien- le cerveau ne produit pas suffisamment de
nent donc des renforcements négatifs, qui limi- dopamine ne devraient pas apprendre par ren-
tent les actions inutiles. Dans les années 1970, forcement positif. Et c’est le cas : ces patients
Robert Rescorla, professeur émérite de psy-
chologie de l’Université de Pennsylvanie, et
Allan Wagner, professeur de psychologie de
l’Université Yale, aux États-Unis, ont identifié 2. L’apprentissage
la « grandeur » qui permet les renforcements par renforcement
positifs et négatifs : c’est l’erreur de prédiction, consiste à adapter
c’est-à-dire la différence entre le résultat obtenu son comportement
et le résultat attendu. Autrement dit, pour le en fonction
cerveau, c’est un signal de surprise précédé d’un des récompenses
obtenues, mais aussi
signe « positif » quand c’est mieux que prévu,
des punitions subies.
« négatif » quand c’est moins bien.
Par exemple, si un élève
Ainsi, quand l’erreur de prédiction est nulle, a une mauvaise note
on n’apprend pas, puisqu’on peut prévoir le en dictée, il s’appliquera
résultat. Selon Rescorla et Wagner, d’un essai davantage la prochaine
Szasz-Fabian Ilka Erika / Shutterstock.com

à l’autre, la vitesse d’apprentissage d’une asso- fois et retiendra


ciation entre contexte et action est proportion- peut-être ses erreurs...
nelle à l’erreur de prédiction : plus l’erreur est
grande, plus les associations sont modifiées.
Cette règle explique la dynamique de l’appren-
tissage, qui démarre rapidement avant de ten-
dre vers une limite : on apprend beaucoup au
départ, car le cerveau ne prévoit pas bien le
résultat, puis on ne progresse plus, car le cer-

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 57


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apprennent facilement à éviter les actions qui


Un centre cérébral de la motivation ? font perdre de l’argent (apprentissage par ren-
forcement négatif), mais pas à répéter celles
uand on est motivé par une récompense, on a tendance à qui en font gagner (apprentissage par renfor-
Q faire plus d’efforts ; par exemple, le sportif s’entraîne davan-
tage s’il sait qu’il gagnera plus d’argent en finissant premier, et l’étu-
cement positif). Le déséquilibre est inverse
quand ils prennent des médicaments antipar-
diant prépare mieux ses examens s’il sait que c’est important pour kinsoniens qui favorisent la libération de dopa-
sa carrière professionnelle. mine : les patients retiennent alors les com-
Nous avons cherché à déterminer si les efforts physiques et portements gagnants, mais peinent à éviter les
mentaux sont « dirigés » par un même centre de la motivation comportements perdants. Les conséquences
ou si des régions cérébrales distinctes interviennent. Pour ce faire, peuvent être néfastes : les médicaments favo-
nous avons enregistré en imagerie par résonance magnétique fonc- risant la libération de dopamine entraînent
tionnelle (IRMf) l’activité cérébrale de 20 participants pendant parfois des comportements compulsifs, telle
qu’ils réalisaient des efforts mentaux et physiques. La tâche consis- l’addiction au jeu. Comment l’expliquer ? Chez
tait à trouver sur un écran le chiffre le plus élevé parmi deux chif- le sujet, s’installe un déséquilibre entre des ren-
fres de tailles différentes, et à le choisir en serrant soit la poignée forcements positifs amplifiés à chaque gain
de la main gauche, soit celle de la main droite, selon l’endroit où et contrôlés par la dopamine, qui poussent le
se trouvait le chiffre. Les volontaires faisaient l’exercice plusieurs sujet à continuer, et des renforcements néga-
fois et pouvaient accumuler de l’argent chaque fois qu’ils répon- tifs inefficaces à chaque perte, qui ne parvien-
daient correctement. nent pas à l’arrêter. En conséquence, la dopa-
Ainsi, nous avons montré qu’une région précise, le striatum ven- mine permet d’obtenir des « carottes », mais
tral (en violet sur l’image d’IRM ci-dessous), s’active d’autant plus pas d’éviter les « coups de bâtons » (nous
que la somme d’argent en jeu et, par conséquent, le degré de moti- reviendrons sur ce second aspect).
vation sont élevés. Cette région activée (en jaune) stimule la par-
tie médiane du striatum, le noyau caudé, quand la tâche est diffi-
cile sur le plan cognitif, par exemple quand le chiffre a une petite
La dopamine,
taille, mais une valeur numérique élevée (ou inversement). En outre, pour obtenir une « carotte »
le striatum ventral stimule la partie latérale du striatum, le puta- Ce rôle attribué à la dopamine a été confirmé
men, quand la difficulté est motrice, par exemple quand les parti- dans une autre pathologie : le syndrome de
cipants serrent très fort la poignée pour répondre. En conséquence, Gilles de la Tourette. Les patients souffrent de
cette forme de motivation, dite extrinsèque, car elle est déclen- tics moteurs et vocaux qu’ils ne contrôlent pas
chée par les incitations monétaires, passerait par le striatum ven- et qui compromettent leur insertion sociale.
tral quel que soit le type d’effort à accomplir (cognitif ou moteur). Parmi ces tics, on retient souvent les copropra-
lies, c’est-à-dire les injures et les obscénités que
certains patients ne peuvent s’empêcher de pro-
férer. Les sujets souffrant de ce syndrome ont
Noyau caudé
trop de dopamine dans leur cerveau, et on les
Région activée soigne par des médicaments antipsychotiques,
du striatum ventral
Putamen
qui bloquent la transmission dopaminergique.
D’ailleurs, la libération trop importante de
dopamine pourrait expliquer les tics : quand
le patient a un tic, son cerveau « subit » un
excès de renforcement positif, de sorte que le
patient ne peut s’empêcher de répéter la rou-
tine motrice. Dans les tests de conditionne-
ment instrumental, ces sujets sont plus sensi-
bles aux renforcements positifs (ils retiennent
les comportements gagnants) lorsqu’ils ne
sont pas traités, et aux renforcements néga-
Striatum ventral
tifs (ils évitent les comportements perdants)
M. Pessiglione / Inserm

lorsqu’ils prennent le médicament. Cela


confirme le rôle de la dopamine dans les ren-
forcements positifs.
Ainsi, les drogues jouant sur la transmis-
sion dopaminergique ont des conséquences

58 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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importantes sur l’efficacité respective des « réseau du coup de bâton » ? On pourrait


récompenses et des punitions, et sur les appren- imaginer un système cérébral qui s’activerait
tissages. C’est une donnée qu’il faut prendre en lorsqu’on craint une punition ou lorsqu’on
compte dans la mesure où ces traitements sont en reçoit une. L’identification de ce système
fréquents : par exemple, on donne aux enfants est moins avancée, mais plusieurs pistes se
dégagent. On pense qu’un autre neuromodu- Bibliographie
souffrant d’hyperactivité de la Ritaline, une
molécule qui augmente la concentration de lateur, la sérotonine, code l’erreur de prédic- L. Schmidt et al.,
dopamine dans le cerveau. tion pour les punitions. Et plusieurs études Neural mechanisms
Des études plus récentes ont montré que ont montré que les cortex insulaire et cingu- underlying motivation
of mental versus
chez les volontaires sains, l’effet des drogues laire, au cœur du cerveau, s’activent lors des physical effort,
dopaminergiques varie avec le patrimoine situations négatives et douloureuses. in PLoS Biology,
génétique. La synthèse, la transmission et la 21 février 2012.
dégradation de la dopamine dépendent de La sérotonine, S. Palminteri et al.,
la présence de plusieurs protéines codées Pharmacological
par différentes versions de nombreux gènes.
pour éviter le « bâton » ? modulation
of subliminal learning
Or, selon les versions de ces gènes, une dro- L’existence de systèmes distincts, l’un tra- in Parkinson’s
gue à une concentration donnée n’a pas les vaillant à obtenir des récompenses et l’autre and Tourette’s
mêmes conséquences et peut avoir des effets à éviter des punitions, a des conséquences syndromes, in PNAS,
opposés sur le style d’apprentissage. Ainsi, importantes dans les apprentissages, notam- vol. 106,
pp. 19179-19184,
chaque individu présente des dispositions ment dans le milieu scolaire. Ce genre de 10 novembre 2009.
innées (les gènes liés à la dopamine) qui motivations, dites extrinsèques, car elles sont M. Frank et al.,
peuvent l’orienter vers un style d’appren- déclenchées par des incitations positives ou By carrot or by stick :
tissage ou l’autre selon l’environnement où négatives, permet aux élèves d’apprendre. Cognitive reinforcement
il vit, notamment les substances auxquelles Mais d’autres motivations, tel le plaisir d’ap- learning
in parkinsonism,
il est exposé. prendre, mettent probablement en œuvre in Science, vol. 306,
Le système cérébral de la récompense existe d’autres mécanismes cérébraux... qui restent pp. 1940-1943,
donc. Y en a-t-il un pour les punitions, le difficiles à tester au laboratoire. I 10 décembre 2004.

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 59


11-Ess11_pxxxxx_apprendcoeur_lieury_bsl.qxp 3/07/12 17:10 Page 60

L’apprentissage dans le cerveau

Apprendre par cœur


ou comprendre ?
Les deux sont indissociables. Il faut valoriser l’apprentissage
par cœur (tables de multiplication par exemple),
mais l’acquisition des connaissances fait nécessairement
appel à la compréhension et à une mémoire du sens.

ègles grammaticales, dates de pensait que le raisonnement suffisait, relé-

R
Alain Lieury
est professeur l’histoire de France, capitales du guant la mémoire au second plan. C’est sans
émérite monde, tables de multiplication : doute pour cette raison, qu’au sens populaire,
de psychologie lorsqu’un élève doit assimiler tou- y compris à l’école, la mémoire est souvent
cognitive tes ces connaissances, il a l’im- réduite au sens d’apprentissage « par cœur ».
de l’Université pression d’apprendre par cœur. Il faut bien en
Rennes 2,
passer par-là, même si cela peut sembler inu- Mémoire et raisonnement
ancien directeur
du Laboratoire tile. Après tout, les téléphones portables don-
de psychologie nent aujourd’hui accès à Internet et toutes les Qu’en est-il réellement ? Dans quelle mesure
expérimentale. connaissances sont à portée de main ! Mais ce la mémorisation favorise-t-elle la compréhen-
serait une grave erreur de cesser d’apprendre, sion et le raisonnement, ou les entrave-t-elle ?
car le par cœur est une méthode d’apprentis- La conception cartésienne donna quelques
sage... qui en favorise d’autres, mettant en signes de faiblesse lorsqu’au XIXe siècle, le
œuvre différents types de mémoire. neurologue Charcot rendit la notion de
L’attitude des philosophes, psychologues mémoire plus complexe. C’est lui qui démon-
et neuroscientifiques sur la mémorisation a tra notamment, en observant des cas clini-
connu de multiples rebondissements. De ques, l’existence de « plusieurs mémoires ».
l’Antiquité à la Renaissance, la mémoire était Avec les connaissances de son temps, il asso-
la faculté la plus précieuse ; mais Descartes cia ces mémoires aux sens et à la motricité :
dès lors, on envisagea la possibilité de mémoi-
res visuelle, auditive, motrice, olfactive…
Dans les années 1960, la mémoire acquiert
En Bref ses lettres de noblesse. Tout se joue d’abord
• L’apprentissage par cœur, parfois décrié, revient au goût du jour, dans le cadre des études « homme-machine »
car on découvre qu’il développe la mémoire lexicale. (télécommunications, ordinateur…) où cer-
• L’acquisition d’un vocabulaire étendu et de nombreuses notions tains chercheurs vont jusqu’à penser que l’in-
dépend aussi de la mémoire du sens. telligence repose sur la mémoire. On met en
• L’important est de ne pas « saturer » l’élève de connaissances : avant une hiérarchie de mémoires spéciali-
des études récentes livrent quelques méthodes simples sées, des mémoires sensorielles aux mémoi-
pour ne pas transformer l’apprentissage en torture inutile. res abstraites... La mémoire sensorielle visuelle

60 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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est la capacité à « photographier » par exem- est de relier, par un programme informatique,
ple une ligne de chiffres sur un écran, et à les un mot d’une langue étrangère à son homo-
citer de mémoire lorsque l’écran s’éteint. logue natif. Par exemple, chaque fois que l’or-
Diverses expériences ont montré que le nom- dinateur rencontre dans le texte, le mot pêche,
bre de chiffres rappelés diminue rapidement il traduit par fishing. Évidemment, les problè-
si l’instruction d’énoncer ces chiffres inter- mes ne tardent pas à apparaître. Si la phrase
vient plus de 250 millisecondes après l’extinc- est : « Pour le dessert, je voudrais des pêches
tion de l’écran. Cette mémoire est donc éphé- Melba », on aboutit à une traduction cocasse…
mère. L’équivalent dans le domaine sonore, L’idée géniale de A. Collins et R. Quillian fut
la mémoire auditive aurait une durée légère- de tenir compte du fait que la plupart des mots
ment supérieure, de 2,5 secondes : si l’on fait
entendre à quelqu’un une suite de sons, puis
qu’on lui demande de réaliser une rapide tâche
de calcul mental (tâche de distraction), la capa-
cité à citer de mémoire un des sons de la série
devient très faible si la tâche de distraction dure
plus de 2,5 secondes.
Ainsi, à court terme (moins de cinq secon-
des), une présentation visuelle de lettres ou
mots est moins efficace qu’une présentation
auditive. Mais le rappel des données visuelles
ou auditives au bout de plusieurs secondes
(environ dix secondes et plus) est équivalent.
L’explication en a été donnée par le chercheur
anglais John Morton : selon lui, les informa-
tions visuelles ou auditives ne font que transi-
ter dans des mémoires sensorielles, et se retrou-
vent fusionnées dans une mémoire commune,
la mémoire lexicale ou mémoire des mots.

Des mots au sens


Évidemment, il faut procéder à des exerci-
ces de mémorisation pour nourrir sa mémoire
lexicale. C’est ce que font d’abord les parents
en répétant sans fin le mot « fleur » à leur
enfant lorsque celui-ci désigne l’objet en ques-
tion. Et l’on comprend que sans ce « par cœur »
élémentaire, aucune forme d’intelligence ne
pourrait se développer chez l’enfant. Plus tard,
l’enseignement de nombreuses matières se doit
de poursuivre au moins en partie en ce sens,
qu’il s’agisse d’apprendre des noms de lieux,
d’objets, de techniques ou même de concepts.
Mais la mémoire lexicale a-t-elle un lien avec
la compréhension au sens large ?
La découverte d’une nouvelle mémoire,
nommée mémoire sémantique ou mémoire
du sens, a révolutionné la façon dont on envi-
sage cette question. Tout commence par les
Juriah Mosin / Shutterstock

recherches d’un informaticien, Ross Quillian, 1. Où est né Charles VII ? Qu’est-ce


et d’un psychologue, Allan Collins. En 1969, qu’un vilebrequin ? L’apprentissage est indispensable
ils travaillent dans une société d’informatique à la formation des connaissances... et au raisonnement.
sur la mise au point d’un logiciel de traduc- Mais attention à toujours vérifier que les notions
tion de langues étrangères. Leur idée première apprises par cœur ont bien un sens pour l’élève.

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 61


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sont polysémiques (dotés de plusieurs sens, tels ce qui se passe si l’on demande à un enfant si
disque, feuille ou pêche), et qu’il faut une inter- un canari a un estomac. Dans ce cas, le réseau
face entre le lexique étranger et le lexique natif, sémantique sera activé pour trouver qu’un
un « interpréteur de sens ». Cet interpréteur de canari est un oiseau, donc un animal, qui, par
sens utilise les mots du contexte (dessert, conséquent, doit avoir un estomac…
Melba…) pour choisir le meilleur sens, qui
guide alors vers la bonne unité lexicale dans Les connaissances
la mémoire lexicale. Supposant que notre
mémoire est naturellement conçue ainsi,
fondent le raisonnement
A. Collins et R. Quillian découvrent la mémoire Dans ce dernier cas, l’information est recons-
du sens, qu’ils nomment « mémoire séman- tituée – « inférée » est le terme technique – à
tique » (du grec semantikos, signification). partir d’informations contenues dans d’autres
Comment imaginer le stockage de quelque parties de l’arborescence. Qu’est-ce que l’in-
chose d’aussi abstrait que le sens ? Leur théo- férence ? Comme le montre cet exemple, c’est
rie repose sur deux principes. un raisonnement qui relève, non de la logique
Le premier est celui de hiérarchie catégo- formelle, mais d’un réseau de connaissances.
rielle. Il stipule que les concepts de la mémoire Voilà pourquoi certains chercheurs pensent que
sémantique sont classés de façon hiérarchique, l’intelligence se nourrit de la mémoire : plus la
les catégories étant emboîtées dans des catégo- mémoire stocke de connaissances, plus les infé-
ries allant des plus particulières aux plus géné- rences sont variées et correctes.
rales, à la façon d’une arborescence : la catégo- Évidemment, l’enfant ne naît pas avec une
rie Canari appartient à la catégorie Oiseau, mémoire sémantique pré-imprimée. Comment
Oiseau à celle de Vertébré, Vertébré à celle se construit-elle ? Les souvenirs font partie
d’Animal, etc. Le second principe, dit d’écono- de ce que le professeur émérite, de l’Université
mie cognitive, veut que seules les propriétés (ou de Toronto au Canada, Endel Tulving, a
traits sémantiques) spécifiques soient classées nommé la mémoire épisodique, somme des
avec les concepts associés. Par exemple, la pro- événements que nous avons mémorisés.
priété jaune est classée avec le concept de canari, Selon lui, chaque fois que nous lisons un
mais des propriétés plus générales comme bec mot déjà connu (par exemple, le mot bateau)
ou ailes sont classées avec le concept d’oiseau. ou que nous voyons un bateau dans un port
Dans ce modèle, la mémoire sémantique ou dans un documentaire, le concept associé
est organisée sous forme d’une arborescence fait l’objet d’un nouvel « épisode » stocké
économique. Un élève comprend des connais- dans la mémoire épisodique.
sances qu’on lui propose de deux façons. Soit M’intéressant aux apprentissages scolaires,
par un accès direct à l’information qui four- j’ai fait l’hypothèse que la mémoire sémanti-
nit le sens : par exemple, on sait que le canari que chez l’enfant est fabriquée à partir de
est jaune, car l’information jaune est déjà l’abstraction de tels épisodes. Si le premier
stockée en mémoire. Soit par inférence : c’est épisode canari pour un enfant est souvent

2. La mémoire fonctionne par arborescences. Animal


Lorsqu’on demande à un enfant si un canari a un estomac,
et s’il a acquis suffisamment de connaissances, Oiseau Poisson
il se souvient qu’un canari est un oiseau, qu’un oiseau
Plumage
est un animal et que les animaux ont un estomac, jaune
ce qui mobilise sa mémoire sémantique. L’enfant utilise
Bec
un raisonnement par inférence. En outre, il a acquis
le concept de canari en mémorisant plusieurs événements
Canari Merle
Cerveau et Psycho - Shutterstock

où apparaissait un canari, par exemple dans un dessin


animé, dans une cage, en liberté : ces événements
nourrissent sa mémoire épisodique. Mémoire sémantique
et mémoire épisodique sont nécessaires au raisonnement. En
cage
Dessin
animé En
liberté

62 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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Titi, il va enregistrer d’autres épisodes ulté-


rieurement, un canari vu dans un livre, un Faut-il répéter à haute voix ?
canari dans une animalerie, un autre dans un
documentaire (voir la figure 2).
Au final, des mécanismes cérébraux d’abs-
traction extraient les points communs de tous
Luneasouvent
pratique de la vocalisation (ou énonciation à haute voix) a
été stigmatisée après mai 1968 : on l’accusait d’être
mémoire « perroquet ». Et pourtant, les recherches sont una-
ces épisodes pour constituer le concept de nimes pour montrer que la vocalisation est nécessaire à la fois
canari. Certains auront peut-être remarqué que pour la mémorisation et pour la compréhension. Ainsi, dans des
les définitions des adultes et des enfants diffè- expériences où l’on fait lire ou apprendre des petits textes, la lec-
rent... Un adulte tend à évoquer un canari de ture se fait normalement ou en empêchant la subvocalisation (les
façon générique en déclinant des propriétés enfants sont empêchés de « lire dans
générales : « C’est un oiseau, petit et jaune » leur tête » et doivent répéter des non-
tandis qu’un enfant répond plus souvent en mots – lalalala ou colacolacola). On éva-

Chepko Danil Vitalevitch / Shutterstock.com


décrivant un épisode : « Tu sais, c’est Titi »… lue l’efficacité de la mémorisation :la sup-
Ainsi, non seulement la mémorisation est pression de la subvocalisation diminue
nécessaire aux raisonnements par inférence, l’efficacité de 40 à 60 pour cent, la note
mais elle participe à la création du sens, dans passant de 12 sur 20 (avec subvocalisa-
la mémoire sémantique. Comment appliquer tion) à 7, voire 4, sur 20. La vocalisation
cette hypothèse à la pédagogie ? En insistant (ou subvocalisation) est donc nécessaire
sur le fait que, pour apprendre les concepts, à l’apprentissage. Quand la subvocalisa-
il faut multiplier les épisodes. En 1997, j’ai tion est répétitive, on la nomme autoré-
d’ailleurs intitulé cette méthode « apprentis- pétition. Pour le chercheur anglais Allan
sage multi-épisodique ». L’apprentissage par Baddeley, l’autorépétition est une composante essentielle de la
cœur est plutôt du domaine de la mémoire plupart des activités cognitives (attention, calcul…). Si les récita-
lexicale ; en revanche, pour apprendre le sens tions à voix haute paraissent bien désuètes aujourd’hui, elles sont
des choses et construire sa mémoire séman- utiles pour la construction lexicale et la mémorisation.
tique, il faut multiplier les épisodes.

Répéter, répéter, répéter...


ment, nous avons découvert que la connais-
Accompagnés de nombreux enseignants, sance encyclopédique est un excellent prédic-
à différents niveaux d’étude du primaire au teur de la réussite scolaire, davantage que les
lycée, nous avons testé avec succès cette résultats obtenus aux tests de raisonnement
méthode. Certes, ce type d’enseignement est pur. Dans notre étude, l’élève de 6e ayant le
plus long : exposer un cours ne constitue qu’un meilleur score de connaissance encyclopédi-
(gros) épisode, alors qu’ajouter une recherche que (4 000 termes identifiés, tels que tangente,
sur Internet ou dans un centre de documen- Vercingétorix, gerboise) a la meilleure moyenne
tation et réaliser des travaux pratiques, prend générale (17/20), tandis que les élèves obtenant
beaucoup de temps. Mais ne vaudrait-il pas les moins bons scores en connaissance ency-
mieux réduire les programmes pour mieux clopédique ont une moyenne scolaire basse
assurer la mémorisation des connaissances ? (4,5/20). Ainsi, les élèves ayant acquis moins
En tout cas, n’opposons surtout pas l’ap- de 1 500 mots en fin d’année de 6e redoublent
prentissage par cœur à la compréhension. et ceux qui ont acquis moins de 9 000 en 4e
L’un et l’autre sont indispensables et complé- ont une moyenne annuelle insuffisante. La
mentaires : l’apprentissage par cœur est le mémoire des connaissances (lexicale et séman-
moteur de la mémoire lexicale, tandis que tique) est cruciale pour la réussite à l’école.
multiplier les épisodes est le moteur de la Dès lors, comment mémoriser les informa-
mémoire sémantique. tions de façon intelligente, sans « saturer » ? La
Lorsqu’on mémorise un grand nombre de principale limite du cerveau à cet égard est
concepts, de mots, de noms propres, de dates constituée par la mémoire à court terme, ou
ou de lieux, on accède à ce qu’on pourrait appe- mémoire de travail. Celle-ci présente deux
ler la connaissance encyclopédique, dont l’éten- caractéristiques fondamentales : une capacité
due varie selon les individus. Corroborant ce limitée (environ six à sept unités familières,
que nous venons d’expliquer sur les liens entre mots, images, chiffres, symboles, etc.) et une
apprentissage des connaissances et raisonne- faible autonomie (moins de 20 secondes). Elle

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vingtaine. Dans le groupe « subdivisé », la tota-


lité de la liste est acquise dès le troisième essai
d’apprentissage. Voilà pourquoi il est efficace
d’apprendre le cours en parties et sous-par-
ties, bien organisées selon un plan.
Plusieurs remarques s’imposent à la lumière
de ces notions sur la mémoire. Tout d’abord,
l’apprentissage par cœur est une composante
non négligeable de l’accès à la connaissance,
mais aussi au raisonnement. Par ailleurs, on
gagnerait à proposer des programmes moins
« lourds », et à passer plus de temps à ensei-
gner les concepts les plus importants, en mul-
tipliant les épisodes. Enfin, il faut une vraie
Petro Feketa / Shutterstock

réflexion sur la surcharge des connaissances et


des programmes : il est important de hiérar-
chiser sa méthode d’apprentissage selon le
principe de la subdivision des informations
pour tenir compte des limites du fonctionne-
ment du cerveau. Pourtant, les enseignants ne
3. Les maths permet de garder présent à l’esprit un numéro semblent pas avoir intégré ces notions. J’en ai
sont encensées dans de téléphone le temps de le composer. Si l’on entendu déclarer en substance : « Comme les
l’enseignement français, ne s’efforce pas de le mémoriser par des ten- élèves oublient vite, si on leur enseigne beau-
mais les connaissances tatives répétées, on ne le retiendra jamais. La coup de choses, il en restera toujours un peu. »
encyclopédiques mémoire de travail est la première porte
(dont le vocabulaire d’entrée de la connaissance dans le cerveau :
et les notions
Programmes trop chargés
elle organise les informations, et c’est par la
mathématiques) répétition que ces connaissances peuvent être Dans les années 1990, nous avons invento-
prédisent mieux consolidées en mémoire à long terme. rié le vocabulaire « encyclopédique » (Ramsès,
la réussite scolaire. Comment optimiser les apprentissages en diagonale ou notonecte) utilisé dans les grandes
sachant que la mémoire de travail ne stocke matières – histoire, biologie, chimie, mathéma-
simultanément que six ou sept éléments ? tiques, littérature, langues vivantes –, de la 6e à
En 1956, le psychologue George Miller a la 3e. L’inventaire dans les manuels d’anglais
montré qu’un moyen de dépasser cette limite de 6e de collège aboutit ainsi à un total impres-
était de grouper les informations par paquets. sionnant de 6 317 mots en 6e, 9 500 mots en 5e,
Par exemple, plutôt que d’apprendre les noms 18 000 en 4e et près de 24 000 en 3e, en plus des
de 16 fleuves russes, on gagnera à apprendre 9 000 que compte le vocabulaire courant.
les noms de quatre provinces, et de quatre Comparé à ces « mots du programme »,
fleuves par province. combien de termes un élève de 6e, âgé de
Dès 1969, Gordon Bower et ses collègues de 12 ans, peut-il retenir en une année ? Au
Bibliographie l’Université de Berkeley à Los Angeles ont moyen de questionnaires à choix multiples,
A. Lieury, Mémoire montré l’efficacité de cette méthode de subdi- nous avons évalué ce total à 2 500 mots et
et réussite scolaire, vision des tâches. Ils ont fait apprendre à des concepts acquis en moyenne à la fin de l’année,
Dunod, 4e édition, étudiants une liste d’environ 120 mots orga- soit une surcharge de 60 pour cent. Et les pro-
2012.
nisés en familles sémantiques – animaux, plan- grammes n’ont pas été simplifiés depuis cette
A. Lieury et al., tes, etc. –, elles-mêmes subdivisées en sous- étude. À mon avis, il faut valoriser la diversité
Psychologie
pour l’enseignant, familles (plantes comestibles, d’ornement, des matières, mais réduire les programmes dans
coll. Manuels visuels, sauvages), puis en catégories encore inférieu- chacune d’elles. Car la surcharge des informa-
Dunod, 2010. res (fleurs, herbes aromatiques, etc.). Pour ne tions est néfaste aux apprentissages, à cause,
A. Lieury, La réussite pas saturer la mémoire à court terme, le nom- notamment, de la capacité limitée de la
scolaire expliquée aux bre de mots à chaque niveau n’excède pas qua- mémoire de travail ! Enfin, la répétition et la
parents, Dunod, 2010.
tre. Les performances ont été impressionnan- compréhension sont essentielles et nécessaires,
A. Florin,
Le Développement
tes : les élèves ont rappelé 70 mots au premier car ce sont les modes d’apprentissage de deux
du langage, Dunod, essai, alors que les élèves devant apprendre les mémoires complémentaires, la mémoire lexi-
1999. mêmes mots mélangés n’en ont cité qu’une cale et la mémoire sémantique. I

64 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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Elena Rostunova / Shutterstock

Les troubles de l’apprentissage


Élève démotivé, inattentif, agité, rebelle, présentant des troubles
de la lecture ou somnolant en classe... Plusieurs facteurs
perturbent les apprentissages. Les causes de ces difficultés
sont mieux comprises, ce qui conduit à proposer soutien
aux élèves ou conseils aux parents et aux enseignants.

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 65


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Les troubles de l’apprentissage

Les racines
de la démotivation
Un enfant peut être démotivé, rebelle ou il peut vouloir fuir
l’école. Les motivations « négatives » sont aujourd’hui
étudiées, et devraient être prises en compte à l’école.

a « démotivation» est une facette de

L
Alain Lieury Dweck, professeur de psychologie sociale, et ses
est professeur la motivation que l’on cherche à évi- collègues de l’Université Stanford aux États-
émérite ter, car elle interfère avec les appren- Unis, ont montré que certains élèves se rési-
de psychologie tissages, à l’école notamment. L’élève gnent s’ils sont confrontés à des problèmes inso-
cognitive démotivé n’apprend pas facilement lubles. De même, en France, Stéphane Ehrlich
de l’Université et peut même évoluer vers une forme plus et Agnès Florin, de l’Université de Nantes, ont
Rennes 2, grave de démotivation : la résignation (ou le déterminé que des élèves faibles se découragent
et ancien directeur
du Laboratoire découragement), qui peut provoquer une en dictée et en mathématiques lorsque la
de psychologie dépression, voire le suicide. Comment par- demande est excessive, par exemple quand il y
expérimentale. vient-on à une telle situation et peut-on l’évi- a trop de problèmes à résoudre. Et si ces élè-
Fabien Fenouillet ter ? Nous présentons ici ce type de motiva- ves se découragent, c’est parce que l’enseigne-
est professeur tions négatives – résignation, rébellion et ment n’est pas adapté à leurs capacités.
de psychologie fuite – et montrons que les élèves concernés
cognitive ont souvent les moyennes scolaires les plus fai- Trop de problèmes
et coresponsable bles. Toutefois, rien n’est inéluctable.
du master 2 En 1975, alors qu’il travaillait sur le stress,
à résoudre
de Psychologie le psychologue américain Martin Seligman En 1996, nous avons obtenu le même résul-
cognitive appliquée expliqua que le découragement s’acquiert tat avec l’apprentissage de cartes de géogra-
à l’Université Paris-
Ouest-Nanterre- quand on a l’impression de n’avoir aucune phie : le découragement dépend de la sur-
La Défense. prise sur le cours des événements. Les consé- charge de travail. Par exemple, lorsqu’une carte
quences d’un apprentissage de la résignation (l’Amérique) comporte en plus des 24 villes à
sont importantes dans le domaine de l’éduca- apprendre, 24 noms indiqués (qu’il ne faut pas
tion, les élèves résignés dans une matière ayant retenir), certains élèves se résignent : ils com-
souvent un niveau faible. Par exemple, Caroll mencent à apprendre les villes aux premiers
essais, comme les autres élèves, puis s’arrêtent
complètement, alors que les autres en retien-
En Bref nent toujours plus à chaque nouvel essai. Il
• L’enfant peut se résigner s’il est incapable de résoudre s’agit là d’une résignation apprise, car les élè-
un problème dans une situation. Cette forme de « démotivation » ves faibles avaient, lors des premiers essais,
peut conduire à des échecs scolaires. un rythme d’apprentissage comparable à
• L’enfant rebelle se sent compétent, mais ne tolère aucune celui des élèves motivés. Beaucoup de facteurs
contrainte. À l’inverse, l’enfant faible dans une matière, peuvent conduire un élève à se résigner : par
mais autonome, n’a qu’une envie : abandonner. exemple il ne se sent pas compétent dans un

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semblable a été faite dans un lycée agricole


où des écuyers chevronnés ont été mélangés
à des novices dans une même classe d’études
hippiques. Les étudiants chevronnés se sont
alors rebellés, trouvant que leur niveau était
bien supérieur à ce qu’on leur enseignait.
En 1996, nous avons alors mené une
expérience en donnant une tâche infaisable
à des étudiants. Lors d’un exercice prélimi-
naire, les étudiants devaient apprendre une
liste de 30 mots très difficiles, par exemple
argas, mofette et orle. Puis, pour l’expérience,
nous annoncions aux étudiants d’un premier
groupe qu’ils devaient apprendre une liste de
50 mots très difficiles ; quant aux participants
du second groupe, ils devaient retenir une
liste de 1 000 mots… Les étudiants ne com-
mençaient jamais ces apprentissages – nous
leur présentions seulement ce qu’ils avaient
à faire –, mais nous testions leur motivation
avec un questionnaire : la plupart des étu-
diants du second groupe se rebellaient (ils
refusaient de faire l’exercice) et 80 pour cent
d’entre eux se mettaient même en colère.

Intelligents… mais rebelles


Dans notre modèle théorique (une exten-
sion du modèle d’Edward Deci et de Richard
Ryan, voir l’article page 8), les différentes
Suzanne Tucker / Shutterstock.com

motivations sont le résultat d’un besoin de


compétence et d’un besoin d’autonomie (voir
la figure 2). Nous pensons que la rébellion
correspond au cas d’une sensation de forte
contrainte – par exemple, l’enfant ne choisit
pas l’activité – associée à un sentiment de
compétence. En d’autres termes, l’élève est
bon dans un domaine, mais ne supporte pas
domaine, il ne comprend pas une réprimande 1. L’enfant résigné les limites imposées ou le rythme de l’ensei-
liée à un apprentissage, il n’est pas soutenu par est souvent un élève gnement (il ne se sent pas autonome). Dans
ses parents, etc. Tout peut alors basculer. faible en classe... ce cas, l’élève pense que c’est l’enseignant ou
Mais nous pensons qu’il existe des formes Pourtant, l’autorité qui est incompétente et non lui-
de motivations négatives différentes de la un enseignement même. À l’inverse, dans ce modèle, lorsqu’un
démotivation. En effet, en situation de sur- adapté pourrait élève se sent « nul » dans une matière, mais
charge, nous avons montré que seuls quel- le remotiver. est autonome (parce qu’il n’est pas obligé de
ques sujets se résignent. Par ailleurs, dans un faire l’activité), il peut vouloir abandonner
Centre de formation d’apprentis, les profes- le cours : c’est la fuite. Par exemple, certains
seurs nous ont raconté que lors des appren- élèves peuvent quitter un cours optionnel au
tissages répétés et monotones, certains élèves milieu de l’année scolaire. Il s’agit d’une
se rebellaient, c’est-à-dire qu’ils se révoltaient forme de motivation négative qui explique
contre le professeur ou les contraintes que ce les abandons d’activité et l’absentéisme sco-
dernier leur imposait. Étaient-ce les élèves les laire (notamment quand l’école n’est plus
plus faibles (et résignés) ? Les professeurs obligatoire, après l’âge de 16 ans).
unanimes nous ont répondu que c’étaient en La plupart des expériences de psycholo-
réalité les meilleurs élèves. Une observation gie sur la motivation sont réalisées avec des

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questionnaires, de sorte que nous avons, avec vrai ou tout à fait vrai, nous avons déterminé
Sonia Lorant, de l’Université de Strasbourg, leurs motivations.
adapté une échelle de motivation existante Ainsi, la plupart des élèves de 3e sont ani-
en y ajoutant la rébellion et la fuite. En 2011, més par une motivation positive : 38 pour cent
nous avons soumis ce questionnaire à une ont une motivation extrinsèque, et 31 pour
centaine d’élèves de 3e pour déterminer quel cent une motivation intrinsèque. Cependant,
type de motivation les animait : une motiva- en classe de 3e, c’est la motivation extrinsèque
tion extrinsèque – « Je veux devenir méde- qui domine alors que nous avions montré que
cin » ou « Je veux que mes parents soient fiers les élèves de 6e ont plutôt une motivation
de moi » –, une motivation intrinsèque, par intrinsèque. En outre, en 3e, presque un élève
exemple le plaisir d’apprendre, ou des moti- sur trois est en motivation négative : c’est la
vations négatives, telles que la résignation, la rébellion qui domine (14 pour cent des effec-
rébellion ou la fuite. tifs), contre 10 pour cent pour la démotiva-
Quatre affirmations correspondaient à cha- tion (ou résignation), la fuite étant la catégo-
que type de motivation. Ainsi, pour tester la rie la moins représentée avec 7,3 pour cent.
rébellion : « Je comprends que certains élè- Le plaisir d’apprendre diminue-t-il avec l’âge ?
ves s’opposent aux professeurs. » Ou pour C’est ce que semblent indiquer nos résultats,
mettre en évidence la fuite : « Je fais semblant ce qui obligerait les élèves à trouver d’autres
d’être malade pour éviter l’école. » L’élève moyens de se motiver. Et ceux qui n’en trou-
devait cocher une réponse parmi cinq : pas veraient pas se résigneraient ou se rebelleraient.
du tout vrai ; un peu vrai ; plutôt vrai ; vrai ;
tout à fait vrai. En estimant les réponses aux- Des conséquences
quelles les élèves avaient répondu plutôt vrai,
négatives à l’école
Or les motivations qui animent les élèves ont
Besoin d’estime des conséquences sur leurs résultats scolaires.
ou compétence
perçue En effet, nous avons montré avec le même
questionnaire que précédemment, pour les
motivations positives (intrinsèque et extrinsè-
RÉBELLION MOTIVATION
que), que plus les élèves sont sûrs de leurs
INTRINSÈQUE réponses (réponses vrai et tout à fait vrai), plus
leurs résultats scolaires dans une matière clas-
« Je m’oppose toujours « J’adore apprendre
aux professeurs » des choses intéressantes » sique (français, mathématiques, anglais, his-
« Cet exercice est trop « J’aime écrire toire-géographie, etc.) sont élevés. Les résultats
facile pour moi » et dessiner »
sont inverses pour les élèves « négativement »
motivés (voir l’encadré page ci-contre). Et les
MOTIVATION effets sont semblables pour les matières plus
EXTRINSÈQUE
manuelles ou ludiques, la musique, les arts plas-
« Je veux devenir « Papa est fier
médecin » de moi » Besoin tiques et le sport par exemple. Ainsi, plus un
d’autonomie élève est démotivé dans une matière, plus sa
moyenne scolaire est faible. À l’inverse, plus un
élève est motivé, plus sa moyenne est élevée.
« À quoi ça sert d’aller « Je suis trop malade... En revanche, quand on compare ces résul-
à l’école ? » je ne vais pas à l’école »
« De toute façon, je « Dès que je peux, tats sur la motivation des élèves avec leur
n’y arriverai pas ! » j’arrête les cours » sentiment de compétence et leur sentiment
d’autonomie, nos hypothèses quant aux
RÉSIGNATION ABANDON
FUITE
mécanismes produisant la rébellion et la fuite
apparaissent en partie fausses. Nous suppo-
sions en effet que la rébellion correspondait à
2. Les auteurs ont proposé une extension du modèle de
un état motivationnel déterminé à la fois par
E. Deci et R. Ryan, en y intégrant la rébellion et la fuite : les motivations
négatives, comme les motivations positives, résulteraient d’un besoin de une forte contrainte et un sentiment de com-
compétence et d’un besoin d’autonomie. Un élève est rebelle s’il a une pétence élevée, de sorte que l’individu consi-
forte estime de lui, mais ne se sent pas autonome. Et un élève a envie de dère que son échec est dû au professeur, à
fuir l’école s’il se sent incompétent, mais autonome. l’école ou au système scolaire. Or la rébellion
est bien liée à un sentiment de contrainte fort,

68 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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Étudier les motivations en psychologie

ous avons étudié la motivation Résignation les réponses pas du tout vrai à 9,49
N des élèves, en demandant à plus
de 100 collégiens de classe de 3e de
a

31 %
10 %
Rébellion
14 %
pour les réponses vrai et plus (b).
Même baisse des résultats pour la
Motivation Fuite
répondre à un questionnaire de plus intrinsèque 7% rébellion, de 11,65 à 8,6, ainsi que
de 40 propositions.Chaque catégorie 38 %
pour la fuite dont la moyenne passe
de motivation contient environ qua- Motivation extrinsèque de 11,81 à 7,74.Plus l’élève est démo-
tre items. Pour la motivation intrinsè- tivé, plus sa moyenne est faible.
que :« J’essaie de bien faire au collège,
car j’apprends des choses qui m’inté- MOTIVATIONS ANIMANT LES ÉLÈVES 14 b
Résignation
ressent. » Pour la motivation extrin- Quand les élèves sont sûrs de leurs 13 Rébellion
sèque : « Je travaille en classe, parce réponses,ils cochent plutôt vrai,vrai ou Fuite

Moyenne scolaire sur 20


12
que j’aurais honte de moi si je ne tra- tout à fait vrai.Nous avons donc déter-
vaillais pas. » Pour la résignation : « Je miné la proportion d’élèves dans cha- 11
n’arrive pas à savoir à quoi cela sert que catégorie de motivation (a), puis 10
de travailler en classe.» Pour la rébel- nous avons corrélé la motivation aux
9
lion :« L’école telle qu’elle est faite me résultats scolaires. Par exemple, pour
donne envie de tout casser. » Et pour les élèves en motivation intrinsèque, 8
la fuite :« Dès que j’aurai l’âge,je quit- la moyenne dans une matière passe
7
terai l’école. » Chaque élève répond de 9,71/20 pour les réponses pas du
en cochant une case parmi cinq : tout vrai à 13,48 pour les réponses 6
Pas du Un peu Plutôt Vrai
 pas du tout vrai  un peu vrai vrai et plus. La moyenne scolaire des tout vrai vrai vrai et plus
 plutôt vrai  vrai  tout à fait vrai enfants résignés passe de 11,45 pour Réponse de l’élève

mais le sentiment de compétence des élèves timent de compétence perçu et à un senti-


Bibliographie
dans cette étude est faible ; les élèves rebelles ment d’autonomie important.
ne se sentent pas forcément bons dans une Les enseignants peuvent-ils adapter leur S. Lorant, A. Lieury
matière. Toutefois, ils ont une meilleure estime cours pour prendre en compte les motiva- et F. Fenouillet,
Rebellion and escape :
d’eux que les élèves démotivés et encore plus tions négatives qui animent certains élèves ? negative motivations
que les élèves qui aimeraient fuir… Pour augmenter le sentiment de compétence and school achievement
des élèves faibles et résignés notamment, on in middle school,
Adapter l’enseignement pourrait diminuer les programmes ; ces der- in European Journal
niers sont trop chargés comme s’ils n’étaient of Psychology
à l’élève conçus que pour les élèves se destinant à de
of Education, à paraître.
C. Garandeau et al.,
En 2011, Claire Garandeau, de l’Université longues études. Et pour valoriser le sentiment The social status
de Turku en Finlande, et ses collègues Ahn d’autonomie des élèves rebelles en particu- of agressive students
Hai-Jeong et Philip Rodkin, de l’Université lier, on pourrait diminuer la part d’enseigne- across contexts :
de l’Illinois aux États-Unis, ont montré que ments obligatoires et proposer davantage the role of classroom
status hierarchy,
les élèves les plus agressifs sont aussi les plus d’activités librement choisies, telles que les academic achievement
populaires dans leur groupe d’amis. Il est options et les travaux personnels ; les activi- and grade,
donc plausible que les élèves en rébellion se tés ludiques, artistiques ou sportives pour- in Developmental
sentent sûrs d’eux-mêmes par rapport aux raient aussi n’être qu’optionnelles. Psychology, vol. 47,
pp. 1699-1710, 2011.
professeurs parce qu’ils sont des leaders dans Les mécanismes de la rébellion et de la fuite
leur bande de copains. restent encore à confirmer et à préciser, mais il L. Pelletier et al.,
Associations among
En ce qui concerne la fuite, le système sco- est intéressant de prendre en compte ces moti- perceived autonomy
laire étant contraint par nature (l’école est vations négatives dans les théories. En effet, si support, forms
obligatoire en 3e), les élèves ne peuvent pas le découragement est bien représenté dans les of self-regulations
réellement fuir, mais seulement en exprimer populations humaines, nombreux aussi sont and persistence :
a prospective study,
le désir. Il faudra donc d’autres terrains d’ex- les cas de rébellion, de la simple manifestation in Motivation
périmentation pour tester notre hypothèse ou grève étudiante à la violence scolaire, ou and Emotion, vol. 25,
selon laquelle la fuite est liée à un faible sen- pire, à la violence sociale.  pp. 279-306, 2001.

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 69


13-Ess11_pxxxxx_inattention_herbillon_bsl.qxp 3/07/12 17:13 Page 70

Les troubles de l’apprentissage

La maladie
de l’inattention
Difficultés de concentration, impulsivité, agitation motrice :
les troubles de l’attention touchent un enfant sur 20.
Les causes de ce mal sont mieux connues ; diverses
pratiques éducatives et des thérapies adaptées sont efficaces.

attention étant une fonction cogni- tée puisque l’on retrouve fréquemment des

L ’ tive indispensable à toute activité


humaine, un trouble de l’attention
chez l’enfant peut revêtir des consé-
quences diverses. Difficultés de
comportement (agressivité, conflits), problè-
mes émotionnels (baisse de l’estime de soi,
dépression), difficultés scolaires, troubles du
antécédents familiaux au sein des fratries.
Ce trouble se définit par une triade de
symptômes : l’inattention, l’impulsivité et
l’instabilité motrice. Chaque symptôme peut
apparaître isolément ou associé aux autres. On
distingue la forme mixte qui les associe tous les
trois, la forme « inattention pure » (sans hyper-
langage, de la lecture, de l’écriture ou des com- activité ni impulsivité) et la forme « hyperac-
pétences en mathématiques, agitation motrice tivité-impulsivité pure » sans inattention. Le
excessive, etc. La liste est longue, et bien des trouble déficitaire de l’attention, avec ou sans
enfants atteints d’un trouble de l’attention vont hyperactivité, s’exprime de façon intense et pré-
consulter l’orthophoniste, l’ergothérapeute, le coce (avant l’âge de sept ans), quel que soit le
psychiatre, sans que l’origine attentionnelle du contexte ou l’environnement de l’enfant.
problème ne soit identifiée. Ce diagnostic est
Vania Herbillon
pourtant crucial, car le trouble de l’attention Une triade de symptômes
est psychologue engendre par effet boule de neige échec sco-
spécialisé
en neuropsychologie laire, baisse de l’estime de soi, manque de moti- Les symptômes correspondent principa-
pédiatrique vation et difficultés relationnelles. lement à un déficit des fonctions attention-
au Service épilepsie, Le « trouble déficitaire de l’attention avec ou nelles et exécutives, dont le contrôle repose
sommeil sans hyperactivité », tel que le nomment les surtout sur des réseaux reliant les régions pré-
et explorations psychiatres, est une pathologie qui correspond frontales au striatum (voir la figure 2). Le trou-
fonctionnelles à un dysfonctionnement chronique de l’at- ble de l’attention avec hyperactivité semble être
pédiatriques, tention et du système exécutif regroupant des la conséquence d’une augmentation des trans-
à l’Institut fonctions prises en charge par la partie préfron- porteurs de la dopamine, un neurotransmet-
des épilepsies
tale du cerveau. Ce syndrome affecte cinq pour teur, dans le striatum. Ces transporteurs sont
de l’enfant
et de l’adolescent cent des enfants d’âge scolaire (plus souvent les de grosses protéines qui réintroduisent dans
(IDEE), Hôpital garçons que les filles), trois pour cent environ un neurone (présynaptique) la dopamine pré-
Femme-mère- des adolescents et un à deux pour cent des adul- sente dans la synapse, l’espace qui le sépare du
enfant, à Lyon. tes. Une prédisposition génétique est suspec- neurone suivant (dit postsynaptique). Or

70 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


13-Ess11_pxxxxx_inattention_herbillon_bsl.qxp 3/07/12 17:13 Page 71

Susan Tucker / Shutterstock.com

l’augmentation des transporteurs dopaminer- l’émotion –, dont le dysfonctionnement pro- 1. L’enfant atteint
giques provoque une diminution de la dopa- voque chez l’animal une agitation motrice de trouble
mine extracellulaire, de sorte que la transmis- excessive ; enfin, un système noradrénergique de l’attention
sion des informations neuronales au sein du et sérotoninergique lié aux activités cogniti- a des difficultés
réseau reliant le cortex au striatum ralentit, ce ves telles que l’attention, l’apprentissage, la à se concentrer
qui rendrait la région frontale moins opéra- mémoire et la perception des situations stres- et tout est prétexte
tionnelle. La transmission nerveuse par la santes : l’attention dirigée serait altérée. à distraction.
dopamine serait alors moins efficace : les Les origines du trouble de l’attention avec La cause en est
régions frontales contrôleraient moins bien hyperactivité sont mal comprises et probable- en partie biologique.
l’activité des zones sous-corticales gérant les ment multifactorielles. Des gènes intervenant
mouvements ou l’attention visuelle. dans la régulation de la transmission dopa-
Les régions frontales peuvent elles-mêmes minergique semblent associés à certaines for-
présenter un mauvais fonctionnement. Plu- mes de troubles de l’attention. C’est aussi le
sieurs études d’imagerie cérébrale ont mis en cas de facteurs environnementaux tels que les
évidence une réduction du volume du cer- complications de la grossesse, des infections,
veau, et plus particulièrement des lobes fron-
taux. De surcroît, le cortex préfrontal dor-
solatéral et le gyrus cingulaire antérieur de
ces enfants – deux régions clés du système
exécutif, chef d’orchestre de nos conduites – En Bref
présenteraient une trop faible activation. • Environ cinq pour cent des enfants souffrent de troubles
Des travaux chez l’animal mettent égale- de l’attention. Sautes de concentration, difficulté à planifier
ment en lumière le rôle de différents systè- des raisonnements, oublis, impulsivité sont des handicaps.
mes neuronaux : l’un d’eux, utilisant l’his- • La communication entre neurones semble perturbée,
tamine comme neurotransmetteur, module que ce soit à cause de facteurs génétiques, d’infections
l’éveil, et un mauvais fonctionnement se tra- périnatales ou de troubles du sommeil.
duirait par des troubles de la vigilance et de la • Des médicaments donnent de bons résultats, mais c’est
motivation ; un système utilisant l’hypocrétine aux parents et aux éducateurs d’enseigner aux enfants la patience
– un neuromédiateur impliqué dans le com- et de les protéger contre les stimulations rapides et faciles,
portement locomoteur, la prise alimentaire et omniprésentes dans l’environnement moderne.

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 71


13-Ess11_pxxxxx_inattention_herbillon_bsl.qxp 3/07/12 17:13 Page 72

mordial de prendre en compte le contexte psy-


chologique, social et médical pour différencier
un trouble de l’attention primaire lié à un dys-
fonctionnement cérébral, d’un trouble secon-
daire dû à un problème psychique ou social.
Striatum Les troubles du sommeil peuvent perturber
l’attention, car ils ont des conséquences néfas-
tes sur la qualité de l’éveil diurne et sur les capa-
Cortex frontal cités d’attention (voir la figure 3). Un enfant qui
a mal dormi lutterait pendant la journée contre
son manque de sommeil par une hyperactivité
a Neurone présynaptique excessive. Les spécialistes des pathologies du
b
Dopamine Synapse sommeil recommandent, devant un enfant
anormalement agité, de rechercher des diffi-
cultés respiratoires pendant le sommeil ou un
syndrome des jambes sans repos. Ce dernier,
qui touche huit pour cent de la population, se
définit par un besoin irrépressible de remuer
les jambes dès que l’on se trouve en position
immobile, notamment avant l’endormisse-
Raphael Queruel
Transporteur ment : un enfant sur cinq ayant ce syndrome
de la dopamine souffre d’un trouble de l’attention, et les deux
Neurone postsynaptique syndromes se caractérisent par le même dys-
fonctionnement du système dopaminergique.
2. La dopamine, mais également d’autres neurotransmetteurs,
serait impliquée dans le trouble de l’attention. Le contrôle de l’attention Pourquoi le diagnostic
repose sur un réseau de neurones reliant le cortex frontal
au striatum (en haut). Normalement, la dopamine présente dans est-il difficile à poser ?
la synapse est « recyclée » (flèche rouge), mais reste présente en quantité Il faut aussi veiller à ne pas confondre le
suffisante dans la synapse (a). Dans le cas du trouble de l’attention, trouble de l’attention avec certains autres trou-
le recyclage de la dopamine est trop important, de sorte que bles d’origine psychopathologique ou envi-
le neurotransmetteur qui garantit le bon fonctionnement du cortex ronnementale qui peuvent se traduire par les
frontal est présent en trop faible quantité dans les synapses (b).
mêmes signes cliniques d’inattention : c’est
le cas de la dépression (qui perturbe aussi les
capacités d’attention), des troubles anxieux,
l’alimentation, sans oublier le milieu social et telles les phobies, de l’anxiété de performance
éducatif. En l’absence d’examen médical par- (la peur de ne pas réussir un test, par exemple,
ticulier (prise de sang ou IRM) permettant de altère la concentration) ou de l’anxiété situa-
détecter objectivement un trouble de l’atten- tionnelle (provoquée, par exemple, par un
tion avec hyperactivité, le diagnostic repose environnement nouveau). Les troubles des
essentiellement sur une analyse clinique des conduites réactionnelles (agressivité, refus des
divers symptômes de l’enfant. L’éclairage de normes, comportement dangereux) ou les
l’entourage familial et scolaire est indispensa- troubles envahissants du développement, tels
ble, parents et enseignants remplissant des que l’autisme et la psychose infantile précoce,
questionnaires pour décrire au mieux le com- peuvent entraîner des symptômes similaires.
portement de l’enfant dans des contextes dif- Parmi les causes environnementales, il n’est
férents : l’enfant est-il bien intégré dans sa pas rare d’observer ces symptômes chez des
classe ? Est-il en échec scolaire ? enfants dont les conditions sociales et édu-
Les professionnels peuvent être guidés par catives sont très perturbées : attitudes paren-
les critères établis par l’Association américaine tales inadéquates ou incohérentes, carence
de psychiatrie. Un bilan neuropsychologique affective ou troubles psychiques chez l’un des
peut être indiqué afin de caractériser le trou- parents, voire les deux (troubles de la person-
ble de l’attention par des tests psychométriques nalité, troubles de l’humeur, etc.). L’absence
qui évaluent les différentes composantes de l’at- de concertation entre les professionnels de la
tention et des fonctions exécutives. Il est pri- neurologie et de la psychiatrie conduit sou-

72 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


13-Ess11_pxxxxx_inattention_herbillon_bsl.qxp 3/07/12 17:13 Page 73

vent à une absence de diagnostic, voire à des veillant, en évitant les sanctions systémati-
erreurs de diagnostic. ques, sans effet. Il faut rappeler très souvent
Selon les cas, le médecin optera pour un les règles : ne pas couper la parole et attendre
traitement médicamenteux, des aménage- son tour, regarder avant de traverser la route.
ments dans l’environnement ou le milieu Devant un surcroît d’agitation, on permet-
éducatif de l’enfant, ou pour des thérapies tra à l’enfant de se défouler, de se lever de table
cognitives et comportementales. Sur le plan pour aller chercher l’eau ou le sel. Pour le tra-
des médicaments, le traitement de référence vail scolaire le soir à la maison, il est impéra-
est le méthylphénidate, un psychostimulant tif de réduire au maximum toutes les sources
figurant au tableau des stupéfiants. Pourquoi de distractions possibles en évitant par exem-
donner un excitant à un enfant déjà trop ple de faire les devoirs devant la télévision ;
remuant ? Cette molécule bloque la recapture limiter les accessoires, jouets et affiches pré-
de la dopamine et de la noradrénaline, ce qui sents devant ou sur le bureau. Toutes les situa-
renforce l’action de ces deux neurotransmet- tions offrant de multiples stimulations gênent
teurs : le circuit qui relie le cortex frontal et l’enfant en favorisant l’éparpillement et la dis-
le striatum et qui est déficient chez le jeune tractibilité. Toujours sur le plan éducatif, l’hy-
patient redevient efficace et active les struc- giène de vie, notamment sur le plan de l’ali-
tures préfrontales nécessaires au contrôle de mentation et du sommeil, compte également :
l’attention. L’enfant est plus attentif, recou- les boissons sucrées et excitantes doivent être
vre une meilleure mémoire de travail et ses contrôlées – notamment le soir avant d’aller
performances scolaires s’améliorent ; il com- au lit. Les heures de coucher doivent être régu- 3. Les troubles
met moins d’erreurs, se montrant tout à la lières en semaine tout comme le week-end, du sommeil,
fois plus rapide, réfléchi, organisé et calme. afin d’offrir une bonne récupération. notamment
une fragmentation
Un trouble attentionnel engendre lenteur,
du sommeil, entraînent
Un traitement efficace erreurs et manque d’autonomie dans le tra-
des troubles
vail scolaire. Des adaptations pédagogiques de l’attention.
L’efficacité du méthylphénidate est établie : simples sont par conséquent recommandées. Le syndrome dit
il permet d’éviter l’apparition de problèmes Ainsi, il convient de bien capter l’attention de des jambes sans repos
sérieux et de sortir certains enfants de situa- l’enfant avant de lui donner une consigne, est parfois en cause.
tions catastrophiques d’échec scolaire, de laquelle doit être simple et concise afin de ne Or le cortex
redoublements multiples et de mauvaise pas surcharger sa mémoire de travail. Les préfrontal, essentiel
orientation, ou même d’exclusion sociale. À doubles tâches doivent être évitées. Par exem- pour le maintien
ce titre, le risque de présenter à l’adolescence ple, on peut proposer à l’enfant de relire son de l’attention,
un syndrome dépressif ou des conduites à ris- devoir, mais en vérifiant une règle à la fois : est sensible au manque
que, telles la délinquance ou la toxicomanie, la première fois, il relira en vérifiant que les de sommeil.
est bien supérieur chez des enfants non trai-
tés que chez des enfants traités. Malgré ces
avantages, la prescription de méthylphéni-
date ne doit être envisagée que lorsque l’in-
tensité des symptômes et leurs répercussions
scolaires ou sociales le justifient pleinement,
et ce toujours en accord avec les parents et
l’enfant. En France, ce médicament est utilisé
sur une courte période (un ou deux ans), par-
fois uniquement pendant les jours d’école.
Parents et éducateurs jouent un rôle de pre-
mier plan auprès de l’enfant présentant un
trouble de l’attention (voir la figure 4). Tout
d’abord, le diagnostic doit les aider à compren-
dre qu’il « ne fait pas exprès », qu’il ne s’agit ni
gsmad / Shutterstock.com

d’un problème de motivation ni d’un trou-


ble du comportement. Ses difficultés sont dues
à un trouble de l’attention et à un manque de
contrôle de son comportement. Dès lors, il faut
lui imposer un cadre éducatif ferme et bien-

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 73


13-Ess11_pxxxxx_inattention_herbillon_bsl.qxp 3/07/12 17:13 Page 74

procédure de l’architecte (réalisation, préci-


4. Les parents sion), un autre encore est chef de chantier et
ont un rôle notable contrôle la réalisation du travail (vérification,
à jouer pour aider surveillance, analyse des erreurs, autocritique).
un enfant

Karam Miri - zulufoto / Shutterstock.com


Des exercices sont proposés pour mettre en
à se concentrer
application chacun de ces personnages. À la fin,
sur ses devoirs.
Toutes les sources l’enfant évalue ses performances avec le théra-
de distraction doivent peute. L’entraînement peut reposer au début
être éliminées sur des exercices ludiques tels des jeux vidéo,
et un dialogue puis être progressivement remplacé par des
avec l’enfant exercices plus scolaires pour transférer à l’école
est bénéfique. les compétences acquises par le jeu.
Dans le cadre d’une thérapie comportemen-
tale, l’impulsivité peut être travaillée au jour
noms sont correctement accordés (singulier le jour dans des situations où l’enfant aura
ou pluriel), puis cette tâche terminée, il devra pour tâche de freiner son impulsivité naturelle
vérifier les conjugaisons, et ainsi de suite… pour ne pas se mettre en danger, et d’appren-
Une telle approche évite à l’enfant de s’épar- dre à réfléchir avant d’agir. Le contrôle de l’im-
piller sur les différents niveaux de l’analyse pulsivité peut aussi être renforcé avec des jeux
orthographique, ce qui effriterait ses ressour- de société simples, comme le Uno où certaines
Bibliographie ces attentionnelles. Les exercices « à trous » cartes imposent de passer son tour ou d’inver-
sont aussi conseillés. Par ailleurs, en plaçant ser le sens de la partie, obligeant le joueur sui-
G. Tripp et al.,
Neurobiology l’enfant juste devant le tableau et loin de la vant à ne pas abattre sa carte.
of ADHD, fenêtre, on réduit ses sources de distractions. Ces approches sont des thérapies courtes,
in Neuropharmacology, L’aide de l’enseignant est importante pour simples et efficaces. Elles ne permettent pas
vol. 57, pp. 579-589, organiser les séquences d’apprentissage avec de guérir le trouble de l’attention, mais elles
2009.
des temps pédagogiques ni trop longs ni trop apportent à l’enfant les armes pour lutter tout
M.-J. Challamel
et al., Le sommeil variés. Il faut toujours vérifier que l’enfant a seul contre ses causes et ses conséquences. Les
de l’enfant, Masson, fini le travail engagé, note bien les devoirs sur facteurs limitant leur utilisation sont l’âge (elles
2009. son agenda et s’équipe du matériel adéquat. sont difficilement utilisables chez les enfants
N. Bedoin et al., âgés de moins de huit ans) et le degré de par-
Dyslexie de surface Les thérapies cognitives ticipation de l’enfant à la thérapie. Mais on ne
chez l’enfant et déficit peut que déplorer que ces thérapies soient rare-
de l’inhibition et comportementales ment proposées aux enfants en France, faute
des détails : aide
au diagnostic De nombreux sites Internet proposent d’en- de professionnels compétents formés à ces
et remédiation, traîner son attention. En fait, pour que des exer- approches d’inspiration anglo-saxonne.
in A. Devevey cices soient susceptibles de rééduquer les trou- Si le trouble de l’attention peut être pris en
(sous la direction de),
Dyslexies : Approches bles de l’attention, ils doivent s’inscrire dans un charge grâce à un diagnostic précis et des thé-
thérapeutiques, travail thérapeutique avec un professionnel rapies appropriées, il convient d’avoir une
de la psychologie compétent qui définit, à partir du bilan initial réflexion sur les nouveaux modes de vie qui
cognitive ayant identifié les troubles de l’enfant, les stra- changent nos habitudes. Les rythmes de vie
à la linguistique,
Troubles
tégies cognitives les plus appropriées. La thé- s’accélèrent, les habitudes (horaires, alimen-
du développement rapie passe par une étape indispensable : la prise tation) changent et les informations que nous
psychologique de conscience par l’enfant de ses difficultés, recevons sont beaucoup plus rapides et plus
et des apprentissages, ce que l’on nomme métacognition. Une série nombreuses. Tout cela nous oblige à traiter
Solal, 2009.
d’exercices permet à l’enfant de mettre en appli- en temps réel un nombre considérable d’in-
T. Brown, Attention cation chaque stratégie visant à sa rééducation. formations sans avoir le temps d’analyser et
deficit disorder :
The unfocused mind Dans le cadre d’une thérapie cognitive, l’en- de réfléchir pour comprendre les phénomè-
in children and adults, fant peut se mettre dans la peau d’un person- nes qui nous entourent.
Yale University Press, nage auquel est attribuée une fonction cog- Savoir contrôler son attention de façon à
2006. nitive : l’un est un architecte qui construit les sélectionner les informations pertinentes
J. Biedermanet al., plans d’une maison et organise chaque étape devient un enjeu essentiel aujourd’hui. La
Attention-deficit
hyperactivity disorder,
(réflexion avant l’action, organisation, planifi- culture en général et la pédagogie en particu-
in Lancet, vol. 366, cation), l’autre est un menuisier qui réalise lier doivent relayer, plus que jamais, les ver-
pp. 237-248, 2005. minutieusement les travaux en respectant la tus de l’analyse et de la réflexion. I

74 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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Les troubles de l’apprentissage

Près d’un enfant sur dix présente des difficultés pour lire,
écrire ou faire des calculs. Les mécanismes neurobiologiques
impliqués se dévoilent et facilitent la rééducation.

uelles que soient les méthodes progressivement un retard dans la faculté de

Q employées par l’instituteur


du cours préparatoire, il n’est
pas forcément évident pour
un enfant d’apprendre à lire,
écrire et compter. En France, dans les classes
du primaire et du secondaire, cinq à dix pour
cent des enfants présentent des difficultés sco-
lire, écrire ou compter.
Pour les enfants « dys », il n’existe aucun évé-
nement pathologique repérable ; cependant, la
lecture, l’orthographe ou le calcul se mettent
en place de façon anormale. En général, le trou-
ble persiste à l’âge adulte, même si des phéno-
mènes de compensation sont possibles grâce à
laires liées à un trouble spécifique des appren- la rééducation (nous y reviendrons). En outre,
tissages : on parle de dyslexie pour la lecture, chez un même enfant, différents troubles peu-
Yves Chaix de dysorthographie pour l’orthographe et de vent s’associer – la dyslexie étant presque tou-
dyscalculie pour le calcul. jours accompagnée de dysorthographie – et cet
est professeur
des universités- La dyslexie se caractérise par une lecture enfant souffre parfois en plus de problèmes sen-
praticien hospitalier lente et laborieuse, entachée de nombreuses sorimoteurs, tels des troubles de la vision, de la
dans l’Unité erreurs. La dysorthographie correspond à une coordination ou de l’attention ; en fait, chaque
de neurologie lenteur de l’exécution, des hésitations et une trouble de l’apprentissage est unique.
pédiatrique pauvreté des productions écrites, accompa- Des facteurs environnementaux participent
à l’Hôpital gnées de fautes d’orthographe, de conjugaison, sans doute à la mise en place de ces patholo-
des enfants de grammaire et d’analyse. La dyscalculie est gies ; mais les neuroscientifiques ont mon-
de Toulouse, une difficulté à calculer, à se représenter une tré que ces troubles ont des causes neurobio-
et membre
quantité en valeur numérique ou à comparer logiques et génétiques, quels que soient le
de l’Unité INSERM 825.
deux nombres. D’où viennent ces pathologies ? milieu socioculturel de l’enfant et la méthode
Jean-François
Ce sont des troubles neurodéveloppemen- pédagogique adoptée. Ces handicaps peu-
Démonet
taux, en ce sens qu’ils surviennent lors du vent entraîner une marginalisation, voire une
est neurologue
développement cérébral d’un enfant qui ne stigmatisation des enfants. Les échecs cumu-
et professeur
au Département présente par ailleurs aucune déficience sen- lés aboutissent souvent à des difficultés d’in-
des neurosciences sorielle – auditive ou visuelle – ou intellec- sertion sociale à l’âge adulte. Il est donc indis-
cliniques du CHU tuelle. Des anomalies dans le développement pensable de dépister et de prendre en charge
Vaudois à Lausanne. de certaines aires cérébrales instaureraient les enfants atteints de troubles « dys ». Comme

76 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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© Shutterstock/Robert Szakiel

on connaît davantage les mécanismes défici- de la scissure de Sylvius et sous-thalamiques


taires dans ces pathologies, les rééducations gauches, voir l’encadré page 78). Les symptô-
orthophoniques sont souvent efficaces. mes dyslexiques dépendraient de la localisa-
tion des ectopies : selon leur position, elles
Un enfant, un trouble perturberaient diverses régions essentielles au
transfert de l’information dans les réseaux
Nous l’avons dit, chaque enfant est unique, sous-tendant les fonctions du langage ; chez
et il en est de même pour les différents trou- l’enfant, cette perturbation concernerait le
bles rencontrés. Pour l’illustrer, nous présen- réseau de la lecture en développement.
terons les données obtenues depuis plus de Complétant les résultats fournis par l’ana-
20 ans sur la dyslexie – et la dysorthographie – tomie, les techniques d’imagerie fonctionnelle
avant de parler des résultats récents concer- ont permis d’identifier les réseaux neuronaux
nant la dyscalculie. Dans tous les cas, les tech- impliqués dans des tâches cognitives variées
niques d’imagerie cérébrale et de génétique et parfois complexes, telles la lecture et l’or-
ont permis de mieux comprendre les méca- thographe. Chez l’adulte sain, les régions
nismes mis en œuvre dans ces pathologies. mises en jeu dans la lecture de mots isolés sont
Les études des mécanismes des troubles réparties dans tout le cerveau ; toutefois, un
« dys » concernent surtout la dyslexie et débu-
tent dans les années 1980. C’est à ce moment-
là qu’on découvre à la surface du cerveau
d’adultes dyslexiques décédés des agrégats de
cellules gliales – des cellules cérébrales non neu-
En Bref
• Les troubles de la lecture, de l’orthographe et du calcul
ronales – associées à une cinquantaine ou une
surviennent au cours du développement cérébral.
centaine de neurones : on parle d’« ectopies ».
Ces particularités architecturales seraient dues • Un dysfonctionnement de trois circuits neuronaux serait
responsable de la dyslexie, un trouble de l’automatisation de la lecture.
à des anomalies de la migration des neurones
lors du développement cérébral. • Les dyscalculies – des difficultés en arithmétique –
Elles sont présentes dans des aires cérébra- seraient dues à une perte du « sens du nombre ».
les particulières (les régions corticales proches • Les troubles « dys » auraient en partie une origine génétique.

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 77


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réseau hémisphérique gauche comprenant


Le réseau de la lecture deux circuits postérieurs et un circuit anté-
rieur domine. Ce « réseau de la lecture » est
sollicité quand on déchiffre un texte.
Ltouteslecture
régions impliquées dans la
sont réparties dans
le cerveau. On peut toute-
pond surtout au gyrus frontal
inférieur (en vert) ; il est relié aux
deux circuits postérieurs et est
Quelles sont les fonctions de ces circuits ?
Les deux circuits postérieurs sont le ventral et
fois isoler un réseau hémisphéri- impliqué dans la production orale. le dorsal. Le circuit ventral ou occipito-tem-
que gauche formé de deux cir- Les enfants dyslexiques pré- poral est impliqué dans le traitement des uni-
cuits postérieurs et d’un circuit sentent une hypoactivité des tés graphiques – ou graphèmes, une lettre ou
antérieur.Le circuit occipito-tem- régions pariéto-temporale et un groupe de lettres – et dans leur mise en
poral (en violet) est centré sur le occipito-temporale gauches. correspondance avec les unités sonores – ou
gyrus fusiforme ; il participe au Et le circuit antérieur ne fonc- phonèmes (en français, 16 sons de voyelles
traitement des unités graphi- tionne pas comme chez un et 21 sons de consonnes) – constituant les
ques et à leur mise en corres- lecteur « normal ». Il existerait, mots. Il stocke les représentations orthogra-
pondance avec les unités sono- dans le cortex d’un dyslexique, phiques et s’active quand on voit les mots
res formant les mots. Il s’active des amas de cellules gliales et de écrits. Le circuit dorsal ou pariéto-temporal
quand on voit les mots écrits. neurones nommés ectopies (voir participe à la reconnaissance lexicale et au trai-
Le circuit pariéto-temporal (en la figure du bas) ; ces agrégats tement des séquences phonologiques – la pro-
rouge) comprend le gyrus angu- seraient dus à une migration nonciation ou la décomposition en unités
laire et le gyrus supramarginal ; anormale des neurones depuis sonores minimales d’un mot (les syllabes). Le
le gyrus angulaire est impliqué la zone dite germinale vers la circuit antérieur correspond à la région fron-
dans la reconnaissance lexicale, surface du cortex cérébral lors tale inférieure et est relié aux deux circuits pos-
et le gyrus supramarginal dans le du développement du cerveau. térieurs ; il est mis en jeu dans les mécanismes
traitement des séquences pho- Ils sont localisés, comme le articulatoires quand on produit les mots.
nologiques. C’est ainsi que l’on réseau de la lecture, le long de
apprend à décomposer mentale- la scissure de Sylvius. Mais on Apprendre à lire
ment le mot salon en syllabes sa ignore comment ils perturbent
et lon.Le circuit antérieur corres- l’apprentissage de la lecture. Existe-t-il une correspondance entre ces
circuits anatomiques et les deux modèles
cognitifs de la lecture, la lecture experte (qui
Gyrus supramarginal Cortex
Scissure de pariéto-temporal correspond à l’ancienne technique d’appren-
Sylvius tissage de la lecture dite globale) et la lecture
par assemblage (dont la technique d’appren-
Gyrus frontal tissage était dite syllabique) ? Le processus
inférieur Gyrus
angulaire de lecture experte associe automatiquement
Gyrus la forme visuelle des mots à leur sens et à
fusiforme leur décomposition en phonèmes. Le pro-
Cortex cessus d’assemblage – on associe chaque gra-
occipito-
temporal phème au phonème correspondant – est
Ectopie plus laborieux, mais il contribue à enrichir
le lexique de mots nouveaux, d’abord déchif-
frés de façon analytique, puis assemblés pour
être acquis sous une forme plus globale.
Ces deux procédures sont complémentai-
res et interagissent lors de l’apprentissage…
Ce serait aussi le cas des circuits anatomo-
Cellule fonctionnels où circule l’information du sys-
gliale
tème visuel qui est transformée en entités
ayant un sens. D’ailleurs, les méthodes de lec-
ture actuelles dans les classes du primaire
Neurone développent simultanément toutes les com-
Delphine Bailly

pétences nécessaires pour lire et écrire.


Les enfants dyslexiques et dysorthographi-
ques ont souvent des difficultés de traitement
phonologique : ils manipulent mal les phonè-

78 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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mes (voir l’encadré page 81). Cette anomalie

C. Peyrin, S. Valdois, CNRS/UMR5105, Lab. de Psych. et neurocogn., Univ. Grenoble II


empêche l’automatisation de la procédure de

AVANT ENTRAÎNEMENT
mise en relation des graphèmes avec les pho-
nèmes, qui est pourtant indispensable à l’ap-
prentissage de la lecture et de l’orthographe.
La plupart des études utilisant des techni-
ques d’imagerie fonctionnelle – l’imagerie par
résonance magnétique fonctionnelle ou la
tomographie par émission de positons – mon-
trent un dysfonctionnement des régions par- Cortex pariétal
ticipant aux traitements phonologiques et

APRÈS ENTRAÎNEMENT
situées le long d’une structure nommée la scis-
sure de Sylvius de l’hémisphère gauche.
Cortex
occipito-
Une hypoactivité temporal
cérébrale dès sept ans
Hémisphère droit Hémisphère gauche
Ce sont notamment la région postérieure
pariéto-temporale et la région antérieure
1. Chez un enfant âgé de dix ans atteint d’une dyslexie
frontale inférieure gauches. En effet, lors de
associée à des troubles de la vision et de l’attention, on constate
tâches impliquant un traitement phonologi- une hypoactivité des régions occipito-temporale et pariéto-temporale
que – des exercices de rimes ou de manipu- gauches (en haut, l’activité cérébrale est enregistrée en IRM fonctionnelle).
lation de phonèmes, par exemple l’enfant doit Deux mois plus tard, après un entraînement visuel intensif (par exemple
trouver les deux mots qui riment parmi les repérer un trajet dans un labyrinthe), l’IRM fonctionnelle montre une
trois mots qui lui sont proposés –, la première forte augmentation de l’activité cérébrale dans les cortex occipito-
aire est souvent peu activée et la seconde est, temporaux et pariétaux supérieurs gauches
selon l’âge des sujets, soit hyper-, soit hypo- et droits quand l’enfant lit un texte (en bas) ; cette augmentation
activée. Ces anomalies caractériseraient les de l’activité cérébrale s’accompagne d’une amélioration
personnes dyslexiques et ne dépendraient pas des performances de lecture.
du niveau de lecture ou de la difficulté de la
tâche cognitive proposée dans le scanner.
Notons que la plupart des ectopies – ces Depuis le début des années 2000, un cer-
anomalies de structure présentes dans le cer- tain nombre d’études montrent que l’hypo-
veau des dyslexiques – se répartissent le long activité des régions postérieures pariéto-tem-
de la scissure de Sylvius gauche. Mais on porale et occipito-temporale gauches existe
ignore comment elles modifient l’activité des dès l’âge de sept ans, c’est-à-dire dès le début
régions cérébrales concernées. de l’apprentissage de la lecture.
En outre, les sujets dyslexiques ont par- Ces résultats vont à l’encontre de l’hypo-
fois des anomalies de traitement visuel, ce thèse selon laquelle de longues années de dif-
qui nuit à l’analyse de la forme des mots ficultés en lecture engendrent le déficit d’ac-
indispensable à la mise en place d’une lec- tivation observé chez les adultes dyslexiques ;
ture rapide et efficace. Le traitement global le dysfonctionnement serait présent d’em-
du mot lu met en œuvre le circuit occipito- blée dans l’organisation du cortex. De plus,
temporal gauche. Or cette région contient, Sally et Bennett Shaywitz et leurs collègues,
d’après les neurobiologistes Laurent Cohen, de l’Université Yale, ont montré que les enfants
à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, et Stanislas et les adultes dyslexiques ayant les niveaux de
Dehaene, du Collège de France, une aire qui lecture les plus bas – évalués par des tests com-
se spécialise pour la reconnaissance de la portementaux – sont aussi ceux pour lesquels
forme visuelle des mots ; cette aire serait l’activité de ces régions est la plus faible.
sous-activée chez les personnes dyslexiques Toutefois, le cerveau « gauche » des dys-
par rapport à des sujets contrôles. Qui plus lexiques ne serait pas tout seul… S. Shaywitz
est, tous les dyslexiques, quelle que soit leur et ses collègues ont montré que l’activité céré-
langue maternelle (anglais, français ou ita- brale augmente avec l’âge dans les régions
lien), présentent une hypoactivité de cette frontales inférieures gauches et droites des
région temporale inférieure. sujets dyslexiques lors d’un exercice de rimes.

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Cela suggère un phénomène de compensa- c’est-à-dire le fait de discerner et de manipu-


tion : l’augmentation de l’activité dans les ler les sons élémentaires constitutifs et distinc-
régions frontales ou les régions hémisphéri- tifs des mots de la langue. Par exemple, l’enfant
ques droites permettrait de pallier la faible apprend à trouver les deux mots qui riment
activation des régions postérieures gauches. parmi ces trois : crayon, vélo et ballon.
Dès lors, est-il possible de faciliter cette com- Ces exercices d’orthophonie incluent d’au-
pensation par des méthodes de rééducation ? tres aspects linguistiques ; on travaille la mor-
phologie, à savoir la capacité à identifier dans
Une rééducation efficace un mot la racine lexicale et des éléments à
fonction grammaticale, par exemple les for-
Associées à un enseignement approprié, les mes conjuguées des verbes ; on apprend à
rééducations – essentiellement de type ortho- reconnaître et à manipuler les différents grou-
phonique – interviennent sur le langage oral, pes fonctionnels (sujet, verbe, compléments) ;
la phonologie, la lecture, l’orthographe, la on essaie de formuler correctement un dis-
mémoire de travail, avec des moyens adaptés cours, une argumentation.
au handicap de chaque enfant dyslexique et Cependant, les méthodes d’entraînement
dysorthographique. Les traitements compor- commercialisées et utilisées en clinique n’ont
tent souvent des entraînements phonologiques, généralement pas été évaluées, de sorte qu’on

Le réseau du calcul
l n’existe pas de région spécifique dédiée au calcul arabes, mis en jeu dans les calculs complexes et les juge-
Ibraux
– pas de « bosse des maths ».Trois systèmes céré-
distincts, mais interconnectés, sous-tendent les
ments de parité. Le troisième, l’analogique, est sous-tendu
par les régions pariétales droites et gauches (en orange)
trois formats de représentation mathématique du « tri- autour du sillon horizontal intrapariétal ; il code l’impor-
ple code ». Selon cette théorie proposée par S. Dehaene tance des nombres et permet les comparaisons, l’esti-
et L. Cohen, l’information numérique se décompose mation des quantités ou les calculs approximatifs.
en trois formats : un verbal, un visuel et un analogique. En outre, le cortex préfrontal (en vert) intervient dans
Le premier est lié aux aires du langage – aires de Broca la mémoire de travail et les mécanismes de planification
et de Wernicke (en rose) – situées dans l’hémisphère et de contrôle, ces aptitudes participant aux calculs com-
gauche ; il permet de compter et de retenir les tables plexes et à la résolution de problèmes.
d’addition et de multiplication. Le deuxième correspond Quelques données de l’imagerie cérébrale suggè-
aux régions occipito-temporales (en violet) des deux rent que la dyscalculie serait due à des anomalies des
hémisphères ; il est nécessaire pour l’écriture en chiffres régions pariétales.

Sillon horizontal
Cortex pariétal Cortex intra-pariétal
préfrontal Gyrus cingulaire
antérieur
Gyrus
angulaire

Aires du langage
Delphine Bailly

Cortex
occipito-temporal
HÉMISPHÈRE DROIT HÉMISPHÈRE GAUCHE

80 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


14-Ess11_pxxxxx_lect-calc_demonet_bsl.qxp 3/07/12 17:14 Page 81

ignore leur validité ou leurs avantages respec-


tifs. En revanche, les rééducations phonolo- Les symptômes de l’enfant « dys »
giques apportent de réelles améliorations, sur-
tout en cas d’entraînement intensif (l’enfant La dyslexie La dyscalculie
voit alors l’orthophoniste au moins trois fois I L’enfant confond à la lecture I Dans les dyscalculies ver-
par semaine, voire tous les jours). certaines lettres de formes voisi- bales, l’enfant a des difficultés
En général, un enfant dyslexique reste dys- nes ou proches phonétiquement : pour réaliser des opérations
lexique à l’âge adulte, même s’il sait lire et piton devient bidon, hippopotame, simples (addition, soustraction,
comprend ce qu’il lit ; toutefois, l’adulte conti- hippopapame. Ces confusions ne multiplication et division), et
nue à lire lentement et reste dysorthographi- sont pas systématiques. pour mémoriser et récupérer
que. Le succès d’une rééducation dépend de des informations arithmétiques.
facteurs propres à chaque enfant dyslexique. I Il inverse l’ordre des lettres
Grâce à l’imagerie fonctionnelle, on étudie (on est lu no), de certaines sylla- I Dans les dyscalculies visuel-
non seulement les déficits du réseau cérébral bes, de certains mots. les, il lit ou écrit mal les chiffres
de la lecture, mais aussi sa « plasticité » due à arabes.
des phénomènes de compensation ou des I Il omet certains sons (bar
entraînements intensifs. Six études réalisées est lu ba) ou en ajoute d’autres I Dans les dyscalculies analo-
chez des enfants dyslexiques montrent qu’une (poltron est lu polteron). giques, l’enfant présente des
augmentation de l’activité cérébrale est asso- déficits dans presque tous les
ciée à une amélioration des performances lin- I La lecture est hachée, hési- domaines.
guistiques, après des protocoles de rééducation tante, incompréhensible. – Il ne peut se libérer de
divers, mais intensifs dans la prise en charge. matériel concret ; il compte sur
I L’enfant ne réussit pas à ses doigts jusqu’à la troisième
automatiser la mise en corres- année de primaire.
Le cerveau « compense » pondance des graphèmes en – Il apprend par cœur le
Par exemple, dans l’étude de l’équipe d’Elise phonèmes ; la lecture reste résultat d’opérations arithméti-
Temple, à l’Université Stanford, avant l’entraî- lente, surtout pour les mots ques, mais ne les comprend pas.
nement, la région pariéto-temporale gauche nouveaux et les textes longs. – Il a de grandes difficultés à
ne s’activait pas chez les enfants dyslexiques se représenter des nombres, à
lors d’un exercice de rimes. En revanche, elle I Des troubles de l’orthogra- lire l’heure et à évaluer des dis-
s’active chez les « normo-lecteurs ». Par ail- phe sont associés. tances ou des durées.
leurs, la région frontale gauche des dyslexi-
ques et des sujets contrôles s’active, mais dans
des aires différentes. Après entraînement, chez sieurs facteurs, spécifiques ou non au langage,
les dyslexiques, l’activité de la région tempo- influeraient sur les symptômes de la dyslexie
rale ou pariétale gauche augmente, et la région et leurs mécanismes neurologiques.
frontale gauche s’active dans la même aire que Si ces anomalies structurales sont présen-
chez les personnes contrôles. On observe aussi tes dès le plus jeune âge, quelle en est la cause ?
une hyperactivité des régions temporale et Des facteurs génétiques interviennent-ils ? On
frontale droites. Ces améliorations correspon- a initialement suspecté l’implication de gènes
dent à de meilleures aptitudes phonologiques dans la dyslexie, car on a mis en évidence une
(les enfants manipulent mieux les phonèmes), augmentation du risque de dyslexie chez les
mais ne semblent pas avoir de lien direct avec proches parents d’un sujet atteint. Puis de
les capacités de lecture. grandes études comparatives réalisées chez les
Avec l’entraînement phonologique, le cer- jumeaux monozygotes – de vrais jumeaux
veau semble remodelé. Mais les mécanismes ayant les mêmes gènes – et dizygotes – ayant
en jeu au plan cognitif et au plan cérébral sem- des gènes différents – ont montré que, si un
blent peu spécifiques : on obtient les mêmes enfant est dyslexique, son frère a 50 à 65 pour
améliorations avec des exercices non verbaux. cent de risques de l’être aussi.
Par exemple, on propose à l’enfant des exer- Aujourd’hui, on sait qu’une dizaine de
cices sollicitant la concentration et l’atten- régions du génome humain sont liées au ris-
tion visuelle : il doit repérer un trajet dans que de développer une dyslexie. Ces régions se
un labyrinthe ou retrouver parmi plusieurs situent sur plusieurs chromosomes, et deux
formes géométriques celle qui correspond à gènes notamment – DCDC2 et K1AA0319 –
un modèle. Ainsi, lors des entraînements, plu- augmenteraient le risque de dyslexie ; chez

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 81


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l’animal, ces gènes interviennent dans les chologiques des enfants dyscalculiques.
mécanismes de la migration neuronale… Or Selon le modèle théorique du « triple code »
c’est justement des anomalies de ce phéno- proposé par S. Dehaene et L. Cohen à la fin
mène qui engendrent la formation des ecto- des années 1990, l’information numérique
pies, dont la mise en évidence chez l’homme peut être manipulée dans trois formats de
a été, rappelons-le, le point de départ des représentation : un format dit verbal, impli-
recherches sur les causes neurobiologiques qué dans le comptage, l’apprentissage et la
de la dyslexie. Ces études confirment aussi mémorisation des faits numériques (tables
le caractère complexe de la dyslexie : plu- d’addition ou de multiplication) ; un format
sieurs gènes jouent vraisemblablement un visuel, nécessaire pour l’écriture en chiffres
rôle. Cette complexité expliquerait en par- arabes mise en œuvre dans les calculs com-
tie l’hétérogénéité observée en clinique, car plexes (par exemple, pour un enfant de huit
les troubles des enfants dyslexiques ou dys- ans, calculer 53 – 39) et les jugements de
orthographiques sont très différents. parité ; et un format analogique qui code
En ce qui concerne la dyscalculie – ou plu- l’importance des nombres et permet les com-
tôt les dyscalculies –, les recherches dans ce paraisons, l’estimation des quantités ou les
domaine sont moins abondantes que sur la calculs approximatifs.
dyslexie. On ignore par exemple s’il existe des
ectopies dans le cerveau des dyscalculiques. Pas de bosse des maths
Néanmoins, depuis quelques années, de nou-
veaux modèles théoriques et les études en Ainsi, Michael Von Aster et son équipe à
imagerie fonctionnelle permettent de formu- Berlin distinguent trois types de dyscalcu-
ler des hypothèses concernant les déficits en lies : les dyscalculies verbales engendrant des
calcul rencontrés dans l’enfance. difficultés dans la mise en œuvre des routi-
La dyscalculie concernerait 3,6 à 7,7 pour nes de comptage pour réaliser des additions,
cent des enfants scolarisés. Elle serait moins et dans le stockage et la récupération d’in-
fréquente que la dyslexie et serait associée aux formations arithmétiques ; les dyscalculies
troubles de la lecture dans 17 à 64 pour cent visuelles correspondant à des problèmes de
des cas (les études et les méthodes d’évalua- lecture et d’écriture des nombres en chiffres
tion de l’arithmétique jouant sans doute un arabes ; et les dyscalculies analogiques (ou
rôle dans cet écart), ainsi qu’à des générales) entraînant des déficits dans pra-
troubles de l’attention. De fait, seul tiquement tous les domaines de l’activité
un tiers des enfants dyscalculiques numérique. Nous verrons que les enfants
ne souffre que de ce trouble. concernés par ce dernier type de dyscalculie
Différentes classifications ont été sont privés du « sens du nombre », une
© Shutterstock/Maria Pavlova

proposées pour rendre compte de notion introduite par S. Dehaene.


l’hétérogénéité des profils neuropsy- Les études récentes en imagerie fonction-
nelle permettent de rejeter l’ancienne idée
– associée à la « bosse des maths » – de l’exis-
2. Un peu de phonologie... tence d’une région cérébrale unique impli-
quée dans les aptitudes mathématiques. On
I Le phonème est la plus petite unité sonore qui permet de distinguer sait désormais que les formats de représen-
deux mots. Par exemple, /b/ et /v/ sont deux tation du modèle du triple code sont sous-
phonèmes différents en français. tendus par trois systèmes cérébraux distincts,
mais interconnectés : les régions pariétales
I Le graphème est l’unité élémentaire d’une langue écrite pour le code analogique, les aires du langage
alphabétique ; c’est l’élément graphique correspondant au de l’hémisphère gauche pour le code verbal
phonème. Ce n’est pas toujours une lettre unique : par exemple, et les régions occipito-temporales pour le
le français ne dispose que de six lettres (a, e, i, o, u, y) pour retranscrire code visuel (voir l’encadré page 80).
les 16 voyelles utilisées à l’oral. On utilise alors une combinaison S. Dehaene et son équipe ont montré que
de lettres pour écrire certaines voyelles,par exemple la voyelle /ã/ l’exécution d’une opération simple, telle une
dans le mot antenne, /œ/ dans le mot fleur, et /u/ dans le mot mouche. soustraction ou une multiplication à un chif-
Ces graphèmes sont progressivement associés aux phonèmes fre, implique un réseau comprenant les régions
correspondants quand on apprend à lire. pariétale, préfrontale et cingulaire chez le sujet
sain. D’autres études soulignent, dans des acti-

82 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


14-Ess11_pxxxxx_lect-calc_demonet_bsl.qxp 3/07/12 17:14 Page 83

vités de calcul, la contribution d’une région région chromosomique, ni aucun gène candi-
du cortex pariétal des deux hémisphères : le dat n’ont été proposés dans les dyscalculies.
sillon horizontal intrapariétal. Ce dernier serait En général, quand un enfant souffre de
le support d’une représentation sémantique dyscalculie, les méthodes de rééducation
du nombre, indépendante du code verbal. concernent les difficultés cognitives qui sous-
Dans le lobe pariétal gauche, le gyrus angu-
laire participe aussi au calcul, mais, contraire-
ment au sillon intrapariétal, il dépend du code
verbal et participe à la récupération des infor- La rééducation des enfants dyslexiques
mations arithmétiques mémorisées. Pour les ou dyscalculiques doit être adaptée
calculs plus complexes ou la résolution de pro-
blèmes, interviennent la mémoire de travail et aux performances et aux difficultés
des mécanismes de planification et de contrôle de chaque enfant.
qui incombent aux aires préfrontales.
« Le sens du nombre » est une aptitude uni-
verselle nécessaire à la représentation et à la
manipulation des valeurs numériques sans le tendent le trouble : on ne rééduque pas de la
langage. Cette capacité cognitive serait en par- même façon un enfant ayant des difficultés
tie innée : dès les premiers mois de la vie, l’en- importantes dans le domaine de la mémoire
fant manipule les nombres dans des opérations de travail qu’un enfant avec un déficit visuos-
mettant en jeu au maximum trois éléments, patial. À l’heure actuelle, aucune étude scien-
mais il ne peut qu’estimer des collections de tifique n’évalue une approche rééducative
plus de trois objets (« il y en a beaucoup », c’est- spécialisée pour les dyscalculies ; on sait
à-dire plus de trois). Toutefois, le développe- cependant que certaines interventions en
ment du code analogique permettant à l’en- milieu scolaire ont une réelle efficacité.
fant et à l’adulte l’estimation des quantités ou Pour les troubles « dys », l’objectif est de Bibliographie
les calculs approximatifs sur les grands nom- comprendre l’influence des facteurs généti- B. Butterworth et al.,
bres est progressif pendant la phase présco- ques, mais aussi environnementaux. Un Dyscalculia : from brain
laire et les premières années de l’école primaire. grand projet européen, nommé Neurodys, to education,
Qui plus est, on sait que les capacités verbales, est actuellement en cours ; on espère que les in Science, vol. 332,
pp. 1049-1053, 2011.
visuospatiales et exécutives – l’attention et la résultats permettront de mieux comprendre
S. Shaywitz et al.,
mémoire de travail – jouent un rôle important. les liens entre caractéristiques génétiques, The education
activité cérébrale et performances dans les of dyslexic children
Une perte tests de langage. Il permettra peut-être d’iden- from childhood
tifier certains mécanismes de ces pathologies. to young adulthood,
du sens du nombre À l’école, les méthodes d’enseignement de in Annual Review
of Psychology, vol. 59,
Un consensus semble se dégager : la dyscal- la lecture et du calcul ont évolué et prennent pp. 451-475, 2008.
culie serait une perte du « sens du nombre » en compte les résultats scientifiques concer- M. Von Aster et
due à un dysfonctionnement des circuits neu- nant les bonnes stratégies d’apprentissage. Elles R. Shalev, Number
ronaux participant à cette capacité. On pense visent plusieurs niveaux et modes de représen- development
notamment à une anomalie pariétale. On a mis tation du langage ; il s’agit aussi bien des uni- and developmental
dyscalculia,
en évidence une diminution du volume du cor- tés (comme la syllabe) qui constituent les mots in Developmental
tex, d’une part, dans la région pariétale gauche que le sens porté par les mots ou les phrases. Medicine and Child
d’adolescents dyscalculiques, anciens préma- De plus, les capacités d’expression écrite sont Neurology, vol. 49,
turés d’intelligence normale, d’autre part, au encouragées parallèlement à l’apprentissage pp. 868-873, 2007.
niveau du sillon intrapariétal droit de jeunes de la lecture, tant il est vrai que l’expression et J.-F. Démonet et al.,
l’analyse orthographique se renforcent mutuel- Developmental
filles présentant une maladie génétique et souf-
dyslexia, in Lancet,
frant d’une dyscalculie associée à des difficul- lement. En outre, les enfants sont entraînés au vol. 363, pp. 1451-
tés de visualisation de l’espace. calcul approximatif et de tête, ce qui reste une 1460, 2004.
Ce trouble aurait une cause génétique. En bonne pratique d’après les résultats récents sur S. Dehaene et al.,
effet, il existe une fréquence élevée d’antécé- les troubles de l’apprentissage. Enfin, le goût Arithmetic
dents de dyscalculie dans les familles d’enfants de la lecture et l’attrait de la découverte d’un and the brain,
in Current Opinion
présentant cette pathologie. Mais cette hypo- récit doivent être communiqués aussi tôt que in Neurobiology,
thèse génétique est moins étayée que dans le possible par tous les adultes qui entourent l’en- vol. 14, pp. 218-224,
domaine des dyslexies, et, à ce jour, aucune fant, leurs parents et leurs enseignants. I 2004.

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 83


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Les troubles de l’apprentissage

Dormir pour
mieux apprendre
Les adolescents ne devraient pas négliger leur sommeil :
la mémorisation à long terme d’informations pertinentes
est meilleure après une bonne nuit de sommeil. Les souvenirs
sont non seulement « consolidés », mais ils sont aussi triés.

ien dormir et en quantité suffi-

B
venirs et des connaissances en mémoire à long
sante est essentiel au bien-être… terme. Examinons comment les informations
chacun a déjà ressenti les effets sont mémorisées durant le sommeil.
négatifs d’un déficit en sommeil : Depuis une vingtaine d’années, plusieurs étu-
le manque de concentration, d’at- des où l’on empêchait des volontaires de dor-
tention et d’énergie, l’irritabilité ou encore la mir ont montré que le sommeil lent profond,
fatigue. Le sommeil permet à l’organisme de prédominant en début de nuit, permet de
récupérer (physiquement et psychiquement) consolider, c’est-à-dire de stocker à long terme,
et de sécréter l’hormone de croissance, mais il des souvenirs en mémoire épisodique. Cette
joue aussi un rôle crucial dans les mécanismes mémoire enregistre tous les événements vécus
d’apprentissage et de mémorisation. De nom- que l’on est capable de situer précisément dans
breuses études confirment qu’un sommeil de le temps et dans l’espace (par exemple, le jour
bonne qualité, en quantité suffisante, et des de son mariage). En laboratoire, on évalue cette
rythmes biologiques réguliers participent au forme de mémoire avec des exercices consistant
bon fonctionnement de la mémoire. à mémoriser des séries de mots, même si ce type
De façon schématique, on distingue deux de tâche n’explore qu’une facette de la mémoire
types de sommeil : le sommeil lent et le som- épisodique, sans tenir compte des dimensions
meil paradoxal. Le premier est divisé en som- spatiale et temporelle des souvenirs.
Géraldine Rauchs meil lent léger et en sommeil lent profond, et
travaille dans l’Unité c’est au cours du sommeil paradoxal que sur- Les phases du sommeil
INSERM U1077 viennent la majorité des rêves. Ces différents
de Neuropsychologie stades de sommeil se succèdent au cours de À l’inverse, le sommeil paradoxal, qui pré-
et neuroanatomie la nuit en cycles d’environ 90 minutes. Une domine en fin de nuit, favoriserait la consoli-
fonctionnelle
activité électroencéphalographique et un dation des apprentissages procéduraux, c’est-
de la mémoire
humaine, environnement neurochimique spécifiques à-dire la mémoire des capacités et savoir-faire
à l’Université caractérisent chaque stade, et fournissent des (par exemple, jouer du piano). D’autres tra-
de Caen- conditions favorables à un processus lent et vaux ont montré que le sommeil lent profond
Basse-Normandie. complexe qui aboutit au stockage des sou- et le sommeil paradoxal participaient tous deux

84 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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Wavebreakmedia ltd / Shutterstock.com

à la consolidation des souvenirs quel que soit Les techniques d’imagerie cérébrale (la 1. Les adolescents
le type de mémoire mis en jeu. tomographie par émission de positons ou TEP manquent souvent
Pour étudier les liens entre sommeil et et l’imagerie par résonance magnétique fonc- de sommeil
apprentissage, nous avons utilisé une épreuve tionnelle ou IRMf) ont permis aux scientifi- et somnolent
qui nous a permis d’évaluer les différentes ques de mieux comprendre le rôle du som- dans la journée :
facettes de la mémoire épisodique, c’est-à- meil dans la consolidation des souvenirs. Avec ils ne mémorisent
dire le contenu factuel et les dimensions spa- ces outils, on observe le cerveau fonctionner, pas correctement
tiale et temporelle. Les volontaires devaient c’est-à-dire les régions dont l’activité aug- les informations
qu’ils entendent…
mémoriser deux listes de mots (contenu fac- mente ou diminue, au cours des différents
tuel) et pour chaque mot, leur position sur stades du sommeil, mais aussi lors d’une
une feuille de papier (dimension spatiale) et tâche de mémorisation. On étudie ces para-
la liste où il se trouvait (dimension tempo- mètres chez des sujets ayant dormi et d’au-
relle). Puis nous avons ou non privé les par- tres privés de sommeil après l’apprentissage
ticipants de sommeil – plus précisément de et l’on compare leurs activités cérébrales.
certaines phases de sommeil – et avons éva- Grâce à ces techniques, on a montré que la
lué comment ils retenaient ces mots. consolidation des souvenirs repose sur un
Ainsi, nous avons montré que le sommeil mécanisme de réactivation des neurones dans
lent profond consolide surtout les aspects
temporels du souvenir, alors que le sommeil
paradoxal est bénéfique à la mémorisation
des caractéristiques spatiales. D’autres étu-
des soulignent que le sommeil lent léger
En Bref
participe aussi à ce processus. En fait, la suc- • Les différentes phases du sommeil participent à la mémorisation
cession ordonnée des différents stades de des apprentissages, qu’ils soient épisodiques, tel retenir des mots,
ou procéduraux, par exemple faire du vélo.
sommeil au cours de la nuit refléterait les
divers traitements que subit la trace mnési- • Dans l’hippocampe, les ondes du sommeil « réactivent »
que et qui la rendent stable et résistante aux les neurones, de sorte que la trace mnésique est consolidée.
interférences et à l’oubli. • Le sommeil favorise aussi le tri des informations pertinentes.

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 85


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l’hippocampe, une des régions essentielles à stockage à long terme des souvenirs. D’autres
la mémorisation et aux apprentissages. Pour travaux ont également montré que les ondes
ce faire, Philippe Peigneux et ses collègues, lentes et les fuseaux de sommeil, caractéris-
de l’Université de Liège, ont proposé à des tiques respectivement du sommeil lent pro-
étudiants d’apprendre à se repérer dans une fond et lent léger, sont importants dans ce
ville virtuelle complexe (cette tâche de navi- processus. Ces données ont permis aux scien-
gation spatiale active un certain nombre de tifiques de proposer un modèle de consoli-
régions du cerveau dont l’hippocampe). Puis, dation des souvenirs au cours du sommeil.
au cours de la nuit suivante, ils ont enregistré Pour la mémoire épisodique, les informa-
l’activité cérébrale de ces sujets, notamment tions qui viennent d’être acquises seraient
lors des épisodes de sommeil lent profond. réactivées par l’hippocampe lors du sommeil
lent profond. Ces réactivations permettraient
La réactivation de « graver » plus profondément les traces
mnésiques au sein des réseaux de neurones.
nocturne des neurones Elles surviendraient en même temps que dif-
Ils ont constaté que l’hippocampe était férentes ondes du sommeil lent (ondes len-
réactivé au cours du sommeil chez les sujets tes et fuseaux), le tout favorisant le transfert
soumis au préalable à l’apprentissage spatial, des souvenirs vers le cortex, c’est-à-dire des
alors qu’il ne l’était pas chez des sujets n’ayant régions de la substance grise situées à la sur-
pas réalisé la tâche. Cette structure cérébrale face du cerveau, où ils seraient stockés à long
« rejoue» la partition durant la nuit. En outre, terme (voir la figure 2). Ce dialogue nocturne
plus l’hippocampe était réactivé au cours de la entre l’hippocampe et les aires corticales ne
nuit, plus les performances des sujets, mesu- se fait que si les concentrations de certaines
rées le lendemain matin, étaient bonnes. Ces substances telles que l’acétylcholine, un neu-
données confirment l’existence d’un méca- rotransmetteur, et le cortisol, une hormone
nisme de réactivation des traces mnésiques du stress, sont faibles en début de nuit. Ce
durant le sommeil, phénomène déjà observé mécanisme de stockage des informations est
chez le rongeur à partir d’enregistrements de probablement semblable pour la mémoire
l’activité électrique de différentes cellules de procédurale, mais il impliquerait des régions
l’hippocampe nommées « cellules de lieu ». distinctes du cerveau.
La réactivation d’ensembles de neurones En conséquence, le sommeil participe à la
n’est pas le seul mécanisme permettant le mémorisation des souvenirs. Mais le cerveau

2. Les ondes lentes


accompagnant les phases
de sommeil lent profond
et les « fuseaux » survenant
Ondes lentes Fuseaux
durant le sommeil lent léger
participent à la consolidation Consolidation
des informations en mémoire à long terme
Cortex
à long terme. Lors
d’un apprentissage, les neurones
de l’hippocampe s’activent :
les souvenirs sont d’abord triés
dans l’hippocampe et ensuite
Géraldine Rauchs - Cerveau & Psycho

« transférés » dans le cortex


pour y être stockés à long terme.
Au cours de la nuit qui suit
l’apprentissage, ces ondes
favoriseraient la réactivation
des neurones de l’hippocampe, Réactivation
de sorte que la trace mnésique neuronale
serait consolidée. Hippocampe

86 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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consolide-t-il toutes les informations aux-


quelles il est exposé chaque jour ou fait-il un 3. Le sommeil permet
tri ? Pour répondre à cette question, nous au cerveau de trier
avons réalisé en 2011, avec des collègues de les informations pertinentes.
Lors de la mémorisation
l’Université de Liège, une étude où nous avons
de mots, l’hippocampe
présenté à des sujets jeunes des séries de mots.
des participants s’active
Chaque mot était suivi de la consigne « à rete- plus quand ces derniers
nir » ou « à oublier ». Juste après l’appren- doivent retenir un mot
tissage, nous avons réparti les volontaires en que lorsqu’ils doivent
deux groupes : les premiers ont été privés de l’oublier. C’est ce signal

Inserm / Université de Liège


sommeil durant la première nuit après l’ap- dans l’hippocampe qui
prentissage, les seconds ont eu le droit de indique au cerveau ce qu’il
dormir. Et nous avons fait passer un test de doit consolider en mémoire
mémoire à tous les participants trois jours Hippocampe à long terme et ce qu’il
après l’apprentissage. peut effacer.

Une mémoire sélective


Ainsi, les sujets privés de sommeil recon- 3h30 en moyenne). Cette privation chroni-
naissaient autant de mots « à retenir » que que de sommeil a plusieurs causes : d’abord,
les sujets ayant dormi, mais ils identifiaient l’horloge biologique régulant le cycle veille-
aussi plus de mots associés à la consigne « à sommeil est programmée pour provoquer un
oublier ». Grâce à l’IRM fonctionnelle, nous endormissement et un éveil plus tard chez
avons montré que, lors de l’apprentissage de les adolescents. De plus, l’envie de réussir en
mots, l’hippocampe était plus actif quand classe, les emplois du temps chargés, les durées
les participants devaient retenir un mot que de transport, mais également les nouvelles
lorsqu’ils devaient l’oublier. L’activation de technologies – présence dans la chambre de
l’hippocampe lors de l’apprentissage sélec- la télévision, du téléphone, de l’ordinateur,
tionne donc ce qui sera consolidé au cours etc. – sont autant de facteurs contribuant à
du sommeil : cette structure « étiquette » les diminuer la durée du sommeil. Ce manque
cellules qui ont traité les informations à rete- de sommeil observé à l’adolescence provo-
nir pour indiquer qu’elles doivent se réacti- que une somnolence importante au cours de
ver pendant le sommeil (voir la figure 3). la journée et perturbe notamment l’humeur
Ces résultats montrent qu’en cas de priva- et la prise de décision.
tion de sommeil, la mémoire fonctionne, mais Bibliographie
ne distingue pas ce qui est utile et ce qui ne l’est Sommeil versus mémoire
pas. Nous pouvons imaginer qu’un étudiant G. Rauchs et al.,
Sleep contributes
qui se prive de sommeil avant un examen assi- Une étude américaine a suivi plusieurs mil- to the strengthening
mile des données utiles, mais aussi des infor- liers de collégiens et lycéens auxquels on avait of some memories over
mations parasites qui peuvent encombrer sa proposé deux horaires de début de cours, others, depending
mémoire. L’oubli est nécessaire au bon fonc- soit 7h20, soit 8h40. La plupart des élèves pré- on hippocampal
activity at learning,
tionnement de la mémoire et n’est pas forcé- fèrent commencer les cours à 8h40 plutôt in Journal
ment une défaillance... qu’à 7h20. En outre, ceux ayant commencé of Neuroscience,
Durant l’adolescence, les apprentissages les cours plus tard somnolent moins dans la vol. 31, pp. 2563-
scolaires sont denses et les besoins physiolo- journée, et sont plus attentifs. Ils présentent 2568, 2011.
giques en sommeil en général insatisfaits. également moins de symptômes dépressifs. S. Diekelmann
Selon une enquête Sofrès/ISV réalisée en 2005 D’autres travaux ont montré que le man- et J. Born,
The memory function
auprès de 502 adolescents âgés de 15 à 19 ans, que de sommeil a des effets négatifs sur les of sleep, in Nature
le besoin de sommeil est d’environ neuf performances et les résultats scolaires. En Reviews Neuroscience,
heures par nuit. Or le temps de sommeil en conséquence, il est nécessaire de bien connaî- vol. 11, pp. 114-126,
semaine est inférieur, de l’ordre de 7h45 en tre ses besoins en sommeil et de les respecter 2010.
moyenne. Ce manque de sommeil accumulé au mieux. Il serait aussi utile de réfléchir à Le sommeil
et ses troubles,
en semaine conduit souvent à une récupé- l’organisation du travail scolaire pour amé- L’Essentiel Cerveau
ration durant le week-end, avec notamment liorer la qualité de vie et les conditions d’ap- & Psycho, n° 2,
un lever tardif dans la matinée (décalé de prentissage des élèves. I mai-juillet 2010.

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 87


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Les troubles de l’apprentissage

Comment gérer
les classes difficiles ?
Quelques élèves perturbateurs ou agités transforment
parfois une classe en chaos. L’enseignant peut intervenir
pour restaurer un meilleur climat de travail et rétablir
avec les élèves une relation d’autorité
respectueuse et bienveillante.

epuis quelques années, les ensei- conscience. Face au développement de l’in-

D
Jean-Claude
Richoz gnants sont de plus en plus sou- discipline, il importe de réagir avant que le
est professeur vent confrontés à des classes phénomène ne prenne plus d’ampleur.
formateur à la Haute difficiles à gérer, où règne une L’expérience acquise dans le recadrage de
école pédagogique certaine indiscipline. Ils se plai- telles classes montre que l’on peut intervenir
de Lausanne, gnent du manque d’éducation et d’intérêt des avec succès dans bon nombre de cas. Dans cet
en Suisse. élèves, ainsi que de la pénibilité de leurs condi- article, nous décrivons brièvement les moyens
tions de travail. Confrontés à d’importantes utilisés par des enseignants pour restaurer un
difficultés pour exercer leur métier, certains climat de travail et rétablir avec leurs élèves
finissent par ne plus éprouver de plaisir à une relation d’autorité respectueuse et bien-
enseigner, sont fatigués, découragés et parfois veillante. Les indications fournies dans ce
même dégoûtés par leurs élèves. Des enquê- cadre portent essentiellement sur les clas-
tes effectuées dans des classes primaires mon- ses maternelles et primaires, parce qu’il est
trent qu’une classe sur quatre ou sur cinq, assez facile d’agir à ces niveaux de la scola-
selon les endroits, est concernée. Cette pro- rité et qu’une intervention précoce représente
portion est élevée et requiert une prise de la meilleure des préventions pour éviter une
dégradation plus sérieuse des situations dans
les collèges.
Une classe peut être qualifiée de difficile
En Bref quand un enseignant ne peut pas exercer cor-
• Les classes difficiles sont le plus souvent le fait d’un petit nombre rectement son métier et que la majorité des
d’élèves perturbateurs, agités ou opposants. élèves ne peut plus se concentrer et travailler
• De nombreux enseignants n’osent malheureusement plus dans le calme, à cause de perturbations diver-
faire preuve d’autorité devant leurs classes, parce qu’ils doutent ses. Souvent, les problèmes sont mineurs
ou ont peur de passer pour... autoritaires. (bavardages, agitation, refus de travailler, pas-
• Pour établir un climat de travail dans une classe, il faut créer sivité, etc.), mais leur multiplication et leur
une bonne relation affective avec les élèves, faire respecter accumulation finissent par entraver sérieuse-
certaines règles essentielles et ne pas hésiter à sanctionner. ment le travail des enseignants et des élèves.

88 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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Il est important de considérer qu’une classe L’élève perturbateur bavarde souvent, dé-
n’est en soi jamais difficile, mais qu’elle le range la classe, ne respecte pas les règles, cha-
devient dans un contexte relationnel et des hute, attire l’attention de ses camarades, les
circonstances particulières. Une même classe distrait et les fait rire, interrompt l’ensei-
peut parfois être quasi ingérable pendant gnant, fait intentionnellement du bruit et
quelques semaines ou quelques mois et rede- émet souvent des remarques ou des com-
venir ensuite normale, simplement parce que mentaires à haute voix. L’élève agité ne reste
les difficultés se sont aplanies avec le temps pas tranquille sur sa chaise, se lève, se déplace,
ou parce qu’on a pris des mesures appropriées n’est pas attentif, se laisse facilement distraire,
pour rétablir un climat de travail et une rela- joue et fait du bruit avec son matériel. Il est
tion positive de l’enseignant avec ses élèves. aussi impulsif, interrompt les autres, prend
spontanément la parole, peine à terminer son
Qu’est-ce travail, ne fait pas ce qu’on lui demande, est
peu ou mal organisé, et oublie ses affaires.
qu’un élève difficile ? Enfin, l’élève opposant refuse de travailler,
Au niveau individuel, un élève est perçu 1. Une classe de faire ce qui est demandé, ne fait pas ses
comme difficile quand il demande tellement sur quatre ou cinq devoirs, n’obéit pas, conteste, exprime ouver-
d’attention et d’énergie que l’enseignant ne selon les endroits tement son désintérêt, provoque, répond à
peut plus enseigner et s’occuper du reste de serait difficile : l’enseignant, le défie, se met en colère, est
la classe comme il devrait le faire. On dis- présence d’élèves grossier, insulte, menace, fait des crises, etc.
tingue principalement des élèves difficiles de bruyants, tapageurs, Dans les classes qui posent problème, on
type perturbateur, agité ou opposant, certains refusant les activités trouve en moyenne cinq élèves difficiles
enfants présentant parfois plusieurs de ces de la classe ; ambiance (sur 20), avec à peu près autant d’élèves per-
caractéristiques (voir la figure 4). tendue et délétère. turbateurs et agités et un nombre plus faible
d’élèves opposants, mais ces derniers représen-
tent un facteur de gêne important. Certaines
classes sont même parfois perçues comme dif-
ficiles par les enseignants en raison de la pré-
sence d’un seul élève de type opposant.

Rétablir un cadre de travail


Pour réussir à remettre une classe difficile
au travail, l’enseignant doit rétablir une rela-
tion d’autorité respectueuse et bienveillante,
en commençant par s’appuyer sur son auto-
rité de statut. Celle-ci lui donne le droit d’exi-
ger et d’obtenir que les élèves respectent des
règles de travail qui garantissent le maintien
de la discipline et le déroulement normal des
activités d’apprentissage. Mais cette autorité
doit surtout être considérée comme un devoir
et une responsabilité à assumer, car le respect
de certaines règles est nécessaire pour garantir
un cadre de travail sécurisant et propice à l’ap-
prentissage de tous les élèves. Ce cadre de dis-
cipline doit clairement établir les possibles et
les interdits, être stable, impartial et impliquer
un respect réciproque. Pour le poser, trois élé-
maximino / Shutterstock

ments sont importants : des règles essentielles,


des règles pratiques et des rituels, ces derniers
facilitant la compréhension et le respect des
règles par les enfants. Dans la liste des règles
essentielles pour les classes maternelles et

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 89


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0 6-7 ans 12-14 ans 18-20 ans

Âge du permis Âge de la morale Âge de la morale


et du défendu hétéronome autonome
Obéissance imitative Obéissance spontanée Obéissance intériorisée
et imposée et naturelle à l’adulte ou autodiscipline apprise

2. Le développement moral durant l’enfance et l’adolescence passe par trois phases.


Durant les deux premières (obéissance imposée, puis naturelle), l’enfant obéit à une morale qui vient
de l’extérieur. La relation d’autorité dépend principalement du lien affectif qui l’unit aux adultes.
Dans la troisième phase, il doit apprendre à respecter de lui-même des règles de comportement
(obéissance intériorisée ou autodiscipline) pour accéder peu à peu à l’autonomie morale.

primaires, il importe d’expliquer avec une Contrairement aux pratiques en vogue ces
conviction particulière les suivantes : la classe 20 dernières années, qui faisaient fortement
est un lieu de travail ; les élèves obéissent à l’en- appel à l’autodiscipline des enfants en visant
seignant ; chaque élève a le droit d’apprendre ; très tôt le développement de leur autonomie,
l’enseignant a le devoir et le droit d’enseigner ; les études des psychologues Jean Piaget et
chacun est capable et a de la valeur ; chacun Lawrence Kohlberg montrent que l’appren-
doit se sentir en sécurité pour travailler. tissage des règles suit un processus d’acqui-
sition qui passe par différentes étapes. Ces
Apprendre des règles étapes correspondent aux grandes phases du
développement moral de l’être humain et
Dans la plupart des situations où l’enseigne- doivent être respectées pour que l’enfant
ment est difficile, l’analyse montre que les ensei- accède progressivement à une autonomie
gnants ont mis en place des règles pratiques, morale mature et responsable. Pour en faci-
par exemple, celles qui concernent les déplace- liter la mise en pratique, on peut distinguer
ments en classe, le rangement du matériel, les de façon simplifiée trois phases principales
sorties aux toilettes, le fait de manger en classe, dans ce long apprentissage : la phase du per-
les oublis ou les arrivées tardives, en bref la ges- mis et du défendu durant la petite enfance,
tion du quotidien. Mais ils pratiquent peu de la phase de la morale hétéronome durant
rituels, tels que serrer la main des élèves à la l’enfance et la phase de la morale autonome
porte, leur demander de se lever au début d’une à partir de l’adolescence (voir la figure 2).
leçon, attendre qu’un silence parfait s’installe Ce schéma met en évidence que l’appren-
avant de commencer, ou encore instaurer la tissage des règles passe en fait par un appren-
lecture quotidienne d’une histoire ou le colo- tissage sous-jacent de l’obéissance, qui s’ef-
riage d’un mandala durant cinq minutes après fectue lui aussi selon une progression en
la récréation (voir la figure 3). Par ailleurs, les trois phases : l’obéissance imitative et impo-
enseignants oublient le plus souvent d’explici- sée, à inculquer impérativement au petit
ter les règles les plus essentielles de l’enseigne- enfant en lui donnant des repères éducatifs
ment, en particulier la règle du travail et celle concrets, précis et répétés ; l’obéissance
de l’obéissance. Dans les situations probléma- spontanée et naturelle de l’enfant à l’adulte,
tiques, certaines classes deviennent pour cette qui se développe sur fond de relation affec-
raison des « zones de non-droit ». L’enseignant tive durant l’enfance ; et l’obéissance inté-
n’a plus le droit d’enseigner et les élèves qui riorisée, ou autodiscipline, qui apparaît à
veulent travailler n’ont plus le droit de le faire. l’adolescence et conduit progressivement à
La première chose à entreprendre dans la maturité morale de l’adulte. Durant les
une classe difficile à gérer est de rétablir des deux premières phases de ce développement
règles de travail et de les faire respecter, mais (correspondant aux classes maternelles et
encore faut-il poser ce cadre correctement. primaires), l’enfant en est donc encore à l’âge

90 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho


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de la morale hétéronome, c’est-à-dire d’une passent ensuite bien plus facilement. Quand
morale qui doit venir de l’extérieur, et la rela- surviennent des oppositions ou contestations,
tion d’autorité dépend principalement du il suffit de rappeler que « c’est la maîtresse qui
lien affectif qui l’unit aux adultes représen- décide » ; si la maîtresse a réussi à tisser avec
tant l’autorité. L’enfant accepte les règles eux de bonnes relations affectives, les enfants
qui lui sont imposées s’il existe une relation acceptent très bien qu’il en soit ainsi.
de cœur avec l’adulte. Il a besoin de vivre
dans une atmosphère de sécurité affective et Soigner
accorde une foi totale et une confiance abso-
lue aux personnes pour qui il a de l’affection.
la relation affective
Il veut leur faire plaisir ou leur ressembler. La meilleure façon de restaurer un climat de
C’est l’âge des « Mon papa a dit… », « Ma travail dans une classe qui dysfonctionne est
maîtresse a dit… » contre lesquels il n’y a pra- de rétablir en parallèle la relation d’autorité et
tiquement rien à faire, si ce n’est s’incliner. la relation affective avec les élèves concernés.
La relation d’autorité dans les classes mater- Un recadrage disciplinaire influe déjà en soi
nelles et primaires doit donc être verticale, sur la relation enseignant-élèves, car il apporte
hiérarchique et permettre à l’enfant de vivre aux enfants une plus grande sécurité affective.
l’expérience de l’obéissance à l’adulte, de Mais il est essentiel de mettre en œuvre des acti-
reconnaître et d’accepter que c’est l’adulte qui vités spéciales pour créer un meilleur climat de
commande. Elle passe par la contrainte morale classe et des conditions favorables à la relation.
des enseignants qui, avec conviction et déter- La plus simple et la meilleure consiste à racon-
3. Un mandala
mination, posent des exigences et des limites, est un coloriage ter ou à lire une histoire par jour à la classe avec
apprennent à l’enfant à respecter des règles, en d’une figure centrée un petit rituel de transition pour emmener les
sanctionnant sans état d’âme les écarts de que les enseignants enfants dans le monde de l’imaginaire (voir la
conduite. Durant la période de la morale hété- peuvent proposer figure 6). Mais il en existe bien d’autres, comme
ronome, cette expérience de l’obéissance est durant cinq minutes le coloriage de mandalas, des activités rythmi-
très naturelle pour l’enfant. C’est l’âge où il a après une récréation, ques, des jeux de mémorisation de mots, la
envie et est disposé à obéir, car il considère au par exemple pour réactivation de poésies ou de chants en fin de
plus profond de lui-même que les règles vien- permettre aux élèves matinée ou de semaine, etc.
nent des adultes et qu’elles sont sacrées. de retrouver un climat Dans ces diverses activités, l’intention péda-
Dans les classes maternelles et primaires, de concentration, tout gogique primordiale est de travailler sur le plan
l’enseignant peut par exemple dire aux en éprouvant du plaisir relationnel en sortant momentanément du
enfants, dès le premier jour de la rentrée sco- à colorier. Une telle domaine strict des apprentissages. Ces activi-
laire : « Dans cette classe, c’est la maîtresse qui activité doit tés spéciales touchent les enfants à différents
commande et qui décide. Les enfants lui obéis- se dérouler dans niveaux de leur être, principalement sur les
sent. » À l’âge de la morale hétéronome, les un silence absolu. plans imaginatif, ludique, créatif, en jouant sur
enfants acceptent très bien qu’une autorité leur penchant pour les rythmes, en leur faisant
s’impose hiérarchiquement, et les choses se exercer leur extraordinaire mémoire et en sti-
mulant l’éveil de leur individualité. Elles appa-
raissent moins scolaires que celles pratiquées
4. L’élève d’ordinaire en classe et deviennent rapidement
perturbateur sources de détente et de plaisir partagé entre
distrait les autres, l’enseignant et les élèves. L’expérience montre
les fait rire pendant qu’elles contribuent grandement à ce que des
que le maître enseignants confrontés à des situations diffici-
enseigne, n’écoute les réussissent à ramener la sérénité dans leur
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pas et empêche classe et à recréer un enthousiasme pour la vie


les autres de se scolaire et les apprentissages. Elles redonnent
concentrer. L’élève même parfois à des enfants qui l’avaient per-
agité se déplace due l’envie de revenir à l’école pour travailler !
pendant le cours.
Expliquer les règles essentielles et établir
L’élève opposant
une relation affective avec les élèves sont les
est dans le refus
premières démarches pour prévenir l’indisci-
systématique et brave
l’autorité du maître. pline ou y mettre un terme si elle existe dans
une classe. Il reste ensuite à sanctionner les

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transgressions, car aucun système de règles ne à appliquer dans les classes enfantines et pri-
fonctionne sans sanctions. Assez fréquemment, maires ; c’est une mesure simple, immédiate
les enseignants ont des hésitations ou même et très efficace avec presque tous les enfants.
des réticences à sanctionner, parce qu’ils ne sont Une autre sanction efficace, en particulier
pas convaincus de la nécessité de le faire et ne quand un enfant dérange une activité collec-
savent pas comment s’y prendre. En général, ils tive, consiste à lui demander de retourner
punissent les élèves plutôt que de les sanction- s’asseoir un moment à sa place et de croiser
ner, ce qui est précisément une des causes des les bras en silence, en attendant que l’ensei-
difficultés qui surviennent. Les expériences de gnant lui fasse signe de revenir dans le groupe.
recadrage de nombreuses classes et élèves dif- Là aussi, trois à quatre minutes suffisent pour
ficiles montrent que la sanction est une néces- permettre à un enfant de retrouver son calme
sité éducative, qu’elle sécurise les enfants et que et l’inciter à mieux respecter les règles pour
l’art de sanctionner s’apprend vite. Si l’on pro- le reste de la journée.
cède avec détermination, il n’est pas nécessaire L’expérience montre qu’avec ces deux sanc-
de sanctionner souvent, ni durant une longue tions, il est déjà possible de résoudre un grand
période, pour que le recadrage réussisse. nombre de problèmes de comportements
dans les classes enfantines et primaires. Mais
Sanctionner sans punir il s’agit de respecter certains principes pour
que la mesure soit perçue comme une sanc-
Pour être concret, si un enfant perturbe tion et non comme une punition. Une sanc-
la classe, en bavardant par exemple, il suffit tion est une peine à endurer, un prix à payer
que l’enseignant lui demande de se lever, de pour avoir commis une faute, transgressé une
pousser sa chaise, de croiser les mains dans règle. Or la même mesure peut être soit une
le dos et de rester ainsi debout derrière son sanction, soit une punition. C’est l’attitude
pupitre pendant trois minutes. La première de l’enseignant, sa façon de signifier la sanc-
fois, l’enseignant explique à l’enfant qu’il est tion et son intention au moment où il agit
pénalisé en devant rester debout parce qu’il qui feront que la mesure sera acceptée comme
n’a pas respecté telle ou telle règle. Au terme une sanction méritée, ou au contraire vécue
de la pénalité, l’enseignant indique à l’enfant comme une punition injuste ou humiliante
qu’il peut se rasseoir. Quand les élèves sont qui engendrera de la rancœur chez l’élève.
habitués, un simple geste suffit pour signifier La peine à endurer ou le prix à payer pour
la sanction. C’est la toute première sanction une faute est une punition quand l’intention
qui accompagne l’acte vise l’enfant lui-même
et non son comportement, et a pour inten-
tion de le faire souffrir, de le stigmatiser ou de
l’humilier. Envoyer un élève dans un coin de
la classe ou à sa place, en s’adressant à lui de
façon blessante et en lui disant qu’il n’est
qu’un bon à rien ou en le traitant de nul, est
un exemple de punition qui n’est pas rare (voir
la figure 5). La peine à endurer ou le prix à

5. Envoyer un enfant au coin


est une punition, si l’intention de l’enseignant
est de le faire souffrir ou de l’humilier. Au lieu
de punir, il vaut mieux sanctionner de façon
respectueuse et bienveillante, c’est-à-dire
Gladskikh Tatiana / Shutterstock

donner à l’enfant une pénalité, un prix à payer


pour avoir enfreint une règle. Demander
à un élève de rester trois minutes debout
derrière sa chaise, bien droit et en silence, est
un exemple de sanction très efficace au primaire.

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payer pour une faute acquiert une valeur de


sanction éducative quand l’intention de 6. Pour l’enfant,
l’enseignant vise le comportement de trans- l’autorité s’enracine
gression d’une règle et non la personne elle- dans une relation
même, et qu’il entend, de façon bienveillante, affective. Les activités
conviviales
aider l’enfant à prendre conscience de ses actes
et rituelles, telles
et à améliorer son comportement.
que le fait de lire
Cette nuance est subtile, mais essentielle. chaque jour
Aujourd’hui, la pratique courante dans les une histoire
établissements est plutôt la punition et c’est à la classe, favorisent

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une des raisons du développement de l’in- l’instauration
discipline. Il est essentiel que les enseignants d’un climat d’autorité
cessent de punir et se mettent à sanctionner. serein entre
Avec des classes ou élèves difficiles, l’expé- l’enseignant
rience montre que la sanction est nécessaire et les élèves.
pour avoir une chance de réussir un reca-
drage et qu’il faut sanctionner les élèves qui
ne respectent pas les règles mises en place.
Avertir ou menacer ne mène à rien. Pire, si
les règles sont claires et qu’en cas de trans-
gression, il ne se passe rien, ces règles per-
dent toute efficacité. Les élèves comprennent et animé de bienveillance. Il est aussi très rare
vite qu’elles ne sont là que pour la forme et que des parents viennent contester les mesu-
développent un sentiment d’impunité qui a res prises et soutenir leur enfant. Ils com-
des conséquences désastreuses. Les ensei- prennent généralement qu’ils ont intérêt à
gnants doivent montrer par leurs actes qu’ils collaborer avec l’enseignant pour le bien de
ne plaisantent plus. Pour cela, ils doivent se leurs enfants. Ce qui engendre les conflits et
persuader que la sanction n’est pas un échec, les refus, ce sont les mesures de type punitif,
mais une condition indispensable non seu- pas les véritables sanctions.
lement pour restaurer un cadre de travail
acceptable pour tous, mais aussi pour per- Retrouver confiance !
mettre aux élèves de changer et leur appren-
dre à devenir responsables de leurs actes. Pour faire face à des classes ou élèves diffici-
les, les enseignants doivent retrouver confiance
S’inspirer de l’arbitre et développer la détermination nécessaire pour
mener à bien les recadrages qui s’imposent. En
Le premier pas consiste à se déterminer équipe et avec le soutien de leur direction, ils
mentalement à devoir sanctionner, comme le sont la plupart du temps capables d’infléchir
fait un arbitre de football ou de hockey sur assez facilement les situations auxquelles ils
glace qui entre sur un terrain ou une patinoire sont confrontés. Il leur faut vraiment prendre
en sachant à l’avance qu’il devra forcément conscience que la plupart des problèmes dis- Bibliographie
sanctionner tel ou tel joueur, parce que les ciplinaires qui se posent dans les classes mater- J.-Cl. Richoz, Gestion
règles ne seront pas respectées. Le deuxième nelles et primaires peuvent se résoudre en de classes et d’élèves
pas est d’apprendre l’art de sanctionner. Pour classe et que le piège pour eux est de se sentir difficiles, Éditions
Favre, 3e édition,
cela, l’arbitre est également un bon exemple impuissants en attribuant principalement à
2012.
à suivre. Il siffle le plus souvent des sanctions des causes extérieures (familiales ou autres)
C. Halmos, L’autorité
immédiates (coups francs directs au football, l’origine des problèmes. Cela exige conviction expliquée aux parents,
pénalités de deux minutes au hockey) et lève et détermination, comme le dit très bien NiL Éditions, 2008.
de temps en temps ses cartons jaune ou rouge Marie-Julie, une enseignante au primaire qui J. Blin et al., Classes
sans air menaçant, de façon déterminée et a réussi toute seule à venir à bout d’une classe difficiles, Delagrave
respectueuse, car il est le garant du respect difficile : « Maintenant que j’ai vécu cette expé- Édition, 2001.
des règles. L’expérience de recadrage des clas- rience avec ma classe, je me rends compte qu’il M. Auger et al.,
Élèves « difficiles ».
ses difficiles montre qu’il n’arrive quasiment s’agit surtout de se faire confiance et de croire Profs en difficultés,
jamais qu’un élève refuse une sanction en pri- à ce que l’ont dit pour que cela marche. Édition Chronique
maire, si l’enseignant est vraiment déterminé L’essentiel, c’est d’être déterminée. » I sociale, 1995.

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Art et neurosciences

La leçon de lecture
« La Leçon » peinte par Pierre-Auguste Renoir en 1906
dégage une impression de calme et de jeu,
favorable à l’apprentissage de la lecture.
uand Pierre-Auguste Renoir

Q
François Sellal motiver, il faut l’habileté et la douceur persua-
dirige le Service (1841-1919) peint La Leçon sive de Madame Bielle, mais aussi l’encourage-
de neurologie en 1906, il a déjà produit ment et la surveillance de la petite fille un peu
à l’Hôpital Pasteur plusieurs tableaux de le- plus âgée située à droite. Elle surplombe le livre
de Colmar. çons tels que la Leçon de et son léger sourire lui confère le rôle tutélaire,
piano (1889), le plus connu, la série des Jeunes mais affectueux, de celle qui a déjà vécu cette
filles au piano, et la Leçon de guitare (1897). expérience. Sans doute les hésitations du gar-
Ce thème de l’apprentissage musical lui a sans çon lui rappellent-elles son propre apprentis-
doute été inspiré par l’enseignement musical sage, maintenant maîtrisé, et lui donnent-elles
qu’il a suivi auprès du compositeur français la fierté de savoir lire.
Charles Gounod (1818-1893).
Moins connu, ce tableau met en scène L’envie d’apprendre à lire
Claude, dit Coco, le troisième fils que Renoir
a eu d’Aline Charigot. Jean Renoir, le cinéaste, Mais on devine aussi chez Coco une envie
était leur deuxième fils. Claude est né en 1901 de se plier au travail requis : il dirige son
et a cinq ans lorsqu’est peinte cette scène d’ap- regard là où porte la main de l’institutrice, et
prentissage de la lecture. La personne la plus sa main gauche est sur la ligne à lire. Cela
âgée, située à gauche du tableau et à laquelle indique l’application qu’il accorde au déchif-
revient la coordination de cette tâche, est frement, sans doute hésitant et laborieux.
Madame Bielle, l’institutrice. De la toile, se dégage une impression de
On devine beaucoup de bienveillance dans calme et de douceur ; probablement les meil-
son attitude : le bras gauche qui s’appuie sur leures conditions pour que l’apprentissage
le dossier de la chaise de Claude enveloppe se fasse bien... Le secret est de faire passer le
et soutient délicatement l’enfant ; la main travail pour un jeu, d’éviter la contrainte et
droite, reposée sur le livre, indique la ligne à le stress. C’est ce qu’avaient déjà compris les
suivre, sans qu’un index autoritaire n’intime Romains, qui utilisent le même mot, ludus,
un ordre quelconque ; la bouche entrouverte pour désigner l’école et le jeu. La confusion de
trahit l’attention portée par l’enseignante à sa ces deux activités n’est-elle pas le meilleur
tâche : accompagner l’élève dans cette décou- garant de l’acceptabilité et de la réussite de l’ap-
verte de la lecture. prentissage, tant la tâche est de longue haleine ?
Bibliographie
La pose de l’enfant n’est pas celle d’un petit C’est ce qu’aurait exprimé Renoir, au crépus-
Jean Renoir, garçon avide de savoir et concentré. On remar- cule de sa vie : en rendant ses pinceaux à l’in-
Pierre-Auguste Renoir, que une certaine nonchalance dans son main- firmière, il aurait déclaré : « Je crois que je com-
mon père, Folio, 1999. tien, la tête appuyée sur la main droite. Pour le mence à y comprendre quelque chose. » I

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La Leçon, Pierre-Auguste Renoir (1906)

© The Gallery Collection / Corbis

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Test : Êtes-vous motivé ?

Quelle motivation anime votre enfant à l’école ?

C equ’un
questionnaire permet de tester la motivation de l’élève, à l’école, au collège ou au lycée. Ce n’est
exemple illustratif. Lisez chaque série de questions et cochez une seule réponse.

Je travaille en classe parce que je veux Dès que j’aurai l’âge, je quitterai l’école :
apprendre de nouvelles choses : 0 J Vrai
5 J Vrai 1 J Plutôt vrai
4 J Plutôt vrai 2 J Un peu vrai
1 J Un peu vrai 3 J Faux
0 J Faux
J’essaie de bien faire, parce que j’apprends
des choses qui m’intéressent : Faites le total des points correspondant à chaque réponse
5 J Vrai que vous ou votre enfant avez cochée :
4 J Plutôt vrai
1 J Un peu vrai
0 J Faux SCORE ENTRE 17 ET 25 : votre enfant est en motivation
J’essaie de bien faire, parce que j’aurais intrinsèque, il aime découvrir des choses nouvelles et
une mauvaise image de moi si je ne le faisais pas : l’école lui fournit cette opportunité. Il fait sans doute
3 J Vrai ses devoirs avec le même plaisir que lorsqu’il joue, et
2 J Plutôt vrai a probablement de bonnes notes.
1 J Un peu vrai
SCORE ENTRE 14 ET 17 : votre enfant est plutôt en moti-
0 J Faux
vation extrinsèque comme la plupart des enfants.Tout
J’essaie de bien faire pour que mes professeurs ce qui se fait à l’école ne l’enthousiasme pas, mais il le
pensent que je suis un(e) bon(ne) élève : fait pour vous faire plaisir ou parce qu’il comprend qu’il
3 J Vrai est nécessaire d’apprendre pour réussir plus tard.
2 J Plutôt vrai
1 J Un peu vrai SCORE ENTRE 8 ET 13 : votre enfant n’est pas très
0 J Faux motivé, il va à l’école parce que c’est obligatoire ou uni-
Je n’arrive pas à savoir à quoi cela sert quement pour vous faire plaisir. Avant que votre enfant
de travailler en classe : ne soit complètement démotivé ou se rebelle, essayez
0 J Vrai de le remotiver en augmentant sa compétence perçue
1 J Plutôt vrai (avec des cours particuliers par exemple) et en lui fai-
2 J Un peu vrai sant choisir une activité (ou plusieurs) qui lui plaise.
3 J Faux
Je comprends que certains élèves s’opposent SCORE ENTRE 0 ET 7 : votre enfant ne se plaît pas à
aux professeurs : l’école ; soit il se rebelle contre le système, soit il est
0 J Vrai complètement démotivé. Dès qu’il aura l’âge légal, il vou-
1 J Plutôt vrai dra quitter le système scolaire qu’il ne juge pas adapté
2 J Un peu vrai à ses attentes. Essayez de le remotiver (voir comment
3 J Faux au score entre 8 et 13) !

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le 9 novembre 2012
Imprimé en France – Roto Aisne – Dépôt légal août 2012 – N° d’édition 076911-01 – Commission paritaire : 0713 K 83412 –
Distribution NMPP – ISSN 2115-7197 – N° d’imprimeur 12/07/2007 – Directrice de la publication et Gérante : Sylvie Marcé

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