97-Texte de L'article-180-1-10-20191216
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POTENTIALITÉS DE TRIPOLI
Certes, cette ville remonte beaucoup plus haut dans le temps que ses vestiges :
son nom à lui seul déjà est un poème, une page écrite par la fable. Trablos, la deuxième
ville du Liban par l’importance,
a l’orgueil de sa propre histoire : elle ne veut nullement être une Beyrouth bis et tient à
sa personnalité fortement marquée dans la pierre.
Salah Stétié
QUIPROQUO CONTEMPORAIN
Et pourtant, depuis trois décennies la cité parfumée est au centre de
toutes les controverses. Chanter ses louanges requiert de l’audace tant
elle a été pointée des doigts. Ville maudite, hantée par son mauvais
sort dont elle n’arrive pas à se défaire. On l’accrédite de banditisme,
l’accuse d’islamisme et la préjuge de médiocrité. On lui assujettit
des querelles et des conflits sporadiques déchirant sa population,
déplaçant ses habitants l’isolant petit à petit du reste du pays.
Les résultats ne se font pas attendre. Il faut reconnaître que Tripoli
aujourd’hui n’est plus ce qu’elle était. Aussitôt la guerre finie, la ville
devient incontrôlable : crise économique, pauvreté, conflits armés,
radicalisation, corruption, dégradation du patrimoine et changement
démographique. En quelques années seulement, elle atteint le record
de la ville la plus pauvre de la côte-est de la Méditerranée, proclame le
rapport des Nations-Unis. De toutes les villes libanaises, elle est celle
qui a le moins succombé à l’acculturation. Par le biais d’un rapide tracé
1
L a kaaké est une miche de pain au sésame que des marchands ambulants vendent comme
petit en-cas – NDLR.
64
Patrimoine et potentialités de Tripoli
qui a été célébrée par l’un des premiers grands troubadours, chantre
de l’amour courtois3 dans son expression la plus poétique –, chant
d’amour inspiré des mouwashahât4 arabo-andalouses. Que savons-
nous exactement de Jaufré Rudel, victime de l’amour impossible ?
Selon la légende, Jaufré Rudel5, prince de Blaye, s’éprend d’Hodierne6
de Jérusalem, la comtesse de Tripoli, sans l’avoir jamais vue, il avait
juste entendu parler de sa beauté par des pèlerins d’Antioche. Dès lors,
il se mit à lui composer des vers qu’il chantait lui-même. Ayant appris
cela, la princesse tombe à son tour amoureuse du poète. Il se rend à
Tripoli pour échanger avec elle le « baiser courtois » tel que l’exigeait
la tradition des troubadours, élément essentiel à l’accomplissement de
l’acte d’amour selon le sacro-saint usage de la « fin amor ». Or il tombe
malade à son arrivée et est amené agonisant dans une maison de la cité.
On avertit la comtesse (qui était déjà veuve), elle accourt au chevet
du poète et le prend dans ses bras. Il la reconnaît aussitôt. « Et il loua
Dieu », dit son biographe, « le remerciant de l’avoir laissé vivre jusqu’à
ce qu’il l’eût vue ». Et aussitôt il meurt dans les bras de sa bien-aimée
lointaine qui le fait ensevelir dans la maison du Temple. Puis, ce même
jour, elle se fit nonne à cause de la douleur qu’elle eut de la mort de
Jaufré ».
Il serait difficile de supposer que le thème de la « mort d’amour », du
« fin amor » ou « amour odhrite », commun chez les troubadours, ait
pu naître au Château de Saint-Gilles à Tripoli. On connaît cependant la
filiation de ce genre poétique depuis la poésie préislamique, en passant
par les mouwashahat arabo-andalouses et la littérature en langue d’oc7
qui s’éprit de la comtesse de Tripoli rien que sur sa réputation. Avant Rostand, Pétrarque
lui-même avait évoqué la figure de Jaufré Rudel « avec la voile et la rame à la recherche de
sa mort » – NDLR.
3
L ’amour courtois dit encore « odhrite » s’inspire du genre poétique arabo-andalou connu
sous le nom de « odhri » ou « amour interdit » qui s’oppose à « l’amour licencieux » ou ibahi
et dont le genre remonte à la poésie préislamique. (Mu’allaqat, Majnun Layla…) – NDLR.
4
Mouwashahât : poèmes d’amour composés par les poètes arabo-andalous. Ils étaient mis
en musique et chantés dans les cours seigneuriales. Ils ont profondément influencé la
poésie lyrique de langue d’oc du Moyen-Âge. Les troubadours premiers poètes d’amour en
occident, sont nés suite à cette rencontre des cultures. Une similitude frappante dans la
forme poétique des vers des poètes d’oc avec celle de la poésie mozarabe. Ce rapprochement
entre les deux poésies est connu sou le nom de l’hypothèse arabe. Cf : Henri Pérès, la poésie
andalouse en arabe, classique au XIe siècle, Ménendez Pidal, Les Troubadours.
5
Ou Joffroy Rudel – NDLR.
6
Dans le drame de Rostand, la Comtesse de Tripoli est appelée Mélissinde – NDLR.
7
f. Éric Brogniet, L’influence des poètes arabes préislamiques sur la naissance de l’amour
C
courtois chez les troubadours de langue d’oc [en ligne], Bruxelles, Académie royale de
langue et de littérature françaises de Belgique, 2017. https ://www.arllfb.be/ebibliotheque/
communications/brogniet09042011.pdf (consulté le 23/03/2019)
66
Patrimoine et potentialités de Tripoli
8
ttp://www.joel-jegouzo.com/article-amor-de-lonh-l-amour-de-loin-jaufre-rudel-
h
vers-1145-118564000.html
9
J aufré Rudel : Chansons pour un amour lointain, adaptation d’Yves Leclair, Federop, Gardonne,
2011.L’Académicien Amin Maalouf écrivit une pièce d’Opéra en cinq actes, « l’Amour de
Loin » qui a été interprétée par Kaija Saariaho au Festival de Salzburg le 15 août 2000, a été
jouée par le SWR Symphonie orchester sous la direction de Kent Nagano. L’œuvre a reçu le
Grawemeyer Award en 2003.
67
Joumana CHAHAL TADMOURY
cette ville est la maison connue sous le nom de « Dâr el sa’sada » (hôtel
de la félicité).
Nous pourrions multiplier à l’infini les citations sur cette ville
emblématique du passé mais tel n’est pas le but. Ces anecdotes, ces
histoires ne sont là que pour ajouter au décor monumental de la ville
auquel nous allons ajuster notre regard. En dépit de la distance qui nous
sépare de tout ce legs passé, ce dernier demeure cependant toujours
vivace dans nos mémoires11.
11
Le patrimoine culturel est en perpétuel changement, et a subi de grands
changements ces dernières années, en partie du fait des instruments élaborés
par l’Unesco. Il ne s’arrête plus aux monuments et aux collections d’objets. Il
comprend aussi les traditions, le culinaire, les proverbes, les expressions vivantes
héritées de nos ancêtres, comme les traditions orales, les rituels et événements
festifs, le savoir-faire et l’artisanat traditionnel.
69
Joumana CHAHAL TADMOURY
UNE VILLE-MUSÉE
En effet, une promenade dans Al-Fayha’a (la ville parfumée) permet, en
trois heures, de parcourir mille ans d’histoire12, « une ville transparente
qui découvre les strates de son histoire devant le grand passionné » dit
Hind Adib : depuis les Phéniciens13 à el-Mina jusqu’à la modernité avec la
fameuse Foire Internationale Rachid Karamé, œuvre inégalée du célèbre
architecte Oscar Niemeyer ; en passant par les périodes hellénistique,
romaine, byzantine, omeyyade, croisée, mamelouke, ottomane ainsi
que celle du protectorat français14. Le regard découvre une mosaïque
de détails architecturaux et de motifs d’ornements tellement différents,
selon les quartiers, qu’il est impossible de définir une typologie15
précise. De plus, la ville est au centre d’une région riche en couvents,
monastères et églises, depuis les petites villes côtières, les différentes
localités des basses plaines au pied du Mont-Liban, jusqu’aux gorges de
la Kadisha (la vallée sainte).
Mais il n’y a pas que les monuments de jadis et les lieux de pèlerinage, il y a
aussi tout un patrimoine vivant et actif. Il s’agit de ces métiers artisanaux
qui résistent aux changements et au modernisme. Tripoli est une ville
traditionnelle jalouse de son passé et qui tient à ses métiers artisanaux
qui le perpétuent dans son authenticité. Face à la mondialisation et au
consumérisme ambiant, les métiers artisanaux sont très prisés, au Liban.
Ils demeurent d’un prix abordable, notamment dans les ruelles des
quartiers défavorisés qui grouillent d’un sous-prolétariat de démunis et
de sans-le-sou. Une bonne politique de développement, s’appuyant sur
le patrimoine, pourrait valoriser cette main d’œuvre et profiter de ces
atouts pour faire de Tripoli une ville touristique à l’instar d’autres villes
12
Hind Adib, Tripoli, City of all Eras, (texte arabe), Mario Saba (photographie),
Université de Balamand, 253 p.
13
Des vestiges phéniciens et romains se trouvent sur l’île des Lapins, à visiter à
l’occasion d’un tour à Tripoli.
14
Plusieurs artères et rues de Tripoli ont été construites au début du XXe siècle
s’inspirant du style des arts décoratifs alors en vogue en Occident, présente
des caractéristiques architecturales très intéressantes avec des Bow window
scupltés, des logias arrondis et menus décorations dessinés avec soin par les
premiers architectes. Je citerai les rues Azmi et ses environs, Moutran, Ezzdine,
les quartiers Zahrieh et Kobbé etc.
15
Une typologie en architecture est une démarche méthodique de classification
d’un ensemble de types. Elle aide à déterminer le style architectural d’un lieu.
70
Patrimoine et potentialités de Tripoli
moins une heure, les échoppes dans les souks, restaient ouvertes sans
surveillance. On se contentait de baisser des rideaux de fortune, ou bien
il suffisait de tendre une corde ou une canne pour signifier au public que
la boutique était momentanément fermée. De nos jours, cette tradition
est respectée malgré tous les changements subis pendant les années
de guerre et de chaos. Les tripolitains attribuent leur conduite à un acte
de foi, toute religion confondue, magnifiée par l’éducation religieuse
inculquée, dès le plus jeune âge aux enfants, dans les écoles religieuses
très nombreuses dans la ville, catholiques, orthodoxes ou musulmanes.
Urbanité et sociabilité de partage
Aux grandes occasions religieuses, les tripolitains ont le souci de
souder la convivialité urbaine de leur vivre-ensemble17. La procession
de la Vierge est un moment très attendu où chrétiens et musulmans
sillonnent côte à côte les rues de la ville, suivant le cortège et finissant
chez un hôte pour déguster ensemble les pâtisseries offertes, comme
le maamoul préparé selon la tradition à l’eau de fleur d’oranger
distillée avec soin par la maîtresse de maison dans la karaké18 qu’on
sort pour l’occasion quelques jours auparavant, en mars, avant le
mois de mai consacré à la Vierge Marie. Dans la littérature consacrée
à la vie quotidienne tripolitaine, on raconte même que les visiteurs,
venus souhaiter la bonne fête, repartaient toujours avec leur sakbé,
une assiette de pâtisseries fabriquées par la maîtresse de maison. Ces
obligations de courtoisies étaient toujours réciproques. C’est ainsi que
les chrétiens observaient avec leurs voisins musulmans les rituels du
Ramadan. Ce vivre-ensemble est également visible sur les noms donnés
à certaines rues comme la Rue des Bonnes sœurs, Rue des Églises, Rue
de l’Évêque, Rue Saint-Élie, Rue Saint-Maron etc. Entre travail, études et
loisirs, les tripolitains ont appris à se connaître et à établir des relations
qui dépassent le cadre étroit de leurs appartenances communautaires et
régionales. Les écoles chrétiennes ont certes joué un rôle très important
dans ce travail de connaissance de l’autre et d’initiation à la diversité
religieuse et culturelle. On y trouve inscrits autant d’élèves musulmans
17
Plusieurs chercheurs et romanciers tripolitains se sont penchés sur le mode de vie
à Tripoli durant les XIXe et XXe siècle. Je citerai Dr Maha Kayal, anthropologue qui
a écrit plusieurs ouvrages, en langue arabe, sur les us et coutumes de l’époque,
SE l’ambassadeur Khaled Zyadé, Dr Fadl Zyadé, MM. Mohamad Sinjikdar, Riad
Dabliz, Mohamad Nour el-dine Mikati, Dr Nazih Kabbara, Dr Lameh Mikati, Dr Saba
Zreik et d’autres. Tous décrivent un mode de vie ancré dans les traditions et les
valeurs, toujours dans le souci de la transmission d’un patrimoine riche et très
apprécié.
18
La karaké est un alambic de distillation – NDLR.
73
Joumana CHAHAL TADMOURY
19
Une demande émanant de la Délégation permanente de l’Unesco, suite au travail
assidu de l’architecte Jad Tabet et son équipe, de l’Ambassadrice Mme Sahar
Baassiri de l’association Patrimoine Tripoli Liban (PTL) et des très nombreux
militants, la foire a enfin été proposée sur la liste indicative de l’Unesco.
20
Il s’agit de l’aéroport de Koleyat, anciennement baptisé aéroport René Mouawad,
est une nécessité absolue pour le développement du nord du Liban, et à la
reconstruction de la Syrie. Aussi, le Liban est l’un des rares pays au monde qui n’a
qu’un seul aéroport, l’aéroport Rafic Hariri, insuffisant pour le pays notamment
après la crise syrienne.
21
Il s’agit de la Gare de Tripoli. Cela fait plus de 50 ans qu’elle a été abandonnée. Elle
abrite de très belles locomotives datant de 1902 à 1945. Une d’elles, de fabrication
allemande, a été offerte au Liban en compensation de la guerre. Plusieurs trains à
vapeurs gisent au milieu de ces bâtiments en ruine. Elle a été récemment rouverte
à la population en juin 2018, grâce à quelques travaux d’aménagements réalisés
par l’Association Patrimoine Tripoli Liban (PTL) pour devenir depuis, un lieu de
promenade où grands et petits s’inclinent face aux majestueux trains rouillés de
la belle époque, et qui en disent long sur la société anonyme crée par quelques
familles tripolitaines ayant reconnu l’importance du transport ferroviaire dans le
développement des villes. Ce sont eux-mêmes qui ont posé la première pierre
en 1989 avec l’accord des autorités ottomanes qui avaient équipé la capitale
Beyrouth d’une gare, celle de Mar Mikhaïl.
22
L’Orient-Express avait pour terminus la Gare de Sirkeci à Constantinople. Les
voyageurs étaient transbordés sur le Bosphore jusqu’à la Gare de Haydar Pasha
sur la côte aisatique d’Istanbul où ils prenaient le Taurus-Express jusqu’à Ankara
d’où ils pouvaient rejoindre Alep, Tripoli, Bagdad – NDLR.
74
Patrimoine et potentialités de Tripoli
ACTIVITÉ INDUSTRIELLE
Tripoli était jusqu’aux années 1970, la ville la plus industrialisée
du pays. Elle a connu une période de prospérité favorisée par la
construction d’usines, qui ont fermé pendant la guerre civile, ayant
subi de plein fouet la concurrence asiatique. Malgré tout, les souks y
constituent pour leur part, un pôle d’attraction pour les habitants des
régions avoisinantes ce qui se répercute positivement sur le secteur
commercial. En effet, la ville regorge de souks spécialisés disparates
et dont chacun s’enorgueillit d’une spécialité. Construite par les
mamelouks, la situation géographique et stratégique de la ville, l’avait
de fait vouée, au commerce. Et comme le veut la coutume chaque
souk était indépendant24, on y dénombre ainsi une dizaine de souks
différents qui s’enchevêtrent et se rejoignent selon une construction
en labyrinthe dont le rôle était d’empêcher un éventuel conquérant de
rentrer facilement dans la ville. Avec l’industrialisation, certains métiers
artisanaux qui avaient fait pourtant sa réputation ont disparu. Parmi
eux citons les affûteurs (de couteaux), les étameurs (du cuivre), ou
encore les matelassiers. D’autres métiers, comme celui des ciseleurs du
cuivre ou dinandiers, dont les sons de leurs marteaux frappant le métal
résonnaient à travers toute la médina, ont été transférés hors de la ville
dans le cadre du projet CHUD25. Le Khan el Khayatin, (le caravansérail
24
Jadis, la coutume voulait qu’on ne mélange pas les produits « sales », (poisson,
viande etc.) avec les denrées « propres » tels que le savon, les textiles et autres.
C’est la raison pour laquelle chaque bazar est séparé de l’autre et on y accédait
par différentes portes qui n’existent plus de nos jours, sauf par le nom. On
distingue la porte rouge, la porte du fer, la porte du sable, la porte de l’or, la porte
des tanneurs etc. Ces portes ont disparu mais les entrées sont encore là, comme
celle du Khan El-Khayatin, le caravansérail des tailleurs. Une seule porte subsiste
toujours, celle du caravansérail du savon. Elle est fermée à la tombée de la nuit.
On compte aussi plusieurs souks, dont les plus connus sont les Souk-el-Attarine
(marché aux épices), Souk-el-Samak (aux poissons), Souk-el-Bazerken (le Bazar),
Souk-el-Sagha (marché des orfèvres) etc.
25
Le projet CHUD désigne City Heritage Urban And Development est initié par le
Centre de Développement et de Reconstruction du Liban de Beyrouth. Un projet
financé en grande partie par la Banque centrale et l’Agence française pour le
Développement pour sauver les centres historiques des trois villes libanaises Tripoli
Saida et Tyr. Il est nécessaire de rappeler un des événements les plus tristes que la
ville de Tripoli ait connu, il s’agit de la crue du fleuve Abou Ali de 1956, emportant
76
Patrimoine et potentialités de Tripoli
Bijoutiers et orfèvres
Les bijoux aussi sont fabriqués et vendus dans le souk des bijoutiers
dans le quartier Nouri, le district des nobles dit-on encore aujourd’hui.
C’est ainsi que les bâtisseurs de la cité mamelouke avaient pensé la
ville. Les portes de la ville correspondaient au métier qu’on y exerçait.
Elles étaient sont donc hiérarchisées. La porte principale est celle de la
« Sagha » (Porte des Orfèvres). Elle est adossée à la grande mosquée, le
visiteur avait son itinéraire bien tracé. Il arrive en ville, fait ses ablutions
et ses prières, passe par le souk pour y découvrir sa marchandise, avant
d’atteindre, chemin faisant, le caravansérail pour y passer la nuit.
Gastronomie traditionnelle
De nombreux restaurants de cuisine traditionnelle28 sont nichés dans
les ruelles. Les pâtisseries de Tripoli ont acquis une réputation quasi
internationale. Leur particularité est dans la fraîcheur de la « croûte de
lait » ou ashta. On dit que les champs de canne à sucre29 à profusion
permettaient un surplus de production de sucre dont une partie
était employée dans la fabrication de desserts et sucreries. Certaines
spécialités ne sont connues qu’à Tripoli. Je cite rapidement la jazarié, à
base de potiron, et aussi la halawet el rez à base de pâte de riz en forme
d’œuf qu’on farcit de crème tripolitaine et qu’on s’amuse à appeler
aussi « testicules des anges ». C’est un régal pour le palais. Mais c’est
sans doute la halawet el jibn un mélange de fromage, de semoule fine
et de fleur de maïs qui détrône toutes les autres spécialités orientales.
Actuellement cette industrie, tout comme tout le patrimoine culinaire
tripolitain dont on fait les louanges d’ailleurs, se porte très bien grâce à
des entreprises familiales et ancestrales très connues à l’international.
Jusque-là, ils ne participent pas à la promotion de la ville, alors qu’ils
devraient en être les principaux acteurs. Ils devraient participer d’une
façon plus sérieuse à l’économie du pays.
Souffleurs de verre
En outre, il est un métier d’art très important qui commence à se perdre
complètement, c’est celui de souffleur de verre. Le dernier survivant
de la famille, usé par la pénibilité du métier, et sans aucune aide, a pris
28
Les principaux ingrédients sont le pois chiche avec lequel on prépare le homous
et la fameuse tess’eyeh (panade à bas de pois chiche de yaourt, d’ail et de pain
grillé) pour le petit déjeuner traditionnel le plus commun, les fèves du foul ou la
moghrabieh de chez Dabboussi. Ces petits restaurants se multiplient et sont dans
l’ensemble propres et de bonne qualité..
29
Cf. Omar Abdessalam Tadmouri, L’histoire politique et civilisationnelle de Tripoli,
Dar el Iman, t. 1, Liban – ouvrage en langue arabe.
79
Joumana CHAHAL TADMOURY
de l’époque des croisades –, elle est considérée comme une des plus
vieilles mosquées du Liban. On y présente chaque année, le 27e jour
du Ramadan, durant la nuit du destin, sur un présentoir en or, un poil
supposé avoir appartenu à la barbe du prophète Mohamad, un cadeau
offert à Tripoli par le Sultan Abdulhamid. Tout le long de l’année cet
objet est précieusement gardé à la Direction des Wakfs30.
Oratoires et Mausolées
On citera la présence de plusieurs oratoires et mausolées de « saints »
musulmans ou « wali » dont le plus connu est celui de Sidi Abdel
Wahid (1305-1306). On ne peut pas ne pas évoquer une curiosité qu’on
ne trouve dans aucune autre ville, à savoir la mosquée ottomane al-
Moallaq (suspendue) qui se dresse au-dessus d’une rangée de magasins.
Elle a l’originalité d’avoir été construite au-dessus d’un passage voûté.
À côté, se trouve un jardin où l’on peut voir la tombe de son créateur,
Mahmoud Lutfi al-Za’im.
Monuments chrétiens
Il n’existe plus beaucoup de monuments chrétiens. La plupart ont en
effet été détruits en 1279 quand le sultan mamelouk a conquis la ville
des Croisés, on en trouve quand même quelques-uns dans le quartier
Zahriyah, comme la très belle cathédrale Saint-Georges des orthodoxes
(1873) avec son somptueux iconostase de marbre finement sculpté et sa
prestigieuse collection d’icônes royales réalisées à l’école de Jérusalem
par Mikhaël Hanna el-Qudsi, en 1874. À al-Mina, à l’emplacement d’une
église croisée, une autre cathédrale Saint-Georges, édifiée au cours de
la première moitié du XVIIIe siècle, présente de splendides boiseries et
un iconostase rare, dans le « style mosaïque syro-mamelouk ». D’autres
églises chrétiennes se trouvent dans la rue des Églises. Celles-ci ont
été construites au XIXe siècle. La plus ancienne des églises de la rue
est Saint-Nicolas, d’obédience grecque orthodoxe. Transformée en
église au début du XIXe siècle, il s’agissait à la base d’une savonnerie.
L’église Saint-Georges, également grecque orthodoxe, a été construite
dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Il s’agit de l’une des églises
les plus belles et les plus imposantes au Liban. Plus loin, vous pourrez
voir l’église Saint-Michel, la plus ancienne église maronite de Tripoli,
construite en 1889. Elle fait face à une petite église latine qui appartient
aujourd’hui à l’école italienne de Tripoli. Mais, la plus ancienne église
de Tripoli, est l’église Saydet al-Hara ou Notre-Dame du Quartier, qui
se trouve dans un des quartiers de Tabbaneh, au cœur de la vieille ville.
30
Le Wakf, en droit musulman, est un bien de mainmorte – NDLR.
81
Joumana CHAHAL TADMOURY
Elle est datée du XIIIe siècle. Elle a été récemment restaurée après avoir
été lourdement endommagée durant les années de guerre civile.
Les madrassas ou écoles coraniques
Les madrassas31 ou écoles coraniques, bien qu’incontournables dans
toute cité arabe, se font rares de nos jours, sauf à Tripoli où elles
sont nombreuses. Leurs élégantes façades caractérisées par une
succession de pierre noire et blanche et rehaussées de stalactites et
d’un linteau retiennent le souffle des promeneurs avisés. La plus belle
est la Madrassa Bortassiya, qui comme ses petites sœurs, Al-Madrassa
Al-Saqraqiya et Al-Madrassa Al-Khatouniya, se trouvent à l’entrée des
souks des bijoutiers. A l’entrée de la Khatouniya on trouve gravé, sur
deux panneaux de marbre, le décret religieux (wakef) de sa fondation.
Quant à la Saqraqiya, une bande d’inscription parcourt sa façade.
Quasiment tous les monuments de la vieille ville, sont gravés en
calligraphie koufi, de versets coraniques. De l’intérieur, on distingue
un plafond à alvéoles et des corniches colorées qui rappellent
l’architecture islamique de l’époque. Toutes possèdent le tombeau
de leur fondateur, exceptée la Madrassa al-Nasiriya, dont le fondateur
n’était autre que le sultan mamelouke lui-même, al-Nasser Hassan ibn-
Qalawun32 (1334-1361). Partout ailleurs dans la vieille ville de Tripoli, les
petites rues recèlent de bonnes adresses. Au détour d’une promenade,
on peut croiser des colonnes à chapiteau datant de l’époque byzantine,
dont celles qui se trouvent à El Mina ou à l’entrée du Souk des Tailleurs.
Les Hammams
Par ailleurs, la ville possède de nombreux établissements de bains
publics, ou hammams, qui se distinguent eux aussi par leurs coupoles
repérables de loin. Leurs voûtes sont quasi aériennes. Filtrée par les
couleurs vénitiennes de leurs vitraux, la lumière pénètre en demi-
teinte grâce à ces sphères en verre soufflé, donnant à ces lieux
une atmosphère au charme exquis et pittoresque. Des hammams
nombreux de la ville il n’en reste que six, dont seul le Hammam Al-
31
Les « Madrassas » ce sont les écoles coraniques construites par les Mamelouks.
Nombreuses sont les écoles coraniques dans la vieille ville. On en dénombre 23
dans l’ouvrage sur les Écoles et mosquées de la « Fayha’ » paru en 2003 par « la
Direction des Awkaf de Tripoli, édition bilingue anglais, dont les plus connues sont
Al-Shamsiya, Al-Nouriya, Al-Mardaniya, Al-Homsiya, Al-Quartawiya, Al-Nasiriya,
Al-Khatouniya, Al-Towashiya etc.
32
Al-Nasser Badr ad-Din ibn Muhamad ibn Qalawun régna comme sultan mamelouk
d’Égypte. Il régna une première fois de 1347 à 1351. Il fut déposé puis restauré sur
son trône en 1355 – NDLR.
82
Patrimoine et potentialités de Tripoli
La pension Al-Khankah
Niché dans l’une des vieilles bâtisses du quartier résidentiel de la place
Deftardar, ce monument unique au Liban est une pension pour veuves
et femmes déshéritées. À l’origine destiné à accueillir les soufis, Al-
Khanqah a été construit pendant la deuxième moitié du XVe siècle.
À l’intérieur du bâtiment, se trouve un patio avec, en son milieu, une
fontaine. De part et d’autre une enfilade de chambres et tout au bout
un tombeau qui serait celui de la fondatrice.
UN AVENIR PROMETTEUR ?
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