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Pratiques culturelles, Ia sauvegarde

ARCHIV
servation de Ia biodiversitë
BUTARE de I 'Quest et du Centre
121400

du Séminaire-Atelierde Ouagadoug6u (Burkina Faso)


du 18au21 juin 2001
IDRC Lib.

Pratiques culturelles, Ia sauvegarde


et Ia conservation de Ia biodiversité
en Afrique de I'Ouest et du Centre
C19J %Y:)OOC-

3LrIlX6
Pratiques culturelles, Ia sauvegarde
ella conservation de Ia biodiversité
en Afrique de I'Ouest el du Centre

Actes du Séminaire-Atelier
de Ouagadougou (Burkina Faso),
du 18 au 21 juin 2001

Sous Ia direction de Innocent BUTARE

Centrede recherchespour le développement international


/
CR01 Zoom Editions @2003

Editeur : Zoom Editions - Tel. : 827 08 61/549 57 45


E-mail : [email protected]

Couverture; Maquette - D. Nadji


Composition - Zoom Editions

Tous droits reserves. Toute reproduction, stockage dans un système d'extraction ou transmission en tout ou en partiede cette

publication, sousquelque torme ou par quelque moyen que ce Soit— support electronique ou mecanique, photocopie ou autre
— est interdite sans lautorisation expresse du Centrede recherche pour le développement international. Tous les noms de
spécialite mentionnés dana Ia présente publication ne soot donnés qua titre d'intormation et le tait qu'ilssoient mentionnés ne
signifie pas que le Centre es approuve,
Avant-propos

Les actes de l'atelier organisé a Ouagadougou du 18 au 21 juin 2001 sur le theme


<<Pratiques culturelles, sauvegarde et conservation de la biodiversitd enAfriquede 1'Ouest
et du Centre >> comblent une lacune importante de notre connaissance de l'approche des
savoirs locaux par des scientifiques dans cette partie du continentnoir.

Les communications qui y sont présentdes proviennent des différentspays de Ia zone que
sont: le Burkina, la Côte d'Ivoire, le Niger, le Togo et la Guinée.Elles ont pour auteurs
des chercheurs appartenant a diverses disciplines a savoir: 1'agronomie, La geographie,
l'histoire, La socio-anthropologie, etc. Les approches utilisées ont done diffdrentes,
bien que le theme soit commun. Les discussions, parfois difficiLes a mener suite a des
difficultds de vocabulaire ou de communication, ont enrichissantes et ont permis a
chacunde comprendre 1'intérêt d'une approche interdisciplinaire, surtoutlorsqu'un sujet
aussi complexe que La diversitd biologique et la diversité cultureLle au service du
développement est traité.

Dans l'ensemble, toutes les communications présentdes dans cet ouvrage apparaissent
comme une contribution d'importance a la nécessité dans laquelle se trouvent les pays
africains d'intdgrer les savoirs et les pratiques endogenes dans les politiques
environnementales. Toutes ont eu a montrer, diversement, comment les sociétés
africaines, en particulier celles de l'ouest, confrontées a de graves problèmes de
degradation ou de surexploitation de leurs ressources natureLles et de disparition de
nombreuses espèces utiles, pourraient puiser dans Leurs savoirs beaux et dans les
pratiques culturelles pour faire face a ces situations. C'est ainsi que de très nombreuses
modalités de sauvegarde et de conservation de La biodiversité par ces sociétés ont dté
identifiées et analysees. A titre illustratif, les dimensions suivantes ont mises en
exergue:
- sacralisation par La religion traditionnelle, les mythes et les rites, des forêts, bois,
La
bosquets, arbres et de certaines espèces végétales et animates;
- les interditsd'ordre mystique, totémique, coutumier et juridique;
- le droitcoutumier et diverses sortesde rCglementation;
- le role de certains acteurs: femiiic. chefs de terre et de village

les savoirs, techniques et pratiqtie uIuii ales
- La littérature orate et l'art exaltant Ia heaut' de Li IhIuIre ( eontes,récits, mythes, poésie,
chansons...).

V
L'évocation de tous ces aspects traditionnels de sauvegarde et de conservation de la
biodiversité en vue de proposerdes strategies < pour enracinerles politiques,les plans et
programmes locaux ou nationaux d'utilisation de cette biodiversité dans les cultures
locales et nationales >> fait de cet ouvrage une contribution majeure et de qualité au
développement de la recherchescientifique pour le développement.

Les auteursont eu la pertinencede reconnaItre que, dans un monde en rapide evolution,


certains de ces savoirs et pratiquesculturelles sont en perte de vitesse. Ainsi les religion
traditionnelles sont abandonnéesau profit de nouvellesdont les adeptes n'accordentplus
de caractère sacré aux elements de Ia nature ( forêts, arbres, animaux, rivière- ..). Les
règles qui, autrefois, guidaient la gestion des terres, de la brousse et des forêts sont
abandonnées au profit des ddcrets administratifs par des agents de l'Etat dont la
legitimite est souvent contestée. Le mercantilisme et la recherche du profit individuel
mettent de plus en plus a mal le souci d'une gestion communautaire des ressources
naturelles et sa mise en uvre par les institutions traditionnelles. La valorisation des
savoirslocaux pose donc des problèmescomplexes et compliques. Ii est heureuxque les
participants a l'atelier aient decide de constituer un réseau africain de < recherche et
dchanges sur les pratiques culturelles et Ia conservation de Ia biodiversitéen Afrique>>
rassemblant les chercheurs, les représentants des communautés rurales, les ONG et les
ddcideurs politiques, pour approfondir cette probldmatique prometteuse.

Le Centre de Recherche pour le Developpement International (CRDI) a accepté


d'apporter son soutien technique et financier a ce réseau. Il ne fait aucun doute que
d'autres donateurs et partenaires au développement s'associeront a cette intéressante
initiative d'étude et de valorisation des savoirs locaux pour le développement de
I'Afrique.

Innocent Butare
Juin 2003

Avant-propos
Table des matières

Introduction 9
Actesdu séminaire-atelier 11

1 Gestiondes espèces vegetales sacrées


dans le milieu Madare au Burkina Faso:
cas du rônier, du karitéet du néré 13

2 Forêts sacrécs de Côte-d'Ivoire:


Ia traditionau secours de I'environnement 33

3 Preservationde la biodiversité:
les réponsesdes religionsafricaines 47

4 Role des femmes et des tradipraticiens


dans Ia conservation ct la valorisation
de Ia biodiversité dansle sud-ouest du BurkinaFaso 69

5 Pratiques culturelles de la conservation


des ressources naturelles en milieurural Mossi
du centre-nord du BurkinaFaso 89

6 Connaissances etpratiquestraditionnelles
pour uneconservation de la biodiversité
au BurkinaFaso 103

7 Connaissances endogenes et gestion


de Ia diversité vegetaleau Togo 123

8 Connaissance holistique de l'arbre


chez les paysans de Bogodjotou au Niger 135

9 Gestiontrans-villageoise des ressources naturelles


le cas du Gwendégué (centre-ouest BurkinaFaso) 163
10 Pratiques traditiomielles de gestion
des ressourcesvégétales en milieu Bamanan
du Bélédougou (Mali) 193

11 Role des structures traditionnelles


dans la valorisation de la biodiversité en Guinée 205

12 Representations végétales
commesoubassement auneaction
de sauvegarde et de conservation de la biodiversité 213

13 Pratiques culturelles et réalités scientifiques


dans la conservation in de la diversité biologiqueagricole 229

14 Habitudes alimentaires : une source de conservation


de la biodiversité en COted'Ivoire 243

Annexes 263

Annexe I 265
Annexe2 269
Annexe 3 273

Table des matléres


Introduction

L'homme, depuis des siècles, a toujours utilisé les plantes pour satisfaire ses besoins
quotidiens (alimentation, soins de sante, etc.). Cette situation est particulièrement vraie
pour les pays africains et plusieurs auteurs estiment que plus de 80% de la populationsont
tributaires des ressources naturelles pour leur survie. Malgré cette importance pour
l'alimentation, I'artisanat, la médecine traditionnelle, l'industrie, etc., force est de
constater que de nos jours, ces ressources sont menacées par la croissance
demographique, l'urbanisation,la deforestation, le surpâturage, les feux de brousse. Acela
sajoutent les effets néfastesde la reduction du nombrede variétésde plantes cultivées par
les paysans et a lapratiquede Ia monoculture vulgarisée par les institutions de recherches.
De plus, la base trophique des populations, surtout des citadins, se réduit ; les gens
n'utilisentplus qu'un nombre limité de plantes pour s'alimenter,se soigner, se loger...

Toutes ces pressions anthropiques conduisent, dans la plupart des cas, a une
surexploitation qui entraIne Ia disparition, sinon Ia raréfication de nombreuses espèces
utiles. Heureusement on note dans toutes les regions d'Afrique Subsaharienne diverses
formes de savoirs locauxqui permettent,encore, unegestion same et durable des terroirs
et de Ia diversité végetale.

Les foréts sacrées, souvent communautaires, sont conservées comme cimetières,


sanctuaires pourdes fétiches, lieux de culte ou d'initiation. Des etudes ont montréque ces
sites, conserves depuis des millénaires, sont de véritables sanctuaires de biodiversité
renfermant de espèces végétales et animales pouvantêtre utilisées a des fins alimentaires,
médicinales, artisanales, etc.

Les paysans africains ont su conserver et gérer au mieux une diversité de semences
adaptées a différentes conditions et sociales. Ii est temsTh rassembler tout
ce savoirlocal, le sumettre a 1'analyse scientifique pour mieux l'integrer dans Iscience
moderne.

La culture traditionnelle africaine, par des méthodes simples, en impliquanttoutes les


couches sociales (hommes, femmes, vieux, jeunes, etc.), est la clé de résultats dont la
plupart nous sont parvenus. Néanmoins. force est de constater que de nos jours, ces
structures traditionnelles, qui ont fait leurs preuves, s'effondrent et que les acquis
commencent a disparaItre. Queues sont le consequences de cette erosionculturelle sur la
conservation de la biodiversité?
L'ateher surles Pratiques culturelles, La sauvegarde et la conservation de la biodiversité en
Afriquede l'Ouest et du Centretenu a Ouagadougou du 18 au 21 juin 2001 a permis de
faire le point sur cette problematique et de proposerdes pistes de réflexion et d'action
pour I'avenir. Plusconcrétement, cettereuniona eu pour objectifs de

- faire le point sur les recherches en cours sur les pratiques culturelles favorisant la
sauvegarde et la conservation de Ia diversité vegetale en Afrique de l'Ouest et du
Centreet sur les menaces, les défis et les opportunités

- mettre au point une méthodologie concertéede recherche, d'dchange et de diffusion


des bonnespratiques;

- pour enraciner les politiques, les plans et les programmes


proposer des strategies
locaux et nationaux d'utilisation de la biodiversité dans les cultures locales et
nationales;

- concevoir de nouvellespistes de recherche et constituer un groupe de concertation,


d'echange et d'influence.

Introduction
Actes du Séminaire-Atelier
I
Gestion des espèces végétales
sacrées dans le milieu Madare
au Burkina Faso : cas du rônier,
du karité et du néré

Bruno Doti SANOU


CAD Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)
commentcette communauté a su et Pu tisser des relations particulières avec chacune de
ces espèces, les mécanismes et La dynamique qui ont permis la transmission de ces
relations de génération en génération. En dautres termes, ii s'est agi de comprendre la
procedurepar laquelle cette communauté, a son origine, a su faire sens et donner sens a
ses activités dinitiation et de creationpour se donner vie et des raisons de vivre.

Notre démarche nous a permis de comprendre que la gestionde la biodiversitéest toute


une entrepriseculturelle chez les Madare a travers laquelle l'esprit est toujours tenu en
pour insuffler vie au religieux, au politique, a T'économiqueet au social.

Cette est structurée en trois parties. La premierea les conceptset Ta méthode.


Nous y avons développéles notions de mémoireet de culture ainsi que La mdthode de la
génétiqueculturelle et de la socio-genèse. La deuxième partie a abordé Ta culture de Ta
sauvegarde de Ta biodiversité dans la communauté Madare a partir de trois espèces
sacrées. Nous nous y sommes intéressés successivement a la mise en place de La
communauté en rapport avec les mécanismes de sauvegarde de Ia biodiversité, a
l'émergence des règles qui protègent Tes espèces sacrées choisieset le fonds religieux qui
les sous-tend, T'évolution de ces règles ou coutumeset leur capacité a servir aujourd'hui.
Enfin, Ta troisième partie aborde Te volet des propositions pour un renouvellement de ces
regles en vue d'un enracinement culturel reel des politiques de sauvegarde de la
biodiversité.

I. Culture et sauvegarde de Ia biodiversité: un concept, une méthode

Dans Tamentalitd Madare, il ressortquela brousseprécède le village, la natureprdcède Ta


culture. Nous sonimes ici au cur dune réalité : Ta culture nalt des rapports queThomme
entretient avec son environnement. En effet, c'est de là quiT tire soit ce qui Tui permet de
vivre (nourriture, médicaments, etc.), soit son savoir (savoir-faire et savoir être). Nous
comprenons donc pourquoi, durant des siècles, l'environnement fut considéré par cette
ethnie africaine cornme sacré et géré avec respect. L'essentiel des coutumesprend source
dans les questions d'environnement et c'est dans Te domaine de l'environnement que les
communautés africaines semblent avoir Te plus Tégiféré. Mais Tentrée en contact avec la
civilisation occidentale a la fin du 19è siècle a provoqué une exploitation abusive de
l'environnement, risquant de compromettre T'avenir des générations présentes et a venir.
Dans plusieurs communautés africaines, on a cessé de respecter T'environnement. Or,
comme le dit l'historien Delatouche (1989), pour T'Europe, "avant la revolution
industrielle, le monde pratique une minutieuse au sens propre du terme.
L'agriculture traditionnelle, qui emploieLa grande majorite de Ta population, enrichit le sol,
courtise Ia terre, fait de la terre. ET1e humanisela nature,crée et entretient T'environnement
et c'esten ceLa que le paysannat est la base irremplacable de toute civilisation.

Pratiquesculturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversité en Afriquede I'Ouestet du Centre
Humaniser Ia nature, faire de la terre, c'est, nous semble t-il en tout cas, donner sens aux
relations qu'une communautéentretientavec son environnement. C'est créer la culture et
Ia mémoireet avoir une attitude prospective. Cette démarcheest indispensable dans la
sauvegarde de la diversité biologique.

1.1. La biodiversité

Selon la definitiondonnéedans le rapportdes expertsdu WordWildLife Fund, de Nature


Conservancy (1993), "la biodiversité est un concept utilisé pour décrire la variété des
formes de vie". En réalitd,si cm se réfère a la signification du mot grec, bios ne désigne
pas seulement le fait de vivre,mais la manièrede vivre, le modede vie humain ou animal,
d'oà, concrètement, les moyens de vivre, les ressources, La foule, le monde. La
biodiversiténe serait donc pas seulement la multiplicitédes vies, mais aussi la manière
dont cette multiplicité se vit, confirmant ainsi qu'il sagit de la variété et de la variabilité
des organismes vivants et des complexes ecologiques dans lesquels ils existent. Les
complexes sont les rapports compliqués qui s'établissentsouvent parmi les
organismes qui co-existent, y comprisles processus de l'dcosystème qui reproduisent plus
queLa simple sommede leurs parties.

Certes,le mot biodiversitén'est pas traduitdans les langueslocales, du moms burkinabé,


mais le concept en lui-mêmeexiste puisque "le village est a l'origine un microcosme et
l'homme en est une partie intégrante en quête de la nature". Cette perception de La
biodiversité a permis d'identifier et de nommer toutes les composantes biotiques de
l'écosystème, de comprendreleur mode de vie et de mettre en place un système pour la
conservation. Depuis des millénaires, la biodiversitd est a la base des cultures locales,
fortes,richeset dynamiques.

1.2. Mémoireset cultures

Pourmieuxdégager uneméthode fiable de la culturede la sauvegarde de La biodiversité, il


nous faut les conceptsde mémoire et de culture.

1.2.1. La mémoire collective

La mémoire, par definition, est une aptitudea se souvenir. Dans sa dimension collective,
c'est aussi un ensemble de souvenirs qui est lie a un groupe et qui permet a chaque
individu d'avoir le sentiment d'appartenance et la nécessité de participera La vie et a la
surviedu groupe. La mémoirecollective est ainside I'ordre de la production, de la gestion

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001


et de Ia survie du groupe. La relationa l'antériorité, a ce qui s'est passéavant moi est une
pratique memorable qui se vit de facon organiquedans nos communautés villageoises
constituées essentiellement d'autochtones et denracinés.L'histoire, en tant que relation au
passé, est donc une mémoire collective vivante. D'oü son importance pour la culture de la
sauvegarde de Ia biodiversité.

1.2.2. La culture

La mémoirecollective un ensemble de souvenirs, elle ne peut être synonyme de


culture qui est donc construction permanente. Comme le dit le professeur d'Haenens
(1989), 'la culture ici est donc ce qui est a mettre en place, a faire fonctionner en raison
même dun manque,d'une absence". Ce qui signifie que chaque génération passée a su
créer a un moment donné, pour palier a une insuffisance ou pour combler un vide. Or
l'étre humain et le groupe sont une mémoirede réalité. Ce qui se construitne se fait pas
sur du néant. Ii l'est a partir du déjà là, c'est-à-dire la mémoirecollective ; cest ce qui
explique Ta longue durée et la permanence des communautés. Dans le domaine de la
sauvegarde de labiodiversité,cet exerciceessentielreste encore a menerSi flOUS voulons
aboutira une culture capabled'irriguertous les secteursde Ia vie de la collectivité. Cette
démarche suppose un autre type de rapports avec nos mémoires collectives, rapports
chargesde sens et capables de nouspermettrede retrouverI'essentiel pourpouvoirfonder.
La culture apparaIt ainsi, pour chaque génération,comme creation d'un ensemble de
savoirs, savoir-faire et savoir-être inspires de l'antériorité,qu'elle a mis en place et qui
fonctionne harmonieusement. C'est ce que Sanou (1992) définit comme "l'ensemble des
récits, experiences, representations, figures et symboles de toutes sortes qui nourrissent
l'imaginaire des contemporains, faconnantleur conception du monde, leur permettantde
cerner les que constituent les autres, l'amour, l'univers, le temps et Ta mort,
informent le gout et leur jugement moral, en un mot les critères du vrai, du
beau et du bien tout en fournissantdes des aux mystèresde l'existence'.

1.3. Méthodologie pour l'émergence dune culture de sauvegarde de Ia biodiversité

l'appui au développement des pays du Sud sest voulu une


Jusqu'à present, des
communautés locales vers un modèle proche de l'Occident. Ce qui explique tant de
préjugés et d'exclusions.

Ce qui ne répond pas au modèle occidental n'est pas pris en compte. Méme les
scientifiques, qui ont tenté de s'orientervers Ia prise en compte des valeurs culturelles
locales, ont taxes de retardataires et leurs résultatsremis en question. Cette exclusion
explique, on ne le dira jamais assez, les multiples des projets. Aujourd'hui, la

Pratiquesculturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversitéen Afriue de Quest et du Centre
théorie en vogue est l'approche participative. De plus en plus les institutionsd'appui au
développement se référent aux savoirs locaux. II y a de sérieuses raisons de s'inquiéter, car
plusieurs d'entre elles tentent de ressusciter des pratiquescoutumières. Or ii sagit plutôt
de comprendre l'esprit des coutumes actuellement défaillantes pour le renouveler.

1.4. La théoriede Ia génétique culturelle

Une méthode d'enracinement fondde sur Ia génétique culturelle exige en premier lieu que
l'on instaure de nouvellesrelations avec le passé, des relations chargées de sens. Selon
d'Haenens (1989), en se fondant sur le sens, ii s'agit de porter la réflexion sur trois
globalités: la globalitépostérieure on prospective, la globalité antérieureou génétique, la
globalitd présenteou diagnostique.

En ce qui concerne la globalité antérieureou génétique, nousdevrions pouvoir interroger


les mémoires collectives sur les méthodes de connaissances et de gestion de la
biodiversité. Ici la coutume apparaIt commeune pratique, une survivance dont on voudrait
se servir et qui devrait être replacée dans un contexte originel afin de comprendre
pourquoi et comment la communauté est arrivée a linitier, a linstitutionnaliseret a trouver
les de sa pérennisation pour que des générations successives aient réussi a le
maintenir dans son espritjusqu'à present, sans toutefoisremettre en cause la cohesion
communautaire. En réalité, cette démarche ne vaut que quand on se considèresoi-même
comme une mémoire, réalité et maillondune chalne de la longue durée.

La riche biodiversitédont nous vivons aujourd'hui est le résultat de plusieurs siècles de


gestionréglementds et des cultures nées de cette gestionnouspermettentencorede vivre
en cohesionavecnos communautés respectives.

A partir de la génétique qui nous sur le contextede linitiative et de la creation,


leffort devrait mis sur Ia maItrise de lévolution des coutumes. Par la socio-genèse, ii
est possible de cerner cette evolution dans la longue durée. Pour cette démarche, il nous
semble que l'oralité constitue la base fondamentale des données. Rappelons que pour
l'historien, l'oralité est un mode de transmission de linformation de génération a
génération. Bile s'opère nécessairement dans des circonstances concretes,relationnelles,
qui linfluencent fortement. Lévénement de Ia traditionpèse donc chaque fois
sur lénonciationde linformation,sur son contenu comme sur sa forme.

Or nos communautés villageoises baignent encore dans i'oralité. Ii sagit donc de mener
seulement une enquéte oralede type classiquepourrecueillir linformation sur Ia gestion
et Ia conservation de Ia biodiversité. Ii sagit de repérer, a travers les récits, les proverbes,
I'art, les rites, les comportements, etc., le sens profond des relations des communautés a

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001


leur environnement et a Ia biodiversité. En effet, dans nos communautés, le corps Iui-
même est un modedexpressionprivilégie. La paroleprend le relaisdu corps quandcelui-
ci narrive plus a s'exprimer. Aussi les rites tiennent-ils une place importante dans ce type
de démarche.

La globalitéprésenteou diagnostique ne vaut que Si flOUS avonsréussi l'effortde cerner la


globalite antérieure. Diagnostiquer, c'est être capable de discerner, de comprendre, de
saisir par lintelligenceet la pensée ce qui est enjeu, qui fonctionne, le manque a releveret
le vide a combler. Ii ne s'agit pas seulement de montrer ce quiest en dépassement, maisde
comprendrepourquoi et de proposer les dléments a mettre en place afin de maintenir Ia
cohesionet la dynamique.

La globalitépostérieureou prospective la résultantede l'examenapprofondi de la


situation critique que constitue la globalitéprésente, elle permet de retrouverles
ndcessaires a l'émergence de nouvelles mdmoires culturelles et donc ce qui est a créer et a
faire fonctionner.

La culture de la sauvegarde de la biodiversité, comme nous avons Pu le percevoir, est un


fait culturel au depart. Elle crde Ia culture en tant que savoir en vie et suscite une
dynamique indispensable a La transformation socialedes communautés particulières.

H. Culture de sauvegarde et de conservationde Ia biodiversité


dans Ia communauté Madare

Ii sagit ici de comprendre, a travers une communauté ethnique, celle des Madare,cette
culture de sauvegarde et de conservation de la biodiversitéet cela a partir du fonds
religieux. Trois essences floristiques ont dtd choisiespour &ayernotre propos.

2.1. La population et son environnement

Les Madare occupent un territoirede forme rectangulaire s'étendant sur 140 km environ
du sud au nord et 90 km dest en ouest. Ii est coupé en biais, au nord par la frontière
malienne. Du côtd sud, Ia frontière se situe au iie degrd de latitudenord et a environ 70
km. Les Madare sont frontaliers avec les Bwaba au nord et a Vest, les Tiefo au sud, a
l'ouest les Sembla, les Senoupo, les Dioula et les Bolon. Certainsmembres de ces ethnies
limitrophes constituent des enclaves a l'intérieurdu territoireconsidéré. Le relief y est plat
et le climat de type tropicalavec deux saisons: une saison sèche, longue de huit a neuf
mois, et une autre, courte, de trois a quatre mois. La végétation est celle de La savane

20 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et a conservation


de Ia biodiversité en Afriquede I'Ouestet du Centre
arborée avec de nombreuses forétsgaleriesle long des coursd'eau et a lorée des villages.
LethnieMadarecompteaujourdhui environ400.000 habitants répartis inegalement dans
cent soixante et onze villages. II est importantde relever que les populations allogènes
sont numériquement plus importantes que les Madarequi sont les autochtones. Lethnie
est couramment appelee"Bobofing" (Bobonoir). La langue Madare appartientau groupe
mandé. La population se répartiten cinq regionsdialectales bien distinctes. Au sud, autour
de la ville de Bobo Dioulassoet le long du marigot Houet, se situe le siada, a l'ouest le
dialecte "yore", au nord-est le Sogokore, a l'est le bangenet au nord, au-delà du fleuve
Mouhoum, le sogokine de Tansila.

La traditionorale soutient que les Madaresont venusdu Mandé aux iie et 12 siècles. us
auraienttrouvé sur place les Bwabaqui leur auraientaccordé l'hospitalité. En réalité, les
résultatsdes archdologues attestentque la region est habitéepar l'homme environ50.000
ans avant J.-C. Entre 15 000 et 5000 ans avantJ.-C., les traceshumainessont de plus en
plus nombreuses (matériels, premiers outillages, etc.). La découverte de fragments de
céramique et les preuves de l'apparition des plantes cultivées et de domesticationdes
animaux montrent un debut d'organisation des sociétés.

D'après le préhistorien burkinabéMillogo, l'ouest du Burkina,dont fait partie la region


Madare, est habité des le paleolithique. Cependant, on peut se demander si les Madare
proviennent de ces premiershabitants. II est probableque les Madaredont les traditions se
réfèrent toujours au fer sont des descendants de ces premiers habitants de Ia pdriode
prehistorique, tout comme les Burkina, les Nara, les Natioro et les Toussians. Aux
Madares autochtones viendront sajouter les Zana et les Jal ade kong.

2.2. La gestion de I'environnementcomme base de lorganisationvillageoise

Encorede nos jours, près de 98% de la populationvit de l'agriculture qui est,tout compte
fait, un modede vie et non seulement une activitépurement dconomique. L'agriculture et
le paysannatsont la base fondamentale de la cultureet de l'organisation socio-politique en
milieuMadare.

Le village, fondé sur des rapports interlignages propres a l'ethnie, est régi par une
administration fortement décentralisée dont les principaux responsables sont les "Vore" ou
ames, ou grands frères, ou encore "Prayé", ou anciens.

L'autoritéest exercéepar:

- le chef de terre "sogovo", chef coutumier, descendantdirect de l'ancêtre fondateurdu


village.ii presideles cultes communautaires pratiques depuis la creationdu village et

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 21


le conseil des anciens. Ii est le responsable de la gestion et de la sauvegarde de
l'environnement et a Ia tâche de répartirle terroir entre les familieset de responsabiliser
chacunedelles dans sa gestion. En outre, ii supervise l'application de Ia coutumeen la
matière. 11 informe et forme les villageois sur Ia gestion de l'environnement;

- le responsable au culte du Do, "DOVS" sorte de grand-pretre, qui bénéficie dune


veritable ordination sacerdotale lors de la prise en charge de sa fonction. Cette fonction
est aussi importante que celledu chef de terre,car lesprit DO est fondation et seul chef
de village. Le DOVS ne peut officier sans le chef de terre et ce dernier ne peut
assurer une vie spirituelle normalea son village sans le DOVS.

Le chefde village Kirevoest chargé des affaires administratives du village. Lautorité qu'il
exerce repose sur Ia force de la communauté et non sur sa puissance individuelle. Ii est
donc un responsablemoral et non un dictateur. Le chef de village (et non du village)est
nomméen principe pour sept ans dans Ia même famille en suivantla lignee maternelle.

Le responsable de lajeunesseYele est chargé de l'éducation des jeunes et de la defense du


village. 11 organise et preside l'initiation a la demande des jeunes. Le responsable de la
jeunessejoue un role de premier plan puisque lavenir de la communauté villageoise, tant
au plan politique qu'dconomique et socio-culturel, depend de Ia jeunesse et de Ia
formation quelle a recue. Ii est le personnage le plus au sein du conseil des
le
anciens, grand sacrificateur et Ii
juge Kodugoton. dirige groupe de sages chargé du
un
contrôle et de la bonneapplication de la coutume. En outre, ces sages sont egalementdes
juges habilités a statuer sur les fautes et délits des individus et a prononcer des
condanmations quils sont charges de faire appliquer.

Lexercice de ces fonctions est gérontocratique, héréditaire, lautorité revenant au plus


anciendu clan.A cettestructurede base il fautajouterun conseil danciens qui promulgue
et fait respecter La coutume. II est importantde releverquaucune des autorités villageoises
ne porte le titre de Chef. Elles sont appelées yore, ames. La tradition reconnaIt comme
chefde la société le grandespritDo qui, seul, doitêtre appeléfangaman(chefou roi). Lui
seul a droit de vie ou de mort sur lindividu. Les aInés ne sont finalement que des
représentants qui exercentlautorité villageoise.

Ii apparaIt clairement que la structure socio-politique du village Madarereposesur le chef


de terre. Dans la mentalité, cest son ancétre,de qui ii détient sa fonction,qui a créé le
village. Cest lui qui est entréen rapport avec les puissances qui régissent les lieuxchoisis
pour linstallation du village et qui a noué, avec elle, le pacte indispensable au
développement du village. Le lignage fondateurdont ii est le plus ancien exerce alors une
fonction sacrée sinspirant des puissances invisibles gérant de la nature. Cest de cette
fonction sacréeque provienttoute Ia tradition.

22 Pratiques culturelles, a sauvegarde et a conservation


de a biodiversité enAfrique de I'Ouestetdu Centre
III. Religion et gestion de Ia biodiversité

Pour comprendreI'esprit qui sous-tend Ia gestion de Penvjronnement en general et de Ta


biodiversité en particulieren milieu Madare, ii est importantde comprendre la theologie
de Ia communauté.

La nature ici est percue comme un don de l'être supérieur Wuro (Dieu). Ii est lêtre
transcendant, crdateur de l'Univers et de ihomme. Etant invisible, ii a delegué ses
pouvoirsa certains intermédiaires dont Tesprit de Ta brousseappeld sogo, responsablede
Ia gestionde lenvironnement.C'est avec Iui que le fondateurdu villagea noud un pacte
avantde sinstaller. Ii faut préciserque sogo ne sidentifie pas seulement au sol, a Ia terre
ou a Ia plante, mais a ce qui donnevie, fait croItre tout ce qui se trouve dans Ia nature.

Lesprit de Ta brousseest communautaire et sonministredu culte est le chefde terre. Dans


Ta communauté Madare, le masquede feuillesvertes qui symbolise la nature revient a Ta
famille du chef de terre. Et pour montrer Ta primaute de Ta brousse sur Ia cite villageoise,
Ia primautéde Ia nature sur la cultureet la préséancede Ia famille fondatrice sur les autres
farniTles, cest le masque de feuilles qui ouvre Ia danse, rappelant ainsi a ladite famille
limportant role qui lui revient dans la gestionde lenvironnementet de Ta biodiversitéet
qui Tui est conflépar les ancêtres fondateurs et donc par les esprits.

A la fondationdu viTlage, par les soins du chef de terre, les espaces sacrés, demeures des
esprits, sont délimités et formellement interdits a lexploitation. Certaines essences
vegetaTes et espèces animaTes classées comme sacrées sont protégées par la communauté
tout entière.En cas de violationsde Ta coutume, des sanctions sont infligees aux fautifs
par les autorités compétentes, les ksduzo, qui sont les juges. Ensuite des sacrifices
expiatoires et propitiatoiressont effectués pour calmer les esprits. Parmi Tes essences
protégdes pour leur sacralité nous pouvons citer : Vitellaria paradoxa (karité), Parkia
biglobosa (néré), Borassus aethiopum (rônier), Afzelia africana, Hibiscus cannabinus,
Adansonia digitata (baobab), Bombax costatum (fromager), Khaya senegalensis
(calicedrat), Tamarindus indica (tamarinier).

Cette liste nest pas exhaustive, dautant pTus que certainesessences sont protégéespar des
familTes. IT en est de même pour les espèces animaTes ou encore Tes poissons qui sont
sacrés. Trois plantes sacrées V paradoxa (karité), le Parkia biglobosa (néré) et le
Borassus aethiopum (rônier) peuvent servir dillustration pour comprendre comment Ta
communauté agit pour leur sauvegarde.

Ouagadougou (Burkna Faso), du 18 au 21 juin 2001 23


3.1. A traversIa cosmogonie

Dans Ia cosmogonie Madare, après la creation de Ia terre et de Vhommepar Dieu a partir


du clarias, la prochainecreationfut la fore. Le premier don de Dieu fut une herbeSisalo;
viennent successivement Khaya senegalensis (caIlcédrat) Tu, Adansonia digitata
(baobab) Pi, le Butyrospermum parkii (karité) Yéré, Bombax costaum (fromager) Phi,
Afzelia africana kibi et Borassus aethiopurn (rônier)Père.

L'hommedescendit tout celadu ciel au long de l'arc-en-ciel. Les geniesde la brousse se


chargèrent de les planter pourle compte des hommes. Ensuite l'homme demandaa Dieu
une autre plante qui lui donna le Guiera senegalensis.L'homme demanda encore a Dieu
une autre plante qui lui donna Parkia biglobosaNen. Toutes ces essences furentplantées
et multipliées par les genies comme pour diffdrencier le monde des hommes(celui de la
cultureet de la société) du monde des genies(celui de Ia nature, de la sauvagerie).

Après la creation, l'utilité de certaines plantes fut révélde aux hommes par les animaux ou les
genies a travers des songes. Ainsi, la femme du forgeron, premier homme créé par Dieu,
enceinte et a terme, accoucha graceaux soins du chatqui utilisales feuilles de karitd.

3.2. Le néré, le karitéet le rônierdans Ia religion Madare

Ce n'est qu'à partir du 12e siècleque la religionMadare devientune disposition intérieure


de piété, de devotiOn, un sentiment de respect, d'adorationet d'obdissance envers ce que
l'on considère comme une obligation morale. Pour mieux expliciter notre idée, nous
retenons que la religion est le lien qui met en rapport la communautd avec Ia ou les
divinités et qui oblige chaque membre de la communautéau recueillement, a Ia réflexion
et a l'observance d'une conduite morale. A cet effet, un certain nombrede rites constitue
un repèrecommunautaire et un ciment qui consolident Ia cohesion villageoise. La religion
madare enseigneque Dieu, wuro, est le fondateurde lunivers et le créateurde l'homme.
Dieu est Ia divinitéla plus importante, l'être transcendant.

Après lui viennent les ancêtres, ceux qui ont connu la renaissancedans l'au-delàet qui
sont les garants de Ia tradition sous Ia protection du grand esprit Do. Ce sont eux qui
inspirent a la communautésa manière d'être homme et d'être au monde. Ils sont comme
presents dans la communautévillageoise non seulement parce qu'on parle d'eux et qu'on
les invoque, mais encore parce que différents signes attestent leur existence et leur
presence possibles(caveau familial, autel tombal, masque, nom imposeau petit-fits, biens
conserves dansle trésor familial ou kuku, etc.).

24 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


do a biodiversitéenAfriquede I'Ouestet du Centre
Ensuite vient le grand esprit Do, fondateurde l'ethnie madare et de chaque village Do;
c'est l'espritdivinqui, au coursdes céldbrations communautaires, est present. IL est Fesprit
médiateur de Dieu vis-a-vis de l'ethnie Do et apparaIt dans la société bobo comme le
terme d'une recherche communautaire du transcendant, comme1e foyer de cristallisation
des réponsesaux problèmes qui hantent le cur
de tous les membres d'une sociétéet qui
sont la vie, la naissance, La croissance, le bonheur, la maladie, la souffrance, La mort, la vie
et la survie.

L'espritSogo, espritde la brousse, vient en principe avantDo comme La natureprdcède la


cite. Mais, commele culte du Do (fête du Fangaman) est plus animé, ii apparaIt comme Le
plus important. IInen est rien. L'espritSogo, qui précèdeen réalité le Do, est aussi le plus
craint. Pour l'installation du village ou l'ouverture d'un nouveau champ, ii est consultdet
prid. En cas d'offense, des sacrifices expiatoires et propitiatoires Lui sont adressds. La vie
en brousse est rdgie par une série d'interdits et La mort de tout homme en brousse est
considérde conune une sanction de l'espritsogo et entraIne obligatoirement reparation. Le
nerd, le karité et le rônier sont trois essences offertes a l'homme par Dieu a La creation. En
retour, celui-ci s'en est servi pour symboLiserles divinités, Leur accordant du même coup
un caractère sacre.

L'esprit de La brousseest symbolise par les feuilles vertes de néré ou de karite et Fherbe
sisalo. A l'occasion d'un ddcès survenu en brousse, le corps est attache sur un brancard
confectionnea partir de branchesde nere pour être enterre a Vorée du village. Devantle
cortege qui sebranle vers le village, une canne sur laquelle sont attachdes des feuilles
vertesde néré, symbole du sogo. Aux funérailles, un rameau de néré attachea un arc ou a
unecanne personnifie le defuntet c'est a eux que s'adresse la prière. Sur le catafaLque,les
feuilles vertes du nere sont deposees par Les initiés en redisant les prouesses accomplies
par le défuntlors de Finitiation ou des grandeschasses. Danscette ethnie,le nere tient une
place de choix sur le plan reLigieux. IL joue pour la mere de famille le role quejoue Le
rônierpour le chefde famille. Ses feuiLLestoujours vertessont symbolede la vie qui renaIt
et donc le symbole de Pinitiation.

Do, esprit fondateur de lethnie et du village, fut reveLe aux hommes par le masque de
feuilles de néré ou de karite: Do lui-même vientde la brousse. Les masques de feuilles sont
les plus anciens. Ils ouvrent la danse pour montrer La primauté de La broussesur le village,
celle de l'esprit sogosur le Do et cellede la naturesur La culture. L'espritest materialise par
plusieurs elements de Ia nature, dont La tige du rônier qui symbolise le Do de la maison.
Dans la mentalité madare, le rônier represente la vie tranquille et l'arbre de vie.

Le néré, le karitéet le rônier sont donc des essences sacrees,car offertes par le createuret
entrantdans les rites culturels. La question qui resteposée aujourd'hui est l'origine de cette
sacraLite. Généralement, les anciens interviewés repondent par les mythes fondateurs.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 25


Certains anciens pensentque les Ancêtres ont Pu être interpellés par des songes. Ce qui
importe actuellement pour nous, c'est cette capacité communautaire de se souvenir et de
se comporterconformément a La sacralitéoriginaire. Le néré, le karité et le rôniersont des
espèces indispensables pour la vie et la survie de la communauté. Non seulement us
matérialisent les esprits qui animent la vie de la communauté, mais us permettentde se
repérer et de s'identifier en tant que membres d'une communauté et de se comporter
comme tels.

Les Madareconstituaient essentiellement un peupled'agriculteurs intimement attachesa


Ia tradition. Le néré, Le karité et le rônier font partie des essences sacréesreproduites et
protegees par les genies pour le bien des hommes. Dans La coutume, cette oeuvre est
poursuivie par les hommes et notamment les chefs de famille. Chez les Madare,le chef de
famiLleest un propriétaire terrien, un paysandans l'âme. Cest a lui quincombeen premier
Ia reproduction des espèces sacrées. Ii est chargé, a Ta suite de ses Ancêtres, de
lapplication et du respect strict de Ta coutume, notamment en ce qui concerne
l'interdiction de couper ces trois essences. Lui seul peut decider de Ta coupe pour des
raisons bien précises. IL surveille la période des feux de brousse afin quils ne
nuisentpas a Ta floraison.

Chaquechefde familleest tenude planterlenéré, le karité et le rôniersur le terroir qui lui


est donnépar Te chefde terre. Les grainesde néré sont mélangées au fonio et semées a La
voléelors des Tabours puisque, après la récolte du fonio, le champ sera laissé en jachère.
En debut de saison pluvieuse, ii sème discrètement, soit a l'aube soit au crépuscule, des
graines de néré ou des noix de karité ou de rônier dans son champ ou en brousse. Cette
action est répétéeplusieurs fois au cours de la mCme saison et jusqu'au soir de sa vie en
signe de reconnaissance a la nature qui Tui a offert son pain quotidientoute sa vie durant.
Ii sa famille sur cette mission de régénération de la biodiversité, mais sur fond
reLigieux, a savoirprendre soin de Ta brousse,Ta demeure des genies.

3.3. Essences a Ia fois sacrées, médicinales et alimentaires

Essences sacrées, Le néré, Te karité et le rônier sont a Ta base de L'industrie


agroalimentaire et pharmaceutique. A partir de La farine de néré plusieurs mets sont
préparés : bouillie, couscous, etc. Les graines, quant a eLles, servent a produire au bout
dune semaine de traitement du soumbala, une sorte d'arôme. Dans la tradition, la bouiLlie
de poudre de néré est un fortifiant et un laxatif, tandis que Le soumbala est un bon
régulateur de tension.

La noix de karité est Te produit de base pourla production du beurre de karité servanta La
cuisine, aux massages et a leclairage. Les déchets issus de Ta transformation servent a

26 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversitO en Afriquede Quest et du Centre
enduire Tes toits pour empêcher les suintements des cases et des huttes durant la saison
pluvieuse. En outre les plantes parasitaires poussant sur le karité servent a soigner les
maladies des enfants. Les fruits du rônier produisent un jus laiteux très rafraIchissant et une
noix nourrissante. A partir d'une entaille opérde dans le tronc du rôniercoule une sève qui,
fraIche ou fermentée, est une bonne boisson pour les jours de fête et surtout au cours de
I'initiation.Les feuilles du rônier sont utilisées pourcouvrirTes huttes en brousse, se protéger
du soleil et de la pluie, conserver les aliments au frais ou emballer les objetset Jes her en
mêmetemps. Ehles permettent dgalement de confectionner Tes objets de vannerie : paniers,
chapeaux, nattes, berceaux, etc. Le tronc du rônier aux fibresnoueuses et vigoureuses sertde
madrier et de chevrons pourTa confection des ponts, des et des toitures.

La tradition est une somme d'expériences accumuldes depuis des siècles, voire des
milldnaires. La durabilitéde Ta tradition et des coutumes en tant que survivances depend
de leur enracinement dans ha vie religieusequi nourritlimaginaire, encouragel'initiative
culturelle et suscite Témergence de nouvehles mdmoires culturelles. La sauvegarde des
essences sacrdes telles que Te néré, Te karité et le rônier par Ta communautémadare
sinspire de Ta cosmogonie et de la religion qui en a résulté. Les coutumesentrant dans ce
projetet qui ont initiéeset instituées a différentes périodes de Ta vie de la communautd
montrent, si besoinen encore, que la créativité et Ta durabiTitd sont flues du religieux
et du sacré. ElTes construisent une identité individuelTe et collective et favorisent
lintdgration intercommunautaire. Or, aujourd'hui, nous assistons a une derive vers
l'utiTisation uniquement matdriaTiste de la biodiversité, oubTiant que Ta vie dune
communauté est hoTiste. Comment, aTors, mettre a profit Tes experiences millénaires des
communautés pour Ta sauvegarde de Ta biodiversité? Peut-on encore initier une méthode
fiableet scientifique pour ceTa?

3.4. Proposition dune méthode pour une culture de Ia sauvegarde


de Ia biodiversité

La théorieen vogueaujourd'hui est T'approche participative. De pTus en plus, Tes


institutions d'appui au déveToppementse réfèrentaux savoirs locaux. Cependant, ii y a de
sérieuses raisons de s'inquiéter, car plusieurs d'entre eTTes tentent de ressusciter des
pratiques coutumières alors qu'il s'agit plutôt de comprendre T'esprit des coutumes
actuellement défaiTlantes pour les renouveler.

3.4.1. L'apport de Ia génétique culturelleet de Ia socio-genèse

La démarche fondée sur Ta génétique cuTturelTe et Ia socio-genèse exige en premier que


ion instaure de nouveTTes relations avec notre passé, des reTations chargées de sens. II

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 27


s'agitdonc de porterla réflexion sur trois globalités : la globalitéintérieureou géndtique,
la globalité prdsente ou diagnostique et la globalité postérieure ou prospective. Cette
démarchese veut scientifique et interdisciplinaire. Elle donne obligatoirement un sens a
nos rapports avec nos mémoiresculturellesrespectives en les dépouillant de tout aspect
superstitieux. Elle nous permet de comprendre nos communautés dans leur evolution sur
une longue durée, de les aimeret de les animer en tenantcompte des réalitésdu moment.

3.4.2. Appuyer Ia gestiondécentralisée de I'envfronnement

De plus en plus, nos Etats sengagent dans une gestion globalisante de l'environnement et
de la biodiversité. Les textes ont tendance a substituer a la gestioncommunautaire ancrée
dans la culture orale une gestion nationale. La ddcentralisation proposée ne prend en
compteque l'aspect administratif et financier. Cette ddcentralisation risque d'aboutir a une
centralisation miniaturisée. Or nos sociétés sont encore de l'oralité et ignorent La
bureaucratie et la centralisation.

Par essence, la ddcentralisation, qui n'est pas une désappropriation du centre, est le
processus par lequel les preoccupations du centre sont ramenées vers les collectivités
localesafin de leurpermettrede prendreleurs responsabilités. Elleest plutôtrecherche du
dynamisme et de I'efficacité. La.culture de La décentralisation est synonyme de culturede
fondation, de responsabilité assurée, d'autogestion, de projet et de prospective. La
ddcentralisation en tant que processus d'initiation, dinnovation et de fondationoffre un
contextefavorable a Pemergence d'une nouvelle de la gestionde lenvironnement
et de la biodiversité. La procedure de décentralisation en cours peut permettre aux
collectivités locales, notamment les collectivités ruralés, de prendre conscience de leurs
responsabilités dans la gestion de la biodiversité et de faire siennes les preoccupations de
la communautd nationaleet internationale.

3.4.3. Pour une meilleure participationau programme de sauvegarde


de Ia biodiversitO

La démarche fondée sur la gdndtique culturelle et La socio-genèsese propose de mieux


diagnostiquer le present et de mieux projeter le futur, ce qui suppose une meilleure
comprehension des mémoiresculturelLesen construction en fonctiondes données externes
et des aspirations des communautés locales et internationales. Ii ne s'agit donc pas de
replacerloriginaireau present, maisde Le cerner pourpouvoirle transformer. Ce nest qua
partir de là que Von peut entreprendre et fonderpour Le futur. Or nul ne peut bâtir le futur
sur des mémoires collectives de courte durée, le temps dune vie ou de quelques vies,
encoremoms sur du néant.

28 Pratiques culturelles, a sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversitéen Afriquede I'Ouestet du Centre
En matière de projet de sauvegarde de la biodiversité, ce nest pas l'argent qui est le nerf
de la guene, mais bien la responsabilité de chaque individu et de la communauté. Or la
responsabilité ne peut être engagée que quand on a une vision de Ia longue durée et un
désir de durabilité. Pour toutes les collectivités locales du Burkina Faso, la terre est un
bien commun, mais aussiun bien sacré. La naturenourricière, précédant la culture,relève
egalement du domaine sacré. Cest sur cette conception premiere quil faut bâtir la
nouvelle environnementale.

En cherchant a nous enrichirtout en humanisant la nature, cestune nouvelleculturede la


ruralité par laquelle chacun doit prendreconscience de son so! tout en restant ouvert a
l'autre. Nos communautés rurales en sont capables et l'élite doit y aideren leur redonnant
confiance en leur capacitéde transformer 1e monde a partirde leurs savoirs et savoir-faire.
Toute communauté consciente de ses responsabilitéspeut créer des richesses tout en
préservant et en enrichissant son environnement. Les mémoires collectives nous le
démontrent.

Conclusion

Les organismes régionaux de ddveloppement tels que le Comité Inter-Etats de Lutte


contre la Sécheresse au Sahel, la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de
l'Ouest et l'UnionEconomique et Monétaire OuestAfncaineprennenten comptedans leur
traitéla gestionde !'environnement ; mais s'inspirer des cultures locales en la matière est
une garantiepour la réussitede la miseen oeuvre de ces politiquessous-régionales. Pour
ce faire, elles devront insister sur la communication Inter-Etats afin de partager des
experiences communautaires de gestion de l'environnement.

Dans la mesure oC la culturepeut percue comme lensemble des creations dun peuple
pour vivre avec la nature et avec d'autres peuples, elle est un facteur qui insuffle aux
peuplesla confianceet la motivation nécessaires pour prendreen charge leur destin qui
mobilise leurs energies créatrices en vue dun développement authentique. Les efforts
dintégration dans les pays du Sahel devraient retenir cette maxime afin dimpliquer
effectivement les communautés de la sous-région dans la sauvegarde de leur
environnement. Décentralisation et procedure d'intégration vont de pair dans la lutte pour
Ia sauvegarde de la biodiversité. Elles permettent aux communautés a la base de
renouvelerleurs savoirs et savoir-faire, de les partager avec dautres communautés et de
participer ainsi a luniversel.

Lécole, heritage colonial, telle quelle se présente aujourdhui, coupe l'enfant de son
milieuet donc de sa terre. Quoi de plus normalqueles elites seloignentde la terre et que
les pouvoirspolitiques ou socio-économiques ne sy intéressent que pour lexploiteret cela
de façon abusiveet démesurée?

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18au 21 juin 2001 29


L'éducation doit viser a intégrer lenfant a son milieu de vie et en laidant a se reconnaItre
en renouantavec ses racines et en retrouvantses sources. Intégrer lenfant a son milieu,
cest en premier lieu lamener a prendre conscience de son soT et de son sang,,mais de
facon ouverte aux autres. Ce type déducation se fonde sur les problèmes du milieu et
oriente lenseignementen vue de leur resolution. II permet a lélève de comprendreles
relations de sa communautéa son environnement et de prendre sa part de responsabilité
dans laméliorationde ces relations.

Léducationa Ta terreexige, certes, une attentive des traditions locales. Cependant,


elle n'est pas uneréplique de méthodes dépassées, mais bien une education qui répond a
un besoin fondamental. Elle veutpermettre dactualiser la tradition, maisaussi denvisager
lavenir. Lenvironnementet Ta biodiversité y tiennentune place de choix et aident a créer
de nouvelles mémoires culturelles.

Cette education se déroule au sein de la famille oü, trèsjeune, lenfant est mis en contact
avec les réalités du milieu soit par des contes soit par les experiences. Ii y est invite a
respecter Ta tradition et a Ta perpétuer au béndfice des générations futures. La familleest la
cellule de base de toute société propice a Ia creationde sens pour la surviedu groupe. Elle
est donc Te lieu favorable a Ta communication qui est en fait lusage de linformationpour
faire sens et faire vivre. Le comportementde Ta société en depend puisque cest un
ensemble de familles qui la constitue.

Lécole Tespace-temps de Ta transformation sociale, elle assume Ta fonction de


matrice culturelle pour Te groupe au sein duquel lenfant est appelé a devenir un être
social. E1Te initie a la rupture avec Ia familiaritéoriginaire, mais réussit a nouer avec ce
qui est different, autre, Lécole apprenda transgresser, a pratiquer linterface
elle forme au transfert. Pour cela, il nous semble quun premier travail reste a réaliser
celui de collecteret de transcrire les coutumesen matièrede sauvegarde de Ta biodiversité
et par la suitede Tes exploiterde facon rationnelle. Cette education devraitêtre une reprise
et une poursuitede Teffort déjà consentipar les farnilles, permettantainsi de parfaire le
projet originel et de créer ainsi des mémoiresculturelles nouvellesen matière de gestion
de Ta biodiversité.

En réalité, lécole doit nous permettre de comprendre que Tes savoirs locaux des
générations précédentes ne sont pas derriere nous et qu'iT ne peut y avoir que lien,
continuation et donc tradition vivante.

Les structures de recherches ont déjà mené plusieurs etudes dans le domaine de Ta
sauvegarde de Ta biodiversité ; seulement, Tes résultats ne sont pas restituésau public. Or
la recherchese propose de faire oeuvre déducation. Comment et permettrede
transformer des coutumes si les résultats des recherches et etudes ne sont pas communiqués?

Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversité enAfrique de l'Ouest etdu Centre
La recherche sur Ia culture de la sauvegarde de Ia biodiversité est un projet
interdisciplinaire associant sciences humaines et sciences exactes autour du theme.
Linterdisciplinaritésitue le sujet dans la longue durée et facilite alors son enracinement
dans les valeurs locales. Elle permet ainsi, par des résultats, aux décideurs de mieux
les textes législatifs. Elle permet egalement aux structures travaillant sur le
terrain de mieux comprendre le comportement des populations et de susciter les
changements attendus. En outre, la recherche interdisciplinaire propose a lenseignement
et aux structures de formation les pour améliorerle contenu des cours, et aux
textes fondamentaux de la gestion de lenvironnement les nécessaires a
lenrichissementde leuresprit.

Les generations passées ont su des méthodes cohérentes de gestion de


lenvironnement et de La biodiversité et dont bénéficient aujourd'hui les générations
actuelles. Certains aspects des coutumes au cours des siècles sont abandonnés
actuellement sans être, pour autant, remplacés par quelque chose de plus fiable. Les
scientifiques sont interpellés pour proposeret convaincre, pour un meilleurtransfert,des
traditions ancestrales dans la modemitéafin de preserverla vie des generations presentes
et futures.

Lexemple de sauvegarde de la biodiversité par la culture pris sur le ndré, le karité et le


rônier dans la communauté Madare démontre bien que pour un programme
coherent de gestion et de sauvegarde de la biodiversité, il est nécessairedavoirune autre
conception fondée sur une ethiquequi ne peut être concue qua partirdes traditions locales
et des nécessités du moment. Notre devoir de generationest de contribuera l'dmergence
dune nouvelleculture de la ruralitéqui protegenotrebiodiversité.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001


Références bibliographiques

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32 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversitO en Afriquede I'Ouest etdu Centre
2

Forêts sacrées de Côte-d'Ivoire:


Ia tradition au secours
de I'environnement

Gnohité Hilaire GOME


Croix Verte (COte-d'Ivoire)
Résumé

Les problèmeslids a l'environnementcontinuent de préoccupertous les pays africains,


tant les facteurs et les champs de degradation sont nombreux. Pour remédier a ces
problèmes environnementaux, les actions renforcées de sauvegarde de l'environnement
sont engagéespar tous les pays africains dont la Côte-dIvoire, avec ses moyens et ses
réalitds que sont Ia Direction de l'Environnement, Ia Direction de Ia Protection de Ia
Nature, Ia Direction de la police forestière, la Société de Développement des Forêts
(SODEFOR), le Bureau de la Coordination sur Ia Biodiversité, etc. Nos sociétés
traditionnelles, qui ont toujours voud un respect sacrd a la protection de la nature, ont
dgalement apporté leur contribution a cette lutte a travers la pérennisation des forêts
sacrées, veritable patrimoine dcologique vital.

Le niveau et l'ampleur de Ia degradation de la for& ivoirienne, malgré les lois, ddcrets et la


presence des agents des eaux et forêts, ont fini par faire prendre conscience a tous les
acteurs du développement de la pertinenceet de l'intérêtdes pratiquesculturelles utilisées
par les populations locales et les pouvoirs traditionnels dans la gestion de leur
environnement. Les différents interdits, les cultes, les contes et legendesqui font des
sanctions encourues par plusieurs contrevenants ont consolidd la crainte et le respect vis-
des forêts sacrées. Ii en est de même pour les cérémoniesinitiatiques, les rites par
lesquels ces populations et les gardiens de la tradition marquent leur communevolontd de
preserverles richesses naturelles, culturelles et spirituelles que constituent et vdhiculent
les forêts sacrées. Il est donc de plus en plus question, voire urgent, dintdgrer ces
pratiquesculturelles dans des programmes nationauxde preservation de Ia biodiversité.
Cecipasse a notre avis par:

- la responsabilisation des pouvoirs traditionnels dans la gestiondu patrimoine forestier;


- la reconnaissance officielle des strategies traditionnelles de la conservation de la
biodiversitéainsique leur vulgarisation;
- le classement des foréts sacrdes commepatrimoineculturelnational

- le développementetla promotiondes sites dansdes circuits touristiques;

- lattributiondun statut special aux forêts sacréesa l'exemple de ce qui existe pourles forêts
classées, mais en les mettant sous la responsabilité des autorités coutumières et
traditionnelles;

- lactualisation desritesd'initiation et les cérémonies rituelles;

- la mise sur pied dun cadre local de concertation et daction regroupantlensembledes


acteurs dv ddveloppement.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 35


Le projet <Forêtssacrées,patrimoinevital de Côte-dIvoire >>, actuellement en execution
dans notre pays par Ia Croix verte de Côte-dIvoire, vise a valoriser cette expertise
traditionnelle locale en vue de sa prise en compte comme stratégie de
conservation de Ia nature et de gestion durable de lenvironnement.Tous les acteurs du
ddveloppement (pouvoirs publics, administration, bailleurs, chercheurs, ONG,population,
etc.) doivent concouririmpérativement a la réalisation de cet objectifpour l'avènement
d'un développement véritablement durable.

Introduction
Les problèmeslies a l'environnementpréoccupentet continuent de préoccupertous les
pays africains, tant les facteurs et les champsde degradation sont nombreux. Depuis la
pollutiondes eaux, de l'air, jusqu'àla deforestation, ceuvre de l'homme, en passantpar la
désertification nécessaire, cuvre de la nature, ces preoccupations appellentinquiétudes et
interrogations. Si l'on n'y prend garde, le continentafricain déjà mine par des problèmes
socio-économiques risque de se retrouverdans une situation encore plus inconfortable:
manque de ressources naturelles, déséquilibres de toutes sortes, conflits divers, famine,
etc. Par ailleurs, il apparaIt impérieux de trouver les voies et moyens de lutter contre cet
Ctat de fait.

Malgré cetteprise de conscience générale, Ia degradationde l'environnementet du cadre


de vie continue de prendreune ampleur de plus en plus inquiétante. Pour remédiera ces
problèmes environnementaux, les actions renforcéesde sauvegarde de 1'environnement
sont engagéespar chacun des pays africains avec ses moyenset ses réalités.

II en est de méme dans nos sociétéstraditionnelles.Eneffet, il ne fait aucun doute que lerespect
de l'environnementen général et de la forêten particulierpar les pouvoirs traditionnelsne date
pas d'aujourd'hui.Ii suffit de jeter un regard sur le nombre et Ia valeur en biodiversitédes foréts
dites sacrées a travers le continent africain pour s'en convaincre. Et pourtant, ladministration
chargée de la gestion de la politique forestière continue daccorder très peu dattention aux
méthodes traditionnellesde la preservationde labiodiversité.

En Côte-d'Ivoire, contrairement aux forêts classées largement infiltrées et illégalement


exploitées, les foréts sacrées ont pu jusqu'à un passé recent resister a cette exploitation
abusive. Aussi ces foréts dites sacrées peuvent-elles apparaItre pour les populations
ivoiriennes comme une réponsea ces preoccupations.
Diversesquestions se posent alors:

- Comment, en dehors de toute protection légale, les foréts sacrées ont pu resister au
drameforestierivoirien?

36 Pratiques culturelles, a sauvegarde et Ia conservation


de a biodiversitO en Africiue de I'Ouestet du Centre
- Queues sont les pratiques culturelles utilisées par les populations ivoiriennes pour
conserver la biodiversité ou pour la gérer durablement?

- Comment intégrer ces pratiques dont l'efficacité n'est plus a ddmontrer dans des
programmes nationaux de protection de la biodiversité?

Nous essayerons de leur apporter quelques de réponses a travers l'expérience


tirée du projet "Foréts sacrées, patrimoinevital de Côte-d'Ivoire"dont l'exécution par La
CroixVerte de Côte-d'Ivoire a mis en valeurles strategies traditionnelles de protection de
l'environnement. On pourraainsi expliquercommentla tradition est venue au secours de
La protection de La forét en Côte d'ivoire.

I. L'impuissance des pouvoirs publics ivoiriens


a sauvegarder efticacement Ia biodiversité

Le relatif développement socio-economique de la Côte-d'Ivoire, base essentiellement sur


l'agriculture et l'exploitation forestière, s'est effectué au detriment du patrimoine forestier
national. En effet, la forêt ivoirienne est passéede 21 millions d'hectaresen 1957 a moms de
2,8 miLlions ha en 1995. La deforestation s'est poursuivie a un rythme de 6,5 % par an
(environ 300.000 ha). Ainsi, en 1960, le domaine forestierde l'Etat, réparti en 147 forêts
classées dont 66 en zone forestière et 81 en zone de savane, dtait estimé a 12 millions d'ha.
En 1987,on estimait a 2,5 millions d'ha les lambeaux de forêts relevantdudomaine de l'Etat.

Quant au domaine rural, réservé aux activités il n'est constitué dans sa


grande majorité que de cultures et de jachères. La forêt, important de
l'environnement, a dégradée par les activités agricoles qui occupent près de 60 % de Ia
population active du pays, les activitésforestières (exploitation forestièreet exploitation
des autresproduits de la forêt) et les feux de brousse. Les parcs nationauxet reserves, qui
occupent une superficie de 1,9 millions d'ha, se présententcomme un lieu privilégiede
conservation du patrimoine phytogénétique et faunique. Toutefois, les pressions agricoles
sur les parcs et reserves, ainsi que le braconnage qui s'y développe, sont tout aussi
menacants que dansle cas des foréts classées.

Cette destruction des forêts va de pair avec la destructiondes habitudesdes populations


qui les habitent ainsi que des ressources en fore et en faune qu'elles abritent. La
deforestation s'accompagne des pertes graves de biodiversité au sens large (genes,
espèces, Elle porte atteinte aussi au patrimoine culturel et spirituel des
populations. Malgré les différentsprojets,programmeset plans d'action, l'Etat n'a pas Pu

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 37


empécher Ia degradation du patrimoine forestier. Et pourtant, plusieurs structures
gouvernementales sont a lcuvreen faveur de Ia protection de l'environnement:

- le Ministèrede Ia construction et de l'environnement avec ses trois directionscentrales


que sont la Direction de l'Environnement, la Direction de la Police forestière et la
Direction de Ia Protection de Ia Nature;

- la SODEFOR, qui gère au quotidien les forêts ivoiriennes;

- lAgence Nationalede lEnvironnement,chargée de Ia mise en euvre du Plan National


dAction Environnementale;

- un Coordonnateurnationalqui gère en relation avec tous les partenaires et acteurs la


mise en cuvre de la convention sur la biodiversité.

En effet,le bilan diagnostic forestierréalisépar le BureauNationaldes Etudes Techniques


et de Développement a révéléque:
- 780.000 personnes vivent et exploitentillegalement les forêts classéesde Côte-d'Ivoire
(60 % d'allogènes, 25 % dallochtones et 15 % dautochtones);

- les 2/5 de la production cacaoyère et caféière proviennentdes plantations installées en


forêts classées.

Par ailleurs,plusieursconflits fonciers ruraux régler ont déjà


difficilesa a travers
tout le pays. Les regions de l'ouest et du sud-ouest de la Côte-dIvoire sont en alerte
permanente malgré le vote de la loi portantcode foncierrural. Ces conflits serontde plus
en plus frequents si une bonne politique de gestiondes terroirset de meilleures conditions
de retour des jeunes a Ia terre ne sont pas mises en uvre. Cela suppose une
maltrise de limportant flux migratoire des travailleurs agricoles burkinabés et maliens
dans louest, le centre-ouest et surtout dans le sud-ouest forestier ivoirien, théâtre des
conflits fonciersactuels.

En Côte-dIvoire, presque tout le monde agresse la forét. Les hautes personnalités qui
s'octroient de grandes superficies de terres pour des réalisationsagricoles. LEtatdéclasse
des forêts pour des raisons politiques et Les paysans pratiquent encore
lagricultureitinérante sur brfllis. Les Chefsde terre continuent de vendre des portions de
forêts a des allogènes et autres opérateurs pour scolariserleurs enfantsou
résoudre dautres problèmes socio-économiques. Les producteurs de bois de feu et surtout
de charbonde bois doivent approvisionner les nombreux ménages qui nont pas encore
adopté le gaz butane. Les exploitants forestiers interviennent, pour leur part, en vue de Ia

38 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde eta conservation


de Ia biodiversitéen Afriquede I'Ouestet du Centre
production et de Ia commercialisation du bois d'uvre et de service. L'implication de tous
ces acteurs rend difficile la gestionrationnelledu patrimoine forestier ivoirien.
Ii est heureuxde constater qu'à côté des domaines forestiersprotégéslargementinfiltrés,
les forêts sacréesrestentmoms dégradées. Ellesconstituent non seulement des reservesde

la biodiversité, mais aussi un important pan de l'identité des populations locales:


elles renferment des de 1'histoire des villages et les lignages;

- elles renseignent sur les relations entretenues avec d'autres peuples, voisins ou
lointains

- elles sontdesrepèresde sdcurisation sociale(harmonieavec les dieux et les genies des


lieux, règlementde litiges fonciers, consolidation de 1'autoritépolitiqueliéesouvent a
l"autochtonie", harmonie avec les ancétres disparus,mais veillant surles vivants...);

- elles renferment,sans doute, des espèces végétales et animales menacées ailleurs par
une fortepressionhumaine.

Aussi Ia Croix Verte de Côte-d'Ivoire (organisation non gouvernementale pour Ia


sauvegarde de l'environnement) a-t-elle initiéle projet <<Forêt sacrée, patrimoine vital de
Côte-d'Ivoire >>, avec l'appui du Centre de Recherches pour le Développement
International (CRDI). Ce projet, dont l'exdcution est prévue en trois phases, a pour
objectifgeneral la promotion du développement des strategies integrees de sauvegarde et
de l'exploitationrationnelle des ressources naturelles a partir des Ilots de preservation que
sont les forêts sacrées en s'appuyant sur les pratiques culturelles des pouvoirs
traditionnels et des populations locales. II est important de souligner que le projet forêt
sacréeest né de la reactionde la Croix Verte de Côte-d'Ivoireface au cri de détressedes
populations de Tanda (nord-est de la Côte-d'Ivoire), dont 1'une des forêts sacrées
menacéepar un exploitant forestier d'origine libanaise a qui le gouvernement ivoirien
avait donnéuneautorisation d'exploitation. Grace a l'intervention de la Croix Verte, cette
forét sacrée a sauvée. Revigorée par ce succès, l'idée d'élaborer un projet de
protection des forêts sacrées a pris forme.

La phase de recensement,d'analyse anthropo-sociologiqueet de classement typologique des


foréts sacrées, qui a duré 18 mois, a concerné toutes les regions de La Côte-d'Ivoire et permis,
entreautres, de dénombrer6702 forêts sacréesavecune superficieglobale de37 000 ha.
Par ailleurs, le classement typologique a permis de:
- distinguer trois statuts de foréts sacrées(fermée, semi-ouverte et ouverte);

- determiner les différentes fonctions des forêts sacrées;

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 39


- la repartition spatialedes forêts sacrées par rapportaux aires linguistiques et
culturelles ivoiriennes.

Pourquoiet comment, en dehors de toute protection idgale, les forêts sacrdes ont-elles Pu
resisterau drameforestierivoirien?

La Croix Verte de Côte-d'Ivoire, ONG pionnière dans La lutte pour la sauvegarde de


l'environnement, a l'occasion de l'exécution de Ia phase II du projet << Forêts sacrdes,
patrimoinevital de Côte-d'Ivoire>>, a ouvert,pour tous ceux qui douteraientencore de Ia
rdalitd de ces hots de preservation de la biodiversité, une lucarne sur les forêts sacrées,
avec l'accord et La bénédiction des pouvoirstraditionnels.

Et cela a partir de l'exemple concretde trois sites que sont:


- la forêt sacrde <<Adon Akosso >> du village de Ahéoua, Sous-Préfecture d'Akoupé
(Département d'Adzopé);

- la forêt sacrée << Gbangbodjo >> du village de Bécédi, Sous-Préfecture de Sikensi


(Département de Dabou);

- la for& sacrée <<Tope >> du village de Moossou, Sous-Prdfecture de Grand Bassam


(Département de Grand Bassam).

Ii ressort des contacts et entretiens avec les initids, les sacrificats et dépositaires de la
traditionet des valeursculturelles et les populations locales:

- que ceux-ci et leurs autoritdstraditionnellesavaient leur propre stratdgiede conservationde


la biodiversité, cela bien avantcelledes occidentaux;
- qu'il existedes pratiques culturelles pertinentes utilisées par les populations pour
conserveret gérerdurablement la biodiversité.

II. Les pratiques culturelles ivoiriennes pour conserver


et gerer durablement a biodiversité

Dans le vécu des civilisations négro-africaines, la gestionde l'environnementparticipe


d'une vision holistique des rapports qui unissent non seulement l'hormne a son
environnement tant materiel qu'immatériel, mais aussipar la representation qu'ii se fait de
ces rapports qui déterminent leurs comportements et leurs conduites cristallisés dans les
totems, les tabous, les rituels et les consecrations des lieux etlou espaces hiérophaniques.

Pratiques culturelles, Ia sauvegarde etLa conservation


de Ia biodiversité en Afriquede l'Ouestet du Centre
Ce sont ces systèmes de representation qui permettentaujourd'hui de dire que les forêts
sacrées sont une réponse probable a la deforestation etlou a Ia degradation de
l'environnement, et par consequent, de leur diversité biologique.
En effet, par les différents interdits, les cultes, les contes et legendes qui font des
sanctions encourues par plusieurs contrevenants, les gardiens de La traditionconsolident La
craintequi garantit Ia sdcurité des forêts sacrdes en interdisant de:

- ramassercertains fruits quand its tombent;


-
couper du bois vert dans les foréts sacrées;
- tuerun animal en gestation;
- faire tuer un animaL dans ces forêts;
- amener le feu dans Ia forét;
- commercialiser telle plante mddicinale.

Par ailleurs, a travers les cultes aux ancêtres, les rites et cérdmonies initiatiques, les
populations et les gardiens de latraditionmarquent leur communevolonté de preserver les
richesses naturelles, culturelles et spirituelles que constituent et véhiculent les foréts
sacrdes. Cette adhesion volontaire est La deuxième raison qui garantit la sauvegarde des
forêts sacrées. Ces pratiques sont entre autres:

- la conservation des fétiches en forêt vierge;


- la fabrication et Ia pratique du masque;
- l'école
initiatique du Poro en forêt;
- 1' isolement de certains
grandsmaladesen forét;
- t'enterrement des Rois en forêt;
- les rituelset cdrémonies d'adorationautour des arbres sacrés,des rochers sacrés, etc.

En adoptant de telles pratiques, les pouvoirs traditionnels et les populations locales


avaientIa pleine conscience de poser des actes essentiels de survie. Leur souci majeur
de protégeret de pérenniserleur environnement, veritablepatrimoine vital pour tes
géndrations presentes et futures. Par ailleurs, ils avaient conscience que la destruction des
foréts va de pair avec celle des peuples qui les habitentet des ressourcesen fore et en
faune qu'elles abritent. La deforestation s'accompagnede pertes graves de la biodiversité
au sens large (genes, espèces, Elle porte atteinte aussi bien au patrimoine
culturel que spirituel des populations.

Enfin, ils avaient conscience des bénéfices notablestires de la conservation de la forêt. En


effet, selon les populations, les forêts sacrdes remplissentles fonctions suivantes:

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001


- sdcurité et protection (règlement des litiges, prise de decision, lieu de refuge, garde de
fétiches)
-
religieuse (sacrifice, culte, adoration);
- et recherchedu bonheur (pharmacopde,procreation,recherchedu bonheur);
- socioculturelle(cimetière,rites initiatiques, habitats des masques, cérémonies rituelles).

C'est pour toutes ces raisons que les pouvoirstraditionnels ont toujours use de sagesse, de
prudenceet de prévoyance dans la gestiondurable des ressources naturelles considérdes
commeun don de Dieu.

III. L'intégrationdes pratiques traditionnelles


dans Ia gestion nationale de Ia biodiversité

Les pratiquesculturellessont certainement très nombreuses en ce qui concerne les forêts


sacrées, et très utiles pourpermettrel'équilibre de la société toutentière.En tout cas, elles
ont permis aujourd'hui de sauvegarder une grande partie du patrimoine forestier. Les
forêts sacréesen sont un témoignage eloquent.

Ii apparaIt donc très utile de s'inspirer des strategies de conservation et de gestion des
forêts sacrées par les pouvoirs traditionnels pour une meilleure conservation de la
biodiversité. Ceci pourrait se faire a travers:

- la responsabilisation des pouvoirstraditionnels dans la gestiondu patrimoineforestier


et, en particulier, des forêts sacrées;

- la reconnaissance officielle des strategies traditionnelles de la conservation de la


biodiversité ainsi que leur vulgarisation;

- l'implication des chefferies traditionnelles et des populations locales dans la mise en


uvre des différentes conventions de la géndration de Rio sur l'environnement et en
particuliercelle relative a la biodiversité;
- le developpement et lapromotion des sites dans des ciituits touristiques. Cela sefern
en relation avec les statuts des différentes forêts sacies. La co-gestion des sites pemieura aux
populations locales debénéficier dunpouiventage des ievenusdecetteactivitd;

- 1'attribution d'un statut special auxforêts sacréeset leur classement comme patrimoine
culturelnational.

42 Pratiques culturelles, a sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversité en Afriquede I'Ouestet du Centre
Celaest d'autant plus urgent que si l'on n'y prendgarde, nous risquons de perdre toutes ces
richesses, car des menaces réelles pèsent de plus en plus sur ce patrimoine vital. L'étude
menée par l'équipede la CroixVerte de Côte-d'Ivoire au cours de la phaseI du projet "Forêt
sacrée, patrimoine vital de Côte-d'Ivoire" a montré que les principales menaces sont:

- les religionsnouvelles (islamet christianisme)

- la croissance demographique;

- l'abandonde la tradition, notamment sous l'influencede l'dcole de type occidental;

- les activités agricoles, pastorales et l'exploitationforestière.

Cependant, ii est heureuxde constater que des pistes de solutions pourprotégerces foréts
ont proposées par les populations riveraines elles-mêmes a savoir:

- attribuerun statutspecialaux forêts sacrées a l'exemple de ce qui existepour les forêts


classées, mais en les mettant sous la responsabilité des autorités coutumières et
traditionnelles;

- créer des ceintures vertes autourdes forêts;

- actualiser les ritesd'initiation et les cérémonies rituelles;

- mettre sur pied un cadre de concertation et daction local regroupantl'ensemble des


acteurs du développement.

Tous les acteurs du developpement (pouvoirs publics, administration, bailleurs,


chercheurs, ONG, population, etc.) devraientconcourir impérativement a la réalisation de
cet objectifpour l'avènementd'un développement vdritablement durable.

Conclusion
Les forêts sacrées sont une réalité en Côte-d'Ivoire. Elles constituent un espace
d'expression culturelle indéniable pour les populations locales. Ces for&s sacrCes
permettentde protégerla biodiversité dont elles sont,aujourd'hui,un veritablesanctuaire.
C'est pourquoi elles doivent sauvegardées, protdgées et surtout réhabilitées. Les
pratiques traditionnelles, mieuxqueles lois et décrets, ont a la base de la surviede ces
hots de preservation que sont les foréts sacrdes.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 43


Seulement, ii faut l'affirmer très haut et informertoute La communautéinternationale et
les partenaires au développement durable avec des preuves a l'appui. C'est ce a quoi
s'attelle La Croix verte de Côte-d'Ivoiredans L'exécution de son projet < Forêts sacrées,
patrimoine vital de Côte d'Ivoire >>, avec Ia participation active et responsable des
pouvoirstraditionnels et des communautés locales.
L'objectif unique de prendre cette expertise traditionnelleen compte dans les
politiques nationales de sauvegarde de l'environnement.

44 Pratiques cutturelles, a sauvegarde et aconservation


de Ia biodiversitéen Afriquede 'Quest etdu Centre
Références bibliographiques

Croix Verte de Côte-d'Ivoire, 1998. Litigesfonciers ruraux . les solutions de Ia Croix


verte. BISE, 1, pp. 4-21.

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Croix Verte de Côte-d'Ivoire, 1998. Feux de brousse et de forêts : forets sacrées,


patrimoinesauvé. BISE, 2, pp. 20-23.
Gome G.H., 1998. Forêts sacrées,patrimoine vital de Côte d1voire. Croix
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Ministère de l'Environnement et de la forét, 1999. Profli environnemental de Côte-


d'Ivoire.Rapport dactyl., 64p.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 45


j
Preservation de Ia biodiversité:
les réponses des religions africaines

Dakouri M. GADOU
Institut dEthno-Sociologie, UniversitO de Cocody,
Abidjan (COte-d'Ivoire)
Résumé

Face a La degradation des ressources naturelles malgréles diverses solutions proposéeset


appliqudes, cette monographique fait le point de La perceptionet de la gestion de La
nature par les sociétés africaines. Tous les programmes de gestion durable ont du
fait de L'évacuation autoritaire dans Les politiques environnementales des droits
coutumierset de La mise en place de programmes inappropriés dans le contexteafricain.

Cette se propose de revisiter dans les traditions africaines pour les faire mieux
connaItre, afin d'y trouver d'autres fondements plus adéquats pour une gestion
autocentréeet efficiente des ressources naturelles et de l'environnement.

Introduction

Aujourd'hui, les questions que posent La protection et La gestion de La biodiversité


apparaissent nettement de premiere importance et pour cause : La biodiversité ou La
diversité biologique, définie comrne l'ensemble des espèces végetales et animales et de
toutes les autres variétds de micro-organismes vivants qui se retrouventdans la nature, se
réduit considérablement partoutdans le monde. Les précieux (oceans, forêts,
etc.) sont ddgradés, polLués, détruits. Des ressources renouvelables (sols, espècesanimales
et végétales) nont plus le temps de se renouveler, voire disparaissenta un taux sans
précddent.

Le rapportde La Commission Mondialesur l'Environnement et le DéveLoppement(1987)


(rapportBrundtLand)met en cause La désertification et La deforestation a grande
Selon Coste (1994), "tousles ans, six millions d'hectares [de foretl sont réduits a l'état de
desert, ce qui sur trente ans, a une superficiede l'étenduede cellede LArabie
Saoudite. Toujours sur trente ans, onze millions d'hectares de forêts tropicaLes ont
détruits, ce qui reprdsente La superficie dun pays aussi grand que lInde. IL faut aussi
prendreen consideration le fait d'une très grande importance que la destruction des forêts
et d'autres terres sauvages entralne lextinction despèces animales et vegetales et, par
suite, un appauvrissement de la diversitdgénétique des IL en résulte, pour
nos contemporains et pour les générations futures, la privation de matériels génétiques qui
auraient permis d'améliorer les variétés de culture et de diminuer la vulnérabilité aux
agressions climatiques, aux attaques danimaux nuisibles, a la maladie'. Ce constat a
amené a parlerdune crise mondiaLe.

Devant ce que Ion appelle donc aujourdhui La crise ii y a une prise de


conscience internationale de limportance capitale de la sauvegarde et de l'utilisation
rationnelledes ressources naturelles. Cette prise de conscience sest manifestéeau niveau

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 49


mondialpar la conference de Stockholm (suede)en 1972, suivie vingtans après de celle
de Rio de Janeiro, au Brésilen 1992.

Comme actions de suivi, a la suite de ces rencontres internationales, diverses conferences


et mesures vont être entreprises dans les Continents et les Nations. A titre d'exemples,
signalons, pour le continent africain, la conference regionale africaine sur l'environnement
et le developpement durable a Kampala (Ouganda) en juin 1989, le séminaire regional sur
lintegrationde Ia dimension de l'environnement dans lenseignementuniversitairegeneral
en Afrique, en 1988 a Dakar (Senegal), le colloque sur lenvironnement et le
développement en 1989 a Dakar, la conference des ministres francophones de
lenvironnementa Tunis en avril 1991.

A ces conferences, ii faut ajouter la creation des structures administratives de gestionde


lenvironnement, des ministères de lenvironnement, la mise en place d'un Programme
National de lEnvironnement. Toutes ces actions, cependant, nont Pu jusquà present
repondre, sinon très imparfaitement, aux exigences de protection et de gestion de la
biodiversité. Pour preuve, cet autre atelier qui nous reunit pour réfléchir encore sur la
sauvegarde de la biodiversitéen Afrique de lOuest et du Centre.

La question lancinante de la sauvegarde de la diversité biologiqueen Afrique est pour


noussigne dun manifeste des politiques africaines de lenvironnement. Deuxcauses
liées peuvent expliquer cette situation : levacuation autoritaire, unilatérale et absolue,
dans les politiques environnementales, des droits coutumiers dune part, et le type de
développement engage depuis Ia colonisation, maintenu et renforcé après les
independances dautrepart.

En effet, le droit moderne, par la rationalisation et Ia sécularisation dont ii est porteur, est
naturellement et profondementinadequat au contexte africain oü les droits coutumiers, en
matière de detention ou dutilisation collectives des terres, par exemple, relèvent de
considerations a la fois sociales, culturelles, et surtout religieuses. Aussi le
passage dune de subsistance a une economie dechange (de profit) largement
monetarisee contribue-t-il dans une certaine mesure a dénaturerlexploitationdes milieux
naturels,etant donné quici, la nature sanalyse dabord et surtoutcomme un gisementde
ressources naturelles ou dénergie quil faut exploiter.

Cet ateliernousparaItainsi opportun, car ii ne peut y avoir de réponseveritablea la crise


ecologique qua la condition que sopère une authentique revolutionpolitique, sociale et
culturelle qui re-oriente les objectifs de la production des biens matériels. Cette revolution
en Afrique passe nécessairement par la connaissance et la comprehension des relations
entreIhomme africain et son milieu,entre lui et ce qui lentoure, et Ia connaissance de ses
besoins en fonction de son milieu et de sa culture.

50 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Iaconservation


de Ia biodiversitO en Afriquede l'Ouest et du Centre
C'est pourquoi ii sera question pour nous, ici, de voir l'homme dans son environnement
naturel dans les sociétds traditionnelles dAfrique noire. Cette perspectivenous conduit
dune part a dégager Ia vision négro-africaine de l'univers, Ia relation de i'Africain a La
nature, et d'autre part les strategies de gestiontraditionnelle africainede l'environnement.
Quelques socidtés, prisesdans les diverses regions, permettront d'illustrer notre démarche.

I. La vision africaine de lunivers

Selon Memei-Fotê (1999), "ii ny a pas de société, animate ou humaine, sans un


environnement. Ii ny a pas de culture sans religion, sans sans politique, sans
connaissance ni art. Toute religion suppose donc un environnement, site de la sociétéet de
sa culture". La difficuité ici, c'est de savoir si ion peut parler de société africaine au
singulierou au piuriel, en ce sens quit y a plusieurs civilisations, piusieurs traditions en
Afrique. En effet, les peupies africains de la forét ont des civilisations bien différentesde
celles des peuples des savanes et des peuples habitant les regions des montagnes. De
méme, les peupies de pasteurs ont une civilisationbien différente de celte des peupies
d'agriculteurs.

Ce qui frappe le plus, toutefois, dans cette diversité, c'est moms la difference que la
ressemblance, momsia diversité que l'unité. Car, si, du pointde vue du milieu,les peupies
et ieur culture different entre eux, si les différents milieux imposent différents types
d'activités, de production matdrietle, ce qui est frappant, c'est que partout, en forét comme
en savane ou en montagne, c'est i'unité culturelle de i'Afrique noire. "Au-delà de i'extréme
diversité des sociétés, des cultures et de leurs histoires, Memei-Fotê (1991), cette
unite est aujourd'hui admise par ta piupartdes historiens et des anthropoiogues sous des
termes varies : fonds communs, identité, africanité".

Ce fond de culture commun trouve son fondement dans la tradition reiigieuse que
partagent toutes les sociétés africaines pré-coloniales, pre-isiamiques et pré-chrétiennes.
Cette tradition reiigieuse, qui se lie et se dévoiie dans la vision unifiée du monde, 'se
présenteideologiquement, Memel-Fotê (1961), comme une conception générate de
l'univers, de ia vie et de i'homme, unetotalité cohérente qui continue d'informer lame et le
comportement des peupies".

Ainsi les visions ethniques attestent-etles en Afrique i'existence d'un monde, non
seulement comme une réaiité objective et matérielie, mais encore comme concept: wase
(Duala), agbemé (Mina), dunia (Matinké-Bambara), man (Agni-Baouie), gbamiadodo
(Dida). Ce monde, selon ies cosmogenèses africaines, 'quatre entrent dans sa
formation. L'éiément premier c'est le Feu, céleste,manifeste dans te chaud et le
sec, correspondant a la saison sèche, le feu engendrele deuxième lAir, manifeste

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 51


dans le chaud et l'humide ; cest de lair que vient, sous forme de p!uie, le troisième
l'Eau, synthèsede ihumide, du chaudet du see, i'eau 'élément essentiel a la vie,
vieavant Ia vie extérieure" ; de l'eau sort le quatrième la Terre, autre synthèse des
trois Enfin, de Ia terre sont nds, par ordre chronologique, le végdtal, laIné,
lanimal, le cadet, et ihomme, le benjamin, parmi les êtres animés" (Memel-Fotê, 1998).

Par ailleurs, ce monde, chez les Africains, se subdivise en deux spheres, l'une visible,
lautre invisible, mais les deux en inter-relation perpétuelie par le jeu des puissances
invisibles. Le monde invisibleperceptible par ceux qui ont une double vue, c'est-à-dire les
nyctosophes (devins, voyants, sorciers), c'est le monde souterrainhabitd par les genies et
les ancêtres, propriétaires et maItres de la terre, le ciel la demeure de iêtre supreme,
Olorun, le dieu supreme des Yoruba, Amma des Dogons, des Bamildké, Lagotapè des
Si
Dida-Godié-Bété, tandis que Ia terre est l'espace occupé par les êtres vivants : les
hommes, les animaux, les eaux, les plantes.

Aussi, au sein du monde visible, lAfricain ancien distingue-t-ildeux espaces lespace


socialisd ou culture!, qui est ce!uique l'homme habite, et lespace non socia!isé ou naturel,
qui est ihabitacle des dieux intermédiaires (Orisha des Yoruba) plus ou moms
bienveillants dont !es montagnes, les forêts denses, les lies, les eaux, ies marécages, les
rapides, les profondeurs et !es hauteurssont les sanctuaires.

L'homme, de ce monde,reste soudé au reste du monde: <<par lorigine absolue


qui se nonmie Dieu (Amma,Koulotyolo, Imana), i'homme est le parent "consanguin" du
mineral,du vegeta! et de l'animal, [parce que] dans la composition des corps de ces
apparentésentre les mémes substances (eau, terre, feu, air) qui manifestent le nyama ou
ngul, on force vitale universelle >> (Memel-Fotê,1990).Non seulementihomme
reste uni au monde par son apparentement et Ia consubstantialité, mais ii lui reste encore
dépendant: 'd'aborddCpendance génétique: la genèse de i'homme est rapportée par les
mythesa une origine immediate qui est soit tellurique(Boschiman, Tallensi, Asanté), soit
ouranienne, soit végétale (roseau des Zulu, papayer des Fali), soit animale (shilluk).
Ensuite dependance symbolique : un lien totémique impliquant alliance et protection
réciproque associe certains animaux et vdgétaux a des communautés humaines.
(Memel-Foté, ibidem).

A vrai dire, ia religion traditionnelleafricaine, qui fonde cette vision, semble être une
religion de lalliance entre ihomme et la nature par la mediation des genies,des
ancêtresetde Dieu. Elungu(1987) exprime bien cettealliancelorsqu'il 'Encore une
fois, la symbolique noire traditionnellepresuppose lunité de l'homme avec sa société, de
ihomme clanique et de lunivers, et sappuie constamment sur elle pour une action a
opérerdans ce monde,pour un sens transcendant, la seuleexperiencepratico-sensible et,
partant, immanente au monde, a Ihomme et sa société'.

52 Pratiques culturelles,a sauvegarde et aconservation


de a biodiversitéen Afriquede I'Ouest et du Centre
Uni a Ia nature, l'hommeafncain ancien s'y reconnaIt cependantune forcecontingente, en
ceci que la nature, a ses yeux, est peuplé de puissances tant bienfaisantes que
malveillantes. En fait, chez l'Africain, Ia natureest un reservoirde signifiants et de signes,
c'estpourquoil'homme doit être attentifa tous les signes du cosmos, porteurde messages,
chargé de significations que les We, Dida et Bété et bien d'autres sociétés, par
l'intermédiaire du devin (gwingnon, zriblegnon, zrignon), essaient toujours d'interpréter
afin de mettreleur force vitale a labri des agressions des forces malveiliantes, mais aussi
de se rendre favorables a celles bienfaisantes.

Pour tout dire, chez les Africainsen général, la nature est significative ; Calame-Griaule
(1965), parlant des Dogon, <<Dans le monde ainsi créé, tout est "signe" et rien nest
gratuit, c'est-à-dire que chaque parcelle de matière renferme un message destine a
l'homme. La creaturehumaineest en situationdans un univers a son image, dont tous les
sont en rapport avec une certaine vision qu'elle a d'elle-même et de ses
problèmes, la culture dogon est en effet un "humanisme". L'homme cherche son reflet
dans tous les miroirsdun univers anthropomorphique dont chaque brin d'herbe,chaque
moucheron est porteur dune "parole". C'est ce que les Dogon nomment "parole du
monde", (...), "le symbole".

En effet, la nature tout entière en Afrique est symboledont le symbolisme de certains


reste partoutconstant,tel celui des mondes animal, mineralet végétal.Ainsi le
symbolisme animal présente-t-il les animaux ou certains animaux comme des héros
civilisateurs de l'humanité, en ce sens que dans les mythes fondateurs, l'ancétre des
groupes est souvent un animal. Le monde mineralreprésente, dans le même sens, tous les
êtresvivants inanimés et parmi ceux-ci, la terre, souvent associéeau ciel, tient uneplace
primordiale. "Le ciel et la terre,coupleprimordial,géniteuret genitrice, mettentau monde
tous les êtres qui sont ainsi frères uténns et consanguins" (Memel Foté, 1998). La terre,
c'est aussi Ia déesse Gebeb d'Egypte, et Odoudoua du Yorouba. Selon Zahan (1970),
"l'Africainest un terrien profondément attachéa la glèbe. Le so! fermeconstitue pour lui
la meilleure garantie de l'existence, ii est l'dldment le plus exploitédu pointde vue materiel
et spirituel". Dansla psychologie traditionnelle africaine, les minéraux, eux aussi,sont des
êtres vivants parmi les autres; Ia mythologie akan de l'or atteste bien cette vision
"Veritable être vivant au pouvoir surnaturel, l'or est censé pouvoir donner bonheur,
réussite, sante, longévité et fortune a tous ceux qui l'associent a leurs activitéspolitiques,
sociales et religieuses non pas comme monnaie, mais comme un dieu soucieux des
intdrêts du devenir de ses fidèles" (Niangoran-Bouah, 1978).

Le monde végetal est aussiinterprétéselon l'inépuisable trésordes symboles et, de façon


generale, ii est représentépar l'arbre. En effet, selon les cosmogenèses africaines, la vie,
substancedu monde, se manifeste pour Ia toute premierefois dans et par les végétaux.
"C'estde Ia terre, synthèse des autres de Ia cosmogenèse (Feu,Air, Eau),après Ia

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 53


fécondationde celle-ci par le Feu (energie) et l'Air (souffle), qu'est sortie Ia vie sous Ia
forme vdgétale. La terre, en recevant les déchets et les non assimilables par la
vie, les transforme en vie; le lieu oü se realise et se manifestecette transformation, c'est
larbre (Memel-Foté, 1998).

L'arbre, de ce fait, "représente la vie humaine qui prend racine dans la terre profondedes
ancêtres, et qui s'épanouit dans la tige et les feuilles: entre les racines, la tige et les
feuilles, une communication perpétuelle de vie, dans un flux incessant, circule, reliant
ainsi l'au-delà et l'ici-bas... Panni les arbres, ceux qui restent verts toute l'année ont le
privilegede représenter les ancétres(tels "mulemba", "cikusukusu, kapuluayi" (Kabasélé,
1986).

En somme, a travers toute l'Afrique, ii y a tout un monde mystique de Ia biodiversité


vdgdtale : "la connaissance des plantes, dans le milieu bambara, confère un prestige que
nul autre n'egale. Ii nest pas de confrdrie, de société dinitiation, de cultes (...) qui ne
reposent sur l'utilisation des plantes. Ii faut supposerque cette totale confiancedans la
vertu de celles-ciprovientnon pas des réussites pharmacologiques des siècles
durant, mais plutôt dune âme specifiquedont chaque espèce serait doublée.Aussi deux
attitudes sont-elles possiblesvis-à-vis de l'arbre : une attitude profane lorsqu'onI'utilise
pour des besoins ménagers (cuisine, alimentation du bétail, teinture, etc.), une attitude
religieuse lorsque son gui, ses racines, ses ou ses feuilles participent a Ia
transformation magique ou miraculeuse dune situation quelconque. Cette attitude prescrit
alors une liturgie qui transforme le végétal en autel" (Couloubaly, 1995). Cette image
symbolique est a l'origine des innombrables arbres cosmiques dont les mythes africains
offrent tant d'exemples : "l'Acacia albida associépar les mythes dogon et bambara a la
preniière creation du monde ; le papayerfali qui a donné naissance a l'humanité, le
kapokier gbaya, origine de toutes les nourritures ; l'arbre cosmique complexe (vigne,
grenadier, figuier, figurant les trois mondes) des populations noires du Fezzan, et bien
d'autres"(Calame-Griaule, 1969).

En effet, l'arbre est très important dans les cosmogonies africaines, car l'hornme et
l'animal, pour se nourrir et se soigner, ont recoursaux fruits, aux feuilles, aux aux
racines de l'arbre. La vocation de larbre est alors d'entretenirla vie des vivants, en
particulierdes êtres humains. C'est ainsique "l'arbre figure la médianegénétique de la vie
universelle. Ses fruits donnent des graines, ces graines, conime des spermatozoIdes,
tombentdans la terre, puis germent: c'est la renaissance après la mort. Ce phénomène en
fait le remède symbolique de la stérilité, de limpuissance et la restaurationde Ia vie
menacée. Son importance est essentielle dans les cultes, les therapies et l'alimentation'.

La nature, en Afrique, est aussi percue comme une génitrice. Ainsi des sociétés
s'identifient-elles a elle commeleur "père et leur "mere" ; tel est le cas des chasseurs de

54 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


do Ia biodiversitO en Afriquede I'Ouestet dii Centre
La steppe ou de La fordt (Mbochi, pygmdes): "Quand La chasse est infructueuse, quand ii y
a mortd'homme, cespygmées y voientle signe quela forêt, "leur pèreet mere" dort. C'est
alors qu'ils fontIa musique du Molimo afin queue se reveille, qu'elleretrouvele bonheur
de la vie vigile et queue partage la joie des humains" (Memel-Fotê: 1990). Ce rapport
symbiotique se voltegalementchez les Eotilé avec leur lagune, leur père et leur mere:
La lagunen'est pas seulement une reserve de nourriture. Les liens des Eotildavec leur eau
dépassent ces simples considerations matérielles: us se disent ses enfants, c'est d'elle qu'ils
sont sortis ; us dependent d'elle et elle sait reconnaItreles siens parmi ceux qui vivent
autOurdelle. Inversement, us sont attentifs a ses moindres signes qu'ils savent interpreter.
Its peuvent Iui parler et l'entendre: la lagune a une âme, elle vit et donne vie' (Diabaté,
1979, cite par Memel-Fotê, 1990).

Percuecomme unegénitricedivine, La natureest aussiconsidéréecommeun habitacledes


dieux. Chez les Baoulé, par exemple, comme le dit Guerry (1970), "leurs dieux ne sont
pas lointains. On baigne littéralement dans les divinités, on ne peut faire un pas sans en
rencontrerune. Je me souviensavoir conduita l'hôpital une femme mourante. Avant de
quitter La cour, ii a fallu offrir un poulet en sacrifice aux ancêtres. Puis les parents qui
accompagnaient la maladedans la voiture commencèrent une longue litanie. En traversant
le ruisseau, nousavons dü ralentirpour invoquercette eau puissante; arrives a Ia hauteur
dune colline,les parentsont lance leurs supplications vers le rocher qui dominetoute Ia
region; puis ce fut le bosquet touffu oü résidaient les genies de la terre... ii aurait fallu
encore s'arrêter au pied du grand baobabprotecteur..." (Guerry, 1970).

Telles sont succinctement présentées les visionsafricaines de l'universet particulièrement


de la nature. Mais comment les sociétés traditionnelles africaines, polythéistes et
paysannes, dont les cultures manifestent une alliance entre les dieux et la nature,
entre La communauté et le monde, s'appliquent-elles a concilier La violence alimentaire
nécessaire et la preservation de l'intégrité de leur environnement mal dissocié de la
culture?

II. Strategies de protection de Ia biodiversité


dans les sociétés traditionnelles africaines

L'homme, de la nature, pour sa reproduction sociale et biologique, est oblige de


consommer d'autres de cette nature, c'est-à-dire d'exercer une violence sur celle-
ci. Commentdonc l'Africain ancien a-t-il Pu résoudre cette contradiction?

En effet,par ses activités La chasse et la cueilletteaussi bien en forêt qu'au


Sahara (Pygmees, San,Toubou), la pêche lagunaire, fluvialeet maritime (Eotilé, Somono,
Mrima, Téké, Bozo, Anwran), l'agriculture de céréales et de tubercules associee a

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 55


l'élevage (Fulbd, Masal,khoi, Ldlé, Senufo) et lindustrie minière (or dAsanté et Gyman,
cuivre du shaba, fer de krouch, Se!) avec un outillage adapté et léger (houe, hache,
machette, arc et flèche) et une principale (ihomme et la femme), lAfricain
traditionnel a exercéet exerce encoreune violence sur la nature. Mais,conscient de ce que
des dieuximmanents vivent dans la nature, les montagnes, les forêts, les eaux, ii a mis en
place des strategies permettant déviter ou de prévenir les désordres (épidémies,
disparitiond'espèces vivantes, des minéraux, etc.) qui pourraient
résulter de cette violence nécessaire. En fait, par ces strategies, I'Africain a le souci
déviter la ruptureentre lui et la nature, son partenaire divinet gdniteur.

Sacrifices, prières, obéissances aux interdits constituentces strategies. II sagit en somme


de rites visant a conformerFaction ou la violencehumaine a un ordre normatif que sont
censés régir les dieux et les ancêtres, afin dassurer Ia vie des socidtés et des
humains. Quelques exemples suffisent a illustrer ces strategies ou modes de négociation
de ihomme africainavec son environnement naturel.

En effet, chez les Lélé (ZaIre), Beti (Cameroun ), Gouro, Agni-Baoule (Côte-d'Ivoire),
etc., cultivateurs de céréales et de tubercules, la traditionreglementela frequentationde la
forêt selon le sexe (frequentation suspendue pour les femmes lélé tous les trois jours),
selon la saison (Gouro), selon les jours. En effet, chez les Agni, mais aussi chez dautres
peuplesakan, Ia forêt ne tolère Ia venue de personne (sauf les hommes pour extraireleur
yin de palme), pendant les jours dits noirs ou néfastes (f1e). Tout le monde est oblige de
rester au village. Sous un aucun prétexte, la femme ne doit se rendre ce jour-là en forêt;
car les genies (asiè busum en Agni), les vrais propriétairesdes terres rentrentce jour-là en
possession de leur territoire et de leurs biens. Cejour ndfastecorrespond soitau vendredi
soit au mercrediselon les regionschez les Agni, mais aussi aujour de la fête de l'igname
(Agni, Abe, Abidji), de la fête de la generation (adjukru, Abe)... La tradition indiqueaussi
le procdde de capture, lespèce et le nombredanimaux accessibles aux chasseursbenis par
les ancêtres (Beti). Par ailleurs, a tel moment, le calendrierrituel prescrit Ia cloture de la
forêt a la chasse, a la pêche; a tel autre moment, ii en ordonnel'ouverture.

Ii y a egalement, au titre des strategies, la morale qui tantôt proscrit le bruit susceptible
soitdeloigner le gibier(Gouro)soit de réveillerles espritsmalveillants et dexciter leur ire
(Lele),tantôt le prescrit comme antidote de la mort infligde par le grosgibier (Beti). Cette
morale interdit aussi, dans Ia plupart des sociétés africaines, aux femmes en règles de se
rendreen forêt, en ce sens que le sang des menstruessouillela nature. Si, chez les Akan,
une femmeest surprisepar ses règles alors queue est au champ ou au travail,elle viendra
"pardonner' lendroit en déposantdes oeufs. Elle evitera,ainsi, de connaltreune série de
malheurs. Aussi, chez les Krou, des personnes qui se sont accouplées la nuit au village ne
peuvent-t-elles se rendre au champpour y travailler quaprès sêtre lavées ; car ii ne faut
pas emmener des impuretés sexuelles au champ, a plus forteraison y commettrel'adultère
ou simplement y consommer des relations sexuelles.

56 Pratiques culturelles, a sauvegarde et Ia conservation


de a biodiversitéen Afriquede I'Ouestet du Centre
Une autre modalitéde ces strategies, ce sont des rites ou interdits totémiques. En vertudes
liens de consanguinité ou dalliance qui lient lindividu ou le lignage a un végdtal ou un
animalhéroscivilisateuret gardien protecteur, ii est interditpartoutla consommation et la
chasse a l'animal totémique, tel le cas de la panthère, gba de Facobly, (gi) des peuples
Bakwé de Sassandra, le phacochèrechez les peuplesde Niambézdria de Lakota. Tel est
aussi le cas du Poisson mannongoblé qui constitue linterdit fondamental d'un grand
nombred'individus et notammentdes Kéita, dans Ia valléedu Niger. Dans le même sens,
dans le mythefondateur, le cultivateur dogon donnebeaucoup d'importance a la grainede
fonio. Le pasteurpeul sacralise la "goutte de lait" d'oü est sorti le bovidéhermaphrodite,
symbole de l'univers. De même, le Dieu des Diola qui pratiquent la riziculture inondée
porte le méme nom que la pluie,tout commecelui des Sereer.

Le rapportsymbiotique qui lie l'homme a son environnement, en tant que nature ou partie
du monde,considéré comme un géniteurdivin, justifie certaines pratiquesrituellestels les
procédésou ritesmagico-religieux qui présidenta la chasse des Pygmées et des Mbochi,
tels, les nombreux rites des Baoulé: 'Faisantappel a ces forcesde la nature, si
nombreuses et si mystérieuses, le Baoulé va créer une multitude de divinités. Ces
puissances invisibles qu'il craint, il va essayer de les domestiquer en leur offrant
sacrifices, prières, et libations. Ces forces mystérieuses sont innombrables : l'eau, le
rocher, les arbres, les plantes au poison si dangereux (...). Sans oublier toute une action
psychologique : augures, confessions, incantations, rites de medications, qui sont des
tranquillisants dune efficacité (Guerry, 1970).

En effet, si "tous les principauxphénomènesde la nature sont des dieux spéciaux : les
astres, les eaux, le tonnerre, l'arc-en-ciel, l'éclair [et que] toutes les grandes activités
fondamentales de l'économie sociale ont leur dieu: dieu de l'agriculture, de la forge, de la
péche, de Ia poterie..." (Memel-Fotê, 1962), la terre (dodoen Dida et Bété ; asiè en Agni-
Baoulé)apparaIt aux yeux des Africains cominela matrice universelle et le receptaclede
toutes les puissanceset de toutes les divinités ; ainsi les divinités chtoniennes confèrent-
elles a la vegetation, sortie de la mère-déesse terre, après sa fécondationpar le Feu
(énergie) et l'Air (souffle), un caractère sacral. C'est pourquoi le travail de l'homme ne sera
possiblequepar sanctiondes locataires invisibles de la terre. De là découlentles rites qui
précèdentles semailles et récoltes : par des libations, des sacrifices et des offrandes, on
implore le pardon des divinités, non seulement pour le desagrément cause, mais
pour rendre favorable la semence : "Toute la journée, le Baoulé vit avec des
objetsvivants. Quand il conmience a cultiversonchamp, en enfoncantsa houe dans le sol,
ii présenteses excusesa la terre: "Pardonne-moi, Terre, si je te frappe ainsi,ce n'est pas
par méchanceté, mais parce quej'ai besoin de toi pour ma nouniture et celle des miens.
Sois indulgente pournous." Ala chasse, il parlea son filet, lui demande d'être favorable et
de lui faire obtenir une bonne qualité de gibier. En traversant la rivière, ii supplie
"Excuse-moi, je suisobligede te traverser, ne me tue pas" (Gueny, 1970).

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18au 21 juin 2001 57


Aussi, dans la nature, certains espaces (forêts, rochers, montagnes), certaines espèces
vdgetales sont-ils considérés comme des domiciles de dieux qui sont de véritables
sanctuaires dont Ia fonction principale est de permettre aux humains d'entrer en
communication avec le sacré princeps : Dieu. Ces espaces et espèces sacrés sont
inviolables. us sont interdits a toute personne nappartenantpas a la confrérie des initiés
adorateurs, gardiens de la tradition, initiateurs, porteurs de masque. De même, us sont
interdits a Ia hache ou machette des défricheurs. Non seulement on ne doit jamais
travailler ces endroits, mais on ne doitjamais non plus couper du bois aux alentours,ni
pêcher dans les rivières qui les traversent, ni toucher certains arbres, ni y
chasser du gibier, car certains animaux y sont sacrds. Comme par exemple les clarias
sacrds de Sapia, les caImans de Gbanhui, les singes sacrés de Soko chez les Koulangoet
Abron de Côte-d'Ivoire dans la regionde Bondoukou.

"II est formellement interdit, Ibo (1999), de pécher du Poisson dans la rivière sransi
qui abrite les silures sacrds. Ii est interditde faire des champsaux environs de
la rivière. Ce qui permet de conserverun petit massif forestier protégeant le cours deau
contre l'assèchement ; ii est dtabli un jour de la semaine (soupe) oü ii est ddfendu aux
femmes de se rendre a La rivière, favorisantainsi la remise a niveau de La petite mare. En
cas de violation de Fun de ces interdits, le coupable doit sacrifierun animal domestique".

La rivière, de même que la petite forêt qui abrite la rivière, sont aussi sacrées,conférant
ainsi un caractère intdgré a l'approche traditionnellede conservation de la biodiversité.
Comme a Sapia, a Gbanhui il y a une famille qui gère la chose sacrée. Un jour de la
semaine est dédié aux caImans sacrés... Ce jour-là, il est dgalement interdit au commun
des mortels de se rendre a la rivièreyonyongo. Toutes les espècesaquatiques de La rivière
constituent des interdits alimentaires pourtous les habitants du village. Les caImans sacrés
sont nourris par les populations avec le riz, La banane, l'igname, le manioc, etc. La
complexité et le caractère integral de l'approche de Gbanhui resident dans le fait qu'ici non
seulement Ia rivière yonyongo, les poissons et les caImanssont sacrds et protégés, mais
aussi la forét de 2 hectares dans laquelle se trouve la rivière, jalousementpréservée. Ii
s'agit dune veritable "reserve" oü ii est interdit de faire la chasse et de cultiver des
champs... Les singes de Soko sont concentrés dans les arbres d'une petite forêt noire qui,
par sa diversité floristique, représenteune relique de ce que fut autrefoisce biotope. La
traditioninterditde cultiveret de faire Ia chasse dans cette forêt qui ceinture le village"
(Ibo, 1999).

En parlant du pays agni, Eschlimann (1992) "Si pour uneraison ou pour uneautre,
mais surtoutpour la cueillette des médicaments, une personne est amenéea pdndtrer dans
un endroit sacré ou interdit, elle va dabord consulter le devin-guerusseur. Celui-ci lui
indiquera les precautions a prendre et les offrandes a faire : déposer des oeufs, par
exemple, au pied dun arbre, qu'il aura eu le soin de bien préciser". Aussi toute personne

58 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversitéen Afriquede I'Ouestetdu Centre
autreque les puissants de la socidté, par exemplele devinou le devin-guerisseur, ne peut-
efle entrer dans les iieux sacrés ou visiter certains endroits interdits de la nature. Seul un
besoin urgent de médicamentne se trouvant qua ses endroits peut legitimer La non
observance de cette loi par un profane. Encore ne le fera-t-il quaprès avoir pris maintes
precautions surnaturelles, c'est-à-dire après avoir accompli certains rituels propitiatoires,
pour protesterde son innocence et de sa bonne foi. De même le feu de broussene doit pas
passer a ces endroits, sinon ii tue les enfantsde la divinitéqui y reside. ii faudrait alors
céldbrer des funérailles pour eux et offrir les prestations requises pour apaiserles parents
invisibles. Ni l'homme, nile feu, en somme, ne doivent violerces endroits.

Dans le méme sens, l'exploitation des plantes therapeutiques doit être précédde de
cérémonies religieuses. Ii s'agit souvent de rites lids a l'horaire, a Ia topographie de Ia
plante et a la technique. Coulibaly (1995), ddcrivant ces rites, en pays bambara, dit
"Celui-ci [lhoraire] concerne deux moments de la journée reputes favorables a la
cueillette et a la collecte des plantes. Il sagit de laube et du crépuscule. Ii est même
souvent recommandédopérerle matin, des le second chant du coq, cest-à-dire vers 5 h,
ou le soir lorsque, après le coucherdu soleil, ii est certain que tout le monde a rejoint le
village (...). La collecte du vegétal se fait a des distances et a des positions variables du
village (...). La chaIne de la collecte incrimine souvent des directions opposées(sud-nord
ou est-ouest). Des indications sont données sur la topographiede la plante. Elle doit par
exemple être seule de son espècedans la boiserie, être la plus petite ou la plus en vue ; elle
nest utile qu'adossée ou enlacée a tel autre specimen, etc. Lexpéditionexige un materiel
précis. Souvent les mains suffiront a la cueillette et au transport au village. En d'autres
situations, des instruments diffdrents sont recommandés: faucille, couteau, herminette, etc.
Le sac d'incirconcis, la calebasse achemineront la plante'.

Par ailleurs, selon Coulibaly(1995), dans les cdrdmonies lides a Ia cueillette de Ia plante
thdrapeutique rentrent aussi ce qu'il appelle les precautions sociales : "I! y a enfin les
precautions sociales qui, en fin de collecte, conditionnent souvent l'efficacitd de tout ce
qui a prdcédé".

Ces precautions peuvent d'ailleurs commencer un peu plus avant, dans la mesureoü, la
plupart du temps, l'opérateur ne doit jamais être vu en pleine action. De retour de la
brousse, ii devra negliger les salutations qui lui sont adressées. Au village, d'autres
indications ddcident du lieu d'érection du foyer oü infuseront les plantes (cour de Ia
grande maison familiale, pas de la chambre a coucher, milieu de la chambre a coucher,
douchièrd, etc.). Là aussi, des interdictions sociales comme converser ou saluer peuvent
être exigées" (Coulibaly,1995). En effet, si par mégarde, ii y avait violation de ces
interdits, violation qui constitue un crimequi peut stériliser La terre, ii faut absolument une
reparation du méfait. Celle-ci nécessite Ia réalisation d'une cdrémonie spéciale qui rdpare
la fécondité de Ia terre et lave les coupables de leur crime. En fait, par cettecérémonie de

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 59


reparation, lAfricain ancien voulait dabord assurer l'entente entre les hommes et
lenvironnementnaturel vital, afinde vivre dans la paix et de trouvera manger; et comrne
le dit Memel-Fotê (1990), l'un des fondements "de Ia négociation, ce sont les fins
recherchées. Celles-ci s'identifient a deux sortes de biens culturels. Certains biens
consistent en conditions de la reproduction humairieet en beatitudes qui remplissentla vie
pluie et fertilité de la terre, fécondité et population, paix intérieure et paix sociale,
prospérité, confort et gloire. D'autres se confondent avec lespérance de vie, sinon
a
l'immortalité. Une catégorie philosophique les resume, c'est sante comme force vitale et
bien-étre dans la relation de l'homme a son corps et a son esprit, dans la relation a sa
parentèlea Ia société globale, a l'environnement et a Ia mémoirecollective.

Après l'énumdration de ces strategies,non exhaustives, l'on pourrait s'interroger sur leur
portée. A cette preoccupation, Memel-Fotê (1990) Au-delà de leur fonction
symbolique, ces strategies rituelles ont obtenu deux effets positifs le renforcement de la
cohesion sociétale, la sauvegarde du milieu environnemental. Forêts et eaux, dans les
civilisations de l'arc et de la pagaie, ont garde, sur le long terme, leur verdeur, leur
fécondité et leur generosite. Dans les civilisations des clairières et de l'altitude, sauf
exception des regions surpeupléeset troublées, cette tendance s'est maintenue, assurant
l'avenirde lanimal, de l'arbre, de leauet du sol. La parentétotémique(...) et la vénération
des sanctuaires des dieux ont assure de maintesespèces vivantes uneprotection discrete,
certesinsignifiante localement, mais importante probablement a léchelle continentale. S'il
est vrai que la chasse collective constitue 'un signe de sante', les interdits des Lélé
frappantIa coupe du bois de chauffageainsi que le puisage de leau et reglementant a
chasse visent a preserverun dquilibre avec Ia reserveen fore et en faunede la forêt. Les
Senufoont bien sflr fait mieux avecles bois sacrés,"Ilots naturels", "témoins de l'ancienne
fore" préhumaine, toujoursverts et sombres, "vraies musdes botaniques" selon Coulibaly
(1995) >.

A vrai dire, les endroitsinterdits serventde lieu de refuge et de reproduction tant pour la
flore que pour Ia faune. Les espèces vegetates et animales, ainsi que les poissons, sy
multiplient facilement. Sous couvert de religion de l'alliance communauté-nature sest
donc ddveloppé un equilibreentre reproduction des espèces et predation par Ihomme, ce
dernier s'assurant ainsi de la conservation du patrimoine ecologique dont il vivait. Ce
souci de lequilibre, en particulier de Ia predation par I'homme et de la
reproduction des espèces,comme on Ic voit, se lit dans un certain nombrede pratiques et
de dispositions traditionnelles ou anciennes qui avaientcours a l'aube de l'ère coloniale.
Par leurs strategies daction donc, qui vont de la liturgie(prière, sacrifice) a la technologie,
en passant par une déontologiecodée, spécialisée, mesurée, les sociétés traditionnelles
africaines ont assureIa pérennité des sols, des climats, des populations, de la biodiversité
(faune et fore) jusqu'à Ia veille de léconomiede traite (15è et l8
siècles) et mêmejusqu'à
la fin du 19è siècle oil lon voit apparaItre une autre vision de Ia nature, non plus fondée

60 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et a conservation


de Ia biodiversitéen Afrique de I'Ouestet du Centre
sur Ia philosophie de La négociation, mais plutôt sur La philosophie de conquête qui dé-
sacralise l'environnement et le livre a la liberté absolue de l'homme, de l'économie
marchande a l'économie industrielle. La consequence immediate qui résulte de cette
nouvelle philosophie, cest le chaos ecologiqueque nous connaissons aujourd'hui. Alors,
devantce danger, que faire?

Conclusion

Selon leur vision du monde, les Négro-Africains se représentent l'univers comme un


ordre harmonieux, et cette harmonie ne doit jamais être troublée,en ce sensque toute la
vie du Noir africain, jusqu'au moindre geste, est sinon commandée par La
croyance en une force divine qui reside en toute chose. Suivant les rapports que l'on
entretientavec elle, cette force est susceptible d'attirer sur 1'individu et sa communauté
soit La bienveillancesoit La sdvérité de celui qui est la source de toute vie : Dieu, être
supreme et invisible, mais immanent par 1'intermédiaire des dieux secondaires : genies,
ancêtres.

Cette vision du monde, fondée sur une ideologie religieuse, et les pratiques rituelles
(prières, offrandes, sacrifices, respect des interdits...) qui l'accompagnent,ont permis a
L'Africain traditionnelde vivre en harmonie avec sa nature-environnement, ce partenaire
divin et demeure elective de nombreuses puissances, <<car les hommes cherchaientavant
tout, Iliffe (1997), a s'adapter a l'environnement plutôt qu'à le transformer, et a
a la disparitionen cas de mauvaises récoltes. Les ideologies mettaient1'accent
sur la defensede La civilisation contre la nature, et sur La fécondité >>.

Mais aussi, par ses moyens de survie (chasse, cueillette, elevage, pêche, agriculture) et
l'outillagetechnique qui leurest associéqui très souples et exerçaientuneviolence
mesuréesur la nature, 1'Africain traditionnel techniquement et socialement adapté a
Ia nature. <<Tous ceux dont on dit qu'ils sont agriculteurs, pasteurs, pêcheurs, chasseurs
connaissent une intimitévivante avec La nature ambiante. us y sont adaptés en totalité (...)
L'homme africainde la campagne est intimementmêlé a la nature ambiante. Ill'est du
point de vue d'une technologie mécanique. II l'est aussi du point de vue spirituel en ce
sens qu'il appréhende Ia nature comme l'intermédiaire privilégié entre Lui et une
communauté de puissances (...). Son rapport au monde, aussi pragmatiquequ'il soit,
influe sur ses comportements (...). La naturene sedéfinit pas commeun ensemble
mécanique de possibilités, mais conime un ensemble par lequel sont signifiées des
intentionnalités multiples. Ii ne se plie pas a des nécessités, mais ii obéit a des injonctions
et des prescriptions, et il y répond par des souhaits, par des Iouanges et des
interrogations >> (Houis, 1971).

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001


Cette adaptation a Ia nature et cette intimité avec celle-ci commencent très tot, chez
l'enfant africain, pour son education. C'est ce qu'exprime Houis (1971) avec des
exemples, Iorsqu'ii <<L' enseignement que I'enfant recoit progressivement de ses
parents et de ses aInés l'intègre dans une connaissance intime de son terroir. Les
enseignements donnésaux enfants: ". ..apparemment irreguliers, disparates, voire furtifs,
n'en forment pas momsIa base matérielle, commele canevas des connaissances qui seront
recues ou développées plus tard." Très tOt, en effet, l'enfant dogon peut << donner
plusieurs centaines d'insectes et les rangerdans les categories courantes. On rapprochera
ceci de ce queChevalier (1971) apropos d'un jeuneAfricain,alors âgé de 17 ans,
aujourd'hui docteur de Faculté en Botanique, M. Aké Assi: <<Ii est capablede nommeren
forêt, sur la vue d'une feuille morte tombée, ou d'une graine gisant sur le sol, Ia plupart
des plantesquel'on rencontre et ii peut trouverinimédiatement l'arbre ou Ia liane qui les
a produits. >>

Aussi, au plan pratique, l'enfant apprend-il en accomplissant les diverses strategies de


protection qui vont de Ia liturgie (prière, sacrificeavant semailles, pêche et chasse après) a
une déontologieappropriée de la chasse, de la pêche, de l'agridulture, de l'élevage et de
l'artisanat. << Cette deontologie, Memel-Fotê (1999), n'interdit pas seulement la
predation, elle interdit aux chasseurs senufo et bambara de tuer l'animal qu'accompagne
son petit, ou l'animal assoiffé qui va boire a l'étang ou a la rivière. > Et c'est dans la
natureelle-même, a travers les foréts ou bois sacrés que l'enfant recoit progressivement la
connaissance intime des composantes de son environnement : tel est l'exemple des
socidtés senufo, we et dan, en COte-d'Ivoire, régies par une culture de masque et
d'initiation.Dansces sociétés, au cours de l'initiation(a caractère dans la forêt
sacrée, les initiés sont entraInés, entre autres, a Ia collectedes plantes a vertus curatives et
a la capture des animaux, a la connaissance du milieu forestier en general et des
possibilités d'utilisationde ses ressources.

En somme, de l'idéologie religieuse traditionnelle africaine, fondde sur une alliance


communauté-nature, une alliance entre les dieux et la nature, dCcoule un
environnement relativementprotégé, puisque les résultatsdécoulant de cette idéologie,
selon Memel-Fotê (1999), << on peut les dire satisfaisants, si l'on considère la zone
forestière, a la veille de l'économie de traite (15è et 18 siècles) et même après cette
saignée, a la fin du l9 siècle. Richesse relative de Ia faune et de la fore, des sols,
climats : ces derniers vont changer brutalement avec Ia culture de conquête qui
accompagne ia christianisation >>.

En effet, l'avènementdes nouvelles ideologies (religionsmonothéistes, science moderne,


4
marchande et industrielle), depuis au moms le ou 8è siècle après J.-C, voit
une nouvelle conception de La nature dé-divinisée,la nature devient homogèneet est
livrCe a la liberté absolue de l'homme, de l'économie marchande et de l'économie

62 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversitéen Afrique de 'Questet du Centre
industrielle. La consequence de ce changement du statut de la nature, c'est d'abord le
passage d'une philosophie de négociation ou du concordatdes sociétés pré-industrielles a
une philosophie de conquête des sociétés industrielles. Ensuite, c'est le passage d'une
violence minimale et rituelle des sociétés paysannes et polythéistes a une violence
maximale, anthropophagique et cosmophagique des sociétés urbaines et industrielles.
C'est enfin le passage d'un environnement relativement protégédes religionssociales de
la tradition a un chaos des sociétés monothéistes urbanisées. En somme, selon
Memel-Fotê (1999), << alors que les cultures antérieures, dites traditionnelles, paraissent
avoir conserve a la nature ses grands traits caractéristiques (climats. sols, races...), les
cultures industrielles en tant que cultures de conquête — impérialistes et destructrices —
ont, par la pollution intensive, le déboisement massif et l'application sauvage de la
recherche scientifique, tant dans l'ordre physique que dans l'ordre biologique et
aboutia mettre en danger les grands naturels et la culture humaine
elle-même (...). L'ontologie créationnistedes chrétiens,des juifs et des musulmans
proclame I'unicité et la transcendance du Dieu créateur, l'unité du monde, et Ia
responsabilité de l'homme sur le monde. La nature qui environnecc dernier cesse d'être
un partenaire divin, elle n'a qu'un sensphysique et anthropologique : habitat,ressource,et
uvre culturelle. Sauf les sanctuaires situés dans la culture, die est homogène dans
l'espace et le temps pour les nouveaux croyants. Associées a des economies marchandes,
ces cultures ouvrent l'environnement a trois revolutions : revolution marchande par
l'aliénation de la terre, revolution agricole par la monoculture extensive, et plus tard
revolution industrielle par la manufacture. Si l'islam paraIt concourir a preserver les
essences d'arbres utilesa la statuaire, et les sangliers apparentés au porc interdit, si toutes
ces religionsdiscréditent les bois sacrCs, les armesa feu qui contribuenta leur expansion
concourentdepuisle l6è sièclea la destruction de la faune (fauves,

Pour tout dire, l'Afrique possédait un patrimoine biologiqueet ecologique très riche dfl a
la diversité de ses naturels : de l'equateurjusqu'aux extrémités nord et sud
on trouve quatre milieux naturels (equatorial, tropical, desertique, méditerranéen) aux
paysages végétaux très contrastés (forêt dense de la République Démocratique du Congo,
savanes du Nigeria, steppe des pays du Sahel, immense aride du Sahara, fore
méditerranéenne du nord du Maghreb, par exemple). Les terres riches et fertiles ne
manquentpas, même si des solsdes regions tropicales et equatoriales sont le plus souvent
de mediocre qualite. Malheureusement, on assiste depuis plusieurs années a une
deforestation pratiquement irreversible de ce patrimoine, et elle se poursuit
irrévocablement avec une vitesse sans cesse accrue. La faune s'est considérablement
appauvrie. Plantes et animaux restentsoumis a des pressions considérables et multiples.

Ces espèces floristiques et fauniques, si elles ont survécu, c'est parce que les sociétés
traditionnelles unies et fermes sur leur representation du monde et leurs pratiques,
c'est parce que l'Africain ancien s'était toujours efforcé de se conformer a tout un

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 63


ensemble de règles constituées par des usages hérités des ancêtres, des rites transmis de
génération en génération, de préceptes recommandant telle ou telle attitude, des interdits
qui en déconseillent d'autres. C'est grace a ces règlesqui sont fonctiondu typed'activités
predominant, du milieudcologique, ou encore des rapports spirituels entretenus avec les
puissances supra-naturelles, que l'environnement en Afrique a le plus souventpréservé
de Ia degradation; car l'Africain ancien avait conscience que plantes, animaux et micro-
organismes sont, a la fois, des sources de médicaments, d'alimentset de produits a usages
varies, et dont la destruction et la disparition entramneraient cellesde l'humanité.

Ainsi, devant l'urgente question de recherche de politique de protection de la nature,


l'Afrique dispose déjà de strategies dont l'efficacitén'est plus a démontrer. Ii s'agitdonc,
du point de vue de l'action, de reconsiddrerces strategies dont le cadre normatif et
institutionnel est la religion traditionnelle qui apporte des réponses adéquateset crédibles
(c'est-à-direopérationnelles et efficientes) aux problèmes de la relationde l'individu (au
sens générique du terme)et de sonenvironnement naturel.

Ainsi donc, Ia premiere chose, a nos yeux, qui s'impose aux hommes d'action est le
changement de mentalité, cest-à-dire, ne plus considérer ces strategies comme relevant
d'un archaIsme qui n'a plus de sens aujourd'hui, comme Font pensé et cm plusieurs
auteurs,rompus au positivisme : les 'superstitions"des peuplesprimitifs leur permettent
de stabiliser leur vie en trouvant certaines explications a ce qui serait autrement
inexplicable" (Sears, 1969). Car l'implication des populations a quelque politique
d'environnement nécessite la connaissance des données permanentes composant cet
environnement nature! I'homme, la terre, les la fore, la faune, etc. Ceci
nous paraIt un préalablenécessaire, entendu que dans les sociétés africaines méme
d'aujourd'hui, le caractère sacré de l'alliance originelle avec les forces telluriques
inhérentesau milieu naturel, queplusieurs pratiquestraditionnelles d'essence liturgique
tendent a perpétuer, continue a marquerprofondémentles comportements individuels et
collectifsa l'égard de la nature-environnement. On ne saurait en consequenceintervenir
dans les sociétés africaines arbitrairement ni impunément sans frustrer des populations
queI'on voudraitaider. La questionfondamentale est alors de réconcilierles populations
avec leur nature-environnement, si tant est quelles doiventparticiperde facon active a Ia
preservation de leur biodiversité.

Si ce préalable est accepté, ii ne s'agira plus de reléguer au second plan, mais plutôt
d'évacuer les principes et les méthodes de Ia gestion traditionnellede la biodiversité,
commepar le passé, dans la mise en place des systèmes d'exploitation de la nature.

Mais il sera désonnaisquestionde les intégrerdans le cadredes programmes nationaux de


sauvegarde de Ia diversité biologique. Mais y a-t-il Ia question du comment ? Nous
reprenonsa notre compte ici, parmi tant d'autres,la proposition de Jonas Ibo a propos par

64 Pratiques culturefles, asauvegarde et a conservation


de a biodiversitO enAfrique de 'Quest etdu Centre
exemple des animaux totémiques : Sur Ia base des animaux totémiques recensés, on
effectuerait un découpage fauniquedu territoirenational afin daboutir a la formationde
zones totémiques. La zone totémique se définit comme une region dont les habitants
autochtones ont en communun animal totémique. A l'intérieurde chaque zone totémique
on créerait des niches totdmiques dans lesquelles seraient transférés les animaux
totémiques menaces d'extinction au niveau dautres zones totémiques. Le critère principal
de creationde la niche totémiqueseraitIa presencedun animal totémiqueprotégé sur la
base des coutumes locales. Ce schema prévoit linterventionde ladministration forestière
seulement pour le transfertdes bêtes et la creation dune zone de protection autour de la
niche totémique. Les populations locales réuniesau sein de comités damis de la nature
assureraient la protection des animaux totémiques. Ces comitds fonctionneraient sur la
base des principes par les sacrificateurs locaux ayant a charge la surveillance des
sites naturels sacrés' (Ibo, 1999).

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 65


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66 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde eta conservation


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Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 67


Role des femmes et des tradipraticiens
dans Ia conservation et Ia valorisation
de Ia biodiversité dans le sud-ouest
du Burkina Faso
Marc OLIVIER1 et Louis SANOU2

1 SAMA BIOCONSULT,27 bis rue des 9 soleils, 63000Clermont Ferrand (France)


2Centre National des Semences Forestières, Ouagadougou (Burkina Faso)
Résumé

Dans une partie du sud-ouest du Burkina Faso, les plantes sont diversement utilisées.
Dans cette perspective, elles sont conservées de différentes manières en vue d'une
utilisation durable. L'implication des femmes dans ce processus est non negligeable.

Introduction

Les etudesmenéessur la biodiversité montrent que les utilisations traditionnelles des


ressources végétales par les populations africaines sont nombicuses et qu'elles peuvent
mettre en peril sa conservation. Les mêmes etudes out penis d'identifier nombre
d'acteurs appartenant a des categories sociales très différentes qul )isent cette richesse
pour leurs activités multiples.

Nos diffdrents projets nous ont conduits a les utilisations traditionnelles des
plantes au Burkina Paso, en particulier dans la region sud-ouest, remarquable dans
I'ensemble du pays par sa richesse en espèces floristiques. Nous avons pu mettre en
evidence le role important que pouvaientjouer deux types d'acteurs peu concernés par les
etudes précédentes, a savoir les femmes et les tradipraticiens, qui utilisent de très
nombreuses espèces végétales.

Parallèlement, nous avons Pu observer des pratiquesde protection, de conservation, voire


de mise en culture a différents degres d'espèces végétales par ces deux categories
d'acteurs que nous nous proposons de rapporter ici, car elles constituent des modes de
conservation de la biodiversité. Parce qu'elles sont déjà mises en uvre par les acteurs,
ces pratiques pourront être acceptées et reproduites plus facilement par d'autres
populations.

I. Methodologie

1.1. Choix de Ia region d'étude

Le BurkinaFasoest situé au centre de Ia boucle du Niger et a I'intérieurde I'Afrique de


l'Ouest. Ce pays possède une diversité végetaleriche et importante depuis les zones du
Sahel au nord jusqu'aux foréts du sud-ouest, zones qui présententdes sols varies et des
differences de pluviométrie importantes (plus de 1200 espèces de végétaux supérieurs
recensés (Guinko, 1984 ; Lebrun et al., 1991 ; Bognounou, comm. pers.). 11
intéressant pour nos différents projets de disposerd'un maximum de diversités afin de
pouvoir obteniret une largegamme de plantes exploitees traditionnellement.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juirt 2001 71


La conservation des connaissances traditionnelles est très forte au BurkinaFaso, car 80%
de la population vit en milieu ruralet possèdeune bonne connaissance de ce milieu. Ii est
peuplé d'environ 70 ethnics. Dans Ic sud-ouest,on rencontre notamment des Bobo, des
Peul, des Bwaba, des Sénoufo, Gouin, mais aussi des irnmigrés Mossi installés plus
récemment(Anonyme, 1990 ; Kiono, 1996). Les villes et villages principauxconcernds
par cette sont : Bobo Dioulasso, Koro, Sogosagasso, Wolokoto, Kou, Bare,
Soumousso, Banfora, Sindou, Kawara, Orodara, Houndé,Sara et Bondoukui.

En fonctiondu gradientclimatique, les espècesse répartissent dans deux grandsdomaines


phytogéographiques:sahélien et soudanien (Aubréville, 1950 ; Letouzey, 1969 ; Guinko,
1984 ; White, 1986):

- le domaine sahélien, lequel est caractérisé par une steppe a arbrisseaux, arbustes et arbres
souvent et pour la plupart rabougri en relationavec le climat et le surpâturage
(Acacia nilotica ; Acacia raddiana (Mimosaceae). Les graminées, essentiellement
annuelles, (Andropogon gayanus var. tridentatus) prédominent avec Aristida stipoides
pérenne;
- le domainesoudanien se différencie en deux secteurs:

- le secteurnordsoudanien corresponda une végétation plus dense et très


hétérogène, constituée de savanes boisées, arborées ou arbustives ainsi que de
forétsclaires dans lesquelles on trouveAcacia albida (Mimosaceae), Adansonia
digitata (Bombaceae), Parkia biglobosa(Mimosaceae);
- Ic secteursudsoudanien est constitud de savanes arbordes et boisées, de forêts
sècheset claires. (Isoberliniadoka (Caesalpiniaceae), Anogeissus leiocarpus
(Combretaceae), Khayasenegalensis (Meliaceae). II existeaussi,dans chaque
domaine, des galeries forestières dont les espèces remarquables sont Carappa
procera (Meliaceae), Berliniagrandiflora (Caesalpiniaceae) et Rauwolfia
vomitoria (Apocynaceae).

Les territoires phytogéographiques distingues sont en rapport non seulement avec la


pluviométrie, mais aussi avec le degréd'anthropisation et e
taux d'occupationdes terres.
Les villages dans lesquels nous avonstravaillé se situent dansle secteur sud soudanien.

1.2. Les personnes ressources

Au coursdes différents projets,nos entretiens ainsi que nos sorties sur le terrain se sont
fait en association volontaire avec des personnes ressources comme des tradipraticiens,

72 PratiquescultureQes,ta sauvegare et Ia conservation


de Ia biodiversité en Afriquede I'Ouestet du Centre
des griots, des peuls, des chasseurs, des agriculteursou des mères de familieset
des personnesâgées, expdrimentées dans le domaine de Ia connaissance et de i'utilisation
traditionnelle des plantes.

Nos principaux informateurs ont donc des tradipraticiens (environ 100 personnes,
appartenant aux associations de tradipraticiens de Bobo Dioulasso, Orodara, Banfora et
Sindou) (Olivier, 1999 ; Olivier et al., 2000) et des femmes pratiquant la médecine
pediatrique ou la gynécologie et l'obstétrique (villages de Houndé, Sara, Bondoukui,
Wolokoto et yule de Bobo Dioulassoen particulier(Flahaut, 1999).

1.3. Méthodologie

Cette s'est dérouiéeentre octobre 1997 et septembre 2000. Les travaux de terrain,
les enquêtesethnobotaniques et les sortiesdestinéesa preparerdes dchantilions d'herbier
ont dté rdpartiessur toutes les saisons de manièrea disposerde rdcoites concemantles
plantes pérennes et annuelles, ainsi que les différents stades vegetatifs facilitant la
determination botanique (fleurs et fruits).

Outre i'ouvrage de Nacro et Millogo-Rasolodimbi (1994) et ies travaux antérieurs de


Chevalier (1900) qui nous ont permis d'identifierdes utilisations traditionnelles de plantes
tinctoriales, nos enquêtes ethnobotaniques nous ont amenés a sélectionner des espèces
végétales pour leur intérêt tinctorial.

II. Résultats

2.1. Utilisationstraditionnelles de Ia biodiversité

2.1.1. Plantes médicinales

Un total de 135 espèces médicinales, appartenant a 46 families botaniques, a dté


repertorie, ce qui corresponda 461 recettes enregistrées (Olivier, 1999 ; Olicard, 1999
Olivieret al., 2000):

- médecine générale (251 recettes);


- pédiatrie(174recettes);
- médecine vétérinaire (45 recettes).

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 jun 2001 73


Les families botaniques les plus frequemment utilisées sont:
- Combretaceae (13 espèces et 62 recettes);
- Rubiaceae (11 espèces et 49 recettes);
- Mimosaceae (11 espèceset 33 recettes);
- Caesalpiniaceae(10 espèces et 50 recettes);
- Papilionaceae (7 espèces et 13 recettes).

Les Euphorbiaceae (6 espèces et 26 recettes) et les Anacardiaceae (5 espèces et 24


recettes)sont egalement très utilisées.

La preparation des médicaments traditionnels est fonction du type de médecine. Les


décoctions a boire et pour se layer le modele plus utilisd, en plus des macérations,
infusions, cataplasmes, fumigations et inhaiations, massages, etc.:

- médecine genérale:
- décoction a boire et pour se layer (53 % des recettes);
- applications locales (24 %);
- pediatrie-gynecologie-obstetrique:
- décoction a boire et pour layerI'enfant(70 %);
- lavements et bains de siege (11 %);
- mddecine vétérinaire:
- décoction a faire boireavec du sel (47 %);
- poudre de plantes a faire avaler avecdu sel (13 %) (méthode specifiquea la
mddecine vétérinaire).

Les types d'organes végétaux utilisés sont fort varies, allantdes racines, des des
feuilles ou plantes entiCres, des fruits auxfleurs:

- médecine générale : racines (42 % des recettes);


- pddiatrie: feuil!es(51 % des recettes), peu de racines (17%);
- médecine vétérinaire: racines(31 %) et feuilles (33 %).

Les indications thérapeutiques principales rencontrées sont:

- médecine generate [paludisme, diarrhées, plaies rebelles, affections respiratoires,


troubles hepatiques (Olivier, 1999 ; Olicard, 1999et 2000 ; Olicard et at. 2000)]

74 Pratiques culturelles, Iasauvegarde etIa conservation


de Ia biodiversité enAfrique de I'Ouestet du Centre
- pédiatrie [diarrhées,soins pour fortifier l'enfant, hémorroldes et prolapsus anaux,
troubles lies a Ia malnutrition (Flahaut, 1999 ; Olivieret al., 2000)1
- l'accouchement et Ia lactation (Flahaut,
gynécologie-obstétrique [plantes facilitant
1999 ; Olivieret a!. 2000)];

- médecine vétérinaire [vers intestinaux, diarrhées, soins des vaches en gestation ou


retention placentaire (Olivier, 1999)].

2.1.2. Plantes tinctoriales

a
Nos enquêtes ontpermis de sélectionnerdes espèces végétales activités tinctoriales,laplupart
d'entre elles déjàconnues (Chevalier 1900; Nacro etMillogo-Rasolodimbi,1994).
Cependant, dansle cadred'un projetvisant a la mise en place de fihières de valorisation, ii
nécessairede choisir des espèces,très abondantes, et dont la récolte ne devait pas
mettre en peril la conservation. C'est ainsi qu'i! a retenu:

- les feuilles d'Anogeissus leiocarpus, utilisées traditionnellement par les Peuls pour
obtenir un colorant natureljaune;

les gaines foliaires de Sorghum bicolor, colorant rouge, servant localement pour la
coloration de masques lors de cérémonies coutumières dans la region de Bobo-
Dioulasso ou pour teindre le cuir dans Ia region de Kaya;

- 1 'indigoferatinctoria, colorant bleu-violet.

Toutes ces espèces sont cultivables ou le sont potentiellement. Nous avons identiflédes
sites potentiels de cultures. En revanche, l'uti!isation des racines de Cochiospermum
planchoniiou de C. tinctorium pour obtenir un colorantjaune ne semble pas participera
une meilleure conservation de ces espèces.

2.1.3. Plantes de cueillette

De nombreusesespèces végétales jouant un role alimentaire sont identifiées, ce qui


indique I'implication des femmes dans I'utilisation de la biodiversité. Sur le plateau
central du BurkinaFaso, Bélemet a!. (1998) notent 58 espècesalimentaires dont certaines
sont des plantes de soudure, uniquement uti!isées en cas de famine et Helmfrid(1997)
répertorie environ 40 espèces utilisées pour les sauces et donne un calendrier d'utilisation
en fonctiondes disponibilités au coursdes saisons.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juln 2001 75


2.1.4. Plantes fourragéres

Nous citerons l'exempled'Andropogon gayanus var. tridentatusqui a fait I'objet d'essais


de miseen culturedans Ia region de Bondoukuy en raison de son importance fourragère et
de sa raréfaction(Serpantié et al., 2000). Au cours de ces essais, ii a développéune
méthode de culture simple, techniquement adaptec aux ressources locales. Les résultats
ont très positifs et demandent a être divulgués.

2.2. Pratiques de protection, mise en culture des plantes utiles

Nos enquêtesont montré qu'il existait des pratiques traditionnelles de protection de la


biodiversité. En tenant compte de ces pratiques, mais aussi de l'expérience accumulée
(savoirs ancestraux), il est possiblede répertorier les anciennespratiqueset d'imaginerde
nouvelles méthodesde protection de la biodiversité. Serpantié (sous presse) a montré qu'il
pouvait exister différentsdegrds d'artificialisationdes pratiques concernant les plantes,
depuis la cueillettesimplejusqu'à des pratiques agricoles très Nos différents
projets nous ont permis d'aborder cette notion que I'on peut assimiler a un gradient,
impliquant Ia notion de temps, de travail, de technologie, etc.

2.2.1. La protection in situ

2.2.1.1. Les plantesmédicinales

Nous avons identiflédes sites riches en certaines espècesmédicinales, sites conserves par
les populations pour leur intérêten médecine. C'est le cas par exemplede certaines zones
du tenoirde Sogosagasso, de Wolokoto, richesen Securidaca longepedunculata.

2.2.1.2. Les espOcesprotégéeslors des dOfrichements agrico/es

Elles sont nombreuses, possèdent genéralement divers usages dont les usagesalimentaires
sont importants, et sont utilisées le plus souvent par les femmes (Helmfrid, 1997), alors
que les usages médicinaux concernent egalementles tradipraticiens (vonMaydel, 1990).

2.2.2. La protection ex situ

Nous avons Pu identifierplusieurs niveaux d'interventionhumaine (Serpantié, 2000).

76 Pratknjes cutureUes, a at e conservatori


sauvegarde
de Ic biodversitéon Afdoue do 'Ouetet du Centr
Ces demières espèces sont les suivantes:

Haie vive: Acacianiloticavar. adansoni,

Plantes médicinales: Adansonia digitata, Anogeissus ieiocarpus,Balanitesaegyptiaca,


Combreturnmicranthum, Danielliaoliveri,Diospyros
inespilifonnis, Prosopisafricana, Sclerocarryabirrea,
Tamarindus indica, Ziziphus mauritiana.

Les critères de choix des espècesont les utilisations traditionnelles en médecine, le


multiple intérêt alimentaire et medicinalou artisanal de certaines espéces, l'absence des
espèces sur le site. Ii s'agit dans un premier temps d'espèces ligneuses et de cultures
d'herbacées programmées : Cymbopogon giganteus, Cassia italica, Chrysanthelium
americanum pour lesquelles des planches doivent aménagées.

III. Discussion

Les différents projets cites et les résultats obtenus ont permis de constater le role
important de différents types d'acteurs dans I'utilisationtraditionnelle de la biodiversité.
A sa manière, chaque groupe identiflé possède des pratiques favorables et d'autres
défavorables a Ia protection et a la conservation de Ia biodiversité.

3.1. Femmes, utilisationet conservation de Ia biodiversitévegetate

dans deux domaines,


Nous avons constaté que les femmes interviennent principalement
outre Ia coupe du bois non dans ce document, mais dont il faut aussi tenir
compte, car ces coupes quotidiennes ont un impact très negatif sur les populations
arbustives et arborées.

31.1. Le domaine de I'alimentation

Les nombreusesespèces récoltées constituent une source non negligeable qui entre dans
les rations alimentaires quotidiennes (fruits ou feuilles pour les sauces). La nécessité de
pourvoir aux besoins alirnentaires incite a la protection de nombreuses espèces, quasiment
domestiquees, produites désormais en pépinière pour certaines espèces (karité, néré,
tamarin) dans les champs ou bien <<protegees>> et géréespar les femmes en brousse lors
des coupes de bois. Là encore, ii peut s'agir de comportements individuels qui peuvent
être remis en cause par un coupeur de bois ou d'autres femmes et nous soulignons la

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 79


nécessité d'une sensibilisation auprès des groupements fémininsqui peuvent alors mettre
en place une organisation a l'échelle de leur terroir (Helmfrid, 1997). Par ailleurs, la
connaissance, par les femmes, des plantes alimentaires de soudure peut s'avérer
extrêmement importante et Ia preservation d'une biodiversité maximale prend toute sa
signification dans cette perspective (Bélem et al., 1998). Dc la même manière, l'existence
d'une succession d'espèces alimentaires disponibles en fonction des saisons montre
l'importance que revêt la conservation de Ia biodiversité sur le plan alimentaire : Ia
disparition d'une espèce peut gravement contribuera la malnutrition, voire a Ia famine
dans une region donnée, en occasionnant une rupture dans les approvisionnements
(Helmfrid, 1997). Des enquêteset des recensements supplémentaires sont a envisager.

3.1.2. Le domaine de ía médecine pédiatrique, gynécologie, obstétrique

Les enquêtesethnobotaniquesont montré que ces spécialités médicales l'apanage


quasi complet des femmes et les récoltes d'espèces médicinales par les femmes doivent
egalement être prises en compte dans tout projet de conservation de la biodiversité
(Flahaut, 1999 ; Olivier, 1999 ; Olivier et a!., 2000). Nous avons montrC le très grand
nombre d'espècesutilisées par les femrnes pourdes soins très divers intéressant l'enfant et
Ia femme. Néanmoins, en particulier pour ce qui concerne les soins pédiatriques,
l'utilisation préférentielle des feuillespour les preparations médicamenteuses a un impact
beaucoup moms negatif, voire negligeable, sur la conservation de la biodiversité, en
comparaison des pratiquesd'utilisationdes racinespour les soins des adultes.

Ii nous a aussi donné de constater l'existence de jardins de cases, pratiques a


rapprocher de celles observées dans différentes regions du monde, notamment, par
exemple, la Nouvelle Calédonie, oi les femmes entretiennent "a portée de mains"
quelques espèces pouvantservir pour les soins des petits maux ou blessures quotidiennes
(brQlures soignées avec le suc d'Aloe vera, soins des plaies avec les feuilles du Lantana
camara (Olivier, 1996). Ces pratiques sont a encourager au niveau des groupements
fémininssouvent cantonnés dans la couture, le commerce des noix de karité, la mise en
place de moulinsou autresactiyités"traditionnellement' appuyées par les projets.

3.2. Tradipraticiens, utilisation et conservation de Ia biodiversité végétale

Les enquêtes ethnobotaniques auprès des tradipraticiens ont montré queue


l'importancede leur role en terme de médecinegénéraleet de sante des populations. Les
etudes concemant les plantes médicinales ont permis de constater qu'outre l'utilisation
d'une grande diversité d'espèces (plus de 130 espèces citées sur nos enquetes (Olivier,
1999), l'utilisation des plantes se caractérise par la forte consommation de racines

80 Pratiques culturetes, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversitéen Afriquedo I'Ouestet du Centre
lorsqu'il s'agit de médecinegénérale s'adressant aux adultes. Ii ressort de ces pratiques
que certaines espècesfortement sollicitées sont en voiede raréfaction : c'est par exemple
le cas de Securidaca longepedunculata, espèce qui fait même I'objet d'un commerce
inter-regional, pour ne pas dire un trafic, puisque les contrôlessont inexistants. Les prix
de vente des racines de cette espèce sur les marchesde BoboDioulassoou Ouagadougou
sont très ce qui est un signe de la difficulté d'approvisionnement. C'est
le cas de Trichilia emetica dont les racines constituentun remède très prisé contre les
hémorroIdes, affection fréquente dans les regions ou de Cochiospermum
tinctoriumutilisé en cas de paludismeou jaunisse et que l'on remplacesouvent par C.
planchonii,espèce plus frequente et qui présentedes racines de plus fortetaille.

C'est pour limiter l'impact de ces récoltes qu'il est a notre avis nécessairede développer
des formations sur les bonnes pratiques de récoltes (favoriser les récoltes de racines
secondaires), voire de remplacer, lorsque c'est possible, les racines par les feuilles en
diffusantles résultatsdes recherches en laboratoire. Ii faut combattre l'idée selon laquelle
'la racine est plus forte que la feuille"et doit donc être utiliséepour soigner les adultes,
eux-mémes<<plus forts que les enfants>>, soignés, eux, principalement avec des feuilles
(Flahaut, 1999). L'exemple est le Nauclea latifolia Sm, dont les feuilles possèdent la
mêmeactivitéanti-diarrhéique que les racines (activité anti-microbienne) (Sourabie et al.,
1995). A noter, pour cette espèce, que les racines possèdent une certaine toxicité, en
particulierpour les enfants, et que le remplacement par les feuilles, outre qu'il favorisela
conservationde cette espèce, les effets secondaires néfastesdes preparations a
base de racines(Olivier et al., 2000).

Aussi, dans le cadre du projet PHAVA, en collaboration avec les services de


l'environnement(Eaux et Forêts), une formationsur les plantes médicinales a-t-elle
délivréea des associations de tradipraticiens (notamment a Bobo Dioulasso), avec pour
objectifs une meilleure connaissance et unemeilleure utilisationdes plantes médicinales
dans le respect des ressources naturelles. La formation a porte sur différents themes,
notamment:

- 1' identification botaniquedes plantes médicinales et la réalisation d'un herbier;

- les bonnespratiquesen matière de récolte des plantes;


- le séchage des plantesmédicinales;
- la gestionet la protection des plantes in situ;
- des notions sur les techniques de culturedes plantesmédicinales;

- une approchedes propriétés médicinales et de la toxicité des espèceslocales.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juiri 2001


La formation thdorique a suivie de sorties sur le terrain et de mise en pratique des
notions acquises en matière de récolteet d'identificationbotanique.

Par ailleurs, alors que nous avons rencontrd plusieurs fois des jardins de cases auprès des
femmes,en revanche,les jardins de plantes médicinales entretenus pas les tradipraticiens
sont rares : tout au plus, nous avons Pu constater que les tradipraticiens qui rdcoltent
generalement par eux—mémes leurs plantes sont sensibles aux bonnes pratiques de
récoltes et cherchent a conserver "leurs bons sites en réduisant l'impact des
prélèvements. Cependant, sans volonté commune,ni organisation, les efforts des uns sont
annulés par les abus des autres et unesensibilisation nous paralt fortement nécessaire.

Dans le cadre du projet JACHERE, La culture de Cymbopogon giganteus présente un


grand intérêt. Les essais menés en 1999 ont dtd positifs et des propositions seront
presentdes pour la deuxième phasedu projetJACHERE. Nous pensons que ladiffusionde
ces résultats sont de nature a encouragerdes essais de culture d'autres espècespar les
tradipraticiens, et une démarche de sensibilisation permettra, a notre avis, de tenter de
telles domestications.

3.3. Agriculteurs, selection variétale et conservation de Ia biodiversité

Nos enquêtesethnobotaniquesont permis d'identifier une variété tinctoriale de sorgho,


variété qui a sélectionnée, améliorée au cours des cycles de culturepar les producteurs
pourune utilisation restreinte,dans le cadre de cérémonies coutumières. Afmde conserver la
biodiversité, de telles experiences sont déterminantes, ce qui permet d'dviter
l'uniformisation des cultures et de disposer de variétés adaptées aux conditions de sol,
climatiques ou aux objectifs. Les agronomes connaissent l'importance des banques de
semences et les initiatives des agriculteurs sont déterminantes pour la conservation des
variétés.L'INERA a ddveloppéau Burkina Faso un programmed'étudedes variétdsde sorgho
(station de Saria, station de Farako Ba) avec l'appuidu CIRAD (Trouche,comm. pers.).

La conservation de variétés rares et originates (sorgho teinturier) peut conduire a des


projets de développement, en plus du role de reservoir de semences a caractères différents
des variétés principalement cultivéeset largement dissémindes en cas d'attaque massive
d'unemaladiepar exemple, ii peut être utile de disposerde variétés résistantes, méme si
elles avaient negligees pour Leur rendement plus faible par exemple.

Dansce sens, des projets d'identification des variétés locales des plantes cultivées peuvent
egalement être une des voies de protection et de conservation de la biodiversité
(Bognounou, comm. pers.).

82 a
Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et conservation
de a biodiversitO en Afriquede I'Ouestet du Centre
Conclusion

De nombreux acteurs interviennent dans la protectionde la biodiversité(ou inversement,


sa mise en danger), en raison des utilisations traditionnelles typiquesde chaque catégorie
d'acteurs a sa façon, et en raison de ses intérêts particuliers, ou de son role dans la
société, chacun agit sur la biodiversité.

Les projets varies que nous avons prdsentds montrent l'importance du rOle des femmes,
non pas uniquement en raison de la coupedu bois, sujetbienconnu, illustréet discuté, qui
a fait l'objet de nombreux projets,mais pour ce qui concemeles plantesmédicinales et de
cueillette.Nous pensons que des projets d'appui devraient prendre en compte ces deux
aspectsdu rOle des femmes pour améliorerla protection de la biodiversité.
De la méme manière,si les résultats concemantle rOle des tradipraticiens retrouvéslors
des enquêtes ethnobotaniquespeuventparaItrebanals, en revanche,nous espéronsavoir
propose quelques pistes afin de limiter La disparition des plantes médicinales et de
favonser La conservation de ces espèces si précieuses formationaux bonnes pratiques de
récolte et de séchage a travers les associations de tradipraticiens, remplacement des
racines par les autres organes végétaux en tenant compte des rdsultats scientifiques
souvent peu disséminds et valorisés, culture d'espèces en voie de rardfaction, mise en
place de jardins de plantes médicinales. Nous avons montré, sur un exemple,
que les variétds locales des plantes cultivdes méritent une attention renouvelde, car elles
constituent une partie de La biodiversité, potentielLementintéressante.

Enfin,La notion de degrds d'artificialisationdéveloppéepar Serpantid (2000) nous semble


intéressante dans le cadre de la protection de La biodiversité, car elle permet d'apporter
une réponse graduee, adaptée aux acteurs, a leurs objectifs, aux espèces particulières
utilisées par chaque catégorie,tout en tenant comptede leur experiencetraditionneLleet
en valorisantles pratiquesancestrales.Ce qui, a notre avis, est une assurance de réussite
pour les projets d'appui.
Nous concluons en soulignant que, puisque chaque categoricd'utilisateursdes ressources
vdgétales dvolue au sein de "sa propre biodiversité vegétale", tout projet n'intégrant pas
les intéréts particuliers de 1'ensembledes acteurs agissant sur un territoirerisque de voir
ses effortsde protection et de conservation de la biodiversitéréduits a néant.

Remerciements
Les auteurs souhaitent remercier les populations, les autorités coutumières et les
nombreux indicateurs des villes et villages qui ont participéa nos enquêtes,ainsi que M.
0. Bognounou (INERA), pour Ta determination botanique des et La
verification des noms vernaculaires Lors des enquêtes ethnobotaniques. Cette a
soutenuefinancièrement par l'Union Européenne et la Cooperation Francaise.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 83


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88 Pratiques culturelles, a sauvegarde et a consrvation


de a biodiversité en Afriquede I'Ouestet du Centre
Pratiques culturelles
de Ia conservation des ressources
naturelles en milieu rural Mossi
du centre-norddu Burkina Faso

Jean-Baptiste OUEDRAOGO
CNRST/INSS, 03 BP 7047 Ouagadougou 03
(Burkina Faso)
Ii existe différents niveauxde diversité biologique. 11 y a d'abord la diversité des espèces,
chaque espèce ayant sa propre fonction au sein de son environnement immédiat. Ii faut
donc veiller a Ia conservation des diverses espèces.

Ensuite, ii existe une diversité au sein d'une même espèce, c'est-à-dire la diversité
genétique. Chaque être vivant est compose de diverses combinaisons de genes. Les
croisements excessifs a l'intérieur d'une espèce (endogamie) sont sources de problèmes
provenant d'une diversité insuffisante du patrimoine génétique qui peut mettre en danger
la survie de l'espèce. D'oü l'intérêt de maintenirIa diversité a l'intérieur des espèceset
entre les espèces.

Ii est dgalement important de conserver Ia diversité des car chaque type


d'écosystême sert d'habitat a des communautés végétales et animales et exerce diverses
fonctions assurant Ia vie.

Lesconditions agro-climatiques au Sahel se sont depuis sensiblement détériorées dans un


contexte de forte croissance demographique, limitant ainsi les possibilités, pour les
populations rurales, de tirer suffisamment de nourriture a partir du milieu nature! et
notamment des ressources combien immenses qu'il renferme. Ii se pose a!ors la
problematique de la sauvegarde et de la conservation des ressourcesnaturel!es au Sahel,
particulièrement dans Ia region du centre-nord du Burkina qui constitue le champ de la
presente

I. Problematique de Ia sauvegarde et de Ia conservation


des ressources naturelles dans Ia zone d'étude

Les pratiquesculturalespaysanneset les strategies d'utilisation des ressources nature!les


qui les accompagnent traduisent a !a fois la perception que les populations rurales du
centre-nord ont de !'environnementet les divers droits d'usage qui lui sont lies. L'action
des acteurs sociaux exerce en effet un impact considerable sur l'environnement,lequel
peut être positif et régulateur ou au contraire négatif et amplificateur des
naturels. D'oC les enjeux de survie lies aux usages de !'espace rural de facon générale
surviedes groupes humains, laquelle dependde cel!e des ressources naturelles.

Dans le domaine de Ia production agricole, de remarquables progrès ont réalisés pour


en accroItre Ia diversité et Ia rentabilité grace a la science et a la technique.
Toutefois, ces progres agricoles ont eu pour corollaires une homogeneisation et une
spécialisation de la fore cultivée ainsi que l'imposition a de nombreuses regions du globe
de modèlesagro-techniques et agro-économiques standardisés concus dans les conditions
environnementales et sociales des pays développés (Barrau, 1971, 1990).

92 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversité enAfrique de 'Questet du Centre
Une des consequences d'une telle situation est l'appauvrissement des espèces culturales
du pointde vue varietal et spécifique a Ia fois dans les pays sahCliensaux conditions agro-
et pedologiques particulièrement défavorables. Des etudes prospectives
furentalors !ancées pour rechercher des cultigenes et des cultivars menaces ou en voie de
disparition, ou simplement abandonnés par les paysans pour diverses raisons, a la fois
socio-économiques et culturelles ou climatiques et

Le plus souvent, cette << erosion>> phytogenetique s'accompagnaitde celle des savoirs et
savoir-faire locaux relatifs aux espèces cultivées et aux techniquescoutumièresde leur
production. Mais alors, qu'adviendrait-il si, pour des raisons quelconques non
souhaitables, mais susceptibles de se produire, ii fallait revenir aux sources vivrières
locales pour alimenter les populations sahéliennes ? De plus, les ressources génétiques
constituent un enjeu et scientifique majeur pour les sociétés contemporaines.
En effet, la connaissance, la maItrise et l'accès aux ressources génétiques font l'objet
d'une competition internationale dans laquelle s'engagentdes Etats, des entreprises et des
individus, mobilisant pouvoirs publics, scientifiques, agriculteurs et consommateurs.

Toutefois, la pressionintense exercée par les activités humaines tend a les rdduire, voire a
les faire disparaltre alors que, paradoxalement, le developpement requiertde les entretenir
plutotet de les adapter aux evolutions du long terme.

La présente se propose précisément,entre autres buts, de degagerdes perspectives


de valorisation de Ia biodiversité, tout en prenant en compte Ia dynamique
biodiversité/société, sur Ia base d'une intenogation. Comment dans l'espace et
dans le temps et en fonction des changements technologiques les relations entre la
biodiversité et les usages que les sociétés rurales Mossi en font a des fins alimentaires,
médicales ou simplement socio-culturelles, et notamment vestimentaires ou
artistiques?

II. Methodologie

L'approche methodologique déployée pour cerner les pratiquesculturelles relativesa la


conservation de la biodiversité en milieu rural Mossi du BurkinaFaso se fonde sur:

- une mise en perspective historique des sociétés rurales Mossi, c'est-à-dire l'histoire du
peuplement, Ia chronologie des occupations successives de l'espace rural et les droits
d'usage des ressources naturelles, d'occupationet d'exploitation des terres;
- une analyseanthropologiquedes faits et ayant marqué les populations
rurales dans leur vie individuelle et collective, et qui revêtent une signification
particulière liée au milieu nature!, notamment les longues sécheresses et la
désertification des trois décennies L'analyse anthropologique incorporera !a

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 93


Le role du savoir coutuniier commebase d'approchedu développement viablelongtemps
ignore est désormais reconnu et susceptible de valorisation. Mais les connaissances
paysannes locales comme cellesdes Mossirelatives a l'utilisation de Ia biodiversité sont-
elles transférables?

Mais d'abord, comment ces connaissances relatives aux usages de la biodiversité se sont-
elks constituéesdans l'espace et dans le temps et queues en sont les modalités pratiques
et techniques de transmission de génération en génération?

L'appropriation des plantes, leur contrOle et I'accès a leurs produitspour les diversusages
des hommes ont toujours fait l'objet d'une réglementation plus ou moms rigoureuse
suivant les sociétés. Cette réglementation peut être de nature coutumière, et donc orale
c'est le cas des bosquets sacrés qui s'observent dans les villages Mossi et oü sont
préservées de rares espèces végétales, mais pour combien de temps encore? (Ouedraogo
et Bognounou, 1996).

La réglementation peut aussi obCir a des normes juridiques nettementcodifiées a travers


des textes Dans un cas comme dans l'autre, ce sont les relations culturelles que les
sociétés entretiennent avec leur milieu naturel qui sont en jeu et qui traduisent la
perception propre de la biodiversité par chaquesociété.

Commentles sociétés Mossidu centre-nord s'adaptent-elles a leur environnement naturel


pour survivre, fonctionner et se reproduire a travers la pratique de l'agriculture et de
l'elevagequi constituent les activités essentiellesde leur populationrurale?

Dans les relations entre sociétés humaines et le poids des hommes, c'est-à-
dire leur charge numérique sur l'espace rural, représente une donnée de premiere
importance dans la conservation et Ia gestion de la biodiversité. En effet, le nombre
d'habitants vivant a l'intérieur d'une geographique precise permet de mesurer
l'action de la société sur le milieu, surtout lorsque cette société est a vocation agricole ou
pastorale oü les populations sont sédentaires ou semi-nomades et nomades comme les
sociétés Mossi du centre-nord. Les techniques agricoles en vigueurdans ces sociétés sont
essentiellement manuelles, et au mieux comprennent un faible appoint d'une force
animale pour des rendements agricoles le plus souvent médiocres. D'oC le recours
incessant aux produits de la nature comme complement alimentaire dans une
ruralequi a longtemps fonctionné presque en circuitfermé, une largepartde la production
servanta nourrir les producteurs et les sociétés co-habitantes dans un cadre d'echanges
d'une dimension au plus régionale. Or de la maItrise de Ia nature a différentes par
une société donnée dependent a la fois I'utilisation optimale qui peutêtre faite des ressources
naturelles et la capacité de cette société a se défendre ou a dominerles autres sociétés.

96 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde eta conservation


de Ia biodiversitéen AfricWede I'Ouest etdu Centre
IV. Les pratiques et connaissances paysannes Mossi
base d'approche méthodologique des ressources naturelles
et du développement durable

L'approche socio-anthropologique du monde ruralMossi permetde se convaincre que les


paysans savent quelles sont les variétés culturales qui conviennent a la diversité de leurs
sols selon la qualite et l'étatde pauvreté de ces sols.

En matièrede protection de l'environnement, les méthodes traditionnelles de lutte contre


l'érosion, par exemple, développées par les paysans Mossi sont valables et efficaces,
notamment le paillage.Le paillage est un système de conservation des sols et des eaux
consistanta des herbes sur la surface du champ pour preserver le sot de l'action
directe des premieres pluies et freiner par la suite l'évaporation. Ce procédéest
<<

excellent. Les résultats ont chiffrés avec precisionaux USA oü l'on estime que par ce
procédé(mulch farming), la perte en terre peutêtre vingtfois inférieure a ce qu'elle serait
en terrain flu>> (Marchal, 1978).

Dans te domaine de la conservation des semences, les paysans Mossi du centre-nord


utitisent des méthodes et des techniques qui ont fourni la preuve de. teur efficacité
pratique. It s'agit des méthodes et techniques de conservation des céréales les plus
consommées(mit, sorgho, mals),consistanta sur cinqa dix centimetres d'épaisseur
de feuilles d'une des plantesci-après au fond d'un grenier:

1) "Lamboèga" en Moore (Bauhiniarufescens);


2) "Zambré Kouka" en Moore(Acacianigricans);
3) "Youmenga youga", toujours en Moore(Hyptis spicigera).

Ensuite, it convient de disposerles productions cdréalières sur une de cinquante


centimetres a un metre sur cette premiere couche de feuilles d'une des plantes ci-dessus
citées, et a nouveau d'étaler sur cinq a dix metres d'épaisseur ces mémes feuilles sur
lesquelles sera déposée une quantité de céréales jusqu'au remplissage du
grenier. Une telle méthode et une telle techniqueassurent la protection de l'ensembledes
productions agricoles céréalières, dont les semences, pour une période variableentre trois
et cinq ans.
Toutes ces formes de connaissances, longtemps ignorées, sont désormais reconnues et leur
role, comme base d'approchedu développement viable, positivementapprécié. Maisdans
un tel contexte socio-culturel, est-il possible d'évaluer, de modifier et de prévoir le role
des interventions d'origine anthropologique dans Ia diversité biologiqueainsi que et leurs
consequences ? La croissance démographique et les consequences des activités liées au
développement constituent-elles la source principale de l'érosion de la
diversité biologique?

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18au 21 juin 2001 97


Si Ia science peut prédire l'évolutionde la variance génétique en fonctionde l'effectif de
la populationd'une espèce végétale donnée, en revanche,elle ne parvient pas encore a
la relation exacte entre la probabilité d'extinction d'une espèce et son degre de
variabilitd, malgré l'existencebien reconnued'une telle relation.

La science ne peut non plus, du moms actuellement, se prononcer clairement sur Ia


questionde savoir si Ia grande diversité du peuplement d'une espècevégetalepar exemple
est ou n'est pas un signe de sante pour un et sa diminution un signe de
fragilite. De plus, une plus grande diversité permet-elle une adaptation plus rapide ou
meilleure a un changement de l'environnement?

Commentrdduireles impacts d'origine anthropologique et faire participer l'ensemblede


la populationd'une société déterminéea la protection de la biodiversité?
Sans doute, la croissance démographiqueet les consequences des activités liées au
développement constituentla source priricipale de l'érosion de la diversité
biologique. Mais l'homme lui-même contribue a créer de la biodiversité, notamment a
travers des pratiquesagricoles locales qui finissent par générer des variétés de souches
adaptées aux conditions environnementales particulières de chaque region. L'homme
contribueegalement, a travers la migration ou le voyage, a disséminer des espècesdans le
monde, accroissant ainsi ou réduisantparfois les biodiversités natives. C'est pourquoi il
importe de bien connaltre les relations culturellesque chaque société humaine entretient
avec le milieunatureloü elle vit et qu'elle exploite.

Car c'est en fonctionde la perception et de la representation de la nature forgees par


chaque société humaine que se définissent les inter-relations société/nature et quepeuvent
être et mises en cuvre des strategies adoptées de gestion a long terme des
ressources biologiques. Dans un tel contexte, la connaissance des savoirs coutumiers,
qu'ils soient populaires ou spécialisés, permet de mieux comprendre les types de liens
affectifs et symboliques que les populations rurales ont tissés avec leur milieu naturel et
les ressources donnantlieu a usage.

Au Burkina Faso, la recherche agronomique a davantage orientée jusqu'ici vers


l'améliorationgénétique des variétés de cultures et l'utilisation des fertilisants des sols.
Aujourd'hui,elle tendplus a intégrerla gestiondes ressources naturelles et développeune
approche pluridisciplmnaire des systèmes agraires (<< farming systemresearch>>).
Pendantlongtemps, les préjugés missionnaireset coloniaux avaientfinalementconduit a
considérer les populations africaines corimie des "reliques" de la sauvagerie prehistorique,
incapables d'aménager l'espace et d'en tirer fructueusement parti. Or des lors que
l'homme ne se contente plus de la chasse et de la cueillette comme au debut de son
existence, mais s'adonne a la domesticationdes plantes et des animaux, ii s'oriente vers
un rapport nature/société concrétisé par des activités productives et s'engage

98 Pratiques culturelles, a sauvegarde etIa conservation


do Ia biodiversité en Afriquede I'Ouestet du Centre
corrélativement dans une action de spécialisation progressive des sous—
tendue par des connaissances précises (Ouedraogo et Bognounou, 1996).

Et de fait, les Africains ontparfaitement réussi la domestication d'un nombreimportant de


céréales(Digitaria exilis Stapf ou fonio, Oryza glaberrima Steud. ou riz ouest africain),
de légumineuses (Voandzeia subterraneaThon ou pois de terre) et de tubercules(ignames
ou Dioscoreaspp.). La domesticationdes plantes par les Africains, parce qu'elle obéit a
une logique de production, de conservation et de gestion,est l'expressionculturelle d'une
société a une de son evolution historique. Ii semble que la preoccupation majeure
des sociétés africaines et notamment sahéliennes a pratiquesculturales d'autosubsistance
est la conservation de la diversité cultivariétale permettant de sauver plusieurs espèces
cultivdes dont l'usage plus ou moms tombéen désuétude(Ouedraogo et Bognounou,
1996) ; en particulierles cdrdales, tubercules et legumineuses, dont la capacité adaptative
exceptionnelle permeta certaines variétés de resister aux conditions agro-pédologiques et
climatiques particulièrement difficiles du Sahel. Dans cette perspective, les pratiques
agricoles locales des Mossi ont générd une grande variété de souches adaptées aux
conditions agro-climatiques rencontrées dans la region.

L'imposition coloniale de la pratique des cultures de rente, et notamment du coton, a sans


doute contribud a Ta diminution de Ia diversité variétale des fibres vivrièresdomestiques
au Burkina et au Sahel de façongenérale. L'on peut prdcisément se demander, dans le cas
des regions sahéliennes, si cette diminution n'a pas privd les populations locales d'une
diversité vegetalevivrière ayant permis naguère de pallier les effets des aléas climatiques
par des strategies d'ajustements culturaux jouant sur cette diversitd (Barrau, 1990).
Toujours est-ilquela diversité cultivariétale et cultigenetique y apparaIt comme 1'apanage
presqu'exclusifdes pratiques culturales d'autosubsistance. Ce qui autorise a formuler
l'hypothèse selon laquelle l'un des moyens de maintenir, du moms partiellement, la
diversité génétique peut le fait de mettre au point des systèmes culturaux oà des
végétaux, jusqu'alors insérés dans des economies de subsistance, deviendraient des
productions commerciales (Ouedraogo et Bognounou, op. cit.) pour les marches locaux ou
rdgionaux afin de répondrea la fois aux divers besoins des sociétés et aux possibilitds des
milieuxnaturels. Par exemple, Ta culture du coton a, semble-t-il, une part non négligeable
de responsabilitd dans Ta crise alimentaire qui sévitaujourd'huide façon quasi endemique
dans la frange soudano-sahélienne du sous-continent noir; carle paysana tendance a faire
passer le coton, culture de rente, avant la culture vivrière pour gagner de l'argent
(Schwartz, 1996). Cette culture constitue un facteur de degradation du milieu
nature!, le paysan tendant a lui consacrer des superficies de plus en plus importantes de
ses reserves de ten-es et divers produits chimiques, compte tenu des soins particuliers
qu'elle requiert.

Ouagadougou (Burkiria Faso), du 18 au 21 juin 2001 99


Conclusion

L'importance des enjeux de la diversité biologiquecommande une politique nationale,


voire sous-regionale, en matière de ressources genetiques, une concertationdes acteurs
qui s'y impliquent et la mise en place d'un dispositif permanent qui regrouperaitles
compétences des institutions concernées afin de disposer des meilleures expertises,
notamment de celles des conmiunautds rurales.

Les communautés rurales Mossi du centre-norddu BurkinaFaso, en dépit/oua causedes


difficultés dnormes que présente leur milieu naturel pourtant riche en ressources,
développentdiverses strategies pour survivre, en puisant dans leur tréfonds culture! le
savoir coutumier ndcessaire leur permettant de prendre en charge l'entretien et la
valorisationde ces ressources naturelles. Le savoir coutumierMossi relatif a Ia gestion
des ressources génétiques, parce qu'il a fourni la preuvede son efficacité pratique sur le
tenain, loin de s'opposer au savoir scientifique, devrait lui être compldmentaire.

Il reste que les processus de decisionqui influent sur la conservation et la gestionde la


diversité biologique, comme toute forme de savoir traditionnel qui se transmet de
génération en générátion,constituent une sorte de secret qui se livre avec parcimonieet
suivantles règles ontologiques du métier des maltres du savoir. Le chercheur moderne
peut-il alors avoir l'humilité scientifique d'aller a l'apprentissage de ces savoirs
coutumiersauprèsde l'école des paysans?

100 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde eta conservation


de Ia biodiversitéen Afriquede 'Ouestet du Centre
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102 Pratiques culturelies, Ia sauvegarde at Ia conservation


de hbdlversité enAfrique de I'Ouestatdu Centre
6

Connaissances et pratiques
traditionnelles pour une conservation
de Ia biodiversité au Burkina Faso

Ouétian BOGNOUNOU, 0. MaImounata BELEM


et Niéyidouba LAMIEN
INERA, Burkina Faso
Résumé

Au BurkinaPasocomme partout ailleurs en Afrique, Ia population adopte des pratiques qui


permettent une gestion conservatoire de Ia diversité biologique.Aussi existent-ildes interdits
allant de la coupe et l'utilisation des arbres a leur consommation. Les femmes s'impliquent
enormément dansce processus, particulièrementdansla conservation des semences.

Introduction

'L'Afrique n'a pas méconnu la science. Repandudans la forêt, la savane et le desert, un


vaste savoir existe, fait d'expériences techniques voire scientifiques, davantage que de
formulations théoriques et amassées au cours des siècles par nos anc&res. Ce savoir ne
saurait être sous-estime, ni dans son contenu reel, ni dans la mentalité qui lexprime (...).
Toutefois, l'apport massif en Afrique de techniques et de concepts scientifiques
saccompagnera utilement de la prudente vigilance que requiert la situation de nos
peuples. Ii seraitvain en effetde solliciterleur concours pour développer leur pays et leur
civilisation, si lon ne prend d'abord le soin de traduire les conceptset les connaissances
scientifiques dans leur langage et leur mentalitd culturelle. D'oü lurgence détudier leurs
experiences, telles quela traditionde la vie ruraleles expriment et utilisent'. Cette citation
en introduction a notre communication est empruntée a Diop (1968). Cest en ces termes
qu'il s'exprimait lors de la seanceinaugurale de la he session du CongrèsInternational des
Africanistes tenu a Dakardu 11 au 20 decembre 1967.

Le theme du presentatelier vient a point nommé. "Pratiques culturelles, sauvegarde et


conservation de la biodiversité en Afrique de l'Ouest et du Centre ". Comprendre les
méthodesséculaires de conservation de la biodiversité et les actualiserafin de les rendre
beaucoup plus performantes et de leguer aux generations futures des méthodes plus
fiables de recherche et d'actionest un objectifvise dans cet atelier. C'est du moms un des
vux des organisateurs.
Le theme et l'objectifvise répondentaux preoccupations ressortant des propos de Diop.
Des tentatives de reflexion concourant au theme existent. Ii convient de souligner que
deux de ces cadres de réflexions se sont tenus au Burkina Faso:
- Le colloque ORSTOMJCVRS sur la logique paysanneet la rationalité technique en
1976 a Ouagadougou.;

- Le séminaire sur Savoirs populaires, agents de développement et communication en


langues nationales" en 1989a BoboDioulasso;

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18au 21 juin 2001 105


- Le colloque organisé par ENDA/Tiers-Monde sur les ressources phytogdnetiques en
1996 a Ouagadougou.

De Sardan (1989), dans sa réflexion sur les savoirs populaires, soulignaitque 'dans le
champ du développement rural, trois grands domaines sont concernés : les savoirs
populaires en matière dagriculture,d'elevage et d'environnement ; les savoirspopulaires
techniquesen matière de sante humaine et animale ; les savoirs populairestechniques en
matière de gestion et d'économie...

II s'agit de domaines très vastes. Nous nous limiterons a quelquessous-domaines oü notre


experience pratique d'ethnobotaniste nous autorise a en parler (agriculture, elevage,
environnement).

Lorsqu'on pane de savoirs populaires, on pense en regle generaTe au capital de


connaissances acquis par une experience pratique de nos socidtés traditionnelles,
experience capitalisée sur de nombreuses générations. Nous pensonsqueles qui
seront soumis a votre rdflexion concourront a l'objectif general de l'atelier, malgré
quelques craintes. Celles-ci sont liées au climat d'occidentalo-centnisme dans lequel
baignent la plupart des chercheurs africains et du fait que les réalités africaines sont
souvent mal percues ou le sont superficiellement avec des yeux d'etrangers ou d'acculturés;
ce que Ki-Zerbo dit si bien par cette expression, a savoir que "l'a?il peut voir si la sauce
est grasse mais non si elle est salée" (cf. Preface de l'ouvrage : Les 50 Afriques de
BourgesetVauthier, 1976).

I. Definition de terme

L'intitulé de notre communication contientle terme <<pratique traditionnelle >>. Afin de


bienfixerl'idde,unedefinition de certainstermesnous paraItnécessaire.

1.1. Quest-ce que Ia tradition?

Le terme vient du latin <<tradere>' qui veut dire faire passer a un autre, remettre. Ii
s'appliquea l'héritagetransmisoralement puis par <<La tradition est toujoursun bien
commun, une réalité oil les valeurs de vie sont communiquées. Elle est donc vivante,
dynamique>> (Sanou et Traoré, 1999). Mis d'aucuns pensent qu'elle est chargee de
pesanteursociologique et plutôt statique.

106 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversitéen Afriouede 'Quest etdu Centre
2.2. Qu'entend-on par soclété traditionneHe?

Selon Bognounou (1993), le mot mystique <<traditionnelle peut revêtir plusieurs sens
>>

pour certains anthropologues sociaux et, comme le notent Dubreuil et Tarral (1976), pour
les pays du tiers monde qui ont connu les effets du colonialismesous toutes ses formes,
cette notion de "traditionnelle' ddsignerait l'état des choses antdrieures a Ia colonisation,
prdexistant a l'interventioncoloniale. Le mot traditionnel ddsignerait ce qui existait avant.
Une telle definition est peu satisfaisante. Hagen, cite par Dubreuil et Tarral (op. cit.),
reconnaissant que les sociétés caractérisées par le traditionnel sont diverses et présentes
dans toute société globale, même dans les modernes, propose un certain modèle de la
socidté traditionnelle en retenant cinq principaux critères:

1. Les comportements se transmettentde génération en gdnération et ne subissentque de


très faibles changements: ii y a une sorte d'invariancecomportementale.

2. Le comportement est régi par la coutume (la tradition)et non par la loi (droit).

3. La structure sociale propre aux diverses sociétés traditionnelles est a dominante


hidrarchique, autoritaireet verticale.

4. Les positions individuellessont déterminées par la naissance, plus que par l'apport
personnel. Le statutest souventplus recu qu'acquis.

5. La productivité est basse. Cette socidté traditionnelle est vouée a une sorte
de répétition, plus qu'a la transformation.

A travers ces cinq critères, on peut percevoir une certaine limite aux connaissances
traditionnelles qu'il est intellectuellement honnête de reconnaItre. Mais certaines sont
dignesd'intérêt. Ce sont quelques-unes de ces connaissances et pratiques quenous allons
presenter en tant que simples d'échanges et de discussionspour le present atelier,
en abordant les rapports des sociétés traditionnelles avec leur environnement a travers
l'agriculture, l'élevage et la gestion coutumière de l'espace rural au BurkinaFaso.

C'est un pays oü se sont historiquement crééesde puissantessocidtés agraires etpastorales


grace a une maItrise des milieux tropicaux semi-andes dont on s'accorde a reconnaItre
qu'ils sont ddlicats du point de vue agropédologique et difficiles a gérer en raison de
différentes contraintes. Comme la bien souligne Daveau (1972), "les relations qui existent
entre le caractère des milieux naturels et ceux des sociétés agraires de lAfrique
Occidentale apparaissent a la fois et fortcomplexes".

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 107


(I. Rapports des sociétés traditionnellesavecleur environnement

2.1. Considerations générales

2.1.1. Les systèmes de productionagricole

Les systèmesde production agricoleau BurkinaFaso sont caractérisés par l'omniprésence


des arbres sur les parcelles de culture. Cette alliance systématique, souvent qualifiee
d'amitié entre les arbres et le champ, a soulignée par Pélissier (1980)en ces termes
"Du Sahel a la forêt, les paysages agraires d'Afrique noire allient partout l'arbre au
champ'. Ces paysages agraires d'Afrique noire sont qualifies de systèmes agroforestiers
traditionnels. Lescas typiques de systèmes agroforestiers traditionnels qu'on rencontreau
BurkinaFaso sont les parcs a dominance du karité sur plus de la moitié de l'étendue du
territoirenational et les parcs a rôniers dans la partie sud. La questionde l'arbre dans le
domaine agricole a fait l'objet d'un certain nombre d'études a l'échelle des terroirs
villageois du Burkina Paso (Lahuec 1980; MaIga 1987 ; Kessler et Boni 1991 ; Lamien et
Bayala, 1994 ; Robins, 1994 ; Boffa et al., 1994 ; Bélem et al., 1996 et Bogré, 1999). On
retient des différentes etudes que les divers produits que les populations tirent des
essences sont les raisons essentielles de leur maintien sur les parcelles de cultures.
Cependant, une certaine antinomie entre les activitésde production agricoleet le couvert
arboré a fait nécessairement de I'homme un défricheur qui recherche toujours l'espace
optimumpourles cultures annuelles. Pour les amis de la nature, la pratiquedes activités
agricoles nuit a la conservation de la diversité biologique. Défricherun nouveau champ
est toujours synonymede reduction de cette diversité biologique. Certains auteurs, en
revanche, pensent que l'activité agricole n'a pas que des inconvénients pour
l'environnement. On peut noter avec Ouédraogo (1994)qu"en règle génerale, on cultivait
pourassurer la satisfactionde ses besoins et ceux de la communautéa laquelleon appartenait.

Malgrél'existenced'echange de produits divers, l'économie de subsistance y prédominait


et avait favorisé le développement de savoirs et de savoir-faire locaux relatifs a la
protection et a la conservation de l'environnement d'une part, et a leurs techniques
coutumières de production d'autre part...". Cette appreciation positive de l'activité de
production agricoledes Moose est valablepour d'autresgroupes ethniques du Burkina tels
les Bwaba,Bobo, Senoufo, etc. Pélissier(1980) les effetsbénefiques des pratiques
agricoles sur le couvert arboré en ces termes <<Ce sont les défrichements culturaux qui
ont permis a l'arbre d'émerger du fouillis végetalconfus de la brousse soudanienne, de
s'épanouiret de s'étoffer,de constituer les parcs de la savane arborée, de même que c'est
a la faveur de la pénétration des champs en forêt que s'établissent et fructifient les
palmeraies.>> Un point de vue que partagent egalement certains autres auteurs qui
rapportent que c'est sur les champs qu'on observe les meilleurs pieds de Vitellaria
paradoxa. Compte tenu des diverses agressions (feux de brousserécurrents, competition
interspecifique, exploitation anarchique...) que subissent les formations naturelles, on peut
conclure que les espaces agricoles favorisent un meilleur des espèces
les
ligneuses que populations y

Pratiquesculturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de a biodiversitO en Afriquede I'Ouest et du Centre
2.1.2. Domestication des plantes

Barrau (1990) faisait remarquer que "dans le domaine de la production vegetale, les
avancées scientifiques et techniques se sont traduites, au cours notamment des quarante
dernières années, par d'évidents et remarquables progrès agricoles et horticoles. Elles ont
eu toutefoispour corollaires une homogeneisation et une spécialisation croissantes de la
fore cultivée ainsi que l'impositiona de riombreuses regions du globe de modèlesagro-
techniques et agro-économiques standardisés conçus dans les conditions
environnementales et sociales des pays développés. Cette remarque, si elle est fondée du
fait que c'est par le biaisdes transfertsinter-continentaux de plantes cultivées a l'occasion
des voyages des explorateurs européens que les regimes alimentaires se sont améliorés, ne
porte aucune indication sur les potentialités agricoles et vegetales du continentafricain, en
particulierdu Sahel, oü les populations tiraientpourtantl'essentiel de leur subsistance des
plantes (Ouedraogo et Bognounou 1996). Selon Portères (1962), si l'Afrique paraItavoir
peu fourni aux autres continents, c'est parceque nous venons de la connaItre, que c'est un
continentrude a l'homme, et difficilement rajeunissable pour diverses raisons, et
parce qu'une confusion a régné et règne encoresur I'originede certainesgrandesplantes
alimentaires. Pourtant on lui doit les caféiers et le palmier a huile, les sorghos céréaliers,
les mils pénicillaires, etc. Ky-Zerbo,cite par Ouedraogo et Bognounou (1996), de faire
remarquerque l'Afriquen'étant pas un 'videtechnologique", on notera,en rapportavec la
satisfaction des besoins et regimes alimentaires, la domesticationréussie de nombre de
céréales, de légumineuses et quelques tubercules commele montrele tableauI.

Tableau I: Principales plantescultivées

Céréales Legumineuses Tubercules Autres


Sorgho(Sorghum Haricot <Benua>> ou Inanics Gombo(Hibiscus
vu!gare) .
<<Niébé>> (½gna (Dioscorea spp.) = Abelmoschus
unguiculata) esculentus
Mu (Penniserun .
Pesa (Solenostemon
Voandzou (Voandzeia Kyènebdo
tvphoides)
- .
' subterranea) rotundifolius (Gy ii a n drop s i s
gynandra)
Fonio(Digitaria
Wytye
exilis) -.
(Kerstingiella
geocarpa)
Riz (Orvza
glaberrima)

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 109


/
Ces différentes plantes cultivées comportent de nombreuses variétés cultivars. Ainsi, les
Moose du Sanmantenga (Kaya, Tougouri) distinguent, pour ce qui concemele mu et le
sorgho, diverses variétés sur la base des caractéristiques suivantes:

- longueurdu paniculeou de l'épi;


- couleuret grosseurdes grains;
- cycle (précoce,tardive);
productivité;
- qualites alimentaires et organoleptiques.

A côté des plantes cultivées, on peut egalementnoter une série de plantes spontanées,
herbacées, ligneuses et champignons, qui occupent une place de choix dans l'alimentation
ordinaire ou en pdriode de pénurie alimentaire. Pour ces raisons, certaines d'entre elles
sont dpargnées dans les champs de culture, formant les parcs dont on a pane dans les
paragraphes précédents. Quelques-unes et leur mode d'exploitationsont consignésdans le
tableauII.

Les parties de plantes valorisées a des fins alimentaires ou autres sont les feuilles, les
fleurs, les fruits, les graines,les exsudats, la sève, l'écorce, les tuberculeset les racines.

Tableau II: Quelques plantes spontanées d'intérêt alimentaire

Espèces Exploitation Espèces Exploitation


Boinba costatuin Feuilles alimentaires Boscia senegalensis Graines a Ia base de
Fruit alimentaire spécialités culinaires
Fleur comestible
Adansoniadigitala Feuilles alimentaires Cappariscorymbosa Graines a la base de
Fruit atimentaire spécialités culinaires
Strwhnos innocua Feuilles alimentaires Ceibapentandra Graines a Ia base de
Fruit alimentaire spécialités culinaires
Fruit alimentaire
Fleur comestible
('rateva adansoni Fcuilles alimentaires Parkia biglobosa Grainesa la base de
spécialités culinaires
Fruit alimentaire
Celtis tiztegrfoIa Feuilles alimentaires Vitellaria paradoxa Graines a la base de
spécialités culinaires
Fruit alimentaire

Pratiques culturelles,a sauvegarde et Ia conservation


de a biodiversitéen Afriquede I'Ouestet du Centre
Espèces Exploitation Espèces Exploitation..

Moringaoleifera Feuilles alimentaires Blighia sapida Grainesa Ia base de


.
spécialités culinaires
Afzelia africana Feuilles alimentaires Elaeis guineensis Graines a la base de
. spécialités culinaires
: Sève pour boisson
Piliostigmaspp. Feuilles alimentaires
. Lannea microcarpa Fruit alimentaire
Hymenocardiaacida Feuilles alimentaires Gardeniaerubescens Fruit alimentaire
Securidaca Feuilles alimentaires
. Detarium microcarpum Fruit alimentaire
longipedunculata
Pterbcarpuslucens Feuilles alimentaires Canariwnschweinfiirthi Fruit alimentaire
Cadabafarinosa Feuilles alimentaires Colagigantea Fruit alimentaire
Maeruacrassifolia Feuilles alimentaires Ziziphusmauritiana Fruit alimentaire
Maeruaangolensis Feuilles alimentaires Carissa edulis Fruit alimentaire
Vitex doniana Feuilles alimentaires DiospyrosmespiljformL Fruit alimentaire
.
Fruit alimentaire
Tamarindus indica Feuilles alimentaires Syzygium guineense Fruit alimentaire
Fruit alimentaires
.
Fleur comestible
Vernoniacolorata Feuilles alimentaires Phoenixdactylfera Fruit alimentaire
Sclerocaryabirrea Fruit alimentaire Nauclea latifolia Fruit alimentaire
Saba senegalensis Fruit alimentaire FlacouiiiaJlavescens Fruit alimentaire
Landoiphia heudelotii Fruit alimentaire Spondiasmombin Fruit alimentaire
Annona senegalensi Fruit alimentaire Dialiumguineense Fruit alimentaire
Fleur comestible
Cordiamyxa :. Fruit alimentaire Parinancuraiellfolia Fruit alimentaire
I-fexabolus .. Fruit alimentaire Cordylapinnata Fruit alimentaire
monopetalus
Ficus . Feuilles alimentaires
. Balanitesaegyptiaca
gnaphalocarpa . Fruit alimentaire
Borassusaerhiopum Sève pour boisson Acacia senegal Gommecomestible
Raphia vinifera Sève pour boisson Acacia dudgeonii Gommecomestible
Fagara Ecorce servant Sterculiasetigera Gommecomestible
xanthoxyloides d'
Xylopia aethiopica Fruit servant d'épice Cochiospermum Fleur comestible
planchonii
Capsicumfhaescens Fruit servant d'épice Grewia cissoides Fruit alimentaire
Cochiospennum Fleur comestible
tinctorium
Acacia macrostachya Graines a la base de
spécialités culinaires
Source : Bognounou (2000)
Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001
Tableau Ill: Liste de quelques plantes introduites

NomsScientifiques Noms Français


Mangfera indica manguier
Psidiumguyava goyavier
Citrus spp. agrumes
Anacardium occidentale anacardier
Annonasquarnosa pomme cannelier
Carica papaya papayer
Achras sapota sapotier
Melicocca bijuga quenetier
Terminalia catappa badamier ou amandierdes tropiques
Punica granatum grenadier
Persea gratissima avocatier

2.1.3. Gestion de l'espace rural

Dans la gestionde l'espace rural, les populations rurales ont des pratiquesqui contribuent
a la preservation de l'environnement.

2.1.3.1. Pour I'agriculture

Une pratique dutilisation rationnelle de lespace supervisée par les chefs de terre
traditionnels Tengsoba chez les Moose, Tinibèchez les Bwaba, Tikatu chez les Kassdna.
On ne soulignera jamais assez le role important de ces gestionnaires des terroirs,
distributeurs de lusufruit temporaire du sol, que Portères (1950) décrivait ainsi
"Personnage pleindexpérience,chef religieux se portant garant du maintiende la fertilité
du parcours cultural, veillant a ce que chaqueretour culturalsur un territoirey retrouvele
potentielde fertilité nécessairea lexploitation des successions et associations vegétales
traditionnelles sur lesquelles base le régime alimentaire de la collectivité . Ces chefs
de terre, dont lautorité malheureusement de nos jours semble remise en cause,
maintenaient en reserve des territoires destinés a digérer le croIt démographiquetout en
maintenant le régime alimentaire general.

2.1.3.2. Pour I'élevage

En matière de gestion de l'espace rural pour l'élevage, Bognounou (2000) rapporte que
les Peuls distinguent un certain nombrede complexessollvégétation dont trois paraissent

Pratiquesculturelles, a sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversitéen Afriquede I'Ouestet du Centre
fondamentaux pour le fonctionnement de I'économieagro-pastorale dans Ia zone nord du
Burkina Faso. Ii s'agit:

- du Seeno, espace sableux affecté a Ia culture du mil;

- du Bolaare,espace humide réservéexciusivementa Ia pâture;

- du Ceekol, désignant les rives et les lits de marigots, rdservé au pâturage aérien.
Bolaare et Ceekoi sont des milieux riches du pointde vue floristique, tant en ligneuses
qu'en herbacées.

Conserves et gérés a des fins exciusivement pastorales, ces milieux méritent d'être
souligiies en tant qu'entités concouranta une sauvegarde en diversitébiologiquedans le
contextedu climat sahélien.

2.1.3.3. Pour/es besoins culture/s

Dans le souci de gérer des entitésecologiques pour leurs besoins culturels, les populations
rurales ont préservé des bois ou forêts sacrés qui sont des sites de rites sacrés.

2.1.3.4. Les bois sacrOs(gestion d'entités eco/ogiques)

Si Ic Professeur AugusteChevalier, eminent botaniste explorateur, avait attire l'attention


sur leur intérêt du point de vue phytogeographique, car receant des espècesreliques,on
notera (Tahoux Touao, 1997) que ces 'reservoirs inestimables de diversités biologiques et
culturelles, et facteurs de pérennisation de la sociétérurale (...) sont mal et insuffisamment
connus ". De plus,jusqu'à une date récente, les bois et forêts sacrés peuou pas du
tout pris en compte dans Ia planification ecologique de nos pays. Nos connaissances sur
ces formations spéciales demeurent relativementsommaires en raison des difficultés qui
en ont limitéles etudes au nombredesquelles

- l'interdictionde leuraccès aux ou aux non initiCs;

- la méfiance des gestionnaires en raison des risques de vols d'objets sacrés (masques,
autels).

L'intérêt de ces bois sacrés en matière de sauvegarde et conservation de Ia biodiversité


mérited'être souligne en raison des caractéristiques suivantes:

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001


ce sont des reservoirs despècesreliques,rares, en voiedextinction;

ce sont des sites de conservation in situ d'espèces végétales oi elles peuvent exprimer
leurs potentialités génétiques;

- us sont de véritables vergers a grainesd'espècessurexploitées;

- us recèlentdes plantes d'intérêtstratégique sur le plan medicinal;

- ce sont des reservoirs fauniques, des refuges pour de nombreuses espèces animales,
notamment les pythons et varans;

- ils sont d'une grande signification socioculturelle et religieuse, le site de rites


sacrés, dinitiation comme le "Poro", initiatique dans les bois sacrés en pays
Senoufosouligné par Tahoux Touao (1997).

III. Gestion des especes végétales et animales

Selon Sanou et Traoré (1999), pour minimiser les actions individuelles ou collectives
préjudiciablesa l'environnement, les sociétés traditionnelles ont mis en place un certain
nombre de <<garde-fous>> constitués par les interdits et les totems. Pour ces auteurs,
1'interdit s'applique a la communauté villageoise, tandis que le totem touchegénéralement
la famille appelée clan. Hasberget al. (1996) ont une vingtaine d'espèces
végetales totémiques lignagères chez les populations riveraines des forêts classées de
Tiogo et de Laba. Lamien et Bayala (1995) ont une dizaine d'espèces d'arbres
que les populations s'interdisent d'exploiter pour le bois de chauffe pour diverses
croyances mythiques. Les raisons des interdits et des totems souvent a Ia
logique cartésienne et pourtant leur importance en matière de protection de
l'environnementest considerable.

IV. Interditset conservations

Vis-à-vis de la fore spontanée, les populations rurales ont des interdits allant de la coupe
des arbres a la consommation. Au niveau de la biodiversité agricoleegalement, ii existe
des interdits allant de la selection jusquà Ia conservation. Comme exemples, ont peut
noterau Yatenga qu'unejeune femmene peut pas conserver des semences, qu'il faut
d'approcher les semences d'une sourceacide comme le tamarin, que le vieux to ne doit pas
toucheraux semences.

Pratiquesculturelles, Ia sauvegarde et a conservation


de Ia biodiversité en Afriquede I'Ouestet du Centre
4.1. Espèces interditesde coupe

Dans Ia plupart des cas, ii sagit des espèces des Iieux sacrés comme les bois, les collines
et les rivières. La composition floristiquede ces lieux sacrés vane en fonction des regions
et de la fore en place. Dans le plateaucentral du BurkinaFaso, les espèces courantes des
bois et collines sacrés sont: Parkia biglobosa, Anogeissus leiocarpus,Tamarindus indica,
Khaya senegalensis,Adansonia digitata, Piliostigma reticulatum, Securinega virosa,
Cassia sieberiana,Balanitesaegyptiaca, Acaciapennata. Dans Ta zoneouest, les espèces
sacrées sont Mitragyna inermis, Pterocarpus santalinoides, Cola laurifihia, Ceiba
pentandra, Syzygium guineense, Crateva religiosa. Ces espèces sont generalement
autorisées a la coupe en dehors du lieu sacré. Certainesespèces taxées de hantécs par des
esprits sont protégées de coupe. Les plus communes sont : Tamarindus indica, Afzelia
africana,Lannea acida, Calotropis procera et Ficus spp.

4.2. Espèces interdites de brulage

II s'agit d'espèces frappéesde mysticisme a cause de leur biotope ou d'espèces dont la


fumée est hailucinogène. Ainsi, Calotropis procera, fréquente dans les cimetières, et
Sterospermum kunthianum, a cause de sa fumée hallucinogène, ne sont pas brülées. La
premiereest réputéc se dépiacerdans Ta nut a cause des esprits qui l'habitent.

V. Perceptions paysannes et conservation

Des plantes dont Ta physiologic est ignorée par les populations sont taxdes de mystiques et,
de cc fait, sont protégées. Les espèces du genre Ficus sont les plus connues dans cc type de
protection. En effet, l'inflorescence des Ficus est un syncarpe donnantFailure dun fruit. En
fait, c'est linflorescencequi est consommée comme un fruit. Si bien que le Ficus apparaIt
comme une espèce dont ihomme ne peutjamais voir 1'inflorescence. Du coup, les Ficus
passentpourdes piantes mystiques et, de cc fait, sont protegees. Par ailleurs, les espèces de
Ficuscauliflores sont protégées, car dies traduisent Ta prospérité. Quand un Ficuscauliflore
commeFicuscapensis pousse dansun champ ou dansune concession, ii est a cause
de cette perception. Tamarindus indica, appelé arbre de est
genies, protégé de la coupe.
Seule la cucillette de fruits de feuilles et décorcesmédicales cst autorisée.

VI. Totem et protection

En Afrique, chaqucclan, voire chaque farnille, a son totem vis-à-vis des plantes ou des
animaux. La pratique consiste a ne pas tuer lanimal ou la plante totem dc famillc ou du
clan,qui cst Ic protecteur ou le défenseur de Ia famille. Cest cc que Sanou et Traoré (1999)

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 115


qualifient de communion conviviale entre les sociétés et leur envIronnement. L'auteur
poursuit sur les origines du totemqui sont entourées de mythe. Tel anctre fut sauvé par tel
animal, ii fait alors un serment engageant sa descendance a ne pas tuer cet animal.

VII. Ethnotaxonomie et preservation

Les populationslocales ont une denomination des plantes liée a plusieurs considerations.
Cette pratique revêt un aspectde preservation des plantes.

La denomination de la plante peut être faite par similitude a lhomme ou aux organes
numains. C'est le cas de Paullinia pinnata appelée Nussa nou, c'est-à-dire 5 doigts en
moore, en rapport avec ses feuilles. La denomination de la plante peut être faite par
rapport aux effets de Ia plante sur Ihomme.Ainsi Stereosperrnurn kunthianurn est appelée
Nivilinga en moore pour l'effet hallucinogène de l'espèce. Elle peut être faite en
rapport avec les consonmateurs de la plante : Annona senegalensis(Bataarna) en moore,
ou kanté du chien, Lannea velutina(warn sabaga) en moore, raisinierdu singe. Ii existe
egalementdes denominations de plante par similtitudea lanimal, Gombreturnaculeaturn
ou kodentaabga, egale patte de perdrix. Crateva religiosa ou koltoega est une
denomination en rapport avec le biotope, c'est-à-dire Baobab de leau. Gardenia
sokotensis ou Tang rambrezunga en moore veut dire bois sec de la colline. Ces
considerations ethnologiques interviennent de facon subtile dans la preservation des
ressowcs végétales.

\ ra différents us et coutumes, les populations contribuent a preserver


civironnement, méme si les premieres motivationsnétaient pas la protection. Si la
dition explique l'interdiction dexploiter les lieux Sacrés censés être Ia demeure des
sprits, pour ce qui concerne les arbres et les animaux, ils sont préservCs soit pour leur
aux fondateurs, soit par recommandation des esprits (Sanouet Traoré 1999). Les
piLJtflS locales disposent dune science de lenvironnement par les interdits, les
;:-c e i&ris les totems, rnais aussi a travers les activitésqui régissent Ia quotidiennete.
U: at k cette science est limportantebiodiversité dont nous bénéficions.

Conclusion

emble des passes en revue sont en train d'évoluer sous l'influence de


rs rapports
eogènes
se
pas toujours favorables. Sanouet Traoré(1999), faisant l'analyse de ces
lacteurs ex;gènes. sont attardés sur la colonisation et l'imposition d'un nouveau
svtine de .estion qui a eu pour consequence I'affaiblissement du système traditionnel de
gestion de l'environnement. La destruction de nombreux foréts et sites sacrés par

Pratiquesculturetes, a sauvegarde eta conservation


do Ia biodiversité en Afriquede I'Ouestet du Centre
l'administration coloniale et par les missionnaires chrétiens a fait douter les populations
de leur systèmede croyance. En outre, ii est a noter le développement des cultures de
rentes et des qui favorisent l'exploitation de grandes
d'espaces.

Dans un tel contexte, on est en droitde se poser Ia question de savoircommentconcilierIa


logique paysanne et la rationalité technique dans un environnement oè les innombrables
acteurs ont des intérêtsdivergents.

L'approche de conservation in situ, qui est en train d'être mise en uvre a travers le
programme d'aménagementdes formations naturelles, est fort louable, mais force est de
constater qu'eIle ne vient qu'en "sauvetage" des anciennes reserves forestières qui
en regressionconsiderable, sous Ia pressiondes populations riveraines. La questionde la
valorisation de la pratique des bois sacréscommesystème endogène de conservation de Ia
diversité biologique reste posée. Créés sur leur propre initiative, les populations locales
sont responsables de la gestionde ces bois sacrés.

La protection de ces forêts et bois sacrés nous paraIt dans toute politique de
conservation de la biodiversitd reposant sur les fondements socioculturels de l'Afrique.
Quelques mesures concourant a cette protectionpeuvent ddictdes:

1. inventorier et cartographier les forêts et bois sacrés en suivant J'ceuvre pionnière de


Guinko (1984);

2. enrichirces bois sacrés en replantantles espècesayant disparu;

3. les intégrer dans Ia liste des aires protegees et donner les moyens nécessaires aux
gestionnaires traditionnels;

4. clarifier le foncier, Ic legislatif a propos de ces aires. En tenir compte dans les
programmes damenagementet de gestiondes terroirs;

5. promouvoir l'éducation environnementale basée sur Ia conservation dynamique des


forêts et bois sacrés;

6. développer par une sensibilisation l'intérêt pour ces bois sacrés en tant que valeur
socioculturelle de Ia communauté, notarnment en direction des fractions jeunes
soumises au risqued'acculturation;

7. promouvoir une education civique et moraledes enfantsbasée sur le respect du sacréet


de l'environnement;

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 117


8. rdhabiliter et sauvegarder les religions traditionnelles face a linfluence des religions
révélées telles lislam et le christianisme dont certains promoteurs voientdun mauvais
ci1 les sites que sont les bois sacrés oü ont lieu différents rites sacrés

9. envisager le bornage de ces entitésde peur queles jeunes "acculturés'ne les grignotent
a des fins agricoles.

Pratiquesculturefles, Ia sauvegarde etIa conservation


de Ia biodiversité enAfriquede l'Ouestet du Centre
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122 Pratiques cuItureIes,Ia sauvegarde et a conservation


de Ia biodiversitO en Afriquede I'Ouestet du Centre
Connaissances endogènes et gestion
de Ia diversité végétale au Togo

WALA Kperkouma1,AMEGADZE MawuIi2,


GUELLYK. Atsu1, KOKOU Kouami1,
BATAWILA Komlan1 et AKPAGANA Koffi1

Laboratoire de Botanique etEcologieVegetate, UniversitC de Lomé (Togo)


2PJNational d'Action pour J'Environnement, Ministére tie lEnvironnement, LornC
Résumé

Au Togo, des savoir-faire ont permis depuis très longtemps d'assurer une gestionsame et
durable des ressources végétales. us passent par [a creationet Ia gestiondes forêtssacrées,
mais aussi des techniques culturales qui se maintiennent de nosjours. En ces périodes de
crises generalisdes et d'échec de presque tous les programmes de gestion de
l'environnement, ne peut-on pas recourir a ces méthodes locales pour améliorer les
techniques conventionnelles ?

Introduction

D'une superficiede 56 600 km?, le Togo, pays de l'Afrique de l'Ouest, est situé entre 6°
et 11° de latitude Nordet entre 0° et 2° de longitude Est. Au sud du 8è parallèle, le climat
est de type subequatorial guinéen a quatre saisonsdont deux pluvieuses ; au nord, il est a
deux saisons. La population togolaise est estiméea 4 402 500 habitants dont 85% sont des
ruraux. Le Togo compteplus de quarante ethnies, ce qui lui confère une veritable diversité
culturelle. Les sols ferrugineux,les solsferrallitiques,les vertisols et les sols peu sont
les plus frequents. Les formations vegétales dominantes sont les savanes. Les forCts denses
humides seretrouvent danslapartieméridionale des Monts du Togo (Akpagana, 1989) et sous
forme de foréts sacrées (Kokou, 1998). Toutes ces forêts sont malheureusement très
degradées, surtout par des cultures vivrièresou de rentes (Tengué, 1994).

A l'instar de toute l'Afrique tropicale, le Togo offre une grande diversitdde conditions
favorables a une diversité d'ecosystèmes. Ceux-ci regorgent de multiples
espèces vdgétales dont dependent les populations. Malheureusement, ces
naturels sont sujets a une degradation poussée de leurs ressources en raison de la forte
pression anthropique. Cette degradation se traduit par l'appauvrissementdes sols, la
destruction massive des la perte de la diversité biologique. Diverses
initiatives ont mises au pointpour remédier a ce problème, maisIa plupartd'entre elles
sont restées sans résultats satisfaisants. II s'agit notamment de classements d'aires et de
reboisements. Ces derniers sont executes avec des essences exotiques qui, malgré leur
grande valeur sylvicole, nécessitent beaucoup d'entretien. Or les populations locales
connaissent mieux dans leur milieu un grand nombre d'espèces forestières (Conklin,
1980), dont certaines fournissent de Ia nourriture pour l'homme et le bétail,
ainsi que Ia couverture des soins de sante. Ces connaissances sont malgré tout
marginalisees, voire ignorées. Pire encore, les pratiques traditionnelles sont encore
considérées comme negatives et Ia seule solution valable reste un transfertde technologie
(Puig et al., 1993). La gestion de l'environnement par la repression se poursuit et Ia
conservation de Ia diversitC biologique a travers les aires protégées a Pire, les
populations revendiquent leurs droits sur ces aires et en occupent de larges portions. Dans

Ouagadougou (Burkiria Faso), du 18 au 21 juin 2001 125


ce contexte, ne serait-il pas adequat d'intégrer a l'apport occidental le savoir-faire des
populations locales pour une gestion rationnelledes ressources naturelles ?

L'exempledes forêts sacrées signale dans plusieurs pays africains est très eloquent a cet
egard liDe Larozière (1949), Pélissier (1980), Lahueg (1980), N'Tiama (1987),
Achoundong (1990), Dongmo (1990), Sobze (1993) et Kokou (1998)1. Selon Sibanda
(1999), la religion, les croyances et les tabous forment en Afriquela pierreangulairede la
gestion des ressources naturelles. D'autres formes de pratiques culturelles conservent
durablement la biodiversité. Ce sont:

- 1' agriculture itinérante sur brflhis et la polyculture;

- l'agroforesterie traditionnelle a travers la conservation d'arbres dans les champs et


jachères pour diverses raisons (Lundgren,1982 ; Weber et Hoskin, 1983 ; NaIr, 1984;
Wilken, 1978 in FAO, 1987 et Tientoré, 2000).

La présente a pour objectifde faire le pointsur l'étatde la questionau logo.

I. Methodologie

Cette est fondée sur des données recueilliessur le terrain par chacunde nous, mais
aussipar divers auteurs que nousavonsconsultés. Nous avons egalement eu des entretiens
avec les directeurs de certains servicesadministratifs tels que les Directionsde la Faune,
de la Flore, de l'Ecologie, du Plan d'Action Forestier National, ainsi que de certaines
Organisations non gouvernementales telles la Fédération des Organisations Non
Gouvernementales du logo (FONGTO), les Amis de la Terre et CARE-International.

II. Résultats et discussion

Des cornmunautés locales togolaises ont développd des connaissances et pratiques


séculaires qui se transmettent de géndration en génération. Celles-ci permettent une
gestionsameet durabledes ressources naturelles et se manifestent a travers les croyances
ainsi que les pratiquesagricoles.

2.1. Les croyances

La spiritualité est une importante composante dans l'utilisation des ressources naturellec. Ii
fait naItre un profond respect pourtoutes les creatures, notamment les forêts et certaines
espèces végetales.

126 de Ia biodiversité i .\iiq


Pratiques cuItureIIe. sauvegarde et a conservation
de I'Ouestat du Centre
2.1.1. Les foréts sacrées

Commel'ont signalepiusieurs auteurs, I'arbre possède une dimension sacrée en Afrique.


Plusieursauteurs ont notamment souligné ce fait a travers leurs etudes et montréque sans
ces croyances, de nombreuses espèces auraient disparu dans des zones surpeuplées et
fragiles.

Au Togo, ii existedes foréts sacréessur toute i'étendue du tenitoire, notamment dans les
Regions3 Maritime et de la Kara. Signales depuis longtemps par Chevalier (1933) et
Aubréville (1937), ces hots de forêts sont précieusement préservés par les populations
riverainesqui pourtantmanquentde bois de chauffeet de terrescultivables.

Dans la Region de Ia Kara, les forêts sacréesde Doufelgou sont les plus remarquables.
Chaque village possède sa forêt sacrée qui abrite i'esprit de l'ancêtre fondateur. Toute
profanation conduirait a des maiheurs.

Celles de la Region Maritime côtière ont dtudiées en detail. On en distingue deux types:

- les foréts des vaudous qui abritentle pantheondes dieuxprotecteurs des villages;
- les forêtsdes ancêtres qui abritentles ancêtres défunts.

Dans toutes ces forêts, ii est interdit de chasser, d'allumer le feu, de récolter du bois de
chauffe ou d'uvre, de faire paItreles animaux et d'installerdes parcelies de culture. Les
populations locales ont la responsabilité de la protection et de la conservation de ces sites
sacrés. Ii y existeen outre des forêts pare-feuqui assurentLa protection des villages contre
les incendies et les vents violents.

Lesetudes ont montréque toutes ces forêts 'protégées"par l'homme sont des sanctuaires
de la diversité biologique(Kokou, 1998 ; Kokou et al., 1999 ; Kokou et a!., 2000). Les
travaux effectués sur 53 hots forestiers ont permis de recensersur une superficie de 17,2
ha 649 espèces vegetales réparties en 90 families dont 72 de Dicotylddones, 15 de
Monocotylédones et 3 de Ptéridophytes, alors que ia fore du Togo compte 2 484 espèces.
Ces etudesmentionnent egalement52 espècesnouveiles4 pour la fore du Togo. Danscet
effectif, on cite 10 genres nouveaux.

Ces formations iigneuses protegees contribuentau maintiende la couverture forestière et


a la protection de Ia diversité bioiogique dans une region oü la densité de population
dépasse souvent 400 hab/km2, ce qui demontre i'efficacité de ces lois locales dans la
protection et la gestion de l'environnement.
3 Regions'entendid comme subdivision administrative
Les espèceset lesgenres nouveaux sontceux qui nonEjamais signalds pourIa flore togolaise

Ouagadougou (Burkina Faso), du l8au21 juirt 2001 127


Pendant ce temps, les bases de la politique conventionnelle de protection de
l'environnementsont par les troubles socio-politiques. Les populations locales
en arrivent a rCclamer leurs droits sur des terres sur lesquelles se trouvent ces aires
protégées conventionnelles alors que les forêts sacréessont plus ou moms en
raison de la protection collective dont elles béndficient.

2.1.2. Les interdits

Des interdits frappent certaines espèces végétales qui sont ainsi considérées cornme
espècesfétiches. Elles bénéficient de fait d'une protection stricte.

Ainsi, chez les nawda de Doufelgoudu Nord Togo, certains arbres tels que Adansonia
digitata (to'de), Miliciaexcelsa (torn'be) et Borassus aethiopiurn (kpadbe) abriteraientles
esprits des ancétres et sont ainsi protégés. C'est ainsi que, par exemple, pour tailler un
pied de M. exelsa, ii fautréunirtoutela famille en vue de prendreIa decision. Toute action
individuelle est proscrite. II est a noter que cette manière de faire tend a disparaItre
aujourd'hui.

En pays "Eve" au suddu logo, Ceibapentanda ou fromager("vutsi"), Antiaris toxicaria


subsp. welwitschii var. africana (logotsi), M. excelsa (logo-azagu), Dracaena arborea ou
dragonnier(Anyatsi) ainsi que A. digitata on baobab(adidotsi), etc. sont des totems. Elles
sont au moment des mises en culture, ce qui explique leur frequencedans le
paysage togolais. Certaines autres espèces sont conservées dans et autour des maisons
pour leurs propriétés therapeutiques, surtout médico-magiques. Ii s'agit notamment de
Newbouldia laevis (kpotsiina) et de Momordica charantia (Anyanyra), très communes
dans les agglomerations.

Certaines espèces de palmier a huile sont egalement dans les cultures, car
prédestinées a des rites religieux. C'est le cas d'Elaeis guineensis var. idolatrica ou
afande, aux palmes non dissequeeset d'E. guineensis var. virescens, localement connue
sous le nom de sede, dont les fruits jaune-orangé a maturitéservent a fabriquerl'huile de
palmerancie (kole) utiliséedans les cérémonies dufa.

L'homme, a travers ses croyances et sa culture, participedans une certaine mesure a Ia


conservation de la biodiversité.

Néanmoiris, face aux exigences actuelles (urbanisation, demande en terres cultivables et


en pâturage, etc.), les croyances sont de plus en plus abandonnées par les generations
actuelles. Des reclamations sont faites sur des terres qui ont accordées par des familIes
pour Ta creation des bois sacrés. On assiste au démembrement de ces terres qui sont

128 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de a biodiversitéen Afriquede 'Questet du Centre
progressivement transformées en lotissements urbains. Toutes les foréts sacréesdu littoral
(Be, Amedehoèvé et Togoville) sont réduites a des portions congrues. Ce relâchement
implique aussi l'irrespect aux espèces fétiches qui sont souvent abattues sans les
formalités qui requises. De même, du fait de l'urbanisation, certaines autres
espèces telles que N. laevis, D. arborea, etc. ne sont plus plantées dans les maisons et
deviennent ainsi de plus en plus rares.

II. Les pratiques agricoles

L'agriculture traditionnelle qualifiee d'itinérante sur brIllis, avec des jachères plus ou
moms vieilles, a permis une gestion durable des et de leurs ressources
naturelles. Néanmoins, dans un contexte global d'absence de jachères, certaines pratiques
innées, comme l'agroforesterie traditionnelle, Ia polyculture et les champs de case,
permettent une gestion et une conservation durablesdes ressources naturelles.

2.1. L'agroforesterie traditionnelle

L'agroforesterieest une technique culturale très ancienne chez la plupart des peuples
indigènes. Elle consiste en l'entretien d'arbres dans les champs et dans les jachères pour
des raisonsalimentaires, médicinales ou autres.

Dans le norddu Togo, des agro-systèmesa Vitellariaparadoxaet a Parkia biglobosa sont très
frequents. Ces deux espèces foumissent des produits alimentaires et médicaux pour les
hommes et les animaux. Dans laRegion des Plateauxouest, lespaysans desespèces
comme Albizzia spp, Harungana madagascariensis, Trema guineense, Eythmph1eum
guineense dans les champs et jachères. Elles fournissent essentiellement du bois de feu
domestique. L'Ong Association pourla Promotion de l'Agro-forestrie (APAF) a dans
cetteregion les pratiques agro-forestièrespour les mettre au goôt du jour. Elle y recense deux
principales,authentiquementtraditionrielles(APAF-CIFCDet PACIPE, 1999):

- Ia culture en sous-étage, communément appelée "champ multietagé", pratiquée dans


les anciennes plantations cacaoyères et caféières depuisla colonisation. Elle consistea
pratiquer des cultures de rente ou vivrières sous l'ombrage de grands arbres a valeurs
tels que M. excelsa, Khaya grandfo1io1a, etc. Ils participent a la
fertilisation des sols. Cette méthode ancestrale, qui tend a disparaItre, est réactualisée
par l'APAF;
- la régénération naturelleassistée,qui consiste a preserverdans les champsles jeunes
plantsd'arbres désirés naturellement. Ainsi, dans les parcelles âgées, on rencontre des
especestelles que Albizzia spp., Erythrophloeum guineense et Parkia spp.
Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 129
Les arbres ainsi dpargnés produisent de La litière qui se degrade et donne an engrais
naturel pour les cultures. Ainsi, dans Ia situation actuelle d'insuffisance de terres
cultivables, 1'agroforesterieapparaIt comme I'alternative la plus adequate pour unemeilleure
gestion du couvert vegétal. De plus, certaines espèces forestières appartenant au genre
Aibizzia sont des pionnières etjouentun role fondamental dansla reconstitution des forêts.

Que ce soit la régénérationnaturelleassistée, les champsmulti&agds, les parcs a karité et


a nerd, ces différentes techniques agro-forestieres ddveloppdes depuis longtemps par les
populations africaines montrent bien que les indigenes s'occupaient très bien de leur
environnement. Its n'utilisaient pas d'engraischimiques, mais avaientdes techniques pour
fertiliserlear sol. Signalons aussi La cultureen terrassechez les kabyè, qui estunepratique
ingénieusepermettantde lutter efficacement contre l'érosion.

2.2. La polycultureet les champs de case

Dans Ia partie septentrionale du pays, on note souvent les formes suivantes : sorgho-
arachide-niébé, mais- niébé, manioc-riz, sorgho-arachide-niebé-voandzou, fonio-millet,
etc. Elles sont souventassociées a une stratearborde de karité-néré-palmier doum. Dans la
Region des Plateaux ouest, les associations suivantes mais-manioc-riz-légumes verts,
maIs-manioc-nidbé, manioc-igname-niébd (Tsatsu, 1987). On garde dans le champ de
grands arbres qul fournissent de l'ombrage, des fruits de cueillette, de la fertilisation
passive, mais efficace, des sols, etc. Dans La partie côtière, sous une mosaIque de
cocotiers, de manguiers, de neem, de palmier a huile, etc., on a pu noter les associations
manioc-maIs-niébd, manioc-mais-niébé-voandzou-oseille, manioc-maIs-nidbé-oseille, etc.

La polyculture permet ainsi une meilleure gestion des terroirs et d'dviter l'érosion des
ressources gdndtiques en diversifiant Ia production. Les monocultures prônéesaujourd'hui
sur le mode occidental sont ainsi une. menace sur la biodiversité, car elles utilisent
beaucoup d'engrais et de pesticides qui polluent et appauvrissentrapidement les sols.
Elles sont aussi une menacepour les cultures traditionnelles.

Dans le nord du Togo, ii existe une structurationconcentriquedu système agraire. Dans cette
distributionspatiale, les champs oujardins de cases, <<institutions>> des regions septentrionales
uniquement,sont directementlocalisds autour des maisons.Leur miseen place et leur entretien
sont directementassures par les femmes. Les travaux que nous y avons effectudsmontrentque
surdes sols enrichispar Ia fumure, Ladensitéde l'agro-biodiversitéestassez importante.Ainsi, a
DapaongdansI'extrCme nord, nous avons Pu recenser 18 a 21 especes cultivdessur environ
30 m2. Sur cette méme superficie,nous avons comptdau centre du pays (a Kdtaoet a Kara) 14 a
22 especes. II fautfaireremarquerque sur ces parcelles,on note diverses variétdsappartenanta
lamême espèce.Aiiisi, on a pu observerdiversesvariétésdepiment (Capsicurnannuurn),niebd
(Vigna unguiculata),etc.

130 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de a biodiversitO en Afriquede I'Ouestet du Centre
Conclusion

Dans le contexte actuel oü l'échec est constaté pour toutes les techniquesde gestion de
l'environnement et de Ia diversité vegetale, ii serait judicieux de se rabattre sur les
connaissances des populations locales. Elles peuventpermettre, dans tine largemesure, de
trouver des solutions addquates. Le present travail a permis de relever certaines de ces
pratiquestraditionnelles. Ii est opportun que les gestionnaires de l'environnementet des
ressources integrent les savoirs traditionnels dans la conception des programmes
nationaux. Cela implique non seulement l'associationdes populations locales, mais aussi
la prise en compte de Ia pratique méme. Ii s'agira de faire prendre conscience de
1'importance et du respect de ces pratiquesendogènes. La gestion locale des forëts et de
leurs ressources, la polyculturetraditionnelle et Ia pratique des jardins de cases sont autant
de valeurs qui peuvent être exploitées a cet effet. Les Organisations non
gouvernementales doiventen apporterleur appui et leur savoir-faire. Les recherchessont
a leurs balbutiements pour tolls les faits que nous venons de relater. La diversité
biologiqueet la gestiondes forêts sacrdes du sud du Togo sont bien connues. II en est de
mémede l'étude de l'agroforesterietraditionnelle du nord du pays. II reste:

- l'extension de cette a toutes les forêts sacrées et a I'agroforesterie traditionnelle


de l'ensemble du pays, afin de maItriser ces pratiqueset leur fonctionnement pour en
tirer des enseignements exploitables;

- l'étude de Ia polyculture et les champsde case traditionnels a faire. Ces agro-systèmes,


quoiquetrès répandus, sont très peu connus. Les travaux de recherche les concernant
sont rares, voire inexistants. Par ailleurs, us sont très menaces par les cultures
industrielles qui contribuenta réduire la diversité biologique;

- a effectuerun inventaire exhaustifde l'agro-biodiversité. Ii peut permettre de maItriser


ses fluctuations par rapportaux organismes gdnétiquement modifies.

Par ailleurs, Ia prise en compte des femmes dans ces programmespeut être une bonne
chose. Elles assurent l'approvisionnement domestique en ressources végétales,
notamment le bois-energie, les produits de soudure comme les farines de baobab et de
néré, Ia fabrication de la moutarde, la cueillette et la valorisation de condiments
legumiers, etc.

Ainsi, Ia gestion des ressources génétiques sera en accord avec la Convention sur la
diversité biologique qui préconise a son article 8, alinéaj la preservation et le maintiendes
connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales qui
incarnent des modes de vie traditionnes présentent un intérêt pour la conservation et
l'utilisationdurablede Ia diversité biologique.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin2001 131


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Ouagadougoa (Burkina Faso), du 18 au 21 jam 2001 133


8

Connaissance holistique de I'arbre


chez les paysans de Bogodjotou au Niger

Idrissa SOUMANAFaculté d'Agronomie,


Université Abdou Moumouni, Niamey (Niger)
Résumé

Les paysanssahéliensont toujours maintenu et entretenu des arbres dans leurs champs.
Cette pratiqueagricoleséculaire dans cette region, après avoir décriéecommeobstacle
a une meilleure exploitation des tenes, est admise aujourd'hui comme une technique
incontournable d'utilisation et de conservation des terres et de Ia biodiversité dans un
environnement fragile qui se degrade rapidement. Les paysans de Bogodjotou
n'échappentpas a Ia tradition.

Dans une enquête sur l'agroforesterie paysanne, des espèces ont citées comme
favorisant le développement des cultures, tandis que d'autres sont reconnues pour être
génantes. Ainsi, des arbres sont maintenusdans les champs pour d'autres fins que leurs
seulseffetsbenefiques surles cultures. Mais a Bogodjotou, même les espècesqui auraient
des effets positifs peuventêtre suppriméspour conquénr quelques metres carrés et faire
ainsi 'plus de place aux cultures". Une telle situation pose le problème de
l'equilibre entre l'espace disponiblepour la production agricoleet la conservation de la
biodiversité.

Ii apparaIt alors trèsclairement que les paysans sont a La fois une mémoire vivanteet des
experts de leurs terroirs. Aussi,normalement, devraient-ils être incontournables pour toute
intervention dans ces milieux, quelles qu'en soient Ia natureet les raisons.

Introduction

Si l'associationdes cultures caractérise l'agriculture sahélienne, la presencedes grands


arbres dans les champsn'y est pas moms remarquable. En effet, ii ne paraIt pas exagéré
d'affirmer qu'au Sahel ii n'y a pas de champ sans arbres. La raison en est que ces arbres
sont au moms un lieu de repos et de prise de repas aprês quelques heures de dur Jabeur,
qu'il s'agisse de semis,de sarciage et même de surveillance du champ, de Ia récolteet de
sonengrangement.

Mais aussi important que soit cc role d'abri de l'arbre, justifie-t-il le maintien et
l'entretien de plusieurs arbres dans un champ qui n'excède que rarementl'hectare ? En
fait, les arbres sont a usages multiples et ce seul avantage peut justifier leur presence,
même s'il peut être défavorable aux cultures,commel'a révélé l'enquétedont les résultats
sont présentésici.

L'étude a réalisée dans Ic terroir de Bogodjotou, village-sitedu Projet Regional de


Recherche sur Ia Jachère. II est localisé dans le poste administratif de Torodi, dans
l'arrondissement de Say, et compte 833 habitants (Bouzou, 1997). Créé par des

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18au 21 juin 2001 137


Gourmantchés, le village est aujourd'hui occupé par deux ethnies, les Zarma et les
Touaregs noirs parlant, les premiers,a Ia fois le zarma et le peul. et les seconds, le zarma
et le tamasheq.

Le terroir de Bogodjotou, qui couvre environ 6200 ha, est caractéris par une jachère
réduite a sa plus simple expression, un debut de degradation des terres qui se manifeste
par l'apparition de loupes d'érosion et des techniquesde conservation et de restauration
commeIa fumureet le zal, nouvellement introduitset adoptésrespectivement par 85% et
23% des exploitations. L'extension de loupes d'érosion nécessite des interventions
preventives urgentes.

La degradationdes sols et la situation de la jachère expliquent le choix de ce terroir


comme site des recherches du ProjetJachère. Dans un tel contexte, l'unedes questions qui
s'imposentest de savoirqueueest Ia place de l'arbre et de l'agroforesteriedans ce terroir.

I. Methodologie

L'enquête sur I'agroforesteriepaysanne dans Ic terroir de Bogodjotou a concerné 10


paysans, choisis par le 'gardien-correspondant" du projet dans le village, sur la base de
leur connaissance dudit projet, de leur intérêt manifeste et de leur engagement pour ces
actions. L'échantillon compte une femme, responsable d'un groupe de 10 femmes
exploitant une parcelle commune d'un hectare de culture pure de niébé (Vigna
unguiculata). A Bogodjotou, les 10 agriculteurs ont dté interrogés individuellement
d'abord, puis en groupe. Lesrésultatsd'une enquête similaireauprès des femmes ont
déjà publiés.

Le questionnaire est concupour permettred'appréhenderchezces paysans:

- leur connaissance des espècesligneuses des champset des jachères;


- leurs raisons pour maintenir ou supprimer certaines de ces espèces dans ces deux
espaces;
- leur appreciationde l'importanceagricolede l'arbre et de ses effetspositifsou négatifs
sur les cultures et leurs manifestations;
- le suivi de Ia mortalité de ces arbres;
- leur appreciationde l'importance de I'arbre pour I'individu, Ia famille, le village, le
terroiret le pays
- leursactionspersonnellespour conserverl'arbre;
- les aides souhaitées du Projetet de l'Etatpour ces actions.

138 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de a biodiversité en Afriquede I'Ouestetdu Centre
L'enquêtede groupe est rdalisée pour stimuleret le niveau de Ia discussion et des
divergences corriger alors les oublis individuels pour une
appreciation plus exhaustive de la problématique. Et elle a fortement compldté et enrichi
l'enquête individuelle. Dans une consacréeau recensement des connaissances des
populations d'un terroir donné, les deux categories d'enquêtes sont indispensables et
complémentaires. Les noms scientifiques ont avec l'aide d'un botaniste de la
Facultédes Sciences.

II. Résultats

2.1. Les arbres des champs et des jachères

Les champs et les jachères de Bogodjotou hebergent un nombre important d'arbres


commele montre le tableauI.

Tableau I: Noms scientifiques des espècesdes champset des jachères citées.

Enguété Espèces des champs Espècesdes jachères


I Prosopisafricana. Ba/an lies aegvptiaea. Acacia nilotica, Diopvros ,nespilzfor,nis.
Ziziphus mauritiana, Sclerocarya birrea, Piliostirnareticulaturn, Sclerocaya birrea,
Diospyros mespilifornzis, Combretuin Khaya senegalensis,Acacia seyal, Cassia
nigricans, A. senegal, Khaya sengalensis, sieberiana,Acacia senegal, Guiera
Guierasenegalensis, Combretum senegalensis,Ziziphusmauriziana, Boulkoum,
glutinosurn, Gangalma (11 espèces) Tchébi,Gangalma, Hawtouri(14 espêces)
2 Acacia nilotica, Balanitesaegyptiaca, sansjachère
Diospyros mespi/iformis, Pilioslygma
reticulaturn, Prosopisafricana, Anogeissus
leiocarpus, Combreturn nigricans, Ficus
platyphyll&(9 espèces) __________________________________
3 Balanites aegyptiaca, Combreturn Piliostigma reticulatum, Acacia nilotica,
gluitinosuin, Piliostigna reticulaturn, 2ombreturnnigricans,Gangalma(4espèces)
Combreruin nigricans, Acaciasenegal,
Guierasenegalensis, Acacia albida,
Acacia nilotica (8 espèces) ____________________________________
4 Ba/anites aegyptiaca, Acaciani/otica, Diospyrosmespiliformis, Acacianilotica,
Piliostigma reticulatuin, Sclerocarya birrea, Khayasenegalensis, Piliostigma
Hphaene thebaica, Acaciaalbida, Acacia reticulatum, Combretuni glutinosum,
senegal, Bauhiniarufescens, Ziziphus Sankana (6 espèces)
Inauritlana, Parkia africaiia, Adansonia
digitata (11 espèces) ________________________________________

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 139


5 Piliostigma reticulatum, Balanites sansjachère
aegyptiaca,('ombretumglutinosum,Acacia
nilotica, Sclerocaya birrea, Guiera
senegalensis, Diospyros mespiliformis,
Ziziphus mauritiana,Khaya senegalensis,
. Adansoniadigitata, Combretum micranthurn,
Gangalma (12 espèces)

6 Balanitesaegyptiaca, Acacia nilotica, sansjachère


Prosopis africana, Sclerocaya birrea,
: Combretum glutinosum, Piliostygma
reticulatum, Acacia senegal, Khaya
senegalensis, Tamarindus indica,
Ziziphus mauritiana (10 espèces)
7 Balanitesaegytiaca, Sclerocarya sans jachère
birrea, Acacia nilotica, Combrtum
glutinosum, Guiera senegalensis
(5 espèces)
8 Cassia siberiana,Acacia nilotica, Piliostigma reticulatum, Combretum

Piliostigmareticulatum, Balantes glutinosum, Acacianiltica (3espèces)
aegytiaca, Kaya senegaiensis,Diospyros
mespilfonnis,Hyphaene thebaica,
.

Combretum glutinosum, Acacia albida


(9 espèces)
9(1nme) Balanites aegyptiaca, Guiera senegalensis, sansjachère
.. Combretum glutinosum, Piliostigma
reticulatum (4 espèces)
10 Combreiwn glutinosun,Guierasenegalensis, Guierasenegalensis, Combretum
Balanitesaegyptiaca, Piliostigma micranthum Diospyros mespiliformis
reticulatum, Acacianilotica, Ziziphus (3 espèces)
.
mauritiana, Combretum micranthum,
Khayasenegalensis, Hyphaene thebaica,
Adansoniadigitata,Azadirachtaindica,
Sclerocaryabirrea (12 espèces)

Commeii ressort de ce tableau, les champsconstituent de véritables reservoirsd'espèces


d'arbres. L'enquéte individuelle a permis de recenser au total 23 espèces, soit une
moyenne de 8,7 espèces par paysan. Les jachères actuelles, dont près de 50% des
interrogds ne disposent pas, semblent moms riches. Les paysans citent seulement 16
espèces, soit en moyenne 6, 8 espècesmentionnéespar chaque nquêté. Cette difference
vient probablement de leur presence et du suivi moms frequents de ces champs
abandonnés. On y coupe aussi plus facilement certaines espèces. Les enquêtés insistent
sur la rareté d'arbustes tant dans les champsquedans les jachères, pour Ia simple raison
qu'ils sont les plus coupés, et ce sévèrement. Si les arbres sont
par crainte de I'Agent du Service des Eauxet Forêts.

140 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversité en Afrique de 'Quest et du Centre
Ii faut signaler que le groupe a cite exactement 23 espècesqui n'ont pas dtd mentionnées
par les enquêtéspris isolément. On retiendra celles-cipourne pas alourdir le document:
Ximenia americana, Loudetia togoensis, Sacciolepissp., Entada africana, Achyranthes
aspera, Vitellaria paradoxa, Acacia seyal, Cola laurifolia, Ricinus communis, Bakolé,
Koudjé et Boulkoum (ii ne nous a pas possible d'identifier ces espèces). Les
discussions en groupe ont manifestement réveillé les mdmoires, les souvenirs et enrichi la
fore; d'oü l'intérêt de l'approche appliquee dans de telles enquêtes. Ce sont les 46
espècesqui ont permisl'établissementdu tableauX des usagesmultiplesdes arbres.

2.2. Le mantien,le suivi et l'entretien des arbres dans les champs


Comme on le voit, un nombreimportant d'espèces arborées existe dans les champset les
jachèresde Bogodjotou. Pourquoisont-elles maintenues dans ces espacescultivés ? Quels
roles y jouent-ils ? Quelsusagesen fait-on ? (tableau II).

TableauII: Raisonsdu maintien, du suivi etde l'entretiendes arbres dans les champs

Enquêtes Raisons invoquées pour maintenirles arbres dans les champs


1 Ombre pour lerepos des hommeset des animaux.Ces derniers y laissant leurs déjections
fertilisantes.Bois de chauffe,de constructionde caseetde grenieretdecloture des champs.
Branchagepiegeantle sable.
2 Brise-ventet tunecontre !'drosion.Fruits servant au tannage. Consommationet vente
defruits. Amendesparles forestiers. *ombre
3 Lutteconire l'érosion,protectiondesculturesetprotectioncontre les effetsndgatifs desaverses.
4 Consommationet vente de fruits, tannage ; piégeagede sable. Consommationde feuilleset
defruits par les animaux.Fixationetfertilisationdu so!.
5 Feuilles alimentairespour les anirnaux.
6 Ombre, vente et consommation des fruits;consommationdefeui!!esetdefruits par les
animaux, pharmacopdetraditionnelle.
7 Protectiondes cultures,*ombre ; fertilisation par debris etattractiondes animaux;
pharmacopeetraditionnelle.
8 Propriétésfertilisantes,brise-ventet lutte contrel'érosion, facteur de pluie;ombre, vente et
consornmationde fruits.
9 Vente etconsommationdefruits, fabricationde corde etpharmacopée.
10 Utilitédes feuilies,ombre, source dconomique.

Les raisons invoquées sont multiples et vont de l'ombre a l'aspect La raison


Ia plus invoquée est l'ombre, pour le repos et Ia prise de repas, qui ne semble pas oubliée
par les enquêtés(7/10). Puis viennent les roles alimentaire (6/10), fertilisant et fixateur de

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001


sable (4/10), anti-érosifet Ia pharmacopée (3/10), le bois de chauffe, de construction et
enfin l'arbre en tant quefacteur de pluie (1/10). Ii est evidentque les différentsroles de
l'arbre sont connus de tous les agriculteurs. La faiblesse du nombre de citations est
certainement plus le résultatd'un oubli que d'une veritablehiérarchisation des rOles. Dans
le meilleurdes cas, 7 raisonssont invoquées.

Ce tableaumontre une perception paysanne utilitaireholistiquede l'arbre. L'importance


accordée a l'arbre comrne pourvoyeur d'ombre pour le repos des hommes après des
travaux agricoles est un critère important quand on sait que, même pendant Ia saison
pluvieuse, ii y a des périodeschaudes oii le repos a l'ombre de l'arbre est indispensable.
Sur cette base, on comprend qu'un champ puisse être pourvu d'arbres pourvoyeurs
d'ombre.Auregarddes outilsaratoires, de la pénibilité etde la lenteurdu travail,ces lieux
de repos sont absolumentindispensables dans les champs sahéliens.

L'ombre si recherchée par 1'homme et les animaux est reconnue, et de manièreunanime,


comme dtant le principal obstacle au développement des cultures.Ainsi, tous les arbres
cites dans les champs gónent toutes les cultures, a l'exception d'Acacia albida et
Hyphanae thebaica, qui stimulent Ia croissance du mit et du niébé et de Ziziphus
mauritiana,Piliostygma reticulatum, Prosopis africana, Guiera senegalensis, Tamarindus
indica,Acacia nilotica et Khaya senegalensis, qui favorisentle ddveloppement du mu.

La gene que constituent des arbres pour des cultures se traduit par l'arrêt du
ddveloppement au stade montaison pour les céréales, le filage de Ia plante entière qui
aboutit a des tiges chétives, buissonnantes et fragiles avec des feuilles jaunissantes.
Lorsque Ia culture atteint l'épiaison, les sont stériles. L'aspect buissonnant se
manifeste aussichez le sesame, le niébé.Les boutures de manioc se dessèchent a l'ombre,
tandis que ses tubercules, lorsqu'ils se forment, sont minces et effilés.

Lorsque l'effet de l'arbre est en revanche stimulant, les plantes deviennent plus
vigoureuses et d'un vert foncé, avec des feuilles larges, des ou des gousses, des fruits
bien développés permettantconséquemment une bonneproduction. Le manioc s'enracine
profondément et produitde gros tubercules. Lespaysans affirment, dans leur majorité,que
le sorgho, le niébé, le maIs, le sesameet le maniocne se cultiventpas sous des arbresdont
aucun d'ailleurs n'a Ia propriété de favoriser leur ddveloppement. Aussi certains arbres
sont-ils coupds pourfaire plus de place aux cultures.

Le groupe invoque9 raisons pour maintenirdes arbres dans les champs, alors que les
individus en invoquent au maximum 7. Dc plus, le groupe cite une raison telle que Ia
production de gomme, qui n'a pas etC citée et que la politique nationale veut promouvoira
travers Ia plantation de gommiers (tableau III).

142 Pratiques culturelles, asauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversitO enAfriquede I'Ouestet du Centre
Tableau III. Les arbres coupes ou elagués dans les champs et raisons de cesactions

:
Combreturn micranthurn et Komdi coupésparce quejugés sans importance et
broutés seulement par les dromadaires

2 Balanitesaegyptiaca,Acacia nilotica,Pterocarpuserinaceuscoupés pour avoir


plus d'espace pour les cultures

3 Balanitesaegyptiaca,Piliostigniareticulatum, Combretum glutinosum

4 ne coupe pas les arbresdans son champ


5 P reticulatum, Sclerocaryabirrea, Combretum glutinosum, Dichrostachys
cinereasont coupéspour mieux aérer les cultures et les branchages laissésse
décomposer comme fumier

6 Adansoniadigitata coupépar erreur

7 Piliostigmareticulatum, Guierasenegalensiscoupéspour accroItre Ia superficie


8 Acacia nilotica, Azadirac/zta indica, Balanitesaegytiacaelagués et Guiera
senegalensiscoupé

Ainsi donc,lespaysanscoupentdes arbis de leurs champspourdeuxraisons essentielles: soit parce


qu'ils ont un effet negatif sur les cultures, soit pour gagner les quelques metres carrés
qu'occupe l'arbre au detrimentdes cultures.L'espace cultivCdisponiblepour les cultures
devient une três grande preoccupation dans le terroir.

Huit espècessont generalement considérées cornme encombrantes et coupéesou elaguées:


Combretum micranthum,Ba/anites aegyptiaca, Acacia nilotica, Pterocarpus erinaceus,
Piliostignza reticulatum, Combretum glutinosuni, Dichrostachys cinerea. Get est
souvent sévère pour les arbustes qui sont coupés a ras de terre, car les branchages sont
utilisés cormne source de matière organique fertilisante et pour servir de piège de
poussière.

Le groupe mentionne des arbustes des champs comme Feretia apodanthera,


Stereosperi'nurn kunthianurn, Annona senegalensis et Combreturn aculeatum, qui sont
coupéspour permettre un meilleurdéveloppement des cultures, alors que lors de l'enquête
individuelle, 9/10 des paysans ont affirmé l'inexistence d'arbustes dans ces champs. La
coupe, selon le groupe, ne concerne queles arbresqui meurentou alors souvent lesjeunes
pousses. Dans ce cas, il s'agit d'avoir plus d'espace pour les cultures pour leur meilleur
développement et production. Certains arbres en revanche ne sontjamais coupéslors d'un
défrichement parce qu'ils ont une utilité multiple (tableau IV).

Ouagadougou (Burkwa Faso), du 18 au 21 juin 2001 143


Tableau IV. Les arbres conserves lors du défrichement d'unejachère

Enqutés Arbresconserves
1 Diospyros mespi1fonnis, Khaya senegalensis, Prosopis africana, Combretum
glutinosum, Guiera senegalensis, Pterocarpuserinaceus, Acacianilotica, Ficus
ilatyphylla, Ziziphus mauritiana, Sclerocaryahirrea, Piliostigmareticulatum,
Balanitesaegyptiaca

2 sansjachère
3 Piliostignza reticulatum, Acacia albida, Guiera senegalensis
4 Piliostigmareticulatum, Combretum glutinosuin, Khayasenegalensis,
)iospyrosmespilforinis, Pterocarpuserinaceus,Acacia nilotica
5 sansjachère
6 sansjachère
7 sansjachère
8 Combretum glutinosum, Pterocarpus erinaceus,Acacia nilotica
9 sansjachère
10 Lannea microcarpa, Pterocarpuserinaceus

Ces arbres sont gardes pourleur utilité comme: l'ombre pour le reposet la prise de repas;
leurs feuilles mortes, l'attraction et le repos des animaux sources de déjections
fertilisantes, les fruits consommés et vendus, l'utilisation de leurs organes dans Ia
pharmacopde.

Ici, 10 espècesnon citéespar les individus sont venuesenrichir la liste des arbres dans les
jachères, parmi lesquelles on cite Mitragyna inermis, Securidaca Iongipedunculata,
Lawsonia inermis, Limeum viscosum et Boscia senegalensis. Utilisant les arbres a
plusieurs fins, les paysans se rappellentceux qui sont disparuset dont us sont les seuls
a avoir la mémoire (tableauV).

144 Pratiques culturelles, Iasauvegarde et Ia conservation


de a biodiversité en Afriquede I'Ouestet du Centre
Tableau V Arbres dont Ia mort est constatée dans les champset les jachères

Enquétés Especescitécs
1 Commiphora africana, Limeum viscosum, Securidaca longipedunculata,
Komdi(nom local)
.2 Pterocarpuserinaceus,Acacia nilotica, Diospyros mespilformis,Khaya
senegalensis, Anogeissus leiocarpus
3 Balanitesaegyptiaca,Pilostigmareticulatum, Pterocarpuserinaceus,Acacia
.
nilotica, Combretum glutinosum, Sclerocaryabirrea
4 Sclerocaryabirrea, Feretia apodanthera
5 Feretia apodanthera,Acacia senegal
.

6 Combretum glutinosum
.

7. Combretum glutinosum
8 Combretum glutinosum
9 Combretum glutinosum
10 Sclerocaryabirrea, Pilostigmareticulatum, Khayasenegalensis,Balanites
aegyptiaca

Neuf espèces sont relevées mortes dans les champs et les jachères parmi lesquellesles
plus citées sont C. glutinosum (5), S. birrea (3), P reticulatum, K. sengalensis,Acacia
nilotica, Balanites aegyptiaca, Feretia apodanthera, Pterocarpus erinaceus (2) et D.
mespilformis,A. leiocarpus (1). La raison La plus invoquée est l'écorçage soit pour La
pharmacopée, soit pour la fabrication de cordages. Ce traitement affaiblit l'arbre en
I'exposant au dessèchement et a l'attaque de différents ennemis. Khaya senegalensiset
Piliostigmareticulatumsont particulièrement victimes de ces récoltes d'dcorce et sont
donc très menaces, l'écorce de Ia premiere espèce servant de médicamentet celle de la
seconde a Ia fabrication de cordages. L'utilisation de branches d'A. nilotica comme
cloture ont eu raison de telles espèces.

Pour les habitants de Bogodjotou, le prélèvement d'écorce a des fins médicales ou de


fabricationde cordages constitue en effet Ia veritable et sérieusemenace pour certaines
espèces. Et pourtant, ce ne sont pas ces arbres menaces de disparition que plantent les
paysans,c'est d'autres qui le sont (tableauVI).

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 145


Tableau VI: Arbres plantéspar les paysans

Enguêtés Espècesplantées Raisons de la plantation


1 Acacia albida Pour ses effets positifs sur les cultures
2 Adansonia digitata Pour ses feuilles alimentaires
Tarnarindus indica Pour le bois de construction
3 Acacia albida Qui ne gene pas les cultures et attire les
animaux dont les déjections sont
benefiques
4 Acacia cilbida et Hyphaenethebaica Pour leurs propriétés fertilisantes
5 N'ajamais eu l'idée de planter
6 Sclerocaryabirrea Pour l'ombre et ses propriétés
fertilisantes
7 Adansoniadigitata Pourses feuilles alimentaires
8 Acaciaalbidaet Adansonia digitat Pour les intérétsagricoles et
alimentaires
9 (femni) Ne plante pas d'arbre
10 Adansoniadigitata Pourses feuilleset ses fruits
alimentaires et médicamenteux

On retiendra de ce tableaules quatrefaits suivants:

- la plantation d'arbres par 8 paysans sur 10 enquetés;

- Ia femmene plantepas d'arbre traditionnellement;

- un des paysans n'ajamais pensé a planter un arbre;

- quatre espècessont plantées pour leurs effets fertilisants et leurs intdrêts alinientaires et
médicamenteux;

- deuxespècessont dominantes, Adansoniadigitata et Acacia albida.

On comprend alors aisément qu'un des paysans ait refuse de planter Pterocarpus
erinaceuset Acacia nilotica, que l'agent forestierlui a proposes, parce qu'il jugeait leurs
effets sur les cultures negatifs.

Si les paysans de Bogodjotou pouvaient planter des arbres dans leurs champs, leur
préfCrenceporterait sur A. albida, A. digitata, H. thebaica, P. reticulatum, Z. Inauritiana,

146 Pratiques cultureUes, a sauvegarde et a conservation


do Ia biodiversité en Afrique do I'Ouestet du Centre
B. rufescens, P. erinaceus,A. nilotica, E. camadulensis, cites respectivement 9, 6, 3, 2 et 1
fois pour les cinq dernières espèces. Toutes ces espèces sont demandées pour leur utilité
multiple. Concernant E. camadulensis, manifestement les paysans ne connaissent pas les
effets néfastes sur les cultures et les solsde cette espèceintroduite au Niger.

2.3. Perception paysanne de I'importance agricole de I'arbre

Ii apparalt,dans les pages précédentes, et sans surprise, que les paysans connaissent bien
les arbres de leur terroir. Mais comment les percoivent-ils et queue importance leur
accordent-ils dans leurs deux principales activités? (tableau VII)

Tableau VII: Importance de l'arbre pour I'agriculture et l'élevage

Enquêtés Importance agricole Importance pour I'élevage


1 protection des cultures contre le vent, source de fourrage,abris et lieu derepos
ombrepour le reposet le repas
des hommes et ombrepour le repos
des animaux
2 brise-vent, lutte contrel'érosion fourrageet alimentation
3 piégeagede sable, cloture des champs a1inntafion,repos etpniductiondefumier
4 brise-vent, fumure, ombrepourlerepos founage
5 piégeage de sable, lutte contre les feuilles-aliments,médicaments,dlagage
averses, fumier et ombre pour nourrirles animaux
6 protection contrele vent, propriétés fourrage
fertilisantes
7 propriétés fertilisantes founage
8 ombre, lutte contre le vent, attraction fourrage
de la p!uie _________________________________
9 apport de fumier fourrage
10 matière organique et manches d'outils fourrage, ombre
agricoles

Au niveau agricole, l'arbre est important dans le champ avant tout pour proteger les
cultures contre le vent et les averses. Son second role est lie a la lutte contre l'érosion, Ia

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 147


production directe et indirecte dematière organique, d'ombre et de fourrage pour les
animaux domestiques.

Mais que reprdsente l'arbre pour les différentes composantes de la société: individu,
famille, village, terroir et le pays tout entier ? A cette question les paysans répondent
clairement et situentles niveaux d'intérêts, méme si ceux-ci se recoupent

Les enquêtésen ont une idée bien preciSe, comme le montre le tableau ci-dessous oii us
expriment leurS idées. L'appreciation de 1'utilité de 1'arbre a ces différentes fait
ressortirune fois de plus cette vision et cette apprehension holistiques de l'arbre par les
paysans (tableauVIII).

Tableau VIII: Importance de l'arbre pour les composantes de Ia société

Enquêtés PourI'individu PourIa famille PourIc village Pourleterroir-lepays


1 ombre. médicaments ombre. médicaments construction. aliments pluie.lutte contre Ia
humains et animaux, désertification,
biodiversité
2 ombre, aliments, ombre, aliments, ombre,construction terroir sansarbre,
médicaments médicaments et terroir sansavenir
3 médicaments bois construction et par vente
de bois de chauffe
4 aliments, qui planteun arbre un villagesans arbres sourced'économieet
médicaments n'apas vécu est exposé aux de sante
inutilement intempéries
5 médicaments vertu insecticide de médicaments, brise-ven ventede
l'huile de neem effet fertilisant feuilles,fruits,meuble
6 ombre,médicaments ombrede repos aliments et
et palabre protection,
aliments
7 ombre,médicaments ombre pour le repos sans ombreraretédes protection des terres
pluies, protection des du climat,aliments,
cultures
8 ombre ombre,fruits, graines, installationdespluies, ënergie,construction
jouetsdes enfants protection meubles,médicament,
des cultures savon, ombre
9 aliments, intérêt aliments et ndicamentsetmafi
économie organique
10 médicamentset intérê construction construction,
médicaments bois-énergie bois-energie

148 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversité en Afriquede I'Ouestetdu Centre
Ainsi, l'utilité de l'arbre est bien située pour chaque composante. Pour l'individu et Ia
famille, l'intérêt predominant est l'ombre, les aliments, les médicaments et l'économiequi
est en fait Ia vente de feuilles, de fruits, de meubles et manches de différents outils
aratoires notamment. On relèvera l'utilisation des fruits comme jouets par Ies enfants.
Concernant le village, en plus de I'utilité pour l'individu, sont considérés : le bois de
construction, le bois-energie, la protection des cultures,"1'attraction de la pluie', l'ombre
pour La palabre. On noteraa ce niveau La citation d'unpaysan: <<Un village sansarbre est
exposé aux intempéries >>. Au niveaudu terroiret du pays, aux roles utilitaires pour les
autres composantes de la sociétés'ajoutent la lutte contrela désertification, l'amélioration
du climat. Ici, la formule d'un enquêté << un terroir sansarbre est un terroir sans avenir>>
mérite d'être retenueet méditée par Jes développeurs, les chercheurs, les enseignants pour
laconcTtitiser dans sesdimensions auigan1desmultiples usagesqueies paysans enfont(tableau IX).

Tableau IX : Actions en faveurde l'arbre et attentesde Jachère et de l'Etat

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 149


Convaincus du role central de l'arbre dans lear vie, que veulent et peuvent faire les
paysans en sa faveur ? Quels appuis attendent-ils du Projet Jachère et de
l'Etatet de ses ddmembrements pour ce qu'ils veulent entreprendre ? Ces deux questions
sont importantesparce qu'il importe de savoir ce que les paysans veulentfaire de l'arbre
ou pour l'arbre au regard des utilisations multiples qu'ils en font et de Ia vision holistique
qu'ils en ont. Comment les développeurspeuvent-ils intégrer cette perception de l'arbre
dans le développement des terroirs villageois et mobiliser leurs populationsa cet effet?
Les paysans semblent avoir de bonnes intentions pour l'arbre et sont donc disposes a
l'entreteniret a le protéger.

Pourconcrétiserces intentions louableset dignesd'intérêt, us attendentdu Projet Jachère


les interventions suivantes:

- l'introduction d'espèces nouvelles et la plantation d'Acacia albida;

- la formationde pépiniéristes et l'implantationde pépinières;

- Ia fourniture de sachets plastiques et de grillages de protection;

- la sensibilisation a la protection des arbres;

- l'introduction d'espècesfruitières cultivées (manguiers, goyaviers, etc.).

De I'Etat, us souhaitentles actions suivantes


- l'aide pour protégerles arbres contreceux qui les coupent;

- le changement de comportements des agents des Eaux et Forêts pour une meilleure
comprehension a leur endroit et une attitudeplus conciliante;

- la sensibilisation des bergers qui coupent les arbres pour leurs troupeaux;

- Ia sensibilisationdes populations et la punitiondes contrevenants.

2.4. Qualités des arbres pour des usages spécifiques

Les utilisations suivantessont passées en revue: bois-energie, bois-construction, bois-


matériaux domestiques et d'artisanat, organes utilisés dans la pharmacopée, dans le
tannage et la teinturerie, dans la fabricationde cordages, dans Ia protection contre des
insectes et enfin la commercialisation de produits divers complètent etapprofondissent
cellesde 1995.

Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de a biodiversité en Afriquede I'Ouestet du Centre
2.5. Les meilJeures espèces pour des utilisationsspécifiques

Le tableau matriciel espèces-utilisations ci-dessous présente les polyvalences des espèces


qui vont du bois-energie a la tannerie et leurs qualités pour ces différents usages (tableau X).

Tableau X: Les especes, leurs utilisations et leur qualité pour ces usages.

2
-
I
F En
++++
++4-±
+++-f
±4-4-4-
+
4-
4-
7 ao
+++
4-4-4-
4--I-++
+
±
4-+ 4-4-
Td
4-4-4-

+++
r i
4-++
+++
nt
-I--f-f

4 ±4-4--f +-H- 4-
5 -44-4-+ 4+4--I- ±4* ±4-+4- +++4- -H--H-
6 ++-H- -4--H--f
++++ -I--f+ -1-4-4- -f+++ 4—I-I-f
+++4- -H-4-+ -H-+ +++ 4-+-4-4- +++ 4-±+4-
++±+ +-4-+ +4-f +4-f+ +4-f +++
0 ++ ++++ +4-4-4- 4-4- +4-4-4-
11 ++ + +4- 4-4- +4-4-
U -f+ +4-4- 4-4-f +-H-+ +4*4- 4-4-4- +4--f
13 +4- +++4- +4-4- 4-f-f +4+ +4-4-4- 4—f-f +4-4-f +4* +4-f+
14 4-4- +4-4- +4* -f-f+4- 4--f-f-f +4-4- 4*4-
15 +4- -4-4-4-4-

16 +4- 4-4-4- +4-4- +4—I- ±4-4-4- +4-4-4- 4-4-4- 4-4-4-4-

17 +4- 4-+4-
18 ++ 4- 4- +4+ -
19 4-4-

20 +4- 4-4-4- 4-4* +4*4- +4-4- +4-4-4-

21 4-4- +4-4- 4-4-4- 4-4-4-4-


22 4* 4-4-4- +4-4- 4-4-+4-
23 4-4- 4-4-4- -4-4-4- +4- 4—I--f +4-4-

24 +4- +4* 4-4-4* 4-4—f 4-f4 4-4-4-4-


25 ---- +4- 4+ -4-4-4-

26 +4-
27 ++
28 4-4- 4-4-f-f ±4-4-4-

29 +4- +4-4- +4-4-4- +4-4- +4-4-4- +4-4-


4-4- +4- +4-4- +4-4- 4-4-4--I- 4-4-4- -f-f-f
++++ 4__- ++4-+
+4- 4-4-4- 4-4-4- 4-4--f +4*
+4-4-4- -f-f+
4 4-++ +4-4-
4-4--f +4-f
4-4-4- +4-4-4- 4-4-4-

+4-4- +4-4- 4-4-4-4-

+4-4- 4-4-4-4- 4-4- +4-4- +4-4-4- -H--f


39 ±4-4- +4-4-
40 +4-4- 4*4-
41 +++ +4—i--f +4-4-
42 4-4-4- 4-4-4-

43 -f++
44 +4--f +4-4- 4-f-f-f
45 4--f +4-4-
46
47 +4-4--f

Legende: Ener= Cons =construction,AIh = alimentauonhumaine,Phli =pharmacopde humaine, Cm =cloture,Meub = meubles,


Proco=produitscornmercialisés,Cord= cordages, cud =cure-dent,
Foun- fourrage, Phaa = pharmacopde animate, Herb=herbicide,Inse=insecticide. Teint= teinntre,Tann=tannage
+=qualitd acceptable,fautede mieux. ++quaLitd moyenne +4-4- =bonnequalité, +++ + =qualitd excellente

Ouagadougou (Burkirma Faso), dii 18 au 21 juirm 2001 151


Dans ce tableau,ii apparaIt que30 espècessur 47, soit 63, 8% des espèces,sont utilisdes
comme combustibledomestique. Les 9 premieres au dire des interroges, les
espèces traditionnellement utilisées comme sources de bois-énergie pour leur qualité
exceptionnelle qui leur a valu une exploitation abusive et aujourd'hui, suite a leur
rardfaction et a Ia disparitionde certaines, ils y ont substitué les 21 autres. Autrementdit,
aujourd'hui, dans le terroir, on fait feu de tout bois. Cette situation est
préoccupante pour l'avenir.

On relèveraici, d'ailleurs, les espècessuivantes signaldes commecomplètement disparues


du terroir : Securidaca Iongipedunculata, Cochiospermurn planchoni, Sacciolepis
africana,Aristidalongflora et Vitex doniana, Bombax costaturn et Koudjé.

En mêmetempsqueles usagesde ces arbres,les paysans de Bogodjoutou en connaissent,


bien sCr parfaitement, les cycleset leurs perturbations : pdriode et duréede Ia floraison, de
la fructification et de Ia maturation des fruits. Ici une enquête surce theme sera utile, mais
aussi pour identifierles meilleurs specimens, leur localisation et les caractdristiques des
solsqui les portent d'après la conception des paysans.

Dans ce tableau,on constate aussi que 14 espèces sur 46 (30,4%) sont utilisées comme
source de bois de construction de case, de hangar et de grenier. Les meilleuresespèces
pour ces usages sont celles dont le bois est très resistantet inattaquable par les termites et
les autres insectes, notammentles foreurs. Les piliers de case ou de grenierstires de ces
arbres ont une durée de vie très longue qui depasse la dizaine d'années.

Les qualitds du bois utilisé pour Ia confection de mortiers doivent rdunir les mêmes
caractéristiques. Et concernant cet ustensile, le bois dont il est tire a ses qualites renforcées
par les pluies. Aussi laisse-t-on les mortiersêtre arroséspar l'eau de pluie. Autrefois,les
mortiers des famillesprincieresdtaient extraits des arbres ayantles bois les plus durs et les
plus résistants, car ces farnilles ne sauraient faire fabriquerleurs mortiers,trop sollicités,
frdquemnient. Ils doiventdonc avoir une longevitd exceptionnelle.

Les arbres dont les racines et l'écorce sont recherchées pour la pharmacopéeou pourIa
teinture peuvent être considdrés comme menaces aussi. Pour la pharmacopée et la
teinturerie, ii s'agitrespectivement de 13 (28,2%) et 9 espèces (19,5%).Les habitants de
Bogodjoutou ont d'ailleurs soulignd que cet pour des buts médicauxest Ia cause
principale de la mort des Khaya senegalensis. Ii en est de mémepour celles qui serventa
fabriquer des mortiers, des pilons, qui sont des outils de cuisine essentiels, même si
certains pilons et mortiers, selon les espèces dont ils sont issus, peuvent être utilisés
pendant plusieurs dizaines d'années.Lesespèces fourragères, qui représentent 56,5% des
espècescitées, mdritent aussi une attentionparticulièrequant a leur

152 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversitéen Afrique de 'Questetdu Centre
Les qua!ités de ces arbres sahéliens ne sont pas et les paysans sont les seuls a les
connaItre et a les maItriser pour véritablement valoriserles ligneux de cette region. Ce
savoirpaysanconstitue unerichesse inestimable et même actuellement irremplacable. Les
qualités mdcaniques du bois pour certaines utilisations de nos espècesligneuses commela
fabrication de mortier, de pilons, de chaises, de tabourets, de fauteuils, de piliers de
soutainement, de qualite pour le chauffage et la production de charbonne sont
pas connues de nos techniciens de la foresterie. Et manifestement, c'est une richesse de la
biodiversité qui est négligéepour une meilleure valorisation de la flore arborée, confinde
essentiellement dans sa valeurbrute, par nature très faible.

2.6. La polyvatence de l'arbre, grave menace


ou espoir pour Ia biodiversité?

La qualité exceptionnelle du bois de certains arbres comme "l'arbre du forgeron' leur a


valu une disparitiondefinitive. Les arbrespolyvalents peuventconnaItre le même sort ou
être sauvés et conserves si des dispositions appropriées sont prises. Le tableau suivant
présente la situation de polyvalence de la fore arboréede Bogodjotou. On peut y lire la
grave menace qui pèse sur certaines, sinontoutesles espèces,car elles sont bien rares, les
monovalentes (tableauXI).

Tableau XI: Nombre d'espècesa usage multiple menacées

Ener Cons Alh Phah Clot Matai Proco Cord Curd Fourr Phaa Herbi Pesti Teint Tann

Ener 30 14 18 16 13 II 19 7 10 16 4 3 2 9 2
Cons 14 4 I 2 2 0 0 0 0 0 I 1 2 2 2
Alh 9 1 0 4 0 1 15 1 1 3 2 0 0 2 0
Phah 13 2 5 0 0 1 1 4 0 2 1 0 0 2 0
ClOt 15 9 2 8 0 7 7 1 6 6 1 0 0 2 1

Mata Ii 5 4 8 7 0 11 2 3 5 1 0 0 3 0
Procol6 5 12 11 6 11 0 2 6 9 2 0 0 2 0
Cord 4 2 2 3 1 2 2 2 0 2 1 1 0 3 1

Curd 7 4 3 6 6 4 6 0 0 0 5 0 1 1 0
Fourrlô 6 8 10 6 5 6 2 5 1 2 1 1 7 2
Phaa 2 3 3 3 1 1 2 1 0 2 0 0 1 1 0
Herbi 2 2 0 2 1 1 1 1 1 1 0 1 0 1 1

Pesti 2 0 1 0 0 0 0 0 2 1 1 0 0 0 0
Teint 9 6 4 7 2 3 3 1 7 1 1 1 0 0 2

Tann 2 2 0 1 1 0 0 1 0 2 0 1 0 1 1

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 153


Ce tableaumatriciel des utilisations des arbres dans le terroirpennet de bien faireressortir
Ia polyvalence des espèces. La diagonale rCvèle clairement qu'il y a peu d'espèces
utilisées a une seule et unique fin. On y relève par exemple 13 espèces qui sont a la fois
exploitées con-m-iesource du feu et pour faire des clotures, 19 qui sont sources de bois
d'Cnergie et de produits divers commercialisés, et 16 arbres qui fournissent a la fois du
bois de cuisineet du fourrage.

Les données relatives aux arbres fourragers montrent qu'ils sont aussi sources de produits
de pharmacopée humaine, de matériaux pour l'artisanat, de produits varies
commercialisés. Les paysans citent seulement 8 arbres herbicides et 7 autres utilisés
commepesticides. Quant aux espècesqui fournissent des produits tinctoriaux, qui sont au
nombre de 36, elks sont aussi utilisées comme fourrage, plantes alimentaires, bois de
construction, etc. Cet usagemultiple des arbreschampêtres, a quelques espècesprès, est le
même que celui décrit par Nouvellet(1992).

La polyvalence peut être cause d'exploitationabusive des espèces qui ont cette qualite
comme celle qui a provoqué Ia disparition de Prosopis africana, I'arbre du forgeron. En
revanche, si l'utilisation multiple pouvait inciter des plantations de conservation, les
espèces Seraient sauvées. Ii ne peut en être ainsi que si paysans, botanistes, forestiers,
médecins, chimistes, tradipraticiens de la pharmacopée, aménagistes et
développeurs collaborent pour inventorier les espèces polyvalentes menacées et
entreprendre les operations nécessaires de collecte de semences et de rriise en place de
pépinières. En effet, malgré les différentes sensibilisations de plantations d'arbres,
l'habitudeest loin d'être acquise. Ii s'agitde constituerde véritables arboretums-banques
de genes, in situ notaniment, de ces arbres polyvalents et d'en initieraussi la promotion
pour des plantations de certaines espèces dans les concessions.

2.7. Les arbres dans les concessions

Les paysansplantent rarement des arbres au village, a plus forte raison dans les champs.
La raison, entre autres, est qu'ils ont garde un comportementdes temps de l'abondance
des arbres dans les terroirs,qui rendaitimpensableune plantation, sansoublierqu'ils n'en
maItrisaient pas la technique. De plus, il est admis traditionnellement que celui qui plante
un arbre n'en mangera pas les fruits. Heureusement, depuis les fetes de l'arbre et la
distribution de plants dans les villages, les villageois ont planté des espèces, souvent
exotiques, dans leurs concessions. En revanche, ils n'y plantent que rarement, sinon
jamais, des espèces locales. Ils entretiendront une espèce qui y pousse spontanément a
condition qu'elIe n'y soit pas proscrite,car tous les arbres ne sont pas "bons" dans une
concession.

154 Pratiques culturelles, a sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversitéen Afriquede I'Ouestetdu Centre
I'arbre dont J'écorce est enlevde jusqu'à Ia limite des traces laisséespar ses doigts. Elle
doit se layer le visage avec de l'eau dans laquelle a séjourné cette Un tel traitement
gu&it de la vision du mort. La poudre de feuilles de P africana brUlde sur des braises
soignela personne exposée a la peur des sorciers. Le gui de l'arbre, qui est très rare, a de
grandesvertusqu'utilisentles pCcheurspour des pCchesmiraculeuses. Un enfantnourride
bouillie faite de mélange de poudre de feuilles d'écorce de Commiphora et de farine de
mu devientrobuste et dynainique. Un enfantqui a des difficultés pour marcher, qu'on fait
s'asseoir dans un recipientcontenant de l'eau a trempée une de B. costatum,
apprenda marcher et marchebien très rapidement. Un repas cuit avec le bois de fromager
effaroucheun sorcier qui le reconnaIt facilement toujours.

Concernantles arbresqu'on ne plantepas dans les concessions, certains, commeS. birrea,


sont absolument proscrits parce que les tiges de cette espèce, qui ne sontjamais attaquées
par les termites, servent de traverses dans les tombes. D'autres, comme T indica, K
senegalensis,C. procera, n'y sont jamais plantés, mais s'ils y poussent,on les laisse. La
poudre de charbonde C. procera mélangée a de la bouillieet bue par des enfants les
protege contre les sorciers. Comme d'ailleurs les fleurs de la même plante lorsqu'ils les
mangent.

Si les vieux d'aujourd'hui détiennenttoutes ces connaissances, c'est parce qu'elles leur
ont transmises. Comment se fait alors cette transmission?

2.8. La transmission des connaissances

Comment sont transmisestoutesces connaissances ? Elles le sont de pères en fits ou


a
d'anciens jeunes. Dans les deux cas, t'acquisitiondependde t'apprenant.En effet, un
principe est pose: ces connaissances ne sont transmises qu'à ceux qui demandent, posent
des questions y relatives. Ce principelui-mêmereposesur ta logique seton taquellequi ne
demanderien n'est pas intéressd, contrairement a celui qui pose des questions et manifeste
ainsi sa curiosité, son intérêt. La logique derived'un raisonnement qui veutquecelui qui
ne demandepas, qui n'est donc pas intéressé,ne puisse garderle secret, contrairement a
cetui qui demande et qui le gardera jatousement.

Concernantles pratiques agricoles, les enfantsy sont initiés des le bas age. En effet très
souvent des t'age de 5 ou 6 ans, l'enfant armé de son "ilèr" et accompagnéde son repas
suit son père au champ et 1'imite. Cependant, ii se consacrera a cette initiation selon son
bon vouloiret mêmeses fantaisies et ses humeurs, comme it mangera sonrepas a sa guise.
Aucunecontrainte : ii s'agit de voir ce quefait le pèreet de I'imiter selon sonbon vouloir.
Mais ta vue répétéede l'actionpousse a l'imitation,a cet age.

Ouagadougou (Burkiria Faso), du l8au21 juin 2001 155


En effet, alors que dans les champs aucun arbre n'est proscrit que lorsqu'il gene les
cultures,ii n'en est pas de mémedans les concessions du village, comme l'ont montré des
enquêtesauprèsde trois groupes dont deux de femmes et un d'honimes.

Tableau XII : Arbres acceptés (+) et proscrits (-) dans les concessions

Especes ptantées GroupeHommes Groupe 1 Femine Groupe2Femmes


+ Cones - Conces + Conces Conces + Conces - Conees
A. digtata + + +
1 mauritiana + + ÷
A.indica + + -I-

P.africana + + +
Cafricana + + +
Bantan + + -1-

Tchélia + + +
Makkabani + + +
Wagna + + +
S.birrea
P retkwlata - - -
T.indica - - -
K. senegalensis -
C. procera - - -
A.paiida - - -
C. micranthum -

On notera, a travers ce tableau,un accord parfaitdes hommes et des femmes sur les deux
categories d'arbres, ce qui n'est point car la preservation et le renforcement de Ia
sante de toute la famille incombent aux deux conjoints. Et de fait, les deux ont Ia méme
connaissance, passée de père a fils et de mere a flue, de tout ce qui preserve ou
comprometle bien-être familial.

Les arbres plantés dans les concessions le sont pour leur presencejugde benefiquepour
les famillesou pour les usages médicaux qu'on peut fairegéneralement des organes. Ainsi
Z. mauritiana,qui preserve des accidents, est aussisource de bienfaits. 11 est aussielagué
pour produireplus de fruits qui peuvent rapporterjusqu'à 50.000 F CFA par an. L'arbre
protegeles membres de la concession contre les sorcierset les serpents. A. digitata, dont
l'dcorce peutêtre utilisée pour la confection de cordages, n'accueillecommeoiseauque le
grand Aigle appeléZéban, qui peut y construireun nid, pondreet avoir des petits. Si, au
retour d'un enterrement, une personne continue a else effrayée, on lui fait embrasser

156 Pratiques culturelies, Ia sauvegarde et a conservation


de Ia biodiversitéen Afriquede l'Ouest et du Centre
Discussion et conclusion

Les rdsultatsqui sont présentds dans les pages précédentes montrent très clairement Ia
connaissance holistique qu'ont les paysans de Bogodjotou des arbres de leur tenoir. C'est
une réaiitd qu'on ne saurait négligerdans l'approche et Ia solution d'un problème,quel
qu'il soit, du terroir.
Les pratiquants actuels de I'agroforesterie villageoise présentée ici, jeunes ou vieux,
affirment qu'ils ont toujours connuces arbres dans les champs qui sont instailés dans des
espacesboisés. Ainsi, l'agroforesterieau Sahel est une très anciennepratique paysanne.
Bile est une association plus ou moms intime de différentes composantes végetales,
commele définitHuxley(1983).

Cette pratique d'integration des cultures dans les forêts, qui a profondémentmodiflé le
paysage forestier sahélien en la separation spatiale entre champ et forêt, en
crdant l'ailiance de i'arbre et du champ(Pélissier, 1993) tout en rardfiant Ia forét, est une
caractéristique du Sahel. Et pourtant, si les caractéristiques botaniques des espèces
iigneuses sont bien connueS, celles relatives a l'agroforesteriesont loin de l'être mieux,
faute d'une prise en compte des savoirs et des connaissances que les paysans ont de leur
environnement (Kotschi et al., 1990 ; Michon, 1991 ; Philipose, 1995 ; Harsh, 1995).

Les résultats de cette enquête, qui montrent cette connaissance holistique qu'ont les
paysans de Bogodjotou de l'arbre dans leurs terroirs, sont incontournables.
Incontournables dans toute intervention, non seulementdans ce domaine specifiquement
présenté ici, mais aussi dans tout autre de leur terroir. Qu'il s'agisse d'opérations de
recherche conm-ie de développement, les paysans sont des spécialistes et la mémoire
vivante de leurs terroirs. Aussi leur concours est-il absolument indispensable. Et toute
recherche pour une meilleure comprehension et une amelioration de l'agroforesterie, en
particulier, et des conditions de vie des paysans au Sahel doit être participative, c'est-à-
dire fondée sur la cooperation chercheurs-paysans-developpeurs (Kotschi et al 1990
Dupré, 1991).

Bile est indispensable pour toutes les recherchessur les espèces ligneuses (Duprd, 1991),
pour ieur valorisation alimentaire (Chastenet, 1991), comme source d'énergie, dans la
pharmacopée, 1'agriculture (Huxley, 1983) et toute la problematiquede 1'agroforesterie
(Crose et Gwyme, 1983), singulièrement pour Ia maItrise des probièmesde competition
pour i'eau (Ong et Odongo, 1991) et ia gestion même de i'arbre, et enfin pour Ia
valorisation et l'integrationdu savoirpaysan dans Ia solution de leurs probièmes (Basant,
1991 ;BendaetLupaga, 1983).

Ouagadougou(Burkina Faso),dul8au2ljuin200l 157


Tous ces axes de recherche exigent une approche interdisciplinaire et systémique, une
ouverture d'esprit et une collaboration entre les différents acteurs impliqués. En effet,
travailler ensemble, les uns a côté des autres et dans un même village, même sur une
mêmeparcelleexpérimentale, ne signifie pas nécessairement oeuvrerpouret sur une base
interdisciplinaire et dans une approche systémique. Eviter cette confusion est une
nécessité pour faire encore des efforts supplémentaires dans l'interdisciplinaritéqu'exige
I'approche des problèmes du monde rural.

La connaissance holistique paysanne des arbresrévèle les potentialitésdes ligneux dans le


terroir. Les techniciens et même les forestiers n'en ont pas une connaissance aussi
complete, même s'ils savent ce qu'en font les paysans. Cette réalité soulève un certain
nombrede questions pour Ia valorisation de ce savoirpaysan.

Commentcréer la synergieentre les différents acteurs pour cette valorisation? Comment


prendreen compteles savoirs paysans et rapprocher les savoirs, les perceptions, les idées
des acteurs ? Quelles sont les exigences de chacun et pour chacun ? Les acteurs
institutionnels, les chercheurs et les développeurs peuvent-ils multiplier les efforts
nécessaires et les visions nouvelles de leurs collaborations avec les paysans ? Comment
faire participer véritablement les paysans 7 Comment dépasser la vision un peu
réductionniste, actuelle, des ligneux par les techniciens, pour une vision plus large et plus
valorisante comme celle des paysans ? Qu'exige une telle vision des techniciens, des
chercheurs et des développeurs 7 Faut-il completerla formationlimitée a la sylviculture
avec des de "qualite du bois" de nos ligneux ? Quelle politique forestière
impliquent cet la prise en compte et la valorisation officielle des savoirs
paysans ? Que peut-on en tirer ? Quelle place y occuperont ou devront y occuper les
paysans ? Comment l'occuperont-ils? Qu'impliquentcette place et son occupation pour
les paysans et les autres acteurs '1 Que signifient et impliquent au niveau institutionnel et
officiel toutes ces actions et qui en prendral'initiative ? Peuvent-elles rester informelles et
a leur vitesse propre selon les contextes, ou faut-il leur donner une impulsion 7
Qui doit donner cette impulsion et comment assurer sa durabilité ? Que signifie cette
durabilité pour les différents acteurs 7 Qui financera, et pendant combien de temps, les
moyens et les actions de recherche nécessaires a cette durabilité?

Enfin, comment restituer les résultatsde toute recherche conduite dans un terroir ? Ii est
en effet temps de finir de considérer les paysans commede simplesobjets de recherche et
comme de simplesarchives. L'enrichissement doit réciproque. Cette restitution, aussi
difficile puisse-t-elle doitêtre la preoccupation et la règle de conduite des chercheurs.

Pratiquesculturelles, a sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversitO en Afriquede I'Ouestet du Centre
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Pratiquesculturelles, a sauvegarde et Ia conservation


de a biodiversitO en Afriquede I'Ouestetdu Centre
ANNEXE

Noms tocawcet scientifiques des arbrescorrespondant auxnumérosdu tableau X

Noms scientifigues Noms locaux


(Aristida pal/ida) Tchébi
/
(Loudecia hordeiformis togoensis) Fonodosso
Acacia nilotica Baani
Acacia senegal Deigney
Adansoniadigitata Koohoy
Annona senegalensis Moufa
Anogeissus leiocarpus Kodjeli
Azadirachtaindica Neem
Balanitesaegyptiaca Garbay
Bauhinia rufescens Namari
Boscia angustifolia Anza
Bosciaangustifolia Hassoukarey
Calotropisprocera Saguey
Cassia sieberiana Sinsan
Cola laurifolia Batala
Combretum glutinosum Kocorbé
Combretum nigricans Deli
Combretum aculeatum Boubouré
Combretum micranthum Koubou
Commiphora africana Korombé
Crataeva adansonii Léley
Diospyros mespilformis Tokey
Feretia apodanthera Fifirgui

Guierasenegalensis
/
Ficusplatyphylla gnaphalocarpa Djédjey
Sabara
Hyphaene thebaica Gangaw
Khaya senegalensis Farré
Lannea microcarpa Falunfa
Mitragynainermis Kaabé
Parkia biglobosa Loutou
Pergularia tomentosa Potoké
Piliostigmareticulatum Kossorey
Prosopisafricana Zamtouri
Pterocarpuserinaceus Tolé
Sclerocaiyabirrea Diney
Securinegavirosa Sankana
Sterculiasetigera Bobollé
Stereospermun kunthianum Baritouri
Tamarindus indica Bossey
Terminalia avicennioides FarkaIhanga
Vitellariaparadoxa Boulanga
Vitexdoniana Boye
Ximenia americana Morrey
Ziziphus indica Darey

Ouagadougou (Burkina Faso), du l8au 21 juin 2001 161


Gestion trans-villageoise
des ressources naturelles:
le cas du Gwendégué
(centre-ouest Burkina Faso)

Jean-Pierre JACOB
Institut de Recherche
pour le Développement, Ouagadougou
Résumé

Cet article souligne La vocation de gestion regionale traditionnellement dévolue aux


chefferiesde terredu Gwendegue (centre-ouest du BurkinaFaso) pour toute unesérie de
problèmes lies aux ressources naturelles, notamment ceux qui concernent:

- le contrôledes << des ressources, qui produit le cadrejuridique approprié a leur


exploitation (chose, choseappropriable, bien);

- l'édition et la miseen application des prescriptions pour la gestion des communaux;

- le rêglementdes conflitsentre villages autochtones voisins se disputantdes limitesde


terresou L'ascendantfonciersur une troisiême communauté.

Dans Ia mesureoü deux de ces problèmes renvoient, pour leur analyse, a l'examen des
maItrises territoriales, cet article est l'occasion de presenterles formes que prennentces
institutions dans La zone. Des suggestions sont proposées en fin d'article pouraméliorerLa
miseen cuvre de programmes de développement.

Introduction

Dans la plupart des approches ddveloppementalistes consacrées a La gestion des


ressources naturelles ou a l'appui local, l'approche viLlageoiseest de regle. Les villages
bdnéficiaires et les terroirs afférents sont conçus comme autant d'unités discrètes,
autonomes sur le plan administratif, rituel, foncier et poLitique. Les projets de
développements locaux intervenant ou intervenus dans la zone du Gwenddgué [SNV,
PDRI, HKM, PDIZB, RPTES (1)] ne font pas exception a cette démarche. Le présupposd
selon lequel chaque village possèderaiten propre et de manièreexclusive les ressources
du terroir sur lequel ii travaillen'est guère remisen question. Ii s'agit bien entendu d'un
préjugé très commode, puisqu'en liant de manière stricte deux univers restreints (un
espace physique et une unite poLitique), l'intervenant se simplifie considérablement la
tâche et le processus de prise de decision, du moms tant que les conflits ne viennent pas
tout remettreen question. Dans ce cadre, et selon les operations menées, le chef de terre,
le maître de L'eau ou le maître de la brousse, lorsqu'ils existent (2), sont percus comme
exerçant unpouvoirde gestiondes ressources - attributionde terres, reglement de conflits,
exclusion des indésirables - tournéd'abord vers I'intérieur,c'est-à-dire vers les membres
de Ia communauté. Comme nous allons le voir, après une breve description historiquede
La zone d'étude, ce n'est pourtantlà qu'un aspectde leur role.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 165


I. Presentation de a zone d'étude

Le Gwendégué comprerid une sdrie de cornmuriautds installdes dans Ia panicsud-estde Ia


Boucle du Mouhoun (ex-Volta Noire), sur sa iive droite. Son peuplement actuel n'est pas
antérieur au milieu du 18è siècle. 11 est constitudde groupes d'origine ethnique diverse
(surtout des Gurunsi-Nuna, Sissala, Pougouli, mais aussi des Dagari, des Bwa,des Marka,
des Peul, etc.) qui se sont fondus progressivement dans un méme moule linguistique et
culturel : Ic winye. La region est constituée aujourdhui d'un nombe relativement
restreint de collectivités formant une ethnic jeune, peu nombreuse (environ 30 000
personnes), unie par la langue et les réfdrences a quelques villages anciens (abandonnés
ou existants, voir plus bas). L'aire d'influence du groupe s'étend sur uie
-
dizaine de villages limitrophes bwa, marka ou nuna, avec lesquels les Winye
entretiennent des relations dconoiniques, rituelleset d'echangesrnatrimoniaux.

L'histoire du peuplement de la zone diffère profonddment scion que l'on s'intéresseaux


humains installds sur la nyc gauche du Petit-Bald ou sur sa nyc droite, cc
cours d'eau, affluent du Grand-Bale (qui sejette a gauche dans le Mouhoun),constituant
une frontière importante, a Ia fois physique et symbolique, entre deux sous-groupes, dont
chacun pratique, avant 1850 et en toute autonomie, sa politique rituelleet de
defense(tableau I).

Les habitants de Ia zone comprise entre Ia nyc droite du Mouhoun et la nyc gauche du
Petit-Bald viennent, dans leur grande majorité, du pays nuna, sur la nyc gauche du
Mouhoun, de Ia region de Zawara, Sili, Bouly, Pano. Ils traverseront Ic fleuve a partir du
XVII1è siècle, pour fuir des guerres dont us situent les causesdans les dissensions internes
aux groupes auxquels ils appartiennent. Pour s'installer, us contactent.d'abord Ic village
de Kien et y séjournent mdme parfois, cc village, installéa proximité de la nyc doite du
Mouhoun, universellement tenu commeIc plus anciende la zone (ii disparaItra dans
les années 1910). Auxdires des informateurs, le lignage fondateur de Kien (de patronyme
Kien)est moms intéressd par l'agriculturequepar I'exploitationdes ressourcesfauniques
et la peche sur Ic Mouhoun, et il interviendra peudans l'installationpratiquedes premiers
migrants. Pourtant, ii est reconnu comme maître territorial de l'espace dans lequel Ia
inajoritd des communautds vont s'installer. Les différents groupements humains
s'éloignent ainsi progressivement du fleuve et repoussentIa forêt en directiondu nord-
ouest et du sud-ouest, en s'dtablissant a proximitd de marigots et de rivièresnon pérennes.
C'est de leurs contacts avec Ic village de Kien, puis avec Boromo (Ic second village
installd dans Ia zone), que les différents groupes disent adopter progressivement Ia langue
winye, langue réputde n'être parke au departque par les seuls habitants de ces premiers
villages. Le winve présentd localement comme Ic résultat des interactions
ue u man pougouli et sa temme sissala.

166 rio Ia biadivorstan .Afrinua ra Taf t


Pratiques culturefles, Ia sauvegarde atIaconservation
d.
s
Les premiershabitants de Ia rive droite du Petit-Bale nt d'origine ethnique egalement
très diverse. La colonisation de Ia zone provient soit du flux de populations bawa du
Kadembaqui migrent vers Vest (on retrouve des communautés bwa jusque sur la rive
gauche du Mouhoun, dans la region de Poura, Fara), soit de groupes originellement
installés sur la rive gauche du Petit-Bale, encourages a s'installer sur la rive droite par le
village tuteur de Kwena. Actuellement, Ia maItrise territoriale sur l'ensemble des
communautés situées entre Ia rive droite du Petit-Bale a l'est et les premiersgros villages
bwa (Bagassi, Pompol) ou marka (Datomo) de l'ouest est revendiqude par trois lignages
winye, les Aka et les Ganou installés a Kwena pour le nord, (villages winye de Habé,
Koupelo, Souboye) et les Boudo installés a Nanou pour le sud (villages bawa de Vi,
Pahin,Kayo, SaIrou et Banou).

En même temps que leur village, les premiers lignagesqui arrivent tant sur Ia nyc gauche
que sur la rive droite du Petit-Bale installent un autel de la terre, lieu de
rencontre des hommesavec le <<genie de la terre>> [sin nyuboj, <<esprit>> de Ia fécondité
le plus puissant d'un territoiredonné. Selon les paroles prononcdes par l'ancêtre a
<< >>

l'installation de l'autel, cet esprit punira plus ou moms sévèrement les enfreintes aux
prescriptions coutumières (la voie>> winye, [wiunye lada]). Leschefs de terre de la rive
<<

gauche du Petit-Bale veulent des villages peuplés et dynamiques. 115 installent donc un
autel de la terre <<doux >>, de manièrea accueillirle maximum de personnes, sansrisquer
quecelles-cine soient frappdes par l'autela la moindreerreur commise. De fait, c'est sur
cette rive qu'on trouve les plus grandsmarches(Oury, Boromoi, Solobuly, Danduo,Siby)
et les communautés les plus importantes ddmographiquement (quinze villages a l'heure
actuelle). Une route commerciale, reliant le Mali au Ghana, traversait même la region au
debut du l9 siècle. En revanche,les communautés de la rive droite du Petit-Bale,plus
isolationnistes (quatre actuellement), conserventjusqu'à nos jours une terre << aigre >> qui
est réputéefrapperavecforce touteruptured'interditou même la simpleexpressiond'un
mdcontentement vis-à-vis des habitants d'une communauté de la zone. Les villages
utilisent bien entendu cette caractéristique pour dissuader les velléités d'installation
allochtone. Du fait de cette difference de terres, les richesses ne circulentpas librement
entre les deux rives : ii est interdit de transporter le mu en d'une zone a J'autre Ct
selon leur lieu d'habitation, les femmes enceintesdoivent accomplirun rituel particulier
avant de traverser le Petit-Bale. Le tableau I, ci-dessous, réunit quelques-unes des
informations pour les deux sous-ensembles constitutifs du Gwendegue.

Ouagadougou (Burkna Faso), du 18au 21 juin 2001 167


Tableau I: Caractérstiquesdes sous-ensembles winye de Ia rive gauche
et de Ia rive droite du Petit-Bale

Situationgdographique Espace compris entreIa Espace comprisentrela rive


rivedroitedu Petit-Bale et gauche du Petit-Baldetla rive
les villages bwaet marka droitedu Mouhoun

•• de Bagassi, PompoI,

Biforo(a l'ouest)
Villages actuelsconóernds Koupelo, Souboye, Habd, Wibo,Boromo,Siby,Bitiako,
Nanou Lalembouly, Kwena, Oulo,
Oury, Solobuly, Souho,
Lapara, Wako, Virou, Balao
Maltresterritoriaux Kwena, Nanou Kien,Wilo,Boukxinissi,Kna
sous-rdgionaux
Origineethnique. Bwa,nuna, marka Nuna, pougouli, dagara
Villages disparus(a) i
Dby,Gou,Remu,Dahanyebon Kien, Yobwé, Nmbinubon
Type d'autel de Iaterre <<aigre >, très répressif << doux >>, moms rdpressif

Organisation deschasses Entrevillages de Ia rivedroite Enttevillagesdelarivegauche


(UaODet dë Ia defense duPetit-Bale(en y associantles dePetit-Bald.Les maItres du
collective (b) villages bwa voisins deVi, [lao] sont les Yewana de
Pahin, Kayo). Les maItres du Boromo, les Yaode Wibo,
[lao] sont les Mien de Diby les AkalGanou de Kwena
et les Boudo de Nanou
Sens de la migration: D'ouest en est (du Kademba D'esten ouest (du pays nuna
.
vers la rivedroitedu Zawara, Sili,Bouli- versIa

Petit-Bald):villages deNanou, rive gauchedu Petit-Bale,
Diby, Gou, Fiemu du après avoir traverse le
.
nord-ouest vers Ic sud-est: Mouhoun)
de
villages Koupelo, Souboye

Nous ne mentionnonsici que quelques villages. En fait, plusieurs dizaines de villages


disparaissententre le l9 et le debut du 20è siècle dans l'ensemble du Gwenddgud. 11
s'agit ici des premiersgrands [lao], menés sous la direction de maItres de La chasse qui
sont maItres de la guerre. En 1860, le marabout markaMamadou Karantao veut
conquérir pays winye. Ii s'attaquedonc aux maItres de [lao] et chefs de guerrede la rive
le
gauche, puis de Ia nycdroite du Petit-Bale, aux Yewana de Boromo d'abord, aux Mien de
Diby ensuite. Lorsqu'il a battu les Mien de Diby, Karantaos'attaque auxBoudode Nanou

168 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et a conservation


de Ia biodiversitéen Afriquede 'Quest et du Centre
quiontpris Ia succession des Mien commechefs de guerre. II installeensuitesa residence
a 9 km au sud de Nanou, a Wahabou. Les Lao}, qui auront lieu après la conquête de
Mamadou Karantao, ne respecteront plus forcément Ia divisionentre rive gaucheet rive
droite du Petit-Bale.

L'ensemble des humains winye, qu'ils soient situés sur Ia rive gauche ou
sur Ia rive droite du Petit-Bale, luttent pour leur survie pendant tout le l9 siècle et Ia
premiere partie du 20è siècle (guerres esclavagistes, attaques de sociétés secretes,
déprédations dues aux animaux sauvages, trypanosomiase le long du Mouhoun), et
beaucoup ne survivront pas aux Dans le contexte des guerres du l9 siècle
(razzias peuhl, jihad de MamadouKarantaoen 1860, razzias des Zarma de Babato vers
1885) notamment, des villages entiers disparaissent corps et biens, des individus sont
sommes de choisir entre la conversion a l'islam, la mort ou le marché aux esciaves,des
familiesentières sont déplacées ou brisées par les flux et reflux incessants des migrations
forcdes. Ces "grandes" guerres qui leur sont imposdes défont l'étanchéité de la
configuration bipolaire du Gwendégué, puisqu'une fois les chefs de guerre de chacunede
ces zones mis en difficultés (pendant le jihad de Karantao), de nombreux villages se
portent mutuellement assistance (envoi de guerriers, recueil de réfugids...) et ce, queue
que soit ieur situation de part et d'autre du Petit-Bale. De cette datent
l'homogénéisation ethnique, et, notamment, le basculementdans l'influence winye des
villages de la rive droite du Petit-Baleet la constitution de systèmes d'alliance entre les
chefferies de terre des différents villages a envergurevéritablementrégionale et trans-
clanique.

Par ailleurs, entre ces grandes guerres, les Winyepoursuiventde leur pleine initiativede
plus petits conflits inter et intra-villageois. Le vol très frequentde femmes mariées entre
villages dont les chefferies de terre ne sont pas alliées provoque des guenes d'une ou deux
journées.Les conflits intra-villageois sont ddclenchés, au nom de l'<< honneur>>, par des
leaders de factions qui s'opposent au pouvoir local (Jacob, 2001). Cette contestation des
pouvoirsest une constante dans la société et elie se traduit par de nombreuses conduites
de defection (exit options). En cas de désaccord avec les autoritds en place, les individus
ou les sous-groupes migrent vers d'autres villages (notamment chez leurs oncles
maternels chez lesquels ii peuvent toujours trouver de la terre), créent de nouvelles
cornmunautés, du moms tant que l'abondance des ressources le leur permet, ou, sans
changer de village, installent leur propre autel de la terre ou se replient sur un culte
lignager(culte des ancêtres) en refusantd'aller sacrifier plus longtemps a l'autelde terre
commun.

Cette histoiretroublee ne rend pas aisée la tâche de l'anthropologue charge


d'établir la chronologie des mouvements des populations de Ia zone, les liens de parenté
qui les unissent(souvent malgré la difference de patronymes),ou l'histoire foncière qui

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 169


relie différentes communautes ernie eUes, Ctant entendu que ces liens ne sont souvent
pleinement que lorsqu'on tient compte du role de premier plan qu'ont souvent
joué des communautés aujourd'hui disparues et que les informateurs de ce fait
rarement de facon spontanée. Nous reviendrons sur cette réflexion (voir notamment au
chapitre5).

II. La gestion trans-villageoise des ressources naturelles:


quelques exemples

L'orientation vers l'extérieurdu role de chef de terre est particulièrement importante dans
trois types de situation oü il est appelé a traiter de problèmes d'environnement
<<régionaux>>. Ce sont respectivement:

- la tâche de gestiondes communaux, notamment des mares et des cours d'eau, sis surle
territoire d'un groupe donné, mais pechés régulièrement par un ensemble de
communautés voisines, limitativement

l'exercice des prerogatives liéesa une maItrise territoriale, souveraineté politico


religieuse, dont un village ancien jouit vis-à-vis de communautés plus récentes
installées sur son domaine foncier;

- enfin, découlantde l'exercice de cettemaltriseterritoriale, le traitement par le chef de


terre des << des ressources qui rend possible leur exploitation dans un cadre
juridique adequat par les homrnes (chosenon appropriee, chose appropriable, bien).

Nous allons presenteren detail chacunede ces trois situations.

2.1. La gestiondes choses communes:


Ia pêche dans les mares et cours d'eau sacrés

Le roledegestionnaire regional du chef de terre se manifeste notamment dans le cas des


peches collectives dans les mares et coursd'eau situés sur le territoirede sa communauté,
oii un groupede villages pêchecollectivement, selon un systèmed'invitationsréciproques
entre communautés voisines. Notons que ces mares sont en general des mares sacrées,
parce qu'elles sont reconnues commejouantun rOle important dans l'accès des hommes a
la fertilité(dons d'enfants) ou parcequ'elles onteu une place déterminante a un moment
donné de l'histoire du lignage fondateur (legitimation de son accession au pouvoir,

170 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde etIa conservation


de Ia biodiversité en Afriquede l'Ouestet du Centre
intervention symbolique dans le cadre d'un conflit, etc.). Ii y est donc sacrifié
régulièrement. Elles sont plus ou moms importantes en nombre(en moyennede une a dix
par communauté). Dans le cadre de ces communaux, le chef de terre apparaIt comme
titulaired'un pouvoirde contrôle et de gestionpourdes ressources dont le statutjuridique
est, dans le vocabulaire emprunté a Le Roy (1996), celui de Ia maItriseprioritaireexterne,
qui concerne un avoir non susceptible d'être aliéné (le poisson), sur lequel quelques
groupeslimitativement dont la plupart resident dans des villages différents de
-
celui du chef de terre exercent droitd'accès et d'extractioncollectif.
un

Les pêches collectives sont assujetties a des procedures de << pré-partage (Chauveau,
>>

1991), règles d'accès et d'exploitation très completes, largement par la coutume et


dont le but est visiblement d'éviter la sur-pêche et d'obtenir, ce faisant, une bonne
conservation de la chosecommunedans la durée. Le contrôlede leur applicationest opéré
par les chefs de terreet leurs conseils des anciens surles territoires desquels se font, a tour
de role, les différentes pêches. Lorsque cc contrôle se fait correctement, ce qui paraIt être
le cas actuellement pour les différents sites enquêtés (Wibo, Boromo, Balao, Souboye), on
dchappe a l'hypothèsede la tragédie des communaux de Hardin et Baden (1977): le
<< >>

fait que la ressource soit un bien collectif n'entraIne pas de dissociation entre autoritéet
responsabilité et n'a pas pour effet d'inciter - comme dans le scenarioprévupar l'auteur -
chacun des usagers a Ia ressource avant qu'un autre ne le fasse a sa place.

L'étude des procedures de << pré-partage >> (qui s'inspire des variables relevdes par
Chauveau, 1991) permet de distinguer 6 règles définissant l'accès et l'exploitationde la
ressource dans le cas des pêches collectives du Gwendégué (tableauII).

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001


Tableau II: Les dimensionsde pré-partage>'dans le cadre des pêches collectives

Dimension temporelle Reglementation des périodes de péche (réservée a la saison sèche coup
.. d'envoi donnépar le chefde terre responsable de la zone aprèssacrifice
sur les lieux)Reglementation des parties de pêche, limitéesdans le temps,
les pecheurs ayant obligation d'entrer et de sortirde I'eau ensemble. La
repartition des pécheurs sur les bergespar village et par famille est la
. mêmed'une saisonal'autre
Dimension technique Réglementation des engins etdes techniques de péche(nasse [cigui] pour
. les femmes et filet individuel [gwadal pour les hommesdans les mares,
interdiction de Iatechniquede pêche par barrage de l'eau pourles rivières
Dimensioninformationnelle ContrOledes informations concernant I'état de Ia ressource par les
[sin fellamal, membresdu conseil des anciens,<< envoyés>> du chefde terre

qui inspectent les pointsd'eauet lui font leur compterendu.ContrOle des


. informations concernant lesjoursde pêcheen fonction de l'état de la


. ressource(a)
Dimensionspecifique La plupartdes espèces cohabitantavec le Poisson (crocodile, lamantin,

tortue,hippopotame) considéréescomme sacrées>> (envoyées des genies
<<

• de l'eau) sont interdites de pêche Dimension d'appropriation Le droitde


pêchen'estpas autorisé qu'à un certainnombrede ressortissants de

• communautés voisines alliées,liinitativement Ce droit



impliqueune certaine réciprocité, bien que chaque communauté soit libre
d'ajouter ala liste des villages qui pourrapartageravec elle ses ressources
. halieutiques, en function de leur importance
. Lapêcheindividuelle sur les communaux reste autorisée si le pêcheur
.
respectecertaines conditions (b)
Dimension Lavente du Poisson captureest formellement interdite. Les pecheurs
doiventredistribuerleur surplus autourd'eux. Tendance actuelle des
maltresde laressourcea caler les calendriers de péchesur les jours de
marchédes villagesvoisins (notamment Boromo) (c)

En cas de sécheresse, on de faire diffuserl'annonce de la péche dans tel marigoten


le
place publique, jour du marché. On invite discrètement un ou deux villages très
proches. La pêche individuelle (a l'hamecon) sur les communaux reste autorisée pour
n'importe qui, a n'importe quel moment de l'année, mais a condition qu'elle soit faite
uniquement<<pournourrirson ventre >>. Le Poisson capturene peut pas être emporté. Ii
doit être cuit et consommé sur place, les reliefs du repas rejetés a l'eau. La pêche
individuelle est donc soumise a une sorte de quota informel, correspondant a la quantité
de poissons qu'un ou quelques individus peuvent décemment consommer. Dans la
representation locale, cet interdit est explique de la manière suivante. La possibilité de
vendre est considéréecommeun témoignage de surabondance de la ressource, puisqu'elle
supposeque les pécheurs ont Pu en priorité satisfaire leurs besoins de subsistance. Cette
attitude est contraire a celle que doit en toutes circonstances adopter l'homme, qu'il
cherche a obtenir du grain, des protéines animales ou tout autre bienfait. La norme veut en
effet que l'individu se présentedans la vie comme un mendiant, un affamé a la

172 Pratiques culturelles, a sauvegarde et Ia conservation


de In biodiversitéen Afriniie de I'fliiptptdii (pr,frp
recherche constante de nourriture, parce que c'est seulement dans cette position
d'humilité qu'il peut produire << I'attendrissement >> des divinitds ndcessaires au
ddclenchement de leurs dons (bonne récolte,peche abondante, nombreux enfants, etc. (3).
La sanctionde la vente est donc l'épuisement de Ia ressource, c'est-à-dire la suppression
des dons des esprits aux hommes qui ont prdtendu pouvoir << se suffire >>. Ii est conseillé
aux pêcheursheureuxd'dviter Ia commercialisation de leur captureet de chercherplutôta
redistribuerleur surplus autour d'eux. La tendancedes maItres de Ia ressource a decider
des calendriers de pêcheen fonctiondes jours de marché des villages voisins (notamment
Boromo) vise bien entendu a les tentations de vente les plus

2.2. Les maItrises territoriales

Selon Lavigne (2001),la maItrise territoriale se rapportea une souverainetéexercée sur


un territoire contrôlé par un chef de terre. Ce territoire déborde en general l'espace
villageois puisqu'ii comporte le terroir de tons les villages qui entourent le village
fondateur et ont installds par lui. Le village fondateur installe rituellement la
communauté nouvellement arrivde sur une partie de ses terres, ce qui permet a celle-ci de
bénéficierde droits d'usagepermanents. Cependant, commele font remarquerles auteurs,
la possessionde ces droits fonde une mainmise sur le << so! >>, mais pas sur le <<terrain>>
dont la fertilité, et plus généralement la gestion des <<états >> juridiques, comme nous le
verrons plus bas, demeure la prerogativerituelledes premiers donateurs.

Deux maItrises territoriales principales déterminent a I'origine 1'implantation de la plupart


des villages winye. L'une concerne la plupartdes terres de la rive gauchedu Petit-Bald et
l'autre les terres de sa rive droite. Comme nous l'avons déjà indique, les groupes qui
traversent le Mouhoun et s'installent sur Ia rive gauche du Petit-Bale sont d'abord en
contactavecle village-mere de Kien. Même si les ressortissants de ce village s'intéressent
peu, a l'dpoque, a l'agriculture, leurs descendants sont considdrds jusqu'aujourd'hui
comme ddtenant la souverainetd sur toutes les terres situdes entre la rive droite du
Mouhoun et la rive gauchedu Petit-Bale. Cette maItrise territoriale est limitée au sud par
celle des chefs de terre de Wibo, et au nord par celle des chefs de terre de Bouloumissi
(nord-est) et Kwena (nord-ouest).

Sur la rive droite du Petit-Bale, la situation est sensiblement similaire, les villages de
Kwena et de Nanou accueillant puis installant sur les tenes qu'ils contrôlent une sdrie
d'établissements humains (des villages marka et winye dans l'orbite d'influence de
Kwena, des villages bwa danscelle de Nanou).

Ainsise met en place une seconde géndration de villages autochtones, au nombredesquels


on peut citer les communautds actuellesde Balao, Kalembouly, Bitiako, Solobuly, Siby,

Ouagadougou (Burkina Faso), du l8au 21 juin 2001 173


Habé... Une fois certains de ces villages, qui se sont vus conceder des domaines
fonciers importants, jouent a leur tour le role de tuteurs vis-à-vis des groupes qul se
présentent ensuite, chaque village-centre installant a sa périphérie une ou plusieurs
colonies de peuplement, dans une perspective defensive (augmenter son nombre pour
resister aux guerres), d'occupation de l'espace ou de surveillance d'une ressource
spécifique (marigot, reserve de brousse, etc.). Ces colonies constituerontIa troisième
gdnération de villages autochtones (Oury, Oulo, Koupelo, Souboye, Souho,Virou, etc.),
qui s'autonomiseraprogressivement. Dans chaque cas, le processusest le méme. Le chef
de terre du village accueillibénéficieau nom de la collectivité qu'il représented'un droit
de delegation des droits très complet (droit de culture, d'investissement, de cueillette
(néré, karité), de transmission aux descendants), pourvu que la collectivité accueillie ait
défriché elle-méme les terres concédées(4). Une quatrièmegdnération d'établissements
humains s'installera dans le Gwendegue, a partir de 1960, mais ce sont cette fois des
communautés mossiqui s'implanterontpour la plupart sur la terre de villages autochtones
disparus. Les anciens maItres territoriaux de ces villages disparus se considéreront tout
naturelement cornme les nouveaux tuteurs des installations mossi, bien qu'ils ajent
parfois des difficultés, comrne on le verraci-dessous, a faire reconnaItre leurs prétentions.

2.2.1. Les conflits a propos des limites de terres entre villages autochtones

La reproduction des relations de pouvoirimpliquées par les maItrisesterritorialesdepend


du renouvellement périodique de la reconnaissance du lien entre ces institutions et
l'espace. Cette reconnaissance s'opère, entre autres, a l'occasion d'évènementscomme les
conflitsrelatifs aux limites de terres entre deux villages voisins. C'est en ces occasions, en
effet, que la << vérité >> sur la préséance et les liens hiérarchiques qu'entretiennentles
différentes communautés autochtones se révèle. On sait qu'avec le passage du temps et les
viscissitudes de l'histoire, l'ensembledes exploitants des villages autochtonesaccueillis
se présentent, au vu des droits fonciers très complets qui leur ont octroyés, comme les
vdritables << propridtaires >> des terres qu'ils cultivent. Les relationsde pouvoiroriginelles
sont en quelque sorte occultées c1ans la vie courante et ne sont rappeldes, le cas
que lorsqu'un tel conflit surgit. Deux re:narques de méthode s'imposent des lors pour
faciliterI'analysedes regulations qui se mettent en place a l'occasion de tels

D'une part, le régimepolitico-foncierlocal ne peut se déduire que de l'observationd'un


certain type de pratiquesponctuelles, partie intégrante de celles dont Bourdieu (1972) dit
que << leur structure temporelie, leur orientation et leur rythme est constitutive de leur
sens >>. Ces pratiques sont en effet essentiellement des pratiquesrhétoriques, le maître du
territoireconceniédevant servir aux parties en presenceIc rCcit péremptoire,la <<bonne
histoire>>(voir plus bas) qui doit a la fois sa legitimité a trancheret prédéterminer
les protagonistes a adopter Ia solution qu'il propose. Les possibilités d'étudier ces

174 Pratiques culturelles, a sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversité en Afriquede I'Ouestet du Centre
pratiques autrement qu'à travers des comptes rendus sont plutôt rares. Nous n'avons
dénombrd que 4 ou 5 affaires de ce genre sur une vingtaine d'années pour le Gwendegue.
Leur impact est en revanche extrêmement durable et les résultats des arbitrages font
véritablement jurisprudence sur de très tongues périodes.

D'autre part, tes types de maItrise territoriale qui sont actualisés et remémorés en ces
occasions ne visent en aucun cas un accaparement foncier. Du point de vue des maItres
territoriaux, l'institution est d'abord un acte d'autorité sur des hommes, produit et
renouvelé régulièrement a l'occasion d'événementsfonciers (accès a une nouvelle terre,
rappel des conditions d'accès a d'anciens fonds, conflits). Ii est un acte politico
symbolique, la référence a l'espace permettant un rappel de la relation entre hommes,
celle, hiérarchique, entrele groupe des demandeurs et celui des cédeursde terres.
Gruénais (1986) propose le même type d'analyse lorsqu'il dit que <<pour le pouvoir Ia
terre en elle-même, 1'étendue, n'a pas de sens. Le marquage opéré << a I 'origine est
l'expression de l'établissementd'une relation privilégiée entre l'espace et une figure
d'autorité sur une partie de l'espace. Cette relationprend sensdans Ia mesureoà elle est
reconnue. La terre ne devientpertinente pour le pouvoir que peuplée d'individus qui
acceptentla relation, laquelle est alors un lieu d'exercicede l'autorité. C'est a partir de
cette triple relationespace/autorité/groupe que se dessine le territoire>>. Autrementdit, il
n'est pas questionpour les chefs de terre impliqués dans Ia resolutiond'un conflit de ce
type de se faire reconnaItre par ce moyen tel ou tel droit sur les ressources concretes des
terroirsdes villages qui ont fait appela eux. Ils se boment a verifierqu'on ne leur conteste
pas le monopolede gestionrituelle sur les <<états des ressources et qu'on leur reconnaIt
bien un role de tuteurs,c'est-à-direde <<passage oblige >> dans l'accès a leur exploitation
paisible. Ils considèrentqu'ils ont accompli pleinementce rOle torsqu'ils ont agi comme
sacrificateurs a leur autel de la brousse et ont immoléles victimes que les parties en litige
ont condamnées a offrir pour regler définitivementle problème (voir exemple ci-
dessous).

Par ailleurs, il faut plusieurs conditions a 1'intervention des maItres territoriaux d'une zone
donnée. Nous listerons ces conditions ci-dessous. D'abord, ii faut que les villages en
désaccordexpriment un besoin reel d'arbitrage.Autrementdit, il faut des protagonistes
véritablement résolus a trancher la vérité ou qui menacent, par leur conduite, de troubler
t'ordre social si cettevérité n'est pas connue.

Ensuite, ii faut que cette demande d'arbitrage n'ait pas satisfaitepar l'administration
locale, qui reste en Ia
general premiere référence dans ce genrede situation. Vu l'attitude
de désengagement qu'onttoujours adoptée, dans ta zone, les autorités officielles des qu'il
s'agitde problèmes de terres, cettecondition est très souvent satisfaite. Le préfet renvoie
en effet très souvent a la palabre entre villages Ia resolution des litiges fonciers ou des
conflits sur l'appropriationdes ressources naturelles (voir l'exempte ci-dessus), tout en

Ouagadougou(Burkina Faso),du l8au2ljuin200l 175


l'assortissantde menaces en cas de troublesde l'ordre public : gel des terreslitigieuses ou
don de celles-cia une tiercepartie.

Enfin, ii faut que les maItres territoriaux auxquelsii est fait appel possèdent, commeon l'a
déjà la << bonne histoire >>, c'est-à-dire le récit structure convaincant qui fait
autorité et ddfinitivement leur competence a trancher pour l'espace en question.
Bien entendu, cette << bonne histoire >> doit obligatoirement se référer a la hiérarchie
impliquée par l'histoire du peuplement et la chronique de l'occupationde l'espace, avec le
rappel des repèresvisuels de limites par des ancêtres nommés. C'est-à-direqu'en
principe un conflit entre villages de deuxième ou de troisième generation entralne le
recours aux instances coutumières du village qui est leur tuteur commun ou des
descendants de ces tuteurs, quel que soit l'endroit oü us se sont installés depuis que ce
village-tuteur a disparu. Cependant, donné les défaillances de la mémoire orale,
I'inévitable plasticitd des récits, Ia circulation de versions divergentes de l'ancienneté
relativede tel ou tel village,Ia disparitiond'un grand nombrede communautés (donc de
garantspouvantcorroborerles prétentions des uns ou des autres) et les intérêts opposes
des individus qui s'affrontent, la detention, par ceux qui doivent trancher, d'un
argumentaire soutenu permettant de faire Ia preuve d'un savoir supdrieur ou donc de
forcer et d'imposer sa decision, est déterminante. C'est par exemple le cas dans la
resolution du conflit sur des limites de terres présenté ci-dessous, impliquant quatre
villages autochtones (Habé, Souboye, Koupelo, Kwena):

<<Le chef de terre de Habé et celui de Koupelo se disent tous les deux tuteurs
des gens du village de Souboye plus recent. Les gens de Habé disent que
toutes les terres de Souboye leur appartiennent et ceux de Koupelo
egalement. Les gens de Habé disent qu'us se sont installés dans la zone
avant ceux de Koupelo, mais ceux de Koupelo disentque c'estfaux. Ilya des
années, un conflita oppose Habé et Souboye. C'est une Nogo de Souboye
mariée a Habé qui a déclenché Ic conflit. Les Nogo de Souboye cultivaient
un terrain depuis longtemps. Cette année-là, us avaient même semédu mu.
Leur saur Nogo mariée a Habé est venue sur le même terrain semer de
1'arachide, poussée par ses mans. Certains plants de mu ont même
arrachés. Donc le conflit était a que la
sont I de Boromo,
sans succès. Le problème était si grave qu'on a fait appel au chef de terre
d'un quatnième village, Gniepego Ganou de Kwena. Gniepego a envoyé son
fuis, qui est venu dire que les terres des trois villages de Habé, Souboye et
Koupelo lui appartiennentpuisque c'est Kwena qui les a tous installés. Ce
jour-là, ni ceuxde Koupelo, ni ceux de Habé n'ont su que dire. us n'ontpas
pu contester cette affirmation. C'est donc le chefde terre de Kwena qui a
regle le conflit et c'est sur son autel de brousseque se sontfaits les sacrifices

176 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de a biodiversité en Afriquede 'Questet du Centre
de reparation (un coq, un bélie, une jarre de bière de mu, 5000 F CPA). Un
certain nombre de villages dont Kwena est le tuteur ont assisté au sacrifice
(Koupelo, Habé, Souboye, Bforo, Kayo, Batiti) >>.
MienTiebele, SinuKarfa, Souboye, 26/9/00,
Aka Siko, Kwena, 25/3/00.

2.2.2. MaItrises territoriales et communautés mossi

L'immigration provenantdu Plateau mossi, qui démarre pendant les premieresannées de


l'indépendance pour s'accentuer a partir de 1974-75, provoque des tensions avec les
autochtones, mais die oblige surtout, commenous le verrons, a une remémoration parfois
pénibledes liens de dépendance foncière qui structurentles relations entre communautés
winye, sous le coup des nouveaux enjeux poses par l'arrivée des migrants.

Le Gwendegue n'est pas, au depart, une zone d'accueil particulièrement privilegiee par
les migrants. La culture cotonnière y démarre assez tard (années 1975) et cette zone
charnière entre l'est et l'ouest du pays n'est pas prioritaire dans la << carte mentale >> des
candidats au depart. Cependant, une immigration y prendplace, inegale selon les villages,
et cc, des la Premiere République (1960-1966), pour s'accentuerpendant la sécheresse des
années 1971-1974. Certains villages recoivent beaucoup de migrants (Bitiako, Siby,
Balao, Wako, Lapara, etc.),pendantque d'autres n'en accueillent pratiquement pas (Oury,
Wibo, Kwena, etc.). Ces disparités s'expliquent par le role que jouent les elites
autochtones - ressortissants ou chefs de village - affiliées au parti alors dominant (le
Rassemblement Démocratique Africain), dans la repartition des flux de populations. Ces
elites s'efforcent en effet d'obéir aux consignes venues de plus haut, qui recommandent
l'accueil <<en douceur >> des populations allochtones, mais dies ne peuventle faire qu'en
les orientant de préférence vers les terroirs dans lesquels dIes possèdent des allies
politiquesou des parents- les deux categories se confondent souvent. Or la carte virtuelle
des implantations possibles est d'une certaine manière déjà déterminée depuis de
nombreuses années. Depuis 1946 précisément, puisque c'est de cette qui marque
les <<debuts de la politique >> en milieu rural voltaiqueque datent les affrontements qui
voient s'opposerpourla premiere fois villages acquis au RDAa ceux qui le sont a l'Union
VoltaIque puis au PRA, pour l'envoi d'élus a l'assemblée territoriale et a l'assemblée
nationale constituante. Les appartenances ont donc eu le temps de se rigidifier et de
prendre l'allure de factions sous-régionales irréconciliables.

La deuxième difficulté a laquelle se heurtentles elites locales est Ic problème du contrôle


des migrants. Ceux-ci ont tendance, soit du fait des suggestions de certains chefs de terre
soit par gout personnel, a s'installer discrètement sur des brousses inoccupées qui se
trouventêtre généralement situées sur le terroir de villages autochtones disparus,dansdes

Ouagadougou (Burkina Faso), du l8au 21 juin 2001 177


espacesqui ont par ailleurs mis en défens (forêts classées et parcs nationaux)d'abord
par l'administration coloniale, puis par l'Etat post-colonial. Les migrants s'installent
donc, en dépit de Ia legislation et de l'oppositionponctuelle des agents des Eaux et Forêts,
sur les bords du Mouhoun ou dans les foréts classéesde Solobuly et de Baporo, dont Ia
végdtation disparaItrapidement. Ces premieresimplantations ne sont donc pas forcément
percuesd'un trop mauvais uil par tous les autochtones, et ce, pourdeux raisons:
- les terroirs des villages disparus ont géneralement marques par une histoire
troublée, et les mossi qui y sont envoyés testent, aux yeux des Winye, les possibilités
pour des êtres humains de réinvestir sans danger des lieux considérés comme
<< souillés

- l'installation de migrants permetde maintenirI'espoir d'une possiblerevendication des


autochtones sur des terres pour lesquelles its ne se sont jamais résolus a perdre leur
emprise, quelle qu'ait la sévérité des politiques domaniales menées a l'epoque
coloniale - les foréts classées de la zone l'ont des 1937 - et post-coloniale. Ce
maintien des revendications passe cependant par une reaffirmation de la maItrise
territorialedes autochtones, selon des modalités que nous décrirons brièvement.

L'accueil des migrantsayant imposepar les politiciens locaux et régionaux dans Ia


precipitation et une grande improvisation, nombre de procedures d'installation n'ont en
fait pas impliqué les villages les plus anciennement installés dans Ia zone, les seuls a
posséderun patrimoine foncier important et a avoir donné de la terre a d'autres villages
(disparus ou existants). On s'est adressé a des villages autchtones complaisants,
participantdes réseaux politiques déjà conimunautés de troisième génération
n'ayant donc pas, du point de vue coutumier, de légitimité a octroyer de terres,
puisqu'elles-mêmes n'en possèdent pas a proprementparler (elles sont sur les terres qu'un
village autochtone plus ancien, agissant comme tuteur, leur a concédées). Tout le
problème a donc pour ceux qui se considèrentcomme les propriétaireslegitimesdes
terres occupées par les migrants de réaffirmer leur maItrise sur les zones investies,avec un
lobbying intense auprès de l'administration locale et des ressortissants pour se voir
conceder les signes témoignant de l'identité de tuteur légitime, tout en
dépouillant l'usurpateur. Les demandes de revision des pouvoirs en faveur des chefs de
terre pouvantprétendre au statutde maître territorial <<regional >, et donc aptes de ce fait
a engager legitimement des relations politiques avec d'autres groupes, ont pu aboutir
grace a la reunion de deux des conditions déjà identifiées a propos de Ia regulationdes
conflits de limites entre communautés autochtones une administration territoriale peu
interventionniste en matière foncière et un groupe de chefs de terre possédant une
<< histoire >> probante de manière incontestable leur qualite de tuteur. Cette
performance est encore plus convaincante lorsqu'elleest accompagnée de Ia
production de témoins, ressortissants d'un village de même generation familiers de la

178 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversité en Afrique de I'Ouestetdu Centre
zoneobjet du litige et de mortsd'hommes - Jes prétendants illégitimes a la terre - comme
dans l'exempleci-dessous, opposant deux villages autochtones, Balaoet Souho:

<<Laforêtclassée l'a a l'époque coloniale. Les gens de Souho ontinstallé


les Mossi de Dar Salam dans laforet classée en se cachantde Balao. En tant
j
que chefde terre de Balao, 'aurais souhaitéque les Mossi le coin,
maiscomme ça n'est paspossible, ilfallaitau moms qu'us soientsous tutelle
des gens de Balao. Cela a acceptepar les Eauxet Forêts. Leur impôt est
verse a Balao, leur coton est pesé a Balao. Nous pouvons decider qu'ils
doivent quittei Lejugement(pourobtenir le droit de tutelle) a duré trois ans.
J'avais des témoins (de Kwena, Oury, Bouloumissi) ; Souho n'avaitpas de
témoins. J'ai dit que Tiessimon (chef de terre de Souho) ne pouvait pas
vendre la terreparce qu'il n'a pas de propriétédanscette zone. Si, du temps
de nos grands-parents,la terre avait vendue, Souho n'existerait même
pas. A l'époque, c'était le commandant Daouda qui a Boromo. J'ai
préditque riles choses continuaient de la memefacon, on allait en arriver a
acheter les terres comme en Côte-d'Ivoire...

Les jugements fonciers entre nous et Souho et les migrants mossi ont
chauffe >. Même certains de Siby soutenaient Souho. Tousjugeaient que
Baloa bienpetitpour avoir le pouvoir sur une telle zone. Ces gens de
Souho avaient commence a partagerlaforêt a notre insu. Ii mefallait arrêter
toutecetteanarchie. Cette nature a un propriétairequi est le chefde terre de
Balao. J'ai soutenu dans mon action par ceux de Bouloumissi avec qui
nous gérons les terres. Nous sommes allés a Boromo devant 1 'administration
pourrégler ce litige. Souho est le dernier village arrivédans cette zone. Ii ne
peut donc pas jouer le premier role. Ii y a une hiérarchie, un ordre
d'anciennetélie au premier arrivé. Après Kien, les villages les plus anciens
ayant le plus de droitsfonciers sont Balao, Kwena, Habé, Wako pour notre
zone Boromo, Nanou, Wibo pour Ia zone sud. Les gens de Souho, par Ia
voix de File (chef de village de Souho), ont voulu remettre en cause la
légitimité de Balao en matière de maItrise territoriale. I/s nous ont invites a
trancher la vérité par des offrandes collectives a la brousse. En temps que
chefde terre,j'ai refuse, car les consequences sont mortelleset nousaurions
fait beaucoup d'orphelins a Souho. Nous avons beaucoupde neveux utérins
là-bas. Eux aussi en ont chez nous. Pourquoi s'entre-tuer par lafaute d'un
individu ? Ils ont essayé de nousfaire du mal. Ils ont enterré des poules (5)
pour que le maiheur nousfrappe a Balao, moi et le conseil des anciens. Le
mal qu'ii voulait s'est retourné contre File. De retour de Boromo, il s 'est
cogné a unjeune en vélo, ici même a Siby. Ii a transporté a Kalembouly
pour des soins, avec la convocation qui nous destinée dans sa poche.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 179


Nous sommes allés a Boromo, oh le commandantnous a conseillé d'aller
résoudre le litige en famille, sinon ii allait venirfaire des limites de 100
metres departet d'autre de laforêtclasséepourles deux villages, et le reste
seraitdistribuéauxfonctionnairesqui veulentla terre. Nous sommes repartis
au village et ils ont reconnu être sous notre couvert. Mais, peu de temps
après, File est mort ainsi que Tiessimon. Tous deux sontmorts parce qu 'us
avaienttort et voulaienttricher avec la brousse >>.
Ivo Wuobessa, chef de terre de Baloa, Siby, 29/4/00

2.3. Chose et bien : convertibilitéet non convertibilité

EnAfrique, comme le soulignejudicieusement Le Roy (1996), beaucoupde richesses sont


des choses et non des biens, les ressources n'étant pas susceptibles de libre alienationou
ne pouvantêtre aliénées quesous certaines conditions. Le chefde terre est Ia personne-clé
de ces representations juridiquesparticulières puisqu'il est, selon les cas:

- celui qui veille a ce que les choses conservent leur statut;

- celui qui rend possibleune explication, par les hommes,des choses qu'ils ont produites
ou qui leur sont << offertes >> par la nature, en permettant leurtransformation du statutde
choses non appropriées a celui de choses appropriables;

- celui qui a la possibilité de convertircertaines chosesen biens ou, a 1'inverse, certains


biens en choses.

Deuxremarques doivent être faitesa ce propos.

D'une part, la liste des categories de ressources convertibles ou non convertibles n'est pas
totalement figée, et le chef de terre possède une certaine marge de manuvre lui
permettantde << s'arranger>> avec les pressions actuelles pour la marchandisation d'un
nombrecroissantde choses. Ainsi, le chef de terre de Boromo centre urbain possédantun
grand marché oü resident de nombreux << difficiles a contrôler autorise,
moyennant compensation, la vente d' un certain nombre de produits de cueilletteen debut
de saison des pluies (tableauIII), ce que leschefs de terre des petits villagesenvironnants
continuent d'interdire. Ii n'en reste pas moms qu'il n'y a pas d'arrangement possible
permettant la vente de ressources plus importantes, notamment la terre de brousse,
sanctionnée, selon la croyance partagée, par la mort de celui qui se risquerait a un tel
commerce (6).

Pratiquesculturellos, Ia sauvogarde et Ia conservation


de Ia biodiversité en Afriquedo I'Ouest etdu Centre
D'autre part, le chef de terre joue son role de conservation ou de modification du statut
des choses dans un nombre important de cas, que la jouissance des ressources soit
rdservde aux membres de Ia cornmunauté qu'il supervise (la terre, la premierebièrede mu
vendue dans une cour, le beurre de karité, le sumbala, etc.), ou soit ouverte aux
communautés voisines : choses publiques, comme les feuilles de baobab, récoltées par
toutes les femmes, quel que soit leur village d'appartenance,choses communes, commele
Poisson des mares et cours d'eau sacrés, pechépar les ressortissants de quelquesvillages
connus, le néré prélevésur les champslignagers ou les graines et rhizomesdes nénuphars
des mares villageoises. On pourraitajouterque c'est de ce role de disjoncteur/conjoncteur
entre chose et bien que le chef de terre (et son conseil des anciens) se nourrit. Dans ce
Gwendegue, le chef de terre ne tire pas sa substance (ou sa richesse) d'un quelconque
droit de propriété sur des ressources physiques importantes(terre, eau, produits du sol et
des arbres) qu'il valoriserait ou ferait valoriser. II Ia tire de son statut de gardien des
<<états >> juridiques des choses vivanteset mortes qui se trouvent dans le territoirequ'il
contrOle. Ce statutlui permetd'obtenir deux types de <<revenus >> (tableau III).

Le premiertype de revenu provientdece que la sociétélui reconnaIt la capacité exclusive


d'opérer la translation bien/chose ou chose/bien pour certainescategories de ressources. Ii
est en effet le destinataire uniquedes biens quin'ont plus de propriétaires, des choses qui
sont trop <<puissantes >> pour pouvoir être possédées par n'importe qui ou des choses
rendues dangereuses par leur mise en contactavec unecatégoriesemblable ou opposée:
epis de ml!tombésdes panierslors de leur transport a la récolte,charges des commercants
touchant le sol au passage des villages, mu ayant touché la terre des marigots, gibier
<<amer>> (hyène par exemple), et, d'une manièregenerale, toute chose, personne, fétiche,
ou animal domestique << sans propridtaire >>, trouvés en brousse.Liberski (1991) avance
une hypothCse intéressante a propos des raisons qui font du chef de terre le seul
récipiendaire des biens trouvés en brousse chez les Kasena : << Ne pas avoir de
propriétaire, c'est ne pas avoir d'ancêtre, ne pas s'inscrire dans une généalogie. Les
animaux, les objets sans propriétaire reviennent au chef de terre parce qu 'ii est hors
,
généalogie parce qu'ii a un lien avecla terre d'avant la territorialisation(...). Lui seul
est en mesurede remettre ces animaux dans le monde de l'origine en les sacrJlant a Ia
terre.>>

Le second type de revenu provientde son implicationdans la plupart des demandes des
hommes cherchant a tirerparti de leur environnement naturel, ou cherchant a recoñfirmer
la légitimite des accès des uns et des autres auditenvironnement en cas de conflit foncier
notamment. Ces demandes requièrent soit une transformation surveillée des <<

juridiquesdesressources, les velléités d'extraction,d'exploitationou de consommation ne

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001


pouvant se faire sans << preparation >> de la ressource et des genies qui en sont les
propriétaires originelsde la manière a la rendre accessible aux désirs des hoinmes, soit
une reassertion de ces <états >> dans le cas oii ii existeraitun flou lie par exemple a un
litige (coriflit entre plusieurs acteurs pour le droit d'accès a telle ou telle richesse). Dans
toutes ces situations, le chef de terre intervient. En contrepartie de pré!èvements, ii va
rendre possible la modification d'etat ou en repréciserla nature, permettantla mise en
valeur du monde nature! qui entoure !es hommes. Ii crdera ou rétabliral'equilibresocial et
symbo!ique permettant!a transformation d'une chose non appropriéeen chose devenant
appropriable (feuil!es de baobabtransformab!es en sauce, terre devenant fonds cultivable,
poissondevenant ressource alimentaire) ou !a transformation d'une chose appropriée en
bien (feui!!es de baobab vendues). En compensation pour son role, !e chef de terre
recevra, en partage avec les esprits, !a viande des sacrifices et !e produit des dons et
offrandes qui accompagnent !es demandes des hommes.

Ces que!ques d'analyse sur le role du chef de terre permettent de comprendre


que !a maltrise territoria!e est bien, en pays winye, un exercicepo!itico-ritue! d'envergure
regionale, consistant en un monopole, pour un groupe, de !a gestion des << des
richesses et de leur transformation sur des espaces et pour des ressources
concédées a d'autres groupes, instal!és dans des villages plus récents, qui en tirent leur
subsistance. Le chef de terre du village tuteur accorde generalement, après quelques
années, un droit pour le groupe sous tutelle a se constituer une competence de gestion
rituellepour !e territoirequ'il cultive, symbo!isé par la constitution de sonpropre autel de
!a terre et de !a brousse.

182 -- '.
k
Pratiques
rt
culturelles, Ia sauvegarde et aconservation
Pr, Af-,-,, p -I,-, 'fl, Pt ri' ('pntr
Tableau Ill : Convertibilité et non convertibilité de quelques ressources

Typede ressource Statutde Ia ressource Sanction en cas de


. changement de statut de Ia
ressource sans contrôle par
le chefde terre
Terre de brousse Chose En cas de vente illégale,
mort du vendeur(a)
Terre du village (champ Chose convertible en bien
permanent [katogo]) (mise en gage possible (b))
sous la responsabilité du
chefde terredans certains
villages
Feuillesfraichesde baobab; Choses convertibles en biens Si ces choses sont vendues
farinefraIche de néré; (moyennantdon au chef de - OU sitedon decontrepartie
graineset rhizomes des terre) a Boromo (c) n'est pas fait dans le cas de
nénuphars, feuillesde Boromo - leveede grands
haricot vents qui déracinent le mil
avant récolte et chassentIa
pluie
Poissondes mares et cours Chose En cas de vente, raréfaction
d'eau sacrés du poisson
Premiere bière de mil Chose convertible en bien Si le sacrifice n'est pas
venduedans une nouvelle (moyennant sacrifice du chef fait avantla vente,
cour de terre) bagarre dans la cour
Objet,individu (d) ou animal Bieri convertible en chose
domestique trouvés en (ii devient la propriéteduchef
brousse ou richessetombée de terre qui 1'utiliseradans
a terre (epis de mit, sac de les sacrifices et les dépenses
set (e)... ou mil mis en cérémonielles)
contactavec la terredu
marigot
Produitdes chasses Chosepartageeentre les
collectives [lao] chasseurs des villages
participants ayant tue du
gibier
Produitde la chasse Choseconvertible en bien Si le don n'est pas fait,
individuelle actuellement (mais le lion, maladie du producteur
l'oryctérope, le [nama nawe]
appartiennent au chef
de terre)
Karité, sumbala, mu Chosenon appropriée
qui devientappropriable
(consommable, vendable)
A condition qu'un don [vigul
soit fait aux cultes villageois
ou familiauxassociés a la
production agricoleet a la
fertilité (f)

Ouagadougou (Burkiria Faso), du 18au 21 juin 2001 183


Des enquétesintensives sur les raisons de l'inaliénabilité des terres en pays winye font
apparaltre un grand nombre de variables, <<culturelles >> ou autres.J'aurais tendance a les
subsumeren soulignant que l'argument de fond est très proche d'un refus d'adopter le
<< paradoxe de la démocratie >> tel qu'iL a défini par Elster (1986) : << Chaque
génération veut être libre d'imposer des contraintes aux générations suivantes, tout en
refusantles contraintes imposées par les generationsprécédentes. >> Les autochtonesne
veulent pas vendre (ou prêter sans conditions) leurs terres parce qu'ils refusentde mettre
en danger La base grace a laquelle us peuvent menerune vie de producteurslibres. Avoir
accès a l'espace sans devoirpasser par un intermédiaire, pour son propre usage ou celui
d'un parent ou ami, est pour eux Ia condition de maintien de leur identité de <<noble>>
[imbié], individu issu d'un lignage fondateur, antithèse de 1' <<esclave>> ou de l'etranger
([fiebu], << intrus >>), qui doivent, quant a eux, constamment << mendier >> la terre.Ils
cherchentpar ailleurs a conserveraux générations futures cette possibilitéqu'ils ont eu,
grace a leurs ancêtres, de rester < maItres de leur monde >>. Le cas les jeunes sont
en mesure de rappeler ces principes aux vieux qui voudraientles oublier. Les winye ne
sont donc guère sensibles aux appels a la << démocratisation >> de l'accès au foncierpar le
marché ou par les recommandations de l'Etat ou des intervenants externes, parce qu'ils
cherchenta reconduire ces liens entre identité et espace dans la durée. On retrouve les
mêmes idées chez Abudulai (2000), dans un contexte (ghanden) beaucoupplus pénétré
par l'économie de marché, souvent utilisée comme forme d'accès au credit depuis
l'epoque pré-coloniale : celui qui met en gage sa terre conserve toujours le droit de La
récupérer et le bénéficiaire du gage ne peut pas exiger le remboursementde La dette
contractée [(ii continue d'exploiter la terre jusqu'au remboursementde cette dette
(Cubrilo et Goislard, 1998)1. On peut mettre en gage les [katogo], car iL s'agit de terre
désacralisée, proche du village, sur laquelle des rapports sexuels peuvent avoir Lieu (par
opposition aux champs de brousse).

Chaquevendeuse installéecourantjuiLLetsurle marchéde Boromoet vendant des feuilles


fraIches de baobab - base de la sauce des gens pauvres en période de soudure - remet
quelques feuilles ou de L'argent a un envoyé du chef de terre. La vente de néré est
generalementinterdite après les semis et jusqu'aux récoltes, de méme que celle des
feuillesde baobab et des graineset rhizomesdes ndnuphars et celle des feuilles de haricot
juste avant les récoltes.

Appartiennent au chef de terre tous Les biens tombés sur le sol. A l'epoque pré-coloniale,
les sociétds lobi, bwa et winye ont largement utilisé cet interdit de contact avec la terre
pour dépouiller les cornmercants jula, en creusantdes tranchées destinées a faire tomber
les ânes (et leur charge !) sur le territoirede la communauté (Kambou-Ferrand, 1993).

On fait des dons a des cultes villageois ([nambinu], [venu], [nambwe], etc.) pour Le karité
et Le néré ou a des cultes familiauxde type [jomol, pour le mu. Dans ce dernier cas, ce

184 Patiquesculturelles, Ia sauvegarde et Iaconservation


de Ia hiodiversjtéen Afriquede l'Ouest et du Centre
sont les chefs d'exploitationqui font les offrandes. Elles ont dté cependant précédéesde
sacrifices du chef de terre pour << déposer la pluie>> [donum a siuj de manièrea ce que les
récoltes ne soient pas perturbées par les intempéries. Le produit de la vente du beurre de
karitd revient aux femmes. Le produit de Ia vente du sumbala revient aux chefs
d'exploitation. Le sumbala et le mitne sontjamaisvendus directement par l'homme, mais par
des femmes (<< mères adoptives >>,femmesdelogeurs de l'épousedu chefd'exploitation).

III. Les menaces sur les systèmes Ioaux de gestion


des ressources naturelles

Trois grandstypes de menaces pèsent sur les systèmes locaux de gestion des ressources
naturelles tels que nous les avonsddcrits l'urbanisation,les strategies de développement
axées sur l'approche villageoise et Ia marchandisation des ressourcesnaturelles(produits
de cueillette, de chasse, de pêche, terre).

L'urbanisation concerne surtout la yule de Boromo, et elle a un double effet : une pression
pour Ia vente saisonnière de produits de cueillette << interdits Iiée a une demande
>>

solvable forte et la difficulté de surveillance des communaux par les gestionnaires


traditionnels desdites ressources. Ces problèmes pourraient s'étendre, a I'avenir, aux
villages de Siby et Oury, actuels chefs-lieux de prefecture et futures communes rurales.

Les strategies d'intervention (foresterie, développement local, gestion des ressources


renouvelables) ont, quant a elles, des consequences relativement claires sur Ia
recomposition des systèmes de gestion et de l'ordre social winye:

- d'une part, les incitations externes renforcent considérablement le niveau villageois


comme niveau de decision. II devient le champ principal de négociation du
développement ou de gestion du bien commun, le village dtant constitué comme
destinataire quasi unique de l'ensemble des ressources d'allocation et d'autorité
proposées, souvent dans le plus granddésordre. Dans ce contexte, si des expressions de
désaccords et des velldités opportunistes apparaissent, cues sont plutôt le fait de
groupes infra-villageois, tentés de capter les ressourcesallouées en faisant valoir leur
légitimité supérieure a représenter la communautd par rapport aux interlocuteurs
reconnus des intervenants. Queue que soit d'ailleurs l'issue de ces conflits, us
contribuenta renforcerIa positionstratégique du villagecomme arène incontournable
de gestiondes ressources;

- d'autre part, ces incitations externes provoquentun oubli progressifdes institutions


regulatrices supra-villageoises. Toutes sortes d'intCrCts militent d'ailleurs pour leur
misc en sommeil : ceuxde l'Etat, qui ne tient guèrea reconnaitre que l'epacepolitique

Ouagadougou (Buricina Faso), du 18 au 21 juin 2001 185


des populations locales ne se limitepas au cadre administratif villageoiset qu'il n'est
pas regule principalement par le personnel qu'ii a mis en place, ceuxdes autochtones et
des allochtones des villages récents, qui n'aiment pas qu'on leur rappelle leur
ddpendance, flit-elle d'abord symbolique, sans compter ceux des protagonistes d'un
conflitqui s'estiment le plus avoir a perdre de l'intervention<<coutumière dans une >>

affaire foncièrequi les met auxprises avecd'autres acteurs.

Dans le cadre du Gwendégué, et a part exception, la marchandisation de ressources


naturelles renouvelables ou non renouvelables n'est pour l'instant qu'une menace
potentielle. Les de description données dans la partie III permettentde montrer
que le système de gestion des ressources impose jusqu'aujourd'hui une série de
mediations obligées a l'action, ponctuée par un personnel spécialisé (le chef de terre et
son conseil). Ces mesures, qui viennent ponctuerle cycle de valorisationdes ressources,
de leur extraction a leur vente introduisent des freins a l'exploitation
incontrôlée de la nature. La société winye a instauré une distinction minimale entre ses
ordres <<civils >>, notamment entre l'économiqueCt le religieux,avec une préséancedu
religieux, dont Ia fonctionparaIt bien être d'assurer le maintiende l'intérêt commun dans
la durée (reproduction des ressourceshalieutiques, reproduction des conditions d'accès
libre a la terre), témoignant d'un souci d'integration du <<tiers >> (7), notammentsous la
forme d'une attention particulière aux conditions de vie qui vont être faites aux
générations futures. Ce souci explique la résistance vive qui est opposCe au pouvoir
<< libérateur >> de la monnaie
pour certaines ressources naturelles qui se transforment de
plus en plus actuellement, si l'on observe l'évolution, dans des zones voisines du
Gwendégué, en ressources marchandes. Dolt-ondonc en conclure quetant qu'il subsistera
des chefs de terre, des maItres de l'eau ou de Ia brousse dans le Gwendégué, les menaces
de marchandisation des ressources naturelles seront car ii
existe des differences de conceptions et de comportements au sein de ces institutions.

Comme mus I'avons souligné, de par son statut très important de << disjoncteur/
conjoncteur>>symbolique et institutionnel, le chef de terre se trouve dans une position de
grand collecteuret de grand << mangeur>> (de victimes sacrificielles, de biens <<perdus >>,
d'amendes auxquelles ii condamne les individus en faute). Si ces opportunités de manger
existent, elles mêmeprobablement plus importantes a l'époque pré-coloniale, elles
sont inégalement exploitées, ce que Ia culture locale reconnaIt << officiellement >>. Les
chefsde terre du pays winye font partie de réseaux de <<noblesse>> différents, constitués
par la reunion de l'ensembledes chefs ou des descendants des chefs de terre des villages
intronisés par une mCme famille initiatrice, qui est generalement le maître territorial des
villages concernés. Les populations et leurs chefs font couramment la distinction entre ces
réseauxen parlant de l'appartenancede certains villages a des noblessesqui <mangent
grand >> [ji pemi ou, au contraire, a des noblesses qui << mangent petit >> [ji febe]. Les
premieres exploitent au maximum leurs possibilités de prélèvement et leurs chefs de terre

186 de biodiveriten Afrirttt r


Pratiques cultureQes,Ia sauvegarde etIa conservation
Op,etet(II! Centrp
ne travaillent pas (ou travaillent avecdes outils sans lame de fer). Les secondes n'opèrel
que des prélèvements symboliques (par exemple une pincéede mu au lieu de Ia totalité d
mit ayant touché Ia terre) et les chefs de terre travaillent pour se nourrir. Le chefde tern
de Balao,par exemple, cite, parmi les noblesses <<mesurées >>, celles des villages de Kier
(villagedisparu), Balao, Boromo (depuis Ia prise de pouvoirdu lignageSougué Dangane)
Wibo, Kwena et Siby et, parmi les noblesses gourmandes >>, celles des villages de
<<

Souho, Solobuly, Oulo, Oury Kalembouy,Bitiako. La résistancepassivedes populations.


que nous avions en debut d'article, a souvent provoquée par les abus des
chefferies trop gourmandes. Toutes choses restant egales par ailleurs, ii est probableque
les acteurs d'un alignement des différents ordres internes de la société sur l'ordre
marchand, motives par des recherches de profit << illicites >> (vente de terres notamment),
proviendront plutôt des tenants des noblesses << gourmandes >> et plus précisément des
membresdominés des réseaux de noblesses << gourmandes >>, c'est-à-diredes chefs de
terre qui ne possèdentpas d'espace ou de ressources en propre, mais sont sous couvertde
la maItrise territoriale d'une autre chefferie et jouissent de terres a ce titre. us — eux ou
leursproches — ont tout a gagner a vendre des ressources qui ne leur appartiennent pas
vraiment. C'est, d'après nos informations, exactementce qui s'est passé dans les années
1980 en forét classéede Solobuly (8).

Conclusion et suggestions

Nos suggestions concernerontsurtout1'amelioration des approches développementalistes.


Parmi les différentsdangers qui menacentactuellement la société winye, ii nous semble
en effet que c'est le seul domaine sur lequel ii est possible d'agir. Ces suggestions seront
au nombre de quatre:

- ii convient de partir d'une approcheregionale des systèmes de gestion, c'est-à-dire


chercher a relier des droits sur les ressources (choses communes, choses publiques) a
des pouvoirs trans-villageois. Ii faut rompreavec la démarche qui consistea considérer
le villagecomme unite nécessaire et suffisante de decisionpour tous les problèmes de
développement local et d'environnement;

- il imported'acquérir une bonne connaissance de l'histoire locale du peuplement pour


pouvoir repdrerles différentes maItrises territoriales qui sont a Ia base du processus
d'installationdes villages. Pour le Gwendegue, on notera que ces maItrises territoriales
sont, a l'origine, des maItres de cultes de chasse importants,qui disposent d'espaces
conséquents et sont aptes, de ce fait, a organiser des battues collectives avec la
participation de l'ensembledes villages qui dependent de leur maItrise. On insisterasur
le fait que ce travail d'histoire du peuplement doit comporterune liste aussi complete
que possible des villages disparus et de leursituation géographique approximative.

Ouanadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001


Le repérage sur le terrain des villages disparus peut se révélercrucial dans deux types de
situations

- soit pour determinerles structures du pouvoir foncierdans une zone spécifique. Dans
le Gwendégué, les communautés nouvellement arrivées ont souvent installées sur
les brousses de villages abandonnés. En méme temps que les terres, ces communautés
ont repris les obligations d'allégeance souvent importantes, mCme si elles restent
symboliques >> - auxquelles assujettis les anciens villages vis-à-vis de leurs
tuteurs fonciers;

- soit pour connaltre les lignages aptes a répondre a des demandes d'arbitrage inter-
villageois (en cas de conflit sur les limites de terres entre communautés notamment).
Les villages disparus possédaient parfois d'importantes maItrises territoriales et le
recours aux ressortissants de ces villages, même lorsqu'ils sont installés ailleurs,
demeure essentiel pour assurer les regulations actuelles entredes villagesimplantés sur
Ia même maItrise territoriale. Actuellement, selon notre recensement, il existe 8
lignages- lignageGanouet lignage Aka a Kwena,lignageBoudo a Nanou, lignage Ivo
a Balao, Yao a Wibo, Sougné a Boromo, Mien a Koupelo, Elola a Bouloumissi- qui
peuventjouer, selon les espaces,un role a ce niveau.

Dans toutes les interventions concernant Ia mise en valeur des ressources, les maItres
territoriaux doivent être a la fois connus et intégrés au processus de decision.Or bien peu
de projets paraissentles prendreen compte. Lesprojetsde foresterie, anciens (de Zeeuw,
1995) ou nouveaux [(RPTES, (Ilboudo, 2000)1, réalisés en forêt classée de Solobuly,
n'échappentpas a la règle. La SNVproposaitd'integrer dans sonComitéde Gestion de Ia
Forêt Classée(CGFC) I'ensembledes villages winye et nuna riverains de la forét (Balao,
Souhou, Solobyly, Secaco, Bouloumissi), sans d'ailleurs que les agents du projet ne
paraissent avoir conscients du fait que ces villages entretiennent des relations
hierarchiques (notamment a cause de la dépendancefoncière de certains d'entre eux) et
sont d'ailleurs en conflit a ce propos depuis des anriées. La démarche RPTES, qui en est a
ses debuts, avait, quant a elle, totalement exclu de son diagnostic participatifles deux
principaux maItres territoriaux de la zone - Balao et Bouloumissi (Ilboudo, 2000) - avant
de corriger Ic tir et de les intégrer dans les négociations sur le devenir de la forêt classée.

Que l'on soit intéressépar une problematiquede gouvernance locale (Lavigne, 2001) ou
de soutiena la biodiversité (Koné, 2001), les conventions locales, qui ne doiventrien aux
interventions externes (comme celles que nous avons décrites a propos des comrnunaux
halieutiques), doivent être caractCrisées spigneusement, a la fois dans les regles
opérationnelles qu'elles imposent (règles daccès, règles d'exploitation) et dans les
finalités queces rêgles poursuivent (règles contitutionnelles et règles de choix collectif).
C'est, en effet, a la condition d'être documenté fidèlement et complètement qu'il est
possible d'aborder le probléme de leur validation par les autorités etatiques (9).

188 Pratiquesculiurefles, a sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversitó en Afrinuede rOuest et du Centr
Notes

1. PDRI HKM de développement rural intégrd Houët, Kossi, Mouhoun


Programme
(actuellement PIDEL, cooperation francaise) ; SNV : Organisation nderlandaise de
développement (cooperation autrichienne, actuellement PROBAMO ; RPTES
programme regional pour le sous-secteur des energies traditionnelles (Banque
mondiale).

2. Les dix-neufcommunautés winyepossèdentchacune de un a trois chefs de terre. Selon


les villages, les maItrises (terre, eau, brousse)peuvent être confonduesdans les mains
d'un même homme (le chef de terre) ou être réparties entre plusieurs responsables
appartenant a des lignages différents.

3. Dans un texte qui présente une approche néo-platonicienne du sacrifice, de Surgy


(1976) avance l'idée que ce serait par pure bonté, par pur attendrissement de voir les
hommes souffrir que Dieu viendrait se communiquer a eux et les couvrirait de
bienfaits.

4. Les groupes qui défrichent les terres sur lesquellesus s'installentbénéficientde droits
plus sflrs que ceux qui s'installentsur les anciennesjachères d'autres exploitants. Cette
difference de droits s'applique dans un contexte intra-villageois (un lignage
installé dans un village autochtone) ou inter-villageois (un village nouveau venu
s'installersur le territoire d'une communauté ancienne).

5. Ii s'agitd'une ordaliepar les pouletspar le ba>> [sin kwe magurul, oü le sacrifiant tue
<<

successivement plusieurs volailles, les positions prisespar les victimes (couchées sur le
ventre, sur le dos, sur le côté, etc.), a leur mort permettantde répondre progressivement
a une question sur la réponse de laquelle les hommesne s'accordent pas (qui est le
responsable de tel crime '! qui est le propriétaire de telle terre ?). Le dernier poulet
sacrifld n'est pas mange par les hommes, mais enterréet << mange >> par la brousse a qui
l'on confie le soin de sanctionner celui qui a commis le crime ou celui qui a menti
(c'est-à-dire qui a accaparé la terre sans&re legitimé a le faire).

6. Deux cas fameux (un en pays winye-voir I'exemple mentionné en 3.2.2., ci-dessuset
un autre sur la rive gauche du Mouhoun) sont regulièrement par les
informateurs.

7. Selon Meyer-Bisch (2000), un régime est sam s'iI sait maintenirles distinctions entre
les ordres du politique (judiciaire, exécutif,legislatif), mais aussi entre les ordres sur
lesquels se fonde Ia société civile (bio-social, culturel, ecologique).
Chacun de ces ordresest pourvu de sa temporalité propre et ne doit pas en changer, par

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 189


exemple pour adopter celui d'un ordre qui deviendrait dominant. C'est a cette
condition qu'il reste capable de contribuer au respect des libertés et des aptitudes
humaines. Ces libertés doivent demeurer nombreuses et aucune (par exempleIa liberté
de faire du commerce ou des profits) ne doit avoir de priorité absoluesur les autres.
Chaque ordre fait ainsi la preuve de sa capacité a inclure le tiers, concept défini par
l'auteur a la fois cornme ouvertureaux aspirations de tout homme, de tous les hommes
(presents et a venir) et ouverture aux intérêts des autres ordres (qui défendent
les intéréts sectoriels des individus).

8. Ii est possible que les quelques ventes de terres qui ont Pu se réaliser a cette
nous n'avons jamais Pu verifier s'il y avait bien eu transaction marchande -
l'aient pour ne pas tout perdre>> : les chefs de terre auraient venduauxmigrants
Mossi une terre devenuepropriété de l'Etat depuis 1937. En milieu urbain, une telle
reactionest rdgulierement observée avant le lotissement d'une zone.

9. Notammentsur le dClicat problème de l'interdit coutumier de vente au momentde la


soudure. Voir note n°7.

190 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde eta conservation


de Ia biodiversité enAfrique de 'Questet du Centre
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192 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde etIa conservation


de a biodiversité en Afriquede IOuest et du Centre
Pratiques traditionnelles de gestion
des ressources végétales en milieu
Bamanan du Bélédougou (Mali)

Adama Moussa TRAORE


Résumé

Cette présenteles pratiques traditionnelles qui nuisenta Ia surviedes et


de leurs espèces ligneuses. Malgré Ia degradationdu milieu et l'érosion de la diversité
biologique, les populations Bamanan du Bélédougou (Mali) ont adopté des pratiques
locales en vue d'une meilleure gestion des ressources ligneuses. Aussi, pendant que
certaines espèces sont craintes et vénérées, d'autres sont-elles interdites d'utilisation
comme combustibles, alors que d'autres encore sont utiles a divers

Introduction
Le Mali est un pays continental de 1.241.000 Km2 occupé du nord au sud par les
saharien(50% du territoire), sahélien (30%), soudanien et guinéen (environ
20%). PIus des deux tiers du pays sont occupés par les domaines sahélien et saharien.
Cette situation géographique affecte la repartition de la population sur l'ensemble du
territoire. La densité moyenne est de 6 hab/km2dans le nord du pays et peut atteindre 345
hab/km2 au niveau des superficies arables plus arrosées. La forte pressiondemographique
au sud conduit a une surexploitation des terres pour la satisfactiondes besoins sans cesse
croissants. Au même moment, les techniques de production rurale restent encore
rudimentaires (agriculture itinérante, elevage extensifde prestige, abattage de la forét pour
les besoins pratique des feux de brousse, etc.) En consequence, le Sahel et le
desert avancent inexorablement, pendant que la savane recule. A cheval sur les zones
soudanienne et sahélienne, le Béledougou couvre une superficiede 16 300 km2. Ii paie un
lourd tribut dans le cadre de l'exploitationde ses ressources naturelles. La satisfaction de
tous les besoins de la population de Bamakodependde la zone situéedans un rayon de 20
a 200 kmautourde cetteville.
Cette réaliséedans le Bélédougou, voudraitd'une part identifierla perception des
populations de la zone sur leurs problèmes environnementaux, et d'autre part dresser un
inventaire des representations et pratiques de gestion des plantes afin d'integrer les
culturels aux programmes de gestion de l'environnement. Ce qui permettra
d'établir un lien intime entre ces programmes et les populations locales.

I. Le milieu

Le Bélédougou est situé au nordde Bamako. Il est peupléde Bamanan et couvrele cercle
de Kolokani, une partie du Mandé, le Cercle de Kangaba a l'ouestde Bamako (zone de
peuplement Mandéka ou Malinké) et une partie du Djitoumou de peuplement egalement
Bambara. Chacun des trois périmètres géographiques constitue une entité homogenedu

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 195


point de vue culturel. Le Bdlédougou est peuplé a 95% de Bamanan qui vont imprimer
leur culture a l'environnement. Le cadre géornorphologique est monotone et présente
cependant, par endroits, des points relativement vestiges des plateaux de
l'intercalairecontinental et du mandingue.

Les moyennes pluviometriques sont d'environ 1000 mm. Le climatest de type soudanien
a deux saisons (saison sèche et saison des pluies). Ii est caractérisd par I'harmattan
(pendant la saison sèche) et la mousson(pendantla saison des pluies). On y distinguela
savane arborée, Ia savane-parc et les milieuxvegetaux prochesdes villages. On trouve des
formations initiates relictuettes sous forme de bois sacrés au voisinage des villages.
Globalement, ii est possible de distinguerune strate arborée plus ou moms dense, une
strate arbustive et un tapis graminéen. L'action anthropique y est partout présente. La
savane-parc, constituée uniquement d'arbres sétectionnds, couvre les terres en
exploitation et les jachères. Elle est constituée d'arbres fruitiers ou craints IlVitellaria
paradoxa (karitd), Parkia biglobosa (ndré) et Adansoniadigitata (baobab)].

Les milieux vdgétaux proches des villages forment un paysage compose d'essences
plantées soit pour leurs fruits, soit pour leur ombre tMangifera indica (manguier),
Azadirachta indica (neem) et Carica papaya (papayer)j, ou d'espèces spontanées de ta
savane [Ceibapentandra (fromager)I.

Certaines pratiques humaines sont nocives pour cet environnement déjà fragilisdpar la
sécheresse. En effet, l'extension des champs, t'exploitation des versants, les feux de
brousse(tardifs souvent) sont des pratiquescourantes.

II. Pratiques traditionnelles nocives a I'environnement

2.1. Le déboisement

Le Beledougou est te pourvoyeurde Ia Commune de Bamakoen combustible ligneux et


en charbon. La population tire de ce commerce un profit financier qui compense le deficit
vivrier lie a l'appauvrissementprogressifdes terres. La récoltede bois-dnergie est l'une
des principales sources de revenus financiers de ta zone. Etle est pratiquée par les hommes
et les femmes sédentaires, mais aussi par les migrants qui en font leur seule activité
génératricede revenus. Les défrichements incontrôtés sont aussi a ta base de déboisement
intensif. La creation d'unnouveauchampest une occasionpour couper tous les ligneux, a
l'exceptionde ceux qui sontjugds utiles ou craints.

196 Pratiques culturefles, a sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversitéen Afriquede l'Ouest et du Centre
2.2. Les feux de brousse

Les feux de brousse constituent une tradition dcologique dans le Bélddougou. us peuvent
être accidentels et involontaires. Les feux de défrichement sont souvent a
l'origine de feux de brousse involontaires. 11 est de tradition, dit-on, que la population
locale soit la premiere a provoquer le feu de brousse. Les feux volontaires, généralement
précoces, ont moms d'effets nocifs sur l'environnement que les feux tardifs qui
provoquent plus d'inconvénients. En effet, certaines etudes reconnaissent plus
d'inconvénients que d'avantages aux feux de brousse. Les effets les plus marquants des
feux concernent la diminution de la teneur en matière organique, la baisse de capacité
d'échange cationique et l'augmentationdu pH du so!. Le role du feu sur le sol reside
surtout dans Ia denudationdes terres qui sont exposées au vent, a la pluie et au soleil. Ii
accentue ainsi l'érosion et la "ferrugination" par bandes dont l'effet ultime est la
"bowalisation", un phénomène irreversible. Le feu tardif peut être a l'origine du retard de
la croissance des végétaux, les jeunes pousses brüldes chaque année par les feux.
Cela entraIne un rabougrissement des plantes" (Maire et al., 1994). Malgréces pratiques
nuisibles, ii existedans le Bélédougou une logique de gestion des ressources axée sur les
representations et les pratiques traditionnelles.

III. Logique traditionnellede gestion de I'arbre

La logique de gestionde l'arbre est sous-tendue par des strategies diverses. Ces dernières
reposentsur des pratiques d'exploitationdes ressources ligneuses relatives a la logique
d'arbre craint et a celled'arbre utile.

3.1. L'arbre craint

Pour le Bambara du Bélédougou, certains arbres apparaissent comme ayant un double


immatériel (le niama). Il en résulteunecroyance relative aux végétaux craints.Les grands
arbres sont considérés comme des jirimansa (arbres rois). Queue que soit l'espèce, un
arbre de taille importante ne doit pas être abattu. Un arbre dont le tronc ne peut être
ceinturé avec les deux bras ne doit pas être coupé, sous peine de sanction grave. Les
grands arbres sont craintsparcequ'ils sont considérés commehantés par des genies.Celui
qui en coupepeut en mourir.

Certaines autres plantes, quels que soient leur taille, leur habitat ou leur port, sont craintes.
Celles que nous avons recensées parmi ces espèces sont le jala ou caIlcédrat (Khaya
senegalensis), le santan (Daniellia oliveri), le lèngèn (Afzelia africana), le banan ou
fromager(Ceibapentandra) et le bounboun ou kapokier(Bombax costatum).

Ouagadougou (Burkina Faso), du l8au21 julri 2001 197


Un arbre qui pousse droit et en dessous duquel aucune autre espèce ne pousse est craw'
queueque soit i'espèce. II en est de inCmede ceuxsous lesquels on n'apercoitpas le soleit.
Par ailleurs, un arbre qui pousse sur une termitière n'est jamais coupé. Sont egalement
les associations arbres-lianes ainsi queles peuplements pursd'espèces.
La raison essentielle de la crainte de ces végétaux est qu'ils sont habités par des genies qui
les protégent.La sanction ultime encouruepar l'abattage de ces végdtaux particuliers est
la mort.

L'arbre apparaIt comme un qu'il faut crairidre, defier, combattre ou vaincre. Cette
conception particulière de Ia relation homme-arbre est encore vivace dans le Bélédougou.
Elle a forcément une incidence sur le modelage du paysagedu terroir.

3.2. L'interdit combustible

Dans la zone, les ménages n'utilisent pas certaines essences vegétales comme
combustibles. Certaines sont consignées dans le tableau I ci-dessous.

Tableau I: Essences "interditest' a Ia combustion

Nomstraditionnels Nomsfrançais Nwns seientifiques Pourcentagede


ménages ne les
consommantpas
Jala Cailcédrat Khayasenegalensis 98%
Sanan - Daniel/ia oliveri 100%
Lenken - Aftelia africana 100%
So - Combreturn glutinosurn Indéterminé
ganika - Inc. 100%
Buren - Gardeniaerubescens 87%

La sanction encourue pour avoir brfllé le bois interdit a la combustion peut aller de Ia
tensionsociale entre membres d'une méme famille ou du méme village aux maladies et
méme a la mort. Cette croyance est encore très vivace et permet d'dpargner quelques
espèces qui sont a régéndration lente.

198 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde etIa conservation


de Ia biodiversitO en Afriquede I'Ouestet du Centre
3.3. L'arbre champêtre

II existe une relationentre Ia cueillettedes fruits, la plantation et Iajouissancede la terre.


L'arbre est Ia preuve du droit d'usage de la terre en milieu Bamanan. Pélissier (1980)
rapporte Ia mêrne situation en pays Sérèr (Senegal)en ces termes : <<Tout défrichement
laisse sa trace dans la nature de la vegetation secondaire, de mCme que toute selection
arborée atteste une occupation antérieure : le paysage est l'empreinte visible des droits
fonciers, par nature inaliénables, détenus par les premiers défricheurs et par leurs
descendants. Si, en droit traditionnel, Ia terre porte seulement des droitsd'exploitation,le
concept de propriete s'appliqueintégralement a l'arbre. L'exploitationde l'arbre signifie
le droit de l'exploitationdu sol elle en est le signe et si ndcessaire la preuvejuridique.>>

Les essences utiles et craintes des champset des jachères sont propriétésde celui qui a
procédé au premier défrichement. Elles sont liées au "droit de hache' ou "a la terre'. La
mise en valeur de la terre est signifiee par le droit d'usage sur les arbres. Ce droit d'usage
sur-le-champ et sur l'arbre est inalienable, selon le droit coutumier. L'exploitationet la
consommation sont assurées par le groupe elargi, c'est-à-dire la famille ou même la
communauté villageoise, et permettent de preserver ainsi, collectivement, Ia gestion des
ressources naturelles.

3.4. L'arbre utile

La cueilletteest une activitétraditionnelle qui joue un grand role dans Ia vie quotidienne
des villages de la zone enquêtee. Nous ne traiterons pas des plantes médicinales dans ce
chapitre.

3.4.1. Le bois

Le bois, essentiel de l'habitat traditionnel, occupe une place de choix dans Ia


gamme des matériaux utilisés dans l'artisanat. Ii permet de satisfaire presque tous les
besoins A chaque fonction du bois correspondent des espèces ligneuses
précises. Les bambous et la paille sont utilisés pour couvrir les toits. Les branches de
Prosopis africana sont utilisées comme fourches dans la construction des hangars et des
estrades. Les traverses sont faites avec le tronc de Bombax costatum. Ce demier et
Cordyla pinnata sont très utilisés comme bois d'ceuvre.

Une pareille selection est de nature a limiter Ic prélèvement du bois de service sur le
"stock naturel'.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 jun 2001 199


3.4.2. Les fruits

Les fruits jouent un role très important dans l'alimentation du Bamanan. Les produits
alimentaires qu'offre l'arbre contribuent, par leur complémentarité, a l'equilibre
nutritionneL Ces produits forment souvent la base de l'alimentationpendant les périodes
de soudure.

Tableau II: Quelques essences fruitières consommées dans le ml lieu

NomsvernaculairesNomen francais \urnsscientifiques Partieconsommée


du fruit
Nornono Jujubier Ziziphus ,nauritiani Pulpe des graines
Zègènè - Balanitesaegyptiaca Pulpe des graines
Sira Baobab Adansonia digitata Pulpe des graines
Se Karité Vitellaria paradoxa Pulpe et beurre
Koroninfin - Vitexcuneata Pulpe du fruit
Dugura - Cordyla pinnata Péricarpe
Zaban - Saba senegalensis Pulpe des graines
Buren - Gardeniaerubescens Péricarpe

Les essences, dont les fruits ou autres organes sont consommés, sont strictementprotégées
au momentdes défrichements.

3.4.3. Les feuilles, fibres et

Les feuilles, commeles fruits, sont les aliments essentielsdes périodes de soudure. Les
feuilles sont exploitées en toute saison. Elles sont, par leur qualité alimentaire,
irremplaçables. Elles sont les plus consommées avec tous les plats de cérdales, a
l'exception de Ta bouillie. Comme le signale Pélissier(1966), au Senegal, "consommées
fraIches, elles tiennent lieu d'dpinard, riches en sels minéraux et en vitamines A et C.
Mais, séchées, elles sont le plus souvent transformées en poudre mêlée aux sauces pour
les rendre mucilagineuses et aux plats a base de céréales auxquels elles donnentliants et
onctuosité. Les analyses des nutritionnistes révèlent en particulier l'extraordinaire richesse
des feuilles de baobab séchées en calcium et en fer dont le mU est gravementdéficitaire.
Cent grammesde feuilles de baobab séchéeset réduites en poudre fournissent,en effet,

a
Pratiquesculturehes, Ia sauvegardeet conservation
ciaIa biodiversité en Afriquede I'Ouest etduCentre
deux mule milligrammes de calcium, alors que le même poids de lait n'en procure que
cent vingt ; la même quantité d'arachide,cent cinquante, et la même mesurede mu ou de
poisson, trente. De mêmecent grammes de feuilles de baobab séchées procurent quarante
neuf milligrammes de fer, contre quatre pour le même poids de mu, 2,5 pour le même
poids d'ceufs ou de poisson sec, un pour le même poids de riz ou de manioc. Aucun autre
produit de cueillette (qu'il s'agisse du néré ou du tamarin, pourtant très précieux) ni
aucune autre plantecultivée (aussibien le gombo, que le niébé ou les feuilles de manioc)
ne joue un role capital dans l'equilibre de la ration alimentaire du paysan de la brousse
sahélo-soudanienne". Si les feuilles de baobab sont riches en oligo-éléments, le potentiel
alimentaire en gucides provientdes céréales.

L'exploitation forestière n'exige pas d'autorisationrigoureuse. Chaque personne joue son


rOle dans la preservation des ressources de cueillette par la dénonciation d'éventuels
contrevenants. Lorsquele bien commun est menace,la population réagit sous l'autoritédu
chef de vil'age et condamne le coupable. La peine peut aller de La réprimande au
châtimentcorporel.

Conclusion

L'environnementn'a d'existenceque dans son interrelation avec Ta société qui l'occupe.


Cette interrelation en milieu bambara renvoie a des representations et a des pratiquesde
gestionpropres a Ia société. Elle relève d'une structuresociale et culturelle suffisamment
ancréedans les croyances.

L'exploitationdes ressourcesnaturelles est liée a un systèmede valeurset a


un ensemble de connaissances que chaque individu partage implicitement avec ceux du
groupe culturel des l'enfance. Les ressources sont manipulées sur Ia base de normes
culturelles partagées entre tous. La cueillette n'est pas soumise a un contrôle ferme tant
que cette exploitation vise a satisfaire des besoins immédiats. Une autorisation
d'exploitation peut être nécessaires'il s'agit par exemple de l'arbre champêtre. Mais elle
est rarement refusée.

Dans le Bélédougou, on ne fait pas feu de tout bois. Autrementdit, Ta ménagère ne


s'autorisepas a brUlerle bois de certaines essences végétales.

Partagée par tous les membres de Ia communauté, cette vision permet a chacun d'agirde
faconautonome, mais harmonieuse, en l'absence de contrOle centralisée ferme.

Ouagadougou (Burkna Faso), du 18au 21 jui 2001 201


La logique 'paysanne demeure populaire dans son essence. Chacun est instruit de
normes d'exploitation des ressources naturelles. Les endogènes de Ia logique
traditionnelle sont admis par toute Ia population.

L' d'une plate-forme d' integration des logiques traditionnelles, irrationnelle


s'impose. Déjà, les collectivités locales ont
Ct rationnelle, associées a Ia gestion des
feux de brousse a travers un séminaire dont les conclusions ont prises en compte dans
les nouveaux textes forestiers.

La décentralisation est un facteur favorable a cette integration. Dans ce cadre,


l'institutiorinalisation du transfert de l'autoritéaux collectivités doit se faire par:

- le transfertdu droitde propridté sur les ressources naturelles aux utilisateurs locaux;

- la dévolution du pouvoirde concevoirles règles de gestionaux institutions locales qui


sont seules compétentes pour les adapter a leur milieu;

- Ia dévolutiondu pouvoirde resolution des conflits aux institutions locales.

2O Pratquescuturelles, a sauvegardeeta conservatkn


ic Ia biodiversitO en Afriquedo IQuest et du Centre
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Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 203


Role des structures traditionnelles
dans Ia valorisation de Ia biodiversité
en Guinée

Marcel SOW
Centre d'Etude et de Recherche
en Environnement, Université de Conakry (Guinée)
Résumé

En Afrique, les savoirs ancestraux ddtenus par les structures traditionnelles, qui
contribuenta La sauvegarde de la biodiversité, ont souvent occultés. Pourtant, dans
diverses communautés, ces savoirs, auxquels maintes sociétés sont inféodées, ont
largement favorisé Ia protection des ressources naturelles. II existe, dans Ia plupart des
regions de Ia Guinée, des lieux sacrés (forêts sacrées, bosquetset cimetière) oil les divers
de Ia biodiversité jouissent d'une protection integrale contrôlée par les chefs
traditionnels. Dans ces lieux, des activités comme Ia pCche et Ia coupe du bois sont
interdites ou simplement autorisées pendant une période de l'année. Constituant un
d'identité culturelle, les ressources végetales provenant de ces lieux sont
valorisées par les guérisseurs traditionnels et utilisées (cas du rônier) dans des cérémonies
culturelles. Dans les communautés Malinkés, Coniagui et Bassari, ii existeune legislation
traditionnelle promulguée par les chefs coutumiers, qui rdgit l'exploitationrationnelle des
ressources naturelles dans les différents corps de mCtiers.

L'ensemble des acquis devrait Ctre pris en compte par les décideurs dans Ia conception
d'un programme de gestion integrée et durable des ressourcesnaturelles. Pour y arriver,
une recherche sur les pratiquesculturelles prévalantdans les lieux sacrés et Ia promotion
de Ia legislation traditionnelle en la matière apparaissent comme un passageoblige.

Introduction

La diversité biologique prCsente en Afrique une valeur qui a negligeeou considdrée


commesans importance, par Ic simple fait qu'on la rattache a la superstition. Pourtant, de
nombreuses planteset des animaux sont utilisés pour remplirdes fonctions sociologiques,
culturelles et religieuses, ce qui leur donne un statut permettant d'éviter leur exploitation
inconsidérde et leur extinction.

En Guinée,ii existe, au sein des diffCrentes structures traditionnelles, des connaissances


qui se transmettent de génération en génération. Ces structures ont, par le passC, contribué
activement au maintien de Ia biodiversité des dont elles sont tributaires.
Oman cite par Byers (1997) décrit une révCrence generale a l'egard des ressources
naturelles dans bon nombrede sociétés africaines. La révérence des Africains a l'égard de
la natureet des endroitsnaturels une attitudeet une pratique religieuse qui, tout en se
développant, remplissaient indirectement d'autres fonctions sociales au sein de l'ensemble
de Ia communauté.

Dc nosjours, les savoirs ancestraux sur les plantes, les animaux, les maladies, au lieu de
se développer, régressentau contactdes techniques nouvelles. Le presentarticletente de

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 207


ddfinir le role des structures traditionnelles guinéennes dans Ia valorisation de Ia
biodiversité. Dans cette optique, nous situerons 1' importance des lieux sacrés et de Ia
legislation traditionnelleen matière de gestion des ressources naturelles. Nous verrons
egalement en quoi ii est opportun de valoriser les savoirs traditionnels de nos
communautés dans Ic cadre d'une gestion intégrée et durable des ressources naturelles.
Une telle pourrait nous fournir de précieuses informations en vue de bâtir des
strategies pour conserver la diversité biologique.

I. Gestion de Ia biodiversitédans les Iieux sacrés

Essentiellement constitués par les forêts sacrées, les bosquets se rencontrelit un peu
partoutdans le pays. us sont un pan important de l'identité des populations locales(Jonas,
1998). D'après le rapport PNUE/GUINEE (1996), l'origine de ces lieux remonte a l'âge
des communautés qui les adorent. C'est pourquoi leur conservation est placée sous la
responsabilité des chefs traditionnels. Des multiples fonctions de l'arbre, il en est une
essentielleen Guinéequi trouve son fondementdans les croyancesa la fois mystiques et
religieuses : c'est la dimension sacrée de l'arbre. Houngnihin (1998) note que
l'implantationdes sanctuaires et les rites qui se déroulentdans les forêts et les plans d'eau
ont permis la survie des ressources naturelles dans maintes regions. Pélissier (1980)
signale que Ia forêt et le bois sont, pour de nombreusesethnies africaines, les domaines
des ancétres fondateurs. Ils abritent les tombes et le pantheon des demi-dieux dont les
arbres sacrés sont les demeures. Pour Bertrand (1992), sur le plan socio-culturel et
magico-religieux, Ia forêt est le repaire des esprits et Ic support des representations
mythiques collectives.

Au Fouta Djallon, les forêts villageoises et les bosquets sont, depuis des temps reculés,
objet d'une protectionintegrale contretoute exploitation assuréepar les sagesdu village.
Certaines espèces arborescentes1 font objet dune gestion rationnelle. Même pendant les
ddfrichements culturaux, ces espèces sont et bénéficient dune protection
particulière (Diallo et Diallo, 1999). Daprès Dube (1994), les galeries du Fouta Djallon
ont un role majeur despace tampon pour la regularisation des cours d'eau et leur
conservation est géneralement favorisde par les coutumeset réglementations villageoises.

Une récente réalisée par PNUEIGUTNEE (1996) révCle que certains bosquets et foréts
constituentles seules structuresou reserves traditionnellesde conservationin situ. Des animaux
sont egalementconsidéréscomrnesacrés. Leurpéche et leurchasse sont,de ce fait, interditesou
autorisdesseulement a certainespériodes de l'année. La méme precise que des pratiques
traditiotmelles courantes en Guinée, permettant d'accroItre la culture de certairis arbres,
présententun intérCt socio-culturel evident. Par exemple, dans Ia region maritimede Ia Guinée,
ii n'est pas rarequ'à Ia naissance d'unenfant son cordon ombilical soit enterré avec un jeune
plant d'arbre fruitier (colas Ic plus souvent).Cet arbre devient lepremier cadeau du nouveau-ne.
L'étude signale enfm que certaines traditions en Guinée forestière favorisent la protection des
animauxen considérantleur consommationcomme un totempourcertainesfamilies.

208 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversitéen Afriauede 'Questet du Centre
Dans Ia plupart des regions de Ia GuinCe, certaines espèces végétales, a cause de leurs
fonctions sociales dans les cérémoniesculturelles, béndficient de mesures de protection
de Ia part des chefs coutumiers. Diallo et Diallo (1999) remarquentque La noix de colas
est considéréecomme sacrée et occupe une grande importance coutumière. D'après Ic
Ministère de Ia Sante Publique (1996), les plantes médicinales constituent un
d'identité culturelle a travers Ia spécificité de leur forme d'utilisation. Les différents
usages qui sont faits des plantes mddicinales découlent d'un ensemble de savoirs et de
savoir-faire, qui ont constitué des réponses originales des tradipraticiens face a la maladie
et a la souffrance humaine. Et l'auteur de conclure que c'est << pour cette raison que les
floristiques entrant dans Ia pharmacopée, dont dependent la survie des
populations locales et un certain de la biodiversitd universelle, sont jalousement
proteges dans diverses regions du pays par les chefs coutumiers

En Guinde, le cimetière a toujours une forme de conservation de la diversitd


biologique et de toute autre ressource affiliée. Cest une zone sacrée oü personne ne
sintéresse a retirer le moindre Même le bois mort se decompose et se recycle au
gre de la nature. Les cimetièresconstituent un reservoir assez riche oü plusieurs espèces
de la forêtdense anivent a trouverun micro - climat ideal a leur survie.

En pays Coniagui, le rônierest 1'objetd'une attention particulière. Kouyaté et al. (1998) et


Diallo (1999) précisent que ses feuilles sont utilisées pour la fabrication des colliers de
fiancailles, des masques et les anciennes noix du fruit dans les danses traditionnelles.
Dansle parc Niokolo-Badiar, il existe, a l'échelle des localités riveraines, des associations
traditionnelles, appelées comitésde gestionde Ia rôneraie, qui veillent a la sauvegarde de
l'espèce.

II. Le role de Ia legislationtraditionnelle

A l'échelle des communautés Malinké,Coniaguiet Bassari,ii existedes lois reglementant


la gestion de la biodiversité. Chezles communautés Malinké, une charte sur la gestiondes
ressources naturelles a dtd votée, ii y a 765 ans. Institutionnalisée dans le cadre d'une
stratégie de gestion durabledes ressources naturelles, cette charte propose une démarche
conventionnelle d'exploitationde chaque type de ressources, jalousementsuivie par les
structures traditionnelles. Autour des lois, les sages ont formulé plusieurs versions
mythiques pour empécher La destruction de La biodiversité. Selon Berete (1998), cette
legislation couvrait les rubriques suivantes:

- la réglementation de la chasse allant du calendrieraux méthodes, des moyens et des


produits de chasse dansla conventiontraditionnelledes chasseurs a travers le Donsoton;

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 jun 2001 209


- l'exploitation des ressourceshalieutiques se faisait sur la base des dispositions
conventionnelles appelées loi de la pCchekomonton ou Djéké faga ton;

- Ia gestiondes feux de brousse rdgiepar une sommede reglements allantdes feux


domestiques, des feux de défrichement aux feux de brousse ; le ta ton ( ta synonyme de
feu et ton loi).

Pour contrôler la legislation, un certain nombre de dispositions a pris par les chefs
coutumiers. Par exemple, Ia surveillance systématique de la brousse du ressort des
chasseurs symboles d'hommesde la loi. Leurs constats sur tout autredélit portés a
l'attention des chefs de village appelés a trancher en college des sages. Face aux rares
réfractaires, le village, a travers le pouvoir coutumier, brandissait l'amende fixée par et
pour le village.

Gakou et Dicko (1997) signalent que le pouvoir de la legislation traditionnelle, en pays


malinké, est renforcépar celui de la caste des griots, véritables maItres de la parole. Lors
des grandes soirees culturelles des villages, les themes de sensibilisation et d'éducation,
<<danger des feux de brousse >>, sont traites et par les griots. Ainsi, a travers un
processus de distribution de la parole, qui est propre aux Malinké, l'information est
distillée, interpreteeet analysée du centre des decisions jusqu'à Ia cellulefamiliale.

Chez les Bassari et les Coniagui, Ia legislation villageoise joue un role preponderant dans
la gestionde la rOneraie villageoise. Les prises de decisionconcernant cette gestion sont
discutees collegialement en assemblée sous la presidence du chef coutumier. L'application
des lois qui en résultent est confiée a un masque appele <Loukouta>, sous l'autorite du
chef de villagequi les programme ou les designepour telle ou telle action. Lesmasques
sont, en general, très respectéset leur ordre est immédiatement exécuté même par les
chefs de village, quand ceux-ci sont en contradiction avec les règles de la coutume. Les
masques font payer des amendes a tous les citoyens en faute, y compris les chefs de
villageet chefs coutumiers.

III. Le renforcement des savoirs endogenes


dans Ia gestion de Ia biodiversité

La culturetraditionnelle guinéenne, loin de constituer un obstacle a la protection de


l'environnement, serait un des meilleurs garants de la protection des ecosystemes et de Ia
perennite de la biodiversité. Ii nous semble donc que la promotion de la gestiondurable de
Ia biodiversite implique que des efforts soient deployespour preserver certains types de
comportements culturels. En effet, chaque communauté prend des decisions sur la facon
d'utiliser les ressources naturelles de son environnement dans le cadre de son propre

Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversitO en Afriquede l'Ouestet du Centre
de valeurs. Les dCcideurs doivent prendre en compte ces valeurs et les pratiques
qui en découlent, pour une gestion durable de la biodiversité a travers une approche
commuriautaire.Acet quelques pistes de solutions s'imposentpour Ic renforcement
des savoirs endogènes:

- entreprendre une recherche plus poussée pour cerner les attitudes, connaissances et
pratiques ayantpermis aux populations de vivre en equilibre avec leurs terroirs pendant
longtemps;
- procéder a un recensement et a un classement typologique des foréts sacréesa travers
le pays;
- réaliser un inventairedes ressourcesnaturelles des foréts sacrées en vue de bâtir une
stratégie d'aménagement et de protection de ces ressources;

- promouvoirla médecine traditionnelle par la creationdes périmètres aménagés pour le


repeuplement des espèces vegetales menacées de disparition;

- aménagerdes templeset lieux culturels dans les forêts;

- introduire les acquis de la legislation traditionnelle dans le cadre legislatif et


réglementaire régissantla gestion de la biodiversité.

Conclusion

La presente révèle que les facteurs socio-culturels tels que les traditions, les
coutumes, les croyances et les tabous sont des determinantspour influencer les
comportements des populations vis-à-vis de Ia sauvegarde de la biodiversité. Lies aux
valeurs et normes sociales, ces facteurs motivent les decisions, pratiques et actions
durables.

Lorsque des facteurs socio-culturels motivent des utilisations durables des ressources
naturelles, les décideurs devraient logiquement valoriser les savoirs traditionnels des
communautés en matière de gestion de Ia biodiversitéen préservant les traditions, les
coutumes et les croyances des divers groupes culturels et en intégrant les acquis de la
legislation traditionnelle en la matière dans Ic cadre législatif et réglementaire de la
gestion de la biodiversité. Une telle démarche, ainsi que le constate Galwen (1992),
favorise une integration des actions de conservation au tissu socio-culturel, cc que
recommande, d'ailleurs, la legislation internationale sur les droits de I'homme, qui
favorise le droit a chaquepeuple de preserversa propre culture.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001


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212 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de a biodiversitéen Afriquede rOuest et du Centre
1'l 4.

Representations végétales comme


soubassement a une action de sauvegarde
et de conservation de Ia biodiversité

Fatima MOUNKAILA
Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Université
Abdou Moumouni, Niamey (Niger)
Résumé

Dans Ia tradition nigdrienne, de nombreux mythes et representations demeurent vivaces


dans les mémoires, qui rappellent que l'equilibrenaturelest rompu et queles populations
en sont conscientes. us apparaissent aux travers de récitset contes qui parlent d'êtres qui,
souvent, gèrent les ressources naturelles. Certaines autres representations lient la vie des
hommesa celle des végétaux dont us ont besoin quotidiennement. Mais aujourd'hui, la
plupart de ces sites (mares, rivières, bosquets, etc.), végétaux et animaux, ont disparu et
l'honimeest de plus en plus conscient quela disparition de ces formes n'est qu'un prelude
a sa propredisparition.

Introduction
Sansperdre de vue le fait que toute actionde sauvegarde de 1'environnement qui se veut
efficace doit s'inscrireobligatoirement dans une approcheglobale de lutte, nous pensons
que nul ne peut être sur tolls les fronts a la fois. C'est pourquoi nous avonschoisi, tout en
restant dans le cadre de cette approche, de nous intéresser a l'une des composantes les
plus visiblesde notre cadre de vie : le couvert vegetal victime a La fois de 1'insécurité
alimentaire, de Ia pauvreté, de Ia crise de l'energie, tous maux qui ne sont ni nouveauxni
inconnus au Sahel, mais qui sont causes de l'exploitationdésordonnde souvent observée.
Les anciens modes et regles de prélèvements devenus inadaptés a la situation ont
délaissés, alors que les nouveaux, ceux que propose l'administration,sont ostensiblement
rejetespar les populations. Commentalors comblerle fossd d'incommunicabilitéqui s'est
ouvert entre les politiquesgouvernementales et ceux en faveur de qui ces politiques sont
misesen ceuvre ?Au vu du succèsplutôtmitigéde programmes de sauvegarde du couvert
végétalet de la biodiversité conduitsa grands frais, il
t plus que temps de se tourner
vers des strategies concuesavec la participation 1'adhesion des populations. Or si, dans
son principe, I'approcheparticipativeest largement entrée dans les murs des projets de
développement, ii n'est pas sür qu'elle ait eu partout l'assentimentdes acteurs, faute de
s'être suffisamment intéresséeaux savoirs locaux et a leurs soubassements. De nombreux
mythes et representations demeurent dans les mémoires qui rappellent que certains
dquilibresont rompus et que les populations sont sensibles aux maux occasionnéspar ces
ruptures. s'agit par exemple de tous ces récits de monstres gardiens et dispensateurs
Il
d'eau (source de vie), dévoreurs souvent de belles et jeunes flues qui, du Serpent du
Wagadou de l'Ancien Ghana au genie de la Mare de Yalambouli1 au Niger, veillaient
jalousement sur les points d'eau et biefs de l'espace sahélien ; il s'agit egalement de ces
representations qui liaient intimement la vie des honimes a celle des végétaux qui les
entouraient. Aujourd'hui, ces végétaux disparaissent, constatent les hommes du Sahel,
conscients que cette disparition sera irrémédiablement suivie de la leur propre.

1 Mare del'ouest nigerien oà eut lieu lesacrficedeTouladont lalégende racontëepar Boubou Hama a portée al'ëcran
par Anna Scering etMoustapha Alassane

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18au 21 juin 2001 215


Comment alors sauvegarder cc qui reste, comment conserver et même restaurer un
couvert vegétalsans cesse rogné par la désertification resultant de phénomènes naturels et
anthropiques ? Si nous restons sans prise decisive sur les phénomènesnaturels, nous
pouvons encore tenter d'endiguer les effets de l'action de l'homme, en puisant dans la
culture, les representations, savoirs et savoir-faire susceptibles de fournir des axes
stratégiques de lutte. Les femmes, a cet parce qu'elles sont les gardiennes
incontestées des representations et savoirs populaires, par les roles que leur attribue Ia
division sexuelle du travail dans les villages et l'expertise qu'elles en acquièrent, sont
capables d'insuffler une dynamique nouvelle et efficace au combat contre la stérilité, qui
menace leur espacede vie, a condition qu'on leur en donneles moyenset le sentiment que
l'ruvre a accomplir ne sera pas considérée comme << travail de femine >>, toujours
défectueux et, donc, toujours a recommencer.

I. Quelques représentations-trempi ins de I'espace sahélien

L'analyse des representations de l'espace paraIt essentielle parce qu'elle permet de


comprendre la gestion de I'environnement et le mode d'occupation des terres, et parce
qu'elle permetd'appréhenderles rapports queles populations entretiennent avec le milieu
physique. Des questionnaires et guides d'entretien administrés dans quatre villages de
l'ouest nigérien ont permis de relever le vocabulaire qui montre la manière dont les
villageois perçoivent la baisse de fertilitédes champs et Ia degradationdu couvert vegetal
qui les entoure, avec,commecorollaire, la baisse de productivité partout dCcriée.Mais les
réponses recueillies ont permis de mettre ajour nombre d'images positives qui
lient les hommes aux végetaux : images réutilisables, mCme Iorsqu'elles datent de Ia
période antérieure a ce que d'aucuns qualifient d'évolution catastrophique de
l'environnementsahélien au coursdes quatre ou cinq dernières décennies. A cet egard,les
habitants des villages témoignent de l'amenuisementaccéléré des brousses, et la mise en
regard des photos aériennes prises a vingtans d'intervalles (1956, 1975, 1996) confirme
l'extensiondes aires de culture et Ia reduction de la végétation naturellea des arbrisseaux
de type Guiera senegalensis, cependantque se raccourcissent les durées des jachères,
mode de restauration des sols encore largement pratiqué dans les terroirs (Bouzou
et al. 1996).

1.1. Le village et Ia brousse

Le village et la brousse naguère deux entités sinon antagonistes, du moms


antinomiques. Aujourd'hui, on passe de l'un a l'autre sans changer l'allure de ses pas,
sans accorder Ia moindre attention aux maigres buissons des bords du chemin qui ne
peuvent plus guère dissimuler la menacede quelque bête fauve.

216 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversité en Afriquede I'Ouestof du Centre
1.1.1. Definitionsdu village

Pour les habitants des villages de Nazey et Tongom en Zarmganda, la presencehumaine,


synonyme de solidarité et de protection contre l'adversité, est Ia premiere definition du
village. Mais dans ces regions eloignees de tout cours d'eaupermanent, le puits constitue
Ia condition d'installation et d'implantation du village. Avant le foncage du puits, le
village n'est qu'un campement appelé a se disperser. Les rites, naguère lies au puits, et le
partage de l'espace agricole a partir de son pourtour et formant auréoles autour de
l'ouverture de celui-ci témoignent de cette representation centrale et constituent le
réseau de liens qui fixent les villageois aux poutres de soutainement de la margelledu
puits. Si les villageois ajoutent par ailleurs que le village apparaIt comme lignees,
ensembles de personnes descendant du même ancêtre et répartis dans les quartiers en
fonction de l'histoire de l'installationdes fondateurs et selon Ia gestionpolitiquelocale, il
n'est pas rare que ces quartiers, voire Ic village tout entier, portent le nom d'un vegétal
symbole de Ia possibilité de la vie dans l'endroit. Ces liens existentiels, qui conditionnent
Ia survie des villages en tant qu'entités politico-administratives et, en consequence,
symboles de l'identité de leurs habitants, peuvent être de puissants ressorts a exploiter
dans des programmesvisant la sauvegarde et Ia conservation de Ia biodiversitépour un
développement durable. Notre collègue, membre de l'équipe de recherche SPP-
Environnement, Garba Mounkalla, décédé dans le courant de l'année 2000, a recensédans
les zones songhay-zarmaphones du Niger 325 noms de villages lies a des végétaux que
l'action anthropique a d'ailleurs, bien souvent, fait disparaItre (Garba, 1994). Mais Ia
référence constante de la toponymie aux végétaux a travers tout le pays constate
l'importanceet le respectddvolus auxplantes, reconnues comme conditionnant
la vieet son epanouissement. Dans les villages, les grands arbres sont encore des lieuxde
reunion de prdférence a tout autre < apatame >> et abrisprécaires et sans vie. L'arbre,
habitacle des esprits des ancêtres morts et des genies tutélaires, permet des echangesde
respirations et la communion entre les habitants.

1.1.2. Definitionsde Ia brousse

Domestiquee (champs et aire de cueillette) ou sauvage(espaces interdits ou sacrds que ne


les
penetraient que initiés), la brousse percue comme Ia pourvoyeuse des biens
nécessaires a la survie des populations. Hélas, la raréfaction du gibieret des produits de
cueiflette, le rétrécissement des aires de pâturage et quelquefois l'inexistence de toute
possibilitCd'extensiondes champs font que les deux categories de brousses, désignees en
songhay-zarma par deux vocables différents, se confondent dans l'esprit et bientôtdans le
vocabulaire des paysans des villages.

La brousseprofonde, dont le nom ganji l'inconnu et les puissancesmalefiques


qui pouvaienty resider, n'existe plus. Ii n'y a pratiquement plus a sa place que saaji le
non-village certes, mais qui n'est plus qu'une brousse maItrisée, domestiqueeet souvent

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 217


par l'homme.Ainsi, la brousse sauvage, autrefois lieu d'initiation et de formation
ne remplissant plus ce role, s'est désacralisée et a perdu I'ancien respect dO, que l'on peut
tout a fait assimiler a une observance protectrice de l'environnementet de la biodiversité
qui le caractérisait.Toutes ces attitudes se perdent aujourd'hui ; II ne subsiste, pour en
témoigner, que quelques textes de la tradition orale dont la littérarité permet de maintenir
(mais pour combien de temps encore 7) Ia souvenance. Pour l'heure, les littératures orales
traditionnelles anciennes et les nouvellescreations dans les regions du Sahel sont pleines
de ces métaphores végétales qui disent combien les plantes sont percuescomme utiles,
belles et sacrées dans les cultures bientôt sahariennes des peuplesqui y habitent. Elles
sont a cueillir au plus vite et surtouta exploiter.

1.1.2.1. Utiles, belles et sacrées

Dans les textes de tradition orale songhay-zarma, les plantes sont en effet belles comme
les femmes du Sahel, a momsque ce ne soit ces dernières qui se veulentaussibelles,en se
comparant aux premieres. Al'occasiondes cérémonies socioculturelles ou de toutes autres
assemblées de femmes, en effet, la crème de Ia cite qui aime faire son propre se
décrit comme
fri ga satak, in ga matak
In ga hima kaydiyafuubay

1.1.3. Hullées et gorgéesde rosée

1.1.3.1. Gynandropsis gynandra d'hivernage

Les mots satak et matak, qui sont des verbes devenus des onomatopées sémantiquement
chargeesen raison de leurs sonorités, décrivent l'appréciationa la fois visuelle et gustative
que I'onpeut avoirde cetteherbechargéed'eau, qui accompagne avecbonheurun certain
couscous de mu cuit a I'étuvée et imprégnd de beurre fondu abondant, en cette saison
bénie. Quand elles veulent se mettre durablementen valeur, les femmes songhay-zarma
se << chantent>>, comparables a ces arbres prestigieux en pays de Sahel que sont le karité,
le kapokieret le ficus. Une de leurs devises populaires ne dit-elle pas du reste que:

Taalisi bulanga-ize ga
Tuuri na banji kaa, a naji kaa
A wasa
Ce qui se traduit:
ii n'estpas de reprocheafaire au karité (Vitellaria paradoxa).
Quand un arbre a offert son et son beurre,
Ii en afait assez.

218 Pratiques cultureltes, a sauvegarde eta conservation


deIa biodiversitéen Afrique de l'Ouest et du Centre
Cependantque celle a qui est dédié un tel texte peut se lancer dans l'aire de danse des
parties de tam-tam, en se louant fromager (Ceiba pentandra) et figuier (Ficus
gnaphalocarpa),lesquels, comme chacun sait,ne poussentpas n'importe o!
Bantannya, durminya
I site kala koy-ize
I site kalabonkaano se
Ce qui se traduit:
Fromageretfiguier
Ne croissentque dans les cours des maisonsprincières
Nepoussentque dans les maisons de la bonnefortune.

Ii suffiraitd'ajoutera ces trois vers que lesdits arbres poussentd'abord et surtoutlà oü us


sont objets de soins ; des soins qui, a d'autres essences choisies, pourraient
changer la face actuelle des villages sahéliens, en l'élection sur davantagede
maisons. Le parallèle entre femmes du Sahel et plantes pourrait se poursuivre avec Ta
devise des <<Nyaale >>, << les bellesbien nées >>, qui les décrit:
Souples comme le mu d'un champ repu defumure
Enveloppantes comme desfeuillesde Sanseviera liberica (Bisilliat et Laya, 1972).

Peut-on mieux valoriser les plantes qu'en les louant, ainsi que font ces Sahéliennes qui les
assimilent a ce qu'elles ont de plus cher et de plus beau, c'est-à-dire elles-mémes ?
D'ailleurs, Ta beauté vegetaTe se chante aussi au masculin. Dans les vers que les jeunes
flues composent et disent sur 1'aire des jeux du village pour le jeune homme coqueluche
de !'année,Ali Biyo, le be! homme au teint anthracite, est décritcomme:
Droit et mince comme la tige d'inflorescencede l'oignon
Lumineux comme un de mu en phase de maturation.
(chant jeunes files, enregistré sur disqueet rendu célèbrepar la cantatrice Waybi Karma)
de

L'ensemble de cette poesie est a la fois atemporelleet continuellement datde parcequ'elle


se développedans des moules canoniques a partir desquels les artistespeuvent effectuer
des variations selon leur inspiration et leur talent.

Les plantes sont donc percuescomme belles an Sahel; ii faudraitseulementréapprendre


aux Sahéliens a apprécier cettebeautétoujours davantage, en enseignant dans les dcoles et
dans les foyersqu'elle peut se construire et se cultiverpar Ta mainde l'homme, commele
mu,ce miracle du Sahel , et qu'à ce titre, elle n'a queplus de prix.
'II suffit de regarderles hommes et les femmes du Sahel pour voir comme iTs sont bien
bâtis : quandon sait que c'est le miTqui est Ta nourriture de base dans les villages, ii faut
bien admettreTa valeurnutritive de ce plant merveilleux du Sahel qui est le mu'.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juir 2001 219


L'idée formulée ci-dessus est maintes fois répétéeen chansonsoü ii est dit que le mu ne
sert pas seulement d'aliment pour se sustenter; it est Ia seule céréalecapablede corriger
les malformations du corps ; lui qui

Da gandeka kombo, gawri no ga kayyandi


Da banda ka sun, gawri no ga kayyandi
Ce qui se traduit:
Rectfieles lignes despoitrines cabossées
Etfaitse redresserles dos scoliotiques. (Mounkaila et al., 1997).
Le caractère bilingue de ce texte dit pour moitié en songhay-zarma et pour moitid en
fulfuldésouligne l'interethnicité et Ia véracité transfrontalière et universefle du propos. La
beauténe nuiten rien a l'utilisation des plantes au Sahel oü, comme partouten Afrique, la
beauté n'est belle que quand elle est doublée d'utilité.

1.1.3.2. Pharmacopée etpharmacologie

Les plantesconstituentla base matérielle de l'automédicationcourantedans les villages et


l'essentiel de la substance du travail des guérisseurs professionnels. Si le marabout-
guérisseur puise ses connaissances dans I'enseignementcoranique qu'il a recu et si le
zima, prêtre traditionnel, prend appui sur certains pouvoirs magiques pour soigner ses
malades, tous deux ont besoin d'un support concreta leur thérapie, lequel est souvent un
végétal ou une association de plantes dont ils connaissent les effets sur l'organisme
humain. Tous les tradipraticiens reconnaissent et observent le grand respect dii aux
plantes, avant l'èrede la ventedes médicaments a la quantité, comme celase pratiquede
nos jours. De trop nombreux vendeurs de boniments s'attaquent aux végétaux sans y
mettre la forme, c'est-à-dire en ne tenant compte ni de la saison, ni du stade de
développement vegetatif, ni des quantités a prélever sans danger pour la plante, au
contraire du rituel ancien. Ce sont souvent des << professionnels sans formation >> et
ignorants de l'ethique du métier, qui arpentent les rues et officient dans les vestibules des
maisons spécialisées de nos villes et villages.

1.4. Rites, mythes et croyances

1.4.1. Les traces de quelques rites anciens

Parmi les rites naguiire observes dans les villages songhay-zarma du Niger autour du mu
par exemple, les enquêtes menées ont permis de relever deux qui paraissent
particulièrement intéressants quant aux savoirs que masquent les representations, et en
raison de leur implication dans la gestionde l'environnement physique et socioculturel. Ii

220 Pratiques culturelles, a sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversité en Afriquede 'Questet du Centre
s'agit des rites hayni taji nwaari et dubu-wiiyyan, hayni taji nwaari ou rite du nouveau
mu et dubu-wiiyyan ou rite des mile bottes. us constituaient tous un répondant a la
cérdmonie du yeenandi qui a lieu aux prémices de l'hivemage et qui consiste a demander
une saison des pluies calmeet féconde. Méme si ces rites sont considdrés dans les villages
comme appartenant a un passé révolu et incompatible avec les prescriptions de l'Islam,
leur lecture resteriche d'enseignementssur l'imaginairedes habitants.

L4.2. Lecture des rites

Le rite du mu nouveau, qui revient a mettre a l'index le champ jusqu'au moment jugd
propicea la récolte,est révélateur de trois soucis du chefd'exploitation:
- affirmer solennellementson pouvoir de decision pour maintenir son autoritd sur les
membres de sa famille (la hiérarchie au sein de l'exploitation confèreen effet au chef
le pouvoirsur les decisions agraires);

- gérer sa rdcolte en la maraude et le gaspillage, de façon a garantir la sécurité


alimentaire des personnes a sa charge;

- protégerla sante de son entourage soumis a la tentation de se jeter sur un mu pas


encore propre a La consommation, tentation d'autant plus forte que la soudure est
difficile et que cette période oü le mu merit correspond a un moment oC il n'y a
souvent plus rien a manger.

Ce faisant,le chef d'exploitationencouragea se tournervers d'autres espècesabondantes


en saisond'hivernage (feuilleset legumesdivers, graminées sauvages ou domestiqudes),
dont la consommation constitue autantd'économiessur les futures reserves.

Auplan culturel, ce rite permetde réaffirmer le pacte initial entreles genies qui ont
prise a la fois sur les forces de la nature et sur la terre d'une part, et d'autre part les
hommes qui n'en ont que l'usufruit,un principe qui devraitcontinuer a mettre en garde les
populations contre Ia propension actuelle de manger aussi son capital. Quant au rite des
mule bottes, bien qu'appartenanta un passé presque mythique compte-tenu des deficits
vivriers actuels, il permettait, par le sacrifice d'un taureau, de renforcer La position de
l'exploitant concerné, de faire taire les jalousies, d'offrir l'occasion de consommer de Ia
viande et d'honorer ainsi le mu en introduisant un festif dans l'alimentation de
tous. Pour Le paysan modeste, sacrifier au rite des mule bottes constituaitpar ailleurs un
moyen de réintégrer le groupe dont la récolte exceptionnelle l'avait momentanément
excLu. Pour La population, c'est l'occasion de visiter et de découvrir qu'un
champ producteur de milLe bottes est d'abord et avant tout un lieu entretenu et travaiLlé,

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 221


ombragé de grands arbres oü aiment nidifier certains oiseaux benéfiques, et sous lesquels
se sont reposes des ruminants qui ont amendéla terre.

1.4.3. Mythes, croyances et protectiondes arbres

Nous avons donné les textes qui suivent comme mythes en ce sens qu'ils renvoient
toujours a une réalité,méme quand ii ne s'agit que d'une rdalité passée. En se référant a ce
qui précède et aux histoires encore racontées dans les villages, ii semble bien que, par le
passé, des règles et conduitesprotectrices des végétaux aient davantage observées,du
fait de la disponibilité plus grande de Ia ressource et du fait queIa consolidation récentede
l'Islam dans les villages n'avait pas désacralisé certains lieuxrespectéset craints. II n'y a
pas, dans les terroirs de Nazey et Tongom, de plantes maléfiques, mais ii en existe qui
protégdes du fait des representations que les populations s'en faisaient.

1.43.1. Daaray(Zizyphus mauritiana,)

Veritable arbre du paradis, le daaray dit utile ici-bas pour ses fruits et ses feuilles
dans l'au-delà, ii est sense allaiter les par autant de mamelles qu'il porte de baies.
C'était là une raison utile et supplémentaire de ménager l'arbre pendant la saison oil il
porte ses fruits, car ses feuilles, constituant un excellent fourrage, lui valent egalement
l'agressiondes chèvreset des chevriers. Si les habitantsdes villages de Nazey et Tongom
ne le plantentpas encore de facon systématique, ses pousses naturelles sont, semble-t-il,
presque toujours et de plus en plus protégéespar des clotures.

1.4.3.2. Mufa (Annona senegalensis)

Le mufa un plant toujours puisqu'onne mettaitpas son bois au feu. II y a a


ce respect au moms deux raisons:

- il ne fournit qu'un très mediocre combustible en qualite et en quantité;


- c'est un arbuste localement appelé papayer, qui fournit de belles baies jaunes sucrées
apprCciées de tous, et que le récit mythique présente un peu comme des sentinelles
chargees de protéger, tout le long du chemin, marcheurs et voyageurs.

1.4.3.3. Kuubu (Combretum micranthum)

Cet arbusteformait autrefois des buissons inextricables, gardés par des genies qui y
Clisaient domicile, raconte en substance un habitantdu village de Nazey. En cas de coup

222 Pratiques culturelles, a sauvegarde et Ia conservation


de a biodiversitO en Afriquede I'Ouest etdu Centre
de hache, l'imprudent s'entendait clairement avertir : Ne coupepas
<< >> S'il insistait,
s'dlevaientalors les pleurs des locatairesderanges et contraints au déguerpissement. Peu
de bflcherons du dimanche ou plutôt du jeudi survivaienta cette violationde domicile.
Derriere le respect dü, ii faut sans doute lire objectivement le fait que les formations
vegetales incriminées se développent sur des terrains marécageux et insalubres, dangereux
pour Ia sante et repaires des serpents et des fauves. Le récit mythique explique la mort
effective qui guettait le promeneur imprudent qui s'aventurait dans ces formations
vegetates, masquant le messagequi rappelleque la brousse sauvagedoit être dpargnde en
tant qu'habitatdes bêtes sauvages.

1.4.3.4. Ba/ku (Maerua angolensis)

Quant a lui, ii bénéficiemême d'une louange chantée:


Tuureybaababa/ku ganjo ra
Boro kan na balku nya been
Kala a ma ni ganji
wandejine kaniyan
Ce qui se traduit:
Père des arbres de la brousseest l'arbre ba/ku
Quiconque abattraun arbre balku
Lefaitlui interdira
De retrouversa place devant1'épouse

Pourtout man, se voir privéde la place réservéesur le lit conjugal revient, en effet, a lui
denier son statut de pilier de la famille autant que l'arbre qui dans la brousse servait de
tuteur a nombrede lianeset de plantes grimpantes.

Voilà bien là, en effet, une menace susceptible de retenir le zèle destructeurde plus d'un
man. Ce qui ressort des messages réinterprétésde ces chants et mythes,c'est une volontd
affirmée de protection des végétaux et une mise en garde claire contre l'exploitation
désordonnée de la ressource. Vivaces dans les villages, les savoirs que véhiculent ces
mythes sont encore réutilisables pour combler l'interface, trop souvent laissée vide, du
savoir local et du savoir universel. C'est là que peuvent entrer en lice les différents
groupements (ONG et associations) qui oeuvrent dans les villages, mais aussi les
initiativesindividuelles. Dans cettelogique, les femmes, gardiennes et transmetteuses des
premiers savoirs et representations populaires, ceux qui demeurent longtemps dans
quelques lobes des cerveaux des individus et des groupes, les femmes donc pourraient
jouerun role de premier plan dans les mises en ceuvre de programmes de sauvegarde et de
conservation de la biodiversité en Afrique sahélienne.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 jun 2001 223


II. Les femmes dans Ia sauvegarde et Ia conservation
de Ia biodiversité

2.1. Les atouts des villageoises

II faut répondre a la question posée par un appel aux fenimes aussi bien collectivement
qu'individuellement,comme actrices et comrne partenaires dans les programmes qui
visent a mieux poser les problèmes environnementaux des villages sahéliens et a mieux
les résoudre, parce qu'elles détiennent des atouts pour cela.

Même si cues demeurent invisibles sur le champ du développement, les femmes des
villages n'y sont pas moms présentes par leurs productionsd'ouvrièresagricoles, et prétes
a ceuvrer pour améliorer leur cadre de vie et leurs revenus. Premieres victimes de Ia
degradationde l'environnementphysique, elles s'affirment disposées a s'engager dans
toute entreprisevisant a sauvegarder, voirea restaurerle couvert végétal qui leur garantit
leur survie et celle de leur cheptel. Ayant la chargedes soins a donneraux enfantset aux
vieillards de leurs villages, elles y restent arrimées, constituant de ce fait une main-
d'cuvre stable pour le suivi de toute action de développement durable. Données pour
victimes de la division sexuelle du travail qui leur attribue les tâches les plus longues et
les plus répétitives (tâches domestiques et de cueillette), elles en tirent une grande
connaissance de leur terroirqu'elles parcourenten long et en large, par les cheminsde Ia
corvée d'eau et de la corvée de bois. Détentrices du petit bétail et techniciennes de
l'élevage d'embouche,elles sont en changeantle mode d'alimentationde leurs
bétes, d'alléger considérablement la pressionexercée sur les jeunes pousses et le fourrage
aérien dont l'exploitation,telle qu'elle se fait actuellement, est mortellepour les grands
arbres. Machines hydrauliques des sociétés sahéliennes, dies peuvent, par le petit contrôle
qu'elles exercentsur l'eau, en prélever pour des tâches d'arrosage limité. Nettoyeuses et
'panseuses" des terres appauvries, elles savent réparer les dégats, ainsi qu'elles l'ont
démontré en récupérant des terres pratiquement mortes dans Ic cadre du Projet KeIta au
Niger. Enfin, ii convient de mettre a profit Ia sollicitude onusienne et universelle dont elles
bénéficient encore pour l'heure, pour les lancer sur ces nouveaux chantiers.

2.2. Quelques actions remparts contre Ia désertification

2.2.1. L'arbre des ablutions

On pourraitenvisagerde mettre en uvre ce moyen de contribuer a reverdir les villages en


rdutilisant Ia belle et claire eau des ablutions qui couleplusieurs fois parjourdans les cours
des maisons du village, sans que la préposCea Ia corvée d'eau ait un supplement de travail
Chaqueconcession aura son plant dans l'essence de son choix, plant que Ia maltresse de
case auraa protégerjusqu'àcc qu'il devienne vigoureux (Mounkaila et Sidibé, 1999).

224 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et a conservation


do a biodiversitéen Afriquede I'Ouest et du Centre
2.2.2. Le bois des femmes

Concu a Ia fois commeentreprisede restauration des sols et commeentreprisegénératrice


de revenus, le bois des femmespounait être une gommeraie (plantation d'Acacia senegal)
par exemple. Les gommiers présentent1'avantage d'arriverrelativementrapidement au
stade de rentabilité, tout en s'inscrivant dans les programmesnationaux de reboisement
dont la maItrise technique est assurée par des services publics et certaines ONG de
développement.

2.2.3. Le bois de l'école

Le choixde l'école, comme champ d'expérience de reboisement,est stratégique, d'une


part parceque les maItres sont initiés généralement aux techniques de plantation d'arbres,
et d'autre part parce que les enfantsconstituent le public cible par excellencevers lequel
devrait tendre toute entreprise d'dducation a la sauvegarde de l'environnementet de la
biodiversité. Un projet comme l'actuel programme du Président de la République au
Niger (construction de 1000 classes en 2001) pourrait fortopportunément se doublerde la
plantation de 1000bois d'école.

2.2.4. Rehabilitation de certaines pratiques socioculturellesde plantation:


l'arbredu placentaet l'arbre du tombeau

La plantation d'un arbre a l'endroit d' ensevelissement du placenta et des morts d'un
certain age ou d'une certaine notoriété semble-t-il, une pratique courante dans
certaines regions du Niger (PAN/LCD/GRN, mai 2000).

Une telle pratique pourrait être valablement restaurée sans que soit une
quelconque relation animiste entre l'acte de planteret l'individu qui arrive ou s'en va sur
cetteterre pétrie d'islam qu'est le Niger d'aujourd'hui.Ce serait,pour le nouveaucitoyen,
a la fois une dette patriotique que de continuer a veiller sur "son arbre" et une dette du
souvenir a regler vis-à-vis des devanciers.

Conclusion

D'une réflexion en cours, qui vise a agglutiner des idées du passé et de l'avenir et a
combler l'interface du savoir local et du savoir universel en "musclantle savoir local',
pour paraphraser la devise du Centre Point-Sud de Bamako (Mali), on ne pouvait que
baliserdes pistes que seuls l'usage et la pratiquetransformeront en chemin.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 225


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226 Pratiquesculturelles, a sauvegarde eta conservation


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Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 227


I

hL

Pratiques culturelles et réalités


scientifiques dans Ia conservation in
de Ia diversité biologique agricole

Didier BALMA et Mahamadou SAWADOGO


Institut de I'Environnement et de Recherches
Agricoles, 04 B.P 8645 Ouagadougou 04
Résumé

Les variétéstraditionnellesau sud du Sahara, comme par exempleau Burkina Faso, sont
adaptées a leur environnement habituel de culture, mais restent victimes surtout de Ia
sécheresse, ce qui occasionne des rendements très faibles. De ce fait, les paysansadoptent
de plus en plus des variétés modemes améliorées, non seulement parce que La diversité
des espècescultivées dirninue, mais aussi parce que les connaissances locales relativesa
ces espèces se perdent. Ces connaissances sont souvent liées aux pratiques socio-
culturelles qui jouent un grand role dans la maItrise de l'environnementagro-écologique
par la connaissance des conditions climatiques, des sols, des facteurs biotiques qui
influent sur les pratiques culturales. Ce qui montre qu'il existe be! et bien des systèmes
indigènes de gestion de 1'environnement garantissant le maintien de Ia diversité
biologique agricole. Les paysans possèdent leurs propres critères de gestion qu'ils
exploitentvariablement d'une region a l'autre, d'un groupeethnique a l'autre en fonction
de l'environnement, de leur culture, des rites et des activités agricoles qu'ils mènent. Ces
méthodes, qui assurent de facon le maintien de La variabilité génétique des
plantes cultivées, sont aussi une garantie pour un flux d'echange génique entre les
cultivars locaux et leurs proches parents sauvages. Ii s'agit alors de prouver les réalités
scientifiques de ces pratiquessocioculturelles qui ont longtemps contribué au maintiende
La diversité des espècescultivées en milieu paysan.

Introduction

Un grand nombre d'espèces cultivées sont originaires ou ont domestiquées en


Afrique : nous pouvons citer entre autres le sorgho, le mu et le millet
le niébé, le riz africain, l'espèce Digitaria, le voandzou, le sesame, le ricin, le
palmiera huile, l'igname, la pastèque, le cotonnier (Gossypium herbaceum), le gombo et
la roselle (Simmonds, 1979 ; Anishetty and Perret, 1981 ; Mooney, 1983 ; Parada and
Arora, 1991). En plus de cela, le continent africain est aussi un centre de diversité de
plusieurs cultures tels que le blé dur (Triticum durum) et l'orge (Hordeum vulgare).
Cornme pour d'autres espèces, le monde scientifique exploite depuis un certain nombre
d'années cette diversité biologique pour de nouvelles creations en utilisantles méthodes
classiques d'amélioration génétique et les techniques modernes offertes par les
biotechnologies. On admet cependant queces pratiques scientifiques sont récentes parce
que vieilles de quelques siècles seulement, alors que les pratiques culturales
traditionnelles qui ont toujours assure le maintien de la diversité des espèces et des
variétés de plantes datent des milldnaires. Les ressources phytogenétiques, qui sont a la
base de cette diversité des espèces, sont le résultat de plusieurs années d'évolution et
d'adaptationa l'environnement, gracea la manipulation minutieuse que les communautés
traditionnelles appliquent sur leurs pratiques culturales.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 231


Cette est baséesur les connaissances locales, les pratiquessocioculturelles, le savoir
et le savoir-fairetraditionnels qui se transmettent de génération en génération. De telles
pratiques et connaissances influent sur les strategies de séection locales des variétés, la
gestion de l'environnementagro-écologique, de conservation des ressources génétiques,
de protection contre les nuisibles et les maladies des plantes. Cependant, la
comprehension scientifique des facteurs qui influent sur les systèmes agricoles paysans
est encore très peu Elle nécessite au préalable une investigation des
connaissanceset des pratiques socioculturelles incarnantl'agriculture traditionnelle. Le
present travail discute de La facon dont les pratiques culturelles, contribuant a la
preservation de Ia diversité biologiqueagricole, peuvent revêtir une réalité scientifique.

I. Méthodologie

1.1. Questionnaire semi-structure

Une pluridisciplinairecomposée de chercheurs spécialisés en socioanthropologie,


socioethnobotanique, socioéconomie, agroecologie, des systèmes de production,
defense des cultures, amelioration gdndtique des plantes et gestion des ressources
phytogénétiques est formée. Chaque domaine de spécialisation une fiche
technique d'enquete. La synthèse de ces fiches donne ce qu'il convientd'appeler la fiche
communede renseignements surla conservation in situ de La diversitd biologique agricole.

Les enquêtes se sont déroulées dans la zone soudano-sahélienne du Burkina Faso qui
couvre les provinces suivantes : le Yatenga, le Nayala, le Sourn, le Lorum, le Namentenga
et le Zoundwéogo. Les villages enquétés sont regroupés par site et ont retenus de
communaccord avec La FNGN et les chercheurs du CNRST selon les critères suivants:

- l'importance de l'agriculture pour les populations locales et La problématique des


ressources phytogénétiques y relatives;

- la probabilité de rencontrer une grande diversité de cultivars traditionnels;

- l'intérêtdespaysans pour les variétés traditionnelles;

- le dynamisme des paysans dans la production agricole, l'engouementdes paysans pour


l'uneou l'autre des speculationsretenues (sorgho,mu, arachide,niébé, gombo et fabirama);

- La diversitéethnique dans les villagesenquêtés;


- les considerations apportées aux pratiquessocioculturelles.

232 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de a biodiversiteen Afriquede I'Ouestet du Centre
La méthode employee pour administrerle questionnaire est l'interview semi-structurée
auprès de personnes ressources et auprès de groupes d'individus au niveau de chaque
village. Pour cela un guide d'enquête au préalablea utilisé pour orienter les
questions qui restent ouvertes. Un site regroupe plusieurs villages, plusieurs groupes
ethniques ayant des méthodes agricoles traditionnelles diverses, avec cependant un point
comrnun : l'agricultureconstitue l'activité principale des habitants et toute la gestion de
l'environnementest Iiée au souci de preserverla fertilité des sols, la production stabledes
cultures et de l'dlevage.

Les enquêtes ont tenté de révélerles différentes conceptions et pratiques paysannesvis-à-


vis des facteurs qui caractérisent leur agroécosystème, a travers les phénomènes naturels
etlou surnaturels qui prennent partaux prises de decisions des paysans quant aux pratiques
socio-culturelles, les caractéristiques physiques, agro-écologiques et climatiques, le relief,
la nature des sols et la végdtation, Ia typologie sommaire des systèmes dominants, les
pratiquesculturales et les espèces cultivées.

1.2. Caracteristiques agroecologiques, climatiques


et considerations socioculturelles
L'objectif visé est de mettre en exergue les phénomènes naturels ou surnaturels qui
oriententles prises de decisiondes paysans par rapport aux caractdristiques physiques,
agroécologiques et climatiques, les pratiques culturelles. Le paysanpossède-
t-il une connaissance utilitaire sur le relief, La nature des sols et la végétationpar rapporta
la typologie des systemes dominants ? A côté de ces connaissances, ii est importantde
situer le lien entre l'origine des habitants et celle des espèces agricoles qui sont cultivées
dans les zones concernées.

1.3. Potentialités economiques et données humaines

Seront notes:

- les disponibilités en ressources naturellesintervenant dans l'agriculture,


- les ressources humaines constituant Ia forcede travail,
- le degred'occupationdes terres cultivables,

- Ia densitéde La population,
- autres ressources.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18au 21 juin 2001 233


1.4. Renseignementssur le genre

us concernentIa repartition du travail (exploitation agricole) par sexe et par age et le


niveau de contribution dans Ia productionagricolepar sexe et par age.

1.5. Connaissances sur les pratiques culturales


sur les espèces traditionnellescultivées

Ii s'agit de situer la place des espèces concernées dans l'étude par rapport aux espèces
cultivdes et de prdciser queue agriculture on pratique dans le village. L'existence des
espècessauvages apparentees aux espècescultivées sera dgalement notée.

1.6. Selection des variétés, approvisionnement en semences


et notion des RPG vue par le paysan

Ii s'agit de comprendre comment les paysans acquièrent, produisentleurs semences, les


conservent et les dchangent. Queue comprehension ont-ils des ressources phytogendtiques
de même que de la diversité génétique 7 Pour cela, les points suivants ont discutés
durant les enquétes:

- les critèresde selection etlou du choixdes semences par le paysan;

- les indicateurs relatifs aux critèresretenus;

- la variationdes critères et des indicateurs en fonctionde l'espèce et en fonctiondu


temps;
- les variétés traditionnelles (comment et pourquoi) ayant disparu ou en voie de
disparitionet les strategies développées par les paysans pour les conserver;
- les strategies de reconstitution des stocks de semences a l'issue des famines ou d'autres
calamités;
- la comprehension des paysans vis-à-vis des modifications morphologiques, génétiques
ou autres subies par les variétés traditionnelles dans l'espace et dans le temps;
- le conceptde variabilité génétique en milieu paysan et par le paysan;

- la comprehension et Ia perception des impacts sociologiques et anthropologiques sur Ia


gestiondes variétés traditionnelles.

234 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversiten Afriouede I'Oicst et rh
1.7. Selection et conservation des semences

Lespoints suivants ont dté ahordés

- Ia productionpar le paysan des semences et leur modede conservation

- la conservation des semences et genres;

- le colnportelnent ct rites socioculturels qui accompagnent Ia selection, le choix et la


conservation des semences

- Ics produitsde conservation de semences;

- la durée de la conservation et la causede la détCrioration des semences.

1.8. Protection des végétaux

II s'agitdidentifierles contraintes au champ et en milieu de conservation et de recenser


ies moyens ou méthodes de lutte contreces contraintes.

1.9. Analyse des données

Au dépouiIlernt du questionnaire, on a procédé au recenser'nt de toutes les réponses


qui ont dté donnCes par question, puis ces réponses ont classées en quatre grands
groupes : les pantes. les animaux, les astreset les rites. Le pourcentage est obtenu selon le
nombre de réponsesenregistrees par village.

II. Résultats

2.1.Connaissance de l'environnement par les populations locales

Lespaysansvive1t de signes et de signaux qui leur dictent un certain nombred'actions et


de comportements a observerdans leur environnement. Ces signes s'observent aussi bien
chez les vCgétaux(phenologie) que chezles anirnaux (éthologie) au niveau des astres,dans
les mouvements atmospheriques et dans les variations de Ia temperature. La presence ou
l'absence de certaines espèces animales, végétales ou manifestations atmospheriques
iniquentIa qualitC dc I'environnement. En exemple, les signesprécurseurs de bonneou de
mauvaise saison des pluies sont observes de Ia manière suivante (tableau I) : une bonne

OuagadQugou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 235


battue, Ia capture de beaucoup de pintades sauvages et du varan du Nil, l'apparition de
tortues, l'absencede chenilles sont des faits qui présagent une bonne saison pluvieuse et les
faitscontraires prdsageraient unemauvaise saison. Par rapporta la végétation, !'abondante
fructification du Ficusplalyphyllaindiquerait une bonne saison (tableau II). La mauvaise
saison puvieuse est signaée par l'abondantefructification du karité (Vitellaria paradoxa),
la chute prématurée des fruits de Ficusplaiyphylla et Sclerocaryabirrea.

Les paysans ont egalementleurs systèmes indigenes de gestionde l'environnement, bases


sur l'observation de signes relatifs a l'évolution du complexe sol-plante. Ainsi, us
reconnaissent des signes indiquant La baisse ou le retour de la fertilité d'un so!. Comme Le
signale Portères (1950), ils sont aussi capables de determiner la variété de culture a
pratiquer sur chaque type de so! par une analyse du complexe sol/végétationet selon les
signesprédurseurs de telle ou telle saison des pluies.

Ce savoirtraditionnel est capitalisé et entretenuauprès des chefs de terre "Tengsoba'des


Moose,"Tinibè" des Bwaba, personnages pleins d'expérienceset veillant a ce que chaque
retourcultural surun terrainy trouve le potentie! de fertiliténécessairea l'exploitationdes
successions et associations vegetates traditionnelles sur lesquelles base le régime
alimentaire de la collectivité.

Les résultats du tableauIII montrent les pourcentages des réponsesqui caractérisent les
manifestations de Ia nature permettantaux paysans de spéculersur les dates des debuts
des pluies, les dates de semis et de juger si la saison sera bonne ou mauvaise. Ii est
clairement indiqué que les signes les plus observes proviennent du comportement
végetatifdes plantes : l'état de La floraison, de la fructification des espècesbien précises
est un signe que Ia saisonpluvieuse sera bonneou pas d'unepartpar rapportauxquantités
d'eautombées, leurs repartitionsdans le temps et dans l'espace, et d'autre partpar rapport
a la productivité méme des plantes cultivées. A côté des plantes, le comportement de
certaines espèces d'animaux augure une bonne ou une mauvaise saison des pluies. On
remarque d'ailleurs que les plantes et les animaux interviennent beaucoupplus que les
astres et les rites dans les signes observes par !es paysans.Faut-il aussi voir la diversité
des interactions entre les plantes et les animaux dans tout donné ? C'est aussi
les qui manquent le plus dans un environnement pour determinerl'état de la
biodiversité qui prévaut.

236 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Laconservation


de Ia biodiversitO en Afriquede I'Ouestet du Centre
Tableau I : Manifestations de Ia nature permettant aux paysans de reconnaltre a quels moments peuvent se situer le
debut des pluies, les dates de semis et Ia fin de Ia saison des pluies

LES SIGNES La chute des feuilles du tamarinier - Ponte des pintades sauvages - Apparition de constellationa l'ouest Predictiondes
INDICATE(JRS (Tamarindusindica), du karité - La cigogne construitson nid des 6 (petite Ourse) Nionniosés
DU DEBUTDE (Vitellariaparadoxa) et du figuier - Retour de Ia cigogne au village - Déclinaison du soleil de sa Indicationdes
LA SAISON DES (Ficus gnaphalocarpa) - Vol de silokoe et kilimbadu sud trajectoirehabituelle moislunaires
PLUIESET/OU Feuillaisonet floraison du raisinier vers le nord - Les ventssoufflent vers l'est
DES DATES DE (Lannea microcarpa) et du prunier - Les cou-cou de l'éperviersont - Montée de la chaleur
SEMIS (Boscia senegalensis)africains répétitifs - Apparition des premiers
Floraisondu Pterocarpus lucenv - La mue des lézards et des nuages
Jaunissementet chute des feuilles de margouillats - Grondementsrépétésdu
Lannea acida - Sortie des crapauds des manes tonnerredes les premieres
Apparitiondans les lits de rivières de pour Ia brousse pluies
Stylochyton hypogaea - Croisements persistants des
Maturité et fructiticationdu raisinier crapauds
(Lannea microcarpa), du prunier
(Sclerocarya birrea) et do karité
(Vitellaria paradoxa)
MOrissement et dessèchement des
fruits de Lannea microcarpa et de
Sclerocarya birrea
GoOt aigredes fruits
LES SIGNES - Feuillaison de Boscia senegalensis - Vol (retour)du Kilimba et do
- Les vents soufflent d'est en ouest
INDICATEURS - Jaunissementet chute des feuilles de Silokoe du nord vers le sud - Retour des tourbillonsde sable
DE LA FIN DE - Retour des Tilo (D) au village -
Lannea microcarpa, Sclerocarya Beaucoup de grondements de tonnerre
LA SAISON birrea, Adansoniadigitata L., - Absence de Ia cigogne du village pendant les pluies
DES PLUIES Borassusaethiopum, Lannea - Ponte et des eufs du - Chutes de filets cotonneux
acida et Sterculia setigera - Apparition do brouillard matinal
- Floraison duAcaciaalbida, Bembé (D), - Legdinga
Roucoulementsrépétés des (7 fois successivement)
Bakorini peker (D) tourterelles les matins - Orientation destiges d'est en ouest
- Epiaison de Pennisetum glaucum, - Le rat (Weringa: M) creuse son - Apparition des6 a l'est
Pennisetum pedicellatum, Loudetia terrier au coucher do soleil
togoensis - Apparition des Mimiman (D) ou
Sandozo (5)

237 Ouagadougou (Burkina Faso), do 18 au 21 juiri 2001


Tableau II: Manifestations de a nature permettantaux paysansde présager d'une bonne ou d'une mauvaise saison des pluies

Etat de Ia saisoa Plantes Apimaux Astres Rites


LES S1GNES Bonne floraison du fromager - Le chantprolongédu Frouko(s) et - Les vents soufflent bien du sud au ford
PRECIJRSEURS - Beaucoup de chaleur en mars
- Suiv ant les
(Ceiba pentadra) du Falaogo (M)
- - -
0'liNE BONNE Une bonne levee des semis Depuis son lit, Ic Waali (Cigogne) Un froid intense des décembre pour predictions des
SAISON DES - Fructificationhomogenedulêenga, a Ia tête tournCe vers l'ouest une durée de 3 mois NinniosCs.
PLUIES Ficu.s platyphylla, Diospirm - Le Tabaconstruitau sommet - Apparitiondesmiragesd'eau en - Previsions des
inespilfor,nis, Vitellariaparadoxa, des arbres p1cm jour chefs de terre.
• - Une seule cigogne sillonne Ic village - II pleut sur tout Ic territoire
Sclerocarya birrea, LebnorC -
et Lannea tnieroearpa Apparition destaba nuages
- IIpleutabondamment Ic jour du - Regard do crapaudbuffle vers l'ouest
- Grondementsrépétésdu
Lannea acida - Bonne chasse aux pintades sauvages - tonnelTe des les premieres
Bèga (fête coutumiCre) eta Ia gueule tapCe pluies
- Boone feuillaison do rhnier - Arrivée des chenillesrouges au village - Les eaux coulent d'ouesten est
(Borassus aethiopum) - Abondance des Wonnonwondo
- Les termites consiruisent abonthmment
leurs termitières
- Les grillons creusentet refermentleurs
. trous de janviera février
. - Apparitionde 3 types de Yantyaaki
- - Dc son lit, le regard du Waali est - La periodefroide duremomsde3 mois - Predictions des
LBS SIGNES Les plantes des pépinières poussent mal
PRECURSEURS - Dessèchementdes premieres feuilles tourné vets l'est - Lesventsn'ontpasdedirectionsprécises: Ninnionsés
D'UNE du rOnier et du lebnoré - Chants entrecoupés du Frouko Ia folie des vents - Consultations
MAUVAISE - Faible productionet non uniforme do karité, - Le Falaogo chante mains - Les ventsde mousson vont du ford au sod des mois lunaires
LASALSON raisinier, kuna (s) et nobga - Les tourterelles couvent leurs eufs - Les eaux du bafondcoulent d'est a l'ouest
DES 1'LUIES - Mauvaise fructification du L., S., T. le regard tourné vers I'est - Excès de grondements de tonnere
- Bonne fructification du tamarinier ci clu - Plusieurs cigognes sam dans le village (itee pluies)
. - Orientationdu nid des oiseaux - Tmpdevents charges de poussières rouges
figuier en conservant leurs feuilles -
. - en debut des saisons plumes
Chute prematuréedo raisinieret do karité Bonne chasse aux perdrix
- feuillaison tardive du karité Lestortuesontleregardtournéversl'est
- Mauvaise floraison do fromager - Le regard du crapaud-buffletoumC
. vets l'est
- Apparitionde nombreuses tortues
dansleschamps
- Apparition précocedescriquets ,
- Les gtillons ne iefermentpas leurs tonus
.
- Les termites montent dans les arbres
- Les passagesrCpétésdesminninminaos

Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et a conservation


238 de a biodiversitO en Afrique de I'Ouest et du Centre
La fin de la saison pluvieuse, qui peut être précoce ou tardive, est aussi indiquéepar le
comportement des plantes et des animaux.

2.2. Solutions alternatives de "reparation" des sols

La jachère, les brflhis sont souvent utilisés comme solution pour lutter contre les
adventices. Ce cas arrive lorsque tout le champ est envahi par des adventices comme
Striga herinontheca, parasite du sorgho et du mu, etlou les autres comme Ipomoea
eriocarpa, Eragrostistremula, Hyptisspicigera, Imperatacylindrica; ce dernierpossède
un système racinaire rhizomateux concurrençant fortement les cultures. Le champ est
abandonnejusqu'àla reconstitution du so! signa!ée par !'apparitionde certaines espèces et
la disparition des adventices. Dans certains groupes interroges, i! est ressorti que le
paysan, pour !utter contre !e Striga, mélange des graines de néré a ses semences pour
semer. Ces espèces semblent avoir la capacitdde combattre le Striga.

2.3. La nature hétérogènedu champ paysan

Souvent les champs paysans sont caractérisés par leur aspect hétérogène: chaque champ
de
comprend multiples micro-habitats dus aux différents types de sols, a la diversité de la
végétation (arbustes, mauvaises herbes et proches parents sauvages de la culture). Les
différentes variétés peuvent avoir seméesdans des endroits specifiques du champ. Des
genotypes d'une population qui y est cultivée ont au hasard a plusieurs
endroitsdu champ, de sorte que chaque variété de population est sujettea différents types
de pression de selection. Cet hétérogène des champs paysans ne conduit pas
uniquement a la pressionde selection variétale, mais il est aussiunecondition favorable a
Ia protection de certaines variétés de culture contre le stress environnemental.

Ill. Discussion et conclusion

A l'image de bon nombrede villagesprospectés dans les sites et les provinces, la majorité
des paysans gerent une importante quantité de variétés (8-18 variétés de sorgho, 5-7
variétés de mil, 2-5 variétés d'arachide, 4-6 variétés de niébé et 4-7 variétés de gombo):
parmi celles-ci, près de 20 % sont considérées commeintroduites soit des regions voisines
soit de l'extérieur du pays (Ghana, Mali, Niger). Le reste des variétés (près de 80 %) est
dit local et est l'objet d'heritage (cultivées depuis près d'un siècle dans une même
communauté).

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 239


Tableau HI: Estimations (en %) des considerations culturelles dans l'appréciation
paysanne de Ia saison pluvieuse.

Debutde la saison Fin de Ia saison Bonnesaison Mau'vaise saison


— de?1 — despls —
despluies despluies
Villages
enquetés PnteAm. nante Am. es em Asfr PnteAm.Asfreses
Cota 10 5 5 - 5,3 - - - 5 5 - - - 3,4
Djimbara 5 5 5 - 5,3 - 5,3 - 10 - - - 6,9 - - -
< Djin 10 5 15 - 5,3 - 5,3 - 5 - 5 - - - 3,4 -
Gassan 10 - 5 5 10,5 - 10,5 - 10 20 - - 6,9 13,8 - -
Kougny 15 10 iS - 15,8 10,5 5,3 - 10 15 5 - 3,4 6,9 - -
Labara 15 5 15 - 5,3 - - - 10 - 5 - 3,4 - - -
Toubani 10 5 - - 10,5 - 5,3 - 5 10 5 - - 10,6 - -

Warou 5 5 10 - 5,3 5,3 10,5 - 5 - 5 - 3,4 - - -

.' Bagmaskingm 15 10 - - 5,3 5,3 - - 5 5 - - - - 3,4 -


Namassa 10 - 5 - 10,5 5,3 - - 5 - 3,4
Namtenga 5 - 5 - 5,3 5 3,4 -
Paspanga 5 - S - 5,3 - - - 5 - 10 - 3,4 - 3,4 -
-
z Saab-tempila
Tafogo
5
10 - s
5
5
10,5
5,3
-
-
-
- -
5
-
-
-
-
-
s
5
-
-
3,4
-
-

-
-
3,4
Toeyogdin 15 s - - 10,5 - - - 5 - 5 - 3,4 - - -
Z Tougouri 10 - - - 5,3 - - - 5 - 10 - 3,4 3,4 3,4 -
Zomnoogo 10 - - - 10,5 - - - - - 5 - - - 3,4 -
Issigui 10 - - - 10,5 5,3 5,3 - 5 - 5 5 3,4
KaIn 10 5 5 5 10,5 - - - 5 5 - - 3,4 3,4 -
KaIn-ouro 15 5 5 5 - - - - 5 10 - - 3,4 6,9 -
Z Kaulx-mxo 10 - - 5 10,5 10,5 - - 5 5 - - - -
Oula 10 10 10 5 - 5,3 - 5 - - 6,9 3,4 - -
Sisam-Kdg 10 - - 5 5,3 5,3 - - 5 - - - 3,4
Thou 15 - - - 5,3 - 5,3 - 5 - - - -

Tiendré 10 - - 5 5,3 - - - s 5 - - . 34 - 3,4


Bougouré 5 - 5 - 5,3 5,3 5,3 - 5 - 3,4
Margo 5 - - 5,3 5 3,4
Nimboro 10 5 - - 10,5 5,3 - - 5 - - 3,4
Robéna 5 - - - - - 5,3 - 5 - - - 3,4 - - -
Saye
Sou0yanga
5 -
-
5

•- 5 5,3 -
-
S

5
-
-
-
-
-
-
6,9 -
-
-
-
-
-

240 Pratiques culturelles, a sauvegarde et Ia conservation


cke Ia biodiversitden Afriquedo 'Quest et du Centre
Malgrécette diversité de variétés, moms de 3 variétés/espèces occupent plus des 2/3 de
superficies emblavées par les cultures. Une ou deux autres variétés de céréale sont
cultivées a proximité des cases et seront récoltées et consommées frais. La grande
majorité, soit plus de 70 % des variétés, existe seulement dans les mémoires, parce
qu'elles ne sont plus cultivéespour avoirperdu leur intérétou tout simplement disparu de
Ia gestion. Ce sont, pour Ia plupart des cas, des variétés tardives dont le cycle de 130-190
jours est un handicap a l'insuffisance pluviomdtrique. Mais Ia gamme de diversités
disponibles peut interprétée cornme correspondant a des objectifs précis
(INERA/Projet IN SITU/B.F, 1999):

gérer des variétés a cycles différents pouravoirde quoi se mettre sous la dent pendant les
-

périodes de soudure et pour déjouer une insuffisance pluviométrique. La


diversité variétale observde a travers Ia gamme d'espèces semblerait l'expliquer
non pas seulement par les traditions ancestrales (comme le prétendent certains), mais
aussi et surtout par les besoins lies aux pratiques agricoles, a la consommation et a Ia
proximitd d'encadreurs des ONG, groupements villageois et autres;

- enfin, conserver in situ les ressources phytogenétiques signifie une exploitation


dynamique des milieux naturels et cultivés dans lesquels les multiples
variétés. Ii en découledone de voir si le paysangestionnaire de la diversité possède une
notion de la gestionde l'agro-environnement, lide a la conservation de la variabilité
phytogénétique. D'ailleurs, la conservation des agro-écosystèmes traditionnels a
considdrée comme une chose impraticable et inacceptablepar un certain nombre de
chercheurs (Frankel, 1974 ; Ingramet Williams 1987 ; Prescott-Allen et Prescott-Allen
1982);

- dans la quasi-totalite des sites, il se pose le problème de la déperditiondes variétés


locales ; les raisons de cette erosion génétique s'expliquent, selon les paysans,par la
raretédes pluies depuis près de 2 a 3 décennies. Cela est d'autant probable que plus de
la moitié des variétés disparues ou en voie de disparitionsont celles possédantun cycle
tardif (plus de 120 jours). Les paysans estimentque seuls les bas-fonds demeurent le
seul recours pour maintenirles variétéstardives en voie de disparition, ce qui met une
fois de plus l'alimentation hydriquecomme premierepressionenvironnementale. Les
maladies, les adventices et les pratiquesagraires n sont que secondaires, même si le
paysan redoute le Striga et les cantharides contre lesquels aucun moyen de lutte ne
semble efficace.

Ouagadougou (Burkiria Faso), du 18 au 21 juin 2001 241


Références bibliographiques

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situ de Ia diversité biologique agricole. Annexe 3, Rapport Technique Annuel, 77 p.

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H. W. Holden and J.T. Williams, eds. Crop Genetic Resources: Conservationand
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de BotaniqueAppliquée et d'AgricultureTropicale, 331-332, pp. 241-263.

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SimmondsN.W., 1979. Principlesofcrop Improvement. Longman Group Ltd., London.

242 Pratiques culturelles, a sauvegarde et Ia conservation


de a blodiversitéen Africuede I'Ouest at du Centre
14

Habitudes alimentaires:
une source de conservation de Ia
biodiversité en Côte-d'Ivoire

Yao Bertin KOUADIO


Institut de GOographietropicale,
Université de Cocody, Abidjan (COte-d'Ivoire)
Résumé

Les milieuxnaturelsde Côte-d'Ivoiresubissentdes mutationsqui s'accompagnentd'une


reduction de La diversité des espèces végétales. Dans le cadre de la recherche de strategies
de sauvegarde et de conservation de ces ressources naturelles, nous sornmes parti de
l'hypothèse qu'une voie serait le role des habitudes alimentaires, c'est-à-dire La
conservation des pratiques, comportements et aliments traditionnels. A l'analyse
d'observationset d'enquetes faites dans le nord, le centre et le sud du pays auprès de
sociétés rurales, ii ressortque la diversité des cultures produit une diversité des habitudes
alimentaires. Celle-ci est a la base de la sauvegarde d'espèces vegetales présentant un
intdrêt dans l'alimentation. Cette sauvegarde contribue a la régenération des zones
cultivées, au maintien des milieuxnaturels et a la conservation de La diversité vdgetale.
Maiheureusement, l'uniformisation des cultures provoque un abandon progressif des
habitudes et formes d'utilisation alimentaires des espèces, lesquelles, faute d'entretien,
sont en voie de disparition.

Introduction

En Côte-d'Ivoire,Ia reduction dramatique des aires de forêt a plongé le pays dans le


contexte des grandes interrogations sur l'utilisation des miLieux naturels et de leurs
ressources. En effet, la deforestationconduit actuellementa uneraréfactiondes hots de
forét et même des individuset espèces végétaux qui, par le passé, ne semblaient pas
presenter d'intérêt. Dans les zones de savanes, L'augmentation des densités agro-
demographiques réduit la durée des jachères et accélère le déboisement (Kouadio,
1998). Maiheureusement, la protection et la sauvegardedes richesses naturelles par les
moyens conventionnels (police forestière, creation daires protégées, lutte contre les
feux de brousse, réglementation des coupes et du commerce des essences,
intensificationagricole,etc.) prouventaujourd'hui leur inefficacité. La situation actuelle
des relations entre communautés humaines et milieux naturels semble conduire
inéluctablement a la dégénérescence des habitats et ressources naturels vitaux et
démontre ainsi lurgence des strategies nouvelles de sauvegarde et de protection des
ressources résiduelles. On ne peut sauvegarderles milieux naturels sans preserver leur
contenu. C'est pourquoi la protection de la biodiversités'avère incontournabledans la
lutte contre La degradation de ces milieux. Dans cette logique, nous avons
l'hypothèse que concernant La diversité vegétale, un point de depart de cette quete
pourrait être Le rOle des habitudes alimentaires.Les investigationsentreprises donnent
les résultatsprésentésici.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18au 21 juin 2001 245


J. Methodologie

Le travail s'appuiesur des exemples choisis dans le nord du pays et sur des cas
specifiques pris dans le sud forestier. Les données utilisdes proviennent d'enquêtes faites
sur le terrainet dune base documentaire. Les etudes de terrain se déroulent depuis 1988.

II s'agit d'enquetes ponctuelles faites sur la base d'entretiens avec des personnes
rencontrées sur leur lieu de travail (agriculteurs, ouvriers agricoles, bouviers et bergers,
commercants sur les marches), d'inventaires botaniques de forêts classéesreconnues pour
avoirconserveun niveau de leurs potentialités naturelles et d'observationsdirectes.
Les variables danalyse sont l'aire ethno-culturellLe, les techniques culturales, les végétaux
ou protégds, les raisons de leur sauvegarde, les techniques de protectionet les
caractères du milieunaturel (climat, végétation et sols et des données d'ethno-botanique
pour tenir comptedes espèceset de leur utilisation).

L' des techniques de production et de protection des espèces a servi a rechercher les
differences de pratique selon les groupes ethno-culturels. Concernant les raisons de la
sauvegarde, on s'intéresse aux roles des espèces dans l'alimentation, aux modes de
consommation, a la périoded'acquisitionet a la fréquenced'utilisation des organes. Les
donnéessont traitéespar statistiques descriptives et par cartographie.

II. Résultats

2.1. Espèces utiles, espèces consommées et habitudes alimentaires

En Côte-d'Ivoire,les formesd'utilisation d'une espèce vegdtale sont nombreuses


(alimentation, artisanat, constructions, médecine traditionnelle, outillage, foresterie,etc.).
Elles peuvent être plus sociologiques (Erythrophleum ivorensis est utilisé pour des
de vérité dans le centre-ouest du pays), ou dans le temps. En
plus, les changements socioculturels réduisentde plus en plus leur place dans les usages,
pour des matériaux modernes. L'artisanat devient une activité plus a l'usage de seuls
homrnes de métiers. Lesespèces "utiles" n'ont donc pas le même niveau d'utilité.

Curieusement, malgré ces mutations, les espèces entrant dans 1'alimentation conservent
leur importance. Elles semblent moms variées que celles des autres formes d'utilisation.
En revanche, leurs prélèvement et utilisation restent assidus. Elles font l'objet de
sauvegarde et de protection. Par exemple, dans la region de M'bengud, assécher un
individu de Parkiabiglobosa est un délit qui vaut l'opprobrede la communauté.

246 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversitO enAfriquede t'Ouestet du Centre
La tradition a consacrécertainesespècescomme produits alimentaires, de telle sorte qu'il
est impossible de comprendre et d'imaginer une alimentation sans elles. Leur
consommation témoigned'une culturepropre a la socidté. C'est l'usage continu créé par
cette integration qui est appeléici "habitude alimentaire".

Cette expression désigne l'ensemble des pratiques et des connaissances qui, dans une
société donnée, qualifientou disqualifient les végétaux en tant qu'alimentsou améliorant
un aliment. Font partie des habitudes alimentaires tout comportement nutritionnel
structure par les murs et tout aliment dont Ia consommation est régie par Ia coutume et
les tabousen vigueur. Ainsi,pour une société donnée, on peut dresser un récapitulatif des
végétaux consommés et de leurs modes de consommation. Ces habitudesvarientsuivant
les sociétés.

2.2. Les fondements culturels de Ia repartition spatiale


des habitudes alimentaires

2.2.1. La correspondance entre les aires culturelleset les aires


de consommation

En Côted'Ivoire,on distingueles consommateurs de céréales et ceux qui prdfèrent les


tubercules. L'origine de ces préférences est difficile a Mais a chaque groupe
culture! on peut associer une culture principale et une secondaire (tableau I). Ainsi, les
cérdales sont prisées par les peuples de tradition Mandé. Les Mandé du nord (dorigine
Malinké) vivent de maIs (Zea mays)et de riz, alors que les Mandddu sud vivent de riz et
de manioc (Manihot escenlenta). Le riz semble plus l'apanagedes peuplesdorigine Krou
qui consomment aussi le plantain (surtout Musa paradisiaca). Dans le reste du pays,
l'alimentation est traditionnellement basdesur l'igname (Dioscorea cayenenis-rotundata et
Dioscoreaalata) et le manioc (Manihotescenlenta) associds au mil dans le nord et au
plantain dans le sud.

Tableau I: Repartition des ailments de base selon les regions

Nord-Ouest Nord Nord-Est Centre Sud-Est Sud-Ouest

Malinké Voltaique VoitaIque Akan Akan Krou

Mals Mais Igname Igname Plantain Riz

Mi!, sorgho Igname, mil Mals, sorgho Manioc Manioc Plantain,manioc

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 247


Le brassage des populationsa conduit a un métissage des pratiques alimentaire surtout
dans les villes. Mais daris les campagnes, les habitudes ancestrales sont encore toutes
conservées. Chaque aire ethno-culturelle correspond donc a l'aire de consommation de
certains produits.

2.2.2. L'influence des dispositionsdu climat et des sols sur cetterepartition

Ii est net que les différentes cultures sont adaptées au climat, car le régime pluviométrique
imposele nombrede saisons culturales. Dans les zonesde climat a une seule saison de pluies,
Ia préférence est aux cultures a cycle strictement long s'il sagit de tubercule ou strictement
courtpour les céréales. Dans le nord-ouest,le mals donnedeux a trois récoltes pourune seule
de riz et d'arachide par an. Au nord-est (Ia region la plus sèche du pays), ii n'existe qu'une
seule saison de sorgho et d'igname. Dioscorea cayenensis-rotundata permet une récolte
précoce a faibles rendements vite Dans le sud humide a courtes saisons sèches, les
cultures traditionnellessont des especes a cycle long (Manihot esculenta et Musa sp.).

Actuellement, une modification sensible du climat du pays (Brou et a!., 1999) concourta
l'expansion des cultures d'un type décologie vers d'autres regions aux conditions
climatiques naguère différentes. Mais elles sont tenues par des populations ayant une
tradition alimentaire intégrantleur consommation (Kouadio, 1999a). Des déplacements de
population du centre savanicole du pays ont provoqudune expansion des Dioscoreaceae
dans le sud forestier(Hauhouotet a!., 1984). De même, le développement de Zea mays
dans le centre, le centre-ouestet le sud est le •fait de Malinké et de Sénoufo (Fusiller,
1987). L'expansiondes Dioscoreaceae dans la region Sarhala est due a la descente des
Sénoufo.

La qualitedu sol n'est pas un obstacle majeurau déplacementdes cultures,car celles qui
passent 1u sud vers le nord sont des plantes moms exigeantes,tel Manihot esculenta.
Celles venant du nord vers le sud sont aussi par leur nature moms exigeantes
(Ndabalishye, 1995) et trouventdans le sud, plus humide, des conditions plus favorables.
Finalement, Ia repartition des cultures vivrièresa uneorigine plus humaine que naturelle.
Les populations autochtones de chaque region persistent a pratiquer leurs cultures
traditionnelles et semblent réticentes a l'adoption de nouvelles cultures. Le niveau de
réceptivite vane selon les peuples. A part le riz, les autres céréales comme le mil et le maIs
sont souvent mal assimilés par les peuples de forét et du centre qui les consomment
comme produits accessoires, alors que les tubercules partant de ces regions sont plus
facilement acceptés ailleurs. Les nouvellesintroductions sont le fait d'allogènes refusant
de se convertir a Ia consommation de produits locaux qui, méme cultivés pour Ia vente,
leur restent toujours Les traditions alimentaires se transportentdonc d'abord et
essaient ensuite de se caler a la nature des lieux (Koby, 1996). Cette habitude conduit
aussi les techniques culturales.

248 Pratiques cuiturefles, a sauvegarde et aconservation


de Ia biodiversité en Afriquede 'Quest etdu Centre
23. Les pratiques culturales
Les pratiques culturale difOrent suivant ks planks exploitees, ma s cues sont plus Ic
fruit d un eonnaissanc du miliru Par excmplc dan Ic entre ivoirien Manihot
e(uI(1 k sc It c sur d s h ii d e vii M 0 m 511 Un cirain a sol mince. mais 5th
terrain sc pr fo id il s I it r r Itir pitt I)a Ic u
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b utuics ontlais a iieni c 1 I c Dd s or ac ar s ii tiv it sur d s buttes di 50 a
60cmde hamdans Ic centiect Ic noid du ay Maisdens I Nord Est momspluvieux les
buttes ont 60 i 0 ii d Ii tut

Al in tn done d stradii n Jun nar s st ch


qic uiuraO ui cntles espccc
cultivees Ls hommes e dcpl ic nt avec cultures et Icur Culture' (Kouadio,
1cm
1999h) La ou 'implanteun gmr upe rultunni I se pace cries presdntmttine structureet
un contenu specihqucs aux cone pt ons cthno cultuielles dc Ia c mmunautc. A nsi, Ia
descente progressive des populmons enoutovers Ic sud amene, dans Ic pays Malinké dc
d
Sarhala une organisati m I espace in terroirs de champs contigus alms qu'a l'onigine
I'espace Mahnke structure par ii culture itinerante rnontrc de parcelles dispersees sans
ordre apparent Or, dans sa conception traditionnelle, Ic champ des immigrants a deux
types de composantes les cultures et Icc especc dc cueillette incontournables dans
l'alimentation quotidicnne En fonction des goQts et preferences nutiitionnclles, les
especes dc cueilletk peuvcnt etre diilerentes d une societe a une autre Mais clues sont
choisics dans Ia ganime imr osee pa Ic milieu naturci insi dans les regions di Dianra,
apparaissent des rdividus sauvegardes pour Ia consomn ation (figure 1). II s'agit
d espece typiqucs des in ion de climat r pical humidc

Note La sauvega do do' especos dans les


champs sort aussia Ia roat on d abns d or brage
cia fournituro do bois do chauffo
Los organos ontrant dais latmontacon sont
recoltOs sans dommago pour lo rostodo indnidu
Toutco travai gonoralomonttonu par los ferrmos
sofait a Iaided uno fourchetailléo acot offot

Figure1 Nero (Parkia biglobosa)sauvegardo


dans uno parcelle do coton a Dan a
(KouadioY B 1998)

Ouagadougou (Burlena Faso) du 18 au 21 jur 20() 249


A l'dchelledu tcrroir villagcois ii est donc possible de repérer, d'identifier et de recenser
les cspeces et individus comestihies pioprcs a une communaute. (es conceptions
traditionnelles du champ et de Ia nutrition sont a la base des principes qui regissent les
modes de misc en valeur du terroir villageois ct de ses ressources, de l'exploitationet de
Ia conservation des espèces vdgetales.

24. Les habitudes aUmentaireset a sauvegarde des especes


2.4.1. La sous-utilisation des individus

Lesmodesde consommation des especes alimentaires font ressortirde nombreuses pertes


En effet, les organes consommes sont différents d'unesociete a uneautre. Les peuplesdu
centre du pays ne s intdressent qu'aux tubercules de Manihot esculenta, alors que les
feuilles sont aussi comestibles, Seul l'arille entourant les graines d'Llaezs guineencs est
fréquemment utilise a Ia production d'huile, Mats I amende de Ia graine, tout aussi riche
en rnatières grasses, est souvent abandonnee, L'alimentation ne valorise donc pas toutes
les potentialités des plantes. L'hahitude bloquee sur certainesconnaissances limite ainsi
I integration de nouvelles utilisations Dans ces mdmes regions, La tradition enseigneque
l'extraction du yin de palme oblige a l'abattage de l'individu producteur. Dc même
l'extraction des breuvages de Borassus aethiopum conduit a Ia inort de l'individu,
Pourtantces extractions peuvent se faire sans nuire a La vie des arbres (figure 2), photo
prise a Grand Lahou)

Figure2 Redémarrage des activités du bourgeon terminal


de Barassusaethiopum ares extraction du yin

250 PratiquescuitureUes,Ia sauvegardeet Ia conservaton


do a biodiversité en Afnque de I'Ouestetdu Centre
Mais ces possibilités, qui méritent d'être exploitées en toutes connaissances, sont
négligées au comptede la tradition. Selon des praticiensde l'extraction,l'individu rejeté
est inutile,car ddsormais incapable de produireun breuvageou des fruits conformes aux
normes traditionnelles de qualité en vigueur. Cette sous-utilisation pousse a
l'accroissement des superficies cultivées pour la recherche d'un rendement d'un seul
produit.

Ii en rdsulte une reduction des espaces naturels, une extension des jachères et des
formations vdgétales de plus en plus pauvres en nombred'espèces. Sur un autre plan, ces
habitudes alimentaires ont des avantages pour la conservation des milieux naturels.

2.4.2. Les espèces de cuelilette non consommées

Certaines espèces ne sont pas des aliments, mais sont reconnues indispensables a
l'alimentation. On rapporteque dans la region d'Abidjan,les fumeuses traditionnelles de
poissons utilisentplusieurs essences pour le séchage du poisson.Mais La préférence va a
Entandophragmautile (sipo) et Terminalia superba (fraké), dont le feu est réputé donner
au Poisson fume une consistance qui satisfait plus aux normes de conservation et de
consommation.

Danstout le pays,les feuilLes de Thaumatococus danielli ont l'exclusivitédes emballages


froidset même de La koladans La regiond'Anyama,le plus grand centrede productionde
cette denrée. Celles des Musa sp. sont plus réservées a L'emballage des aliments a cuire a
la vapeur. Dansle sud forestier, les feuillesde Marantochloacongensis sont réservéesa la
fabrication de couvercies de recipients de collecte de yin de palme, alors que les tiges de
Olyra latifoliaserventde tuyaux de conduction.

L'apport nutritionnel de ces espècesreste a démontrer. Mais Ia tradition les a consacrées


dans ces fonctions et fait d'elles des irremplacables, critère de qualité et
d'originalitéconférant un prestige a 1'aliment. L'habitude de leur utilisationentraIne le
ddveloppement en yule d'un commerce florissant de feuilles et de tiges ayant des
fonctions dans le conditionnement, La cuisson ou la conservation des aliments.

2.4.3. Les especes de cuelliette consommées

Contrairement a ce que dit Schnell (1957), les produits de cueillette ne sont pas
accessoires et leur consommation ne se fait pas au hasard. Cette consommation est régie
par des traditions qui expliquent d'ailleurs pourquoi l'action de l'homme se traduit dans
leur repartition spatiale. Ces plantes constituent un reservoir d'aliments entrant dans

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 251


l'alimentationde base, même si certaines, plus rares, sont consommées commefriandises.
Etant des produits de cueillette, leur période de consommation est calquéesur celle de leur
production, elle-méme guidée par les saisons climatiques. Solanum nigrum pousse en
général dans les nouvelles parcelles de culture. Sa consommation se situe donc en debut
de saisonagricole.

Lesutilisations sont guidees par les goütset préférences. Les fruits d'Irvingia gabonensis
serventa Ia confection d'une sauce consommée dans le centre du pays, mais qui trouve
toute sa reputation dans l'ouest et le sud-ouest. De méme, parti du centre, un
assaisonnement (apki en langue Baoulé) produit a partir des fruits de Ricinodendron
heudelotii conquiert aujourd'hui tout le pays. Suivant les sociétés, les populations
emploient divers organes de plantes (les populations du centre ne consomment pas les
fruits de Raphia hookeripourtantprisésdans le centre-ouest). Les aliments produits sont
trèsdiversifies (tableauII).

Les gaines de Vitellaria paradoxa et de Tieghemella heckelii produisent du beurre. Les


fruits de Dialium aubrevillei servent a Ia confection des biscuits, tandis que ceux de
Borassus aethiopum et de Raphia hookeriserventa la preparation de bouillies (Ouattara,
1999). Certaines espèces produisent plusieurs aliments (les feuilles d'Adansoniadigitata
serventa la confection de sauces et I'anile entourantles grainessert a confectionnerdes
boissons). Ces espèces sont donc nombreuses. Leur sauvegarde est déjà un moyen de
conservation des individus et elle a ainsi I'avantagede faciliter la régénération des milieux
naturels.

252 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde ot Ia conservation


de a biodiversitéen Afriquede I'Ouestet du Centre
Tabeau U: Uttlisattonahmentairede quequesplantesde cueillette en COtedIvoire

i3oissons Asaisonncments Huiic Fdculents t'ruitc ________


Solanum Iambiinc/us Aframnomnum Jeijairia Dioscorea Spondias
zndieiun Inc/wa cxicapuni occidentali pri hensum S mnomnbun

(feuilie) (ginut) (fcuiile) (giame) (tuhercuic)


(orehoru,s Dw5piro.s Piper Jrculua aji icana Duosc area Landoiphia
oliiortus nze3piliform! s (lrwt cc) (giclue) mnangenctuan heudelatuu
(feuiiie) (buit) (tuhcrcutc)
Vernonia florasu3 I'iperguineen5i.s Laphira Anchomnane ha/acua
arnygdalina aethiopurn ((nut see) laneealata dufformni3 oi4abienensus
(feuiile) (seve) (graine) (tubcrcule) (tuhercute)
(ciba hibiscus (irewuapubescens lueghu I/a n Duoscorea Dacryodes
pentandra sabdariffa (ecorcc) hec kc Iii (grainc) bulbijera klairuamua
(teusile) (fleur,)_______
Combretum Adansonia Sterculua bc/crocarya Dugutarua Strychnos
paniculatum digitata Iragacantha hirrca exulus spunosa
(feuille) (anile delagraine) (grainc) (graine) (cereale)

Note Los hanes ont une importance


considerable dans Ia regeneration des
miiieux naturesi et servent ouvent do
temoin de fertihte du sot Ceites dos
ignames ont dautres avantages Solon
McKey et at, (199?), Dioscorea
s
prachensbs etabtit dans tes chablis
mais persistc méme apres Ia fermeture
do Ia canopee. Los Dioscoreaceae
sont nombreuses et fortement
consommOosen COte d tvoire

Figure 3 : Tiges, feulites et fruits d'Uvaria


chamae (Kouakio,1998).

Ouagadougou (Burlena Faso), du 18 au 21 Juin 2001 253


2.5. Le role des espèces consommées dans Ia régénération
des milieux naturels

Certaines espèces se mettent en place dans des conditions specifiques. Uvaria chamaese
développe presque toujours dans les bosquetsde forêts denses en milieu de savane. Cette
liane y trouve un contexteforestier, donc pauvre en graminées, et un support arboré qui lui
permettent d'être hors de portée des feux de brousse et d'dtirer ses tiges. Dans le cas
contraire,elle se tasse en buisson qui résiste fortementaux saisons sèches (figure 3) et
feux de brousse. Landoiphia hirsuta résiste difficilement a la modification de son
environnement. Ii exige un environnement a microclimat forestier dont La destruction
entraIne son dessèchement rapide.

Dumont(1997) dénombre 14 groupes variétaux de Dioscorea cayennensis-rotundata issus


de Dioscoreapraehensiliset de Dioscoreaabyssinica, lesquels développentdes strategies
de defenses pour resistera la competition et se preserver un habitat.La sauvegarde des
individus est donc un pas vers la conservation d'une certaine ecologie. Filleron (1995)
notequ'au nord de La Côte-d'Ivoire,La sauvegarde des espèces ligneuses dans Les jachères
conduit a la formationd'une végétation typique qu'il ddnomme 'savane-parc", savane
dont la strateligneuseest constitude des seulsindividus d'espèces utiles au premier chef a
1'alimentation. Dans le nord-est oü la mise en culture entraIne une destruction totale des
arbres, les jachères donnent des savanes arbustives qui ne résistent pas aux feux de
brousse (figure. 4). Les strategies de defenses developpees par ces plantes sont
essentielLes, car elles facilitent le développement d'autres espèces et il n'apparaIt pour
l'instant aucune technique de protection pour la majorité des espèces.

Selon nos enquêtes, les populations ne suivent pas les techniques modernes d'agro-
foresterie, parceque Les seules idées de régdnération des sols ou de creation de parc a bois
de chauffe ne semblent pas suffisantes. En revanche,tout individu d'espècesalimentaires
est sauvegardé. Car iL produitdes alimentset son entretien est une signature spatiale qui
traduit L'appartenancede la terre a un membre de la communauté villageoise.

La conservation des espècesfacilite la restauration plus rapide du sol et de la couverture


végdtale. Dans les champsde la region de Tiébissou, la sauvegarde de Lophira lanceolata
vise a fournirdes tuteurs aux tiges des ignameset a la productiond'huile. Cette conduite
aboutita la formation des savanesboisées après 4 ou 5 ans dejachèrenaturelle(figure 5).
La jachèreintègrel'espace et son contenu biologique.

254 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversité en Afriquede 'Questet du Centre
26. Consequences de a perte des habitudes ahmentaires
sur a biodiversité

Depuis près d'un quart de siècle, pluseurs espècesde plantes alimentaires de cueillettc
sont a l'abandon et en voic de disparition au profit de plantes plus performantes et
d'inttoductionrdcente (AkéAssi 1992). Ilamon et al. (1999) précisent que l'appantiondu
florido, un clone, entraine Ia disparition de varietés locales de Dioscoreaceae

Note Limage A montre


une uofflejachore do 9
ans dont (a vegetation
hgneuso est constituCo
d'arbustos do 2 a 3m do
haut. La teu do brousse
a rasetoute (a strato des
graminees at brU(o (as
arbustes dont H no rosto
quo des hgosat troncs
morts.

L'imageB montre uno


jachoro do 4 ans nu (as
jeunesarbres antdos
diff(cu(tdsa repousser.
Mais(a strata des grands
arbresópargnés au
cours do (a mise en
cu(turo resisteau lou do
brousse. Cotta format(on
tendvera (a conshtution
dutypedo savane
detiniepar Fd(eron
comma uno "savane
l[parc. —
Figure 4. Vue comparativc do douxjacheres brQ(ées
par es feux do brousso (rogon do Bouna),

Ouagadougou (Burkwia Faso), du 18au 21 juin 2001 255


I urbamsation de plus en plus poussie ronvoic. ertainesproductiois de cuullettc au stade
de cultures exotiqucs Elles perdent di pin in pin hut oids dans I ahrnentation it sonc
reniplaides pir di pr dwt nouveau Par xeinpk hr dtviioppin cut di Pr czflora
edules provoque aujourd hui ur iecul di. Ia consoinri aflon dii pioduit on on I tels
JJzhis us sabd iriffa t Zingiber )f/i wale I i mutat on t 'ihnoioiques et là
inodirnisation agriioie ont aussi un rivers nela ti

Dci tinioignaes regus dans les igions th Mankono font etat d uni rn in Ire production
de Solanurn nigruin depuis I apparit )fl di buphorb a heti io hvlla ( ette ispece tris
envahissante dans Ii ultur s icrait apparue we ii dcviloppeni nt dii blocs de cul nrc
mécanisee di ni (Kouadio 1998)

Fn ida, cue est un moyci d appropriation, de contiole et de gestion des terres. on


considdre tiaditionnellernent que cc qur pousse dans uni jachère appartientau tenant de
ceIieci, Souvent Ic paysan enrichit le contenu par l'apport de plantes Iruitieres et par
l'entretien des especesci cueillenes

Note On emacue a cfiu a on après Ic


passaqi du fin di broui Là repousse des
hcrbacie.so w quetquea jours seulement
apres Ic passagedu fin I ci bouviers of
bergen mettentsouventle feu au noun do Ia
sason séchepour aeceldre Ia repousse des
gramineca of ahmenterleur bdtaiL

Figure 5 Jaihire a Lophira an'oIata


(6 ans) do là region do hebssou
(Centre Cote d Ivore)

256 Praiques culturellc' Ia auvegardeeta ionsrvaton


I Ia bolvirote enAfrquedc.lOiet idu Ccntr
En fait, la perte de culture purement africaine entraIne une perte des habitudes a
consommerdes produits de moms en moms connus, de plus en plus rares et vus comme
des mauvaisesherbes ou des végétaux gênantscombattus dans l'agriculture moderne. Le
niveau de participation des produits de cueillettea la nutrition est relatifau rendement des
individus et a leur accessibilité. Uneidée seraitd'évaluer les possibilités de domestication
des produits de cueillettes. Les cas des ignames et du fonio sont des exemples qui
montrent bien que dans Ia traditionafricaine, l'habitude a Ia consommation de certaines
espèces 'sauvages' a conduit a apprivoiser celles-ci. Le commerce de ces produits dans
les centres urbains montre aussi Ia persistanced'une certaine tradition a conserverleur
consommation et surtoutles possibilités actuelles de développement.

Une promotionet une amelioration des espècesentrant dans les habitudes restent a faire
en prenant commeespace-unité le terroir villageois pour Ta detection, le recensementet la
selection des espèces valorisables. A ce niveau, l'absence totale d'une réelle volonté de
récupérationet d'améliorationde ces produits de cueilletten'existe pas comme c'est le
cas pour les produits de consonimation plus courante. Or beaucoup de produits de
consommation de masse sont devenus aussi populaires par une politique de
développement qui a conduit et soutenu la selection des semences, 1'amelioration des
techniques culturales, Ta recherche de rendements toujours plus accrus et Ta vulgarisation.
Les efforts continuent d'être centres sur ces vivriersde base et les cultures industrielles.
Les produits de cueillette sont totalement oubliés malgré leur utilisation souvent très
generalisee. La raison fondamentale est que 1'uniformisation culturelle rend les peuples de
plus en plus dependants de quelques produits standardisés et laisseainsi a l'abandon des
espèces domestiquées, lesquelles sont en voie de disparition. La conservation des
habitudes a Ta consommation de ces produits de cueilletteest donc une voie pour leur
conservation. La domestication, l'amélioration de capacités nutritionnelles et du
conditionnement de ces produits sont donc indispensables. Elles conduiront a leur
preservation tout en elargissant la garnme des produits de consommation courante, c'est-
a-dire une preservation de la diversité alimentaire et des milieuxnaturels qui leur sont
associés.

III. La questiondu terroir villageois : de discussion


L'idée du terroir villageois comme espace-unitévient du constat qu'il constitue un cadre
dans lequel la protection et Ta conservation ont un sens proche des conceptions
traditionnelles. Tout tenoir a des limites bien connues des villageois et ii determineun
espace a l'intérieur duquel chaque individu est responsablede ses actes. Ii est donc
possibled'exercer un contrôle et de suivre l'évolutiondes activités. Et cetteresponsabilite
tire sa source dans les traditions et lois morales qui justementqualifientou disqualifient
les espècesentrant dans Ta consommation. En outre, dans le contextetraditionnelde Ia

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18au 21 juin 2001 257


production, de Ia consommation et de Ia nutrition, au-delà des limites du terroir, les
responsabilités ont tendancea s'estomper. D'ailleurs,ii transparaIt une certainevariabilité
des gofits d'un village a un autre. La longue pratique de l'environnement physique
immédiat impose assez souvent un déterminisme naturel, surtout au sens des produits de
cueillette oà les hommes jusqu'à maintenant se contentent de ce qu'ils trouvent a leur
portée.

Un autre avantage certain residedans la possibilité de rapprocherle centre de decisionet


de contrôle des actes et des comportements des populations par responsabilisation des
autorités villageoises. Un exemple est donné par la decadence du contrôle de
l'exploitationdes produits de péche et de prélèvement de produits forestiers dans le canal
d'Azagny (Sud Côte-d'Ivoire). La réglementation suivie par les autorités villageoises fut
nettement respectéejusqu'aux années 1994-1997, quand des désaccords internes aux
villagesaffaiblirent les pouvoirstraditionnels. Malgréle renforcement des contrôlesde la
police forestière, les riverains reprirent de plus belle leurs activités de braconnage, de
pêche et de coupedes bois dans les zones interdites.

Le terroir villageois traduit aussiune identité culturelle. Le paysage agrairequi découlede


son exploitation montre souvent le niveau d'ingeniositédes peuples et les structures les
plus appréciées font Les migrationscotonnières Sénoufovers les pays malinkd de
de
Bouandougouet Tieningboué se soldentpar une transformation des paysages agraires
et démontrentla récupération des nouvellesformes d'agriculturepar les autochtones en
quelquesannées.Pourtant, il fallut a 1'Etat de Côte-d'Ivoireenvirondeux décenniespour
les faireaccepterdans le Nord.

Les comportements culturaux et attitudes vis-à-vis des milieux naturels et de leurs


ressourcess'apprécientd'ailleurs mieux au sein des terroirsvillageois. Selon Filleron (op
cit.), les pays ont une connaissance très appropriée des milieux qu'ils pratiquent. La
raréfaction des terres cultivables dans les terroirs de Dianra et la modification des
comportements des cultivateurs le démontrent. On note bien que les autochtones pour
lesquels la terreet ses ressources sont pratiquent une gestionplus rationnelle en
réorganisantl'affectationdes parcelles alors que les allogènes répondent a cette pénurie
simplement par leur departvers d'autres regions du pays. Le terroir villageols est donc un
cadre dans lequelles actionspeuvent être contrôlées, orientées, guidéeset améliorées. En
ce sens, il est possible d'y appliquer des indicateurs qui permettent d'évaluer la
performance des operations de développementqu'on y engage. Les systèmes de contrôle
de sa gestionpour une meilleure sauvegarde des espècesont donc plus de chance d'être
efficaces. Et le plan foncier rural en est un atout favorable puisqu'il a l'avantage de
garantirune proprietéaux villageois, et done d'entérinerles limites des tenoirs.

258 Pratiques culturelles, Iasauvegarde et Iaconservation


do Ia biodiversitéenAfriquedo t'Ouestetdu Centre
Conclusion

La diversité des cultures est source d'une diversité des habitudes alimentaires, laquelle
entretient une diversitéd'espèces domestiquees ou non, mais sauvegardees et entretenues.
Chaquegroupe ethno-culturel a une selection, basde sur sa culture alimentaire, d'espèces
très diversifiées et de valeurs reconnues. Dans chaque terroir villageois, l'habitude a la
consommation de ces espèces conduit a leur sauvegarde. Cette sauvegarde contribue au
développement d'autres vdgétaux en créant des conditionsenvironnementales favorables
au maintien d'autres individus et habitats naturels. Maiheureusement, les brassages de
populations et la modification des habitudes alimentaires concourent a une dévalorisation
dconomique et sociale des espèces et, ainsi, a leur abandon. Finalement, ces espèces
disparaissentau profit de nouveaux produits. Le développementdes sociétés aussi
une amelioration des savoir-faire et ía conservation de Ia biodiversitd indispensable
pour un développement soutenu, la prise en compte des habitudes nutritionnelles est
incontournable. Ces habitudes expliquent les modes d'exploitation des ressources
naturelles. Leur conservation est sans aucun doute un moyen efficace de lutte contre la
degradation des milieuxnaturels en Côte-d' Ivoire.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 259


Références bibilographiques

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260 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversitO en Afriquede I'Ouest et du Centre
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Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 261


Annexes
Annexe i
Programme
Lundi 18 juin 2001
08h00- 08h40: Mot de bienvenue, objectifs, résultats attendus et organisation de
l'atelier.
InnocentBUTARE, Administrateur de programmes, CRDI.
08h40 - 09h15: Lesfondementsculturels de la gestion de la biodiversité : les
communautés Bobo-Madaré : exemple d'espècessacrées (rónier,
karité et néré).
Doti Bruno SANOU, CAD,Bobo-Dioulasso.

Discussion

09h15 - lOhOO: Foréts sacrées de Cóte d'Ivoire : Ia traditionau secoursde


1'environnement.
GOME Hilaire, CroixVerte, Côte d'Ivoire.
Discussion

lOhOO - 10h15: Pausecafé

10h15 - llhOO: Preservationde la biodiversité : les réponsesde la religion africaine


en Cóted'Ivoire.
GADOU Mathias, Université de Cocody, Côte d'Ivoire
Discussion

13h00 - 15h00: Pausedéjeuner


15h00- 17h00: Le role desfemmeset des tradipraticiensdans la conservation et la
valorisationde la biodiversitéau BurkinaFaso.
Marc OLIVIER et Lassina SANOU, Sama bioconsult, Clermont-
Ferrand, France et Centre National de Semences Forestières,
Ouagadougou.
Discussion

17h00- 18h00: Film sur les forêts sacrées en Côte d'Ivoire

Mardi 19 juin 2001


08h30- 09h15: Traditionet conservation de la biodiversité biologique au Togo.
BATAWILAKomlan, Université de Lomé, TOGO

Discussion

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 265


09h15 - lOhOO: De l'irnportancede maintenirun regard d'ensernble lorsqu'on
s 'intéressea Ia question de la gestiondes ressourcesnaturelles. Le
cas du Gwendégué, Centre Ouest du BurkinaFaso.
Jean-Pierre JACOB, IRD Ouagadougou.
Discussion
lOhOO - 10h15: Pausecafé
10h15- llhOO: Place des structures traditionnelles dans La valorisation de la
biodiversité
en Guinée.
Marcel SOW, Université de Conakry, Guinée.
Discussion

llhOO - 11h45: Perception et usage de la biodiversité dans le contexte de


1'environnement
burkinabè.
Jean-Baptiste OUEDRAOGO, CNRST, BurkinaFaso.
Discussion

13h00 - 15h00: Pause déjeuner


15h00 - 15h45: Les traditions alimentaires unesource de conservation des espéces
végétales en Côte d'Ivoire.
YaoBertinKOUADIO, Universitéde Cocody, Côte d'Ivoire.
Discussion

15h45 - 16h30: Quelquesconnaissances etpratiques traditionnelles pour une


conservation de la biodiversité.
LAMIEN Nieyidouba - INERA, Burkina Faso

Discussion

Mercredi20 juin 2001


08h30- 09h15: Presentationdesrapportsdu l8juin et du l9juin

09h15- lOhOO: Les representations végétales comme soubassement a une action de


sauvegarde et de conservation de la biodiversité.
FatimaMOUNKAILA, UniversitéAbdou Moumouni, Niger
Discussion

lOhOO - 10h15: Pause café


10h15 - llhOO: Lespratiques culturelles et réalités scientfiques dans La conservation
in situde La diversitébiologiqueagricole.
DidierBALMA, INERA, Burkina Faso.

266 Pratiques culturefles, a sauvegarde et Iaconservation


do Ia biodiversitéen Afriquedo I'Ouestet du Centre
Discussion

13h00 - 15h00: Pause déjeuner


15h00- 18h00: Presentation des textes du Mali et du Niger

Discussion

Jeudi 21 juin 2001

08h30- 09h15: Presentation du rapportde la séance du 20juin

Discussion

09h15- 10h00: Travauxen groupes


lOhOO- 10h15: Pausecafé
10h15-llhOO: Travauxen groupes
13h00- 15h00: Pausedéjeuner
15h00-18h00: Travaux en groupes (suite et fin)

17h00: Audience avec le Ministre de l'environnementdu BurkinaFaso

Vendredi 22 juin 2001

08h30 - 09h00: Finalisationdes rapports des trois groupes

09h00 - 09h50: Restitution des rapports des groupes

Groupe 1 : <Pratiques culturelles menaces et opportunités>>


Discussion

Groupe 2 : <Renforcement des pratiquesculturellesdans les plans


nationauxet locaux de conservation de la biodiversité>>
Discussion

Groupe 3 : <<Perspectivesde recherche, réseautage et projets dc


collaboration enAfriquede l'Ouest>>

Discussion
lOhOO-10h15: Pause café

Ouagadougou (Burkiria Faso), du 18au 21 juin 2001 267


10h15-llhOO: Designation des responsables de comitésnationauxdu réseau
Designation du coordonnateur regional du réseau
llhOO -11h15: Synthèse des travaux de groupes en plénière
Discussion

11h15: Cloture

• Mot du présidentdes travaux, Professeur KoffiAKPAGANA,


Université de Lomé, lOGO

• Mot de cloture du Dr InnocentBUTARE, Administrateur de


programmes, CRDI

268 I
Pratiques cuftureIes,Ia sauvegarde et eonservation
de Ia biodiversitéen Afriquede I'Ouestet du Centre
Annexe 2

Liste des participants


BURKINAFASO D : (226) 36 17 58
Fax: (226)3103 85
1. Didier BALMA E-mail : [email protected]

Institut de l'Environnement
et de Recherches Agricoles 5. NiéyidoubaLAMIEN
(INERA)
04 BP 8645 Institut de l'Environnement
Ouagadougou04 et de Recherches Agricoles (INERA)
Tél. :(226) 34 02 70/3471 12 04 BP. 8645
Fax: (226) 3402 71 Ouagadougou04
E-mail: [email protected]. Tél. :(226) 34 02 70/34 71 12
Fax : (226) 3402 71
2. BELEM / Mamounata E-mail : [email protected]

OUEDRAOGO 6. Marc OLIVIER


DPF/INERA/CNRST
03 BP 7047 SAMABIOCONSULT
Ouagadougou03 BP 1323
Tél. : (226) 32 46 48 Bobo — Dioulasso
Fax: (226)3 1 5003 Tél/Fax: (226)98 19 18
E-mail :[email protected] Ou,27 bis rue des 9 soleils
63000 Clermont-Ferrand FRANCE
3. Ouétian BOGNOUNOU Tél. : (33) 473906055
E-mail: [email protected]
Institutde 1'Environnemcnt
et de Recherches Agricoles (IINERA) 7. Jean-Baptiste OUEDRAOGO
04 BP 8645
Ouagadougou 04 Maître de Recherche CNRST-INSS
Tél. :(226) 34 02 70/3471 12 03 BP 7047
Fax: (226)340271/315003 Ouagadougou 03
E-mail : [email protected] Tél. : (226) 32 63 21
(226) 36 07 46
4. Jean-PierreJACOB Fax: (226)31 5003
Institut de Recherche E-mail : [email protected]
pour le Développement (IRD)
01 BP 182
Ouagadougou 01
Tél. : B : (226) 30 67 37

Ouagadougou (Burkiria Faso), du 18au 21 juin 2001 269


8. Doti Bruno SANOU 12. Gnohite HilaireGOME

Centre Africainde Recherche CroixVerte de Côte d'Ivoire


pour une PratiqueCulturelle 06 BP 1126 Abidjan06
du Développement (CAD) Tél.: (225)225243 43/22523845
01 BP3395 Fax: (225) 22 52 38 45
Bobo-Dioulasso01 E-mail : [email protected]
Tél. :(226) 60 58 61 [email protected]
Fax: (226) 97 24 13
E-mail : [email protected] 13. KOUADIOYaoBertin
9. LassinaSANOU Institutde Geographie Tropicale
CentreNationalde Semences / Université de Cocody, Abidjan.
22 BP 744 Abidjan22
Forestières (CNRF)
Côte d'Ivoire
01 BP2682
Tél. : (225) 22 44 0895
Ouagadougou01BurkinaFaso
Tél. (226)356111/35 80 13 (225)224481 60
Fax:(226)3561 10 (225) 07 8949 15
E-mail : [email protected] Fax:(225)2244 1407
E-mail : [email protected]
10. Mahamadou SAWADOGO

INERAI KAMBOINSE GUINEE


01 BP 476 Ouagadougou01
B 14. Marcel SOW
Tél.: : (226) 30 82 69
D: (226) 38 44 29
Centred'Etude et de Recherche en
Fax: (226)31 5003
:
E-mail [email protected]
Environnement, Universitéde
Conakry, Guinée
[email protected] BP 3817 Conakry
Tél./Fax: (224) 46 56 37
COTE D'IVOIRE E-mail : [email protected]

11. DakouriMathiasGADOU NIGER

Universitéde Cocody, 15. Fatima MOUNKAILA


Abidjan,Côte d'Ivoire
22 BP 554 Abidjan22 Université Abdou Moumouni
Tél. :22440298/22473200 Faculté des Lettres et Sciences
Fax : 22 44 02 98 Humaines
E-mail : [email protected]. BP418 Niamey,Niger
Tél. : B : (227) 73 35 89
D: (227) 73 25 84
Fax: (227) 73 36 54/73 3862
E-mail:[email protected]

270 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de a biodiversitO en Afriquede l'Ouest et du Centre
16. SOUMANAIdrissa -
CRDI SENEGAL

UnversitéAbdou Moumouni 20. BUTAREInnocent


Facuté d'Agronomie
Niamey Administrateur de programmes
Tél. : (227) 73 32 38 regional
Fax: (227) 73 39 43 / 73 30 72 Programme Environnement
E-mail : [email protected] Dakar
Tél. : 864.00.00 poste 2216
Fax: (221)253255
TOGO E-mail:[email protected]

17. BATAWILA Komlan


21. TURPIN MarieElisabeth
Laboratoire de Biologic Vegetale et
Assistante, Unite d'Appui auxprojcts
Ecologic Végétale Dakar
Facultédes Sciencesde Lomé. Tél. : 864.00.00 poste 2216
BP 1515 LoméTOGO Fax: (221)25 32 55
Tél. : (228) 25 50 94 E-mail : [email protected]
Fax: (228)21 85 95
E-mail :[email protected]

18. AKPAGANAKoffi

Laboratoire de Botaniquc et Ecologic


Vegetale Faculté des Sciences,
Université de Lomé
BP 1515 Lomé, TOGO
Tél. : (228) 21 40 76
Fax: (228)21 85 95
E-mail : [email protected]

19. NUTO Yaovi

Faculté des Sciences


Université de Lomé
BP 1515 Lomé, TOGO
Tél. : (228) 25 50 94
Fax: (228)21 85 95
E-mail : [email protected]

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 271


Annexe 3
Synthèse des discussions
Enguise d'introductionau débat, les participants ont visionnedeux films:

- Forêts sacrées de la Côtc d'Ivoire : mythesou réalités?

- Plantes médicinales et médecinetraditiomielle au BurkinaFaso.

Les deux documentaires ont illustré comment les pratiques culturelles ont permis aux
communautés locales de conserver et de sauvegarder non seulement diverses espèces
vegetales, mais aussi des connaissances sur les vertus therapeutiques des principaux
organes des plantes.

Les participants a l'atelier ont ensuite echangé sur les questions d'ordre general:

- Avec les transformations actuelles au scm des sociétés africaines, ces pratiques
traditionnelles peuvent— elles encore être efficaces?

Est-ce que la sacralitédes espècescitées existe toujours ? Qu'est-cc qui fonde cette
sacralitéet quel est son impact sur la perception de l'environnementet l'utilisationdes
ressources naturclles?

- L'étudedes pratiquesculturellesne risque t-clle pas de conduire a une idéalisation du


passé ? Les exemples pris montrent-ils réellemcnt la difference entre Ia perte de la
biodiversité ambiante et la conservation des espècestémoinscitées?

- Faut-il parler de pratiques culturelles, de savoirs locaux, de connaissances


endogènes...?

Des discussions, ii est ressorti qu'il ne s'agit pas d'idéaliser les coutumes, mais d'attirer
l'attention sur l'esprit qui fonde et justifie ces comportements pour en tirer le meilleur
parti. Ii s'agit aussi de comprendre comment les communautés pourraient s'appuyer
dessus pour protégerleurs ressources naturelles menacées. Ainsi, un effort doit donc être
fait par les chercheurs pour aider les populations a se redonnerconfiance quant a leur

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18au 21 juin 2001 273


capacité a utiliserleur propre savoir-faire qui, pour la plupartd'entre eux, est fondé sur le
sacré. La confiance en soi des communautés rurales africaines est une condition
fondamentale pour développer leur capacité a s'adapter aux changements au mieux de
leurs intérêts.

Dans les methodologies de recherche, ii faudrait veiller a montrer que les facteurs
socioculturels tels que les traditions, les croyances sont des de protectionet de
sauvegarde de la biodiversité. Car ces facteurs motivent les decisions et les actions qui
aboutissent a la conservation durable des ressources naturelles.

L'Afrique une zonede domestication des espècespar excellence,il est questionde


chercher a savoir comment les paysans utilisaientles phénomènesnaturels et surnaturels
pour orienter les pratiques agricoles et l'utilisationdes ressources naturelles.

Chacunest libre d'utiliser la terminologie qui convient a son sujet de recherche ou a sa


discipline, l'essentiel la rigueur scientifique qui doit être utilisée pour prouver
l'impact de tel ou tel autre comportement sur la gestionde la biodiversité.

Par la suite, les discussions ont centrées autour des trois themes suivants

- et opportunités;
Pratiques culturelles : menaces

- Renforcement des pratiques culturelles dans les plans nationaux et locaux de


conservation de la biodiversité

- Perspectives de recherches, réseautage et projets de collaboration en Afrique de


l'Ouest et du Centre.

Pratiques culturelles : opportunitéset menaces


Opportunités

En Afrique sub- saharienne, les pratiquesculturelles représentent encoredes opportunités


d'appui pour une gestiondurable de la biodiversité. Ainsi, au niveau des forêts/bois/sites

274 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde et Ia conservation


de Ia biodiversité en Afriquede I'Ouestet du Centre
sacrés, des actions pourraient menées pour renforcerces refuges de biodiversité par
une relegitimation des pratiquesculturelles. Dc méme, des conventions locales de gestion
et de valorisation des ressources biologiques (halieutique, pâturage, fruits de cueillette,
bois) Ct d'accès a Ia terre pourraient être mis a profit dans des politiques visant la
satisfaction des besoinsalirnentaires des populations

Les systèmes agro-forestiers se sont révélés être des outilsperformants de conservation de


La biodiversité et de lutte contre la désertification. Ces savoirs locaux pourraient être

renforcés par des travauxscientifiques pour accroItre leur biodiversité notamment par des
espéces susceptibles de procurer des revenus aux populations.

Les pratiques paysannes de protection des espèces utiles en milieu paysan (culture et
amelioration des variétés, mise en culture de graminées sauvages, aménagement de
bosquets de plantes médicinales, jardins de case) sont autant d'atouts sur lesquels les
programmes d'amélioration des soins de sante primaire (plantes médicinales)
d'améliorationdes revenus (plantes tinctoriales) ; de maintien de la diversité dans les
habitudesalimentaires.

Ces opportunités devraient être saisies et renforcécs par des recherches orientées sur les
themes suivants:

- La misc en place d'une documentation sur les savoirsbeaux en matière de conservation


et d'utilisation des ressourcesphytogenetiques;

- Ia domesticationCt la culturede plantesde cueillette;

- la comprehension des systèmes traditionnels de maintiende la biodiversité agricoleet


des agrosystèmes;

- les relationsentreles habitudes alimentaires et Ia conservation de la biodiversité.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 275


Menaces

- La logiquemarchande contrarie les conventions locales de gestion des ressources


naturelles, notamment par l'appropriation individuelle des espaces et ressources
anciennement communautaires. Cependant, la logique marchande peut être
uneopportunité, notamment quand la domesticationet la mise en valeurcommerciale
des plantes de cueiflette permettent de diminuer la pression sur les peuplements
naturels.

- L'école modeme, typiquement livresque et calquee sur le modèle occidental, ignore


tout des pratiques culturelles des sociétés africaines et des logiques qui les sous-
tendent.

- Les religions non africaines comme Ic christianisme et l'islam ne tolèrent pas


d'accorder un certain caractère sacré aux naturels. Leurs adeptes ont des
difficultés pour comprendre les impacts positifs pouvant être lies aux croyances
traditionnelles africaines.

- L'urbanisation est un facteur puissant de changement de pratiques sociales et


d'adoption de nouvelles. Ainsi, les citadins africains abandonnent les anciennes
habitudesalimentaires Ct consomment de plus enplus des produits importés. Dc cc fait,
ils sont de moms en moms sensibles a Ia disparitiondes espècesalimentaires de leurs
pays. Or, ii s'avère que ce sont les citadins qui conçoivent les politiquesnationalesde
conservation de la biodiversité. Ainsi, la pratique qui voulait que ic placenta soit
enterré au pied d'un arbre et que le nouveau-ne entretienne toute sa vie un rapport
particulier avec cet arbre se perd, car désormais de plus en plus de gens accouchenta
l'hôpital ou dans des villes, véritables desertsdu point de vue végétation.

- L'immigration a l'intérieurd'unpays ou entrepays est egalementune source d'érosion


des pratiques culturelles. L'immigration des populations entrane un effacement des
regles Iignagères, et de cc fait Ia gestiondes espèces et plantes devient de moms en
moms rationnelle. Ainsi, par exemple, le Mossi migrant n'a pas le méme rapport de
respectvis-à-visde l'environnementde son lieu d'accueil. L'explicationretenue serait
que son rapport a la terre d'accueil n'est plus Ic même, car Ia terre d'accueil ne lui
appartient pas. La contrainte environnementale extreme de son milieu d'origine lui
inspire peut-être le comportement de prélever tout cc qu'il y a avant que des
changeinents negatifsne surviennent.

- Le manque d'intérét de la part des pouvoirs publics pour les pratiques culturelles
traditionnelles serait lie leur formation, a l'influence des religions, a leur statut de
citadins et peut-Ctre a l'ignorance.

276 Pratiques culturelles, Ia sauvegarde etIa conservation


de Ia biodiversité en Afriquede I'Ouestet du Centre
- Un peupartout, on observe uneperte de légitimité des chefferies traditionnelles, suitea
l'influence des agents de l'administrationpublique et au comportement empreint de
mercantilisme et de cupidité de certains chefs traditionnels. Les jeunes contestent de
plus en plus ces structures féodales et gérontocratiques.
- Les etudessur les pratiques culturelles montrentque les femmes,en raison de leur role
de conservatrices et << transmetteures >> des premiers savoirs, semblent tout a fait
indiquées pour impulserdes actions salvatrices, susceptibles de devenir relativement et
rapidementdes experiences pilotes a imiter, a amender, a adapter. Les femmes jouent
un role central dans l'utilisation alimentaire Ct médicinale (en pédiatrie) des espèces et
beaucoup d'entre elles ont l'expérience du jardin de case de plantes médicinales. Or
ces femmes sont rarement aidées quand il s'agitde leur montrerpar exemple comment
rationaliser les coupes, préférer les feuilles aux racines (autant que possible) pour
favoriserles régénérations et sensibiliser le reste de la populationa la domesticationet
a la conservation d'espèces rares, notamment par de bonnes pratiquesde récoltes. Les
projetset les programmes de conservation de la biodiversitén'intègrentpas les intéréts
particuliers des femmes. Ainsi, malheureusement encore aujourd'huil'acteur féminin a
un impact modérésur les decisions qui sont très souvent prisespar les hommes.

Renforcement des pratiques culturellesdans les plans nationaux


et locaux de conservation de Ia biodiversité

La revalorisation des pratiquesculturelles de conservation de la biodiversité faciliteraitla


conciliation des contraintes et environnementales dans une perspective
d'une gestionintégrée et durable du patrimoinenaturel dont les effets se traduiraient par
une amelioration sensible des conditions de vie des populations. La discussion a
surtoutcentrée sur les strategies de revalorisation des pratiques culturelles, c'est-à-dire les
moyens par lesquels cette revalorisation peut être possible et l'appropriation par les
populations de la gestion des ressources. Ii a question notammentdes contenus et des
methodologies a adopter pour la sensibilisation de la populationpar la radio rurale, la
responsabilisation des populations locales, la promotionde la médecine traditionnelle,
l'érection des lieux sacrés en patrimoine biologique nationalet enfin une promotion de
1'educationenvironnementale. Les de strategies
ci-après ont retenus.

Ouagadougou (Burkna Faso), du 18 au 21 jun 2001 277


Renforcement des compétences des communautés rurales

Actions

- montrerla valeurdu savoir-faire local en recueillant etjustifiant leurs pertinence et


efficacité dans la gestionde la biodiversité;

- identifier et responsabiliser quelques acteurs pour soutenir les programmes de


sensibilisation en langues locales;

- vulgariserce savoir-faire par le truchement des divers créneaux de communication


traditionnels et modernes pour les hommes commepour les femmes.

Créneauxa utiliser:

- confréries traditionnelles;

- confessions religieuses;

- radio rurale;

- presserurale;

- les (introduction du volet cultureet sauvegarde de la


biodiversité dans les programmesd'education environnementale).

Sensibilisationdes décideurs

Actions

organiser des forums par groupes plus ou momshomogeneautorités


-

gouvernernentales,autorités legislatives, chefs coutumiers, autorités religieuses, ONG);

- organiser des exposés et débats a la faveur de la joumée de l'environnement,


permettant de sensibiliser l'opinion publiquesur l'importancedes pratiques culturelles
et la sauvegarde de la biodiversité.

278 Pratiques culturefles, Ia sauvegarde et Iaconservation


de ia biodiversitéon Afriquedo I'Ouastetdu Centre
Formation des agents de médias

Actions

- organiser des modules de formation pour permettre, d'une part, une bonne
comprehension du role des pratiques culturelles en matière de gestion de la
biodiversité et, d'autre part, une meilleure sensibilisation de l'opinion publiquc.

Renforcement de Ia legislationcoutumière

Actions

- examiner la legislation traditionnelle sur la gestiondes ressources naturelles;

- organiser des rencontres avec les confréries et autres acteurs pour valider les aspects
pertinentsde la legislation traditionnelle;

- rediger une chartetraditionnelle de gestionde la biodiversité;

- intégrer cette chartedans un cadrelégislatifnationalde gestionde la biodiversité.

Gestion décentralisée de Ia biodiversité

Actions:

- renforcerl'autoritédes confréries en la matière.

Renforcement de Ia conservation in situ des ressources génétiques

Actions

- reconnaltre le droit de propriété des communautés locales sur les différentes


ressources.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 un 2u01 279


Renforcemerit de Ia recherche sur les valeurs des pratiques

Actions

- cerner les motivations des populations locales pour la conservation de la biodiversité;

- apprécier les fondements scientifiques des pratiquestraditionnelles.

En plus des fonds propres, les Etats devraient solliciter auprès des organisations et
conventions internationales les fonds nécessaires pour soutenir les programmes de
renforcement des pratiques traditioimelles de protection de la biodiversité.

Perspectives de recherche, resautage et projets de collaboration


en Afrique de I' Ouest et du Centre

Les perspectivesde recherche suivantes ont identifiées

- le role traditionnel de Ia femme dans Ia gestion de La biodiversité, en particulierles


plantesde cucillette, les plantes médicinales, les plantes cultivécs
- la domestication des espècesvegétalesspontanées utiles;

- les foréts sacrées, sites de conservation de la biodiversité: invent aires, e s s a i s


d'amenagements, duplication des experimentations avec comme mots des
cartographie, inventaire, diversité biologique, cultureet religion, conflitset divergence
d'intérêts, populations locales, rehabilitation(incluant aménagement etplaidoyer);

- un lexiqueethnobotanique aveclesnomsscientifiques complets, les noms beaux,


et la langue locale correspondante, afin d'éviter toute ambiguIté;
- l'analyse des representations de l'espace parait essentielleparce qu'elle permet de
comprendre la gestionde l'environnement, be mode d'occupation des terres, et
d'appréhender les permanences et les ruptures dans les rapports que les populations
entretiennent avecle milieu physique;

- les voles et moyens de rehabilitation des contenus des mythes pour les utiliser
comme moyen de diffusiondes connaissancesauprèsdes populationsdansles paysafricains.

280 et
Pratiques culturelles, Iasauvegarde Iaconservation
de Ia biodiversitéen Afriquede I'Ouestet du Centre
Pourmener ces recherches de manière concertéeet des dispersions d'energie et de
ressources, ii a reconunandé de mettre en place un réseau fonctionnanta deux niveaux:

- un réseau général qui incluttous les participants de l'atelier et qui accueillera de


nouveaux partenaires;

- des réseaux de travail qui seront constitués en fonction des projets et des
collaborations sur ces projets.

La finalitC du réseaugeneralest la meilleure connaissance des pratiques traditionnelles et


la gestiondurable de la biodiversité en Afrique de l'Ouest et du Centre. Ii sera dénommé
<Réseau Néré ou Pratiques culturelles et biodiversité enAfrique >>.

Les objectifsdu réseau general sont:

- regrouper l'ensemble des personnes intéressées par le theme, quelle que soit leur
activité(recherche, développement, acteurs locaux, etc.);

- favoriserles echanges entreles membres;

- vulgariserles résultats des travaux;

- rechercher des partenaires;

- promouvoirles membres du réseau.

Le réseau est animéparun coordonnateur regionalqui supervise les activitéssuivantes:

- creation d'un site Web qui présenteles objectifs, les membres,les projets en cours, les
activités du réseau, etc.;

- creationd'un forumde discussion et d'echange sur internet;

- organisation d'une rencontre annuelle, dont Ic lieu sera un pays du réseau, different
chaque année;

- edition d'un bulletinsemestriel reprenant les informations sur l'ensemble des projets
en cours.

Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001 281


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