Intellectual Is at I On
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L’aménagement terminologique
Il se fonde sur le plan théorique sur l’idée que, dans les situations de mutation sociale notamment,
les composantes lexicales des langues peuvent être en décalage avec les besoins réels de leurs
locuteurs et locutrices. Il peut également arriver que les progrès de la science modifient peu ou prou
des acceptions populaires, invitant ainsi la langue à accompagner l’aménagement terminologique
d'où l'intelectualisation des langues. Par exemple
Dans le domaine de la santé, et du sida en particulier, des concepts[1] nouveaux apparaissent dans
les documents initiés par les agences de développement, le plus souvent en anglais ou en français. Il
est important que les populations s’approprient les notions nouvelles véhiculées – VIH,
antirétroviraux, virus, défenses immunitaires.
L'intelectualisation des langues a tout aussi sa place dans l'objectif de faciliter l'apprentissage
d'une langue à des locuteurs étrangers désirant l'étudier par amour par envie ou même par
contrainte une langue Aussi dans le but d'arrêter la stigmatisation causé par les concepts utilisés
par les langues étrangères pour signifier l'objet
Cas illustratif :
la modernisation d'une langue passe par plusieurs processus d'études. Nous constatons, Au Nord-
Cameroun, dans les zones où le fulfulde fonctionne comme langue véhiculaire, certaines populations
allophones manifestent une réserve, voire un rejet, vis-à-vis de cette langue qui demeure malgré
tout pour elles une langue étrangère qui, de surcroît, n’est pas neutre dans cet environnement
spécifique. La confection d’outils didactiques adaptés pour la communication de masse demeure
une solution appropriée. Le guide bilingue français-fulfulde, mis en place dans le cadre du projet
communication sida (Tourneux et Métangmo-Tatou, 2010), en est une illustration notable.
Cette intégration peut être spontanée, mais alors le processus peut prendre un certain temps.
En contexte médical, il s’agit pour les protagonistes de trouver non seulement un médium commun,
mais aussi les termes adéquats pour nommer la pathologie. Si une tentative spontanée ou non de
désignation du VIH fait apparaître ce dernier sous l’appellation « morsure de naja » comme en tupuri
(Djakbé, 2006), l’assimilation VIH et « morsure de naja » est de nature à semer la confusion totale
dans l’esprit de l’usager ou de l’usagère relativement aux discours développés sur les voies de
transmission, les moyens de prévention, la prise en charge des malades, avec toutes les
conséquences malheureuses qui pourraient en découler. Les approximations fautives et
potentiellement fatales sont essentiellement les effets de la précarité communicationnelle dans un
contexte où des reconceptualisations rendues nécessaires du fait de l’avènement de phénomènes
nouveaux ne s’opèrent pas suffisamment (ou pas du tout) sous le contrôle d’instances compétentes.
Il est tout à fait naturel que la langue élabore de nouvelles appellations pour baptiser des savoirs
nouveaux ou des conceptions nouvelles. Il s’agit, selon le mot de Du Bellay (1549, chap. VI), d’« user
(souvent) de mots non accoutumés ès choses non accoutumées ». Pour ce faire, la langue a recours
à des procédés néologiques, la néologie pouvant être partielle ou totale. Comment dire « VIH » en
fulfulde ou en yémba? Comment traduire le concept « abstinence »? L’innovation terminologique se
fonde sur des procédés bien répertoriés tels que l’emprunt à une autre langue, l’affixation, la
composition, l’acronymie, la métaphorisation, etc. Tous ces procédés ne sont pas également
représentés dans toutes les langues naturelles. Par ailleurs, un néologisme peut mettre à
contribution non pas un seul, mais plusieurs de ces procédés.
Il a notamment été proposé, pour désigner le VIH, un concept nouveau, celui de barsooɓan. En effet,
comme l’explique le créateur de ce concept, Henry Tourneux, les recherches ont confirmé
l’incidence très négative que l’emploi du sigle « SIDA » a sur la communication, le sida étant
inéluctablement associé à la mort. Afin de remédier à ce problème, il a semblé nécessaire de
réfléchir à une autre dénomination, nouvelle tout en reposant sur du déjà connu.
Ce vocable combine plusieurs procédés, à savoir la dérivation, l’emprunt, la métaphore, et
l’acronymie. Barsooɓan est décomposable en ses trois éléments constitutifs bar-, soo- et ɓan-; trois
éléments prélevés en fait à l’initiale de chacun des éléments de l’expression « barooyel sooje’en
ɓanndu », expression signifiant elle-même littéralement : « le petit qui détruit les soldats du corps ».
sooje’en < emprunt à l’anglais soldier via le pidgin-English; déjà bien intégré à la langue, il signifie au
sens propre « soldats », mais ici, du fait de la métaphorisation, le terme renvoie plutôt à «
défenseurs, défenses immunitaires »;
Sur le plan de son sémantisne, barsooɓan est une métaphore, un des procédés les plus productifs
non seulement dans la désignation de nouveaux objets, mais aussi dans la reconceptualisation. À
propos du rôle de la métaphore dans le domaine de la terminologie, je souscris totalement à
l’affirmation suivante de Diki-Kidiri :
Loin d’être une simple figure littéraire, la métaphore est en terminologie un puissant procédé de
reconceptualisation. Le filtre culturel détermine la saillance des traits d’un nouvel objet. Les traits
saillants sélectionnés induisent une relation analogique entre l’objet nouveau et un objet ancien
auquel il est comparé. Cette relation analogique justifie et induit le transfert de propriétés de
l’ancien objet vers le nouvel objet, ce qui conduit à utiliser la même dénomination pour les deux
objets avec éventuellement une spécification distinctive. Le nouvel objet porte alors un nom tiré de
l’ancien objet (Diki-Kidiri, 2008a, p. 122).
L’expression barooyel sooje’en ɓanndu, ramenée par acronymie à barsooɓan correspond à une
reconceptualisation qui signifie donc « le petit qui détruit les défenses du corps », c’est-à-dire, dans
ce contexte, « le virus de l’immunodéficience humaine ». Barsooɓan est, par définition, une
innovation lexicale parce que le terme n’existait pas dans le stock lexical de la langue. D’autre part,
dans sa facture même il y a innovation, car la formation par acronymie n’existe pas
traditionnellement en fulfulde : l’innovation lexicale se fait le plus souvent par dérivation nominale
ou verbale dans cette langue caractérisée par des ressources dérivationnelles extrêmement variées.
Nous pouvons affirmer, sans grand risque de nous tromper, que barsooɓan constitue le premier
acronyme en peul du Cameroun.
L’intérêt de ce nouveau concept est triple : l’expression « soldats du corps », au sens de « défenseurs
du corps » pour désigner les défenses immunitaires, est déjà popularisée dans le milieu, comme
l’indique Tourneux. De plus, à partir du nouvel acronyme, barsooɓan, il est très facile d’expliciter à la
fois le rôle des défenses immunitaires et l’impact du VIH sur elles. Il est également facile de dissocier
l’infection par le VIH, donc la séropositivité, du sida lui-même, déjà fortement stigmatisé. Enfin, le
communicateur ou la communicatrice peut décrire les maladies opportunistes comme des
pathologies qui s’installent progressivement à mesure que le nombre de « défenseurs du corps »
diminue.
Remarquons enfin que le travail lexicographique vient ici en appui, car il permet, par le biais de la
fabrication de dictionnaires et lexiques, de fixer, de standardiser ainsi que de diffuser des savoirs de
type encyclopédique. Le discours lexicographique devient alors une aide dans la production d’autres
discours. Tourneux est l’un des chercheurs de ce domaine qui s’est le plus distingué par sa
productivité : il a publié près d’une demi-douzaine de lexiques et dictionnaires au rang desquels il
faut citer le Lexique du munjuk des rizières, le Vocabulaire peul de la nature et de l’agriculture, le
Dictionnaire peul de la nature et de l’agriculture, le Dictionnaire peul du corps et de la santé, le
Dictionnaire peul encyclopédique de la nature (faune/flore), de l’agriculture, de l’élevage et des
usages en pharmacopée.
Conclusion