L2 Droit Administratif S1
L2 Droit Administratif S1
L2 Droit Administratif S1
Pour mener à bien sa mission d'intérêt général, l'administration dispose de plusieurs moyens d'action. Elle peut
éditer des actes qui se classent en deux grandes catégories : d'une part, les actes administratifs unilatéraux
(s'imposent à leur destinataire sans leur consentement) et d'autre part, les contrats qui supposent la rencontre
de deux volontés. Dans la mesure où le régime juridique de l'une et l'autre de ces deux catégories obéit à des
règles différentes, il faut les envisager successivement afin de comprendre comment se traduit l'emploi de la
puissance publique dans chacune de ces deux catégories d'actes administratifs.
Ces actes sont indispensables à l'exercice des missions de l'administration. En effet, administrer suppose
d'adopter des actes juridiques c'est-à-dire des décisions exécutoires, qui produisent des effets de droit, soit
qu'elles imposent une obligation, soit qu'elles reconnaissent un droit à un administré. Les actes juridiques que
l'administration prend lui permettent de créer des rapports de droit et de modifier l'ordonnancement juridique.
L'acte unilatéral se distingue des contrats car cet acte est pris par l'administration sans le consentement des
personnes auxquels il s'applique alors que le contrat suppose la rencontre des deux volontés. Le caractère
unilatéral ou bilatéral de l'acte est le premier élément qui permet de distinguer un acte administratif unilatéral d'un
contrat. En pratique, les actes administratifs unilatéraux revêtent une importance particulière sur un plan
quantitatif et, c'est précisément ce qui marque la différence entre les modalités d'actions d'une personne privée et
les modalités d'action de l'administration. Une personne privée n'a pas, en principe, la possibilité d'adopter des
actes administratifs unilatéraux car ces actes sont une manifestation de la puissance publique. Or, sauf
exception, les personnes privées ne peuvent pas disposer de la puissance publique. L'adoption d'actes
administratifs unilatéraux met en exergue la situation d'inégalité dans laquelle les administrés sont placés face à
l'administration. Cette situation d'inégalité tend à être atténuée depuis quelques années avec la volonté de
garantir les droits des administrés. La loi du 12 avril 2000 a été adoptée -loi relative aux droits des citoyens dans
leurs relations avec l'administration- et vise à faire en sorte que les destinataires de l'action administrative ne
soient plus considérés comme des administrés (personnes assujetties) mais comme des citoyens (personnes
titulaires de droits). Cette évolution sémantique est importante car elle démontre que les relations entre
l'administration et les administrés ont évolué. Pour autant, cette loi ne remet pas en cause la possibilité dont
dispose l'administration d'adopter des actes administratifs unilatéraux.
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Section 1. La notion d'acte administratif unilatéral
C'est une décision qui crée des droits et des obligations : on parle de décision créatrice de droit. Cela fait
référence à plusieurs catégories de décisions car il y a une distinction entre les actes réglementaires et les actes
non réglementaires (décision individuelle).
Il y a deux grands caractères : c'est une décision exécutoire et cet acte traduit l'emploi de la puissance publique
ce qui signifie qu'il émane, en principe, d'autorités publiques administratives (même s'il existe des exceptions).
Si la définition s'énonce aisément, il existe en réalité des points d'ombre, des interrogations concernant certains
actes comme les circulaires.
A. Définition
C'est un acte juridique qui est pris unilatéralement par une autorité publique administrative et qui crée pour les
tiers des droits et des obligations. La décision exécutoire donne à l'administration le privilège du préalable. Cela
signifie que l'administration n'a pas besoin de recourir à un juge pour que sa décision s'impose aux administrés.
En d'autres termes, l'administration n'a pas besoin de demander à un juge l'autorisation d'agir. Le CE a qualifié
de "privilège du préalable" des règles fondamentales du droit public : c'est ce qui découle de l'arrêt du 2 juillet
1982, Huglo. La décision exécutoire bénéficie de ce que Maurice Hauriou appelait "l'autorité de la chose
décidée". Cela signifie que la décision de l'administration, qui se traduit par l'intermédiaire d'un acte administratif
unilatéral, bénéficie d'une force contraignante qui implique que cet acte s'impose à ses destinataires. Pour
reprendre la définition classique de Maurice Hauriou, la décision exécutoire est toute déclaration de volonté
émise par une autorité administrative en vue de produire des effets de droit des avis des administrés. Cette
définition dégagée par Maurice Hauriou en 1892 est toujours d'actualité. Concrètement, une décision exécutoire
peut prendre plusieurs formes. Il peut s'agir d'un acte individuel ou d'un acte réglementaire mais, dans tous les
cas, cette décision crée une règle nouvelle ou modifie une règle existante ou confirme le maintien d'une règle
existante. S'agissant de cette dernière hypothèse, c'est le cas par exemple lorsqu'un administré se heurte à un
refus de l'administration : une décision de refus est, en réalité, une décision qui confirme le maintien de
l'ordonnancement juridique existant. La décision exécutoire est une décision qui fait grief et, de ce fait, elle est
susceptible d'être contestée devant le juge administratif par le biais d'un recours pour excès de pouvoirs.
Il y a une distinction à opérer entre les décisions expresses ou explicites et les décisions tacites ou implicites.
Une décision explicite est généralement écrite mais la jurisprudence n'exclut pas une décision orale (ordre donné
par un supérieur à son subordonné). Quant aux décisions implicites, elles peuvent être des décisions de rejet ou
d'acceptation. En vertu de l'article 21 de la loi du 12 avril 2000, le fait pour l'administration saisie d'une
demande de garder le silence pendant 2 mois est assimilé à une décision de rejet. Il existe néanmoins des
hypothèses dans lesquelles le silence vaut acceptation. C'est le cas pour une demande de permis de construire.
Le silence gardé par l'administration sur une demande de permis de construire pendant 2 mois vaut acceptation
de la demande. Par conséquent, une décision exécutoire n'est pas nécessairement une décision explicite
formalisée par un écrit. Il peut s'agir d'une décision implicite qui trouve sa source dans le silence de
l'administration.
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B. Les actes ne répondant pas aux caractères de la décision exécutoire
Les actes qui ne traduisent pas l'existence d'une décision ne sont pas des actes faisant grief. Il s'agit, par
exemple, des actes préparatoires qui n'entrent pas dans la catégorie des décisions exécutoires. Ce sont des
actes qui précèdent une prise de décision et qui n'ont pour seul objet que de préparer cette décision. Exemple :
arrêt du CE du 15 avril 1996 "Syndicat hospitalier de Bédarieux". Était en cause, dans cette espèce, la
décision prise par le conseil d'administration d'un hôpital qui visait à proposer la création d'un syndicat commun à
plusieurs centres hospitaliers. Un recours pour excès de pouvoir a été formé contre cette délibération mais le CE
a estimé qu'il s'agissait d'un acte préparatoire. En effet, la délibération n'avait pas pour objet de créer
effectivement un syndicat commun mais simplement de proposer une telle création. Cette délibération n'est pas
une décision exécutoire : elle ne fait pas grief ce qui rend le recours pour excès de pouvoir irrecevable. Seul
l'acte final (l’éventuelle décision de créer un syndicat) est attaquable. En revanche, la décision prise par le
Premier Ministre de délocaliser l'ENA à Strasbourg ne constitue pas, selon le CE, une mesure préparatoire. C'est
un acte susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Cette décision emporte en effet des
conséquences juridiques et elle est susceptible de faire grief. C'est l'arrêt du CE du 4 juin 1993 "Association
des anciens élèves de l'ENA".
La frontière entre la mesure préparatoire et la décision exécutoire est relativement délicate à saisir, ce qui
explique certaines évolutions de la jurisprudence. Ainsi, le juge administratif a pendant longtemps considéré que
la notation attribuée aux fonctionnaires était une mesure préparatoire. Mais, il admet aujourd'hui qu'elle peut faire
l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. C'est ce qui découle d'un arrêt du CE du 23 novembre 1962
"Camara". Le juge administratif se livre donc à une interprétation au cas par cas mais, il y a un indice permettant
d'identifier la mesure préparatoire. Si l'acte renvoie à une décision ultérieure, il y a fort à parier qu'il s'agira d'un
acte préparatoire. En général, une décision exécutoire ne renvoie pas à un acte ultérieur.
Ce sont des actes qui ont vocation à régir l'organisation et le fonctionnement interne des services de
l'administration. Les agents administratifs doivent donc s'y conformer. Mais, ces mesures d'ordre intérieur n'ont
aucune force obligatoire à l'égard des administrés. A la différence des actes préparatoires, les mesures d'ordre
intérieur ont un caractère normateur mais le juge administratif refuse de les assimiler à des décisions ce qui
signifie qu'il exclue le recours pour excès de pouvoir à l'encontre d'une mesure d'ordre intérieur. Puisque ces
actes ne concernent que le fonctionnement interne de l'administration et constituent une application du principe
hiérarchique qui régit ce fonctionnement, il est apparu opportun de ne pas les soumettre au contrôle du juge afin
de ne pas paralyser le fonctionnement de l'administration. De plus, les mesures d'ordre intérieur ne portent pas
gravement atteinte aux droits et libertés. Ce sont des mesures dont la portée est limitée. Ces actes sont relatifs
au fonctionnement quotidien des services. La logique est la suivante : en raison de leur faible enjeu, ces actes
n'ont pas à être soumis au contrôle du juge administratif. C'est l'application de l'adage "De minimis non curat
praetor" qui signifie qu'il convient de ne pas s'intéresser aux petites affaires, qu'il faut veiller à ne pas encombrer
les juridictions par des litiges de moindre importance relatifs au fonctionnement quotidien de l'administration.
Exemple de mesure d'ordre intérieur : arrêt du CE du 8 mars 1999 "Madame Butler". Etait en cause une
décision visant à affecter un agent public à un autre poste. Madame Butler était secrétaire auprès du Consul
Général de France à Washington. On a décidé de la muter au service des archives de l'ambassade. Le juge a
considéré que cette décision n'affectait pas les tâches de l'agent qui restait une secrétaire. Par conséquent, pour
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le CE, il ne s'agissait que d'une mesure d'ordre intérieur relative à l'organisation interne des services de
l'ambassade. Mais, sous l'influence de la jurisprudence de la CEDH, la notion de mesure d'ordre intérieur est en
net recul. Certaines décisions qui, auparavant, étaient considérés comme des mesures d'ordre intérieur portent
en réalité atteinte aux droits et libertés. Donc, la jurisprudence a évolué vers une meilleure protection des
administrés ce qui tend à démontrer que le droit administratif est de plus en plus orienté vers la protection des
droits et libertés.
Ces évolutions se mesurent tout d'abord dans le cadre du service public pénitentiaire. Dans une décision du 27
janvier 1984 "Caillol", le CE a estimé que le placement d'un détenu dans un quartier de haute sécurité était une
simple mesure d'ordre intérieur. Cette analyse est particulièrement contestable car ce placement portait atteinte
aux droits du détenu en ce qu'il le mettait dans une situation d'isolement complet, avec interdiction de
communiquer, y compris vers l'extérieur par courrier. Ce placement à l'isolement ne pouvait être contesté devant
un juge.
Mais la jurisprudence a évolué avec l'arrêt Marie du 17 février 1995. Dans cette affaire, le CE estime qu'une
punition de cellule infligée à un détenu est un acte administratif faisant grief et non pas une mesure d'ordre
intérieur. En l'espèce, la punition visait à placer le détenu dans une cellule spécifique ce qui entrainait la privation
de visites, l'isolement et la privation de correspondances autres que familiales.
Concernant la mise à isolement d'un détenu (sanction différente de la punition de cellule), le détenu n'a pas la
possibilité de travailler ou d'exercer une activité sportive. Les visites sont réduites mais il n'en est pas privé. Cette
sanction est moins importante que la précédente. S'agissant de l'isolement d'un détenu, le CE considérait
initialement qu'il s'agissait d'une mesure d'ordre intérieur : arrêt du 28 février 1996, "Fauqueux". Mais, le juge
administratif a abandonné cette jurisprudence dans une décision du CE du 30 juillet 2003 "Remli". Désormais,
il est possible de contester une telle décision devant le juge administratif parce qu'elle n'est plus considérée
comme une mesure d'ordre intérieur. Cette évolution de la jurisprudence est la bienvenue car, dans une
décision de 2005, la CEDH a estimé qu'un détenu devait pouvoir contester une décision de mise à l'isolement.
Pour la CEDH, il ne peut pas s'agir d'une mesure d'ordre intérieur (décision du 27 janvier 2005, "Ramirez
Sanchez contre France"). Cette évolution concerne toutes les mesures d'isolement, qu'elles soient prononcées
à titre de sanction ou à titre préventif.
Dans une décision du 12 mars 2003 "Ministre de la Justice contre Frérot", le CE avait jugé qu'un placement
en cellule disciplinaire à titre préventif était une mesure d'ordre intérieur en raison du caractère provisoire de cette
mesure qui ne pouvait excéder deux jours. (Le droit pénitentiaire comporte tout un panel de mesures et de
sanctions dont l'intensité pourra varier en fonction de l'importance de la faute commise par le détenu. Les
mesures d'isolement peuvent ainsi être prononcées pour une durée plus ou moins longue et lorsqu'elles sont
prononcées à titre préventif, cela signifie qu'elles le sont avant la réunion d'une commission de discipline. ). Le
juge administratif estime, dans cette espèce, que la portée de cette mesure était moindre et donc, que c'était une
mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours. Cependant, cette solution a été abandonnée avec la décision
du CE du 17 décembre 2008 "Section française de l'observatoire international des prisons". Dans cette
décision, le juge administratif a indiqué qu'il accepterait de contrôler les mesures de placement en cellule
disciplinaire prononcées à titre préventif. De plus, le CE a jugé que la décision de transférer un détenu d'une
maison centrale vers une maison d'arrêt n'était pas une mesure d'ordre intérieur. Cette décision peut provoquer
des effets sur la situation des détenus dans la mesure où les modalités de fonctionnement des deux
établissements sont différentes. C'est ce qu'a indiqué le CE dans l'arrêt du 14 décembre 2007 "Boussouar".
Pour déterminer s'il s'agit d'une mesure d'ordre intérieur ou d'une décision exécutoire, le juge va se fonder sur la
nature de l'acte en ce sens qu'il doit s'agir d'une décision de sanction ou d'une mesure prise dans l'intérêt du
service. De plus, le juge se déterminera, en fonction des conséquences de l'acte, sur la situation juridique et
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matérielle du détenu. Un acte qui porterait une atteinte excessive aux droits fondamentaux du détenu ne pourrait
être analysé comme une mesure d'ordre intérieur. Exemple : le CE a ainsi jugé qu'un changement d'affectation
d'un détenu (lieu géographique) est susceptible de faire l'objet d'un recours s'il affecte son droit à conserver des
droits familiaux =>arrêt du CE du 27 mai 2009 "Miloudi".
Au-delà de la grille de lecture qui semble découler de la jurisprudence, il n'en demeure pas moins que les critères
que le juge a dégagés sont caractérisés par un certain flou. Le juge considère par exemple que refuser un emploi
à un détenu est une mesure d'ordre intérieur ce qui peut difficilement se comprendre compte tenu de l'intérêt du
travail en prison, notamment en vue de la réinsertion. S'agissant du service public pénitentiaire, les mesures
d'ordre intérêt sont en net recul. Cela met en lumière l'accroissement du contrôle du juge sur l'administration.
L'accès des détenus aux juges s'en trouve indéniablement amélioré car ils peuvent aujourd'hui mieux contestés
les mesures prises dans le cadre du service public pénitentiaire. Cela traduit le souci croissant du juge de mieux
contrôler l'univers carcéral et de mieux protéger les droits des détenus.
Mais, le service public pénitentiaire n'est pas le seul domaine d'application de la notion de mesures d'ordre
intérieur. Il y a aussi l'armée. Pendant longtemps, les punitions infligées aux militaires, au nom de la discipline
interne, ont été considérées comme des mesures d'ordre intérieur. Exemple : arrêt du CE du 11 juillet 1947
"Dewawrin". Un militaire puni de 60 jours de mise aux arrêts : le militaire ne pouvait pas quitter le lieu où il
effectuait son service militaire pendant 60 jours => mesure d'ordre intérieur. La jurisprudence a connu un
assouplissement car, dans une décision du 17 février 1995 "Hardouin", le CE a estimé qu'une telle mesure
pouvait faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir et que ce n'était pas une mesure d'ordre intérieur.
On rencontre aussi les mesures d'ordre intérieur dans le service public de l'éducation. La décision d'affecter un
étudiant à un groupe de TD est une mesure d'ordre intérieur =>arrêt de 1967 "Bricq". De plus, la décision prise
par la directrice d'un lycée visant à interdire aux filles le port de pantalon de ski en classe, sauf par temps de
neige, est une mesure d'ordre intérieure =>arrêt du CE de 1954 "Chapou". En revanche, le règlement intérieur
d'un établissement scolaire n'est pas considéré comme une mesure d'ordre intérieur : c'est un acte susceptible
de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir =>arrêt du CE de 1992 "Kherouaa".
C. Les circulaires
Ce sont des actes adoptés par l'administration, qui contiennent des recommandations, des instructions ou des
explications qui sont données aux chefs de service par les ministres en général. Face à la multiplication des
textes et face aux changements incessants de législation, les différents services administratifs peuvent avoir des
doutes sur l'interprétation qu'il faut donner à un nouveau texte de lois et sur la conduite à tenir. Pour les aider à
bien appliquer les textes, les ministres adoptent alors des circulaires censées guider l'action de l'administration et
expliciter la manière dont il faut agir.La circulaire est un guide de bonne application de la loi. Exemple : une loi
intervient pour modifier le droit à la formation continue des fonctionnaires. Une circulaire sera ensuite adoptée par
le ministre afin de préciser aux chefs de service comment interpréter cette nouvelle loi.
En pratique, ces circulaires ont une importance particulière car, en général, l'administration attend d'avoir reçu la
circulaire pour faire application d'une réforme. Mais, si une circulaire doit en principe revêtir une simple portée
interprétative, il existe néanmoins des circulaires qui introduisent des dispositions allant au-delà du simple
commentaire, des dispositions qui édictent des actes juridiques. Il y a, en réalité, deux catégories de circulaires :
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- Les circulaires interprétatives : elles s'adressent simplement aux agents du service et, dans la mesure où elles
ont vocation à établir un simple guide d'application de la loi, elles ne peuvent être analysées comme des
décisions exécutoires. Ce sont des actes insusceptibles de recours. Si un administré venait à former un recours
contre une circulaire interprétative, il serait rejeté pour irrecevabilité. Elles ne sont pas non plus invocables par les
administrés c'est-à-dire qu'un administré ne pourrait pas se fonder sur un tel acte pour demander l'annulation
d'une autre décision. Par exemple, un administré ne peut pas se fonder sur une circulaire interprétative pour
demander l'annulation d'une décision lui refusant une exonération fiscale. Il ne peut pas contester la légalité de
cette décision en invoquant cette circulaire. Ces circulaires interprétatives ne sont pas opposables par
l'administration aux administrés ce qui signifie que l'administration ne peut fonder une décision sur une circulaire
interprétative. Les circulaires interprétatives sont des actes dénués de tout caractère exécutoire et, à cet égard,
elles ne sont ni attaquables ni invocables ni opposables.
- Les circulaires réglementaires (qualification du CE) : la distinction entre circulaire interprétative et circulaire
réglementaire résulte de la décision du CE du 29 janvier 1954 "Notre-Dame du Kreisker". Les circulaires
réglementaires visent l'hypothèse dans laquelle un ministre aurait introduit dans une circulaire des dispositions
normatives. Si une circulaire doit en principe se limiter à la seule interprétation, il n'est pas exclue qu'elle
contienne en réalité des normes décisoires (une nouvelle règle). Dans cette hypothèse, il y a un détournement de
l'objet de la circulaire qui, normalement, doit se limiter à interpréter. Il n'en demeure pas moins que ces
détournements sont très fréquents. Dans ce cas d'espèce, était en cause une circulaire du ministre de l'Education
Nationale, relative aux conditions d'octroi par les collectivités locales de subventions aux établissements
d'enseignement privée. Le CE a estimé que la circulaire ne s'était pas limitée à interpréter les textes en vigueur :
elle avait en réalité fixé des nouvelles règles venant s'ajouter aux conditions définies par la loi. La circulaire
prévoyait notamment que la collectivité locale devait exercer un contrôle sur la gestion financière de
l'établissement alors qu'une telle condition n'était pas exigée par la loi. La circulaire est alors réglementaire en ce
qu'elle a pour objet d'édicter des dispositions normatives. Cette circulaire crée de nouveaux droits et obligations
non prévus par la loi. Cette circulaire a le caractère d'une décision exécutoire : elle peut donc faire l'objet d'un
recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif. Dans ce cas, le juge devra exercer son contrôle en
deux temps. Tout d'abord, il devra s'interroger sur la compétence de l'autorité qui a pris la circulaire. S'il s'agit
d'un ministre, le juge devra contrôler qu'il a reçu une attribution expresse de compétences pour adopter les
dispositions réglementaires attaquées. En effet, un ministre n'a pas de pouvoir réglementaire général (il
appartient au Premier ministre et au Président de la République). Si le juge administratif en conclut que l'autorité
administrative avait le pouvoir d'adopter ces mesures, il devra ensuite se demander si elles sont légales. Le juge
va contrôler si ces règles sont conformes au texte de rang supérieur.
Mais, certaines circulaires peuvent présenter un caractère mixte. Elles peuvent contenir à la fois des dispositions
interprétatives et des dispositions à caractère réglementaire. Dans ce cas, le juge va limiter son contrôle aux
seules dispositions qui présentent un caractère réglementaire. Seules ces dispositions pourront être annulées si
elles sont illégales. A contrario, toutes les dispositions qui n'ont qu'une portée interprétative échappent au
contrôle du juge.
Telle est la distinction qui prévalait à l'issue de la jurisprudence "Notre-Dame de Kreisker". La distinction était
délicate à appliquer car certaines circulaires avaient été jugées par le juge administratif comme étant
interprétative alors qu'elles contenaient en réalité des dispositions normatives.
Dans cette décision du 18 décembre 2002, le CE a établi une distinction entre les circulaires impératives et les
circulaires non impératives. D'après cette nouvelle distinction, ce n'est pas parce qu'une circulaire donne une
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interprétation qu'il ne faut pas l'analyser comme un acte faisant grief. Autrement dit, le simple fait que la circulaire
se limite à interpréter ne suffit pas pour écarter le caractère de décision exécutoire. Dans l'arrêt Notre-Dame de
Kreisker, la distinction était fondée sur l'objet de l'acte (Avait-il un objet interprétatif ou avait-il pour objet de
modifier l'ordonnancement juridique ?). Désormais, avec l'arrêt Duvignères, le juge se fonde sur les effets de
l'acte. Comme le dit le CE dans cette décision, "les dispositions impératives à caractère général d'une circulaire
doivent être regardées comme faisant grief". La question est dorénavant de savoir si la circulaire a pour effet de
contraindre le comportement de l'agent. Il faut mesurer les effets de la circulaire sur l'administration et se poser
les questions suivantes : Se contente-t-elle d'énoncer de simples recommandations ? Ou dicte-t-elle à l'agent la
conduite à tenir ? Concrètement, cette nouvelle distinction permet d'étendre les circulaires soumises au contrôle
du juge même si elle ne contredit pas complétement l'ancienne distinction. Elle vient se substituer à elle pour
consacrer une solution qui permet au juge d'accroitre son contrôle sur les circulaires. Il n'y a pas de contradiction
entre les deux jurisprudences car les dispositions impératives à caractère général sont en réalité des dispositions
réglementaires.
Cependant, la nouvelle distinction, en mettant l'accent sur les effets, permet de considérer qu'une circulaire qui
aurait été analysée comme interprétative peut en réalité produire des effets de droit nouveaux. Même si la
circulaire n'ajoute rien au texte qu'elle commente, elle peut néanmoins imposer aux agents une conduite à tenir
pour l'application du texte. De ce fait, le CE considère qu'il s'agit d'un acte faisant grief. C'est ici que l'on perçoit
l'apport de la nouvelle distinction car auparavant des circulaires considérées comme interprétatives sont
désormais considérées comme impératives. Elles peuvent faire l'objet d'un contrôle de la part du juge
administratif. En d'autres termes, certaines circulaires qui selon l'ancienne distinction étaient considérées comme
interprétatives sont aujourd'hui analysées comme impératives car elles produisent un effet sur le comportement
de l'administration sans pour autant édicter une norme nouvelle.
Exemples :
- arrêt CE 8 octobre 2004 "Union française pour la cohésion nationale" : l'article 1er de la loi du 15 mars
2004 a prévu que dans les écoles, collèges et lycées publics le port de signes ou de tenues par lesquels les
élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Dans une circulaire, le ministre de
l'Education Nationale avait interprété le sens de cette loi en indiquant quels doivent être les signes religieux
considérés comme interdits. Selon le CE, le ministre s'était borné à interpréter les dispositions de la loi. D'après
la jurisprudence Notre-Dame du Kreisker, cette circulaire n'aurait pas pu faire l'objet d'un recours pour excès de
pouvoirs. Mais, dans la mesure où cette circulaire qui se contentait d'interpréter un texte, contenait des
dispositions visant à dicter aux agents administratifs le sens qu'il fallait donner à la loi, le CE a accepté de
contrôler cette circulaire ce qui signifie qu'il a considéré qu'elle était impérative en application de la jurisprudence
Duvignères. Cette circulaire n'édicte pas une norme nouvelle mais elle a pour effet de prescrire à l'administration
la conduite à tenir. Elle n'indique pas de simples recommandations, elle indique à l'administration la façon dont il
faut appréhender les signes religieux. Cette circulaire commande l'application de la loi donc elle est impérative et
elle peut faire l'objet d'un contrôle de la part du juge administratif.
- arrêt du CE 7 avril 2011 "Association SOS Racisme". Un recours dirigé contre la circulaire du 5 août 2010
qui rappelle au préfet l'objectif fixé par le Président de la République, objectif d'évacuation de 300 campements
illicites en 3 mois "en priorité ceux des roms". La circulaire donne l'ordre au préfet d'engager une démarche
systématique de démantèlements des campements illicites. La circulaire prescrit donc un comportement. Pour le
CE, la circulaire contient des dispositions impératives donc, elle susceptible de faire un contrôle de l'égalité. Le
CE considère que cette circulaire en ce qu'elle désigne des populations en raison de leur origine ethnique est
contraire au principe d'égalité devant la loi. Donc, cette circulaire a été annulée par le juge administratif.
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3. Le régime juridique des circulaires après la jurisprudence Duvignères
Les circulaires non impératives c'est-à-dire celles qui se contentent de donner un conseil sans agir sur la marge
de manœuvre des autorités administratives ne constituent pas des décisions faisant grief. Donc, elles ne peuvent
pas faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Elles ne sont ni opposables aux administrés, ni invocables
par eux.
En revanche, les circulaires qui dictent à l'administration la conduite à tenir c'est-à-dire les circulaires impératives
sont attaquables devant le juge administratif car elles sont considérées comme faisant grief. Dans ce cas, il faut
distinguer deux cas de figure :
- Première hypothèse : la circulaire impérative édite une norme nouvelle. Cette circulaire est réglementaire ce qui
démontre bien que la jurisprudenceDuvignères n'a pas totalement éclipsé la solution issue de l'arrêt Notre-Dame
du Kreisker. Dans ce cas, la circulaire sera généralement annulée pour incompétence. Pourquoi ? Il faut se
rappeler que les circulaires sont généralement prises par les ministres qui ne disposent pas du pouvoir
réglementaire général. Donc, en l'absence de délégation pour exercer le pouvoir réglementaire, le ministre sera
jugé incompétent pour adopter de nouvelles dispositions normatives à caractère réglementaire. La circulaire sera
illégale car elle aura été adoptée par une autorité qui n'était pas compétente pour le faire. S'il s'avère cependant
que le ministre disposait d'une délégation, il sera compétent pour adopter la circulaire et le juge confrontera la
circulaire aux normes qui lui sont supérieures. S'il s'avère qu'elle méconnait l'une de ces normes, elle pourra être
annulée. C'est le cas de la circulaire sur les campements de Roms.
- Deuxième hypothèse : si la circulaire n'édicte pas de norme supplémentaire c'est-à-dire si elle se contente
d'interpréter le droit antérieur, tout en dictant aux agents la conduite à tenir, elle sera validée par le juge
administratif. C'est l'hypothèse de l'arrêt "Union française pour la cohésion sociale". Cependant, si la circulaire
réitère une règle de droit illégale, elle sera annulée. C'est l'hypothèse de l'arrêt Duvignères. Dans cette espèce, le
CE annule le refus d'abroger la circulaire car si elle se borne à tirer les conséquences d'un décret, elle réitère
néanmoins la règle que ce décret avait fixé illégalement.
En vertu du décret du 8 décembre 2008, les circulaires doivent être publiées sur un site internet relevant du
Premier Ministre. Cette disposition facilite l'accès aux circulaires car, jusque ici, elles n'étaient pas toujours
publiées ce qui pouvait rendre l'exercice d'un recours devant le juge administratif difficile. Cela concerne les
circulaires impératives et les circulaires non impératives. La sanction, si elles ne sont pas publiées, est qu'elles
ne sont pas applicables.
Toutes les circulaires ne sont pas analysées comme des décisions faisant grief. Certaines peuvent donc
être attaquables, invocables et opposables mais ce n'est pas le cas de toutes. Cela dépend si elles sont
impératives ou non. Donc, on ne peut pas classer d'emblée les circulaires dans les décisions
exécutoires ou au contraire en dehors de cette catégorie. Certaines circulaires sont des décisions
exécutoires, d'autres pas.
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Paragraphe 2. L'acte administratif unilatéral : un acte d'une autorité publique administrative
Toute décision exécutoire traduit l'emploi de la puissance publique. Cela implique donc qu'elle émane en principe
d'une autorité publique administrative. Ce principe appelle un certain nombre d'exceptions.
C'est une notion complexe qui n'est pas synonyme d'autorité publique car cette dernière est plus vaste que la
première. En effet, les actes législatifs qui sont des actes pris par des autorités publiques ne sont pas des actes
administratifs. Toutefois, certains actes pris par le Parlement ont la qualité d'actes administratifs. C'est le cas des
actes individuels relatifs aux agents titulaires des services des assemblées parlementaires. Outre ces actes, les
actes des organes juridictionnels échappent aussi, en principe, à la qualification d'acte administratif unilatéral.
Une juridiction est un organisme qui dispose d'un pouvoir de décision et c'est une autorité collégiale. La
distinction entre un organe administratif et un organe juridictionnel se fonde donc en premier lieu sur les missions
car la juridiction est chargée de rendre une décision de justice et en second lieu sur la composition car la
juridiction est une autorité collégiale dont les membres disposent d'une indépendance. Par conséquent, les
jugements et les arrêts que rendent ces juridictions ne peuvent être analysés comme des actes administratifs
unilatéraux. Il arrive cependant que des juridictions prennent des mesures administratives : c'est le cas, par
exemple, de la Chambre d'accusation lorsqu'elle émet un avis avant de procéder à une extradition. Cet avis est
considéré comme un élément de la procédure d'extradition. De ce fait, il peut être contrôlé par le CE lorsque ce
dernier est saisi d'un recours contre le décret d'extradition. On s'aperçoit ainsi qu'un acte pris par une juridiction
peut être soumis au contrôle du juge administratif. Il en est de même des décisions prises par le Président d'une
juridiction dans le cadre de son pouvoir hiérarchique. Par exemple, la décision de notation d'un magistrat ou le
prononcé d'une sanction disciplinaire peut être soumis au contrôle du juge administratif. Ces deux exemples
démontrent qu'un organe juridictionnel peut, dans certains cas, adopter des actes administratifs unilatéraux, des
actes relatifs à l'organisation du service public de la justice et qui peuvent être soumis au contrôle du juge
administratif. Néanmoins, ce ne sont que des exceptionsau principe selon lequel les actes pris par des organes
juridictionnels ne peuvent être soumis au contrôle du juge administratif et revêtir la qualification de décision
exécutoire.
Il y a des actes pris par des autorités publiques administratives qui ne sont pas considérés comme des décisions
exécutoires.
C'est le cas des actes de gouvernement. Ces actes sont pris par le Président de la République ou par le Premier
Ministre dans l'exercice de leur pouvoir réglementaire. Mais, le caractère essentiellement politique de l'acte lui fait
perdre sa nature administrative ce qui signifie qu'il échappe à tout contrôle juridictionnel. C'est le cas, par
exemple, d'un acte pris par le Président de la République visant à nommer un membre du CC => issue d'un arrêt
du CE du 9 avril 1999 "Madame Bâ". De même, est un acte de gouvernement la décision de soumettre un
projet de loi à un référendum =>arrêt du CE du 19 octobre 1962 "Brocas". Autre exemple : la décision de
mettre en œuvre l'article 16 de la Constitution =>arrêt du CE du 2 mars 1962 "Rubin de Servens". Sont aussi
9
des actes de gouvernement es décisions intimement liées aux relations internationales. Par exemple, la décision
d'envoyer les forces militaires françaises au Kosovo =>arrêt du CE du 5 juillet 2000 "Mégret".
Outre les actes de gouvernement, il faut également s'interroger sur les actes juridictionnelsc'est-à-dire les actes
pris par une autorité publique administrative dans le domaine de la justice (Ne pas confondre avec les actes pris
par les autorités juridictionnelles qui ne sont pas des autorités publiques administratives). Les autorités
administratives sont en effet amenées à prendre des actes indispensables à l'organisation et au fonctionnement
du service public de la justice.
Tous ces actes ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un contrôle du juge administratif. Dans une décision
du 27 novembre 1952 "Préfet de la Guyane", le tribunal des conflits a établi une distinction entre les actes
relatifs au fonctionnement du service public de la justice et les actes relatifs à l'organisation de ce service public.
Dans ce cas d'espèce, le gouvernement avait été mis en cause en raison du retard qu'il avait pris dans la
nomination de juge en Guyane. Or, ce retard avait eu des conséquences préjudiciables sur le service public de la
justice. Dans cette espèce, le TC a estimé que constituent des actes administratifs les actes relatifs non pas à
l'exercice de la fonction juridictionnelle mais à l'organisation du service public de la justice. Le TC a tracé une
frontière entre ces deux catégories d'actes ce qui démontre qu'un acte pris par une autorité publique
administrative peut ne pas recevoir la qualification d'acte administratif unilatéral. Sur le fondement de cette
décision et de cette distinction, le CE a eu l'occasion de juger que les décisions prises par le ministre de la justice
visant à supprimer certains tribunaux étaient bien des actes administratifs unilatéraux susceptibles de faire l'objet
d'un recours pour excès de pouvoir. C'est ce qui découle de l'arrêt du CE du 19 février 2010 "Pierre A.". Cela
vaut aussi pour les décisions concernant la carrière des magistrats. Ce sont donc des actes administratifs
unilatéraux susceptibles d'être contestés devant le juge administratif. En revanche, relève du fonctionnement du
service public de la justice, les actes qui ne sont pas détachables de la décision juridictionnelle, comme par
exemple un décret de grâce collective pris par le Président de la République =>arrêt du CE du 30 juin 2003
"Observatoire internationale des prisons". Cet acte se rattache au fonctionnement du service public de la
justice car il se rattache aux limites de la peine infligée par les juridictions judiciaires. Il est ainsi intimement lié à
la décision juridictionnelle et, de ce fait, il doit échapper au contrôle du juge administratif. Cette solution permet
de préserver l'indépendance de la justice judiciaire dont les décisions juridictionnelles n'ont pas à être soumises
au contrôle du juge administratif. Un acte pris par une autorité publique administrative peut échapper au contrôle
du juge administratif.
C. Les actes des personnes privées ayant le caractère d'acte administratif unilatéral
En principe, les actes accomplis par des personnes privées ne peuvent être qualifiés d'actes administratifs
unilatéraux. Mais, il existe notamment une exception qui concerne les cas dans lesquels les personnes privées
sont associées à l'action administrativec'est-à-dire l'hypothèse dans laquelle une personne privée est investi
d'une mission de service public et dispose de prérogatives de puissance public. Dans un premier temps, cette
possibilité a été reconnue aux personnes privées gérant un service public administratif : c'est ce qui découle de
l'arrêt du CE du 13 janvier 1961 "Magnier". Les décisions prises par cet organisme ont donc le caractère de
décisions exécutoires dès lors qu'elles traduisent la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique. Autre
exemple : arrêt du CE du 26 novembre 1976 "Fédération française de cyclisme" => la décision prise par la
fédération qui vise à suspendre un coureur pour dopage est un acte administratif unilatéral. Dans la mesure où la
fédération gère un service public administratif et qu'elle dispose de prérogatives de puissance publiques, les
décisions qu'elle prend sont des actes administratifs unilatéraux dès lors qu'elles manifestent l'emploi de
prérogatives de puissance publique. Cette possibilité de prendre des décisions exécutoires a ensuite été reconnu
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aux personnes privées gérant un SPIC : décision du TC du 15 janvier 1968 "Epoux Barbier". Dans cette
décision, le TC affirme qu'un SPIC peut adopter un acte administratif unilatéral dès lors qu'il est relatif à
l'organisation du service public.
Les actes pris par des personnes privées gérant un service public et traduisant l'emploi de prérogatives
de puissance publique sont des décisions exécutoires ce qui signifie que le juge administratif peut les
contrôler.
Cette classification se fonde sur un critère matériel : l'acte réglementaire pose une règle générale alors que l'acte
individuel ne concerne qu'une seule personne ou plusieurs personnes nommément désignées. La distinction
entre ces deux catégories d'actes doit donc se faire par leur objet et non par leur appellation car un même type
d'actes peut, selon les cas, avoir un caractère individuel ou réglementaire.
Exemples : arrêté d'un maire qui fixe les conditions de stationnement dans une commune => acte à caractère
réglementaire. Arrêté d'un maire autorisant un commerçant à installer une terrasse sur le trottoir => acte
individuel. Dans les deux cas, il s'agit d'un arrêté mais la portée de l'acte n'est pas la même.
De même, un décret n'est pas nécessairement un acte administratif unilatéral à caractère réglementaire. Par
exemple, le décret de nomination d'un fonctionnaire est un acte individuel. Il faut s'intéresser à l'objet de l'acte
pour déterminer à quelle catégorie il appartient. Dans la hiérarchie des normes, les décisions individuelles sont
soumises au respect des actes réglementaires.
Le règlement est un acte de l'exécutif à la différence de la loi qui est un acte législatif. Le règlement est un acte à
portée générale qui est élaborée par une autorité exécutive. La distinction entre la loi et le règlement tient donc à
l'autorité dont émane l'acte. Ce n'est pas une distinction matérielle car, dans les deux cas, il s'agit d'actes qui ont
en principe un contenu général et impersonnel. Dans la hiérarchie des normes, le règlement est subordonné à la
loi. L'article 34 de la Constitution énonce les matières réservées à la loi et, selon l'article 37, les matières
réservées au règlement sont celles que l'article 34 n'a pas attribuées à la loi. Le domaine réglementaire est donc
défini de manière négative. Toutefois, dans certains domaines, l'article 34 prévoit que la loi fixe simplement les
règles ou détermine les principes fondamentaux ce qui suppose que le pouvoir réglementaire pourra intervenir
au-delà de la définition de ces règles fondamentales. Le règlement est un acte administratif qui peut être contesté
devant le juge administratif lorsqu'il est contraire à une loi, à la Constitution ou à un principe général du droit.
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L'exercice du pouvoir réglementaire est l'une des attributions importantes dont le Président et le Premier Ministre
ont la charge c'est-à-dire qu'ils sont investis du pouvoir réglementaire général qui leur permet d'édicter des
règlements dans toutes les matières sauf dans les matières réservées à la loi. Ce pouvoir réglementaire général
s'exerce, la plupart du temps, par le biais des décrets. En vertu de l'article 21 de la Constitution, le pouvoir
réglementaire général est partagé entre le chef de l'Etat et le chef du gouvernement. Le Premier Ministre exerce
ce pouvoir sous réserve des dispositions de l'article 13 de la Constitutionc'est-à-dire lorsque le décret est
délibéré en Conseil des Ministres. La compétence de principe appartient au Premier Ministre qui l'exerce par
décret. Le Président de la République n'est compétent que si le projet a été soumis au Conseil des Ministres qu'il
préside.
- Les règlements d'exécution des lois : ce sont en général des décrets qui ont pour vocation de compléter une loi
cad que le législateur va inviter le pouvoir réglementaire à prendre des règlements d'application de la loi.
- Les règlements autonomes : leur existence découle de l'article 37 de la Constitution qui institue des matières
réservées au pouvoir réglementaire par exception au domaine de la loi. Dans ces matières, le principe est qu'il ne
doit pas exister de lois. Dans ce cas, le règlement est autonome par rapport aux lois. L'article 21 de la
Constitution : le Premier Ministre assure l'exécution des lois et exerce le pouvoir réglementaire. L'article 37,
alinéa 1er relatif au caractère réglementaire des matières qui ne sont pas dans le domaine de la loi. L'article 21
serait la source du pouvoir réglementaire d'exécution des lois et l'article 37 la source du pouvoir réglementaire
autonome.
Le Premier ministre est investi, en tant que chef du gouvernement, du pouvoir de prendre des règlements de
police applicables sur toute l'étendue du territoire national en vue d'assurer le maintien de l'ordre public. L'arrêt
de principe est celui du CE du 8 août 1919 "Labonne". Dans cette espèce, était en cause un décret du 10
mars 1899 qui avait pour objet de réglementer la circulation automobile. Ce décret avait créé un certificat de
capacité pour la conduite automobile. Il autorisait le préfet à retirer ce certificat si le titulaire avait eu deux
contraventions dans l'année. Sieur Labonne s'est fait retirer son certificat car il a eu deux contraventions. Il saisit
le CE pour lui demander d'annuler ce retrait. A l'appui de son recours, il avançait que le chef de l'Etat qui avait
pris le décret de 1899 n'avait pas compétence pour le faire car, selon lui, seules les autorités municipales et
départementales étaient compétentes en matière de police de la circulation. Le CE a rejeté cette argumentation
et a reconnu au chef de l'Etat le pouvoir d'édicter des règlements de police. Ce pouvoir sera ensuite dévolu au
Premier Ministre avec la Constitution de 1958. Mais, dans cet arrêt, le CE considère que le chef de l'Etat
(aujourd'hui le Premier Ministre) dispose d'un pouvoir propre de police sur l'ensemble du territoire. Cet arrêt
donne au chef de l'Etat un pouvoir propre de réglementation indépendant de toute délégation législative. Depuis
la Constitution de 1958, ce pouvoir réglementaire autonome appartient au Premier Ministre car c'est lui qui est
investi du pouvoir réglementaire pour l'exécution des lois et du pouvoir réglementaire général. S'ajoute également
le fait qu'il est titulaire d'un pouvoir réglementaire de police.
12
Les ministres sont des chefs de service : ils détiennent donc le pouvoir réglementaire attaché à cette qualité.
Deux hypothèses : lorsque le ministre agit en tant que chef de service et lorsqu'il agit en tant que ministre
(membre du gouvernement).
L'arrêt de principe est un arrêt du CE du 7 février 1936 "Jamart". Monsieur Jamart était médecin et chargé
d'examiner les anciens militaires, examens obligatoires pour que ces militaires puissent toucher une pension. A la
suite de divers incidents, le Ministre des pensions avait interdit à M. Jamart d'entrer dans le centre dans lequel il
devait examiner les anciens militaires. M. Jamart saisit le CE pour lui demander d'annuler cette mesure. Le CE a
accueilli favorablement sa demande. Considérant : "Même dans le cas où les ministres ne tiennent d'aucune
disposition législative un pouvoir réglementaire, il leur appartient, comme à tout chef de service, de prendre les
mesures nécessaires au bon fonctionnement de l'administration placé sous leur autorité". Tout ministre dispose
donc d'un pouvoir réglementaire en vertu de sa qualité de chef de service. Ce pouvoir est reconnu à tout chef de
service qu'ils soient ou non ministres. Ce pouvoir réglementaire permet aux chefs de service d'édicter des
règlements par la voie d'arrêtés ou de circulaires à caractère réglementaire. Ces règlements ne peuvent que
tendre au bon fonctionnement de l'administration placée sous leur autorité. Dans l'hypothèse où le ministre agit
en tant que chef de service et édicte une circulaire à caractère réglementaire, il sera considéré comme
compétent pour le faire donc la circulaire ne pourra pas être annulée pour incompétence.
Exemple : Le ministre, en tant que chef de service, peut réglementer la situation des agents placés sous ses
ordres =>arrêt duCE du 29 décembre 2000 « Syndicat Sud travail ».Il s'agissait d'une réglementation prise par
un ministre afin d'assurer le respect par les agents de leurs obligations professionnelles de discrétion dans leur
relation avec les médias. Le ministre a été jugé compétent pour adopter cette réglementation.
Par ailleurs, le Ministre a la possibilité de réglementer l'exercice du droit de grève : arrêt du CE du 7 juillet 1950
"Dehaene". Toutefois, ce pouvoir réglementaire reconnu aux chefs de service comporte des limites. Le
règlement du chef de service ne doit pas être contraire à une règle de rang supérieur. De même, ce pouvoir
réglementaire n'est reconnu que lorsqu'il existe un vide dans l'ordonnancement juridique : le ministre ne doit pas
empiéter sur d'autres autorités. Son intervention doit se limiter à assurer le bon fonctionnement du service.
Les ministres n'ont pas, du fait de leur qualité de Ministre, le pouvoir général de prendre des règlements
concernant les affaires qui entrent dans leurs attributions. Cette solution a été consacrée par le CE dans un arrêt
du 6 octobre 1961 "Société Duchêne". Ce principe permet d'éviter un certain désordre car il y a un risque de
chevauchement entre les attributions des différents ministres. Cela vise les circulaires impératives contenant des
dispositions réglementaires. Une circulaire impérative prise par un Ministre, en dehors de son rôle de chef de
service, sera annulé pour incompétence si elle contient des dispositions réglementaires. Dans cette hypothèse, le
ministre ne dispose d'aucun pouvoir réglementaire. Mais, le principe selon lequel le ministre ne dispose pas de
pouvoir réglementaire en raison de sa qualité de ministre admet des dérogations. Lorsqu’un texte l'y autorise, le
Ministre peut prendre des règlements. Un texte peut donc investir un ministre du pouvoir réglementaire. Exemple:
la loi du 26 janvier 1986 relative à l'enseignement supérieur et qui donne compétence aux Ministres pour définir
les conditions d'obtention des diplômes nationaux. Donc, face à un règlement qui émane d'un ministre, deux
questions doivent être soulevées :Le ministre disposait-il de l'habilitation textuelle qui l'investissait d'un pouvoir
réglementaire de manière ponctuelle ? Ou alors le règlement a-t-il été pris au titre du pouvoir réglementaire
13
reconnu à tous chef de service ? Si aucune hypothèse n'est satisfaite, le règlement sera illégal car pris par une
autorité incompétente et, cela vaut notamment pour les circulaires impératives qui contiennent des dispositions
réglementaires. Si elle est prise au titre d'un pouvoir reconnu au chef de service, elle n'encoure pas l'annulation
pour incompétence. Si elle est adoptée en dehors de ce cas de figure et en dehors de toute habilitation
contextuelle, elle sera annulée pour incompétence de l'auteur de l'acte.
Cette question de l'élaboration suppose de s'intéresser à la compétence pour prendre des décisions exécutoires
pour envisager les procédures d'élaborations c'est-à-dire la procédure administrative non contentieuse.
A. Principe
Concernant les différentes structuresadministratives, tous les agents ne sont pas compétents pour prendre une
décision exécutoire. Il faut être investi de la qualité d'autorité administrative et ce n'est pas le cas des agents qui
ont une simple fonction d'exécution. Constituent des autorités administratives :
- Les ministres sont aussi des autorités administratives dans les limites assignées à leur pouvoir réglementaire.
- Les autorités décentralisées comme les maires, les présidents de conseils généraux ou de conseils régionaux
sont aussi des autorités administratives. Ces autorités ont une sphère de compétences limitée par les
considérations géographiques car le champ de leurs compétences ne peut excéder le territoire de leur
collectivité.
Les règles de compétences sont d'ordre public ce qui signifie que, dans le cadre de son contrôle, le juge
administratif pourra soulever d'office la méconnaissance des règles de compétences à l'encontre d'un acte
administratif unilatéral. Même si cet argument n'est pas invoqué par le requérant, le juge pourra, de lui-même, le
soulever. Il existe une règle fondamentale en droit publique : la règle du parallélisme des compétences (ou de
l'acte contraire). En vertu de cette règle, lorsqu'une autorité est compétente pour prendre un acte, elle est
également compétente pour prendre l'acte contraire. En général, cette règle du parallélisme des compétences
s'accompagne de la règle du parallélisme des formes qui signifie que, pour adopter l'acte contraire, il faut suivre
la même procédure que l'acte initial. Exemple : l'acte initial suppose un décret => l'acte contraire devra être
adopté par la voie d'un décret.
14
En droit administratif, il existe des délégations qui font figure d'atténuation aux règles de compétences. Les
autorités administratives peuvent ainsi avoir recours à des délégations de compétences et de signatures. C'est le
cas par exemple des ministres qui peuvent bénéficier d'un pouvoir réglementaire par délégation du Premier
Ministre. Cela signifie donc qu'un ministre donné va disposer d'une délégation du Premier Ministre pour exercer
le pouvoir réglementaire dans le champ d'action de son ministère. Il ne faut pas confondre délégation de
compétences et délégation de signature car l'intensité de la délégation n'est pas la même. S'agissant de la
délégation de compétences, l'autorité administrative délègue son pouvoir de décision à une autre autorité.
S'agissant de la délégation de signature, l'autorité administrative compétente conserve son pouvoir de décision
mais elle délègue son pouvoir de signature ce qui signifie qu'elle confère à une autorité subordonnée le soin de
signer matériellement la décision à sa place. Mais, ce n'est pas l'autorité subordonnée qui prend la décision.
Cette distinction entre procédure et forme est subtile. La procédure désigne l'ensemble des règles d'élaboration
de la décision alors que la forme concerne la présentation de la décision. En la matière, il y a eu de nombreuses
évolutions.
L'administration bénéficie du "privilège du préalable". C'est aussi le privilège de la décision exécutoire. Cela
signifie qu'elle peut prendre des décisions qui s'imposent aux administrés sans leur consentement. En
contrepartie, cela suppose de reconnaitre aux administrés des garanties. C'est précisément l'objet de la
procédure administrative non contentieuse qui détermine l'étendue des garanties accordées aux administrés face
à l'administration. Cela vise l'ensemble des règles de formes et de procédure qui sont relatives à l'élaboration de
la procédure exécutoire et dont le respect conditionne la validité de l'acte. Ces règles de formes et de procédure
n'ont pas vocation à s'appliquer à un recours juridictionnel devant le juge administratif. C'est l'ensemble des
garanties dont bénéficie un administréface à l'administration et non face à un juge. Le 1er texte qui a consacré de
telles garanties est la loi du 22 avril 1905 dont l'article 22 imposait la communication du dossier avant toute
sanction disciplinaire. Mais, la jurisprudence a également participé à la définition des grands principes de la
procédure administrative non contentieuse et c'est le juge qui a imposé la règle de la procédure contradictoire qui
implique qu'avant de prendre une mesure défavorable à un administré, l'administration doit lui donner l'occasion
de présenter ses observations et l'administration doit écouter ses observations : arrêt Dame Veuve Trompier
Gravier du 5 mai 1944. De même, le juge administratif a dégagé un principe d'impartialité qui veut qu'une affaire
ne soit pas examinée par une personne ayant un intérêt personnel. Aujourd'hui, la procédure administrative non
contentieuse a pris une importance considérable et, certains des principes dégagés par le juge ont été repris par
la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration. L'objectif
global de ces différentes règles est de renforcer la transparence et de construire, entre l'administration et les
administrés, des relations plus égalitaires. Cela se traduit notamment par l'obligation de motiver les décisions
administratives mais aussi par la consécration d'un droit d'accès aux documents administratifs. Ce droit d'accès a
été reconnu par la loi du 17 juillet 1978 et il a été modifié par une ordonnance du 6 juin 2005. Avant cette loi
de 1978, les documents administratifs n'étaient pas communicables ce qui signifie que le secret était de mise au
sein de l'administration. Cette loi de 1978 a inversé les choses car elle a reconnu un droit d'accès aux documents
administratifs. Concrètement, cela signifie que tout citoyen peut consulter et obtenir la copie des documents
15
administratifs non nominatifs. Cela concerne les rapports, les circulaires, les délibérations d'une assemblée
locale... Sont néanmoins exclus de ce droit d'accès les documents qui sont couverts par le secret de la vie privée
et les documents qui sont couverts par le secret défense. Si l'administration refuse de communiquer un
document, l'administré a la possibilité de s'adresser à la communication d'accès aux documents administratifs
(CADA) qui est une autorité administrative indépendante. Elle est chargée de donner un avis sur le caractère
communicable ou non communicable d'un document. Ces avis ne sont pas obligatoires en ce sens qu'ils ne lient
pas l'administration. Mais, en pratique, ils sont généralement suivis. Par ailleurs, si la CADA se prononce en
faveur de la communication d'un document et si l'administration persiste dans son refus de communication,
l'administré a toujours la possibilité de saisir le juge administratif. Dans ce cas, il formera un recours pour excès
de pouvoir dirigé contre la décision de refus de communication de l'administration. Pour étayer son recours, il
pourra se prévaloir de l'avis favorable de la CADA. Les administrés bénéficient de droits plus étendus à l'égard
de l'administration dans la mesure où le droit d'accès aux documents administratifs est justiciable. Les règles
applicables à la procédure administrative non contentieuse ont considérablement évolué, elles se sont
perfectionnées. Cela vaut aussi bien pour les règles de procédure que pour les règles de forme ce qui signifie
que les obligations qui pèsent sur l'administration lorsqu'elle adopte une décision exécutoire sont de plus en plus
contraignantes. Il y a eu une illustration de l'accroissement de ces contraintes par le biais de la loi du 17 mai
2011. L'article 6 de cette loi vient modifierla loi du 12 avril 2000 au sujet de la régularisation des demandes
présentées par les usagers lorsqu'elles sont affectées par un vice de forme ou de procédure. Les autorités
administratives doivent désormais inviter les auteurs d'une demande affectée d'un vice de forme ou de procédure
faisant obstacle à l'examen de cette demande à la régulariser. Plus précisément, elles doivent indiquer le délai
imparti pour cette régularisation, les formalités ou les procédures à respecter.Cette loi du 17 mai 2011 oblige les
autorités administratives à accompagner les citoyens à formuler leur demande. Si la réponse de l'administration
ne comporte pas ces indications, les délais de recours contre cette réponse ne courent pas c'est-à-dire qu'ils ne
sont opposables à l'auteur de la demande. Cela signifie que la décision d'administration peut être attaquée sans
aucun délai.
1. Les délais
En général, l'administration n'est pas tenue par des délais pour adopter une décision exécutoire : elle est libre
d'agir quand cela lui semble opportun. Mais, certains textes prévoient parfois des délais indicatifs. C'est le cas
lorsque la loi fixe au pouvoir réglementaire un délai pour prendre un décret d'application. Ce délai sera le plus
souvent indicatif ce qui signifie qu'en cas de non-respect, l'administration n'encoure aucune sanction. Le but est
d'inciter l'administration à agir rapidement. Toutefois, si l'administration n'encoure pas de sanction, dès lors
qu'elle dépasse le délai fixé par la loi, elle n'est pas pour autant autorisée à faire preuve d'inertie. Le CE peut
obliger l'administration à faire usage de son pouvoir réglementaire lorsqu'elle n'a pas adopté dans un délai
raisonnable les décrets d'application d'une loi. Cela ressort de l'arrêt du 28 juillet 2000 "Association France
nature environnement". En d'autres termes, le seul fait de dépasser le délai fixé par la loi ne fait pas encourir de
sanction à l'administration mais elle ne peut pas rester indéfiniment sans réagir. Pour cette raison, le juge a
développé une solution visant à imposer à l'administration de faire usage de son pouvoir réglementaire. Mais, il y
a des hypothèses dans lesquelles les délais sont obligatoires et doivent être respectés par l'administrationc'est-à-
dire qu'il y a des cas dans lesquels les textes imposent un délai minimal à respecter, ce délai étant indispensable
à l'organisation des procédures de consultation qui doivent précéder la décision.
16
Exemple : en matière de protection du patrimoine, l'administration peut prendre la décision de classer un site
historique ce qui va lui conférer une protection particulière. Avant de procéder à ce classement, une enquête
publique est nécessaire. Cette enquête doit permettre aux personnes intéressées de donner leur avis sur cette
décision de classement. Un délai est dès lors nécessaire pour organiser cette enquête publique ce qui signifie
que la décision de classement qui est prise par l'administration ne pourra intervenir avant l'expiration du délai de
l'enquête publique.
A contrario, il y a des hypothèses dans lesquelles l'administration est soumise à un délai maximal : c'est le cas
lorsque le gouvernement est habilité par voie d'ordonnance à intervenir dans un domaine relevant normalement
de la loi. Cette intervention ne peut dépasser le délai d'habilitation fixé par la loi d’habilitation.
Ces procédures de consultation permettent d'organiser une concertation avec les administrés concernées par
une décision unilatérale. L'objectif est de permettre à l'administration de mieux faire appliquer ses décisions. On
suppose que l'établissement d'un dialogue préalablement à la décision permettra aux administrés de mieux
comprendre la décision qui sera finalement adoptée. Parfois, l'administration procède à des consultations
facultatives qui ne sont pas exigées par le texte mais, le plus souvent, les procédures de consultation sont
obligatoires. Cela signifie donc qu'avant de pouvoir prendre une décision, l'administration devra requérir un avis.
Par exemple, lex textes prévoient qu'avant d'accorder un permis de construire à proximité d'un bâtiment
historique, le maire doit demander l'avis de l'architecte des bâtiments de France afin que ce dernier se prononce
sur la compatibilité de la construction envisagée avec le bâtiment historique. Mais, dans les hypothèses où les
avis sont obligatoires, leur portée est à dimension variable. Dans certains cas, l'avis est qualifié de simple ce qui
signifie qu'il ne lie pas l'autorité administrative chargée de prendre la décision. Cet avis simple doit
obligatoirement être demandé sinon la décision sera entachée d'un vice de procédure. Mais, cet avis ne doit pas
nécessairement être suivi. Il ne faut pas néanmoins en conclure que la procédure de consultation est dénuée de
tout intérêt, car, obliger l'administration à consulter, c'est l'inciter à décider en connaissance de causes. On lui
permet d'avoir toutes les informations nécessaires à sa disposition avant la prise de décision. En revanche, il est
des cas dans lesquels l'avis doit être conforme ce qui implique que l'administration sera tenue de le suivre. Si
l'administration est seule compétente pour décider, elle ne peut pas, dans cette hypothèse, aller à l'encontre de
l'avis donné lors de la procédure de consultation. Le défaut d'avis conforme est un moyen d'ordre public c'est-à-
dire un moyen qui peut être soulevé d'office par le juge administratif dans le cadre d'un REP.
Cette procédure vise à permettre au destinataire de la décision de se faire entendre avant la prise de décisions et
éventuellement de se défendre si la décision que l'administration envisage de prendre est une décision de
sanction. Ces procédures contradictoires comportent une dimension participative, à l'image des procédures de
consultation ce qui rend la distinction parfois délicate. Mais, dans la mesure où ces procédures contradictoires
ont acquis une importance, notamment en matière de sanction, elles bénéficient d'une portée particulière et elles
s'attachent à faire respecter les droits de la défense et ce respect est un principe général du droit comme l'a
affirmé le CE dans la décision de 1944 Dame Veuve Trompier Gravier. Dans cette espèce, Dame Trompier
Gravier s'est vu retirer l'autorisation de vendre des journaux dans un kiosque à journaux. Elle était accusée
d'avoir volé de l'argent au gérant du kiosque ce qui avait motivé le retrait de l'autorisation. Dans la mesure où le
kiosque était situé sur le domaine public, il fallait une autorisation administrative pour vendre les journaux. Le CE
estime qu'en pareil cas, l'intéressé aurait dû être mise en mesure de présenter sa défense et donc de pouvoir
17
discuter les griefs qui lui étaient opposés. C'est à l'occasion de cette affaire que le CE a dégagé le principe
général des droits de la défense qui suppose le respect d'une procédure contradictoire. Cette jurisprudence a été
complétée par la loi du 12 avril 2000 qui précise les conditions de mise en œuvre de la procédure contradictoire
pour un certain nombre de décisions. L'article 24 de cette loi exige le respect d'un minimum de procédure
contradictoire pour l'édiction des actes individuels soumis à l'obligation de motivation dès lors que ces actes ne
sont pas pris sur demande de l'intéressé. Tel est le cas d'une décision de sanction par exemple ou des décisions
qui constituent une mesure de police comme un arrêté d'expulsion pris à l'égard d'un étranger. Cela signifie
qu'avant de prendre la décision en question, l'administration doit placer l'administré en situation de faire valoir son
point de vue. Toutefois, cette obligation de respecter une procédure contradictoire cesse lorsque l'administration
est en situation d'urgence, lorsque les nécessités de l'ordre public sont en jeux ou lors de circonstances
exceptionnelles. Pour les décisions qui entrent dans le champ d'application de l'article 24 de la loi DCRA, il est
prévu qu'elles ne peuvent être prises que lorsque l'administration a mis l'intéressé en situation de présenter ses
observations écrites. Cela suppose donc qu'il ait eu communication de son dossier. De plus, une audition de
l'intéressé est indispensable dès lors qu'il en fait la demande. Si la loi du 12 avril 2000 suppose de permettre la
présentation d'observation écrite, le juge administratif a quant à lui considéré que l'administré pouvait également
pouvoir être entendu par l'administration dès lors qu'il en fait la demande. Le champ d'application de cette loi
DCRA se limite uniquement aux administrésc'est-à-dire que le texte ne concerne pas les agents publics. Dans ce
cas, c'est le principe général du droit dégagé par l'arrêt Dame Veuve Trompier Gravier qu'il faut invoquer et
non la loi DCRA. Si l'administration est tenue de communiquer son dossier à l'agent, elle n'est pas tenue de
l'auditionner. La portée du PGD est moins contraignante que celle de la loi DCRA.
Les décisions exécutoires obéissent à un formalisme allégé car le caractère écrit de l'acte n'est pas nécessaire.
La seule véritable obligation réside dans la motivation.
1. Le caractère écrit
Une décision exécutoire peut se manifester de différentes manières. Elle n'est pas assujettie à des conditions de
forme prédéterminées. La décision n'est pas nécessairement écrite : elle peut être verbale. Cela soulève des
difficultés quant à la preuve de la décision.
Exemple de décision orale : arrêt du CE du 12 mars 1986 "Cuisenier". La décision qui autorisait l'édification
des colonnes de Buren dans la Cour du Palais royal n'a jamais été formalisée par un écrit. Cette autorisation était
donnée oralement et c'est bien une décision exécutoire.
Mais, la décision exécutoire peut être expresse ou implicite. Dans l'hypothèse de la décision implicite, on
considère que le silence de l'administration vaut décision. Cette théorie de la décisionimplicite est une nécessité
qui va permettre de lutter contre l'inertie de l'administration. Il serait très simple pour l'administration de bloquer
un administré en se gardant de prendre une décision. Pour éviter cela, il a été admis par la jurisprudence puis par
la loi que le silence de l'administration pouvait être une décision. Concrètement, si l'administration s'abstient de
statuer sur une demande dans un délai donné, on considère, au terme de ce délai, que l'administration a pris une
décision qui sera, selon les cas, soit une décision de rejet soit une décision d'acceptation. Dans une décision du
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26 juin 1969, le CC a estimé que d'après un principe général du droit, le silence de l'administration vaut décision
de rejet. Seule une disposition législative contraire pourrait déroger à ce principe général.
Quel est le délai ? En vertu de l'article 21 de la loi DCRA, "le silence gardé pendant plus de deux mois par
l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet". Cette décision implicite de rejet pourra ensuite
faite l'objet d'un REP. Certains textes prévoient parfois des délais plus longs. Exemple en matière
environnementale : 1 an.
Néanmoins, il y a des cas dans lesquels le silence gardé pendant deux mois vaut acceptation. Exemple : permis
de construire.
Pendant longtemps, l'administration a été caractérisée par le secret. On estimait que dans la mesure où
l'administration agit dans l'intérêt général, elle n'avait pas à se justifier et à motiver ses décisions. Les administrés
n'étaient pas toujours en mesure de comprendre pourquoi l'administration avait agi de telle ou telle manière. A la
fin des années 1970, la transparence a gagné l'administration grâce à l'adoption de certains textes. Exemple : loi
du 17 juillet 1978 relative au droit à la communication des documents administratifs. Il y aussi eu la loi du
6 janvier 1978 relative à l'informatique et aux libertés. C’est grâce à cette loi que l'on peut avoir accès aux
données des fichiers informatiques et qu'on peut en demander la modification. Mais, surtout, le 11 juillet 1979,
une loi sur la motivation des actes administratifs a été adoptée. Toute décision administrative repose sur des
motifs c'est-à-dire sur des raisons de fait et de droit qui ont incité l'administration a adopté ladite décision. La
motivation est l'explication de ces motifs dans la décision. Cette loi a eu des conséquences importantes car, en
livrant ainsi explicitement les motifs de ses décisions, le juge administratif pourra exercer un contrôle plus étroit
sur l'administration. Cette loi facilite indéniablement le contrôle juridictionnel. Avant l'adoption de ce texte, le juge
s'était toujours refusé à ériger en PGD l'obligation pour l'administration de motiver ses décisions. Cela ne
l'empêchait pas de demander à l'administration de lui communiquer les motifs d'une décision pour faciliter son
contrôle. Avant l'adoption de la loi de 1979, la communication des motifs ne pouvait être demandée qu'en cas de
contentieux. Cette loi a mis fin à cette situation sans toutefois consacrer un principe général de motivation des
actes administratifs. Cela concerne les décisions individuelles défavorables comme par exemple une mesure de
police, une mesure visant à restreindre les libertés ou une mesure visant à retirer ou à abroger une décision
créatrice de droit.
Illustration : l'arrêté d'expulsion d'un étranger doit être motivé. Cela découle de l'arrêt du CE du 24 juillet 1981
"Belasri". En revanche, le refus d'inscrire un enfant de moins de 6 ans dans une école primaire n'a pas à être
motivé car la scolarisation n'est un droit qu'après 6 ans. Cela découle de l'arrêt du CE du 5 mars 1983 "Epoux
Mousset".
Doivent aussi être motivées les décisions individuelles qui contiennent une dérogation à une règle générale. Cela
vise l'hypothèse dans laquelle un administré présente toutes les conditions pour avoir droit à un avantage et,
pourtant, l'administration le lui refuse. Dans ce cas, la décision de refus doit être motivée. Il en est de même des
décisions qui refusent une autorisation.
A contrario, cela implique que les décisions qui ne sont pas visées par la loi de 1979 n'ont pas à être motivées.
Dès que la décision entre dans le champ d'application de la loi, l'absence de motivation entraine l'inégalité de la
décision pour vice de forme. Les décisions implicites font exception. S'il s'avère que cette décision entre dans le
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champ d'application de la loi de 1979, l'auteur de la décision doit, sur demande de l'administré, lui faire connaitre
les motifs de la décision dans un délai d'un mois suivant cette demande.
Le contenu de la motivation : l'article 3 de la loi de 1979 précise que la motivation doit être écrite et doit énoncer
des considérations de fait et de droit qui constituent le fondement de la décision. Cela signifie qu'une motivation
beaucoup trop succincte ne permet pas de saisir les raisons qui ont incité l'administration à prendre une décision
: cela serait donc sanctionné par le juge administratif.
Exemple de motivation jugée insuffisante : arrêt du CE du 9 février 2001 "Michel". Le requérant avait déposé
une demande d'agrément afin d'exercer une profession nécessitant une autorisation. L'administration lui a refusé.
Puisqu'il s'agit d'une décision visant à lui refuser une autorisation, l'administration devait la motiver. Or,
l'administration s'est livrée à une motivation laconique : elle a seulement précisé que l'intéressé ne présentait pas
toutes les conditions requises pour prétendre à l'autorisation demandée. Cette motivation n'expose en rien les
raisons de fait et de droit qui ont incité l'administration à prendre la décision de refus. Le CE considère que la
motivation est insuffisante et annule la décision pour vice de forme. L'absence de motivation et l'insuffisance de
motivation produisent les mêmes effets => annulation de la décision.
La décision exécutoire est opposable aux administrés que lorsqu'ils en ont eu connaissance : c'est donc
la publicité de l'acte qui le rend opposable. Mais, cette publicité varie selon qu'il s'agit d'un acte
réglementaire ou d'une décision individuelle. Les actes réglementaires font l'objet d'une publication qui
est impersonnelle comme c'est un acte impersonnel. L'acte réglementaire est publié au Journal Officiel
ou éventuellement dans un bulletin officiel d'une administration ou, pour les actes des autorités locales,
il existe un recueil officiel des actes.
S'agissant des décisions individuelles, elles font l'objet d'une notification ce qui signifie qu'elles sont
adressées aux personnes concernées. La notification doit mentionner, à peine de nullité, les voies et les
délais de recours. Cela signifie qu'une notification, qui ne préciserait pas comment et dans quel délai
une décision peut être attaquée, pourrait être contestée devant un juge à tout moment, sans conditions
de délai.
C'est une question qui ne pose aucune difficulté si l'acte fixe lui-même la durée de son application cad que
l'arrivée du terme figurant dans l'acte entraine sa disparition.
Dans le cas inverse, il est de principe que la décision s'applique sans limitation de durée. Pour mettre fin à l'acte,
il faut donc un acte express venant soit du juge ou de l'administration elle-même puisque cette dernière peut
décider soit spontanément soit sur présentation d'un recours administratif de faire disparaitre un acte. Mais, la
sortie de vigueur d'un acte administratif peut se faire de différentes manières :
- L'abrogation : l'acte disparait pour l'avenir. Cette abrogation peut découler de la suppression de la décision ou
de son remplacement par une autre décision.
- Le retrait de la décision : l'administration retire la décision. Dans ce cas, la disparition se fait de façon
rétroactive. En retirant un acte, l'administration entend faire disparaitre totalement les effets que cet acte a
produits.
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Il convient de concilier les intérêts de l'administration et ceux des particuliers. Il est légitime de reconnaitre à
l'administration le pouvoir de faire disparaitre un acte administratif lorsque les circonstances de fait ou de droit
l'impose ou lorsqu'elle reconnait avoir commis une erreur. Pour autant, on ne peut pas reconnaitre un pouvoir
discrétionnaire à l'administration pour modifier ses décisions. Cela serait contraire au principe de sécurité
juridique qui suppose que lorsqu’un administré agit, il doit pouvoir être certain d'agir conformément au droit. Or, si
l'administration pouvait, dans n'importe quelle condition, prononcer le retrait d'un acte administratif, les
administrés ne pourraient jamais être certains au moment où ils agissent que l'acte sur lequel ils se sont fondés
ne va pas disparaitre de l'ordonnancement juridique de manière rétroactive. Les règles qui régissent le retrait
sont axées autour de la distinction entre acte créateur de droit et acte non créateur de droit.
La question de savoir ce qu'est un acte créateur de droit se pose essentiellement s'agissant des actes
individuels. Sont des décisions créatrices de droit les décisions individuelles de nomination ou de promotion dans
la fonction publique ou encore la décision qui accorde le permis de conduire. Ces exemples qui tendent à
démontrer qu'une décision individuelle favorable peut créer des droits mais il ne faut pas considérer que cela vaut
pour toutes les décisions individuelles favorables. Il ne faut pas non plus considérer qu'une décision défavorable
est insusceptible de créer des droits. Pour définir la notion de décision créatrice de droit, il n'existe pas de critères
clairs et précis dégagés par la jurisprudence. La définition résulte des différentes espèces.
Ne crée pas de droit les décisions obtenues par des manœuvres frauduleuses : un acte obtenu par la fraude peut
être retiré ou abrogé à tout moment. C'est donc là l'intérêt de considérer que cet acte n'est pas créateur de droit.
Par exemple, le CE a estimé, dans un arrêt du 13 juin 2003 "Préfet du Jura contre Cattin" qu'un titre de séjour
obtenu de manière frauduleuse pouvait être retiré à tout moment. Dans l'arrêt du 16 avril 2010 "M. Y." (Cas
d'un mariage blanc) : la décision, à savoir le prononcé du mariage, a été obtenue de manière frauduleuse donc
elle peut être retirée ou abrogée à tout moment.
Ne crée pas de droit les décisions purement recognitives : décision qui se contente de tirer les conséquences
juridiques d'une situation de droit ou de fait préexistante. L'acte ne fait que rappeler des droits et des obligations
mais il ne contribue pas à créer de nouveaux droits ou de nouvelles obligations. Ont un caractère recognitif les
relevés de notes : il ne crée pas de droits ou d'obligations, il se contente de rappeler une situation obtenue
antérieurement par l'étudiant par le biais de ces différentes notes. Cela découle de l'arrêt du CE du 11 mai 1987
"Ollier". De plus, parmi les décisions recognitives, figuraient auparavant les décisions à objet pécuniaire pour
l'édiction desquels leur auteur ne disposait d'aucun pouvoir d'appréciation. Cela découlait d'un arrêt de section
du CE de 1976 "Buissière". Cet arrêt a été rendu à propos d'une indemnité de départ due à un agriculteur.
Dans la mesure où l'administration ne fait que constater le droit à l'attribution de cette indemnité, la décision
d'attribution n'est pas créatrice de droit : l'administration ne fait usage d'aucun pouvoir d'appréciation. Cette
jurisprudence Buissière a été vivement critiquée et elle est aujourd'hui abandonnée. Désormais, une décision
administrative accordant un avantage financier crée des droits au profit de son bénéficiaire alors même que
l'administration avait l'obligation de refuser cet avantage. Cela découle de l'arrêt du CE du 6 novembre 2002
"Soulier". Mais, cette solution ne s'étend pas aux mesures qui procèdent à la liquidation d'une créance née
d'une décision antérieure et qui se borne à calculer le montant des sommes dues. Ces mesures conservent un
caractère recognitif. =>La décision visant à accorder un avantage financier (prime à un fonctionnaire par
exemple) est créatrice de droit. Mais, la décision qui se limite à liquider cet avantage ou cette prime n'est pas
créatrice de droit.
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S'agissant des décisions de refus ou de rejet c'est-à-dire des décisions défavorables, elles ne créent pas de droit
au profit de leur titulaire mais elles peuvent créer des droits au profit des tiers car elles peuvent avoir un effet
favorable à leur égard. Arrêt du CE du 29 mars 1968 "Manufacture française des pneumatiques Michelin" :
était en cause la décision de refus d'autoriser le licenciement de salariés protégés. Cette décision de refus avait
été prise par une autorité administrative cad par l'inspecteur du travail. Les délégués du personnel bénéficient, en
raison de leurs fonctions, d'une procédure de licenciement spécifique qui suppose l'accord de l'inspecteur du
travail avant de procéder au licenciement. Dans cette affaire, l'inspecteur du travail avait refusé l'autorisation de
licencier. Cette décision de refus est créatrice de droit à l'égard des tiers c'est-à-dire des salariés protégés. Si
cette décision ne crée pas de droit à l'égard de son bénéficiaire (entreprise), elle crée malgré tous des droits à
l'égard des salariés protégés. Cela illustre le fait qu'une décision défavorable peut créer des droits au profit des
tiers.
Il convient de préciser qu'une décision implicite peut créer des droits. Par exemple, un permis de construire
obtenu de manière tacite, à la suite du silence gardé par l'administration, est une décision créatrice de droit. C'est
ce qui découle de l'arrêt du CE du 1er juin 1973 "Ministre de l'équipement et du logement contre Epoux
Roulin".
La décision créatrice de droit est une notion complexe à cerner car le juge n'a dégagé aucun critère
précis de définition. Il dispose donc d'un large pouvoir d'appréciation à l'égard de la qualification d'un
acte. Un acte est créateur de droit lorsque quelqu'un a intérêt à son maintien.
Le retrait est analogue à une annulation contentieuse en ce sens qu'un acte administratif retiré est anéanti
rétroactivement comme l'est un acte annulé. Le régime juridique du retrait est commandé par deux éléments :
- La possibilité de retirer légalement un acte administratif diffère suivant qu'il a créé ou non des droits et qu'il est
entaché ou non d'irrégularité.
- Les règles du retrait varient selon qu'il s'agit d'un acte individuel ou d'un acte réglementaire.
Principe : lorsqu'un acte a créé des droits, il lui est accordé une protection plus ou moins étendue qui, au mieux,
le met à l’abri du retrait et, au pire, limite l'exercice du pouvoir de retrait consenti à l'autorité administrative. Au
contraire, lorsque l'acte n'a pas créé de droit, son retrait peut légalement intervenir sans restriction et à toute
époque. Une décision non créatrice de droit peut être retirée pour tout motif qu'il s'agisse d'un motif d'opportunité
ou de légalité.
Le retrait n'est envisageable qu'à deux conditions : la décision individuelle doit être illégale et le retrait doit
intervenir dans un certain délai qui a varié au fil de la jurisprudence.
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Première condition :
Au nom de la sécurité juridique, seuls les actes individuels contraires au droit peuvent être retirés. Dans ce cas,
la décision de retrait doit être justifiée par une illégalité et non pour des raisons d'opportunité. Exemple du retrait
d'une décision qui accorde l'octroi d'une prime à un fonctionnaire : ce retrait sera légal s'il apparait que la décision
n'est pas conforme à une règle de rang supérieur (une disposition législative par exemple). Mais, si la décision de
retrait est prise en raison de considérations d'opportunité (car l'agent s'entend mal avec son nouveau supérieur
par exemple), le retrait ne peut pas être prononcé.
Seconde condition :
L'existence de cette condition est liée au principe de sécurité juridique car une décision doit pouvoir, à un
moment donné, être considérée comme définitive. Il faut donc fixer un délai de retrait, tout comme il existe un
délai de recours contentieux. Dans un premier temps, le juge a fixé un délai de retrait identique à celui du délai
de recours contentieux. Le retrait était possible dès lors que le recours contentieux était envisageable c'est-à-dire
en principe pendant un délai de 2 mois suivant la notification de la décision. Cette solution découle de l'arrêt du
CE du 3 novembre 1922 "Dame Cachet". Cette décision précise par ailleurs que lorsqu'un recours contentieux
a été formé dans un délai de 2 mois, le retrait est possible jusqu'à ce que le juge ait statué. Mais, dès lors que le
délai de 2 mois est expiré et dès lors qu'aucun recours contentieux n'a été formé, le retrait devenait impossible et
ce, même si la décision individuelle était illégale. Cette décision semblait avoir fixé un bon compromis entre la
protection des droits individuels et la protection de principe de légalité. Mais, en réalité, cette solution comportait
un inconvénient majeur : dans l'hypothèse où l'administration n'avait pas notifié la décision, le délai de recours
n'était pas opposable. Or, puisque le délai de retrait était calqué sur le délai de recours, la décision en question
pouvait être retirée à tout moment, sans condition de délai. Ainsi, une décision individuelle non notifiée pouvait
être retirée sans condition de délai ce qui constitue un inconvénient majeur pour la sécurité juridique. Cet
inconvénient avait été mis en lumière par l'arrêt du CE du 6 mai 1966 "Ville de Bagneux". Cette décision avait
été rendue à propos de permis de construire illégaux qui n'avaient jamais été affichés. Dès lors, ces permis
pouvaient être retirés à tout moment ce qui signifie que les constructions édifiées pouvaient être déclarées
illégales des années après leur édification. La règle, en matière de permis de construire, impose en effet
l'affichage sur le terrain pour informer les tiers. Or, comme les permis n'ont pas été affichés, le délai de recours
contentieux court sans délai et les permis peuvent être retirés à tout moment. Par conséquent, la solution issue
de l'arrêt Dame Cachet consistant à calquer le délai de retrait sur le délai de recours contentieux présentait des
inconvénients majeurs. Pour remédier à cela, le juge administratif a décidé de disjoindre le délai de recours
contentieux et le délai de retrait. Cette évolution a été mise en œuvre progressivement. Pour cela, il faut
distinguer les décisions implicites d'acceptation et les décisions explicites.
L'évolution consistant à dissocier délai de recours et délai de retrait a tout d'abord concerné les décisions
implicites d'acceptation : cela découle de l'arrêt du CE du 14 novembre 1969 "Eve". Dans cette espèce, était
en cause une décision individuelle qui n'avait pas été porté à la connaissance des tiers ce qui est le cas
généralement des décisions implicites en raison de leur nature même car elle découle du silence de
l'administration. Le CE affirme donc dans cet arrêt qu'une décision implicite d'acceptation qui n'a pas été portée à
la connaissance des tiers peut être retirée pendant le délai de 2 mois à compter de la date à laquelle est
intervenue la décision, sous réserve que cette décision soit illégale. Or, ce délai du retrait ne coïncide pas
nécessairement avec le délai de recours contentieux. En effet, l'absence de publicité de la décision a pour
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conséquence le non déclenchement du délai de recours contentieux à l'égard des tiers. Dans ce cas, calquer le
délai de retrait sur le délai de recours aurait conduit à autoriser le retrait à tout moment ce qui aurait porté une
atteinte excessive à la sécurité juridique d'où la société retenue par le juge dans l'arrêt Eve, solution qui vise à
limiter le délai de retrait. Cette jurisprudence a été reprise par le législateur à l'article 23 de la loi du 12 avril
2000. En vertu de cet article, lorsqu'aucune mesure d'informations des tiers n'a été mise en œuvre, une décision
implicite d'acceptation peut être retirée dans le délai de 2 mois à compter de la date à laquelle est intervenue la
décision. En revanche, lorsque des mesures d'informations des tiers ont été mises en œuvre, le retrait est
possible dans le délai du recours contentieux. Dans cette hypothèse, le risque d'atteinte excessive à la sécurité
juridique est en effet écarté car la publicité de la décision permet de déclencher le délai de recours. Ainsi,
puisque les tiers ont été informés, le recours contentieux n'est pas ouvert sans délai. Dans ce cas, il n'y a aucun
inconvénient à calquer le délai de retrait sur celui du recours. Enfin, l'article 23 de la loi du 12 avril 2000 précise
que, dans l'hypothèse où un recours contentieux aurait été formé contre la décision implicite d'acceptation, le
retrait est possible pendant la durée de l'instance. Cela signifie que, tant que le juge n'a pas définitivement statué,
l'administration a la possibilité de reconnaitre son erreur c'est-à-dire qu'elle peut reconnaitre qu'elle a
effectivement pris une décision illégale et donc qu'il convient de lui laisser la possibilité de retirer la décision.
Exemple : un commerçant demande à l'autorité administration l'autorisation d'agrandir son commerce. Il a besoin
d'un permis de construire. L'administration accuse réception de sa demande le 15 mars mais elle ne lui donne
pas de réponse explicite. Par conséquent, deux mois après l'envoi de l'accusé de réception, à savoir le 16 mai, le
commerçant est titulaire d'une décision implicite d'acceptation. Plusieurs hypothèses :
- La décision implicite fait l'objet d'une publicité c'est-à-dire que le commerçant affiche le permis de construire
tacite. Dans ce cas, le retrait est possible pendant le délai du recours contentieux, sous réserve que le permis de
construire soit illégal. De plus, si la décision a fait l'objet d'un recours, le retrait est encore possible pendant la
durée de l'instance.
- La décision implicite n'a pas fait l'objet d'une publicité c'est-à-dire que le commerçant n'a pas affiché le permis
de construire tacite. Dans ce cas, le délai de retrait est de 2 mois à compter de la date où est intervenue la
décision (16 mai), sous réserve que la décision soit illégale. En revanche, le recours contentieux est ouvert à
toute époque car, faute de publicité, le délai de recours n'a pas été déclenché.
Dans ce cas, le juge administratif a souhaité remédier aux inconvénients de la solution issus de l’arrêt Dame
Cachet. Cette jurisprudence visait à calquer le délai de retrait sur le délai du recours contentieux. En effet, sous
l’empire de cette jurisprudence, l’administration pouvait volontairement s’abstenir de notifier une décision. Certes,
elle prenait le risque de voir un recours contentieux engagé à n’importe quel moment mais, par ce biais, elle
s’octroyait aussi la possibilité de retirer la décision sans condition de délai, quand bon lui semblait. Cette
jurisprudence Dame Cachet encourageait, de la part de l’administration, des manœuvres peu respectueuses de
la sécurité juridique. Par conséquent, et pour remédier à ces inconvénients, le juge a dissocié le délai de retrait et
le délai de recours contentieux. Cette dissociation est issue de l’arrêt du CE du 26 octobre 2001 « Ternon ».
Cet arrêt pose un nouveau principe : les décisions explicites créatrices de droit ne peuvent être retirées, si elles
sont illégales, que dans un délai de 4 mois après leur signature et ce, quel que soit les éventuels recours
contentieux introduits contre elles. Ainsi, avec cette nouvelle solution, peu importe que la décision ait été ou non
notifiée : ce qui compte est la date de sa signature car le retrait n’est possible que dans les 4 mois suivants cette
signature. Cela rend inutile toutes les manœuvres que l’administration pourrait être tentée d’entreprendre afin
d’allonger le délai du retrait. La solution issue de l’arrêt Ternon est une solution particulièrement claire, qui peut
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cependant être tenu en échec par un texte législatif ou réglementaire qui prévoirait un délai de retrait plus long ou
plus court.
Une décision de refus peut être créatrice de droit et ce, qu’elle soit explicite ou implicite. Dès lors, si cette
décision est illégale, le retrait est possible. Dans quel délai ? Dans la mesure où ces décisions implicites de rejet
ne sont visés ni par l’article 23 de la loi du 12 avril 2000 ni par la jurisprudence Ternon, c’est la solution issue
de l’arrêt Dame Cachet qui s’applique. Dans ce cas de figure, le délai de retrait est encore calqué sur le délai de
recours contentieux. Dans ce cas seulement, la jurisprudence Dame Cachet survit.
L’état du droit a aujourd’hui atteint un haut degré de complexité car les délais de retrait varient selon la
nature de la décision. Par conséquent, avant de déterminer quel est le délai de retrait applicable, il faut
déterminer la nature de la décision.
Décision explicite : arrêt Ternon (4 mois après la signature de la décision)
Décision implicite d’acceptation : loi du 12 avril 2000 (retrait possible pendant 2 mois si la décision n’a
pas fait l’objet de publicité ; sinon, délai de retrait calqué sur délai de recours contentieux)
Décision implicite de rejet : arrêt Dame Cachet (délai de retrait calqué sur délai de recours contentieux)
Dans cette hypothèse, puisque l’acte n’a pas créé de droit, la question du respect du principe de sécurité
juridique se pose avec moins d’acuité. Si la décision est illégale, le retrait est possible à toute époque : arrêt du
CE du 15 octobre 1965 Buissière. Dans cette espèce, était en cause une décision relative au versement d’une
indemnité et, à cette époque, cette décision était analysée comme une décision recognitive c'est-à-dire une
décision non créatrice de droit. Le CE a indiqué que cette décision pouvait être retirée sans délai à partir du
moment où elle était illégale. Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence administrative qu’un acte non créateur de
droit qui est légal ne doit pas, en principe, être retiré. Mais, il s’avère au regard de certaines décisions, qu’une
exception est possible c'est-à-dire qu’un acte non créateur de droit qui est légal peut être retiré pour des raisons
d’opportunité lorsque c’est dans l’intérêt de la victime de l’acte et sous réserve que cet acte n’ait pas crée de droit
au profit des tiers.
Exemple : décision de sanction à l’égard d’un étudiant. Le retrait est possible pour des considérations
d’opportunité même si la décision est légale c'est-à-dire si le retrait profite à la victime de l’acte.
Dans l’hypothèse où l’acte réglementaire concerné ne serait pas analysé comme un acte créateur de droit, le
retrait est possible sans condition de délai. Mais, en général, un acte réglementaire produit des effets et peut
donc être analysé comme un acte créateur de droit. Pour être retiré, il faut que deux conditions soient remplies :
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On ne fait pas application de la jurisprudence Ternon.
Le retrait est une obligation pour l’administration dès lors que l’acte est illégal. Dès lors que
l’administration est saisie d’une demande de retrait dans laquelle l’administré démontre que l’acte est
illégal, elle doit obligatoirement procéder au retrait. En revanche, si l’administration n’a pas été saisie
d’une demande de retrait d’un acte illégal, le retrait est une simple faculté.
Dans l’hypothèse de l’abrogation, l’acte disparait pour l’avenir c'est-à-dire qu’il n’est pas totalement rayé de
l’ordonnancement juridique, à l’instar du retrait. Seuls ces effets futurs sont donc remis en cause ce qui présente
un risque pour la sécurité juridique. Mais, les effets que l’acte a produits avant l’abrogation sont conservés. Les
règles de l’abrogation varient selon qu’il s’agit d’un acte réglementaire ou d’une décision individuelle.
L’abrogation des actes réglementaires est toujours possible. L’autorité administrative est libre de l’abroger. Mais,
dans certains cas, le CE estime que le principe de sécurité juridique impose l’adoption de mesures transitoires
afin d’éviter un changement brutal de réglementation. Concrètement, si l’autorité administrative est libre d’abroger
un acte réglementaire, cela signifie qu’elle peut, du jour au lendemain, changer la réglementation applicable. Or,
cela peut présenter des inconvénients puisque l’administration peut imposer de manière brutale un changement
dans les comportements des administrés. Pour éviter ces inconvénients, le juge estime que l’administration doit
parfois prévoir des mesures transitoires au nom du principe de sécurité juridique. Ces mesures transitoires
peuvent par exemple consister à retarder l’application de la nouvelle réglementation pour permettre aux
intéressés d’adapter leur comportement. Cela découle de l’arrêt du CE du 24 mars 2006 « Société KPMG ».
S’agissant des actes réglementaires, il faut savoir si l’administration peut être obligée d’abroger un acte. On sait
qu’elle a la possibilité de le faire mais peut-elle y être tenue ? La jurisprudence s’est construite progressivement
sur ce point avant d’être ensuite précisée par le législateur. Le point de départ est un arrêt du CE du 10 janvier
1930 « Despujol ». Dans cette décision, le CE indique qu’un acte réglementaire qui était initialement légal mais
qui devient illégal en raison de changement dans les circonstances qui avaient justifié son édiction doit être
abrogé. Il peut s’agir d’un changement dans les circonstances de fait mais aussi dans les circonstances de droit.
Il y a changement dans les circonstances de fait en cas d’évolution importante des circonstances économiques
comme une hausse brutale du prix de certains biens essentiels. Cela découle de l’arrêt du CE du 10 janvier
1964 « Ministre de l’Agriculture contre Simmonet ». Il y a par exemple changement dans les circonstances de
droit si une nouvelle loi ou un texte issu du droit de l’UE crée une nouvelle situation juridique. Cela découle de
l’arrêt du CE du 10 janvier 1964 « Syndicat général des cadres de bibliothèques ».L’arrêt du CE du 3
février 1989 « Compagnie Alitalia » reprend le principe dégagé par l’arrêt Despujol à savoir l’obligation pour
l’administration d’abroger les règlements devenus illégaux. La demande d’abrogation peut être formulée sans
délai. Dans l’arrêt Despujol, le CE avait établi une distinction :
- En cas de changements dans les circonstances de fait, la demande d’abrogation peut être formulée
sans délai
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- En cas de changements dans les circonstances de droit, la demande devait être formulée dans les deux
mois suivants la publication du texte créant une nouvelle situation juridique.
Mais l’arrêt Alitalia met fin à cette distinction et, désormais, la demande d’abrogation peut être formée à toute
époque dans les deux cas.
Par ailleurs, cet arrêt consacre le principe selon lequel l’administration est tenue d’abroger un règlement qui
serait illégal dès son origine c'est-à-dire dès sa signature. C’est le cas par exemple d’un acte réglementaire qui
serait adopté en méconnaissance d’une directive européenne : cet acte serait illégal dès sa signature. Par
conséquent, si l’administration est saisie d’une demande d’abrogation, elle est tenue d’y faire droit.
Ces différentes solutions dégagées par la jurisprudence Alitalia ont été reprises par le législateur dans la loi du
20 décembre 2007 relative à la simplification du droit. Ce texte indique que l’administration est tenu d’abroger
les règlements illégaux dès leur origine ou qui deviendraient illégaux en cas de changements dans les
circonstances de fait ou de droit. Cette obligation peut résulter d’une demande d’un administré mais pas
uniquement car la loi indique que l’administration est tenue d’abroger sur demande mais aussi d’office. Par
conséquent, même si elle n’est pas saisie d’une demande en ce sens, l’administration est soumise à l’obligation
d’abroger les règlements illégaux. Si elle ne le fait pas, elle commet une faute susceptible d’engager sa
responsabilité. Au terme de cette loi, les règlements devenus sans objet, par suite d’un changement dans les
circonstances de droit ou de fait, doivent être abrogés. Cela vise des règlements illégaux dont l’intérêt a disparu.
Le but du législateur est d’éviter que des actes inutiles restent en vigueur ce qui rend le droit particulièrement
complexe.
En principe, l’abrogation des actes individuels créateurs de droit est impossible, sauf si une disposition textuelle
le prévoit. Cela est justifié par l’intangibilité des effets individuels des actes administratifs : cela signifie qu’il ne
peut être mis fin à l’acte que par un acte contraire. Pour révoquer un fonctionnaire, on ne peut pas abroger
purement et simplement son acte de nomination : il faut prendre un acte contraire c'est-à-dire un acte qui
provoque sa révocation. Cette règle est affirmée par un arrêt du CE du 20 juin 2006 « Société Neuf Télécom
». Mais, une importante décision rendue par le CE le 6 mars 2009, l’arrêt Coulibaly est venue préciser les cas
dans lesquels l’abrogation d’un acte individuel créateur de droit est possible. En dehors des cas prévus par les
textes, l’abrogation des décisions individuelles créatrices de droit peut être envisagée sous certaines conditions.
En la matière, il existe un principe assorti d’exception.
Principe : l’abrogation des actes individuels créateurs de droit se voit appliquer le même régime que le retrait.
L’abrogation est donc possible lorsque l’acte est illégal et, en application de la jurisprudence Ternon, dans un
délai de 4 mois. Comme pour le retrait, l’abrogation est possible lorsque ces conditions ne sont pas réunies dès
lors que la demande d’abrogation est formulée par le bénéficiaire de la décision. De plus, des dispositions
textuelles peuvent instituer d’autres régimes en matière d’abrogation : c’est le cas par exemple concernant les
autorisations d’utilisation de fréquence par les opérateurs de téléphonie. Ces autorisations obéissent à un régime
d’abrogation spécial, prévu par la loi, comme le démontre l’arrêt du CE du 20 juin 2006 « Société Neuf
Télécom ».
Exceptions :
- Certains actes créateurs de droit peuvent ainsi être abrogés au-delà du délai de retrait. C’est le cas
notamment s’il y a un changement de circonstances. Par exemple, si l’acte réglementaire, sur la base
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duquel la décision individuelle a été prise, vient à être annulé par le juge, la décision individuelle prise
sur la base de ce fondement pourra être abrogée. De plus, il y a des actes qui peuvent être abrogés
pour des motifs d’intérêt général. C’est le cas par exemple des autorisations d’occupation du domaine
public.
- S’agissant des actes individuels non créateurs de droit, ils peuvent êtres abrogés à toute époque, sans
condition de délai. Cela découle de l’arrêt du CE de 1990 « Les Verts ».Dans cette espèce, le CE a
indiqué qu’il appartient à tout intéressé de demander à l’autorité administration compétente l’abrogation
d’un acte non réglementaire n’ayant pas créé de droit dès lors que cet acte est devenu illégal à la suite
de changement dans les circonstances de droit ou de fait après son édiction. Ainsi, un acte non
réglementaire qui n’a pas créé de droit peut être abrogé dans les mêmes conditions qu’il peut être retiré.
De plus, l’arrêt Les Verts précise que l’abrogation, dans ce cas, est une obligation pour l’administration.
Dans certains cas, l’abrogation d’un acte individuel non créateur de droit est possible pour des raisons
d’opportunité et non pour des raisons tenant à sa légalité.
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Chapitre 2. Les contrats administratifs
Si l'administration a largement recours aux actes administratifs unilatéraux pour mener à bien son action, elle est
également appelée à conclure des contrats avec d'autres personnes publiques ou avec des personnes privées.
Plus précisément, l'administration est susceptible de passer deux types de contrats :
- Les contrats identiques à ceux passés entre deux personnes privées. Ils seront donc régis par le droit privé.
C'est le sens de la décision du CE du 31 juillet 1912 "Société des granites porphyroïdes des Vosges".
- Les contrats qui reposent sur un accord de volonté et qui sont soumis aux règles exorbitantes de droit commun
et donc qui sont soumis au juge administratif. Ces contrats se distinguent des contrats de droit privé par le
déséquilibre qu'ils manifestent en général entre l'administration et son cocontractant. Ces contrats administratifs
peuvent sembler peu attractifs mais, en réalité, ils mobilisent des sommes importantes. C'est ce qui va inciter les
personnes privées à contracter avec l'administration. Exemple : les marchés publics que passe l'administration
dans le secteur du bâtiment. Certains contrats administratifs sont réglementés par la loi et notamment par le
Code des marchés publics, dès lors que le contrat est un marché public. Mais, les critères généraux
d'identification des contrats administratifs et leur régime juridique ont été définis par la jurisprudence.
Certains contrats administratifs sont qualifiés comme tels par le législateur mais d'autres le sont par le juge
administratif.
Dans certains cas, il arrive que le législateur qualifie expressément un contrat passé par l'administration. Par
exemple, il avait qualifié les contrats emplois jeunes de contrats de droit privé. Cela signifiait que l'agent qui était
en contrat emploi jeune était soumis aux règles du droit privé même s'il travaillait pour le compte de
l'administration. En revanche, sont des contrats administratifs par détermination de la loi les contrats relatifs à
l'exécution de travaux publics et ce, en vertu de la loi du 28 pluviôse an VIII. Cette solution est logique car la
puissance publique a vocation à s'exprimer pleinement dans la matière, par exemple à travers le droit
d'expropriation. Pour réaliser des travaux publics, il faut exproprier les terrains et les propriétés nécessaires à la
réalisation de ces travaux.
Par ailleurs, les contrats qui emportent occupation du domaine public sont eux-aussi des contrats administratifs
en vertu du décret-loi du 17 juin 1838. Exemple : un contrat passé entre une commune et une société
souhaitant exploiter une plage privée est un contrat administratif par détermination de la loi.
La loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes à caractère économique et financier a indiqué que les
marchés publics ont le caractère de contrats administratifs.
Un marché public est un contrat à titre onéreux conclu entre une personne publique et des opérateurs
économiques pour répondre à des besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services. Exemples : un
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contrat portant sur la construction d'un équipement sportif ou un contrat de fourniture de biens informatiques. En
cas de litiges, c'est le juge administratif qui est compétent.
Dans les autres cas, il faut se reporter aux critères mis en lumière par le juge pour identifier les contrats.
Le premier critère est un critère organique lié à la présence directe ou indirecte d'une personne publique au
contrat. Ce critère a été dégagé par le TC dans une décision du 3 mai 1969 "Interlait". Le TC indique qu'un
contrat conclu entre deux personnes privées ne peut être un contrat administratif. Cela implique donc que tout
contrat administratif suppose la présence d'une personne publique, présence directe ou indirecte.
Le second critère est un critère matériel qui se fonde soit sur les causes du contrat soit sur son objet soit sur son
régime juridique. Ce critère est composé de trois éléments alternatifs. Mais, l'invocation de ce critère matériel
n'est pas toujours nécessaire : elle s'applique surtout entre les contrats conclus par une personne publique et une
personne privée. C'est pour cette raison qu'il faut envisager trois hypothèses :
- Les contrats conclus entre une personne publique et une personne privée
- Les contrats conclus entre personnes privées qui, dans certains cas, peuvent être des contrats administratifs si
une personne publique est indirectement présente au contrat.
Depuis la décision du TC du 21 mars 1983, ces contrats constituent une catégorie spéciale car, auparavant, on
ne les distinguait pas des contrats conclus entre une personne publique et une personne privée. Donc, il fallait
leur faire application du critère organique (qui ne pose pas de problème dans ce cas) mais aussi du critère
matériel. Cela supposait de savoir si le contrat conclu entre deux personnes publiques pouvait être un contrat
administratif par ses clauses, par son objet ou par son régime juridique.
Mais, l'arrêt UAP du 21 mars 1983 est venu simplifier le contrôle du jugeen indiquant que les contrats conclus
entre deux personnes publiques sont en principe des contrats administratifs. En l'espèce, il s'agissait d'un contrat
conclu entre le Centre National d'exploitation des océans qui est une personne publique et l'Etat. Ce contrat visait
à confier à l'Etat la gestion d'un navire appartenant à l'établissement. Il a été qualifié par le TC de contrat
administratif parce qu'il est conclu entre deux personnes publiques. Cette décision UAP revient à consacrer une
présomption du caractère administratif des contrats passés entre deux personnes publiques. Pourquoi une telle
présomption ? D'une part, le critère organique est nécessairement rempli et, d'autre part, ces contrats sont à la
rencontre de deux gestions publiques car une personne publique agit en principe selon le mode de la gestion
publique.
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Toutefois, cette présomption peut être renversée. S'il apparait que, par son objet le contrat ne fait naitre que des
rapports de droit privé entre les parties, il s'agira d'un contrat de droit privé. C'est le cas par exemple d'un contrat
par lequel une personne publique vend un immeuble de bureau à une autre personne publique c'est-à-dire que
les immeubles à usage de bureaux font partie du domaine privé des personnes publiques donc ils sont régis par
le droit commun ce qui justifie que ce contrat soit analysé comme un contrat de droit privé. Ainsi, il existe des cas
dans lesquels un contrat passé entre deux personnes publiques peut être un contrat de droit privé même si ces
hypothèses ne sont pas majoritaires.
B. Les contrats conclus entre une personne publique et une personne privée
Dans ce cas, il y a une application cumulative du critère organique et du critère matériel. Dans la mesure où une
personne publique est partie au contrat, le critère organique est rempli. A cet égard, il peut s'agir d'un contrat
administratif. Mais, au vue de la jurisprudence, le critère organique est insuffisant. Le juge administratif impose
que le critère matériel soit satisfait. Or, il peut l'être de trois manières :
Première manière : le contrat est administratif car il contient une clause exorbitante de droit commun.
Deuxième manière : le contrat est administratif par son objet c'est-à-dire qu'il fait participer le cocontractant à une
mission de service public.
Troisième matière : le contrat est administratif car il est soumis à un régime juridique exorbitant de droit commun.
Principe : un contrat est administratif s'il a été passé entre une personne publique et une personne privée et s'il
contient une ou plusieurs clauses exorbitantes du droit commun. Cela découle de la jurisprudence Société des
granites porphyroïdes des Vosges. En l'espèce, c'est un contrat ayant pour objet la fourniture de pavés à la
ville de Lille. Ce contrat ne contenait aucune clause exorbitante du droit commun. De ce fait, rien ne distinguait ce
contrat des contrats conclus entre de simples particuliers. Il était donc qualifié de contrat de droit privé.
Mais, la question est de savoir ce qu'est une clause exorbitante de droit commun. Dans un premier temps, le juge
administratif a dégagé la définition suivante : « La clause exorbitante du droit commun est celle qui confère aux
parties des droits ou qui met à leur charge des obligations, étrangers par leur nature aux droits et obligations
susceptibles d'être consentis dans le cadre de relations de droit privé ». Cette définition résulte de l'arrêt du CE
du 15 février 1935 "Société française de construction mécanique". Mais, cette définition ne reflète qu'une
partie des clauses exorbitantes. Certaines clauses sont également exorbitantes car elles contribuent à créer une
situation d'inégalité. Donc, il existe deux catégories de clauses exorbitantes.
Concernant les clauses exclues dans les relations privées, cela signifie qu'elles ne sont pas concevables dans
des relations entre particuliers. C'est le cas par exemple d'une clause qui prévoirait une exonération fiscale. Un
particulier n'a jamais le pouvoir de créer une exonération fiscale. Par conséquent, si un contrat conclu entre une
personne publique et une personne privée comporte une clause qui prévoit que la personne privée bénéficiera
d'une exonération fiscale, ce sera une clause exorbitante du droit commun. Il s'agira donc d'un contrat
administratif. Cela découle de la décision du CE du 2 juillet 1962 "Cazautet".
31
Mais, une clause exorbitante peut aussi être une clause inégalitaire en ce sens qu'elle va placer le cocontractant
sous l'autorité et le contrôle de l'administration. Dans un contrat de droit privé, les deux parties sont sur un pied
d'égalité. Mais, avec une telle clause, le cocontractant est sous la domination de l'administration. C'est le cas par
exemple d'une clause qui figure dans un contrat et qui prévoit le contrôle de l'administration sur les résultats
financiers ou sur le personnel employé. Dans ce cas, c'est une clause exorbitante de droit commun car elle est
inégalitaire.
Une solution analogue a été retenue par le TC dans une décision du 20 juin 2005 "Société hôtelière
guyanaise". En l'espèce, il s'agissait d'un contrat passé entre le Centre National d'études spatiales et la société
hôtelière. Ce contrat comportait une clause qui donnait au Centre un pouvoir de contrôle sur la revente de
l'ensemble hôtelier, clause justifiée par la proximité entre l'hôtel et le Centre. Il s'agit d'une clause exorbitante du
droit commun => contrat administratif.
Il convient par ailleurs d'évoquer l'hypothèse dans laquelle le contrat comporte une clause de renvoie à un cahier
des charges.Concrètement, cela signifie que le contrat renvoie à un document qui définit un certain nombre de
prescription technique s'imposant au cocontractant. La question était de savoir si la clause de renvoi devait être
analysée comme une clause exorbitante et, sur ce point, la jurisprudence a connu des hésitations.
Certaines décisions affirmaient parfois que le simple renvoi à un cahier des charges suffisait pour donner au
contrat un caractère administratif. Cela découle de l'arrêt du CE du 17 novembre 1967 "Roudier de la Brille"
et aussi de l'arrêt du CE du 5 novembre 1982 "Société Propétrol".Dans l'arrêt Propétrol, était en cause un
contrat passé entre une société et un office public HLM (personne publique). L'objet de ce contrat était
d'alimenter en fioul les bâtiments de l'office public HLM. Ce contrat contenait une clause de renvoi à un cahier
des charges et, dans cette affaire, le juge considère qu'un simple renvoi à un cahier des charges suffit pour
conférer au contrat un caractère administratif.
Mais, d'autres décisions affirmaient que ce renvoi ne suffisait pas et qu'il fallait que le cahier des charges
comporte lui-même une clause exorbitante du droit commun pour que le contrat puisse être analysé comme un
contrat administratif. Cette solution découle de l'arrêt du CE du 10 octobre 1981"Commune de Borce".
Finalement, la jurisprudence a été stabilisée par une décision du TC du 5 juillet 1999 "Union des
groupements d'achats publics" (UGAP). Dans cette décision, il est indiqué que le simple renvoi à un cahier
des charges ne suffit pas : il faut que ce cahier comporte une clause exorbitante du droit commun. En l'espèce, le
contrat conclu renvoyait à un cahier des charges et l'une des clauses de ce cahier des charges autorisait la
résiliation du contrat y compris dans les hypothèses où le cocontractant n'avait commis aucun manquement et
aucune faute. Le juge administratif estimait que c'était une clause exorbitante du droit commun donc le contrat
est un contrat administratif. Désormais, c'est la solution de l'arrêt UGAP qui prévaut.
Il existe une exception au principe selon lequel un contrat conclu entre une personne privée et une personne
publique comportant une clause exorbitante est un contrat administratif. En effet, les contrats conclus entre les
SPIC sont toujours des contrats de droit privé même s'il contient une clause exorbitante. Cette solution s'explique
par la volonté de construire un bloc de compétence au profit du juge judiciaire et de lui confier tous les litiges
relatifs à un contrat conclu entre un SPIC et l'un de ses usagers. Exemple : un contrat d'abonnement d'électricité.
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Cette solution découle de l'arrêt du CE du 13 octobre 1961 "Etablissement Campanon-Rey" + réaffirmée par
la décision du TC du 17 décembre 1962 "Dame Bertrand".
Résumé : Lorsque le juge administratif doit qualifier un contrat passé entre une personne privée et une personne
publique, il recherchera si le contrat contient une clause exorbitante (est-ce qu'une clause est inhabituelle ou est-
ce qu'il y a une clause qui place la personne privée sous le contrôle de la personne publique). Dans l'hypothèse
où le contrat renvoie à un cahier des charges, le juge vérifiera si ce cahier contient une clause exorbitante. Un tel
contrôle n'aura pas lieu si le contrat est passé entre un SPIC et l'un de ses usagers car, dans tous les cas, il
s'agit d'un contrat de droit privé.
L'objet d'un contrat peut lui conférer un caractère administratif, soit en raison de dispositions législatives, soit en
raison de solutions jurisprudentielles.
Il s'agit de contrats administratifs par détermination de la loi mais aussi en raison de leur objet donc il y a deux
éléments qui justifient la qualification de contrat administratif.
Le domaine public désigne l'ensemble des biens qui appartiennent à une personne publique et qui sont affectés
à l'utilité publique. Il peut s'agir des routes, des plages, des places... En vertu du décret-loi du 17 juin 1938, les
contrats qui ont pour objet l'occupation du domaine public sont des contrats administratifs. Par exemple, un
contrat conclu avec une personne privée en vue de l'exploitation d'un commerce sur une plage sera qualifié de
contrat administratif par détermination de la loi.
Ce sont des contrats par détermination de la loi et en raison de leur objet. Ce sont des contratsadministratifs en
vertu de la loi du 28 pluviôse an VIII car l'exécution de travaux publics est considérée comme une opération de
gestion publique. Par exemple, un contrat passé entre une personne publique et une société pour la réfection
d'une route est un contrat administratif.
Cette solution découle de la jurisprudence : arrêt du CE du 20 avril 1956 "Epoux Bertin". Dans cette espèce, le
juge considère qu'un contrat passé entre une personne publique et une personne privée et qui a pour objet
"l'exécution même d'un service public" est un contrat administratif. Mais, il faut distinguer les contrats qui ont pour
objet l'exécution même d'un service public et les contrats qui sont conclus pour les besoins d'un service public.
Seule la première catégorie a le caractère de contrat administratif en raison de leur objet. En revanche, les
contrats conclus pour les besoins d'un service public ne peuvent être administratifs par leur objet et, pour être
qualifiés de contrats administratifs, ils devront contenir une clause exorbitante du droit commun. Cela découle de
l'arrêt du CE du 11 mai 1956 "Société des transports Gondrand Frères". En l'espèce, était en cause un
contrat de transports de marchandises passé entre la société et une personne publique. Le critère organique du
contrat administratif est rempli car une personne publique est présente au contrat. La question est de savoir si le
critère matériel est rempli. Or, le contrat n'est pas administratif par son objet car, même s'il est conclu pour
satisfaire les besoins d'un service public, il n'a pas pour objet de confier à la société l'exécution même du service
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public. Par ailleurs, dans la mesure où ce contrat ne contenait aucune clause exorbitante du droit commun, le
juge administratif l'a qualifié de contrat de droit privé.
Cette jurisprudence a été utilisée dans la décision du TC du 21 mai 2007 "Société Codiam". Dans cette affaire,
était en cause un contrat passé entre la société et un hôpital en vue de l'exploitation d'un marché de postes de
télévision dans les chambres des patients. Pour cela, la société disposait d'un local où les patients pouvaient
prendre un abonnement pendant la durée de leur hospitalisation. La question de la nature du contrat conclu entre
la société et l'hôpital s'est posée à l'occasion d'un litige. Le TC a estimé que si le contrat avait été conclu pour les
besoins du service public, il n'avait pas pour objet d'associer la société à l'exécution même du service public.
Louer des téléviseurs ne fait pas participer la société à l'exécution du service public hospitalier. De plus, le contrat
ne contenait aucune clause exorbitante du droit commun donc le TC a estimé qu'il s'agissait d'un contrat de droit
privé.
Par conséquent, seuls les contrats qui ont pour objet de confier au cocontractant de l'administratif la charge
d'assurer tout ou en partie l'exécution d'un service public sont des contrats administratifs par leur objet. Il s'avère
qu'il y a trois types de contrats qui répondent à cette condition :
- Les contrats qui confient à une personne privée l'exécution même d'un service public en totalité
=>Jurisprudence Epoux Bertin. En l'espèce, contrat passé entre l'administration et les Epoux Bertin en vue de
leur confier l'hébergement de réfugiés étrangers à la fin de la seconde guerre mondiale. Le juge a estimé que
cette activité était une activité de service public donc le contrat passé était un contrat administratif par son objet.
De manière générale, cela vaut pour tous les contrats de délégation de services publics c'est-à-dire que le contrat
par lequel la personne publique confiait à une personne privée la gestion et l'exécution d'un service public est un
contrat administratif.
- Les contrats qui font participer le cocontractant à une mission de service public. Sans lui confier l'exécution
même du service public, le contrat l'associe à une partie de cette mission. Exemple : les contrats de travail
passés entre une personne privée et un service public administratif =>Arrêt du TC du 25 mars 1996 "Préfet de
la région Rhône-Alpes contre Berkani". Mais, il existe des exceptions prévues par la loi : c'est le cas
notamment des contrats aidés qui ont pour objet de permettre à des personnes éloignées du monde du travail de
retrouver un emploi.
- Le contrat est administratif si c'est lui des modalités de l'exécution même d'un service public c'est-à-dire si le
contrat est pour l'administration un moyen privilégié d'accomplir sa mission. Illustration : arrêt du CE du 26 juin
1974 "Société la Maison des isolants de France".Dans cette espèce, une commune souhaitait assurer le
développement économique de son territoire. Elle conclut un contrat avec une société et s'engage à lui vendre
des locaux à un prix inférieur à celui du marché. L'entreprise s'engage à venir s'installer sur le territoire de la
commune ce qui va créer des emplois. Ce contrat est alors l'une des modalités de l'exécution même du service
public de développement économique c'est-à-dire que c'est par ce contrat que la commune va pouvoir assurer
l'exécution de ce service public. Il en est de même des contrats conclus avec les usagers d'un service public
administratif : arrêt du CE du 20 avril 1956 "Consorts Grimouard".En l'espèce, il s'agissait d'un contrat passé
entre l'Etat et des propriétaires en vue du reboisement de leur terrain cad en vue de l'exécution même du service
public de reboisement. Les propriétaires sont les usagers de ce service public. Autre illustration : arrêt du CE du
18 juin 1976 "Arrêt Dame Culard". Il s'agissait d'un contrat par lequel le crédit foncier de France a consenti des
prêts de réinstallation à des rappatriés d'Outre-Mer. Ces prêts étaient conclus avec des personnes qui avaient la
qualité d'usagers du Crédit foncier. Ils ont donc été analysés comme des contrats administratifs parce que le
contrat est l'une des modalités de l'exécution du service public cad que sans passer de tels contrats, le Crédit
foncier ne pouvait pas mener à bien sa mission de service public.
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3. Les contrats administratifs en raison de leur régime juridique
Logiquement, le régime juridique d'un contrat est la conséquence de sa qualification c'est-à-dire que c'est en
raison du caractère administratif d'un contrat qu'il sera soumis au droit administratif et donc au juge administratif.
Mais, il y a des cas dans lesquels le régime juridique du contrat est prédéfini et, c'est de ce régime juridique qu'on
pourra déduire le caractère de contrats administratifs. Cela découle de l'arrêt du CE du 19 janvier 1973
"Société d'exploitation électrique de la rivière du Sant".A la suite des nationalisations opérées après la
guerre, un décret avait précisé qu'EDF devait acheter l'électricité produite par des producteurs autonomes
d'électricité non touchés par les délocalisations. Un litige est survenu entre EDF et la société d'exploitation
électrique de la rivière du Sant car EDF refusait de racheter l'électricité produite par cette société. Le problème
était de savoir quel était le juge compétent pour statuer sur ce litige. Le CE estime que c'est un contrat
administratif car il est soumis à un régime exorbitant du droit commun. En effet, les producteurs autonomes
étaient obligés de contracter avec EDF. En cas de litiges, il fallait saisir le ministre chargé de l'électricité. Le juge
administratif déduit de ces deux éléments l'existence d'un régime juridique exorbitant du droit commun. Ce sont
les caractéristiques particulières du cadre réglementaire dans lesquels s'insèrent les contrats conclus entre les
petits producteurs et EDF qui justifient la qualification de contrats administratifs. C'est en raison de la spécificité
du régime juridique de ces contrats que le juge conclu à leur caractère administratif.
Conclusion pour les contrats conclus entre personne privée et personne publique.
- Clauses
- Objet
- Régime juridique
Principe : un contrat conclu entre deux personnes privées est un contrat de droit privé et ce, en application du
critère organique qui veut qu'un contrat administratif soit passé entre deux personnes publiques. Mais, la
jurisprudence administrative a apporté certains tempéraments à ce principe.
Premier tempérament : il est lié à l'objet du contrat. Ainsi, un contrat passé entre deux personnes privées et qui a
pour objet l'exécution de travaux routiers d'intérêt national peut être qualifié de contrat administratif. Cela découle
de la décision du TC du 8 juillet 1963 "Société entreprises Peyrot". Le TC estime qu'un contrat passé entre
une société privée (d'économie mixte) et un entrepreneur privé est un contrat administratif car celui-ci porte sur la
réalisation de travaux publics pour la construction d'une autoroute. Pourquoi ? Car l'objet du contrat relève par
nature de l'Etat (construction d'autoroute = mission de l'Etat construite pour son compte). Comme le relève le TC
dans sa décision, la construction des autoroutes est assurée normalement par l'Etat mais, de manière
exceptionnelle, elle peut être assurée par une personne privée qui agit pour le compte de l'Etat. La jurisprudence
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Peyrot est une exception particulière car elle se fonde sur l'objet du contrat à savoir la réalisation de travaux
routiers d'intérêt national.
Deuxième tempérament : il découle de la présence d'un mandat explicite. Dans cette hypothèse, une personne
publique donne mandat à une personne privée afin de lui demander de la représenter dans la réalisation de
certains actes juridiques. La personne publique est le mandant et la personne privée le mandataire. Dans ce cas,
il n'y a pas réellement dérogation au critère organique car c'est bien la personne publique qui agit à travers la
personne privée. Exemple issu de l'arrêt du CE du 2 juin 1961 "Leduc" : une commune avait donné mandat à
une personne privée pour qu'elle réalise des travaux. Pour l'exécution de ces travaux, la personne privée passe
elle-même des contrats avec d'autres personnes privées. Dans la mesure où elle agit comme mandataire d'une
personne publique, le critère organique est rempli. Si le critère matériel est lui aussi satisfait, il s'agira d'un contrat
administratif.
- L'objet du contrat. En l'espèce, il portait sur la construction d'un réseau d'assainissement et de distribution d'eau
et, dès leur achèvement, les ouvrages étaient remis à la personne publique.
- En cas d'action en responsabilité, la personne publique était substituée de plein droit à la société d'économie
mixte. Cela signifie que, dans l'hypothèse où un dommage surviendrait dans l'exécution des travaux, c'est la
personne publique qui est responsable (commune d'Agde).
Tous ces éléments constituent un faisceau d'indices qui amène le juge administratif à considérer que la société
d'économie mixte n'agissait pas pour son propre compte. Il estime donc que cette société disposait d'un mandat
implicite de la part de la personne publique. De ce fait, le critère organique est rempli. En l'espèce, le critère
matériel est également satisfait car le contrat a pour objet l'exécution de travaux publics. Donc, il s'agit d'un
contrat administratif.
La même solution sera appliquée dans l'arrêt du CE du 18 juin 1976 "Dame Culard". En l'espèce, il s'agissait
d'un contrat conclu entre Mme Culard et le Crédit foncier de France cad un contrat conclu entre deux personnes
privées. Le CE estime que le Crédit foncier n'est qu'un intermédiaire de l'Etat en vue de l'octroi de prêts à des
particuliers. De plus, le Crédit foncier ne prend aucun risque financier car les fonds prêtés proviennent de l'Etat.
Le juge considère que c'est en réalité l'Etat qui téléguide les opérations. Par conséquent, le Crédit foncier agit
pour le compte de l'Etat. Ainsi, le critère organique est rempli. Le critère matériel l'est aussi car le contrat
constitue l'une des modalités de l'exécution du service public. Donc c'est un contrat administratif.
Conclusion : Au regard des tempéraments apportés au critère organique, il apparait qu'un contrat conclu entre
deux personnes privées peut, dans certains cas, être un contrat administratif.
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Section 2. L'exécution du contrat administratif
C'est probablement au stade de l'exécution que le contrat administratif révèle toutes ses spécificités par rapport à
un contrat de droit privé. En effet, un contrat de droit privé suppose la rencontre de deux volontés placées sur un
pied d'égalité. Or, un contrat de droit administratif suppose la rencontre de deux volontés mais elles ne sont pas
placées sur un pied d'égalité. Dans la mesure où l'administration dispose de prérogatives lui permettant d'assurer
la primauté de l'intérêt général, elle est en quelque sorte placée dans une situation de supériorité par rapport au
cocontractant. Elle dispose donc de droits particuliers à son égard.
Ces droits et obligations vont naitre dès la conclusion du contrat et qui vont s'appliquer tout au long de son
exécution, en dehors des situations exceptionnelles.
Cela signifie que l'administration veille à ce que le cocontractant exécute bien ses obligations. Pour cela, elle peut
intervenir directement par des vérifications sur place ou en imposant la présence de ses propres ingénieurs
(travaux). Elle peut aussi intervenir par des actes et notamment par le biais d'injonctions. Une injonction est un
acte permettant d'adresser un ordre au cocontractant. Si le contrat est une délégation de services publics, ce
pouvoir de contrôle se traduit de manière particulière car, chaque année, le délégataire doit rendre un rapport
d'activité à la personne publique.
C'est un pouvoir reconnu de plein droit dès l'instant où l'intérêt général est menacé par une mauvaise exécution
du contrat de la part du cocontractant. C'est un pouvoir qui s'exerce unilatéralement après une mise en demeure
et, dans cette hypothèse, le cocontractant ne peut s'abriter derrière une faute de l'administration pour suspendre
l'exécution de ses obligations. L'administration dispose de plusieurs sanctions :
- Des sanctions pécuniairesc'est-à-dire le plus souvent des pénalités de retard dans l'exécution du contrat pour
que le cocontractant remplisse son obligation dans le délai prévu car le retard est préjudiciable à l'intérêt général.
- Des sanctions dites coercitives. C'est le cas lorsque le cocontractant est défaillant et cesse d'exécuter le
contrat. Dans ce cas, l'administration se substitue ou substitue un tiers au cocontractant dans l'exécution du
contrat. Le plus souvent, ce sont des marchés de substitution qui sont passés aux frais et risques du
cocontractant défaillant. Par conséquent, les obligations du cocontractant seront alourdies car il devra supporter
les frais et les risques du marché de substitution. Exemple : arrêt du CE du 5 novembre 1982
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"Propétrol".Contrat passé entre une personne publique (office public HLM) et la société Propétrol pour qu'elle
alimente en fioul les bâtiments de l'office public. Mais, face à l'augmentation du prix du fioul, la société Propétrol a
décidé de cesser ses livraisons. Dans la mesure où l'office public HLM ne pouvait laisser la situation perdurer, il
décide de passer un marché de substitution avec une autre société. Mais, c'est la société Propétrol qui
supportera la différence de prix entre le marché initial et le marché de substitution.
- La résiliation du contrat. Ne pas confondre la résiliation sanction et la résiliation dans l'intérêt général.
L'administration a toujours la possibilité de résilier un contrat si l'intérêt général le justifie. Mais, ici, il s'agit de la
résiliation sanction c'est-à-dire la résiliation qui va intervenir lorsque le cocontractant a commis une faute. Il s'agit
de la sanction la plus grave. Elle ne peut intervenir s'il n'y a eu mise en demeure préalable du cocontractant. Ce
pouvoir de résiliation sanction est justifié par le fait que la défaillance du cocontractant peut avoir de graves
conséquences pour l'administration car cela peut engendrer l'interruption d'un chantier ou le fonctionnement
défectueux d'un service public.
Cette prérogative permet de différencier un contrat de droit privé et un contrat administratif. En droit administratif,
la jurisprudence a très tôt reconnu un pouvoir de modification unilatérale du contrat au cours de son exécution.
Cela découle de l'arrêt du CE du 10 janvier 1902 "Gaz Déville-lès-Rouen". Dans cette espèce, étaient en
cause les concessionnaires d'éclairage public qui avait été contraint, après la découverte de l'électricité, de
s'adapter à cette nouvelle technologie. L'administration a modifié unilatéralement le contrat en imposant à ses
concessionnaires de fournir l'éclairage grâce à l'électricité et non au gaz. La reconnaissance du pouvoir de
modification unilatérale sera confirmée dans l'arrêt du CE du 21 mars 1910 "Compagnie française générale
des tramways". Ce pouvoir de modification unilatérale est reconnu à l'administration dans tous les cas et ce,
même si aucune clause du contrat ne le prévoit. Il s'agit du principe de mutabilité des contrats administratifs que
l'on retrouve dans la décision du CE de 1983 "Union des transports urbains et régionaux".
- L'administration ne peut pas utiliser ce pouvoir pour modifier unilatéralement les clauses relatives à l'objet du
contrat. Elle ne peut pas demander à une société de lui fournit autre chose que ce pourquoi le contrat a été
conclu. Elle peut en revanche lui demander de fournir sa prestation autrement (gaz =>électricité).
- Si la modification unilatérale entraine une aggravation des charges du cocontractant, celui-ci peut demander
une indemnité en réparation du préjudice subi : cela découle de l'arrêt du CE du 21 mars 1910 "Compagnie
française générale des tramways". Illustration : arrêt du CE de 1978 "Ville de Saint-Malo".Après avoir
concédé à la ville de Saint-Malo l'établissement et l'exploitation d'un port de plaisance, l'Etat a modifié unilatérale
les limites de cette concession. Cette modification a eu des conséquences financières pour le concessionnaire (la
ville). Elle a donc subi un préjudice car elle se voit retirer une partie du domaine sur lequel elle avait construit des
installations. Or, du fait de la modification unilatérale, ces installations deviennent inutiles. Dans ce cas, la ville a
droit à une indemnité en réparation du préjudice subi.
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4. Le pouvoir de résiliation dans l'intérêt du service
Dans l'intérêt du service, l'administration peut toujours résilier un contrat administratif. Hypothèse d'une résiliation
alors que le cocontractant n'a pas commis de faute. Mais, en cas de résiliation dans l'intérêt du service, le
cocontractant a droit à une indemnisation comme l'a indiqué le CE dans un arrêt du 2 mai 1958 "Distillerie
Magnac-Laval".Dans cette espèce, l'Etat s'était engagé à acheter l'alcool industriel produit par les agriculteurs
pour le revendre ensuite aux entreprises intéressées. Etant assurés d'écouler leur production, ils se sont lancés
massivement dans la culture de betteraves. L'Etat se retrouve avec trop d'alcool. Par un décret de 1953, le
régime des contrats fut supprimé cad que le décret prévoyait que l'Etat mettait fin au contrat en cours conclu avec
les agriculteurs. La légalité de ce décret fut contestée devant le juge administratif. C'est à cette occasion que le
juge a indiqué que l'administration était toujours titulaire d'un pouvoir de résiliation dans l'intérêt général. Cela
permet au cocontractant d'être indemnisé de la totalité de son préjudice.
Le juge du contrat s'abstiendra de prononcer l'annulation des mesures de résiliation unilatérale. Cela signifie que
l'intervention de l'administration est présumée licite et que le juge se contentera d'analyser si cette décision de
résiliation peut ouvrir droit à une indemnisation au profit du cocontractant. Sauf dans les hypothèses où le contrat
porte sur la résiliation d'ouvrages qui ont nécessité pour le cocontractant des investissements importants, le juge
se refusera à annuler la décision de résiliation. Il se contentera de vérifier que la résiliation a bien été faite dans
l'intérêt du service et donc qu'elle ouvre droit à une indemnisation. Cette limitation du contrôle du juge démontre
combien ce pouvoir de résiliation dans l'intérêt général est essentiel. Cela illustre également le déséquilibre entre
l'administration et son cocontractant car l'administration peut décider de résilier un contrat sans encourir
l'annulation du juge.
Le cocontractant est tenu d'exécuter le contrat sauf en cas de force majeure par exemple. S'il n'exécute pas ses
obligations, il peut se voir sanctionner et sa responsabilité peut être engagée. En toute hypothèse, le
cocontractant ne peut suspendre l'exécution du contrat : arrêt Propétrol du 5 novembre 1982. Mais, en
contrepartie de ses obligations, le cocontractant a des droits. Il a droit au paiement des prix conclus dans le
contrat dès lors qu'il a effectué ses obligations. Ce paiement peut être échelonné mais le prix peut aussi être
révisé c'est-à-dire qu'un contrat administratif peut comporter une clause de révision qui permet d'ajuster le prix à
l'évolution du marché, dans le cadre d'un contrat d'énergie par exemple. Le cocontractant a aussi droit à
l'équilibre financier du contratc'est-à-dire qu'en principe les obligations qui le lient à l'administration ne doivent
pas être aggravées au cours de l'exécution du contrat. L'administration doit donc s'abstenir de mettre à la charge
du cocontractant de nouvelles obligations qui ne lui permettrait plus d'exécuter le contrat dans des conditions
économiquement viables. Il ne doit pas y avoir de déséquilibre entre les charges et les profits du cocontractant.
Si l'administration vient à remettre en cause l'équilibre financier du contrat par une décision, le cocontractant a
droit à une compensation qui se matérialise par le versement d'une indemnité. Cela ressort de la jurisprudence
"Compagnie générale des tramways" du 11 mars 1910 (CE).
Il arrive qu'un contrat administratif connaisse des bouleversements en raison de faits extérieurs au contrat. C'est
le cas notamment de l'imprévision et de la force majeure.
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A. La théorie de l'imprévision
Elle a vocation à s'appliquer en cas de survenance d'aléas économiques c'est-à-dire qu'elle s'applique lorsque
des difficultés d'ordre économique surviennent à la suite d'évènements imprévisibles et indépendants de la
volonté des parties. Dans ce cas, le contrat connait des bouleversements importants à tel point que son
exécution est mise en péril sans pour autant être rendue impossible. Cette théorie de l'imprévision a été dégagée
par le CE dans un arrêt du 30 mars 1916 "Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux".A cette époque,
l'éclairage public à certains endroits étaient encore assuré au gaz. Or, le cours du gaz a connu une forte variation
à tel point que l'exécution du contrat liant la compagnie à la ville de Bordeaux a connu un fort bouleversement.
C'est à cette occasion que le juge administratif a consacré la théorie de l'imprévision impliquant que le
cocontractant n'est pas à subir seul les conséquences du bouleversement.
- L'évènement doit être indépendant de la volonté des parties au contrat et indépendant de la volonté d'une
personne publique.
- L'évènement qui remet en cause les conditions d'exécution du contrat ne doit pas être prévisible par les parties
au moment de la conclusion du contrat. En général, il s'agira d'un évènement économique mais parfois il peut
s'agir d'un évènement naturel.
- L'évènement doit provoquer un bouleversement de l'économie générale du contrat : il faut que la situation crée
des charges plus importantes au détriment du cocontractant et remette en cause l'équilibre financier du contrat.
Mais, ce bouleversement doit être temporaire. C'est ce qu'a indiqué le CE dans l'arrêt du 9 décembre 1932
"Compagnie des tramways de Cherbourg".
Si les différentes conditions sont réunies, l'administration est tenue d'aider financièrement le cocontractant dès
lors que celui-ci ne peut plus faire face à ses obligations. Cette aide est motivée par la nécessité de garantir la
continuité du service public. En situation d'imprévision, l'absence d'une aide de la personne publique pourra
mettre en péril l'exécution du contrat. Toutefois, le cocontractant n'est pas autorisé à suspendre l'exécution du
contrat : dans tous les cas, il doit continuer à exécuter le contrat mais si cela est économiquement désastreux
pour lui. S'il ne se conforme pas à cette obligation, le cocontractant ne peut plus prétendre au versement d'une
indemnité d'imprévision de la part de la personne publique. Par conséquent, le seul fait que l'équilibre financier
du contrat soit compromis n'autorise pas le cocontractant à interrompre l'exécution du contrat. Cela l'autorise
uniquement à demander à la personne publique le versement d'une indemnité. Cela découle de la décision du
CE du 5 novembre 1982 Propétrol. Dans cet arrêt, les conditions de l'imprévision étaient réunies mais le
cocontractant avait cessé d'exécuter le contrat. Il ne pouvait donc plus prétendre à une indemnité.
Cette indemnité d'imprévision n'est jamais intégrale. Dans un premier temps, la fixation de l'indemnité sera tout
d'abord le fruit de négociations amiables entre les parties. Si elles ne parviennent pas à s'entendre, c'est le juge
administratif qui fixera le montant de cette indemnité. Puisque l'administration est étrangère à cet évènement, la
jurisprudence considère qu'elle n'a pas à en supporter toutes les conséquences financières. C'est pour cette
40
raison que l'indemnité ne couvre en général que 90% des charges nouvelles. Il y a une part de l'aléa laissé à la
charge du cocontractant.
S'il s'avère que le bouleversement n'est pas temporaire c'est-à-dire qu'aucun retour à l'équilibre initial du contrat
ne peut être envisagé, l'administration pourra demander au juge administratif de prononcer la résiliation du
contrat si cette résiliation ne peut être obtenue à l'amiable. Dans cette hypothèse de bouleversement qui n'est
pas temporaire, on ne se trouve plus dans le cadre de l'imprévision mais on s'inscrit dans le cadre de la force
majeure.
Exemple : arrêt du CE de 2000 "Commune de Staffelfelden".Dans cette espèce, une société était chargée
d'approvisionner la commune en eau potable. Le contrat prévoyait que l'eau provenait d'une source située à
proximité de la commune. Une grave pollution est survenue donc la source est déclarée inutilisable pour 200 ans.
Pour continuer à exécuter le contrat, la société a dû se procurer de l'eau ailleurs ce qui a provoqué une hausse
importante du coût d'approvisionnement. La société a donc demandé à la commune de revoir les conditions
financières d'exécution du contrat mais cette dernière a refusé. Le juge administratif a été saisi. Le CE a
prononcé la résiliation du contrat avec le versement d'indemnité au profit de la société, indemnité qui avait pour
objectif de compenser la hausse du coût d'approvisionnement que la société avait dû supporter. Dans cette
espèce, il s'agit d'un cas de force majeure administrative car, si l'exécution du contrat n'est pas rendue
impossible, les conditions de l'équilibre financier sont définitivement bouleversées. Ce n'est donc pas un cas
d'imprévision qui vise à palier une situation temporaire. Par conséquent, en cas de force majeure et faute
d'accord entre les parties, le contrat sera résilié et le cocontractant pourra prétendre à une indemnité
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Quatrième partie. Les recours contre
l'administration
- Le recours pour excès de pouvoir : recours visant à contester la légalité des actes administratifs :
Avant d'évoquer ces recours, il faut s'interroger sur les conditions permettant d'exercer un recours, conditions
communes à toutes les catégories de recours.
Cette procédure se caractérise par une dualité car les recours qui peuvent être engagés à l'encontre de
l'administration sont divisés en deux grandes catégories. Mais, quel que soit le recours envisagé, il y a des
exigences communes, exigences qui visent notamment le requérant (celui qui intente le recours) car il doit
justifier d'un certain nombre de conditions avant d'engager un recours. Par ailleurs, quel que soit le recours
envisagé, la procédure administrative obéit à certains caractères dont la portée a très récemment évolué sous
l'impact de la jurisprudence de la CEDH.
Deux grandes catégories : recours pour excès de pouvoir et recours de plein contentieux. La distinction entre ces
deux recours se fonde sur l'objet de la demande. Les prétentions du requérant ne sont pas les mêmes dans le
cadre d'un REP et dans le cadre d'un RPC.
Dans le REP, la question posée au juge est celle de la légalité d'un acte administratif. Exemple : un administré
prétend que la décision prise par un maire visant à lui refuser un permis de construire est illégale. Dans cette
hypothèse, il saisit le juge administratif d'un REP afin de lui demander d'annuler cette décision car elle est
contraire au principe de légalité. Selon Laferrière qui a théorisé la distinction entre REP et RPC, le REP est un
procès fait à un acte. Par conséquent, le REP se rattache au contentieux de la légalité que l'on qualifie également
de contentieux objectif car il soulève une question de droit objectif qui est lié à la violation d'une règle de droit. On
ne s'interroge pas sur les conséquences de l'illégalité dans le cadre du REP c'est-à-dire sur les éventuels
dommages subis par le requérant en raison de cette illégalité. Certains auteurs comme René Chapus qualifient le
REP comme un "recours d'utilité publique". Exemple : un recours dirigé contre un acte réglementaire qui aurait
pour objet de réduire les bourses d'études accordées aux étudiants. Si un requérant qui justifie avoir un intérêt à
agir (étudiant par exemple) exerce un REP contre ce texte et s'il est finalement annulé, cette décision bénéficiera
à tous les étudiants placés dans la même situation. L'acte réglementaire étant annulé, les restrictions qu'il
comporterait ne seront pas mises en œuvre.
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Dans le RPC, la prétention du requérant présente un caractère plus subjectif car la question qui est posée au
juge porte sur une situation juridique individuelle. Dans cette hypothèse, le requérant prétend avoir droit à
quelque chose que l'administration lui refuse. Il ne demande pas l'annulation d'un acte mais la reconnaissance
d'un droit à son profit. Il existe en principe deux principales applications du RPC :
- Le contentieux des contrats. Exemple : une entreprise passe un contrat avec l'administration en vue de la
construction d'un bâtiment public. Dans le contrat, la personne publique s'engage à payer une certaine somme
pour la réalisation des travaux et, si l'administration ne respecte pas cet engagement, l'entreprise pourra saisir le
juge administratif afin d'obtenir non pas l'annulation d'un acte mais pour obtenir de l'administration qu'elle
respecte ses obligations.
- Le contentieux de la responsabilité. Dans cette hypothèse, un administré est victime d'un dommage dont il
attribue la responsabilité à l'administration. Il saisit alors le juge administratif pour obtenir la réparation de ce
dommage. Exemple de l'arrêt Blanco du TC du 8 février 1873 : dans cette espèce, les parents d'Agnès Blanco
cherchait à obtenir réparation du préjudice subi par leur fille en raison de l'accident survenu dans le cadre de la
manufacture. C'est donc dans ce contexte que la question de savoir quel juge était compétent pour statuer sur la
responsabilité de l'Etat s'est posée. Donc, c'est dans le cadre d'un contentieux subjectif qu'a été rendu l'arrêt
Blanco. Le TC a considéré dans cet arrêt que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée que si certaines
circonstances le justifiaient et que seul le juge administratif pouvait être compétent en pareil cas.
Il existe d'autres différences entre le REP et le RPC, outre que les prétentions du requérant. Dans le cadre du
REP, le requérant est dispensé du ministère d'avocats. En revanche, dans le cadre du RPC, il faut avoir recours
au ministère d'avocats.
De plus, les conséquences de la décision du juge administratif varient dans l'un et l'autre cas. Dans le cadre du
REP, la décision du juge consistera simplement à dire si l'acte est légal ou non. Si l'acte est illégal, le requérant
verra ses prétentions accueillies favorablement et l'acte sera annulé. L'acte est censé n'avoir jamais existé. Mais,
depuis quelques années, le juge administratif s'autorise à moduler dans le temps les effets d'une annulation. Cela
découle de l'arrêt du CE du 11 mai 2004 "Association AC !". Cela signifie que le juge s'autorise à repousser
dans le temps les effets de l'annulation pour laisser à l'administration le temps d'adopter un nouvel acte qui sera
conforme au droit. L'annulation pure et simple d'un acte juridique peut engendrer des effets négatifs car cela
modifie brutalement une situation juridique. Pour éviter ces effets négatifs, le juge va moduler dans le temps sa
décision. Il considère par exemple que l'annulation ne prendra effet que dans les trois mois suivants la décision
ce qui laisse à l'administration le temps nécessaire pour adopter une nouvelle décision conforme au principe de
légalité. Néanmoins, cette possibilité de moduler dans le temps les effets d'une décision reste exceptionnelle. Le
principe est que lorsqu'un acte est annulé par le juge, cette annulation prend effet au jour de la décision et l'acte
est réputé n'avoir jamais existé.
Dans le cadre du RPC, la demande du requérant est plus complexe et, de ce fait, le juge doit apprécier la
situation juridique de l'administré et vérifier l'existence des droits dont l'administré prétend être titulaire. Par
exemple, il doit vérifier, dans le cadre d'un recours en responsabilité, que le requérant a été victime d'un
dommage et il doit vérifier que ce dommage est bien imputable à l'administration. Le juge doit aussi évaluer ce
dommage pour déterminer le montant de l'indemnité à laquelle l'administré peut prétendre. Mais surtout, le juge
administratif doit vérifier en premier lieu qu'il existe bien une décision administrative préalable. En effet, face à un
dommage causé par l'administration, l'administré ne peut pas saisir directement le juge administratif pour obtenir
réparation. Il doit, au préalable, s'adresser à l'administration pour lui demander de reconnaitre l'existence d'un
dommage et donc pour lui demander de l'indemniser. Si l'administration refuse ou si l'indemnisation ne couvre
pas l'intégralité de ses prétentions, l'administré pourra saisir le juge administratif. C'est la règle de la décision
43
administrative préalable. L'objectif est d'éviter un contentieux inutile car il se peut très bien que l'administration
reconnaisse sa faute et accepte, sans difficulté, d'indemniser l'administré.
Exemple : quelqu'un se retrouve atteint d'une maladie nosocomiale. Dans un premier temps, il faut saisir la
direction de l'hôpital pour lui demander de reconnaitre le dommage et de l'indemniser. Si elle accepte, il n'est pas
utile d'engager un RPC. En revanche, si elle refuse de reconnaitre le dommage, il faudra engager un recours en
responsabilité devant le juge administratif. Cette décision de refus permettra de satisfaire la règle de la décision
administrative préalable.
Dans le cadre des deux recours, il faut réunir un certain nombre de conditions. Elles sont communes au REP et
au RPC.
Cette première condition veut que le requérant démontre qu'il a un intérêt à agir cad qu'il doit démontrer qu'il a un
intérêt personnel à obtenir ce qu'il demande. Par exemple, s'il exerce un REP contre un décret, il doit démontrer
qu'il a un intérêt personnel à voir ce texte annulé. Cet intérêt peut être individuel ou collectif. Le juge administratif
admet la recevabilité des recours exercés par des groupements (associations, syndicats...) pour la défense de
l'intérêt collectif de leurs membres.
Exemple avec l'arrêt du CE du 28 novembre 1906 "Syndicat des patrons coiffeurs de Limoges" avec les
conclusions du commissaire du gouvernement Romieu. En l'espèce, le syndicat des patrons coiffeurs avait
intenté un recours pour faire annuler la décision du préfet de ne pas accorder de dérogations à tous les membres
de ce syndicat, dérogation qui visait à les autoriser à travailler le dimanche. Une loi du 13 juillet 1906 avait
instauré le repos hebdomadaire en prévoyant que des repos étaient possibles. Le CE a rejeté le recours du
syndicat en considérant que les dérogations devaient faire l'objet d'un examen individuel visant à tenir compte de
la situation de chacun des coiffeurs membres du syndicat. Cette demande de dérogation ne pouvait être sollicitée
par une organisation syndicale. Toutefois, en dépit de cette solution de rejet, cette décision est l'occasion pour
Romieu de préciser les conditions dans lesquelles les groupements peuvent agir devant le juge administratif pour
la défense d'intérêts collectifs. Il a rappelé le principe selon lequel "nul ne plaide par procureur" : il interdit à un
groupement d'agir pour la défense d'intérêt individuel. En l'espèce, dans la mesure où le recours introduit par le
syndicat visait à obtenir une dérogation au profit de certains membres du syndicat nommément désignés, le
recours du syndicat est considéré comme irrecevable. En d'autres termes, chacun des coiffeurs aurait dû intenter
lui-même un recours ou aurait dû donner mandat au syndicat pour faire le recours en son nom. En l'absence d'un
tel mandat, le recours est irrecevable.
Une décision rendue par le juge administratif peut être importante non pas par ce qu'elle dit mais plutôt par les
conclusions du commissaire du gouvernement qui guideront par la suite les autres décisions relatives au même
problème juridique. En l'espèce, la décision rejette le recours exercé par le groupement mais, elle permet au
commissaire du gouvernement de préciser les conditions qui doivent entourer l'exercice de tel recours. A travers
cet arrêt, il y a une illustration significative du caractère jurisprudentiel du droit administratif car cette décision
démontre que c'est le juge qui va, au fil de ses décisions, poser les règles de base du droit administratif. Cela
44
illustre également l'importance des conclusions du commissaire du gouvernement car, en l'espèce, c'est
l'argumentation construite par lui, visant à définir les conditions de recevabilité du recours introduit par les
groupements qui est intéressante.
Le requérant doit respecter des délais pour former son recours, sous peine que le recours soit forclos. La
forclusion entraine le rejet du recours par le juge. En droit administratif, le délai de droit commun est de deux
mois à compter de la notification s'il s'agit d'un acte individuel ou de la publication s'il s'agit d'un acte
réglementaire. Les décisions individuelles sont notifiées à l'intéressé. En revanche, les actes réglementaires sont
publiés au Journal Officiel ou dans les bulletins officiels des ministères ou dans les recueils des actes des
collectivités territoriales s'il s'agit d'un acte réglementaire local. Ce délai de deux mois vaut pour les REP et les
RPC. Mais, dans certains cas, le délai pour exercer un recours est plus bref. Par exemple, s'agissant des recours
introduits contre les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière, le
délai de recours est de 48h.
Les décisions prises par l'administration sont exécutoires de plein droit : c'est ce qu'on appelle le privilège du
préalablec'est-à-dire que l'administration n'a pas besoin de l'autorisation d'un juge pour pouvoir agir car elle agit
dans l'intérêt général. Cela signifie donc que les recours exercés contre les décisions administratives ne sont pas
suspensifs. Même si un recours est intenté, la décision continue de produire ses effets et donc d'être applicable.
Exemple : une décision qui autoriserait un commerçant à installer une terrasse sur le domaine public. Cette
autorisation lui est accordée. L'association des riverains estime que l'activité est trop bruyante le soir et intente un
recours contre la décision d'autorisation de l'administration. Cette décision continue à s'appliquer en dépit de
l'exercice d'un recours contentieux. Ce n'est que lorsque le juge administratif aura statué et aura annulé cette
décision que le commerçant devra retirer sa terrasse.
La procédure administrative contentieuse présente 4 grands caractères : elle est écrite, secrète, inquisitoriale et
contradictoire. Le caractère contradictoire a donné lieu récemment à des décisions importantes sous l'impact de
la CEDH.
A. Le caractère écrit
Cela veut dire qu'elle repose sur des mémoires, sur des contre-mémoires et sur les conclusions du commissaire
du gouvernement appelé aujourd'hui le rapporteur public. Concrètement, lorsqu'un requérant saisit le juge
administratif, il rédige un mémoire. En défense, l'administration peut rédiger un contre-mémoire. Quant au
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commissaire du gouvernement, il rédige des conclusions sur la solution que lui parait appeler le litige. Le
commissaire du gouvernement n'est pas le défenseur du gouvernement : c'est un membre de la juridiction qui,
selon l'article 6 du Code de la justice administrative, "doit faire connaitre en toute indépendance ses
conclusions cad son appréciation sur les circonstances de fait de l'espèce et sur les règles de droit applicables
ainsi que son opinion sur les solutions qu'appelle le litige soumis à la juridiction". Le commissaire du
gouvernement doit donc prendre position sur le litige en indiquant quelle solution il convient de lui apporter au
regard des faits et au regard des règles de droit applicables. Il formule son opinion dans des conclusions écrites.
Ses conclusions vont aider les juges à se faire une opinion sur le litige et à dégager une solution. Certes, la
formation de jugement n'est pas tenue de suivre la solution proposée par le commissaire du gouvernement mais,
dans la plupart des cas, elle rend des décisions qui sont conformes aux conclusions du commissaire. Ses
conclusions écrites sont également d'une grande utilité pour les juristes pour mieux comprendre le raisonnement
du juge car les décisions sont généralement rédigées en des termes laconiques. Les observations orales ne font
que rappeler le contenu des mémoires.
B. Le caractère secret
C'est la procédure et plus précisément l'instruction qui est secrète c'est-à-direque les documents ne sont
communiqués qu'aux partis. En revanche, les audiences sont publiques. Mais, le délibéré est secret. Il se fait en
dehors de la présence des parties, dans le souci de garantir l'indépendance des juges (Le tribunal fédéral suisse
délibère en public).
C. Le caractère inquisitorial
La procédure est inquisitoriale c'est-à-dire qu'elle est dirigée par le juge et non par les parties comme en droit
civil. Cela signifie que c'est le juge qui fixe les délais de production des mémoires et il lui appartient également de
prendre une ordonnance de clôture de l'instruction lorsqu'il estime que l'affaire est en état d'être jugée. C'est
encore au juge qu'il revient de rechercher les preuves en demandant par exemple à l'administration de
communiquer les documents nécessaires à la résolution du litige. Au contraire, en droit civil, le juge n'agit que sur
requête des parties.
Cela signifie que les parties doivent pouvoir échanger librement leurs arguments et avoir connaissance des
documents produits par la partie adverse pour pouvoir les discuter devant le juge. Ce principe du contradictoire
entre plus largement dans les droits de la défense : article 6, paragraphe 1, de la CESDH qui énonce le droit à
un procès équitable. C'est cette disposition qui a fait l'objet de décisions importantes de la CEDH à propos du
commissaire du gouvernement. Ce commissaire du gouvernement rédige des conclusions sur la solution que lui
parait appeler le litige. Son rôle est défini par l'article 6 du Code de la justice administrative. C'est donc un
membre de la juridiction administration qui a un rôle particulier : il est chargé de prendre position sur le litige en
indiquant quelle solution il faut lui apporter. Ce commissaire du gouvernement formule son opinion avant le
délibéré dans des conclusions écrites. Ces conclusions vont aider la formation de jugement à se faire une opinion
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sur le litige. Dans une décision du 7 juin 2001 "Kress", la CEDH a été amenée à se prononcer sur la
compatibilité de la procédure juridictionnelle suivie devant le juge administratif avec l'article 6, paragraphe 1, de la
CESDH. Plus précisément, c'est la place du commissaire du gouvernement pendant l'instance qui a posé
problème. Mme Kress contestait de ne pas pouvoir répliquer aux conclusions du commissaire du gouvernement.
En effet, lors de l'audience, le commissaire parle en général en dernier et prononce ses conclusions pour la
première fois donc les parties n'en ont pas connaissance avant l'audience. Mme Kress a estimé devant la CEDH
qu'une telle pratique était contraire au droit à un procès équitable. Mais, la CEDH n'a pas suivi la requérante.
Pourquoi ? Elle a considéré que les avocats qui le souhaitaient pouvaient demander au commissaire du
gouvernement avant l'audience le sens général de ses conclusions. Cela permet aux parties de savoir en faveur
de qui le commissaire va conclure. En réalité, les parties peuvent répliquer aux conclusions par une note en
délibéré. Après avoir entendu les conclusions du commissaire du gouvernement lors de l'audience, les parties et
leurs avocats peuvent rédiger une note répondant à l'argumentation du commissaire si celle-ci leur est
défavorable. Cette note sera utilisée par les juges au moment du délibéré. Donc, contrairement à ce qu'avançait
Mme Kress, il est possible de répliquer au commissaire du gouvernement. Ce n'est donc pas sur ce point que le
commissaire est mis en défaut par la CEDH.
Désormais, c'est la solution issue du 1er août 2006 qui s'applique. Cela montre l'influence du droit de la CESDH
sur le droit administratif français.
Plus récemment, un autre décret a été adopté le 7 janvier 2009 visant à changer le nom du commissaire du
gouvernement. On l'appelle aujourd'hui le rapporteur public. Mais, ce texte ne modifie pas les modalités
d'intervention du rapporteur public lors de l'audience. Si le rapporteur est bien membre de la juridiction, il n'est
pas membre de la formation de jugement. En définitive, au nom du droit à un procès équitable, l'institution du
commissaire du gouvernement, devenu rapporteur public, a dû évoluer.
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Chapitre 2. Le contrôle de légalité exercé sur les actes administratifs
Dans le cadre de son action, l'administration est amené à adopter des actes soumis au respect du principe de
légalité ce qui implique que les actes administratifs doivent respecter les règles de rang supérieur. Si ce n'est pas
le cas, un recours en annulation est envisageable, recours permettant au juge administratif d'annuler l'acte illégal.
Ce recours ne concerne que très marginalement les contrats : il s'applique essentiellement aux actes
administratifs unilatéraux. Lorsque l'acte administratif est jugé contraire au principe de légalité, il sera annulé car
la nullité constitue la sanction du principe de légalité. C'est une conséquence importante du principe de légalité
car tout acte contraire à ce principe doit être effacé de l'ordonnancement juridique. Cette annulation a aussi un
effet erga omnes c'est-à-dire qu'elle vaut à l'égard de tous. Concrètement, un acte annulé par le juge administratif
ne sera ni opposable ni invocable et cela vaut pour tous les administrés et non pas seulement pour celui qui a
intenté un recours. Cet effet est contraire à la règle habituelle de l'autorité relative de la chose jugée qui limite aux
seules parties l'effet des jugements. Cette annulation est rétroactive donc l'administration doit faire disparaitre les
effets de l'acte.
Ce contrôle de légalité peut être juridictionnel cad que toute personne qui justifie d'un intérêt à agir peut saisir un
juge afin de faire sanctionner une illégalité. Mais, il existe d'autres voies pour faire reconnaitre une illégalité.
En France, coexistent deux modalités différentes de contrôle de la légalité. Il y a le contrôle administratif qui
implique que l'illégalité soit reconnue par l'administration elle-même. De plus, il y a le contrôle juridictionnel qui
fait intervenir le juge administratif. S'agissant du contrôle administratif, il peut être exercé selon deux modalités.
- Le contrôle administratif peut être exercé par le supérieur hiérarchique de l'agent qui a adopté l'acte. Cela
suppose d'exercer un recours hiérarchique. En pratique, l'administré qui estime que l'administration a adopté un
acte illégal n'est pas nécessairement tenu de saisir un juge pour faire annuler cet acte. Il peut, dans un premier
temps, former un recours hiérarchique auprès du supérieur de l'agent qui a adopté l'acte et il demande au
supérieur de revenir sur l'acte en question. Ce n'est pas un recours juridictionnel : c'est un recours administratif
qui ne fait pas intervenir le juge administratif.
Exemple : le père d'un élève est mécontent de la décision prise par un proviseur de confiscation du portable
utilisé pendant un cours. Le père estime que cette décision est illégalecar elle porte atteinte au droit de propriété.
Au lieu de s'adresser en premier lieu au juge et d'intenter une procédure juridictionnelle assez longue, le père de
l'élève peut en premier lieu adresser un recours hiérarchique à l'inspecteur de l'académie qui est le supérieur du
proviseur. Si l'inspecteur annule la décision, le père aura obtenu satisfaction sans avoir à saisir un juge. Si tel
n'est pas le cas, le père pourra ensuite exercer un recours en annulation devant le juge administratif.
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- Le contrôle administratif peut également être exercé par l'agent qui a pris la décision : c'est un recours gracieux.
L'administré demande à l'auteur de la décision de revenir sur celle-ci en l'abrogeant (disparition pour l’avenir) ou
en la retirant (disparition rétroactive). Si le recours gracieux n'aboutit pas, l'administré pourra ensuite saisir le juge
administratif. Il est particulièrement présent dans le domaine de l'administration fiscale. Le contribuable va utiliser
ce recours gracieux pour demander à l'administration fiscale de calculer à nouveau le montant de son impôt s'il
s'aperçoit d'une inégalité. L'intérêt de ce recours est d'éviter à l'administré de mettre en œuvre un recours
contentieux. Toutefois, il existe une différence substantielle entre un recours administratif et un recours
contentieux. Toute décision de justice bénéficie de l'autorité de la chose jugée ce qui n'est pas le cas du contrôle
administratif. Si le recours administratif ne produit de conséquences qu'à l'égard de l'auteur du recours, il n'a pas
d'effet erga omnes.
Il y a deux modalités de mise en œuvre du contrôle juridictionnel : le recours par voie d'action et l'exception
d'inégalité. Le recours par voie d'action suppose de saisir le juge administratif d'un recours en annulation dirigé
directement contre l'acte litigieux. En revanche, dans l'exception d'inégalité, le requérant conteste de manière
incidente la légalité de l'acte litigieux.
Exemple : un requérant veut obtenir l'annulation d'un décret en saisissant le juge administratif d'un recours en
annulation dans les deux mois suivant la publication du texte. Mais, une fois ce délai dépassé, l'acte ne peut plus
faire l'objet d'un recours direct en contestation de légalité. Mais, le requérant peut demander l'annulation d'une
décision prise par l'administration sur le fondement de ce décret en avançant le fait que cette décision a été prise
sur la base d'un décret illégal. Ici, ce n'est pas l'annulation du décret qui est demandée mais l'annulation de la
décision prise sur la base du décret. L'annulation pourra être obtenu si le requérant démontre que le décret est
illégal. La décision sera illégale car prise sur la base d'un acte réglementaire contraire au droit. Le décret ne sera
pas annulé car le délai de recours contre lui est expiré. Mais, il sera écarté dans le litige en cause donc le juge
n'en fera pas application. C'est uniquement la décision prise sur la base du décret qui pourra être annulée.
Le recours par voie d'action et l'exception d'inégalité produisent des effets différents. Le recours en annulation
tend directement à faire annuler par le juge l'acte illégal. L'exception d'illégalité tend seulement à faire écarter son
application à un litige donné. Mais, l'acte subsiste tout de même dans l'ordonnancement juridique : il ne sera pas
annulé. Il devra donc être écarté lors de chaque nouveau procès. Mais, à la différence du recours en annulation
qui est enfermé dans des délais assez brefs (2 mois), l'exception d'illégalité peut être soulevée à tout moment : il
n'y a pas de conditions de délais.
Exemple : un décret adopté le 15 octobre 2010, publié au JO le lendemain. Il porte sur les conditions permettant
de bénéficier d'une prime pour l'achat d'un véhicule essence en échange d'un véhicule diesel. Sur la base de ce
décret, l'administration fiscale prend une décision le 5 janvier 2011 qui refuse à un particulier l'octroi de cette
prime. Celui-ci souhaite contester la légalité de la décision car il estime qu'elle a été adoptée sur la base d'un
décret lui-même illégal car il serait contraire à une directive de l'Union Européenne. Il ne peut pas exercer un
recours par voie d'action car le délai de recours est expiré. Mais, il peut, par la voie de l'exception, contester la
légalité du décret. Concrètement, il exerce un recours en annulation contre la décision qui lui refuse l'octroi de la
prime en prétendant qu'elle a été prise sur la base d'un décret illégal. Si le juge administratif admet l'illégalité du
décret, il annulera la décision de refus de l'administration sans annuler le décret. Le juge écartera l'application du
texte et il en sera de même dans tous les procès similaires. Généralement, dans une telle hypothèse,
l'administration ne laisse pas subsister le décret. Pour éviter de nouveaux recours contentieux, elle va remplacer
le décret litigieux par un autre conforme au droit.
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L'exception d'inégalité ne joue généralement qu'à l'encontre des actes réglementaires ce qui signifie qu'on ne
peut pas l'invoquer à l'encontre d'une décision individuelle. En revanche, on peut former un recours en annulation
à l'encontre d'une décision individuelle et à l'encontre d'un acte réglementaire.
En France, le REP constitue historiquement l'instrument du contrôle de la légalité administrative par le juge
administratif. Dans sa décision du 23 janvier 1987 "Conseil de la prudence", le CC a rappelé que figure au
nombre des PFRLR, le principe selon lequel "l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire,
relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation ou la réformation de
décisions prises dans l'exercice de prérogatives de puissance publique par les autorités exerçant le pouvoir
exécutif, leurs agents, les CT de la République ou les organismes placés sous leur autorité ou leur contrôle". Le
CC a désigné le REP. Le REP désigne tout recours contentieux par lequel tout intéressé peut demander au juge
administratif de reconnaitre qu'une décision administrative est illégale et d'en prononcer l'annulation. Jusqu'à la
réforme de 1953 qui a créé les tribunaux administratifs, le REP était toujours porté devant le CE. Mais, depuis le
décret du 30 septembre 1953, il est porté en premier ressort devant les tribunaux administratifs et, depuis 1995,
l'appel a lieu devant les cours administratives d'appel. Le CE est devenu le juge de cassation. Il y a néanmoins
une exception s'agissant des REP formés à l'encontre des décrets.
Un REP formé contre un décret est porté directement devant le CE. Lorsqu'il est saisi d'un REP, le juge
administratif va se poser différentes questions : la recevabilité du recours pour ensuite apprécier la légalité de
l'acte. Il y a 4 conditions de recevabilité :
- Condition relative à la nature de l'acte : il doit s'agir d'un acte administratif faisant grief (mesure d'ordre intérieur:
ne fait pas grief par exemple).
- Condition relative au requérant : il doit justifier d'un intérêt personnel à agir (individuel ou collectif).
- Condition de délais : le recours doit être formé dans les 2 mois suivants la publication de l'acte ou sa notification
si c'est une décision individuelle.
- Le recours doit normalement indiquer les moyens d'annulation invoqués (Pas de condition de forme, pas de
ministère d'avocats) + toujours joindre la décision ou l'acte que l'on attaque.
D'emblée, la notion de violation de la loi n'est pas des plus éclairantes car elle désigne en réalité la violation de la
légalité d'où un effort de précision dans la présentation moderne des cas d'annulation. A l'incompétence, au vice
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de forme et au détournement de pouvoir, sont ajoutés deux autres cas d'annulation qui découlent de la violation
de la loi : l'illégalité en raison du contenu de l'acte et l'illégalité en raison des motifs de l'acte. Cela tend à
démontrer toutes les subtilités du REP car il ne s'agit pas de dire que l'acte n'est pas conforme au droit : le juge
doit également préciser en quoi cet acte est illégal.
Certains de ces cas d'annulation sont d'ordre public ce qui signifie que le juge administratif les relèvera d'office
même si l'auteur du recours ne les a pas mentionnés dans sa requête. C'est le cas de l'incompétence de
l'autorité auteur de la décision : si lors de son contrôle, le juge s'aperçoit que l'autorité est incompétente, le juge
soulèvera ce moyen c'est-à-dire qu'il va l'examiner même si le requérant ne l'a pas invoqué à l'appui de son
recours. Ce moyen présente une telle gravité qu'il doit pouvoir être contrôlé en tout état de cause, même si les
parties ont oublié de le mentionner. Pour bien comprendre quels sont les fondements juridiques d'un REP, il
convient de distinguer entre les moyens de légalité externe et les moyens de légalité interne. Cela met en lumière
les deux grandes causes juridiques auxquels on peut rattacher les différents cas d'annulation. Cette distinction
entre légalité interne et légalité externe est issue de l'arrêt du CE du 20 février 1953 "Société Intercopie".
Pourquoi cette distinction ? Elle permet de dissocier selon que l'on conteste la manière dont l'administration a
décidé ou le contenu même de la décision.
Dans ce cas, le requérant conteste la manière dont l'administration a décidé mais ce n'est pas le contenu qui est
mis en cause. Cette légalité externe concerne l'incompétence, le vice de forme et le vice de procédure.
1. L'incompétence
C'est le vice qui entache une décision lorsque son auteur n'avait pas le pouvoir de la prendre cad qu'il n'était pas
juridiquement habilité à adopter la décision. C'est le vice d'illégalité le plus grave. En effet, les agents publics
n'ont de pouvoir que dans les limites des textes qui fixent leurs attributions. Au-delà de ces textes, ils cessent de
participer à la puissance publique. C'est pourquoi les règles de compétence sont d'ordre public. C'est un moyen
d'ordre public. Il existe plusieurs variétés d'incompétence :
- L'incompétence matérielle ou l'incompétence en raison de la matière (ratione materiae). Dans ce cas, l'autorité
administrative intervient dans une matière qui ne relève pas de sa compétence : elle est en dehors de son champ
d'attributions. Par exemple, un conseil municipal adopte un règlement de police administrative afin de limiter les
nuisances sonores dans le centre-ville de la commune alors que cela relève de la seule compétence du maire.
C'est en effet le maire et non l'organe délibérant qui dispose du pouvoir de police administrative dans une
commune. Le conseil municipal est intervenu en dehors de son champ d'attribution => cas d'incompétence
ratione materiae.
- L'incompétence ratione locic'est-à-dire les hypothèses d'incompétence territoriale. Dans ce cas, cela suppose
qu'une autorité administrative adopte une décision concernant une affaire étrangère à sa circonscription. C'est le
cas d'un maire qui accorderait un permis de construire sur un terrain situé en dehors de sa commune. Arrêt du
CE du 6 juillet 1990 "Baptiste" : un inspecteur des impôts avait notifié un redressement fiscal à un contribuable
qui n’était pas domicilié dans sa circonscription d'action => cas d'incompétence ratione loci.
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- L'incompétence ratione temporis (incompétence temporelle). Au moment où l'autorité administrative a pris la
décision, elle n'avait pas encore ou elle n'avait plus le pouvoir de le faire. Arrêt du CE du 27 avril 1973
"Demoiselle Serre" : il s'agissait d'une décision prise par un préfet alors qu'il n'était pas encore officiellement
installé dans ses fonctions.
2. Le vice de procédure
Tout acte administratif est soumis à un certain formalisme impliquant qu'il soit adopté dans le respect d'une
procédure particulière qui peut imposer des consultations obligatoires ou la mise en œuvre d'une procédure
contradictoire. Dans ce dernier cas, avant d'infliger une sanction à une fonctionnaire, l'autorité administrative doit
mettre en place une procédure contradictoire qui permettra à l'agent de présenter ses observations et de se
défendre. Si de telles règles de procédure ne sont pas respectées, la décision est illégale pour vice de procédure.
Cela n'empêche pas l'administration de reprendre ensuite la même décision en respectant les règles de
procédure car ce n'est pas le fond de l'acte qui est contesté. Mais, seuls les vices substantiels sont sanctionnés
par le juge administratif qui a construit une jurisprudence visant à rejeter tout formalisme excessif. Le juge
administratif n'annulera pas un acte pour vice de procédure dès lors que la prescription procédurale n'a aucune
conséquence sur la décision à prendre ou sur les droits des administrés. Cela évite de devoir annuler des
décisions pour la moindre erreur. Par exemple, si l'autorité administrative a omis de respecter une obligation
d'informer les administrés avant de prendre une décision, le juge administratif ne retiendra pas nécessairement le
vice de procédure. Il ne s'agit que d'une formalité non substantielle et le non-respect de cette procédure peut
n'avoir que des conséquences limitées. En revanche, s'il apparait que cette obligation d'information a une
incidence sur l'étendue des droits des administrés, elle sera considérée comme substantielle. Est ainsi une
formalité substantielle l'obligation d'informer un agent public menacé de sanction des griefs qu'on lui reproche et
de lui communiquer son dossier. Cette obligation d'information est indispensable pour lui permettre d'exercer sa
défense. Le non-respect d'une procédure n'entrainera l'annulation de la décision que si la formalité est
considérée comme substantiellec'est-à-dire si elle produit des conséquences sur le fond de la décision ou sur la
garantie des droits des administrés.
3. Le vice de forme
Le vice de procédure affecte le processus de formation, d'élaboration de la décision. Le vice de forme concerne
la présentation de la décision. Cela concerne la signature de l'acte par son auteur : un acte qui ne serait pas
signé pourrait être annulé pour vice de forme car cela jette un doute sur l'autorité qui a réellement pris la décision.
De la même manière, l'absence de contreseing ministériel, alors que cela était requis, fait encourir à l'acte une
annulation pour vice de forme.
Dans la légalité interne, on conteste ce qui a été décidé par l'administration et non la manière dont elle a décidé.
A cet égard, il faut distinguer l'illégalité en raison du contenu de l'acte, en raison de ses motifs ou en raison de
son but.
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1. L'illégalité en raison du contenu de l'acte
C'est ce que l'on qualifie également de violation directe de la loi en doctrine et en jurisprudence. Dans ce cas, le
contenu de l'acte est en contradiction avec une règle de droit qui lui est supérieure => non-respect de la
hiérarchie des normes. C'est le cas par exemple si un décret est contraire à une disposition législative ou si une
décision individuelle est contraire à une règle à caractère réglementaire. Exemple : arrêt du 1973 du CE "Dame
Peynet". Il existe un PGD interdisant un tel licenciement => la décision individuelle de licencier la requérante est
illégale. L'illégalité en raison du contenu de l'acte est une modalité très simple de l'illégalité interne car
l'annulation est fondée sur le principe de légalité et plus précisément sur la non-conformité de l'acte à ce principe.
Il s'agit de s'interroger sur la légalité de la cause de l'acte c'est-à-dire sur la légalité des raisons qui sous-tendent
l'adoption de l'acte. L'illégalité en raison des motifs consiste à analyser les raisons de droit et de fait invoquées à
l'appui d'une décision. Cela la jurisprudence, il y aura illégalité des motifs s'il y a une erreur de droit, une erreur
dans la qualification juridique des faits ou une erreur de fait.
a. L'erreur de droit
Le juge parle explicitement d'erreur de droit (ou motifs juridiquement erronés) ce qui va faciliter son identification.
Il y a trois hypothèses dans lesquelles on peut rencontrer une erreur de droit.
- Elle peut résulter de la mise en œuvre d'une norme inexistante ou inapplicable. Le juge considère alors qu'il y a
erreur quant à la base légale sur laquelle la décision a été prise. Exemple : pour refuser un permis de construire,
un maire se fonde sur un plan local d'urbanisme qui n'a pas encore été publié et qui donc n'est pas opposable
aux administrés. Il y a donc erreur quant à la base légale =>arrêt du CE du 7 juillet 1976 "Epoux Arnaud".
Autre exemple : arrêt du CE du 2 février 1987 "Société TV6". Le gouvernement a commis une erreur de droit
en se fondant, pour résilier une concession de services publics, sur un projet de lois dont l'aboutissement, le
contenu et les conséquences ne pouvaient être tenus pour certains à la date à laquelle la décision a été prise.
Cela ne signifie pas que l'autorité administrative n'est pas en mesure de se fonder sur un projet de lois ou de
règlement pour adopter une décision mais il faut qu'à la date de la décision il n'y ait aucun doute quant au
contenu et à l'aboutissement de ce projet. Pour des raisons d'intérêt général, il peut être justifié sur la base d'un
texte qui n'est pas encore définitivement adopté. Mais, il faut être sûr qu'il le sera finalement et il faut être sûr de
son contenu.
- Elle peut découler du rattachement de la décision édictée à une norme illégale. L'auteur de la décision a cru
pouvoir se fonder sur un texte mais ce texte est, en réalité, illégal. Par exemple, il y a erreur de droit dans
l'hypothèse où une décision administrative mettrait fin aux fonctions d'un agent public en se fondant sur un acte
réglementaire illégal.
- Elle peut tenir dans le rattachement de la décision à une norme légale mais qui a fait l'objet d'une mauvaise
interprétation. Dans cette hypothèse, ce n'est pas la légalité de la norme qui a servi de fondement qui est mise en
cause mais c'est l'interprétation que l'administration a retenu. Exemple : arrêt du CE du 28 mai 1954 "Barel".
Etait attaquée la décision d'un ministre qui avait fait la liste des candidats admis à se présenter au concours de
l'ENA. Certains candidats avaient été exclus de cette liste en raison de leur appartenance politique (communiste).
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Ces candidats avaient formé un REP. Le ministre avait adopté la décision attaquée car il s'était cru autorisé à
considérer que le principe d'égalité d'accès aux emplois publics pouvait s'accommoder de discriminations liées
aux opinions politiques des candidats. D'après le CE, le ministre a fait une mauvaise interprétation du principe
d'égalité d'où la sanction d'erreur de droit. Autre exemple : arrêt du CE du 27 juillet 1990 "Université de Paris
Dauphine".Le Président de cette université avait fait une mauvaise interprétation d'une loi de 1984 et il s'était cru
autorisé à refuser une inscription alors que les capacités d'accueil de son université n'étaient pas dépassées. En
vertu de la loi de 1984, ce n'est que dans cette hypothèse que les inscriptions à l'université pouvaient être
soumises à l'autorisation du Président de l'université. Or, en l'espèce, les conditions posées par la loi n'étaient
pas réunies. Le CE considère donc que le Président de l'université s'est livré à une mauvaise interprétation de la
loi d'où l'erreur de droit. Il ne faut pas confondre cette dernière hypothèse d'erreur de droit avec l'illégalité en
raison du contenu c'est-à-dire la violation directe de la loi. En cas de violation directe de la loi, l'administration
adopte un acte sans prendre en compte la norme de rang supérieur. Or, cet acte s'avère contraire à cette loi.
Dans l'hypothèse de l'erreur de droit, l'administration a pris en compte la norme supérieure mais elle en a fait une
mauvaise interprétation cad qu'elle a cru que cette norme l'autorisait à agir comme elle l'a fait alors que ce n'était
pas le cas.
Toute décision administrative est prise en considération des faits. Mais, pour que cette décision soit légale, il faut
que son auteur ne se soit pas trompé sur la qualification juridique des faits qu'il a pris en considération. Il faut que
les faits soient de nature à justifier juridiquement la décision. Ce contrôle de la qualification juridique des faits a
été inauguré par le CE dans l'arrêt Gomel du 4 avril 1914.En l'espèce, une demande de permis de construire en
bordure de la place Beauvau à Paris avait été rejetée au motif que la construction envisagée porterait atteinte à
une perspective monumentale. En d'autres termes, la construction porterait atteinte à l'esthétique de cette place.
Le CE a alors dû déterminer si la décision de refus était légale. Pour cela, il a dû indiquer si la place Beauvau
pouvait être qualifiée de perspective monumentale. Le CE répond négativement ce qui signifie que les faits, à
savoir la physionomie de la place, n'étaient pas de nature à justifier juridiquement la décision. Cet arrêt Gomel est
l'arrêt qui ouvre la voie au contrôle de la qualification juridique des faits et ce contrôle a connu de nombreux
développements dans la jurisprudence extérieure. C'est le cas par exemple d'un arrêt du CE du 17 avril 1970
"CFDT".Le CE a eu à statuer sur la légalité d'une décision prise par l'administration visant à considérer que la
CFDT était une organisation syndicale représentative ce qui lui donnait droit à un siège au sein de la Commission
supérieure des conventions collectives. Le contrôle de la qualification juridique des faits supposait de vérifier que
la CFDT était bien une organisation syndicale représentative. Plus précisément, le CE a dû vérifier que les voix
obtenues par la CFDT aux différentes élections professionnelles (les faits) justifiaient bien la qualification
juridique d'organisation syndicale représentative. Autre exemple : arrêt du CE du 6 avril 1998 "Société ASP".Le
CE a eu à apprécier si une série de téléfilms pouvait être qualifiée d'œuvre d'expression originale française. Le
juge administratif a dû indiquer si ces téléfilms pouvaient se faire refuser cette qualification. Le CE a donc exercé
un contrôle sur la méthode retenue par le CSA pour comptabiliser le temps des dialogues en français et en
langues étrangères. Il a estimé que le CSA avait fait une appréciation inexacte de la notion d'œuvre d'expression
original française. Les faits c'est-à-dire les téléfilms avaient fait l'objet d'une qualification juridique erronée. Ce
contrôle de la qualification juridique des faits se rencontre également en matière de liberté publique. Le juge a
ainsi été amené à contrôler la légalité de la décision d'un maire interdisant une réunion au motif qu'elle serait de
nature à troubler gravement l'ordre public =>arrêt de 1933 "Benjamin".En l'espèce, le CE a prononcé l'illégalité
de la décision car il a estimé qu'il y avait une erreur de qualification juridique des faits : il a considéré que la
réunion n'était pas de nature à troubler gravement l'ordre public. Ce contrôle de la qualification juridique des faits
se retrouve également dans le contentieux de la fonction publique notamment dans le contentieux disciplinaire
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=>arrêt du CE du 13 mars 1953 "Teissier". Le CE a été amené à confirmer la qualification de faute disciplinaire.
Il a estimé qu'était bien constitutif d'une faute le fait pour le directeur du CNRS d'avoir signé une lettre ouverte
injurieuse pour le gouvernement de l'époque. Les faits, à savoir la signature de cette lettre ouverte, étaient bien
constitutifs d'une faute : ils étaient donc de nature à justifier la décision de sanction prise par le gouvernement.
c. L'erreur de fait
Elle a été consacrée par un arrêt du CE du 14 janvier 1916 "Camino".Pour qu'une décision soit légale, il faut
que les faits en raison desquels la décision a été prise soient de nature à la justifier juridiquement. Mais, il faut
également que la matérialité de ces faits soit établie. Cela signifie que le juge doit vérifier la réalité des faits c'est-
à-dire leur exactitude matérielle. Dans cette espèce, était contestée la décision du gouvernement de révoquer un
maire au motif qu'il n'avait pas veillé à la décence d'un convoi funèbre. On lui reprochait d'avoir fait entrer le
cercueil dans le cimetière par une brèche ouverte dans l'enceinte du cimetière et d'avoir fait creuser une fausse
trop petite pour marquer son mépris à l'égard du défunt.Dans cette espèce, le CE énonce pour la première fois
qu'il lui appartient de vérifier la matérialité des faits qui ont justifié la décision. Le juge ne peut ignorer les faits à
l'origine d'une décision. C'est pour cette raison qu'il contrôle l'erreur de fait. Autre exemple : arrêt du CE de 1981
"Konaté".Le CE annule la décision d'expulsion d'un étranger, décision prise au motif que cette personne se
serait rendu coupable de violence. Le juge exerce un contrôle de la matérialité des faits et il estime qu'aucune
preuve ne permettait d'étayer les accusations invoquées. Dès lors, la réalité des faits à l'appui de la décision n'est
pas établie : décision entachée d'erreur de fait.
Attention : Ne pas confondre erreur de fait et erreur de la qualification des faits. Exemple : hypothèse d'une
sanction disciplinaire infligée à un agent public ayant commis une faute. Le contrôle de l'erreur de fait consiste à
rechercher si l'agent a réellement commis les faits qu'on lui reproche. Le contrôle de la qualification juridique des
faits consiste à déterminer si ces faits sont bien qualifiables de faute et s'ils peuvent justifier une sanction.
Il ne faut pas confondre les motifs de l'acte et le but. Les motifs sont des données objectives : ce sont les raisons
de fait et de droit qui ont conduit l'administration à adopter la décision contestée. Le but est une donnée
subjective : il se fonde sur l'intention de l'autorité administrative (sur ce qu'elle avait en tête au moment où elle a
adopté la décision).S'il s'avère que l'administration a agi dans un autre but que celui qu'elle devait poursuivre,
son acte sera entaché de détournement de pouvoir. Selon la formule jurisprudentielle consacrée, le
détournement de pouvoir désigne l'hypothèse dans laquelle l'administration a utilisé l'un de ses pouvoirs dans un
autre but que celui en vue duquel il lui a été conféré. Le détournement de pouvoir sanctionne la mauvaise foi de
l'administration. Ce contrôle du but a été utilisé pour la première fois par le CE dans une décision du 26
novembre 1875 "Pariset et Laumonnier-Carriol". Il y a deux hypothèses de détournement de pouvoirs :
- L'autorité administrative a agi en poursuivant des fins privées étrangères à toute finalité d'intérêt général.
Exemple : décision du CE du 16 novembre 1900 "Maugras". Un agent de police dresse un procès-verbal à un
débit de boissons en raison d'une infraction commise à la législation. Mais, le propriétaire de ce débit de boissons
était parent avec la domestique du maire. L'agent de police se vit alors sanctionné par le maire qui a pris une
décision de révocation. Le détournement de pouvoir est flagrant : le maire n'a pas agi dans l'intérêt général mais
pour satisfaire des intérêts privés. Autre exemple : la décision de créer un emploi public dans le seul but de
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procurer un avantage de carrière à un agent et non dans le but de satisfaire un besoin => détournement de
pouvoir : arrêt du CE de 1998 "Ville de Nice".
- Elle vise des décisions prises dans l'intérêt public mais, en adoptant la décision litigieuse, l'autorité
administrative a poursuivi un intérêt public autre que celui pour lequel elle pouvait légalement agir. La
jurisprudence fournit de nombreux exemples s'agissant de l'utilisation du pouvoir de police par les maires. Arrêt
du CE du 4 juillet 1924 "Beaugé" : le maire de Biarritz avait pris, dans l'exercice de son pouvoir de police un
arrêté qui interdisait aux baigneurs de se dévêtir et de se rhabiller ailleurs que dans les établissements de bain
installés sur la plage. On pourrait croire, compte tenu de l'époque, que le maire avait agi pour préserver la morale
publique. En réalité, il avait agi dans l'intérêt financier de sa commune car les établissements de bain étaient
source de revenus. Le maire a commis un détournement de pouvoircar il a fait usage de son pouvoir de police,
non pas pour préserver l'ordre public, mais pour servir l'intérêt financier de la commune. Il a utilisé son pouvoir de
police dans un autre intérêt que celui pour lequel il était investi.
Cette distinction a une influence sur l'étendue du contrôle juridictionnel. L'administration est en situation de
compétences liées lorsque le contenu de la décision qu'elle doit prendre est dicté par un texte. Inversement, elle
est placée en situation de pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle a le pouvoir de choisir entre deux décisions ou deux
comportements. En situation de pouvoir discrétionnaire, elle a la possibilité de fixer le contenu de la décision
dans le respect du principe de légalité. Dans bons nombres de situation, il est opportun de laisser à
l'administration une certaine liberté d'appréciation afin de pouvoir prendre en compte une situation particulière.
Exemple : le jury d'un concours dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier les aptitudes d'un candidat à
exercer un métier dans la fonction publique. Dans ce cas, il serait inconcevable de ne reconnaitre à ce jury
qu'une compétence liée. Ce jury doit pouvoir disposer d'un pouvoir d'appréciation. Pour autant, il ne faut pas
confondre pouvoir discrétionnaire et pouvoir arbitraire. Le jury sélectionne le candidat dans le respect du principe
d'égal accès aux emplois publics. S'il venait à établir des distinctions fondées sur les critères interdits tels que le
sexe, l'origine ou l'appartenance politique ou religieuse, il tomberait dans l'arbitraire et sa décision serait illégale.
La décision prise par l'administration dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire est susceptible de faire l'objet
d'un contrôle de légalité c'est-à-dire que si l'administration a le choix entre plusieurs décisions, son choix devra
nécessairement être conforme au principe de légalité. Le pouvoir discrétionnaire n'est pas une limite au principe
de légalité mais il justifie simplement que le juge exerce un contrôle plus restreint que lorsque l'administration est
en situation de compétences liées.
Le contrôle que le juge administratif exerce sur la qualification juridique des faits est plus ou moins poussé. Ce
contrôle sera restreint dans l'hypothèse où l'administration a décidé en situation de pouvoir discrétionnaire. En
revanche, le juge exercera un contrôle normal lorsque la décision a été prise en situation de compétences liées.
56
En situation de contrôle restreint, le juge va contrôler l'erreur de droit, l'erreur de fait, le détournement de pouvoir
et il exercera un contrôle restreint sur la qualification juridique des faits c'est-à-dire qu'il n'exercera qu'un contrôle
de l'erreur manifeste d'appréciation. Ce contrôle s'applique par exemple dans le contentieux des sanctions
disciplinaires infligées aux fonctionnaires. Dans cette hypothèse, l'administration est en situation de pouvoir
discrétionnaire pour déterminer si les faits sont de nature à justifier une sanction. Le juge administratif n'exercera
qu'un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation visant à sanctionner une erreur grossière ou une erreur
tellement flagrante qu'elle pourrait être relevée par un néophyte. Les autres erreurs ne seront donc pas
sanctionnées.
Arrêt du CE du 6 février 2004 "Association La raison du plus faible".Dans cette espèce, l'association avait
formé un REP contre la décision du syndicat des transports Ile de France visant à permettre à certaines
personnes disposant de faibles ressources de bénéficier de réductions tarifaires pour utiliser les transports.
L'association estimait que le syndicat avait commis une erreur manifeste d'appréciation en excluant du bénéfice
de ces avantages tarifaires les titulaires de la carte orange (carte d'abonnement dont disposent les usagers
quotidiens du transport, essentiellement les salariés). Les réductions tarifaires prévues par le syndicat ne
s'appliquaient pas aux cartes d'abonnement mais uniquement aux carnets de tickets et aux tickets vendus à
l'unité. Le CE rappelle que le syndicat disposait d'un pouvoir discrétionnaire pour définir les avantages tarifaires
au profit des personnes à faibles ressources. Ce pouvoir discrétionnaire n'empêche pas le juge d'exercer un
contrôle restreint. Il va donc effectuer un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation. Il en conclut que la
décision du syndicat des transports est effectivement entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Le CE
estime que le syndicat ne pouvait pas, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, exclure les titulaires
d'une carte d'abonnement des réductions tarifaires à caractère social. Dans la détermination des conditions qui
ouvrent accès à ces réductions, le syndicat commet une erreur manifeste : on comprend difficilement pourquoi
une personne disposant de faibles ressources et titulaire d'une carte d'abonnement ne pourrait pas bénéficier du
tarif social.
La jurisprudence de l'erreur manifeste d'appréciation a également été appliquée à des décisions de police. C'est
ce qui ressort de l'arrêt du CE de 1973 "Librairie François Maspero". Une décision se rapporte à la circulation,
à la distribution et à la mise en vente d'une revue. A cette époque, le juge appliquait un contrôle restreint aux
mesures d'interdiction concernant les publications jugées dangereuses notamment pour la jeunesse.
Mais, la jurisprudence a évolué : le juge administratif exerce aujourd'hui un contrôle normal sur ces mesures
d'interdiction ce qui signifie qu'il ne se limite plus au contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation. Il exerce
désormais un contrôle normal de la qualification juridique des faits et plus précisément un contrôle normal sur le
point de savoir si les dangers que présente la publication justifient une mesure d'interdiction. Le contrôle normal a
été institué par le CE dans un arrêt du 9 juillet 1977 "Association Ekin".
Mais, le contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation est toujours appliqué dans un autre registre : dans le
contentieux disciplinaire de la fonction publique. Pour juger de la correspondance entre la gravité d'une sanction
disciplinaire et la faute commise par l'agent, le CE utilise l'erreur manifeste d'appréciation. Ce contrôle a été
exercé pour la première fois dans une décision du CE du 9 juin 1978 "Lebon".Dans cette espèce, une
sanction de mise à la retraite d'office avait été prise à l'égard d'un instituteur qui s'était rendu coupable de gestes
indécents sur des fillettes. Le sieur Lebon estimait que la décision visant à lui infliger une sanction était entachée
d'erreur dans la qualification juridique des faits en ce sens que les faits ne justifiaient pas une telle sanction. Le
CE considère que l'administration est en situation de pouvoir discrétionnaire pour déterminer la sanction à
appliquer. Il exerce donc un contrôle restreint (erreur manifeste d'appréciation) et il considère que l'administration
n'a pas entaché sa décision d'une telle erreur. Par conséquent, la décision de mise à la retraite d'office est légale.
57
3. Le plein contrôle de proportionnalité
Ce contrôle correspond à des cas d'approfondissement du contrôle normal. Dans ce cas, le juge développe un
contrôle exigeant de la qualification juridique des faits : il exigera que la décision soit adéquatement
proportionnée aux faits. Ce contrôle est qualifié de maximum car le juge s'interroge non seulement sur la
qualification juridique des faits mais aussi sur la parfaite adéquation entre les faits et la décision ce qui signifie
que la décision doit être parfaitement proportionnée aux faits. Dans cette hypothèse, le juge est amené à
apprécier l'opportunité de la décision prise cad l'opportunité du choix fait par l'administration.
Le contrôle de proportionnalité est illustré par de nombreuses jurisprudences au nombre desquelles figure la
théorie du bilan cout avantage =>arrêt du CE du 28 mai 1971 "Ville nouvelle est".Pour faire face à
l'augmentation du nombre d'étudiants, le gouvernement avait décidé de procéder à la construction de nouveaux
logements étudiants. La réalisation de ce projet exigeait la démolition et donc l'expropriation de 250 maisons
individuelles. Une association de défense des habitants forme un REP contre l'arrêté du ministre qui déclarait le
projet d'utilité publique et qui autorisait les expropriations. Le juge se livre alors à un contrôle approfondi
analysant les avantages et les inconvénients de l'opération. Cela signifie qu'il procède à un examen minutieux du
projet pour déterminer si le bilan des avantages est positif c'est-à-dire qu'il va essayer de voir si les avantages de
l'opération sont supérieurs aux inconvénients. En l'espèce, le CE estime que le bilan est effectivement positif.
Dans son contrôle du bilan coût avantage, le juge vérifie que les atteintes que l'administration porte aux droits
des particuliers sont proportionnées aux finalités d'intérêt général poursuivies. C'est un contrôle de l'opportunité
de la mesure adoptée que le juge met en œuvre.
Un contrôle comparable a également été appliqué en matière de police des étrangers : cela découle de l'arrêt du
CE du 19 avril 1991 "Belgacem".Dans cette espèce, le juge devait statuer sur la légalité s'une mesure
d'expulsion prise à l'encontre d'un étranger au motif qu'il avait commis plusieurs vols. Le CE estime que, compte
tenu du comportement correcte ultérieur de l'intéressé, la mesure était disproportionnée => atteinte
disproportionnée au droit de l'intéressé à mener une vie familiale normale. Le contrôle exercé par le juge a donc
consisté à apprécier l'opportunité de la mesure en mettant en balance les avantages de celle-ci pour l'ordre
public et les inconvénients pour la vie familiale de l'intéressé.
Plus récemment, ce contrôle de proportionnalité a été étendu aux sanctions professionnelles ou disciplinaires
sans pour autant être étendu aux sanctions prononcées à l'encontre des agents publics. Dans une décision du
22 juin 2007 "Arfi",le CE a exercé un contrôle de proportionnalité sur la sanction affligée par l'ordre des experts
automobiles à un expert qui avait méconnu une obligation professionnelle.
De la même manière, le juge administratif a exercé un contrôle de proportionnalité sur la sanction infligée à la
fédération française d'athlétisme à un sportif accusé de dopage =>arrêt du CE du 2 mars 2010 "Fédération
française de l'athlétisme".Le juge a estimé que la sanction de suspension de 2 ans prise à l'égard d'un athlète
contrôlé positif à un contrôle antidopage n'était pas disproportionnée compte tenu du comportement de l'athlète.
le juge exerce un plein contrôle de proportionnalité en recherchant l'adéquation entre la décision et les faits. Ce
plein contrôle de proportionnalité ne s'applique pas aux sanctions prononcées contre les agents publics comme
le démontre l'arrêt Lebon.
Les pouvoirs du juge sont déterminés par la définition même de ce recours c'est-à-dire par son caractère de
recours en annulation. Le juge ne peut qu'annuler l'acte ou rejeter la requête. Cela signifie qu'il n'est pas en
58
mesure de tirer toutes les conséquences d'une annulation qu'il aurait prononcée : il ne peut pas substituer à la
décision annulée une autre décision conforme au droit. Il ne peut pas non plus condamner l'administration à une
sanction pécuniaire. L'annulation de l'acte a simplement pour effet de renvoyer le requérant devant
l'administration afin qu'elle statue à nouveau sur sa demande. De plus, dans le cadre du REP, le juge se place au
jour où la décision a été prise pour apprécier sa légalité c'est-à-dire qu'il cherche à déterminer si, au moment où
l'administration a pris la décision attaquée, elle a bien respecté le droit. Il ne se place pas au jour du jugement
pour examiner la légalité de la décision contrairement au plein contentieux. Entre le moment où l'administration
prend une décision et le moment où le juge administratif statue, plusieurs mois voire plusieurs années peuvent
s'écouler. Cela signifie que la règle a pu évoluer entre temps. Dans le cadre du REP, le juge administratif n'en
tient pas compte : il se place au jour où la décision a été adoptée. Il ne peut pas faire une application rétroactive
d'une loi, y compris si cette loi est plus douce. Cela vient limiter les pouvoirs du juge car, contrairement au RPC
où le juge se place au jour du jugement, dans le cadre d'un REP, il ne peut pas tenir compte d'un texte qui serait
intervenu après la décision et qui serait plus favorable à l'administré. Le juge se remet dans la situation dans
laquelle était l'administration lorsqu'elle a décidé. Cet aspect est un véritable inconvénient qui va justifier parfois
que certains contentieux passent du contentieux de l'excès de pouvoir au plein contentieux. Ce glissement pour
pouvoir appliquer une loi plus douce a été réalisé par le CE dans une décision du 16 février 2009 "Société
Atom".Cette décision a été rendue dans le cadre d'une sanction infligée par l'administration à une entreprise. En
l'occurrence, l'entreprise n'avait pas respectée une disposition générale du Code des Impôts donc elle s'est vue
infliger une amende. La société avait attaqué la décision de sanction par le biais d'un REP : pour statuer sur la
légalité de la décision, le juge aurait dû se placer au jour où la décision a été prise. Or, la législation avait évolué
entre la décision et le jugement et la loi était devenue plus favorable à la société. Pour pouvoir faire application
de cette loi plus douce, le CE décide de faire passer ce contentieux du REP au plein contentieux. En d'autres
termes, le juge étend ses pouvoirs dans le cadre du contentieux des sanctions que l'administration inflige aux
particuliers car, dans le cadre du plein contentieux, le juge se reconnait le pouvoir de substituer sa décision à
celle de l'administration mais il se reconnait aussi le pouvoir de condamner pécuniairement l'administration. Le
juge peut statuer au jour du jugement et non au jour où la décision a été prise. Dans le cadre du plein
contentieux, le juge se place au jour du jugement c'est-à-dire qu'il s'autorise à prendre en compte les évolutions
intervenues entre le jour de la décision et le jugement, d'où l'intérêt d'avoir opéré ce glissement du REP vers le
plein contentieux. Cela permet au CE d'appliquer la loi plus douce au requérant.
Au regard de cet arrêt, on voit ainsi que la limitation des pouvoirs du juge dans le cadre du REP peut se révéler
problématique. Mais, la solution rendue par cet arrêt est pour l'instant circonscrite aux seules sanctions que
l'administration inflige à des particuliers. Cela ne s'étend pas aux sanctions prononcées l’encontre des agents de
la fonction publique ou encore aux sanctions professionnelles (arrêt Arfi) ni aux sanctions disciplinaires. Les
sanctions infligées par une instance disposant d'un pouvoir disciplinaire restent dans le domaine du REP. De
même, les sanctions disciplinaires infligées aux détenus relèvent toujours du REP et non du plein contentieux
=>arrêt du CE du 4 février 2013 "Garde des sceaux ministre de la justice". Pour l'instant, le champ
d'application de la solution de l'arrêt Atom est limité aux hypothèses où l'administration peut prononcer une
sanction à l'égard d'un administré qui aurait méconnu une règle de droit. C'est le cas en matière fiscale, en droit
de l'environnement (non-respect de la législation applicable au traitement des déchets => sanction => application
de l'arrêt Atom).
Toutefois, si les pouvoirs du juge dans le cadre du REP sont limités, certaines évolutions législatives et
jurisprudentielles lui ont tout de même permis d'accroitre quelque peu ses pouvoirs. La loi du 8 février 1995 a
reconnu au juge administratifla possibilité de prononcer une injonction assortie d'une astreinte. Une injonction est
un ordre de faire adressé à l'administration. L'astreinte est une somme d'argent que l'administration doit payer
pour chaque jour de retard dans l'exécution de la décision de justice. Dans le cadre d'un REP, si le juge
administratif annule une décision prise par l'administration, il peut, en plus de cette annulation, adresser une
59
injonction à l'administration afin de lui indiquer quelles sont les conséquences de cette annulation c'est-à-dire de
lui indiquer quelle doit être désormais l'attitude de l'administration.
Exemple : un juge annule une décision visant à prononcer une sanction de mise à la retraite d'office à l'égard
d'un agent public. Il peut, en plus de cette annulation, prononcer une injonction visant à ordonner à
l'administration de réintégrer l'agent. Ainsi, le juge explique à l'administration quelles sont les conséquences de
cette annulation et il lui enjoint d'agir pour tirer les conséquences de cette annulation. Le juge peut aussi assortir
cette injonction d'une astreinte cad que, dans ce cas, le juge laissera par exemple un mois à l'administration pour
réintégrer l'agent. Mais, au-delà de ce délai, l'administration devra verser une somme d'argent par jour de retard
dans la réintégration. De plus, le juge s'est reconnu la possibilité de moduler dans le temps les effets d'une
annulation contentieuse cad qu'il s'octroie la possibilité de différer les effets d'une annulation. Dans la mesure où
l'annulation d'un acte entraine sa disparition rétroactive, il peut être utile, pour éviter un vide juridique temporaire
et pour protéger la sécurité juridique de repousser dans le temps les effets d'une annulation.
Le CE a amorcé la reconnaissance d'un tel pouvoir de modulation dans un arrêt du 27 juillet 2001 "Titran"
confirmé par la décision d'assemblée du CE du 11 mai 2004 "Association AC !". Etait en cause la légalité
d'un agrément du ministre des affaires sociales définissant les conditions d'indemnisation des chômeurs. Le CE
estime que cet acte est illégal et devait donc être annulé. L'acte devait donc disparaitre au jour du jugement et de
manière rétroactive. Mais, pour éviter de créer un vide juridique néfaste pour les chômeurs, le CE considère que
l'annulation ne prendrait effet que deux mois après le jugement afin de laisser le temps à l'administration de
négocier un nouvel agrément avec les partenaires sociaux. Dans cette hypothèse, l'annulation n'est pas
rétroactive : elle n'est prononcée que pour l'avenir dans l'intérêt de la sécurité juridique.
60
Chapitre 3. La responsabilité administrative
Lorsque l'administration cause un dommage dans l'exercice de ses activités et si ce dommage cause un
préjudice, la victime peut, sous certaines conditions, lui demander réparation comme elle le ferait à l'égard d'un
particulier. Aujourd'hui, cela semble logique mais l'idée d'un dédommagement par la puissance publique a mis
longtemps à s'imposer. Le juge administratif a joué un rôle majeur dans la construction de la responsabilité de la
puissance publique car les règles applicables en la matière sont essentiellement d'origine jurisprudentielle.
Jusqu'à l'arrêt Blanco du TC du 8 février 1873, prévalait un principe d'irresponsabilité de la puissance
publiquec'est-à-dire que les préjudices causés par l'Etat ne pouvaient pas donner lieu à réparation en raison de la
spécificité de ses missions fondées sur l'intérêt général. Finalement, à la fin du XIXème siècle, le principe de la
responsabilité de l'Etat sera reconnu mais l'arrêt Blanco précise que cette responsabilité est régie par des règles
spéciales, distinctes du droit privé. Dans l'arrêt Blanco, le TC indique que la responsabilité de l'Etat ne saurait
être ni générale ni absolue. Depuis, la responsabilité administrative a connu de nombreux développements
lorsque l'administration a commis une faute mais aussi en l'absence de toute faute de l'administration. Il y a des
cas dans lesquels on peut engager la responsabilité sans faute de l'administration afin de rétablir l'égalité des
citoyens devant les charges publiques. Dans ce cas, la responsabilité de l'administration est engagée alors que
celle-ci n'a commis aucune irrégularité mais l'action de l'administration a généré une grave irrégularité qu'il
convient de réparer. Ainsi, depuis le début du XXème siècle, la responsabilité de l'administration a connu une très
forte extension. Aujourd'hui, toutes les personnes publiques et toutes leurs activités sont touchées de façon plus
ou moins étendue. Pour autant, la responsabilité de l'administration n'est pas absolue (arrêt Blanco) ce qui
signifie que les difficultés que présentent l'exécution de certains services publics peuvent justifier une atténuation
de la responsabilité visant à la limiter aux hypothèses des fautes les plus graves. On ne peut pas reprocher, par
exemple, de ne pas être parvenu à mettre fin à un incendie si tous les moyens disponibles ont été mis en œuvre.
S'agissant de la compétence juridictionnelle, le contentieux de la responsabilité relève, en majeure partie, du juge
administratif mais, dans certains cas, le juge judiciaire peut être compétent. Il est notamment compétent pour
connaitre des recours visant à engager la responsabilité d'un SPIC. Dans l'affaire du Bac d'Eloka (TC, 22
janvier 1921), le TC décide qu'en l'absence de texte spécial attribuant la compétence au juge administratif, il
revient à l'autorité judiciaire de connaitre de la responsabilité d'un service exploité dans les mêmes conditions
que les activités des particuliers.
Les fonds d'indemnisation se sont aussi multipliés. Ces fonds visent à assurer la réparation d'un dommage et ce,
même si la responsabilité de l'administration ne peut être engagée.L'objectif de ces fonds est d'accorder une
indemnisation aux victimes alors même que la responsabilité de la personne publique ne peut être mise en
cause. C'est le cas des victimes d'actes de terrorisme qui bénéficient d'une indemnisation versée par un fonds
d'indemnisation alors même que la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée en cas d'actes de terrorisme. Il
en est de même des victimes contaminées du fait de produits sanguins par le virus du SIDA. Ces indemnisations
sont gérées par l'ONIAM (office national d'indemnisation des accidents médicaux). Depuis la loi du 29 juillet
2011, l'ONIAM est également chargé d'indemniser les victimes du Médiator. Dans ce cas précis, la loi prévoit que
si le laboratoire refuse d'indemniser la victime, l'ONIAM est chargé de verser la réparation avant d'exercer un
recours contre le laboratoire. Concernant l'amiante, une loi du 23 décembre 2000 a institué un fonds
d'indemnisation des victimes de l'amiante. La tendance générale est donc à la couverture des risques. On parle
de socialisation du risque. La multiplication de ces fonds d'indemnisation n'en laisse pas moins un champ très
vaste à la responsabilité publique. Pour bien comprendre les règles applicables en la matière, il faut voir les
règles qui régissent l'engagement de la responsabilité de l'administration. Il faut ensuite analyser les différents
régimes de la responsabilité.
61
Section 1. Les conditions permettant d'engager la responsabilité adminsitrative
Il faut que le dommage soit certainc'est-à-dire que l'éventualité d'un dommage ne suffit pas. Par exemple,
prétendre devant le juge que tel ou tel changement de législation risque d'engendrer une perte financière pour
une entreprise ne suffit pas pour ouvrir droit à réparation. Mais, un préjudice futur peut être un préjudice certain.
Par exemple, l'invalidité d'un enfant à la suite d'une erreur médicale qui aura pour conséquence de réduire ses
capacités professionnelles est un préjudice futur mais certain =>Arrêt du CE du 12 juin 1981 "Centre
hospitalier de Lisieux".Le préjudice peut aussi être un préjudice par ricochetc'est-à-dire que le préjudice peut
frapper la victime directe ou encore la victime immédiate du fait dommageable mais il peut aussi frapper les
personnes qui sont unies par des liens divers à la victime directe que l'on peut appeler les victimes par ricochet.
On qualifie ces préjudices par ricochet de préjudices réfléchis. De plus, le préjudice peut être matériel ou moral.
Une fois le préjudice reconnu, il faut s'assurer que ce préjudice découle ou est en relation directe avec une
activité administrative. Le juge administratif retient une conception subtile de la causalité qui est la théorie de la
causalité adéquate. Le juge administratif va apprécier les différents facteurs qui ont contribué à la réalisation du
dommage pour ne retenir que celui ou ceux qui devaient, de manière raisonnable, l'entrainer. Pour René
Chapus, la réalisation du dommage est ainsi attribuée à celui des faits dont on peut estimer d'après l'expérience
que l'on a du cours normal des choses qu'il avait une vocation particulière à provoquer ce dommage. Selon le
commissaire du gouvernement Yves Galmot, dans ses conclusions sur l'arrêt du CE du 14 octobre 1966
"Marais",la cause d'un dommage est l'évènement qui portait normalement en lui ce dommage. En l'espèce, si
l'affaissement d'une chaussée a causé des dégâts à un camion, cet affaissement n'a qu'un lien indirect avec la
surchauffe ultérieure du moteur du camion que son conducteur a remis en marche sans vérifier l'étanchéité du
radiateur. Il n'y a donc pas de lien de causalité entre l'affaissement de la chaussée et la surchauffe du camion.
Autre exemple : le goudronnage d'une place à proximité d'un cinéma a contribué au dommage causé à la
moquette de ce cinéma qui était maculée par le goudron présent sous les chaussures car le passage par cette
place constituait l'itinéraire normalement emprunté par de nombreux pétions se rendant au cinéma =>Arrêt du
CE du 7 mars 1999 "Etablissements Lasailly et Bichebois". Pour apprécier le lien de causalité, les
considérations de proximité de temps et de lieu sont importantes. Elles ne sont toutefois pas uniques et, parfois,
elles jouent a contrario. Si un délai relativement long s'est écoulé entre le fait de l'administration et le dommage,
le juge est moins enclin à admettre le lien de causalité.
62
B. L'existence de clauses exonératoires de responsabilité
Des faits provenant de personnes autres que le défendeur peuvent avoir contribué à la réalisation du dommage.
On les appelle des clauses étrangères au défendeur. Ces causes s'intercalent entre le fait de l'administration et le
préjudice. Elles ont pour conséquence de rompre partiellement ou totalement le lien de causalité. Dans
l'hypothèse de rupture partielle, la responsabilité de l'administration est atténuée. Dans la seconde hypothèse,
l'administration est exonérée de sa responsabilité.
La première cause exonératoire réside dans le fait de la victime. Le comportement de la victime peut être une
clause exonératoire de responsabilité. Cet effet exonératoire existe quand la victime commet une faute c'est-à-
dire une imprudence, un acte délictueux, un état d'ébriété, une vitesse excessive... La faute reconnue comme
clause exonératoire peut être celle de la victime mais aussi celle du conjoint, de l'enfant, du conducteur de
l'automobile où la victime passagère a pris place. Cette clause exonératoire joue quel que soit le régime de
responsabilité que ce soit sans faute ou pour faute.
La seconde cause d'exonération est la force majeure. Dans la jurisprudence administrative, il y a trois critères
cumulatifs qui permettent de définir un cas de force majeure :
- L'extériorité désigne l'extériorité par rapport au défendeur. L'évènement doit donc être extérieur à
l'administrationc'est-à-dire que l'administration n'est pour rien dans sa survenance qui résulte d'une cause
étrangère à l'administration. De plus, l'évènement est indépendant de la volonté de l'administration.
- L'imprévisibilité. On considère que si un évènement est prédit, il est toujours possible de prendre les mesures
appropriées pour éviter ou limiter le préjudice. Ne pas avoir pris ces mesures est considéré comme une faute.
L'évaluation repose sur l'appréciation du comportement avant l'évènement, par référence à une personne
prudente et diligente et en tenant compte des circonstances de lieu, de temps et de saison. Sur la base de cette
appréciation, le juge administratif a considéré qu'un incendie était toujours prévisible =>Arrêt du CE du 28 juin
1971 "Société Etablissement Marius". Idem pour la foudre qui n'est pas un cas de force majeure =>Arrêt du
CE du 30 novembre 1938 "Ville d'Avignon". A l'inverse, de fortes pluies peuvent être constitutives d'un cas de
force majeure du fait de leur violence et de leur intensité exceptionnelle et imprévisible ou encore par rapport au
précédent connu dans la région =>Arrêt du CE du 23 janvier 1981 "Ville de Vierzon". Le juge administratif a en
revanche considéré que la force majeure n'était pas constituée dans l'hypothèse où l'administration a délivré un
permis de construire en un lieu où il y avait eu plusieurs avalanches depuis le début du siècle =>Arrêt du CE de
mars 1986 "Val d'Isère".
- L'irrésistibilité. L'évènement doit être irrésistible dans ses effets. Cela signifie que l'évènement doit être
insurmontable. Ce n'est pas qu'un simple empêchement ou une difficulté accrue. L'appréciation des faits est très
stricte. Cela peut correspondre à des catastrophes naturelles, à des séismes, à des crues extraordinaires ou
encore à des évènements politiques majeurs (révolution ou guerre). Quant à l'individu, il faut qu'il ait été
impossible d'agir autrement qu'il ne l'a fait pendant l'évènement. Appréciation in concreto, par rapport à un
individu moyen placé dans la même situation.
La première question à résoudre est celle de la distinction entre la responsabilité des personnes publiques et
celle des personnes physiques qui agissent en leur nom. Lorsqu'il y a un dommage causé par un agent,
63
comment faire la distinction entre les fautes commises par les agents dans leurs services et les fautes
personnelles qui entrainent la seule responsabilité individuelle de l'agent ?
La seconde question à résoudre porte sur le déclenchement de la responsabilité de l'administration : faut-il s'en
tenir à la réparation des seules fautes ou faut-il admettre que, dans certains cas, la responsabilité de
l'administration puisse être engagée en l'absence de faute ?
A. La faute de l'administration
Selon Laferrière, dans ses conclusions rendues à propos de l'affaire Laumonnier-Carriol du TC du 5 mai 1877,
la faute personnelle révèle "l'homme avec ses faiblesses, ses passions, ses imprudences". La faute de service
quant à elle n'est constituée que si l'acte est impersonnel ou s'il révèle un administrateur plus ou moins sujet à
erreur.
La faute de service est celle qui ne se détache pas de l'exercice des fonctions. Cette faute peut être commise par
un ou plusieurs agents bien individualisés et elle peut résulter d'opérations matérielles diverses ou d'actes
juridiques. Toute décision irrégulière a le caractère d'une faute. C'est le cas lorsque l'administration viole un texte.
C'est le cas aussi lorsque l'administration maintient une mesure qui ne se justifie plus. Exemple : arrêt du CE du
31 août 2009 "Crégols". En l'espèce, un maire avait commis une faute car, s'il avait pu prendre une mesure de
police au regard d'informations relatives à l'existence d'un danger grave et imminent, il n'aurait pas dû maintenir
cette mesure alors même qu'il n'y avait plus aucun danger. Toute irrégularité ne peut donner lieu à indemnisation.
Il faut que cela crée un préjudice et que la décision ne soit pas justifiée.
La faute de service n'est pas toujours imputable à un agent en particulier : elle peut résulter d'une mauvaise
organisation de l'administration. D'une manière générale, les dommages peuvent provenir de trois hypothèses :
- Un mauvais fonctionnement de l'administration. Cela se traduira par des négligences, par des erreurs, par la
perte d'un dossier ou encore par une exécution matérielle irrégulière. Pour illustrer l'exécution matérielle
irrégulière : décision de la CA administrative de Douai du 12 novembre 2008 "Garde des sceaux". En
64
l'espèce, le juge administratif a engagé la responsabilité pour faute de l'administration car les conditions de
détention d'un prisonnier n'assurait pas le respect de la dignité inhérente à toute personne humaine.
- Un fonctionnement tardif. C'est un retard abusif dans l'adoption d'une mesure ou d'une décision.
- Une absence de fonctionnement. Cela permet de sanctionner l'inertie de l'administration ou encore la carence
de l'administration. Cela découled'un arrêt du CE du 9 avril 1993 "Monsieur G". Dans l'exercice des pouvoirs
de police sanitaire, l'administration a été sanctionnée pour carence en raison de l'interdiction tardive de
l'utilisation de produits sanguins non chauffés. Ce retard avait entrainé de nombreuses contaminations de
personnes transfusées par le virus du VIH.
Il existe, en matière de responsabilité administrative, une échelle de fautesc'est-à-dire que lorsque l'activité de
l'administration est considérée comme délicate, la faute commise doit être lourde pour être de nature à engager
la responsabilité de l'administration. La faute sera considérée comme grave ou lourde par le juge administratif
quand l'écart entre le comportement de l'administration et l'obligation qui pesait sur elle est particulièrement
important.L’exigence d'une faute lourde pour engager la responsabilité de l'administration est principalement liée
à la difficulté d'exercice de l'activité en cause. Pour illustrer la liaison entre activité difficile et responsabilité pour
faute lourde, le juge s'appuie sur trois considérations :
- On considère que les fautes simples commises dans l'exercice d'activité difficile sont des fautes excusables et il
est donc équitable qu'elle reste sans conséquence.
- Si dans le cadre d'activités difficiles, une faute simple suffisait à engager la responsabilité de l'administration, le
diagnostic de la faute donnerait lieu bien souvent à hésitation. En effet, comment être sûr que tel ou tel
comportement d'un agent public a été fautif compte tenu des difficultés auxquelles il est confronté ? Ne retenir
que les fautes lourdes, c'est reconnaitre les fautes dont l'existence est plus facilement reconnaissable.
- Si les fautes simples suffisaient, le risque d'une gêne excessive de l'activité administrative serait avéré.
L'autorité administrative pourrait être empêchée d'agir avec la promptitude qui est parfois nécessaire. Le risque
d'un engagement trop fréquent de la responsabilité de l'administration pourrait se traduire par un certain
renoncement à l'action. Ces considérations expliquent que, pour les activités difficiles, le juge administratif avait
tendance à se limiter à l'existence d'une faute lourde.
Au regard de l'évolution de la jurisprudence, il apparait, même dans des activités difficiles, que l'exigence d'une
faute lourde est en déclin.
Exemple : dans le domaine médical, jusqu'en 1992, une distinction s'opérait entre les actes médicaux et
chirurgicaux pratiqués dans les hôpitaux publics d'une part et les actes d'organisation du service hospitalier ou
les soins courants d'autre part. Dans le 1er cas, la responsabilité pouvait être engagée seulement en cas de faute
lourde alors qu'une faute simple suffisait dans le 2nd cas. Mais, dans un arrêt du CE du 10 avril 1992 "Epoux
V", le CE a abandonné l'exigence d'une faute lourde et il se réfère désormais simplement à une faute médicale
de nature à engager la responsabilité de l'hôpital. Dans les activités de secours et de sauvetage, le juge exige
simplement une faute simple s'agissant du transport médical d'urgence =>arrêt du CE du 20 juin 1997 "Theux".
De même, pour le sauvetage en mer : faute simple =>arrêt du 13 mars 1998 "Améon". De même en matière de
lutte contre l'incendie : faute simple =>arrêt du CE du 29 avril 1998 "Commune de Hannapes". En cas de
dommage dû à l'hospitalisation d'office de personnes atteintes de troubles mentaux, une faute simple suffit
65
=>arrêt du CE du 14 avril 1999"Commune d'Anctoville". S'agissant des activités du service pénitentiaire, la
faute lourde était exigée vis à vis du détenu comme vis à vis des personnes extérieures. Cette solution était liée
au caractère régalien de ce service public pénitentiaire. Mais, depuis 2003, la faute simple suffit concernant les
dommages subis par les détenus =>arrêt du CE du 23 mai 2003 "Mme Chabba" (suicide en prison).
La distinction entre faute personne et faute de service est issue de l'arrêt Pelletier mais elle a ensuite été affinée
par la jurisprudence. On distingue aujourd'hui 3 cas de faute personnelle.
1er cas : la faute personnelle commise en dehors du service. Elle est considérée comme relevant de la vie privée
de l'agent car elle est dépourvue de tout lien avec le service. Arrêt du CE du 13 mai 1991 "Société association
les mutuelles unies". En l'espèce, un sapeur-pompier allume intentionnellement un incendie en dehors de son
service.
2èmecas : la faute personnelle commise dans l'exercice des fonctions. C'est une faute intentionnelle (malveillance,
vengeance) ou une faute particulièrement grave (imprudence inadmissible, excès de langage, dissimulation par
un médecin d'une erreur médicale commise dans son service : arrêt du CE de 2001 "M. Valette").
3ème cas : la faute personnelle commise en dehors de l'exercice des fonctions tout en étant "non dépourvu de
tout lien avec le service". Par exemple, un accident provoqué par un agent avec une arme à feu qu'il conserve
régulièrement à son domicile =>arrêt du CE de 1997 "Bachelier". Lorsqu'il s'agit d'une faute personnelle, le
litige est résolu devant le juge judiciaire sur le base du droit privé. L'agent pourra opérer réparation sur son propre
patrimoine. En pratique, cela ne s'applique qu'en cas de faute personne de l'agent dépourvu de tout lien avec le
service. Il existe en effet un régime de cumul de faute ou de responsabilité pour palier l'éventuelle insolvabilité de
l'agent.
Précision : dans certains cas, le législateur a prévu des systèmes de substitutions de responsabilité et a confié le
contentieux au juge judiciaire. La loi du 5 avril 1937 sur la responsabilité de l'Etat pour les dommages causés
aux élèves ou par les élèves de l'école publique prévoit la substitution automatique de la responsabilité de l'Etat à
celle des membres de l'enseignement public. Le contentieux relève du juge judicaire. Cependant, l'Etat garde la
possibilité d'intenter une action appelée action récursoire contre l'agent auteur d'une faute personnelle. Lorsque
le dommage provient d'une mauvaise organisation du service, la responsabilité reste de la compétence du juge
administratif. La loi du 31 décembre 1957 établit la compétence exclusive des tribunaux judiciaires pour le
contentieux des dommages causés par un véhicule quelconque. Pour les véhicules qui appartiennent à une
personne publique et qui sont à l'origine d'un dommage, la victime devra intenter son action devant le juge
judiciaire. De plus, la responsabilité de l'administration est substituée à celle de l'agent conduisant le véhicule,
étant précisé que l'administration peut ensuite intenter une action récursoire contre son agent s'il a commis une
faute personnelle.
66
Paragraphe 2. La théorie du cumul
Le CE a reconnu dans l'arrêt Anguet du 9 février 1911 qu'un même dommage pouvait trouver son fondement
dans la coexistence de deux types de fautes. En l'espèce, M. Anguet avait été brutalisé par deux employés de la
Poste qui l'avait pris pour un malfaiteur. Plus précisément, le bureau de Poste dans lequel était M. Anguet avait
fermé ses portes avant l'heure. Pour sortir, M. Anguet a souhaité emprunter la sortie des employés. Si la cause
directe et matérielle de l'accident était une faute personnelle d'un agent public, cette faute n'a été rendue possible
que par une faute de service. Le CE considère que ces deux fautes sont distinctes mais elles se cumulent :
"L'accident dont a été victime le requérant doit être attribué quel que soit la resposnabilité personnelle encourue
par les agents au mauvais fonctionnement du service public".C'est l'arrêt Anguet qui fonde la théorie du cumul de
faute.
Plus récemment, le CE fait application de cette théorie dans l'arrêt du 12 avril 2002 "Papon".Maurice Papon a
commis une faute personne et il a été condamné pour crime contre l'humanité. C'est une faute d'une
exceptionnelle gravité qui revèle un comportement inexcusable. Mais, cette faute personnelle s'est conjugée avec
une faute de service. Les services administratifs ont commis une faute collective en s'associant à la politique de
discrimination anti-juive. Cette faute de service a rendu possible la faute personnelle de Papon d'où le cumul de
faute. Dans ce cas, si la responsabilité personnelle de Papon a pu être engagée devant la Cour d'assises de la
Gironde, le CE estime que la responsabilité de l'Etat doit aussi être engagée. L'intérêt de cette théorie du cumul
de faute est qu'elle entraine un partage de responsabilité une faute de service peut se conjuguer à une faute
personnelle.
S'il existe des situations dans lesquelles la faute de service a concouru avec la faute personnelle à la réalisation
d'un dommage, il existe d'autres situations dans lesquelles il y a faute personnelle et pourtant, c'est la
responsabilité de l'administration qui sera mise en jeu. Le juge administratif a admis que la responsabilité de
l'administration pouvait être engagée dans deux cas :
- S'il y a une faute personne commise en dehors du service dès lors que cette faute n'est pas dénuée de tout lien
avec le service.
Cette extension de la jurisprudence correspond à la théorie du cumul de responsabilité c'est-à-dire qu'une faute
unique due uniquement au fait personnel de l'agent entraine la responsabilité du service. Cette théorie a été
élaborée par Léon Blum dans ses conclusions sur l'arrêt du CE du 26 juillet 1918 "Lemonnier". Cette théorie
s'applique à des fautes personnelles commises dans l'exercice des fonctions. Exemple : un employé de la Poste
vole des fonds pendant son service : CE, 21 avril 1937 Demoiselle Quesnel. Faute personnelle commise
67
pendant l'exercice des fonctions => théorie du cumul des responsabilités => engage la responsabilité de
l'administration.
La théorie du cumul de responsabilité permet de demander réparation à l'administration alors même que le
dommage trouve sa source dans une faute personnelle. L'administration peut ensuite se retourner contre son
agent pour obtenir le remboursement d'une partie ou de la totalité des sommes versées à la victime.Cette théorie
du cumul de responsabilités s‘applique également à des fautes personnes commises à l'occasion du service ou à
l'occasion de l'exercice des fonctions. C'est ce que démontre unarrêt du CE du 1er octobre 1954 "Bernard".Un
gendarme était chargé d'assurer la sécurité lors d'une fête foraine. Il s'écarte de sa mission pour aller boire un
verre car il fait chaud. Il a une altercation avec un client et le blesse avec son arme de service. Dans ce cas, il y a
une faute personnelle de l'agent commise à l'occasion du service. Le CE estime que l'on peut faire application du
cumul de responsabilités dans ce cas.Plus récemment, le juge administratif a considéré que l'administration
pouvait être obligée d'indemniser la victime d'un dommage causé par une faute personne commise en dehors du
service ou en dehors de l'exercice des fonctions à condition que la faute ne soit pas dépourvue de tout lien avec
le service.
Exemple : Arrêt du CE de 1973 "Sadoudi" :gendarme blesse un tiers en nettoyant son arme en dehors de ses
heures. Pour que la théorie du cumul de responsabilité s'applique, il faut que la faute soit commise avec un
instrument fourni par le service, que cet instrument présente un certain danger et la faute commise ne doit pas
avoir un caractère intentionnel. Ces trois conditions démontrent que la faute personnelle entretient un lien avec le
service.
Contre-exemple : Arrêt du 12 mars 1975 "Pothier". Pas de lien avec le service lorsqu'un gendarme utilise son
arme de service pour commettre un meurtre par vengeance. Pas de cumul de responsabilités.
L'intérêt de cette théorie du cumul de responsabilités réside dans les droits reconnus à la victime. En cas de faute
personne sans aucun lien avec le service, l'agent est civilement responsable et le juge judiciaire est compétent.
En cas de cumul de faute ou de cumul de responsabilité, le système institue une option en faveur de la victime.
Elle peut demander réparation à la personne publique devant le juge administratif ou elle pourra demander
réparation à l'gent devant le juge judiciaire. Cela donnera lieu à une autre action pour déterminer le partage de
responsabilité entre l'agent et l'administration. Mais, la victime n'a pas à former deux actions.
Que se passe-t-il lorsque l'administration a été amenée à réparer un dommage causé par l'un de ses agents ?
Si l'agent a commis une faute de service, c'est l'administration qui versera l'indemnité. Elle ne pourra pas
demander à l'agent le remboursement des sommes versées à la victime. Mais, si le dommage résulte d'une faute
personnelle, l'administration dispose d'une action contre son agent.Le CE a prévu dans l'arrêt de 1951
"Laruelle" la possibilité pour une personne publique d'exercer une action récursoire contre son agent. Cette
action est également possible si c'est l'administration qui a été victime de la faute de l'agent. Une telle action
apparait comme un moyen de compenser un préjudice subi mais c'est aussi un moyen de sanctionner
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pécuniairement l'agent qui a commis une faute. C'est le juge administratif qui est compétent pour connaitre de
cette action récursoire. Dans le cadre de l'action récursoire, il y a deux hypothèses.
- Si le dommage résulte des effets conjugués de la faute personnelle de l'agent et de la faute de service, la
personne publique supportera la part du dommage qui correspond à la faute de service.
- En cas de cumul de responsabilité, l'administration a indemnisé la victime sur la base de la seule faute
personnelle non dépourvue de tout lien avec le service. L'administration pourra demander à l'agent de lui
rembourser la totalité de la somme qu'elle a versé à la victime.
En cas de cumul de fautes, et si l'agent a été poursuivi par la victime devant le juge judiciaire et s'il a été
condamné à réparer le préjudice, il peut récupérer une partie des sommes versées à la victime, somme
correspondant à la faute de service. Si le cumul de fautes est prouvé, l'agent devra intenter un recours devant le
juge administratif pour se faire rembourser une partie des sommes engagées. C'est ce que démontre l'arrêt
Papon de 2002.M. Papon condamné en 1998 par le juge judiciaire à une peine de prison et au paiement de
dommages et intérêts pour avoir organisé des convois de déportés. Pour les avocats de Papon, il y avait cumul
de fautes donc ils ont saisi le juge administratif pour que l'Etat paie les dommages et intérêts à la place de
Papon. Le CE va devoir établir s'il existe une faute de service en plus de la faute personnelle. Il reconnait une
faute de service donc la division correspond à moitié des dommages et intérêts.
Ce mécanisme est particulièrement satisfaisant pour l'administré : il facilite l'indemnisation car l'administré n'a pas
à prouver une faute. Seule se pose la question du lien de causalité entre le préjudice et l'activité de
l'administration. Il y a deux fondements à la responsabilité sans faute : la responsabilité pour risque et la
responsabilité pour rupture de légalité devant les charges publiques. Dans le premier cas, l'administration a pris
un risque qui est à la base d'une situation anormale pour la victime. Elle doit donc être indemnisée. Dans le
second cas, une action licite a causé un dommage particulier et anormal à la victime pour des raisons d'intérêt
général.
L'administration est à l'origine d'un risque spécial. Cette responsabilité concerne essentiellement les victimes qui
ont la qualité de tiers par rapport à l'action administrative. Dès lors que ces personnes ne tirent aucun profit de
l'action administrative, ils doivent être couverts de tous les préjudices. Mais, dans certains cas, cette
responsabilité sans faute peut aussi concernée les usagers de l'administration.
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1. Les choses et activités dangereuses
Sont considérées par le juge comme étant des choses dangereuses pouvant donner lieu à l'engagement de la
responsabilité sans faute de l'administration en cas de dommages :
- Les armes à feux. Arrêt du CE du 24 juin 1949 Lecomte et Franquette : si un tiers est victime d'un tir
provenant d'une arme maniée par un agent de police, il pourra engager la responsabilité sans faute de
l'administration.
Certaines activités qui répondent à une finalité légitime d'intérêt général peuvent néanmoins être à l'origine de
risque pour les tiers. C'est le cas lorsque l'administration met en œuvre de nouvelles méthodes de réinsertion
sociale ou des régimes de semi-liberté pour des délinquants mineurs par exemple. Cette hypothèse est issue de
l'arrêt du CE du 3 février 1956 "Thouzellier". Si un mineur placé dans un centre semi-ouvert vient à s'échapper
et à causer un dommage à un tiers, la responsabilité de l'administration pourra être engagée sur le fondement du
risque. Il s'agit d'une responsabilité sans faute c'est-à-dire que le tiers victime du dommage causé par le mineur
n'a pas à prouver une défaillance de l'administration pour pouvoir engager sa responsabilité. Cette jurisprudence
s'applique également aux permissions de sortie accordées au détenu. Cela découle d'une décision du TC du 3
juillet 2000 "Garde des Sceaux".
Pour des raisons d'intérêt général, un agent peut avoir été exposé à des risques exceptionnels que
l'administration se doit de réparer même si elle n'a pas commis de faute.Par exemple, le fait pour une institutrice
enceinte d'avoir été exposée en permanence au danger de contagion par la rubéole comporte un risque anormal
et spécial pour l'enfant à naitre =>Arrêt du CE du 6 novembre 1968 Dame Saulze. Elle a contracté cette
maladie ce qui a engendré des séquelles sur le nourrisson. Le juge administratif a estimé que, du fait de ses
fonctions, elle a dû subir un risque anormal et spécial que l'administration se doit de réparer dès lors que ce
risque a donné lieu à un préjudice.
Les manifestations peuvent être sources de différents préjudices car elles présentent un certain risque. Dans ce
cas, la victime d'un préjudice dû à un attroupement ou un rassemblement n'a pas à prouver la faute de
l'administration car il existe un régime de responsabilité sans faute. En vertu de deux lois (7 janvier 1983 & 9
janvier 1986), « l'Etat est civilement responsable des dégâts et des dommages résultant de crimes ou de délits
commis par des attroupements et rassemblements armés ou non armés soit contre les personnes soit contre les
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biens ». Les dommages doivent provenir de l'action de manifestants ou de grévistes et non de groupes extérieurs
à la manifestation. Par exemple, les dommages résultant de groupes de casseurs extérieurs à la manifestation
n'entrent pas dans le régime de la responsabilité sans faute. De plus, les actes commis doivent avoir le caractère
de crime ou de délit =>Arrêt du CE du 19 mai 2000 "Région Languedoc-Roussillon".Le CE a refusé
d'appliquer le régime de responsabilité sans faute à une manifestation de lycéens au cours de laquelle aucun
délit n'avait été commis. Si l'Etat est amené à indemniser la victime, il peut se retourner contre l'auteur du délit ou
du crime s'il est identifié ou contre les communes s'il s'avère que l'organisation de la police municipale a été
défaillante.
Lorsqu'un tiers ne profite en rien d'un ouvrage public ou de travaux publics mais est victime d'un préjudice, le
juge administratif accepte de réparer celui-ci même en l'absence de faute de l'administration. L'exécution de
travaux publics peut poser des préjudices réels. Exemple : propriétaire d'une voiture sur laquelle est tombé un
bloc de glace provenant du toit d'un bâtiment municipal =>Arrêt du CE du 23 février 1973 "Commune de
Chamonix". Le bâtiment municipal est considéré comme un ouvrage public d'où l'application de ce régime de
responsabilité sans faute.
Dans ce cas, la responsabilité sans faute peut être mise en œuvre pour ceux qui agissent pour le compte d'un
service public, et plus précisément lorsque la victime du préjudice a la qualité de collaborateur occasionnel du
service public. Arrêt du CE de 1895 "Cames".Pour faire application de ce régime de responsabilité sans faute, il
faut que la victime participe activement à l'exécution d'un service public. C'est le cas d'une personne blessée à
l'occasion d'une fête locale au cours de laquelle elle était chargée de tirer des feux d'artifice. Cette personne
participe effectivement à l'exécution d'un service public (animation locale) =>Arrêt du CE du 22 novembre 1946
"Commune de Saint- Priest la plaine". Autre exemple : un parent d'élève qui encadre une sortie scolaire
=>Arrêt du CE du 13 janvier 1993 Galtié. Un usager d'un service public ne peut avoir la qualité de collaborateur
occasionnel. Il faut que le lien de collaboration entre la victime et le service public résulte d'une sollicitation ou
d'une réquisition faite par l'administration. Par exemple, dans l'arrêt Commune de St-Priest la plaine, c'est la
commune qui avait demandé à la victime de se charger de tirer des feux d'artifice. La collaboration peut être
reconnue alors même que le collaborateur est intervenu sans que personne ne lui ait demandé s'il y a urgence
=>Arrêt du 25 septembre 1970 "Commune de Batz sur Mer".Il s'agissait d'une personne qui s'était noyée en
essayant de sauver un baigneur de la noyade. En l'occurrence, personne ne lui avait demandé de porter secours
au baigneur mais, comme il y avait urgence, le lien de collaboration a été reconnu et la famille du sauveteur a pu
engager la responsabilité sans faute de l'administration et obtenir réparation des préjudices matériels et moraux.
5. Le risque autorité
Cette notion renvoie à une idée simple : celui qui exerce un pouvoir doit en assumer les risques. En droit civil,
cette idée fonde un principe général de responsabilité sans faute pour fait d'autrui. Cela signifie que toute
personne qui exerce un pouvoir de contrôle sur autrui répond des dommages que celui-ci cause. En droit
administratif, le CE a fait application de cette idée à la réparation des dommages causés par certains mineurs. La
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décision par laquelle un mineur en danger ou un mineur délinquant est placé sous la garde d'une personne
publique transfert à celle-ci la mission qui incombe normalement aux parents d'organiser et de contrôler la vie du
mineur. Par conséquent, en raison des pouvoirs dont elle se trouve investi, la personne publique gardienne du
mineur est responsable même sans faute des dommages que celui-ci cause à autrui. La personne publique
assume la même responsabilité que les parents auxquels elle est substituée =>Arrêt du CE du 11 février 2005
"GIE Axa Courtage".
La question est alors de savoir ce qui différencie cette jurisprudence de la jurisprudenceThouzellier qui est
fondée sur le risque spécial lié aux méthodes dangereuses. Dans le cadre du risque autorité, la victime peut être
un tiers mais aussi un autre usager du service public. Si un mineur délinquant cause un dommage à un autre
mineur placé dans la même institution, la responsabilité sans faute de la personne publique qui gère l'institution
et qui a la garde du mineur pourra être engagée. Cela découle d'un arrêt du CE du 13 novembre 2009 "Garde
des sceaux contre association tutélaire des inadaptés". Or, dans le cadre du risque lié aux méthodes
dangereuses, seuls les tiers peuvent engager la responsabilité de l'Etat et non les usagers. Par ailleurs, si la
victime est tiers à l'établissement, elle aura le choix d'engager soit la responsabilité de l'Etat sur le fondement des
méthodes dangereuses (jurisprudenceThouzellier) ou elle peut engager la responsabilité de la personne
publique qui a la garde du mineur sur le fondement de la jurisprudence GIE Axa Courtage. En général, il
s'agira du département car c'est cette collectivité qui est chargée de la prise en charge de l'enfance en danger.
Si une action d'intérêt général pose un préjudice à une catégorie déterminée de personnes, catégorie subissant
un dommage spécial et anormal, celle-ci se trouve placée dans une situation d'inégalité par rapport au reste de la
population. Or, il convient de corriger cette situation d'où ce recours.
Bien que régulières, certaines actions engagent la responsabilité sans faute de l'administration qu'il y ait eu
agissement juridique par la voie d'une décision ou qu'il y ait eu abstention. Arrêt du CE du 30 novembre 1923
"Couitéas". M. Couitéas était propriétaire de terres agricoles dans le sud de la Tunisie. Mais ses terres étaient
occupées par des tribus de nomades. Il saisit donc le juge judiciaire pour obtenir une décision d'expulsion. Il
l'obtient. Mais, pour procéder à l'exécution de cette décision de justice, il a sollicité le concours de la force
publique. Craignant que cela ne crée de graves troubles à l'ordre public, les autorités françaises ont refusé de lui
accorder le concours de la force publique. Ce refus n'est pas fautif : il est possible dès lors que l'exécution d'une
décision de justice par la force peut créer un trouble grave à l'ordre public. Le CE considère que M. Couitéas doit,
au nom de l'intérêt général, supporter une charge anormale. Il y a donc lieu de réparer le préjudice subi en raison
du refus d'octroi de la force publique. Même en l'absence de faute de l'administration, ce préjudice anormal doit
être réparé.Une solution identique a été appliquée au refus de prêter le concours de la force publique pour
assurer l'exécution d'une décision de justice ordonnant l'expulsion de grévistes qui occupaient une usine =>Arrêt
du CE de 1991 "Société automobile Citroen". Plus récemment, le juge administratif a tenté de limiter la portée
de cette jurisprudence qui pourrait laisser aux autorités administratives la possibilité de ne pas assurer l'exécution
d'une décision de justice sous réserve d'indemniser le titulaire de la décision non exécutée. Le juge a indiqué
dans un arrêt de 2009 "Ministère de l'Intérieur de l'Outre-Mer et des collectivités territoriales contre
Société Orly Parc" que, sauf trouble excessif à l'ordre public, l'autorité administrative est toujours tenu
72
d'accorder le concours de la force public sans pouvoir porter aucune appréciation sur la portée de la demande.
En d'autres termes, le concours de la force publique est la règle c'est-à-dire qu'elle doit en principe être accordée.
Le refus n'est que l'exception en cas de troubles excessifs à l'ordre public.
La rupture d'égalité devant les charges publiques peut découler d'un acte réglementaire qui, tout en étant légal,
cause un préjudice anormal à une catégorie de personnes déterminée =>Arrêt du 22 février 1963 Commune de
Gavarnie.Pour des raisons d'ordre public, les voies d'accès au cirque de Gavarnie avaient été modifiées par un
acte réglementaire. Cet acte a occasionné un préjudice anormal au propriétaire d'une boutique de souvenirs
située le long d'un chemin désormais interdit aux piétons. Ce commerçant a subi une chute brutale de son chiffre
d'affaire. Dans cette hypothèse, le préjudice a été réparé sur le fondement de rupture de l'égalité devant les
charges publiques.
A la responsabilité sans faute admise par l'arrêt Lafleurettedu CE du 14 janvier 1938, le juge administratif a
récemment ajouté, par sa décision Gardedieu du CE du 8 février 2007, l'obligation pour l'Etat de réparer les
préjudices causés par une loi contraire aux engagements internationaux. La jurisprudence administrative a connu
des évolutions significatives s'agissant de la responsabilité du fait des lois.
A l'origine, le juge administratif avait posé en règle que la loi, acte de souveraineté de l'Etat, n'était pas
susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat, sauf si le législateur l'avait expressément prévu. Mais, l'arrêt
Lafleuretteest venu rompre avec cet état du droit. En l'espèce, était en cause une loi de 1934 interdisant la
fabrication de certains produits. Cela avait contraint la société Lafleurette à cesser son activité. Le texte ne
prévoyait aucune indemnisation. Pourtant, le CE décide que l'Etat, même s'il n'avait pas commis de faute, devait
réparer le préjudice causé car il constituait une charge anormale créée dans l'intérêt général. Pour le juge
administratif, même si l'Etat n'a pas commis de faute, il se doit d'indemniser la société et rien ne permettait de
penser que le législateur avait entendu exclure toute indemnisation.
Au regard de cette décision, la responsabilité du fait des lois est soumise à deux conditions :
- Comme tout responsabilité sans faute fondée sur la rupture d'égalité devant les charges publiques, elle suppose
un préjudice spécial et anormal.
- La responsabilité sans faute de l'Etat ne peut être retenue s'il apparait que le législateur a entendu exclure
implicitement ou explicitement toute indemnisation.
Mais, cette seconde condition semble faire l'objet d'une interprétation plus souple. Dans une décision du 30
juillet 2003 Association pour le développement de l'aquaculture en région Centre, le CE affirme que le
silence du législateur n'exclut pas l'indemnisation des préjudices anormaux subis par ceux dont l'activité n'est pas
contraire au objectif de la loi =>Le silence du législateur, s'agissant de l'indemnisation, ne semble plus être un
élément probant. A priori, l'exclusion de l'indemnisation doit être explicite.
Plus récemment, la responsabilité du fait des lois a connu de nouveaux développements car le CE a jugé que la
responsabilité de l'Etat pouvait être engagée si une loi était contraire à un engagement international. Depuis la
jurisprudence Niccolodu CE du 20 octobre 1989, le juge administratif se reconnait compétent pour confronter
une loi aux engagements internationaux de la France et pour écarter l'application d'une loi contraire à un tel
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engagement. C'est le contrôle de conventionalité. Le CE a ensuite estimé que l'administration commettait une
faute si elle faisait application d'une loi contraire à une convention internationale. Cela découle de l'arrêt du CE
du 28 février 1992 "Société Arizona Tobacco". Mais, un pas supplémentaire a été franchi par le CE dans son
arrêt Gardedieu : "La responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée en raison des
obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités
publiques et pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en
méconnaissance des engagements internationaux de la France". Cela signifie que, dans l'hypothèse où le
législateur a adopté une disposition législative contraire à une convention internationale et dans l'hypothèse où
cela crée un dommage à un administré, la responsabilité de l'Etat peut être engagée.
L'Etat français doit assurer la réparation des préjudices anormaux et spéciaux causés par l'application des traités
auxquels il est partie et qui ont été régulièrement incorporés dans l'ordre juridique interne. Cette responsabilité
est admise depuis un arrêt d'assemblée du CE du 30 mars 1966 "Compagnie générale Radioéléctrique".
Cette décision s'inscrit dans la logique de la jurisprudenceLafleurette. Ainsi, dès lors que l'application d'un traité
international engendre pour une catégorie déterminée de personnes un préjudice spécial et anormal, la
responsabilité de l'Etat sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques peut être
engagée.
Exemple : arrêt du CE du 29 octobre 1976 Dame Burgat. Était en cause une convention internationale qui
interdit toute poursuite à l'encontre des diplomates. Or, un diplomate n'avait pas payé tous ses loyers. Du fait de
l'application de la convention, le propriétaire de l'appartement loué n'a pas pu poursuivre ce diplomate en justice
et obtenir le paiement des loyers. Mais, il a pu engager la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement de
la responsabilité du fait des traités internationaux.
Certaines opérations administratives non fautives peuvent causer à certaines personnes un préjudice grave et
anormal dans l'intérêt général.C'est ainsi que le CE a indemnisé le préjudice causé à une avocate handicapée en
raison de la non-réalisation par l'Etat des travaux nécessaires à l'accessibilité des bâtiments de justice. La
requérante était en fauteuil roulant et aucune rampe d'accès pour les personnes handicapées n'avait été
construite dans les tribunaux où elle devait exercer son activité. Cette absence de réalisation des travaux
nécessaires s'expliquait par des considérations d'intérêt général et plus précisément par le coût exorbitant des
travaux à réaliser =>Arrêt du CE du 22 octobre 2010 "Bleitrach".Le CE a accepté d'engager la responsabilité
sans faute de l'Etat fondée sur la rupture de l'égalité devant les charges publiques. Mais, pour que cette
responsabilité puisse s'appliquer, il faut démontrer que, pour des raisons d'intérêt général, le requérant a subi un
préjudice spécial et anormal.
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