Evolution Et Évaluation Des Politiques Publiques Au Maroc2

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Evolution et évaluation des politiques publiques au Maroc


(notes pour le cours, partie II)

I-Évolution des politiques publiques au Maroc

Les politiques publiques au Maroc ont connu un changement important depuis


les années quatre-vingt, liée à une évolution et une relative ouverture
politique. Ce qui a entraîné des impacts déterminants sur les changements
socio-économiques du pays.

L’arrivée au pouvoir du gouvernement de transition en 1998 a introduit une


nouvelle vision des politiques publiques dont l’objectif était la création des
conditions politiques et économiques d'un changement social en profondeur.

Toutefois l’impact de cette vision tarde à se traduire effectivement mais on


peut remarquer l’initiation d’une dynamique de changement.

Un des changements les plus importants, selon Abdelhamid Benkhattab, est la


pacification de la société. S’appuyant sur la théorie du sociologue allemand
Norbert Elias1, il constate que le recours à la violence, comme forme et moyen
de l'agir social, était devenu de plus en plus stigmatisé, interdit et délégitimé,
dans la société marocaine.

Pour démontrer cette affirmation il s’appuie sur un certain nombre de facteurs


considérés comme révélateurs de la pacification de la société et donc son
changement grâce à l’impact des nouvelles politiques publiques.

1
ELIAS Norbert, La civilisation des moeurs, Paris, Calmann-Lévy, 1973
« Il estime que les sociétés modernes se sont engagées dans un long processus d'interdiction, peu à peu
intériorisée, de la violence physique (Elias, p.172.). Ce processus s'est accompagné d'un travail de socialisation,
sur plusieurs générations, faisant du contrôle et du refoulement des pulsions primitives des individus un critère
de leur civilité et de leur modernité ».
2

Parmi ces facteurs on trouve entre autres :

- le degré de pénétration de l'Etat dans la société et dans le territoire


national :
L’Etat marocain contrôle aujourd’hui la totalité de son territoire, ce qui
n’était pas le cas avant la colonisation (tribu siba, hors contrôle de l’Etat).
- le recours de plus en plus grandissant aux mécanismes de négociations
et des concertations :
L'adhésion aux normes et principes universels des droits de l'homme
expressément inscrite dans les préambules des constitutions de 1992,
1996 et 20112, la création en novembre 1993 d'un département
ministériel chargé des droits de l'homme, et la création, en janvier 2004,
de l’Instance Équité et Réconciliation, chargée de déterminer la part de la
responsabilité de l'Etat dans les violations des droits de l'homme et le
dédommagement de leurs victimes.

Il faut noter que l'action publique, en la matière avait indéniablement


amené les acteurs politiques à faire de la négociation et de l'approche
participative un moyen de plus en plus privilégié, non seulement, dans la
conception et l'exécution des différentes politiques publiques, mais aussi
dans la gestion et la résolution des conflits et des différentes résistances
qu'elles génèrent.

L'institutionnalisation des rapports sociaux et politiques:

Le recours aux négociations comme moyen de conception des politiques


publiques et de gestion des conflits avait conduit les acteurs publics et
civils à l'institutionnalisation progressive de leurs relations afin de réduire
le coût matériel et temporel des négociations.

La modernisation et la promulgation des différents codes régissant les


rapports sociaux et économiques comme :

2
Les constitutions de 1992 et de 1996 stipulent dans leur préambule que le royaume « adhère totalement, aux
droits et aux obligations découlant des chartes des organisations (internationales), comme il réaffirme sa
détermination à se conformer aux droits de l’Homme universellement reconnus ».
3

- les codes de la famille et du travail en février et mai 2004,


- la réforme du Code de commerce en 1995,
- la réforme du droit de la propriété industrielle, littéraire et artistique en
1997,
- la création des tribunaux commerciaux,
- la réforme du code de la route en 2010… restent des indicateurs
significatifs des bouleversements institutionnels qui vont dans le sens de
la pacification des mœurs dans notre société.

L'urbanisation des espaces ruraux :

Cet indicateur résulte de l'effort fourni par les autorités publiques ces
dernières années afin de réduire l'écart existant entre les zones rurales et
urbaines d'une part, les écarts entre les différentes zones à l'intérieur des
pôles urbains et ruraux, d'autre part.

L'investissement massif dans les secteurs sociaux comme :

- le lancement, en 2005, de l'initiative nationale pour le développement


humain INDH.

- la stratégie d'habitat social pour la création de 150.000 habitats par an.

- le lancement d'un vaste programme d'alphabétisation et de la


promotion de l'éducation informelle et professionnelle.

- le lancement du programme national de généralisation de


l'électrification et de l'eau potable pour les régions rurales.

- la mise en œuvre du programme de désenclavement des zones rurales


(80% dans l'horizon de 2015).

- Le lancement du programme de mise à niveau des pôles urbains,


étendu à toutes les villes du Royaume et la mise en œuvre, à partir de
2007, de l'assurance maladie obligatoire… attestent de ces efforts.

La "gendérisation" de l'action publique :

Jusqu'à une date récente, le système étatique était par nature, un


système masculin, basé sur la domination masculine. Cette
caractéristique est en train de se réduire grâce, notamment au combat
4

des associations féministes, à l'implication des femmes dans les


différents processus de conception, de prise de décisions publiques,
d'exécution et d'évaluation des politiques publiques nationales.

Cette démarche s'illustre par le lancement du processus de


budgétisation sensible au genre depuis la préparation de la Loi de
Finances 2007, suite aux directives énoncées par la circulaire du Premier
Ministre, du 8 mars 2007 qui appelle l’ensemble des Départements
Ministériels à intégrer la dimension genre dans toutes les politiques de
développement.

Ce processus se vérifie également par la participation collective et


individuelle, aussi bien quantitative que qualitative des femmes dans la
vie politique et institutionnelle du pays.

Leur poids commence désormais à se faire sentir non seulement sur le


plan numérique mais aussi sur le plan discursif et symbolique des acteurs
sociaux et économiques. On assiste ainsi à un processus de féminisation
de la société qui inversera à terme la configuration des rapports sociaux
actuels.

La territorialisation des politiques publiques :

Ce processus se dégage d'abord à partir du discours des différents


acteurs sociaux et politiques plus respectueux des différentes
territorialités. Du coup, la différence socio politique et territoriale est de
plus en plus intégrée dans les différentes politiques publiques.

La langue amazighe qui était jusque-là une langue indigène, est


réhabilitée pour devenir un élément principal de la culture et de
l'identité nationale. Cette réhabilitation sera effective avec la création de
l'Institut Royal de la Culture Amazigh IRCAM, le 17 octobre 2001 et
ensuite avec l’officialisation de la langue amazighe dans la constitution
de 2011.

Evidemment, une telle décision crée une nouvelle dynamique culturelle


et symbolique au Maroc en mettant en place les conditions objectives de
la territorialisation des différentes politiques publiques et de la
délocalisation du sens politique.
5

Rappelons qu'au Maroc le rapport de l'Etat avec le local était


essentiellement conditionné par des considérations d'ordre sécuritaire.

Les espaces locaux et territoriaux, étaient perçus par les politiques


publiques comme des entités objectives sur lesquelles on pouvait agir,
abstraction faite de leurs populations et du sens qu'elles leur donnent.

La réhabilitation de la culture Amazighe avait de ce fait lancé un


processus irréversible de délocalisation du sens politique, qui avait pris
forme avec la proposition d'accorder l'autonomie politique aux régions
sahariennes et le lancement, à partir de janvier 2010, d'un débat sur la
forme que devrait prendre la régionalisation avancée dans l'avenir.

II- Résistances aux changements

Il est évident que ces différents processus ne peuvent pas aboutir sans
déclencher une réaction de résistance multiforme, parfois déclarée, mais
souvent latente de la part des acteurs sociaux et institutionnels.

La résistance au changement et à l'innovation sociale est sans doute un


phénomène humain très ancien qui est lié au mécanisme de résonance
cognitive des individus et des groupes. Elle implique de ce fait une difficulté
logique d’accepter une situation et son dépassement.

En fait, il semble que cette résistance, prend deux formes :

- Celle d'une simple démobilisation à l'égard de la politique publique visée,


nous sommes là devant une résistance latente (comme c'est le cas pour les
différentes politiques publiques culturelles ou de l'enseignement qui n'étaient
pas expressément rejetées mais simplement ignorées : ex la scolarité des filles
dans le milieu rural, le boycott de certaines politiques d'habitat comme celles
des villages exemplaires…etc.).

Cette forme de résistance est probablement la plus problématique, dans la


mesure où elle est difficilement justifiée et contrôlée. La rumeur, la
diabolisation, l'anecdote, et la minimisation des avantages d'une politique
publique ou la critique de son équité semblent souvent des arguments
efficaces pour démobiliser la population et créer des réticences à son égard.
6

Du coup, une politique publique de l'enseignement dans les milieux ruraux


peut, du point de vue quantitatif, atteindre ses objectifs fixés au départ, mais,
en cas de démobilisation des populations, son impact social serait
substantiellement réduit. Ce qui se répercute directement sur son coût global.

Car si le changement social à travers les politiques publiques est inéluctable,


son coût économique et temporel reste tributaire de l'efficacité de l'impact
de ces politiques sur la société et des changements qu'elles y opèrent.

- La deuxième forme de résistance est manifeste. Elle s'exprime ouvertement à


travers une mobilisation effective ou simplement discursive de la population
contre une politique publique.

Comme c'est le cas des manifestations, sit-in, actions médiatiques… contre la


politique de l'emploi, ou de l'expropriation des terres ou contre la politique
étrangère du gouvernement etc. cette forme de résistance exprime souvent le
rejet de la politique adoptée par l'Etat à l'égard du secteur visé. Elle offre
également une occasion pour le gouvernement de tester sa popularité et le
degré de soutien des masses.

- La résistance au changement peut aussi et surtout provenir des institutions


responsables des politiques publiques. Le phénomène de la dépendance
institutionnelle qui se manifeste par la relative inertie des politiques publiques,
en dépit des injonctions au changement qu'elles induisent. En d'autres termes,
l'héritage institutionnel et les pratiques mémorisées dans le passé (règles,
procédures et routines…) pèsent souvent lourd dans l'élaboration et l'exécution
des politiques publiques. Il serait dès lors difficile, du moins à court terme, pour
l'administration de se dessaisir totalement de ses pratiques centralisatrices,
dirigistes et autoritaires de sa conception du territoire, malgré sa volonté de le
faire. Cela se fait souvent à travers un processus d'apprentissage et
d'accommodation avec les nouvelles politiques. De plus, la rigidité de
l'architecture institutionnelle influe immanquablement sur la prédisposition
des acteurs institutionnels à mener à bien les changements requis par leurs
propres politiques et leurs propres décisions.

Exemple : la politique sécuritaire axée sur la sécurité des citoyens demeure


inopérante dans une administration ou l'architecture hiérarchique exprime
d'abord une culture axée sur la sécurité de l'Etat.
7

Il serait également difficile pour le bureaucrate installé au centre de penser le


local alors qu'il est lui-même coupé physiquement et symboliquement de cette
réalité, comme il lui serait difficile d'adopter une approche des politiques
publiques participative alors qu'il est lui-même immergé dans une culture
institutionnelle basée sur la notion de concentration du pouvoir au niveau
central.

Évaluation des politiques publiques au Maroc


La pratique de l’évaluation des politiques publiques est, avant tout, liée à
l’instauration des principes et fondements de la démocratie dans les systèmes
nationaux
Au Maroc, l’évaluation des politiques publiques est une pratique très récente.
En effet, les premières évaluations suivant des approches scientifiques fondées
remontent au milieu des années quatre-vingt-dix, effectuées surtout par les
institutions internationales, notamment la Banque mondiale. L’exigence des
bailleurs de fonds internationaux de réaliser un suivi/évaluation ou des audits
pour les projets financés dans le cadre de la coopération internationale et des
partenariats avec les institutions internationales a fortement contribué à attirer
l’attention sur l’importance de l’évaluation.

Les tentatives d’institutionnalisation


Parmi les tentatives d’institutionnalisation dans le paysage administratif
marocain de la démarche évaluative, on retiendra deux expériences :

L’expérience du département du Plan à travers la création du CNEP (centre


national d’évaluation des programmes) ; ayant pour mission de superviser la
conduite d’évaluations intersectorielles.

C’est dans le cadre d’un programme de formation à l’analyse de projets,


financé par la Banque Mondiale, le PNUD, l’USAID et la Coopération Française
en 1984, pour le compte du département du Plan, que le concept d’évaluation
a fait son entrée dans l’administration marocaine comme composante d’un
projet plus vaste.
8

L’objectif de cet ambitieux «Programme National de formation en Analyse et


Gestion de Projets» (PNAP) étalé sur 10 ans, était de «renforcer les
connaissances et élever les compétences professionnelles des hauts cadres en
matière de management, d’analyse, de suivi et de post-évaluation de projets,
dans le but de transposer dans la pratique courante de l’administration
publique, les meilleures techniques de gestion de projets». C’est ainsi que de
1983 à 1994, dix promotions de hauts cadres totalisant en tout 150
fonctionnaires issus de différents ministères, (Equipement, finances, agriculture
…) ont bénéficié de ce programme de formation qui avait pour objet d’unifier la
vision et les concepts afin que «tous les ministères parlent le même langage, en
matière d’étude de faisabilité, de suivi de contrôle et d’évaluation de projets.»

Au PNAP qui était un centre de formation, a succédé, la création en 1998 par


simple arrêté ministériel du Centre National d’Evaluation des Programmes
(CNEP). Cet organe était destiné à permettre au Département de la Prévision
Économique et du Plan, de mener à bien sa mission en matière d’évaluation.
L’occasion fut saisie pour souligner l’importance et la particularité de la
démarche évaluative et d’en appeler à la nécessité de procéder à des
«évaluations de programmes socio- économiques».

Ainsi, un premier contenu, plus précis, fut donné à la notion d’évaluation :


«L’évaluation consiste à déterminer dans quelle mesure les actions de
développement réalisées ont engendré les effets et les impacts escomptés sur
le mieux-être social et économique des populations bénéficiaires.»

Les attributions assignées au CNEP en matière d’évaluation couvrent tous les


aspects : de la formation à la diffusion de savoirs méthodologiques, en passant
par la réalisation d’enquêtes et d’études jusqu’à l’élaboration de rapports
d’évaluation de projets, de programmes et de politiques publiques à
proprement dit ! Le bilan de cette expérience dans le seul domaine de la
sensibilisation à l’évaluation interministérielle, est insignifiant pour ne pas avoir
survécu à la publication d’un manuel sur l’évaluation rétrospective au Maroc,
et à la réalisation d’une enquête sur la perception de l’évaluation par
l’administration marocaine.
9

En marge des structures ad hoc, auxquelles sont confiées ponctuellement des


travaux d’évaluation, certaines administrations ont mis en place des structures
permanentes de suivi et «d’évaluation» sectorielles. C’est le cas notamment
des ministères des Finances, de l’Agriculture, de l’Enseignement Supérieur, de
la Santé, des Transports, de l’Education Nationale. Il va sans dire que la variété
des activités rangées sous cette appellation, change considérablement d’un
département à l’autre.

Quant à l’institution législative, le peu d’intérêt que manifeste l’exécutif à


l’endroit de l’activité évaluative, ne l’incite guère à prendre en compte
l’évaluation. De fait, elle semble complètement absente du champ des
préoccupations actuelles.

Les deux principales missions du Parlement sont, le débat et l’adoption des lois
après un examen attentif, et le contrôle de la bonne application par l’exécutif
des lois votées et le compte rendu aux électeurs de l’action des ministres et de
l’administration. Si la première requiert que les projets de textes soient
accompagnés d’une analyse en amont (évaluation ex ante, études d’impact,
rapports administratifs ou autre…), la seconde met plus directement en relief
l’importance de l’évaluation à posteriori de l’action publique.

Le travail parlementaire pour être convenablement mené doit satisfaire à trois


préalables qui en conditionnent à la fois la qualité et l’efficacité. Il requiert au
titre de la première mission que les parlementaires soient informés, qu’ils
puissent se répartir efficacement le travail d’examen des textes et que la
procédure de vote leur donne l’occasion de faire valoir leurs arguments.

Sur tous ces points notre procédure législative est défaillante. L’accès à
l’information est sans doute l’un des points noirs de la procédure. Il est rare
que les parlementaires aient accès aux études et documents préparatoires en
amont qui ont précédées l’élaboration d’un texte. Dans ce domaine, pas plus
que nous n’avons de pratique en matière d’évaluation, nous n’avons pas dans
notre culture administrative de traditions réellement établies.

L’information du Parlement sur l’action gouvernementale et de l’administration


sur toutes les questions intéressants la vie de la nation est assurée dans la
plupart des cas, par le travail des commissions permanentes et par les
commissions d’enquête. Les membres des assemblées ont également la
10

possibilité de poser des questions aux ministres et de leur adresser des


interpellations.

Les moyens essentiels d’information des commissions sont l’audition et la


collecte d’informations et de données administratives. Les commissions
permanentes manquent de moyens humains et matériels d’investigation et
d’étude mis à leur disposition. Et alors même qu’elles ont pour mission
d’examiner les textes avant leur vote par le Parlement, elles sont trop peu
nombreuses (6 au total pour la chambre des représentants.

Le recours aux commissions d’enquête demeure restreint car nécessairement


réservé à des dysfonctionnements constatés, et portés au préalable à
l’attention du Parlement afin de justifier la mise en place d’une commission.

Si l’évaluation est peu implantée dans le paysage institutionnel marocain, en


revanche les pratiques évaluatives parmi l’administration existent, mais sont
éparses, non systématiques et souvent peu codifiées dans leur méthodologie.
Le gouvernement marocain s’est employé, dès l’année 2002, à apporter
quelques ajustements aux procédures de préparation et d’exécution du
budget, en substituant une «logique de résultats» à une «logique de moyens».

Ces initiatives rarissimes, malgré leur intérêt, rencontrent des obstacles qui
limitent leur impact :

Le premier obstacle à la pratique de l’évaluation des politiques publiques au


Maroc c’est leur évaluabilité même, c’est-à-dire est-ce que l’action publique est
clairement déclinée pour qu’elle puisse se prêter à l’évaluation de ses résultats,
ses réussites ou limites ?

Le deuxième obstacle c’est l’absence de dispositifs institutionnels d’évaluation


au sein du gouvernement ou/et du Parlement chargés d’apprécier
objectivement les stratégies sectorielles de développement en cours ou
émergentes (Plan vert, Halieutis, etc.)

Le troisième défi est le peu d’incidence qu’a la pratique de l’évaluation au


Maroc sur le bien-fondé et la redéfinition de l’action publique “Pourquoi et
pour qui évaluerait-on ? Il faut qu’il y ait une commande d’évaluation.
L’information coûte chère, et pour qu’elle soit utilisée, elle doit répondre à une
commande…, un projet finit de manière routinière par une «évaluation
11

administrative» qui correspond dans les faits à un descriptif des réalisations, et


tout le monde est content !»

Le quatrième obstacle se trouve dans la méconnaissance des exigences de la


démarche évaluative, particulièrement l’indépendance et la crédibilité

Le cinquième problème ce sont les difficultés d’accès aux données pour réaliser
les évaluations indépendantes et fiables ;

Le sixième problème est l’absence de recherche scientifique dans le domaine


de l’évaluation des politiques publiques.

Le septième problème est l'absence de cadre juridique et de textes


réglementaires organisant la pratique de l'évaluation.

Cela se traduit par le peu d'intérêt des administrations à recourir à l'évaluation,


laquelle demeure le plus souvent tributaire de la demande émanant des
institutions internationales.

Pas plus que dans les textes, la pratique de l’évaluation au Maroc n’est
susceptible de faire état de réalisations probantes. N’étant pas intégrée en
vertu de dispositions juridiques contraignantes au système et à la chaîne de
production de la norme publique. La démarche évaluative n’a donné lieu qu’à
une production quantitativement faible et qualitativement disparate.

Le plan Maroc Vert


Malgré l’urbanisation rapide que connait notre pays, le monde rural continue à
occuper à une place centrale tant au niveau de l’économie qu’au niveau de
l’organisation territoriale.
Il représente 90 % de la superficie du Maroc, 39 % de la population, 85 % des
communes, 43% des actifs et 20% du PIB.
La politique agricole au Maroc a connu plusieurs évolutions depuis
l’indépendance et jusqu’aux années 80 oscillant entre un double objectif
d’autosuffisance alimentaire et de promotion d’une agriculture d’exportation
compétitive avec une concentration des efforts et des moyens sur quelques
espaces limités, des périmètres équipés et irrigués à partir de grands ouvrages
hydrauliques, et fortement encadrés.
12

Les moyens mis en place ont varié entre Investissement massive dans les
infrastructures de base, organisation des conditions d’exploitation des terres
ainsi mises en valeur (aménagements fonciers, plans de rotation, encadrement
technique et logistique…), distribution de primes et subventions pour favoriser
l’intensification de la production.
Au cours des années 1980, il y a eu remise en cause de cette politique par la
politique dite « d’ajustement structurel ».
Le programme d’ajustement engagé dans l’agriculture s’articule autour de deux
axes majeurs :
- Désengagement de l’Etat
- libéralisation des échanges
Il n’est plus question « d’autosuffisance » mais de simple « sécurité
alimentaire », donc développement des exportations, capables de fournir les
devises suffisantes pour importer les denrées alimentaires que l’agriculture
n’arrive plus à produire, les « Offices de mise en valeur » s’étaient désengagés
de toutes les prestations de services et des opérations à caractère commercial
qu’ils assuraient auparavant. Désormais les pouvoirs publics n’ont plus le souci
de mise en concordance de la production avec l’évolution de la consommation
intérieure.
L’Etat avait privatisé des activités comme le commerce des engrais ou les
services vétérinaires.
Les commerces intérieur et extérieur des produits agro-alimentaires avaient
été libéralisés. Les prix de la plupart des produits agricoles précédemment
réglementés avaient été aussi libéralisés, à l’exception de la farine de blé
tendre ordinaire et du sucre.
La mise en œuvre de la stratégie PMV élaborée par le gouvernement marocain
a engendré, au cours des quatre dernières années, une amélioration de
l’investissement dans le secteur agricole, et a permis de générer des effets
positifs en termes de valeur ajoutée, d’emploi et des exportations. Cependant,
malgré ces avancées, des contraintes structurelles, dont souffre le secteur
agricole depuis des décennies, empêcheront la pleine réalisation des objectifs
de la stratégie, tels qu’ils ressortent des évaluations faites à l’horizon 2020. Les
bénéfices ainsi escomptés du PMV, risquent de se transformer en des effets
contrastés pour l’agriculture marocaine et, partant, pour l’ensemble de
l’économie et de la société.
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1990, les programmes d’ajustement négociés avec le FMI furent arrêtés mais la
politique de libéralisation des échanges fut au contraire accentuée. Les
politiques conduites tout au long des précédentes décennies ont failli en
n’arrivant pas à apporter une réponse au défi de la sécurité alimentaire.
Malgré l’importance stratégique du secteur et les progrès enregistrés, le
secteur reste marqué par plusieurs insuffisances qui sont résumées par Najib
Akesbi en :
- déficit de production et de productivité
- omnipotence des aléas climatiques
- ressources naturelles limitées et en dégradation continue
- structures foncières archaïques et contreproductives
- systèmes d’exploitation faiblement intensifs
- filières mal articulées avec le reste de l’économie
- pauvreté et analphabétisme de la population
- carence des infrastructures,
- sous et mal financement
- une dépendance alimentaire de plus en plus pesante

La pauvreté et les inégalités sont d’autres facettes des politiques publiques


poursuivies qui sont biaisées au profit des urbains qui restent favorisés dans
l’accès aux services de base. En effet, la pauvreté reste fondamentalement
attachée au monde rural qui, renferme 74,5% de la population pauvre du
Royaume.

L’agriculture souffre donc de déficits de politiques, d'institutions et de


gouvernance. C'est l'une des principales conclusions de l'étude prospective sur
l'agriculture à l'horizon 2030, menée sous la conduite du Haut-Commissariat au
Plan (HCP).

La nouvelle politique agricole, appelée « Plan Maroc vert », engagée à partir


de 2008, se donne comme objectifs :

- redonner à l’agriculture un rôle central dans l’économie nationale :


- Donner au secteur agricole une dynamique d'évolution harmonieuse,
équilibrée et évolutive qui tienne compte de ses spécificités ;
- Exploiter les marges de progrès et valoriser au mieux les potentialités
14

- Faire face aux nouveaux enjeux tout en préservant les équilibres sociaux
et économiques ;
- Accompagner la profonde mutation que connaît le système agro-
alimentaire mondial.

Pour atteindre ces objectifs, le PMV repose sur deux piliers majeurs :
l’agriculture moderne et solidaire.

L’objectif de l’agriculture moderne, est de développer une agriculture


performante, adaptée aux règles du marché, Grâce aux investissements privés,
organisés autour de nouveaux modèles d’agrégation.

Quant à l’agriculture solidaire, l’objectif est de développer une approche


orientée vers la lutte contre la pauvreté, en augmentant le revenu agricole des
exploitants les plus fragiles, Le pilier I :

L’objectif du Pilier I du Plan Maroc vert est le développement accéléré de


l’agriculture à forte valeur ajoutée et à forte productivité.

Cela passe par la création volontariste de pôles de développement agricoles et


agroalimentaires à forte valeur ajoutée, répondant pleinement aux exigences
du marché.

A terme, le pilier I devrait concerner 400.000 exploitants, générer 150 Md de


dirhams d’investissements autour de 900 projets.

Le modèle de l’agrégation repose formellement sur une double


contractualisation, entre l’État et l’agrégateur d’une part, entre l’agrégateur et
les exploitants agrégés d’autre part.

L’agrégation
L’agrégation est un modèle d’organisation des agriculteurs autour d’acteurs
privés ou d’organisations professionnelles à forte capacité managériale.

Son objectif est de dépasser les contraintes liées à la fragmentation des


structures foncières et assurer aux exploitations agrégées de bénéficier des
techniques modernes de production et du financement et d’accéder au marché
intérieur et extérieur.
15

Pour l’agrégateur, ce modèle d’organisation lui permet d’accéder à une large


assiette foncière sans mobilisation de capitaux

Pour les agriculteurs agrégés, ils vont pouvoir améliorer leur revenu et mieux
valoriser la production à travers l’amélioration de la qualité de la production et
un accès à un marché fiable d’acquérir de nouvelles compétences et de
nouvelles technologies d’avoir l’opportunité de reconversion dans des filières
plus valorisantes.

On distingue trois étapes pour mettre en œuvre l’agrégation ;

Phase de préparation : elle consiste en la préparation du dossier du projet avec


l’agrégateur, le programme d’investissement prévu dans le cadre du projet, les
interventions de l’agrégateur auprès des agrégés et l’identification des agrégés
intéressés.
Phase d’établissement d’une convention d’agrégation : Il s’agit de préciser les
engagements de l’agrégateur (les investissements à réaliser, les interventions
auprès des agrégés, nombre de producteurs à agréger, superficie ou cheptel à
agréger et objectifs de productivité à atteindre)

Phase de mise en œuvre : c’est la mise en œuvre du projet conformément aux


termes de la convention signée avec l’Etat et des contrats d’agrégation signés
avec les agrégés.

Le Pilier II :

Il prévoit un accompagnement solidaire de la petite agriculture avec comme


principaux objectifs :

- La modernisation solidaire de la petite agriculture afin de lutter contre la


pauvreté
- L’amélioration de la productivité et de la valorisation à travers des
actions d’encadrement (formation / vulgarisation) et de développement
rural ;
- L’appui à la reconversion vers des secteurs porteurs ;
- Mise en gestion déléguée des fonctions d’animation/encadrement des
petits exploitants ;
- Le développement d’outils d’agrégation sociale ;
16

Enfin le PMV se distingue par le fait qu’il est le premier plan sectoriel à être
décliné au niveau régional. En effet, 16 Plans Agricoles Régionaux (PAR) ont été
élaborés et mis en œuvre en fonction des possibilités et des engagements de
chacune des 16 régions du pays.

En termes d’investissements, l’effort projeté par le PMV apparaît donc


considérable : 147 milliards de dirhams (env. 13 mds d’euros) à
travers 1506 projets sur une dizaine d’années.

Critiques :
Nul n’ignore que l’action du Ministère de l’Agriculture revêt au Maroc, depuis
l’indépendance, un caractère stratégique qui lui confère une place toute
particulière au sein de l‘Etat. Ce positionnement se lit aussi à travers le nombre
considérable de travaux et d’études consacrés à ce secteur. Cette situation crée
donc un contexte favorable à la mise en œuvre de la démarche évaluative qui
est certes en soi productrice de savoirs, mais requiert tout autant la
préexistence d’informations et de données. Enfin ce département est sans
doute celui dont l’organigramme comporte le plus d’entités administratives
nommément chargées d’activités évaluatives. Esquisser un premier
rapprochement entre les attributions d’une part et la pratique d’autre part nous
a semblé mériter intérêt.

Le monde rural connaît des faiblesses structurelles : pauvreté, analphabétisme,


déficit en équipement de base, faible diversification des activités non agricoles,
morcellement excessif de la propriété.

L’espace rural apparaît toujours, comme le parent pauvre dans l’évolution qu’a
connue le pays dans tous les domaines. Le PMV prend-t-il en considération
cette réalité ?

Le plan Maroc Vert a été élaboré par un bureau d’études étranger dans une
opacité quasi totale. Il adopte un modèle productiviste « à l’ancienne »,
abandonné par les pays développés vu sa forte utilisation d’engrais, de
pesticides et d’eau dont les conséquences écologiques et environnementales
sont néfastes à long terme.
17

Le PMV affirme qu’aucune filière n’est condamnée et que « toutes peuvent et


doivent réussir », mais une liste limitée de filières est identifiée pour être
érigées en « filières de croissance », à haute valeur ajoutée et haute
productivité dans le cadre du premier pilier : agrumes, olives, maraîchages,
horticulture, céréales, lait, aviculture et viande bovine.

Les autres filières devraient se contenter de « l’accompagnement solidaire » du


second pilier.

En affirmant qu’aucune filière ne serait négligée, le PMV oublie qu’élaborer une


stratégie, c’est d’abord faire des choix, et même les hiérarchiser. Tout choisir
revient souvent à ne pas choisir, ou à choisir le pire.

Ne pas exprimer explicitement la volonté de favoriser les filières les plus vitales
pour la sécurité alimentaire, est un non-choix qui est en fait un choix… pour
perpétuer la dépendance alimentaire du pays.

Les rares objectifs chiffrés en la matière sont plus qu’inquiétants :

Le PMV prévoit une réduction des surfaces consacrés aux céréales de 20 % et


un accroissement de la production de presque autant (grâce à une supposée
amélioration des rendements de 50 %)

Or, si l’on ne retient que l’impact de la simple croissance démographique,


prévoir une production accrue de 20 % seulement revient concrètement à
programmer à 2020 une aggravation dans une proportion au moins aussi
importante de la dépendance alimentaire du Maroc en céréales !

Le PMV a une vision à la fois techniciste et productiviste. En effet il affirme que


l’agriculture est un secteur économique comme les autres, et tout ne serait
qu’affaire d’investissement. L’investissement – matériel et immatériel – est
évidemment un facteur nécessaire, il est loin d’être suffisant pour promouvoir
un véritable développement du secteur agricole. Des dimensions liées au cadre
politique et institutionnel, à l’organisation sociale et à des facteurs culturels
entre autres sont encore plus déterminantes. La « politique des barrages » est
un exemple de cette politique d’investissements massifs et de paris démesurés
sur les mérites de la modernisation, qui est avant tout « technique » (Akesbi,
2005).
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Le PMV ne semble pas connaître cette réalité béante de l’agriculture


marocaine : l’agriculture marocaine reste pour l’essentiel de nature «familiale».

Le problème de la sécurité alimentaire du pays ne semble pas encore recevoir


des réponses à la mesure de sa gravité, il n’y a rien dans ce plan qui esquisse
une stratégie de sécurité alimentaire pour le pays.

Quelle part de la demande interne en produits de base faudrait-il couvrir par la


production locale ?

Quelles seraient les conditions économiques, financières et sociales pour


atteindre les objectifs arrêtés ?

Le PMV ne se pose pas ces questions et ne leur apporte donc pas de réponse.

Le Plan Maroc Vert s’inscrit dans la lignée des plans sectoriels engagés depuis le
début des années 2000 ; tels « Azur » pour le tourisme, « Emergence » pour
l’industrie, « Rawaj » pour le commerce, « Halieutis » pour la pêche… réalisés
sans le moindre souci de coordination, ils s’ignorent donc royalement les uns
les autres, Chaque plan affiche ses propres objectifs et ses propres moyens,
quitte à ce que ceux des uns entrent en conflit avec ceux des autres l’addition
de plusieurs plans sectoriels ne donne pas, une stratégie globale et cohérente
pour le pays.

Les déficits sociaux marocains en matière d’éducation, de formation et de


recherche et innovation compromettent l’atteinte de tous les résultats
escomptés du PMV, dans les domaines de l’amélioration de la qualité des
produits agricoles, du placement de ces produits sur de nouveaux marchés
étrangers, de l’économie de l’eau et de la préservation de l’environnement.

L’objectif de développement de l’agrégation dans le pilier II de l’agriculture


marocaine ne pourra pas être atteint. Cette modalité de transformation de
l’agriculture traditionnelle ne semble pas avoir été suffisamment entourée de
garanties de réussite en déployant un certain nombre de mesures
d’accompagnement, dont la plus simple est l’élaboration d’un contrat type. En
plus, ne prévoir qu’une seule modalité et ne prévoir qu’un mode de production
unique pour le secteur traditionnel de l’agriculture est un parti pris idéologique
difficile à justifier, dans un pays qui se présente comme libéral.
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Cette politique maintiendra le caractère dualiste de l’agriculture marocaine et


les inégalités qui en découlent. Les efforts des politiques publiques, en dépit de
leurs insuffisances, ont permis de réaliser des succès et renforcer le rôle de
l’agriculture dans la dynamique de croissance. En plus de sa contribution au PIB
à hauteur de 16%, ses effets sur les échanges extérieurs sont importants avec
une valeur des exportations agricoles représentant une moyenne de 18% des
exportations globales. La production agricole permet la couverture des besoins
nationaux à hauteur de 100% des viandes, des fruits et des légumes, de 78%
des besoins en lait, mais seulement 62 % des céréales (dont 50% des besoins en
blé tendre avec une variation de 30 à 70% en fonction de la campagne
agricole).

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