Leblanc Article Arsene Lupin

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Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits »

(1933)
QUI EST ARSÈNE LUPIN ?
Maurice Leblanc
QUI EST ARSÈNE LUPIN ?

par Maurice LEBLANC

Comment est né Arsène Lupin ?

De tout un concours de circonstances. Non seulement je ne


me suis pas dit un jour : je vais créer un type d’aventurier qui
aura tel et tel caractère, mais je ne me suis même pas rendu
compte tout de suite de l’importance qu’il pouvait prendre dans
mon œuvre.

J’étais alors enfermé dans un cercle de romans de mœurs et


d’aventures sentimentales qui m’avaient valu quelques succès,
et je collaborais d’une manière constante au Gil Blas.

Un jour, Pierre Lafitte, avec qui j’étais très lié, me demanda


une nouvelle d’aventures pour le premier numéro de Je sais
tout qu’il allait lancer. Je n’avais encore rien écrit de ce genre, et
cela m’embarrassait beaucoup de m’y essayer.

Enfin, au bout d’un mois, j’envoyais à Pierre Lafitte une nou-


velle où le passager d’un paquebot de la ligne Le Havre – New
York raconte que le navire reçoit au large, et en plein orage, un
sans-fil annonçant la présence, à bord, du célèbre cambrioleur
Arsène Lupin, qui voyage sous le nom de R… À ce moment,
l’orage interrompt la communication. Inutile de dire que la
nouvelle met tout le transatlantique sens dessus dessous. Des
vols commencent à se produire. Tous les voyageurs dont le nom
commence par un R sont soupçonnés. Et c’est seulement à l’ar-
rivée qu’Arsène Lupin est identifié. Il n’était autre que le narra-
teur même de l’histoire, mais comme son récit était fait d’une

–2–
façon tout objective, aucun des lecteurs, parait-il, n’avait pensé
un instant à porter ses soupçons sur lui.

L’histoire fit du bruit. Pourtant, lorsque Lafitte me demanda


de continuer, je refusai : à ce moment-là, les romans de mystère
et de police étaient fort mal classés en France.

J’ai tenu bon pendant six mois, mais, malgré tout, mon esprit
travaillait. D’ailleurs, Lafitte insistait, et, lorsque je lui faisais
remarquer qu’à la fin de ma nouvelle j’avais coupé court à tout
développement ultérieur, en fourrant mon héros en prison, il
me répondait tranquillement

– Qu’à cela ne tienne… qu’il s’évade !

Il y eut donc un second conte, où Arsène Lupin continuait à


diriger des « opérations » sans quitter sa cellule ; puis un troi-
sième où il s’évadait.

Pour ce dernier, j’eus la conscience d’aller consulter le chef de


la Sûreté. Il me reçut très aimablement et s’offrit à revoir mon
manuscrit… mais il me le renvoya au bout de huit jours, avec sa
carte et sans un commentaire… Il avait dû trouver cette évasion
complètement impossible !…

Et, depuis, je suis le prisonnier d’Arsène Lupin ! L’Angleterre,


d’abord, a traduit ses aventures, puis les États-Unis, et mainte-
nant, elles courent le monde entier.

L’épigraphe « Arsène Lupin, gentleman cambrioleur », ne


m’est venue à l’esprit qu’au moment où j’ai voulu réunir en vo-
lume les premiers contes, et qu’il m’a fallu leur trouver un titre
général.

–3–
Un de mes plus efficaces éléments de renouvellement pour les
aventures d’Arsène Lupin a été la lutte que je lui ai fait soutenir
contre Sherlock Holmes, travesti en Herlock Sholmès. Je peux,
néanmoins, dire que Conan Doyle ne m’a nullement influencé,
pour la bonne raison que je n’avais encore jamais rien lu de lui,
lorsque j’ai créé Arsène Lupin.

Les auteurs qui ont pu m’influencer sont plutôt ceux de mes


lectures d’enfant ; Fenimore Cooper, Assolant, Gaboriau, et plus
tard, Balzac, dont le Vautrin m’a beaucoup frappé. Mais celui à
qui je dois le plus, et à bien des égards, c’est Edgar Poe. Ses œu-
vres sont, à mon sens, les classiques de l’aventure policière et de
l’aventure mystérieuse. Ceux qui s’y sont consacrés depuis n’ont
fait que reprendre sa formule… autant qu’il peut être question
de reprendre sa formule à un génie ! Car il savait, lui, comme
nul ne l’a jamais tenté depuis, créer autour de son sujet une at-
mosphère pathétique.

D’ailleurs, ceux qui lui ont succédé ne l’ont généralement pas


suivi dans ces deux voies, mystère et police ; ils se sont orientés
surtout vers la seconde. Ainsi, Gaboriau, Conan Doyle et toute la
littérature qu’ils ont inspirée en France et en Angleterre.

Pour moi, je n’ai pas cherché à me spécialiser ; toutes mes


œuvres policières sont des romans mystérieux, toutes mes œu-
vres de mystère sont des romans policiers. Je dois dire que mon
personnage même m’y a conduit.

La situation n’est, en effet, pas la même suivant que le per-


sonnage central est le bandit ou le détective. Lorsque c’est le dé-
tective, cela présente cet intérêt que le lecteur ne sait jamais où
il va, puisqu’il est du côté du détective qui se trouve en face de
l’inconnu. Au contraire, lorsque le récit tourne autour du ban-
dit, on connaît d’avance le coupable, puisque c’est justement lui.

–4–
D’autre part, j’ai dû faire d’Arsène Lupin un héros double, un
homme qui soit à la fois un bandit et un garçon sympathique
(car il ne peut y avoir de héros de roman qui ne soit sympathi-
que). Il fallait donc ajouter à mon récit un élément humain pour
faire accepter ses cambriolages comme des choses très pardon-
nables, sinon toutes naturelles. D’abord, il vole beaucoup plus
par plaisir que par avidité. Ensuite, il ne dépouille jamais des
gens sympathiques. Il se montre même parfois très généreux.

Enfin, ses exploits malhonnêtes sont souvent expliqués en


partie par des entraînements sentimentaux qui lui donnent l’oc-
casion de faire preuve de bravoure, de dévouement et d’esprit
chevaleresque.

Dans Conan Doyle, Sherlock Holmes n’est animé que du désir


de résoudre des énigmes, et il n’intéresse le public que par les
moyens qu’il emploie pour y parvenir. Arsène Lupin, au
contraire, est continuellement mêlé à des événements qui, le
plus souvent, lui tombent dessus sans qu’il sache même pour-
quoi, et dont il doit sortir avec honneur… c’est-à-dire un peu
plus riche qu’avant. Lui aussi se jette dans des aventures pour
découvrir la vérité ; seulement cette vérité il l’empoche.

Cela ne signifie d’ailleurs pas qu’il se pose en ennemi de la so-


ciété. Au contraire, il dit de lui-même : « Je suis un bon bour-
geois… Si on me volait ma montre, je crierais au voleur. » Il est
donc, par goût, sociable et conservateur. Seulement, cet ordre
qu’il juge nécessaire, qu’il approuve même, son instinct le
pousse sans cesse à le bouleverser. Ce sont ses remarquables
dons à « barboter » qui l’amènent fatalement à être malhon-
nête.

Mais il est, dans ses aventures, un autre élément d’intérêt im-


portant et qui me semble avoir le mérite de l’originalité. Je ne
m’en suis pas rendu compte non plus tout de suite. D’ailleurs,
en littérature on ne prévoit jamais ce que l’on doit faire : ce qui

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vient de nous, se forme en nous et nous est souvent une révéla-
tion à nous-mêmes. Il s’agit dans le cas d’Arsène Lupin de l’inté-
rêt que présente la liaison du présent, dans ce qu’il a de plus
moderne, avec le passé, surtout historique ou même légendaire,
il ne s’agit pas de reconstituer des événements d’autrefois en les
romançant, comme dans Alexandre Dumas, mais de découvrir
la solution de problèmes très anciens. Arsène Lupin est conti-
nuellement mêlé à de tels mystères par le goût qu’il a de ces sor-
tes de recherches.

D’où cette série d’aventures d’Arsène Lupin où les faits sont


contemporains mais où l’énigme est historique. Par exemple,
dans L’Île aux trente cercueils, il s’agit d’un rocher entouré de
trente écueils. On l’appelle la Pierre-des-rois-de-Bohême ; mais
personne ne sait pourquoi. La tradition prétend seulement
qu’autrefois on amenait des malades sur cette pierre et qu’ils
guérissaient. Arsène Lupin découvre qu’un navire qui apportait
ce rocher de Bohême a échoué là du temps des druides, et que
les miracles dont on parlait étaient dus au radium que contenait
cette pierre (on sait, en effet, que la Bohême en est la plus
grande productrice).

Établir un roman d’aventures policières sur de telles données,


élève forcément le sujet ; et c’est une des raisons, j’imagine, qui
ont concouru à rendre populaire et attachante la personnalité de
ce Don Quichotte sans vergogne qu’est Arsène Lupin.

Le Petit Var, samedi 11 novembre 1933

–6–
Bibliographie sommaire des aventures
d’Arsène Lupin

Titre du roman ou du recueil Détail des recueils et an- Année de pa-


nées de parution dans les rution du re-
journaux cueil ou du
roman com-
plet
1 La Comtesse de Cagliostro (Le Journal 1923 – 1924) 1924
2 Arsène Lupin, Gentleman- L’Arrestation d’Arsène Lu- 1907
cambrioleur pin – Arsène Lupin en pri-
son – L’Évasion d’Arsène
Lupin – Le Mystérieux
voyageur – Le Collier de la
Reine – Le Sept de cœur –
Le Coffre-fort de madame
Imbert – La Perle noire –
Herlock Sholmes arrive
trop tard. (Je Sais Tout
1905 – 1906 – 1907)
3 Les Confidences d’Arsène Lupin Les Jeux du soleil – L’An- 1913
neau nuptial – Le Signe de
l’ombre – Le Piège infernal
– L’Écharpe de soie rouge
– La Mort qui rôde – Édith
au cou de cygne – Le Fétu
de paille – Le Mariage
d’Arsène Lupin. (Je Sais
Tout 1911 – 1912)
4 Le Bouchon de cristal 1912
5 Arsène Lupin contre Herlock Shol- La Dame blonde (Je Sais 1908
mès Tout 1906 – 1907) – La
Lampe juive (Je Sais Tout
1907)
6 L’Aiguille creuse (Je Sais Tout 1908 – 1909) 1909
7 La Demoiselle aux yeux verts (Le Journal 1926 – 1927) 1927
8 Les Huit coups de l’horloge Au Sommet de la tour – La 1923
Carafe d’eau – Thérèse et
Germaine – Le Film révé-
lateur – Le Cas de Jean-
Louis – La Dame à la ha-
che – Des Pas sur la neige

–7–
Titre du roman ou du recueil Détail des recueils et an- Année de pa-
nées de parution dans les rution du re-
journaux cueil ou du
roman com-
plet
– « Au dieu Mercure ».
(Excelsior 1920 – 1923)
9 « 813 » 1910
10 L’Éclat d’obus (Le Journal 1915) 1916
11 Le Triangle d’or (Le Journal 1917) 1918
12 L’Île aux trente cercueils (Le Journal 1919) 1920
13 Les Dents du tigre (Le Journal 1920) 1921
14 L’Homme à la peau de bique Nouvelle 1927
15 L’Agence Barnett et Cie Les Gouttes qui tombent – 1928
La Lettre d’amour du roi
George – La Partie de bac-
cara – L’Homme aux dents
d’or – Les Douze Africai-
nes de Béchoux – Le Ha-
sard fait des miracles –
Gants blancs... guêtres
blanches... – Béchoux ar-
rête Jim Barnett.
16 Le Cabochon d’émeraude Nouvelle 1930
17 La Demeure mystérieuse (Le Journal 1928) 1929
18 La Barre-y-va (Le Journal 1930) 1931
19 La Femme aux deux sourires (Le Journal 1932) 1933
20 Victor, de la brigade mondaine (Paris-Soir 1933) 1934
21 La Cagliostro se venge (Le Journal 1934) 1935
22 Les Milliards d’Arsène Lupin (L’Auto 1939) 1941

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