Langage Et Aphasie. Séminaire Jean-Louis Signoret-1993
Langage Et Aphasie. Séminaire Jean-Louis Signoret-1993
Langage Et Aphasie. Séminaire Jean-Louis Signoret-1993
104)
LANGAGE
ET APHASIE
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QUESTIONS DE PERSONNE
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L A N G A G E
ET APHASIE
Séminaire Jean-Louis Signoret
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Imprimé en Belgique
Dépôt légal : IS SN 07 7 9 - 9 1 7 9
Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles : 1993/0074/204 ISBN 2-8041-1775-8
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Professeur Jean-Louis Signoret
1933-1991
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Avant-propos
Avant-propos
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génération. Neuropsychologue de réputation internationale, il a beau-
coup contribué au développement de notre équipe. Il était notre ami.
Comment mieux perpétuer son souvenir qu’en continuant son enseigne-
ment : concrètement, en semant chaque année des graines de réflexion
qui sans doute susciteront des vocations ?
La culture et la curiosité de J.L. SIGNORET couvraient tous les
champs de la neuropsychologie, depuis ses racines historiques jusqu’à
ses prolongements récents faisant appel aux techniques les plus moder-
nes. Parmi ces domaines d’intérêt, l’aphasie et le traitement du langage
ont toujours été le terrain privilégié d’échanges d’idées et de débats
passionnés : du pied de F3 aux métaphores des sciences cognitives. Ce
premier Séminaire Jean-Louis SIGNORET a pour thème “Langage et
Aphasie” sans prétendre en épuiser toutes les facettes dans les douze
textes qui sont proposés ici au lecteur.
L’histoire de la neuropsychologie et celle de l’aphasiologie se confon-
dent depuis le XIXe Siècle et en réalité, longtemps avant que ces
disciplines soient ainsi nommées. Pierre MESSERLI insiste évidemment
sur cette période de “l’âge d’or”, véritable acte de naissance de la
neuropsychologie scientifique. Mais l’aphasie existe depuis que l’homme
est doué de langage. L’originalité du texte de P. MESSERLI est d’avoir
recherché ses traces dans des documents tels que les papyrus antiques
ou les écrits des grands précurseurs des XVIIIe et XIXe siècles. La
découverte de Broca est alors comprise dans son contexte historique. Il
n’est pas de meilleure introduction à l’aphasie que son histoire. Certains
y verront un contenu romanesque ! Tous y percevront les vraies questions
posées. Formulées en habits d’époque par P. MESSERLI, on les retrouve
sous l’éclairage de la neuropsychologie moderne dans le texte de
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Langage et aphasie
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Bernard LECHEVALIER et de Jean CAMBIER posent ainsi ces questions
fondamentales des “localisations des aphasies et des processus langa-
giers” depuis leurs fondements historiques jusqu’aux données récentes
provenant de la neuropsychologie, de la clinique neurologique ou de la
neurobiologie. B. LECHEVALIER s’attache plus particulièrement au rôle
du cortex et J. CAMBIER à l’implication des structures sous-corticales
dans la genèse des troubles du langage.
Les textes suivants se réfèrent plus explicitement aux conceptions de
la neuropsychologie cognitive. Ce courant de recherche s’assigne pour
but de participer à l’élaboration de l’architecture de la pensée. Il permet
la description et la compréhension de certains symptômes, non pour les
rattacher à tel ou tel syndrome, mais pour montrer que ceux-ci peuvent
correspondre à des anomalies diverses dans la chaîne du traitement de
l’information. Les perturbations du système lexical, les transformations
segmentales et l’agrammatisme en constituent des exemples traités
respectivement par Isabelle MORIN, Sylviane VALDOIS et Didier
HANNEQUIN. L’élaboration des modèles théoriques tient une grande
place dans ces différents chapitres (modèles de la mémoire sémantique
par exemple) mais au-delà, ces conceptions permettent d’approfondir la
compréhension et l’analyse des “paraphasies phonémiques et des trans-
formations phonétiques” dans l’aphasie pour prendre un autre exemple.
Ces textes montrent également qu’à une même anomalie apparente (de
surface), peuvent correspondre des perturbations très diversifiées en
terme des processus sous-jacents (c’est le cas des agrammatismes).
Une place importante est réservée à l’étude des troubles du langage
écrit. Terrain historique de cette approche cognitive en neuropsycholo-
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Avant-propos
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en charge des patients s’applique à des perturbations beaucoup moins
sélectives. La rééducation doit également être fondée sur une pratique et
Madame Blanche DUCARNE nous fait part de son expérience auprès des
aphasiques.
Les deux derniers chapitres doivent être conçus comme des champs
prospectifs. Ils permettent d’entrevoir les lacunes actuelles et ce que sera
l’aphasiologie demain. Jean-Luc NESPOULOUS insiste sur l’inachève-
ment des théories. Il fait référence à un modèle de la production de
phrases et propose un ensemble de réflexions sur la production de textes.
Il conviendra de dépasser la neuropsychologie des mots isolés de tout
contexte. Au cours du XXe siècle, les conceptions de l’aphasie ont été
éclairées et débattues par les théories linguistiques contemporaines et à
ce jour par la neuro-psycholinguistique cognitive. Catherine FUCHS
décrit cette évolution théorique, puis, à propos d’un exemple particulier
– le traitement des ambiguïtés lexicales – elle nous montre les possibilités
de la modélisation connexionniste.
Autant de thèmes abordés et de questions ouvertes qui ne confèrent
pas à ce volume l’ambition d’un traité exhaustif faisant le point “sur la
question de l’aphasie” à un moment donné; témoins au contraire d’une
volonté de confronter des idées : telles étaient les façons de cheminer et
de susciter la réflexion de Jean-Louis SIGNORET.
F. EUSTACHE et B. LECHEVALIER
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Aphasies, langage et cerveau
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Une approche historique
de l’aphasie
Pierre MESSERLI
Une maladie ne pouvant avoir une histoire, ce sont bien sûr, les différentes
conceptions que l’on a pu avoir de l’aphasie au fil du temps qui feront
l’objet de ce chapitre. Nous allons tenter de situer cette affection dans le
contexte des idées qui ont progressivement permis de mieux comprendre
sa nature. Nous ferons pour cela des incursions dans des disciplines
voisines.
Lorsqu’on fait un exposé historique il faut décider où l’on commence.
La plupart des ouvrages consacrés à l’aphasie partent du XIXe siècle, ce
qui se comprend car ce n’est qu’à cette époque que l’aphasie est devenue
une entité nosologique bien définie et qu’elle a reçu son nom.
On peut cependant supposer sans grand risque de se tromper que les
traumas crâniens et les accidents vasculaires cérébraux ont existé de tout
temps et qu’un certain nombre devaient provoquer des troubles du
langage. Peut-on, alors, trouver mention d’affections s’apparentant à
l’aphasie dans des textes bien antérieurs au XIXe siècle ? Pour tenter de
répondre à cette question nous remonterons assez loin dans le temps.
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Langage et aphasie
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neurologiques en dehors de l’hémiplégie qui est traitée par du porridge
frais, de la moutarde, les fruits du genévrier ou la graisse d’oie.
Le papyrus Smith est beaucoup plus intéressant. Il constitue un traité
de traumatologie dans lequel le crâne a une bonne place. Présenté sous
forme d’une casuistique il contient un grand nombre de descriptions
cliniques. On y trouve la première mention du cerveau, des méninges et
des circonvolutions qui sont comparées aux plissements qui se forment
à la surface du cuivre fondu. Les références neurologiques sont nombreu-
ses : mises en relation d’une lésion cérébrale et d’une affection des
membres, raideur de la nuque, déviation des yeux, démarche avec pied
traînant et peut-être un cas d’hyperpathie. Plusieurs cas de perte de la
parole sont cités mais l’origine périphérique ou la relation avec l’état
général du patient ne permettent pas de conclure à un trouble du langage
spécifique. Le cas 20, par contre, pourrait bien être la première évocation
connue d’une aphasie. Voici ce texte, d’après la traduction faite en anglais
par BREASTED (1930) à partir des hiéroglyphes :
“Si tu examines un homme ayant une blessure à la tempe pénétrant
l'os, perforant l’os temporal(…); si tu l’interroges sur sa maladie et qu’il
ne te parle pas; que d’abondantes larmes coulent de ses yeux de telle
façon qu’il passe souvent la main sur son visage afin de pouvoir essuyer
ses deux yeux avec le dos de sa main comme le fait un enfant et qu’il ne
sait pas ce qu’il fait (la conclusion suit dans le diagnostic)”. Dans le
diagnostic on ne trouve, en fait, que le résumé du cas et un pronostic
pessimiste : l’affection ne peut pas être traitée. Certes il n’y a pas mention
de signes “positifs” d’aphasie (paraphasies, etc.) mais le siège de la
lésion, l’état de vigilance du malade, une apparente nosognosie rendent
vraisemblable l’hypothèse attribuant à un trouble du langage cette
incapacité à répondre aux questions de l’examinateur. La première
mention d’une aphasie remonterait alors au XIXe siècle avant notre ère.
Bien que la filiation ne soit pas attestée par des références explicites
la médecine grecque a certainement bénéficié de l’expérience des
médecins égyptiens et babyloniens ces derniers ayant aussi codifié leur
pratique mais sur des tablettes. Un des principaux apports des médecins
grecques a été leur approche plus rationnelle de la maladie qu’ils ont
dégagée progressivement d’une conception magique et surnaturelle.
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Aphasies, langage et cerveau
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bien, l’agréable et le désagréable…” (ibid., § 14). HIPPOCRATE attribue
également au cerveau la folie, les délires et les songes. Mais pour ce qui
est de notre propos Hippocrate nous intéresse surtout par ses observa-
tions cliniques. La mention d’une perte de la parole n’est pas rare mais
comme dans les manuscrits égyptiens elles s’inscrivent dans un contexte
où l’état général du patient nous empêche d’en faire un trouble spécifique.
Elle est d’ailleurs chez HIPPOCRATE un élément de pronostic défavora-
ble. Un seul cas, qui s’apparente au cas 20 du papyrus Smith, pourrait
faire évoquer une aphasie : “L'individu blessé à la tête d’un coup de pierre
par un Macédonien offrit au-dessus de la tempe gauche une incision qui
semblait une égratignure. Le coup lui causa un obscurcissement de la vue
et il tomba. Le troisième jour il avait perdu la voix; agitation, fièvre pas très
forte (…) il n’entendait absolument rien, il n’avait pas sa raison… (7e Livre
des Épidémies, § 32).
L’Ecole médicale d’Alexandrie ne semble pas avoir porté beaucoup
plus d’intérêt au langage que l’Ecole de Cos même si HEROPHILE et
ERASISTRATE ont contribué de façon non négligeable à la connaissance
du système nerveux : description des ventricules, distinction entre nerfs
sensoriels et nerfs moteurs (mais auxquels sont assimilés ligaments et
tendons). L’âme est localisée dans les ventricules par HEROPHILE et pour
ERASISTRATE le cerveau de l’homme est plus riche en circonvolutions
que celui des animaux parce qu’il les dépasse de beaucoup par son
intelligence. Cette affirmation sera contestée par GALIEN et par LEURET
qui reprendra le problème au XIXe siècle.
Avant de quitter l’Antiquité signalons un texte de Valerius MAXIMUS
auteur latin du Ier siècle de notre ère. Il mentionne le cas d’un homme érudit
qui à la suite d’un trauma crânien a perdu la mémoire des lettres, domaine
auquel il s’était particulièrement consacré; les autres aspects de sa
mémoire étant préservés. PLINE contemporain de MAXIMUS évoque le
même cas à propos d’une discussion sur la fragilité de la mémoire et
TROUSSEAU en 1864 utilisera le texte de PLINE comme argument pour
justifier que “les conditions psychologiques de l’aphasie” sont à chercher
dans une atteinte de la mémoire.
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Langage et aphasie
B. De Galien à la Renaissance
Que retenir dans l’œuvre abondante de GALIEN qui fut le dernier grand
médecin de l’antiquité ? Anatomiste il a porté beaucoup d’attention au
système ventriculaire auquel il a fait jouer un rôle important dans sa
conception du fonctionnement psychique. Malheureusement il disséquait
des cerveaux de bœufs et généralisait ses observations à l’homme; or les
structures anatomiques bovines et humaines ne sont pas identiques.
Dans son système figure un réseau vasculaire le “rete mirabile” ou plexus
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rétiforme situé dans la région du tronc basilaire qui existe chez les ongulés
mais pas chez l’homme (cette erreur ne sera corrigée qu’au XVIe siècle).
Lors de vivisection, provoquant expérimentalement une aphonie par
section du nerf pneumogastrique et du nerf récurrent et constatant que
ces nerfs viennent du cerveau il y localise le siège de la voix.
Voici comment fonctionne le psychisme selon GALIEN (j’emprunte
cette description à SOUQUES, 1933) : l’âme raisonnante (concept
platonicien) est située dans le cerveau; elle commande le mouvement
volontaire, perçoit les sensations. Elle se souvient, imagine, comprend et
pense, c’est-à-dire que d’elle dépendent la mémoire, la représentation et
le jugement, trois facultés que nous allons retrouver bientôt. Mais les
activités de l’âme se font par l’intermédiaire du “pneuma psychique” ou
“esprit animal”. Il s’agit d’un souffle venant de l’air sans se confondre avec
lui; aspiré par les poumons il passe dans le cœur d’où il est envoyé,
mélangé au sang, dans le cerveau, via le plexus où il continue son
élaboration. Mais c’est dans les ventricules que le pneuma est emmaga-
siné et qu’il subit une purification en passant d’un ventricule à l’autre avant
d’être envoyé dans les nerfs. Cette construction, de même que la théorie
humorale va subsister jusqu’au delà de la Renaissance. DESCARTES n’y
apportera pas de changements fondamentaux.
Cette doctrine va cependant “se perfectionner” au cours du Moyen
Age. GALIEN qui ne niait pas que la substance cérébrale elle-même
puisse jouer un rôle dans le fonctionnement psychique n’a pas cherché à
diviser l’âme en ses diverses fonctions et à les localiser. Or c’est ce que
l’on voit apparaître dès le Ve siècle. A chaque ventricule échoit une
fonction mentale spécifique : c’est la théorie cellulaire. Les ventricules
latéraux ne constituaient qu’une seule cellule où siégeait le “sens com-
mun”, point de rassemblement des sensations où se formaient les images.
Dans la 2e cellule, correspondant au 3e ventricule, siégeaient le juge-
ment, la réflexion et le raisonnement. Enfin dans la troisième cellule, le 4e
ventricule, était située la mémoire. La répartition des fonctions mentales
dans les cellules peuvent varier selon les auteurs. Cette théorie a régné
jusqu’à la Renaissance, mais on la retrouve encore au XVIIe siècle.
Tout ce qui a été dit jusqu’à maintenant semble nous avoir passable-
ment éloigné de notre sujet. En effet, il a été peu question d’aphasie et
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Aphasies, langage et cerveau
pourtant nous sommes parti avec l’idée que cette affection avait dû exister
au moins aussi fréquemment qu’actuellement. L’explication doit, me
semble-t-il, être cherchée dans le statut que pouvait avoir le langage. Il n’a
aucune place dans la théorie cellulaire qui pourtant divise l’activité
mentale en diverses fonctions. Pour le Moyen Age comme pour l’Anti-
quité, même si la parole distingue l’homme des animaux, elle a le même
statut que le geste : c’est un acte volontaire. La perturbation peut se situer
à deux niveaux :
1) il y a suppression, c’est-à-dire paralysie ou parésie; nous verrons que
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la distinction entre troubles arthriques et troubles périphériques
restera peu claire même chez un auteur comme TROUSSEAU dans
la seconde moitié du 19e siècle;
2) le trouble réside dans l’intentionnalité : il y a alors parole aberrante
comme il y a gestes ou conduites aberrantes; l’origine de la perturba-
tion devait en ce cas être cherchée dans l’âme raisonnante qui régit
toute action volontaire. La frontière avec la maladie mentale devenait
alors très floue.
Si l’on sait que les troubles de la compréhension orale n’ont été perçus
que tardivement par les cliniciens, on comprend alors que les troubles de
la parole aient pu être considérés comme des atteintes paralytiques et que
les troubles du langage aient été difficilement distingués d’une maladie
mentale.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire les découvertes des
neurologues au XIXe siècle ne vont pas provoquer une rupture radicale
avec le passé : l’ombre de la théorie cellulaire va planer encore longtemps
sur la compréhension des troubles du langage. Deux thèmes reviendront
périodiquement : l’aphasie est-elle un trouble de la mémoire ? et l’apha-
sie est-elle un trouble de l’intelligence ? Ce qui est aussi refuser au
langage un statut particulier.
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Langage et aphasie
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avait néanmoins conservé cette faculté de la main qui est nécessaire pour
bien écrire. Il apprend maintenant à lire et à parler et y avance plus que
s’il n’avait su ni l’un ni l’autre”.
Il s’agirait pour HOWARD & HATFIELD (1986) de la première
mention d’une rééducation d’aphasie.
En 1673 Johan SCHMIDT2 présente le cas d’un homme de 65 ans qui
à la suite d’une attaque d’apoplexie ayant entraîné une hémiplégie droite,
est incapable d’exprimer sa pensée, et fait des substitutions de mots qui
le rendent incompréhensible. Il ne pouvait pas lire, même pas des lettres
isolées mais pouvait écrire sous dictée et épeler correctement les mots qui
lui étaient fournis; cependant, il était incapable de lire ce qu’il avait écrit
de sa propre main.
Dix ans plus tard (1683) Peter ROMMEL décrit une patiente présen-
tant une belle dissociation automatico-volontaire. Il s’agit d’une femme
de 52 ans qui ayant fait un ictus avec hémiplégie ne peut rien exprimer
d’autre que deux stéréotypies : “oui” et la conjonction “et”. Par contre elle
récite sans hésitation le Notre Père, le Credo ou des versets bibliques à
condition qu’elle puisse le faire dans l’ordre dans lequel elle les récite
habituellement. La récitation sur commande des mêmes oraisons est très
difficile voire impossible de même que la répétition de mots contenus
pourtant dans ses prières. Sa mémoire était excellente et d’après la
description de ROMMEL elle ne semblait pas avoir de troubles importants
de la compréhension.
Au XVIIIe siècle plusieurs cas de ce genre sont publiés. Gérard VAN
SWIETEN en 1742 dit avoir rencontré de nombreux patients qui au
décours d’une attaque ne pouvaient trouver le nom correct des objets
qu’on leur montrait. LINNÉ (1745) décrit une jargonaphasie avec agra-
phie et troubles de la répétition mais semble-t-il compréhension de la
lecture conservée. Chez l’écrivain Olof DALIN (1745) c’est un cas de
suppression de la parole avec possibilité de chanter des chants appris
avant la maladie. D’autres cas sont décrits par G.B. MORGAGNI (1672),
J. GESNER (1770), R.K. VAN GOENS (1789), M. HERZ (1791) et enfin
GOETHE en 1795 dans sa nouvelle “Les années d’apprentisssage de
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Aphasies, langage et cerveau
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très spécifique : la mémoire verbale. Lorsque celle-ci est atteinte le
malade est incapable d’associer les images ou les idées abstraites avec
le symbole verbal correspondant. On voit déjà ici, pointer les idées
associationnistes.
C’est aussi au cours du XVIIe siècle avec J.B. PORTA en Italie et au 18e
avec J.G. LAVATER que la physiognomonie acquiert des méthodes qui
lui donnent l’apparence d’une science permettant de séparer parmi les
hommes, l’ivraie et le bon grain. Mais celui qui va procurer à cette
discipline ses lettres de noblesse en lui donnant des fondements anatomi-
ques, c’est bien sûr Franz Joseph GALL. Avec lui, nous entrons dans le
XIXe siècle.
D. Gall et la phrénologie
GALL aura une influence considérable sur la neuropsychologie naissante.
Non pas par des découvertes scientifiques capitales mais parce que ses
thèses souvent extravagantes vont susciter des prises de position (pour
ou contre) qui vont inciter disciples et détracteurs à recueillir des faits
propres à étayer leurs arguments. Nous verrons que la découverte de
BROCA n’a pas échappé à cette polémique.
On sait que GALL prétendait avoir été frappé, et cela dès son enfance
déjà, par les coïncidences qu’il avait observées entre la physionomie de
certaines personnes et leurs aptitudes ou traits de caractère :à telle saillie
ou proéminence de la tête semblait correspondre telle faculté intellec-
tuelle. Il en conclut qu’instincts, penchants et facultés devaient avoir leur
siège dans l’écorce cérébrale et que le développement de l’un ou l’autre
de ces organes donnait au crâne sa forme particulière.
GALL trouve de nombreuses confirmations dans l’étude des animaux
ou dans la biographie et le portrait de grands hommes. Il remonte jusqu’à
l’antiquité, sans se soucier de l’authenticité des documents iconographiques
qu’il fournit à l’appui; on trouve par exemple dans son atlas (1810-1819)
entre autres têtes célèbres, celle d’Homère et de Jésus-Christ. Il décrit
ainsi 27 dispositions intellectuelles et morales auxquelles son disciple
SPURZHEIM, en ajoutera 8, qui, n’étant pas du goût du maître, contribue-
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Langage et aphasie
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l’instinct des hauteurs ou instinct de l’élévation. Il se demande alors “s’il
y a une différence essentielle entre l’instinct des hauteurs physiques chez
les animaux et le penchant de l’homme à s’élever à une hauteur morale”.
La même proéminence existant chez les animaux vivant sur les hauteurs
et chez les hommes se distinguant par leur fierté, il conclut à une
indiscutable analogie. D’ailleurs, tous les signes extérieurs exprimant ce
sentiment sont en rapport avec l’idée de hauteur : coiffure élevée et talons
hauts chez la femme, casque surmonté d’un énorme panache chez le
guerrier etc. Enfin des expressions telle que “il nous regarde du haut de
sa grandeur” illustre bien cette analogie. Mais s’il fallait encore une preuve
la pathologie va nous la fournir. Témoin cet homme dont la blessure à la
tête a lésé l’organe des hauteurs; non seulement la fierté s’exalta chez lui
au point qu’il traita ses supérieurs comme des subordonnés, mais dans
ses délires, il eut des visions de voyages aériens.
Aucun sujet, si difficile soit-il, n’est hors de portée de cette nouvelle
science. Voici comment GALL prouve l’existence de Dieu : “l’espèce
humaine est douée d’un organe (celui de la dévotion) au moyen duquel
elle reconnaît et adore un auteur de l’univers (…). Qui oserait penser que
ce seul sentiment ce seul organe fut privé de son objet dans le monde
extérieur ? Non, la nature ne peut pas abuser l’homme dans son intérêt
le plus important ! Il est un Dieu parce qu’il existe un organe pour le
connaître et pour l’adorer” (1810-1819, T. IV, p. 271). Cet organe pouvait
d’ailleurs avoir quelques avatars car si un missionnaire se caractérise par
le grand développement de cet organe allié à celui du sens des localités,
GALL a connu un homme chez qui l’organe de la dévotion s’accompa-
gnait d’un développement de celui de la propagation; c’était dit-il “un
libertin dévot qui payait les femmes publiques avec des livres de prières”
(ibid., p. 264).
A cette lecture on peut s’étonner que GALL ait eu une telle audience.
Ses qualités d’anatomiste et son habilité dans les dissections étaient assez
généralement reconnues par ses pairs, mais sa réputation dépassait
largement ce cercle restreint et dépendait plus du succès de sa doctrine.
Ainsi il était appelé comme expert dans des affaires judiciaires et il
n’hésitait pas à conseiller la réclusion à perpétuité d’un jeune voleur parce
que celui-ci avait l’organe du vol si développé qu’il ne pouvait que
20
Aphasies, langage et cerveau
récidiver. Bien sûr cet engouement n’était pas partagé par tout le monde :
ROCHOUX dans ses “Recherches sur l’apoplexie” déclare que la craniologie
est la plus grande mystification qu’eut subie le monde savant depuis
MESMER. Les théories phrénologiques ne furent pas un sujet de dispute
réservé aux spécialistes. L’opinion publique se passionna comme en
témoigne par exemple avec humour un album paru en 1837 de l’écrivain
et caricaturiste genevois Rodolphe TOEPFFER où l’on voit Mr. Craniose
répandre à travers villes et campagnes la doctrine phrénologique (Fig. 1).
GALL trouva des adeptes éminents tel que J.B. BOUILLAUD qui
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voyait dans ses observations de malades présentant une lésion cérébrale
une confirmation de “l’opinion de M. GALL sur le siège de l’organe du
langage articulé”. Ce professeur de clinique médicale présentait en 1825
à l’Académie un certain nombre de cas propres à démontrer : a) que le
cerveau joue un rôle essentiel dans le mécanisme du mouvement
volontaire; b) que des mouvements musculaires particuliers, notamment
ceux de la parole, sont sous la dépendance d’organes cérébraux spé-
ciaux; et c) que le centre de la parole est situé dans les lobes antérieurs
du cerveau. BOUILLAUD s’opposait ainsi à FLOURENS qui refusait
d’attribuer au cerveau un rôle direct dans les phénomènes musculaires et
qui, par ses ablations cérébrales chez l’oiseau avait été conduit à une
théorie manifestement antilocalisationiste puisqu’il estimait que physio-
logiquement le cerveau était aussi homogène que le foie. Il écrit en 1824
dans ses “Recherches expérimentales sur les propriétés et fonctions du
système nerveux dans les animaux vertébrés : “La conservation ou la
perte des fonctions dépend non pas précisément de tels points donnés des
lobes cérébraux, mais du degré de l’altération de ces lobes quel que soit
d’ailleurs le point ou les points attaqués” (p. 234). Il s’agit là de la première
formulation de la théorie de “l’action de masse” que l’on retrouvera un
siècle plus tard chez K.S. LASHLEY (1929).
Le mémoire de 1825 ayant suscité des oppositions BOUILLAUD
présente en 1848 à l’Académie Royale de Médecine, une nouvelle série
de cas, toujours dans le but de “démontrer que le sens du langage articulé
et le principe coordinateur des mouvements de la parole résident dans les
lobules antérieurs du cerveau”. Il termine sentencieusement la présenta-
tion du dernier cas dont dit-il “la clarté le dispute en quelque sorte à celle
du soleil” en déclarant que l’on ne peut nier la démonstration dont fait
l’objet son mémoire “sans nier le mouvement et la lumière elle-même”.
C’est au cours du débat qui suit la lecture de son Mémoire que BOUILLAUD
propose à l’un de ses contradicteurs (M. ROCHOUX) de faire un pari :
“J’offre, dit-il, 500 Fr. à celui qui m’apportera un exemple de lésion
profonde des lobules antérieurs du cerveau sans lésion de la parole”.
21
Langage et aphasie
E. Broca et l’anthropologie
Les localisations de GALL ne furent pas les seules à faire jouer un rôle
privilégié aux lobes frontaux. Paradoxalement les antilocalisationistes
vont rejoindre sur ce point les phrénologistes mais par le biais de
l’anthropologie.
Préoccupé comme plusieurs savants de son temps par le parallélisme
existant entre la complexité croissante de l’organisation nerveuse et le
développement phylogénétique Fr. LEURET examine cette relation dans
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un ouvrage paru en 1839 et ayant pour titre “Anatomie comparée du
système nerveux considéré dans ses rapports avec l’intelligence”. Par-
courant l’échelle zoologique depuis les mollusques jusqu’aux mammifè-
res il compare l’organisation nerveuse et les caractéristiques psychologi-
ques des diverses classes d’animaux. Cette psychologie animale est
encore très anthropomorphique : les oiseaux ont un domicile, certains
sont courageux, d’autres voleurs, enfin “l’abondance et l’oisiveté corrom-
pent le naturel des oiseaux comme elles corrompent le naturel de
l’homme” (p. 343).
Mais le problème central est celui des rapports entre le volume ou le
poids du cerveau et le degré de l’intelligence. Voici à quelles conclusions
LEURET aboutit à la fin de son ouvrage de près de 600 pages :
– Le volume absolu du cerveau n’est pas dans un rapport nécessaire
avec le développement de l’intelligence.
– Ni la présence des circonvolutions, ni leur nombre, ni leur forme ne
révèlent de manière absolue le nombre et l’étendue des facultés.
Achevant l’ouvrage que LEURET n’avait pas terminer avant sa mort,
GRATIOLET le complète d’un second volume presque entièrement
consacré à l’homme. Dans cette publication il nie l’importance que l’on
attribue généralement au volume du cerveau. C’est dans la forme de
celui-ci et partant dans la forme du crâne qu’il voit un critère de
différenciation donc d’intelligence. “Le crâne est de toute part gonflé et
dilaté par l’encéphale” (1857, p. 289); d’abord dans la région occipitale,
puis pariétale, enfin frontale. Ainsi, lorsque le cerveau atteint son stade
ultime de développement il rejette la face en avant et abaisse la voûte
orbitaire. Il s’ensuit que “l’homme le plus homme sera celui chez lequel
cette occupation de la vertèbre frontale par le cerveau est à la fois, plus
apparente et plus complète” (ibid., p. 290).
Le cerveau permet non seulement de différencier les races mais aussi
les classes sociales. Ainsi R. WAGNER, professeur à l’Université de
Goettingue, qui, comme le dit BROCA, “désirant poursuivre ses recher-
ches sur le cerveau d’hommes éminents, ne trouva rien de mieux que
d’ouvrir ses collègues à mesure qu’ils mourraient” (1861, p. 166) (mais
ajoute BROCA une robe de professeur n’est pas nécessairement un
22
Aphasies, langage et cerveau
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interne des os. Rien de tel sur le moulage du second, les circonvolutions
serrées les unes contre les autres ayant effacé les sillons. Par ailleurs, si
le cerveau du totonaque devait être court et large son volume était au
moins égal à celui du cerveau de race blanche. Et pourtant, le degré de
civilisation des deux individus était fort différent. GRATIOLET en conclut
donc que “Les recherches sur la capacité crânienne n’ont presque aucune
signification (car) c’est la forme et non le volume qui fait la dignité du
cerveau” (1861, p. 70). A quoi il ajoute au cours de la discussion : “D’une
manière générale, je crois avec M. FLOURENS que l’intelligence est une,
que le cerveau est un, qu’il agit surtout comme organe d’ensemble” (ibid.,
p. 78). “Je crois que toutes les parties de l’écorce cérébrale participent à
la fois et également à la pensée” (ibid., p. 81).
Devant un auditoire assez généralement favorable aux localisations,
ces affirmations vont provoquer un débat passionné qui va occuper
pendant près de six mois presque toutes les séances de la Société
d’Anthropologie. Parmi les contradicteurs de GRATIOLET nous ne retien-
drons que les positions de BROCA et d’AUBURTIN. Toute la séance du
21 mars est consacrée à un long exposé de BROCA intitulé “Sur le volume
et la forme du cerveau suivant les individus et suivant les races”, (1861.a)
dans lequel il fait le point de la question avec une admirable dialectique
et une extraordinaire rigueur méthodologique. Examinant les données
empiriques recueillies par ses collègues il en fait une analyse critique,
rectifiant leurs interprétations, corrigeant même leurs erreurs de calcul.
De la communication de BROCA se dégage les postulats suivants qui,
malgré sa rigueur scientifique, restent ceux de son temps :
1) Il y a des races inférieures et des races supérieures : “L’inégalité
intellectuelle des races est chose bien connue; et tous ceux qui ont
étudié la question ont constaté que le prognathisme, dû en grande
partie à l’affaissement de la région antérieure du crâne, n’existe que
chez les races inférieures” (p. 178).
2) Au sein même d’un race, l’inégalité intellectuelle existe entre individus
normaux et anormaux mais également entre personnes de conditions
différentes : “on peut admettre qu’il y a en moyenne plus d’intelli-
gence chez les hommes qui exercent des professions intellectuelles
que chez les hommes voués à des travaux manuels” (ibid., p. 172).
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Langage et aphasie
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moins réelle” (ibid., p. 153), …“l’organisation physique des deux
sexes est assez différente pour qu’on puisse récuser la valeur d’une
comparaison établie entre leurs cerveaux” (ibid., p. 154). Néan-
moins, en ce qui concerne la différence relative du poids du cerveau
d’un âge à l’autre, cette différence “est beaucoup plus grande chez
l’homme que chez la femme et on aurait pu s’y attendre; car il est
certain que l’homme, plus directement engagé dans les luttes de la vie
sociale est sollicité continuellement à faire des efforts d’intelligence,
alors que la femme, enfermée dans le cercle étroit de la vie domesti-
que, exerce beaucoup moins ses facultés” (ibid., p. 156).
Touchant cette question d’autres que BROCA se sont prononcés de
manière plus catégorique. Voici comment s’exprime, par exemple, le
docteur LE BON dans un mémoire intitulé “Recherches anatomiques et
mathématiques sur les lois des variations du volume du cerveau et sur
leurs relations avec l’intelligence” (1879) :
“Cette infériorité (de la femme) est trop évidente pour être contestée
un instant et on ne peut guère discuter que son degré. Tous les
psychologistes qui ont étudié l’intelligence des femmes ailleurs que chez
les romanciers et les poètes, reconnaissent aujourd’hui qu’elles représen-
tent les formes les plus inférieures de l’évolution humaine et sont
beaucoup plus près des enfants et des sauvages que des hommes
civilisés”. Et plus loin : “On ne saurait nier, sans doute, qu’il existe des
femmes fort distinguées, très supérieures à la moyenne des hommes,
mais ce sont des cas aussi exceptionnels que la naissance d’une mons-
truosité quelconque, telle par exemple, qu’un gorille à deux têtes et par
conséquent négligeable entièrement” (p. 60).
Dans le même article, l’auteur, faute de pouvoir mesurer l’encéphale
des sujets vivants, compare intelligence et circonférence de la tête. Pour
cela, il recueille ses données dans les registres d’un chapelier parisien, sur
lesquels étaient inscrits le nom des clients, leur profession et la mesure de
leur tour de tête. LE BON groupe ses sujets en cinq classes : 1) savants
et lettrés; 2) bourgeois parisiens; 3) notables d’anciennes familles; 4)
domestiques parisiens; 5) paysans de la Beauce. Avec des ogives de
GALTON à l’appui il montra qu’en ce qui concerne la circonférence de la
tête ses cinq groupes se répartissent dans l’ordre indiqué ci-dessus.
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Aphasies, langage et cerveau
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à la parole ou au langage; il n’a d’ailleurs encore rien publié sur une telle
question. Le sujet sera abordé dans la séance suivante de la Société
d’Anthropologie par AUBURTIN disciple et gendre de BOUILLAUD.
Comme son maître, il s’appuie sur la pathologie pour démontrer par la
présentation d’une série de cas la pluralité des organes cérébraux. En fait
la démonstration ne concerne qu’une seule fonction, toujours la même,
celle du langage articulé : “Je me bornerai à examiner une fonction
particulière des lobes antérieurs du cerveau, car il suffit de démontrer une
seule localisation pour que le principe des localisations soit établi” (1861,
p. 213). Présentée comme un choix, cette limitation dépendait en réalité
des connaissances de l’époque : aucune autre fonction n’avait pu jus-
qu’alors être mise en relation avec un lieu particulier du cerveau.
Quelques jours plus tard BROCA reçoit dans son service de chirurgie
à Bicètre un homme de 51 ans, dénommé Leborgne, souffrant d’un vaste
phlegmon à la jambe droite. Ce patient était hémiplégique depuis
plusieurs années et depuis 21 ans n’avait pour toute parole qu’une
stéréotypie “tan” qui, dans l’hospice où il séjournait était devenue un
sobriquet. BROCA voit dans ce moribond un cas susceptible de départa-
ger les points de vue qui s’affrontaient à la Société d’Anthropologie et de
mettre AUBURTIN à l’épreuve, celui-ci ayant déclaré renoncer aux idées
qu’il défendait si on lui présentait un cas de troubles de la parole chez
lequel on trouve des lobes antérieurs indemnes. BROCA lui demande
d’examiner son malade et de se prononcer sur l’état supposé de ses lobes
frontaux. AUBURTIN confirme qu’il s’agit d’une suppression du langage
articulé due à une atteinte des lobules antérieurs.
Le 17 avril le malade meurt et le lendemain a lieu la séance bi-
mensuelle de la Société d’Anthropologie où le fameux sujet est toujours
à l’ordre du jour; BROCA y présente, à l’occasion du procès-verbal et
assez brièvement le cerveau de Leborgne. A notre étonnement, sa
communication ne suscita et ne suscitera par la suite aucun commen-
taire.
GRATIOLET et ses contradicteurs revenant à la charge la discussion
s’éternise et s’embourbe dans “l’attention multiple” des avocats et des
pianistes, la métaphysique et les Pères de l’Eglise. BROCA lui aussi
reprend la parole pour faire une profession de foi localisationiste mais
25
Langage et aphasie
surtout pour attirer l’attention sur les circonvolutions qui pour lui se
partagent les diverses fonctions mentales. Ses constatations sur le
cerveau de Tan (auquel il ne fait qu’une rapide allusion) ont fait leur
chemin dans son esprit et l’amènent à voir les choses un peu autrement
que ses contemporains.
En août de la même année le cas Leborgne est présenté de façon plus
circonstanciée, à la Société d’Anatomie cette fois. Le titre est modeste
“Remarques sur le siège de la faculté du langage articulé, suivies d’une
observation d’aphémie” (1861, b) mais l’intérêt de cette communication
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réside dans le fait que, pour la première fois BROCA s’exprime sur sa
conception du langage. Pour lui il y a plusieurs espèces de langage mais
tout système de signes permettant d’exprimer des idées est un langage
dans le sens le plus général du mot; “Il y a une faculté générale du langage
qui préside à tous ces modes d’expression de la pensée, et qui peut être
définie : la faculté d’établir une relation constante entre une idée et un
signe, que ce signe soit un son, un geste, une figure ou un tracé
quelconque (p. 331). “Il y a des cas où la faculté générale du langage per-
siste inaltérée (…) et où pourtant une lésion cérébrale abolit le langage
articulé. Cette abolition de la parole chez des individus qui ne sont ni
paralysés ni idiots, constitue un symptôme assez singulier pour qu’il
paraisse utile de la désigner sous un nom spécial. Je lui donnerai donc le
nom d’aphémie; car ce qui manque à ces malades, c’est seulement la
faculté d’articuler les mots. Ils entendent et comprennent tout ce qu’on
leur dit.” (p. 332).
AUBURTIN avait déjà fait cette distinction entre parole et langage lors
de son intervention à la Société d’Anthropologie : la faculté qu’il croit
pouvoir localiser dans les lobes antérieurs n’est pas le langage en tant que
“création de signes déterminés représentant des idées déterminées”
comme l’a définit GRATIOLET mais “la faculté de coordonner les
mouvements propres au langage. Les malades dont j’ai parlé (…) n’ont
pas oublié le sens des mots puisqu’ils peuvent répondre par écrit” (1861,
p. 278). On est donc en droit de conclure que ce qui est décrit sous le nom
d’aphémie n’est pas une aphasie mais ce que, 45 ans plus tard, Pierre
MARIE appellera une anarthrie.
Pour des raisons étymologiques TROUSSEAU avait préféré le terme
d’aphasie à celui d’aphémie et c’est le sien qui a prévalu. Malheureuse-
ment, l’aphasie de TROUSSEAU ne correspond pas à ce que BROCA a
décrit sous le terme d’aphémie. BROCA s’est bien rendu compte de cette
déviation et il met les choses au point dans un article de 1869 (le dernier
sur le langage) dans lequel il distingue parmi les troubles de la parole : 1)
l’alogie (dans le cadre des démences); 2) l’amnésie verbale (notre
aphasie); 3) l’aphémie (notre anarthrie); 4) l’alalie mécanique (nos
dysarthries).
26
Aphasies, langage et cerveau
F. L’associationnisme
A la fin du XIXe siècle les découvertes de la physiologie (FRITSCH et
HITZIG, MUNK, GOLTZ etc.) et les courants philosophiques ne permet-
taient plus de limiter l’étude de l’aphasie à une description clinique et à sa
localisation. Il fallait tenter de comprendre l’organisation du fonctionne-
ment mental et mettre en relation les niveaux de perturbation de cette
organisation et les diverses formes cliniques d’atteinte des facultés
intellectuelles. Pour cela l’associationnisme va fournir les modèles
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nécessaires.
Née de la philosophie empiriste anglaise cette doctrine est définie et
dénommée par HARTLEY qui s’inspirant de NEWTON applique la théorie
vibratoire aux phénomènes nerveux. En France, TAINE en fut un adepte
convaincu. “Nous savons, dit-il, que toutes les idées, toutes les connais-
sances, toutes les opérations de l’esprit se réduisent à des images
associées, que toutes ces associations ont pour cause la propriété que les
images ont de renaître, et que les images elles-mêmes sont des sensa-
tions qui renaissent spontanément” (1870, p. 274).
Un des premiers neurologues à avoir utilisé les théories
associationnistes fut Charlston BASTIAN. Dans un article de 1869 “Sur
les différentes formes de perte de la parole dans les maladies cérébrales”
il expose ses conceptions sur le fonctionnement cérébral dans ses
relations avec la pensée et le langage. Il complétera son schéma
associationniste dans un article ultérieur (1897). Pour cet auteur, il existe
dans le cortex des centres perceptifs qui sont reliés aux organes sensoriels
et dont ils reçoivent les impressions. Ces centres étant également reliés
entre eux, une impulsion parvenant à l’un d’eux pourra aussi déclencher
une excitation dans les autres centres et “réactiver” ainsi le souvenir des
sensations auxquelles l’excitation avait été primitivement associée. Des
centres kinesthésiques reçoivent les sensations provenant des muscles
lors des mouvements. Centres perceptifs et centres kinesthésiques sont
reliés à des centres moteurs d’où partent des voies effectrices. Conformé-
ment aux théories associationnistes, les idées reposent sur des images qui
renaissent lorsque les sensations auxquelles elles ont été antérieurement
rattachées parviennent au cerveau. Ainsi nous pensons avec des mots et
ceux-ci ne sont primitivement que des reviviscences auditives.
En 1874, un jeune interne de 26 ans de l’Hôpital-de-Tous-les-Saints de
Breslau, Carl WERNICKE, publiait son “Aphasische Symptomencomplex.
Eine psychologische Studie auf anatomischer Basis”; il y décrit l’aphasie
qui porte son nom. Une grande partie de l’opuscule est consacrée à une
discussion théorique avec schémas à l’appui, illustrée à la fin de l’ouvrage
par la présentation de 10 cas. On y voit bien comment dans la conception
de WERNIKE (qui lui a été inspiré par les travaux de MEYNERT)
s’articulent observations cliniques et spéculation philosophique.
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Langage et aphasie
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Dès que l’on quittait le domaine restreint du langage et de ses troubles
et que l’on voulait expliquer le fonctionnement mental général par les
mêmes schémas, il devenait évident que leur simplisme était peu
compatible avec la complexité des opérations intellectuelles; on a donc
senti le besoin de les “perfectionner”. Paradoxalement le souci légitime de
traduire dans ces “modèles” la complexité des phénomènes a donné libre
cours aux conceptions les plus arbitraires et les plus gratuites. Au lieu de
raisonner sur des faits cliniques, les théoriciens ont spéculé sur des
schémas : les mécanismes physiopathogéniques sont déduits au lieu
d’être observés. De nombreux modèles, tous plus ingénieux les uns que
les autres, ont ainsi été proposés par BROADBENT, KUSSMAUL,
LICHTHEIM, CHARCOT, GRASSET, DEJERINE et bien d’autres. MOUTIER
dans sa thèse sur l’aphasie de BROCA (1908) en recense 26 parus entre
1871 et 1907.
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Aphasies, langage et cerveau
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de BAILLARGER auxquelles il donne ainsi une formulation théorique.
Dans le domaine de la philosophie on fait avec BERGSON un pas de
plus. Dans son livre “Matière et mémoire” (1896) le corps n’est plus conçu
comme un récepteur où viennent s’enregistrer les images reflétées par
l’environnement mais comme le médiateur à travers lequel procède toute
connaissance.
Un autre courant qui a ébranlé les théories associationnistes fut
l’Ecole de Würzbourg (KÜLPE, BÜHLER). Avec la Denkpsychologie la
pensée elle-même devenait objet d’expérience. Penser c’est comparer,
mettre en relation, affirmer ou nier, autant d’actes intellectuels qui ne
peuvent pas être des images.
Sur le plan de la connaissance la relation entre l’individu et son milieu
n’était donc pas aussi simple que l’envisageait l’associationnisme. Cette
doctrine avait pourtant eu le mérite, par l’existence supposée de centres
ayant une fonction spécifique de donner au langage son propre statut et
de le distinguer des activités intellectuelles plus générales. Pour GALL, qui
donne de bonnes descriptions de l’aphasie, l’intelligence des aphasiques
était conservée, ce que vont nier les noéticiens.
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Langage et aphasie
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la même démonstration cet artiste-peintre à qui l’on demande de lire la
phrase : “quatre siècles se sont écoulés depuis qu’une humble bergère”.
Ce patient “dit bien le mot siècle, prononça “trois” au lieu de “quatre” et
chose singulière, en même temps qu’il disait “trois”, il étendait les quatre
doigts de sa main pour venir par son geste au secours de son langage
impuissant”. Étonnamment TROUSSEAU n’en tire pour toute conclusion
qu’un affaiblissement de l’intelligence, l’incapacité de cet artiste à dessi-
ner une bergère venant renforcer son opinion.
Si “il est impossible de contester que, dans l’aphasie, l’intelligence soit
profondément altérée”… “il est une espèce d’aphasie dans laquelle
l’intelligence est complète. La mémoire ne fait pas défaut, les malades
(…) traduisent exactement leur pensée par l’écriture” (p. 713). Suit la
description de ce qui aujourd’hui serait très probablement un cas d’anarthrie
mais qui va être amalgamé avec des cas de paralysie.
BAILLARGER (1865) dans un exposé lu l’année suivante à l’Acadé-
mie de Médecine critiqua la position de TROUSSEAU. Pour lui l’aphasie
sans autres troubles que ceux de la parole est “l’aphasie simple, l’aphasie
dans le sens rigoureux du mot”. Il l’oppose à “l’aphasie avec perversion
de la faculté du langage” dans laquelle la parole automatique se substitue
à l’incitation verbale volontaire”.
TROUSSEAU cite avec une certaine condescendance l’auto-obser-
vation de “l’illustre LORDAT”. Lorsqu’on lit le texte de ce dernier, écrit 20
ans plus tôt, on s’étonne que les troubles de la lecture, de l’écriture et de
la compréhension aient pu servir d’arguments pour faire dépendre le
langage de la pensée. L’aphasie que LORDAT appelle lui aussi l’Amnésie
verbale et qu’il oppose à “l’asynergie verbale” où il n’y a que des troubles
de la parole, est, à travers sa propre maladie, finement observée. On
trouve décrit le défaut du mot, les paraphasies sémantiques et
phonémiques, les troubles de la lecture et de la compréhension orale, et
cette expérience personnelle : “on peut penser, combiner des choses
abstraites, les bien distinguer sans avoir aucun mot pour les exprimer”
(1843).
Une autre tentative de ramener à un seul dénominateur commun, non
seulement les troubles aphasiques mais également ceux des praxies et
des gnosies fut celle de FINKELNBURG (1870). C’est à un trouble dans
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Aphasies, langage et cerveau
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Nerveux” de GRASSET & RAUZIER (1894) ou la “Sémiologie du Système
Nerveux” de DEJERINE (1914) dans lesquels les images restent les
piliers sur lesquels reposent encore les conceptions de l’aphasie. Il existe
à cette époque une certaine confusion dans la nosographie de cette
maladie chacun proposant sa propre classification. Ainsi il y a l’aphasie
d’articulation et l’aphasie d’intonation( BRISSAUD), avec CHARCOT qui
prône l’existence d’un centre spécialisé de l’écriture, l’agraphie devient
l’aphasie de la main. Enfin, au Congrès Français de Médecine interne tenu
en octobre 1894 à Lyon et en partie consacré à l’aphasie, on voit
apparaître l’aphasie pneumonique et l’aphasie urémique !
On comprend dès lors que lorsque Pierre MARIE publie en 1906 sa
“Révision de la question de l’aphasie : la 3e circonvolution frontale gauche
ne joue aucun rôle spécial dans la fonction du langage” il provoque une
tempête. Véritable manifeste noéticien toutes les idées jusqu’alors en
vigueur sont remises en question, aussi bien les localisations que les
mécanismes physiopathogéniques. Après avoir stigmatisé l’usage abusif
des “images” il ajoute : “chaque catégorie de ces images vint se ranger
dans un centre spécial et, ces centres eux-mêmes se mettant en con-
nexion les uns avec les autres ou avec des centres supérieurs, toute une
théorie psychophysiologique du langage se trouva constituée; tel fut le
patron sur lequel on tailla définitivement la doctrine de l’aphasie. Le
malheur est que, la théorie psychophysiologique du langage n’étant pas
exacte, la doctrine de l’aphasie s’est trouvée également erronée. Si nous
voulons acquérir des notions vraies sur l’aphasie, il nous faut faire
abstraction de tout ce que nous avons lu et appris sur les images des mots,
sur les aphasies de réception et de conduction, sur les centres du langage,
etc., etc.; il faut nous borner à examiner les faits sans idées précon-
çues…”.
Il n’est pas sûr que Pierre MARIE n’ait pas eu lui aussi, au moins sur
un point, des idées préconçues lorsqu’il déclare : “Si, pour ma part, j’avais
à donner une définition de l’aphasie, le fait que je m’efforcerais surtout de
mettre en lumière serait la diminution de l’intelligence.” (…) “C’est qu’il
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Langage et aphasie
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Autres faits à l’appui : incapacité des malades à lire l’heure ou à calculer,
ou l’exemple de ce cuisinier qui ne savait plus faire un œuf au plat. Comme
ses prédécesseurs, Pierre MARIE voit dans des perturbations qui plus tard
trouveront leur spécificité propre le signe d’une atteinte globale des
fonctions intellectuelles.
Le grand mérite de Pierre MARIE est d’avoir donné un statut particulier
aux troubles arthriques ce qui lui a permis de dire “la seule différence
essentielle qui existe entre un aphasique de WERNICKE et un aphasique
de BROCA, c’est que l’un parle et que l’autre ne parle pas” dont il tire le
corollaire : “l’Aphasie de BROCA n’est autre chose qu’une aphasie
compliquée d’une anarthrie”.
Dans le même courant noéticien on peut situer Henry HEAD, même
si dans un article de 1920 paru dans BRAIN, “Aphasia and kindred
disorders of speech”, puis dans un ouvrage de 1926 portant le même titre
et reprenant les mêmes idées il réfute le concept d’anarthrie4. Autre
désaccord avec le neurologue français : HEAD ne considère pas l’aphasie
comme étant unitaire et en propose plusieurs formes, les aphasies
verbale, nominale, syntaxique et sémantique. Mais il existe entre ces
diverses formes d’aphasie, quoique avec quelques nuances, une pertur-
bation qui leur est commune et qui les unit : un trouble de “l’expression
et de la formulation symbolique”. Cette notion le rapproche de Pierre
MARIE car “si ce n’est pas la capacité intellectuelle générale qui est
affectée mais les mécanismes par lesquels certains aspects de l’activité
sont mis en jeu” il n’en reste pas moins que “dans la mesure où ces
processus sont nécessaires pour l’exercice parfait des aptitudes menta-
les, l’intelligence générale souffre de façon indubitable” (1926, p. 24).
Mais c’est de JACKSON que HEAD s’inspire d’une part par l’utilisa-
tion de la distinction entre acte automatique et acte volontaire; d’autre
part par la nécessité de mettre sous forme de proposition les intentions qui
régissent tout acte volontaire. “Tout acte qui nécessite pour sa parfaite
exécution la formulation préalable du but ultime vers lequel il est dirigé,
est susceptible d’être altéré” (par l’aphasie), (1920, p. 163). Sous quelles
formes se présente ce trouble de la pensée et de l’expression symboli-
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Aphasies, langage et cerveau
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opération n’est plus requise et la tâche sera réussie. Même intermédiaire
nécessaire dans le dessin sans modèle mais absence de médiation
symbolique dans la copie.
Dans ce premier quart du XXe siècle on voit apparaître les premières
publications d’une œuvre qui fut abondante : celles de Kurt GOLDSTEIN.
Elève au moment de son doctorat de WERNICKE il acquiert auprès de lui
un intérêt pour la pathologie du langage qui va dominer toute sa carrière.
Mais, probablement par ses contacts personnels avec les représentants
de l’Ecole psychologique de Würzbourg il est plus influencé par les thèses
de Pierre MARIE et de HEAD.
L’interprétation que GOLDSTEIN donne de l’aphasie s’inscrit dans
une conception très générale, expliquant l’ensemble de la pathologie
cérébrale humaine. Le système nerveux est un appareil qui fonctionne
comme un tout; toute stimulation, quelle que soit le récepteur concerné,
entraînera une modification de l’ensemble de l’organisme. En pathologie,
une opération particulière ou un domaine d’opérations n’est jamais aboli
isolément; tous les domaines d’opérations sont plus ou moins atteints.
GOLDSTEIN distingue deux niveaux de comportement possibles en
face d’une tâche quelconque. Ce sont respectivement “l’attitude con-
crète” et “l’attitude abstraite”.
Dans l’attitude concrète actions et pensées sont déterminées par les
aspects immédiats des objets et des situations ceux-ci étant considérés
isolément et dans ce qu’ils ont de particulier; le comportement du sujet est
régi par des automatismes, des habitudes, par des expériences subjecti-
ves donc non rationalisées. Par contre l’individu qui aborde les tâches
dans une attitude abstraite est capable de penser et d’opérer symbolique-
ment, ce qui lui permet d’anticiper les événements; il est en mesure
d’abstraire des propriétés communes et de former des concepts hiérarchi-
ques, donc de penser de façon “catégorielle”, autre terme par lequel
GOLDSTEIN dénomme l’attitude abstraite. Le langage fait l’objet de la
même distinction. Le langage abstrait est volontaire, rationnel et
propositionnel. Le langage concret est constitué par le langage émotion-
nel et par les automatismes verbaux que GOLDSTEIN appelle les
“instrumentalités” du langage. Ce sont des expressions liées aux usages
sociaux (formules de politesse, séries apprises par simple répétition tels
33
Langage et aphasie
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d’abstraction il ne sera plus en mesure d’effectuer l’acte volontaire lui
permettant de déclencher la série; en ce cas il suffira de lui donner les
premiers termes pour lui permettre d’amorcer la série. Si au contraire il
s’agit d’une atteinte des instrumentalités donc des automatismes aucun
amorçage ne sera efficace. Un autre exemple, emprunté lui aussi à
GOLDSTEIN, montrera bien l’ambiguïté de la terminologie : entrer dans
une chambre et allumer la lumière est une attitude concrète, mais entrer
dans une chambre et s’abstenir d’allumer la lumière pour ne pas réveiller
quelqu’un, est une attitude abstraite. On voit donc que les distinctions que
fait GOLDSTEIN sont à peu de chose près, un nouvel habit pour une
notion déjà ancienne : la dissociation automatico-volontaire.
Plus près de nous (1962), BAY sera encore plus radical que
GOLDSTEIN car pour lui la perte de la capacité d’abstraction est
inhérente à toute aphasie. Pour le neurologue allemand, tout trouble du
langage de nature aphasique s’accompagne de difficultés d’ordre con-
ceptuel. BAY trouve la preuve de cette déficience de la pensée concep-
tuelle, d’une part dans l’incapacité des aphasiques à saisir des significa-
tions métaphoriques et à comprendre des plaisanteries verbales ou en
images, d’autre part dans leur difficulté à représenter avec de la pâte à
modeler des concepts familiers (tasse, animal, etc.). En outre, BAY
quantifie différentes tâches proposées aux patients : répétition, lecture,
dénomination, désignation, etc., et établit des profils pour différents types
d’aphasie. Il en conclut “de tels désordres de la formation du concept
deviennent évidents chez tous les patients aphasiques dans tous les
examens appropriés”. Malheureusement, BAY n’a pas comparé ses
résultats à un groupe de sujets normaux; il aurait peut-être été étonné de
voir comment ceux-ci façonnent une girafe ou un crocodile !
I. Aphasie et psychométrie
Il nous reste à examiner l’apport à l’étude de l’aphasie d’une discipline qui
a été parfois envahissante : la psychométrie. Curieusement, ce n’est pas
le succès des tests qui orienta les cliniciens vers une approche standar-
disée de l’aphasie, mais au contraire les problèmes que posait leur
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Aphasies, langage et cerveau
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Voici les conclusions que permet de tirer l’application à 85 aphasiques
d’une batterie de tests devant couvrir l’ensemble des performances
susceptibles d’être perturbées par les troubles du langage.
La moyenne des performances aux tests non-verbaux est supérieure
à celle obtenue aux épreuves verbales et ceci quel que soit le type
d’aphasie. Il n’y a, d’ailleurs, pas de relation entre la gravité de l’aphasie
et les rendements aux tests non-verbaux; les scores à ces derniers
peuvent être relativement élevés chez des patients dont le langage est
perturbé et très limité. La plupart des aphasiques, cependant, obtiennent
des résultats aux épreuves non-verbales qui se situent (dans des propor-
tions variables d’un sujet à l’autre) au-dessous de la moyenne des
individus normaux. Néanmoins, il n’y a jamais dans les aphasies bien
délimitées de détérioration générale. De telles constatations paraissent
banales aujourd’hui; mais à l’époque, elles démontraient que les faits
expérimentaux n’étaient pas en faveur des conceptions noéticiennes,
comme le relèvent d’ailleurs explicitement les auteurs.
En effet, WEISENBURG & MCBRIDE estiment que les troubles du
langage de l’aphasique ne peuvent s’expliquer par un désordre symboli-
que et ils s’opposent en cela à HEAD. Une réponse totalement déformée,
disent-ils, peut quelquefois avoir une valeur symbolique, alors que la
réponse correcte peut en être dépourvue. Ainsi, un patient peut lire une
phrase de façon très confuse et en comprendre malgré tout le sens, alors
qu’inversement, un mot lu correctement ne signifie pas obligatoirement
que le sens en ait été saisi. Contrairement à ce que soutiendra BAY 25 ans
plus tard, de nombreux patients furent capables de faire des dessins
correctement, mais incapables de les nommer ou de les décrire de façon
intelligible.
Un nombre considérable de travaux du même genre ont été utilisés
par la suite pour évaluer l’état intellectuel des aphasiques ou plus
généralement des lésés cérébraux, le grand nombre de traumatismes
crâniens dus à la deuxième guerre mondiale ayant rendu socialement
nécessaire de telles investigations. Celles-ci ont-elles résolu le pro-
blème ? Si en 1974 encore s’est tenu à Bruxelles un symposium sur le
thème “Intelligence and Aphasia”, on a plutôt tendance à penser aujourd’hui
qu’il s’agit d’un faux problème.
35
Langage et aphasie
J. En guise d’épilogue
Quel enseignement tirer d’une approche historique de l’aphasie ?
Il y a lieu, tout d’abord, de faire une constatation qui devrait inciter à la
prudence. Lorsqu’on retourne aux sources et que l’on relit soigneusement
les textes originaux on est surpris par le nombre et l’importance des
erreurs qui peuvent être véhiculées d’une citation à l’autre. BROCA a été
particulièrement “favorisé” dans ce genre de distorsion. Nous avons vu
que ce qui est connu classiquement sous le nom d’aphasie de BROCA ne
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correspond pas à ce qu’il a décrit. Bien plus, Pierre MARIE puis BRISSAUD
lors de la discussion qui eut lieu en 1908 à la Société de Neurologie5 ont
même affirmé que ce qu’avait décrit BROCA était une aphasie massive,
totale. ALAJOUANINE (1939) fait dire à BROCA que l’aphémie est une
espèce d’ataxie locomotrice limitée à l’appareil de la phonation; or si
BROCA donne toute une série d’arguments en faveur de cette hypothèse
c’est pour mieux la rejeter un peu plus loin dans le même texte.
On retrouve ces deux erreurs dans des publications récentes. On
comprend que l’on ait pu faire confiance à Pierre MARIE et ALAJOUANINE
mais les disciplines historiques ont leur méthodologie et dans le cas
particulier on serait tenté de dire leur déontologie.
Ce qui frappe lorsqu’on rédige un exposé comme celui-ci, c’est le
caractère cyclique, récurrent de bien des problèmes. Souvent une thèse
présentée comme nouvelle n’est en fait que la reformulation en termes
plus modernes et avec quelques retouches, d’un problème néanmoins
ancien.
Nous n’avons pas abordé l’histoire des très nombreuses classifica-
tions des aphasies. C’est un sujet qui depuis le siècle passé alimente un
débat qui pourrait bien être sans issue. Mais la leçon que l’on peut en tirer
comme de toute l’histoire de l’aphasie c’est qu’il faut distinguer soigneu-
sement les faits observés de leur interprétation. Les faits subsistent, les
interprétations changent au gré des idées en vigueur à chaque époque.
36
Aphasies, langage et cerveau
Bibliographie
Cette bibliographie comprend les travaux cités ou consultés ainsi que
quelques ouvrages pouvant intéresser le lecteur.
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Langage et aphasie
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Aphasies, langage et cerveau
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Aphasies, langage et cerveau
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Neurobiologie
des aphasies
Bernard LECHEVALIER
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Langage et aphasie
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est située sur le bord supérieur de la scissure de Sylvius, vis à vis de l’insula
de Reil et occupe la moitié postérieure, peut être même le tiers postérieur
seulement de la troisième circonvolution frontale”. On sait à quels débats
passionnés allait donner lieu cette découverte. C’est pour des raisons
localisationistes, étayées par la construction d’un quadrilatère sur une
coupe horizontale de l’hémisphère gauche, dont Madame DEJERINE
discutera les limites au millimètre près, que Pierre MARIE affrontera Jules
DEJERINE en 1908 devant la Société de Biologie, à propos de l’aphasie
de Broca (LECOURS et al.,1992).
En ce qui concerne l’aphasie de WERNICKE, il y eut vite des
divergences sur ses limites séméiologiques. WERNICKE (1874) et
LICHTHEIM (1885) proposèrent une classification des aphasies qui
répond à un triple impératif : physiologique, clinique et localisationiste,
illustrée par le célèbre schéma de la “la maison”(Fig. 1) et dans laquelle
l’aphasie corticale sensorielle (dite “de Wernicke”) trouvait sa place.
Cette classification prévaut encore actuellement, celle de BENSON
(1979 et 1988) s’y rattache.
Pendant longtemps devant un trouble du langage, l’ambition du
neurologue, à défaut d’examens complémentaires utilisables, était de le
rattacher par la simple clinique à l’un des types classiques d’aphasie.
Théophile ALAJOUANINE (Fig. 2) traça une voie de recherche différente,
bien davantage consacrée à l’analyse des troubles et aux possibilités de
rééducation qu’à la localisation des lésions. Aujourd’hui les méthodes
modernes d’imagerie permettent de faire de l’aphasie une étude “mor-
phologique” étonnamment précise des lésions responsables.
Une seconde attitude est de s’attacher moins à ces types classiques
qu’aux symptômes qui les constituent, symptômes communs à plusieurs
variétés. Le but dépasse alors le simple inventaire des lésions mises en
évidence par l’imagerie, il est plutôt de comprendre les mécanismes des
troubles élémentaires du langage comme l’anarthrie, la surdité verbale,
l’anomie, les paraphasies, l’impossibilité de répéter. Outre la taille, le
siège et l’âge des lésions, il faudra tenir compte du rôle respectif des deux
hémisphères, de la présence d’une éventuelle atrophie corticale associée,
de l’état de la substance blanche et des voies d’association qui la
constituent, de la taille des ventricules… il faut rappeler que pour Kurt
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Aphasies, langage et cerveau
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Figure 1 : Schéma de l’aphasie selon LICHTHEIM (1885)
A : centre des images auditives – M : centre des images motrices. aA : branche afférente
de l’arc réflexe qui transmet les impressions auditives à A. mM : branche efferente
qui conduit les impulsions de M aux organes du langage. B : centre de l’élaboration
des concepts. 1 à 7 : localisation des différents types d’aphasie.
La surdité verbale pure est considérée comme le résultat d’une interruption en 7.
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44 (pars opercularis) et par l’aire 45 (pars triangularis) de Brodmann, le
plan W coupe la partie moyenne de T1 et T2 (aire 22 ou aire de Wernicke),
les coupes SM et SM + 1 passent par les aires 39 et 40. Une coupe
intermédiaire BW passe à la fois par la pars opercularis en avant et l’aire
22 en arrière.
L’Imagerie par Résonance Magnétique rend visible les petites lésions
comme les lacunes, les plaques de la sclérose en plaques, les lésions
anoxiques. Elle autorise une analyse précise des structures anatomiques,
en particulier le cervelet, le tronc cérébral souvent mal visibles sur le
scanner X. Les agrandissements donnent des images comparables aux
coupes anatomiques ayant subi une coloration myélinique. En cas
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Aphasies, langage et cerveau
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La caméra à positons offre des avantages considérables par rapport
à la méthode précédente. Elle peut être utilisée pour établir des corréla-
tions clinico-métaboliques ou durant des épreuves d’activation. Les
premières peuvent être réalisées grâce aux mesures du débit sanguin
cérébral régional et du métabolisme cérébral du 18 D fluoro déoxyglucose
ou de l’oxygène 15. Le report des résultats recueillis dans un grand
nombre de petits volumes, appelés pixels, sur les planches d’un atlas
établi à cet effet permet une localisation extrèmement précise. Il s’agit
néanmoins d’une recherche lourde et difficile nécessitant la présence d’un
cyclotron et d’un laboratoire de chimie spécialisé dans la préparation des
isotopes. De plus la résolution des images ne dépasse pas 5 à 9 mm. Les
épreuves d’activation consistant à mesurer le débit sanguin cérébral
pendant des épreuves cognitives par rapport à un état dit de repos ne
doivent être ni trop brèves ni trop longues, l’examen durant dix minutes.
Les résultats de chaque sujet examiné nécessitent d’être comparés à ceux
d’un groupe témoin du même âge.
Sans utiliser les techniques d’imagerie, les études de stimulations
corticales per opératoires ou par électrocorticogramme chez des comi-
tiaux ont elles aussi un objectif localisationiste.
La magnéto-encéphalographie, technique n’existant pas encore en
France à ce jour, met en évidence en temps réel les activités de groupes
de neurones pendant une opération mentale en faisant apparaître sur un
écran les variations de leurs champs magnétiques (LOUNASMAA &
HARI, 1990).
Les résultats de ces méthodologies forcent l’admiration. Permettront-
elles, pour autant de localiser précisément les différents types d’aphasie ?
Nous allons prendre quatre exemples pour répondre à cette question : les
aphasies de Broca, de Wernicke, de conduction et transcorticales. Les
deux premières résulteraient de lésions de centres spécialisés bien
délimités. La deuxième serait la conséquence de l’interruption de voies
d’association. La troisième proviendrait de la suppression des afférences
ou des efférences de ces centres.
En 1861, BROCA décrivait ainsi le cerveau de Leborgne : “le lobe
frontal de l’hémisphère gauche est ramolli dans la plus grande partie de
son étendue, les circonvolutions du lobe orbitaire quoique atrophiques
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Tout d’abord, le langage, d’après les conceptions de l’époque, ne pouvait
sièger que dans le cortex cérébral. Ensuite, le ramollissement n’était pas
considéré alors comme la conséquence d’une occlusion artérielle mais
comme un processus progressif inflammatoire ou nutritionnel. BROCA
pensait que dans un premier temps le ramollissement de F3 avait atteint
le langage puis qu’il s’était étendu au noyau lenticulaire donnant une
hémiplégie enfin à tout le lobe frontal provoquant un affaiblissement
intellectuel. Au contraire pour Pierre MARIE, il s’agit d’un ramollissement
sylvien qui atteint le gyrus supramarginalis et l’aire de Wernicke, la lésion
du noyau lenticulaire donnant l’anarthrie. Il arrive à la déduction que
l’aphasie de Broca n’est autre qu’une aphasie de Wernicke compliquée
d’anarthrie et que “la troisième circonvolution frontale gauche ne joue
aucun rôle spécial dans la fonction du langage” (MARIE P., 1906). Depuis
lors, le cerveau de Leborgne qui a toujours échappé au couteau du
neuropathologiste a été étudié au scanner par CASTAIGNE et al. (ibidem).
Cet examen a confirmé la topographie des lésions corticales décrites par
BROCA (F2, partie postérieure de F3, une partie de FA, de PA de l’insula
et de T1), et a montré le respect de la zone de Wernicke et du gyrus supra-
marginalis ainsi que l’importante atteinte des noyaux gris en particulier du
noyau caudé et de la partie antérieure du noyau lenticulaire.Pierre MARIE
ne nie pas la réalité de l’aphasie de Broca : il la réduit à “une aphasie de
Wernicke avec la parole en moins”. A côté de ces deux types, il isole
l’anarthrie pure ou “dysarthrie” qu’il attribue aux lésions des noyaux gris
centraux occupant “son quadrilatère” (MARIE P., 1906).
Aux conceptions de Pierre MARIE qu’il fit siennes, Charles FOIX
(1928) ajouta des données neuropathologiques : l’aphasie de Broca peut
être due à un ramollissement sylvien superficiel cortico-sous-cortical, à
un ramollissement sylvien profond ou à un ramollissement sylvien total.
Dans la première éventualité, la lésion atteint : en arrière les circonvolu-
tions temporales et pariétales… donc l’aire de Wernicke, en dedans la
substance blanche sous corticale tout en respectant les noyaux gris
centraux, ce qui a fait dire à l’auteur : “Quant à la raison pour laquelle un
tel foyer entraîne des phénomènes anarthriques, c’est ici précisément un
des points litigieux que nous aborderons plus loin”. La deuxième forme
touche les noyaux gris centraux entraînant l’anarthrie mais le territoire
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Aphasies, langage et cerveau
superficiel ne doit pas être tout à fait indemne. Si les lobes temporaux et
pariétaux sont touchés (c’est-à-dire l’aire de Wernicke), c’est une apha-
sie… de Broca ! Si le ramollissement se limite au territoire sylvien profond
c’est une anarthrie pure. Pour Charles FOIX (1928), les cas d’aphasie par
lésion de la 3e circonvolution frontale gauche recèlent d’autres lésions
associées (pied de FA, quadrilatère de Pierre MARIE). En revanche, les
cas de lésions de F3 sans du tout d’aphasie ne sont pas rares et “les cas
d’aphasie de Broca sans lésion de F3 sont relativement nombreux. Ils
concernent en majorité des lésions profondes de la région du quadrila-
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tère”, pas nécessairement le noyau lenticulaire. Disciple de Pierre MARIE
et aussi intime de Charles FOIX, Th. ALAJOUANINE adhéra en gros à
cette conception, néanmoins selon Blanche DUCARNE (communication
personnelle) il admettait le rôle de F3 dans l’aphasie de Broca.
A l’inverse de l’école de Pierre MARIE, Jules DEJERINE (1914) resta
fidèle à la conception classique mais il étendit la zone de Broca, dont il
faisait “le centre des images motrices d’articulations” à la corticalité
immédiatement voisine : cap de F3, pied de F3, opercule frontal et peut-
être partie antérieure de l’insula. Il insista sur le rôle des nombreuses fibres
d’associations courtes, moyennes ou longues qui unissent les centres du
langage entre eux, dont le faisceau arqué, et aux autres centres sensoriels
homo et contro latéraux. Quant au quadrilatère de l’anarthrie, Madame
DEJERINE s’attacha à démontrer que le cap et le pied de F3 en faisaient
partie intégrante (LECOURS et al,1992). WERNICKE (1874) et LICHTHEIM
(1885) qui appellent l’aphasie de Broca “corticale motrice” se rattachent
eux aussi à la localisation classique.
Qu’en est-il aujourd’hui de la localisation des lésions à l’origine de
l’aphasie de Broca ? Il persiste dans ce domaine une incertitude. On peut
remarquer tout d’abord, ce qu’avait déjà noté André THOMAS, que les
troubles de la compréhension ne sont pas les mêmes dans les aphasies
de Broca et de Wernicke, deuxièmement qu’il faut distinguer l’anarthrie
de la dysarthrie qui n’appartient pas à l’aphasie. Pour KERTESZ (1983),
il n’existerait pas d’observation d’aphasie de Broca durable due à une
lésion de la partie postérieure de F3 gauche. Les infarctus limités à l’aire
de Broca donnent une légère aphasie motrice transitoire qui guérit
rapidement et complètement. Les lésions pouvant donner l’aphasie de
Broca siègeraient dans la partie postérieure de F3, la partie inférieure du
gyrus pré-central, l’insula antérieur, F2, la partie adjacente du cortex
temporal et pariétal, le putamen, le noyau caudé et la capsule interne. En
définitive : l’aphasie de Broca persistante avec agrammatisme et diminu-
tion de la fluence verbale est associée à un large infarctus fronto-pariétal
avec généralement une extension sous corticale. Il semble prouvé actuel-
lement qu’une lésion profonde peut donner à elle seule une aphasie de
Broca, plusieurs structures peuvent être en cause. KERTESZ n’a pas
trouvé d’argument suffisant pour incriminer le noyau lenticulaire seul.
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Langage et aphasie
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centre des images motrices des mots aux noyaux moteurs des nerfs
destinés aux muscles phonatoires. Elle donne une atteinte de la simple
expression orale, synonyme d’anarthrie pure.
Autrefois, l’aphasie totale avec mutisme était considérée comme
l’addition d’une aphasie de Wernicke et d’une aphasie de Broca. NAESER
et al. (1989) ont montré que des patients dont le langage avait disparu ou
bien était limité à quelques stéréotypies de façon durable pouvaient
n’avoir qu’une lésion de la substance blanche latéro ventriculaire gauche
interrompant au niveau de la corne frontale, le faisceau sub-callosus qui
fait partie du faisceau cingulaire et relie l’aire motrice supplémentaire à la
tête du noyau caudé. Il s’y associe une lésion de la substance blanche
périventriculaire qui contient des fibres descendantes d’origine corticale.
Quand on parle de l’aphasie de Wernicke, on ne sait jamais de quoi
on parle exactement, le cadre du syndrome variant considérablement
d’un auteur à l’autre. Dans une acception large, les aphasies transcorticales,
l’aphasie de conduction, la surdité verbale pure sont englobées dans
l’aphasie de Wernicke. LECOURS & LHERMITTE (1979) en distinguent
trois types, le type I est la forme classique, le type II est l’aphasie
transcorticale sensorielle, dans le type III prédominent les troubles du
langage écrit. Il nous parait préférable de limiter l’emploi du terme
d’aphasie de Wernicke à ce que cet auteur puis LICHTHEIM (1885) ont
appelé l’aphasie corticale sensorielle. Même en limitant ainsi le syn-
drome, il est habituel de distinguer la grande aphasie de Wernicke :
aphasie fluente avec troubles de la compréhension orale et écrite,
jargonaphasie avec paraphasies, dyssyntaxie, troubles de l’écriture; la
forme à composante auditive (surdité verbale) sans trouble du langage
écrit, et enfin l’aphasie de Wernicke avec atteinte élective du langage
écrit. Pour Charles FOIX, le premier type est dû au ramollissement sylvien
postérieur total : la lésion atteignant la partie postérieure de T1 et T2, les
gyri angulaire (aire 39) et supramarginalis (aire 40), la 2e forme corres-
pond au ramollissement du territoire temporo-pli courbe comprenant la
partie postérieure de T1 et T2, en arrière du gyrus de Heschl, la 3e forme
s’observe dans les infarctus pariéto-pli courbe occupant les aires 39 et 40.
Il ne faut pas perdre de vue cependant que, sans doute plus fréquem-
ment que dans l’aphasie de Broca, l’aphasie de Wernicke d’apparition
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production du langage”. La lésion qui détermine l’aphasie de Wernicke
peut s’étendre en avant au cortex auditif primaire, en profondeur à la
substance blanche sous jacente et à l’origine du faisceau arqué, en arrière
au gyrus angulaire (aire 39 ou PG d’Economo) et au gyrus supramarginalis
(l’aire 40 ou Pf), en bas et en arrière aux aires 21 (2e temporale), 20
(3e temporale) ou 37 (4e temporale).
L’aphasie de conduction ne figure pas dans tous les ouvrages didac-
tiques consacrés à l’aphasie. Pourtant elle a été décrite, très ancienne-
ment par WERNICKE (1874) puis par LICHTHEIM (1885). Les difficultés
de la répétition qui la caractérisent ont été attribuées par ces auteurs à la
rupture de la liaison unissant les centres des images auditives et des
images motrices des mots. Le schéma qu’on appelerait aujourd’hui
“cognitif” correspond alors exactement à un circuit anatomique : la
boucle audiphonatoire. Ces auteurs ont individualisé ce syndrome par
intuition sans en avoir observé de cas. L’hypothèse s’est par la suite
trouvée confirmée par des observations cliniques. Même si le concept a
subi de violentes attaques, peut être parce que l’explication était “trop
simple” il a bien résisté à l’épreuve du temps. FREUD (1892) niait ce type
d’aphasie pensant que si on ne pouvait pas répéter, on ne pouvait parler.
WARRINGTON & SHALLICE (1969) l’interprétaient comme un trouble de
la mémoire auditive à court terme des sons verbaux ce qui pour DAMASIO
& DAMASIO (1980) n’est pas contradictoire avec l’interprétation anato-
mique qu’ils défendent et qui n’a jamais à notre connaissance pu être
renversée par des arguments sérieux. On admet donc aujourd’hui que ce
type d’aphasie est dû à une interruption du faisceau arqué, qui réunit le
cortex temporo-pariétal au cortex de la 3e circonvolution frontale. Cette
interruption peut se faire : 1°) à la partie postérieure du cortex auditif, là
où il prend naissance,c’est l’aire 22 faisant partie de l’aire de Wernicke;
2°) dans la profondeur du gyrus supra-marginalis (aire 40) par atteinte de
la substance blanche où chemine ce faisceau d’association; 3°) WERNICKE
attribuait l’aphasie de conduction à une lésion de l’insula. LIEPMANN &
PAPPENHEIM (1914) publièrent un cas d’aphasie de conduction sans
lésion de l’insula. DAMASIO & DAMASIO en rapportèrent une observa-
tion due à une hémorragie de la région de l’insula (cas 5). Dans la
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Langage et aphasie
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de voies d’associations entre “le centre des concepts” et le centre des
images motrices des mots (aphasie transcorticale motrice) ou bien le
centre des images acoustiques des mots (aphasie transcorticale senso-
rielle). En termes anatomiques, ces lésions occupent une zone en
couronne périsylvienne (Borderzone area de BENSON, 1979) d’où il
s’ensuit une entrave à l’accès ou à la sortie des centres du langage. La
répétition est toujours normale dans ce type d’aphasie.
Deux types de lésions peuvent causer une aphasie transcorticale
motrice : celles du cortex prémoteur et préfrontal (aires 6 et 8; aires 9, 10
et 11; aires 44, 45, 46) d’une part, celles de l’aire motrice supplémentaire
et des voies qui en viennent cheminant dans la substance blanche juste
en avant de la corne frontale d’autre part. Il faut en rapprocher les lésions
donnant des états prolongés de mutisme vus plus haut. Le terme
“d’aphasie dynamique” de LURIA & TSVETKOVA (1968) illustre bien la
perte d’activation du langage à l’origine du trouble. Quant à l’aphasie
transcorticale sensorielle, elle se présente comme une aphasie de Wernicke
sans trouble de la répétition avec souvent même une écholalie. Les
lésions ne sont pas univoques : sur la convexité de l’hémisphère gauche,
elles touchent les aires 37 et 39 mais elles peuvent s’étendre aux aires
voisines 21 en avant, 18 et 19 en arrière. D’autres fois, elles siègent en
profondeur dans la partie de la substance blanche irriguée par l’artère
cérébrale postérieure. Dans l’aphasie transcorticale mixte, la seule acti-
vité linguistique se limite à la répétition voire même à l’écholalie. Une telle
lésion en couronne périsylvienne peut être responsable de ce type
d’aphasie.
BERTHIER et al. (1991) pensent que la possibilité de répétition propre
aux aphasies transcorticales reflète l’activité de l’hémisphère droit, en
effet elle existe même si le faisceau arqué est endommagé du côté de la
lésion. L’épreuve à l’amytal sodique injecté dans l’artère carotide interne
droite aurait fait disparaître temporairement cette possibilité de répéter
chez 2 patients atteints d’aphasie transcorticale ce qui corrobore cette
théorie, on peut se demander cependant pourquoi cette suppléance de
l’hémisphère droit n’interviendrait pas elle aussi dans l’aphasie de
conduction.
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a permis cependant de mieux comprendre le mécanisme des aphasies,
dépassant de loin une vision purement structurale. Il faut bien admettre
que les schémas localisationistes sont souvent en défaut même si on
limite cette discussion aux sujets droitiers, unilingues et ne pratiquant que
le langage alphabétique.
Dans une population de 267 patients aphasiques droitiers de langue
Italienne BASSO et al. (1985) ont trouvé 36 cas d’exceptions par rapport
aux corrélations clinico-anatomiques classiques déduites de l’étude
scanographique, 3 cas n’avaient pas d’aphasie malgré d’importantes
lésions des aires classiques du langage, 2 aphasiques avaient des lésions
siégeant en dehors des aires classiques, 8 cas avaient des aphasies
fluentes et non globales après des lésions massives du territoire sylvien
gauche. 7 cas avaient des aphasies fluentes après une lésion touchant
exclusivement l’aire de Broca. 6 cas avaient une aphasie non fluente et
un syndrome de désintégration phonétique alors que l’aire de Wernicke
et le lobule pariétal inférieur étaient lésés mais non l’aire de Broca. 10 cas
avaient une aphasie globale après une lésion limitée respectant l’aire de
Wernicke. Ces auteurs expliquent ces exceptions par la possibilité de
variations individuelles dans l’organisation cérébrale du langage telles
que les résultats des stimulations corticales le laissaient prévoir (cf. infra).
Des observations plus anciennes signalaient déjà de pareilles exceptions :
LHERMITTE et al. (1973); MAZZOCHI & VIGNOLO (1979); METTER et
al. (1981); MOHR et al. (1978).
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Langage et aphasie
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(ALAJOUANINE et al. , 1939).
Concernant le contenu du langage parlé, KERTESZ (1983) a proposé
un schéma de localisation des paraphasies : le jargon avec néologismes
serait du à une lésion de la partie la plus postérieure de T1 donc à la fin
de la scissure de Sylvius. Le gyrus supra-marginalis, la substance blanche
sous-jacente, l’origine du faisceau arqué seraient toujours atteints dans ce
cas. Le même territoire lésionnel mais moins étendu que le précédent
peut être plus “temporal” produirait le jargon sémantique. Les paraphasies
phonémiques seraient toujours dues à des lésions du gyrus supra-
marginalis et du planum temporale. Enfin l’aphasie asémantique de la
maladie d’Alzheimer traduirait une atrophie des 2 gyri pariétaux infé-
rieurs : aire 39 – ou PG d’Economo – et 40. Il nous semble que plus il existe
de troubles expressifs sémantiques, plus la lésion responsable se rappro-
che du gyrus pariétal inférieur. L’altération de la répétition sans troubles
de la compréhension témoigne d’une interruption à des endroits variés du
faisceau arqué, au contraire cette boucle audiophonatoire est respectée
quand la répétition est possible (cas de l’aphasie transcorticale senso-
rielle).
Jadis rapportées soit à des lésions diffuses soit à celles de la région
pariéto-temporale gauche, les troubles de la dénomination furent attri-
bués par NEWCOMBE et al. (1971) à des lésions du lobe temporal
gauche, les patients ayant des lésions postérieures de ce lobe faisaient
significativement plus d’erreurs que ceux dont cette région est épargnée.
OJEMANN & WHITAKER (1978) concluent de leurs expériences de
stimulations corticales chez des sujets bilingues que les troubles de la
dénomination sont obtenus également dans les deux langues par la
stimulation de mêmes régions péri-sylviennes correspondant aux aires
du langage. En revanche, en périphérie de ces régions la stimulation de
certains points frontaux et pariétaux ne perturbe la dénomination que
dans une langue.
Les troubles de la compréhension auditive pourraient être différents
dans les deux grands types d’aphasie. Il pourrait s’agir de déficits lexico-
sémantiques dans l’aphasie de Wernicke et de troubles de la compréhen-
sion syntaxique dans l’aphasie de Broca. Les lésions responsables de ces
troubles sont, dans les Wernicke tout au moins, celles des aires auditives
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par AUERBACH et al. (1982) en 2 types : par lésions bilatérales, elle serait
due à un trouble acoustique de nature préphonémique, par lésion
unilatérale, temporale gauche : il s’agirait alors d’un sous-type de l’apha-
sie de Wernicke.
Nous illustrerons maintenant l’étude des corrélations entre les don-
nées cognitives et l’imagerie par deux exemples : chez 11 malades
droitiers atteints de maladie d’Alzheimer dont le MMS était compris entre
10 et 26, PENNIELLO et al. (1992) ont quantifié séparément les capacités
phonologiques et lexicosémantiques résiduelles à l’aide de tests d’écri-
ture sous dictée, ils ont mesuré la consommation de déoxyglucose
respectivement dans les aires 39 et 40 gauches et ont trouvé une
corrélation significative entre le ratio agraphie phonologique/agraphie
lexicale et le rapport consommation du glucose dans le gyrus supra
marginalis et dans le gyrus angulaire. Cette même année, ANGIBAUD
(communication personnelle) comparant les symptômes aphasiques
avec 68 régions d’interêt sur l’IRM démontrèrent qu’il existe des corréla-
tions entre les troubles de la compréhension orale lexico-sémantique et
des lésions de la jonction T3-gyrus fusiforme (aires 21 et 37). Les troubles
de la compréhension orale de nature phonologique sont surtout correlés
avec des lésions des aires 22 – 42 et de la substance blanche sous jacente.
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à la lésion focale constatée morphologiquement, celle-ci peut être
asymptomatique. Il n’en va pas de même s’il existe un hypo-métabolisme
soit temporo-pariétal soit fronto-pariétal en plus de celui du site lésionnel.
Dans une 3e catégorie, l’hypométabolisme est à la fois temporo-pariétal
et fronto-pariétal ce qui peut s’observer dans d’importants infarctus
sylviens superficiels et profonds mais aussi au cours de petites lésions
sous corticales. Un tel hypométabolisme peut s’exercer à distance de la
lésion par exemple un infarctus du bras antérieur de la capsule interne
peut être suivi d’une diminution de la consommation de glucose dans la
région frontale inférieure du même côté, une petite lésion thalamique peut
entraîner un hypométabolisme du cortex frontal ou temporal. Ces exem-
ples démontrent qu’en matière d’aphasie, on ne peut raisonner unique-
ment en fonction de la lésion morphologique mais qu’il faut prendre en
considération pour faire des corrélations son retentissement fonctionnnel
sur tout le cerveau. Il ne faut pas oublier non plus que l’hypométabolisme
va s’améliorer au cours de l’évolution. En ce qui concerne les aphasies par
lésions sous corticales (METTER et al., 1988) l’étude de la consommation
du FDG peut montrer si l’effet de la lésion sur les symptômes de
l’aphasique est à la fois direct et indirect, c’est-à-dire par l’intermédiaire
du cortex.
On est en mesure actuellement de décrire le “profil métabolique” des
trois grands types d’aphasie. Dans l’aphasie de Broca : d’après METTER
et al. (1989), il existe une asymétrie métabolique du FDG aux dépens de
tout l’hémisphère gauche excepté les aires visuelles primaires, dépassant
par conséquent largement les limites de la lésion. Dans l’aphasie de
Wernicke, l’asymétrie fut trouvée dans les régions temporo-pariétale et
postéro-inféro-frontale (région de Broca), pré-frontale, du noyau caudé
et du thalamus. Dans l’aphasie de conduction, l’asymétrie métabolique
était présente dans les régions temporo-pariétales : tandis que 50 % des
sujets avaient une asymétrie dans l’aire de Broca et 20 % dans le lobe
frontal. L’auteur souligne l’importance de l’hypométabolisme frontal dans
l’aphasie de Broca expliquant sans doute le trouble de l’initiation du
langage. On est frappé en outre par l’hypométabolisme temporal gauche
constaté dans les 3 types d’aphasies, explication possible des troubles de
la compréhension de l’aphasie de Broca qui confirmerait la théorie
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souffrent d’aphasie de Broca, de Wernicke ou de conduction comme s’il
n’existait qu’un seul type d’aphasie.
Au terme de cette revue, il faut faire quelques remarques : nous avons
de nos jours un outil privilégié : l’IRM pour faire une analyse morphologi-
que des lésions, on peut donc en attendre encore des résultats nouveaux.
L’analyse des déficits métaboliques est appréciée sur des “régions
d’interêt”. METTER et al. (1989) en ont sélectionné et bien défini 16,
toutes situées dans l’hémisphère gauche. Le nombre de sujets témoins
doit être suffisant dans ce genre d’études, c’est le cas chez METTER. Le
calcul du métabolisme est statistiquement établi par rapport à l’hémis-
phère contro-latéral, supposé normal par conséquent. Enfin, peu de
sujets – moins d’une trentaine – ont été jusqu’à maintenant, étudiés de
cette façon.
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Langage et aphasie
aux types d’aphasie classiques qui avaient été décrits avant lui”. Néan-
moins, il présenta en 1915 une analyse complète de l’oeuvre de JACK-
SON sur le langage.
Après une période “dématérialisée” la neuro-psychologie semble se
souvenir actuellement qu’il existe un cerveau. Du fait de l’invention de la
Tomographie par Emission de Positons, on redécouvre les vieilles “car-
tes” cytoarchitectoniques de BRODMANN (1910) et d’ECONOMO (1927)
que l’on confronte au moderne Atlas de TALAIRACH et al. (1967).
GALABURDA & MESULAM (1983) n’ont pas craint de consacrer des
heures à l’examen de coupes histologiques du cortex bien qu’étant l’un
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et l’autre neuropsychologues. Le premier a montré avec SANIDES et
GESCHWIND (1978) que le planum temporale gauche, ou partie posté-
rieure de la face supérieure de la première circonvolution temporale, était
plus étendu à gauche qu’à droite chez le droitier. Sur un simple scanner,
on voit d’ailleurs facilement que l’hémisphère gauche est le plus vaste des
deux dans l’ensemble de la population. L’aire qui contient la zone de
Broca est elle-même plus développée dans l’hémisphère gauche. D’après
GALABURDA et al. (1978), 2/3 des sujets gauchers ont des hémisphères
cérébraux plus symétriques que les sujets droitiers mais il n’y a pas de
différence selon le sexe. L’épreuve de perfusion d’amobarbital dans la
carotide interne démontre que 5 % des sujets examinés ont une représen-
tation bilatérale des aires du langage : Dans 4 % elles sont à droite, il n’y
a pas de rapport avec la latéralisation de la main (WOODS, 1988).
GALABURDA & MESULAM (1983) ont montré de façon très convain-
cante que les aires de Broca, Wernicke et le pli courbe avaient des
caractéristiques histologiques : dans l’aire 44 (pars opercularis) ils obser-
vèrent le grand développement de la couche granulaire interne (couche
IV). L’aire 22, ou partie postérieure de T1 qui appartient à l’aire de
Wernicke comprend une disposition des couches III et V en colonne de
part et d’autre de la couche IV. L’aire Tpt décrite par cet auteur
(GALABURDA et al., 1978), partie la plus postérieure de l’aire auditive
située à la jonction temporo-pariétale, occupe par conséquent une partie
de la circonvolution pariétale inférieure c’est-à-dire dans sa plus grande
partie l’aire 22 mais débordant sur l’aire 39 en haut. Elle aurait un rôle
important dans la compréhension du langage verbal. De tels travaux
histologiques plaident en faveur de l’existence de centres du langage bien
individualisés. Le résultat des stimulations cérébrales fournit des données
complémentaires.
En 1954, PENFIELD & JASPER effectuaient, pendant des interven-
tions neuro-chirurgicales, sans anesthésie générale, destinées à traiter
des patients épileptiques, des stimulations électriques du cortex cérébral
gauche. La stimulation de l’aire de Broca, de la partie la plus inférieure de
la pariétale ascendante (opercule pariétal), de la partie postérieure de
l’aire motrice supplémentaire, de la partie postérieure de T1 et T2
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Aphasies, langage et cerveau
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stimulé différents points du cortex hémisphérique gauche pendant des
épreuves de dénomination, de lecture à haute voix et de mémoire verbale
à court terme. Le résultat de la stimulation diffère selon les régions
stimulées. La région frontale inféro-postérieure (aire de Broca) répond
aux trois types d’épreuves et serait de ce fait… la vraie région du langage.
La stimulation du noyau ventro-latéral du thalamus provoque une inter-
ruption du langage, des troubles de la dénomination et de la mémoire
verbale. Pour OJEMANN (1991), les fonctions du cortex cérébral ne
seraient pas organisées en plages mais en mosaïque macrocolonnaires;
les centres qui répondent le plus aux stimulations sont ceux des régions
péri-sylviennes, mais le taux de réponses n’est jamais de 100 %. Il est au
maximum de 69 % dans l’aire de Broca et dans l’aire de Wernicke, il varie
selon les points stimulés. Il existe en outre une variabilité inter-indivi-
duelle. Ces centres impliqués dans le langage fonctionneraient de façon
compartimentale et seraient activés en parallèle par un circuit thalamo-
cortical ascendant. Les stimulations de l’hémisphère non dominant
n’altèrent pas le langage (FRIED et al., 1982). L’ensemble de ces travaux
suggère que la région du cortex qui entoure la scissure de Sylvius de
l’hémisphère dominant contient les dispositifs du langage : la région de la
3e frontale apparait très importante pour la fonction motrice du langage.
Entourant cette région des aires pariéto-temporales et frontales sont
impliquées dans la mémoire verbale à court terme. Les centres de la
compréhension auditive ne sont pas limités aux aires auditives classi-
ques. Des aires motrices (concernées par la face) et prémotrices semblent
intervenir dans cette fonction mais avec des variabilités individuelles.
La mesure du débit sanguin cérébral régional (rDSC) a apporté des
informations localisationistes mais également psycholinguistiques.
INGVAR & RISBERG (1967) ont montré que la mesure du débit sanguin
cérébral régional pouvait rendre compte de l’activation du cortex cérébral
pendant certaines tâches intellectuelles chez des sujets sains. Utilisant la
méthode intra-carotidienne, NISHIZAWA et al. (1982) ont constaté à
l’écoute monaurale (contro-latérale à l’hémisphère stimulé) d’une liste de
mots, une élévation bilatérale du rDSC plus marquée à gauche. Le rDSC
s’élevait dans les régions : préfrontales supérieures, orbito-frontales,
oculo-motrices frontales, temporales supérieures, antérieures et posté-
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Langage et aphasie
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L’épreuve de compréhension entraîne une élévation du débit sanguin
régional dans les 2 hémisphères, significative dans les régions pariétales
inférieures droite et gauche. Pendant l’expression orale on observe une
augmentation diffuse du débit sanguin cérébral moyen dans les deux
hémisphères et du rDSC significativement dans les régions rolandique
haute et prémotrice haute à droite, dans la région operculaire gauche
(correspondant à l’aire de Broca) et dans les régions pariétales inférieures
droite et gauche. Ces résultats et ceux recueillis par d’autres auteurs
(WALLESCH et al., 1985) montrent que l’activation ne concerne pas que
l’hémisphère gauche. Utilisant la caméra à positons, MAZZIOTTA et al.
(1982) ont pu démontrer un hypermétabolisme dans la région frontale
gauche, dans le cortex temporal postérieur et transverse droit et gauche,
dans le thalamus gauche pendant une tâche d’écoute d’un texte.
Le travail de KNOPMAN et al. (1982) allait être le prélude à toute une
série d’investigations corrélant des tâches psycho-linguistiques aux
élévations du débit sanguin régional : dans une épreuve uniquement
phonologique (épreuve de rimes) seul l’hémisphère gauche est le siège
d’une élévation du débit sanguin cérébral, dans la région sylvienne
postérieure. Dans des épreuves sémantiques comprenant une caté-
gorisation des mots entendus, une telle élévation a été observée à droite
aussi bien qu’à gauche du côté controlatéral à la main utilisée par le sujet
pour la réponse motrice de contrôle. Cela démontre que les processus
phonologiques ne peuvent être traités que par l’hémisphère gauche, alors
que les opérations lexico-sémantiques peuvent être effectuées par les
deux hémisphères.
Depuis ces travaux, des études en T.E.P. du débit sanguin cérébral
allaient se poursuivre dans le domaine psycho-linguistique chez le sujet
normal. Dans une série d’activations par des stimuli verbaux (un seul
mot) présentés soit visuellement soit par voie auditive, PETERSEN et al.
(1988) ont montré qu’aucune région n’était activée à la fois par ces 2
conditions (l’augmentation du rDSC pendant ces présentations passives
était comparée avec le rDSC pendant la fixation d’un point sans présen-
tation de mots). Les présentations visuelles passives déclenchent une
activation dans ces régions extrastriées gauche et droite, situées à la
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d’association avec le mot présenté une activation fut trouvée dans le
territoire frontal gauche inférieur et cingulaire antérieur bilatéral (proces-
sus attentionnel).
Ces résultats plaident davantage pour l’existence dans les percep-
tions d’informations verbales de multiples routes d’accès plutôt que pour
un modèle à une seule voie. Dans les tâches visuelles il n’y a pas
d’activation au voisinage des aires de Wernicke ce qui fait dire aux auteurs
que l’entrée visuelle donne accès à la répétition sans codage phonologique
préalable dans la région temporale postérieure. D’un autre côté les tâches
sémantiques d’association activent surtout les régions frontales plus que
les régions temporales et postérieures.
En 1990, PETERSEN et al. ont comparé l’activation provoquée par
quatre types de stimuli visuels, un vrai mot de la langue anglaise,un
pseudo-mot prononçable ressemblant de très près à un mot de la langue,
une suite de caractères tout à fait différente d’un mot (non mot), une suite
de pseudo-lettres mal formées différentes des caractères habituels. La
situation de référence était la fixation d’un simple point. Ces 4 stimuli
provoquent une activation extrastriée bilatérale. Les vrais mots et les
pseudo-mots vraisemblablement linguistiques produisent une activation
dans le cortex extra-strié occipital gauche ce qui n’est pas observé avec
les suites de lettres ou avec les suites de lettres déformées. De plus la
région du cortex frontal latéral inférieur gauche est activée uniquement
par les pseudo-mots prononçables et les vrais mots ce qui suggère que
cette région a un rôle important dans les processus sémantiques, même
dans une présentation passive. WISE et al. (1991) ont montré que
l’audition passive de non-mots de consonance anglaise, la comparaison
de vrais mots dans une paire ou de noms et de verbes active d’une façon
peu différente les régions temporales. En revanche l’activation de verbe
évoqué sans vocalisation par un nom présenté provoquait une activation
dans la pars opercularis gauche (ou aire de Broca), l’AMS bilatéralement
et la 2e frontale gauche.
Ces différents travaux démontrent que la perception visuelle passive
de vrais mots ou de pseudo-mots vraisemblablement linguistiques active
des centres extrastriés médiaux gauches sans activation de l’aire de
Wernicke ni des aires auditives. Les tâches d’association mettent en jeu
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non spécifiques du langage concernées
indirectement par le langage et les aphasies ?
Comme l’ont fait remarquer FREUD (1892) et récemment VARELA
(1988), les classiques schémas d’autrefois ne rendent pas compte de la
complexité des perceptions. L’arrivée d’un stimulus sensoriel dans le
cerveau met en jeu une infinité de potentiels secondaires qui excitent de
très nombreuses zones associatives. CHARCOT dans son célèbre schéma
de la cloche et FREUD il y a cent ans montraient que la perception d’un
mot donnait lieu à des représentations variées de l’objet, du nom écrit,
sans compter les gestes évoqués par ce mot. Les études en caméra à
positons ont montré d’une part la présence de zones d’hypométabolisme
à distance de la lésion responsable de l’aphasie et d’autre part chez le sujet
sain l’existence de zones d’activation lors d’épreuves linguistiques dans
des régions cérébrales souvent très à distance d’un centre classique du
langage. A côté des centres primordiaux : centres de Broca, de Wernicke,
région des aires 39 et 40, le langage qu’il s’agisse de la fonction réceptive
ou expressive met en jeu des régions centrales non spécifiques.
Contentons-nous de mentionner les structures activatrices commu-
nes à toutes les activités intellectuelles : 1) sites de secrétion des neuro-
transmetteurs : acétylcholine (Ch 1 à Ch 4 avec surtout le noyau basal de
Meynert), dopamine (substantia nigra, aire tegmento-ventrale), noradré-
naline (locus coeruleus); 2) structures intervenant dans l’attention com-
prenant la substance réticulée du tronc cérébral, le cingulum antérieur, le
cortex ventro-médial frontal, le gyrus pariétal inférieur.
ALEXANDER (1989) a dressé la liste des structures cérébrales
intervenant dans la fonction linguistique dont nous nous inspirons ici : 1°)
Le système de l’initiation du langage comprend l’aire motrice supplémen-
taire et peut-être le cingulum antérieur et les efférences qui partent de
l’AMS occupant la substance blanche péri-ventriculaire pour rejoindre le
noyau caudé. Le striatum compte au nombre des structures activatrices
du cortex frontal intervenant dans l’initiation du langage, le cortex de la
convexité latéro-dorsale du lobe frontal a sans doute un rôle activateur
important. 2°) Le système de l’expression orale comprend la partie
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KARBE et al. (1990) sur les diminutions diffuses du rDSC dans les
aphasies de Broca : s’agit-il d’un diaschisis par la voie de fibres d’asso-
ciation antéro-postérieures ou d’une baisse globale réactionnelle de tout
le débit de l’hémisphère non encore expliquée ? Le cortex insulaire, le
gyrus supra-marginalis interviendraient également, pour ALEXANDER
(1989) dans l’organisation de “l’output”. 4°) Les mécanismes de la
compréhension auditive comprennent : cortex auditif et aire de Wernicke,
noyaux latéraux du thalamus, cortex temporo-pariétal et des voies inter-
hémisphériques : corps calleux, partie postérieure de la substance blan-
che péri-ventriculaire, isthme temporal. 5°) Le système des praxies
comprend le cortex pariétal d’association, le 1/3 moyen et la partie
supérieure de la substance blanche péri-ventriculaire postérieure. 6°)
Enfin ALEXANDER (1989) place dans le thalamus, dans le cortex
associatif pariéto-temporo-occipital, dans l’isthme temporal, dans la
région postérieure de la substance blanche péri-ventriculaire, les structu-
res impliquées dans les processus sémantiques.
Nous n’avons pas développé ici le rôle des structures sous corticales
dans le langage normal et pathologique. Nous renvoyons à l’article de
J. CAMBIER intitulé “Aphasies sous corticales” figurant dans ce volume.
Les années 1970 ont marqué l’apogée du syndrome de dysconnexion
hémisphérique par lésion calleuse. L’interêt s’est porté massivement sur
les conséquences psychologiques de l’impossibilité pour les stimuli
provenant de l’hémisphère droit de gagner les centres du langage situés
dans l’hémisphère gauche. Ainsi fut décrite : l’anomie tactile de la main
gauche, l’extinction gauche au test d’écoute dichotique, la pseudo-hémi-
anopsie unilatérale gauche mise en évidence par la tachystoscopie,
l’agraphie de la seule main gauche. Les travaux cliniques et expérimen-
taux ont conduit à distinguer fonctionnellement les 2 hémisphères céré-
braux : le gauche étant dévolu au langage, au calcul, à l’activité gestuelle
propositionnelle alors que le droit préside au maniement des données
visuo-spatiales, à la reconnaissance des visages, à la musique. Cepen-
dant des nuances sont venues atténuer cette opposition trop tranchée,
nous nous en tiendrons ici à la discussion concernant le langage.
Un des mérites de l’école de GAZZANIGA (1983) a été de montrer que
l’hémisphère droit avait un rôle dans le langage (étude reprise récemment
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Langage et aphasie
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stratégies de suppléance par des voies inter-hémisphériques non calleu-
ses. En outre, la tachystoscopie a été l’objet de critiques méthodologiques
sérieuses, cependant le syndrome de dysconnexion observé en clinique
humaine a bien résisté aux critiques dont il a été l’objet. En tout cas, nous
avons vu, chemin faisant, que les travaux sur le débit sanguin cérébral
étudié par le Xe 133 ou au moyen de la caméra à positons confirment le
rôle de l’hémisphère droit dans la compréhension et l’expression verbale
ainsi que la compétence phonologique du seul hémisphère gauche.
La notion d’inter-action d’un hémisphère (le plus souvent le droit chez
le droitier) sur l’autre chez des patients cérébrolésés sans lésion calleuse
illustre la conception dynamique du fonctionnnement cérébral et a fait
apparaître les expressions de “suppléances, prises en charge…” de
l’hémisphère droit. La notion de balance inter-hémishpérique a donné lieu
à des tentatives “d’activation” d’un hémisphère par le regard forcé dans
la direction opposée à cet hémisphère (LARMANDE et al., 1984). Nous
avons vu que le rôle de l’hémisphère droit a été invoqué pour expliquer
certaines capacités résiduelles chez des aphasiques, comme la répétition
(BERTHIER et al., 1991). D’autre part la possibilité de rééduquer un
aphasique porteur d’une grosse lésion hémisphérique gauche détruisant
les classiques centres du langage ne pourrait se faire sans la mise en route
de l’hémisphère droit. Un second infarctus vient-il à léser l’hémisphère
mineur, le patient peut retourner alors à son état antérieur (CAMBIER,
communication personnelle).
F. Conclusions
La localisation des lésions génératrices des types classiques d’aphasie
n’a plus le même intérêt qu’autrefois, cependant la connaissance des
travaux et des discussions scientifiques qui ont servi à construire au cours
des ans, les doctrines localisationistes sont pleine d’intérêts : le rôle de F3
en constitue un exemple démonstratif. La classification de WERNICKE et
LICHTHEIM reste toujours un schéma pratique en neurologie clinique. On
peut reprocher aux doctrines localisationistes des types d’aphasie d’être
souvent en défaut. A notre époque, l’imagerie fonctionnelle apporte
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existe un hypo-métabolisme dans l’hémisphère gauche beaucoup plus
étendu que la lésion ne le laisserait supposer atteignant toujours les
régions temporo-pariétale et frontale avec quelques variantes cepen-
dant : dans l’aphasie de Broca, l’hypo-métabolisme frontal est plus
étendu que dans l’aphasie de Wernicke, cette conception uniciste de
l’aphasie explique certaines particularités cliniques comme les troubles
de la compréhension dans le Broca ce qu’avait entrevu Pierre MARIE au
début du siècle. La cause de l’étendue de cet hypo-métabolisme est
encore mal connue.
L’individualisation des centres classiques ne peut être remise en
doute. L’histologie montre leurs particularités cytologiques. Les travaux
dans ce domaine joints aux expériences de stimulations permettent
d’affirmer que la pars opercularis, les aires 39, 40, 22 constituent dans
l’hémisphère gauche les aires primordiales du langage. Pour OJEMANN,
le thalamus gauche activerait des aires neuronales diposées en colonnes
parallèles dans le cortex.
Les mesures du débit sanguin cérébral par le Xe 133 ou la caméra à
positons ont montré que les structures mises en jeu dans le langage sont
représentées de façon bilatérale dans le cortex et les régions sous-
corticales. Elles ont permis des travaux psycho-linguistiques d’une
importance considérable : si des opérations sémantiques peuvent être
traitées par les deux hémisphères, les processus phonologiques ne le sont
que par l’hémisphère gauche. De plus, les informations verbales, visuel-
les ou auditives utilisent des canaux différents, les premières activent les
régions extra-striées médiales et des aires pré-frontales mais pas l’aire de
Wernicke, celle-ci est activée en revanche par les informations linguisti-
ques entendues. Le cortex pré-frontal semble avoir un rôle important dans
les processus sémantiques associatifs. En attendant que la magnéto-
encéphalographie mette en évidence en temps réel ces différents traite-
ments de l’information linguistique, beaucoup d’arguments incitent à
penser que le dispositif du langage ne peut fonctionnner sans l’intégrité
des aires primordiales : classiques aires de Broca et de Wernicke mais
qu’il met en jeu dans les deux hémiphères de nombreux dispositifs qu’on
pourrait appeler secondaires. Il est probable, eu égard aux travaux de
METTER que ce système fait d’éléments très diversifiés fonctionne en fait
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Langage et aphasie
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Les aphasies
sous-corticales
Jean CAMBIER
Depuis plus d’un siècle, l’aphasie de Broca puis l’aphasie de Wernicke ont
été rapportées à la lésion de régions définies du cortex cérébral. Les noms
de Broca et de Wernicke font figure de noms de lieu pour désigner des
aires limitées du cortex hémisphérique gauche. Les schémas explicatifs
de l’aphasie ont fait appel à la destruction de ces centres spécialisés pour
l’expression ou la perception du langage, ou à l’interruption des voies qui
les unissent entre eux et aux régions voisines du cortex. Lorsque Pierre
MARIE ébranla le dogme de la troisième frontale en incluant les noyaux
gris centraux dans le quadrilatère qui porte son nom, il fut traité d’icono-
claste. Ceci explique pourquoi nous avions emprunté à LURIA le terme
“quasi-aphasie” pour décrire avec J.L. SIGNORET et D. ELGHOZI nos
premiers cas de troubles du langage par lésion du thalamus gauche
(ELGHOZI et al., 1978).
Depuis lors, l’imagerie a renouvelé la confrontation anatomo-clini-
que. La preuve a été apportée que des lésions limitées du thalamus ou des
noyaux gris centraux peuvent donner lieu à une aphasie lorsqu’elles sont
situées dans l’hémisphère dominant pour le langage (DAMASIO et al.,
1982; NAESER et al., 1982; PUEL et al., 1984). La sémiologie de ces
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que constitue le bras antérieur de la capsule interne (DAMASIO et al.,
1982). A l’opposé, KORNHUBER n’a cessé de voir dans les aphasies
sous-corticales le témoignage d’une participation des noyaux gris cen-
traux au fonctionnement du langage (BRUNNER et al., 1982; WALLESCH,
1983). Dans leur apparente diversité, les aphasies sous-corticales parta-
gent un ensemble de traits cliniques qui confère une parenté à leur
sémiologie. Ce noyau sémiologique nous avait paru spécifier l’aphasie
thalamique (CAMBIER et al., 1982). Il a été décrit avec quelques
variantes lors de lésions putamino-caudées et il a été individualisé par
M. PUEL sous le qualificatif d’aphasie dissidente (PUEL et al., 1984). Ce
dénominateur révèle de façon nuancée mais cohérente la participation
des noyaux gris centraux aux activités de langage.
Nous nous proposons de montrer que les noyaux gris centraux
interviennent dans l’élaboration du langage comme dans le contrôle du
mouvement. Leur action met en jeu une boucle cortico-striato-pallido-
thalamique dont la rupture résulte aussi bien d’une lésion putamino-
caudée que d’une lésion thalamique. Au sein de ce système des circuits
différenciés participent de façon analogue à chacun des niveaux parallè-
les de traitement du langage. Ceci rend compte de l’unité mais aussi de
la diversité des aphasies sous-corticales dont nous rapporterons des
exemples avant d’en discuter les enseignements.
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gressé ne laissant qu’une asymétrie faciale et une maladresse de la main
droite. Deux mois plus tard, le patient développait une nouvelle hémiplé-
gie droite accompagnée cette fois d’une suspension du langage. Son
expression était nulle, il n’exécutait aucun ordre et ne manifestait aucun
signe de compréhension. Le scanner montrait outre la lésion ancienne du
bras postérieur de la capsule interne, une lésion ischémique étendue
putamino-capsulo caudée. La démutisation fut obtenue après quelques
semaines. Six mois après le deuxième accident la sémiologie était
stabilisée. L’expression orale était extrêmement réduite. Le patient ne
s’exprimait qu’en réponse aux questions : tantôt il répétait sur le mode
écholalique un fragment de la question, tantôt il émettait une formule
d’échec : “on essaye, on essaye”, “minimum, minimum”. Le débit était
rapide avec quelques simplifications phonétiques. Le patient répétait de
façon servile les mots longs et complexes, les phrases courtes, les mots
en langue étrangère et les logatomes. Il répétait sans réagir des phrases
absurdes telles que “le soleil brille la nuit” de façon immédiate, avant
même que l’examinateur ait achevé la phrase dont il sollicite la répétition.
La complétion automatique des phrases était effectuée sans erreur. La
dénomination était impossible sauf quand elle était induite par le con-
texte. La fluence verbale était nulle. Les épreuves de désignation d’image
faisaient apparaître une préservation relative de la compréhension lexi-
cale mais les ordres n’étaient pas exécutés. La lecture à haute voix des
lettres, des syllabes ou mots engendrait les habituelles stéréotypies mais
la désignation des mots écrits, l’association mot-image et même l’asso-
ciation texte-action montraient que le patient accédait à une certaine
compréhension du langage écrit.
Dans ce cas, une lésion sous-corticale de l’hémisphère gauche
intéressant le noyau caudé, le putamen, le bras antérieur de la capsule
interne et une grande part du pallidum, respectant le thalamus détermi-
nait la sémiologie habituellement décrite sous le nom d’isolement des
centres du langage “ou d’aphasie transcorticale sensorielle et motrice”.
Nous avons admis que le langage de cet aphasique était sous la
dépendance d’une activité hémisphérique droite en raison de deux
constatations : 1) – il existait une extinction totale du message adressé à
l’oreille droite en écoute dichotique 2) – quelle que soit la position relative
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donnent lieu à une désorganisation du langage qui est moins sévère mais
relativement spécifique. BARAT et al. (1981) ont apporté un document
anatomo-clinique exceptionnel. Le patient avait été atteint d’une hémi-
plégie droite et d’un trouble du langage. Les lésions détruisaient la partie
supérieure de la tête et le corps du noyau caudé, le bras antérieur de la
capsule interne, le putamen dans son ensemble mais aussi le noyau
antérieur du thalamus. Le cortex et le sous-cortex ne présentaient aucune
anomalie. Le langage était fluent, abondant, de débit accéléré, sans
troubles arthriques. Il était caractérisé par l’intrusion de néologismes et la
persévération de mots ou de segments de phrase qui aboutissaient à une
incohérence du discours. Le trouble existait dans l’expression spontanée
et dans les épreuves de dénomination, il intervenait dans la lecture mais
apparaissait au maximum lors de la restitution d’un texte lu ou entendu.
La répétition était normale pour les mots simples et les phrases courtes,
perturbée par des persévérations et des rajouts de phonèmes pour les
mots complexes et les phrases longues. La compréhension était normale
pour le lexique mais elle était défaillante pour les consignes complexes.
La mémoire verbale n’a pu être étudiée, l’exécution des séries de gestes
était entravée par des persévérations comme dans les syndromes fron-
taux.
VIADER et al. (1987) ont rapporté un cas semblable d’aphasie par
lésion lenticulo-caudée. L’hémiplégie droite avait rapidement régressé.
Le scanner montrait une hypodensité de la tête du noyau caudé, du bras
antérieur de la capsule interne et du putamen gauches. La voix était faible,
l’expression vocale réduite. La dénomination faisait apparaître un léger
manque du mot et des paraphasies verbales bizarres. Il en était de même
pour l’épreuve de fluence verbale qui déviait rapidement sur des produc-
tions fantaisistes. La génération de phrases manifestait des persévérations
syntaxiques. Surtout l’organisation d’un récit était impossible, le patient
se perdait en digressions à la faveur de glissements sémantiques.
L’expression écrite était aussi incohérente qu’incoercible. En regard de ce
trouble majeur de l’expression, la répétition était normale, la compréhen-
sion lexicale était correcte mais la compréhension syntaxique était
déficiente. Il existait un trouble de la mémoire verbale. On constatait une
extinction paradoxale de l’oreille gauche aux épreuves dichotiques.
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ques dans les épreuves de dénomination, une tendance écholalique.
La fluence verbale (noms d’animaux) était réduite. Le récit était
incohérent, marqué de paraphasies verbales, de persévérations,
aboutissant à une perte totale de l’objectif du discours. La compréhen-
sion était normale et la lecture préservée.
2) Hémiplégie droite régressive chez un homme de 72 ans. Persistance
d’une asymétrie faciale avec dysarthrie et aphasie et d’une incapacité
d’apprendre les séries gestuelles. Scanner X : prise de contraste
intéressant le noyau lenticulaire gauche, le bras antérieur de la
capsule interne et, partiellement, la tête du noyau caudé. Expression
spontanée réduite, débit ralenti produit avec effort, programmation
articulatoire déficiente avec ébauche ou substitution de phonèmes,
nombreux débuts de phrases avortés. Répétition des mots et des
logatomes normale. La dénomination d’images faisait apparaître un
léger manque du mot, mais le déficit d’évocation lexicale était plus
marqué dans l’expression spontanée (le patient ne pouvait expliquer
son activité professionnelle) et dans les épreuves de définition, de
construction de phrase. Le compte-rendu d’une histoire en image
était émaillé par l’intrusion de termes incongrus. Le récit du petit
chaperon rouge était marqué par l’incohérence des thèmes et l’intru-
sion de paraphasies sémantiques. La compréhension lexicale et
syntaxique était normale, la lecture également. On constatait une
extrême micrographie ainsi que des anomalies de programmation
des lettres lors de la dictée.
Dans leur étude de 1984 consacrée aux aphasies sous corticales,
PUEL et al. résument ainsi la sémiologie des aphasies dissidentes : “une
diminution du volume vocal, des troubles arthriques, une aspontanéité
verbale, des paraphasies verbales constantes, souvent étranges, envahis-
sant parfois le discours avec incohérence verbale, une compréhension
orale peu ou pas perturbée, une absence constante de trouble de la
répétition”.
Les observations que nous avons citées répondent à cette description.
Le cas de BARAT et al. montre qu’une telle aphasie peut exister en
l’absence de toute lésion anatomique du cortex. Le cas de VIADER et al.
précise le retentissement des lésions des noyaux gris sur le fonctionne-
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Langage et aphasie
B. Lésions thalamiques
L’aphasie thalamique résulte le plus souvent d’une hémorragie, ce qui
rend les corrélations anatomo-cliniques aléatoires. Lorsque la lésion est
de nature ischémique, elle occupe habituellement le territoire polaire
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antérieur (artère tubéro-thalamique issue de l’artère communicante
postérieure). Ce territoire correspond au noyau ventral antérieur et à une
partie du noyau ventro-latéral. Plus rarement, il s’agit d’un infarctus
paramédian interessant les noyaux intralaminaires et le noyau dorso-
médian sous la dépendance du pédicule rétro-mamillaire
(BOUGOSSLAVSKY et al., 1988; DAVOUS et al., 1984).
Nous citerons le cas d’un infarctus polaire antérieur (CAMBIER et al.,
1982). Un homme de 69 ans, droitier, fut atteint d’une asymétrie faciale
s’effaçant lors de la contraction volontaire et d’un trouble du langage. La
voix était faible, le débit ralenti, haché, avec quelques accélérations.
L’expression spontanée était diffluente au point de rendre inintelligible le
récit de la maladie ou l’énoncé de l’activité professionnelle du patient. De
nombreuses paraphasies apparaissaient dans les épreuves de dénomina-
tion. La définition de mots, le récit d’une histoire étaient incohérents. La
fluence verbale (noms d’animaux) était très réduite. La répétition était
normale, la compréhension, lexicale et syntaxique, était satisfaisante. Le
langage écrit n’était pas perturbé. Il existait un trouble sévère de la
mémoire verbale explorée par l’épreuve des mots couplés et l’apprentis-
sage des mots de Rey. Cette observation répond à la description des
aphasies thalamiques (PUEL et al., 1986). Les lésions du thalamus
partagent la sémiologie de l’aphasie dissidente. Qu’il s’agisse de lésion
thalamique ou de lésion putamino-caudée, la boucle cortico-sous-corti-
cale est intéressée. Au sein du thalamus, les noyaux de projection des
efférences pallidales sont concernés de façon élective. Les effets à
distance sur le cortex frontal des lésions thalamiques et des lésions
putamino-caudées sont les mêmes (BARON et al., 1986). Cette interpré-
tation est confirmée par les troubles du langage résultant de lésions
ischémiques dans le territoire de l’artère choroïdienne antérieure gauche.
Nous avons montré qu’ils revêtent la sémiologie d’une aphasie thalamique
(CAMBIER et al., 1983). HOMMEL et al. (1985) l’ont confirmé et ont
constaté une diminution du débit circulatoire régional dans les régions
frontale et pariétale tout à fait semblable au déficit résultant d’un infarctus
putamino-caudé. Or les projections pallido-thalamiques qui traversent le
bras postérieur de la capsule interne appartiennent au territoire d’irriga-
tion de la choroïdienne antérieure.
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défaillance du choix lexical; 3) – une perturbation de la réalisation vocale
avec ou sans dysarthrie.
En regard de ce désordre expressif, les troubles de la compréhension
sont limités : la compréhension lexicale est normale. Un déficit de
l’attention au matériel verbal peut expliquer l’exécution imparfaite des
consignes complexes et la compréhension défectueuse de la syntaxe. Ce
déficit contribue aux échecs lors des épreuves de fluence verbale et à la
dégradation de l’apprentissage verbal… Qu’il s’agisse d’expression ou de
compréhension, c’est l’engagement personnel du sujet dans la commu-
nication qui fait défaut. Le langage automatique est totalement préservé
et il en est de même, au moins relativement, pour les activités de langage
qui sont induites par un stimulus extérieur au sujet : la répétition et la
lecture des mots sont normales; les paraphasies sont moins nombreuses
dans les épreuves de dénomination que dans le langage spontané
(manque du mot dissocié) (Puel et al., 1984).
Dans son expression achevée que constitue l’aphasie dissidente, la
rupture de la boucle cortico-sous-corticale perturbe le fonctionnement du
langage à des niveaux multiples : 1) – dynamique attentionnelle et
intentionnelle de la communication 2) – choix lexical et cohérence
sémantique 3) – exécution de la parole avec ses composantes vocales et
articulatoires.
L’expérience clinique montre que des lésions statégiquement dispo-
sées dans le dispositif peuvent engendrer une sémiologie dissociée.
– En premier lieu, l’aphasie thalamique entraîne exceptionnellement
une dysarthrie, à la différence des aphasies putamino-caudées. Or la
dysarthrie est la complication la plus fréquente des interventions
stéréotaxiques dirigées sur la partie antérieure du noyau ventro-
latéral (BELL, 1968). Ainsi, le contrôle de l’articulation fait intervenir
des structures différenciées au sein du thalamus.
– Les lésions limitées à la tête du noyau caudé fournissent un autre
exemple de dissociation : nous avons rapporté un cas d’hémorragie
limitée à la tête du noyau caudé gauche (CAMBIER et al., 1979). La
patiente avait été frappée brusquement de confusion mentale sans
aucun déficit moteur. Au sortir de la confusion, on constatait un
syndrome frontal : comportement de préhension, collectionnisme,
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répétition était normale, la compréhension excellente mais l’épreuve
des mots couplés et l’apprentissage des mots de Rey mettaient en
évidence un trouble sévère des apprentissages verbaux. Dans ce cas
le trouble concernait seulement la cohérence sémantique, la dynami-
que de la communication aussi bien que la réalisation de la parole
étaient préservées.
A l’opposé, des lésions localisées au putamen peuvent perturber de
façon prédominante la réalisation de la parole. Une patiente de 75 ans fut
atteinte d’une hémiparésie droite avec un certain degré de négligence
motrice, une maladresse de la main, une incapacité d’exécuter les gestes
en série. Le scanner X montrait une hémorragie putaminale gauche. Le
trouble du langage consistait en une modification du débit de la parole :
pseudo-bégaiement tonique et palillalie intermittente. L’articulation était
normale ainsi que la répétition. On constatait un léger manque du mot
dans les épreuves de dénomination, la patiente ne donnait que trois mots
commençant par la lettre S, elle éprouvait une difficulté à donner une
définition et à définir une catégorie. Le récit d’une histoire était diffluent.
La compréhension, lexicale et syntaxique, était normale. Dans un autre
cas d’hémorragie limitée au putamen gauche, la perturbation de la parole
était encore plus élective : la patiente, agée de 62 ans, pianiste profession-
nelle, avait été atteinte d’une maladresse de la main droite et d’une
asymétrie faciale visible au repos, dans la mimique et lors de la parole
mais s’effaçant lors d’une contraction volontaire. Le trouble de la parole
consistait en une modification du débit verbal qui était ralenti, scandé
avec un pseudo-bégaiement tonique. Le chant, la répétition, la lecture
atténuaient le trouble sans le faire disparaître entièrement. Sauf pour une
certaine diffluence dans le récit, le langage était normal. Au piano, la
patiente éprouvait une difficulté pour exécuter les accords qui ne résultait
pas d’un manque de dextérité mais d’une anticipation ou d’une
persévération de séquences de la main droite.
Nous citerons enfin le cas d’une lésion ischémique dans le territoire
des artères lenticulo-striées antérieures, branches perforantes issues de
l’artère cérébrale antérieure. Il s’agissait d’une femme de 72 ans, droitière,
atteinte d’une paralysie faciale centrale droite. Le scanner X montrait une
lésion ischémique du bras antérieur de la capsule interne en situation
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compte de la sémiologie par l’interruption des projections du noyau
ventral antérieur du thalamus, mais les artères lenticulo-striées antérieu-
res irriguent aussi la partie antérieure de la tête du noyau caudé et la partie
antéro-latérale du putamen et du globus pallidus (GHICA et al., 1990).
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interviennent dans le déroulement du langage. Il doit être perfectionné
pour tenir compte des données de la clinique et des acquisitions récentes
sur la physiologie des noyaux gris centraux. La dissociation des compo-
santes du syndrome montre que la participation des structures sous
corticales fait intervenir des circuits différenciés qui contribuent parallè-
lement à chacun des niveaux du traitement de l’information linguistique.
D’un autre côté, il a été établi que les noyaux gris centraux juxtaposent
une multitude de circuits en forme de boucles cortico-corticales. Ces
circuits parallèles maintiennent leur autonomie à travers les étapes que
constituent le striatum, le pallidum ou le locus niger et le thalamus
(ALEXANDER & CRUTCHER, 1990). Outre leur somatotopie, ils ont une
spécificité fonctionnelle qui s’attache à la région du cortex frontal d’où ils
naissent et où ils se terminent. Chacun de ces circuits a une distribution
définie au sein des relais. Pour chacun d’eux, le striatum est un lieu de
convergence pour des afférences issues de plusieurs aires corticales pré
et rétrorolandiques qui sont interdépendantes fonctionnellement et unies
par des voies d’association corticales. DE LONG et al. (1990) ont étudié
la participation des noyaux gris centraux au contrôle du mouvement chez
le singe. Celle-ci fait intervenir cinq dispositifs fonctionnels : un circuit
moteur issu de l’aire motrice supplémentaire et relayant dans le putamen,
un circuit oculo-moteur issu de l’aire oculo-motrice frontale et relayant
dans le corps du noyau caudé, deux circuits associatifs issus de l’aire
préfrontale dorso-latérale et de l’aire orbito-frontale, relayant dans des
régions distinctes de la tête du noyau caudé, un circuit limbique issu de
l’aire cingulaire antérieure et relayant dans le striatum limbique. Ces
circuits interviennent parallèlement et sur un mode non séquentiel durant
l’exécution du mouvement, mais leur activation précède aussi le mouve-
ment et se produit même quand son initiation est différée. Ainsi les
noyaux gris centraux interviennent en même temps que les structures
corticales pour assurer la préparation et l’initiation du mouvement, le
contrôle des composantes spatiales et temporelles du geste et leur
ajustement dynamique. Ils participent en même temps à cette forme de
“mémoire procédurale” qui sous-tend l’apprentissage moteur.
Les lésions des noyaux gris responsables d’une aphasie sous-corti-
cale sont associées de façon inconstante à une atteinte de la voie motrice
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limbique et des aires cingulaires antérieures sur les aires frontales ont
pour corollaire des projections conjointes sur le striatum limbique.
Analogue au “circuit limbique” de DE LONG & ALEXANDER, ce circuit
est concerné par l’activation attentionnelle ou intentionnelle de l’hémis-
phère gauche en fonction du langage.
De la même façon, l’aire motrice et l’aire somesthésique de la face
unies par des connexions corticales ont des projections convergentes sur
le putamen. Ce circuit qui contrôle la réalisation motrice de la parole peut
être rapproché du “circuit moteur” de DE LONG & ALEXANDER. Entre
ces deux extrêmes, il faut situer les mécanismes qui assurent la sélection
du lexique et le choix des phonèmes. Ces opérations font intervenir des
régions spécifiques du cortex temporo-pariétal et du cortex frontal.
L’étude du débit circulatoire régional a montré une activation coordonnée
de ces régions lors des activités de langage. Le fonctionnement conjoint
des deux pôles du langage est assuré par un réseau étendu de connexions
cortico-corticales dont la trame est constituée par les voies directes qui
unissent réciproquement les aires d’association auditives temporales
supérieures et l’aire de Broca, l’aire de Wernicke et le cortex frontal de la
convexité, le cortex temporo-pariétal avoisinant le pli courbe et le cortex
fronto-polaire (MESULAM, 1990). Ces aires corticales fonctionnellement
associées ont des projections conjointes sur la tête du noyau caudé. De
cette façon les noyaux gris centraux participent au jeu des dispositifs
parallèles dont le fonctionnement sous-tend l’élaboration du langage en
modulant la dynamique attentionnelle et intentionnelle de la communica-
tion, en soumettant le choix et l’ordonnancement des phonèmes et en
participant à la programmation de la réalisation arthrique.
Les aphasies sous-corticales donnent lieu de façon prédominante à
un trouble de l’expression. La compréhension lexicale orale ou écrite est
normale. En revanche l’exécution des ordres complexes, la compréhen-
sion de la syntaxe, l’interprétation d’un texte sont souvent défaillants. Ces
échecs peuvent résulter d’un déficit de l’attention au matériel verbal
comme la constatation d’une extinction “paradoxale” du message adressé
à l’oreille gauche semble l’indiquer. De façon plus subtile, ils peuvent
révéler la participation des dispositifs sous corticaux au mouvement par
lequel le sujet se porte au devant du message formulé par l’interlocuteur.
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en deux dimensions, donnant raison à Pierre MARIE dans la querelle qui
l’opposa à DEJERINE. La notion de réseaux parallèles aux intercon-
nexions multiples se substitue à la conception de centres ou de modules
activés sur le mode séquentiel. En même temps, la fonction régulatrice
des noyaux gris centraux apporte une troisième dimension à la physiolo-
gie du langage en attendant que la participation de l’hémisphère droit à
la communication verbale conduise à définir une quatrième dimension.
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Contributions psycholinguistiques
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Les perturbations
du système lexical
Isabelle MORIN
A. Introduction
Le système lexical est une tentative de modélisation des composants et
des étapes impliquées dans la production de mots issue de la psychologie
cognitive. La clinique montre que les patients aphasiques font différents
types d’erreurs : le manque du mot peut se manifester par des circonlo-
cutions, des absences de réponse, des paraphasies phonémiques, des
néologismes, des erreurs verbales ou sémantiques. L’étude de patients
cérébro-lésés dans la perspective théorique de la psychologie cognitive
a montré la nécessité de comparer les performances dans différentes
tâches pour localiser les perturbations dans le système car les mêmes
performances de surface (erreurs sémantiques par exemple) peuvent être
causées par des mécanismes différents.
Le système lexical (MORTON & PATTERSON,1980) comporte plu-
sieurs lexiques distincts selon les modalités d’entrée (auditive / visuelle)
et de sortie (orale / écrite) interconnectés dans le système sémantique
rendant compte du sens des mots. Nous laisserons de côté l’étude des
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- Comment l’information est-elle organisée dans le système sémanti-
que ?
Nous verrons que si les données actuelles semblent en faveur d’un
système sémantique unique, il reste de nombreuses inconnues sur
l’organisation de ce système et ses interactions avec d’autres compo-
sants, perceptifs notamment.
B. Le système lexical
Le modèle de MORTON (1980), dont se sont inspirés la plupart des
travaux de neuropsychologie de ces dernières années (par exemple
CARAMAZZA & HILLIS, 1990, pour ne citer qu’eux) est formé de
plusieurs composants distincts reliés par des voies (ou transmission
d’information d’un composant à un autre quand un niveau suffisant
d’activation est atteint).
Les composants impliqués dans la production orale sont les suivants :
(fig. 1)
- Analyse perceptive du stimulus entendu dans les tâches de répétition
et de compréhension orale.
- Le lexique phonologique d’entrée : C’est un système de catégorisation
qui reçoit l’information du système d’analyse perceptive. Il comporte
deux voies, l’une d’accès au système sémantique, l’autre d’accès au
lexique phonologique de sortie. Si le premier seuil est atteint avant le
second, il est possible de comprendre un mot sans pouvoir l’identifier.
A l’inverse si l’accès se fait plus rapidement au lexique phonologique
de sortie, il est possible d’identifier un mot sans le comprendre.
- Le lexique phonologique de sortie est activé à chaque fois qu’une
réponse orale est accessible. Ce lexique produit des codes
phonologiques et les adresse à la mémoire-tampon de stockage. Il
reçoit des informations du système sémantique d’une part et du
lexique phonologique d’entrée d’autre part sur le mode d’un apparie-
ment un à un au niveau des morphèmes. Une supériorité de la
dénomination écrite sur la dénomination orale suggère une perturba-
tion du lexique phonologique de sortie.
88
Contributions psycholinguistiques
LE SYSTÈME LEXICAL
analyse analyse
auditive visuelle
lexique lexique
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phonologique orthographique
d’entrée d’entrée
système
sémantique
lexique
phonologique
de sortie
conversion conversion
phonème graphème
-phonème -phonème
mémoire
tampon
de
stockage
réponse orale
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sont activées par les représentations sémantiques. D’après le principe des
logogènes (MORTON, 1969) une représentation sémantique active en
parallèle les représentations phonologiques proportionnellement à leur
degré de similarité sémantique avec cette représentation (chaise active
aussi fauteuil, table…). En cas de perturbation, on obtient une réponse
sémantiquement reliée. Dans les cas d’erreurs sémantiques dues à une
perturbation du lexique phonologique de sortie, le patient ne fait de
paraphasies sémantiques que dans les tâches orales, sa compréhension
est bonne.
La mémoire-tampon de stockage (ou buffer) : c’est le système qui
stocke temporairement l’information phonologique. Il a deux sorties :
l’une permet la production de la réponse, l’autre permet à l’information de
faire retour dans les autres systèmes. Ce feed-back est utilisé entre autres
pour le rappel silencieux. Il partage donc certaines particularités de la
mémoire de travail (BADDELEY, 1986). Le buffer de réponse reçoit
l’information du lexique phonologique d’entrée pour la répétition et du
lexique orthographique pour la lecture.
Le système sémantique : Il contient tout ce qui n’est pas explicitement
contenu ailleurs. Il existe un feed-back continu du système sémantique au
lexique phonologique d’entrée permettant l’influence du contexte sur les
données sensorielles. MORTON le postule unique et amodal.L’activation
du système sémantique à partir d’une entrée (ou item stocké en mémoire)
est capable d’extension : l’activation d’un item entraîne une augmenta-
tion d’activation en réseau d’autres items reliés sémantiquement au
premier.
Les paraphasies sémantiques peuvent être dues à un problème
d’accès au système sémantique, à une perturbation du système séman-
tique lui-même, à un problème d’accès au lexique phonologique de sortie
ou à une perturbation du lexique. Selon NEWCOMBE & MARSHALL
(1980), certaines paraphasies sémantiques en lecture sont peut être dues
aux limites de la voie sémantique fonctionnant seule.
Les circonlocutions montrent une certaine connaissance sémantique
et sont en faveur d’une perturbation au niveau du lexique phonologique
de sortie. HOWARD & ORCHARD LISLE (1984) ont proposé d’utiliser des
clés phonémiques correctes et incorrectes pour spécifier le locus de la
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activent dans ce cas un champ sémantique sans qu’il soit possible au
patient d’accéder à l’entrée exacte. Selon CARAMAZZA & HILLIS (1990),
dans les cas de perturbation sémantique on n’observe que des erreurs
sémantiques et des erreurs sans lien, et ce, dans toutes les tâches
lexicales : réponse orale ou écrite, compréhension (tâches de désignation
ou de classement d’images notamment).
Il existe, selon le modèle de MORTON, trois voies de traitement d’un
matériel auditif :
La voie de conversion phonème-phonème relie directement l’analyse
auditive au régulateur de réponse. Le fonctionnement de l’analyse
auditive est étudié par des tâches de discrimination et d’identification
phonémiques. Cette voie a un rôle de stabilisation du système. D’après
NEWCOMBE & MARSHALL (1980), ce système fait retour dans le lexique
phonologique pour préciser la réponse à donner : il permet de bloquer les
réponses proches susceptibles d’être activées dans le système sémanti-
que et transmises au lexique phonologique de sortie. Le fonctionnement
de la voie phonème-phonème est étudié par des tâches de répétition de
non-mots.
La voie reliant l’analyse auditive au lexique phonologique d’entrée,
puis au système sémantique, et enfin, au lexique phonologique de sortie
est la voie lexico-sémantique. Son fonctionnement est étudié par des
tâches de dénomination, de catégorisation et de compréhension. Elle est
sensible au facteur de concrétude. L’effet de concrétude concerne le fait
de traiter préférentiellement les noms concrets aux noms abstraits. Une
des explications de l’effet de concrétude est l’effet d’imageabilité : le code
imagé pourrait être utilisé en plus du code verbal pour les noms concrets.
Cet effet a été attribué au fonctionnement de l’hémisphère droit mais
EVIATAR et al.(1990) ont montré un effet de concrétude dans les deux
champs visuels dans une tâche de décision lexicale présentée en vision
tachistoscopique à des sujets normaux. L’effet de concrétude existerait
ainsi dans les deux champs visuels pour les noms.
La voie reliant l’analyse auditive au lexique phonologique d’entrée
puis au lexique phonologique de sortie est la voie lexicale. Elle est sensible
aux facteurs fréquence et longueur des mots. Son existence est confirmée
par l’observation de patients déments pouvant répéter sans comprendre
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des lexiques que sont représentées les classes des mots, mais aussi la
morphologie (qui repose d’ailleurs en partie sur la connaissance de la
classe des mots puisque les noms et les verbes ne supportent pas les
mêmes dérivations) (CARAMAZZA & HILLIS, 1991). L’effet de classe des
mots observé chez les patients dysphasiques profonds serait dû, selon
CARAMAZZA & HILLIS (1991) à une difficulté d’accès au lexique
phonologique de sortie.
Le terme de dysphasie profonde a été proposé par MICHEL &
ANDREEWSKI (1983) en raison de la similitude des performances en
répétition de leur patient avec les performances des dyslexiques profonds
en lecture : effets mots / non mots, de concrétude, de classe des mots,
paraphasies sémantiques. Ils ont attribué les performances de leur patient
à un déficit de la mémoire à court-terme. CARAMAZZA et al. (1981) ont
suggéré que dans les cas de patients répétant mieux les mots à contenu
que les mots fonction, l’information en mémoire à long-terme peut
suppléer l’information phonologique déficiente maintenue en mémoire à
court-terme.
La dysphasie profonde résulte en général d’une perturbation de la voie
de conversion phonème-phonème permettant la répétition des non-mots
et de la voie lexicale permettant la répétition des mots du lexique. On
attribue souvent la dysphasie profonde au fonctionnement isolé de la voie
lexico-sémantique, mais il semble exister différents types de dysphasie
profonde selon que la voie lexicale est encore fonctionnelle ou pas et que
le déficit se situe au niveau de l’entrée ou au niveau de la production de
la réponse. Le patient de KATZ & GOODGLASS (1990), réalisait bien les
tâches de décision lexicale, et contrairement à d’autres dysphasiques
profonds, montrait un effet de longueur et de fréquence des mots et donc
un fonctionnement au moins partiel de la voie lexicale.
HOWARD & FRANKLIN (1988) ont rapporté un cas de dysphasie
profonde qu’ils ont attribué à des difficultés au niveau du lexique
phonologique d’entrée car il avait de meilleures performances en répéti-
tion pour les mots longs que pour les mots courts, contrairement aux
sujets normaux, et faisait plus d’erreurs en répétition qu’en dénomination.
DUHAMEL & PONCET (1986) ont décrit une dysphasie profonde dans le
cadre d’un tableau de “surdité phonémique”. Leur patient avait une
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et classe des mots. L’information sémantique adressée au lexique
phonologique de sortie provient d’un composant distinct : le système
sémantique.
C. Le système sémantique :
les perturbations de la mémoire sémantique
Il existe un débat en neuropsychologie cognitive sur l’existence de
systèmes sémantiques spécifiques à une modalité (visuelle, auditive,
tactile) ou d’un système sémantique unique et amodal. Le terme de
mémoire sémantique est appliqué à la composante de la mémoire à long-
terme qui contient les représentations permanentes de notre connais-
sance des objets, faits et concepts et de leurs relations. Contrairement à
la mémoire épisodique, elle est culturellement partagée, atemporelle, et
pour une large part, précocement acquise.
Un des modèles de mémoire sémantique est celui de QUILLIAN,
repris par COLLINS & LOFTUS, (1975) qui postule deux réseaux, l’un
lexical, l’autre sémantique. Le réseau lexical consiste en liens associatifs
entre les mots. Ces liens sont déterminés par la fréquence de co-
occurence des mots dans la parole. Il faut distinguer deux types de
fréquence au niveau lexical : l’une est la fréquence des mots isolés
(facteur influençant la voie lexicale du modèle de MORTON), l’autre est
la fréquence de co-occurence des mots sur l’axe syntagmatique. Celle-
ci est évaluée par des tâches d’association de mots. Ainsi, par exemple,
les mots “carré” et “cheville” ne partagent pas de traits sémantiques mais
“carré” a un effet d’amorçage sur “cheville” car les mots apparaissent
ensemble dans des phrases usuelles. Chaque noeud de mot dans le
système lexical est relié à un ou plusieurs concepts dans le réseau
sémantique. Dans le réseau sémantique, les concepts sont reliés selon
des lignes de similarité sémantique. Plus deux concepts ont de propriétés
en commun, plus il y a de liens entre deux noeuds à travers ces propriétés
et plus les concepts sont reliés de façon proche. Le réseau sémantique est
organisé en ensembles de noeuds relativement hiérarchisés (être vivant
→ animal → oiseau → rouge-gorge).
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ROSCH (1975), quant à elle, en étudiant la catégorisation dans
différentes cultures, a observé que les objets des catégories naturelles
sont mieux décrits par des corrélats d’attributs et des relations de
ressemblance perceptive ou fonctionnelle que par des listes de traits
indépendants les uns des autres. Le système de catégorisation a, pour
ROSCH, une dimension verticale et une dimension horizontale. La
dimension verticale repose sur une relation d’inclusion, par exemple pour
rouge-gorge : être vivant, animal, oiseau, rouge-gorge. La dimension
horizontale repose sur une distinction entre mots à un même niveau
d’inclusion (termes coordonnés) comme canard et rouge-gorge.
ROSCH distingue trois niveaux de catégorisation sémantique :
– catégorie superordonnée (fruit),
– niveau de base, où les items d’une catégorie ont le plus grand nombre
d’attributs communs (pomme),
– le niveau sous-ordonné où sont distinguées les différentes variétés
d’une classe de base (Golden).
On observe au niveau de base un effet de “typicalité” : les exemplaires
typiques sont de meilleurs exemplaires de la catégorie superordonnée (le
canari est un oiseau typique contrairement au pingouin). ROSCH (1975)
a montré que l’effet de typicalité est net dans les tâches de catégorisation
même quand la fréquence des mots est contrôlée. Selon ROSCH, l’accès
aux représentations sémantiques se ferait au niveau de base mais
JOLICOEUR et al. (1984) ont montré chez des sujets normaux que si les
membres typiques de catégories sont dénommés au niveau de base, les
membres atypiques sont dénommés par leur nom spécifique (pingouin
par exemple). JOLICOEUR et al. suggèrent que des facteurs perceptifs
comme le degré de recouvrement perceptif des objets peuvent prendre le
pas sur les effets dus strictement à l’architecture du système. Il semble
bien que le système sémantique ne soit que partiellement hiérarchisé.
Selon HUMPHREYS & RIDDOCH (1987), il est possible que ce soit au
niveau de base que se fasse l’entrée mais que les caractéristiques du
système soient telles que la réponse “pingouin” est produite plus rapide-
ment. SMITH et al. (1974) proposent que les jugements sur l’apparte-
nance à une catégorie dépendent de la typicalité des objets. Si les objets
sont des exemplaires très typiques ou si au contraire ils ont si peu de liens
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chez les sujets normaux. Ces difficultés expliquent que les données
neuropsychologiques aient entraîné des tentatives de théorisation nom-
breuses et controversées.
Les tenants des systèmes sémantiques multiples (SHALLICE, 1987)
distinguent une sémantique verbale et une sémantique visuelle. Cette
distinction peut se comprendre comme une distinction entre processus
d’accès : la compréhension des images et des objets dépendrait de
l’accès à un système visuel, celle des mots dépendrait de l’accès au
système sémantique verbal. C’est l’interprétation de WARRINGTON
(1975) qui a opposé deux patients dont l’un avait un trouble de la
sémantique verbale et l’autre un trouble de la sémantique visuelle. En fait,
ils avaient des difficultés, à un degré différent, dans les deux types de tâches.
On peut aussi envisager que l’accès à l’information visuelle sur les
objets et les mots soit stockée dans un système visuel et l’information
verbale dans un système verbal quelle que soit la modalité d’accès. C’est
le point de vue de BEAUVOIS (1982) et BEAUVOIS & SAILLANT (1985).
Qu’on choisisse une approche ou l’autre, il faut postuler des liens bi-
directionnels entre les deux systèmes sémantiques pour expliquer notre
capacité à relier information visuelle et verbale.
SHALLICE (1987) a avancé trois preuves de l’existence de systèmes
sémantiques séparés : les aphasies spécifiques à une modalité, les effets
d’amorçage spécifiques à une modalité dans les déficits d’accès séman-
tique et les perturbations catégorie-spécifiques de la mémoire sémanti-
que. Nous verrons que pour d’autres auteurs, ces observations ne sont
pas incompatibles avec l’hypothèse d’un système sémantique unique.
FREUND (traduit par BEATON et al., 1991) a décrit le premier en
1889 un déficit de la dénomination spécifique aux stimuli visuels :
l’aphasie optique. BEAUVOIS en a rapporté un autre cas en 1982. Elle
postule que les liens bi-directionnels entre les systèmes sémantiques sont
interrompus de telle sorte que toutes les tâches nécessitant une médiation
entre les systèmes sémantiques sont perturbées.
DENES & SEMENZA ont rapporté en 1975 le seul cas d’un patient
incapable de dénommer un son tout en pouvant désigner l’image de
l’objet source du son. Il s’agissait d’un patient ayant une surdité verbale
pure dont la compréhension et la répétition étaient très perturbées. Il
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apparier un son et l’image de sa source alors qu’il était incapable de
reconnaître une mélodie s’expliquerait par le fait que les sons non-
verbaux peuvent activer des associations kinesthésiques et visuelles.
BEAUVOIS et al. (1978) ont rapporté un cas d’aphasie tactile
bilatérale. Il s’agit du patient R.G. présentant également une dyslexie
profonde et une agraphie de surface. Il ne présentait pas d’anomie en
présentation visuelle et auditive. Ce patient n’avait ni troubles du langage
ni troubles sensitifs.Les erreurs en dénomination tactile étaient essentiel-
lement des paraphasies sémantiques. Par contre, si on lui donnait le nom
d’un objet puis un objet, il était capable de dire si le nom correspondait ou
pas.D’autre part, il réalisait bien le geste d’utilisation à condition que
l’examinateur l’empêche de parler. Quand on lui demandait de définir
l’usage de l’objet, ses réponses étaient souvent imprécises (cuillère →
pour manger). Il avait plus de difficultés à dénommer les objets “très
tactiles” (textures) que les objets “plus visuels”. Dans ce test, l’examina-
teur avait fortement suggéré une stratégie visuelle. Les rares erreurs en
dénomination visuelle (paraphasies sémantiques) sont faites sur des
objets manipulables, c’est à dire auquel on peut penser de façon tactile.
Ces erreurs seraient donc des conséquences de l’aphasie tactile. Ce
patient démontre que ce qui est en jeu n’est pas la modalité de présen-
tation, mais le processus mis en jeu pour l’identification. Il semble avoir
perdu les traits tactiles des objets quelle que soit la modalité d’accès.
Enfin, BEAUVOIS souligne que pour distinguer identification et dénomi-
nation, il est nécessaire de contrôler la stratégie verbale du patient.
Les déficits sélectifs à une catégorie ont souvent été décrits dans
l’aphasie : perturbation ou préservation sélective de la reconnaissance,
de la production ou de la compréhension de certaines catégories de mots :
mots concrets / mots abstraits, objets animés / inanimés sans qu’on
puisse les expliquer par la difficulté de la tâche puisqu’il existe des doubles
dissociations.
Les troubles spécifiques à une catégorie ont été décrits par
WARRINGTON (1975), chez trois patients déments présentant une
perturbation de la mémoire sémantique. Chez ces patients les items
donnant lieu à des erreurs étaient les mêmes dans différentes épreuves
(dénomination, désignation d’images, définition). Il s’agit de constance
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MC CARTHY & WARRINGTON (1983) ont rapporté le cas d’une
patiente ayant des difficultés sélectives avec les objets inanimés. Mais la
patiente ne présentait pas de constance des réponses, et était influencée
par le temps de présentation. Pour expliquer cette dissociation, MC
CARTHY & WARRINGTON suggèrent que les objets se discriminent par
leur usage. Enfin, l’inconstance des réponses s’expliquerait plus par une
perturbation dans le niveau d’activation nécessaire dans une catégorie
que par une incapacité à accéder au système sémantique. Cette patiente
aurait donc une perturbation de l’accès aux items de la catégorie objet et
non une perturbation du stock en mémoire, comme les patients précé-
dents.
WARRINGTON & SHALLICE (1984) ont rapporté quatre patients
ayant plus de difficultés avec les objets animés qu’avec les objets
inanimés. Il s’agissait de patients ayant des lésions temporales bilatérales
à la suite d’une encéphalite herpétique. Ces patients ne pouvaient classer
des images sur des critères sémantiques. Ils ne pouvaient ni dénommer,
ni dessiner les objets de mémoire, leurs performances montraient une
influence importante du facteur fréquence et ils avaient tendance à définir
des mots phonologiquement proches de ceux qu’on leur donnait, ce qui
prouve qu’ils avaient accès au lexique puisqu’ils étaient influencés par
des facteurs lexicaux et qu’ils avaient une difficulté d’accès à la mémoire
sémantique. Cependant, leurs performances présentaient peu de cons-
tance entre modalités.
Selon HUMPHREYS & RIDDOCH (1987), l’observation de malades
ayant des troubles sélectifs de la dénomination ou de la compréhension
de certaines catégories (animaux, fruits, légumes, objets manufacturés)
ne signifie pas nécessairement que le système sémantique est organisé
selon ces catégories. Les différences observées pourraient refléter des
différences entre les degrés de “demande” faite au système perceptif par
le système sémantique pour distinguer entre les catégories. Les objets
manufacturés auraient un moins grand degré de recouvrement perceptif
et pourraient être reconnus sur la base de traits fonctionnels.
HILLIS & CARAMAZZA (1991) proposent que la représentation
sémantique consiste en un ensemble de traits perceptifs et fonctionnels,
dont certains sont communs aux membres d’une catégorie (MILLER &
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transport et un patient chez lequel ces catégories étaient préservées. Ils
suggèrent qu’un trait soit déterminant dans ce cas, peut-être celui de la
motilité. Certains traits peuvent avoir plus ou moins d’importance selon
les items et la modalité dans laquelle ils sont présentés. Il faut distinguer
les fragments de traits qui sont des traits sensoriels spécifiques, tels que
la structure physique de l’objet, les opérations dans l’espace, sa valeur
pour le sujet…, qui ne correspondent pas à des catégories conceptuelles
mais plutôt à des sous-groupes à l’intérieur et au-delà de ces catégories
et les traits sémantiques verbaux appris et contribuant à l’organisation
taxonomique des catégories.
RIDDOCH et al. (1988) postulent un système sémantique amodal.
L’information auditive et visuelle est traitée dans des systèmes de
reconnaissance perceptifs pré-sémantiques. Pour la modalité visuelle, il
s’agit du lexique orthographique et d’un système de représentation
structurale des objets. Pour la modalité auditive, il s’agit du lexique
phonologique d’entrée et d’un système de catégorisation des sons non-
verbaux. La connaissance des caractéristiques associatives et fonction-
nelles des objets est spécifiée dans le système sémantique. Il existe des
liens bi-directionnels entre le système sémantique et chaque système de
reconnaissance perceptive. Pour les objets présentés visuellement par
exemple, ces liens permettent la dénomination et la description verbale
des attributs structuraux (Fig. 2). Le recouvrement perceptif ne peut
influencer la reconnaissance que si le système sémantique est sensible
aux différences perceptives de différents objets. Cela plaide en faveur de
modèles de “processus continus” dans lesquels l’accès au système
sémantique peut se faire après une analyse partielle du stimulus
(HUMPHREYS et al., 1990). Dans un système dans lequel l’information
sémantique est appelée par des clés visuelles partielles, les patients
peuvent avoir des déficits catégorie- spécifiques s’ils ont des perturba-
tions au niveau du système sémantique et notamment un manque de
demande de ce système aux entrées visuelles. Selon HUMPHREYS &
RIDDOCH (1987), cela n’implique pas une organisation catégorielle du
système sémantique. Les déficits catégoriels semblent aussi hétérogènes
que les paraphasies sémantiques. Ils s’observent d’ailleurs dans des
tableaux très variés : aphasie, agnosie visuelle, associés ou non à des
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geste système
d’utilisation sémantique
lexique
phonologique
de sortie
réponse
orale
Fig. 2 : D’après M.J. Riddoch, G.W. Humphreys, M. Coltheart & E. Funnel (1988)
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l’appréhension de leur signification. Il faisait peu d’erreurs perceptives
(crayon : bougie) mais faisait des confusions entre les fonctions d’objets
visuellement dissemblables (fer à repasser : pour étaler la colle). Le
patient disait de certains objets : “je peux vous dire comment on s’en sert,
mais pas à quoi ça sert”. SIRIGU et al. suggèrent que les capacités
préservées de ce patient soient médiatisées par l’activation visuelle de
représentations sensori-motrices spécifiques sans accès à la signification
des objets et notamment au contexte dans lequel ils doivent être utilisés.
HILLIS et al. (1990) ont rapporté le cas du patient K.E. qui semble
répondre aux critères proposés par SHALLICE & WARRINGTON en
faveur de l’existence d’un système sémantique unique puisqu’il faisait des
erreurs sémantiques dans toutes les modalités et présentait une grande
constance des erreurs à l’intérieur de chaque modalité et entre modalités.
Il s’agit d’un patient présentant une lésion fronto-pariétale compatible
avec un infarctus de l’artère cérébrale moyenne. Il faisait des erreurs
sémantiques en dénomination orale et écrite, en lecture, en dictée, en
appariemment mot / image et en dénomination tactile. D’autre part, il ne
pouvait ni lire, ni écrire par mécanismes non lexicaux, ce qui isolait le
système sémantique. Il présentait un grande constance des réponses
dans toutes les tâches et toutes les présentations. Cette constance
n’indiquait pas que certains items étaient plus vulnérables ou moins
accessibles que d’autres, car quand on lui proposait ses erreurs comme
stimuli, il faisait de nouveau des erreurs sémantiques; ses erreurs séman-
tiques étaient coordonnées. Mais il s’agissait souvent d’animaux à peu
près de la même taille et de la même couleur que le mot cible (léopard →
tigre, renard → chien). On n’observait pas d’effet de fréquence. On
observait en revanche un effet de catégories : il faisait plus d’erreurs sur
les parties du corps, les meubles et les vêtements dans toutes les
modalités. Il réalisait bien les tâches de catégorisation d’objets et de mots.
Ce patient dessinait très mal les objets de mémoire, cette perturbation
associée aux erreurs sémantiques dans toutes les modalités est en faveur
d’une perturbation du système sémantique. K.E. présentait également
une aphasie tactile. Or, l’information tactile est recodée dans la modalité
visuelle, déficiente chez K.E.. Il avait parfois de meilleures performances
dans les tâches non lexicales, comme le mime de l’usage de l’objet.
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RIDDOCH & HUMPHREYS (1988) interprètent la supériorité du mime de
l’usage de l’objet présenté visuellement par une information structurale
pré-sémantique reliant l’objet au geste d’utilisation. CARAMAZZA préfère
l’expliquer par l’accès à une représentation sémantique partielle ou par
l’utilisation de traits visuels partiels.
De nombreux auteurs supposent une dissolution de l’organisation de
la mémoire sémantique dans la maladie d’Alzheimer (MA). Les patients
MA ont des difficultés à comprendre le nom des objets qu’ils ne peuvent
dénommer, ils ne peuvent répondre à des questions sur les attributs de ces
objets, alors qu’ils peuvent désigner l’appartenance à la catégorie
superordonnée (WARRINGTON, 1975) et ils font plus d’erreurs séman-
tiques que syntaxiques ou phonologiques dans leur langage spontané et
dans les tests de dénomination. L’analyse des erreurs en dénomination
montre qu’ils ont tendance à produire des erreurs superordonnées ou
coordonnées. Avec l’évolution de la maladie, ils font plus d’erreurs
associées que coordonnées, montrant une dissolution de l’information
sémantique accessible. HUFF et al.(1986) ont observé une corrélation
entre les items échoués en dénomination et en désignation d’images
parmi des distracteurs sémantiques alors que les patients n’ont pas de
difficultés quand les images n’ont pas de lien sémantique.
La fluidité verbale, qui implique des procédures de recherche active
en mémoire sémantique, est précocement perturbée, plus en ce qui
concerne la fluidité à partir d’une catégorie (donner des noms d’animaux)
qu’à partir d’une lettre (donner des mots commençant par une lettre
donnée). CHERTKOW & BUB (1990) ont noté une confusion dans
certaines études entre amorçage (implicite) et indiçage (explicite). Les
épreuves d’amorçage impliquent un accès automatique aux représenta-
tions lexico-sémantiques. La préservation de l’amorçage (effet de
facilitation sur la décision lexicale ou la lecture d’un mot présenté
préalablement) chez les patients MA est un argument avancé en faveur
de troubles de l’attention ou des procédures de recherche plus que de la
mémoire sémantique elle-même. GLOSSER & FRIEDMAN (1991) ont
montré que l’amorçage normal des relations lexico-associatives n’impli-
que pas une organisation sémantico-conceptuelle préservée. Ils ont
étudié séparément l’effet d’amorçage associatif et sémantique. Les
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des erreurs dans différents tests (dénomination, désignation, classe-
ments, définition, fluidité verbale) utilisés pour étudier l’accès à la
mémoire sémantique à travers différentes modalités d’entrée et de sortie
semble en faveur d’une dégradation de la mémoire sémantique conçue
comme un système amodal unique. Cependant BANDERA et al.(1991),
en utilisant un paradigme de mots liés sémantiquement à un stimulus, ont
conclu à l’existence de deux sous-groupes de patients, l’un présentant
une détérioration de la mémoire sémantique, l’autre un trouble de l’accès
à cette mémoire.
D. Conclusion
La distinction lexiques / système sémantique semble admise par tous les
auteurs ainsi que l’existence de plusieurs lexiques distincts selon les
modalités d’entrée et de sortie. Les lexiques, qui ne comportent pas
d’information sémantique, sont organisés selon plusieurs axes : longueur,
fréquence, classe des mots, morphologie, phonologie.
Le débat sur l’existence d’un ou plusieurs systèmes sémantiques
semble s’orienter vers le postulat d’un système unique. Cependant,
certaines observations sont encore mal théorisées comme la distinction
entre perturbation de l’accès aux représentations et perturbation des
représentations. De même les troubles spécifiques à des catégories et la
constance des erreurs ont fait l’objet de nombreuses observations dont
l’explication est difficile dans le cadre du système lexical présenté ici. De
nouveaux développements théoriques seront nécessaires pour en rendre
compte de façon satisfaisante.
102
Contributions psycholinguistiques
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Les transformations
segmentales
d’origine aphasique
Sylviane VALDOIS
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ments (LECOURS & LHERMITTE, 1969) :
Les phénomènes d’addition (a, b) et d’omission (c, d) modifient le
nombre de segments du mot :
(a) “triste” /tRist/ → [tRistR]
(b) “règle” / Rεgl/ → [gRεgl]
(c) “travail” /tRavaj/ → [tavaj]
(d) “statue” /staty/ → [taty]
Les phénomènes de déplacement modifient l’ordre d’apparition des
segments dans la séquence du mot :
(e) “nécrose” / nekR ⊃ z/ → [kRen ⊃ z]
(f) “fléau” /fleo/ → [felo]
Les phénomènes de substitution modifient la nature de certains
segments du mot :
(g) “discipline” / disiplin/ → [tisiplin]
(h) “banane” /banan/ → [manan]
Ces erreurs se répartissent en deux grandes catégories : 1) les erreurs
paradigmatiques qui correspondent aux transformations qui, intervenant
en un point de la chaîne parlée, ne modifient pas la séquence du mot et
2) les erreurs syntagmatiques qui impliquent une modification de la
structure séquentielle du mot. Les substitutions sont des erreurs
paradigmatiques alors qu’additions, omissions et déplacements sont des
erreurs syntagmatiques. L’étude des transformations segmentales d’ori-
gine aphasique a suscité l’intérêt de nombreux chercheurs dont l’objectif
était double :
– Il s’agissait, dans un premier temps, de donner une description la plus
exhaustive possible des erreurs segmentales afin de montrer que ces
transformations ne sont pas aléatoires et de dégager les régularités
qui les caractérisent. Dans ce contexte, plusieurs chercheurs faisaient
en outre l’hypothèse que des profils d’erreurs différents se manifeste-
raient dans le contexte de syndromes cliniques différents (CANTER et
al.; 1985; MONOI et al., 1983, NESPOULOUS et al., 1982, 1983,
1987; VALDOIS et al., 1988).
– Le deuxième objectif était de préciser la nature des mécanismes sous-
jacents dont l’atteinte pouvait rendre compte des troubles observés.
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de ces transformations et donnera une vue d’ensemble des approches qui
sont actuellement utilisées pour mettre en évidence la nature du déficit
fonctionnel responsable de ces erreurs.
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des classes différentes se différencient sur un plus grand nombre de traits.
Par référence à des systèmes de ce type, les transformations
segmentales produites par les sujets aphasiques peuvent être analysées
en comparant terme à terme, de façon biunivoque, le mot produit avec le
mot cible attendu. Ainsi, la comparaison de la production [pato] au lieu
du mot cible “bateau” [bato] met en évidence une substitution concernant
les segments /b/ et /p/ qui se caractérise par une modification du seul trait
de voisement. On dira que cette substitution implique des segments à
distance interphonémique 1 (Dl = 1). Implicitement, ce type d’analyse
repose sur une conception linéaire du mot. Dans le cadre théorique, un
mot est considéré comme une suite de matrices de traits distinctifs
linéairement ordonnées de gauche à droite dans un axe dit “syntagmati-
que”. La représentation phonologique du mot “bateau”/bato/, par exem-
ple, sera la suivante :
+ cons. + syll + cons + syll
– cont. – nas – cont – nas
– nas + bas – nas + bas
+ ant + arr + ant + arr
– cor – rond + cor + rond
+ voix – voix
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Broca.
L’introduction récente de modèles de géométrie des traits (CLEMENTS,
1985; PARADIS, 1993; STERIADE, 1987) permet de relativiser ces
résultats en montrant que les substitutions à distance 2 ne sont pas pour
autant aléatoires ou moins cohérentes. En effet, les modèles classiques
supposent que les traits distinctifs qui entrent dans la composition des
phonèmes sont fonctionnellement indépendants. Or, cela n’est pas vrai
de chacun des traits considérés : un segment [+ coronal], par exemple, est
nécessairement [+ antérieur]; de même un segment [ + haut] est néces-
sairement [– bas] et un segment [+ bas] est nécessairement [– haut]. Il est
donc logiquement impossible de modifier un des traits ainsi reliés sans
modifier l’autre simultanément. Les modèles de géométrie des traits
rendent compte du fait que les traits ne sont pas tous fonctionnellement
équivalents en supposant qu’ils respectent une organisation hiérarchi-
que : Les traits de qualité sonore (nasal, continu, latéral), les traits de
position (antérieur, arrondi, haut) correspondant à différents articulateurs
(labial, coronal, dorsal) et les traits laryngés (voisement notamment) sont
représentés comme appartenant à des nœuds mutuellement indépen-
dants représentés à des paliers différents. L’analyse des substitutions,
menée par référence à ces nouvelles conceptions théoriques, montre que
les erreurs de substitution concernent, le plus souvent, des traits qui
appartiennent à un même palier (BLUMSTEIN, 1990). BÉLAND (1985)
montre, en outre, que les substitutions s’observent en général entre
segments qui appartiennent à la même classe et respectent de ce fait les
traits dominés par le nœud racine, le nœud le plus haut dans la hiérarchie.
Par contre, les traits dominés par le nœud laryngé sont souvent modifiés
indépendamment des autres spécifications phonologiques. Ces résultats
montrent a) que les traits sont plus ou moins sensibles au processus
pathologique selon le palier auquel ils appartiennent et b) que les
substitutions concernent généralement les traits appartenant à un seul
palier et dominés par un nœud unique. Il ressort de l’ensemble de ces
recherches qu’un segment ne peut être substitué par n’importe quel autre.
Les erreurs de substitution ne sont pas aléatoires mais respectent des
règles qui reflètent les propriétés des représentations phonologiques.
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fréquent dans la langue considéré ou acquis plus tôt par l’enfant.
Appliquée aux erreurs de substitution, cette notion permet de faire des
prédictions quant aux tendances qui sont observées. En effet, une
modification portant sur le voisement peut théoriquement se traduire soit
par le passage d’un segment voisé (e.g., /b/, /d/, /g/) à un segment non-
voisé (e.g., /p/, /t/, /k/)) soit par la transformation inverse, un segment
non-voisé étant remplacé par son homologue voisé. La théorie de la
marque, quant à elle, précise que les segments non-voisés sont moins
marqués que les segments voisés. On devrait donc plutôt s’attendre à ce
que le processus pathologique se traduise par la production de segments
moins complexes donc moins marqués.
Plusieurs études ont montré que ceci est effectivement le cas : les
transformations de type substitution se caractérisent par une tendance à
remplacer des segments marqués par leurs équivalents non marqués
(BLUMSTEIN, 1973; BÉLAND, 1985). Cette tendance semble cependant
plus nette dans le contexte d’une aphasie de Broca que dans celui d’une
aphasie de conduction.
En résumé, ces différentes études montrent que les substitutions
segmentales ne sont pas aléatoires, quel que soit le type d’aphasie dans
lequel elles se manifestent. L’étude de ces erreurs met notamment en
évidence l’importance de la notion de traits distinctifs, les substitutions
n’impliquant pas n’importe quel nombre et n’importe quel type de traits.
Ces résultats suggèrent donc que ces erreurs se produisent à un niveau
de traitement où les représentations sont codées en termes de traits
distinctifs. La présence de tendances préférentielles interprétables dans
le cadre de la théorie de la marque montre également que les transforma-
tions respectent les propriétés générales du système phonologique.
Cependant, les régularités mises en évidence dans ces différents
travaux ne concernent que les propriétés intrinsèques des segments ne
pouvant ainsi rendre compte que des seules erreurs de substitution. Ces
recherches laissent largement de côté les aspects structuraux et ne
tiennent notamment pas compte de la structure et des caractéristiques du
mot dans lequel se produisent les transformations.
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le mot est plus long et plus complexe. Les erreurs augmentent également
avec le degré d’abstraction des mots, les mots abstraits faisant plus
souvent l’objet de transformations que les mots concrets (DUNLOP &
MARQUARDT, 1977). Un plus grand nombre de transformations est
également rapporté lors de la production de non-mots (ALAJOUANINE
et al., 1964; CARAMAZZA et al., 1986; BUB et al., 1986) même si les
erreurs sont qualitativement similaires pour ces deux catégories d’items
(CAPLAN et al., 1986; MARTIN & RIGRODSKY, 1984; VALDOIS et al.,
1988).
La probabilité d’erreur est également influencée par des variables
sublexicales : certains contextes semblent plus que d’autres sujets à
transformation comme notamment les groupes consonantiques (JOHNS
& DARLEY, 1970) et les groupes vocaliques (BÉLAND, 1985). Les
transformations portent plus fréquemment sur les segments consonanti-
ques que vocaliques, comme en témoignent les études sur l’anarthrie
(CARDEBAT et al., 1983), sur l’aphasie de Broca (KELLER, 1978), sur
l’aphasie de conduction ou de Wernicke (BURNS & CANTER, 1977).
En fait, c’est avec l’introduction de la notion de syllabe que l’impor-
tance des facteurs structuraux va être pleinement démontrée. Bien
qu’existent plusieurs théories de la syllabe (SELKIRK, 1982; KAYE &
LOWENSTAMM, 1984) partiellement divergentes, un consensus semble
s’établir postulant que la syllabe est une entité abstraite qui possède une
structure arborescente hiérarchisée (Figure 1).
Syllabe
Attaque Rime
Noyau (Coda)
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ne correspond à aucun segment; c’est le cas par exemple de l’attaque du
mot “ami”.
La notion de syllabe va de pair avec une conception nouvelle de la
notion de mot phonologique. Un mot est dès lors représenté sous la forme
d’un objet tridimensionnel, comportant un plan segmental et un plan
syllabique reliés par un squelette (HALLE & VERGNAUD, 1980; BÉLAND
& VALDOIS, 1989). Le plan syllabique renferme la structure syllabique
(cf. Figure 2). Le plan segmental renferme les segments, eux-mêmes
représentés sous forme de structure arborescente. Les segments sont
ancrés sur le squelette qui est constitué d’une série de points ou unités de
temps.
A R A R
plan
N N syllabique
x x x x x x squelette
plan
segmental
k R a v a t
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texte d’attaques non-branchantes que dans le contexte d’attaques
branchantes. En effet, 77 % des erreurs de substitution s’observent
lorsque la consonne apparaît dans un environnement vocalique, dans
un mot comme “épi” par exemple, alors que seulement 22 % s’obser-
vent dans le contexte de groupes consonantiques, dans un mot
comme “prix” par exemple. La probabilité de faire une erreur
segmentale de ce type est donc influencée par la structure de la
syllabe dans laquelle le segment consonantique apparaît.
– La structure syllabique influence également la nature du segment qui
peut être produit par substitution. Les contraintes formelles sont plus
fortes dans le contexte de constituants branchants que de consti-
tuants non branchants. Ainsi, dans le mot “épi”, une substitution /p/
→ /m/ aboutissant à la production /émi/ pourra être observée. Une
substitution similaire, de /p/ par /m/, est beaucoup moins probable
dans le contexte du mot “prix”. Celle-ci aboutirait à la création d’un
groupe consonantique /*mR/ impossible en début de mot en français.
Ainsi, les contraintes phonotactiques peuvent être comprises et
réinterprétées dans le cadre de la structure syllabique.
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segment du mot, dans une position initialement vide. La transformation
implique donc une modification au niveau segmental sans changement
de la structure syllabique.
A R A R A R A R A R
N N N N N
ã b y l ã s n e ~
⊃
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structuraux qui sont à prendre en compte dans l’analyse des transforma-
tions segmentales d’origine aphasique. Elles montrent que le contexte
syllabique dans lequel se produit la transformation et la position syllabi-
que occupée par les segments exercent des contraintes fortes sur les
erreurs produites par les sujets aphasiques. Ceci suggère notamment que
les transformations segmentales se produisent à un niveau de traitement
où les représentations sont codées en termes de constituants syllabiques.
La structure syllabique, tout comme les traits distinctifs, fait partie de la
représentation phonologique du mot; les contraintes qui s’exercent sur les
transformations sont donc essentiellement des contraintes phonologiques.
Le système phonologique ne semble donc pas altéré par le processus
pathologique.
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On observe donc en surface 1) des distorsions nettes de sons (e.g., /t/
produit IθI) qui se manifestent essentiellement dans le contexte de
troubles arthriques et 2) des erreurs segmentales dont l’origine peut être
soit phonétique, liée à une difficulté de programmation articulatoire, soit
phonémique, due à une erreur de sélection ou d’ordonnancement. Suite
à l’article de LECOURS & LHERMITTE (1969), de nombreuses recher-
ches tenteront de montrer que des profils d’erreurs différents opposent les
erreurs segmentales observées dans le contexte d’une aphasie fluente et
non-fluente (NESPOULOUS & BORREL, 1979; NESPOULOUS et al.,
1982, 1983, 1987; MONOI et al., 1983; CANTER et al., 1985) :
– Les erreurs observées dans le contexte d’une aphasie non-fluente se
caractérisent par un plus grand nombre de substitutions à distance
inter-phonémique 1 et la présence de tendances préférentielles,
tendance au dévoisement notamment. Les erreurs par contamination
contextuelle sont rares et les transformations semblent essentielle-
ment motivées sur l’axe paradigmatique.
– Dans le contexte d’aphasies fluentes, les substitutions impliquent
souvent la modification de deux traits distinctifs ou plus et ne
présentent pas de tendances préférentielles nettes. Les erreurs par
contamination contextuelle sont en outre plus nombreuses que dans
l’aphasie de Broca. Les erreurs semblent davantage motivées sur
l’axe syntagmatique.
Ces recherches concluent qu’un trouble de la programmation motrice
du geste articulatoire sous-tend les erreurs des aphasiques de Broca alors
que les erreurs des aphasiques de conduction refléteraient plutôt un
trouble de l’organisation séquentielle des phonèmes.
Ces conclusions ont été en partie corroborées par les résultats de
l’analyse instrumentale. Les données instrumentales, obtenues à partir de
l’analyse de paramètres acoustiques (analyse des caractéristiques acous-
tiques des sons produits lors des transformations), montrent qu’au moins
certains types de transformations segmentales s’accompagnent dans
l’aphasie de Broca d’une modification des caractéristiques physiques du
signal sonore (BLUMSTEIN et al., 1977, 1980, 1988). Il s’agit essentiel-
lement des transformations se traduisant par une modification de voisement
ou de nasalité. Ces réalisations qui nécessitent la mise en jeu en
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1986).
Il ressort de l’ensemble de ces travaux que déficits phonétique et
phonémique coexistent dans tous les types d’aphasie. Il devient dès lors
difficile de conclure quant à l’origine des transformations segmentales
observées.
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d’un déficit unique intéressant une composante fonctionnelle commune
à ces deux types de tâches.
Dans le cadre de modèles cognitifs dits “à deux voies” du type de celui
présenté dans la Figure 4, on suppose que des voies de traitement
différentes sous-tendent la lecture et la répétition de mots et de non-mots.
Certaines composantes fonctionnelles sont donc spécifiques au type
d’item traité et à la modalité d’entrée, visuelle ou auditive. Il existe
cependant une composante fonctionnelle, le “buffer phonologique”, qui
intervient lors du traitement d’items lexicaux et non lexicaux dans toute
tâche réclamant une production orale. Cette composante fonctionnerait
comme une mémoire de travail (cf. BADDELEY, 1986) permettant le
stockage et le traitement d’une information codée sous forme
phonologique. BUB et al. font l’hypothèse qu’un trouble de la planification
phonémique, au sein du “buffer phonologique”, serait responsable des
erreurs segmentales produites par leur malade.
Les auteurs supposent que les capacités de stockage et de gestion du
“buffer phonologique” sont anormalement limitées : soit que l’informa-
tion ne puisse être stockée en mémoire dans sa totalité soit qu’elle ne
puisse être maintenue en mémoire et que son contenu s’amenuise
rapidement. La différence mots/non-mots observée peut alors s’expli-
quer de la façon suivante : l’information disponible en mémoire de travail
est partiellement dégradée qu’il s’agisse d’un mot ou d’un non-mot; dans
le cas des mots, le sujet peut utiliser les représentations lexicales stockées
en mémoire à long terme afin de restaurer l’information au sein du buffer
phonologique. Cette même stratégie appliquée lors du traitement des
non-mots est beaucoup moins efficace et aboutit à des lexicalisations.
D’autres études situent au niveau du “buffer phonologique” l’atteinte
responsable des transformations segmentales d’origine aphasique
(CARAMAZZA et al., 1986; KOHN & SMITH, 1990). Cependant, nombres
d’incertitudes planent encore quant à la nature exacte du code dans lequel
les représentations sont stockées au sein de cette composante et quant
à la nature des traitements dont elles font l’objet. La multiplication des
études de cas permettra sans doute de préciser la nature exacte du
codage phonologique utilisé. Il faudrait d’ores et déjà supposer, pour
rendre compte des régularités observées, un codage où traits distinctifs
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Contributions psycholinguistiques
Système
Conversion
Lexico-sémantique
Graphème-
Phonème
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Lexique Lexique
phonologique orthographique
de sortie de sortie
Buffer
Phonologique
Conversion Buffer
Phonème Graphémique
Graphème
Système
articulatoire
Production écrite
Production orale
Conclusion
Les études se sont jusqu’ici essentiellement intéressées à la forme des
transformations segmentales d’origine aphasique cherchant à inférer à
partir des régularités observées l’origine du déficit fonctionnel responsa-
121
Langage et aphasie
ble de ces erreurs. Ces travaux mettent avant tout en évidence les
contraintes intrinsèques et extrinsèques qui s’exercent sur les transforma-
tions. Ils nous informent quant à la forme dans laquelle sont codées les
représentations phonologiques au moment où interviennent les transfor-
mations segmentales mais ne permettent aucune inférence quant à la
nature des processus perturbés. Il semble aujourd’hui nécessaire de
référer à des modèles cognitifs de traitement de l’information pour
préciser la nature des atteintes fonctionnelles responsables de ces trou-
bles de la production.
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L’agrammatisme :
Diversité et variabilité
de la production
et de la compréhension
des agrammatiques
Didier HANNEQUIN
127
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base solide pour discuter certaines interprétations théoriques dont beau-
coup étaient dépendantes de la langue anglaise (BATES et al. 1987ab,
1988; MENN & OBLER,1990). Les éléments caractéristiques sont mis en
évidence essentiellement dans des tâches de production spontanée telles
l’évocation de l’histoire de la maladie ou d’activités quotidiennes, ou des
tâches de production plus contraintes comme la restitution d’une narra-
tion ou la description d’images ou la mise en phrases.Ces épreuves
contraintes ont pour but soit de faire produire une variété de structures de
phrases, par exemple, des interrogatives ou des relatives (GOODGLASS
et al.,1972) ou de permettre une comparaison avec les structures testées
en compréhension (MARTIN et al., 1989).
L’agrammatisme peut être défini comme un trouble de la production
de la phrase caractérisé en premier lieu par une réduction de la longueur
des phrases et une simplification de la structure syntaxique. Au niveau de
la phrase, il existe une simplification des relations entre les propositions
avec une rareté des propositions relatives. La structure du syntagme
verbal est élémentaire avec peu d’expansions. Les verbes auxiliaires sont
très fréquemment omis. L’omission d’un pourcentage significatif de
verbes principaux est souligné dans plusieurs études (MICELI et al. 1984,
1988; ZINGESER & BERNDT, 1990). La simplification des syntagmes
nominaux est marquée par la réduction des constructions du type “mot
à contenu – mot à contenu” (e.g., nom-nom, adjectif -nom) en compa-
raison des structures du type “fonctionnel-mot à contenu” (e.g., article-
nom) (MENN & OBLER, 1990). Cette dernière notion est à mettre en
relation (cf. infra) avec le fait que l’omission des fonctionnels, si elle est
une caractéristique de l’agrammatisme, est variable selon le type de mot
fonctionnel et de son statut sémantique ou syntaxique.
Il existe une utilisation préférentielle de l’ordre canonique de la langue
privilégiant ainsi l’ordre Sujet -Verbe -Objet (SVO) dans des langues où
cet ordre est strict comme en français ou en anglais. Les erreurs d’ordre
des mot en production de phrases actives paraissent rares chez des
agrammatiques modérés (SAFFRAN et al., 1980; CAPLAN, 1983). Ce
recours à l’ordre canonique est illustré par la difficulté à produire des
phrases passives ou des phrases interrogatives en anglais (e.g.,“is she
singing ?”). En effet les sujets agrammatiques ont tendance à garder
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Les omissions des morphèmes grammaticaux libres, les fonctionnels
(e.g., article, pronom, préposition) sont d’autant plus nombreuses que le
trouble est plus sévère et coexistent avec des erreurs de substitution. Il
faut cependant souligner que cette appréciation de la sévérité dépend de
la langue étudiée. Ainsi, en considérant par exemple la seule catégorie
des articles, les taux d’omissions semblent inversement proportionnels
au nombre de formes possibles dans la langue. Les taux d’omissions sont
ainsi plus élevés en anglais qu’en italien où existent des marques de genre
et de nombre et moindre en allemand où les articles sont marqués à la fois
en nombre, genre et cas (BATES et al.,1987a). Il faut mentionner, comme
cela avait été rapporté par TISSOT et al., (1973) que certains fonctionnels
restent fréquemment produits. ll s’agit par exemple de certaines conjonc-
tions, utilisées comme amorce d’une proposition, mais sans véritable rôle
syntaxique, (e.g. “et”, “et alors”).
En ce qui concerne les morphèmes liés (e.g., flexions verbales,
marques de genre, de nombre), les erreurs sont des substitutions et ce en
nombre d’autant plus élevé que le système flexionnel de la langue est
riche comme l’attestent les travaux de GRODZINSKY (1984) en hébreu
ou ceux de MICELI et al. (1983) en italien. En effet, les données
translinguistiques permettent de dire que les véritables omissions de
morphèmes liés ne s’observent quasiment pas, réglant ainsi une querelle
imputable à la langue anglaise dont le système flexionnel est pauvre
(BATES et al.,1987a; MENN & OBLER, 1990). Ainsi, en anglais, deux
formes non marquées fréquemment rencontrées chez l’agrammatique,
l’infinitif et le singulier, devraient être considérées, non pas comme des
omissions de marques, mais plutôt comme des substitutions par une
marque vide.
Ainsi la confrontation des données translinguistiques a amené à
reformuler la définition de l’agrammatisme avec des conséquences sur
les formulations théoriques. A titre d’exemple, la théorie phonologique de
KEAN (1979), reprenant la notion de saillance développée par
GOODGLASS et al. (1972), proposait une explication unitaire aux
omissions des morphèmes grammaticaux libres et liés. Dans la termino-
logie de KEAN, les agrammatiques auraient tendance à restreindre la
phrase aux unités supportant l’accentuation (“mot phonologique”). Cette
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en production
Les comparaisons des cas individuels ont vite fait apparaître une diversité
importante à la fois dans la nature des déficits observés et dans le degré
de sévérité de ces pertubations (BADECKER & CARAMAZZA, 1985;
MICELI et al., 1989). Ces dissociations ont incité à proposer des méthodes
d’évaluation systématique permettant de comparer précisément les
sujets et d’assurer un suivi évolutif ou les effets d’un programme théra-
peutique (e.g., BYNG, 1988). L’étude de la production et l’évaluation des
différents types d’erreurs (omissions, substitutions) se heurte au pro-
blème évident de l’identification du message initial. Les méthodes décri-
tes par KOLK et al. (1985) ou dans le projet CLAS (MENN & OBLER,1990)
consistent à effectuer une reconstruction minimale pour chaque produc-
tion erronée mais exposent au risque de surestimer les omissions de
fonctionnels et de sous-estimer les omissions de mots à contenu. La
méthode proposée par SAFFRAN et al., (1980; 1989) minimise ces
risques car elle établit des indices à partir du seul corpus fourni par le
patient. Ces auteurs reprenant une distinction avancée par TISSOT et al.
(1973) distinguent des indices morphologiques tels le pourcentage de
mots de classe fermée, les ratio article / nom, verbes fléchis / verbes
devant être fléchis ou substantif / pronom et des indices de structure
syntaxique tels le pourcentage de phrases minimales correctes, ou de
phrases relatives. SAFFRAN et al. proposent de ne retenir comme
agrammatiques que les sujets présentant une baisse de leurs scores à la
fois morphologiques et structurels. Ils proposent d’étiqueter “non-fluent
et non agrammatique”, les sujets dont seuls leurs scores structurels sont
faibles alors que leurs scores morphologiques sont proches de ceux des
sujets normaux. A titre d’exemple, des quatre sujets rapportés par
MARTIN et al. (1989) un seul pourraît être considéré stricto sensu comme
agrammatique, car les trois autres ont des indices morphologiques
proches de la norme. La pertinence de cette distinction entre pertubations
morphologiques et structurelles (syntaxiques) est attestée par plusieurs
cas de dissociation (SAFFRAN et al., 1980; MICELI et al., 1983,1989;
NESPOULOUS & DORDAIN, 1985, NESPOULOUS et al., 1988).
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selon les types de morphèmes libres. Ainsi pour un sujet donné (F.S.), la
majorité des erreurs concernant les prépositions sont des omissions alors
que les erreurs d’articles sont à majorité des substitutions. Cet aspect
descriptif en terme d’erreurs concernant tel ou tel type de mot fonctionnel
ne doit pas être considéré isolément de son statut sémantico-syntaxique.
A titre d’exemple, nous pouvons citer les travaux de FRIEDERICI en
faveur d’une distinction entre les prépositions dites lexicales qui véhicu-
lent une information sémantique (e.g. prépositions locatives, telle “Peter
sthet auf dem Stuhl”, “Pierre se tient sur la chaise”) et celles qui n’ont
qu’un statut de lien syntaxique obligatoire avec le verbe (e.g., “Peter hofft
auf den Summer” “Pierre attend l’été”) (FRIEDERICI, 1982; FRIEDERICI
et al.,1982). Toutefois cette distinction paraît également variable selon
les tâches évaluant la production et selon les sujets. Ainsi en langue
française, si le sujet Clermont (NESPOULOUS et al., 1988) produit en
narration 80 % de prépositions lexicales contre 62 % de prépositions non
lexicales en accord avec les données de FRIEDERICI et al. (1982),
d’autres sujets (e.g., BRANCHEREAU & NESPOULOUS, 1986) ne con-
firment pas cette distinction dans des tâches de complétion de phrases.
Cette coexistence des substitutions de morphèmes libres, en proportion
variable selon les sujets et les types de morphèmes, pose problème pour
justifier sur ce critère une distinction entre paragrammatisme et
agrammatisme (GOODGLASS & MENN, 1985; FRIEDERICI, 1988;
HEESCHEN, 1985), ce d’autant qu’il n’y a pas d’argument théorique
supportant une distinction entre substitution et omission. Le fait que dans
certaines tâches (e.g. complétion) pour un fonctionnel donné, puisse
s’observer soit une omission soit une substitution oblige à envisager
qu’omission et substitution ne soient que l’expression d’un même déficit
sous-jacent (KOLK et al., 1985; NESPOULOUS & DORDAIN, 1985,
DORDAIN et al., 1988).
La diversité des performances des sujets s’observe également pour la
catégorie des morphèmes liés. Par exemple, certains sujets de l’étude de
MICELI et al. (1989) font des erreurs d’accord verbe/sujet et peu d’erreurs
de genre ou de nombre entre adjectif et nom, alors que d’autres ont des
taux d’erreurs comparables entre ces différentes marques.
131
Langage et aphasie
Enfin, il existe des cas de dissociation nette entre les taux d’erreurs
touchant les mots fonctionnels et les morphèmes grammaticaux liés. A
titre d’exemple, le sujet M.E. (SAFFRAN et al., 1989) omet un grand
nombre de mots fonctionnels mais a un indice de flexions verbales quasi
proche de celui des normaux.
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Les différents niveaux de diversité que nous venons de souligner concer-
nant à la fois les morphèmes libres et liés sont tels que la responsabilité
d’une unique et commune pertubation à un niveau spécifique paraît
difficilement concevable. Il paraît toutefois légitime de tenter de situer les
différentes pertubations reponsables au sein d’un modèle de la production
comme celui élaboré par GARRETT (voir NESPOULOUS, dans ce
volume). Ce modèle distingue une représentation fonctionnelle, de nature
sémantique “abstraite”, d’une représentation positionnelle où la structure
syntaxique et les éléments lexicaux sont spécifiés. Ce modèle fait une
distinction importante entre les mots de classe ouverte (mots à contenu)
et les mots de classe fermée (morphèmes grammaticaux liés ou libres).
La sélection des mots de classe ouverte est faite sur la base d’informations
sémantiques abstraites (le niveau de représentation du message) qui sont
spécifiées au niveau de la représentation fonctionnelle (lexical identifica-
tion), laquelle va servir ensuite de base à la recherche (lexical retrieval)
d’une forme phonologique particulière qui sera insérée dans la structure
syntaxique au niveau positionnel. La sélection des mots de classe fermée
s’effectue elle au niveau positionnel à partir d’informations spécifiées au
niveau d’une matrice syntaxique (sentence planning frame), laquelle est
édifiée à partir de la représentation fonctionnelle. Le niveau de représen-
tation positionnelle est donc celui où sont ordonnés les sites d’insertion
des différents morphèmes grammaticaux avec leurs spécifications dans
une structure syntaxique. Il paraît donc légitime en prenant comme
référence le modèle de GARRETT de situer les “pertubations” responsa-
bles de la simplification syntaxique et des errreurs concernant les
morphèmes grammaticaux au niveau de la représentation positionnelle
ou dans les processus syntaxiques de passage de la représentation
fonctionnelle à la représentation positionnelle (CAPLAN, 1987).
Au terme du recueil de données translinguistiques, en se référant au
modèle de GARRETT, MENN & OBLER (1990) réfutent l’emploi du terme
d’“erreur” de spécification des morphèmes grammaticaux. “Syntactic
processing difficulties result in the “blurring” (or in severe cases, the loss)
of morphosyntactic markers needed to specify inflected forms or function
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Un autre aspect descriptif de la définition de l’agrammatisme, l’omis-
sion des verbes en production pourrait trouver une place cohérente dans
un modèle de la production proche de celui de GARRETT. L’omission des
verbes en production spontanée (narration) est retrouvée dans plusieurs
études. A titre d’exemple, dans l’étude de SAFFRAN et al. (1990), le ratio
du nombre de noms sur le nombre de verbe est respectivement de 2.93
pour les agrammatiques contre 1.15 pour les sujets non-fluent mais non
agrammatique et de 1.18 pour les normaux. Le point intéressant est que
cette difficulté dans l’accès aux verbes est retrouvée dans d’autres tâches
telle l’élaboration de phrases (SAFFRAN et al., 1980) ou la dénomination
d’action (MICELI et al., 1984). Un travail récent de ZINGESER & BERNDT
(1990), très contrôlé en terme de fréquence d’usage et de longueur des
mots, atteste de la moindre production des verbes par rapport aux noms
chez les agrammatiques dans différentes tâches (dénomination sur
images, dénomination à partir de définition et d’évocation d’actions
stéréotypées) alors que l’inverse est observé chez les anomiques purs,
(BERNDT, 1988; ZINGESER & BERNDT, 1988). Ces difficultés de
traitement du verbe sont retrouvées également dans les tâches de
compréhension soit concernant le verbe isolé (GROBER, 1984; MC
CARTHY & WARRINGTON, 1985) soit le verbe inséré dans une phrase
(JONES,1984; DELOCHE et al., 1989). Cette pertubation de l’accès au
verbe même dans des tâches de dénomination, pourrait suggérer qu’il
existe dans la production agrammatique une pertubation conjointe de
l’accès aux propriétés lexicales et syntaxiques des verbes. Cette hypo-
thèse d’une pertubation commune serait cohérente avec une reformulation
du modèle de GARRETT comme celle proposée par BOCK (1982, 1987)
où c’est l’information contenue dans la représentation lexicale du verbe
qui guiderait les processus de passage du niveau fonctionnel (rôles
thématiques) aux représentations syntaxiques (e.g.,sujet, objet).
Un tel modèle en lui-même est insuffisant pour offrir une explication
théoriquement motivée aux différences entre les taux d’omissions versus
substitutions des morphèmes grammaticaux libres ni entre morphèmes
libres et liées, telles que celles rapportées dans l’exemple M.L.
(CARAMAZZA & HILLIS, 1989) ou dans les cas de MICELI et al. (1989).
Un tel modèle demande justement des précisions supplémentaires dans
133
Langage et aphasie
D. La variabilité en production
Un modèle en lui même ne peut rendre compte de la variabilité des
performances selon les tâches. Cette variabilité est bien illustrée par le cas
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R.W., (MARTIN et al.,1989) dont les scores morphologiques sont quasi-
ment normaux pour la tâche de narration alors qu’ils sont bas dans la
description d’image. NESPOULOUS et al. (1988) insistent sur la variabi-
lité des performances en fonction des épreuves pour leur cas Clermont
dont les performances sont proches de celles de M.L. (CARAMAZZA &
HILLIS, 1989). NESPOULOUS et al. privilégient une interprétation qui
prend en compte l’importance “de la charge procédurale” nécessaire
pour résoudre la tâche. La production des morphèmes grammaticaux est
correcte quand la tâche est limitée (e.g., la complétion de phrase par un
mot grammatical) mais échouée dans une tâche de production orale ou
écrite de phrases qui demande un plus grand nombre d’opérations. Cette
conception suppose que les pertubations soient, au moins pour partie, de
nature procédurale, c’est à dire concernent les contraintes temporelles, le
nombre d’éléments (e.g. marques grammaticales) à mettre en relation
par unité de temps, la synchronie des différentes opérations que nous
avons évoquées ci-dessus en nous référant d’une manière “statique” à un
modèle de la production.
Cette conception “dynamique” des pertubations est sous-jacente à
celle qui envisage que l’agrammatisme ou certaines de ses manifesta-
tions reflète des stratégies adaptatives et ne soit pas que le produit d’un
déficit. La production agrammatique témoignerait en partie de stratégies
d’évitement (HEESCHEN, 1980) ou d’adaptation (KOLK & GRUNSVEN,
1985; KOLK & HEESCHEN, 1990). Un exemple très favorable à cette
hypothèse réside dans la production d’énoncés “elliptiques” de type “milk
drinken” (KOLK & GRUNSVEN, 1985). L’usage de l’infinitif (drinken) ne
peut pas seulement s’expliquer par le seul recours à cette marque par
défaut. En effet, l’inversion de l’ordre, avec la succession objet-verbe, qui
est requise dans cette forme particulière suggère qu’il y a bien eu adoption
d’une stratégie évitant la forme fléchie.
En résumé, en se référant au modèle de production, il faut donc
concevoir l’agrammatisme comme résultant à la fois de plusieurs
pertubations au niveau positionnel, dont certaines d’ordre procédural, et
de la mise en oeuvre d’énoncés adaptatifs, donc élaborés au niveau
fonctionnel. Un tel résumé laisse donc place à une diversité de processus
atteints dans l’attribution d’une représentation positionnelle et à une
“liberté” individuelle dans le recours à des énoncés adaptatifs.
134
Contributions psycholinguistiques
E. Évaluation de l’agrammatisme
en compréhension de phrases
Les moyens mobilisables pour comprendre une phrase sont nombreux,
de natures différentes et potentiellement interactifs. La compréhension
peut être basée sur des indices morphosyntaxiques comme les marques
grammaticales ou la structure de la phrase, sur des indices d’ordre
sémantique ou tenant à une connaissance plus générale du monde.
L’interprétation dépend alors des inférences tirées de la mise en oeuvre
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conjointe de ces différentes sources d’information. Une structure syntaxi-
que même incomplètement analysée (e.g., sujet, objet du verbe,) peut
l’être suffisamment pour attribuer des rôles thématiques (e.g., l’agent, le
patient, “qui fait quoi à qui”) qui permettent d’interpréter (comprendre)
la phrase. Ainsi les agrammatiques comprennent mieux les phrases
irréversibles que les phrases sémantiquement réversibles car l’assignement
des rôles thématiques peut être correct en se basant sur un traitement
linguistique incomplet ou sur une heuristique extralinguistique (e.g. le fait
que la phrase contienne un prénom suppose un animé donc un agent
potentiel sur un objet) (CAPLAN, 1983, 1987; FRAZIER &
FRIEDERICI,1991).
Plusieurs études attestent de cette supériorité des agrammatiques
pour comprendre les phrases irréversibles par rapport aux phrases
réversibles. A titre d’exemple, une phrase telle “the wagon that the horse
is pulling is green”ne pose aucune difficulté de compréhension aux
aphasiques de Broca car le traitement des éléments lexicaux et la
connaissance du monde suffisent pour comprendre une telle phrase
(CARAMAZZA & ZURIF,1976). Pour des phrases réversibles, la mise en
jeu d’heuristiques basées sur le critère de plausibilité (e.g. que l’officier
dispute le soldat est plus plausible que l’inverse) est bien établie dans
différentes études (HEESCHEN, 1980; DELOCHE & SERON, 1981;
KUDO, 1984; SHERMAN & SCHWEICHCKERT, 1989; DELOCHE et al.,
1989). En revanche, les aphasiques de Broca, peuvent échouer à la
compréhension de phrases réversibles pour lesquelles le critère de
plausibilité n’intervient pas, du type “the lion is chasing a fat tiger”. Pour
les phrases actives réversibles, les données de JONES (1986) suggèrent
que la structure du verbe puisse jouer un rôle critique. En effet les verbes
qui impliquent une direction (assignant donc un rôle) tel “pousser”,
“tirer”,”suivre” causent plus d’erreurs que les autres. Cette notion est
d’importance car un protocole comme par exemple celui de SCHWARTZ
et al. (1980), mêle des verbes dont la représentation sémantique est bien
différente, tel un verbe comme “téléphoner”impliquant obligatoirement
un objet et un verbe comme “suivre”. Les difficultés des agrammatiques
apparaissent clairement quand la structure des phrases devient plus
complexe. A titre d’exemple, les aphasiques de Broca ont de la difficulté
135
Langage et aphasie
à traiter les structures du datif pour choisir entre les deux images
correspondant aux phrases suivantes “the man showed her the baby
pictures” versus “the man showed her baby the pictures”(HEILMAN &
SCHOLES, 1976). Les phrases passives réversibles (e.g., “le garçon est
embrassé par la fille”) sont sources d’échecs, que la compréhension soit
évaluée par la désignation d’images (SCHWARTZ et al., 1980) ou la
manipulation de figurines (CAPLAN & FUTTER, 1986) mais les taux
d’échecs sont très divers selon les sujets (e.g., FRIEDERICI & GRAETZ,
1987). Dans un travail concernant dix sujets agrammatiques, les scores
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de réussite pour les phrases passives se distribuent entre 25 % et 100 %
(HANNEQUIN et al., 1987). Cette diversité se double chez certains sujets
d’une variabilité importante. A titre d’exemple, dans cette même étude,
un sujet pour des phrases passives comparables voyait ses scores passer
de 37 % à 67 %, un autre de 54 % à 80 %.
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théorie suppose aussi l’attribution directe du rôle d’agent au syntagme
prépositionnel gouverné par la préposition “par”. Ainsi, en cas de phrase
passive les sujets agrammatiques seraient donc en présence d’un conflit
entre deux agents potentiels. Le mérite d’une telle formalisation est de
permettre de bâtir des protocoles avec des prédictions précises concer-
nant différentes structures de phrases (actives, passives complètes et
tronquées, relatives sujets et objets). Deux études, celle de BADECKER
et al. (1991) chez un sujet (F.M) et de MARTIN et al. (1989) chez quatre
sujets infirment les prédictions de GRODZINSKY. A titre d’exemple, dans
cette dernière étude, les performances comparables entre passives
complètes et passives tronquées, obligent à réfuter l’hypothèse attribuant
le rôle d’agent au syntagme prépositionnel. De plus, les performances
obtenues attestent que ces sujets exercent une certaine capacité à traiter
les marques grammaticales des verbes pour interpréter qu’il s’agit de
phrases passives.
Là encore, la diversité des résultats des sujets, et surtout la variabilité
des performances d’un même sujet entre phrase active et passive
(SCHWARTZ et al., 1980) ou pour une même structure de phrase sont des
obstacles majeurs à une conception de “perte syntaxique” comme celle
de GRODZINSKY qui suppose la fixité d’un trouble de la représentation
syntaxique.
Les performances des sujets rapportés ci-dessus témoignent d’une
capacité d’un traitement syntaxique mais qui reste incomplète (e.g.,
CAPLAN & FUTTER, 1986). Le recours à différentes “heuristiques” non
syntaxiques (e.g. tenant à l’existence d’un animé, selon le degré de
plausibilité) ou le recours à l’ordre canonique de la langue (BATES et al.,
1987b) ne signifient pas que les agrammatiques aient perdu leurs
capacités (compétence) de traitement syntaxique (CARAMAZZA &
ZURIF,1976). Plusieurs arguments plaident pour une conception d’une
compétence syntaxique préservée (SPROAT,1986) mais dont la mise en
oeuvre est limitée (SAFFRAN & SCHWARTZ, 1988). Des études menées
dans des langues comme l’allemand (HEESCHEN,1980) ou le serbo-
croate (SMITH & MIMICA,1984) montrent que les sujets ne se limitent pas
à appliquer des heuristiques mais possèdent des capacités qui dans
certaines conditions peuvent être mises en jeu. Ainsi le serbo-croate
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avec les difficultés en compréhension pour les mêmes structures de
phrases (e.g. pour les passives) (LINEBARGER et al., 1983a,b; KOLK &
VAN GRUNSVEN, 1984; SCHWARTZ et al., 1987). Il faut cependant
remarquer que cette supériorité des aptitudes métalinguistiques par
rapport au niveau de compréhension n’est pas retrouvée chez tous les
sujets (WULFECK, 1988) et qu’il est méthodologiquement difficile d’as-
surer un niveau de complexité semblable entre les deux types d’épreuves
(ZURIF & GRODZINSKY, 1983; FRAZIER & FRIEDERICI, 1991). Cette
réussite aux épreuves métalinguistiques impliquerait que les
agrammatiques soient capables d’élaborer une analyse (représentation)
syntaxique pertinente. Pour SCHWARTZ et al. (1987), les difficultés en
compréhension se situeraient donc dans l’attribution (mapping) des rôles
thématiques (agent, patient) aux rôles grammaticaux (sujet, objet) quand
il y a déplacement (non transparency) entre structure de surface et structure
profonde (e.g. relatives, passives). Cette formulation (procedural mapping
hypothesis) demande à être précisée quant aux sous -processus d’assigna-
tion des rôles thématiques mais n’est pas en mesure de rendre compte des
difficultés de compréhension chez tous les agrammatiques. En effet les
études de cas évaluant spécifiquement cette hypothèse montrent qu’une
pertubation à ce niveau n’est pas seule en cause mais peut être associée à
une pertubation au niveau de l’analyse syntaxique (NICKELS et al.,1991).
La diversité des troubles de la compréhension oblige à considérer que
selon les sujets plusieurs pertubations peuvent être en cause; au niveau
de la représentation syntaxique (représentation des morphèmes gram-
maticaux, attribution des rôles grammaticaux, au niveau du traitement
des flexions verbales qui assignent ces rôles) et ou de l’attribution des
rôles thématiques (MARTIN et al., 1989).
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types of linguistic operation. The linguistic knowledge as such may be
represented but not accessible when needed for parsing” (FRIEDERICI,
1988, p. 280). Cette limitation se manifesterait d’autant plus que la
complexité requise pour accéder à la représentation syntaxique est
grande. Cette complexité (Complexity Limitation Hypothesis) fait réfé-
rence aux nombres de déplacements (inferential chains) entre structure
profonde et structure de surface. Cette complexité semble recouvrir le
gradient de complexité évoqué par CAPLAN et al. (1985) en soumettant
différentes structures de phrases à des aphasiques non sélectionnés.
Cette limitation implique des pertubations qui peuvent toucher les capa-
cités de mémoire(s)(stockage temporaire d’information), la vitesse d’ac-
cès ou de nombre d’opérations à traiter simultanément (KOLK &
GRUNSVEN,1985; FRAZIER & FRIEDERICI,1991). Si cette approche
paraît pertinente, les processus mnésiques spécialisés impliqués dans le
traitement syntaxique restent eux à formaliser. En tout état de cause, les
résultats de MARTIN et al., (1989), de SCHWARTZ et al., (1987) assurent
qu’il n’y a aucune corrélation avec l’empan verbal, et que la longueur de
la phrase, à structure égale, ne modifie pas la performance.
FRAZIER & FRIEDERICI (1991) apportent des arguments supplé-
mentaires en soulignant que les caractéristiques de la compréhension
“agrammatique” seraient celles de sujets normaux soumis à une charge
procédurale trop importante (e.g. nombreuses relatives enchassées) ou
limités dans leur capacité par une présentation accélérée ou brouillée. De
plus, la diversité dont font preuve les sujets normaux dans leurs réponses
à ces conditions de traitement de surcharge “on line”, offrirait une
justification facile à la diversité observée chez les sujets agrammatiques.
Cette référence au sujet normal appelle un commentaire concernant
les termes de “règles”, “heuristiques” et de “stratégies” tels qu’ils sont
utilisés ou cités ci-dessus. En effet, chez un agrammatique donné, il
faudrait pouvoir distinguer,d’une part, les réponses résultant de l’applica-
tion de règles “obligatoires”qui sont celles du système syntaxique normal
en condition de capacité limitée (cf. la conception de FRAZIER &
FRIEDERICI, 1991) et d’autre part, les stratégies ou heuristiques plus
optionnelles. Cette distinction nous paraît importante car les choix des
sujets agrammatiques en compréhension paraîssent fixes, stables chez
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H. Conclusion
Si l’agrammatisme correspond à une description commune dans plu-
sieurs langues, il n’en reste pas moins que cette description recouvre une
grande diversité entre les sujets, même quand on se limite à l’analyse de
la production des morphèmes grammaticaux (MICELI et al., 1989).
L’hétérogénéité devient encore plus nette quand on considère des indices
structurels comme la longueur de phrase (SAFFRAN et al., 1989) ou le
taux d’omissions des verbes. La diversité devient plus grande encore
quand pour les mêmes patients sont prises en compte les performances
en compréhension de phrases. Si pour la majorité des cas, existent à la
fois des troubles en production et en compréhension, il n’existe pas de
corrélation entre les deux modalités ni dans la sévérité des troubles (e.g.
KOLK et al., 1985; DELOCHE et al., 1989) ni dans les comparaisons
qualitatives (e.g. production et compréhension de passives, (MARTIN et
al., 1989). De plus, plusieurs cas de claires dissociations entre une
production agrammatique et une capacité normale à comprendre les
informations syntaxiques ont été rapportées (MICELI et al. 1983;
NESPOULOUS et al. 1988; CARAMAZZA & HILLIS, 1989). La diversité
des manifestations descriptives rapportées et les dissociations obligent à
considérer que l’agrammatisme est difficilement assimilable à un syn-
drome (CARAMAZZA & BERNDT, 1985; GOODGLASS & MENN, 1985)
et que les tentatives de caractérisation théorique de l’agrammatisme de
tous les agrammatiques est discutable (BADECKER & CARAMAZZA,
1985, 1986; CAPLAN, 1986, 1991).
La diversité de la sémiologie, telle que nous l’avons détaillée, oblige
à relativiser les analyses basées sur un seul groupe de sujets définis
comme agrammatiques (MENN & OBLER, 1990), ou séparant a priori
des sujets sur des critères de catégories telles aphasie de Wernicke versus
aphasie de Broca. Il faut étendre les analyses à des groupes de sujets les
plus larges possibles pour rechercher quelles peuvent être les caractéris-
tiques communes ou spécifiques de la désorganisation du traitement de
la phrase.Nous pouvons citer par exemple les substitutions de mots
fonctionnels retrouvées chez l’agrammatique et le paragrammatique. De
même, le “conservatisme syntaxique” de l’ordre des mots s’observe
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tion et en compréhension,oblige à considérer les sources de limitation du
traitement des informations à la fois en terme de nombre et de vitesse.
L’étude de cette composante procédurale suppose une formalisation des
modèles de la mémoire ou plus vraisemblablement des mémoires inter-
venant aux étapes initiales puis de l’élaboration et du maintien d’une
représentation syntaxique. Le corrolaire est de développer, malgré les
difficultés méthodologiques, des protocoles permettant une évaluation de
la compréhension en temps réel (FRIEDERICI, 1983, 1988; TYLER,
1985).
Les notions de stratégies adaptatives en production (KOLK et
HEESCHEN, 1990) ou de stratégies de compréhension basées sur des
heuristiques simples (CAPLAN & FUTTER, 1986) témoignent du carac-
tère optionnel et individuel d’une partie du comportement de communi-
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Les alexies
Pierre MORIN
Nous traiterons uniquement des troubles de la lecture des mots isolés, les
troubles au niveau de la phrase faisant intervenir d’autres facteurs
linguistiques et cognitifs qui donnent au sujet une ampleur difficile à
maîtriser. De même seront laissés de côté des troubles de la lecture
relevant des phénomènes de négligence qui sont étroitement liés à des
troubles ne concernant pas la lecture et ne dépendant pas des mécanis-
mes spécifiques de celle-ci.
L’histoire de l’Alexie peut être schématisée autour de deux dates
essentielles : 1891-1892 où DEJERINE distingue : “la cécité verbale avec
agraphie” et “la cécité verbale pure”, et 1973 avec l’article de MARSHALL
et NEWCOMBE “patterns of paralexia : a psycholinguistic approch”.
Les conceptions de DEJERINE sont parfaitement en accord avec la
méthode anatomo-clinique. Il décrit des syndromes cliniques régulière-
ment en rapport avec une topographie lésionnelle cependant que MARS-
HALL & NEWCOMBE ouvrent l’ère de l’étude neurocognitive des troubles
de la lecture.
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Langage et aphasie
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massif. Ni les mots, ni les lettres ne sont reconnus. Le plus souvent,
d’emblée ou après une phase initiale de troubles massifs, la lecture des
lettres est possible, plus ou moins exacte, mais en tous cas lente et
laborieuse. Le mot ne peut être lu que lettre à lettre, après que chaque
lettre ait été individuellement reconnue et souvent dénommée à haute
voix. La lecture du mot, et la compréhension, sont entièrement fonction
de la reconnaissance des lettres, parfois inférieures à celle-ci mais jamais
supérieures. On dit que le malade lit par un processus d’épellation
inverse. Par ailleurs, les entrées non visuelles de la lecture sont bien
conservées : lettres explorées par la palpation ou dictées par l’examina-
teur permettent aussi bien ou mieux que le déchiffrement visuel, la lecture
des mots. Le statut de ceux-ci en ce qui concerne la classe grammaticale,
la fréquence, le caractère concret est sans influence. Les non mots eux-
mêmes sont lus de la même façon. Le seul caractère qui influence la
réussite est la longueur : les mots les plus courts sont mieux lus.
L’alexie est pure ce qui signifie que les autres aspects du langage sont
préservés. Le malade écrit bien mais se relit difficilement. Tout au plus son
écriture est elle perturbée légèrement par un manque de contrôle visuel
responsable de redoublement de jambages et de mauvaise orientation
des lignes. Le langage oral est lui aussi normal dans les formes typiques.
Les signes d’accompagnement concernent tous la fonction visuelle.
L’hémianopsie latérale homonyme droite est quasi constante. L’agnosie
des couleurs est fréquente, l’agnosie visuelle pour les objets et les images
beaucoup plus rare. Le trouble se présente donc comme une atteinte
isolée du pôle visuel du langage, laissant subsister les mécanismes
centraux de celui-ci et pouvant être, dans le domaine visuel, tout à fait
limitée à l’aspect linguistique.
La lésion responsable est le plus souvent un ramollissement du
territoire de la cérébrale postérieure gauche lésant notamment la scissure
calcarine et la partie postérieure du corps calleux.
Tous les faits, cliniques et anatomo-pathologiques, paraissent en
accord avec l’idée d’un processus de déconnexion visuo-verbal soutenu
successivement par WERNICKE, DEJERINE, et récemment GESCHWIND
(ORGOGOZO & PÉRÉ, 1991).
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Contributions psycholinguistiques
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D’autres portent sur l’inconstance de l’hémianopsie latérale homonyme
droite et des lésions du corps calleux.
A la première objection, il peut être répondu (HOWES, 1962) qu’il
existe pour les objets des associations cénesthésiques amenant à l’acti-
vation de la région pariétale droite et à un transfert vers l’hémisphère
gauche par des fibres interpariétales situées en avant des lésions calleu-
ses; ou encore que le transfert d’informations est quantitativement plus
exigeant pour les mots que pour les objets, ou enfin qu’il existe peut être
plusieurs systèmes d’analyse visuelle, tels que ceux qui ont été décrits
pour la forme et la couleur d’une part, la profondeur et le mouvement de
l’autre, avec ainsi la possibilité de déconnexions sélectives.
Sur le plan anatomique, on peut envisager qu’une déconnexion visuo-
verbale résulte de lésions diversement situées dans la substance blanche
de la partie postérieure de l’hémisphère gauche qui n’impliquent même
pas l’existence d’une hémianopsie (GESCHWIND, 1965). Néanmoins à
la théorie de la déconnexion s’oppose une théorie agnosique de l’alexie
pure (ALAJOUANINE et al., 1960). Cette théorie propose un traitement
de l’information visuelle assuré par des aires cérébrales elles aussi
spécifiques pour les stimuli littéraux. Il s’agirait des lobules lingual et
fusiforme situés à la partie inférieure de la face interne de l’hémisphère
gauche.
Les arguments reposent sur la grande fréquence de l’atteinte de ces
structures ou de leurs connexions et la distinction nette qui existe entre
l’alexie pure et les autres types d’agnosie ou d’anomie visuelle. Les
associations non rares reposeraient seulement sur le voisinage des
structures anatomiques responsables. Notamment l’alexie ne peut être
considérée comme la forme légère d’un processus agnosique visuel
général dont l’agnosie d’objets serait la forme grave car il existe des
observations certaines d’agnosie d’objets sans alexie (MACK & BOLLER,
1977).
Il est sans soute possible de désarmer les oppositions en admettant
l’existence de plusieurs formes d’alexie pure différant par leurs lésions
anatomiques et leurs mécanismes neuropsychologiques. On pourrait
ainsi opposer une alexie splénio-calcarine conforme à tous égards au
modèle de GESCHWIND et souvent réalisée par l’ischémie du territoire de
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Langage et aphasie
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Il n’en a pas été de même pour le syndrome d’alexie avec agraphie.
Pour DEJERINE (1892), il résultait d’une lésion du pli courbe, centre
des images verbales des mots. Le caractère central de cette atteinte
explique que soient perturbés conjointement les deux procédés d’utilisa-
tion de ces images, la lecture et l’écriture. L’existence de cas où cette
perturbation du langage écrit reste isolée, ou à peu près, avec respect du
langage oral, est certaine.
La sémiologie des troubles de la lecture est toujours restée assez mal
précisée, les aspects les plus spectaculaires étant soit l’incapacité totale
de la lecture : le malade est devenu illettré, soit des productions
paraphasiques.
Ce qui est certain, c’est que la lecture des lettres isolées n’est pas
supérieure à la lecture des mots, caractère différentiel avec l’alexie pure
et la compréhension est parfois supérieure à la verbalisation. Dans
l’échelle des difficultés le critère de longueur des mots tend à s’effacer
(BENSON, 1985).
Dans les diverses formes d’aphasie, les troubles de la lecture sont
presque toujours présents. Leur analyse est encore plus difficile puisqu’ils
sont mêlés à des troubles de l’expression orale présents dans toutes les
modalités.
L’aspect le plus intéressant serait peut-être représenté par les cas où
la lecture et surtout la compréhension écrite sont relativement préservées
par rapport à la modalité orale. De tels cas sont en faveur d’au moins un
certain degré d’indépendance du langage écrit qui ne serait donc pas une
simple transposition du langage oral.
La troisième alexie ou alexie antérieure (BENSON, 1977) se carac-
térise grossièrement par le siège antérieur des lésions et une association
très fréquente avec une aphasie de Broca. De tels faits avaient été notés
depuis longtemps mais plutôt considérés, notamment par FREUD, comme
un argument contre la conception localisatrice des diverses variétés
d’aphasie. Pour BENSON, elle comporte une séméiologie originale avec
une lecture des lettres isolées particulièrement mauvaise par rapport à
celle des mots, une compréhension souvent supérieure à la lecture orale
et surtout un déficit très marqué de la lecture et de la compréhension des
mots grammaticaux alors que les substantifs sont relativement respectés.
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Contributions psycholinguistiques
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exemple, la compréhension orale mais aussi aux résultats spectaculaires
obtenus d’emblée comme la mise en évidence des deux voies de la
lecture.
L’intérêt de la psychologie cognitive se déplace des syndromes
anatomo-cliniques classiques constitués d’un groupe de symptômes
assez régulièrement associés entre eux et avec une topographie lésion-
nelle vers des syndromes cognitifs réalisés par l’atteinte élective d’un des
modules fonctionnels, ou de ses connexions, décrits dans les modèles
cognitifs.
Les cas où de tels syndromes cognitifs sont observés sous une forme
suffisamment pure sont rares, de l’ordre d’une vingtaine de cas pour les
plus fréquents et souvent d’un tout petit nombre d’unités.
Dans ces conditions les études cognitives peuvent être considérées
comme plus propres à faire progresser les connaissances sur les méca-
nismes de la lecture chez les sujets normaux qu’à apporter une aide à
l’examen et au traitement des malades cérébro-lésés couramment obser-
vés. Toutefois, les concepts et les grilles d’examen proposés par la
psychologie cognitive sont susceptibles d’être utiles bien au-delà des cas
purs auxquels doivent se limiter les études théoriques.
151
Langage et aphasie
Système de la
forme de la lettre
lettre à
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lettre
Système de la
forme du mot
Système Système
sémantique phonologique
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Contributions psycholinguistiques
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Cette conception était révolutionnaire, la plupart des aphasiologues
ayant jusque-là considéré que le langage écrit était dépourvu d’autono-
mie, ne consistant qu’en une superstructure du langage oral et nécessi-
tant toujours à ce titre un support phonologique. Cette opinion s’appuyait
sur des arguments ontogéniques et phylogéniques, l’individu comme
l’espèce n’acquérant l’écriture qu’après la maîtrise du langage oral.
Certains comme Pierre MARIE y ajoutaient un argument anatomique,
disant qu’on ne pouvait concevoir des aires cérébrales spécialisées dans
le traitement du langage écrit, aires qui seraient restées en friche chez la
majeure partie de l’humanité qui n’avait pas accédé à ce langage.
Sur un plan plus pratique, MARSHALL & NEWCOMBE proposaient un
modèle de l’effet de l’altération de l’une ou l’autre des deux voies, donnant
le nom de Dyslexie Profonde (Dl. Pr.) à l’atteinte de la voie phonologique
et de Dyslexie de Surface (Dl. S.) à celui de la voie lexicale. Ces termes
sont empruntés aux conceptions de CHOMSKI qui oppose la représenta-
tion phonologique des mots, dite de surface à la représentation séman-
tique dite profonde. Il est à noter que les syndromes sont dénommés non
pas en terme de la procédure abolie, comme c’est la règle en neurologie
(comme dans syndrome pyramidal) mais en fonction de la procédure
subsistante. Il sera fait ultérieurement retour à la méthode habituelle
lorsque seront créés les termes d’alexie phonologique (Al. Ph.) qui
s’apparente à la Dl. Pr. et d’alexie lexicale (Al. L.) qui s’apparente à la
Dl. S.
1. La dyslexie profonde
153
Langage et aphasie
Analyse
orthographique
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Lexique visuel
d’entrée
Système Conversion
sémantique Graphème-phonème
Lexique phonologique
de sortie
Sortie
phonologique
Parole
154
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change ainsi de classe grammaticale : un adverbe ou un verbe sont
transformés en nom ou inversement;
– des erreurs visuelles : production d’un mot ayant un aspect d’ensem-
ble analogue au mot cible : “stock” pour “shock”, “saucer” pour
“sausage”;
– l’effet de classe : parmi tous les mots, les noms sont les mieux lus, puis
les adjectifs et les verbes. Les mots grammaticaux ou mots fonction :
prépositions, conjonctions, articles, verbes auxiliaires, certains ad-
verbes et adjectifs sont les plus mal lus. Un malade illustrait de fait en
disant : “little words : No” (MORTON & PATTERSON, 1980 b).
– l’effet de fréquence : les mots les plus usuels sont mieux lus;
– les mots concrets sont mieux lus que les mots abstraits;
– les mots imageables sont mieux lus que les mots non imageables.
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d’assurer une lecture tout à fait parfaite. Il a toujours besoin de l’aide du
système phonologique. Selon la seconde, le système lexico-sémantique
normal est capable d’assurer une lecture parfaite ou presque. Il en résulte
que dans la Dl. Pr., il est lui aussi altéré. Resterait alors à préciser de quelle
façon et en quel point des modèles cognitifs.
Divers arguments ont été apportés en faveur de la première hypo-
thèse.
Pour SAFFRAN (in SHALLICE, 1988) le mécanisme qui assure la
lecture dans la Dl. Pr. est destiné à la compréhension des mots écrits et
non à leur production. Il serait dans la nature des mécanismes de
compréhension qu’un mot produise plus une large représentation qu’une
étroite spécification de son sens. D’où des réponses imprécises et dont
l’imprécision varie selon la nature du mot stimulus. Un mot concret
comme “rose” a un sens plus solide et moins dépendant du contexte qu’un
mot abstrait comme “phase”. Il aura toutes les chances d’être mieux lu.
Il ne faut pas oublier en outre que la plupart de ces sujets sont aphasiques,
ce qui complique encore leur tâche.
Une telle explication peut convenir à des cas où l’erreur a un sens très
proche de la cible et où elle n’est pas reconnue par le malade. Elle
s’applique difficilement à des erreurs aussi lointaines que “genealogist” lu
“babies” (SAFFRAN, 1984), et aux nombreux cas où le malade est
conscient de son erreur et témoigne d’une manière ou d’une autre de sa
bonne compréhension.
On peut soutenir de la même façon que la mauvaise lecture des mots
grammaticaux est due à leur faible valeur sémantique. Certaines prépo-
sitions notamment ont une simple valeur de liaison. Selon PATTERSON
(1982), il est aussi difficile de définir “of” qu’un non mot comme “groak”.
La valeur sémantique de ces mots grammaticaux est variable et la
réussite des malades dans leur lecture sensiblement parallèle à cette
valeur. Il en est ainsi de prépositions de sens précis comme “devant”,
“derrière” opposés à “à” ou “de”, ou d’opposition de pronoms comme “il”
et “elle” désignant manifestement des personnes différentes par rapport
à ceux qui expriment une simple différence de cas comme “il” et “lui”. Les
erreurs dérivationnelles s’expliqueraient par l’existence dans le système
sémantique des seuls morphèmes à l’exclusion des affixes.
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erreurs sémantiques sur erreurs visuelles. Les malades de type “input”
porteurs à la fois de troubles plus marqués pour la modalité visuelle et
d’une forte proportion d’erreurs visuelles peuvent alors être soupçonnés
d’une atteinte visuelle spécifique et de ce fait au moins relativement
périphérique. Dans ces conditions, ces malades devraient faire un moin-
dre pourcentage d’erreurs proprement sémantiques telles que l’effet de
classe et l’atteinte élective des mots abstraits. Il ne semble pas que ce soit
le cas (SHALLICE, 1988).
De plus, si les erreurs visuelles résultent d’un trouble associé, présent
seulement dans certains cas de Dl. Pr., certains malades devraient en être
dépourvus, cela non plus ne semble pas vérifié. Surtout les erreurs
visuelles surviennent sélectivement sur les mots difficiles à lire pour les Dl.
Pr., et notamment les mots abstraits. Les malades de type “input”
résulteraient, non de l’association de deux déficits, l’un périphérique et
visuel et l’autre proprement de type Dl. Pr., mais d’un déficit unique
consistant dans une incapacité à accéder à la représentation sémantique
de mots abstraits à partir d’une stimulation visuelle. Les malades de type
output pourraient accéder à cette représentation mais ne pourraient pas
produire ces mots. D’autres malades pourraient associer les deux types
de déficits.
MORTON & PATTERSON (1980 a) étaient arrivés à des conclusions
analogues quant à la nécessité d’admettre des perturbations fonctionnel-
les multiples du système lexico-sémantique pour rendre compte des
erreurs observées chez les malades atteints de Dl. Pr. Ainsi, analysant les
erreurs sémantiques, ils pensaient qu’on ne pouvait les attribuer entière-
ment à un trouble pré lexico-sémantique puisque les malades compren-
nent souvent mieux qu’ils ne lisent, mais pas non plus à un trouble post-
lexico-sémantique puisque les erreurs observées dans la lecture ne
s’observent pas dans d’autres usages de cette voie telles que la parole
spontanée ou la dénomination. Ils concluaient que ces deux types
d’atteinte devaient se rencontrer conjointement ainsi qu’une altération du
système sémantique lui-même avec notamment celle d’un “parser”
grammatical, pour expliquer les effets de classe.
Dans tous ces cas, on arrive à la conclusion que la Dl. Pr. cesse d’être
un syndrome cognitif idéal, résultant de l’atteinte d’un seul système
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point ont été recueillies chez les sujets ayant subi une section chirurgicale
du corps calleux. L’hémisphère droit de ces patients parait incapable de
dériver une phonologie à partir de l’écrit, par exemple réaliser des
épreuves de rimes, cependant qu’il peut accéder à une certaine compré-
hension, non exempte de paralexies sémantiques, qui peut se manifester
dans des épreuves d’appariement mot-image. Des épreuves de présen-
tation tachistoscopique chez des sujets normaux paraissaient plaider
dans le même sens avec une difficulté particulière à reconnaître les mots
abstraits projetés dans l’hémisphère droit (COLTHEART, 1980 b). Mais
ces derniers résultats ont été ultérieurement très contestés (PATTERSON
& BESNER, 1984). Un autre argument peut être tiré des notions anato-
miques. Il est fréquent que les sujets Dl. Pr. soient porteurs de lésions très
importantes de l’hémisphère gauche, contrastant avec des possibilités de
langage relativement conservées. Il est alors vraisemblable que chez ces
patients, l’hémisphère droit a un rôle important de suppléance. Il y a des
objections importantes contre cette théorie qui elles mêmes ne sont pas
à l’abri de toute critique. La première est le cas des alexies pures :
pourquoi ces malades dont l’hémisphère droit est habituellement intact
ne sont-ils pas capables d’une lecture de type Dl. Pr. ? COLTHEART
(1981) réplique que l’hémisphère droit de ces malades peut avoir
effectivement une compréhension de certains mots, les mots concrets par
exemple, mais que celle-ci ne peut pas faire l’objet d’une expression orale
du fait d’une déconnexion inter hémisphérique.
On peut toutefois admettre qu’une différence entre les cas d’alexie
pure et ceux de Dl. Pr. repose sur le fait que les premiers ont un langage
oral normal, alors que ce n’est pas habituellement le cas des seconds. Il
se pourrait que chez les alexies pures, le bon fonctionnement de la
majeure partie de l’hémisphère gauche inhibe le fonctionnement linguis-
tique de l’hémisphère droit alors que cette inhibition serait levée chez les
seconds. Cela est peut-être confirmé par les possibilités de lecture
“implicite” de certaines alexies pures (COSLETT & SAFFRAN, 1989).
Enfin, on n’a jamais observé de cas où une lecture de type Dl. Pr.
disparaisse après une lésion secondaire de l’hémisphère droit, ou appa-
raisse après aggravation des lésions gauches. Il existe au moins un cas où
de telles capacités de lecture ont disparu après une lésion secondaire de
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analogue puisse s’observer pour une forme mieux caractérisée de Dl. Pr.
Au total, la théorie du rôle de l’hémisphère droit dans la Dl. Pr. apparaît
séduisante dans la mesure où elle permet d’éviter les difficultés qu’il y a
à interpréter les symptômes à partir d’un schéma pouvant également
expliquer les mécanismes de la lecture normale. Cette théorie fait appel,
non pas à de tels systèmes fonctionnels normaux, mais à des mécanismes
non utilisés dans la lecture normale. Mais si on ne peut pas dire que cette
théorie est définitivement et totalement rejetée, tous les arguments
produits en sa faveur apparaissent fragiles et contestables.
Les arguments favorables ont été repris récemment (SCHWEIGER et
al., 1989).
4. Troubles associés
Une aphasie de Broca a été souvent retrouvée dans les cas de Dl. Pr.
L’analogie entre les troubles de l’expression de ce type d’aphasie et les
symptômes de la Dl. Pr. a été soulignée, notamment l’effet de classe des
mots (FRIEDMAN, 1982). Des analogies ont également été relevées entre
la Dl. Pr. et la 3e alexie de BENSON (1977) observée dans les lésions de
l’aire de Broca. Mais il est bien établi que l’association de l’aphasie de
Broca et de la Dl. Pr. est inconstante et que des dissociations existent dans
les deux sens (GOLDBERG, 1982).
Par contre, l’association de la Dl. Pr. à des troubles de l’écriture serait
constante (RAPCSAK et al., 1987). Il n’y aurait jamais de troubles
analogues dans la répétition (LECOURS & TAINTURIER, 1989).
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l’aire de Wernicke.
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Contributions psycholinguistiques
Quelle est la nature de la différence qui existe entre Dl. Pr. et Al. Ph. ?
On peut éliminer l’hypothèse selon laquelle il s’agirait d’une différence
d’intensité dans l’altération des processus phonologiques. Il est tout à fait
certain que l’incapacité à lire les non mots ou à pratiquer des épreuves de
rimes peut être aussi importante dans les Al. Ph. “pures” que dans les Dl.
Pr. (PATTERSON, 1982). La différence n’est donc certainement pas
d’ordre quantitatif mais qualitatif. Il est ainsi bien démontré que dans la
Dl. Pr., il existe d’autres atteintes que celles du système phonologique.
Nous avons vu quelles difficultés il y avait à situer ces atteintes sur la voie
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lexico-sémantique. Une solution serait de retenir un modèle de la lecture
à 3 voies par dissociation de la voie lexico-sémantique en deux branches :
une voie lexicale non sémantique unissant directement un lexique ortho-
graphique d’entrée et un lexique phonologique de sortie et une voie
sémantique où le lien entre les deux lexiques passe par un système
sémantique ou cognitif (fig. 2). Dans ce modèle l’Al. Ph. correspondrait
à l’atteinte isolée de la voie phonologique et la Dl. Pr. à l’atteinte associée
de la voie lexicale non sémantique ne laissant subsister que la seule voie
sémantique. Les petites imperfections de la lecture des mots dans l’Al. Ph.
portant sur les mots grammaticaux et/ou les affixes impliqueraient que la
voie lexicale non sémantique nécessite elle-même quelques apports
phonologiques.
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phonologique. On pourrait alors par analogie avec la distinction entre Dl.
Pr. et Al. Ph. parler de Dl. S. et d’alexie lexicale (Al. L.).
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doute valable dans certains cas, mais non chez des patients dont la lecture
est rapide et fluide (BUB, 1989).
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al., 1991). Enfin d’autres conceptions du fonctionnement de la voie
phonologique sont susceptibles de rendre compte des faits observés.
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fréquentes que le mot est plus long et seraient représentées sélectivement
par l’omission ou la répétition d’un fragment.
SHALLICE & MAC CARTHY (1985) défendent “la position des
niveaux multiples”. Selon eux, l’analyse de l’écrit peut se faire à des
niveaux divers : graphèmes, unités sous syllabiques, syllabes, morphè-
mes. Plus le segment traité est long, plus le mécanisme est rapide mais
aussi plus il est sensible à la détérioration pathologique. Cette théorie, par
certains côtés proche de la précédente, explique également que les mots
peu ou très irréguliers soient traités différemment. Elle rend compte en
outre d’une tendance à la lexicalisation souvent observée dans les Dl. S :
les erreurs comprennent plus de vrais mots que ce que la règle de
régularisation ferait prévoir. Ceci peut s’expliquer par la conversion
directe de certains morphèmes. Enfin une altération progressive du
système phonologique ainsi conçue pourrait rendre compte de l’altéra-
tion progressive de la lecture qu’on observe chez certains déments sans
qu’il soit nécessaire de faire appel à une troisième voie lexicale non
sémantique : au début, malgré la perte du système sémantique, la voie
phonologique à elle seule assure toutes les conversions graphème-
phonème possibles. Petit à petit, elle ne peut plus traiter que des
fragments de plus en plus courts, procédé qui ne réussit qu’avec les mots
réguliers.
Dans la théorie de l’“analogie lexicale” de MARCEL (1980), les
segments résultant du découpage des chaînes de lettres sont comparés
à tous les mots qui contiennent ces segments en position équivalente. La
comparaison se fait essentiellement au niveau de fragments morphémiques
mais si besoin des fragments plus petits peuvent être utilisés. Dans l’alexie
lexicale certaines spécifications orthographiques sont perdues. Le choix
de mots offert au processus analogique est réduit. La conversion va
s’opérer sur des segments plus petits et moins spécifiques. Cette théorie
rejoint finalement assez celle des niveaux multiples. On lui objecte
souvent la quantité considérable des segments phonologiques qui de-
vraient être stockés.
BEAUVOIS & DEROUESNÉ (1979) décrivent dans le processus de
lecture phonologique deux stades, graphique et phonologique, distincts
de la conversion graphème-phonème. Le stade graphémique contient le
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lettres mais par contre une bonne conversion graphème-phonème quand
des graphèmes isolés sont fournis. Mais il a surtout une perturbation du
stade phonémique qui se traduit par une meilleure lecture de pseudo-
homophones de mots que d’autres non-mots. Les auteurs expliquent ce
point particulier en admettant qu’à partir d’un résultat correct de la
conversion graphème-phonème, un traitement purement phonologique
est impossible. D’où l’échec quand celui-ci est seul en cause comme c’est
le cas des non-mots non homophones. Pour les non-mots homophones
de vrais mots, la forme phonologique pourrait être activée par un
processus court-circuitant ce stade phonologique défaillant.
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graphe est troublée avec prédominance d’erreurs phonologiquement
correctes. Il semble donc que ce malade présente les mêmes troubles
dans les deux langues, les différences tenant seulement aux possibilités
d’expression des troubles offertes par chaque langue. Les auteurs ont
observé un cas d’alexie de développement à type d’alexie lexicale où le
trouble est retrouvé en anglais et en français. Cela leur paraît suggérer que
la voie lexicale de la lecture est la même pour les différentes langues chez
le polyglotte. Il est sans doute prématuré de dire à partir du cas acquis que
les bases anatomiques de la voie sont également les mêmes.
Les troubles de la lecture des japonais ont été beaucoup plus étudiés
que ceux concernant les langues alphabétiques régulières.
Rappelons que les japonais utilisent deux types d’écriture. Le kanji
emploie les caractères chinois qui sont des idéogrammes à valeur
purement sémantique sans correspondance phonologique. Dans l’écri-
ture habituelle, les racines des mots sont écrites en kanji. Les mots
grammaticaux et les flexions sont écrits en kana, caractères à correspon-
dance phonologique syllabique. Tout mot japonais peut éventuellement
être écrit en kana.
Il est connu depuis longtemps qu’on observe souvent des dissocia-
tions entre lecture du kanji et du kana chez les aphasiques japonais. Elles
peuvent se faire dans les deux sens mais la conservation du kanji est
nettement plus fréquente. Dès 1971, SASANUMA & FUJIMURA es-
sayaient de préciser les corrélations de cette dissociation. Ils observaient
un lien entre l’altération sélective du kana et l’existence de troubles
arthriques. On retrouve la corrélation relative entre aphasie de Broca et
Dl. Pr. chez les aphasiques européens. Les cas où le kanji est plus atteint
correspondent à l’aphasie transcorticale sensorielle avec sa perturbation
sémantique.
SASANUMA a repris ultérieurement la question (1980) en étudiant
deux malades. Y.H. a une nette supériorité de la lecture du kanji avec un
net effet de classe de mots. Sa compréhension en kanji est meilleure que
sa lecture orale. Il ne peut lire des non-mots en kana ni effectuer des
épreuves de rimes avec ces caractères. Pour SASANUMA il s’agit d’un
tableau très analogue à celui des Dl. Pr. européens avec des atteintes
complexes du même ordre. Chez K.K. la lecture du kana est très
167
Langage et aphasie
supérieure mais beaucoup de mots kanji non lus sont compris. La lecture
à haute voix repose sur une stratégie non lexicale efficace pour le kana et
non pour le kanji cependant que celui-ci a accès au système sémantique.
Cette observation rappelle tout à fait certains Dl. S. européens (cas de
GOLDBLUM, 1985).
SASANUMA conclut de ces diverses analogies entre cas japonais et
européens que les processus mis en cause sont les mêmes. Plus encore
que dans les écritures syllabiques, l’existence de deux types d’écriture
incite à utiliser des stratégies différentes et rend plus évidentes les
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dissociations. En effet le caractère kanji peut être considéré comme la
forme extrême du mot irrégulier puisqu’il a non plus des rapports difficiles
avec la phonologie, mais une absence de rapports. Quant au kana, il est
au contraire d’une régularité parfaite. Sur le plan clinique, il est certain
qu’une incapacité à lire le kana sera plus évidente qu’une difficulté plus
ou moins sélective avec les non-mots et une incapacité avec le kanji plus
frappante qu’une simple tendance à la régularisation.
En 1985, SASANUMA rapporte une nouvelle observation très analo-
gue à celle de K.K. : supériorité de la lecture du kana, le kanji étant mieux
compris qu’il n’est lu. A cette occasion il reprend la comparaison de la
symptomatologie de ce malade avec celle décrite par COLTHEART et al.
(1983) comme caractéristique de la Dl. S. La lecture du kanji est
différente de celle des mots irréguliers chez les malades européens. ll n’y
a pas de régularisation du fait de l’absence de référence phonologique de
ces caractères. Par contre on observe des erreurs sémantiques et un effet
de classe des mots. Ceci sans doute parce que le malade japonais
continue à utiliser une voie lexicale imparfaite plutôt que de recourir
uniquement à la voie phonologique comme les européens.
En ce qui concerne le kana, la compréhension est parfois meilleure
que la lecture orale ce qui tend à prouver que le traitement phonologique
n’est pas exclusif et qu’un accès lexical direct est possible au moins pour
les mots fréquents. Enfin SASANUMA admet l’existence de la troisième
voie, lexicale non sémantique, du fait de l’observation de japonais qui
lisent correctement le kanji sans le comprendre.
Il subsiste de nombreux domaines linguistiques non étudiés, notam-
ment celui du chinois avec son écriture purement idéographique. Dans
cette écriture il ne devrait pas exister de voie phonologique non lexicale
donc pas de possibilité d’alexie phonologique par atteinte de cette voie ni
de Dl. S. par préservation isolée de celle-ci. L’altération de l’unique voie
lexico-sémantique devrait conduire à un tableau de Dl. Pr. avec notam-
ment des paralexies sémantiques.
168
Contributions psycholinguistiques
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Langage et aphasie
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Contributions psycholinguistiques
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Les agraphies
Jany LAMBERT
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Langage et aphasie
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gauche, agraphie motrice par atteinte de l’aire de Broca… agraphie
afférente (LURIA, 1978). La majorité garde toutefois la volonté de
différencier les composantes praxiques ou motrices des composantes
linguistiques ou aphasiques.
L’observation en pathologie de cas de supériorité de l’expression
écrite sur l’expression orale sans que cette dissociation puisse être
expliquée par des difficultés arthriques est venue ébranler la thèse de
l’assujettissement de l’expression écrite à l’expression orale (BASSO et
al., 1978; HIER & MOHR, 1977; LHERMITTE & DEROUESNÉ, 1974;
MICHEL, 1979). De même, la possibilité d’écrire des mots irréguliers ne
respectant pas les principes de transposition phonème-graphème cons-
tituait une des pierres d’achoppement de cette conception.
Le français est en effet un système d’écriture alphabétique mixte qui
se situe à mi-chemin entre le chinois (système morpho-syllabique) et les
systèmes phonologiques purs comme sont le latin ou le serbo-croate.
Selon la terminologie de FRANCIS (1989; cité par JAFFRÉ, 1992), le
français est comme l’anglais ou le coréen un système morpho-
phonologique qui utilise des règles de correspondance phonème-gra-
phème mais comprend également des mots irréguliers, ce qui explique la
complexité de l’orthographe.
Il faudra attendre l’approche neuro-cognitive dans les années 1970-
1980 pour que l’agraphie soit considérée comme entité autonome. On
cherchera alors à décomposer l’activité graphique en sous-composantes
qui lui sont propres. Plus encore, l’atteinte linguistique de l’agraphie ne
sera plus perçue comme une seule entité mais sera scindée en différents
syndromes.
Cette approche des agraphies a été postérieure à celle des troubles de
la lecture et a largement calqué la terminologie utilisée pour les alexies.
Nous développerons dans ce chapitre les conceptions de l’agraphie
du point de vue de la neuropsychologie cognitive en prenant pour support
une adaptation de diagrammes proposés par GOODMAN & CARAMAZZA
(1986 a, b) CARAMAZZA & MICELI (1989) (fig. 1), qui nous semblent
faire état des hypothèses actuellement admises. Nous essaierons de
rendre compte de l’architecture fonctionnelle de l’écriture en décrivant les
processus et voies qui ont été individualisés ainsi que les syndromes
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Contributions psycholinguistiques
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tés de sortie.
A. Processus centraux
A la différence de la conception “classique”, les modèles cognitifs de
l’agraphie (ELLIS, 1982; MORTON, 1980) postulent que l’orthographe
des mots peut procéder de deux types de traitement : un traitement
phonologique et un traitement lexical. Les différentes opérations ou
processus impliqués dans chaque traitement ainsi que leurs connexions
constituent les voies phonologiques et lexicales de l’écriture.
Nous ne détaillerons pas dans cette section toutes les observations
faisant référence à une atteinte des processus centraux et renvoyons le
lecteur à l’ouvrage de P. MORIN et collaborateurs (1990) qui en fait une
large revue.
1. La voie phonologique
La voie phonologique ou non lexicale repose sur une procédure d’assem-
blage d’unités sous lexicales.
L’écriture d’un mot selon ce processus prend appui sur sa représen-
tation phonologique (stockée dans un buffer phonologique) à partir de
laquelle plusieurs opérations sont effectuées : segmentation en syllabes
ou en phonèmes; conversion des phonèmes en graphèmes (ELLIS, 1982;
MORTON, 1980). Les unités graphémiques issues des opérations de
conversion sont stockées dans un buffer graphémique tout le temps
nécessité par les opérations ultérieures aboutissant à la réalisation
graphique.
ELLIS (1984, traduction : 1989) propose une étape supplémentaire
aux étapes de segmentation et de conversion : il s’agit d’une opération
d’assemblage graphémique qui a pour rôle d’assembler des unités
graphémiques avant leur stockage dans le buffer graphémique. En raison
de cette étape et aussi par analogie à la terminologie utilisée pour la
lecture, la voie phonologique est aussi appelée procédure d’assemblage.
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Langage et aphasie
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par des données provenant de l’observation de patients qui n’avaient
recours qu’à ce type de traitement. Il s’agit de cas d’agraphies lexicales
ou orthographiques (BAXTER & WARRINGTON, 1987; BEAUVOIS &
DEROUESNÉ, 1981; GOODMAN & CARAMAZZA, 1986 a; SANDERS &
CARAMAZZA, 1990). Ainsi le patient RG, premier cas d’agraphie lexicale
publié (BEAUVOIS & DEROUESNÉ, 1981), parvenait à écrire correcte-
ment les non mots (99 %), alors que ses performances pour l’écriture des
mots étaient liées à l’ambiguïté orthographique. Il obtenait un score de
93 % pour les mots réguliers, pour lesquels les règles de corrrespondance
ph/gr ne sont pas ambiguës (ex : moto, chou), 67 % pour les mots
comportant un phonème ambigu et ayant un degré d’ambiguïté orthogra-
phique (DAO) égal à 1 (ex : radeau, photo), 36 % pour les mots compor-
tant plusieurs phonèmes ambigus et ayant un DAO égal à 2 ou 3 (ex :
village) et 38 % pour les mots irréguliers répondant à des règles excep-
tionnelles de conversion ph/gr (femme, oignon). Les erreurs consistaient
en non mots respectant la phonologie du mot cible (ex : herbe → erbe,
photo → fauto, oignon → ognon). Des performances similaires étaient
observées en épellation orale. Un tel tableau a été interprété comme la
conséquence de la préservation du processus phonologique de conver-
sion ph/gr face à une perturbation sévère du processus lexical ne pouvant
plus permettre l’accès aux représentations orthographiques des mots.
Dans ce travail, l’ambiguïté des mots est évaluée suivant la fréquence des
correspondances ph/gr établie par CATACH (1974, 1980). En français le
phonème /o/ peut se transcrire ou bien par le graphème “o”, ou bien par
les graphèmes “au”, ou “eau”. Suivant les tables de CATACH, la trans-
cription par “o” est la plus fréquente et est considérée comme non
ambiguë. L’évaluation de l’ambiguïté orthographique tient compte éga-
lement des règles contextuelles de transcription. Par exemple les trans-
criptions du phonème /g/ par “g” ou “gu” sont considérées comme non
ambiguës car elles sont déterminées par la voyelle qui suit. /g/ est
toujours transcrit “g” devant a, o, u, et “gu” devant i et e. Le degré
d’ambiguïté d’un mot est fonction du nombre de phonèmes ambigus qu’il
comporte. Par exemple, le mot “moto” a un DAO égal à 0, le mot rateau
a un DAO égal à 1, le mot village a un DAO égal à 2. Une des lacunes de
cette approche de l’ambiguïté orthographique est sans doute qu’elle ne
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/k/ est transcrit par le graphème “c” devant les lettres “i” ou “e”.
La méthodologie utilisée par GOODMAN & CARAMAZZA (1986 a)
pour évaluer le rôle de l’ambiguïté orthographique dans l’écriture par
conversion ph/gr est quelque peu différente. Ces auteurs ne font pas une
distinction entre mots ambigus / mots non ambigus mais ont recours à un
“continuum” dans l’appréciation de l’ambiguïté orthographique où cha-
que phonème est défini suivant une échelle de fréquence relative des
correspondances graphémiques. En analysant les erreurs de leur patient,
JG, ils ont montré que la sélection des correspondances ph/gr suivait une
probabilité qui était égale à la fréquence relative d’occurrence de ces
correspondances dans la langue écrite. Ils ont également suggéré que
cette sélection tenait compte du choix de ces correspondances en
fonction de la position de la syllabe dans le mot. Par ailleurs, ils rejoignent
les données de BEAUVOIS & DEROUESNÉ (1981) en montrant que le
système de correspondance ph/gr respecte les contraintes contextuelles.
Selon BAXTER & WARRINGTON (1987), ZESIGER & DE PARTZ (1991),
la prise en compte de telles contraintes semble indiquer que les unités
phonologiques sur lesquelles s’effectuent les opérations de correspon-
dance ph/gr sont au moins de la taille de la syllabe.
1 Le travail de VERONIS (1986) portant sur 3724 mots du lexique fournit une banque de
données intéressante sur la fréquence des graphonèmes (transcription d’un phonème
par un graphème) indépendamment de la position dans le mot. Par exemple, la
fréquence relative du graphonème “au” est de 40 %, “o” : 25,85 % et “eau” : 23,90 %.
Les tables de Content & Radeau (1988) donnent, elles, les fréquences positionnelles
des lettres ainsi que des digrammes et trigrammes (association de deux et trois lettres
adjacentes, ne correspondant pas forcément à un graphème, ex : ab, ai, aid, ain…) en
position initiale, finale et interne pour des mots de 3 à 15 lettres sur la base d’un lexique
de 30.000 mots français. Il ne s’agit pas ici d’une étude sur la correspondance ph/gr,
toutefois leur consultation confrontée à celle de Veronis permet de moduler quelques
informations. Par exemple la fréquence lexicale du digramme “au” est de 484 en initiale
et de 601 en finale. Celle du trigramme “eau” est de 10 en initiale et de 544 en finale.
Ainsi les graphonèmes “au” et “eau” ont une fréquence à peu près équivalente en
position finale, alors que la fréquence de “au” est nettement supérieure en position
initiale. Ces données montrent donc que la prise en compte de la position des
graphonèmes dans le mot pourrait avoir un retentissement non négligeable dans
l’évaluation de l’ambiguïté orthographique.
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Langage et aphasie
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fréquence relative de l’utilisation des options graphémiques dans le
langage écrit. De plus ce procédé de sélection serait sensible à la place
du phonème dans les syllabes, ce qui indique que le procesus de
conversion ph/gr a accès à des informations sur la structure syllabique.
Ces prédictions sont partiellement en désaccord avec les données de
BAXTER & WARRINGTON (1987) qui n’avaient pas observé de corréla-
tion entre les productions de leur patient KT et la fréquence relative des
correspondances ph/gr dans la langue sauf pour les phonèmes classés
dans la catégorie “faible ambiguïté” (en raison du faible taux d’alternative
graphémique). La différence de résultats entre les observations de JG et
KT est envisagée comme le fruit d’une différence de méthodologie
concernant l’appréciation de l’ambiguïté graphémique (GOODMAN-
SCHULMAN, 1988; SANDERS & CARAMAZZA, 1990) : GOODMAN &
CARAMAZZA (1986 a) se sont apppuyés sur la fréquence relative
d’utilisation des choix de correspondance ph/gr parmi l’ensemble des
phonèmes, alors que BAXTER & WARRINGTON l’ont étudiée en fonction
du niveau d’ambiguïté ph/gr pour un phonème donné. Utilisant ces deux
approches dans l’analyse des performances d’un patient, MS, SANDERS
& CARAMAZZA (1990) reproduisent les résultats enregistrés par GOOD-
MAN & CARAMAZZA, ce qui conforte les prédictions énoncées ci-dessus
sur le choix des correspondances ph/gr. En d’autres termes, ils observent
une corrélation entre la fréquence relative du choix des options de
correspondances ph/gr effectuées par le patient et la fréquence relative
d’utilisation de ces mêmes options dans le langage écrit.
2. La voie lexicale
La voie lexicale, initialement conçue de façon unitaire comme voie lexico-
sémantique, a été envisagée sous l’angle d’un fonctionnement double
avec comme alternative une voie lexicale directe, non sémantique.
2.1 La voie lexico - sémantique
La voie lexico-sémantique repose sur une procédure par adressage
signifiant un accès à la représentation orthographique d’une unité lexicale
dans sa globalité.
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représentation orthographique stockée dans un lexique orthographique
(HATFIELD & PATTERSON, 1984). L’observation de dissociations chez
un même patient (BEAUVOIS & DEROUESNÉ, 1981) entre une préser-
vation de l’accès aux représentations orthographiques en lecture à haute
voix mais une perturbation de celles-ci en écriture a conduit à distinguer
un lexique orthographique d’entrée d’un lexique orthographique de
sortie. Le premier est impliqué dans la lecture à haute voix et le second
est impliqué dans des tâches de production écrite.
L’écriture d’un mot selon cette voie prend apppui sur sa représenta-
tion sémantique qui va elle-même activer une entrée dans le lexique
orthographique de sortie. L’information contenue dans le lexique ortho-
graphique concerne la globalité du mot. La représentation ortho-graphi-
que du mot cible est alors stockée dans le buffer graphémique qui est
chargé de la maintenir durant les opérations devant aboutir à la réalisation
concrète du mot.
Le cheminement qui vient d’être décrit vaut pour un mot qui serait
écrit spontanément, ou lors d’une tâche de dénomination écrite par
exemple. Dans le cas de l’écriture d’un mot dicté, le mot entendu active
une première représentation phonologique dans le lexique phonologique
d’entrée avant d’accéder à la signification dans le lexique sémantique.
Ce processus de traitement lexico-sémantique est donc appliquable
à l’écriture des mots et plus spécifiquement aux mots connus ayant déjà
une représentation orthographique dans le lexique. En revanche, il ne
serait pas utilisé pour les mots nouveaux ou les non mots.
La pathologie produit des tableaux sémiologiques particuliers, les
agraphies phonologiques, qui montrent une perturbation du processus
phonologique et dans laquelle les capacités d’écriture procèdent de cette
seule voie lexico-sémantique. Le premier cas publié (PR, SHALLICE,
1981) frappait par l’impossibilité à écrire des syllabes sans signification,
c’est-à-dire des non-mots (18 %) alors que l’écriture des mots était
relativement préservée (94 %). Les performances n’étaient pas liées à la
régularité orthographique. Le patient avait toutefois plus de difficulté à
écrire les mots fonctionnels (10/20). L’étude des capacités phonologiques
révélait un déficit des opérations de conversion des phonèmes en leurs
correspondants graphémiques. Ainsi il parvenait à écrire sous dictée des
179
Langage et aphasie
lettres isolées lorsqu’on lui donnait le nom des lettres, mais non lorsqu’on
lui dictait le son des lettres.
Un certain nombre d’hypothèses ont été émises sur la structure du
lexique othographique de sortie. La première est la sensibilité à la
fréquence d’occurence des mots dans la langue qui se traduit par des
seuils d’activation abaissés pour des mots fréquents (GOODMAN &
CARAMAZZA 1986 a; MORTON, 1979)
BAXTER & WARRINGTON (1985) ont également suggéré que le
lexique orthographique de sortie était organisé de manière catégorielle
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suivant la classe des mots (noms, verbes, adjectifs, mots fonctionnels).
La représentation orthographique est à ce niveau conçue comme une
représentation de nature abstraite (CARAMAZZA & HILLIS, 1990; ELLIS,
1988; GOODMAN & CARAMAZZA, 1986 b) que l’on peut assimiler à un
“savoir” orthographique.
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d’erreurs phonologiquement plausibles indiquait qu’un grand nombre de
productions étaient issues des représentations dans le lexique orthogra-
phique de sortie. A l’opposé GE différait des patients dysgraphiques
profonds, dont l’écriture repose uniquement sur la voie lexicale séman-
tique, en ce sens qu’on ne notait aucun effet de classe des mots, ni
d’erreurs sémantiques. PATTERSON émet l’hypothèse d’une
dysconnexion entre le système sémantique et le lexique orthographique
de sortie et postule que ce patient accède aux représentations orthogra-
phiques à partir des informations du lexique auditif d’entrée via le lexique
phonologique de sortie. L’occurrence de confusions d’homo-phones chez
ce patient est également avancée dans l’argumentation.
Cette stratégie d’écriture se trouve toujours invoquée dans les cas
d’agraphies lexicales qui commettent des confusions d’homophones
alors que le mot a été placé dans un contexte permettant une désambi-
guïsation de sens, ex : dictée du mot vin “je débouche une bouteille de
vin” (BEHRMAN, 1987; GOODMAN & CARAMAZZA, 1986 a; HATFIELD
& PATTERSON, 1983; RAPCSAK et al., 1988; RAPCSAK & RUBENS,
1990; ROELTGEN et al.,1986; ROTHI et al., 1987).
GOODMAN & CARAMAZZA (1986 a) ont relevé chez leur patient JG
un effet de fréquence lié à l’activation des homophones qui vient renforcer
cette hypothèse. JG souffrait d’un déficit d’accès aux représentations
orthographiques des mots (dans le lexique orthographique de sortie) qui
touchait plus sévèrement les mots de basse fréquence. Confronté à un
homophone de basse fréquence, ayant pour éventuelle alternative un
homophone également de basse fréquence, JG donnait rarement cette
alternative, mais plutôt des productions phonologiquement plausibles, ne
correspondant à aucun mot (exemple correspondant en français : ceint/
sein – sin). Face à une alternative comportant un homophone de basse
fréquence et un homophone de haute fréquence, des résultats opposés
étaient observés avec une prédominance de substitution d’homophones
et peu d’erreurs phonologiquement plausibles ne correspondant à aucun
mot. Les substitutions allaient toujours dans le sens de la production de
l’homophone plus fréquent (ex : taon/temps – temps).
PATTERSON (1986) a évoqué plusieurs éventualités de voies lexicales
non sémantiques. L’une relie directement le lexique phonologique d’en-
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3. Autres conceptions –
modèle par analogie et modèle interactif
Il parait vraisemblable que chez l’adulte normal la procédure lexicale soit
de loin la plus utilisée. La procédure phonologique serait à notre disposi-
tion pour des mots moins familiers, et les non mots, ce qui reste une
situation tout à fait exceptionnelle. Cette modélisation suivant deux voies,
phonologique et lexicale, sert de référence à la plupart des recherches
actuelles en neuropsychologie cognitive. Toutefois nous voudrions ren-
dre compte d’une conception alternative qui remet en cause l’existence
d’une procédure phonologique telle qu’elle est présentée dans les modè-
les à 2 voies. Il s’agit d’un modèle par analogie dont la thèse déjà
développée pour la lecture vient contester l’existence de deux voies
fonctionnellement distinctes. Selon cette conception soutenue par CAM-
PBELL (1983), l’évocation de l’orthographe des mots non familiers et
même de non mots ne résulte pas d’une procédure d’assemblage
(segmentation, en unités phonémiques, conversion en unités
graphémiques et assemblage) mais procède par analogie avec des mots
familiers. CAMPBELL (1983) avait ainsi montré dans une tâche de dictée
de non mots et de mots, que l’écriture des non mots pouvait être
influencée par le mot précédent. Ainsi lorsque le non mot /prein/ était
précédé du mot “brain”, les sujets transcrivaient “prain”, et s’il était
précédé de “crane” c’est la forme “prane” qui était utilisée. Cet effet de
priming lexical leur semblait démontrer que l’orthographe des non-mots
n’était pas produite par des opérations de segmentation et de conversion
portant sur des unités phonémiques mais qu’elle faisait appel à une
procédure s’appuyant sur des parties de mots.
Une des critiques adressée par BARRY & SEYMOUR (1988) au travail
de CAMPBELL (1983) concerne la fréquence des correspondances ph/
gr dans la liste de mots utilisée pour le priming lexical. Ces mots ne
comportaient que des options fréquentes. Ils ont donc tenté de rechercher
si un même effet pourrait être observé lorsqu’on propose des mots
amorces comportant des options moins fréquentes, ou contingences
basses selon leur propre terminologie. Leurs résultats obtenus auprès
d’une population de sujets normaux ont montré d’une part un net effet de
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des non mots reposerait sur une procédure de correspondance son/
orthographe, fonctionnant de façon analogue à la voie phonologique des
modèles à 2 voies, mais serait également ouverte à une influence lexicale.
Un mot entendu (mot amorce) activerait son orthographe qui est alors
segmentée suivant sa structure phonémique (- C V C.- consonne, voyelle,
consonne) puis serait temporairement stockée. Quand un non mot,
partageant la même voyelle est ensuite présenté, l’orthographe du mot
amorce serait à nouveau activée et exercerait alors une influence sur
l’écriture de ce non mot. Le modèle interactif s’oppose donc au modèle
à 2 voies (phonologique/lexical) sur le principe de l’indépendance
fonctionnelle de ces 2 voies. La pathologie a pourtant révélé que l’une ou
l’autre pouvait être atteinte de façon sélective. On ne peut que regretter
que l’expérimentation de BARRY & SEYMOUR n’ait pas été proposée à
des sujets agraphiques.
4. Syndromes cognitifs
4.1. Syndrome de l’agraphie phonologique
En pathologie, une perturbation de la voie phonologique est assimilée au
syndrome d’agraphie phonologique (BAXTER & WARRINGTON, 1985;
BUB & KERTESZ, 1982 a; NOLAN & CARAMAZZA, 1983; ROELTGEN
et al., 1983; ROELTGEN & HEILMAN, 1984; SHALLICE, 1981).
Dans les cas les plus purs (SHALLICE,1981), le trouble est caractérisé
principalement par une incapacité à écrire les non-mots alors que les
performances pour les mots sont relativement préservées. Aucun effet de
régularité orthographique ne transparait. L’association d’un effet de
classe des mots avec notamment une difficulté à écrire les mots gramma-
ticaux par rapport aux noms, est constante. Les productions erronnées
respectent la classe des mots (un mot grammatical est remplacé par un
mot grammatical, de même pour les adjectifs ou les verbes). On observe
un agrammatisme lors de productions de phrases. Un effet de concrétude
est souvent observé, les mots abstraits étant moins bien réussis. Un effet
d’imageabilité est également suggéré (BOLLA-WILSON et al., 1985;
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phie ou dysgraphie profonde (BUB & KERTESZ, 1982 a; HATFIELD 1985;
NEWCOMBE & MARSHALL, 1984; NOLAN & CARAMAZZA, 1983;
ROELTGEN, 1985). Une telle sémiologie serait due à la perturbation
conjointe du système sémantique ou à ses connexions avec les structures
impliquées dans l’écriture (ELLIS, 1989). De la même façon, l’occurrence
d’erreurs de lettres concernant 1 ou 2 lettres du mot cible, et montrant un
accès partiel aux représentations orthographiques témoignerait également
d’un déficit associé de la voie lexicale (BAXTER & WARRINGTON, 1985).
Il existe une relative hétérogénéité dans les tableaux d’agraphie
phonologique qui trouve une explication de par la pluralité des sous-
systèmes impliqués dans le traitement phonologique. Ainsi certains
patients semblent avoir une perturbation isolée du processus de segmen-
tation des mots en phonèmes ou syllabes (BAXTER & WARRINGTON,
1985; BOLLA-WILSON et al., 1985; ROELTGEN et al., 1983, cas 3 et 4)
car ils peuvent transcrire des phonèmes isolés. A l’opposé, des patients
comme le cas 1 de ROELTGEN et al. (1983) ne gardent pas cette
capacité. L’impossibilité à effectuer des épreuves de rimes à partir de
mots entendus (BUB & KERTESZ, 1982 b; HIER & MOHR, 1977)
évoquerait également un trouble de segmentation. CARAMAZZA et al.
(1986) ont souligné l’importance jouée par le buffer phonologique lors de
l’écriture des non-mots et des mots non familiers. Lors d’une perturbation
à ce niveau, le désordre phonologique est observé non seulement en
écriture sous dictée, mais aussi en répétition et en lecture à haute voix.
Selon MORIN et al (1990), les lésions responsables d’une telle
sémiologie impliqueraient toujours une lésion du gyrus supramarginalis
ou de l’insula sous-jacente de l’hémisphère gauche. La taille des lésions
parait corrélée à la pureté du syndrome. Les dysgraphies profondes sont
secondaires à des lésions étendues d’origine ischémique.
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mieux à orthographier les mots de haute fréquence. Il s’agit du seul critère
lexical ayant un retentissement sur les performances. Aucun effet de
classe des mots, de concrétude ou d’imageabilité n’est rapporté.
Les erreurs caractéristiques de ce syndrome sont appelées erreurs
phonologiquement plausibles ou correctes car elles respectent parfaite-
ment la phonologie du mot cible (ex : femme-fame, équerre-équeire). Le
terme d’erreurs de régularisation concernant l’écriture des mots irrégu-
liers a également été employé. BARRY (1988), de même que BEAUVOIS
& DEROUESNÉ (1981) soulignent la variabilité de ce type d’erreurs. Les
productions orthographiques d’un mot cible peuvent être différentes d’un
moment à un autre (ex : habile – habil, abille).
Les cas rapportés par BEAUVOIS & DEROUESNÉ (1981), ROELTGEN
& HEILMAN (1984, cas 1,2,3,4), GOODMAN & CARAMAZZA (1986 a),
BAXTER & WARRINGTON (1987), SANDERS & CARAMAZZA (1990)
ont des sémiologies assez pures. Le syndrome est par ailleurs bien illustré
par les agraphies de patients atteints de démence de type Alzheimer
(EUSTACHE et al., 1993; RAPCSAK et al., 1989).
Il n’est cependant pas exceptionnel de relever dans des agraphies
lexicales des erreurs de lettres ou erreurs non phonologiquement plausi-
bles (ex : sward pour sword, purough pour borough, yhagt pour yacht)
qui indiqueraient selon ELLIS (1989) un accès partiel aux représentations
orthographiques.
On peut trouver chez certains patients ayant un tableau d’agraphie
lexicale (BEHRMAN, 1987; GOODMAN & CARAMAZZA, 1986 a;
HATFIELD & PATTERSON, 1983; RAPCSAK et al., 1988; ROTHI et al.,
1987), un comportement particulier lors de l’écriture de mots ayant des
homophones. Lors de la dictée d’homophones dont l’ambiguïté est levée
par le contexte, les patients produisent un homophone du mot cible (some
– sum). Ce type d’erreurs suggère qu’ils gardent un recours possible à un
traitement lexical non sémantique par activation directe du lexique
phonologique au lexique orthographique de sortie.
La présence d’erreurs phonologiquement incorrectes peut également
être la manifestation d’un déficit associé, comme c’est le cas de l’obser-
vation de GOODMAN & CARAMAZZA (1986 b). Leur patient MW
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de longueur, et certaines erreurs non phonologiquement plausibles de
leur patient.
Selon MORIN et al. (1990), les lésions impliquées dans les agraphies
lexicales concernent la partie postéro-supérieure du gyrus angularis. Leur
nature est plus diversifiée que pour le syndrome d’agraphie phonologique.
Elles sont présentes dans les atteintes secondaires à une démence de type
Alzheimer.
B. Processus périphériques
Les processus périphériques concernent des opérations qui peuvent être
différentes suivant la modalité de sortie envisagée : écriture manuscrite,
épellation orale, écriture dactylographiée ou avec lettres mobiles. Bien
que le buffer graphémique soit envisagé comme une structure commune
à ces diverses modalités, il est néanmoins situé dans les étapes périphé-
riques. GOODMAN & CARAMAZZA (1986 b) utilisent également le terme
de processus post-graphémiques.
1. Le buffer graphémique
Le buffer graphémique est une structure relais entre les processus
centraux, voie phonologique et voie lexicale, et les processus périphéri-
ques.
La fonction principale qui lui est assignée est une fonction de stockage
temporaire des représentations graphémiques qui sert de point d’ancrage
aux étapes ultérieures de traitement. En d’autres termes, le rôle du buffer
graphémique est de maintenir la représentation graphémique d’un mot,
qu’elle soit issue d’un assemblage phonologique ou d’un adressage
lexical, jusqu’à sa concrétisation dans l’une des modalités d’output,
écriture manuscrite, épellation orale, écriture avec les lettres mobiles, ou
dactylographiée (ELLIS, 1988).
186
Contributions psycholinguistiques
WING & BADDELEY (1980) ont émis l’hypothèse que les “slips of the
pen” (glissements de plume) des sujets normaux étaient un mode
d’expression des altérations transitoires du buffer graphémique. Ils ont
proposé une analyse originale de la distribution des erreurs en fonction de
leur position dans le mot qui a montré une prédominance des erreurs dans
le milieu du mot. Ils ont inferré que les unités stockées dans le buffer
graphémique étaient organisées suivant un ordre linéaire correspondant
à l’ordre des lettres du mot écrit et ont suggéré que toutes les unités
n’étaient pas accessibles de façon homogène. Les lettres de début et de
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fin de mot étaient moins sensibles à une dégradation que les lettres du
milieu, sensibles, elles, à un effet d’interférence entre lettres adjacentes.
Une notion importante concerne la nature des unités stockées dans ce
buffer graphémique. Elles sont conçues comme des unités ou représen-
tations graphémiques de nature abstraite (ELLIS, 1982; MARGOLIN,
1984). Ce postulat est supporté par le fait qu’elles peuvent donner lieu à
des réalisations concrètes différentes : lettre, nom de lettre.
Un certain nombre de prédictions pouvaient donc être faites sur les
conséquences d’une perturbation d’un tel processus (CARAMAZZA et al.,
1987). En raison de sa position centrale au sein des mécanismes
d’écriture, on s’attend à ce que les mots et non mots soient affectés de
manière équivalente, ce, quelque soit le mode d’expression (écriture
manuscrite, épellation orale, lettres mobiles). Par ailleurs, étant donné
que les représentations graphémiques sont assimilées non pas à une unité
lexicale globale mais à une séquence d’unités graphémiques abstraites
spatialement codée, une perturbation à ce niveau n’induirait pas d’effet
lexical (classe, fréquence) ni d’effet de régularité, mais résulterait en
erreurs de lettres non phonologiquement plausibles telles des substitu-
tions (giovane – giogane), insertions (violento – violeneto), omissions
(semplice – sempice) et transpositions de lettres (recenti – renceti). Enfin,
la fonction de mémoire à court terme de cette structure laissait présager
des difficultés plus importantes pour les mots longs.
Ces prédictions ont été validées par un certain nombre de publi-
cations qui décrivent une sémiologie compatible avec une perturbation
du buffer graphémique (CARAMAZZA et al., 1987; HILLIS & CARAMAZZA,
1989; MICELI et al., 1985; NOLAN & CARAMAZZA, 1983; POSTERARO
et al., 1988).
Le patient LB (CARAMAZZA et al., 1987) montre un tableau assez
pur. Il commettait le même type d’erreurs en écriture et en épellation orale
indépendamment du mode d’entrée (dénomination écrite, copie différée
et écriture dictée). Aucun effet lexical n’était noté. Ses erreurs consis-
taient en erreurs non phonologiquement plausibles (substitutions : 36,5 %,
omissions : 34,3 %, transpositions : 21,3 %, insertions : 7,9 %). Un effet
de longueur très marqué était noté : les mots longs étaient moins bien
écrits et engendraient un plus grand nombre d’erreurs mixtes (compre-
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ailleurs renforcée par les observations de HILLIS & CARAMAZZA (1989;
patients DH et ML). Ces deux patients montraient des perturbations en
accord avec un trouble du buffer graphémique avec néanmoins une
distribution atypique des erreurs en fonction de leur position dans le mot.
Alors que LB (CARAMAZZA et al., 1987) et SE (POSTERARO et al.,
1988) produisaient un maximum d’erreurs dans les positions centrales,
chez ML, les erreurs prédominaient au début des mots, et chez DH en fin
de mots. Les interprétations sont données en terme de déficit attentionnel :
un déficit attentionnel gauche pour ML qui était également manifeste dans
le matériel non verbal et une négligence droite pour DH. Ces observations
apportent ainsi des arguments en faveur d’un codage spatial des repré-
sentations graphémiques qui peuvent être sensibles à un déficit attentionnel.
Plus récemment, CARAMAZZA & HILLIS (1990) ont encore précisé
la structure de ces représentations graphémiques en suggérant que
l’information est non seulement codée spatialement mais est représentée
sous une forme canonique orientée de façon invariante dans un système
de coordonnées centré sur le mot. Cette hypothèse a été inferrée à partir
d’une très belle observation concernant les troubles de la lecture et de
l’écriture d’une patiente (NG) présentant par ailleurs des éléments de
négligence droite. Cette patiente avait la particularité de commettre des
erreurs lors de la lecture uniquement dans la moitié droite des mots,
quelque soit le mode de présentation, même si l’on effectuait des
transformations topographiques. Les performances étaient identiques si
le stimulus était présenté horizontalement, verticalement ou en miroir ou
si on insérait des espaces entre les lettres. Les productions orthographi-
ques montraient des performances qualitativement identiques à celles de
la lecture, que ce soit en écriture manuscrite ou en épellation orale (à
l’endroit et à l’envers). Les erreurs n’apparaissaient que dans la moitié
droite des mots et des non mots. En outre, on constatait une augmentation
linéaire des erreurs sur les graphèmes les plus distants du centre des mots.
Les productions aboutissaient toujours à des non mots (ex : sneeze→sneed,
remmum→remmev). Ce type de performances identiques en lecture et en
orthographe (au sens large de production orthographique), affectant les
mots et les non mots, indépendamment de la modalité (écrit/épellation
orale) et de l’ordre de production (endroit/envers) a été interprété comme
un déficit au niveau des représentations graphémiques.
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sous la forme de syllabes, de morphèmes, de mots ou même de phrases ?
BADECKER et al (1990) ont centré leur étude sur la nature des représen-
tations concernées lors du transfert des informations du lexique orthogra-
phique de sortie au buffer graphémique. Ils ont poursuivi l’analyse du
patient DH (étudié par HILLIS & CARAMAZZA, 1989, rapportée plus
haut) qui montrait un net effet de longueur des mots et une prédominance
des erreurs à la fin des mots. Ils ont montré que cet effet de longueur était
lié à la composition morphologique des mots2.
Ainsi, pour des items de longueur égale, DH commettait plus d’erreurs
(que ce soit en épellation orale ou écriture) pour les mots mono-
morphémiques ou mots monomorphémiques comportant un pseudo-
suffixe, c’est-à-dire un mot enchâssé (ex : yearn, pierce – ortie, carte) que
pour des mots affixés et mots composés. De plus la distribution était
différente. Alors que pour les mots monomorphémiques, les erreurs
culminaient vers la fin des mots, pour les mots morphologiquement
complexes, les erreurs survenaient non pas à la fin du mot mais à la fin
des morphèmes. Ces résultats indiquent selon les auteurs que les unités
transférées du lexique orthographique au buffer graphémique sont de la
taille de morphèmes. Les mots morphologiquement complexes ont donc
l’avantage sur les mots monomorphémiques de même longueur de
pouvoir être stockés en unités plus petites, donc d’être moins sensibles
aux effets de dégradation des capacités du buffer graphémique. Ces
données concernent les mots à affixes transparents (illégal, injuste) mais
non les mots à affixes opaques (ravitailler, explosion) qui sont eux traités
comme des mots monomorphémiques.
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CARAMAZZA et al (1987), dont la sémiologie stationnaire était toujours
compatible avec une perturbation du buffer graphémique. Précisons que
cette même étude a été rapportée de façon moins détaillée par
CARAMAZZA & MICELI (1989). Le corpus utilisé en expression écrite et
épellation orale comportait plus de 3000 mots de 6 lettres proposés sur
une période de 5 mois. Le critère de longueur était maitrisé car il exerçait
une influence majeure sur les performances de LB. Leurs résultats ont
montré une influence nette de la structure syllabique avec plus d’erreurs
pour les mots à structure syllabique complexe (CCVCVV premio ou
CVCCCV : nastro) que pour les mots à structure syllabique simple : c’est-
à-dire de forme CV régulière (CVCVCV : gelato, tavolo). De plus, on notait
une influence de la structure syllabique sur le type d’erreurs avec une
prédominance d’erreurs simples pour les mots à structure CV simple.
L’analyse des erreurs de substitutions et de transpositions a révélé un
respect de la catégorie : une consonne était toujours produite pour une
consonne, de même pour les voyelles. L’information concernant la
gémination de deux consonnes était en général préservée, indépendam-
ment de l’identité des graphèmes sur laquelle elle portait. (ex : sorella –
sorrela, troppo – trocco). Les erreurs ne semblaient pas contraintes par
des principes phonologiques : elles ne suivaient pas le principe de
sonorité (CLEMENTS, 1988) selon lequel dans une syllabe, l’élément le
plus sonore doit être le plus proche de la voyelle (bl + V est possible et non
lb + V). On notait un nombre non négligeable de séquences de lettres,
violant les contraintes phonotactiques de l’italien (sfondo→fsondo). Enfin
dans le cas des graphèmes complexes correspondant à un seul phonème
(/n/→gn, en français/u/→ou), les unités se comportaient non pas
comme des unités indissolubles mais comme des segments
consonnantiques indépendants. CARAMAZZA & MICELI (1990) ont
conclu que les représentations graphémiques ne consistaient pas uni-
quement en une séquence linéairement agencée de graphèmes mais
qu’elles répondaient à une structure multidimensionelle qui spécifiait :
1) l’identité du graphème appartenant au mot, 2) la catégorie du
graphème consonne /voyelle, 3) la structure graphosyllabique de la
séquence du graphème, et fournissait une information sur l’éventuelle
gémination des consonnes.
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étendue. Son déficit d’écriture ne touchait que les voyelles, quelque soit
le mode d’entrée ou de sortie (écriture manuscrite, épellation orale,
écriture dactylographiée). Les performances n’étaient pas influencées
par des facteurs lexicaux (classe grammaticale, fréquence, concrétude)
ni par la signification (mots/non mots). Seul un effet de longueur était
observé (en relation avec le nombre de lettres et non le nombre de
syllabes) qui venait appuyer l’hypothèse d’un déficit du buffer graphémique.
Les erreurs étaient dans la grande majorité des substitutions (80 %). De
ces données tout à fait originales, CUBELLI infère que l’identité des
voyelles et des consonnes est traitée différemment par le cerveau et peut
être perturbée de façon sélective.
191
Langage et aphasie
3. Le système allographique
Le système de conversion allographique constitue l’étape suivante lors de
la production d’un mot écrit. Il concerne l’écriture manuscrite seulement
et ne contribue pas à l’épellation orale. (ELLIS, 1982; GOODMAN &
CARAMAZZA, 1986 b; MARGOLIN, 1984). Dans le modèle de MARGOLIN
(1984), ce système est appelé système de spécification des codes
physiques des lettres – “physical letter code” – La terminologie la plus
usuelle est en fait celle d’ELLIS : système allographique.
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Selon le modèle proposé par ELLIS (1982), le passage d’une repré-
sentation graphémique abstraite, maintenue dans le buffer graphémique
à sa réalisation concrète nécessite un certain nombre d’opérations dont
la première est le choix allographique. Les allographes sont les variantes
possibles d’une lettre. Les formes peuvent être différentes suivant les
individus et aussi suivant la taille, le type de caractère (cursive/imprime-
rie) et le cas (majuscule/minuscule). La sélection de l’allographe est
contrainte contextuellement en fonction de la situation d’écriture, de la
position de la lettre dans la phrase ou du type de mot (majuscule en début
de phrase, et pour les noms propres).
La fonction du système de conversion allographique concerne donc la
sélection de la forme générale de la lettre en tenant compte du type et du cas
requis. Le code allographique est lié à la forme de lettre, c’est-à-dire à ses
caractéristiques physiques spatialement codées. Selon MARGOLIN (1984),
le système allographique serait impliqué dans les modalités de sortie
mettant en jeu un support visuel (lettres mobiles et dactylographie).
La taille des unités sur lesquelles portent les opérations allographiques
est celle de la lettre (ELLIS, 1982, 1988; GOODMAN & CARAMAZZA,
1986 b). Les codes allographiques sont sélectionnés lettre par lettre ce qui
explique que la longueur du mot cible ne soit pas un critère de difficulté
à ce niveau.
Seules trois observations faisant explicitement référence à un déficit
allographique ont été publiées. Elles différent de façon notable quant à
l’expression du déficit. Elles montrent que les perturbations affectant la
forme générale de la lettre, le cas et le type peuvent être dissociées et
orientent vers une représentation de ces caractéristiques en des sous-
systèmes fonctionnellement indépendants.
Le patient DK, étudié par PATTERSON & WING (1989) avait une
épellation orale totalement préservée. Il souffrait d’une difficulté à évo-
quer la forme des lettres qui était plus accentuée pour les lettres
minuscules. L’hypothèse d’un trouble d’évocation de la forme des lettres
plutôt que de réalisation a été confortée par une analyse temporelle de ses
productions. Cette analyse a ainsi révélé un temps de préparation très lent
qui contrastait avec un temps d’exécution à peu près normal. La possi-
bilité de copier de façon non servile et le débloquage par présentation
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sous-systèmes indépendants (majuscule/minuscule) plutôt d’une diffi-
culté inhérente à la complexité des lettres.
L’observation rapportée par DE BASTIANI & BARRY (1989) est
caractérisée par des erreurs au niveau de la spécification du cas avec un
mélange de majuscules et de minuscules (les premières étant en plus
grand nombre, ex : LAdro, StAto, SiMBolA). Hormis ces erreurs, typique-
ment allographiques, le patient commettait également des erreurs de trait
lors de la réalisation des lettres qui évoquaient l’association d’un déficit
au niveau du contrôle spatial de l’exécution motrice. Ce patient n’avait pu
être soumis ni à des tâches de transcription de lettres d’un cas à un autre,
ni à une épreuve d’épellation orale.
Le patient MW étudié par GOODMAN & CARAMAZZA (1986 b)
montre une symptomatologie plus complexe avec l’association de deux
déficits. L’occurence d’erreurs phonologiquement plausibles et d’un effet
de fréquence des mots, à la fois en épellation orale et en écriture
manuscrite traduisait un désordre central affectant la voie lexicale. Il
présentait par ailleurs des erreurs non phonologiquement plausibles en
expression écrite seulement mais non lors de l’épellation orale, ce qui
plaidait en faveur d’un désordre périphérique des processus d’écriture.
Ces erreurs consistaient essentiellement en substitutions de lettres, bien
formées sur le plan de la réalisation graphique. Aucun effet de longueur
n’était constaté. Par ailleurs, le patient effectuait correctement des tâches
de transcription de lettres, majuscules/minuscules et vice versa. Ce type
de perturbation a été interprété par GOODMAN & CARAMAZZA comme
une difficulté allographique relative à la spécification de la forme visuelle
d’une unité graphémique. La nature allographique de ces erreurs de
substitution (non lexicales) a été controversée par De BASTIANI &
BARRY (1989) qui suggèrent qu’elles résulteraient plutôt d’un déficit
post-allographique.
BLACK et al. (1989) proposent la même interprétation concernant
MW et les performances de leur patient (MP) qui montrait des perturba-
tions périphériques très semblables. L’intérêt de cette observation est
renforcé par la pureté du syndrome. Aucun effet décrit dans les agraphies
centrales n’était relevé. Le trouble, des erreurs de lettres non
phonologiquement plausibles, affectait uniquement l’écriture manus-
193
Langage et aphasie
crite, alors que l’épellation orale et l’écriture avec les lettres mobiles
étaient totalement préservées. Les lettres étaient correctement formées
sur le plan graphique. Aucune erreur de type ou de cas ne se produisait.
Les erreurs étaient principalement des substitutions (65 %). Une analyse
en terme de fréquence des lettres révélait une influence significative de ce
critère. Les lettres substituées à la cible étaient en général de fréquence
plus élevée. La recherche d’une éventuelle influence de la complexité
grapho-motrice des lettres ne montra pas de résultats significatifs. La
dictée de lettres isolées suscitait de bien meilleures performances. Notons
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que ce patient écrivait spontanément en majuscules d’imprimerie. BLACK
et al (1989) suggèrent qu’une telle sémiologie peut résulter d’un déficit
lors du transfert des informations provenant du système allographique
vers le système des patterns grapho-moteurs. Cette proposition est aussi
compatible avec les hypothèses formulées par ELLIS (1982, 1988).
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allographe donné. Aussi il parait plus approprié de rechercher une
similarité physique sur la base d’une similarité graphomotrice que sur des
critères de similarité visuelle. Cette similarité graphomotrice peut être
extraite de l’analyse des points communs quant aux traits constitutifs
d’une lettre, leur orientation spatiale et leur organisation séquentielle. Elle
nécessite une segmentation des lettres en leurs traits constitutifs qui doit
être appliquée à chaque patient. Plusieurs méthodes de segmentation en
traits ont été proposées. BLACK et al. (1989) pour évaluer un éventuel
effet de complexité graphomotrice ont adapté le travail de MERMELSTEIN
& EDEN (1964) cité par BLACK et al. La segmentation par trait est dans
ce cas liée à la “fluidité graphique”. En d’autres termes, 1 trait correspond
à une production graphique sans lever de crayon, 2 traits sont séparés par
un lever de crayon, etc. Dans un cas d’agraphie post-allographique,
LAMBERT et al. (1993) ont utilisé une méthode d’analyse de segmenta-
tion en traits appliquée à l’étude du graphisme chez l’enfant (MEULEN-
BROEK & VAN GALEN, 1990). Chaque trait est déterminé par les
changements de direction du mouvement et correspond à des segments
ascendants, descendants et/ou horizontaux.
Il parait hasardeux de tenter d’effectuer des corrélations anatomo-
cliniques relatives aux perturbations du buffer graphémique et du sys-
tème allographique en raison du petit nombre d’observations publiées. En
ce qui concerne les perturbations grapho-motrices pour lesquelles le
nombre de travaux est plus important même s’il ne s’agit pas toujours
d’une approche cognitiviste, la revue effectuée par MORIN et al (1990)
soulignait la participation de lésions pariétales. Par ailleurs, la fréquente
association d’un trouble du graphisme dans des syndromes d’agraphies
lexicales (CROISILLE et al.,1989) laisse supposer l’implication du gyrus
angulaire.
C. L'épellation orale
L’épellation orale, de même que l’écriture avec des lettres mobiles et la
dactylographie, font partie des différents modes d’expression possibles
des représentations orthographiques. Elles partagent donc à ce titre, avec
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graphiée et celles utilisées par l’écriture manuscrite.
On conçoit que l’épellation orale s’appuie sur les représentations
graphémiques (stockées dans le buffer graphémique), nécessite des
opérations de conversion des graphèmes en noms de lettre et emprunte
alors pour la verbalisation des mécanismes phonologiques et articulatoires,
communs à l’expression orale. Cette thèse développée par ELLIS (1982)
est admise pour la plupart.
Les opérations effectuées lors de l’écriture avec les lettres mobiles et
la dactylographie sont moins décrites. Les observations ayant étudié
l’écriture avec les lettres mobiles ou la dactylographie sont effectivement
rares. Il existe une seule mais intéressante étude des capacités de
dactylographie d’une dactylographe professionnelle (BOYLE & CANTER,
1987) ayant noté une baisse des performances dans cette modalité
comparativement à celles de l’écriture manuscrite. Ce déficit a été
interprété par les auteurs comme un trouble de l’utilisation des données
somesthésiques en rapport avec une lésion pariétale gauche.
La comparaison de performances entre écriture manuscrite et épellation
orale est plus fréquente et devient de plus en plus systématique dans les
examens de patients. Cette étude comparative présente l’intérêt majeur
de contribuer à la “localisation” du trouble d’écriture en révélant par
d’éventuelles dissociations l’implication ou non des processus périphéri-
ques dans le déficit.
Les publications adoptant une analyse de type cognitiviste ont
jusqu’alors confirmé les hypothèses d’ELLIS (1982) et de MARGOLIN
(1984). Lors d’atteinte centrale, que ce soit lexicale ou phonologique,
l’analyse des performances en épellation orale et en écriture manuscrite
a révélé une sémiologie très comparable avec le même type d’erreurs et
les mêmes effets lexicaux ou non lexicaux. On peut donc observer en
épellation orale une atteinte lexicale ou phonologique. L’observation de
LESSER (1989) montre en outre des capacités d’épellation orale qui
procéderaient d’une voie lexicale non sémantique. De même, lors d’at-
teinte du buffer graphémique, des effets de longueur, une influence de la
structure morphologique ainsi qu’un pattern particulier de la distribution
se sont révélés tant en épellation orale qu’en écriture manuscrite.
Enfin dans bon nombre de cas (BAXTER & WARRINGTON 1983;
HILLIS & CARAMAZZA, 1989; CARAMAZZA & HILLIS, 1990), on a
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pratiquée par les usagers de cette langue.
A l’opposé, la préservation de l’épellation orale est rapportée lors
d’une perturbation de l’écriture manuscrite pouvant être interprétée
comme une atteinte des processus périphériques : processus
allographiques, spécification des patterns moteurs graphiques et com-
mandes neuromusculaires (BAXTER & WARRINGTON, 1986; BLACK et
al., 1989; KAPUR & LAWTON, 1983; KINSBOURNE & ROSENFIELD,
1974; MARGOLIN & BINDER, 1984; PATTERSON & WING, 1989;
ROELTGEN & HEILMAN, 1983; ROSATI & DE BASTIANI, 1979;
VALENSTEIN & HEILMAN, 1979).
La publication d’une atteinte sélective de l’épellation orale
(KINSBOURNE et WARRINGTON, 1965) ne pouvant se justifier par un
déficit de l’expression orale, de la lecture ou d’un déficit mnésique reste
difficilement interprétable. Ce patient JP éprouvait des difficultés à épeller
oralement des mots et des nombres, et inversement, à trouver le mot ou
le nombre épellés par l’examinateur, alors qu’il parvenait à les écrire
correctement sous dictée. BUB & KERTESZ (1982) rapportent égale-
ment un cas d’épellation orale plus touchée quantitativement que l’ex-
pression écrite.
La récente observation de LESSER (1990) ne peut non plus être
expliquée par un modèle proposant des mécanismes communs à l’écri-
ture manuscrite et à l’épellation orale jusqu’au stade du buffer graphémique.
Le patient CS présentait une supériorité de l’épellation orale sur l’expres-
sion écrite dont l’intérêt a été suscité par l’analyse des erreurs qui montrait
en effet un pattern différent pour les deux modalités. Ainsi l’écriture
manuscrite était influencée par la lexicalité (aucun non mot n’était
correct) et non par la régularité orthographique, et pouvait être qualifiée
d’agraphie phonologique. L’épellation orale était, elle, sensible à la
régularité mais pas à l’absence de signification (mot/non mot), ce qui
évoquait une atteinte lexicale. (il écrivait par exemple “shoe”, mais
épellait S-H-O-U). Cette observation particulière a donc conduit l’auteur
à postuler une alternative au modèle servant de référence jusqu’ici.
LESSER (1990) suggère que le buffer graphémique n’est pas commun
aux deux modalités mais spécifique de l’écriture manuscrite. L’épellation
orale pourrait, elle, résulter ou bien directement d’une procédure de
197
Langage et aphasie
D. Conclusion
Nous avons voulu montrer comment l’interaction de la psychologie
cognitive et de la pathologie avait conduit à scinder l’écriture en un certain
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nombre de processus et niveaux de représentation fonctionnellement
distincts qui offrent des tableaux sémiologiques caractéristiques, appelés
encore syndromes purs. Si les syndromes concernant l’atteinte des
processus centraux sont bien définis, les syndromes relatifs aux perturba-
tions des mécanismes plus périphériques restent parfois imprécis, comme
on l’a vu pour le système de conversion allographique. Les recherches
dans ce domaine sont effectivement plus récentes et ont comme support
encore trop peu d’observations.
De la recherche à la pratique clinique quotidienne, le fossé n’est dans
ce domaine pas si grand. Il est en effet assez aisé de faire des hypothèses
sur l’atteinte ou les atteintes fonctionnelles d’un patient agraphique en
étudiant d’une part un certain nombre de variables (signification, classe
du mot, fréquence, ambiguïté orthographique, longueur, type d’écriture),
en essayant d’autre part d’analyser le type d’erreurs produites
(phonologiquement plausibles / non phonologiquement plausibles) et
enfin en utilisant diverses modalités de sortie.
Les conceptions des agraphies, comme des alexies, ont été formulées
sur la base d’une architecture fonctionnelle très hiérarchisée, postulant
que le traitement des informations suivait un cheminement obligé et
séquentiel de processus à processus. On assiste également, dans le
domaine de la reconnaissance visuelle de mot écrit, c’est-à-dire de la
lecture, à d’autres propositions. Les modèles connexionnistes ou modèle
de traitement en parallèle (MC CLELLAND & RUMELHART, 1981)
conçoivent le traitement de l’information dans une dynamique interactive
entre différents niveaux d’analyse par le biais de signaux excitateurs et
inhibiteurs. Ainsi, la détection d’un nombre minimal de traits et lettres
d’un mot peut suffire à activer la reconnaissance de ce mot (lexique
orthographique). Il paraît difficile d’envisager ce type de conception pour
l’écriture. La lecture et l’écriture ont en commun leur objet : le mot écrit,
mais se différencient en ce sens que le premier répond à une procédure
de reconnaissance et le second à une procédure de production. La
production d’un mot écrit nécessite, elle, la restitution d’un item cible dans
sa totalité suivant des contraintes à la fois spatiales et temporelles qui
s’intègre mieux dans un modèle très hiérarchisé.
198
Contributions psycholinguistiques
mot entendu
système sémantique
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lexique phonologique lexique orthographique
de sortie de sortie
système
allographique
réalisation
motrice
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Langage, vieillissement
et démences
Francis EUSTACHE
205
Langage et aphasie
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sions générales. Les performances cognitives ont tendance à décliner au
cours du vieillissement normal mais ce déclin est hétérogène tant au plan
interindividuel qu’intraindividuel (EUSTACHE, 1991; VALDOIS &
JOANETTE, 1991). Des sujets conservent des résultats relativement
stables jusqu’à un âge avancé alors que d’autres montrent une baisse
progressive des performances intellectuelles. Toutefois, cette baisse des
performances affecte principalement certaines fonctions mentales. Le
déclin des capacités mnésiques constitue une caractéristique du vieillis-
sement normal. Ces capacités mnésiques diminuent relativement tôt, lors
de la cinquantaine pour des auteurs comme MAC CARTHY et al.(1982).
Cependant, cette affirmation est confirmée pour certains sous-systèmes
mnésiques et non pour d’autres (voir POON, 1985 pour revue). Des
changements peuvent également concerner la sphère visuo-spatiale
mais le déclin se manifeste plus tardivement en comparaison au déficit
mnésique, chez les sujets de 75 à 85 ans (BENTON et al., 1981).
Les tâches verbales sont, dans l’ensemble, mieux préservées que les
épreuves “de performance”, c’est ce qui ressort en particulier de la
validation du test de WECHSLER (1958). Par ailleurs, SCHAIE (1983,
1989) a utilisé la conception théorique de l’intelligence proposée par
HORN & CATTELL (1966) distinguant une intelligence fluide et une
intelligence cristallisée. La première, impliquant les capacités d’adapta-
tion aux situations nouvelles, montre un déclin avec l’âge, alors que la
seconde, englobant les différents processus mentaux acquis par l’expé-
rience, reste stable au cours du vieillissement. Ces différences évolutives
ont été utilisées dans certaines méthodes psychométriques. Elles per-
mettent de comparer les performances actuelles des sujets (mesurées
avec des tests non verbaux) avec leurs performances antérieures présu-
mées à partir de tests verbaux résistant à la fois à la détérioration
physiologique et pathologique (POITRENAUD, 1974). Ces méthodes
d’exploration ont popularisé la conception d’une stabilité des performan-
ces verbales au cours du vieillissement. Ce résultat a été doublement
nuancé ultérieurement. Les performances verbales pourraient décliner
avec l’âge, quoique plus tardivement que les autres fonctions cognitives.
En outre, les perturbations linguistiques liées à l’âge ne seraient pas
globales mais toucheraient sélectivement certains processus. La ques-
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Contributions psycholinguistiques
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souvent contradictoires du fait de l’hétérogénéité des performances et de
biais de recrutement des populations. Les tâches les plus souvent
proposées sont la fluence verbale et la dénomination d’images. Elles
montrent, à des degrés variables selon les publications, une baisse des
performances en fonction de l’âge. La normalisation du test de dénomi-
nation de Boston a ainsi indiqué des difficultés de dénomination chez les
sujets âgés. Celles-ci se traduisent par une augmentation des circonlocu-
tions et des périphrases avant de parvenir ou non à la réponse correcte
(OBLER & ALBERT, 1985). Cet effet de l’âge sur la dénomination
d’images semble peu important (VAN GORP et al., 1986) et n’est pas
observé dans certaines études (LA BARGE et al., 1986). Plusieurs
publications s’accordent toutefois quant à une baisse des performances
en dénomination après l’âge de 70 ans mais des critères de sélection des
populations d’études ont été mis en cause (BOWLES et al., 1987;
NICHOLAS et al., 1985; OBLER & ALBERT, 1984). Quand le trouble est
observé, la facilitation induite par des indices sémantiques ou
phonologiques suggère que la perturbation concerne la disponibilité d’un
lexique par ailleurs préservé (JANKOWIAK et al., 1991). Ce manque du
mot serait plus marqué pour les noms de personnes (COHEN, 1990).
Les tests de fluence catégorielle en premier lieu (évoquer les noms
d’une catégorie : animaux, métiers…) mais aussi formelle (évoquer des
noms commençant par une lettre donnée) montrent un effet de l’âge plus
important que les tests de dénomination. Ce déclin des performances en
fluence verbale peut être lié à des modifications cognitives diverses et non
spécifiques (OBLER & ALBERT, 1985; HUFF, 1990). Contrairement aux
tests de dénomination, les tâches de fluence ne fournissent aux sujets
qu’un minimum d’informations et d’indices permettant l’évocation lexico-
sémantique. De telles différences de résultats, entre une activité guidée
par la consigne, et une activité où le sujet doit mettre en oeuvre de lui-
même des stratégies cognitives, sont constatées également dans le
domaine de la mémoire. Reprenant la théorie de TULVING & THOMSON
(1973), CRAIK (1990) a insisté sur l’importance des relations entre le
contexte d’encodage et celui de rappel. Pour cet auteur, les processus de
recouvrement constituent l’image en miroir des processus d’encodage et
tout ce qui diminue la probabilité d’utiliser les mêmes opérations à l’entrée
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conscience et sans effort de la part du sujet, ne montrent pas de déclin
avec l’âge (LIGHT & BURKE, 1988; NEBES et al., 1986). Les sujets âgés
éprouveraient donc plus de difficultés à traiter l’information volontaire-
ment et au cours de recherches actives faisant appel à de grandes
capacités attentionnelles. Au contraire, dans les tâches mettant en jeu des
traitements automatiques et impliquant moins de ressources
attentionnelles, les performances des sujets âgés seraient comparables à
celles des plus jeunes. OBLER & ALBERT (1985) ont ainsi montré qu’il
n’existait pas d’effet de l’âge sur le débit verbal lors de tâches de “langage
automatique” (compter de 1 à 21) où il n’était pas précisé aux sujets que
les productions étaient chronométrées. Ce résultat est notable puisque le
vieillissement est caractérisé par un ralentissement plus général.
D’autres composantes fonctionnelles du langage ont été étudiées
apportant des résultats divergents. Pour certains auteurs (BAYLES et al.,
1985), la compréhension des phrases n’est pas modifiée. D’autres
travaux sont en faveur d’un déclin des performances chez les sujets très
âgés (EMERY, 1986). Ces troubles de la compréhension pourraient être
liés en partie à la presbyacousie. Celle-ci se caractérise par une baisse de
l’acuité auditive affectant principalement les sons de haute fréquence
(CORSO, 1977). STEVENSON (1975) a montré que les erreurs
phonologiques lors d’un test de perception du langage étaient du même
type que celles de sujets mal-entendants plus jeunes. D’autre part, CRAIK
& BYRD (1982) ont suggéré que les troubles de la compréhension chez
les personnes âgées sont dus à une diminution des ressources
attentionnelles et à la capacité limitée de la mémoire de travail. Cette
limitation de la mémoire de travail est responsable, tout du moins en
partie, des différences liées à l’âge dans la compréhension du langage
naturel (LIGHT, 1990). Les adultes âgés réussissent moins bien que les
plus jeunes dans les tests de compréhension de phrases impliquant des
structures syntaxiques complexes. Dans certains cas, les troubles de la
compréhension du discours sont associés aux troubles de la mémoire
mais l’origine du déficit ne se situe pas au niveau du traitement séman-
tique des mots isolés. La diminution des ressources attentionnelles
rendant compte des difficultés de compréhension des sujets âgés est
également soulignée par COHEN & FAULKNER (1986). Ces auteurs
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âgées utilisent un discours caractérisé par un nombre plus important de
mots organisés dans des phrases plus longues et complexes. Toutefois,
les thèmes abordés sont moins variés (OBLER & ALBERT, 1984;
VALDOIS & JOANETTE, 1991). Ce type de production pourrait repré-
senter une stratégie compensatoire à des déficits psycholinguistiques
subtils (JANKOWIAK et al., 1991). Enfin, la composante phonologique
du langage ne serait pas modifiée au cours du vieillissement (FLICKER et
al., 1986).
Ces études s’attachent essentiellement au traitement des constituants
structuraux du langage et ne considèrent pas les aspects interactionnels
d’une situation de communication (SKA et al., 1991). Des travaux, de
nature plus écologique analysent des performances des personnes âgées
dans un contexte qui respecte les termes de la communication “natu-
relle”. Si globalement, les travaux consacrés aux aspects structuraux du
langage vont dans le sens d’un déclin modéré des performances avec
l’âge, au contraire, le sujet âgé pourrait pallier ces déficits dans des
situations plus proches de celles de la vie quotidienne (SIEGEL &
GREGORA, 1985).
En résumé, les travaux consacrés aux modifications des performan-
ces langagières au cours du vieillissement normal orientent vers un
affaiblissemnt modéré en fonction de l’âge. Ce déclin serait plus discret
et tardif (après 70 ans et au-delà) que celui d’autres fonctions cognitives.
Les processus automatiques seraient préservés alors que les tâches
impliquant des ressources attentionnelles et coûteuses en effort seraient
davantage déficitaires. les tâches les plus souvent perturbées seraient
ainsi la fluence verbale et la compréhension d’un matériel complexe. Il est
peut-être erroné de proposer une explication strictement psycholinguis-
tique à ces faits, ces perturbations pouvant relever de facteurs non
spécifiques tels que le ralentissement, les troubles de mémoire ou des
déficits sensoriels. Malgré ces handicaps, la personne âgée ferait preuve
d’adaptation en mettant en jeu des stratégies compensatoires dans les
situations de “communication naturelle”. Enfin, le résultat le plus net de
toutes ces études est la variabilité des performances accrue chez les
adultes les plus âgés. Cette variabilité indique une plus grande diversité
des comportements langagiers au cours du vieillissement. Comme le
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Langage et aphasie
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C. Langage et démences
La grande majorité des travaux sur ce thème porte sur la maladie
d’Alzheimer (voir EUSTACHE et al., 1993b pour revue). Les études sont
plus rares dans les autres étiologies démentielles. Aux problèmes métho-
dologiques communs s’ajoutent des caractéristiques propres à chaque
classe de maladies. Dans les démences vasculaires, les tableaux clini-
ques diffèrent tellement en fonction de la localisation des lésions qu’il est
malaisé de les décrire globalement. Dans la maladie de Parkinson et dans
la paralysie supranucléaire progressive, l’intensité des troubles moteurs
et du ralentissement idéo-moteur rend difficile l’interprétation des tests de
langage. Enfin, d’autres maladies, plus rares, comme la maladie de Pick
n’ont donné lieu qu’à peu d’études; elles se heurtent en plus à l’absence
de critère de diagnostic clinique. Ainsi, il n’est permis que de donner les
grandes tendances des troubles du langage dans ces différentes affec-
tions. Pour les raisons évoquées précédemment, des descriptions sont
restées relativement superficielles sans pouvoir expliquer la nature des
processus impliqués dans tel ou tel déficit.
Les démences vasculaires reposent sur des mécanismes
physiopathologiques variés (BOUSSER, 1991). Les démences par in-
farctus multiples (HACHINSKI, 1974) intègrent des troubles aphasiques
divers selon la localisation des lésions et leur énumération s’écarte de
l’objectif de ce chapitre. Les démences vasculaires liées à des lésions
respectant les aires du langage (maladie de Binswanger, états lacunai-
res…) n’ont donné lieu qu’à un nombre de publications restreint
(CARDEBAT et al., 1991). La distinction de plusieurs formes de démence
vasculaire n’a pas été intégrée dans la plupart des études cliniques. Il est
donc difficile de définir les caractéristiques cognitives d’un concept de
démence vasculaire aux limites très mouvantes. La démence vasculaire
n’est pas une entité anatomo-clinique mais un syndrome aux étiologies
et aux mécanismes variés, ne se réduisant pas plus à des infarctus
multiples qu’à la maladie de Binswanger (BOUSSER, 1991). L’étude des
troubles cognitifs prendra réellement son sens après un démembrement
de ce syndrome. Ces limites étant posées, quelques études ont cherché
à décrire les troubles du langage dans cette série d’affections (HIER et al.,
210
Contributions psycholinguistiques
1985; POWELL et al., 1988). Chez ces patients, les troubles de la parole
sont fréquemment retrouvés, s’intégrant dans un syndrome pseudo-
bulbaire. Les troubles du langage consistent en une réduction de la
complexité des phrases produites. Par opposition aux troubles observés
dans la maladie d’Alzheimer, les perturbations lexico-sémantiques sont
moins fréquentes. La dénomination est généralement préservée (BAYLES
& TOMOEDA, 1983), et la baisse de la fluidité verbale est à rapprocher
d’un ralentissement plus global, constaté dans l’ensemble du groupe des
“démences sous-corticales”.
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Plusieurs travaux visent à différencier les troubles cognitifs de ces
affections : Maladie de Parkinson, paralysie supra-nucléaire progressive,
chorée de Huntington (voir BROWN & MARSDEN, 1988 pour revue).
Comme mentionné précédemment, ces études sont confrontées aux
perturbations non spécifiques retentissant sur les performances linguis-
tiques et compliquant nécessairement l’interprétation des déficits. Les
troubles de la parole, le ralentissement idéo-moteur, les éléments fron-
taux communs à ces diverses affections sont les plus importants à prendre
en considération. Ils expliquent au moins partiellement la baisse de la
fluence verbale même si elle est moins nette que dans la maladie
d’Alzheimer. Dans la maladie de Parkinson, les déficits linguistiques ne
sont pas observés à la phase “des troubles cognitifs mineurs” (GUILLARD
et al., 1991). Toutefois, au sein du groupe des démences sous-corticales,
la baisse de la fluence verbale est plus marquée dans cette maladie. En
celà, la maladie de Parkinson se distingue des autres affections pouvant
donner lieu à une “démence sous-corticale”. Ce résultat pose également
le problème de l’hétérogénéité de la démence parkinsonienne et de ses
liens éventuels avec la maladie d’Alzheimer. En dehors d’un petit groupe
de malades présentant des troubles du langage, la majorité des parkin-
soniens déments semble présenter des déficits neuropsychologiques
globaux ayant un retentissement sur les performances linguistiques sans
que les aspects instrumentaux du langage soient affectés (CARDEBAT et
al., 1991; CUMMINGS et al., 1988). Une conclusion comparable peut être
formulée pour la chorée de Huntington. Des troubles lexico-sémantiques
y ont été décrits dans deux travaux concordants (GORDON & ILLES,
1987; WALLESCH & FEHRENBACH, 1988) mais la nature strictement
linguistique de ce déficit reste hypothétique.
La maladie de Pick s’intègre dans le groupe des “démences corticales”
mais il s’agit d’une entité particulière s’opposant presque point par point
à la maladie d’Alzheimer (BRION et al., 1991; BRION & PLAS, 1991). Les
troubles du langage y sont précoces et constants, marqués par un
manque du mot (aphasie nominale) et surtout des stéréotypies verbales.
La réduction du langage peut conduire en quelques mois à la réitération
incessante de la même phrase ou du même couplet de chanson. L’évo-
lution conduit à un état de quasi-mutisme. Toutefois, comme dans les
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Langage et aphasie
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les et l’absence de lésion de type sénile à l’examen histologique expli-
quent la spécificité des désordres neuropsychologiques.
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Contributions psycholinguistiques
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années. Les plus démonstratifs entrent dans le cadre des aphasies
dégénératives (MESULAM, 1982). Il s’agit d’un syndrome pouvant ré-
pondre à différentes étiologies et dont les expressions cliniques sont
variées. Les aphasies dégénératives associées à des lésions cérébrales de
type Alzheimer semblent très rares. Plus fréquentes sont les formes de
démences de type Alzheimer où les troubles du langage sont prédominants.
Certains auteurs ont proposé de différencier des sous-types de
démence de type Alzheimer sur des arguments cliniques et notamment
la présence de troubles du langage. D’autres sont caractérisés au con-
traire par des perturbations visuo-constructives, ou présentent une sé-
miologie plus riche rejoignant le classique syndrome aphaso-apraxo-
agnosique. Dans un premier temps, les troubles de langage ont été
considérés comme typiques des formes précoces de maladie d’Alzhei-
mer, c’est à dire débutant avant 65 ans (CHANG CHUI et al., 1985;
SELTZER & SHERWIN, 1983). Inversement, les formes à début plus tardif
semblent dominées par une plus grande fréquence des troubles visuo-
constructifs (FILLEY et al., 1986). Cette “dissociation” a connu un certain
succès mais a pourtant été infirmée dans d’autres études (GRADY et al.,
1987; EUSTACHE et al., 1989). La distinction entre forme à début
précoce et forme à début tardif de la maladie d’Alzheimer demeure un
sujet de controverse. Pour FOLSTEIN & BREITNER (1981), les formes
familiales de la maladie d’Alzheimer sont associées à un âge de début
précoce et une prévalence de troubles du langage. Les hypothèses
génétiques orientent actuellement vers des résultats plus nuancés.
Sans tenir compte de l’âge de début des premiers symptômes,
d’autres travaux ont cherché à différencier des formes cliniques de
démence de type Alzheimer sur des critères strictement neuropsycho-
logiques (BECKER et al., 1988; MARTIN et al., 1988; NEARY et al.,
1986). Les résultats des études sont cette fois ci convergeants et
permettent de distinguer une forme typique avec syndrome aphaso-
apraxo-agnosique, une forme avec troubles visuo-spatiaux et une forme
dominée par les troubles du langage. Dans ce cas, ce sont les composan-
tes lexico-sémantiques qui se révèlent les plus perturbées. Les distinc-
tions précédentes ont reçu un support neurobiologique grâce à des
mesures du métabolisme cérébral en Tomographie par Emission de
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Même si l’hétérogénéité de l’expression clinique de la maladie d’Alzhei-
mer fait l’objet de multiples travaux dans différents domaines, il existe un
relatif consensus pour décrire l’évolution des troubles du langage oral.
Trois stades de gravité peuvent ainsi être proposés (HUFF, 1991). Le
premier est caractérisé par une baisse de la fluence verbale, des manques
du mot fréquents accompagnés de circonlocutions et de rares paraphasies
sémantiques. Ces perturbations se rapprochent du tableau d’aphasie
amnésique ou anomique. Il n’existe pas de trouble phonétique, phonémique
ou syntaxique et la compréhension est généralement préservée
(CARDEBAT et al., 1991). Toutefois, un ralentissement du débit et des
persévérations (HIER et al., 1985) ainsi que des difficultés d’enchaîne-
ment lors de l’analyse du discours (RIPICH et al., 1991) ont été constatés.
Le stade ultérieur est marqué par une aggravation des premiers symptô-
mes : manque du mot, circonlocutions, périphrases, persévérations,
paraphasies sémantiques et verbales, néologismes. Les troubles de la
compréhension verbale deviennent patents. La répétition est préservée et
ce tableau se rapproche de l’aphasie transcorticale sensorielle. Les
troubles lexico-sémantiques sont marqués, contrastant avec une relative
intégrité des aspects syntaxiques et phonologiques du langage. Les
modifications syntaxiques relevées vont dans le sens d’une simplification
(CARDEBAT et al., 1991) avec l’utilisation de structures syntaxiques
moins complexes comportant moins d’expansions. Dans le troisième
stade, toutes les sphères linguistiques sont touchées tendant vers l’apha-
sie globale mais il existe un respect des capacités de répétition conduisant
dans certains cas à des phénomènes d’écholalie.
Cette description schématique des troubles du langage dans la
maladie d’Alzheimer montre l’importance des perturbations lexico-sé-
mantiques. Celles-ci ont donné lieu à de nombreux travaux. Beaucoup
portent sur la dénomination à partir d’un stimulus visuel, mais l’échec à
ce type d’épreuve peut relever de causes multiples. Un trouble de la
reconnaissance visuelle joue sans doute un rôle puisque les performances
sont facilitées par le fait de toucher l’objet, ou par son utilisation par
l’examinateur (KIRSHNER et al., 1984). Ces éléments ne peuvent expli-
quer l’ensemble du déficit et l’analyse des erreurs oriente vers des troubles
plus centraux (BAYLES & TOMOEDA, 1983; DIESFELDT, 1989). Au
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du système sémantique aboutissant à une perte du concept. On observe
chez ces patients un déficit dans les tâches de compréhension et de
catégorisation sémantique (HUFF et al., 1988). Cette perturbation de la
mémoire sémantique impliquerait plus précisément la désorganisation
ou la perte des attributs spécifiques qui permettent de distinguer des
concepts lexicaux différents au sein des catégories sémantiques larges
(MARTIN & FEDIO, 1983; WARRINGTON, 1975). Les informations
concernant ces catégories plus larges seraient préservées (GLOSSER &
KAPLAN, 1989; SMITH et al., 1989; WARRINGTON, 1975). Ce désordre
se manifeste par la production de dénominations erronées : réponses
superordonnées ou évocation d’un item appartenant à la même catégorie
sémantique (BAYLES & TOMOEDA, 1983). La constance des réponses
lors d’essais successifs (HUFF et al., 1988) ou quelque soit le mode
d’entrée lexical (HIER et al., 1985) vient supporter l’hypothèse d’une
perte des informations lexico-sémantiques. Ce déficit cognitif est égale-
ment mis en évidence dans les tâches de jugement sémantique au cours
desquelles un sujet doit décider si un item appartient à une catégorie
sémantique définie ou possède un attribut spécifique donné. La possibilité
d’une perturbation centrale de la mémoire sémantique dans la maladie
d’Alzheimer a été démontrée par CHERTKOW & BUB (1990) mais la
question de la fréquence de ce trouble reste posée (voir EUSTACHE,
1992, pour revue). L’hétérogénéité semble également prévaloir dans ce
domaine. Ainsi, BANDERA et al. (1991), utilisant un paradigme de
génération de mots liés sémantiquement à un stimulus, concluent à
l’existence de deux sous-groupes de patients, l’un qui présente une
détérioration de la mémoire sémantique, l’autre un trouble de l’accès à
cette mémoire. Par ailleurs, la distinction entre les processus automati-
ques et les processus contrôlés a été privilégiée par certains auteurs pour
rendre compte d’un grand nombre de perturbations cognitives dans la
maladie d’Alzheimer, y compris celles affectant la mémoire sémantique
(SPINNLER, 1991). Les connaissances sémantiques simples et surapprises
pourraient être intactes au début de l’affection, mais difficilement utilisa-
bles dans un contexte inhabituel. La préservation de l’automatisme de
certaines associations pourrait expliquer les effets de priming sémantique
conservés chez des patients présentant par ailleurs des déficits de la
mémoire sémantique.
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syndrome, les patients sont capables de lire à haute voix les mots dits
réguliers, ceux dont le rapport graphème-phonème est le plus souvent
rencontré dans la langue. Ils lisent également bien les non-mots ou
logatomes. Par contre, ils lisent mal les mots irréguliers, ceux dont le
rapport graphème-phonème est peu fréquent. Ce syndrome est attribué
à une perturbation de la voie lexico-sémantique de la lecture, celle-ci
repose alors sur la voie phonologique utilisant le système de conversion
graphème-phonème. L’exploration des troubles de la lecture des dé-
ments a permis de formuler l’hypothèse d’un modèle à trois voies : voie
phonologique, voie lexico-sémantique et voie lexicale non sémantique
appelée encore voie directe. En effet, il est possible d’observer chez les
déments aux premiers stades de la maladie des capacités de lecture à
haute voix préservées alors que la compréhension écrite est altérée. Ce
tableau évoque une stratégie de lecture par voie lexicale non sémantique.
Ultérieurement, apparaît une lecture de type alexie lexicale correspon-
dant au recours exclusif à la voie phonologique qui semble longtemps
résistante dans ce type de pathologie. A ce stade, on constate des erreurs
de régularisation lors de la lecture des mots irréguliers (SHALLICE et al.,
1983).
Différents travaux ont cherché à différencier les perturbations cogni-
tives et notamment du langage écrit des sujets atteints de maladie
d’Alzheimer de celles des patients présentant d’autres étiologies. Il en est
ainsi de la maladie de Parkinson (CUMMINGS et al., 1988), des lésions
vasculaires focales en comparaison avec les performances de sujets âgés
normaux (GLOSSER & KAPLAN, 1989). D’autres études se sont focali-
sées sur l’expression écrite à travers des épreuves de description de
scènes imagées (HORNER et al., 1988; NEILS et al., 1989) ou de dictée
(RAPCSAK et al., 1989).
Le protocole de GLOSSER & KAPLAN (1989) comporte un grand
nombre de subtests étudiant les performances des malades de type
Alzheimer en description, dictée, copie et en dénomination. L’expression
écrite semble caractérisée par une réduction des productions, une
organisation narrative défectueuse avec des oublis de mots fonctionnels
et d’articles, la présence d’intrusions et de persévérations. L’occurence
d’erreurs d’orthographe ou phonologiquement plausibles est fréquente,
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composé d’épreuves d’écriture sous dictée de 4 catégories de mots : mots
réguliers, mots irréguliers, mots fonctionnels et logatomes. Ces auteurs
ont montré des performances significativement inférieures pour l’écriture
des mots irréguliers. Les erreurs commises étaient des erreurs de régula-
risation. Les malades présentaient des troubles du langage oral et la
plupart avaient des troubles de la compréhension écrite alors que la
lecture à haute voix était préservée. Chez cinq patients, il existait une
agraphie apraxique et les performances avaient été jugées sur l’épellation
orale, ce qui est critiquable. Ces troubles du langage écrit, en accord avec
les notions classiques, concernent essentiellement les aspects lexicaux et
sémantiques, tendant à respecter les opérations phonologiques et syn-
taxiques. S’appuyant sur l’absence de corrélation entre l’importance des
troubles de l’écriture et la gravité de la démence, les auteurs suggèrent
que la sévérité de l’agraphie est liée à l’existence de lésions dans des
régions focales du cerveau, et non à un déficit intellectuel global.
Des méthodologies comparables ont permis à PLATEL et al. (1991)
et à LAMBERT et al. (1991) de préciser ces premiers résultats. Dans la
première étude, un test d’écriture sous dictée a été proposé à deux
reprises à 22 patients, l’intervalle de temps entre les deux passations étant
de 9 à 12 mois. Les résultats au temps A décrivent un profil d’agraphie
lexicale modérée, conformément aux résultats de RAPCSAK et al., avec
des erreurs portant sur les mots irréguliers alors que l’écriture des mots
réguliers et des logatomes est correcte. La majorité des erreurs est
phonologiquement plausible. Au temps B, les résultats montrent de plus
des troubles phonologiques avec des perturbations affectant les logatomes
et des erreurs non phonologiquement plausibles nettement plus nom-
breuses que les erreurs phonologiquement plausibles. L’évolution des
troubles agraphiques semble s’effectuer dans une certaine logique de
progression comprenant trois phases prégnantes. La première est domi-
née par des erreurs phonologiquement plausibles lors de l’écriture des
mots irréguliers. L’intensité de la démence serait alors faible. Le second
temps est caractérisé par une prépondérance des erreurs non
phonologiquement plausibles qui touchent à la fois les mots irréguliers et
les logatomes. Ces erreurs résultent de l’atteinte de processus centraux
mais également de processus plus périphériques tels que le buffer
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graphisme et des traitements périphériques qui viennent se surajouter
aux difficultés phonologiques et lexicales.
Dans l’étude de LAMBERT et al., des épreuves d’écriture sous dictée
de mots réguliers, irréguliers et de logatomes sont proposées à des
patients atteints de maladie d’Alzheimer. De plus, les patients exécutent
des tâches de décision à partir de mots et d’images faisant appel à un
traitement phonologique, lexical ou sémantique. Lors de ces tâches, le
patient est placé devant un dispositif informatisé comprenant 4 stimuli.
Selon les épreuves, il doit pointer sur un écran tactile, l’item ne présentant
pas de lien phonologique, lexical, ou sémantique avec les trois autres
stimuli. L’objectif de ce travail est de rechercher si les troubles lexico-
sémantiques décrits dans l’agraphie des démences de type Alzheimer
sont spécifiques de cette modalité de langage ou s’ils sont la manifesta-
tion d’une perturbation lexico-sémantique plus globale. Si le trouble
lexico-sémantique sous-jacent à l’écriture est central, il devrait entraîner
des corrélations entre les tâches faisant appel à un traitement lexical et
sémantique quelque soit la modalité étudiée, c’est à dire lors de l’écriture
sous dictée, comme dans les diverses tâches de décision pour les mots
et les images. Dans les épreuves d’écriture, le groupe des patients atteints
de maladie d’Alzheimer commet des erreurs dans chaque catégorie de
mots mais principalement dans celle des mots irréguliers. La moyenne
des erreurs phonologiquement plausibles est égale à celle des erreurs non
phonologiquement plausibles. Les erreurs de graphisme sont nettement
moins nombreuses et relevées chez 3 patients sur 12. La comparaison
avec une population témoin ne montre pas de différence significative
entre les scores aux mots réguliers ni pour la variable “troubles du
graphisme”. Des différences hautement significatives sont au contraire
relevées pour les scores aux mots irréguliers et aux logatomes, pour les
erreurs phonologiquement et non phonologiquement plausibles ainsi que
pour les temps d’exécution, les scores des déments étant inférieurs et les
temps allongés. Ces patients commettent des erreurs dans tous les tests
de décision. La comparaison avec le groupe témoin ne montre pas de
différence significative pour l’épreuve de décision lexicale à partir de
mots. Ce résultat est en accord avec les données de la littérature qui
soulignent la préservation de la lecture dans la maladie d’Alzheimer
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traitement phonologique se manifeste par des erreurs non phono-
logiquement plausibles et retentisse autant sur l’écriture de logatomes
que sur des épreuves de rimes à partir de mots (décision phonologique).
En revanche, il n’est apparu aucune corrélation entre l’écriture des mots
irréguliers et les épreuves lexicales ou sémantiques que ce soit à partir de
mots ou d’images. De même, aucune corrélation n’a été montrée entre
ces épreuves de décision et les erreurs phonologiquement plausibles. Ces
données suggèrent que la perte ou la difficulté d’accès aux représenta-
tions orthographiques des mots est indépendante des capacités de
traitement lexical et sémantique impliquées dans d’autres modalités.
Ainsi, le trouble lexico-sémantique sous-jacent aux perturbations de
l’écriture dans la maladie d’Alzheimer serait spécifique à cette modalité.
Ces résultats confirment l’interprétation neuro-fonctionnelle de l’agra-
phie dans la démence de type Alzheimer proposée par RAPCSAK et al.
en faveur d’une atteinte focalisée de régions cérébrales plutôt que d’une
atteinte diffuse.
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mémoire et la vitesse de traitement de l’information. L’étude comparative
de trois populations de patients atteints de maladie d’Alzheimer, patients
aphasiques par lésion focale et sujets normaux âgés (GLOSSER &
KAPLAN, 1989) n’a pas permis de réfuter ni de confirmer cette hypothèse
mettant en parallèle le vieillissement normal et le vieillissement patholo-
gique. Les auteurs soulignent un biais méthodologique difficile à contour-
ner lors de la comparaison de ces deux types de population. Les
différences quantitatives importantes entre les sujets normaux et les
patients impliquent de proposer un matériel suffisamment fréquent et
familier et de réduire la participation de paramètres non linguistiques, ce
qui conduit vraisemblablement à un effet plafond chez les sujets normaux.
Leurs résultats montrent que les troubles du langage dans la maladie
d’Alzheimer ne peuvent être la seule conséquence d’une modification
cérébrale focale dans les zones corticales impliquées dans les aphasies
fluentes. En effet, ils diffèrent d’une population aphasique par un grand
nombre de variables linguistiques. Toutefois, certaines perturbations
aphasiques semblent en rapport avec des lésions dégénératives focali-
sées, notamment dans le domaine du langage écrit (LAMBERT et al.,
1991; RAPCSAK et al., 1989). PENNIELLO et al. (1991) ont confirmé ce
résultat en utilisant la Tomographie par Emission de Positons chez un
groupe de déments de type Alzheimer. Ces auteurs ont pu mettre en
relation une agraphie lexicale avec un hypométabolisme prédominant
dans le gyrus angulaire gauche. De même, une corrélation a été relevée
entre la présence des troubles phonologiques en expression écrite et un
hypométabolisme dans le gyrus supramarginalis gauche. Ainsi, sans
sous estimer le rôle de l’atrophie cérébrale diffuse, la survenue de lésions
dégénératives focalisées est sans doute déterminante pour provoquer
l’apparition des troubles du langage dans la maladie d’Alzheimer.
H. Conclusion
Les modifications du comportement langagier lors du vieillissement
normal et au cours des démences organiques semblent très hétérogènes
tant au plan quantitatif que qualitatif. De plus, il est souvent difficile de
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stratégie et de la programmation. Dans les démences de type Alzheimer,
ce symptôme aphasique fréquent peut refléter deux types de perturba-
tions avec des formes intermédiaires. Dans le premier cas, il s’agit d’une
difficulté d’accès au lexique, la différence avec les troubles liés au
vieillissement normal est alors quantitative. Dans le second cas, il s’agit
d’une perturbation des représentations sémantiques, distinguant nette-
ment la maladie d’Alzheimer du vieillissement normal et des autres
démences. Ces distinctions schématiques et théoriques sont fondées sur
des études de groupes. Elles peuvent servir de guide au clinicien qui doit
les intégrer dans un contexte plus large mais elles s’avèrent toutefois
difficiles à appliquer dans de multiples situations individuelles.
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La rééducation des aphasies
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Langage et aphasie
A.Langage oral
1. Première partie
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modèles classiques, les déficits qui ne sont pas mentionnés par ce mode
d’approche seront traités dans un premier temps. Il s’agit, en l’occurence,
du “MANQUE du MOT”; signe si fréquent, bien qu’utilisé à tort et à travers
pour définir souvent des dysfonctionnements de nature très différente :
Dans l’état actuel des choses, les informations recueillies sur le savoir
tacite de ces aphasiques sont souvent contradictoires. Pourtant, il s’avère,
sans nul doute, que le coût d’encodage de l’expression orale est trop élevé
pour ces aphasiques qui sont alors, à la phase initiale de leurs troubles,
dépendants de systèmes d’activations exogènes (ou hétéroactivation).
On connaît les effets de facilitation très classique de l’ébauche acousti-
que, phonologique du mot (ou clé phonémique) ainsi que ceux du
contexte inducteur. Ces complétudes de phrases-clichées provoquent,
dans la majorité de ces cas, un effet de déblocage immédiat de l’énoncé
cible. Certes, ces procédures sont souvent remises en questions étant
donné que lors des premières tentatives de démutisation, elles seraient
d’un effet très peu durable. COHEN en 1979 avait tenté de démontrer que
si les expressions automatiques (ou clichés) avaient une efficacité
immédiate et réelle, elles ne laissaient que peu de traces à long terme par
rapport à des expressions plus neutres. Il en serait de même pour les
formes d’indiçage phonémique (ébauche acoustique du mot) dont l’effet,
selon PATTERSON et al. (1983) ne dépasserait guère cinq minutes,
jamais une demi-heure. Ces observations sont souvent indéniables à la
phase initiale d’une démutisation, en tout cas, dans la mesure où l’effet
n’est parfois positif que sur le champ, ou durant quelques secondes… et
ce de façon inconstante. Il n’empêche que, dans les cas graves, les
phrases neutres ne produisent aucun déclanchement langagier en temps
que mode d’activation exogène. En effet, pour être efficaces, ces straté-
gies impliquent en quelque sorte, un certain mode d’emploi à géométrie
variable puisqu’elles exigent : 1°) des modes de reïtération dosés en
230
Contributions psycholinguistiques
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l’amorçage des représentations tant au niveau phonologique qu’au
niveau sémantique…. sans compter que d’autres modes de renforcement
d’ordre extra-linguistique doivent se surajouter aux précédents : il s’agit :
de l’expressivité du rééducateur à même de capter le regard du patient,
de l’illustration gestuelle de la signification d’un trait définitoire ou de
l’usage d’un objet, du mime relatant un commentaire quelconque, etc.
L’importance des gestes émis par le rééducateur mais également par
l’aphasique a été démontrée par ALBERT et al. (1981). Les thérapeutes
y ont recours d’instinct; les aphasiques, eux, doivent y être entraînés. Dès
que ces stratagèmes ne sont plus indispensables de façon immédiate, ils
sont utilisés en pré-stimulation puis abandonnés progressivement
(DUCARNE DE RIBAUCOURT et al., 1982).
L’illustration iconographique de ces propos, leur copie et lecture
(silencieuse ou à haute voix lorsqu’elle peut s’amorcer) profile l’adoption
d’un autre mode de stimulation qui évitera ultérieurement les phénomè-
nes de conditionnement opérant figés, nuisibles au transfert des acquis.
A ce stade d’évolution, le patient accède à la répétition (initialement
abolie, si ce n’est dans les cas d’aphasie transcorticale) de mots ou
phrases courtes. A noter que l’adoption de la voix chantée ou semi-
chantée est souvent un élément de facilitation initiale. ALBERT et al.
(1981) ont, de ce fait, exploité la Melodic Intonation Therapy (M.I.T.),
hyperstandardisée. Aussi est-elle peu souvent employée selon les règles
imposées initialement. Le recours à une voix semi-chantée ainsi qu’à une
prosodie adaptée à la signification de l’énoncé est d’usage plus répandu.
Quant au choix du lexique, il s’effectue, dans ces cas d’aphasie de
Broca, en fonction des effets de concrétude et donc de picturabilité, de
classe, de fréquence, de longueur et de complexité phonémique.
Elle a des rapports avec le T.O.T. (Tip On the Tongue), ou “mot sur le bout
de la langue”. Dans ce cadre, les modes de déclanchement cités précé-
demment s’avèrent alors totalement inopérants (chez le normal, MAYLOR,
1990, et chez l’aphasique). Etant donné qu’il s’agit de provoquer le rappel
231
Langage et aphasie
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tant de syllabes de…”.
Enfin, il est reconnu par tous les spécialistes de la mémoire que la
récupération de la trace mnésique sera généralement plus aisée si
l’environnement dans lequel a eu lieu l’apprentissage initial est le même
que celui qui préside aux conditions de rappel. Il s’agit, en l’occurence,
des lieux ou de certaines personnes dont la vision agit en élément
déclanchant instantané. Il est donc favorable de recourir à “la spécificité
du contexte”, rarement “in vivo “, mais à l’aide de documents visuels,
acoustiques ou bien d’anecdotes familières. Toutefois, on réduira cet effet
en multipliant, dans la phase terminale de la rééducation, les conditions
d’évocation du mot.
2. Deuxième partie
Il s’agit de décrire les modes thérapeutiques sélectionnés en fonction de
l’atteinte des niveaux de traitement proposés par les classiques modèles
de fonctionnement du langage.
232
Contributions psycholinguistiques
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prononcé par une voix familière parmi des langues étrangères inconnues
ou bien antérieurement parlées par le patient; 3°) le traitement analytique
phonologique des phonèmes et des syllabes : a) lors de processus de
reconnaissance d’abord visuo-acoustique en utilisant l’afférence de se-
cours visuelle intégrée au cours d’épreuves de désignation de lettres et de
syllabes; b) lors de processus de conversion audio-phonologique : la
répétition.
L’identification spécifiquement acoustique des signes sonores du lan-
gage indispensable à la répétition est alors facilitée par l’accentuation et la
visualisation des formes de contraste de leurs traits distinctifs. Les gestes,
les mimes, le mode de production vocale employés sont identiques à ceux
décrits en cas de dyspraxie verbale. Ils reproduisent le cumul d’indices
perceptifs qui, progressivement, seront estompés. On aborde ensuite le
traitement analytique des mots ou segments phrastiques perçus comme un
continuum sonore indifférencié. Au niveau intra-segmentaire, les paramè-
tres présidant à la sélection de ces énoncés sont le choix de constituants très
contrastés sur le plan phonologique et prédominant dans les zones
fréquentielles graves ou moyennes mieux perçus que les sons aigus (quitte
à utiliser un sélectionneur de fréquence), le choix de phonèmes continus et
sonores, mieux perçus que les phonèmes brefs et sourds. On veillera aux
effets de markedness, de neutralisation et de saillance induits par le mode
de positionnement des phonèmes informatifs, aux effets non moins redou-
tables de compétition perceptive dus au nombre majoritaire de certaines
catégories de phonème agissant comme stimuli distracteurs.
Au niveau intersegmentaire, le choix des segments phrastiques devra
éviter certaines formes d’ambiguïté sémantique favorisée par des énoncés
se prêtant à un traitement parcellaire (disposition – clairvoyant) ou bien
présentant des relations d’homophonie consécutive à des erreurs si fréquen-
tes de segmentation d’origines diverses (par exemple : l’avis de l’expert/la
vie de l’expert – elle boit son thé/elle boisson – ils en ont assez/ils ont tassé).
De façon plus générale, le recours à la modalité d’entrée visuelle ne
doit être utilisé qu’à titre de renforcement lors des épreuves de répétition
de mots et de phrases puis de dictée (soit dans un temps préalable, soit
en cas d’achoppement insurmontable). Elle ne doit, en aucun cas servir
d’afférence substitutrice.
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Langage et aphasie
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téléphonique et télévisée nécessitera, à cette ultime phase de la rééduca-
tion, l’adoption des stratagèmes décrits précédemment.
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aphasies dites “dissidentes” (d’origine frontale sous-corticale) (PUEL et
al., 1984), nommées également syndromes psycho-linguistiques puis-
qu’elles se caractérisent par l’incapacité de demeurer dans les limites
d’un système d’opérations mentales suggérées par un contexte logique
ou bien par les données précédemment exposées; ce phénomène tradui-
sant l’incapacité d’inhiber des associations anarchiques et par consé-
quent des propos incohérents aberrants (PONCET & CECCALDI, 1991).
Les programmes de traitement ont alors pour but de restituer les
montages opératoires qui conditionnent l’action régulatrice du langage,
d’où les tâches de raisonnement logique, déductif d’abord concrétisées,
manuelles et susceptibles de démontrer la preuve tangible de l’échec, puis
sans référence manipulable, mais à même d’être verbalement explicitée. On
citera comme matériel le recours à des logiciels sur ordinateur qui censurent
systèmatiquement l’erreur, les jeux d’associations logiques d’ordre divers,
des problèmes de raisonnement logico-verbal induisant une ou plusieurs
variables, mais surtout le syllogisme et la transivité.
Dans le jargon sémantique sans altération de la pensée conceptuelle,
le déficit n’affecte que la censure du lexique et se traduit par des
paraphasies verbales (emploi d’un mot pour l’autre) ainsi que par des
phénomènes d’incompatibilité lexicale. Les systèmes de contraintes sont
réactivés par des énoncés privilégiant l’axe paradigmatique du langage
à savoir : épreuves de correspondance de mots compatibles avec puis
sans support imagé, complétude d’énoncés à lacune, questions fermées
à même de produire des réponses contraintes, description de scènes
actualisées, dénomination avec commentaires, évocation de contraires
et synonymes, recodage d’énoncés cibles à l’aide de formules équivalen-
tes, réponses libres à des questions ouvertes.
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Langage et aphasie
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persistent.
Depuis le moment où ces patients bénéficient d’une prise en charge
orthophonique avisée, l’on peut prévenir, sinon éviter l’installation pro-
gressive de cette forme évolutive de l’aphasie de Broca à condition, dès
la phase initiale du mutisme, de réactiver des formules linguistiques
brèves mais grammatisées (entre – c’est moi – j’ai faim – il fait beau) et
d’éviter des processus abusifs d’étiquetage à l’aide uniquement de
syntagmes verbaux. Aussi, est-il classique d’user d’un matériel à même
de répondre à ces impératifs : images figurant des personnages animés
et des objets présentifiés, questionnaires cibles comprenant la formula-
tion syntaxique quasi intégrale de la réponse (vous ne voulez pas sortir,
vous êtes fatigué, vous dites) ou histoire à compléter de GOODGLASS
(1976) avec, puis sans amorçage préalable, répétition, dictée et lecture
à haute voix de tous ces énoncés.
Les programmes de rééducation sont basés sur la stricte observance
des stades de réacquisition de ces patients (DUCARNE, 1986;
GOODGLASS, 1976; MAURY, 1971; NESPOULOUS, 1973) (usage
préférentiel des présentatifs, des vocatifs, de la structure S.N. + S.N., du
futur proche, des prépositions sémantisées). Il n’empêche que certains
critères de difficulté doivent prendre en compte des formes diverses
d’enrichissement des syntagmes nominaux (la grande canne blanche de
mon ami aveugle), ainsi que des syntagmes verbaux (Pierre et Odile ont
mangé du poisson, des frites, du fromage et de la glace).
D’autre part, le langage dialogué impliquant le style direct,
conversationnel, doit faire l’objet d’un entraînement régulier en rétablis-
sant, si possible, les diverses formes d’actualisation personnalisée à
même de le réactiver. On peut s’inspirer de certaines méthodes audio-
visuelles d’apprentissage du français, tout en les adaptant aux compor-
tements langagiers du patient, ainsi qu’en personnalisant les actants et les
thèmes.
Les difficultés résiduelles affectent la mise en relation des propositions
souvent juxtaposées par ces aphasiques qui ont effectivement recours à
la syntaxe positionnelle dès qu’ils accèdent à la fonction d’un récit
minimal encombré de marqueurs de vide et de processus d’intensifica-
tion. D’où la pratique de la conversion du style direct en style indirect, de
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opérations morpho-syntaxiques d’ordre computationnel qui, dans les cas
favorables, permettront l’accès à des structures de plus en plus élaborées.
Dans la dyssyntaxie (paragrammatisme – jargon syntactico-sémanti-
que), étant donné les mécanismes de conditionnement réciproque du
traitement de la syntaxe et du lexique sur lequel insistent les neurolinguis-
tiques, la procédure a pour objectif de remettre en application les règles
d’accord contextuel ainsi que de restaurer les relations de dépendance
syntactico-sémantique. Elle présente beaucoup d’analogies avec celle
utilisée en cas de jargon lexico-sémantique. Toutefois, GOODGLASS
insiste, dans ce cas de figure, sur la perte des compétences linguistiques.
Effectivement, tous ces patients présentent une forme accentuée
d’anosognosie de leur déviances morpho-syntaxiques. Tous croient
savoir et réalisent, sur un ton d’évidence, des phrases totalement erro-
nées, à tel point qu’ils sont incapables de repérer en choix multiple, la
formulation adéquate. Or ce feed-back ne peut être remis en circuit
qu’après un entraînement souvent prolongé de l’écoute acoustique de
structures cibles-modèles opposées aux productions pathologiques que
l’intonation vocale doit rendre saillante.
L’assertion de GOODGLASS semble également confirmée par le fait
que les formes d’abord inspirées par les données de la grammaire
structurale (appariements de segments de phrases conditionnés par des
morphèmes ou des accords de temps ou de mode, ou bien tâches de
conversion de modèles), sont insuffisantes pour normaliser l’usage de la
grammaire orale, mais surtout écrite. Il est, de ce fait, quasiment
impossible de ne pas recourir à l’étude des règles normatives élémentai-
res telles qu’elles figurent dans les grammaires analytiques (et, pour la
plupart des patients, d’une certaine génération, telles qu’elles ont été
enseignées). La dyssyntaxie prédominant dans le langage écrit, on
procède alors à des exercices classiques d’application contraignants
ainsi qu’à des narrations libres à même d’assurer le transfert des acquis.
Stipulons que, dès que l’on aborde l’emploi des expansions
propositionnelles, on observe de façon inexorable un déficit de la mé-
moire tampon responsable des phénomènes de non saturation de phra-
ses. Aussi, à ce stade de la rééducation, la lecture à haute voix, la
répétition immédiate ou différée, la dictée ou transcription également
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Langage et aphasie
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et l’output et justifiant oralement et par écrit des programmes thérapiques
à traiter de façon parallèle.
Dans les cas d’aphasie globale, l’accès direct au traitement séman-
tique, à une compréhension dite automatique, pragmatique (pour ne pas
dire perception inconsciente) se trouve favorisée par certains facteurs
jouant un rôle déterminant au cours d’une communication dialoguée ou
d’un bref discours. On citera : le degré de familiarité, d’investissement et
d’implication relaté par le thème abordé, la présence du contexte
situationnel, ou de référence, le nombre d’intervenants dans la conversa-
tion, la longueur des interventions.
Enfin, en aucun cas, il ne faudrait négliger l’effet des modes de
renforcement paralinguistiques suivants : expressions et mimes faciaux,
intonations prosodiques, postures, gestes significatifs, regards avisés;
c’est par le biais de tous ces subterfuges que l’on peut améliorer l’accès
à la signification du langage non seulement connotative mais dénotative.
MILLER & ELLIS (1987) ont confirmé qu’il s’agissait bien d’un dysfonc-
tionnement de l’accès aux représentations phonologiques justifiant une
thérapie à même : a) de rétablir les spécifications formelles ou mécanis-
mes de programmation phonologique et, de ce fait, de prévenir les
déviances au niveau de la selectivité et de la sériation des phonèmes, b)
de réactiver le buffer phonologique.
C’est bien par la mise en action des systèmes d’entrée : écoute et
visualisation de mots courts, ainsi que des systèmes de sortie : répétition,
dénomination et transcription, que l’on optimalise l’activation simultanée
de tous les systèmes de représentation des constituants phonémiques des
mots (LE DORZE & NESPOULOUS, 1989). Ces constituants syllabiques
doivent être émis de façon prégnante tout en respectant le pattern
acoustique lexical indispensable à leur représentation sémantique. Dès
qu’une paraphasie formelle est produite, on procèdera au rétablissement
du self-control syllabique par le recours au feed-back spécifique : il
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Contributions psycholinguistiques
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A noter une remarque d’ordre général : on évitera les comportements
modalisateurs consécutifs à un manque de distanciation psychologique
susceptible de provoquer l’abandon du self-control si fréquent dans ces
cas d’aphasie.Parfois une pré-rééducation est alors justifiée lorsqu’il
s’agit de restaurer la fonction du dialogue par le biais d’un canal de
communication non langagier (surtout en cas de loghorrée).
Quant aux dommages ou défaillances attribuées au buffer
phonologique, ils semblent difficiles à préciser. CARAMAZZA et al.
(1986) insistent sur son rôle qui est de maintenir temporairement des
représentations phonologiques qui ne correspondent pas aux unités
d’analyse de ce niveau de traitement de l’information mais qui seraient
nécessaires à la conversion des segments phonologiques en configura-
tions articulatoires.
Cette interprétation cognitive soulève le problème posé par l’intégrité
ou l’altération de la répétition des jargons phonologiques intègres de tout
déficit du système d’analyse acoustique du signal. On connait l’impor-
tance de ce facteur qui conditionne une évolution favorable (quelle que
soit l’importance du jargon initial). Il semble que la définition proposée
définit à proprement parler le système phonologique de sortie dont la
thérapie n’est pas sans présenter des points communs à celle que nous
venons d’évoquer.
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Langage et aphasie
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L’anarthrie ou dyspraxie verbale est caractérisée par des difficultés de
réalisation de l’articulème en raison d’un trouble important affectant la
programmation du geste articulatoire. Depuis les publications de T.
ALAJOUANANINE et M. DURAND (1937), les anglo-saxons insistent sur
le fait que l’altération se situe au niveau de la représentation de l’acte
(ARONSON, 1983). De ce fait, le patient n’a plus accès à la réalisation
de tous les paradigmes articulatoires concourrant à la maîtrise d’un seul
phonème (perte des principes de coarticulation). Il va donc falloir
normaliser les praxies impliquant les organes phonateurs en deux temps
distincts. 1°) Lors des “non-speech movements “, c’est-à-dire de gestes
élémentaires d’abord pourvus de finalité (avec, puis sans forme d’actua-
lisation) puis dépourvus de signification et préfigurant le mode articulatoire
des phonèmes. 2°) Lors des “speech movements” (ARONSON, 1983), au
niveau du phonème isolé, c’est alors le traitement du programme et de la
réalisation des gestes articulatoires qu’il faut rendre accessible au patient.
Rappelons que, même au niveau de la production d’un seul phonème, les
difficultés incombant à la phonétique combinatoire interviennent. De ce
fait, la caricature des composantes articulatoires visualisables sur le plan
buccal sera-t-elle renforcée par des gestes étrangers à l’appareil phonatoire
mais susceptibles de procurer des données supplémentaires sur le mode de
réalisation de l’articulème (procédure citée par l’école soviétique).
Les critères de difficulté présidant à l’ordre d’acquisition des phonè-
mes présentent quelques points communs avec ceux de l’ontogenèse.
Dès que l’on est en mesure d’envisager la production de phonèmes
successifs, d’énoncés lexicaux ou de phrases courtes, ces critères se
référent au principe de contraste maximum (moins le geste est différencié
du précédent et plus il est difficile à ajuster). Ils sont également dépen-
dants de l’effet de positionnement des phonèmes dans leur ordre sériel
ainsi que des phénomènes d’interférence dus au contexte d’environne-
ment phonétique (constrictives dans contexte d’explosives, postérieures
dans contexte d’antérieures, sonores dans contexte de sourdes, etc.)
(DUCARNE, 1986).
L’évolution de ce syndrome vers une dysprosodie ou pseudo-accent,
justifie l’amélioration des “bavures articulatoires” ainsi que celle du
formant esthétique vocal et de l’intonation supra-segmentale, bref du
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Contributions psycholinguistiques
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système nerveux central avant et durant l’exécution du monitoring.
Cette fonction prédictive serait à même d’être incorporée dans une
activité de pré-programme du “tract vocal” de la production phona-
toire. Effectivement, lorsque ce système avertisseur fonctionne à
temps et que spontanément, le patient n’est pas encore en mesure de
s’autocorriger, il recourt volontairement au plan d’exécution analyti-
que ainsi qu’aux subterfuges nécessaires au réajustement des orga-
nes phonateurs.
b Le feed-back acoustique intervient après l’exécution de l’acte. Les
modes de correction qu’il entraîne sont identiques aux précédents.
Toutefois, ils seront plus axés sur les problèmes de timbre vocalique
et d’intonation prosodique. L’usage de ces systèmes de contrôle,
inconscients chez le normal, est déficitaire chez l’aphasique à la phase
initiale de la rééducation. Il devra donc être soumis à des modes
d’entraînement divers exploitant d’abord des méthodes de rétro-
contrôle.
Signalons, dans un autre ordre d’application, une méthode de rétro-
contrôle (biofeed-back) utilisée lors des rééducations motrices de
l’hémiparésie faciale permettant de réduire l’asymétrie faciale ainsi que
certains troubles paralytiques de la phonation prédominant au niveau de
l’hémilangue, la joue droite et les lèvres.
En dépit de la prise en compte de tant de paramètres dans cette
rééducation arthrique, rappelons la multiplicité des muscles mobilisés de
façon synergique, ainsi que la complexité de la fonction respiratoire
nécessaire dès l’émission d’un phonème isolé. Or si l’on se réfère au
particularisme vocal, aux contingences inhérentes à la phonétique com-
binatoire et, en particulier, à la multitude des variations allophoniques
générant des milliers de combinaisons lors de formes de passage intra-
ou intersegmentaire d’un phonème à l’autre, il semble illusoire, dans les
cas graves, de pouvoir restaurer intégralement la multitude des facteurs
indispensables à la spécificité phonatoire antérieure du patient, à savoir :
sa voix aussi particulière et unique que son visage.
241
Langage et aphasie
B. Le langage écrit
En dépit de la spécificité des systèmes de fonctionnement du langage
écrit par rapport à ceux du langage oral, il s’avère pourtant que certains
troubles linguistiques affectent conjointement et l’expression orale et
l’expression écrite, pour des causes identiques. Dans la pratique, ce fait
est incontestable, en dépit de sa remise en question. Il n’existe pas à notre
connaissance, d’aphasiques ayant parfaitement récupéré leur langage
oral, sans que ne le soit leur langage écrit. Il n’est guère possible de nier
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le fait que la modalité écrite de l’expression linguistique renforce la
modalité orale et inversement.
Toutefois, il est non moins indéniable : que certains déficits de
l’écriture sont majorés par des dysfonctionnements qui leur sont spécifi-
ques et qui se surajoutent aux précédents, que certains systèmes de
dysfonctionnement écrit sont séléctifs et s’observent indépendamment
de l’atteinte du langage oral. Dans cet ordre d’idée, les modules cognitifs
proposent des niveaux de traitement, des mécanismes de fonctionne-
ment, des modes d’interprétation de la production du langage écrit qui
permettent de préciser, chez l’aphasique, les composantes du système
fonctionnel qui sont altérées et par conséquent, les procédures thérapiques
à adopter (COLTHEART et al., 1987).
242
Contributions psycholinguistiques
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l’aide parfois de “trucs divers”).
243
Langage et aphasie
tion théorique. Ses résultats sont très positifs. Stipulons que ce niveau de
traitement est également affecté dans le syndrome de Gertsmann.
L’atteinte du système moteur graphémique (ou agraphie apraxique)
provoque une altération des patterns grapho-moteurs, c’est-à-dire la
réalisation graphique des lettres (mais aussi de formes non
linguistiques).On exerce alors le patient a) à des formes d’entraînement
graphique préconisées dans des fiches programmées de préparation à
l’écriture à même de guider l’orientation spatiale des traits et de corriger
les maladresses graphiques, b) à des copies serviles, puis à des conver-
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sions de caractères d’imprimerie en cursives, de minuscules en majuscu-
les, c) à la réalisation de lettres sans modèle, à la signature, jusqu’à ce
qu’elle soit conforme à la sienne ainsi qu’à son “écriture” d’antan.
D. L'usage de l'ordinateur
Il est incontestable dans certains de ses apports : autonomie du patient,
possibilité d’auto-correction, rythme de travail, rigueur des programmes
imposés et des modes d’évaluation ainsi que censure instantanée des
erreurs commises. Certains programmes de traitement sont proposés
dans le cadre sémiologique où se situent les patients à même d’en
bénéficier (DELOCHE, 1990). D’autre part, diverses batteries de logiciels
pour patients aphasiques et cérébrolésés sont proposés sous forme de
programmes micro-informatiques, par exemple : “Wege” (1990)*.
244
Contributions psycholinguistiques
CROISIER (1992) fait remarquer, dans ce cas précis, que “la reflexion
technique précède la reflexion cognitiviste”. Effectivement, mentionnons
qu’il ne suffit pas de connaître le mode d’emploi de la tâche, mais qu’il
reste essentiel de pouvoir discriminer les cas d’aphasie auxquels ils
seraient dévolus pour qu’ils soient appliqués de façon profitable.
Ce mode de rééducation, même utilisé à titre complémentaire, doit
éviter l’écueil d’apprentissages ponctuels et tenir compte du fait qu’il est
muet.
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E. Approche environnementale
Il est certain que c’est la famille ou l’entourage direct de l’aphasique qui
est en mesure de réactiver les productions langagières obtenues “in vitro”
dans le cadre de la rééducation orthophonique, en procédant à la
généralisation, mais surtout à l’actualisation “in vivo”, de ces acquis.
C’est également lui qui assure, dans certains cas, la réïtération de
programmes de travail (standardisés et préconisés par l’orthophoniste) à
même d’être réalisés entre les séances de rééducation.
Toutefois, si nous avons évoqué la restauration de la fonction langa-
gière, il est important de mettre également l’accent sur la revalidation de
toutes les potentialités résiduelles, mêmes muettes, de ces aphasiques.
Il s’agit, en effet, d’assurer la pérennité de leurs traits de personnalité
antérieure grâce au renouement (parfois au remaniement) des modes de
relations interpersonnelles à même de restituer leurs antécédents affectifs
spécifiques et de limiter les phénomènes d’auto-dévaluation de l’ego. Les
thérapies comportementales réussies sont celles qui ont su procéder à
leur revalidation narcissique (compte-tenu de l’image antérieure et du
handicap présent), en maintenant certaines formes antérieures ou récen-
tes d’investissement ainsi qu’en utilisant, à des fins accessibles et
gratifiantes, leur “driving” et toute leur énergie intrapsychique souvent
minimisée.
245
Langage et aphasie
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Champs prospectifs
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La “mise en mots”…
De la phrase au discours :
Modèles psycholinguistiques
et pathologie du langage
Jean-Luc NESPOULOUS
251
Langage et aphasie
D’amont… en aval
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De l’observation “in vitro”… à l’observation “in vivo”
Les données ordinairement glanées pour “valider” l’architecture (= ni-
veaux de représentation et processus) des modèles évoqués ci-dessus
émanent :
• soit de situations d’observation “classiques” (à défaut d’être parfaite-
ment “naturelles”), impliquant la dénomination, la répétition ou la
lecture à haute voix de mots possédant telle(s) ou telle (s)
caractéristique(s) formelle(s) et/ou sémantique(s);
• soit de tâches “fort peu classiques”, et cette fois franchement expé-
rimentales, telles que les tâches de décision lexicale.
Toutes ces tâches sont d’une grande utilité pour la recherche
neuropsycholinguistique et il est grand temps d’en voir l’usage se
répandre, au quotidien, dans l’univers qui est le nôtre. Toutefois, quelle(s)
que soi(en)t leur pertinence et leurs vertus, deux limitations importantes
les caractérisent. D’une part, elles ont tendance à être d’autant plus
sophistiquées et “probantes” qu’elles envisagent les étapes “aval” (les
mieux formalisées ?) du traitement de l’information linguistique. D’autre
part, elles demeurent toujours des observations de type “in vitro”, dont il
restera certainement longtemps difficile de trouver l’articulation avec la
pratique “in vivo” – normale ou déficiente – du lexique dans la vie
quotidienne du sujet parlant…
• avec ses réussites… le mot juste, bien extrait, au bon moment, du
lexique mental… et bien énoncé;
• avec ses carences aussi, y compris, bien entendu, celles que tout un
chacun éprouve à un moment ou à un autre (sans être ni dysphasique,
ni aphasique);
• avec enfin le déploiement, parfois impressionnant, dans de telles
situations de carence, de multiples stratégies palliatives, et ce même
chez le sujet dysphasique ou aphasique.
Le rejet – à notre sens exagéré et trop hâtif – dont de telles tâches sont
souvent l’objet de la part de personnes plus éloignées du domaine de la
recherche et plus proche de celui de la clinique courante – trouve très
certainement sa cause première dans ce caractère “in vitro” que nous
venons d’évoquer.
252
Champs prospectifs
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cohérents de phrases successives, tels qu’ils peuvent être observés dans
le cadre de récits structurés. Plus proche de la production langagière
“naturelle”, la PLC permet aussi de s’aventurer – mais avec prudence (cf.
infra) – vers les niveaux du traitement de l’information situés plus en
amont dans un modèle de production du langage et non plus simplement,
par exemple, dans un modèle de production de mots isolés.
253
Langage et aphasie
Processus inférentiels
II
REPRESENTATION DU MESSAGE
II
Processus logico-syntaxiques
II
REPRESENTATION FONCTIONNELLE
II
Processus syntaxiques et phonologiques
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II
REPRESENTATION POSITIONNELLE
II
Processus phonologiques réguliers
II
REPRESENTATION PHONETIQUE
II
Processus de programmation motrice
II
REPRESENTATION ARTICULATOIRE
II
II
PRODUCTION
254
Champs prospectifs
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ou
“Actant 1 + Procès + Actant 2”
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Langage et aphasie
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mais (c) en l’absence des mots lexicaux de classe ouverte (cf.
infra). A ce niveau, par exemple, le locuteur doit maintenant
choisir entre une structure active ou une structure passive.
2 la sélection des formes lexicales adéquates (compte tenu des
niveaux de représentation – “Représentation du Message” et
“Représentation Fonctionnelle” – précédents). C’est dire que,
pour GARRETT, le traitement lexical requiert deux types de
processus distincts : l’un à base sémantique, dont nous avons
parlé ci-dessus, et l’autre à base formelle, dont il est ici question.
En d’autres mots, la question est à présent de savoir si, à ce stade-
ci de l’encodage du message, l’on décide d’aller chercher le mot
“Napoléon”, le syngtame “l’empereur”, l’autre syntagme “le corse”,
l’autre syntagme encore “le despote”… ou tout simplement le
pronom “Il” (si “Napoléon” a déjà fait l’objet d’une lexicalisation
dans une phrase précédente). Tous ces mots ou syntagmes ont
pratiquement la même représentation lexicale au niveau fonction-
nel. Ils ne diffèrent que dans leur “enveloppe formelle” et permet-
tent de maintenir la cohésion et la cohérence d’un texte (si l’on
veut un instant dépasser les limites de la phrase !) sans recourir à
la simple répétition – à effet litanique – d’un seul et même mot !
3 l’insertion des items lexicaux pré-cités dans la matrice syntaxique
ci-dessus. L’erreur, précédemment citée, qui avait conduit un
locuteur à dire “Paul bat Pierre” au lieu de “Pierre bat Paul”, trouve
ici une deuxième origine possible. Partant, cette fois, d’une
représentation fonctionnelle parfaitement adéquate, ce locuteur a
édifié correctement une matrice syntaxique, il a sélectionné
correctement les vocables dont il avait besoin… mais il a commis
une erreur lors de l’insertion des lexèmes dans la matrice6.
Ces trois types de processus débouchent donc sur l’édification de la
représentation positionnelle, où la linéarité du message – chère à un
256
Champs prospectifs
SAUSSURE – apparaît pour la première fois… d’où le nom, retenu ici par
GARRETT, de “représentation positionnelle”7.
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Pourquoi un tel “retraitement” ? Tout simplement parce que, chez le
sujet normal comme chez l’aphasique, des erreurs phonémiques viennent
émailler, avec plus ou moins de fréquence, le discours de l’être humain.
Le sujet, qui, par exemple, produit /balavo/ en lieu et place de “lavabo” :
– nous fournit la preuve qu’il avait bien trouvé le mot dont il avait besoin
(et donc la première représentation phonologique abstraite telle
qu’elle “dort” vraisemblablement dans notre lexique mental)…
– … mais il nous indique en même temps que, lors du traitement
sublexical requis pour la production du message “en temps réel”, il a
éprouvé quelques difficultés (et nous ne parlons pas ici de difficultés
articulatoires. Cf. infra).
Ces processus sublexicaux – et nous interprétons ici quelque peu les
propos de SHATTUCK-HUFNAGEL par souci de parallélisme avec nos
propos antérieurs – sont, eux aussi, au nombre de trois :
1 Edification d’une matrice “métrique” correspondant à la structuration
syllabique canonique du mot-cible8,
2 Sélection des divers segments (ou phonèmes) nécessaires à l’encodage
du mot en question,
3 Insertion de ces segments dans la matrice.
Dans l’exemple précédent – du sujet produisant /balavo/ pour /
lavabo/ – on peut ainsi penser que les deux premiers processus ont
convenablement fonctionné et que le problème est survenu lors de
l’insertion de phonèmes (entités abstraites, comme chacun sait !) dans la
matrice, avec “échange de position” des trois consonnes situées toutes
trois (et ce n’est certainement pas un hasard !) en position initiale (ou
“attaque”) de syllabe.
7. Jusqu’à ce moment précis, il est bien difficile, voire impossible, de savoir si une
quelconque “linéarité” existe dans l’ensemble des opérations à la base de l’encodage
du message verbal. L’édification de la matrice actantielle (cf. supra) ne nécessite pas
la moindre indication d’ordre; seule semble importante au niveau “fonctionnel”
l’établissement d’une hiérarchie relationnelle entre les représentations lexico-séman-
tiques.
8. Cf. chapitre de Sylviane Valdois dans ce volume.
257
Langage et aphasie
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il “auraient dû” apparaître, de même qu’ils émanent le plus souvent de
mots ayant le même statut lexical catégoriel (e.g. : nom/nom, adjectif/
adjectif). La représentation phonologique linéaire dont il est ainsi question
dans le paragraphe précédent est une représentation phonologique du
syntagme ou de la phrase à produire et non celle d’items lexicaux
isolément considérés (mot à mot).
I.5 Viennent enfin, dans le modèle de GARRETT, les niveaux de représen-
tation et les processus “plus périphériques” – phonétiques, en particulier
(= articulatoires et coarticulatoires) – débouchant finalement sur la pro-
duction effective du message par les organes de la phonation.
En dépit de ses lacunes – et tous les modèles en ont – le modèle de
Merrill GARRETT – et c’est pourquoi nous avons choisi de le présenter –
permet souvent de situer efficacement, à différents niveaux des opéra-
tions d’encodage d’un acte de parole, différents types de production
pathologique relevés chez tel ou tel patient aphasique.
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Champs prospectifs
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de la phrase comme : macrostructure, cohésion, cohérence. C’est cette
deuxième voie qui nous intéresse dans le présent chapitre et nous
voudrions, dans les lignes qui suivent, spécifier modestement quelques-
unes des propriétés qu’un tel modèle de génération de texte devrait
posséder. Toutefois, plutôt que de parler d’engendrement de texte dans
l’absolu, nous raisonnerons dans ce qui suit sur la base d’une situation
discursive fréquemment utilisée en clinique depuis le travail de pionnier
de Marie-Claire CÉLÉRIER : le discours narratif sur images séquentielles.
2.1. Objectifs
259
Langage et aphasie
ceci ne voulant absolument pas dire que nous nous enfermions d’emblée
dans un modèle de type séquentiel. Si ce dernier type de modèle nous
semble, de fait, acceptable pour rendre compte des procédures d’encodage
du discours (i.e. certaines chronologies sont exclues), il apparaît beau-
coup plus difficilement “tolérable” dès lors que l’on s’intéresse aussi aux
procédures d’intégration de l’information perçue. Dans ce dernier cas, en
effet, un modèle interactif paraît plus adéquat et pertinent étant donné, en
particulier, la complémentarité évidente des processus “bottom-up” (=
allant du signal de surface vers son interprétation10) et des processus “top-
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down” (= permettant d’anticiper souvent la suite, non encore perçue, d’un
signal donné sur la base de nos “connaissances antérieures”11).
260
Champs prospectifs
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la séquence d’images. En effet, à ce dernier niveau, le sujet se doit aussi
(a) d’“identifier” chaque image (et non plus simplement chaque partie
d’image), (b) de “hiérarchiser” ces dernières et enfin (c) de “prédiquer”
ou mettre en relation chaque image avec les autres, là aussi faisant la
différence entre images “primordiales” et “secondaires”. Il y a donc, si l’on
peut dire, double traitement (ou double “passage” dans le traitement de
l’information) – intra-image et inter-images –, chaque traitement nécessi-
tant trois types d’opérations : identification, hiérarchisation et prédication.
Ceci permet déjà de dégager plusieurs “parcours” ou “profils” (P) :
P1 Le sujet ne peut identifier convenablement les constituants
iconographiques : il est (pour faire court) agnosique. Dès lors, dans la
mesure où il peut encore hiérarchiser et prédiquer, il finira par produire
un discours qui n’aura pas grand chose à voir avec celui qui est
attendu, puisque, dès le départ, ce patient sera constamment victime
de “fausses reconnaissances” (“paragnosies”).
P2 Le sujet peut identifier les constituants mais il ne peut les hiérarchiser
(ou il les hiérarchise mal), soit au niveau de chaque image – cela
donne un discours, au pire énumératif et, au mieux, descriptif, voire
même narratif (mais il y a alors autant d’histoires qu’il y a d’images !)
–, soit au niveau de la séquence d’images dans son ensemble. Dans
tous les cas, le discours produit ne correspond pas à celui qui est
attendu.
P3 Le sujet peut identifier les constituants; il peut les hiérarchiser au
niveau de chaque image, mais, cette fois, il est également capable de
hiérarchiser et prédiquer l’ensemble du matériel iconographique :
cela donne le vrai discours narratif.
Tout cela est bel et bon… mais tout n’est pas nécessairement dans les
images ! Il y a, en effet, tout ce qui peut être inféré à partir de ces dernières,
le “peut-être” gagnant souvent à être remplacé par un “doit être”, tant il
est vrai que, sans l’appréhension de ces inférences, la narration subsé-
quente manquerait de densité. On mesure ici de plus en plus la complexité
psycholinguistique ou, plus généralement dit, cognitive d’une tâche
comme celle que nous avons retenue ici ! L’appréhension du dit
iconographique doit donc être complété par l’appréhension de l’implicite
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Langage et aphasie
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inférentiel se mettant en branle dès que possible.
A bien des égards, les processus inférentiels sont sans limites : aux
inférences prévues par le concepteur de la séquence d’images peuvent,
en effet, venir se rajouter des inférences spécifiques au décodeur lui-
même… “venir se rajouter”, disons-nous, et non venir se substituer car,
dans ce dernier cas, le décodeur parviendrait à une substance du contenu
inadéquate (il y aurait “erreur inférentielle”). Les projections inférentielles
doivent donc s’effectuer sous le contrôle des représentations échafaudées
sur la base des processus “classiques” – et premiers, si l’on peut dire – que
sont : l’identification, la hiérarchisation et la prédication.
a Macrostructure narrative
A ce premier niveau, le locuteur se doit d’édifier un programme narratif
global dans lequel vont se retrouver vraisemblablement (a) les compo-
santes primordiales issues de l’intégration du message iconographique
(CIP) et (b) leurs relations fondamentales – issues des opérations de
hiérarchisation et prédication –. Ce même locuteur se devra également de
prendre une décision quant au degré d’explicitation qu’il souhaite donner
au message : va-t-il “inférer” plutôt que “dire” ?… va-t-il “coller” à la
structure du message iconographique initial ou va-t-il traiter le message
de départ, de façon plus personnelle, soit en “détaillant” plus que
nécessaire, soit en condensant l’information au maximum ? A cet égard,
il doit être clair que le “travail inférentiel” de celui qui recevra le produit
narratif fini sera directement proportionnel à la part que celui qui a encodé
262
Champs prospectifs
b Microstructure narrative
Une fois édifiée la macrostructure du discours narratif en voie de transmis-
sion, le locuteur se doit de construire des unités narratives de base – ou
propositions –, véritable découpage du programme narratif global initial
en ses constituants de base. Il s’agit ici de caractériser la structure
actancielle des différentes propositions, au niveau que GARRETT a
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décidé d’appeler “fonctionnel” (cf. supra).
14. Dans le présent chapitre, nous avons fait volontairement abstraction de tout ce qui a
trait à l’“habillage modalisateur” du discours, grâce auquel le locuteur “se manifeste
dans son discours”, “nous livre son opinion par rapport à l’histoire qu’il raconte”… Cf.
à ce propos NESPOULOUS, J-L., 1980, “De deux comportements verbaux de base :
référentiel et modalisateur. De leur dissociation dans le discours aphasique”, Cahiers
de Psychologie, 23, 195-210.
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veut pas nécessairement dire que le “traitement de l’information” s’est
effectué de façon identique chez tous les sujets (JOANETTE et al., 1986).
Il indique seulement que le choix d’une stratégie plutôt que d’une autre
s’est effectué (a) soit du fait de l’existence de certaines contraintes
inhérentes au système déficient (chez le cérébrolésé droit, par exemple),
(b) soit du fait de la seule volonté du locuteur (chez le sujet normal).
En conclusion, il est tout à fait clair que, comme indiqué précédem-
ment, quiconque se propose d’analyser le discours pathologique se doit
de sortir du cadre strict de la linguistique de la langue pour pénétrer dans
l’univers, certes moins formalisé mais non moins indispensable, de la
linguistique textuelle et de la pragmatique. S’il est optimiste, il peut
espérer trouver, dans le cadre de ces disciplines, les modèles structuraux
qui font défaut à la linguistique à la CHOMSKY ou à la SAUSSURE. Il reste
que, même dans un tel contexte optimiste, il devra ensuite faire des
propositions quant à la nature des niveaux de représentation et des
processus psycholinguistiques susceptibles d’entrer en jeu lors de la
genèse dynamique d’un discours narratif. Si les disciplines que nous
venons juste de mentionner nous fournissent bien le matériau structural
nécessaire à la caractérisation d’unités de production largement supé-
rieures à la phrase, il n’en demeure pas moins qu’elles sont peu préoccu-
pées (tel n’est pas leur objet) des divers processus – mnésiques,
attentionnels… – nécessaires à la production et à la compréhension en
temps réel (si possible) de telles structures.
Que leur domaine d’étude soit la phrase ou le discours continu,
linguistes et sémioticiens partagent donc tous les mêmes limitations :
leurs modèles “de compétence” négligent – par définition – un ensemble
de composantes indiscutablement indispensables à un “modèle de
performance”, et le neuropsycholinguiste et l’aphasiologue que nous
sommes se doit donc de faire quelques propositions, aussi imparfaites et
provisoires qu’elles puissent être, pour tenter d’appréhender les
15. Cf. les travaux d’Yves JOANETTE et al. sur les cérébrolésés droits comparés à des
sujets exempts de toute lésion cérébrale. Cf. en particulier JOANETTE Y., GOULET P.,
SKA B. & NESPOULOUS J.-L., 1986, “Informative content of narrative discourse in
right-brain-damaged right-handers”, Brain and Language, 29, 1.
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Champs prospectifs
Bibliographie
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Champs prospectifs
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Linguistique, sciences
du langage et constructions
du sens en contexte :
Le traitement de l’ambiguïté
Catherine FUCHS
A. La linguistique contemporaine
parmi les sciences du langage
Parmi les diverses sciences du langage, la linguistique est la seule à
prendre le langage pour objet exclusif. Objet qu’elle appréhende à travers
l’étude des langues : en celà réside sa spécificité. Grande est cependant
la diversité des théories linguistiques et, corrélativement, la diversité des
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Langage et aphasie
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(jusque vers la fin des années 1960) et la grammaire générative (prépon-
dérante dans les années 1970-1980), qui ont instauré certains modes
d’interaction entre la linguistique et les autres sciences du langage. Par-
delà leurs différences, ces deux courants ont adopté une conception assez
voisine de l’objet de la linguistique, que l’on peut schématiser comme suit.
L’objet de la linguistique a été caractérisé comme un système abstrait
et stable, analysable pour lui-même, indépendamment de ses emplois
effectifs ; à cet égard, il y a bien continuité, de la “langue” de SAUSSURE
(opposée à la “parole”) à la “compétence” chomskienne, ensemble de
règles intériorisées par le sujet parlant (opposée à la “performance”) :
l’homogénéité et la stabilité du système postulé commun à tous les
locuteurs de la langue s’opposent à la variabilité des mises en fonction-
nement effectives, qui sont l’objet d’autres disciplines.
Ce système a été conçu comme autonome par rapport à l’extra-
linguistique et analysable en termes d’une hiérarchie de niveaux (phono-
logie, morphologie, syntaxe, lexique, etc.) tendant eux aussi à être
conçus comme mutuellement autonomes (d’où par exemple la double
interprétation possible du “modularisme” de FODOR (1983) : autonomie
du module-langage vis-à-vis des autres activités cognitives, et autonomie
des différents modules linguistiques entre eux).
Enfin ce système a été abordé avant tout comme un système de
formes (unités, catégories, ou structures) : le sens tendant à être, sinon
banni, du moins relégué au second plan.
Ces vues communes ne sauraient masquer, par ailleurs, de profondes
différences entre les deux courants – différences qui ont porté notamment
sur la question des universaux du langage (simples universaux de
méthode pour les structuralistes, très sensibles à l’irréductible diversité
des langues ; ambitieux projet d’une “grammaire universelle” pour les
générativistes), et sur la caractérisation du niveau de base du système
(niveau du signe pour les structuralistes, niveau des structures syntaxi-
ques pour les générativistes).
Face à une telle linguistique du système de la langue, le champ des
collaborations avec la psychologie et la neurologie s’est trouvé, ipso
facto, délimité. L’étude des mises en oeuvre du système par les sujets
(dans leurs fonctionnements “normaux” ou dans leurs dysfonctionnements
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La psycho-linguistique a connu d’abord l’époque behavioriste dite de
la “psychologie du langage”, marquée par une conception associationniste
du comportement verbal (abordé en termes de stimulus-réponse) ainsi
que par l’analyse stochastique des productions verbales dans le cadre de
la théorie de l’information (par exemple étude des fréquences d’occur-
rence de mots dans des corpus), et inspirée, du point de vue linguistique,
par le distributionalisme (version américaine du structuralisme) : c’est
l’époque d’OSGOOD & SEBEOK (1954), de SKINNER (1957). Elle a
ensuite connu l’époque des études dites de “performance”, qui s’effor-
çaient de tester (initialement sur les structures syntaxiques) la réalité
psychologique des notions avancées par la grammaire générative, en
cherchant à établir des corrélations entre la longueur du temps de réponse
des sujets, au plan de la performance, et la complexité des mécanismes
linguistiques (comme par exemple les transformations syntaxiques) mis
en jeu au plan de la compétence : c’est l’époque du débat CHOMSKY-
PIAGET (cf. PIATELLI-PALMARINI, 1979 ; voir aussi MEHLER & NOIZET,
1974).
Quant à la neuro-linguistique, elle a également été liée dans un
premier temps au structuralisme : que l’on songe à l’étude pionnière des
liens entre troubles de production phasiques et lésions de l’hémisphère
dominant par ALAJOUANINE, OMBREDANE & DURAND (1939) ou aux
travaux de VYGOTSKIJ, LURIA & JAKOBSON sur les aphasies ainsi
qu’aux célèbres développements de JAKOBSON (JAKOBSON & HALLE,
1956) sur les processus métaphoriques et métonymiques. Puis à son tour
elle a rencontré la grammaire générative : en témoignent, entre autres, les
travaux du M.I.T. (BLUMSTEIN, CAPLAN, FODOR, GARRETT).
2. Évolutions récentes
A cette situation historique, très schématiquement esquissée, s’oppose
sur nombre de points la situation actuelle des recherches sur le langage.
Celle-ci semble en effet se caractériser par un certain éclatement des
champs disciplinaires et inter-disciplinaires traditionnels, tels qu’ils vien-
nent d’être rappelés.
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d’“amorce”) ; parallèlement, d’autres courants se sont développés au
sein de la psychologie cognitive, s’attachant pour certains à décrire les
représentations conceptuelles associées aux formes lexicales ainsi que
leur organisation en mémoire (et insistant en particulier sur des phénomè-
nes qualitatifs comme celui de la “typicalité”, à la suite des travaux de
ROSCH, 1978), pour d’autres à décrire les opérations de structuration,
d’interprétation et de mémorisation des textes (cf. par exemple DENHIÈRE,
1984).
Deuxième caractéristique : la prise en compte des facteurs sémanti-
ques (en particulier lexicaux) dans les mécanismes de traitement du
langage et l’émergence d’une problématique de l’interaction de la séman-
tique avec les autres niveaux linguistiques (en particulier avec la syntaxe
et le lexique) ainsi qu’avec des données non linguistiques (pragmatiques,
connaissances d’univers, inférences) lors de la production et de la
compréhension effectives de phrases ou de textes : cette problématique
interactiviste (adoptée notamment par JOHNSON-LAIRD, 1983) s’op-
posant à la thèse modulariste de Fodor.
Troisième caractéristique : les modèles informatiques, élaborés en
particulier dans le domaine de l’intelligence artificielle, tendent à supplan-
ter les modèles d’inspiration linguistique (en témoignent les nombreuses
métaphores informatiques concernant par exemple les problématiques
de la “représentation des connaissances”, et de l’“accès” aux divers types
de connaissances, les traitements par analyse “montante” ou “descen-
dante”, etc.). Au reste, il est révélateur que le champ dit des “sciences
cognitives”, reste encore, pour l’heure, davantage fréquenté par les
psychologues et les informaticiens que par les linguistes.
Dans le domaine de la neuro-linguistique, certaines caractéristiques
similaires se sont fait jour.
En premier lieu, une diversification des courants : le courant propre-
ment neuro-linguistique, représenté en particulier par le groupe de
Montréal (LECOURS, NESPOULOUS, JOANETTE, PARADIS : cf.
LECOURS & LHERMITTE, 1980 sur l’aphasie), et par les équipes de
HÉCAEN, DUBOIS, GOLDBLUM et al. et de BEAUVOIS, DELOCHE,
DUCARNE, SIGNORET et al., a poursuivi sa recherche de corrélations
entre comportements langagiers pathologiques et lésions anatomiques
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(perception et motricité) à l’oeuvre dans des processus langagiers
comme l’écoute, la phonation ou la lecture (cf. les travaux de LÉVY-
SCHOEN ou de O’REGAN sur les mouvements oculaires).
En second lieu, une prise en compte de la multiplicité des sous-
systèmes complémentaires (linguistiques et non linguistiques)
interagissant lors des performances langagières, ainsi que de l’existence
de mécanismes compensatoires ; plus spécifiquement, certaines recher-
ches semblent s’orienter vers l’idée que les zones du langage dans le
cerveau correspondraient à des opérations de calcul (calculs de recon-
naissance auditive, visuelle ou proprioceptive, calculs de mémorisation,
calculs d’ordonnancement et de contrôle, etc.), communs à tous les
niveaux structurels du système de la langue et apparaissant également
lors de tâches non langagières (comme la coordination de gestes ou la
planification d’actes) : cf. LAVOREL (1989) p.134.
En troisième lieu, la linguistique, en tant que telle, paraît être, là
encore, assez peu présente : dans ce domaine, les recherches sur la
phonétique et la phonologie sont surtout le fait de psychoacousticiens, de
physiologistes et de neuropsychologues, les recherches sur le lexique
celui de neuropsychologues et de psychologues, etc., au point que
certains (cf. LAVOREL art.cit, pp.128-130) ont cru y voir le signe de
carences de la linguistique, qui ne fournirait que des descriptions stati-
ques centrées sur la langue (ou les langues), là où il y aurait besoin
d’approches dynamiques de l’activité de langage.
Qu’en est-il donc des évolutions récentes de la linguistique elle-
même ? Si la situation actuelle manifeste une sorte d’émiettement
théorique, on peut toutefois discerner, par-delà cet apparent éclatement,
quelques grandes lignes de force. Il est frappant de constater en particulier
que nombre de théories linguistiques aboutissent, à l’heure actuelle, à une
remise en cause des vues traditionnelles, héritées du structuralisme et du
générativisme, sur les rapports de la linguistique à l’objet langage. Par là
elles paraissent susceptibles de rejoindre certaines conclusions ou inter-
rogations des psychologues et des neurologues du langage.
Tout d’abord à côté des syntaxes de la phrase se sont développées des
théories de la constitution des énoncés en situation, qui ont inscrit le sujet
au sein même du système de la langue : pour elles, le “moi-ici-mainte-
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labilité des opérations signifiantes) et sur la dynamique des actes de
langage (diversité des valeurs illocutoires résultant de la visée de l’inter-
locuteur par l’émetteur). Par là s’est trouvée introduite la dimension de la
variabilité inter- et intra-subjective dans la langue, cependant que, dans
un domaine tout différent, les travaux en typologie des langues, s’atta-
chant à décrire les variations inter-langues, susbtituaient aux notions
d’universaux et de grammaire universelle celle d’invariants opératifs
abstraits (cf. SEILER & BRETTSCHNEIDER, 1985).
C’est, on le voit, la dichotomie tranchée entre le système et sa mise
en fonctionnement qui tend ainsi à être mise en question, et, du même
coup, le recours à un locuteur idéal, support neutre des règles de
compétence. Mise en question qui n’est pas sans évoquer certaines
interrogations de la psycholinguistique et de la neurolinguistique : dès les
années 1970, au sein même de la psycholinguistique d’obédience
générative, certaines voix s’étaient élevées pour souligner les difficultés
d’une articulation théorique entre compétence et performance (cf. par
exemple GLEITMAN, 1970, p. 43 ; cf. aussi les références citées par
BOUTON, 1984, p. 76) ; de leur côté, certains spécialistes de l’aphasie
avaient débattu de la pertinence de l’opposition compétence / perfor-
mance (cf. par exemple ZURIF & BLUMSTEIN, 1978 pp. 229-230,
récusant les interprétations de l’aphasie de Broca en termes de conser-
vation des activités de décodage ramenées à un savoir tacite de compé-
tence, et de perte des capacités d’encodage assimilées à la performance).
Par ailleurs l’autonomie postulée du système de la langue s’est
trouvée elle aussi relativisée à mesure que progressait en linguistique
l’idée d’une interaction des divers niveaux entre eux et d’une coopération
de ceux-ci avec les connaissances extra-linguistiques. L’interaction des
niveaux se donne à entendre dans des dénominations, courantes dans le
jargon des linguistes, telles que “morphonologie”, “morphosyntaxe”,
“phonosyntaxe”, “sémantico-syntaxique” ou “pragmasémantique”, et
diverses homologies ont pu être relevées entre le fonctionnement du mot,
celui de l’énoncé et celui du texte, appréhendables en termes d’opérations
linguistiques. En outre, l’existence de mécanismes de coopération entre
sémantique, pragmatique, connaissances d’univers et mécanismes de
raisonnement et d’inférence dans la construction de la signification a été
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que des générativistes des années 1970, qui cherchaient par exemple des
cas de dyssyntaxie associés à des lésions ne produisant que des déficits
grammaticaux, les travaux ont montré l’extrême difficulté de faire corres-
pondre aux divers types de lésions des déficits se situant de façon
exclusive à un niveau donné du système de la langue.
Enfin, la situation actuelle de la linguistique se caractérise par
l’importance grandissante accordée à la sémantique : si les structuralis-
tes avaient largement rejeté le sens, et les grammaires formelles fait
prédominer les structures syntaxiques, en revanche on assiste à l’heure
actuelle à un regain d’intérêt pour les faits de signification. D’une part le
centre de gravité des théories syntaxiques elles-mêmes s’est déplacé des
structures de la phrase vers les propriétés du lexique (cf. le nom de
“grammaire lexicale-fonctionnelle” donnée par BRESNAN à son modèle
syntaxique ; ou encore les “lexiques-grammaires” de GROSS). D’autre
part et surtout, sont apparues un certain nombre de théories linguistiques
assignant à la sémantique une place centrale (contrairement à la concep-
tion chomskienne qui n’y voit qu’une “interprétation” de la syntaxe), en
particulier tout un courant de grammaires dites “cognitives”, qui postulent
l’existence d’opérations linguistico-cognitives sous-jacentes aux diver-
ses expressions de langue (qu’il s’agisse d’unités lexicales, de marqueurs
grammaticaux, ou de structures syntaxiques) et qui abandonnent les
formalismes classiques d’inspiration logique pour se tourner vers d’autres
types de modélisations, par exemple topologiques, et aussi vers le
connexionnisme : voir notamment les travaux de JACKENDOFF (1983),
LAKOFF (1987), ou LANGACKER (1987).
Au total, il semble donc que le développement propre de la discipline
linguistique oriente celle-ci vers la construction de modèles dynamiques
de la langue (la récurrence actuelle de la notion d’opération linguistique
est à cet égard révélatrice), susceptibles de renouveler ses modes de
collaboration avec les autres sciences du langage, tant du côté de la
psychologie et peut-être de la neurologie du langage que du côté de la
simulation informatique. Ce que nous voudrions illustrer à présent sur un
domaine sémantique particulier, celui du traitement de l’ambiguïté.
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1. Deux approches concurrentes de l’ambiguïté
en psycholinguistique
En psycholinguistique, deux grandes hypothèses s’affrontent, concer-
nant le traitement par les sujets humains de séquences linguistiques
(syntagmes, phrases ou segments textuels) contenant des items ambi-
gus : l’hypothèse de l’activation multiple de toutes les significations, et
l’hypothèse de l’activation unique d’une seule signification (pour une
revue d’ensemble, voir SMALL et al. 1988, ou GORFEIN (Ed.) 1989) ;
dans cette présentation, nous nous inspirons en particulier de GOSSELIN
(1991) et de FUCHS & VICTORRI (1992).
L’hypothèse de l’activation multiple (“multiple reading hypothesis”,
ou encore “exhaustive computation hypothesis”) repose sur l’idée que les
séquences contenant des items ambigus seraient plus complexes à traiter
que les séquences univoques, dans la mesure où, toutes les significations
virtuellement possibles de l’item ambigu étant activées, l’interprétation
de la séquence entière serait retardée jusqu’au moment où un choix
désambiguïsant deviendrait possible : plus la séquence contient d’ambi-
guïtés, plus le processus interprétatif serait rendu difficile. Les expérien-
ces réalisées dans cette perspective reposent, selon les cas, sur des
tâches directes (détection explicite d’ambiguïté), ou indirectes (jugement
de véracité, complétion de phrases, détection d’un phonème dans un
“item-cible”, etc.). Dès 1970, une expérience de FOSS avait montré que
les sujets mettent plus de temps à détecter un phonème dans un item-
cible si celui-ci est précédé d’un mot ambigu.
C’est surtout l’expérience de SWINNEY qui a contribué à populariser
cette perspective. Déjà ancienne, puisqu’elle date de 1979, elle n’en
constitue pas moins l’une des principales références en matière d’activation
multiple. Dans cette expérience, le sujet est soumis à une double tâche :
il doit décoder une séquence orale contenant un item ambigu, cependant
qu’il visualise sur un écran une série de mots et de non-mots qu’il doit
identifier comme tels (tâche de décision lexicale). Les résultats montrent
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correspondant approximativement à trois syllabes sur la chaîne auditive),
seule reste facilitée la décision lexicale concernant le mot sémantiquement
lié à la signification contextuellement congruente de l’item.
L’interprétation donnée par SWINNEY est la suivante : pendant un
temps très court toutes les significations de l’item seraient activées par le
sujet au moment où il rencontre cet item, et un quart de seconde plus tard,
celle qui est contextuellement congruente serait sélectionnée, cependant
qu’il y aurait désactivation des autres (hypothèse dite de l’activation non
sélective suivie d’une désactivation immédiate) ; la prise en compte du
contexte n’interviendrait donc qu’au moment de la sélection de la
signification, non lors de la phase première d’activation.
L’hypothèse de l’activation unique (ou “sélective”) (“single reading
hypothesis”, ou encore “unitary perception hypothesis”) repose à l’in-
verse sur l’idée que les séquences contenant des items ambigus ne
seraient pas plus complexes à interpréter, et n’appelleraient pas de
procédure de traitement spécifique, dans la mesure où une seule des
significations de l’item étant activée et stockée en mémoire à court terme,
le temps d’interprétation de la séquence ne serait pas plus long que celui
d’une séquence univoque (cf. BOCK, 1978), du moins dans le cas où la
signification activée par le contexte antérieur inducteur ne serait pas
remise en question par la suite de la séquence (cf. SCHVANEVELDT &
MAC DONALD, 1981).
Ainsi, étant donnée l’ambiguïté du mot farce (= “préparation culinaire”
ou “plaisanterie”), une phrase comme Le charcutier avait très mal préparé
cette farce : elle n’était pas salée donnerait lieu, dans cette hypothèse, à
activation unique de la signification induite par le contexte antérieur
(charcutier) et congruente avec la suite du contexte (salée) ; dans le cas
contraire, illustré par des phrases dites “labyrinthes” (à “garden path”),
comme par exemple Le charcutier avait très mal préparé cette farce : elle
n’était pas drôle, où la suite du contexte (drôle) invalide la signification
activée, le sujet procéderait à un retour en arrière, et l’autre signification
serait à son tour activée (exemples empruntés à SPRENGER-CHAROL-
LES, 1988 qui, dans le cadre d’une analyse des mouvements oculaires
lors de la lecture, constate un nombre important de mouvements de
régression du contexte désambiguïsateur vers l’item ambigu, dans le cas
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perception visuelle d’images ambiguës : focalisation exclusive sur une
structuration signifiante, bloquant momentanément la possibilité de
percevoir l’autre solution (cf. cube de Necker).
Signalons par ailleurs que certaines hypothèses mixtes ont également
été proposées : par exemple celle (dite de la “fusion hypothesis”) de la
perception simultanée des deux significations, mais résultant en une
seule interprétation fusionnée, ou celle (dite “single reading by clause
end”) d’un traitement en parallèle des deux significations, mais avec
recodage immédiat d’une seule des deux au moment où l’interprétation
parvient à la fin de la proposition.
Ces deux hypothèses concurrentes ne sont pas sans rappeler les deux
grands types de techniques informatiques utilisés en traitement automa-
tique du langage pour la résolution des ambiguïtés : le traitement en
parallèle et le traitement séquentiel avec éventuel retour arrière (“back
track”). Là aussi, il existe des traitements qui cherchent à éviter les
inconvénients de ces deux techniques par une “mise en attente” du choix
jusqu’à ce que la suite de l’analyse permette de le faire en connaissance
de cause (cf. par exemple HIRST, 1987) : ils font écho aux hypothèses
psycholinguistiques mixtes qui viennent d’être évoquées (voir FUCHS &
VICTORRI, 1992).
Le débat sur le traitement des ambiguïtés lexicales se trouve traversé
par la question du rôle joué par le contexte : le contexte permet-il de
désambiguïser immédiatement un mot ambigu ? Modularistes et
interactivistes s’opposent sur ce point.
Le paradigme du modularisme proposé par FODOR (1983) reste le
cadre de référence dominant en psycholinguistique ; il se trouve radica-
lisé chez certains auteurs (cf. SEIDENBERG, 1985, ou PRATHER &
SWINNEY, 1988) sous la forme d’un modularisme lexical, selon lequel le
lexique constituerait lui-même au sein du module du langage un sous-
module autonome, qui, lors du traitement d’une phrase, resterait pendant
un temps très court (environ 200 millisecondes) impénétrable tant par les
systèmes centraux que par les autres sous-modules linguistiques : “l’ac-
cès au lexique” serait ainsi insensible aux effets du contexte (entendu au
sens sémantico-pragmatique, c’est-à-dire extérieur au sous-module
lexical).
276
Champs prospectifs
C’est dans cette perspective que s’est situé SWINNEY pour interpréter
les résultats de ses expériences : la phase très brève d’activation de toutes
les significations de l’item ambigu correspondrait à l’accès au lexique,
tandis que la sélection de la signification pertinente serait due aux
processus centraux qui tiennent compte des connaissances non linguis-
tiques (croyances, désirs, informations d’arrière-plan) pour calculer la
congruence avec le contexte. D’autres expériences plus récentes sont
arrivées à des conclusions similaires (cf. par exemple SEIDENBERG et
al., 1982, ou KINTSCH & MROSS, 1985) ; certaines tendent à montrer en
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outre, à la suite de HOGABOAM & PERFETTI (1975), que si toutes les
significations possibles sont activées, les plus fréquentes le seraient
quelques millisecondes avant les autres (cf. SIMPSON, 1989).
A l’opposé, les interactivistes postulent que le contexte pourrait avoir
un effet immédiat dans l’accès lexical (cf. entre autres CARPENTER &
JUST, 1983). Les critiques qu’ils formulent à l’encontre de la perspective
modulariste et d’activation multiple – désactivation immédiate de SWINNEY
portent sur les points suivants : du point de vue du protocole expérimen-
tal, ils dénoncent le caractère artificiel des tâches proposées (cf. TABOSSI,
1989 p. 28), et l’interférence entre le traitement linguistique et une tâche
annexe de décision lexicale faisant intervenir un processus moteur (le fait
d’avoir à appuyer sur un bouton) ; du point de vue théorique, ils repro-
chent l’imprécision des notions de “contexte” et de terme inducteur
“sémantiquement associé” (cf. la critique de SIMPSON & KELLAS, 1989
p. 56) ; enfin et surtout, sur le plan de l’interprétation des résultats,
certains auteurs ont mis en évidence, dans les expériences de Swinney,
un phénomène dit d’“amorçage rétroactif” (“backward priming”) (cf.
GLÜCKSBERG et al., 1986) : selon eux, le sujet garderait en mémoire,
pendant un temps très court, la forme acoustique de l’item qu’il vient
d’entendre, et l’apparition à l’écran d’un mot sémantiquement lié à l’une
des significations de cet item aurait pour effet d’opérer un nouvel accès
lexical (pour une discussion critique de cette hypothèse, voir PRATHER
& SWINNEY, 1988, ainsi que TANENHAUS et al., 1988).
Au total, si le cadre de SWINNEY reste dominant, la situation est
cependant loin d’être claire. On notera en particulier combien est rendue
difficile la validation empirique des hypothèses en concurrence, du fait du
choix des protocoles expérimentaux mis en oeuvre : les hypothèses
opposées conduisent parfois à des prédictions identiques au niveau de
certains observables indicateurs des mécanismes sous-jacents. Ainsi les
analyses des activités mentales qui utilisent les temps de réponse
permettent de constater que les processus sont généralement très rapi-
des, ce qui peut s’expliquer soit par le caractère obligatoire, automatique
et “non intelligent” des différents traitements (tout choix étant coûteux en
temps), soit par le fait qu’ils sont en interaction (ce qui permet l’anticipa-
tion).
277
Langage et aphasie
Face à cette situation assez confuse, certains auteurs (cf. par exemple
TANENHAUS et al., 1987, ou TABOSSI, 1989) ont proposé de sortir de
l’alternative modularisme vs. interactivisme, en considérant que le con-
texte peut, selon les circonstances, jouer un rôle variable lors de l’accès
lexical. Perspective qui, nous allons le voir, peut également être argumen-
tée sur des bases strictement linguistiques.
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du sens et de l’ambiguïté
Les deux approches rivales qui viennent d’être présentées reposent toutes
deux sur des postulats communs concernant la conception même du sens
et de l’ambiguïté.
Au plan philosophique, elles manifestent une conception référentialiste
et mentaliste du sens : les mots étant conçus comme des images
symboliques de réalités extérieures, les significations se trouvent assimi-
lées à des représentations mentales de ces réalités et conçues comme
intrinsèquement associées aux mots ; c’est l’existence même de méca-
nismes sémantiques proprement linguistiques qui se trouve déniée (cf.
RASTIER, 1991).
En conséquence, elles décrivent la compréhension d’une séquence
linguistique par le sujet comme consistant à retrouver les significations
correspondantes à partir des signifiants, et s’intéressent avant tout à
déceler les facteurs facilitant ou retardant ce processus d’accès lexical et
de sélection de la signification. Une telle approche s’appuie sur trois
assomptions (cf. GOSSELIN, 1992, pp. 34-36) : tout d’abord l’inscription
dans la mémoire à long terme du sujet d’un ensemble de structures
cognitives (lexique mental, relations syntaxiques, schémas actanciels,
scripts, etc.) ; ensuite l’activation, par le sujet décodant une phrase, des
unités cognitives stockées dans sa mémoire (la rencontre d’un mot
activant non seulement la (ou les) signification(s) de ce mot, mais aussi
les significations de mots qui lui sont reliés au sein de structures
sémantiques ou lexicales) ; et enfin la compositionnalité de la significa-
tion (la signification globale de la phrase résultant de la somme des
significations activées à chaque mot et à chaque structure rencontrés).
En ce qui concerne le lexique mental, on retiendra la description,
d’inspiration très clairement informatique, qu’en donne FORSTER (1976) :
le lexique mental est conçu comme un ensemble de fichiers constitué d’un
fichier principal (grand lexique contenant toutes les informations néces-
saires à la reconnaissance des mots) et de fichiers périphériques (décri-
vant respectivement les propriétés phonologiques, orthographiques,
syntaxiques, etc., des mots) ; chaque entrée dans les fichiers périphéri-
ques serait associée à une sorte de pointeur pour l’entrée du mot dans le
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dans la mémoire du sujet, et non comme un processus de construction de
significations en contexte. (Cette conception, évidente dans le cas des
modularistes, est également partagée par les interactivistes : le contexte
correspond toujours à un ensemble de structures cognitives (qu’elles
soient lexicales, sémantiques ou pragmatiques) stockées en mémoire, et
qu’il s’agit seulement d’activer, c’est-à-dire de retrouver.)
Corrélativement à cette approche du sens, l’ambiguïté est abordée
comme un cas d’alternative sémantique : à un item lexical ambigu est
associée une liste finie de sens (on n’en retient en général que deux, que
l’on oppose) conçus comme disjoints et mutuellement exclusifs ; de
même à une phrase syntaxiquement ambiguë (ex : Le magistrat juge les
enfants coupables) sont associées deux structurations syntaxiques exclu-
sives (réduction d’une complétive ou réduction d’une relative, correspon-
dant respectivement aux deux paraphrases Le magistrat juge que les
enfants sont coupables et Le magistrat juge les enfants qui sont coupa-
bles).
Une telle approche de l’ambiguïté est parfaitement adaptée dans les
cas d’homonymie (tant lexicale que syntaxique), c’est-à-dire dans les cas
où plusieurs significations radicalement étrangères les unes aux autres se
trouvent correspondre à des signifiants qui, accidentellement, se confon-
dent. En revanche, elle ne va pas de soi dans les cas de polysémie, c’est-
à-dire dans les cas où l’on a bien affaire à une seule et unique unité ou
structure, susceptible de prendre un certain nombre des significations non
totalement disjointes (ex : plateau = “support plat” ou “étendue de pays
plate”, cuirasse = “partie d’une armure qui protège” ou “attitude morale
par laquelle on se protège”). De surcroît, le nombre de significations d’une
unité polysémique est souvent difficile à déterminer, du fait même de la
parenté entre ces significations (sans préjudice de la question d’une
éventuelle distinction entre “sens” et “acceptions de sens”) : ceci est
particulièrement net s’agissant des verbes (assignera-t-on, par exemple,
des sens différents au verbe changer dans Elle a beaucoup changé ; Je
vais changer de veste ; Tu devrais changer les rideaux ; La sorcière s’est
changée en fée ; Il faut changer les florins contre des francs ?) ou s’agissant
des morphèmes grammaticaux (un morphème grammatical comme
encore se voit attribuer, selon les dictionnaires, entre quatre et dix-neuf
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insérés dans un contexte minimum construit, ce qui conduit à deux effets
sémantiques inverses : d’une part cela polarise les significations, engen-
drant des ambiguïtés-alternatives artefacts qui se rencontrent rarement
dans des textes réels ; d’autre part cela gomme la possibilité, également
attestée dans des textes réels, d’une pluralité de significations indétermi-
nées (sous-déterminées, mixtes ou neutres).
C’est précisément pour rendre compte de la polysémie que certaines
théories linguistiques contemporaines proposent d’adopter une perspec-
tive, non pas d’identification des significations, mais de construction
dynamique du sens en contexte : des courants aussi divers que la psycho-
mécanique guillaumienne (cf. PICOCHE, 1986), la sémantique
componentielle (cf. RASTIER, 1988) ou la “topologie cognitive” de
BRUGMAN & LAKOFF (1988), décrivent ainsi les opérations linguisti-
ques régulières et prédictibles qui, à partir d’un sens de base relativement
peu déterminé associé à un item polysémique, permettent de construire
diverses significations selon les indices fournis par le contexte (c’est-à-
dire par les autres items co-présents sur l’axe syntagmatique).
Pour illustrer cette perspective, nous présenterons très brièvement
dans les lignes qui suivent les travaux de modélisation de la polysémie
menés dans le cadre du Laboratoire de Linguistique de l’Université de
Caen (URA, 1234 du CNRS) (notre présentation suit celle de FUCHS &
VICTORRI, 1992) ; sur la théorisation linguistique, voir FUCHS & LE
GOFFIC, 1983 / 1985 et FUCHS, 1988 ; sur la modélisation mathémati-
que et informatique, voir VICTORRI, 1988 ; pour un exemple de mise en
oeuvre, voir VICTORRI & FUCHS, 1992.
3. Un exemple de modélisation
Dans un cadre où la plurivocité et la variabilité comme sont conçues
comme premières, et comme inscrites de façon contrôlée et réglée dans
la sémantique du système de la langue, l’ambiguïté-alternative ne cons-
titue plus qu’un cas particulier du phénomène beaucoup plus général de
la polysémie.
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Plusieurs cas de figure de l’interprétation sont distingués. En plus du
cas classique de l’alternative entre deux valeurs contradictoires A et B,
nous avons en effet montré qu’une même expression pouvait aussi
donner lieu à d’autres constructions interprétatives, suivant le contexte :
la neutralisation, dans laquelle une valeur intermédiaire entre A et B est
construite, la surdétermination, dans laquelle les deux valeurs A et B
concourent à enrichir le sens et enfin la sous-détermination, où la
signification reste en-deçà de l’opposition entre A et B. Pour ne prendre
qu’un exemple : l’adverbe encore peut recevoir en contexte une valeur
durative (comme dans Hier, il était encore vivant) ou une valeur répétitive
(comme dans Il a encore dit une bêtise) ; dans certains contextes, on peut
avoir ambiguïté-alternative entre ces deux valeurs (comme dans Il a
encore les quatre as) ; dans d’autres contextes au contraire, ces deux
valeurs ne s’opposent plus polairement, mais on a affaire à une valeur
mixte, ou intermédiaire, on encore sous-déterminée (comme dans Des
averses intermittentes se produiront encore demain, dans Mange encore
deux bouchées et tu auras ton dessert ou dans Son état de santé empire
encore chaque jour).
Cette théorisation linguistique a donné lieu à une modélisation en
termes de géométrie différentielle et à une implémentation informatique
à l’aide de réseaux connexionnistes.
Dans le modèle, une expression polysémique est caractérisée par
deux espaces : un espace de significations, dont les dimensions corres-
pondent aux diverses directions dans lesquelles peut se déployer le sens
de l’expression étudiée, et un espace d’indices, qui permet de prendre en
compte les éléments du contexte immédiat influant sur la signification de
l’expression. La construction de ces espaces nécessite une étude linguis-
tique approfondie de l’expression. Pour l’espace des significations, il
s’agit de déterminer les différentes dimensions dans lesquelles peut se
déployer le sens de l’expression (l’expression est décrite comme un
opérateur linguistique, susceptible de couvrir une zone plus ou moins
étendue de valeurs selon notamment le domaine sur lequel il porte, et
selon son mode de parcours du domaine). Pour l’espace des indices, il
faut recenser les éléments linguistiques (constructions syntaxiques,
classes lexicales du sujet, du verbe, déterminants, temps verbaux, etc.)
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cas de figure de l’interprétation correspond l’énoncé.
Comme le montrent les figures 1 à 3, pour lesquelles on s’est limité
à un espace de significations uni-dimensionnel, on peut ainsi représenter
des cas de figure correspondant à une interprétation univoque (fig. 1 : un
seul bassin d’attracteur conduisant à la valeur A), aussi bien que des cas
d’ambiguïté-alternative (fig. 2 : deux bassins nettement séparés avec
deux minima en A et B), ou encore des cas d’indétermination (un vaste
“plateau” plus ou moins plat et étendu, englobant A, B et toutes les valeurs
intermédiaires) ; ces cas d’indétermination pouvant eux-mêmes se sub-
diviser en neutralisation (fig. 3.1), surdétermination (fig. 3.2) et sous-
détermination (fig. 3.3). Cette représentation, qui se complexifie bien
entendu dans un espace multidimensionnel, permet donc de rendre
compte de la diversité des configurations interprétatives auxquelles peut
donner lieu une même expression polysémique dans des contextes
différents.
Du point de vue du traitement automatique, ce modèle a été implé-
menté à l’aide d’un réseau connexionniste récurrent (à liens bi-direction-
nels) dans lequel l’espace des unités d’entrée et celui des unités de sortie
représentent respectivement l’espace des indices contextuels et celui des
significations de l’expression polysémique. A chaque énoncé est associé
un point dans l’espace des indices, qui induit par l’intermédiaire du réseau
une dynamique sur l’espace des significations : le processus d’interpré-
tation consiste donc à parcourir une trajectoire dans l’espace des signi-
fications jusqu’à ce que le système se stabilise dans un état d’équilibre
(attracteur de la dynamique). Ainsi, en fonction des indices contextuels
présents dans l’énoncé, la forme de la dynamique sur l’espace des
significations change, ce qui permet de rendre compte des différents “cas
de figure” de l’interprétation : ambiguïté-alternative (présence de plu-
sieurs bassins d’attracteurs en compétition), neutralisation (bassin uni-
que centré sur une valeur intermédiaire), etc. Il faut noter que ce modèle
diffère sensiblement des autres modèles connexionnistes de levée de
l’ambiguïté qui ont été proposés jusqu’à présent (cf. POLLACK & WALTZ,
1985 ou COTTRELL, 1985). Ces modèles sont en effet “localistes”, alors
que le nôtre est “distribué” : or seule une représentation distribuée permet
de tenir compte du “continuum” de significations qui caractérise la
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Champs prospectifs
4. Perspectives cognitives
L’intérêt de cette représentation sur le plan psycholinguistique, c’est
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qu’elle pourrait permettre de modéliser le processus d’interprétation
comme un processus temporel : on pourrait en effet associer à la
trajectoire décrite dans l’espace des significations l’évolution de l’“état de
compréhension” du sujet et donc considérer ce processus comme une
simulation (très grossièrement simplifiée, bien entendu) des processus
cognitifs mis en oeuvre dans l’interprétation de l’expression polysémique
considérée. Un certain nombre de notions psycho-linguistiques trouve-
raient une interprétation naturelle dans ce cadre. Ainsi la notion d’antici-
pation : si, grâce à l’analyse antérieure, l’état initial dans l’espace des
significations est proche d’un attracteur de la dynamique au moment où
l’on aborde l’analyse de l’expression polysémique considérée, la trajec-
toire parcourue lors de cette analyse sera très courte, ce qui décrit bien
le phénomène observé. De même, différentes formes de trajectoire
pourraient rendre compte des expériences contradictoires au premier
abord portant sur le choix d’une interprétation dans le cas d’ambiguïté
potentielle : certaines trajectoires peuvent en effet représenter l’équiva-
lent d’un traitement “en parallèle” (quand la trajectoire reste assez
longtemps à égale distance de deux attracteurs), et d’autres un traitement
avec “retour arrière” (quand la trajectoire passe au voisinage d’un
attracteur avant de tomber dans le bassin d’un autre).
Afin de tester la pertinence de cette approche pour modéliser les
processus cognitifs mis en jeu dans l’interprétation d’expressions polysé-
miques, il faudrait dans un premier temps construire un véritable “simu-
lateur”, en introduisant explicitement dans le modèle la composante
temporelle afin de tenir compte du temps d’acquisition perceptif des
indices linguistiques présents dans l’énoncé.
Le simulateur devrait ainsi permettre de calculer le degré d’activation
des diverses significations possibles de l’expression à un instant donné de
l’acquisition perceptive de l’énoncé. En particulier, on devrait pouvoir, en
faisant varier l’ordre dans lequel sont acquis les indices contextuels
pertinents, produire des “cas de figure” différents de désambiguïsation, et
prédire ainsi des comportements qui pourraient faire par la suite l’objet de
vérifications expérimentales.
Dans un deuxième temps, c’est la stratégie elle-même d’acquisition
de ces indices qu’il conviendrait de simuler : en effet, à partir du
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analogue dans d’autres tâches cognitives impliquant la levée d’ambiguï-
tés, en particulier dans le domaine de la perception visuelle : à terme, il
serait intéressant de voir si l’on retrouve dans l’interprétation d’images
une classification en cas de figure analogue à celle que nous avons décrite
à propos de la polysémie linguistique, et de mettre en évidence, dans
différentes activités cognitives, de mécanismes communs, qui corres-
pondraient, au niveau cognitif, à la relative uniformité que l’on peut
observer dans l’architecture corticale et les mécanismes physiologiques
neuronaux.
Figure 1 : Univocité
Figure 2 : Ambiguïté-alternative
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Champs prospectifs
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Figure 3.3 : Sous-détermination
Figure 3.2 : Surdétermination
Figure 3.1 : Neutralisation
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Avant-propos
SOMMAIRE
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F. EUSTACHE et B. LECHEVALIER
Avant-propos 7
Première partie
Aphasies, langage et cerveau
P. MESSERLI
Une approche historique de l’aphasie 13
B. LECHEVALIER
Neurobiologie des aphasies 41
J. CAMBIER
Les aphasies sous-corticales 71
Deuxième partie
Contributions psycholinguistiques
I. MORIN
Les perturbations du système lexical 87
291
Langage et aphasie
S. VALDOIS
Les transformations segmentales d’origine aphasique 107
D. HANNEQUIN
L’agrammatisme : Diversité et variabilité de la production
et de la compréhension des agrammatiques 127
P. MORIN
Les alexies 147
J. LAMBERT
Les agraphies 173
F. EUSTACHE
Langage, vieillissement et démences 205
B. DUCARNE DE RIBAUCOURT
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La rééducation des aphasies 229
Troisième partie
Champs prospectifs
J.L. NESPOULOUS
La « mise en mots » … De la phrase au discours :
Modèles psycholinguistiques et Pathologie du langage 251
C. FUCHS
Linguistique, sciences du langage et construction
du sens en contexte : Le traitement de l’ambiguïté 267
292