Reforme Budgetaire Et Gestion Par Les Ojectifs Dans Les Pays A Faible Revenu
Reforme Budgetaire Et Gestion Par Les Ojectifs Dans Les Pays A Faible Revenu
Reforme Budgetaire Et Gestion Par Les Ojectifs Dans Les Pays A Faible Revenu
Sandrine MESPLE-SOMPS
Marc RAFFINOT
REFORME BUDGETAIRE ET GESTION PAR LES OBJECTIFS
DANS LES PAYS A FAIBLE REVENU : BURKINA FASO ET MALI
Sandrine Mesplé-Somps
DIAL, UR CIPRÉ de l’IRD
[email protected]
Marc Raffinot
Université Paris Dauphine
EURISCO, DIAL, UR CIPRÉ de l’IRD
[email protected]
RÉSUMÉ
Depuis 1997, le Burkina Faso et le Mali ont pris l’initiative de développer des budgets-programmes
(BP). Cette initiative s’est combinée avec d’autres processus déjà en cours (revues de dépenses
publiques), lancées en même temps mais séparément (programmes sectoriels), ainsi qu’avec
l’élaboration de cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté (CSLP) et de cadres de dépenses à
moyen terme (CDMT). Différentes tentatives ont aussi été faites à partir de 1997 pour améliorer la
coordination de l’aide et réformer la conditionnalité. Ces réformes rencontrent de nombreux obstacles.
Les BP ne sont pas encore vraiment opérationnels, sauf dans les secteurs qui disposent de programmes
sectoriels. Les CDMT restent formels, notamment en raison de l’importante part des dépenses
publiques financées par l’extérieur. L’amélioration de la coordination de l’aide progresse lentement.
L’adoption de CSLP permet de mieux situer les actions, tandis que le passage progressif à l’aide
budgétaire devrait accroître la transparence et l’efficacité de l’aide extérieure et des politiques
budgétaires nationales. Le principal frein à la généralisation de l’aide budgétaire demeure l’insuffisant
contrôle de la dépense publique, et l’absence de tradition d’analyse de la dépense publique en termes
d’opportunité et d’efficacité. Les bénéfices attendus de la décentralisation restent marginaux du fait de
la faiblesse des ressources financières au niveau local. Sur le plan technique, la généralisation du suivi
par indicateurs a fait progresser la réflexion sur les objectifs des politiques publiques. Cependant, la
polarisation sur les indicateurs eux-mêmes a quelque peu occulté les questions relatives à
l’interprétation des évolutions de ces indicateurs et à leur utilisation pour la réorientation des
politiques publiques. Le rôle de la société civile dans le débat sur les choix de dépenses publiques reste
encore peu défini. Enfin, les réformes en cours ont tendance à multiplier les entités administratives ce
qui concurrence les structures pérennes et les démotivent.
ABSTRACT
Since 1997, governments of Burkina Faso and Mali have decided to introduce results-oriented
programme budgeting alongside the traditional state budget. This reform was implemented with
insufficient coordination with others reforms in progress: Public Expenditure Review (PER), Sector-
Wide Approach to aid management (SWAPs), Medium Term Expenditure Framework (MTEF), and
Poverty Reduction Strategy Paper (PRSP). At the same time, pilot studies on conditionality and on the
aid process were implemented to improve aid allocation and efficiency. A lot of issues are associated
to these reforms. Results-oriented expenditure management works only nearly correctly in
departments where there are SWAPs. MTEF are formal but not operational. The coordination of
donors improves slowly. Transparency and efficiency of international aid and budgetary policies
would be getting better with PRSP and budgetary aid. But, the lack of control, monitoring and
evaluation of public expenditures prevents the generalisation of budgetary aid (in opposition to project
aid). The decentralisation process is too marginal. From a technical point of view, the use of indicators
in the monitoring of public expenditure has improved public expenditure policies. Nevertheless, they
are insufficiently used to discuss and guide public policies. Civil society is not enough involved in the
debate on public expenditure management. Last, governments in both countries tend to develop
administrative structures to manage reforms; this phenomenon weakens permanent public structures.
2
Table des matières
INTRODUCTION ..................................................................................................................... 4
CONCLUSION........................................................................................................................ 18
ACRONYMES ......................................................................................................................... 20
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES............................................................................... 21
Encadré 3 : L’intervention des bailleurs au Burkina Faso : ancienne ou nouvelle pratique ?.......................... 11
3
INTRODUCTION
Depuis déjà une quarantaine d’années la plupart des pays de l’OCDE ont engagé des réformes
budgétaires visant à rendre plus efficace la gestion des dépenses publiques. Il s’agit d’accroître la
transparence des processus de décision en matière de finances publiques, d’établir des liens entre les
objectifs de politiques économiques poursuivis et les dépenses publiques prévues et réalisées, et de
tenter de rendre plus responsables les gestionnaires des budgets publics et les fournisseurs de services
publics dans la réalisation des politiques souhaitées (Levoyer 2003). Comme le rappelle Diamond
(2003), la mise en place de cette nouvelle démarche budgétaire est un processus encore non achevé,
aux modalités diverses selon les pays. Certains pays sont des précurseurs en ce domaine, notamment la
Nouvelle Zélande et le Royaume Uni.
Des pays à faible revenu africains anglophones et francophones se sont récemment engagés dans ce
type de réformes budgétaires. Cet engagement vient à point nommé pour deux raisons. La première est
qu’il fait écho au débat sur l’efficacité de l’aide internationale et aux promesses prises de part et
d’autres, avec, il est vrai, plus ou moins de réserve, de faire en sorte que les procédures d’obtention et
d’allocation de l’aide soient plus souples et viennent soutenir, à travers un accroissement de l’aide
budgétaire, des politiques globales plutôt que des projets spécifiques. Les donateurs ont alors tout
intérêt à ce que l’ensemble de la gestion des dépenses publiques des pays receveurs soit « sécurisé »,
mieux programmé et exécuté, suivi et évalué en fonction d’objectifs définis en commun. La seconde,
liée à la première, tient au fait que de nombreux pays ont adopté un Cadre Stratégique de Lutte contre
la Pauvreté (CSLP). Il s’agit d’une condition pour obtenir la réduction de dette dans le cadre de
l’initiative pays pauvres très endettés (PPTE) et d’une manière plus générale pour accéder aux
financements du FMI. L’essentiel des politiques sociales contenues dans les CSLP repose sur
l’accroissement des dépenses budgétaires orientées vers l’amélioration du niveau de vie des plus
démunis. Si la gestion et le suivi de ces dernières sont inadéquats, les CSLP sont voués à l’échec. Une
réforme budgétaire orientée par les objectifs ne peut donc être que profitable à la réussite des CSLP.
De plus, étant donnés les faibles moyens humains dont disposent ces administrations il est
indispensable que ces réformes soient coordonnées et effectuées conjointement.
Le problème est de savoir comment de telles réformes peuvent réussir dans des pays à faible revenu,
alors que l’on rencontre tant de difficultés dans les pays industrialisés. Les réformes étant en cours, il
est difficile d’en présenter un bilan. Néanmoins, l’étude se propose, à travers les exemples du Burkina
Faso et du Mali, d’identifier les principaux problèmes rencontrés et de proposer différentes pistes
d’améliorations possibles de la gestion des dépenses publiques orientée par les résultats1. Ces
questions se posent tant au niveau du cadrage macro-économique des budgets publics, qu’à celui des
définitions des stratégies de politiques budgétaires, des objectifs de performance, des instruments de
surveillance et d’exécution des budgets et, enfin des outils et indicateurs de suivi et d’évaluation des
dépenses exécutées et des politiques réalisées.
Les pays francophones d’Afrique de l’Ouest, tels le Burkina Faso et le Mali, ont hérité de procédures
budgétaires très proches de la procédure française. Les caractéristiques de cette filiation sont la
présentation des dépenses par nature et la distinction entre services votés et mesures nouvelles. En
principe, la programmation et la gestion des dépenses publiques s’effectuent par nature, tandis que le
suivi est avant tout un contrôle de la régularité de la dépense. Ces procédures reproduisent donc la
plupart des lacunes d’un tel système, comme l’absence de visibilité à moyen terme et l’absence
d’analyse des résultats obtenus. Cependant, dans certains domaines, les procédures budgétaires
africaines se distinguent des françaises, notamment du fait du traitement séparé des dépenses
1
Ce texte synthétise les résultats de deux études entreprises dans le cadre d’une recherche coordonnée par l’Overseas Development
Institute (ODI), Centre for Aid and Public Expenditure (CAPE) portant sur sept pays à faible ou moyen revenu (Mesplé-Somps et al.,
2002, Raffinot et al., 2003). L’ensemble des rapports de ce programme est disponible sur le site www.odi.org .
4
d’investissement, gérées par les ministères du Plan et, en grande partie, par les institutions extérieures.
Même lorsque les ministères des Finances et du Plan ont été fusionnés, les différences de traitement
demeurent. Au moment de l’étude, les ministères des Finances et du Plan étaient fusionnés dans les
deux pays. Depuis, le ministère du Plan a été reconstitué au Burkina Faso (Ministère de l’Economie et
du Développement).
La plupart des problèmes rencontrés par les systèmes de programmation et de budgétisation dans les
pays à faible revenu sont connus depuis longtemps, et il est troublant de constater que les analyses et
les solutions proposées depuis la fin des années quatre-vingt sont souvent très proches de celles qui ont
été produites voici plus d’un quart de siècle (voir par exemple Caiden & Wildavsky 1974).
Des budgets-programmes (BP) ont été mis en place à partir de 1997 au Mali et de 1998 au Burkina
Faso. Il s’agit d’initiatives autochtones. Au Mali, le Parlement a joué un rôle décisif dans l’adoption
du budget-programme (qui fait d’ailleurs partie, sur le plan formel, des annexes au budget national
soumis au vote de l’Assemblée). Ces innovations budgétaires se sont inspirées du modèle canadien. Le
Canada a fourni un appui limité en termes de formation.
2
Le ministre des Finances, à l’origine de la réforme des budgets-programmes, souhaitait, par ce biais, mettre en place un système
d’incitation de collectes des recettes, les primes devant être calculées en fonction des écarts entre les recettes prévues et les recettes
collectées. Ce système a incité les régies de recettes à sous estimer les prévisions. A ce jour, cette prime est devenue une prime fixe et
non plus proportionnelle aux résultats.
5
1.2. … qui s’effectuent en même temps que d’autres réformes visant aussi à mieux gérer les
dépenses publiques
Les réformes visant à mettre en place les BP ont été adoptées indépendamment des réformes en cours
visant soit à rationaliser le circuit « classique » de la dépense publique, soit à coordonner les
interventions des bailleurs de fonds avec les politiques sectorielles nationales. Alors que, dans un
premier temps, elles se sont développées en parallèle, elles sont en train de converger dans la mesure
où elles ont pour objectif commun de rendre plus transparente et efficace la politique budgétaire. Il est
dorénavant difficile de les dissocier.
Les revues de dépenses publiques (RDP) ont été les premiers instruments mis en place dès le début des
années 90 avec l’adoption des programmes d’ajustement structurel. Initiées par la Banque mondiale
puis soutenues par la quasi totalité des bailleurs de fonds elles visent à évaluer l’efficacité des
dépenses publiques. Au début, les équipes qui effectuaient les revues étaient entièrement pilotées
depuis Washington. Devant leur piètre appropriation de nouvelles modalités ont été recherchées. Baro
(1995) note en effet qu’au Burkina Faso, la RDP n’a « contribué à améliorer aucune étape du
processus budgétaire » (p.68) et qu’elle n’a eu « aucun impact sur la coordination de l’aide » (p.69).
De plus en plus, ces revues sont réalisées par des équipes locales, avec généralement l’appui
méthodologique de quelques consultants internationaux. Les RDP n’ont pas de statut officiel de suivi
de la dépense publique. Il est d’ailleurs souvent noté que les recommandations des RDP sont rarement
suivies d’effets, même lorsque leurs conclusions sont discutées lors d’ateliers de restitutions. Elles ne
sauraient donc se substituer aux états officiels d’exécution du budget que sont les comptes
administratifs. En effet, seuls ces documents ont statut légal et sont destinés au contrôle du Parlement.
Les deux pays sont très lourdement dépendants de l’aide extérieure. En 2001, l’aide publique au
développement représentait 13,2 % du PIB au Mali, et 15,6 % au Burkina Faso. Au Burkina Faso, le
budget de l’Etat qui représente plus de 26% du PIB est financé pour un tiers par des dons
internationaux. Au Mali, le financement extérieur (dons et prêts nets) représentait en 2001 42 % des
dépenses publiques. La faible efficacité de l’aide a conduit à rechercher une meilleure organisation, et
notamment une plus grande coordination. Le Mali a été choisi comme pays test par les pays du Comité
d’Aide au Développement (CAD) de l’OCDE pour une revue de l’aide en 1997. Une expérience pilote
de réforme de la conditionnalité a été menée au Burkina Faso à partir de 1997 (Leandro, Shafer &
Frontini 1999), expérience qui a été ouvertement reprise par les IBW dans le cadre de l’approche
« lutte contre la pauvreté » (FMI et AID, 1999, p. 8).
A la même époque, la critique croissante de l’aide projet a poussé les bailleurs de fonds à définir avec
les autorités des programmes sectoriels (Sector Wide Approach ou SWAP en anglais). L’idée est de
définir pour un secteur donné un ensemble cohérent d’objectifs, de moyens et d’activités. De tels
programmes ont été mis en œuvre dans le domaine de l’éducation et de la santé dans les deux pays à
partir de 1997. Idéalement, l’ensemble des actions définies par le programme pourrait être financé à
partir d’un fonds spécial commun, alimenté par les différents partenaires extérieurs, ainsi que par le
budget national et possédant ses propres règles de gestion. Ceci n’a pas été possible. Tant au Mali
qu’au Burkina Faso chaque partenaire a conservé ses propres modalités de financement et de
décaissement. Ce n’est qu’en 2003 qu’au Burkina Faso, un fonds commun est en train de se mettre en
place pour financer le programme de l’éducation (procédure Fast track).
6
Le processus d’élaboration du CSLP s’est déroulé extrêmement rapidement au Burkina Faso (le CSLP
final a été adopté en 2000, il n’y a pas eu de CSLP Intérimaire). Par contre le processus malien a été
beaucoup plus lent (le CSLP Intérimaire a été adopté en 2000 et le CSLP final en juillet 2002).
Au Burkina, il est difficile de dissocier le processus en cours de mise en place des BP, des réformes
sur les conditionnalités de l’aide et du dispositif actuel d’élaboration et de suivi du CSLP. En effet, le
gouvernement burkinabé a concentré ses efforts en matière de suivi de la politique budgétaire par les
résultats sur les ministères sectoriels prioritaires, eux mêmes acteurs essentiels du CSLP (Ministère de
l'Economie et des Finances, volet régie ; Ministère de la Santé ; Ministère de l'Enseignement de Base
et de l'Alphabétisation ; Ministère des Enseignements Secondaire, Supérieur et de la Recherche
Scientifique ; Ministère de l’Agriculture ; Ministère de l’Environnement ; et Ministère de
l'Administration Territoriale et de la Sécurité).
Contrairement aux BP, les réformes qui viennent d’être décrites sont toutes imposées de l’extérieur.
Simultanément, des montages institutionnels tels que les processus participatifs des CSLP sont définis
afin que ces réformes soient appropriées par les gouvernements, les fonctionnaires et les populations
concernées.
Il était bien difficile d’obtenir des résultats rapides alors qu’un si grand nombre de réformes avaient
été entreprises simultanément.
Il faut cependant souligner que ces BP étaient très formels à l’origine. Les BP s’améliorent
progressivement, mais ceux qui existent actuellement sont encore assez loin de pouvoir servir à
transformer la gestion des finances publiques Au Mali, le montant des dépenses « programmées » ne
correspondait pas au montant voté inscrit au budget national, par exemple. Chaque « programme » est
en fait une description des tâches (voire des attributions) d’un service ou d’une direction. Il comprend
un grand nombre d’objectifs et d’indicateurs. Ces indicateurs sont rarement mesurés. Le coût des
programmes n’est que la projection des budgets actuels des services. Il n’y a pas de tentative d’établir
les nouveaux programmes sur la base d’une comparaison systématique des objectifs et des réalisations.
De plus, l’interprétation de nombreux indicateurs est problématique. Toutefois, des ateliers de
formation ont été systématiquement organisés pour sensibiliser les fonctionnaires aux objectifs et aux
méthodes des BP.
La démarche a été introduite par une circulaire budgétaire pour l'élaboration du budget 1999. La circulaire
fixe les étapes essentielles. « Chaque ministère devra: i/ préciser ses missions; ii/ fixer des objectifs à
atteindre pour satisfaire un besoin; iii/ recenser et évaluer toutes alternatives (stratégies et moyens utilisés
actuellement, solutions envisageables); iv/ choisir et organiser les moyens en vue d'atteindre l'objectif; v/
budgétiser c'est à dire évaluer les coûts de chaque programme et allouer les ressources pour l'exécution de la
tranche annuelle; vi/ définir les indicateurs pour mesurer les performances afin de rendre compte au peuple en
publiant les objectifs du gouvernement et les indicateurs de performance qui les accompagnent ». La
circulaire énonce deux principes essentiels. « Premièrement, l'approche programme implique tous les
gestionnaires de la base au sommet, et, deuxièmement, le processus est itératif, une réduction ou une
augmentation des moyens nécessite une révision des objectifs ». Par ailleurs, « le système de budgétisation
introduira progressivement certains principes du budget base zéro (BBZ). Il s'agira chaque année de remettre
en cause les crédits obtenus l'année précédente. Il n'y a pas d'acquis. A chaque exercice il faudra argumenter
et justifier la totalité des crédits demandés ».
7
Au Burkina Faso, excepté les instructions sommaires de la circulaire budgétaire - gestion 1999
(cf. Encadré 2) et les informations recueillies par les ministères techniques lors de différentes
formations, il n'existe pas de document officiel sur la méthodologie d’élaboration des budgets-
programmes. Cette situation a pour conséquence la production de documents assez hétéroclites. Le
processus est encore inachevé et indicatif. L’analyse de l’expérience de trois années d’application
indique des améliorations dans le processus budgétaire, mais révèle aussi que la technique
d’élaboration des budgets-programmes est loin d’être maîtrisée : des objectifs précis à atteindre sont
mal définis et le chiffrage des coûts des programmes s’effectue sans corrélation avec les ressources
disponibles ou mobilisables par l’Etat ; la généralisation de la démarche s’est faite sans tenir compte
des capacités réelles d’une part des ministères dépensiers et d’autre part du ministère de l’Economie et
des Finances à assurer un bon encadrement des acteurs à la base ; les formateurs désignés, n’ont reçu
ni formation adéquate ni manuel didactique leur permettant de se familiariser avec la démarche. Dans
ces conditions, le processus n’a été que partiellement appliqué dans la mesure où les arbitrages et le
suivi de l’exécution se font toujours sur la base du budget par nature de dépenses, les budgets-
programmes des ministères ne sont pas repris en fonction des arbitrages successifs et les comptes
rendus de l’exécution ne se réfèrent pas aux objectifs préalablement définis.
Dans les deux pays, une des raisons de ces difficultés à établir des BP opérationnels tient à la faiblesse
des unités de programmation des ministères techniques (CPS au Mali et DEP au Burkina Faso). Ces
unités sont souvent peu considérées au sein de leur ministère et le personnel qui lui est affecté sont
souvent peu motivés, sauf lorsqu’un programme sectoriel leur fournit des moyens supplémentaires.
Au départ, les réformes qui viennent d’être présentées ont été réalisées sans prise en compte de la
contrainte budgétaire. Cela explique une bonne partie des problèmes rencontrés. En effet, les
départements ministériels livrés à eux-mêmes ont eu tendance à rédiger des programmes très
ambitieux, et totalement irréalistes sur le plan budgétaire.
Au Mali, le financement des programmes a été réduit au niveau central, mais il n’y a pas eu de
redescente au niveau des ministères techniques pour redéfinir les objectifs sur la base des enveloppes
accordées. Pour la première fois, un cadre de dépenses à moyen terme (CDMT) a été réalisé à
l’occasion du CSLP, en 2000. Il s’agit en fait d’une répartition forfaitaire des dépenses publiques entre
ministères pour les 6 ans du CSLP. Ce CDMT permet à chaque ministère d’avoir une idée sur les
sommes qui pourraient lui être attribuées dans les années à venir. Mais, il ne donne pas la possibilité
de vérifier la relation entre les dépenses publiques programmées et les indicateurs d’activité retenus
comme objectifs car il est resté déconnecté des normes de dépenses.
Au Burkina Faso, c’est aussi en 2000 qu’un premier CDMT a été élaboré dans le but de renforcer le
processus de mise en œuvre du budget-programme. Cependant ce n’est que lors du dernier exercice
budgétaire (2003) que le CDMT a pu être produit à temps pour être annexé aux documents
préparatoires de la loi budgétaire. Au préalable, l’adoption des CDMT n’a pas permis un re-
dimensionnement des ambitions exprimées à travers les programmes. Il n’y a pas de concordance
entre les prévisions du TOFE (Tableau des Opérations Financières de l’Etat), du CDMT et de la loi de
finances, les dotations inscrites dans cette dernière étant systématiquement supérieures à celles
prévues par le CDMT. Cela prouve que, pour l’instant l’exercice du CDMT dont l’objectif est de
cadrer la programmation des dépenses publiques n’est pas entièrement accepté par le parlement. En
outre, le CDMT ne propose pas d’enveloppes financières par programmes mais seulement par
ministère et par titres budgétaires.
Même si, dorénavant, le CDMT est fourni à temps et permet aux services de travailler avec une
enveloppe plafond à ne pas dépasser, il reste imparfait. Premièrement, il propose des enveloppes
budgétaires plafond parfois beaucoup trop optimistes par rapport aux possibilités effectives de
dépenses étant données les recettes budgétaires collectées. Cela ne peut qu’à terme démotiver les
personnes en charge d’élaborer les BP, puisque, par la suite durant l’année d’exécution de la dépense
budgétaire le gel des lignes de crédits nécessaire s’effectue par examen du budget par nature mais non
du budget-programme. Deuxièmement, la manière dont l’enveloppe budgétaire est allouée par
8
ministères et directions ministérielles n’est pas claire, et ne tient pas suffisamment compte des
orientations de politiques puisque les crédits consommés l’année antérieure sont reconduits (ce qui est
en contradiction avec la circulaire budgétaire, encadré 2), seul le surplus de recettes dégagé est
distribué en principe en fonction des orientations de politique économique. Troisièmement, l’approche
CDMT ne prend pas en compte les budgets des provinces et des régions et reste donc très centralisée.
De manière plus générale, les CMDT sont encore conçus comme des documents largement décoratifs.
Pour être opérationnels, ils devraient être à la base de la discussion des priorités et de la réalisation des
arbitrages. Ils devraient donc être élaborés avant même le début du processus de concertation. Ce n’est
toujours pas le cas au Burkina Faso, où le projet de deuxième CSLP soumis en octobre 2003 à la
discussion publique et aux bailleurs de fonds ne contient aucun chiffrage des coûts futurs des
programmes, ni même de répartition des fonds PPTE.
Au Burkina Faso comme au Mali, les ministères pour lesquels les BP sont les mieux élaborés et donc
pour lesquels la réflexion sur le choix des indicateurs est la plus avancée sont ceux qui possèdent un
plan décennal de développement et qui ont participé (au Burkina Faso) au test sur la nouvelle
conditionnalité, comme l’éducation et la santé. Les budgets-programmes de ces ministères sont en
accord avec les indicateurs et objectifs mentionnés dans le CSLP. Cependant, le lien entre les activités
et les moyens nécessaires à leur réalisation n’est pas clairement affiché. En ce qui concerne les autres
ministères, l’essentiel des activités contenues dans les BP ou/et le CSLP concernent prioritairement
des activités d’investissement. Cette démarche paraît adéquate et pertinente dans des domaines comme
les infrastructures, voire l’adduction en eau potable. Cependant, alors que la mise en place du CSLP et
la réforme des BP auraient dû apporter des solutions à la question des charges récurrentes des
investissements publics (par exemple les dépenses d’entretien des constructions routières), cela ne
semble pas être le cas. La programmation du programme d’investissements publics (PIP) n’est pas
encore soutenue par l’atteinte d’objectifs, ni par l’analyse de l’impact des investissements (en fait, au
Mali très peu de chefs de projets rendent simplement compte des activités de leur projet durant l’année
passée). En outre, on peut regretter que cela ne permette pas de faire évoluer les pratiques en ce qui
concerne le suivi des investissements inscrits au PIP. En effet, l’essentiel du suivi des investissements
est un suivi financier et non pas physique, si bien que les dépenses présentées dans l’exécution du PIP
ne sont pas toujours ciblées sur des objectifs à atteindre ni sur des activités prévues.
La démarche des BP nécessitant un engagement de tous les services de base dans le processus
d’allocation des ressources publiques est loin d’être aboutie au Burkina Faso. Des efforts sont
cependant entrepris afin à la fois de sensibiliser les fonctionnaires des services centraux du bien fondé
et de la nécessité de mieux impliquer dans le processus l’ensemble des services déconcentrés et de
convaincre ces derniers que les réformes en cours sont en mesure de prendre en compte leurs requêtes
et qu’ils ont un rôle important à jouer dans l’évaluation et le suivi de la dépense et permettre ainsi une
meilleure transparence dans l’allocation des ressources. Par exemple, le budget du plan décennal de
l’éducation a été confectionné à partir de quatre ateliers organisés au niveau provincial et régional.
L’objectif principal était de discuter avec les services de base des allocations budgétaires nécessaires à
l’exécution des activités qu’elles prévoyaient de faire. Toutefois, seuls les directeurs régionaux, leurs
services administratifs et financiers et les directeurs des ENEP (Ecoles Nationales de l’Enseignement
Primaire) sont associés aux directeurs des services centraux du Ministère de l’Enseignement de Base
et de l’Alphabétisation aux travaux préparatoires d’élaboration du budget. Les services déconcentrés
ne sont pas toujours tenus au courant des arbitrages budgétaires finalement opérés. Cela explique leur
manque de motivation à participer au processus d’élaboration budgétaire et annihile les efforts
souhaités par le processus participatif de la démarche budget-programme. En effet, il arrive que
certains programmes soient réalisés au niveau local sans que les structures déconcentrées concernées
aient émis le souhait de tels projets, alors qu’inversement certains programmes souhaités n’ont pas
reçu d’allocations budgétaires.
9
Au Mali, cette démarche « bottom-up » semble mieux appliquée. Dans le domaine de la santé,
notamment un document (Programme opérationnel) unique est établi chaque année. Il précise dans le
détail les actions à entreprendre et les sources de financement. Il est remarquable que ce Programme
opérationnel soit défini en partant de la base (le cercle). C’est à ce niveau que sont d’abord formulés
les objectifs et les besoins, qui sont ensuite agrégés au niveau central. Toutefois, le système ne
fonctionne pas idéalement, car les organes de base ont tendance à présenter des demandes irréalistes
ou des coûts artificiellement gonflés. L’échelon central opère alors des coupes, mais sans réviser les
objectifs en conséquence.
La réforme de la conditionnalité mise en œuvre par l’Union Européenne (UE) au Burkina Faso à partir
de 1997 a surtout cherché à négocier les indicateurs avec le gouvernement, à élargir la gamme des
indicateurs et à mettre l’accent sur les indicateurs de résultats. En pratique, cela a conduit à rajouter
une série d’indicateurs « sociaux » aux indicateurs classiques sur lesquels est (et reste) fondée la
conditionnalité du FMI. L’avantage important est de ne pas réduire la discussion avec les autorités à la
discussion des dotations budgétaires et des moyens – quand ce n’est pas uniquement le « bouclage »
du TOFE. Mais cela ne va pas sans difficultés. Les bailleurs de fonds doivent envoyer des signaux
clairs au gouvernement et à l’administration du pays quant à leur volonté de suivre ou non l’allocation
de l’aide budgétaire sur des critères de réalisation d’indicateurs de résultats ou de réalisation de
conditionnalités. Cela n’est pas toujours évident.
La plupart des bailleurs de fonds sont convaincus que l’aide internationale doit dorénavant, et de plus
en plus à l’avenir, s’acheminer sous forme d’aide budgétaire et moins sous forme d’aide projet. Cette
démarche semble constructive. Il n’est pas sûr qu’elle soit facile à mettre en œuvre. Le fait même
qu’elle améliorerait la coordination de l’aide peut rendre son adoption plus difficile. En effet, les
administrations publiques des pays comme le Burkina Faso ou le Mali ont souvent tiré avantage de la
possibilité de mettre des bailleurs de fonds en concurrence, voire de faire financer plusieurs fois la
même opération.
Au Burkina Faso, les discussions ont porté sur les méthodes précises à adopter, du fait, notamment
d’un désaccord entre la Banque mondiale et l’Union Européenne sur le suivi et les conditionnalités de
l’aide budgétaire (cf. Encadré 3). Le débat n’est pas clos. Quoi qu’il en soit, cela se traduit par un
envoi de signaux discordants de la part des bailleurs de fonds vis à vis notamment du statut du
processus de suivi du CSLP, puisque la Banque décaisse son aide budgétaire en fonction de la
fourniture de documents prouvant la réalisation des conditionnalités demandées (y compris celles qui
ne sont pas comprises dans le CSLP), alors que l’Union Européenne suit des indicateurs de résultats
adoptés dans le CSLP. Il est clair que les capacités de l’administration sur les dispositifs d’enquêtes et
de suivis d’impact de politiques publiques doivent être renforcées rapidement. Des fonds sont mis à la
disposition du gouvernement burkinabé par plusieurs bailleurs de fonds (Banque mondiale, GTZ,
Union Européenne, France,…) pour renforcer les capacités de l’administration. Le processus
d’apprentissage de telles techniques est long et exige tant la motivation du personnel que la stabilité
dans les services concernés de ces derniers. Ces deux facteurs ne sont toujours pas réunis, d’autant
plus que les personnes considérées comme les plus compétentes sont souvent embauchées par les
représentations locales des bailleurs de fonds, ou par des entités créées à leur instigation.
Par ailleurs, l’assurance pour la communauté des bailleurs de fonds d’une bonne utilisation des aides
internationales comme des recettes publiques passe par un bon fonctionnement du circuit « classique »
d’exécution de la dépense publique. Jusqu’à présent les efforts de l’administration comme des
bailleurs de fonds se sont concentrés sur l’amélioration de cette gestion « standard » de la dépense
publique. Il est compréhensible que le processus d’assainissement de la gestion de la dépense publique
initié dès les premiers plans d’ajustement structurel aboutisse et qu’il concentre encore l’attention des
bailleurs de fonds. C’est ainsi que les critères de performances budgétaires retenus au Burkina Faso
pour le suivi de l’aide budgétaire (mais aussi pour le suivi du CSLP) comprennent par exemple le taux
d’exécution de la dépense publique, le délai moyen entre la liquidation et le paiement de la dépense.
Cependant, il ne faudrait pas que ces critères prédominent dans les prochaines années par rapport à
ceux de réalisation d’objectifs de lutte contre la pauvreté.
10
Encadré 3 : L’intervention des bailleurs au Burkina Faso : ancienne ou nouvelle pratique ?
En principe, la logique des CSLP devrait aller dans le sens d’une réforme de l’aide et pallier en partie
certaines de ses critiques. Les principaux problèmes de la pratique traditionnelle de l’aide internationale
sont : i/ la multiplicité des conditions relatives aux politiques économiques, ce qui empêche une appropriation
des réformes par les nationaux et rend le processus ingérable par l’administration réceptrice ; ii/ la
discontinuité des flux d’aide, qui peut nuire à la réussite des réformes ; iii/ la profusion des interventions des
bailleurs de fonds et la divergence éventuelle de points de vue. Or, le CSLP se veut un document fédérateur
des interventions des bailleurs de fonds qui se sont engagés à souscrire aux politiques inscrites par les
responsables nationaux dans le document ; cela devrait réduire voire supprimer les anciennes pratiques de
conditionnalité. Le CSLP pousse à développer l’aide budgétaire au détriment de l’aide projet et à mettre en
place un système de suivi des résultats des actions entreprises ; il oblige ainsi à une meilleure coordination de
l’aide. Il devrait favoriser l’appropriation des réformes par la mise en place d’un processus participatif. La
revue de l’aide entreprise au Mali en 1997 avait identifié l’absence de document stratégique national comme
un obstacle majeur à l’amélioration de la coordination des aides. Cette revue a habitué les bailleurs de fonds à
un travail en commun et a ainsi permis une meilleure coordination lors de la préparation du CSLP.
Au Burkina Faso, le test sur les nouvelles conditionnalités, amorcé en 1997 et achevé en 2000, est venu
logiquement appuyer le processus CSLP et devrait donc être un facteur favorisant l’émergence plus rapide de
nouvelles pratiques d’aide internationale et de suivi des politiques économiques. C’est ainsi que le test a
permis de définir les premiers indicateurs de suivi des politiques mises en œuvre dans le CSLP. La Banque
mondiale, l’Union Européenne, le Danemark, la Suisse, les Pays-bas, la Suède et la Belgique, la France et
l’Allemagne se sont entendus sur un protocole de soutien conjoint au CSLP. L’objectif est de coordonner
leurs interventions à travers une revue conjointe du CSLP et d’harmoniser leurs conditionnalités et leurs
décaissements afin notamment de pallier le problème du non lissage des recettes budgétaires. Cependant,
plusieurs désaccords persistent et certaines pratiques risquent de remettre en cause les objectifs initiaux.
Premièrement, les bailleurs de fonds font dépendre leur aide budgétaire du respect des accords passés avec le
FMI. Cette démarche rend du coup ambigu le statut du CSLP et entre en contradiction avec ses principes,
puisque la conditionnalité du FMI est largement une conditionnalité d’instruments et non de résultats.
Deuxièmement, certains bailleurs de fonds, comme la France et l’Allemagne, principaux bailleurs de fonds
bilatéraux, ne font pas d’aide budgétaire, bien que participant au protocole de soutien conjoint au CSLP.
Troisièmement, la Banque mondiale soutient que le dispositif actuel de suivi du CSLP n’est pas pertinent
pour contrôler l’utilisation de l’aide budgétaire, notamment parce que la réflexion sur le choix des indicateurs
intermédiaires et les indicateurs de résultats est insuffisante. Certains indicateurs de résultat, comme le taux
de scolarisation par exemple, sont plutôt des indicateurs de moyen terme, pas toujours compatibles avec une
approche annuelle. De même, la Banque mondiale considère que le système statistique de suivi (dispositif
d’enquêtes et de collecte des données, et capacité d’analyse) est actuellement trop faible et pas suffisamment
opérationnel pour asseoir son contrôle sur l’évolution des indicateurs choisis dans le CSLP. Même si son
objectif à terme est d’adopter la démarche de suivi par objectifs, elle préfère continuer à poser des
conditionnalités du type de celles qui prévalaient lors des Plans d’Ajustement Structurel. A cela s’ajoute un
argument juridique selon lequel la Banque mondiale accordant des prêts et non des dons, le contrat exige que
l’emprunteur s’engage à des actions et non à atteindre des résultats par nature incertains. C’est ainsi que, dans
la lettre de politique de développement du gouvernement burkinabé adressée au président de la Banque
mondiale, figurait, en 2001 une liste de conditionnalités. De même, le document définissant les mesures à
prendre pour parvenir au point d’achèvement de l’initiative PPTE exige des réformes qui ne sont pas
forcément en accord avec les objectifs du CSLP. Il est demandé l’adoption d’un nouveau plan de recrutement
d’enseignants sur une base contractuelle et non plus sur celle de la fonction publique avec des salaires plus
faibles. Il est exigé en matière de gouvernance des actions ne figurant pas dans le CSLP. De plus, la gestion
actuelle des fonds PPTE se rapproche plus d’une gestion de projet que d’une aide budgétaire. L’Union
Européenne, bien que consciente des lacunes du système de suivi des politiques en place, préfère, malgré
tout, adopter dès à présent la démarche de suivi de réalisation des objectifs. Ceci, dans le but d’inciter à
accélérer les réformes en cours et de signifier au gouvernement burkinabé sa confiance dans les politiques
qu’il souhaite mener. Malgré les apparences, un désaccord sur le suivi du CSLP existe donc entre la Banque
mondiale et l’Union Européenne.
Il résulte de ces différentes pratiques de multiples ambiguïtés : ambiguïté des messages et orientations des
bailleurs de fonds, mais aussi ambiguïté dans le comportement du gouvernement qui, d’un côté inscrit
théoriquement l’ensemble de ses actions dans le cadre du CSLP, et de l’autre, se plie aux nouvelles (ou
anciennes) exigences de certains bailleurs. Une des conséquences est une faible appropriation des réformes
par le gouvernement mais aussi finalement par les bailleurs de fonds eux - mêmes !
Les critiques relevées par la Banque sur les imperfections du système de suivi des politiques sont justes. Il est
regrettable que, bien que la réflexion sur les indicateurs et système de suivi ait été menée depuis 1997, le
système qui en résulte soit aussi « imparfait » que dans les autres pays sous CSLP. Cela tient, en partie, au
11
fait que les capacités et le rôle des instituts de la statistique restent insuffisants. De plus, le fait de s’être
focalisé sur les indicateurs a évacué le débat indispensable sur le contenu des réformes. L’appropriation des
indicateurs ne traduit donc pas vraiment une appropriation des réformes !
Enfin, dans un pays où, selon les années les dépenses publiques sont financées à hauteur de 30 à 50% par
l’aide internationale et où un bon nombre d’activités inscrites dans le processus de suivi du CSLP sont en
grande partie de la responsabilité des bailleurs de fonds, il devrait être normal que le gouvernement interroge
la communauté internationale sur sa co-responsabilité.
Même dans le cas où la réalisation d’objectifs est le critère réellement défini et reconnu comme base
de négociation entre le gouvernement et l’ensemble des bailleurs de fonds, son opérationnalité n’est
pas aisée. L’UE a réduit les financements parce que les résultats convenus n’avaient pas été atteints. Il
en résulte une crainte très largement répandue dans les administrations que les objectifs soient en fait
utilisés pour sanctionner les autorités, plutôt que pour les aider à améliorer les politiques. Le risque le
moins grave est que la mesure des indicateurs soit délibérément faussée. Mais cela peut aussi conduire
à un rejet pur et simple de la démarche.
Pour qu’un système géré par les objectifs ait un sens, il faut que les allocations budgétaires se
traduisent par des dépenses effectives conformes aux objectifs recherchés. Il existe dans les deux pays
des systèmes de contrôle, mais ceux-ci sont assez peu efficaces. Les Chambres des comptes de la Cour
Suprême sont très chichement dotées en personnel. Leur indépendance est très relative. Au Mali, une
grande partie des magistrats de la Cour Suprême a été licenciée dans un passé pas très éloigné. En
conséquence, les lois de règlement ne sont présentées aux Parlements qu’avec un retard très important
(la pression de la Banque mondiale a un peu accéléré les choses). Une grande partie des moyens se
trouve en fait concentrée dans un Service de contrôle de l’Etat, qui dépend étroitement du Premier
ministre. Et lorsque l’ancien président du Mali a voulu donner un signal de renforcement de la lutte
contre la corruption, il a crée une nouvelle cellule ad hoc à la présidence – renforçant ainsi les
soupçons selon lesquels la lutte contre la corruption est dirigée en priorité contre les opposants
politiques.
De plus, les corps de contrôle n’ont aucune formation (ni compétence) dans le domaine de l’analyse de
la performance de la dépense publique. Ils sont formés, de manière classique, à vérifier que la dépense
a respecté les procédures. Changer d’approche ne s’improvise pas.
La nouveauté introduite par l’initiative PPTE, qui consiste à contrôler de manière très précise les
dépenses liées à la réduction de dette n’est pas un avantage en termes d’amélioration de la dépense. En
effet, elle conduit à polariser les efforts sur une fraction extrêmement réduite des dépenses (4 à 6 % du
total), laissant l’essentiel de côté. Lorsque le contrôle est trop strict, les fonds ne sont pas décaissés ; et
lorsqu’on veut accélérer le processus pour ne pas laisser des fonds inutilisés, les risques de gaspillage
sont très grands –même si les conditions formelles sont respectées.
Les revues de dépenses publiques sectorielles dressent un bilan rétrospectif des dépenses publiques
dans le secteur étudié sur une dizaine d’années. C’est à l’occasion de ces exercices qu’un effort est
entrepris afin de réunir les données de manière la plus exhaustive possible sur les dépenses effectuées
dans chaque secteur. Cependant, il ne s’agit pas d’un suivi physique de la dépense publique mais des
dépenses ordonnancées. En principe, un des objectifs des RDP est de vérifier la concordance entre les
efforts budgétaires entrepris et les orientations de politiques sectorielles définies dans les documents
de cadrage. Pour ce faire, il est demandé aux consultants de réaliser une étude d’efficacité et
d’incidence des dépenses publiques. Lorsque l’exercice est bien accompli, c’est actuellement l’outil le
plus au point quant au suivi de la dépense publique. Mais les RDP sont des exercices lourds, qui
s’attachent à chaque fois à faire un bilan rétrospectif sur une dizaine d’années. Leur périodicité n’est
pas bien définie et elles ne sont pas suffisamment institutionnalisées ni appropriées par les ministères
sectoriels. Elles ne peuvent donc constituer un outil permanent de suivi de la dépense publique. De
plus, leurs recommandations sont rarement suivies.
12
2.6. Une décentralisation et une déconcentration des services publics trop faibles ?
Au Burkina Faso comme au Mali, la mise en place relativement récente de collectivités locales élues
est une opportunité majeure pour modifier la gestion publique, traditionnellement très centralisée.
Toutefois, on constate que les nouvelles attributions de ces collectivités tardent à se concrétiser en
termes budgétaires par le reversement par l’Etat d’une partie des recettes publiques. Le problème est
d’autant plus aigu que la fiscalité locale est très faible et insignifiante par rapport aux ressources
locales, notamment du fait de l’absence de taxes foncières3. De plus, les espoirs que l’on pouvait
fonder sur un rapprochement entre décideurs et citoyens doivent être tempérés par l’observation du fait
que l’on retrouve au niveau local certaines pratiques (népotisme, corruption) qui étaient dénoncées au
niveau central.
En outre, les marges de manœuvre des structures publiques, autres que le ministère des Finances en
matière d’exécution budgétaire sont très réduites, voire nulles. Au Burkina Faso par exemple, seul le
ministre des Finances peut ordonnancer les dépenses. Les autres ministres s’en trouvent démotivés. Ils
sont dépossédés de leur politique, dont le budget est le moyen d’exécution. Les responsables de niveau
inférieur, et en particulier les directeurs régionaux, n'ont guère de moyens à leur disposition.
Cependant, depuis deux ans des délégations de crédits seulement sur le titre III des dépenses (dépenses
de matériels) ont été instaurées pour les ministères de la Santé, de l’Enseignement de base et des
Infrastructures. Au ministère de la Santé, presque la moitié de ces crédits est gérée directement par les
directions régionales et les districts de santé. Au ministère de l’Enseignement de base environ 75 %
des crédits de fonctionnement sont gérés par les directions régionales et provinciales. Cela,
évidemment, autorise une marge de manœuvre que les structures déconcentrées n’avaient pas
auparavant, même si les délégations de crédits ne sont octroyées que tard dans l’année (juin) limitant
dans le temps leurs exécutions. Malheureusement, l’arbitrage budgétaire que le ministère des Finances
est parfois obligé d’effectuer en cours d’année budgétaire s’opère aussi sur ces lignes de crédits. Les
étapes relatives au paiement des factures émises sont encore centralisées à Ouagadougou. De plus,
dans les faits les CSPS (Centre de Santé et de Promotion Sociale) n’ont pas connaissance préalable des
dotations qui leur sont accordées dans la loi de finances. Les commandes sont effectuées au niveau des
districts. Les CSPS ne disposent donc d’aucun moyen de vérification de la conformité du matériel
avec le montant inscrit à leur crédit. Il en est de même pour les structures déconcentrées du ministère
de l’Enseignement de base (MEBA) et certainement des autres ministères. Elles disposent de matériel
mais n’ont pas connaissance des coûts d’achat unitaires. Certaines structures de base (CSPS et écoles
primaires) déclarent ne rien recevoir du budget de l’Etat au titre du matériel. C’est pourquoi une
conditionnalité a été introduite à ce niveau.
La réflexion sur les indicateurs est inégalement avancée. Au Burkina Faso, le test sur les
conditionnalités a permis de définir une série d’indicateurs qui ont été intégrés au CSLP. Au Mali, au
contraire, le CSLP ne présente qu’une liste d’indicateurs assez généraux et en majorité non chiffrés.
Néanmoins, même dans le cas du Burkina Faso, le lien entre les activités et les moyens nécessaires à
leur réalisation n’est pas clairement affiché. Les objectifs de résultats ou d’impacts sont très peu ciblés
et n’ont pas forcément un lien automatique avec la réduction de la pauvreté. Enfin, la formulation des
objectifs et des indicateurs est en cours de processus. C’est ainsi qu’au Burkina Faso l’ONAPAD
(Observatoire de la Pauvreté et du Développement Humain Durable), structure financée par le PNUD
(PRGE, projet d’appui au renforcement de la gouvernance économique) et basée à l’INSD, a produit
un document, complémentaire et distinct du document d’actualisation du CSLP. Il y est proposé une
liste d’indicateurs de suivi des politiques de lutte contre la pauvreté. A titre d’exemple, l'ONAPAD a
défini, en matière d'éducation, 12 indicateurs qui ne reprennent pas l'ensemble des indicateurs du
CSLP et qui en contiennent d'autres. Dans le domaine de l’agriculture, il a été proposé 37 indicateurs,
et en santé 44. La plupart de ces indicateurs sont des indicateurs d’activités ou de résultats. Dans une
certaine mesure, cette approche renvoie à la planification à la soviétique ce qui n’est pas la même
3
A titre d’exemple, une étude menée par le Club du Sahel de l’OCDE, le PDM (programme de Développement Municipal) et l’IRD
(Institut de Recherche pour le Développement), montre que les recettes collectées dans la ville de Bobo-Dioulasso ne dépassent pas 1%
du PIB local.
13
chose qu’une approche par l’examen des impacts et des résultats, qui devrait conduire à une
réorientation des politiques.
Cette tendance à la « prolifération » des indicateurs est un peu inquiétante, d’autant plus que la
manière dont ces statistiques seront collectées n’est pas définie, ni surtout le type d’analyse à mettre en
place permettant de faire le lien entre ces indicateurs, les politiques de lutte contre la pauvreté et
l’impact sur la pauvreté. En tout état de cause, le fait de définir, changer et multiplier les indicateurs en
cours d'exécution du CSLP ne permet pas un bon suivi notamment de la part des organes déconcentrés
et régionaux qui peuvent être obligés de changer chaque année les indicateurs à collecter.
La principale manière qu’ont les administrations et les bailleurs de fonds pour mettre en place un
système de suivi des performances est de multiplier et renforcer des institutions de suivi, au lieu de
développer les outils statistiques de suivi eux-mêmes. Ainsi, par exemple, le programme décennal de
l’éducation au Mali avait sa propre cellule de pilotage, distincte de la CPS du ministère (cette dualité a
heureusement fini par disparaître). Cette tendance se traduit par la mise en place de groupes de suivi
dont les prérogatives ne sont pas toujours bien définies, et qui empiètent finalement sur celles d’autres
structures déjà existantes (comme par exemple les services études et recherches des ministères
sectoriels), ce qui contribue à les démobiliser.
Les principales institutions nécessaires pour le suivi et l’analyse des politiques existent déjà. Ce sont
les instituts de statistique et les cellules d’analyse au sein des ministères techniques (DEP au Burkina
Faso, CPS au Mali). Ce sont elles qu’il convient de renforcer. Pourtant, la création de nouvelles
structures ad hoc aura toujours de forts partisans. Les bailleurs de fond y voient un gage d’efficacité à
court terme. Les cadres nationaux y voient des niches permettant d’échapper aux réglementations de la
fonction publique.
Il semble que peu de personnes aient conscience que suivre l’évolution d’un indicateur, par exemple le
taux de scolarisation, ne dit rien quant à l’efficacité des politiques mises en place pour tenter
d’accroître ce taux de scolarisation. Rien n’est mis en place pour évaluer si l’amélioration de cet
indicateur de résultat provient d’effets d’offre tels que la construction de nouvelles écoles ou
l’amélioration de la qualité de l’enseignement, ou bien d’effets de demande comme des aides
financières aux parents pauvres, ou du fait de conditions, complètement extérieures à la politique
d’offre scolaire du gouvernement, ayant, par exemple, pu limiter le besoin des parents du travail de
leurs enfants. Cet exemple illustre tout d’abord que le suivi d’impact des politiques budgétaires
notamment de lutte contre la pauvreté n’est pas un exercice facile, ensuite qu’il ne suffit pas de suivre
des indicateurs d’activités (output) ou de résultats mais aussi d’impact, et qu’enfin il est indispensable
de développer au sein de l’administration les capacités d’analyse d’impact de politiques publiques4.
Or, dans de nombreux documents, la production d’indicateurs apparaît pratiquement comme une fin en
soi. C’est le cas dans les BP, mais aussi dans les CSLP. Cela se comprend dans la mesure où ceux-ci
ont d’abord été conçus comme une réponse à une nouvelle conditionnalité des IBW apparue fin 1999.
La façon dont les indicateurs seront interprétés et utilisés pour évaluer l’efficacité des politiques (voir
leur pertinence) n’est pas précisée. Pour pouvoir avancer à ce niveau, il faudrait que le lien entre les
politiques, les actions à entreprendre, les moyens mis en œuvre et les résultats à atteindre dans
différents états de la nature soit précisé. Les CSLP comme les BP sont loin de présenter quelque chose
de ce genre. Ils se contentent dans le meilleur des cas de juxtaposer des stratégies sectorielles sans
repenser leur articulation.
4
Notons que la coopération allemande (GTZ) finance actuellement un atelier de formation de fonctionnaires et universitaires burkinabés
sur les micro-simulations, outil permettant d’analyser l’impact de chocs ou de politiques publiques sur la distribution des revenus (cf.
Cogneau et al., 2003).
14
De manière pratique, il serait souhaitable de ne pas multiplier les indicateurs d’activité, mais d’en
utiliser un nombre réduit pour suivre l’exécution des politiques ; il faudrait sélectionner les plus
pertinents par rapport à l’objectif de lutte contre la pauvreté. Ces indicateurs devraient être adaptés aux
données de gestion du secteur ; Inversement, il conviendrait d’éviter les indicateurs de renforcement
des institutions (c’est 1’indicateur de résultats, dont on ne connaît pas l’effet sur l’objectif) ;
développer les enquêtes et les outils d’analyse permettant d’étudier l’impact de politiques publiques
sur les indicateurs de résultat et d’impact.
Enfin, l’évaluation des politiques publiques et leur réorientation devraient impliquer largement les élus
et les groupes concernés dans la société « civile ». Le débat public sur les choix de dépenses publiques
est peu développé dans les médias. Il serait sans doute un élément important pour améliorer la qualité
de la dépense publique.
Il est assez illusoire de vouloir mettre en place un système de gestion basée sur les résultats si les
agents de l’Etat ne sont aucunement incités à poursuivre les objectifs retenus. Dans les deux pays, la
gestion de la fonction publique est très rigide, interdisant toute modulation de la rémunération suivant
les résultats. La paupérisation des fonctions publiques rend les rémunérations peu attractives. En
dehors de l’emploi à vie (qui fournit un mince filet de sécurité), les avantages de rester dans la
fonction publique tiennent plutôt aux bénéfices dérivés de la fonction.
De plus, dans le cadre des réformes, cet aspect n’a pas été pris en considération. Ce sont les
contraintes budgétaires à court terme qui ont prévalu. Dans le domaine de l’éducation, par exemple,
les revues de dépenses publiques ont martelé le fait que les enseignants étaient « trop » payés
(notamment par rapport à l’Asie), en prenant comme critère le rapport entre leur salaire et le PIB
moyen par habitant. Dans les CSLP, l’accent mis sur le développement de la santé primaire et de
l’éducation de base dans les régions défavorisées se traduit par l’embauche de personnes sous-payées
(« vacataires ») mis au service des collectivité locales avec des contrats précaires. Ces agents risquent
d’être peu motivés, et ils quittent généralement leur poste lorsque des opportunités apparaissent au
niveau de la fonction publique. Pourtant, les sommes libérées par les réductions de dette au titre de
l’initiative PPTE permettraient d’envisager une politique plus ambitieuse, puisqu’il s’agit d’une forme
de financement beaucoup plus pérenne que les autres flux de financement extérieur.
Nous avons souligné qu’une réforme visant à lier les dépenses et les objectifs sollicite en premier lieu
les entités chargées de la programmation dans les ministères techniques. En effet, ce sont ces entités
qui devraient disposer à la fois des données statistiques nécessaires pour fixer des objectifs réalistes et
des éléments de coût nécessaires pour traduire ces objectifs en termes de dotations budgétaires. La
situation à leur niveau est très inégale. Avec les réformes, certaines sont bien dotées, alors que d’autres
restent pratiquement dépourvues de tout. De plus, ces entités sont rarement en mesure d’attirer les
meilleurs cadres faute d’incitations financières.
Enfin, comme beaucoup de réformes inspirées par les IBW, la réforme visant à implanter une
budgétisation par objectifs a été programmée sur un rythme très rapide, surtout au regard des
performances des fonctions publiques d’Afrique de l’Ouest. Des réformes de ce type sont difficiles à
mettre en œuvre. Une réforme analogue en France a été programmée sur cinq ans, avec beaucoup de
formation à la clé. La rationalisation des choix budgétaires, une réforme encore plus ambitieuse, n’a
jamais été vraiment mise en œuvre (Quint et al., 1997).
Les BP devraient être beaucoup plus encouragés par les bailleurs de fonds, du simple fait qu’ils ont
reçu le soutien (au moins au début de leur implantation) d’une partie des fonctionnaires des ministères
des finances des deux pays. L’amélioration des BP ne peut qu’avoir des retombées positives sur
l’ensemble des réformes en cours.
15
Une meilleure qualité des BP passe par une modification des pratiques tant au niveau des procédures
nationales qu’au niveau des bailleurs de fonds.
L’élaboration de CDMT réalistes est un des fondements des nouveaux systèmes. C’est à ce niveau que
la discussion des choix de dépenses et la fixation de priorités prend tout son sens.
Dans les pays africains l’élaboration de CDMT est particulièrement difficile. Paradoxalement, l’idée
même de contrainte budgétaire est parfois mal perçue. Cela tient en partie au fait que de nombreuses
dépenses publiques (notamment dans le domaine de l’investissement, mais pas seulement) sont
réalisées sur financement extérieur. Il est donc difficile d’avoir une vision d’ensemble réaliste de
l’ensemble des ressources disponibles puisqu’une partie d’entre elles dépend du libre arbitre des
bailleurs de fonds. Ces financements extérieurs sont erratiques, tant au niveau de leurs objectifs que de
leurs décaissements et de leur allocation sectorielle. Cela réduit sensiblement la portée des CDMT
puisque les réallocations sont difficiles, voire impossibles. De plus, ces financements extérieurs sont
assez opaques au niveau de l’exécution. S’il est impossible de programmer, de suivre et d’évaluer
objectivement ces dépenses, il est inutile de parler de CDMT. Le passage à l’aide budgétaire rendrait
sans doute les choses plus transparentes, mais pas plus programmables.
Il est bien difficile de faire en sorte que les services publics correspondent aux besoins des personnes,
tant en qualité qu’en quantité. Mais il est possible d’organiser autrement la fourniture de certains
services. Au Mali, la santé de base a été largement améliorée par la mise en place de Centres de Santé
Communautaires (CSCOM). Gérés par des associations d’usagers, ces CSCOM permettent à une
grande part de la population d’avoir accès aux soins, sur la base d’un recouvrement des coûts. L’Etat
subventionne la première dotation en médicaments. Dans les régions défavorisées, l’Etat prend
éventuellement en charge certains coûts de fonctionnement. Toutefois, malgré ses avantages, ce
système ne permet pas de résoudre le problème des personnes les plus pauvres, qui ne peuvent
contribuer financièrement et continuent à relever de l’automédication ou des tradi-praticiens.
3.3. Utiliser les indicateurs pour le dialogue sur les politiques, pas pour sanctionner
Pour qu’un système budgétaire basé sur les résultats puisse fonctionner et que l’aide internationale
inscrive son action dans ce même système, il faut tout d’abord que le circuit « classique » de la
dépense publique fonctionne. Si ce n’est pas encore tout à fait le cas, comme au Burkina, il est normal
que l’aide internationale soit encore conditionnée par des actions et réformes budgétaires et fiscales
précises (à l’instar des prêts FMI). En même temps, les bailleurs de fonds doivent accompagner ces
réformes par des appuis coordonnés à l’administration. Une fois que ces derniers ont l’assurance que
le circuit de la dépense fonctionne bien, et qu’un système de suivi cohérent est mis en place, alors
l’aide budgétaire doit être l’outil d’aide le plus utilisé.
Le désaccord entre la Banque mondiale et l’Union Européenne sur le suivi de l’aide budgétaire au
Burkina (cf. encadré n°3) cesserait si une hiérarchie dans le suivi des indicateurs était adoptée. Cela
permettrait de limiter les problèmes de variabilité annuelle de l’aide et permettrait d’instaurer une
confiance plus forte vis à vis du gouvernement.
16
(le système soviétique, qui fonctionnait beaucoup à partir d’objectifs planifiés, a connu ce problème à
grande échelle). Il paraît donc souhaitable que les indicateurs ne servent qu’à alimenter les discussions
sur les politiques, tant au niveau interne (entre le gouvernement, les élus, la « société civile ») qu’au
niveau du dialogue entre le gouvernement et les partenaires extérieurs au développement. Sous peine
de décourager les pays récipiendaires, le montant de l’aide devra rester stable et ne pas dépendre des
variations à court terme des indicateurs. Des réorientations mineures pourront être apportées, mais
plutôt par redistribution à l’intérieur de l’enveloppe globale accordée à moyen terme. Pour qu’un tel
dialogue soit productif, il faut préciser autant que possible la relation entre les moyens et les résultats
(enquêtes, comparaisons entre régions, analyse statistique).
3.4. Ne pas multiplier les indicateurs mais mettre en place un système d’évaluation d’impact
en accord avec les moyens disponibles
En général, l’ensemble des indicateurs, qu’ils soient de moyen, d’activité, de résultat ou d’impact, est
suivi annuellement (à l’exception des indicateurs de pauvreté monétaire qui sont issus d’enquêtes
auprès de ménages qui ont lieu environ tous les quatre ans). Or, cette périodicité annuelle n’est pas
forcément adaptée pour tous les indicateurs et pour les capacités de suivi de l’administration
(notamment en termes de coût financier de collecte de données et de capacité d’analyse). Il serait
souhaitable que les indicateurs de moyen ainsi que les indicateurs d’activité continuent à être suivis
annuellement, car ils sont de l’entière responsabilité du gouvernement et des bailleurs de fonds et
l’information qu’ils nécessitent est disponible annuellement auprès du ministère des Finances ou des
ministères sectoriels. Les indicateurs mesurant les résultats et les impacts finaux ne devraient être
évalués que tous les 3 ans voire plus. En effet, les effets d’une intervention publique peuvent ne se
faire sentir qu’à moyen terme.
Par ailleurs, la réalisation des objectifs correspondant à ces indicateurs dépend de plusieurs éléments,
dépendants et indépendants de l’action gouvernementale. Un examen correct de ces indicateurs
suppose qu’on puisse faire la part des multiples facteurs pouvant expliquer leurs évolutions. Cela
exige un examen sur le moyen terme permettant d’évaluer les effets conjoncturels, et de laisser le
temps aux moyens et activités publiques d’agir. De plus, il est préférable que les informations, telles
que les taux de scolarisation ou de fréquentation des centres de santé soient collectées auprès des
ménages et non uniquement par les services administratifs, ceci afin de contrôler la qualité de
l’information collectée par les pourvoyeurs de services (risque de biais positif) et de collecter des
informations sur les facteurs autres que le niveau de l’offre de services publics. Ces enquêtes auprès
des ménages et des utilisateurs de services publics sont coûteuses en moyens financiers mais aussi en
ressources humaines et elles exigent de développer des compétences analytiques qui font souvent
défaut et qu’il faut absolument développer. En parallèle, certains éléments de la société civile (les
associations de parents d’élève, par exemple) devraient jouer un rôle important dans la réorientation
des politiques.
En l’état actuel du CSLP et de son système de suivi, le lien entre les politiques budgétaires et les
résultats en matière de réduction de la pauvreté ne sont pas clairement identifiés. Il conviendrait, tout
d’abord, que les objectifs de lutte contre la pauvreté soient mieux ciblés en termes géographique et
socio-économique et soient mieux associés à des interventions publiques. Ensuite, cela suppose la
mise en place d’enquêtes et d’outils d’analyse permettant d’estimer l’impact de politiques publiques
d’intervention, c’est à dire de comparer des zones ayant connu une intervention publique à d’autres
pour lesquelles ce n’est pas le cas, ou bien être en mesure de faire une analyse avant et après
l’intervention publique (cf. Cogneau et al., 2003).
L’expérience des BP montre que même une réforme largement endogène (mais très complexe) met de
nombreuses années avant d’être réellement appropriée. Il était donc assez risqué de vouloir lancer la
réforme dans tous les départements ministériels à la fois comme cela a été fait au Mali. Il serait
certainement plus efficace de choisir quelques ministères pilotes et d’utiliser leur expérience pour
élargir ensuite la réforme. Evidemment les départements où il existe des programmes sectoriels sont
tout désignés pour servir de pilotes, puisque ces programmes sont généralement construits sur la base
17
d’indicateurs. Il faudrait renforcer la réforme au sein de ces ministères en évitant au maximum que des
restrictions de crédit aient lieu en cours d’année, et en faisant en sorte que la discussion de la Loi de
Finances à l’Assemblée Nationale s’opère sur la base non pas seulement du budget par nature mais
aussi sur celle du budget-programme (spatialisé). Même si l’exercice est difficile, la logique des
budgets de programme devrait en outre dépasser cette logique ministérielle et favoriser des activités
interministérielles, bien sûr lorsque les orientations politiques y incitent.
Il est nécessaire que les structures déconcentrées soient mieux impliquées dans le processus de
programmation et de suivi de la politique budgétaire. Cela passe par i/ une sensibilisation et une
formation plus poussées de l’ensemble des directions régionales et provinciales notamment des
services en charge de la collecte des statistiques ; ii/ par la plus grande participation de représentants
de ces structures aux ateliers de discussion de politique générale (CSLP et politiques sectorielles) et de
suivi de mise en œuvre des politiques ; iii/ et par un plus grand nombre de délégations de crédits, afin
qu’elles soient plus responsabilisées et maîtres des actions discutées et implantées localement.
En outre, le choix des indicateurs doit s’opérer non pas seulement en fonction des objectifs de
politiques de développement et des actions entreprises pour les mener, mais aussi en fonction des
moyens humains, statistiques, et financiers mis à la disposition pour le système de suivi.
CONCLUSION
Depuis 1997, le Burkina Faso et le Mali ont pris l’initiative de développer des budgets-programmes
(BP). Cette initiative s’est combinée avec d’autres processus déjà en cours (revues de dépenses
publiques), lancées en même temps mais séparément (programmes sectoriels), ainsi qu’avec
l’élaboration de cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté (CSLP) et de cadres de dépenses à
moyen terme (CDMT). En toile de fond, différentes tentatives ont été faites à partir de 1997 pour
améliorer la coordination de l’aide et réformer la conditionnalité.
Ces réformes rencontrent de nombreux obstacles. Les BP ne sont pas encore vraiment opérationnels,
sauf dans les secteurs qui disposent de programmes sectoriels. Les CDMT restent formels, notamment
en raison de l’importante part des dépenses publiques financées par l’extérieur. L’amélioration de la
coordination de l’aide progresse lentement. L’adoption de documents stratégiques permet de mieux
situer les actions, et le passage progressif à l’aide budgétaire devrait accroître la transparence et
l’efficacité. Toutefois, tous les bailleurs de fonds ne sont pas encore tout à fait sur la même longueur
d’onde, notamment en termes de conditionnalité. Le principal frein à la généralisation de l’aide
budgétaire demeure l’insuffisant contrôle de la dépense publique, et l’absence de tradition d’analyse
de la dépense publique en termes d’opportunité et d’efficacité. Les bénéfices attendus de la
décentralisation restent marginaux du fait de la faiblesse des ressources financières au niveau local.
Sur le plan technique, la généralisation du suivi par indicateurs a fait progresser la réflexion sur les
objectifs des politiques publiques. Cependant, la polarisation sur les indicateurs eux-mêmes a quelque
peu occulté les questions relatives à l’interprétation des évolutions de ces indicateurs et à leur
utilisation pour la réorientation des politiques publiques. Le rôle de la société civile dans le débat sur
les choix de dépenses publiques reste encore peu défini. Enfin, l’organisation des administrations
publiques reste trop éparpillée en multiples entités ad hoc qui concurrencent les structures pérennes et
les démotivent.
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Il serait donc utile de préciser la contrainte budgétaire, ce qui implique aussi des engagements fiables
et pluriannuels de la part des bailleurs de fonds. Un ensemble réduit et mieux ciblé d’indicateurs
devrait être utilisé pour promouvoir le dialogue sur les politiques (en en assumant la co-
responsabilité), non pour sanctionner. La diversification des systèmes de fourniture des services
publics a donné de bons résultats, notamment au Mali dans le secteur de la santé. En fin de compte, le
renforcement de la pression des électeurs sur les gouvernants est seul susceptible de faire aboutir des
réformes que la conditionnalité s’avère incapable d’ « acheter ».
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ACRONYMES
BP : Budget-Programme
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