OuldBraham1 EDB19-20

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EDB_19-20 - 20.10.

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Études et Documents Berbe`res, 19-20, 2001-2002 : pp. 5-41

UNE BIOGRAPHIE DE SI MOHAND


EST-ELLE POSSIBLE ?
Un poe`te kabyle du XIX e sie`cle « revisite´ »
par
Ouahmi Ould-Braham

Il est en Kabylie, et dans toute l’Algérie d’expression kabyle, un poète quasi


légendaire du nom de Si Mohand-ou-Mhand, dont les œuvres nous sont
transmises par la tradition orale ou par des recueils publiés. Les pièces
versifiées, qui lui sont attribuées, appartiennent toutes à ces productions
traditionnelles qu’on rattache à la « littérature » orale. En Kabylie comme
dans toutes les sociétés rurales du Maghreb, et comme partout ailleurs, les
textes de l’oralité se transmettent de génération en génération.
Encore de nos jours la Kabylie, et l’Algérie tout entière, reste un pays où la
culture de tradition orale est encore vivace. Mais l’écriture ne concerne que les
langues légitimes, comme l’arabe littéral et le français, et les langues maternel-
les des Algériens que sont le berbère (et ses dialectes) et l’arabe dialectal (avec
ses variétés régionales) véhiculent une littérature populaire fort riche.
L’objet de cette étude est, outre d’apporter des éléments nouveaux sur le
poète, de retracer l’image de Si Mohand à travers les écrits de tous ceux qui se
sont intéressés à l’homme et à sa production poétique. Soit sur une période de
près d’un siècle : du premier ouvrage, le Recueil de poe´sies kabyles de Si Saı̈d
Boulifa (1904) jusqu’à aujourd’hui, en passant par les Poe`mes de Si Mohand
(1960) de Mouloud Fearaoun et les Isefra de Si Mohand-ou-Mhand (1969) de
Mouloud Mammeri.
Le tableau sera complété par une discussion où il s’agira de savoir en quoi une
biographie sur Si Mohand dans l’état actuel de la connaissance est quasi impos-
sible. Je ne veux pas dire pour autant que la partie est perdue et qu’il n’y a plus
rien à faire. Car, il y a bien des pistes à explorer. Pourrait-on donc fonder l’espoir
sur des apports de l’histoire sociale et de l’ethnohistoire ? Car, la recherche sur Si
Mohand n’est pas terminée et, bien au contraire, elle ne fait que commencer.
Personnellement je me suis intéressé au poète depuis les années 1970 et j’ai
recueilli plus de 400 pièces, de son répertoire et inédites pour la plupart. C’est
cela qui explique en partie ici ce retour à Si Mohand-ou-Mohand.

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I. SI MOHAND D’APRÈS CE QUI A ÉTÉ ÉCRIT SUR LUI

L’histoire des collectes de la littérature de tradition populaire en Algérie,


jusqu’à une date récente, est liée à l’histoire politique et culturelle de la France.
C’est le souci de connaı̂tre les sociétés sans écriture qui a présidé à la naissance
des sciences anthropologique et ethnologique ; cela a immédiatement conduit à
la collecte de la tradition orale en tant que matériau nécessaire à cette recher-
che. L’expansion des puissances occidentales, consécutive aux conquêtes co-
loniales, a de fait agi aussi pour mieux connaı̂tre les sociétés conquises, à la fois
pour favoriser un développement du savoir – une curiosité intellectuelle et
scientifique toute légitime –, mais également pour mieux asseoir de nouveaux
rapports de domination. Militaires, administrateurs, universitaires ont produit
des connaissances fiables sur les pays conquis, dont l’Algérie.
La collecte en oralité littéraire, comme d’autres domaines, a bénéficié du
travail de ces hommes de science engagés dans l’investigation. Le Comité des
travaux historiques et scientifique, créé en 1830 sous le ministère de Guizot,
s’est chargé d’inventorier le patrimoine culturel de la France, mais aussi de la
Grèce antique, de l’Égypte, du proche Orient, de l’Afrique du Nord, etc. En
1852, Napoléon III ordonne la collecte de tous les chants populaires de France
pour « élever un grand monument au génie anonyme et poétique du peuple » ;
c’est le ministre de l’Instruction publique, Hippolyte Fortoul, qui a été chargé
de lancer cette vaste enquête. Elle a été le point de départ d’une récolte
immense. Et c’est dans ce contexte qu’ont été publiées les Poe´sies populaires
de la Kabylie du Jurjura du colonel Hanoteau (1867).
S’agissant de la production poétique kabyle, après Hanoteau déjà cité, ce
sont les contributions de Ben Sedira (1887), de Rinn (1887), de Mouliéras
(1893-8), de Luciani (1899), de Boulifa (1904), qui sont devenus des gisements
de textes oraux désormais accessibles. Il y a aussi la collecte et la notation écrite
des traditions orales par les missionnaires religieux, qui étaient faites dans le
but d’étudier la langue et la culture berbères et pour mieux propager la foi
chrétienne. Il y a enfin les travaux d’orientalistes et de scientifiques institution-
nels qui ont valorisé l’objet même du corpus linguistique.

Si Mohand d’après Boulifa

Le premier scientifique à s’être intéressé à Si Mohand-ou-Mohand est Si


Saı̈d Boulifa (1904). Partant du constat que le kabyle n’est pas une langue de
tradition écrite, Boulifa souligne que la tradition orale s’impose comme pour-
voyeuse de matériaux scientifiques et pédagogiques. Les genres les plus mar-
quants sur un plan esthétique sont les « poésies, des ‘‘chansons’’, qui par leur
forme et leur tournure sont réellement du domaine de la littérature » (entendre

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par là, sur le standard des productions écrites). De fait, il valorise tout un genre
et lui donne des lettres de noblesse en réunissant une collection de pièces
versifiées les plus intéressantes appartenant à Si Mohand, ou à des poètes
secondaires d’Adeni, ou des villages voisins.
Ce livre sera le fidèle compagnon de trois ou quatre générations de Kabyles
lettrés ou fraı̂chement alphabétisés, et comme l’écrit Feraoun « il est ‘‘le Livre’’,
l’unique livres des jeunes kabyles. » L’entreprise de collecte par Boulifa a eu
lieu aux cours des années 1892 à 1896, pendant ses premières années d’exerci-
ces à l’école de formation des instituteurs de Bouzaréah :
« Toutes les poésies de Si Mohand, écrit-il, nous ont été communiquées par
certains élèves du Cours normal et par des jeunes gens du village d’Adeni, qui,
grâce à leur bonne mémoire, nous ont permis de donner ici quelques poésies du
maı̂tre. Pendant quatre années de suite, nous n’avons cessé de les collationner
et de les contrôler avec tous ceux qui ont approché Si Mohand et qui l’ont
intimement connu, soit à Bône, soit ailleurs. Quelques unes que nous avons
lues à l’auteur même ont été déclarées par lui authentiques. 1 »
Si dans la première partie de l’ouvrage, le professeur de kabyle a accordé la
place aux poésies qui lui paraissaient les plus authentiques (108 pièces au total),
pour avoir été contrôlées jusque auprès de l’auteur lui même, dans la seconde il
a réuni des pièces toutes aussi bien frappées (au nombre de 166), mais d’auteurs
moins connus, ainsi que toutes celles de Si Mohand dont il doute de l’au-
thenticité. Les plus belles poésies du recueil, aux dires même de Boulifa (1904 :
LXIV), sont celles qu’il a recueillies de la bouche du poète, les nos 102 à 108.
Feraoun nous dit que Boulifa, poète lui-même, nourrissait une réelle admira-
tion pour Si Mohand-ou-Mhand et goûtait sa poésie avec délectation. Il nous
rappelle les quelques faits biographiques relatifs au barde kabyle, que son pré-
décesseur a réunis et qui ont contribué de façon certaine à perpétuer sa légende.
Pour Boulifa la présentation de ce poète s’annonce en contrepoint de
l’imagerie du général Hanoteau (1867) sur les poètes kabyles. Il s’agit donc
d’un portrait positif pour révéler l’âme d’un poète représentatif de la poésie
paysanne de Kabylie et d’un portrait qui s’inscrit en négatif contre la vision
réductrice de l’auteur des Poe´sies populaires de la Kabylie du Jurjura.
Ainsi la première page de Si Mohand retenue par Boulifa est celle du ‘‘poète
errant’’, qui voyage et improvise selon sa fantaisie. Et, au contraire de la vision
hanotiste, Si Mohand n’est pas de ces poètes qui chantent sur les places
publiques, dans les cafés maures et font de leur art une œuvre mercantile. En
un mot, il n’est pas un meddah au sens stricte du terme. L’image de troubadour
ne lui convient pas ; celle de voyageur errant d’un nouveau genre est plus juste.
La seconde image, très significative de la poésie kabyle, est de voir en Si
Mohand un ‘‘poète de l’amour’’, ou un ‘‘amant des muses érotiques’’.

1. Cf. Boulifa (1904 : LVII).

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Ce qu’a parfaitement compris Boulifa, et l’a souligné avec justesse, est que Si
Mohand incarne au sein de la société kabyle une figure du poète d’un genre
nouveau.
Si les auteurs de la poésie kabyle ancienne sont impersonnels, et excellent
dans le genre hagiographique, épique, édifiant ou satirique, les nouveaux
poètes de la génération 1871 qui manient l’asefru à la mode de Si Mohand
se distinguent dans le lyrisme. Les seconds sont supérieurs dans la chanson
lyrique, conçue comme expansion du « moi », sur les premiers.
Par exemple, un Si Mohand ne s’intéresse en vérité qu’à lui-même ou à tous
ceux qui lui ressemblent. Il peut s’identifier à ses semblables et ces derniers
peuvent parfaitement bien le lui rendre. Yiwen d nekk, wayed. am nekk (L’un
c’est moi-même, l’autre est celui qui me ressemble) dit un dicton bien connu.
Ce poète dit cœur, sentiment, instinct, là où les anciens diraient raison
communément partagée, ordre social, piété, soumission à Dieu.
La vérité chez lui n’est ni vraissemblance ni révélation, mais tout ce qui
existe et qui est perceptible, et exprime aussi l’extraordinaire, l’injuste, l’ab-
surde, le morbide, l’individuel. En fait, l’art mohandien n’est ni simple ni
serein. Bien au contraire, il est prenant et inquiétant parfois.
Si Mohand, bien plus que les poètes retenus par Hanoteau, est le barde
populaire par excellence de la poésie kabyle. Homme issu de la tribu des Beni
Iraten, il est né près de Tizi-Rached (mais Boulifa ne précise pas l’année). Là,
très jeune, son père le place dans une zaouı̈a pour y apprendre la langue sacrée,
la science religieuse et les arts profanes. Il conserve dans la particule de son
nom – la syllabe Si réservée généralement à la caste maraboutique –, l’image de
l’homme lettré qu’était son père. La perte tragique de ce dernier a eu un impact
sur le fils et décidé de son cheminement de poète hors des préceptes sacrés.
Boulifa continue sa narration sur son personnage ainsi :
« Possesseur d’un petit bien qu’il dédaigna de cultiver, il donna libre élan à sa
jeunesse, à ses passions et à sa rêverie, et peu à peu, le patrimoine paternel fut dissipé.
Le poète contemplatif était peu fait pour cultiver le champ de ses ancêtres. Tombé dans
la misère, il suivit son inspiration et alla toujours droit devant lui. Son âme sensible
s’éprit non seulement de la nature mais aussi des créatures ; d’un caractère aimant et
très sentimental, il ressentait plus que tout autre les douleurs de l’ingratitude et de
l’inconstance. Dans ses poésies, il pleure sur son malheur, sur ceux du temps, sur sa foi,
ses croyances, car Si Mohand a cessé depuis longtemps de suivre les prescriptions du
« Livre Sacre´ », Si Mohand a usé des boissons fortes auxquelles il a demandé l’oubli de
ses peines. Toutefois, dans ses dernières poésies, il se reproche sa conduite passée, il
chante le retour vers le pays natal, il implore le dieu de ses pères et lui demande pardon
de ses fautes, en une langue sobre, vive et imagée qui, malheureusement, perd beaucoup
à être traduite. Du reste, dans les poésies qui vont suivre, le barde kabyle, un peu trop
ignoré, se dépeint lui-même ; selon son état d’âme, ses poésies sont tour à tour gaies,
amoureuses ou mélancoliques.
Avec sa nature droite et très sensible, avec son tour meurtri, jeune, encore inassouvi, Si

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Mohand, maniant et pinçant sa lyre, ne fait entendre qu’une série de sanglots, de


plaintes et de gémissements 2. » (Boulifa 1904 : XIII-XIV).
Le poète voyageur contemplatif connaı̂t ces périples, la petite et le grande
Kabylie, une partie du centre et de l’ouest de l’Algérie, le nord Constantinois,
la Tunisie...
Son errance et sa vie de débauche – du moins vécue ainsi par l’intéressé, et
d’après le regard des autres – gagnent sa poésie sur le registre du pardon, du
sanglot, de la plainte. Sa poésie devient imploration, chant de remords, une
longue plainte invoquant le passé. Il est accueilli, dans ses voyages où il se plaı̂t
à composer selon sa sensibilité, et reconnu surtout par la jeunesse à qui il sait
parler avec justesse de la confusion des sentiments.
Dans son Recueil de poe´sies kabyles (1904), le professeur de langue kabyle et
de langue arabe à la « Section spéciale » du Cours normal de Bouzaréah nous
donne un aperçu sur l’état de la poésie de facture mohandienne : de ses formes
poétiques, de ses thèmes de prédilection, et de son impact sur la société. Très
vivante et en vogue parmi les générations montantes, cette poésie s’inscrit dans
le chant, dans la narration versifiée, par touches successives, et dans la
complainte.
Les pièces retenues dans le recueil renvoient à des événements circonstan-
ciés, et sous la forme de véritables chants poétiques ils disent l’amour insa-
tiable, chantent la femme et la féminité. Ils vont refléter les sentiments, les
réactions, les plaintes, la révolte de toute une génération, et peuvent figurer à
titre de documents et d’indicateurs d’une sensibilité collectivement partagée.
Un demi-siècle auparavant, le général Hanoteau rapproche la poésie des
imeddah.en et des ifsih.en de celle des troubadours en insistant sur l’aspect
itinérant, occasionnel et mercantile de cette poésie de rue. La divergence de
vue entre cet orientaliste bien connu, et officier supérieur de bureau arabe, et
le professeur de kabyle au Cours normal est nette. Deux perceptions de la
poésie kabyle se confrontent et s’expriment aussi sur un sujet délicat, celui du
rôle de la femme dans la société kabyle. À la divergence de sensibilité avec son
prédécesseur, Boulifa reproche à Hanoteau de ne pas s’être adressé à de
véritables poètes, pas plus qu’il ne connaissait ni sentait de près ce qu’est la
poésie kabyle.

Si Mohand d’après Henri Basset

Quelques années plus tard, Henri Basset dans sa thèse, Essai sur la litte´rature
des Berbe`res (1920), consacre tout un chapitre à la littérature kabyle (pp. 398-

2. « Il serait cruel de juger avec sévérité cette page un peu naı̈ve, écrira Feraoun (1960b : 18),
dont le mérite insigne restera d’avoir la première esquissé le portrait du poète, tel que l’imagina-
tion populaire se plaisait à le concevoir. »

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427). Dans cet ouvrage, où la méthode pratiquée fait une part belle à la critique
littéraire historique et comparative, l’auteur s’est révélé être un orfèvre en
matière d’érudition dans l’ensemble du domaine, en ayant pris en compte tout
l’existant documentaire. Et malgré, l’insuffisance de la documentation pour
certaines aires dialectales, mal assurée ici et incomplète là, Henri Basset en a
tiré le maximum.
Dans ce travail de synthèse, très novateur en son temps, il fait remarquer
que, grâce au recueil de Hanoteau et tous ceux qui ont été constitués jusqu’au
début du XXe siècle, on possède un siècle d’histoire littéraire kabyle. Ce qui est
déjà beaucoup pour un domaine comme la littérature orale.
Il met en vis à vis deux recueils majeurs de poésies kabyles, que sépare près
d’un demi-siècle, « et quel demi-siècle pour les populations kabyles ! ». Entre
l’ouvrage de Hanoteau (1867) et celui de Boulifa (1904), Henri Basset met une
ligne de démarcation, traduite par une date plus que symbolique : l’année 1871,
celle de la grande insurrection qui s’est mal terminée pour les populations
révoltées contre l’ordre colonial. C’est une année de rupture, et on peut parler
d’un « avant » et d’un « après » 1871.
L’auteur d’Essai sur la litte´rature a parfaitement compris à quel point un
événement historique a pu générer un changement radical, et dans les menta-
lités et dans les comportements culturels dans toute une société, et, par là,
modifier les modes de création et la sensibilité littéraire parmi le public.
« La répression, d’autre part, bouleversa les conditions sociales ; les grandes familles
perdirent leur autorité, de nouvelles puissances, puissances de basse extraction, s’éle-
vèrent sur leur ruine ; et nous venons d’entendre les plaintes des gens attachés à l’ancien
état des choses, devant les transformations que les nouvelles mœurs administratives, et
l’application de lois faites par les chrétiens, apportaient en Kabylie. Un ordre consacré
par de nouveaux siècles disparaissait brusquement, et non sans déchirement. D’aucuns,
rares, préfèrent l’exil à ces changements : ils allèrent s’établir en Syrie. Plus nombreux
furent ceux à qui des querelles personnelles rendirent impossible le séjour de leur
patrie : premier groupe de déclassés que nous allons retrouver dans les villes. » (Basset
1920 : 416-7).
Les changements socio-économiques, la mobilité sociale, le déclassement
des anciens chefs et des élites, le désarroi des générations montantes sont
autant de maux qui ont durablement marqué la société. Une seule issue s’offre
à une partie de la jeunesse : partir et chercher fortune ailleurs. Autant de
bouleversements sociaux qui vont se ressentir dans la création littéraire.
Face aux accusations de Boulifa à l’égard du travail de Hanoteau, dans
lesquelles il est reproché à ce dernier de n’avoir pas enquêté sur la « vraie
poésie » kabyle et de s’être adressé à des poètes secondaires, meddahs ou
créateurs de second ordre, Henri Basset note que « ce n’est pas que celui-ci
ait mal recueilli, c’est que les poètes ont changé de manière » (Ibid., 415-6).
Sur Si Mohand proprement dit, il n’a pas donné d’élément biographique
quelconque car ce n’était pas véritablement son objet, mais, à juste titre et pour

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la première fois, il a analysé l’œuvre du poète. Même s’il reconnaı̂t beaucoup de


mérite au corpus versifié de Hanoteau, Henri Basset note que parmi les poètes
kabyles, c’est Si Mohand qui exprime avec le plus d’intensité dramatique ces
émotions intenses et excessives que partagent avec lui nombre d’écrivains
romantiques du XIXe siècle : l’amour malheureux, les déchirements de l’exil,
les injustices et inégalités sociales, sources de maux et d’insatisfactions. De
l’étude des isefra, quelques thèmes ont été dégagé : l’amour et la passion
amoureuse, les bouleversements sociaux brutaux (« le mal du siècle »), les
affres de l’exil, l’injustice dans ce bas monde.
L’amour est ici toujours déçu et décevant, car trop absolu : le sentiment
amoureux non partagé, ou rejeté par l’élue, et les amours impossibles, du fait
de l’inconstance et de l’infidélité féminines, l’expérience amoureuse doulou-
reuse et l’amertume qui en résulte... L’amour est aussi lié à l’exil, la femme
aimée représentant la patrie quittée et pleurée, celle que l’on aime, et qu’on a
laissée au « pays », ou que l’on honnit en raison de son ingratitude.
L’exil est encore plus douloureux que la déception amoureuse, car s’y mêlent
le déracinement et la solitude. Si Mohand est bien le poète de l’exil et de la
solitude qu’il chante avec éloquence et lyrisme. Sa vie est à cet égard révélatrice
d’une destinée malheureuse : la perte rapide des maigres biens qu’il avait
hérités, l’oubli des études trop tôt achevées et pour finir la déchéance et
l’errance sans fin de ville en ville, avec l’impossibilité de nouer des liens
durables et stables, la pratique humiliante de petits métiers pour survivre...
La nostalgie de la terre natale est un autre thème, d’autant plus qu’il a dû
quitter la sienne très tôt et que demeurent gravées en lui des images qui
exacerbent ses déceptions et ses désillusions : rébellion contre ceux qui détien-
nent les pouvoirs (les vautours ou éperviers...) ; détresse absolue lors des jours
de fêtes – l’Aı̈d Kebir notamment où tout le monde se réunit en famille – que le
poète doit passer dans l’isolement le plus total.
La situation politique et sociale touche profondément le poète vagabond qui
se trouve sans cesse dans le besoin, et dont les frustrations sont vives. Les
inégalités sociales particulièrement, qui le concernent personnellement et
éveillent en lui des sentiments contradictoires, et le déchirement entre la révolte
contre l’injustice et l’acceptation résignée de son sort.
Il arrive que le poète, qui connaı̂t aussi l’art d’oublier, évite d’aller au bout
de son désespoir en s’adonnant à des moments éphémères de griserie et de joie
qu’il savoure dans le hachich et le kif, l’ivresse... Volonté défaillante, fragilité et
extrême vulnérabilité, sentiment d’impuissance accablant, d’anéantissement,
inadaptation à la société dans laquelle il est contraint de vivre et dans laquelle il
ne peut se reconnaı̂tre. Il s’agit là d’une poésie transitoire, et d’une génération
non encore intégrée au monde nouveau, source d’instabilité et de marginalité
douloureuse.
Cette situation de mal être et d’inadaptation, entraı̂nent avec elle l’exil, le

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retour de déclassés errant de ville en ville, comme Si Mohand et ses compa-


gnons. Et tous les chants composés dans ces circonstances expriment bien les
injustices d’une époque.

D’Henri Basset à Mouloud Feraoun (1920-1958)

Les analyses d’Henri Basset sur la poésie populaire kabyle, et en particulier


sur Si Mohand-ou-Mhand, n’ont pas été sans conséquence sur la vision de
plusieurs auteurs postérieurs qui ont étudié le grand poète kabyle. Le premier
auteur, à notre connaissance, qui a publié tout de suite après sur la poésie
kabyle est Jean Amrouche, avec ses Chants berbe`res de Kabylie (1939). Pour cet
écrivain, « le poète kabyle est celui qui le don d’asefrou, c’est-à-dire de rendre
clair, intelligible, ce qui ne l’est pas ». Il donne un corpus qui compte trois ou
quatre pièces probablement de Si Mohand.
C’est seulement après la Libération qu’on voit paraı̂tre des petits recueils de
poésies çà et là, comme ceux de Malek Ouary (1946, 1947 et 1951), journaliste à
la chaı̂ne kabyle de la Radio d’Alger, ou ceux qu’on insère de façon plus ou
moins régulière dans le jeune Fichier de Documentation berbe`re, cofondé et
dirigé par Jean-Marie Dallet, des Pères-Blancs, à Ouaghzen puis à Fort-
National.
Peu après la question de l’homme Si Mohand et de son œuvre poétique ont
été mis en relief par Mouloud Mammeri, professeur de lettres, dans une étude
fort remarquée : Evolution de la poe´sie kabyle (1950). Le chercheur, à l’instar
d’Henri Basset, inscrit la production versifiée d’expression kabyle dans une
thèse évolutionniste, où il dégage trois phases, trois styles différents : (1) la
poésie d’avant 1871 ; (2) la poésie après la fracture de 1871 ; (3) enfin, la poésie
du XXe siècle qui commence avec la Grande Guerre. « Poésie d’une période de
transition, d’une génération qui n’est point encore adaptée à l’équilibre nou-
veau, et trop souvent, tout à fait désorientée, ne sait plus elle-même se guider »,
nous dit encore une fois Henri Basset (1920 : 426).
Évidemment, c’est dans la seconde phase que Mammeri situe le poète Si
Mohand, bien que l’œuvre trouve son prolongement dans la troisième. Il fait le
constat que les vers du grand poète kabyle sont en rupture très nette par
rapport aux pièces poétiques antérieures et même contemporaines. De l’auteur
des isefra il en fait un portrait pas très éloigné de celui qu’avait déjà esquissé
Boulifa. Et sur l’œuvre elle-même, Mammeri a fait un commentaire lucide, qui
donne le ton juste, pour terminer par ce constat : « Si Mohand ne compose pas
pour un groupe, mais pour lui-même et un cercle restreint d’amis. Il n’a pas la
servitude d’un auditoire qui attend de lui une parcelle d’enthousiasme, une
heure d’évasion et une précieuse recette, et si ses vers éminemment personnels
sont sus et récités encore avec ferveur dans tous les villages de Kabylie, c’est
qu’il a dit les autres en se disant lui-même. » (Mammeri 1950 : 141).

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Une année après cette étude de Mammeri, l’orientaliste Emile Dermenghem


publie une enquête, La Poe´sie kabyle de Si Mouh ou Mohand et les isefra
(1951), par laquelle, sur un plan factuel il complète utilement le travail de
Boulifa (1904), et tout ce qui avait été écrit sur le poète kabyle.
Accompagné du vieillard qui avait enterré une quarantaine d’années aupa-
ravant Si Mohand-ou-Mohand, l’orientaliste et archiviste du gouverneur
général visite la tombe du poète à Asekkif Netmana, au lieu-dit Tikorabine,
près de Michelet. Cet homme lui raconte les derniers jours de l’auteur des
isefra. « C’était l’automne 1900. Si Mouh ou Mohand revenait de Tunisie et
passait, comme tous les ans en principe, quelques jours chez ses amis des Aı̈t
Sidi Saı̈d. Il souffrait d’un abcès au dessus du nombril, fut hospitalisé à Sainte-
Eugénie et mourut au bout de trois jours. »
Derminghem, qui classe Si Mohand parmi les « poètes maudits » de Villon à
Verlaine, met en relief un certain nombre de faits biographiques qu’on retrou-
ve dans Boulifa pour la plupart 3, et des généralités sur sa production poétique
comme l’a fait Henri Basset (1920).
La nouveauté, c’est que l’enquêteur a recueilli quelques isefra inédits attri-
bués au poète. Il publie la traduction de trois d’entre eux. Deux pièces sont un
dialogue plaisant entre Si Mohand et sa Dulcinée. La troisième traduction,
qu’on trouve à la fin de l’article, concerne un poème bien connu quand le grand
poète rend visite au vénérable Cheikh Mohand ou Lhocine près du village de
Taka. Ce poème se trouve aussi dans Mammeri (1950).
Réagissant au pessimisme de Mammeri, pour qui l’avenir de la poésie kabyle
d’expression orale est scellé presque définitivement, Dermenghem oppose
l’argument que la création poétique garde malgré tout sa vitalité et la produc-
tion ancienne et récente continue à être goûtée par les kabylophones. Il n’y a
qu’à regarder, ajoute-t-il, du côté des animateurs des récentes émissions de
langue kabyle à Radio-Alger, et de voir comment ces derniers ont su intéresser
les auditeurs à la littérature populaire en général. Effectivement, ces émissions
radiophoniques régulières, tout comme la chanson discographique des années
quarante et cinquante qui commence à conquérir un public de plus en plus
nombreux, ont redonné une seconde jeunesse à des productions poétiques
anciennes ou récentes.
En 1958 en pleine guerre d’Algérie, le romancier Mouloud Feraoun insère
dans le magazine Algeria et l’Afrique du Nord illustre´e un article sur Si
Mohand. Dans un contexte de réceptivité du public algérien à sa culture
ancestrale, l’écrivain de langue française présente pour la première fois le
poète et traduit quatre ou cinq de ses poèmes.

3. Il note l’anecdote suivante : Si Mohand s’improvisant marchand de beignets à Constantine,


laisse tomber, un jour où il avait la tête ailleurs, la bourre de sa pipe à kif dans la friture. Si bien
que tous les clients qui ont goûté aux beignets ont été enivrés. Le poète doit son salut à la fuite.

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Si Mohand d’après Feraoun

En 1960, Mouloud Feraoun récidive en faisant paraı̂tre dans une revue


parisienne de large diffusion, la Nouvelle Critique, un second article sur le
barde kabyle. Il fait connaı̂tre un poète, tout auréolé de sa légende, que tout un
chacun, peu ou prou, éclaire avec sa propre chandelle. « Celui qui souffre de
l’injustice du sort, écrit Feraoun, reconnaı̂t en Si Mohand un frère ; l’amoureux
désespéré pleure avec les vers du poète ; le croyant recherche chez lui quelque
fervent couplet qui soit une ardente prière ; le révolté une épigramme venge-
resse pour exprimer sa colère » (Feraoun 1960a : 86). Ce créateur, qui a su
susciter par sa sincérité la sympathie des siens, a été honoré dans l’article par la
publication de 10 pièces poétiques dans une nouvelle traduction.
La même année, l’écrivain algérien de langue française consacre à Si
Mohand un ouvrage fort remarqué (Feraoun 1960b) 4. Au départ, un inspec-
teur primaire de l’Académie d’Alger, dont les écoles de Kabylie relèvent de ses
attributions, a manifesté intellectuellement de l’intérêt à notre poète. J. Simon,
c’est son nom, qui a mené vers 1947 une enquête sur Si Mohand, a recueilli de
nombreuses poésies du célèbre poète. Ce haut-fonctionnaire d’Académie « ex-
plora particulièrement la région des Ath-Irathen, mit à contribution les ins-
tituteurs kabyles de sa circonscription, put découvrir des témoins qui avaient
connu le poète. »
Appelé plus tard à devenir directeur de l’École normale de Rodez, il remet en
quittant l’Algérie toutes ses notes à Mouloud Feraoun, lui même directeur
d’école. L’auteur de La Terre et le sang et des Chemins qui montent a décidé de
finaliser cette investigation. « Nous voici donc, écrit-il, à accomplir une tâche
plus ingrate. Car si nous prétendons présenter Si Mohand sous son vrai jour, il
faudra bien que nous détruisions sa légende, que d’autre part, dans cette
collection de poèmes, nous nous attachions à reconnaı̂tre les siens, que d’autre
part nous recoupions et confrontions tous les renseignements biographiques
rassemblés sur le poète » (Feraoun 1960b :13). La démarche est on ne peut plus
positiviste.
J. Simon a directement ou indirectement contribué à l’élaboration de
l’ouvrage de Feraoun, Les poe`mes de Si Mohand, édition bilingue (1960).
Les recherches de l’inspecteur sont doublées de plusieurs petits recueils de
poèmes et notes biographiques. Toutefois, la source qui mérite une mention
spéciale, selon Feraoun, reste Si Youcef-ou-Lefki, un poète de la même
génération que Si Mohand, natif de Taourirt Amrane (près de Michelet,
aujourd’hui Aı̈n-el-Hammam) et mort en 1956, qu’il cite abondamment

4. Il s’agit de Mouloud Feraoun, Les Poe`mes de Si Mohand, édition bilingue, Paris, Ed. de
Minuit, 1960, 111 pp. À sa sortie, cet ouvrage a été salué par la critique ; entre autres, Emmanuel
Roblès l’a signalé in « Trois écrivains espagnols et deux poètes algériens », Algeria, no 59,
été 1961, p. 30.

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dans son introduction. Ces différents témoignages donnent lieu bien entendu à
des interprétations contradictoires.
Youcef-ou-Lefki, qui est reconnu par tous comme un disciple de Si Mohand
et un ami durant plusieurs années du poète (même s’ils ne se voyaient pas très
souvent), est un témoin intéressant. « Lorsqu’il a évoqué cette période de son
existence, écrit Feraoun d’après les notes de l’inspecteur primaire, sa vieille
voix tremblait d’émotion, ses yeux éteints à moitié se fermaient et, pour nous
répondre, il rimait, rimait sans fin. On hésitait à l’arreˆter lorsqu’il s’e´cartait de
la question, on hésitait à torturer sa me´moire fatigue´e. Que de faits précieux
demeuraient à jamais enfouis dans les cendres de ses souvenirs et qu’on eut
aimé faire ressurgir ! Mais on le quittait avec l’impression d’avoir visité en un
voyage indiscret et rapide qui n’était pas le vôtre, qui se refusait à vous
accueillir et emplissait votre âme d’une mystérieuse angoisse. Le double de
Si Mohand semblait parler par sa bouche pour vous signifier gentiment d’avoir
à le laisser dans l’ombre, lui qui se pre´occupait si peu de se survivre. » (Feraoun
1960b : 19 ; italiques ajoutées).
Une telle page montre que tout témoignage oral sur le poète disparu, à
l’époque depuis un demi-siècle, est d’une fiabilité toute relative. Ajouter à cela
un témoin privilégié comme Youcef-ou-Lefki, qui se trouvait dans la force de
l’âge à ce moment là, si bien que l’enquêteur n’a pu en tirer que des faits
ordinaires. Cela dit, avec ce témoin, nous sommes loin du portrait idéalisé de
Boulifa :
« Quand j’ai connu Si Mohand, dit Youcef-ou-Lefki, c’était un homme de
grande taille, brun, avec des yeux marrons au regard à la fois ironique et vif. Il
portait une barbiche noire à peine grisonnante. C’était un grand marcheur. Il ne
montait jamais en diligence, train ou automobile, non par crainte du danger mais
par esprit d’indépendance. L’un des traits dominants de son caractère était la
curiosité. Il demandait des détails sur les pays qu’il traversait, sur les gens, sur leurs
mœurs. Il voulait tout savoir. » (Feraoun : 25).

Éléments d’une biographie de Si Mohand toujours d’après Feraoun

Avant Feraoun, la biographie de Si Mohand est réduite à sa plus simple


expression. Avec l’enquête très consciencieuse de J. Simon des pans entiers
d’une vie commencent à s’éclaircir, mais des incertitudes et des lacunes
demeurent. Par exemple, sa date de naissance n’est pas établie avec précision
(il n’y avait pas d’état-civil en Kabylie avant 1891), mais la date de sa mort est
attestée (1906) d’une curieuse manière.
En fait, pour connaı̂tre de manière exacte la date de la mort du poète,
consécutive à son séjour à l’hôpital Saint-Eugénie de Michelet, le Père Blanc
Henri Genevoix a effectué des recherches minutieuses sur le registre des décès
de l’établissement hospitalier. De tous les inscrits pour la période 1895-1914,
on n’a pu retrouver le nom de poète. A-t-il été admis sous un nom d’emprunt ?

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Toujours est-il que la date approximative de sa mort, la plus proche de la


réalité, qui est retenue par Feraoun est l’année 1906.
Selon certaines sources (Boulifa par exemple), il serait mort à 46 ans, mais
d’autres, Youcef ou Lefki, s’accordent pour dire qu’il avait plus de 60 ans. Et
c’est la deuxième hypothèse qui est admise, en faisant naı̂tre le poète en 1840.
Qu’apprenons-nous sur Si Mohand d’après des témoins, de plus en plus
rares déjà, rencontrés par l’inspecteur primaire en 1947 ?
Si Mohand est issu de la famille des Aı̈t-Hamadouche, ses parents venant
d’un hameau non loin de l’actuel chef-lieu Larbaa Nath Iraten (autrefois Fort-
National) : ils ont fui Aguemoun pour échapper à une vendetta, avant la
naissance du poète. En 1857, dix ans après la défaite de l’émir Abd-el-
Kader, le maréchal Randon commence la conquête du cœur du pays kabyle.
Icheraouen, le village de Si Mohand, est détruit. Au milieu de ces troubles, Si
Mohand commence ses études dans la zaouı¨a de son oncle paternel, cheikh
Arezki, qui y enseignait le Coran. Puis il les termine dans une zaouı¨a plus
prestigieuse, celle de Sidi Abderrahmane des Illoulen où il étudia le droit
musulman et des sciences profanes, si bien qu’il devient taleb. Son enfance a
été aisée, calme et heureuse.
Malheureusement, après l’insurrection de 1871, son père, partisan des
insurgés, est arrêté et exécuté à Fort-National ; et tous les membres de la
famille sont activement recherchés. L’un fuit en Tunisie, un autre est déporté à
Nouméa. Tous les biens de la famille sont confisqués et cette dernière est
dispersée (sa mère et son frère cadet se réfugièrent dans un misérable gourbi).
Selon Si Youcef, son père aurait été dénoncé par ses débiteurs en raison de son
métier d’usurier, et Si Mohand aurait été sauvé de justesse du même sort
tragique par le capitaine Raves, officier de bureau arabe. Le futur poète a beau
demander de l’aide à son frère aı̂né installé à Tunis, ce dernier la lui refuse.
Blessé et déçu, Si Mohand rédige alors des pamphlets à Tunis même qu’il
placarde partout, dans lesquels il ridiculise son frère. Puis il quitte la ville. Il lui
arrivera souvent de clamer dans ses poèmes ses désillusions au sujet de l’amitié
trahie. « Un mauvais ami, chante-t-il, est une fausse monnaie qui accroı̂t votre
affliction quand on vous la refuse » (Feraoun 1960b : 29).
À cette époque troublée, Si Mohand se marie avec la fille d’une veuve
d’Amalou, vit chez sa belle-mère qui l’a toujours détesté en raison de son
oisiveté – il était en effet grand amateur de kif et d’absinthe – et aurait même
tenté de l’empoisonner, ce qui le fait abandonner sa femme. Mais, selon
Youcef-ou-Lefki, son histoire de mariage et de belle-mère ne sont que des
sornettes. Si Mohand n’a pas pu se marier, car il est impuissant et l’a toujours
reconnu ouvertement, selon lui. Un témoignage aussi décisif n’a pu être
confirmé par d’autres sources 5.

5. Mokli, qui a très bien connu le poète in Mammeri (1969) n’a pas confirmé les dires de
Si Youcef-ou-Lefki.

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Son divorce et tous ces événements ont été le prélude à la vie vagabonde de
Si Mohand : une trentaine d’années d’errance entre la grande Kabylie et la
région de Bône, parfois jusqu’à Tunis (où se sont installés par la suite sa mère
et son frère cadet). Toujours à pied, comme le dit Youcef-ou-Lefki, sans
préciser toutefois qu’il n’avait guère d’argent pour emprunter d’autres moyens
de locomotion. Il n’est resté sédentaire qu’une brève période de sa vie, durant
laquelle il devient propriétaire d’une gargote près de Bône où il vendait des
beignets aux ouvriers ; mais un jour, il faillit les empoisonner en mêlant par
inadvertance du tabac (du kif selon d’autres versions) à la friture, une mala-
dresse qui a mis fin à son expérience.
Il buvait, fumait, passait beaucoup de temps dans les cafés, mais jamais
jusqu’à l’excès. Il savait rester modéré et avait toujours, en toute circonstance,
un comportement respectueux de la loi, allant jusqu’à exhorter les ouvriers à la
mesure et la haine des dérèglements, ce qui lui donna une réputation de sagesse
fort appréciée. C’est en 1906 (date présumée) qu’il mourut, à l’hôpital des
Sœurs Blanches à Michelet. Auparavant, il alla faire ses adieux aux lieux qui lui
étaient chers et choisir sa dernière demeure au lieu-dit Aseqqif n t.t.mana (‘‘l’abri
protecteur’’), près du sanctuaire de Sidi Saı̈d ou Taleb. À Michelet, le poète y
comptait des amis ; les Aı̈t Sidi Saı̈d, groupe maraboutique, ont réglé les frais
de ses funérailles et ont fait qu’il demeure parmi eux. Son cortège funèbre fut
suivi d’une foule impressionnante : riches, pauvres, vagabonds, des Français et
les infirmiers de l’hôpital... Une multitude de personnes qui lui rendit ainsi un
dernier hommage.
Sa vocation poétique, il la doit, selon la tradition à un ange qui se présente à
lui et lui dit : « Rime et je parlerai, ou bien alors parle et je rimerai. » (Feraoun
1960b : 8). L’aspirant poète opte pour la parole, mais en même temps c’est
l’ange qui est en lui qui parle, et par la bouche de Si Mohand.
Si bien que tous ses vers sont inspirés et toute l’œuvre de Si Mohand
ressemble à une confession. On peut y voir les rêveries d’un poète solitaire et
l’expression subjective et privilégiée des émotions et des sentiments humains.
En effet, on n’y trouve aucun didactisme ou moralisme, mis à part les formules
proverbiales. Si Mohand est un « sentimental » qui utilise le sentiment comme
fonction prédominante, son rapport au monde l’est également, ainsi que son
expression poétique, révélant une grande richesse intérieure et une profonde
sensibilité.
Après Feraoun, c’est Mammeri (1968) qui va reprendre le flambeau. Dans
un pénétrant article, publié dans une revue aujourd’hui difficile d’accès,
l’auteur de La Colline oublie´e trace un portrait du poète avec précision et
annonce un recueil avec de nombreuses pièces inédites en cours de publication.

17
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Le travail de Mouloud Mammeri

Après l’opus de Feraoun, vient l’ouvrage que Mammeri (1969) a consacré à


Si Mohand, et c’est une véritable somme. Non seulement il rassemble tout ce
qu’on connaissait sur le poète, on peut y lire aussi avec profit une longue
introduction sur Si Mohand et son œuvre ; elle contient de nouveaux éléments
biographiques sur l’homme et une réévaluation de sa production poétique. Un
corpus important (où le nombre des pièces est porté au chiffre de 286),
provenant de plusieurs sources, dont Boulifa. Après l’incontournable ouvrage
de Boulifa (1904), Mammeri a intégré dans son propos l’ensemble de l’enquête
de 1948, publiée par Feraoun (1960). Pour le corpus, il a ajouté les 13 poèmes
du Voyage de Si Mohand de Maison Carre´ à Michelet (Feraoun 1960 : 99-111),
poèmes recueillis par le père Giacobetti en 1905. A ces sources publiées le
romancier algérien de langue franc¸ aise a fait sa propre enquête et réuni les
rares recueils manuscrits existants. Parmi lesquels :
1. Si Youcef-ou-Lefki, qui a été une source importante pour Feraoun en ce
qui concerne des données biographiques sur Si Mohand ;
2. Debiane Omar Azouaou, du village Azouza ;
3. Mokli Hadj-Mohand-ou-Mahieddine ;
4. Arezki, vieillard de Djemaa Sahridj, âgé de près de 80 ans en 1968 ;
5. des sources diverses.
(1) Youcef-ou-Lefki de Taourirt-Amrane, près de Michelet (mort vers
1952, et non en 1956 comme il a été rapporté plus haut) a dicté dans les
années quarante une série de poèmes, d’une part à Ouarab Hocine, institu-
teur et animateur (en kabyle) à la Radio d’Alger, et d’autre part à Naser
Aı̈t-Elhocine de Tasga Melloul (de la tribu Aı̈t Manguellat). Les poèmes
recueillis par ce dernier ont été communiqués au père Henri Genevoix de
Ouaghzen (Michelet). Les pièces recueillies par l’un et par l’autre ont été
passées au crible par Mammeri (1969 : 93), car « déjà la mémoire pourtant
très pieuse de Youcef-ou-Lefki peut dicter le même poème à Naser Aı̈t-
Elhocine comme étant de lui. » Pour le premier l’éditeur prend en compte 17
pièces, et 28 pièces pour le second. (2) Debiane Omar Azouaou, même s’il
n’a pas fourni de faits biographique majeurs sur le poète, a contribué gran-
dement au sauvetage de l’œuvre orale de Si Mohand en la recueillant, « pour
le plaisir personnel » du collecteur, nous dit Mammeri. Le résultant a été,
sur plusieurs années, une moisson de près d’un millier de poèmes. L’éditeur
et traducteur des Isefra n’a utilisé qu’une faible partie du corpus (seuls sont
reproduits dans l’ouvrage 63 poèmes), et cette prudence s’explique la part
des œuvres apocryphes par rapport à la masse des productions attribuées au
maı̂tre. (3) Mokli Hadj-Mohand-ou-Mahieddine, « vieillard de Tizi-Rached,
dont la voix émue évoque encore aujourd’hui (1967) le poète avec préci-
sion. » C’est sans doute lui qui a donné à Mammeri les compléments d’infor-

18
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mation sur la vie de l’aède kabyle, et qui a confirmé ou infirmé certains faits
anecdotiques. Le corpus de Mammeri compte une douzaine de pièces inédi-
tes récitées par ce compatriote de Si Mohand, et ce dernier aurait même
composé pour lui un poème, « lorsqu’il avait épousé une femme plus âgée
que lui » (Mammeri 1969 : 294, poème no 149). (4) Arezki, un homme vieil-
lard, est lui aussi une mémoire. Une dizaine de pièces. (5) Enfin, à côté de
tous ces « anciens », l’enquêteur mentionne des sources diverses, sans autre
précision : 29 pièces en tout.
Mohand, fils de Mohand Ameziane Aı̈t Hmadouch, est né, suivant le calcul
de Mammeri non plus en 1840, mais vers 1845 à Icheraouen, un des hameaux
de Tizi Rached (tribu des Aı̈t Iraten). Là le récit de l’enfance ne diffère de celui
de Feraoun, sauf que Mammeri y ajoute quelques détails inédits. Il rapporte
notamment que les parents de celui qui sera un poète kabyle de premier plan
sont venu récemment d’Aguemoun, village proche du futur Fort-National.
Mohand Ameziane, son père, et ses deux frères (Arezki et Saı̈d), pour échapper
à une vendetta, sont venus s’établir à Icheraouen en demandant la protection
(leenaya), selon la coutume.
Selon une autre version recueillie par l’enquêteur : Mohand n’est pas né à
Icheraouen, mais à Tighilt El Hadj Ali, autre lieu de la confédération des Aı̈t
Iraten. En fait, toujours selon ce même récit, la mère du poète, Fatima Aı̈t
Saı̈d, est originaire de Taddart Bouadda, un village proche, avait un frère
Amar Aberkane, qui avait pris femme à Tighilt. C’est là que s’est réfugié la
famille avant de trouver asile et protection à Icheraouen. Ce qui fait écrire à
Mammeri en note (1969 :17), et non sans malice, « faut-il mettre cette tradition
sur le compte d’un désir de revendiquer un poète célèbre ? Ainsi sept cités de la
Grèce se disputaient Homère. ».
L’enfance de Mohand s’est passé dans l’insouciance, au sein d’une famille
vivant dans l’aisance. Elle avait des terres, et Mohand Ameziane, le père,
pratiquait l’usure. L’enfant puis l’adolescent reçoit successivement, comme il a
été dit plus haut, son instruction dans deux zaouı̈as. C’est à cette époque, sans
doute, qu’on accole à son nom la particule préfixe « Si », réservée aux clercs.
Ces années de formation d’un esprit et d’une personnalité ont été, malheu-
reusement pour lui, brisées par un événement sans précédent, la révolte de
1871.
Les Aı̈t Hmadouch ayant pris une part active à l’insurrection et, après la
défaite, ces derniers ont été dénoncés à l’autorité militaire par leurs adversaires
et leurs débiteurs. Le père de Si Mohand a été passé par les armes et l’oncle
paternel déporté en Nouvelle-Calédonie. Le second oncle, Saı̈d, doit la vie à sa
fuite en Tunisie. Tous les biens ont été séquestrés.
Si Mohand lui-même a été sauvé de justesse par l’intervention d’un officier.
Le frère aı̂né Akli a emporté ce qui pouvait l’être de la fortune familiale à
Tunis, où il s’est fixé : il s’y maria et acheta un magasin et une petite ferme. Si

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Mohand a essayé de s’établir et prendre en charge sa vieille mère et son jeune


frère Meziane ; la tradition dit même qu’il s’est marié.
Mammeri ne met pas en doute le mariage de Si Mohand, après la mort de
son père et devenu « homme » de la maison, avec la fille d’une veuve d’Amalou,
près de Takaats, tel que l’a rapporté la tradition. Il faut rappeler que cette
version a été notée par Feraoun (1960b : 47) et que Si Youcef a rejeté
catégoriquement, précisant que « Si Mohand a répété à maintes reprises
qu’il était impuissant. L’amour chanté dans ses vers est donc tout plato-
nique. ». Mais Si Youcef semble se contredire en ajoutant qu’il ne savait pas
trop : si le poète s’est marié « c’est peut-être dans son adolescence, du vivant de
son père. » Ce qui ne concorde pas avec d’autres traditions.
Quoi qu’il en soit, un tel témoignage pourrait être en soi décisif, mais il n’est
ni prouvé ni confirmé par d’autres sources. Et la question est loin d’être
tranchée. « L’argument mérite qu’on s’y arrête, écrit Mammeri. La vérité sur
ce point, il est probable que nous ne la saurons jamais. On ne voit pas d’où
pourraient venir des documents qui permettraient de conclure. On peut
seulement, de l’œuvre même de Si Mohand, tirer quelques conjectures. Il est
évident que le fait s’il était prouvé, éclairerait d’un jour nouveau certains traits,
voire même une attitude du poète. » (Mammeri 1969 : 47)
Le mariage échoue et Si Mohand est chassé par sa belle-mère. La tradition se
situe l’épisode de l’ange à ce moment là. Dans ce rite initiatique, Si Mohand est
investi comme poète de droit divin. (C’est l’ange qui l’habite qui fait les vers à sa
place).
Si Mohand, qui est dans le camp des vaincus, quitte sa région natale et va
parcourir les provinces d’Algérie, selon son humeur vagabonde, vivre de
travaux saisonniers et de petits métiers. Il va régulièrement à Bône (Annaba)
et les environs, où se trouvent ses nombreux compatriotes, employés dans les
chantiers, l’industrie extractive ou dans les fermes. Il rimera à tous vents.
Parfois, il pousse jusqu’en Tunisie voir son frère Akli pour lui demander des
comptes. Mal accueilli par sa belle-sœur, il raillera dans des poèmes mémora-
bles l’inconduite fraternelle.
Pour le reste, Mammeri reprend le dossier constitué par Feraoun. Et comme
ce dernier, il fait mourir Si Mohand en 1906, à l’hôpital des Sœurs Blanches
dénommé Saint-Eugénie, près de Michelet. Le poète a été enterré à Asekif-n-
Ettmana, dans le cimetière de Tikorabin appartenant à la famille marabou-
tique des Aı̈t Sidi-Saı̈d.

Si Mohand vu par Mammeri

Mammeri qui a bien étudié cette œuvre en a dégagé principalement trois


thèmes : l’épreuve de l’amour ; l’épreuve de l’exil ; l’homme face à son destin.

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L’amour est un thème important dans son œuvre, influencé par la concep-
tion de l’amour chez les Kabyles de cette époque : ni conquérant, ni empreint
d’une sentimentalité puérile, mais sensuel, instinctif et puissant, hélas toujours
perturbé par les entraves sociales et morales. On retrouve, dans la poésie de Si
Mohand, d’infinies variations sur ces problèmes : éviter de salir une réputation
et les unions mal assorties, se rebeller contre les riches qui prennent les
« perdrix », etc. Toutefois, ce désenchantement permanent qui traverse son
œuvre ne le mènera jamais aux excès et l’auto destructivité, à la manière des
romantiques européens : pas d’alcoolisme démesuré, ni de désespoir égocen-
trique.
Le second thème, celui de l’exil, est bien présent : le triste sort des travailleurs
émigrés, qui se traduit par de dures conditions de vie et des salaires de misère.
Sa patrie est perdue, son monde intérieur aussi. Partout l’angoisse et la
solitude. La désillusion, l’impossibilité de vivre pleinement les choses révèle
ainsi une quête plus profonde, toujours inassouvie, quête existentielle, méta-
physique, ontologique...
Du destin qui lui est tombé dessus, il fera un troisième thème. Ses vers sont
une plainte permanente contre ce monde mal fait, où les uns sont heureux, les
autres seront toujours malheureux. Il fait partie des lésés et, malgré toute sa
bonne volonté pour sortir de l’impasse, il retombe dans ses travers. S’il était
possible de comparer Si Mohand, son destin et son attitude face à celui-ci, à
une, on ne saurait trouver mieux que la figure archétypique de Job. Lui-même
le dit d’ailleurs : « Me voici comme Job / Plus sec qu’un clou » (Mammeri 1969 :
199, poème 71). Se définissant « pauvre comme Job », le poète se trouve en
proie à ses désillusions, à son amertume de voir passer le temps et se trans-
former le monde autour de lui, qui le laisse sur la paille, condamné à l’exil de
son univers et de lui-même et à un âpre dépouillement de tout ce qui, dans sa
jeunesse, le comblait et faisait sa joie.
Ses poèmes sont traversés par la nostalgie du passé. Les transformations
sociales, économiques, politiques et religieuses sous l’ordre colonial sont des
bouleversements violents qui génèrent leur part d’injustice, elles ne consti-
tuent pas un progrès pour Si Mohand ; et bien au contraire, selon son échelle
de valeurs, elles mènent à une dégradation des mœurs, une régression spiri-
tuelle et humaine où règnent le mensonge, l’hypocrisie, l’indignité et le dés-
honneur. Il est déchiré par ce choc entre les valeurs traditionnelles (idéalisées
ici ?) qui sont les siennes et qui lui semblaient régner dans le passé : vérité,
sagesse, honneur, loyauté, fidélité, et les nouvelles valeurs, totalement inver-
sées où sont reconnus les « métèques » et les « canailles » et où les « bons »
sombrent dans la misère.
Il met les méfaits du siècle sur le compte de la destinée, qui est tissée par
Dieu : c’est là un thème récurrent qui parcourt ses poèmes. Cette destinée qui
devient pour lui une douloureuse fatalité, il ne parvient pas à l’assumer, car il
en ressent le caractère injuste et incompréhensible à la raison humaine. Il va

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jusqu’à traiter Dieu d’« être abject » et se révolter contre lui : « Il comble les
fripouilles / Les gave de parfum de girofle / Et moi je passe la nuit dans une
écurie » (ibid. : 347, poème 191).
Mais en définitive, tel que Job, il finira lui aussi par accepter et assumer
pleinement cette inexorable loi de Dieu : « Nul n’est maı̂tre de son destin »
(ibid. : 253, poème 197), mais toutefois, malgré ses plaintes répétées face au sort
tragique qui domine sa vie, son attitude n’en demeure pas moins celle d’un
résistant véritable, non dépourvu d’héroı̈sme : « Nul d’eux ne me commandera
/ Plutôt rompre que plier / Plutôt être maudit / Dans un pays où les chefs sont
des entremetteurs » (ibid. : 153, poème 32).
Grâce à cette chaı̂ne d’écrivains et de berbérisants sur l’aède kabyle et sa
production poétique, il s’est trouvé que Si Mohand a pu être hautement
valorisé et qu’un champ de travaux savants ait pu s’ouvrir. Parmi les recher-
ches postérieures à Mammeri (1969) et qui peuvent retenir l’attention, il
convient de citer : Youssef Nacib, Si Mohand et Verlaine in Anthologie de la
poe´sie kabyle (1993 : 85-122) ; Tassadit Yacine, dans son édition et présenta-
tion de Mammeri Isfra, poe`mes choisis (1994) ; Younès Adli, Si Mohand ou
Mhand, Errance et re´volte (2001). Chacune de ces contributions trouvera sa
place dans une prochain étude sur Si Mohand.
Tels sont les renseignements d’intérêt biographique, qui ont été réunis de
façon cumulative depuis près d’un siècle, sur le poète Si Mohand. Écrire une
bonne biographie sur ce dernier n’est pas sans poser plusieurs types de
problèmes. C’est ce que nous allons voir dans ce qui suit.

II. SI MOHAND, UNE BIOGRAPHIE IMPOSSIBLE ?

Une « vraie » biographie sur Si Mohand, poète de tradition orale ayant


disparu il y a maintenant près d’un siècle, est quasiment impossible à mener.
Impossible, sur la base de méthodes conventionnelles d’analyse ayant eu cours
jusqu’à naguère, mais probablement possible – du moins l’espoir est permis –
si on explore d’autres voies (après tout, impossible n’est pas français, dit le
dicton).
Mon hypothèse de départ est que l’entreprise de biographie, suivant
la démarche classique, est d’avance vouée à l’échec. Il s’agira de faire ici,
tout d’abord, un état des lieux de la tradition orale et de voir si une quelconque
stratégie, qui permettrait de sortir de l’impasse, est envisageable. Ensuite, aura
lieu un examen critique des différentes approches sur la question : anthropo-
logie historique, ethnohistoire, biographie et histoire sociale, etc.

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La tradition orale et la mémoire

La tradition orale représente la somme des données qu’une société retient et


codifie, sous forme orale, afin d’en faciliter la mémorisation, et dont elle assure
la diffusion aux générations contemporaines et futures. Elle retient ce qui est
essentiel pour la société qui la prend en charge et apparaı̂t ainsi comme un
héritage. Là où les sociétés sont de longue tradition écrite, elle est marginalisée ;
en revanche, elle demeure à être vivante là où les sociétés sont sans écriture, ou
au sein de celles où la notation écrite est insuffisamment développée.
Plus la tradition orale est ancienne, plus la part d’incertitude historique
qu’elle véhicule est grande. Prenons la Grèce archaı̈que – où l’écrit ne fut pas
cette institution véritable qu’on lui connut au cours de la période athénienne –
personne n’est capable aujourd’hui de dire si Homère a existé et s’il est l’auteur
de l’Iliade et de l’Odysse´e. Il fut un moment où certains avaient même émis des
doutes sur l’existence historique de Jésus ou de Bouddha. Plus près de nous, on
s’est interrogé si le grand poète chleuh, Sidi H.ammu Agurram, ne relève pas de
la thaumaturgie et de la sainteté. De même que Si Mohand ou Mhand s’il avait
vécu au XVIe siècle par exemple, il ne resterait de lui plus aucun souvenir,
hormis de vagues faits légendaires.
La question de la poésie est assez délicate. Pour Paul Zumthor (1983), elle
est au centre de la question de la littérature, c’est-à-dire de l’exercice créateur
du langage et de son lien avec la création orale. Il distingue plusieurs formes
d’oralité : en premier lieu une oralité archaı̈que, « mythique », primitive, qui ne
se rencontre plus, mais qui sert de référence. En deuxième lieu une oralité
mixte, faite d’un mélange de culture écrite (parfois savante) et de culture orale,
et dont les représentants sont les conteurs : ils savent lire et transmettent la
littérature à leurs concitoyens en racontant. En dernier lieu une oralité mé-
diatique, qui passe par la radio, les disques, voire la télévision, c’est-à-dire des
médias de communication.
En résumé il y aurait une oralité de la mémoire, très souvent mixte et une
oralité médiatique. Mais aujourd’hui l’oralité n’est pas la même que celle d’il y
a cinq décennies, du fait que la mémoire ne joue plus le même rôle. Jadis,
l’oralité était une garantie de mémoire, ce qui n’est plus valable à l’heure
actuelle quoique « tout n’est pas blanc, tout n’est pas noir ». Mais cette
mémoire calque souvent son fonctionnement sur les médias audiovisuels.
La spécificité de la poésie de tradition orale dont la récitation couvre
plusieurs décennies : mouvante, elle s’élabore et se transforme dans le pro-
cessus même de sa transmission. Qu’il n’y ait pas de texte définitif présente des
difficultés méthodologiques pour les collectes : oublis, emprunts...
Autre problème, le passage à l’écrit. Le poème, dans son mécanisme comme
le rêve, est une mise en scène d’images, mais ces images-là sont saisies dans une
structure narrative. Mais aussi tous ces éléments transcendants aux œuvres et

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constitutifs du jeu littéraire que sont les formes : les codes rhétoriques, les
techniques narratives, les structures poétiques (Genette, 1972). Dans des
conditions idéales, l’oralité littéraire impose la synchronie : l’œuvre n’a d’exis-
tence concrète que dans le cadre d’une performance donnée, à un instant
donné. Et, pour le chercheur, il est de bon sens de confronter matériellement
cette performance avec des performances antérieures, ce qui permettrait de
mesurer objectivement une évolution de l’œuvre ou du genre.
L’un des problèmes méthodologiques qui sont posés, c’est qu’en oralité
littéraire il ne saurait y avoir d’œuvre « standard » ou de « modèle » d’une
performance p par rapport à une autre pour laquelle on pourrait examiner une
évolution. L’originalité de cette production de tradition orale réside dans le fait
que cette dernière implique un mode particulier de création : la transmission
fait de chaque agent colportant le texte un re-compositeur et rend ainsi vaine la
recherche du texte « premier ». La création et la recomposition sont générale-
ment collectives, même si quelquefois des individus, distingués par leur talent,
sont amenés à créer suivant des modèles en vogue et à remanier telle ou telle
composition en circulation.
Aujourd’hui encore chez les kabylophones, l’oralité demeure vivante, et la
révolution médiatique des cinq dernières décennies n’a pas modifié cet état de
choses. Bien au contraire cette incidence a valorisé l’oralité et stimulé la création
littéraire avec des fortunes diverses. De ce fait, d’innombrables poèmes demeu-
rent dans la tête et sur les lèvres chez de nombreuses personnes, pas spéciale-
ment illettrées et même si la révolution technologique est en train de bouleverser
profondément la représentation culturelle qu’ont les intéressés de leur patri-
moine littéraire oral. Cela n’a pas manqué de frapper plus d’un observateur.

L’anthropologie historique et l’ethnohistoire

Les progrès dans les sciences humaines et sociales ont été tels que l’histoire
devient exacte, fondée sur des preuves écrites, et le subjectivisme est écarté ;
l’anthropologie est fortement liée au terrain et l’observation directe. Histo-
riens et anthropologues ont travaillé chacun de leur côté jusqu’au milieu du
XXe siècle. Mais dans la seconde moitié du siècle, les perspectives ont changé, si
bien que l’histoire et l’anthropologie se sont rejointes. Des sous-disciplines
sont nées : l’ethnohistoire d’abord, puis l’anthropologie historique.
L’anthropologie et l’histoire se sont donc renouvelées, la première en
reconnaissant la dimension historique de toute société, et de même l’universa-
lité de l’intérêt ethnologique. L’histoire, quant à elle, a intégré des notions de
longue durée (M. Kilani 1992 : 104) et accordé de l’intérêt sans se démentir aux
phénomènes sociaux.
Par exemple, pour l’étude de l’histoire locale, des sources complémentaires
– comme l’histoire provenant de l’oralité, l’analyse linguistique, les docu-

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ments d’archives et les vestiges archéologiques – s’imposent. L’anthropologie


historique prend en considération le changement social ou culturel dans les
sociétés étudiées.
L’histoire est réincorporée à l’anthropologie, et on a déplacé le sens des
distinctions entre sociétés. On fait plus référence aux oppositions entre chan-
gement et stabilité, entre histoire et structure, entre système et événement
(Marshall Sahlins 1981 et 1985). Cette histoire structurale étudie les sociétés
comme des systèmes linguistiques, et Sahlins regrette que l’on a rarement
considéré l’effet de l’expe´rience sur les structures, tout comme a été négligée
la parole par rapport à la langue (au sens de la dichotomie saussurienne).
Aujourd’hui c’est l’ethnohistoire, cette branche de l’ethnologie, qui met en
valeur l’importance des sources écrites. La technique consiste à intégrer en
amont les récits de sujets vivants pour interpréter des documents historiques.
De même, des documents historiques incomplets, attestés par des fragments,
peuvent corroborer des récits oraux d’événements particuliers. Les sources
orales et documentaires se complètent et se confirment souvent, ce qui donne
plus de crédit à l’histoire orale.
Mais cependant il y a des récits oraux qui ne sont pas corroborés par des
documents officiels. Et dans une société scripturaire, il est évident que c’est le
document écrit qui fait autorité, et notamment dans le cas où des récits de
l’oralité contredisent ce dernier. Ce qui ne va pas sans poser d’autres types de
problèmes. Par exemple, des documents officiels peuvent aussi être le croise-
ment d’informations « administratives » et de récits oraux ; les événements ne
sont vus pareillement par l’Administration et les historiens autochtones.
De même qu’il n’est pas viable de réduire l’approche d’histoire orale à
des récits traditionnels et des témoignages que les autochtones considèrent
eux-mêmes comme véridiques. De ces narrations le chercheur doit parvenir
à extraire des données factuelles vraisemblables de celles qui relèvent du
fantastique (représentations de monstres, de géants et d’individus qui se
métamorphosent). Cela amène que ce que la question du statut de la tradi-
tion orale, de l’histoire orale, et de l’oralité en ethnohistoire reste plus que
jamais posée.
Les projets d’histoire orale pour la Kabylie et d’autres régions d’Algérie
contribueraient à documenter des histoires multiples pouvant répondre à des
préoccupations sociétales (nécessité d’entretenir et de développer la mémoire
sociale des populations concernées) : récits de vie, histoire locale, histoire
familiale, histoire relationnelle. Dans le contexte des changements culturels,
socio-économiques et politiques qui ont transformé les sociétés rurales au
Maghreb, l’histoire orale, avec d’autres moyens, servira à sauvegarder les
langues et les cultures locales, à faire de l’histoire des sociétés rurales et urbaines
selon leurs propres perspectives, et à reconfigurer leur mémoire sociale dans le
contexte contemporain.

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Les témoignages oraux et l’histoire orale

À propos de l’histoire orale, Perks et Thomson (1998) ont en fait suffisam-


ment le point, et telle qu’elle s’est développée depuis déjà un demi-siècle. On
peut la définir comme une pratique, ou l’art d’interviewer des témoins d’évé-
nements du passé à des fins de reconstruction historique. La contribution la
plus appréciable de l’histoire orale a été de permettre de faire figurer dans
l’histoire académique des groupes de gens qui en auraient été exclus. Grâce à la
mémoire et à la réinterprétation du passé, l’histoire orale pourrait offrir des
perspectives intéressantes même si, d’un autre côté, elle ne s’est pas encore
donné d’objet précis et continue à susciter de la méfiance à cause de certains
traits qui la caractérisent : son oralité, sa forme narrative, sa subjectivité, les
aléas de la mémoire et sa relation entre enquêteur et enquêté.
Et comme l’a montré dans un récent article, Toby Morantz 6, écrire l’histoire
à partir de la seule tradition conduirait à quelques écueils, dont le plus évident
est que les travaux de ce type sont réellement ethnocentriques, qu’il ne
s’agissait que de « notre histoire » (celle de l’analyste). Poussés par la vague
de critiques récentes, les ethnologues ont entrepris de retourner aux traditions
orales qu’ils avaient eux mêmes recueillies afin de montrer par quels procédés
ces sociétés sans écriture conceptualisaient leur passé.
Mais là on tombe dans un autre travers, où les ethnohistoriens croient dur
comme fer qu’ils produisent des ouvrages d’histoire indigène. De plus, des
anthropologues ont pris fait et cause pour des recherches faites à partir de la
tradition orale et produit des corpus théoriques dans ce sens ; ils ont aussi vanté
l’intégrité des enregistrement oraux, considérés comme archives historiques et
non comme documents discursifs.
Toute investigation sur la tradition orale kabyle doit tenir compte de ces
expériences et être sous le contrôle de méthodologies adéquates. Comme dans
la plupart des cultures, la tradition orale croise et distingue deux types de récits
qui racontent les événements ou les états passés. Les Kabyles de culture
traditionnelle, comme les autres groupes berbérophones ou non du Maghreb,
classifient leurs récits sur le passé en mythes (récits d’un lointain passé, lorsque
les hommes et les bêtes se parlaient) et en témoignages historiques (récits
provenant d’un passé plus récent, ou émanant de témoins oculaires d’il y a,
au plus, deux ou trois générations). Les premiers sont imprégnés de références
cosmologiques et de symbolisme, alors que les seconds sont des histoires qui
narrent des événements ou des situations dans lesquelles des personnes se sont
trouvées.

6. Toby Morantz (2002). L’auteur appuie sa critique sur R. Folgelson (1974). Un chercheur
français, qui a participé à un numéro de la revue Clio traitant de l’histoire orale, y fait remarquer
que l’une des contributions de l’histoire orale, c’est de donner « une coloration inédite et vive » à
l’histoire officielle et académique, alors que plus tard, on ne pourrait faire l’économie de la
réflexion sur la mémoire (Rioux 1983 : 43-45).

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Ces histoires racontées et narrées à l’envi font en général référence, comme


dans le cas de Si Mohand, à une période porteuse d’événements suffisamment
explicite. Des marqueurs de temps et de l’espace sont là pour identifier la
véracité, ou du moins la vraisemblance, du récit. Ces histoires et ces relations
expriment aussi la conscience historique de la communauté linguistique ka-
byle. Mais parallèlement à la tradition orale, une tradition savante se met à
l’œuvre (Mammeri 1975).
Pour Jan Vansina (1985 : 3-13), qui a établi dans les années soixante une
typologie très fine de la tradition orale, « si on exclut les mythes et les comptes
rendus de témoins oculaires [...], il existe un certain nombre d’autres catégories
dont les chants, les racontars, les visions, les contes, les histoires de vie, les
souvenirs personnels. » Cet auteur établit une distinction nette entre ce qu’il
appelle la tradition orale et l’histoire orale. Pour lui, ces deux termes ne sont
pas interchangeables comme ils le sont devenus. La première est constituée de
récits qui ne sont pas contemporains des informateurs et qui se sont transmis
de bouche à oreille au cours d’une période qui précède leur naissance. Tandis
que l’histoire orale est formée de comptes rendus de témoins oculaires, c’est-à-
dire qu’ils sont tirés d’événements contemporains. La méthode envisagée : des
entrevues avec ces témoins, « quand la conscience historique dans les commu-
nautés impliquées est encore en flux » (ibid. : 13) ; l’objet en cause : une première
évaluation et une prise de conscience des événements et situations parmi leurs
acteurs.
Et l’anthropologue belge convient que l’histoire des sociétés sans écriture se
trouve dans la tradition orale, les récits qui se sont transmis d’une génération à
l’autre et qui comportent, on peut le présumer, plus d’observations que ce que
rapporte un seul témoin oculaire : « ce point de vue se rapproche de l’ancienne
pratique à laquelle les historiens étaient attachés, qui voulait qu’on n’étudie
pas un événement avant que vingt-cinq ans ne se soient écoulés. » (Toby
Morantz, 2002 : 31). De l’histoire établie à l’origine par un seul auteur (le
témoin oculaire), on en arrive à une histoire élaborée collectivement sur
plusieurs générations.
Des récits en prose, des productions versifiées sont, par leur contenu et leur
structure, de tradition orale, dans le sens où l’anthropologie culturelle emploie
ces termes, c’est-à-dire transmis de génération en génération. Mais ces enregis-
trements, une fois transcrits et traduits, peut-on encore considérer comme
relevant de la tradition orale ? La narration est effectivement déterminée par la
situation ou le contexte de production, on peut conclure que tout ce qui
apporte du sens supplémentaire est perdu. Là, nous sommes de fait en plein
dans l’écrit ou l’enregistrement (sonore ou audiovisuel).
Une autre écueil, on ne peut obtenir un récit historique ou une pièce
versifié, de Si Mohand ou non, dans une version unique (dans ce cas, la
standardisation est en soi un artifice et une tentative vaine). Dans une ap-
proche pratique, on pourrait être tenté de fondre plusieurs versions recueil-

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lies, évidemment divergentes, en une seule. Mais il s’agirait là d’un choix
entre l’écriture d’une histoire dominée dans un cadre euro-centré, et celle
que les ethnohistoriens ont toujours pratiquée. Celle-ci offre l’avantage
d’avoir un aperçu sur la pensée des producteurs des textes ; les données
recueillies étant mises à l’épreuve des principes de fiabilité, de représentati-
vité et de cohérence interne comme pour toute autre narration. La démarche
contraire desservirait, à mon sens, complètement la compréhension et le
développement de la littérature et l’histoire d’expression kabyle.
J’espère être parvenu à montrer que les recherches ethnohistoriques en
général sur les sociétés sans écriture, et sur la société kabyle en particulier,
sont bien plus complexes qu’on le pense. Quant à l’approche appelée « histoire
orale », elle recouvre bien des réalités et est en train d’occuper une place de plus
en plus affirmée en ethnohistoire.

Les textes et les variantes

Lors d’une collecte de pièces versifiées, il arrive fréquemment de constater


des convergences et des divergences entre deux ou plusieurs versions d’une
même poésie. Comment expliquer ces faits ?
Les nombreuses variantes d’une œuvre quelconque sont regroupées ici selon
des principes directeurs. Il convient de proposer trois modèles explicatifs :
(1) le modèle pour une dérivation immédiate ;
(2) le modèle d’assemblage de fragments ;
(3) le modèle de la tradition orale en dehors de toute autre considération.
Le principe qui peut être défendu est que les trois formes, avec leurs
divergences et leur convergences, d’une même production ne dépendent pas
l’une de l’autre mais bien d’un modèle commun, disparu en tout ou en partie.
Dans cette théorie, une poésie primitive dite par Si Mohand, mais ayant
disparu dans sa constitution initiale, s’est reconstruite dans la mémoire
collective dans le temps et dans l’espace ; et cela donne lieu à la diversité des
formes et des substances attestées. Une telle approche peut expliquer les
convergences mais non les divergences : par exemple dans la version a peut
partager une même matière avec la version b, laquelle matière pourrait être
dans la version b ; et cette dernière aura en partage avec elle la version b, ce qui
est totalement absent dans la version a, etc.
Selon un second principe, des vers et des strophes auraient été composés
(« éléments préfabriqués ») indépendamment les uns des autres avant d’être
assemblés par des chanteurs et poètes secondaires, se chargeant ainsi d’ali-
menter et de transmettre la tradition, et en recapitalisant ainsi le répertoire de
Si Mohand. Cela peut facilement expliquer les divergences entre les versions

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mais non les convergences, en particulier les successions identiques de péri-


copes dans plusieurs traditions parallèles.
Dans le troisième modèle, l’accent est mis sur l’importance de la mémoire et
de la transmission orale qui permettent une grande créativité. Tout le monde
aura peu ou prou participé à l’élaboration finale de la production considérée. Il
en est de même pour les autres, alignées en parallèle. Dans ce cas d’école, la
dépendance littéraire d’un modèle unique est exclue. Une telle conception
s’avère séduisante, mais comment expliquer les ressemblances de structure ?
Plus concrètement, examinons deux chansons de Si Mohand, recueillies
l’une et l’autre par Boulifa (1904 : no 60 et no 10). Deux pièces intéressantes
dans la mesure il est difficile de faire la part des choses : s’agit-il, comme il a été
dit il y a un instant, de deux poésies se rapportant à l’origine à une composition
unique ? Ou bien s’agit-il de deux pièces composées séparément par le même
auteur ? ou bien encore par deux auteurs différents – Si Mohand et un
imitateur ; dans ce cas, on aurait affaire à une version apocryphe – ?
Même dans deux pièces quasi identiques, à part de légères variantes de
forme ou de substance, on ne peut décider quelle est la « bonne » version et la
« moins bonne ». Comme quoi, les collecteurs qui écartent tel chant, présup-
posant qu’il est « faux » face à un autre qui est « vrai », commettent de
regrettables erreurs.
Ufig-ten deg eennaba
Tarrawt l_ lgerba
Di zznaqi la t¸merrih.en

Lmakla-nsen di t¸t¸berna
Tissit di t.t.asa
Tih.dayin akkw gar-asen

Yak nertah. i tmurt n ddheb


Ţ_t¸ilawin l_ lekdeb
Di ddibic la ag-d-kkaten
Je les ai trouvés à Bône / Ces enfants de l’exil / Se promenant dans les rues /
Ils prennent leur repas dans les tavernes / Ils boivent leur vin dans des tasses / Avec
des filles à leurs côtés //
Je suis soulagé de ce pays de tyrannie / Avec ses femmes pas très attrayantes / De ce
pays d’où par télégramme l’on me rappelle //

Ha-ten akkw deg Leblida


Tarrawt l_ lgerba
Di znnaqi la t¸h.ewwisen

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Tissit-nsen di t¸t¸berna
D ucˇcˇi ger t.t.abla
Tiqcicin akkw gar-asen
Abrid l_ Lǧamee i_ geedda
Lmiser d lmersa
Ger Dehbeyya ay d-t¸t¸asen
Les voici tous à Blida / Les enfants de l’exil / Dans les rues ils se promènent //
Ils boivent dans les tavernes / Leur repas est servi à table / En compagnie de jolies
filles //
Par le chemin du village Djemaa on passe / le village Elmisser est le port d’attache /
C’est pour Dahbia que l’on y vient //
À partir de ces deux versions qui ont beaucoup de ressemblances entre elles :
1) On peut envisager l’hypothèse de versions apocryphes d’une pièce versi-
fiée, prise comme la plus authentique si le terme veut dire quelque chose. En
fait, une version canonique (dite comme « authentique ») d’une production de
littérature pourrait très bien être postérieure à d’autres versions, il s’agirait en
fait d’une « recréation ».
2) Sur un modèle généalogique pur, deux pièces synoptiques partageant de
nombreux traits communs et une même thématique n’ont pas d’ancêtres
communs. Ceci, malgré leur ressemblance de structure et de contenu.
Le phénomène de la variante est propre à la tradition orale, et on ne peut
l’évacuer quand on veut remplir le cahier des charges de la méthode scienti-
fique. La variante touche également la tradition manuscrite, et les chercheurs
versés dans l’édition critique des œuvres littéraires connaissent bien cela.
Différents manuscrits peuvent transmettre une œuvre, médiévale ou non.
Chaque copie manuscrite a son histoire propre, et il arrive souvent que des
copies attestent de sérieux points de divergence entre elles : il y a un passage ici,
qui est absent là, etc. Le chercheur qui prépare l’édition critique de l’œuvre va
mettre à contribution tous ces documents dans le but de reconstituer la
« bonne » version de l’œuvre, celle qu’on imagine sortie des mains de l’auteur.
Des médiévistes éminents, comme Jacques Monfrin dans les Documents
linguistiques de la France (1974) et Bernard Cerquiglini dans l’Éloge de la
variante (1989), nous ont convaincu que dans un groupe de manuscrits chacun
doit être étudié en lui-même.
Quand une œuvre, qui est déjà une forme idéale, se présente en diverses
copies, versions ou tirages du texte de cette œuvre, elle comporte de façon
évidente des variantes (tout ce qui varie sur un point donné du texte). Toutes
ces différences d’un support à un autre peuvent toucher au mot (variante
lexicale), à un groupe de mots ou à un fragment, mais aussi à l’ordre des mots,
à un signe de ponctuation, et à la stylistique. Ces variations sont soit des

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soustractions, des additions ou des transformations. Toute l’œuvre orale du


poète berbère n’échappe pas à cela.
À propos de la poésie de Si Mohand, Mammeri (1969 : 90-1) note avec
beaucoup de justesse que :
« Le récitant, s’il ne peut en référer à l’auteur lui-même, est contraint de combler les
lacunes de ses souvenirs par des inventions personnelles, si bien qu’à la longue le même
poème peut non seulement présenter des variantes de détail mais prendre des formes
différentes bien qu’issues manifestement du même original.
Il arrive que deux poèmes soient à la fois suffisamment semblables et suffisamment
différents pour qu’il devienne pratiquement impossible de décider s’il s’agit de deux
traditions d’un même poème original, de la reprise par le poète lui-même d’un sujet
qu’il avait déjà traité et en partie oublié, ou de l’imitation d’un disciple bien inten-
tionné ; aucune de ces trois éventualités ne peut être exclue absolument, et toutes
aboutiraient pratiquement au même résultat. »

Un poète de tradition orale

De la même manière que le récit de tradition orale, le texte manuscrit


médiéval parvient jusqu’à nous avec une série de variantes, chaque copiste
apportant sa part de transformations, volontaires ou non. Ces transformations
vont des erreurs engendrées par l’incompréhension de la graphie, à la distrac-
tion, jusqu’aux modifications importantes, interpolations, ajoûts ou suppres-
sions selon les motivations du scribe. Il arrive souvent que le copiste se fait co-
auteur, avec sa part d’ajoûts et d’arrangements.
L’oralité à son tour va contribuer à compliquer ce tableau : les conteurs et les
jongleurs, qui colportent les récits, leur font subir à leur tour des modifications
considérables. L’« oralité seconde », due à la lecture à haute voix, se manifeste
aussi bien dans l’exécution (manière de jouer) que dans la production, lorsque
les textes sont dictés dans les scriptoria (Paul Zumthor 1984 : 53). À cette
époque l’e´crivain est celui qui écrit matériellement un livre, c’est le copiste.
L’auteur étant le créateur de l’univers romanesque.
Comme il vient d’être dit, la notion d’auteur aussi pour les poésies kabyles
de tradition orale est à prendre avec réserve, et on s’expose là à de multiples
écueils. Des termes tels que œuvre, auteur, et composition recouvrent, dans le
contexte de l’oralité, une réalité tout autre que dans celui du scripturaire.
Dans la tradition manuscrite médiévale, pour les aires européenne et arabo-
musulmane, on peut distinguer l’auteur (dont se revendique l’ouvrage et qui
l’autorise), le compositeur (celui qui le compose) et le scribe (celui qui en assure
l’inscription sur parchemin, le copiste). Cette distinction correspond aux
conditions matérielles de la production littéraire de l’époque. L’auteur, c’est
avant tout celui qui produit quelque chose.
Les acquis actuels de l’histoire des mentalités, de la poétique, de la narra-

31
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tologie nous mettent en garde contre la position adoptée depuis un siècle et


demi par des chercheurs qui avaient projeté sur le texte de tradition orale une
perspective requise par un texte moderne. Il serait vain de chercher « l’homme
dans son oeuvre », une tentative donc vouée à l’échec – une construction de
plus –, pour la simple raison que les données biographiques ne sont pas établies
convenablement, et presque toujours sujettes à caution ; ceci pour des textes
qui n’ont été transcrits qu’après avoir circulé longtemps de bouche en bouche.
Pas plus que les informations biographiques sur Si Mohand ou Mhand qui
ont été recueillies, ou de son vivant ou après sa mort, auprès de personnes
l’ayant suffisamment approché et connu. Cela ne garantit malheureusement
pas une fiabilité de manière absolue sur ces données.
Comme on l’a vu précédemment, plusieurs littérateurs et chercheurs ont
recueilli avec des fortunes diverses à partir de la tradition orale des éléments
biographiques sur Si Mohand après sa mort. Aucune de ces contributions n’a
été vraiment soumise à la critique moderne. En outre, nombre de ses poèmes
contiennent des allusions d’ordre autobiographique, et dans la plupart des cas,
il parle de lui-même et révèle ses propres sentiments. Il y a aussi son ouvrage
autobiographique (déposé dans une bibliothèque tunisienne : information qui
toutefois reste à confirmer). Mais tous ceux-ci ne permettent pas à eux seuls de
reconstituer précisément sa vie.
Il y a les éléments biographiques de Si Mohand, il y a les pièces versifiées qui
lui sont lui attribuées. Le genre poétique qu’il cultivait était les isefra (sing.
asefru). Pour simplifier et suivant l’appréciation de Feraoun, les poèmes de Si
Mohand ont une forme originale et typique : ce sont de petits poèmes réguliers
à deux rimes, comprenant trois strophes de trois vers (deux vers à 7 syllabes
encadrant un vers à cinq syllabes avec des rimes embrassées) semblables aux
sonnets ; deux vers forment un « alexandrin » où la césure se trouve après la
7e syllabe ; le distique kabyle ressemble d’ailleurs au distique latin et est en
général constitué par les deux premiers vers du sonnet ; les 9 vers doivent
produire un effet sûr et frapper les esprits, ce qui exclut les contenus superficiels
et les remplissages. Certains de ces poèmes ont une forme surannée, tels la
villanelle à trois strophes ou le virelai à deux rimes. Il est difficile d’affirmer
avec certitude si ces formes ont été créées par Si Mohand ou si elles existaient
déjà auparavant dans la poésie kabyle. Quoiqu’il en soit, le sonnet de
Si Mohand est d’abord chanté et récité, telle une ballade.
Ces compositions ont été largement colportées et diffusées grâce la récitation
publique - n’oublions pas que les isefra et les tiqsidin étaient chantées-psalmo-
diées par des chanteurs, l’équivalent des jongleurs de l’Europe médiévale.
Si les isefra relèvent du thème lyrique, les tiqsidin traitent pour la plupart des
hauts faits du passé 7. Ces faits de prouesse se réfèrent presque sans exception à

7. Ce récit est un élément important de la tradition kabyle. Transmis sur plusieurs générations
d’imeddah.en, il comporte donc des variantes dues aux interventions personnelles de chaque poète

32
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l’époque de la naissance de l’Islam, au temps du Prophète Muhammad et de ses


Compagnons, mais aussi au temps des personnages bibliques, considérés aussi
comme des prophètes de l’Islam (Abraham, Joseph, Moı̈se, etc.).

La biographie et ses avatars. – Comment s’en sortir ?

« L’histoire de vie est une de ces notions du sens commun qui sont entrées en
contrebande dans l’univers savant ; d’abord, sans tambour ni trompette, chez les
ethnologues, puis, plus récemment, et non sans fracas, chez les sociologues. Parler
d’histoire de vie, c’est présupposer au moins, et ce n’est pas rien, que la vie est une
histoire et qu’une vie est inséparablement l’ensemble des événements d’une existence
individuelle conçue comme une histoire et le récit de cette histoire. C’est bien ce que dit
le sens commun, c’est-à-dire le langage ordinaire, qui décrit la vie comme un chemin,
une route, une carrière, avec ses carrefours (Hercule entre le vice et la vertu), ou comme
un cheminement, c’est-à-dire un trajet, une course, un cursus, un passage, un voyage,
un parcours orienté, un déplacement linéaire, unidirectionnel (la « mobilité »), compor-
tant un commencement (« un début dans la vie »), des étapes, et une fin, au double sens,
de terme et de but (« il fera son chemin » signifie il réussira, il fera une belle carrière),
une fin de l’histoire. C’est accepter tacitement la philosophie de l’histoire au sens
de succession d’événements historiques, qui est impliquée dans une philosophie de
l’histoire au sens de récit historique, bref, dans une théorie du récit, récit d’historien
ou de romancier, sous ce rapport indiscernables, biographie ou autobiographie
notamment. » (Bourdieu 1986 : 69)
Dans ce passage sur l’Illusion biographique, le sociologue Pierre Bourdieu a
tout dit. Car une vie n’est ni unitaire, ni « intention » subjective ou objective,
mais l’enquêteur et l’enquêté d’une biographie « ont en quelque sorte le même
intérêt à accepter le postulat du sens de l’existence racontée (et, implicitement,
de toute existence) » (ibid.)
L’engouement du public aujourd’hui pour le mode biographique est tel que
les maisons d’édition dans plusieurs pays du monde en font parmi les genres les
plus publiés et les plus vendus, qu’il s’agisse de récits de vie, de biographie
romancée, de journaux intimes, de lettres, de témoignages ou de fragments de
correspondance.
Il y a les récits assimilables à de l’hagiographie, comme il y a des bio-
graphies-démolitions à travers la vogue des biographies scandaleuses où dire
le pire sur une personnalité reviendrait à dire le vrai. Les uns et les autres
évoquent les errements d’une époque ou les failles d’une société donnée. La
production biographique attire des lecteurs qui cherchent dans la littérature le
moyen de comprendre le réel. Le récit biographique relatif à une figure
littéraire concerne à part entière l’histoire littéraire. Consacrer l’écriture histo-

itinérant. Le récit s’apparente à la fois à l’histoire et à la légende. Il relate la vie d’un héros, d’un
saint et des épisodes de l’histoire locale et mythique.

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rique à des individus est un moyen de diffuser la connaissance historique et de


la rendre accessible à un large public.
Le récit biographique, mené de concert avec une méthodologie rigou-
reuse 8, a valorisé l’étude de l’acteur et de ses représentations. Ce type de
travail jette d’emblée le discrédit sur une histoire sociale générale au profit
du récit biographique, comme si l’individuel, à la différence du collectif,
était le domaine par excellence de la transparence du sens. « L’illusion bio-
graphique », qu’a dénoncée Pierre Bourdieu, a sans doute moins touché
l’histoire des mouvements sociaux que d’autres domaines de l’histoire et des
sciences sociales.
De longue date, le recours à l’entretien oral, voire au récit de vie, est une
démarche courante pour l’historien. Il est certain que pour le temps présent,
elle occupe une place essentielle. Le témoignage et l’entretien sont pourvoyeurs
de sources d’une grande richesse, à condition d’en maı̂triser l’élaboration et la
restitution. Elles permettent en effet d’accéder aux processus subjectifs. Cela
dit, le recueil de la subjectivité individuelle ne peut couvrir à lui seul l’approche
biographique, laquelle s’intéresse aux individus, plus encore à des acteurs
insérés dans le champ social et politique. Comme dans le cas de Si Mohand
ou Mhand, c’est un individus qui est aussi un sujet social dont l’existence et
l’activité sont inséparables des relations qu’il entretient avec différents milieux
dans lesquels il a été inséré, que ce soit l’espace familial, l’espace laı̈c, l’espace
sacré, celui du travail ou de la cité, celui de l’errance et de l’exil.
L’approche biographique ne peut aller à l’encontre de l’histoire sociale, si
elle est sérieusement menée. Il est même possible qu’elle soit un moyen de
développer cette dernière. Il n’y qu’à regarder du côté des travaux en sciences
sociales faisant appel à la biographie collective, où des phénomènes sociaux
construits à partir d’observations faites à l’échelle des individus qui sont mis en
évidence. À la mise en forme d’un savoir historique déjà constitué, doit se
joindre un travail d’investigation. Partir de l’individu ne signifie pas que la
société ou les processus politiques résultent d’une addition d’actes individuels.
L’approche biographique en histoire est avant tout une lecture du social à la
hauteur des individus.

Que serait une biographie de Si Mohand ou Mhand ?

On pourrait rêver d’une bonne biographie sur Si Mohand ou Mhand tenant


compte de tout ce qui a été dit plus haut. Une biographie qui réconcilie récit et
analyse, histoire collective et vie d’un grand homme. Derrière la légende d’un
illustre personnage, le biographe se donnera pour objectif de retrouver le « vrai
visage » de l’individu, avec l’espoir de restituer l’ensemble d’une époque.

8. Cf. notamment Jean Peneff (1990) ; Bernard Pudal (1994).

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Un chercheur doué d’un esprit critique de l’historien, qui fait de belles


découvertes et qui est conscient des difficultés méthodologiques à l’œuvre,
aura-t-il le privilège de relever le défi ?
La première difficulté, à laquelle il est confronté, va consister à définir une
problématique qui lui permette d’appréhender l’individu Si Mohand en inter-
action avec sa société, celle du XIXe siècle : une société en pleine mutation. C’est
d’éviter ce qu’a justement dénoncé Bourdieu, cette illusion qui veut qu’on
considère la vie d’un grand homme comme un destin tout tracé. Au contraire,
il faut mettre en évidence les aléas de la vie, montrer les moments clés de la vie
de Si Mohand, car si le personnage construit sa vie, il est aussi construit par
elle.
Les sources et leur fiabilité représentent les autres difficultés du travail
d’historien et ce, au fait d’avoir affaire à un auteur de tradition orale et à un
intellectuel de la ruralité, s’exprimant dans une langue vernaculaire. En effet,
tous les documents disponibles sur le poète sont de caractère légendaire ou
normatif. À travers les récits recueillis ou en circulation, on dépeint plus le
poète tout à fait idéalisé, tel qu’il devrait être que celui qu’il a été. Il peut y avoir
des qualités et des faits prêtés à Si Mohand se retrouvant ainsi attribués à des
saints et à d’autres poètes. Même si on tombe parfois sur des détails concrets de
sa vie quotidienne, il est auréolé par une légende suffisamment épaisse. De tout
qui est raconté sur lui, ce serait à se demander si Si Mohand a réellement existé.
Bien sûr, Si Mohand (en tant qu’être biologique) n’est pas le fruit de
l’imagination du public et des générations d’hommes et de femmes qui ont
goûté sa poésie, et pour cela on possède des repères spatio-temporels suffi-
samment sûrs. Mais il faudrait savoir s’il est vraiment possible de retrouver
l’homme derrière son œuvre, sa légende dorée et d’autres sources.
Si Mohand a bénéficié de son vivant d’un prestige, qui a traduit une entrée
précoce dans la légende. Ce prestige reposait sur un « charisme » d’un poète
reconnu. Ceux qui le rencontraient étaient fascinés par lui, cette aura qui
l’entourait, et par les pièces bien frappées qu’il déclamait. Les deux traits de sa
personnalité les plus impressionnants, encore aujourd’hui, résident dans sa
dignité à toute épreuve et son attitude d’homme libre en toute circonstance.
Tous les témoignages, les plus contradictoires les uns par rapport aux autres,
recueillis sur Si Mohand, auxquels pourront s’ajouter d’autres éléments écrits
(pièces d’archives, notes factuelles, etc.), et des fragments de la tradition orale
encore vivante sur le poète, vont produire un ensemble de textes importants
que le chercheur (ou l’ensemble des chercheurs) traiterait comme un énorme
témoignage.
Même en délaissant la forme classique du récit historique, ou la confection
de dossier d’« Archives » berbères, ou encore l’assemblage commenté de pièces
archivistiques ou de documents d’entretiens, on peut réaliser sur le poète un

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montage à la manière des films documentaires historiques. Un assemblage de


rushs puisés dans un stock d’images héritées du passé et conservées.
Comment constituer ces sources ? Pour cela, il faudra recourir aux archives
orales, aux entretiens avec des acteurs du passé, aux traditionnistes sollicités
dans le cadre d’une recherche historique. Tous ceux-ci ont acquis aujourd’hui
une place en histoire : Si en France, l’intégration scientifique des sources orales
dans l’histoire s’est faite il y a trois ou quatre décennies, ici en France ; aux
États-unis, l’école de Chicago en sociologie et le Département d’histoire orale
de l’université de Columbia ont respectivement privilégié l’histoire « vue d’en
bas » et l’histoire « vue d’en haut ».
Cela étant, on ne doit pas perdre de vue que les archives orales constituent
une source qui a ses aléas : elles font une incursion dans le passé grâce à des
témoins à la mémoire fragile, dont la subjectivité est évidente et la représenta-
tivité ne va pas de soi. En tenant compte de ces critiques, des solutions peuvent
être envisagées. Mais l’une des difficultés réside des effets de reconstructions a
posteriori qui remettent en question le projet initial de s’intéresser aux archives
orales pour leur valeur rétrospective.
Il va de soi que le travail de l’historien n’est pas plus clair par rapport à des
ressources, sinon qu’il est proposé de conserver ces archives et d’en faire une
exploitation différée. Tout récemment Florence Descamps (2001) invite à une
critique exigeante des sources, en croisant rigoureusement des témoignages et
en prenant en compte tous les risques de l’illusion biographique. Enfin, on ne
soulignera pas assez l’intérêt que présente la source orale, notamment dans les
domaines où les archives écrites sont lacunaires, comme dans le cas qui nous
occupe ici concernant la poésie de tradition orale et une histoire faite de
fragments.
Aux sources orales, il convient d’ajouter des témoignages écrits de l’époque
quand ils existent. Il en est un qui mérite une attention toute particulière : il
s’agit de cette « Autobiographie », qui aurait été une œuvre écrite de Si
Mohand (l’ouvrage autographe du poète aurait fait partie d’une donation
au muphti de Tunis par le propre frère du poète, marchand de tissu et ami du
dignitaire musulman). Cette œuvre, une fois authentifiée, elle fera évidemment
l’objet d’un travail critique et tiendra, il faut l’espérer, ses promesses.
Mais il faut garder à l’esprit que nous sommes aujourd’hui en pleine vogue
du biographique, dont l’activité se caractérise par la part prise par le person-
nage et sa vie représentée. De ce fait, dans une autobiographie, l’auteur devient
metteur en scène de sa propre image, et en règle générale peindre autrui, c’est
encore parler de soi. Les objectifs culturels que le chercheur pourrait tirer du
dispositif discursif sont entre autres la connaissance d’une époque historique,
pour la Kabylie voire l’Algérie du XIXe siècle.
Même si l’on doit relativiser les autobiographies en général, se méfier de leur
part de « vérité », de leurs complaisances, et comme nous prévient Doris

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Lessing : « Nous fabriquons notre passe´ - c’est peut-eˆtre la plus grave impos-
ture. », un témoignage e´crit de Si Mohand sur Si Mohand n’a rien en soi
d’ordinaire. Bien sûr, c’est une exception et un privilège.
Analyser à travers cet écrit une mémoire qui secrète ses propres arrange-
ments, et reconstruit le monde à sa convenance – c’est compter sur les effets
littéraires, avec leur part d’enjolivement et de fiction –, ce sera un moyen de
repenser Si Mohand ou Mhand et sa production poétique.

Conclusion

L’homme et l’œuvre suscitent de nombreuses perspectives de recherche,


aussi intéressantes les unes que les autres. Sur Si Mohand, nous avons
suffisamment montré les écueils d’un travail biographique. Les mauvaises
langues diraient que le biographique relèverait de la pure facilité : c’est pour
échapper à des exigences scientifiques imparables que l’historien biographe
opte pour ce genre littéraire dont l’objet reste assez vague.
L’étude des traditions orales qui seraient mises à contribution dans une telle
recherche relèvera de l’histoire orale. Cette dernière témoignera des change-
ments socio-économiques importants vécus dans l’Algérie du XIXe et XXe siècle.
Ces changements inscrits dans la durée incorporent les sociétés rurales dans le
mouvement plus large de la société algérienne et mondiale en général, et
inciteront les citoyens à s’interroger sur la place de leur culture et de leurs
traditions dans un mode de vie en pleine transformation. Cela dit, avec une
méthodologie rigoureuse croisée, selon les cas, avec l’anthropologie historique,
l’ethnohistoire et l’histoire sociale, on pourrait s’attendre à des résultats
positifs.
Une chance – qui reste à confirmer – pour nos études est la présence dans un
fonds manuscrit d’une bibliothèque tunisienne d’une œuvre autographe de
Si Mohand, du domaine autobiographique. D’après le chercheur qui avait
regardé le manuscrit, le texte serait plus ou moins un récit de voyage par lequel
le poète raconte ce qu’il a vu dans les régions traversées et le déroulement de ses
aventures. Ce ne serait donc pas une « autobiographie », si on entend par là un
retour introspectif sur les événements « intimes » ayant forgé une personnalité.
Quoi qu’il en soit si l’information s’avère exacte, nous avons là un document
décisif. Il est bien connu que les œuvres de tradition orale de Si Mohand ont
fait l’objet de publications à titre posthume par le soin passionné de ses thu-
riféraires. Il semblerait que maintenant qu’on vient de découvrir une œuvre
e´crite de l’illustre poète en langue arabe – le récit de sa vie au présent –, celle-ci
va entraı̂ner obligatoirement une réévaluation de sa production, y compris ses
œuvres anthumes.
Notre époque, caractérisée par l’accès à la modernité et la place de plus en
plus importante qui est faite à l’écriture et à l’audiovisuel, crée un contexte

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inédit, qui remet en cause le dynamisme de la tradition orale. Sa genèse, sa


gestion et sa transmission aux générations actuelles et à venir vont certaine-
ment subir des contrecoups. Face à l’urgence, la recherche dans le champ des
sciences sociales et le souci de la réappropriation d’une mémoire et d’un
patrimoine vont présider à un intérêt accru pour la tradition orale, en enga-
geant sérieusement des collectes de textes oraux.
Un projet d’histoire orale est plus que souhaitable et répondra d’une façon
adéquate aux préoccupations qui touchent la conservation de la langue, de la
culture et de l’histoire, sous forme d’enregistrements avec des berbérophones
des villes et des campagnes. Il permettra de recueillir, par exemple, des
entrevues sur Si Mohand et la production versifiée kabyle. Chaque entrevue
devra faire l’objet d’une transcription, d’une traduction, d’un traitement de
texte et d’un archivage dans une banque de données. Ces ressources devront
être en partage selon des normes ISO, et mises à la disposition des producteurs
eux-mêmes, des chercheurs et des médias, et servir pour divers travaux.
OUAHMI OULD-BRAHAM

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