Lacan Et Les Mathematiques
Lacan Et Les Mathematiques
Lacan Et Les Mathematiques
Mathématiques
dirigée par Michel GARDAZ
M a t h é m a t i q u e s
Nathalie CHARRAUD
I n f i n i et i n c o n s c i e n t , e s s a i s u r G e o r g C a n t o r , Paris,
Anthropos, 1994.
1. Ib. p. 287-8.
La lettre et le corps
C'est ainsi que, sans nier le rôle de l'imaginaire et de
l'intuition dans les mathématiques elles-mêmes, Lacan
insistera sur leur réduction littérale, sans se ranger pour
autant dans le camp des logicistes. Bien au contraire, il est
remarquable que l'évolution de sa pensée va bien plutôt
dans le sens de s'appuyer d'abord sur la linguistique, puis
sur la logique, pour finalement reconnaître, comme le font
les logiciens modernes, une sorte d'antériorité de la chose
mathématique elle-même. Lacan ne reculera pas devant
l'exploration des grands domaines des mathématiques
inévitablement présents dans la psychanalyse comme ceux
concernant le hasard, l'infini, le continu et ses paradoxes,
les nombres, les ensembles et la question de l'Un, l'espace,
avec une préférence marquée pour la topologie sur la géo-
métrie, du fait que la topologie est davantage dégagée de
l'imaginaire et que ses définitions échappent généralement
à toute figuration dessinée.
Si l'objet mathématique est vraiment au cœur de l'inter-
section du Réel, de l'Imaginaire et du Symbolique, ce qui inté-
resse Lacan c'est qu'il puisse finalement s'appréhender par
des lettres. C'est ce passage à l'écriture qui transforme l'intui-
tion mathématique (bien des réalités qui nous entourent pour-
raient être prises dans les rêts de cette intuition, et le sont pro-
bablement sans qu'on le sache) en idéalités mathématiques.
Il suffit d'ouvrir n'importe quel ouvrage ou manuel de
mathématiques, les formules constituées de petites lettres
8 sont omniprésentes et confèrent un aspect rébarbatif au texte.
Pourquoi toutes ces lettres ?
Pourquoi sont-elle si rébarbatives ?
Au niveau de la théorie des ensembles qui a marqué un
moment décisif dans l'histoire des fondements des mathéma-
tiques au début du siècle, les ensembles ne sont autre chose
que des lettres, leurs éléments de même. Ceci est sensible
dans la célèbre définition donnée par Cantor de l'ensemble :
« Nous appelons "ensemble" toute réunion M d'objets de
notre conception m, déterminés et bien distincts, et que nous
nommerons "éléments" de M. Nous écrirons ainsi M = {m }. »
Ensembles et éléments n'ont donc de consistance que
littérale. Comme le dit Lacan dans le Séminaire XX, les
lettres ne désignent pas ces assemblages, elles les font. 1
Mathématiques et clinique
Du point de vue clinique, les mathématiques permettent
à l'analyste un repérage à deux niveaux :
• la topologie des signifiants, topologie des voisinages de
signifiants, base d'une théorie des associations, impliquant
éventuellement une combinatoire et un jeu de substitutions
(mécanismes entre autres de la métaphore et de la métony-
mie) aide l'analyste à se repérer dans la matière signifiante
élaborée par le patient ;
• la place de l'objet, l'objet a qui fait trou dans les signi-
fiants et dont Lacan répète qu'il n'a de consistance que
logique, ou topologique, polarise la topologie des signi-
fiants en orientant le désir du sujet. En même temps, recon-
naître à cet objet une consistance à la fois pulsionnelle et
mathématique aide à la construction de fin d'analyse sur ce
qui commande le rapport du sujet à la réalité. Le déroule-
ment d'une analyse, selon cet abord, s'effectue en tension
10 entre ces deux pôles : topologie des signifiants d'une part,
reconnaissance de la consistance mathématique de l'objet
pulsionnel à l'aide des indications de Lacan, d'autre part.
Elles font l'objet des deux derniers chapitres.
La théorie des jeux a été invoquée tout au long des Écrits
pour comprendre le hasard et le destin du sujet face à
l'Autre du Symbolique. Le premier chapitre recentre ainsi
la question du sujet autour de ce que Freud appelait son
déterminisme et Lacan plutôt son « choix forcé ».
Le présent ouvrage est loin d'être exhaustif concernant
les nombreux domaines des mathématiques consultés par
Lacan : entre autres, ses emprunts à la topologie des sur-
faces, à la théorie des nœuds ou au groupe de Klein pour
parler des structures quaternaires sont peu ou pas abordés,
non plus que son usage de la cybernétique dans le sémi-
naire II. Ils pourront être le mobile de travaux ultérieurs.
répertoriés par Lacan : la voix et les fèces. L'objet voix est
de l'ordre du transfini. La pulsion invocante est caractéri-
sée par une répétition indéfinie soutenue par la suite des
nombres entiers jusque dans leurs prolongements transfi-
nis 1 Quant à l'objet anal, il correspond fantasmatique-
ment aux nœuds, comme l'illustrent fort bien les nœuds
dont sont entourés les paquets-cadeaux... La théorie des
nœuds, quatrième objet mathématique intensément tra-
vaillé par Lacan, est utilisée dans les années ultérieures à
« L'Étourdit », mais il me semble qu'elle a sa place dans
cette table des objets mathématiques qui forment la « topo-
logie » de Lacan, à propos de laquelle il écrit :
«... Je confirme que c'est du discours dont se fonde la réa-
lité du fantasme (il s'agit du discours mathématique), que de
cette réalité ce qu'il y a de réel se trouve inscrit » 2
Si le « rapport » sexuel ne peut être pris dans aucune
mathématisation, Lacan répète dans ce texte qu'il n'en est
pas de même du fantasme dont le bâti s'appuie sur le cross-
cap et dont l'objet, mathématisable, fonde la réalité du fan-
tasme. Cet objet, pour chacun, commande son rapport à la
réalité. Sa réduction au mathème en révèle la double face
pulsionnelle et mathématique.
101
104
Chapitre I
BOREL E., Le Jeu, la Chance et les Théories scientifiques,
Gallimard, 1941.
BOREL E., Le Hasard, PUF, 1948.
ESPAGNAT B.d', Conceptions de la physique contempo-
raine, Hermann, 1965.
LACAN J., Écrits, Seuil, 1966.
MILLER J.-A., « Matrice », Ornicar? 4.
MILLER J.-A., « Algorithmes de la psychanalyse »,
Ornicar? 16.
MILLER J.-A., « Réveil », Ornicar? 20-21.
MILNER J.C., « Réflexion sur l'arbitraire du signe »,
Ornicar? 5.
MORTON D., La théorie des jeux, Armand Colin, 1973. 105
Chapitre II
FREUD S., La science des rêves, PUF, 1976.
FREUD S., « L'esquisse d'une psychologie scientifique »,
La naissance de la psychanalyse, PUF, 1973.
JAKOBSON R., Essais de linguistique générale, Édition
de Minuit, 1963.
LACAN J., Le séminaire, livre VII, L'éthique de la psy-
chanalyse, Seuil, 1986.
LACAN J., Écrits, Seuil, 1966.
SAUSSURE F. de, Cours de linguistique générale, Payot,
1972.
Chapitre III
BADIOU A., « La subversion infinitésimale », Cahiers
pour l'Analyse n° 9.
CAVAILLES J., Philosophie mathématique, Hermann,
1962.
CANTOR G., « Fondements d'une théorie générale des
ensembles », Cahiers pour l'Analyse n° 10.
CHARRAUD N., Infini et Inconscient, essai sur Georg
Cantor, Anthropos-Économica, 1994.
CHARRAUD N., « L'aveuglement de la science »,
Confluent, hors série, 1977, La grande personne.
COTTET S., « La belle inertie, note sur la dépression »,
Ornicar? 32.
FREUD S., L'avenir d'une illusion, PUF, 1976.
FREUD S., Totem et tabou, Payot, 1979.
FREUD S., Malaise dans la civilisation, PUF, 1976.
106 FREUD S., « Au-delà du principe de plaisir », Essais de
psychanalyse, Payot, 1981.
LACAN J., Le séminaire, livre II, Le moi dans la théorie de
Freud et dans la technique de la psychanalyse, Seuil,
1978.
LACAN J., Le séminaire, livre VII, le transfert, Seuil,
1991.
LACAN J., Le séminaire, livre XX, Encore, Seuil, 1975.
LACAN J., « La note italienne », Ornicar? 25.
LACAN J., « Proposition sur le psychanalyste de l'école »,
Scilicet I, Seuil, 1968.
LACAN J., « La méprise du sujet supposé savoir », Scilicet I,
Seuil, 1968.
LACAN J., « L'Étourdit », Scilicet IV, Seuil, 1973.
MALEVAL J.-C., Logique du délire, Masson, 1997.
MILLER J.-A., « Vers un signifiant nouveau », Revue de
l'ECF n° 20, 1992.
PANOFSKY E., La perspective comme forme symbolique,
Gallimard.
107
Réalisé en P.A.O. par STDI - Z. A. Route de Couterne - 53110 LASSAY-LES-CHATEAUX
- JOUVE, 18, rue Saint-Denis, 75001 PARIS
N° 249855W. - Dépôt légal : Septembre 1997