Lemesle La Violence Et Le Judiciaire

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19/09/2021 21:38 La violence et le judiciaire - Les auteurs - Presses universitaires de Rennes

Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

Les auteurs
p. 7

Texte intégral
1 Bruno Aubusson de Cavarlay CNRS, CESDIP
2 Marc Bergère Université Rennes 2
3 Vincent Bernaudeau Facultés universitaires Saint-Louis,
Bruxelles
4 Stuart Carroll Université d’York
5 Pierre Charbonnier Université Clermont II
6 Hélène Couderc-Barraud Université Toulouse II-Le Mirail
7 Serge Defois Université d’Angers
8 Yves Denéchère Université d’Angers
9 Julie Doyon Université Paris XIII-Nord
Lucien Faggion Université de Provence
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10
11 Hélène Fernandez École normale supérieure, Paris
12 Donald Fyson Université de Laval, Québec
13 Bruno Lemesle Université d’Angers
14 Marcella Marmo Université de Naples, Federico II, Italie
15 Isabelle Mathieu Université de Caen
16 Julie Mayade-Claustre Université de Reims-Champagne-
Ardenne
17 Franck Mercier Université Rennes 2
18 Michel Nassiet Université d’Angers, IUF
19 David Niget Université catholique de Louvain, Belgique
20 Hervé Piant Université de Bourgogne
21 Lucie Quevillon Université d’Ottawa, Canada
22 Pascale Quincy-Lefebvre Université d’Angers
23 Xavier Rousseaux FNRS

Université catholique de Louvain, Belgique


24 Jesús Á. Solórzano Telechea Université de Cantabrie,
Espagne
25 Jean-François Tanguy Université Rennes 2
26 Stéphane Vautier Université de Tours
27 Victoria Vanneau Université Paris II
© Presses universitaires de Rennes, 2008

Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

Référence électronique du chapitre


Les auteurs In : La violence et le judiciaire : Du Moyen Âge à nos jours.
Discours, perceptions, pratiques [en ligne]. Rennes  : Presses
universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19 septembre 2021).
Disponible sur Internet  : <http://books.openedition.org/pur/4979>.
ISBN : 9782753530546. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4979.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
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La violence et le judiciaire
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Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,


pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

La violence et le judiciaire

Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,


pratiques

Ce chapitre est cité par


Le Bris, David. (2014) Quelle Gouvernance Pour Les Banques? Le
Cas Du Crrdit Foncier De France au XIX<sup>>me</sup> Siicle
(What Governance for Banks? The Case of the Crrdit Foncier of
France During the 19th Century). SSRN Electronic Journal . DOI:
10.2139/ssrn.2462271

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19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - Introduction - Presses universitaires de Rennes

Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

Introduction
Bruno Lemesle, Michel Nassiet et
Pascale Quincy-Lefebvre
p. 9-28

Texte intégral
1 Le mot « violence » s’applique aujourd’hui à d’innombrables
situations. Classiquement, il qualifie toutes sortes
d’événements, de comportements individuels ou collectifs
comme la délinquance, le crime, la révolution, les massacres
de masse, l’émeute, la guerre, le terrorisme1. Plus
récemment, une sensibilité s’est développée autour des
zones d’ombre de la «  violence quotidienne  » et des études

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se sont multipliées pour traiter des «  incivilités  », des


violences familiales, scolaires ou des formes de
harcèlement… C’est cette efflorescence, proche de l’infini,
qui fait de la violence un non-objet aux yeux de Françoise
Héritier2, qui juge le mot polysémique, la notion extensive et
diffuse. Impossible pourtant de l’évacuer, la violence se mêle
de notre humanité. L’usage du mot « violence » n’a peut-être
jamais été aussi courant et bien que le nombre d’homicides
recule en Europe occidentale et que certaines de nos mœurs
se soient pacifiées, c’est comme si, dans nos sociétés, la
diarrhée des mots de la violence servait de catharsis aux
maux de notre modernité, qu’il s’agisse de marquer une
réalité ou de rendre compte d’un imaginaire.
2 Qu’on tente de la définir comme l’ont fait, dans des travaux
pionniers, les sociologues américains H. D. Graham et T. R.
Gurr3 ou qu’on s’en abstienne, à l’image des ouvrages
devenus classiques, de Georges Sorel ou de Hannah Arendt :
la réflexion sur la violence est au cœur du débat public. Elle
s’impose comme sujet d’étude au travers des représentations
qu’en donne le corps social, des modes de régulation qui la
prennent pour cible4. À l’échelle du temps social, c’est la
pluralité des sens et fonctions de la violence qui devient alors
objet d’études.
3 S’il en est ainsi, n’est ce pas parce que notre justice connaît
une crise dans son fonctionnement et son identité  ? Cette
crise est symbolisée, en France, par l’affaire d’Outreau ; une
affaire qui, selon le magistrat Jean de Maillard, a justement
été produite par «  la perversion du fonctionnement
judiciaire  » née de la difficile ou impossible conciliation
entre les nouvelles fonctions attribuées à la justice dans
l’éradication de toute violence, ici la violence privée, et les
garanties procédurales qui conditionnent son exercice dans
un état de droit. Pour des observateurs comme Jean de
Maillard ou Denis Salas, Outreau n’est alors que le miroir de
la simplification des cas difficiles, des protocoles
d’automatisation des procédures, des quasi-preuves à
travers lesquelles la justice, de plus en plus sollicitée comme
instance de régulation sociale, accepte que la plausibilité
remplace la preuve pourvu que la machine soit productive5.
L’actuel malaise de la justice est une incitation à explorer la
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place occupée par la violence dans le travail judiciaire ; une


place qui est un indice des différentes fonctions attribuées à
la justice à différents moments de notre histoire.
4 L’objectif des auteurs de ce livre était de mettre en
perspective la violence dans ses relations avec l’espace
judiciaire, compris au sens large. Pourquoi ce choix  ? Il
fallait tout d’abord éviter les apories liées aux perceptions
subjectives de la violence  : elles rendent improbables la
définition d’un objet «  violence  », elles entraînent surtout
une dilution de sens qui en affaiblit la portée. Nous avons
donc choisi d’aborder la violence dès lors que les actes
violents sont investis par l’organisation judiciaire dont la
société dispose. En l’inscrivant dans l’espace judiciaire, nous
nous attachons à faire l’étude de sa reconnaissance par
l’institution judiciaire ; de là découle une question : qu’est-ce
qui, pour cette institution, est violent, et comment répond-
elle à ce qu’elle détermine ainsi  ? Une autre dimension est
d’étudier la violence secrétée par l’institution judiciaire elle-
même, à en repérer les manifestations, à en discerner les
évolutions chronologiques et à tenter de la comprendre,
c’est-à-dire de reprendre un débat déjà ouvert mais
certainement pas refermé.
5 Au cours des dernières décennies, la violence a en effet
souvent été analysée en se référant implicitement aux
concepts modernes. Pourtant, bien des pratiques
aujourd’hui tenues pour violentes par l’institution judiciaire
et par la société ne l’ont pas été dans le passé. Certaines
formes que nous tenons aujourd’hui pour violentes ont pu
bénéficier d’une légitimité sociale. Du coup, l’un des objectifs
du colloque était d’examiner comment le pouvoir judiciaire
réagit  : s’oppose-t-il à une violence qu’il combat, creusant
alors une distance avec la société, ou au moins avec une
partie d’entre elle, ou bien choisit-il d’ignorer des formes de
violence pourtant explicitement illégitimes en termes de
normes et de droit ?

Les mots de la violence au Moyen Âge


6 Observons d’abord les emplois du terme «  violence  »  ; ils
montrent que la violence dès le haut Moyen Âge est corrélée

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à son traitement judiciaire. Puis nous évoquerons


succinctement comment les historiens ont renouvelé les
réflexions sur la violence ces dernières années, ainsi que
quelques-unes des perspectives abordées par les
contributions de ce livre.
7 Dès le haut Moyen Âge, comme un survol rapide et
inévitablement partiel permet de le constater, un lien
évident est établi entre la violence et l’espace judiciaire. Tout
acte désigné comme violent entraîne une exigence de
réparation ou de répression qu’une autorité a pour fonction
de faire appliquer ou d’exercer. Le terme n’est pas pour
autant défini explicitement et ce caractère implicite est
destiné à durer longtemps, bien au-delà des temps
médiévaux (en France, par exemple, la violence n’est
qualifiée juridiquement qu’en 1863). Le sens premier est lié
au fait de profaner un espace sacré, plus généralement de
porter atteinte à un espace, et il désigne aussi le viol6. Cette
absence de définition juridique n’est pourtant pas tout à fait
synonyme de flou ou d’imprécision. Le flou apparent
provient plus certainement de l’évolution des emplois du
terme : les faits du passé, surtout du très lointain passé, qui
nous paraissent violents, n’étaient pas nécessairement
nommés ainsi par les contemporains qui leur préféraient
d’autres mots. Mais si les textes normatifs, codes de loi,
décrets conciliaires, même les textes narratifs des premiers
siècles du Moyen Âge, ne font pas un grand usage du mot ou
de ses dérivés (violenter, violare)7, ils l’emploient
néanmoins. Ceci nous autorise à chercher à comprendre
comment les contemporains comprenaient la violence, quels
contours ils lui dessinaient, comment, à défaut de la
caractériser, ils la percevaient.
8 Les occurrences les plus fréquentes dans les codes de loi des
rois barbares concernent le viol, de la femme mariée, de la
jeune fille ou de la servante8  ; ensuite le mot violence a le
sens d’une action injuste, d’un tort commis envers autrui,
des agressions contre les personnes et des actions imposées
contre leur gré, sens auquel il faut ajouter le vol des biens
d’autrui qui inclut le fait de s’emparer de biens fonciers
(dans les lois des rois lombards et des Wisigoths)9  ; ces
indications révèlent un emploi qui se situe dans le
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prolongement du droit romain. Ce serait cependant pécher


par excès de restriction que de prétendre limiter
l’appréhension de la violence par les contemporains aux
seules occurrences du terme lui-même. L’absence de
définition explicite dans les codes qui l’utilisent incite à
observer aussi les contextes et associations de mots. On
relève ainsi dans les codes de lois anciens la condamnation
de la violation des espaces, de l’espace royal d’abord, de celui
des églises, mais aussi des espaces privés et également les
attaques perpétrées contre les personnes protégées par le
roi10. La loi des Lombards utilise le terme scandalum pour
désigner la violation de l’espace palatial, voire de celui de la
cité où le roi est présent, ou la violation de l’espace sacré de
l’église11. Mais c’est aussi la seditio, le soulèvement, qui peut
être associé explicitement à l’action violente, lorsque l’auteur
de l’acte se livre à une action militaire qui ne vise pas
directement le roi mais est accomplie sans son ordre
(expulsion d’un juge ou attaque d’une autre cité)12 ; dans un
cas similaire, le mot violence peut ne pas être employé13.
9 Cependant, c’est en se tournant vers les textes de l’Église que
l’on aperçoit que le registre est en réalité plus vaste. Le
«  Décret  » de Gratien, rédigé vers 1140, procure un bon
aperçu des occurrences ecclésiastiques de la notion de
violence. Le mot violenter est celui qui totalise le plus grand
nombre d’occurrences (trente-six) alors que le substantif
violentia est peu utilisé et que le verbe violare l’est un peu
plus que le précédent. On ne s’étonnera pas que tout ce qui
porte atteinte au sacré, sous des formes très diverses, soit
caractérisé comme acte violent. Donc les attentats à la
chasteté, qui sont autant d’actes souillant la pureté14, la
violation des espaces sacrés, du sacrement de baptême15, les
actes contraignants qui attentent à la libre volonté16, les
enlèvements et les viols17 sont les catégories dont les
occurrences sont les plus fréquentes. Ensuite on trouve
l’enlèvement des biens à leur détenteur légitime18, la
déposition de l’évêque sans jugement19, puis des occurrences
très diverses dont certaines peuvent parfois se rattacher aux
cas que je viens de mentionner ; citons, pêle-mêle, sans être
exhaustif, l’élection de l’abbé, le vol de biens sacrés ou
profanes, l’infidélité conjugale, l’état de veuve adopté devant
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l’évêque, l’atteinte portée à une assemblée conciliaire,


l’exigence de rétribution pour le baptême (car elle doit être
donnée de plein gré)20… On le voit, ces cas concernent
d’abord les prêtres et l’Église, mais en réalité les laïcs sont
souvent visés, même s’ils ne sont pas systématiquement
tenus pour les auteurs de violences. La discipline interne de
l’Église est donc largement en cause ici, et ce sont bien les
atteintes qui lui sont portées qui sont qualifiées d’actes de
violence. Cependant, il n’y a pas de séparation ou de
distinction évidente avec les codes de loi laïques ; la plupart
du temps, les canons et les décrets pontificaux ne font que
développer et détailler des contenus figurant dans ces codes ;
le spectre de ce qui porte atteinte à l’Église est plus étendu
mais l’on retrouve aussi le viol et l’atteinte aux biens
physiques des personnes parmi les occurrences communes
aux lois profanes et, d’une façon générale, les actes de
violence sont toujours des actes illicites, commis contre le
droit. C’est pourquoi dans les lois des rois barbares le
rapport avec le champ judiciaire va toujours de soi puisque
la violence appelle le jugement, la sanction, le plus souvent
sous forme d’amende.
10 La violence prise dans le sens d’acte commis à tort, contre le
droit, est celui que l’on retrouve à l’envie dans les documents
de la pratique à partir du xie siècle21, quand ils commencent
à devenir abondants, mais pas uniquement  ; comme l’a fait
remarquer Dominique Barthélemy, le mot se lit également
dans ce sens à travers la correspondance d’un abbé
bénédictin comme Geoffroy de Vendôme22. Pour ne prendre
comme exemple que le corpus (considérable) de la région de
la Loire aux xie et xiie siècles, on voit que les occurrences du
mot «  violence  » et de ses dérivés désignent toujours des
actions injustes. C’est d’ailleurs la traduction qu’il convient
souvent d’adopter pour violentia, qu’il faut rendre par
«  injustice  ». Ceci n’a été compris que relativement
récemment par les historiens qui, dans le passé, ont commis
quelques contresens dans la lecture des documents.
L’injustice se décline ainsi selon des modes variés  ; c’est la
violation d’un accord passé, un jugement inique ou un défaut
de jugement, l’enlèvement ou la saisie de biens fonciers (qui
peut désigner carrément un comté), l’exigence d’une
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redevance injuste ou, tout simplement, sous une forme


redondante, une «  injuste violence23  ». Dans tous les cas, il
s’agit d’affaires purement civiles, quand bien même elles
mettent en cause des biens d’Église ou une redevance
spécifiquement ecclésiastique telle que la dîme.
11 Ces emplois, à l’instar de ceux des codes de loi civils et du
droit canonique, appellent la résolution par la voie judiciaire
de l’action qualifiée de violente. C’est parce qu’un acte a été
accompli sans avoir reçu la validation d’une instance
judiciaire qu’il peut être qualifié de violent, tout au moins au
regard des auteurs de ces documents qui sont, précisons-le,
presque toujours subjectifs, c’est-à-dire produits par une
partie et non par une autorité qualifiée. Ainsi la violence
désigne-t-elle l’injustice avant de désigner l’action physique,
la voie de fait, au sens actuel. C’est pourquoi il ne faut pas
s’étonner que des actions agressives que nous qualifierions
volontiers de violentes soient accomplies en toute bonne foi,
hors de tout sentiment de violence. Par exemple, à la fin du
xie siècle, les moines de l’abbaye Saint-Serge d’Angers font
arracher plusieurs ceps de vigne par leurs serviteurs parce
qu’ils en contestent la possession à un orfèvre (à qui l’abbé
l’avait vendue)  ; mais cette action de déprédation n’est pas
accomplie furtivement  ; elle est au contraire une
manifestation publique du droit des religieux car, ainsi qu’ils
le disent de manière limpide, «  se souvenant de leur
contestation (calumpnia) verbale, ils veulent la traduire en
actes24 ».
12 À un degré de gravité bien plus élevé c’est pourtant un
principe identique qui sous-tend un article de la loi des
Ripuaires, lorsqu’elle autorise à tuer celui qui a pénétré dans
un lieu par effraction, en mettant comme condition que le
corps soit exposé publiquement25  : son auteur manifeste
ainsi qu’il n’a pas commis un meurtre crapuleux. Le
paradoxe est complet à l’occasion d’un conflit de sépulture
entre les religieuses du Ronceray d’Angers et les moines de
Saint-Serge au début du xiie siècle  : les premières se
plaignent que les seconds ont enlevé violenter (c’est-à-dire
injustement) le corps d’un défunt relevant de la paroisse du
Ronceray afin de l’inhumer dans leur cimetière. Ce sont
pourtant elles qui, aidées de leurs serviteurs et d’habitants
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de leur bourg, provoquent une rixe et parviennent à


rapporter le cadavre dans leur église26  ; mais cette
translation étant conforme au droit selon elles, il ne leur
vient pas à l’idée (du moins donnent-elles cette impression)
qu’elles auraient accompli là un acte violent. Il s’agit donc
moins ici de ce que l’on pourrait appeler une violence
acceptée socialement qu’une forme de pré-droit, au sens que
lui donnait Louis Gernet, consistant à accomplir hors du
cadre judiciaire des actes qui relevaient à la fois de la défense
de son propre droit et de sa manifestation publique27.
13 Ce survol confirme donc que la violence désigne bien des
actions illicites, même si cela ne suffit pas à la caractériser, et
que sa désignation est historiquement déterminée, d’où
l’intérêt d’examiner l’évolution des contours de la violence
nommée.

Les travaux sur la violence au Moyen Âge


et à l’époque moderne
14 Voyons à présent comment les historiens ont abordé la
violence au cours des dernières années. Les travaux
historiques qui y sont consacrés étant foisonnants, il est
évidemment exclu de tenter de faire un bilan. Nous allons
seulement esquisser en deux mots les grandes tendances et
essayer de caractériser les termes des débats actuels. Si Marc
Bloch avait consacré en 1939 des pages de son livre sur la
société féodale à la violence (pages dans lesquelles il savait
ne pas en rester à la description de ses manifestations mais
s’élevait au niveau conceptuel afin de l’analyser), les grandes
études des médiévistes sur la violence ne sont relancées qu’à
partir de la fin des années soixante, dans le sillage des
historiens modernistes et des travaux sur les «  fureurs
paysannes  ». À l’époque, la violence est implicitement
corrélée avec les soulèvements paysans ou, plus largement,
avec les révoltes populaires  ; même les manifestations
hérétiques sont enrôlées sous la bannière des « commotions
sociales28 ».
15 Dans la décennie quatre-vingt et au début des années
quatre-vingt-dix, les problématiques de la violence devaient
glisser vers l’étude de ses représentations idéologiques29 et
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vers les contestations des pouvoirs30. Les termes du débat se


sont précisés à partir de 1994, autour de ce que l’historien
américain Thomas Bisson a appelé la «  révolution
féodale31 », suscitant un débat fructueux dans les années qui
ont suivi et qui n’est d’ailleurs pas clos ; il a permis d’aborder
de front le concept de violence au Moyen Âge central. À
Thomas Bisson qui évoquait un déchaînement de la violence,
violence brute due à la guerre et à la pratique de la
vengeance, d’autres historiens (Timoty Reuter, Stephen
White en particulier32) opposaient que la vengeance n’était
pas débridée mais une pratique codée et qu’elle possédait
une légitimité reconnue dans la société. En conséquence,
limiter l’expression de la violence à l’usage de la force
physique par les chevaliers et seigneurs de châteaux,
aboutissait à passer sous silence d’autres expressions de la
violence, celles que S. White appelle la violence des autres33.
Par exemple, les malédictions prononcées par les moines
(étudiées par Lester Little en 197934), ou celles qui
s’expriment à travers les récits de miracles composés dans
les monastères puisque, par exemple, les saints exercent leur
vengeance à l’égard de ceux qui ont des torts à leur égard,
voire les ont blasphémés35. On pouvait donc montrer que la
violence seigneuriale était documentée par des sources ayant
en commun d’avoir été écrites dans des monastères, c’est-à-
dire par les victimes. Mais les mêmes légitimaient et y
compris célébraient la violence des représailles quand elles
étaient exercées par les saints et par Dieu à l’encontre de
leurs adversaires. Et comme par ailleurs, les moines étaient
prêts à se réconcilier avec leurs ennemis, ceux-ci pouvaient
se transformer aussi vite en amis pourvus qu’ils se fassent
bienfaiteurs.
16 Aussi voyons-nous que, dans ces problématiques, si
l’articulation de la violence avec l’espace judiciaire était
parfois suggérée, elle n’avait pas encore reçu toute l’attention
souhaitable  ; par ailleurs, si la notion de violence est
historicisée, les mots qui la désignent ne font pas encore
l’objet d’études. Venons-en donc à la grille des
questionnements les plus récents et considérons les choses
sous trois aspects  : la violence comme stratégie et comme

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code  ; les formes d’acceptation sociale et légale de la


violence ; la construction de la violence.
17 Commençons par la violence en tant que moyen stratégique.
Dans un livre récent36, Chris Wickham estime que, dans la
Toscane du xiie siècle, les actions violentes des seigneurs
semblent relativement réduites  ; elles s’apparenteraient
plutôt à des démonstrations visant à humilier  ; cette
tendance à éviter l’extrême violence n’est donc pas un
hasard. Le discours même sur la violence peut être
stratégique  : nommer des actions «  violentes  » peut
s’apparenter à une stratégie discursive incluse dans une
stratégie plus générale de luttes dans des conflits judiciaires.
Il y a une ambiguïté dans l’appréciation morale de la
violence selon que l’auteur du document est en position de
victime ou au contraire en position de revendiquer ses
droits. L’historien ne doit pas perdre de vue les objectifs des
auteurs qu’il lit, ni qu’il a rarement un accès direct à la
perception des habitants. Dans la couronne d’Aragon de la
première moitié du xive siècle, David Nirenberg montre
comment des discours contenant un très fort potentiel de
violence pouvaient être instrumentalisés en servant les
intérêts des habitants qui réglaient des querelles locales  ;
l’auteur estime que le potentiel de violence était limité par
des processus de négociations qui étaient souvent l’objectif
recherché par les protagonistes37.
18 La violence pouvait aussi recevoir une acceptation légale ou
sociale. Dès le xie siècle, des actes violents, jugés injustes par
les cours de Toscane, étaient tenus pour légitimes par ceux
qui défendaient leur droit38. Le lien le plus étroit entre
violence légitime et exercice de la justice a été noué sans
doute avec le duel. Le duel judiciaire était un moyen de
produire une preuve, à la fin du Moyen Âge et jusqu’en 1522
en Espagne39, jusqu’en 1547 en France40. Puis, dans le duel
du point d’honneur qui lui a fait suite, les duellistes
«  veulent se faire justice eux-mêmes  », comme le constate
l’édit41 de 1643. Il importe donc de vérifier si les réactions de
l’autorité ne variaient pas selon les différences sociales et
dans quelle mesure un droit à la violence est accordé aux
populations non nobles. Le groupe des jeunes hommes
célibataires estimait lui aussi avoir une légitimité à exercer
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certaines formes de violence. De là, Robert Muchembled


constate, dès 1989, que dans la société rurale, la violence
jouait « un rôle social fondamental ».
«  Brutalité et agressivité n’y ont pas uniquement un effet
destructeur ou déstabilisateur, comme nous avons appris à
le penser depuis la confiscation de la violence opérée
lentement par l’État, la justice et même l’Église à partir du
xviie siècle. [… Elles] participaient aussi souvent à une lutte
collective pour la survie… La violence prenait de multiples
formes sociales, rituelles et symboliques destinées à assurer
la pérennité du groupe […] Il lui arrivait donc souvent de
créer de la cohésion sociale. Elle participait à l’éthique des
populations, notamment à celle des jeunes hommes42. »

19 La question de la légitimité de la violence conduit


directement à évoquer les actions de vengeance43. Leur
persistance au-delà du début de la construction de l’État les
a renvoyées dans les marges de l’illégalité. Nous savons
depuis longtemps que les nobles tenaient leurs guerres pour
légitimes, mais ce qui a été plus récemment mis en valeur,
notamment grâce aux travaux de Claude Gauvard, c’est que
la vengeance ne caractérise pas spécifiquement la société
noble44. Récemment, Gadi Algazi s’est intéressé à ce
problème de la légitimité de la vengeance à travers une
analyse historiographique du succès persistant du livre
d’Otto Brunner, Land und Herrschaft, écrit en 193945,
remanié et plusieurs fois réédité après la Seconde Guerre
mondiale. Brunner y polémiquait contre l’histoire positiviste
du droit au xixe siècle, incapable selon lui de voir dans la
vengeance autre chose qu’un jaillissement de violence
contraire aux normes, et il lui attribuait non seulement une
légitimité mais allait jusqu’à la transformer en droit. G.
Algazi estime au contraire que Brunner produit des effets de
légitimité alors que celle-ci n’aurait pas réellement existé46.
On le voit encore une fois, la question de la légitimité de la
violence est un objet qui continue à faire débat parmi les
historiens.
20 La plupart des historiens toutefois s’accordent à reconnaître
une violence acceptée légalement au haut Moyen Âge. Plus
tard, l’existence d’une vengeance honorable, où les beaux
faits étaient facilement graciés, témoigne en faveur de la
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persistance d’une violence licite, qui obéit à un code,


différenciée d’une violence illicite. Nous avons vu plus haut
en quoi une telle notion est à première vue antinomique au
principe même de la violence, aussi convient-il plutôt de se
demander si, dans la mesure où l’on repère manifestement
des formes de violence acceptées socialement, elles
correspondent bien à ce que les contemporains tenaient
pour violent  ; ou ne s’agirait-il pas plutôt de formes
reconnues comme illicites mais néanmoins tolérées  ? Aussi
importe-il de les décrire, de les définir et de les caractériser à
différentes époques. Les travaux de Claude Gauvard révèlent
qu’au xve siècle, l’homicide commis pour l’honneur tendait à
être présenté comme un crime commis en état de légitime
défense, favorisant l’élaboration d’une liste de circonstances
atténuantes.
21 La vengeance a persisté bien au-delà du xve siècle. Dans les
lettres de rémission, le caractère intentionnel d’actes de
vengeance pouvait être dissimulé, d’où le risque de les sous-
évaluer. Les guerres de religion ont couvert des règlements
de compte privés. L’édit de 1651 reconnaît que les offenses à
l’honneur étaient à l’origine des duels, et appréhende qu’il se
trouve des gens « qui présument d’avoir raison en cherchant
à se venger47 ». Gregory Hanlon48 a décrit la pratique de la
vengeance encore dans les années 1660-1670 en Agenais, et
Stuart Carroll49 vient de l’étudier systématiquement dans la
France des xvie-xviie siècles, surtout dans la noblesse il est
vrai. Or la prégnance de l’honneur et la persistance de la
vengeance appellent à relativiser50 la pertinence de
l’application, à l’histoire de la violence, de la théorie du
procès de civilisation de Norbert Elias, qui interpelle et
divise les historiens51.
22 Toutefois, si les pratiques de vengeance demeurent larges et
en partie reconnues par l’autorité judiciaire, les différences
sociales sont sensibles. Les élites rurales et nobiliaires savent
mieux que les catégories inférieures faire usage du monde
judiciaire. C’est pourquoi il importe d’évaluer les relations
complexes qui s’établissent entre les autorités judiciaires et
les communautés d’habitants dès lors que les premières se
prêtent – volontairement ou non – à leur utilisation par
celles-ci pour protéger des proches ou pour assouvir des
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vengeances. Nous devons voir comment l’attitude des


autorités judiciaires peut être déterminée par les relations de
pouvoir internes aux communautés d’habitants.
23 Ceci nous introduit à la question des réponses pénales de
l’autorité judiciaire face à la violence et donc à la « violence
légale » exercée par l’autorité, selon une expression là encore
antinomique mais qui fait écho à la célèbre formule de Max
Weber. Discours de la violence et «  violence légale  » ne
doivent pas être considérés séparément car l’un et l’autre
participent d’une même construction. Les théoriciens à la fin
du Moyen Âge insistent sur la valeur exemplaire de la peine.
Mais, de même que pour l’appréciation de la violence par les
victimes, il convient de se livrer à une critique serrée des
sources disponibles, à cause de l’extrême inégalité de leur
conservation et, par conséquent, à une critique de ce qu’elles
peuvent apporter au-delà d’une lecture empirique. De là, il
faut réévaluer la réponse pénale violente de l’État en
construction.
24 Quel rapport pouvons-nous établir entre cette violence et la
notion même de souveraineté lorsque le souverain l’exerce
ou lorsqu’elle est exercée en son nom ? Ou encore en quoi la
violence et sa rémission exercée par une puissance
souveraine, rémission qui semble en être l’autre face,
servaient-elles chacune à sa manière la souveraineté, en quoi
participaient-elles de sa construction et de sa définition ? On
le sait, tous les crimes n’étaient pas pardonnés. Et lorsque la
violence judiciaire prend l’aspect terrifiant de la torture, ne
doit-on pas se demander dans quelle mesure cette violence
institutionnelle, par son usage et par le discours que
l’autorité produit pour la justifier, ne se définit pas en
opposition à la violence extrajudiciaire, débridée, voire
sanglante ?
25 La violence légitime que l’État s’attribue renvoie donc à une
rationalité  ; il y a un discours sur la violence qui est un
élément de la construction de l’État à la fin du Moyen Âge et
à l’époque moderne. Aussi devons-nous mettre en rapport la
violence avec la construction politique, la construction
institutionnelle et celle de la souveraineté. Ainsi n’est-ce pas
la dimension politique de la violence et du judiciaire que
nous pouvons lire, ainsi que le révèle Jacques Chiffoleau, à
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travers la consignation dans des collections au xviie siècle de


procès des xive et xve siècles, où la violence occupe une
grande place  ? Leur consignation témoigne de l’intérêt
politique que ces procès suscitaient et du lien étroit qu’ils
entretenaient avec la construction de la souveraineté
royale52. Un tel intérêt porté deux ou trois siècles plus tard
aux procès du Moyen Âge tardif offre aussi pour nous, pour
les travaux de ce colloque, un pont qui justifie, s’il en était
besoin, la nécessité d’observer les choses dans le long
processus historique.

Travaux sur la violence en histoire


contemporaine : esquisse
26 En histoire contemporaine le sujet est particulièrement
prolifique, parce que les règles, normes et imaginaires
sociaux autour de la violence sont des angles privilégiés
d’observation de la modernité53. La médiatisation de la
violence influence la quête du chercheur  : pas seulement
parce qu’elle produit de l’archive mais parce qu’elle émane
d’une société travaillée par une aspiration à la sûreté élevée
au statut de droit de l’individu54. Les sciences humaines et
sociales sont sommées de s’interroger sur ce que certains
considèrent comme le grand «  retour de la violence
interpersonnelle » ; retour alors analysé comme marquant la
fin d’un processus (ou ne faudrait-il pas dire alors cycle ?) de
civilisation. La violence contemporaine a surtout acquis une
visibilité publique qui la transforme en objet de discours
dans une société d’opinion qui, à partir du xixe siècle,
s’organise autour de la défense des droits de l’individu. Elle
est médiatisée par l’affirmation, dans l’espace public, d’une
figure, celle de la victime, qui émerge comme un objet
spécifique, autonome des politiques publiques55.
27 L’historiographie de la violence pour la période
contemporaine a longtemps été dominée par une question :
celle des processus de régulation des homicides à l’origine de
notre modernité aux xixe et xxe siècles56. Après la question
fortement débattue dans les années 1970 et 1980 des taux
d’homicides, mais aussi la fécondité des recherches sur les
violences collectives ou familiales à partir d’une
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problématique comme «  ordre et désordre  »,


l’historiographie s’est, en partie, renouvelée et enrichie dans
les années 1990 au contact de l’anthropologie et dans la
continuité ou la contestation des recherches impulsées par le
philosophe Michel Foucault. En témoignent, côté français, la
publication du numéro « Violence, brutalité, barbarie » de la
revue Ethnologie française en 199157 ou le débat sur «  La
pacification des mœurs à l’épreuve » publié dans Déviance et
Société58 deux ans après. En 1998, le thème est abordé
frontalement dans le numéro «  Violences  » coordonné par
Frédéric Chauvaud pour la revue Sociétés et représentation.
Les travaux reflètent alors une histoire culturelle en pleine
ascension, une histoire à l’écoute de l’anthropologie. La
violence s’impose comme un marqueur privilégié à partir
duquel saisir les dynamiques sociales.
28 Dans l’historiographie récente, la violence extrême fascine
nombre d’historiens par ce qu’elle pourrait révéler de
l’inconscient de notre modernité. En se saisissant d’affaires
criminelles exceptionnelles à l’image d’Alain Corbin59 ou
plus récemment d’Anne Emmanuelle Demartini60, ou bien
de crimes à haute valeur symbolique comme le parricide61,
certains auteurs explorent les schémas culturels produisant
la figure du monstre, décodent des configurations mentales
et sociales (par exemple le déclassement) à l’origine d’actes
violents ou de sauvagerie. Dans une nouvelle ère des masses,
la violence médiatisée devient un sujet de recherche. Elle
nourrit une culture du fait divers, source de nouveaux
imaginaires et rend possible l’étude d’un «  populisme
pénal  » pour répondre à l’indignation collective62. Cette
approche se retrouve dans les travaux de Dominique Kalifa63
ou de Frédéric Chauvaud64 comme dans leurs analyses de la
fonction sociale des grands procès pénaux ou des enjeux
culturels autour des perceptions de la violence et du
sentiment d’insécurité.
29 Bien sûr d’autres problématiques font le pont avec les
interrogations des périodes antérieures  : autour des
violences légitimes ou fondatrices et des basculements dans
l’illégalisme ou l’intolérable. À partir d’une étude des formes,
places, fonctions, rendus de la violence, le chantier reste
ouvert lorsqu’il s’agit de rendre compte des adaptations ou
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résistances au changement politique et social, de mettre à


jour des retournements de sensibilités, d’étudier les
fonctions sociales de la violence mais aussi de mieux
comprendre l’absorption des violences collectives par des
institutions comme l’armée ou l’école. Par exemple, il est
vrai qu’en pleine période contemporaine, la violence a pu
continuer à fonctionner comme un moyen d’intégration au
village. Mais de tolérée et reconnue car au service de la
communauté et de son honneur, la violence de la jeunesse
rurale au xixe siècle bascule ensuite dans l’injustifiable et
donc l’intolérable avec la progression de l’individualisme et
la nationalisation des communautés villageoises65.
30 À l’époque contemporaine les sensibilités se modifient sous
le poids de la démographie, dans les nouveaux cadres socio-
économiques de la modernité et par l’autonomisation d’une
sphère politique. La sensibilisation au risque et à la sécurité,
la prescription d’un devoir de protection des « faibles » sont
remarquables dans une société en pleine sécularisation.
Alors que des figures de victimes envahissent l’espace public
– mais le vocable «  victime  » n’apparaît dans le code de
procédure pénale que vers 197066 – et que la violence captée
par le regard social se privatise, des travaux sur l’enfance67
mais également sur les femmes façonnent aujourd’hui une
nouvelle histoire des violences68.
31 La production est dense et le renouvellement est important.
La présentation est partielle sinon partiale. La recherche est
éclatée mais elle peut également se rattacher à quelques
grands programmes à l’exemple de récentes publications sur
les violences de guerre69 ou les violences rurales70. La saisie
judiciaire est l’angle retenu par cette publication. Le projet
est ambitieux car même ainsi défini, le champ demeure
vaste. Le projet est une vraie question dans un contexte
d’incrimination et de judiciarisation de nouvelles violences
comme certaines «  violences morales  » et alors que s’étend
« une vision victimaire des relations sociales71 ». L’approche
diachronique proposée par cet ouvrage devrait permettre de
mieux spécifier notre modernité à l’aune du rôle de
régulation attribué à la justice dans la qualification et le
traitement des violences.

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Le judiciaire et la réinvention des violences


72
à l’époque contemporaine
32 Des répertoires de la violence ont été élaborés, des
typologies proposées, mais bien des approches restent à
explorer. Avec le thème «  violence et judiciaire  », le regard
est orienté vers « ce qui entre, ce qui sort du judiciaire » et
bien sûr vers l’étude des modèles juridiques et des pratiques
judiciaires. La variabilité des pratiques et le pragmatisme de
certaines décisions apportent des éclairages sur les
perceptions sociales de la violence mais aussi sur les
objectifs de la justice. Les modes de saisie, les abandons de
poursuite avant jugement73, les possibles requalifications des
crimes et délits, des réponses souvent partielles sont des
indices de la complexité des relations entre violence et
judiciaire74. Il faut dire que ces affaires de violence ne sont
jamais simples pour une justice qui n’ignore pas les
fonctions sociales de cette dernière mais qui, dans un État de
droits, exige un certain niveau de garanties procédurales.
Les travaux sur l’activité des tribunaux correctionnels
révèlent alors une justice souvent prudente, qui peut
paraître indulgente dans son souci d’arrangement et de
pacification des mœurs publiques  ; une justice prête à
refermer la boite des violences par crainte de créer du
désordre et de nouvelles querelles. Avec profit, la recherche
s’attarde sur la reconstruction des normes sous le choc des
pratiques judiciaires, explore l’impact social et culturel de la
codification juridique des violences. Elle s’empare d’une
question vaste qui est celle des interrelations entre société,
normes et droit75. L’étude du traitement judiciaire des
violences est alors susceptible de mettre en lumière les
mutations propres aux sociétés modernes. Nous évoquerons
la question de la responsabilité de l’individu dans une
société libérale, celle de la sensibilité aux violences dites
«  ordinaires  » ou «  banales  » dans un mouvement de plus
grande judiciarisation des violences privées. Nous nous
attarderons sur la question de l’État, ses fonctions dans une
société moderne à partir du rôle attribué à l’action judiciaire
dans la régulation des violences.

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33 La société libérale est une émanation de la modernité. Elle


s’organise politiquement autour de la défense de la propriété
individuelle, base de la sécurité76. Paradoxe ou plutôt
conséquence ? Cette société qui construit un ordre judiciaire
bâti sur la responsabilité individuelle se passionne pour la
figure du monstre ou du criminel né. À côté des travaux sur
la codification des pénalités modernes et la fonction
normalisatrice de l’activité judiciaire, les études sont
fécondes sur la place faite à des concepts comme la
dangerosité mais aussi l’incorrigibilité associées aux
personnalités à la violence naturalisée par les nouveaux
savoirs et le travail d’expertise auprès des tribunaux77.
L’approche sanctionne alors un ressenti  : la possible
inadaptation des solutions pénales d’un droit positif aux
désordres ou faiblesses des sociétés contemporaines.
34 La norme juridique à partir de laquelle penser l’égalité des
citoyens devant la loi peut entrer en contradiction avec une
autre aspiration des sociétés libérales  : individualiser la
sanction comme moyen de relever le citoyen. L’histoire de la
justice des mineurs est particulièrement propice à de telles
analyses. Comme terrain d’une possible socialisation du
droit mais aussi comme lieu d’expérimentation d’une
individualisation des procédures dans un mouvement de
dépénalisation/repénalisation des actes et mesures, cette
justice est un observatoire des nouveaux traitements et
ressentis de la violence. Dans une recherche résolument
comparatiste78, les travaux mettent à jour des sensibilités
nationales ainsi que des points de convergences dans la
façon d’aborder la violence des jeunes et leur traitement
judiciaire.
35 Quelles sont les violences poursuivies  ? Comment évolue la
demande des justiciables  ? S’emparer de ces questions est
une façon de visiter les sensibilités à la violence dans les
sociétés contemporaines. L’historiographie française de la
violence s’est longtemps centrée sur l’étude et le traitement
judiciaire des violences corporelles. La codification influence
la recherche, et le droit est l’expression d’une culture. Les
études nord américaines ont plus directement intégré, dans
leurs enquêtes sur la violence, les atteintes aux biens  ; des
biens prolongation de l’individu dans un pays de culture
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protestante et où les identités se sont forgées à l’ère du


capitalisme triomphant. Mais alors que notre culture
s’américanise et que toute violence tend à devenir une
délinquance à éradiquer, on peut observer, avec profit, la
recherche historique quitter le prétoire des assises, étendre
son territoire aux «  violences ordinaires  », banales ou
quotidiennes particulièrement bien saisies, à l’exemple des
travaux de Jacques Petit, à partir d’une juridiction comme la
justice de Paix79.
36 Les violences « banales ou quotidiennes » posent la question
des modes de préhension judiciaire, de leurs limites mais
aussi des attentes sociales de régulation non satisfaites. Dans
les malentendus qui peuvent alors naître entre la société et
l’ordre judiciaire, sont à nouveau posées les questions des
seuils de tolérance, des qualifications et finalités judiciaires
pour une société donnée. Ces violences ordinaires
corporelles ou verbales opposent des particuliers ou des
groupes. Elles agissent comme des révélateurs et autorisent
une autre lecture du social comme le démontrent l’histoire
des minorités, celle des rapports de classe, de genre ou de
génération. Ces manifestations de violence dites banales
atteignent des représentants des forces de l’ordre, et la
variabilité des sanctions révèle différentes façons de penser
l’État, l’action et la sacralité de ses agents. À travers la
violence quotidienne, l’historien découvre un langage du
corps. Lorsque c’est le mot qui est violent et la parole qui
transgresse, il accède à une lexicographie qui lui ouvre des
représentations du monde et il découvre, avec ces mots, des
frontières culturelles parfois insoupçonnées.
37 La conception de l’État et de ses fonctions a une influence
directe sur la place, le rôle du judiciaire dans une société.
Nous assumons ici notre complexe «  français  » qui, selon
l’historien belge Xavier Rousseaux naît du rapport
particulier que nous, historiens français, entretenons avec la
souveraineté80. L’État moderne est intrusif et, à l’image de
Janus, les formes qu’il a adoptées ont profondément varié à
l’époque contemporaine. La sortie de l’Ancien Régime
signifie, en théorie, le passage d’un État justicier à un État de
droit dans une société où le libéralisme définit désormais
une éthique, un cadre comportemental81. Pourtant le nouvel
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ordre judiciaire associé à l’ère libérale ne s’imposa pas sans


résistance dans des sociétés largement rurales au xixe siècle,
des sociétés d’interconnaissances, plus soucieuses du groupe
que de l’individu comme l’ont bien montré les travaux sur les
violences rurales82. Est-ce à dire que, dans sa façon de traiter
les violences, la pratique judiciaire se joue d’un nouvel ordre
politique et social propre aux sociétés modernes ? Non mais
un accommodement entre idées nouvelles et conceptions
traditionnelles peut expliquer bien des décisions. Il
n’empêche, une accoutumance se crée et, dans les sociétés
modernes, le judiciaire agit comme un puissant outil
d’acculturation au changement.
38 Une autre contrainte a pesé sur l’État libéral. Le système
d’autorité que représentait l’État a pu être concurrencé par
d’autres légitimités, comme cela a été étudié dans les
sociétés mafieuses, avec la mise à jour de possibles
accommodements avec les représentants du pouvoir.
Pourtant, malgré les obstacles, selon des chronologies
variables et à partir de processus variés, cet ordre juridique
et judiciaire se déploie, poursuivant mais également
renouvelant cette «  offensive de moralisation  » ou de
«  civilisation  » des époques antérieures. Selon des schémas
nationaux différents, cet ordre juridique et judiciaire s’est
progressivement imposé comme un régulateur dans un
mouvement d’intégration des masses à la société libérale.
Dans le cas français, l’entreprise est passée par une
sophistication toujours plus importante des définitions
juridiques et judiciaires des délits ou des crimes, des
catégories pour saisir les violences ou distinguer les
personnalités criminelles. À ce modèle d’étagement des
violences du Code pénal a répondu un outil de l’État
moderne  : les statistiques policières et judiciaires qui, en
chiffrant le crime, sont devenues dans les mains de
l’historien une source précieuse sur les cultures
administratives et les représentations des illégalismes.
39 La place faite à la régulation pénale est indissociable de la
construction de l’État-nation. En 1789, l’une des
revendications majeures de la population du royaume de
France est le fonctionnement de la justice. Dans le cas
français, à partir de la Révolution, le droit est posé comme
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l’expression de la souveraineté nationale, donnant à l’action


judiciaire une légitimité nouvelle dans le règlement des
conflits. À l’État fort correspond un droit pénal élargi censé
garantir l’ordre. Les singularités nationales sont à
questionner mais sans négliger des évolutions communes au
monde occidental. D’ailleurs, la dimension nationale de la
régulation judiciaire des violences a des répercussions très
contemporaines. La perception de la souveraineté nationale
à travers le monopole du droit de punir explique, en partie,
le difficile développement d’une justice pénale
internationale.
40 Certes, la place acquise par l’État libéral est une tendance
lourde de l’histoire contemporaine occidentale. Elle n’est pas
exclusive, ni définitive et d’autres expériences ne sauraient
être occultées. La modernité au xxe siècle est également
passée par la destruction de l’État libéral et le
développement des totalitarismes en Europe. Le judiciaire
est alors devenu une courroie de l’idéologie et un outil d’une
«  brutalisation  » des sociétés, et nombre d’études portent
sur la violence des cours de justice ordinaires ou
extraordinaires au travers desquelles le droit fut réinventé
pour servir l’avènement de «  l’homme nouveau  ». Le
déploiement des idéologies et la capacité des États modernes
à lever et à encadrer les masses83 ont fait des temps
modernes, des temps disputés entre guerres et paix. La
période se caractérise par des conflits qui, parce qu’ils ont
considérablement affecté les populations civiles sont dits
totaux. Une recherche sur « violence et judiciaire » ne peut
ignorer ces brisures de l’histoire que sont les guerres et
immédiats après-guerres qui interrompent ou accélèrent la
modernisation des sociétés contemporaines. Durant ces
temps particuliers, les règles du jeu social et politique sont
totalement perturbées, entraînant un brouillage des
frontières entre violences légitimes et violences illégitimes et
le possible développement d’une justice, expression plus ou
moins libre d’une culture de guerre.
41 Plus étonnant, à propos des violences de guerre ou
déchirements intérieurs, des expériences très
contemporaines de régulation ont pu sembler redonner à la
justice comme première fonction, une fonction
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d’arrangement des conflits plus que de sanction des


coupables. La mise en place de commissions «  Vérité et
conciliation  » (Afrique du Sud, Argentine, Maroc) et les
développements récents de la justice pénale internationale
replacent au cœur des études sur «  violence et judiciaire  »
des problématiques comme le pardon judiciaire ou celle de
l’oubli judiciaire. La condamnation judiciaire est alors
susceptible de devenir un lieu de mémoire pour les nouvelles
générations. Ces dernières remarques sont une invitation
supplémentaire à poursuivre le dialogue entre disciplines et
entre spécialistes des différentes périodes de l’histoire dans
une quête de sens partagée par tout un chacun.
42 Par ailleurs, à l’époque contemporaine, sous couvert de
sécurité et en avançant les notions de risque et de
prévention, l’État a acquis de nouvelles fonctions qui
interagissent avec la question judiciaire. L’émergence de
l’État social, voire d’un État sanitaire et social à partir de la
fin du xixe siècle génère de nouveaux modes de régulation
sociale, impose au judiciaire de nouvelles frontières, une
nouvelle grille d’interprétations des violences et visions de la
victime… Dès lors, le développement de l’État sanitaire et
social ou sa remise en cause invitent à poursuivre les
recherches sur l’activité régulatrice du droit dans le domaine
des violences contemporaines par l’étude des procédures
pénales mais aussi civiles et administratives (droit de la
famille, droit du travail).
43 La question de la violence et du judiciaire peut alors être
étudiée à l’aune de cette nouvelle donne comme le montrent,
par exemple, les travaux autour de la diffusion d’un « ordre
protectionnel  » susceptible de se substituer à l’ordre pénal,
en direction des femmes et des enfants84. Des recherches ont
pour sujet la reconnaissance judiciaire de la victime de
violences. Le plus souvent, elles explorent l’après 68 et
rendent parfaitement compte de cette mise en avant des
victimes qui a pu être décrite comme un des mouvements
sociaux qui ont contribué à ébranler les sociétés
occidentales85. Les violences liées au genre sont un terrain
privilégié où, parce que les questions morales ou éthiques
ont été reformulées à la lumière d’une égalité revendiquée,
un droit des victimes est posé. On découvre la violence
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morale et parce que désormais le viol est associé à l’idée d’un


fort traumatisme psychique consécutif à l’acte, une nouvelle
définition du crime de viol a pu être introduite, en France en
198086. En Espagne, une juridiction particulière recueille la
parole des femmes victimes de violences conjugales  ; quant
au nouveau Code pénal français de 1992, il ne parle plus
d’attentat aux mœurs mais d’agressions sexuelles invitant
l’institution judiciaire à se préoccuper moins de l’ordre
collectif et davantage de l’intégrité des personnes et de leur
statut de victime.
44 Une interrogation majeure se dessine. Comment gouverner
et juger dans une société du risque ? Alors que des rouages
de l’État social sont mis en cause, via la violence, la justice
peut se retrouver en première ligne et devenir l’instrument
privilégié des politiques publiques de réduction des risques
sociaux, de prévention de la délinquance. Dans cette société
du risque, la violence devient un moyen privilégié pour se
saisir des situations sociales problématiques. L’action
administrative de protection des plus faibles s’en trouve
modifiée. L’évolution est particulièrement remarquable dans
le secteur de la protection de l’enfance depuis que la
«  maltraitance  » et l’attention portée aux abus sexuels sur
mineurs ont redessiné les contours de l’action publique en
direction des familles prises en charge par l’Aide sociale à
l’enfance. Une nouvelle page des relations entre violence et
judiciaire est entrain de s’écrire. À la lumière de l’affaire
d’Outreau87, elle débouche sur une question plus générale  :
comment mieux outiller la démocratie dans une société du
risque ? La réflexion historique doit donner une épaisseur au
débat par la remise en situation des implicites qui
conditionnent la relation entre violence et judiciaire.
45 À la lumière des articles rassemblés dans cet ouvrage, «  La
violence et le judiciaire du Moyen Âge à nos jours : discours,
perceptions, pratiques » se révèle un thème particulièrement
fécond pour les spécialistes des différentes périodes car en
phase avec des interrogations majeures de notre époque. Les
communications ont été regroupées en cinq parties. La
question des normes et des seuils est plus particulièrement
abordée dans une première partie au travers « des violences
tolérées, admises, pardonnées  ». Puis plusieurs auteurs
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confrontent leurs approches des « violences quotidiennes ».


Dans une troisième partie, des communications apportent
des ouvertures sur l’impact des différences culturelles et des
ancrages géographiques dans la construction des violences.
Enfin, un tel sujet ne pouvait laisser de côté des
interrogations très contemporaines comme la place des
victimes et le rôle des guerres dans le traitement judiciaire
des violences, thèmes de la quatrième et de la cinquième
partie du livre.
46 La grande richesse des communications prouve une nouvelle
fois que dans l’histoire de l’humanité, le mot «  violence  »
ouvre une boîte de Pandore que les maux modernes ne sont
pas prêts à refermer. Le fil qui est ici tiré nous relie à un
questionnement majeur dans l’histoire des mondes institués
et régulés  : quelle place, quel rôle pour la justice dans les
sociétés ?

Notes
1. M. Wieviorka, La violence. Voix et regards, Paris, Ballard, 2004, p.
14.
2. F. Héritier (dir.), De la violence, Paris, Odile Jacob, 1996, 400 p.
3. H. D. Graham et T. R. Gurr, The History of Violence in America,
New York, Bantan Books, 1969.
4. À propos des définitions de la violence, voir les études d’Yves Michaud
et pour une vue synthétique, son petit ouvrage, La violence, Paris, PUF,
1981, 127 p.
5. J. de Maillard, «  Némèsis judiciaire ou le cauchemar d’une justice
parfaite », Le débat, n° 143, janvier-février 2007, p. 46-62.
6. Tout ceci avec pour point commun l’usage de la force, conformément à
l’étymologie du mot « violence ».
7. Au point que le dictionnaire du latin médiéval de Niermeyer n’y
consacre aucune entrée.
8. Édit de Rothari, n° 186, 187, 195, 205, 206, 207 ; Pactus legis salicae,
n° 72.
9. Édit de Rothari n° 10, 31 ; Leges visigothorum, livre V, 2, 1 et 7 ; V, 6,
6.
10. Leges visigothorum, livre VI, 4, 2 ; VIII, 1, 4 ; G. Halsall, « Violence
and Society : an introduction survey », Violence and Society in the Early
Medieval West, Woodbridge, The Boydell Press, 1998, p. 7-9.
11. Édit de Rothari, n° 36, 37-38.
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12. Ibid., n° 10.


13. Liutprand, n° 35. Voyez G. Halsall, op. cit.
14. Décret de Gratien, II, C32 Q5 c7 et c9 ; I, 6 ; II, C22 Q5 ; C32 Q5.
15. Ibid., II, C1 Q1 c48 ; I, 19 ; II, C1 Q1 ; C1 Q1 c7.
16. Ibid., I, 50, c32 ; II, C20 Q3 c4 ; C23 Q6 c1 ; C33 Q5 c2.
17. Ibid., II, C27 Q2 c49 ; C32 Q5 ; C32 Q5 c13 ; C36 Q1 c2 et c3.
18. Ibid., II, C1 Q4 c13 ; C3 Q2 c3 ; C16 Q3 c15.
19. Ibid., II, C3 Q1 c6 ; C7 Q1 c25.
20. Ibid., II, C16 Q7 c43 ; C17 Q4 c10 ; C14 Q5 c13 ; C22 Q4 c21 ; C27 Q1 ;
C5 Q4 c3 ; C1 Q1 c103.
21. Voyez la contribution d’Hélène Courderc-Barraud dans ce volume.
22. D. Barthélemy, La société dans le comté de Vendôme de l’an mil au
xive siècle, Paris, 1993, p. 350.
23. Y. Chauvin, Premier et second livres des cartulaires de l’abbaye
Saint-Serge et Saint-Bach d’Angers (XIe et xiie siècles), Angers, t. 1,
1997, n° 244  ; P. Marchegay, Cartularium monasterii Beatae Mariae
Andegavensis, Angers, Archives d’Anjou, t. 3, 1854, n° 13, 58, 132  ; A.
Planchenault, Cartulaire du chapitre Saint-Laud d’Angers, Angers,
1903, n° 55  ; Y. Labande-Mailfert, Le premier cartulaire de Saint-
Nicolas d’Angers (xie-xiie siècle). Essai de reconstitution précédé d’une
étude historique, thèse de l’école nationale des Chartes, 1931,
dactylographiée, n° 167  ; L. Delisle, Recueil des actes de Henri II, roi
d’Angleterre et de Normandie concernant les provinces françaises et les
affaires de France, édition revue et publiée par E. Berger, Paris,
Imprimerie nationale, t. 1, 1916, n° 22  ; L.-J. Denis, Chartes de Saint-
Julien de Tours (1002-1227), Le Mans, Archives historiques du Maine, t.
XII, 1912, n° 97 ; A. Bertrand de Broussillon, Cartulaire de l’abbaye
Saint-Aubin d’Angers, t. 1 à 3, Paris, 1903, 721 ; Bibliothèque municipale
d’Angers, ms 854, n° 6 ; Archives nationales, J 176, Tours, II, n° 2.
24. Y. Chauvin, Premier et second livre…, op. cit., n° 121.
25. G. Halsall, « Violence… », op. cit., p. 15.
26. P. Marchegay, Cartularium…, op. cit., n° 58.
27. Sur ces formes de pré-droit en Anjou au xie siècle, voyez Henk
Teunis, The Appeal to the Original status. Social Justice in Anjou in the
Eleventh Century, Hilversum, 2006, p. 47-66.
28. L’expression figure dans le titre d’un article de Robert Fossier
(«  Remarques sur l’étude des “commotions” sociales aux xie et xiie
siècles », Cahiers de civilisation médiévale, XVI, 1973, p. 45-50).
29. J.-P. Poly et E. Bournazel, La mutation féodale, Paris, 1980.
30. Ainsi dans l’ouvrage collectif Violence et contestation au Moyen Âge.
Actes du xive congrès national des sociétés savantes (Paris, 1989), Paris,
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CTHS, 1990  ; d’autres publications collectives ont été consacrées au


phénomène de violence  ; voyez par exemple, P. Contamine et O.
Guyotjeannin (dir.), Guerre et violence. La guerre, la violence et les
gens au Moyen Âge, Paris, CTHS, 1996  ; C. Raynaud, La violence au
Moyen Âge. xiiie-xve siècle, d’après les livres d’histoire en français,
Paris, Le Léopard d’or, 1990.
31. T. N. Bisson, «  The Feudal Revolution  », Past and Present, n° 142,
février 1994, p. 6-42.
32. T. Reuter, « Debate : the “feudal revolution”, Past and Present, n°
155, 1997, p. 177-195  ; S. White, «  Debate  : the “feudal revolution”  »,
Past and Present, n° 152, 1996, p. 205-223.
33. S. White, « Repenser la violence : de 2 000 à 1 000 », Médiévales, n°
37, 1999, p. 99-113.
34. L. K. Little, «  La morphologie des malédictions monastiques  »,
Annales ESC, n° 34, 1979, p. 43-60.
35. D’une bibliographie abondante, on retiendra  : D. Barthélemy,
Chevaliers et miracles. La violence et le sacré dans la société féodale,
Paris, Colin, 2004  ; É. Bozoky, «  Les miracles de châtiment au haut
Moyen Âge et à l’époque féodale  », P. Cazier et J.-M. Delmaire (éd.),
Violence et religion, Travaux et recherches, Lille, université Charles-de-
Gaulle, 1998, p. 151-168  ; A. M. Helvétius, «  Le récit de vengeance des
saints », D. Barthélemy, F. Bougard et R. Le Jan (dir.), La vengeance,
400-1200, Rome, collection de l’École française de Rome, 2006, p. 421-
450.
36. C. Wickham, Legge, pratiche e conflitti. Tribunali e risoluzione delle
dispute nella Toscana del XII secolo, Rome, Viella, 2000, p. 355-357
(version anglaise  : Courts and conflict in Twelth-Century Tuscany,
Oxford, 2003).
37. D. Nirenberg, Violence et minorités au Moyen Âge, Paris, PUF,
2001, p. 197-200.
38. C. Wickham, Legge…, op. cit., p. 254.
39. C. Chauchadis, La loi du duel. Le code du point d’honneur dans
l’Espagne des xvie-xviie siècles, Presses universitaires du Mirail,
Toulouse, 1997, p. 37.
40. F. Billacois, Le duel dans la société française des xvie et xviie
siècles. Essai de psychologie historique, Paris, École des hautes études
en sciences sociales, 1986.
41. M. Cuénin, Le duel sous l’Ancien Régime, Presses de la Renaissance,
Paris, 1982, p. 126.
42. R. Muchembled, La violence au village. Sociabilité et
comportements populaires en Artois du xve au xviie siècle, Turnhout,
Brepols, 1989, p. 7-8. Pour une synthèse récente sur l’époque moderne,

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J. R. Ruff, Violence in Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge


UP, 2001.
43. Renvoyons à la synthèse française la plus récente : D. Barthélemy,
F. Bougard et R. Le Jan (dir.), La vengeance, 400-1200, Rome, École
française de Rome, 2006.
44. C. Gauvard, « De grace especial ». Crime, État et société en France
à la fin du Moyen Âge, Paris, 1991.
45. O. Brunner, Land and Lordship. Structures of Governance in
Medieval Austria, Pennsylvannia UP, 1992 (Titre original  : Land und
Herrschaft. Grundfragen der Territorialen
VerfassungsgeschichteÖsterriechs im Mittelalter, Vienne, 1965 ; 1re éd. :
1939).
46. G. Alagazi, « Otto Brunner – “Konkrete Ordnung” und Sprache der
Zeit  », P. Schöttler (éd.), Geschichtsschreibung als
Legitimationswissenschaft. 1918-1945, Francfort, 1997, p. 166-203 ; sur
la construction du paradigme du droit de vengeance, voyez J.-M.
Moeglin, «  Le “droit de vengeance”chez les historiens du droit au
Moyen Âge (xixe-xxe siècles) », La vengeance, 400-1200, op. cit., p. 101-
148 (avec une bibliographie sur les travaux consacrés à O. Brunner).
47. Isambert, Recueil des anciennes lois françaises, Paris, Belin-
Leprieur, 1829, t. 17, p. 260-275 (art. 10).
48. G. Hanlon, « Les rituels de l’agression en Aquitaine au xviie siècle »,
Annales ESC, mars-avril 1985, n° 2, p. 244-268 et p. 256-258.
49. S. Carroll, « The Peace in the Feud in Sixteenth- and Seventeenth-
Century France  », Past and Present, n° 178, février 2003, p. 74-115.
Bloody and violence in Early Modern France, Oxford UP, 2006.
50. C. Gauvard, « De grâce especial », op. cit., note 44, p. 944.
51. Voir l’étude de J. Fletcher, Violence and Civilization  : an
introduction to the work of Norbert Elias, Oxford, Polity Press, 1997, et
la discussion dans la revue Crime, Histoire et Sociétés : P. Spierenburg,
« Violence and the civilizing process : does it work ? », Crime, Histoire et
Sociétés, 2001, vol. 5, n° 2, p. 87-105  ; G. Schwerhoff, « Criminalized
violence and the process of civilisation, a reappraisal », Crime, Histoire
et Sociétés, 2002, vol. 6, n° 2, p. 103-126.
52. J. Chiffoleau, « Le crime de majesté, la politique et l’extraordinaire.
Note sur les collections érudites de procès de lèse-majesté du xviie siècle
français et sur leurs exemples médiévaux  », Y.-M. Bercé (dir.), Les
procès politiques (xive-xviie siècles), actes du colloque de Rome (20-22
janvier 2003), Rome, École française de Rome, 2007, p. 577-662.
53. Voir la fécondité des débats autour de «  la violence de guerre  », A.
Prost et J. Winter, Penser la Grande Guerre  : un essai
historiographique, Paris, Éd. du Seuil, 2004, 340 p. En janvier 2007, la
Société d’histoire de la révolution de 1848 et des révolutions du xixe

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siècle a organisé un colloque international sur « Violence et conciliation.


La résolution des conflits socio-politiques en Europe au xixe siècle ».
54. Voir l’ampleur du débat en France autour de la loi sur la prévention
de la délinquance. Sont envisagés de nouveaux dispositifs
d’incrimination des violences volontaires commises en bandes contre les
agents de l’État et visant à créer un délit d’embuscades, Le Monde, 3
novembre 2006.
55. R. Zauberman et P. Robert, Du côté des victimes. Un autre regard
sur la délinquance, Paris, L’Harmattan, 1995, 295 p.
56. Pour la France, voir les travaux de J.-C. Chesnais, Les morts
violentes en France depuis 1826. Comparaisons internationales, Paris,
1976 ou son ouvrage Histoire de la violence en Occident de 1800 à nos
jours. Pour l’Angleterre, la contribution de V. A. C. Gatrell, sur les
périodes victorienne et édouardienne dans l’ouvrage collectif Crime and
the Law  : The Social History of Crime in Western Europe since 1500,
Londres, 1980 ou dans une dimension de longue durée, les recherches de
J. S Cockburn sur les homicides dans le Kent entre 1560 et 1985,
publiées dans la revue Past and Present, n° 130, 1991.
57. « Violence, brutalité et barbarie », Ethnologie française, t. 21, n° 3,
1991.
58. Déviance et Société, n° 17, 1993.
59. A. Corbin, Le village des cannibales, Paris, Éditions Aubier, 1990,
204 p.
60. A.-E. Demartini, L’affaire Lacenaire, Paris, Éditions Aubier, 2001,
430 p.
61. S. Lapalus, La mort du vieux. Histoire du parricide en France au
xixe siècle, Paris, Taillandier, 2004, 633 p.
62. D. Salas, «  L’affaire d’Outreau ou le miroir d’une époque  », Le
débat, n° 143, janvier-février 2007, p. 28 à 45.
63. D. Kalifa, Crime et culture au xixe siècle, Paris, Perrin, 2005, 331 p.
64. F. Chauvaud, De Pierre Rivière à Landru. La violence apprivoisée
au xixe siècle, Belgique, Brepols, 1991, 271 p.
65. J.-C. Farcy, La jeunesse au village dans la France du xixe siècle,
Paris, Éd. Christian, 2004, 220 p.
66. Sans y être défini. Une définition est apportée dans le cadre de l’ONU
en 1985 : « On entend par victimes des personnes qui individuellement
ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique
ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle ou une atteinte
grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui
enfreignent les lois pénales en vigueur dans un État membre, y compris
celles qui proscrivent les abus criminels du pouvoir.  » Le Conseil de
l’Europe adopte, le 15 mars 2001, une définition comparable. Pour une

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réflexion sur la place acquise par « la victime » dans nos représentations
contemporaines et dans le système judiciaire, voir l’ouvrage de C.
Eliacheff (psychanalyste) et D. Soulez Larivière (avocat), Le temps
des victimes, Paris, Albin Michel, 2007.
67. «  Cent ans de répression des violences à enfants  », Le Temps de
l’Histoire, n° 2, 1999.
68. C. Dauphin et A. Farge (dir.), De la violence et des femmes, Paris,
Albin Michel, 1997, 224 p. et G. Vigarello, Histoire du viol  : xvie-xxe
siècle, Paris, Éd. du Seuil, 1998, 633 p.
69. S. Audoin-Rouzeau, A. Becker et C. Ingrao (dir.), La violence de
guerre 1914-1945, approches comparées des deux conflits mondiaux,
Bruxelles, Éd. Complexe, 2002, 348 p.
70. F. Chauvaud et J.-L. Mayaud (dir.), Les violences rurales au
quotidien. Actes du 21e colloque de l’Association des ruralistes français,
Paris, La Boutique de l’histoire, 2005, 376 p.
71. J. de Maillard, op. cit., p. 55-56.
72. Notons la mise en ligne de la bibliographie de J.-C. Farcy,
Bibliographie Justice en France (1789-2004) accessible sur le site
http ://www.hstl.crhst.cnrs.fr/reseach/aci/criminocorpus/biblio.
73. Voir l’étude très documentée de M.-S. Huré, Les abandons de
poursuite avant jugement et leurs motifs (1831-1932). La base Davido :
séries par infractions, Études et données pénales, CESDIP, n° 89, 2001.
74. P. Lascoumes, P. Poncelat et P. Lenoël, Les grandes phases
d’incrimination entre 1815 et 1940. Les mouvements de la législation
pénale. Lois, décrets, propositions, université Paris X-Nanterre,
novembre 1992, 218 p.
75. Comme réflexion sur la longue durée, voir les textes réunis par R.
Lévy et X. Rousseaux, Le pénal dans tous ses états  : justice, États et
sociétés en Europe : xiie et xxe siècles, Bruxelles, université Saint- Louis,
1997, 462 p.
76. Voir en particulier les travaux de J.-M. Fecteau, La liberté du
pauvre. Sur la régulation du crime et de la pauvreté au xixe siècle
québécois, Montréal, VLB Éditeur, 2004, 455 p.
77. F. Chauvaud, avec la collaboration de L. Dumoulin, Experts et
expertises judiciaires, France, xixe et xxe siècles, Rennes, PUR, 2003,
283 p.
78. M.-S. Dupont-Bouchat et É. Pierre (dir.), Enfance et justice au xixe
siècle  : essais d’histoire comparée de la protection de l’enfance, 1820-
1914 : France, Belgique, Pays-Bas, Canada, Paris, PUF, 2001, 443 p.
79. J.-G. Petit (dir.), Une justice de proximité : la justice de paix, 1790-
1958, Paris, PUF, 2003, 283 p.

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80. X. Rousseaux, « Historiographie du crime et de la justice criminelle


dans l’espace français (1990-2005). Partie I  : du Moyen Âge à la fin de
l’Ancien Régime », Crime, Histoire et Sociétés, 2006, vol. 10, n° 1, p. 142.
81. X. Rousseaux et al., Révolutions et justice pénale en Europe,
modèles français et traditions nationales, 1780-1930, Paris/Montréal,
L’Harmattan, 1999, 388 p.
82. F. Chauvaud et J.-L. Mayaud (dir.), Les violences rurales au
quotidien. Actes du 21e colloque de l’Association des ruralistes français,
Paris, La Boutique de l’histoire, 2005, 376 p.
83. Voir les travaux de Jean Marc Berlière sur la police et ceux
coordonnés par Jean-Noël Luc sur la maréchaussée et la gendarmerie.
84. Voir les études sur la répression des violences à enfants et
l’émergence d’une notion comme l’intérêt de l’enfant. La loi du 19 avril
1898 fait de la parenté, un facteur aggravant dans les coups et blessures à
enfant. L’étude des abandons de poursuite révèle un changement dans
les années 1925. La part des abandons baisse et celle des affaires jugées
augmente. Le nombre d’affaire progresse. Les poursuites sont plus
fréquentes et les juges se montrent plus sévères. M.-S. Huré, op. cit. p.
103.
85. M. Wieviorka, op. cit., p. 87.
86. D. Fougeyrollos-Schwebel, H. Hérita et D. Senotier (coord.),
« La violence, les mots et le corps », Cahiers du genre, n° 35.
87. D. Salas, op. cit., p. 38.

Auteurs

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La violence et le judiciaire,
Presses universitaires de
Rennes, 2008
La preuve en justice, Presses
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Centre international de

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l'enfance (1949-1997), Presses


universitaires de Rennes, 2016
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Référence électronique du chapitre


LEMESLE, Bruno ; NASSIET, Michel ; et QUINCY-LEFEBVRE, Pascale.
Introduction In : La violence et le judiciaire : Du Moyen Âge à nos jours.
Discours, perceptions, pratiques [en ligne]. Rennes  : Presses
universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19 septembre 2021).
Disponible sur Internet  : <http://books.openedition.org/pur/4980>.
ISBN : 9782753530546. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4980.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
Compatible avec Zotero

La violence et le judiciaire
Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,
pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

https://books.openedition.org/pur/4980 32/32
19/09/2021 21:38 La violence et le judiciaire - « Humbles » et violence légale : quelques cas gascons, xiie-début xiiie siècle - Presses universit…

Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

« Humbles » et
violence légale :
quelques cas
gascons, xiie-début
e
xiii siècle
Hélène Couderc-Barraud
p. 31-46

https://books.openedition.org/pur/4984 1/26
19/09/2021 21:38 La violence et le judiciaire - « Humbles » et violence légale : quelques cas gascons, xiie-début xiiie siècle - Presses universit…

Texte intégral
1 Les études portant sur la violence de la période centrale du
Moyen Âge portent essentiellement sur celle qui est
pratiquée par l’aristocratie. Elle apparaît alors doublement
discriminante dans le jeu social. D’une part ceux que
j’appellerai par commodité les «  humbles  » apparaissent
comme des victimes de la violence, à la fois comme cible
dans une mise en dépendance, et comme victimes de
«  dégâts collatéraux  » dans les conflits entre membres de
l’aristocratie1. D’autre part la pratique de la violence leur
serait interdite2. La violence serait de ce fait un élément
fondamental de la différenciation des groupes sociaux.
2 Les premiers textes normatifs, datables du xiie et du début
du xiiie siècle, permettent de revenir sur la question des
« humbles » et de la pratique de la violence en Gascogne. La
documentation est constituée de deux textes généraux, les
Fors de Bigorre (début du xiie siècle)3et les articles anciens
du For de Béarn (xiie-début du xiiie siècle)4, et de douze
textes concernant des bourgs5. Mis à part quatre d’entre
eux6, les textes se concentrent dans le bassin versant de
l’Adour et dans les Pyrénées ou leurs abords. Ces fors et
coutumes permettent d’étudier des pratiques légales de
violence reconnues par la norme de la part de non-nobles.
Figure 1. Coutumes et fors

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Coutumes et fors
3 L’analyse se heurte à la définition du concept de violence.
Violenter et violentia sont quasiment absents des actes
normatifs7. Dans les actes de la pratique, ces termes ne
qualifient pas un type d’actes mais signifient qu’ils sont
considérés par une partie comme contraires au droit. L’idée
d’une « violence légale » est anachronique ; c’est un concept
moderne, qui reste néanmoins opérant. Seront ainsi prises
en compte des actions qui atteignent les personnes ou les
biens, et qui sont dans certains cas considérées comme des
infractions, et dans d’autres – et c’est ce qui nous intéresse –
comme licites.
4 L’étude de ces textes permet de constater qu’il existe en
Gascogne un droit à la violence pour les humbles, différent
d’un lieu à l’autre, mais qui témoigne de capacités légales
étonnantes. Je commencerai par étudier ces cas, avant de les
mettre en relation avec des éléments juridictionnels plus

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étendus pour enfin m’intéresser à la logique de ces


répartitions et à leurs évolutions.

Violences licites
5 Les textes indiquent que des violences, par ailleurs
sanctionnées par l’autorité, échappent parfois à cette
sanction. Il s’agit de la capacité de saisir des biens, de
prendre l’adversaire et de le séquestrer, d’exercer des
représailles, de porter des coups, d’infliger des blessures ou
de commettre un homicide. Qu’est-ce qui donne à des
actions un caractère licite ou illicite ?
6 La distinction entre actes sanctionnés par l’autorité
seigneuriale et non sanctionnés dépend parfois seulement
du lieu où ils sont commis. L’intérieur d’un bourg, parfois
certaines rues ou chemins, sont soumis à une protection
particulière du seigneur. La violence y est proscrite ou en
tout cas plus lourdement punie. Il en est de même de lieux
particuliers dans le bourg, tel que l’église, le moulin ou le
four8. Dans le même esprit, il reste une distinction
importante, l’appartenance ou non du lésé ou de l’agresseur
au bourg bénéficiaire du texte. Dans un cas extrême, à Saint-
Gaudens, la prise d’un étranger, qu’il soit noble (caver) ou
non, même avec plaie, mort ou prison n’est pas
sanctionnable par le comte9.
7 Cependant ces critères ne jouent souvent que sur la gravité
plus ou moins grande de l’acte et de la sanction.
Généralement le caractère licite ou illicite dépend du
contexte de la violence. Celle-ci est licite quand elle répond à
ce qui est considéré comme une première agression. Ainsi
est reconnu à l’habitant le droit de défendre son intérêt, son
honneur, ou plus globalement l’ordre.
8 On peut distinguer trois cas principaux donnant lieu à une
réaction licite de l’habitant.

Une partie a lésé un habitant dans ses biens. Celui-ci


peut prendre à son tour les biens du premier, en
saisissant au besoin sa personne ou son homme et en le
séquestrant. La Grande Charte de Saint-Gaudens
reconnaît ce droit aux habitants en cas de dette, mais

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aussi de «  dommages10  ». Il s’agit ici moins d’un


processus vindicatoire que d’un simple recouvrement.
Le cas de la pénétration non permise dans une maison,
l’assaut de mayson, est traité dans plusieurs textes. Si le
For d’Oloron et les coutumes de Saint-Sever ne
mentionnent que les amendes portant sur cet assaut, les
textes concernant Bagnères et Morlaàs évoquent
l’éventualité de la blessure et de la mort de l’assaillant
commises par le maître de maison, en se défendant,
selon le For de Morlaàs11 ; l’habitant n’est pas poursuivi
par la justice du seigneur. Je reviendrai sur le cas de
Castelnau-Barbarens sortant de ce contexte de légitime
défense.
Globalement, l’atteinte aux biens, à la personne ou à
celle des parents voire des amis et voisins d’un habitant
peut rendre licites des actions vindicatoires. Ici n’est pas
mise en avant la volonté de se dédommager, mais bien
de porter tort à celui qui a lui-même commis un tort.
Ainsi trouve-t-on dans les textes la notion de
représailles. La Grande Charte de Saint-Gaudens est
remarquable à cet égard. L’habitant peut exercer des
représailles (marca)12, jusqu’à une chevauchée13.
Surtout, quatre textes reconnaissent à l’habitant, sous
conditions, la capacité de venger par la mort celle d’un
parent, voire d’un voisin14.

9 Même dans le cas de réponse à une agression, les textes


prévoient des cadres contraignants, visant à placer ces
pratiques sous contrôle.
10 La vengeance de l’homicide est le cas le plus réglementé.
Non seulement l’homicide commis par un habitant n’est
licite que comme réaction à un premier homicide, mais
même dans un second temps de la résolution. À Bagnères-
de-Bigorre et à Morlaàs, la sanction prévue est composée de
l’amende majeure envers le seigneur (65 s. à Bagnères et 66
s. à Morlaàs), de 300 s. envers les parents de la victime, et de
la nécessité de s’exiler hors du comté de Bigorre ou de la
vicomté de Béarn. La mort du coupable d’homicide est
prévue seulement dans deux cas. S’il ne peut payer les
amendes, le seigneur doit le faire enterrer sous sa victime.
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Enfin, s’il refuse de s’exiler, les parents peuvent le tuer


impunément15. Pour l’homicide étranger, il n’est prévu que
l’exclusion du territoire du bourg  ; s’il y entrait, à Saint-
Gaudens les parents et amis peuvent le tuer16, et même à
Bagnères tout voisin17 ainsi que, visiblement, à Saint-Sever18.
Ainsi la vengeance de l’homicide est-elle très réglementée,
dans la procédure et concernant les personnes qui peuvent
l’exercer. Ce cadre tend à réduire l’aspect vindicatoire  : il
s’agit finalement d’exclure l’auteur des faits par la mort, dès
lors qu’il n’a pas respecté l’exclusion du territoire. Il s’agit
d’éviter la vendetta et de limiter le recours à la violence.
11 D’autres cas montrent une volonté des autorités de contrôler
l’action des habitants. On retrouve l’obligation de faire appel
à elles avant de passer à l’acte. À Saint-Gaudens, si un
étranger prend un bien à un habitant, celui-ci doit d’abord
porter plainte auprès du comte. Ce n’est que si le comte ne
lui fait pas droit qu’il peut agir. Il peut alors faire une
chevauchée et inférer des dommages à son adversaire19.
L’action de la partie lésée n’est licite qu’en cas d’absence de
procédure menée par l’autorité seigneuriale.
12 Mais le contrôle peut être beaucoup plus léger. Les textes
prescrivent quelquefois seulement à l’habitant de prévenir
l’autorité de son action, qui alors n’est pas sanctionnable.
Ainsi en est-il toujours à Saint-Gaudens : l’habitant arrêtant
et séquestrant un homme notamment pour représailles peut
le faire à condition qu’il prévienne le comte, et ce quoiqu’il
lui réponde. S’il ne prévient pas, il doit l’amende majeure et
il est jugé par les juges jurats20.
13 Ces textes font état de violences licites remarquables, même
réglementées. Il reste à tenter d’en délimiter le cadre social.
Y a-t-il une spécificité des actes des non-nobles, et sont-ils
limités à l’intérieur du groupe des humbles ?
14 Les textes gascons contiennent des éléments qui montrent
une distinction sociale entre aristocratie et «  humbles  »,
mais aussi qui laissent penser que la frontière est
certainement moins hermétique qu’ailleurs.
15 En ce qui concerne le type d’action, il faut relever dans la
Grande Charte de Saint-Gaudens la forme que prennent les
représailles définies comme une chevauchée (caualgava)21.

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Il s’agit d’une pratique et d’un terme que l’on aurait pensé


réservés à des membres de l’aristocratie.
16 En ce qui concerne les protagonistes, dans la plupart des
textes, les articles ne prévoient pas la qualité sociale de
l’adversaire. Cependant trois cas peuvent être relevés. Les
Fors de Bigorre, qui sont très favorables à l’aristocratie,
reconnaissent en creux un droit à la violence de simples
«  rustres  » contre des milites  : l’article indique que ces
paysans n’ont pas le droit de s’attaquer à un miles connu
comme tel, à moins que celui-ci n’ait incendié leur maison
ou volé leurs bœufs22. Le paysan bigourdan peut ainsi
exercer un droit de représailles contre un membre de
l’aristocratie. La présence de cet article dans ce texte laisse
penser que c’est un cas qui doit effectivement se présenter,
puisqu’il vise à le limiter.
17 Dans la Grande Charte, un article indique explicitement que
les habitants de Saint-Gaudens ont le droit de s’attaquer à
un étranger, noble ou non, dans la ville ou en dehors, même
s’il advient plaie, mort ou prison23.
18 Enfin, d’un point de vue politique, la capacité de répondre à
une agression est au cœur même des relations entre les
habitants de Corneillan et leur vicomte. En effet, les
coutumes leur reconnaissent le droit d’enfermer dans leur
maison un homme du seigneur qui les aurait blessés ou qui
leur aurait fait un tort, de le battre sans effusion de sang,
avant de se soumettre au serment24.
19 La distinction entre aristocratie et commun correspond
certainement à une réalité, ne serait-ce que parce qu’elle est
socialement reconnue. Cependant ces éléments montrent
que les frontières entre ces groupes sociaux ne sont sans
doute pas aussi tranchées que ce que l’on pourrait imaginer,
qu’il ne faut pas réserver a priori des pratiques vindicatoires
légales et des droits aux membres des groupes supérieurs, et
que les «  humbles  » ne sont pas toujours dépourvus de
droits devant la violence des nobles.
20 Capacité à saisir et à séquestrer pour se dédommager,
actions vindicatoires, ces éléments signifient que ces
hommes peuvent directement intervenir dans la poursuite
d’un cas qui les concerne et dans la sanction, dans un cadre

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bien défini. Cette capacité contribue à délimiter une


juridiction appartenant aux habitants.

La juridiction des habitants


21 On peut définir une juridiction par la connaissance de
certains cas, par la possibilité de procéder, de contraindre et
de sanctionner. Le droit à la violence entre dans ce cadre, et
s’inscrit dans des capacités légales plus étendues des
habitants.
22 Les textes reconnaissent particulièrement à l’habitant une
juridiction sur la maison ou la maisonnée. La puissance du
« seigneur de la maison25 » s’exerce à la fois sur les hommes
et sur les lieux.
23 Certains textes indiquent que le maître de la maison peut
ainsi procéder au sein de sa maisonnée et contraindre ses
membres, à l’exclusion d’autres juridictions. À Saint-
Gaudens, il peut contraindre les membres de sa maison en
cas de vol, sans avoir recours à la juridiction seigneuriale  :
«  Si un homme de Saint-Gaudens perd quelque chose dans
sa maison, qu’il contraigne sa maynade, s’il veut, sans
préjudice de se défendre au dehors et sans que le seigneur
n’ait ni amende, ni rien d’autre. Que le maître recouvre ce
qui lui revient26.  » De même le For d’Oloron donne le droit
de procéder au maître de maison au sein de sa maynade,
sans spécifier le cas  : l’habitant peut recevoir le serment
purgatoire de «  ceux qui vivent de son pain  » sans rien
devoir au vicomte, alors que dans les autres cas
l’administration de la preuve occasionne des droits envers le
seigneur27. Il semble ainsi qu’il puisse procéder pour tous les
litiges au sein de la maisonnée.
24 La puissance du maître de maison ne s’exerce pas seulement
sur les membres qui la constituent, mais aussi sur les lieux
qui lui appartiennent. Un simple paysan non-libre semble
être tenté de se passer de la juridiction de son seigneur pour
le traitement du voleur pris dans son domaine : c’est ce qui
ressort d’une précision de l’abbé de Sorde, rappelant
l’obligation du villanus de lui amener le voleur pris dans sa
curia28. Ce qui serait un abus pour un vilain est en revanche
un droit à Oloron. C’est bien l’habitant qui procède contre un

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voleur pris dans son jardin, son champ, sa vigne ou son


verger : il peut faire prêter un serment et perçoit l’indemnité,
sans qu’il n’y ait de droits pour le serment ni d’amende
envers le vicomte29.
25 Il me semble que c’est aussi en terme de puissance du maître
sur sa maison qu’il faut comprendre les cas prévus dans
l’assaut de maison. En cas d’intrusion non permise, le
«  seigneur de la maison  » n’est pas redevable envers le
seigneur s’il blesse ou même s’il tue l’assaillant. Une
coutume particulière donne peut-être la dimension réelle du
droit de blesser voire de tuer l’assaillant. Il s’agit de la
coutume de Castelnau-Barbarens, fixée assez tardivement,
dans la première moitié du xiiie siècle, et qui montre à la fois
la puissance du maître de maison, et les restrictions qu’on lui
oppose. Le texte prévoit le cas uniquement pour l’intrusion
dans la maison d’un prud’homme, en son absence et avec de
mauvaises intentions  : si sa femme peut acculer l’assaillant
dans un coin et, en présence de deux ou trois prud’hommes,
lui interdit l’entrée de la maison pendant un an, «  s’il
rentrait à nouveau dans sa maison et qu’on l’y trouve [le
maître de maison] peut le prendre et le tuer puis le jeter de
sa maison sans être tenu de la moindre amende envers le
seigneur30  ». Les conditions requises par le texte rendent
l’acte improbable. En revanche, si l’on s’attache à la
signification de l’article, il s’agit ici non de légitime défense,
mais bien de la puissance du seigneur de la maison, ici
appartenant à l’élite, sur sa maison. Par ailleurs, la
juridiction de l’habitant concernant sa maison est visible
dans tous les textes concernant l’assaut de maison. Elle est
en effet marquée par sa capacité de percevoir une amende de
la part de l’assaillant. Les textes indiquent que celui-ci doit
une amende de 18 s. envers le maître de la maison. En
général, il doit aussi l’amende majeure, de 66 ou 65 sous,
envers le seigneur du bourg31.
26 L’amende due au maître de maison, qui n’est pas une
réparation, est particulièrement intéressante. On la retrouve
aussi dans d’autres situations. Les textes utilisent
régulièrement le terme de lei, amende vis-à-vis du seigneur
comme vis-à-vis de l’habitant. Le For d’Oloron est à nouveau
particulièrement explicite. Deux articles doivent être cités.
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L’un affirme que tout habitant et sa maisonnée doivent avoir


recours à la justice du vicomte  ; «  mais si ce n’est pas
possible et s[i l’habitant] a droit d’y prendre amendes, que
lui-même agisse comme il le devra32  ». Cet article indique
ainsi que l’habitant peut avoir droit à des amendes, et qu’il
peut procéder, ici seulement au cas où le vicomte ne le ferait
pas. Il y a dans cet article encore un doute sur les cas
concernés. La mention de l’homme et de sa maisonnée peut
renvoyer à une juridiction domestique. L’autre article sort
assurément de cette sphère. Le texte témoigne d’un droit de
l’habitant à percevoir des amendes, avec un arrimage de
l’amende princière sur celle de l’habitant : là où l’habitant de
la cité aura une amende de 18 s., le vicomte doit en avoir une
de 66 s.33. Ce cas laisse penser qu’il peut y avoir une
antériorité de l’amende envers l’habitant, et que le prince s’y
raccroche pour étendre sa juridiction. D’autres textes
mentionnent aussi une sanction pécuniaire vis-à-vis de
l’habitant lésé, avec parfois une ambiguïté sur la nature,
entre amende et réparation. C’est bien le terme de lei qui
qualifie la composition due par l’homicide aux parents et au
comte à Bagnères (art. 27). À Morlaàs, c’est le terme plus
ambigu de daon, mais qui s’applique aussi à l’amende due au
vicomte (art. 37). Cependant, si l’on peut parfois hésiter
entre amende ou réparation, l’existence de la première au
profit de l’habitant est encore nettement visible dans un
texte. À Bayonne, la charte accordée par Richard, duc
d’Aquitaine, sur la répression des crimes et des délits est
d’une grande originalité par rapport aux textes
contemporains de la région. Elle ne reconnaît plus aux
habitants de droit à la violence. En revanche, elle prévoit des
peines et des amendes, d’une grande diversité, allant de
quelques deniers à 966 s., et à la peine de mort. La
particularité des amendes réside dans le fait que leur
montant est partagé entre le prince et l’habitant lésé. La
répartition va de la moitié pour les deux parties
(séquestration), à une moitié augmentée pour le prince  :
ainsi en cas de blessure avec arme tranchante, l’amende
s’élève à 361 s. ; le duc en prend la moitié, augmenté de 6 s.,
le reste allant au plaignant. L’habitant lésé perçoit donc bien
une part de l’amende publique. Il s’agit ainsi au moins d’un
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reliquat d’une juridiction partagée entre le seigneur et les


habitants, et qui dépasse clairement le seul cadre de la
maison et de la maynade.
27 Capacité d’exercer des représailles, de se venger, de prendre
un homme et de le séquestrer, de procéder à des preuves et
de lever des amendes  : divers éléments qui constituent une
juridiction, complémentaire de celle du seigneur. Tous les
textes ne reconnaissent cependant pas les mêmes capacités
légales aux habitants. Il faut tenter d’en cerner des logiques,
en étudiant les répartitions spatiales, chronologiques et
sociales.

Répartitions et évolutions
28 Les coutumes de La Réole sont singulières, dans la mesure
où aucun droit à la violence des habitants n’est décelable.
L’homicide est sanctionné par la confiscation des biens de
son auteur en faveur du prieur. Les coutumes font apparaître
une relation fondée sur l’autorité du prieur, sans partage
avec les habitants34. Comment interpréter cette situation  ?
La qualité du seigneur joue peut-être un rôle. Il s’agit d’un
religieux. Il peut y avoir une différence entre les seigneurs
laïques ou ecclésiastiques. Si l’on étudie le préambule de ce
texte, il est fait mention des donations des droits comtaux et
épiscopaux au prieur, mais rien sur la relation entre le
seigneur et ses sujets. En revanche, plusieurs textes
évoquent la recherche d’un accord, d’un pacte entre un
seigneur laïc et la population, qui doit garantir la bonne
entente et l’entraide35. On peut peut-être trouver ici une
distinction entre seigneur ecclésiastique attaché à son
autorité et aux prélèvements, et princes laïques plus engagés
dans une logique politique de pacte. Un autre des douze
textes concerne un bourg tenu par un seigneur religieux. Il
s’agit de Saint-Sever, sur l’Adour. Ici, le préambule fait état
d’un accord entre l’abbé et la population, mais ne concerne
que la construction d’un rempart, demandée par les
habitants  ; l’autre terme de l’accord est le paiement de
leudes et de péages. Dans ce lieu, il faut noter que le droit à
la violence est limité, mais n’est pas inexistant. L’homicide
d’un voisin ne donne pas lieu à une vengeance possible, mais

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celle-ci est visiblement licite si l’homicide est commis par un


étranger sur un voisin, même à l’intérieur des murailles36.
C’est le seul cas de violence légale dans les «  statuts de
Suavius », mais il s’agit d’une violence légale non négligeable
des habitants. Cela n’annihile cependant pas l’hypothèse
d’une différence entre seigneurs laïques et ecclésiastiques : le
bourg de Saint-Sever donne l’exemple d’une révolte frontale
des habitants contre leur seigneur, qui ne se termine pas sur
une quelconque entente, mais bien entièrement en leur
défaveur37. Pour corroborer cette hypothèse, les exemples
sont trop peu nombreux. Mais le thème est certainement
primordial, et la relation difficile des seigneurs religieux et
des habitants en matière de justice peut tourner en faveur
des princes laïques38.
29 La qualité du seigneur compte sans doute dans la
reconnaissance de droits juridictionnels des habitants. Mais
cela ne suffit pas à expliquer les distinctions d’un texte à
l’autre, d’autant que deux textes laïques, ceux de Muret et de
l’Isle-Jourdain, sont dépourvus de tels droits. Quelles
logiques sont décelables  ? Globalement, même sur une
période relativement courte, les textes les plus anciens
comportent plus d’éléments juridictionnels en faveur des
habitants.
30 Reprenons l’exemple de la sanction de l’homicide. On trouve
trois types de mesures. Dans le premier, seules sont
mentionnées la composition vis-à-vis des parents et
l’amende envers le prince (Fors de Bigorre et For
d’Oloron)39. Dans le deuxième, on retrouve la même chose,
mais avec l’exclusion de l’homicide par l’exil, la peine de
mort en cas de non-paiement des amendes, et en cas de refus
de l’exil, par le droit de vengeance  ; c’est le cas à Bagnères
(1171) et à Morlaàs (1220). Enfin dans le troisième, les textes
ne mentionnent plus que la peine de mort. Il s’agit de
Bayonne (fin du xiie siècle), de Vic-en-Bigorre (1228), et
peut-être de l’Isle-Jourdain (fin xiie siècle)40. Le premier cas
de figure est constitué par les deux textes les plus anciens ;
en revanche les deuxième et troisième ne correspondent pas
à une chronologie nette.
31 Si l’on se place au sein d’une même entité, on peut
cependant constater que les textes plus récents limitent le
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droit à la violence  : en Béarn, le texte d’Oloron est plus


ancien que celui de Morlaàs, de même qu’en Bigorre celui de
Bagnères par rapport à Vic. De plus, il est possible de
constater des évolutions au sein d’un même texte. À
Corneillan, deux articles différents le montrent. Il s’agit du
traitement de dommages commis par des animaux qui
pénètrent dans un jardin. Un premier article prévoit que l’on
peut tuer une oie qui serait entrée dans un jardin clôturé,
puis la jeter à l’extérieur (art. 12). Un autre article, sans
doute postérieur, tente d’interdire un tel règlement pour
favoriser la réparation du dommage : le seigneur ne doit tuer
aucune bête commettant des dégâts, et les voisins doivent
agir de même entre eux ; les dommages doivent être estimés
selon l’appréciation de voisins (art. 21).À Saint-Gaudens,
l’évolution perceptible concerne le droit d’arrêter et de
séquestrer un homme dans sa maison. On peut constater
une volonté de le restreindre, à la fois en obligeant l’habitant
à se placer un tant soit peu sous le contrôle des autorités, et
en augmentant les sanctions en cas d’infractions41.
32 Une tendance à la restriction de la violence légale et plus
généralement de la juridiction des habitants est visible,
même si elle est limitée42. Cependant on ne peut adhérer à
un évolutionnisme simple. D’une part entre des textes
chronologiquement proches, de fortes distinctions existent.
D’autre part il y a coexistence d’éléments antagonistes dans
un même texte. Ainsi en est-il de la peine de mort,
administrée par le seigneur pour l’homicide qui ne peut
payer les amendes, et de la vengeance des parents en cas de
non-respect de l’exil. De plus, limitation ne signifie
généralement pas exclusion  : des éléments juridictionnels
des habitants sont patents dans la plupart des fors et
coutumes. Les textes les plus tardifs, ceux de Corneillan et de
Castelnau-Barbarens, ne mentionnent que des droits très
restreints à la violence, mais ils sont remarquables. Il s’agit à
Corneillan du droit pour l’habitant de battre un homme du
vicomte qui l’aurait lésé, et à Castelnau-Barbarens, du droit
du prud’homme de tuer un homme qui se serait introduit
dans sa maison après interdiction.
33 Un autre facteur paraît fondamental. La situation
géographique apparaît comme un élément très important
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dans la répartition du droit à la violence. La Réole est le seul


lieu de la Gascogne garonnaise ayant produit un texte
normatif au xiie siècle, ce qui ne permet pas d’opérer des
comparaisons. Tous les autres textes concernent des localités
plus méridionales. Mais l’Est de la région paraît particulier,
avec l’Isle-Jourdain et Muret, qui ne contiennent pas de
droit à la violence. Dans cette Gascogne toulousaine, la
parenté avec la situation languedocienne est patente43. Dans
le reste de la Gascogne, la proximité des Pyrénées apparaît
bien comme un facteur essentiel dans la géographie
coutumière. C’est sensible au sein même des entités  : en
Béarn, Oloron, au débouché des vallées pyrénéennes,
bénéficie de capacités juridictionnelles plus importantes qu’à
Morlaàs, dans le piémont. De même en Bigorre, pour
Bagnères par rapport à Vic. Cette influence s’étend
néanmoins jusqu’en Gascogne centrale, globalement dans
les pays du bassin versant de l’Adour.
34 C’est par la localisation que l’on peut comprendre la
particularité de Saint-Gaudens. Droit de représailles,
vengeance de l’homicide, séquestration, même s’il est
possible de déceler une volonté d’en restreindre certains
aspects, la Grande Charte témoigne de très larges droits
juridictionnels des habitants. Cela ne s’explique pas par la
précocité de l’octroi qui se situe au début du xiiie siècle
(1203). Le facteur géographique apparaît prépondérant : s’il
n’est pas juste au débouché des vallées pyrénéennes, le
bourg n’en est cependant pas éloigné.
35 Dans cette perspective géographique, le cas de Bayonne est
intéressant. Le texte date du règne de Richard, donc de 1189-
1199. Il est ainsi légèrement postérieur à celui de Bagnères,
mais antérieur à celui de Morlaàs ou de Saint-Gaudens. Son
contenu tranche par rapport à ces textes dans la mesure où il
n’y a aucun droit à la violence – l’homicide est puni par la
mort, et la séquestration est passible de l’amende la plus
élevée (966 s.44) – mais il reste en même temps proche d’eux
par le partage des amendes publiques entre le duc et
l’habitant lésé. Il faut voir ici le mélange de l’influence du
droit de ces pays de l’Adour et des Pyrénées, de l’ouverture
sur l’extérieur de ce port actif et peut-être de l’influence des
princes Plantagenêt.
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36 Des évolutions ne sont pas contestables, mais elles restent


limitées, et le facteur géographique est prépondérant pour
comprendre ces textes. Il faudrait pouvoir aussi mettre en
parallèle le droit à la violence et l’évolution institutionnelle
qui touche les bourgs. L’étude de l’émergence des
institutions municipales reste à faire pour la Gascogne.
Quelques cas, s’ils ne peuvent donner lieu à des conclusions,
peuvent apporter quelques éclairages. La question est
d’autant plus importante que l’on peut constater une
pénétration de conceptions issues des droits savants.
37 L’absence de structuration collective des habitants peut
donner des cas contraires. À La Réole, les habitants n’ont
aucune représentation face au prieur, et ils n’ont aucun droit
à la violence. À Oloron aussi, les institutions sont très peu
développées. Les habitants sont essentiellement appelés
«  hommes  » (homis), «  peuplants  » (poblantz), ou
«  habitants de la cité  » (ciutadan). Si le texte mentionne à
deux reprises un «  voisin  », la beziau, communauté de
voisins, n’apparaît pas. Les habitants apparaissent non
comme une entité collective, mais comme un agrégat de
possesseurs de maison. Ici, le rapport de pouvoir met face à
face les «  seigneurs de maison  » au vicomte, qui leur
reconnaît des compétences légales particulièrement larges.
38 Bagnères, en Bigorre, témoigne d’une organisation beaucoup
plus élaborée. Face à l’autorité comtale, les voisins, qui sont
aussi des possesseurs de maison, sont regroupés dans la
beziau. Mais en plus de cette communauté apparaissent des
magistrats, les « juges des bourgs de Bagnères ». Jugeant les
cas portés devant le viguier comtal, leur rôle est central dans
les rapports entre le comte et les habitants, entre voisins, et
même en ce qui concerne la violence licite, dans la protection
de l’étranger : si celui-ci a porté plainte auprès d’eux, la prise
de corps, par un habitant ou par le comte, est interdite. Leur
juridiction est ainsi une limite à celle du comte et des
voisins. Le mode de désignation est primordial pour
comprendre cette institution. Or les juges sont élus chaque
année par la beziau. Ils sont ainsi l’émanation des chefs de
maison. Rappelons qu’ici les parents peuvent venger
l’homicide en cas de non-exil, et même tout voisin contre un
homicide étranger.
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39 Il faut placer en regard le cas de Vic, dans le même comté de


Bigorre. Ici aussi existe une communauté de voisins. Mais là
s’arrête la ressemblance. En 1228, le comte organise la
justice. Si la notion de « juges », à Bagnères, reste conforme
à ce que l’on peut constater dans le comté dès la fin du xie
siècle45, le texte concernant Vic témoigne de l’introduction
de conceptions savantes. Ici en effet, le comte institue un
tribunal de «  juges jurés  » (judices jurati). Comme à
Bagnères, il connaîtra des plaintes portées auprès du viguier.
Cependant ici, la communauté de voisins n’a pas
l’importance du bourg précédent : les juges jurés ne sont pas
élus par elle. S’ils sont pris parmi les voisins, c’est le comte
ou son viguier qui les choisissent, et ils gardent cette charge
à vie. Cela s’accompagne d’une grande différence dans le
traitement de l’homicide  : il n’existe pas de droit à la
vengeance, pas d’exil, mais seulement la peine de mort. Ainsi
le contrôle de la justice par le comte, même indirectement46,
s’accompagne ici de l’absence de droit à la violence.
40 À Saint-Gaudens, le rapport de pouvoir est encore différent,
et témoigne d’une importance centrale non pas de la
communauté de voisins, mais de l’élite du bourg.
L’organisation du pouvoir est complexe. Il semble qu’il y ait
eu d’abord émergence d’une élite dirigeante, les
prud’hommes, avant que ne soient institués des
représentants. Ceux-ci ne représentent pas la beziau,
pourtant présente, mais bien cette élite. En effet, face au
bayle comtal, les juges jurats – on reconnaît à nouveau
l’influence du droit savant – sont élus pour une année par les
juges sortants auxquels s’ajoutent dix prud’hommes de la
ville. Une oligarchie s’est ainsi constituée, qui est parvenue à
étendre son pouvoir aux dépens de la juridiction du comte.
La place que prud’hommes et jurats ont acquise est
remarquable47. En ce qui concerne le contrôle de la violence,
ils jouent un rôle essentiel dans la sanction encourue envers
le comte. Pour l’homicide commis dans le territoire de la
ville, un accord doit être trouvé « à la merci du comte », mais
avec le conseil des prud’hommes  ; de même pour une
querelle avec usage d’armes dans le territoire de la ville, le
texte prévoit de composer jusqu’à 60 sous, sur avis des
prud’hommes. Pour ce qui touche à la violence légale, on l’a
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vu, la Grande Charte est le texte qui reconnaît aux habitants


les capacités les plus étendues, des représailles à la
vengeance. En même temps, on peut constater dans les
articles qu’il y a des évolutions, au moins en ce qui concerne
la séquestration. Une tension vise à la placer sous un
contrôle accru, du comte mais surtout des juges jurats48.
41 Pour conclure, ces premiers textes normatifs montrent des
capacités légales particulièrement importantes de la part de
non-nobles en Gascogne centrale et pyrénéenne. On ne peut
éluder la question de l’origine de ce droit. La puissance des
«  seigneurs de maison  » rappelle celle du paterfamilias du
droit romain, sur les membres de la familia et sur les lieux
privés. La capacité de saisie des biens et du corps du
débiteur par le créancier peut se rattacher au même droit49.
Mais le droit romain ne peut expliquer la capacité de mener
des représailles, débouchant sur la séquestration ou une
chevauchée. La documentation ne permet pas de remonter
avec certitude dans l’héritage juridique. Le plus important
reste cependant le constat d’un droit original par rapport aux
régions voisines de l’espace français, qui se rattache très
fortement au droit des fueros ibériques, en particuliers
aragonais et navarrais50. L’étude de la violence légale est un
des angles qui permettent de constater cette parenté, qui
explique la prégnance de la répartition géographique. On
retrouve une géographie d’usages et de droits témoignant de
l’importance des non-nobles, manifeste dans les vallées
pyrénéennes51, mais aussi dans les pays de l’Adour52. Ces fors
et coutumes témoignent aussi d’une politique d’alliance des
princes laïcs avec les bourgs et les villes. Ils mêlent ces droits
particuliers, issus de pratiques enracinées, à des éléments
modernes issus des droits savants53, donnant naissance à des
textes étonnants.

Notes
1. C’est ce que montrent les tenants de la mutation féodale, mais aussi les
études plus récentes étudiant la violence comme un régulateur des
relations sociales. Ainsi S. White conclut-il son article sur les faides : les
paysans sont les victimes principales des violences seigneuriales
(«  Feuding and Peace-Making in the Touraine around the Year 1100  »,

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Traditio, XLVII, 1986, p. 195-263.). Mêmes conclusions chez D.


Barthélemy (Chevaliers et miracles. La violence et le sacré dans la
société féodale, Paris, 2004.). La bibliographie de la mutation féodale est
bien connue. Je renvoie à la synthèse de J.-P. Poly et E. Bournazel
(dir.), La mutation féodale, xe-xiie siècles, Paris, 1980, 2e éd.  : 1991, p.
64-106 et p. 194-221.
2. Les études portant sur la période moderne et sur la fin du Moyen Âge
ont remis en question cet aspect, montrant que les relations sociales
entre non-nobles reposent aussi sur la défense de l’honneur. Mais il
s’agit essentiellement d’une violence tolérée, par la société et par le roi
qui en grâcie les auteurs, et non pas d’une violence légale. Voir
notamment C. Gauvard, « De grace especial ». Crime, État et société en
France à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991,
p. 701-935.
3. Nouvelle édition dans X. Ravier et B. Cursente, Le cartulaire de
Bigorre (xie-xiiie siècle), Paris, 2005, p. 79-85.
4. P. Ourliac et M. Gilles, Les Fors de Béarn, Paris, 1990.
5. Bagnères-de-Bigorre, 1171 (F. Soutras-Dejeanne, « Fors et coutumes
de Bagnères-de-Bigorre  », Bull. Soc. Ramond, 1882, p. 156-170)  ;
Bayonne, 1189-1199 (J. Balasque, Études historiques sur la ville de
Bayonne, Bayonne, 1862, t. 1, p. 412)  ; Castelnau-Barbarens, mi-xiie
s.-1248 (B. Cursente, «  Les coutumes de Castelnau-Barbarens (vers
1140-6 avril 1248)  », Bulletin de la société archéologique, historique,
littéraire et scientifique du Gers, 102e année, 2e trimestre 2001, p. 357-
375) ; Corneillan, 1142-mix-iiie s. (C. Samaran, « Les coutumes inédites
de Corneillan (Gers)  », Bull. phil. et hist. du Comité des trav. hist. et
scient., 1951-1952, Paris, 1953, p. 331-356) ; Isle-Jourdain, fin xiie s. (E.
Cabié, Nouvelle revue historique de droit français et étranger, 1881, p.
643-653) ; La Réole, xiie s. (M. Malherbe, Les institutions municipales
de la ville de La Réole, des origines à la Révolution française, thèse de
doctorat, université de Bordeaux I, 1975, p. 715-730) ; Morlaàs, 1220 (P.
Ourliac et M. Gilles, op. cit., p. 309-337) ; Muret, 1203 (J. Lestrade,
Revue de Comminges, XXIII, 1908, p. 17-29) ; Oloron, art. anc. fin xie s.
(P. Ourliac et M. Gilles, op. cit., p. 495-511) ; Saint-Gaudens, 1203 (S.
Mondon, La Grande Charte de Saint-Gaudens, Paris, 1910)  ; Saint-
Sever, années 1180 (Du Buisson, Historiae monasterii S. Severi libri X,
éd. J.-F. Pédegert et A. Lugat, Aire-sur-l’Adour, 1876, t. 1, p. 196-197 et
201-202)  ; Vic-en-Bigorre, 1228 (X. Ravier et B. Cursente, op. cit., p.
97-98).
6. La Réole sur la Garonne, Castelnau-Barbarens, l’Isle-Jourdain et
Muret en Gascogne toulousaine.
7. On trouve violenter pour le cas du rapt (Fors de Bigorre, n° 22 : Nemo
quamlibet mulierem violenter rapiat…).
8. L’intérieur des bourgs bénéficie parfois explicitement du statut de
sauveté (Oloron, Saint-Sever). Mais même lorsque ce n’est pas le cas,
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tous les textes reconnaissent un statut particulier à ce lieu, avec des


protections équivalentes. Donnons l’exemple particulièrement net de
Saint-Gaudens : l’homicide commis à l’intérieur des limites de la ville est
sanctionné « à la merci » du comte – sur proposition des prud’hommes –
alors qu’il ne l’est que de 20 d. s’il est commis en dehors, et encore faut-il
qu’il y ait plainte. À l’Isle-Jourdain, seuls l’homicide et la blessure
entraînant la mort commis dans les limites de la ville sont évoqués. La
protection des chemins publics est mentionnée dans le For de Béarn (art.
7 et 37), et dans celui de Morlaàs (art. 2) ; dans ce dernier cas, le vicomte
peut agir d’office. Les Fors généraux, de Bigorre et de Béarn, ainsi que les
Fors de Bagnères et de Morlaàs reconnaissent une protection particulière
à l’église, au moulin, au four et, pour Morlaàs à la monnaie. Il faut bien
sûr remettre ces mesures dans le cadre de la législation de paix. Pour des
vues générales, cf. J.-P. Poly et E. Bournazel (dir.), op. cit., p. 222-251 ;
vision contraire de D. Barthélemy, L’an mil et la paix de Dieu  : la
France chrétienne et féodale, 980-1060, Paris, 1997. Pour la région,
l’étude de R. Bonnaud-Delamare («  Les institutions de paix en
Aquitaine au xie siècle  », La Paix, recueils de la société Jean Bodin, t.
XIV, Bruxelles, 1962, p. 415-487) reste fructueuse. Enfin sur la relation
entre paix et bourgs : C. Higounet, Paysages et villages neufs du Moyen
Âge, Bordeaux, 1975. P. Ourliac, «  Les sauvetés de Comminges  »,
Études d’histoire du droit médiéval, Paris, 1979, p. 75-94. Plus
globalement, il faut relier ce thème à celui des enclos ecclésiaux : cf. les
diverses contributions dans M. Fixot et E. Zadora-Rio (dir.),
L’environnement des églises et la topographie religieuse des campagnes
médiévales.
9. Art. 17. À Oloron, cette distinction est au cœur du statut de sauveté : la
sauveté signifie que si un étranger saisit un habitant dans le territoire
décrit, l’amende s’élèverait à 900 sous et une pièce d’or, quand la prise
illicite d’un homme par un habitant est sanctionnée «  seulement  » de
l’amende majeure de 66 sous. On retrouve cette distinction à Morlaàs,
sans que cela soit relié au statut de sauveté (art. 6).
10. Art. 47 et 48. Si lunh home de Sent Gaudens penheraua lunh home
ni son home foralz terminis per nul tort quel senhor del home lagues
deu ne levar tot lo son apoder del home, et non es tengut del senhor (art.
48). Le For de Morlaàs le reconnaît pour gage, et pour les autres cas
seulement en présence de l’officier vicomtal (art. 6). Les articles anciens
du For de Béarn ne mentionnent l’interdiction de saisir ou de tuer un
homme que si ce dernier avait auparavant porté l’affaire devant le
vicomte (art. 53). Les autres textes, soit ne mentionne pas ce droit, soit
l’interdisent, à moins qu’il y ait accord du seigneur (La Réole), ou que ce
soit un voleur (Saint-Sever).
11. Et si aqueg qui en la mayson sera, son coos deffenden, ne legoave o
ne aucide algun, no lo deu ren costar (art. 24).
12. Art. 60 et 61.

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13. Art. 29.


14. Il s’agit des Fors de Bagnères, de Morlaàs, la Grande Charte de Saint-
Gaudens et les statuts de Saint-Sever.
15. Bagnères : E sil homicidan s’armade en la terre, els parentz del mort
lo poden aucide que no dessen lei ni non eixissen de la biele (art. 27).
Morlaàs  : Et si l’omicidi armade en tote la terre deu senhor et los
parentz deu mort lo poden aucider, no deven exir de la viele ni son
tengutz de dar nulhe ley aus parentz ni au senhor (art. 38).
16. E si lunhs hom de fora a mort ni plaguat lunh home de Sent
Gaudens qual que veniansa sen prengua ed ni sos parens, ni sos amicx,
lo senhor no els ac deu demanar ans los ne deu amparar e aiudar (art.
11).
17. E si nulh hom estrani aucide degun bezin de Banheres, que no deu
entrar aqued qui mort l’agos nulhs temps dentz los dex de Banheres, e si
ag faze e nulh bezin de Banheres l’aucide, que non deu ester tengud de
nos ni d’autre home (art. 27).
18. Le texte prévoit la sanction de l’homicide commis contre un voisin :
l’auteur et ses biens sont placés dans le pouvoir de l’abbé. La sanction est
la même pour l’homicide d’un étranger, s’il a eu lieu à l’intérieur des
murailles du bourg. Et même à l’intérieur des murs, l’étranger qui aurait
lui-même tué ou rançonné un habitant n’est pas protégé par la sanction.
Il semble alors que tout habitant puisse agir  : Insuper institutum fuit
quod, si quis vicinum suum interficeret, interfector et suae res in
potestate essent abbatis  ; similiter, si extraneum quis intra ambitum
villae occideret, simili pena damnaretur, nisi constaret eum aliquem de
villa interfecisse vel ad redemptionem coegisse (Du Buisson, op. cit., p.
196).
19. E si a lunh hom de Sent Gaudens tolt degus hom de fora sa terra, ni
son aver, ni arren del son pos dit ac aia al senhor. Sil senhor no lac
fasia dressar e ed ne caualgaua, ni mal ne fazia quel senghor no lac deu
demanar a luy ni a son aiutori, antz len deu amparar que que si
abengues (art. 29).
20. E si lunh hom de sent gaudens pren lunh home dens los dex de la
viela per marcha ni per als el meit en mayson si dit no a al senhor LX
sol. j. al senhor e deu lo fer trezer al judiament dels jugges jurats de la
viela. mais pos dit ag aia al senhor o al bayle qual que respona ed lo
fazan o no sy ly met non es tengut de la ley. E si marcha auer portador
ni meador dens los terminis de la viela dome en fora mete ac dens
mason sis vol mays lo dia deu dizer la marcha als juratz E deu sen
capderar per conseilh de lor (art. 61). On retrouve aussi la nécessité de
se placer sous un contrôle limité du comte dans un autre article  :
l’habitant du même bourg peut exercer des représailles librement à
l’extérieur à condition seulement d’avoir donné des gages : [de marcha]
en fora. E si marcha i conquer ay lo senhor XX d. E si guareis la
marcha vasen solt quel senhor noy a arren (art. 60).
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21. Art. 29 cité ci-dessus. Notons que le bénéfice de la Charte appartient


à ceux qui ont demeuré dans la ville un an et un jour, qui ont fait le guet
et la ronde dans la beziau, ou l’ost et la chevauchée (art. 17  : droit de
prendre et de séquestrer un étranger, e per asso no tiem ni conoissem
lunh home qui de la viela sia entro.i. an e.i. dia ig aia estad e feit geyta e
cerca en beziau o ost o caualgada).
22. Nemo rusticorum militem cognitum invadat, nisi domum ejus
cremaverit aut boves abstulerit (art. 41). Cela semble aussi signifier que
plus qu’un mode de vie, c’est surtout la renommée qui garantit le statut
de miles.
23. E si lunhs hom de Sent Gaudens auia penherat lunh cauer ni autre
home qui de la viela no fos dedentz ni defora sii auenia plagua, ni mort,
ni preson ad aquest qui feit ag auria lo senhor no la deu domanar a luy
ni a son adjutory antz len deu amparare baler… (art. 17).
24. E se algus de la compaia del seior palesara o fara tort a algun
home, se l’pod metre dens sa maison, pod lo bater a son plazer e que
sang no l’trega ni os no l’pod, e pueis deu pasar ab segrament (art. 11).
25. Senhor de l’ostau, Morlaàs ; senhor de la mayson, Oloron ; senhor de
la maison, Bagnères.
26. E si lunhs hom de Sent Gaudens pert arren en sa mason, destrengan
sa maynada, sis vol, ses daun de deffener en fora ses quel senhor ley ni
arren als noya, de neguna part, e quen crub lo son (art. 31). La
maynade, traduisible par la maisonnée, est l’équivalent de la mesnie.
27. Les deux autres cas montrent même que cela dépasse le strict cas de
la maynade : Et si augun besii recep segrament d’autre, doni au senhor.
VI. ss., si no en tres causes de las quoaus no dara daon ; es assaber, si
augun recep segrament de tot son paa, et de companhie que aye ab
augun, et si fe credence ad augun de ssa proprie cause (art. 17).
28. Si ceperit latronem in sua curia vel quemlibet alium quocumque
alio modo reddet domino suo, sicut est mos illius terre (Cart. de Sorde,
n° 142, p. 115-116).
29. Et si augun ere prees poplaumentz en augun layroici deu esser
liurat en ma man, si no ere prees en ortz o en camps o en binhes o en
bergees ; et labetz deu dar de daon ad aqueg qui aura prees lo tort.V. ss.
morlans. Et si negue que no li a feyt et per so fe segrament, aqueg qui-l
recep no-n doni daon (art. 19).
30. Pero attreptat que si augus entrava en la maso d’aucun prohome
per son dami ne per fineza, ne per mauveziat, sa molher si l i troba, que.
u deu accunhadar e dizer ab testimonis ab dus o tres prohomes que
d’aqui en an no entre ; si hi torna e l’i troba, que. u pot prene e aussiz e
getar de la maiso en la carrera ses que tengut no sera de leys entaus
senhos (art. 14). Sur la question de la datation, voir B. Cursente, « Les
coutumes de Castelnau-Barbarens (vers 1140-6 avril 1248) », Bulletin de

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la société archéologique, historique, littéraire et scientifique du Gers,


102e année, 2e trimestre 2001, p. 357-375.
31. C’est le cas pour Bagnères, Oloron et Morlaàs. Le For général de
Béarn ne considère que les cas d’assaut à un domaine noble, une
domenyadure, tenue ou non par un noble, dont la sanction est de 66 s. ;
cela correspond finalement aux cas des deux Fors d’Oloron et de Morlaàs
pour une simple maison dans un bourg. Notons le cas fort intéressant du
bourg de Saint-Sever, dont le seigneur est abbé. Celui-ci ne perçoit que 6
s. d’amende, quand le maître de maison en perçoit 11.
32. Exementz mi arthiencu aquest dever que tot homi de queste ciutat a
tot son paa aye dret per davant mi, et si no pot, si leys a tier a dret, eg
medix fasse so qui eg deura far (art. 18).
33. Item eixementz de ley ont lo ciutadan aye. XVIII. ss., jo-n dey aver.
LXVI (art. 16).
34. On trouve aussi des seigneurs laïques, auxquels sont inféodés
certains droits de justice.
35. Par exemple le préambule des Fors de Bagnères présente comme une
pacification l’octroi du texte, après des désordres, pour pouvoir trouver
auprès du bourg «  conseil et défense  »  : Conoguda causa sia a totz
homes e femnes presentz e habieders, que Nos, Centod, per la gracie de
Dieu, comter de Begorre, sufertes mantes bergonhes e grans
dampnagdges el comptad de Begorre per nostres frontaders Nauars,
Teesiis, Bascos, Aragones, qui aucunes begades entrauen el comptad de
Begorre poderosementz, e arcebudz aucuns laugs fortz que fazen grans
mals en la terre de Begorre  ; per so, Nos, auant dit Centod, agud
cosselh e ab ferm autrei dels barons e de tote la cort de la terre de
Begorre, dam franqeces e durables costumes au laug e aus pobladors e
als habitadors presentz e abieders dels borgs de Banheres asi cum en
queste carte es escriut, per so quel senhor e tote la terre i trobas cosselh
et defense.
36. Il est interdit de tuer un étranger à l’intérieur des murailles, à moins
qu’il n’ait tué un homme de la ville ou qu’il le rançonnait.
37. Cf. J.-B. Marquette, «  La “révolution” de Saint-Sever en 1208  »,
Saint-Sever. Millénaire de l’abbaye, Colloque international des 25-27
mai 1985, Mont-de Marsan, 1986, p. 55-73.
38. Elle est instrumentalisée par le duc d’Aquitaine Richard. À La Réole,
à l’occasion d’une plainte d’un habitant dans les années 1180, le duc
enlève la justice de sang au prieur (F. Boutoulle, Société laïque en
Bordelais et Bazadais des années 1070 à 1225 (pouvoirs et groupes
sociaux), thèse dactylographiée, Bordeaux, 2001, n. 45, p. 434.). Le
même Richard avait tranché dans le même sens, quelques années
auparavant, un conflit opposant les habitants de Bayonne à l’évêque de la
ville concernant la moitié de la viguerie. Le duc enlève toute la viguerie

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au prélat et la garde à son profit, contre un droit purement économique


(Livre d’Or de Bayonne, n° 37, p. 63-64, 1168-1170).
39. Le For de Bigorre ne mentionne que le paiement de l’«  amende de
l’homicide  » (homicidii legem persolvat), que doit payer un paysan
responsable de la mort d’un homme tombé dans une fosse. À Oloron, il
est fait mention de l’amende envers le vicomte (66 s.), et du « droit » au
plaignant (non défini).
40. Les coutumes prévoient le dédommagement des parents, la
confiscation des biens au profit du seigneur, et seulement le jugement,
en ce qui concerne le corps de l’auteur des faits, par les probi homines de
la ville. En tout cas on peut dire qu’il s’agit d’une peine afflictive.
41. Art. 17, 59 et 67.
42. Ainsi P. Prétou constate-t-il la persistance d’une «  justice des
maisons » encore à la fin du Moyen Âge (Justice et société en Gascogne à
la fin du Moyen Âge, thèse dactylographiée, université de Paris I-
Panthéon-Sorbonne, 2004).
43. On peut ainsi constater une très grande différence de pratiques
judiciaires entre la Gascogne et le Languedoc dans d’autres domaines.
Par exemple en ce qui concerne le duel  : H. Débax constate sa
disparition en Languedoc (La féodalité languedocienne, xie-xiie siècles.
Serments, hommages et fiefs dans le Languedoc des Trencavel,
Toulouse, 2003, p. 263-266), alors que les cas sont nombreux en
Gascogne jusqu’au milieu du xiie s. (H. Couderc-Barraud, «  Le duel
judiciaire en Gascogne d’après les cartulaires », Le règlement des conflits
au Moyen Âge, xxxie Congrès de la SHMES, Angers, juin 2000, Paris,
2001, p. 97-115, et Le mode de résolution des conflits en Gascogne du
milieu du xie siècle au début du xiiie siècle, thèse dactylographiée,
Toulouse II, 2005, p. 493-523).
44. On peut rapprocher ce montant de l’amende de 900 s. protégeant
l’intérieur des bourgs d’Oloron et de Morlaàs (avec le statut de sauveté
pour Oloron), à laquelle s’ajoutent les 60 et 6 sous représentant les
amendes royale et comtale.
45. Des «  juges de la terre  » sont cités dans un acte de la fin du xie s.
(Cart. de Saint-Savin, n° 31, p. 326-329, v. 1094), et des «  juges de
Bigorre » dans des actes du début du xiie s. (Cart. du comte de Bigorre,
n° 7, av. 1114).
46. On peut imaginer que l’institution à vie de juges jurés, même s’ils
sont choisis par le comte, donne naissance à une oligarchie.
47. Le bayle comtal doit ainsi être choisi «  avec le conseil des
prud’hommes de la ville » (art. 34).
48. Alors qu’un article ne mentionne que le droit de l’habitant à
séquestrer un caver ou un étranger (art. 17), un autre fait obligation d’en
informer le comte ou son bayle (art. 59), enfin un dernier fait état de la

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nécessité de prévenir les jurats, augmente l’amende en cas d’infraction,


mentionne la connaissance du cas par les jurats (art. 67).
49. L’origine dans la législation germanique est aussi évoquée pour ce
qui concerne l’assaut de maison  : M. L. Pelaez, pour le fuero de
Logroño, avec une comparaison avec la Hausfriedenbruch et mise au
point historiographique (Notas y precisiones sobre las posibles raices
institucionales galas del fuero de Logrono de 1095, art. en ligne  :
http  ://www.vallenajerilla.com/berceo/rioja-abierta/pelaez/
raicesgalasfuerologrono.htm). P. Ourliac souligne la persistance d’un
«  fonds romain  » ancien dans le droit méridional («  L’esprit du droit
méridional  », Études d’histoire du droit médiéval, Paris, 1979, p. 311-
327). Mais il souligne pour les Fors de Béarn l’impossibilité de les
rattacher clairement à un droit particulier, qu’il s’agisse de droit romain,
ou de droit germanique (introduction des Fors anciens de Béarn,
Toulouse, publ. P. Ourliac et M. Gilles, 1990, p. 110-135).
50. Le For d’Oloron est ainsi largement inspiré du fuero de Jaca (cf. J.
Dumonteil et B. Cheronnet, Le For d’Oloron, Oloron, 1980, p. 53-61).
51. Ainsi lors de l’avènement d’un nouveau comte de Bigorre, tous les
milites bigourdans doivent prêter serment de fidélité, mais aussi tous les
pedites des vallées.
52. On retrouve l’aire d’extension des casaux étudiés par B. Cursente
(Des maisons et des hommes. La Gascogne médiévale, xie-xve siècle,
Toulouse, 1998).
53. L’étude des preuves admises montre aussi les progrès du témoignage
aux côtés du serment purgatoire ou du duel.

Auteur

Hélène Couderc-Barraud
Du même auteur

La violence, l’ordre et la paix,


Presses universitaires du Midi,
2008
Introduction in La violence,
l’ordre et la paix, Presses
universitaires du Midi, 2008

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Résistances anti-seigneuriales
en Gascogne  : pactes et
affrontements (xiie-début du
xiiie  siècle) in Les luttes anti-
seigneuriales, Presses
universitaires du Midi, 2009
Tous les textes
© Presses universitaires de Rennes, 2008

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Référence électronique du chapitre


COUDERC-BARRAUD, Hélène. «  Humbles  » et violence légale  :
quelques cas gascons, xiie-début xiiie siècle In  : La violence et le
judiciaire : Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques
[en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4984>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4984.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
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La violence et le judiciaire

Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,


pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :

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http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

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Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

« Bateures,
navreures et
occision » : le
prévôt de Paris
face à la violence
vers 1400
Julie Mayade-Claustre
https://books.openedition.org/pur/4986 1/22
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p. 47-60

Texte intégral
1 Dans les années 1405-1408, soit une quinzaine d’années
après l’unique témoignage direct sur le droit pénal en
vigueur dans le tribunal du prévôt royal de Paris que
constitue le fameux «  registre  » criminel de 1389-13921, un
petit dossier de documents révèle une tout autre image du
traitement de la violence par la justice royale dans la
capitale2. Ce dossier, qui garde la trace à la fois
d’entérinements de grâces royales et de compromis en
matière criminelle, restitue à la justice pénale royale de la
capitale son caractère ordinaire. Entre la grande criminalité
du «  registre  » criminel3 et la délinquance ordinaire des
registres d’écrous4 d’une part, entre la rareté des homicides
dans les registres des justices seigneuriales parisiennes5 et
leur fréquence dans les rémissions du Trésor des chartes6
d’autre part, ces documents permettent d’entrevoir certains
chaînons manquants pour la connaissance de la violence
parisienne vers 1400. Il s’agit de trois accords, passés sous
l’égide du prévôt Guillaume de Tignonville et dont le texte a
été conservé non dans les archives proprement judiciaires,
mais dans la partie réglementaire des archives du Châtelet
qu’on appelle « livres de couleurs7 ». En l’occurrence, le livre
dont est tiré ce dossier, qui est le plus ancien des « livres de
couleur » conservés, est une compilation de textes relatifs au
style et aux offices du Châtelet qui a été faite par Jehan
Doulx-Sire, le clerc civil du Châtelet actif sous le mandat de
Simon Morhier (1er décembre 1422-13 avril 1436)8. Cette
compilation a sans doute été commencée peu avant 1425, en
vue de préparer la réforme du Châtelet qui intervint sous
l’égide de l’occupant anglais par l’ordonnance de mai 14259.
Une bonne soixantaine de feuillets y sont dévolus aux textes
réglementant les offices de notaires du Châtelet10. Parmi eux,
on trouve quatre arrêts du Parlement datant des années
1407-1408 qui virent d’intenses affrontements entre les
notaires et d’autres groupes d’officiers du Châtelet, clercs et
examinateurs en particulier. Le dernier, daté du 28 janvier
1408 et rendu entre les notaires et le clerc criminel11, se
prononce en faveur des notaires qui protestaient contre
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l’habitude prise par le clerc criminel de rédiger et de faire


sceller des accords entre des parties en procès criminel au
Châtelet. Il comporte le texte de trois accords récemment
rédigés par le clerc criminel Pierre Le Guyant. Collationné
dans le livre Doulx-Sire, il se retrouve aisément dans les
registres du Parlement12. Il n’est pas entièrement inédit,
puisqu’il avait été publié en 1738 par un notaire parisien qui
s’était fait l’historien de sa corporation, Simon-François
Langloix13, et que Gustave Fagniez avait publié des extraits
des plaidoiries du procès14. Il dévoile la pratique au cœur
même de la justice royale de mécanismes
d’accommodement, comparables à ce que l’on a pu appeler
l’infra-judiciaire15. Ces mécanismes sont mal connus pour le
Paris médiéval, à la différence du Paris du xvie siècle étudié
par Alfred Soman16 et des régions où les arbitrages et
transactions ont laissé plus de traces écrites17. À la différence
des accords homologués à la même époque par le Parlement
de Paris, qui demeurent rares en matière criminelle18, ces
accords passés au Châtelet laissent entrevoir le
fonctionnement d’une justice de compromis sur des cas
criminels à l’intérieur du tribunal royal de la capitale, ce
tribunal qui était investi d’une mission exceptionnelle de
répression s’étendant sur tout le Nord du royaume depuis
1389 et par des ordonnances répétées en 1399, 1401, 1402 et
140719. Ils ont en outre le mérite d’éclairer le processus
d’entérinement de la rémission devant le prévôt royal.
2 Le premier de ces trois accords illustrant les griefs des
notaires contre Le Guyant date du 17 décembre 140420. Il est
passé entre Guillaume et Jehan de Herville d’une part et leur
beau-frère, Jehan de Moustiers d’autre part, à la suite de
coups et blessures portés par ce dernier sur son épouse
Jehanne. Les parties renoncent à tout «  débat  » sur ces
coups et se rapportent à l’arbitrage de deux compositeurs, en
la personne du maître des requêtes de l’hôtel du roi Jehan
Davy et de l’écuyer Guillaume d’Yssy. Le «  compromis  »
prévoit la fin de toutes les poursuites judiciaires entamées
contre Jehan de Moustiers, tant par le Châtelet, dont il est
prisonnier élargi, que par l’officialité, où il est cité en cas de
séparation. La « main » des arbitres se substitue à celle de la
justice royale pour la gestion des biens des parties jusqu’à la
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prochaine fête de Pâques, date à laquelle la sentence


arbitrale, appelée ici « dit et ordonnance », doit être rendue.
Le deuxième accord date du 8 avril 1405 et se présente
comme une quittance par laquelle Pierre Baudouin
«  quitte  » Girardin Touronde, meurtrier de son fils
Thevenin, de «  la mort et occision  » de celui-ci. Prisonnier
au Châtelet, Girardin a obtenu une rémission, à
l’entérinement de laquelle Pierre consent moyennant vingt
livres tournois, dont douze sont payés séance tenante et huit
restent à percevoir. Le troisième accord date de février 1406
et rapporte que Jehanne La Fauconnière a fait battre par son
frère un homme, Jehan de Novion, qui est décédé de ses
blessures. Prisonnière au Châtelet, elle a obtenu une
rémission royale pour ce crime21. Afin de mettre fin aux
poursuites et d’être délivrée, elle passe avec la sœur du
défunt un accord par lequel elle obtient l’entérinement de sa
rémission22 et s’engage à lui verser vingt écus d’or à titre
d’intérêt civil. Ces accords sont entérinés par des lettres de
sentence intitulées au nom du prévôt, rédigées par le clerc
criminel Guyant et revêtues du sceau de la prévôté. C’est
précisément cette faculté du clerc criminel à écrire ou faire
écrire par ses propres clercs et à faire sceller ce type d’actes
volontairement passés entre des parties en procès que
contestaient les notaires. Leurs plaidoiries rappellent ainsi
que depuis le règne de Philippe Le Bel, ils détiennent le
monopole de l’écriture des actes revêtus du sceau de la
prévôté et en particulier des actes émanant de la volonté des
parties23. Les notaires avaient dans un premier temps
contesté ces actes au Châtelet même, devant le lieutenant du
prévôt. Celui-ci ayant écarté leur plainte, ils ont fait appel de
cette sentence au Parlement24. L’arrêt, les plaidoiries et les
accords litigieux montrent la flexibilité de la prise en charge
judiciaire de la violence par la justice royale. D’une part, si
l’usage de la force brutale par les coupables y est en effet
avoué, la violence en elle-même est tue  ; d’autre part, la
réponse judiciaire, ajustée à un objectif de concorde plus que
de répression, semble refouler la violence en l’assimilant à
une dette.
3 Dans les accords eux-mêmes comme dans les plaidoiries et
dans l’arrêt du procès qu’ils ont suscité au Parlement, la
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violence, même homicide, est constamment minorée. Les


preuves rassemblées par les notaires contre le clerc criminel
constituent un petit échantillon d’affaires de coups et
blessures présentant une apparente gradation, allant des
coups et blessures simples à l’homicide prémédité. D’après le
compromis passé avec ses beaux-frères, Jehan de Moustiers
a roué sa femme de « bateures et navreures » dont la gravité
n’est suggérée que dans la plaidoirie de Le Guyant25 et dans
l’arrêt rendu par le Parlement26. L’accord passé par Pierre
Baudouin et Girardin Touronde mentionne «  la mort et
occision par lui perpetree en la personne dudit feu
Thevenin  », que la plaidoirie dit être consécutive à des
coups27. La brutalité de coups ayant entraîné les blessures
mortelles de Jehan de Novion reste tout autant implicite
dans l’accord passé entre l’instigatrice de sa mort et sa
sœur28. Dans les deux derniers cas, l’homicide est certes
nettement qualifié dans l’accord, à la différence du premier
compromis qui ne fait pas la moindre allusion à l’intensité,
quasi-mortelle, des coups portés sur Jehanne de Herville.
Mais l’accord, comme les plaidoiries et l’arrêt en latin sont
imprécis sur les circonstances de l’agression et sur la force
employée29. Au demeurant, dans le troisième cas, la
qualification elle-même du fait incriminé neutralise la
violence de l’acte : il est présenté comme une « occision » et
non comme un « meurtre », c’est-à-dire comme un homicide
non délibéré, bien qu’il s’agisse d’une agression préméditée.
Il s’agirait donc d’un homicide préterintentionnel. Or tant
l’occision que le meurtre, qui se distinguent par l’intention
proprement homicide, sont en principe punis de mort dans
la coutume parisienne contemporaine telle que l’a recueillie
Jacques d’Ableiges30. En outre, une norme royale remontant
au xiiie siècle, que l’on retrouve formulée au xive siècle dans
l’ordonnance de mars 1357, chez Jean Boutillier et à la cour
du Parlement31, rejette toute composition en justice royale
pour un «  meurtre32  ». La qualification de l’acte violent
permet ainsi une objectivation de la violence qui, pour éviter
la qualification d’un crime qui en principe ne peut faire
l’objet d’un accommodement, en atténue la dimension
transgressive. On le voit, le lexique judiciaire de la violence

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s’adapte au mode de traitement du conflit choisi par les


parties et la rabat sur une simple transaction.
4 Cet ajustement du lexique au mécanisme judiciaire révèle la
remarquable flexibilité d’un appareil judiciaire, celui du
prévôt royal de la capitale, pourtant chargé de la répression
des crimes pour l’ensemble du Nord du royaume et pourvu,
on le sait par le « registre » criminel, de procédures pénales
incluant la poursuite d’office, la torture et les peines
capitales. Au Châtelet de cette époque, qui compte deux
auditoires, l’auditoire à val ou chambre des auditeurs pour
les affaires de moins de vingt livres et l’auditoire haut et
ordinaire où siège le prévôt ou son lieutenant, l’homicide, à
la différence des « bateures » simples, relève sans ambiguïté
du prévôt ou de son lieutenant criminel, qui entend et juge
les prisonniers directement « sur les carreaux » du Châtelet,
comme le montre le «  registre  » criminel de 1389-1392. Le
Châtelet n’est pas formellement doté d’un auditoire criminel,
mais Pierre Le Guyant est précisément accusé en 1407-1408,
tant par le clerc civil que par les notaires, d’avoir voulu
mettre en place un nouvel auditoire appelé «  petit
parquet33  ». Il s’est entouré de multiples clercs, organisant
une clergie concurrente de celle du clerc civil, et a
transformé sa « chambre » en « petit parquet », dans lequel
le prévôt ou son lieutenant examine désormais les cas des
prisonniers, l’air y étant moins «  infecté34  ». C’est là aussi
qu’il conserve ses papiers. Il n’y respecte plus la répartition
des écritures en fonction de la nature ordinaire ou
extraordinaire de la matière, mais, en sus de l’écriture des
confessions des prisonniers qui lui revient, il s’est arrogé le
droit d’accomplir des écritures qui revenaient aux notaires
ou au clerc civil. Tout se passe donc comme s’il avait pris
l’initiative de fonder une chambre criminelle pour traiter
certaines affaires, hors des voies judiciaires balisées
qu’étaient au Châtelet les voies ordinaire et extraordinaire et
hors de la voie notariale traditionnelle.
5 Dans les trois cas criminels révélés par les soins des notaires,
l’issue des procès est trouvée dans des lettres formellement
intitulées au nom du prévôt, en fait passées par devant ce
lieutenant criminel, qui révèlent la palette étendue des
mécanismes d’apaisement offerts par ce «  petit parquet  »
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concurrent des notaires et de l’auditoire haut. Elles abritent


en effet des accords de formes diplomatiques variées  : le
premier est une lettre de compromis écrite par le clerc
criminel et par laquelle les parties se rapportent à un
arbitrage ultérieur, le deuxième est une lettre de quittance
directement écrite par le clerc criminel, le troisième est une
lettre de sentence écrite par le clerc et condamnant les
parties à l’accomplissement des termes d’une cédule de
quittance préexistante35. Autrement dit, il s’agit de lettres
prévôtales donnant forme judiciaire à des sorties de procès
sans jugement sur le fond, ni prononcé d’une peine. La
première valide le transfert de l’affaire de la juridiction du
Châtelet à celle, plus informelle, d’arbitres. Les deux autres
contiennent des lettres de quittance et d’obligation, par
lesquelles les parties victimes «  quittent  » les coupables de
dettes contractées par l’occision de deux personnes et les
coupables s’engagent à payer une somme en
dédommagement du crime commis. Entre Jehanne La
Fauconnière et Perrette de Novion, l’accord semble avoir été
trouvé sans recours à des arbitres, par l’intermédiaire
d’«  amis  », ce qui laisse entendre la proximité entre les
protagonistes d’une violence qui a surgi dans l’entre-soi
familial, professionnel ou résidentiel. La sentence d’accord
condamne les parties à l’accomplissement de l’accord, la
coupable au paiement de l’intérêt civil36, conformément à la
rémission, et assortit cette condamnation de clauses de
garantie et de pénalité  : des cautions personnelles, pleiges,
sont constituées à hauteur de l’intérêt prévu, et la coupable
est condamnée à « tenir prison » jusqu’à paiement en cas de
défaillance. Quant à l’accord passé entre Pierre Baudouin et
Girardin Touronde, le clerc criminel semble avoir procédé de
manière encore plus expéditive et c’est pourquoi il figure en
bonne place parmi les arguments des notaires37. Dans sa
plaidoirie, Le Guyant prétendit que cet accord procédait
d’une cédule antérieure reçue par le lieutenant criminel et
que les parties furent condamnées à son accomplissement,
c’est-à-dire qu’il aurait procédé comme pour l’accord entre
Jehanne La Fauconnière et Perrette de Novion. Mais aucun
tiers autre que le clerc criminel n’est mentionné dans le texte
transcrit avec l’arrêt du Parlement et s’il prévoit le paiement
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de huit livres tournois restant de la somme de vingt livres


due par le coupable38 ainsi que l’obligation du coupable de
tenir prison jusqu’à paiement, la lettre prévôtale ne
comporte aucune condamnation et se présente strictement
comme une lettre de quittance et obligation, semblable à une
grosse notariale qui combinerait quittance de la mort et
obligation de payer des dommages39. Le Guyant se substitue
donc au couple de notaires seul apte à rédiger, signer et faire
sceller les conventions reçues par la prévôté royale.
6 Dans les deux cas par lesquels le Châtelet ne se dessaisit pas
d’une affaire au bénéfice d’une autre juridiction, le clerc
criminel a donc emprunté la formule de quittance et
obligation à la diplomatique notariale des conventions. Par
cet emprunt qui ne fait que prolonger l’euphémisation
lexicale de la violence, le clerc criminel du prévôt royal
procède à un déplacement du droit pénal vers le droit des
obligations. Chacun de ces deux accords comporte une
clause particulière garantissant le paiement de la somme
convenue entre les parties, condamnation à tenir prison
pour Jehanne La Fauconnière et obligation de tenir prison
pour Girardin Touronde. L’insertion de cette clause permet
ainsi de préciser l’idée, émise par Claude Gauvard, que la
rémission sous le règne de Charles VI peut être considérée
comme une voie paradoxale de pénalisation de l’homicide40.
Rémission et accord après homicide ne signent en rien une
démission de la justice formelle au bénéfice d’une justice
informelle devant la violence homicide, puisque la justice se
réserve la possibilité de constituer à nouveau prisonnier le
coupable qui se déroberait à ses obligations. Il faut plutôt y
voir une autre manière d’administrer la justice, de traiter la
violence déjà commise et de réguler la violence possible en
prévenant la vengeance par l’accord. C’est là le sens de
l’engagement pris par la sœur de la victime de Jehanne La
Fauconnière, de faire ratifier la quittance par les autres
parents et amis du défunt41, comme le sens de la précision
selon laquelle Pierre Baudouin, en s’arrangeant avec
Girardin Touronde, se «  fait fort […] de tous les autres
parens et amiz charnelz » de son défunt fils.
7 La justice se réserve la possibilité d’intervenir
ultérieurement sur la violence homicide, par la
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condamnation ou l’obligation du coupable à tenir prison en


cas d’inexécution de l’accord. Le greffier procède en fait à la
conversion d’un procès criminel en un accord comportant le
versement de ce qui apparaît dès lors comme une
composition, dont le Châtelet se fait le garant. Le mécanisme
consiste en une contractualisation de la violence, via la
rémission et l’accord, la violence étant convertie en
obligation et en dette42. De fait et par avance, la poursuite
pour dette est ainsi érigée en moyen de sanctionner le crime.
En l’absence des archives criminelles du Châtelet, comme
des archives notariales parisiennes, il est impossible de
préciser la fréquence de l’adjonction de l’engagement de
tenir prison à la composition. Certes, les formulaires des
notaires du Châtelet du début du xvie siècle comportent une
formule de «  brevet d’ung appoinctement d’aucunes
bastures ou navreures » dénuée de la clause d’obligation de
tenir prison43, mais les formules de «  brevet pour prest
d’argent  » et de «  marché de massonnerie  » le sont aussi,
alors que les minutes notariales parisiennes des dernières
années du xve siècle attestent que cette pratique était loin
d’être rare.
8 Cette contractualisation a une raison précise. Si la
pénalisation de l’homicide est loin d’être complète dans le
royaume de France vers 1400, en revanche le roi est parvenu
depuis la fin du xiiie siècle à se faire le garant des dettes
privées et a doté ses juridictions de moyens adéquats, en
particulier de deux institutions, d’abord les sceaux aux
contrats dans le dernier quart du xiiie siècle, puis la prison
pour dette en 130344. Les compositions parisiennes sont
effectivement recouvrables par l’emprisonnement pour
dette. Dans les écrous du Châtelet de 1412, on relève en effet
deux cas de prisonniers arrêtés jusqu’à paiement de dettes
dues au titre d’accords et compositions à la suite de
«  navreures et bateures45  ». Dans les écrous de 1488-1489,
on compte sept dettes liées à des compositions, soit à peu
près une par mois46. Quand il est destiné à forcer le paiement
d’une composition ou d’intérêts civils, l’emprisonnement
pour dette permet de rendre le criminel comptable de son
crime dans son corps. Pour le roi, la contrainte par corps
apparaît comme un mécanisme moyen de pacification de la
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violence, à mi-chemin entre une grâce plénière et une peine.


La procédure de recouvrement de la dette privée par la
juridiction royale acquiert ainsi une position centrale dans le
système judiciaire en dessinant un champ d’action mixte à la
fois civil et pénal47. Elle suggère la continuité entre justice
civile et justice criminelle. On sait la rareté de
l’emprisonnement pénal médiéval hors des juridictions
canoniques. La contrainte par corps, entrée formellement
dans le droit royal par l’ordonnance de réforme de mars
130348, a peut-être contribué à acclimater cette peine de
prison dans les juridictions laïques. La condamnation à tenir
prison en cas de défaut d’accomplissement d’un accord, que
celui-ci prévoie le paiement de l’intérêt civil après une
rémission ou le paiement d’une composition, anticipe une
peine de prison et en même temps réfère la violence à une
dette contractée par le coupable à l’égard de sa victime.
9 Il faut toutefois revenir à la source de ces documents, à
savoir l’arrêt du Parlement qui condamne les méthodes du
clerc criminel. Après une information sur la manière dont les
offices de clercs et de notaires s’exerçaient par le passé qui
est ordonnée par la cour en juillet 1406, l’arrêt donne raison
aux notaires, interdit au clerc criminel de faire désormais de
telles lettres d’accord et le condamne simplement aux
dépens des notaires. Mais, ce faisant, il ne condamne en rien
ces pratiques qui rabattent le droit pénal sur le droit des
obligations. La défense de Le Guyant sur le principal a
affirmé que les notaires ne pouvaient se mêler de faits
judiciaires. Selon lui, ils ne devaient se charger que des
lettres de convention passées devant eux volontairement par
les parties et hors de tout jugement. Un accord intervenant
entre un coupable et la victime après un crime et alors que la
justice avait été saisie, par exemple après un
emprisonnement, était selon lui assimilable à un
appointement donné par le juge et devait donc être écrit et
enregistré par le clerc du juge et plus précisément par le
clerc criminel dans un cas criminel. La réplique des notaires
a joué habilement sur la nature «  volontaire  » des actes
notariaux  : selon eux, les trois accords contentieux étaient
des actes volontaires, consentis par les parties hors de toute
contrainte du juge et en conséquence passés devant les
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personnes publiques jurées que sont les notaires. Selon eux,


la présence du juge à ces accords, sur laquelle Le Guyant a
insisté, comme l’existence d’une condamnation des parties à
respecter l’accord, importent peu et ne modifient pas la
nature essentiellement volontaire de ces actes qui reposent
sur le consentement mutuel des parties. Le procureur du roi
au Parlement s’est adjoint aux notaires, sans se prononcer
sur ce débat quant à la nature «  volontaire  » ou judiciaire
des accords en matière criminelle, mais au nom du seul
trouble à l’ordre traditionnel du Châtelet provoqué par les
pratiques de Le Guyant. Les notaires en obtenant gain de
cause contre Le Guyant entérinent ainsi une définition de
l’office de notaire qui repose sur la nature volontaire des
actes civils et criminels qu’ils écrivent et a contrario une
définition de l’office de clerc en tant que scribe de la volonté
du juge souverain qui tranche dans le vif des dissensions
entre personnes. Ces définitions clarifient la répartition des
écritures afférentes aux entérinements de rémission en
réservant les accords après rémission aux notaires. Elles
tendent aussi à dramatiser l’office de juge et la notion de
jugement, en éloignant celle-ci de l’arbitrage et en la colorant
d’une touche de contrainte. Mais elles n’affectent en rien la
validité d’accords notariés en matière criminelle qui sont
voulus par la grâce royale.
10 Tue, la violence homicide est prise dans les rets d’une
qualification qui autorise à la fois la rémission et l’accord.
Ramenée au statut de dette, elle est traitée par une justice de
compromis, qui cale ses procédures sur celles définies pour
l’exécution des contrats. Cette justice de compromis est
l’auxiliaire de la justice royale de terreur mise en scène dans
le papier criminel d’Aleaume Cachemarée. Ce faisant, le
judiciaire ne laisse pas échapper la violence, car la contrainte
de prison prévue pour le paiement de cette dette très
particulière qu’est l’intérêt civil ou la composition lui réserve
la possibilité de se saisir ultérieurement du corps du
coupable à défaut de pouvoir le pendre. Est-on dès lors
fondé à voir dans la contrainte par corps une voie détournée
de la difficile criminalisation de l’homicide ? En tout cas, un
signe que la violence déborde le droit pénal parisien des xive

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et xve siècles et que le judiciaire s’en saisit au-delà des


possibilités offertes par les seules procédures criminelles.
Encadré 1. Lettre de l’accord passé entre Jehanne La
Fauconniere et Perrette de Novion

Extraite de l’arrêt du Parlement prononcé le 28 janvier 1408


contre le clerc criminel du Châtelet Pierre Le Guiant, en
faveur des notaires du Châtelet de Paris.

A., Archives anciennes de la Chambre des notaires de Paris,


carton 2, liasse n° 5

R. X1A 55, f° 122 v.-124

Y 1, f° 160-162, collation faite par Jehan Doulx-Sire.

éd. S.-F. Langloix, Traité des droits, privileges et fonctions


des conseillers du roy, notaires, gardes-notes et gardes-scel
de sa majesté au Châtelet de Paris avec le recueil de leurs
chartres et titres, Paris, 1738, p. 318-319.

[…] Item A tous ceulx qui ces presentes lettres verront,


Guillaume, seigneur de Tignonville chevalier chambellan
conseiller du roy nostre sire et garde de la prevosté de Paris
salut. Comme le dimenche vint quatre jours de may l’an de
grace mil quatre cens et cinq Jehannette La Fauconniere
chamberiere servant demourant a Paris pres de la porte
Baudet eust esté emprisonnee es prisons du roi notre sire ou
Chastellet de Paris, pour ce qu’elle avoit fait batre et navrer
par un sien frere un appellé Jehan de Novion varlet
chaussetier demourant audit lieu en l’ostel de Jaquet
Alargent si comme l’en disoit, pour raison desquelles
navreures ledit Jehan de Novion etoit alé de vie a
trespassement, et apres ledit emprisonnement fait laditte
Jehanne nous eust presenté certaines lettres de remission
par elles impetrees du roy notre sire sur ledit cas scellees de
son grant scel en las de soye et cire vert, lesqueles lettres de
remission ladite Jehannette nous eust presentees requerant
l’enterinement d’icelles. Savoir faisons que au jour dui
comparans en jugement pardevant nous oudit Chastellet
Perrette de Novion seur germaine naturele et legitime si
comme elle disoit dudit feu Jehan de Novion d’une part, et
ladite Jehannette La Fauconniere prisonniere oudit
Chastellet pour ledit cas d’autre part, icelles parties qui
estoient ou esperoient estre en proces pardevant nous l’une
contre l’autre sur le fait et cas dessusdiz, nous ont baillé et
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presenté une cedule de papier faisant mention de certains


traittiez et accors faiz entre elles sur ce que dit est [f° 123] de
laquele cedule la teneur s’ensuit de mot a mot. «  Comme
plait et proces soit meu ou esperé a mouvoir ou Chastellet de
Paris, par devant le prevost de Paris, entre Perrette de
Novion sur germaine naturele et legitime de feu Jehan de
Novion d’une part, et Jehannette La Fauconniere a present
prisonniere oudit Chastellet d’autre part pour raison de la
mort et occision perpetree en la personne dudit Jehan de
Novion pour lequel cas ladite Jehannete estoit prisonniere
oudit Chastellet, et sur lequel cas elle avoit obtenu et impetré
du roy nostre sire certaines lettres de remission scellees en
las de soye et cire vert desqueles elle s’estoit aidee en
jugement, finablement icelles parties apres ce que ladite
Perrette de Novion informee de la verité du cas, et des droiz
qu’elle a et peut avoit en ceste partie, ont traittié et accordé
ensemble par le moyen d’aucuns de leurs amis pour eschever
tous plaiz et proces en la forme et maniere qui s’ensuit,
c’estassavoir que laditte Perrette de Novion en son nom et
comme soy faisant fort en ceste partie de tous les autres
parens et amis dudit feu Jehan de Novion soient freres seurs
ou autres parens et amis, quittent purement bonnement et
absolument a tousiours ladicte Jehannete La Fauconniere
ses biens ses hoirs et ayans cause de la mort et occision
perpetree en la personne dudit feu Jehan de Novion son
frere, et tout ce qu’elle et les autres parens et amiz d’icelui
feu Jehan de Novion lui pourroient demander ores ou ou
temps a venir en quelque maniere que ce feust, sans riens en
excepter, et de ce que dit est garantir et desdommager a ses
propres coux et despens ladicte Jehannette La Fauconniere
ses biens ses hoirs et ayans cause touteffoiz que mestier en
sera, et en oultre faire ratiffier passer et accorder ladicte
quittance par les autres parens et amis touteffoiz que requise
en sera, et avec ce ladicte Perrette esdiz noms se consent par
ces presentes a la delivrance de ladite Jehannette, de tous
ses biens et cautions et a l’enterinement de sesdites lettres de
remission, voulant et consentant que icelles ses lettres de
remission lui soient enterinees et acomplies de point en
point selon leur forme et teneur au regard d’elle et dudit feu
Jehan de Novion, moyennant et parmi ce que ladicte
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Jehannette La Fauconniere paiera et sera tenue de paier a


ladicte Perrette pour raison de l’interest civil d’icelle Perrette
et pour les autres choses dessusdictes la somme de vint escus
d’or de dixhuit solz parisis piece en ceste maniere,
c’estassavoir presentement six escuz d’or, lesquelz seront
prins sur les biens de ladite Jehannette La Fauconniere
estans en la main du roy nostre sire pour raison dudit cas et
sur tous ses autres biens lesquelx ladite Jehannette La
Fauconniere veult et consent par ces presentes estre pour ce
vendus et delivrez sans jour et sans terme a l’acheteur plus
offrant et derrenier encherisseur et les deniers qui en ystront
ladicte Perrette estre premierement paiee d’icelle somme de
six escus, et quant au surplus le paier en ceste maniere,
c’estassavoir a chacun des quatre termes en l’an a Paris
acoustumez deux escuz d’or jusques en fin de [f° 123 v.]
paiement a commencer a paier pour le premier terme a
Pasques prouchain venant, et pour seurté du paiement
d’icelui seurplus ladite Jehannette La Fauconniere baudra
caution des personnes cy apres nommees, c’estassavoir
Bertran Harel et Katherine de La Court lesquelz obligeront,
c’estassavoir ledit Bertran tous ses biens et son corps a
mettre et tenir en prison fermee, et ladite Katherine tous ses
biens seulement, a paier a ladicte Perrette esdiz noms ledit
seurplus montant a quatorze escuz d’or aux termes et par la
maniere que dit est comme pour leur propre fait et debte. »

Et partant lesdites parties se departent de tous proces


voulans icelles parties estre par nous condempnees a tenir
enteriner et acomplir l’une envers l’autre les traittiez et
accords faiz entre elles dont mention est faite en la cedule cy
dessus transcripte de point en point selon la forme et teneur
d’icelle cedule, et pour ce nous de leur accord et
consentement les avons condempnez et condempnons a ce
faire tenir enteriner et acomplir l’une envers l’autre, et
mesmement ladicte Jehannette La Fauconniere a tenir
prison pour l’acomplissement d’icelles choses par nostre
sentence et par droit, et a ce faire ont esté presens en
jugement pardevant nous oudit Chastellet Bertran Harel et
Katherine de La Court demourant a Paris derrieres Saint
Denis de la chartre nommez en ladicte cedule dessus
transcripte, lesquelx pour ladicte Jehannette et a sa requeste
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se sont constituez en nostre presence et constituent par ces


presentes pleiges et cautions envers ladicte Perrette de la
somme de quatorze escuz d’or du coing du roy nostre sire de
XVIII s. p. piece, des deniers de la somme contenue oudit
accord, laquele somme de quatorze escuz lesdiz Bertran et
Katherine et chacun pour le tout ont promis et gaigé en
nostre presence promettent et gaigent par ces presentes
rendre et paier a ladicte Perrette aux termes declarez en
ladicte cedule pour les causes contenues en icelle comme
pour leur propre fait et debte avecques tous coux mises
despens dommages et interestz qui faiz et soustenuz seront
par default de leur paiement ou autrement par leur fait et
coulpe pour raison des choses dessus-dictes ou aucune
d’icelles non enterinees et acomplies, sur l’obligation de tous
leurs biens et des biens de leurs hoirs meubles et immeubles
presens et a venir, lesquelz ils ont soubzmiz et soubzmettent
par ces presentes pour ce du tout a la jurisdiction et
contrainte de la prevosté de Paris et de toutes autres justices
soubz qui juridiction ils seront et pourront estre trouvez, et
mesmement ledit Bertran son corps a tenir et mettre en
prison fermee oultre le guichet dudit Chastellet, et par tout
ailleurs a ses coux et despens, renonçans lesdiz Bertran et
Katherine par leurs seremens et par la foy de leurs corps
pour ce baillee corporelment en nostre main a toutes
exceptions de deception de mal de fraude barat lesion
circonvention et d’ignorance a toutes barres cauteles
cavillations raisons defenses oppositions, a tout droit escript
et non escript canon et civil, a toutes lettres d’estat de respit
dispensations et absolutions et autres quelzconques, et a
tout ce generalment qui tant de fait comme de droit de us et
de coustume aidier et valoir leur pourroit pour aler [f° 124]
faire ou dire contre la teneur de ces lettres ou aucunes des
choses dedens contenues, et au droit disant general
renonciation non valoir, et mesmement ladite Katherine au
benefice du senat consult velleian a l’espitre du divi adrian,
et a tous autres droiz faiz et introduiz en la faveur des
femmes. Et neantmoins nous de l’accord et consentement
desdiz Bertran et Katherine avons condempné et
condempnons iceulx Bertran et Katherine aux choses
dessudictes par eulx promises faire tenir enteriner et
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acomplir envers ladicte Perrette par nostre sentence et par


droit. En tesmoing de ce nous avons fait mettre a ces lettres
le scel de la prevosté de Paris. Ce fut fait et passé en
jugement oudit Chastelet par lesdictes Perrette et
Jehannette, et aussi par ledit Bertran le lundi premier jour
de fevrier et par ladicte Katherine le jeudi quatre jours dudit
mois de fevrier, l’an de grace mil quatre cens et cinq. Ainsi
signé en la marge de dessoubz, P. Le Guiant.

Notes
1. Le livre coté aux Archives nationales de France, Ancien Y 10531,
musée des Archives nationales AEII 414, et publié (Registre criminel du
Châtelet de Paris du 6 septembre 1389 au 18 mai 1392, H. Duplès-
Agier éd., Paris, 1861-1864) est l’œuvre du clerc du prévôt, Aleaume
Cachemarée. Ce «  registre  » a longtemps été la principale source de
l’histoire de la criminalité parisienne médiévale. Or, il présente nombre
d’aberrations dans la «  statistique  » judiciaire médiévale, en particulier
une surreprésentation manifeste du crime de vol et de la peine de mort.
Claude Gauvard a montré qu’il s’agissait non pas d’un registre, mais d’un
recueil factice de procès (C. Gauvard, « De grace especial ». Crime, État
et société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la
Sorbonne, 1991, t. 1, p. 34-35). Désormais, la mention du lieu de
conservation sera omise, les documents d’archives ici cités étant tous
conservés aux Archives nationales de France.
2. Suspendant provisoirement la nécessaire réflexion sur la définition de
la «  violence  », qui n’est ni un objet stable ni même une qualification
médiévale, ces pages, conformément aux vœux des promoteurs du
colloque, proposent une approche détournée et étroitement
contextualisée d’une certaine violence physique interpersonnelle, en
considérant son traitement par la justice royale de Paris vers 1400.
3. B. Geremek, Les marginaux parisiens aux xive et xve siècles, Paris,
Flammarion, 1976, rééd. Flammarion, 1991, p. 62-67.
4. «  Fragments d’un registre d’écrous du Châtelet de Paris, 1412  », C.
Gauvard, M. et R. Rouse et A Soman, « Le Châtelet de Paris au début du
xve siècle d’après les fragments d’un registre d’écrous de 1412  »,
Bibliothèque de l’École des Chartes, 157, 1999, annexe, p. 593-606  ; Y
5266, 14 juin 1488-31 janvier 1489.
5. B. Geremek, op. cit., p. 67-75.
6. C. Gauvard, «  De grace especial  »…, op. cit., t. II, p. 241-242 et p.
250 : 57 % des criminels obtenant une rémission sous le règne de Charles
VI ont commis un homicide, ce taux est de 45  % pour les criminels
originaires de l’Île-de-France.

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7. A. Tuetey, Inventaire analytique des livres de couleur et bannières


du Châtelet de Paris, Paris, 1899.
8. Y 1, livre Doulx-Sire. Selon A. Tuetey, ibid., Introduction, t. II, p.
XXVIII : « Selon toute apparence, le registre qu’il nous a laissé eut pour
base un recueil de règlements concernant le style du Châtelet, qu’il avait
formé pour son usage personnel. »
9. Sur ce point, nous nous permettons de renvoyer à J. Claustre, Dans
les geôles du roi. L’emprisonnement pour dette à Paris à la fin du
Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 2007, p. 154-158.
10. Y 1, f° 100-164 v.
11. Y 1, f° 152 v.-162.
12. X1A 55, 117-124. Une expédition originale se trouve dans les archives
anciennes de la Chambre des notaires de Paris, carton 2, liasse n° 5.
13. S.-F. Langloix, Traité des droits, privileges et fonctions des
conseillers du roy, notaires, gardes-notes et gardes-scel de sa majesté
au Châtelet de Paris avec le recueil de leurs chartres et titres, Paris,
1738, p. 306-319.
14. Les plaidoiries sont datées des 1er et 15 juillet 1406, X1A 4787, f° 379-
379 v. et f° 387 v.-389, G. Fagniez, «  Fragment d’un registre de
jurisprudence parisienne au xve siècle  », Mémoires de la Société de
l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, 17, 1890, n° 93 et 95, p. 43-47.
15. B. Garnot (dir.), L’infrajudiciaire du Moyen Âge à l’époque
contemporaine. Actes du colloque de Dijon (5-6 octobre 1995), Dijon,
EUD, 1996.
16. A. Soman, «  L’infra-justice à Paris d’après les archives notariales  »,
Histoire, économie, société, 1, 1982, p. 369-375.
17. X. Rousseaux, «  Entre accommodement local et contrôle étatique  :
pratiques judiciaires et non judiciaires dans le règlement des conflits en
Europe médiévale et moderne  », ibid., p. 8 7-107  ; Y. Bongert,
Recherches sur les cous laïques du xe au xiiie siècle, Paris, 1949, p. 98-111
et p. 159-170  ; H. Platelle, «  Mœurs populaires dans la seigneurie de
Saint-Amand, d’après les documents judiciaires de la fin du Moyen
Âge  », Revue Mabillon, 48, 1958, p. 20-39 et Id., La justice de la
seigneurie de Saint-Amand. Son organisation judiciaire, sa procédure
et sa compétence du xie au xvie siècle, Paris, 1961  ; B. Guenée,
Tribunaux et gens de justice dans le bailliage de Senlis à la fin du
Moyen Âge (vers 1380-vers 1550), Strasbourg, 1963, p. 117-132  ; Y.
Jeanclos, L’arbitrage en Bourgogne et en Champagne du xiie au xve
siècle. Étude de l’influence du droit savant, de la coutume et de la
pratique, Dijon, 1977  ; W. F. Leemans, «  “Juge ne peut accepter
arbitrage”. L’application de cette règle dans la principauté d’Orange et
une sentence arbitrale en langue provençale  », Tijdschrift voor
Rechtsgeschiedenis, 46-2, 1978, p. 99-116  ; M. Bouchat, «  La justice

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privée par arbitrage dans le diocèse de Liège au xiiie siècle », Le Moyen


Âge, 95, 1989, p. 439-474  ; Id., «  Procédures juris ordine observato et
juris ordine non observato dans les arbitrages du diocèse de Liège au
xiiie siècle », Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis, 60, 1992, p. 377-391.
18. C. Gauvard, op. cit., t. I, p. 21.
19. C. Gauvard, op. cit., t. I, p. 231-232. Le prévôt royal est ainsi déclaré
en 1401 «  refformateur, juge et commissaire espécial en ceste partie  »
«  es fi ns et mettes de la prevosté et vicomté de Paris, des bailliages de
Vermandoiz, d’Amiens, de Senz, de Rouen, de Senliz, de Meaulx, de
Meleun, de Chartres, de Mante, comme es parties de Normandie, de
Picardie et aillieurs oudit royaume  » contre les «  larrons, murdriers,
espieurs de chemins, ravisseurs de femmes, violeurs d’eglise, bateurs à
loyer, cabuseurs, joueurs de faulx dez, trompeurs, faulx-monnoyers et
autres malfaicteurs ». Il obtient « plain pouvoir, auctorité et mandement
espécial de prendre et faire prendre partout nostredict royaume yceulx
malfaicteurs en quelque lieu et jurisdiction que trouvez pourront estre,
hors lieu saint.  » Y 2, f° 191, Ordonnances des roys de France, Paris,
1723-1849, t. VIII, p. 443.
20. X1A 55, f° 121-122 ; Y 1, f° 158.
21. Le texte de ce troisième accord est proposé en pièce justificative
(encadré 1).
22. La rémission de Jehanne La Fauconnière et celle de Girardin
Touronde ne figurent pas dans les registres du Trésor des chartes, il
semble donc qu’elles n’aient pas fait l’objet d’un enregistrement par la
chancellerie qui n’avait d’ailleurs aucun caractère d’obligation.
23. X1A 4787, f° 379, 1er juillet 1406 et X1A 4787, f° 388  : «  […] et dient
que par ordonnance royal y doivent estre LX notaires, qui ont puissance
certeine limitee de passer toutes lettres a passer de voluntate parcium. »
24. Le détail de la procédure est le suivant. Les notaires se sont opposés
au scellage de la lettre d’accord de Jehanne La Fauconnière et ont
demandé un délai pour produire leurs causes d’opposition. D’après la
plaidoirie de Le Guyant, le lieutenant du prévôt a accepté d’entendre plus
tard les notaires, mais il a ordonné le scellage de la lettre « pour la hate
qu’avoit partie  ». Les notaires ont fait appel au Parlement de cet
appointement, appel dont ils ont demandé ensuite la conversion en
opposition. L’arrêt de la Cour leur donne satisfaction en annulant sans
amende l’appel et en déclarant que les notaires se sont opposés à juste
raison au scellage des lettres.
25. X1A 4787, f° 387 v. : « Dit que une femme, suer de ceulx de Herville
avoit noise a son mari qui l’avoit batue enormement… »
26. X1A 55, f° 118 v. et Y 1, f° 154 v. mentionne des coups mortels  : in
uxorem suam usque ad mortem eam verberando sevierat.

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27. X1A 4787, f° 387 v. : « Dit que P. Baudoin eut un filz que Torode bati à
mort… ». L’arrêt n’est pas plus précis, X1A 55, f° 118 v. et Y 1, f° 154 v. :
Dictus Gerardus Thevenium Balduini interfecerat…
28. Voici les termes de l’accord, X1A 55, f° 122 v. et Y 1, f° 160  : «  Elle
avoit fait batre et navrer par un sien frere un appellé Jehan de Novion
[…] pour raison desquelles navreures ledit Jehan de Novion etoit alé de
vie a trespassement. »
29. La plaidoirie de Le Guyant se contente d’indiquer que « Jehanne La
Fauconniere fit batre a mort J. de Noyon », X1A 4787, f° 387 v.  ; l’arrêt
évoque pro patrato homicidio Parisius in personam Johannis de Novion
predicte Perrete fratris ex altera initum et factum, X1A 55, f° 118 v. et Y 1,
f° 154 v.
30. E. Laboulaye et R. Dareste (éd.), Le Grand Coutumier de France,
Paris, 1868, livre IV, chap. viii, «  De haulte justice  », p. 637  : «  Et
[aucuns] mettent différence entre meurtre et occision. Car l’en dit
meurtre quant le fait est advenu scientement, et apensément, ou par
aguet, et lors est faict de haulte justice. Mais occision est dit quant le faict
n’est mie advenu de propos délibéré ou apensé, mais est fait
chauldement, et lors n’est le fait que de moyenne justice, c’est assavoir de
pendre seulement. Mais les autres trois cas précédens sont de traîner et
de pendre. »
31. L’accord en cas d’homicide est contesté au Parlement en 1376 par le
procureur du roi : C. Gauvard, op. cit., t. I, p. 22 et n. 17.
32. J.-M. Carbasse, « Philippe III le Hardi et les “mauvaises coutumes”
pénales de Gascogne (à propos de l’ordonnance de juillet 1280)  »,
Hommages à Gérard Boulvert, Nice, Centre d’histoire du droit, 1987, p.
153-162.
33. Une note du greffier du Parlement, Nicolas de Baye, faite à l’occasion
d’un accord passé entre le clerc civil et le clerc criminel, précise : « Et se
informeront aussy sur le nouvel auditoire fait oudit Chastellet  » (16
février 1407), Journal de Nicolas de Baye, greffier du Parlement de
Paris, 1400-1417, A. Tuetey (éd.), Paris, Société de l’histoire de France,
1885-1888, t. I, p. 186. L’accord est finalement passé en avril 1407, Y 1, f°
40-44. Sur le tribunal du Châtelet autour de 1400, voir J. Claustre,
Dans les geôles du roi…, op. cit, p. 51-62 et p. 145-154.
34. X1A 55, f° 119 ; Y 1, f° 156.
35. X1A 55, f° 122 v. et Y 1, f° 160 : « […] nous ont baillé et presenté une
cedule de papier faisant mention de certains traittiez et accors faiz entre
elles.  » L’existence de la cédule suppose le recours à un écrivain, peut-
être à l’un de ces clercs au service du clerc criminel que les notaires
dénonçaient comme ignorants.
36. Sur la satisfaction faite à partie «  civilement  » requise par la
rémission, voir Y. Bongert, «  Rétribution et réparation dans l’ancien
droit français  », Mémoires de la société pour l’histoire du droit et des
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institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands.


Études d’histoire du droit médiéval en souvenir de Josette Metman,
fasc. 45, 1988, p. 59-107, ici p. 60, p. 73, n. 4 ; p. 75, n. 3 et 4 ; p. 80.
37. C’est le premier exemple d’acte volontaire passé par le clerc criminel
retenu comme argument recevable par l’arrêt de la cour, X1A 55, f° 117 v.,
Y 1, f° 153.
38. Dans ce cas, la somme n’est pas dénommée « intérêt civil ».
39. Les formulaires des notaires du Châtelet du début du xvie siècle
comportent des formules de «  brevet d’ung appointement d’aucunes
bastures ou navreures  » et de «  quictance de la mort advenue a aulcun
personnaige », « Le stille des notaires du roy nostre sire ou Chastellet de
Paris et d’ailleurs contenant la maniere de faire les contractz  », Le
prothocolle des notaires, tabellions, greffi ers, sergens et autres
praticiens de court laye, Paris, imprimé par Pierre Le Ber, v. 1518, f° 30
v.-31 et 44-44 v. ; « Prothocolle du stille des notaires du roy nostre sire
ou Chastellet de Paris », Le prothocolle des notaires tabellions greffiers
et sergens, Paris, chez Galiot du Pré, 1528, f° 36-36 v. et 56.
40. C. Gauvard, « Violence licite et violence illicite dans le royaume de
France à la fin du Moyen Âge », Memoria y Civilización, 2, 1999, p. 87-
115, repris dans Violence et ordre public au Moyen Âge, Paris, Picard,
2005, p. 277 (coll. « Les médiévistes français », n° 5).
41. «  Garantir et desdommager a ses propres coux et despens ladicte
Jehannette La Fauconniere. »
42. De manière significative, les formules de «  brevet d’ung
appointement d’aucunes bastures ou navreures » du début du xvie siècle
citées en n. 39 nomment «  creancier  » la victime des coups et
« debiteur » l’auteur des coups.
43. Voir n. 39.
44. Faute de pouvoir ici fournir le détail de ces innovations majeures,
nous renvoyons à J. Claustre, Dans les geôles du roi, op. cit. C’est sans
doute au Châtelet de Paris que l’institution de l’emprisonnement pour
dette est la plus aisément observable, voir J. Mayade-Claustre, «  Le
prisonnier pour dette et les officiers du Châtelet (Paris, début du xve
siècle) », B. Garnot (dir.), Les crimes et les peines pécuniaires du xiiie
au xxie siècle, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2005, p. 131-141 ;
et Id., « Le petit peuple en difficulté : la prison pour dettes à Paris à la fin
du Moyen Âge », P. Boglioni, R. Delort et C. Gauvard (dir.), Le petit
peuple dans l’Occident médiéval. Terminologies, perceptions, réalités,
actes du Congrès international tenu à l’université de Montréal, 18-23
octobre 1999, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, p. 453-466.
45. Anthoine Polart doit 36 s. p. à Jaquet Laurens en raison d’une
«  navreure  », «  Fragments d’un registre d’écrous…  », op. cit., n° 22, p.
597 ; Thevenin Corion doit 54 s. p. à Jehannette la Contesse en raison de
« certaines injures et batteures », ibid., n° 51, p. 603.
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46. L’origine du conflit ayant débouché sur la composition est indiquée


dans six cas sur sept. L’un est consécutif à des «  bateures  »  : Jehan
Charrier est arrêté le 8 octobre 1488 pour une composition de 32 s. p.
passée le 17 juin et consécutive à des « bateures et navreures » sur Pierre
David, il est élargi au bout d’une semaine, Y 5266, f° 117.
47. D. L. Smail, The Consumption of Justice. Emotions, Publicity and
Legal Culture in Marseille, 1264-1423, Ithaca/Londres, Cornell UP,
2003, p. 190, conclut à la même centralité du système de recouvrement
des dettes dans les juridictions marseillaises du xive siècle, à partir de la
fréquence tout à la fois de la contumace en cas criminel, de l’amende
infligée au contumace et de la saisie des biens à laquelle elle ouvre droit.
Même s’il considère que la coercition publique y a d’abord pris pour
point d’application les biens, et non le corps (p. 161-162), il relève
également, p. 193  : Bodies were most liable to coercive force when a
debt was at stake. Comme à Paris, il était apparemment plus aisé de
prendre le corps pour des cas de dette que pour des cas criminels, d’où la
recherche de la conversion de ceux-ci en ceux-là.
48. Ordonnances des roys de France de la troisième race, t. I, Paris,
1723, p. 356, art.

Auteur

Julie Mayade-Claustre
Du même auteur

Le petit peuple en difficulté  : la


prison pour dettes à Paris à la
fin du Moyen Âge in Le petit
peuple dans l’Occident
médiéval, Éditions de la
Sorbonne, 2002
© Presses universitaires de Rennes, 2008

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Référence électronique du chapitre


MAYADE-CLAUSTRE, Julie. «  Bateures, navreures et occision  »  : le
prévôt de Paris face à la violence vers 1400 In  : La violence et le
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judiciaire : Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques


[en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4986>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4986.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
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La violence et le judiciaire

Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,


pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

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Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

Les limites du
pardon des
violences dans les
lettres de
e
rémission du xv
siècle
Pierre Charbonnier
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p. 61-74

Texte intégral
1 Les lettres de rémission, qui présentent de très nombreux
exemples de crimes, peuvent être considérées comme une
voie intéressante pour traiter de la violence. On débutera ce
travail par une rapide présentation des lettres de rémission,
puis on précisera quels types de violence seront pris en
considération. Dans une troisième partie on indiquera
quelles limites peuvent être tracées à partir des lettres et
dans une quatrième on confrontera les types de violence à
ces limites, à partir d’un corpus de 1  200 lettres. Enfin, on
envisagera l’évolution et la répartition géographique des
violences.

Les lettres de rémission


2 Dans ces lettres le roi se plaçant au-dessus des justices
ordinaires accorde son pardon à un coupable. Cette formule
est très avantageuse pour ce dernier car elle le rétablit
pleinement dans ses droits et elle est en fait peu coûteuse.
En tout cas de petites gens en ont bénéficié. La lettre royale
reprend le texte par lequel le coupable a décrit son forfait
d’une façon généralement très détaillée. On pourrait avoir
des doutes sur la véracité de cette présentation si le
suppliant, pour bénéficier de sa grâce, n’était pas obligé de
faire entériner sa lettre au cours d’un procès qui se déroulait
devant le sénéchal du lieu du crime et en présence des
parents de la victime. Aussi les historiens qui ont travaillé
sur les lettres de rémission ont admis qu’elles ne
s’éloignaient pas beaucoup de la vérité1.
3 Il convient toutefois de noter que les lettres de rémission ne
peuvent embrasser la totalité de la criminalité. Pour qu’il y
ait rémission, il faut en effet qu’il y ait un coupable connu, ce
qui n’était sans doute pas toujours le cas. Il fallait aussi que
celui-ci sollicite sa rémission. En effet, la fuite lui permettait
de se trouver en sécurité pour peu que son point de chute fût
assez éloigné du lieu de son forfait. En fait, c’est le désir de
revenir chez eux qui pousse certains à solliciter leur
rémission.
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4 Un corpus de 1 200 lettres a été constitué entre 1446 et 1483,


de la reprise de la série émanant de Charles VII à la mort de
Louis XI, sur près de 10  000 accordées pendant cette
période2. Le choix a été dicté d’abord par la disponibilité des
registres et ensuite par la recherche d’un équilibre entre les
registres de la Cour et ceux du Palais. Les premiers
correspondent aux lettres octroyées par le roi et son
entourage. Les lettres du second étaient traitées par des
maîtres de requêtes à Paris. La géographie des régions
concernées varie selon cette double origine. La Cour recevait
des demandes de toute la France. Le Palais connaissait
essentiellement des affaires du Nord et de la région
parisienne. De nombreux autres registres ont été dépouillés.
Ils pourront fournir des exemples intéressant le sujet traité.

Les types de violences


5 On a retenu pour cette étude les violences physiques faites
aux personnes. D’ailleurs, il n’y a point de lettre visant
seulement des injures entre particuliers. On peut distinguer
deux grands groupes parmi les violences, selon qu’elles ont
ou n’ont pas entraîné la mort, plus les lettres «  non
violentes ». Parmi les violences n’ayant pas entraîné la mort
on distingue quatre cas :

Viols. On rappellera à leur propos la tension sexuelle


existant alors pour beaucoup de jeunes hommes obligés
de retarder leur mariage dans l’attente d’un revenu
permettant de fonder une famille et se heurtant à la
concurrence de deux groupes sociaux célibataires, les
hommes de guerre et les gens d’Église.
Rapt. On a retenu à ce titre des affaires liées à la volonté
d’épouser une jeune fille contre son gré.
Coups et blessures appelées dans les textes « battures ».
Celles-ci apparaissent fort nombreuses. On a rencontré
le cas d’un suppliant qui avant de commettre un
homicide a participé à trois autres battures.
Un cas particulier des coups et blessures concerne ceux
qui sont liés à un vol, c’est-à-dire que le ou les
coupables ont agi ouvertement en recourant à la
violence pour enlever les biens de la victime et non
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furtivement. Parmi les violences ayant entraîné la mort


on distingue cinq cas :
Accidents. Ils relèvent principalement soit de problèmes
de circulation et concernent dans ce cas de jeunes
enfants, soit de flèches égarées au cours d’un tir à l’arc.
Excès de justice. Des exécutions judiciaires peuvent être
tenues pour exagérées et ceux qui en avaient pris la
responsabilité demandaient une rémission. On a rangé
aussi dans cette rubrique les décès survenus au cours
d’une arrestation.
Infanticides. Il n’existait pas alors de méthodes de
contraception et d’avortement très au point.
Il reste à envisager l’homicide et le meurtre, actions qui
ne sont pas faciles à distinguer. L’homicide découle
d’une «  batture  » qui a mal tourné. Souvent la victime
avait survécu plusieurs jours. Le traitement des plaies
était alors bien imparfait et l’on pouvait invoquer «  le
mauvais comportement » du défunt après la batture.

6 Dans un homicide, la victime était le plus souvent présentée


comme l’agresseur, étant munie d’armes « invasibles » alors
que le suppliant n’avait pour se défendre qu’une pierre ou
son «  petit coutel à couper pain  ». Si, au contraire, le
suppliant admet avoir pris l’initiative de l’affrontement, il
peut du moins invoquer la «  chaude colle  », c’est-à-dire la
colère provoquée par les paroles de son adversaire ou
simplement par sa vue quand il y a un lourd contentieux
entre les deux hommes. En tout cas il souligne qu’il n’y a pas
eu «  guet apensé  », c’est-à-dire «  réfléchi  », lequel
impliquerait préméditation et donc meurtre.
7 Ce dernier type de crime implique la volonté d’éliminer un
individu. Les motivations du suppliant peuvent être
diverses  : se débarrasser d’un rival, mari ou amant,
s’emparer des biens du défunt ou réduire au silence un
témoin gênant. Le meurtre se déroule en secret et l’on peut
alors se demander comment le coupable a été découvert. Il
semble que ce soit sa fuite et le profit qu’il retirait du crime,
qui l’ont désigné le plus souvent. L’assassin peut agir de lui-
même ou recourir à un contrat. On peut aussi faire
intervenir d’autres critères comme le rapport des forces. On
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a ainsi classé dans les meurtres les lettres où sans qu’il y ait
nettement guet apensé, la balance des forces penche
nettement en faveur du ou des suppliants. Par exemple, dans
une lettre le suppliant admet qu’ayant vu son ennemi, il
s’empare d’un bâton dans une maison pour aller l’attaquer.
Dans une autre, le suppliant s’entend avec deux de ses
voisins contre un chicanier qui les ruine en procès. Passant
près de chez leur oppresseur, ils l’assaillent. Un dernier
critère est le temps de survie de la victime qui est
généralement bien marqué dans la lettre. Le meurtre
implique la volonté de tuer et donc la mort doit être
instantanée à la différence de l’homicide où la victime est
laissée encore vivante.
8 Il reste que certaines affaires sont difficiles à classer entre
homicides et meurtres, les lettres n’apportant pas elles-
mêmes de réponse directe, car le roi se contente presque
toujours de dire qu’il pardonne «  ledit cas  ». Quand il est
plus précis, il n’est pas certain qu’il donne au mot un sens
rigoureux  : dans une lettre citée plus loin il parle «  de
meurtre  » alors que le suppliant s’est efforcé de présenter
l’affaire comme un homicide. On relève notamment deux
groupes incertains.
9 Dans un certain nombre de cas, le suppliant, généralement
d’un niveau social élevé, charge quelques hommes de main
d’aller battre quelqu’un à qui il en veut. Il leur précise bien
qu’ils ne doivent pas le mettre à mort. C’est cependant ce
qu’il advient. Dans cette lettre, le suppliant, un archer
d’ordonnance, est mécontent d’avoir été assujetti à la taille
pour des biens que lui a légués son oncle3. Deux hommes lui
proposent de le «  débarrasser  » du collecteur. Il leur
demande de ne lui infliger qu’une paire de soufflets sans lui
faire autre mal. En fait le malheureux meurt un mois ou six
semaines plus tard. Ce délai permet de classer l’affaire dans
les homicides en donnant créance à la limite de violence
fixée par le suppliant même si elle a été largement dépassée.
10 D’autres affaires ambiguës sont celles qui concernent les
pressions sur les sorciers. Le suppliant veut obtenir sa
guérison ou celle d’un proche en considérant qu’il s’agit d’un
ensorcellement. Il monte une expédition qui se termine par
la mort du présumé sorcier alors que, là encore, il n’était
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question que de le battre pour obtenir la guérison. On a


également fait intervenir comme critère de répartition entre
homicide et meurtre le temps écoulé entre les violences et le
décès. De toute façon, homicides ou meurtres de sorciers ont
été pardonnés par le roi et ils semblent être mis sur le même
plan, dans les rapports avec la rémission qui vont être
examinés maintenant, tant il est vrai que la personnalité de
la victime jouait en faveur des coupables.
11 Quant aux motifs de demande des lettres qui n’entrent pas
dans les violences physiques aux personnes, on a retenu
parmi eux six grands groupes :

l’incendie volontaire ;
l’usure, les vols et autres formes de filouterie ;
les faux par écrit ou paroles ou mesurage contre des
personnes privées ;
les faux contre le roi (faux-monnayage et faux-
saunage) ;
les formes d’opposition au roi ou plus largement à une
autorité (par exemple des paroles contre le souverain) ;
et enfin quelques actes relevant de la sexualité en
dehors du viol (bestialité et inceste consenti) qui sont
tenus comme des fautes envers l’ordre naturel établi par
Dieu.

Les limites des lettres de rémission pour


traiter de la violence
12 Les lettres de rémission comportent a priori deux limites par
rapport à la violence : une limite inférieure qui est celle où il
n’est pas besoin de rémission et une limite supérieure, où la
rémission n’est pas accordée. Certes le roi a le droit de tout
pardonner, mais lui-même et ses conseillers peuvent
considérer un crime comme trop grave. De plus, l’opinion
serait mécontente d’une trop grande mansuétude.

Une limite inférieure abaissée au point d’inquiéter


des justiciables
13 La limite inférieure a sans doute été légèrement abaissée en
raison du changement majeur de la procédure qui s’opère à

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la fin du Moyen Âge, à savoir le remplacement de la


procédure accusatoire par la procédure inquisitoire. La
première réservait à la partie lésée l’exclusivité des
poursuites, ce qui ouvrait la possibilité d’une entente entre
les parties. De fait la solution de nombreux délits relevait de
l’«  infra  » ou «  extrajudiciaire  ». Au contraire, avec la
procédure inquisitoire, les autorités pouvaient entamer
elles-mêmes un procès quand elles jugeaient que l’ordre
public était menacé. Elles étaient en droit d’instruire en
ignorant les accords passés, même l’absence de partie quand
celle-ci respectait ces accords. Dans un tel cas un ancien
coupable pouvait être conduit à demander une lettre de
rémission. Voici par exemple une lettre de 1449 concernant
la bordure normande du pays de Bray4. Le suppliant se
présente comme un pauvre laboureur chargé de femme et
enfants. Il avait violé, il y a 20 ou 24 ans, une jeune fille de
16 ans avec laquelle il rentrait du foin. Elle avait porté
plainte devant la justice seigneuriale. Le suppliant avait pris
la fuite « ailleurs en Normandie ». Ses amis avaient négocié
avec la jeune fille qui, moyennant un paiement non précisé
dans la lettre, avait accepté de pardonner. Le suppliant était
alors revenu dans son village et depuis il avait vécu en bonne
intelligence avec la victime et avec son mari car elle s’était
mariée, peut-être grâce à la dot correspondant à la
composition. Mais en 1449 il «  doubte  », c’est-à-dire
redoute, que s’ils apprennent ces faits les officiers du roi ne
veuillent procéder rigoureusement contre lui. Sans doute
est-ce une conséquence du retour de la région à la France car
la Normandie était anglaise au moment du crime.

Une limite supérieure attestée par les « surpeines »


à l’appréciation du roi et des juges
14 La limite supérieure est à envisager par défaut, c’est-à-dire
que c’est l’absence d’un type de crime dans les lettres qui
conduit à penser qu’il n’était pas pardonnable. Encore faut-il
tenir compte de la remarque initiale marquant le territoire
des rémissions à l’intérieur de la criminalité.
15 En restant à l’intérieur des rémissions, la limite supérieure
est en quelque sorte soulignée par la soumission du pardon à
la réalisation d’une peine, rendant ainsi la rémission
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« conditionnelle », terme retenu par certains historiens. De


telles lettres correspondraient donc à des cas extrêmes de
pardon, le roi ne voulant pas paraître trop indulgent.
Malheureusement une étude approfondie de ce que j’ai cru
pouvoir appeler des « surpeines »5montre qu’au xve siècle, si
certaines paraissent en concordance avec la gravité de la
faute, il ne faut pas faire de celle-ci une règle absolue, car
l’humeur de la Cour rendant la décision joue également. En
effet, d’une part il y a une différence sensible dans le nombre
des surpeines infligées par les requêtes du Palais et les
requêtes de la Cour, les premières se montrant nettement
plus sévères. D’autre part, on trouve parfois, correspondant
à une période donnée, un très grand nombre de surpeines
pour des crimes qui, généralement ailleurs, ne font pas
l’objet de surpeine. Ainsi, le début du registre JJ 183 utilisé
pour le corpus est marqué par un grand nombre de
surpeines ; pour le mois d’août 1455 on ne compte pas moins
de 4 surpeines pour 10 rémissions et 3 concernent des
homicides liés à une dispute de taverne dont les registres
renferment maints exemples sans surpeine.
16 Cependant certaines surpeines paraissent très pertinentes et
sont donc fort intéressantes dans l’optique de cette
communication. Par exemple, dans le cas d’une bagarre
impliquant deux suppliants, un seul est frappé d’une
surpeine, ce qui correspond à leur inégale responsabilité.
Ainsi en est-il d’un homicide sur individu qui injuriait deux
chaudronniers en disant que leurs épouses étaient ribaudes
et qu’ils étaient « coupperels » (cocus). Or l’un avait arraché
la dague de la victime et lui en avait porté un coup alors que
le second ne l’avait frappé qu’avec une pierre sur les dents6.

Les facteurs de variation


17 Différents facteurs pouvaient intervenir pour modifier les
limites du pardon. La surpeine la plus lourde rencontrée vise
la mort d’un sergent royal provoquée par un noble
auvergnat, Antoine de La Fayette, seigneur de Montboissier,
qui lui reprochait de malmener ses sujets. Le fait est
présenté comme une batture qui a mal tourné, mais le
pardon du roi retient le terme de meurtre. Le coupable devra

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ériger une croix mémorative au lieu du crime ainsi qu’une


statue le représentant en prière, tenir prison un mois et faire
célébrer 100 messes pour l’âme du défunt7. C’est le fait que le
roi était atteint à travers son sergent qui explique cette
lourde surpeine. Encore Antoine de Lafayette pouvait-il
s’estimer heureux d’avoir obtenu son pardon. Pour
l’expliquer le roi ne manque de faire état des services rendus
par les membres de sa famille, dont un a été maréchal de
France et par le suppliant lui-même en tant que soldat. En
effet les services militaires ouvrent généralement la porte à
des pardons généreux. Le rang social a pu jouer, ou
l’intervention d’un grand personnage en sa faveur. Mais ce
n’est pas mentionné ici, et ce fait reste très rare, du moins
d’après le texte des lettres.
18 À un moindre degré, la lettre de 1449 sanctionnant une
affaire de viol comportait une surpeine, légère il est vrai, de
quinze jours de prison. Le temps écoulé rend cette punition
peu compréhensible à l’égard du viol. On doit considérer
qu’elle visait moins le viol lui-même que la tentative de se
soustraire à la justice car l’extrajudiciaire tendait à devenir
répréhensible.
19 Plus largement, et en faveur des gens modestes, d’autres
facteurs étaient susceptibles de changer les limites. Une
bonne méthode pour obtenir sa rémission consistait à se
trouver en prison dans une ville où le roi faisait son entrée
car la coutume était qu’il accordait la liberté à tous les
prisonniers en leur donnant sa rémission. La méthode n’était
toutefois pas sans risque. En particulier, le roi pouvait
changer d’itinéraire. Il restait alors à s’évader, ce qui n’était
certes pas impossible car les lettres font état de nombreuses
évasions. D’autre part, le roi se montrait plus indulgent aux
grands moments liturgiques, notamment au temps de la
semaine sainte. Dans les lettres accordées à cette époque, le
roi fait allusion à la passion du Christ qui souffrit pour
racheter nos péchés. Enfin, le long temps écoulé jouait en
faveur du coupable, représentant une sorte de prescription.

Considérations sur les violences d’après


leur fréquence dans les lettres de
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rémission
20 Muni de ces réflexions préalables il convient maintenant
d’étudier les données statistiques tirées du corpus des 1 200
lettres8.

La rémission des homicides


21 La première constatation qui se dégage est l’écrasante
prépondérance des homicides, d’autant qu’on pourrait y
faire entrer deux cas de mort pour lesquels l’obtention de la
rémission paraît évidente, à savoir les accidents et les décès
survenus au cours d’une opération de justice. Aucune
surpeine n’intervient dans de telles affaires et le suppliant y
est fréquemment en situation de « doubte ».
22 Une première limite en termes de violence physique est donc
la mort. C’est elle qui implique essentiellement la demande
d’une rémission. Une lettre concernant une mort supposée,
mais qui se révèle inexacte, comporte d’ailleurs en marge
cette mention : « Ces lettres sont inutiles9 ». On relève aussi
l’attitude d’un participant à une batture, comme assistant
d’un ami. En mettant son épieu au-devant du planchon de
son ami, il empêche le coup mortel et lui reproche de vouloir
tuer son ennemi alors que lui n’était venu que pour une
batture10.
23 D’une façon générale, la rémission semblait pouvoir être
acquise facilement pour un homicide. On remarque en effet
que le pourcentage des surpeines concernant les homicides
est inférieur à la moyenne générale. Il en est tout de même
quelques-unes. Par exemple, alors que l’homicide de l’amant
par le mari ne semble pas faire de problème, dans une affaire
l’adultère n’était pas certain et donc une surpeine est infligé
au jaloux11. Quant à l’autre issue de la bagarre, où l’amant
aurait le dessus, il en est très peu d’exemples dans les
rémissions, car on doit penser que si les chances de victoire
étaient partagées, il était dans ce cas plus difficile, sinon
impossible d’obtenir le pardon du roi. À l’intérieur du corpus
il n’y a qu’une lettre correspondant à cette situation et le
suppliant invoque d’abord l’amnistie générale accordée par
le roi lors de la reconquête de la Normandie, où les faits se
sont passés, mais c’était quelque peu abusif. Toutefois, le roi
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retient deux facteurs en sa faveur : les faits se sont passés il y


a 12 ou 13 ans et le suppliant n’avait alors que 20 ans.
24 Dans la réalité certainement beaucoup de battures ont mal
tourné. Il faut faire intervenir la remarque initiale  : la
prépondérance des homicides tient au fait qu’ils sont
généralement commis de manière ouverte, au vu de tous. Il y
a donc un coupable connu et ce dernier cherche à rentrer
chez lui, rémission obtenue. Pour ce type de crimes, le
rapport entre le nombre de cas et le nombre des rémissions
est donc plus élevé que pour d’autres crimes comme le
meurtre ou, parmi les non violents, le vol.

La plus difficile rémission des meurtres


25 Quelques meurtres ont obtenu le pardon royal, mais ils sont
beaucoup moins nombreux que les homicides. Il est vrai que
dans le cas d’un meurtre impliquant souvent la
préméditation, le coupable a prévu d’échapper à la justice et
donc il n’y aura pas de rémission. L’écart entre le nombre
des meurtres apparaissant dans les rémissions et les
meurtres réellement commis peut donc être fort important,
plus grand en tout cas que pour les homicides. De plus, si
l’on considère les lettres concernant un meurtre, dans un
grand nombre de cas le suppliant se présente comme simple
témoin et nie sa participation, ou bien il n’est intervenu
qu’après le crime pour aider à dissimuler le corps, comme
fait la servante de l’assassin d’un prêtre12.
26 D’autres rémissions sont justifiées par les fautes de la
victime, comme dans quelques meurtres accomplis en
revanche d’un meurtre ou d’une batture antérieure. Un cas
plus répandu était celui d’un meurtre lié à une situation
d’adultère, c’est-à-dire que le mari trompé était en droit de
se faire justice en tendant un piège à son rival. Une seule
lettre se place dans la situation parallèle au profit de l’épouse
bafouée. Le déséquilibre du nombre de telles lettres
correspond logiquement au déséquilibre des sexes. Le
meurtre de l’épouse fautive était également rémissible.
Quant à la situation inverse où les coupables de l’adultère se
débarrassent du mari gênant, l’obtention du pardon était
certainement difficile. Toutefois, à l’intérieur du corpus,

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deux lettres se plaçant dans ce cas de figure sont accordées


non à l’amant criminel qui est en fuite, mais à la femme qui
ne l’a pas dénoncé, tout en prétendant avoir cherché à le
retenir. Il reste cependant une lettre où un suppliant qui
avait fait empoisonner le mari par sa maîtresse qu’il avait
ensuite épousée, obtient sa rémission13. Mais le crime
remonte à 19 ans et c’est une lettre d’entrée royale. L’amant
avait d’ailleurs eu plus de chance en fuyant que la femme
qui, elle, avait été exécutée.

Les crimes crapuleux et le meurtre des crapules


27 En gravissant un échelon dans le crime, on arrive au meurtre
crapuleux. On n’en rencontre proprement qu’un seul cas
dans le corpus. La lettre est accordée à un groupe de paysans
de la région de Péronne qui, lors du conflit franco-
bourguignon suivant la mort du Téméraire, ayant appris
qu’un groupe de Suisses avait quitté l’armée du roi, leur
tendent une embûche, les dépouillent de leurs biens et les
tuent. Mais un des soldats réussit à s’échapper et les
criminels sont ainsi connus. Deux paysans ont été exécutés
pour ce crime mais les autres obtiennent leur rémission en
choisissant pour leur requête un moment particulièrement
opportun, car le roi est alors en pèlerinage à Saint-Claude.
Ils jouent aussi sur le fait que leurs victimes sont présentées
comme des déserteurs14. Une autre lettre associe un meurtre
et un vol. Selon le suppliant, il s’agissait surtout de punir son
ennemi. Toutefois, un homme de mains, qu’il avait emmené
avec lui, en a profité pour emporter une cassette. Le
suppliant veut d’ailleurs la faire rendre car ce vol change la
nature de leur crime. Mais il est arrêté avant d’avoir pu
obtenir la restitution. La rémission est accordée mais il faut
noter que l’affaire remonte à 8 ans et il y a surpeine de 50
livres. On voit que l’on est à la limite des rémissions.
28 Cette quasi-absence des crimes crapuleux dans les
rémissions ne doit pas être interprétée comme un reflet de
leur rareté. En effet, les lettres donnent par ailleurs des
preuves de l’existence de gens vivant du brigandage, car ils
figurent dans les lettres comme victimes, lorsque le meurtre
atteint des crapules. C’est parfois leur arrestation

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mouvementée qui les met en scène. Ainsi en va-t-il de celle


de Jean de Lannois, un brigand qui sévissait en Artois. Selon
le suppliant, un sergent qui participa à son arrestation, on ne
pouvait l’appréhender de jour. Aussi est-ce de nuit qu’on a
tenté de se saisir de lui. Mais il monta sur le toit de sa
maison d’où il lança des briques arrachées à la cheminée sur
les assaillants. Le suppliant le blessa d’une flèche qui
provoqua sa chute et son arrestation15. Autre exemple : allant
de La Rochelle à Jarnac accompagné d’un jeune valet, le
suppliant, un marchand, donc une proie tentante, est
attaqué par trois hommes armés de gros bâtons. Mais
finalement c’est lui qui en tue un. D’après ce récit, il n’a pas
de mal à obtenir sa rémission16. Une lettre de 1482,
concernant la région d’Alençon, commence par indiquer que
des brigands se tenaient dans les forêts proches de cette
ville. Les suppliants, qui sont les serviteurs d’un seigneur de
la région, participent à une expédition lancée contre eux et
capturent un habitant d’un village voisin au lieu supposé de
réunion de la bande et où la veille un homme avait été
détroussé17. Plus curieuse est cette lettre où le suppliant,
habitant près de Caen, a rédigé un faux document tendant à
prouver que son ennemi a fait partie d’une bande dont le
chef vient d’être exécuté18. On constate que le phénomène du
brigandage concernait de nombreuses régions. Ce n’était
donc pas l’inexistence des professionnels du crime qui
expliquait leur absence parmi les suppliants, mais le refus de
leur accorder rémission ou le fait qu’ils n’en demandaient
pas.

Les infanticides
29 Les infanticides n’apparaissent pas très nombreux mais il est
difficile de tirer des conclusions sur leur fréquence. On peut,
en effet, se demander quel était pour eux le ratio entre
crimes remis et crimes commis. La naissance d’un bâtard
signifiait d’abord la perte de l’honneur pour la suppliante et
sa famille et c’est l’argument défensif le plus souvent mis en
avant. Il se posait ensuite le problème de l’entretien de
l’enfant. Sur ce point, l’attitude du père était évidemment
très importante. La fréquence des bâtards dans les familles

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seigneuriales montre que si le père était un noble, point


n’était besoin de recourir à l’infanticide. Mais il en allait
autrement chez les gens plus modestes. Le maître marié
d’une servante qui attend un enfant de lui, n’hésite pas à dire
qu’il tuera la personne qui lui apportera l’enfant19. On voit
qu’il y a des arguments en faveur de la solution de
l’infanticide, d’autant que c’est un crime sans partie adverse.
D’un autre côté, étant donné le milieu fermé où vivaient
alors les gens, la grossesse était difficile à dissimuler et en
cas de découverte du cadavre une recherche basée sur
l’existence de lait permettait de découvrir la coupable.
30 Des situations ayant provoqué cette grossesse, on tire
surtout une impression d’une relative liberté sexuelle
combinée avec l’ignorance car les situations sont diverses. Il
y a certes le cas classique de la servante victime du
harcèlement de son maître et celui des promesses de
mariage non tenues, mais que dire de ces épouses délaissées
qui prennent un amant ou de ces jeunes mariées qui se
découvrent enceintes, certainement pas de leur époux car
l’infanticide n’aurait guère de sens. En tout cas, le roi semble
indulgent pour ces malheureuses. Toutefois, une lettre
comporte une surpeine. Celle-ci est ambiguë car, d’une part,
elle est infligée à une époque de sévérité, mais d’autre part,
on peut considérer l’affaire comme un véritable meurtre. La
suppliante avait déjà eu un fils illégitime d’un clerc de la
maison où elle était employée. Elle le fait élever. Elle est,
cette fois, bernée par une promesse de mariage non tenue.
Elle accouche d’une fille qu’elle met en nourrice, mais devant
le refus du père de tenir sa promesse de l’épouser, elle tue
cette fille20. En revanche, le roi n’accepte pas de pardonner à
une récidiviste qui est connue par la rémission accordée à
l’employeur-amant de la malheureuse. Elle est exécutée21.

Les lettres de rémission pour blessures et


« battures »
31 En deçà de la limite de la mort, les simples blessures sont
rarement sanctionnées par une rémission alors qu’elles
étaient certainement très nombreuses puisque beaucoup
d’homicides sont une réplique à une bagarre antérieure où le
suppliant avait été copieusement rossé. En fait, les
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«  battures  » pour reprendre le terme employé dans les


lettres, ou bien n’étaient pas sanctionnées du tout, la victime
pensant prendre sa revanche, ou bien étaient seulement
poursuivies devant la justice locale ou encore faisaient l’objet
d’un accord entre parties. Les lettres d’homicides
mentionnent souvent de tels arrangements quand la victime
ne paraissait pas gravement atteinte. Son décès imprévisible
pousse le coupable à demander rémission.
32 Les quelques lettres où il y a seulement blessure
correspondent à des cas où il y a une circonstance
aggravante. Ces dernières relèvent de deux grands groupes.
Le plus souvent la victime des coups était un agent public.
Ainsi, à Saint-Lô, en juillet 1481, un suppliant de 20 ans
profite de l’absence de son maître pour passer sa journée à
s’ébattre et à boire du cidre. Au soir, il se rend à une maison
où était supposée vivre une fille commune, mais, en
l’absence de celle-ci, il fait du scandale et s’en prend aux
agents de l’autorité venus sur les lieux, griffant le procureur
du roi et frappant le lieutenant de la ville. Il se retrouve en
prison22.
33 Une autre circonstance aggravante était le fait que la victime
était sous «  sauvegarde  ». Celle-ci, pour tenter d’éviter les
violences, était mise en place par autorité de justice entre
deux individus susceptibles de s’affronter. Elle prévoyait des
peines très lourdes en cas d’infraction. Une lettre de
Touraine qui se place dans ce cas de figure, indique que
selon la coutume le suppliant doit être pendu23. Blesser
quelqu’un sous sauvegarde apportait au crime un caractère
d’infraction à l’autorité. Une rémission est même assortie
d’une surpeine pour un suppliant qui en se disputant avec
son beau-frère et en voulant frapper celui-ci, a blessé un
enfant, lequel est heureusement en voie de guérison. Sans
doute n’y aurait-il pas matière à rémission, mais le beau-
frère s’appuyant sur une sauvegarde obtenue au préalable
s’est vanté de « détruire le suppliant en corps et en biens »
en le poursuivant pour « sûreté enfreinte24 ».

Les autres violences

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34 Les autres violences sans mort comportant une demande de


rémission concernent les cas de vols avec violence qui
combinent en quelque sorte deux fautes. Ils sont très peu
nombreux en comparaison notamment des vols furtifs
opérés sans violence.
35 Ceci s’explique par le fait qu’à partir du moment où un
voleur, ou plutôt un groupe de voleurs, emploie la force, ou
bien il s’agit de locaux, mais alors ils ont intérêt à supprimer
leur victime de peur d’être ensuite dénoncés, ou bien il s’agit
d’étrangers qui ne demanderont pas leur rémission car ils
n’ont pas d’attache locale. Ils ne seraient d’ailleurs pas
certains de l’obtenir car leur action combine deux fautes, vol
et violence. De fait sur les 7 lettres correspondant à ce délit,
3 sont frappées d’une surpeine, ce qui fait un très fort
pourcentage. Par ailleurs si l’on examine dans le détail ces 7
affaires de vol à main armée, on constate qu’une rémission
va à un ex-homme de guerre, dans deux cas la participation
du suppliant ne serait que minime, dans deux cas l’argent a
été restitué, dans un autre les violences ne concernent pas
vraiment les personnes et enfin dans la dernière affaire le
volé aurait trompé le suppliant dans une vente en lui
remettant de l’avoine de mauvaise qualité.
36 Enfin les viols n’apparaissent pas très nombreux en dépit de
la tension sexuelle existant a priori, mais sans doute comme
c’est encore le cas de nos jours, ne faisaient-ils pas toujours
l’objet d’une plainte. Même si une plainte était formulée, un
accord entre les parties éteignait souvent le conflit ainsi que
l’a montré la lettre du pays de Bray. Il pouvait en particulier
prendre la forme d’un mariage entre la victime et le violeur.
Une surpeine impose d’ailleurs cette formule à un coupable
de viol. Mais d’un côté la satisfaction sexuelle des jeunes
gens ne devait pas passer nécessairement par des viols car
les étuves et les filles « communes » étaient à leur service et
comme on a pu le remarquer, certaines épouses,
mécontentes de leur union, acceptaient d’être courtisées et
de tromper leur mari.

Évolution et géographie

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37 Après avoir ainsi envisagé successivement les types de


violence, on peut introduire une réflexion globale dans deux
directions  : l’évolution chronologique et la diversité
géographique.
38 Une première remarque est l’absence d’évolution marquée,
mais il est vrai qu’elle ne porterait que sur une trentaine
d’années. Il faudrait plus de recul. De fait, les pourcentages
des divers crimes restent à peu près constants. Tout au plus
peut-on déceler une légère progression des homicides.
Toutefois, ceci ne signifie pas nécessairement que leur
nombre a augmenté dans l’absolu. Il se peut aussi que ce soit
le recul d’autres crimes qui augmente par contrecoup leur
importance relative. Dans les délits en recul, on remarque
les vols. Même la crise frumentaire de la fin du règne de
Louis XI n’entrave pas leur recul, du moins au niveau des
demandes de rémission, car peut-être sont-ils moins
sévèrement punis par les justices ordinaires. Dans le cas de
l’Auvergne ce recul se poursuit au xvie siècle  : ils tombent
d’un pourcentage de 6,63 à seulement 2,87 %25.
39 Quant à la diversité géographique, elle n’apparaît pas
clairement dans le tableau : le registre 183 où dominent des
lettres du Nord de la France et le 187 où la France
méridionale est bien représentée, ont à peu près le même
taux d’homicides. Mais si l’on examine les causes de ces
homicides, on décèle une différence assez marquée
correspondant à des réalités économiques et à des modes de
vie eux aussi différents. Pour le montrer, on a constitué un
tableau basé sur 400 lettres de rémission du Nord et 400 du
Sud.
40 La colonne 2 du tableau correspond à des chiffres de 1450, la
colonne 3 à des chiffres de 1460, la 4 à des chiffres de 1470,
la 5 à des chiffres de 1480, la 6 regroupe les colonnes, 2, 3, 4,
5. Pour les colonnes 7, 8, 9, 10 et 11 correspondant au Sud de
la France on a observé la même disposition.
Tableau 1. Géographie des causes de violences

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41 Des différences sensibles apparaissent. Dans le Nord


prédominent les crimes d’honneur et de sociabilité alors que
le Sud est beaucoup plus matérialiste avec la suprématie des
affaires rurales. On remarque aussi l’absence d’affaires de
sorcellerie dans le Nord. Il y a donc bien deux France.
42 Mais derrière ces différences, il reste que le xve siècle peut
être considéré comme marqué par la violence physique,
d’autant que celle-ci est relativement bien acceptée à
condition de ne pas être associée à des actions crapuleuses
qui sont, elles, rejetées, et de s’exercer dans le sens de la
morale et de l’autorité.

Notes
1. Tel est notamment le point de vue de C. Gauvard dans «  De grace
especial  ». Crime, État et société en France à la fi n du Moyen Âge,
Paris, Publications de la Sorbonne, 1991, p. 66-68.
2. Archives nationales, série JJ. 150 lettres du registre 183 (Palais), 150
lettres du registre 187 et 200 lettres des registres 190 et 192 (Cour), puis
100 lettres du registre 199 (Cour) et 100 lettres, moitié Cour sur 194 et
202 et moitié Palais sur 195. Enfin 500 lettres des registres de la Cour
207, 208 et 209 pris en totalité et complétés par une cinquantaine de
lettres du 206 (Palais). Ceci représente 500 lettres des années 1455-
1460, 200 lettres des années 1464-1468 et 500 lettres de la fin du règne
de Louis XI (1480-1483).
3. Arch. nat., JJ 209/128.
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4. Arch. nat., JJ 184/17.


5. P. Charbonnier, « Les rémissions conditionnelles au xve siècle », La
peine. Discours, pratiques, représentations, Limoges, Cahiers de
l’Institut d’anthropologie juridique de Limoges, n° 12, 2005.
6. Arch. nat., JJ 183/14 et 15.
7. Arch. nat., JJ 191/6.
8. Il en ressort la répartition suivante. Homicides : 68,4 % des lettres du
corpus ; meurtres  : 4,25  %  ; infanticides  : 1,25  %  ; vols avec violences  :
0,57 % ; vols sans violence : 7,8 % ; viols : 1,8 %.
9. Arch. nat., JJ 207/16.
10. Arch. nat., JJ 183/92.
11. Arch. nat., JJ 192/14.
12. Arch. nat., JJ 190/19.
13. Arch. nat., JJ 199/453.
14. Arch. nat., JJ 208/171. En fait ils avaient été « cassés ».
15. Arch. nat., JJ 183/99.
16. Arch. nat., JJ 190/8.
17. Arch. nat., JJ 207/164.
18. Arch. nat., JJ 191/233.
19. Arch. nat., JJ 209/56.
20. Arch. nat., JJ 208.
21. Arch. nat., JJ 206/696.
22. Arch. nat., JJ 209/136.
23. Arch. nat., JJ 190/166.
24. Arch. nat., JJ 207/302.
25. P. Charbonnier, Une autre France. La seigneurie rurale en Basse
Auvergne du xive au xvie siècle, Clermont-Ferrand, 1980, p. 926.

Auteur

Pierre Charbonnier
Du même auteur

La pensée écologique comme


héritage problématique du
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rationalisme in Y a-t-il du sacré


dans la nature ?, Éditions de la
Sorbonne, 2014
Les communautés à plusieurs
étages en Auvergne et Bas-
limousin in Les communautés
villageoises, Presses
universitaires du Midi, 1984
Les justices seigneuriales de
village en Auvergne et
Bourbonnais du xve au xviie
siècle in Les justices de village,
Presses universitaires de
Rennes, 2003
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Référence électronique du chapitre


CHARBONNIER, Pierre. Les limites du pardon des violences dans les
lettres de rémission du xve siècle In  : La violence et le judiciaire  : Du
Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques [en ligne].
Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19 septembre
2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4988>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4988.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
https://books.openedition.org/pur/4988 20/21
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DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
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La violence et le judiciaire
Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,
pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

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Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

Survivance et
déclin du système
vindicatoire à
l’époque moderne
Michel Nassiet
p. 75-87

Texte intégral

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1 Une interprétation de la violence homicide à l’époque


moderne a été fondée il y a une vingtaine d’années sur
l’hypothèse d’une incapacité des hommes du xvie siècle à
maîtriser leurs émotions, peur, ivresse, et à contrôler leurs
«  pulsions  ». Le tournant du Moyen Âge et de l’époque
moderne aurait ainsi connu une sorte de « sauvagerie1 » qui
aurait consisté notamment en cette violence
«  pulsionnelle  ». Cette hypothèse a été liée au procès de
civilisation des mœurs conceptualisé par Norbert Elias2. Il
en a résulté des théories incluant l’idée évolutionniste d’une
marche vers un progrès alliant modernité politique (l’État
moderne s’attribuant le monopole de la violence légitime) et
modernité culturelle (la maîtrise des pulsions)3. Gerd
Schwerhoff4 a critiqué cette conception de la violence inter-
individuelle qui ne résulterait que des pulsions et du degré
de contrôle de celles-ci.
2 Ce n’est pas sans raisons, il est vrai, que les historiens de la
première modernité sous-évaluaient l’importance de la
vengeance comme modalité des relations sociales. D’une
part les historiens du droit et les historiens de l’État
attribuaient à la justice royale une efficacité qu’en fait elle
n’aurait que plus tard. De l’autre, dans ce qui est une des
plus importantes sources criminelles, les lettres de
rémission, le caractère intentionnel de la violence est
dissimulé beaucoup plus au xvie siècle qu’à la fin du Moyen
Âge. En 1539 l’ordonnance de Villers-Cotterets défend aux
chancelleries et Cours souveraines d’accorder des grâces
«  fors celles de justice, c’est à sçavoir aux homicidaires qui
auraient esté contraints faire des homicides pour le salut et
défense de leurs personnes5  ». L’homicide pour légitime
défense devenait presque le seul crime rémissible, et les
suppliants durent s’attacher à montrer que l’homicide dont
ils étaient coupables était essentiellement le fruit de
circonstances malencontreuses, et d’émotions, comme la
peur, accentuées par l’ivresse. Aussi des études ajoutant foi
aux récits des suppliants ont-elles conduit à surestimer les
émotions et les pulsions comme causes du déclenchement de
la violence.
3 En revanche, Stuart Carroll6 vient d’avancer l’idée qu’au
début de l’époque moderne, en France comme en d’autres
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pays d’Europe, les relations sociales étaient encore


façonnées par les querelles familiales, qu’on pourrait appeler
des faides, et les modes de pacification de celles-ci. Je me
propose ici de contribuer à vérifier cette hypothèse et, plus
généralement, d’observer l’ensemble des actes de violence
considérés comme légitimes dans le cadre des relations de
parenté. Je le ferai avec des auteurs comme L’Estoile et
Brantôme, ainsi qu’avec trois corpus de lettres de rémission
du xvie siècle. Le plus volumineux est celui des lettres
enregistrées à la chancellerie de Bretagne7. Le second est
celui des lettres conservées aux Archives nationales pour le
premier semestre de 1565, année qui a été choisie parce que
le voyage du roi autour du royaume a suscité de nombreuses
requêtes8 provenant des provinces méridionales auxquelles
il est ainsi possible d’étendre l’observation ; enfin un corpus
angevin présentant l’intérêt de couvrir la fin du xvie siècle9.
J’envisagerai aussi les conditions idéologiques d’un déclin de
la vengeance, qui n’a pu véritablement s’amorcer qu’à partir
du xviie siècle.

Réalité de la vengeance au xvie siècle


4 Un groupe familial était détenteur d’un capital-vie symbolisé
par le sang et incluant un honneur10. Ce n’est pas ici le lieu
de définir l’honneur dans la société du xvie siècle, mais
disons seulement que les lettres de rémission et les
mémoires distinguent les mots «  honneur  » et
«  renommée  »  : la renommée était propre à une personne,
chacun devait se construire la sienne, tandis que l’honneur
était collectif et porté par un groupe familial, puisqu’on avait
le devoir de défendre celui d’un parent, consanguin ou allié.
Entre sang et honneur il y avait équivalence symbolique
puisqu’il fallait venger un homicide comme un déshonneur.
5 On vengeait l’homicide d’un parent. Le devoir de vengeance
était assumé prioritairement par le fils du défunt, même
lorsque, dans le cas d’un fi ls très jeune, un délai d’une
dizaine d’années lui était nécessaire pour passer à l’acte, ce
qui laissait la haine intacte. On vengeait aussi les
collatéraux  ; vers 1530, étant averti qu’on vient de tuer ses
oncles, un petit noble breton part chercher les coupables et,

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rencontrant un homme de la paroisse dont seraient venus les


suspects, le tue11. Une alternance d’homicides pouvait ainsi
courir sur plusieurs dizaines d’années. Deux frères Du Prat
furent tués par deux ennemis différents, à la suite de quoi le
troisième frère, Guillaume, le fameux baron de Vitteaux,
« revancha » la mort de l’un et l’autre. L’un d’eux, François
Du Prat, baron de Thiern, avait été tué à Paris à la suite de
plusieurs altercations par Antoine d’Alègre, baron de
Milhau, qui en obtint rémission12 en 1565 à la condition de
servir le roi à Metz ou en Piedmont pendant six ans, c’est-à-
dire jusqu’en 1571. Or dès 1573 ce dernier fut assassiné par
Vitteaux. Enfin celui-ci fut appelé en duel par le fils de
Milhau en 1583, Yves d’Alègre, qui réussit à le tuer13.
6 L’homicide motivé par la vengeance était commis
publiquement et à visage découvert pour que la communauté
sache que l’honneur avait été lavé. En 1532 en Bretagne, un
groupe d’hommes, apparentés entre eux, surgit en criant  :
« Frappez ! tuez ! tuez ce villain larron Desboys, meurtrier et
brulleur de maisons ! », et tuent celui-ci. Pour ce meurtre ils
ont obtenu la rémission du roi. Ce François Desboys était un
noble, sous-garde des bois d’une seigneurie, et effectivement
en décembre 1530, lors d’une altercation avec un tiers, il
avait tué un prêtre, homicide dont il avait lui même obtenu
une rémission en 153114. « Tuez, tuez ! », c’est le cri rituel de
la vengeance15  : l’agresseur, loin de chercher à cacher sa
volonté de meurtre, la proclamait pour que la communauté
sût que vengeance était faite. C’est à Paris en pleine rue
qu’en 1583, après un délai de quatorze ans, le seigneur de
Mouy tua le meurtrier de son père  ; il s’était fait
accompagner et aider de parents16, ce qui confirme que l’acte
de vengeance avait un enjeu familial. C’est parce que la
vengeance opposait des groupes de parents qu’elle donnait
lieu parfois à des batailles rangées. Brantôme la qualifi e
même de « généreuse17 », c’est-à-dire qui « ne dégénère pas
de la nature de son genus », de son groupe de parenté18. La
vengeance restait un devoir inhérent aux relations de
parenté.
7 Il fallait aussi laver toute agression à l’honneur familial. Un
déshonneur pouvait résulter d’une parole, insulte ou
médisance, ou bien d’un acte, comme une action ayant
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conduit à faire pendre un parent. En 1531 en Bretagne, trois


roturiers, deux frères et un cousin germain portant même
patronyme, se coalisent pour battre un jeune gentilhomme
« en hayne a l’occasion qu’il avait prins et rendu a justice »
un autre frère qui depuis avait été pendu19. La pendaison, en
effet, était infamante.
8 Un mari vengeait aussi le viol de son épouse, mais si celui-ci
était resté secret, il fallait éviter de le faire connaître et la
vengeance ne devait pas être publique, ce qui justifiait le
recours à l’assassinat, et a pu être une des causes de l’essor
de l’assassinat à la fin du xvie siècle. Deux nobles bretons
tuèrent en 1574 et 1594 des hommes qui avaient courtisé leur
femme, et un autre assassina, «  aux guerres dernières  »
(c’est-à-dire avant 1585), un voisin qui avait violé la sienne20.
9 Ces volontés de vengeance étaient parfois d’autant plus
farouches qu’ elles avaient été galvanisées par une femme,
veuve ou sœur, qui y appelait. En 1565, un Gascon, le baron
de Bournazel, ayant tué un de ses compatriotes (« on disoit
que c’estoit par grande supercherie », précise Brantôme), la
veuve de la victime « en poursuivit si vivement la punition »
que le meurtrier, prisonnier, risquait d’être condamné à
avoir la tête tranchée. Comme le roi Charles IX visitait son
royaume, la Cour était à Bordeaux et les gentilshommes et
dames s’émurent pour le prisonnier  ; un de ses amis, aux
pieds de la reine, obtint la grâce du meurtrier. La veuve, le
lendemain
«  […] vint trouver le roy… et se jetta à ses pieds. Elle luy
présenta son fi ls, qui pouvoit avoir trois ou quatre ans, et
luy dit  : “Au moins, Sire, puisque vous avez donné la grâce
au meurtrier du père de cet enfant, je vous supplie la luy
donner aussi dez cette heure, pour quand il sera grand, il
aura eu sa revanche et tué ce malheureux.” Du depuis, à ce
que j’ay ouy dire, la mère tous les matins venoit esveiller son
enfant  ; et, en luy monstrant la chemise sanglante qu’avoit
son père lorsqu’il fut tué, elle luy disoit par trois fois  :
“Advise-la bien, et souvien-toy bien, quand tu seras grand,
de vanger cecy : autrement je te deshérite”21 ».

10 Il en est de même de la suite de vengeances de Grands qui


est liée aux débuts des guerres de Religion au point d’être
une des causes de celles-ci. Le duc François de Guise fut
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assassiné en 1563 par Poltrot de Méré, un protestant ; or ce


meurtre aurait été une première vengeance car d’après les
Mémoires de Soubise, Poltrot était parent22 de Jean Du
Barry seigneur de la Renaudie, tué en 1560 lors de la
répression de la conjuration d’Amboise par les Guise.
Pendant les jours que dura l’agonie de François de Guise, sa
femme, Anne d’Este, et son fils, qui n’avait que treize ans,
affirmèrent tous deux, devant Brantôme23, leur volonté de
vengeance. Le fils allait exécuter cette volonté neuf ans plus
tard, en 1572, en faisant assassiner le chef des protestants,
l’amiral de Coligny, ce qui fut le préliminaire du massacre de
la Saint-Barthélemy. Une sœur aussi appelait à la
vengeance  ; quand le même Henri de Guise fut tué sur
l’ordre du roi en 1588, sa sœur emmena par les rues les
enfants du défunt pour appeler le peuple à prendre les
armes24.
11 Ce n’était pas nécessairement le meurtrier qu’il fallait tuer,
ce pouvait être un de ses consanguins25. Voici un cas où deux
homicides symétriques nous sont connus grâce à deux lettres
de rémission26. En Plenée-Jugon, une paroisse habitée par
près d’une cinquantaine de petits nobles, deux fratries
étaient cousines, les Sauvaiget et les Harcouët (leur parenté
explique peut-être qu’on retrouve les mêmes prénoms dans
les deux lignages depuis la fin du xve siècle). Un dimanche de
1518, Roland Sauvaiget, ivre, multiplie les provocations à
l’égard de Roland Harcouët, ce qui suggère qu’un conflit
existait déjà. Le provocateur est tué, et son meurtrier obtient
des lettres de rémission. Cinq ans plus tard, ce même
meurtrier, tenant taverne au bourg, à la suite d’une
altercation avec un tiers, se bat avec son frère contre Jean
Sauvaiget, frère du premier défunt, lequel tue Jean
Harcouët. Ce second meurtrier part en Italie servir dans
l’armée royale, ce qui suggère qu’il ne lui aurait pas été facile
d’obtenir une rémission, qu’il ne s’emploie à demander qu’à
son retour en 1525. Il est difficile de penser que le souvenir
du premier meurtre n’ait été pour rien dans le second. Lue
seule, la deuxième lettre pourrait être comprise comme un
cas de violence arrivée malencontreusement, par «  cas
inopiné  », entre de «  bons amys  », ce qui confirme que

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d’autres lettres soient rédigées de façon à masquer des actes


de vengeance.
12 En cette affaire comme en d’autres, le pardon royal du
premier meurtre n’a pas suffi à rétablir durablement la paix,
et il y a fallu un échange d’homicides. La parfaite symétrie
inhérente à ce cas a aussi tenu, il est vrai, à la fortune des
armes, car en d’autres cas, entre deux familles nobles
angevines27 en 1609-1610 par exemple, il est arrivé que ce
soit la même fratrie qui tue successivement deux membres
d’une autre  ! Reste que cette symétrie montre surtout que
l’enjeu consistait moins à s’en prendre au meurtrier
personnellement qu’à rétablir un équilibre entre deux
groupes de parents, ce qui rendait peut-être possible le
retour à la paix. Noël Du Fail conçoit qu’on puisse
légitimement haïr et se venger, mais en respectant certaines
normes et en considérant que la violence et la haine
pouvaient finir par s’éteindre, conception qu’il oppose à la
vendetta italienne dont il dénonce l’influence vers 1580
auprès de jeunes gens «  farcis de certaines maximes
endiablées et venues d’Italie… comme de se venger en
quelque sorte que ce soit, et haïr perpétuellement28 ».
13 Reste à préciser si ces cas sont des faits exceptionnels ou s’ils
sont représentatifs d’une norme de comportement. Il semble
que le corpus des rémissions de 1565 révèle des actes de
violence en principe difficilement rémissibles et des formes
et des motifs de violences plus diversifiés qu’à l’accoutumée.
D’une part, les délais entre le crime et la grâce sont souvent
anormalement élevés, allant de deux à trois ans jusqu’à neuf,
treize, dix-sept, dix-neuf, vingt-deux et vingt-sept ans. Il
s’agit donc là de suppliants qui ne songeaient pas à
demander une rémission et qui s’y sont décidés en raison du
voyage du roi. Longtemps ils n’ont pas songé à demander
une rémission, en raison soit des difficultés de la démarche,
soit que leur cas fût difficilement rémissible. Mais lors d’une
nouvelle et joyeuse entrée dans une ville, et comme le
précise le préambule d’une lettre, le roi était accoutumé à y
délivrer les prisonniers et «  leur donner pardon et
remission… encores que ce fussent de crimes capitaulx et
dignes de mort ». Aussi certains criminels, « estant adverty
que nous venions en ce païs », se rendaient-ils « prisonnier
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volontaire es prisons29  » d’une ville où le roi allait entrer


puisqu’ils avaient la garantie qu’ils obtiendraient la
rémission du roi.
14 Voici un exemple dans la noblesse bretonne où l’homicide a
été précédé par une première violence neuf ans auparavant.
En 1545, un certain Guy de Landujan, agressa les Labbé père
et fils au point que le père en resta estropié et incapable de
marcher. Le fils, Pierre Labbé, dut même quitter sa maison
et aller vivre chez un beau-frère « pour fuyr » les poursuites
de son ennemi, sans doute parce que celui-ci avait plus
d’influence dans le pays, étant un homme de moyenne
noblesse, tandis que les Labbé n’étaient que de petits
nobles30. En 1554 cependant il s’en revint, son ennemi ne
manqua pas de venir à sa rencontre, et le premier tua le
second31. La vengeance pouvait donc être différée pendant
des années jusqu’à ce que quelque circonstance en suscite la
réalisation.
15 En dehors de circonstances particulières favorables à la
rémission comme en 1565, maintes lettres présentent un
récit selon lequel le suppliant a porté secours à un frère ou
une tante et a tué l’agresseur de son parent, mais de tels
homicides ont aussi bien pu être des actes de vengeance.
Voici en 1512, trois frères, dont un « homme de labeur » et
un prêtre, ce dernier en querelle avec un sonneur de rebec au
point que celui-ci a plusieurs fois menacé de le tuer ; un jour
que les deux frères laïcs sont avertis que le sonneur est parti
pour tuer le prêtre, ils partent à leur tour pour aider leur
frère et, trouvant leur ennemi seul, «  estimèrent que iceluy
H… l’eust ocys », et le battent à mort32. Le secours porté à un
parent aurait été à la fois l’occasion de réaliser une
vengeance, puis le moyen de la dissimuler dans la requête de
rémission33.
16 Ces exemples montrent aussi que sous François Ier, un règne
pendant lequel le pouvoir royal n’était pourtant pas affaibli
comme il allait l’être après 1559, la pratique de la vengeance
familiale n’était ni éliminée, ni même totalement réprimée
par l’autorité royale. Or elle est repassée par un sommet
pendant les guerres de Religion. Comme l’écrit Monluc, la
religion a servi de «  beau manteau  » pour exécuter des
vengeances34. Certains combats des guerres de Religion
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furent aussi des règlements de compte privés, comme lors de


la prise de Pons en 1569 où Agrippa d’ Aubigné tua un
capitaine qui «  avoit voulu forcer  » une «  sienne tante35  ».
Plus que jamais alors des nobles se vengèrent de torts qu’on
avait fait à eux ou à un parent. Des actes de vengeance ont
été identifiés jusqu’au milieu du xviie siècle, par exemple
dans les années 1660-1670 en Agenais36.

Une violence intra-familiale


17 Quant au concept de « système vindicatoire », il devient utile
pour élargir l’observation à un autre type de motivation de la
violence, la violence intra-familiale. En 1521 en Bretagne,
dans une famille d’« hommes de labeur », comme un « jeune
garçon » de dix-sept ans commet de multiples vols, son père
et son oncle maternel se mettent d’accord pour s’assurer de
sa personne, et lui crèvent les yeux parce qu’ils craignent
qu’il soit «  aprehendé de justice et pugny, en scandalle et
deshonneur de sondit pere et de ses parans37  ». Un père a
donc pu préférer mutiler son fils plutôt que de risquer qu’il
soit condamné pour vol et être pendu. Son souci n’était pas
moral mais était de préserver l’honneur familial. Un tel acte,
qui nous paraît étonnant, n’a pas été unique. On peut lui
trouver une rationalité familiale et sociale dans le cadre du
concept de système vindicatoire, qui permet donc d’explorer
les mentalités en matière de relations de parenté au cours de
la première modernité.
18 Trois gestes analogues sont rapportés par Tallemant des
Réaux dans ses Historiettes38 sous le titre : « Enfans dont les
pères ont fait eux-mesmes la justice  ». Le premier est celui
d’un charpentier du roi, ayant un fils «  extresmement
desbauché  » et «  engagé avec des filoux en une meschante
affaire  »  ; il le tira de ce mauvais pas grâce à son crédit,
apparemment en obtenant du roi sa grâce. Mais comme le
fils se mit « à voller sur les grands chemins », le père, ayant
appris où il était, alla l’y trouver armé de pistolets et lui en
donna un coup dans la tête. Puis le père demanda sa propre
grâce et l’obtint. Tallemant précise que le père craignait
« d’avoir le desplaisir de le voir rouer », et le motif était donc
le même que celui de notre homme de labeur de 1521. Le

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second cas est celui d’un gentilhomme de Champagne qui,


voyant que son fils ne lui donnait «  nulle marque
d’amendement  », lui cassa les jambes avec des tenailles.
Enfin « un gentilhomme de la frontière de Lorraine, nommé
Neufvilly », s’étant aperçu qu’une de ses filles était grosse et
ayant appris que c’était des œuvres du berger, lui donna « de
l’espée dans le corps  ». Ce geste était analogue à ce qu’on
appelle aujourd’hui dans les pays musulmans un «  crime
d’honneur  ». Comme la fille agonisa trois jours avant de
mourir, elle eut le temps de déclarer devant notaire « qu’elle
meritoit un pire traittement que celuy qu’on luy avoit fait ».
Elle aurait donc approuvé le geste qui la faisait mourir,
comme si elle l’estimait légitime. Le pouvoir royal pensait de
même puisque le père homicide a, lui aussi, obtenu sa grâce.
Dans tous ces cas, un père préfère donc tuer ou mutiler son
enfant pour éviter que celui-ci plonge son groupe familial
dans le déshonneur.
19 Dans d’autres cas, la démarche du parent détenteur de
l’autorité est moins radicale et n’est conçue que comme une
désapprobation. Ainsi en 1535 en Bretagne, un aîné, d’autant
plus responsable socialement qu’il est marié, a un frère cadet
désobéissant à leur père et voleur, qui donc fait peser un
risque de «  deshonneur a tout nostre laignaige  ». L’aîné
estime avoir assez d’autorité pour réprimander son cadet,
mais la réprimande tourne mal et l’aîné en arrive à tuer son
frère39. Ici encore, le motif était l’honneur familial, et l’action
se voulait préventive.
20 Ces cas de violences exercées par un homme détenteur de
l’autorité familiale envers des membres de sa parentèle
invitent à y mettre en perspective les violences en cas
d’adultère. Natalie Zemon Davis a donné une première série
de cas d’épouses tuées par leur mari à la suite d’un flagrant
délit d’adultère, homicides dont les maris obtinrent
rémission. C’était, avec la légitime défense, l’autre type
d’homicide rémissible, ce qui donnait presque au mari un
droit de mort sur son épouse adultère. Dans le corpus de
plus de huit cents lettres de rémission accordées à des sujets
du roi dans le duché de Bretagne entre 1516 et 1574, onze
maris ont tué leur épouse, dont deux immédiatement à la
suite d’un flagrant délit d’adultère. Un flagrant délit mettait
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le mari devant une alternative meurtrière : tuer l’amant, acte


de vengeance, ou tuer l’épouse. Les lettres de rémission
accordées à des maris ne précisent jamais rien sur le motif
d’un uxoricide à la suite d’un flagrant délit d’adultère,
comme si un tel acte était légitime. Luther rappelle que
« quiconque garde une femme adultère est un fou », et pour
lui l’adultère justifiait le divorce, ce qui ne l’empêchait pas de
suggérer aux autorités civiles de condamner la femme
adultère à mort. Certains historiens expliquent l’homicide de
la femme adultère par son mari en évoquant les biens
matériels et leur circulation, comme si la propriété était la
seule instance fondamentale motivant les humains. Ce type
d’explication témoigne de l’incompréhension de ce qu’est la
parenté et de son importance pour l’identité. Une tache sur
la renommée sexuelle des épouses était dommageable à
l’honneur de leurs parents masculins. La réprobation des
relations sexuelles illégitimes était certes exprimée en
termes moraux et motivée par les préceptes de la religion
chrétienne, mais le vrai fondement du caractère inacceptable
de l’adultère féminin était de l’ordre de la parenté. Il est
explicité par cette apostrophe en 1525 entre deux paysans  :
« Villain, tu cuydes estre marié o la fille de Jehan Raoul et tu
es marié o la fille Robert Gayez  !  » Et le suppliant de
commenter  : son ennemi voulait «  inferez par ses parolles
que la femme dudit B… ne feust pas [enfant] legitime, ne fille
dudit Raoul, beau-pere dudit B.40… » L’adultère des femmes
mariées faussait l’identité patrilinéaire de leurs enfants,
c’est-à-dire leur filiation. On voit que les paysans en étaient
conscients et y étaient sensibles tout autant que les nobles.
L’homicide d’une épouse adultère par son mari était donc
légitime parce que c’était le moyen d’éviter la naissance d’un
enfant qui ne serait pas le fils du mari et qui incarnerait le
déshonneur de celui-ci.
21 Qu’un chef de famille tue un fils voleur ou une épouse
adultère était donc vu comme un acte légitime, ayant pour
motif de prévenir un déshonneur pour le groupe familial.
Ces violences étaient conçues comme les actes d’une justice
interne à la famille.
22 Pour récapituler, on peut dire que la violence intra-familiale
exercée par un patriarche détenant une autorité, père ou
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mari, est une forme de justice privée, comme l’est aussi la


vengeance41. Mais tandis que la violence intra-familiale est
exercée sur un parent pour prévenir un déshonneur qui
s’abattrait sur le groupe familial, la vengeance est une
violence exercée sur un étranger qui a attenté à l’honneur ou
au capital-vie du groupe familial. La violence intra-familiale
est donc le «  pendant  » de la vengeance, comme l’a vu
Raymond Verdier42, et en est même une transformation
logique.
23 Du point de vue chronologique, la question est de préciser
jusqu’à quand des violences pénales intra-familiales ont été
pratiquées. Il semble que Tallemant écrivit ses Historiettes
entre 1657 et 1659, et les trois cas qu’il rapporte peuvent se
situer au temps de sa jeunesse, vers 1630. Or il estime que le
meurtre commis par le charpentier en la personne de son fils
était «  une resolution assez estonnante  », c’est-à-dire qu’à
cette époque un homme de l’élite parisienne ne la
comprenait plus, ce qui indique qu’elle était révolue. C’est le
moment du début du règne personnel de Louis XIV, qui a
reçu de façon croissante des placets de la part de familles qui
voulaient se prémunir contre le comportement d’un des
leurs, et dès lors c’est l’enfermement par lettres de cachet qui
a permis de renoncer aux crimes d’honneur au sein des
familles. Cependant la pratique de violences intra-familiales
a perduré beaucoup plus tardivement dans certaines régions,
en Lorraine par exemple selon Jean-Claude Diedler.

Conditions idéologiques du déclin de la


vengeance
24 Une des conditions de la renonciation à la vengeance relevait
elle aussi des relations de parenté. Pour renoncer à la
vengeance, les victimes avaient besoin de tenir la justice
publique pour impartiale. Or au xvie siècle les juges locaux
étaient partiaux, même les juges royaux, à cause du caractère
systématique des solidarités familiales, et du caractère
prioritaire qu’avait la parenté sur toute autre sorte de
relation43. Les juges eux-mêmes étaient suspectés de
défavoriser les adversaires de leurs parents, ainsi que les
parents de leurs propres ennemis44. François Ier et Henri III
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reconnaissaient le fondement de ces suspicions puisqu’en tel


cas il leur arrivait d’interdire à un juge la connaissance d’une
affaire, ou ordonnaient de procéder à l’entérinement de la
rémission à un autre juge de la même Cour, ou à une autre
Cour. À la suite de l’homicide, à Morlaix, d’Alain de Penmarc
dont les officiers de la ville étaient «  parents et alliés  », le
sénéchal de Lesneven a condamné et fait exécuter Jehan
Marec ; puis la veuve de celui-ci a épousé un noble, Pregent
Duval45, qui a fait appel de la sentence au Parlement, et c’est
pourquoi les juges de Morlaix le haïssent, ce qui devient un
danger dès lors que lui-même a commis un homicide. De
même, François Ier a ordonné de faire entériner une lettre à
Nantes parce que la femme du sénéchal du lieu était cousine
germaine de la victime46. En 1580 encore, un noble ayant
blessé mortellement un jeune homme qui de nuit a attaqué
sa maison avec une bande armée, le père de celui-ci le
poursuit au présidial de Nantes, qui pourtant ne devrait pas
avoir connaissance de l’affaire car celle-ci a eu lieu dans une
paroisse des marches communes entre Bretagne et Poitou,
mais le plaignant est un «  homme fort riche et allyé de
plusieurs des juges du siège […] où il a touttes faveurs » ; le
suppliant obtient finalement de faire entériner sa rémission
au présidial d’Angers47. Pour Max Weber, une des
caractéristiques de l’État rationnel moderne est
l’«  impersonnalité  » avec laquelle travaillent les
fonctionnaires, «  sans haine et sans passion  », «  sans
considération de personne, de manière égale pour tout le
monde48  ». La prégnance des relations de parenté faisait
qu’au xvie siècle, les cours de justice locales, même royales,
étaient fort loin de ce modèle.
25 Les conceptions qu’on pouvait avoir sur la vengeance étaient
reliées aux idées qu’on avait sur la justice et la religion. Deux
idéologies peuvent être identifiées à travers divers épisodes
des règnes de Charles IX et Henri III. L’une, traditionnelle,
était encore largement majoritaire  ; beaucoup, à la Cour,
avaient de la compréhension ou de l’indulgence pour des
auteurs d’actes de vengeance. L’autre idéologie, moderne,
était le fait de quelques esprits d’élite.
26 Dans le domaine de la justice, Montaigne avait conscience de
cette opposition : il constate qu’il y a « doubles lois, celles de
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l’honneur et celles de la justice, en plusieurs choses fort


contraires  ». En 1565 à Bordeaux, où Bournazel était
condamné à mort pour homicide, la Cour passant par là, seul
le chancelier tenta d’expliquer « qu’il falloit que justice s’en
fît », tandis que les gentilshommes et dames s’émurent pour
sauver la vie du condamné, pour lequel un ami obtint enfin
la grâce royale en se jetant à genoux aux pieds de la reine49.
En 1572, au lendemain de la tentative d’assassinat de
l’amiral de Coligny, selon Marguerite de Valois, témoin
oculaire, Charles IX était déterminé à faire justice, c’est-à-
dire à faire arrêter le duc de Guise, mais la reine-mère lui
remontra que Coligny était « bien digne de tel traitement »,
et que Guise était « excusable… si, n’ayant pu avoir justice, il
en avait voulu prendre même vengeance50 ». Quant à Henri
III, il lui arriva de refuser la grâce d’un meurtrier, mais
c’était parce qu’il «  aimait  » la victime51  : lui non plus,
quoique principe même de la justice, ne faisait donc pas
abstraction des relations inter-personnelles quand il avait à
décider d’une grâce. Ainsi, la famille royale partageait les
mentalités de ses sujets, et le pouvoir royal n’était pas
unanime. En conséquence, les justiciables n’étaient pas
dissuadés de renoncer à la violence tant que les homicides
étaient volontiers pardonnés par le roi, et, plus précisément,
tant que les clients des Grands pouvaient espérer obtenir
assez facilement le pardon royal.
27 On retrouve au plan religieux la même opposition de
conceptions que nous venons d’observer au plan judiciaire.
La vengeance est en contradiction avec l’appel au pardon
que prône l’Évangile, ce qui pose la question de la
compatibilité de la culture de la vengeance avec le
christianisme. Brantôme affirme que ce sont seulement « les
plus réformés  », et il faut comprendre catholiques et
protestants confondus, qui exhortent à l’oubli des offenses. Il
en arrive logiquement à rapporter ces deux conceptions de
l’attitude chrétienne envers autrui à deux statuts sociaux  :
l’oubli des offenses ne saurait convenir aux nobles, nous
l’avons vu, et ne serait bon que pour les religieux. Seulement
des âmes d’élite pouvaient passer de la soif de vengeance à
une sensibilité religieuse supérieure, comme Antoinette
d’Orléans, qui d’abord « voulut venger la mort de son mary
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tué52 » en 1596, puis « se fit religieuse » en 1599 et fonda la


congrégation du Calvaire. En 1563, venant d’être blessé à
mort, le duc François de Guise eut la grandeur d’âme
d’appeler au pardon, mais sa femme Anne d’Este clama  :
« Dieu ! si tu es juste, comme tu le dois estre, vange cecy53. »
Donner à Dieu des ordres ou des principes moraux
s’apparente à la mentalité religieuse des fidèles qui, à la fin
du xviie siècle, frappaient les statues des saints qui n’avaient
pas exaucé leurs demandes dans leurs prières. Encore dans
la deuxième moitié du xviie siècle, la dame de Nemours
(1625-1707) « ne pouvoit pardonner. […] Quand quelquefois
on lui demandoit si elle disoit le Pater, elle répondoit qu’oui,
mais qu’elle y passoit l’article du pardon des ennemis sans le
dire  »54. Bien que la volonté de vengeance soit en
contradiction avec l’appel au pardon que prêche l’Évangile,
les fidèles des xvie-xviie siècles n’avaient donc pas de peine à
la concilier avec leur conception du christianisme. Ce n’est
donc qu’au terme du long processus de prédication des
réformes religieuses et d’une culture religieuse approfondie,
au cours du xviie siècle, que la foi chrétienne est devenue
susceptible de contribuer au recul de la pratique de la
vengeance.
28 La relation personnelle avec Dieu conçue par les fidèles les
plus fervents a parachevé le procès d’individuation, en ce
qu’elle a fait reculer leur dépendance à l’égard des
obligations traditionnelles inhérentes aux relations de
parenté. En outre, le recours à l’homicide délibéré a pu
reculer parmi les catholiques du fait du contrôle exercé sur
les fidèles par la direction de conscience, et de
l’introspection provoquée par la pratique de la confession.
Pour Pascal, le désir de vengeance est criminel. La montée
du jansénisme témoigne aussi d’une crise des valeurs
héroïques55. Au sein des communautés protestantes enfin, le
recours à la vengeance a été limité par les médiations et les
arbitrages impulsés par les consistoires.
29 Pour conclure, ce n’est pas seulement aux xive-xve siècles,
mais aussi aux xvie-xviie, c’est-à-dire dans une très longue
durée, que la justice étatique et l’Église ont fait reculer la
vengeance et l’ont remplacée par la peine.

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30 Puisque, encore au xvie siècle, les rapports familiaux


déterminaient une violence délibérée, l’interprétation
historique de la violence homicide sur la longue durée ne
peut se fonder sur une incapacité des hommes de ce temps à
maîtriser leurs émotions, peur, ivresse, ni à contrôler leurs
«  pulsions  », selon le concept dont, à la suite de Norbert
Elias, on a usé et abusé. Il faut décidément «  nuancer
considérablement56  » les théories qui construisent la
«  civilisation des mœurs  » sur la sauvagerie initiale d’un
temps où aurait régné une violence « pulsionnelle ».

Notes
1. R. Muchembled, L’invention de l’homme moderne, Fayard, 1988, p.
42, 457.
2. N. Elias, La civilisation des mœurs, Calmann-Lévy, 1973  ; La
dynamique de l’Occident, Calmann-Lévy, 1975.
3. M. Wieviorka, Violence en France, Éd. du Seuil, 1999, p. 7.
4. G. Schwerhoff, «  Criminalized violence and the process of
civilisation, a reappraisal », Crime, Histoire et Sociétés, 2002, vol. 6, n°
2, p. 103-126.
5. Isambert, Decrusy et Armet, Recueil général des anciennes lois
françaises depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution de 1789, Paris, 1828, t.
XII, p. 635.
6. S. Caroll, «  The Peace in the Feud in Sixteenth-and Seventeenth-
century France », Past and Present, n° 178, fevrier 2003, p. 74-115.
7. M. Nassiet, «  Une enquête en cours  : les lettres de rémission
enregistrées à la chancellerie de Bretagne  », Enquêtes et Documents,
CRHMA, n° 29, 2004, p. 121-146 ; « Brittany and the French Monarchy
in the sixteenth century  : the evidence of the letters of remission  »,
French History, vol. 17, 2004, n° 4, p. 425-439.
8. Arch. nat., JJ 263B. M. Pothus, Les relations sociales en France
d’après les lettres de rémission de 1565, maîtrise, université d’Angers,
2005 ; A. Bouche, La violence en 1565 à travers les lettres de rémission,
mémoire de master 1, université d’Angers, 2006  ; J. Boutier, A.
Dewerpe et D. Nordman, Un tour de France royal. Le voyage de
Charles IX (1564-1566), Paris, Aubier, 1984, p. 197-198 et 204-208.
9. BM d’Angers, ms. 353. T. Foucault, Les femmes en Anjou à la fin du
xvie siècle d’après les sources criminelles, maîtrise, université d’Angers,
2005.
10. R. Verdier, La vengeance. Études d’ethnologie, d’histoire et de
philosophie, Paris, Éditions Cujas, t. 1, 1980, p. 19.

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11. AD Loire-Atlantique, B32, n° 6.


12. Arch. nat., JJ 263B, Bouche, op. cit., n° 75.
13. P. Bourdeille (seigneur de) Brantôme, Œuvres complètes de Pierre
de Bourdeille seigneur de Brantôme, Paris, Ludovic Lalanne (éd.),
Société de l’Histoire de France, 1869-1876, t. 6, p. 330-336  ; P. de
L’Estoile, Mémoires-Journaux, Paris, Tallandier, 1982, t. 2, p. 106 et
130. Ajoutons que dans la première moitié du xviie siècle, Antoine Du
Prat baron de Viteaux, mort en 1652, « avoit des brouilleries avec tous les
gentilshommes de son voisinage » (Tallemant des Réaux, Historiettes,
Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1961, t. 2, p. 726).
14. AD Loire-Atlantique, B33 (lettre à François Desboys) et B34 (lettre à
Pierre Crochart).
15. C. Gauvard, « De grâce especial », Crime, État et société en France à
la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991, p. 758.
16. Le seigneur de Moui, Claude-Louis Vaudrey, venge son père au bout
de quatorze ans, avec l’aide d’un parent, le seigneur de Saucourt
(L’Estoile, op. cit., t. 2, p. 122 ; Brantôme, op. cit., t. 5, p. 246-247).
17. Brantôme, op. cit., t. 5, p. 245.
18. A. Jouanna, L’idée de race en France au xvie siècle et au début du
xviie, Montpellier, 1981, p. 91.
19. AD Loire-Atlantique, B35, lettre à Jean Sendoux.
20. N. Du Fail, «  Contes et discours d’Eutrapel  », Propos rustiques,
balivernes, contes et discours d’Eutrapel, Charpentier, Paris, 1856, p.
154-155. M. Moreau, Histoire de ce qui s’est passé en Bretagne durant
les guerres de la Ligue, particulièrement dans le diocèse de Cornouaille,
Saint-Brieuc, 1857, p. 328-329.
21. Brantôme, op. cit., t. 9, p. 444.
22. H. Germa-Romann, Du «  bel mourir  » au «  bien mourir  ». Le
sentiment de la mort chez les gentilshommes français (1515-1643),
Genève, Droz, 2001, p. 222-223.
23. Brantôme, op. cit., t. 5, p. 247-248, et t. 9, p. 442-444.
24. Brantôme, op. cit., t. 9, p. 438.
25. Cf. de même, C. Gauvard, op. cit., 1991, p. 771.
26. AD Loire-Atlantique, B24 et B29.
27. Charles Du Plessis, puis son frère aîné Ambroise, furent tués en 1609
et 1610 par deux frères Turpin (AD Maine-et-Loire, E 2362 et 8J 151).
28. Souligné par nous (Du Fail, Contes et discours…, op. cit., p. 277).
29. Arch. nat., JJ 263B, f° 196 et f° 194.
30. En 1534, Guy de Landujan comparut à la revue de l’arrière-ban en
homme d’armes accompagné de deux archers, tandis qu’en 1480, Olivier

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Labbé, de la même paroisse de Quédillac, comparut en archer et ne


déclara que 15 livres monnaie bretonne de revenu noble. (M. Nassiet et
G. Sevegrand, « Les montres de l’archidiaconé de Dinan en 1534-1535 »,
Bulletin et Mémoires de la Société archéologique d’Ille-et-Vilaine, t. 105,
2002, p. 43-57 ; M. Nassiet, « Dictionnaire des feudataires des évêchés
de Dol et Saint-Malo en 1480 », Bulletin de l’Association bretonne, 1992,
p. 221-251, n° 542 et 1258).
31. Arch. nat., JJ 263B.
32. AD Loire-Atlantique, B33, lettre à Jean Jegou.
33. De même en 1564, dans la Soulle : « Craignant qu’ilz voulsissent tuer
sondit cousin, ledit suppliant qui estoit armé de son espée, qu’il a
accoustumé porter, s’aprocha dudit lieu et desgueyna, pour garder
seullement de mal ledit Olivier, son cousin, et pour repoulser les efforts
dudit [...] il auroit frappé sur la teste [...] duquel coup [...] ledit de
Grihetz seroit deceddé…  » (H. Courteault, «  Trois documents inédits
sur le pays Basque », Revue du Béarn et du pays Basque, 1904, p. 517-
521).
34. B. de Monluc, Commentaires, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la
Pléiade, 1964, p. 835.
35. Cité par M. Seguin, « Haines personnelles et violences politiques en
Saintonge au début des guerres de Religion  », Violence et relations
sociales dans le Poitou et les pays charentais de la fi n du Moyen Âge au
début du xxe siècle, GERHICO-Société des antiquaires de l’Ouest, 1994,
p. 23-38.
36. G. Hanlon, « Les rituels de l’agression en Aquitaine au xviie siècle »,
Annales ESC, mars-avril 1985, n° 2, p. 244-268, p. 256-258.
37. AD Loire-Atlantique, B26, lettre à Yvon Buannec.
38. Tallemant des Réaux, op. cit., t. 2, p. 737-738.
39. AD Loire-Atlantique, B37, Janton, n° 22.
40. AD Loire-Atlantique, B29, lettre à Jean Bodiguel.
41. C. Gauvard, op. cit., p. 753.
42. R. Verdier, La vengeance, op. cit., p. 22-23.
43. M. Nassiet, « Relations de parenté et solidarités dans la noblesse en
France au xvie siècle  », D. Bates et alii, Liens personnels, réseaux,
solidarités en France et dans les Îles Britanniques (xie-xxe siècle),
Publications de la Sorbonne, 2006, p. 59-72.
44. AD Loire-Atlantique, B35, lettre à Jean de Launay.
45. AD Loire-Atlantique, B34, lettre à Pregent Duval.
46. AD Loire-Atlantique, B34, lettre à Guillaume de La Tribouille.
47. BM d’Angers, ms. 353, lettre à Guillaume Lamoureux. T. Foucault,
op. cit., n° 1.
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48. M. Weber, Économie et société. Les catégories de la sociologie,


Plon, 1995, t. 1, p. 300.
49. Brantôme, op. cit., t. 9, p. 443.
50. M. de Valois, Mémoires et discours, Publications de l’université de
Saint-Étienne, p. 69-71.
51. En 1573 (Brantôme, op. cit., p. 333)  ; le 5 août 1579 (L’Estoile, op.
cit., t. 1, p. 320).
52. Tallement des reaux, op. cit., t. 1, p. 29.
53. Brantôme, op. cit., t. 9, p. 442.
54. Saint-Simon, Mémoires, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la
Pléiade, 1954, t. II, chap. LII, p. 879.
55. J. Rohou, Le xviie siècle, une révolution de la condition humaine,
Paris, Éd. du Seuil, 2002.
56. C. Gauvard, op. cit., p. 944.

Auteur

Michel Nassiet
Du même auteur

Noblesse et pauvreté, Presses


universitaires de Rennes, 2012
La violence et le judiciaire,
Presses universitaires de
Rennes, 2008
Valeurs et justice, Presses
universitaires de Rennes, 2011
Tous les textes
© Presses universitaires de Rennes, 2008

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NASSIET, Michel. Survivance et déclin du système vindicatoire à


l’époque moderne In : La violence et le judiciaire : Du Moyen Âge à nos
jours. Discours, perceptions, pratiques [en ligne]. Rennes  : Presses
universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19 septembre 2021).
Disponible sur Internet  : <http://books.openedition.org/pur/4989>.
ISBN : 9782753530546. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4989.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
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La violence et le judiciaire

Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,


pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

La violence et le judiciaire
Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,
pratiques

Ce chapitre est cité par


Härter, Karl. (2013) Violent Crimes and Retaliation in the
European Criminal Justice System between the Seventeenth and
Nineteenth Century. SSRN Electronic Journal. DOI:
10.2139/ssrn.2218350

https://books.openedition.org/pur/4989 20/20
19/09/2021 21:38 La violence et le judiciaire - Une sociabilité sanglante : autour de la violence vindicatoire à l’époque moderne - Presses unive…

Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

Une sociabilité
sanglante : autour
de la violence
vindicatoire à
l’époque moderne
Stuart Carroll
p. 89-97

https://books.openedition.org/pur/4990 1/14
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Texte intégral
1 Le 15 juillet 1724, Pierre de Montvallat, seigneur de
Tournoël, alors âgé de 70 ans, rejeton de l’une des meilleures
familles de la noblesse auvergnate, flanqué de son fils
naturel et de deux valets, est attaqué par son ennemi, le sieur
de Rochevert, à Sayat, sur la route qui va de Clermont à
Volvic. Au cours de l’échauffourée, Montvallat reçoit une
décharge en pleine figure qui le tue. Cette « haine mortelle »
entre des voisins, selon l’expression consacrée, résultait des
conditions de la réussite et de l’ascension des sieurs de
Rochevert qui avaient fait fortune grâce à des charges
d’officiers fiscaux à la fin du xvie siècle et qui étaient ainsi
parvenus au premier rang dans le pays d’Auvergne.
L’enregistrement de lettres de rémission pour Rochevert à
Paris, le 25 janvier 1725, consacre cette position
avantageuse1.
2 Cette histoire n’est pas remarquable en elle-même – il s’agit
d’un cas classique de confrontation née de rivalités locales
pour le pouvoir social et politique – mais elle l’est par sa date
qui en fait un exemple tardif d’un phénomène plus général.
La «  faide  » est donc toujours vivante en France au xviiie
siècle. À la fin du xvie siècle, les contemporains sont plus
conscients que les historiens d’aujourd’hui que la vendetta
est une caractéristique déterminante de cette époque. La
Noue, en 1587, déplore que : « L’un prend des satisfactions
avec avantage : l’autre se venge cruellement. L’un fait tuer en
trahison son ennemi d’un coup de pistole ou de harquebuze,
& les autres font grands assemblees, comme si c’estoyent
petites guerres  : & souvent a vient qu’une querelle en
engendre quatre, & pour l’offense d’un, plus de vingt
meurent2. »
3 La violence vindicatoire – c’est-à-dire la « faide », le duel et
la vengeance – est le sujet de notre livre Blood and violence
in early modern France3. Pour cet article, nous limitons
notre propos à trois éléments constitutifs de la sociabilité de
vengeance : la construction de la mémoire sociale, le rôle de
conseil au sein des familles, et enfin le comportement des
vengeurs dans l’espace public.

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La mémoire familiale et sociale


4 Dans les sociétés traditionnelles les événements du passé
sont transformés en un récit d’inimitié et ils sont conservés
dans la conscience collective au moyen des chansons et
contes (souvent réalisés par les femmes)4. Hamlet ne fut-il
pas visité par le fantôme de son père « to whet they almost
blunted purpose  »  ? Les Français se rappellent-ils les
animosités de leurs pères et de leurs grands-pères  ? À
Pâques 1627, François de Raveton, seigneur de Chauvigny en
Basse-Normandie, tue son voisin le baron de Tubœuf. Dans
ses lettres de rémission, Raveton raconte que « depuis plus
de 300 ans, il y avoit tousjours eu froideur entre les maisons
de Chauvigny et de Tubeuf5  ». Nous pouvons vérifier cette
affirmation dans les archives. En 1627, la «  faide  » dure
depuis au moins soixante-dix ans. Raveton devait être très
conscient de cette histoire parce que la dispute avait produit
une grande quantité de papiers, qu’il extrait de ses archives
quand il est obligé de défendre ses intérêts contre les
prétentions de son ennemi6. Quand ils ne sont pas
découragés par la crainte de la justice royale, nous voyons
que les gentilshommes sont francs, voire fiers, à propos de
leurs animosités, quoique, en général, la durée de leur
mémoire ne dépasse pas la limite de cent ans. Pierre
Baudouin, écuyer, reconnaît qu’avant le duel sanglant auquel
il participe le jour de Saint-Jean 1604 « que plus de soixante
ans qu’il y a inimytié et querelle entre les maisons [des
duellistes] tant que son père et des prédécesseurs7  ». Sept
ans plus tard, Anne de Voré, écuyer, admet qu’entre son
lignage et celui de son voisin «  il y avoit cent ans qu’ilz
estoient en troubles les uns avec les autres8 ».
5 Pour Hamlet, le souvenir de son père assassiné s’estompe
rapidement. Mais à l’époque de la Renaissance, Hamlet est
un homme exceptionnel. François Hauteroche, écuyer âgé de
24 ans, raconte qu’il avait 11 ans lors de l’assassinat de son
frère par le clan Apchier. En novembre 1543, François
rencontre un de leurs serviteurs sur la route « et lors luy vint
au cœur la mémoire et recordacion de la mort de sond[it]
frère  », et c’est pourquoi il est obligé de se venger sur la
place9. Dans la sociabilité quotidienne des gentilshommes,

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les aspects moraux de tels délits occasionnent des débats


sans fin. Chrétien Gommer, écuyer, est âgé seulement de 13
ans lors du brutal assassinat de son père, perpétré en 1568
sous ses yeux. Pendant les quatorze années suivantes, il « se
trouve ordinaire en bonnes compaignies et avec grandz
seigneurs [qu’]on luy mectoit souvent devant les yeux la
mort de son père10  ». Les traditions familiales sont
transmises oralement de génération en génération, jusqu’à
tel point qu’au xviiie siècle la famille de Saint-Chamans est
certaine que les origines de la dissension avec la branche
collatérale remontent à un duel qui s’était déroulé en 1604.
« Ce combat », écrit le seigneur de Saint-Chamans en 1790,
«  a été l’origine des guerres civiles et dissension qui ont
désolé notre maison près d’un siècle et demi  ». Dans son
enfance on lui avait raconté comment à la fin du xviie siècle
la petite-fille de l’un des protagonistes originaux s’était
amusée à ramasser les boulets de canon et balles
d’arquebuse, débris de cette guerre privée11.
6 Le mémoire manuscrit composé par le Provençal Honoré de
Quiqueran en 1657 reste la seule source, identifiée pendant
mes recherches, qui ait été expressément consacrée aux
réflexions sur une faide  : «  Ces mesmoires serviront
déshormès pour contenter la curiosité de nos descendans et
pour les obliger d’en faire de mesmes, puisque nos pères ont
négligé de nous laissé des lumières du menu de leursd[ites]
actions12. » Son intérêt principal est l’histoire de la vendetta
qui se déclenche vers 1540 entre ses aïeux et les Castellane-
Laval et qui dura jusqu’à la fin du xvie siècle. Ce conflit a
produit une énorme documentation, mais il est évident que
le compte rendu dressé par Honoré est aussi fondé sur une
riche tradition orale car, comme il le dit lui-même, nombre
de ses aïeux étaient analphabètes. La «  faide  » avec les
Castellane-Laval était finie avant sa naissance et il ne
démontre aucun signe d’hostilité envers eux. Pourtant, dans
Saint-Martin d’Arles, où Honoré fait ses dévotions
habituelles, il y a un rappel constant du passé. Il s’agit de la
chapelle fondée par les Castellane-Laval en l’honneur de
Gaucher de Quiqueran, assassiné par eux en 1545 et qui fait
partie des réparations dues par les Castellane-Laval stipulées
dans le compromis.
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7 Chapelles, croix, épitaphiers, consacrés à la mémoire des


victimes assassinées, sont courants dans la France
traditionnelle. Fondés par le meurtrier, ces dons servent,
conjointement à l’argent versé pour prix du sang – «  blood
money » – à réparer le tort, rembourser la dette de sang et
retrouver l’équilibre entre les clans13. Ces trophées sacrés
sont symboliques de l’affirmation de la paix et de la
réconciliation. Mais d’autre part, les objets profanes servent
à prolonger et à immortaliser des sentiments d’hostilité.
Après que le château de Champroux, appartenant à la famille
Gadagne, a été rasé sur ordre royal, après l’assassinat de
Jean de Lévis comte Charlus en 1611, ses décombres sont
employés à la construction d’une chapelle et d’une croix sur
le lieu du crime, pour durer au moins jusqu’en 1875. Mais on
est allé plus loin. À Poligny, siège principal des Lévis-
Charlus, jusqu’à la fin du xixe siècle, subsistent sur les murs
de la salle des gardes du château des fresques reproduisant
les détails de l’assassinat. Aucun visiteur n’aurait pu ignorer
les événements et, par ce moyen, l’assassinat est entré dans
le monde du folklore. Les termes « va Gadagne ! » et « chétif
comme un Gadagne  » sont devenus des insultes populaires
dans le Bourbonnais14.

Le rôle du conseil de famille


8 Le conseil est l’un des éléments les plus importants de
l’histoire politique dans les sociétés traditionnelles, mais un
phénomène largement négligé par les historiens, sans doute
à cause de son caractère fugace, éphémère. Consulter ses
proches est essentiel à la fois avant et après une démarche
violente. Le partisan doit mobiliser un soutien solide parmi
le lignage, soit pour tuer son ennemi, soit pour contrecarrer
les poursuites judiciaires résultantes. Chaque étape de la
procédure entraîne des frais, sans parler des réparations
financières prévues dans le compromis. Cela peut appauvrir
le lignage entier. Après l’assassinat, le conseil est l’occasion
d’obtenir le soutien des patrons et des clients, qu’il s’agisse
d’abriter l’auteur, retarder la procédure judiciaire, suborner
et menacer les témoins ou supplier la grâce royale. Sans

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l’appui des siens, l’acteur se retrouve politiquement et


socialement isolé15.
9 Mépriser l’autorité patriarcale est un péché et les jeunes
mâles ont une obligation de sauvegarder l’honneur du
groupe et de lancer des défis. En 1476, Jean de Polastron dit
à son fils Roger, que «  s’il ne le vengeoit dudit oultrage  »
perpétré par Domange de Pujols «  qu’il le désavoit ne le
tenoit point pour son filz [et il] n’a[ura] jamais aucun bien
de luy16  ». La pression morale exercée par le clan sur
l’individu pour qu’il se conforme à son obligation est
formidable. En 1495, l’oncle de Pierre Gouberville lui dit que
« vous seriez bien lasche si vous ne vous en vengez. Il m’en
cuida faire vendredy ou samedy [à] Rouen17  ». Gouberville
avait été insulté lors d’une grande assemblée de nobles et
son oncle voulait s’assurer que l’acte de vengeance aurait
lieu, comme l’offense originale, dans un espace public.
10 Le conseil familial n’est pas un forum où règnent
simplement le consensus et un sage conseil. Puisque le
conseil familial détermine la direction politique de la famille,
il est souvent déchiré par des aspirations contradictoires ou
par des querelles d’ego. Le chef du lignage est un personnage
complexe, façonné à la fois par ses propres perspectives et
par les désirs, les préjugés et les intérêts de ses proches
parents et de ses conseillers. Au sein de la famille Gadagne,
le belliciste furieux qu’est Marc de Grivel, beau-frère de
Balthazar de Gadagne, a du poids. Dans son interrogatoire
devant le Parlement de Paris en décembre 1611, le
rapporteur lui demande s’il n’a pas dit à son beau-frère : « Il
faut tuer le coq, autrement ne me voyez plus18. »
11 La voix féminine a un certain poids moral et une femme peut
jouer un rôle capital dans le processus décisionnel. La
femme vengeresse n’est pas simplement un trope littéraire.
En 1469, la femme et la belle-sœur de Rigaud de Tournemire
lui font jurer publiquement de «  faire tuer et occire  »
l’assassin du bâtard de Tournemire19. En 1605, la damoiselle
de la Brinière charge un laquais de porter une épée de duel
et un poignard à son fils aîné, disant « dy à ton maistre que
s’il trouve de noz ennemis voila dequoy les attaquer20 ». Par
le biais de commérages, les femmes peuvent réguler la
conduite de leurs maris. Si le bruit court qu’un homme est
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un couard, sa réputation est ruinée. Faute de jeunes parents


mâles influençables, il faut employer laquais ou domestiques
pour exécuter la besogne. Mais d’autre part, les femmes
peuvent exercer un rôle apaisant. Au cours des délibérations
tenues à Charmes en 1479, Nicolas du Han propose « que en
quelque [lieu] que led[it] Andrieu fust trouvé qu’il soit
batu21  ». Nicolas est contredit par sa femme qui prône la
modération parce qu’elle craint pour la vie d’Andrieu. Ce
raisonnement ne l’emportera pas, mais de temps en temps la
voix morale a été décisive.

Le « Théâtre de Sang »
12 Dans les sociétés traditionnelles la haine et l’animosité sont
à la fois des sentiments émotionnels et des catégories
publiques qui structurent et codifient les relations
interpersonnelles. Dans l’Agenais à la fin du xviie siècle
«  chacun, s’imaginant acteur sur l’agora locale, tâchant de
jouer son rôle de manière à apparaître un peu plus
important que son statut social ne le permet. Il faut tenir la
tête haute et prodiguer des bravades, afin de prouver que
l’on n’est sans importance22  ». Le châtiment d’un ennemi
perd beaucoup de son intérêt s’il s’accomplit en privé et la
présence des spectateurs est la garantie qu’un duel verbal
suivi de quelques coups de main ne va pas dégénérer.
13 Se battre en duel en secret est rare avant le xviiie siècle,
parce que le prestige du combat dépend à la fois du nombre
et du statut des observateurs. Malgré leurs vicissitudes
politiques et financières, une aura de puissance continue à
entourer la famille de Guise dans le premier tiers du xviie
siècle, grâce à leur réputation d’être prompts à faire réparer
leur honneur bafoué avec démonstrations de violence. Les
duels qui opposent le chevalier de Guise à Luz père et le jour
après à Luz fils, sont parmi les plus célèbres du Grand siècle.
Les braves de la Cour affluent à l’hôtel de Guise pour faire
acclamer leur héros. Les victoires du chevalier sont louées en
vers et même annoncées à grand renfort de publicité dans le
Mercure François. Ses exploits suscitent l’admiration des
provinciaux. En Provence, l’année d’après, le chevalier
compare ses blessures de combat avec ceux de la région. Il

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donne une copie du cartel23 qu’il a fait envoyer à Luz père, à


Lion de Quiqueran, qui n’apprécie guère son attitude : « Il se
glorifioit extrememant du bon heur des ses combats, dont
Lion le blasmoit extrememant n’en donnat pas la gloire à
dieu comme il devoit. Il ne se vit jamès un homme qui fit
plus prier dieu pour celuy qu’il avoit tué, quoy que son
combat est [le] plus acharné et le plus sanglant qui soit
arrivé de son tans24.  » Pour s’assurer le maximum possible
de publicité, le cartel est parfois imprimé et affiché dans les
rues.
14 Parce que l’honneur doit être proclamé, acclamé et confirmé
publiquement, il y a des lieux qui constituent les espaces
privilégiés de la sociabilité sanglante. Le cimetière se
présente comme un espace clos. Lancer un défiaprès le
messe c’est offrir la possibilité que les fidèles puissent
intervenir. Pour la même raison le pont est un lieu privilégié
par les duellistes. Sur les ponts des grandes villes se
déroulent parfois des combats spectaculaires, par exemple le
combat de cinq contre cinq sur le pont de la Seine à Rouen
en 157925.
15 La reconstruction de Paris au xviie siècle crée une toile de
fond plein d’édifices monumentaux, devant lesquels le
drame de vengeance est joué. Il s’agit surtout de la place
royale mais aussi du Pont-neuf, premier pont parisien
dépourvu de maisons. En 1607, Jacques de la Fin de Nocle y
est fusillé par quinze cavaliers et écrasé par une coche26. L’un
des duels les plus célèbres du temps de Louis XIII, qui
opposa Pontgibault à Chalais, a lieu sous la statue du père du
roi édifiée en 1614. Le combat à cheval entre les Normands
François de Pardieu et François de Bigars, marquis de la
Londe, le 7 mai 1628, dans lequel le dernier est tué, est
beaucoup moins connu. Le choix de ce lieu sous le nez du
cardinal de Richelieu juste après l’exécution de
Montmorency-Boutveille est frappant27. Mais la violence
vindicatoire n’est pas réservée à la noblesse d’épée. La haute
noblesse de la robe est aussi obligée de réparer l’honneur
bafoué publiquement. À la fin du xvie siècle un conseiller du
Parlement de Bordeaux fait tuer sa femme et son amant et
«  il fit exhiber leurs corps sur le pavé de la rue et y
demeurèrent tout le jour de l’exécution28  ». Jean le Ragois,
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conseiller au Parlement de Paris, fait assassiner son ennemi,


un officier de la chancellerie, sur le pont Notre-Dame en
plein jour le 6 décembre 165229.
16 L’exécution de Montmorency-Bouteville est considérée
comme un événement déterminant pour le développement
de l’absolutisme triomphant. Elle voit l’aristocratie maîtrisée
par le cardinal et leur comportement violent « broyé » par la
machine répressive de la justice royale. En réalité, les
duellistes sont obligés de passer dans la clandestinité pour
peu de temps et le problème réapparaît d’une façon
spectaculaire l’année suivante pendant le siège de La
Rochelle, où le maréchal de la Meilleraye, neveu préféré du
cardinal, se livre à un duel à cheval sous les yeux des deux
armées opposées30. Modifier par simple édit un concept si
dominant que l’obligation d’avoir recours aux armes pour
avoir satisfaction, était peu probable. Peu de temps après, la
place royale est encore une fois le théâtre de violents
affrontements. En 1637 le Parlement de Paris se plaint que
«  les rues de cette ville servent d’un théâtre sanglant31  ».
Juste après la mort du cardinal se déroulent deux fameux
duels sous la statue nouvellement installée de Louis XIII.
Même pendant la majorité de Louis XIV l’usage sanglant que
l’on fait du Pont-neuf continue : le 13 janvier 1666 le comte
de la Feuillade, plus tard maréchal de France, se bat avec le
chevalier de Clermont32.

Conclusion
17 Le devoir chrétien de traiter les gens sans défense et les
mourants avec compassion se heurte à la psychologie
guerrière de la noblesse. Dans la culture guerrière le rapport
entre l’humiliation et la mutilation des corps est étroitement
lié. Apprendre à tuer de sang-froid est un rite de passage  :
« Quand [Jean de Nettancourt] prenoit des prisonniers, il les
faisoit tuer par son filz qui n’avoit que dix ans, pour
l’accoustumer de bonne heure au sang et au carnage33. » Le
rapport du chirurgien sur le corps mutilé de Pierre Dangery
montre comment le vengeur, emporté par sa colère « juste »,
fait laver son honneur dans le sang en 1639 :

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«  Inventaire de la procédure faict pardevant nous honorés


seigneurs messieurs tenans la souveraine cour de parlement
de Tholouse. Damoiselle Anne de Fontanieu vefve de feu Me
Pierre Dangery docteur advocat demendeur en excès contre
Jean de Rochechouard sieur et baron de Faudouas, Louys de
Rochechouard sieur de Barbasan et Roger de Rochechouard
Sr d’Auterere frères défaillans.

Premièrement une playe sur le tétin gauche longue d’ung


travers et de demy large de doibt, large d’ung demy, à travers
du cœur pénétrant jusques aux vertèbres du métaphrère
faicte de coup d’estoc.

Autre playe sur le tétin droict longue d’ung grand travers de


doibt large comme la sus dicte traversant le poulmon
semblabl[em]ent faicte par intrusion de pointe d’espée.

Autre playe au costé droict sur la cinquième des fausses


cottes longue d’ung petit travers de doigt large d’environ
demy arresté sur ladicte cotte.

Autre playe ayant son entrée par derrière au dessoubz la


joincture du bras droict à l’espaule longe de six grades
travers de doibt de large et large d’ung et sa sortie a travers
la vaine axillaire au dessoubs la fourche droicte longue d’un
travers de doibt large d’environ demy aussy faicte ladicte
playe d’estocade.

Autre playe aussy d’estocade par derrière de figure


triangulaire entrent dens la capacité du corps passant entre
les apophises des vertèbres des combes du costé gauche
portèrent jusques au diaphragme.

Autre playe faict de trenchent d’espée par derrière longue de


six travers de doibt large de trois couppant le muscle
lombaire du costé droict.

Autre playe aussy faicte de trenschent de glaive au dessoubs


la claivière droicte sur le cartilège luy joint les cotes au
sternum de longueur de six travers de doibt largueur de
quatre.

Autre playe d’estocade entre la seconde et la troisième des


fausses costés du costé gauche entrent dans le corps
pénétrant le diaphragme toutes lesquelles playes attendu
leurs diverses figures faicte à nostres advis par plusieurs
glaives différentes. Estimons avoir este cause de mort
soudaine dudict sieur Dangery voire mesme la première
seulle en avoir esté suffisante34. »

18 Selon le rapport, le premier coup seul a entraîné la mort. La


plupart des coups ont donc été infl igés post mortem. Il y a
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peut-être une raison judiciaire puisque par ce moyen on


identifie avec difficulté l’assassin. Il est plus vraisemblable
que nous sommes les témoins d’un acte qui manifeste un
sentiment de solidarité et un désir de participer au triomphe.
En 1568, le père de Chrétien de Gommer a été assassiné
devant ses yeux par l’abbé d’Orbais  ; le cadavre a été
horriblement mutilé, la gorge a été tranchée, les yeux ont été
creusés, et l’abbé plaisanta que « si ils vouloient achapter les
peaulx de ces bestes, il leur feroit bon marché […] qu’ils y
avoyent faict faire feuz de joye en signe de trophée, dansans
autour de feu, ayans des bonnets rouges et plumes de coq, en
dérision du [Gommer] et de sa maison ». Quatorze ans plus
tard Gommer et ses parents, soit 16 à 18 hommes,
échafaudent un plan pour se venger en coinçant leur proie
dans une maison. Chrétien y entre le premier, avec son frère
et son beau-frère, pour tuer l’abbé, puis les autres parents
entrent dans la maison l’un après l’autre pour poignarder le
cadavre : « Mesme a entendu que aucuns marchèrent sur le
corps le foullant au pieds. » Selon Pierre de L’Estoile, l’abbé
a reçu plus de cent blessures de pistole et de poignard.
Gommer le présente comme un acte juste et rédempteur.
Puis il offre ses remerciements à Dieu et fait connaître
partout «  que dores en advant il pouvoit aller la teste
haulte35 ».

Notes
1. F. de Clérambault, Le château de Tournoël, Paris, Champion, 1910.
2. F. de La Noue, Discours politiques et militaires, Basle, 1587, p. 248.
3. S. Carroll, Blood and violence in early modern France, Oxford,
Oxford UP, 2006.
4. G. Halsall (dir.), Violence and Society in the Early Medieval West,
Woodbridge, Boydell, 1998.
5. A. Floquet, Histoire du privilège de Saint-Romain, 2 tomes, Rouen,
1833, t. II, p. 466.
6. AD de Seine-Maritime, fonds du parlement de Rouen, 1B 3153, 25
juillet 1581 ; 1B 3154, 25 mai 1563.
7. A. Floquet, op. cit., t. II, p. 449.
8. AD de Seine-Maritime, G 3504, 9 mai 1611.
9. Arch. nat., JJ 257/3, f° 135, juin 1547.

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10. AD de Seine-Maritime, G 3503, 17 mai 1583.


11. E. Bombal, Notes et documents pour servir à l’histoire de la maison
de Saint-Chamans, Tulle, 1891, p. 23-24.
12. Arch. nat., AB XIX 3346/1.
13. S. Carroll, «  The peace in the feud in sixteenth-and sevententh-
century France », Past and Present, n° 178, février 2003, p. 74-115.
14. O. Siméon, Archives du château de Léran, 5 tomes, Toulouse, Privat,
1903-1927, p. 501-503  ; L. de Ribier, Charlus-Champagnac et ses
seigneurs, Paris, Champion, 1902, p. 112-13.
15. S. Carroll, « Achêter la grâce en France du xve au xviie siècle  », B.
Garnot (dir.), Justice et argent. Les crimes et les peines pécuniaires du
xiiie au xxie siècle, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2005.
16. Arch. nat., JJ 231, f° 203, 1498.
17. Arch. nat., JJ 227, f° 151, novembre 1496.
18. Arch. nat., X2b 1181, 13 décembre 1611.
19. R. Grand, Anjony : une race – un château, Paris, Picard, 1951, p. 78-
79.
20. Arch. nat., X2b 1180, 29 mai 1609.
21. Arch. nat., JJ, f° 53, juin 1479.
22. G. Hanlon, « Les rituels de l’agression en Aquitaine au xviie siècle »,
Annales ESC, n° 40, 1985, p. 244.
23. Lettre de défi pour combattre en un lieu.
24. Arch. nat., AB 3346/1, f° 45 v.
25. A. Floquet, op. cit., t. I, p. 346-347.
26. Caumont de la Force et J. Nompar, Mémoires authentiques, Éd.
marquis de la Grange, 4 tomes, Paris, 1843, t. I, p. 184, 426.
27. Arch. nat., X2b 1195, 27 février 1631.
28. J. de Gaufreteau, Chronique Bordelaise, 2 tomes, Bordeaux, 1877-
1878, I, p. 154.
29. Arch. nat., X2b 1234, 8 mai 1652, 28 août 1652, 7 décembre 1652, 15
janvier 1653, 1er mars 1653 et 25 septembre 1653.
30. Maréchal de Bassompierre, « Mémoires », Michaud et Poujoulat, 2
sér., VI, p. 277.
31. M. Cuenin, Le duel sous l’Ancien Régime, Paris, Presses de la
Renaissance, 1982, p. 103.
32. Arch. nat., X2b 1269, 20 janvier 1666.
33. Tallement des Réaux, Historiettes, Paris, Éd. G. Mongrédien,
Garnier, 8 tomes, 1932-4, t. I, p. 232.

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34. AD Haute-Garonne, BPS [sacs à procès] 1577, 14 juin 1639, « Procès-


Verbal des chirurgiens sur le cadavre de Pierre Dangery, avocat ».
35. AD Seine-Maritime, G 3503, 17 mai 1583 ; P. de L’Estoile, Registre-
Journal du règne d’Henri III, Genève/Droz, Éd. M. Lazard et G.
Schrenck, 6 tomes, 1992-2003, t. II, p. 125-126.

Auteur

Stuart Carroll
Du même auteur

Vengeance, Kinship Solidarity


and Affinity in Late-Medieval
and Early Modern France in
Liens personnels, réseaux,
solidarités en France et dans
les îles Britanniques (xie-xxe
siècle), Éditions de la
Sorbonne, 2006
© Presses universitaires de Rennes, 2008

Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

Référence électronique du chapitre


CARROLL, Stuart. Une sociabilité sanglante  : autour de la violence
vindicatoire à l’époque moderne In  : La violence et le judiciaire  : Du
Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques [en ligne].
Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19 septembre
2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4990>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4990.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
https://books.openedition.org/pur/4990 13/14
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septembre 2021). Disponible sur Internet  :


<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
Compatible avec Zotero

La violence et le judiciaire

Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,


pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

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Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

Dissensions et
justice en Terre
Ferme vénitienne
au xvie siècle
Lucien Faggion
p. 99-109

Texte intégral

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1 Les procès constituent la voie privilégiée, voire exclusive, de


la recherche conduite sur le droit, la théorie et la pratique
juridique, le contexte délictueux, le discours du juge, le
délinquant, la victime et les témoins. Les archives
criminelles sont censées permettre la saisie de la violence
des sociétés urbaines et rurales, les différents niveaux de
réalité qui scandent une procédure et rendent perceptible la
logique de l’instruction, ainsi que ses probables
transgressions1. Mais l’approche peut aussi se fonder sur
d’autres sources telles que celles contenues dans les archives
notariales qui donnent un éclairage particulier sur la norme
et la façon dont les individus utilisent la justice.
2 Les actes enregistrés par les notaires du monde rural
vénitien au xvie siècle, par ceux qui sont en exercice dans la
vallée de l’Agno, située au nord-ouest de la province de
Vicence, jouxtant le territoire de Vérone, dont la population
globale s’élève à près de 12  000 personnes, autorisent le
chercheur à appréhender les rapports interpersonnels dans
les sociétés de la première modernité. L’attention est portée
sur les conflits survenus dans deux localités importantes de
la vallée, d’abord à Trissino, composée de 2  500 habitants
environ, puis à Valdagno, chef-lieu du district, dont la
population s’élève à près de 3  000 âmes, une attention qui
fait ressortir le processus de la régulation sociale et les
multiples solutions trouvées2.
3 Les 312 actes notariés analysés reposent sur un échantillon
de 4  506 documents, enregistrés entre 1530 et 1600,
comprenant des instrumenta, des compromis, des sentences
arbitrales, des conventions, des compositions, des
concordes, des pactes, au nombre de 302, dont les
informations, souvent livrées avec parcimonie, contribuent
toutefois à faire connaître une frange, même minime, des
relations entre les individus, les groupes et les familles. Sans
être nombreux au xvie siècle, les actes de paix, s’élevant à dix
seulement, figurent pourtant comme de précieux indicateurs
des altercations réprouvées, et permettent également de
cerner une agressivité vraisemblablement très diffuse,
rendue perceptible par le besoin de réparation ressenti par
les victimes3. La finalité de la démarche entreprise par
celles-ci auprès des acteurs de la régulation s’avère ainsi
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double  : d’une part, elle est sociale, car elle est destinée à
mettre un terme à des antagonismes souvent redoutables
menaçant l’intégrité d’une famille  ; d’autre part, elle est
judiciaire, puisque la paix, accordée par l’offensé à son
agresseur ou par ce dernier, est susceptible d’atténuer la
peine4. Les voies de parole et de fait supposent un type de
lecture et de filtrage particulier en mesure de repérer une
forme de violence probablement fréquente, mais souvent
occultée, et de connaître ses modes de résolution. L’examen
des actes agressifs, de nature psychologique et physique,
reposant sur les actes notariés, permet d’envisager une
réalité sociale habituellement difficile à saisir, ainsi que les
rapports établis entre les justiciables et le système judiciaire.

Les voies possibles de la résolution


4 Les litiges survenant dans l’arrière-pays peuvent être
instruits par la justice urbaine, le Consulat, tribunal civil et
pénal, composé de douze membres nobles, présidé par le
podestat, un patricien vénitien ; l’un des trois assesseurs du
recteur, originaires de laTerre Ferme5  ; le podestat et les
juges ordinaires, le vicaire du district, un noble vicentin élu
par ses pairs6, les notables et, enfin, les notaires. Ces
différents acteurs de la réconciliation décident de l’issue
d’une affaire et rendent manifeste l’usage de stratégies mises
en œuvre par les parties en désaccord. Le cheminement d’un
dossier n’est donc jamais le même : une querelle quelconque
peut ainsi passer du chef-lieu provincial au village ou dans le
centre administratif du vicariat et se terminer dans la
localité d’origine des plaignants. Tel est le cas, par exemple,
le 30 octobre 1539, à Vicence, de Francesco Gemo, qui fait
appel au podestat, afin d’affronter son adversaire7 ; le 13 juin
1542, le vicaire du recteur qui écoute Zanoti Rossi, son frère
Antonio, et leur opposant Francesco Ferrari8 ; ou le 29 juin
1542, les parties étant auprès du juge de la raison9. Le cas
survenu à Brogliano le 16 août 1537 permet de mesurer le
rôle joué par les autorités pour résoudre les conflits
échappant volontairement aux tribunaux citadins  : une
prorogation de compromis dévoile qu’au mois d’avril de la
même année, une sentence avait été prononcée par le recteur

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de Vicence, lequel avait exhorté les clients à résoudre leur


antagonisme dans leur localité d’origine10.
5 Quoique les villageois préfèrent s’adresser directement aux
représentants officiels de la justice, ceux de Vicence et de la
vallée dans laquelle ils sont établis, la voie de recours est
plus subtile et, peut-être, moins prévisible qu’il n’y paraît de
prime abord. Les clients des notaires n’hésitent pas à jouer
sur les différentes autorités judiciaires disponibles dans leur
espace et à changer d’instances ou de praticiens selon les
réelles opportunités de réussite. Les altercations le plus
souvent filtrées par les notaires, voire cachées au nom de
l’ordre familial et de sa préservation, s’intègrent dans des
systèmes résolutoires divers justifiés par les possibilités
d’appel qui sont laissées aux parties. Aux tribunaux de
Vicence et à la Cour du vicariat, sièges des pouvoirs
politiques et administratifs, s’ajoute l’autorité recherchée du
praticien de la justice civile en mesure de présenter les
meilleures garanties de résolution. La conflictualité parvient
ainsi à trouver une réponse devant le notaire, à l’écoute des
villageois, censé faire parvenir les groupes antagonistes à un
accord jugé salutaire pour tous. Se sentant probablement
desservis dans leurs intérêts par certains praticiens, pour des
raisons liées aussi bien aux compétences qu’à d’éventuels
liens avec la partie adverse, les individus en conflit ne
manquent pas d’agir et de choisir librement un collègue,
peut-être un sérieux rival professionnel, sans doute un ami,
un proche ou un notable sur qui il est possible de compter11.
Mais il peut aussi s’agir d’un simple transfert de dossier
assumé par le notaire local. C’est ce qui semble se passer le
21 novembre 1535 à l’occasion de la prorogation d’un
compromis entre Luca Leoni et Zampietro Bressan, un
parent du notaire Bortolo Bressan, lequel enregistre l’acte
pour une affaire ayant été précédemment discutée et rédigée
par maître Bernardino Almerico, qui pratique à Valdagno12.
Le cas avait donc été traité dans le centre administratif de la
vallée, probablement auprès de celui qui était au service du
vicaire, dans l’intention de s’adresser à une instance
officielle, afin de forcer l’adversaire au dialogue. Néanmoins,
les compromis n’expriment pas toujours des altercations
exigeant une prompte réparation judiciaire et morale. Elles
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tendent également à éviter une dégradation dans les


rapports interpersonnels13 : ainsi en est-il, à Brogliano, le 1er
mars 1532, chez Francesco Piovene, un membre de
l’aristocratie, au sujet d’une division entre Battista et
Antonio de Sanmartino qui vivaient auparavant en
communion des biens14, alors que le 13 juillet 1533, une lis et
differentia éclate entre le noble Francesco Trissino et un
villageois, Giovanni de Pietrolonghi, à l’occasion du
testament du frère de celui-ci, Perino15. La place de la
noblesse n’est pas négligeable dans la gestion et le contrôle
des conflits ruraux. En septembre 1582, chez le noble
Leonardo Trissino, un compromis est rédigé entre Giovan
Maria Masieri et Maria Valproti, veuve de Bernardo. Le
différend les avait d’abord conduits en 1581 à Vicence, au
sujet d’une sentence favorable à Giovan Maria, mais auquel
s’oppose Maria16. Le désaccord est tel que rien ne peut
apaiser la plaignante amenée, sans doute contre son gré,
mais au nom de la concorde, à un accord avec son ennemi
d’hier. Quoiqu’ils figurent souvent comme des médiateurs et
des arbitres, les nobles peuvent également se trouver
impliqués avec des habitants de la vallée, provenant sans
doute des groupes émergents, en quête de reconnaissance,
enrichis entre la seconde moitié du xve et le début du xvie
siècle. C’est ainsi qu’une réconciliation est proposée, en 1537,
entre le juge collégial Antonio Trissino et ser Gasparo
Gonzati, Francesco Castelongo et Girardino de Cornedo17.
Cette inclination à la négociation, parfois réalisée sous la
contrainte, ouvre néanmoins aux justiciables ruraux une
marge de manœuvres étendue, souple, stratégique.
6 L’étude des dix actes de paix montre que des voies de fait
suivies de blessures, parfois graves, des querelles ayant
terminé en mort d’hommes, sont résolues grâce à
l’intervention du notaire qui s’inscrit dans le cours normal
de la justice civile18. De nombreux compromis laissent même
entrevoir que des violences ont été marquées par une série
d’insultes, de disputes, en dépit du caractère fort souvent
laconique des informations livrées par les actes notariés  :
aussi n’est-il par rare de trouver la mention d’une lis et
controversia, d’une differentia, controversia et rumor telles
qu’elles ont provoqué un esclandre ayant pu être violent19.
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Que penser de cette maxima lis et differentia, exposée en


1540 devant le vicaire de Valdagno par Francesco Piva et
Nicolò Rubego, deux villageois mécontents, sinon que les
divergences sont si vives que seule une autorité officielle,
garante de l’ordre, peut apporter la sérénité dans les
foyers20  ? Les arrangements réalisés supposent qu’un seuil
de tolérance a été enfreint et l’exaspération parvenue à son
comble.
7 Les Statuts citadins de Vicence de 1264 stipulent par ailleurs
qu’un règlement des altercations peut être réalisé hors des
salles des tribunaux du chef-lieu. Quant au Ius municipale
vicentinum, publié en 156721, il mentionne qu’un litige dû à
un désaccord entre les conjoints (ascendants ou
descendants) doit être résolu grâce au compromis, entre des
membres d’une même famille et parenté, liés jusqu’au
troisième degré de consanguinité, selon le droit canon et non
civil. La décision est proposée par deux arbitres, selon le
more veneto, des amis communs choisis par les parties et
aucune possibilité d’appel ne peut être consentie, une fois
l’arbitrage effectué et le jugement, prononcé. Au cas où la
négociation n’aboutit pas, il est possible d’élire un troisième
ami, voire plusieurs, lesquels sont pour la plupart issus du
voisinage et du groupe des notables. Tout est ainsi contenu à
l’intérieur de la loi, du droit, au vu et au su des autorités et
de la communauté. Le renvoi des affaires par les tribunaux
vicentins aux instances rurales suggère une lecture
particulière des actes de violence. Comment interpréter, en
effet, la remise d’affaires graves, telles l’homicide, d’abord au
vicaire, puis aux villageois  ? La tentation est grande de
souligner un rapport de force hors des pouvoirs publics, lié
aux traditionnels procédés de résolution infrajudiciaire, mais
il convient d’insister sur la pratique judiciaire habituelle,
légitimée par la norme et Venise, car les litiges sont
enregistrés par le notaire, un notable de la communauté,
dont l’infraction des clauses de l’acte suppose une sanction
pécuniaire et l’éventualité de répondre de ses agissements
devant le praticien de la justice civile ou les juges de Vicence.
Le passage du dossier est réalisé de la justice pénale, qui
décline la résolution, à la justice civile, qui règle la
dissension, aussi violente soit-elle, au sein du village.
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Respectant les statuts citadins et les lois de la République22,


le notaire peut donc faire arrêter une affaire délicate,
préalablement instruite au civil ou au pénal, et semble ainsi
assumer une activité propre à l’infrajudiciaire. Mais c’est
illusoire. Quoique les différends traités en sa présence
puissent échapper délibérément à la connaissance des
tribunaux, l’issue ne prend pas toutefois une forme orale,
mais écrite, officielle, à faire valoir en cas de non-respect de
l’accord.
8 Au nom de quelles valeurs la résolution est-elle réalisée ? Les
statuts, les coutumes, les lois de la République rappellent la
préservation de la paix, de l’ordre, de l’harmonie familiale,
des hiérarchies sociales existantes. Aussi est-il réclamé aux
parties en désaccord de maintenir les familles dans la
concorde et les valeurs chrétiennes. Qu’elles aient été
exposées d’abord à Vicence, auprès des magistratures civiles
ou pénales, puis examinées dans le chef-lieu du district, les
querelles sont finalement réglées sur le plan local par le
notaire, devenu médiateur. Les parties en litige savent, en
réalité, habilement jouer sur plusieurs fronts, parviennent à
instrumentaliser la justice, en forçant leurs adversaires à se
soumettre à un procès ou, mieux, à accepter d’en débattre
hors des tribunaux. Moins de frais à engager, moins de
tracas et de scandales à vivre, tels sont les arguments le plus
souvent évoqués par les plaignants qui paraissent souvent
désemparés, mais ceux-ci réussissent à occulter l’usage réel
qu’ils font de la justice, laquelle doit servir leurs intérêts
grâce au conflit qu’ils ont rendu public, forme probable de
contrainte psychologique exercée contre la partie adverse.
Passer d’une instance à une autre s’explique par la volonté
des justiciables de voir acceptée une sentence aux dépens du
groupe antagoniste, prononcée au préalable en justice,
validée enfin dans un acte notarié, tels le compromis, la
sentence arbitrale, la concorde ou l’acte de paix. Du coup, le
procès instruit n’est qu’un habile prétexte et subterfuge, afin
d’obliger l’une des deux parties à un accord réalisé dans leur
localité d’origine23. Les adversaires trouvent ainsi une
solution médiatisée, donnée en dehors des tribunaux,
reconnue par un document authentique, officiel, à
soumettre, en cas de transgression, à l’autorité du notaire.
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Les affaires de famille restent en conséquence confinées


dans l’espace du lignage, de la parenté et du voisinage.

Affaires de famille, conflits et résolution


9 En raison des enjeux multiples marquant les familles, les
systèmes de parenté et les individus, l’arrangement d’un
mariage peut être propice aux conflits, dont la solution est
trouvée par le futur couple, parfois avec la complicité des
proches. Le droit et les pratiques sociales autorisent une
lecture des unions préparées souvent de longue date par
deux systèmes familiaux, préoccupés par la stabilité d’une
alliance qui a dû être marquée par une forme
d’investissement moral et matériel considérable, dont la
validité ne s’explique que par les liens entre les mariés.
10 Rediscuté et redéfini lors du concile de Trente (3 février – 11
novembre 1563), le thème du mariage a animé les séances,
dévoilant une profonde divergence de vue entre les prélats
français, réceptifs aux conceptions de l’Europe du Nord,
ouverts à l’idée de la discipline, de l’accord parental et de la
célébration d’une cérémonie publique effectuée dans l’église,
et les prélats méridionaux, favorables à la communauté,
dont le décret Tametsi devient une norme décisive
(célébration publique des noces, présence du prêtre et de
deux témoins au moins, affichage des bans). Les unions
secrètes sont assimilées en France, en 1556, à des
enlèvements  ; puis, dès l’ordonnance de Blois de 1579, une
distinction est établie entre mariage clandestin et rapt,
opposant un acte violent à un acte volontaire (rapt de
violence – rapt de séduction), alors que, dans la République
de Venise, la criminalisation de l’enlèvement est destinée à
contrôler les mariages conçus sans le consentement des
parents, rendant ainsi manifeste l’existence d’un système
assez flou, à l’intérieur duquel la pratique n’exclut pas la
revendication de la dot de la part de la fille, une fois réglé ce
qui a trait au mariage24. Une telle alliance soulève le
problème de l’équilibrage entre deux systèmes de
stratification sociale antithétiques, l’un fondé sur le lignage,
l’autre sur la richesse. Le rapt témoigne de la réflexion sur
l’union consensuelle offrant aux parents l’opportunité de

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remettre entre les mains de leurs enfants la responsabilité


d’un mariage convenable, mais peut-être peu honorable. Les
conflits ayant pu surgir lors de l’enlèvement doivent être
ainsi cernés dans le rôle détenu par l’honneur sexuel en
Méditerranée (virginité, chasteté féminine à préserver et à
défendre25), ainsi que dans l’ambivalence exprimée par la
séduction. L’Église catholique a probablement cherché à
faciliter la réconciliation et à écarter la possibilité de
vengeances interfamiliales en légalisant le rapt. Aussi le
mariage clandestin peut-il parfois bénéficier de la protection
ecclésiastique, s’il ne se distingue pas trop fortement des
conventions sociales et parvient à conjuguer la hiérarchie de
l’honneur et celle marquée par la richesse, une attitude
perceptible à partir du xvie siècle, justifiant de nouveaux
rapports interpersonnels.
11 Rares sont les affaires signalées dans les registres notariés,
car elles ont sans doute été traitées par les autorités
ecclésiastiques. Fréquents dans le monde rural26, le rapt
volontaire, la fuite consensuelle, l’enlèvement violent, sont
criminalisés. Un tel cas figure dans les papiers de maître
Antonio Michelin de Trissino27. Un rapt a en effet été
commis dans le village, le «  séducteur  » Nicolò Pedrazzi
ayant enlevé Mattea Zari à l’automne 1578. Le 12 novembre,
un interrogatoire est ainsi conduit par le curé et le notaire,
tenu d’enregistrer les réponses des personnes auditionnées.
L’enlèvement cache en réalité une volonté de mariage. Les
mécanismes de contrôle mis en place par le pouvoir séculier
et spirituel rendent évident la volonté du patriciat vénitien
de réprimer les enlèvements et de définir le sacrement
matrimonial organisé par l’Église, définition ancienne, dont
l’ultime réponse a été formulée à Trente en 1563.
L’enlèvement volontaire traduit un choix matrimonial
contraire à ce que les familles ont au préalable envisagé,
exprimant peut-être une stratégie de conquête qui repose
sur les rapports parentaux, dans lesquels une famille réussit
à rendre publique sa supériorité sur une autre28. La
condamnation n’est pas lancée par les deux lignages
impliqués, probablement à la recherche d’une solution
médiatisée par des proches (amis, parents), mais trouve
auprès des autorités une instance réparatrice. Lors de
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l’interrogatoire, les deux témoins cités à comparaître par


Nicolò Pedrazzi cherchent à diminuer la portée du geste
commis et à dénier tout caractère compromettant, préférant
insister sur l’indigence qui a justifié un tel acte. Ils font
preuve d’une réelle solidarité et laissent entrevoir que ce rapt
entre dans une logique censée faciliter une union non
agréée, mais rendue inévitable par ce qui a été réalisé. La
fuite s’explique par la divergence d’intérêts entre ce qui a été
proposé par les familles et ce que souhaite le couple,
l’enlèvement s’inscrivant peut-être dans une demande de
dispense auquel personne ne peut aspirer, sous prétexte de
ressources économiques insuffisantes. La procédure exige la
présentation de lettres apostoliques avec la demande d’une
dispense à l’évêque ou à son vicaire, lequel s’empresse de
rédiger un texte dans lequel il formule des questions, posées
ensuite aux fiancés et aux témoins. La femme a-t-elle été
enlevée ? Une demande qui semble attester la fréquence de
cette pratique. Les procédures ecclésiastiques pour cause
d’enlèvement doivent être appréhendées dans les
modifications affectant l’Église après le concile de Trente. Le
rapt est dès lors saisi comme un possible empêchement au
mariage et une échappatoire probable pour célébrer ce
sacrement. Si la femme, après avoir été enlevée à son
«  séducteur  » et mise dans un lieu sûr, a donné son
consentement à l’union, celle-ci doit nécessairement se
réaliser, avec l’obligation pour le ravisseur de lui remettre
une dot ou de l’épouser. Probablement fondée sur le droit
canonique, la réflexion sur l’accord féminin en cas de rapt se
trouve ainsi mise en avant. La sanction est peu sévère, s’il
s’agit d’un enlèvement volontaire, au sujet duquel la femme
a donné librement son accord. Le rapt est toujours considéré
comme un empêchement sérieux, mais l’éventualité d’une
période de séparation du couple consent à l’enlevée
d’envisager un mariage. Quoique la solution retenue à
Trente ne constitue qu’un compromis, la décision conciliaire
fait ressortir le rôle majeur joué par l’approbation de la
femme à l’union, d’autant que l’homme qui l’a ravie est tenu
de lui attribuer une dot.
12 L’affaire traitée le 12 novembre 1578 à Trissino contribue à
éclairer les mécanismes de résolution et la participation des
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instances chargées de gérer le dossier – le notaire et le curé,


réunissant les autorités civile et ecclésiastique – rend
perceptible la pluralité juridique existant en Terre Ferme
vénitienne dans la première modernité, ainsi que la capacité
à transférer et à filtrer en justice des normes émises depuis
peu par le concile de Trente29. L’enquête menée par le prêtre
Bernardino Verona, accompagné de maître Michelin, doit
permettre de valider le rapt commis par Nicolò Pedrazzi de
Mattea Zari, rapt qui entre en réalité dans une stratégie
devant contraindre ces familles à accepter une union qu’elles
ont sans doute repoussée. Cependant, les deux parties ont
dû, déjà, envisager l’estimation de la dot, le 1er novembre
1578, en faisant enregistrer un compromis, signe que les
difficultés ont été réelles au sujet du montant auquel a droit
la promise Mattea et que réclame peut-être le prétendant
Nicolò30. L’enlèvement a ensuite eu lieu quelques jours plus
tard, résultat d’un probable échec sur l’évaluation de la
somme que la future épouse est tenue d’apporter et possible
pression auprès des familles pour accélérer l’union tant
convoitée. Objet d’enquête en 1578, le quatrième degré de
consanguinité est à nouveau abordé à Trissino, le 4 juillet
1581 au domicile de Giovan Battista Peroni. Le notaire
Michelin et le curé Verona ont dû se déplacer et se rendre
chez les Peroni au sujet de l’union de Gian Giuseppe
Generali et d’Elisabetta Peroni, fille de feu Bartolomeo.
Toutefois, le document est laconique et il n’est pas possible
de connaître la nature de l’affaire exposée  : est-il question,
comme en 1578, d’un rapt, dont la finalité est la
reconnaissance d’une union matrimoniale, d’une simple
recherche de consanguinité ou des deux  ? Il est
vraisemblable que l’enlèvement soit à l’origine de l’enquête,
dont les enjeux sont familiaux et déterminent la puissance
des alliances, ainsi que celle des réseaux, existant au sein du
village.
13 À l’attention prêtée par l’Église aux rapts s’ajoutent aussi des
affaires sentimentales qui peuvent connaître un dénouement
peu heureux et exiger une prompte réparation au nom de
l’honneur. Le 4 janvier 1548, à Valdagno, en présence du
moine Luca Ferrari, de l’ordre des frères de la Sainte Croix,
les plaignants, Valerio de Santo Quirico et Giovanni Bruni,
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de Recoaro, localité située au nord du chef-lieu du district, se


trouvent réunis pour résoudre leurs difficultés dues à des
injures et à des rixes31. Le motif  : une jeune femme,
Giovanna Longaro, de Recoaro, s’est rendue chez Valerio,
sans doute en qualité de domestique, et s’est éprise de son
fils Nicola, avec lequel elle a nourri l’espoir de vivre, ce qui
s’est du reste produit. Le mariage conclu, Nicola Longaro, le
père de Giovanna, exprime sa vive opposition, car sa fille a
agi contre sa volonté. Valerio de Santo Quirico et son fils
Nicola sont confrontés à Nicola Longaro, lesquels ont exposé
leur différend au vicaire ecclésiastique, dans le palais
épiscopal de Vicence, d’où l’instruction d’un procès qui
aboutit à l’annulation du mariage réalisé entre Nicola et
Giovanna, car la prétendante, a-t-il été avancé, n’est pas en
âge de se marier. Giovanna se trouve ensuite promise à l’un
des fils de Giovanni Bruni, suscitant alors de violentes
altercations entre Nicola et Giovanni. Matteo Bruni, fils de
Giovanni, a blessé mortellement Giovan Michele, fils de
Valerio de Santo Quirico, décès à l’origine d’une haine
inexpiable entre les deux familles. En présence du moine, les
parties aspirent finalement à la paix, non sans avoir entendu
auparavant le sermon de l’homme d’Église qui ne s’est pas
privé d’évoquer l’Évangile et le clément amour de Jésus-
Christ, rituel réalisé également sous le patronage du noble
vicentin Giovan Battista Aleardi, qui les encourage à la
conciliation, ce qu’ils font en se touchant la main.
14 À l’occasion d’une liaison amoureuse, au terme de laquelle la
femme se retrouve enceinte, une querelle oppose celle-ci,
Cecilia, fille de Cristani, le 11 janvier 1545, à Girardo Mezeni,
son amant qui essaie de fuir ses responsabilités32. De telles
tensions surgissent au nom de l’honneur féminin sur lequel
personne ne cherche à discuter  : ainsi, le 9 juillet 1578, un
compromis est enregistré entre Giovanni Guerato et
Giovanni Zuchetti, originaires de Trissino, qui se trouvent
réunis dans le palais épiscopal de Vicence33. Procureur de sa
sœur Angela, Giovanni Guerato et Giovanni Zuchetti sont
confrontés pour résoudre le litige. Le plaignant demande que
Zuchetti soit condamné à attribuer à sa sœur une dot ou à
l’épouser, car Giovanni a abusé d’elle, mais ce dernier nie les
faits et refuse de la dédommager. Toutefois, les deux parties
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veulent parvenir à une réconciliation et choisissent un


arbitre, Battista Zanini, un ami commun. La suite de l’affaire
n’est pas évoquée, mais il est probable qu’une union
matrimoniale ou une remise de dot ait dû être réalisée pour
réparer l’atteinte portée à l’honneur de la jeune femme.
15 Les dissensions apparues dans la vallée de l’Agno, à Trissino
et à Valdagno, entre 1530 et 1600, exigent une résolution qui
profite aux parties en conflit, quels que soient les moyens et
les stratagèmes mis en œuvre. La pacification recherchée fait
ainsi intervenir une pluralité d’instances judiciaires qui
doivent servir les intérêts des plaignants. Souhaitée,
demandée et réalisée par les autorités officielles, qu’elles
soient laïques ou ecclésiastiques, par les parties en
désaccord, ainsi que par les membres de la communauté, la
réconciliation ne peut pas être accomplie sans que les
justiciables n’aient utilisé les multiples possibilités offertes
par la justice laïque ou l’Église, afin d’obtenir réparation,
mais elle ne peut être exécutée sans une caution morale et
spirituelle susceptible de valider l’échange de bons procédés
et d’amener la paix dans les foyers, grâce au rôle de
médiateur assumé par le notaire, le noble et le prêtre qui
figurent comme d’éminents pacificateurs au sein de la
société. Les affaires ne sortent pas, ainsi, de l’espace
judiciaire et trouvent leur validité dans l’acte notarié lui-
même.

Notes
1. Pour l’espace vénitien aux xvie et xviie siècles, E. Muir, Mad Blood
Stirring. Vendetta and Factions in Friuli during the Renaissance,
Baltimore/Londres, 1993  ; C. Povolo, L’intrigo dell’Onore. Poteri e
istituzioni nella Repubblica di Venezia tra Cinque e Seicento, Vérone,
1997 ; L. Faggion, « Disordini in una famiglia dell’aristocrazia vicentina :
i Trissino nella seconda metà del ‘500 », Acta Histriae, 10, 2002, p. 285-
304.
2. Néanmoins, souvent sollicités hors de leur localité d’exercice, les
notaires rendent compte aussi de dissensions surgies dans d’autres
localités de la vallée.
3. L’échantillon présente un premier état de la question liée aux
dissensions et à la justice dans la vallée de l’Agno. Le dépouillement n’est
pas terminé, mais il permet déjà d’appréhender un phénomène social et
anthropologique important, peu traité dans le cadre des campagnes de

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Vénétie à l’époque moderne. Voir toutefois C. Povolo, op. cit., p. 59-101 ;


M. Marcarelli, «  Pratiche di giustizia in età moderna  : riti di
pacificazione e mediazione nella Terraferma veneta  », G. Chiodi et C.
Povolo (dir.), L’amministrazione della giustizia penale nella
Repubblica di Venezia (secoli xvi-xviii), t. II  : Retoriche, stereotipi,
prassi, Vérone, 2004, p. 259-309  ; L. Faggion, «  Le notaire et le
consensus à Trissino (Vénétie, 1575-1580)  », G. Audisio (dir.),
L’historien et l’activité notariale. Provence, Vénétie, Égypte, xve-xviiie
siècles, Toulouse, 2005, p. 111-127 ; Id., « Les notabilités rurales dans le
nord-est de l’Italie au xvie siècle  : les notaires, entre élites locales et
aristocratie urbaine », P. Aubert, G. Chastagnaret et O. Raveux (dir.),
Construire des mondes. Élites et espaces en Méditerranée (xvie-xxe
siècle), Aix-en-Provence, 2005, p. 103-118.
4. M. Sensi, «  Le paci private nella predicazione, nelle immagini di
propaganda e nella prassi fra Tre e Quattrocento », La pace fra realtà e
utopia, Vérone, 2005, p. 159-200  ; V. Rovigo, «  Le paci private  :
motivazioni religiose nelle fonti veronesi del Quattrocento  », op. cit., p.
201-233.
5. Les assesseurs (vicaire, juge du maléfice, le juge de la raison) font
partie de la cour prétorienne, à la tête de laquelle figure le podestat,
également qualifié de recteur, élu par le patriciat vénitien. Ces trois
hommes de loi ne peuvent pas être des ressortissants de Vicence. L.
Faggion, Les Seigneurs du droit dans la République de Venise. Collège
des juges et société à Vicence à l’époque moderne (1530-1730 env.),
Genève, 1998, p. 369.
6. Le vicaire du district ne doit pas être confondu avec le vicaire du
podestat. Élu au Grand conseil de Vicence, le vicaire est un noble tenu de
s’occuper des affaires publiques de l’un des onze vicariats auquel il a été
affecté pour une durée déterminée.
7. Archivio di Stato de Vicence (arch. Stato de Vicence), Archivio
Notarile (Arch. Not.), B. Bressan, registre 6909 (reg.), f° 120 v°, 130 r°.
8. Arch. Stato de Vicence, Arch. Not., B. Bressan, reg. 6909, f° 237 r°.
9. Arch. Stato de Vicence, Arch. Not., B. Bressan, reg. 6909, f° 238 v°.
Tomaso Peroni et sa sœur Caterina sont en conflit avec Francesco et
Giacomo Faggion au sujet de certains biens convoités  ; f° 147 r° (2-03-
1540), f° 235 r° (6-06-1542).
10. Arch. Stato de Vicence, Arch. Not., B. Bressan, reg. 6908, f° 275 r°.
11. Voir Arch. Stato de Vicence, Arch. Not., A. Michelin, reg. 8337, f° 131
v° (8-04-1577), f° 75 v° (15-03-1579) ; N. Nicoletti, reg. 3939, f° 231 (8-
02-1579).
12. Arch. Stato de Vicence, Arch. Not., B. Bressan, reg. 6908, f° 134 v°.
Le cas ne doit pas surprendre : voir f° 80 v°-81 r° (31-12-1535), f° 94 v°
(31-05-1535).

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13. Arch. Stato de Vicence, Arch. Not., B. Bressan, reg. 6908, f° 131 r°
(11-11-1535)  ; reg. 6909, f° 253 r° (20-11-1542, compromessi
instrumentum cum pace).
14. Arch. Stato de Vicence, Arch. Not., B. Bressan, reg. 6908, f° 1 v°.
15. Arch. Stato de Vicence, Arch. Not., B. Bressan, reg. 6908, f° 38 r°.
16. Arch. Stato de Vicence, Arch. Not., A. Michelin, reg. 8337, f° 104 v°.
17. Arch. Stato de Vicence, Arch. Not., B. Bressan, reg. 6908, 8 mai, f°
260 v°-261 r°  : «  Super dicta molestatione inter dictos partes pendeat
iudicium ad officium equi in civitate vincentiae.  » L’affaire est
suffisamment sérieuse pour que la justice se saisisse du cas impliquant
un membre appartenant au prestigieux Collège des juges.
18. Arch. di Stato de Vicence, Arch. Not., les actes enregistrés par le
notaire Leonzio Sindico de Valdagno (20-03-1545, acte de paix), par les
maîtres Nicolò Nicoletti (6.04.1579, acte de paix) et Giovan Maria
Bisazza (30-07-1579, compromis) de Trissino : L. Sindico, reg. 6048 ; G.
M. Bisazza, reg. 780 ; N. Nicoletti, reg. 3939.
19. Arch. Stato de Vicence, Arch. Not., N. Nicoletti, registre 3939, f° 241.
20. Arch. Stato de Vicence, Arch. Not., B. Bressan, reg. 6909, 9 août, f°
168 r°.
21. Les statuts de la ville de Vicence de 1264 promeuvent un type de
résolution analogue entre membres d’une même famille et parenté.
Lampertico F. (éd.), Statuti del Comune di Vicenza, 1264, Venise, 1886.
22. F. Lampertico, op. cit.  ; Ius municipale vicentinum, Venise, 1567,
«  Liber secundus  », «  De compromissis necessario fiendis inter
coniunctas personas », f° 102 r°. Voir le Ius civile vincentinum, Venise,
1539.
23. Voir ce qui est indiqué dans l’acte enregistré par Giovan Maria
Bisazza le 30 juillet 1579 entre les deux parties qui connaissaient des
litiges à la fois civils et criminels  ; les démarches qui insistaient sur
l’acceptation de sentences prononcées en civil le 26 février 1580 (G. M.
Bisazza) ou le 29 novembre 1582 (A. Michelin). Arch. Stato de Vicence,
Arch. Not., G. M. Bisazza, c. 780 ; A. Michelin, reg. 8338.
24. J. Casey, La famiglia nella storia, Rome/Bari, 1991, p. 85-145  ; V.
Cesco, «  Il rapimento a fine di matrimonio. Una pratica sociale in età
moderna tra retorica e cultura  », G. Chiodi et C. Povolo (dir.),
L’amministrazione…, op. cit., t. II, p. 349-412.
25. C. Povolo, L’intrigo dell’Onore…, op. cit., p. 355-362 ; V. Cesco, op.
cit., p. 349-352 et 373-377.
26. Ibid., p. 373.
27. Arch. Stato de Vicence, Arch. Not., A. Michelin, reg. 8338 (12-11-
1578).

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28. L’idée est formulée dans A. Burguière (dir.), Histoire de la famille,


Paris, 1986 ; V. Cesco, op. cit., p. 376-383.
29. Arch. Stato de Vicence, Arch. Not., A. Michelin, reg. 8338.
30. Arch. Stato de Vicence, Arch. Not., G. M. Nicoletti, c. 8715, f° 35
v°-36 r°.
31. Arch. Stato de Vicence, Arch. Not., A. M. Mainenti, c. 7143, f° 62.
32. Arch. Stato de Vicence, Arch. Not., B. Bressan, reg. 6910, f° 21 v°.
33. Arch. Stato de Vicence, Arch. Not., A. Michelin, reg. 8337, f° 34.

Auteur

Lucien Faggion
Du même auteur

Récit et justice, Presses


universitaires de Provence,
2014
Le notaire, Presses
universitaires de Provence,
2008
Quête de soi, quête de vérité,
Presses universitaires de
Provence, 2007
Tous les textes
© Presses universitaires de Rennes, 2008

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Référence électronique du chapitre


FAGGION, Lucien. Dissensions et justice en Terre Ferme vénitienne au
xvie siècle In : La violence et le judiciaire : Du Moyen Âge à nos jours.
Discours, perceptions, pratiques [en ligne]. Rennes  : Presses
universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19 septembre 2021).

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ISBN : 9782753530546. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4992.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
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La violence et le judiciaire
Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,
pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

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19/09/2021 21:38 La violence et le judiciaire - « Iniures desloiaux, offances, coups et collées » : les sergents angevins violentés dans l’exercice…

Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

« Iniures
desloiaux,
offances, coups et
collées » : les
sergents angevins
violentés dans
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l’exercice de leurs
fonctions (1380-
1550)
Isabelle Mathieu
p. 113-124

Texte intégral
1 Raillé, molesté, le personnel judiciaire est souvent la cible
privilégiée des justiciables mécontents de la manière dont il
exerce ses fonctions.
2 Les archives judiciaires témoignent directement de cette
violence, qu’elle soit verbale ou physique, s’exprimant à
l’encontre de l’institution judiciaire et particulièrement de
ses représentants. Le dépouillement systématique de
registres d’assises et d’amendes a permis de rassembler
quarante affaires2 relatives à de tels comportements. Notre
propos, inscrit dans leprolongement des travaux menés sur
la justice au Moyen Âge, met en exergue que l’honneur se
situe bien au cœur des relations entre les hommes et qu’il
convient de le défendre en veillant, notamment, au respect
de la réputation, de la fama.
3 Convenant de ne pas se limiter aux seules archives de la
pratique, la confrontation avec les sources normatives,
notamment avec la coutume d’Anjou3, s’est imposée. Limitée
au duché d’Anjou, ainsi qu’aux seules juridictions
seigneuriales, cette étude ne s’intéresse qu’à la violence
réprimée via les doléances qui arrivent devant les tribunaux
seigneuriaux. En effet, historiens et juristes ont bien montré
qu’il existe des phénomènes de médiation, difficilement
quantifiables, et qu’un certain nombre d’affaires échappent
par ce biais à la justice et relèvent par conséquent de
pratiques extrajudiciaires4.
4 C’est donc moins un tableau global de la violence
s’exprimant entre justiciables et personnel judiciaire que

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nous dresserons ici, qu’une approche, avec toutes les


réserves nécessaires inhérentes aux sources, de situations
humaines remettant en cause l’ordre social établi. Après
avoir tenté de donner une définition des notions de violence
verbale et physique, nous pénètrerons en substance le
contenu des affaires pour essayer de dégager les
circonstances dans lesquelles se nouent les conflits pour
ensuite tâcher d’appréhender au mieux leur traitement
judiciaire par les cours seigneuriales.

Des violences verbales et physiques :


essai de définition
5 La coutume5 sépare clairement les injures verbales des
injures réelles (nos actuels coups et blessures)6. Une
distinction est aussi opérée entre injures simples et injures
ou paroles de «  desloy  ». Ces dernières sont celles qui
consistent en l’imputation de faits ou de vices graves mettant
en cause l’honneur de celui à qui on les adresse  : ainsi
« trahison », « larron prouvé », sont des paroles de desloy ;
« fils de putain », « ribaut prouvé » sont de simples injures7.
De même, il existe des nuances entre les blessures légères et
les violences physiques graves (lorsque le sang a coulé).
6 L’exposé des causes ne contient pas pléthore de détails
même s’il faut reconnaître que les injures verbales font
souvent l’objet de plus longs développements que les
violences physiques. Ainsi, cinq verbes reviennent
constamment pour présenter les atteintes à la personne
physique  : battre, mutiler, férir, frapper, mettre mains. Les
nuances entre les termes semblent souvent minces et
subtiles à saisir  ; ainsi, Perrin Guion a «  batu et féru
Guillaume Soczon8 ».
7 Une seule affaire s’étend plus précisément sur les faits et
précise que plusieurs coups ont été portés au visage9. Les
coups portés à la tête, siège de l’honneur, de l’âme et du
pouvoir, sont fréquents chez les hommes, alors qu’on préfère
frapper une femme au ventre  ; ils revêtent une dimension
symbolique indéniable, l’affrontement se déroulant dans un
face à face et non en catimini avec lâcheté dans le dos de la
victime.
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8 Trois affaires, enfin, relatent l’utilisation d’armes blanches


telles un couteau10, une serpe11, une javeline12. Objets banals
du quotidien se transformant à l’occasion en armes de
circonstance, les protagonistes ont recours à ce qui leur
tombe sous la main dans le feu de l’action. Cependant, dans
la plupart des cas, les seuls moyens utilisés lors des
empoignades semblent être plus simplement les mains, les
poings, les pieds13.
9 A contrario, la transcription des violences verbales donne
lieu à beaucoup plus de fantaisie et permet de pénétrer un
quotidien parfois fort pittoresque. Si les verbes classiques
tels « injurier », « mépriser », « contempuer » sont utilisés,
il est possible de saisir quelques injures sur le vif et de se
rendre compte que le personnel judiciaire pouvait être traité
de larron14, pillard, truand, tirant. Tous ces mots ont un sens
profond pour celui qui les lance comme pour celui qui les
reçoit.
10 Très classiquement et sobrement, il est reproché à Jean
Gauteron d’avoir injurié le sergent15, et à Jean Saulnier
d’avoir « contempué » la justice16. Toutes ces expressions ne
nous permettent pas de connaître les mots précis qui ont été
échangés. Heureusement, certaines affaires conservent le
détail, parfois très croustillant et savoureux, de ces batailles
sémantiques. Ainsi, Macé Lemoine a appelé le sergent
« grisson, paillart et tirant17 », Pierres Jagoz a dit au sergent
« qu’il ne mene que larrons en sa compaignie18 », Guillaume
Raoul injurie le sergent et les religieux du prieuré de Saint-
Jean en les appellant « moynes bouquins » et d’ajouter que
les religieux et le sergent « se alassent pisser et boire de l’eau
et plusieurs autres iniures desloiaux19  ». Hamelin Debaille
lance, quant à lui, que les assises seigneuriales sont « les plez
au Diable20  », dans le même registre Jean Mesieres injurie
René Pinart, sergent, et en profite pour ajouter les mots
suivants  : «  Vien cy a grant escouble vien tu menger les
subgectz de ceans, grant esthyme que je te tenoys hors du
lieu sainct où tu es, je te remontroys que tu ne doibz pas
venir menger les subgectz de ceste seigneurie en jurant et
blasphemant le non de Dieu21. » L’utilisation au détour d’une
phrase du verbe manger ne relève pas du hasard car dans un

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rituel négatif, il prend bien le sens de détruire et c’est ce qui


est explicitement reproché au sergent22.
11 Comparaisons hasardeuses avec les animaux, atteintes à
l’honneur, à l’honnêteté et à la moralité de l’adversaire,
remise en cause très nette des capacités à exercer
correctement ses fonctions, allusion aux excréments et aux
maladies honteuses ou répugnantes, tout est bon pour
toucher au plus profond de son être l’adversaire. Certaines
insultes meurtrissent aussi durement, voire plus durement,
qu’une agression physique. Remarquable révélateur de haine
et de mépris, l’injure permet d’appréhender en négatif les
valeurs d’une société23.
12 Pour comprendre la force de l’invective injurieuse, il faut
arriver à savoir où passe la limite entre la mesure et la
démesure du verbe et du geste. Cette limite est en grande
partie définie par le code social et moral qui régule
implicitement et légalement la société médiévale, mais qui
varie selon les lieux, les individus, la condition sociale des
protagonistes24. Les agressions touchant les agents de
l’autorité publique semblent difficilement pardonnables par
ses représentants officiels. Plus généralement, les actes
délictueux, perçus comme une menace au maintien d’un
équilibre fragile, retiennent particulièrement l’attention
lorsqu’ils portent ouvertement atteinte à la sécurité, au
confort, à la liberté.
13 Enfin, des mots comme « force », « violence », « rébellion »
sont souvent utilisés. Ils permettent de saisir toute la dureté
des échanges verbaux et physiques. Ainsi, Macé Peliczon
« donne rebellion à Valienne25 ».
14 Seules deux affaires font état de l’emploi simultané des deux
formes de violence, verbale et physique26. Le reste du corpus
se répartit de façon équilibrée27, quinze délits mettent en
scène des violences physiques et quinze affaires relatent le
recours aux injures verbales. Ainsi, les propos malveillants
ne dégénèrent pas forcément en empoignades musclées, de
même que les violences physiques n’entraînent pas
automatiquement des mutilations graves ou la mort. Au pire,
quelques affaires semblent décrire des tentatives de meurtre
mais aucune n’aboutit28. Nos protagonistes se cantonnent le
plus souvent à un registre d’action. La peur des poursuites
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19/09/2021 21:38 La violence et le judiciaire - « Iniures desloiaux, offances, coups et collées » : les sergents angevins violentés dans l’exercice…

judiciaires est peut-être à l’origine de cet auto-contrôle par


les individus de leur ire et de leurs pulsions.

Exposé des « causes » et parties en


présence
15 Si les violences peuvent être directement à l’origine d’une
plainte, elles peuvent aussi parfois intervenir au cours de la
procédure alors que le motif originel de l’affaire est tout
autre que les injures et/ou les coups et blessures. Sur un
ensemble de 32 affaires29 explicitement relatées, 28 sont
diligentées expressément pour des faits relatifs à des injures
verbales et/ou réelles30 tandis que pour les quatre restantes
les violences apparaissent au cours de la procédure31 souvent
lors d’une comparution de l’accusé.
16 Les seigneurs justiciers prennent à chaque fois l’initiative
d’introduire les affaires devant la justice de la manière
stéréotypée suivante  : «  X vers court sur ce que l’on dit
contre luy…  » Faut-il voir dans le «  on  » une dénonciation
anonyme, la plainte déguisée de la victime, la rumeur
publique  ? Les hypothèses sont multiples, nos sources ne
permettant malheureusement pas d’aller plus avant. Les
seigneurs prennent la défense de leur personnel judiciaire,
attaqué dans son honneur et parfois dans sa chair dans
l’exercice de ses fonctions. Par ricochet, c’est bien
l’institution judiciaire incarnée par la personne du seigneur
justicier qui est visée, entachée par ces vilaines paroles et ces
gestes odieux et c’est donc naturellement qu’il s’approprie
les affaires portées à sa connaissance. Le seigneur justicier
est garant de l’ordre public et c’est bien à ce titre qu’il
s’arroge le droit d’agir en justice32.
17 Les circonstances dans lesquelles éclatent les altercations
sont multiformes. Dans cinq cas, les affaires ne livrent pas
de détails sur les circonstances qui ont conduit aux heurts.
Les saisies, par les officiers seigneuriaux d’animaux qui
divaguent semblent très propices à l’affrontement (sept cas).
Dans quatre cas, les documents relatent que les choses ont
dégénéré alors que le sergent faisait son office ; tout ceci est
plus que vague. Mais, sept affaires permettent justement
d’entrevoir ce qu’il faut comprendre par « faire son office » :
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ainsi le personnel judiciaire s’est trouvé en position de


faiblesse dans quatre affaires à l’occasion de la notification
d’une déclaration de bien et d’acquittement de devoir tandis
que les choses ont dérapé dans trois affaires au cours de la
notification d’un ajournement à comparaître. Dans une
affaire, c’est la combinaison de ces deux motifs (notification
d’un ajournement et réclamation d’une déclaration de bien)
qui est à l’origine d’une situation tendue. Viennent ensuite le
refus de se faire conduire en prison (deux affaires33), la
notification d’une saisie de terre (deux), un vol de bois
(deux), un problème relatif à l’acquittement de levages
(deux), une fraude dans l’utilisation de mesures (deux) qui
conduisent à des échanges d’injures et parfois de coups.
Enfin, pour une affaire seulement à chaque fois les situations
s’enveniment au cours d’une partie de chasse, pour répondre
a priori à la propre violence du sergent venu vérifier les
mesures utilisées ou bien encore parce que l’accusé s’oppose
au fait que le sergent vienne chercher l’un des siens pour le
conduire en prison. Ce sont donc très souvent des situations
classiques et banales de la vie quotidienne en milieu rural
qui sont à l’origine de ces échanges violents.
18 Les justiciables entretiennent des rapports quotidiens avec le
personnel judiciaire. S’ils semblent accepter la juridiction
seigneuriale comme une chose légitime et allant de soi, ils ne
se privent pas pour autant dans la pratique journalière de la
contester. Les auxiliaires de justice tentent de faire respecter
les règles de vie imposées à l’ensemble de la communauté et
protègent avec beaucoup de vigilance le patrimoine
seigneurial tandis que le monde paysan défend âprement ses
biens, souvent sa terre et ses animaux, tout ce qui permet de
travailler et d’assurer la vie de tous les jours.
19 Les justiciables s’en prennent non aux hommes mais aux
fonctions judiciaires et seigneuriales qu’ils incarnent  ; pour
preuve l’absence de propos injurieux relatifs à leur vie
privée, à leur famille. Tout ceci est à considérer sous réserve
qu’il n’y ait pas un effet déformant des sources à savoir
qu’elles ne conserveraient du discours sur la violence que ce
qui est strictement en rapport avec le délit, en l’occurrence
ici le non-respect de l’autorité seigneuriale.
Malheureusement, cette hypothèse ne peut être que soulevée
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mais difficilement vérifiée car elle touche à la façon même


dont les sources ont été élaborées.
20 Concernant les victimes injuriées, nous retrouvons tous les
individus qui composent ordinairement le personnel des
justices seigneuriales. Le sergent reste la personne la plus
souvent prise à parti (23 affaires). Mais il est aussi possible
de s’en prendre plus généralement «  aux officiers de la
court  » (quatre), à un «  sergent forestier  » (deux), à un
« sergent et son record » (deux), à « deux ou des sergents »
(deux), à un « forestier » (une), à un « garennier » (une), à
des «  commissaires  » (une), à un «  receveur  » (une), à un
«  greffier de la court  » (une), enfin tout simplement à «  la
court » (une).
21 Le sergent34 constitue bien la figure habituelle de ces
archives judiciaires. Il surveille les terres seigneuriales
(particulièrement les bois et les garennes), applique les
décisions judiciaires en ajournant, arrêtant, saisissant et
maintient l’ordre. Les « recors », quant à eux, accompagnent
les sergents dans leurs fonctions pour leur servir, si
l’occasion se présente, de témoins ou leur prêter main forte
dans l’exercice de leurs prérogatives.
22 Pour sa part, le greffier se contente de tenir la plume et de
retranscrire les débats. Les commissaires et les receveurs
ont, quant à eux, un rôle plus spécifique dans
l’administration des biens saisis au cours d’une procédure et
le recouvrement des taxes seigneuriales. Le point commun
de tous ces individus est bien sûr qu’ils sont en étroit contact
avec les populations35 et c’est à ce titre qu’ils se trouvent
particulièrement exposés. Ils sont les interlocuteurs
physiques, bien connus des justiciables, et c’est tout
naturellement qu’on se plaint auprès d’eux. S’il y a un
respect indéniable de l’autorité, il n’est pas pour autant
certain qu’il s’applique à ceux qui l’exercent36.
23 Du côté des accusés, dans 34 affaires, les injures verbales et
réelles sont le fait d’un seul homme alors que dans les six cas
restants, les violences ont été commises par deux individus.
24 Les violences collectives, «  en réunion  », sont totalement
absentes de nos sources. Les conflits sont bien individuels et
sporadiques, et à aucun moment nous n’avons décelé de
quelconque soulèvement de la communauté dans son
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ensemble  ; pourtant les problèmes qui les opposent


individuellement sont souvent identiques. Faut-il y voir un
manque de solidarité des individus entre eux  ? Les conflits
sont-ils si peu nombreux et espacés dans le temps et dans
l’espace qu’ils ne permettent pas la mise en route d’un
mouvement de contestation global  ? Les sources ne
permettent pas d’accréditer avec certitude ces hypothèses.
Les affaires concernant deux personnes mettent en scène les
agissements d’un chevalier et d’un écuyer37, d’un père et de
son fils38, d’un homme et de sa femme39, de deux hommes40,
sans qu’il nous soit précisé un quelconque lien de parenté ni
d’amitié. Le profil sociologique précis de ces individus est
très difficile à déterminer car les sources sont plus que
lacunaires à ce propos. Ainsi, nous ne disposons que très
rarement de leur situation de famille, jamais de leur âge ou
de leur domiciliation41. Sur notre corpus de 46 personnes qui
comparaissent, seulement trois professions sont indiquées :
un valet42, un maçon43, un tondeur44. L’absence de précision
peut signifier qu’il s’agit de petits paysans, ce qui semble
vraisemblable car nos affaires ont trait à des délits que l’on
peut qualifier d’agricoles.

Les tribunaux seigneuriaux et le traitement


judiciaire
25 Si les juges sont conscients de la gravité du crime verbal
lorsque de simples particuliers en sont les cibles, ils sont
d’autant moins tolérants à l’encontre des mauvais parleurs
qui s’attaquent à l’autorité en place45.
26 La littérature relative aux pratiques coutumières met en
évidence qu’il existe bien un seuil de violence au-dessous
duquel cette dernière est tolérée. L’idée de répondre à la
violence par la violence est envisagée mais très strictement
définie. La violence fait partie des normes de comportement
partagées par l’ensemble de la société médiévale46. Le droit
coutumier angevin apporte des réponses claires au
traitement de ces questions de violences tant sur la
procédure que sur les peines à infliger. Très concrètement, il
s’agit de savoir qui a compétence dans certains cas précis47,
pendant combien de temps le délit peut être poursuivi48,
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comment les responsabilités se répartissent49, si les faits de


violences physiques et verbales doivent être traités en même
temps ou séparément50. Les coutumiers nous renseignent
aussi sur le sens des amendes pénales, de leur différence
avec les peines corporelles, de la nature et des buts de cette
punition, ils dévoilent aussi les fonctions des amendes à
travers la tarification des délits qui éclaircit l’appréciation
des actes criminels ou la symbolique des structures
mentales51.
27 Le montant de l’amende varie selon la qualité de la victime,
la gravité des violences et les circonstances des faits. Ainsi,
« en simples injures verballes, celuy qui les dit en est tenu en
l’interestz de partie à l’arbitracion du juge, et en amende vers
court de la loy qui est de vingt solz tournois ou Maine et en
Anjou de dix solz52 » alors qu’« en injures desloyaux, comme
appeler aucun traitre, meurtrier, ou autre injure esquipollent
ad ce, celuy qui les dit en est tenu en l’interestz de partie
selon son estat, à l’arbitracion du juge, et en fait amende à la
court de soixante solz manczoys ou Maine, et soixante solz
tournois en Anjou53  ». Concernant les violences physiques,
ce sont le sang et les parties du corps blessé qui déterminent
l’échelle des amendes ainsi  : «  En simples bateures au
dessoubz des mers où n’a mutillacion, a XX s. d’amende ou
Maine et en Anjou X s., avec les desdommaigements de la
playe s’il y a sang espandu54  » alors qu’«  en bateure ou il a
sang et playe, c’est assavoir si la playe est mortel ou au
dessoubz des mercs, c’est assavoir au dessoubz des yeulx ou
ou visaige, le basteurs fait amende de LX s. à la justice, et au
blecié ses dommaiges et amende de l’empirement de son
corps à son serment55  ». Un article se réfère tout
particulièrement au cas où un prévôt ou un sergent seraient
violentés  : «  Homme coustumier qui bat le provost de son
seigneur ou son sergent de son houstel qui porte les clefs, il
en fait LX s. d’amende au seigneur, et l’amende à celui qui a
esté feru selon le dommaige à sa prouve56.  » Enfin, la
coutume envisage, dans certaines conditions, le recours à
des peines corporelles  : «  En bateures faicte de propox
deliberé et d’aguect appencé, a pugnicion corporelle, comme
d’estre trainé et pendu, pousé qu’il n’y ait mutillacion57  »  ;
une solution que n’ont pas retenue nos seigneurs justiciers.
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La coutume a visiblement développé au fil des temps tout un


arsenal pénal pour répondre à la violence physique des uns,
aux injures des autres.
28 Le caractère aggravant de certaines situations est mis en
avant ; d’ailleurs la raison, dans notre corpus, en est souvent
la même, à savoir agir en « aguet apencé », c’est-à-dire avoir
fomenté une action avec préméditation (se cachant pour
attendre sa victime ou en ayant recours à l’aide de
complices) ou bien avoir proféré des «  propos délibérés  ».
C’est le cas par exemple de Jamet Bodin qui «  estoit venu
d’aguet en un chemin estroit58  ». Si ces circonstances
aggravantes très particulières ne sont pas toujours faciles à
prouver, les juridictions seigneuriales ne se privent pas de
dresser des portraits un peu noirs des délinquants, les
accusant de faire preuve de malice et de lâcheté. Les mots,
en même temps qu’ils contribuent à définir le criminel, le
font exister de façon irréversible aux yeux des juges et de la
société59. Ainsi, Michel Perroy est «  esmeu de mauvais
propoux et dampnable voulanté60 », Clémens Girart met les
mains « malicieusement en la personne de Perrin Tranchant
notre sergent61  », Macé le Charbonnier «  en courous et
hayne  » tente de donner un coup de couteau au sergent62.
Néanmoins, il est une obligation qui demeure pour la cour
seigneuriale, celle d’apporter des preuves légales prouvant la
culpabilité des accusés.
29 La prison n’est pas au centre du système de répression relatif
à de tels délits. Dans seulement quatre cas il est décidé de
«  prendre au corps  » les individus63 et dans deux cas
seulement l’incarcération est décidée « jusqu’au paiement de
l’amende64 ». Rien de surprenant au fait que le recours à la
prison soit si peu fréquent car, au Moyen Âge, cette dernière
ne constitue pas une peine65, mais seulement le moyen de
s’assurer des prévenus en attente de jugement ou des
condamnés en attente d’exécution66. Elle offre aux instances
judiciaires la possibilité de protéger la société en écartant les
individus jugés dangereux le temps qu’un jugement définitif
soit rendu. L’enfermement des individus intervient aussi
lorsque ces derniers ne sont pas en mesure de fournir de
caution morale ou de garanties financières à leur

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élargissement ou que l’affaire dans laquelle ils sont


impliqués est jugée trop grave.
30 Une dizaine d’affaires ne livrent pas d’information claire sur
une éventuelle sentence pénale. Les sources ne fournissent
aucune explication mais il est possible d’envisager la
rétractation d’une des parties. Quatre concluent à la mise
hors de cause des accusés, soit parce que les faits n’ont pas
été prouvés, soit parce que les responsables véritables
demeurent introuvables. Ainsi, il est possible de voir, dans
certains exposés des affaires, la cour diligenter des
informations, collecter des témoignages et des dépositions
dans le but de prouver les faits reprochés : « Ledit Perrois a
esté fait venir en jugement pour parler à luy touschant le cas
dessusdit, lequel, après ce que avons veue l’informacion
faicte contre luy par laquelle nous est apparu iceluy Perroys
estre couppable dudit cas67 », « present et après ce que avons
ouy de la part dudit procureur le sergent nommé Morice
Jochet, lequel a depposé68 […] » et « present et après ce que
il a eu denyé laditte saisine et qu’il a esté prouvé par trois
tesmoins69 ».
31 Les affaires restantes se soldent par l’imposition d’une
amende dont bien souvent le montant n’est pas précisé.
Dans le cas d’injures verbales, trois amendes sont clairement
explicitées : cinq s., quinze s. et cinquante s. Concernant les
violences physiques, une amende de quinze s. et une de
cinquante livres sont mentionnées. Une affaire relate des
faits d’injures verbales et de violences physiques et
mentionne la condamnation à une amende de 100 s.
32 Si la coutume prescrit, de jure, des amendes tarifées très
strictement en fonction du type d’injures verbales et réelles
proférées, les archives montrent, de facto, que les pratiques
sont tout autres et ménagent en réalité une grande place à
l’arbitraire du juge70. Tantôt diminuées tantôt majorées, les
sénéchaux angevins semblent plutôt considérer les
prescriptions coutumières comme des orientations
indicatives que comme des règles obligatoires71. Leur but est
bien d’essayer d’harmoniser la théorie juridique et la
pratique judiciaire et non d’imposer un pouvoir coercitif
absolu. Les amendes sont ajustées in concreto, au cas par
cas, comme le prouvent les quelques formules utilisées dans
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nos sources, telles que «  ainsi poier à l’arbitracion des


senechal et bailly de la court72  », «  condemné en la somme
de LX livres tournois ou autre telle somme que de raison73 »
ou bien encore «  ou telle autre somme que de raison à la
bonne moderacion de la court74  ». Le meilleur système
consiste à laisser les juges libres de fixer le montant de
l’amende en considérant dans chaque cas non seulement la
gravité du délit, mais aussi la situation économique du
délinquant. La lecture de ces registres d’assises et d’amendes
donne l’impression d’un effort très concret pour
personnaliser la répression. Les tribunaux seigneuriaux
demeurent bien des lieux où s’échange et se négocie la
norme sur laquelle reposent le lien social et la voie qu’ils
choisissent pour régler les conflits qui leur sont soumis
permet de contribuer à la construction de cette norme et
définit, pour une part, où doit se situer la limite entre les
actes entendus comme licites et les actes jugés illicites. In
fine l’exercice de la justice vise à aboutir à un compromis qui
prend bonnes notes des exigences de la norme ainsi que des
éléments très particuliers propres à chaque affaire.
33 Enfin, les sources sont totalement muettes sur une
éventuelle réparation civile des dommages subis par la
victime alors que la coutume en fait effectivement état. Les
amendes semblent intégralement versées aux seigneurs
justiciers75.
34 En l’état, il apparaît clairement que la justice seigneuriale
joue bien son rôle de régulateur dans les rapports sociaux et
offre la possibilité de réparer les violences et d’apaiser les
querelles, ce qui rend par la même occasion inutile le recours
à des formes d’action plus violentes voire de tomber dans
des processus sans fin de vengeance. La répression des
comportements déviants constitue bien une forme de
contrôle social de la sociabilité villageoise visant surtout à en
refreiner les formes considérées comme excessives,
dépassant les limites tacitement tolérées par tous. Le
seigneur justicier veille aussi à ce que son autorité via ses
représentants ne soit ni bafouée ni ignorée. Il s’agit bien de
sa part d’affirmer d’une manière récurrente ses prérogatives
judiciaires. Enfin, si la société médiévale est traversée de
temps à autre par des vagues de violence, il ne faut jamais
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perdre de vue que l’idéal pour tout un chacun est bien de


vivre en paix et pour l’institution, étatique comme
seigneuriale, d’assurer le bien public, mais lorsque les
violences ne peuvent pas être évitées c’est alors une
résolution rapide des conflits qui est recherchée. L’Anjou
avec son maigre lot de 40 affaires tend à nous faire penser
que les relations entre le personnel judiciaire et les
justiciables étaient plutôt dans l’ensemble courtoises et que
s’il y a eu des altercations, elles ont dû le plus souvent se
cantonner dans la limite de l’acceptable, du toléré.

Notes
2. G151, Morannes, 349 folios (1401-1460), 4 affaires (f° 39 v°, 2e registre
f° 26 v°, 37 v°, 77 v°) ; G152, Morannes, du f° 4 au f° 89 v° (1446-1465), 1
affaire (f° 41 v°) ; G153, Morannes, 446 folios (1461-1495), 5 affaires (f°
51, 256 v°, 258, 265) ; G155, Morannes, 206 folios (1508-1540), 1 affaire
(f° 247) ; G157, Morannes, 399 folios (1463-1470), 1 affaire (f° 289 v°) ;
G443, Le Coudray, 55 folios (1403-1509), 1 affaire (f° 13 v°)  ; G811,
Montsoreau, f° 7 au f° 10 (1437-1451), 1 affaire (f° 7) ; G1514, Villeneuve,
58 folios (1512-1547), 1 affaire (f° 25) ; 15G19, Cunault, 251 folios (1450-
1528), 2 affaires (f° 174, 203)  ; H22 Saint-Aubin, f° 31 au f° 88 (1400-
1404), 1 affaire (f° 34 v°) ; H555, Cheffes, 62 folios (1495-1524), 1 affaire
(f° 40)  ; H868, Briollay, 28 folios (1452-1525), 1 affaire (f° 15 v°)  ;
1HsB87, La Chesnaie (Hôpital Saint-Jean d’Angers), 109 folios (1463-
1474), 4 affaires (f° 53, 77, 83, 105)  ; 1HsB176, Hôpital Saint-Jean
d’Angers, 121 folios (1380-1391), 1 affaire (f° 151) ; 8J13, Jarzé, 14 folios,
(1465-1483), 2 affaires (f° 9, 14) ; 8J14, Jarzé, 262 folios (1480-1500), 1
affaire (f° 230 v°)  ; 8J62, 2e registre, Cheviré-le-Rouge, 20 folios, xve
siècle, 3 affaires (f° 10 v°, 11, 18 v°) ; 8J63, 1er registre, Cheviré-le-Rouge,
48 folios (1475-1488), 2 affaires (f° 29 v°, 34)  ; 2e registre, Cheviré-le-
Rouge, 104 folios (1491-1509), 3 affaires (f° 13 v°, 86, 90)  ; 8J120,
Villiers, 6 folios (1483-1484), 1 affaire (f° 6)  ; 8J121, Villiers, f° 1 au f°
205 (1526-1550), 1 affaire (f° 4 v°)  ; 16J1 A2, 3e cahier, Brain-sur-
Longuenée, 51 folios (1403-1523), 1 affaire (f° 49 v°)  ; 1e302, La
Fillotière, 201 folios (1425-1459), 1 affaire (f° 31 v°).
3. C.-J. Beautemps-Baupré, Coutumes et institutions de l’Anjou et du
Maine antérieures au xvie siècle, coutumes et styles, 4 tomes, Paris-
Angers, 1877-1883  ; C.-J. Beautemps-Baupré, Le livre des droiz et des
commandemens d’office de justice, 2 tomes, Paris, 1865.
4. J.-M. Carbasse, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle,
Paris, 2000, p. 16. ; C. Gauvard, « Compter le crime », Violence et ordre
public au Moyen Âge, Paris, 2005, p. 38.

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5. C.-J. Beautemps-Baupré, Coutumes et institutions…, op. cit., partie F,


titre XIV : « De injures », § 1342, p. 496 ; ibid., § 1335, p. 494 ; ibid., §
1349, p. 497-498.
6. C.-J. Beautemps-Baupré, Le livre des droiz…, op. cit., p. 305. Il existe
« deux espèces d’injures : injuria legis ; injuria verbalis. L’injure est dite
legis, quand on met la main sur autrui ou sur ses biens, qu’on le déboute
de son droit, de son domaine ou de sa possession. Elle est verbalis quand
on dit à autrui paroles diffamatoires ou vilaines qui tournent à son blâme
ou à son préjudice, ou à son dommage ».
7. Ibid., p. 305-306. Sur la signification plus précise des injures, N.
Gonthier, « Sanglant Coupaul ! », « Orde Ribaude ! », Les injures au
Moyen Âge, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, 199 p.
8. ADML, G151, 2e registre, f° 37 v°.
9. ADML, 8J62, 2e registre, f° 18 v°.
10. ADML, G443, f° 13 v°.
11. ADML, G155, f° 247.
12. ADML, G153, f° 258.
13. Sauf une fois, ADML, G153, f° 51 : « Michel Perroys donna plusieurs
coups de poign. »
14. V. Toureille, Vol et brigandage au Moyen Âge, Paris, 2006, p. 20 :
«  L’insulte de “larron” constitue pour les hommes le sommet de
l’infamie. À la différence des crimes de sang, le vol est un acte honteux et
dégradant qui voue le larron et sa famille au déshonneur. »
15. ADML, 8J63, 1er registre, f° 29 v°.
16. ADML, 8J14, f° 230 v°.
17. ADML, 1e302, f° 31 v°.
18. ADML, H22, f° 34 v°.
19. ADML, 1HsB87, f° 53.
20. ADML, 16J1, A2, 3e cahier, f° 49 v°.
21. ADML, 8J121, f° 4 v°.
22. C. Gauvard, «  Violence et rituels  », Violence et ordre public…, op.
cit., p. 195.
23. V. Toureille., Vol… op. cit., p. 19.
24. C. Gauvard, « Injure », Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, 2002, p.
717.
25. ADML, G152, f° 41 v°.
26. ADML, 8J62, 2e registre, f° 18 v° et G155, f° 147.
27. Nous excluons de ce comptage 8 affaires pour lesquelles, compte
tenu du flou des termes utilisés, il nous a semblé difficile de les imputer

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avec certitude à l’une de ces catégories.


28. Six affaires sont concernées dont l’une souligne expressément
l’utilisation d’un couteau ce qui permet d’étayer un peu plus notre
propos. ADML, G151, 2e registre, f° 37 v° et f° 77 v°  ; G153, f° 51 et f°
258 ; G443, f° 13 v° ; G811, f° 7.
29. Nous mettons de côté les transcriptions sèches d’amendes qui ne
permettent pas d’avoir une connaissance précise de l’affaire avant la
sentence, soit 8 mentions : G152, 1 amende f° 41 v° ; G153, 1 amende f°
256 v°, 2 amendes f° 258 et 1 amende f° 265 ; 16J1, 1 amende f° 49 v° ;
8J120, 1 amende f° 6 ; 8J121, 1 amende f° 4 v°.
30. ADML, G151, 2e registre, f° 37 v°.
31. ADML, 15G19, f° 174.
32. J.-M. Carbasse, Histoire du droit pénal, op. cit., p. 157.
33. Pour l’une de ces affaires, les circonstances ayant entraîné la
conduite en prison sont précisément relatées : G153, f° 51.
34. C.-J. Beautemps-Baupré, Coutumes et institution…, op. cit., t. 3,
chap. xxxix : « Sergents-Huissiers », p. 171.
35. Ils ont un ressort déterminé en dehors duquel ils ne peuvent pas
exercer et sont astreints à y demeurer. C.-J. Beautemps-Baupré,
Coutumes et institutions…, op. cit., t. 3, chap. xxxix  : «  Sergents-
Huissiers », p. 180.
36. De même, en cas de révolte contre la fiscalité on s’en prend aux
percepteurs et officiers mais on ne conteste pas (ou très rarement) le roi.
37. ADML, G151, 2e registre, f° 26 v°.
38. ADML, 15G19, f° 201.
39. ADML, 8J14, f° 230 v°. Seule cette affaire mentionne la participation
d’une femme.
40. ADML, 8J63, 2e registre, f° 13 v° ; G157, f° 289 v° ; 1HsB87, f °77.
41. C. Gauvard, «  Nommer le crime et les peines  », Violence et ordre
public…, op. cit., p. 45.
42. ADML, G153, f° 256 v°.
43. ADML, G157, f° 289 v°.
44. ADML, H555, f° 40.
45. N. Gonthier, «  La répression et le crime à la fin du Moyen Âge  »,
Mémoires de la société pour l’histoire du droit et des institutions des
anciens pays bourguignons, comtois et romands, fasc. 47, 1990, p. 120 ;
X. Rousseaux, Taxer ou châtier ? L’émergence du pénal. Enquête sur la
justice nivelloise (1400-1650), Louvain-la-Neuve, 1990, t. 1, p. 205  :
«  Quand la parole méprisante s’adresse à un représentant du pouvoir  :
seigneur, officier de la ville ou de la justice, ou lorsque la critique vise
l’institution même, l’amende est plus lourde. »
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46. C.-J. Beautemps-Baupré, Le Livre des droiz…, op. cit., p. 306.


47. C.-J. Beautemps-Baupré, Coutumes et institutions…, op. cit., t. 2,
partie F, troisième partie, titre VI : « De la juridicion des juges », § 370,
p. 148.
48. Ibid., t. 2, partie F, neuvième partie, titre XIV : « De injures », § 1351
et 1352, p. 498.
49. Ibid., § 1345 et 1350, p. 497-498.
50. C.-J. Beautemps-Baupré, Le Livre des droiz…, op. cit., p. 307.
51. H. Benveniste, «  Le système des amendes pénales en France au
Moyen Âge  : une première mise en perspective  », Revue historique de
droit français et étranger, 77e année, 1992, p. 4.
52. C.-J. Beautemps-Baupré, Coutumes et institutions…, op. cit., partie
I, quatrième partie : « Des amendes, prouffiz, forfaictures, pertes de fié,
aventures et confiscacions que les seigneurs ont sur leurs hommes, et en
quel cas », § 121, p. 278.
53. Ibid., § 122, p. 279.
54. Ibid., t. 2, partie F, neuvième partie, titre XIX  : «  De paines
pecunielles », § 1400, p. 509.
55. Ibid., § 1398, p. 508-509.
56. Ibid., § 1401, p. 509.
57. Ibid., t. 2, partie F, neuvième partie, titre XVIII  : «  De paines
corporelles », § 1370, p. 504.
58. ADML, G151, 2e registre, f° 77 v°.
59. C. Gauvard, «  Nommer le crime et les peines  », Violence et ordre
public…, op. cit., p. 46.
60. ADML, G153, f° 51.
61. ADML, 8J62, 2e registre, f° 18 v°.
62. ADML, G443, f° 13 v°.
63. ADML, G151, f° 39 v° ; G153, f° 51 ; 1e302, f° 31 v° et 15G19, f° 174.
64. ADML, G155, f° 247 et 8J63, 2e registre, f° 86.
65. Ce propos est tout de même nuancé par J.-M. Carbasse, Histoire du
droit pénal, op. cit., p. 246-247.
66. Ibid., p. 67.
67. ADML, G153, f° 51.
68. ADML, G155, f° 247.
69. ADML, 1HsB87, f° 105.
70. Selon sa définition juridique, l’arbitraire est la part d’interprétation
qui est laissée au juge pour évaluer les préjudices et administrer les

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peines. Il ne doit donc pas être entendu dans son sens commun et
péjoratif. La distorsion entre la norme et la pratique, dans le cas précis
du montant des amendes, résulte peut-être d’une adaptation aux
fluctuations de la monnaie.
71. A. Porteau-Bitker et L. Talazac, «  Droit coutumier et capacité
délictuelle des « sous-âgés » aux xiiie et xive siècles », Revue d’Histoire
du Droit, 72 (4), 1994, p. 537 : « Quoi que prescrivent les coutumiers il
faut cependant souligner que le juge, au Moyen Âge, n’est tenu par aucun
texte ni par aucune règle stricte et qu’il jouit d’un immense pouvoir
d’appréciation. »
72. ADML, G153, f° 51.
73. ADML, G155, f° 247.
74. ADML, 8J63, 2e registre, f° 86.
75. X. Rousseaux, Taxer ou châtier  ?.., op. cit., t. 1, p. 112 : «  Pour
certains comportements, par exemple les injures aux gens de justice, la
part de la victime revient également à la ville et aux seigneurs. »

Auteur

Isabelle Mathieu
Du même auteur

Les justices seigneuriales en


Anjou et dans le Maine à la fin
du Moyen Âge, Presses
universitaires de Rennes, 2011
Formations et cultures des
officiers et de l’entourage des
princes dans les territoires
angevins (milieu XIIIe-fin XVe
siècle), Publications de l’École
française de Rome, 2019

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La violence à l’aune d’un corpus


d’archives judiciaires
seigneuriales (Anjou-Maine,
XIVe-XVIe siècles) in
Violence(s) de la préhistoire à
nos jours, Presses
universitaires de Perpignan,
2011
Tous les textes
© Presses universitaires de Rennes, 2008

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Référence électronique du chapitre


MATHIEU, Isabelle. « Iniures desloiaux, offances, coups et collées » : les
sergents angevins violentés dans l’exercice de leurs fonctions (1380-
1550) In  : La violence et le judiciaire  : Du Moyen Âge à nos jours.
Discours, perceptions, pratiques [en ligne]. Rennes  : Presses
universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19 septembre 2021).
Disponible sur Internet  : <http://books.openedition.org/pur/4994>.
ISBN : 9782753530546. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4994.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
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La violence et le judiciaire

Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,


pratiques

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Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

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19/09/2021 21:38 La violence et le judiciaire - « Car tels excès ne sont pas permis » : l’injure et sa résolution judiciaire dans un tribunal de pre…

Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

« Car tels excès ne


sont pas permis » :
l’injure et sa
résolution
judiciaire dans un
tribunal de
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19/09/2021 21:38 La violence et le judiciaire - « Car tels excès ne sont pas permis » : l’injure et sa résolution judiciaire dans un tribunal de pre…

première instance
sous l’Ancien
Régime
Hervé Piant
p. 125-136

Texte intégral
1 Les agressions non mortelles – nos modernes «  coups et
blessures » – abondent dans les archives judiciaires d’Ancien
Régime, principalement dans les tribunaux de première
instance. Pourtant, ces actes sont mal connus, les historiens
ayant concentré leurs analyses sur la criminalité la plus
grave et sur les tribunaux qui en rendaient le mieux compte,
tribunaux d’exception, cours supérieurs et d’appels. Alors
pourquoi s’occuper de ces « causes minuscules » ? D’abord,
parce qu’on s’est peu intéressé à elles jusqu’à présent, ce qui
est une raison suffisante. Mais, plus profondément, deux
caractères permettent de justifier notre étude. En premier
lieu, les violences non mortelles constituent sans nul doute
l’essentiel de l’activité criminelle des tribunaux d’Ancien
Régime, pour peu que l’on abandonne les procès en appel
devant les parlements et que l’on regarde dans les
procédures de première instance. Il semble bien difficile de
faire l’histoire de la justice d’Ancien Régime sans prendre en
compte ce qui constituait, au sens propre, l’ordinaire des
tribunaux. Ensuite, cette délinquance ordinaire met face à
face les justiciables et les juges locaux. Les premiers, par le
biais de la plainte, construisent un discours cohérent qui
n’est en rien un récit objectif1 mais qui s’intègre dans une
démarche rationnelle  ; les seconds tentent de répondre à
cette sollicitation en élaborant des solutions juridiques qui
leur permettent à la fois de capter la confiance des
justiciables et de respecter leurs propres contraintes et
exigences.

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2 C’est cette interaction que nous allons chercher à décrire,


dans une perspective qui fait du tribunal local non le temple
d’une déesse terrible et aveugle mais un lieu d’échange où se
nouent les fils délicats du dialogue social. Pour cela, nous
commencerons par décrire les modalités de la violence non
mortelle telles qu’elles apparaissent dans un échantillon de
plaintes, puis nous verrons quel fut leur devenir judiciaire.

Les scénarios de l’injure


3 Pour voir la place prise par les violences dans le contentieux
judiciaire réel, nous avons choisi d’observer la pratique d’un
tribunal de première instance, la prévôté royale de
Vaucouleurs (actuellement en Lorraine2) dont le ressort
s’étendait sur une dizaine de villages et environ cinq mille
habitants. C’est en effet à l’échelon, modeste mais essentiel
par sa proximité avec les justiciables, des tribunaux
ordinaires (royaux ou seigneuriaux) que se traitait la plus
grande partie des affaires « dites » d’injures, bien davantage
que dans les tribunaux supérieurs et d’appel, auxquels
parvenaient bien peu de ces causes médiocres. Pour des
raisons de conservation d’archives, et de faisabilité, l’étude
porte sur l’ensemble des procès-verbaux de plainte pour des
affaires d’agressions non mortelles contre les personnes, soit
un échantillon de soixante-seize documents3 portés devant le
prévôt de Vaucouleurs entre 1680 et 1693. En accord avec les
définitions de l’époque, on trouve aussi bien, parmi ce
corpus, des agressions violentes graves que de simples
insultes4  : dans au moins quatorze cas (18,4  %), il semble
bien qu’aucun coup n’ait été échangé, ce qui prouve bien que
l’insulte pouvait donner lieu à l’ouverture d’une procédure
criminelle (même si cela reste minoritaire).

Les causes du conflit


4 L’analyse des modalités matérielles de l’injure et de la
sociologie des parties en cause permet de dégager un certain
nombre de «  scénarios  » de l’injure portée en justice. La
tâche n’est pourtant pas aisée, d’abord parce que la faiblesse
quantitative de l’échantillon oblige à rester prudent, ensuite
parce que l’une des rares choses sur laquelle accusés et
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plaignants sont d’accord, c’est d’en dire le moins possible,


notamment sur les causes de la rixe  : c’est souvent «  sans
aucune provocation  », ou «  sans lui avoir donné raison  »,
que l’accusé est censé avoir agi (au moins 12 cas). Cela
permet au plaignant de se draper dans la posture de
l’innocence outragée, renforçant ainsi la malignité de son
adversaire et faisant ainsi l’impasse sur un éventuel
comportement antérieur peu glorieux. Quant à l’accusé, son
silence est la conséquence essentielle d’une ligne de défense
qui, dans la majorité des cas, consiste soit à nier la réalité de
l’agression, soit à l’expliquer par une pulsion non
préméditée, causée par la colère ou même l’alcool. On peut,
en fait, penser que cela révèle une réticence à exprimer
publiquement devant la justice des querelles internes.
5 C’est pour cela, a contrario, que l’exercice de l’autorité
apparaît, avec au moins 15 cas, comme l’un des principaux
motifs de l’injure. L’exemple type, ce sont les violences qui se
déroulent à l’occasion d’une saisie, lorsque l’huissier venu
instrumenter est injurié, plus ou moins gravement, par les
débiteurs qui ne peuvent supporter cette intrusion dans leur
maison, véritable sanctuaire de l’honneur et des intérêts
familiaux. Nombreuses aussi sont les altercations liées aux
exigences militaires, lorsque des officiers municipaux
(échevins de la ville de Vaucouleurs, maires de villages du
ressort) doivent réquisitionner logements ou chevaux pour
les nombreuses troupes de passage, ou en quartier d’hiver,
dans la région. La fréquence de ce type de plaintes révèle,
selon nous, moins des tensions sociales particulièrement
vives entre les détenteurs locaux de l’autorité et leurs
administrés, que la grande facilité avec laquelle les premiers
utilisent la justice institutionnelle, notamment pour
réaffirmer leur autorité menacée par l’agression5. Cela se
ressent également par le fait que les échelons supérieurs de
la société locale sont surreprésentés parmi les plaignants
(tous motifs de plainte considérés)  : seigneurs, officiers,
marchands et assimilés forment entre un cinquième et un
quart des plaignants, ce qui est, sans nul doute, très
supérieur à leur poids démographique réel. Par leur fortune
et leur niveau culturel, par leur sociabilité qui les amène à
fréquenter les hommes de loi locaux, la justice leur apparaît
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comme une des solutions normales et avantageuses aux


conflits qu’ils ont à subir.
6 Après l’autorité, le travail, et principalement les questions
agraires sont fortement présentes, avec au moins 9 cas. Ces
altercations obéissent à des modalités spécifiques  : elles se
déroulent principalement à la campagne ou sur les « grands
chemins6  », le matin ou l’après-midi, plutôt pendant les
saisons « chaudes ». L’un des motifs principaux de rixe, dans
un ensemble marqué par une grande variété, tient à la
circulation des animaux  : les insultes et les coups pleuvent
pour quelques touffes d’herbes piétinées ou dévorées par des
«  bestiaux  » divagants. C’est qu’il s’agit de points
importants, mettant en jeu la sûreté des propriétés et les
compromis instables entre villages pour la délicate question
des vaines pâtures. Là encore, le recours à la justice fait
partie d’une stratégie d’ensemble, visant à garantir des droits
menacés.
7 En dehors de ces deux types assez précis d’actes, le reste des
affaires est marqué par une grande hétérogénéité  : conflits
d’argent (4 cas), querelles de voisinage (5 cas) et même
vengeances, alléguées dans au moins 6 affaires. L’agressivité
spécifique des jeunes, qui s’exerce de préférence la nuit, dans
les rues ou au cabaret, doit être notée. Les violences
traditionnelles (charivaris, chahuts nocturnes), commises en
bandes sont rares, ce qui témoigne probablement de la large
acceptation dont elles font l’objet, tant qu’elles ne dépassent
pas certaines limites. Néanmoins, au moins trente-quatre
accusés (sur un total de cent trente-quatre) sont qualifiés par
leur statut matrimonial (« jeune garçon », « jeune homme à
marier  »). Les injures, outre les cas décrits ci-dessus, se
déroulent prioritairement dans la rue, véritable théâtre de
ces rixes où le regard des spectateurs, et le jugement qu’ils
porteront sur l’affrontement, sont des enjeux essentiels. Le
cabaret, souvent décrit par les historiens comme un haut lieu
de l’agression, n’est mentionné que six fois, peut-être parce
que les querelles qui s’y déroulent sont trop fréquentes pour
être l’objet d’une plainte en justice.

Armes et conséquences

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8 La connaissance des armes utilisée est, de nouveau,


handicapée par des déclarations variables et imprécises, le
plaignant ayant tout intérêt à laisser planer le doute,
notamment en mêlant menaces et coups réels. Dans 14 cas
au moins (environ 20  %), aucun coups n’a été échangé, et
l’éventuelle présence d’arme n’a pu servir qu’aux menaces. À
l’autre extrémité des possibles, il faut souligner la rareté des
armes « par nature ». Épée, fusil, pistolet n’apparaissent que
dans six affaires (moins de 10  %) et jamais de manière
directe  : on tire en l’air, on donne des coups de crosse, on
agite en menaçant. À égalité, soit environ un tiers des cas, on
trouve les armes «  par destination  » (fouet, outils, objets
domestiques, bâtons) et toute la gamme des corps à corps,
coups de pieds, coups de poings, etc. L’usage des armes « qui
tombent sous la main  » (on pense évidemment aux outils)
pourrait faire penser à des agressions pulsionnelles et
irréfléchies. Il faut cependant constater que les blessures les
plus graves (à ce que l’on peut en juger), ont été causées par
des coups de pieds et de poings très majoritairement, et
rarement par des armes ou outils dont l’usage apparaît très
ritualisé7.
9 Ceci nous amène à l’analyse de la gravité des agressions, telle
qu’elle transparaît des discours des plaignants. À la lecture
de ces documents, on a déterminé quatre niveaux de gravité.
Le premier, qui correspond certainement aux seules insultes
verbales (et menaces), les plaignants ne relatant aucun coup
ou blessure, est présent dans 14 cas. Le niveau au-dessus est
celui des coups effectivement portés, mais n’ayant entraîné
aucune effusion de sang (16 cas). La gravité supérieure, celle
des «  plaies ouvertes  » et du sang versé, est la plus
fréquente, avec 37 occurrences. Enfin, 7 plaintes décrivent
une victime «  en danger de sa personne  », ou formules
équivalentes. Évidemment, cette répartition sommaire est
totalement tributaire des déclarations du plaignant, dont on
peut penser qu’il n’a aucun intérêt à les sous-évaluer, et qui,
bien souvent, s’ingénie à rendre les faits incertains, en
mélangeant menaces et faits réels, en multipliant les termes
ambigus, comme le verbe «  maltraiter  ». Il apparaît
cependant que le sang versé constitue le point crucial.
L’insistance avec laquelle les victimes mentionnent
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l’effusion, et si possible la font constater, soit par chirurgien,


soit de visu par le juge, le montre avec netteté. A contrario,
l’agression qui ne donne pas lieu à «  plaie ouverte  » est
moins grave et les accusés eux-mêmes peuvent le souligner,
comme dans cet exemple de 1686 : « Attendu qu’il ne paroît
d’aucune plaie ouverte ni blessure considérable » et que « si
[le plaignant] étoit blessé, il auroit fait visite par
chirurgien  », ils réclament leur renvoi de la procédure. Il
n’en reste pas moins que la notion d’injure est si large qu’un
certain nombre d’individus viennent au tribunal dénoncer
des agressions subies qui, mesurées à l’aune du sang versé,
pourraient apparaître bénignes.

Sociologie de la plainte
10 En fait la constatation essentielle est que la plainte en justice
constitue l’un des éléments de l’interaction sociale. Elle n’est
pas un document neutre, transcrivant objectivement des
événements qui lui sont extérieurs. Tout le monde ne porte
pas plainte, et toutes les rixes et insultes ne donnent pas lieu
à une dénonciation en justice. Cela ressort clairement de
l’analyse sociologique des parties. On a dit plus haut que les
« notables » étaient surreprésentés parmi notre échantillon.
L’autre point essentiel à noter, est la faible place des plus
pauvres. Avec 10 à 15  % des plaignants et des accusés, les
manouvriers (et professions assimilées) sont les grands
absents de cette répartition. Non, bien sûr, qu’ils ne soient
jamais pris dans ces types de conflits, mais la justice
n’apparaît pas comme le moyen adéquat de les résoudre  :
l’institution ne les encourage pas (l’injure entre «  gens du
commun  » étant de peu de conséquence), leur fortune
médiocre rend difficile le paiement des frais de procès,
l’écart culturel entre eux et les hommes de loi ne favorise en
outre pas leur dialogue. Cela revient à dire que l’essentiel du
contentieux est entre les mains de la partie moyenne de la
population, dans un large marais social qui va des artisans
aux laboureurs et qui représente environ la moitié des
utilisateurs de la justice. C’est sur eux que porte
principalement l’effort d’acculturation mené par l’État
monarchique pour faire accepter le recours au tribunal

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comme le mode normal de règlement des conflits. Ce sont


eux également, qui décident, au cas par cas, de l’opportunité
de porter plainte, confrontant les avantages et contraintes de
l’institution avec ceux des solutions alternatives. En un mot,
ce sont eux qui font, ou non, le choix de la justice, en
fonction de leurs objectifs et intérêts, agissant en interaction
avec les exigences et les buts de l’institution.
11 C’est cette interaction qu’il faut maintenant examiner.

Le devenir judiciaire des plaintes pour


injures

Les alternatives à la plainte criminelle


12 Il faut d’abord rappeler que les soixante-seize plaintes du
corpus ne constituent pas la totalité du contentieux réel et
même, qu’elles n’en forment certainement qu’une partie
minoritaire. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner les
nombres : soixante-treize agressions en onze ans, cela laisse
trois mille neuf cent quarante-deux jours «  calmes  »
(98,2 %). Comme il est bien peu probable que, pendant ces
jours, personne n’ait été injurié ou battu, à moins de
postuler une invraisemblable pacification des
comportements dans cette région seule, on en déduira que,
dans de nombreux cas les populations ont décidé de ne pas
déposer une plainte. De cela découle évidemment qu’il est
impossible de savoir si les agressions portées à la
connaissance de la justice sont, ou non, représentatives de
l’ensemble des comportements violents. La simple analyse
sociologique menée plus haut laisse plutôt penser que non.
13 Les solutions alternatives à la plainte criminelle sont
nombreuses. On ne doit pas d’abord sous-estimer
l’importance de la résignation, lorsque la victime, pour des
raisons diverses (peur, lassitude, pressions, sentiment de
culpabilité, etc.) décide de ne pas réagir à une agression. Par
définition, ce choix ne laisse aucune trace dans les archives.
On doit ensuite évoquer l’existence des solutions
infrajudiciaires  : entre la négociation bilatérale directe et
l’arbitrage institutionnalisé, via les diverses formes de
médiation et les divers types de médiateurs, un continuum

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de solutions, d’une grande diversité, permettait aux parties


soit de ne pas recourir à la justice institutionnelle, soit de
l’abandonner en cours de route. La fréquence de ce choix,
difficilement mesurable, mais que nombre d’études
supposent élevée, s’explique par les condamnations qui
frappent la justice d’Ancien Régime, et qui émanent aussi
bien des moralistes que de l’Église. S’y ajoute la réticence des
populations face à une institution exogène qui s’attaque à la
cohérence communautaire. «  Bon accord vaut mieux que
mauvais procès » semble-t-il, tant tout le monde s’accorde à
opposer une infrajustice rapide, gratuite, équitable et
discrète à une justice réputée lente, coûteuse et partiale8.
Pourtant, cette dichotomie n’est qu’un des aspects de la
question. La justice institutionnelle est méprisée mais les
tribunaux sont pleins.
14 Enfin, pour ceux qui choisissent quand même de recourir à
l’institution, la plainte criminelle n’est pas la seule voie
possible. La procédure civile reste à la disposition des
plaideurs pour résoudre leurs affaires d’injures, comme
d’ailleurs les y encourage la doctrine, qui tente de réserver
l’utilisation de la procédure criminelle aux injures
«  atroces  ». La disparition des registres d’audiences civiles
de la prévôté de Vaucouleurs, pour la fin du xviie siècle,
empêche de mener une étude exactement parallèle, mais, sur
l’ensemble des archives disponibles sur la période 1670-
1790, on a pu constater une répartition à peu près égale
entre les deux voies procédurales9 (avec une nette tendance
au passage du criminel au civil au cours de la période).
15 Il existait donc toute une gamme de solutions alternatives à
la plainte criminelle. Dire cela, c’est souligner que le
plaignant a fait un choix qui ne doit rien au hasard, et que
l’on peut comprendre en regardant ce qui se passe après le
dépôt de la plainte.

L’abandon
16 Ce mélange de réticence envers l’institution et de capacité à
en utiliser certains aspects éclate avec la pratique des
abandons en cours de procédure. Il s’agit d’un choix massif10
puisque, sur les soixante-treize affaires de l’échantillon,

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trente-cinq (48  %) sont abandonnées et ne donnent lieu à


aucune conclusion judiciaire connue. Cela peut s’expliquer
soit par l’incapacité du plaignant à prouver ses dires soit, au
contraire, par l’existence d’un accord infrajudicaire avec
l’accusé. Surtout, ignoré du droit savant, l’abandon apparaît
comme un « interstice entre droit et pratique » (J.-P. Royer),
un espace que les justiciables se sont appropriés face à des
juges bien incapables de l’interdire. Il est certain que la
fréquence de l’abandon témoigne d’une réticence des
justiciables envers la justice royale : ils estiment à l’évidence
que les solutions que l’institution peut leur apporter ne leur
conviennent pas. Néanmoins, leur démarche reste ambiguë
dans la mesure où ils ont utilisé bel et bien cette justice
décriée. Ils ont porté plainte  ; ils ont laissé, à des stades
variables, la procédure se développer. Pourquoi, si c’était
pour l’abandonner ensuite, avoir déjà entamé une
procédure ? Les réponses à cette question sont nombreuses
et doivent être cherchées à plusieurs niveaux. Les plaignants
peuvent d’abord tenter d’utiliser les défauts de l’institution
pour faire pression sur l’accusé et l’obliger à négocier un
accord amiable en position de faiblesse, afin d’échapper à
une éventuelle condamnation. À un niveau plus général,
ensuite, l’abandon de procédure peut être lu comme un
exemple des luttes que suscite la tentative d’acculturation
menée par l’État  : en portant plainte, la victime (ou son
ayant droit) montre sa participation à la «  culture des
élites  », son acceptation du droit de l’État à faire régner
l’ordre public  ; en même temps, en abandonnant la
procédure, il marque sa préférence pour les techniques
infrajudiciaires communautaires traditionnelles. De ce point
de vue, le choix de la justice est tout autant acte politique et
social que juridique.

Des solutions procédurales souples et adaptées


17 Car, si l’institution parvient à résoudre une grosse moitié
(trente-huit, soit 52 %) des affaires qui lui sont portées, c’est
en se montrant très souple, comme va le montrer l’examen
des solutions juridiques trouvées.

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18 La procédure criminelle d’Ancien Régime, fixée par


l’ordonnance de 1670, et telle qu’elle est classiquement
décrite, apparaît linéaire, faisant se succéder dans un ordre
logique et intangible des phases précises  : l’instruction
préalable comprend d’abord, après la plainte, l’information
et l’interrogatoire. À ce moment, le juge se trouve dans trois
possibilités  : soit la procédure se poursuit «  à
l’extraordinaire » (récolement, confrontation, interrogatoire
sur la sellette) jusqu’à la sentence «  définitive  »  ; soit le
procès est «  civilisé  » c’est-à-dire continue avec les règles
d’un procès civil (égalité des moyens, oralité et publicité des
débats)  ; soit la procédure est arrêtée et un jugement «  en
l’état » est rendu.
19 Ces trois solutions sont utilisées, mais de façon très inégale,
pour résoudre les affaires de notre échantillon11. La
procédure «  extraordinaire  » n’est utilisée que dans quatre
cas (5,5  % du total et 11,4  % des jugements). Il n’y a pas
vraiment lieu de s’étonner puisque, comme elle seule peut
déboucher sur des peines lourdes, elle est réservée aux cas
théoriquement graves et est donc peu adaptée aux affaires
d’injures. Il est d’autant plus remarquable de constater que
ces quatre cas ne se distinguent pas, par leurs modalités, des
autres affaires d’injures. C’est en fait l’attitude des parties en
cause qui a entraîné la poursuite de la procédure, les accusés
ou les parties accusatrices ayant manifestement refusé
d’accepter les procédures abrégées.
20 Car la règle, dans les trente et un autres cas, c’est
l’interruption de la procédure. Dans quatre occurrences, la
procédure est civilisée, c’est-à-dire convertie en procès civil
(appelé aussi « ordinaire »). Obtenir cette civilisation est un
enjeu important pour les accusés tant le procès criminel est
vécu comme une « vexation » qui porte atteinte à l’honneur.
En outre, la procédure civile offre des moyens de défense
bien plus grands. Si, tous délits confondus, on s’aperçoit que
la plupart des procès «  civilisés  » sont finalement
abandonnés, ce n’est pas le cas des affaires d’injures qui se
terminent toutes par un jugement civil dont les contenus, on
le verra, sont exactement les mêmes qu’au criminel… ce qui
tend à prouver que l’enjeu essentiel est bien, pour les parties,

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l’infamie véhiculée par la procédure criminelle,


indépendamment de sa conclusion.
21 Dans tous les autres cas, soit vingt-sept occurrences (37  %
du total, 77,1  % des jugements), c’est la technique du
jugement en l’état qui est appliquée. Elle permet au juge
d’interrompre la procédure à tout moment de la phase
préalable12 – donc avant le récolement qui ouvre la
procédure à l’extraordinaire – et de prononcer un jugement.
Les jugements en l’état interviennent dans deux cas de
figure. Dans le premier, les parties se sont arrangées dans le
champ infrajudiciaire (9 cas) et elles comparaissent pour
obtenir la fin de l’instance, comme le prévoit d’ailleurs
l’ordonnance. Le juge homologue alors l’accord, en
reprenant le dispositif qu’il condamne les parties à exécuter,
donnant ainsi force juridique et exécutoire à un accord sous
seing privé. Il s’agit là d’un lien extrêmement fort entre
justice et infra-justice, dont on voit, une fois de plus, qu’il est
souvent vain de les opposer. Parfois, le parquet réclame – et
obtient – l’ajout d’une amende récognitive aux dispositions
du traité privé qui ne porte que sur les éventuels
dédommagements et le paiement des frais de justice. Dans la
plupart des autres cas, soit qu’il n’y ait pas eu accord, soit
que les parties n’en aient pas fait part au juge, l’accusé ne
peut obtenir le jugement en l’état que s’il «  prend droit sur
les charges ». Par cette simple déclaration, faite à l’audience
ou lors de son interrogatoire, l’accusé reconnaît les faits,
renonce implicitement aux moyens de défense que lui
octroie la procédure extraordinaire (confrontation, faits
justificatifs) et réclame, parfois explicitement, modération
dans le jugement qui suivra. Car, si l’accord du parquet et de
l’éventuelle partie civile est nécessaire pour parvenir à un
jugement en l’état, c’est bien l’attitude de l’accusé qui
importe : les quatre cas de procédure extraordinaire décrite
plus haut sont toutes consécutives à un refus de prendre
droit. Inversement, toutes les prises de droit ont été suivies
d’un jugement en l’état. La prise de droit résulte d’un choix
rationnel fait par l’accusé qui se sait coupable (ou qui sait
qu’il ne pourra prouver son innocence)  ; en réclamant le
jugement en l’état, il s’épargne l’humiliation de la procédure
extraordinaire et les frais qu’elle entraîne ; il peut espérer en
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être quitte avec un minimum de désagrément. La partie


civile obtient la reconnaissance de son bon droit et, le plus
souvent, les satisfactions financières qu’elle réclamait. Quant
à la partie publique, par cette procédure souple, elle fait
réaffirmer la prohibition de certains comportements et
permet à la justice royale de triompher de la concurrence
infrajudiciaire.

Des jugements homogènes


22 Quelle que soit la spécificité de la solution juridique trouvée,
on y retrouve trois éléments : l’amende, les dommages et les
dépens. L’obtention de dommages est la principale
revendication exprimée par le plaignant. Cette dimension
matérielle a parfois gêné les historiens qui y ont vu
«  l’utilisation [la] plus perverse d’une habile plainte
d’honneur13 ». Pourtant, cette limitation du plaignant dans la
sphère de l’intérêt privé est voulue par l’institution qui se
réserve tout ce qui a trait à la punition du coupable. En
outre, et surtout, le gain espéré par le plaignant est autant
symbolique que matériel, les deux dimensions pouvant
difficilement être distinguées dans une civilisation qui fait
du désintéressement un luxe que bien peu peuvent s’offrir. Il
s’agit d’obtenir non seulement une compensation pour les
dépenses engagées – perte de travail, frais de chirurgien –
mais aussi une preuve tangible de son bon droit, et donc, de
la culpabilité de l’adversaire. D’ailleurs, l’examen des
archives valcoloroises montre que l’on ne devient pas riche
grâce aux sommes allouées par le juge14 puisque dans
l’essentiel des cas, le montant est inférieur à 20 livres (la
moyenne s’établissant à 9 livres et demie). Les sommes ne
deviennent importantes que dans trois cas (sont accordés dix
écus, cent francs barrois et cent livres).
23 Cantonné à la défense de son intérêt privé, le plaignant ne
doit donc pas se préoccuper de la répression du trouble à
l’ordre public que représente l’agression. Celle-ci est du seul
ressort du dialogue qui s’instaure entre le ministère public et
le magistrat. Cette punition se fait par le moyen unique de
l’amende. Aucune autre peine n’est prononcée pour des
affaires d’injures à la prévôté de Vaucouleurs entre 1680 et

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1693 et elle n’est absente que dans neuf cas sur trente-cinq.
Son montant ordinaire est de trois livres (douze cas) et l’on
peut difficilement connaître les causes des variations à
l’intérieur d’une fourchette de dix sols à dix livres. Sa valeur
assez faible, presque toujours inférieure au montant des
dommages montre bien qu’elle a un caractère
essentiellement récognitif plutôt que répressif.
24 Le paiement des frais de justice – les dépens – est également
un enjeu important du conflit. Payer les dépens, c’est
reconnaître qu’on a tort et dans les quelques cas où le
plaignant n’a pu prouver ses dires, c’est à lui qu’on impute
cette somme. En outre, les dépens sont, de loin, la somme la
plus lourde que le condamné aura à payer, avec un éventail
de montants qui va de seize à cent trente-trois livres, pour
une moyenne (sur douze cas connus), de quarante-cinq
livres. Évidemment, il y a un échelonnement selon la durée
et la complexité de la procédure. D’une vingtaine de livres
lorsque l’affaire ne comprend que la plainte seule, on passe
au double s’il y a eu information. On oscille entre cinquante
et cent livres pour les cas où des interrogatoires ont été faits
et on dépasse les cent livres si la procédure a été menée à
l’extraordinaire ou poursuivie au civil15.
25 Le plus étonnant, c’est donc, qu’à la grande diversité des
solutions juridiques retenues (jugement en l’état,
civilisation, règlement à l’extraordinaire), correspond une
grande homogénéité des décisions rendues. La nature de la
solution n’influe pas, ou peu, sur le contenu des jugements.
L’exemple le plus flagrant est celui des sentences rendues
sur procès civilisé qui présentent toutes une condamnation à
l’amende requise par le parquet et ne se différencient donc
pas des jugements criminels. On ne voit pas non plus de
liens nets entre la gravité des faits (tels qu’on a pu les
mesurer par la plainte) et la lourdeur de la condamnation.
Le jugement qui apparaît le plus sévère dans notre
échantillon sanctionne une voie de faits commise sur un
huissier. L’agresseur est condamné à cent livres d’amende et
deux cents livres de dommages, ainsi qu’aux dépens (non
précisés mais certainement considérables puisqu’il s’agit
d’une procédure extraordinaire). Or, les faits ne
comprennent aucun coup mais seulement des insultes (de
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part et d’autre) et d’autres agressions contre des huissiers


n’ont pas été réprimées aussi lourdement.

Conclusion
26 Les affaires d’injures, telles qu’elles sont portées en nombre
à la prévôté de Vaucouleurs comme dans les autres
tribunaux ordinaires du royaume de France, montrent à quel
point la justice est l’un des éléments du dialogue social. Dans
l’ensemble, inquantifiable, mais certainement considérable,
des faits réels de violence, seule une minorité est portée à la
connaissance du tribunal, les populations faisant clairement
un choix dont on a vu que la portée sociale était
prépondérante. La surreprésentation de certains groupes
s’explique par une accumulation de facteurs favorables  :
disponibilité en temps et en argent, proximité sociale et
culturelle avec les milieux judiciaires, capacité à utiliser
l’institution pour arriver à des fins propres, comme la
confirmation d’une prépondérance menacée par l’agression.
27 Face à cette demande, les juges locaux font preuve d’un
grand pragmatisme. Ils sont capables d’être souples sur les
procédures, laissant une grande part d’autonomie aux
plaideurs eux-mêmes, et n’hésitant pas, par exemple, à
reconnaître les accords infrajudiciaires. Pourtant, cette
tendance ne doit pas faire oublier que les juges parviennent
(par, et non malgré, cette souplesse) à accomplir leurs buts
propres. Par la grande homogénéité des jugements rendus,
quel qu’ait été le destin procédural des affaires, les juges
montrent d’abord leur attention pour la restauration du lien
social, menacé par le conflit : il ne s’agit pas d’exclure et de
punir le coupable mais, en précisant la place de chacun
(coupable, victime) de leur permettre de vivre à nouveau
ensemble. Ensuite, importe aux juges de faire reconnaître la
prépondérance de l’État, dans la fixation des comportements
prohibés (par exemple, en condamnant à l’amende même en
matière civile) et surtout dans les modes de résolution des
conflits, face à la concurrence infrajudiciaire.

Notes

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1. En ce sens, notre travail est clairement distinct, et complémentaire, de


celui des historiens de la criminalité qui postulent qu’il est possible
d’utiliser l’archive judiciaire pour décrire la réalité des comportements.
Pour un exemple récent qui, avec des sources comparables aux nôtres,
aboutit à un résultat très différent  : M. Heichette, Société, sociabilité,
justice. Sablé et son pays au xviiie siècle, Rennes, 2005.
2. Vaucouleurs (dans le département de la Meuse, arrdt de Commercy)
relevait sous l’Ancien Régime de la «  Province et frontière de
Champagne  » et constituait une enclave française au milieu de terres
lorraines, donc étrangères (jusqu’en 1766). Cf. H. Piant, Une justice
ordinaire. Justice civile et criminelle dans la prévôté royale de
Vaucouleurs sous l’Ancien Régime (v. 1670-1790), Rennes, 2006. Le
fonds de la prévôté est conservé aux Archives départementales de la
Meuse (AD Meuse) sous les cotes BP 5101 à 5160.
3. Soixante-seize plaintes dont six croisées (affaires pour lesquelles les
deux parties ont porté plainte) soit un total de soixante-treize affaires.
4. La notion de violences est absente de la doctrine de l’époque qui
privilégie celle d’injure, définie par D. Jousse, Traité de la justice
criminelle, Paris, 1771, t. II, p. 573 comme « une offense faite au prochain
par un motif de mépris et dans le dessein de l’insulter  » et qui peut
s’exercer aussi bien par des paroles (injures «  verbales  ») que par des
voies de faits (injures «  réelles  »)  ». Pour éviter les confusions, on
utilisera ici le terme « insultes » pour désigner les « injures verbales ».
Précisons, que nous avons exclu de notre échantillon les tentatives
d’homicides et les violences impliquant des militaires, qui étaient
toujours renvoyées à l’intendant de la province.
5. Un plaignant, officier, réclame «  par le rang que lui donne son
caractère que les bourgeois de ce lieu soient obligés de lui porter les
honneurs et les respects qui sont dus par les inférieurs à ceux qui sont
au-dessus d’eux  » (AD Meuse, Bp 5108, plainte du 13-11-1685) tandis
qu’un simple maire de village peut dire que « ces sortes de voies [de fait]
ne sont permises notamment à lui qui a un caractère qui le doit faire
distinguer de tous les habitants dudit lieu » (AD Meuse, Bp 5109, plainte
du 16-12-1692).
6. Tous les chemins sont grands dans les plaintes… Cela s’explique par le
fait que les agressions qui y sont commises sont considérées comme plus
graves, «  cas royaux  » (le roi étant garant de la liberté de circuler)
passibles en théorie de peines afflictives. Il s’agit donc, pour le plaignant,
de faire planer sur l’accusé un risque supplémentaire.
7. Ainsi, dans une affaire de 1684, un homme qui veut se défendre de
l’agression d’une bande de jeunes, préfère prendre son fusil que sa
hache, se rendant compte «  que si il en frappoit que le coup en seroit
trop facheux » (AD Meuse, Bp 5106, information du 04-02-1684).
8. Les études menées ne confirment pas ces critiques ou, en tout cas, en
nuancent fortement la généralisation. Cf. H. Piant, «  Vaut-il mieux
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s’arranger que plaider ? Un essai de sociologie judiciaire dans la France


d’Ancien Régime », A. Follain (dir.), Les Justices locales dans les villes
et villages du xve au xixe siècle, Rennes, 2006, p. 97-124.
9. On a pu dénombrer 232 affaires d’injures traitées au criminel (entre
1674 et 1790) et 242 au civil (entre 1700 et 1790). Cf. H. Piant, Une
justice ordinaire…, op. cit., p. 223.
10. Comme le notent également L.-B. Mer, « La procédure criminelle au
xviiie siècle : l’enseignement des archives bretonnes », Revue historique,
1985, t. 274, n° 555, p. 9-42 (p. 17) et B. Isbled, « Le recours à la justice à
Saint-Germain-des-Prés au milieu du xviie siècle  », Les Archives du
délit : empreintes d’une société, actes du colloque « Archives judiciaires
et histoire sociale », Toulouse, 1990, p. 65-74 (p. 67).
11. Sur les trente-huit affaires ayant donné lieu à une solution judiciaire,
on n’évoquera pas trois cas d’envoi à d’autres juridictions (deux en appel
au bailliage, un à l’intendant). Les données quantitatives portent donc
sur trente-cinq affaires.
12. Sur vingt-sept jugements en l’état, quatorze sont prononcés après la
plainte, onze près l’information et seulement deux après l’interrogatoire.
Il s’agit donc de trouver une solution avant l’information, très coûteuse,
ou avant l’interrogatoire, jugé particulièrement humiliant.
13. C. Ditte, «  La mise en scène dans la plainte  : sa stratégie sociale.
L’exemple de l’honneur populaire  », F. Billacois et H. Neveux (dir.),
Droit et cultures, n° spécial «  Porter plainte. Stratégies villageoises et
justice en Île-de-France », n° 19, 1990, p. 23-48 (p. 28). Les auteurs de ce
recueil, par ailleurs fort intéressant, font preuve sur la question de
l’argent d’une attitude étonnamment moralisatrice et désapprobatrice.
14. Les dommages ne sont précisés que dans seize cas. Dans les autres,
soit ils n’ont pas été attribués (s’il n’y a pas de partie civile ou si le juge
estime qu’ils ne sont pas légitimes), soit ils ont fait l’objet d’un accord
privé entre les parties.
15. On ne peut pas être plus précis car les dépens peuvent beaucoup
varier selon le nombre de témoins entendus, d’accusés interrogés, etc.

Auteur

Hervé Piant
Du même auteur

Une justice ordinaire, Presses


universitaires de Rennes, 2006
https://books.openedition.org/pur/4996 17/19
19/09/2021 21:38 La violence et le judiciaire - « Car tels excès ne sont pas permis » : l’injure et sa résolution judiciaire dans un tribunal de pre…

Conclusions in Brutes ou
braves gens  ?, Presses
universitaires de Strasbourg,
2015
Introduction in Brutes ou
braves gens  ?, Presses
universitaires de Strasbourg,
2015
Tous les textes
© Presses universitaires de Rennes, 2008

Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

Référence électronique du chapitre


PIANT, Hervé. «  Car tels excès ne sont pas permis  »  : l’injure et sa
résolution judiciaire dans un tribunal de première instance sous
l’Ancien Régime In : La violence et le judiciaire  : Du Moyen Âge à nos
jours. Discours, perceptions, pratiques [en ligne]. Rennes  : Presses
universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19 septembre 2021).
Disponible sur Internet  : <http://books.openedition.org/pur/4996>.
ISBN : 9782753530546. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4996.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
Compatible avec Zotero

La violence et le judiciaire
Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,
pratiques

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Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

La violence et le judiciaire
Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,
pratiques

Ce chapitre est cité par


Härter, Karl. (2013) Violent Crimes and Retaliation in the
European Criminal Justice System between the Seventeenth and
Nineteenth Century. SSRN Electronic Journal. DOI:
10.2139/ssrn.2218350

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19/09/2021 21:38 La violence et le judiciaire - Les juges et la violence quotidienne (Blois, 1815-1848) - Presses universitaires de Rennes

Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

Les juges et la
violence
quotidienne (Blois,
1815-1848)
Stéphane Vautier
p. 137-148

Texte intégral

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1 Le 29 décembre 1837, Constant Barbet, jeune ouvrier de 20


ans, s’introduit de force avec un jeune complice de 16 ans
dans le domicile d’une veuve, et cela après l’avoir violentée.
Le jour de leur procès, le 20 janvier suivant, le plus jeune des
deux ouvriers est acquitté, tandis que Barbet, reconnu
coupable, est condamné à quinze jours de prison1. Un mois
auparavant, François Paillon, marchand-colporteur de 38
ans, évoque la légitime défense pour expliquer les coups
portés contre deux plaignants. Sa peine est de quatre mois
de prison2.
2 Les exemples pourraient être multipliés démontrant
l’importante marge d’appréciation laissée aux juges. L’article
311 du Code pénal3, dont relève une grande partie des
violences jugées par le « Tribunal Civil de Première Instance
siégeant en audience de la police correctionnelle », propose
une peine d’emprisonnement de six jours à deux ans et une
amende de 16 à 200 francs. Avec l’extension de l’application
des circonstances atténuantes en 18324, le tribunal peut très
bien reconnaître coupable un prévenu et lui appliquer une
peine qui peut être symbolique ou au contraire relativement
lourde, surtout si la préméditation est retenue5. Se pose la
question des éléments pris en compte par les juges pour
expliquer les divergences de peine pour des faits
comparables. S’agit-il d’une personnalisation de la peine  ?
L’objectif des magistrats est-il de punir ou d’éduquer, de
protéger la société ou de réparer le tort engendré par l’acte
jugé ? La victime entre-t-elle en compte dans l’appréciation
de la peine ?
3 Nul doute qu’aucune de ces questions ne soit exclusive. Les
minutes de procès, archives centrales pour ces violences
souvent qualifiées de «  légères  », ne permettent pas à
l’historien d’appréhender la totalité des tenants et des
aboutissants de chaque affaire. Les témoins sont muets, et
des plaidoiries des avocats ou du substitut du procureur,
seules demeurent quelques formules laconiques, presque
toujours identiques. On demande le renvoi du client,
l’indulgence du tribunal lorsque le prévenu a avoué  ; le
substitut réclame «  l’application sévère de la loi  », à moins
qu’il ne s’en remette « à la prudence du tribunal », façon la
plus courante de demander la relaxe du prévenu. Seules
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restent indiquées les circonstances du délit, quelques


attendus du jugement pour justifier la sévérité ou la
clémence du tribunal et parfois quelques explications
données par l’accusé, alors que malheureusement jamais
n’est recopiée la version de la victime. Échappent ainsi à
l’historien la qualité des plaidoiries, l’éloquence du prévenu
ou de sa victime, les accents de sincérité et les mensonges
éhontés, l’arrogance ou la timidité des uns et des autres, tous
ces éléments qui sont plus ou moins consciemment pris en
compte par les juges et qui peuvent parfois expliquer les
différences de jugement. Néanmoins, ces éléments, même
partiels, permettent quand même d’avancer quelques
explications venant souvent corriger les premières
conclusions données par l’analyse des séries statistiques.
Pour cerner la perception de la société envers cette violence
du quotidien, l’étude par le biais de la réponse pénale
s’impose.

Les cadres de la justice

Une ville ordinaire ?


4 Blois pourrait être considérée comme l’archétype de la ville
de province dont la croissance, dans la première moitié du
xixe siècle, est héritée de l’Ancien Régime. Comme dans
l’essentiel des petites villes françaises, les effets des
bouleversements industriels qui se préparent ici et là ne se
font pas encore véritablement sentir. Blois et ses 14  000
habitants ont bien changé de régime, s’organisant autour de
nouvelles institutions mais sans que les structures sociales
aient fondamentalement évolué. Ville de marchands et
d’artisans, elle vit du dynamisme commercial engendré par
la Loire, encadrée par une élite plus ou moins nouvelle, mais
unanimement ralliée à un besoin d’ordre social, seul capable
de garantir la propriété. Sébastien Péan, l’un de ses députés,
avocat à Blois puis juge au tribunal civil à partir de 1840,
« élevé dans les idéaux de 89 » si l’on en croit Le Biographe
Universel6, avait pris pour devise, en 1832, «  ordre et
liberté ». Il nous reste alors à examiner le regard de la justice
sur la violence quotidienne à l’aune de cette formule.

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5 La mesure de cette ville, qui explique sans doute que Louis-


Philippe l’ait choisie pour servir de cadre au jugement des
menées carlistes, peut aussi se lire dans la stabilité de ses
fonctionnaires. Que ce soit les préfets ou les magistrats, tous
semblent traverser l’époque sans que les bouleversements
politiques ne les affectent véritablement. Les différentes
purges qui accompagnent les nouveaux souverains
épargnent plutôt Blois. D’autres villes, plus grandes, plus
perturbatrices, relèguent la petite cité ligérienne au second
rang des préoccupations urgentes.

Les magistrats
6 Le tribunal correctionnel, la plupart du temps présidé par le
vice-président du tribunal, voit se succéder à sa tête trois
juges. Louis Athanase Bergevin, ex-avocat au Parlement de
Paris, ex-notaire à Blois, ancien maire de la ville (an I-an II)
est nommé vice-président du tribunal civil en 1811. Il reste à
ce poste jusqu’à sa retraite en 1824. Il a alors 71 ans. Lui
succède Alexandre Péan, homonyme du député
précédemment cité, ex-juge de département, nommé
substitut en 1811, il reste vice-président jusqu’à sa retraite en
1839. Le profil de son successeur, Claude-François Riffault-
Blau, est comparable. Né à Blois en 1781, il entre comme
juge au tribunal civil de cette ville en 1808. Il assure la vice-
présidence de ce tribunal de 1839 à 1848. L’un de ses fils,
adjoint au maire de Blois depuis 1834, sera désigné à la
magistrature communale sous le Second Empire.
7 Les magistrats du parquet épousent le même profil social.
Leconte de Roujou, ex-avocat au Parlement de Paris, est
nommé commissaire du gouvernement en l’an III. Maintenu
après la réorganisation de l’an VIII, il reste à ce poste jusqu’à
sa mort. Son gendre, Moulnier, lui succède avant de laisser
la place en 1824 à Bergevin fils, ex-procureur du roi à Gien,
nommé l’année du départ à la retraite de son père. En 1831,
il est nommé président du tribunal civil de Blois et laisse
alors le poste de procureur à… Leconte de Roujou fils !
8 Dans ces conditions, nul doute que les jugements prononcés
sont en conformité – en partie au moins – avec l’opinion
dominante de la bourgeoisie blaisoise.

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Les prévenus
9 De l’autre côté de la barre, les prévenus de violence envers
autrui sont, sans grande surprise, une très grande majorité
d’hommes – sur 309 prévenus déférés devant le tribunal,
seuls 27 sont des femmes –, dans la force de l’âge – la
moyenne d’âge est de 27 ans et les deux tiers d’entre eux ont
entre 20 et 30 ans. Le milieu professionnel est lui aussi sans
surprise. 60 % des prévenus sont des ouvriers artisans, 15 %
des maîtres artisans, 9  % des commerçants, 5  % des
vignerons ou des jardiniers.
10 L’étude du registre d’enregistrement des crimes et délits,
sorte de main courante tenue par le parquet, ne laisse pas
apparaître, du moins à notre niveau, de différences
flagrantes quant à l’influence de la position sociale dans le
classement sans suite des affaires. Une première analyse de
ces registres montre plutôt que l’opportunité des poursuites
est guidée par la gravité de la violence – l’injure, la simple
bousculade sont fréquemment classées, surtout s’il s’agit
d’une plainte déposée par un particulier7 – ou par la qualité
du fait révélé. Ainsi les menaces pour l’ordre public,
parfaitement illustrées par les affrontements de groupes de
jeunes ouvriers, ou les violences exercées à l’encontre des
détenteurs de l’autorité publique sont assez
systématiquement poursuivies. Inversement, avoir frappé
une fille publique peut être un prétexte avancé par le
procureur pour abandonner les poursuites8. Étant donné le
caractère sommaire de cette source, son analyse trouve
rapidement ses limites lorsqu’il s’agit d’étudier un délit en
particulier. Elle est en revanche riche d’enseignements pour
mener une étude comparative des priorités du Parquet dans
le traitement des différents délits9.

Punir la violence ordinaire


11 Une fois les faits reconnus assez graves, ou relevant d’une
attitude potentiellement dangereuse pour la société, le ou les
prévenus se retrouvent devant les magistrats du tribunal de
première instance.

Typologie et statistique des violences


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12 Pour comprendre la cohérence des jugements, il est alors


tentant pour l’historien d’établir une typologie des violences
et d’analyser la sanction infligée à chaque type. Frédéric
Chauvaud et Jean-Luc Mayaud, dans l’introduction aux actes
du colloque portant sur les violences rurales au quotidien,
qualifient ces typologies d’oulipiennes10. Il est certain que la
singularisation des délits revient à établir une liste d’autant
plus longue qu’elle se veut précise. Et à mesure qu’elle
s’allonge, le nombre de cas diminue rendant alors
dangereuse toute interprétation statistique. Nous nous y
sommes cependant essayé.
13 Une première distinction, entre les violences exercées sur
des particuliers et celles exercées sur des représentants de
l’autorité publique (forces de l’ordre, militaires en faction,
huissiers, maires, employés de l’octroi…), parce qu’elle porte
sur des chiffres relativement importants (174 condamnés
dans le premier cas, 135 dans le second) donne une première
indication intéressante sur laquelle nous reviendrons plus en
détail : la moyenne des peines pour la violence relevant des
relations entre citoyens est de 75 jours contre 46 jours pour
celle s’exerçant à l’encontre d’un représentant de l’État. Cette
très nette différence ne peut être le simple fait du hasard ou
de la présence de quelques faits ici particulièrement graves
et là sans importance, venant ainsi fausser nos statistiques.
14 En revanche, lorsque l’on cherche à mettre en valeur des
différences liées au contexte de la violence (au sein de la
famille, due à l’ivresse, relative aux groupes de jeunes, à la
légitime défense, aux vols ou à de simples querelles), on
n’obtient pas de résultats aussi probants. Les nombres sont
trop peu importants au niveau d’une ville comme Blois
(quelques dizaines de cas à chaque fois) pour que l’on puisse
en tirer des constantes. Dans tous les cas, la gravité de la
conséquence du geste est un élément plus déterminant.
15 Nous ne pouvons pas non plus écarter l’hypothèse d’une
différence d’appréciation liée à tel ou tel président du
tribunal. Les trois vice-présidents qui président le tribunal
correctionnel en quasi-permanence pendant notre période
permettent de vérifier cette variable. Les statistiques établies
sur les trois périodes révèlent une différence évidente entre
la vice-présidence de Bergevin et les deux suivantes.
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Tableau 1. Durée moyenne (en journées) des peines


prononcées par le tribunal correctionnel de Blois

16 Le départ du procureur Moulnier en 1824, gendre du


précédent, et son remplacement par le fils du vice-président
sortant montrent, sinon un renouvellement social, tout au
moins un renouvellement générationnel. À la génération des
magistrats formés sous l’Ancien Régime – Bergevin et
Leconte de Roujou père sont avocats lorsque Louis XVI
arrive au pouvoir – succède celle dont le début de carrière
coïncide avec les dernières années de l’Empire.
17 Cet élément pris en compte, nous ne pouvons pas réduire le
regard du juge sur la violence à une simple question de
personne. Étant donné que la majorité des délits pour faits
de violence se terminant devant le tribunal de première
instance relève de l’article 311 du Code pénal, nous avons
cherché à comprendre les motivations des magistrats.

Ce que révèlent les peines prononcées


18 Au regard des peines encourues, un à deux mois de prison
semble être la norme pour le prévenu reconnu coupable,
peine qui s’accompagne d’une amende de 16 francs (dans
35  % des cas) venant sanctionner une récidive ou une
rébellion envers les forces de l’ordre venues interpeller le
prévenu. À cela s’ajoutent les frais de justice dont la somme,
très dépendante du nombre de témoins convoqués, peut être
assez élevée. La plupart du temps cependant, le tribunal, par
cette peine d’un à deux mois, met en exergue un
comportement reconnu comme violent par le voisinage ou
par les autorités. Honoré Barrois, en 1821, est condamné à
un mois de prison et 16 francs d’amende pour avoir frappé sa
fiancée, cette peine étant justifiée par l’existence d’une
condamnation antérieure pour le même motif11.
19 Par ailleurs, le fait de ne pas se présenter à l’audience
entraîne «  l’application stricte de la loi  », même pour une

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première condamnation. Le taux de jugement par


contumace est d’ailleurs relativement faible (5  %) et
concerne principalement des travailleurs itinérants.
20 La plupart du temps, la violence est dirigée contre les
semblables. Lorsque ce n’est pas le cas et que la victime est
d’un rang social plus élevé, le tribunal n’applique aucune
circonstance atténuante. François Camus en 1816 bouscule
« le sieur de Boulainvilliers sur la promenade de cette ville »,
jeune aide de camp de 28 ans12. Il est condamné à un mois
de prison alors qu’au dire de tous, et du prévenu lui-même, il
était sous l’emprise de l’alcool. Par comparaison, en 1827,
Félix Sergent frappe les clients d’un cabaret, les juges le
condamnent à six jours de prison13. La violence est d’autant
moins acceptable qu’elle sort d’un cadre social habituel.
L’ivresse, que le magistrat de 1816 refuse de retenir comme
excuse pour «  les coups sans gravité  » donnés à l’aide de
camp, est au contraire retenue comme circonstance
atténuante pour Félix Sergent. Les magistrats reconnaissent
par leur décision une sorte de géographie de l’acceptabilité
de la violence. Se faire agresser sur les lieux de promenade,
en bord de Loire – lieux très fréquentés par la bourgeoisie
blaisoise – est plus inacceptable que de se faire frapper dans
un cabaret, lieu infréquentable s’il en est.
21 Cependant, la majorité des peines prononcées par le tribunal
pour ce type de délit est constituée de peines plus légères,
inférieures à 15 jours de prison (41  % des peines infligées,
hors acquittements). À l’exception des cas précédemment
évoqués, une première condamnation se traduit par ce type
de sanction. Plus les coups sont le résultat d’une dispute et
moins la peine est lourde, surtout si cela se passe dans un
cabaret. On retrouve ici le rejet de la part des magistrats de
l’instrumentalisation de la justice, les conduisant à renvoyer
systématiquement les partis s’accusant mutuellement d’être
à l’origine des querelles.
22 La plupart du temps, les peines légères sont le reflet d’une
certaine compréhension des magistrats. Frapper un ivrogne
qui vient de vous bousculer, répondre à des injures
entraînent la clémence du tribunal, d’autant plus évidente
lorsque la condamnation correspond au temps passé en
détention en attendant le procès. Le statut de la victime peut
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aussi être un facteur atténuant. Frapper une fille publique


est ainsi moins sévèrement puni. Comme dans les cabarets,
ceux qui fréquentent ces lieux, clients ou employés, doivent
assumer leur mauvaise réputation…
23 Parfois, la peine, qui peut paraître légère, sonne comme un
avertissement. Frapper sa femme ou son enfant ne conduit
que rarement devant le tribunal, le procureur classant
fréquemment l’affaire au prétexte du défaut de preuve
tangible. Aussi, les quinze jours retenus contre Madeleine
Reboussin pour des coups portés sur sa fille14 augurent-ils de
peines plus lourdes à venir. Le 23 mai 1845, elle comparait
pour la troisième fois pour des faits similaires. Le tribunal,
dans ses attendus, fait alors référence aux condamnations
précédentes et lui inflige quinze mois de prison15.
24 Lorsque la peine dépasse les deux mois de prison, le tribunal
sanctionne la plupart du temps une récidive. Bien avant la
mise en place du casier judiciaire en 1850 – justement pour
répondre à ce problème de la récidive – les juges prennent
en compte cet aspect du parcours du prévenu. Encore faut-il
que la personne soit jugée dans la même ville. Plus
généralement, le fait de passer plusieurs fois devant le
tribunal, même pour des raisons variées, est un facteur
aggravant. La stabilité des juges joue alors en défaveur des
prévenus. Ainsi, Thomas Elie Roch, manœuvre dans le
bâtiment, voit ses peines augmenter au fur et à mesure qu’il
passe devant le tribunal16.
25 Il n’est pas rare que la mauvaise réputation du prévenu,
qu’elle repose sur des antécédents judiciaires ou sur le
compte rendu du commissaire de police, soit mise en avant
dans les attendus du jugement pour justifier une peine plus
sévère. Édouard Bisson, jeune commissionnaire de 18 ans en
1843 est condamné à six mois de prison pour des coups
échangés sous l’emprise de l’alcool. Cette peine
particulièrement sévère au regard des autres jugements
impliquant ce type de circonstances, est justifiée par «  la
mauvaise réputation » de l’individu. Son surnom peut laisser
penser que celle-ci était de notoriété publique puisqu’il se
fait appeler « La Ruine17 ». Marie Charron, veuve de 78 ans
en 1824, est condamnée à deux années de prison pour avoir
agressé des religieuses dans l’hôpital où elle était accueillie.
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« Quoiqu’âgée de 70 ans, [Marie Charron] est reconnue pour


[être] méchante, querelleuse18. » Nous pourrions sans doute
ajouter que frapper des religieuses en 1824 a peut-être été
considéré comme un facteur aggravant. La peine
particulièrement longue est aussi une façon de régler le
problème de la prise en charge de cette femme indigente,
probablement sénile, en tout cas incapable de rester à
l’hôpital tout en envoyant un signe de soutien à la
communauté des religieuses.
26 C’est aussi le décalage entre la mauvaise réputation des
prévenus et la respectabilité des victimes qui explique que
Charles Lagane et Jean Larquet soient tous les deux
condamnés à treize mois de prison en 1820. Ces deux jeunes
garçons boulangers de 19 ans s’en sont pris à deux ouvriers
ébénistes croisés à la sortie de Blois. L’altercation dégénère
violemment en coups de bâtons et de pierres pour une
histoire de code lié au compagnonnage. Pour justifier cette
longue peine – alors que le procureur avait logiquement
demandé un mois d’emprisonnement – les juges expliquent
que le caractère des deux individus « parait violent et brutal,
tandis que la contenance de [la victime] et de son camarade
annonce que ces deux jeunes gens sont doux, honnêtes et ont
reçu de l’éducation19 ».
27 Généralement, les violences liées aux affrontements de
jeunes compagnons ou de simples ouvriers de corps
différents sont assez sévèrement condamnées. Un mois de
prison est la norme, même pour une première
condamnation. Lorsqu’un meneur est identifié, sa peine est
de quatre à six mois auxquels s’ajoutent des amendes
relativement élevées – de 16 à 50 francs. Indéniablement,
ces violences inquiètent les autorités. Sans doute faut-il voir
dans la relative sévérité de ces peines la conséquence de
cette préoccupation. Nous en trouvons une preuve dans les
attendus du jugement concernant Pierre Farineau et René
Billy en 1818 à la suite d’une bastonnade entre un groupe de
compagnons charpentiers et deux autres ouvriers. Si la
préméditation n’est pas retenue, « on peut assurer que cette
action est au moins bien coupable et qu’il est de l’intérêt de
la société de les punir sévèrement20 ». Ils seront condamnés
respectivement à dix-huit et douze mois de prison, ainsi qu’à
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une amende de 50 francs chacun, soit encore une fois, une


peine bien supérieure aux trois mois réclamés par le
procureur. Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que
Bergevin, qui préside le tribunal correctionnel à cette
période, fut maire de Blois et à ce titre confronté aux
problèmes de maintien de l’ordre.
28 La sévérité d’une peine pour acte de violence cache parfois
une volonté de punir un comportement jugé immoral par le
tribunal. Si François Paillon, évoqué en introduction, est
condamné à une peine relativement sévère – quatre mois de
prison et 25 francs d’amende alors qu’il semblait agir sous
l’excuse de la légitime défense – c’est qu’il a aussi d’autres
revenus que ce que lui rapportent ses activités de colportage.
Il est aussi logeur et « continu à tenir des filles publiques »
malgré l’interdiction de la mairie. Cet aspect de son activité
est rappelé à deux reprises, par deux juges différents. Et
malgré des circonstances comparables, cet argument semble
justifier, dans les deux cas, une peine sensiblement plus
lourde que celle attendue pour un tel délit21.

Lorsque la violence a été exercée contre


les détenteurs de l’autorité
29 Nous percevons bien que l’acte de juger dépasse la simple
constatation de la gravité du délit. Il révèle les a priori des
magistrats et souligne par des jugements différentiels les
limites de l’acceptable et impose ainsi des normes.
30 Ceci étant dit, si l’on fait une lecture des statistiques en
appliquant strictement le principe que la norme est définie
par la sévérité du jugement, nous en déduisons que les
agressions envers les détenteurs de l’autorité sont mieux
acceptées puisque moins sanctionnées. Nous commettrions
alors un contresens.
31 La plongée dans les minutes des procès, correspondant cette
fois-ci à l’article 209 du Code pénal, montre tout d’abord que
la peine la plus courante en cas de violence avérée est d’un à
deux mois de prison22. Dans une certaine mesure, étant
donné que la peine s’applique parfois à un prévenu
condamné pour la première fois, nous pouvons affirmer que
la sanction est plus lourde que dans le cas d’une violence
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entre particuliers. Le 27 janvier 1821, Pierre Gallet, jeune


serrurier de 21 ans, se retrouve devant le tribunal pour avoir
molesté un agent de police venu constater l’ouverture d’un
cabaret après l’horaire officiel. Au regard des critères
précédemment dégagés, nous avons tous les éléments pour
l’application d’une peine symbolique : jeunesse du prévenu,
le fait qu’il ne soit pas réputé être « un mauvais sujet, mais
seulement un étourdi23 », le lieu de l’altercation et même la
bénignité du geste puisque le tribunal ne retient pas
l’effusion de sang. Mais le fait qu’il ait été accompagné de
camarades, qu’il se soit ensuite fait remarquer dans des
maisons publiques et surtout qu’il ait frappé un agent de
police reconnu comme zélé – qui de plus n’était pas dans ce
cabaret pour son plaisir – explique le mois de prison qu’il a
dû effectuer, auquel se sont ajoutés 48,50 francs de frais de
justice. Un an auparavant, le 5 février 1820, Armand
Gautier, qui a refusé le droit de l’octroi, traitant les employés
de «  scélérats, de bandits, de gueux  » tout en les menaçant
d’un pic, est lui aussi condamné à un mois de prison, malgré
« la prise en compte de la jeunesse et de l’état de colère du
prévenu24 ».
32 Lorsque l’accusé n’a pas la chance d’avoir une bonne
réputation, ou lorsqu’il joint à la violence instinctive –
compréhensive dans une certaine mesure au regard des
jugements – la provocation, les peines deviennent très
lourdes. Sophie Millet, en juillet 1843, a mordu le garde
champêtre venu la verbaliser. Cet acte de rébellion, qui lui
aurait sans doute valu un à deux mois de prison, est aggravé
par le fait qu’elle « s’est de plus couchée, relevant ses jambes
et mettant ses parties sexuelles à découvert25  ». Les
magistrats retiennent alors l’outrage public à la pudeur (art.
330) et la condamnent à un an de prison et seize francs
d’amende. Jean Buttet, en 1819 qui, avec un complice, a failli
frapper le garde forestier, est envoyé six mois en prison car il
« a déjà plusieurs fois été repris de justice, qu’il mène la vie
d’un vagabond et d’un fainéant quoiqu’il ne soit âgé que de
20 ans26  ». Nous pourrions multiplier les exemples comme
celui de François Duveau, 19 ans, condamné à deux années
de prison pour jets de pierres, injures et menaces contre le
détenteur de l’autorité publique. Le fait qu’il a été «  déjà
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plusieurs fois condamné […], qu’il couche la nuit dans les


rues, qu’il vit comme un vagabond et qui [sic] inquiète le
public, et qu’enfin ses parents ne veulent ni le voir ni
entendre parler » motive cette lourde peine27. Contrairement
à la violence entre de simples citoyens, dont les magistrats
n’ignorent pas qu’elle est parfois le résultat d’un ancien
différend, la sanction suite à l’agression d’un détenteur de
l’autorité publique ne peut pas être perçue comme une
tentative d’instrumentalisation de la justice. C’est aussi, et à
la fois, un avertissement envoyé aux citoyens pour imposer
le respect de l’ordre public, et un signe de soutien de
l’institution judiciaire envers les acteurs du maintien de
l’ordre.
33 La moyenne des peines infligées, dont nous avons souligné
la plus faible durée lorsqu’elles sont prononcées dans le
cadre d’une affaire de rébellion et dont nous venons
paradoxalement de souligner la plus grande sévérité,
implique donc un nombre de peines légères très important.
De fait, 58 % des peines sont inférieures à 15 jours.
34 Le paradoxe n’est qu’apparent. Les peines légères,
nombreuses, ne doivent être examinées que par rapport à la
gravité du délit. Or, ce qui est sanctionné par quelques jours
de prison, est souvent un délit assez bénin, qui relèverait
tout au plus du tribunal de simple police s’il concernait un
citoyen ordinaire. S’emporter, justement, contre le
commissaire de police au tribunal de simple police, conduit
devant le tribunal de première instance, et cela malgré les
excuses prononcées par le prévenu, aussitôt après
l’altercation. Une peine de prison de six jours lui est
infligée28. Tenir des propos injurieux contre le caporal
chargé de surveiller le déroulement d’un spectacle conduit
ses auteurs dix jours derrière les barreaux29. En 1842,
Eugène Delachatre comparait devant le tribunal avec deux
acolytes pour des coups donnés sur une jeune fille. Ceux-ci
ne sont finalement retenus que pour l’un d’entre eux, le
conduisant huit jours en prison. En revanche, les deux
autres comparses sont relaxés des coups mais ils devront
subir quinze jours de prison pour avoir bousculé le
gendarme venu les interpeller30.

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35 Ces peines n’ont donc de légère que la durée car elles


sanctionnent relativement sévèrement des actes qui, dans
d’autres circonstances, face à d’autres personnes, n’auraient
pas été pris en compte.
36 Cependant, en examinant tous les attendus de ces «  petites
peines  », certains révèlent un rapport entre la justice et les
détenteurs de l’ordre public plus complexe qu’il n’y paraît.
Loin d’être le signe d’un soutien indéfectible, certaines
condamnations sonnent comme un désaveu par rapport à
l’attitude des représentants de l’administration. Le 14 mars
1818, Marie Françoise Bougué, 48 ans, femme d’un voiturier
habitant le quartier populaire de Vienne, passe devant la
barrière de l’octroi. L’employé, qui la soupçonne de passer
en fraude quelques marchandises sous sa robe, la bouscule
et glisse sa main par la fente de ses jupons. Outrée, la femme
se baisse, prend son sabot et en inflige un coup à l’employé
indélicat. Elle est condamnée à 24 heures de prison31. Les
juges ont ainsi montré les obligations de chaque citoyen – se
prêter aux contrôles sans résistance – mais ont aussi marqué
par cette peine symbolique, leur désapprobation par rapport
au comportement de l’employé. Si les circonstances sont
moins détaillées, il y a tout lieu de penser que le sens du
jugement rendu le 27 mars 1836 contre Pauline Tricat, 28
ans, a la même signification. C’est bien «  la résistance avec
violence contre les employés de l’octroi  » qui est retenue
mais «  les circonstances paraissent très atténuantes  » et
conduisent le tribunal à prononcer une peine de trois francs
d’amende32.
37 Si ces décisions restent marginales par rapport aux
nombreuses peines signifiant la sévérité de la justice, elles
n’en démontrent pas moins une méfiance quant à l’attitude
des détenteurs de l’ordre public, toujours subalternes.
Gardes forestiers, employés de l’octroi ou agents de police,
les juges tentent ainsi de faire la part des choses entre le
respect dû à leur fonction et leur comportement qui trahit
parfois un sentiment d’impunité.

Conclusion

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38 Si les études fondées sur les peines prennent tout leur sens
dans une étude statistique à l’échelle de la France, elles
peuvent aussi avoir une dimension particulièrement
pertinente lorsqu’elles sont appliquées à l’échelle locale. La
marge de manœuvre des magistrats n’est pas négligeable et
dépend d’une multitude de facteurs que seule une analyse
fine permet de révéler. Ces études locales permettent aussi
de souligner le décalage qui peut exister entre les décisions
législatives ou les orientations du parquet général et
l’application sur le terrain. La liberté d’appréciation met
aussi en évidence l’évolution du regard des magistrats, et
par-delà celui des élites, sur le contrôle social. Il n’est ainsi
pas anodin de constater que l’état éthylique des prévenus,
parfois noté comme circonstance aggravante au début de la
période étudiée, devient une circonstance atténuante avec le
changement de génération de magistrats. Cette évolution est
à mettre en rapport avec le développement du
philanthropisme, lui-même lié à la percée de la bourgeoisie
libérale dans la société de la Restauration33. La violence est
alors jugée davantage en fonction des préjugés et de l’idée
que la société locale se fait de sa sécurité qu’en fonction des
catégories définies par le Code pénal. Déjà Louis Gruel, dans
son ouvrage sur l’attitude des jurés dans les procès
d’assises34, démontrait qu’ils plaçaient « au centre du procès
la manière dont les accusés et les victimes se sont comportés
dans les rôles assignés par leurs statuts sociaux  ». Ces
«  minuscules affaires  », pour reprendre le qualificatif de
Frédéric Chauvaud35, nous montrent que les magistrats des
petites cours peuvent aussi avoir ce comportement.

Notes
1. Archives départementales du Loir-et-Cher (ADLC), 3U23-11, jugement
du 20 janvier 1838.
2. ADLC, 3U23-11, jugement du 15 décembre 1837.
3. Art. 311 du Code pénal de 1810 : « Lorsque les blessures ou les coups
n’auront occasionné aucune maladie ni incapacité de travail personnelle
de l’espèce mentionnée en l’article 309, le coupable sera puni d’un
emprisonnement d’un mois à deux ans, et d’une amende de seize francs à
deux cents francs.  » La peine est de six jours à deux ans
d’emprisonnement après la réforme du Code pénal de 1832.

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4. J.-P. Allinne, Gouverner le crime. Les politiques criminelles


françaises de la Révolution au xxie siècle, 1 : L’ordre des notables, 1789-
1920, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 83.
5. La durée maximale d’emprisonnement est alors portée à cinq années,
art. 312.
6. Notice nécrologique du 27 avril 1847.
7. La violence sans coup relève plutôt de la justice de paix, cf. Curasson,
Traité de la compétence des juges de paix, Paris, Librairie de A. Marescq
aîné, 4e éd., 1877, p. 746.
8. ADLC, 3U1-5, 1837.
9. Pour l’intérêt de cette source encore peu exploitée, cf. J.-C. Farcy,
«  Le procureur entre l’ordre public et les justiciables  : plaintes, procès-
verbaux et poursuites pénales à Dijon à la fin du xixe siècle  », Crime,
Histoire et Sociétés, 2005, vol. 9, n° 1, p. 79-89.
10. F. Chauvaud et J.-L. Mayaud (dir.), Les violences rurales au
quotidien, Actes du 21e colloque de l’association des ruralistes français,
Paris, La Boutique de l’Histoire, 2005, p. 30. « Oulipien » fait référence à
l’OuLiPo ou Ouvroir de Littérature Potentielle, groupe fondé par
Raymond Queneau et voué à l’invention de nouvelles règles d’écriture
très compliquées, souvent à base de mathématiques, aboutissant à
s’imposer des contraintes sévères avant d’écrire.
11. ADLC, 3U23-6, jugement du 27 janvier 1821.
12. ADLC, 3U23-5, jugement du 13 juillet 1816.
13. ADLC, 3U23-8, jugement du 31 mai 1827.
14. ADLC, 3U23-13, jugement du 10 février 1843.
15. ADLC, 3U23-14.
16. Un mois de prison pour rébellion en 1833. Trois mois pour rébellion
en 1834. Trois mois pour coups et blessures en 1840. Un mois pour
coups et blessures en 1841 (mais la victime est son épouse). Quatre mois
pour coups et blessures en 1842.
17. ADLC, 3U23-13, jugement du 1er septembre 1843.
18. ADLC, 3U23-7, jugement du 7 février 1824.
19. ADLC, 3U23-6, jugement du 8 avril 1820.
20. ADLC, 3U23-5, jugement du 22 août 1818.
21. ADLC, 3U23-11, jugement du 15 décembre 1837, 4 mois de prison  ;
3U23-13, jugement du 17 mai 1844, 6 mois de prison.
22. En cas de rébellion sans arme et commise par un ou deux individus
seulement, la peine d’emprisonnement proposée est de 6 jours à 6 mois.
L’emploi d’une arme fait passer la peine à une durée de 6 mois à 2 ans.
Art. 212 du Code pénal.

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23. ADLC, 3U23-7.


24. Ibidem.
25. ADLC, 3U23-13, jugement du 28 juillet 1843.
26. ADLC, 3U23-6, jugement du 23 janvier 1819.
27. ADLC, 3U23-6, jugement du 25 mars 1819.
28. ADLC, 3U23-8, jugement du 2 août 1828 à l’encontre de Louis Marie
Guérin.
29. ADLC, 3U23-8, jugement du 5 mars 1827.
30. ADLC, 3U23-13, jugement du 4 mars 1842.
31. ADLC, 3U23-5, jugement du 4 avril 1818.
32. ADLC, 3U23-11.
33. F. Demier, La France du xixe siècle, 1814-1914, Paris, Éd. du Seuil,
2000, p. 112.
34. L. Gruel, Pardons et châtiments, les jurés français face aux
violences criminelles, Paris, Nathan, 1991, p. 133.
35. F. Chauvaud, «  Ces affaires minuscules  : le crime dans les sociétés
rurales de Seine-et-Oise au xixe siècle  », B. Garnot (dir.), Histoire et
criminalité de l’antiquité au xxe siècle, nouvelles approches, Dijon, EUD,
1992, p. 223.

Auteur

Stéphane Vautier
© Presses universitaires de Rennes, 2008

Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

Référence électronique du chapitre


VAUTIER, Stéphane. Les juges et la violence quotidienne (Blois, 1815-
1848) In  : La violence et le judiciaire  : Du Moyen Âge à nos jours.
Discours, perceptions, pratiques [en ligne]. Rennes  : Presses
universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19 septembre 2021).
Disponible sur Internet  : <http://books.openedition.org/pur/4998>.
ISBN : 9782753530546. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4998.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :

https://books.openedition.org/pur/4998 17/18
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<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.


DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
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La violence et le judiciaire
Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,
pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

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Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

Justice pénale et
« violences
conjugales » au
xixe siècle :
enquête sur les
avatars judiciaires
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d’une catégorie de
violence
Victoria Vanneau
p. 149-159

Texte intégral
1 Au xixe siècle, les violences conjugales n’existent pas, sauf à
transposer sans plus de procès la catégorie constituée dans
les années 1970. Pour autant, affirmer, comme y incline
l’emprise des lectures féministes, l’éternelle cécité de la
justice à l’égard de ces exactions relève de l’illusion
rétrospective1. C’est méconnaître l’important travail de
reconnaissance et de traitement de ces violences par la
justice pénale du xixe siècle. Une lecture attentive des
Comptes de la justice témoigne de leur existence. Dès 1826,
les «  dissensions domestiques  » qui regroupent toutes ces
discordes, ces divisions violentes constatées au sein du
couple, sont érigées comme catégorie de mobiles pour les
crimes capitaux, à côté de l’adultère et des amours
contrariés2. Mais au-delà de la visibilité statistique et
administrative ainsi assurée, l’étude de ces violences au xixe
siècle ne s’entend que par la lecture des discours à la fois de
doctrine et de jurisprudence, ainsi que par l’accès informé à
l’archive judiciaire, et plus particulièrement, par la
compréhension juridique des dossiers de procédure.
L’intérêt réside moins ici dans la restitution d’une réalité
effective des violences conjugales que dans la manière dont
les juridictions essentiellement répressives s’en sont
emparées. Afin d’analyser leur progressive insertion dans le
champ pénal, il s’agira de montrer qu’un réajustement des
attentions de la part de l’institution judiciaire s’est opéré au
xixe siècle, en respect de cette casuistique qui fait le droit
pénal spécial3  ; que, si les victimes, tant masculine que
féminine, représentent ces «  sentinelles de la justice4  », la
dénonciation par le corps social de telles violences a
contribué à amorcer lentement la voie de la reconnaissance,
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l’efficacité de la norme et de l’action pénale ne tenant qu’à


son approbation.

Entre deux droits : la coordination des


normes pénales et civiles
2 L’intérêt du droit pénal pour la famille prend forme au début
du xixe siècle et ne peut se comprendre que si on le met en
relation avec les dispositions du Code civil et avec la
philosophie qui le sous-tend lorsqu’il se propose de régler le
gouvernement de la famille5. La codification a facilité
l’immixtion du droit pénal dans le cadre de la famille afin d’y
faire respecter les valeurs essentielles que l’État lui a
dévolues. Un rapide retour en arrière en matière de normes
et de doctrine pénales s’impose. Tout d’abord, si le droit
canonique, dont on sait la prégnance encore au xixe siècle,
désignait les violences dans le couple par l’expression
uxoricide, les professionnels de l’ancien droit ne semblaient
pas l’avoir retenue, lui préférant des formules plus
habituelles comme «  avoir homicidé sa femme  », «  avoir
occasionné la mort de son mari » ou encore « avoir machiné
la mort de sa femme6  ». C’est la doctrine, au contraire, qui
s’en est plus volontiers emparée, oubliant cependant le sens
exact du terme, pour signaler avant tout le meurtre d’un
conjoint par l’autre7, mais assurant en contrepartie pour la
période d’ancien droit, la reconnaissance théorique de
l’existence de violences perpétrées dans le cadre d’un couple.
À la Révolution, la rupture avec l’Ancien Régime est
consommée  : les textes pénaux de 1791 créent ainsi
l’événement en raison, on le sait, des frontières et du
contenu qu’ils donnent au droit pénal pour l’avenir8. Plus
spécialement, les révolutionnaires ont ouvert la voie en
instituant comme circonstances aggravantes le fait de
commettre un crime ou un délit contre une femme. Ainsi,
l’article 14 de la loi du 22 juillet 1791 dispose que « la peine
sera plus forte si les violences ont été commises envers la
femme9 ».
3 En 1801, une commission est réunie sous le nom de « code
criminel, correctionnel et de police  » afin de procéder à la
réforme des textes de 1791. Un projet est établi comportant 1
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169 articles10. Ce texte, qui laisse entrevoir le futur Code


pénal de 1810, reprend la plupart des incriminations de 1791
en insistant sur les atteintes aux personnes commises dans
le cadre familial. Dans un souci de protection des valeurs
morales, un groupe d’infractions vient alors sanctionner le
respect d’une discipline conjugale. Surtout, réalisant un
compromis entre l’uxoricide de l’ancien droit et l’article 14
de la loi de 1791, les rédacteurs érigent une circonstance
aggravante qu’ils nomment conjuguicide, dont la peine
s’assimile à celle du parricide11. Qualifiant littéralement
l’homicide conjugal, cette expression atteste, en ce début du
xixe siècle, la prise en considération de l’existence de
violences perpétrées dans le cadre du couple et la volonté de
les reconnaître pénalement. Pourtant, le Code pénal de 1810
n’en fait aucune mention. Difficile de dire avec exactitude ce
qui a prévalu dans cet évincement. À lire les observations
portées sur l’avant projet de 1801 par l’ensemble des
tribunaux criminels et cours d’appel du territoire, les
critiques d’ensemble témoignent, d’une part, de sa trop
grande exhaustivité entraînant des confusions et des
omissions, et d’autre part, de sa grande rigidité et sévérité en
matière de répression12. Plus spécialement, les dispositions
du Code civil en matière de séparation de corps et de divorce
ainsi que l’article 324 du projet disposant d’une excuse légale
pour le mari qui a tué sa femme surprise en flagrant délit
d’adultère, ont certainement contribué à sortir des normes
pénales le conjuguicide, cette catégorie spéciale de
circonstance aggravante.
4 D’un point de vue pratique, c’est au Code civil de 1804 qu’est
attribuée la tâche de gérer les conflits conjugaux. En insérant
les excès, sévices et injures graves comme cause de divorce
ou de séparation de corps, le législateur a reconnu l’existence
de mauvais traitements entre époux, et a mis à leur
disposition un mode juridique de règlement des conflits13.
Reste que si les époux victimes de mauvais traitements
s’orientent vers l’institution civile pour que soit réglé leur
différend, la procédure engagée s’avère inefficace. D’une
part, l’action en justice est longue et coûteuse, avant la
création en 1851 de l’Assistance juridique pour les
indigents14. D’autre part, s’il assure un accès évident aux
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violences perpétrées dans un couple marié, le prononcé du


divorce ou de la séparation de corps ne met pas un terme aux
exactions  : au contraire, le dépouillement des dossiers de
procédure montre que les antagonismes sont attisés lors de
conciliations/réconciliations inopportunes, et que la
détermination du conjoint violent, jusque-là de nature
correctionnelle, prend des allures criminelles. Le constat est
largement repris par les civilistes au xixe siècle lorsqu’ils
tentent de définir les notions d’excès, sévices et injures
graves. Car si ces excès (le fait pour un conjoint
« d’outrepasser son pouvoir, d’exercer toutes sortes de voies
de fait, des atteintes au corps15 »), si ces sévices (« ces milles
méchancetés qui frappent une personne dans sa
considération et dans son amour-propre et sans
compromettre aucunement la vie, mais la rendent
insupportable16  »), et enfin si ces injures graves («  l’art
diabolique de martyriser sans frapper17 ») assurent une voie
de recours légale, ils signalent surtout l’existence de
véritables délits voire de crimes commis dans le cadre d’un
couple.
5 La famille en 1810 s’inscrit donc comme «  un
entrecroisement de droits et de devoirs conjugaux  »
construit au bénéfice du mari, ce « gouverneur privilégié18 ».
Le droit pénal, «  citadelle des valeurs sociales19  » que le
pouvoir entend défendre et maintenir, s’impose pour assurer
l’intégrité et la cohésion de la famille. À ce titre, son
intervention dans le couple n’est pas impossible. Au
contraire : il s’invite dans la sphère privée pour compléter la
loi civile. Reste que si en matière de crimes, le choix de son
intervention est évident, en matière de délits, le recours aux
articles du Code pénal pour que cessent les coups, les
violences et autres voies de fait pose problème20.
Progressivement admise voire préconisée, surtout à partir
du Second Empire libéral, la répression des abus de pouvoir
est mise en avant puisque le Code civil reste muet en la
matière.

Vers la reconnaissance jurisprudentielle :


le revirement de l’arrêt Boisbœuf en 1825
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6 Si de telles violences conjugales ne se présentent pas comme


une préoccupation politique du temps, elles n’en sont pas
pour autant reléguées dans le domaine des cécités
judiciaires. Jusqu’à une décision de principe rendue par la
Cour de cassation en 1825, il convient d’admettre que le
déplacement des pratiques pénales opère lentement. Dans
un premier temps, à lire la jurisprudence de la Cour de
cassation, l’action du pénal dans ces domaines privés
emprunte d’autres voies. Par un arrêt du 28 ventôse an X (19
mars 1802), est dénoncé le trouble à l’ordre public causé par
la scène de ménage, plutôt que les voies de fait ou violences
échangées par les partenaires. Cette jurisprudence confirme
l’intervention de la justice pénale dans le cadre du maintien
de l’ordre. Elle autorise également la poursuite d’office par le
ministère public du mari qui exerce sur sa femme des
mauvais traitements qu’autant qu’il trouble la tranquillité
publique. Ainsi, le recours au droit pénal dans ces espèces
signale plus volontiers l’embarras d’un comportement jugé
antisocial que la volonté de sanctionner des violences
intraconjugales21.
7 Une lecture attentive des dossiers de procédure permet dans
un deuxième temps, d’observer que la justice criminelle a su
maîtriser l’évolution des normes pénales et la réforme de
1810. En raison du vide juridique opéré par la période de
transition et des premiers balbutiements en matière
d’application du Code pénal (entré en vigueur le 1er janvier
1811), les juridictions du fond se réfèrent aux dispositions de
1791. Ainsi, dans une affaire jugée le 9 avril 1811 par le
tribunal de police correctionnelle de Versailles (Seine-et-
Oise), le substitut du procureur général impérial en charge
de l’incrimination s’appuie sur l’article 14 de la loi de 1791.
Ses conclusions sont éloquentes : « Attendu que l’autorité du
mari sur sa femme ne peut s’étendre jusqu’à la maltraiter
continuellement et que dans tous les cas, la loi doit protéger
la faiblesse contre la tyrannie de la force22. » En pratique, le
ton est donné en ce début de siècle où le besoin de réprimer
tout abus de pouvoir d’un mari sur sa femme se fait sentir.
La justice pénale perpétue son intérêt pour les violences
commises par le mari sur son épouse en ayant recours à la
loi de juillet 1791, qui établit la qualité de femme en
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circonstance aggravante. L’absence de cette forme juridique


de conjuguicide n’entame en rien l’intolérance qui se révèle
face à l’imposition de la force dans les rapports personnels
des époux. Reste que ces décisions varient d’une juridiction à
l’autre, et ce n’est que sous la Restauration que le revirement
s’effectue.
8 Le 9 avril 1825, la chambre criminelle de la Cour de
cassation rend, en matière de violences conjugales, un arrêt
décisif. L’enjeu repose sur deux questionnements juridiques.
Premièrement, les articles 309 et suivants du Code pénal ne
répriment, comme faits principaux et distincts, que les actes
de violences commis contre une personne. Ces dispositions
s’appliquent sans condition de sexe, d’âge ou de qualité de la
victime. Sur ce point, se pose la question de savoir si la
puissance maritale, qui interroge de son côté la résurgence
du droit de correction, s’impose comme une exception à ces
dispositions pénales  : autrement dit, les articles 309 et 311
sont-ils applicables entre époux ? Deuxièmement, s’ajoute à
cette question de l’application ou non de ces dispositions
pénales entre époux, celle de la compétence même des
juridictions répressives en la matière. Cette question est
fondamentale en droit dans la mesure où l’exception
d’incompétence peut être soulevée par les juges du fond pour
refuser de connaître de tels faits, et dans la mesure
également où cette exception peut remettre en cause l’action
du ministère public.
9 L’affaire est simple. François Boisbœuf, marchand mercier à
La Rochelle, injuriait et maltraitait sa femme depuis
plusieurs mois. Le 6 octobre 1824, averti par la «  clameur
publique  », le commissaire de police se rendit chez lui et
reçut la plainte de la femme dans laquelle on trouve ce grief :
« Que son mari l’a saisie à la gorge et lui a appliquée au bas-
ventre un si rude coup, qu’elle se croyait à la veille de sa
mort. » Le rapport du chirurgien porte qu’ayant examiné la
partie lésée, « il n’a pas trouvé de changement de couleur à
la peau, mais qu’il y a remarqué de l’empâtement et du
gonflement  ». Le procureur du roi cita François Boisbœuf
devant le tribunal correctionnel de La Rochelle qui rendit le
16 octobre 1824 le jugement que voici :

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«  Considérant que le Code civil a prévu le cas de sévices et


maltraitement d’un époux envers l’autre  ; qu’il a ouvert à
l’époux maltraité la voie de la séparation de corps  ; –
considérant que la femme Boisbœuf n’a pas pris le seul
recours autorisé par la loi  ; – que les querelles entre époux
ont toujours été considérées comme tellement délicates que
les tribunaux se sont jusqu’à présent abstenus d’en connaître
lorsqu’elles n’étaient pas poussées jusqu’au crime […] ; – le
tribunal se déclare incompétent et réserve toutes les parties
à se pourvoir ainsi qu’elles le jugeront convenables. »

10 La décision est claire  : le rappel des normes civiles en


matière de sévices et mauvais traitements induit le recours
légitime de l’épouse, qui entend dénoncer les exactions de
son mari à son égard. Mieux  : en l’absence d’effusio
sanguinis, et parce qu’elles sont «  tellement délicates  », le
tribunal de police correctionnelle estime ne pas être
compétent pour connaître des violences intraconjugales. Le
ministère public interjette appel contre ce jugement. Mais le
tribunal de Saintes, chargé de juger les faits à nouveau, se
déclare à son tour incompétent. Adoptant les motifs des
premiers juges et « considérant en outre que les voies de fait
attribuées à Boisbœuf envers sa femme, par la plainte du
ministère public et résultant du rapport de l’officier de santé,
n’ont aucune gravité », rejette par jugement du 23 décembre
1824 l’appel du ministère public.
11 L’affaire cristallise le débat sur la scène politique puisque,
sur ordre du ministre de la Justice garde des Sceaux, le
ministère public se pourvoit en cassation pour dénoncer un
tel jugement et régler ces deux questions de droit, à savoir le
tracé d’une voie d’accès touchant à la compétence d’une
juridiction et à l’application d’une catégorie d’infraction
pénale entre époux. Pour la compétence du tribunal, il est
reconnu que les tribunaux ont violé un principe essentiel de
la législation criminelle qui veut que «  tout délit donne
essentiellement lieu à une action publique » (art. 4, Code de
brumaire an IV), et que «  la police judiciaire recherche les
crimes, les délits et les contraventions, en rassemble les
preuves, et en livre les auteurs aux tribunaux chargés de les
punir  » (art. 8, Code d’instruction criminelle). Quant à
l’application de l’article 311 du Code pénal, à l’appui du
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pourvoi, le procureur général Mourre observe  : tout en


reconnaissant qu’en cette matière, le ministère public doit
agir avec beaucoup « de prudence et de circonspection », le
magistrat s’interroge sur le motif subsidiaire invoqué par le
tribunal de Saintes, d’après lequel « c’est par le mérite même
du fond qu’il aurait établi le principe de son incompétence »,
à savoir que les violences dénoncées ne présentant aucune
gravité, l’action publique ne pouvait être accueillie. Pour
Mourre, un seul fait était à examiner :
«  Y avait-il eu des coups portés par le mari à son épouse  ?
L’affirmation n’est pas douteuse. Que les coups aient été plus
ou moins violents, qu’ils aient eu des suites plus ou moins
fâcheuses, c’est un point qui devait augmenter ou diminuer
la peine ; mais toujours était-il certain qu’il y avait un délit et
conséquemment toujours était-il incontestable que le
ministère public avait action pour le poursuivre23. »

12 Cette décision confirme, d’une part, la légitimité de l’action


publique dans ce type d’affaire et marque, d’autre part, un
tournant dans l’existence et la répression de violences graves
commises dans un couple. En effet, elle témoigne de la
volonté des rédacteurs de considérer tous coups et blessures
volontaires en fonction de la gravité du crime – car c’est bien
l’usage de la force physique qui est recherchée – et non en
fonction de la condition de la victime. Mais le déplacement
des attentions de la part de la justice criminelle ne saurait
être valide sans un déplacement connexe de l’attention des
magistrats saisis de faire toute la lumière sur de tels actes
délictuels et criminels.

Entre pratique pénale et jugement moral :


l’action des magistrats
13 Le recours aux juridictions pénales débouche sur une
procédure répressive qui ne tient compte aucunement de la
qualité de la victime, sauf à considérer son intégrité
physique ou son existence vivante. Si la plainte ou la
découverte du corps de la victime déclenche l’action
publique, celle-ci est rapidement dirigée par le ministère
public qui bénéficie de la plénitude du pouvoir d’apprécier
l’opportunité des poursuites ou non. Dans cette première
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étape de la saisie des violences conjugales, des éléments sont


susceptibles d’interférer dans la poursuite et la répression
pénale des délinquants et criminels conjugaux. Trois
facteurs sont ainsi à considérer. Tout d’abord, le
dépouillement des dossiers montre que la victime féminine
peut se voir opposer l’exception de l’article 322 du Code
d’instruction criminelle (CIC), qui dispose qu’une femme ne
peut être entendue dans une accusation portée contre son
mari.
14 Ensuite, la présence de lettres de la victime adressées aux
magistrats, pour que cessent les poursuites engagées, incline
à la réflexion. On observe que les juridictions répressives,
notamment les juridictions du fond, n’hésitent pas à
renvoyer devant les juridictions civiles les cas litigieux. Un
jugement du tribunal de police correctionnelle de Versailles
rendu le 30 juillet 1816 illustre ce point. Il renvoie au civil,
pour demande de séparation de corps, un époux inculpé de
violences et voies de fait à l’encontre de sa femme  :
«  Attendu qu’il est constant que la femme Gourier en
rendant plainte contre son mari, n’a point prétendu le
traduire en police correctionnelle mais faire constater les
sévices et mauvais traitements exercés par lui24.  » Au-delà
du renvoi accordé à la partie civile, ce moyen s’avère efficace
pour la juridiction répressive qui n’a pas à connaître ni à
juger ces sortes de dissensions domestiques, et d’autre part,
c’est pour la victime le refus de voir condamner son conjoint
au même titre que les délinquants.
15 Enfin, le dernier facteur auquel est exposée la justice pénale
tient à ce qu’un fait ne peut être reconnu en droit tant que le
corps social ne reconnaît pas un droit de le sanctionner25.
Les violences conjugales au xixe siècle s’inscrivent, cela va
sans dire, dans la sphère privée du couple : le comportement
intime qu’il suppose, écarte toute forme d’appréciation de la
part de l’opinion. Reste que la justice du xixe siècle n’est pas
dupe des réactions du corps social. Elle se montre
bienveillante à l’égard de ses soubresauts, et n’exclut que
très rarement les rumeurs qui peuvent s’élever sur
l’existence de la commission d’actes délictuels ou criminels
dans une conjugalité. Plus encore, l’intolérance populaire à
de telles exactions peut être à l’origine de la saisie de la
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justice. Elle dit aussi, par la même occasion, le souci


nouveau de reconnaître et de voir réprimer ces violences.
L’illustre cette lettre écrite par treize locataires au procureur
de la République de Paris, le 8 septembre 1898, dans
laquelle, en plus d’un rappel très précis des violences
exercées, les signataires exposent leur mécontentement vis-
à-vis de tels faits :
« Monsieur le procureur de la République,
Nous avons l’honneur de porter à votre connaissance les
faits suivants  : depuis deux ans et demi le nommé Mallet
serrurier, demeurant 82, rue de Charenton, battait presque
journellement sa femme malade par suite de couches.
Depuis six mois cette malheureuse est privée de nourriture
et plus que jamais battue ; elle en porte du reste les marques
sur le corps et la figure. Hier son mari a déménagé,
emportant tout le mobilier et l’abandonnant sans argent, ne
laissant dans le logement qu’un matelas. De plus cet homme
excite son fils âgé de 14 ans contre sa mère et l’appuie
lorsque celui-ci l’injurie. Nous vous signalons ces faits qui
ont provoqué l’indignation de tous les signataires en vous
priant Monsieur le Procureur, de faire le nécessaire pour
placer cette malheureuse femme et exercer des poursuites
contre le sieur Mallet qui a fait des menaces de mort à sa
femme26. »

16 Les magistrats entendent ces dénonciations. Tout en les


qualifiant «  de muets et incorruptibles témoins si précieux
pour la Justice27  », ou tout en dénonçant «  l’explosion de
rumeurs accusatrices, sourdes jusque-là28  », ils autorisent
alors l’ouverture d’une information judiciaire. Lorsque cette
première étape est franchie, la conduite de l’instruction se
fait dans le respect des principes constitutifs de chaque
infraction : autrement dit, il ne s’agit pas pour la justice du
xixe siècle d’instruire sur une catégorie sui generis de
violences conjugales, mais d’informer selon les voies de
droit sur une inculpation pénalement admise.
17 Les magistrats n’évoquent jamais directement l’existence de
violences conjugales. Pour eux, les actes perpétrés dans ces
couples correspondent à des infractions précises dont
l’essentiel tient à l’établissement de leurs éléments
constitutifs (à savoir la recherche de l’élément matériel et de

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l'élément moral). Aussi, les magistrats s’attachent-ils à


établir une spécificité de ces «  tyrannies domestiques  ». Si
l’expression est retranscrite dans les arrêts de jugement au
début du xixe siècle, le formalisme gagne au point de faire
disparaître ces marques de subjectivité que rejette la loi
criminelle. Toutefois, ces formes de sensibilité se révèlent
plus explicitement à la lecture des documents établis lors de
l’instruction. Le plus révélateur, à ce propos, est sans
conteste l’acte d’accusation. Rédigé par le Parquet sous la
direction du procureur général (art. 241 CIC), son contenu
suscite quelques débats  : «  La plus parfaite impartialité  »
revendiquée par les premiers commentateurs du Code
d’instruction criminelle est, en pratique et en matière de
violences intraconjugales, peu respectée29. En effet, tandis
que la doctrine insiste sur l’absence de passion, de
déclamation, on ne lit que prise de position, rappel de
moralité voire indignation. La victime est qualifiée de
«  malheureuse  »  ; on rappelle «  qu’elle eût à souffrir du
caractère violent et des brutalités  » de son conjoint  ; la
dureté de l’accusé est évoquée en ce qu’elle « décèle l’oubli le
plus complet non seulement dans ses devoirs d’époux mais
de tous sentiments d’humanité  »  ; ou encore on fait
coïncider « les mœurs douces et d’habitudes paisibles » d’un
mari «  à la domination tyrannique de sa femme que son
caractère violent et irascible faisait redouter de tous30 ». En
somme, l’effet à transmettre est celui d’un dénuement
physique le plus complet consécutif aux violences exercées
parfois depuis de longues années.
18 Empruntant encore l’expression au droit civil, la justice
pénale saisie qualifie les violences physiques infligées dans
un couple par l’expression «  mauvais traitements  » ou
encore «  maltraitements  », corrélativement à cette
«  mésintelligence  » qui règne entre les époux. Afin de
dégager un continuum des violences, les actes d’accusation
construisent ainsi leur argumentaire autour d’adverbes
relatifs au temps et au poids de l’habitude  : les juges
prennent soin de consigner que c’est journellement,
continuellement, habituellement, quotidiennement que de
telles violences sont administrées. Les mots exposent
clairement la pensée et redoublent les attentions quant aux
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seuils de tolérance et d’intolérance de la part de l’institution


judiciaire. C’est de « sauvage férocité » que l’on parle lorsque
l’on veut faire état des violences perpétrées31.
19 Il est décisif alors, pour comprendre les pratiques d’État,
d’écouter comment les acteurs procèdent. La question –
pourquoi frappiez-vous votre conjoint ? – n’est jamais posée
en ces termes par les juges. Pudiques et maladroites parfois,
les questions sont orientées afin d’établir une intention
coupable. C’est cette volonté d’établir le sens des brutalités
proprement conjugales qui dirige les interrogatoires et qui
laisse entrevoir une forme de réprobation. L’illustre cette
affaire jugée à Versailles en 1880. Au cours de l’instruction,
le magistrat s’égare face à l’accusé. Égrainant ainsi la
timidité de la victime, son défaut de conformation dans la
bouche qui gênait son élocution, ses avantages certains qui
auraient dû plaire à l’accusé, le magistrat s’indigne du
comportement de ce dernier qui, après avoir assassiné sa
femme, n’a pas eu la pudeur de jeter le drap sur le cadavre
au point que tous ceux qui sont entrés dans la chambre ont
pu constater «  qu’elle avait une magnifique chevelure
blonde, des bras et un torse d’une forme admirable  ».
Surtout, l’indignation atteint son comble lorsqu’il demande :
« Malgré ces avantages vous n’aimiez pas votre femme32 ? »
Les juges peinent à porter les faits dans le domaine objectif
du droit ; ils formulent ces violences dans le domaine moral,
familial et affectif.
20 Ainsi, en l’absence de volonté politique et de débats
doctrinaux en la matière, ce sont ces empêchements, ces
cadres juridiques à délimiter, ces compétences de juridiction
à préciser, ces lettres de dénonciation et ces formes
d’idiosyncrasie des juges, en somme c’est tout cet
assemblage judiciaire qui crée les conditions d’existence
juridique des violences conjugales au xixe siècle33. Malgré
une réticence de la part de certaines juridictions répressives
à connaître de tels actes, l’insertion dans des catégories
générales de violences permet de considérer avant tout les
faits incriminables et non pas seulement la qualité de la
victime  : si en droit cet élément est indifférent, en pratique
les magistrats n’ignorent pas l’état relationnel des individus.
S’observe aussi de la part de l’institution, une volonté
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d’harmoniser les normes applicables à la fois pour les


couples de fait et de droit. Ce sont toutes les exactions
physiques sur le corps d’une personne et non le fait d’être
une femme battue ou un mari battu que les juristes du siècle
ont cherché à atteindre34. Aussi est-il possible, à suivre ces
avatars judiciaires d’une catégorie de violence, de revisiter la
surdité souvent décrétée de la justice du siècle des codes à
l’égard de la brutalité envers les « femmes du peuple ».

Notes
1. É. Badinter, Fausse Route, Paris, Odile Jacob, 2003.
2. Compte général de l’administration de la Justice criminelle en France
pendant l’année 1825-1826, Paris, Imprimerie royale, 1827.
3. Le droit pénal spécial, qui analyse séparément les infractions, est
essentiellement casuiste : la loi criminelle examine méticuleusement les
hypothèses très variées de conduite humaine qu’elle interdit et qu’elle
frappe de sanctions. Voir A. Vitu, Traité de droit criminel. Le droit
pénal spécial, Paris, Cujas, 1982, p. 22.
4. F. Hélie, Traité de l’instruction criminelle, t. 1, Paris, Charles Ingray,
1866 (2e éd.), p. 627.
5. P. Lascoumes, « L’émergence de la famille comme intérêt protégé par
le droit pénal, 1791-1801 », I. Théry et C. Biet (textes réunis et présentés
par), La Famille, la loi, l’État. De la Révolution au Code civil,
Imprimerie nationale, Éd. du Centre Pompidou, 1989, p. 344.
6. M.-Y. Crépin, «  Violences conjugales en Bretagne  : la répression de
l’uxoricide au xviiie siècle  », Mémoires de la société d’histoire et
d’archéologie de Bretagne, t. 73, 1995, p. 163.
7. Uxoricide vient du latin uxor qui veut dire épouse, et et caedo, je tue.
8. P. Lascoumes, P. Poncela et P. Lenoël, Au nom de l’ordre. Une
histoire politique du Code pénal, Paris, Hachette, 1989, p. 9.
9. L’article 14 associe à la qualité de la femme, celle « des personnes de
70 ans et au-dessus, ou des enfants de 16 ans et au-dessous, ou des
apprentis compagnons ou domestiques à l’égard de leur maître, enfin s’il
y a eu effusion du sang et en outre dans le cas de récidive, mais elle ne
pourra excéder 1 000 francs et une année d’emprisonnement ».
10. L’arrêté du 7 germinal an IX (21 mars 1801) crée la commission
chargée de rédiger le projet de code. Composée de cinq juristes –
Viellart, Target, Oudart, Treilhard et Blondel – elle présente ses résultats
fin juin 1801.
11. Aucun article ne précise exactement ce qu’il faut entendre par ce
terme, contrairement au parricide dont le crime est expressément établi

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à l’article 265 du projet de 1801. Une seule indication est donnée à


l’article 274 qui dispose : « Les peines déterminées par les articles 13 et
15 seront infligées à tout individu coupable de parricide, de conjuguicide,
d’assassinat, d’empoisonnement ou de tentative de l’un de ces crimes. »
Voir Projet de code criminel, correctionnel et de police, présenté par la
Commission nommée par le Gouvernement, Paris, J.-J. Marcel,
Imprimerie de la République, 1801.
12. 72 tribunaux criminels et 22 Cours d’appel ont ainsi répondu à la
consultation entre avril et juillet 1804.
13. Les rédacteurs n’ont fait que reporter dans le Code civil les
dispositions de la loi du 20 septembre 1792 établissant le divorce.
14. Voir B. Schnapper, «  De la charité à la solidarité. L’Assistance
judiciaire en France, 1851-1972  », Voies nouvelles en histoire du droit.
La Justice, la famille, la répression pénale, xvie-xxe siècles, Paris, PUF,
1991, p. 435-489.
15. O.-J. Chardon, Traité des trois puissances maritale, paternelle et
tutélaire, vol. 1, Paris, Cotillon, 1841, p. 102.
16. O. Pinot, La Femme dans la société et dans la famille aux diverses
époques du droit romain et du droit français, Angers, Imprimerie
Lachèse, Belleuvre et Dolbeau, 1877, p. 173.
17. O.-J. Chardon, Traité des trois puissances…, op. cit., p. 102.
18. P. Lascoumes, op. cit., p. 346.
19. G. Levasseur, « Les transformations du droit pénal concernant la vie
familiale », Archives de philosophie du droit, t. 20, 1975, p. 58.
20. Lors de la réforme pénale en 1863, le législateur a ajouté aux articles
309 et suivants du Code pénal l’expression «  toutes autres violences et
voies de fait  » sans pour autant en donner de signification. Il s’agissait
surtout de consacrer une jurisprudence par laquelle on s’efforçait
d’étendre la notion juridique de coup. Voir Recueil périodique Dalloz
(DP), 1863, IV, 91, note art. 103.
21. Recueil général des lois et des arrêts Sirey (S), 1802, t. 2, p. 415.
22. Affaire Tremblay, 9 avril 1811, Archives départementales des Yvelines
(ADY), 3UV 2131.
23. Arrêt du 9 avril 1825 (S, 1826, I, 254 ; DP, 1825, I, 302) ; voir aussi
arrêt du 2 février 1827 (Bulletin des arrêts de la Cour de cassation en
matière criminelle, n° 23) et du 7 mai 1851  : la Cour de cassation
rappelle que les articles du Code civil qui s’appliquent aux sévices et
voies de fait ne servent de base qu’à une demande en séparation de corps
et peuvent être effacés par la réconciliation des époux ; en revanche, ils
ne peuvent mettre obstacle à l’action publique fondée sur les délits
prévus par l’article 311, ni en atténuer les peines (DP, 1852, V, 564).
24. Affaire Gourier, 30 juillet 1816, ADY, 3UV 1812.

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25. Voir Association normande de criminologie, Aspects de la violence


dans les relations sexuelles, Paris, Vrin, 1979, p. 75.
26. Affaire Mallet, 21 décembre 1898, Archives départementales de Paris
(ADP), D2U6/117.
27. Affaire Breton, 24 novembre 1837, ADY, 2U288.
28. Affaire Léger, 19 juillet 1864, ADY, 2U504.
29. Voir C. Nouguier, La Cour d’assises. Traité pratique, t. 1, Paris,
Cosse et Marchal, 1860, p. 29-35.
30. Ces formulations sont récurrentes à la lecture des dossiers de
procédure, en l’occurrence ceux des archives judiciaires pour Paris et
Versailles. Voir entre autres l’affaire Cottin, 25 mai 1829, ADY, 2U192.
31. Affaire Thomas, 26 juin 1884, ADP, D2U8/164.
32. Affaire Gauthier, 16 novembre 1880, ADY, 2U638.
33. Alain Corbin a montré combien le xixe siècle ne se comprend bien
qu’à partir de la figure de l’assemblage. Une figure qui mériterait d’être
acceptée par les juristes pour la compréhension historique du droit et de
la justice. A. Corbin, «  Le xixe siècle ou la nécessité de l’assemblage  »,
L’Invention du xixe siècle. Le xixe siècle par lui-même, Paris, Presses de
la Sorbonne Nouvelle, 1999, p. 153-159.
34. Sur la condition juridique des maris battus, voir V. Vanneau, « Maris
battus. Histoire d’une “interversion” des rôles conjugaux  », Ethnologie
française, n° 4, octobre 2006, p. 697-703.

Auteur

Victoria Vanneau
Du même auteur

L’interrogatoire in Histoire par


corps, Presses universitaires de
Provence, 2012
© Presses universitaires de Rennes, 2008

Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

Référence électronique du chapitre


VANNEAU, Victoria. Justice pénale et «  violences conjugales  » au xixe
siècle  : enquête sur les avatars judiciaires d’une catégorie de violence
https://books.openedition.org/pur/5000 16/17
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In : La violence et le judiciaire  : Du Moyen Âge à nos jours. Discours,


perceptions, pratiques [en ligne]. Rennes  : Presses universitaires de
Rennes, 2008 (généré le 19 septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/5000>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.5000.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
Compatible avec Zotero

La violence et le judiciaire
Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,
pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

https://books.openedition.org/pur/5000 17/17
19/09/2021 21:38 La violence et le judiciaire - Invectives, injures et diffamations : les violences verbales et leur réparation devant les justices d…

Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

Invectives, injures
et diffamations :
les violences
verbales et leur
réparation devant

https://books.openedition.org/pur/5002 1/19
19/09/2021 21:38 La violence et le judiciaire - Invectives, injures et diffamations : les violences verbales et leur réparation devant les justices d…

les justices de paix


e
au xix siècle
Vincent Bernaudeau
p. 161-172

Texte intégral
1 Les écarts langagiers de tournures blessantes et agressives
n’ont rien de commun avec les violences qui affectent
l’intégrité physique des personnes et dont les conséquences
immédiates sont quelquefois irréversibles. Pour autant, il y a
là une forme d’exutoire singulier auquel l’historien de la
période contemporaine comme son homologue moderniste
ou médiéviste doit se montrer attentif1. Car, à travers la prise
à partie d’un individu, la mise en cause de sa réputation ou
l’atteinte à son honneur, il peut à la fois appréhender le rôle
des différents acteurs de cet échange envenimé et percevoir
les vecteurs par lesquels chacun d’entre eux affirme son
positionnement social.
2 Au xixe siècle, l’injure adressée à un particulier est
considérée comme une expression outrageante ou comme un
simple terme de mépris, distinct de la diffamation en ce qu’il
ne renferme l’imputation d’aucun fait déterminé susceptible
de porter publiquement atteinte à la considération de la
personne visée. Tels sont du moins les contours juridiques
de ces «  illégalismes  » du quotidien, délimités par la loi du
29 juillet 1881 qui, comme sa devancière de 1819 donne
compétence au juge de paix pour connaître de l’action civile
en dommages-intérêts formée par la victime et sanctionner
celui ou celle qui s’en rend coupable.
3 Dans le cadre de sa juridiction contentieuse, le magistrat
cantonal a pour mission d’apprécier les circonstances du fait
(notamment s’il y a eu provocation et réciprocité), de relever
l’existence ou non du préjudice moral subi (intention
coupable de nuire) et de tenir compte de la « personnalité »
des parties (profession, environnement social, etc.). Les
attendus de sa décision nous révèlent ainsi quelles sont les
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normes présidant aux jugements et quelle est la variabilité


du degré de violence acceptable dans la société. Au-delà, ce
sont bien les indices d’une «  conflictuosité  » ordinaire,
presque anodine, déployée dans des espaces connus sinon
familiers des justiciables qui se dévoilent.
4 Raillerie insultante, épithète injurieuse ou imputation
diffamatoire, les écarts verbaux apparaissent tous porteurs
d’une certaine anxiété sociale, qu’ils relèvent de l’altercation
spontanée ou trahissent l’existence d’un conflit plus ancien
entre protagonistes. Les appréhender, c’est se donner les
moyens d’éclairer la représentation sociale de l’honorabilité
à travers la transgression des codes du savoir-parler et du
savoir-être qu’elles incarnent. C’est aussi percevoir la portée
symbolique de violences peu spectaculaires, mais dont le
surgissement sur la scène judiciaire traduit un délitement du
lien social et un rapport à l’Autre difficile.
5 « Rite d’interaction2 » s’il en est, l’échange verbal saisi dans
sa forme violente et paroxystique constitue un objet d’étude
à part entière, et la présente contribution, fondée sur des
sources judiciaires, entend envisager à travers les jugements
interlocutoires, les jugements de remise et les jugements
définitifs3 rendus dans le canton angevin de Cholet entre
1881 et 1914. Ces derniers, utilement complétés par les
plumitifs d’audience, forment un ensemble de 354 décisions,
qui représentent environ 3  % des actes accomplis par les
titulaires successifs de la juridiction4.
6 Certes, un tel chiffre traduit moins la réalité vécue des
violences verbales et leur intensité que l’activité judiciaire
elle-même. Pour autant, les affaires arrivées à la
connaissance du juge permettent d’approcher au plus près la
tension des rapports individuels entre citadins et ruraux,
gens de métiers et cultivateurs, au sein d’un xixe siècle où
l’oralité imprègne toute la sociabilité des villages et des
faubourgs. Elles nous livrent, en particulier, des éléments
précieux sur la nature des paroles «  malsonnantes  » du
quotidien et sur les référents symboliques auxquels elles
donnent écho, ainsi que sur le traitement que leur réserve
l’institution judiciaire et sur la notion d’honneur ou de
considération qu’elles bousculent5.

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Les paroles « malsonnantes » du quotidien


ou la violence banale des conflits
ordinaires
7 Les instances civiles formées pour obtenir réparation sont à
la fois représentatives des structures professionnelles de la
ville et des rôles sociaux qui s’y distribuent. Bien que les
protagonistes des violences verbales soient très
majoritairement de sexe masculin (les deux tiers des parties
au procès), les femmes ne sont pas absentes des échanges
agressifs (ici, néanmoins, elles en sont plutôt les victimes
que les instigatrices)6. Les catégories sociales fragiles, celles
qui sont les plus instables, tels les domestiques, les ouvriers
à la tâche ou les journaliers agricoles, sont parmi les mieux
représentées (environ 26 %) ; preuve que dans l’étiologie des
« illégalismes » où les violences verbales prennent place, la
misère n’est pas un facteur discriminant. Vouloir défendre
ses droits et son honneur lorsque l’on est compté au nombre
des «  gens de peu  » par les élites (notamment judiciaires),
c’est signifier, de fait, que l’on a une conscience aiguë de soi-
même et la volonté d’échapper à la précarité qui encercle, en
revendiquant sa propre part de dignité.
8 Le monde de la boutique et de la fabrique est également très
présent avec un taux d’environ 45  %  : artisans et gens de
métiers comptant pour deux tiers, marchands détaillants et
commerçants pour un tiers. C’est le reflet probable de
l’importance numérique de ces catégories dans le canton et
de la place particulière qu’elles tiennent dans le tissu
économique local, où jalousies et convoitises sont
constamment attisées. Pour leur part, les employés
d’entreprises privées et les petits fonctionnaires ne sont que
médiocrement représentés (environ 6 %), tandis que les gens
des campagnes constituent une composante importante (les
cultivateurs sont près de 14 %). Leur présence atteste autant
la volonté de contrôle de l’espace (pâtures, jardin, etc.) que
les difficultés à vivre avec ses voisins, dans un hameau ou sur
une ferme isolée, où l’on est parfois amené à partager les
lieux d’habitation. Quant aux notables, ils ne sont pas non
plus à l’abri d’un geste d’humeur ou d’une parole blessante,
mais ils apparaissent peu dans les procès pour injures et
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diffamations (8 %). Exceptionnellement accusés ou témoins,


ils ne dédaignent pas porter plainte et solliciter la justice
locale, mais le font surtout lorsqu’il s’agit de défendre un
bien ou un revenu (loyer notamment), tels les propriétaires
(5 %).
9 Les violences verbales ne sont guère le fait de marginaux ou
d’hommes étrangers à la contrée. Victimes et agresseurs sont
entre gens de connaissance, le plus souvent familiers les uns
des autres. Ils sont très bien intégrés dans le tissu local, qu’il
soit urbain ou villageois7, et comme le montre l'examen de
leurs domiciles, évoluent dans un espace géographique
restreint : 93 % appartiennent à la même commune, près de
36 % résident dans la même rue. Une telle proximité fait du
cadre local le lieu essentiel de cette économie des relations
interpersonnelles conflictuelles. La similitude de condition
et de statut entre les parties atteste en outre d’une violence
horizontale à travers laquelle s’expriment des
préoccupations communes et une sensibilité partagée des
milieux populaires à la respectabilité. Sans surprise, les lieux
publics constituent le théâtre habituel de ces émotions
exacerbées puisque les ¾ des injures et des diffamations
sont proférées sur des places, des promenades, des quais de
gare, au milieu des routes, des chemins, sur des pâtis
communaux ou lors des foires et marchés. À défaut, il s’agit
de lieux semi-publics, c’est-à-dire ouverts à tous ceux qui
veulent s’y introduire dans un but déterminé, tels les
auberges, les hôtels, les boutiques ou les cabarets, qui eux
aussi restent des espaces privilégiés des scènes accusatrices8.
10 La violence verbale est ainsi enracinée dans les territoires
familiers de la vie quotidienne et de la sociabilité ordinaire ;
ceux où se créent de nombreuses occasions d’échanges, où
l’effervescence est fréquente et où les sensibilités sont
toujours en éveil. Dans ces lieux, un regard « de travers » ou
une allusion grossière deviennent vite provocations, la
raillerie se fait souvent insulte et la joute verbale peut
dégénérer en règlement de compte sous les yeux de passants
ou de clients devenus spectateurs. La teneur des propos y est
d’autant plus durement ressentie que la présence
précisément, de ces tiers, vient rehausser l’affront  ; ce qui
fonde en retour la victime à revendiquer ses droits et à
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demander réparation. Entre propos vindicatif et discours


humiliant, la violence verbale s’y décline il est vrai sur
plusieurs registres : celui des mœurs et de la vie privée, celui
de la condition sociale et de la dignité personnelle, celui du
rapport au travail et de la situation professionnelle ; chacun
offrant un choix d’expressions qui, en creux, témoigne des
valeurs morales reconnues par les contemporains.
11 La mise en cause des conduites privées, et singulièrement
des comportements sexuels, rappelle d’abord que la pureté
des mœurs est l’une des vertus les plus importantes.
Violences infamantes s’il en est, elles visent prioritairement
les femmes mais ne sont pas le fait exclusif des hommes, et
sans doute faut-il voir là un revers aux complicités féminines
qui se nouent journellement sur les pas de portes, dans la
rue ou sur les marchés. En stigmatisant le débordement des
sens, la recherche du plaisir facile et les attitudes
provocatrices, elles soulignent combien le regard social est
sans complaisance à l’égard de la transgression des codes du
savoir-être et de l’intime  ; les aventures suspectes ou la
débauche honteuse étant toujours perçues comme des
perversions, sources de scandales et de peurs9. D’une variété
sans limite à l’égard des femmes («  vache  », «  garce  »,
« gotton », « putain », « salope », etc.), ce langage offre un
florilège non moins éloquent vis-à-vis des hommes
(«  cornard  », «  bougre  », «  jean foutre  », «  cocu  », etc.).
Autant de mots qui font peser l’opprobre non plus seulement
sur l’épouse infidèle ou sur la jeune fille libertine, mais sur le
mari trompé ou sur le père de famille abusé  ; personne sur
laquelle rejaillit de facto le déshonneur de telles attitudes
puisqu’à travers elles c’est l’ordre social et familial tout
entier qui est perturbé.
12 Le second registre sur lequel se déclinent les violences
verbales est celui de la condition sociale, dont la dépréciation
participe aussi pleinement à la mise en cause de la dignité
personnelle. Parmi les propos les plus durement ressentis, il
y a ceux qui ont trait à la parenté et rappellent certains
antécédents judiciaires fâcheux  : «  Restant de prison  »,
«  restant de galérien  », «  restant de tatoué  », etc. Des
expressions comme « misérable », « paysan ruiné », « crève
la faim  » ou encore «  homme de rien  » sont tout aussi
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redoutables pour traduire le mépris social et blesser


l’honneur de ceux qu’elles visent. Elles induisent l’idée d’une
déchéance et laissent courir l’idée d’individus sans véritable
estime d’eux-mêmes, ou qui se montrent pour le moins assez
peu soucieux du sort des leurs. La mise en cause de
l’honnêteté qui figure au nombre des interdits typiquement
masculins occupe d’ailleurs une place de choix dans ce
registre, où le soupçon suffit souvent à libérer la parole.
Traiter quelqu’un de «  voleur  », «  bandit  », «  fripouille  »,
«  canaille  » ou «  voyou  », c’est vouloir provoquer son
exclusion, au moins symbolique, d’une communauté ou d’un
quartier. C’est l’accuser, à tort ou à raison, d’avoir voulu
dissiper le bien d’autrui et par conséquent d’avoir commis
un acte portant atteinte à la propriété, valeur sacro-sainte au
xixe siècle.
13 Enfin, dans le cadre de la stratégie insinuante ou accusatrice
qui sous-tend ces violences verbales, la mise en cause de
l’ardeur au travail et des capacités professionnelles est un
élément incontournable. Des interpellations comme
« propre à rien », « grand fainéant », « endetté », « failli »
ou «  banqueroutier  » attestent l’intention de nuire à la
victime dans son commerce, de la discréditer dans son
emploi et de répandre l’idée qu’elle ne sait pas gérer ses
biens. Ces vilenies, bien souvent alimentées par des jalousies
personnelles sous-jacentes ou une concurrence
professionnelle mal vécue, n’ont pas pour unique but de
causer un tort commercial et, à terme, un préjudice matériel
à l’adversaire ; elles visent aussi, et peut-être même surtout,
à lui porter préjudice moral en ce qu’elles recèlent les germes
de la déconsidération et du discrédit social aux yeux de tous.
À travers elles, on voit ainsi surgir toute la tension des
rapports économiques difficiles qui pèse sur les catégories
concernées (boutiquiers, petits fabricants, etc.) et les moyens
que d’aucuns se donnent pour blesser le plus sûrement
possible la réputation du « bon père de famille ».
14 Quelle que soit leur intensité, ces violences verbales tendent
à stigmatiser les comportements qui paraissent par trop
éloignés de la « norme », ou qui sont tout au moins perçus
comme tel. Ceux qui sont proches de l’oisiveté, ceux qui
relèvent des plaisirs faciles, de l’inapplication au travail ou
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de l’indignité sociale qui résulterait de ne pas pouvoir faire


vivre les siens  ; ce qui montre, à bien des égards, que les
principes de l’ordre bourgeois (notamment celui de la
propriété ou ceux relatifs aux mœurs) sont parfaitement
intériorisés, y compris dans les milieux populaires qui sont
les plus représentés ici. Par la négative des termes employés,
ces violences verbales indiquent quels sont les points
sensibles de l’honneur personnel et les espaces de dignité à
préserver.

Estime de soi, regards des autres : la


considération et l’honneur au cœur des
relations sociales
15 Rarement les documents judiciaires exposent les raisons de
ce recours à la violence verbale et les conditions de son
émergence. Lorsqu’il en est fait mention, c’est le plus
souvent de manière allusive, non par les parties elles-
mêmes, mais par les témoins appelés au cours de l’enquête
et de la contre-enquête. Il en ressort que les échanges
injurieux ou diffamatoires font partie du possible de chaque
jour et qu’ils se déploient de l’aparté spontané au face à face
provoqué. Les rencontres fortuites sont l’occasion
d’altercations et de chicanes dont les causes peuvent être
multiples  : regard moqueur, remarque réprobatrice,
incivilité, querelle de cabaret, etc.  ; autant de violences
anodines qui naissent de faits minuscules et constituent
souvent une réponse immédiate à des frustrations de
caractère relationnel dans lesquelles l’amour-propre tient
une grande place. Les plus nombreuses, toutefois, ne
relèvent pas d’une telle réaction d’humeur, mais bien plutôt
d’inimitiés anciennes et d’actes incorrects répétés. Comme
en attestent les attendus des juges de paix, il y a «  des
animosités qui troublent les parties depuis longtemps  »,
«  des vexations anciennes et réciproques  », «  une
mésintelligence connue et cherchant prétexte au point de
dégénérer aujourd’hui en procès10 ».
16 S’il peut s’agir parfois de différends à caractère économique
(impayé de dettes, concurrence déloyale, exclusion d’un
emploi, etc.), le plus souvent, ce sont les conflits de voisinage
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qui sont à l’origine de ces surenchères verbales  : ici un


problème de mitoyenneté, là une question de jouissance de
jardin ou de cour, d’encombrement de caves, d’écoulement
des eaux usées, ou encore de regards indiscrets, de services
non rendus, d’insolence entre enfants, etc. Autant de
situations qui, lorsqu’elles sont répétées, facilitent le passage
de l’altercation à l’affrontement, et attestent que l’injure
comme la diffamation peuvent s’inscrire dans un processus
de vengeance enracinant le conflit existant dans un passé
plus ou moins lointain. De l’invective à l’intimidation, de la
vexation au geste agressif, il n’y a bien souvent qu’un pas que
d’aucuns franchissent en effet allègrement pour faire
dégénérer la surenchère verbale en un déchaînement de
violences. Le défi est le registre sur lequel se joue alors
l’échange envenimé et les voies de fait qui s’ensuivent
caractérisent « le degré de surexcitation » où tombent « les
ayant cause11 ».
17 Coups de bâton, jets d’eaux, projections d’ordures
ménagères, mais aussi soufflets, coups de poings et gestes
obscènes viennent à l’appui de la parole, ajoutant
l’agressivité physique à l’impertinence verbale, la
symbolique corporelle à la symbolique langagière.
L’intensité d’une telle violence n’est dès lors plus à mettre en
regard avec la simple confrontation de sensibilités
ombrageuses. On assiste plutôt là à l’instauration d’un
véritable rapport de force entre les protagonistes, dans
lequel il incombe à chacun et par tous les moyens d’humilier
son adversaire, de lui faire perdre la face. Pour y parvenir, le
passage à l’acte en présence de témoins apparaît comme la
plus redoutable des armes, et quelles que soient les formes
verbales employées ou les modalités d’action déployée, c’est
une indéniable stratégie de l’agression qui se développe. À la
dégradation de l’intimité provoquée par les paroles
blessantes se joint l’humiliation physique et publique qui
vise à l’anéantissement de la partie adverse.
18 Laisser un tel affront impuni, c’est prendre le risque de voir
accrédités des propos outrageants par une rumeur sournoise
et ruineuse pour la considération patiemment acquise  ;
considération « qui, [dit-on dans les traités de l’époque], naît
de la pratique des vertus et de l’observation constante des
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règles de conduite qui font l’honnête homme, le bon père de


famille, le citoyen honorable12  ». Comme l’affirme d’ailleurs
un juge de paix statuant en 1891  : «  On ne saurait dire
jusqu’où la calomnie, franchissant les limites du bourg, a pu
arriver, mais il est certain que la nouvelle a
considérablement grossi et que le démenti ne s’est pas
répandu comme le nouvelle13.  » L’absence de réaction
menace d’être interprétée comme un aveu de faiblesse et il
importe donc aux victimes de ne pas laisser les choses en
l’état  : soit, on l’a évoqué, en répliquant sur le champ à
l’adversaire, soit, en faisant le choix de la voie judiciaire, non
plus seulement pour contester ses allégations mais pour
octroyer à la réplique un caractère officiel et lui conférer
l’autorité de la chose jugée.
19 Certes, aller en justice n’est pas sans risque car la défaite
condamne aux dépens, parfois au versement de dommages-
intérêts, et cela peut entraîner la perte de l’image que l’on
veut donner de soi. Mais cette question de l’honneur
personnel est d’un enjeu tel, sa portée symbolique si forte,
que le justiciable hésite rarement à demander réparation
pour le dommage que lui ont causé ces violences verbales. Le
préjudice moral éprouvé, qui à tout instant menace de
rejaillir sur les siens, constitue le ressort même de la plainte.
C’est lui qui légitime l’instance engagée pour que le
déshonneur ne tombe pas sur la famille toute entière.
D’ailleurs, comme le souligne clairement un juge de paix  :
s’« il importe [à la justice] de protéger toute personne dans
sa liberté et de la soustraire à des attaques scandaleuses, le
droit ne vient que de ceux qui sont assez vigilants pour le
revendiquer14 ».
20 Alors même que l’on sait l’importance et la fréquence des
procédures d’évitement dans les campagnes, notamment au
sein de la France méridionale15, en matière d’injures et
surtout de diffamations, il semble que le justiciable de
l’Ouest ne cherche guère l’arbitrage de la communauté pour
raffermir sa réputation et restaurer son honneur. Au
contraire, il paraît considérer que le magistrat cantonal est le
mieux à même de sanctionner les écarts de langages répétés
dont il a été victime et de redonner éclat à sa considération.
Non seulement il s’agit d’une justice de proximité sans grand
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formalisme procédural qui peut aider à redistribuer les rôles


en édifiant sur les torts de l’agresseur. Mais puisque
l’honneur a été sali en public, il importe aussi qu’il puisse
être rétabli en public et la décision judiciaire doit offrir cette
opportunité d’un démenti cinglant des propos de
l’adversaire, tout en donnant la satisfaction morale de le voir
officiellement condamné.
21 Étudier les instances civiles en réparation formées contre ces
violences verbales offre à l’évidence un triple intérêt. Outre
qu’elles permettent de considérer qu’entre estime de soi et
regard d’autrui, l’honneur et la réputation sont au cœur des
relations sociales, y compris dans les milieux populaires que
nous appréhendons ici, elles facilitent l’observation du
processus d’intervention de l’État dans la gestion des conflits
ordinaires qui leur sont liés et met en lumière l’office du juge
comme un recours efficace pour les justiciables ; justiciables
dont les motivations sont de trois ordres  : confondre
l’adversaire, restaurer leur dignité et obtenir une
compensation pécuniaire.

L’office du juge : un recours pour réparer


ces blessures assassines
22 La loi du 29 juillet 1881 n’ayant pas abrogé les dispositions
de l'article 5 de la loi du 25 mai 1838, les juges de paix
demeurent seuls habilités à connaître des actions civiles en
réparation pour injures et diffamations verbales. Le taux de
leur compétence, fixé à 50 francs sans appel avec la loi de
1790, puis à 100 francs avec la loi de 1838, a été révisé à la
hausse en 1905 et porté à 300 francs (tout en restant illimité
à charge d’appel). Une fois saisi par l’exploit introductif
d’instance, et sous réserve que les faits relevés ne tombent
pas sous le coup de la prescription à 3 mois, ce magistrat
convoque les parties en son cabinet. Il donne lecture de la
citation rédigée par l’huissier, qui non seulement énonce les
propos incriminés (en recourant si besoin à un euphémisme
pour en atténuer leur grossièreté) et précise les
circonstances de leur survenue (date, lieu et heure le cas
échéant), mais il les qualifie et indique aussi le texte de loi
qui est applicable à la poursuite de l’infraction. C’est sur
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cette base juridique et dans ces seules limites que doivent


dès lors s’engager les débats entre les parties.
23 Le particulier qui se dit victime de violences verbales est
fondé à invoquer l’article 1382 du Code civil pour obtenir
réparation  ; encore faut-il que sa citation présente les faits
comme dommageables au sens de cet article et que le juge y
relève l’existence d’un préjudice au moins moral16. En règle
générale, le plaignant reprend et développe donc ses
conclusions initiales à l’audience, puis offre de fournir la
preuve de ce qu’il avance en proposant de produire des
témoins. Invariablement, l’argumentaire qu’il déploie vise à
convaincre le juge qu’il n’a pas répliqué à l’insulte ou à la
menace qui lui a été adressée, et qu’il a agi avec sang-froid,
en maîtrisant ses émotions, contrairement au défendeur
qu’il s’attache volontiers à dépeindre comme emporté. Pour
donner plus de poids à sa demande, il ne manque pas non
plus de souligner que les propos tenus ont un caractère de
mépris et une connotation outrageante, qu’ils ont été
proférés en public et de manière réitérée. Ce qui lui importe
ici, c’est de convaincre que son agresseur ne s’est pas
contenté de persiflage, qu’il a tenté de le discréditer
sciemment et qu’il existe, de fait, cet élément moral attestant
chez lui l’intention réelle de nuire.
24 À l’inverse, l’accusé met tout en œuvre pour ne pas avoir à
endosser la responsabilité des actes qui lui sont reprochés, et
bien souvent, opte pour un système de défense qui consiste à
ne rien céder (62  % nient totalement les faits). Lorsque la
dénégation n’est que partielle, il lui faut alors signifier au
juge qu’il n’a pas eu le dessein de causer de préjudice moral
au plaignant, et pour cela, invoquer tantôt la provocation de
ce dernier (dont il sait qu’elle peut être pour lui une excuse
ou un motif d’atténuation de son attitude), tantôt sa
situation déplorable dans le quartier ou ses mauvaises
relations. Quasi systématiquement, le défendeur tente de
masquer sa faute, de la minimiser, et parfois même il contre-
attaque comme l’attestent les demandes reconventionnelles
posées dans 10  % des affaires. Certes, il sait par cette
démarche ne pas pouvoir transformer le plaignant en
inculpé, mais il a pour visée de faire rejeter la prétention de
celui-ci et d’affirmer à son tour son propre droit à
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réparation. Dans 3 cas sur 4, le montant qu’il réclame est du


reste égal à celui des dommages-intérêts exigés par ce
plaignant, mais la tentative qui consiste à voir les torts
partagés demeure très incertaine puisque dans seulement
20  % des cas le défendeur obtient le déboutement du
demandeur (alors que dans 40 % il doit supporter les dépens
avec lui et dans 40 autres sa demande est rejetée au motif
qu’elle est insuffisamment justifiée).
25 Dans le cadre de ces instances en réparation jugées par aveu
et dénégation, la mission du magistrat n’est pas aisée et
l’essentiel se joue au cours des enquêtes et contre-enquêtes.
Le demandeur qui est admis à prouver les faits articulés y
recourt dans 62  % des cas et le défendeur, à qui la preuve
contraire est réservée, en fait de même dans 53 % des cas. Le
profil des témoins alors appelés à comparaître est similaire à
celui des parties en présence (notons au passage qu’environ
30 % sont des femmes) : leur âge est très variable, oscillant
entre 11 et 77 ans, leur nombre aussi, pouvant aller jusqu’à 7.
Le but de ces enquêtes et contre-enquêtes qui ont lieu lors
des audiences « de remise » est de s’assurer que les propos
imputés ont bien été tenus dans les circonstances de temps
et de lieu indiquées dans la citation, que les scènes décrites
ont bien été vécues et que par conséquent les faits énoncés
correspondent à la réalité des attitudes prises par les
protagonistes. Or, le plus frappant dans ce que dévoilent les
témoignages, ce sont assurément les connivences
professionnelles, les solidarités sociales ou de quartiers que
les parties mobilisent et sur lesquelles elles savent pouvoir
compter.
26 La liberté d’appréciation du juge prend ici tout son sens dans
la mesure où il doit discerner ce qui relève d’une franchise
toute spontanée, ou au contraire, d’une tentative
d’instrumentalisation. Il lui faut ainsi prêter un crédit relatif
aux dépositions imprécises de témoins qui « narrent le récit
qu’on leur a fait des diverses scènes sans avoir eux-mêmes
rien su ni entendu17 ». Il en est aussi certains sur la sincérité
desquels il ne peut pas «  faire fond  » puisqu’ils sont
« manifestement divisés en deux camps : celui des amis des
époux L… et celui des amis et compagnons de fête d’A… ». Le
magistrat n’est certes pas dupe des complaisances, mais à
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chaque instant il lui faut traquer ce qui est moralement


inacceptable et juridiquement irrecevable. Ainsi, en 1911,
l’un d’eux précise qu’«  il n’est pas admissible qu’une
personne se vante qu’elle est prête à servir de témoin pour
une somme d’argent », et en 1890, un autre souligne qu’il ne
peut accorder « aucune créance à un homme qui paraît avoir
été la cheville ouvrière de l’instance introduite par la
[plaignante], et qui ensuite est allé trouver M… pour le
pressentir sur ses intentions de témoignages en lui déclarant
que la démarche aurait pour lui un intérêt ».
27 Preuve s’il en est de la difficulté à démêler le vrai du faux,
seules 12  % des affaires sont réglées dès la première
audience. Il faut dire que 65 % des parties au procès se font
assister d’un auxiliaire de justice, généralement un avoué de
la ville, parfois un avocat venu d’Angers, beaucoup plus
rarement un agent d’affaire ; ce qui ne favorise pas toujours
l’émergence de la «  vérité  » et participe autant à
l’allongement des procédures (quelques unes n’aboutissant
qu’après 3 ou 4 remises) qu’à l’alourdissement des frais.
Néanmoins, 16  % sont radiées au bout d’un certain temps,
soit par suite du désistement de l’action par le demandeur et
après arrangement avec la partie adverse (c’est la majorité
des cas, preuve que l’instance revêt aussi un caractère
dissuasif), soit parce que les parties n’ont pas comparu et
que le juge présume dès lors que l’affaire a été abandonnée.
Pour toutes les autres causes, c’est-à-dire celles qui trouvent
une issue judiciaire, à peine 20  % témoignent du
déboutement du demandeur, plus de la moitié voient le
défendeur condamné à des dommages-intérêts, et dans les
29  % restants, les dépens sont supportés par les deux
parties.
28 La latitude du juge est très grande, tant en ce qui concerne
l’appréciation des circonstances de la cause qu’à l’égard de
l’évaluation du préjudice subi et de la sanction à prononcer.
Outre l’intention de nuire précédemment évoquée, il lui faut
s’assurer de la publicité donnée aux propos (la présence de
témoins constituant un facteur aggravant), saisir quel a été le
degré de provocation (qui est une excuse légale pouvant
profiter au défendeur), et la possible réciprocité des
violences verbales (les torts pouvant se compenser). Comme
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19/09/2021 21:38 La violence et le judiciaire - Invectives, injures et diffamations : les violences verbales et leur réparation devant les justices d…

il n’existe aucune règle en la matière, c’est en équité qu’il se


prononce pour décider d’une éventuelle réparation civile  ;
réparation qui, conformément au droit commun, consiste en
l’allocation de dommages-intérêts dont il fixe
souverainement le montant. Légalement, il n’a pas à
spécifier les bases d’après lesquelles il évalue ce montant,
mais dans la pratique il semble bien que le quantum soit
proportionné à la nature de l’affaire, aux circonstances et à la
personnalité des parties (situation de fortune, milieu social,
éventuels antécédents, etc.). En tout état de cause, les
sanctions sont toujours plus élevées en matière de
diffamation, où «  l’intention de nuire doit très présumer  »,
qu’en cas d’« injures banales [qui] ne peuvent se traduire par
une condamnation à des dommages-intérêts trop
importants18 ».
29 Si 40  % des indemnités réclamées par les plaignants se
situent entre 100 et 200 francs, 30  % leur sont encore
supérieures, ce qui paraît bien souvent exagéré aux yeux du
magistrat. Pour lui qui connaît parfaitement la situation des
justiciables de son canton, qui sait qu’un tisserand «  à la
cave  » gagne environ 1,60 francs par jour, un cordonnier-
monteur à l’usine 4 francs, ou que les salaires des femmes
sont encore plus dérisoires, la sanction doit être ramenée à
de justes proportions19. Afin de faire « bonne justice » envers
des parties qui pour la plupart appartiennent aux milieux
populaires, il décide donc fréquemment de réduire le
montant des dommages20. Sans pour autant que la justice
efface le caractère coupable des propos, une réciprocité des
torts l’engage à l’indulgence et au partage égal des dépens
entre les deux parties. Tantôt il estime que la condamnation
du défendeur aux frais du procès «  constitue la seule et
suffisante sanction qu’appellent ces écarts de langage  »,
tantôt que «  la publicité donnée aux débats constitue une
réparation sérieuse et suffisante en faveur de la partie
lésée  », ou que «  des déclarations de l’adversaire, le
demandeur a reçu une satisfaction qui doit être mise en
compte lorsqu’il s’agit des intérêts d’honneur ou d’amour-
propre21 ».
30 Des violences verbales auxquelles se livrent les habitants du
canton de Cholet entre 1881 et 1914 surgissent des actes
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individuels qui expriment le difficile rapport à l’Autre et


figurent cet espace de fierté que chacun revendique pour lui-
même. À travers une « conflictuosité » ordinaire et presque
anodine se dévoile l’existence d’une véritable éthique de
l’honneur au sein des milieux agricoles et ouvriers,
commerçants et artisanaux. La compacité des lieux de vie,
les conditions de travail et l’étroitesse des horizons sociaux
ne sont pas sans impact sur l’intensité de relations
interpersonnelles laissant tantôt percer une querelle
familiale, tantôt un conflit de voisinage ou une brouille à
caractère plus professionnel. Insultes, injures et
diffamations constituent autant d’écarts langagiers qui
donnent lieu à des démonstrations de sentiments indignés
de la part de victimes. En recourant à la justice, ces dernières
entendent signifier que le seuil du tolérable est à leurs yeux
dépassé et que l’affront infligé mérite réparation. L’enjeu
premier est de rétablir la considération personnelle mise à
mal et de stipuler au coupable les limites de l’interdit
collectif. Mais une telle démarche à l’égard de l'institution
judiciaire montre aussi que le règlement des différends sous-
jacents est parfaitement intégré au jeu des défiances
réciproques et des vengeances privées. Il s’agit là d’un mode
de régulation singulier des tensions sociales que les
tentatives de conciliations antérieures n’ont pu apaiser.
D’ailleurs, comme le montrent les pratiques, l’agresseur
n’attend souvent pas le terme de la procédure engagée pour
trouver un terrain d’arrangement avec le plaignant ; preuve
s’il en est que l’office du juge est bien au cœur du jeu social
ainsi déployé.

Notes
1. Plusieurs contributions aux actes du présent colloque attestent cet
intérêt partagé entre historiens.
2. E. Goffman, Les rites d’interaction, Paris, Éd. de Minuit, 1974. Du
même auteur, voir aussi La mise en scène de la vie quotidienne, Paris,
Éd. de Minuit, 1973, 2 tomes.
3. J.-C. Farcy, «  Les archives méconnues de la justice civile  », F.
Chauvaud et J.-G. Petit (dir.), L’histoire contemporaine et les usages
des archives judiciaires (1800-1939), Paris, Champion, 1998, p. 397-
408.

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4. Archives départementales de Maine-et-Loire (AD 49), 4U13/49-56,


minutes de jugements civils (1881-1914) et 4U13/67-69. Plumitifs (1881-
1914).
5. J. Pitt-Rivers, Anthropologie de l’honneur, Paris, Hachette, 1997 ; R.
Beigner, L’honneur et le droit, Paris, LGDJ, 1995.
6. C. Dauphin et A. Farge (dir.), De la violence et des femmes, Paris, A.
Michel, 1997.
7. F. Chauvaud et J.-L. Mayaud (dir.), Les violences rurales au
quotidien, Paris, La Boutique de l’Histoire, 2005 ; J.-P. Burdy, Le soleil
noir, un quartier de Saint-Étienne (1840-1890), Lyon, PUL, 1989.
8. R. Bizien, «  Boire, se battre et s’injurier  : la violence des conflits
ordinaires à Brest à la fin du xixe siècle (1890-1914) », Kreiz 13, 2000, p.
219-242.
9. A.-M. Sohn, Chrysalides  : femmes dans la vie privée (xixe-xxe
siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 1996, 2 vol.
10. AD 49, 4U13/49 et 50, minutes de jugements (1881, 1882 et 1889).
11. AD 49, 4U13/50, minute de jugement, 1887  ; E. Claverie,
« L’honneur en Gévaudan, une société de défis au xixe siècle », Annales,
Économies, Sociétés, Civilisations, 1979, vol. 34, n° 4, p. 744-759.
12. Grellet-Dumazeau, Traité de la diffamation, de l’injure et de
l’outrage, Riom, Leboyer, 1847, 1, n° 83.
13. AD 49, 4U13/51, minute de jugement, 1891.
14. AD 49, 4U13/50, minute de jugement, 1884.
15. F. Ploux, Guerres paysannes en Quercy, Paris, La Boutique de
l’Histoire, 2002.
16. B. Starck, Essai d’une théorie générale de la responsabilité civile…,
thèse de droit, Paris, L. Rodstein, 1947  ; E. Worms, Les attentats à
l’honneur. Diffamation, injures, outrages, etc., Paris, Perrin, 1890.
17. Comme les suivantes, cette citation est extraite des minutes des
jugements. AD 49, 4U13/50, 52, 53 et 55 (1888, 1890, 1897 et 1911).
18. AD 49, 4U13/50-51, minutes de jugements, 1887 et 1890.
19. Chiffres de 1904 que nous a aimablement communiqués J.-L. Marais,
co-auteur d’une Histoire de l’Anjou en préparation.
20. M. Veliciu, De la réparation pécuniaire du dommage moral, Paris,
Jouve, 1922  ; J. Tournier, De la condamnation à des dommages-
intérêts comme moyen de contrainte et comme peine, Montpellier,
Ricard, 1896.
21. AD 49, 4U13/50, minutes de jugements, 1882 et 1888.

Auteur

https://books.openedition.org/pur/5002 17/19
19/09/2021 21:38 La violence et le judiciaire - Invectives, injures et diffamations : les violences verbales et leur réparation devant les justices d…

Vincent Bernaudeau
Du même auteur

Les praticiens du droit du


Moyen Âge à l'époque
contemporaine, Presses
universitaires de Rennes, 2008
La loi d’avril 1919 sur la réunion
des cantons judiciaires et la
délégation des magistrats de
paix in Le canton, un territoire
du quotidien  ?, Presses
universitaires de Rennes, 2009
Introduction in Les praticiens
du droit du Moyen Âge à
l'époque contemporaine,
Presses universitaires de
Rennes, 2008
© Presses universitaires de Rennes, 2008

Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

Référence électronique du chapitre


BERNAUDEAU, Vincent. Invectives, injures et diffamations  : les
violences verbales et leur réparation devant les justices de paix au xixe
siècle In  : La violence et le judiciaire  : Du Moyen Âge à nos jours.
Discours, perceptions, pratiques [en ligne]. Rennes  : Presses
universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19 septembre 2021).
Disponible sur Internet  : <http://books.openedition.org/pur/5002>.
ISBN : 9782753530546. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.5002.

https://books.openedition.org/pur/5002 18/19
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Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
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La violence et le judiciaire
Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,
pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

La violence et le judiciaire
Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,
pratiques

Ce chapitre est cité par


Härter, Karl. (2013) Violent Crimes and Retaliation in the
European Criminal Justice System between the Seventeenth and
Nineteenth Century. SSRN Electronic Journal. DOI:
10.2139/ssrn.2218350

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Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

La torture en
procès :
construction et
justification d’une
violence « légale »
dans le cadre de la
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19/09/2021 21:38 La violence et le judiciaire - La torture en procès : construction et justification d’une violence « légale » dans le cadre de la ch…

chasse aux
e
sorcières (xv
siècle)
Franck Mercier
p. 175-185

Texte intégral
1 À l’heure où nos démocraties s’interrogent sur l’opportunité
de recourir à des moyens judiciaires d’exception pour lutter
contre la menace terroriste, l’histoire de l’installation de la
torture dans le système judiciaire européen à la fin du
Moyen Âge et au début de l’époque moderne prend tout son
sens1. Si la « domestication » de la torture par la justice nous
apparaît bien en effet comme l’une des modalités possibles
de la confiscation par l’État naissant du monopole de la
violence « légitime », il reste à mieux comprendre la manière
dont on a pu, à un moment donné, reconnaître l’existence
même d’une violence «  légale  ». Ainsi que l’avait
incidemment relevé Piero Fiorelli dans son étude classique
sur la torture judiciaire2, la grande chasse aux sorcières qui
prit son essor en Europe dès les premières décennies du xve
siècle fut le lieu privilégié d’une expérimentation judiciaire
et doctrinale faisant la part belle à la torture. Que la
juridiction concernée soit laïque ou ecclésiastique, celle-ci
eut généralement recours à la « géhenne » contre les accusés
dès lors qu’il s’agissait de leur extorquer la «  vérité  » du
sabbat sous la forme de l’aveu. C’est que l’usage
judiciairement réglé de la torture contre les suspects de
sorcellerie s’inscrit, sans véritable solution de continuité,
dans le prolongement de la procédure romano-canonique
(du moins dans sa version extraordinaire) forgée contre
l’hérésie au cours des xiiie et xive siècles. Assimilée à
l’hérésie, la sorcellerie démonolâtre constitue un crime
« énorme » qui est défini comme crimen laesae maiestatis.

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À ce titre, elle requiert logiquement la procédure


extraordinaire fondée sur la torture et le secret. La
terminologie en usage dans les textes de l’époque traduit
bien du reste la contiguïté de la sorcellerie et de l’hérésie
puisqu’elle désigne alors volontiers les adeptes du diable
sous le nom de «  vaudois  »… Solidaire d’une procédure
d’enquête qui a déjà fait les preuves de sa redoutable
efficacité contre les hérétiques médiévaux, la torture
judiciaire semble aller de soi dans la poursuite des sorciers et
des sorcières du xve siècle. Textes et procès des années 1430-
1440, notamment dans le contexte des premières chasses
alpines3, l’indiquent parfaitement  : la torture est souvent,
pour ne pas dire systématiquement, utilisée contre les
suspects de sorcellerie et son usage judiciaire conduit
généralement ses victimes sur le bûcher. Les premiers
théoriciens du sabbat (comme Jean Nider, par exemple,
dans son Formicarius) n’accordent qu’une attention
distraite à la torture, comme si celle-ci allait pleinement de
soi. Par ailleurs, juges et théologiens en charge de la
persécution ne s’embarrassent guère de justification. Ils se
donnent beaucoup plus de peine à démontrer la réalité
physique du sabbat – l’une des grandes controverses du
milieu du xve siècle – ou à justifier de l'implication du
pouvoir séculier dans la répression qu’à légitimer le recours
à la torture. La question de la « géhenne » – si l’on ose dire –
ne les tourmente guère.
2 En réalité, cette banalisation apparente de la torture dans la
poursuite de la sorcellerie démoniaque est en partie
trompeuse. Elle ne va de soi que là où la persécution se
déploie sans difficulté, ce qui, dans les faits, est rarement le
cas… En situation de litiges ou de concurrences
juridictionnelles, la torture judiciaire devient ou redevient
vite un enjeu de pouvoir important. La question de savoir
qui doit appliquer la torture judiciaire, dans quelle
proportion, dans quels lieux fait alors l’objet d’âpres
discussions. La chasse aux sorcières, en dépit de tout ce
qu’elle doit à la lutte déjà pluriséculaire contre l’hérésie, ne
fut donc pas que l’extension et l’application mécanique de la
procédure romano-canonique de type extraordinaire. Elle
fut aussi, dans une certaine mesure et une certaine
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19/09/2021 21:38 La violence et le judiciaire - La torture en procès : construction et justification d’une violence « légale » dans le cadre de la ch…

configuration territoriale et politique, le champ d’une


expérimentation, d’une légitimation et aussi d’une mise en
discussion de la torture (et par-delà de l’extraordinaire). On
sait ainsi que la chasse aux sorcières a contribué à imposer et
propager la procédure inquisitoire sous sa forme
extraordinaire en des espaces où elle était, sinon tout à fait
inconnue, du moins contenue dans des limites tracées ou
balisées par les statuts et les privilèges communautaires
(Suisse occidentale4, le Nord de la France).
3 Pour essayer d’appréhender ce rôle de la chasse aux
sorcières dans l’aménagement d’un espace «  légal  » à la
torture, je me limiterai à la mise en perspective d’une affaire
précise qui a défrayé la chronique judiciaire du Nord de la
France dans les années 1460  : la Vauderie d’Arras5. Cette
célèbre affaire de diableries qui s’est déroulée pour
l’essentiel à Arras, sur les terres des grands ducs de
Bourgogne, présente l’intérêt et l’avantage pour nous d’avoir
été jugée plusieurs fois : une première fois en 1460 devant le
tribunal d’inquisition local (qui opérait en étroite
collaboration avec l’officialité), une seconde fois devant le
Parlement de Paris (1461-1491).À chacune de ces étapes, la
question de l’usage de la torture contre les suspects fut posée
avec une insistance particulière. Légitimé en première
instance comme une violence nécessaire, l’emploi des
tourments fut sévèrement condamné par le Parlement de
Paris qui, dans son arrêt définitif rendu en 1491, en dénonça
le caractère « cruel » et « inhumain ». Cette affaire, par-delà
ses multiples enjeux sociaux et politiques, est révélatrice des
tensions autour de la torture judiciaire. Dans ces conditions,
il paraît légitime de s’interroger d’abord sur les grandes
lignes de sa justification théorique au plan local, pour
examiner ensuite le contenu de la critique développée par le
Parlement de Paris, puis les limites de celle-ci : la critique de
la torture excessive n’indiquant peut-être elle-même qu’une
autre voie possible de normalisation de la torture…

Une ample et savante justification de la


torture

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4 Que la chasse aux sorcières ait été le lieu d’une


expérimentation pratique de la torture relève de l’évidence,
qu’elle ait pu aussi constituer le lieu d’une réflexion savante
à son sujet est déjà plus surprenant. Cet aspect de l’histoire
de la torture judiciaire n’a guère été envisagé. Nombreux
sont pourtant les juristes et les historiens du droit à avoir
pressenti l’importance de la chasse aux sorcières dans le
développement de la torture judiciaire mais les études
générales sur la torture marquent souvent une hésitation au
seuil de cette zone empreinte d’une sombre folie. La
présence d’une forme de rationalité juridique dans la
répression de la sorcellerie est souvent passée sous silence
par les commentateurs, peu enclins sans doute à intégrer
dans le domaine impartial et pacifié du droit ce qui relève a
priori de l’extravagance, de la folie délirante6. À cet égard,
l’histoire traditionnelle de la Vauderie d’Arras a quelque
chose de rassurant. Le désaveu infligé par le Parlement au
tribunal ecclésiastique d’Arras a contribué à disqualifier le
travail des juges locaux, accréditant l’idée que la procédure
ne pouvait avoir été que manipulée par des juges
prévaricateurs, bien davantage préoccupés de dépouiller
leurs victimes que d’établir les faits incriminés7. Dans cette
perspective, l’hypothèse d’une instrumentalisation du droit
et de la procédure par des juges corrompus ou méchants
permet de se rassurer à bon compte.
5 Pourtant, à y regarder de plus près, les juges ecclésiastiques
d’Arras ne se sont pas seulement contentés de produire ou
d’extorquer des aveux aux accusés, ils se sont aussi
préoccupés d’en garantir la validité (aux yeux de la
population, lors des cérémonies judiciaires qui scandent la
persécution, mais aussi, aux yeux des « gens du livre » et des
spécialistes de la lutte contre l’hérésie). Indépendamment
des minutes des procès qui ont disparu, un texte porte plus
particulièrement témoignage de cet effort savant de
justification. Il s’agit d’un petit traité de droit et de
démonologie connu sous le nom de Recollectio casus, status
et condicionis Valdensium ydolatrarum (désormais abrégé
Recollection) composé en 1460 sur les lieux mêmes de la
persécution8. Écrit de main anonyme, le texte de la
Recollection peut être attribué à un certain Jacques du Bois,
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gradué de l’université de Paris, doyen du chapitre cathédrale


d’Arras9. Celui-ci prit une part très active dans les procès
contre les Vaudois en tant que promoteur de la cause,
autrement dit comme personne officiellement chargée
d’étayer et de soutenir l’accusation contre les suspects. La
rédaction de ce traité participe sans aucun doute de cet effort
de circonstance  : l’énergie démonstrative et persuasive du
doyen d’Arras (dont nous avons maintes preuves par
ailleurs) déborde du strict cadre du tribunal pour s’épancher
sous la forme scolastique d’un savant traité qui prétend faire
école. Inspiré par les circonstances, ce texte d’occasion
entend en effet s’appuyer sur un cas particulier (le « casus »
des Vaudois d’Arras) pour développer un discours général
sur l’art et la manière d’interroger les suspects de sorcellerie.
Indépendamment de ses aspects démonologiques, ce traité
comporte ainsi une ample justification de la torture comme
moyen privilégié de l’enquête dirigée contre les accusés.
6 En l’absence de témoins extérieurs susceptibles – et pour
cause – de déposer sur les activités clandestines des sorciers,
l’aveu se retrouve au centre du régime probatoire dirigé
contre le sabbat. Dans cette perspective, la torture judiciaire
devient un instrument essentiel de la recherche de la vérité.
Renoncer à l’utiliser, prévient d’emblée Jacques du Bois,
reviendrait pour la justice à fermer les yeux sur le crime et à
se neutraliser elle-même.
7 Il commence par affirmer qu’il est impossible de juger les
suspects dans les formes habituellement prescrites par la loi
commune. Pour Jacques du Bois, la «  matière  » est si
singulière qu’elle requiert un mode d’action procédural
(modus procedendi) spécifique «  car ce cas particulier des
Vaudois est très occulte, dissimulé et extrêmement secret ».
Il ajoute qu’il «  ne peut ainsi être atteint par la voie
commune » (neque potest attingi de communi cursu)10.
8 Le tribunal mixte d’Arras (qui associe l’inquisiteur à
l’évêque) s’arroge donc le privilège – au titre de
l’extraordinaire – de pouvoir s’abstraire du droit commun –
ordinaire – sans pour autant quitter absolument le champ
du droit (ce qui définit précisément le régime d’exception).
Si l’auteur revendique en effet une suspension des règles
procédurales communes pour mieux poursuivre
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efficacement le crime de sorcellerie, il n’en prétend pas


moins inscrire son action dans le domaine légal. Il fonde
ainsi un régime procédural d’exception qui fait de la torture,
avec son corollaire le secret, l’une des armes privilégiées de
la justice pour accélérer les débats, brûler les étapes de la
procédure ordinaire, la déborder même du côté de l’effroi
pour, enfin, faire surgir l’occulte11.
9 La perception de la torture y est double, à la fois symbolique
et rationnelle. Symbolique, en ce sens que l’extraction de
l’aveu (par la médiation de la torture) est perçue comme une
victoire du juge sur l’accusé, mais aussi, plus
fondamentalement, de Dieu sur le diable. Affirmant sans
cesse davantage sa présence au monde (au moins depuis le
début du xive siècle), le diable en arrive au xve siècle à se
glisser jusque dans les lieux de la justice, dans les cachots et
même dans la chambre de torture. Déjà, au temps du juge-
mage Claude Tholosan (qui opérait dans le Dauphiné vers
1430), le diable était parvenu à s’immiscer dans le procès en
assistant personnellement ses affidés au cours des
interrogatoires : « Comme je l’ai justement appris, le diable
les protège et les réconforte parfois au cours des
interrogatoires, de sorte qu’ils ne sentent pas la torture [sic
quod non senciunt torturam], et il leur apparaît là pour les
réconforter12. » Le diable est également présent à Arras. Tel
qu’il est décrit dans la Recollection, l’interrogatoire des
prévenus ressemble fort à une séance d’exorcisme. C’est
ainsi que le diable passe pour entraver l’extorsion de l’aveu
en exerçant une pression physique sur les organes de la
parole du prévenu : « Il suggère et livre des réponses comme
s’il parlait en eux […] il entrave la langue, la gorge et d’autres
organes produisant la voix […] et il les empêche de parler13. »
Tout le travail des juges consiste dès lors à briser le silence
diabolique pour obtenir l’aveu. La démonologie devient un
sport de combat (certamen) qui oblige le juge à affronter le
diable pour lui faire lâcher prise. À la manière d’un prêtre
exorciste pourvu de tous les sacrements, le juge, pour faire
parler l’accusé, doit d’abord expulser le diable, non pas tant
d’ailleurs du corps de l’accusé que des lieux de la justice…
10 La séance de torture serait donc aussi une façon de ritualiser
ou de particulariser l’affrontement du bien et du mal, de
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Dieu et du diable, en le transposant symboliquement sur le


corps de l’accusé. La séquence interrogatoire-aveu, pourtant
caractéristique de l’enquête, conserve une allure de joute, de
lutte qui n’est pas sans rappeler le mode de fonctionnement
judiciaire de l’ordalie… Sauf que l’auteur partage et défend
parallèlement une conception purement instrumentale, et
d’une certaine façon rationnelle, de la torture, en ce sens,
notamment, qu’elle n’est à ses yeux qu’un outil dont le juge
conserve la parfaite maîtrise (de sorte qu’il peut la réitérer
indéfiniment, tant du moins que l’entière vérité ne lui
apparaît pas pleinement établie14).
11 La savante justification de la torture que l’on trouve dans ce
manuel anti-sorcier comporte bien sûr un déni de la douleur
physique infligée aux accusés. Ce déni s’insère d’ailleurs
dans un cadre conceptuel qui annonce la future marque de la
sorcière15  : avant de devenir une empreinte physique
d’allégeance au diable apposée sur le corps, la future
« marque » du diable prend ici l’allure d’un talisman ou d’un
signe (signum) diabolique contre la douleur. Mais elle
implique aussi, et peut-être surtout, un effort de
rationalisation de la violence judiciaire. L’interrogatoire des
suspects requiert une mise en œuvre graduelle de la violence
des tourments, encadrée par une procédure précise qui se
donne elle-même des limites à ne pas franchir (comme, par
exemple, le vieil interdit du sang versé ou la désarticulation
des membres). Expression privilégiée de la violence d’État
ou d’Église, la torture judiciaire se définit donc
paradoxalement contre une autre violence (sanglante,
débridée qui éclaterait et démembrerait les corps) face à
laquelle il lui importe de se situer pour mieux se justifier.
Impossible, en ce sens, de confondre la torture judiciaire
avec l’éclat des supplices.
12 Dans cette perspective, la pratique de la torture ne saurait se
confondre exactement avec une épreuve de vérité  : la
résistance à la douleur ne peut être interprétée comme une
preuve d’innocence. Les tourments ne sont qu’un moyen
parmi d’autres d’obtenir l’aveu, supposé coïncider avec la
vérité, une vérité factuelle qui se trouve à l’horizon de la
procédure. Il faut bien réaliser en effet, qu’à la différence de
bien des dictatures modernes pour lesquelles la torture
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constitue un moyen d’intimidation et de gouvernement par


la terreur, le pouvoir dont il est question ici ne se contente
pas de «  simulacres  » de la vérité16. Il lui faut au contraire
obtenir, arracher la vérité absolue à n’importe quel prix.
13 Au total donc, l’auteur développe surtout une conception
instrumentale et rationnelle de la torture qui s’accorde
parfaitement avec l’évolution de la jurisprudence de son
époque (qui tend à éliminer progressivement toute trace
d’ordalie dans la pratique de la torture). Il n’y a donc pas lieu
de considérer le traité que Jacques du Bois rédigea dans le
cadre de la Vauderie d’Arras comme moins réfléchi ou
déconnecté du reste de la doctrine savante. Il représente une
tentative pour durcir et élargir l’application de la torture (et
donc du règne de l’exception) au nom du bien commun mais
aussi d’une conception souveraine de la puissance divine. La
procédure ne tient que par référence à une puissance
souveraine (en l’occurrence avant tout celle de Dieu) dont la
protection justifie l’emploi de moyens d’exception17. On ne
peut comprendre l’emploi de l’extraordinaire (avec ses
corollaires que sont la torture et le secret) si l’on ne voit pas
qu’elle implique la défense d’une certaine conception de la
puissance souveraine (qui à Arras en 1460 est d’abord celle
de Dieu, même si, pour des raisons qu’il serait trop long
d’exposer ici, la souveraineté du prince est aussi en cause).
14 L’existence même de ce traité (qui encore une fois n’est pas
l’œuvre d’un fou, mais d’un universitaire, d’un gradué de la
Sorbonne) montre cependant qu’il existait des résistances.
Au plan local, mais aussi au plan plus large du royaume. Ce
raisonnement, s’il obtint tacitement l’approbation du
pouvoir bourguignon, notamment à travers la Cour
souveraine des Flandres18, se heurta, en effet, à une autre
raison impérieuse incarnée par le Parlement de Paris. Ce
dernier se saisit de l’affaire à partir de mai 1461. Transposée
à Paris, par le biais de la procédure en appel dite «  comme
d’abus19  », l’affaire fut rejugée dans un contexte procédural
très différent, caractérisé notamment par le retour en force
de la parole contradictoire et des formes ordinaires du
procès et, corrélativement, par la relégation au second plan
de l’imaginaire du sabbat et de la lèse-majesté.

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Une critique sans concession de la


torture ?
15 La question de la torture occupe une place importante dans
les débats qui opposent devant le Parlement partisans et
adversaires de la chasse aux sorcières d’Arras20. D’une
plaidoirie à l’autre, se développe un discours relativement
cohérent qui critique notamment les conditions dans
lesquelles les aveux ont été obtenus. Le procès en appel des
Vaudois d’Arras devient ainsi, à l’instar du second procès de
Jeanne d’Arc21, le lieu d’une dénonciation très fine des
multiples pressions d’ordre psychologique dont la justice
pouvait user pour obtenir l’aveu, depuis le procédé courant
du faux ami que l’on introduit dans la cellule pour fléchir la
résistance des prévenus22, jusqu’à l’arme psychologique de la
privation de la messe23. Mais c’est surtout la violence de la
procédure, à travers l’emploi massif de la torture, qui
focalise l’attention des avocats.
16 Le procès en appel devient donc aussi l’occasion de dénoncer
crûment la violence procédurale… Il est ainsi possible de
trouver dans les archives du Parlement un écho de la
souffrance des personnes torturées. Initialement niée ou
étouffée par le poids de la procédure extraordinaire, la
douleur des accusés, mués en victimes, se fait donc à
nouveau entendre, ou du moins donne l’impression de se
faire entendre :
« Aussi Colette Lescrebée fut prise et interrogée par cinq ou
six fois. Ne confessa rien. Appert par le procès fait contre
elle, avoir esté gehiné par cinq ou six fois. […] Mais par les
dépositions des tesmoings de l’informacion, appert avoir
esté géhiné dix fois et tellement que par tous ses conduicts
gectoit [giclait] sang24. »

« L’evesque de Barut fut à la gehine de Jehanne d’Auvergne,


laquelle il fist amener en une brouette pour la questionner
[car elle ne pouvait plus marcher]. En la questionnant, leur
dist : “Murtriers, vous me tuez !” et crians : “Jhesus !” Et lors
Barut leur dist qu’elle avoit le deable au corps qui lui feroit
dire le bon Jhesus pour les abuser25. »

17 Il faut cependant résister à la tentation d’imaginer que l’on


entend directement la parole ou la douleur vive des accusés.

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Il s’agit encore d’un discours très codifié qui vise à


disqualifier la procédure de première instance selon des
critères techniques et savants (qui sont d’ailleurs pour
l’essentiel identiques à ceux de la Recollection). Par-delà
l’évocation pathétique de la souffrance, une critique savante
de la torture se développe qui facilite, par petites touches
successives, l’identification des victimes à la figure
traditionnelle et hagiographique des martyrs26. Ce discours
prend également sens par rapport aux normes savantes qui
encadraient plus ou moins l’usage de la torture  : là aussi
s’enracine le mythe d’une torture propre, aseptisée, qui ne
doit pas laisser de trace, sans écoulement de sang et qui
respecte l’intégrité physique du corps de l’accusé, sans
dislocation des membres27.
18 Cette dénonciation systématique de la torture fondée sur des
critères savants fut relayée et amplifiée en 1491 par un arrêt
définitif qui, tout en dénonçant le caractère « inhumain » et
« cruel » des tourments infligés à Arras, proposa de surcroît
une liste des sévices prohibés. L’arrêt de la Cour comprend
ainsi une clause annexe qui dresse la liste des procédés de
torture bannis du ressort du Parlement, comme « mettre le
feu es plantes des pieds, faire avaller huille et vinaigre, battre
ou frapper le ventre des criminels ou accusés28 ».
19 Les critiques réelles entendues contre la torture au
Parlement de Paris se révèlent finalement très ambiguës. La
critique de la torture débouche sur une énumération
limitative des techniques prohibées mais son principe même
n’est en aucune façon contesté. On peut même se demander
si derrière le discours parlementaire sur la nécessaire
«  humanité  » du juge ne se dissimule pas une véritable
institutionnalisation de la torture judiciaire.

Limites et ambiguïtés de la critique de la


torture
20 La critique des abus de torture par les magistrats parisiens
s’enracine bien dans une longue tradition parlementaire de
défiance à l’égard des conséquences néfastes de la torture
abusive29. Elle ne va pas jusqu’à en contester les fondements
mais en critique les excès. «  Insuportables  »,
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«  inhumaines  », «  contre nature  »  : tels sont les mots qui


reviennent le plus souvent pour dire la violence de la
procédure criminelle mise en œuvre à Arras. Ces expressions
ne sont pas celles d’un discours humaniste et critique sur la
torture qui serait de toute façon anachronique. Il s’agit de
qualifications juridiques à travers lesquelles les magistrats
parisiens condamnent depuis longtemps les abus de justice
liés à l’application de la torture30. On a pu dire notamment
qu’elles n’exprimaient pas une condamnation de la torture
légale en soi, mais dessinaient plutôt l’existence d’un seuil
indépassable de violence et de douleur au-delà duquel la
vérité se dérobe. Mais peut-être faut-il aller plus loin… Cet
encadrement renforcé des tourments n’induit aucun retrait
institutionnel de la torture. Bien au contraire. Dresser une
liste des sévices prohibés, c’est aussi tenter d’effacer, autant
que possible, toute trace de violence et de sauvagerie au sein
de l’institution, tout en dégageant, à l’intérieur de la loi, un
espace où la torture peut se déployer malgré tout. Il faut bien
voir que la légitimation de la torture participe ici
paradoxalement d’une conception miséricordieuse du
pouvoir qui parvient à se glisser jusqu’en des endroits
insoupçonnés, comme la chambre de torture. Les manuels
de procédure plus tardifs ne cesseront de le répéter  : «  Le
bon juge a toujours pitié et compassion avec le pacient31.  »
L’attitude de la Cour souveraine du royaume face à la torture
judiciaire est donc beaucoup plus complexe qu’on ne le dit
généralement et contient une ambiguïté fondamentale  : la
violence réglée de la question judiciaire n’exclut pas la
compassion du juge. C’est bien là tout le paradoxe de la
réforme critique de son utilisation à la fin du xve siècle. Les
réflexions sur les effets néfastes de la torture, sur sa
propension à déformer la vérité, n’ont sans doute jamais été
plus approfondies que chez les juristes soucieux d’en
institutionnaliser la pratique. L’appel à la mansuétude des
juges n’est peut-être que l’envers d’une normalisation de la
torture comme moyen légal d’enquête. Car derrière la
condamnation de certaines techniques de géhenne jugées
«  inhumaines et cruelles  » se cache bien une légitimation
officielle de la torture judiciaire  : il est assez remarquable
que moins de sept ans après l’annulation des procès d’Arras,
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le Parlement enregistrait la fameuse ordonnance criminelle


de Blois (1498) qui consolide en France les structures de
l’inquisitoire sous sa forme extraordinaire, tout en insérant
plus strictement la torture et le secret dans les rouages de la
procédure criminelle32.
21 Le fait est que le pouvoir royal n’a sans doute pas besoin, à la
fin du xve siècle, des extravagances de la chasse aux sorcières
pour justifier de l'existence d’une procédure d’exception
articulée à la majesté royale (il n’en va sans doute pas de
même d’autres pouvoirs, comme celui des ducs de
Bourgogne). L’extraordinaire est déjà depuis fort longtemps
inscrit dans la sphère même du droit et les correctifs n’ont
donc lieu qu’à la marge. La critique parlementaire ne remet
pas en cause le dispositif général qui sous-tend la torture.
Mieux encore, le discours critique sur la torture qui vise à en
limiter les excès, à l’encadrer dans des règles précises (celles
d’une violence « légale », « raisonnable », acceptable par le
droit et la raison) revient à normaliser la torture, à l’insérer
plus strictement encore dans les rouages de la procédure, à
l’inscrire non pas à la marge mais au cœur de l’institution. La
torture judiciaire fonctionne comme une menace, une
réserve de puissance qui garantit l’autorité de celui ou de la
chose qui, en dernier recours, s’arroge le droit d’y recourir.
Ainsi, la véritable importance de la torture ne se mesure sans
doute pas tant à son usage statistique dans les tribunaux
royaux (on sait du reste qu’elle est peu employée33) qu’à sa
présence symbolique au cœur de l’institution qu’elle
protège34. Le pouvoir royal ne participe pas ou peu à la
chasse aux sorcières (qui se développe surtout à la périphérie
du royaume) mais accepte la procédure extraordinaire. S’il
n’éprouve pas la nécessité impérieuse de poursuivre le crime
de sorcellerie, si la chasse aux sorcières contourne le
royaume sans l’affecter profondément, ne serait-ce pas aussi
parce que l’extraordinaire était déjà là – depuis longtemps –
bien installé au sommet de l’État, adossé à une majesté sûre
d’elle-même ?

Notes
1. Pour une vision d’ensemble récente, voir J.-M. Carbasse, «  Les
origines de la torture judiciaire en France du xiie au début du xive
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siècle  », B. Durand et L. Othis-Cour (dir.), La torture judiciaire.


Approches historiques et juridiques, Lille, Éd. Centre d’histoire
judiciaire, 2002, vol. 1, p. 382-419. On peut encore se référer à J. H.
Langbein, Torture and the Law of Proof (Europe and England in the
Ancient Regime), Chicago/Londres, 1977.
2. P. Fiorelli, La Tortura giudiziaria nel diritto comune, 2 vol., Rome,
Giuffré, 1953-1954, spécialement t. 1, p. 169-171.
3. A. Paravicini-Bagliani (dir.), L’Imaginaire du sabbat. Édition
critique des textes les plus anciens (1430 c. 1440 c.), Lausanne, Cahiers
lausannois d’histoire médiévale, n° 26, 1999.
4. O.-F. Dubuis et M. Ostorero, «  La Torture en Suisse occidentale
(xive-xviiie siècles) », La Torture, op. cit., t. 2, p. 539-598.
5. G. A. Singer, La Vauderie d’Arras 1459-1491  : an Episode of
Witchcraft in Later Medieval France, université de Maryland, 1975 ; F.
Mercier, La Vauderie d’Arras. Une chasse aux sorcières à l’automne du
Moyen Âge, Rennes, 2006.
6. Voir par exemple les conclusions de J.-M. Carbasse, «  Les
origines… », op. cit. où la répression tardive et moderne de la sorcellerie
n’aurait qu’un effet quantitatif sur la pratique de la torture judiciaire.
7. C’est d’ailleurs cette version « royale » et parlementaire des faits qui
conditionne largement la lecture historique de l’événement du xvie au
xixe siècle. Voir, par exemple, A. Duverger, Le premier grand procès de
sorcellerie aux Pays-Bas. La Vauderie dans les États de Philippe le Bon,
Arras, 1885.
8. Recollectio casus, status et condicionis Valdensium ydolatrarum… Ce
traité n’est connu que par deux manuscrits : Paris, BnF, ms. lat. 3446, f°
36-57 et Bruxelles, Bibliothèque royale, ms. 11449-51, f° 1-33. Celui de
Paris a été édité par J. Hansen, Quellen und Untersuchungen zur
Geschichte des Hexenwahns und der Hexenverfolgung im Mittelalter,
Bonn, 1961, p. 149-183.
9. Sur les problèmes d’attribution du texte, voir E. Van Balberghe et J.-
F. Gilmont, « Les théologiens et la vauderie au xve siècle », Miscellanea
codicologica, F. Masai dicata, Gand, E. Story/Scientia SPRL, Éditions
scientifiques, 1979, p. 393-411 et F. Mercier, La Vauderie d’Arras, op.
cit., p. 31-32.
10. J. Hansen, op. cit., p. 153-154.
11. Selon une logique procédurale bien mise en évidence par J.
Chiffoleau, « Dire l’indicible. Remarques sur la catégorie du nefandum
du xiie au xive siècle », Annales E.s.c., 45, mars-avril 1990, p. 289-324.
12. C. Tholosan, Ut magorum et maleficiorum errores…, éd. P. Paravy,
L’Imaginaire, op. cit., p. 364-365, § 2.
13. J. Hansen, op. cit., p. 168.

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14. Sur les positions de la doctrine à l’égard de la répétition de la torture,


voir notamment B. Durand, «  Les juristes sont-ils sans cœur  ?  :
l’interdiction de répéter la torture, symbole d’humanité ponctuelle ou
refus programmé de la douleur ? », B. Durand, J. Poirier et J.-P. Royer
(dir.), La Douleur et le droit, Paris, 1997, p. 303-323.
15. Sur ce point, voir M. Ostorero, « Les marques du diable sur le corps
des sorcières (xive-xviie siècles) », Micrologus, XIII, 2005, p. 359-388.
16. M. de Certeau, « Corps torturés, paroles capturées », Cahiers pour
un temps, n° spécial sur Michelde Certeau élaboré par L. Giard, Paris,
Éd. Centre Pompidou, 1987, p. 61-70.
17. Comme le soulignent notamment les travaux de J. Chiffoleau et de Y.
Thomas sur l’institution de la majesté. Voir notamment, J. Chiffoleau,
«  Sur le crime de majesté médiéval  », Genèse de l’État moderne en
Méditerranée. Actes des tables rondes internationales (Paris, 24, 25 et
26 sept. 1987 – 1819 mars 1988), Rome, EFR, 1993, p. 183-213 et Y.
Thomas, « Arracher la vérité. La majesté et l’inquisition (ier-ive s. apr. J.-
C.) », Le juge et le jugement dans les traditions juridiques européennes,
Paris, 1996, p. 15-41.
18. Celle-ci confirma de fait, par l’intermédiaire de son président du
moment (Adrien Colin), la validité de la procédure engagée contre les
« Vaudois » d’Arras. Voir F. Mercier, La Vauderie, op. cit., p. 155.
19. Sur cette procédure d’appel plus particulièrement dirigée contre le
For ecclésiastique, voir G. Genestal, Les origines de l’appel comme
d’abus, Paris, 1951.
20. Les termes de ce débat (du moins ceux qui nous ont été conservés)
sont disséminés dans les registres de plaidoiries du Parlement de Paris
(actuellement dans la série X des Archives nationales)  : Arch. nat.,
X/2a/28, 32, 35 et 37. Une copie de l’ensemble de ces pièces figure dans
les annexes de notre thèse de doctorat soutenue à Lyon II en 2001.
21. P. Duparc, Le Procès en nullité de la condamnation de Jeanne d’Arc,
Société de l’Histoire de France, Paris, 1977-1986.
22. Arch. nat., X/2a/32, f° 181 v°.
23. Arch. nat., X/2a/28, f° 380 v°.
24. Arch. nat., X/2a/28, f° 390 v°.
25. Arch. nat., X/2a/28, f° 391 r°.
26. On relève une forte similitude entre les récits de martyres et la
terrible description des tortures endurées par les accusés d’Arras. Voir
par exemple le martyre d’Adrien dans A. Bourreau (éd. et dir.), La
légende dorée de Jacques de Voragine, Paris, Gallimard, 2004, p. 743-
748.
27. Voir notamment W. Ullmann, « Reflections on Medieval Torture »,
Juridical Review, 56, Édimbourg, 1944, p. 123-137, repris dans Law and

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Juridiction in the Middle Ages, Londres, Variorum reprints, 1988.


28. J.-A.-C. Buchon, «  Mémorial de l’eschevinage d’Arras  », Collection
des chroniques nationales françaises, t. 14, p. 243-244.
29. C. Gauvard, « De grace especial ». Crime, État et société en France
à la fin du Moyen Âge, t. 1, Paris, Presses universitaires de la Sorbonne,
1991, p. 153-163.
30. J.-M. Carbasse et B. Auzary-Schmaltz, «  La Douleur et sa
réparation dans les registres du Parlement médiéval (xiiie-xive siècles) »,
La Douleur, op. cit., p. 423-437.
31. J. Damhouder et P. Wielant, Practique judiciaire es causes
criminelles (trad. française de la Praxis rerum criminalium), Louvain,
1555, chap. xxxvii, p. 62-67  : «  De torturer ou gehenner.  » Sur le
mélange de compassion et d’indifférence à la douleur qui caractérise la
pratique moderne de la torture, voir aussi L. Silverman, Torture
Subjects. Pain, Truth, and the Body in Early Modern France, Chicago,
Chicago UP, 2001, p. 60.
32. Isambert, Decrusy et Armet, Recueil général des anciennes lois
françaises, t. 11, Paris, 1827, p. 464 sq. On peut encore se reporter à ce
qu’en dit A. Esmein, Histoire criminelle en France et spécialement de la
procédure inquisitoire depuis le xiiie siècle jusqu’à nos jours, Paris,
1882, p. 135-138.
33. Voir les conclusions de J. -M. Carbasse, « Les origines… », op. cit.
34. Il importe en effet de rester toujours attentif à la dimension politique
de la torture, voir à ce sujet la leçon toujours d’actualité de P. Vidal-
Naquet, La Torture dans la République, Éd. de Minuit, Paris, 1972.

Auteur

Franck Mercier
Du même auteur

La Bataille, Presses
universitaires de Rennes, 2015
Le salut par les armes, Presses
universitaires de Rennes, 2011
La vauderie d'Arras, Presses
universitaires de Rennes, 2006
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MERCIER, Franck. La torture en procès  : construction et justification
d’une violence «  légale  » dans le cadre de la chasse aux sorcières (xve
siècle) In  : La violence et le judiciaire  : Du Moyen Âge à nos jours.
Discours, perceptions, pratiques [en ligne]. Rennes  : Presses
universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19 septembre 2021).
Disponible sur Internet  : <http://books.openedition.org/pur/5004>.
ISBN : 9782753530546. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.5004.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
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La violence et le judiciaire

Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,


pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

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19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - Diffamation, infamie et justice : l’usage judiciaire de la violence dans les villes de la Couronne de…

Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

Diffamation,
infamie et justice :
l’usage judiciaire
de la violence dans
les villes de la
Couronne de
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e e
Castille (xii -xv
siècle)
Jesús Ángel Solórzano Telechea
p. 187-197

Texte intégral

Introduction
1 En 1494, Bartolomé d’Avila, fils de García d’Avila, juré de
Xérès de La Frontera, accusa le corrégidor, Jean de Robles,
de l’avoir diffamé à travers des annonces publiques qui
l’accusaient de délinquance pour sodomie  ; il l’avait fait à
cause de l’inimitié qu’il avait à son encontre, contre le droit,
en utilisant la justice. Bartolomé d’Avila a été condamné à la
peine de mort sans que sa culpabilité ait été prouvée, sans
qu’il y ait eu d’enquête, sans aucune dénonciation contre lui.
Des témoins partiaux avaient été achetés ou menacés par le
corrégidor1.
2 En premier lieu, comme Bartolomé était mineur, son père
agit pour sa défense, mais toutes ses demandes au
corrégidor, comme la copie de l’accusation ou les recherches
du jugement, lui étaient refusées. Selon son père, le
corrégidor le faisait dans le but de retarder le plus possible la
cause, tandis que les crieurs publics donnaient publicité aux
faits «  abominables  » dont la justice accusait son fils. La
raison était liée à l’un des traits essentiels de la culture
juridique médiévale  : elle ne tenait pas à son caractère oral
ou écrit, mais à sa publicisation. La renommée publique
(fama publica) ou la connaissance publique d’un fait était
une tactique capitale dans les tribunaux, utilisée
délibérément pour influencer les décisions des juges2. Ce que
cherchait l’accusation était de diffamer l’accusé, que les faits
restent gravés dans la mémoire des habitants et se propagent
par la rumeur à travers Xérès de la Frontera afin de
composer le corpus des témoignages dont la preuve pourrait
dépendre dans les procès ultérieurs3. García d’Avila a allégué
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beaucoup d’autres raisons et témoins pour la défense de son


fils, mais le juge s’est refusé à prendre ses témoignages. Ceci
a contribué à alimenter la récusation du corrégidor pour
avoir agi par inimité et haine de toute la famille d’Avila.
L’étape suivante a été de dénoncer l’irrégularité du processus
devant le Licencié Mora, le juge en résidence à Xérès de la
Frontera chargé de contrôler les affaires portées par le
corrégidor. Malgré cela, le corrégidor a nié ce droit à
l’accusé, se déclarant seul juge compétent en l’affaire. La
cause est parvenue devant les rois catholiques, qui ont
accédé à la requête paternelle. Alors, le cas d’infamie pour
délit de sodomie a fini devant le haut tribunal de la justice
castillane à Valladolid (Real Chancillería de Valladolid), où
enfin Bartolomé d’Avila a pu présenter son cas
personnellement devant les juges royaux4. Le plus flagrant
dans l’affaire était que le corrégidor avait agi d’office, sans
qu’un tel délit ait été dénoncé par personne et, en outre, il
n’avait pas respecté les formes du droit ; de plus, les témoins
présentés par le corrégidor, bien qu’ils eussent fait leur
déclaration sous pression ou bien par «  haine  » et par
« inimité » envers l’accusé et sa famille, n’avaient pas en tout
cas allégué que Bartolomé d’Avila avait consommé le délit de
sodomie, mais qu’il l’avait tenté. L’accusé s’est même
proposé de passer par le « tourment », pourvu que la vérité
se sache. Les juges de la Chancillería, ayant entendu la
défense, ont déclaré l’innocence de l’accusé et ont ordonné
que sa «  bonne renommée  » fût restituée, comme elle était
auparavant ; autrement dit, il y aurait une réparation morale
envers la victime, qui s’étendrait aussi à sa famille.
3 L’action du corrégidor Jean de Robles s’est étendue à
d’autres personnes de la famille Avila – Gomes d’Avila et
Diego d’Avila – ainsi qu’à d’autres membres du conseil
municipal de Xérès de la Frontera, comme Hernando de
Herrera, Lorenzo Padilla et Francisco de Padilla5. Tous ces
cas ont été examinés en appel à la Real Chancillería de
Valladolid, avec d’autres procès  ; la décision, toujours en
faveur des accusés, nous révèle que la Chancillería de
Valladolid marquait clairement sa distance par rapport aux
tribunaux locaux de première instance ; il en découle que les

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instances locales de justice étaient impliquées dans les


intérêts des groupes de pouvoir6.
4 Dans un monde de culture essentiellement orale, comme
c’était le cas au Moyen Âge, qui suivait le code de l’honneur,
ce qui était pensé de quelqu’un pouvait avoir d’énormes
conséquences devant les tribunaux puisque les juges, les
plaideurs et les témoins étaient partie prenante de cette
culture légale publique7. Ces procès nous amènent à trois
questions fondamentales pour la compréhension de la
société urbaine castillane au Moyen Âge : le poids de la fama
publica dans les relations sociales, l’exercice de la justice
comme justification du pouvoir des élites urbaines et
l’utilisation des tribunaux locaux comme enceinte des luttes
politiques.

La renommée, l’infamie et la diffamation


dans la culture légale castillane
5 Le grand monument juridique de la pensée wisigothique a
été la Lex Visigothorum, fruit du travail de quelques
générations de juristes. Par rapport aux questions de la
renommée et de l’infamie, ce code reprenait la tradition
romaine et introduisait de nouveaux éléments pour établir la
forme dans laquelle une personne pouvait rester déshonorée
pour avoir commis certains délits, tels que les transgressions
de la morale sexuelle et la pratique de certains métiers  :
prostituées, entremetteuses, homosexuels, voleurs, parjures,
jongleurs, empoisonneurs, sorcières, usuriers, etc. Tous
étaient des délits infamants qui entraînaient pour la
personne l’incapacité à remplir des charges publiques.
Cependant, la Lex Visigothorum, bien que disposant de plus
de douze lois relatives à l’infamie, n’en offre jamais de
définition. Dans ses Étymologies, Isidore de Séville
établissait que l’infamie avait le même sens que « ignominie
qui veut dire sans nom… On dit ainsi parce que celui qui est
surpris à commettre un délit cesse de porter le nom
d’honnête homme » et que l’infamie venait à signifier « sans
une bonne fama8  ». Il définit la fama comme étant la
réputation sociale de la personne.

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6 La législation médiévale castillane a recueilli l’héritage


wisigothique sur la fama et l’infamie au travers des
coutumes locales et des Partidas (1265) du roi Alphonse X9.
Dans toute cette réglementation juridique des xiie et xiiie
siècles, la renommée est le «  bon état de l’homme qui vit
droitement selon la loi et de bonnes coutumes  »  ; quant à
l’infamie, «  cela veut dire le fait contre la renommée de
l’homme10  ». Les Partidas consacrent deux titres à la
disgrâce et à l’infamie, qui sont décrites comme la perte des
privilèges et les droits légaux qui accompagnaient la
dévalorisation de la réputation. Selon ce code, il y avait
quelques actes qui entraînaient la perte de la renommée
(enfamamiento de fait), mais aussi la législation prévoyait
des peines qui diffamaient l’individu (enfamamiento de
droit), après avoir détruit sa réputation sociale. Dans les
Partidas, le texte distingue entre la disgrâce («  valoir
moins  »), la mauvaise réputation (une mala fama), et
l’infamie (desfamamiento). La mala fama était une
condition sociale, alors que l’infamie était une conséquence
légale. Les personnes affectées par la mala fama ne
pouvaient pas recouvrer leur renommée ou l’estime sociale ;
elles restaient condamnées à «  valoir moins  », alors que la
condition des diffamés n’était pas permanente et qu’ils
pouvaient parvenir à récupérer les droits légaux perdus.
7 Donc, le droit reconnaissait deux types d’infamie  : d’une
part, l’infamie de fait, qui naissait de l’accomplissement
d’actes infâmes  : dans le cas des femmes, les textes
rapportent la prostitution et l’adultère, dans celui des
hommes, les actes contre nature  ; d’autre part, l’infamie de
droit, qui dérivait d’une décision judiciaire, qui souillait
légalement le condamné pour avoir commis les délits de
sodomie, de trahison, de vol, de rapine, d’injure, etc11. Les
personnes qui perdaient leur renommée n’étaient plus
dignes de crédit social12. De cette façon, l’infamie supposait
la perte de la réputation sociale, de l’honneur, ce qui
comportait l’incapacité de la personne à accomplir une
profession ou une charge publique, à servir de témoin, à
appartenir à une hiérarchie sociale, à se marier avec des gens
honnêtes, et cela détruisait la possibilité d’établir des
alliances matrimoniales13.
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8 Les Partidas destinent de durs châtiments aux délits


d’adultère féminin et de sodomie qui déshonoraient aussi
gravement ceux avec qui ils étaient commis, bien qu’ils ne
subissaient aucune sentence14. Mais, en tout cas, dans les
Partidas, les hommes ne pouvaient pas être accusés
d’adultère – sur ce point le législateur expliquait que l’Église
«  n’était pas de la même opinion  » – donc, le seul délit de
luxure qui pouvait déshonorer l’homme était la sodomie. Il
s’agissait du délit le plus atroce (atroz), puisque non
seulement les criminels restaient déshonorés, mais
également la terre où cela avait été commis : autrement dit,
toute la communauté se trouvait déshonorée.

Le délit infamant de sodomie dans la


culture juridique du royaume de Castille
9 Comme pour les vocables de fama et d’infamie nous devons,
dans le cas de la sodomie, nous reporter aussi à la législation
wisigothique qui avait influencé notablement la législation
castillane des xiie et xiiie siècles. Au XVIe concile de Tolède
(a. 693), des mesures ont été adoptées contre ceux qui
commettaient le péché de sodomie15. Dans le cas des
ecclésiastiques, on prévoyait leur réduction à l’état laïque,
l’exil perpétuel, cent coups de fouet, la tonte des cheveux, et
la mort sur le bûcher pour les laïcs et les ecclésiastiques. Peu
de mois après, ces mesures ont été accompagnées de lois
civiles contre la sodomie, dans le Liber Iudiciorum du
monarque Egica, quoiqu’elles aient réduit le châtiment à la
castration et à l’exil.
10 La première législation castillane, dont l’énoncé s’inspire de
la législation de tradition wisigothique, a commencé au
niveau local dans les coutumes octroyées par les rois aux
centres urbains. La coutume de la ville de Cuenca (1190),
ayant servi de modèle foral aux autres lieux auxquels elles
ont été accordées, a permis une grande diffusion de ses
prescriptions pénales. La coutume de Cuenca prévoyait la
peine de mort par le feu pour les délits de sodomie. Les villes
qui adoptent la coutume de Cuenca entre l’année 1190 et la
fin du xiiie siècle ont repris, avec de légères variantes dans la
traduction du latin au castillan, les dispositions pour les
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délits de sodomie  : un péché «  abominable, contre nature,


inspiré par le Diable  »  ; c’est le cas des villes de Béjar,
Plasencia, Alcaraz, Alcazar, Alarcón, Úbeda, Soria, Huete et
Baeza16. Les textes des coutumes nous informent sur la
représentation culturelle de la masculinité, une idéologie
intimement liée à l’idée de la qualité de l’homme, aux codes
de conduite soutenus par l’honneur et la fama. Cette
masculinité était une condition sociale démontrée dans des
contextes sociaux spécifiques où l’affirmation publique des
attributs associés à la masculinité était indispensable  :
autorité, sûreté, force, et tout cela était fama pública,
puisque ainsi se formait la réputation sociale de l’individu
masculin17.
11 La législation pénale relative à ce type de relations sexuelles
n’est pas demeurée confinée au niveau local au Sud du
Douro, puisqu’elle est aussi apparue dans la législation
générale de tout le royaume. Il s’agit du code législatif
d’Alphonse X, les Partidas, qui établit que la sodomie était
un péché de luxure «  auquel les hommes tombent en se
couchant les uns avec les autres contre nature ou coutume
naturelle18  ». Les châtiments, qui essaient d’être préventifs,
stipulent une cérémonie publique sous-tendue par une
pédagogie de la terreur. Ainsi, la sodomie n’entraîne pas
l’infamie et le châtiment de Dieu que pour le pécheur, mais
aussi pour toute la communauté où le péché est commis.
Pour cette raison, n’importe quel voisin pouvait
légitimement dénoncer, devant les juges, les habitants qui
enfreignaient la loi.
12 Après les « Porfidas » et jusqu’en 1497, on ne trouve aucune
loi contre la sodomie dans la législation castillane. Cette
année-là, les Rois Catholiques ont renforcé le système
juridique contre la sodomie avec une Pragmatique Royale19.
Cette nouvelle loi s’appuie sur les textes de référence de la
communauté chrétienne qui avaient inspiré les législateurs
castillans depuis le xiiie siècle, bien qu’ils aient alors plus
insisté sur la colère de Dieu, puisqu’il s’agissait d’un péché
qui causait des guerres, des morts, des tourments, des pestes
pour la communauté. Ainsi, la loi considère que les relations
contre nature sont à la fois un péché et un délit, une action
abominable qui mérite le pire des châtiments. Il faut attirer
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l’attention sur la relation que les Rois Catholiques


établissent entre un délit abominable, une hérésie et un
crime de lèse-majesté20. Selon la Pragmatique, la sodomie
attaquait l’ordre social, puisque, après avoir aboli la
différence entre les sexes, elle détruisait les lignées et les
vertus masculines, ce qui entraînait la perte de la noblesse et
de la qualité d’homme. Le délit sodomitique était, selon la
Pragmatique des rois catholiques, «  destructeur de l’ordre
naturel », puni par « le jugement divin », car la noblesse se
perd et les cœurs deviennent lâches (coraçón acovarda)  :
ces valeurs sont liées à la conception d’une masculinité
déterminée.

Infamie et sodomie aux tribunaux


13 Au xve siècle, la légitimation politique des élites urbaines
apparaît liée à celle d’utilité publique ; les gouvernants sont
appelés à veiller au «  bien public  », ce qui justifiait leurs
actions. Les comportements licites ont été minutieusement
réglés par les autorités publiques dans les différents champs
relatifs à la vie quotidienne des habitants  ; ceci est le reflet
d’une mentalité déterminée, imprégnée de doctrine
chrétienne, mais aussi influencée par des intérêts politiques
profonds. Les autorités locales, encouragées par la
législation royale et locale, ont vu dans le contrôle de la
conduite sexuelle la meilleure manière d’exercer leur
autorité et aussi de changer les tribunaux de première
instance en enceinte des luttes politiques locales  ;
finalement, c’était un moyen d’exercer le contrôle de
l’opinion publique, puisque les sentences judiciaires étaient
annoncées par les crieurs publics par les rues, ce qui
permettait de faire connaître à la communauté les noms de
ceux qui étaient déshonorés21.
14 Les élites urbaines castillanes affirmaient leur légitimité à la
tête des organes urbains par leur propre législation – des
coutumes et des ordonnances municipales – et par la
réglementation générale du royaume. L’exercice du pouvoir
par les élites était réalisé au nom du «  bien commun  » des
habitants, ce qui légitimait sa position dans les conseils
municipaux. Pour cela, ces élites ont développé un

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programme politique dans lequel elles ont utilisé la justice


comme axe central de leur légitimation. Ainsi, les élites
urbaines ont utilisé le contrôle social des conflits et de la
délinquance comme un élément fondamental de leur
discours sur le bien public dans les centres urbains qu’elles
gouvernaient, et elles ont vu dans les conduites
transgressives la meilleure manière d’exercer ce contrôle, ce
qui exprimait aussi une volonté de moralisation de la
bourgeoisie urbaine, qui a fait partie de son discours social et
politique. Cette lutte contre le crime était une manière de
donner une publicité à son bon gouvernement, de se justifier
comme élite dirigeante.
15 Les vocables relatifs à la réputation sociale des individus, qui
semble vitale pour la défense des accusés, se répètent dans la
législation et dans la documentation judiciaire. Une sentence
de condamnation pouvait provoquer l’exclusion sociale des
accusés et de leur famille, aussi la rumeur était-elle une arme
puissante, utilisée par les élites dans ses luttes pour
contrôler le pouvoir urbain, comme moyen de propagande
pour conformer une « opinion publique ».
16 Les cas de sodomie dans les tribunaux ne commencent à
devenir nombreux qu’à la fin du xve siècle, bien qu’ils
existent depuis le début de ce siècle22. Par exemple, en 1409,
le maire de la ville de Murcie a ordonné une recherche sur le
cas d’Alphonse Fernández  ; il avait été emprisonné après
avoir été accusé de commettre « l’adultère avec un garçon »,
mais les juges différaient le jugement parce que les
conseillers municipaux avaient émis le leur «  selon la
coutume23  ». En effet, avant la Pragmatique royale des rois
Isabelle et Ferdinand il existe des cas de sodomie jugés par
les juges des villes et la Real Chancillería de Valladolid.
Cependant, dans la plupart des cas les accusés ont été
déclarés innocents ; dans les quelques cas où les accusés ont
été condamnés, deux fois la peine était la mort et, dans un
autre cas, le fouet, car les juges ont tenu compte de ce qu’il
était fou. Cela nous informe sur les difficultés à démontrer le
délit, habituellement commis de nuit et dans des lieux
écartés, hors de vue de la communauté. En 1486, un procès
dans la ville de Cisneros s’est ouvert entre Toribio Martínez,
procureur nommé par le conseil municipal de Cisneros, et
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Jean de Abastas, accusé d’avoir commis le péché abominable


de sodomie en entretenant des relations sexuelles avec un
certain Pierre dans une tuilerie. Devant les juges de
Cisneros, Toribio Martínez l’a dénoncé pour avoir commis
«  un crime contre nature qu’on appelle crime de sodomie,
ledit Jean de Abastas se comportant en femme et ledit Pierre
en homme, ledit Pierre connaissant ledit Jean de Abastas
charnellement  »  ; de plus il l’ accusait d’avoir perpétré
plusieurs fois ce crime avec d’autres hommes, tant dans la
ville de Cisneros que dans d’autres lieux, ce pour quoi il avait
encouru de graves peines, ainsi que la coutume de Cisneros
et les lois du royaume en disposaient. L’accusation décrit le
délit de sodomie comme un crime qui fait que «  les anges
tremblent et que l’air se corrompt », et note que les lois du
royaume ordonnent que tous se lèvent contre ces
délinquants avec un « couteau vengeur ». La première chose
faite par Diego Rasón, le maire de Cisneros, fut d’arrêter et
d’emprisonner Jean de Abastas et de confisquer ses
propriétés. Jean de Abastas a nié l’accusation et allégué que
les juges n’avaient pas de preuves contre lui. En effet, les
justices de Cisneros n’ont pu le condamner, faute de preuves,
aussi le cas a-t-il été porté devant les juges de la Chancillería
qui l’ont laissé en liberté24.
17 La sodomie, par sa double nature de délit et de péché,
affectait tous les sujets de la couronne, y compris ceux
d’autres religions, ainsi que les étrangers, puisque c’était un
délit-péché qui souillait la terre dans laquelle il était commis
et nuisait à tous ses habitants. En 1498, les juges de la
Chancillería ont connu un procès en appel  ; il s’était tenu
dans la ville d’Arévalo contre Yuzafe de Piedrahita, Maure,
qu’un charpentier accusait d’avoir eu des relations sexuelles
avec un autre Maure, Yuce, de nuit, lequel a confessé sa faute
en prison. Le procureur, Martin de Arévalo, décrit la
sodomie comme «  un délit très horrible, puni par la loi
divine et humaine  », occasionnant famines, pestilences et
autres dommages dans les lieux et villes où il était commis,
et qui ne pouvait pas demeurer impuni. Yuzafe a exposé sa
propre argumentation dans sa défense. D’abord, il alléguait
qu’on l’aurait arrêté avant que la dénonciation fût faite  ;
d’autre part, qu’il avait été enfermé dans une prison étroite
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et dure, sans savoir la raison de son emprisonnement ; pour


cette raison, il comprenait qu’on l’empêchait de se défendre,
et finalement il a nié l’accusation des faits et le témoignage
du Maure Yuce, qui avait confessé avoir eu des relations
charnelles avec lui. La défense de Yuzafe se concentre sur le
seul témoignage produit par le procureur, et il dit que le
Maure Yuce était un fou  ; à cause de cela, le procureur,
Martin de Arévalo, ne pouvait pas baser sa dénonciation sur
la confession du Maure Yuce. Il poursuit sa défense en
alléguant que selon «  tout le droit canon et civil et même
selon la loi de la coutume du royaume  », les accusés ne
pouvaient pas se dénoncer eux-mêmes et encore moins
accuser les autres d’avoir commis le même délit. Les justices
locales ont arrêté qu’elles lui infligeraient le tourment de
l’eau pour que son délit y soit déclaré, et l’accusé a décidé de
subir la sentence devant les juges du Chancillería.
Cependant le corrégidor de la ville d’Arévalo ne s’est pas
présenté, ce qui a permis aux juges de la Chancillería de
laisser Yuzafe libre, puisqu’il avait bien fait appel, et ils ont
imposé un silence perpétuel au procureur, Martin de
Arévalo25.
18 De la même façon, la justice touchait aussi les étrangers qui
étaient en Castille. C’est le cas d’Agustín Corso, Génois,
maître d’une nef arrivée à Saint-Sébastien, qui a été accusé
d’avoir commis le délit de sodomie avec Antoneto, garçon de
sa nef, pendant l’année 1514. Agustín Corso a été saisi par les
baillis de la ville qui l’ont emprisonné. Dans le jugement,
l’inculpé s’est déclaré innocent, parce que l’on a procédé à
l’application du tourment du feu où il a fini par reconnaître
qu’il avait embrassé et pris dans ses bras le garçon, mais il a
nié avoir entretenu des relations charnelles avec lui. Malgré
cela, sa confession et les preuves des témoins présentés ont
été suffisantes pour le condamner et le punir à la peine de
mort sur le bûcher. La peine avait pour but d’être
exemplaire, car l’on a ordonné que tous ses biens soient
confisqués et qu’ils soient portés par les rues de la ville avec
un crieur public jusqu’à l’une des portes de Saint-Sébastien,
lieu où les peines étaient appliquées, et là, il fut brûlé26.
19 À partir de la Pragmatique royale de 1497, non seulement
les actes de sodomie furent punis, mais aussi ceux qui s’en
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rapprochaient. Ainsi le cas de Diego Jerez Provecho,


habitant de la ville de Plasencia, accusé par le corrégidor
d’être « sans peur de Dieu et de la justice » : il avait tâté le
jeune Domingo Hernández, à qui il avait mis la main à la
braguette, il lui avait demandé de lui montrer son membre
viril et de coucher avec lui, en échange de quoi il l’inviterait à
déjeuner. Les juges l’ont déclaré coupable et le châtiment
s’est voulu exemplaire pour tous, avec un rituel chargé de
propagande. Ainsi, il a été mis sur un âne les mains
attachées et une corde au cou, et promené par les rues
jusqu’à arriver près de la porte de la muraille de la ville, où il
devait être attaché par le cou à un pieu et brûlé « jusqu’à ce
que son corps se fit poudre ». Le lieu de l’exécution était un
endroit public qui servait à donner une publicité maximale
au spectacle du châtiment. Dans sa promenade par la ville, le
crieur public devait aller en criant  : «  Voilà la justice de la
reine, on vous fait savoir qu’elle ordonne brûler cet homme
pour prostitution27. »
20 L’accusation d’avoir commis le délit de sodomie – réel ou
pas – s’est transformée en arme politique des élites urbaines,
puisqu’elle entraînait l’infamie de l’accusé. Le droit
reconnaissait deux types d’infamies : d’une part, comme on
l’a exposé, l’infamie de fait qui naissait de l’
accomplissement d’actes infâmes ou contraires à la morale
dominante, tels la prostitution, l’adultère féminin et les actes
contre nature  ; d’autre part, l’infamie de droit, qui dérivait
d’une décision judiciaire, qui souillait légalement le
condamné pour avoir commis l’adultère, la sodomie, des
vols, des rapines, des injures, etc. Quelques cas d’accusation
qui entrent dans le cadre de luttes politiques sont arrivés à
nous. En 1472, un procès a été ouvert contre quelques
habitants accusés de sodomie, parmi lesquels se trouvait un
conseiller municipal, Juan Tallante. Tous ont été soumis à la
torture et condamnés, mais la réaction de la corporation
municipale a été spécialement sévère avec l’un de ses
membres :
« Et parce qu’est venu à la connaissance des dits hommes du
conseil que Juan Tallante, conseiller municipal, a commis le
péché de sodomie, qui est un péché très horrible pour Dieu,
et parce que cela est une infamie pour le dit conseil
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municipal, on ordonne que le dit Jean Tallante soit puni, en


le mettant dans la prison publique de la ville, et que quand il
en sortira, il ne pourra pas rentrer au conseil municipal, en
raison de la gravité du délit et pour l’honneur de tous. »

21 Le conseiller municipal est allé en exil à Valence, où des


années plus tard il a été arrêté de nouveau sous l’accusation
du délit de sodomie. Dans le cas de la ville de Murcie,
l’accusation de sodomie était certaine, mais dans bien des
cas elle ne l’était pas. En 1511, deux habitants de Médina del
Campo, Jean de Santiesteban et García Portillo ont dénoncé
Bernardino de Zamora, cordonnier, d’avoir commis le délit
de sodomie avec don Juan Caballero, un membre très
important de l’oligarchie urbaine28. Le juge a déclaré
innocent l’accusé, puisqu’il était mineur (il avait moins de
vingt-cinq ans) et sot, fou «  et sans memoire  ». Deux ans
après, Juan de Santiesteban et García Portillo furent accusés
d’avoir dénoncé faussement Bernardino de Zamora du délit
abominable, ce pour quoi ils furent condamnés à payer les
dépens et à une amende de 8 000 maravédis pour la
chambre des altesses. Il restait démontré que leur
dénonciation avait pour but de déshonorer un membre rival
de l’oligarchie de Médina del Campo, don Juan Caballero,
pour lequel ils s’étaient accordés avec Bernardino de Zamora
afin que celui-ci s’accuse d’avoir commis l’acte de sodomie
avec don Juan Caballero, dans le but de porter préjudice,
pour des raisons d’inimitié politique, à ce membre distingué
de la ville. Précisément, pour éviter ces fausses délations, les
rois catholiques ont ordonné aux juges de la Chancillería de
Valladolid en 1498 qu’ils condamnent aux dépens ceux qui
dénonçaient sans preuve dans le but de nuire à leurs
ennemis, pour lequel ils utilisaient des personnes originaires
des classes inférieures de la société, comme dans le cas de
Médina del Campo29. Donc, le caractère exemplaire des
condamnations, avec des châtiments corporels et capitaux
publics et la lecture publique des sentences judiciaires sur
les places et dans les rues des villes, ont influé de manière
décisive sur le changement qui a affecté les coutumes et la
conformation de l’opinion publique de la société urbaine au
royaume de Castille.

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22 Pour terminer, nous voulons citer les mots d’indignation que


le conseil municipal et les habitants de Murcie ont prononcé
à la Cour et qui résument la sensibilité de l’époque par
rapport au délit de sodomie :
«  Parce que Murcie étant peuplée de gens très nobles et
propres de tous crimes et délits, et même de la sodomie, elle
a été déshonorée et insultée par les dits inquisiteurs qui, en
mettant publiquement comme ils les ont mises ces lettres
dans les lieux publics, assurant que le péché se commettait
publiquement par de nombreuses personnes de cette ville,
ont offensé et insulté la ville30. »

23 Le conseil de Murcie se plaignait de ce que la noblesse et la


limpieza de la communauté fussent souillées par l’infamie,
l’injure, le crime, le délit et le péché de sodomie, plus encore
quand ce dernier se faisait savoir publiquement, puisque la
fama pública de la ville lui demeurait attachée par le seul
fait d’être connue publiquement.

Notes
1. Archivo General de Simancas. Registro del Sello (AGS, RGS), f° 154.
1494, 02, 27.
2. A. Porteau-Bitker et A. Talazac-Laurent, «  La renommée dans le
droit pénal laïque du xiiie au xve siècle  », Médiévales. Langue, textes,
histoire, 24, 1993, p. 67-80.
3. D. Lord Smail, «  Archivos de conocimiento y la cultura legal de la
publicidad en la Marsella Medieval », Hispania, LVII, 197, 1997, p. 1049-
1077 ; C. Gauvard, « Rumeur et stéréotypes à la fin du Moyen Âge », La
circulation des nouvelles et les réseaux de communication au Moyen
Âge (n° 24, Avignon, 1993),Paris/Rome, Publications de la Sorbonne/
École française de Rome, 1994, p. 157-178.
4. AGS, RGS, f° 134 (07-05-1494).
5. AGS, RGS, f° 228 (08-05-1494).
6. N. Gonthier, Violence et ordre public au Moyen Âge. Paris, Picard,
2005, p. 122 sq  ; N. Gonthier, Délinquance, justice et société dans le
Lyonnais médiéval. De la fin du xiiie siècle au début du xvie siècle, Paris,
Éd. Arguments, 1993, p. 310-321 ; P. Monnet et O. G. Oexle (éd.), Stadt
und Recht im Mittelalter/La ville et le droit au Moyen Âge, Göttingen,
Vandenhoeck/Ruprecht, 2003, p. 9  ; M. Dinges, «  El uso de la justicia
como forma de control social en la Edad Moderna  », Furor et rabies.
Violencia, conflicto y marginación en la Edad Moderna, Santander,
université de Cantabrie, 2002, p. 55.

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7. D. Lord Smail, The Consumption of Justice. Emotions, Publicity and


Legal Culture in Marseille, 1264-14, Ithaca/Londres, Cornell UP, 2003,
p. 51.
8. Saint Isidore de Seville, Etimologías, livre V, 27, Madrid, Biblioteca
de Autores Cristianos, 1982, p. 535.
9. E. Peters, « Wounded Names : the Medieval Doctrine of Infamy », E.
B. King et S. J. Ridyard, Law in Mediaeval Life and Thought, Sewanee,
Sewanee Mediaeval Colloquium, 1990, p. 43-90.
10. Las Siete Partidas, édité par José Sánchez Arcilla, Madrid, BOE,
2004, partie VII.
11. J. A. Solórzano Telechea, «  Justicia y ejercicio del poder  : la
infamia y los “delitos de lujuria” en la cultura legal de la Castilla
medieval  », Cuadernos de Historia del Derecho, vol. 12, 2005, p. 313-
353.
12. N. Gonthier, Le châtiment du crime au Moyen Âge, Rennes, PUR,
1998, p. 121-123.
13. C. Gauvard, «  La fama, une parole fondatrice  », Médiévales.
Langue, textes, histoire, 24, 1993, p. 514 ; J. A. Bowman, « Infamy and
Proof in Medieval Spain  », T. Fenster et D. L. Smail (éd.), Fama. The
Politics of Talk Reputation in Medieval Europe. Ithaca, Cornell UP, p.
95-117  ; F. Migliorino, Fama e infamia  : problemi della società
medievale nel pensiero giuridico nei secoli xii e xiii, Catania, Éd.
Giannotta, 1985.
14. Las Siete Partidas, op. cit., partie VII, titre VI, art. 20 et 21.
15. C. Espejo Muriel, El deseo negado. Aspectos de la problemática
homosexual en la vida monástica (siglos iii-vi d.C.), Grenade, université
de Grenade, 1991, p. 184  ; J. Vives, Concilios visigóticos e hispano-
romanos, Barcelone, CSIC, 1963, p. 500.
16. R. Ureña y Smenjaud, Fuero de Cuenca. Madrid, Tipografía de
Archivos, 1935, p. 352-353.
17. V. L. Bullough, « On being a Male in the Middle Ages », C. A. Lees
(éd.), Medieval Masculinities. Regarding Men in the Middles Ages,
Minneapolis, Minnesota UP, 1994, p. 31-46  ; D. M. Hadley,
«  Introduction  : Medieval Masculinities  », Masculinity in Medieval
Europe, Londres, Pearson, 2002, p. 8-9 ; J. Wright Knust, Abandoned
to lust. Sexual Slander and Ancient Cristianity, New Cork, Columbia UP,
2006.
18. Las Siete Partidas, op. cit., partie VII.
19. J. Ramírez (éd.), Libro de las bulas y pragmáticas de los Reyes
Católicos (1503), Madrid, Imprenta del Boletín Oficial del Estado, 1973,
p. CXLVIII ; 1497, 08, 22.

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20. J. Chiffoleau, «  Dire l’indicibile. Osservazioni sulla categoría del


nefandum dal xii al xv secolo  », M. Vigueur et P. Bagliani (éd.), La
parola all’accusato, Palerme, Sellerio, 1991, p. 42-73.
21. E. Cohen, « “To die a Criminal for the Public Good” : the Execution
Ritual in Late Medieval Paris  », Law, Custom and the Social Fabric in
Medieval Europe. Essays in Honor of Bryce Lyon, université du
Michigan de l’Ouest, 1990, p. 285-304.
22. Sur la sodomie au Moyen Âge, M. D. Jordan, La invención de la
sodomía en la teología cristiana, Barcelone, Alertes, 2002 ; M. Kuefler
(éd.), The Boswell Thesis. Essays on Christianity, Social Tolerance and
Homosexuality, Chicago, Chicago UP, 2006.
23. Cité par A. L. Molina Molina, Prostitución, violencia y otras
conductas sexuales transgresoras en la Murcia de los siglos xiv al xvi,
Murcie, université de Murcie, 2005, p. 105-106.
24. Archivo de la Real Audiencia y Chancillería de Valladolid, Reales
Ejecutorias (ARCHV, RREE) c, 26/30 ; 1489.
25. ARCHV, RREE, c. 125/21 (17-08-1498).
26. ARCHV, RREE, c. 312/30 (10-09-1516).
27. ARCHV, RREE, c. 250/4 (29-07-1510).
28. ARCHV, RREE, c. 270/35 (12-12-1511).
29. Libro de las Bulas e pragmáticas de los Reyes Católicos, Madrid,
1973, f° LXXXIII-LXXXIV.
30. A. L. Molina Molina, op. cit., p. 106.

Auteur

Jesús Ángel Solórzano Telechea


Du même auteur

La construction
d’infrastructures portuaires
dans les villes du nord de la
péninsule Ibérique à la fin du
Moyen Âge in Ports et littoraux
de l'Europe atlantique, Presses
universitaires de Rennes, 2007
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Les conflits entre les Gens de


mer et les conseils municipaux
au nord de l’Espagne
Atlantique  : le cas des villes
portuaires cantabres (XIVe-XVe
siècles) in Gens de mer, Presses
universitaires de Rennes, 2013
© Presses universitaires de Rennes, 2008

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Référence électronique du chapitre


TELECHEA, Jesús Ángel Solórzano. Diffamation, infamie et justice  :
l’usage judiciaire de la violence dans les villes de la Couronne de Castille
(xiie-xve siècle) In  : La violence et le judiciaire  : Du Moyen Âge à nos
jours. Discours, perceptions, pratiques [en ligne]. Rennes  : Presses
universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19 septembre 2021).
Disponible sur Internet  : <http://books.openedition.org/pur/5006>.
ISBN : 9782753530546. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.5006.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
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La violence et le judiciaire

Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,


pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :

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https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

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Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

La répression
judiciaire des
violences
militaires sous
Louis le Juste :

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Marillac et Saint-
Preuil
Hélène Fernandez
p. 199-208

Texte intégral
1 Je voudrais aborder ici la question de la répression judiciaire
des violences militaires pendant le premier xviie siècle, à
partir de deux exemples qui m’ont semblé suffisamment
proches pour être comparés : ceux de Louis de Marillac et de
François Jussac d’Ambleville, sieur de Saint-Preuil. Les
frappantes similitudes de leurs cas dessinent aussi une
spécificité forte par rapport à d’autres éventuelles
répressions de violences militaires, interdisant toute
généralisation hâtive  ; je ne m’y risquerai donc pas.
L’histoire se déroule sous Louis XIII : ces deux gouverneurs
militaires sont accusés de violences exercées sur les
populations civiles dont ils avaient la charge, en temps de
guerre – et ils sont finalement condamnés. Mais dans les
deux cas, il s’agit d’un procès complexe, dont le
déclenchement est dû à la disgrâce des condamnés, et qui
fait intervenir la justice retenue et la ferme volonté du roi.
De tels procès se sont multipliés pendant le temps où
Richelieu est le principal ministre de Louis XIII, de 1624 à sa
mort en 1642  ; il ne s’agit ici que d’une configuration
particulière de ces « procès d’État1 ».
2 Je résumerai brièvement les enjeux de chaque procès avant
d’en tirer quelques conclusions sur la violence à l’égard des
populations civiles, et sa qualification, puis sa punition, par
la justice.
3 Le premier de ces deux cas est celui de Louis de Marillac,
maréchal de France. Son procès est resté célèbre comme le
procès irrégulier par excellence, deux commissions
successives s’étant succédé (au grand dam du Parlement de
Paris), la seconde se réunissant même à Rueil, dans le
propre château de Richelieu. Arrêté aux lendemains de la
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Journée des Dupes comme l’un des membres du parti dévot


désormais sans pouvoir, il meurt sur un échafaud dressé en
place de Grève le 10 mai 16322. Il a été condamné pour le
crime de péculat.
4 Les accusations ont porté sur les agissements du maréchal
de Marillac lorsqu’il était gouverneur de Verdun et qu’il y
faisait construire une citadelle, puis lorsqu’il commandait les
armées de Champagne. On lui reproche d’avoir extorqué des
fonds aux populations civiles, et d’avoir accepté de l’argent
en échange de faveurs (ne pas loger de soldats, par exemple,
faveur fort recherchée) ; on lui reproche d’autre part d’avoir
extorqué de l’argent au roi, par un mécanisme de fausses
factures. Cet argent, dit l’accusation, aurait servi à
l’enrichissement personnel du maréchal. Enfin, le dernier
chef d’accusation mentionne la «  vexation du Peuple
Verdunois & voisins  ». Le roi donne commission pour
enquêter sur les
«  […] foules, oppressions, violences, extorsions et
divertissement de deniers, Ensemble de toutes faulsetéz,
suppositions d’acquits et de personnes, & autres artifices
praticquez pour couvrir les desordres commis en ladicte
armée de Champagne, & evesché de Verdun par lesdicts
chefs d’armée, officiers estans soubz leurs charges, leurs
domestiques, ou autres de quelque qualité et condition qu’ilz
soient […]3 ».

5 Ce sont bien les violences exercées par le maréchal, et par


ceux qui l’entourent, qui forment le noyau de l’accusation  ;
sa disgrâce trouve pourtant son origine ailleurs. Lorsqu’il est
arrêté en Italie, Louis de Marillac vient de recevoir la
nouvelle de sa nomination comme général de l’armée
d’Italie  : c’est donc bien plutôt, à l’évidence, la Journée des
Dupes et ses conséquences qui sont la cause directe de cette
disgrâce. C’est comme familier de Marie de Médicis, comme
frère du garde des sceaux que Louis de Marillac a été
disgracié et non comme mauvais officier de la couronne  :
mais comme nous allons le voir, cette disgrâce déclenche un
processus d’accusation.
6 Il faut noter que ces «  foules, oppressions, violences  »
peuvent être de toute nature ; il ne s’agit pas nécessairement
de violences physiques, mais dans un sens large d’usage
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illégitime de la force et de l’autorité conférée par la qualité


d’officier royal. C’est d’ailleurs pour cette raison que le terme
de violence est finalement plus employé par les accusés que
par les accusateurs : Marillac lui-même et ses défenseurs ne
cessent de dénoncer la violence des procédures, leur
caractère à la fois illégitime et illégal.
7 Le procès du maréchal de Marillac comporte des enjeux
nombreux, et des rebondissements qui ne le sont pas moins ;
il n’est pas question de l’aborder ici dans son ensemble. Mais
cet aspect même de procès long, voire laborieux, nous
permet de disposer de nombreux discours, défenses,
polémiques.
8 Plusieurs facteurs concourent à cette multiplication :

un procès qui dure presque deux années ;


l’exil des restes du «  parti dévot  », autour de Marie de
Médicis partie à Bruxelles dès 1631, donc un
éloignement géographique, mais surtout politique, qui
empêche les relations directes avec les lieux de pouvoir :
donc beaucoup d’imprimés, dispersés dans la capitale
ou jetés dans des maisons ;
la situation provinciale du procès  : arrêté en Italie,
Marillac est ostensiblement ramené dans cet Est de la
France où ses armées ont sévi, où, comme le dit l’un des
pamphlets de l’affaire, ses soldats ont pu causer quelque
dégât : là encore, l’éloignement géographique provoque
une multiplication de traces imprimées.

9 En revanche, la position de force qu’occupe nécessairement


le pouvoir royal n’oblige que rarement celui-ci à répondre  :
l’accusation n’a pas à livrer son propre discours à un public
plus large que les seuls membres de la commission.
10 Au fur et à mesure des évolutions, la défense de Marillac se
modifie parfois, et parfois même se contredit. Mais il
importe de souligner ici qu’elle fait toujours appel aux
questions de dignité.
11 Pour Marillac et ses conseils, ce qui lui est reproché – et que
l’on peut en grande partie caractériser comme des violences,
car ce sont des demandes indues faites aux populations
civiles, sous la menace – ne saurait être opposé à un

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maréchal, grand officier de la couronne. Rejetant très


violemment toutes les accusations d’enrichissement
personnel, il dit ne s’être pas préoccupé des règles,
seulement de la bonne conduite de la guerre, pour laquelle il
a parfois fallu employer des expédients – mais ces
expédients financiers ne sont pour lui que de l’intendance, et
nullement de sa responsabilité.
12 Ainsi, l’un des textes de défense de Marillac, un imprimé de
1632, explique-t-il l’inadéquation entre la qualité de l’accusé
et la nature des accusations :
«  Celuy qui l’est [accusé] en ce procez n’est pas de petite
condition, il a passé par tous les degrez que la vertu peut
tailler, pour eslever un Gentilhomme au plus haut point de
grandeur qu’il puisse esperer en un Estat comme le nostre. »

13 Le texte résume ensuite tous les emplois pour lesquels le roi


a choisi Louis de Marillac, jusqu’à le faire maréchal de
France.
«  Voilà en abrégé quelle est la qualité de l’accusé, laquelle
peut jetter dans les hommes de toutes conditions, un
soubçon qui seroit à pardonner  ; que l’on luy demande
compte de quelque entreprise sur l’Estat, de quelque
monopolle dans l’Estat, de quelque intelligence estrangere
contre l’Estat, en un mot d’un crime de leze Majesté ; car à
moins d’avoir commis une action de ceste importance, l’on
n’a point veu de Mareschal de France estre en peine de se
purger, les fers aux pieds ; car les ames hautes et genereuses
ne sont pas capables de petits crimes, ny de mauvais songes.

Et neanmoins afin que les opinions ne demeurent pas


longuement suspendues dans le doute de ce qui luy est
imputé, il fermera cette premiere circonstance par ceste
verité ; Que ses ennemis n’ont pas mesmes imaginé, que son
esprit ait jamais conçeu une pensee criminelle contre le
service de son Prince  ; Puisque dans la fabrique de ceste
accusation, ils n’ont pas produict un seul tesmoin qui parle
ny du Roy, ny de l’Estat, mais bien de pierres, de bois, de
chaux, de corvees & d’argent4. »

14 Marillac et ses conseils refusent donc le procès qui lui est


fait ; avant même de contester l’accusateur, et le contenu de
l’accusation, il conteste la possibilité même qu’un procès de
cette nature-là lui soit fait. L’accusation de péculat – c’est-à-
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dire de mauvais usage des deniers du roi – ne saurait être


adressée qu’à des officiers de finance ; le crime reproché doit
être à la hauteur de l’accusé  : aux officiers de finance, le
péculat, les pierres, la chaux, les corvées et l’argent ; mais à
un maréchal, le crime suprême de lèse-majesté – que,
justement, on ne lui reproche pas (si ce n’est, comme le
précise le texte au début, que le seul fait d’avoir déplu au
prince est une faute majeure). Le judiciaire ne saurait donc
se saisir de ces violences, fussent-elles avérées.
15 Il n’est pas facile, à partir des pièces dont on dispose
aujourd’hui, de démêler ces accusations. Nous ne disposons
que de documents épars  : les témoignages au procès sont
évidemment complexes à envisager (Marillac ne se prive
jamais de dénoncer leur caractère suspect)  ; d’autres
documents, en particulier les documents familiaux des
Marillac, ont en grande partie disparu.
16 La question des témoignages est particulièrement
intéressante, car elle met en valeur leur ambiguïté et par là,
les difficultés de leur utilisation. On sait que la procédure
inquisitoire repose largement sur le témoin et sur le statut
acceptable ou pas de son témoignage  : «  reprocher  » les
témoins, c’està-dire apporter la preuve que leur intérêt
propre les empêche d’apporter à la justice un témoignage
équitable (car ils sont en conflit avec l’accusé ou alliés de
l’accusateur), est l’une des étapes principales d’une défense
efficace. Dans le cas du procès de Marillac, on voit les
commissaires interroger de très nombreux témoins, puis en
retenir quelques-uns seulement  : ainsi, la production du
procureur de Xaintonge mentionne qu’un petit nombre de
témoins non reprochés suffit à prouver ce qu’il souhaite
prouver5. Le procureur met ainsi en avant l’efficacité
judiciaire – ces témoins suffisent – tout en laissant entendre
que bien d’autres auraient pu apporter leur pierre à l’édifice
par des récits semblables.
17 La stratégie de défense de Marillac, dont l’intérêt est de
disqualifier tous les témoins qui peuvent l’être, est double.
Le cas de chaque témoin est envisagé  ; mais, plus
généralement, il tente de disqualifier tout témoin, en
pointant qu’un chef de guerre, construisant une citadelle, est
nécessairement impopulaire auprès de certains, et que le fait
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de le savoir prisonnier et déchu est une incitation à donner


de faux témoignages. Ainsi, il en appelle au Parlement de
Paris en protestant contre son commissaire, Moricq :
«  Joint la procedeure extraordinaire dont il use, d’aller
comme sonnant de la trompette par tout une province pour
appeller et chercher des tesmoings qui deposent quelque
chose de sinistre contre le suppliant6. »

18 Un peu plus tard, dans les causes de récusation des juges


qu’il soumet à la commission, il accuse :
« Que le sieur de Moricq voyant qu’en la Champagne on ne
luy venoit rien dire contre ledict sieur mareschal, ainsy que
ceux qui l’avoient envoyé luy avoient faict esperer, s’estoit en
plusieurs villes & endroictz de la province faict enquerir de
ses deportemens, et ou il apprenoit que les armées eussent
faict quelque foulle au peuple, il avoit faict venir des gens
pour deposer, lesquelz, comme il avoit trouvé deposer a sa
descharge plustost qu’a charge contre ledit seigneur, il ne les
avoit pas voulu interroger juridiquement ny rien faict escrire
de ce qu’ils disoient, comme n’estant pas la protection de
l’honneur et justification dudict sieur mareschal ou le
subject de sa commission, qu’il en avoit rebutté plusieurs qui
vouloient parler du bon gouvernement dudict sieur
mareschal. »

19 Il s’agit de mettre en cause la façon dont les témoignages ont


été recueillis, donc de jeter le doute sur la fiabilité de tous
ceux présentés au procès. Ailleurs, la défense de Marillac
insiste sur le fait que la publicité donnée à sa disgrâce et à
son emprisonnement est utilisée comme incitation à
témoigner contre lui par les commissaires :
« Quant aux vexations du pays, n’estoit-ce pas assez que ny
sur la venüe d’un Intendant expres pour en faire justice, ny
sur la publication de la disgrace du Gouverneur (que la
propre bouche du Commissaire condamnoit desja à la mort)
il ne se presentoit ny plainte, ny plaignant, pour conclure
qu’il n’y en avoit poinct de subject, & pour rejetter celles que
des enemis souspirans apres sa despoüille osoient vomir, &
pouvoient par leur authorité sur les lieux exciter contre un
disgracié7 ? »

20 Le statut de ces témoignages ne doit donc pas être envisagé


hors du contexte judiciaire bien particulier de leur
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expression  : la situation de pouvoir qui permettait dans un


premier temps au maréchal de Marillac d’agir pour
construire la citadelle et remplir ce qu’il concevait comme
son rôle de gouverneur disparaît  ; sa disgrâce ne doit pas
nécessairement être envisagée comme le moment où la
vérité se dit enfin sur un comportement scandaleux, mais
plutôt comme une nouvelle situation de pouvoir, dans
laquelle les différents acteurs, et notamment les témoins,
individus et communautés, jouent un nouveau rôle. Le
pouvoir royal fait recueillir de nombreux témoignages et
mobiliser de nombreuses communautés dans ce procès : s’il
s’agit certainement d’abord pour les commissaires de
recueillir un matériau suffisant pour condamner l’ancien
gouverneur, la qualification par l’institution judiciaire du
comportement du gouverneur comme « violence » contre les
populations civiles fait pleinement partie, comme le souligne
la défense du maréchal, de la mise en scène d’un nouveau
dispositif du pouvoir en Champagne. En ce sens, il n’est pas
indifférent que de nombreux témoins aient été interrogés,
même si peu de témoignages sont retenus lors du procès : il
s’agit là d’une forme de publication8 de la disgrâce de
l’ancien gouverneur.
21 Pour autant, il est certain que les populations civiles ont
grandement souffert de la guerre à leurs portes (en
particulier par le logement des gens de guerre), et lors de la
construction de la citadelle de Verdun  ; il est certain que
l’argent n’arrivait jamais à temps, et que les armées devaient
vivre d’expédients financiers9. Ce sont là des vérités
générales. Écoutons Richelieu lui-même, en 1626 :
«  La plus grande surcharge des peuples provenant de la
licence avec laquelle les dits gens de guerre vivent sur eux à
discrétion, ce qui arrive faut du payement, lequel manque
tousjours, ou parce qu’il n’y a point de fonds, ou parce que
celuy qui est destiné à cest usage est diverty10. »

22 Rien ne laisse penser que cette situation différait en 1632  :


les gens de guerre devaient donc vivre sur le pays, et le
pouvoir monarchique ne l’ignorait pas. L’une des lignes de
défense du maréchal de Marillac est que les violations qu’on

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lui reproche (extorsion de biens ou de corvées) avaient en


réalité été offertes volontairement par les populations.
23 Une telle situation n’en devenait pas pour autant légale,
même si tous les chefs de guerre en étaient réduits aux
mêmes expédients illégaux : nous savons ainsi qu’un dossier
assez semblable à celui qui fut utilisé contre Marillac fut
réuni, dans les mêmes années, contre le duc d’Épernon,
tout-puissant en Guyenne11. Au surplus, il n’est guère
possible d’essayer de distinguer usage de fonds pour le roi et
enrichissement personnel  : les dépenses somptuaires d’un
gouverneur entraient pleinement dans les nécessités de la
charge, et là encore le pouvoir monarchique était
parfaitement conscient de ne pas offrir à ceux qui se voyaient
remettre de telles charges les moyens de les assurer.
24 Les règles ont donc été violées et de véritables violences
exercées sur les populations civiles  : des corvées qui
n’étaient pas dues ont été exigées, des fonds ont été
extorqués de façon plus ou moins ouverte. Mais ce qu’il faut
surtout noter, c’est que la tolérance a cessé  : le
déclenchement du procès est, de facto, dû à la disgrâce de
Marillac, et non à l’excès qu’il aurait mis à l’oppression des
populations civiles. Une situation de pouvoir s’est renversée
et, comme ne cessent de le souligner les textes de défense du
maréchal, celui-ci a été humilié sur les lieux même de son
ancien pouvoir. L’appel incessant de Marillac à sa dignité de
maréchal et de grand officier de la couronne pointe que c’est
bien dans l’ignorance ostensible de cette dignité par le
pouvoir monarchique que le procès qui lui est fait peut
trouver sa source. C’est alors – et alors seulement – que les
violences contre les civils sont punies par une enquête et un
procès.
25 L’autre cas que je voudrais évoquer est celui de François de
Jussac d’Ambleville, sieur de Saint-Preuil. En 1641, Saint-
Preuil est un protégé de Richelieu, qui lui a offert quelques
années auparavant une bague en lui lançant : « Si je n’étais
Richelieu, je voudrais être Saint-Preuil.  » Soldat parti de
rien, il est devenu un capitaine célèbre, une sorte d’emblème
du courage et de l’audace  ; il est maréchal de camp et
gouverneur d’Arras, après l’avoir été de Doullens.

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26 Un incident de guerre provoque pourtant sa chute rapide.


Un soir, il attaque en effet, à la tête d’un régiment, une
garnison espagnole rencontrée par hasard, et la défait  :
malheureusement, cette garnison sortait de Bapaume avec
un sauf-conduit, par lequel Louis XIII l’autorisait à regagner
les Pays-Bas. Saint-Preuil se trouve donc, par malheur, avoir
enfreint la parole royale et mit le roi en difficulté. Il est
arrêté.
27 À la différence de celui de Marillac, le procès fait à Saint-
Preuil est rapide, mais comme celui-ci mobilise de très
nombreux témoins (on parle de 130, mais l’essentiel des
pièces a disparu). De façon identique, c’est la disparition de
la grâce royale qui fait apparaître les violences reprochées à
Saint-Preuil. Muni de la grâce du roi, celui-ci était un soldat
hors pair, un capitaine brillant  ; le manteau de la grâce
retiré, il n’apparaît plus que comme un soldat violent,
irrespectueux des lois et des personnes. Une lettre du roi
publiée par la Gazette l’annonce (c’est le roi qui parle) :
«  Il y a longtemps que j’avois receu des plaintes des fautes
que sa violence & son avarice luy faisoient commettre au
prejudice de mon service, & du contentement des peuples au
Gouvernement desquels je l’avois commis. Mais ayant lieu
d’estre satisfait de son courage & de sa vigilance à
tourmenter les ennemis  ; je me flatois volontiers dans
l’esperance que j’avois, qu’il tempereroit son humeur, en
sorte que j’aurois contentement de toutes ses actions12. »

28 Mais la faute commise contre la garnison de Bapaume est


trop grande, et le roi cesse d’espérer : il décide de laisser les
fautes de Saint-Preuil contre les populations civiles et contre
des officiers du roi prendre le dessus sur la latitude accordée
au soldat toujours sur la brèche.
29 Saint-Preuil s’était en effet rendu coupable du même genre
de violation des lois que le maréchal de Marillac  : des
corvées exigées sans le droit de le faire, de l’argent prélevé
sur les populations civiles – pour faire vivre les soldats, ce
que l’argent du roi ne permettait pas de faire. Il s’était aussi
rendu coupable d’un meurtre, celui d’un meunier réputé
trafiquer avec les ennemis  : il est possible qu’aux yeux de
Saint-Preuil, il se soit agi dans ce cas non d’un meurtre, mais
d’une exécution sommaire – comme cela se produisait de
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façon usuelle et légale dans les armées, car la force de


l’exemple était jugée le meilleur moyen de retenir les soldats
de piller, de violer, de tuer. Dans ce cas le crime de sang lui-
même serait, comme les entorses aux règles des
prélèvements en argent et en travail, une transgression des
règles, ordinaire en situation de guerre.
30 Saint-Preuil est reconnu coupable par une commission
extraordinaire de :
« Concussions, volleries et exactions sur les subjects du Roy,
levées et impositions de deniers tant sur les villages qu’aux
portes de ladicte ville d’Arras, oppressions et violences a
l’endroict des officiers de justice, exeds et oultrages commis
contre ceux quy ont estés preposés aux affaires de sadicte
majeste, de l’homicide commis en la personne de [un blanc,
en fait Cléry] Guillain meusnier et autres crimes contre et au
prejudice de sa charge et du service du Roy13. »

31 Il est exécuté à Arras le 9 novembre 1641, quelques semaines


à peine après l’attaque de la garnison de Bapaume. Comme
pour Marillac, c’est le retrait de la grâce du roi qui fait
apparaître les crimes du soldat.
32 La violence à l’encontre de populations civiles déjà fort
éprouvées par la guerre est donc, dans ces deux cas,
ostensiblement mise en avant par les discours d’accusation.
Mais le déclenchement d’un procès n’avait eu lieu qu’après
une disgrâce venue d’ailleurs, et le procès dépendait d’une
justice retenue qualifiée d’«  extraordinaire  » par les
contemporains.
33 Dans un traité de 1632 intitulé De la souveraineté du roi,
Cardin Le Bret avait encore théorisé, à la suite d’autres
jurisconsultes, l’oubli des crimes privés chez les grands
capitaines, chez ceux dont la valeur militaire rendait de si
grands services au public que leurs petitesses privées
devaient être passées sous silence. Pour Marillac comme
pour Saint-Preuil, le roi avait fermé les yeux sur leurs crimes
(et pas sur leurs seules fautes morales privées, comme le
laisse soupçonner l’exemple latin donné par Le Bret : « Cum
dissimularunt in Gurgite luxuriam, in Manlio impotentiam,
in Sylla crudelitatem, in L. Lucullo avaritiam, dit
Velleius14  »), tant qu’il accordait sa grâce et qu’il souhaitait
pardonner.
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34 Mais une fois la grâce disparue, les fautes apparaissaient à


nouveau. La tolérance cessait et la punition arrivait. Ainsi les
accusations de lèse-majesté n’étaient jamais loin  ; tous les
chefs de guerre auraient pu se voir reprocher sinon les
mêmes, du moins des crimes exactement similaires, et c’était
donc bien la disgrâce qui était à l’origine du procès.
35 Il ne faudrait pas, pour autant, réduire ces accusations à un
simulacre. En effet, une fois la disgrâce accomplie, ce sont
des instructions véritables qui sont menées, même s’il est
parfois difficile d’en mesurer le degré de conformité à la
procédure et à la vérité. Et si d’autres facteurs ont été
nécessaires pour déclencher les poursuites, les fautes de
deux gouverneurs qui ont exercé des violences sont
finalement punies d’une mort infamante, sur l’échafaud.
Enfin, puisque ces procès sont menés à leur terme, ils
peuvent servir de jurisprudence par la suite, ou à tout le
moins d’exemples propres à effrayer des gouverneurs
ultérieurs.
36 Comme le souligne souvent la défense du maréchal de
Marillac, il s’agit aussi d’un discours tenu par le pouvoir à
l’égard de ces mêmes populations civiles. Les procès se
déroulent sur les lieux mêmes où ont eu lieu les fautes, et de
nombreux témoins, de nombreuses communautés sont
mobilisées  : il s’agit bien pour le pouvoir monarchique de
rejeter la faute des exactions commises sur ceux qui sont
présentés comme les véritables coupables, et de s’exonérer
ainsi des violences, corvées et impôts indus. Ainsi la citadelle
de Verdun a-t-elle été construite, et son constructeur puni :
mais la citadelle est restée debout.
37 Une telle opération de publication est d’autant plus facile à
mener que le lieu commun rhétorique existe déjà, et qu’il
suffit de le réactiver  ; nul besoin de mettre en œuvre un
discours nouveau pour que s’accomplisse la répression
judiciaire des violences commises par ces deux chefs
militaires. Marillac était d’un niveau social et politique bien
supérieur à Saint-Preuil, ils avaient néanmoins en commun
une proximité de type clientélaire à un grand (Marie de
Médicis pour le premier, Richelieu pour le second) qui les
avaient jusque là protégés  : c’est une fois la grâce du roi
disparue qu’ont pu s’exprimer en justice des accusations
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communes, ordinaires. C’est alors seulement qu’un


capitaine, et plus encore un grand officier de la couronne,
peut se voir opposer un crime normalement trop en dessous
de sa dignité pour lui être reproché.
38 De surcroît, il faut noter que tous les mémoires du temps, et
l’historiographie à leur suite, les comprend comme l’écran de
fumée jeté devant des motifs de condamnation (et
d’élimination physique) autrement plus graves, ou plus
exactement touchant d’autrement plus près au cœur du
pouvoir. Il paraît bien difficile d’oublier le contexte de la
Journée des Dupes et de la dispersion du parti de Marie de
Médicis lorsqu’on évoque le destin du maréchal de Marillac ;
se remémorant – et se réappropriant – l’histoire de Saint-
Preuil, Bussy-Rabutin comme Louis de Pontis en font un
soldat malchanceux, mais surtout abattu par des forces qui
le dépassent, plus puissantes que lui auprès de Richelieu
(Sublet de Noyers ou le maréchal de La Meilleraye)15. Chez
ces deux mémorialistes, c’est bien la politique et non ses
transgressions et sa violence qui font le malheur de Saint-
Preuil. Ainsi ces accusations de violences contre les
populations civiles, qui avaient eu tant de mal à se faire jour,
redevinrent rapidement inaudibles.

Notes
1. Je me permets de signaler que ma thèse était consacrée à ce sujet : H.
Fernandez, Les procès du cardinal de Richelieu. Droit, grâce et
politique sous Louis le Juste, Paris-8, 2005, sous la direction de J.
Cornette. Un livre issu de ce travail sera prochainement publié par les
éditions Champ Vallon.
2. P. de Vaissière, Un grand procès sous Richelieu. L’Affaire du
maréchal de Marillac, 1630-1632, Paris, 1924.
3. Bibliothèque nationale de France, manuscrits français, 18 458, f° 8
v°-9 r°.
4. Discours de droit sur le factum du procès de M. le mareschal de
Marillac, s. l., 1632.
5. Bibliothèque nationale de France, manuscrits français, 18 458, f° 161
v°.
6. Ibid., f° 40 r°-v°.
7. Factum du procès du mareschal de Marillac. A Messieurs les
Commissaires deputéz par le Roy, s. l., 1632, p. 25.

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8. Au sens donné à ce terme par le GRIHL, celui de « rendre public » :


Groupe de recherches interdisciplinaires sur l’histoire du littéraire, De la
publication. Entre Renaissance et Lumières, études réunies par C.
Jouhaud et A. Viala, Paris, Fayard, 2002.
9. L’historiographie militaire de la France du xviie siècle a été largement
renouvelée ces dernières années. Pour un bilan, voir W. Beik, «  The
absolutism of Louis XIV as social collaboration  », Past and Present, n°
188, août 2005, p. 195-224.
10. Richelieu, « Propositions pour l’assemblée des notables de 1626 »,
Lettres, instructions diplomatiques et papiers d’État du cardinal de
Richelieu, publiés par M. Avenel, Paris, 1853-1874, t. II, p. 317-318 ; cité
par D. Parrott, Richelieu’s army War, Government and Society in
France, 1624-1642, Cambridge, Cambridge UP, 2001.
11. C. Jouhaud, La main de Richelieu ou le pouvoir cardinal, Paris,
1991.
12. Extraordinaire du I. octobre M. DC. XLI. contenant l’arest fait de la
personne du sieur de Sainct Preüil par ordre du Roy et l’estat de
Tarragone, tant devant que depuis le secours qui y est entré.
13. Par exemple, bibliothèque Mazarine, manuscrits 2116, f° 160-161.
14. Cardin Le Bret, Œuvres, De la souveraineté du roi, II, 5, Paris, 1643,
p. 95. La phrase devrait par ailleurs être attribuée à Sénèque l’Ancien
(Controverses, II, 18) plutôt qu’à Velleius Paterculus, son quasi-
contemporain.
15. L. de Pontis, Mémoires (1676), édition critique par A. Villard, avec
la totalité des modifications de 1678, Paris, Honoré Champion, 2001
(coll. « Sources classiques ») ; précisons que les Mémoires de Pontis ont
été rédigées par Thomas du Fossé. R. de Bussy-Rabutin, Mémoires de
Messire Roger de Rabutin comte de Bussy, Lieutenant General des
Armées du Roy, et Mestre de Camp General de la Cavalerie legere,
Paris, chez Jean Anisson, 1696.

Auteur

Hélène Fernandez
© Presses universitaires de Rennes, 2008

Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

Référence électronique du chapitre


FERNANDEZ, Hélène. La répression judiciaire des violences militaires
sous Louis le Juste  : Marillac et Saint-Preuil In  : La violence et le
judiciaire : Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques
[en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
https://books.openedition.org/pur/5008 14/15
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septembre 2021). Disponible sur Internet  :


<http://books.openedition.org/pur/5008>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.5008.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
Compatible avec Zotero

La violence et le judiciaire

Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,


pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

https://books.openedition.org/pur/5008 15/15
19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - Des secrets de famille aux archives de l’effraction : violences intra-familiales et ordre judiciaire a…

Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

Des secrets de
famille aux
archives de
l’effraction :
violences intra-
familiales et ordre
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19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - Des secrets de famille aux archives de l’effraction : violences intra-familiales et ordre judiciaire a…

e
judiciaire au xviii
siècle
Julie Doyon
p. 209-222

Texte intégral
« Chicaneau : Monsieur, ne parlons point de maris à
des filles ; Voyez-vous, ce sont là des secrets de
familles1. »

« Car il n’y a rien de caché qui ne doive être manifesté


et rien n’est demeuré secret que pour venir au grand
jour2. »
1 «  Force et tyrannie dont on use envers quelqu’un pour
usurper son bien ou lui faire quelque chose contre son gré3 »,
« grande force4 », injuste et démesurée, la violence agressant
les personnes et les «  choses inanimées  » constitue, dans
l’ancien droit, un «  crime privé ou public  », qui blesse les
«  intérêts des particuliers ou du public5  ». Quels crimes
familiaux intéressent l’ordre public au xviiie siècle et font de
la famille un intérêt protégé des «  matières criminelles  »  ?
Laissant de côté la très riche approche de la violence comme
phénomène de régulation sociale6 nous en saisirons, dans
une perspective délibérément institutionnelle, les
fondements juridiques. Au cœur du processus historique
d’affirmation de l’État justicier à l’époque moderne, la
criminalisation des comportements familiaux a peu fait
l’objet d’étude globale. Le mythe historiographique de
l’impossible dévoilement des secrets de famille a en effet
persuadé qu’une histoire de la criminalité intra-familiale
n’était guère envisageable faute d’archives judiciaires7…
Voire, car l’articulation du secret aux violences domestiques
singularise la famille dans l’Ancien Régime pénal.
L’identification des violences sécrétées entre parents à une
forme « occulte », « furtive », « clandestine » ou « cachée »
de criminalité conduit la justice criminelle à forger ses

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méthodes de levée du secret pour qu’éclate la vérité


judiciaire8. Au secret familial fait donc écho l’idéal social
d’une famille accessible à « l’œil et à la main » de la justice.
À la recherche des violences familiales dans l’ancien droit, se
pose la question de la double institutionnalisation, des
familles et de la justice, de l’ordre familial et de l’ordre
public. Dans une logique d’adversité et de complémentarité,
la thématique des secrets de famille est ainsi solidaire de la
vérité judiciaire, assignant aux sphères d’intervention privée
et publique leur juridiction respective  ; enfin, à la
pénalisation accrue des violences familiales répond le
familialisme de l’ordre judiciaire faisant de la protection de
l’organisation familiale un pilier de la paix publique9.

Des secrets de famille fondateurs de la


vérité judiciaire
2 Les violences entre parents ne sont pas un objet de la
catégorisation criminelle avant le Code pénal de 1810, qui
marquerait l’émergence de la famille comme «  intérêt
protégé du champ pénal10  ». Investie par le droit civil,
puisant aux sources canoniques, coutumières ou romaines,
socle des métaphores du pouvoir absolu, la famille n’est
pourtant pas une matière à part dans l’ancien droit criminel.
On chercherait donc en vain, dans les index ou les tables des
matières des traités criminels du xviiie siècle, une entrée
«  famille  ». Généralistes, les dictionnaires et les répertoires
de jurisprudence, civile, canonique et criminelle, sont d’un
plus grand secours. Claude-Joseph de Ferrière définit ainsi
la famille, dans son Dictionnaire de droit et de pratique,
comme «  le gouvernement de ceux qui dépendent  » et
«  vivent sous un même chef  », appelé «  père de famille  ».
Dans un sens second, le groupe familial englobe aussi, selon
lui, « les personnes issues d’une souche commune […] unies
par le lien de la parenté11 ». Les dictionnaires de langue des
xviie et xviiie siècles retiennent aussi cette double acception.
La subordination au chef de famille y est ainsi envisagée
dans le cadre du « ménage, composé d’un chef de famille et
de ses domestiques, soit ses femmes, enfants et
serviteurs12  », ou dans celui du groupe conjugal formé des
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« père et mère, avec leurs enfants13 ». Également identifiée à


la parenté, la famille est définie par les liens du sang, non
sans nuances. Sont ainsi distingués les parents «  proches  »
ou «  éloignés  », donnant à la famille un sens «  étroit  » (le
père de famille, sa femme et ses enfants), ou «  étendu  ».
Dans cette seconde acception, sont regardés comme
« membres d’une même famille » « tous ceux qui descendent
d’une même tige, et qui, par conséquent, sont issus d’un
même sang », « en ligne collatérale ou directe14 ». Formé par
l’alliance matrimoniale et les liens du sang (couple et ses
enfants, parenté proche et éloignée), ce cadre familial
délimite également un «  corps  », instituant entre «  ses
membres des liens de subordination15  »  : c’est donc aux
violences perpétrées au sein de l’institution familiale, réglée
par un principe d’autorité, fondée sur les liens de l’alliance et
du sang, que nous nous intéresserons ici16.
3 Diffuse et dispersée dans les sources de la doctrine et de la
jurisprudence criminelle dont elle ne forme pas une
catégorie objective, la protection de la famille structure
pourtant l’ordre judiciaire, quoique peu visiblement17. Et
pour cause… La clandestinité criminelle est en effet
commune aux comportements violents incriminés dans le
cadre parental ou conjugal. Unanimement alléguée par la
doctrine, l’essence cachée du crime qualifie surtout
l’adultère, les mariages clandestins, le rapt (de séduction et
de violence), l’inceste ou l’infanticide, rangés parmi les
crimes « secrètement commis18 ». À l’instar de ces « honteux
et secrets19  » crimes «  de luxure  », certains «  meurtres ou
assassinats », « occultes de leur nature20 », s’individualisent
nettement. Tel est le cas du parricide ou de
l’empoisonnement, «  homicide clandestin21  » souvent
perpétré dans le cadre domestique. Enfin, des atteintes aux
biens patrimoniaux – «  faussetés  » portant sur les actes
testamentaires, baptistaires ou matrimoniaux,
«  suppositions  » de personnes ou d’enfants brouillant les
règles successorales –, sont définies comme criminelles,
clandestines et frauduleuses. Consubstantiellement secrètes,
les violences faites au corps et à la propriété des familles
échapperaient ainsi à la publicité, par occultation,

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soustraction au regard d’autrui, ruse, mensonge, mise à


l’écart, isolement ou silence.
4 La doctrine pénale hérite ici de la législation criminelle du
xvie siècle. Ainsi l’édit royal de février 1556 définit-il
l’infanticide comme le crime des femmes qui «  déguisent,
cachent et occultent leurs grossesses sans en rien découvrir
et déclarer  », qui «  occultement se délivrent  » de leur
« fruit », qu’elles « suffoquent, meurtrissent » et « jettent en
lieux secrets et immondes22  ». Indicatrices des violences
incriminées, les pratiques clandestines s’opposent, en outre,
aux « formalités » et « solennités » garantes de la publicité
des actes de la vie civile. Faute de la publication des trois
bans dans les paroisses de domiciliation des parties
contractantes, du consentement des parents ou tuteurs, ou
de l’échange des consentements in facie ecclesiae, en
présence du curé des parties et de quatre témoins
signandaires, les mariages des enfants de familles, sont
considérés comme « secrets et clandestins23 ».
5 Le défaut de publicité ou la clandestinité fondent également
le soupçon en matière criminelle  : l’homme ou la femme
enterrant secrètement son conjoint n’est-il pas suspect de
meurtre conjugal (uxoricide) selon la doctrine pénale du
temps24  ? Les édits novateurs de 1556, prohibant la
clandestinité des mariages et le recel des grossesses,
témoignent enfin de l’axe familial de la politique pénale de la
monarchie absolue. Au cœur du processus historique
d’édification de l’État justicier, la criminalisation des
comportements familiaux s’ancre dans un contexte d’intense
culpabilisation de l’homme occidental et de glaciation des
mœurs25, selon une rhétorique dénonciatrice opposant la
criminalité occulte au « repos », à la « paix » ou à « l’ordre
des familles  ». Du secret au soupçon, la police des familles
qui s’élabore soumet ainsi les temps forts de la vie familiale
(grossesse, naissance, mariage, décès) à la surveillance
judiciaire, communautaire ou ecclésiastique.
6 Le secret occulte donc le crime à la vérité judiciaire, dont
l’établissement est l’essence même de la justice criminelle26.
Or, si leur nature secrète particularise les incriminations
familiales dans le champ pénal, elle en singularise aussi le
régime probatoire. L’édit de 1556 estime ainsi que «  faute
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d’autres preuves » et « pour éviter que les « prisons ne leur


soient ouvertes27 », le corps du délit, le défaut de publicité de
la grossesse, de l’accouchement, du baptême et de la
sépulture, suffisent à prouver l’infanticide28, un crime
passible de la peine de mort. En donnant valeur de preuve
légale à de simples présomptions, certes «  fortes et
violentes29  », le dispositif criminel innove, et, face au
«  secret  » familial, le système probatoire commun, jugé
insuffisant, aménage un droit de punir dérogatoire.
7 Un «  principe particulier à l’Adultère, c’est qu’étant du
nombre des crimes occultes, c’est-à-dire, de ceux qui se
commettent en secret, il est aussi d’une preuve extrêmement
difficile [nous soulignons]  », note l’avocat au Parlement de
Paris Pierre-François Muyart de Vouglans dans son mémoire
(factum) pour la défense de la Dame de la Soudière, accusée
d’adultère par son mari30. La preuve «  indirecte  » et
«  conjecturale  » de l’adultère se déduit ainsi de la
«  privauté  » ou de la «  familiarité  » que suggèrent les
«  entretiens secrets  » ou «  privés  » des amants, leur
correspondance ou rendez-vous «  particuliers  », leurs
« promenades solitaires » ou en « des lieux écartés », enfin
leurs visites «  nocturnes  » ou «  en l’absence du conjoint  ».
Aussi, des «  témoins singuliers  », tels que les domestiques
des parties, leurs parents ou leurs alliés, en principe
récusables, sont recevables en l’espèce31. Sans eux en effet,
les faits «  commis à l’intérieur des maisons  » ne
demeureraient-ils pas invisibles à la justice  ? Si le
témoignage occulaire32 est au cœur du système probatoire, le
caractère occulte conduit à déroger aux «  maximes
générales  » du droit criminel par des «  règles
particulières33  ». De même, dans le cas des meurtres et
assassinats, de poison, de parricide ou d’inceste, qui «  se
commettent en secret et avec des précautions tellement
combinées qu’il serait le plus souvent impossible de les
prouver par témoins de visu  », l’ancien droit de punir se
trouve «  en devoir d’admettre pour preuve principale en
cette matière, celle résultante d’indices34  ». Ces
contournements, jugés nécessaires pour lutter contre
«  l’impunité  » des crimes familiaux, sont aussi justifiés par
leur « atrocité » dans l’échelle punitive. Ainsi singularisée, la
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famille forme bien un intérêt privilégié du champ pénal, dès


l’époque moderne.

De l’occultation criminelle à l’effraction


judiciaire
8 Archives de l’effraction, les sources judiciaires engagent l’œil
de la justice à pénétrer là où se niche le secret, violant
l’intimité des corps (par l’examen médico-légal), des alcôves,
ouvrant les barrières, épiant par les serrures, ou
transperçant les cloisons… Portant plainte en février 1727, le
marchand de vin parisien Louis Le Roy prétend ainsi
qu’ayant appris que sa femme et son garçon de boutique se
donnaient des rendez-vous dans une chambre de la rue de
Charonne, il avait aménagé un «  retranchement  » secret
«  dans la cloison  », où des personnes «  priées à cet effet  »,
avaient vu par les «  trous  » «  faits exprès  » «  à travers des
planches et tapisseries  » le couple adultérin «  avoir
habitation et commerce charnels ensemble » et « commettre
le péché de la chair  » «  à deux jours  » et «  par quatre fois
différentes35  ». L’indiscrétion sert donc la preuve  : par le
spectacle de l’indécence des corps vus dans
l’accomplissement de l’acte sexuel, ou plus souvent, par les
«  privautés  » verbales, gestuelles ou écrites suggérant la
conjonction illicite. En témoigne, cette pièce en vers extraite
des huit missives de la correspondance incriminant Jean
Imbert et Cristine de Berulle, poursuivie pour adultère en
juillet 1712 par le marquis de Rieux, son mari :
« Imbert vous êtes trop grâcieux,

De festoyer si peu de choses, […]

Plus aimable que l’amour même,

Toujours prêt à me faire plaisir,

Vous offrez aux tendres désirs

Qui me dévorent d’un feu extrême

Des mines et des airs, des faveurs qu’on


Appelle en toutes saisons,

Des charmes qui coûteront bien cher

Si par malheur Monsieur son père

Se rendait maître du terrain ;

Je mourrerais [sic] le lendemain36. »

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9 Le secret délimite enfin l’espace soustrait à l’autorité


judiciaire37, siège de la puissance occulte, souvent définie
comme la part des femmes détentrices privilégiées des
« secrets invisibles de la nature38 ». La « loi du ventre », qui
certifie la descendance maternelle, ne lui donne-t-elle pas
cette supériorité sur la filiation masculine, toujours
incertaine ? Lieu du « mystère d’iniquité » qui travaille dans
les ténèbres, le foyer occulte dominé par les femmes est ainsi
opposé à l’espace domestiqué et civilisé par l’exercice de
l’autorité paternelle. Ainsi 54  % des criminels familiaux
transférés dans les prisons de la Conciergerie, pour être
jugés en appel par le Parlement de Paris, sont-ils des
femmes, accusées d’infanticide, de recel de grossesse et
d’accouchement, d’exposition d’enfant, d’adultère, de
bigamie, de mariage clandestin, de supposition de maternité,
d’homicide d’un parent, de parricide ou
39
d’empoisonnement . Compte tenu de la faiblesse numérique
des criminels familiaux écroués (2 à 3  % de la population
annuellement écrouée, soit 700 à 1 500 accusés en
moyenne), un tel chiffre est certes à relativiser. Mais, par
rapport aux 80  % d’accusés mâles (tous crimes confondus)
ordinairement poursuivis, la part des femmes fait
incontestablement l’originalité de la répression des violences
intra-familiales40. En témoigne également, l’égalité
numérique des hommes et des femmes accusés de violences
conjugales (mauvais traitements, homicides ou assassinats),
par le Parlement de Paris, entre 1580 et 162041.
10 À l’espace féminisé des violences familiales occultes, la
théorie et la pratique pénale opposent donc implicitement la
territorialité pacifiée et domestiquée de la maison soumise à
la légitime autorité qu’exerce le père sur les personnes et sur
les biens42. « Violement de la foi domestique », « infidélité »,
«  complot  », «  machination  », «  trahison  »  : selon le
vocabulaire de la doctrine et de la pratique criminelle, le
crime familial assimilé à la trahison du pacte des familles
miniaturise à l’échelle domestique les plus graves atteintes
portées à l’État monarchique43. Sont ainsi définis les
modèles de déviance (et d’obéissance) déclinables du
sommet à la basede l’État. Le secret familial n’a donc pas
d’existence ontologique propre. Comme l’analyse Michel
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Foucault pour la répression sexuelle, il est un instrument


juridique de la «  volonté de savoir  », exemplaire de la
technique de pouvoir polymorphe d’encadrement de la
sphère domestique44. L’objet famille est ainsi circonscrit par
le secret qui s’y déploie comme le lieu retiré du pouvoir à
investir, surveiller, contrôler. Aussi l’élaboration des
violences familiales révèle-t-elle les ambiguïtés de la
construction juridico-politique de la famille, envisagée
comme structure d’ordre à renforcer, ou comme zone de
désordres à contenir. Entre secret et ordre des familles, le
champ pénal formule ainsi les relations institutionnelles, de
la famille et de la justice, sur le mode dual de l’adversité et de
la complémentarité.

Sphère privée, sphère publique : les enjeux


du droit de punir
11 Jusqu’où la justice peut-elle pénétrer la sphère privée ? Est-
elle compatible avec le renforcement de l’autorité paternelle,
pensée comme un relais du pouvoir du prince depuis le xvie
siècle ? Les réponses pratiques et doctrinales du xviiie siècle
sont tributaires de l’architecture politique soudant la justice
criminelle à l’édification de la monarchie absolue à travers
des «  chaînes d’obéissance fondées sur la puissance
paternelle45  ». La tradition juridico-politique à laquelle
s’arrime l’ordre judiciaire est notamment élaborée par Jean
Bodin, selon lequel, le prince
«  […] commande aux sujets, le magistrat aux citoyens, le
père aux enfants. Mais de tous ceux-là, ajoute-t-il, il n’y en a
pas un, à qui nature donne aucun pouvoir de commander et
moins encore d’asservir autrui, hormis au père, qui est la
vraie image du Grand Dieu Souverain, père universel de
toute chose [nous soulignons]46 ».

12 L’autorité paternelle, « naturelle » car « d’essence divine »,


relève ainsi d’une «  autorité des origines  » antérieure à
l’établissement des sociétés civiles47. Est ainsi naturalisé,
c’est-à-dire sacralisé, le droit de correction dans l’ordre
familial, dont dérive, dans l’ordre judiciaire et politique, le
droit de punir. À travers le droit de punir, l’emboîtement des

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trois figures d’autorité du roi, du magistrat et du père,


s’inscrit ainsi dans l’ordre naturel.
13 Or, l’analogie entre la correction paternelle et le droit de
punir converge dans la théorie pénale qui établit la solidarité
des deux «  juridictions  », privée et publique, paternelle et
judiciaire. S’«  il n’est pas permis de résister  » aux juges
«  parce que tout ce qu’ils font dans l’exercice de leurs
fonctions est censé être juste », il en est de même des « pères
et mères, auxquels les enfants ne peuvent faire aucune
résistance, lorsqu’ils éprouvent quelque correction de leur
part, en conséquence du droit que les premiers ont de
corriger leurs enfants48  ». Tuer un magistrat, comme ses
« père et mère », est en théorie inexcusable, même en cas de
légitime défense. Productrice de rapports d’obéissance49, la
justice criminelle réfracte ainsi la place de la famille dans la
hiérarchie des cercles d’autorité conduisant au centre
paternel du pouvoir monarchique.
14 Coalescent à l’ordre judiciaire, le gradient famille module en
profondeur l’économie punitive du droit criminel. Parmi les
causes rendant l’homicide excusable, donc rémissible, figure
ainsi la légitime défense de «  sa vie, de ses biens, de son
honneur » ou de ceux « des siens » et de « ses proches50 ».
Mieux, la construction pénale reconnaît les «  obligations
naturelles » résultant des « liens du sang » : aussi, le fils ou
le conjoint de la victime d’une agression homicide est-il
considéré comme complice51, s’il ne s’est pas porté à son
secours. Motivant l’arbitraire des peines, la «  théorie des
circonstances52  » inclut en effet le lien de parenté entre la
victime et son agresseur à l’examen de «  la qualité des
personnes  » qui aggrave ou atténue la qualification
criminelle à laquelle est proportionné le châtiment. Injures,
vols, mauvais traitements, crimes sexuels, homicides,
meurtres et assassinats, sont aggravés ou atténués eu égard
aux liens du sang, de l’alliance, de l’ascendance ou de la
descendance, selon des logiques variables.
15 Du renforcement de l’autorité paternelle ou maritale
témoigne la jurisprudence criminelle de l’adultère, qui forme
au xviiie siècle, à l’instar du droit romain, une atteinte à la foi
conjugale, dont la «  vengeance  » incombe aux «  parties
privées » et non à « l’intérêt public53 ». Sauf cas de scandale
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«  public et notoire54  », autorisant les «  gens du roi  » à


poursuivre d’office, seul le mari, « vengeur du foyer55  », est
habilité à intenter une action criminelle pour adultère – la
femme mariée étant exclue de ce droit. Enfin, l’homicide
d’une femme surprise par son mari en flagrant délit
d’adultère est jugé excusable et licite, à condition toutefois
que le mari criminel en demande la rémission au roi.
Marquant un seuil de l’autorité domestique, la doctrine
pénale reconnaît ainsi de jure un droit marital à la
vengeance privée, pouvant aller jusqu’à l’homicide, assimilé
à la légitime défense de l’honneur conjugal.
16 Ambivalente et nuancée, la justice observe parfois une non-
intervention dommageable à la défense du patrimoine
familial : le cas du vol intra-familial est à ce titre exemplaire.
En pays de droit écrit, le père, qui n’est « censé qu’une même
personne avec son fils  », ne peut pas même «  exercer une
action contre ce dernier  » au pénal, tandis qu’en pays de
droit coutumier, «  l’honnêteté publique ne permet pas de
prendre la voie criminelle » contre « la femme qui vole son
mari  », «  le fils de famille qui vole ses père et mère  »,
« l’héritier qui vole son co-héritier ». À cet argument s’ajoute
que la preuve de « l’intention de voler » est particulièrement
difficile à établir, compte tenu de « l’espèce de droit que ces
sortes de qualités donnent sur la chose même que l’on
soustrait56  ». Nouvelle exception au droit de punir, la
« poursuite ordinaire » du vol intra-familial est donc exclue
au criminel et réservée au civil. Le vide juridique signale
ainsi, de manière ambiguë, que la force de l’institution
paternelle en constitue aussi la fragilité…
17 Le renforcement familial ne se confond donc pas
entièrement avec celui de l’autorité du chef de famille, et
assigne des limites aux droits étendus dont il dispose sur les
personnes et les biens placés «  en sa puissance et
dépendance » (femme, enfants, domestiques). Eu égard aux
«  devoirs de l’état  » paternel ou marital, le droit de
correction se voit ainsi contenu dans les «  justes bornes  »
d’un usage « modique57  », conforme à la morale chrétienne
de la réciprocité et de la tempérance que judiciarise la
doctrine civile et criminelle58. Au-delà, est franchi un seuil
critique  : de licite, la correction devient injuste. Signalant
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«  l’abus d’autorité  », cet «  outrepassement  » fait surgir la


«  démesure  » du père qui signale la violence, sous les
accusations diverses de «  mauvais traitements  »,
« outrages », « voies de faits ». Totalisant cette pluralité de
comportements violents, la notion juridique d’«  excès  »
désigne l’hubris59 des «  père et mère  » ou du mari aux
agissements extrêmes.
18 «  Excès de rigueur  », mais aussi «  d’indulgence  » «  où
tombent les père et mère  » entraînant «  leurs enfants au
crime, en favorisant leur débauche60 » : ces comportements
familiaux jugés criminels destituent l’autorité des «  père et
mère » et justifient l’intervention de l’autorité « supplétive et
représentative61  » du «  juge séculier  ». La femme mariée
peut ainsi, en cas de « refus » ou d’« absence de son mari »
être autorisée par le magistrat à «  ester en jugement  » et
«  l’autorisation  » judiciaire l’habilite juridiquement «  de
même que si elle était autorisée par son mari62  ». Face à la
coupable défaillance de l’autorité familiale instituée (celle
des « père et mère », des tuteurs des enfants de famille ou du
mari sur son épouse), surgit donc la possibilité du recours et
de la médiation «  paternelle  » (sic) du juge définie comme
du ressort exclusif de la « puissance séculière63 ».
19 Sont ainsi édictées les normes de l’ordre ou du désordre
familial dont les lois criminelles sont les gardiennes.
« Intérêt privilégié » du champ pénal, « la fabrique légale de
la famille64 » fixe donc, du moins en théorie, des limites à la
juridiction «  privée  » des pères, délimitant en retour sa
propre sphère «  publique  » d’intervention. Aussi la famille
constitue-t-elle une catégorie complexe de l’action pénale.
Car en donnant un cadre légal à certaines violences
« privées », la justice royale se dote aussi d’un instrument de
contrôle. Enfin, la criminalisation des comportements
familiaux oblige l’institution judiciaire à assumer le
familialisme de ses fonctions, observables dans le champ
symbolique et pratique, ainsi qu’à travers les stratégies mises
en œuvre par le corps parlementaire, au sein de l’ordre
judiciaire qu’il constitue et pérennise.

Criminalisation des comportements


familiaux et familialisme judiciaire
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20 «  Les enfants du fils parricide doivent être exclus de la


succession de leur aïeul car c’est, une branche qui a porté le
venin dans sa tige, et qui n’en doit plus attendre de
substance  », note le juriste Claude-Joseph de Ferrière au
titre du «  Parricide65  ». La «  tige  » et le «  venin  »
métaphorisent ainsi l’ordre des générations et sa
contamination par le «  poison  » criminel. Aussi, l’arbre
généalogique empoisonné par le crime, dont les rameaux
sont potentiellement porteurs de fruits toxiques ou
vénéneux, est préventivement ébranché par la justice
sanctionnant le criminel et privant sa descendance de
succession légitime. Témoignant de l’obsession du sang et de
la semence comme vecteurs de transmission héréditaire des
« marques de famille » qui en constitueraient la « singularité
distinctive66  », au moral comme au physique, la punition
réservée au parricide et à sa famille est emblématique de
l’inspiration lignagère et patriarcale du droit de punir
d’Ancien Régime. Prophylactique, elle témoigne donc de
l’imaginaire familial d’une culture juridique organiciste,
niant l’individualité des membres de la lignée considérée
comme un « tout », animé par un principe vital à la manière
de la sève parcourant la tige et les rameaux d’une
arborescence. Le fluide corrupteur du venin criminel menace
ainsi toutes les ramifications du corps familial et partant, du
corps social et politique auquel il est articulé. Car la famille
est « la vraie source et origine de toute République67 ».
21 Or, le familialisme pénal a des implications dans le champ
des pratiques et des techniques juridiques. Dans les affaires
de séduction, par exemple, la reconnaissance en paternité
repose sur les « preuves naturelles » qui « semblent déceler
le secret de la paternité par la conformité des individus68  ».
Si les juges ne peuvent pénétrer les « secrets de la nature »,
du moins la nature est-elle une précieuse «  auxiliaire de
justice  ». Considéré comme «  les membres, et les parties
sensibles de leurs pères69 », le corps enfantin ainsi « mis en
preuve  » forme donc le «  témoin sourd et muet  » de la
lubricité parentale. Cet arsenal probatoire suggère d’ailleurs
aux prévenus des manœuvres criminelles. Marie-Anne de
Girard, âgée de 25 ans, est ainsi accusée d’avoir supposé sa
grossesse et son accouchement, comme d’avoir « acheté » le
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nourrisson qu’elle déclare «  né des œuvres  » d’un nommé


Maupin pour le contraindre au mariage. N’a-t-elle pas, en
outre, «  estropié un bras  » au nouveau-né «  pour donner
quelque conformité et ressemblance dudit enfant avec ledit
Maupin70  »  ? Se voit ainsi judiciarisé le postulat de la
conformité physique et morale que crée la filiation, naturelle
ou légitime.
22 L’influence du familialisme dans le champ pénal révèle en
outre le rôle des corps de juristes, de magistrats, le plus
souvent grands officiers de justice issus de la noblesse de
robe soucieux d’accroître la sphère d’intervention de l’État
royal en la soudant à l’institutionnalisation juridique de la
famille71. Instrument de leurs stratégies socio-
professionnelles, la construction civile et criminelle d’un
droit familial, détachant le contrôle des alliances
matrimoniales du pôle ecclésial, leur permet d’assurer la
reproduction de leur rôle au sein des structures étatiques
modernes en plein essor. La patrimonialité et l’hérédité des
offices, que consacre l’édit de la Paulette en 1604, confirme
ce processus. Rares sont les témoignages de cette logique de
«  caste  » dans les archives de la pratique criminelle où le
filtre procédural et les formalités propres à l’ordre judiciaire
laissent peu transpirer les sentiments du magistrat chargé
d’instruire le procès. En 1721 pourtant, le seigneur de Saint
Cyran, fils d’un conseiller du roi maître ordinaire à la
chambre des Comptes du Parlement de Paris est, à l’âge de
quarante ans, poursuivi à la requête de sa mère devant le
Parlement de Paris pour mariage clandestin et abus de
confiance. L’interrogatoire laisse affleurer l’indignation du
conseiller du roi devant «  cet honteux mariage  » avec une
« créature » sans « beauté », « d’une si mauvaise conduite »,
dépeinte comme « très mal habillée », « pleine de pouls » et
pour laquelle le prévenu lui-même aurait nourri tant de
« dégoût » qu’il l’aurait traitée de « salope72 », selon les dires
de nombreux témoins. Or, la désapprobation morale
manifeste ici, de façon exceptionnelle, la connivence sociale
qui lie le magistrat à ce fils de parlementaire, émancipé mais
«  perdu  ». Plus généralement, la criminalisation des
comportements familiaux par la justice royale met en jeu les
prétentions d’un ordre, dont le Parlement de Paris est
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particulièrement représentatif du fait de l’étendue de son


ressort et de sa grande influence politique et judiciaire au
xviiie, s’autorisant à agir sur la trame sociale par la
moralisation de la sphère familiale.
23 Dénonçant la «  société de familles  » (et non
«  d’individus73  ») au fondement du système pénal d’Ancien
Régime, le réformateur italien Cesare Beccaria témoigne des
liens qui, «  du trône à la chaumière74  », unissent
intrinsèquement la conception patriarcale du pouvoir et le
régime pénal. On ne saurait mieux dire combien la
réciprocité instituée entre «  ordre familial et ordre
politique75  » interfère dans le champ du droit criminel.
Placée au cœur de la critique des Lumières, est ainsi posée la
question de la redéfinition du droit de punir hors ce
familialisme judiciaire. L’arbitraire des peines permet
pourtant à la justice criminelle d’opérer des «  révolutions
pénales  » silencieuses76, comme dans le cas du parricide
réprimé dans le ressort du Parlement de Paris, à partir de la
fin du règne de Louis XIV. L’adoucissement punitif réservé
aux parricides jugés «  déments  » se traduit par leur
condamnation à l’enfermement à perpétuité, prononcé dans
neuf cas sur douze, au lieu de la roue et de l’amputation de la
main droite. Enfin, les minutes d’instruction criminelle du
Parlement de Paris révèlent que, à partir de 1715, la
qualification de parricide est restreinte aux seuls meurtres
commis sur un ascendant, le plus souvent le père ou la mère.
Si verser le sang d’un parent constitue théoriquement une
circonstance d’aggravation de la peine, les homicides
commis dans le cadre de la parenté sont jugés excusables
dans certaines circonstances (accidents de chasse, rixe et
mouvement de colère, légitime défense de sa vie). Sont ainsi
appliquées à l’homicide intra-familial les règles
ordinairement admises en matière d’homicide simple77.
Rémission ne signifie toutefois pas démission de la justice78 :
la banalisation des crimes de sang intra-familiaux est moins
en jeu que la tolérance judiciaire (relative) dont ils
bénéficient, dans le cadre d’une civilisation toujours
violente79… Enfin, l’adaptation de la pratique pénale à
l’égard des violences de sang commises dans le cercle
familial, en cas de folie, d’homicide involontaire ou de
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légitime défense, traduit la possible individualisation des


peines au xviiie siècle80.
24 La construction pénale du secret familial délimite donc un
espace de pouvoir ambivalent qui « protège, sépare, marque
des frontières entre le public et le privé81  »  : lieu du crime
occulte associé à l’excès, à la vengeance privée, à la part des
femmes, les familles forment aussi un espace domestiqué et
civilisé, dès lors qu’il est soumis à l’autorité paternelle et
maritale. En rapport avec le pouvoir et le sacré, au cœur de
l’institution judiciaire82, le secret détermine donc un face-à-
face institutionnel, liant et séparant les sphères du public et
du privé, tout en emboîtant leur droit de châtier et de
pardonner respectif. Renforcer l’autorité paternelle conduit
donc moins à la privatiser qu’à la placer sous l’autorité du
prince, étendant ainsi la sphère d’intervention de sa justice
criminelle… En définitive, la dénonciation croissante de
l’opacité familiale est solidaire de l’extension de
l’intervention judiciaire dans la sphère domestique. Reste le
bastion de la conscience, ou « fors interne », mais il relève de
la justice divine, car « il n’y a que Dieu qui pénètre jusqu’aux
plus secrets replis du cœur83 ».

Notes
1. J. Racine (1639-1699), Les Plaideurs [1668], II-VI.
2. Évangile selon Saint Marc, V-IX, La Sainte Bible de Jérusalem, trad.
de l’école biblique de Jérusalem, Paris, Le Cerf, 1956, p. 1335.
3. C.-J. de Ferrière (1680-1748), Dictionnaire de droit et de pratique,
Paris, Brunet, 1740, t. II, p. 1027, V° « Violence ».
4. P. Richelet, Dictionnaire français contenant les mots et les choses,
Genève, J. H. Widerhold, 1680, p. 533, V° « Violence ».
5. D. Jousse (1704-1781), Traité de la justice criminelle en France, Paris,
Debure, 1771, t. I, p. VI.
6. Parmi l’abondante bibliographie, voir notamment : R. Muchembled,
La Violence au village (xve-xviiie siècle), Bruxelles, Brepols, 1989.
7. Archives de la justice «  secrète  » du roi (lettres de cachet) mises à
part  : F. Funck-Brentano, Les Lettres de cachet à Paris. Étude suivie
d’une liste de prisonniers à la Bastille (1659-1789), Paris, Imprimerie
nationale, 1903  ; C. Quetel, De Par le Roy. Essai sur les lettres de
cachet, Toulouse, Privat, 1981  ; Farge et M. Foucault, Ordre et

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Désordre des familles. Lettres de cachet des Archives de la Bastille,


Paris, Gallimard/Julliard, 1982.
8. D. Jousse, Traité…, op. cit., t. I, p. XVII.
9. Sur l’idéologie familialiste de la monarchie absolue  : A. Burguière,
«  La famille comme enjeu politique de la Révolution au Code civil  »,
Droit et Société, n° 14, 1990, p. 22. Selon le sociologue Rémi Lenoir
(Genèse de la morale familiale, Paris, Éd. du Seuil, 2004), le
familialisme suppose des manières de penser l’ordre social et politique à
partir de catégories propres à l’univers familial.
10. P. Lascoumes, «  L’émergence de la famille comme intérêt protégé
par le droit pénal, 1791-1810 », Théry et C. Biet (dir.), La Famille, la loi,
l’État. De la Révolution au Code civil, Paris, Imprimerie nationale/Éd.
du Centre Pompidou, 1989, p. 340-348.
11. C.-J. De Ferrière, op. cit., t. I, p. 680, V° « Famille ».
12. A. Furetière, Dictionnaire universel de la langue française, La
Haye/Rotterdam, Arnout/Reinier Leers, 1690, n. p., V° « Famille ».
13. P. Richelet, Dictionnaire françois contenant les mots et les choses
plusieurs nouvelles remarques sur la langue française, Genève, J. H.
Widerhold, 1680, p. 325, V° « Famille ».
14. Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des
Métiers, t. VI, p. 391, V° «  Famille  ». P. Richelet [1680], op. cit. Voir
aussi  : J.-L. Flandrin, Familles. Parenté, maison, sexualité dans
l’ancienne société, Paris, Éd. du Seuil, 1984, p. 10-15.
15. P. Richelet, Dictionnaire de la langue française ancienne et
moderne, nouv. éd., Bâle, J. Brandmuller, 1735, t. II, p. 12, V°
« Famille ». Adjonction à la première édition (celle de 1680) : voir supra,
note 14.
16. Nous excluons de ce cadre la question de la domesticité et donc du
vol domestique.
17. Voir notamment : A. Laingui et A. Lebigre, Histoire du droit pénal,
t. I, Paris, Cujas, s. d., p. 163 sq  ; C. Plessix-Buisset (dir.), Ordre et
Désordre dans les familles. Études d’Histoire du droit, Rennes, PUR,
2002, p. 5.
18. D. Jousse, Traité…, op. cit., t. I, p. 8.
19. C. Plessix-Buisset, Le Criminel devant ses juges en Bretagne aux
xvie et xviie siècles, Paris, Maloine, 1988, p. 142-143.
20. P.-F. Muyart de Vouglans [1780], op. cit. p. 175.
21. C.-J. de Ferrière, op. cit., t. I, p. 787, V° « Empoisonnement ».
22. Édit de février 1556 contre le recelé de grossesse et d’accouchement :
Isambert, Recueil des anciennes lois françaises depuis l’an 420 jusqu’à
la Révolution de 1789, Paris, Belin-Leprieur, 1828, t. XIII, p. 472.

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23. P.-F. Muyart de Vouglans [1780], op. cit., p. 235.


24. D. Jousse, Traité…, op. cit., t. I, p. 32.
25. R. Muchembled, L’Invention de la France moderne. Monarchie,
cultures et société (1500-1660), rééd. Paris, Armand Colin, 2002, p. 92-
93.
26. D. Jousse, Traité…, op. cit., t. I, p. 17.
27. Édit de février 1556…, op. cit.
28. Les incriminations en usage sont alors celles de «  suppression de
part », « homicide de son enfant » ou « recel de grossesse ».
29. M.-C. Phan, «  Les déclarations de grossesse en France (xvie-xviiie
siècles)  ; essai institutionnel  », Revue d’histoire moderne et
contemporaine, t. XXII, janvier-mars 1975, p. 61-88.
30. P.-F. Muyart de Vouglans, Mémoire pour la Dame de la Soudière,
accusée. Contre le chevalier de la Soudière, son mari, accusateur, Paris,
Imprimerie de Chardon, 1765, p. 39.
31. P.-F. Muyart de Vouglans (1713-1791), Les Loix criminelles dans
leur ordre naturel, Paris, Merigot le jeune, 1780, p. 175.
32. Selon la procédure criminelle, les dépositions concordantes de deux
témoins occulaires et dignes de foi ont valeur de preuve légale.
33. D. Jousse, Traité…, op. cit., t. I, p. 701.
34. P.-F. Muyart de Vouglans, Les Loix…, op. cit., p. 175.
35. AN, Y 10035AB, M. Bertin et P. D’Alençon [adultère], plainte, 8-02-
1727.
36. AN, Y 10032, C. De Berulle et J. Imbert [adultère], procès-verbal
d’instruction, juillet 1712.
37. B. Lamizet, « Sémiotique du secret », T. Wuillème (dir.), Autour des
secrets, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 11-22.
38. C.-J. de Ferrière, op. cit., t. II, p. 326, V° « Naissance ».
39. Depuis le xvie siècle, en effet, le greffier des geôles parisiennes
enregistre les nom, prénom, état et demeure des accusés appelant devant
la Tournelle criminelle du Parlement de Paris d’une sentence (afflictive
ou corporelle) rendue par les tribunaux inférieurs de son ressort. Il y
reporte également la sentence, le chef d’accusation et l’arrêt rendu par
les conseillers de la Cour souveraine. Cotes des registres d’Ecrous
consultés : APP [archives de la préfecture de Police de Paris], AB 75 à AB
115 [1694-1760].
40. Voir, par exemple, les sondages réalisés par Porphyre Petrovitch
dans les archives criminelles du Grand Châtelet (compétent pour le
Grand criminel, dans la juridiction de la vicomté de Paris et ses
faubourgs) pour les années 1755, 1765, 1775, 1785 : A. Abbiatecci et al.,

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Crimes et criminalité en France, xviie-xviiie siècles, Cahier des Annales,


n° 33, Paris, Armand Colin, 1971, p. 235.
41. D. Nolde, «  Le rôle de la violence dans les rapports conjugaux en
France, à la fin du xvie et au début du xviie siècle  », O. Redon, L.
Sallmann et S. Steinberg, Le Désir et le Goût. Une autre histoire (xiiie-
xviiie siècles), Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2005, p.
313.
42. J.-P. Baud, « Du secret de la maison au secret de l’hôpital », Secret
privé et secret politique. L’illusion de la transparence, Cités, n° 26,
2006, p. 15-25.
43. J. Mulliez, «  Droit et morale conjugale  : essai sur l’histoire des
relations personnelles entre époux », Revue historique, t. CCLXXVIII, n°
1, p. 40-41.
44. M. Foucault, Histoire de la sexualité, t. I  : La Volonté de savoir,
Paris, Gallimard, 1976, p. 20.
45. R. Muchembled, L’Invention…, op. cit., p. 92-93.
46. J. Bodin (1530-1596), Les Six Livres de la République, Paris,
Jacques du Puys, 1581-1583, I-IV, p. 29.
47. M. Foessel, « Faire autorité ? », Esprit, mars-avril 2005, p. 7-14.
48. D. Jousse, Traité…, op. cit., t. III, p. 510.
49. R. Muchembled, Le Temps…, op. cit.
50. P.-F. Muyart de Vouglans, Les Loix…, op. cit., p. 32.
51. D. Jousse, Traité…, op. cit., t. III, p. 537.
52. M. Porret, Le Crime et ses circonstances. De l’esprit de l’arbitraire
au siècle des Lumières selon réquisitoires des procureurs généraux de
Genève, Genève, Droz, 1995.
53. D. Jousse, Traité…, op. cit., t. I, p. 3.
54. M. Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile,
criminelle, canonique et bénéficiale, Paris, Demonville, 1784, t. I, p. 192
sq.
55. J.-M. Carbasse, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle,
Paris, PUF, 2000, p. 312-313.
56. P.-F. Muyart de Vouglans, Les Loix…, op. cit., p. 284.
57. D. Jousse, Traité…, op. cit., t. III, p. 639.
58. J. Mulliez, art. cit.
59. M. Daumas, L’Affaire D’Esclans. Les Conflits familiaux au xviiie
siècle, Paris, Éd. du Seuil, 1988, p. 91 sq.
60. P.-F. Muyart de Vouglans, Les Loix…, op. cit., p. 18.

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61. R. Pothier, Traité de la puissance du mari [1772], Œuvres de


Pothier, t. VII, rééd. Paris, M. Siffrein, 1822, p. 445-446.
62. Ibidem, p. 439.
63. Ibid., p. 440.
64. R. Lenoir, «  Politique familiale et construction sociale de la
famille », Revue française de science politique, vol. 41, n° 6, 1991, p. 787.
65. C.-J. de Ferrière, op. cit., t. II, V° « Parricide », p. 289.
66. J.-F. Fournel, op. cit., p. 142.
67. J. Bodin, Les Six Livres de la République [1583], rééd., Paris,
Librairie générale française, 1993, p. 65.
68. J.-F. Fournel, op. cit., p. 138.
69. Ibidem, p. 146.
70. AN, Y 10022, M.-A. de Girard et consorts, interrogatoire, 7 juillet
1710.
71. S. Hanley, «  Engendering the State  : Family Formation and State
Building in Early Modern France », French Historical Studies, vol. 16, n°
1, 1989, p. 4-27.
72. AN, X2b 1290, J. Cocault et al., addition d’information [A. Flacon],
18-07-1721.
73. C. Beccaria (1738-1794), Traité des délits et des peines [1764], éd.
par R. Badinter, Paris, Garnier/ Flammarion, 1991, p. 119 sq.
74. Ibidem, p. 65.
75. J. Commaille et C. Martin, Les Enjeux politiques de la famille,
Paris, Bayard, 1998, p. 23 sq.
76. B. Schnapper, «  La répression pénale au xvie siècle. L’exemple du
Parlement de Bordeaux (15101565)  », Voies nouvelles en histoire du
droit. La justice, la famille, la répression pénale xvie-xxe siècles,
Publications de la faculté de droit de Poitiers, Paris, PUF, 1991, p. 105.
77. Homicide nécessaire, homicide commis par imprudence, ou
homicide volontaire simple sont ainsi distingués : cf. G. Du Rousseaud
de La Combe, op. cit., p. 71 sq.
78. C. Gauvard, « De Grâce especial », Crime, État et société en France
à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991, 2 vol.
79. R. Muchembled, La Violence…, op. cit., p. 183 sq.
80. J. Doyon, «  “Des coupables absolus”  ? La répression du parricide
dans le “système judiciaire” parisien (1680-1760)  », B. Garnot (dir.),
Normes juridiques et pratiques judiciaires du Moyen Âge à l’époque
contemporaine, Dijon, EUD, 2007, p. 191-202.
81. T. Wuillème ( dir.), Autour des secrets, Paris, L’Harmattan, 2004, p
8.
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82. Ibidem, p. 87-99.


83. J.-A. Soulatges, Traité des crimes, divisé en deux parties, Toulouse,
A. Birosse, 1762, t. I, p. 6.

Auteur

Julie Doyon
Du même auteur

De la clandestinité à la
«  fausseté  »  : la fraude
matrimoniale à Paris au xviiie
siècle in Clandestinités
urbaines, Presses
universitaires de Rennes, 2008
© Presses universitaires de Rennes, 2008

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Référence électronique du chapitre


DOYON, Julie. Des secrets de famille aux archives de l’effraction  :
violences intra-familiales et ordre judiciaire au xviiie siècle In  : La
violence et le judiciaire  : Du Moyen Âge à nos jours. Discours,
perceptions, pratiques [en ligne]. Rennes  : Presses universitaires de
Rennes, 2008 (généré le 19 septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/5010>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.5010.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
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La violence et le judiciaire

Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,


pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

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Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

Affaires traitées
par la justice
pénale : les cas de
violence selon les
catégories de la
statistique
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criminelle (France,
1831-1932)
Bruno Aubusson de Cavarlay
p. 223-240

Texte intégral
1 Dès les premières parutions du Compte général de la justice
criminelle1, ses commentateurs ont voulu y voir autre chose
que des comptages d’activité. Celui-ci devait donner une
image chiffrée de l’état moral d’un pays en mesurant la
criminalité. Pourtant, les longues séries proposées ici n’ont
pas l’ambition de mesurer la violence. Plutôt que
d’argumenter en général sur l’impossibilité de cette mesure
avec des données institutionnelles, on observera, à partir des
résultats, une justice pénale confrontée à une demande
importante et croissante et y répondant de façon variable
selon les types d’infractions et selon les périodes. Le partage
entre poursuites et abandon des poursuites sera privilégié.
La sévérité des poursuites ne sera évoquée qu’à propos de la
place des affaires criminelles, ce qui montrera au passage
que les difficultés de mesure ne sont pas moindres pour les
violences les plus graves.

Le Compte général : une source statistique


encore peu exploitée et difficile d’accès
2 À partir de l’année 1831, le Compte général publie, par types
d’infractions, le résultat des poursuites devant les cours
d’assises et les tribunaux correctionnels, ainsi que le nombre
des affaires terminées par abandon des poursuites
(classement ou non lieu). L’addition des deux parties
(affaires jugées ou non poursuivies) mesure les affaires
traitées annuellement. Aux délais de traitement près, cet
ensemble suit la demande reçue par les parquets, et, le Code
d’instruction criminelle imposant aux agents de police
judiciaire le signalement systématique au parquet des
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infractions constatées, pour un type d’infraction donné, la


série des affaires traitées mesure les actes enregistrés par le
système pénal  : cette «  criminalité apparente  » est
aujourd’hui comptée par les statistiques de police judiciaire.
Après 1932, les abandons de poursuite ne sont plus détaillés
par infractions et ce sera donc le terme de la période
d’observation. Il faut attendre la statistique de police pour
retrouver, à partir de 1950, une mesure équivalente mais sur
des bases trop différentes pour prolonger les séries.
3 Les problèmes de méthode sont nombreux, mais les plus
cruciaux pour cerner l’approche judiciaire de la violence sont
relatifs à la catégorisation des infractions. La collecte et la
publication de cette période 1831-1932 n’étant pas fondées
sur une typologie mais sur une simple énumération, la
constitution de séries impose un travail d’inventaire et de
comparaison des rubriques avant toute tentative d’agrégat.
Ceci est partiellement réalisé par la base Davido2 et permet
de proposer des séries pour des catégories d’infractions à
caractère violent. Parmi celles-ci, les homicides volontaires
et les coups et blessures forment le noyau d’un ensemble
plus vaste qu’il faut délimiter compte tenu de la disponibilité
et de la permanence des rubriques statistiques. Finalement,
à côté des atteintes physiques volontaires, seront analysés
les viols et attentats à la pudeur, les outrages et violences à
agents de la force publique, ainsi que les autres atteintes aux
personnes à caractère violent. Leur contenu figure à l’annexe
I avec les données pour 1882, avec la mention des rubriques
exclues pour des raisons de principe ou de faisabilité, ce qui
donne un aperçu de la variété des situations dans lesquelles
un aspect de violence peut être invoqué.
4 Les atteintes qualifiées d’involontaires – liées ou non à la
circulation – sont exclues car ce n’est que récemment que
leur possible connotation violente a été affirmée. De même,
les atteintes sexuelles (au sens actuel) sont détachées d’un
sous-ensemble longtemps qualifié d’atteintes aux mœurs  :
l’outrage public à la pudeur ou le racolage ne sont pas
retenus comme des cas de violence. Un autre choix pourrait
être défendu et mis en œuvre selon les rubriques
disponibles.

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5 Les vols avec violence et certaines au moins des destructions


de biens (incendie par exemple) auraient été rapprochés des
atteintes aux personnes si les rubriques statistiques l’avaient
permis. Dans ce cas, le choix imposé par la statistique ne
doit pas faire oublier l’importance d’un groupe d’infractions
longtemps traitées plutôt comme des atteintes aux biens3 et
devenues aujourd’hui des figures typiques de la violence.
6 À côté des violences et outrages à agents publics, assez bien
isolés dans la statistique, un ensemble éparpillé d’infractions
visant des actes violents à l’égard de l’autorité publique a été
inventorié. Mais dans ce cas, c’est le manque total de
continuité des séries qui empêche d’élargir la rubrique des
violences et outrages. Le vagabondage et la mendicité ne
relèvent pas non plus a priori de la violence, sauf à donner à
celle-ci un sens très large. Cependant, les tableaux
mentionnent parfois les cas accompagnés de violence  : un
problème de frontière résolu par exclusion faute de
continuité des séries.
7 Formellement, la délimitation des autres atteintes violentes
contre les personnes suppose aussi des choix  : certaines
atteintes à un droit des personnes sont exclues par principe
(par exemple l’abandon de famille) tandis que d’autres ont
un lien plus explicite avec la violence mais présentent des
ruptures statistiques. La solution adoptée ici n’est pourtant
pas l’exclusion systématique : l’apparition dans la statistique
de rubriques comme le proxénétisme ou le port d’armes
traduit un mouvement législatif ou une répression accrue
dont les catégories de violence doivent rendre compte. Les
mauvais traitements envers les enfants également, mais ils
sont regroupés avec les atteintes physiques.
8 Les séries des affaires traitées, ventilées entre affaires jugées
et affaires abandonnées, sont présentées en taux rapportés à
la population. Il ne s’agit pas pour autant de mesurer une
fréquence de la criminalité, commise ou enregistrée, au sein
d’une population. Ce calcul suppose seulement que
l’intensité d’un phénomène pour des aires géographiques ou
des périodes différentes est constante si la mesure du
phénomène en valeur absolue est proportionnelle à la
population de ces aires pour ces périodes. La population
française augmente régulièrement de 32,57 millions
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d’habitants en 1831 à 42 millions en 1932. Les séries des


affaires traitées ne présentent pas cette croissance régulière
et le passage des chiffres absolus à des séries en taux ne
change pas radicalement le sens des évolutions observées. La
population «  légale  », celle du territoire national, connaît
cependant des ruptures liées aux modifications territoriales
(1860, 1871, 1919). Les juridictions qui contribuent à la
collecte statistique changent4 et cela peut donc avoir un
impact sur les séries produites  : à cet égard, le calcul d’un
taux permet de faire comme si le résultat était produit à
territoire constant5.

Les atteintes physiques volontaires à la personne


9 Les affaires traitées croissent sur le long terme jusqu’à la
rupture de 1914 (graphique 1). Le taux est multiplié par 2,7
entre 1831 et 1912. La série est très perturbée après la guerre
mais une tendance décroissante semble en voie
d’installation. La proximité sur toute la période 1831-1900
des séries des affaires jugées et abandonnées est
remarquable. Il a tellement été dit que le classement sans
suite augmentait régulièrement tout au long du xixe siècle6
que ce résultat peut surprendre. Il montre l’intérêt d’une
étude par types de contentieux de la fréquence des
poursuites, et donc de ce point de vue, de l’intensité de la
répression pénale7. Entre 1831 et 1900, le taux d’abandon
s’élève d’environ 23 à 63  % des affaires traitées, toutes
infractions confondues. Pour les atteintes physiques
volontaires à la personne, il reste stable autour de 50 %.
10 Parmi les mouvements de plus court terme, un cycle
important de croissance puis décroissance et retour à la
tendance de long terme apparaît de 1848 à 1858. Ce cycle est
présent pour l’ensemble des infractions et il n’entre pas dans
le propos d’une analyse limitée aux violences d’en rechercher
une explication contextuelle. De façon générale aussi, le
début des années 1890 est marqué par une forte croissance
de l’activité policière débouchant sur des procédures de
flagrant délit. Son impact est plus visible sur les infractions
prioritairement visées par cette procédure à partir de 1863
(le vagabondage et la mendicité, mais les vols simples sont

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aussi concernés). Cela peut jouer aussi pour les coups et


blessures volontaires se déroulant dans les espaces soumis à
cette surveillance policière accrue.
Graphique 1. Atteintes physiques volontaires
contre les personnes (taux pour mille habitants)

11 Après 1900 et jusqu’à la rupture de 1914, les affaires


abandonnées prennent plus nettement le dessus : le taux de
classement sans suite augmente de 5 points8 et les affaires
jugées quittent le régime de croissance régulière qu’elles
avaient connu pendant quarante sinon soixante ans. En
résumé, pour les atteintes physiques volontaires, la justice
pénale suit la croissance de la «  demande  » qui lui est
adressée jusqu’à atteindre une limite à la fin du xixe siècle.
La demande continuant à croître significativement, surtout
au milieu de la décennie 1910, le classement sans suite
commence à la réguler.
12 L’étude des motifs d’abandon pourrait confirmer ce point.
Les catégories statistiques sont stables entre 1831 et 1932 si
ce n’est une rupture justement en 1906, avec l’introduction
des modalités «  charges insuffisantes  » et «  en raison de
l’état mental de l’inculpé  » qui se répercute sur les autres
motifs, principalement «  ni crime ni délit  » et «  autre
cause  ». Leur usage pratique, étudié avec soin par André
Davidovitch9, impose une interprétation prudente. En
théorie, trois situations sont possibles : celle où l’auteur reste
inconnu, ce qui empêche toujours le jugement de l’affaire et
également parfois la possibilité de vérifier le bien-fondé de
l’accusation, celle où les faits sont déclarés non passibles de
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sanction, et le reste («  faits sans gravité n’intéressant pas


essentiellement l’ordre public  », «  autre cause  »). Désigné
aujourd’hui par le terme « affaires poursuivables », ce reste
représente pour la doctrine juridique l’application du
principe d’opportunité des poursuites. Cette tripartition
permet une première analyse des abandons de poursuite10.
13 Pour les atteintes physiques volontaires (graphique 2), la
part des abandons « auteur inconnu » est stable avant 1880
puis elle croît jusqu’au moment où la nomenclature des
motifs est modifiée. Ce changement ne saurait expliquer que
leur proportion baisse ensuite jusqu’à la rupture de 1914. De
toute façon, cette configuration d’intervention du système
pénal (signalement des faits mais pas de l’auteur) reste
minoritaire : au maximum, en 1905, à peine 8 % des affaires
traitées. La part des abandons « ni crime ni délit » augmente
aussi après 1880 et donc celle des abandons d’opportunité
diminue. Il est plus difficile de caractériser la période du
début du xxe siècle. La nouvelle rubrique «  charges
insuffisantes » mord en partie sur les « ni crime ni délit ».
Graphique 2. Motifs d’abandon des poursuites -
atteintes physiques volontaires à la personne

14 Après 1906, la baisse de l’ensemble des deux motifs « auteur


inconnu  » et «  ni crime ni délit  » indique que pendant la
période où les abandons sont plus nombreux que les
poursuites, cela vient plutôt d’affaires où les faits sont jugés
de moindre gravité ou bien les charges non clairement
établies. La qualification de coups et blessures peut recouvrir
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des cas de bagarre ou de coups réciproques où chaque


protagoniste apparaît comme auteur et victime
simultanément. Dans ces affaires, un classement aura un
motif relevant autant de l’opportunité stricte que de la
difficulté à établir clairement la responsabilité pénale des
protagonistes. Sans tout rapporter à cette configuration
particulière, il faut conclure de façon générale à
l’augmentation probable entre 1900 et 1912 du signalement
de cas de violences physiques ne débouchant pas sur des
poursuites, faute de caractérisation nette de l’infraction.
15 La comparaison avec les vols et recels (incluant par la force
des choses les vols avec violence) montre l’enjeu de la
sélection des affaires poursuivies. Les affaires traitées sont
nettement plus nombreuses  ; leur croissance est plus forte
(multiplication par 3,6 du taux global de 1831 à 1912) et se
prolonge après la guerre (graphique 3). Cependant, il est
visible que très tôt, seuls les abandons de poursuite ont
alimenté cette croissance. À partir de 1854 les affaires jugées
sont en nombre stable par rapport à la population et
diminuent entre 1892 et 1910. Les abandons viennent de
plus en plus des cas où l’auteur reste inconnu. En 1831, 27 %
des affaires traitées ne sont pas poursuivies faute d’auteur
connu. À partir de 1845 cette part augmente d’abord
lentement, après 1870 la croissance s’accélère. En 1904 déjà,
ces abandons représentent près de 6 affaires de vols sur 10
venues à la connaissance de la justice pénale. Après une
période de stabilité et même une reprise des poursuites
suivant la guerre, la part des auteurs inconnus dans les
affaires traitées reprend sa croissance en toute fin de
période. D’après les données policières fondées sur la notion
d’élucidation, au début des années 1970 environ 4 faits de
vol sur 5 sont signalés au parquet sans auteur connu, ce qui
montre que le mouvement s’est poursuivi ensuite.
Finalement, le rapprochement des affaires jugées pour les
atteintes physiques volontaires et pour les vols et recels est
très instructif (graphique 4).
Graphique 3. Vols et recels (taux pour mille
habitants)

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Graphique 4. Affaires jugées, comparaison des vols


et des atteintes physiques volontaires (nombre
absolus)

16 À partir de 1855, l’écart entre les deux courbes se réduit


lentement et pendant la période 1892-1910 il devient même
assez faible  : il est difficile à ce moment d’affirmer que la
justice pénale favorise la répression du vol par rapport à
celle des atteintes physiques à la personne. Passées la
rupture de 1914-1918 et les turbulences statistiques d’après-
guerre, le rapprochement reprend et au milieu des années
1930, les condamnations pour atteintes physiques
volontaires dépasseront momentanément les condamnations
pour vols.
17 Une présentation fréquente des séries de long terme issues
du Compte général privilégie les poursuites criminelles sur
lesquelles on se base pour affirmer, à la suite de J.-C.
Chesnais11, que les formes de violences les plus graves sont
en déclin à partir de la seconde moitié du xixe siècle. Sur le

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graphique 5 les affaires jugées par les cours d’assises sont


représentées à côté des séries déjà examinées mais ici en
nombres absolus. Les échelles sont différentes car les
affaires criminelles sont rares, et même toujours plus rares
effectivement  : parmi les affaires jugées, celles qui passent
devant les cours d’assises représentent, en ordre de
grandeur, une affaire sur 10 entre 1831 et 1850, une sur 20
au début des années 1860, une sur 40 en 1900. Après une
légère remontée vers 1905 (une sur 35 environ) la période
observée s’achève sur un ratio d’environ une pour 50. Ce
retrait n’est pas propre aux crimes de sang. À partir de 1840,
le contentieux total jugé par les cours d’assises commence à
diminuer et la baisse se poursuit jusqu’au début des années
1960. Rien ne permet d’affirmer que ceci provient d’une
baisse des formes les plus graves de la criminalité.
L’orientation des pratiques judiciaires limite
progressivement le recours à la procédure criminelle soit par
voie législative en transformant certains crimes en délits,
soit par une correctionnalisation de fait des poursuites. Ceci
empêche toute appréciation de la gravité relative des
infractions poursuivies. Dans le cas des homicides (hors
infanticide), la correctionnalisation vise surtout les
tentatives. En reconstituant une série ne comportant pas ces
tentatives et incluant à l’inverse les coups mortels, le résultat
change singulièrement et il s’avère que les homicides
accomplis jugés en assises sont en augmentation entre 1860
et 1910. Il est donc difficile d’affirmer que les cas de
violences les plus graves échappent à la croissance générale.
Graphique 5. Atteintes physiques volontaires
contre les personnes jugées en assises (nombre
absolus)

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Les viols et attentats à la pudeur


18 L’ordre de grandeur des affaires traitées est bien plus faible
puisque seuls des crimes sont comptabilisés (graphique 6).
La forte croissance des affaires traitées entre 1831 et 1858
(multiplication par 4,3) ne doit pas faire oublier que le
maximum atteint pour cette année est d’à peine 2  400
affaires traitées sous la qualification de viol ou d’attentat à la
pudeur. Suit une décroissance plus ou moins régulière qui
n’est jamais remise en cause durablement. Cette baisse vient
au moins partiellement sinon totalement d’un mouvement
de correctionnalisation croissante : ce qui est vrai en général
l’est sans doute plus encore pour les viols et attentats à la
pudeur12. Par ailleurs, il a souvent été souligné à juste titre
que la plus grosse part des atteintes sexuelles réprimées par
les cours d’assises au moment où ces juridictions
fonctionnent à leur plus haut régime pour ce contentieux
(entre 1850 et la fin des années 1870 le nombre d’affaires
jugées augmente malgré la baisse générale du contentieux
criminel) provient des atteintes commises contre des
mineurs (près de 9 affaires sur 10 en 1882). Cette ventilation
n’est malheureusement pas disponible pour les abandons de
poursuite.
Graphique 6. Viols et attentats à la pudeur (crimes)
(taux pour mille habitants)

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19 Pour les viols et attentats à la pudeur, les affaires


abandonnées suivent en gros le mouvement des affaires
jugées entre 1831 et 1879 et se situent à un niveau
équivalent. Le taux d’abandon tend même à se réduire
jusqu’à la fin des années 1870 (de 60 à 50 %, cf. graphique
12). Mais dès la fin des années 1870, la courbe des affaires
jugées s’oriente à la baisse alors que les affaires abandonnées
continuent d’avoir des variations conjoncturelles autour d’un
niveau plus stable, d’où un taux d’abandon apparent en nette
croissance (de 50 à 70 % entre 1880 et 1913). Cependant la
diminution de la répression des infractions sexuelles durant
cette période n’est pas avérée, en raison de l’inconnue
portant sur les affaires correctionnalisées. Il est même
hasardeux d’affirmer quoi que ce soit sur la criminalité
sexuelle enregistrée. En tout état de cause, en prenant en
considération toutes les affaires traitées et non pas
seulement les affaires jugées, il n’y a aucune raison de faire
de la fin des années 1870 un moment clef de l’évolution des
atteintes sexuelles13. Ce qui se modifie à l’évidence à partir
de ce moment est l’organisation de la répression avec,
probablement, un moindre recours aux procédures
criminelles.
20 Parmi les abandons de poursuite, les «  auteurs inconnus  »
prennent une faible part (graphique 7). Une lente hausse est
cependant enregistrée à partir de 1860  : compte tenu de
l’augmentation de la part des abandons, les affaires « auteur
inconnu  » passent d’environ 3  % des affaires traitées en
1860 à 9  % en 1900. Les abandons «  ni crime ni délit  »

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occupent une place significative, en général plus d’un


abandon sur deux avant 1860. La baisse observée ensuite
dans la part globale des abandons, suivie d’une remontée, va
de pair avec un mouvement inverse de la part des « ni crime
ni délit » parmi les abandons de poursuite. Ceci indiquerait
entre 1860 et 1880 une moindre hésitation à retenir la
qualification des faits.
Graphique 7. Motifs d’abandon des poursuites -
viols et attentats à la pudeur

21 Après 1905 la part de ce poste diminue à nouveau, ce qui est


en bonne partie lié à l’apparition de la rubrique «  charges
insuffisantes  » pour les classements sans suite. Pour les
crimes sexuels, les juges d’instruction sont à l’origine d’une
bonne part des abandons de poursuite, ce qui n’est guère le
cas pour les autres catégories étudiées. En 1831, on compte
221 ordonnances et arrêts de non-lieu contre 73 classements
sans suite. Ces derniers augmentent plus rapidement et sont
en nombre égal au non-lieu en 1860 (environ 570). C’est la
baisse du non-lieu qui entraîne la baisse des abandons de
poursuite entre 1860 et 1870. Entre 1874 et 1913, il
représente entre 400 et 500 affaires par an contre 600 à 700
pour le classement. On relève que malgré cette sélection
croissante du parquet, entre 1850 et 1875, la part des
ordonnances de non-lieu motivée par l’insuffisance des
charges passe de 40 à 80  %. À cela s’ajoutant des taux
d’acquittement évoluant entre 20 et 30  % des accusés, la
préférence du parquet pour une correctionnalisation se
comprend.
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Autres atteintes à la personne (menaces, armes,


diffamation et injures, atteintes à la liberté)
22 Les affaires recensées dans cette rubrique sont plus
nombreuses, mais ceci dit moins que les atteintes physiques.
Leur profil d’évolution est encore différent (graphique 8). De
1831 à 1869, la croissance des affaires traitées, visible en
chiffres absolus, est plus modeste en taux par rapport à la
population. Un épisode de croissance plus marquée de 1844
à 1851 est suivi d’une baisse rapide jusqu’en 1855. Après la
perturbation de 1870-1871, la série reprend à un niveau
supérieur mais la stabilité demeure ensuite, au moins en
taux. De 1883 à 1913, cette relative stabilité de long terme
disparaît et les affaires traitées connaissent une envolée : en
une trentaine d’années, le taux par rapport à la population
double. Mais les abandons de poursuite sont seuls
concernés, au moins jusqu’en 1900. Après 1900, la hausse
des affaires jugées vient des ports et détentions d’armes
prohibées nouvellement apparus dans la statistique. Passée
l’interruption de la guerre et les sauts statistiques qui suivent
de 1919 à 1922, le volume des affaires traitées se stabilise à
un niveau relativement élevé.
Graphique 8. Autres atteintes à la personne.
Diffamations et injures, menaces, armes, atteintes
à la liberté, etc. (taux pour mille habitants)

23 Les classements « auteurs inconnus » sont rares sur toute la


période sauf de 1926 à 1929, années pendant lesquelles ils
augmentent pour la rubrique diffamations et injures –
dénonciation calomnieuse avec un mouvement inverse des
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classements motivés par le faible degré de gravité des faits


(graphique 9). En chiffres absolus, il est clair que ce sont les
abandons de poursuite classés «  autres motifs  » qui
alimentent principalement la hausse des affaires traitées et
parmi ces abandons, dont la hausse s’accélère entre 1890 et
1910, les plus nombreux viennent des diffamations et injures
classées en raison de la faible gravité des faits. Dans
l’ensemble, les parquets ne donnent donc pas facilement de
suite à ces signalements dont le nombre s’accroît
rapidement. Les poursuites sont un peu plus fréquentes
devant les tribunaux de police14. Ceci laisse deviner une forte
demande de la part des plaignants sans mise en route d’une
répression significative15.
Graphique 9. Motifs d’abandon des poursuites -
autres atteintes à la personne

24 La pression de cette demande est aussi évaluée par le mode


d’introduction des poursuites devant le tribunal
correctionnel  : affaires jugées à la requête d’une
administration, du ministère public ou d’une partie civile
seule. Globalement, cette dernière voie de poursuite devient
rapidement minoritaire avec la montée en puissance du
ministère public16 mais la proportion reste très variable
selon les types d’infraction. Pour ces autres atteintes à la
personne, les citations de parties civiles représentent
environ 70  % des poursuites correctionnelles et se
maintiennent à ce niveau jusqu’en 1882. Elles concernent
presque exclusivement les diffamations et injures publiques,

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avec un taux de relaxe particulièrement élevé (34  % en


1882). La fin du xixe siècle voit s’amorcer la baisse en
proportion de cette voie de poursuite avec le reflux des
affaires jugées pour diffamations et injures : d’environ 3 000
affaires jugées en 1880, on tombe à 2 000 en 1900 et moins
de 1 500 en 1913. Mais ces affaires de moins en moins jugées
le sont toujours essentiellement sur la requête de la partie
civile et donc sans initiative du parquet.

Violences et outrages envers des fonctionnaires et


agents de la force publique
25 Le mode de signalement dit «  pro-actif  », de la part des
services de police et de gendarmerie essentiellement, ne
permet plus de parler d’une demande adressée au système
pénal. Une interpellation policière est le cadre le plus
probable de ces incidents signalés au parquet. Les poursuites
devant le tribunal correctionnel sont alors assez
systématiques, la part des abandons de poursuite restant
toujours assez faible (entre 10 et 20 %, donc bien en dessous
des autres catégories). Les variations dans les réactions des
agents « victimes » de ces incidents ne sont pas mesurables :
une partie inconnue ne fait l’objet d’aucun signalement17. La
courbe des affaires traitées (graphique 10) est loin d’être
régulière, avec de fortes croissances de brève durée, suivies
de diminution et des paliers à des niveaux assez différents.
Les pics de 1848-1855 et 1871-1878 peuvent être reliés au
contexte politique global et aux activités de maintien de
l’ordre public des services de gendarmerie ou de police. Un
« pic » de moindre ampleur culmine ensuite en 1893 dans la
période de recours accru à la procédure de flagrant délit18.
Enfin, autour de l’année 1907, on peut imaginer que les
interventions policières sont un peu délicates lorsque les
poursuites, et donc les interventions, pour des infractions
violentes se multiplient. Pour les abandons de poursuite, la
distinction devient variable et floue entre les motifs dits de
droit (pas d’infraction) et dits d’opportunité (dont faits sans
gravité). Les bons rapports entre le parquet et les services de
police et de gendarmerie s’accommodent peut-être mieux
des premiers.

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Graphique 10. Outrages et violences à


fonctionnaires et agents de la force publique

Vue globale du contentieux à caractère


violent
26 Chacune des quatre catégories composées en lien avec la
violence a son évolution propre résultant de mouvements
internes divers selon la gravité et le type précis d’infractions.
Leur agrégation, en gommant ces différences, ne fournit pas
un indicateur de violence plus pertinent. Elle mesure
l’importance pour la justice pénale de l’ensemble du
contentieux pour lequel un caractère violent peut être retenu
(graphique 11).
Graphique 11. Ensemble des atteintes violentes à la
personne y compris outrages et violences AFP
(taux pour mille habitants)

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27 C’est une estimation plutôt basse puisque des infractions


telles que les vols avec violence, les incendies volontaires ou
diverses atteintes violentes à l’autorité de l’État n’y figurent
pas. Comparable en ordre de grandeur à celui des vols, cet
ensemble connaît aussi une croissance importante de 1831 à
1913.
28 À la grande différence des vols, les affaires jugées y sont plus
nombreuses que les abandons de poursuite jusqu’en 1900.
Mais dès le début de la IIIe République, les taux d’abandon
augmentent pour le groupe «  autres  » puis pour les crimes
sexuels au début des années 1880 (graphique 12). Au tout
début du xixe siècle, c’est aussi le cas pour les violences et
outrages à agents puis pour les atteintes physiques. Alors
que l’absence d’auteur connu ne motive jamais une part
importante des abandons, la justice pénale paraît devoir
appliquer très largement le principe d’opportunité des
poursuites face à une demande toujours croissante. La fin
des années 1900 marque un tournant et un désengagement
progressif de la répression dans le domaine des violences
contre les personnes. La peine de mort n’est pas abolie par
les députés en 1908 alors que les affaires recensées sont au
plus haut, y compris pour les plus graves. Mais les
indications chiffrées disponibles montrent ensuite une
stagnation ou une décroissance des affaires traitées puis
jugées19. Les premières statistiques de police en 1950
montrent une place encore plus réduite des violences contre
les personnes, que la contraventionnalisation des coups et
blessures avec interruption temporaire de travail de moins
de 8 jours a réduite encore après 1958. La reprise d’une forte
croissance des affaires enregistrées – faits constatés par la
police – n’a eu lieu qu’au milieu des années 1980, imposant
à la justice pénale de trouver de nouvelles réponses lorsque
son incapacité à tout poursuivre est redevenue aussi visible,
sinon aussi mesurable, qu’un siècle auparavant.
Graphique 12. Part des affaires abandonnées par
catégories d’infractions

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Annexe 1. Contenu des catégories


d’infractions liées à la violence.

Résultats pour 1882

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29 Les lignes de ce tableau représentent des regroupements


relativement homogènes des intitulés d’infractions
apparaissant dans le Compte général. Les données de base
sont beaucoup plus détaillées. Les rubriques marquées d’un
tiret ne sont pas utilisées en 1882.

Notes
1. Compte général de l’administration de la justice criminelle en France,
annuel pour les années 1825 à 1978, sauf interruption de 1914 à 1918 et
en 1939 (première publication en 1827).
2. Les séries dites «  générales  », sans détails par infractions, ont été
publiées d’abord  : B. Aubusson de Cavarlay, M.-S. Huré et M.-L.
Pottier, Les statistiques criminelles de 1831 à 1981. La base Davido,
séries générales, Paris, CESDIP, Déviance et contrôle social, n° 51, 1989.
Les séries concernant les abandons de poursuite avec le détail des
infractions sont également publiées par M.-S. Huré, avec la
collaboration de M.-L. Pottier et S. Yordamian, Les abandons de
poursuite avant jugement et leurs motifs (1831-1932), La base Davido :
séries par infractions, Guyancourt, CESDIP, Études et données pénales,
n° 89, 2001. Les séries par infractions concernant le jugement, d’un
volume et d’une complexité plus grands, ne sont pas encore publiées.
3. Le vol avec violence délictuel n’est introduit dans le Code pénal qu’en
1981. Avant c’est un crime et très peu de poursuites retiennent cette
inculpation.
4. En 1870 et 1871, si la réduction du territoire se fait sentir, la
perturbation du fonctionnement de la justice pénale est aussi à l’origine
du fort creux observé sur toutes les données. Pour 1870 et les cinq
premiers mois de 1871, la collecte ne comprend pas le tribunal de Paris
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19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - Affaires traitées par la justice pénale : les cas de violence selon les catégories de la statistique cr…

en raison de l’incendie du palais de Justice. Il reste un problème de 1919


à 1924  : la cour d’appel de Colmar (Moselle, Bas-Rhin, Haut-Rhin) n’a
pas fourni de statistiques mais la population correspondante n’a pu être
exclue du dénominateur.
5. La population totale n’est pas forcément la plus pertinente pour
effectuer les comparaisons temporelles. Le nombre des affaires traitées
peut dépendre de la structure par sexe et par âge de la population. Un tel
effet de structure est imaginable pour la période suivant la Première
Guerre mondiale en raison de l’apparition de « classes creuses » dans la
pyramide par âge mais il n’est pas pris en compte ici.
6. A. Davidovitch et R. Boudon, «  Les mécanismes sociaux des
abandons de poursuite », L’année sociologique, 1964, et principalement :
A. Davidovitch, « Première partie, analyse descriptive », p. 111-210.
7. J.-C. Farcy, «  Le procureur entre l’ordre public et les justiciables  :
plaintes, procès-verbaux et poursuites pénales à Dijon à la fin du xixe
siècle », Crime, Histoire et Sociétés, vol. 9, n° 1, 2005, p. 79-115.
8. Le graphique 12 en fin d’article montre l’évolution des taux d’abandon
pour les 4 catégories étudiées.
9. Op. cit., p. 145-167.
10. Les nouvelles rubriques de 1906 seront incluses avec nos «  autres
motifs  », bien qu’une autre solution puisse être envisagée. Comme le
montrent les travaux d’A. Davidovitch, la rubrique «  charges
insuffisantes » qui est le nœud du problème semble bien avoir « mordu »
à la fois sur les «  ni crime ni délit  » et sur les «  autre cause  ». Il est
impossible d’obtenir une tripartition des abandons de poursuite
vraiment stable dans le temps. Même aujourd’hui, la partition affaires
« poursuivables »/affaires non « poursuivables » n’est pas si limpide que
ce que postule la présentation officielle des statistiques d’activité des
parquets et pourtant, l’efficacité de la justice se mesure à cette aune
(recherche d’un taux de réponse maximal pour les affaires
poursuivables).
11. «  Prolongeant le lent déclin amorcé au xviiie siècle, la grande
violence, celle qui tue ou mutile à vie, recule régulièrement depuis cent
cinquante ans. » J.-C. Chesnais, Histoire de la violence en Occident de
1800 à nos jours, Paris, Robert Laffont, 1981, p. 138. Les cent cinquante
ans vont de 1825 à 1975.
12. Il n’est pas possible de repérer statistiquement sous quelle
qualification sont jugés les crimes sexuels correctionnalisés.
13. En suivant par exemple Jean-Claude Chesnais qui ne craint pas
d’affirmer  : «  Autour de 1880 se produit un tournant majeur dans
l’évolution de la violence sexuelle. En une vingtaine d’années, le nombre
de viols et attentats à la pudeur passibles des assises tombe de moitié. »
Entre 1880 et 1900, le taux des affaires traitées diminue d’un quart
seulement et il avait déjà diminué d’au moins 15  % entre la fin des
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années 1850 et 1880. J.-C. Chesnais, Histoire de la violence…, op. cit., p.


160.
14. Ce sont alors des injures dites « simples », par opposition aux injures
publiques.
15. Ceci n’implique pas que la justice manque totalement de répondre à
l’attente des victimes. Le signalement à la police (ou à la gendarmerie) ou
directement au parquet peut être un élément de résolution d’un conflit
(ou de tentative de résolution) sans que des poursuites soient réellement
souhaitées. Le recensement abstrait des abandons de poursuite n’indique
pas ce qui est fait par l’institution (police ou parquet) avant une décision
de classement.
16. B. Aubusson de Cavarlay, « La mise en place du ministère public en
France et son évolution d’après les statistiques pénales, 1831-1932  »,
IAHCCJ Bulletin, n° 18, printemps 1993, p. 114-142.
17. Une résistance violente à l’intervention policière, par exemple pour
un vol, peut provoquer seulement un traitement plus sévère sans
inculpation spécifique (garde à vue plutôt que simple audition,
défèrement plutôt que remise en liberté). La collaboration (y compris en
termes d’aveu) du prévenu est en général retenue en sa faveur dans le
choix des poursuites. L’inculpation formelle pour rébellion, violence ou
outrage à fonctionnaire permet une sévérité accrue dans le choix des
poursuites lorsque l’infraction initiale est moins grave juridiquement
parlant. Exemple : une interpellation pour ivresse publique se terminant
par des poursuites pour outrages.
18. Cette caractérisation n’épuise évidemment pas la description du
contexte, notamment sur le plan économique.
19. Après la rupture statistique de 1933, on peut encore voir la
décroissance du taux des condamnations.

Auteur

Bruno Aubusson de Cavarlay


© Presses universitaires de Rennes, 2008

Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

Référence électronique du chapitre


CAVARLAY, Bruno Aubusson de. Affaires traitées par la justice pénale :
les cas de violence selon les catégories de la statistique criminelle
(France, 1831-1932) In  : La violence et le judiciaire  : Du Moyen Âge à
nos jours. Discours, perceptions, pratiques [en ligne]. Rennes : Presses
universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19 septembre 2021).

https://books.openedition.org/pur/5012 23/24
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Disponible sur Internet  : <http://books.openedition.org/pur/5012>.


ISBN : 9782753530546. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.5012.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
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La violence et le judiciaire

Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,


pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

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Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

La violence entre
hommes et la
justice au Québec
1780-1860
Donald Fyson
p. 241-249

Texte intégral

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1 La violence entre individus masculins est une constante de la


société québécoise depuis les débuts de la colonisation
européenne. Toutefois, les rapports de ce phénomène avec la
justice pénale se modifient au cours de la période qui s’étend
de 1780 à 1860, période qui correspond à la transition d’une
justice d’ancien régime à une justice plus moderne1. Dans ce
texte, je me propose d’explorer cette transformation, en
présentant certains résultats préliminaires de mes
recherches sur la violence au Québec2.
2 Commençons par une anecdote, tirée des Mémoires de
Philippe Aubert de Gaspé3. Publiés en 1866, ces mémoires
comptent parmi les meilleurs portraits littéraires de la
société québécoise du début du xixe siècle. Aubert de Gaspé
est avocat, seigneur et membre de l’élite canadienne, c’est-à-
dire francophone, de la ville de Québec. Pour rédiger ses
Mémoires, il puise dans ses souvenirs de jeunesse pendant le
premier tiers du xixe siècle pour présenter une série de
vignettes de la vie dans la « capitale du Canada ». Une de ces
vignettes décrit une escarmouche survenue en 1812 entre un
matelot britannique anonyme (mais que les sources
judiciaires permettent d’identifier comme étant Richard
Smith) et Marc-Pascal de Sales Laterrière, un médecin et
ami de l’auteur. Suite à une bousculade, Laterrière terrasse
le matelot ivre, lui cassant la mâchoire en trois morceaux.
Ensuite, agissant à titre de médecin, il répare les dommages
qu’il a causés. Le menton du matelot reste néanmoins
déformé et celui-ci décide de poursuivre Laterrière en
justice, devant le tribunal pénal de la ville. Le juge qui
préside la cause est le magistrat de police de la ville de
Québec, le Britannique John Fletcher, qu’Aubert de Gaspé
décrit comme «  l’Anglais le plus préjugé contre les
Canadiens que j’aie connu  ». Devant le jury, Aubert de
Gaspé, qui agit comme avocat pour son ami, déclare que
«  […] le prévenu avait été provoqué à un combat que tout
jeune homme, qui a du sang dans les veines, ne pouvait
refuser sans pusillanimité  ; que le combat avait été
franchement accepté par les deux parties, que le prévenu ne
pouvait prévoir que le menton du plaignant fût fragile
comme du verre, et que si c’était un assaut, les jurés devaient
le considérer comme justifiable sous les circonstances ».
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3 Aubert de Gaspé poursuit :


«  J’étais très satisfait de ce plaidoyer, dont j’attendais les
plus heureux effets au bénéfice de mon client, lorsque
Fletcher […] fit une charge à fond contre le malheureux
esculape, déclarant que c’était son opinion bien arrêtée
qu’un bras canadien n’aurait jamais, sans l’aide d’un
cailloux, d’une pierre ou de tout autre corps aussi solide,
broyé la mâchoire d’un matelot britannique qui avait bravé
tant de tempêtes. »

4 Les jurés trouvèrent Laterrière coupable et Fletcher ainsi


que les autres magistrats sur le banc le condamnèrent à
payer une amende considérable de quinze livres.
5 Cet incident somme toute assez banal soulève cependant une
foule de questions concernant la nature et la fréquence de la
violence entre hommes dans la société québécoise, la
construction de la masculinité canadienne et britannique
ainsi que les rapports entre les hommes et la justice officielle
dans la colonie. La violence interpersonnelle est très
présente dans les Mémoires, mais il s’agit presque
exclusivement d’un phénomène masculin. Dans les
Mémoires, la violence apparaît comme un élément normal et
habituel des rapports entre hommes appartenant à toutes les
classes de la société, médecins comme marins. Une
particularité, toutefois, est à signaler  : la plupart des actes
violents décrits dans les Mémoires concernent les rapports
conflictuels entre les différents groupes ethniques qui
composent la société coloniale. Depuis la Conquête de 1759-
1760, le Québec est une colonie britannique. La population
européenne, entièrement francophone au milieu du xviiie
siècle, est devenue mixte au milieu du xixe, avec trois quarts
de francophones pour un quart d’anglophones. Dans un
contexte marqué par des luttes fréquentes entre Canadiens
et Britanniques pour le pouvoir politique et économique, des
incidents interethniques violents sont souvent rapportés par
la presse ou par des commentateurs comme Aubert de
Gaspé. En bon Canadien, ce dernier prétend que dans leurs
comportements violents, ses compatriotes se distinguent
nettement des Britanniques et autres étrangers. Selon
l’image qu’il présente, les Canadiens sont forts et
honorables, toujours prêts à se défendre, mais dédaigneux
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des armes utilisées par les Européens, comme les poignards,


les épées ou les pistolets ; bref, il s’agit d’hommes virils. De
plus, les Canadiens qui apparaissent dans les Mémoires
semblent peu enclins à faire appel à la justice d’État dans des
causes de violence interpersonnelle. Tel que l’exemple de
Fletcher le suggère, cette justice les sert assez mal. Cela
semble être aussi, selon Aubert de Gaspé, une question de
culture, car un homme honorable répugne à recourir aux
autres pour régler ses disputes. Dans les Mémoires, même
un magistrat canadien est porté à régler les disputes par la
force plutôt qu’au moyen d’une procédure, attitude
qu’Aubert de Gaspé semble approuver. Enfin, dans la toute
dernière vignette des Mémoires, on voit un apprenti
cordonnier canadien maîtriser par la force un fils ou neveu
du célèbre homme politique anglais Edmund Burke. Plutôt
que de se défendre en gentleman britannique, l’Anglais finit
par menacer d’appeler la garde, ce qu’Aubert de Gaspé ne
manque pas de souligner.
6 Dans une certaine mesure, les incidents rapportés par
Aubert de Gaspé se reflètent dans les causes de violence
entre hommes conservées dans les archives des tribunaux
pénaux du Québec4. Parmi les plaintes pour violence portées
par des hommes contre d’autres hommes au Québec
pendant la première moitié du xixe siècle, on note en effet
une forte surreprésentation de plaignants britanniques par
rapport à leur poids démographique. Au cours des années
1830 et 1840, entre la moitié et les deux tiers des plaignants
sont des anglophones, alors que ces derniers représentent
peut-être le quart de la population de la colonie.
Globalement, les Canadiens semblent donc beaucoup moins
enclins que les Britanniques à avoir recours aux tribunaux
quand ils sont agressés par d’autres hommes.
7 Mais comme on le verra, ce portrait global est trompeur.
Examinons d’abord la volonté des hommes au Québec de se
plaindre devant les tribunaux de la violence physique
mineure commise contre eux par d’autres hommes (voies de
fait diverses, coups, menaces, etc.). Bien entendu, la
fréquence de ces recours reflète davantage les rapports avec
le système judiciaire que le niveau réel de violence. Durant
notre période, ces recours sont en hausse, quoique pas de
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manière constante. La différence principale s’observe entre


les xviiie et xixe siècles, et notamment à partir des années
1810. Pendant les années 1780, à Montréal comme à Québec,
peut-être une quinzaine ou une vingtaine d’hommes bon an
mal an sont accusés devant les tribunaux par d’autres
hommes pour de tels délits. Au milieu des années 1810, c’est
plutôt entre cent et deux cents individus dans chaque ville, et
à partir des années 1830, au-delà de trois cents. Cela
représente une multiplication par quinze sur cinquante ans,
tandis que la population de la colonie et des villes est
devenue environ cinq fois plus nombreuse. Il y a donc de
toute évidence une volonté accrue de la part des hommes de
porter plainte devant les tribunaux contre d’autres hommes
plutôt que de régler ces affaires eux-mêmes.
8 Cette hausse des recours aux tribunaux est d’autant plus
frappante que les taux d’homicide suggèrent une baisse de la
violence dans la société québécoise pendant cette période,
notamment chez les hommes. Bien que les données soient
encore trop fragmentaires pour permettre des calculs précis,
jusqu’en 1800, le taux d’homicide au Québec (qui est très
largement une affaire d’hommes) se situe entre 2 et 2,5 par
100  000 personnes par an, chiffre semblable à ceux de
l’Angleterre dans la première moitié du xviiie siècle et aussi
de la Nouvelle-France avant la Conquête5. Mais comme
ailleurs en Occident, ce taux diminue par la suite : dans les
années 1850, on relève 1 à 1,5 homicides par 100  000
personnes par année.
9 Cela semble donc un cas assez net du processus de
civilisation des comportements masculins  : à savoir, un
recours accru à la justice pour des causes mineures associé à
une baisse simultanée de la violence meurtrière6. Toutefois,
la croissance de la volonté de recourir à la justice semble
cesser à partir de la fin des années 1830, avec un
plafonnement du nombre de recours. Dans la ville de
Québec, par exemple, le nombre d’incidents violents
mineurs entre hommes portés devant la justice ne semble
pas beaucoup augmenter entre 1835 et 1855, alors que
pendant la même période, la population de la ville passe de
29  000 à 48  000 habitants, soit une croissance d’environ
60 %. En termes relatifs, il semble donc y avoir un net recul
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des recours en justice à Québec. À Montréal, la situation est


moins claire, mais le taux de recours aux tribunaux pour
violences mineures semble avoir légèrement diminué entre
1835 et 1860. Ce plafonnement – ou peut-être même recul –
est significatif, car comme nous le verrons, c’est précisément
à partir des années 1840 que le droit pénal, les tribunaux et
la police subissent des réformes majeures censées
moderniser la justice pénale afin de la rendre plus rapide,
plus efficace et plus accessible.
10 Tout au long de la période, les hommes, qu’ils soient
canadiens ou britanniques, ont généralement recours aux
tribunaux pour des violences assez mineures  ; il s’agit
davantage de gestes agressifs ponctuels que d’actes motivés
par l’honneur ou la vengeance. Tout au plus le tiers des
incidents impliquent l’utilisation d’armes autres que les
poings et les pieds et très peu de plaintes ou d’autres
témoignages semblent faire état du langage d’honneur, à
part les duels entre membres des élites. Contrairement à ce
qui est souvent postulé pour les sociétés d’ancien régime, ce
ne sont donc pas les violences les plus extrêmes qui se
retrouvent devant les tribunaux. À l’opposé, on y voit surtout
des actes de violence très communs, banals même, issus des
rapports ordinaires et quotidiens entre hommes7. De plus,
dans la très grande majorité des cas, les hommes se
plaignent dans un délai très bref. Cela suggère que pour les
hommes qui sont victimes d’agressions, le recours à la
justice pénale, loin d’être une solution de dernier ressort, est
en voie de devenir une réponse de choix, de plus en plus
intégrée aux mécanismes de règlement des conflits.
11 Précisons également que les hommes provenant de toutes les
classes sociales ont recours aux tribunaux. Il semblerait
même que les membres des élites aient davantage tendance
à éviter les tribunaux que les classes populaires, afin de se
faire justice entre eux. En effet, la culture du duel est
fortement ancrée parmi les hommes des élites, tant chez les
Canadiens que chez les Britanniques, et connaît même une
certaine renaissance pendant la première moitié du xixe
siècle8. Toutefois, cela n’empêche pas quantité de seigneurs,
marchands, notaires et autres élites de poursuivre d’autres
hommes devant les tribunaux pour divers types de violence.
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12 Il nous reste à examiner la différence entre Canadiens et


Britanniques, car les premiers semblent beaucoup moins
souvent avoir recours aux tribunaux. La réponse facile serait
de dire qu’il s’agit d’un système de justice britannique, qui
applique des lois anglaises, est administré en anglais et est
incarné par des juges francophobes comme Fletcher  ; bref,
un système qui, par sa nature même, rebuterait les
Canadiens. Cette interprétation, toutefois, s’avère
inadéquate, car jusque dans les années 1830 au moins, une
bonne partie des magistrats sont plutôt des Canadiens, les
tribunaux fonctionnent dans les deux langues et le droit
concernant la violence mineure ne diffère pas tellement dans
les systèmes juridiques anglais et français9. D’ailleurs, une
partie des Britanniques qui portent plainte sont des
Irlandais, également susceptibles d’être rebutés par la justice
anglaise. Il faut donc chercher une explication ailleurs.
13 Il est d’abord nécessaire de préciser que les Canadiens sont
tout de même nombreux à porter plainte, et le nombre de
cas va en augmentant. Jusque dans les années 1810, ils
forment la grande majorité des plaignants ; ce n’est qu’avec
l’arrivée massive d’immigrants britanniques, à partir des
années 1810, que ces derniers commencent à être les plus
nombreux dans les plaintes. Tout au long du premier tiers
du xixe siècle, on observe une croissance assez constante du
nombre d’hommes canadiens qui portent plainte  ; la
croissance est simplement plus forte du côté des hommes
britanniques.
14 Il faut également souligner que lorsque les hommes
canadiens ou britanniques portent plainte, les conflits entre
les deux groupes ne constituent pas le motif dominant.
Parmi les milliers de documents qui composent les archives
judiciaires de l’époque, on peut bien sûr trouver des cas qui
témoignent de ces tensions. Prenons par exemple la plainte
déposée en 1810 par John McDonald et Michael Cameron
contre Jacques Gagné, jeune cordonnier de Québec et,
semble-t-il, tapageur notoire. Gagné est accusé d’avoir
déclaré : « Si tous les Canadiens voulaient dire comme moi,
on ravagerait tous les Anglais  ; j’irais à la tête et je tirerais
moi-même sur le gouverneur.  » Et aussi  : «  Si je pouvoit
faire un fusil capable de tuer 25 anglois à la fois, je le ferois
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et si tous les Canadiens étoit comme moi je serai le premier


de faire cela10.  » Mais ce type de cas constitue l’exception.
Globalement, le quart seulement des plaintes pour violence
entre hommes sont de de cette nature  ; trois plaintes sur
quatre impliquent donc des partis appartenant au même
groupe.
15 Notons enfin que la variation entre les deux groupes reflète
aussi la distribution géographique variable des groupes. Les
Britanniques sont concentrés avant tout dans les villes, où ils
forment de 40 % à 60 % de la population pendant les années
1830 et 1840, contre 5 % à 10 % dans les campagnes. Or, les
hommes vivant en milieu urbain, qu’ils soient canadiens ou
britanniques, sont beaucoup plus portés à avoir recours aux
tribunaux. Cela reflète leur urbanité plutôt que leur ethnie,
car ce biais urbain s’observe autant chez les francophones
que chez les anglophones et existait déjà avant la Conquête.
Ce phénomène n’explique pas entièrement la
surreprésentation des plaignants britanniques, mais
constitue néanmoins un facteur très important.
16 Comment expliquer ce recours de plus en plus fréquent à la
justice d’État, notamment en ville et davantage chez les
Britanniques  ? Après tout, cela semble aller à l’encontre de
nos perceptions de valeurs masculines comme la virilité,
l’honneur ou l’indépendance qui prévalent autant chez les
Britanniques que chez les Canadiens et ne concorde pas avec
l’image que l’on se fait du rapport entre les sociétés plus
traditionnelles et l’État. Un vrai homme ne doit-il pas régler
ses conflits lui-même  ? La transformation profonde des
valeurs masculines est certainement en cause11, mais il y a
également d’autres facteurs.
17 Tout d’abord, la surreprésentation des hommes des milieux
urbains devant les tribunaux reflète en partie l’existence de
tensions sociale plus aiguës dans les villes. Le taux
d’homicide dans les villes québécoises pendant la période est
considérablement plus élevé que dans les campagnes – entre
trois et six fois plus –, tout comme c’est le cas dans plusieurs
villes américaines du Nord-Est. On doit aussi tenir compte
de la nature variable des populations. Les Britanniques sont
pour la plupart des immigrants récents, en bonne partie des
Irlandais, souvent assez pauvres, qui disposent d’un réseau
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communautaire et familial moins développé que les


Canadiens  ; il est donc compréhensible qu’ils fassent
davantage appel aux tribunaux.
18 Mais on peut aussi attribuer ce recours à la nature
changeante du système judiciaire et à la manière dont la
justice traite ces causes de violence mineure entre hommes.
En effet, le biais urbain/rural s’explique en partie par les
conditions d’accès à la justice, qui sont plus favorables en
ville. Depuis la Conquête, on y trouve des juges de paix
urbains devant qui on peut porter plainte ; à partir de 1810
et jusqu’en 1830, il y a des bureaux de police ouverts à
heures fixes avec des magistrats salariés pour recevoir les
plaintes  ; à partir de 1841, on trouve de nouveau des
magistrats salariés dans les deux grandes villes qui peuvent
traiter eux-mêmes les causes de violence mineure. En
campagne, il existe certes un réseau de juges de paix, mais il
est moins facile d’accès et ne possède aucune magistrature
professionnelle permanente avant la fin des années 1850. À
partir de 1810 en particulier, les citadins peuvent donc plus
facilement porter plainte.
19 Il faut également prendre en compte l’attitude du système
judiciaire envers les causes de violence interpersonnelle.
Tout au long de la période, ces causes sont considérées
comme étant surtout de nature civile, même si elles sont
traitées par la justice pénale. Canadiens comme
Britanniques sont des utilisateurs habituels de la justice
civile et le transfert de ces habitudes vers le pénal est assez
aisé. L’initiative est donc laissée aux parties, tout comme les
coûts, ce qui permet l’insertion de ce système étatique dans
un processus plus large d’exercice du pouvoir sans que celui
qui porte plainte ne cède son contrôle.
20 Prenons comme exemple le rôle de la police. En général,
jusqu’à la fin des années 1830, dans presque toutes les
causes de violence mineure du moins, les connétables
procèdent à une arrestation uniquement après que la victime
ait porté plainte devant un magistrat ; il s’agit d’un système
policier réactif, du moins en ce qui concerne la violence entre
hommes. Dans la plupart des cas, le plaignant doit lui-même
assumer les frais de l’arrestation, bien qu’il puisse se faire
rembourser par la suite. À partir de 1838, un grand
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changement s’opère qui marque la transition définitive d’une


police d’ancien régime à une police moderne. De nouvelles
forces policières sont instaurées dans les villes, avec un rôle
plus proactif. Les policiers arrêtent donc, de leur propre
initiative, quantité d’ivrognes et de vagabonds et, bien
évidemment, des hommes qui leur résistent12. Mais ils ne
semblent pas agir de manière proactive dans les cas de
violence entre hommes  : ils portent peu d’attention aux
hommes qui se battent sauf si ceux-ci incommodent les
passants ou encombrent les rues. Cela se voit dans les
statistiques d’arrestations que les polices municipales
commencent à produire pendant les années 1840 : au début,
les voies de fait ordinaires n’y figurent même pas, peut-être
parce que les coûts de ces arrestations sont encore défrayés
par les victimes13. L’instauration de la nouvelle police
modifie donc peu les rapports des hommes avec la police
dans les cas de violence interpersonnelle mineure. Par
contre, la police intervient beaucoup plus souvent pour des
infractions comme l’ivresse ou la conduite désordonnée, ce
qui entraîne un certain climat de méfiance et de résistance
envers cette nouvelle police.
21 Dans les tribunaux aussi, jusqu’aux années 1830, l’initiative
dans les causes de violence interpersonnelle mineure est très
largement laissée au plaignant, qui peut abandonner la
poursuite à n’importe quel moment. La grande majorité des
plaignants, jusqu’aux trois quarts ou plus, se contentent
alors de faire arrêter leur adversaire, ce qui ne coûte pas très
cher, mais ne poussent pas la cause jusqu’à un procès formel
devant juge et jury, procédure beaucoup plus coûteuse qui
peut prendre des mois. Cet état de fait choque les
réformateurs utilitaristes du xixe siècle, qui y voient un
exemple parfait de système judiciaire irrationnel d’ancien
régime. À partir du début des années 1840, le système est
donc modernisé : on instaure pour plusieurs types de causes,
y compris les voies de fait ordinaires, un nouveau système de
justice plus expéditif, calqué sur les tribunaux de police
anglais et américains, qui permet une décision formelle
beaucoup plus rapide et également moins onéreuse. Du
point de vue organisationnel, la justice est devenue
beaucoup plus axée sur la certitude et la rationalité14.
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22 Toutefois, dans les causes de violence mineure entre


hommes, le changement est moins dramatique, du point de
vue du plaignant et même de l’accusé. Certes, une fois mis en
route, le processus échappe davantage au contrôle des
plaignants. Mais, comme auparavant, c’est au plaignant que
revient l’initiative de lancer la poursuite  ; sans son
témoignage, aucune démarche judiciaire n’est possible. Les
coûts des procès dans ces causes, bien qu’ils aient diminué,
sont encore le plus souvent défrayés par les parties. Par
ailleurs, en ce qui concerne les peines imposées, on observe
peu de changements. Avant la réforme, elles sont toujours
relativement légères, sauf dans les cas de meurtres, de
blessures sérieuses ou d’attaques contre les autorités. La
peine normale pour voies de fait est une légère amende
(quelques shillings, soit l’équivalent de deux ou trois jours de
salaire pour un journalier), ou encore l’imposition d’une
caution pour garder la paix  ; l’emprisonnement est assez
rarement utilisé. Ces pratiques ne changent pas tellement
après la réforme du début des années 1840  : les mêmes
sanctions sont imposées et, bien que l’amende devienne plus
fréquente que la caution, le coût réel pour l’accusé reste
semblable. L’instauration de réformes administratives visant
à moderniser la justice n’a donc pas donné lieu à un
bouleversement du vécu de la justice pénale par les hommes
qui s’accusent de violence mineure, et n’a pas non plus
produit de changement fondamental dans les perceptions
judiciaires de la violence entre hommes.
23 Pour conclure, on peut affirmer que la période 1780-1850 est
caractérisée par une croissance importante de la volonté des
hommes québécois d’avoir recours à la justice officielle de
l’État lorsqu’ils sont agressés par d’autres hommes  ; ce
phénomène reflète un processus de civilisation et une
transformation des idéaux de la masculinité. Cette
croissance débute dans le premier tiers du xixe siècle, c’est-à-
dire à la fin de l’ancien régime, et bien qu’elle soit modulée
par plusieurs facteurs, notamment l’appartenance ethnique
et le lieu de résidence, elle est incontestable. À partir des
années 1840, en dépit de l’instauration de la nouvelle police
et d’une justice pénale plus moderne, on assiste toutefois à
un plafonnement et peut-être même à un recul de ce
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recours  ; comme si les hommes du Québec, qu’ils soient


d’origine canadienne ou britannique, avaient commencé à
intégrer l’utilisation de la justice pénale pendant le premier
tiers du xixe siècle  ; c’est un changement culturel profond
qui est également reflété dans la diminution des taux
d’homicide. Mais la modernisation institutionnelle des
années 1840, avec la mise en place d’une police davantage
proactive, qui se concentre sur l’arrestation de vagabonds et
d’ivrognes, et l’instauration d’une justice plus expéditive,
semble avoir suscité une certaine résistance, qui expliquerait
peut-être le plafonnement constaté. Dans le cas du Québec,
la justice d’ancien régime semble autant, sinon plus
accueillante pour les hommes que celle de l’État moderne, et
paraît plus susceptible de les amener à intégrer davantage la
justice officielle au règlement de leurs conflits mineurs avec
d’autres hommes. Peut-on pour autant parler d’une véritable
résistance envers le système ? Ou d’autres facteurs ont-ils pu
jouer, comme la présence d’une nouvelle force policière qui
agirait davantage comme médiateur informel  ? La réponse
reste à déterminer.

Notes
1. Voir entre autres mon livre, Magistrates, Police, and People  :
Everyday Criminal Justice in Quebec and Lower Canada, 1764-1837,
Toronto, Osgoode Society/Toronto UP, 2006. Pour des raisons d’espace,
les références bibliographiques ont été réduites au minimum ; la plupart
des informations sur la justice pénale au Québec avant 1840 proviennent
du livre.
2. Les réflexions présentées ici ne portent que sur la violence entre
hommes, la question de la violence contre les femmes étant traitée
ailleurs dans mes propres travaux et également dans l’historiographie.
Voir ibid., p. 279-284, 295-302  ; K. Harvey, «  Amazons and Victims  :
Resisting Wife-Abuse in Working-class Montreal, 1869-1879 », Journal
of the Canadian Historical Association, vol. 2, 1991, p. 131-148  ; I. C.
Pilarczyk, « Justice in the Premises » : Family Violence and the Law in
Montreal, 1825-1850, thèse de doctorat, université McGill, 2003.
3. P. Aubert de Gaspé, Mémoires, Ottawa, G. E. Desbarats, 1866.
4. Les principales archives judiciaires exploitées dans le cadre de mes
recherches sont celles de Bibliothèque et Archives nationales du Québec,
Centres d’archives de Québec et de Montréal, notamment les fonds des
sessions trimestrielles de la paix, TL31 (à Québec) et TL32 (à Montréal).

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5. Pour une synthèse récente sur l’Angleterre, voir R. Roth, « Homicide


in Early Modern England, 1549-1800  : The Need for a Quantitative
Synthesis », Crime, Histoire et Sociétés, vol. 5, n° 2, 2001, p. 33-67. Pour
la Nouvelle-France, le taux est calculé à partir des données présentées
dans A. Lachance, Crimes et criminels en Nouvelle-France, Montréal,
Boréal Express, 1984.
6. Pour une discussion récente du processus de civilisation, P.
Spierenburg, « Violence and the Civilizing Process : Does It Work ? »,
Crime, Histoire et Sociétés, vol. 5, n° 2, 2001, p. 87-105.
7. Pour une discussion plus approfondie de la nature physique de la
violence entre hommes, voir D. Fyson, «  Blows and Scratches, Swords
and Guns  : Violence Between Men as Material Reality and Lived
Experience in Early Nineteenth-Century Lower Canada  »,
communication présentée à la réunion annuelle de la Société historique
du Canada, université de Sherbrooke, mai 1999, disponible à l’adresse
suivante : http ://www.hst.ulaval.ca/profs/dfyson/violence.htm.
8. Voir à cet égard J. C. Chapman, Gentlemen, Scoundrels, and
Poltroons  : Honour, Violence, and the Duel in Nineteenth Century
British North America, mémoire de maîtrise, université Dalhousie, 1994
et J.-F. Mathieu, Le duel au Canada, pratique et discours, 1646-1888,
mémoire de maîtrise, université de Montréal, 2005.
9. L’attitude des Canadiens envers la justice criminelle britannique est
explorée dans D. Fyson, op. cit.
10. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de
Québec, TL31,S1,SS1 #4649-4650.
11. Voir sur ce point l’article de R. Shoemaker, « Male Honour and the
Decline of Public Violence in Eighteenth-Century London  », Social
History, vol. 26, n° 2, 2001, p. 190-208.
12. A. Greer, «  The Birth of the Police in Canada  », A. Greer et I.
Radforth (dir.), Colonial Leviathan  : State Formation in Mid-
Nineteenth-Century Canada, Toronto, Toronto UP, 1992, p. 17-49  ; M.
McCulloch, « Most Assuredly Perpetual Motion : Police and Policing in
Quebec City, 1838-58 », Revue d’histoire urbaine, vol. 19, n° 1, 1990, p.
100-112 ; M. Dufresne, « De la police de la cité à la police de la ville : la
nouvelle police à Québec dans la première moitié du 19e siècle  » et D.
Dicaire, « L’apparition de la police à Montréal au xixe siècle », P. Fraile
(dir.), Modelar para gobernar : el control de la población y el territorio
en Europa y Canadá  : una perspectiva histórica (= Régulation et
gouvernance : le contrôle des populations et du territoire en Europe et
au Canada  : une perspective historique), Barcelone, Presses
universitaires de Barcelone, 2001, p. 125-135 et 137-144.
13. Voir par exemple les rapports pour 1849 et 1850, archives de la ville
de Montréal, VM43 S4 D10.

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14. M. Dufresne, « La réforme de la justice pénale bas-canadienne : le


cas des assauts communs à Québec  », Revue d’histoire de l’Amérique
française, vol. 53, n° 2, 1999, p. 247-275.

Auteur

Donald Fyson
Du même auteur

La police au Québec, 1760-


1878  : des modèles impériaux
dans une colonie nord-
américaine in Polices
d’Empires, Presses
universitaires de Rennes, 2012
Le «  Gros Village  » et la
Métropole in Pour une histoire
du risque, Presses
universitaires de Rennes, 2012
Beccaria contre Howard  ? La
réforme pénale au Québec
(1760-1841) in Cesare Beccaria,
Presses universitaires de
Rennes, 2015
© Presses universitaires de Rennes, 2008

Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

Référence électronique du chapitre


FYSON, Donald. La violence entre hommes et la justice au Québec 1780-
1860 In  : La violence et le judiciaire  : Du Moyen Âge à nos jours.

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Discours, perceptions, pratiques [en ligne]. Rennes  : Presses


universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19 septembre 2021).
Disponible sur Internet  : <http://books.openedition.org/pur/5014>.
ISBN : 9782753530546. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.5014.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
Compatible avec Zotero

La violence et le judiciaire
Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,
pratiques

Ce chapitre est cité par


Fyson, Donald. (2014) Between the Ancien Régime and Liberal
Modernity: Law, Justice and State Formation in colonial Quebec,
1760-1867. History Compass, 12. DOI: 10.1111/hic3.12154

La violence et le judiciaire
Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,
pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

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Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

Tuer sans intention


de tuer : quand
l’intention, et non
l’effet, construit le
crime
Jean-François Tanguy
p. 251-263

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Texte intégral

Naissance d’une qualification, naissance


d’un crime
1 À quelle(s) fin(s) est destiné le châtiment ? Il existe au moins
deux raisons de fond  : d’abord, une forme d’expiation à
l’égard de qui aurait troublé l’ordre voulu par Dieu (les
dieux)  ? Il est certain que cette finalité de type religieux a
longtemps prédominé et qu’elle conserve encore une
présence inconsciente (voire semi-consciente) dans la façon
dont nos contemporains se représentent la punition d’un
crime ou d’un délit. On la retrouve dans la fameuse
expression « payer sa dette à la société » qui n’a de sens que
dans le cadre d’une sécularisation de la majesté divine dont
le viol implique réparation symbolique. L’hypothèse
rationaliste qui assimilerait cette « dette » à un échange de
service tel que le définissent les solidaristes ne tient pas ici.
« L’objet du quasi-contrat social est donc en somme celui de
tout contrat d’échange valable ment consenti : c’est d’établir
entre les services que, par le fait de la solidarité naturelle,
chacun rend à tous et ceux que tous rendent à chacun, ce
rapport de justice – l’équivalence – qui peut seule
déterminer de part et d’autre le libre con sentement1. »

2 Mais le condamné ne «  donne  » rien à la société que sa


souffrance ou sa mort qui ne peuvent en aucun cas
constituer un don pour qui que ce soit – ou alors il faudrait
considérer que chaque condamné est un Christ en puissance,
un sacrifié.
3 La seconde raison est que la peine est un substitut à la
vengeance2. Cela reste tout à fait vrai de nos jours même si
ce n’est que rarement mis en avant, voire nié, même si
l’archaïsme même de cette position amène les protagonistes,
juges, victimes, opinion à ne pas l’invoquer alors qu’elle est
toujours présente.
4 Si l’on écarte ces archaïsmes affirmés ou sous-jacents, le
châtiment contemporain répond concrètement,
principalement, à trois autres buts. D’abord, dissuader les
candidats au crime (au sens général) par l’exemplarité. C’est-
à-dire, proposer aux délinquants en puissance une forme de
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choix rationnel : le profit rapporté par le crime doit être mis


en balance avec le risque encouru. Ensuite, permettre au
condamné de s’amender, favoriser sa réhabilitation morale
et, dirait-on aujourd’hui, sa réinsertion. Il n’est pas sûr que
la peine ait jamais produit un tel effet – sauf en de rares cas
– depuis que la justice pénale existe3. Mais qu’on y ait cru
atteste de la vigueur du mythe qui doit bien avoir quelques
fondements. Enfin, mettre les criminels à l’écart de la
société, comme des insectes nuisibles. Il importera d’autant
plus de les mettre de côté que leur endurcissement dans le
crime sera plus manifeste et leur réhabilitation plus
incertaine. D’où, en 1885, le vote de la loi sur la relégation
des récidivistes4.
5 Or, au regard de ces trois propositions, le Code pénal de 1791
et même celui de 18105, œuvre de bricolage moins « pensée »
que le Code civil, péchaient gravement, vis-à-vis de certains
crimes ou délits en tout cas. C’était en particulier le cas des
crimes les plus graves, assassinat et meurtre. Dans le cas
d’homicide, la question de l’intention et de la nature exacte
de l’acte importait au moins autant, voire plus, que le fait lui-
même, encore que bien entendu, pour la victime, avoir été
tuée sans intention perverse changeait peu de choses.
Attention ! Il ne s’agit pas ici de l’homicide involontaire, par
imprudence. Mais si le coupable avait porté
intentionnellement des coups à autrui, et si le malheur avait
voulu que la victime succombât à ses blessures sous la seule
responsabilité d’un destin cruel, les trois items énoncés ne
jouaient aucunement : on ne pouvait dissuader quelqu’un de
commettre un crime qu’il n’avait pas voulu (même s’il est
mal de frapper son prochain…) ; il ne pouvait être question
d’amender le coupable d’un acte de colère, émotion qui peut
toujours s’emparer de l’esprit de n’importe quel individu, et
ce de façon inopinée ; et l’enfermer pour de longues années
ne protégeait la société de rien du tout.
6 En 1832, la monarchie de Juillet crut devoir apporter au
Code pénal impérial, à peine retouché en 1824, de profondes
réformes ayant des buts philosophiques, moraux, juridiques
et philanthropiques. Le garde des Sceaux, Félix Barthe,
présentait ainsi l’économie générale du texte aux députés :

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«  Messieurs, des réformes dans la législation pénale sont


réclamées depuis longtemps par la raison publique. On
reproche au Code de 1810 de la dureté dans les peines.
Autant des lois fermes et justes donnent de force aux mœurs
d’un pays, autant une sévérité trop grande peut amener de
faiblesse, parce qu’en offensant le sentiment moral qui exige
une proportion équitable entre les délits et leurs punitions,
elle diminue le respect pour la loi et pour ses organes,
multiplie et autorise les critiques contre elle, effraie les
magistrats et les jurés, et conduit à l’impunité.

La révolution de juillet, entreprise et consommée par respect


pour le droit, doit inspirer au pouvoir sorti de son sein le
désir constant de tenir les lois en harmonie avec les mœurs,
afin que les lois soient aimées et exécutées. Le Code pénal
appelait les premières réformes. Pour répondre à des
besoins généralement exprimés, le Gouvernement s’est
entouré des lumières d’une commission spéciale, dont le zèle
et la haute expérience ont secondé ses efforts. Les
observations des cours royales et des parquets ont apporté
d’utiles modifications à la première conception de la loi  :
c’est à un tel concours que nous devons reporter le principal
mérite du projet que j’ai l’honneur de vous proposer
aujourd’hui6. »

7 Mais cette philosophie était encore bien plus nettement


définie par le rapporteur du projet, Pierre Sylvain Dumon,
avec une pertinence à laquelle il y a peu à reprendre :
«  Les abus de notre ancienne jurisprudence criminelle ont
longtemps fait naître des préventions contre tout arbitraire
dans l’application des peines. Ces préventions étaient si
fortes, lors de la rédaction du Code pénal de 1791, que le
législateur eut la pensée de dresser une échelle de tous les
crimes, et d’appliquer à chaque degré d’incrimination une
pénalité fixe, et d’autant plus invariable que le droit de
commutation et de grâce n’était plus un attribut de la
puissance royale. C’était la conséquence extrême de la
division du fait et du droit, des attributions du jury et du
juge  ; mais c’était aussi l’oubli le plus complet de
l’indéfinissable diversité des actions humaines. C’était
comprendre, sous l’égalité fausse et injuste une même peine,
des crimes dont des circonstances innombrables font varier
à l’infini l’immoralité.

Le Code de 1810 a évité cet écueil : il a admis des minimums

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et des maximums, que séparent quelquefois d’assez grands


intervalles. Mais cette latitude est loin d’être suffisante pour
permettre de proportionner exactement, dans tous les cas, la
punition à la faute.

Les lois pénales résument et incriminent, sous un même


nom, tous les faits qui ont entre eux une ressemblance
extérieure et matérielle ; ainsi, pour elles, toute soustraction
frauduleuse est un vol, tout homicide volontaire est un
meurtre. Elles classent et qualifient les actes  : elles ne
peuvent classer et qualifier les agents. Elles sont forcées de
négliger et de méconnaître toutes ces nuances morales, qui,
au jugement de la conscience, placent à de si grandes
distances des faits punis de la même peine et appelés du
même nom7. »

8 Pour pallier à ces inconvénients, la réforme créait (au-delà


du timide essai de 1824) la notion de circonstances
atténuantes d’un crime. Elle supprimait certaines peines ou
accessoires de peines jugés barbares comme le carcan8, la
flétrissure, le poing coupé aux parricides avant l’exécution
capitale.
9 Elle tentait par ailleurs de prendre en compte l’intention au-
delà du fait, quel que soit le fait et même dans les cas les plus
graves. C’est ainsi que fut envisagé un type d’événements
dans lequel une conséquence des plus graves et
irrémédiable, la mort, était bien le fait d’un acte volontaire,
mais pas de la volonté de tuer. Le Code de 1810 définissait
l’homicide volontaire de manière graduelle selon la nature et
l’historicité de l’intention  : «  L’homicide commis
volontairement est qualifié meurtre (art. 295) ; tout meurtre
commis avec préméditation ou guet-apens est qualifié
assassinat (art. 296).  » Mais le Code de Napoléon ne disait
rien des morts survenues «  à l’occasion  » de coups qui
n’avaient (apparemment) pas pour but de provoquer la
mort. La réforme de 1832 voulut prendre ces cas en
considération :
«  Des blessures faites sans l’intention de donner la mort,
mais qui cependant l’ont occasionnée, sont punies comme le
meurtre volontaire ou l’assassinat : cette sévérité qui résulte
moins d’un texte précis de loi que de la jurisprudence, a jeté
plus d’une fois le jury dans une cruelle alternative9. Celui qui
n’a pas voulu donner la mort, quoique coupable des
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blessures qui l’ont occasionnée, ne peut être assimilé à qui a


frappé avec ou sans préméditation, mais avec la volonté de
meurtre ; le nouveau projet ne rend pas néanmoins le sort de
celui qui s’est livré à des violences, étranger aux effets
qu’elles peuvent avoir ; si la victime de ces violences vient à
succomber, quoiqu’elles ne fussent pas dirigées contre sa vie,
le coupable sera condamné aux travaux forcés à temps10. »

10 La réforme votée (sans beaucoup de difficultés, la discussion


parlementaire porta peu sur cet article 309 revu), le droit
pénal se voyait pourvu d’un nouveau crime qui n’était ni le
meurtre, ni l’homicide involontaire mais les coups et
blessures suivis de mort sans intention de la donner –
autrement dit un acte volontaire qui avait entraîné des
conséquences très graves mais pas celles qui étaient
initialement prévues11.
11 La violence n’était donc après le vote de cette loi qu’une des
composantes de la gravité du crime (car, pénalement, crime,
il y avait). C’était ici un cas très rare de crime supposant la
réunion de trois principes obligatoires  : une intention, (en
aucun cas, il ne pouvait s’agir d’une infraction par négligence
ou imprudence)  ; une intention qui ne coïncidait pas avec
l’effet, ce qui n’est le cas ni du meurtre, ni du viol, ni du vol,
ni de la trahison, ni de la désertion, etc. ; un acte violent au
sens classique du terme12 et d’une violence extrême
puisqu’entraînant mort d’homme.
12 Au total, un crime au statut très particulier. Le Code, après la
réforme de 1832, punissait très sévèrement malgré tout (les
travaux forcés à temps, ce qui n’était pas rien) un fait qui
était la conséquence d’un acte différent et qui pouvait être
anodin. On peut considérer que le raisonnement sous-jacent,
nulle part énoncé, était le suivant : il est mal par principe de
porter intentionnellement des coups à son prochain (si les
coups sont involontaires, causés par l’imprudence ou la
négligence, c’est également mal, mais moins grave)  ; si la
mort en est résultée, comme la mort est le pire des maux de
la condition humaine, le fait devient d’une importance
majeure et mérite un châtiment approprié ; l’auteur ne peut
s’en prendre qu’à lui-même  : en portant des coups, il a usé
de violences illégitimes et troublé les bases mêmes de l’ordre
social. Ce qui compte, c’est bien l’intention combinée à l’acte
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violent, même de nature banale ou insignifiante. Aussi, à la


limite, peu importait que la mort soit le résultat direct des
coups ou d’un autre motif non décelable lorsque l’auteur les
avait portés (Cassation, 12 juillet 1844, n° 264).
13 Mais comment punir de dix ans de travaux forcés quelqu’un
qui a donné une gifle à un autre homme, lequel est tombé
sur le coin d’une table en chêne que sa tête a heurtée et qui
en est mort  ? Hors le cas d’excuses juridiquement fondées
comme la légitime défense, le jury ne sera-t-il pas à nouveau
placé devant l’insoluble choix de condamner
outrancièrement ou d’acquitter un coupable, ce que voulait
éviter la réforme  ? Non, car la modification de l’article 309
ne se comprend qu’à la lumière de l’introduction des
circonstances atténuantes par la même loi du 28 avril 1832.
Elles permettront de moduler la peine en tenant compte de
contingences d’une infinie variété.
14 La réforme de 1832 avait donc bien au centre de ses
préoccupations la violence, ses conséquences irréversibles et
la nécessité de l’encadrer strictement mais en posant bien
qu’elle n’était hautement condamnable que si elle
s’accompagnait d’une intention criminelle (au sens
d’infraction pénale, comme l’indique l’expression de « Code
d’instruction criminelle  » aujourd’hui de «  procédure
pénale ») et que même dans ce cas, il fallait tenir compte de
la réalité de l’intention. Mais les cours et les jurys se
trouveront souvent devant des difficultés en pratique
insolubles : comment évaluer exactement l’intention ? Entre
le meurtre, homicide non prémédité mais avec intention de
tuer, et les coups et blessures, etc., homicide non prémédité
et sans intention de tuer, la différence pouvait être de
l’épaisseur d’un cheveu. Sans parler de l’acte en fait dû à
l’imprudence et que l’on allait parfois soupçonner
d’intentionnalité.

Le cas de l’Ille-et-Vilaine au xixe siècle


15 Pour tenter d’apprécier comment les jurys ont traité le
nouveau crime défini par la loi de 1832, il fallait aller voir les
verdicts des cours d’assises. Notre travail est une première
approche : l’étude d’un beaucoup plus grand nombre de cas

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serait nécessaire pour avoir une idée vraiment précise de


l’évolution de la répression.
16 Nous avons relevé 60 cas de crimes en conservant
uniquement les affaires d’homicide volontaire, de coups et
blessures suivis de mort, de coups et blessures graves, à
l’exclusion de l’infanticide et de la suppression d’enfants,
ainsi bien entendu que des affaires de mœurs à partir du
moment où il n’y a pas eu d’homicide ou de tentative. Nous
avons retenu, un peu arbitrairement, l’année 1834 (la
première après le vote de la loi où apparaît un nombre
significatif d’infractions poursuivies sous la nouvelle
incrimination), les années 1860-1863 (époque du Second
Empire et d’un certain ordre moral), les années 1896-1900
(époque de la Troisième République postérieure aux grandes
réformes pénales de la fin du siècle) en nous basant sur les
registres reliés de jugements d’assises. Cette source présente
un inconvénient  : les deux premiers registres ne
mentionnent le chef d’incrimination que lorsqu’il y a eu
sentence de condamnation. Les acquittements sont
mentionnés mais on ne sait pourquoi les accusés étaient
poursuivis. Il faudrait comparer avec les dossiers de
procédure, travail épineux. Ces réserves faites, on peut
donner quelques indications13.
Tableau 1. Gravité des sentences selon le type de
crimes

17 Les chiffres du tableau concernent l’ensemble de


l’échantillon. Le diviser en trois périodes fait alors porter
l’analyse sur des nombres vraiment petits et – on voudra
bien nous croire – ne présente pas de révélation
bouleversante sur une évolution de la sévérité qui semble
peut-être être en légère diminution entre 1860 et 1900 mais
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il faudrait analyser plus de cas pour en être sûr. En revanche,


l’appréciation par les jurys de la gravité différentielle des
crimes visés apparaît très nette. Les coups et blessures suivis
de mort sont à l’évidence plus sévèrement réprimés que les
coups « graves » entraînant séquelles, mutilation, etc., mais
moins que le meurtre, sans parler de l’assassinat, bien plus
gravement considéré  : avec l’empoisonnement, qui est une
forme d’homicide particulièrement pervers (il n’y a pas
d’empoisonnement non prémédité, et pour cause), il est le
seul crime pouvant entraîner la peine de mort. La
comparaison la plus éclairante se fait avec le meurtre qui
n’est séparé des CBSMSID14 que par la pure intention non
préméditée. Si même on écarte les acquittements15, l’échelle
des punitions est différente, de manière presque
caricaturale  : celle qui frappe le second crime s’arrête là où
commence celle qui atteint le premier. Les parquets,
magistrats instructeurs, cours et jurys ont donc fait très vite
le départ entre deux crimes dont le résultat (final) et l’origine
(matérielle) étaient les mêmes mais séparés par ce bref et, au
fond, difficilement connaissable moment où le «  criminel  »
décide ou non de donner la mort. La distinction ne pouvait
être faite qu’en appréciant le caractère du coupable, celui de
la victime et l’ensemble des circonstances de l’acte fatal.

Cinq cas d’espèce


18 Si l’on en vient aux affaires particulières qui ne sont jamais
des « types » mais des questions de chair, de sang, de haine,
d’amours contrariées et d’horreur, force est de constater que
les CBSMSID constituent – c’est bien pour cela que
l’incrimination avait été créée – un ensemble d’une infinie
diversité. Nous ne pouvons exposer ici un grand nombre de
cas. Notre sélection sera sévère mais significative au regard
de l’ensemble des affaires étudiées. Nous procéderons par
gravité croissante des verdicts.

Premier cas
«  Le 9 avril 1896, à 11 heures du matin, les frères Bouvier,
cultivateurs à Belleville, en Rennes, étaient occupés à mettre
de l’engrais dans un des champs de la ferme. Tandis que

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l’aîné, Jean-Marie, conduisait les chevaux, le second, Joseph,


âgé de 19 ans, retirait le fumier de la charrette avec un croc,
et le plus jeune, Constant, âgé de 15 ans, l’étendait sur la
terre. Ce dernier d’un caractère très gai, s’étant mis pour
jouer, à taquiner son frère Joseph et à le pousser par
derrière, celui-ci se retourna subitement et lui donna,
volontairement, sur la tête, avec son croc, un violent coup
qui produisit de nombreuses fractures au crâne. Constant
tourna sur lui-même et s’abattit à terre, sans connaissance.
Son frère, sans s’occuper de lui, continua à décharger sa
charrette bien qu’il l’eût vu tomber16. »

19 Verdict  : l’acquittement. L’accusé était dépressif. Le coup


incontestablement volontaire mais l’intention peu évidente.
L’affaire aurait aussi bien pu être classée sans suite ou faire
l’objet d’une ordonnance de non-lieu qu’être qualifiée
meurtre si l’on avait pu établir une animosité ancienne
entre les deux frères. Les dépositions des témoins ne
permettent guère de faire la lumière. Comme très souvent au
xixe siècle, l’instruction judiciaire n’est pas «  rapide  », elle
est… météorique17  : un procès-verbal de gendarmerie du 10
avril, une ordonnance de renvoi du 18 avril, un acte
d’accusation du 23 avril  ! Les magistrats se déchargent à
l’évidence sur le jury de toute responsabilité – et celui-ci
préfère absoudre, dans le doute.

Second cas
«  Dans la matinée du 28 novembre 1896, les nommés
Lemonnier et Palga ayant été obligés, à cause de la neige,
d’interrompre leur travail, dans une carrière du village de la
Gais, près Dinard, résolurent d’aller se chauffer et boire chez
Lemonnier. En passant, ils entrèrent chez un sieur Stephan,
journalier, et l’emmenèrent avec eux […].

Arrivés chez Lemonnier, les trois hommes se mirent à boire


de l’eau-de-vie et du café. Ils ne tardèrent pas à être
surexcités. Sous un prétexte futile, Lemonnier chercha
querelle à son fils, âgé de 15 ans, qui venait de rentrer, et le
mit brutalement à la porte. Stephan lui ayant reproché sa
violence, les deux hommes commencèrent à se disputer. Ils
se calmèrent cependant assez vite et Palga sortit pour les
chercher un second litre d’eau-de-vie.

À son retour, Lemonnier prétendit avoir été mordu à la main

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par Stephan  ; celui-ci nia, des propos menaçants furent


échangés, et tous les trois se remirent néanmoins à boire.

Mais sous l’influence de l’alcool, la querelle recommença


bientôt entre Stephan et Lemonnier. Celui-ci, devenu
soudain furieux, bouscula son adversaire, le fit tomber à plat
ventre, le retourna sur le dos en le secouant, et le traîna
dehors sur la banquette de la route. Là, tandis que Stephan
était à terre, évanoui et sans défense, il le frappa à coups de
pieds et à coups de poings. Palga, malgré son état d’ébriété,
essaya en vain de le faire cesser. Lemonnier le menaça son
tour et, prenant un des sabots de sa victime, lui porta de
nombreux coups sur diverses parties du corps.

[…] Après quelques dénégations, Lemonnier a dû passer des


aveux. Il a reconnu qu’étant ivre et furieux, il avait frappé
Stephan à coups de pied et de sabots, sans se rendre compte
où portaient les coups. Il dit ne pas se rappeler les détails de
la scène.

L’accusé est un homme brutal et violent18. »

20 Verdit  : encore l’acquittement. L’affaire semble très simple.


Il s’agit à l’évidence d’une querelle d’ivrognes. Le coupable
aurait pu être la victime et vice-versa. Certes, Lemonnier
semble avoir été plus agressif que Stephan (il est « brutal et
violent  »), mais dans la situation évoquée, un résultat
différent eût été possible. Le jury semble avoir pensé que la
justice ne devait pas interférer dans des affaires concernant
des situations quasiment quotidiennes, intéressant des
personnages aussi peu estimables que responsables de leurs
actes et aux conséquences toujours imprévisibles.

Troisième cas
« Les époux Hodée, domiciliés à Montreuil-sur-Ille, avaient
une triste réputation.

Le mari était paresseux, ivrogne et débauché  ; la femme


avait eu, de bonne heure, une conduite immorale. Jeune fille
elle était devenue mère, d’un enfant naturel et, au moment
de son mariage, elle était enceinte des œuvres de Hodée.

Celui-ci paraissait peu soucieux de son honneur conjugal,


car dans les chantiers où il travaillait, il tenait des propos
qu’on pouvait à bon droit considérer comme une
provocation à y porter atteinte et, dans une circonstance où
il avait surpris sa femme se livrant à un ouvrier, il s’était mis

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à boire avec l’homme qui l’outrageait.

Le premier janvier dernier, Hodée avait passé sa journée


dans les cabarets avec un nommé Mathurin Fourier. Le soir
venu, il l’avait emmené chez lui et lui avait fait partager le lit
conjugal.

Le lendemain, les époux Hodée et Fourier continuèrent à


boire, ils ne se séparèrent que vers quatre heures et l’accusé
se rendit à St Médard [sur Ille] après avoir accepté un franc
de son camarade.

À sept heures, si l’on en croit la déclaration de la femme


Hodée, Fourier, complètement ivre, vint heurter à la porte et
demander l’hospitalité. Il s’endormit presque aussitôt sur un
banc, mais bientôt s’étant réveillé il entra dans le lit où la
femme était déjà couchée.

Presque au moment même, Hodée revenait à son domicile,


se faisait ouvrir et, apercevant Fourier qui sortait du lit et
mettait son soulier, il arrachait le manque d’une pioche […]
renversait le jeune homme, le dépouillait de ses vêtements et
lui assénait de violents coups de son arme. Tout en frappant,
soit de lui-même, soit à l’instigation de sa femme, il
demandait 400 F à ce malheureux et, comme celui-ci
répondait qu’il ne pouvait les donner de suite et se bornait à
les promettre, l’accusé recommençait à le maltraiter jusqu’à
ce qu’il eût perdu connaissance.

Fourier fut alors porté dans une maison voisine où il reçut


les soins qu’exigeait son état, mais il avait la tête fracturée et
le huit janvier, il expirait sans avoir recouvré l’usage de ses
sens19. »

21 Le verdict (un an de prison) semble très indulgent, alors


même qu’il y a eu coups violents et répétés (il ne s’agit
nullement d’un décès dû à un coup malheureux) et demande
d’argent. Les coups auraient pu facilement être qualifiés
meurtre par un procureur et un juge d’instruction
intransigeants. On voit encore ici à quel point notre
infraction est affaire d’appréciation, souvent subjective.
L’explication réside bien sûr dans l’immoralité absolue (au
regard du temps) de l’assassin mais aussi de la victime. La
demande de «  rançon  » est en réalité une circonstance
atténuante car elle suppose que la victime soit demeurée
vivante  ; elle n’a pas de sens s’il y avait volonté de tuer.
L’ennui est qu’il n’y a pas d’autre témoin de cette requête

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que Hodée et sa femme en la parole desquels les magistrats


et les jurés ont estimé bon de croire…

Quatrième cas
«  Le 15 août [1 897], vers 9 h 1/2 du soir, la fille Marie
Forgeoux et le nommé Charlet, François, domestiques à la
ferme des moineries, cheminant ensemble sur la route qui
conduit de Saint Servan à La Hulotais […] furent accostés
par le nommé Roussel, Magloire, âgé de 30 ans, ouvrier
forgeron. À quelques pas, suivait un nommé Bizot, François,
40 ans, aussi domestique de ferme. Tous ces gens sortaient
de l’auberge Berthier, à la chaussée, et étaient plus ou moins
surexcités par la boisson.

Roussel ayant voulu se livrer à des privautés excessives vis-


à-vis de Marie Forgeoux, une rixe éclata entre lui, la fille et
Charlet. Ce dernier, frappé par Roussel, serait tombé et à
peine relevé, aurait pris la fuite.

La rixe continua entre eux, Roussel, qui semblait vouloir la


posséder par violence, et l’accusée qui prétend avoir été
frappée et bousculée deux fois. Pour en finir, elle dit avoir à
un moment donné, menacé Roussel de son couteau, et
comme il paraissait ne tenir aucun compte de cet
avertissement, elle lui en porta un coup à la tête. Roussel
s’écria : “Je suis mort !” Il rebroussa chemin, suivi de Bizot,
et put encore faire 150 mètres avant de tomber épuisé. […]
Mise en présence du cadavre, elle [l’accusée] n’a manifesté
aucun regret ni aucune émotion.

[…] Roussel passait pour un excellent ouvrier, d’un caractère


pacifique.

L’accusée est l’objet de mauvais renseignements au point de


vue de la conduite et de la moralité. Elle s’adonne à la
boisson et a un caractère des plus violents.

Elle a eu deux enfants naturels20. »

22 Le verdict semble plutôt sévère  : trois ans de prison, alors


qu’il y a eu évidemment agression sexuelle (voire tentative
de viol) et sans doute légitime défense. Les raisons en sont
certainement une certaine forme d’indulgence « d’époque »
pour ce type de crime – le viol21 – et la «  réputation  » des
deux protagonistes, critère fondamental d’appréciation pour
les jurys populaires du xixe siècle. D’un côté, un «  excellent
ouvrier » (le procureur ne voit aucune contradiction entre ce

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caractère et l’agression délibérée d’une femme), de l’autre


une femme qui boit et dont la moralité est exécrable comme
le montrent ses enfants naturels. Ajoutons l’indifférence que
l’on retrouve souvent comme circonstance aggravante  : un
criminel froid est bien plus criminel. L’émotion est une
circonstance atténuante. C’est bien, comme souvent à
l’époque, un verdict fondé sur la qualité des personnes bien
plus que sur la gravité des faits.

Cinquième cas
«  Le 27 février 1861, la justice fit informée que Marie
Guihaire, femme Billard avait été trouvée morte, à huit
heures du matin  ; gisant sur le sol d’une des pièces de la
maison qu’elle habitait avec son mari, François Billard.

[…] Marie Guihaire s’était marié une première fois en 1850.


La douceur de son caractère et la régularité de sa conduite
lui avaient attiré toutes les sympathies.

Devenue veuve et elle épousa, en 1858, François Billard qui


était violent, ivrogne et paresseux.

Dès les premiers jours de son mariage, Billard se livra aux


actes de la plus grande brutalité sur sa femme et, depuis ce
moment, il n’a pas cessé de la maltraiter […]. »

23 Ce qui conduit à une dispute finale aux conséquences


fatales :
« Seulement, à minuit, Billard fut réveiller Guihaire [le frère
de la victime] et le pria de venir l’aider à relever sa femme
qui disait-il, était ivre morte.

Lorsque Guihaire arriva, l’appartement était éclairé par une


chandelle. Marie Guihaire était étendue sur le sol, tout
habillée, près du lit, à côté d’une table.

[…] Guihaire prit sa sœur par le milieu du corps tandis que


François Billard qui avait, d’abord, témoigné une certaine
répugnance, la saisit par les jambes et la mit, seul, dans le lit,
en rejetant précipitamment la couverture sur elle, pendant
que Guihaire écartait un berceau dans lequel un enfant de
deux ans était couché.

Guihaire remarqua que sa sœur ne fit pas un mouvement.


Quoique qu’il s’imaginât qu’elle était ivre morte, il ne put
s’empêcher de dire à Billard  : comment cela se fait-il  ?
Lorsque je suis sorti, hier soir, elle n’était pas ivre. – oui,
reprit Billard  ; mais il est venu, après votre départ, une

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femme avec laquelle elle a bu de l’eau-de-vie22.

[…] François Billard en voulant justifier son système de


défense est tombé dans des contradictions inconciliables
mais la vérité est que ses déclarations offrent d’autant moins
de vraisemblance que, dans un de ses moments que la
providence réserve parfois aux grands coupables, il a
reconnu sa culpabilité lorsqu’il s’est écrié : Je ne croyais pas
lui faire tant de mal23 ! »

24 Dans ce dernier cas, on a donc  : des violences anciennes et


habituelles, ce qui semble bien être ici le facteur décisif de la
sévérité du verdict  ; une ivrognerie et une paresse
constantes, marques d’un «  mauvais fond  »  ; une attitude
d’indifférence sans aucune compassion de la part du mari
meurtrier, item toujours aggravant ; la présence d’un enfant
sur la scène du crime ; un déni initial, circonstance toujours
condamnable.
25 La sévérité du verdict semble donc logique et sans surprise,
toute considération liée à la période et à son supposé ordre
moral mise à part : douze ans de réclusion.
26 La confrontation de ces cinq cas emblématiques semble
montrer que la plus ou moins grande sévérité du verdict
dépend sans doute des circonstances mais pas seulement. Il
faut bien distinguer :

la qualification du crime  : là, l’intention est


prédominante. Le procureur ou le juge d’instruction ne
qualifieront pas l’infraction meurtre parce qu’il n’y a pas
eu, semble-t-il, après enquête plus ou moins (plutôt
moins) approfondie, intention de tuer. Ici, c’est toute
l’histoire du fait considéré qui entre en jeu, et elle seule ;
la sentence  : dans les exemples que nous venons de
citer, l’intention et les circonstances deviennent des
facteurs mineurs. C’est alors l’histoire du ou de la
criminel(le) qui prennent le pas. Une mauvaise
réputation, l’alcoolisme, la paresse, une sexualité
déviante, une brutalité «  habituelle  » deviennent des
motifs qui expliquent de façon décisive le résultat alors
même que selon le Code pénal il n’y avait pas eu
intention criminelle. Ou, pourrait-on dire, la
qualification est juridique, la sentence est sociale. Les

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magistrats instruisent sur le droit (encore qu’on


n’imaginera pas que le fait leur soit indifférent), les
jurés jugent sur le fait – au sens large  ! le «  fait  »
criminel n’étant ici qu’un élément du « fait » global. Du
moins sur le fait tel qu’ils peuvent l’apprécier à la
lumière des idées qui structurent leur vision de la
société, celle de leur temps et de leur lieu24. La question
de savoir si la réforme de la procédure depuis 1945 a
modifié les choses est une autre histoire.

En manière de conclusion provisoire


27 Au total, il semble que cette brève étude suggère plusieurs
pistes25. L’incrimination de CBSMSID est une étape dans la
longue chaîne qui mène d’un droit pénal mécanique (le Code
d’Hammourabi par exemple) à l’individualisation de la
peine, prononcée en tenant compte, si possible, de toutes les
circonstances qui ont accompagné l’infraction. Elle est une
des manifestations de la recherche de formes de répression
réservant la possibilité de ne pas s’enfermer dans des types
de décisions judiciaires liées aux résultats mais qui prennent
en considération les motivations et plus encore le hiatus
existant entre les motivations et les résultats, prévus ou non.
28 Elle montre que la violence (au sens banal du terme) n’est
pas – même dans nos sociétés contemporaines – l’élément
essentiel déterminant la punition, mais les raisons qui y ont
poussé, oui. « Les positions sociales des acteurs sont souvent
envisagées pour expliquer la réalisation d’un fait26  », cette
formule s’applique en l’occurrence d’abord au criminologue
ou à l’historien mais concerne tout aussi bien le magistrat ou
le juré.
29 Elle constitue aussi une des multiples démonstrations de la
difficulté à catégoriser les infractions pénales, même les plus
graves. Les exemples cités montrent que la différence entre
les infractions qualifiées meurtres et les coups mortels
repose souvent sur une appréciation juridique ou de fait qui
comporte une très large part de jugement (au sens logique)
et d’estimation, nullement fondée sur des critères
scientifiques et qui aurait pu, avec un autre procureur ou un

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autre juge d’instruction basculer dans une autre


qualification.
30 Elle interroge enfin sur la fonction de juge. Dans le droit
pénal français post-révolutionnaire, le verdict criminel
repose sur le jury qui, jusqu’en 1945, délibère hors de la
présence des magistrats professionnels. Les verdicts seront
souvent tellement éloignés de ce que ces derniers
souhaitaient qu’ils feront pression durant cent cinquante ans
pour obtenir le droit de siéger avec le jury avec voix
délibérative de juré mais aussi avec le prestige et l’influence
liés à leur fonction et à leurs supposées compétences. Dans
ce long combat, il est probable que le crime particulier que
nous avons ici étudié a joué un rôle non négligeable.

Notes
1. L. Bourgeois, «  Rapport de M. Léon Bourgeois au Congrès
d’Éducation Sociale en 1900  », Solidarité, Paris, Armand Colin, 5e éd.,
1906, annexe 1.
2. « Il n’y a, dans le système pénal, aucun principe de justice qui diffère
réellement du principe de vengeance. C’est le même principe qui est à
l’œuvre dans les deux cas, celui de la réciprocité violente, de la
rétribution. Ou bien ce principe est juste et la justice est déjà présente
dans la vengeance, ou bien il n’y a de justice nulle part. » : R. Girard, La
violence et le sacré, Paris, Hachette, 1972, p. 30.
3. Il est possible que la peine dissuade certains condamnés de récidiver :
c’est une attitude rationnelle de prudence, comme celle qui vise à éviter
les accidents, nullement une forme de « réhabilitation » morale.
4. Il existe une littérature abondante sur ce sujet. On se permettra de
renvoyer à notre article, « Ceux qu’il faut renoncer à amender – la loi de
1885 sur la Relégation  : origines et implications politiques  », F. et M.
Porret (études réunies par), Le Criminel endurci. Récidive et
récidivistes du Moyen Âge au xxe siècle, Genève, Droz, 2006, p. 289-
308.
5. Sur ce dernier, ses origines et sa fonctionnalité au regard des
questions ici débattues, P. Lascoumes, P. Poncela et P. Lenoël, Au nom
de l’ordre. Une histoire politique du Code pénal, Paris, Hachette, 1989.
6. Le Moniteur universel, supplément au n° 244, jeudi 1er septembre
1831, p. 1494.
7. Le Moniteur universel, n° 316, samedi 12 novembre 1831, p. 2106.
8. Mais maintenait l’exposition publique des condamnés aux travaux
forcés ou à la réclusion.

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9. Soit, en l’absence de circonstances atténuantes, condamner aux


travaux forcés à perpétuité, voire à mort, ou acquitter…
10. Le Moniteur universel, supplément au n° 244, jeudi 1er septembre
1831, p. 1495 (présentation du garde des Sceaux, Barthe).
11. Pour une étude purement juridique de la notion de qualification, S.
Girault, Le choix d’une qualification pénale, mémoire de DEA, Paris 2,
2000.
12. C’est-à-dire, au sens physique. Le premier sens de «  violence  »,
rappelons-le, est « abus d’une position de force », puis en conséquence,
«  acte contraire à la volonté de celui qui le subit  ». Ce premier sens se
retrouve encore dans « viol », « violation ». Nous utilisons le mot dans
son sens banal actuel.
13. Les «  sentences normalisées  » doivent s’entendre ainsi  : 0 =
acquittement, 1 = condamnation à moins d’un an (et un jour) de prison,
2 = de 1 à 3 ans, 3 = de 3 à 5 ans, 4 = longues peines (réclusion, travaux
forcés à temps), 5 = travaux forcés à perpétuité, 6 = mort). Sources  :
Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, ci-dessous ADIV, 2 U 301,
311, 320.
14. CBSMSID  : Coups et blessures volontaires suivis de mort sans
intention de la donner.
15. Dans toute étude sur les jugements criminels, les acquittements
doivent être considérés à part et avec prudence : ils peuvent résulter du
fait que le jury s’est effectivement convaincu de l’innocence complète de
l’accusé (donc que le juge d’instruction et le parquet ont mal fait leur
travail)  ; ou qu’un doute est apparu et que le doute a, cette fois-là au
moins, profité à l’accusé  ; ou que le jury a estimé que le Code ne lui
permettait pas d’appliquer à l’accusé, à l’évidence coupable, une pénalité
appropriée et a préféré l’acquitter, cas très fréquent au xixe siècle et
jusqu’à la guerre de 1914 ; dans les cas les plus extrêmes on avait ce que
les magistrats professionnels nommaient « acquittements scandaleux ».
Voir E. Claverie, « De la difficulté de faire un citoyen. Les acquittements
scandaleux du jury dans la France provinciale du début du xixe siècle  »,
Études rurales, n° 95-96, 1984. Cette expression n’est évidemment
jamais utilisée dans les relations officielles. Dans le rapport liminaire au
Compte Général pour 1860, le garde des Sceaux, le peu libéral Delangle,
préfère évoquer pour expliquer la baisse (réelle et tendancielle) des
acquittements la «  meilleure appréciation par les jurés de l’importance
de leur mission » (p. 29). Rappelons qu’en juillet 1914 encore, Henriette
Caillaux qui avait assassiné de six coups de revolver, dans son bureau, le
directeur du Figaro, Calmette, fut acquittée… L’Ille-et-Vilaine était
d’ailleurs un des départements français où l’on acquittait relativement le
moins.
16. ADIV, 2 U 1258.

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17. Voir notre article « Le juge d’instruction et la procédure criminelle :


enquête ou préjugé  ?  », J-C. Farcy, D. Kalifa et J.-N. Luc, L’Enquête
judiciaire en Europe au xixe siècle, Paris, Créaphis, 2007, p. 147-160.
18. ADIV, 2 U 1263.
19. ADIV, 2 U 984, janvier 1863.
20. ADIV, 2 U 1272.
21. Qui est bien juridiquement un crime alors et plus tard, contrairement
à une incroyable légende complaisamment diffusée aujourd’hui.
22. Les parties soulignées le sont dans le texte.
23. ADIV, 2 U 968.
24. Sur la question de l’appréciation du fait et du droit, du rôle en ce sens
du jury et des juges, on se reportera aux pages décisives – bien qu’elles
aient plus de cent cinquante ans – d’A.-A. Cournot, Essai sur les
fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique
philosophique, Paris, 1851, notamment au chapitre xix : « Application à
l’organisation judiciaire, et notamment à la distinction des questions de
fait et de droit ».
25. On se reportera aussi aux actes de plusieurs des colloques tenus à
Dijon depuis 1991  : B. Garnot (dir.), Ordre moral et délinquance de
l’antiquité au xxe siècle, Dijon, EUD, 1994 ; Les victimes, des oubliées de
l’histoire  ?, Rennes, PUR, 2000  ; Les témoins devant la justice  : une
histoire des statuts et des comportements, Rennes, PUR, 2003
(principalement).
26. B. Desmars, « Les Archives judiciaires et la construction sociale de la
délinquance au début du xixe siècle », Histoire et Archives, hors série n°
2  : «  L’histoire contemporaine et les usages des archives judiciaires
(1800-1939) », p. 333-342.

Auteur

Jean-François Tanguy
Du même auteur

Mémoires canadiennes, Presses


universitaires de Rennes, 2018
Le canton, un territoire du
quotidien  ?, Presses
universitaires de Rennes, 2009
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Eugène Court, un commissaire


de combat à Rennes au début de
la Troisième République in Le
commissaire de police au xixe
siècle, Éditions de la Sorbonne,
2008
Tous les textes
© Presses universitaires de Rennes, 2008

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Référence électronique du chapitre


TANGUY, Jean-François. Tuer sans intention de tuer  : quand
l’intention, et non l’effet, construit le crime In  : La violence et le
judiciaire : Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques
[en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/5016>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.5016.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
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La violence et le judiciaire

Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,


pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :

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http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

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Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

La dite « Société
honorée » : codes
criminels,
représentations
sociales et
identification
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juridique de la
camorra
napolitaine aux
e e 1
xix et xx siècles
Marcella Marmo
p. 265-275

Texte intégral
1 Parmi les organisations criminelles qui s’enracinent dans le
Midi de l’Italie aux xixe et xxe siècles, la camorra napolitaine
est la première qui se structure selon un modèle de pouvoir
territorial, basé sur la combinaison extorsion/protection,
caractéristique essentielle des phénomènes de type mafieux.
Apparue au début du xixe siècle à l’intérieur d’un plus ample
phénomène sectaire, l’Onorata Società transpose
probablement dans le nouvel État administratif des aspects
de pouvoir plébéien déjà typiques chez les lazzari (les
groupes les plus pauvres de la ville capitale à l’époque
moderne), mais elle développe aussi des éléments culturels
caractéristiques et riches en nouvelles significations
politiques  : la présence de langages et de modalités
d’organisation ritualisés, une stratégie de l’extorsion diffuse
qui semble réunir et discipliner des formes de violence
présentes dans la vie sociale, dans les marchés de la ville et
de sa banlieue, ainsi que dans les prisons. Malgré les
importantes transformations que le phénomène camorriste
revêt depuis son apparition jusqu’à aujourd’hui, une réelle
continuité traverse les deux siècles d’histoire de ce type de
délinquance. La recherche historique a pu, en effet, discuter
en termes critiques les interprétations des sciences sociales
qui soulignent les différences radicales entre le phénomène
criminel actuel – caractérisé par des taux très élevés de
violence et défini comme entreprenarial – et la camorra des
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débuts, entendue comme étant au contraire un phénomène


sub-culturel2. Selon cette perspective, l’organisation
criminelle et violente du xixe siècle adhérait à la culture
plébéienne et était socialement légitimée dans la ville
capitale grâce à ses fonctions d’ordre, s’insérant en effet dans
les fortes fractures internes de cette société (les «  deux
nations » de Vincenzo Cuoco3). L’histoire moins mythique de
la camorra urbaine et rurale de la Campanie, comme celle de
la mafia sicilienne et calabraise, semble en réalité indiquer
certaines caractéristiques du phénomène qui se répètent. Le
capital de violence géré par les hommes sur les divers
territoires de l’extorsion/protection présente dans chacun de
ces contextes des capacités entreprenariales élevées, alors
que le mélange ambigu de peur et de légitimation de la part
du milieu confère une importance lato sensu politique à un
véritable pouvoir territorial, qui conteste avec efficacité le
monopole de la violence légitime au premier État
administratif du xixe siècle comme à l’éléphantesque État
contemporain. En effet, hier comme aujourd’hui, les
difficultés particulières de la répression dans le domaine
pénal correspondent à la cogestion ambiguë entre les
réseaux organisés et les systèmes policiers.
2 J’illustrerai ici certains aspects de la première histoire de la
camorra (1840-1910), qui interfèrent avec le judiciaire à
différents niveaux de l’analyse historique  : la présence de
codes criminels spécifiques  ; la véritable découverte du
phénomène après 1860 comme contre-pouvoir  ; les
difficultés de la répression de l’organisation criminelle en
tant qu’association de malfaiteurs.

« Un sanglant système pénal » : profils


sociaux et politiques de la camorra au xixe
siècle
3 Même si la recherche historique n’a pas encore enquêté de
façon approfondie sur la première formation d’une
organisation de camorra dans les documents de la police de
la Restauration, il apparaît clairement que c’est le cycle
politique de l’unification nationale qui a pu en entraîner
la«  découverte  ». La conjoncture de la naissance de l’État
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libéral guidé par le Piémont effectua en effet la première


répression à large échelle du contre-pouvoir criminel de l’ex-
capitale méridionale4. Cette première attaque de l’histoire
italienne contre la criminalité organisée de Naples fut
étendue à la Sicile, utilisant les mêmes lois répressives
envers le brigandage paysan et sanfédiste5. Ces lignes
directrices, provenant des élites mêmes du Sud, lesquelles
possédaient une certaine connaissance de ce phénomène
criminel récent et extraordinaire, produisirent de riches
sources administratives sur ses développements politiques et
sociaux.
4 En effet, la première réunion d’une organisation de camorra
sur les douze quartiers de la capitale se vérifia dans les
années 1820-1830 (à l’abri de la nouvelle structuration de la
police sur ces douze quartiers6), en réunissant diverses
formes de délinquance et d’extorsion et en imposant donc,
au système de police en voie d’organisation, une cogestion de
l’ordre public peut-être particulière de cette ville capitale au
xixe siècle. L’importance du récent réseau criminel apparut
clairement dans les révolutions politiques de 1848 et de
1860, quand, d’une part, les camorristes durent partager
l’intérêt pour un régime constitutionnel moins arbitraire
dans la répression policière et, d’autre part, les intellectuels
patriotes cherchèrent à plusieurs reprises l’appui de ces gens
du peuple, capables de contrôler le peuple7. La convergence
devint éclatante en 1860, quand la révolution nationale
impliqua le royaume des Deux-Siciles. En effet, pendant que
les Mille de Garibaldi infligeaient une défaite aux Bourbons
en Sicile et qu’un gouvernement d’interrègne se formait à
Naples, les autorités négocièrent avec l’organisation
criminelle l’insertion d’un certain nombre de camorristes
dans la police à réformer, obtenant de ce fait une
collaboration efficace contre les dangers sanfédistes et
contre les tentatives de pillage populaire8.
5 Le nouveau pouvoir libéral passa néanmoins rapidement à la
répression contre un pouvoir criminel-plébéien qui revêtait
les caractéristiques évidentes d’un État dans l’État  : «  La
secte fonctionnant comme un système pénal sanguinaire  »,
capable de se réunir en tribunal et d’infliger des peines selon
un code précis9 – pouvons nous lire dans un document
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officiel de 1863 qui met en route une répression très dure, en


la motivant sur la base d’une confiscation, dans une prison,
d’une correspondance entre les chefs camorristes, laquelle
attestait de la présence d’un réseau organisé entre la
camorra en prison et la camorra libre10.
6 Sur la base d’informations provenant des sources
administratives concernant l’envoi en résidence forcée
d’environ mille camorristes en 1863-1864, la géographie du
phénomène, à la moitié du xixe siècle, recouvre celle de la
misère et des densités délinquantes, mais aussi la carte de la
plus grande circulation d’argent, de marchandises et de
services. Misère et marché sont des faits urbains miroirs
dans une ville qui ne sépare pas les riches et les pauvres et
qui, au xixe siècle, ne met pas facilement en route une
différenciation fonctionnelle et de classe. La caractéristique
du pouvoir territorial de la camorra résulte de la conjonction
de l’extorsion sur des relations de marché légal (dans les
nombreuses activités commerciales), et d’activités illégales
(comme le jeu de hasard, la prostitution, la «  mendicité
malhonnête  ») ou délinquantes (vols, contrebande,
chantages, etc.). Cette application systématique du pot-de-
vin à de nombreux échanges légaux et illégaux reproduit
visiblement le mécanisme fiscal, dont ce pouvoir plébéien
semble fixer les aspects les plus archaïques  : la perception
d’argent comme prix du monopole de la violence de la part
de l’État moderne imitée ici par une véritable élite
criminelle. Un préfet de police de 1860 définissait la camorra
comme la «  taxe inique, prix de la paix11  », suggérant déjà
l’importante combinaison de violence et de légitimation dans
le contrôle armé, et en même temps fiscal, du territoire,
caractéristique de la criminalité organisée de type mafieux.
La dangerosité du phénomène n’est donc pas assimilée à
celle du brigandage paysan et sanfédiste, mais est perçue
comme un véritable pouvoir parallèle, un désordre public
profond et incompatible avec le projet de « construction de
la nation ».
7 Les informations et les représentations qui émergent des
sources administratives trouvent une bonne illustration avec
les premières publications folkloriques, qui apparaissent
dans la même conjoncture répressive. Signalons en
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particulier le livre de l’écrivain italo-suisse Marc Monnier,


publié à Florence et en France en 186312.
8 Le livre décrivait à partir de la réalité la présence de
l’implacable encaisseur (dans le port de la ville et dans le
service des fiacres publics, dans les marchés de quartier et
dans les pratiques de jeu de hasard, dans les maisons closes
et dans les prisons…), mais il a également donné une
interprétation sociologique encore précieuse aujourd’hui.
Nuie facimme caccià l’oro de’ piducchie13 : cette phrase assez
incisive – nous, camorristes sommes ceux qui s’enrichissent
en pressant les gens du commun comme on presse les poux
– permit d’expliquer à un vaste public italien et européen
l’intelligence de la camorra napolitaine, pratiquant
l’extorsion diffuse comme imitation du mécanisme fiscal.
9 Le livre de Monnier est aussi une précieuse source
d’informations historiques, car il reprend certaines sources
des xvie-xviie siècles qui attestaient déjà de la présence, dans
les prisons de la vice-royauté, d’extorsions systématiques de
la part des détenus les plus violents sur les autres. Bien que
dans les profils sociaux et dans divers aspects culturels la
camorra du xixe rappelle les réseaux des lazzari des siècles
précédents, Monnier souligne la naissance récente de
l’organisation criminelle, et en explique l’énorme succès au
regard de la conjoncture politique du conflit Restauration-
Risorgimento. Lorsqu’il donne certains détails sur les
convergences ambiguës de l’association criminelle avec les
libéraux entre 1848 et 1860, l’auteur souligne le caractère
mercenaire mais non subalterne de cette collaboration
politique, puisque les camorristes pratiquent une stratégie
autonome d’élite criminelle14. Cette ample reconstruction
contemporaine explique bien que l’évident enracinement de
la camorra dans la plèbe napolitaine n’annule pas les
spécificités culturelles de cette délinquance. En effet,
Monnier porte une attention spécifique à la culture ritualisée
de la dite Société honorée, qui avait une dérivation
maçonnique plausible dans cette conjoncture politique, mais
qui adaptait aussi le modèle sectaire à sa stratégie
entreprenariale spécifique.
10 La recherche historique sur la camorra met en évidence de
façon particulière le code d’honneur qui accompagne le
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phénomène camorriste comme le phénomène mafieux


depuis leur naissance au xixe siècle jusqu’à une période
récente. La culture très expressive et baroque de la Société
honorée permet en effet de distinguer nettement des
criminels qui, selon les informations qu’il est possible de
tirer des dossiers de police et des sources judiciaires,
pourraient sembler proches des délinquants communs.
Même si de nombreux camorristes pratiquent le vol et la
prostitution, les valeurs et les formes d’agrégation de
l’organisation honorée identifient au contraire une vraie élite
à l’intérieur de la délinquance urbaine.

Le code de la « Société honorée »


11 À partir de Monnier et d’autres publications sur la camorra
de la fin du siècle15, un code de l’honneur, fort et polyvalent,
est décrit, où les aspects expressifs de type archaïco-sacré
(l’intégrité sexuelle masculine, physique et psychologique de
l’individu) se fondent sur ceux politiques, qui fonctionnent
par la valorisation de l’individu ainsi que par la cohésion du
groupe (la suprématie dans l’art du couteau, la loi du silence,
la reconnaissance vers l’extérieur). La culture napolitaine a
également produit le topos de la camorra comme
guapparia : le mot souligne le prestige du camorriste en tant
que personnage jouissant d’une certaine autorité dans son
quartier et fait aussi allusion à la légitimation dont celui-ci
bénéficiait grâce à ses fonctions de protection exercées sur la
communauté plébéienne (y compris les victimes du racket).
Société honorée et guapparia sont donc deux termes
proches, mais qu’il faut tenir bien distincts l’un de l’autre
dans l’analyse de la légitimation sociale du groupe
camorriste. La guapparia nous ramène vers les
interprétations anthropologiques et sociologiques qui
soulignent la subculture partagée avec le milieu populaire  :
une violence délinquante alignée sur les valeurs d’une
violence populaire plus ample, une élite qui se confond avec
le peuple qu’elle domine. Le langage de l’honneur confirme
la priorité de l’organisation criminelle, qui fonde sa stratégie
d’extorsion/protection sur le groupe fermé – corporate avec

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le mot anglais utilisé dans les modèles sociologiques du


organized crime16.
12 La confrontation entre les sources administratives et les
publications sur la camorra du xixe siècle témoigne qu’en
effet l’honneur est un langage réellement parlé,
particulièrement, à l’intérieur du territoire organisé17, et ceci
dès le premier niveau d’incorporation des giovinotti onorati
(jeunes honorés). Ces derniers sont recrutés parmi les
guaglion ’e malavita ou palatini (les jeunes de mauvaise vie,
paladins), et utilisés comme main d’œuvre non rémunérée
par les niveaux supérieurs : dur apprentissage d’une carrière
qui, si elle est chanceuse, se poursuivra dans le grade du
picciotto di sgarro (quand, à la discrétion du camorriste de
la Société majeure, il pourra recevoir quelque fiore  : fleur,
privilège). Déjà les deux premiers niveaux, qui constituent la
Société mineure, ritualisent l’intégration à travers un
entretien et un baiser, qui sanctionne autant la solidarité que
l’obligation à la loi du silence  : «  Les mots qu’ils disent ne
doivent pas sortir et celui qui les fait sortir est passible de
mort18. » La promotion camorriste passe par une épreuve au
couteau et un rite de sang plus ancien  : elle comporte un
véritable caractère d’initiation. Cette étape de la carrière
donne droit à la tangente (pot-de-vin), à l’appellation
Monsieur le Camorriste (c’est ainsi que les giovinotti
onorati et les picciotti devaient s’adresser à eux). Ceux-ci
pouvaient poursuivre la carrière comme capintrini et
caposocietà de quartier, lesquels dirigeaient les paranze
(équipes de travail) et participaient au tribunal de la Grande
Maman (où «  l’on juge non pas avec le stylo, mais avec la
tête et avec le cœur »), au Grand jury d’honneur, qui pouvait
autoriser ou refuser le duel rituel entre pairs de même
niveau (le grand défi, dichiaramento), jusqu’à l’élection du
camorriste-chef de la ville entière, le capintesta (charge
appartenant traditionnellement au quartier criminel par
excellence de la Vicaria, mais déjà au milieu du siècle
contrôlée par les caposocietà des quartiers de marché plus
intense).
13 Si le capintrino est «  un homme de grand honneur  », le
capintesta est défini comme «  un homme de grand
courage19 ». L’imitation du modèle aristocratique semble ici
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parfaite, car justement le roi-prince médiéval n’a pas


d’honneur  : «  On ne peut pas dire de lui qu’il a ou non de
l’honneur. Il personnifie l’honneur20.  » La gestion de la
société est d’ailleurs de type oligarchique : le capintesta est
un primus inter pares même au tribunal, pour toutes les
questions qui concernent les conflits économiques et
interindividuels à l’intérieur de la Société majeure. On laisse
à chaque camorriste l’autonomie de contrôle des paranze du
quartier et des picciotti, et à ces derniers, à leur tour, le
contrôle des jeunes honorés, au moins jusqu’à ce
qu’explosent des comportements excessivement
indisciplinés.
14 Une distribution relativement plus égalitaire de l’honneur,
déjà à partir des jeunes honorés, correspondait en effet à des
fonctions et à des pouvoirs fortement hiérarchisés et
asymétriques. En relisant ces publications à la recherche du
mot, nous le retrouvons sous une acception commune dans
les rituels d’admission (faites-vous honneur, vous me faites
l’honneur de parler la tête couverte) et dans les formules de
jurement (je le jure sur mon honneur apparaît aussi dans les
lettres en prison21). Selon une acception, au contraire,
spécifiquement camorriste, le mot apparaît dans les
fonctions nécessaires pour la carrière (l’honneur de
commettre un délit) et l’esprit de corps (l’honneur
d’appartenir à la société). Il est intéressant qu’il apparaisse
aussi dans les rites d’expulsion (les chefs réunis pour
exprimer un jugement sur un pédéraste passif lui donnent
un coup de pied au derrière et ils « disent qu’il doit restituer
l’honneur à la société22 »). C’est, donc, une valeur qui passe
par les individus, mais qui appartient à la société : c’est elle
qui en discipline l’utilisation, en la soustrayant à une
compétition anarchique et en l’utilisant pour décrire ses
limites.
15 Ces fonctions très politiques du code nous servent de guide
pour donner à ce langage son espace réel dans les succès du
groupe, comme modèle-fonction de sa cohésion. Avant
même les comportements visant à la stratégie d’extorsion,
c’est l’honneur camorriste qui nous décrit un système de
réciprocité généralisée à l’intérieur de l’espace criminel et de
réciprocité négative à l’extérieur, envers les nombreuses
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victimes présentes dans le monde social et dans les


institutions elles-mêmes. Si dans l’aire organisée ce code a
des fonctions symboliques et politiques réelles, au-delà de ce
public il se présente comme carnavalesque, selon les
inversions de la réciprocité négative23.
16 En effet, cet honneur qui délimite un monde criminel dévoile
clairement le substrat sémantique du mot, qui – dans son
histoire plus longue – exprime la capacité d’exercer le
pouvoir avec force, et de contrôler par cette voie de façon
stable des ressources (nous pensons au butin-récompense du
chevalier du premier âge féodal). Il est utile de répéter que
l’histoire de cette criminalité est celle d’un exceptionnel
succès plébéien, qui – grâce à l’utilisation politique
particulière de la violence organisée sur le territoire – entre
aussi dans le marché des idiomes de prestige, en
s’appropriant un mot-clef de la société, et en renversant –
grâce à son autonomie culturelle et politique – la
signification légitimante habituelle. Il existe ici une
différence avec l’honneur mafieux, qui est plus ambigu. Les
mafieux parcourent des processus de mobilité sociale durant
le xixe siècle et, en effet, se font appeler don  : la définition
d’hommes d’honneur, qui délimite la cosca en Sicile,
rappelle aussi l’ambivalence de la légitimation – autant
criminelle que sociale – que ce groupe conquiert. Dans le cas
de la camorra, qui est restée visiblement plébéienne encore
aujourd’hui, la signification de l’honneur est plus linéaire,
car il indique sans possibilité d’équivoques le langage du
groupe criminel.

L’évolution du phénomène et son


identification judiciaire à l’époque libérale
17 Malgré les vagues successives de répression, la reproduction
de la camorra dans la société libérale représenta un fait
historique sûr et expliqué de diverses façons  : misère et
barbarie qui perdurent dans la ville populaire,
responsabilités de l’État central, dans sa périphérie
corruption de la politique. À la fin du xixe siècle, en effet,
lorsque le phénomène perd certaines de ses caractéristiques
les plus violentes et agressives en relation avec la répression
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policière, les relations avec le monde des élites et même


envers les institutions se développent24.
18 Parmi les autres aspects d’une tolérance croissante à
l’époque, nous pouvons souligner la diffusion
particulièrement fréquente, dans les publications et dans la
presse, de la dénomination de Société honorée pour la
camorra. En relation avec la nouvelle attention portée par
l’opinion publique de la Belle Époque à la thématique
criminelle, l’emphase sur un code criminel carnavalesque
amplifie certainement pour les lecteurs le charme des
aspects archaïsants d’une délinquance violente, du reste
modernisée25. Le mot honneur camorriste s’étend au-delà de
son public criminel, grâce aux avocats, qui dans leur action
de défense proposent des querelles de ce type  : quelle
différence y a-t-il entre la vulgaire bagarre et le
dichiaramento  ? Un célèbre criminaliste, lors d’une
conférence au Cercle juridique de Naples, reconstruit dans
tous ses détails le grand duel rituel, qui doit être autorisé par
le Grand jury de la camorra, où le plus habile dans l’art du
couteau peut se faire valoir devant toute la Société
honorée26. Le livre de l’avocat D’Addosio nous explique donc
comment l’honneur camorriste, né et opérationnel comme
code interne de l’organisation criminelle, trouva quelque
efficacité ultérieure dans la négociation des circonstances
atténuantes pour les délits qui marquaient les étapes
fréquentes et obligatoires de la carrière criminelle.
19 Au-delà des techniques de la défense, la répression pénale
contre la camorra est rendue difficile dans les tribunaux
italiens à l’époque libérale du fait des controverses
juridiques qui accompagnent en Italie le délit d’association.
Bien que justement la criminalité organisée de type mafieux
corresponde théoriquement aux formulations successives de
l’association de malfaiteurs27, une hostilité diffuse de la
culture juridique libérale en évitait très souvent l’utilisation.
20 On peut dire en général que le délit d’association a une
histoire controversée dans l’Italie libérale par rapport aussi
bien aux doctrines qu’aux pratiques, en tant que délit trop
étatiste et en effet « français ». Déjà utilisé au début du xixe
siècle pour la répression des mouvements sectaires et
libéraux, puis, successivement, contre les mouvements
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anarchistes et socialistes, le délit associatif provoque en lui-


même la méfiance de la culture libérale en tant que délit qui
comporte un caractère politique intrinsèque. Plus
précisément, les juristes libéraux considèrent que
l’incrimination pour association de malfaiteurs très souvent
ne respecte pas la délimitation de la norme pénale et l’autre
principe fondamental du droit libéral, selon lequel sont
punissables seulement les actes réellement accomplis, et non
pas ceux inhérents à la préparation du délit28. Ayant consulté
quelques dizaines de procès pour ces délits d’association à
l’époque libérale (cas de criminalité ordinaire aussi bien que
de camorra), nous pouvons affirmer que dans la pratique
judiciaire les juges semblent refuser de retenir la
circonstance aggravante de l’association, le dit «  délit-
instrument  », et préfèrent condamner pour le simple délit
contre la propriété, par exemple de vol ou d’extorsion, c’est-
à-dire le «  délit-objet29  ». Finalement, cette culture libérale
des garanties pénales, dans sa pratique envers une société où
le crime organisé à des racines très fortes, semble choisir de
ne pas «  voir  » les organisations criminelles en tant que
telles, plus visibles dans les enquêtes de police.
21 L’identification judiciaire insuffisante des phénomènes
mafieux ne permet donc pas d’approfondir la recherche
historique sur le crime organisé d’après les sources pénales.
La première répression postérieure à l’unité italienne
entraîna cependant, à côté des mesures extrajudiciaires de
police, de grands procès faits aux groupes mafieux et
camorristes, avec, parfois, de véritables succès pour
l’accusation30. À la fin du siècle en Sicile, un nouveau cycle
répressif envers la mafia est ouvert par le cas Notarbartolo :
le premier homicide d’une mafia ayant le vent en poupe,
attribué à un député à la forte clientèle ayant également des
relations avec la mafia31. Celui-ci fut enfin acquitté suite à un
procès respectueux des garanties pénales, qui cependant –
avec trois jugements successifs dans les grands tribunaux du
Nord – bouleversa l’opinion publique nationale selon des
dynamiques semblables à celles de l’affaire Dreyfus.
22 Cette sorte de nationalisation de la mafia, qui malgré le
résultat du procès entraîna de nouveau l’attention sur la
criminalité organisée sicilienne, relança aussi la
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problématique de la camorra napolitaine. Durant les mêmes


années où l’avocat cité précédemment demandait les
circonstances atténuantes pour le dichiaramento en tant que
duel d’honneur, l’incrimination pour le délit d’association fut
utilisée avec succès dans un intéressant procès intenté
contre la camorra sur les aumônes pour une Madonna
miraculeuse, faisant l’objet d’un culte populaire. La guerre
qui divisa les bandes de deux quartiers contigus du centre
historique démontra que l’organisation traditionnelle
pratiquant l’extorsion était bel et bien vivante, malgré
certaines évolutions vers une camorra «  embourgeoisée et
très moderne  », proche des affaires électorales et de la
corruption administrative32. Le résultat encourageant de ce
procès contre la camorra traditionnelle représenta les
prémisses de la grande offensive judiciaire du procès
Cuocolo, qui en 1912 condamna à trente ans de prison une
dizaine de camorristes pour un double homicide à l’intérieur
du milieu, exploitant le premier épisode de collaboration
aujourd’hui défini comme repentir, mais à travers un procès
à la limite de la légalité procédurale33. Les clameurs des
opinions publiques locale et nationale, partagées entre les
partisans de la culpabilité et ceux de l’innocence comme
dans les cas Dreyfus et Notarbartolo, pointèrent leurs
regards sur une camorra composite, en même temps
plébéienne et embourgeoisée, dont fleurirent des
représentations souvent manipulées quant à la cohésion
organisatrice et culturelle de la Société honorée, capable de
reproduire de façon nouvelle sa dangerosité sociale.
23 L’emphase mise sur le paradigme d’association qui
caractérise ce cas judiciaire, à la suite duquel l’organisation
historique napolitaine semblait avoir succombé, est
conforme à une tendance judiciaire nationale. Au début du
xxe siècle, l’évolution de la culture juridique italienne porte
le célèbre juriste Romano à définir les phénomènes de
criminalité organisée comme des « associations juridiques ».
Étant influencé par la tradition folklorique sur la mafia en
tant qu’expression de la culture communautaire sicilienne et
peut-être même par la camorra mise sous les feux de la
rampe par le procès Cuocolo, ce théoricien du droit public
autoritaire du nouveau siècle insère la criminalité organisée
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mafieuse – archaïsante mais capable de se reproduire dans


la modernité – à côté d’autres formes récentes
d’organisation des classes de plus en plus importantes de la
société industrielle, comme les syndicats ouvriers34. La
définition de Romano constituera un cadre théorique adapté
aussi à la dure répression judiciaire conduite par le régime
fasciste contre la mafia sicilienne et contre la camorra de
Caserte, quand l’incrimination pour association aux fins de
délinquance est utilisée selon des directives homogènes et
temporairement efficaces, stoppant ainsi une mafia en
montée libre, perçue comme étant incompatible avec l’utopie
totalitaire du fascisme35. Mais comme on le sait, face à la
croissance des phénomènes mafieux durant la période
républicaine en relation avec le grand marché de la drogue et
l’invasion des travaux publics, seul le récent cycle
d’antimafia des années l980 a produit une identification
juridique assez précise de la criminalité
d’extorsion/protection, insérant dans le code pénal le délit
d’association de malfaiteurs aux fins de délinquance de type
mafieux36, et conférant ainsi des possibilités judiciaires et
politiques inédites dans la lutte contre les mafias.

Notes
1. Traduction de M.-J. Nervi.
2. P. Arlacchi, La mafia imprenditrice, Bologne, Il Mulino, 1983,
élabore un modèle dichotomique entre le passé et le présent des
phénomènes mafieux critiqué par les historiens : « Mafia », Meridiana.
Rivista di storia e scienze sociali, 1990, n° 7-8.
3. Dans ses premiers écrits sur la camorra et la mafia après l’unification
nationale, Pasquale Villari reprend l’importante métaphore politique de
Cuoco à propos de l’esprit public du royaume de Naples face à la
révolution française  : V. Cuoco, Saggio storico sulla rivoluzione di
Napoli, Milan, Tipografia milanese, 1801  ; P. Villari, Le lettere
meridionali ed altri scritti sulla questione sociale in Italia, Florence, La
Barbera, 1878.
4. J. Davis, Conflict and Control  : Law and Order in Nineteenth-
Century Italy, Londres, Macmillan, 1988, chap. 6. ; M. Marmo, « Tra le
carceri e i mercati. Spazi e modelli storici del fenomeno camorrista », P.
Macry et P. Villani (dir.), Storia d’Italia. Le regioni dall’Unità ad oggi.
La Campania, Turin, Einaudi, 1990, p. 689-730.

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5. S. Lupo, Storia della mafia dalle origini ai nostri giorni, Rome,


Donzelli, 1993 (trad. française : Histoire de la mafia, des origines à nos
jours, Paris, Flammarion, 1999).
6. B. Marin, «  Découpage de l’espace et contrôle du territoire urbain  :
les quartiers de police à Naples (1791-1815)  », Mélanges de l’École
française de Rome. Italie et Méditerranée, 1993, 105-2, p. 503-538.
7. M. Monnier, La Camorra. Notizie storiche raccolte e documentate,
Naples, Berisio, 1965, p. 117-135 (1re éd. : Florence, La Barbera, 1862).
8. M. Marmo, « Quale ordine pubblico. Notizie e opinioni da Napoli tra
il luglio ’60 e la legge Pica  », P. Macry (dir.), Quando crolla lo Stato.
Studi sull’Italia preunitaria, Naples, Liguori, 2003, p. 179-227.
9. Le document du 20 octobre 1863 est plus amplement cité dans M.
Marmo et O. Casarino, « “Le invincibili loro relazioni”. Identificazione e
controllo della camorra napoletana nelle fonti di età postunitaria », Studi
Storici, 1988, n° 2, p. 385-386.
10. M. Monnier, op. cit., p. 145-146.
11. Le rapport du préfet De Blasio au lieutenant Farini du 22 novembre
1860 est plus amplement cité dans M. Marmo et O. Casarino, «  “Le
invincibili loro relazioni”… », op. cit., p. 388.
12. M. Monnier, op. cit. Cette excellente étude folklorique eut aussi une
immédiate traduction française  : La camorra  : mystères de Naples,
Paris, Michel Lévy Frères, 1863.
13. Ibid., p. 115.
14. Ibid., p. 119-121.
15. G. Alongi, La Camorra. Studio di sociologia criminale, Turin,
Bocca, 1890 ; A. De Blasio, Usi e costumi dei camorristi, Naples, Pierro,
1897 (je citerai de l’éd. Naples, Luca Torre, 1993). Ces criminologues
utilisent beaucoup de témoignages venant du monde de la prison et du
domicile forcé, qui semblent être dignes de foi, si l’on exclut le présumé
code écrit en 1842 publié par De Blasio, que Monnier à l’époque n’avait
pas retenu comme étant authentique, valorisant plutôt la tradition orale
de la camorra (M. Monnier, op. cit., p. 22-23).
16. Cf. A. Block, East Side-West Side. Organizing Crime in New York
1930-1940, Cardiff, College UP, 1980.
17. Cf. M. Marmo, «  L’onore dei violenti, l’onore delle vittime.
Un’estorsione camorrista del 1862 a Napoli  », G. Fiume (dir.), Onore e
storia nelle società mediterranee, Palerme, La Luna, 1989, p. 181-206.
18. Ces mots et les citations suivantes proviennent de la tradition
camorriste reportée par A. De Blasio, op. cit., p. 5-10.
19. Ibid., p. 2-3.
20. Cf. H. Weinrich, «  La mythologie de l’honneur  », Metafora e
menzogna : la serenità dell’arte, Bologne, Il Mulino, 1976, p. 230.
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21. M. Monnier, op. cit., p. 146.


22. Ces mots proviennent des informations dignes de foi d’un homme
condamné au domicile forcé, publiées intégralement par G. Alongi, op.
cit., p. 203.
23. M. Marmo, « L’onore dei violenti », op. cit., p. 191-193.
24. A. Labriola, Il segreto di Napoli e La leggenda della camorra,
Naples, Pierro, 1911 ; M. Marmo, « Tra le carceri e i mercati », op. cit., p.
707-708.
25. G. Russo et E. Serao, La Camorra. Origini, riti, usi e costumi
dell’Annurrata Soggietà, Naples, 1907.
26. C. D’Addosio, Il duello camorrista, Naples, 1897.
27. Le Code pénal libéral de Zanardelli de 1889 casse l’expression
«  malfaiteurs  » à faveur de la formulation plus garantiste «  association
aux fins de délinquance ».
28. C. Fiore, «  Il controllo della criminalità organizzata nello Stato
liberale  : strumenti legislativi e atteggiamenti della cultura giuridica  »,
Studi storici, 1988, n° 2, p. 421-436.
29. Ibid., p. 430  ; M. Marmo, «  Il reato associativo tra costruzione
normativa e prassi giudiziaria », G. Civile et G. Machetti (dir.), La città
e il tribunale. Diritto, pratica giudiziaria e società napoletana tra
Ottocento e Novecento, Naples, Libreria Dante & Descartes, 2004, p. 111-
170.
30. Ibid., p. 147-154 ; S. Lupo, op. cit., p. 58-65.
31. Ibid., p. 75-80.
32. A. Labriola, op. cit., p. 83-84.
33. M. Marmo, « “Processi indiziari non se ne dovrebbero mai fare”. Le
manipolazioni del processo Cuocolo (1906-1930)  », M. Marmo et L.
Musella (dir.), La costruzione della verità giudiziaria, Naples,
ClioPress, 2003, p. 101-170
(http ://www.storia.unina.it/cliopress/marmo/html).
34. S. Romano, L’ordinamento giuridico. Studi sul concetto, le fonti e i
caratteri del diritto, Pisa, 1917, p. 41-42, 110-111.
35. S. Lupo, op. cit., p. 181-190.
36. G. Insolera, L’associazione per delinquere, Padoue, CEDAM, 1983.

Auteur

Marcella Marmo
© Presses universitaires de Rennes, 2008

Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540


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Référence électronique du chapitre


MARMO, Marcella. La dite «  Société honorée  »  : codes criminels,
représentations sociales et identification juridique de la camorra
napolitaine aux xixe et xxe siècles In  : La violence et le judiciaire  : Du
Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques [en ligne].
Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19 septembre
2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/5017>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.5017.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
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La violence et le judiciaire

Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,


pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

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Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

L’émeutier et
l’indiscipliné : de
la rétribution
pénale à la
prévention des
risques sociaux.
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France, Canada,
Belgique, première
e
moitié du xx
siècle
David Niget
p. 277-290

Texte intégral
1 La justice des mineurs est née dans les premières années du
xxe siècle, selon une remarquable synchronie, dans la
plupart des pays industrialisés1. Ce dispositif judiciaire
spécialisé dans le traitement des déviances juvéniles, et
parfois dans le traitement des déviances commises à
l’encontre des jeunes, se donne d’emblée un double objectif.
Il s’agit, d’une part, de protéger la société contre des
violences juvéniles de plus en plus stigmatisées, et, d’autre
part, selon le mot d’ordre des réformateurs de protéger,
l’enfant ou l’adolescent de sa propre violence ou de celle de
son milieu.
2 Il semble alors que la violence juvénile ait définitivement
perdu la fonction sociale qui était la sienne, dans les
communautés rurales notamment2. Désormais, selon le mot
du Dr Lejeune, il faut «  fouetter les apaches  »qui déferlent
sur la ville de la Belle Époque3. Avec les avatars d’une
croissance urbaine mal maîtrisée, la montée progressive des
conflits sociaux malgré l’ébauche d’un État protecteur,
l’insécurité entre sur les scènes politiques occidentales à la
veille de la Grande Guerre. En France, certains magistrats
dénoncent la «  crise de la répression  » dont la jeunesse
impunie serait un révélateur4. En Amérique du Nord, paraît
de nouveau, tout droit sortie de la geste dickensienne, la
figure du «  street-rat  », gosse dégénéré, engeance des rues
qui appelle l’apitoiement autant que l’effroi5. Mais si la
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société doit être protégée de ces figures menaçantes, il faut


aussi protéger les jeunes. L’usage du concept d’adolescence,
réservé aux jeunes de la bourgeoisie au xixe siècle, s’étend
alors aux classes populaires6. La synthèse rousseauiste, qui
identifiait l’adolescence à un âge de tumulte intérieur et de
violence exacerbée, est alors relayée par de nombreux
travaux médicaux puis criminologiques qui, tout en
universalisant le concept, lui attribuent un caractère
pathologique7.
3 La communauté d’intérêt entre la protection de la société et
protection de l’enfant, au fondement du discours des
réformateurs de la justice des mineurs, est parfaitement
illustrée par la théorie de la «  défense sociale  ». Cette
dernière est forgée par le pénaliste belge Adolphe Prins au
tournant du xxe siècle, et rencontre un succès international
immédiat et durable8. Par-delà son approche sécuritaire,
cette doctrine témoigne plus largement du basculement de
paradigme d’une conception libérale du droit qui étalonne la
peine sur la gravité de l’offense, à une conception préventive
s’attachant au traitement de l’individu et à sa socialisation
plus qu’aux faits commis9. Ce n’est donc plus le danger
immédiat qui prime dans l’évaluation des faits, mais la
dangerosité, c’est-à-dire la probabilité, scientifiquement
évaluée par la criminologie, qu’un individu menace l’ordre
social dans un avenir plus ou moins proche. Sur le plan
pénal, on passe donc d’un système libéral de rétribution,
supposé égalitaire, à un système socialisé de prévention,
discriminatoire. Cet accroc à la doctrine libérale est racheté
par deux impératifs : protéger la société contre les individus
dangereux, car inamendables et définitivement corrompus
(récidivistes)10, et protéger les individus en danger –
notamment les enfants – que leur « milieu », concept à mi-
chemin entre l’héréditarisme et l’environnementalisme,
condamnerait à la déviance11.
4 Dès lors que la responsabilité pénale s’efface devant le risque
social, la rupture disparaît entre une violence exercée et une
violence subie par l’enfant, ces phénomènes n’étant que les
deux faces d’un même problème social. Dans le discours des
réformateurs, on parle indifféremment d’enfant «  en
danger » et d’enfants « dangereux ». En outre, la perception
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de la violence se modifie, moins révélée par la brutalité des


faits que pressentie dans l’augure d’un danger à venir,
manifestée par des comportements juvéniles turbulents bien
que sans caractère de gravité immédiat. La violence ne
réside plus dans le geste, mais dans la menace. Sa
temporalité est affectée par le discours savant et les
nouveaux impératifs de la gouvernementalité.

Du pénal au social
5 Cependant, malgré l’existence de ce courant réformateur
international, attesté par la circulation des hommes et des
idées12, le dispositif légal et les pratiques judiciaires ne
pointent pas les mêmes stigmates selon les espaces
nationaux et les contingences locales dans lesquels ils
s’inscrivent. En France, et à Angers notamment13, la
«  rétribution pénale  », terme en usage dans le lexique
juridique, reste au cœur des préoccupations judiciaires. Il
s’agit à la fois de racheter le dommage commis mais aussi
d’une forme de vengeance sociale contre l’insurgé. Révolte
ostentatoire ou tapage sont en effet de mise, car le système
judiciaire se préoccupe surtout des violences publiques. A
contrario, les violences privées restent peu réprimées,
enfouies dans l’épaisseur des querelles familiales, sur
lesquelles la justice rechigne à se pencher.
6 Modèle opposé, au Canada, et à Montréal notamment14, la
justice des mineurs a opté pour un nouvel apparat
«  protectionnel  ». Un juge des enfants spécialisé dirige la
cour des jeunes délinquants, des « infra-délits » sont forgés
à la demande du juge fondateur, pour se saisir des enfants
désobéissants et vagabonds. Cet élargissement du filet de
prise en charge va de pair avec l’adoucissement généralisé
des sanctions, même si les institutions d’enfermement
perdurent15. Selon cette nouvelle doxa, la prévention des
risques sociaux prime16. Dans cette perspective, le traitement
des violences minuscules domine, ces violences étant
progressivement assimilées à des troubles comportementaux
à mesure que les sciences du psychisme émergent dans le
paysage de la justice des mineurs17. In fine, l’approche
préventive constitue un volet d’un plus vaste projet

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politique  : il s’agit de forger, à travers l’enfant, un corps


social conforme à l’image d’une modernité démocratique
pacificatrice – la fabrique du citoyen discipliné et
responsable – et utilitariste – la fabrique du travailleur
compétent18.
7 La Belgique apparaît comme un modèle hybride, qui
conserve la pratique prudente du système pénal napoléonien
face aux conflits privés et intransigeante à l’égard des
désordres publics. Mais, parallèlement, le regard judiciaire
se porte sur une nouvelle figure juvénile plus menaçante
encore que le bagarreur ou même l’émeutier : l’indiscipliné.
L’incorporation de la correction paternelle, procédure civile,
à la justice des mineurs, appelle certes un élargissement des
populations visées, mais sous réserve de l’assentiment
parental. À mi-chemin entre le privé et le public, la justice
des mineurs en Belgique, apparaît véritablement comme une
police des familles19.

De la violence interpersonnelle à la prise


de risques
8 Quelle définition de la violence adopter pour comparer ? En
tenant compte des biais classificatoires de nos sources, on
peut schématiser les déclinaisons de cette violence sous trois
formes. En premier lieu, la violence interpersonnelle se
réduit le plus souvent aux qualifications de «  coups et
blessures  » en droit pénal napoléonien, et à l’«  assaut  » en
droit de Commonlaw qui règne au Canada. Cette catégorie
devrait comprendre également les violences sexuelles, mais
nous rencontrons une difficulté pour les quantifier, puisque
la procédure de qualification judiciaire occulte souvent la
violence exercée lors de l’acte sexuel, en la désignant comme
«  outrage public à pudeur20  ». En outre, nous devons
considérer les violences dirigées contre les biens, ou
dégradations, avec la difficulté à déterminer si elles sont
instrumentales et donc conjoncturelles, ou une fin en soit,
marqueur d’une volonté de nuire sans intérêt
d’appropriation. Enfin, les violences subies par les enfants et
adolescent(e)s sont principalement d’ordre familial ou
sexuel. Pour ce dernier point, la comparaison est délicate,
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19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - L’émeutier et l’indiscipliné : de la rétribution pénale à la prévention des risques sociaux. France, …

car de nos trois espaces étudiés, seul un, Montréal, dispose


d’une justice des mineurs qui prenne à la fois en charge les
violences exercées et les violences subies. En outre, un tel
élargissement de la perspective devrait suggérer une analyse
spécifique, et constitue une étude en soi. Nous nous en
tiendrons donc aux deux premières catégories, tout en
considérant que ces violences sont bien souvent
« circulaires », à la fois exercées et subies, comme l’avaient
pressenti les défenseurs de l’enfance martyr dès la fin du
xixe siècle.
9 À Angers, pour la période qui court de l’ouverture du
tribunal pour enfants et adolescents à sa réforme de 1945, les
« coups et blessures » et « violences » représentent plus de
13 % des préventions, les « outrages à agent », « rébellions »
et désordres 2,3  %. Les violences sexuelles, «  attentats aux
mœurs  », sous-estimées car masquées par la qualification
judiciaire au profit d’« outrage public à la pudeur », sont de
l’ordre de 0,5  % (12 affaires en tout et pour tout). Les
violences interpersonnelles représentent donc 16  % du
volume des jugements. Les dommages et dégradations
occupent, de leur côté, 4  % de l’activité judiciaire.
Globalement, le tribunal pour enfants et adolescents
d’Angers traite 20  % des cas qui lui sont référés sous une
qualification judiciaire impliquant des faits de violence.
10 Si l’on considère maintenant les mesures prises par le
tribunal dans des affaires à caractère violent, on s’aperçoit
que les peines de l’amende et de la prison sont
surreprésentées, alors que les mesures spécifiques à la
justice des mineurs, considérées comme « protectrices » (la
remise à la famille, la liberté surveillée, l’envoi en maison de
correction), sont sous-représentées. On est donc bien ici
dans l’ordre de la «  rétribution pénale  » classique, dont on
tempère cependant la sévérité en usant de la mesure du
sursis, instaurée par la loi Bérenger de 189121.
Graphique 1. Types de délits commis par les
mineur(e)s comparu(e)s devant le tribunal pour
enfants et adolescents d’Angers (1914-1945)

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Source : TEA-A. Registre des décisions prises à l'égard des


mineurs (1914-1955)
Graphique 2. Type de verdicts rendus par le TEA
d’Angers selon la nature du délit (1914-1945)

Source  : Tribunal pour enfant et adolescents d'Angers.


Registre des décisions prises à l'égard des mineurs (1914-
1955)
11 À Montréal, pour la période qui s’étend de la création de la
Cour des jeunes délinquants à la Seconde Guerre mondiale22,
et si l’on ne tient compte que des affaires dans lesquelles des
mineurs sont accusés, on constate que les violences
interpersonnelles ne représentent que 3  % du volume des
affaires jugées, tandis que les dégradations se montent à 7 %.
Les «  conduites sexuelles répréhensibles  » ne constituent
pas, dans la quasi-totalité des énoncés d’inculpation, de
comportements violents, même si, ici encore, ceux-ci sont
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souvent occultés. Ainsi, 10  % des cas impliquent des


violences, lesquelles sont majoritairement des dégradations.
Graphique 3. Typologie des infractions pour les
accusé(e)s mineur(e)s. Cour des jeunes délinquants
de Montréal (1912-1940)

Source : Cour des jeunes délinquants de Montréal. Plumitifs


12 On peut également remarquer la prégnance d’une autre
catégorie d’infractions s’agissant de violence  : celle des
« troubles envers la paix publique, des empiétements et des
comportements dangereux », qui occupent 18 % de l’activité
judiciaire. Ces faits recouvrent une infinie variété de motifs
dans les jugements, mais se caractérisent d’une part par des
tapages, parfois injurieux, et d’autre part, par des prises de
risques inconsidérées dans l’espace urbain. Enfin, notons
l’importance de la catégorie des «  incorrigibles et
incontrôlables » (17 % de l’activité judiciaire), qui signalent,
avec l’apparition de ces infra-délits spécifiques à l’enfance
créés à la demande du juge en 1913, le basculement du
traitement judiciaire des comportements violents de la
qualification des faits vers la description du tempérament du
coupable lui-même.
Tableau 1. Type de mesures appliquées aux
mineurs, par catégorie d’infraction, CJD de
Montréal (1912-1940)23
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Source : CJDM. Plumitifs


13 Quant aux mesures prises par la Cour des jeunes délinquants
face à ces affaires considérées comme violentes, on
remarque une même propension qu’en France à appliquer
une rétribution classique aux violences inter-personnelles et
aux dégradations, avec une surreprésentation des mesures
pénales. La catégorie des « troubles envers la paix publique
et des comportements dangereux » emporte également plus
de mesures pénales, mais est assortie d’un fort taux de
mesures de probation. Mesure-phare de la réforme judiciaire
au début du siècle, il s’agit d’une mise sous surveillance du
mineur par un agent rémunéré par la cour. Enfin, la
catégorie des « incorrigibles » ne fait pas l’objet de sanctions
pénales, mais bénéficie très fréquemment de la probation, de

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même que les institutions de correction sont plus souvent


sollicitées. Il apparaît donc, dans le cas québécois, que les
incriminations pour faits de violence sont estompées au
profit de micro-violences ou de troubles comportementaux,
lesquels bénéficient plus que les simples violences de
mesures spécifiques de réhabilitation du jeune délinquant.
14 Considérant le cas belge sur une période comparable, cette
dernière observation se confirme  : la violence (les «  faits
qualifiés infractions contre les personnes  ») est assez peu
réprimée par le juge des enfants institué par la loi de 1912,
alors que la catégorie des indisciplinés («  inconduite  »)
occupe une part importante de l’activité judiciaire24.
Graphique 4. Typologie des infractions commises
par les mineurs ayant fait l’objet d’une mesure,
Belgique (1915-1944)

Source : Statistique judiciaire de Belgique


15 Quelles causes systémiques peut-on invoquer  ? Une
distinction importante entre les dispositifs nationaux réside
dans l’âge de majorité pénale. La France, à contre-courant
des autres pays occidentaux, a haussé cet âge de 16 à 18 ans
en 1906. Au Québec, cet âge est de 16 ans jusqu’en 1943. La
Belgique, de son côté, opte pour un entre-deux qui inaugure
des pratiques judiciaires pour le moins acrobatiques, avec un
double seuil de majorité, de 16 ans pour les délits ordinaires,
et de 18 ans pour les affaires de protection, dont
l’indiscipline. Ainsi, nombreux sont les cas de recours à cette
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dernière catégorie qui visent à préserver le jeune délinquant


de 16 à 18 ans des griffes de la justice ordinaire. Des faits de
violences sont ainsi requalifiés en indiscipline. On comprend
d’emblée que s’agissant de violence, l’âgecible dans l’esprit
des acteurs judiciaires comme dans le sens commun, est
cette catégorie des 15-25 ans, celle des jeunes adultes encore
célibataires. Ainsi, le cas français témoigne d’une volonté de
protection accrue des adolescents25, mais cette augmentation
de l’âge de majorité tend en retour à affaiblir le processus de
spécialisation de la justice des mineurs, dont la population
devient moins spécifique, moins centrée sur l’enfance et la
prime-adolescence.
16 Un autre filtre engendre un traitement différencié de la
violence juvénile  : l’approvisionnement des tribunaux et le
processus de qualification juridique des faits incriminés.
L’approvisionnement est en effet radicalement différent
suivant que la justice offre ou non aux parents la possibilité
de requérir un jugement au titre de l’incorrigibilité de leur
enfant. En France, tel n’est pas le cas, et les premiers
pourvoyeurs des tribunaux pour enfants et adolescents sont
les forces de l’ordre et les victimes. Les premiers sont enclins
à porter plainte pour «  outrages  » et «  rebellions  », les
seconds pour «  coups et blessures  ». Au Québec ou en
Belgique, la possibilité pour les parents de saisir le tribunal
les invite, dans des cas de conflits de voisinage ou de rixes
juvéniles par exemple, à devancer l’action publique en
traduisant leur enfant devant le juge pour assumer et couvrir
à la fois ces faits de violence.

La violence, le politique, le domestique


17 Si l’on se détache un peu de ces catégories, qu’en est-il
lorsque l’on examine dans le détail les dossiers judiciaires ?
La violence, comme phénomène, résiste en effet à
l’étiquetage rigide, et l’éclairage qualitatif procure alors le
sens sans lequel l’intitulé de «  violence  » n’est qu’un
repoussoir à l’analyse. On trouve d’ailleurs souvent dans les
stratégies des accusés l’invocation de la fureur inexpliquée,
de l’accès de rage, du geste irréfléchi, une façon d’éviter

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toute incursion des enquêteurs dans l’épaisseur des conflits


privés.
18 À Angers, on réprime les violences publiques et ostensibles
bien plus que les violences privées. Les rixes entre jeunes
gens sont fréquentes, spécialement lors des temps de loisirs,
en fin de semaine. Il peut s’agir de confrontations fondées
sur des préjugés sociaux, liés à la défense de l’identité, ou
d’un territoire. La Première Guerre mondiale et ses
lendemains immédiats donnent l’occasion de confrontations
entre jeunes angevins et jeunes français musulmans
d’Algérie, cantonnés à Angers comme «  ouvriers coloniaux
militaires » ou « soldats indigènes26 ». En octobre 1917, une
bataille rangée voit s’affronter plusieurs dizaines de jeunes
de 15 à 20 ans, suite à une altercation, aux portes d’un débit
de boissons, entre un «  ouvrier tréfileur  » et un «  ouvrier
colonial27  ». Le jeune Haouad s’explique  : «  [Les Angevins]
se mirent à me ridiculiser, me disant que nous autres Arabes
n’étions pas des hommes mais des fauves.  » Une bataille
rangée s’improvise, avec force bâtons et jets de pierres. Sous
le nombre, les jeunes Arabes battent en retraite, se
dispersent dans les jardins ouvriers pour fuir. C’est là que
Haouad est attrapé par quatre ou cinq, roué de coups et
blessé au «  couteau de poche  ». On retrouve encore des
insultes proférées à l’égard de soldats indigènes en 1920, à
Avrillé, à la sortie d’un café de nouveau  : «  Sale bicaud  »,
lance un jeune ouvrier, visiblement ivre, à deux soldats qui
passent28. Lors de la rixe qui s’ensuit, les couteaux sont tirés,
et le jeune Arabe est blessé, chose extrêmement rare, au
visage, geste témoignant d’une véritable intention de le
défigurer. On peut lire ici l’indice de l’altérité culturelle entre
les surineurs, qui, habituellement, savent se blesser sans
conséquences infamantes, à la cuisse, à la fesse. Des témoins
rapportent en outre la fanfaronnade des deux jeunes
accusés, le lendemain, s’exclamant « ils ont la tête dure, ces
Arabes », ou « sa capote était dure à piquer ».
19 On discerne également quelques faits de violence liés aux
conflits sociaux. En 1919, année agitée à cet égard, un
ouvrier boulanger, ignorant la décision du syndicat, est sorti
de son fournil manu militari, par des «  débaucheurs29  ».
Interpellé par un gréviste en ces termes : « Pourquoi tu fais
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tort aux autres et que tu travailles ? », il répond : « Vous êtes


trop exigeants, on vous donne 3,75 F de la fournée, vous n’en
voulez pas, dans ces conditions là, mois je vous emmerde,
tout ce que vous êtes d’ouvriers boulangers sur la place
d’Angers. » Les jeunes grévistes sont arrêtés quelques heures
plus tard, sur le pont de Verdun, ivres, chantant
l’Internationale.
20 Cependant, plus souvent, ces rixes mettent en scène des
jeunes se connaissant, dont les statuts socio-professionnels
sont comparables. Les filles en sont fréquemment l’enjeu, et
l’ivresse est invoquée tant et plus, dont on devine qu’il s’agit
d’un argument convenu, tant pour les jeunes que pour les
gendarmes, pour refermer la boîte de pandore des conflits
communautaires. La surveillance des débits de boisson par
les gendarmes et policiers appelle un autre type de délit,
lequel, sans être fréquent, n’en reste pas moins régulier : les
rébellions, c’est-à-dire les soulèvements «  collectifs  », ou
plus fréquemment, des résistances actives contre les forces
de l’ordre30.
Graphique 5. Évolution sur la longue durée des
accusations pour violences et rébellions à Angers
(1870-1944)

21 Un trait contraste dans le cas angevin et français  : la


permanence d’une scansion «  politique  » de la répression
des violences par l’appareil policier et judiciaire. La courbe
de la répression des violences, à Angers, est rythmée par des
phases de resserrement de la surveillance politique, à
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compter de la fin du xixe siècle. La répression croît à


l’occasion de la montée de la contestation sociale et des
grandes grèves ouvrières, particulièrement dures à Angers
où les Ardoisières refusent obstinément, avant-guerre,
d’augmenter les salaires31. De plus, les guerres, au xxe siècle,
voient la répression de la violence s’affaiblir au profit de la
protection des biens. La justice des mineurs, trop peu
spécialisée, ne disposant pas de parquet notamment, ne
maîtrise pas les filières judiciaires et répond donc, aux
injonctions des politiques pénales globales.
22 À Montréal, ce sont les comportements nuisibles et
dangereux qui remplacent les faits de violence publique dans
les préoccupations des élites. Quant aux violents récidivistes,
ils sont traités comme des «  incorrigibles  ». À côté de ce
phénomène, les violences privées sont progressivement
prises en charge, avec l’inculpation des adultes.
23 Le motif d’inculpation le plus fréquent est celui de « troubler
la paix  », qui recouvre une infinie variété de
comportements  : ce sont de simples tapages à l’occasion de
jeux enfantins. Ce sont aussi des agressions de passants que
la presse ou les syndicats de commerçants dénoncent
activement. Ce sont enfin des rixes entre voisins, qui restent
cependant sans gravité, comme l’atteste l’absence d’armes
blanches ou de revolver, au contraire du cas angevin. On
pourrait y ajouter une série de comportements relevant de la
prise de risques, mettant en danger l’enfant ou les passants :
s’accrocher aux tramways ou aux trains en mouvement,
s’introduire sur des sites industriels ou entrepôts non
sécurisés, ainsi que de nombreuses infractions à la
circulation, à bicyclette surtout. Sortir les enfants de la rue
devient un mot d’ordre politique, à mesure que les risques
que les enfants y courent ou y font courir augmentent, en
particulier avec l’essor de l’automobile provoquant des
accidents vécus comme des drames collectifs. On assiste à un
basculement des valeurs à l’égard de l’enfant  : alors qu’il
devient économiquement sans valeur (restriction du travail
juvénile), sa valeur affective devient incommensurable32.
24 Avec l’émergence de l’assurance comme mode de gestion des
risques sociaux, il faut protéger les enfants de situations
dont on peut prévoir qu’elles sont dangereuses. La violence
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s’est déplacée  : elle réside désormais dans ces situations de


danger prévisibles que l’on n’a pas su ou voulu prévenir. À
Montréal, l’incendie du Laurier Palace, un cinéma où 77
enfants meurent asphyxiés en 1927, est ainsi perçu comme
un épisode de grande violence à l’égard des jeunes victimes
bien sûr, mais également envers l’enfance en général33.
Même si, selon la loi, ces enfants de moins de 16 ans
auraient dû être accompagnés, personne ne pense alors
poursuivre les parents pour négligence. Au contraire, les
comptes rendus de presse et le rapport d’enquête
parlementaire qui suivent témoignent d’un sentiment de
culpabilité collective, qui atteste bien du déplacement de
l’étiologie de la violence des populations dangereuses vers la
gestion des risques.

Conclusion : vers une conception


historiciste de la violence
25 Au nom de la prévention plus que de la répression de la
violence, la justice des mineurs, réformée au début du siècle,
descend dans l’ordre quotidien des situations à risque. Elle
le fait de manière différenciée : en France, l’encadrement des
violences juvéniles reste traditionnel, dévolu aux forces de
l’ordre et sanctionné par des amendes et de la prison. Ce
sont sans doute les violences sexuelles qui, le plus tôt, vont
bénéficier d’une attention plus grande portée à la sphère
privée et en particulier à la santé mentale du jeune accusé,
avec des expertises psychiatriques plus nombreuses à la fin
des années 1930 et surtout dans les années 194034.
26 En Belgique, le croisement des courbes des faits «  qualifiés
de délinquance » et de catégories para-délinquantes comme
l’« indiscipline » laisse supposer un glissement plus précoce
de la répression vers la prévention des violences. Aimée
Racine, sociologue et observatrice privilégiée de la justice
des mineurs belge, signale en 1935 que nombre de ces cas
d’indiscipline sont liés au comportement «  insubordonné,
grossier, violent35  » de l’enfant que les parents viennent
dénoncer.
27 Au Canada, ce basculement est massif, les faits de violence
interpersonnelle étant totalement absorbés par le repérage
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des violences anodines, suivies en cas de récidive par une


intervention parentale qualifiant d’«  incorrigibles  » les
mineurs. Cette justice des mineurs mobilise la famille, mais
aussi la communauté autour de l’enfant  : l’instituteur, le
curé, le patron, sous la surveillance des intervenants sociaux.
Elle s’inscrit dans un projet : celui de fonder une société sans
délinquance36, sans violence, qui reposent d’une part sur
l’intériorisation des normes, la surveillance communautaire
réciproque, et d’autre part sur l’action publique réduisant les
facteurs de risque liés à l’environnement urbain.
L’inspiration de la sociologie urbaine de l’école de Chicago se
fait jour dans ce modèle dit «  progressiste37  ». Ainsi, une
conception historiciste de la violence s’inscrit dans l’utopie
réformatrice, qui rêve, comme d’autres rêvent alors de la fin
du capitalisme, de la fin de la violence et de l’émergence
d’une société de « bien-être ».

Notes
1. M.-S. Dupont-Bouchat et É. Pierre (dir.), Enfance et justice au xixe
siècle. Essais d’histoire comparée de la protection de l’enfance, 1820-
1914. France, Belgique, Pays-Bas, Canada, Paris, PUF, 2001, 443 p. ; M.
K. Rosenheim, F. E. Zimring et D. S. Tanenhaus (dir.), A Century of
Juvenile Justice, Chicago, Chicago UP, 2002, 456 p.
2. Au xixe siècle, la jeunesse rurale était encore dépositaire de la défense
des normes sexuelles, à travers le charivari notamment, mais également
de la mission de défense du territoire communal contre les villages
rivaux. L’usage instrumental de la violence lui était donc reconnu. J.-C.
Farcy, La jeunesse rurale dans la France du xixe siècle, Paris, Éditions
Christian, 2004, 220 p.
3. M. Perrot, «  Dans le Paris de la Belle Époque, les “Apaches”,
première bande de jeunes  », Les ombres de l’Histoire. Crimes et
châtiments au xixe siècle, Paris, Flammarion, 2001, p. 351-364  ; A.
Surot, «  Des Apaches à Angers, 1903-1905  », Annales de Bretagne et
des pays de l’Ouest, 110, 1, 2002, p. 145-160.
4. D. Kalifa, « Magistrats et répression à la veille de la Grande Guerre »,
Vingtième siècle, n° 67, juillet-septembre 2000, p. 43-59.
5. T. J. Gilfoyle, «  Street-Rats and Gutter-Snipes  : Child Pickpockets
and Street Culture in New York City, 1850-1900  », Journal of Social
History, 37, 4, été 2004, p. 853-876.
6. A. Thiercé, «  De l’école au ménage  : le temps de l’adolescence
féminine dans les milieux populaires (IIIe République) », Clio, 4, 1996.

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7. G. Stanley-Hall, Adolescence, its Psychology and its Relation to


Physiology, Anthropology, Sociology, Sex, Crime, Religion and
Education, New York, D. Appleton, 1904, 2 vol. Voir également, pour la
France, les nombreux articles des Annales de l’anthropologie criminelle,
dont P. Garnier, « La criminalité juvénile. Étiologie du meurtre », AAC,
XVI, 1901, p. 576-586  ; J. Grosmolard, «  Criminalité juvénile  », AAC,
XVIII, 1903, p. 129-158, 193-209, 257-275 ; G.-L. Duprat, La criminalité
dans l’adolescence, causes et remèdes d’un mal social actuel, Paris,
Alcan, 1909, 260 p.
8. A. Prins, La défense sociale et les transformations du droit pénal,
Bruxelles, 1910  ; F. Tulkens, «  Adolphe Prins et la défense sociale  »,
Généalogie de la défense en Belgique (1880-1914), Bruxelles, Story-
Scientia, 1988.
9. D. Garland, Punishment and Welfare : a History of Penal Strategies,
Aldershot, Gower, 1985, 297 p.
10. Le cas de la Belgique est exemplaire de cette nouvelle législation
appliquant un traitement pénal spécifique aux fous et aux criminels
d’habitude. O. Picard, Délinquants anormaux et récidivistes.
Commentaire de la loi du 9 avril 1930, dite de défense sociale à l’égard
des anormaux et des délinquants d’habitude, Louvain, Éditions de la
Société d’études morales, sociales et juridiques, 1931, 128 p.
11. Aux États-Unis, le Dr William Healy incarne cette approche. Son
travail sera très influent dans l’Entre-deux-guerres, notamment en
Belgique. E. Spaulding et W. Healy, «  Inheritance as a Factor in
Criminality. A Study of a Thousand Cases of Young Repeated
Offenders  », Journal of the American Institute of Criminal Law and
Criminology, vol. 4, n° 6, mars 1914, p. 837-858.
12. D. T. Rodgers, Atlantic Crossings. Social Politics in a Progressive
Age, Cambridge/Londres, Belknap/ Harvard UP, 1998, 634 p.
13. Nous avons recueilli et analysé, pour Angers, l’intégralité des
jugements rendus par le tribunal pour enfants et adolescents de son
ouverture en 1914 à 1945, date de sa réforme, soit 2 473 affaires. 10 % de
ces affaires ont fait l’objet d’un dépouillement qualitatif complet (dossier
judiciaire). D. Niget, Jeunesses populaires sous le regard de la justice.
Naissance du tribunal pour enfants à Angers et Montréal (1912-1940),
thèse de doctorat d’histoire, université d’Angers et université du Québec
à Montréal, 2005, 601 et 150 p.
14. Le travail canadien repose sur l’analyse quantitative de 5 963 fiches,
représentant 10  % des jugements rendus par la Cour des jeunes
délinquants de 1912, date de son ouverture, à 1940. En outre, 1 % des cas,
soit 596 dossiers ont fait l’objet d’une analyse qualitative dense. Je tiens
à remercier le Pr Trépanier de m’avoir donné accès à l’ensemble des
données.

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15. D. J. Rothman, Conscience and Convenience. The Asylum and its


Alternatives in Progressive America, Boston, Little, Brown & Co, 1980,
464 p.
16. Ce modèle protectionnel et préventif n’est installé que dans les
grandes agglomérations nord-américaines, là où la situation semble
l’imposer. Ainsi, en France et en Belgique d’une part, et au Canada-
Québec d’autre part, deux conceptions singulièrement différentes du
processus de démocratisation pèsent sur la genèse de la loi. Alors que le
modèle français issu de la Révolution consacre les droits octroyés par la
centralité et la « généralité », le modèle parlementaire britannique dont
le Dominion canadien est pénétré se voue, quant à lui, au progressisme
par l’expérience singulière («  libertés  »). P. Rosanvallon, Le modèle
politique français : La société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos
jours, Paris, Éd. du Seuil, 2004, 464 p.
17. L. Quevillon et J. Trépanier, « Thémis et la psyché : les spécialistes
de la psychiatrie et de la psychologie à la Cour des jeunes délinquants de
Montréal, 1912-1950 », Le Temps de l’Histoire, n° 6, 2004.
18. D. Niget, «  Justice des mineurs et citoyenneté  », communication
présentée au congrès de la Canadian Historical Association, York
University, Toronto, 29-31 mai 2006.
19. J. Christiaens, «  A History of Belgium’s Child Protection Act of
1912 : The Redefinition of the Juvenile Offender and his Punishment »,
European Journal of Crime, Criminal Law, and Criminal Justice, 7, 1,
1999, p. 5-21  ; voir aussi id., De geboorte van de jeugddelinquent,
Bruxelles, VUB Press, 1999, 430 p.
20. L’«  outrage public à la pudeur  » exclut pourtant, dans son intitulé,
toute forme de violence physique. Voir D. Niget, «  Venal Sexuality,
Predatory Sexuality, or Pathological Sexuality  ? Girls and Boys
Confronting the Juvenile Justice System in Angers (France), 1914-
1945 », X. Rousseaux et J. Trépanier (éd.), Juvenile Justice in the xxth
Century, (à paraître).
21. Jean-Claude Farcy, «  De la délinquance juvénile à la fin du xixe
siècle. L’exemple parisien », Trames, 3-4, 1996, p. 143-156.
22. En plus du conflit, une série de modifications législatives affectent le
régime de fonctionnement de la Cour, notamment le passage de la
majorité pénale de 16 à 18 ans en 1943.
23. Les chiffres en valeur absolue sont issus d’un échantillon de 10 % des
affaires.
24. A. François, « Du chiffre au dossier. Les statistiques de la protection
de l’enfance (1912-1965) », F. Vesentini (dir.), Les chiffres du crime en
débat. Regards croisés sur la statistique pénale en Belgique (1830-
1965), Louvain-la-Neuve, Academia/Bruylant, 2005, p. 244.

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25. P. Quincy-Lefèvre, «  L’année majeure. Société, jeunesse et seuils


d’âge en France au xxe siècle », communication au colloque « Modernité,
citoyenneté, déviances et inégalités », Cordoue, 1618 mars 2006.
26. P. Blanchard et S. Lemaire, Culture coloniale. La France conquise
par son Empire, 1871-1931, Paris, Autrement, 2003, 253 p., coll.
« Mémoires ».
27. ADML, 3U1 768  : tribunal pour enfants et adolescents d’Angers,
dossier d’instruction, n° de greffe 327.
28. ADML, 3U1 778, ibid., n° de greffe 632.
29. Attendus du jugement : « à l’aide de voies de fait, de violences ou de
menaces, amené ou maintenu, tenté d’amener ou de maintenir une
cessation concertée de travail dans le but de forcer la hausse ou la baisse
des salaires ou de porter atteinte au libre exercice de l’industrie ou du
travail  » (art. 414 du Code pénal). ADML, ibid., 3U1 773, n° de greffe
342.
30. R. Bizien, «  Boire, se battre et s’injurier  : la violence ordinaire à
Brest à la fin du xixe siècle (18901914) », Violence et société en Bretagne
et dans les pays celtiques, Brest, UBO, 2000, p. 219-242.
31. M. Poperen, Un siècle de luttes au pays de l’ardoise, Angers,
Imprimerie coopérative angevine, 1972, 159 p. ; J.-L. Marais, « Salaires
des ardoisiers des villes et des campagnes (1862-1933)  », Annales de
Bretagne et des pays de l’Ouest, 104, 2, 1997, p. 123-132.
32. V. A. Zelizer, Pricing the Priceless Child  : The Changing Social
Values of Children, New York, Basic Books, 1985, 277 p.
33. M. Fahrni, «  Children and Risk in the Modern City  : the Laurier
Palace Fire of 1927  », communication au colloque «  Modernité,
citoyenneté, déviances et inégalités », Cordoue, 16-18 mars 2006.
34. D. Niget, Jeunesses populaires sous le regard de la justice, op. cit.,
chap. 9.
35. A. Racine, Les enfants traduits en justice. Étude d’après trois cents
dossiers du tribunal pour enfants de l’arrondissement de Bruxelles,
Liège, G. Thone, 1935, p. 72.
36. M. Valverde, «  Building Anti-Delinquent Communities  : Morality,
Gender, and Generation in the City  », J. Parr (éd.), A Diversity of
Women : Ontario, 1945-80, Toronto, Toronto UP, 1995, p. 19-45.
37. D. S. Tanenhaus, Juvenile Justice in the Making, Oxford, Oxford
UP, 2004, 264 p.

Auteur

David Niget

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Du même auteur

La naissance du tribunal pour


enfants, Presses universitaires
de Rennes, 2009
Droits des enfants au XXe
siècle, Presses universitaires de
Rennes, 2015
Violences juvéniles sous
expertise(s) / Expertise and
Juvenile Violence, Presses
universitaires de Louvain, 2011
Tous les textes
© Presses universitaires de Rennes, 2008

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Référence électronique du chapitre


NIGET, David. L’émeutier et l’indiscipliné : de la rétribution pénale à la
prévention des risques sociaux. France, Canada, Belgique, première
moitié du xxe siècle In  : La violence et le judiciaire  : Du Moyen Âge à
nos jours. Discours, perceptions, pratiques [en ligne]. Rennes : Presses
universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19 septembre 2021).
Disponible sur Internet  : <http://books.openedition.org/pur/5019>.
ISBN : 9782753530546. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.5019.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
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La violence et le judiciaire
Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,
pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

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Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

Entre protection et
délinquance :
quelques pistes de
réflexion autour de
la question des
troubles de
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comportement et
de la logique
d’intervention
protectrice au
1
Québec
Lucie Quevillon
p. 291-304

Texte intégral

Introduction
1 Au Québec, de nouvelles dispositions ont récemment
modifié la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ). Une
des propositions contenue dans le projet de loi initial
concernait l’article 38h et la définition des troubles de
comportement2. Cette clause aurait eu comme effet d’exclure
du système de protection tout enfant de plus de 12 ans (i.e.
l’âge de juridiction de la Loi sur le système de justice pénale
pour adolescents) qui, par ses troubles de comportements,
pouvait présenter un danger pour autrui. Les nombreux
débats à la Chambre des communes et en commission
d’étude ont toutefois mené à l’abandon de cet alinéa dans la
version finale de la loi qui a été adoptée en juin 20063.
2 Pour les législateurs, le débat est clos. Mais nous croyons
que la discussion mérite d’être poursuivie, car le projet de loi
posait un enjeu social fondamental  : comment la sphère de
la Protection de la jeunesse se définit-elle  ? Et quelle
position adopte-t-elle face à la philosophie dominante qui
régit la gestion de la délinquance juvénile  ? Plus
précisément, est-elle tentée de subordonner la protection du
jeune à celle de la société, comme le voulait le projet de loi et
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à l’instar du système actuel pour les adolescents ? Si tel est le


cas, cela constituerait l’achèvement d’un renversement
sémantique important qui s’est produit en 1984, alors que le
système de justice juvénile a délaissé la philosophie
protectrice qui l’avait fait naître au profit de théories basées
sur la protection de la société, la responsabilité pénale et la
dissociation des phénomènes de délinquance et de
protection.
3 Une zone juridique dans laquelle il est possible de retrouver
l’essence de la vision originale de la justice juvénile a
toutefois subsisté  : l’article concernant les troubles de
comportement contenu dans la Loi sur la protection de la
jeunesse. Alors que toutes les dispositions de la LPJ
concernent des situations où l’enfant est considéré en besoin
de protection dans un contexte où il subit une situation –
actes de négligence, abus d’un tiers, ou carences de son
environnement – l’article concernant les troubles de
comportement fait plutôt référence à l‘agir de l’enfant4 et à
certains gestes pouvant être associés à la délinquance.
4 Nous sommes d’avis que les réactions qui ont entouré la
proposition d’exclure certains de ces jeunes de la sphère de
protection recèlent des indices pertinents pour une meilleure
connaissance de l’état actuel du discours protecteur et des
enjeux qui s’y greffent. Cette démarche sera l’occasion de
constater, entre autres choses, que la philosophie
d’intervention du système de protection n’a pas été
perméable aux concepts-clé des théories pénales classiques
qui ont réintégré la sphère de la délinquance juvénile à partir
de 1984.
5 Une première partie du présent article sera donc consacrée
au système de justice juvénile qui a vu le jour au début du
xxe siècle, en résumant d’abord les grandes lignes de
l’évolution historique de sa philosophie d’intervention, de sa
création jusqu’en 1984. Par la suite, nous verrons plus en
détail en quoi la Loi sur les jeunes contrevenants a constitué
une rupture législative importante et comment cette rupture
a affecté la nouvelle législation provinciale de 1977 en
matière de protection de la jeunesse.
6 Dans une seconde partie, nous proposerons une réflexion
sur l’état actuel du discours protecteur, par l’entremise du
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discours sur les jeunes en troubles de comportement et par


l’analyse d’un premier corpus empirique constitué, entre
autres, des réactions des Centres jeunesse aux modifications
contenues dans le projet de la nouvelle loi de la protection de
la jeunesse.
7 Ceci, espérons-nous, permettra d’amorcer une réflexion sur
la logique d’intervention en matière de protection de la
jeunesse, et de mieux comprendre comment elle se
positionne, de façon plus ou moins autonome, face au
discours dominant qui sert d’assise à la gestion de la
délinquance juvénile.

Le système de pensée original de la justice


pour adolescents et ses transformations

De sa création à l’avènement de la Loi sur les


jeunes contrevenants
8 En 1908, à l’instar des États-Unis et de plusieurs autres pays
européens, le gouvernement fédéral canadien faisait entrer
en vigueur la Loi sur les jeunes délinquants. Issue d’un
grand mouvement de réforme porté surtout par des
associations charitables et de secours aux familles, cette
législation concrétisait les efforts entrepris quelques années
auparavant pour donner un traitement spécifique aux
mineurs délinquants. En 1857, l’Acte pour établir des
prisons pour jeunes délinquants… avait séparé les mineurs
des adultes dans les lieux d’enfermement en créant des
écoles de réforme destinées aux jeunes. La loi de 1908
séparait quant à elle tout le régime de justice des mineurs de
celui des adultes en lui donnant une législation, un tribunal
et des juges distincts et en s’appuyant, surtout, sur une
philosophie complètement différente de celle qui
caractérisait la gestion de la criminalité adulte.
9 Cette philosophie, inspirée en partie de celle qui avait fait
naître l’Acte sur les écoles d’industrie de 1869 qui visait à
prendre en charge l’enfance errante, réfractaire ou accusant
des traits de pré-délinquance, Jean Trépanier l’a bien
résumée  : dans un contexte d’urbanisation accélérée où la
nation était en devenir et où les jeunes représentaient cet

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avenir, la protection de la société et celle du mineur allaient


de pair. C’est en protégeant et en guidant le jeune mal dirigé,
exposé à des dangers ou faisant preuve de comportements
pré-délinquants que l’on allait contribuer à bâtir la société de
demain. Même le délinquant coupable ne devait pas être
considéré comme un criminel mais bien comme un enfant
victime de son environnement, principalement familial. En
faire un bon citoyen exigeait par conséquent une attitude
protectrice et un contrôle bienveillant, au contraire d’une
approche répressive5.
10 Dans la pratique, ces principes ne pouvaient se concrétiser
que par l’abandon des principes de proportionnalité de la
peine et de rétribution qui constituaient les assises du
système de justice pénale depuis le xviiie siècle, ce qu’Alvaro
Pires a appelé la rationalité pénale moderne6. C’était plutôt
l’intérêt de l’enfant qui devait guider les décisions du juge
des nouvelles cours juvéniles, choisi pour ses qualités
«  paternelles  ». Ce devoir de protection a d’ailleurs été
affirmé de façon assez originale  : dans le contexte post-
confédération et du partage des pouvoirs entre le fédéral et
les provinces, l’autorité en matière de protection de l’enfance
relevait des autorités provinciales. Afin de bien affirmer la
primauté du concept de protection et de le rendre
opérationnel, la loi fédérale canadienne de 1908 comportait
une clause spéciale de transfert de compétence permettant
aux provinces de transformer toute affaire de délinquance en
affaire de protection. Les parlementaires avaient déjà
exprimé cette volonté lors des débats en Chambre. Qu’ils
aient tenu à en faire davantage qu’un principe d’intention
démontrait bien à quel point cette orientation était au cœur
du système de pensée de cette nouvelle justice juvénile.
11 Les sanctions appliquées aux jeunes – ceux placés en écoles
de réforme par exemple – pouvaient bien évidemment
s’avérer tout aussi coercitives que celles qui étaient imposées
aux adultes. D’ailleurs, la loi de 1908 n’excluait absolument
pas le recours aux tribunaux ordinaires pour certaines
infractions graves mais elle stipulait clairement que cela ne
devait se produire que si la Cour « est d’avis que le bien de
l’enfant et l’intérêt de la société l’exigent7 ». Ajoutons que le
nouveau système de justice pour mineurs n’échappait pas, et
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ne voulait sûrement pas échapper, à une volonté de contrôle


social : son association entre délinquance et protection lui a
entre autres permis d’entrer dans les familles et d’élargir,
par le fait même, le filet de contrôle des populations visées.
12 Alvaro Pires a toutefois bien démontré ce qui distinguait
fondamentalement le nouveau système de gestion de la
délinquance juvénile du système de justice pénale pour
adultes8. S’inspirant d’un texte de Georges Herbert Mead9, il
souligne qu’au-delà de la façon de faire plus informelle et
«  paternelle  », c’est la façon de penser sous-jacente aux
procédures de la nouvelle justice juvénile qui en faisait un
système original, en rupture avec les théories classiques
pénales. Mead considérait à cet effet que les procédures
régulant la justice pour mineurs pouvaient être qualifiées de
procédures non hostiles, parce qu’elles s’appuyaient sur des
théories basées sur la compréhension des phénomènes
sociaux et psychologiques laissant place à l’inclusion sociale
de l’individu, ceci en opposition avec les procédures régulant
la justice pour adultes centrées sur la répression, la
dissuasion, la rétribution et l’exclusion10.
13 C’est en tenant compte de distinctions similaires que
plusieurs auteurs ont affirmé que ce schéma a basculé lors
de l’avènement de la Loi sur les jeunes contrevenants qui
mettait littéralement fin à l’association délinquance et
protection, comme nous le verrons dans les lignes qui
suivent.

La rupture législative de 1984 et ses suites


14 Le contexte de l’adoption de la loi fédérale de 1984 est
intéressant à maints égards, notamment parce qu’il
impliquait directement la Loi sur la protection de la
jeunesse adoptée quelques années auparavant, en 1977.
15 La création de cette législation provinciale uniquement
dédiée à la protection de l’enfance avait comme objectif de
préconiser une approche non judiciaire du traitement des
enfants en difficulté, qui avait jusqu’ici prévalu. Elle instaura
à cet effet des instances d’évaluation dirigées par le nouveau
Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ), en amont du
tribunal. La Loi sur la protection de la jeunesse affirmait par

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ailleurs que la délinquance pouvait aussi entraîner


l’intervention du DPJ, au même titre que l’abandon ou la
négligence (art. 40). Ce faisant, elle se positionnait
clairement et toujours dans la logique de la loi fédérale de
1908. La Cour suprême du Canada jugea toutefois cette
disposition inopérante parce qu’empiétant sur la juridiction
fédérale qui avait préséance. Une commission d’enquête fut
donc mise sur pied afin de « procéder à une évaluation des
applications de cette loi et des conséquences de ces
applications en regard des objectifs fondamentaux de
respect et de protection des droits des jeunes et de
protection légitime du public devant les infractions et les
actes de délinquance11  ». La recommandation centrale de la
commission stipulait qu’il était désormais impératif de
séparer les définitions et la gestion de la délinquance de la
protection des mineurs. En 1984, la Loi sur la protection de
la jeunesse fut par conséquent amendée, l’article 40 aboli, et
seules les situations de protection pourraient à l’avenir être
traitées comme telles en vertu de la loi provinciale.
16 C’est dans ce contexte que le gouvernement fédéral adoptait,
la même année, la nouvelle Loi sur les jeunes contrevenants
(LJC). En conformité avec les recommandations de la
commission, la loi n’allait concerner que les cas de
délinquance, ces derniers n’étant plus juridiquement
considérés comme des affaires de protection, comme ils
l’avaient été depuis la création de la justice juvénile.
Veronica Piñero a très bien démontré que cette importante
disjonction n’a été possible qu’avec la destruction juridique
d’éléments centraux à la philosophie originelle du système
de justice juvénile12. À l’instar des travaux de Jean Trépanier
sur la loi de 1908, elle s’est intéressée aux débats
parlementaires entourant l’adoption de la loi fédérale de
1984 et ses modifications subséquentes qui ont mené à
l’actuelle Loi sur le système de justice pénale pour
adolescents. Son analyse montre très clairement les
glissements de philosophie d’intervention qui se sont
graduellement produits entre 1984 et 2001 et comment les
théories classiques pénales régissant la justice des adultes
ont progressivement réintégré la sphère de la justice
juvénile.
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17 D’une part, la sémantique qui auparavant alliait droit de la


société et droit du jeune a été remplacée par un système de
pensée accordant désormais la primauté au droit de la
société à se protéger sur le besoin de protection des jeunes.
Ce faisant, la législation fédérale accordait aux mineurs les
mêmes droits juridiques que les adultes  ; en contrepartie,
elle les rendait juridiquement responsables, et les jugeait en
fonction de la gravité de leurs actes.
18 D’autre part, si le système de justice pour mineur affirmait
toujours vouloir réhabiliter le jeune délinquant et aller à la
source de ses problèmes en lui offrant divers services il a,
depuis 1984, clairement délaissé la vision protectrice pour se
tourner peu à peu vers les théories classiques plus
répressives de rétribution et de dissuasion. En invitant les
juges à penser les peines dans les termes des tribunaux pour
adultes, conclut Piñero, l’actuelle Loi sur le système de
justice pénale pour adolescents (en vigueur depuis 2002)
confirmait ce renversement, ainsi que la rupture avec le
système de pensée original qui avait fait naître la justice
juvénile.
19 En résumé, si la justice pour mineurs a toujours conservé ses
institutions spécifiques – son tribunal, ses juges, et ses lieux
de placement – elle ne diffère plus fondamentalement de la
justice pour adultes. Car sa rationalité, désormais basée sur
la séparation des phénomènes de délinquance et de
protection, la primauté de la protection de la société, la
responsabilité pénale et la répression, a réintégré le champ
pénal classique13.

Le cas des troubles de comportement et


l’ambiguïté du discours protecteur

Le dernier espace du système de pensée de la


justice juvénile
20 Dans un tel contexte, on peut se demander comment les
jeunes en troubles de comportement furent considérés
comme des enfants en besoin de protection et non des
délinquants. En fait, bien qu’ils aient été à ce jour maintenus
dans la sphère de protection, ils ont historiquement

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constitué la zone de contact entre les régimes de protection


et de délinquance. Non seulement l’article concernant les
troubles de comportement est emblématique du système de
pensée original de justice juvénile14, mais depuis 1984, il en
constitue le dernier espace15.
21 Déjà, en vertu de l’acte provincial sur les écoles d’industrie
de 1869, les enfants « réfractaires » ou que les « parents ne
peuvent maîtriser », tout comme les enfants trouvés errants,
abandonnés ou côtoyant le crime, pouvaient être amenés
devant un juge et placés dans une école d’industrie16. En
1912, deux ans après l’ouverture de la Cour juvénile de
Montréal, la loi sur les écoles d’industrie fut modifiée afin de
permettre que tous les enfants tombant sous la loi
provinciale soient traités par l’entremise de la nouvelle Loi
sur les jeunes délinquants. Les enfants négligés étaient
considérés comme tels et leur besoin de protection devait
être assumé par l’orientation de la loi fédérale. Quant aux
cas d’enfants incorrigibles ou incontrôlables, il devenait
possible de les traiter comme des cas de délinquance, et ainsi
avoir recours aux mêmes types de mesure que pour les
enfants ayant commis une infraction (en premier lieu la
probation, mais aussi le placement). Il faut préciser ici que
l’intention n’était pas de durcir les mesures envers les jeunes
réfractaires mais bien de confondre les régimes de
délinquance et de protection, et de considérer tous les
enfants pris en charge, conformément à l’esprit de la loi
fédérale, comme des enfants à protéger17. Lorsqu’entra en
vigueur la Loi sur la protection de la jeunesse en 1977,
l’incorrigibilité et les troubles caractériels devenaient les
« troubles de comportement sérieux », et étaient maintenus
comme motif de protection à part entière, au même titre que
les situations d’abandon et de négligence.
22 Mais qu’est-il advenu en 1984 des troubles de
comportement  ? Comment, dans le contexte de séparation
juridique de la délinquance et de la protection des jeunes, où
l’on tient les mineurs responsables de leurs actes et où la
protection de la société a préséance sur l’impératif de
protection, a-t-on pu maintenir le jeune en troubles de
comportement dans la face protectrice ? Essentiellement par
l’argumentaire de la commission Charbonneau, la même qui
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avait recommandé de séparer les phénomènes de


délinquance et de protection :
«  Ici [dans le cas des troubles de comportement] comme
dans le cas des abus sexuels et des mauvais traitements
physiques, il y a lieu de resituer la responsabilité parentale et
d’évaluer l’enfant agissant dans la perspective plus large de
tout un contexte de vie. C’est l’avenue la plus prometteuse
qui puisse nous mener à l’identification de son besoin de
protection dans son fondement même, et non seulement son
effet. En affirmant que le fondement de l’intervention doit se
situer au-delà du trouble de comportement observé, la
Commission s’est sérieusement posé la question de la
pertinence de maintenir cet élément comme motif de
protection. Théoriquement, il devrait disparaître. [Mais]
nous avons quotidiennement la preuve qu’il existe un lien
entre de tels comportements et les situations qui
compromettent la sécurité et le développement de l’enfant
[…] [Il] nous apparaît essentiel de conserver le concept de
troubles de comportement quitte à y associer des
considérations atténuantes, particulièrement celles liées à la
responsabilité parentale18. »

23 Bref, même si les troubles de comportement, sources


possible d’un danger pour autrui auraient dû théoriquement
disparaître, ils sont maintenus comme motifs de protection
dans la loi provinciale. Ceci, par un argumentaire se situant
bien davantage dans la ligne de pensée de la loi de 1908 que
dans celle qui émerge. En effet, même si la Commission
l’exprimait dans des termes plus contemporains, ce sont
toujours les arguments de l’approche protectrice qui
prévalent ici  : volonté d’aller au-delà de l’agir de l’enfant
(agir qui peut être violent, tourné vers autrui ou même
délinquant), incompétence parentale justifiant les motifs de
protection, déresponsabilisation implicite du jeune (car
celui-ci est premièrement une victime de son milieu), etc.
Ou, libellé dans les termes de Mead, parce que la
Commission choisit toujours comme moteur d’intervention
une conception reposant sur la compréhension des
conditions sociales et psychologiques qui permettent
l’inclusion du jeune à la société – ou qui ne l’excluent pas de
facto – et exprime ainsi sa volonté de maintenir le jeune
dans la sphère non hostile de la justice.
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24 L’année 1984 est donc un moment-clé, non seulement par


l’avènement de la loi fédérale, mais par le fait que le système
de protection de la jeunesse, maintenant idéologiquement
séparé de celui de la délinquance juvénile (et qui en
constitue en quelque sorte l’autre face), a maintenu une
attitude protectrice et ce, envers tous les jeunes, même ceux
présentant des troubles de comportement. La législation
québécoise devenait ainsi le dernier dépositaire de l’esprit
original qui avait fait naître le système de justice juvénile.

L’occasion d’une brève analyse du discours


protecteur
25 Comment comprendre alors la proposition qui était
contenue dans le projet de la nouvelle Loi de la protection de
la jeunesse et qui aurait exclu de la sphère de protection tout
adolescent en troubles de comportement susceptible de
présenter un danger pour autrui ? Plusieurs facteurs peuvent
contribuer à expliquer cette volonté politique. Depuis 1984,
le mouvement de répression en matière de délinquance
juvénile, loin de s’essouffler, s’est affirmé avec beaucoup de
suite dans les idées. Les jeunes poursuivis sont sanctionnés
de plus en plus sévèrement et l’attitude de l’opinion publique
se durcit à leur égard, même lorsque les statistiques
criminelles vont tout à fait à l’encontre de ce jugement. C’est
d’ailleurs cette opinion publique qui sert de plus en plus de
base légitimatrice aux différents gouvernements pour durcir
les actions envers les jeunes. Dans ce contexte, il peut
apparaître tout à fait logique que les troubles de
comportement, surtout lorsqu’ils comprennent une
dimension de violence et de danger, soient de moins en
moins tolérés. À cet égard, plusieurs éléments – la situation
politique, des éléments socio-économiques clés, des
compressions dans les services sociaux, etc. – pourraient
éclairer les raisons et les motivations derrière ce projet de
loi. Soulignons seulement ici que de toute évidence, les
législateurs ont cherché à poursuivre le travail de
«  réforme  » de la justice juvénile, et ainsi finaliser la
séparation juridique des phénomènes de délinquance et de
besoin de protection.

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26 Nous devons, en revanche, nous attarder un moment sur les


réactions des milieux des Centres jeunesse, car elles nous
ont fourni des pistes de recherche des plus fertiles pour
tenter de comprendre comment une telle proposition a pu se
retrouver dans le projet de loi. Comme nous l’avons
mentionné précédemment, la plupart des intervenants ont
exprimé lors de la Commission d’étude des inquiétudes face
à la restriction de la définition des troubles de
comportement pour les jeunes de plus de 12 ans. Ainsi, les
Directeurs des centres jeunesse (DPJ) étaient d’avis que la
nouvelle loi allait impliquer « que ces adolescents n’auraient
accès à des services que par le biais de la Loi sur le système
de justice pénale pour les adolescents, ce qui n’est ni assuré
ni souhaité pour certains de ces jeunes. Nous trouvons que
cette limitation trop grande de la porte d’accès aux services
de protection conduirait à des situations insoutenables19  ».
Le mémoire de l’Association des centres jeunesse soulignait
de son côté que « bien que dans certaines situations il puisse
s’avérer nécessaire qu’une plainte formelle soit portée, ce
n’est pas toujours le cas. De plus, il serait illusoire de penser
que les adolescents et les parents pourront, par le seul fait de
porter plainte auprès des autorités policières, obtenir les
services qui à long terme solutionnent la situation du
jeune20 ».
27 Ces arguments, réitérés et développés par divers
intervenants en cours d’audience, ont finalement mené à
l’abandon de la clause concernant les adolescents dans la
version finale de la loi21. À première vue, ils semblent
s’appuyer sur la vision protectrice ayant défini le régime de
protection de la jeunesse depuis 1977 et la justice juvénile
jusqu’en 1984. L’appel des directeurs et des membres de
l’Association des centres jeunesse au maintien du
dédoublement des pratiques semble en faire foi. Comment
comprendre alors que l’Association se dise totalement en
accord avec cet extrait d’un rapport d’un comité d’experts
sur la révision de la Loi de la protection de la jeunesse :
«  [L]es situations où les comportements présentent un
danger pour autrui [sont] des comportements pouvant
davantage être associés à la délinquance ou à la pré-
délinquance […] Plusieurs de ces situations relèvent de la loi
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sur le SJPA et devraient prioritairement être traitées vertu


de cette loi. [Nous reconnaissons] toutefois que certains [de
ces enfants] peuvent requérir une intervention des services
de protection. La distinction entre les régimes de
délinquance et de protection est importante. Il en est de
même des régimes légaux à utiliser. Dans certaines
situations, il peut toutefois s’avérer opportun d’intervenir à
la fois en vertu de la LPJ et de la LSJPA22. »

28 Cette position a de quoi étonner. Bien que l’association


s’oppose à la clause concernant les jeunes ayant des troubles
de comportement qui pourraient représenter un danger pour
autrui, elle fait sienne cette position qui les associe aux
délinquants et affirme clairement la séparation des régimes
de délinquance et de protection. On en conclut que
l’opposition à une définition trop restrictive des troubles de
comportements semble s’appuyer davantage sur la notion
d’espaces de service que sur les bases d’une incompatibilité
possible entre la loi et la philosophie d’intervention en
matière de protection. Ceci est tout à fait compréhensible de
la part de l’organisation qui dispense ces services et cherche
à s’assurer que ces derniers s’arriment aux besoins constatés
dans la pratique. Mais, le moins que l’on puisse dire, c’est
que cet argumentaire crée une ambiguïté marquée dans le
discours protecteur. Car même si on soutient que le jeune en
troubles de comportement doit pouvoir bénéficier des
services offerts par le régime de protection, ce sont les
arguments dominants du discours sur la délinquance qui
sont ici évoqués, en particulier la primauté de la protection
de la société.
29 Ceci est-il fortuit ou est-il possible de retrouver les valeurs
du discours pénal sur le délinquant ailleurs dans le discours
protecteur  ? Dans l’affirmative, on peut se demander si la
Protection de la jeunesse a su concilier ces valeurs avec une
attitude foncièrement protectrice envers les jeunes ou si, au
contraire, l’ambivalence discursive que crée une telle
cohabitation a contribué à faire basculer le discours vers la
logique répressive de la justice juvénile.
30 Pour tenter d’apporter quelques éléments de réponses à ces
interrogations, nous avons fait une brève incursion dans un
matériel empirique composé de l’ensemble les textes
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produits depuis 1984 par les ministères ou les instances


internes de la Protection de la jeunesse, susceptibles de
contenir des éléments servant d’assise à la philosophie
d’intervention protectrice. Nous avons procédé à l’étude
d’une douzaine de documents  : rapports ministériels,
d’études ou de commissions d’enquête, mémoires, guides
d’interprétation destinés aux intervenants et portant sur
l’ensemble de la loi ou spécifiques à la problématique des
troubles de comportement, bilans annuels des directeurs et
des Centres jeunesse, etc.23.
31 Une première constatation s’en est rapidement dégagée.
Lorsqu’il est question de délinquance juvénile, la conception
du délinquant comme responsable de ses actes et l’impératif
de protection de la société ne sont pas remis en question et
ce, dans l’ensemble des argumentaires, à l’exception d’un
seul document critique envers la philosophie de la loi
fédérale de 198424. Délinquants et enfants en besoin de
protection y sont par ailleurs dépeints comme deux entités
apparemment bien distinctes.
32 Lorsque la problématique des jeunes en troubles de
comportement est abordée, la sémantique devient
généralement moins nette, mais d’autant plus complexe, car
la majorité des documents tiennent à expliquer ce qui
distingue le jeune en troubles de comportement du
délinquant. Ce faisant, elle fournit d’intéressants indices sur
l’évolution de la pensée protectrice dans le contexte qui a
suivi la rupture de 1984. Nous n’en présenterons ici que
quelques-uns.
33 La responsabilité pénale du jeune est une notion
acceptée et sa définition n’est pas discutée. Par conséquent,
la distinction entre le jeune en troubles de comportement et
le délinquant ne s’effectue pas autour de ce concept. Le jeune
en troubles de comportement est généralement considéré
comme étant responsable de sa situation, au moins
partiellement, mais si ses actes ne sont pas de nature
«  délinquante  », il n’est généralement pas concerné
directement par la définition de la responsabilité pénale25.
34 Par contre, le statut de victime joue un rôle central dans
l’argumentaire départageant les jeunes en troubles de
comportement des jeunes délinquants. Il sert littéralement
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de pivot à la classification du jeune, en l’y incluant ou non,


selon le type de violence qu’il exerce, «  offensive ou
défensive, tournée contre lui ou les autres26  ». Ce qui est
frappant, c’est que c’est autour de cette notion que l’on
semble jongler le plus et de façon non linéaire, différentes
conceptions pouvant se côtoyer dans le temps. Ainsi, dans la
seule année 1991, on peut retrouver dans trois documents
ministériels et organisationnels autant de conceptions
différentes  : a) celle de la victime incluant les enfants qui
« agissent » ou « réagissent », b) une autre les en excluant et
c) une dernière qui, sans apporter ces distinctions, exclut
d’emblée et catégoriquement les enfants en troubles de
comportement de la définition de la victime27.
35 La notion d’acteur est elle aussi non seulement très
présente dans le discours, mais l’utilisation que l’on en fait
se révèle assez particulière. En effet, elle sert en quelque
sorte de concept intermédiaire pour introduire celui de
responsabilisation, comme dans cet exemple, tiré du rapport
Harvey qui résume très bien l’amalgame discursif qu’il est
possible d’observer dans plusieurs documents et les
glissements qui s’y produisent :
«  Quand la situation de ces jeunes [en trouble de
comportement] est signalée au Directeur de la protection de
la jeunesse (DPJ) et retenue pour l’application des mesures
de protection, ils sont alors considérés comme des « victimes
agissantes » et parfois même « agressantes » pour lesquelles
le support de la LPJ est nécessaire. Ce statut de victimes est
compréhensible, compte tenu du fait que les troubles de
comportement de ces jeunes traduisent un problème sérieux
de personnalité ou un état réactionnel dû à un contexte
ponctuellement perturbant ou stressant. Toutefois, ce statut
ne suffit pas pour la caractériser car leur situation est
attribuable autant à leurs “agirs” juvéniles compromettants
qu’à l’incompétence de leurs parents à exercer un contrôle
adéquat et à répondre à leurs besoins essentiels. Les jeunes
sont des acteurs de leur situation et doivent être considérés
comme ayant une responsabilité tant dans leur situation de
compromission que dans sa modification28. »

36 On sent ici toute la difficulté à concilier les visions régissant


les impératifs de protection et le concept central de l’enfant

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responsable qui régit désormais la justice juvénile. Même si


le jeune en troubles de comportement n’est pas considéré
comme étant responsable de ses actes, il semble que par un
montage discursif transitant par les notions de victime et
d’acteur, la Protection de la jeunesse soit quand même
arrivée à opérationnaliser le concept de responsabilité au
sein de la sphère de protection, en faisant référence à celui
de responsabilisation. Après avoir longuement cherché à
responsabiliser les parents, c’est désormais le jeune, même
victime, que l’on doit responsabiliser.
37 Finalement, les objectifs d’intervention envers les jeunes en
troubles de comportement diffèrent sensiblement de ceux
qui concernent l’ensemble des enfants en besoin de
protection. Alors que les intervenants sont appelés à aider et
à seconder ces derniers, les jeunes en troubles de
comportement doivent aussi être responsabilisés, surveillés
et contrôlés29.

Conclusion
38 C’est en créant ses institutions propres, mais surtout en
s’appuyant sur un système de pensée différencié de la
rationalité pénale moderne que la justice pour mineurs s’est
donné un espace original, autonome et distinct du système
de justice pour adultes. Avec l’avènement de la Loi sur les
jeunes contrevenants et l’adoption des principes directeurs
de protection de la société et de responsabilité pénale du
jeune, la justice juvénile est toutefois retournée dans le
système de pensée du droit criminel. Depuis, ce qui subsiste
de l’esprit de la pensée fondatrice de la justice juvénile est
demeuré dans le système de droit civil de protection, comme
en témoigne le maintien des jeunes en troubles de
comportement au sein de la juridiction provinciale de
protection.
39 La récente révision de la Loi de la protection de la jeunesse a
été l’occasion de s’attarder sur le discours protecteur et de
constater la présence d’une certaine ambiguïté sémantique
autour de plusieurs concepts importants. La tentative des
milieux de la protection de la jeunesse à vouloir concilier
certaines valeurs du système de justice pénale avec

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l’approche protectrice semble expliquer, du moins en partie,


ce qui apparaît comme une réelle ambivalence devant la
définition du statut de l’enfant à protéger.
40 Cette ambivalence est particulièrement évidente dans le
discours concernant les jeunes en troubles de
comportement. Si ces derniers sont, pour l’instant, toujours
considérés comme des enfants en besoin de protection, un
enjeu essentiel demeure  : la capacité de la sphère de la
protection de la jeunesse à se définir de façon autonome et
de manière à conserver une attitude foncièrement
protectrice envers tous les jeunes. Car même à l’intérieur du
régime de protection, cette attitude n’est pas sans
conséquences, comme en fait foi ce rapport ministériel dès
1992 :
« Malgré [le fait que les troubles de comportement observés
chez un jeune soient souvent accompagnés de problèmes
chez ses parents], les intervenants des systèmes tant social
que judiciaire ont tendance à considérer que c’est le jeune
qui est le seul responsable de sa situation de compromission.
L’approche semble davantage axée sur la faute ou la
responsabilité de l’enfant que sur la situation qu’il vit, donc
sur l’effet plutôt que sur la cause. On fait alors porter à
l’enfant tout le fardeau de la situation de compromission.
Cela ouvre la porte à une intervention plus coercitive
qu’aidante30. »

Notes
1. Cet article s’inscrivait en début de démarche doctorale. Nous tenons à
remercier le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture
(FQRSC) pour son soutien financier au projet, ainsi que M. Alvaro Pires
et Mme Veronica Piñero pour nous avoir gracieusement donné accès à
certains de leurs travaux non publiés.
2. L’article concernant les troubles de comportements se libellait comme
suit : « La sécurité ou le développement de l’enfant est considéré comme
compromis s’il manifeste des troubles de comportement sérieux et que
ses parents ne prennent pas les moyens nécessaires pour corriger la
situation ou n’y parviennent pas. », Loi sur la protection de la jeunesse,
1977, article 38, alinéa h).
3. Certaines modifications ont tout de même été apportées et le nouvel
article concernant les troubles de comportement se libelle désormais
comme suit : « f) troubles de comportement sérieux : lorsque l’enfant, de
façon grave ou continue, se comporte de manière à porter atteinte à son
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intégrité physique ou psychologique ou à celle d’autrui et que ses parents


ne prennent pas les moyens nécessaires pour mettre fin à la situation ou
que l’enfant de 14 ans et plus s’y oppose.  », Loi modifiant la Loi sur la
protection de la jeunesse et d’autres dispositions législatives, présentée
le 20 octobre 2005, adoptée le 15 juin 2006, et entrée en vigueur par
décret gouvernemental.
4. La notion d’« agir » est très présente dans la littérature des milieux de
la protection de la jeunesse et désigne généralement les actes du jeune
qui relèvent d’une extériorisation d’un problème ou d’une situation vécue
par ce dernier (l’équivalent du terme américain acting out). Les troubles
de comportement peuvent donc se traduire par des tendances suicidaires
et l’automutilation, la consommation abusive de drogues, des
manifestations d’agressivité ou de violence, et le refus d’autorité. Le
nouveau libellé de l’article concernant les troubles de comportement a
toutefois cherché à réduire l’importance des cas de refus d’autorité
parentale en spécifiant que les troubles de comportement devaient aussi
porter atteinte à l’intégrité du jeune ou d’autrui.
5. Voir «  Le contrôle de la délinquance juvénile et la protection de
l’enfance  : le cas de la loi canadienne de 1908  », J. Trépanier et F.
Tulkens, Délinquance et protection de la jeunesse, Aux sources des lois
belges et canadiennes sur l’enfance, De Boeck Université, Les Presses de
l’université de Montréal et les Presses de l’université d’Ottawa, 1995, p.
17-49.
6. Voir, entre autres, A. Pires, «  La formation de la rationalité pénale
moderne au xviiie siècle », C. Debuyst et al., Histoire des savoirs sur le
crime et la peine, t. 2  : La rationalité pénale et la naissance de la
criminologie, De Boeck Université, Les Presses de l’université de
Montréal et les Presses de l’université d’Ottawa, 1998, coll.
« Perspectives criminologiques ».
7. Loi concernant les jeunes délinquants, statut du Canada, 1908,
chapitre 40, article 7.
8. A. Pires, « Tomber dans un piège ? Responsabilisation et justice des
mineurs  », F. Digneffe et T. Moreau (dir.), La responsabilité et la
responsabilisation dans le justice pénale, Bruxelles, De Boeck
Université, 2006, p. 121-145.
9. G. H. Mead, « The psychology of punitive justice », American Journal
of Sociology, 23, (5), 1918.
10. Ibid., p. 577-602, cité dans A. Pires, op. cit., p. 4-10.
11. Rapport de la Commission parlementaire spéciale sur la protection
de la jeunesse (Charbonneau), Assemblée nationale du Québec, 1982, p.
XIII, cité dans J. Desrosiers, L’évolution historique du mandat du
centre de réadaptation et son impact sur le droit des jeunes, thèse de
maîtrise (non publiée), faculté de droit, université McGill, Montréal,
1998, p. 61.

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12. V. Piñero, The Semantic of Repression  : Linking, Opposing and


Linking again Rehabilitation and Protection of Society, thèse de
maîtrise (non publiée), faculté de droit, université d’Ottawa, 2005. Nous
résumons ici les grandes lignes de son argumentaire.
13. Deux slogans contenus dans un feuillet ministériel destiné aux jeunes
et visant à leur présenter la nouvelle loi de 1984 résument, on ne peut
mieux, ce glissement sémantique  : «  En se protégeant, la société te
protège aussi » et « Le jeune a le droit de choisir », Tu as des droits… les
autres aussi. Une question d’équilibre, Gouvernement du Québec,
ministère de la Justice et ministère de la Santé et des Services sociaux,
1987, p. 6 et 11.
14. David Niget le qualifie de «  paradigme dominant  ». D. Niget,
Jeunesses populaires sous le regard de la justice. Naissance du tribunal
pour enfants à Angers et Montréal, thèse de doctorat, École doctorale
d’Angers, 2005, p. 461.
15. Il est important de mentionner que, dans la pratique, il existe
toujours un autre point de contact entre la gestion des cas de
délinquance juvénile et de protection  : l’organisation des Centres
jeunesse et son directeur (DPJ). De compétence provinciale, ils gèrent en
effet l’ensemble des dossiers de protection et de délinquance, judiciarisés
ou non en Chambre de la jeunesse.
16. Acte concernant les écoles d’industrie, S. Q, 32 Vict. (1869), art. 12,
14 et 15, tel que cité dans J. Trépanier, «  Protéger pour prévenir la
délinquance. L’émergence de la loi sur les jeunes délinquants de 1908 et
sa mise en application à Montréal », R. Joyal (dir.), Entre surveillance
et compassion. L’évolution de la protection de l’enfance au Québec, des
origines à nos jours, Presses de l’université du Québec, 2000, p. 49-95.
17. La loi des écoles de protection de la jeunesse de 1950 qui remplaça la
loi de 1869 délaissa cette distinction en ne fournissant plus qu’un énoncé
directeur pour les motifs d’intervention et regroupant tous les enfants
exposés à des dangers qui ont besoin d’être protégés. Elle abolit
également la distinction entre les écoles d’industrie et de réforme en les
renommant écoles de protection de la jeunesse.
18. Rapport de la Commission parlementaire spéciale sur la protection
de la jeunesse (Charbonneau), Assemblée nationale du Québec, 1982, p.
285-286, cité dans J. Desrosiers, op. cit., p. 77.
19. Mémoire des directeurs et directrices de la protection de la jeunesse
à la Commission parlementaire des affaires sociales sur le projet de loi
125…, décembre 2005, p. 14.
20. Mémoire de l’Association des centres jeunesse du Québec à la
Commission parlementaire des affaires sociales sur le projet de loi
125…, décembre 2005, p. 21.
21. Consultation générale sur le projet de loi n° 125 – Loi modifiant la
loi sur la protection de la jeunesse et d’autres dispositions législatives,
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Journal des débats de la Commission des affaires sociales, janvier et


février 2006.
22. Rapport du comité d’experts sur la révision de la loi de la protection
de la Jeunesse (rapport Dumais), (date non mentionnée), p. 85, cité dans
Mémoire de l’Association des centres jeunesse du Québec à la
Commission parlementaire des affaires sociales sur le projet de loi
125…, décembre 2005, p. 21.
23. Pour identifier ces sources, nous avons procédé par une recherche
dans les banques de données gouvernementales et publiques, ainsi que
dans l’inventaire du centre documentaire interne des Centres jeunesse.
24. Voici un extrait de ce document : « Un nouveau projet de loi fédéral,
proposé le 11 mars 1999, a été appelé la Loi sur le système de justice
pénale pour les adolescents [et] provoque […] beaucoup de discussions
contradictoires, car [cette loi] s’oriente vers des mesures plus fermes et
une surveillance accrue des jeunes délinquants violents et récidivistes.
Cela remettrait en question le “modèle québécois” de traitement et de
réhabilitation des jeunes contrevenants qui a pourtant fait ses preuves
puisque la province de Québec affiche le plus bas taux de délinquance
juvénile et de judiciarisation des adolescents  », F. Faugeras et al., Les
problématiques en centre jeunesse, module pédagogique, section 7  :
«  Les jeunes contrevenants  », Centre jeunesse du Québec/Institut
universitaire éd., 2000, p. 245.
25. Nous verrons plus loin que le concept plus général de responsabilité
n’est pas pour autant évacué du discours.
26. Les enfants mal aimés. Guide à l’intention des professionnels et des
adultes en contact avec les enfants, Gouvernement du Québec, 1986, p.
37.
27. Respectivement le Rapport Harvey, op. cit., annexe 3, 1991, p. 37 ; P.
Roberge, Le système d’aide québécois aux jeunes en difficulté et à leurs
parents, ministère de la Santé et des Services sociaux, 1991, p. 27 ; et Un
Québec fou de ses enfants. Rapport du groupe de travail pour les jeunes
(rapport Bouchard), ministère de la Santé et des Services sociaux, 1991,
p. 30.
28. Rapport Harvey, op. cit., annexe 3, p. 37.
29. Voir, entre autres, le Rapport Harvey, op. cit., p. 45. Ce que l’on
appelle «  l’arrêt d’agir  » occupe ainsi une place importante dans
l’intervention.
30. La protection de la jeunesse. Plus qu’une loi. Rapport du groupe de
travail sur l’évaluation de la loi sur la protection de la jeunesse
(Rapport Jasmin), Gouvernement du Québec, 1992, p. 54.

Auteur

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Lucie Quevillon
© Presses universitaires de Rennes, 2008

Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

Référence électronique du chapitre


QUEVILLON, Lucie. Entre protection et délinquance  : quelques pistes
de réflexion autour de la question des troubles de comportement et de la
logique d’intervention protectrice au Québec In  : La violence et le
judiciaire : Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques
[en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/5021>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.5021.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
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La violence et le judiciaire
Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,
pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

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19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - Les avocats nantais devant le tribunal militaire allemand (1940-1944) : entre le difficile exercice d…

Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

Les avocats
nantais devant le
tribunal militaire
allemand (1940-
1944) : entre le
difficile exercice
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de la défense et le
risque d’une
instrumentalisation
Serge Defois
p. 307-322

Texte intégral
1 À compter de l’occupation de la France par les troupes
allemandes en juin 1940, c’est le Militärbefehlshaber in
Frankreich (MBF, Commandement militaire en France) qui
exerce les droits de la puissance occupante, codifiés depuis
1907 dans les conventions de La Haye. L’une de ses missions
principales est d’assurer la sécurité des troupes et de
préserver le calme sur le front occidental. Se mettent donc
en place des tribunaux militaires allemands
(Feldkriegsgerichte) qui laissent les tribunaux civils français
poursuivre leurs activités mais qui s’autorisent à encadrer,
traiter et réprimer tout acte qu’ils estiment porter atteinte au
maintien de l’ordre et à la sécurité en enfreignant les
ordonnances allemandes  : attentats, vols, outrages,
détentions d’armes, sabotages, etc. Alors que la section A des
tribunaux juge les militaires allemands, la section B est
compétente pour juger les civils résidant en territoire
occupé. «  L’armée occupante a juridiction sur tous les
habitants des territoires occupés et soumis, qu’ils soient
auteurs ou complices de crimes ou délit pouvant porter
atteinte à sa protection, sa sécurité et son honneur1. »
2 Alors que l’on estime à plus de 3  000, le nombre des
individus condamnés à mort par cette juridiction et
exécutés2, on se trouve, une fois posées les constatations
d’ordre général et technique, face à un certain vide
historiographique que Gaël Eismann pointe avec justesse
dans des travaux récents  : «  Il s’avère que l’exercice de la
justice militaire allemande à l’égard des habitants des

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territoires occupés est, à ce jour, un parent pauvre de la


recherche historique3. » Bien peu de recherches s’intéressent
directement aux pratiques des tribunaux pour comprendre
comment cette justice fonctionne sur le terrain, qui elle juge,
dans quelles conditions, pour quelles infractions et quelles
peines elle applique. L’incrimination, le traitement,
l’instrumentalisation d’une violence particulière par les
tribunaux militaires allemands, restent finalement assez mal
connus. Ces questions ouvrent un vaste champ de recherche.
3 Les carences de l’historiographie sur ces différents points
s’expliquent en premier lieu par l’indéniable manque de
sources auquel ont longtemps été confrontés les chercheurs
qui s’intéressaient à ces questions4. Demeurées jusqu’à lors
inexploitées, il faut signaler que des archives de toute
première importance ont été récemment mises au jour : les
dossiers de procédure des tribunaux militaires allemands
d’occupation. Conservé à Caen, au Bureau des archives des
victimes des conflits contemporains (BAVCC5), ce fonds, très
riche mais partiel, fait l’objet à l’heure actuelle de
dépouillements approfondis et ouvre nombre de
perspectives nouvelles amenées sans nul doute à enrichir
une historiographie lacunaire6.
4 La présente contribution, si elle a bénéficié de la
consultation, bien que tardive, de ces archives7, privilégie un
autre angle d’approche et s’appuie sur des sources
différentes mais complémentaires, celles des avocats
français qui assurent la défense des accusés amenés à
comparaître devant la justice militaire allemande. Si le rôle
joué par les avocats devant les tribunaux d’exception de
Vichy – et principalement les sections spéciales – a fait
l’objet de plusieurs recherches8, il s’avère que la place qu’ils
occupent devant la justice militaire allemande chargée de
juger les civils français entre 1940 et 1944 demeure
particulièrement mal connue. Mis à part les mémoires
publiés par d’anciens avocats comme le bâtonnier de Paris
Jacques Charpentier9 ou des témoignages oraux10, un travail
sur archives doit être effectué11. Justement, les archives du
barreau de Nantes recèlent un fonds particulièrement
intéressant, jusqu’à présent inédit et inexploité, qui concerne
l’activité du barreau au cours de la Seconde Guerre
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mondiale12. On y trouve les notes des avocats sur


l’organisation de la défense pendant l’Occupation ainsi qu’un
peu plus de 200 dossiers d’individus défendus devant le
tribunal militaire allemand. Ces documents sont pour
nombre d’entre eux très complets : pièces de forme relatives
à la procédure et pièces de fond comprenant à plusieurs
reprises, fait rarissime, les notes de plaidoiries des avocats et
les correspondances échangées13. Ce sont les sources
ordinales nantaises qui constituent donc la base de cette
étude.
5 Se plaçant dans la continuité des recherches menées sur la
répression militaire allemande en territoire occupé, cette
contribution veut avant tout proposer des pistes de réflexion.
En premier lieu, il s’agit de déterminer – pour les individus
défendus par des avocats français – l’activité du tribunal
militaire allemand de la Feldkommandantur de Nantes (FK
518) entre 1940 et 1944  : nombre d’individus jugés, nature
des infractions examinées, types de peines prononcées. Afin
de mieux comprendre la réalité de la pratique sur le terrain,
on s’intéressera ensuite aux difficiles conditions d’exercice
de la défense devant ces juridictions particulières. De quels
droits disposent les avocats et à quelle part d’arbitraire sont-
ils soumis ? On cherchera enfin à montrer que la précarité de
l’exercice de la défense se double d’un risque
d’instrumentalisation des avocats qui amène à s’interroger
sur le processus de criminalisation de l’action résistante par
les militaires allemands. Dans un contexte de conflit et qui
plus est d’occupation, les frontières se brouillent entre
violence légitime et violence illégitime : la logique suivie par
les militaires allemands veut ôter aux violences jugées tout
caractère patriotique pour les qualifier de criminelles.

L’activité du tribunal militaire allemand


relative aux individus défendus par des
avocats français à Nantes (1940 à 1944)
6 Les sources ordinales nantaises ont permis de mettre au jour
203 dossiers d’individus jugés par le tribunal entre 1940 et
194414. Une centaine de cas sont défendus en 1940 et 194115,
période de mise en place puis de durcissement de la
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répression judiciaire. L’année 1942 connaît pour sa part une


chute sensible du nombre de prévenus assistés par les
avocats nantais devant la juridiction allemande, notamment
en raison de l’utilisation d’autres moyens de répression. Les
sections spéciales, créées suite à l’affaire Moser en août 1941,
sont des juridictions françaises d’exception visant les
communistes et qui, pour la zone occupée, voient leurs
compétences dévolues à une section de la cour d’appel16. En
outre, le décret Nacht und Nebel (NN) officialise depuis le 7
décembre 1941 la politique de déportation sans
condamnation préalable par un tribunal militaire. Notons
toutefois que nombreuses sont les questions qui demeurent
au sujet des mécanismes de ventilation des affaires entre les
différentes juridictions17. Ventilation dont il reste à saisir les
raisons profondes pour expliquer la hausse du nombre
d’individus défendus en 194318 et plus précisément les
circonstances du jugement, en janvier de cette même année,
de 45 hommes et femmes au cours du «  procès des 42  »
mettant en cause de nombreux Francs-tireurs partisans
(FTP)19. La chute importante du nombre d’affaires en 1944
ne doit pas faire l’objet pour sa part d’une interprétation que
les recherches récentes estiment erronée, et qui conduirait à
affirmer que la répression n’est plus menée par les tribunaux
du MBF à la fin de l’Occupation mais laissée aux opérations
de déportation sans jugement conduites par la Sipo-Sd20. La
nature même des archives consultées nous amène plutôt à
penser que les avocats français plaident de moins en moins
régulièrement et que les jugements rendus par les tribunaux
du MBF se tiennent hors de la présence des défenseurs
français21.
7 Mis à part l’importante affaire de janvier 1943, rares sont
finalement les procès qui examinent devant des avocats
français des actions en «  bandes organisées  » mettant
réellement en danger l’armée allemande. Nombre
d’individus sont accusés de sabotages, vols, violences,
détentions d’armes22, faits qui correspondent souvent à des
actes isolés, des négligences, des méprises, découvertes
souvent fortuitement ou à la suite de dénonciations.
Généralement, le temps qui sépare les faits du procès est
court (moins de deux mois pour la grande majorité des
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affaires) et laisse peu de temps à une instruction qui se


résume bien souvent – dans le cas des communistes – aux
procès-verbaux des interrogatoires réalisés par les polices
françaises. Il semble finalement qu’une partie importante
des affaires ne s’apparente pas à une résistance que l’on
pourrait qualifier de lutte armée, d’autant que pour le
département elle demeure pour partie méconnue23.
8 Si l’on analyse la nature des peines prononcées par le
tribunal militaire 51824, notons que près des 3/4 des
individus pour lesquels nous sommes parvenus à identifier
la nature de la peine25 sont condamnés à une peine de
prison, de travaux forcés ou à la peine de mort. Les peines de
prison équivalent la plupart du temps à des peines
inférieures à 6 mois desquelles le président du tribunal
soustrait la détention préventive. Exceptées les peines de
prison importantes26 et les rares condamnations aux travaux
forcés, c’est donc la peine de mort qui constitue, dans des
proportions non négligeables27, l’instrument le plus
redoutable de la répression à l’encontre des individus pour
lesquels les avocats nantais assurent une défense. Notons en
effet, qu’au cours de l’Occupation, les avocats assistent 57
des 92 individus condamnés à mort par le tribunal
militaire28. Ces hommes sont tous, lorsque l’information a
été retrouvée, fusillés par les troupes allemandes. Aussi,
même si les affaires résultent souvent d’initiatives
individuelles, perpétrées plus par omission ou maladresse
qu’avec l’intention de nuire et donc peu dangereuses a priori
pour l’armée occupante, les verdicts prononcés ne s’avèrent
pas toujours cléments et apparaissent parfois
disproportionnés au regard de l’infraction relevée29. Le
principe de l’exemplarité lié à la fonction dissuasive de la
peine constitue une des motivations de la sanction. Si bien
qu’une pression réelle pèse sur les avocats français. Dans
l’incapacité de prévoir à l’avance l’issue des procès, ils
tentent d’exercer au mieux une activité de défense et restent
soumis jusqu’à la confirmation du verdict par le MBF au
choix discrétionnaire des juges.

Les difficiles conditions d’exercice de la


défense devant la justice militaire
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allemande
9 Alors que les troupes allemandes entrent à Nantes en juin
1940, une circulaire émanant du MBF et concernant la mise
en place des tribunaux militaires allemands est adressée au
Procureur général près la cour d’appel de Rennes dès le mois
de juillet30. Elle concerne le ressort de la
Feldkommandantur 518. Le Feldkommandant désigne le
président du tribunal militaire – Kriegsgerichtstrat31 – qui
devient l’interlocuteur privilégié du barreau.
10 Yves Guinaudeau est bâtonnier de l’ordre nantais. Le 17 juin
1939, cet homme de 46 ans rassemble la majorité des
suffrages32 alors que la logique des choses voulait que son
tour de bâtonnat ne soit pas encore venu33. En tant que chef
de l’ordre, il estime qu’aux dangers, doivent s’opposer «  la
force de [l’] union et le respect des traditions qui ont fait la
grandeur de l’ordre. […] Sans rien abdiquer de
l’indépendance34 », c’est au respect des règles tutélaires qu’il
appelle à veiller. Leur sauvegarde est essentielle, dit-il, pour
adapter et organiser la profession. Au lendemain de la
mobilisation, il expose devant l’assemblée générale réunie
exceptionnellement, les objectifs principaux qu’il se fixe  :
s’occuper de la situation matérielle des confrères mobilisés,
préserver les règles de la profession ainsi que l’indépendance
qui les garantit, et poursuivre l’exercice de la défense35. Dès
le début de l’Occupation, ses nombreuses correspondances
témoignent du vif intérêt que le bâtonnier porte à la défense
des Français traduits devant la justice militaire allemande,
principalement pour les cas où la peine de mort est requise36.
Toutefois, cette défense particulière est soumise à un régime
spécial.
11 Les règles d’exercice de la défense sont à la fois précises et
floues et c’est de cette ambiguïté que proviennent les
difficultés rencontrées par les avocats dans les actions qu’ils
entreprennent devant le tribunal militaire. Pour être autorisé
à plaider devant cette juridiction, il est nécessaire d’être
régulièrement inscrit à un barreau et de parler couramment
la langue allemande. Si la règle est rigoureusement
applicable dans des villes où le barreau compte
suffisamment d’inscrits – il n’y a quasiment qu’à Paris que

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ce soit le cas37 – la situation des petits barreaux de province


est tout autre. En 1940, aucun avocat parlant couramment
l’allemand n’est présent à Nantes. Le Kriegsgerichtstrat
peut donc interpréter cette règle et décider d’y déroger. Au
début de l’Occupation, les Drs Lemke et Kempf autorisent le
bâtonnier Guinaudeau à plaider en français, assisté à
l’audience par Edmond Duméril, agrégé d’allemand et
interprète de la préfecture38. D’autres avocats nantais, des
pénalistes expérimentés comme Mes Lerat et Martineau39,
désignés par le bâtonnier et agréés par le Kriegsgerichtstrat,
interviennent ponctuellement en s’occupant de quelques
affaires.
12 Des conférences hebdomadaires sont alors organisées à
l’initiative du bâtonnier Guinaudeau et du procureur de la
République Zollinger afin d’informer les autorités
allemandes des dossiers en cours devant les juridictions
françaises et surtout, en retour, d’être averti des arrestations
réalisées par les Allemands et des affaires en attente de
jugement par le tribunal militaire. Au cours de cet échange
d’informations, le Kriegsgerichtstrat reste toutefois maître
des éléments qu’il divulgue et peut, s’il le souhaite,
dissimuler certaines affaires. On remarque que c’est
d’ailleurs souvent le cas, surtout à partir du printemps 1941,
période à compter de laquelle les rapports se tendent
ostensiblement entre le Président du tribunal et le bâtonnier.
Les conférences sont supprimées et le nouveau
Kriegsgerichtstrat, le Dr Hüeckel, décide une application
ferme de la loi sur l’obligation d’une pratique courante de la
langue allemande pour plaider. Il refuse qu’Yves Guinaudeau
assure la défense40. Ainsi, lors d’une affaire importante qui
concerne le démantèlement d’un réseau ayant organisé des
évasions de prisonniers français vers la zone libre41, Yves
Guinaudeau sollicite avec force l’intervention de ses
confrères angevins et rennais parlant couramment
l’allemand. Devant l’ampleur de l’affaire et du fait de leur
expérience limitée en ce domaine, ces derniers craignent de
ne pouvoir assurer une défense efficace. Le bâtonnier
organise donc la venue à Nantes d’un avocat parisien, Me
Stoebber, habitué des plaidoiries devant les justices
militaires allemandes.
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13 Si le bâtonnier se montre particulièrement vigilant c’est


parce que la présence d’un avocat français n’est nullement
obligatoire. Pour les peines inférieures à 6 mois de prison, le
Kriegsgerichtstrat peut prononcer seul la sentence sans
qu’aucune défense ne soit assurée. Pour les affaires plus
importantes à l’occasion desquelles le tribunal siège, le
prévenu peut être assisté uniquement d’un avocat d’office
allemand sans même que le barreau nantais soit prévenu de
la tenue d’une audience. Le bâtonnier, souvent averti des
arrestations par les familles ou les employeurs des individus
mis au secret, enclenche donc lui-même des démarches.
Généralement, il dépêche l’interprète Edmond Duméril à la
Feldkommandantur afin d’obtenir des renseignements sur
les conditions de l’interpellation, les motifs, la situation des
prévenus, la date d’une audience éventuelle.
14 Les affaires graves occupent souvent plusieurs mois,
principalement en raison de reports d’audience annoncés la
plupart du temps au dernier moment. Dans «  l’affaire des
Anciens Combattants », alors que Me Stoebber se déplace de
Paris42, l’audience est renvoyée à cinq reprises43. Le tribunal
invoque certes des raisons valables (composition irrégulière
du Feldgericht ou absence d’un témoin) mais il semble que
l’on puisse interpréter cette attitude comme la volonté de
désarçonner la défense et de rendre sa tâche plus ardue
encore. D’autant que l’issue des procès est souvent
décourageante. Alors que, pour cette même affaire, la
culpabilité des accusés est loin d’être évidente, ils sont tous
condamnés à des peines échelonnées entre 3 et 5 ans de
travaux forcés. Pour l’un d’eux, Marin Poirier, la sentence est
annulée par le MBF qui dispose de ce droit de contrôle et de
renvoi. L’accusé, jugé à nouveau, est condamné à mort et
exécuté. Le sort des autres condamnés semble scellé.
Pourtant, l’assassinat du Feldkommandt Hotz provoque
l’exécution des otages au nombre desquels ils sont
finalement comptés tant les Allemands disposent de peu de
prisonniers pour répondre aux règles des exécutions44. Cette
issue réduit à néant les efforts fournis par les avocats pour
assurer une défense45.
15 Ces quelques informations, relayées par les lettres que le
bâtonnier échange avec ses confrères nantais ou appartenant
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à d’autres barreaux46, montrent la situation difficile dans


laquelle il se débat et la faible marge de manœuvre dont il
dispose47, soumis au durcissement de la KStVO48 et devant
s’adapter aux changements de Kriegsgerichtstrat – il y en
aura au moins 6 à Nantes en 4 ans. Notons qu’à partir de
l’automne 1941, Me Lauriot revient de captivité. Parfaitement
bilingue, celui que les militaires allemands appellent
« Doktor Lauriot » assiste le bâtonnier et gère la procédure
ainsi que les relations avec les autorités occupantes49. Me
Marguerite Pascal, une jeune avocate stagiaire de trente ans
qui parle couramment l’allemand, vient également renforcer
l’équipe de la défense.
16 Très concrètement, l’action des avocats sert clairement aux
individus mis en cause dans trois cas de figure. Les
défenseurs obtiennent des mises en liberté rapides lorsque
l’arrestation est la conséquence d’une méprise, que le fond
de l’affaire repose sur des déclarations fausses ou erronées,
ou même que les militaires allemands abusent de leur
autorité. Les rapports privilégiés qu’ils s’efforcent de
maintenir avec le Kriegsgerichtstrat permettent de tisser
des liens de confiance et d’obtenir une écoute de la part des
responsables du tribunal militaire. En second lieu, les
plaidoiries à l’audience favorisent parfois un adoucissement
des peines puisque les avocats bâtissent avant tout leur
défense sur les personnalités des individus  : mérites
particuliers, activité militaire, charge de famille, maladie.
Enfin, l’objectif qui est atteint à chaque fois qu’un avocat
peut assister un prévenu, consiste à offrir à un Français
l’assistance d’un défenseur français pour le conseiller, le
réconforter, parfois le rassurer.
17 Cette mission essentielle de «  l’assistance en toutes
circonstances  » qu’Yves Guinaudeau brandit comme
l’étendard du barreau nantais pendant l’Occupation ne doit
pas faire oublier une autre réalité. L’occupant ne tolère pas
la présence de l’avocat dans un but purement humaniste et
désintéressé. L’avocat ne devient-il pas par moment un faire-
valoir permettant aux militaires allemands de justifier les
mesures employées et de donner un sens à la dureté de la
répression ?

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Le danger de l’instrumentalisation des


avocats français et la logique de
criminalisation suivie par la justice
militaire allemande
18 L’épisode le plus probant de l’instrumentalisation qui guette
les avocats nantais a lieu en janvier 1943. Le «  procès des
42  », le plus important en zone occupée par le nombre
d’exécutions50, s’ouvre le 15 janvier 1943 à Nantes, dans un
palais de Justice barricadé et étroitement surveillé. 45
membres du parti communiste sont jugés pour 49 faits
qualifiés de criminels51. Le tribunal est présidé par le Dr
Hanschmann. Le Dr Gottlob siège à la place du ministère
public52. De nombreux militaires allemands composent le
public53. Sur les bancs de la défense, cinq avocats  : un
parisien, Me Mouquin, et quatre nantais, le Bâtonnier
Guinaudeau assisté d’Edmond Duméril, Mes Lauriot54,
Lerat55 et Pascal56. Ils se répartissent les accusés.
19 À la lecture de la presse locale, le procès semble impartial et
mené en pleine lumière. L’analyse des faits paraît détaillée
voire très approfondie, les accusés écoutés et défendus, les
témoins auditionnés, et si le procès se déroule devant un
public sélectionné par avance, les journalistes relayent
l’information57. Le tout se tient, pour la première et unique
fois au cours de l’Occupation, dans un lieu symbole d’une
justice menée de façon orale, publique et contradictoire : la
salle de la cour d’assises du palais de Justice58. Pourtant,
cette image est trompeuse. Le vernis se craquelle rapidement
dès que l’on entre en détail dans les arcanes du procès. Les
dés sont pipés et le sort des accusés scellé à l’avance.
D’autant que depuis septembre 1941, le Keitelbefehl59
commande une répression exercée prioritairement contre les
communistes et réaffirme les vertus d’une terreur rapide et
massive en ordonnant que les tribunaux militaires
condamnent systématiquement à la peine capitale les
auteurs d’actions de résistance60. Les directives répressives
du décret prévoient moins la recherche de la vérité qu’une
sanction exemplaire  : l’issue d’un procès comme celui de
janvier 1943 est déterminée pour la majorité des accusés.

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20 La place conférée aux avocats lors du « procès des 42 », bien


qu’elle apparaisse comme privilégiée au vu des circonstances
habituelles d’exercice de la défense, ne témoigne pourtant ni
d’un laxisme passager de la part du Kriegsgerischtrat, ni
d’un assainissement des rapports. Choix bien calculé, elle
entre au contraire dans une logique déterminée au service de
la propagande. En effet, la présence de plusieurs avocats sert
avant tout à montrer que les accusés accèdent à une défense
et donc que le procès suit un protocole fidèle au nécessaire
caractère contradictoire de la justice61. Il faut convaincre
l’opinion que les accusés sont défendus et que le combat est
donc équitable. Or, la réalité est tout autre. Les avocats
découvrent les accusés à l’audience, signe qu’aucune
rencontre préalable avec leurs clients n’a eu lieu62. De plus,
au cours des débats, leurs interventions demeurent reléguées
au second plan et sans réel impact. Par exemple, alors que ce
sont les avocats qui demandent à auditionner les policiers du
SRMAN63 puisque leurs clients affirment avoir été frappés
lors des interrogatoires64, le président du tribunal attribue
cette requête à l’accusation65.
21 À ce stade, seules les plaidoiries semblent alors pouvoir
permettre aux accusés de s’exprimer librement par
l’intermédiaire de leurs avocats, et d’apporter explications,
justifications et approfondissements face au tribunal.
L’engagement pris par le tribunal stipulait que les avocats
disposaient de vingt-quatre heures entre la fin du
réquisitoire et le début des plaidoiries pour préparer la
défense. Le Dr Gottlob achève son réquisitoire le mardi 26
janvier à 18 h 10 en ayant demandé la mort à 36 reprises. À
l’issue des réquisitions, les règles fixées changent  : le
tribunal décide d’annuler le délai de vingt-quatre heures
initialement prévu et exige que la défense plaide dès le
lendemain matin. « Les avocats ont donc dû travailler toute
la nuit pour achever la mise au point des plaidoiries en
langue étrangère66. »
22 Le président, après la lecture du verdict, fait savoir que les
recours en grâce doivent être déposés au tribunal de la
Feldkommandantur au plus tard à midi, mardi 2 février
1943, soit dans un délai de quatre jours67. « La défense étant
allée demander au Président s’il était bien exact que le délai
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accordé pour présenter les demandes de grâce expirait


seulement le 2 février, le Président a paru embarrassé et n’a
d’abord pas répondu, puis il a dit : sauf décision contraire du
commandant général en France68. » Le lendemain, en fin de
matinée, neuf condamnés sont exécutés au champ de tir du
Bêle et ensevelis le jour même à Sautron.
23 On l’a compris, la démarche suivie par les militaires
allemands cherche nettement à s’attacher l’opinion publique
pour l’amener à adhérer à une inéluctable logique : le procès
se tient dans des conditions favorables à une justice
équitable, non passionnée et non expéditive  ; par
conséquent, si les accusés sont condamnés à mort, c’est
qu’ils sont coupables. Se pose alors une question
fondamentale : coupables de quoi ? La réponse apportée par
la cour, qu’il convient de faire admettre comme une vérité,
constitue la pierre d’angle du procès puisque les accusés ne
comparaissent pas pour action de résistance ni pour
patriotisme, mais pour crime.
24 L’enjeu réside en effet dans la définition de la culpabilité des
accusés afin d’imposer une certaine perception de la
résistance  : les Francs-tireurs partisans ne sont pas des
héros, défenseurs de la patrie, mais leur violence est
criminelle et porte atteinte au corps social. En ce sens, le
procès trouve sa place au cœur du processus de
criminalisation de la résistance par l’autorité allemande. La
logique criminalisante se dessine alors, implacable,
éloquente et persuasive, avant tout parce qu’elle puise ses
sources dans la loi et qu’il en découle des déductions et une
interprétation qui veulent sembler indiscutables.
25 La première étape consiste à reconnaître les accusés hors-la-
loi en attestant que les FTP agissent au mépris des
conventions internationales69. Le tribunal s’attache ensuite à
classer les prévenus dans la catégorie juridique de droit
commun et à apporter la preuve flagrante que leur action
lèse et meurtrit avant tout des Français70. Ainsi, rejette-t-il
tout caractère politique des actes et nie ainsi en bloc le
patriotisme que les accusés revendiquent. Le président du
tribunal, à l’annonce du délibéré, déclare  : «  C’est un
mensonge de déclarer que ce sont des patriotes français […]
et leur action est réprouvée par tous les Français
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honnêtes71.  » En outre, le tribunal estime apporter une


preuve irréfragable de ce faux patriotisme puisque les
accusés français côtoient dans le box leurs complices  : des
Espagnols. Le Procureur assène  : «  Il ne s’agit pas de
criminels dévoués à une idée, mais de bandits et d’assassins,
organisés d’après les conditions de guerre en URSS et
soumis à des chefs responsables (voir leur “manuel des
partisans”).  » Les juges allemands estiment donc avoir
démasqué ces hommes infiltrés, faux résistants français mais
vrais criminels, qui revendiquent, au nom d’un pays contre
lequel ils sont finalement dressés, les activités meurtrières
du communisme72. Le tribunal franchit alors une ultime
étape. Il reconnaît dans ces criminels, bien qu’influencés par
le «  matraquage idéologique  » et soumis perpétuellement à
la menace73, de véritables «  criminels de naissance74  ». La
qualification de criminel né renvoie sans équivoque à la
théorie lombrosienne75 qui trouve écho en Allemagne dès le
début des années 1880 dans un mouvement qu’Henri
Donnedieu de Vabres place aux sources du droit pénal
national-socialiste76. De cette appellation lourde de sens,
transparaît l’idée selon laquelle les accusés, victimes de la
résurgence d’un héritage passé, présentent de redoutables et
multiples tares congénitales qui les rendent dangereux pour
le corps social dans son ensemble et à ce titre irrécupérables.
« Ils auraient été dans l’armée du crime, même s’il n’y avait
pas de communisme77. » La peine de mort, prononcée pour
37 des 45 accusés, constitue l’aboutissement de la logique et
suit un double objectif répressif et dissuasif78.
26 La présence des avocats français, bien qu’elle semble
correspondre à l’assurance d’une défense, permet
néanmoins de renforcer le mouvement de criminalisation de
la Résistance. De plus, le fait que les avocats soient parvenus
à imposer leur présence lors de certains procès ne crée en
aucun cas un précédent et ne permet pas de compter sur des
garanties futures. Pour preuve, à l’été 1943, soit quelques
mois après le «  procès des 42  », est tenu en catimini un
procès, dit des 16. Suite à la mauvaise réception par l’opinion
publique de l’étalage dans la presse du procès précédent et
conscient du peu d’impact de la médiatisation des
jugements, le tribunal militaire se réunit sans la présence
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des avocats nantais, condamne à mort et fait exécuter seize


personnes. Le bâtonnier Guinaudeau l’apprend une fois les
sentences appliquées.

Annexe 1. Activité du tribunal militaire


allemand relative aux individus défendus
par les avocats nantais (1940-1944)
Graphique 1. Répartition par année des 203
individus défendus devant le tribunal

Graphique 2. Nature des infractions

Graphique 3. Types de peines prononcees (sur 168


decisions connues)

Sources  : ADLA,83J35-38, défense devant le tribunal


militaire (FK 518)
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Notes
1. J. Haennig, « Les pouvoirs de l’armée occupante et la justice militaire
allemande », Gazette du Palais, 29-30 novembre 1940, p. 1.
2. T. Pouty, « Les condamnations à mort suivies de fusillades en France
occupée dans les ressorts du MBF et du MBB  », Répression et
persécution en France  : acteurs et politiques, Caen, Atelier-Recherche,
mai 2007 ; J.-P. Besse et T. Pouty, Les fusillés. Répression et exécution
pendant l’Occupation (1940-1944), Paris, Éd. de l’Atelier, 2006, 200 p.
3. G. Eismann, La politique du maintien de l’ordre et de la sécurité
conduite par le Militärbefhelshaber in Frankreich et ses services, 1940-
1944, thèse d’histoire, Paris, IEP, 2005, p. 365.
4. G. Eismann, «  L’escalade d’une répression à visage légal. Les
pratiques judiciaires des tribunaux du Militärbefhelshaber in
Frankreich, 1940-1944 », G. Eismann et S. Martens (dir.), Occupation
et répression militaires allemandes. La politique de «  maintien de
l’ordre » en Europe occupée, 1939-1945, Paris, Éd. Autrement, 2007, p.
127-168. Voir plus précisément «  Vide historiographique et problèmes
méthodologiques », p. 129-133.
5. Ministère de la Défense.
6. Répression et persécution en France  : acteurs et politiques, Caen,
Atelier-Recherche, mai 2007 ; L. Thiéry, « Les politiques de répression
conduites par le Militärbefehlshaber in Belgien und Nordfrankreich
dans le Nord-Pas-de-Calais (1940-1944) », Revue du Nord, n° 369, t. 89,
janvier-mars 2007, p. 81-105 ; du même auteur, « La répression de l’aide
apportée aux aviateurs alliés dans le Nord de la France  », Tombés du
ciel. Les aviateurs abattus au-dessus du Nord-Pas-de-Calais, conférence
historique, La Coupole, mai 2007, à paraître en 2008  ; T. Fontaine,
«  Les politiques répressives en France occupée  : l’exemple du camp
allemand au fort de Romainville, 1940-1944 », La répression en France,
1940-1945, Caen, CRHQ, coll. « Seconde Guerre mondiale », n° 7, 2007,
p. 69-91.
7. Pour Nantes (tribunal de la FK 518), BAVCC, ministère de la Défense,
Caen, TA 100465-100533, TA 100610-100680, TA 101466 et TA 101529.
8. C. Fillon, Le Barreau de Lyon dans la tourmente, op. cit., voir partie
II, chapitre 2, « La défense devant les juridictions de Vichy », Lyon, Alias
éd., 2003, p. 243-302  ; L. Israël, Robes noires, années sombres, Paris,
Fayard, 2003, p. 168-169  ; voir également, dans D. Salas (dir.), La
justice des années sombres, Paris, La Documentation française, 2001 la
partie I sur «  Les juridictions d’exception  » et plus précisément les
contributions d’A. Bancaud, «  Une exception ordinaire. Les magistrats
et les juridictions d’exception de Vichy  », p. 29-74  ; C. Fillon, «  La
section lyonnaise du tribunal d’État et la section spéciale près la cour
d’appel de Lyon  : l’exemplarité à l’épreuve des faits  » p. 75-100  ; J.-L.
Halpérin, «  La section spéciale de Dijon  », p. 101-126  ; témoignage
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présenté par C. Fillon, «  Léopold Rabinovitch, résistant juif traduit


devant la section spéciale de Lyon », p. 249-254 ; Voir enfin H. Villeré,
L’affaire de la section spéciale, Paris, Taillandier, 1973, 394 p.
9. J. Charpentier, Au service de la liberté (toute l’histoire des avocats
parisiens dans la tourmente), Paris, Fayard, 1949, p. 207-208.
10. Voir le témoignage de Me Peter dans J.-L. Saporito et E. Feltrin,
Un printemps 42, film documentaire consacré au procès de la Maison de
la chimie.
11. B. Dänzer-Kantof, «  Les avocats agréés auprès des tribunaux
militaires allemands », La Résistance en Ile-de-France, CD-Rom, Paris,
AERI, 2005.
12. S. Defois, Des avocats en mutation. Le barreau de Nantes au xxe
siècle. Socio-histoire d’une profession, Rennes, PUR, 2007, p. 71-94. Voir
« La Deuxième Guerre mondiale : ente idéal de la défense et élan brisé »,
p. 95-130.
13. Les archives du barreau de Nantes sont déposées aux Archives
départementales de la Loire-Atlantique (ADLA) sous la cote 83J. Pour
notre sujet, voir ADLA, 83J34, correspondance relative à l’organisation
de la défense (1940-1943)  ; 83J35-38, dossiers de défense devant les
tribunaux militaires allemands (1940-1944).
14. Ces sources apportent des informations tout à fait intéressantes sur
le tribunal nantais, qui n’avait jusqu’à lors fait l’objet d’aucune étude.
Toutefois, elles ne représentent qu’une faible part de l’activité globale du
tribunal et devront donc dans l’avenir être croisées avec les archives
conservées au BAVCC. Les dépouillements réalisés pour le moment à
Caen indiquent en effet que le tribunal juge au moins 3  700 individus
entre 1941 et 1944.
15. Cf. annexe 1, graphique 1.
16. Elles peuvent juger d’activités antérieures à la loi (rétroactivité),
statuer dans les deux jours après réception du dossier, mener une brève
instruction et prononcer des peines exécutoires immédiatement sans
possibilité de recours ou de pourvoi en cassation, et ce sans obligation de
motiver leur décision.
17. T. Fontaine et F. Liaigre, «  La collaboration franco-allemande
contre les communistes : l’exemple des branches militaire et politique du
PCF nantais  », Répression et persécution en France  : acteurs et
politiques, op. cit. Les recherches menées sur Nantes tendent à montrer
que les Allemands s’emparent des dossiers qui concernent la branche
militaire alors que les Français gèrent les affaires propres à la branche
politique.
18. Cf. annexe 1, graphique 1.
19. BAVCC, ministère de la Défense, Caen, TA 100533.

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20. Gaël Eismann qualifie la période 1943-1944 d’« apogée de la terreur


judiciaire ». G. Eismann, « L’escalade d’une répression à visage légal… »,
op. cit., p. 156-163.
21. Pour l’année 1944, selon les archives des tribunaux conservées au
BAVCC, le tribunal militaire de Nantes juge au moins 400 individus. À
notre connaissance, les avocats interviennent pour seulement deux
d’entre eux.
22. Cf. Annexe 1, graphique 2.
23. F. Liaigre, « Le parti communiste et la lutte armée en Bretagne à la
lumière des archives (19401943) », S. Courtois, Communisme en France.
De la révolution documentaire au renouveau historiographique, Paris,
Éd. Cujas, 2007, p. 107-144.
24. Cf. Annexe 1, graphique 3.
25. 168 verdicts déterminés sur 203 individus soit un taux de réponse de
82,7 %.
26. 13 peines de prison sur 55 prononcées sont supérieures à 6 mois.
Aucune n’est supérieure à 20 mois.
27. Elle concerne à elle seule plus du tiers des accusés défendus par un
avocat français (57 sur 168).
28. BAVCC, ministère de la Défense, Caen, liste S 1744, recensement de
l’ensemble des condamnés à mort par les tribunaux militaires allemands
sous contrôle du MBF.
29. Septembre 1940, Martineau coupe un fil électrique (il fait peu de
doute que l’homme est dément et que son acte est isolé). Peine de mort ;
décembre 1940, Pierre Fontalirand, 18 ans, sort du lycée en courant et
entre en collision avec un soldat allemand. Jugé sans avocat. 6 mois de
prison  ; janvier 1941, place du commerce, pendant une échauffourée
entre la population et les soldats allemands, Maillot saute sur un sous-
officier, le prend au cou avec le bras en lui martelant la tête du poing.
Jugé sans avocat. Peine de Mort ; mai 1942, Gicquel suite à une friction
avec son fils est dénoncé par celui-ci pour une arme qu’il détient presque
à son insu. Les avocats obtiennent 15 ans de travaux forcés. Le jugement
est annulé par le MBF. Peine de mort, ADLA, 83J35, op. cit.
30. «  Les procès criminels sont à rendre à M. le Procurateur [sic]
général. Les tribunaux civils français reprennent leur activité tout de
suite ou la continuent. Ils jugent aussi les procès criminels de la
population civile française. Les tribunaux de la force d’armée allemande
sont autorisés à prendre vue et de se laisser renseigner en tout temps et,
le cas échéant, à juger des procès criminels eux-mêmes. Des procès
criminels d’une plus grande importance (meurtre, sabotage, incendie,
etc.) sont à communiquer aux tribunaux militaires allemands et leur
traitement est à signaler au tribunal. Les avocats français ne sont pas à
empêcher dans la pratique de leur profession. Ils sont à admettre devant

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les tribunaux militaires allemands comme défenseurs des personnes


civiles françaises accusées  », ADLA, 83J34, correspondance relative à
l’organisation de la défense (1940-1943).
31. Il occupe souvent le rôle du juge d’instruction et est entouré d’une
équipe composée d’autres juristes qui peuvent être procureurs, avocats,
juges et assesseurs. Également, on compte des greffiers.
32. Il est élu au premier tour avec 29 voix pour 51 votants. ADLA, 83J4,
registre de délibérations du conseil de l’ordre, séance du 17 juin 1939.
Centre des archives contemporaines (CAC), Fontainebleau, direction des
affaires civiles et du Sceau, 19920282, art. 6, dossier d’Yves Guinaudeau.
33. Tant que les effectifs du barreau de Nantes demeurent restreints
(inférieurs à une centaine d’avocats), le bâtonnier est élu en fonction
d’une pratique qui veut que l’on accède à cette responsabilité suivant sa
place au tableau. Si bien que les élections suivent la plupart du temps un
ordre quasiment convenu par l’ancienneté plus que par le mérite lui-
même. C’est pour cette raison que l’on parle de « tour de bâtonnat ». En
1939, c’est Me Cholet, 68 ans qui, suivant cette pratique, aurait dû
accéder au bâtonnat. L’imminence des troubles a conduit les avocats
nantais à porter leurs suffrages sur un homme plus jeune et reconnu
pour ses qualités professionnelles et humaines par une large majorité de
ses confrères.
34. ADLA, 83J4, op. cit., p. 46, séance du 17 juin 1939.
35. ADLA, 83J4, op. cit., p. 51-52, assemblée générale du 2 septembre
1939.
36. Correspondance qu’il échange avec le préfet à l’automne 1940 et au
printemps 1941.
37. B. Dänzer-Kantof, «  Les avocats agréés auprès des tribunaux
militaires allemands », op. cit.
38. ADLA, 1673W11, fonds de la préfecture, dossier Duméril  ; E.
Duméril, Miettes d’histoire, impressions d’expérience d’un interprète,
manuscrit, 290 p. dans ADLA, 42J193, fonds privé A. Gernoux.
39. ADLA, 144J5-6, fonds du cabinet Martineau-Baranger,
correspondances.
40. ADLA, 83J37, «  Depuis le changement de personnel de la justice
militaire, je me heurte à des difficultés considérables  » écrit Yves
Guinaudeau en mars 1941 à son confrère angevin, Me Gardot.
41. ADLA, 83J37, affaire des anciens combattants. Entre le 15 et le 16
janvier, les Allemands arrêtent à leur domicile 9 hommes, tous membres
d’une association qui a pignon sur rue  : une entente des anciens
combattants. Parmi ces 9 hommes, se trouvent 2 avocats (Mes Fourny et
Ridel). Alerté par les familles, le bâtonnier se renseigne et apprend qu’ils
sont accusés d’avoir aidé à l’évasion de prisonniers vers la zone libre en
fournissant de faux papiers. Les prévenus sont relâchés deux jours plus

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tard. Ils rentrent chez eux. Mais ils sont de nouveau arrêtés et mis au
secret. Le bâtonnier ne parvient plus à avoir aucun renseignement.
L’affaire, lui dit-on à la Feldkommandantur, est entre les mains de la
police secrète. Guinaudeau veut tout de même pouvoir assurer la défense
des prévenus s’ils étaient traduits devant le tribunal militaire.
42. Il doit réserver un hôtel à Nantes et voyager durant 6 h 30 pour
effectuer le déplacement.
43. 1re date retenue  : vendredi 4 avril 1941 (une impossibilité est
invoquée mais pas précisée)  ; 2e date  : mardi 22 avril à 9 h 30 (renvoi
sous le motif que le tribunal est irrégulièrement composé)  ; 3e date  :
vendredi 23 mai (finalement repoussée d’une semaine car un des
magistrats est malade)  ; 4e date  : vendredi 30 mai à 9 h 30 (renvoi car
l’un des témoins appelé par le ministère public, M. l’inspecteur Schuelle,
n’a pas comparu à la convocation qui lui aurait été adressée) ; 5e date :
mardi 1er juillet à 9 h 00 (renvoi le 15 juillet car l’inspecteur de police
dont l’absence avait fait renvoyer l’affaire n’est pas encore de retour
d’Allemagne et ne pourra être présent à l’audience du 1er juillet). L’affaire
est finalement jugée le mardi 15 juillet à 9 h, ADLA, 83J37, op. cit.
44. Le parti communiste français se lance dans la lutte armée contre
l’occupant après que l’Allemagne nazie, violant le pacte de non-agression
signé avec l’URSS en août 1939, ait attaqué cette dernière le 22 juin 1941.
Peu de militants communistes acceptent, toutefois, de prendre les armes
et, de Biarritz au Mont-Saint-Michel, le bras armé du parti
(l’Organisation spéciale) ne compte qu’une vingtaine de combattants à
l’automne 1941. Pour étendre la lutte armée à l’ensemble de la zone
occupée, le PCF dépêche en octobre 1941 des résistants communistes
parisiens à Rouen, Bordeaux et Nantes afin d’y perpétrer des attentats.
Dans cette dernière ville, Gilbert Brustlein et Spartaco Guisco tuent le 20
octobre 1941 le Feldkommandant Hotz. Depuis le début de l’Occupation,
nul Allemand d’un si haut grade n’a été exécuté. Hitler, en personne,
exige que le décret Keitel, édicté le 16 septembre 1941, soit appliqué  :
pour un Allemand tué, 50 à 100 personnes doivent être fusillées. Ordre
est donné à Otto Von Stülpnagel, qui dirige en France l’administration
militaire allemande (MBF), de dresser une liste d’otages. Pour ce faire, ce
dernier s’appuie sur le code des otages, sorte de vade mecum, préparé
par ses services à l’attention des chefs régionaux subordonnés au MBF,
qui a été publié le 28 septembre de la même année. Doivent être
exécutées en priorité les personnes, incarcérées ou internées,
idéologiquement proches des auteurs présumés de l’attentat  :
communistes et gaullistes, ou supposés tels, figurent en première ligne
sur les listes d’otages  ; et bientôt les juifs. Seconde règle  : les otages
doivent résider dans le département où a eu lieu l’attentat ou, à défaut,
lorsqu’ils sont détenus hors de cette zone géographique, être originaires
de ce département. Le 22 octobre 1941, 48 personnes répondant à ces
critères sont passées par les armes à Nantes (16 fusillés), Châteaubriant

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(27) et Paris (5). Sur le sujet voir F. Liaigre, 22 octobre 1941, Le drame
des 50 otages, Paris, Geste éditions, 2001, 63 p.
45. Lettre de Me Stoeber à Guinaudeau après qu’il eut appris l’exécution
des otages, 23 octobre 1941. «  Mon cher confrère et ami, c’est avec
consternation que je lis dans les journaux de ce matin que nos
malheureux clients du procès des anciens combattants ont été fusillés
comme otages, à l’exception semble-t-il de Ridel. Quelle triste et
malheureuse affaire  ! On ne peut que dire, comme l’a fait le Maréchal
dans son message radiodiffusé  : la rançon est affreuse. Voulez-vous je
vous prie, exprimer aux familles des malheureuses victimes l’émotion
poignante que j’éprouve à penser que par un concours de circonstances
tragiques, tous les efforts que nous avons faits n’ont abouti à rien. […]
Que va-t-il se passer demain ? », ADLA, 83J37, op. cit.
46. À l’instar de la correspondance échangée entre Guinaudeau et Le
Pelletier (avocat à Paris) de septembre à décembre 1940.
47. Lettre de Me Guinaudeau à Me Gardot d’Angers, 27 mai 1943  :
«  J’attache une particulière importance à la question de la défense
d’office, que j’estime nécessaire, et que j’ai pour ma part, tenté de mettre
en pratique, avec les très faibles moyens dont je disposais  », ADLA,
83J34, op. cit.
48. Le fonctionnement de la justice militaire allemande est réglementé
depuis 1938 par la KStVO KriegsStrafVerfahrenSordnung, ordonnance
pénale de guerre qui fait disparaître la plupart des garanties de
procédure dont dispose le prévenu dans le système français. La KStVO
est ensuite complétée jusqu’en 1945 pour permettre une accélération des
procédures et donne un contenu de plus en plus idéologique au droit
militaire. G. Eismann, «  L’escalade d’une répression à visage légal…  »,
op. cit., p. 134.
49. «  Lauriot, qui après un long et pénible séjour en Allemagne, a été
libéré pour raisons de santé, et qui, grâce aux connaissances qu’il a pu
développer en langue allemande, contribue pour une large part à la
défense si difficile devant le tribunal militaire allemand », ADLA, 83J4,
op. cit., p. 112-116, séance du 3 octobre 1941.
50. Bien que l’historiographie demeure quasi muette en la matière, il
semble pourtant, à la lumière des procès les plus retentissants conduits
par la justice militaire allemande, que celui des 42 soit le plus important
par le nombre de condamnés à mort exécutés (45 accusés, 15 jours de
débats, 37 condamnations à mort). Ainsi, et pour rester dans le grand
Ouest, le procès tenu à Rennes fin décembre 1942 concerne 30 inculpés
et se solde par 25 condamnations à mort. De même, les grands procès
parisiens, ceux du palais Bourbon (mars 1942) et de la Maison de la
chimie (avril 1942), demeurent par le nombre d’inculpés et les sentences
prononcées en deçà du «  procès des 42  ». En ce qui concerne la
Résistance non communiste, ni le procès d’Honoré d’Estienne d’Orves et
de ses compagnons – 20 inculpés, 9 condamnations à mort – organisé en
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mai 1941, ni celui intenté au réseau du musée de l’Homme – 7 fusillés –,


ni même celui tenu à partir du 27 juin 1942 à l’hôtel Continental – 28
inculpés, 6 condamnés à mort –, ne dépassent celui des 42. Sur le sujet,
lire notamment A. Kirschen, Le procès de la Maison de la chimie (7 au
14 avril 1942), Paris, L’Harmattan, 2002, 196 p.  ; J. Baumel, Résister,
Paris, Albin Michel, 1999, p. 85  ; R. et D’Estienne d’Orves, Honoré
d’Estienne d’Orves, pionnier de la Résistance, Paris, Éd. France-Empire,
1990, p. 154-162.
51. « Assassinats et tentatives d’assassinat contre des Français ; actes de
terrorisme contre les Allemands  ; attentats contre des propriétés
françaises ; cambriolages de mairie et attaque à main armée d’un bureau
de poste  », E. Duméril, Papiers privés conservés par Jean Bourgeon,
Notes prises au cours des audiences du Procès, audience du 23 janvier,
p. 3.
52. Hans Gottlob adhère à la SS en 1933 et au NSDAP en 1937. Il préside
le procès de la Maison de la chimie à Paris quelques mois plus tôt.
53. Sont notamment présents au cours du procès, l’Obersturmführer
Marnitz (revenu de Paris), Boescher, son successeur à la tête des SS
nantais, l’Oberskriegsgerichtrat Dr Butticher, conseiller juridique auprès
du Militärbefehlshaber in Frankreich (hôtel Majestic à Paris) et
l’Oberskriegsgerichtrat Dr Kuntze, chef de la justice militaire d’Angers.
54. Né à Pau en mars 1963, André Lauriot, titulaire d’un doctorat de
droit, s’inscrit au stage du barreau de Nantes en juillet 1930 et accède au
tableau en 1933. Il est mobilisé du 1er septembre 1939 au 3 février 1942.
55. Georges Lerat naît dans une famille de médecins nantais en avril
1883. Docteur en droit, il intègre la liste des stagiaires nantais en 1906 et
celle du tableau en 1910. Lieutenant au 9e bataillon d’ouvriers d’artillerie,
il est cité à trois reprises pour bravoure personnelle au cours de la
Première Guerre mondiale.
56. Au moment du procès, Marguerite Pascal est âgée de 33 ans. Elle
n’est inscrite au tableau que depuis cinq mois. Elle quittera ensuite le
barreau de Nantes pour celui de Paris en novembre 1944.
57. Les audiences sont en principe publiques mais la décision demeure
soumise à l’entière discrétion du président du tribunal. J. Haennig,
« Les pouvoirs de l’armée occupante et la justice militaire allemande »,
op. cit., p. 1.
58. Le tribunal militaire Allemand occupe habituellement de vastes
appartements au 4 de la rue Sully.
59. Le décret Keitel, daté du 16 septembre 1941, est signé sous la
référence  : Mouvements séditieux communistes dans les territoires
occupés.
60. C. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz. Le convoi du 6
juillet 1942 dit des 45  000, Paris, Fondation pour la mémoire de la

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déportation, Graphein, 2000 (nouvelle édition), p. 82.


61. La venue de Me Mouquin, que le Phare de la Loire ne manque pas de
mentionner dans son édition du 16 janvier 1943, fait savoir au lecteur
que le choix du défenseur est largement possible puisque certains
accusés sollicitent même la présence d’un avocat parisien.
62. «  Je n’ai pas encore vu mon avocat  » écrit Auguste Chauvin à sa
femme. Collectif pour la mémoire des 42, Auguste Chauvin, résistant
FTP, 1910-1943, lettres d’un héros ordinaire, Laval, L’Oribus 58, octobre
2003, lettre du 15 janvier, p. 66. Cette procédure est en fait celle qui a
cours devant la justice militaire allemande. Par exemple, Me Peter,
avocat lors du Procès de la Maison de la chimie, évoque également la
première rencontre avec ses clients le jour du procès. Voir le reportage
de J.-L. Saporito et E. Feltrin, Un printemps 42, op. cit.
63. Le SPAC (Service de Police anticommuniste) est une police parallèle
créée en octobre 1941 par le ministre de l’Intérieur Pierre Pucheu.
Rebaptisé SRMAN (Service de répression des menées antinationales) à
l’été 1942, ce service est désormais intégré à la Police nationale et donc
organiquement lié à la Direction de la Police judiciaire. Le SPAC, et à sa
suite le SRMAN, interviennent cinq fois à Nantes sous l’Occupation et
provoquent des ravages dans les rangs communistes. J.-M. Berlière et
F. Liaigre, Le sang des communistes, op. cit., p. 361.
64. Lagathu  : «  Douineau n’y était pas, c’est la police française qui l’a
forcé, sous les coups, à le déclarer. » Gomez : « Ils étaient sept à me tenir
et à me frapper. » Guilloux : « On nous met à plat ventre sur une table et
il nous faut avouer sous les coups. » E. Duméril, Papiers privés, op. cit.,
audiences des 20-23 janvier.
65. « Le tribunal fait son entrée et le Président ordonne de mener tous
les accusés au fond de la salle le dos tourné vers le tribunal et une haie de
gendarmes les séparant du public. Le Président déclare que, sur la
requête du Procureur, il oublie de dire  : et de la défense, le tribunal a
décidé d’entendre les policiers. Le policier paraît et donne en secret son
nom au greffier. On ne lui fait pas prêter serment. Il répond simplement
aux questions que les accusés n’ont jamais été frappés. […] Le Président
n’insiste pas et renvoie le témoin [André Fourcade] à sa place et passe à
une autre question. Cette pénible déposition qui n’a rien éclairci a duré
dix minutes à peine », E. Duméril, Papiers privés, op. cit., audience du
23 janvier, p. 1.
66. E. Duméril, Papiers privés, op. cit., audience du 27 janvier, p. 1.
67. « Le droit de grâce appartient au Führer et aux commandants et chef
des Armées. Il comprend la remise totale de la peine, sa suspension ou sa
commutation, la remise des peines accessoires, l’arrêt définitif des
poursuites. Les recours en grâce doivent être présentés au chef de la
Justice dont les condamnés sont justiciables. La grâce n’a d’effet que
pour l’avenir et n’efface pas les condamnations qui restent inscrites au
casier judiciaire, à moins qu’elles ne soient l’objet d’une amnistie.  » J.
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Haennig, «  Les pouvoirs de l’armée occupante et la justice militaire


allemande », op. cit., p. 1.
68. E. Duméril, Papiers privés…, op. cit., audience du 28 janvier, p. 8.
69. Afin de déprécier la Résistance, les juristes allemands proposent en
effet une analyse limitative du droit international, et en particulier des
Conventions de La Haye de 1899 et 1907. Ils ne tolèrent aucun droit à
l’insurrection chez les populations occupées. Le statut de celui qui se
livre à un acte d’hostilité àl’encontre de la puissance occupante apparaît
donc clairement défini par l’État-major administratif  : c’est celui de
franc-tireur, qui se trouve par là même hors la loi. J. Solchany, «  Le
commandement militaire en France face au fait résistant  : logiques
d’identification et stratégies d’éradication  », La Résistance et les
Français  : Villes, centres et logiques de décision, actes de colloque,
Cachan, 1995, p. 518.
70. Le 9 septembre 1942, vers 15 h 45, alors que le magistrat Le Bras –
juge d’instruction français – interrogeait le nommé Raymond Hervé
dans son bureau au palais de Justice, trois hommes – Louis Le Paih,
Eugène Le Bris et Jean Marc – ont fait irruption par effraction, ont
abattu le magistrat avant de prendre la fuite avec Hervé. Cinq mois plus
tard, au moment du procès, cette affaire cristallise nettement les débats
(elle occupe à elle seule une demie journée et donne lieu à une
reconstitution) et permet au tribunal militaire allemand d’y trouver les
arguments appropriés à jeter un discrédit sur les actions des FTP
puisqu’à propos du coup de main mené pour délivrer Raymond Hervé, le
procureur Gottlob dénonce une action criminelle qu’il qualifie
d’assassinat. «  Ceux-ci n’ont réussi qu’à nuire aux Français mais
nullement à l’armée allemande », E. Duméril, Papiers privés…, op. cit.,
audience du 27 janvier, p. 3. Précisons d’ailleurs, pour le cas nantais, que
dans les faits il y a plus de Français que d’Allemands tombés sous les
balles des FTP (trois morts allemands de juin 1941 à juin 1944). F.
Liaigre, «  Le parti communiste et la lutte armée en Bretagne à la
lumière des archives (1940-1943)  », S. Courtois, Communisme en
France, op. cit. Ce n’est pas un épiphénomène puisque la situation est
identique pour les hauts lieux de la Résistance communiste armée qui
ont fait l’objet d’une enquête approfondie sur archives. Pour la région
parisienne, voir J.-M. Berlière et F. Liaigre, Liquider les traîtres, Paris,
Laffont, 2007. Pour le Nord et le Pas-de-Calais, voir L. Thiéry,
Internement, fusillades et déportations  : la répression dans le Nord-
Pas-de-Calais (1940-1944), doctorat d’histoire, université de Lille III, en
cours.
71. E. Duméril, Papiers privés…, op. cit., audience du 28 janvier, p. 3.
72. «  La perception du partisan soviétique et celle du résistant français
ne constituent pas deux sphères imperméables l’une à l’autre de
l’imaginaire politique des élites militaires, mais deux constructions
mentales qui découlent du même anticommunisme et du même

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antisémitisme fanatiques  », J. Solchany, «  Le commandement


militaire… », op. cit., p. 527.
73. Le Dr Gottlob : « Leur discipline est celle de la terreur, de la crainte
d’être tués par leurs propres camarades », E. Duméril, Papiers privés…,
op. cit., audience du 27 janvier, p. 3.
74. Réquisitoire du Dr Gottlob. Ibid., audience du 27 janvier, p. 3.
75. Lombroso dans L’Uomo deliquente (paru en 1876) applique sans
nuance une théorie de l’atavisme considérant l’homme criminel comme
le symbole d’attitudes anciennes marquant la réminiscence de pratiques
révolues. M. Renneville, « La réception de Lombroso en France (1880-
1900)  », L. Mucchielli, Histoire de la criminologie française, Paris,
L’Harmattan, 1994, p. 107-132.
76. Dès 1881, un article de Lombroso sur La source, la nature et les
effets de la nouvelle École anthropologico-criminalistique paraît dans la
revue dirigée par le professeur berlinois Von Liszt. H. Donnedieu de
Vabres, La crise moderne du droit pénal. La politique criminelle des
États autoritaires, Paris, Sirey, 1938, p. 72-73.
77. Réquisitoire du Dr Gottlob. E. Duméril, Papiers privés…, op. cit.,
audience du 27 janvier, p. 3.
78. «  La peine est en réalité la plus humaine car elle retiendra les
autres  » affirme le procureur Gottlob lors de son réquisitoire. «  Dès
1883, Von Liszt s’attache à répandre ce qui restera du dogme positiviste :
la thèse de l’état dangereux du délinquant, le principe des mesures de
sûreté. […] À la logique de la peine “rétributoire”, Von Liszt oppose celle
de la peine tutélaire, une “peine-but” qui agit à titre de prévention
comme une menace et à titre de répression par l’exécution pour
impressionner l’ensemble des sujets et refréner les penchants
criminels  », J. Danet, «  Relire “La politique criminelle des États
autoritaires”  », Le champ pénal, Mélanges en l’honneur du professeur
Reynald Ottenhof, Dalloz, 2005, p. 37-52.

Auteur

Serge Defois
Du même auteur

Les avocats nantais au xxe


siècle, Presses universitaires de
Rennes, 2007

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Les tribunaux militaires


allemands en France occupée in
Justices militaires et guerres
mondiales, Presses
universitaires de Louvain, 2013
En guise de conclusion in Les
avocats nantais au xxe siècle,
Presses universitaires de
Rennes, 2007
Tous les textes
© Presses universitaires de Rennes, 2008

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Référence électronique du chapitre


DEFOIS, Serge. Les avocats nantais devant le tribunal militaire
allemand (1940-1944)  : entre le difficile exercice de la défense et le
risque d’une instrumentalisation In  : La violence et le judiciaire  : Du
Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques [en ligne].
Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19 septembre
2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/5024>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.5024.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
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La violence et le judiciaire

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Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,


pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

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19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - Pratiques et régulations des violences intracommunautaires dans la société française en épurati…

Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

Pratiques et
régulations des
violences
intracommunautaires
dans la société

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française en
épuration
Marc Bergère
p. 323-332

Texte intégral
1 Images fortes de la Libération, en contrepoint des scènes de
liesse, les violences perpétrées durant cette séquence
soulèvent une question qui s’avère plus complexe qu’il n’y
paraît, en particulier au regard de leurs rapports à la société,
aux nouvelles autorités et/ou au judiciaire. S’inscrivant dans
le basculement soudain de l’Occupation à la Libération,
après de longues années de peur, d’oppression et de
privation, elles constituent un indicateur incontournable du
passage de la guerre à l’après-guerre au prix d’un glissement
entre violence subie de l’Occupation et violence donnée alors
même que « pour une bonne partie de la population, il s’agit
de la première violence exercée contre l’ennemi ou plutôt
contre celle [ou celui] qui [à ses yeux] l’incarne1 ».
2 Fortes de cette dimension nodale, y compris dans leur
capacité paradoxale à participer au rétablissement de l’ordre
républicain, les violences populaires, perpétrées dans et par
les communautés dans une dynamique «  d’épuration de
voisinage2 » exigent d’être revisitées, réinterprétées. Pour ce
faire et à la lumière de l’important renouvellement
historiographique opéré sur la question durant la décennie
écoulée3, notre réflexion sur les pratiques et les régulations
des violences intracommunautaires s’articulera en trois
points. Tout d’abord, il importera de saisir la (les)
violence(s), ce qui ne va pas sans poser des problèmes de
définition ou de méthodologie à l’historien. Dans un
deuxième temps il conviendra de souligner que ces violences
participent du brouillage entre épuration extralégale et
épuration légale, et qu’à ce titre elles ne sont ni tout à fait
sommaires ni tout à fait judiciaires (voire parfois mi
sommaires/mi judiciaires). Enfin, la question de leurs
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modes de régulation sera posée, à travers un double


processus de légitimation des violences et de délégitimation
de leurs «  victimes  » à l’échelle des communautés comme
des autorités.

Saisir la (les) violence(s)


3 C’est d’abord poser une question de définition et de
vocabulaire face à une désignation des violences qui ne va
pas de soi et qui n’est pas neutre, les enjeux mémoriels voire
idéologiques n’étant pas absents, ni minces sur la question.
Parmi les appellations les plus fréquentes, on a souvent parlé
d’épuration «  extrajudiciaire  », «  sauvage  », ou
«  spontanée  ». Si les termes «  extrajudiciaire  »,
« spontanée » voire parfois « illégale », sans être totalement
satisfaisants4, renvoient à une vision organisationnelle du
processus, plus douteuses voire connotées sont les
expressions « sauvage » ou « sommaire ». En effet, au prix
d’une chronique et d’une juxtaposition de faits tous plus
tragiques et sordides les uns que les autres, elles visent
parfois, par un effet loupe, à proposer une « représentation
hypertrophiée de la réalité  » au service de la légende noire
de l’épuration, et réduisent, de fait, cette phase à de simples
et sanglants « règlements de compte5 ». Sans nier ni occulter
cette éventualité, il n’est pas suffisant de confondre
répression et vindicte populaire6. Personnellement, nous
préférons parler de violences populaires pour désigner les
violences perpétrées par les communautés contre des
collaborateurs (réels ou supposés) dans une dynamique de
proximité, sachant que précisément ces violences ne sont
jamais totalement sauvages, sommaires, spontanées ou
extrajudiciaires…
4 Second problème, force est de constater que l’analyse des
violences libératrices s’est très longtemps limitée au seul
champ des exécutions dites «  sommaires  », que l’on peut
raisonnablement estimer à 9 000 aujourd’hui7. Ainsi, la
géographie de ces dernières a longtemps prévalu pour
cartographier les régions violentes ou au contraire paisibles.
Or, cette carte recoupe clairement celle des zones de force de
la Résistance armée et/ou des maquis (notamment FTP)

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qu’il s’agisse de la Bretagne, du Limousin, de la Savoie ou de


la Dordogne… Pour cette même raison, on constate que ces
exécutions « sommaires » sont souvent le fait d’individus ou
de groupes assez isolés, parfois extérieurs aux communautés
locales qui, d’ailleurs, dans les faits, sont assez peu engagées
par ce type de violences. Sans nier leur centralité dans le
processus libérateur et épurateur, il faut donc admettre que
ce paramètre considéré isolément et/ou exclusivement n’est
pas le plus pertinent pour analyser la violence développée
par les sociétés au sortir de la guerre. Aussi significatives,
sont d’autres formes de violences (physiques, matérielles ou
sociales…) perpétrées avec l’assentiment voire la
participation (active ou passive) de la totalité ou d’une large
partie des communautés. Prises en compte depuis la fin des
années quatre-vingt-dix seulement, ces violences non
homicides8 – tontes et autres violences physiques,
matérielles ( attentats, pillage, saccage…) ou sociales
(importantes et puissantes manifestations d’ostracisme) –
représentent à nos yeux des marqueurs sociaux autrement
plus efficaces pour mesurer la violence populaire réelle. À ce
titre, on remarque d’ailleurs que les exécutions sommaires
n’ont pas canalisé la violence populaire et inversement. Il n’y
a pas, par exemple, de corrélation parfaite entre la carte des
tontes et la carte des exécutions9  : les zones qui ont connu
beaucoup d’exécutions ont pu ainsi connaître de nombreuses
tontes et, a contrario, les zones indemnes ou presque
d’exécutions n’ont pas été épargnées par les tontes (loin s’en
faut parfois). Il arrive même que des femmes soient tondues
et exécutées10. Ainsi et pour conclure sur ce point, si on
considère la violence comme une forme de transgression des
normes sociales ou morales communément admises, on
constate en déplaçant le curseur ou en modifiant la focale de
la gradation de la violence que l’on atteint des faits beaucoup
plus significatifs de la violence acceptée et acceptable par les
populations. À cette aune, il n’est pas déraisonnable
d’admettre que les violences ont sans doute été plus
importantes et diffuses sur le territoire national et que de
nombreuses régions, y compris celles réputées paisibles, ont
pu connaître (ne serait-ce que ponctuellement) des
dérèglements « extraordinaires11 ».
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5 Troisième dimension enfin, appréhender les violences de la


Libération, c’est aussi souligner la nécessité d’une
chronologie fine pour cerner et distinguer des réalités
différentes et pourtant souvent confondues. Sans développer
ici, il convient a minima de dégager trois temps. Un premier
temps commence très tôt sous l’Occupation (dès 1941 en
général) et court jusqu’au débarquement. En effet, la
stigmatisation, l’agression voire l’élimination de
collaborateurs (ou présumés tels) sont précoces. Cette
«  proto-épuration  » est constituée de manifestations
d’ostracisme social, d’agressions, d’attentats et recouvre 7 %
des tontes, 25 à 30  % du total des exécutions sommaires.
Elle vise alors prioritairement des individus clairement
identifiés comme «  ennemis  » et s’inscrit dans une logique
de guerre (plus que d’épuration stricto sensu). Plus ciblées,
ces violences interviennent également essentiellement sur
ordre précis d’individus ou de groupes appartenant à la
Résistance.
6 Un second temps peut être individualisé entre le
Débarquement et la libération effective des départements.
Dans une phase d’insurrection et de transition politique, il
s’agit, toutes formes confondues, de la phase paroxystique
des violences populaires (2/3 des tontes, 50/60  % des
exécutions…). Dans un contexte d’anomie réelle ou
apparente mais aussi de recrutement massif (et parfois
intempestif) des forces résistantes (et en particulier FFI),
cette période incarne, sans nul doute, la séquence de tous les
dangers en terme d’excès et de dérapages possibles, non sans
une certaine ambivalence des nouvelles autorités face aux
violences.
7 Troisième temps enfin, après la Libération, des violences
populaires se poursuivent ou le plus souvent resurgissent, de
manière plus ponctuelle, pour dénoncer la lenteur,
l’insuffisance ou la clémence de l’épuration légale désormais
engagée. À ce titre, seules ces violences concomitantes et
concurrentes de l’épuration légale relèvent de l’épuration
extralégale ou extrajudiciaire stricto sensu… Des attentats,
de nombreuses manifestations devant des domiciles, gares,
tribunaux…, environ 25  % des tontes et 15 à 20  % des
exécutions interviennent dans ce contexte. Ce faisant, le
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rapatriement des déportés, et dans une moindre mesure des


prisonniers de guerre et requis, impulse partout une
réactivation nette des violences populaires durant le
printemps et l’été 1945, marquée notamment par le retour
des foules.

Des violences ni (mi) judiciaires, ni (mi)


sommaires ?
8 Sous ce titre emprunté, pour partie, à Fabrice Virgili pour
qualifier les tontes12, il s’agit de revisiter les violences de la
Libération et post-Libération à l’interface du légal et de
l’extralégal. Deux plans peuvent être distingués  : le
processus décisionnel à l’origine des violences et la
scénographie de leur déroulement.
9 Au niveau du processus décisionnel, on constate, sans
prétendre pour autant généraliser à l’excès, que nombre de
violences présentées comme spontanées, désordonnées,
incontrôlées ou encore sommaires ont été dans les faits
organisées, concertées, coordonnées, décidées voire
planifiées par des autorités de droit ou de fait. Ainsi, en de
nombreux points du territoire, on assiste à une organisation
méthodique des tontes13 qui leur confère un caractère de
sanction semi-officielle. Dès lors, celles-ci étant cogérées par
les FFI14, mais aussi parfois par les forces de l’ordre (police/
gendarmerie)15et plus rarement par les autorités
administratives (cas du Languedoc-Roussillon)16, on assiste
à une recherche systématique de femmes à tondre et à la
concentration du phénomène sur des lieux spécifiques
conduisant souvent à des tontes en nombre voire massives17.
Dans le même esprit, dans le cadre de l’épuration au village,
certaines manifestations d’ostracisme contre des
collaborateurs réels ou supposés, répondent à l’application
de consignes strictes. Ainsi, à Doué-la-Fontaine, le capitaine
FFI fait proclamer l’avis suivant le 2 septembre 1944 au
matin : « Il est formellement interdit aux habitants dont les
maisons ont été marquées d’un “H”, première lettre d’un
nom qu’ils admirent, de mettre chez eux la moindre
décoration. Ils n’ont pas le droit de participer à nos
réjouissances.  » Dans la commune voisine de Soulanger, le
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garde-champêtre, agissant sur ordre FFI, diffuse le 1er


septembre 1944 à 22 heures le communiqué selon lequel
«  toutes les habitations ayant été marquées d’une croix
gammée sont prévenues qu’elles ne doivent pas prendre part
au défilé, ni pavoiser18  ». Dans un registre voisin, de
nombreuses violences s’inscrivent dans le cadre d’une
procédure (même sommaire) d’interrogatoires et de
jugements des intéressés, comme si on ressentait le besoin
de légitimer l’usage de la violence par une parodie de
procédure. Ce faisant, il est probable que bon nombre des
contemporains (acteurs, spectateurs voire victimes),
considèrent, via ces violences collectives légitimées par des
semblants de pratiques judiciaires, cette justice populaire
comme une véritable forme de justice. Dès lors,
l’intervention de tribunaux de fait au statut plus ou moins
défini (mais le plus souvent issus de la Résistance ou du
maquis) est assez fréquente, comme en témoigne en Anjou le
cas de Fontevrault où 13 femmes sont tondues le 2
septembre 1944 après jugement d’un tribunal ou
groupement d’intérêt communal19. On sait par ailleurs
qu’environ un millier d’exécutions dites « sommaires » sont
intervenues après des procès orchestrés par des cours,
martiales notamment, plus ou moins régulières. Certains
exemples demeurent célèbres tels ceux de Pamiers ou du
Grand Bornand20.
10 Au-delà du processus décisionnel, on constate également
que les violences souvent théâtralisées interviennent
fréquemment dans des lieux de pouvoir ou d’autorité
(mairie, préfecture, caserne, gendarmerie, commissariat,
centre de détention…)21, le plus souvent en présence
d’individus ou de fonctionnaires détenteurs d’autorité
(parfois revêtus de leur uniforme). L’inaction des nouvelles
autorités ou bien leur participation à ces violences
populaires interrogent. Leur présence sur les lieux contribue
au brouillage entre légal et extralégal voire paralégal. Sans
doute, cette attitude renvoie- t-elle à trois principaux
facteurs d’explication :

l’anomie réelle ou, plus souvent, son apparence à


travers de nouveaux pouvoirs présents mais pas assez
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installés pour s’imposer immédiatement22 ;


la tentation de laisser faire pour canaliser l’exaspération
populaire et se ménager un avenir meilleur : la violence
comme facteur de régulation sociale ;
la volonté d’assumer et/ou de gérer ces violences pour
asseoir sa légitimité  : la violence comme enjeu de
pouvoir.

11 En définitive, pour reprendre la typologie de Benoît Garnot


pour l’époque moderne23, ces violences se situent en lisière
de l’infrajustice24 et plus encore d’une parajustice25. C’est
d’ailleurs, ce caractère qui explique que ces violences, bien
que constituant par elles-mêmes une forme de criminalité
aux yeux de la loi, n’étaient pas majoritairement ressenties
ainsi par les communautés voire les autorités. Mieux, pour
reprendre la conclusion de Benoît Garnot sur la parajustice,
ces manifestations, y compris violentes et délictueuses «  ne
doivent pas être perçues comme des manifestations de
désordre, mais au contraire comme un mode, parmi
d’autres, de régulation sociale, au même titre que la
justice26 ».
12 D’ailleurs, la partie suivante témoigne parfaitement de cette
perception, largement admise par les autorités comme dans
l’opinion, d’une complémentarité entre violence et justice
pour la réclamer, l’appuyer  : les violences incarnant dans
tous les cas de figure un moyen de pression, une médiation
entre la communauté et la justice27. Nul doute d’ailleurs que,
de manière ambivalente, toute réponse répressive (souvent
dans une fonction de protection) des autorités contre
l’individu visé par les violences, nourrit la suspicion de la
rumeur publique et légitime a posteriori le recours à la
violence.

Légitimation des violences/délégitimation


des « victimes »
13 De nombreuses sources (judiciaires, préfectorales, police,
gendarmerie, mairie) montrent que les violences sont
souvent considérées implicitement ou explicitement comme

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une forme de justice, certes un peu expéditive ou excessive


parfois, mais une forme de justice tout de même :
«  D’une façon générale, on estime que Mme A méritait
certainement une sanction, mais qu’il s’agit là d’une justice
trop sommaire28. »

«  Les jugements des cours de justice sont toujours discutés


et la lenteur de la justice critiquée. C’est ainsi que des
déportés politiques récemment libérés se sont fait justice
eux-mêmes […]. De nuit ils ont pénétré au domicile de Mlle X
de la Pommeraye qu’ils accusaient d’intelligence avec
l’ennemi et sur la place publique lui ont coupé les
cheveux29. »

14 Plus frappant encore, sur une fiche-type de renseignement


du parquet d’Angers, relative à une inculpation d’indignité
nationale, à la question 16  : «  A-t-il été condamné ou
seulement poursuivi en justice  ?  », on trouve la réponse
manuscrite suivante « serait en liberté surveillée et a eu les
cheveux coupés30 ».
15 Force est de constater, par ailleurs, que la recherche
d’explications (politiques le plus souvent) aux violences
commises a souvent valeur aux yeux des autorités de
justification voire de légitimation. Ils sont nombreux à
penser que ces violences sont illégales, sans doute, mais
cependant légitimes. Ainsi, le commissaire régional de la
République de Bretagne Le Gorgeu, en novembre 1945, écrit
au ministre de l’Intérieur au sujet de violences commises par
des déportés de sa région  : «  Il n’est pas humainement
possible d’exiger avec la même rigueur le respect des formes
légales chez les victimes du nazisme que chez les citoyens
n’ayant pas connu les mêmes souffrances31.  » De manière
plus explicite encore, on peut citer cette lettre datée du 22
janvier 1945 de Jean Meunier, président du CDL d’Indre-et-
Loire et maire de Tours, à Michel Debré, commissaire de la
République à Angers. La lettre est d’autant plus troublante
qu’il y est question de l’affaire Le Coz, bandit et criminel
authentique :
«  Je crois qu’il est indispensable qu’un texte ou une
instruction dispense la justice de prendre en considération
les plaintes de cette nature ayant trait à des faits s’étant
produits pendant la période insurrectionnelle. […] Toute
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insurrection suppose des actes en contradiction avec les


textes et depuis les actes du gouvernement jusqu’à ceux du
résistant de la base, tout pourrait faire l’objet d’un jugement.
Le fait d’arrêter un collaborateur, de tondre une
collaboratrice, de révoquer un fonctionnaire, de porter des
armes, de s’emparer des administrations constitue
évidemment des imprévus dans les textes antérieurs. Si la
justice s’engage dans une voie qui conduirait à juger les actes
insurrectionnels comme on juge en temps normal les faits de
droits communs, nous allons à des troubles graves et même
à la guerre civile. Le 19e siècle n’aurait pas suffi s’il avait fallu
examiner séparément chacun des actes insurrectionnels qui
constituent la Révolution32. »

16 De manière corollaire, lorsque enquêtes et/ou plaintes il y a


pour des faits de violences, les services chargés de les
instruire se désolidarisent fréquemment des victimes les
renvoyant à leur propre comportement. Brouillées par le
contexte de guerre et de transition, l’image et la parole « du
collaborateur  » sont délégitimées et dans de nombreux cas,
les autorités entérinent les exactions. Ainsi, dans ce rapport
d’enquête concernant la tonte de deux sœurs à Fontevrault le
2 septembre 1944, il est possible de lire :
« D’après de nombreuses personnes entendues verbalement
au cours de notre enquête, il résulte que les filles X ont été
vues fréquemment avec des membres de l’armée
d’occupation. Il n’y a donc rien d’étonnant que le jour de la
Libération, la population qui s’était groupée sur la place de
Fontevrault ait dit aux FFI de les arrêter et de leur couper les
cheveux33. »

17 Ou encore dans ce récit relatif au saccage du domicile d’un


commerçant par des déportés rapatriés à Plouaret dans les
Côtes-du-Nord le 18 juin 1945, il est précisé :
«  “Une grande partie des habitants entourant la place du
bourg assistait à ce spectacle. Tous riaient et disaient que
c’était bien fait.” Les gendarmes se déplacèrent, tentèrent
sans conviction de modérer l’ardeur des déportés puis
rentrèrent à la brigade “pour éviter de créer un incident”. Le
commerçant ne porta pas plainte  : “toute la population est
contre lui”, précisèrent les gendarmes34. »

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18 Le plus souvent, «  les très mauvais renseignements donnés


par le maire  » sur l’intéressé(e) suffisent à établir sa
responsabilité voire sa culpabilité dans les violences qu’il a
subies, y compris au prix d’une reconstruction négative de
son image participant du stéréotype du collaborateur35. Dès
lors, les enquêteurs n’hésitent pas à recourir à des termes
dépréciatifs pour le désigner, tels que «  sinistre
personnage  » et plus fréquemment encore «  collaborateur
notoire ». Cette dernière appellation est trop répandue pour
être totalement spontanée. En effet, il apparaît clairement,
sous la plume de ceux qui l’utilisent, que cette formule
renvoie à une pratique d’enquête visant à l’économie de la
preuve. Ce qui est notoire n’a pas à être prouvé et peut donc
ouvrir d’emblée sur une procédure accélérée voire
sommaire36. Ainsi, les victimes de violences se voient
souvent «  dénié  » le statut de victime et les enquêtes leur
sont défavorables ou n’aboutissent pas. Il apparaît donc que
dans l’immédiat après-Libération, les services chargés des
enquêtes comme les autorités locales (militaire, civile –
maire, préfet, sous-préfet –, voire religieuses)37penchent du
côté de l’opinion moyenne couvrant et assumant assez
largement les violences perpétrées. Sans doute, pour être
complet, faudrait-il cependant nuancer ce propos en
indiquant que le seuil de tolérance aux violences a été inégal
dans le temps, en particulier à compter de 1945, comme
dans l’espace. À ce stade, et même si l’étude de leur action
reste encore à faire, il n’est pas inutile de rappeler que les
tribunaux militaires ont été saisis, dès 1945, de certaines
exactions commises par la Résistance ou en son nom.
Exemplaire comme à Angers dans l’affaire Le Coz38 ou d’une
clémence coupable comme le suggère Henri Amouroux39, la
question de leur plus ou moins grande sévérité reste ouverte
mais, quelques centaines, peut-être un millier40, de vrais ou
faux résistants furent jugés entre 1944 et 1953 pour des
crimes ou délits perpétrés sous couvert de la Résistance.
19 Ceci étant et pour conclure, dans l’immédiat après-
Libération et, à un degré moindre au printemps-été 1945,
des violences sont commises qui, non seulement sont assez
largement tolérées mais aussi sont perçues comme ne
menaçant pas durablement la restauration de l’autorité de
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l’État, globalement acceptée partout et par tous, y compris


par les auteurs de violences. Ainsi, n’est-il sans doute pas
exagéré de penser que ces violences, qui ne sont pas
globalement interprétées comme facteur de désordre, aient
participé au contraire, par l’exclusion violente de quelques-
uns, au rétablissement et resserrement d’un nouvel ordre
politique, social, moral et national. Nul doute que,
consciemment ou inconsciemment, les populations locales,
rejointes en cela au moins au début par une large partie des
autorités, ont considéré le « collaborateur notoire » comme
ayant rompu ses liens avec la communauté locale et
nationale et donc s’étant placé de lui-même «  hors la loi  ».
Dès lors, expulsé du groupe social, il l’était aussi du champ
de la loi ou du droit qui s’y rattachait  : la loi et les règles
communes de la société ne s’appliquaient plus à lui, et il
devenait possible d’attenter à sa personne ou à ses biens. À
partir de là, il était clair pour le plus grand nombre que les
« bons Français » pouvaient s’arroger des droits auxquels ne
pouvaient prétendre « les mauvais Français41 ».

Notes
1. F. Virgili, La France virile. Des femmes tondues à la Libération,
Payot, 2000, p. 10.
2. Selon l’expression de L. Capdevila dans Les Bretons au lendemain de
l’Occupation  : imaginaire et comportements d’une sortie de guerre,
Rennes, PUR, 1999.
3. En particulier, A. Brossat, Libération, fête folle, Paris, Autrement,
1994 ; C. Bougeard, « Résistance et épuration sauvage en Bretagne », C.
Bougeard et J. Sainclivier (dir.), La Résistance et les Français. Enjeux
stratégiques et environnement social, Rennes, PUR, 1995, p. 273-283  ;
L. Capdevila, op. cit. et «  Violence et société en Bretagne dans l’après-
Libération (automne 1944-antomne 1945)  », Modern and
Contemporary France, 7(4), 1999, p. 443-459  ; F. Rouquet, «  Les
victimes de l’épuration. Mémoire et catharsis  », B. Garnot (dir.), Les
victimes, des oubliées de l’histoire, Rennes, PUR, 2000, p. 226-239 ; F.
Virgili, op. cit.  ; M. Bergère, Une société en épuration, Rennes, PUR,
2004, notamment le chapitre 7 : « La répression populaire », p. 301-344
ou «  L’épuration au village  », M.-O. Baruch (dir.), Une poignée de
misérables. L’épuration de la société française après la Seconde Guerre
mondiale, Paris, Fayard, 2003, p. 370-384.
4. Comme nous aurons l’occasion de le démontrer plus loin.

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5. On peut penser aux titres suivants  : P. Bourdrel, L’épuration


sauvage 1944-1945, Paris, Perrin, 2 tomes, 1988-1991, ou H. Amouroux,
Les règlements de comptes, Paris, R. Laffont, 1991.
6. À titre d’exemple «  La Libération vengée  » A. Bendjebbar,
Libérations rêvées, Libérations vécues 1940-1945, Paris, Hachette, 1994,
p. 161-166, coll. « VQ ».
7. Il s’agit d’un ordre de grandeur maximal désormais reconnu comme
fiable et sur lequel il ne nous appartient pas de revenir ici. Pour une mise
au point récente, voir F. Rouquet, « L’épuration : histoire d’un chiffre,
mémoire du nombre », M.-O. Baruch, op. cit., p. 515-529.
8. Longtemps sous-estimées et parfois minorées ou a minima
considérées comme des dommages collatéraux liés à la Libération. À titre
d’exemple, Peter Novick qualifiait « les tonsures » comme des « actes de
violence mineure  » et développait l’idée aujourd’hui démentie selon
laquelle les tondues, en tant que victimes expiatoires, ont canalisé la
fureur populaire. Cf. L’épuration française 1944-1949, Éd. du Seuil,
1991, p. 123, coll. « Points » (1re éd. : Londres, 1968).
9. Sur ce point cf. F. Virgili, op. cit., p. 220-224.
10. Comme à Pamiers entre le 18 et le 31 août 1944 ou à Béziers le 20
décembre 1944. Le cas de Pamiers est exemplaire par le nombre
d’exécutions mais aussi par les sévices, souvent publics, qui les
accompagnent démontrant, si besoin est, que la violence de l’exécution, y
compris sommaire, ne se suffit pas nécessairement à elle-même ; voir P.
Laborie, «  Entre histoire et mémoire, un épisode de la Libération en
Ariège  : le tribunal du peuple de Pamiers  », Les Français des années
troubles, Paris, Desclée de Brouwer, 2001, p. 215-235 (1re éd. : 1995).
11. Le Maine-et-Loire en fournit une bonne illustration, M. Bergère,
Une société en épuration, op. cit. Il s’agit, en l’état, avec Luc Capdevila,
des seuls travaux qui recensent quantitativement et qualitativement les
violences non homicides entre 1944-1946.
12. F. Virgili, op. cit., p. 9.
13. Ibid., p. 137.
14. Dans plus des ¾ des cas en Bretagne ou en Maine-et-Loire, L.
Capdevila, op. cit. et M. Bergère, op. cit.
15. Cogestion et autorisation préalable de la gendarmerie dans le
Saumurois, M. Bergère, op. cit.
16. En Languedoc (CRR Jacques Bounin), décision centrale, lors d’une
réunion tenue à Montpellier le 27-08-1944 en présence de toutes les
nouvelles autorités civile et militaire, de tondre les femmes ayant eu des
relations avec les Allemands. La tonte dans ce cas devient de fait une
sanction administrative. F. Virgili, op. cit., p. 139-148.
17. Beauvais (80), Clermont-Ferrand (70), Creil (39), Évreux (30),
Saumurois (20).
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18. M. Bergère, op. cit., p. 323.


19. Le tribunal siège dans les locaux de la gendarmerie. À l’issue d’un
semblant de procès, les prévenues sont condamnées à être tondues sur la
place de la mairie. L’opération est menée sous la protection des
gendarmes de la brigade locale. Dans ce cas, ces femmes ont bien été
recherchées dans les environs à compter du 31 août, arrêtées, escortées
puis sommairement interrogées et jugées par un tribunal autoproclamé :
l’exécution de la sentence intervenant finalement le 2 septembre à une
heure fixée à l’avance pour prévenir la population. Loin d’une éphémère
et incontrôlée explosion de colère populaire, on est plutôt ici face à une
forme de « justice populaire » quasi légalisée et inscrite dans la durée. M.
Bergère, op. cit., p. 315-316.
20. Le tribunal du peuple de Pamiers du 16 au 31 août 1944, 42 morts ;
Le Grand Bornand (Annecy), jugement de 97 miliciens le 23 août 1944,
76 morts.
21. Fabrice Virgili  : lieux des tontes publiques  : 41  % rue, 18,3  %
mairie/préfecture, 20  % place publique et 18,9  % centre de détention,
gendarmerie, commissariat, caserne, prison.
22. Service historique de la gendarmerie nationale (SHD-DGN), 24741,
R4 légion de Limoges, « La gendarmerie ne peut aujourd’hui qu’assister
impuissante aux désordres de la rue[…]  », rapport du colonel,
commandant la légion, le 7-11-1944.
23. B. Garnot, « Justice, infrajustice, parajustice et extrajustice dans la
France d’Ancien Régime  », Crime, Histoire et sociétés, vol. 4, 2000, p.
103-120.
24. Infrajustice, par la recherche de bras armés qui vident un conflit en
tant que médiateur de la communauté dans le cadre de violence-
châtiment public ou semi-public s’appuyant sur un certain consensus
social.
25. Parajustice, à travers l’exercice par une communauté de violence-
exclusion contre certains de ses membres dans le but de rétablir un ordre
social et politique menacé par une (des) transgression(s).
26. B. Garnot, op. cit., p. 114.
27. Les deux (violence et justice) ne sont pas exclusives l’un de l’autre et
il n’est pas rare que les deux se superposent chronologiquement sachant
que la justice n’est pas forcément dupe, ni systématiquement
instrumentalisée. En effet, si les autorités répondent souvent à la
demande sociale d’épuration, qu’expriment les violences populaires, par
des mesures provisoires d’éloignement, d’internement voire
d’enfermement des «  victimes  », la justice reste plus prudente et
circonspecte comme en témoigne l’examen des dossiers classés sans
suite des cours de justice ou chambres civiques, trop rarement étudiés.
Sur ce point voir M. Bergère, Une société en épuration, op. cit., p. 122-
128.
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28. Extrait d’un rapport des Renseignements généraux du 28-11-1944


après l’assassinat de deux femmes à Saint-Brieuc. Comme souvent,
population et autorités sont réservées, mais sans vraiment condamner,
voir L. Capdevila, « Violence et société », op. cit., p. 450-451.
29. SHD-DGN, 338 E6, R4 Cie Maine-et-Loire, rapport du commandant
sur l’état d’esprit de la population, le 16-08-1944.
30. ADML, 7U4/15, dossier classé sans suite n° 166, la fiche-type est
renseignée par le maire de la commune de résidence de l’intéressée.
31. Citation dans L. Capdevila, « Violence et société », op. cit., p. 453.
32. ADML, 22 W 67, affaire Le Coz.
33. ADML, 30 W 182-189, affaires de collaboration relatives à
l’arrondissement de Saumur, lettre D.
34. Cité par L. Capdevila, « Violence et société », op. cit., p. 451.
35. Sur cette dimension du stéréotype du «  collabo  » voir M. Bergère,
Une société en épuration, op. cit., p. 334-344 et L. Capdevila, Les
Bretons au lendemain…, op. cit., p. 363.
36. Sur cet aspect de la notoriété, l’inscription dans le temps long d’une
histoire des normes et pratiques policières et/ou judiciaires peut s’avérer
féconde. Ainsi l’introduction du notoire, à savoir de ce qui «  n’a même
pas besoin d’être prouvé » dans le droit canon à compter du xiie siècle,
visait clairement à «  [rendre] la procédure inutile et permet de passer
directement au jugement  ». Ainsi «  les excès notoires ne doivent pas
faire l’objet d’une recherche de vérité mais être seulement punis, tant ils
sont publics et vrais ». Voir J. Chiffoleau, « L’église, le secret, l’occulte
du xiie au xive siècle », Micrologus. Natura, Scienze e Società Medievali,
XIV, 2006, p. 429. Je remercie Jacques Chiffoleau et Franck Mercier
d’avoir attiré mon attention sur ce point.
37. Ainsi dans les Côtes-du-Nord, notamment, on conteste «  au
collabo  », l’usage des cloches voire le droit à une cérémonie religieuse
lors d’obsèques. Cf. F. Lostec, Les manifestations de la Libération dans
les Côtes-du-Nord  : rites et symboles, master II histoire, université
Rennes 2, Marc Bergère (dir.), 2005, p. 115/117. À Cléguérec
(Morbihan), le 8 mars 1945 une foule «  hostile  » assiste aux obsèques
d’un inspecteur de police compromis et exécuté dans sa prison (à
Quimper, le 05-03-1945). Elle accompagne le mort par «  des
exclamations de mépris et sifflets », cité par L. Capdevila, « Violence et
société », op. cit., p. 450. À travers ces exemples, il est clair qu’une partie
de la communauté dénie même «  au collabo  » le droit à un repos
éternel…
38. Arrêté le 22-10-1944, condamné à mort le 17-10-1945 par le tribunal
militaire de la 4e région, il est fusillé le 14-05-1946. Des condamnations
et des exécutions ont également lieu en Dordogne, dans la Nièvre, le Var,
le Vaucluse, le Loir-et-Cher ou encore en Haute-Saône, cf. M. Baudot,

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«  L’épuration  : bilan chiffré  », Bulletin de l’Institut d’histoire du temps


présent, n° 25, 1986, p. 40.
39. Il s’appuie notamment sur les acquittements dont ont bénéficié les
responsables des attaques de prison de Bourges (2 morts) et Rodez (2
morts) devant les tribunaux militaires d’Orléans (janvier 1945) et
Montpellier (avril 1945), cf. H. Amouroux, op. cit., p. 650-651.
40. Selon H. Rousso, « L’épuration, une histoire inachevée », Vingtième
Siècle. Revue d’histoire, n° 33, 1992, p. 84.
41. Une fois encore, sans chercher à établir un quelconque lien de
causalité ni même une forme de résurgence, la comparaison avec le
statut du banni, tel que défini par Robert Jacob pour le Moyen Âge, n’en
demeure pas moins intéressante. « Du point de vue des textes normatifs,
tous les bannissements se ressemblent. Tous reposent sur une série de
traits constitutifs constants  : l’interdiction de résidence dans un
territoire déterminé, la confiscation des biens, l’immunisation totale ou
partielle de l’attentat contre la personne du banni (coups et blessures ou
homicide), l’annulation de toutes les obligations dont le banni était
créancier, la déchéance du droit d’ester en justice », R. Jacob,« Bannir au
Moyen Âge. Du lien des lois et de sa rupture  », Annales des Hautes
études en sciences sociales, septembre-octobre 2000, n° 5, p. 1040.

Auteur

Marc Bergère
Du même auteur

Vichy au Canada, Presses


universitaires de Rennes, 2015
Une société en épuration,
Presses universitaires de
Rennes, 2004
Vichy au Canada, Presses de
l’Université de Montréal, 2016
Tous les textes
© Presses universitaires de Rennes, 2008

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Référence électronique du chapitre


BERGÈRE, Marc. Pratiques et régulations des violences
intracommunautaires dans la société française en épuration In  : La
violence et le judiciaire  : Du Moyen Âge à nos jours. Discours,
perceptions, pratiques [en ligne]. Rennes  : Presses universitaires de
Rennes, 2008 (généré le 19 septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/5025>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.5025.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
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La violence et le judiciaire
Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,
pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

La violence et le judiciaire
Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,
pratiques

Ce chapitre est cité par


Zurné, Jan Julia. (2019) Unpunishable crimes? The Belgian
judiciary and violence against collaborators 1944–51. European
Review of History: Revue européenne d'histoire, 26. DOI:
10.1080/13507486.2018.1516199

https://books.openedition.org/pur/5025 17/18
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19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - Le traitement judiciaire de la violence internationale depuis la fin du monde bipolaire - Presses u…

Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

Le traitement
judiciaire de la
violence
internationale
depuis la fin du
monde bipolaire
Yves Denéchère
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p. 333-344

Texte intégral

Introduction
1 Les grandes questions qui se posent aujourd’hui autour de la
violence et du judiciaire au niveau international sont souvent
la transposition à une autre échelle de problèmes bien
identifiés dans les États et les sociétés des périodes
antérieures. Une réflexion peut montrer en quoi la justice
internationale actuelle et ses efforts pour réguler les
violences de notre monde permettent de mettre en
perspective un certain nombre de problématiques
historiques traitées dans les contributions de cet ouvrage.
2 La difficile définition normative de la violence sur le plan
international, la difficulté d’aligner aujourd’hui les normes
de la violence d’une aire culturelle sur une autre, d’un pays
sur un autre, rappellent des difficultés de même nature
concernant les États en formation. Le processus
international, mais non universel, de judiciarisation de la
violence conçu comme un marqueur de modernité ou un
progrès de la civilisation renvoie aux problématiques de la
modernisation des États et au procès de civilisation défini
par Norbert Elias. L’avènement de la communauté
internationale comme justicière répond à l’instauration de
l’État justicier par le droit de punir. L’une comme l’autre
manifeste ainsi son autorité, son pouvoir et sa prééminence.
Sans doute aussi peut-on faire un rapprochement entre les
réactions différenciées de l’autorité judiciaire selon le statut
social du justiciable dans une société donnée et les attitudes
variables des juridictions internationales selon le niveau de
puissance des États, selon la nationalité des accusés.
Lorsque l’on évoque la violence des individus comme moyen
stratégique ou stratégie de lutte et la justice comme mode de
règlement des conflits, ne peut-on les appliquer aux actions
des États et transposer ces réflexions à la sphère
internationale où ce vocabulaire est fréquemment employé ?
3 Un autre intérêt d’évoquer la dimension internationale est
d’approcher une histoire comparée des attitudes des États
face au processus d’instauration d’une justice pénale censée
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réguler les violences, sans oublier les enjeux politiques et les


enjeux de souveraineté autour du pouvoir judiciaire.
Comment les États, dont la construction s’est appuyée sur la
souveraineté judiciaire nationale, peuvent-ils accepter d’en
abandonner une partie au profit d’une justice pénale
internationale susceptible de remettre en cause leur
monopole de violence légitime1  ? Si le xxie siècle pourrait
être celui d’un nouvel ordre judiciaire international –
renvoyant là encore au nouvel ordre judiciaire qui s’impose
dans certains États à différentes périodes – il reste à
inventer concrètement des moyens pour que la communauté
internationale organisée puisse jouer au niveau mondial le
même rôle de régulateur que l’État au niveau national.
4 Envisagée au niveau des relations internationales du siècle
dernier, la violence est d’une intensité et d’une ampleur
inouïes. On pense d’abord aux violences de guerres inter ou
infra-étatiques, particulièrement étudiées et désormais bien
connues pour les deux conflits mondiaux et certaines guerres
civiles de la première moitié du xxe, moins étudiées jusqu’à
aujourd’hui pour les guerres de décolonisation ou de
libération et d’autres conflits armés au Moyen-Orient
notamment2. Le terrorisme « international » et les exactions
engendrées par les grands trafics internationaux peu ou prou
mafieux (drogue, prostitution, etc.) sont les autres formes les
plus avérées de la violence internationale contre les
personnes.
5 Face à cette violence multiforme, la réponse judiciaire ne va
pas de soi, du moins pas à l’échelle internationale. Si le
règlement des différends interétatiques peut être assuré par
la Cour internationale de justice de La Haye, c’est-à-dire
l’organe judiciaire de l’ONU institué par l’article 33 de la
charte des Nations unies – quand les États reconnaissent
son autorité –, il a toujours été extrêmement difficile de faire
admettre aux États qu’une juridiction internationale puisse
attenter à leur souveraineté en ayant à connaître et à juger
des crimes perpétrés par leurs ressortissants, leurs
dirigeants parfois. Pourtant la demande sociale de justice est
forte au sein des nations, des communautés déchirées,
traumatisées, meurtries par les violences. Le verdict
judiciaire, pouvant s’accompagner du pardon, peut alors
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avoir dans la sortie des conflits et dans les processus de


réconciliation un rôle majeur, sinon une place absolument
nécessaire. En 1998, « No Peace without Justice » est le titre
choisi pour la campagne en faveur d’une Cour pénale
internationale  ; «  pas de véritable réconciliation sans
justice » selon Pierre Hassner, même si parfois l’amnistie ou
l’impunité consécutive à l’aveu peut être un chemin possible
vers la paix3. C’est bien là l’objectif essentiel d’une justice
internationale qui se situe à la confluence de la politique et
du judiciaire.
6 Incontestablement, la fin de la guerre froide marque un
tournant majeur dans la longue et laborieuse quête, tout au
long du xxe siècle, d’une justice internationale.
L’instauration des TPI (Tribunaux pénaux internationaux)
pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et pour le Rwanda (TPIR) et
surtout de la CPI (Cour pénale internationale) constitue des
avancées notables. Les États ne sont plus les seuls
protagonistes, de nouveaux acteurs s’affirment, notamment
les ONG (Organisations non gouvernementales), et
promeuvent une véritable justice internationale souveraine
et indépendante reconnaissant les droits des victimes et
établissant de nouvelles normes internationales pour définir
ces violences, surtout celles engendrées par les guerres.

Violence et judiciaire au regard de la


chronologie des relations internationales

Une justice internationale inopérante (fin xixe siècle


– années 1930)
7 Les Conventions internationales de La Haye de 1899 et de
1907 reconnaissaient certaines violences de guerre comme
des crimes de guerre, des crimes de nature internationale4.
L’article 227 du traité de Versailles mettant fin à la Grande
Guerre, contenait l’intention de traduire en justice le
premier responsable du grand affrontement meurtrier à
savoir le Kaiser d’Allemagne. Malgré l’importance de la
demande de justice dans les sociétés des pays vainqueurs et
l’important travail réalisé jusqu’en 1920 par la
«  Commission intergouvernementale sur la responsabilité

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des auteurs de la guerre et la mise en œuvre de sanctions »,


Guillaume II, réfugié aux Pays-Bas, ne sera jamais jugé, pas
plus que les responsables turcs des massacres des
Arméniens en 1915. Les alliés confièrent cependant à
l’Allemagne le soin de juger les responsables des atrocités
allemandes commises en Belgique lors de l’invasion de 1914.
En 1921, les procès tenus à Leipzig se soldèrent par un échec
car les accusés furent peu nombreux, les peines prononcées
bien légères  ; loin d’avoir une dimension pédagogique, ils
provoquèrent le soutien de la société allemande aux
accusés5…
8 Pendant l’entre-deux-guerres, l’idée d’une juridiction pénale
internationale et permanente est défendue par la Fédération
internationale des droits de l’homme. Des projets très
théoriques sont alors élaborés par des spécialistes de droit
international (Association internationale de droit pénal),
mais la SDN et la Cour permanente de justice qui lui est
attachée demeurent tout aussi impuissantes à faire valoir un
traitement judiciaire supranational des violences
interétatiques ou infra-étatiques qu’à garantir la paix. Une
convention signée en novembre 1937 prévoit la mise en place
d’une Cour pénale internationale apte à juger les auteurs de
crimes de terrorisme. Jamais ratifiée, elle ne sera jamais
appliquée. Mais après le crime de guerre, le crime de
terrorisme est désormais perçu comme le deuxième crime de
nature internationale6.

Définir et juger de nouveaux crimes : les tribunaux


militaires internationaux et les tentatives de l’ONU
9 À partir de 1942, la traduction devant un tribunal
international des crimes de guerre perpétrés par les nazis
devient un des buts de guerre avancés par les alliés. Les
procès de Nuremberg (novembre 1945-octobre 1946) et de
Tokyo (mai 1946-novembre 1948) organisés au lendemain
des capitulations allemande et japonaise sont les références
obligées puisqu’ils vont avoir une dimension
jurisprudentielle pendant des décennies, notamment pour la
définition du crime contre l’humanité contenue dans l’article
6 du statut du tribunal militaire international de Nuremberg
du 8 août 19457.
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10 Dès la tenue de ces procès, des voix s’élèvent pour dénoncer


les contingences de politique internationale qui pèsent sur le
procès des responsables nazis et japonais, sur les inégalités
de la dénazification dans les zones d’occupation en
Allemagne et la toute puissance américaine au Japon.
Depuis les événements, juristes et historiens sont tombés
d’accord pour dire que les tribunaux militaires
internationaux (TMI) ad hoc ont exercé une justice de
vainqueurs, et même du vainqueur pour le procès de Tokyo.
Les critiques se focalisent surtout sur le non-respect du
principe Nulla poena sine lege qui interdit de condamner
quiconque pour une infraction qui n’est pas préalablement
incriminée par un texte précis. Or, le crime contre
l’humanité n’existait pas avant sa définition à Nuremberg.
Par ailleurs, les victimes n’ont pas pu se constituer en partie
civile ce qui n’a pas comblé la demande sociale de justice.
Enfin, il est choquant de vouloir juger les accusés pour des
faits que les alliés avaient également commis  : c’est le
principe du Tu Quoque qui permet à l’amiral Donitz de ne
pas être condamné pour les actes de guerre sous-marine
qu’il a perpétrés… à l’instar de l’amiral Nimitz.
11 Pour autant, les TMI ont constitué une expérience essentielle
qui ne saurait être rejetée au seul motif qu’il s’agissait d’une
justice de vainqueurs. Le procès dit « des médecins » tenu à
Nuremberg en août 1947 devant un tribunal militaire
exclusivement américain a posé les premiers principes de
bioéthique, notamment en matière d’expérimentations
médicales8. Plus généralement, avec Antoine Garapon, il faut
dire que la dénonciation d’une justice de vainqueurs doit
être relativisée. Au xxe siècle, tous les vainqueurs n’ont pas
fait de procès  ; parmi ceux qui en ont fait, beaucoup n’ont
mis sur pied que des procès pour seulement justifier leurs
propres violences a posteriori  ; aucun pays non
démocratique n’a tenu un procès loyal pour crimes de
guerre9. Les TMI ne doivent donc pas être réduits au dernier
acte de la Seconde Guerre mondiale posé par les vainqueurs,
ils constituent aussi un premier acte de droit international,
une innovation juridictionnelle qui impose le concept de
responsabilité individuelle et imprescriptible des criminels10.

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12 Suivront de grandes conventions dont l’objectif est de définir


les crimes internationaux, dont le crime contre l’humanité
(convention du 9 décembre 1948). Parallèlement, est émise
l’idée d’une Cour pénale internationale. La Commission du
droit international (CDI) élabore dans les années 1950
plusieurs projets… sans succès. En pleine guerre froide,
aucune des deux super-puissances ne veut d’une justice
internationale bridant sa marge de manœuvre ni risquer de
se voir accuser11. La guerre froide apparaît ainsi
rétrospectivement comme une parenthèse limitant peut-être
l’expression des violences internationales (moins de conflits
ouverts entre États  ?) mais entravant sûrement les progrès
vers une justice internationale.

La nouvelle donne internationale des années 1990


et l’impérieuse nécessité judiciaire
13 La question d’une juridiction pénale internationale et
permanente resurgit au début des années 1990, quand la
guerre froide s’évanouit. En décembre 1989, la
« révolution » roumaine offre au monde, presque en direct,
les images de l’exécution sommaire du couple Ceausescu
après un simulacre de procès. C’est un déni de justice avéré,
compensé par une autre violence provoquée par les images
des crimes du régime abattu. Qui  ? Quel tribunal aurait pu
juger Ceausescu ? Pendant la guerre d’Irak de 1991, l’idée de
juger Saddam Hussein pour tous les crimes perpétrés sous
son autorité est avancée par les Américains… Mais là encore,
devant quel tribunal12  ? D’où, la floraison au début de ces
années 1990, de projets relatifs à l’instauration d’une
juridiction pénale internationale dont la presse se fait alors
l’écho13. Mais, ce sont encore une fois les événements qui
vont déterminer la voie à suivre.
14 En application du chapitre vii de la charte des Nations unies
et par les résolutions 808 et 827 des 22 février et 25 mai
1993, le Conseil de sécurité de l’ONU institue « un tribunal
international pour juger les personnes présumées
responsables de violations graves du droit humanitaire
international commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie
depuis 199114  ». Le tribunal pénal international pour l’ex-
Yougoslavie (TPIY), siégeant à La Haye, aura à connaître des
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massacres, déplacements de populations, viols et autres


actions perpétrés à des fins de purification ethnique15. La
résolution du Conseil de sécurité 955 du 8 novembre 1994
institue un tribunal pénal international pour le Rwanda
(TPIR) siégeant à Arusha (Tanzanie). Il s’agit d’une réponse
judiciaire aux massacres génocidaires dont ont été victimes
les Tutsis et qui se sont déroulés dans le pays entre avril et
juillet 1994.
15 Malgré toutes les difficultés et les critiques, le travail des TPI
régionaux ad hoc qui se poursuit actuellement constitue une
expérimentation qui met en lumière les limites de l’action
judiciaire internationale face aux violences16. Mais il ne faut
pas minimiser le rôle qu’ils ont joué, en tant que tournant
majeur, vers l’instauration d’une juridiction permanente.
Leur fonctionnement va peu à peu amener la communauté
internationale à envisager le passage d’une compétence ad
hoc et spatialement limitée à une cour permanente dont le
ressort serait le monde entier.
16 Le statut de Rome, laborieusement négocié par les États en
juillet 1998, permet l’instauration d’une Cour pénale
internationale (CPI) qui est entrée en vigueur en juillet 2002
après la ratification du statut par 60 États. La fin de la
guerre froide a donc permis de mettre en place en moins
d’une décennie une juridiction internationale. Mais en même
temps, les conflits ont évolué. Très peu d’entre eux peuvent
être considérés comme des guerres interétatiques stricto
sensu. La violence internationale prenant de multiples
formes internes aux États, comment une justice
internationale peut-elle traiter ces violences ?

Nouveaux rôles des acteurs de la justice


internationale
Les États omniprésents mais plus omnipotents
17 Sans attendre la mise en place d’une justice internationale,
des États ont accordé à leur justice nationale compétence
universelle pour juger les auteurs présumés de crimes de
guerre ou de crimes contre l’humanité commis à l’étranger et
quelle que soit la nationalité des accusés et des victimes.

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C’est le cas de la Belgique par une loi de 1993 ; on a pu parler


de diplomatie «  éthique  » menée par ce pays17. D’autres
États ont également accordé la compétence universelle mais
l’ont mise en œuvre d’une manière moins ambitieuse  : la
Suisse, l’Allemagne, les États-Unis, la France…
18 Vis-à-vis d’une justice véritablement internationale, les États
sont responsables de nombreuses pressions. Les multiples
difficultés inhérentes au travail des deux TPI leurs sont
largement imputables en raison de leur refus de collaborer,
des laborieuses exécutions des mandats d’arrêt, etc.18. Les
États disposent également du levier financier pour ralentir
les travaux des TPI – le manque de moyens matériels du
TPIR a été souvent dénoncé19 – puisque ce sont eux qui les
financent comme toutes les autres cours internationales. Par
ailleurs, dans les TPI et la CPI les États ont tenu à faire sinon
prévaloir du moins reconnaître le modèle de procédure
judiciaire qui est le leur. D’où une procédure pénale
internationale hybride ou mixte qui allie «  l’efficacité du
modèle inquisitoire aux garanties du modèle accusatoire,
l’ensemble formant une dynamique faisant l’objet
d’ajustement incessant par la pratique20 ».
19 Les négociations qui ont abouti au statut de la CPI et le
processus de ratification ont mis en lumière les attitudes très
diverses des États  : «  États maîtres du jeu  », «  États
pilotes  », Chine et États-Unis ne ratifiant pas le traité21.
Certains États voient en la justice internationale une atteinte
à leur souveraineté et à leur monopole de violence légitime y
compris dans le cadre d’opérations internationales, d’où le
refus de se plier à cette justice. La France a réussi à obtenir
l’article 124 selon lequel un pays a le droit de ne pas
reconnaître la compétence de la CPI pendant une durée de 7
années en matière de crimes de guerre. En 2002, les États-
Unis ont obtenu du Conseil de sécurité le vote de la
résolution 1422 qui soustrait à la CPI les civils et militaires
engagés dans des opérations de paix mandatées par l’ONU.
En août 2002, ils ont par ailleurs signé avec la Roumanie un
accord bilatéral par lequel les deux pays s’engagent à ne pas
extrader leurs ressortissants respectifs devant la CPI et ils
ont menacé les pays non-membres de l’OTAN qui
adhéreraient à la CPI sans s’engager à protéger les
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ressortissants américains de suspendre toute assistance


militaire22. Ces prises de précaution montrent certes les
limites de la justice internationale mais aussi ses progrès,
puisque les États, omniprésents mais plus omnipotents,
ressentent la nécessité de se prémunir contre elle.

Les ONG, aiguillons de la justice internationale


20 La mondialisation des images des violences commises sur
tous les continents n’est pas pour rien dans la prise de
conscience de la nécessité d’en juger les responsables et dans
la préoccupation éthique des sociétés. L’une des principales
originalités de la justice internationale des années 1990
réside dans le rôle tenu par l’opinion publique internationale
via les Organisations non gouvernementales. En 1993, les
ONG réunies à Vienne rédigent une déclaration appelant à la
création d’une Cour criminelle internationale. De 1996 à
1998, les séances de la Commission préparatoire mandatée
par l’ONU pour établir un projet de cour internationale sont
l’occasion pour les ONG de se faire entendre. Est ainsi créée
la Coalition internationale des ONG pour une CPI appuyée
par des coalitions régionales. Au total, plus de 2  000 ONG
(pour les droits de l’homme, contre la torture, Juristes sans
frontières…) ont poussé les États à s’entendre, en proposant
des solutions, en dénonçant les compromissions. Cette
action « a contribué à ce que, dans bien des cas, le pire soit
évité23 ». Les ONG se sont ensuite imposées comme acteurs
à part entière de la justice internationale.
21 En premier lieu, les ONG ont veillé, lors de la nomination
aux postes de la CPI, à ce que le personnel de la Cour soit
désigné en fonction des critères de compétence édictés par le
statut de Rome et non pour des raisons politiques. Elles ont
obtenu certains retraits24. On peut d’ailleurs noter que s’il y a
eu 45 candidats pour 18 postes de juges, il n’y avait pas
beaucoup de candidats pour le poste de procureur qui
nécessitait une certaine unanimité pour asseoir son autorité.
En 2003, c’est l’Argentin Luis Moreno-Ocampo qui a été élu
pour neuf ans. Certains des juges sont des transfuges des
TPI, il y aurait là à mener une intéressante étude
prosopographique des praticiens de la justice internationale.

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22 Les ONG apparaissent comme partie prenante de la


procédure judiciaire internationale en représentant les
victimes de violences. L’image, déjà évoquée, est le meilleur
vecteur pour provoquer la compassion et la mobilisation de
l’opinion, sinon pour apporter la preuve des crimes
perpétrés… Les ONG alarment aussi régulièrement sur des
tragédies qui se produisent loin des caméras et des
journalistes et qui demeurent ou tombent dans l’oubli. Elles
luttent pour que les victimes obtiennent des droits nouveaux
dans les procédures engagées par la CPI. En janvier 2006, la
Cour a reconnu que six victimes avaient le droit de participer
aux procédures lancées à propos de la République
démocratique du Congo. Cette décision a été saluée par les
ONG, notamment la FIDH, comme un progrès significatif25.
Ayant le droit d’être représentées, les victimes peuvent
obtenir réparation de leurs souffrances. Selon les ONG, seule
une meilleure prise en compte des victimes peut permettre la
réconciliation espérée. Mais la justice internationale est une
génératrice objective de violences car les accusés ont intérêt
à faire disparaître les traces, à intimider les témoins. Le TPIY
s’est heurté à l’effacement des preuves, à la destruction des
pièces, à la rétractation des témoins… Même les morts sont
(de nouveau) victimes de violence  : des corps de victimes
sont cachés, déplacés de «  charnier primaire  » vers des
«  charniers secondaires  »… pour brouiller les pistes, et
même la médecine légale s’y perd26. D’où la diffusion d’écrits
sensationnels accréditant l’idée d’une justice internationale
impossible et inefficace27. Pour éviter le risque d’une
désaffection de l’opinion publique, la justice internationale
doit montrer qu’elle apporte une contribution décisive, non
seulement dans la répression mais aussi dans la prévention
des violences.

L’établissement de nouvelles normes


internationales des violences de guerre
23 Depuis les attentats du 11 septembre 2001, un débat s’est
ouvert sur la nature de la violence internationale qui renvoie
à la difficulté de définition de la violence. La violence
internationale connaît-elle des transformations relatives aux
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acteurs, aux méthodes, aux objectifs – en d’autres termes,


une boîte de Pandore des violences se serait-elle ouverte ? –,
ou alors la violence connaît-elle seulement une amplification
de phénomènes anciens que sont les violences
communautaristes, les violences mafieuses liées à toute sorte
de trafics, les violences terroristes28  ? À la difficulté de
graduation des violences internationales, très différentes les
unes des autres, la justice internationale doit répondre par
un effort de définition des crimes et du justiciable.

Violations du droit humanitaire et responsabilité


individuelle
24 Déjà, les conférences de La Haye de 1899 et 1907 se
référaient aux «  lois de l’humanité  » pour limiter les
violences de guerre  ; aujourd’hui, l’objet de la CPI est de
poursuivre les «  violations du droit humanitaire  ».
Contrairement aux TPI institués après les faits, la CPI est
dotée d’un rôle préventif, atténué certes par le fait que des
individus perpétrant des actes tombant sous le coup de la
CPI mais dont les États n’auront pas préalablement adhéré
au statut ne seront pas poursuivis29.
25 La question de la responsabilité individuelle dans des
violences et crimes collectifs voire de masse est
prépondérante. Ce débat, pour être classique, n’en est pas
moins déterminant pour cerner les accusés30. Les TPI ont
jusqu’à maintenant traduit uniquement des individus-agents
de l’État, ce qui bien entendu peut susciter beaucoup de
critiques et implique la question de la dimension politique
des instructions et des procès. En 2002 et 2003, plus de
1 000 plaintes ont été déposées auprès de la CPI ce qui pose
un autre problème, celui de l’efficacité de la Cour31. En mars
2005, la CPI a ouvert sa première audience à La Haye  ; en
juin 2005, sur saisine du Conseil de sécurité de l’ONU, le
procureur a ouvert une enquête sur les crimes au Darfour et
délivré les deux premiers mandats d’arrêt contre deux chefs
rebelles ougandais accusés notamment de 25  000
enlèvements d’enfants, utilisés ensuite comme soldats ou
esclaves sexuels32.

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Les violences spécifiques contre les femmes et


contre les enfants
26 La contribution de la justice internationale à une définition
des violences est particulièrement avancée en ce qui
concerne les violences contre les femmes et contre les
enfants et ce en partie grâce à la mobilisation des ONG.
Comme le souligne Amnesty International, le statut de la
CPI «  pose des principes exigeants en matière de violence
contre les femmes ». Le viol, l’esclavage sexuel, la grossesse
forcée sont considérés comme des crimes contre
l’humanité33. Les ONG voient en la CPI un modèle qui doit
inspirer les justices nationales à se réformer en tenant
compte des questions de genre. Il faut noter que sur les 18
juges de la CPI, 7 sont des femmes, ce qui représente la plus
forte proportion de femmes juges au sein d’un tribunal
international ; Louise Arbour et Carla del Ponte ont marqué
les TPI en tant que procureures.
27 Depuis mars 2006, Thomas Lubanga, chef de guerre de
l’Union des Patriotes Congolais, est le premier détenu de la
CPI. Il est accusé de crimes de guerre, notamment d’avoir
enrôlé des enfants de moins de quinze ans et de les avoir fait
participer activement aux hostilités34. Après avoir indiqué
dans son préambule qu’au xxe siècle, « des millions d’enfants
[…] ont été victimes d’atrocités qui défient l’imagination et
heurtent profondément la conscience humaine », le statut de
Rome précise que la CPI exercera sa compétence à l’égard de
trois crimes qui concernent particulièrement les enfants : le
génocide par «  le transfert forcé d’enfants du groupe à un
autre groupe  », le crime contre l’humanité constitué par la
traite des enfants et l’enrôlement d’enfants ou leur
utilisation dans le cadre d’un conflit armé. Pour cette
dernière disposition, il s’agit d’une avancée significative dans
le traitement judiciaire des violences contre les enfants
puisque ce crime de guerre est pour la première fois
introduit dans le droit international (article 8-2-b-xxxvi)35.
Les articles 42-9 et 44-1 prévoient que le procureur et le
greffier de la CPI doivent s’entourer de spécialistes des
violences contre les enfants. C’est donc de par son statut et
dans son fonctionnement que la CPI participe à la définition
et au traitement judiciaire de la violence.
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Conclusion
28 Le poids des circonstances et des événements internationaux
a pesé lourdement sur les échecs puis les tentatives plus ou
moins développées d’établir une justice internationale
capable de réguler la violence. La fin d’un monde bipolaire,
l’évolution des formes de la violence internationale et sa plus
grande visibilité ont contribué dans les années 1990 à enfin
mettre en œuvre des principes longtemps refoulés. En ce
sens, la CPI constitue un progrès indéniable, une étape
décisive dans le traitement judiciaire de la violence
internationale. Comme pour les TMI de Nuremberg et de
Tokyo et les TPI pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, le rôle
déterminant des États jaloux de leur souveraineté en matière
judiciaire constitue une limite à la justice internationale. En
même temps, ce sont les États eux-mêmes – et ils étaient les
seuls à pouvoir le faire car seuls pouvant se réclamer d’une
légitimité démocratique – qui ont créé la CPI. Pour autant, la
modification du jeu des acteurs de la justice internationale
est bien réelle. Les opinions publiques sont toujours plus
vigilantes à l’égard de violences de plus en plus
insupportables, les ONG et leurs actions pour un monde plus
juste s’imposent comme véritables forces, les victimes ont
désormais droit au chapitre. Dans ses textes constitutifs
comme dans sa pratique, la CPI participe à la définition de
nouvelles normes de la violence qui pourront peut-être
s’imposer comme standards internationaux sinon universels.
Pour imparfaite qu’elle soit, la CPI existe. Ne marque-t-elle
pas « un pas de géant pourvu qu’il soit accompli36 » dans un
procès de civilisation à l’échelle du monde, une réponse à la
« décivilisation » d’un xxe siècle violent ? Le but ultime de la
justice internationale est bien de dissuader des criminels
d’accomplir ou d’ordonner des violences. Ainsi, la société
internationale se fondant sur le respect du droit, la violence
pourrait cesser d’être une accoucheuse de l’histoire37. En ce
domaine et au niveau international, selon l’expression de
Robert Badinter : « Même en boitant, l’on avance38… »

Notes

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1. Selon Max Weber, l’État moderne se définit comme une institution


politique détenant le monopole de la violence physique légitime.
2. Cf. l’abondante bibliographie de la question d’histoire contemporaine
des concours du CAPES et de l’agrégation d’histoire 2003 et 2004. Pour
une présentation des formes de violences internationales on peut se
reporter à la compilation d’articles de P. Hassner, La violence et la paix,
de la bombe atomique au nettoyage ethnique, Paris, Éd. du Seuil, 2000,
2e édition, 371 p.
3. Voir le dossier «  Mémoire, justice et réconciliation  » réalisé sous la
responsabilité de P. Hassner dans Critique internationale, n° 5,
automne 1999, notamment p. 122-124.
4. Réflexions intéressantes dans le dossier constitué par D. Fontenaud,
La justice pénale internationale, Paris, La Documentation française, n°
826, 1999, 78 p.
5. A. Deperchin-Gouillard, «  Responsabilité et violation du droit des
gens pendant la Première Guerre mondiale  : volonté politique et
impuissance juridique  » et J.-J. Becker, «  Les procès de Leipzig  », A.
Wievorka (dir.), Les procès de Nuremberg et de Tokyo, Bruxelles,
Éditions Complexe, 1996, p. 25-49 et 51-60.
6. Sur ces différents projets et tentatives, voir l’introduction de W.
Bourdon intitulée «  La genèse de la Cour  » dans La Cour pénale
internationale. Le statut de Rome, Paris, Éd. du Seuil, 2000, p. 1324 ; H.
Ascensio, « La justice pénale internationale de Nuremberg à La Haye »,
S. Gaboriau et H. Pouliat (dir.), La justice pénale internationale,
Limoges, PULIM, 2002, p. 29-44.
7. Les ouvrages et les actes de colloques récents suscités par la mise en
place de la Cour pénale internationale insistent tous sur cette filiation,
notamment  : J.-P. Bazelaire et T. Cretin, La justice pénale
internationale, Paris, PUF, 2000, 261 p. ; M. Chiavario (dir.), La justice
pénale internationale entre passé et avenir, Milan, Dalloz, 2003, 398 p.
Pour des connaissances précises sur les procès, voir A. Wievorka (dir.),
op. cit.
8. H. Ascensio, «  La justice pénale internationale de Nuremberg à La
Haye », op. cit., p. 29.
9. Pages éclairantes dans A. Garapon, Des crimes qu’on ne peut ni punir
ni pardonner, pour une justice internationale, Paris, Odile Jacob, 2002,
p. 24-25 et 74-78.
10. En décembre 2006, s’est tenu à l’École nationale de la magistrature
(Paris) un colloque organisé par l’Association française pour l’histoire de
la justice et intitulé  : «  Juger la guerre, à propos du soixantième
anniversaire du procès de Nuremberg.  » Un des thèmes de cette
rencontre portait sur le sens à accorder à ce moment fondateur de la
justice mondiale.

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11. W. Bourdon, « La genèse de la Cour », op. cit., p. 19-20.


12. Après la guerre d’Irak de 2003, Saddam Hussein a été jugé par un
tribunal spécial irakien (TSI) mis en place par les États-Unis. Condamné
à mort par pendaison, il a été exécuté en décembre 2006.
13. Le Monde, « Vers une Cour pénale internationale ? », 24 janvier 1990
et «  Les crimes de Saddam Hussein réveillent “un éternel projet”  : la
Cour pénale internationale », 13 avril 1991.
14. Pour l’historique du TPIY  : K. Lescure, Le tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie, Paris, Montchrestien, 1993  ; J.-P.
Getti et K. Lescure, « Historique du fonctionnement du tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie  », Revue internationale de droit
pénal, 1996, n° 1/2, p. 223-266.
15. Récit des violences dans l’ouvrage collectif de Juristes sans
Frontières : Le tribunal international de La Haye, le droit à l’épreuve de
la « purification ethnique », chapitre I par H. Ascensio : « Le temps des
horreurs ».
16. Un colloque a été consacré en 2002 au travail du TPIR, les actes ont
été publiés  : L. Burgogne-Larsen (dir.), La répression internationale
du génocide rwandais, Bruxelles, Bruylant, 2003, 347 p.
17. V. Rosoux, « La Belgique et la diplomatie “éthique” : forces et limites
d’une image », Esprit, n° 280, décembre 2001, p. 198-205.
18. Louise Arbour, Procureur général du TPIY de 1996 à 1999, fait le
point sur toutes ces difficultés dans un entretien accordé en 1998 : « Un
procureur contre la raison d’État », Politique Internationale, printemps
1998, n° 79, p. 305-315.
19. L. Kama (Président du TPIR), «  L’expérience du tribunal pénal
international pour le Rwanda dans la perspective de l’institution de la
Cour pénale internationale  », Campagne internationale pour
l’établissement de la Cour pénale internationale en 1998  : No Peace
without Justice, p. 41-44.
20. Cf. l’article éclairant de G. Champy, «  Inquisitoire – accusatoire
devant les juridictions pénales internationales  », Revue internationale
de droit pénal, vol. 68, n° 1-2, 1997, p. 149-193 et p. 150.
21. Au début 2008, ce sont 105 pays qui sont États-Parties au statut de
Rome. Les États-Unis qui ont signé le traité à la toute fin du dernier
mandat de Bill Clinton ne l’ont pas ratifié.
22. Le Monde, «  Cour pénale internationale  : la Roumanie n’extradera
pas les ressortissants américains », 14 août 2002.
23. W. Bourdon, « La genèse de la Cour », op. cit., p. 23.
24. Le Monde, « Les nominations à la Cour pénale internationale sous le
regard des ONG  », 5 décembre 2002. La France a un temps voulu

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imposer le conseiller juridique du Président de la République avant de se


raviser et de proposer Claude Jorda qui était président des TPIY et TPIR.
25. Site Internet de la Fédération internationale des droits de l’homme
(FIDH), www.fidh.org, fiche du 19 janvier 2006.
26. Le Monde, «  Belgrade-La Haye, la bataille des archives  », 29 avril
2006.
27. Dans un de ses ouvrages, le journaliste camerounais Charles Onana
affirme que le TPIR a produit lui-même des preuves qui lui manquaient
afin de pouvoir condamner certains accusés, innocents selon lui. C.
Onana, Les secrets de la justice internationale, Enquêtes truquées sur le
génocide rwandais, 2005. Cet ouvrage peut être considéré comme
révisionniste du génocide rwandais.
28. Présentation de ce débat dans Y. Michaud, La violence, Paris, PUF,
2004, coll. « Que sais-je ? », chapitre v.
29. L. Condorelli, «  La Cour pénale internationale  : un pas de géant
pourvu qu’il soit accompli  », Revue générale de droit international
public, tome 103, 199, n° 1, 15 p.
30. H. Ascensio, «  Crime de masse et responsabilité individuelle  »,
Juristes sans Frontières, Le tribunal international de La Haye, op. cit.,
chapitre v, p. 124.
31. Libération, «  La justice internationale frappe les trois coups  », 11
mars 2003. Il est possible de suivre au jour le jour l’avancée des travaux
de la CPI sur son site Internet : http ://www.icc-cpi.int
32. Le Monde, «  Le procureur de la Cour pénale internationale veut
inculper deux chefs rebelles ougandais », 12 juin 2005.
33. En 1998, lors du procès Akayesu, le TPIR avait reconnu le viol
comme un acte génocidaire et en 2001, le TPIY a qualifié le viol comme
crime contre l’humanité.
34. Le Monde, « Le Congolais Lubanga, premier détenu de la CPI », 19
mars 2006.
35. En revanche, la CPI n’a pas compétence à l’égard d’une personne
âgée de moins de 18 ans au moment où elle a commis un crime. Ce qui
n’empêche pas un État d’engager des poursuites de son côté.
36. Titre d’un article de L. Condorelli, op. cit.
37. P. Hassner et R. Marchal, Guerres et sociétés. État et violence
après la guerre froide, Paris, Karthala, 2003.
38. Préface de Robert Badinter à La Cour pénale internationale. Le
statut de Rome, op. cit., p. 10.

Auteur

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Yves Denéchère
Du même auteur

Le Centre international de
l'enfance (1949-1997), Presses
universitaires de Rennes, 2016
Droits des enfants au XXe
siècle, Presses universitaires de
Rennes, 2015
L’Europe et les femmes en
politique à la télévision
française (1979-1994) in Les
lucarnes de l’Europe, Éditions
de la Sorbonne, 2009
Tous les textes
© Presses universitaires de Rennes, 2008

Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

Référence électronique du chapitre


DENÉCHÈRE, Yves. Le traitement judiciaire de la violence
internationale depuis la fin du monde bipolaire In  : La violence et le
judiciaire : Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques
[en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/5026>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.5026.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
https://books.openedition.org/pur/5026 18/19
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<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.


DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
Compatible avec Zotero

La violence et le judiciaire
Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,
pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

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Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

Conclusion
violence et
judiciaire en
Occident : des
traces aux
interprétations
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(discours,
perceptions,
pratiques)
Xavier Rousseaux
p. 345-362

Texte intégral
1 Dans une livraison récente de l’American Historical Review,
l’historien Pieter Spierenburg tente d’expliquer la différence
entre la réaction sociale contre la violence en termes
d’expérience politique différente en Europe et aux États-
Unis. Sous le titre Democracy came Too Early : A Tentative
Explanation for the Problem of American Homicide, il écrit
«  Across the Atlantic, there was no phase of centralization
before democratization set in  » (p. 109). En revanche, en
Europe depuis le Moyen Âge, les entités étatiques ont mené
des entreprises continues pour délégitimer l’auto-défense et
la justice privée des communautés. À l’opposé, « In America,
the continuing persistence of the ancient macho honor code
in the United States exemplifies the ethic of self-defense  »
(p. 112)1. Selon sa lecture, en Europe la violence aurait été
intégrée par le judiciaire, ce dernier exprimant un processus
centralisateur contribuant à renforcer une autorité publique,
bien avant la démocratisation de celle-ci aux xixe et xxe
siècles. Aux États-Unis en revanche, la justice aurait d’abord
été l’expression de la défense des communautés locales,
méfiantes devant une régulation étatique. La démocratie
américaine aurait été essentiellement un processus porté
d’en bas, sans passage par l’étape du monopole de la violence
légitime par l’État. Et cette différence apporterait une
explication au comportement différent des citoyens
américains et européens face à la violence la plus grave et
symbole par excellence de l’interaction entre violence et
judiciaire : l’homicide.

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2 Pour schématique qu’il soit, ce lien politique entre


démocratisation tardive et entreprise de délégitimation des
codes machistes de la violence mérite d’être creusé à la
lumière des contributions réunies dans ce volume. Les
présentations et les débats menés durant deux jours et demi
au colloque d’Angers confirment tout l’intérêt du lien
proposé par les organisateurs entre violence et judiciaire.
Dans leur introduction, ceux-ci ont bien mis en évidence la
polysémie du mot et de la chose2. Ils ont souligné le
nécessaire passage par la réponse sociale et judiciaire, pour
cerner le phénomène de violence. À leur suite, les
contributions s’exercent à débusquer les transformations de
ce couple violence-judiciaire au cœur des évolutions de la
société occidentale devenue française : du haut Moyen Âge à
la Ve République. Par ce parcours critique, ces textes
légitiment tout l’intérêt d’une lecture en longue durée de la
violence.
3 Est-il possible de mettre en évidence la plus-value des
contributions au colloque au thème esquissé, à ses balises
chronologiques et géographiques ?
4 Pour la thématique, Jacques Chiffoleau a rappelé dans sa
conclusion trois ancrages majeurs de la réflexion.
L’émergence tardive d’un vocabulaire spécifique de la
violence, la transformation de la communauté de face-à-face
en État qui conduit à convoquer l’anthropologie juridique
pour comprendre les mutations de la régulation sociale, et la
difficulté de parler de violence et judiciaire en termes de
droit. Or l’histoire curieuse du mot latin ius, dont dérive le
judiciaire, nous renvoie, comme le souligne Robert Jacob à
la cuisine romaine (le jus de cuisson)3. Ordre juridique et
ordre sacrificiel se répondent, comme judiciaire et violence.
5 Pour l’évolution chronologique, restons dans la métaphore
culinaire avec le regard du statisticien Bruno Aubusson de
Cavarlay. Selon lui, violence et criminalité seraient deux
ensembles (flous) dont la zone d’intersection nous serait
perceptible à travers le prisme du judiciaire. Mis en
perspective historique, ces ensembles ne sont à l’évidence
pas clivés mais ils se déplacent dans le temps et constituent
un objet évoluant en fonction d’autres sous-ensembles de la

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société  : la famille, la collectivité, l’État national, la


communauté internationale.
6 Pour la géographie, remarquons qu’hormis cinq
contributions sur les villes castillanes aux xiie-xve siècles,
Venise au xvie siècle, le Québec aux xviie-xviiie siècles et au
début du xxie siècle, Naples et l’Italie du Sud au xixe siècle et
une contribution sur la justice internationale, l’ensemble des
textes portent sur l’espace politique français. Autour du
diptyque violence/ judiciaire, ces contributions se prêtent à
une quintuple opération  : préciser les sources, cerner des
représentations, replacer aux contextes de société, saisir des
pratiques judiciaires, proposer une interprétation
d’ensemble…

Sources : les traces de violences


7 Avant d’être un discours, les violences du passé nous sont
perceptibles à travers des discours. La variété des sources
nous rappelle que la violence n’existe que si elle est nommée,
autrement dit que la violence est d’abord un qualificatif et
non un substantif. Certains vont jusqu’à affirmer que la
violence n’existe pas en soi, et que des comportements
humains sont qualifiés de violents dans un contexte de
conflit social, dont la régulation devient alors un autre
comportement social dont le but est de réagir, apaiser ou
canaliser la violence ainsi qualifiée. Mais au-delà d’une
critique générale de la trace historique, on peut, me semble-
t-il, distinguer trois familles de sources disponibles pour
notre sujet en Europe occidentale depuis le Moyen Âge.
8 La première famille comprend les textes normatifs et
réglementaires, ainsi que les réflexions doctrinales. Traités
juridiques, coutumes, ordonnances, codes et lois veulent
tout à la fois, définir, classer, qualifier les comportements et
leur assigner une réponse spécifique et stable. Ce travail de
qualification ne procède pas ex nihilo mais découle d’un
processus social, souvent lié à la perception aiguë d’un
problème lors d’une «  crise  », mis sur un agenda par une
autorité et imposé par la volonté ou par la négociation. Bien
souvent hélas, le contexte social de ces productions reste
dans l’ombre. Parfois, on peut lire dans l’évolution des

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normes, la trace des négociations entre groupes, à l’exemple


des textes médiévaux gascons analysés par Hélène Couderc-
Barraud, ou le dialogue de sourds entre le monde de la
codification et celui des protagonistes de la violence
quotidienne au xixe siècle (Victoria Vanneau, Jean-François
Tanguy).
9 Plus récemment les archives produites par l’activité
administrative de la justice (sources de la pratique) ont
renouvelé la compréhension du judiciaire, chez les
modernistes tout d’abord, avant d’essaimer chez les
médiévistes et les contemporanéistes. Néanmoins, les
sources de la pratique posent des problèmes
d’interprétation. Accords et traités de paix (Julie Claustre,
Lucien Faggion), procédures civiles et pénales (Jesús Ángel
Sólorzano Telechea, Franck Mercier, Hervé Piant, Vincent
Bernaudeau, Stéphane Vautier, Victoria Vanneau), comptes
et registres d’amendes (Isabelle Mathieu), lettres de
rémission (Pierre Charbonnier, Stuart Carroll, Michel
Nassiet), traitent « juridiquement » en même temps qu’elles
évoquent des mots, des gestes, des actes, des comportements
qualifiés de « violents ». Comment prendre la mesure de la
part des pratiques sociales et de construction politique de
ces actes de violence, saisis par un arbitre ou un juge  ? Le
problème pour l’historien est d’évaluer la part du rapport
(report) et celle de la mémoire (record) de l’événement
« violent ». Et comment ne pas oublier que les informations
livrées sur les comportements (la violence) le sont presque
uniquement à travers des sources de leur régulation ?
10 Un troisième type de sources est constitué par les sources
«  littéraires  »  : documents hagiographiques, chroniques,
mémoires, statistiques, presse prétendent informer le lecteur
sur les réalités violentes  : soit pour les décrire, les classer,
leur assigner un statut moral, entretenir l’émotion, faire
vendre, susciter la frayeur…
11 Rendus populaires par le «  tournant linguistique  », ces
documents dont les vecteurs récents, comme la presse écrite
du xixe siècle, la radio et la télévision au xxe siècle ont pris
une place indéniable dans la vie sociale4, contribuent à
former une opinion publique sur les questions du crime, en
l’occurrence sur la violence. Si le piège est bien connu –
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prendre des lectures subjectives pour de l’observation


«  objective  », leur facilité d’accès conduit le chercheur
paresseux à les placer sur le même pied que les deux autres.
12 Or ces effets de sources ne sont pas négligeables  ; ces
discours sont inscrits dans les évolutions des rapports de
pouvoir. Au haut Moyen Âge, c’est l’affrontement entre
moines et guerriers que privilégient les sources, largement
ecclésiastiques. Lorsque les cités émergent, les textes
urbains évoquent la préoccupation de protection du
bourgeois, face aux exactions des seigneurs hauts justiciers,
dessinant un autre visage du Moyen Âge, celui d’une société
urbaine laïque. Quant aux sources émanant du prince, elles
diffusent une vision hiérarchisée du rapport entre le
suppliant et le souverain, tout en disqualifiant d’autres
prétendants à la souveraineté5.
13 Aux xive-xvie siècles, la première modernité se caractérise
par la généralisation d’un droit souverain, qui s’efforce de
s’imposer par la procédure judiciaire. C’est dans ce contexte
que s’effectue une criminalisation de la violence, perceptible
dans les créations doctrinales de bien des juristes du temps.
En revanche, ce discours de criminalisation, focalisé sur les
crimes capitaux résonne peu dans les archives des
juridictions ordinaires, où la violence reste un fait commun,
objet de procédures souples (Hervé Piant).
14 Aux xixe et xxe siècles, la prééminence du droit national sur
les pratiques locales s’affirme dans la production normative,
jurisprudentielle, doctrinale du monde juridique.
Néanmoins ce discours du droit reste ambigu sur la notion
de violence, que la codification révolutionnaire ou impériale
a du mal à définir et que le découpage impérial confie à tous
les niveaux de la justice pénale. En conséquence «  le
judiciaire » se diffracte dans le rhizome des juridictions : les
cours d’assises (Jean-François Tanguy), les tribunaux
correctionnels (Stéphane Vautier), les justices de paix
(Vincent Bernaudeau), sans oublier les juridictions civiles
(Victoria Vanneau).

Représentation : quelles violences ?

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15 De quelles violences ces sources multiples gardent-elles la


trace  ? Dans les nombreux travaux des historiens
spécifiquement consacrés à la violence, on peut dégager
deux tendances6. Ceux qui considèrent tout acte de force
exercé contre des individus ou des communautés comme de
la violence, ceux qui proposent des définitions plus limitées.
Les premiers assimilent violence et criminalité. Les seconds
tentent d’isoler au sein d’actes repérés et qualifiés de
violents, des comportements spécifiques d’agression contre
les personnes (violence physique, verbale ou sexuelle) qui
résisteraient à la subjectivité et seraient donc passibles
d’analyse « scientifique ».
16 Parmi ces dernières, les atteintes physiques aux personnes
ont essentiellement fasciné les chercheurs à l’époque
moderne et contemporaine. L’homicide, puis plus
récemment les coups et blessures constituent un ensemble
défini de manière spécifique par le droit en raison des
dommages causés aux familles et aux individus. Pour leur
part, les voies de fait et les injures verbales (les insultes)
comportent une part plus grande de qualification, mais sont
compréhensibles à l’intérieur d’un système de valeur propre
à une communauté.
17 En revanche d’autres formes plus spécifiques : atteintes aux
biens, rébellions contre l’autorité, brigandage ou exactions
contre des populations civiles échappent davantage à une
définition violente tant elles apparaissent susceptibles d’une
instrumentalisation, voire de manipulation par les acteurs, à
l’instar des autorités monarchiques dans le cas des procès de
chefs de guerre (Hélène Fernandez). Néanmoins, les
rébellions contre l’autorité, par leur focalisation sur les
rapports entre violence et contestation du pouvoir
mériteraient d’être plus systématiquement observées dans la
ligne d’études majeures7.
18 Ici encore, les nombreuses contributions apportent des
pierres à l’élaboration d’une véritable histoire des
comportements violents qui combinerait l’évolution des
violences par rapport aux autres comportements jugés
criminels avec l’évolution de la distribution des différents
types de violence dans une société donnée (Bruno Aubusson
de Cavarlay).
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19 Restent méconnus des usages de violence souvent négligés :


la violence propre au judiciaire. L’inscription de la torture
judiciaire dans la procédure criminelle à l’extraordinaire a
été rappelée par Frank Mercier, montrant la place de la
violence au cœur du judiciaire étatique. Mais d’autres lieux
de l’usage légal de la violence dans le procès pénal méritent
d’être mieux appréhendés. Ainsi, au xive siècle, le
remplacement des peines corporelles par les formes de
peines pécuniaires (amende et pèlerinage judiciaire
rachetable) dans les villes du Nord témoigne d’une volonté
d’urbanisation des mœurs8. En contrepoint le retour des
peines (corporelles) dans la justice des xve-xvie siècles
confirme la criminalisation de la violence, que l’on peut lire
comme la légitimation de la vengeance publique se
substituant aux vengeances privées9.

Violences et sociétés : communautés,


groupes, genres, âges
20 Ces réflexions nous amènent aux perceptions rapportées par
ces discours. À l’époque moderne, des mots «  excès  » et
«  abus  » nous rappellent que la violence est d’abord une
force (physique) dont l’intensité trop forte génère une
friction intolérable et une réaction sociale. Les charivaris
rapportés par les sources judiciaires évoquent un périmètre
de tolérance très divers dans les communautés locales. Les
nombreux cas de «  coqs de village  », finalement dénoncés
par une partie de la population comme des tyrans après des
années de pratiques impunies témoignent de l’absence de
frontière fixe entre us et abus, entre pouvoir et violence10.
L’usage de la violence est accepté, pas l’abus, la pratique
modérée en est permise, pas l’excès. Or, la perception de
l’excès ou de l’abus varie selon les rapports de force et la
perception de menace. Ce que d’aucuns baptisent « seuil de
tolérance  » signale que l’entrée en scène du judiciaire
masque souvent une longue histoire de fréquentations
heurtées, d’usages acceptés de la violence.
21 Que la violence soit d’abord un «  moyen de
communication  » apparaît clairement dans les nombreux
récits de violence interpersonnelle que l’on peut retrouver
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quasi stéréotypés du xvie au xxie siècle. Ce mode de


communication est par préférence inséré dans une société
d’interconnaissance. Retenons trois formes de cette
«  affirmation de soi11  » en contexte de face-à-face  :
l’affrontement interpersonnel, souvent fondé sur (ou justifié
par) une longue histoire de haine, et débouchant sur une
séquence classique  : insultes, gestes provocateurs, coups et
parfois mort d’homme.
22 L’insulte publique, la mise en cause de la réputation  :
réputation d’honnêteté, pour reprendre les termes d’Yves
Castan12, obligeant à une réaction publique de la personne
calomniée, au risque d’accepter la réalité de l’insulte. Mais
l’insulte est aussi le moyen de provoquer une solution à un
conflit ancien et permet de négocier la réparation de
l’honneur (Hervé Piant).
23 Le duel entretient des rapports complexes entre violence et
judiciaire. Sa forme «  italienne  » ritualisée se répand dans
les classes supérieures au xvie siècle, au moment précis où la
vengeance privée disparaît dans les sources judiciaires. Peu
signifiante sur le plan quantitatif, elle perdure jusqu’au xxe
siècle dans les élites économiques et politiques13, mais aussi
dans les classes populaires, sous la forme du combat au
couteau14. Avant de se ramifier en versions euphémisées que
sont les compétitions sportives ou les affrontements
politiques.
24 Le contexte et les valeurs sous-tendant ce modèle de
«  communication  » ont été soulignés dans bien des
communications. Forte interdépendance de l’individu par
rapport au groupe familial, importance de la défense et
illustration de son honneur et de sa réputation, visibilité de
la réaction violente. La vengeance n’aime pas le secret,
l’occulte… Elle doit s’exercer aux yeux de tous.
25 Dans ce contexte, l’usage de la violence verbale et physique
est d’abord un «  mode de résolution  » des conflits. Haine,
honneur et honte constituent un tissu d’émotion des
éléments qu’il n’est pas légitime d’exprimer et qui justifient
dans le chef des protagonistes, le recours légitime à la
violence comme moyen de défense de leur honneur. La
distinction proposée par Pieter Spierenburg entre violence
instrumentale et symbolique permet de déterminer deux
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axes sur lesquels placer le curseur du comportement


violent15, même si l’on peut estimer que toute violence,
même purement symbolique en apparence, est
instrumentale, en tant qu’elle est un moyen de faire
respecter sa réputation, donc de gagner en prestige.
26 Néanmoins toute violence ne fonctionne pas dans ce cadre :
les querelles accidentelles, les rixes de chaude «  cole  »,
provoquées ou accentuées par l’ivrognerie (Jean-François
Tanguy, Stéphane Vautier), celles dont les représentants de
l’autorité comme les sergents sont victimes (Isabelle
Mathieu) ainsi que les tentatives d’extorsion qui finissent
mal, rapportées par les sources, relèvent davantage d’une
violence de rencontre hasardeuse, d’une réaction
épidermique ou d’un dérapage involontaire16. Le passage de
l’accident à la violence n’est souvent qu’une question de
qualification, notamment par le judiciaire.
27 Autre forme spécifique à distinguer de la violence
interpersonnelle, les violences collectives. Les violences
collectives sont une variante de ce système de « distinction »
et d’affirmation, lié à la solidarité de groupes  : batailles de
bandes de nobles, rixes collectives de jeunes ruraux contre le
village voisin, bordées de matelots ou virées de militaires en
permission, mais aussi rituels charivaresques de rétribution
à la fin des occupations visent essentiellement à réaffirmer la
place d’un groupe dans le jeu social.
28 On peut y ranger également les diverses formes de « faides »
ou de luttes entre groupes de parentèle ou de clientèle, dans
les sociétés rurales comme dans les sociétés urbaines.
29 Davantage ritualisées, ces formes sont plus symboliques
qu’instrumentales. Exprimant l’identité collective, elles
reposent moins sur des affrontements d’individus mais sur
l’identification de personnalités, de « champions », porteurs
de l’identité du groupe.
30 Ces rivalités de groupe feront l’objet de stratégies différentes
de la part des pouvoirs. Le plus souvent, elles seront
intégrées et légitimées dans l’ordre local, par l’assignation de
fonction de maintien de l’ordre aux groupes porteurs que
sont les jeunes, les miliciens urbains ou les conscrits et par
l’euphémisation croissante de leur énergie juvénile dans le
sport par le développement des concours et jeux collectifs.
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31 Quoi qu’il en soit de leurs différences, collectives et


individuelles, ces formes de violences interpersonnelles sont
profondément insérées dans l’espace public dès le Moyen
Âge. Certaines études montrent que dans les communautés
villageoises dont l’homogénéité ne se défait pas avant le
second xixe siècle, voire dans les quartiers ouvriers des
bassins industriels ou des communautés urbaines, par
exemple à Saint-Étienne ou à Anvers, le modèle d’Ancien
Régime de la violence «  affirmation de soi  » survit au xxe
siècle. Ce n’est que dans les années cinquante qu’il cède la
place à un modèle plus moderne, un modèle bourgeois
d’honneur civilisé où le refus de la violence publique devient
l’instrument de défense de son honneur17.
32 Violences sexuelles et familiales sont plus complexes à
interpréter. Pour les premières, les distorsions sont grandes
entre la rigueur comminée par les textes normatifs et les
sanctions repérées dans les actes de la pratique. Rapt, viol et
surtout sodomie peuvent cependant faire l’objet de vagues
de répression comme l’atteste le cas des villes castillanes au
tournant du xve siècle étudié par Jesús Ángel Sólorzano
Telechea. À l’instar des villes italiennes ou flamandes, ces
vagues répressives urbaines ne sont pas exemptes de
manipulations politiques dans le cadre des conflits de
pouvoir entre élites et confortent l’interventionnisme de
l’autorité publique au nom de son rôle de gardien de la
morale18. Plus difficile à repérer en l’absence d’une plainte
ou d’une dénonciation des voisins et à interpréter, la
violence intrafamiliale constitue un autre champ
d’expression de la violence. Elle est au cœur des
contributions de Michel Nassiet et de Julie Doyon pour les
xvie-xviiie siècles et de Victoria Vanneau pour le xixe siècle.
Leurs contributions montrent combien les violences
intrafamiliales sont un révélateur de l’évolution des rapports
entre public et privé, entre autorités et familles, entre société
et individu. Par leur caractère ambigu, entre domaine public
et privé, par le rôle de juge domestique assigné au pater
familias, confirmé par le Code civil, les violences
intrafamiliales constituent bien le pendant interne de la
vengeance envers les groupes extérieurs à la famille
(Raymond Verdier).
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33 À partir du xviie siècle, la légitimité des violences


intrafamiliales apparaît fortement contestée à la fois par les
pratiques de l’État et les discours de l’Église. Un État en voie
de bureaucratisation, dont les juges se distancient des liens
familiaux et des Églises valorisant des pratiques
d’introspection, de modestie et de culpabilité secrète19. Dans
la formation de cet État, les contributions n’ont guère insisté
sur la crise du ciment idéologique que représentait le modèle
de la Chrétienté à la fin du Moyen Âge. La montée en
puissance de l’État occidental est concomitante avec la fin
des prétentions théocratiques. Réforme protestante et
réforme catholique contribuent à redessiner les rapports
entre public et privé en matière de conflits familiaux. L’un et
l’autre s’appuient sur une éthique individualisante,
privilégiant le contrôle des affects. En matière familiale, la
confessionnalisation de la Chrétienté s’effectue selon des
modalités distinctes, mêlant dose de disciplinarisation et
promotion d’autocontrôle. Le modèle consistorial réformé
tend à porter les conflits familiaux à la régulation publique,
dans le rêve d’une transparence totale des échanges
domestiques dans la Cité chrétienne. Le modèle catholique
privilégie le secret de la confession et tend un voile pudique
sur les pratiques familiales rejetées dans l’ombre de la
domesticité.
34 La seconde modernité et les Lumières, en affaiblissant la
légitimité des Églises à intervenir en ce domaine, au nom de
l’autonomie de l’individu et de sa liberté, accélère la
transformation des violences familiales. Celles-ci tendent à
disparaître à l’intérieur du domicile familial. Et ce sont
précisément ces violences domestiques qui ressurgissent sur
la scène publique ces dernières années, conduisant
l’historien à s’intéresser à leur permanence sous forme
clandestine durant plusieurs siècles20. Le traitement bricolé
ou «  assemblé  » par le droit français de la catégorie de
violences conjugales, objet d’une prise en charge civile, mais
d’une réticence pénale est révélateur du malaise des
autorités vis-à-vis de la sphère familiale. La redécouverte des
violences cachées dans les familles aux xixe et xxe siècles –
violences conjugales et violences entre ascendants et
descendants – participe de cette prise de conscience d’une
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transformation21. Le familialisme qui pousse l’État à


s’immiscer dans les conflits du foyer s’inscrit dans une
longue histoire des rapports entre public et privé où les actes
de violence font l’objet de droit négocié comme de droit
imposé22.

Violences, justice et communautés


35 La vieille ligne (Saint-Malo/Genève), séparant la France du
Nord de celle du Midi mériterait d’être davantage prise en
compte pour territorialiser les relations entre violence et
judiciaire. En matière de violence familiale, le poids des
systèmes de dévolution mis en évidence dans L’impossible
mariage23 de Claverie et Lamaison se retrouve dans les
travaux de Daniel Smail pour le Marseille médiéval24
jusqu’aux recherches de François Ploux sur le Quercy, en
passant par Stephen Wilson pour la Corse25. Les descriptions
de «  blood feud  » enracinés dans la maison et le groupe
familial sont bien différentes des rixes repérées pour le
Nord, plus tôt individualisées. Ces différences invitent à
mieux établir le lien entre développement de l’État et
permanence des régulations communautaires.
36 Pour le Québec de 1760 à 1850, la violence interpersonnelle
apparaît bien plus présente en ville qu’au village. Pour
Donald Fyson, cette présence peut être liée à des facteurs
sociaux (présence de populations pauvres et moins intégrées
en ville) ou judiciaires (appareil policier plus développé en
ville). Cette mutation de la violence s’inscrit également dans
un courant migratoire qui nous invite à explorer davantage
les relations entre mondes ruraux et sociétés urbaines. Grâce
aux travaux des ruralistes, les premiers sont bien connus
pour la France des xviie-xixe siècles26. En revanche, les
recherches sur les villes sont moins développées, en
particulier pour Paris ou les capitales régionales27.

Violences, justice et groupes sociaux


37 Plus ardue est l’assignation de la violence à des groupes
sociaux. Plusieurs communications ont évoqué la distinction
entre les violences chez des gens de même condition

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qualifiées d’horizontales et les violences «  verticales  »  :


petites gens contre nobles.
38 En matière familiale, des distinctions nettes apparaissent
entre le traitement judiciaire des violences bourgeoises et
celui des violences populaires. La détection de ces dernières
est davantage liée à la promiscuité des logements que pour
les premières, plus feutrées et mieux cachées.
39 Dans un territoire homogène comme peut l’être une prévôté
moyenne au xviiie siècle, l’étude de l’ordinaire de la justice
montre combien le recours à la justice pour régler son litige
dépend du capital social et culturel des individus. Le recours
en justice constitue alors un indicateur des hiérarchies
sociales réelles dans la communauté (Hervé Piant).
40 En revanche, au xixe siècle, l’activité plus proactive des
institutions comme les justices de paix ou les tribunaux
correctionnels tend à «  étendre le filet  » sur des
comportements jusqu’alors laissés largement aux mains des
populations locales : ces affaires minuscules, d’insultes ou de
rixes (Vincent Bernaudeau, Stéphane Vautier). Une autre
voie est la création d’incriminations nouvelles, s’efforçant de
criminaliser des comportements mal pris en compte par la
justice, comme les «  coups et blessures volontaires ayant
entraîné la mort sans intention de la donner  » (Jean-
François Tanguy), ou les attentats à la pudeur sans violence
sur les mineurs.

Violences, justice et classe d’âge


41 Ce dernier exemple montre combien cette fracture sociale se
combine avec la question des classes d’âge. On sait le lien
entre violence physique et « jeunesse ». Dans les homicides
de vengeance comme dans les charivaris, et plus largement
dans l’occupation des espaces publics ou semi-publics  : la
rue et la nuit. Comme nous l’a rappelé David Niget,
l’émergence d’une réponse protectionnelle spécifique envers
les mineurs au début du xxe siècle brouille la catégorie des
15-25 ans et désarticule le lien entre jeunesse et violence.
Pour les uns, la violence est un symptôme de malaise qui
appelle une intervention sociale, pour les autres il s’agit d’un
comportement à réprimer sur le mode pénal28. Il en va de

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même pour les débats contemporains visant à criminaliser


les manifestations violentes attribuées aux jeunes difficiles,
qui secouent tous les modèles protectionnels de justice des
mineurs (Lucie Quévillon).

Violence et genre, victimes et sujets de droit


42 Plusieurs interventions ont évoqué la question du genre. La
violence physique apparaît une manifestation fortement
corrélée à l’expression de la masculinité (en France, comme
au Québec). Le double standard moral privilégie la position
du mari dans la famille mais accentue également la
suspicion de violence physique ou de harcèlement sexuel de
la part des mâles. La plupart des bénéficiaires des lettres de
rémission sont des hommes, les acteurs des faides et
vengeances nobiliaires également, tout comme les acteurs
des pratiques d’épuration (Marc Bergère). Ce qui ne veut pas
dire que les femmes soient absentes du processus, mais elles
y sont rarement présentées en première ligne. Lors de la
« vauderie » d’Arras, dans les procès d’adultère, comme lors
des pratiques épuratoires à la Libération, les femmes
figurent en tout cas du côté des accusées.
43 Les dernières décennies du xxe siècle sont ici porteuses d’un
retournement capital. La « galanterie française » ne s’est-elle
pas «  féminisée  » en «  harcèlement sexuel  » conduisant
jusqu’à la création de juridictions réservées au genre
féminin  ? Sans oublier ce processus européen de
féminisation de la justice publique, bouleversant les
pratiques et les représentations des rapports de genre
violents. Cette « gendrification » de la justice porte en soi les
germes d’un retournement. Il ne faudrait pas cependant qu’il
y ait retournement de la chasse aux sorcières vers une justice
obnubilée à défendre « la victime » contre le « coupable »…
renvoyé aux oubliettes du pénal. La pression des
«  associations des victimes  » peut devenir déséquilibrée…
Enfin, le débat actuel sur la législation en matière de
mémoire et d’histoire aboutit à faire de la justice un lieu de
moralisation de la société… Cette dernière réflexion invite à
s’interroger sur le rôle de la justice dans le règlement de la
violence.

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Violences et régulations : pratiques


judiciaires
44 Cerner les réactions judiciaires pose tout autant problème
que définir la violence. Le vocabulaire même n’arrive guère à
se détacher du judiciaire  : pour évoquer l’infrajudiciaire, le
parajudiciaire ou l’extrajudiciaire. Mais où donc commence
et où s’arrête l’intervention judiciaire ?
45 Initialement au cœur du système vindicatoire, l’homicide de
vengeance peut être considéré comme une réaction
« judiciaire », visant à remettre de l’ordre dans le désordre, à
rendre droit face aux injustices. Sur la base des textes
gascons étudiés par Hélène Couderc-Barraud, on peut
considérer qu’il y a judiciaire lorsqu’il y a des autorités
reconnues comme dépositaires d’une capacité publique de
régulation des conflits, qu’elles soient seigneuriales,
villageoises, urbaines ou royales.
46 La justice «  publique  » peut être «  prise à partie  » par les
parties en conflit. La volonté de faire enregistrer un accord
privé devant une autorité publique dans les villes médiévales
en est un bon exemple. Ce recours à l’autorité des échevins,
des consuls ou des notaires rappelle qu’aux yeux des
contemporains : insultes, coups et blessures ne sont pas des
comportements différents d’une contestation de loyer ou
d’une dette civile et peuvent faire l’objet d’un règlement par
contrat. Ces pratiques résistent tout au long des temps
modernes et jusqu’au xixe siècle, comme en témoigne
l’activité notariale29.
47 Les procédures de corps défendant ou de «  mandement de
fait  » permettent à l’auteur de l’agression de se dénoncer
devant des témoins publics. Cette auto-dénonciation permet
d’éviter la criminalisation de la blessure et autorise le
traitement négocié avec le blessé. Il n’y a ni coupable, ni
victime, mais un malheureux fait. En outre, en menaçant de
poursuite en cas de non-dénonciation de son fait, les
autorités urbaines reportent habilement la reconnaissance
de l’acte sur son auteur, premier pas vers une culpabilisation
de ce comportement30.
48 Ce recours à l’autorité publique prend une forme plus
contraignante dans les procédures de grâce. En matière
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d’homicide, la requête en rémission constitue une procédure


répandue, complexe et imbriquant à la fois les autorités
centrales et locales. Mécanisme d’individualisation du
règlement, elle conserve jusqu’au cœur du xvie siècle
l’obligation préalable de satisfaire la partie, obligation qui
semble alors disparaître des lettres au profit de la procédure
civile. Fiction juridique, la lettre révèle également les
circonstances familiales ou individuelles propres aux morts
violentes. Le pardon royal s’impose comme réponse
disqualifiant la violence comme moyen de résoudre un
conflit. Mais bien qu’il soit un acte de souveraineté politique,
le pardon royal s’inscrit dans un discours de prééminence de
la justice publique, dont il constitue la face gracieuse,
renforçant du même coup la légitimité de la justice
répressive.
49 Le choix de la procédure révèle également une
caractéristique importante des violences. Elles sont
susceptibles d’être traitées tant par voie civile que par voie
pénale. Et dans la voie pénale, par une procédure sommaire,
criminelle ordinaire ou extraordinaire.
50 Or ce n’est pas la nature (violente) du conflit qui jusqu’à la
fin des temps modernes dirige le choix de la procédure, mais
le contexte du conflit et les stratégies des parties (Hervé
Piant, Julie Doyon). L’exemple de la chasse aux sorcières
montre que le traitement des allégations est porteur
d’ambiguïtés. Si la torture, par la souffrance corporelle
qu’elle induit, apparaît comme un instrument efficace pour
prouver les allégations, le choix de la procédure
extraordinaire peut s’avérer inefficace, si le patient/la
patiente résiste avec endurance à la « question »…
51 L’évolution majeure au long des temps modernes est
corollaire du développement de la procédure d’office.
Officiers de justice, inspecteurs de police, gendarmes
deviennent, surtout après la Révolution, point de passage
obligé des demandes d’intervention des populations
désarmées face aux situations de violence.
52 Il n’empêche qu’au niveau des tribunaux, l’ambiguïté
subsiste au xixe siècle. Elle subsiste dans les lois et les codes,
à travers la notion de voies de fait d’injures légères et graves
et la porosité entre le traitement devant les tribunaux
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correctionnels et les justices de paix, entre la poursuite civile


en dommages et intérêts et la poursuite pénale en réparation
(Victoria Vanneau). Elle transparaît dans le traitement de
ces violences quotidiennes jusqu’au xxe siècle. Elle éclate
dans la prise en main policière des « violences spontanées »
à la Libération. Le traitement rigoureux des figures de la
violence à travers les procès-verbaux de police et
gendarmerie, les dossiers de classement sans suite quand ils
subsistent, les non-lieux et les jugements renforcent la
conviction que la qualification sociale de la violence explique
l’intervention judiciaire et que la qualification juridique de la
violence détermine son traitement31.

Violences et pouvoirs : Souveraineté, État


et communauté internationale
53 Impossible de comprendre les intersections entre violence et
judiciaire dans la longue durée occidentale sans prendre en
compte le théâtre de la souveraineté.
54 Les rapports entre violence et souveraineté sont présents dès
le Moyen Âge, à travers le rôle assigné à la torture dans le
procès d’inquisition, figure majeure de l’autorité souveraine
(Franck Mercier). Dans la longue lutte pour la
monopolisation de la violence légitime, les monarchies, puis
les États nationaux rencontrent des structures de pouvoir
résistantes : les noblesses locales dont l’expertise violente est
à la fois refrénée et canalisée par le Souverain (Stuart
Carroll, Michel Nassiet). Ou les sociétés d’honneur, à
l’exemple de la camorra napolitaine. La lutte de l’État italien
s’appuie sur une définition de la criminalité organisée
suffisamment floue pour permettre au juge de ne pas voir
l’organisation criminelle derrière l’infraction poursuivie
(Marcella Marmo). Il fallut attendre une conception
juridique autoritaire définissant l’association criminelle
comme une association juridique à l’instar des syndicats
pour assister à une lutte frontale entre l’État et les mafias.
Que cette définition soit menée par un régime autoritaire
comme le régime fasciste n’est pas innocent  : il s’agit bien
d’une guerre entre prétendants au monopole de la violence
légitime.
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55 Ces rapports surgissent de manière encore plus nette dans


les périodes de crise de la souveraineté. C’est le cas lors des
occupations, comme il apparaît clairement durant la
Seconde Guerre mondiale. Les violences dites « populaires »
à la Libération en France sont un révélateur de la complexité
des liens entre justice, violence et souveraineté. En période
de basculement de souveraineté, ces violences débordent le
monopole des autorités publiques. Elles sont alors,
volontairement ou non, encouragées voire récupérées par les
autorités, gendarmes, commissaires de la République,
préfets… Il n’en reste pas moins que les autorités estiment
un degré acceptable de violences de la part de la population
sur des victimes délégitimées. Des sanctions qui s’exercent
de manière limitée sur les corps et les biens, présentent un
caractère public et stigmatisant comme la peine et
conduisent à une mise hors-la-loi des victimes (Marc
Bergère).
56 Le cas du droit à la défense des prévenus français devant les
tribunaux allemands sous Vichy pousse au bout la logique de
concurrence entre souverainetés. Serge Defois observe l’effet
pervers de la défense judiciaire, légitimant les politiques
judiciaires occupantes, en l’occurrence sa volonté de
criminalisation de la résistance32. Le judiciaire devient ici
l’enjeu d’un rapport de force inégal entre ordres juridiques
souverains  : celui du vainqueur et celui des occupés. La
qualification de violence s’inscrit dans ce rapport inégal et
varie selon la pression exercée sur l’occupant par les
résistances. La délicate position des avocats nantais, même
transformée en fait d’armes après la Libération, met en
exergue le poids du contexte sur l’exercice de la défense en
justice.

Violences, État-nation et international


57 Ces conflits entre souverainetés se retrouvent également
dans la lutte pour une souveraineté supranationale. La place
de la violence dans les relations internationales ouvre un
nouveau champ de recherches pour l’historien comme
l’indique Yves Denéchère. La montée en puissance de la
«  communauté internationale  » n’est certes pas neuve. Elle

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se développe autour du «  droit des gens  » au sortir des


meurtrières guerres religieuses ensanglantant la France et
l’Empire au xviie siècle. Les violences de 1870 et de 1914
(pensons aux Francs-tireurs) conduisent à une timide
tentative de régulation entre les nations. Celles de la
Deuxième Guerre mondiale marquent la rupture, au prix
d’un coup d’État juridique, par la création d’incriminations
nouvelles. Les tentatives de juger les crimes de guerre, puis
contre l’humanité, par des juridictions nationales ou
militaires (TMI) échouent. L’instauration de tribunaux
pénaux pour la Yougoslavie et le Rwanda (TPIY et TPIR) et
d’une Cour pénale internationale, s’accompagnent
d’innovations : comme le rôle des ONG dans l’accusation et
le droit des victimes comme parties civiles.
58 Ce processus d’internationalisation de la justice dans sa lutte
contre la violence présente plusieurs analogies avec
l’étatisation de la réponse sociale à la violence par l’État
moderne à la fin du Moyen Âge : le caractère antagoniste de
la guerre et de la justice  : force contre droit, vis et ius  ; la
création juridique de nouvelles incriminations de violence
introduisant une disciplinarisation de l’usage de la violence,
même par les États en principe dotés d’un monopole sur leur
territoire et leurs citoyens…
59 Bref, on retrouve dans le combat pour la Cour de justice
internationale, bien des caractéristiques du processus de
civilisation décrit par Elias comme une caractéristique
propre à l’Occident depuis le Moyen Âge. Cette mise en
perspective longue du débat relance une question centrale :
mettre hors-la-loi la violence comme moyen de régler les
conflits internationaux est-elle l’ultime manifestation de la
volonté dominatrice de l’Occident, ou l’avancée d’une valeur
universelle propre à l’humanité terrienne ?

Pour interpréter : quelques fils


conducteurs
60 Au terme de cette revue de questions suscitées par les liens
entre violence et judiciaire dans la longue durée occidentale,
reste à se demander si des interprétations d’ensemble sont
possibles. En replaçant le judiciaire en face-à-face avec la
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19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - Conclusion violence et judiciaire en Occident : des traces aux interprétations (discours, perceptio…

violence, les auteurs invitent les chercheurs à relire les


théoriciens de l’évolution historique de la violence.
61 Un des mérites du colloque est d’avoir rappelé qu’une
véritable approche multidisciplinaire est nécessaire à la
saisie des rapports complexes et fluctuants entre violence et
judiciaire. Trois approches ont été convoquées avec succès
dans les contributions  : l’approche juridique, l’approche
anthropologique et l’approche sociologique. L’approche
juridique nous rappelle l’importance des processus de
qualification  : la violence n’est pas une infraction, mais
tantôt un élément constitutif d’une infraction, tantôt une
circonstance aggravante d’une infraction, tantôt un élément
d’appréciation de l’intention, de son degré de responsabilité
ou de sa dangerosité sociale. L’approche juridique nous
rappelle aussi la tension dialectique entre la construction des
normes et les pratiques des hommes dans la routine des
juridictions. Mais l’approche juridique a souvent tendance à
présentifier une réalité passée ainsi qu’à présenter comme
un dogme la définition du légiste.
62 L’approche anthropologique, particulièrement développée
par les médiévistes et modernistes, insiste à juste titre sur la
recherche des structures élémentaires de la résolution du
conflit. Le recours à la violence tout comme le recours en
justice y apparaissent comme des cartes à jouer. Les notions
de système vindicatoire, de répertoires rituels (vengeance ou
pardon) et circuits culturels (famille, souverain), d’honneur
et de honte permettent à l’historien de comprendre sur quels
soubassements culturels et dans quels codes de conduite,
doivent s’interpréter les positions, les gestes, les paroles des
acteurs. Néanmoins une telle anthropologie même
historique ne suffit pas. Le risque de l’anthropologie est de
figer des caractères et de dégager des invariants, en sous-
estimant la diversité des groupes et la part de rupture de
l’individu. En l’occurrence, en surévaluant un estompement
de l’État au profit de modes de régulation présentés comme
inscrits dans le patrimoine de communautés mythiques.
63 L’approche sociohistorique, en particulier la notion de
régulation sociale paraît offrir des pistes fructueuses. Elle
s’efforce de rendre justice à la fois aux cadres normatifs et
aux pratiques institutionnelles, aux corpus rituels, et aux
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stratégies et marge de manœuvre des acteurs. D’autre part,


les régulations prennent en compte à la fois les contraintes
structurelles et les évolutions perceptibles sur le long terme.
64 À l’aune de la régulation, la réflexion historienne sur
violence et judiciaire rappelle également l’importance de
concepts dynamiques. Alors que ces concepts évoquent des
processus, des avancées et des retours, des va-et-vient, des
progressions et des reculades, ils sont trop souvent
manipulés de manière fixiste comme des résultats acquis. Or
violence et judiciaire sont des processus, dont
l’interprétation se mesure autant à l’agir des individus qu’à
la scène de l’action. C’est dans cette optique qu’il nous faut
lire les processus majeurs animant la marche des sociétés
occidentales depuis la fin du Moyen Âge à travers les
première et deuxième modernités. C’est ici que l’on retrouve
les concepts-cadres dans lesquelles s’inscrivent les
contributions monographiques. La synergie entre pouvoir
politique et prétention au monopole de la violence, la
bureaucratisation de ce monopole (Weber), la
disciplinarisation des corps et la stigmatisation de l’âme
(Foucault), ou la contribution des mécanismes
d’internalisation des affects et l’auto-contrôle à la civilisation
des mœurs. Ajoutons-y l’individualisation des rôles sociaux,
et la militarisation des jeunes hommes pour mieux
comprendre la configuration spécifique de l’Occident à la
question de la violence  : l’étatisation par le judiciaire des
réponses sociales à la violence.
65 Reprenant la comparaison initiée par Pieter Spierenburg à la
culture de la violence des États-Unis, les contributions
précisent à leur manière cette spécificité culturelle
européenne  : le rôle de la centralisation étatique vécue
depuis la fin du Moyen Âge dans le contrôle public de la
violence.
66 L’imbrication croissante de la violence et de la justice met en
évidence que la fonction coercitive de l’État à travers la
monopolisation croissante de l’usage légitime de la violence
vise à limiter les excès de cette violence et à maintenir un
haut degré de pacification des relations sociales. Le prix à
payer consiste pour l’individu disciplinarisé et auto-
discipliné à renoncer à l’usage personnel de la violence (son
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droit d’autodéfense) pour en céder en permanence les


attributs aux autorités publiques. Ce renoncement est au
cœur du projet démocratique qui doit maintenir l’équilibre
entre violence sociale et réponse judiciaire.

Notes
1. P. Spierenburg, «  Democracy came Too Early  : A Tentative
Explanation for the Problem of American Homicide  ?  », American
Historical Review, vol. 111, 1., février 2006, p. 101-114.
2. B. Lemesle et P. Quincy-Lefebvre, Introduction, supra.
3. R. Jacob, « Jus ou la cuisine romaine de la norme », Droit et Cultures,
n° 48, février 2004, p. 11-62.
4. D. Kalifa, Crime et culture au xixe siècle, Paris, Perrin, 2005, coll.
«  Pour l’histoire  »  ; A.-C. Ambroise-Rendu, Peurs privées, angoisses
publiques. Un siècle de violences en France, Paris, Larousse, 2001.
5. C. Gauvard, Violence et ordre public au Moyen Âge, Paris, Picard,
2005.
6. Voir quelques exemples de travaux récents : D. Nirenberg, Violence
et minorités au Moyen Âge, Paris, PUF, 2001  ; N. Gonthier, Cris de
haine et rites d’unité ? La violence dans les villes médiévales, Turnhout,
Brepols, 1992  ; R. Muchembled, La violence au village, (xve-xviie
siècle), Turnhout 1989 ; I. Paresys, Aux marges du royaume. Violence,
justice et société en Picardie sous François Ier, Paris, Publications de la
Sorbonne, 1998 ; J. Quéniart, Le Grand Chapelletout Violence, normes
et comportements dans la Bretagne rurale au 18e siècle, Rennes,
Apogée, 1993  ; H. Brown, Ending the French Revolution  : Violence,
Justice, Repression, from the Terror to Napoleon, Charlottesville,
Virginia UP, 2006  ; J. Ralph Ruff, Violence in Early Modern Europe,
Cambridge, 2001  ; P. Spierenburg (éd.), Men and violence  : Gender,
Honor, and Rituals in Modern Europe and America, Columbus, Ohio
State UP, 1998  ; M. Wiener, Men of Blood. Violence, Manliness, and
Criminal Justice in Victorian England, Cambridge, Cambridge UP,
2004  ; C. Emsley, Hard Men  : The English and Violence since 1750,
Londres/Hambledon, 2005  ; S. Audouin-Rouzeau, A. Becker, C.
Ingrao et H. Rousso (éd.), La violence de guerre 1914-1945, Bruxelles,
Complexe, 2002.
7. C. Tilly, La France conteste, de 1600 à nos jours, Fayard, 1986  ; J.
Nicolas, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience
sociale 1661-1789, Paris, Éd. du Seuil, 2002  ; J.-C. Martin, Violence et
Révolution. Essai sur la naissance d’un mythe national, Paris, Éd. du
Seuil, 2006.
8. X. Rousseaux, « Politiques judiciaires et résolution des conflits dans
les villes de l’Occident àla fin du Moyen Âge. Quelques hypothèses de

https://books.openedition.org/pur/5028 23/27
19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - Conclusion violence et judiciaire en Occident : des traces aux interprétations (discours, perceptio…

recherche », J. Chiffoleau, C. Gauvard et A. Zorzi (études réunies par),


Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes de l’Occident à
la fin du Moyen Âge, Rome, École française de Rome, 2007, p. 497-526,
« coll. de l’école française de Rome », n° 385.
9. P. Spierenburg, The Spectacle of Suffering. Executions and the
Svolution of Repression from a Preindustrial Metropolis to the
European Experience, Cambridge, 1984 ; R. Muchembled, Le temps des
supplices, de l’obéissance sous les rois absolus, 15e-18e siècles, Paris,
1992 ; Richard van Dülmen, Theatre of Horror. Crime and Punishment
in Early Modern Germany, Cambridge, 1990.
10. B. Garnot, De la déviance à la délinquance xve-xxe siècle, Dijon,
Presses universitaires de Dijon, 1999.
11. E. Goffmann, La mise en scène de la vie quotidienne, Paris, 2 vol.,
1973, et Les rites d’interaction, Paris, 1974.
12. Y. Ca stan, Honnêteté et relations sociales en Languedoc 1715-1780,
Paris, Plon, 1974.
13. F. Billacois, Le duel dans la société française des xvie-xviie siècles,
Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1986 ; P.
Brioist, H. Drévillon et P. Serna, Croiser le fer. Violence et culture de
l’épée dans la France moderne (xvie-xviiie siècle), Seyssel, Champ
Vallon, 2002  ; J.-N. Jeanneney, Le duel, une passion française (1789-
1914), Paris, Éd. du Seuil, 2004.
14. D. Boschi, « Homicide and Knife Fighting in Rome, 1845–1914 », P.
Spierenburg (éd.), Men and Violence… ; H. Ylikangas, P. Karonen et
M. Lehti, Five Centuries of Violence in Finland and the Baltic Area,
Columbus, Ohio State UP, 2001.
15. P. Spierenburg, «  Long-Term Trends in Homicide  : Theoretical
Reflections and Dutch Evidence », E. A. Johnson et E. H. Monkkonen
(éd.), The Civilization of Crime  : Violence in Town and Country since
the Middle Ages, Urbana, Illinois UP, 1996, p. 63-105.
16. Bien entendu, ce que nous avons dit plus haut sur les effets de source
reste valable. Selon les périodes, il faut être prudent avec les textes qui
tendent à présenter des violences enracinées dans une longue
conflictualité comme des accidents imprévisibles.
17. J.-P. Burdy, Le Soleil noir. Un quartier de Saint-Étienne, 1840-1940,
Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1989 ; A. Vrints, Het theater van
de straat. Publiek geweld, respectabiliteit en sociabiliteit in Antwerpen
(ca 1910-1950) [Le théâtre de la rue. Violence publique, respectabilité et
sociabilité à Anvers (env. 1900-1950)], université de Gand, 2006.
18. G. Ruggiero, The Boundaries of Eros : Sex, Crime and Sexuality in
Renaissance Venice, New York, Oxford UP, 1985  ; M. Boone, «  Le très
fort, vilain et detestable criesme et pechié de zodomie : homosexualité et
répression à Bruges pendant la période bourguignonne (fin 14e- début

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16e siècle) », H. Soly et R. Vermeir (réed.), Beleid en bestuur in de Oude


Nederlanden. Liber amicorum Prof. Dr M. Baelde, Gent, 1993, p. 1-17  ;
idem, « State Power and Illicit Sexuality : The Persecution of Sodomy in
Late-Medieval Bruges », Journal of Medieval History, 22, 1996, p. 135-
153.
19. D. Tosato-Rogo et N. Staremberg-Goy, Sous l’œil du Consistoire –
sources consistoriales et histoire du contrôle social sous l’Ancien
Régime, Études de Lettres, université de Lausanne, 266, mars 2004 ; L.
Châtelier, L’Europe des dévots, Paris, Flammarion, 1987 ; F. Chauvaud
(éd.), Le contrôle social, Poitiers, Les Cahiers du GERHICO, n° 6,
septembre 2004.
20. G. Le Clercq, «  La perception des violences sexuelles en Belgique
(1830-67)  : construction juridique, pratique répressive et réactions
sociales  », G. Kurgan-van Hentenrijk (rééd.), Un pays si tranquille  ?
La violence en Belgique au xixe siècle, Bruxelles, Éditions de l’université
de Bruxelles, 1999, p. 107-129.
21. F. Chauvaud, Les criminels du Poitou au xixe siècle. Les monstres,
les désespérés et les voleurs, La Crèche, Geste éditeur, 1999 ; A. Tillier,
Des criminelles au village. Femmes infanticides en Bretagne (1825-
1865), Rennes, PUR, 2001 ; S. Lapalus, La mort du vieux. Une histoire
du parricide au xixe siècle, Paris, Tallandier, 2004.
22. X. Rousseaux, « De la négociation au procès pénal : la gestion de la
violence dans la société médiévale et moderne (500-1800) », P. Gérard,
F. Ost et M. Van de Kerchove (éd.), Droit négocié, droit imposé  ?,
Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 1996, p. 273-312.
23. E. Claverie et P. Lamaison, L’impossible mariage. Violence et
parenté en Gévaudan, xviie, xviiie et xixe siècles, Hachette, 1983.
24. D. L. Smail, The Consumption of Justice. Emotions, Publicity, and
Legal Culture in Marseille 1264-1423, Ithaca/Londres, Cornell UP,
2003.
25. F. Ploux, Guerres paysannes en Quercy. Violences, conciliations et
répression pénale dans les campagnes du Lot (1810-1860), Paris,
Boutique de l’Histoire, 2002  ; S. Wilson, Feuding, Conflict and
Banditry in Nineteenth-Century Corsica, Cambridge, Cambridge UP,
1988.
26. A. Corbin, Le village des cannibales, Paris, Aubier, 1990  ; F.
Chauvaud et J.-L. Mayaud (dir.), Les violences rurales au quotidien,
Paris, La Boutique de l’Histoire, 1999.
27. J.-C. Farcy, «  La petite délinquance parisienne à la fin du xixe
siècle  », B. Garnot (dir.), La petite délinquance du Moyen Âge à
l’époque contemporaine, actes du colloque de Dijon 9 & 10 octobre 1997,
Dijon, EUD, 1998, p. 181-200  ; idem, «  La ville et le crime  : espaces et
temporalités. L’exemple de Paris (xixe-xxe siècles)  », M. Kokoreff, M.

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19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - Conclusion violence et judiciaire en Occident : des traces aux interprétations (discours, perceptio…

Péraldi et M. Weinberger (dir.), Économies criminelles et mondes


urbains, Paris, PUF, 2007, p. 23-41.
28. Voir le numéro consacré à ce thème par la Revue d’histoire de
l’enfance irrégulière, sous presse.
29. Voir les contributions réunies dans B. Garnot (dir.),
L’infrajudiciaire du Moyen Âge à l’époque contemporaine, Dijon,
Éditions universitaires de Dijon, 1996.
30. X. Rousseaux, Politiques judiciaires et résolution des conflits…
31. G. Kurgan-van Hentenrijk (éd.), Un pays si tranquille  ? La
violence en Belgique au xixe siècle, Bruxelles, Éditions de l’ULB, 1999.
32. J. Horne et A. Kramer, 1914, Les atrocités allemandes, Paris,
Tallandier, 2005.

Auteur

Xavier Rousseaux
Du même auteur

Le pénal dans tous ses États,


Presses de l’Université Saint-
Louis, 1997
Les praticiens du droit du
Moyen Âge à l'époque
contemporaine, Presses
universitaires de Rennes, 2008
Amender, sanctionner et punir,
Presses universitaires de
Louvain, 2012
Tous les textes
© Presses universitaires de Rennes, 2008

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Référence électronique du chapitre


ROUSSEAUX, Xavier. Conclusion violence et judiciaire en Occident : des
traces aux interprétations (discours, perceptions, pratiques) In  : La
violence et le judiciaire  : Du Moyen Âge à nos jours. Discours,
perceptions, pratiques [en ligne]. Rennes  : Presses universitaires de
Rennes, 2008 (généré le 19 septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/5028>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.5028.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
Compatible avec Zotero

La violence et le judiciaire

Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,


pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

https://books.openedition.org/pur/5028 27/27
19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - Résumés - Presses universitaires de Rennes

Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

Résumés
p. 363-379

Texte intégral

Première partie

VIOLENCE ADMISE, TOLÉRÉE,


PARDONNÉE

Hélène Couderc-Barraud, « Humbles » et violence


légale : quelques cas gascons, xiie-début xiiie
siècle
1 Les premiers textes normatifs gascons permettent d’aborder
le thème de la violence légale des «  humbles  ». Dans le

https://books.openedition.org/pur/5029 1/24
19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - Résumés - Presses universitaires de Rennes

piémont pyrénéen et dans la Gascogne centrale, les princes


reconnaissent un droit à la violence aux habitants, du simple
dédommagement direct par le lésé à la vengeance de
l’homicide. Ces droits, très réglementés, montrent la
puissance des «  seigneurs de maisons  » présents au moins
dans les bourgs. Ils contribuent à définir une juridiction de
l’habitant, reposant sur la maison et la maisonnée, mais
dépassant aussi ce cadre domestique. Si l’on peut constater
des évolutions dans le temps, c’est bien le facteur
géographique qui semble prépondérant, rattachant la
Gascogne centrale et pyrénéenne à une aire hispanique, en
particulier aragonaise et navarraise.
2 The first normative Gascon texts enable historians to tackle
the theme of legal violence by humiles. In Pyrenean and
Central Gascony, princes allowed the inhabitants to a right
to violence, from mere direct compensation by the injured
party to the vengeance of the homicide. These strictly
controlled rights show the power of the «  senhor de la
maison  » who were present at least in market towns. They
help to define the jurisdiction of the inhabitant, which is
based on the house and the household but also goes beyond
this domestic setting. One cannot help noticing changes with
time, yet the geographical factor – which links central and
Pyrenean Gascony with a Hispanic area, particularly Aragon
and Navarre – seems to be dominant.

Julie Mayade-Claustre, « Bateures, navreures et


occision », le prévôt de Paris face à la violence
vers 1400
3 Une quinzaine d’années après le témoignage sur le
traitement de la criminalité par le prévôt royal de Paris que
constitue le fameux «  registre criminel  » de 1389-1392, un
petit dossier de documents révèle une tout autre image de la
justice pénale royale et lui restitue son caractère ordinaire. Il
s’agit de trois accords, dont le texte a été conservé dans un
livre tenu par le greffier civil du Châtelet des années 1420. Ils
règlent des affaires de coups et blessures qui, dans deux cas,
ont entraîné la mort de leurs victimes et ont été suivis d’une
rémission royale. Ils montrent que, en dépit du caractère
exceptionnel de la compétence criminelle de cette juridiction
https://books.openedition.org/pur/5029 2/24
19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - Résumés - Presses universitaires de Rennes

et des attentes spécifiques qui étaient placées dans celle-ci,


ce type de violence physique était, là comme ailleurs,
imparfaitement pénalisé. La réponse judiciaire à une
violence qui semble indicible l’assimile à une dette et semble
viser la concorde et le refoulement plus que la répression.
4 Fifteen years after the renowned 1389-1392 “registre
criminel”, a short file of documents draws a very different
picture of royal criminal law and restores its ordinary
character to the court of the Châtelet of Paris. Three
agreements related to crimes have been collated in a book by
the Châtelet’s civil clerk during the 1420’s. They deal with
assault and battery affairs which, in two cases, brought
about their victims’death and have been followed by a royal
remission. They show that, in spite of the exceptional
character of this jurisdiction and the specific expectations
which were placed in it, this type of physic violence was,
there like anywhere around 1400, imperfectly penalized.
Judiciary response to a seemingly untold violence
assimilates this to a debt and seems to aim at concord and
inhibition rather than repression.

Pierre Charbonnier, Les limites du pardon des


violences dans les lettres de rémission du xve
siècle
5 Les lettres de rémission par lesquelles le roi accorde sa grâce
à un coupable, mettent en scène le plus souvent des
coupables d’actes de violence. Elles apportent donc un
éclairage sur l’attitude en face de celle-ci. Très peu de lettres
concernent une simple blessure. Le règlement de telles
affaires prenait une forme pécuniaire et ne nécessitait pas de
rémission. Les meurtres caractérisés sont également rares
dans les lettres pour deux raisons. D’une part le coupable a
su se dissimuler et d’autre part le roi répugne dans ce cas à
pardonner et s’il le fait, il accompagne son pardon d’une
peine de compensation. En fait la très grande majorité des
lettres se place dans le cadre d’un homicide commis sans
préméditation, simple bagarre qui a mal tourné. Le coupable
est donc nécessairement connu, mais comme il est de
«  bonne renommée  » sa faute est considérée comme tout à
fait pardonnable.
https://books.openedition.org/pur/5029 3/24
19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - Résumés - Presses universitaires de Rennes

6 In the “lettres de remission” the king granted his pardon to a


culprit. These letters concern quite exclusively acts of
violence. So, they enlighten us on the public feeling towards
these acts. When only wounds happened, there were very
few letters, for the issues of such acts were normally
financial. The true murders are also uncommon in the letters
for two reasons  : the culprit often remained unknown  ; the
king was reluctant to pardon and if he pardoned, the letter
often included a compensatory penalty. So, most letters
concern a homicide which happened without any
premeditation during or following a riot. Consequently the
criminal was known. As he had a good reputation, he
normally got his remission.

Michel Nassiet, Survivance et déclin du système


vindicatoire à l’époque moderne
7 On veut d’abord, dans cet article, contribuer à vérifier
l’hypothèse de la réalité de la pratique de la vengeance au
xvie siècle. On vengeait l’homicide d’un parent ou une
agression à l’honneur familial  : la vengeance restait un
devoir inhérent aux relations de parenté. Le concept de
système vindicatoire permet de voir que le meurtre commis
par un patriarche à l’égard d’un fils voleur, d’une fille
enceinte ou d’une épouse adultère, était un pendant de la
vengeance. Ces deux sortes de violence étaient des actes de
justice privée, l’un, à l’intérieur de la parentèle, pour
prévenir un déshonneur, l’autre, à l’extérieur, pour le
réparer. Enfin on observe que deux idéologies s’opposaient
encore à la fin du xvie siècle, aussi bien par rapport à la
justice et à la religion, l’une donnant la priorité à l’honneur
et la vengeance, l’autre à une réception stricte de l’appel
évangélique au pardon.
8 The point is to test what is assumed on the actuality of
revenging during xvith c. Vengeance took place following a
parent’s assassination or an outrage to family honour,
because revenging was a duty related to kinship. The
vindicatory system concept emphasizes that a patriarch
murdering his thef son, or pregnant daughter, or adulterous
wife, is but the counterpart of revenge. These two kinds of
violence were both acts of private justice, one inside kinship
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19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - Résumés - Presses universitaires de Rennes

to prevent dishonour, the other outside in order to mend it.


Then, by the end of xvith c., such an ideology urging honour
and revenge as an acute priority was still conflicting and
challenging justice and religion as well that stressed the need
to yield to evangelical forgiveness.

Stuart Carroll, Une sociabilité sanglante : autour


de la violence vindicatoire à l’époque moderne
9 Cet essai aborde le problème de la violence vindicatoire en
France à l’époque moderne. La violence vindicatoire – c’est-
à-dire la «  faide  », le duel et la vengeance – est le sujet de
notre livre Blood and Violence in Early Modern France qui
est récemment paru chez Oxford University Press. Pour cet
article, nous limitons notre propos à la considération de trois
éléments constitutifs de la sociabilité de vengeance, soit la
construction de la mémoire sociale, le rôle de conseil au sein
des familles, et finalement le comportement des vengeurs
dans l’espace public.
10 This essay tackles the problem of vindicatory violence in
early modern France. Vindicatory violence – that is feuding,
the duel and vengeance – is the subject of my recent Oxford
University Press monograph. Space will limit my discussion
to three elements of what can be termed the sociability of
revenge, namely the construction of social memory, the role
of counsel at the heart of the family, and lastly the public
comportment of vengeance-seekers.

Lucien Faggion, Dissensions et justice en Terre


Ferme vénitienne au xvie siècle
11 L’étude des actes notariés enregistrés dans deux
communautés villageoises de la vallée de l’Agno au xvie
siècle (Valdagno, Trissino), située à l’ouest de la province de
Vicence, permet de saisir le phénomène de la violence au
début des temps modernes. Il est ainsi possible de cerner les
rapports établis entre les représentants de l’autorité et les
justiciables. Les actes de compromis et de paix dévoilent le
fonctionnement de la justice et rendent compte de
l’existence de tensions parfois violentes, soumises d’abord
aux autorités urbaines, puis à celles du monde rural.

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L’examen de la violence, même diffuse et discrète, filtrée par


le notaire, fait ressortir l’attitude des hommes de loi,
préoccupés par l’application des statuts locaux et des lois de
la République, et rend manifeste les multiples voies de
résolutions face aux agressions commises dans le monde
rural vénitien au xvie siècle.
12 The study of notarial documents registered in two rural
communities of the Agno Valley during the 16th century in
the western part of the Vicenza province (Valdagno and
Trissino), allow us to grasp the phenomenon of violence in
the early Modern period. Thus it is possible to outline the
relations between the legislative authorities and the people
about to stand trial. Documents like compromise deeds and
agreement deeds show how justice works and explain the
existence of sometimes violent tensions, submitted first to
the urban authorities, then to the rural judicial body. The
examination of violence, even diffuse and discreet, screened
as it is by the notary, reveals the attitude of lawyers,
concerned about the respect of local statutes and the
enforcement of Republican law, and it reveals the numerous
ways to find solutions to the attacks committed against
people in 16th century rural Venetia.

Deuxième partie

VIOLENCES QUOTIDIENNES ET
TRIBUNAUX
Isabelle Mathieu, « Iniures desloiaux, offances,
coups et collées » : les sergents angevins violentés
dans l’exercice de leurs fonctions (1380-1550)
13 Auxiliaires subalternes des justices seigneuriales, les
sergents sont quotidiennement en relation avec la
population de leur ressort respectif et comme agents
d’exécution des décisions prises par les tribunaux
seigneuriaux, ils informent des ajournements à comparaître,
saisissent les biens, lèvent les amendes, arrêtent individus et
animaux, surveillent les terres de leur seigneur, etc. Les
registres d’assises médiévaux témoignent de l’existence de
violences s’exprimant contre l’institution judiciaire et ses

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représentants. Un corpus composé d’une quarantaine


d’affaires concernant ce type de délits nous a permis
d’appréhender comment l’autorité seigneuriale entendue
dans ses prérogatives judiciaires est parfois malmenée par
ses justiciables, d’entrevoir les attitudes, individuelles ou
collectives, qui poussent à de tels comportements et enfin
d’analyser concrètement le traitement judiciaire réservé à ce
type d’affaires.
14 Legal personnel subordinate to seignorial justice, called
« sergents », are daily in contact with the population of their
respective jurisdiction. As agents who execute the decisions
of the seignorial courts, they inform of the deferments to
appear before a court, they seize goods, cancel fines, arrest
individuals and animals, supervise the territory of their lord
etc. The medieval registers of criminal courts give evidence
that violences existed against the judicial institution and its
representatives. A corpus made up of forty cases concerning
this king of offences enabled us to understand how the
seignorial authority, in its judicial prerogatives, is sometimes
abused by its subjects, to foresee the attitudes, individual or
collective, wich cause such behaviours, and to analyse the
judicial processing applied to this king of cases.

Hervé Piant, « Car tels excès ne sont pas


permis » : l’injure et sa résolution judiciaire dans
un tribunal de première instance sous l’Ancien
Régime
15 L’injure est l’une des incriminations les plus fréquemment
rencontrées dans les archives des tribunaux d’Ancien
Régime. Au sens du temps, l’injure regroupe aussi bien les
insultes verbales que les violences physiques légères, dans
une définition centrée sur la notion d’honneur. L’étude,
fondée sur l’analyse de soixante – seize plaintes déposées
devant une justice de première instance – la prévôté de
Vaucouleurs, aujourd’hui en Lorraine – entre 1680 et 1693
se propose de décrire les modalités de l’injure – qui  ?
quand  ? où  ? comment  ? – puis de voir les solutions
proposées par l’institution pour les résoudre.
16 Le but de l’article est de mettre en valeur le rôle de
l’institution judiciaire dans le jeu subtil de l’interaction
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sociale. Autour de la notion d’injure, un dialogue implicite se


met en place entre les justiciables et les juges locaux pour
élaborer des solutions satisfaisantes pour les uns et les
autres.
17 Abuse was one of the most frequent crimes recorded at
courts in the Ancien Regime.
18 At that time, the word “abuse” (“injure” in french) – whose
definition focused on the notion of honour – included
assaults and batteries as well as insults. The analysis, based
on the study of 76 complaints lodged before a first instance
jurisdiction – the prévôté of Vaucouleurs, now in Lorraine –
between 1680 and 1693 is meant to describe what abuse was
made up of – who  ? when  ? where  ? how  ? – and the
solutions the institution put forward to work it out.
19 The aim of the article is to put the stress on the part played
by the judiciary in the subtle social interaction. As far as
abuse was concerned, a dialogue between local judges and
those to be tried implicitely became common practice to
produce satisfactory answers to each of them.

Stéphane Vautier, Les juges et la violence


quotidienne (Blois, 1815-1848)
20 Dans le cadre de Blois, ville moyenne assez représentative
des entités urbaines de la première moitié du xixe siècle,
nous proposons d’étudier la façon dont la société, à travers
sa justice, tente de contrôler la violence banale qui constitue
le quotidien du tribunal correctionnel.
21 Il s’agit de mettre en avant l’ensemble des éléments motivant
les décisions des juges. Il semble que leur clémence ou leur
sévérité dépendent tout autant de la gravité de l’acte que de
la situation sociale de l’accusé comme de la victime. Nous
nous attachons à montrer comment, par-delà l’évolution du
Code pénal, la justice s’exerce dans un environnement
singulier que l’historien doit prendre en compte. Elle est
aussi le fait de magistrats conservant une liberté
d’appréciation variable suivant leur personnalité et leur
intégration dans la société locale. Tous ces éléments
permettent de mieux comprendre les motivations des
condamnations ainsi que les différences de sévérité parfois
flagrantes pour des délits assez semblables.
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22 Through the study of Blois, an average sized city well


representative of urban entities of the first half of the 19th
century, we propose to study the way in which society,
through its justice, tries to control petty violence which is the
daily lot in magistrates’courts.
23 The aim is to advance all the elements which justify the
judges’decisions. It seems that their leniency or their
severity depend as much on the seriousness of the act as on
the defendant’s or the victim’s social situation. We will
demonstrate how, through the evolution of the French penal
code, justice is applied in a particular environment that the
historian must take into account. Justice also comes from
the work of magistrates whose own appreciation varies
according to their personality and their integration in local
society. All of these elements allow us to understand better
the judges reasons for the sentences, as well as the
sometimes obvious differences in severity for similar
offences.

Victoria Vanneau, Justice pénale et « violences


conjugales » au xixe siècle : enquête sur les
avatars judiciaires d’une catégorie de violence
24 Au xixe siècle, les «  violences conjugales  » n’existent pas.
Pourtant, s’amorce lentement un processus de
reconnaissance qui les insère dans le champ de compétence
des juridictions criminelles. En l’absence de définition d’une
catégorie sui generis, ces violences ont été prises en compte
par les pratiques pénales. Les dossiers de procédure en
témoignent, si l’on consent à ne pas y chercher la réalité
effective des violences conjugales, mais la manière dont les
juridictions s’en emparent  : les magistrats, saisis de ces
affaires, parfois au gré des dénonciations, ont eu à établir
une spécificité de ces tyrannies domestiques, à reconnaître la
légitimité du recours de la victime. Aussi est-il possible de
revisiter la surdité souvent décrétée de cette justice à l’égard
de la brutalité envers les « femmes du peuple ».
25 Penal justice and “marital violence” in the 19th Century.
Inquire into the legal misadventures of a category of
violence.

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26 In the 19th Century France, “marital violence” does not exist.


However, a process of recognition slowly embeds them in
the field of competence of the criminal jurisdictions. In the
absence of a sui generis category, this violence was taken
into account by the penal practices. The files of procedure
testify to it. This work does not seek the effective reality of
marital violence. It demonstrates how the jurisdictions seize
some. Referred to, sometimes as denunciations allow,
magistrates had to establish the specificity of these domestic
tyrannies, and to recognize the legitimacy of victims’recourse
to law. Also it is possible to reconsider the often issued
deafness of this justice to brutality towards women.

Vincent Bernaudeau, Invectives, injures et


diffamations : les violences verbales et leur
réparation devant les justices de paix au xixe siècle
27 Empruntant des registres variés, les violences verbales se
déploient en des lieux privilégiés, quels que soient les
conditions et le caractère spontané ou provoqué de leur
émergence. Construites à la fois comme des représentations
de soi et du monde extérieur, elles interrogent la gamme des
conduites humaines et les façons de vivre ensemble, tant les
mots prononcés trahissent les sentiments éprouvés. Inscrites
dans une grammaire de codes sociaux et culturels propre à
un espace, en l’occurrence le canton angevin de Cholet à la
fin du xixe siècle, elles restituent les investissements
symboliques dont elles sont l’objet de la part des milieux qui
s’y côtoient (artisans boutiquiers, petits fabricants, salariés
agricoles et ouvriers de l’industrie textile). Elles permettent
de toucher du doigt les anxiétés sociales qui sont les leurs et
de mettre en lumière le recours à la justice comme un mode
singulier de régulation des conflits qui les accompagnent.
28 Borrowing varied registers, verbal violences spread through
privileged places, whatever the conditions and the
spontaneous or provoked character of their arising.
Formulated as much as representations of oneself as of the
external world, they question the range of the human
behavior and the ways of living together, so much words
used betray feelings. Inscribed in a grammar of social and
cultural codes specific to a space, in this case the Angevin
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canton of Cholet at the end of xixth Century France, they


restore the symbolic investments of which they are the
object on behalf of the classes which are exposed (craftsmen
tradesmen, small manufacturers, agricultural labourers and
workers textile industry). They make it possible to feel the
social anxieties which are theirs and to clarify the recourse to
justice as a singular mode of settlement of the conflicts
which accompany them.

Troisième partie

CONSTRUCTION DE LA VIOLENCE,
DIFFÉRENCES CULTURELLES ET
GÉOGRAPHIQUES

Franck Mercier, La torture en procès :


construction et justification d’une violence
« légale » dans le cadre de la chasse aux sorcières
(xve siècle)
29 La torture judiciaire n’est évidemment pas une innovation
du xve siècle. Son emploi avait déjà été légitimé et pour une
part codifié dans le cadre de la procédure romano-canonique
forgée aux xiiie et xive siècles contre les hérétiques. Mais si
les magistrats engagés dans la lutte contre la sorcellerie
moderne n’ont pas inventé la torture, ils n’en ont pas moins
considérablement étendu l’usage procédural, tant en
quantité qu’en intensité. La chasse aux sorcières n’est
pourtant pas le lieu, comme on le croit communément, d’un
déchaînement sauvage de la violence judiciaire (sous sa
forme peut-être la plus odieuse, la torture). Aussi difficile
que cela soit aujourd’hui à admettre, elle fut aussi (au moins
à ses débuts médiévaux) un champ d’expérimentation et de
réflexion sur la torture qui participe de la construction, à la
fin du xve siècle, d’une forme de violence «  légale  »
étroitement associée à l’exception. Le problème est ici plus
particulièrement envisagé à travers l’exemple d’un célèbre
procès pour sorcellerie, la Vauderie d’Arras (1459-1491).
30 Judicial torture was by no means a new phenomenon in the
xvth century. Its use had already been legitimised and partly
codified under the romanocanonical procedure introduced

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to combat heretics in the xiiith and xivth centuries. While the


judges involved in combating modern witchcraft may not
have invented torture, they have undoubtedly extended its
procédural use quite considerably, in terms of both quantity
and intensity. However, witch-hunts are not, as is commonly
thought, associated with sudden outbreaks of judicial
violence (in what may be its most repugnant form, namely
torture). However difficult it may be to imagine today,
witchhunts (at least in their medieval beginnings) also
constituted a means of experimenting with and reflecting on
torture wich contributed, at the end of the xvth century, to
the development of a form of “lawful” violence closely
associated with exception. This issue is clearly illustrated in
the case of a famous trial for witchcraft, the Vauderie d’Arras
(1459-1491).

Jesús Ángel Solórzano Telechea, Diffamation,


infamie et justice : l’usage judiciaire de la violence
dans les villes de la Couronne de Castille (xiie-xve
siècle)
31 La législation médiévale de la Couronne de Castille est
analysée autour de la terminologie de la renommée sociale –
la fama, l’infamie et la diffamation – par rapport au crime de
sodomie ainsi qu’aux procès judiciaires. La production
théorique et la mise en pratique du droit médiéval castillan
touchant aux délits contre la morale sexuelle qui entraînent
l’infamie constituent un territoire fertile pour connaître de
près les relations existant entre la réglementation juridique,
les élites urbaines et les valeurs de la société castillane.
32 La lutte contre le délit infamant de sodomie de la part des
juges locaux a été un argument de justification du bon
gouvernement des élites urbaines castillanes. Parmi tous les
délits qui attentaient à la morale sexuelle, la sodomie était le
plus «  atroce  », puisque il n’affectait pas que les auteurs,
mais aussi la population au sein de laquelle il était commis.
Il en résulte que l’accusation d’avoir commis le «  délit
abominable sodomitique » se convertissait en arme de lutte
politique des oligarchies urbaines en Castille.
33 We analyze the medieval legislation in the Crown of Castile
concerning the terminology of the social reputation – fama,
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19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - Résumés - Presses universitaires de Rennes

infamia and difamación – related to to the crime of sodomy,


as well as the judicial processes. Th e theoretical production
and the practice of the medieval Castilian right related to the
crimes against the sexual morality, which were carrying the
infamia, constitute a fertile territory to know closely the
existing relations between juridical regulation, urban elites
and the values of the Castilian society.
34 The fight against this “infamante” crime of sodomy by local
judges was an argument of justification of the good
government for the urban Castilian elites. Over all the crimes
against the sexual morality, the sodomy was the “most
‘atrocious’” because it was affecting not only the authors, but
the population in whom it was committed. So, the accusation
of having committed the “abominable crime of sodomy” was
turning into a weapon of political fight of the urban Castilian
oligarchies.

Hélène Fernandez, La répression judiciaire des


violences militaires sous Louis le Juste : Marillac et
Saint-Preuil
35 Cet article aborde la question de la punition de la violence à
l’encontre des civils telle qu’elle est à deux reprises mise en
œuvre par la justice criminelle au xviie siècle, à travers deux
procès, celui de Louis de Marillac, maréchal de France
condamné à mort pour péculat en 1632, et celui de François
de Jussac d’Ambleville sieur de Saint-Preuil, condamné à
son tour pour homicide, violences et exactions en 1641. Ces
deux procès ont été considérés par les contemporains
comme des « procès d’État » ; pourtant, ils mettent au centre
de leur action des violences à l’encontre de civils qui ont bien
eu lieu  : corvées indues, trafics de toutes sortes,
intimidations et violences physiques. Mais les accusés font
valoir ces actions illégales sont d’habitude tolérées. En
dernière analyse, c’est bien le retrait de la grâce du roi –
protectrice, jusque là, des accusés – qui seul autorise le
procès.
36 In this article I look at violence toward civilians in two
closely related criminal trials, both occurring in the first half
of the xviith Century. Louis de Marillac is brought to death in
1632, after a complicated procedure, involving two different
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commissions extraordinaires. François de Jussac


d’Ambleville, sieur de Saint-Preuil, is condemned by another
commission held in Amiens (1641). Both trials have been
understood (with very good reasons) as «  procès d’État  »,
political trials whose primary motives were not openly
stated. But the legal qualification of their actions as violence
toward civilians is interesting, since central power usually
disregarded those matters  : all early modern armies had to
live on exploitation of the civilians, since money never
arrived on time. Thus it is only the defendants’initial offense
to the king that make their violence visible to the judicial
system.

Julie Doyon, Des secrets de famille aux archives


de l’effraction : violences intra-familiales et ordre
judiciaire au xviiie siècle
37 Le mythe historiographique de l’impossible dévoilement des
«  secrets de famille  » par la justice criminelle a convaincu
qu’une histoire de la criminalité familiale n’était guère
envisageable faute d’archives judiciaires sérieuses. Or, le fait
même d’être énoncées comme secrètes par la doctrine et la
jurisprudence criminelle du xviiie siècle donne identité aux
violences familiales. Leur identification à un type de
criminalité « occulte » permet en outre à la justice pénale de
forger ses propres méthodes de levée du secret, en
définissant son idéal d’une société familiale transparente à
«  l’œil  » et à «  la main de la justice  ». Au cœur de la
construction juridique des violences familiales s’opère ainsi
la double institutionnalisation, des familles et de la justice,
dans une logique de complémentarité et d’adversité
délimitant leur sphère d’intervention et leur «  juridiction  »
respective.
38 The historiographic myth of the impossible revealing of the
« family secrets » by criminal justice convinced that a history
of family criminality was hardly possible. However, the fact
of being even stated like secret by the doctrines and the
criminal jurisprudence of the xviiith century gives identity to
family violences. Their identification with a type of « occult »
criminality serves moreover penal justice define its ideal of
familial order. Thus, the double institutionalization, of the
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19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - Résumés - Presses universitaires de Rennes

families and justice, is worked out, trough the delimitation of


their respective spheres of capacity, in a logic of
complementarity and adversity.

Bruno Aubusson de Cavarlay, Affaires traitées par


la justice pénale : les cas de violence selon les
catégories de la statistique criminelle (France,
1831-1932)
39 Le Compte général de la justice criminelle fournit entre 1831
et 1932 des séries par infractions pour les affaires traitées
par la justice pénale. À partir de quatre catégories
d’infractions à caractère violent – atteintes physiques
volontaires à la personne, viols et attentats à la pudeur,
violences et outrages à agents publics, autres atteintes
violentes à la personne – l’étude mesure l’évolution des
affaires jugées ou abandonnées et cerne les motifs d’abandon
des poursuites. S’il ne s’agit pas de proposer un indicateur de
l’évolution de la ou des violences, cette approche permet de
voir la justice pénale confrontée dans ce domaine à une
demande croissante qui culmine dans les premières années
du vingtième siècle. Après avoir longtemps suivi cette
demande, le parquet pratique une sélection de plus en plus
marquée par l’abandon des poursuites ou la
correctionnalisation des crimes.
40 The French Compte général de la justice criminelle has
published between 1831 and 1932 data by offences for all the
cases treated by the criminal justice system. Relying upon
four types of offences including some kind of violence –
physical offences against persons, rape and sexual assault,
insulting behaviour and violence to police officers, other
violent offences against persons – the study looks at the
trends in prosecuted and dropped cases and the grounds for
dropping cases. It does not give a quantitative measure of
violence(s). Nevertheless it shows that criminal justice faced
an increasing demand in this field, reaching a peak in the
very beginning of the twentieth century. After responding
rather closely to this demand, prosecutors enforced a
stronger selection of cases brought to the courts and
refrained from prosecuting crimes as such (the so called
correctionnalisation).
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Donald Fyson, La violence entre hommes et la


justice au Québec, 1780-1860
41 Ce texte est consacré aux rapports entre la violence, les
hommes et la justice au Québec à une époque marquée par la
transition d’une justice d’ancien régime à une justice plus
moderne. Le texte présente d’abord un tableau de la violence
entre hommes au Québec pendant cette période, en faisant
notamment ressortir les différences d’ordre ethnique, social
et géographique. On note également une hausse du recours
des hommes aux tribunaux dans les cas de violence mineure,
accompagnée d’une baisse du taux d’homicide. Cela suggère,
entre autres, un processus de civilisation des comportements
masculins. Ce changement précède toutefois la
modernisation formelle de la police et de la justice pénale,
une modernisation qui est en fait accompagnée par un
plafonnement, voire un recul des recours. La justice d’ancien
régime semble autant, sinon plus accueillante pour les
hommes que celle de l’État moderne.
42 This article examines the relationship between violence, men
and justice in Quebec during a period marked by the
transition from an ancien-régime justice system to a more
modern one. The article first presents an overview of
violence between men during the period, concentrating on
ethnic, social and geographical differences. It also notes an
increase in recourse by men to the courts in cases of minor
violence, accompanied by a drop in homicide rates. This
suggests, among others, a process of civilization of masculine
behaviours. The change nevertheless precedes the formal
modernisation of the police and the penal justice system,
which is instead accompanied by a levelling offor even
perhaps a decrease in such recourse. Ancien-régime justice
seems to have been as if not more welcoming to men than
that of the modern state.

Jean-François Tanguy, Tuer sans intention de


tuer : quand l’intention, et non l’effet, construit le
crime
43 Le droit pénal du xixe siècle s’efforce d’une part de
développer des méthodes d’enquête et d’instruction aussi

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19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - Résumés - Presses universitaires de Rennes

rationnelles que possible, d’autre part de mettre en œuvre


une forme d’individualisation des peines qui tienne compte
de l’ensemble des circonstances, du passé du fautif, de la
nature de la faute et de la qualité des victimes. Dans ce
cadre, notre étude porte sur la naissance du crime de
«  coups et blessures suivis de mort sans intention de la
donner » créé par la réforme pénale française de 1832.
44 Il s’agit ici de montrer comment on a entrepris de construire
une infraction dont les résultats étaient dramatiques,
puisqu’il s’agissait de mort d’homme, mais qui résultait d’un
processus où n’entrait ni préméditation, ni même intention
de tuer. Autrement dit où la violence en tant que fait ne
coïncidait pas du tout avec une volonté perverse ou
destructrice majeure.
45 C’est la façon dont le jury populaire a appréhendé ce crime à
travers ses verdicts – très divers – que nous voudrions
exposer ici.
46 The criminal law of the nineteenth century endeavours on
the one hand to develop methods of investigation as rational
as possible, on the other hand to make use of a form of
individualization of the punishments which take into
account of the whole of the circumstances, of passed of
faulty, of the nature of fault and quality of the victims.
Within this context, our study relates to the birth of the
crime of “aggravated assault followed of died without
intention to give it” created by the French penal reform of
1832.
47 It is a question here of showing how one undertook to
construct an offence whose results were dramatic – it acted
indeed of dead of man – but who resulted from a process
where no premeditation entered, not even intention to kill.
In other words where violence in fact did not coincide at all
with a perverse or destroying will major.
48 It is the way in which the popular jury apprehended this
crime through his verdicts – very diverse – that we would
like to expose here.

Marcella Marmo, La dite « Société honorée » :


codes criminels, représentations sociales et

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identification juridique de la camorra napolitaine


aux xixe et xxe siècles
49 L’essai illustre l’histoire de la camorra au xixe siècle, à partir
de sa première structuration organisée, à l’abri de la réforme
de la police à l’époque de la Restauration. L’analyse, basée
sur des sources administratives et sur les publications
folkloriques aussi bien que juridiques, se mesure avec les
interprétations sociaux-anthropologiques également. La
cogestion de l’ordre public renvoie aux fonctions de contrôle
du milieu et souligne donc les aspects sub-culturels de cette
délinquance d’extorsion/protection. D’autre part, la
structure fermée et ritualisée de la Société honorée décrit les
confins d’une vraie élite criminelle, qui montre son
intelligence politique dans l’imitation des élites (langage
d’honneur, mécanisme fiscal). À la force de ce pouvoir
territorial depuis le xixe siècle on voit correspondre
l’inconstante répression policière et le défaut d’une
identification pénale jusqu’à 1980.
50 History of Camorra in xixth century since its first
organisation not long after the police reform of Restoration
is reviewed in the essay. The historical analysis, based on
administrative sources and on folklore and law studies,
measures itself with socio-anthropological interpretations
too. The co-management of public order between Camorra
and police may illustrate the sub-cultural aspects of such
extortion-protection crime. On the other hand, the corporate
and ritualistic-like structure of “honoured society” identifies
a true crime élite whose political skill is shown by assuming
languages imitating élites (like honour and fiscal
mechanism). The essay focuses both anti-mafia repression
since xixth century and difficulties in identifying mafia-like
crime by criminal law and Courts judicial practice till recent
legislation.

David Niget, L’émeutier et l’indiscipliné : de la


rétribution pénale à la prévention des risques
sociaux. France, Canada, Belgique, première moitié
du xxe siècle

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51 La justice des mineurs, née à l’orée du xxe siècle dans la


plupart des pays «  occidentaux  », est mue d’emblée par la
double préoccupation de protéger la société des violences
juvéniles et de protéger l’enfant ou l’adolescent de sa propre
violence. En France, la « rétribution pénale » reste au cœur
des pratiques judiciaires, alors que les violences privées sont
peu réprimées. A contrario, au Canada-Québec, la
prévention des risques sociaux prime, à travers le traitement
des violences minuscules, assimilées à des troubles
comportementaux. La Belgique apparaît comme un modèle
hybride, qui conserve la doxa prudente du système pénal
napoléonien, tout en déplaçant progressivement le regard
vers une nouvelle figure juvénile plus menaçante encore que
le bagarreur ou l’émeutier  : l’indiscipliné. C’est donc de
l’ordre public à la discipline familiale, de la violence brutale
vers le tumulte latent, de la blessure ouverte vers la plaie
intime que la justice des mineurs en voie de spécialisation
chemine pour prévenir plutôt que punir les violences
juvéniles.
52 Juvenile justice, as it emerged in the West in the early
twentieth century, was predicated on the protection of the
society from juvenile violence and, at the same time, on the
protection of the child from his own violence. In France, the
“penal retribution” of public brutality was at the core of the
judicial practices, while private violence remains ignored. On
the contrary, the prevention of social risks became a priority
in Canada-Quebec, where micro-violences were treated as
“behaviour trouble”. Belgium seemed to be a hybrid model,
maintaining a cautious approach toward private matters,
while stigmatising the incorrigible child as a social threat.
Thus, juvenile justice system was then displacing the gaze
from the public to the private sphere, and from brutal
violence to interiority trouble.

Lucie Quevillon, Entre protection et délinquance :


quelques pistes de réflexion autour de la question
des troubles de comportement et la logique
d’intervention protectrice au Québec
53 La révision récente de la loi québécoise en matière de
protection de la jeunesse est ici l’occasion de se questionner
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sur les fondements de la logique d’intervention protectrice et


la place qu’y occupent les jeunes en troubles de
comportement. Historiquement liée à la problématique de la
délinquance depuis 1908, la Protection de la jeunesse a dû se
redéfinir lorsqu’en 1984, la Loi sur les jeunes contrevenants
abandonna l’approche protectrice et dissociait délinquance
et protection. Mais comment l’a-t-elle fait  ? Alors qu’elle
devenait seule dépositaire de la vision protectrice et de
l’esprit original de la loi de 1908 qui s’était détaché du droit
pénal classique, on peut se demander comment elle a
conjugué cette mission face au discours émergent du
système de justice pénale pour adolescent. A-t-elle su se
positionner de façon autonome face aux concepts dominants
de responsabilité et de protection de la société, spécialement
lorsqu’il était question des jeunes en troubles de
comportement ?
54 The recent modifications made to the Quebec’s Youth
Protection Law are a good opportunity to question the
ideological basis of the latter and how the youths concerned
by the “serious behavioural disturbance” dispositions are
being maintained in the protection system. Historically
linked to the problem of delinquency, Youth protection had
to redefine itself when the Young Offenders Act (1984)
abandoned the protective approach toward the juvenile
delinquents. Youth protection therefore became the sole
depository of the original conception of justice contained in
the 1908’s first Juvenile Delinquents Act, then distinct from
the classical penal theories. Since then, has the Youth
protection system been able to maintain a relative autonomy
toward the emergent discourse on juvenile delinquency and
notions such as responsibility and the protection of the
society, especially when the youths having problematic
behavioral problems are involved ?

Quatrième partie

VIOLENCE ET CONTEXTE DE GUERRE


Serge Defois, Les avocats nantais devant le
tribunal militaire allemand (1940-1944) : entre le

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difficile exercice de la défense et le risque d’une


instrumentalisation
55 Si le rôle des avocats devant les tribunaux d’exception de
Vichy – et principalement les sections spéciales – a fait à ce
jour l’objet de plusieurs recherches, il s’avère que celui qu’ils
occupent devant la justice militaire allemande chargée de
juger les civils français entre 1940 et 1944 demeure
particulièrement mal connu. Deux axes principaux
retiennent notre attention  : les difficiles conditions
d’exercice de la défense devant une juridiction à caractère
exceptionnel, obscur et répressif  ; le risque d’une
instrumentalisation des avocats dans une perspective de
criminalisation de la résistance.
56 While the lawyers’ role in the Vichy special courts –
especially the Sections Spéciales – has been widely studied,
the part they played in the German military justice in charge
of judging the French civilians between 1940 and 1944 is
particularly ill known. The two main axis of our investigation
are  : (1) the difficult conditions in which the exercise of
defence had to be performed before a special, obscure and
repressive court of law  ; and (2) the risk of an
instrumentalization of the lawyers, aiming at the
criminalization of the resistance.

Marc Bergère, Pratiques et régulations des


violences intracommunautaires dans la société
française en épuration
57 Images fortes de la Libération, la question des violences
orchestrées durant cette séquence s’avère plus complexe
qu’il n’y paraît. À la lumière d’une décennie de profond
renouvellement historiographique en matière d’épuration, il
est désormais possible de revisiter l’analyse des violences
populaires orchestrées en 1944-1945.
58 Longtemps mesurées à l’aune exclusive des exécutions, il
s’agit d’emblée de réfléchir au(x) bon(s) marqueur(s)
social(aux) des violences intracommunautaires, en y
intégrant d’autres formes de violences physiques (tontes…),
matérielles ou sociales.

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59 Dès lors, il est nécessaire d’interroger la nature de ces


violences dans leurs impulsion, organisation et/ou
déroulement. Ce faisant, on constate que ni (voire mi)
sommaires, ni (mi) judiciaires, elles participent de la
porosité entre épuration extralégale et épuration légale.
60 Enfin examinant leurs modes de régulation, il convient aussi
d’étudier le processus de légitimation – délégitimation de la
violence et des victimes à l’échelle des communautés et
surtout des autorités (de droit/de fait, administratives et
judiciaires…).
61 As a major element of the Post-WW2 Liberation period in
France, the problem of violence generated at that time
appears to be more complicated than you could imagine.
Considering that, for the last ten years, recent historical
research has cast a new light on the Post WW2 Purge in
France, it is now possible to re-analyze the different forms of
popular violence generated during that period.
62 If, for a long time, historians have been interested in
summary executions, it seems now essential to have a deeper
insight into the right social criteria of violence in
communities, by taking into consideration other forms of
violence, i. e. physical violence (shaven headed women),
material and social violence too.
63 Therefore, we have to analyze the nature of that violence, i.
e., its origin, its organization and its process. We will then
realize the ambiguous character of the Post-WW 2 Purge in
France  : neither totally on the legal side, neither totally on
the illegal side. Finally, after examining its modes of
regulation, it will be necessary to study the legitimation –
non legitimation process of violence, and of its victims, in
communities and, above all, in the attitudes of local
authorities (in administration, justice…).

Yves Denéchère, Le traitement judiciaire de la


violence internationale depuis la fin du monde
bipolaire
64 Inopérante jusque dans les années 1930, la justice
internationale naît véritablement avec la nécessité de définir
et de juger les nouveaux types de crimes perpétrés pendant
la Seconde Guerre mondiale. La nouvelle donne
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internationale des années 1990 et les violences commises en


Yougoslavie et au Rwanda, mènent à la création de
Tribunaux pénaux internationaux et à la mise en place –
laborieuse – de la Cour pénale internationale. Si les États
sont toujours omniprésents, désormais ils ne sont plus
omnipotents et ne peuvent plus bloquer complètement la
marche vers une nouvelle prise en charge judiciaire des
violences internationales. Sous l’aiguillon de l’opinion
publique internationale et des ONG de nouvelles normes
internationales des violences de guerre semblent pouvoir
s’imposer, notamment en ce qui concerne les violences
spécifiques contre les femmes et les enfants.
65 Inoperative until the 1930s, international justice was really
born out of the need to define and judge new types of crimes
perpetrated during the Second World War. The new world
order of the 1990s and the atrocities committed in
Yugoslavia and Rwanda, led to the establishment of
International Courts of Justice and the long struggle to
create the International Criminal Court. If States can still be
considered to be omnipresent, they are no longer
omnipotent and cannot completely prevent the move
towards a new international legal order responsible for
judging war crimes. Largely thanks to public opinion and
NGO’s, new international standards have been imposed in
particular with regards to specific crimes against women and
children.
© Presses universitaires de Rennes, 2008

Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

Référence électronique du chapitre


Résumés In  : La violence et le judiciaire  : Du Moyen Âge à nos jours.
Discours, perceptions, pratiques [en ligne]. Rennes  : Presses
universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19 septembre 2021).
Disponible sur Internet  : <http://books.openedition.org/pur/5029>.
ISBN : 9782753530546. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.5029.

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
https://books.openedition.org/pur/5029 23/24
19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - Résumés - Presses universitaires de Rennes

septembre 2021). Disponible sur Internet  :


<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
Compatible avec Zotero

La violence et le judiciaire
Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,
pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

La violence et le judiciaire

Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,


pratiques

Ce chapitre est cité par


Härter, Karl. (2013) Violent Crimes and Retaliation in the
European Criminal Justice System between the Seventeenth and
Nineteenth Century. SSRN Electronic Journal. DOI:
10.2139/ssrn.2218350

https://books.openedition.org/pur/5029 24/24
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Presses
universitaires
de Rennes
La violence et le judiciaire  | Antoine Follain,  Bruno Lemesle, 
Michel Nassiet,  et al.

Table des matières


Les auteurs
Bruno Lemesle, Michel Nassiet et Pascale Quincy-Lefebvre

Introduction
Les mots de la violence au Moyen Âge
Les travaux sur la violence au Moyen Âge et à l’époque moderne
Travaux sur la violence en histoire contemporaine : esquisse
Le judiciaire et la réinvention des violences à l’époque contemporaine

Première partie. Violence, admise, tolérée,


pardonnée
Hélène Couderc-Barraud

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« Humbles » et violence légale : quelques


cas gascons, xiie-début xiiie siècle
Violences licites
La juridiction des habitants
Répartitions et évolutions
Julie Mayade-Claustre

« Bateures, navreures et occision » : le


prévôt de Paris face à la violence vers 1400
Pierre Charbonnier

Les limites du pardon des violences dans


les lettres de rémission du xve siècle
Les lettres de rémission
Les types de violences
Les limites des lettres de rémission pour traiter de la violence
Une limite inférieure abaissée au point d’inquiéter des justiciables
Une limite supérieure attestée par les « surpeines » à l’appréciation du
roi et des juges
Les facteurs de variation
Considérations sur les violences d’après leur fréquence dans les lettres de
rémission
La rémission des homicides
La plus difficile rémission des meurtres
Les crimes crapuleux et le meurtre des crapules
Les infanticides
Les lettres de rémission pour blessures et « battures »
Les autres violences
Évolution et géographie
Michel Nassiet

Survivance et déclin du système


vindicatoire à l’époque moderne
Réalité de la vengeance au xvie siècle
Une violence intra-familiale
Conditions idéologiques du déclin de la vengeance
Stuart Carroll

Une sociabilité sanglante : autour de la


violence vindicatoire à l’époque moderne
La mémoire familiale et sociale
Le rôle du conseil de famille
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Le « Théâtre de Sang »
Conclusion
Lucien Faggion

Dissensions et justice en Terre Ferme


vénitienne au xvie siècle
Les voies possibles de la résolution
Affaires de famille, conflits et résolution

Deuxième partie. Violences quotidiennes et


tribunaux
Isabelle Mathieu

« Iniures desloiaux, offances, coups et


collées » : les sergents angevins violentés
dans l’exercice de leurs fonctions (1380-
1550)
Des violences verbales et physiques : essai de définition
Exposé des « causes » et parties en présence
Les tribunaux seigneuriaux et le traitement judiciaire
Hervé Piant

« Car tels excès ne sont pas permis » :


l’injure et sa résolution judiciaire dans un
tribunal de première instance sous
l’Ancien Régime
Les scénarios de l’injure
Les causes du conflit
Armes et conséquences
Sociologie de la plainte
Le devenir judiciaire des plaintes pour injures
Les alternatives à la plainte criminelle
L’abandon
Des solutions procédurales souples et adaptées
Des jugements homogènes
Conclusion
Stéphane Vautier

Les juges et la violence quotidienne (Blois,


1815-1848)
Les cadres de la justice
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Une ville ordinaire ?


Les magistrats
Les prévenus
Punir la violence ordinaire
Typologie et statistique des violences
Ce que révèlent les peines prononcées
Lorsque la violence a été exercée contre les détenteurs de l’autorité
Conclusion
Victoria Vanneau

Justice pénale et « violences conjugales »


au xixe siècle : enquête sur les avatars
judiciaires d’une catégorie de violence
Entre deux droits : la coordination des normes pénales et civiles
Vers la reconnaissance jurisprudentielle  : le revirement de l’arrêt
Boisbœuf en 1825
Entre pratique pénale et jugement moral : l’action des magistrats
Vincent Bernaudeau

Invectives, injures et diffamations : les


violences verbales et leur réparation
devant les justices de paix au xixe siècle
Les paroles «  malsonnantes  » du quotidien ou la violence banale des
conflits ordinaires
Estime de soi, regards des autres : la considération et l’honneur au cœur
des relations sociales
L’office du juge : un recours pour réparer ces blessures assassines

Troisième partie. Construction de la violence,


différences culturelles et géographiques
Franck Mercier

La torture en procès : construction et


justification d’une violence « légale » dans
le cadre de la chasse aux sorcières (xve
siècle)
Une ample et savante justification de la torture
Une critique sans concession de la torture ?
Limites et ambiguïtés de la critique de la torture
Jesús Ángel Solórzano Telechea

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Diffamation, infamie et justice : l’usage


judiciaire de la violence dans les villes de
la Couronne de Castille (xiie-xve siècle)
Introduction
La renommée, l’infamie et la diffamation dans la culture légale castillane
Le délit infamant de sodomie dans la culture juridique du royaume de
Castille
Infamie et sodomie aux tribunaux
Hélène Fernandez

La répression judiciaire des violences


militaires sous Louis le Juste : Marillac et
Saint-Preuil
Julie Doyon

Des secrets de famille aux archives de


l’effraction : violences intra-familiales et
ordre judiciaire au xviiie siècle
Des secrets de famille fondateurs de la vérité judiciaire
De l’occultation criminelle à l’effraction judiciaire
Sphère privée, sphère publique : les enjeux du droit de punir
Criminalisation des comportements familiaux et familialisme judiciaire
Bruno Aubusson de Cavarlay

Affaires traitées par la justice pénale : les


cas de violence selon les catégories de la
statistique criminelle (France, 1831-1932)
Le Compte général  : une source statistique encore peu exploitée et
difficile d’accès
Les atteintes physiques volontaires à la personne
Les viols et attentats à la pudeur
Autres atteintes à la personne (menaces, armes, diffamation et injures,
atteintes à la liberté)
Violences et outrages envers des fonctionnaires et agents de la force
publique
Vue globale du contentieux à caractère violent
Annexe 1. Contenu des catégories d’infractions liées à la violence.

Résultats pour 1882


Donald Fyson

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La violence entre hommes et la justice au


Québec 1780-1860
Jean-François Tanguy

Tuer sans intention de tuer : quand


l’intention, et non l’effet, construit le crime
Naissance d’une qualification, naissance d’un crime
Le cas de l’Ille-et-Vilaine au xixe siècle
Cinq cas d’espèce
Premier cas
Second cas
Troisième cas
Quatrième cas
Cinquième cas
En manière de conclusion provisoire
Marcella Marmo

La dite « Société honorée » : codes


criminels, représentations sociales et
identification juridique de la camorra
napolitaine aux xixe et xxe siècles
«  Un sanglant système pénal  »  : profils sociaux et politiques de la
camorra au xixe siècle
Le code de la « Société honorée »
L’évolution du phénomène et son identification judiciaire à l’époque
libérale
David Niget

L’émeutier et l’indiscipliné : de la
rétribution pénale à la prévention des
risques sociaux. France, Canada, Belgique,
première moitié du xxe siècle
Du pénal au social
De la violence interpersonnelle à la prise de risques
La violence, le politique, le domestique
Conclusion : vers une conception historiciste de la violence
Lucie Quevillon

Entre protection et délinquance : quelques


pistes de réflexion autour de la question
des troubles de comportement et de la
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logique d’intervention protectrice au


Québec
Introduction
Le système de pensée original de la justice pour adolescents et ses
transformations
De sa création à l’avènement de la Loi sur les jeunes contrevenants
La rupture législative de 1984 et ses suites
Le cas des troubles de comportement et l’ambiguïté du discours
protecteur
Le dernier espace du système de pensée de la justice juvénile
L’occasion d’une brève analyse du discours protecteur
Conclusion

Quatrième partie. Violence et contexte de guerre


Serge Defois

Les avocats nantais devant le tribunal


militaire allemand (1940-1944) : entre le
difficile exercice de la défense et le risque
d’une instrumentalisation
L’activité du tribunal militaire allemand relative aux individus défendus
par des avocats français à Nantes (1940 à 1944)
Les difficiles conditions d’exercice de la défense devant la justice
militaire allemande
Le danger de l’instrumentalisation des avocats français et la logique de
criminalisation suivie par la justice militaire allemande
Annexe 1. Activité du tribunal militaire allemand relative aux individus
défendus par les avocats nantais (1940-1944)
Marc Bergère

Pratiques et régulations des violences


intracommunautaires dans la société
française en épuration
Saisir la (les) violence(s)
Des violences ni (mi) judiciaires, ni (mi) sommaires ?
Légitimation des violences/délégitimation des « victimes »
Yves Denéchère

Le traitement judiciaire de la violence


internationale depuis la fin du monde
bipolaire
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Introduction
Violence et judiciaire au regard de la chronologie des relations
internationales
Une justice internationale inopérante (fin xixe siècle – années 1930)
Définir et juger de nouveaux crimes  : les tribunaux militaires
internationaux et les tentatives de l’ONU
La nouvelle donne internationale des années 1990 et l’impérieuse
nécessité judiciaire
Nouveaux rôles des acteurs de la justice internationale
Les États omniprésents mais plus omnipotents
Les ONG, aiguillons de la justice internationale
L’établissement de nouvelles normes internationales des violences de
guerre
Violations du droit humanitaire et responsabilité individuelle
Les violences spécifiques contre les femmes et contre les enfants
Conclusion
Xavier Rousseaux

Conclusion violence et judiciaire en


Occident : des traces aux interprétations
(discours, perceptions, pratiques)
Sources : les traces de violences
Représentation : quelles violences ?
Violences et sociétés : communautés, groupes, genres, âges
Violences, justice et communautés
Violences, justice et groupes sociaux
Violences, justice et classe d’âge
Violence et genre, victimes et sujets de droit
Violences et régulations : pratiques judiciaires
Violences et pouvoirs : Souveraineté, État et communauté internationale
Violences, État-nation et international
Pour interpréter : quelques fils conducteurs

Résumés
Première partie

VIOLENCE ADMISE, TOLÉRÉE, PARDONNÉE


Hélène Couderc-Barraud, «  Humbles  » et violence légale  : quelques
cas gascons, xiie-début xiiie siècle
Julie Mayade-Claustre, «  Bateures, navreures et occision  », le prévôt
de Paris face à la violence vers 1400
Pierre Charbonnier, Les limites du pardon des violences dans les
lettres de rémission du xve siècle
Michel Nassiet, Survivance et déclin du système vindicatoire à l’époque
moderne

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Stuart Carroll, Une sociabilité sanglante  : autour de la violence


vindicatoire à l’époque moderne
Lucien Faggion, Dissensions et justice en Terre Ferme vénitienne au
xvie siècle
Deuxième partie

VIOLENCES QUOTIDIENNES ET TRIBUNAUX


Isabelle Mathieu, «  Iniures desloiaux, offances, coups et collées  »  : les
sergents angevins violentés dans l’exercice de leurs fonctions (1380-
1550)
Hervé Piant, «  Car tels excès ne sont pas permis  »  : l’injure et sa
résolution judiciaire dans un tribunal de première instance sous
l’Ancien Régime
Stéphane Vautier, Les juges et la violence quotidienne (Blois, 1815-
1848)
Victoria Vanneau, Justice pénale et «  violences conjugales  » au xixe
siècle : enquête sur les avatars judiciaires d’une catégorie de violence
Vincent Bernaudeau, Invectives, injures et diffamations : les violences
verbales et leur réparation devant les justices de paix au xixe siècle
Troisième partie

CONSTRUCTION DE LA VIOLENCE, DIFFÉRENCES CULTURELLES


ET GÉOGRAPHIQUES
Franck Mercier, La torture en procès  : construction et justification
d’une violence «  légale  » dans le cadre de la chasse aux sorcières (xve
siècle)
Jesús Ángel Solórzano Telechea, Diffamation, infamie et justice  :
l’usage judiciaire de la violence dans les villes de la Couronne de Castille
(xiie-xve siècle)
Hélène Fernandez, La répression judiciaire des violences militaires
sous Louis le Juste : Marillac et Saint-Preuil
Julie Doyon, Des secrets de famille aux archives de l’effraction  :
violences intra-familiales et ordre judiciaire au xviiie siècle
Bruno Aubusson de Cavarlay, Affaires traitées par la justice pénale  :
les cas de violence selon les catégories de la statistique criminelle
(France, 1831-1932)
Donald Fyson, La violence entre hommes et la justice au Québec, 1780-
1860
Jean-François Tanguy, Tuer sans intention de tuer  : quand l’intention,
et non l’effet, construit le crime
Marcella Marmo, La dite «  Société honorée  »  : codes criminels,
représentations sociales et identification juridique de la camorra
napolitaine aux xixe et xxe siècles
David Niget, L’émeutier et l’indiscipliné  : de la rétribution pénale à la
prévention des risques sociaux. France, Canada, Belgique, première
moitié du xxe siècle
Lucie Quevillon, Entre protection et délinquance  : quelques pistes de
réflexion autour de la question des troubles de comportement et la
logique d’intervention protectrice au Québec

https://books.openedition.org/pur/4976?format=toc 9/10
19/09/2021 21:39 La violence et le judiciaire - Presses universitaires de Rennes

Quatrième partie

VIOLENCE ET CONTEXTE DE GUERRE


Serge Defois, Les avocats nantais devant le tribunal militaire allemand
(1940-1944)  : entre le difficile exercice de la défense et le risque d’une
instrumentalisation
Marc Bergère, Pratiques et régulations des violences
intracommunautaires dans la société française en épuration
Yves Denéchère, Le traitement judiciaire de la violence internationale
depuis la fin du monde bipolaire
 

Référence électronique du livre


FOLLAIN, Antoine (dir.) ; et al. La violence et le judiciaire : Du Moyen
Âge à nos jours. Discours, perceptions, pratiques. Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes  : Presses universitaires de Rennes, 2008 (généré le 19
septembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pur/4976>. ISBN  : 9782753530546.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.4976.
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La violence et le judiciaire
Du Moyen Âge à nos jours. Discours, perceptions,
pratiques

Ce livre est recensé par


María Eugenia Albornoz Vásquez, Nuevo mundo mundos nuevos,
mis en ligne le 03 février 2009. URL  :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/54693  ; DOI  :
https://doi.org/10.4000/nuevomundo.54693

https://books.openedition.org/pur/4976?format=toc 10/10

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