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II

L’ART ROYAL*

* Le mot Art est utilisé dans son sens ancien : métier.


Pour les francs-maçons chrétiens, le nom Art royal a été donné à la franc-maçonnerie au
XVIII siècle en référence au roi Salomon, fils de David.
e

Pour les francs-maçons ésotériques, le terme Art royal a une parenté avec la terminologie alchi-
mique (voir chapitre "L'alchimie dans le temple").
Origines de la franc-maçonnerie spéculative

Les origines sont lointaines, donc incertaines, et les hypothèses


ne manquent pas ; certaines sont absolument farfelues, elles confon-
dent origines légendaires et historiques.
Les origines légendaires et symboliques ne sont que des sup-
ports initiatiques, elles varient selon les rites, les obédiences, les
époques. Nous trouvons ainsi des références à Adam, à Noé, à
Salomon, à Hiram Abi, à Pythagore, à l’alchimie, aux Égyptiens,
aux Templiers, aux maçons bâtisseurs de cathédrales.
L’origine du mot « franc-maçon » divise encore les historiens.
Pour certains, le mot « franc-maçon » tire son origine de « free-
masons » artisans « francs », « libres », du Moyen-Âge, qui jouis-
saient de privilèges exceptionnels accordés par les papes depuis fort
longtemps. Ils travaillaient sous la protection de ceux-ci et étaient
au-dessus des lois particulières et du pouvoir temporel. Ils pou-
vaient ainsi franchir les frontières en temps de paix comme en
temps de guerre. Ils recevaient de bons salaires. La plupart de ces
travailleurs de la pierre étaient des journaliers, ils offraient leurs ser-
vices dans les plus grands chantiers. Les abbayes, les cathédrales, les
châteaux ont eu leurs pierres taillées par les mains expertes de ces
maîtres tailleurs de pierre.
L’hypothèse admise actuellement est que l’expression « franc-
maçon » ne date pas du Moyen-Âge, mais du XVIIIe siècle, où l’on
traduisit erronément le mot free-mason par « maçon libre » ou
« franc-maçon ». Le mot free-mason signifiait « tailleur de pierre »,

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Midi Plein

c’est-à-dire celui qui taille la pierre franche. Selon Findel, le mot


apparaît pour la première fois en 1350. On parle dans un texte du
freestone-mason, le maçon libre qui travaille la pierre d’ornement.
Il peut être intéressant d’examiner la théorie d’Éric Ward expli-
quée par Roger Dachez : « Le mot freemason n’est, au Moyen-Âge,
qu’une forme contractée des mots freestone mason, maçon de
pierre franche, désignant un ouvrier qui travaille électivement une
certaine qualité de pierre tendre que l’on peut tailler et ouvrager de
façon très fine.
Or, si nous envisageons les premiers témoignages concernant
les maçons non-opératifs anglais du XVIIe siècle, nous observons
que ces Accepted Masons sont aussi indifféremment désignés par
les mots Free Masons, ou Free-Masons, avec ou sans tiret mais tou-
jours en deux mots.
Il apparaît alors clairement que, dès la fin du
XVIIe siècle, les termes Accepted et Free devinrent
équivalents pour désigner des Maçons non-opératifs.
Mais, comme le fit observer E. Ward, dans une
analyse très fine, freemason n’est pas Free-Mason. Le
mot Free, dans Free-Mason ou Free and Accepted
Mason fait simplement référence au fait que ces « nou-
veaux » Maçons sont « libres » à l’égard du Métier,
c’est-à-dire tout simplement étrangers au Métier…
En résumé, l’identité phonétique et la proximité mor-
phologique des mots freemason (mot très ancien,
dérivé de l’anglo-normand, et lié à la pratique opéra-
tive) et Free-Mason, ne doivent pas faire oublier leur

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L’Art royal
Origines de la franc-maçonnerie spéculative

réelle dissemblance sémantique, et ne peuvent nous


autoriser à inférer une quelconque parenté entre des
hommes qui, à des époques diverses,ont porté ces
noms pour des raisons à l’évidence très différentes 1.

La première mention du terme « loge » signifiant « atelier » se


trouve dans un rapport de chantier de la Vale Royal Abbey en 1278.
Ces « loges » désignaient le lieu de travail où ces ouvriers d’élite
équarrissaient la pierre. Ces corporations libres avec leurs privilèges
étaient de véritables États dans l’État, ce qui provoqua déjà à
l’époque la réaction de l’Église catholique inquiète de voir lui
échapper la direction de ces groupes professionnels.
De 1660 à 1716, en Angleterre et en Écosse, à côté de vrais
ouvriers qui travaillent la pierre, apparaissent des hommes exerçant
d’autres professions ; on sait ainsi que dans la loge d’Aberdeen, en
Écosse, en 1670, les trois quarts des membres sont avocats, méde-
cins et commerçants. Ces maçons « acceptés » virent leur nombre
augmenter à cette époque de troubles civils et religieux. Des nobles,
des prêtres, des bourgeois vont travailler symboliquement la pierre.
Les maçons du XVIIIe siècle ne bâtissent plus de cathédrales, mais
des édifices civils et ils ouvrent ainsi leurs portes à d’autres métiers,
car la franc-maçonnerie opérative est à l’agonie. Les bâtiments
deviennent plus fonctionnels, et le style architectural de la Renais-
sance italienne fait apparaître une nouvelle espèce d’hommes dans

1. Roger Dachez, Les Origines de la Franc-Maçonnerie spéculative : état des théories actuelles,
Renaissance Traditionnelle, n° 118/119, avril-juillet 1999.

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Midi Plein

les chantiers de construction, comme Christopher Wren qui fait


construire la cathédrale Saint-Paul à Londres et dont l’appartenance
maçonnique est désormais avérée.
De plus, au début du XVIIIe siècle, de nouvelles conceptions
scientifiques voient le jour grâce à des hommes comme Newton,
Locke… La philosophie des Lumières naît. Le travail technique est
remplacé par le travail de l’esprit, les francs-maçons spéculatifs vont
travailler désormais à l’édification d’un nouveau temple, le temple
unique et indivisible de l’esprit.
La franc-maçonnerie spéculative naît lorsqu’en 1717, quatre
loges de Londres, dont les membres exclusivement spéculatifs déci-
dent de se réunir pour insuffler un esprit nouveau et faire de la
franc-maçonnerie une institution originale. Jusqu’alors, les loges
tenaient leurs assemblées dans des tavernes ; elles portaient pour
enseignes Gosse and Gridiron, (l’Oie et le Gril), Crown Ale House
(La Couronne), Apple Tree (Le Pommier) et The Rummer and
Grapes (Le Gobelet et la Grappe). Cette dernière loge comptait
environ septante membres de qualité comme Jean-Théophile Dés-
aguliers et James Anderson.
Ces quatre loges réunirent leurs membres pour la fête de la
Saint-Jean d’été où il fut décidé de fonder un organisme fédéral : La
Grande Loge de Londres et de Westminster.
Un nouveau concept était né, celui de l’obédience administrée
par un « Grand Maître » pourvu d’un mandat annuel. Le gentleman
Antony Sayer, membre de Gosse and Gridiron, fut le premier Grand
Maître. Ses successeurs furent George Payne et Jean Théophile Dés-
aguliers, membres tous deux de la loge The Rummer and Grapes.

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L’Art royal
Origines de la franc-maçonnerie spéculative

George Payne rassembla les anciens écrits maçonniques et


rédigea un code qui serait d’application dans la Grande Loge.
Le duc de Montagu, Grand Maître en 1721, proposa de cor-
riger et de rédiger l’histoire et les règlements de l’ancienne
Confrérie, James Anderson fut chargé de ce travail et rédigea ainsi
les Constitutions de l’Ordre. Le duc de Montagu fut le premier
d’une longue série ininterrompue de grands maîtres appartenant à
la noblesse.
La franc-maçonnerie se développa rapidement en Grande-Bre-
tagne, mais son histoire est marquée de nombreuses crises entre les
loges protestantes « orangistes » et les loges catholiques « jacobites ».
De plus, la loge d’York revendiquant une tradition remontant au roi
Edwin (926) s’opposa à la Grande Loge de Londres jusqu’en 1813,
année où fut créée la Grande Loge unie d’Angleterre.
La franc-maçonnerie spéculative arriva sur le continent dès
1717 grâce à l’expansion du commerce britannique et à l’action des
initiés anglais, partisans de Jacques III Stuart, réfugiés en France.
L’introduction de la franc-maçonnerie dans les provinces belges
est due à des officiers anglais en garnison dans les principales places
fortes de la contrée. Une première loge fut fondée à Mons dans les
Pays-Bas autrichiens en 1721. La Parfaite Union revendique ainsi le
titre de plus ancienne loge de Belgique. Elle fut suivie en 1764 par
La Discrète Impériale à Alost, et, en 1765, La Bienfaisante à Gand
et L’Unanimité à Tournai.
La franc-maçonnerie d’aujourd’hui

La franc-maçonnerie est une société pluraliste, aux multiples


visages. Toute définition risque de se révéler incomplète, précisons
donc d’abord ce qu’elle n’est pas.
La franc-maçonnerie n’est pas une religion. Elle n’implique
aucun plan pour le salut de l’âme, elle ne fait aucune promesse de vie
éternelle. La franc-maçonnerie n’impose aucune vérité, aucune
prière, aucun sacrement, aucune adoration mystique. Nous ne trou-
vons en franc-maçonnerie ni description d’un dieu ni description de
chemins permettant la communication avec une quelconque divinité.
Chaque franc-maçon est libre de donner au mot dieu le sens qui
lui convient.
La franc-maçonnerie n’est pas une théurgie, car elle ne com-
porte aucun oracle, aucune divination, aucun état extatique, aucun
commerce avec des esprits célestes.
La franc-maçonnerie n’est pas une société occulte, elle ne
repose sur aucune pratique magique.
La franc-maçonnerie n’est pas une société secrète, son existence
et les buts qu’elle poursuit sont connus.
La franc-maçonnerie n’est pas une secte, car elle revendique
pour chacun de ses membres la liberté de pensée et d’action.
Aucun maître spirituel ne la dirige, les francs-maçons sont libres
dans des loges libres.

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L’Art royal
La franc-maçonnerie d’aujourd’hui

La franc-maçonnerie n’est pas une société prosélyte, elle ne


recrute ni sur la place publique, ni par l’intermédiaire des médias ;
elle ne fait aucune propagande. Il faut être parrainé pour pouvoir
devenir franc-maçon.
La franc-maçonnerie n’est ni un loisir ni un passe-temps, c’est
un mode de vie exigeant.
La franc-maçonnerie est une société initiatique, pluraliste, dis-
crète, philadelphe, humaniste, progressive, progressiste et universelle.

La franc-m
maçonnerie est une société initiatique
L’initiation est un ensemble de rites et d’enseignements oraux
qui permettent l’éveil de la conscience et l’acquisition d’une liberté
intérieure qui développe l’esprit critique et le sens des responsabi-
lités, bases de la dignité humaine.
L’initiation implique un travail personnel de connaissance de
soi et la pratique, en loge, de rituels porteurs de sacré.
La franc-maçonnerie utilise le langage symbolique qui permet
d’aller plus loin dans la connaissance de soi et des autres. Les sym-
boles utilisés proviennent de traditions diverses et d’anciennes écoles
philosophiques ; ils sont, comme les rituels, porteurs de sacré.

maçonnerie est une société pluraliste


La franc-m
Elle est composée d’hommes et de femmes probes et libres
voulant travailler à l’amélioration matérielle et morale ainsi qu’au
perfectionnement intellectuel et social de l’humanité.

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Midi Plein

La franc-maçonnerie moderne ou spéculative a trois cents ans


d’existence. Elle est née dans un climat de guerres et de querelles
religieuses, c’est pourquoi, dès son origine, elle a voulu réunir des
hommes ayant des convictions religieuses et philosophiques diffé-
rentes. Un juif, un chrétien, un bouddhiste, un musulman, un
agnostique, un athée, un rationaliste, un anarchiste, s’il est animé
d’un idéal de tolérance et de fraternité, peut y adhérer.
La tolérance a cependant ses limites, la franc-maçonnerie est
ainsi fermée aux racistes, aux fanatiques.

La franc-m
maçonnerie est une société discrète
Ses « secrets » ont été depuis longtemps révélés au monde
profane par d’innombrables ouvrages. La notion du « secret »
maçonnique a des origines historiques et sociologiques : les francs-
maçons opératifs étaient des hommes de métier qualifiés, déposi-
taires d’un savoir-faire qui devait être tenu secret afin de ne pas être
détourné ou corrompu.
Les francs-maçons spéculatifs ont été persécutés par tous les
régimes totalitaires et condamnés par l’Église catholique, ces
condamnations et ces persécutions sont à l’origine d’une nécessité
de discrétion. Aujourd’hui encore, dans certains milieux profession-
nels notamment, il est toujours dangereux de dévoiler son apparte-
nance maçonnique.
La franc-maçonnerie est toujours condamnée par l’Église catho-
lique et l’extrême droite, elle a toujours été interdite dans les pays
communistes (sauf à Cuba), dans la plupart des pays arabes où
triomphe l’intégrisme musulman ainsi que dans les dictatures mili-
taires, sauf au Chili… Mais il y avait là Augusto Pinochet2 !

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L’Art royal
La franc-maçonnerie d’aujourd’hui

La démarche initiatique, fondamentalement personnelle, ne


peut être que discrète, intime, fondée sur la recherche constante de
la vérité intrinsèque des choses. S’il existe un « secret », il est initia-
tique, donc incommunicable.
Pour le public, un franc-maçon
sera toujours un vrai problème,
qu’il ne saurait résoudre à fond
qu’en devenant maçon lui-même 3.
Chaque franc-maçon est libre de divulguer son appartenance,
mais le respect de la liberté individuelle impose de ne pas dévoiler
l’affiliation des autres membres, chacun étant seul à pouvoir juger
de l’opportunité de se dévoiler selon la tolérance de son milieu
familial, professionnel et social.

La franc-m
maçonnerie est une société philadelphe4
Les francs-maçons considèrent leur alliance comme une chaîne
d’union de frères et de sœurs libres, de toutes confessions et de
divers horizons sociaux. Ils estiment qu’il est de leur devoir d’entre-
tenir et de fortifier les sentiments de fraternité, d’égalité et de soli-
darité.

2. Augusto Pinochet a été initié à la franc-maçonnerie à la Lodge Progresso 4, à Valparaiso,


mais n’a jamais été actif.
3. Ricault, franc-maçon et librettiste français du XVIIIe siècle.
4. Ancien adjectif, cité par le franc-maçon Littré, signifiant « qui aime son frère ou sa sœur ».
Plusieurs loges ont porté ou portent encore ce nom.

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Midi Plein

Même si la franc-maçonnerie vise d’abord au perfectionnement


de ses membres, le travail sur soi-même doit rayonner dans le
monde profane, et la solidarité n’est pas limitée aux seuls frères et
sœurs, mais s’étend à la société tout entière. L’action philanthro-
pique des francs-maçons n’est donc pas négligeable.
Chaque franc-maçon garde sa liberté de conscience ; la pratique
des rituels permet à chacun de méditer librement et de travailler à
son perfectionnement ; la franc-maçonnerie est donc aussi une voie
ésotérique.

La franc-m
maçonnerie est un humanisme
C’est une reliance d’hommes et de femmes probes et libres qui
ont quitté le chantier opératif 5 des bâtisseurs de cathédrales pour
s’engager sur le chantier spéculatif 6 de l’humain.
Le maçon est celui qui préfère prendre l’initiative de
sa propre réalisation, tout en voulant en même temps
être un acteur, certes modeste et lucide, mais efficient,
du devenir de la communauté humaine 7.

La franc-m
maçonnerie est une société progressiste et progressive
Elle permet à ses membres de progresser sur la voie initiatique,
grâce à une structure en plusieurs degrés.

5. Du latin operare, travailler de ses mains.


6. Du latin speculari, travailler avec sa pensée.
7. Hélène Yvert-Jalu, Actes du Colloque de la GLMU, Paris, 2003.

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L’Art royal
La franc-maçonnerie d’aujourd’hui

La devise du Rite Écossais Ancien et Accepté est Ordo ab chao,


« Du chaos naît l’ordre » ; elle rappelle au franc-maçon qu’il doit
rassembler ce qui est épars en lui, mettre de l’ordre dans ses
pensées, ses passions, pour ensuite pouvoir aller au-delà de lui-
même sur le chantier plus vaste qu’est le monde. Grâce à ce travail
sur soi et à la progression dans la Connaissance, le franc-maçon
mettra en accord ses pensées et ses actions, il pourra faire de son
idéal une réalité.
Les francs-maçons œuvrent au progrès social et contribuent à
bâtir le temple de l’Humanité, ce sont des artisans sur le chantier
d’un monde en éternelle construction ; ils sont pleinement
conscients des grands problèmes humains, comme la justice sociale,
la dignité humaine, les droits de la personne.
Des francs-maçons ont fait progresser l’instruction du peuple,
surtout l’éducation de la jeunesse ; ils ont fondé et soutenu des éta-
blissements d’utilité publique.
En Belgique, les francs-maçons sont à l’origine de la création de
l’Université Libre de Bruxelles, de la Ligue de l’Enseignement, des
centres de Planning familial et de nombreuses écoles publiques et
privées. Les francs-maçons ont lutté au début du XXe siècle pour un
enseignement primaire obligatoire et gratuit, ils ont lutté pour le suf-
frage universel, l’émancipation de la femme et la dépénalisation de
l’avortement.
La franc-maçonnerie est une société ouverte à tout progrès ; les
francs-maçons travaillent ainsi à l’amélioration constante de la
condition humaine, tant sur le plan spirituel et intellectuel que sur
le plan du bien-être matériel, ils sont progressistes.

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Midi Plein

Les francs-maçons respectent autrui et la liberté de pensée, ils


recherchent la conciliation des contraires et veulent unir les
hommes dans la pratique d’une morale universelle et dans le
respect de la personnalité de chacun. Dans une recherche constante
de la vérité et de la justice, ils ne se fixent aucune limite.

La franc-m
maçonnerie est universelle
Les vicissitudes de son histoire ont divisé la franc-maçonnerie
en de multiples obédiences, mais elle ignore les frontières. Force est
de reconnaître que l’identité maçonnique se présente en Ordres dis-
persés, parfois divisés et que, paradoxalement, c’est bien le monde
profane qui imagine son unité apparente en amalgamant tous les
systèmes et toutes les obédiences sous le seul et même vocable de
« franc-maçonnerie ».
La franc-maçonnerie est universelle, parce qu’elle est universa-
liste et affirme l’égalité en droits de tous les hommes et de toutes les
femmes quelles que soient la couleur de leur peau ou leurs convic-
tions diverses.
Tout homme probe et libre qui éprouve le besoin de travailler
sur lui-même, avec les outils du symbolisme peut, s’il le souhaite,
partager le chemin initiatique des francs-maçons. La franc-maçon-
nerie est universelle, car elle vise à rassembler les bonnes volontés
éparses dans l’univers qui, sans elle, ne se seraient jamais rencon-
trées.
Elle est un des rares groupements, si pas le seul, parmi
les sociétés de pensée, auquel un homme libre puisse
adhérer sans rien abdiquer, parce que son adhésion

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L’Art royal
La franc-maçonnerie d’aujourd’hui

n’est pas un enrôlement, n’implique aucune obligation


incompatible avec son idéal, parce qu’elle ne nuit pas
à sa liberté, n’attente pas à son indépendance, n’ame-
nuise en rien ses convictions 8.

8. Léo Campion, Le drapeau noir, l’équerre et le compas, Alternative Libertaire, Bruxelles, 1996.
Les buts de la franc-maçonnerie

La franc-maçonnerie a pour but le perfectionnement de l’huma-


nité ; l’esprit de la franc-maçonnerie est l’esprit du progrès, la réali-
sation du maximum de tolérance et de liberté.
La franc-maçonnerie permet de donner ou de redonner du sens
à la vie par un inlassable travail sur soi-même, elle permet ainsi de
rendre meilleurs ceux qui en sont capables en rassemblant des
hommes et des femmes de toutes origines et de toutes situations
sociales, et tente d’assurer entre eux la concorde.
Le développement individuel, spirituel et moral du franc-
maçon est indispensable au rayonnement que peuvent avoir sa
réflexion et son action sur la société. Ainsi, chaque franc-maçon unit
ce qui est épars en lui, afin de pouvoir unir ce qui est épars autour
de lui ; il essaye de chercher le Vrai, le Beau, le Juste.
Il y a plusieurs façons de ressourcer l’être humain, d’éveiller les
consciences et d’acquérir une liberté intérieure, c’est pourquoi,
dans un monde en mutation, la franc-maçonnerie s’est façonnée
plusieurs visages.
Les visages de la franc-maçonnerie

La franc-maçonnerie peut être divisée en deux grandes


sphères : la franc-maçonnerie conservatrice, essentiellement anglo-
saxonne, et la franc-maçonnerie adogmatique constituant l’essentiel
de la franc-maçonnerie européenne.

La franc-m
maçonnerie conservatrice
La franc-maçonnerie conservatrice est de loin la plus repré-
sentée dans le monde (80 %), elle exige la croyance en Dieu, créa-
teur de l’univers (le dieu des chrétiens). Cette branche de la
franc-maçonnerie exclut la femme de l’initiation et s’autoproclame
régulière, traditionnelle et conservatrice ; elle est éperdument atta-
chée aux Landmarks des Constitutions d’Anderson.
Prenant ces Constitutions au pied de la lettre, les loges améri-
caines ont non seulement exclu les femmes de l’initiation, mais
aussi les Noirs, car l’article 3 précisait :
Les personnes admises comme membres d’une Loge
doivent être des hommes de bien et loyaux, nés libres et
d’âge mûr et discret, ni esclaves, ni femmes, ni hommes
immoraux et scandaleux, mais de bonne réputation 9.

9. Anderson’s constitutions, texte anglais de l’édition de 1723. Introduction, traduction et notes


par Daniel Ligou, Edimaf, Paris, 1994.

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Midi Plein

Le docteur James Anderson, pasteur presbytérien écossais,


membre de la Grande Loge de Londres, fut chargé d’établir des
Constitutions ; celles-ci constituent un recueil décrivant les anciens
devoirs des francs-maçons et furent publiées en 1723 avec l’aide de
Jean-Théophile Désaguliers, membre de la Société Royale, élève de
Newton. Les textes des Constitutions ont eux-mêmes été inspirés
des Old Charges comme les manuscrits Regius et Cooke datant de
la fin du XIVe siècle.

La franc-m
maçonnerie adogmatique
La franc-maçonnerie libérale10 ou adogmatique est un labora-
toire d’idées, elle est constituée d’une multitude d’obédiences et
s’est adaptée au monde actuel en créant des loges masculines, fémi-
nines et mixtes. En acceptant les femmes en loge, elle est considérée
comme « irrégulière » par les obédiences conservatrices.
La franc-maçonnerie adogmatique pratique la liberté absolue de
conscience et accepte dans ses loges des athées, des agnostiques, des
croyants. Elle n’impose aucun dogme et recherche des parcelles de
vérité plutôt que la vérité. Elle pratique le libre examen, proclame
le respect des autres et est une école de libre-pensée qui n’est pas
en conflit avec la foi, mais qui s’est opposée au cléricalisme outran-
cier de l’Église catholique romaine. La franc-maçonnerie adogma-

10. Ce terme n’est pas pris dans l’acception qui a cours aujourd’hui et renvoie au libéralisme
économique, c’est-à-dire au capitalisme libéré de toute entrave. Il qualifie ce qui s’attache
avant tout à la liberté de l’esprit de l’homme. Pour éviter la confusion, les francs-maçons libé-
raux utilisent plus souvent le terme « adogmatique ».

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L’Art royal
Les visages de la franc-maçonnerie

tique est respectueuse de la liberté de religion, mais estime que


celle-ci doit s’exercer dans les limites et les contraintes des lois
civiles ainsi que dans le respect de la liberté et de l’intégrité de
l’autre, de l’éthique, de la justice. Elle est pratiquée en Belgique, en
France, en Italie au Luxembourg et en Amérique latine, et est
constituée de plusieurs obédiences : le Grand Orient, la Grande
Loge, la Fédération de l’Ordre maçonnique mixte international
« Le Droit Humain », la Grande Loge Féminine, la Grande Loge
Féminine de Memphis-Misraïm, la Grande Loge Mixte de France,
la Grande Loge Mixte Universelle de France.
Le Droit Humain, créé en 1893, revendique une philosophie
humaniste et la liberté de conscience, il est le seul ordre maçon-
nique qui s’est constitué en fédération à une échelle internationale.
Cette obédience est présente dans près de septante pays dont la Bel-
gique, la France, la Suisse, l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas, la
Grande-Bretagne, la Grèce, l’Autriche, l’Italie, le Liban, l’Australie,
l’Inde, l’Indonésie, l’Islande, les pays d’Amérique latine et la Nou-
velle-Zélande. Cette obédience prend force et vigueur dans les pays
de l’Europe de l’Est, comme la Hongrie et la Tchécoslovaquie.

Réflexions. La franc-maçonnerie dite « régulière » estime que


ses fondements sont immuables et universels, mais, en rejetant l’in-
croyance et l’initiation des femmes, cette branche de la franc-
maçonnerie est sexiste et dogmatique. La mise à l’écart des femmes
dans la franc-maçonnerie anglo-saxonne n’a aucune justification, ni
philosophique ni ésotérique, elle n’est que le reflet de la société
patriarcale dans laquelle nous vivons. La tradition judéo-chrétienne
laisse fort peu de place au féminin, l’image de la divinité est exclu-

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Midi Plein

sivement masculine. Il est donc « normal » que les obédiences qui


se réclament de cette tradition, au nom de la religion qu’elles prati-
quent, n’accordent pas de place aux femmes dans leurs temples.
Les Constitutions d’Anderson sont sans nul doute les racines de
l’identité maçonnique, mais ne sont, ni un ensemble de lois ni un
livre sacré, ni un recueil de formules magiques. Ces règles de
conduite ne véhiculent que les obligations du franc-maçon au
XVIIIe siècle, on n’y trouve aucun enseignement particulier.

Les Constitutions d’Anderson ont été modifiées à plusieurs


reprises dès 1738, mais, depuis 1929, leur codification par la franc-
maçonnerie dogmatique anglaise reste désespérément immuable,
conservatrice et intolérante. Ces modifications sont perçues par la
majorité des obédiences françaises et belges comme une restriction
de l’universalisme maçonnique.
Les valeurs, les mœurs, les lois changent. La vérité d’hier n’est
ni celle d’aujourd’hui ni celle de demain. Les rites et les symboles
ne sont que des outils de travail, rien de plus.
La tradition, les rituels peuvent êtres repensés collectivement.
Une société vivante telle la franc-maçonnerie est toujours à
construire, même si la remise en question s’avère problématique.
La qualité du travail maçonnique ne peut être atteinte que par
un enseignement universel donc ouvert à tous, sans distinction de
race, de sexe ou de religion.
Les principes de la franc-maçonnerie

La devise de la franc-maçonnerie adogmatique est Liberté,


Égalité, Fraternité, elle résume en trois mots les grands principes
des francs-maçons et guide tous leurs travaux.
La franc-maçonnerie invite ses membres à exposer leur pensée
sans aucune contrainte et laisse les autres libres d’y puiser les élé-
ments qui conviennent à leur conception.
La liberté de penser, de croire, d’agir est le bien le plus pré-
cieux, mais il n’a d’existence et de consistance que dans la mesure
où chacun le respecte.
La franc-maçonnerie ne tient aucun compte de la situation
sociale ou financière de ses membres. Tous les initiés sont égaux ;
si une hiérarchie s’organise en loge, elle est essentiellement fonc-
tionnelle et administrative, librement choisie et reconnue. Les fonc-
tions sont démocratiquement soumises au vote, limitées dans le
temps et peuvent être remises en question si besoin est.
Les francs-maçons vont vers les autres sans arrière-pensée,
convaincus, jusqu’à preuve du contraire, que tous les êtres humains
sont bons et généreux. La fraternité est fondée sur la confiance et la
sincérité.
Les francs-maçons pratiquent la tolérance mutuelle, le respect
des autres et de soi-même, la liberté absolue de conscience.

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Midi Plein

La tolérance est le respect de la personne, cela n’implique en


aucun cas le partage de ses convictions, a fortiori de ses croyances.
La tolérance, c’est comprendre l’autre dans ses différences avec les
filtres de l’éthique. La tolérance résume en un mot le principe de
liberté absolue de penser, elle seule induit une action maçonnique
féconde.
La franc-maçonnerie est la convergence d’individus prêts à
marcher avec d’autres sur les sentiers sinueux, difficiles et humbles
de l’apprentissage, de l’acceptation de l’autre, de la sensibilité, de la
générosité, mais aussi de l’amitié, de la sincérité et de l’affection.
La méthode maçonnique

La méthode maçonnique a fait sien un des trois préceptes ins-


crits sur le fronton du temple d’Apollon à Delphes :
Connais-toi toi-même, laisse le monde aux dieux.
Socrate a repris cette devise à sa façon : « Connais-toi toi-même,
et tu connaîtras l’univers et les dieux ».
Il faut descendre en soi avant de pouvoir tailler sa pierre brute
au cœur du chantier qu’est la loge et continuer son perfectionne-
ment degré après degré, afin de cheminer vers toujours plus de
Lumière.
L’ignorance, l’aveuglement de soi-même font de l’homme un
esclave de ses opinions. La connaissance de soi, de ce que nous
sommes, nous rend libres.
L’instrument qui permet la progression personnelle est le sym-
bolisme. Sans la compréhension, sans l’utilisation des symboles, la
progression personnelle et la construction collective seraient impos-
sibles. Ignorer le langage symbolique ferme des portes aux messages
que la parole ne permet ni d’imaginer ni de transmettre. L’usage
symbolique des outils des bâtisseurs est une préparation juste et
précise de l’utilisation des outils mentaux. Le franc-maçon peut
donc s’évaluer au moyen du compas, de l’équerre, du niveau, du fil
à plomb en s’efforçant de faire mieux à chaque fois.

51
Midi Plein

Centrée sur l’épanouissement de l’être humain, la méthode


maçonnique est donc un travail individuel sur soi-même au sein
d’un groupe avec une discipline imposée par la pratique d’un rituel
qui permet l’écoute, la réflexion et le questionnement.
La franc-maçonnerie est une communauté possédant des règles
de vie particulières de recherche éthique. Chaque membre essaie
de se dépasser et s’efforce de contribuer à l’émergence d’une huma-
nité meilleure et plus fraternelle.
Le devoir du franc-maçon est de semer le Beau, le Vrai, le Juste
et de transmettre la Lumière qu’il a reçue.

Le livre muet des francs-maçons, 1765.


Archives de la Grande Loge de France.
Le rite et le rituel

Un rite « est aussi quelque chose de trop oublié, dit le renard.


C’est ce qui fait qu’un jour est différent des autres jours, une heure,
des autres heures11. »
Dans la vie quotidienne, le besoin se manifeste d’établir des
règles, des rites, pour s’y retrouver, pour donner à l’existence une
stabilité apaisante. Les rites soulignent les moments importants de
la vie, ils sont les garants de la mémoire collective et permettent de
ne pas perdre ses racines.
Dans toutes les civilisations, chaque acte important de la vie est
accompagné d’un rite qui lui donne un sens. La naissance, l’adoles-
cence, le mariage, la mort, pour ne donner que ces quelques exem-
ples, sont imprégnés de rites.
Le rite rassemble, il permet de s’isoler en sécurité, en harmonie
et en toute liberté. Dans le temple maçonnique, l’espace et le temps
sont sacrés, les francs-maçons sont ainsi plongés dans un espace de
sérénité où ils peuvent partager une réflexion, une émotion, une
connaissance.
Le rite maçonnique est un ensemble de règles, de code et
d’actes symboliques et traditionnels qui régissent le cheminement
des cérémonies dans leurs différents degrés hiérarchiques, c’est une

11. Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince (chapitre XXI).

53
Midi Plein

présentation particulière de la franc-maçonnerie. Il existe ainsi


diverses sortes de rites ayant chacun leurs spécificités, ils détermi-
nent d’une façon particulière la pratique et le déroulement du céré-
monial maçonnique.
Si tous les chemins mènent à Rome, on peut considérer que,
tout en ayant des provenances aussi diverses que variées, tous les
rites maçonniques arrivent à la même finalité : aller plus loin et
réunir ce qui est épars.
La multiplicité des rites maçonniques est considérable, l’histo-
rien Ragon en a recensé cinquante-deux.
Il existe ainsi par exemple :
– le Rite Français ;
– le Rite Écossais Ancien et Accepté ;
– le Rite d’York ;
– le Rite Opératif de Salomon ;
– le Rite Ancien et Primitif de Memphis Misraïm ;
– le Rite Émulation ;
– le Rite Écossais Rectifié.

La multiplicité des rites n’est pas un obstacle à l’unité de la


franc-maçonnerie ; c’est au contraire le fondement solide et uni-
versel sur lequel repose l’Ordre maçonnique tout entier.
Le Rite Écossais Ancien et Accepté (R.E.A.A.)12, un des rites les
plus pratiqués dans le monde, comprend trente-trois degrés qui se
déploient au travers de différentes structures.

54
L’Art royal
Le rite et le rituel

Les trois premiers degrés se pratiquent dans les loges bleues au


niveau d’une obédience.
1er degré : Apprenti.
2e degré : Compagnon.
3e degré : Maître.
Les 30 autres degrés sont des grades de perfectionnement qui se déploient au
niveau d’un Suprême Conseil formé par :
Les loges de perfection
4e degré : Maître Secret.
5e degré : Maître Parfait.
6e degré : Secrétaire Intime.
7e degré : Prévôt et Juge.
8e degré : Intendant des Bâtiments.
9e degré : Maître Élu des Neuf.
10e degré : Illustre Élu des Quinze.
11e degré : Sublime Chevalier Élu.
12e degré : Grand Maître Architecte.
13e degré : Chevalier de Royal Arche.
14e degré : Grand Élu de la Voûte Sacrée.

12. Le R.É.A.A. est appelé Rite écossais, car il est d’origine écossaise pour les trois premiers
degrés, les degrés suivants s’inspirent de la tradition française. Il fut codifié dans les Constitu-
tions de 1762 et de 1786, et définitivement organisé en 1801 avec la création à Charleston du
premier Suprême Conseil.

55
Midi Plein

Les Souverains Chapitres

15e degré : Chevalier d’Orient ou de l’Épée.

16e degré : Prince de Jérusalem.

17e degré : Chevalier d’Orient et d’Occident.

18e degré : Souverain Prince Chevalier Rose-Croix.

Les Aréopages

19e degré : Grand Pontife.

20e degré : Maître Ad Vitam.

21e degré : Chevalier Prussien (ou Noachite).

22e degré : Prince du Liban.

23e degré : Chef du Tabernacle.

24e degré : Prince du Tabernacle.

25e degré : Chevalier du Serpent d’Airain.

26e degré : Prince de Mercy.

27e degré : Grand Commandeur du Temple.

28e degré : Chevalier du Soleil.

29e degré : Grand Écossais de Saint-André d’Écosse.

30e degré : Chevalier Kadosh.

Les Degrés Administratifs

Tribunaux

31e degré : Grand Inspecteur Inquisiteur.

56
L’Art royal
Le rite et le rituel

Consistoires
32e degré : Sublime Prince du Royal Secret.
Suprêmes Conseils
33e degré : Souverain Grand Inspecteur Général.

Tous ces noms, conférés par différentes initiations ou par com-


munications, peuvent sembler futiles, voire grotesques. Il n’en est
rien, ce sont des éléments symboliques et ce n’est qu’au travers de
la pratique qu’ils révèlent la richesse de leur contenu de dépasse-
ment éthique et spirituel.
Cette échelle initiatique a été conçue par un processus long et
compliqué qui pose encore problème, non seulement aux profanes,
mais aussi à de nombreux francs-maçons qui ne voient dans les
Hauts Grades que des titres pompeux permettant uniquement à
ceux qui en sont pourvus de satisfaire leur orgueil en collectionnant
une multitude de décors bariolés.
Ce qui est important, c’est l’esprit du rite ; chaque initiation
confère un autre niveau de conscience, offre de nouvelles perspec-
tives d’approfondissement des connaissances. La quête n’est jamais
achevée.
Les loges symboliques travaillant au Rite Écossais Ancien et
Accepté sont également appelées des Loges de Saint-Jean.
L’importance donnée à saint Jean dans la franc-maçonnerie
spéculative se perd avec les origines de la tradition.
Les fêtes de saint Jean l’Évangéliste au solstice d’hiver et celle de
saint Jean le Baptiste au solstice d’été, sont célébrées en franc-
maçonnerie par des tenues au rituel spécifique.

57
Midi Plein

Dans les loges qui travaillent avec la Bible, celle-ci est ouverte à
la première page de l’évangile de Jean.
Pour les gnostiques, si saint Pierre symbolise l’Église « exté-
rieure », saint Jean, lui, symbolise l’Église « intérieure ».

Par les rites, la tradition maçonnique est maintenue, non


comme un asservissement au passé, mais comme une transmission
vivante. Les rites sont des pivots de la participation fraternelle, ils
ponctuent les étapes des tenues, ils permettent de se concentrer sur
l’écoute, ils invitent à la réflexion, ils cimentent l’union des francs-
maçons malgré leurs différences philosophiques et culturelles et
favorisent l’accès à la connaissance, à la Lumière.
Le rituel, quant à lui, est une transfiguration, un développement
du rite.
Daniel Béresniak définit le rituel comme « des séquences
d’actes ordonnés et prescrits, répétitifs, expressifs et dramatiques,
des comportements standardisés qui, au premier regard, ne peuvent
être expliqués en termes de rationalité, c’est-à-dire au moyen d’un
discours qui reconnaît un but et un moyen d’y parvenir ».
Ainsi, le texte du rituel n’est rien en lui-même, il doit être
accompagné de gestes, il est destiné à être vécu, mais il n’a rien à
voir avec les rituels liturgiques ou magiques ; les rituels maçonni-
ques sont des actes symboliques.
Le rituel pratiqué au Rite Écossais Ancien et Accepté comprend
entre autres :

58
L’Art royal
Le rite et le rituel

– l’ordonnance du temple (les éléments de son architecture


identiques pour tous les francs-maçons constituent une image en
raccourci de l’univers, microcosme où se retrouvent des hommes et
des femmes réunis en une micro société) ;
– des gestes particuliers (la demande de parole…) ;
– des conduites précises (les déplacements…) ;
– des mots spécifiques (tenue, planche, colonne…) ;
– des silences ;
– de la musique (elle ponctue le déroulement du rituel) ;
– les décors vestimentaires (le tablier, les gants blancs, les
sautoirs…) ;
– les symboles (le compas, l’équerre…).

Il est des chemins, des besoins, des perceptions très différentes


d’un franc-maçon à l’autre pour atteindre cet état d’harmonie qui
permet de descendre en soi-même. Chacun perçoit ce qui le touche
et ce qui lui est nécessaire pour « être en loge » et vivre la maçon-
nerie dans son microcosme symbolique.
Le respect des décors, la manipulation des outils, l’ensemble
des perceptions auditives et l’harmonie sensorielle, permettent d’ac-
céder à la Lumière. Le rituel garantit l’égalité, la tolérance, la consi-
dération pour les différents membres de la loge. Il permet ainsi à
chacun de « grandir », de naître de lui-même. Casser le rythme et
l’ordonnance des travaux déstabilise et brise le processus d’initiation
perpétuelle qui s’installe à chaque tenue.

59
Midi Plein

Dans les loges adogmatiques, le rituel maçonnique varie


quelque peu d’un atelier à l’autre ; un tronc commun permanent
garantit la stabilité des différentes loges, mais les différences créent
une identité et une sensibilité spécifique (Bible, livre blanc…). Ce
sont les différences qui unissent plus que les ressemblances.
Le rituel des différentes loges, quoique variable dans sa forme,
favorise le développement d’une synergie, et s’il permet l’exposé
des contradictions, source de vie, il interdit la cacophonie, voire le
déchaînement des passions, source de dispersion d’énergie.
Langage commun, le rituel est un élément à part entière de la
méthode maçonnique. Il permet l’échange, la liberté d’appréciation
et d’interprétation, enrichissement de tous.
Le rituel commence dès le parvis, par l’approche du temple. Il
exige le dépôt des métaux et l’appel du maître des cérémonies qui
induit l’apaisement et la concentration. L’entrée ordonnée dans le
temple achève ce premier processus de mise en condition des
sœurs et des frères.
La résonance du rituel n’est autre que l’augmentation de la
durée ou de l’intensité d’une vibration dont la perception peut se
ressentir de meilleure façon dans une ambiance favorable et respec-
tueuse de chacun.
Le rituel est l’héritage que nous ont légué les francs-maçons qui
nous ont précédés. Il transmet la tradition initiatique.
Cependant, dans les loges qui travaillent « au progrès de l’huma-
nité », les francs-maçons éprouvent la nécessité de participer au
développement des connaissances et de répondre aux questions qui
se posent au monde d’aujourd’hui. De ce fait, le rituel ne peut être
figé, il associe tradition et progrès.

60
L’Art royal
Le rite et le rituel

Sans transgression de la tradition, la mixité n’existerait pas en


franc-maçonnerie (cf. article 3 des Constitutions d’Anderson cité
précédemment).
Dès lors, les différentes obédiences se rassemblent autour d’un
dénominateur commun : le rituel, sinon partout identique, du
moins concordant, et seules l’étude et la pratique du symbolisme
– langage universel – permettent de justifier logiquement et de com-
prendre leurs différentes étapes.

Ouverture, peinture de Patrice Dechamps.


Les symboles

Les symboles et la pratique effective des rituels se sont imposés


comme des critères de la tradition maçonnique.
Les symboles sont universels, ils permettent à des gens d’ori-
gines sociales, culturelles et religieuses différentes de travailler
ensemble à des projets communs.
Les symboles sont souvent confondus avec les emblèmes, les
allégories, les attributs, les métaphores et surtout les signes, c’est le
cas des « symboles » mathématiques et chimiques.
Le propre du symbole est d’avoir une signification plurivoque,
de permettre des interprétations diverses qui induisent la tolérance.
Le symbole est vivant, il incite celui qui l’utilise à découvrir le sens
caché des choses ; il exprime ainsi l’indicible, et chaque initié peut
y découvrir une signification nouvelle. Les outils (compas, équerre,
fil à plomb) font partie du monde profane, mais les symboles cor-
respondants appartiennent à l’univers initiatique.

Les éléments symboliques utilisés en franc-maçonnerie sont


empruntés13 :

13. D’après le rapport du frère Sincholle sur la question soumise à l’étude des travaux des
Grands conseils philosophiques du Grand Orient de France en 1928 : « les idées professées par
les chefs d’école de l’ancienne Grèce ou de la Rome antique ont-elles laissé une empreinte dans
notre philosophie maçonnique ? Peut-on retrouver dans nos symboles, dans nos rituels, la trace
évidente et précise de ces doctrines ? »

62
L’Art royal
Les symboles

– à l’art de bâtir de la franc-maçonnerie opérative : les outils


(maillet, ciseau, équerre, compas, levier, niveau, truelle), les pierres,
le tablier, les gants, la construction du temple, les mots apprenti,
compagnon, maître ;
– aux Hébreux : le chandelier à sept branches, des mots sacrés
(Nekam), des mots de passe (Shibboleth, Thubalkain), des mots
d’acclamation (Houzzaï, Hoschée), le mot Kadosch ; la symbolique
du temple de Salomon avec ce qui en dérive : par exemple les
colonnes Jakin et Boaz, le thème des rituels du 3e degré et des loges
de Perfection. L’Arbre des sephiroth est issu de la kabbale. Les
symboles hébraïques sont les symboles les plus nombreux en franc-
maçonnerie ;
– au christianisme : la présence, dans de nombreuses loges, de
la Bible ouverte au prologue de l’Évangile selon saint Jean, le Grand
Architecte de l’Univers. Les titres de Grand Juge, Grand Inquisi-
teur, Prévost et Juge, Grand Élu des Neuf, proviennent des tribu-
naux véhmiques. Les titres de Grand Maître, commandeur,
chevalier sont vraisemblablement d’origine templière ;
– à différentes traditions ésotériques qui se sont succédées et
interpénétrées au cours des temps : les constellations de la Voûte
étoilée, « les sept marches de l’Orient, et les sept couleurs de ces
marches, qui, sauf la dernière, se retrouvent dans la couleur de nos
cordons : la marche bleue, la marche verte, la marche rouge, la
marche noire, la marche blanche, la marche d’or et la marche de
cristal14 » viennent de la Chaldée. Les heures d’ouverture et de fer-
meture des travaux rappellent l’enseignement de Zarathoustra. La

14. Sincholle, op. cit.

63
Midi Plein

Lune, le Soleil, les éléments des cabinets de réflexion, le phénix, le


pélican sont des symboles alchimiques. Les trois points pourraient
aussi être d’origine alchimique, ils symbolisent l’Huile, autre nom
de la Pierre philosophale…

La célébration des solstices est d’origine mithriaque. Rappelons


que, dans le culte de Mithra, le néophyte, lors de son initiation,
passe de l’obscurité à la lumière et meurt symboliquement pour
renaître à une vie nouvelle.
La symbolique des nombres (âge symbolique du franc-maçon,
nombre associé à chaque grade) est visiblement issue de la kabbale
et de la Grèce antique. Le nombre trois, le plus fréquemment
utilisé, est un symbole de toutes les cultures, de toutes les religions
(Trinité, Trimûrti, etc). On le trouve déjà dans les peintures rupes-
tres (personnage à trois têtes, trois visages).
L’œil d’Osiris ainsi que les rituels des loges pratiquant le Rite
Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm viennent d’Égypte.
Les symboles géométriques, le triangle, le carré long, le cube, le
cercle viennent des philosophes géomètres de la Grèce antique :
Thalès de Milet, Pythagore, Platon. Rappelons que l’enseignement
de Pythagore se faisait aux seuls initiés et que les affiliés prêtaient
serment de garder secrètes leurs connaissances. L’étoile flam-
boyante qui guide les francs-maçons dans leur cheminement vers la
pensée libre est le pentagone étoilé des pythagoriciens qui leur
servait de signe de ralliement.
Le gnoti seauton de Socrate est toujours présent dans l’ensei-
gnement maçonnique ; la connaissance de l’homme est la première
de toutes les connaissances.

64
L’Art royal
Les symboles

La morale maçonnique est la morale enseignée par Platon, elle


a pour principe la recherche de la perfection.
D’autres symboles, comme les grenades, l’acacia, la rose, le
pélican, l’aigle blanc et noir, la croix, sont issus ou inspirés de diffé-
rents courants philosophiques et culturels.
Depuis 1948, la franc-maçonnerie s’est dotée d’un nouvel
emblème : le myosotis. Cette petite fleur bleue connue sous le nom
de « Ne m’oubliez pas » rappelle le souvenir de tous les francs-
maçons qui ont souffert ou ont été persécutés et tués pendant la
période nazie.
En allant du symbole à ses interprétations, en y ajoutant des sen-
sations personnelles ou des éléments de son vécu, le maçon libre
parvient ainsi à construire une pensée très personnelle grâce à des
voix de tous les temps et de tous les mythes : Moïse, Zarathoustra,
Bouddha, Pythagore, Jésus, Marc-Aurèle…
Les symboles sont une représentation sensible de l’idéal moral
de la franc-maçonnerie dont ils constituent une image poétique à
laquelle s’unissent l’éthique et l’esthétique. Leur polysémie permet
la pluralité de la vérité et donne l’occasion à l’initié de s’initier lui-
même, de réaliser le solve et coagula alchimique, c’est-à-dire de dis-
soudre les imperfections de son être afin de comprendre sa logique
interne et d’y apporter une interprétation permettant de se
dépasser.
Le symbole est la nourriture spirituelle du franc-maçon.
L’idéal maçonnique

La franc-maçonnerie est vaste, complexe et riche de ses diffé-


rences. L’hétérogénéité des obédiences n’enlève rien à l’universalité
qu’elle prône. La franc-maçonnerie est universelle par son état d’esprit.
Les rituels pratiqués sont différents, mais les symboles sont identiques.
Le franc-maçon a la possibilité de se grandir et souhaite
construire un monde meilleur ; il éveille sa conscience et acquiert la
liberté intérieure. Cette dernière conditionne l’esprit critique et le
sens des responsabilités.
Le franc-maçon est épris de sagesse, de générosité, d’humanité,
de rectitude. Il doit s’affranchir de ses préjugés et de toute entrave à
sa liberté de pensée. Il essaye de vivre en harmonie avec les autres
en évitant autant qu’il peut les querelles.
Même si un idéal relève de l’idée et n’existe que dans la pensée,
tenter de réaliser cet idéal en avançant dans la vie rend notre exis-
tence positive.
L’idéal maçonnique est élevé, il tend à construire ce que l’on
nomme le temple de l’Humanité, c’est-à-dire le temple vivant qu’est
l’être humain. Cet idéal de construction permet au franc-maçon
d’apprendre, de comprendre son propre temple de vie intérieure et
l’amène à pouvoir partager, agir et construire le temple de tous les
êtres humains.
La franc-maçonnerie est une école de vie, un chemin spirituel
de prédilection, une démarche de libération ; elle représente donc
un idéal élevé et ce n’est pas sans raison qu’on la nomme l’Art royal.

66
L’Art royal
L’idéal maçonnique

L’Art royal est la métamorphose du soi, le Grand OEuvre des


alchimistes, c’est l’opération aboutissant à l’obtention de la Pierre
philosophale qui permet la transmutation des métaux en or, c’est la
clé de la sagesse et de la Connaissance.
Si l’Art est la recherche de la beauté, l’Art royal est la quête de
la beauté, élévation transcendantale qui, selon la philosophie du
franc-maçon, sera spirituelle, mystique, religieuse ou simplement
fraternelle.
La franc-maçonnerie est donc bien un Art royal, l’Art qui fait les
« Rois » ou l’Art de devenir dieu, l’archétype de la perfection
humaine.

Boîte à pilules décorée de symboles maçonniques.


XXe siècle, collection personnelle.

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