Économétrie Et Modèles Macrodynamiques

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Julia Dufeutrel, Lisa Hamour, Lucas Pellegrino, Loic Poblador

ECONOMETRIE ET MODELES MACRODYNAMIQUES

I) L’économétrie de Ragnar Frisch : une urgence

Au début du 20e siècle, R. Frisch voulait créer une association internationale pour l’avancement
économique, il voulait donner vie à une nouvelle discipline qui réunissait les statistiques, les
mathématiques et la théorie économique. C’était le rêve de Jevons : réformer l’économie, à l’aide des
mathématiques. Il y a d’abord eu un échange par courrier avec F. Divisia en 1926. Puis Frisch adresse une
lettre en juin 1930 à une trentaine d’économistes choisis soigneusement. En décembre 1930, il inaugure la
Société d’Econométrie.

1. Pourquoi l’économétrie ?

Frisch voyait bien qu’il y avait une majorité d’économistes mathématiciens centrés en Europe. Il
s’est probablement aperçu du déséquilibre international dans les méthodes de traitement de l’économie, et a
voulu harmoniser cela. Les européens étaient brillants en modélisation mathématique (Cournot, Walras,
Pareto, Bortkiewicz, Pareto, Gini…). Les mathématiques mettent l’économie en formule : on sort du
cloisonnement, on lit et on interprète l’économie en mouvement.

De l’autre côté de son continent, Frisch retrouvait un grand nombre de statisticiens et de très bons
économistes aux Etats-Unis (Clark et Fisher économistes, Schultz, Schumpeter) : il y avait deux blocs de
méthodologies différentes de chaque côté de l’Atlantique, et c’est probablement pour cela rassembler
les pôles de connaissance.

C’est d’ailleurs ce que Schumpeter voulait faire entendre : La création d’une Société d’Econométrie
permettrait de coordonner et mettre en lumière tous les efforts de tant de travailleurs dont les travaux
demeuraient isolés.

Contrairement aux mathématiques (La théorie des choix, la loi de coût de production marginale,
sont des éléments qui sont issus de travaux mathématiques) qui entendent des méthodes quantitatives et
déductives, avec les statistiques on obtient des raisonnements inductifs et qualitatifs, propres aux sciences
naturelles, et c’est ce que Frisch voulait intégrer à sa nouvelle conception de l’économie. La théorie
économique devait être reformulée à l'aide des mathématiques, à la fois pour obtenir un niveau de
précision supérieur et comme condition préalable à l'analyse quantitative à l'aide de méthodes statistiques.

« Je pense que la théorie économique est arrivée à un stade de son développement où le recours à des
données empiriques quantitatives est devenu plus nécessaire que jamais. Parallèlement, ses analyses ont atteint
un degré de complexité qui nécessite l'application d'une méthode scientifique plus raffinée que celle
employée par les économistes classiques ». Sur un problème d’économie pure », R.Frisch, Août 1926

2. Une urgence dans la création d’une nouvelle discipline

Effectivement, entre la décision de créer la Société et le jour où elle a été inaugurée, il ne se passe
pas plus de six mois, tout va très vite, et tous les économistes souhaités présents, ne répondent pas à l’appel :
il y a eu des contestations, des changements, liés à des conditions d’entrée un peu trop discutables. Ce
n’est pas l’inauguration de « pères fondateurs » comme on s’y attendait, et cela a effectivement tout l’air
d’une urgence, mais pourquoi ?

Pourtant, au milieu de la première moitié du 20e siècle, les modèles néoclassiques, marchent plutôt
bien : de la crise de 1929 jusqu’aux années 1970, les propositions de Keynes pour relancer l’économie
connaissance un franc succès, et la deuxième grande figure du début du 20e, qui n’est autre que Hayek,
réfute absolument la modélisation du comportement humain.
On pourrait imaginer que le contexte de crise s’étalant de la première guerre mondiale à la crise de
1929 a tenu un rôle + montée du fascisme en Europe (échecs du capitalisme) : l’idée pour Frisch était peut-
être de pointer l’échec des tendances économiques et politiques de l’époque, une façon de sortir de ce
contexte de crise en pondérant plusieurs disciplines autour de l’économie. Peut-être pensait-il non
seulement d’en sortir mais également de prévoir la prochaine crise – en 1926, beaucoup d’éléments
amenaient à penser à croire le déclenchement d’une crise. Quand elle éclate en Novembre 1929, l’urgence
s’accentue chez Frisch.

En tout cas, en introduisant les dynamiques de marchés pour expliquer les cycles, cela pourrait
peut-être répondre à nos interrogations : grâce aux mathématiques, on peut comprendre et anticiper les
crises, les dynamiques de l’économie, et réfuter les tendances idéologiques de l’époque, dont celles de
Keynes.

II) La démarche de Frisch

Frisch a pour but de rassembler les différentes approches sous une nouvelle discipline:
l’économétrie. Elle ralliera les mathématiques, les théories économiques et les statistiques mais c’est avant
tout l’unification des trois qui forme cette discipline.

La démarche consiste à construire un raisonnement qui soit aussi rigoureux que celui des sciences
naturelles et qui puisse décrire au plus près le réel. La comparaison, notamment avec la physique, est
directement faite par Frisch. Il s’inspira par ailleurs de la théorie des oscillations du physicien Van Der Pol
dans son article de 1933.

Pour Frisch, la démarche doit certes être empirique, se baser sur l’observation des faits réels, mais
elle ne doit pas se couper de la théorie économique. Il faut dans un premier temps énoncer un cadre d’analyse,
qui permettra de bien comprendre ce que l’on observe. En procédant de la sorte, on doit pouvoir faire
ressortir des liens de causalité entre un fait et son résultat. De plus, les faits ne parlent pas d’eux même, il
s’agit donc de questionner la méthode inductive propre à l’approche empirique-quantitative de Mitchell.

1. L’économétrie, un instrument qui permet de penser les chocs

Dans son article de 1933 « Propagation problems and impulse problems in dynamic economics » Frisch
étudie les cycles économiques. Il y effectue une distinction entre impulsion et propagation. Cette séparation lui
permet de poser que ce sont des chocs extérieurs (impulsions) qui vont pénétrer l’économie et créer des
oscillations (propagation). La propagation recouvre alors le mouvement interne au système économique
qui tend à s’amortir. On retrouve bien là l’aspect mécaniste de sa théorie. Il y a donc une structure
économique qui est intrinsèquement stable, qui tend naturellement vers l’équilibre et ce sont des
évènements exogènes, des aléas qui vont déterminer l’amplitude de ces fluctuations et créer des cycles non
amortis. C’est ce raisonnement qui va lui permettre d’aboutir à des résultats plus proches de la réalité, en
effet, lorsque l’on observe les données statistiques, il y a bien persistance de cycles.

Pour étudier les cycles sous cet angle et prendre en compte les aléas, il faut utiliser des modèles
dynamiques. C'est-à-dire étudier comment se dégage une situation de la précédente. Cela se traduit dans son
modèle par des équations qui englobent des variables appartenant à différents niveaux temporels.

Le recours à des modèles dynamiques se fait dans le cadre d’une étude globale du système
économique. C’est ce qui le conduit à utiliser le terme de macro-dynamique, qu’il est le premier à utiliser.
Par conséquent, une étude qui serait macro-dynamique, prenant le système dans sa totalité, ne peut se
permettre d’entrer dans les détails. La simplification s’impose afin de ne pas s’égarer dans une immensité de
grandeurs et perdre de vu la contribution de chacune d’entre-elles au résultat.

2. Quels outils utiliser ?

C’est en partant de ce besoin de simplification que l’on peut comprendre le rôle de la


modélisation mathématique, qui représente ainsi l’instrument central de l’économétrie. L’intérêt d’utiliser les
mathématiques
est d’user d’un langage universel compris de tous. Les économistes ne peuvent selon lui parler
sans mathématiques. Cet outil sert à formuler des raisonnements clairement, avec l’aide de la notation
algébrique. De plus, les mathématiques sont aussi mobilisées pour manipuler les données statistiques.
Il relève par ailleurs à ce propos un problème : il doit bien souvent estimer lui-même la valeur des
coefficients qu’il utilise. Or cette valeur pourrait être fournie par un travail statistique. La collecte de
données à travers la comptabilité nationale et leur traitement statistique est donc un objectif majeur qui
permettrait de faire avancer les analyses. Il entrainerait un gain en termes de précision mais aussi de temps et
d’effort. Cette révélation illustre bien le fait que l’économétrie ne soit encore qu’une discipline naissante, pas
totalement aboutie dans son souci de réalisme.
Une fois énoncé son cadre d’analyse et ses nouvelles méthodes, la prochaine étape est pour Frisch de
réussir à les imposer à l’ensemble de la discipline. Il s’agit alors de diffuser ces nouvelles pratiques et
toucher un plus grand nombre de chercheurs. En cela « l’appel » de Frisch va aboutir lorsque Kalecki
produit un modèle respectant son cadre, bien que ce dernier aboutisse à des conclusions différentes.

III) Le modèle de Kalecki : un modèle qui répond aux attentes de Frisch


Les cycles pour Kalecki découlent des paradoxes selon lesquels les entrepreneurs –
individuellement - n’ont aucun contrôle sur la conjoncture de l’économie et aussi sur les cycles
économiques.
Si pour Kalecki, la décision d'investissement revêt une importance vitale pour l'économie, il convient de
souligner que la relation proposée par lui dans l’article "Trois systèmes" (1934) selon laquelle les
entrepreneurs gagnent ce qu’ils dépensent pour la consommation est directement liée à la question de la
coordination des investissements entre les secteurs des biens de consommation et des biens d’investissement.
Les entreprises des deux secteurs doivent investir conjointement pour que cela se produise, et donc, les
cycles économiques existeraient justement en raison du manque de coordination entre les entrepreneurs sur
les investissements.

Kalecki, en 1934, décrit les sciences économiques comme une série de quasi-équilibres, une série
d’équilibres de courtes périodes, déterminées par les niveaux d’investissements et des stocks de capital.
Dans son article de 1937, il approfondit la relation en expliquant que l'équilibre est atteint lorsque les
décisions d'investissement équivalent aux dépenses d'investissement. Donc, l'entrepreneur donne un bon
coup d’œil sur ses investissements passés pour essayer de faire correspondre ces deux variables dans les
moments suivants. Parallèlement, le stock de capital dépend du niveau d'investissement et de sa propre
dépréciation, de façon qu’elle a une relation négative avec des profits.

1. Le modèle de Kalecki sous l’œil critique de Frisch

Les deux modèles arrivent à des conclusions différentes : Frisch pour sa part conclut à l’existence de
cycles amortis avec chocs exogènes déstabilisateurs qui relancent à chaque fois les oscillations. Pour lui,
l’économie tend intrinsèquement vers la stabilité mais est perturbée pat des chocs exogènes. Kalecki quant
à lui, conclut à l’existence de cycles réguliers entretenus par des chocs endogènes : pour lui, l’économie est
donc économie intrinsèquement instable.

Frisch va critiquer le modèle de Kalecki et plus particulièrement sa fonction de décision


d’investissement : D = mπ + nK. C’est elle qui détermine la demande d’investissement en fonction des profits
réels et du stock de capital. Cette équation linéaire comporte deux coefficients m et n, (respectivement
la sensibilité de la demande d’investissement au niveau de profit et la sensibilité de la demande
d’investissement au stock de capital) qui sont constants. C’est l’estimation de ces deux paramètres fixes qui
vont lui permettre de modéliser des cycles réguliers, qui lui semblent plus cohérents avec la réalité du
monde économique.
Mais Frisch lui oppose que dans la réalité, il y a très peu de chance pour que ces termes soient
constants et exacts (outre le fait qu'il devrait y avoir une méthodologie pour estimer ces valeurs, étant
effectué par un institut statistique, par exemple). Selon lui, un petit écart avec les valeurs énoncées par
Kalecki mènerait à des cycles soit amortis soit explosifs : ce qui est irréaliste. Cette situation sur le « fil du rasoir »
ne correspond pas à la réalité.
Pour se défendre, Kalecki écrira dans son article de 1935 qu’il publiera dans Econometrica « A
Macrodynamic Theory of Business Cycles » écrira d’ailleurs « Ce cas est d’une importance particulière car il
apparait être le plus proche des vraies circonstances. En effet, en réalité, nous n’observons pas de progression
ou de décroissance régulière de l’intensité des fluctuations cycliques » (Kalecki, 1935, p.336). Il va par la suite
essayer de contourner les remarques de Frisch en introduisant les non linéarités et en 1936 il émet
l’hypothèse que les coefficients m et n varient en fonction de la conjoncture 1.

Ainsi, le débat auquel on assiste entre les économistes est avant tout un débat technique. En formulant
des critiques internes d’ordre mathématique, Frisch donne du crédit à la démarche et à la méthodologie de
Kalecki. Même s’il critique le modèle de Kalecki, il émet seulement des critiques techniciennes : Kalecki va
d’ailleurs publier dans la revue Econometrica en 1935. Les deux s’entendent sur la méthodologie à
mobiliser pour fonder une science économique « plus sérieuse », même s’ils ne partagent pas les mêmes
conclusions. Ils appartiennent à la même école de pensée. Kalecki va même jusqu’à emprunter le vocabulaire
de Frisch, qui est le premier à parler de macro dynamique, en intitulant son article de 1935 « A
macrodynamic theory of business cycles ». Il a ainsi été une des têtes de file de l’essor de l’économétrie en étant
le premier à construire un modèle qui réponde aux critères de la nouvelle science selon Frisch.

1
Pour Assous et Fourchard (2017), Kalecki, dans ses modèles de 1937, 1939 et 1943, utilise également
des éléments non linéaires lorsqu'il se concentre sur les anticipations d'investissement des entrepreneurs,
de sorte que les cycles hauts et bas ont tendance à ne pas être très sensible aux variations du stock de
capital, ni à la période d'ajustement entre les décisions et les dépenses relatives à la production de biens
d'équipement. En 1943, il abandonna les concepts de Frisch après avoir vu le modèle de cycles endogènes
de Kaldor (1940) et utilisa à nouveau les critiques de Frisch pour expliquer l'amplitude des fluctuations de
cycles, provoquées par des chocs aléatoires. Ces chocs suivraient une loi d'occurrence, mais sans
uniformité. Cela permettrait la régularité des cycles, avec possibilité de variation des paramètres. Ces
auteurs attestent que pour Kalecki, dans ses modèles ultérieurs (à partir de 1954), la question des chocs
ne serait pas fondamentalement incohérente, car il suppose qu'une économie n’avait pas per se une
tendance inhérente à la croissance, mais que le moteur de ce dernier proviendrait des innovations au
sein du système.

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