Langue Française en CI
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La langue française
dans tous les contours
de la société ivoirienne
La langue française
dans tous les contours
de la société ivoirienne
Citation suggérée pour cette note de recherche :
KOUAME, Koia Jean-Martial (2012). La langue française dans tous les contours de la
société ivoirienne. Québec : Observatoire démographique et statistique de l’espace
francophone/Université Laval, 26 p. (Collection Note de recherche de l’ODSEF)
À propos de l’auteur
Remerciements
Ce texte est tiré d’une communication présentée le 3 mai 2012 dans le cadre du
colloque-atelier « Les dynamiques sociolinguistiques en Afrique francophone :
dialectiques des langues officielles et des langues nationales et rapports
intergénérationnels », organisé par l’ODSEF à l’Université Laval en collaboration avec le
Groupe interuniversitaire d’études et de recherches sur les sociétés africaines (GIERSA)
et le projet de Base de données lexicographiques panfrancophone (BDLP)1. Cette
manifestation scientifique, organisée à Québec, a bénéficié de l’appui du Conseil de
recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) dans le cadre du concours « Aide
aux ateliers et aux colloques de recherche ». Nous tenons à remercier le professeur
Claude Poirier, du Département de langues, linguistique et traduction de l’Université
Laval, pour ses commentaires et remarques sur une version antérieure de ce texte et
pour son appui constant à nos travaux.
1
On trouvera de plus amples informations sur le GIERSA et sur la BDLP sur les sites web
suivants : http://www.giersa.ulaval.ca/ et http://www.bdlp.org/
2
TABLE DES MATIÈRES
RÉSUMÉ .......................................................................................................................... 4
INTRODUCTION .............................................................................................................. 5
CHAPITRE 1 : INCURSION ET ENRACINEMENT DE LA LANGUE FRANÇAISE EN
CÔTE D’IVOIRE ............................................................................................................... 6
CHAPITRE 2 : LES PRINCIPALES VARIÉTÉS DE FRANÇAIS EN CÔTE D’IVOIRE ...... 9
2.1. Le français populaire ivoirien.................................................................................. 9
CONCLUSION ............................................................................................................... 24
BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................ 25
3
RÉSUMÉ
La place particulière occupée par la langue française dans les pays africains, née de leur
histoire coloniale, a sensiblement modifié la donne linguistique dans cette partie du
monde. L’avènement de cette langue sur le terrain africain a entraîné d’une part une
minoration de nombreuses langues locales naguère très en vue et, d’autre part, une
diversification des usages du français. En Côte d’Ivoire, le français est la langue officielle
du pays depuis son accession à l’indépendance ainsi que le véhiculaire national et la
langue de l’école. Elle joue un rôle capital dans tous les domaines de la vie publique et
privée. C’est à travers elle que la Côte d’Ivoire opère son ouverture sur le plan
international et amorce son développement. Sa présence est attestée dans tous les
milieux. Cela se traduit par une variété de formes, preuve de l'usage constant qu'en font
les locuteurs. Elle est présente dans tous les contours de la société ivoirienne. De ce
contact avec les langues et cultures ivoiriennes vont naître des variétés de français qui se
distinguent du français standard à la fois sur le plan formel et sur le plan fonctionnel. Le
français, langue importée au départ, est donc à présent l’objet d’une appropriation
extraordinaire par les Ivoiriens du fait de la grande créativité que l’on peut observer dans
le vocabulaire du français local. La langue française, de toute évidence, s'est fondue
dans le moule de la société ivoirienne.
4
INTRODUCTION
Les contacts fréquents de cette langue avec les langues locales et le besoin de nommer
les expériences nouvelles vont donner lieu à une diversification des usages. Cette
diversification s’observe à travers une pluralité de formes de français dont certaines
peuvent s’avérer difficiles à comprendre pour les non-initiés. C’est d’ailleurs ce que
souligne Ploog (2007), quand elle parle d’« usages locaux suffisamment divergents du
français standard pour mettre en péril l'intercompréhension avec la francophonie
extérieure ».
5
CHAPITRE 1 : INCURSION ET ENRACINEMENT DE LA LANGUE
FRANÇAISE EN CÔTE D’IVOIRE
La langue française est la seule qui doive nous occuper et que nous ayons à
propager. Cette diffusion du français est une nécessité. Nos lois et règlements sont
diffusés en français. C’est en français que les jugements des tribunaux sont rendus.
L’indigène n’est admis à présenter ses requêtes qu’en français. Notre politique
d’association l’appelle de plus en plus à siéger dans nos conseils et assemblées à la
condition qu’il sache parler français.
À cet arrêté est jointe une circulaire déclarant : « Le français doit être imposé au plus
grand nombre d’indigènes et servir de langue véhiculaire dans toute l’étendue de l’Ouest
africain français. »
On voit bien à travers ces extraits le désir affiché du colonisateur français de voir sa
langue ne souffrir la concurrence d'aucune langue locale. De toutes ces considérations
vont naître sous la colonisation des représentations du français qui se maintiennent des
années plus tard lorsque la Côte d’Ivoire accède à son indépendance.
Lorsqu’il accède à l’indépendance le 7 août 1960, l’État de Côte d’Ivoire choisit le français
comme langue officielle. Cette langue doit permettre à ce jeune État d’opérer son
ouverture sur le plan international et d’amorcer son développement. Le français va alors
se déployer et se propager dans toutes les sphères de la vie publique. Langue de
l'administration et de l'enseignement et véhicule de l'information écrite et audiovisuelle, le
français a aussi pour rôle de construire l’unité des nombreuses communautés ivoiriennes
étant donné qu’aucune langue sur place ne joue ce rôle. Il s’agit pour les autorités
6
ivoiriennes, confrontées à une pluralité de langues, de ne pas susciter des animosités
interethniques mais plutôt de construire l’unité nationale de la Côte d’Ivoire.
À cette fonction de langue véhiculaire que le français assume en Côte d'Ivoire, il faut
ajouter celle de langue vernaculaire qu’il est devenu pour une partie de la population,
notamment urbaine.
Le choix exclusif du français depuis la période coloniale n’est pas sans conséquences
pour les langues locales. Il occasionne la minoration de ces dernières. Cette minoration
des langues ivoiriennes vient du fait qu’aucune place ne leur est accordée, ni dans
l’enseignement ni dans l’administration. Elles ne jouissent d’aucun statut juridique
véritable et de ce fait elles sont privées de toute possibilité d’action légale. Tout comme
les autorités coloniales, les nouveaux dirigeants ivoiriens perpétuent la politique
linguistique favorable à la langue française, tandis que les langues locales continuent
d’être ignorées. L’attitude négative des autorités envers les langues ivoiriennes qui
prévaut encore largement est due au fait que la langue de l’ancienne métropole coloniale
est restée la langue du pouvoir. Cette attitude va consister à nier les capacités des
langues ivoiriennes à véhiculer le savoir scientifique et la modernité, ce qui explique
pourquoi elles ne sont pas introduites de façon effective dans le système éducatif. Bien
qu’elles aient un rôle identitaire fort et dominent dans les usages linguistiques quotidiens,
ces langues restent muettes par rapport à la vie des institutions de l’État. Leur emploi se
limite aux milieux familiaux et ruraux. Ces langues locales gardent néanmoins une
grande vitalité et la pratique de certaines d’entre elles (dioula, baoulé) s’étend bien au-
delà de leurs frontières ethniques, notamment dans les grandes villes, où elles facilitent
les échanges commerciaux et le rapprochement des populations.
7
Au contact des langues locales et du milieu ivoirien, la langue française va se trouver
transformée par l’émergence de différentes variétés. Ces variétés de français résultent de
l’effort d’adaptation de la langue française, à l’origine langue étrangère, aux réalités
locales. Elles sont utilisées par tous, attestées dans la presse écrite et audiovisuelle,
dans les œuvres littéraires d’auteurs ivoiriens et même dans certains discours de hauts
dignitaires du pays.
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CHAPITRE 2 : LES PRINCIPALES VARIÉTÉS DE FRANÇAIS EN CÔTE
D’IVOIRE
Le constat qu’on peut faire aujourd’hui en Côte d’Ivoire, c’est celui de la diversité des
formes du français. Le dynamisme du français dans ce pays se traduit par une variété de
formes, preuves de l'usage constant qu'en font les locuteurs. Ces différentes variétés de
français coexistent, se concurrencent et s’interpénètrent très souvent. Elles n’évoluent
pas toujours entre des cloisons étanches, elles font plus souvent chemin ensemble dans
le discours du locuteur ivoirien du français.
Cette diversité de formes du français était déjà soulignée par Simard (1994 : 20), lorsqu’il
distinguait deux grandes variétés de français, celui des scolarisés et celui des non
scolarisés, construites sur le modèle de la société ivoirienne qu’il divise en deux grands
groupes sociaux (les scolarisés et les non scolarisés). Dans le même sens, Lafage
(2002) et Boutin (2004 : 280) soulignent que le français de Côte d'Ivoire ne consiste pas
en une forme unique, mais se compose d'une pluralité de formes. Dans la littérature
scientifique qui présente ces différentes formes de français en Côte d'Ivoire, on peut
retenir les désignations les plus récurrentes, qui sont le français populaire ivoirien, le
français ivoirien et le nouchi.
Introduit dans le pays à la fin du XIXe siècle avec la conquête militaire, le français
populaire ivoirien est à l'origine une sorte de sabir utilisé par les militaires, les
administrateurs ou les négociants pour communiquer avec leurs auxiliaires africains. Il
s'étendra grâce au « miracle ivoirien » qui suit l'indépendance, par l'accélération de
l'exode rural et l'accroissement de l'immigration étrangère. C'est une langue mixte
assumant des fonctions de communication rudimentaires dans des activités pratiques
simples.
Cette variété de français, comme le fait remarquer Hattiger (1978), est utilisée par les non
scolarisés ou par les populations dont la scolarisation a été éphémère.
9
À propos de cette variété, Mel et Kouadio (1990) affirment : « la Côte d’Ivoire s’est taillé
une certaine réputation pour son français. Non pas certes pour le français soutenu des
élites lettrées ou universitaires [...], mais pour son français populaire parlé par les
locuteurs moyens, peu ou pas lettrés. »
Pour Kouadio (1998), ce français a connu une variation sur sa dénomination. Il sera
appelé successivement « petit-nègre », « petit-français », « français de Treichville »,
« français de Moussa », « français populaire d'Abidjan », « français populaire ivoirien »,
(en abrégé FPI), cette dernière dénomination étant admise aujourd'hui par tous.
Simard (1994 : 25) fait observer que cette forme de français est fortement marquée par le
français central mais aussi par le FPI, par la structure des vernaculaires ivoiriens et par
un mode de conceptualisation propre à une civilisation de l'oralité.
Pour Kouadio (1998), cette variété qu’il nomme « français local » est du point de vue
sociologique parlée par l'élite ivoirienne et par les cadres de l'administration et les
enseignants. Pour lui, ce qui frappe le francophone non ivoirien qui entend parler pour la
première fois des Ivoiriens, c'est la mélodie de la phrase et ce, malgré le groupe
linguistique auquel appartient le locuteur. Cette mélodie, selon lui, fait fi des groupes
10
rythmiques dans l'énoncé pour faire correspondre le mot phonique au mot graphique. Elle
est caractérisée par une succession de syllabes hautes et de syllabes basses, comme
une descente en terrasse. Il s'agit là, constate-t-il, de l'influence directe des langues du
substrat qui sont des langues à tons. Le « français local » reste, comme le français
populaire ivoirien, tributaire de la phonologie, de la morphosyntaxe et des modes
d'énonciation et de conceptualisation dans les langues africaines.
Selon Boutin (2003), le français ivoirien est utilisé par des locuteurs de toutes sortes de
groupes sociaux, non comme une langue réservée à certaines situations, mais dans
toute situation où une langue locale pourrait être utilisée. Dans le même sens, Kouamé
(2007 : 50) souligne qu’il s’agit du français utilisé d’une façon propre à la Côte d’Ivoire,
aujourd’hui acquis et maîtrisé par les Ivoiriens dans leur très grande majorité, au point de
constituer le véhiculaire ivoirien par excellence. C’est cette variété de français qu’il
nomme en 2007 dans sa thèse de doctorat « français langue ivoirienne », désignation
reprise par Adopo comme intitulé d’un article scientifique paru en 2009. Dans cet article,
Adopo définit le « français langue ivoirienne » comme une langue parlée et comprise par
la quasi-totalité des Ivoiriens. Cette variété de français présente, selon lui, le visage d’un
français acclimaté auquel les Ivoiriens ont su donner forme et contenu.
Kouadio (1998) définit le nouchi comme un argot créé par les jeunes déscolarisés qui ont
quitté l'école avec une connaissance plus ou moins suffisante du français. Pour Lafage
(2002 : 35), le nouchi est devenu le parler des jeunes générations des villes pour qui il est
devenu le moyen d'affirmation de leur esprit créateur et de leur volonté de liberté.
Né dans la rue, ce parler est le code de ralliement d'une majorité des jeunes Ivoiriens :
élèves, étudiants, jeunes de la rue, jeunes délinquants. Il est aussi utilisé aujourd'hui par
un bon nombre de chanteurs. Face au sentiment d'insécurité linguistique de plus en plus
prononcé, ce parler est utilisé par une forte proportion de la population ivoirienne. Il a
quitté le cadre de la rue pour se retrouver dans les salles de classe et dans les
amphithéâtres des universités.
11
fonction identitaire, caractéristique de la catégorie générationnelle qui en fait le plus
usage; une fonction véhiculaire, relevant de la proportion grandissante de ses locuteurs.
Selon Kouadio (1991 : 375), un certain nombre de mots provenant des langues
ivoiriennes, retenus, modifiés, tronqués, associés parfois à des éléments d'une autre
langue, dérivés ou composés, changent de signification par métaphore ou métonymie et
investissent peu à peu le lexique du nouchi. Lafage fait remarquer que le nouchi est
constamment en renouvellement : des mots disparaissent, se transforment, sont
remplacés par d'autres d'une autre origine. Selon Lafage (1991 : 98), le nouchi ne
possède ni syntaxe, ni phonétique propres. Il est une forme linguistique à base
grammaticale et syntaxique française. À ce niveau, on relève néanmoins des
particularités liées à l’influence des langues locales. Dans le corpus de ce parler, on note
l’usage de différents procédés morphologiques, sémantiques et lexicaux.
12
CHAPITRE 3 : LA LANGUE FRANÇAISE, PORTE-VOIX DE LA SOCIÉTÉ
IVOIRIENNE
Pour paraphraser Ploog (2001 : 423-424), on pourra dire que les locuteurs ivoiriens se
sont littéralement approprié l’ancienne langue coloniale, en la façonnant selon leurs
besoins. Ils en ont fait une langue vivante et dynamique, colorée et adaptée à toutes les
situations de communication. À travers les différentes variétés de cette langue, les
Ivoiriens donnent forme à leurs pensées, désignent et décrivent désormais leur monde.
Ils y transposent les ressources structurelles de leurs langues premières. Ils font dire à
cette langue les réalités culturelles et sociales dans lesquelles ils vivent au quotidien,
comme pour valider le point de vue de Kourouma (1997 : 136), selon lequel « les langues
s’adaptent, épousent les réalités et les sentiments qu’elles sont chargées d’exprimer ».
Ce sont, en effet, les réalités et les sentiments des locuteurs ivoiriens qui orientent et
modèlent leurs discours en langue française. C’est sans doute cela qui fait dire à Kouadio
(2000 : 205) que la société ivoirienne moderne se transmet aujourd'hui par le français.
Dans cette langue remaniée et diversifiée, on peut déceler et saisir la vision du monde
des Ivoiriens. Ce point de vue se justifie, que l’on se réfère à Sévry (1997 : 35), qui
souligne que le français populaire utilisé par les écrivains africains « permet d’exprimer la
vision africaine ou les éléments de la cosmologie africaine », ou à Manessy (1994), qui
avance l’hypothèse d'une sémantaxe. Selon Manessy, cette notion de sémataxe rend
compte des
Même s’il faut admettre que le français était, au départ, distant des réalités locales, cela
n’est plus le cas aujourd’hui. Sous la pression de ses locuteurs et du milieu ivoiriens, il
est en phase avec les réalités du pays. Contrairement à Kankolongo (2006), qui parle
d’« échec du mariage entre le français et les réalités locales », on observe plutôt un
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mariage réussi entre le français et la société ivoirienne. Alors que cet auteur affirme que
la langue française est « copieusement malmenée dans les écoles et la vie courante »,
nous pensons, comme Lafage (1996 : 598), qu’elle est simplement adaptée « aux
besoins de l’expression d’une pensée africaine » et choyée par la société ivoirienne qui
l’a recueillie.
Les différentes variétés de français en Côte d’Ivoire, loin d’être des formes abâtardies du
français de France, offrent une image claire et complète de cette société ivoirienne qui,
de l’avis de Diabaté (1984 : 3), a subi d’importants changements socioéconomiques et
culturels, de la colonisation à nos jours. Les anciens systèmes de valeur issus des
communautés tribales d’autrefois, fait-il remarquer, n’ont plus l’intégralité de leur identité
au sein de la société ivoirienne. Les éléments modernes ayant déstructuré cette société,
on y voit apparaître de nombreux contrastes. Contraste par exemple entre un monde de
riches qui symbolise la relative « réussite ivoirienne » et un monde de pauvres, « celui de
ceux qui croupissent dans le dénuement ». Contraste également entre un monde
accroché aux valeurs occidentales et un autre qui a du mal à se situer entre modernité et
tradition.
Les variétés locales de français font écho à tous ces contrastes qui apparaissent en
filigrane dans les informations que livrent ces variétés sur les usages, les relations
sociales, les conditions de vie, les habitudes, les lieux publics et les systèmes de
pensées en Côte d’Ivoire.
En Côte d’Ivoire, par exemple, un visiteur n’aura pas toujours l’occasion de sonner à la
porte d’un hôte. Il doit apprendre à « taper kôkôkô » (kôkôkô étant le cri destiné à avertir
de sa présence quelqu'un à qui l'on vient rendre visite) devant celle-ci. Le visiteur sera
accueilli par la formule « bonne arrivée » qu’il pourra tout de suite comprendre
contrairement au fameux « akwaba » traditionnel. Son hôte pourra même lui « faire atou-
ou-ou-ou » (tendre embrassade pour lui témoigner sa joie de le recevoir). Après lui avoir
proposé de l’eau ou une boisson qu’il devra poliment accepter, son hôte lui « demandera
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les nouvelles » pour avoir des informations de son lieu de provenance et des nouvelles
des personnes qu’il a quittées. Au moment de s’en aller, le visiteur devra « demander la
route » à son hôte qui pourra à ce moment-là lui donner l’autorisation de prendre congé,
de se retirer. Poliment l’hôte peut proposer à son visiteur de passer la nuit chez lui avant
de repartir le lendemain au matin ou à défaut de cela lui « donner la moitié de la route »
pour lui signifier qu’il peut revenir quand il le souhaitera ou que sa porte lui est toujours
grandement ouverte. L’hôte, après tout ce cérémonial, ne le laissera pas juste à sa
porte : il le « jettera quelque part » ou le « poussera un peu » non pour le faire tomber
mais pour faire un bout de chemin avec lui.
Sous cet intitulé nous rangeons les thèmes de relations de parenté et de relations
hommes et femmes dont on retrouve les indices dans les variétés locales de français.
La parenté occupe une place centrale au sein de la société ivoirienne. Même si les liens
de parenté reposent sur une ascendance commune, ils n’en sont pas pour autant réduits
à ce seul lien biologique. La parenté est aussi sociale en Côte d’Ivoire. Par exemple, les
termes « maman » et « papa » ne sont pas seulement utilisés pour désigner les parents
biologiques. Ils se rapportent à des personnes pour qui on a de la déférence. Toutes les
personnes ayant l’âge du père seront appelées « papa » ou « le vieux » et celles ayant
l’âge de la mère « maman » ou « la vieille ». Dans le même sens, on appellera également
« tonton » ou « tantie » un homme ou une femme plus âgée pour qui on a beaucoup de
respect ou qui est susceptible de nous aider financièrement.
Le terme « frère » se rapporte également au cousin, à celui qui est originaire du même
village, de la même région, de la même ethnie, du même pays et va jusqu’à désigner
tous les Africains de race noire. Le terme « cousin » peut couvrir quelquefois une partie
du champ sémantique du mot frère mais se rapporte aux populations de l’Afrique du
Nord. Présenter son cousin (dans le sens du français de France) en utilisant ce terme en
15
sa présence peut paraître choquant. On préférera alors le raccourci « c’est mon frère ».
Si l’interlocuteur insiste et veut en savoir plus sur le lien de parenté il pourrait avoir pour
réponses « on a la même grand-mère (ou le même grand-père) », « c’est le fils (ou la
fille) du petit frère de mon père » ou « quand sa maman (ou son papa) a laissé le sein
c’est mon papa (ou ma maman) qui l’a pris ». Toute cette acrobatie langagière visera à
montrer à cet interlocuteur trop curieux que la filiation est très proche.
Dans le même sens, l’oncle ou la tante dira de son neveu qu’il est son fils et de sa nièce
qu’elle est sa fille. À défaut, il utilisera les expressions « l’enfant de ma sœur », « l’enfant
de mon frère ». Pour un oncle ou une tante, considérer son neveu ou sa nièce comme
son propre enfant vient du fait que, le plus souvent, ce dernier ou cette dernière a vécu
ou vit chez lui. Pour en témoigner, on a une locution comme « grandir dans la main de
quelqu’un », ce quelqu’un étant dans bien des cas l’oncle ou la tante.
Au niveau des relations entre hommes et femmes, on peut apprendre par le soin des
variétés locales de français que la société ivoirienne n’est pas opposée à la polygynie.
Elle tolère qu’un homme, s’il en a les moyens, puisse avoir en plus de son « premier
bureau » (son épouse légitime), une ou plusieurs maîtresses appelées selon l’ordre
« deuxième bureau » ou « troisième bureau ». Cet homme est bien obligé de « mettre au
beurre » (entretenir à grands frais) cette dernière ou ces dernières. C’est pourquoi il sera
appelé le « banquier » ou le « bailleur de fonds ». À défaut de moyens pour entretenir
une femme en dehors de son foyer, un homme pourra de temps en temps avoir un
« pneu secours » (une maîtresse occasionnelle) avec laquelle il peut « mourir
ensemble » ou « faire la chose » (faire l’amour). Pour le choix d’une compagne ou d’une
petite amie, un homme ivoirien pourra trouver un « petit modèle » (femme belle et petite)
quand un autre n’aura d’yeux que pour les filles « en forme » (celles qui ont des
rondeurs). Dans ces relations hommes-femmes, il faut se méfier des « raseuses » et des
« raseurs », respectivement allumeuses et séducteurs, qui sont toujours prêts à
détourner de ses affections légitimes le compagnon ou la compagne d’autrui. Il ne faut
surtout pas tomber sous le charme d’une femme qui « cherche garçon » (femme aux
mœurs légères) ou qui « lance foulard » (prostituée) ni accepter les avances d’un
« chercheur de femme » entendez par là le coureur de jupon.
16
3.3. Conditions de vie
Dans cette section, nous essayons de présenter des termes du français de Côte d’Ivoire
qui se rapportent au secteur du logement, des expressions qui mettent en évidence les
positions sociales et les façons de se nourrir.
Les variétés locales de français livrent des informations sur l’architecture et les types de
logement en Côte d’Ivoire. On apprend par exemple que, dans les zones rurales, à côté
des cases aux formes multiples, s’élève de plus en plus des maisons « en banco »
(matériau de construction obtenu en mélangeant argile, sable, gravillons sur une
armature végétale), des maisons « en géobéton » (matériau de construction moderne,
constitué de banco auquel on ajoute un peu de ciment) et des maisons « en dur »
(matériaux durables par opposition aux modes traditionnels de construction : banco,
terre, bois).
Dans les villes, de nombreuses familles habitent des taudis aux noms très évocateurs
comme « derrière rails », « gobelet », « campement », « mon mari m’a laissé ». Les plus
chanceux se retrouvent dans des quartiers « habitat » ou « SICOGI » (quartiers formés
de logements sociaux très contigus construits à la faveur d’importants programmes de
l’État mais aujourd’hui en état de délabrement avancé) ou coincés dans des « blocs
célibataires » (logements sociaux destinés à des personnes vivant seules). On a
également des « cours communes » qui sont des concessions bordées de petites
chambres occupées par des locataires différents, et qui donnent toutes sur une cour
intérieure où l’intimité est absente. Ce dernier type de logement très courant en Côte
d’Ivoire est le symbole d’une situation économique précaire. Le nom qui le désigne a
même donné lieu à une expression comme « enfant de cour commune », injure railleuse
pour rappeler à quelqu’un qu’il est d’une position sociale non reluisante. Dans la même
catégorie, on a « entrer-coucher » (logement d’une seule pièce habitable avec cuisine et
douche-wc à l’extérieur). Le terme « chambre-salon » désigne quant à lui un logement
comportant une chambre et un séjour dans une cour. Il offre un meilleur confort pour ses
occupants que dans l’entrer-coucher. Plus le nombre de pièces augmente, plus on a de
meilleurs conditions de vie comme c’est le cas dans un « deux chambres-salon », « trois
chambres-salons ». Le terme « étage » est employé pour désigner une maison à un ou
plusieurs étages.
Certains termes employés en français de Côte d’Ivoire rendent compte des disparités
sociales qui existent au sein de la société ivoirienne. Des expressions comme « être bien
17
placé », « être au beurre » traduisent le fait d’avoir une belle situation, une bonne position
dans l’administration. Dans le même sens, une personne jouissant d’un statut social
élevé devient un « grand quelqu’un », un « grand type », un « en haut d’en haut », un
« unpeu-iste » et un « bras long » quand son intervention permet d’obtenir un passe-droit.
À l’opposé les personnes au bas de l’échelle sociale, celles qui, très souvent, « sont
moisies » (démunies) et que l’on trouve dans les quartiers « campement » et « mon mari
m’a laissé » sont désignées par la locution nominale les « en bas d’en bas ».
L’écart entre les riches et les personnes aux faibles revenus est perceptible à travers le
lexique du français employé en Côte d’Ivoire. On apprend par exemple que certaines
familles ne pouvant s’offrir plusieurs repas dans la journée sont souvent réduites à faire
« la mort subite » appelée aussi système « un coup K.O. » (un seul repas par jour). Dans
certains cas, les repas sont pris ensemble par les enfants dans le même contenant. Il
arrive quelquefois que ces derniers « groupent » (se ruent sur le contenu de l’assiette).
Pour éviter cela, le plus âgé du groupe doit, au cours d’un rituel répétitif où chacun prend
une poignée du repas son tour venu, veiller à ce que certains ne « prennent pas boulet »
(prendre une grosse poignée du plat). À la fin du repas, le plus âgé du groupe doit, quand
il ne s’agit pas d’un repas « coco taillé » (sans viande sans poisson), « partager la
viande » ou « partager le poisson » (donner à chacun des participants au repas un
morceau de viande ou de poisson qu’on a mis de côté). C’est souvent à ce point
culminant du repas, moment tant attendu, période d’angoisse et de règlement de compte,
qu’il peut « cintrer » les autres participants au repas en leur donnant de petits morceaux
de viande ou de poisson.
Par ailleurs, on apprend que prendre son petit déjeuner peut se dire « boire café » même
si en fait on a du chocolat chaud ou du lait dans sa tasse, dans son verre ou dans son
gobelet. Pour ceux qui ne peuvent s’offrir du lait, du chocolat ou d’autres boissons
chaudes, il leur faudra un peu de sucre dissout dans de l’eau claire pour obtenir le
traditionnel « café baoulé » dans lequel on trempe le « pain godjo » (pain moisi ou pain
sec). En lieu et place d’un petit déjeuner, à la façon occidentale, les Ivoiriens dans leur
grande majorité ne se privent pas, quand ils en ont l’occasion, de « riz couché », de
« foutou couché », de « placali couché » (restes de repas réchauffés).
18
3.4. Les habitudes
Nous présentons dans cette section des termes du français de Côte d’Ivoire qui donnent
des informations sur la façon dont certains ivoiriens se soignent et s’habillent.
Bien qu’il existe de nombreuses structures de santé en Côte d’Ivoire, les Ivoiriens dans
leur grande majorité continuent de recourir à la médecine traditionnelle. Cette manière de
faire se dit « se soigner à l’indigénat ». Les traitements proposés peuvent consister à
inhaler, à boire ou à se laver avec des « médicaments traditionnels » préparés à partir
d’écorces ou de feuilles d’arbres, de racines et de plantes de toutes sortes.
Au lieu de prendre un cachet (qui se dit « boire comprimé ») ou de faire une injection (qui
se dit « piquer piqûre » ou « faire piqûre »), certains Ivoiriens préfèrent « écraser
médicament » (réduire en pâte, à l’aide d’une pierre, des écorces ou des feuilles
d’arbres) pour « faire un lavement » ou « se purger » prononcé « se piriger ». Pour cela
ils utilisent un « pirigeoir » appelé aussi « pompe » ou, dans le langage soutenu, « poire à
lavement ». Dans certains cas graves qui nécessitent des soins urgents, ils gagnent
l’hôpital s’il n’est pas trop tard pour « faire une opération » (subir une intervention
chirurgicale).
Les variétés de français en Côte d’Ivoire nous donnent également des informations sur
les soins corporels et certaines habitudes vestimentaires au sein de la société ivoirienne.
Par exemple, le matin au réveil on « se brosse » (se brosser les dents) comme partout
ailleurs. Pour cela il est indispensable d’avoir une « brosse » (brosse à dent) et de la
« pâte » (du dentifrice). Dire à quelqu’un qu’il a mauvaise haleine se dit « ta bouche
sent ». L’entretien des dents se fait aussi à l’aide d’un « cure-dent » (bâtonnet de bois
tendre et fibreux surtout utilisé en zone rurale), non pour nettoyer l'interstice entre les
dents ou les cavités dentaires, mais pour se frotter les dents et les gencives.
Pour prendre sa douche une personne aura besoin d’une « éponge », linge de toilette
constitué de fibres plastiques servant à laver le corps. Elle devra aussi mettre des « en
attendant » ou des « tapettes », sandales de matière plastique. Pour l’entretien des
cheveux, un homme peut préférer avoir la tête complètement rasée. Il devra, une fois
chez le coiffeur, demander à « faire coco taillé ». S’il désire garder juste une fine couche
de cheveux sur la tête, il demandera plutôt un « ras congo ». Dans ce domaine, les filles
sont les plus chanceuses dans la mesure où elles peuvent arborer le « coco taillé » et le
« ras congo » masculin mais aussi « faire mèches » (se faire faire des tresses avec des
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mèches brésiliennes) ou « faire leurs cheveux » (dans le sens de se faire faire des
tresses). Pour paraître jeune, une personne aux cheveux grisonnants pourra « mettre
yomo », se teindre les cheveux avec une teinture d’origine ghanéenne. Une personne
naturellement belle s’entendra dire qu’elle est « sans produits ghanéens ». Pour plaire à
certains hommes, de nombreuses filles n’hésitent pas à « mettre produit » (se
dépigmenter la peau avec des produits éclaircissants) pour « être clair ».
Au niveau des habitudes vestimentaires, on apprend qu’être bien habillé se dit « être
sapé » ou « être tiré ». Dans ce cas là, on peut « se fourrer » (mettre les pans de la
chemise dans le pantalon ou la jupe au lieu de la laisser flottante par-dessus) pour faire
un peu sérieux. Lorsqu’on est bien habillé, on a tendance à « faire yéyé » ou à « faire son
petit malin » ce qui signifie faire le beau. Si en plus de cela on sait aussi « décaler »
(marcher avec élégance et assurance), on peut être sûr de ce que ceux qu’on rencontre
« prennent dose » (soient épatés ou séduits). On apprend aussi grâce au français de
Côte d’Ivoire que les hommes sont les seuls à « porter des culottes ». Les filles ne
mettent pas de culotte, elles « portent caleçons » ou « portent slips » prononcé « silip ».
Depuis quelques années, elles ont cessé d’« attacher pagne » (enrouler une pièce de
cotonnade autour des reins et le fixer) et de « mettre foulard » (nouer artistiquement une
pièce d’étoffe sur la chevelure) de peur qu’on les traite de villageoises. Elles préfèrent
« porter pantalon » ou « porter mini » (mettre des mini-jupes). Leur dernière trouvaille,
c’est la mode « taille basse », qui laisse entrevoir leurs sous-vêtements au grand bonheur
des voyeurs.
Les marchés, les gares routières et l’école sont les lieux que nous avons choisi de traiter
sous cet intitulé. En effet, de nombreux termes circulant dans les différentes variétés de
français en Côte d’Ivoire se rapportent à ces cadres.
Les marchés sont des lieux de ravitaillement où l’on trouve des produits alimentaires,
vestimentaires, cosmétiques et autres. Connaître le sens de certains termes qui
s’emploient dans ce cadre s’avère important. De passage, un client sera interpellé par le
commerçant par de nombreux termes avenants : « chéri(e)-coco », « ma chérie », « jolie
femme », « joli garçon ». Lors du marchandage avec le vendeur ou la vendeuse, le client
emploiera par exemple les expressions « pardon faut diminuer » ou encore « faut
m’arranger ». Le vendeur pourra répondre qu’il a fait un « bon prix » et que c’est un « prix
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cadeau » pour dire à son client qu’il a revu à la baisse l’article en question. Si ce dernier
insiste et le pousse dans ses derniers retranchements, le vendeur pourra dire qu’il « aime
trop douffler » avec le sens de prendre quelqu’un pour un imbécile. Cette remarque, il
faut le dire, n’est pas choquante sur les marchés. Une autre cliente priera la vendeuse
auprès de laquelle elle vient de faire l’achat de denrées alimentaires de « mettre
cadeau » ou de « mettre gouassou », c'est-à-dire de lui offrir en prime un peu de ce
produit qu’elle vient de lui acheter.
Les variétés de français nous apprennent que dans les gares routières en plus des «
cars » (autocar), des bus et taxis on a un autre type de taxis appelé « taxi communaux »
ou « wôrô wôrô ». Ces voitures sont le plus souvent des « France au revoir », véhicules
d’occasion importés de France. Pour se rendre dans les zones rurales, l’on a à sa
disposition des « vingt-deux-places », appelés aussi « badjan » et autrefois « rapides ».
Dans les villes comme Abidjan et Bouaké on peut se déplacer en « gbaka », minibus
dans lequel il faudra préparer la monnaie pour ne pas s’attirer les foudres du «
balanceur » (aide du chauffeur qui encaisse le prix de la course). Sur le chemin, il n’est
pas rare de rencontrer les « syndicats », nom donné à des parasites se réclamant des
innombrables syndicats exerçant dans le domaine du transport et qui passent le clair de
leur temps à racketter les transporteurs.
L’école est l’un des domaines les plus productifs pour les différentes variétés du français
en Côte d’Ivoire. Les autorités appellent de plus en plus les parents à « mettre leurs
enfants à l’école » (scolariser les enfants). Ils disposent pour cela d’établissements
scolaires publics. Avec la libéralisation de l’école s’offre à eux de nombreux
établissements privés parmi lesquels des « écoles boutiques » (école privée au confort
sommaire, installée souvent dans un ancien local à usage commercial) ouvertes par des
« fondateurs » (créateur et directeur d'une école privée laïque) qui bien souvent ignorent
tout de l’institution scolaire. Les parents qui ne peuvent pas encadrer eux-mêmes leurs
enfants, faute de temps ou de qualification nécessaire, sollicitent un enseignant
contractuel appelé « maître de maison ». Ce dernier doit aider l’enfant à « connaître
papier » (à avoir de bons résultats scolaires) et à pouvoir « faire papier longueur » (faire
de longues études) prononcé « longuaire ». Les parents ne disposant pas de ressources
suffisantes vont acheter les livres de leur progéniture à la « librairie par terre ». Ces
derniers, le plus souvent d’origine modeste, ne disposant pas de cadre propice à l’étude
ou n’ayant pas d’électricité, vont « étudier sous le lampadaire » (profiter de l’éclairage
public pour apprendre ses leçons). Là ils peuvent paisiblement « boire leur cours » ou
« faire bois-l’eau » (apprendre leurs leçons par cœur).
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Les « cabris morts » (mauvais élèves, qui n'ont plus rien à perdre) que « papier content
pas leur affaire » (qui réussissent très mal à l’école) sont sûrs de « quitter les bancs »
(arrêter les études) à la fin des classes. Pour avoir de meilleures notes en classe, l’élève
qui a passé le clair de son temps à « tirer les cours » (sécher les cours) n’hésitera pas à
solliciter, lors d’un contrôle ou d’un examen qui « est caillou » (difficile), l’aide d’un
« mercenaire » (étudiant plus avancé, engagé pour venir présenter un examen à la place
d'un autre). Avec la complicité de ses camarades du « cartel » (groupe d'étudiants
organisé en vue de tricher à un examen), il peut aussi mettre en place le système
« défense en ligne » (disposition des tables-bancs qui interdit la mobilité de l’enseignant
et qui rapproche les élèves) pour « faire pétrole » (tricher). Dans le cas d’un examen,
l’« opération hibou » (lors d’un examen à l’échelle nationale, extraire du lot une copie d’un
élève moins réussie pour la remplacer par une autre plus réussie) est aussi possible
même si elle est coûteuse et surtout très risquée. Certaines « bleu-blanc », ou étudiantes
peu douées ou peu motivées par les études, sont prêtes à vendre leurs charmes aux
enseignants, ceux qui tiennent le « bic rouge » (stylo rouge), en échange de « MST »
(entendez par là Moyenne Sexuellement Transmissible).
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quelqu’un de honte c’est « verser sa figure par terre ». Dans le malheur ou dans la
douleur, il est recommandé d’« attraper son cœur » (rester fort). Pour ne pas s’attirer des
ennuis, il faut éviter de « mettre sa bouche dans l’affaire des gens », entendez par là ne
pas se mêler d’une affaire qui ne vous regarde pas. Quand on est en colère on « serre la
figure ». Dans ce cas là, il faudrait l’intervention de quelqu’un pour qu’on « laisse affaire »
(pardonne).
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CONCLUSION
On peut dire en paraphrasant Kourouma que les Ivoiriens ont adapté et modelé la langue
française pour traduire leurs expériences du monde et pour s’y retrouver à l’aise. Ils y ont
introduit des référents, des expressions, des images, une syntaxe, un rythme nouveau,
pour lui permettre de rendre compte de leur société. Le résultat de tout cela est
l’émergence de différentes variétés locales qui permettent de saisir les spécificités de la
société ivoirienne. On peut dire que les locuteurs ivoiriens du français ont concocté une
langue qui épouse la forme de leur société et dans laquelle les réalités locales sont
moulées.
L'histoire de l'humanité est jalonnée d'exemples de peuples qui, ayant perdu leur
langue à la suite de domination étrangère, ont maintenu leur culture ou en ont
reconstruit une nouvelle à travers la langue imposée. Un seul exemple, célèbre, nous
suffira. La Gaule a perdu la plupart de ses langues à la suite de l'invasion romaine et
de l'imposition du latin. Mais le latin, prononcé par des gosiers gaulois et investi par
des visées propres à la culture gauloise a donné, à travers des siècles d'évolution, le
français, une nouvelle langue, une nouvelle culture, une nouvelle identité. Nous
assistons aujourd'hui en Côte d'Ivoire, à des siècles de distance, au même processus
historique.
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BIBLIOGRAPHIE
DIABATÉ, M. (1984). Qualité de la vie en Côte d’Ivoire. Le rôle des systèmes de valeur
dans différents contextes culturels. UNESCO, Division d’analyse socio-économique,
Secteur des Sciences sociales et humaines SHS-84/22. PDF téléchargeable à partir
du lien : http://unesdoc.unesco.org/images/0005/000590/059072FB.pdf
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KOUAMÉ, K. J.-M. (2007). Étude comparative de la pratique linguistique en français
d’élèves d’établissements secondaires français et ivoiriens. Thèse de doctorat.
Montpellier : Université Paul-Valéry Montpellier 3, 562 p.
SIMARD, Y. (1994). « Les français de Côte d’Ivoire ». Langue française, 104 : 20-36.
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