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Histoire des peintres de

toutes les écoles.... Tome 10


/ [par M. Charles Blanc,... et
al.]

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Blanc, Charles (1813-1882). Auteur du texte. Histoire des peintres
de toutes les écoles.... Tome 10 / [par M. Charles Blanc,... et al.].
1883-1884.

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HISTOIRE

DES PEINTRES
DE

TOUTES LES ÉCOLES


PARIS. -- IMPRIMERIE POITEVIN, RUE DAMIETTE, 2 ET Il.
HISTOIRE

DES PEINTRES
DE TOUTES LES ÉCOLES

ECOLE FLAMANDE
PAR MM. CHARLES BLANC

PAUL MANTZ, ALFRED MICHIELS, THÉOPHILE SILVESTRE ET ALPHONSE WAUTERS

PARIS
VVE JULES RENOUARD, LIBRAIRE - ÉDITEUR R
DIRECTEUR-GÉRANT : G. ÉTIIIOU - PÉROU

RUE DE TOURNON, N° 6, FAUBOURG SAINT-GERMAIN

M DCCC LXIV
HISTOIRE
DES PEINTRES
DE TOUTES LES ÉCOLES

ÉCOLE FLAMANDE
INTRODUCTION
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DES PEINTRES DE L'ECOLE FLAMANDE

école de Bruges des enseignements si imprévus, que l'Italie elle-même s'informe curieusement
de ce qui se prépare en ces régions lointaines, et s'apprête à envoyer des missionnaires pour
saluer, dans son berceau, l'art nouveau qui vient de naître.
Et comment l'Europe serait-elle restée indifférente à la révolution qui s'accomplissait? Les
auteurs du mouvement, les deux frères Hubert et Jean van Eyck, avaient un double droit à
l'attention et, il faut le dire, à la gratitude des artistes, puisque la rénovation dont ils s'étaient
faits les promoteurs apportait à la peinture des procédés tellement améliorés qu'on a pu les
croire nouveaux, et qu elle lui ouvrait en même temps les avenues d 'tin monde ignoré. Sans
vouloir exagérer l'importance des perfectionnements matériels que les Van Eyck ajoutèrent à
la pratique de la peinture à l'huile, il est juste de reconnaître qu'ils ont eu la plus grande part

au fait principal qui caractérise le début du quinzième siècle, je veux dire la substitution du
tableau à la peinture murale, à l'enluminure du manuscrit. L'art monumental a pu y perdre
quelque chose, mais, qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, ce n'est pas dans l histoire un
médiocre événement que cette mobilisation de la peinture, qui va désormais, comme la
médaille et bientôt comme le livre imprimé, courir de main en main, traverser les mers,
pénétrer dans les maisons qui jusqu'alors lui étaient fermées, et apporter à tous un enseignement,
une consolation, une lumière!
Mais les Van Eyck ont fait davantage : ils ne se sont pas bornés à perfectionner les procédés
employés avant eux, ils ont ouvert à la peinture une voie nouvelle et — c'est la leur
meilleure gloire — ils ont été des inventeurs, non-seulement dans les pratiques du pinceau,
dans la mise en œuvre des couleurs, mais encore dans les choses de la pensée et du
sentiment, qui sont l'essence même de l'art.
Nous n'avons pas à rechercher ici quelle fut la part des deux frères dans la double révolution
qu'ils firent subir à la peinture : nous ne les séparons pas l'un de l'autre, nous ne demandons
de leurs origines : nous
pas lequel des deux fut le plus grand. Nous tenons compte d'ailleurs
profité des efforts antérieurs
savons que, venus en Flandre des confins de l'Allemagne, ils ont
et des enseignements, déjà si féconds, que leur donnait la naïve et robuste école des bords
du Rhin; nous faisons donc état des influences allemandes; mais, ces réserves indiquées,
quelle noble part d'initiative leur reste encore! L'école flamande n'existait pas avant eux, et ils
l'ont créée.
Le fait capital qui domine dans l'œuvre de rénovation des Van Eyck, et ce qui fut pour eux
l'instrument de la délivrance, c'est un retour ardent, sincère, passionné vers la nature, si
dédaignée au moyen âge, si absente des vieilles formules byzantines. Le naturalisme, tel qu ils
l'entendaient dans la loyauté de leur intelligence, et, on serait tenté de le dire, dans la
tendresse de leur cœur, n'était rien moins qu'un principe de révolution dont le bénéfice
s'étendit bientôt à toutes les branches de l'art. Chose étrange et nouvelle! les Van Eyck
ouvrent les ils regardent, ils reproduisent naïvement ce qui les a charmés, et, la curiosité
yeux,
étant ici une vertu, ils marchent de découverte en découverte et ils font, en s instruisant
eux-mêmes, l'éducation de la Flandre. La nature, pieusement consultée, leur révèle la forme
humaine, sinon dans sa grâce, du moins dans sa vérité; elle leur enseigne le caractère des
types différents, le portrait, la vie intérieure, les humbles réalités du monde qui les entoure, et
bientôt le paysage. Jean van Eyck, continuant l'œuvre de son frère et faisant produire au
principe qu'il avait posé ses conséquences dernières, touche à toutes les formes, à toutes les
possibilités de la peinture, et il ouvre à la fois tous les chemins à l'école flamande qui va
naître. Il est, dans son pays, le premier des peintres religieux, le premier portraitiste, le premier
historien des scènes familières, le premier peintre de fleurs, le premier paysagiste. A tous ceux
qui l'entourent et qui déjà cherchent à l'imiter, il inspire cet ardent amour de la nature qui va
devenir pour eux comme une autre religion. Et en même temps, Jean van Eyck n'étant pas
seulement un puissant artiste, mais aussi un ouvrier d'une habileté sans égale, il apprend à ses
élèves à manier le pinceau -avec une liberté virile, à trouver l'harmonie dans le mélange des
tons, car le peintre du retable de Saint-Bavon contient en germe tous les coloristes d'Anvers.
Que l'école se constitue maintenant, elle saura dans quelle voie elle doit marcher.
qu'un groupe intelligent
A peine les Van Eyck eurent-ils prononcé la formule d'initiation,
d'artistes se pressa autour d'eux. On commence à les connaître aujourd'hui ces Rogier van
der Weyden, ces Memlinc, ces Thierry Bouts, ces Van der Goes, que l'histoire, injustement
distraite, a si longtemps ignorés. Ces maîtres diffèrent des Van Eyck et diffèrent entre eux, tantôt
par une coloration moins intense, tantôt par des formes plus allongées ou plus grêles, tantôt
par un timide effort tenté dans le sens de l'élégance et de la grâce. Quelques-unsatténuent Jean
van Eyck, corrigent, à leur manière, son puissant réalisme et commencent à l'affadir; mais
tous procèdent de lui, tous sont frères par leur amour pour la nature, par le soin merveilleux
dje l'exécution et du détail, par la profonde notion du portrait, et, disons-le aussi,
par la foi. Le
sentiment religieux peut s'exprimer sous bien des formes, il peut parler plus d'un langage.
L'Italie a eu ce don, précieux entre tous, de revêtir du prestige de la beauté ses madones et

ses saintes; celles des Van Eyck et de leurs élèves sont assurément d'un galbe moins pur, mais,
dans la familiarité de leur type, dans l'exactitude intime de leur costume flamand, dans la
particularité pénétrante de leur laideur aisément pardonnée, elles n'en sont pas moins animées
d'une touchante chasteté, d'une ferveur sereine et d'une tendresse infinie. Elles sont bien
portantes, il est vrai, et parfois un peu bourgeoisementmaternelles, mais elles ont dans le regard
lesentiment des choses invisibles, elles aiment, elles croient. Rogier van der Weyden et Memlinc
peuvent, au point de vue de l'idéal italien, manquer de style : qui oserait pourtant leur refuser
une place parmi les maîtres les plus tendres et les plus charmants?
Si cet art naïf et profond réussit dans les Flandres, il
ne faut pas le demander : les Van Eyck
étaient attendus, ils furent admirablement comprise Bien plus, le principe qu'ils inauguraient
était doué d'une vitalité puissante, et il montra, dès le début, une grande force d'expansion. La
nouvelle école flamande, protégée par les ducs de Bourgogne, pénétra au cœur de la France; le
roi René l'introduisit en Provence et dans l'Anjou. Jean van Eyck a travaillé en Portugal;
plusieurs de ses élèves ou du moins de ses adhérents se firent connaître en Italie par des œuvres
qui furent prisées à leur valeur. Josse de Gand travailla à Urbino, Rogier van derWeyden a
visité Rome, et tout porte à croire que Memlinc a fait aussi un long séjour au-delà des monts. En
même temps, des Italiens, comme Antonello de Messine, venaient en Flandre pour s'enquérir des
méthodes nouvelles: l'art des Van Eyck répandit donc sur une grande partie de l'Europe son
influence salutaire et son doux rayonnement.
Lorsque Memlinc mourut, en 1495, l'école flamande obéissait encore à ce sentiment naïf qui,
prenant pour point de départ la nature avec ses plus humbles vulgarités, arrive presque toujours
à l'émotion et monte quelquefois jusqu'au drame. Quentin Matsys, qui a vu finir le quinzième
siècle et commencer le seizième, fut l'héritier de ces maîtres sincères; nous sommes autorisé à
le dire aujourd'hui, il a dû connaître Thierry Bouts à Louvain, et il a continué jusqu 'en 1530
les méthodes qu'il avait apprises en étudiant son œuvre, peut-être en écoutant ses leçons. Notons

ce fait caractéristique : le grand tableau de Matsys au musée d'Anvers, le


Christ descendu de
la croix, a été peint en 1508, c'est-à-dire à une époque olt la Renaissance est dans sa fleur, 0..
Solario travaille en France, où le génie italien se répand sur le monde charmé. Ce tableau, si
concentré d'intention et si émouvant, est comme le testament du siècle qui vient de finir. Des
formes amaigries, nulle recherche de la beauté, une exécution singulièrement occupée du détail,
cela,
un caractère profondément douloureux dans les têtes des principaux personnages, et, avec
des épisodes d'une familiarité naïve et presque comique, tels sont les éléments de cette œuvre qui
termine la première période de l'école flamande. Matsys était déjà en retard, et, bien que l 'habile
maître n'en sût rien encore, l'art avait changé.
Et, en effet, l'Italie, l'Italie de Milan, de Florence, de Venise, rayonnait alors dans toute sa
splendeur. Attentive et noblement curieuse, la Flandre commençait à se tourner vers la
nouvelle aurore : parmi les jeunes artistes des Pays-Bas, c'était à qui arriverait le premier sur
la terre bénie. C'est l'heure où les Jean de Mabuse, les Lambert Lombart, les Van Orley et
bientôt les Coxcie et les Frans Floris, se hâtent de se mettre en route pour étudier chez eux
Léonard de Vinci, Raphaël, Michel-Ange. Nous ne leur reprochons pas ce beau zèle, une
excursion au pays de l'idéal étant le plus légitime des pélerinages. Aux premières années du
seizième siècle, ce mouvement de la Flandre vers l'Italie n'avait d ailleurs rien de bien
inquiétant : il y a dans l'œuvre de quelques-uns des maîtres que nous venons de nommer, et
entre autres de Jean de Mabuse, une curieuse association entre l'italianisme et l'ancien goût
flamand. Le génie local, malgré ce mélange, reste reconnaissable encore, et, pareille à une
femme qui ajoute à sa langue maternelle le piquant caprice d'un accent étranger^ l'école
flamande parle, dans ces premières années du seizième siècle, un langage un peu bizarre et qui
n'est pas sans grâce. Mais ce charme dura peu. A Jean de Mabuse, à Van Orley, succèdent des
artistes hybrides qui ont cessé d'être flamands sans devenir italiens. Il est malsain de méconnaître
les lois de son origine, il est mauvais de faire bon marché de sa nationalité. Dans leurs ambitions
malavisées, l'un de ces maîtres voulait obtenir le titre de Raphaël flamand, l'autre voulait être,
tout simplement, le Michel-Ange des Pays-Bas, et tous répudiaient avec un sourire de dédain
les naïvetés de Van Eyck et de Memlinc, auxquels ils étaient fiers de ressembler si peu.
Malgré leur incontestabletalent, Martin de Vos, Otho Vénius, les trois frères Jérôme, François
et Ambroise Francken, et quelques peintres encore qui ferment avec eux le seizième siècle,
sont, à bien des égards, étrangers à leur propre pays. Pendant cette période, les sujets avaient
changé comme le style : la vieille Flandre catholique fut envahie par les divinités de la
mythologie et on la mit au régime du symbolisme païen.
Auprès des lettrés, fort nombreux alors à Anvers, à Louvain, à Bruxelles, la tentative eut un
plein succès. En un temps où les savants latinisaient leur nom, et où il n'était pas ridicule de
faire des vers grecs, ces excès devaientréussir. Les acclamations et les couronnes ne furent donc

pas refusées aux représentants de l'art étranger. La mode s'en mêla : les princes qui
gouvernaient le pays, les grands seigneurs qui vivaient à l'ombre du despotisme espagnol, ne
se lassaient pas d'admirer les pseudo-florentins. Mais, au-dessous de ses classes heureuses, la"
vieille nationalité flamande conservait une vitalité latente. Étonnée, elle regardait passer sans les
comprendre ces artistes déguisés à l'italienne. Dès le début du siècle, le génie du pays commença
à protester à sa manière contre les dangers de ce travestissement.
Il protesta d'abord par le portrait. Josse van Cleef, qu'on a appelé le Fou, Pierre Porbus le Vieux
et son fils François, quelques autres que nous oublions, mais dont l'histoire se souvient, résistèrent
hardiment aux exagérations de l'italianisme. Placés sur le solide terrain de la réalité, ennemis de
tout mensonge, systématiquement hostiles aux séductions de l'idéal, ils jouèrent en Flandre
pendant tout le seizième siècle un rôle semblable à celui que HansHolbein, leur maître inconscient,
remplit en Suisse et en Angleterre. Ils n'eurent pas moins que lui le respect des physionomies
individuelles, le culte de la ressemblanceintime, la forte notion de la vie intérieure. Dans leurs
portraits de magistrats municipaux, d'hommes d'église, de bourgeois ou de chefs de gildes, il y a
une vitalité concentrée, une conviction familièrementhéroïque, une profondeur de caractère qui
révèlent à la fois l'individu et la catégorie sociale à laquelle il appartient. Le portrait, ainsi
compris, est au niveau de l'histoire. Si, dans le domaine de la peinture religieuse et mythologique,
le principe flamand perdait du terrain, il triomphait toujours dans le portrait, et Josse van Cleef

et les Porbus montraient plus d'énergie dans leur lutte contre les artistes revenus d'Italie, que le
tendre Janet ne fit voir de courage en s'opposant, à la même époque, au succès des maniéristes
de l'école de Fontainebleau.
Mais le danger devenant plus pressant, et les portraitistes ne suffisant pas à la tâche, la vieille
Flandre protesta avec plus de vigueur encore en appelant à son aide l'art populaire, la peinture
des bonnes gens. Un artiste à qui l'histoire mieux informée accordera tôt ou tard une importance
considérable, Pierre Breughel le Vieux — ou le Drôle — Se chargea de faire parler la vérité
flamande presque aussi haut que le mensonge de la mythologie italienne. Issu d'une famille de

paysans, Pierre Breughel entra dans l'art de son temps, avec la rude naïveté des ignorants et
des .pauvres. Il en savait assez cependant sur bien des choses; mais, quoiqu'il paraisse avoir
voyagé, il avait gardé un fond de rusticité et il pensait que l'ironie est souvent la forme de la

sagesse. Le vieux Breughel ne croyait guère aux divinités olympiennes auxquelles ses
contemporains donnaient tant de place dans leurs tableaux; il attachait plus de prix à l'humble
spectacle des choses naïves qu'il avait sous les yeux : il peignait les matelots en belle humeur,
l'ivrognetrébuchant au seuil du cabaret, l'alchimiste cherchant l'or potable, les amours en plein
vent, les bruyantes gaietés du dimanche, et il ajoutait volontiers à ses scènes champêtres je ne
sais quel accent moqueur, quelle exagération burlesque qui, sans trahir la vérité, mettait en saillie
l'élément caricatural qu'elle contient si souvent. D'autres fois, entrant en riant dans le monde
fantastique, il évoque la sorcellerie du moyen âge et se complaît aux plus amusantes diableries.
Pierre Breughel est, pendant la seconde moitié du seizième siècle, le grand comique de l'école
flamande; il se rattache, par le lien d'une fraternité qu'il ignore, à la famille de tous les rieurs
de l'époque; il est de ceux qui se sont servis de la gaieté comme d'un masque, pour cacher, en
les laissant deviner parfois, les inquiétudes, les mélancolies d'un temps où la vie humaine était
comptée pour si peu, où la lutte était dans tous les esprits et dans tous les cœurs. Aussi la plus
humble fantaisie du peintre des paysans dépasse-t-elle en sens moral, en valeur historique,
les plus doctes réminiscences de Frans Floris et de Martin de Vos. Pierre Breughel est d'ailleurs,
bien plus que les représentants de l'art officiel, dans les données traditionnelles de la peinture
' flamande. Il croit aux colorations hardiment contrastées, aux tonalités puissantes si chères aux
vieux maîtres du quinzième siècle; il cherche l'énergie et le caractère; exempt de toutes les
concessions qui diminuent, il peint comme il les voit les hommes, les maisons, les paysages;

créateur d'une école qui se modifia peu à peu et finit par s'éteindre, il eut l'honneur d'ajouter
aux résistances du génie national contre l'invasion des méthodes étrangères, la protestation de
son loyal éclat de rire.
Toutefois, cet art robuste et sain n'était guère accepté et compris que dans les régions
inférieures. Les aristocraties du temps et les classes lettrées demeuraient, ainsi que nous l'avons
dit, tout à fait sympathiques à l'italianisme, et la Flandre prenait plaisir à se nier, à s'amoindrir
elle-même. Aux premiers jours du dix-septième siècle, Otho Venins, amoureux de la peinture
ultramontaine, cherchait toujours les tendresses du Corrége et d'André del Sarte; les trois
Francken prolongeaient, non sans froideur, les leçons de l'école de Fontainebleau. Un
autre principe vint bientôt compliquer et attrister la situation. Quelques artistes, récemment
arrivés de Rome, et troublés par les violences du Caravage, imaginèrent de chercher les tons
vigoureux, les ombres accentuées, et essayèrent de persuader à leurs compatriotes qu'il était
de bon goût de peindre noir. Le génie du pays allait subir une nouvelle atteinte, l'élément
flamand était compromis, le ciel se chargeait de menaces, lorsque, en 1608, on vit arriver
d'Italie un jeune peintre, ardent et superbe, qui apportait aux esprits inquiets la certitude, aux

yeux fermés la lumière.


Ce conquérant, ce victorieux, c'était Rubens. A peine eut-il dit son nom, à peine eut-il montré

sa puissance, qu'il fut le héros du moment, le glorieux ouvrier de la délivrance. Un mot suffit
pour caractériser la révolution qui se produisit alors : Rubens rendit la Flandre à elle-même;
elle avait perdu la notion des qualités qui étaient en elle, il lui montra qu'elle pouvait se
reconquérir en renonçant au principe stérilisant de l'imitation étrangère; et, joignant à ce
bon conseil l'autorité de l'exemple, il fut le plus flamand des artistes de son temps. Sans
doute, son voyage en Italie ne lui avait pas été inutile; mais son robuste tempérament ne
se
laissa entamer par aucune influence dangereuse, et jamais il n'oublia les leçons qui lui avaient
été données par Adam van Noort, le peintre hardi qui savait si bien les secrets de la couleur et
de la lumière. Rubens avait en effet été annoncé, il était, pour ainsi dire, attendu, et c'est
pour
cela qu'il fut suivi : les adhésions lui arrivèrent de toutes parts : on vit même les disciples
attardés du Caravage renoncer à leurs ombres noires, pour marcher sur les traces du jeune
maître qui courait, léger et fort, dans la voie lumineuse.
Il est juste d'ailleurs de le reconnaître : les circonstances politiques étaient devenues meilleures;
le despotisme combiné de l'Espagne et de l'autorité catholique avait tempéré
sa rigueur, le
gouvernement de l'archiduc Albert et de l'infante Isabelle fut presque une période de repos; la
Flandre, bien qu'encore aux mains de princes étrangers, commençait à respirer plus librement.
Dans l'histoire de ces provinces, qui semblent faites pour toutes les joies de la paix et du travail,
il y eut alors un moment,de sérénité expansive. Ce- caractère du temps n'est nulle part mieux
marqué que dans l'œuvre de Rubens, où l'on sent déborder une vie d autant plus exubérante
qu'elle a été plus longtemps contenue, où l'on voit s'épanouir, largement ouverte, la fleur
radieuse de la jeunesse et de la santé.
La Flandre se reconnut et s'applaudit elle-même dans les puissantes manifestations de cet
art bien portant, et, pour ainsi dire, en dehors. Qu'auraient pensé cependant de ce débordement
de vie les peintres naïfs du quinzième siècle? Rubens, on est en droit de l'écrire, aurait
étrangement surpris les Van Eyck, les Van der Weyden, les Memlinc et tous ces maîtres discrets
qui abritaient sous des formesrigoureuses et précises un sentimentprofond, si mélancolique parfois
qui
et si tendre. Quelle distance entre ces calmes ouvriers des premiers jours et le triomphateur
s'agite bruyamment dans sa gaieté et dans sa victoire! Il semble qu'un monde les sépare. Tous
sont flamands cependant, mais, — n'est-ce pas là la grande loi de l 'histoire? — si l'esprit de
nationalité est puissant, les fatalités du temps sont plus impérieuses encore; la virilité est bien
loin de l'enfance, l'été n'est pas le printemps. Chez Van Eyck et chez Memlinc, la vie est
concentrée et pour ainsi dire intérieure ; chez Rubens et chez ses élèves, elle se manifeste et
dans ses grands
rayonne au dehors, et, avouons-le, elle perd, dans ses furieux mouvements et
gestes, sa force intime et pénétrante. Rubens a traité les plus émouvants sujets du
monde : la

Bible, l'Évangile, l'antiquité, l'histoire contemporaine, il a tout connu, il a demandé des


inspirations à toutes les poésies, et cependant il n'a été qu 'tin interprète insuffisant, presque
distrait, des mélancolies et des sanglots de l'âme humaine. La nature lui avait fait, dans ses
largesses, la part d'un enfant bien-aimé; il eut les belles curiosités de l'esprit, il posséda toutes
les délicatesses du cœur; mais si bien doué qu'il fût, il n'a pas exprimé tout ce qui était en lui,
l'attendrissement lui manqua et le don des larmes. Il demeura toujours plus agité que dramatique
et, pour tout dire d'un mot, plus décoratif qu'humain.
Rubens fit subir à l'ancien principe du naturalisme flamand une modification non moins

grave que celle qu'il avait apportée dans le domaine du


sentiment et de la pensée. Assurément le
point de départ du grand inventeur doit être cherché dans la nature; là est le secret de sa force, là
qui se mesurent
est la loi de son inspiration première. Mais Rubens est un de ces génies hautains
hardiment avec la vérité et la forcent d'obéir à leur puissant caprice. Quelle inflexible
personnalité que la sienne! Au temps de son voyage en Italie, il s'étudie à copier les œuvres
la
des maîtres, et —c'est peut-être son honneur,— il n'y est jamais parvenu. Il se place avec
meilleure volonté du monde devant un bas-relief grec, devant un Léonard de Vinci, un
Michel-Ange, un Jules Romain; il le comprend avec toute son intelligence; mais à mesure qu'il
travaille, son accent personnel se glisse entre le modèle et la copie; il croit imiter, et il invente,

car Rubens n'a jamais fait que des Rubens. Tel il avait été devant les chefs-d'œuvre de
l'antiquité ou du seizième siècle, tel il fut devant la nature; il la sent admirablement, il en est
plus que personne inspiré et charmé, et pourtant il la transfigure, il l'exagère, non dans le

sens de la beauté, mais dans le sens du mouvement et de la vie agissante, le corps humain
n'étant souvent pour lui qu'un prétexte ornemental, un superbe motif d'arabesque. A ce point
de vue, il s'opère chez Rubens une évolution analogue à celle qui s'était faite chez les Florentins
de la décadence. Qu'est-ce à dire? sinon que le grand artiste a une manière, ou, pour nous
servir d'un mot meilleur, un idéal.
C'est là évidemment le fait grave qui caractérise l'avènement de Rubens, c'est là, par-dessus
tout, l'élément nouveau, dangereux peut-être, qu'il introduit dans l'école. Grâce à lui, et pendant

son long règne, il y aura un idéal flamand. L'œuvre que Frans Floris et Martin de Vos avaient
tentée sans succès, Rubens la reprend à son tour, et il réussit, parce que, au lieu d'essayer
comme eux à acclimater à Anvers une plante exotique et fragile, il puise son génie dans la séve
même du pays, et fait produire à l'art flamand les fleurs et les fruits qu'il contenait en germe.
Rubens parle avec plus d'accent que ses contemporains, mais, en réalité, son langage est leur
langage, et c'est pour cela qu'il fut compris.
Cet idéal robuste etvivace était tellement dans les possibilités et dans les attentes du pays, que,

sous l'influence de Rubens, toutes les branches de l'art furent tout à coup renouvelées. Le maître
d'Anvers devint le chef de l'école dans la peinture religieuse et historique, dans le portrait, dans
le paysage, dans la représentation des animaux, des fleurs et des plus humbles choses, car il eut,

comme Jean van Eyck, le don de l'universalité. Il créa, presque sans le vouloir, une nouvelle
sculpture flamande; il forma, pour interpréter son œuvre, une armée de graveurs agiles, savants,
coloristes comme lui. Il y eut alors à Anvers et dans les villes voisines une magnifique éclosion
d'artistes qui sont à jamais l'honneur de l'école. Résultat étrange et superbe : de 1610 à 1650,
tous les peintres en Flandre ont du talent !
Dresser ici la liste des glorieux disciples de Rubens, ce n'est ni notre rôle, ni notre dessein.
Deux noms cependant, ceux de Jordaens et de Van Dyck, doivent être cités, parce que de tels
élèves sont des maîtres, parce que Jordaens, aux belles heures de sa jeunesse, n'a pas eu moins

que Rubens le sentiment généreux de la vie, de la couleur et de la lumière; parce que


Van Dyck, bien qu'il n'ait jamais eu la virilité et la fougue de son ardent initiateur, a eu quelquefois
plus d'émotion que lui, et a montré, dans ses fiers portraits, à quel point l'école flamande était
susceptible d'élégance. Autour de ces maîtres se groupe la foule choisie des disciplesdirects du
grand peintre ou des adhérents qui, sans fréquenter son atelier, le prirent de loin pour modèle :
Corneille de Vos, Gaspard de Crayer, Gérard Seghers, Rombouts, Corneille Schut, Diepenbeeck,
Van Tulden, Van Mol, et d'autres encore à qui l'originalité a manqué, mais non le talent, et qui
ont rempli les églises de Flandre de tableaux colorés et vivaces; et les animaliers Snyders,
Van Utrecht et Jean Fyt, et les paysagistes Wildens, Van Uden, Fouquières, et le jésuite
Daniel Seghers, qui donne à ses guirlandes de fleurs l'éclat, la gaieté et la vie. Si différents qu ils
paraissent, si divers que soit le genre où a triomphé leur fantaisie, tous ces peintres sont semblables
'en ce point qu'ils croient aux prestiges de la couleur plus qu'aux sévères exigences de la ligne,
qu'ils cherchent avant tout le mouvement, qu'ils ont les grandes et libres allures d'ouvriers
sûrs de leur pinceau; enfin, ils ont un culte pareil, ils s'inclinent devant le même dieu,—
Rubens.
A ce magnifique épanouissement de l'école flamande au dix-septième siècle, il eût manqué
quelque chose si David Téniers ne fût venu compléter la fête. Dans les aptitudes compliquées
de sa double nature, le génie du pays applaudissait aux triomphantes mythologies de Rubens,
à ses grandes compositions religieuses où la vie s'exaltait avec tant d'exubérance; mais il avait
d'autres instincts, d'autres besoins qui voulaient être satisfaits. Bien que le temps fût lettré et
curieux des choses de l'esprit, la Flandre était toujours la Flandre, c'est-à-dire un doux pays
d'intimité domestique et de gaieté familière. David Téniers, marchant dans une voie où s'étaient
déjà engagés son père, le boulanger Craesbeke et d'autres encore, se chargea de raconter et de
peindre, comme autrefois le vieux Breughel, mais avec plus d'élégance et de délicatesse, les
jeux sur la pelouse et les joies bruyantes des paysans dansant la main dans la main au seuil des
tavernes égayées. Son talent, souple et varié comme la vie, se plaît aux travaux de la campagne,
aux fêtes en plein air, mais il entre aussi dans les chaumières enfumées, il sait le chemin des
cabarets, il se glisse dans ces antres, chimériques souvenirs d'un art antérieur, où la sorcellerie,
désormais peu effrayante, se livre à ses innocentes incantations. Mais, on le sent bien, la
démonologie de Téniers n'est que le caprice d'un pinceau qui s'amuse, et son diable est si
débonnaire! Ainsi, soit qu'il touche à la vie agreste, soit que, fidèle aux réminiscences de l'art
d'autrefois, il pénètre dans le monde fantastique, il est flamand par son inspiration comme par
demeureraient
sa manière. Les origines de son talent et sa merveilleuse sûreté de main
inexplicables à celui qui ne saurait pas que Téniers descend de Rubens. C'est du grand
coloriste qu'il a appris ces tons clairs aux fines transparences, ces tranquilles harmonies et ce
libre maniement de la brosse, cette «légèreté el'outil», comme on disait au dix-huitième siècle,
qui font du peintre des kermesses flamandes un des plus étonnants virtuoses du pinceau. Chez
David Téniers, l'élégance de l'exécution donne de l'élégance aux types, et le naïf historien des

paysans, des buveurs, devient un peintre plein de délicatesse et de douce coquetterie lorsqu'il
représente sa jeune femme, Anne Breughel, présidant au repas de famille ou se promenant,
blonde et vêtue de bleu, dans les prairies qui entourent son petit château. Et c'est ici, c'est en
étudiant Téniers, qu'on sent, mieux que les mots ne peuvent l'exprimer, la différence qui sépare
l'école flamande de l'école hollandaise. Téniers, qui se souvient toujours de Rubens, exprime
d'un pinceau léger et rapide un certain côté extérieur de la vie; il dit ses sérénités et ses joies
faciles; il ne va pas, comme ses voisins les Ostade, les Jean Steen, les Brauwer, au fond de la
comédie humaine; il ne cherche point l'envers des choses; il ne rit pas, il ne s'attriste pas avec

ces grands moqueurs. Sous ce rapport, il reste au-dessous du vieux Breughel, si puissant et si
convaincu dans sa gaieté caricaturale. Téniers n'en est pas moins un merveilleux artiste, un des
hommes qui caractérisent le mieux l'école flamande : en mêlant à l'éclatant concert des divinités
héroïques la chanson de la muse familière, il a complété Rubens.
L'influence de Téniers fut très-grande et s'étendit jusqu'à la fin du siècle. Les artistes qui
se réunirent autour de lui gardèrent cependant, comme David Ryckaert et François Duchâtel,
une certaine personnalité. Quant à Gonzalès Coques, qu'on a quelquefois rapproché du groupe
des peintres intimes, il est, malgré la petite dimension de ses figures, bien plus voisin de Van
Dyck. Et, chose étrange! il confine parfois à la Hollande, et l'on voit les deux écoles se mêler
doucement dans son œuvre, et, pour un instant, se pénétrer l'une l'autre.
A l'heure où triomphaient ces maîtres charmants, et à mesure que le dix-septième siècle
s'avançait vers ses dernières années, les peintres qui avaient succédé il Rubens faiblissaient
visiblement et commençaient, avec la meilleure volonté du monde, à le trahir ou tout au moins
à le compromettre. Sous la main des Van Oost et des deux Quellyn, le principe de décadence

que contenait à l'état latent l'œuvre splendide du maître s'était peu à peu révélé et envahissait
l'école. Ces peintres, et ceux qui travaillaient à côté d'eux, avaient conservé une grande fougue
de pinceau, une audacieuse liberté d'allures; mais la facilité allait chez eux jusqu'à l'abandon,
le flamboiement des lignes et le fracas des attitudes Remplaçaient le sentiment humain, et, triste

aventure à raconter, la notion de la couleur commença à manquer même aux artistes d'Anvers,
même à ceux qui, dans leur jeunesse, avaient vu peindre Rubens. Un des plus puissants
représentants de l'école, Jordaens, avait à la fin de sa vie attristé ses colorations par l'abus
des tons bruns et roux. La mode vint bientôt de suivre
ce système ; les tonalités perdent
alors leur fraîcheur et leur éclat; les ombres s'allourdissent, la palette s'obscurcit, et les teintes
chaudes ne suffisant plus, on passe aux teintes brûlées. Le dessin, nous l'avons dit, s enivre
follement et s'agite dans des caprices sans raison : l'heure arrive bientôt oit, de la grande école

que Rubens avait fondée, il ne reste plus qu'un souvenir de jour en


jour diminué, des leçons
de plus en plus désapprises.
Le dix-huitième siècle, qui fut charmant en France, et qui, même en Italie, inspira dans des
la Flandre
genres secondaires tant de caprices heureux, tant de spirituels mensonges, fut pour
malsaines, le génie national
une époque d'incontestable décadence. En proie à des influences
s'altère et se trouble; les maîtres de l'Italie appauvrie, les Pierre de Cortone et les Carle Maratte
sont étudiés avec une ardeur imprudente; l'école française des Boullogne et des Coypel trouve
le paysage devient
en Flandre des adhérents imprévus; enfin, signe fâcheux entre tous,
académique. C'est le temps de Victor-Honoré Janssens, de Jean van Orley, de Duvenèdc, de
Verbeeck, de tous ces décorateurs qui inventent, sans grande conviction, de vastes machines
mythologiques ou des tableaux religieux par le sujet, mais vides par l'expression et le sentiment.
Le pastiche devient à la mode : le chevalier Breydel, Jean van Bredael, Van Falens se font une
facile renommée parce qu'ils imitent adroitement Wouwermans, et dès lors, l'art dégénérant en
vulgaire industrie, des artistes peu dignes de ce nom s'enrichissenten peignant de faux tableaux,
et jettent sur le grand marché de la curiosité des imitations plus ou moins trompeuses, désespoir
des galeries modernes. Ah! combien nous sommes loin, en ces tristes jours, de la Flandre de
Van Eyck et de la Flandre de Rubens! Les paysagistes eux-mêmes passent à l'ennemi : oublieux
des prairies flamandes, méconnaissant l'intime poésie des horizons familiers, les Abraham
Genoels, les Frans van Bloemen, croient bien faire en imitant les Italiens, et, mêlant à leurs
maigres inspirations un peu de géométrie et beaucoup de servilité, ils font, à leur façon, des
Néanmoins,
paysagesarcadiques, olympiens,régulierscomme la grammaire et sages comme la mort.
Huysrnans de Malines, dans une manière compliquée et savante qui n'est plus le naturalisme
d'autrefois, mais qui n'est cependant pas tout à fait chimérique, garde encore, dans ses terrains
ravagés par les pluies, dans ses beaux arbres aux frondaisons vigoureuses, quelque chose du
sentiment flamand. Il est le dernier paysagiste de son pays.
Pendant ce temps, la peinture d'histoire faiblit de plus en plus et s'efface. Seul, un artiste qui
a conservé quelques-unes des belles ardeurs du passé, Verhaghen, s'inspire de l'étude des
de l 'éclat, et bien
œuvres de la grande école du dix-septième siècle, il retrouve de l'élan et
qu'on puisse ne voir en lui qu'un Vanloo intempérant et lâché, il sait peindre, il tient encore le
pinceau d'une main virile, à l'heure où Corneille Lens adopte une manière débile et adoucie
jusqu'à la fadeur. Puis, au moment où s'achève le dix-huitième siècle, àrrivent pour l'art des
fâcheux jours ; les armées de la Révolution envahissent le sol flamand, et, changeant de nom en
changeant de maîtres, le pays où vécurent les Van Eyck, les Memlinc, les Rubens, les Jordaens,
les Van Dyck, est démembré un peu au hasard pour former des départements français. Des
peintres d'Anvers, de Gand, de Bruxelles viennent alors étudier leur art à Paris. L'antiquité
mal comprise, la rigueur académique, le principe stérilisant de l'imitation ne tardèrent pas à

exercer l'action la plus regrettable dans la contrée qui avait été la Flandre, le Brabant, le
lIainault, et qui avait d'ailleurs perdu, par le fait de la conquête, les chefs-d'œuvre de ses
églises. Lors de la Restauration, le grand maître de l'école archaïque, Louis David, fut exilé à
Rruxelles : il y passa les dix dernières années de sa vie, révélant à des artistes de moins en
moins flamands, les tristes secrets de la froideur et de la correction banale. La Flandre
avait été visitée par les maniéristes italiens, par les émules du Caravage, par les élèves de
Carle Maratte, mais rien n'était plus contraire à son génie expansif que les théories de David.
Ce fut vraiment là le coup de grâce, et l'on put croire un instant que cette fière école était à
jamais perdue.
Elle s'est relevée pourtant. Lors de la révolution de 1830 et pendant les années qui suivirent,
il s'estproduit un grand réveil dans le pàys des Van Eyck et de Rubens. Ce coin de terre, qui
fut si longtemps un champ de bataille et qui a excité pendant tant d'années des compétitions si
jalouses, a reconquis son indépendance, et, tous les biens arrivant à la fois, l'art lui a été
rendu avec la liberté. L'école belge, revenue à elle-même, s'est pieusement inquiétée de ses
origines : elle a compris, par une rapide étude de son histoire, que ses maîtres ont toujours été
forts lorsqu'ils ont obéi au génie national, et qu'ils ont vu leur talent décroitre, sinon
s'éteindre, lorsque, voulant parler un langage qui n'était pas le leur, ils ont trop complaisamment
cédé aux influences étrangères. Instruite par cette grande leçon, la nouvelle école de Relgique

a rejeté les sèches doctrines des académies — et bien que Rubens lui manque encore un
peu— elle s'est affirmée avec vaillance aux expositions universelles de Paris et de Londres;
elle montre, chaque année aux Salons d'Anvers, de Bruxelles et de G-and, de quelle séve elle
'a
est animée et quelles précieuses qualités elle a retrouvées. La peinture contemporaine est en
dehors de notre programme; nous ne voulons ici citer aucun des artistes qui sont l'honneur
du pays, nous taisons même les noms de nos amis les plus chers, mais chacun les connaît,
chacun sait quelles sont les forces vives de l'école belge et ce qu'elle est en droit d'espérer de
l'avenir.
Cette renaissance de la peinture en Belgique a été accompagnée, sinon provoquée, par un
réveil analogue dans les études relatives à l'histoire de l'art. Sans vouloir exagérer l'importance
de ce mouvement, il est manifeste que le passé tient au présent par de visibles attaches, et
qu'il n'est pas indifférent à l'inspiration des artistes qu'il y ait auprès d'eux des hommes qui
les comprennent, qui les aiment, qui sachent éclairer des lumières de la tradition la marche
de l'école nouvelle. D'ardents chercheurs ont entrepris de révéler aux maîtres contemporains

ce qu'étaient leurs ancêtres aucune bonne volonté n'a manqué à cette grande tâche. Mais
:

pour parvenir à l'exacte notion du passé, un vaillant effort était nécessaire. Il fallait tenir pour
suspectes et comme non avenues toutes les informations trop légèrement recueillies par les
écrivains antérieurs, passer au crible d'une critique, prudente jusqu'à la défiance, les
jugements, les anecdotes, les dates et les faits consignés dans les livres de Van Mander, de
Sandrart, de Weyerman, d'Houbraken, de Descamps. Qu'est-ce à dire? sinon qu'il fallait
remettre à l'étude l'histoire des institutions et des hommes, rendre à la lumière les annales de
ces gildes qui ont tant fait pour l'honneur de l'art, refaire une à une les biographies des

peintres flamands, en s'entourant, dans cette œuvre de restauration et de justice, de tous les
documents authentiques qu'une érudition noblement curieuse a su mettre au jour. Voilà
bientôt vingt ans que cet immense travail a été entrepris ; il n'est pas encore achevé, et, à vrai
dire, il ne sera terminé jamais, car c'est le glorieux supplice de l'histoire et sa fête éternelle,
de vider toujours, comme une autre Danaïde, une urne incessamment remplie. Toutefois, et
quelles que soient les difficultés de la tâche, quoique la question des origines demeure

encore voilée de bien des ombres, un grand pas a été fait. Les archives municipales ont été
fouillées, les registres des paroisses ont été interrogés, les papiers des anciennes corporations
ont été tirés de la poussière, et il est sorti de ce travail des biographies nouvelles pleines de
révélations imprévues, pleines aussi de démentis authentiquement adressés à la témérité des
écrivains d'autrefois. Certes, ce qu'il reste à éclaircir ou à trouver est considérable encore; mais
l'érudition belge a déjà amassé d'immenses richesses, et il ne faut pas hésiter à le reconnaître,
alors que l'histoire des diverses écoles européennes est à peine ébauchée, celle de l'art flamand
est étudiée avec tant d'ardeur et par tant de plumes savantes, que, bientôt peut-être, il sera
permis de la raconter.
Déclarons-le hautement : le livre auquel ces pages servent d'introduction n'eût pas été possible
il y a vingt ans. Que savions-nous sur cette bellé histoire avant la publication du Catalogue du

musée d'Anvers en 1849? Quels renseignements positifs possédions-nous sur les maîtres et sur
leurs aventures? Sans vouloir engager ici la personnalité de nos collaborateurs, au nom
desquels nous n'avons pas le droit de parler, nous pouvons dire, en ce qui nous touche
particulièrement, que les incessantes découvertes des savants belges ont été, dans ce long
travail, notre soutien et souvent aussi notre désespoir. Privés de la joie de pouvoir puiser
directement aux sources ignorées, nous avons été constamment attentifs aux recherches des
érudits d'Anvers, de Bruxelles, de Louvain, et notre rôle a été de profiter le plus possible de
leurs heureuses trouvailles. Au sortir des sentiers si souvent obscurs où nous nous étions
engagés, c'est donc pour nous un devoir, et un plaisir, d'adresser un chaleureux remercîment
à tous ceux qui ont été notre conseil et notre lumière.
.
Mais si l'œuvre a été, en tant de points, difficile et ardue, combien les auteurs de ce livre
n'ont-ils pas trouvé de compensations dans l'intérêt même de l'histoire qu'ils racontaient! Ce
n'est pas une médiocre joie que d'avoir à étudier la vie, à apprécier le talent de ces maîtres de
la vieille Flandre qui n'ont pas eu, comme les Italiens, la sainte fièvre de l'idéal, mais à qui il
doit être beaucoup pardonné, parce qu'ils ont beaucoup aimé la peinture, c'est-à-dire la peinture
colorée, solide, vivante, lumineuse. C'est en effet un principe essentiellement flamand, qu'il ne
sera jamais qu'un artiste secondaire, celui qui ne pourra pas rnettre au service de son rêve la
main savante d'un bon ouvrier. Les Van Eyck en jugeaient ainsi, c'était la théorie de Rubens et
de ses élèves; aujourd'hui encore, l'école belge professe avec raison qu'il est important de savoir

son métier. Cette doctrine, qui, si élémentaire qu'elle paraisse, n'a pu parvenir encore à se faire
complètement accepter en France, trouve dans l'histoire de l'école flamande sa plus éclatante
justification. Il est très-remarquable que les Van Eyck soient, ainsi que nous l'avons dit,
doublement inventeurs, et qu'ils aient innové dans la pratique de la. peinture comme dans le
domaine du sentiment. Il n'est pas non plus inutile de rappeler que, d'après les archives de la
gilde de Saint-Luc, à Anvers, le système d'enseignement en usage au seizième et
au
dix-septième siècle, c'est l'apprentissage, et un apprentissage tellement précoce que beaucoup
d'élèves entrent chez leurs maîtres à dix ou onze ans, quelquefois plus tôt. Grâce à cette forte
instruction pratique, le talent s'éveillait de grand matin chez les peintres flamands, le succès
venait de bonne heure : Rubens obtenait son brevet de maîtrise à vingt et un
ans, Téniers à
vingt-deux, Van Dyck à dix-neuf.
Et chez les uns et chez les autres, chez les plus grands et chez les moindres, quelle noble
passion pour l'art, quelle sérénité persistante au travail, quel infatigable enfantement!
Rubens, je le reconnais, a été quelque peu ambassadeur, il a fait de la numismatique et de
l'archéologie, il était en correspondancecontinuelle avec des savants et des grands seigneurs;
mais, au milieu de tant de soucis divers, il n'a pas
un instant négligé la peinture, et l'on peut
évaluer à deux mille le nombre de ses tableaux. Les portraits de Van Dyck
se comptent par
centaines, et il est mort à quarante-deuxans. Jordaens ne paraît pas s'être reposé beaucoup, Téniers
Ah! combien, à l'heure de la
non plus, ni Gaspard de Crayer, ni les Breughel, ni personne...
mort, ces bons ouvriers devaient s'endormir tranquilles, et comme ils ont bien mérité la petite
branche de laurier que nous venons déposer sur leur tombeau !
Arrêtons-nous. Une si vaillante ardeur au travail de chaque jour, des dons si heureux, des
circonstances clémentes ont fait à l'école flamande une situation privilégiée dans l histoire de
l'art. Supposez un instant qu'elle n'ait pas existé, éliminez-la des musées et de nos souvenirs, il se
fait tout à coup, dans les fastes du génie humain et dans le trésor de nos communes richesses, une
lacune considérable, un vide irréparable. L'idéal ayant eu ailleurs sa glorification et son
apothéose, il était bon que la nature eut à son tour sa fête et son triomphe. La fortune s'est ici
trouvée d'accord avec le droit. Alors que bien des écoles, et des plus fameuses, n'ont eu qu'un
moment d'éclat, l'art flamand a, dans ses annales, deux siècles éternellement glorieux, le
siècle des Van Eyck et le siècle de Rubens. Auprès de ces grandes personnifications du génie
national se groupent de nombreux bataillons d'artistes superbes ou charmants. Que l'Italie le
pardonne aux auteurs de ce livre! ils ont hautement célébré les mérites de ses maîtres, et s'ils
de leur rôle, car les temps de la vérité sont
ne l'avaient pas fait, ils seraient restés au-dessous
venus, et si l'histoire n'est pas la justice, elle n'est
rien.
PAUL MANTZ.
6"co& ^/amajic/e £fun//ieée /wumteve de t:Uv.

HUBERT ET JEAN VAN EYCK


ïil'iti.KT NÉ L.N 1306, woni LN 1420. — JEAN, NÉ VLI,S 1386, MOHT EN 1440.

Bien avant que le soleil se lève, bien avant même que


l'aube empourpre l'orient, on voit une ligne blanche border
l'horizon, pendant que le ciel revêt déjà ses teintes d'azur.
Cet aspect matinal du firmament avait sans doute beaucoup
frappé les Van Eyck et leurs élèves : ils l'ont reproduit sur tous
leurs panneaux. Et comme il y a entre l'esprit de l'homme,
entre les tendances d'une époque et la nature extérieure, de
secrètes harmonies, ce goût des artistes brugeois pour les
signes précurseurs du jour peut paraître un effet de leur
position dans l'histoire, l'emblème de leur génie et de leur
destinée. Quand leur école prit naissance, la nuit mystique du
moyen âge allait finir, les premières lueurs de la pensée
moderne tremblaient au fond de la perspective. La peinture
se réveillait de sa léthargie séculaire : c'était l'art qui avait
le moins réussi pendant l'époque féodale, l'art que nos aïeux
cultivaient de la manière la moins habile. L'éclatante mosaïque
des vitraux semble les avoir rendus longtemps insensibles il tout autre procédé : quel genre d'images
n'avait effectivement l'air pàle et morne en comparaison? Mais l'heure était venue où l'intelligence
humaine devait sortir du sanctuaire, aborder de front la nature, dans la science, dans la philosophie, dans
les lettres, dans les œuvres du pinceau et du ciseau. L'observation et l'imitation des choses réelles se
préparaient à expulser l'hypothèse de anciens domaines, à la chasser comme un oiseau des ruines Or,
ses
nul travail ne reflète aussi exactement la nature que les tableaux des grands maîtres. L'architecture
et la musique sont des créations indépendantes; la sculpture ne prend pour modèles que les êtres animés,
quelques fleurs et quelques fruits.; la peinture copie tous les aspects du monde, toutes les formes de ses
habitants. Aussi nulle époque ne pouvait-elle lui être plus favorable que les temps modernes, où l'on a
proclamé les droits absolus de l'expérience; l'art du coloris se trouve là sur son terrain; il étudie, retrace
avec amour cet immense univers, à la fois mystérieux, charmant et sublime, qui est
devenu le principal
objet de la curiosité humaine.
En quel lieu du globe eût-il mieux accompli ses nouvelles destinées que chez un peuple imitateur pat-
a
instinct, voué entièrement au culte de la grande déesse? Ce n'est point le hasard qui fait naître dans les
Pays-Bas les fondateurs de la peinture moderne, les inventeurs de ses procédés, de sa méthode: c'était
le sol le plus propice à la fleur nouvelle, dont la brise promenait les semences sur toute l'Europe; elle
y germa, elle s'y épanouit d'abord, elle étonna et ravit les
nations de sa grâce originale, de sa splendeur
inespérée.
On ne connaît pas le nom de famille que les deux frères avaient hérité de leurs parents. Ils étaient venus
Suivant une habitude
au monde dans le Limbourg, à Maas-Eyck; or, Maas-Eyck veut dire Eyck-sur-Meuse.
de l'époque, ils se firent appeler, d'après le lieu de leur naissance, Hubert et Jean d'Eyck, en flamand Van
Eyck. La syllabe complémentaire fut supprimée comme inutile : un écrivain français, originaire de Troyes
en Champagne, est ainsi nomméJean de Troyes, tout court.
L'épitaphe d'Hubert prouve qu'il était né en 1366 ; tous les renseignements s'accordent pour représenter
son frère comme plus jeune d'une vingtaine d'années. On ignore
comment le goût de la peinture lit
invasion dans leur humble demeure. Peut-être leur famille ornait-elle des panneaux de père en fils,
de leur histoire. Un fait moins
comme c'était alors l'usage. Mais nul renseignement n'éclaire cette partie
douteux, c'est qu'ils subirent l'influence de l'école rhénane. Dès le treizième siècle, Cologne et Maëstricht
s'étaient rendus célèbres par l'habileté de leurs artistes. Pendant le siècle suivant, l'adresse de ces imagiers
augmenta. En 1370, maître Wilhelm ou Guillaume s'établit dans la première ville, sous les murs de laquelle
il était né, au hameau de Herle. On n'avait pas encore vu un peintre aussi capable sur les bords du grand
fleuve germanique. Aussi, après dix ans de travail, sa gloire remplissait-elle déjà tout l'Empire. Il forma un
élève d'un talent plus extraordinaire encore, maître Stephan ou Etienne. Ce charmant dessinateur trace
hommes du Nord s arrêtent étonnés, comme
en 1410 la fameuse Adoration des Mages, devant laquelle les
devant une œuvre surnaturelle. L'idéal qu'ils entrevoyaient à peine au fond de leur imagination venait
de leur apparaître sous une forme sensible. C'était d'ailleurs une époque féconde pour l'Allemagne que le
quatorzième siècle. A Prague, toute une école maniait fougueusement le pinceau, école destinée à périr
dans les guerres des Hussites. A Nuremberg s'ouvraient les ateliers où le génie devait plus tard produire
des merveilles, où il montrait déjà ses forces naissantes. Mais il fallait que l'inspiration née sur le sol
germanique visitât d'abord la Flandre, y acquît l'expérience et la vigueur qui lui manquaient, pour revenir
en triomphe à son point de départ. Cette émigration eut lieu sous la
tutelle des frères Van Eyck. Leurs
tableaux, surtout dans la composition, offrent mainte analogie avec les peintures rhénanes.
L'opulence de Bruges les attira hors de leur pays, les beaux-arts ne pouvant prospérer sans la richesse.
Aucune ville de l'Europe ne l'égalait sous ce rapport. En 1380, ses orfèvres seuls étaient déjà si
nombreux qu'ils marchaient en corps de bataille sous leurs propres drapeaux. On y voyait dix-sept comptoirs
nationaux, entretenus par des peuples étrangers dans de somptueux édifices. Pendant une seule année,
quarante mille muids de vin y furent expédiés de La Hochelle. Cent cinquante vaisseaux arrivaient parfois
le même jour au port de l'Éc)use. La ligue Hanséatique faisait avec Bruges un commerce si important que
Aussi Eneas Sylvius rangeait-il
sa factorerie formait un quartier ceint de murailles, comme une citadelle.
cette métropole des Flandres parmi les trois ,lus belles villes du monde. Barlandus proclame ses avantages
sur les autres communes du pays dans les termes suivants : aPulchra sunt oppida Gandavum, Antwerpia,
Lovanium, Mechlinia, sed nihil ad Brugas. »
L'art de peindre cependant, cet art qui contribue d'une manière si brillante à la décoration des bâtiments
publics et privés, n'y était pas sorti de l'enfance. On n'a retrouvéjusqu'ici le nom d'aucun artiste un peu
célèbre. Un tableau à la gomme, que renferme l'église Saint-Sauveur, donne une très-mauvaise opinion des

coloristes du temps. Il figure la mort du Christ. Avec beaucoup de bonne volonté, on y remarque çà et là
quelques parties louables, mais nul rayon d'une aube prochaine n'éclaire cette œuvre insignifiante. Dès
leurs débuts, en conséquence, les frères Van Eyck durent produire un grand effet, car il est vraisemblable
que leur talent précéda la découverte de la peinture à l'huile. Selon Karel van Mander, ils s'étaient même
déjà rendus célèbres avant de connaître cet important secret. Sous leurs yeux travaillait leur sœur
Marguerite; emblème charmant de cette école gracieuse, elle demeura vierge pour se livrer sans partage au
culte du beau, à l'exaltation idéale qui l'entourait de songes poétiques.
Leurs parents avaient dû leur laisser quelque fortune. L'instruction donnée à leur petite famille met hors
de doute qu'ils vivaient dans une certaine aisance. Jean van Eyck possédait une science très-rare de son
géométrie,
temps. Un auteur du quinzième siècle, Barthélémy Facius, nous apprend qu 'il avait étudié la
les livres de Pline et les autres ouvrages des anciens. Il savait en outre le peu de chimie alors connue
et l'art de distiller. La nature lui avait donné d'ailleurs un caractère doux, obligeant, affectueux,
une élégance de maintien et de gestes qui lui servirent
auprès de Philippe le Bon.
Karel van Mander, Vasari et Facius lui attribuent l'invention de la peinture à l'huile : aucun texte n'en
fait honneur à Hubert. Mrs Liévin de Bast et Çornelissen ont voulu néanmoins arracher de son front cette
glorieuse couronne, pour la transporter sur la tête de son frère. Mais ils n'ont appuyé leur opinion d'aucune
Celui-ci nous a
preuve. Hubert était l'aîné, disent-ils, et fut selon toute apparence le maître de Jean.
laissé un témoignage de la respectueuse admiration qu'il lui inspirait. Ce sont les vers latins écrits sous
Y Adoration de V Agneau mystique. Jean y déclare son frère le plus grand peintre que
l'on ait jamais vu
(major quo nemo repertus), et ne se place qu'en seconde ligne (arte secundus). Quand même on prendrait
cet éloge au pied de la lettre et qu'on n'y verrait point un signe de modestie, une affectueuse hyperbole, quel
rapport la phrase a-t-elle avec le procédé nouveau? Elle n'y fait aucune allusion. Hubert van Eyck, après
tout, aurait pu éclipser le talent de son cadet, sans avoir rien inventé. Allons plus loin. S'il avait réellement
découvert la peinture à l'huile, un frère tellement empressé à lui rendre justice, à l'élever au-dessus de lui,
négative d'une force
ne l'aurait-il pas proclamé bien haut? Son silence sur ce point capital est une preuve
donc Jean van Eyck sur le fauteuil
peu ordinaire. En attendant une argumentation plus solide, laissons
d'honneur où il siége depuis quatre cent cinquante ans.
Sa méthode, au surplus, était moins un procédé nouveau que le perfectionnement d'un vieux moyen,
négligé, délaissé parce qu'il offrait trop de désavantages. Les artistes de l'Orient etde l'Occident connaissaient
la peinture à l'huile, comme le démontrent le livre de TheophilusPresbyter (Diversarium
artium schedula,
Mais on
ch. 27) et le Guide de la Peinture, si heureusement découvert au mont Athos par M. Didron.
employait l'huile de lin dans son état naturel, ce qui demandait une patience exemplaire, « car, chaque
fois

qu'on avait appliqué une couleur, on ne pouvait en superposer une autre si la première n était pas séchée. »
Encore fallait-il que l'on pût exposer l'ouvrage aux rayons du soleil (in his tantÙm rébus quœ sole
possunt). Tant d'inconvénients avaient dégoûté de cette manière. On peignait donc à la gomme trois
couleurs seulement, qui ne se mêlaient pas avec cette substance, le vermillon, la céruse et le carmin,
: siccari

étaient broyées avec du blanc d'œuf. La colle de parchemin, malgré l'opinion contraire admise depuis
arabique
longtemps, ne servait qu'à fixer les ors. On étendait sur les tableaux un vernis composé de gomme
sécher. Mais
et d'huile de lin bouillies ensemble. L'action du soleil était également indispensable pour le
ce genre de peinture donnait des tons pâles, qui ne flattaient
point l'œil et ne pouvaient rendre les teintes
procédé
des objets naturels. On cherchait donc dans toute l'Europe, avec une impatiente ardeur, quelque
moins vicieux, lorsque Jean van Eyck eut la gloire de le découvrir.
très-satisfait, il
Ayant un jour terminé un tableau qui l'avait occupé longtemps et dont il était d ailleurs
puissant. La
le vernit et l'exposa au soleil. Mais on ne modère pas comme on veut les rayons de l'astre
chaleur travailla le panneau et y forma des crevasses. Représentez-vous le chagrin de l artiste
envoyant
son œuvre ainsi détériorée ! Pendant qu'il l'examinait d'un œil
triste et morne, il se demanda s 'il ne pourrait
chimie ne devait-elle pas lui venir en
composer un enduit qui sécherait à l'ombre. Sa connaissance de la
désiré : après quelques
aide? L'ingénieuxFlamand se promit de n'épargner aucun effort pour atteindre le but
perdaient
essais infructueux, il observa que l'huile de lin et l'huile de noix, les plus siccatives de toutes,
bien plus promptement leur humidité quand on les avait fait bouillir, et que, si l'on y ajoutait des essences,
splendide, que l'été embrasât l'air ou
on accélérait encore ce résultat. Dès lors, que le ciel fût nuageux ou
à s'en préoccuper: il pouvait, sans le
que la froide saison blanchît la campagne, l'artiste n'avait plus
concours du soleil, revêtir ses panneaux de leur dernier lustre.
les coùleurs se
Mais un bonheur n'arrive jamais seul. Le peintre studieux remarqua bientôt que
s'étendaient
délayaient à merveille dans son amalgame, y prenaient un éclat extraordinaire, se maniaient,
Quelle
ensuite plus facilement et bravaient le contact de l'eau : le vernis même cessait d être indispensable.
joie! Quelle ressource ! Il était enfin arrivé au terme de ses vœux; ses images pourraient enfin rivaliser
avec la nature !
Que cette découverte stimulât énergiquement les deux frères, cela devait être. Ils se gardèrent bien de
divulguer tout d'abord leur secret : renfèrmés au contraire dans leur atelier, ils voulaient que personne ne
fût témoin de leur travail. De cette mystérieuse retraite sortaient par intervalles des peintures qui
émerveillaient les spectateurs. Jamais on n'avait rien vu de pareil, c'était le cas de le dire. On ne se lassait
point de les regarder, on ne se lassait point d'en parler avec ses amis et connaissances. Tous les amateurs
de l'Europe furent bientôt sur le qui-vive : on transporta les panneaux des Van Eyck en France, en
Allemagne, en Italie ; on les flairait, on essayait de deviner comment les artistes les avaient exécutés. Les
princes les recherchaient avidement : le duc d'Urbin, Frédéric II, acheta un morceau qui représentait une

salle de bain; Laurent de Médicis ne fut satisfait que quand il posséda un saint Jérôme et d'autres pièces;
des marchands florentins expédièrent de Bruges au roi de Sicile, Alphonse l'r, un grand tableau où
paraissaient vivre de nombreux personnages. En les voyant, un peintre du lieu, Antonello de Messine, fut
saisi d'une émotion extraordinaire; voulant à toute force connaître le merveilleux secret, il s'embarqua
immédiatement pour les Flandres. Là,11 fit si bien qu'il gagna la confiance de Jean van Eyck et obtint la
communication désirée.
Si la découverte du Limbourgeoisexcitait au loin un pareil enthousiasme, les princes qui gouvernaient la
Belgique ne pouvaient y rester insensibles. Le premier dont il fixa l'attention et reçut des encouragements
fut Jean de Bavière, élu dès l'âge de dix-sept ans évêque de Liége, en 1.390. Malgré ce titre obtenu par lui
grâce à la puissante influence de sa maison, il avait toujours refusé d'entrer dans les ordres et menait
une vie mondaine, n'aimant que le plaisir, le luxe et les armes. Étant si voisin du lieu où les deux frères
avaient vu le jour, il était naturel que leur talent vînt d'abord à sa connaissance. Il choisit donc Jean van
Eyck pour peintre officiel et le nomma son valet de chambre, emploi vulgaire dont le moyen âge avait fait
une dignité, comme de la plupart des fonctions domestiques. Cet aventureux et cruel seigneur étant mort
empoisonné, le 6 janvier 1425, Philippe le Bon, qui lui enviait sans doute son habile serviteur, eut hâte
de l'attacher à sa cour. Il lui offrit les mêmes titres, avec 100 livres par an de gages, monnaie de Flandre :
l'artiste devait en recevoir la première moitié le jour de Noël, la seconde à la s^int Jean d'été. Le contrat
passé entre eux porte la date du 19 mai 1425.
Des documents positifs prouvent qu'il ne fit pas seulement usage de son pinceau, mais le chargea
d'expéditions mystérieuses, sur lesquelles il faudrait pouvoir répandre quelque jour. Ainsi, en 1426, on
lui paya 91 livres 5 sous, à 40 gros la livre, « tant pour faire certain pèlerinage que Monseigneur, pour
lui et en son nom, lui a ordonné faire, dont aultre déclaration il ne veult estre faicte, comme sur ce que par
icelui seigneur lui pouvoit estre deu, à cause de certain loingtain voiaige secret, que semblablement il lui a
ordonné faire en certains lieux que aussi ne veult aultrement déclarer. » Ce langage énigmatique ne
compromettait pas Philippe le Bon; quelque texte heureusement découvert l'éclaircira peut-être un
jour. Le 27 octobre de la même année, Jean van Eyck reçut encore 360 livres, pour solde de compte. Enfin,
au mois de décembre, le duc ayant révoqué les pensions et gages que touchaient plusieurs de ses officiers,
exempta spécialementl'artiste de cette mesure, par lettres patentes du 3 mars 1427.
Mais le procédé nouveau qu'employaient les deux frères ne recommandait pas seul leurs travaux. La
découverte aurait certainement produit beaucoup moins d'effet, s'ils n'avaient pas montré dans des œuvres
excellentes les résultats qu'elle permettait d'obtenir. Ces investigateurs profonds étaient aussi de grands
peintres. L'art subit entre leurs mains une complète métamorphose. Au monotone éclat des fonds d'or, puérile
magnificence qui charme les esprits grossiers, les nations barbares, ils substituèrent des perspectives pleines
d'illusion. Tantôt c'était une campagne, avec ses bois, ses eaux, ses frais herbages, ses gracieuses collines
et les toits aigus, les tourelles des demeures féodales : la délicatesse du pinceau, la fidélité de l'imitation
le gazon. Tantôt c'était
y étaient poussées jusqu'aux dernières limites; pas une fleur ne manquait dans
l'intérieur d'une église, que la vue parcourait comme un monument réel; on apercevait les nefs, le chœur,
les galeries, les autels décorés, les moindres moulures, et lestons de la lumière éloignaient ou rapprochaient
les diverses parties du pieux édifice. Les deux magiciens ouvraient même aux curieux les salles tranquilles
des habitations, leur permettaient d'y plonger le regard. Nul n'avait encore fait un aussi habile usage de la
perspective. Pietro della Francesca, Paolo Uccello, Léon-Baptiste Alberti, contemporains des Van Eyck,
sentaient la nécessité de reproduire l'espace, cherchaient les moyens d'y parvenir, étaient plus savants
peut-être, mais ne possédaient pas comme eux toutes les ressources de la couleur. C'était donc une véritable
conquête, d'autant plus précieuse qu'elle assurait aux artistes deux nouveaux domaines, leur fournissaient
les moyens de rendre le paysage et de retracer l'intérieur des maisons comme des monuments publics.
Les Van Eyck dès lors joignirent à l'intérêt des scènes pieuses la poésie de la nature et celle de
l'architecture, et exécutèrent sans crainte des tableaux de genre. Ils montrèrent le Christ, la Vierge et les
saints dans de magnifiques bâtiments, qui charmaient les yeux, imprimaient au motif un plus noble
caractère; ou bien ils empruntèrent des données réelles à la vie de chaque jour. Ainsi on voyait de leur
temps, chez un cardinal Octavien, une image assez leste, qui représentait de très-belles femmes sortant du
bain ; un léger voile cachait à peine leur sexe, et l'une d'elles était placée de manière que son dos se
réfléchissait dans un miroir. Ils purent en outre iiguror des actions où le paysage est indispensable, comme
le baptême du Christ, la Prédication sur la montagne, et, pour descendre à de moindres sujets, les danses,
les noces rustiques, les fêtes de village, les travaux champêtres.
Avec ces nouvelles ressources, avec leur esprit d'observation, les Van Eyck eurent encore la gloire
d'accomplir une œuvre inexécutable avant eux : le portrait. Les prétendues effigies qu'on traçait jusqu alors
étaient des images de convention, qui rappelaient fort peu le modèle. On y voyait les lignes, les formes
générales de l'espèce, nullement les caractères particuliers, les traits individuels. En appliquant à la face
humaine les principes de la perspective, en dégradant, en combinant à l'infini les couleurs pour reproduire
les tons de la chair, les Van Eyck firent dédaigner ces vaines ébauches : on retrouva sur leurs panneaux
tous les signes distinctifs des personnages copiés par eux.
Ils peignirent si élégamment les fleurs, si habilement les animaux, non point séparés de la nature, mais
associés au luxe des champs et des jardins, les premières même au luxe des appartements, où leurs fraîches
corolles s'étalent dans les plus beaux vases, qu'on peut leur attribuer l'honneur d'avoir fondé ces deux
genres, montré la voie aux artistes hollandais.

Pendant qu'ils étudiaient si patiemment les objets réels, l'influence du christianisme les entraînait vers
l'allégorie. Leur principal ouvrage, YAdoration de l'Agneau mystique, n'est même qu'un vaste symbole.
Le Triomphe de l'Église, le travail-le plus étendu que Jean van Eyck ait exécuté sans collaboration,
appartient également à la classe des emblèmes. Comme les divins messagers de la Bible, après avoir
cheminé quelque temps sur la terre, ouvraient soudain leurs ailes, les deux frères, si positifs d'habitude,
prenaient tout à coup leur vol et planaient sans efforts dans les espaces illimités du monde abstrait.
Enfin, on les regarde comme ayant modifié l'art de peindre sur verre. Pendant tout le moyen âge, on
coloriait celui-ci dans la masse, et il fallait en conséquence un morceau différent pour chaque teinte du
la
vitrail. Appliquant matière colorante à la surface, nos artistes trouvèrent le moyen de juxta-poserplusieurs
nuances ou couleurs, sans l'intervention du cadre métallique. Les vitraux cessèrent depuis lors d'être une
laborieuse marqueterie, pour se changer en tableaux diaphanes, comme ceux de Cologne et de Sainte-
Gudule.
Tant de mérite, tant d'innovations, une gloire si étendue et si bien acquise n'inspirèrent pas à Jean
van Eyck le moindre orgueil. Entraîné par l'aspiration sincère du génie vers le beau, le bien ou le vrai,
espérant toujours mieux faire, il dominait ses propres ouvrages. Il inscrivait donc au bas de ses peintures
cette devise touchante et modeste, où l'on pourrait trouver même une certaine nuance de découragement :
« Als ikh kan, Comme
je puis. » L'homme supérieur avouait de la sorte n'avoir pas atteint son idéal et semblait
désespérer de l'atteindre. C'est qu'il l'avait placé très-haut, et, comme les artistes nuls ou médiocres, ne
tombait pas en adoration devant lui-même, dès qu'il obtenait quelque résultat.
On ne possède aucun morceau isolé qui soit l'œuvre authentique d'Hubert van Eyck et porte sa signature.
Le haut du retable de Gand, l' Adoration de l'Agneau, est l'unique travail qui permette de juger son talent et
sa manière. L'inscription placée au bas nous apprendqu'il l'avait commencé tout seul, et que la mort l'ayant
empêché de le finir, Jean le termina. On pense avec raison que la partie la plus archaïque doit être mise sur
le compte du frère aîné, partie qui occupe évidemment le haut de la composition. Dieu le père, Marie
et saint Jean-Baptiste, par exemple, sont environnés d'un fond d'or, suivant la coutume des peintres
primitifs. Les inscriptions étendues qu'on y observe, la pompe outrée des costumes reportent aussi la pensée
vers un temps lointain. Les trois personnages, d'ailleurs, mais surtout Jéhova, ont un caractère manifeste
de grandeur byzantine. La symétrie de leurs vêtements, le calme de leur attitude, leur grave expression
accusent une influence sacerdotale, leur donnent un aspect hiératique. La prodigieuse finesse du travail ne
saurait être surpassée : les couleurs sont fondues avec un soin extrême. Le visage de Dieu le père et la tête
de saint Jean offrent certaines nuances rouges, qui semblent distinguer particulièrement les Van Eyck : 011
les retrouve dans le panneau central, sur la figure des poëtes, des artistes sacrés, aussi bien que dans
plusieurs morceaux du frère cadet. A mesure qu'on descend vers le bas de l'image, le naturalisme de
celui-ci se développe et se manifeste.
Un panneau du musée de Naples, longtemps attribué, sans preuves et sans vraisemblance, au peintre italien
Colantonio del Fiore, a dans le travail, la couleur et le style une si frappante analogie avec le haut du
retable de Gand, que M. AYaagen n'hésite point à le déclarer son ouvrage. Il appuie son opinion de détails
concluants, et son goût, son savoir, sa perspicacité habituelle en garantissentd'ailleurs la justesse.
Une constante imitation de la nature, la recherche absolue de la vérité distinguent la manière de Jean
fuyait le
van Eyck. La tradition, les souvenirs des époques antérieures n'avaient pour lui aucun prestige : il
sanctuaire où étaient appendues les madones byzantines. Sous ce rapport, comme sous beaucoup d 'atitres,
il fut le vrai fondateur de l'école néerlandaise. Et pourtant l'art de peindre conserva entre ses mains un
caractère sérieux, que ses élèves adoucirent. Les monuments dessinés dans ses tableaux en offrent une
preuve singulière : il y sacrifie l'élégante et opulente architecture gothique à l austère et sombre architecture
romane, qui, sous ses lourdes voûtes, rappelle les douleurs du Bas-Empire, l'invasion des barbares et la
tristesse des catacombes.
Le seul tableau connu qui permette de juger la première manière de Jean van Eyck, se trouve à
l'Académie de Bruges ; c'est une tête du Sauveur, entourée d'un cadre fictif, où on lit :

ALS nUI KAN. Johanncs de Eyck, inventor, anno 1420, 30 jannarii.

Une autre inscription placée dans le champ de la peinture : JÉSUS VIA, JESUS VERITAS, JÉSUS VITA, trois
bouquets d'ornements substitués au nimbe, un alpha et un oméga dessinés à droite et à gauche, la roideur,
l'immobilité sculpturale des traits lui impriment un caractère prononcé d'archaïsme. On y observe les
tons rouges dont nous parlions tout à l'heure. Mais la majesté byzantine a complètement disparu : le Christ
s'offre à nos yeux sous le vulgaire aspect d'un campagnard. Cette première œuvre de Jean van Eyck trahit
donc de la manière la plus évidente son naturalisme. Les accessoires prouvent néanmoins qu 'à l âge de
trente-quatre ans l'auteur n'avait pas encore tout il fait rompu avec l'ancien goût. Deux critiques anglais
regardent ce tableau comme une copie de la tête présentée par Jean van Eyck il la corporation des peintres
d'Anvers, et appuient leur opinion d'arguments assez vraisemblables. Elle ne diminue pas l'intérêt de nos
observations sur les caractères et le style du travail.
Le morceau qui, par sa date, vient en seconde ligne, est l'œuvre capitale des deux frères. Dans la même
année où le plus jeune avait exécuté le christ de Bruges, un noble Gantois, Josse Vydt, seigneur de
Pamele, acheta, pour y établir la sépulture de sa famille, une chapelle de l'église Saint-Bavon. Il y fit ouvrir
un caveau et s'occupa immédiatement de décorer le petit édifice lui-même. Sur l'autel, il voulut déployer
1111 travail important d'Hubert van Eyck.
A sa prière, celui-ci commença donc un vaste retable, où il se
proposait de figurer, d'après l'Apocalypse, le Sauveur adoré sous la forme d'un agneau. Toutes les idées
chrétiennes devaient se grouper alentour, au moyen de personnages symboliques. Douze panneaux, quatre
immobiles et peints d'un seul côté, huit mobiles et peints sur les deux faces, lui parurent nécessaires pour
contenir cette pieuse multitude : on y compte en effet trois cent trente acteurs. La simple description d'une
pareille œuvre occuperait à elle seule plus d'une livraison; je ne puis donc l'entreprendre 1.
C'est tout un
poëme emblématique, dans le genre de ceux qu'affectionnait le moyen Age. L'histoire, l'allégorie s'y mêlent,
s'y entrelacent, comme dans les visions lugubres ou radieuses du chantre florentin.
Pour exécuter ce grand ouvrage, Hubert alla s'établir il Gand; à la Saint-Bavon de l'année 1422, il fut
reçu membre de la confrérie de Notre-Dame, sur l'avis du chapitre de la cathédrale. Mais le sort ne lui
permit point d'achever sa peinture épique : il y travaillait depuis six ans et l'avait sans doute fort avancée,
lorsque la mort, survenant d'un pas furtif, l'arracha de son atelier, le 18 septembre 1426. Ce fut pour lui
un amer chagrin de laisser son œuvre interrompue; son épitaphe nous annonce qu'il rendit avec peine son
âme à Dieu. On l'enterra dans le caveau sépulcral de la famille Vydt, sous la chapelle dont son immense
polyptique devait former le principal ornement. Un riche tombeau y couvrit sa dépouille, et l'enthousiasme
excité par ses travaux inspira l'idée singulière de détacher son bras droit pour l'exposer, comme un objet
de vénération, dans une armoire de fer, à la porte de l'église. On l'y voyait encore pendant le seizième
siècle.
Marguerite, qui était, selon toute vraisemblance, la cadette de Hubert et l'ainéc de Jean, mourut bientôt
après le plus âgé des deux frères. Josse Vydt lui donna aussi l'hospitalité dans sa crypte funèbre. Aucune
œuvre authentique de sa main ne nous est parvenue. Tout récemment, Mrs Crowe et Cavalcaselle lui ont
attribué les miniatures d'un manuscrit possédé par notre bibliothèquenationale, le missel du duc de Bedford
(Breviarium sarisberiense, n° 273). Mais je soupçonne qu'ils ne les ont point vues. Dans tous les cas, ils
seraient bien embarrassés pour dire en quoi elles offrent. les caractères du style des Van Eyck. Les types,
les airs de tête, les expressions et la couleur dénotent évidemment une origine française.
Que pouvait faire le seigneur gantois, sinon transmettre à Jean van Eyck la tâche commencée par
Hubert? L'artiste merveilleux accepta ce legs avec empressement et continua l'œuvre suspendue. Mais
il quitta la ville de Gand l'année même où il avait perdu son frère et sa sœur, le duc ayant loué pour lui, a
Bruges, la maison de Jacques Ranary, et payé par anticipation deux années de loyer. Bientôt cependant le
prince le força de quitter le pinceau, car il l'envoya en Portugal copier les traits de la princesse Elisabeth :
comme il avait demandé sa main, il voulait se faire une idée de sa personne. Le 19 octobre 1428, le peintre
s'embarqua au portde l'Écluse avec l'ambassade et ne revint que le jour de Noël 1429. Il avait dans
l'intervalle parcouru presque toute la péninsule ibérique, visité les rois mahométans, et rapportait de
précieux souvenirs. L'influence de ce voyage est manifeste sur les volets de l'Agneau mystique, où figurent
certains personnagesde l'Orient, exécutés depuis son retour. Trois ans lui furent encore nécessaires pour
achever cette énorme entreprise. Le G mai 1432 seulement, on put mettre en place le ré-table. Le duc de

i
Vo)ez t'e\pHc.Hio)) des sujets dans les HcrhcrclK-s l'l Indications. Voyez aussi le deuxième volume de mon Histoire de la
Peinture flamande el hollandaise et mes Peintres úrlll/cuis.
Bourgogne était allé le voir chez le peintre, avant qu'on le fit partir pour Gand 1, et avait donné aux valéts du
fameux coloriste une gratification de 25 sols.
L'étendue de l'œuvre, l'excellence du travail, les qualités diverses que l'on y admire et leur précoce
apparition lui donnaient une importance extraordinaire : elle causa dans le nord de l'Europe l'émotion la
plus vive et la plus durable. Tous les peintres l'étudièrent avec une sorte de vénération pendant deux siècles.
Elle fut pour l'art septentrional ce que les poëmes d'Homère avaient été pour la littérature grecque.
Le travail le plus important que Jean van Eyck ait exécuté tout seul orne le musée de la Santa-Trinidad,

à Madrid. Antonio Ponz l'avait vu en 1786 dans une chapelle de l'église de Palencia, et le décrit avec
admiration dans son Voyage d'Espagne. Il représente le Triomphe de la loi nouvelle sur la loi de Moïse,
sujet souvent figuré par les statuaires gothiques,sculpté notamment par Sabine de Steinbach, fille d'Erwin, au
^portail méridional de Strasbourg. La composition flamande occupe le parvis et les deux étages d'un
monument imaginaire, moitié byzantin, moitié ogival. En haut, le Rédempteur, auquel un énorme clocher

1Jean n'habitait plus alors la maison de Jacques Ranary. En 1430, il en avait acheté une autre située au Torre Rrugsken,
qui appartenait à Jean van Milanen ou Milauen : il paya pendant dix ans à la cathédrale une rente de 30 schelen, que devait
son prédécesseur et qui était hypothéquée sur l'immeuble.
sert de dais, repose sur un trône que décorent les emblèmes des quatre évangélistes, et lève la main pour
bénir les fidèles. A sa droite et à sa gauche, la Vierge et saint Jean, assis sur des bancs tapissés, lisent
avec componction de pieux volumes. Aux pieds du Nazaréen, on voit couché l'agneau qui lui sert de
symbole. Par une petite arcade, la base du trône laisse échapper un courant d'eau limpide, à la surface
duquel flottent une multitude d'hosties; ce courant traverse le premier étage, où quatre groupes d'anges,
aux longues chevelures, chantent et jouent de divers instruments, pour célébrer la victoire de l'Église, et
va plus bas alimenter une fontaine. Celle-ci, charmante construction comme savait les faire le moyen â go,
divise en deux la scène principale. A gauche, s'avancent les représentarits de la foi nouvelle, un pape, la
tiare au front et tenant à la main une bannière victorieuse, un cardinal, un empereur, un roi, d'autres
grands personnages; derrière eux, on aperçoit les fondateurs de l'école'flamande, Hubert et Jean van
Eyck, Hubert agenouillé, levant les mains en signe d'adoration, portant le collier d'un ordre autour du cou
et un somptueux costume; Jean, debout, modestement habillé d'une robe noire. Ils sont coiffés, l'un et
l'autre, comme sur le volet de l' Agneau mystique A droite de la fontaine s'éloignent, en pleine déroute,
les chefs de la synagogue. L'étendard du grand prêtre est brisé; lui-même, les yeux couverts d'un bandeau,
a perdu ses forces, car il chancelle et appuie une de ses mains sur un israélite agenouillé. Un second juif
tombe à la renverse, les jambes d'un troisième fléchissent sous lui, un autre se bouche les oreilles pour ne
pas entendre les paroles salutaires, un autre encore se déchire la poitrine, et plusieurs prennent ouvertement
la fuite.
La terreur et le désespoir de ce groupe forment un contraste saisissant avec la joie calme, l'austère
grandeur et la triomphante majesté des apôtres du christianisme. C'en est fait, l'ancienne doctrine ne peut
se maintenir devant la loi de grâce. L'habileté de la composition, au point de vue pittoresque et au point de
vue moral, l'énergie des expressions,la vigueur du coloris, la fermeté du dessin, concourent avec l'étendue
de l'œuvre à lui donner une importance capitale. Il est fâcheux que ce morceau n'ait pas encore été gravé
par un homme de mérite.
Après ces deux grandes œuvres, qui dominent toutes les autres par leur importance, une quinzaine de
tableaux signés et datés, ou d'une origine indubitable, permettent encore d'étudier et de caractériser la
manière du jeune Yan Eyck. Le plus ancien, qui passe pour représenter la Consécration de Tlio2nas Becket,
et que possède, à Chatsworth, le duc de Devonshire, a malheureusement subi tant -de retouches et de
dégradations qu'il flatte peu la vue. Il porte la date de 1421, et aurait été, en conséquence, exécuté par
Jean, lorsque son frère commençait le fameux retable de Saint-Bavon. Il offre des signes frappants
d'archaïsme, comme la tête du Sauveur que renferme le musée de Bruges. Ainsi les figures sont étagées
l'une au-dessus de l'autre, à la façon des miniaturistes et de toutes les époques primitives, où l'on ne sait
point échelonner les objets dans l'espace. Le dais et le fond du tableau accusent la même ignorance de la
perspective aérienne et de la perspective linéaire. Le gauche arrangement de -la colombe et des rayons
lumineux, la maigreur, les formes allongées des personnages, leurs attitudes raides, communes, trahissent
une égale inexpérience. Les draperies ont la lourdeur, les plis anguleux et surabondants de la statuaire
gothique en décadence, laquelle fut d'abord imitée par la peinture moderne. Quelques parties, notamment le
dais, ont gardé une belle couleur; mais les visages ayant été presque entièrement repeints, sans nul doute,
avant la seconde moitié du seizième siècle, l'œuvre a perdu les trois quarts de son mérité. Elle est importante
et curieuse néanmoins, parce qu'elle nous montre Jean van Eycli aux prises avec les difficultés originelles de
son art, difficultés que l'intelligence et l'adresse humaines-rencontrent sur leurs pas dans un ordre
invariable,
que le génie même le plus extraordinaire ne peut vaincre sans beaucoup de tâtonnements et d'efforts.
Quelques années après, l'inventeur de la peinture à l'huile en avait triomphé, comme le prouve l' Adoration
de l'Agneau mystique. Ses progrèsimmenses sont aussi manifestes sur deux ouvrages qui ornent, à Londres,
la GALERIE NATIONALE et suivent immédiatement, dans l'ordre chronologique, le tableau de Saint-Bavon. jL un
représente un homme coiffé d'un turban, peint en 1433; c'est une œuvre extrêmement remarquable
effet.
par la vigueur de la touche, par sa couleur brillante et profonde, par son harmonieux
L'autre, qui figure un Couple de nouveaux mariés, porte le millésime de 1434. Un homme et une femme
debout, sur le devant du tableau, se tiennent par la main; à leurs pieds on voit un chien terrier d'une
exécution admirable. La porte du fond laisse apercevoir une société nombreuse, qui vient sans doute pour
célébrer la noce. Certains documents trouvés par M. Weale nous font savoir que l'épouseur est Jean
Arnolphini ou Arnoulphin, compagnon et facteur de Marc Guidecon, marchand drapier de Lucques,
domicilié à Bruges. L'épousée a une telle similitude avec la femme de Jean van Eyck, que certains
critiques l'ont prise pour elle. C'était apparemment sa sœur, circonstance qui expliquerait pourquoi

/ #

l'artiste entreprit le tableau, pourquoi même il le peignit avec un soin extraordinaire. Cette hypothèse,
d'ailleurs très-vraisemblable, donnerait en outre le sens de l'inscription, qui déroute les commentateurs.
On lit au bas du panneau : JOI-IANNES DE EYCK FUIT IIrc, 1434 (Jean van Eyck a été ici, 1434). Ce fuit hic a
déconcerté les plus habiles interprètes. Mais en supposant que le mariage auquel la peinture fait allusion
établissait des liens de parenté entre Jean van Eyck et Arnoulphin, l'auteur ne semblerait-il pas avoir voulu
constater qu'il assistait à la cérémonie? Le tableau serait alors une page commémorative, un monument de
famille. Jamais le glorieux inventeur n'a mieux rendu l'espace et les effets de l'air, jamais il n'a mieux fondu
les couleurs, mieux reproduit les nuances de la carnation. L'ameublement est peint avec une perfection
d'ensemble et de détails, qui émerveille les spectateurs: on admire malgré soi le lit, les fauteuils, le lustre
en cuivre, le parquet, le miroir concave où se reflètent les personnages et dont le cadre offre à la vue dix
scènes de la Passion, véritables miniatures. Après la bataille de Waterloo, le major Ilay trouva dans son
logement cette œuvre supérieure et très-bien conservée.
De l'année 1436 datent la Vierge sur un trône, adorée par saint Georges et saint Donat, qui orne le
musée de Bruges, et le portrait du sire de Leeuw, qui appartient à la galerie de Vienne. Le premier
travail a une grande importance. Le chanoine George van der Paele, nous apprend l'inscription latine, le
fit faire par Jean van Eyck pour l'église Saint-Donat. Au milieu du panneau, la Vierge, tenant le Christ
enfant, est assise sous un dais de tapisserie verte; à droite, on aperçoit le donateur agenouillé, derrière
lequel saint Georges debout salue la fille de David ; à gauche, saint Donat, pompeusementvêtu, porte dans
la main une petite roue chargée de cierges allumés. Une église romane abrite ces personnages sous ses
voûtes austères. On ne peut rien voir de mieux rendu que le pourtour du chœur, avec ses arcades pleines
d'ombre et ses lourds vitraux. Cette page ne devrait renfermer qu'un portrait, celui du chanoine qui l'a
commandé; mais toutes les têtes sont évidemment peintes d'après nature, même celle de l'enfant Jésus.
Elles manquent en conséquenced'idéal, et surprennent par leur étonnante vérité. L'artiste a soigneusement
copié ses modèles, sans leur faire subir la moindre altération, sans leur enlever aucun de leurs défauts.
Le même caractère de réalité absolue distingue la Vierge du musée d'Anvers, qui était restée jusqu'à
notre époque dans l'église du village de Dikkelvenne, situé à trois lieues de Gand, sur l'Escaut. La Mère
du Sauveur s'y montre à nous comme une épaisse femme du Nord, avec une tournure et une physionomie
tant soit peu triviales : ron jeune enfant, non plus, n'a rien de beau ni de gracieux. Mais l'exécution révèle
un talent supérieur. Le morceau porte la date de 1439.
C'est encore la fidélité excessive de l'imitation qui frappe dans le portrait du musée de Bruges représentant
la femme même de Jean van Eyck, peinte en 1439. Assurément il n'a pas voulu la flatter, car on trouverait
avec peine une aussi laide créature. Son grand front dépourvu de sourcils, ses petits yeux bordés de
rouge, son nez mince par le haut et large par le bas, sa bouche pincée, où la lèvre inférieure dépasse la
lèvre supérieure, son expression froide, sèche, désagréable, semblent faits pour inspirer toute autre chose
que l'amour. Un artiste épris de l'idéal n'aurait pu retracer avec une aussi accablante exactitude cette
disgracieuse ménagère. Il lui aurait prêté quelque charme fictif, il aurait, sans le vouloir, par une tendance
naturelle de son imagination, adouci les traits les plus rebutants. Mais le fondateur de l'école néerlandaise n'y
mettait pas tant de façons : il allait droit au vrai dans sa pesanteur et son ingénuité flamandes. Pour avoir
pu choisir une telle compagne, il fallait d'ailleurs qu'il n'eût pas un sentiment très-énergique de la beauté
des formes et des lignes,, ni même de l'expression morale.
Mais, comme tous les hommes de génie, quelle que soit leur nature, il avait des retours, des élans vers
la beauté suprême, dont le monde réel offre eà et là quelque charmant exemplaire. Les panneaux
inférieurs de Y Agneau mystique renferment des têtes délicates ou majestueuses, qui prouvent que Jean van
Eyck cessait parfois de raser la terre, pour s'élever dans les régions poétiques. Les deux images de sainte
Barbe, conservées à Bruges et à Gand, peintes l'une et l'autre en grisaille pendant l'année 1437, le démontrent
aussi, quoique d'une manière moins péremptoire. Les traits sont réguliers, mais flattent peu l'imagination,
parce qu'ils manquent de finesse : l'expression, au contraire, a tout le charme, toute la grâce morale que la
peinture peut lui donner. Pendant que la sainte feuillète un livre ouvert sur ses genoux, elle s'abandonne
à une méditation profonde, à une pieuse et douce rêverie : c'est comme une lumière céleste qui tombe sur
son visage et la transfigure de ses rayons.
Le Louvre possède un magnifique tableau de Jean van Eyck. On y voit le chancelier Rolin à genoux sur
un prie-Dieu, devant la Vierge et l'enfant Jésus. Cette œuvre d'élite orna longtemps la sacristie de la
cathédrale d'Autun, comme nous l'apprennent Filhol et Courtépée. Les trois personnages se tiennent dans
une galerie byzantine, qui, par ses arcades, laisse apercevoir un immense paysage. Marie est, en quelque
sorte, noyée dans un vaste manteau d'un rouge sombre et d'une étoffe très-épaisse; son abondante
chevelure glisse derrière ses oreilles et couvre ses épaules. Au-dessus d'elle plane un ange vêtu d'une
robe spacieuse, qui porte une ample couronne à jour, très-fouillée, très-compliquée, sans aucune
proportion avec les deux personnages. Le Sauveur, tout nu et bien dessiné, nous apparaît comme un gros
enfant aux cheveux d'un blond pâle. La tête de Rolin fait honneur à la patience flamande : la barbe rase,
les plis, les détails de la peau sont rendus avec un soin extrême. C'est un groupe tranquille, mais
austère et peu avenant. Par delà les colonnes, un petit jardin où se promènent des paons et des pies,
brode le sol de ses arabesques. Pour le paysage, comment décrire ce merveilleux panorama, qui a dû
occuper longtemps le pinceau de l'artiste? On y découvre un fleuve encaissé entre de plantureuses collines,
divisé par une île sur laquelle s'élève un château féodal, avec ses tourelles élégantes et ses toits coniques.
Plus près du spectateur, une ville entière, dans laquelle on distingue non-seulement les maisons, les quais,
les rues, la cathédrale et diverses églises, un pont chargé de monde que protége un grand châtelet bâti
dans l'eau, mais les toits, les cheminées, les fenêtres, les portes des logis et quelques centaines de bourgeois
peints en détail, sans que l'artiste ait négligé une pièce de leur costume, frappe d'étonnement par son
exécution minutieuse. Au loin, verdoie une fraîche campagne, et des monts bleuâtres festonnent l'horizon.
Les teintes un peu sombres du premier plan font ressortir l'abondante lumière qui baigne la perspective, en
augmentent la magie et la profondeur.
Parmi les œuvres signées de Jean van Eyck, il faut mentionner encore la Vierge entre saint Aficlzel et
sainte Catherine, que possède le musée de Dresde, production charmante dont le revers offre aux curieux'
une Annonciation; une tête du Sauveur, exécutée en 1438 et conservée à Berlin, remarquablepar son air
solennel, par son regard fixe et l'immobilité de son attitude.
Les productions authentiques de Jean van Eyck donnent une idée générale de son style, d'après laquelle
on lui attribue certains ouvrages qui en offrent les principaux caractères. On peut citer comme dignes de
l'illustre inventeur et comme tout à fait analogues à sa manière : le Saint Christophe d'Anvers, l'Annonciation,
qui appartient à l'empereur de Russie, l'Adoration des Mages, suspendue derrière l'autel, dans l'église
Sainte-Barbe de Castel-Nuovo, à Naples; une Vierge, que possède la maison Rothschild, à Paris; une autre
Vierge, de la galerie Doria; Saint Luc peignant Marie, belle page exposée à Munich, dont nous donnons
une gravure. On remarquera l'extrême similitude de ce panneau et de celui que renferme notre musée
national. Pour ne pas allonger une nomenclature peu séduisante, nous renvoyons le lecteur aux notes finales.
Un tableau que possède le musée de Vienne et qui a longtemps passé pour une production de Jean van
Eyck, inspire des doutes sérieux depuis que l'on a mieux étudié sa manière et toute l'école de Bruges. Il
représente le Sauveur descendu de croix, entouré par les saintes femmes et par quelques disciples. Le
travail en est excellent, mais offre les caractères d'une époque moins éloignée. La gravure jointe à notre
texte permettra au lecteur de se former une opinion. Si elle ne peut donner une idée de l'exécution
tedmique, elle montre la composition, l'agencement des personnages, leurs attitudes et leurs divers
sentiments. On n'y retrouve pas le goût, les habitudes pittoresques, les tendances morales de Jean
van Eyck. Ni lui ni ses élèves ne groupent leurs acteurs d'une manière si savante, si moderne, ne
communiquent à leurs poses, à leurs gestes, cette désinvolture, cette dramatique énergie. Loin de chercher
le mouvement, ils paraissaient le fuir; l'idéal de l'école, ce qu'elle tâchait de rendre et ce qui fait un de
ses mérites, c'est la vie dans le calme. La plupart de ses personnages sont immobiles; mais sous cette
tranquillité extérieure on aperçoit une piété sincère, d'affectueux sentiments, une poétique rêverie, l'amour
du travail, la confiance en Dieu et les douces émotions de la famille.
Jean van Eyck resta en faveur auprès de Philippe le Bon pendant toute sa carrière. Des textes officiels
nous donnent à cet égard une complète certitude. Dans l'année 1434, le peintre reçut 86 livres, au nom
du duc de Bourgogne, pour composicion à lui faicte et pour plusieurs journées vacquées à besongnes et
affaires. Le 30 juin de la même année, le puissant et habile seigneur tint sur les fonts baptismaux, non pas
en personne, mais par l'c 'fremise du sieur de Çhagny, l'enfant de l'ingénieux dessinateur. A cette occasion,
il lui donna six tasses d argent, qui pesaient ensemble douze
marcs, à huit livres un sou le marc, et avaient
par suite coûté 96 livres 12 sous. Cette même année encore, les trésoriers du prince hésitant il payer la
rente de l'artiste, le duc leur écrivit une lettre sévère, où il leur reproche de mécontenter un si habile homme :
t( Lui conviendra à ceste cause laissier notre service, en quoy prendrions très-grant déplaisir, car nous le
voulons entretenir pour certains grants ouvrages, en quoy l'entendons occuper cy-après et ne trouverons
pas de pareil à notre gré, ni si excellent en son art et science. » 11 ordonne qu'on le paye sans délai et sans
lui faire la moindre objection; il le leur dit une fois pour toutes et leur recommande de 11e point l'oublier,
s'ils ne veulent le mettre en colère, attendu qu'il leur saurait fort, mauvais gré de le contraindre à leur
adresser une seconde lettre. Cette mauvaise humeur et les termes qui l'expriment honorent le duc de
bourgogne ; ils montrent qu'il appréciait parfaitement le génie du peintre et que la sottise d'un administrateur
ne l'emportait point alors, comme dans la moderne Belgique, sur le talent le plus manifeste et les services les
plus honorables. En 1436, Jean van Eyck exécuta pour le duc un voyage secret hors de Flandre : sa mission
devait être d'une grande importance et d'un caractère diplomatique, attendu qu'elle coûta 720 livres. En
1439, son protecteur le chargea de faire enluminer un volume : on y coloria deux cent soixante-douzegrosses
lettres, douze petites, et la dépense fut de G livres 6 sous 6 deniers. On voit combien les artistes étaient
peu rétribués à cette époque. Au mois de juillet 1440, le peintre célèbre, âgé d'environ cinquante-quatre ans,
fut surpris par la mort, tandis qu'il peignait un retable que l'abbé Nicolas de Maelbeke lui avait demande'1
pour l'église Saint-Martin-d'Ypres. Ayant rendu il Bruges le dernier soupir, on l'enterra pompeusementsous
les voùtes de Saint-Donat. Ses obsèques coûtèrent 12 livres parisis, plus 24 sous payés aux sonneurs.
Sa femme lui survécut un certain nombre d'années : on ignore combien de temps dura son veuvage, mais
elle avait cessé de vivre en 1449. Sa fille llennie ou Lyeunie entra, la même année, dans un couvent de
Maas-Eycli, et le duc de Bourgogne lui lit à ce propos un don de 24 livres.
Un troisième Van Eyck, nommé Lambert, servait Philippe le Bon. 11 ne parait point avoir tenu le
pinceau. Telles furent les destinées de cette mémorable famille.
Les amateurs, les critiques même, qui lie sont pas habitués aux tableaux de l'école fondée par les deux
frères, les regardent avec plus d'étonnement que de plaisir. Leur aspect diffère trop de celui qu'offrent les
toiles modernes. A ces juges prévenus, les contours semblent durs, les mouvements raides, le travail
minutieux; dans la naïveté de l'expression, dans le calme des têtes, dans la surface luisante, émaillée de la
couleur, ils voient autant de défauts. Ceux qui ont beaucoup étudié les peintres flamands du quinzième siècle
sont tentés, au contraire, de préférer leur méthode. Si, par inexpérience, elle demeure, il certains égards,
au-dessous de la nature, elle en trace sous d'autres rapports une image plus fidèle. Sur les panneaux de
Bruges, on n'admire point sans doute ces grands airs de tête, ces poses hardies, ces gestes libres et vivants
qui font honneur aux écoles modernes. On y regrette sans doute la souplesse des lignes, la largeur de
la touche, la délicatesse des transitions, la moelleuse harmonie de l'ensemble. Mais combien d'avantages
précieux rachètent ces juvéniles imperfections! La manière, moins savante, est plus dépouillée d'artifices.
Le talent de l'observation, la justesse de l'exécution y dominent. Les portraits, par exemple, n'ont pas ces
attitudes fières ou gracieuses que Yan l)\ck, Lely, Vélasquez et Titien donnaient il leurs modèles en les
copiant : l'invention de l'homme s'y fait moins sentir. On y remarque d'autant plus les caractères de la vérité.
Les poses nous retracent le maintien même qu'avaient les personnages, leur port habituel, leurs gestes
favoris. C'est le prince, le bourgeois, le moine, le chevalier, la gentille dame, la lille du marchand, tels
qu'on les voyait au quinzième siècle. Les moindres particularités de leur ligure sont rendues avec un soin
prodigieux et un bonheur extrême. 11 semble qu'on les a connus ou qu'on fait leur connaissance. Ne va-t-on
point leur parler, s'asseoir il table près deux, écouter la douce légende de leur vie tranquille, l'éloge de
Philippe le Bon, ou le dernier épisode de la chronique locale? La patiente exécution de leur chevelure, de
leur barbe, de leur costume, des moulues, des draperies, des autres accessoires leur communique un air
surprenant de réalité. Le même caractère distingue les personnages fictifs des scènes religieuses. Ils sont
vivants, quoique imaginaires, et l'on pourrait presque leur attribuer une position sociale, d'après leur
physionomie et l'attitude de leur corps.
Un mérite analogue signale la reproduction des objets inanimés. Cette chambre avec ses volets garnis
de clous, avec ses vitres nombreuses encadrées dans le méta). ses bancs le, long des murs. ses coussins
rouges sur les bancs, les poutrelles peintes du plafond, le lit protégé par ses courtines, le dressoir, les plats,
les aiguières, et que sais-je encore? ne vous semble-t-il pas que vous y entrez, comme un fidèle sujet des
ducs de Bourgogne, que vous allez prendre plaée dans ce faudesteuil, regarder par cette fenêtre ouverte,
feuilleter ce livre à miniatures que porte un pupitre sculpté? Les monuments religieux sont si exactement
figurés que pas une moulure n'y manque, pas un dessin de vitrail, pas un rayon de lumière, pas un effet de
perspective ou de pénombre. Un peu plus, et on croirait y marcher, on croirait entendre le bruit de ses

f
pas sur les dalles et leur écho sous les voûtes du monument désert. Allons, curieux, arrête-toi : ton
indiscrétion va troubler cette jeune fille-en prière, là-bas, dans une chapelle écartée, devant la statue de
la Vierge ou devant une sainte qui lui apparaît. Les bois, les prés, les ruisseaux, les jardins, les éminences
incultes, les vallées fertiles ont le même charme de vérité : l'eau coule entre les bords des rivières, les
fontaines jaillissent, une ombre solennelle dort sous les rameaux des pins, le gazon pousse, des fleurs
en brodent le vert tapis, une bleuâtre fumée couronne les chaumières; on dirait qu'un. parfum s'exhale
des moissons, des fermes, des enclos, des pâturages, des étangs immobiles et des forêts silencieuses.
invente des combinaisons sans lin. La vie possède en elle-même un prestige qui manque le plus souvent aux
créations de l'esprit, aux chimères de la pensée. Mieux vaudrait, en général, copier le modèle vivant, mais le
copier avec soin, avec finesse et intelligence. C'est ce qu'a fait l'école de Bruges : elle a transporté sur ses
panneaux la forme originale, les traits nettement accusés, les nuances infinies que la nature emploie pour
caractériser ses productions; elle a su rendre les types variés de l'espèce humaine, les aspects les plus
frappants de l'univers. Sans doute, elle ne choisit pas toujours bien les modèles de ses personnages;
venue au monde chez une race prosaïque ou, pour mieux dire, chez un peuple qui unit un
sentiment très-vif
de la réalité à une imaginationpuissante, elle subissait l'influence de son origine, elle devait infailliblement
présenter un côté vulgaire. Mais souvent aussi elle monte plus haut qu'elle n'en avait rintention : dans ses
efforts pour atteindre la vérité, elle la dépasse et conquiert la beauté.
Par lui-même, d'ailleurs, le génie pittoresque eût amené ce résultat. Quand un homme de talent-manie le
pinceau, il produit sans le vouloir des effets heureux, trouve d'agréables combinaisons, étonne, charme,
intéresse. Parmi les couleui-s, les peintres de Bruges choisissaient les plus attrayantes; parmi les étoffes, les
plus douces à l'œil; parmi les rayons, les plus chauds, les plus suaves, les plus dorés; parmi les productions
de la nature et les oeuvres de l'industrie, celles que distinguent des qualités supérieures. Le monde que
nous ouvrent les anciens artistes flamands n'est pas, tant s'en faut, un monde trivial et grossier; le peintre l'a
modifié volontairementet à son insu; il en a fait, dans une certaine mesure, un domaine poétique, où l'idéal
a touché les objets de sa baguette d'or, pour leur communiquer un prestige insolite.
Dans les tableaux; de l'école brugeoise règne d'ailleurs un charme intellectuel et moral qui lui appartient
en propre. Les sentiments les plus doux, les idées les plus pacifiques, les impressions les plus calmes sont
la
source toujours diaphane où elle puise. Les mauvais penchants, l'égoïsme, l'envie, la haine, la cruauté,
l'ambition, l'avarice, le libertinage semblent ne point exister pour elle. La tendresse, la bienveillance, la
modération, la piété, le recueillement, toutes les affections et toutes les vertus forment son invariable
cortége. Elle en saisit, elle en retrace les moindres nuances. On dirait une troupe de vierges chrétiennes
qui, des fleurs sur le front et des fleurs dans les mains, passent devant nos yeux comme les saintes de
l'Agneau mystique. Une aimable naïveté ajoute à la grâce de leur physionomie.Le peintre et ses personnages
ont la fraîcheur juvénile de l'adolescence; nulle prétention, nulle dissimulation; rien n'altère la simplicité
de leur cœur. Aussi l'artiste ne pouvait-il exprimer les passions farouches et sanguinaires : il donnait aux
tyrans, aux persécuteurs, aux bourreaux des figures tranquilles, charitables, ingénues, qui contrastent
de la manière la plus décidée avec leur rôle. Comme leurs mauvaises actions les embarrassent! Quelle honte
ils en éprouvent ! Comme ils aimeraient bien mieux qu'on leur eût assigné une autre tâche ! Ils ont
beau faire, ils ne peuvent être méchants, et s'ils n'employaient tous leurs efforts à se contraindre, ils
verseraient des larmes sur les maux de leurs victimes. La nature extérieure a le même caractère inoffensif,
la même tranquillité, la même bonhomie, pour ainsi dire. Jamais un nuage ne ternit le ciel dans les tableaux
flamands du quinzième siècle, jamais une feuille ne manque aux arbres, jamais une tempête ne trouble
l'air, jamais un flocon de neige n'attriste la campagne. Sous ces froides latitudes où tourbillonnent les vents
du nord, l'école de Bruges a supprimé l'hiver.
Ses tableaux font donc éprouver au spectateur une action calmante et douce, comme celle de la nature
pendant les beaux jours. Devant ces figures sereines, devant ces lumineuses perspectives et cet azur sans
tache, devant ces intérieurs qui portent à la rêverie et ces paisibles scènes, on oublie le mal, les inimitiés,
la colère, la perfidie, l'orgueil, le mensonge, la débauche, les sentiments odieux et les passions funestes. On
vit quelque temps par l'imagination dans un poétique univers, où l'on aimerait à vivre -en réalité si le sort ne
qui nous bercent de
nous avait exclu d'un pareil Éden. Les artistes de Bruges, qui nous le font entrevoir,
gracieuses chimères, donnent ainsi une preuve de force en même temps que de noblesse morale et de
pureté. Le génie seul peut créer un monde à son image, nous envelopper d'illusions. La première école
flamande possède un patrimoine que nulle autre ne lui dispute, qu'elle parcourt en tressant des fleurs, comme
une jeune fille aux yeux caressants, timides et inspirés.
Mais d'où peuvent lui être venus le sentiment naïf, l'aimable douceur, la foi dans le bien, l'ignorance du
mal, l'éternelle paix qui se sont réfléchis du cœur de l'artiste sur ses ouvrages? Le quinzième siècle n'a
pas joui d'un grand repos : il fut troublé par des schismes, des rivalités et des guerres, qui le cèdent peu
aux violentes agitations du seizième. La lutte mortelle entre la maison de Bourgogne et la maison de
France, les terribles combats des Hussites, où périrent cinq cent mille hommes, les sanglants démêlés des
Suisses avec Charles le Téméraire, avec les Hapsbourg et les chevaliers déprédateurs embusqués sur Ifs
rocs des Alpes, donnent une idée du reste, exhalent une odeur de carnage très-peu favorable aux émotions
douces et intimes. Il s'en fallait bien que les mœurs fussent irréprochables? les caractères dociles et
humbles, la dévotion intelligente et affectueuse. L'histoire contemporaine n'offre donc pas les éléments que
les Van Eyck et leur école ont mis en œuvre. Ces flots limpides coulaient vers eux d'une autre source. On
ne peut méconnaître dans leurs tableaux une poétique interprétation de l'Évangile, auquel les faibles et les
petits Testaient fidèles, pendant que la noblesse et le clergé suivaient une autre morale, préféraient des
maximes plus mondaines. Réunis par l'opinion et par la coutume aux gens de métier, les artistes n'avaient
pas conçu les idées ambitieuses, le goût du luxe et des plaisirs, l'admiration outrée d'eux-mêmes, qui leur
ont donné depuis lors les vices des classes opulentes. Ils travaillaient pour gagner leur pain, pour nourrir
leur famille pour occuper leur esprit de la manière la plus conforme à sa nature. Ils avaient embrassé
,
une profession, et ils la cultivaient sans jactance, se rendant à peine compte de leur enthousiasme, de
leurs joies spirituelles, d'autant plus vives qu'elles étaient plus pures. L'infériorité sociale, où les maintenait
la distinction,des rangs, leur inspirait de la modestie, du calme, de la résignation, éloignait d'eux toutes
ces pensées inquiètes et moroses, qui affaiblissent le talent èomme elles troublent la vie. A quelque chose
malheur est bon, (lit le proverbe. C'est ainsi que, même en fréquentant la cour, ils ont pu s'isoler au
milieu de leur époque, ne subir aucune influence mauvaise et s'entourer d'une lumineuse atmosphère. On
eût dit les anges du Seigneur marchant dans les ténèbres. La force même de leur génie les préservait, à
la manière des talismans, et leur œuvre nous apparaît comme un songe gracieux, comme une échappée
de vue dans les bocages d'un jardin enchanté.
ALFRED MICHIELS.

IKEffilMiaS JE
Lr IHIMMIKDM '

Le Musée du Louvre renferme un tableau de Jean van Eyck la Vierge adorée par le chanoine Fan der Paele, saint Georges
dont l'authenticité n'a encore été mise en doute par personne. et saint Donat. L'inscription est absente.
Nous l'avons décrit suffisamment, aussi bien*que le Triomphe 3° Une reproduction de la grisaille de Bruges, où l'on voit
de l'Église, conservé à Madrid. sainte Barbe assise devant la tour qu'elle fait construire.
L'Académie de Bruges possède.dn même peintre : Panneau signé comme l'autre : Johes de Eyck nie fecit 1437.
i0 Une Tête du Christ. Dans le musée de Naples : Saint Jérôme, tableau de la
2° La Vierge adorée par le chanoine Van der Paele, saint plus remarquable exécution, attribué jusqu'ici au peintre
Georges et saint Donat. Le tableau offre cette inscription : italien Colanlonio del Fiore, mais qui rappelle exactement le
Hoc opus fecit fieri magister Georgius de Pala, ht/jus ecclesiœ style d'Hubert van Eyck.
canoniaus, 1Jer Johannem de Eyck, pictorem, et fundavit hic Au musée de Berlin : une Tête du Christ, où l'on retrouve
duas capellanias de grno chori Domirii 143\. On ne sait ce que le type byzantin. Sur le bord inférieur du panneau, on lit :
veut dire cette abréviation : gmo.
3° Sainte Barbe devant la tour qu'elle fait construire, gri- Johes de Eyck me fecit et appleviit anno lf138.
saille signée : Johes de Eyck me fecit 1437. 31january.
4° Femme de Jean van Eyck, portrait offrant- les inscrip- Pour les peintures de la National Gallery, nous n'avons
tions suivantes, l'une en haut de l'image, l'autre en bas : pas besoin d'y revenir.
Conjux meus Johannesme complevitanno 1439, Dans la gâterie impériale de Vienne : 1° le Portrait du sire
de Leeuw, avec cette inscription flamande :
mense junii.
JEtas meas triginta tria aimorum. ALS IKH KAN. Jan de Lecuw op sant Orselen dach
Au musée d'Anvers : Dat clar erst met ogfen sach (1401).
1° La Vierge debout portant le Christ clans ses bras, pan- Glioconterfeit nn heeft mi Jan
Van Eyck; well blyct wann er began (1436).
neau signé : ALS IKH KAN. Johes de Eyck me fecit complevit
anno 1439. Ce qui veut dire Jean de Leeuw, qui vit la lumière le
:
2° Une reproduction du tableau de Bruges, représentant jour de sainte Ursule, en 1401. Jean van Eyck a maintenant
fait mon portrait; regardez bien quand il commença : 1436. relégué Adam et Ève dans les combles, parce que l'artiste
2° Le Christ pleuré par sa mère et par différents saints. les a représentés nus, conformément aux paroles de la
Tableau gravé pour cette Notice. Bible.
A la pinacothèquede Munich : A ces panneaux, qui forment le centre de l'œuvre, il faut
1° Saint Luc peignant la Vierge. Admirable perspective adjoindre les six volets que possède le musée de Berlin.
2° L'Adoration des mages, panneau central dont les volets 10 Les Juges équitables. Ce sont dix cavaliers qui s'ache-
figurent l'Annonciationet la Présentation au temple. minent vers l'Agneau mystique. Le plus avancé, montant un
Au Musée de Dresde : la Vierge entre saint Michel et sainte cheval blanc richementcaparaçonné, nous offre le portrait
Catherine. d'Hubert van Eyck; son voisin, penché pour regarder autour
A Chatsworth, chez le duc de Devonshire : l'Installation de lui, est Jean van Eyck lui-même. Les deux effigies, co-
de Thomas Becket sur le siége archiépiscopal de Cantorbéry. piées pour nous à Berlin et gravées à Paris, ornent la présente
OEuvre endommagée, qui porte la date de 4421. Notice.
A Paris, chez la princesse Mathilde : un portrait.d'homme 20 Les Champions du Christ. Des montagnes couvertes de
et un portrait de femme; celle-ci a pour coiffure un hennin. neige forment la perspec ive de ces deux morceaux.
Chez M. Nieuwenhuys,à Bruxelles : la Vierge avec l'enfant 3° Les Saints ermites. Ils traversent un pays—couvert
Jésus, travail de petite dimension. d'une végétation abondante et de nombreuxrochers;
A Anvers, chez M. Weber: le Mariage mystique de sainte 4° Les Pieux pèlerins, ayant à leur tête saint Christophe.
Catherine d'Alexandrie; ; sur la lame d'une épée se trouvent Ces quatre ailes flanquaient le panneau central, olt I' Àgneati,
les mots : Joanes van Eyck, en écriture gothique du quin- mystique saigne pour les péchés des hommes. Les deux sui-
zième siècle. Une inscription ainsi placée me paraît dou- vantes accompagnaientle groupe supérieur, où figuraient
teuse. Dieu le père, la Vierge et saint Jean.
A Rome, dans la galerie Doria : la Vierge avec l'enfant 5° Des anges qui chantent;
Jésus, faussement attribuée à Albert Durer. 6° Des anges qui jouent des insti-vaibents: l'un d'eux touche
A Ypres, dans l'église Saint-Martin : la Vierge et l'enfant de l'orgue et occupe l'espacele plus considérable.
Jésus, devant lesquels est agenouillé le donateur, Nicolas de Les revers de ces tableaux offrent au spectateur :
Maelbeke. Sur l'extérieur des ailes, divisées l'une et l'autre 1° La Statue de saint Jean-Baptiste.
en deux compartiments, un autre groupe de Marie et de son 2° Le Portrait du donateur, Josse Vydt, qui parait d'un
Fils, trois Anges qui annoncent, au son de la trompette, la. âge très-avancé : il est à genoux, les mains jointes, et lève
venue du Rédempteur, la sibylle de Cumes, qui passe pour les yeux vers le ciel.
l'avoir prédite, et l'empereur Auguste, sous le règne duquel 3° Le Portrait de Lisbette Vydt, née Borluut, femme du
eut lieu l'incarnation.A l'intérieur, Jean van Eyck peignit le donateur. Elle est dans la même attitude que son mari.
Buisson ardent, la porte d'Ézéchiel ; il ébaucha un Gédéon 4° La Statue de saint Jean l'Evangéliste.
près de son merveilleuxemblème, et Aaron portant la verge b0 L'Ange Gabriel descendant vers Mark.
symbolique. Mais on prétend qu'il ne put les terminer, le 6° Marie à genoux, écoutant avec soumission les paroles
mal dont il devait mourir l'ayant surpris pendant qu'il tra- de Gkbriel.
vaillait à cet ouvrage. Au bas des quatre premiers revers court l'inscription sui-
M. Bogaert Dumortier, qui habite la ville de Bruges, en vante :
possède une copie.
PictorHubertus e Eyck, major quo nemo repcrtus,
Dans l'église Saint-Bavon, à Gand : Incepit: pondusque Johannes arte secundus
4° Dieu le père bénissant le monde; Suscepit laetus, Judoci Vyd prece fretus.
2° La Vierge; VcrsV seXta Mal Vos CoLLoCat aCta lVerl.
3° Saint Jean Baptiste;
4° Le panneau central, qui figure l' Adoration de l'Agneau Ce chronogramme forme la date de 4432, année où l'œuHP
mystique. Le symbole du Christ est placé sur un autel, son fut mise en place.
sang jaillit d'une blessure qu'il a au cou et tombe dans un Au-dessous du polyptique se trouvait primitivement un
calice. Une troupe d'anges balancent autour de lui leurs en- morceau oblong, une prédelle, comme on dit en italien, où
censoirs.A travers la campagne s'avancent les élus. Ce sont était représenté l'enfer.
les 'vierges martyres, les papes et les cardinaux,les saints rois Les six volets que possède le musée de Berlin furent déta-
et les prophètes. On aperçoit au loin la ville de Maëstricht. chés de l'œuvre en 1816. Un marchand de tableaux,nommé
5° Ève présentant à son mari la pomme fatale. Nieuwenhuys, eut alors l'adresse de se les faire vendre
6° Adam inquiété par cette offre périlleuse. 6,000 francs par les chanoines pendant l'absence de l'évê-
Les sibylles peintes sur les revers de ces deux panneaux que; il les céda pour 100,000 francs à M. Solly, auquel le
sont d'une exécution tellementinférieurequ'on ne saurait les roi de Prusse les acheta 400,000.
attribuer ni à l'un ni à l'autre des deux frères : un élève fut. A Saint-Pétersbourg: une Annonciation, que possédait
probablementchargé de cette tâche. jadis le roi de Hollande et qui a été acquise à sa mort par
Depuis l'année 4785, les chanoines de la cathédrale ont l'empereur de Russie.
ê;co/e ^itamant/er. fj/t/sfo ?te/ljtèaæ.

ROGER VANDER WEYDEN, DE BRUXELLES


NÉ E% K 00 ;
- MORT EN 1 464.

Jean van Eyck n'était pas encore descendu au tombeau, qu'un autre
peintre, sorti comme lui de la race flamande, continuait l'œuvre entreprise
par le glorieux inventeur de la peinture à l'huile, et propageait à la fois
la manière de son maître et ses procédés. Sous l'habile direction de
Roger, l'école brugeoise ne déchut pas : le disciple s'éleva presque à
la hauteur du maître, et, non-seulement se montra un puissant coloriste
et un savant dessinateur, mais sut imprimer à ses personnages un
cachet saisissant de vérité. Roger ne se contente pas de frapper le
spectateur, il l'émeut, il le domine. Ses grandes qualités, il les transmit
à deux de ses élèves, dont le nom appartient à l'Europe entière :
l'inimitable Memlinc et « le beau Martin, » Martin Schongauer.
L'existence de Roger, que de singulières erreurs avaient obscurcie,
est aujourd'hui connue dans ses détails principaux. Sa vie est acquise
à l'histoire, sauf pour ses premières années, au sujet desquelles il y a
contestation. Selon les uns, et c'est en particulier l'opinion de l'auteur
de ces lignes, Roger, comme le disent les anciens écrivains, naquit à
Bruxelles et étudia sous Jean van Eyck. Une autre opinion lui donne
pour patrie Tournai, où il serait entré comme apprenti chez Robert Campin, le 5 mars 1426 ou 1427,
et aurait été reçu maître-peintre le 1er août 1432. Dans les documents tournaisiens, il porte le nom de
Roger de la Pasture, dont Vander Weyden est l'équivalent en flamand. Parfois on écrit Rogier pour Roger,
mais c'est là une forme archaïque que presque tous les écrivains ont abandonnée. On ne serait plus admis
maintenant à regarder notre artiste comme brugeois, quoique quelques Italiens le nomment Roger de
Rruges; ni à le qualifier, comme Molanus, de peintre et de bourgeois de Louvam.
Roger naquit en 1400, d'un nommé Henri. Il était marié et père dès 1425, ce qui rend très-douteux
son tardif apprentissage à Tournai. En 1436, il était déjà, depuis quelque temps, fixé à Bruxelles en qualité
de peintre de la Ville, fonctions qu'il conserva jusqu'à sa mort et qu'il illustra en exécutant pour le palais
de la commune quatre grandes compositions qui furent longtemps considérées comme l'une des merveilles
des Pays-Ras. En cette année 1436, la capitale belge se trouvant dans la nécessité de restreindre ses dépenses,
l'administration décida, le 2 mai, qu'après la mort de Roger son emploi serait supprimé. Dans l'opinion
des magistrats d'alors, on avait probablementtiré de son talent tout le parti qu'on en avaitattendu ; peut-être
aussi, sa grande œuvre des tableaux de l'hôtel de ville était achevée, ou les idées qui en avaient provoqué
l'exécution ne dominaient plus dans les conseils de la commune. Quoi qu'il en soit, il paraît douteux que,
dans l'espace de temps qui s'écoula depuis le 1er août 1432 jusqu'au 2 mai 1436, en moins de quatre ans,
Roger ait acquis assez de réputation pour être appelé de Tournai à Rruxelles, puis lassé, dans sa seconde
résidence la protection d'abord accordée à son mérite. A ne considérer que ces seuls détails, on rencontre
de grandes difficultés pour accepter l'opinion nouvelle sur l'origine de Roger, opinion qui est d'ailleurs
de Vander Weyden.
en contradiction absolue avec les termes dont se sert Guicciardin en parlant
Celui-ci ne travailla qu'à des œuvres secondaires pour le duc Philippe de Rourgogne, mais plusieurs
communautés religieuses employèrent ses pinceaux ou acquirent de ses œuvres. Ces dernières se répandirent
rapidement jusqu'en Italie, où l'on en voyait à Gênes, à Ferrare, à Naples, dès le milieu du quinzièmesiècle.
C'étaient : à Gênes, des Femmes au bain, que deux jeunes gens contemplent avidement à travers les
fentes d'une porte ; à Ferrare, une Descente de croix avec volets représentant Adam et Ève chassés du
paradis et un Prince en prières, triptyque qui ornait l'appartement même de Lionel d'Esté; chez le roi
Alphonse de Naples, la Vierge recevant la nouvelle de l'emprisonnement de son fils et le Christ outragé
près de
par les juifs. En 1449, le Siennois Angelo Parrasio, qui travaillait dans le palais de Belfiore,
la deuxième de ces villes, séduit par les œuvres de Jean van Eyck et de Roger, cherchait à imiter ces deux
chefs de l'école flamande.
Quand Vander Weyden se rendit à Rome, lors du jubilé solennel de l'année 1450, sa réputation avait
déjà dépassé les Alpes; il partageait avec son maître la gloire d'avoir ouvert à la peinture des voies
nouvelles. On raconte que se trouvant dans la capitale de la catholicité, dans l'église de Saint-Jean de
Latran, il fut saisi d'admiration à la vue des peintures qui y représentaient l'histoire du patron de la
basilique; quand on lui eut dit qu'elles étaient dues à Gentile da Fabriano, il combla ce peintre de louanges
et le proclama le premier des artistes italiens.
A l'exception de l'accord qu'il conclut, en 1455, pour l'exécution d'un tableau destiné à l'abbaye de
Saint-Aubert, de Cambrai, tableau qui ne fut placé que quatre ans plus tard, sa biographie n'offre plus de
faits à citer. Roger paraît avoir été d'un caractère très-réservé et avoir consacré tous ses instants au
travail. On vante encore sa piété, ainsi que sa charité envers les pauvres, auxquels il fit un leus
considérable. Il mourut le 18 juin 1464, et fut enterré devant l'autel de sainte Catherine, au pourtour (111
chœur de l'église Sainte-Gudule, de Rruxelles.
Il résulte des documents du temps que Vander Weyden, sans être riche, se trouvait dans une position
aisée. On peut eonclure de ce fait que ses travaux furent appréciés et recherchés, et que l'on ne se
borna pas, comme cela n'arrive que trop souvent, à lui témoigner une admiration stérile. Le traitement
qu'il recevait de la Ville était modique, puisqu'il ne consistait qu'en une indemnité pour achat d IlIl
vêtement de cérémonie, mais tout ce qu'il exécutait pour l'administration, toute vacation, lui était payé
séparément. Dès l'année 1434, il possédait des rentes sur le domaine ducal de Brabant et sur la ville de
Tournai; vers l'année 14.i.4, il acheta une grande habitation à Rruxelles, dans la rue dite aujourd hui de
l'Empereur, habitation qu'il laissa à ses enfants. La somme de 4QO couronnes d'or, dont il' gràtifia la
chartreuse de Hérinnes lorsque son fils aîné, Corneille de Bruxelles, y fit profession, constitue" encore

une preuve de son opulence ' relative ! Enfin, si l'on en croit Van Mander, une reine, dont il peignit le
portrait, lui témoigna sa satisfaction en lui abandonnant la propriété d'une dîme.
ElisabethGoffaerts donna à Rogerquatre enfants : Corneille, qui mourut à Hérinnes en 1473, à l'âge de quarante-
huit ans; Marguerite, Pierre et Jean. Maître Pierre fut aussi peintre, mais son nom ne s'est entouré d'aucun
éclat et on n'a conservé de lui aucune œuvre authentique. Plus heureux, l'un des fils que Pierre eut de
Catherine valider Noot marcha avec succès sur les traces de son glorieux aïeul. Nous voulons parler de
Gosuin vander Weyden, qui abandonna Bruxelles pour se fixer à Anvers, y entra dans la gilde de
Saint-Luc, dont il fut doyen en 1514 et 1530, et reçut successivementplusieurs élèves dans son atelier, de
1503 à 1517. Parvenu à l'âge de soixante-dixans, il peignit pour l'abbaye de Tongerloo une œuvre remarquable,
la Mort et l'Assomption de la Vierge, où il se représenta, lui et le célèbre Roger. On a cru reconnaître
cette composition dans un tableau du Musée de Bruxelles, mais à tort, et rien ne nous permettrait
d'apprécier le talent de Gosuin, sans le Mariage de la Vierge, de l'église de Saint-Gommaire, de Lierre.
belle composition qui a été exécutée par lui vers l'année 1494 et a été longtemps attribuée à Roger.
Un autre Roger vander Weyden fut reçu franc-maître dans la gilde de Saint-Luc, en 1528, et vivait
encore en 1536. Comme Pierre, dont il était sans doute le petit-fils, ce dernier rejeton de la famille végéta
dans l'oubli.
Le grand artiste bruxellois compta une autre postérité, plus glorieuse que la première, et qui, si elle ne
perpétua pas son nom, propagea son style et sa manière. Jean van Eyck, comme le dit Yasari, n'eut
que lui pour disciple, ou, du moins, ne révéla qu'à lui le secret de la peinture à l'huile. Des recherches
récentes ont, en effet, prouvé que Christophsen, Vander Goes, les Vander Meire, Antonello de Messine ne
furent pas les successeurs immédiats des Van Eyck, et l'on a déjà supposé que plusieurs d'entre eux subirent
l'influence de Roger. A celui-ci revient, sans conteste, l'honneur d'avoir formé Memlinc, que l'on a si
justement nommé le Pérugin du Nord, et Schongauer,l'un des créateurs de la gravure, le digne précurseur
(l'Albert Durer.
Qui croirait que le maître de ces deux grands artistes, que l'homme dont le nom est déjà acclamé au
milieu du quinzième siècle par Facius, par Cyriaque d'Ancône, par Filarète ; dont le talent est célébré à la
fois dans les poésies de Santi, le père de Raphaël, et de Lemaire des Belges; dont Guicciardin, Yasari,
Lampsouius, Durer, Molanus redisent les louanges au seizième siècle, fut pendant plus de deux cents ans
rayé de l'histoire de l'art? Van Mander, dans sa Vie des Peintres, attribua ses actions et ses œuvres, en
partie à un prétendu Roger de Bruges, sur lequel il ne rapporte que quelques données sans précision, en
partie à un Roger vander Weyden, de Bruxelles, mort, dit-il, en 1529, et auquel on s'obstine à assigner
des séries de tableaux, sans avoir le moindre point de comparaison.
/ Cette dernière circonstance, d'attributions nombreuses légèrement acceptées et répudiées de même,
s'est produite à l'égard du premier Roger, et, pendant longtemps, tâtonnant dans les ténèbres d'une
période obscure, essayant d'accorder des témoignages souvent contradictoires, remarquant entre les
œuvres incontestables des Van Eyck et celle de Memlinc un certain nombre de tableaux où se révélait un
style particulier, on a attribué à Roger, puis retiré à ce peintre des compositions capitales, mais
qui, par malheur, ne sont ni signées, ni citées dans les documents. C'est ainsi qu'on place parmi
les productions de son pinceau une Naissance du Christ, du Musée de Berlin; les Sept Sacrements, du
Musée d'Anvers; le Jugement dernier, de l'hôpital de Beaune, etc. Chacune de ces compositions présente
de grandes qualités, mais une comparaison minutieuse prouverait probablement qu'il n'est pas possible de
leur reconnaître une origine commune.
La Naissance du Christ, qui fut peinte pour l'église de Middelbourg en Flandre, par ordre de Pierre
Bladelin, le fondateur de cette petite ville, mort en 1472, a, depuis quelques années, été classée, à tort ou
à raison, parmi les œuvres de Memlinc. Le beau triptyque des Sept Sacrements, œuvre magistrale, où le
sacrifice du Golgotha s'accomplit au milieu d'une nef gothique, tandis que les différents sacrements de
l'Église sont représentés par autant de groupes isolés, fut exécuté par ordre de Jean Chevrot, évoque de
Tournai (de 1437 à 1467); les tons clairs qui dominent dans ce tableau contrastent trop avec le coloris
chaud et vigoureux de Roger, pour qu'on le classe parmi les productions de notre artiste. Quant au
Jugement dernier, qui orne encore aujourd'hui l'hôpital de Beaune, fondé par Nicolas Raulin, chancelier
de Bourgogne, en 1441, l'attribution à Roger m'en semble très-douteuse.
En réalité, on ne connaît que deux peintures authentiques de notre artiste, et, par une circonstance
singulière, chacune a sa légende, chacune, pour arriver t-I l'asile où elle resplendit aujourd'hui, a passe
par toutes les phases d'une véritable odyssée.
La première existait déjà en 1431, d'après la tradition; dans un vieux manuscrit de la chartreuse
de Miraflorès, en Espagne, on la dit peinte par « maître Rogel, grand et fameux Flamand. » Le pape
Martin V, à ce que l'on rapporte, en fit don au roi d'Espagne Jean II, qui, en 1445, en gratifia la
chartreuse. Enlevée d'Espagne pendant les guerres qui désolèrent la Péninsule de 1808 il 1814, elle l'ut
achetée par M. Nieuwenhuys, acquise par le roi des Pays-Bas Guillaume II, et devint enfin l'un des
ornements du Musée de Berlin. On y voit, sur le panneau central, la Vierge tenant sur ses genoux le corps

du Sauveur; à gauche, la Vierge et Jésus enfant; à droite, la Résurrection et le Christ apparaissant


Úsa
mère. « Ces trois compositions, dit le professeur Waagen, sont d'une grande énergie de sentiment, d'une
« couleur éclatante, exécutées avec le soin des miniatures, mais on peut leur reprocher la maigreur des

« membres. » Ce qui les rend particulièrement remarquables, c'est que l'on y remarque une opposition
heureuse des sentiments les plus contraires sur le visage de la Vierge : ici, une profonde affliction; Iii, la
joie la plus profonde ou l'étonnement le plus vif.
Le tableau de Madrid se place a un rang supérieur il appartient probablement à
: une époque où le maître
avait amélioré sa manière, grâce à de nouvelles études. Roger le peignit
pour la chapelle surnommée Hors
des murs, de Louvain, et, cent ans plus tard, la reine Marie de Hongrie l'obtint du serment des arbalétriers
de cette ville, possesseurs de la chapelle, en échange d'une copie faite
par Coxie et d'orgues de la valeur de
500 florins. Le vaisseau qui portait cette œuvre en Espagne périt dans
une tempête, mais elle échappa aux
flots et souffrit peu du naufrage. Placée dans la galerie d'Isabelle, au milieu des plus splendides joyaux du
Musée de Madrid,la Descente de croix de Vander Weyden justifie complètement les louanges que les anciens
écrivains accordaient au talent de l'élève de Van Eyck. Coloris vigoureux et éclatant, dessin d'une
correction rare, distinction et expression dans les physionomies, grandeur et simplicité de composition,
tout est réuni dans cette production importante, dont il existe une répétition également très-belle
l'Escurial, et des copies ou imitations en plusieurs endroits.
Il est à déplorer que nous ayons perdu les quatre tableaux que Roger avait peints pour l'hôtel de ville de
Bruxelles (l' Acte de justice de l'empereur Trajan, le Pape saint Grégoire, averti par une vision, de la grâce
que Dieu avait accordée à cet empereur; le juge Herkenbald punissant son propre
fils coupable de viol, et la
Dernière Communion de ce sévère justicier). Mais les regrets des amis des arts ont été atténués par une
heureuse remarque de M. Pinchart. Notre ami a trouvé une reproduction de ces compositions de Roger
dans des tapisseries qui, prises par les Suisses parmi les dépouilles de l'armée de Charles le Téméraire,
sont encore conservées à Berne, et ont été publiées par M. Achille Jubinal. Bien qu 'on ne puisse demander a
ces deux imitations successives les beautés de l'œuvre originale , on y reconnaît cependant quelques-unes
des qualités que l'on se plaisait à signaler chez notre peintre, et en particulier l'art de grouper les
personnages et l'expression dramatique.
Dès l'année 1467, les princes qui visitaient Bruxelles s'empressaient d'aller admirer les tableaux de
l'hôtel de ville. Durer rendit le même hommageaux œuvres du «grand maître Roger, » comme il l'appelle.
Calvete de Estrella, qui accompagna Philippe II dans son voyage des Pays-Bas en 1549, reproduisit les
longues inscriptions qui en expliquaient les sujets et qui se retrouvent en entier sur les tapisseries de
Berne; et Lampsonius, en contemplant ces merveilleuses peintures, laissa échapper un cri d enthousiasme :
« 0 maître Roger, » dit-il, « quel homme vous
étiez! » Après le dix-septième siècle, le silence se fait, et tout
porte à croire que les tableaux de Roger périrent dans le bombardement de Bruxelles, en 1695.
Les tapisseries que l'on conserve dans la sacristie de l'église de Berne reproduisent de la manière la plus
complète les tableaux que Calvete de Estrella et, plus tard, Jacques Bollard, ont décrits en détail. Elles
ont vingt-six pieds de longueur sur treize pieds six pouces de hauteur. La première nous montre une
femme demandant justice à l'empereur Trajan et ce prince ordonnant le supplice de l assassin du fils de
cette femme. Sur la seconde, est dépeint un double épisode également consacré a Trajan : ici, le pape
Grégoire-le-Grandprie pour lui devant une image de saint Pierre, posée sur un autel; lit, on apporte au
souverain pontife la tête de l'empereur, qui, malgré le long espace de temps écoulé depuis la mort de ce
prince, a conservé une langue intacte. Enfin, une troisième tapisserie représente la légende d 'Ilerhenbald,
qui se compose de deux tableaux différents: D'abord Herkenbald saisit par les cheveux et frappe lui-même
qui lui a refusé la communion, l hostie
son neveu, coupable de viol; ensuite, il montre à un évêque
miraculeusement sortie de la custode pour aller se placer dans sa bouche.
Tout en hésitant à proposer une attribution nouvelle, nous penchons pour regarder comme étant de
Yander Weyden le fameux Jugement dernier, de Dantzick, tableau qui égale en valeur t Adoration de
l'Agneau, de Saint-Bavon. Cette composition magistrale, qui fut prise sur un vaisseau flamand par iiii
corsaire de Dantzick, en 1473, et donnée ensuite à l'église principale de cette ville, ne procède évidemment
que d'un artiste de premier ordre. Il s'y révèle une manière savante de
traiter le nu qui me semble exclure
Jean van Eyck; d'autre part, la date certaine de l'enlèvement du tableau contrarie l opinion qui se prononce
années, accusent un
pour Memlinc, dont les premières œuvres authentiques, postérieures de quelques
talent qui n'a pas atteint sa maturité. Ici tout est complet, tout est excellent, rien ne rappelle le l'aire d un
des maîtres secondaires de cette époque, tandis que deux indices, vagues, il est vrai, nous ramènentvers
l'l'ères
le Brabant et vers Bruxelles. D'anciens écrivains disent que le tableau fut peint en Brnbunt. pai les
Jean et Georges Von Eichen et qu'il occupa ces artistes pendant quarante années. Ce qui l'ail songer a
Bruxelles, c'est le patron de cette ville, dont l'image resplendissante occupe le centre du tableau, sous le groupe
les
du Christ, de laVierge et des Apôtres. D'une main l'archange tient la balance IIlI sont pèses tes justes et
méchants; de l'autre, il agite sa formidable lance au-dessus des êtres innombrables qui renaissent pour
le jour suprême et qui s'agitent dans les poses les plus variées, toutes traitées avec un égal bonheur.
La plupart des peintures de Roger dont parlent les anciens écrivains et les documents ont également
péri ou ont disparu, mais ce qui nous est resté de ses œuvres témoigne suffisamment de son mérite.
Ajoutons que notre artiste ne se borna pas à une spécialité, qu'il embrassa tous les genres. S'il retraça avec
bonheur les sujets les plus émouvants, il n'excella pas moins dans la reproductiondes scènes familières. Comme
nous le prouvent ses Femmes au bain, que l'on admirait à Gênes vers l'an 1450, il contribua à développer l'étude

du corps humain, il s engagea dans cette voie du réalisme où les Flamands ont marché depuis
avec tant de
succès, avec tant de persévérance. A l'exemple de son maître, il fut portraitiste, et portraitiste distingué;
ce qui en témoigne, c'est un tableau du Musée d'Anvers où est représenté le duc Philippe de Bourgogne,
son contemporain. (Voir plus haut).
Comme ses émules et ses successeurs, Roger ne dédaigna, ni de peindre de simples écussons, ni de
couvrir de couleur des sculptures. Il fut aussi miniaturiste, car lui seul a
pu exécuter la magnifique miniature
initiale du manuscrit des Annales du Hamaut, de Jacques de Guyse, manuscrit conservé il la bibliothèque
l oyale de Bruxelles et qui fut achevé en 1449. « Le peintre a représenté Philippe le Bon assis
sous un dais.
a recevant 1 hommage de ce livre, dans la forme accoutumée, bien connue des amateurs de manuscrits, Mander
<( ^ 'ey(leii put seul, continue M. le comte de Laborde, composer et exécuter ce chef-d'œuvre, digne de
son
« maître, digne de sa main. »
Plus les études historiques sur l'ancienne école flamande se poursuivent, plus la personnalité de Boger
se
(légage puissante entre son maître, Jean van Eyck, et Memlinc, son élève favori. Au milieu du quinzième
siècle, c'est lui qui tient le sceptre de l'art. Ses tableaux se répandent jusqu'en Espagne et jusqu'en Italie, et
lui-même, par son voyage à Rome, contribue à propager sa réputation. Un véritable engouement se manifeste
pour sa manière et pour ses types, que l'on retrouve constamment dans les productionsde l école allemande
du quinzième siècle, et dans les premières gravures. On vient de voir que les tapissiers de Bruxelles
reproduisirent des compositions de notre peintre. Celui-ci aura donc encore rendu à sa patrie ce suprême
service, de faire pénétrer le culte de l'art dans la populationindustrielle, de lui inspirer le goût du beau, de
donner à la fois à ses produits une signification plus haute, une valeur nouvelle. Aujourd'hui que l'heure de
la réhabilitation a sonné pour Roger, on n'accusera plus d'exagération cette épitaphe que l'on avait consacrée
à sa mémoire dans la collégiale de Bruxelles, et qu'une négligence coupable a laissé disparaître :

Exanimis saxo recubas, Rogere, sub isto,


Qui rerum formas pingere doctus eras.
Morte tua Bruxella dolet, quod in arte peritum
Artificem similem non reperire timet.
Ars etiam moeret, tanto viduata magistro
Cui par pingendi nuilus in arte erat.

« Sous cette pierre, Roger, tu reposes inanimé, toi dont le pinceau excellait à reproduire la nature.
« Bruxelles
pleure ta mort, parce qu'elle craint de ne plus retrouver d'artiste aussi habile. L'art gémit
« également,
privé qu'il est d'un maître qui n'eut jamais son pareil. » Lampsonius, en répétant ces éloges,
glorifie Roger d'avoir été autant humain qu'habile, d'avoir, en mourant, assuré aux pauvres une ressource
contre la faim.
Pour nous résumer, disons que Vander Weyden fut à la fois un artiste éminent, et un bon citoyen, un
noble esprit et un grand cœur.
ALPHONSE WAUTERS.

MM'MMMS mir MM(MMM


Une première biographie de VanderWeyden a été publiée tableau qui a longtemps été regardé comme une œuvre de
Memlinc; Philippe le Bon, duc de Bourgogne (n° 24); tes
par M. Wauters dans le Messager des Sciences historiques
de Belgique, année 1846, page 127, dans le but de prouver Sept Sacrements (n° 32), triptyque;
Weyden, Au MUSÉE DE BRUXELLES, — une Tête de femme en pleurs.
que Roger de Bruges n'était autre que Roger vander
et vivait au quinzième siècle, à Bruxelles; cette thèse, que qui se retrouve dans différentes Descentes de croix du maître,
MM. Van Hasselt et Cels ont combattue, sans succès, dans et une série d'épisodes de la vie du Christ, trop faiblement
deux brochures postérieures de peu d'années, est aujourd'hui traitées pour être de ce peintre, mais très-certainement de
acceptée sans réserve. son école;
De nouveaux détails sur Vander Weyden ont été publiés Au MUSÉE DE BERLIN — un triptyque représentant trois
,
second scènes de la vie de saint Jean, sa Naissance, le Baptême du
par M. Pinchartdans un travail destiné tl compléter le
volume de l'édition belge de l'ouvrage de Crowe et Cavalca- Christ et la Décollation (n° 534 B) ; un autre triptyque pro-
selle (les Anciens Peintres flamands), ainsi que dans les venant de Middelbourg, en Flandre ;
Bulletins de l'Académieroyale de Belgique (2e série, t. XVII). A L'HÔPITAL DE BEAUNE, — le Jugement dernier;
Outre les tableaux authentiques de Roger : les quatre A L'INSTITUT STAEDEL, DE FRANCFORT, — la Vierge et
tableaux de l'hôtel de ville de Bruxelles, dont il ne reste plus l'Enfant Jésus, entourés de saint Pierre, de sain Jean, de
qu'une reproduction dans les tapisseries de Berne (voir saint Côme et de saint Damien;
l'ouvragedeM. Achille Jubinal, les Anciennes Tapisseries histo- A MUNICH, — saint Luc peignant la Vierge (n° 42), et
riées, publié en 1838), la Descente de croix, du musée de l'Adoration des rois, avec l' Annonciation et la Présentation
Madrid, et la Vierge tenant entre ses genoux le corps de son au temple (n08 35, 36, 37).
fils, du musée de Berlin, on attribue à ce peintre : Le portrait de Roger vander Weyden a été publie par
Al; MUSÉE D'ANVERS, l'Annonciation ( n', 33), petit Cokx, en 1570, et par Van Mander.

ëcafe .!#Íamancle 'ëaiï/èauœ J<é/ljtéaæ éÇ JSûréra/jd.

JEAN MEMLINC
NÉ VERS 1425. — MORT EX 1495.

C'est toujours un grand avantage pour un artiste ou pour un


auteur de ne venir au monde ni trop tôt ni trop tard. Le rôle
des initiateurs est sans doute glorieux, mais il est en même
temps plein de périls et d'incertitudes : tous les pionniers du
progrès n'ont pas, comme les Van Eyck, un génie suprême et
triomphant qui, dès les débuts, renverse les obstacles, parvient
aux plus brillants résultats. Beaucoup ne font qu'ouvrir l'entrée
de la route, perdent leur vie en efforts ingrats et bientôt oubliés.
Venir trop tard expose à un autre inconvénient, celui de trouver
le chemin poudreux, encombré de voyageurs : plus de rosée,
plus de fraîches corolles sur les bords, plus de chansons matinales
dans les rameaux. Ceux qui partent, au contraire, à une heure
opportune, évitent toutes les difficultés, se préservent de la cohue,
ou, pour mieux dire, le sort bienveillant leur épargne et les fatigues extrêmes et le voisinage de la foule.
Garantis de la sorte, ils peuvent songer uniquement à leur œuvre prise en elle-même, au charme du sujet,
il la beauté de la forme; ils peuvent pousser très-loin la perfection du travail, unir la grâce et la pureté, la

force et la délicatesse.
Cette précieuse faveur, Memlinc l'a obtenue de la destinée dans toute sa plénitude. Lorsqu'il dessina ses
premiers croquis, les Van Eyck et Bogier van der Weyden, le disciple bien-aimé de Jean, avaient résolu les
problèmes les plus difficiles de la peinture, créé une manière nouvelle ; leur successeur n'eut qu'à faire
usage du style inventé par eux, des ressources qu'ils lui transmettaient. Rien n'amortit sa verve, ne contraria
son imagination; heureux légataire, il put dépenser à sa guise le trésor que ses maîtres avaient arraché
des profondeurs du sol. Mais il le dépensa en homme intelligent, doué d'un mérite supérieur : il édifia un
palais magique, où règne l'idéal, où trône la beauté.
Jean Memlinc était né à Bruges ou à Maldeghem, mais on peut adopter sans crainte la première donnée,
qui a pour elle le témoignage de Van Mander. On ne sait pas en quelle année il vint au monde. Un
regrettable mystère voile toute l'existence de ce peintre poëte, comme celle d'un autre artiste inspiré, le
dramatique et profond Ruysdael. Son nom même a été longtemps un sujet de discussion. Les renseignements
découverts par M. James Weale, dans les archives religieuses et civiles de Bruges, viennent d'en fixer
l'orthographe. Ces documents nous fournissent un petit nombre de détails sur sa vie domestique et sa fortune,
mais ne nous racontent pas un seul événement. Nous allons grouper ces faits avec ceux qu'on trouve ailleurs,
et plonger le regard aussi loin que possible dans les ténèbres qui environnent l'artiste flamand.
Vasari et Guichardin rapportent qu'il étudia sous les yeux de Rogier van der Weyden. Il avait donc
quitté Bruges, où, selon tonte apparence, il demeurait, pour venir à Bruxelles chercher les leçons d'un
maître fameux. Non-seulement Rogier lui apprit à faire usage du crayon et du pinceau, mais il lui enseigna
l'art de peindre à l'huile. Decamps a prétendu, je ne sais pourquoi (il ne le savait probablement pas non
plus), que Memlinc ne voulut pas employer la méthode nouvelle, qu'il délaya toujours ses couleurs dans l'eau
de gomme. Cette erreur a trouvé des échos. Jamais cependant opinion plus absurde et plus fausse ne
trompa des lecteurs. Comment un homme si habile, un homme si épris du beau et qui en appréciait tellement
bien les conditions, aurait-il pu dédaigner un moyen admirable, pour s'en tenir à un procédé insuffisant?
Cette hypothèse n'offre aucune vraisemblance. Elle est démentie, d'ailleurs, et annulée par les faits. Tous
l'
les tableaux de Memlinc, sans exception connue, sont peints à huile.
Rogier van der Weyden apprécia comme il le méritait le talent de Memlinc, car il le prit pour
collaborateur. On voyait chez Marguerite d'Autriche, au seizième siècle, un triptyque dont le panneau central
avait été peint par le maître et dont le disciple avait exécuté les volets. Le morceau du milieu représentait la
Vierge tenant le Christ mort entre ses bras ; sur la face intérieure des vantaux étaient figurés deux anges ;
sur l'extérieur, l'Annonciation (Inventaire de Marguerite d'Autriche, fait en 1516).
A peine ces légers renseignements nous ont-ils fait entrevoir Memlinc qu'il nous échappe de nouveau. Nous
ne le retrouvons que dans les notes du Voyageur anonyme, publiées par Morelli. Ce touriste du seizième
siècle admira, en 1521, chez le cardinal Grimani, un morceau de sa main représentant Isabelle de Portugal,
femme de Philippe le Don, sur lequel on lisait la date de 1450. Ce tableau prouve que le duc de Bourgogne
avait de Memlinc la plus haute opinion (et il était connaisseur); autrement il ne lui aurait pas confié une tâche
de cette importance, il ne lui aurait pas laissé reproduire le visage de sa femme, qui avait été peinte une
première fois par Jean van Eyck lui-même. Le talent de Memlinc étant alors dans sa plénitude, l'artiste ne
pouvait guère avoir moins de vingt-cinq ans, ce qui placerait la date de sa naissance vers 1425. Et encore
pourrait-on dire que peu d'hommes montrent si jeunes un mérite accompli.
Durant cette même année 1450, Rogier van der Weyden entreprit un voyage au delà des Alpes. On
suppose qu'il emmena notre artiste dans la Péninsule et qu'ils y firent un assez long séjour. L'imitation des
chevaux antiques, observée sur quelques tableaux de notre peintre ; une vue du Colisée et d'autres monuments
romains; le livre d'heures acheté au seizième siècle par le cardinal Grimani et que renferme maintenant
le trésor de l'église Saint-Marc, œuvre précieuse où Memlinc a exécuté environ vingt-cinq miniatures,
confirment cette hypothèse et lui donnent une vraisemblance qui équivaut presque à la certitude.
Entre les années 1450 et 1462, nous perdons encore la trace de Memlinc. Il semble désigné dans le compte
des sommes que l'abbaye de Saint-Aubert, à Cambrai, paya pour une œuvre de Rogier, en 1460. Mais les
termes employés par le scribe n'ont pas toute la clarté voulue. Il faut donc arriver à son portrait, qu'il
exécuta lui-même deux années plus tard, et qui orne, à Londres, le cabinet de M. Aders. C'est une étrange
la
figure ; le front seul a quelque régularité ; mais ligne hétéroclite des arcades sourcilières, les yeux saillants et
hagards, le volume excessif du nez, les pommettes protubérantes, la largeur de la bouche et l'épaisseur des
lèvres, la forme carrée du menton, le désordre des cheveux, composent un ensemble disgracieux et rustique.
Ainsi la nature se plaît parfoisà cacher le sentiment du beau sous les traits les plus vulgaires, comme à voiler
d'un extérieur charmantles propensions les plus triviales.

Une coïncidence bizarre, que Rogier-van der Weyden avait aussi exécuté son propre portrait dans cette
c1 est
même année 1462. L'Anonyme de Morelli eut occasion de le voir, en 1531, chez un nommé Jean Ram, h
Venise. C'était un buste peint au miroir, nous dit le voyageur inconnu. Le portrait de Memlinc, que possède
M. Aders, est également un buste. Le maître et le disciple avaient-ils voulu faire
un échange amical? Rogier
van der Weyden sentait-il approcher la mort, qui l'enleva deux années plus tard? Voulait-il laisser à son
élève un affectueux souvenir? On a imaginé des hypothèses moins vraisemblables.
En 1470, Memlinc exécuta un diptyque, où l'on voyait, sur un panneau, saint Jean-Baptiste vêtu et assis
dans un paysage avec son agneau, nous dit le Voyageur anonyme; sur l'autre, la Vierge tenant son Fils,
également placé au milieu d'un paysage. Un citoyen de Padoue, nommé Pietro Bembo, possédait cet
ouvrage, il y a plus de trois cents ans. On ignore ce qu'il est devenu.
Ici nous rencontrons sur nos pas une nouvelle lacune, et une tradition populaire semble nous emporter
au pays des légendes. Memlinc, nous apprend-elle, serait un jour revenu à Bruges dans un état de
complète misère, et, tombé malade, aurait cherché un refuge à l'hôpital Saint-Jean. La châsse de sainte
fJrsule, le Mariage mystique de sainte Catherine d'Alexandrie, la Sibylle Zambeth, qui ornent encore la
pieuse demeure, semblent confirmer ce récit.
L'artiste, après la mort de Philippe le Bon, aurait, en conséquence, passé au service de Charles le Téméraire,
et ce prince fastueux emmenant à la guerre presque toute sa maison, il paraissait probable que Memlinc le
suivit dans les malheureuses expéditions entreprises contre les Suisses et contre la ville de Nancy. La
cruelle déroute du 5 janvier 1477 l'aurait forcé de prendre la fuite, comme les autres, sur les champs
couverts de neige. Des actes positifs constatent sa présence à Bruges en 1477 et 1478. Les registres de la
corporation des libraires nous apprennent que la maîtrise ayant demandé au peintre un tableau d'autel à
quatre volets, pendant la première de ces années, lui fournit les panneaux, suivant l'usage de l'époque, et
lui donna un à-compte d'une livre; l'année suivante, on lui paya l'œuvre entière huit livres deux
escalins. Deux morceaux datés prouvent qu'il travailla pour l'hospice en 1479. Le premier est un triptyque,
dont le milieu figure le Mariage mystique de sainte Catherine d'Alexandrie; un volet, l' Histoire de saint
Jeaîî-R(il)tlste; l'autre volet, l' Histoire de saint Jean l'évangéliste; le second morceau représente l' Adoration
des mages. Le frère Jean Floreins van der Riist, maître boursier du monastère, ayant demandé ces travaux à
Memlinc, le peintre plaça son protecteur derrière sainte Catherine, portant le costume ordinaire des moines
de l'hôpital. Le Mariage mystique eut un grand succès, car les corroyeurs en demandèrent une reproduction
il l'artiste, pour leur autel de l'église Notre-Dame, pendant l'année 1480. On ignore en quel moment au

juste il peignit la fameuse châsse de sainte Ursule, la Descente de croix et la Sibylle Zambeth, qui décorent la
même chambre de l'hospice que les tableaux précédents. Ils paraissent, comme les autres, constater le
séjour de Memlinc dans le pieux édifice consacré aux malades sans fortune ou sans économies.
Sur ces hypothèses et ces traditions, les actes découverts par M. James Weale sont venus jeter des doutes
sérieux, quoiqu'ils commencent précisément à l'époque où se tait la légende. De ces documenté il ressort que
Memlinc possédait deux maisons à Bruges en 1480, que ces deux maisonsétaient situées rue du Pont-Flamand,
qu'elles se touchaient, et que l'une au moins lui servait d'habitation. Nulle pièce n'indique l'époque où il les
acheta ; mais les comptes de l'église Saint-Donatienattestent que la fabrique reçut de lui, pour la première
fois, le 24 juin 1480, une somme de 34 deniers, qui était payée tous les ans par les propriétaires de ces
immeubles. La même année, l'artiste fit à la ville un prêt de 20 escalins, pour les frais de la guerre soutenue
pendant les mois de mai, juin, juillet et août. Deux cent quarante-sept personnes avaient ainsi aidé la commune
et ajouté aux 500,000 livres déjà employées dans le même but. Memlinc fut remboursé l'année suivante. Du
mois de septembre 1482 au mois de septembre 1483, la ville lui paya 6 escalins de gros pour l'indemniser du
quart des frais que lui avait occasionnés la toiture de son habitation, où il remplaça le chaume par des tuiles.
Presque toutes les maisons étant alors couvertes en paille, la commune, afin de prévenir les incendies,
avait offert une prime aux habitants qui feraient usage de matériaux plus so'ides et moins dangereux.
Jean Memlinc était marié: sa femme, qui s'appelait Anne, lui avait donné deux garçons, Jean et Nicolas,
et une fille nommée Pétronille ou Cornélie, car le diminutif Niel-kin, dont on se sert pour la désigner sur
un acte authentique, peut signifier l'un et l'autre. Anne mourut en 1487 ; le 10 septembre de cette année,
Louis de Valkenaere et Thierry van den Gheere, choisis pour être les tuteurs de ses enfants, apportèrentà
la chambre pupillaire le compte des biens que leur avait laissés la défunte. C'était la moitié de chacune des
maisons mentionnées tout à l'heure, plus la moitié d'une parcelle de terre sur laquelle se trouvait une petite
habitation, et la moitié d'un petit passage ouvert à côté; enfin une somme de 12 livres de gros tournois,
produite par la vente des meubles, et remise par le père aux tuteurs, avec garanties sur hypothèque pour les
moitiés de maisonset terrains.
En 1495, Jean Memlinc cessa de vivre à son tour. Le 10 décembre, les mêmes personnages vinrent
présenter à la chambre pupillaire le compte des biens dont ses enfants héritaient, à savoir les secondes
moitiés des habitations et terrains, plus 8 livres de gros, qui provenaient de la vente des objets mobiliers.

A ces faits importants joignons quelques détails déjà connus ou trouvés depuis peu, mais antérieurement
-
aux découvertes de M. James Weale. En 1484, Memlinc exécuta pour l'hospice Saint-Julien, à Bruges,
l'admirable Saint Christophe que possède maintenant le Musée 1. Martin van Nieuwenhove lui commanda
trois ans après un. diptyque, destiné aussi à l'hôpital Saint-Julien ; sur un des panneaux l'arti-s-te représenta la

iOn avait prétendu qu'en 1483 Memlinc reçut comme élève un nomméPascier van der Meersch, et que les archives de l'Aca-
démie de Brugesconstatent le fait. Le secrétaire de l'Académiel'a nié positivement, et M. J. Weale s'est assuré qu'il avait raison.
Vierge assise, tenant son Fils; sur l'autre, le donateur. L'image porte cette inscription : Hoc opus fieri fecit
Martinus de Newenhoven anno Dni 1487, anno vero œtatis suœ 231. Vers l'année 1490 enfin, le maître
célèbre doit avoir peint sa propre effigie, que possédait au commencement du seizième siècle le cardinal
Grimani. Le Voyageur anonyme en parle de la manière suivante : « Le portrait à l'huile de Jean Memlinc,
exécuté de sa propre main et fait au miroir : l'artiste paraît âgé de soixante-cinq ans environ2 ; il était assez
gras et vermeil. » Les registres de la corporation des libraires, mentionnés plus haut, contiennent un inventaire
de l'année 1499, dans lequel se trouve l'article suivant : « Plus un tableau à quatre volets, où sont en
portraicture Guillaume Vreland et sa femme, de pieuse mémoire, exécutés de la main de feu maître Hans. »
Nous avons suivi pas à pas, avec la prudence qu'exige l'histoire, les données qui nous restent sur la vie et
les travaux de Memlinc. Pour un homme si longtemps négligé, auquel les écrivains flamands ont accordé si
peu d'attention, les moindres détails sont précieux. Avec l'aridité de sa biographie contraste le charme de
ses tableaux. Tous les connaisseurs éprouvent la joie la plus vive quand ils se trouvent en présence de ces
délicates merveilles. Outre l'exécution parfaite qui les distingue, il y règne un sentiment poétique de la nature
et de la beauté humaine, que peu d'artistes ont possédé au même point.
Les personnages de Memlinc n'attestent pas seulement, comme ceux de Jean van Eyck, une étude patiente
des formes humaines, l'opiniâtre désir d'entrer en lutte avec la réalité ; on y trouve quelque chose de plus :
le goût, le choix, la préférence donnée aux types supérieurs, aux lignes élégantes, à la noblesse de l'expression.
Le Musée du Louvre renferme, depuis peu de temps, une œuvre secondaire de notre artiste. Ces deux
morceaux, volets d'un ancien triptyque, révèlent néanmoinsles qualités supérieures du maître. Ils représentent
saint Jean-Baptiste et sainte Madeleine, tous les deux debout, au milieu d'un site champêtre ; ils sont, l'un
et l'autre, de proportions effilées. Le précurseur a une tête énergique, des cheveuxcrépus, des traits fatigués.
Son œil fixe et rêveur, le galbe de son front, sa pensive attitude dénotent le penchant à la contemplation, à
l'exaltation : ils conviennent admirablement au prophète du désert, vox clamans in deserto. La figure de
Madeleine ne trahit pas un moindre discernement. Le nez, le front, la bouche sont d'une beauté remarquable;
la physionomie est noble, intelligente, réfléchie ; ses longs cheveux d'or, qui tombent sur ses épaules, ajoutent
à sa dignité. Cette femme, on le voit au premier coup d'œil, a pu faillir dans l'entraînement des passions,
mais elle ne devait pas rester longtempsprisonnière du vice ; du sein de son abaissement, elle devait remonter
vers la lumière, comme un cygne précipité par la tempête à la surface d'un marécage.
Le fond de chaque panneau montre au spectateur quatre épisodes de la vie du saint qui occupe le
premier plan. Ainsi l'on voit le précurseur baptisant le Christ sur les bords du Jourdain, puis haranguant
le peuple, puis décapité en haut d'une colline : Salomé la danseuse porte enfin sa tête au roi Hérode.
Memlinc a presque toujours suivi cette méthode narrative : il aimait à développer une action, à exposer,
au moyen de scènes diverses, l'histoire de ses personnages.
Raconter la légende de sainte Ursule entrait donc tout à fait dans ses goûts : c'était, pour ainsi dire,
un poëme qu'il composait, dont chaque image formait un chant. La pieuse princesse arrive d'abord à
Cologne, où Sigilandis, reine des Urbiens, l'accueille avec empressement; mais elle la quitte bientôt, car
elle s'achemine vers Rome. Aussi la voyons-nous, sur la seconde miniature, descendre à Bâle, afin de
traverser les Alpes. La réception que lui fait le souverain pontife, son retour au bord du Rhin, sous la
conduite et la protection du Saint-Père, qui n'a pas voulu la laisser partir seule, le massacre de ses
compagnes devant Cologne, les apprêts de sa mort et sa glorification charment ensuite les regards. La
sainte fille, toute resplendissante de lumière et trônant sur un siège d'or, paraît em orter avec elle notre
imagination dans les cieux, car jamais œuvre plus délicate, plus poétique, n'a enthousiasmé graduellement
les connaisseurs.

1 Martin van Nieuwenhove,ntius apprend le comte de Croeser, était né le 14 novembre 1463 ; il fut échevin de la ville de Bruges
en 1492, chef-homme en 1495, bourgmestre en 1497. Il mourut, bien jeune encore, le 16 août 1500. Memlinc a mal orthographié
son nom.
* Ce jugement concorde avec l'inductiond'après laquelle nous avons fixé en 1425 la naissance du peintre.
Le goût, le sentiment exquis de Memlinc s'appliquaient à la nature aussi bien qu'à l'homme. La
lumière prenait parfois sous son pinceau des tons d'or que n'a pas éclipsés Claude Lorrain; ses eaux

profondes et transparentes, ses gazons étoilés de fleurs, ses bois touffus, pleins d'ombres mystérieuses,
ses beaux ciels d'azur, à peine voilés d'une brume légère, le mettent au niveau des maîtres hollandais.
Les images qu'il trace de la nature font souvent rêver plus que la nature elle-même. Le génie leur a
communiqué une grâce secrète et un prestige idéal.
La poésie intime du foyer, notre artiste ne la comprenait pas moins, ne la rendait pas avec moins de
.
bonheur. Il y a telle œuvre de son pinceau, où une chambre élégante inspire l'idée du calme, du bien-être
attachés à la vie de famille : on aimerait y passer de longues heures dans l'étude et la contemplation. Les
Neefs et les Steenwyck n'ont pas mieux fait deux cents ans plus tard. Et si l'on considère les meubles, les ten-
tures, les accessoires de tout genre qui décorent ces intérieurs, on les trouve également bien exécutés. Un
volet de l'Adoration des mages, que possède l'hôpital Saint-Jean, à Bruges, nous montre, par exemple, une
table couverte d'un tapis blanc garni de franges, sur la table un chandelier contenant un cierge; ni
Gérard Dow, ni Abraham Mignon, ni Van Huysum n'ont peint avec plus de talent des objets inanimés.
L'œuvre de Memlinc prouve que la nature lui avait donné un esprit gracieux, une imagination délicate, *
un sentiment élevé de toutes choses. Ces nobles et douces qualités devaient répandre un prestige sur
sa vie, charmer les personnes qui l'approchaient. Pourquoi ne s'est-il pas trouvé parmi ces dernières un
homme capable de le comprendre, de le peindre d'après nature et de nous raconter sa biographie dans
un style moins lourd, moins sec, moins pâle que celui des écrivains namands?
ALFRED MICHIELS.

MŒlffiMlK Il
Au Musée du Louvre : deux volets d'un triptyque, l'un 5° La Sibylle Zambeth.
desquels représente saint Jean-Baptiste, l'autre sainte Ma- 6° Un triptyque, dont le milieu figure la Descente de Croix.
deleine. Ils appartenaient au roi de Hollande, Guillaume II, L'intérieur des volets représente Sainte Barbe et Adrien
et furent acquis à sa mort par la France, pour la somme 'de Reins, jeune frère hospitalier, à genoux devant son patron
11,728 fr. saint Adrien.
' Il y a cinq ans, une œuvre bien plus considérablefut mise Dans les salles de l'Académie,à Bruges : .
en vente à Paris. C'était un grand triptyque, d'une dimension to Un triptyque dont le panneau central représente le
peu ordinaire pour l'époque. Le panneau du milieu figurait la Baptême du Christ. Sur les ailes, le donateur et ses fils, la
résurrection du Christ; sur les ailes, on voyait son ascension donatrice et ses filles.
et le martyre de saint Sébastien. La beauté du travail était . 2° Saint Christophe, panneau central, daté de 4484. Sur
digne du maître, sous tous les rapports, et les trois morceaux les ailes. les donateurs et leurs fils.
parfaitement conservés. Ils furent retirés de la vente à Dans l'égliseSaint-Sauveur, à Bruges : le Martyre de saint
20,000 francs, le propriétaire les estimant davantage. Hippolyte.
Dans l'hôpital Saint-Jean, à Bruges : Dans l'église Saint-Pierre, à Louvain : le Martyre de saint
1° La châsse de sainte Ursule. Elle est en bois sculpté, Erasme.
entièrement doré, sauf dans les endroits que décorent les A Munich : huit tableaux.
peintures. Douze miniatures, grandes ou petites, ornent les A Berlin : un triptyque, deux tableaux et un volet.
façades, les pignons et la toiture. Dans le Musée d'Anvers :
2° Le Mariage mystique de sainte Catherine d'Alexandrie. lo L'Annonciation.Le nouveau catalogueattribue A Rogier
Les deux volets représentent la Mort de saint Jean-Baptiste, van der Weyden cet admirabletravail de Memlinc.
Saint Jean l'évangéliste dans l'île de Pathmos. 2° Un chanoine de l'ordre de Saint-Norbert.
3° Un triptyque, dont le milieu figure l'Adoration des Mages, 3° Un membre de la famille de Croy.
un volet l'Adoration des Anges, le second volet la Présentation A Florence : portrait d'un homme en prière, chef-d'œuvre
au Temple. A l'extérieur on voit saint Jean-Baptiste, ayant admirablementgravé par le professeur G. Marri.
près de lui son agneau ; sainte Véronique, portant le voile qui Il est singulier que l'on ne s'occupe pas davantage de re-
lui sert d'emblème. produire au burin les œuvres de Memlinc ; les estampes qui
4° Un diptyque représentant, d'une part, la Vierge et rendraient bien ces merveilleuxtableaux auraient un succès
l'Enfant Jésus ; de l'autre, Martin van Nieuwenhove. universel.
p
6c(j(e
... 0
0

HUGUES VAN DER GOES


NE VERS 1 430? — MORT EN 1482.
[Ayeù re/ty/teuœ.
0

(DE GAND)

La vie de Hugues van der Goes, opposée à celle de Roger


van der Weyden, présente un contraste analogue à celui qu'on
0

remarque dans l'existence de Memlinc, comparée à celle de


Jean van Eyck. Tandis que l'inventeur de la peinture à
l'huilevécut dans la familiarité de son prince et jouit de sa
confiance, le peintre de la châsse de sainte Ursule languit
dans l'obscurité encouragé et apprécié seulement par les
,
bourgeois et par les ecclésiastiques de Bruges. De même,
après le long et éclatant règne de Roger sur l'école flamande,
Van der Goes n'eut qu'une suprématie passagère, et, s'il fut
un instant considéré comme le premier peintre des pays en
deçà des Alpes, il périt bientôt, atteint d'une affreuse maladie,
frappé d'une mort prématurée.
Van Vaernewyck donne pour patrie à Hugues la ville
hollandaise de Leyden et Van Mander le range parmi les
illustrations de Bruges. Ces deux assertions sont erronées,
et c'est également à tort que Vasari appelle notre peintre
Hugues d '-&iiN@ers. Il était originaire de Gand, pour nous servir des expressions mêmes d'un document
contemporain : Les comptes de la ville de Louvain, de l'année 1479-1480, et c'est avec raison que le
poëte Lemaire des Belges, dpns sa Couronne margaritique, parle de Hugues de Gand, « qui tant eut les
traits netz ».
Selon Van Mander, Hugues fut l'un des nombreux élèves de Jean van Eyck, qui lui enseigna la peinture
a l'huile. Il y a là, très-probablement, une grave erreur. D'après Vasari, dont l'opinion à ce sujet se fortifie
de plus en plus, Hoger de Bruges, ou Van der Weyden, fut le seul élève de Jean. De plus, celui-ci mourut
en 1441. Or, les premiers travaux connus de Hugues, ses tableaux datés, ne remontent qu'à 14G7, lf72, etc.,
et sont, par conséquent, postérieurs de vingt-six années aux derniers instants de son prétendu maître.
Comme il semble être mort jeune, et que sa manière offre de l'analogie avec celle de Memlinc, on peut,
sans craindre de beaucoup se tromper, supposer qu'ils ont étudié vers le même temps. Une circonstance
importante à signaler nous a été transmise par Van Vaernewyck : Hugues se plaisait à étudier, à admirer la
belle composition des frères Van Eyck, Y Adoration de /' Ayîieaii. Son style s'en ressentit, et quelques-unes
de ses compositions sont empreintes d'un caractère de sévérité et de grandeur qui rappelle les belles figures
de la partie supérieure du grand tableau de Saint-Bavon. C'est par son admiration intelligente pour ln
meilleure œuvre des Van Eyck, et non comme leur élève immédiat, que Hugues procède d'eux.
Une grande partie de son existence s'écoula paisible et obscure, à Gand, où il fut juré ou sous-doyen du
métier des peintres, en 1469, 1474 et 1475. Les magistrats de la cité, d'Artevelde employèrent maintefois
son pinceau, de 1468 à 1472, mais uniquement à l'exécution de grands et de petits écussons destinés à
décorer les rues et les édifices publics, dans des occasions extraordinaires. Il orna différentes églises de la
même ville de tableaux et de verrières, mais les uns et les autres ont péri ou ont été transportés il l'étranger.
La Vierge tenant l'Enfant Jésus, qui était placée dans l'église de Sain't-Jacqucs' sur le tombeau de AValter
Gauthier,-se retrouvera peut-être, quelque jour, dans une collection anglaise ou italienne. Il n'y a guère
d'espoir de découvrirson Abigaïl implorant David, peinte à l'huile sur une muraille, dans une maison
entourée d'eau, petit castel qui a disparu ou subi des restaurations sans nombre. Cette compositionprésentait
un intérêt tout particulier, non-seulement il cause de la finesse et de la grâce dont Hugues y avait fait
*

preuve, que parce que l'on y voyait le portrait de sa bien-aimée. La passion avait si bien secondé le talent
de l'artiste, que, dans la suite, les meilleurs peintres, les plus habiles connaisseurs ne se lassaient pas de
contempler la ravissante Abigaïl.
Hugues fut appelé à Bruges pour y exécuter des peintures de circonstance, lors du mariage de Charles
le Téméraire et de Marguerite d'York, en 1467, et, peu de temps après, lors de la réception de cette
princesse en qualité de comtesse de Flandre. Il se vit d'abord confondu dans la foule de peintres que 1'011
appela de toutes les villes de la Belgique pour prendre part il ces travaux de décoration et ne reçut que
14 sous par jour, tandis que son compatriote, Daniel de Hyckp, en touchait 23; lorsqu'on fit une seconde fois
appel il son activité, on le rémunéra plus largement. On lui paya 14 livres de gros, somme alors considérable,
pour décorer les rues de Bruges de figures allégoriques ou historiques.
Un marchand italien, Thomas Portinari, qui remplissait à Bruges les fonctions de facteur ou agent de la
famille de Médicis, lui commanda un triptyque pour l'église de Santa-Maria-Nuova, petit édifice servant
d'oratoire à l'un des hôpitaux de Florence et dont les Portinari étaient les fondateurs et protecteurs. L'œuvre
de Van der Goes en orna longtemps le maître-autel; elle s'y trouve encore, mais divisée : le panneau central,
qui est bien conservé et où l'on voit l'Adoration des bergers, décore la nef de gauche : les volets, où
Van der Goes a représenté Portinari et sa famille, avec leurs saints patrons, et qui se voient dans la nef de
droite, sont en mauvais état. Cette œuvre authentique donne la véritable mesure du talent de l'artiste. La
scène est bien distribuée, l'expression des têtes est pleine de vérité et d'expression, les accessoires sont
traités avec beaucoup de soin et de délicatesse. La carnation est, ou claire, avec des ombres grisâtres, ou
d'un reflet rouge, avec des ombres brunes fortement accusées.
La pinacothèque de Munich possède un Saint Jean dans le désert, qui porte cette inscription : Hugo V. D.
Goes 1472. Le précurseur du Christ est assis près d'une source, dans un paysage boisé et montueux. Le
sujet est traité -dans la manière sombre et vigoureuse du maître, et l'on y remarque quelques réminiscences
d'un des panneaux de. Y Adoration de l'Agneau de Saint-Bavon.
En l'année 1476, Hugues prit tout-à-coup une résolution extrême. Il quitta Gand pour aller s'enfermer
dans le prieuré de Rouge-Cloître, de l'ordre-des chanoines réguliers de Saint-Augustin. Le prieur, qui l admit
religieux,
au nombre des novices, montra pour lui les plus grands égards. Malgré F oppositi-on de quelques
plus sévères qu'intelligents, il adoucit la règle en sa faveur et lui permit de fréquenterla chambre des hôtes,

ou quartier des étrangers, pour y converser et banqueter avec les nombreux laïques qui venaient examiner
ses œuvres. Les grands seigneurs de la cour de Bruxellesvisitaient fréquemment Rouge-Cloître dans ce but, et
Maximilien lui-même, le gendre de Charles le Téméraire, le chevaleresque empereur qui, depuis, encouragea
le célèbre Dürer, rendit cet hommage au talent de Van der Goes.
Ces détails, que j'ai fait connaître d'après un chroniqueur dont l'œuvre est encore inédite, Gaspar Ofhuys,
qui fut, comme il a soin de nous l'apprendre, novice en même temps.que Hugues, témoignent du rang élevé
que les meilleurs artistes de ce temps occupaient dans la société. Quoique simples membres des corps de
métier, appartenant à la bourgeoisie plébéienne par leur origine, leurs alliances, leur genre de vie, il?
étaient recherchés, respectés et admiras. La faveur du chef de la maison de Bourgogne avait entouré Jean
van Eyck, la fortune avait souri à Van der Weyden; l'engouement dont Van der Goes était l'objet rue le quitta
renommé
pas dans sa retraite, car, lorsqu'il mourut, il avait des commandes pour neuf années. « Il était si
dans l'art de la peinture, ajoute Ofhuys, qu'en deçà des montagnes, à ce que l'on disait, on n'aurait pu trou-
ver son pareil. » Hugues méritait une réputation. aussi éclatante, car ses qualités morales étaient sru niveau
de son habileté dans l'art. Passionné pour l'étude, on le voyait constamment lire dans un livre flamand;
surchargé de. travaux, il se préoccupait à un point excessif de l'idée de les .mener à bon fin.
Van der Goes quittait parfois l'enceinte du prieuré. En 1479-1480, il fut ap.pelé à Louvain par le magistrat
de cette ville, qui le chargea d'évaluer le tableau que le célèbre Thierri Bouts ou de Harlem (Stuerbout)
avait laissé inachevé. Quelque temps après, il partit pour Cologne avec son frère Nicolas van der Goes,
qui était entré également à Rouge-Cloître, et d'autres personnes. A son retour, il fut atteint pendant la
nuit d'un accès de folie furieuse, et il se serait tué si on ne l'en avait empêché dê force. Cependant en réussit
à le ramener à Bruxelles, où on p'arvint à le calmer un peu -en exécutant devantlui de la musique. Reconduit
entré en convalescencequ 'il tomba
au monastère et entouré de soins, il'se rétablit, mais à peine était-il
de nouveau malade et mourut, en 1482, six années après sa réception dans la communauté.
La rareté des productions de Van der Goes ne permet guères d'en apprécier la valeur. La Belgique
n'en possède plus une seule; il n'y en a d'authentiques qu 'en Toscane et à Munich. Les meilleurs critiques
louent le faire large et simple de Hugues, l'expression austère de ses figures, la vigueur de son coloris, mais
ils lui reprochent de la dureté dans les contours, de l'obscurité dans les ombres, une certaine absence de
clair-obscur ou* de relief et de transparencedans les chairs. Comme Memlinc à Bruges, il fut en Brabantle
dernier chef de l'école des Van Eyck, qui devait bientôt se transformersous la direction de Quentin Metzys,
puis subir l'influence des maîtres italiens. Après lui, la vieille manière des gothiques s'affaiblit et tend à
disparaître, tandis que l'art de la renaissance s'élève 4e plus en plus et triomphe enfin, grâce à Jean.de
Maubeuge et à Bernard van Orley.
ALPHONSE WAUTERS.

1SMlSMlK M 11WCHTWlS
Les seuls travaux spéciaux à consulter sur Van der Goes A FLORENCE, au palais Pitti, un Portrait de Portinari,
sont les suivants : De Busscher, Recherches sur les Reintres .d'après le tableau de Santa-Maria-Nuova.Dans la galerie des
gantois (Gand, 1859, in-8°), p. 69 et suivantes, et Wauters, Uffizi, la Vierge tenant l'Enfant Jésus, à qui sainte Catherine
Histoire de notre première école de peinture, cherchée dans offre une fleur, la plus charmante et la plus délicate des
les meilleuressources, discours prononcéà la séance publique oeuvres de Van der Goes, selon Crowe et Cavalcaselle.
de l'Académie royale de Belgique, le 21 mai 1863. Une liste Au MUSÉE DE LILLE, un sujet mystique: des Anges dans
des membres de la corporation plastique de Gand, où se un paysage montueux.
lisent les noms de quelques Van der Goes, est certainement A LA PINACOTHÈQUEDE MUNICIr, Saint Jean dans le désert,
tronquée et fautive. daté de 1472 (gravé dans le Messager des arts et des sciences,
Les tableaux de Van der Goes mentionnés par Van Mander année 1833, p. 417), une.Annonciation, lithographiéepar
Strixner et publiée par Boisserée en 1821 ; et quelques
et Van Vaernewyck ne se retrouvent plus. Vasari ne cite que
le triptyque de Florence. On attribue encore à Hugues les
tableaux de peu de valeur,
A Î>ARIS, à la Cour impériale, le Crucifiement, tableau où
œuvres suivantes :
A ALTON-TOWER, dans le Straffordshire, Marie debout
l'on retrouve la plupart des qualités et des défauts de Van der
tenant l'Enfant Jésus qui bénit le donateur, agenouillé,daté Goes, mais qui ne peut lui appartenir, si, comme on l'a dit,
de 1472. le tableau est antérieur à l'année 1452.
Au MUSÉE DE BERLIN, un grand nombre de panneaux, où A PISTOIE, près de- Florence, une Vierge avec l Enfant
les défauts de Van der Goes sont poussés à l'excès. Jésus, signé H. G.
Au MUSÉE DE BOLOGNE, une Vierge avec l'Enfant Jésus,
sujet que Van der Goes paraît avoir affectionné.
('//< f7Íama71rk. :Y6;déOtj'r, ^enre, Sorérasé-j

QUENTIN MATSYS
NÉ VERS 1460
— MOIIT EN 1531.

Lorsque, dans la ferveur de ses curiosités d'artiste, le


voyageur qui arrive à Anvers se dirige vers Notre-Dame et
traverse, pour entrer dans l'église par la porte principale, la
petite place aux Gants, ses yeux s'arrêtent involontairement
devant un monument d'un caractèreparticulier et qui, malgré sa
destination vulgaire, s'empare tout de suite de l'attention et des
regards du passant. Pour les servantes du voisinage, ce monument
n'est sans doute qu'un puits où' il est bon de venir chercher
de l'eau en causant de l'événement de la veille; mais pour
celui qui sait voir, pour .celui qui se souvient, ce puits est
recouvert d'une sorte de dais, chef-d'œuvre exquis de la
ferronnerie du quinzième siècle. Quatre barres de fer,
verticalement plantées dans la margelle, supportent un élégant
amalgame de feuillages et de rinceaux au sommet duquel se
dresse la statuette de Brabon, le chevalier légendaire, qui, dans les temps anté-historiques, coupa, dit-on,
la main au géant Antigon, le fabuleux parrain d'Anvers 1. Cet ouvrage, tout entier façonné au marteau,
est d'une délicatesse achevée. Jamais châsse ou reliquaire ne fut ciselé avec un soin plus patient, avec un
goût plus rare, et, tout le prouve, le serrurier qui a forgé ce charmant travail en savait plus que bien
des orfèvres.
A quel ouvrier, à quel artiste attribuer ce chef-d'œuvre? L'histoire hésiterait peut-être à le dire; mais
la tradition est moins scrupuleuse, et à la question que nous venous de poser, elle répond par un nom
précis et par une amoureuse légende. Si vous êtes curieux de savoir l'un et l'autre, on vous dira qu'aux
dernières années du quinzième siècle vivait à Anvers avec sa mère un jeune ouvrier forgeron, un maréchal,
qui, dans son pénible métier, était le plus habile homme du monde. Tout en travaillant son fer, Quentin
Matsys ou Metsys — car c'est ainsi qu'il se nommait — s'éprit de la fille d'un peintre, Alit ou Adélaïde
Van Tuylt; niais le père ne voulait pour gendre qu'un artiste et refusait ce nom à l'adroit ouvrier qui avait
décoré le fameux puits de la cathédrale. Matsys prit alors une résolution héroïque : il quitta sa forge et
ses outils, parcourut les villes d'Allemagne et peut-être l'Angleterre, et grâce à un patient labeur, grâce
aussi à ses dispositions heureuses, il acquit le talent qui lui manquait et devint un des premiers peintres de
son temps. Van Tuylt, obéi dans son impérieux caprice, n'eut désormais plus de raison de refuser sa fille
à l'ancien forgeron, qu'on persista à appeler le maréchal d'Anvers. Et que si vous demandez une preuve à
l'appui de ce récit, on vous montrera l'inscription composée au siècle suivant par Lampsonius pour
accompagner le portrait de Matsys, et on vous dira que, sur le piédestal de la statue érigée en 1629 à la
mémoire de l'artiste, Corneille van der Geest fit graver le vers fameux qui répond à tout :

Connubialis amor dc 1nttlcibre fecit Apellem.

Il est vrai qu'il y a sur les commencements de Quentin Matsys une tradition différente et plus probable.
D'après cette autre version, Matsys, nature délicate et frêle, serait tombé malade à vingt ans. Obligé
d'abandonner un travail trop rude pour lui, il aurait pris des outils moins lourds, et après avoir enluminé
pour les confréries pieuses de la ville de grossières images gravées sur bois, il aurait abordé la peinture,
on sait avec quel succès Mais quel que soit le plus ou moins de vraisemblance de ces légendes, que la
dernière édition du catalogue du musée d'Anvers déclare d'ailleurs apocryphes, il est temps de rendre la
parole à l'histoire.
Malgré de savantes recherches et les longues polémiques auxquelles elles ont donné lieu, il n'est pas
possible de dire encore d'une manière précise où et quand Matsys est venu au monde 3. Depuis trois
siècles, Louvain et Anvers se disputent sur ce terrain douteux. A l'appui de la prétention de la première
de ces villes, M. Edouard Van Even produit une pièce qui établit que dès 1440, Arnold et Nicolas Massys,
originaires de la Campine, jouissaient à Louvain des droits de bourgeoisie,et il conjecture que Quentin est un
de leurs descendants directs. Il ajoute que, de 1469 a 1530, on signale à Louvain l'existence d'un certain
Josse Metsys, serrurier et maître horloger de la ville. Enfin il invoque l'autorité — un peu suspecte — de
Guichardin, qui, dans une liste des peintres de son temps, mentionne Quentin comme né dans l'ancienne
capitale du Brabant.

1 On raconte qu'Antigon, qui s'était établi sur les bords de l'Escaut, rançonnait les marchands et coupait une main à ceux
qui osaient trouver ses brigandagesde mauvais goût. De là le nom d'Anvers, Antwerpen (Hand werpen, main jetée).
2 Cette tradilion a elle-même ses variantes. Voici le texte de Pilkington : Some affirm that the first unfolding of his genuis
was occasioned by the sight of a print, which was shown to him by a friend, who came to pay him a visit while in a declining
state of health from the labour of his former employment; and that by his copying the print with some degree of success, he was
animatedwith a desire to learn the art of disign. " General dictionary of Painters. 1840, p. 360.
3 Le nom même de l'artiste a subi, dans les textes contemporains, toutes les variations dune orthographehésitante.

On le trouve écrit Messys, Matsys, Metsys, Mascys et plus souvent Massys. Le (ils de Quentin signe ordinairement Massiis.
La forme que nous adoptons nous est donnée par la signature du maitre telle qu'on la peut lire sur le tableau que possède le
Musée du Louvre.
Les savants rédacteurs du catalogue du Musée d'Anvers sont peu touchés de ces considérations. Ils
répondent que, d'après l'ancien droit brabançon, Arnould et Nicolas Massys pouvaient fort bien payer les
droits de bourgeoisie à Louvain, sans y demeurer. Ils ajoutent que leur ville a aussi possédé, à partir de
1446 et peut-être avant, une famille Metsys ou Massys dont les origines devraient vraisemblablement être
recherchées du côté de Malines. M. Léon de Burbure, qui a compulsé avec un soin si patient les archives de

l'église Notre-Dame, constate, de 1453 à 1466, l'existence à Anvers d'un forgeron, Jean Metsys, qui fit
pour le compte de la cathédrale plusieurs ouvrages en fer d'un prix élevé, et qui était en outre chargé
de la réparation de l'horloge de Saint-Jacques. Après sa mort, survenue vers 1467, la veuve de ce Jean
Metsys touchait encore quelques escalins, solde des travaux exécutés sans doute par son mari.
Il y a tout lieu de supposer — et M. Alfred Michielst, qui a récemment résumé la discussion dans une

Ilubens et l'école d'Anvers, 1854, page 19.


page excellente, accepte nettement cette conjecture, — il y a lieu de supposer, disons-nous, que le
forgeron Jean Metsys, qui travaillait pour Notre-Dame, fut le père du peintre dont nous allons dire la vie.
Dans cette hypothèse, Quentin serait probablement né à Anvers; mais à quelle époque? Le catalogue du
Musée de cette ville fixe la naissance de Matsys vers 1460, et tout porte à croire que, bien qu'incertaine
encore, cette date ne doit pas s'éloigner beaucoup de la vérité. Espérons qu'un document authentique
viendra bientôt mettre les érudits d'accord et résoudre tous les doutes. Même pour les questions d'un intérêt
secondaire, notre curiosité aime à tout savoir.
Si Quentin Matsys est né dans l'atelier d'un forgeron, il est tout naturel de penser que, dans sa première
jeunesse, il a pu lui-même tenir le marteau et la lime; mais n'en déplaise à la légende, rien n'établit
qu'il soit, plutôt que son père ou tout autre ferronnier du temps, l'auteur du gracieux ornement du puits
d'Anvers. Une incertitude pareille, et peut-être plus grande encore, doit régner à propos de la tombe en
fer qui recouvre, dans la chapelle du château de Windsor, la sépulture d'Edouard IV et que, d'après une
tradition déjà ancienne, on montre au voyageur comme une œuvre de Quentin Matsys1. Mais laissons une
fois encore les suppositions et les contes. D'après un manuscrit attribué au docteur Jean Molanus, ce
serait sous Rogier Van der Weyden, que Quentin aurait appris la peinture. Toutefois cette assertion ne doit
être acceptée qu'avec réserve, et en tout cas, Rogier Van der Weyden étant mort en 1464, ce ne serait
pas lui, mais l'un des peintres qui portent son nom qui aurait pu être le maître de Matsys. C'est donc aux
registres de la confrérie de Saint-Luc à Anvers qu'il faut demander la première date authentique de la
vie de Quentin. Ils nous apprennent qu'en 1491-1492, il fut reçu franc-maître de la gilde, et l'on doit
croire que le jeune artiste jouit bientôt parmi ses collègues d'une certaine estime, puisque les élèves ne
tardèrent pas à lui arriver' ; on sait en outre que, peu de temps après sa réception (1496), une médaille
fut frappée en son honneur 3.
Quel était à son début le talent de Quentin Matsys? Deux tableaux conservés au Musée d'Anvers
permettraient peut-être de le dire. L'un représente une tête de Christ, l'autre une Vierge. On reconnaît
dans ces peintures l'œuvre d'un artiste qui, timide encore, tient au quinzième siècle par les plus intimes
attaches. Pour fe galbe des visages, pour le sentiment des attitudes, Matsys n'a rien inventé : respectueux
imitateur des formes mises en honneur par ceux qui l'ont précédé, il a religieusement donné au Christ sa
physionomie connue; il l'a figuré tel qu'au commencement du siècle on le peignait à Cologne et à Bruges.
Il a représenté Jésus la tête entourée d'une légère auréole et revêtu jusqu'à la naissance du torse d'une
tunique d'un ton rougeâtre qui s'agrafe sur la poitrine à l'aide d'un fermoir curieusement enrichi de
pierres précieuses. A sa gauche, on remarque une croix savamment ouvragée dans le goût du quinzième
siècle. Le Christ, par un geste hiératique, lève la main droite pour bénir. Cette effigie, qui manque un peu
de relief et qui dénote un pinceau plus soigneux que hardi, s'enlève froidement sur un fond verdâtre. La
Vierge, qui lui sert de pendant, a peut-être un caractère plus nouveau; le type s'y accuse avec plus
d'individualité, c'est presque un portrait, et l'on y reconnaît quelque chose de plus humain, de plus
accentué, dans le sens de cette école intermédiaire qui prépare les splendeurs de l'art flamand. Quant à
l'exécution, elle n'est guère moins timide dans la Vierge que dans le Christ. La coloration générale de ces
deux peintures, si remarquables d'ailleurs par la naïveté patiente du faire, est tendre, douce et presque
un peu pâle. Ces œuvres ne sont pas les seules qu'on puisse citer comme échantillon des commencements
de Matsys ; «On trouve, dit un touriste, dans la chapelle de Saint-Maurice, à Nuremberg, une Trinité et un
Crucifiement représentés par lui avec tout l'appareil des formes ogivales et avec une couleur légère, rosée,

1 Magasin pittoresque, 1834, pages 6 et 363. — D'autres ouvrages du même genre sont aussi attribués a Quentin : « Il fil
de la mesme manière un balustre qui est à Louvain. » Félibien, Entretiens sur la vie des peintres, tome 1, page ij42. Dans
l ouvrage que Félibien appelle un balustre, il faut sans doute reconnaîtrela fermeture de fer des fonts baptismaux de 1 église Saint-

Pierre. Voyez le Catalogue dtt Musée d'Anvers, 1857, page 46.


2 Quentin Matsys eut successivementpour élèves Ariaen en li9o, Willem Muclenbroec en 1501, Edouard Porlugalois en 150j.

et llennen Boechmakere en 1510.


3 Catalogue du Musée d'Anvers, pages 43 et 44.
transparente qui n'a point d'analogue dans cette époque1. » Cette pratique hésitante et je dirai volontiers
féminine était bien loin d'annoncer les hardiesses qui éclatent dans le chef-d'œuvre de Quentin Matsys,
l'Ensevelissement du Christ, du Musée d'Anvers.
Le noble artiste était dans la plénitude de son talent et de sa force lorsqu'il peignit cet admirable

m
9-

triptyque., La provenance de ce morceau, qui est une date dans l'histoire de l'art flamand, nous est
heureusement connue. La corporation des menuisiers d'Anvers, désirant faire décorer la chapelle qu'elle
possédait à la cathédrale de Notre-Dame, demanda en 1508 à Quentin Matsys, un tableau d'autel et les
deux panneaux destinés à le couvrir. Matsys prit son meilleur pinceau, recueillit ses forces, et fit si bien
que son œuvre est tout un poème douloureux. Le volet de droite représente la Décollation de saint
Jean-Baptiste, avec la fille d'Hérodiâde, qui apporte sur un plat d'argent la tête sanglante du précurseur;

1 II. Fortoul, De l'art en Allemagne, tome II, page 134. -


celui de gauche figure le Martyre de l'évangéliste saint Jean, déjà plongé dans la bouillante fournaise.
Ces deux scènes, racontées avec ce sentiment à la fois dramatique et volontairement familier
que rendent
plus étrange encore les costumes du quinzième siècle, sont des tableaux d'une inappréciable curiosité
historique, mais elles ne sont rien auprès de la peinture principale, l'Ensevelissement du Christ.
Aux dernières lignes du vaste paysage qui occupe le fond de la scène, se dressent le Calvaire et ses
trois croix : deux d'entr'elles portent encore les cadavres des larrons qui y ont été attachés; mais le
Christ a été descendu de l'arbre fatal et l'on voit sur le premier plan son pâle cadavre, entouré des
saintes femmes et des pieux personnages qui s'apprêtent il l'ensevelir. Autour du supplicié se pressent
la Vierge, agenouillée, muette et comme perdue dans une douleur qui ne doit pas avoir de fin; la
Madeleine essuyant avec ses cheveux les pieds sanglants de celui qui lui pardonna ses fautes; saint
Jean, qui supporte en ses défaillances la mère du Christ; Joseph d'Arimathie soutenant la tête décolorée
de son maître et considérant avec pitié les hideuses blessures que la couronne d'épines a faites à ce noble
front. Deux saintes femmes sont placées derrière ce groupe et le complètent. Nous sommes certes bien loin
de citer comme un modèle la composition de Matsys : les gaucheries y abondent, l'inexpérience du dessin
y saute aux yeux, et cette œuvre singulière peut être citée comme l'une de celles où l'idéal fait le plus
défaut. Il est même à remarquer combien l'auteur était alors en retard sur les préoccupations contemporaines.
En 1508, Léonard de Vinci et Michel-Ange avaient déjà étonné le monde par leurs chefs-d'œuvre, Raphaël
était depuis longtemps en possession de son génie; mais l'Italie n'existe pas pour Quentin Matsys, et toujours
tourné du côté du moyen âge, (lui pour tous vient de finir, il ignore le grand réveil, la Renaissance!
Au point de vue de la beauté des formes et de la pureté des types, l'auteur de l' Ensevelissement du
Christ est encore un barbare; mais, sous le rapport de l'expression, quelle science vaut la naïveté
touchante de cet artiste loyal qui travaille, non avec ses souvenirs d'école, mais avec son cœur!
L'impression générale qui se dégage de son tableau a quelque chose de poignant : les personnages qu'il
y a introduits sont disgracieux, maladroits, grotesques si l'on veut, mais ils sont émus au profond de l'âme,
ils mènent un deuil éternel, et c'est là que réside la valeur de cette œuvre, inacceptable au point de vue
rigoureux de la beauté classique, mais digne, si l'on en juge avec le cœur, de tous les respects et de
mieux que cela peut-être.
Il y a beaucoup à dire aussi, et, je crois, beaucoup il apprendre, pour peu qu'on recherche et qu'on
étudie, dans Y Ensevelissement du Christ, les qualités pittoresques qui y abondent. Matsys, en ses
commencements, était un pincean timide, difficile, empêché: le voilà affranchi, maître de lui-même,
et voilà qu'il nous révèle — avant la venue des maîtres, consacrés — l'éclosion d'une école flamande,
ou pour mieux dire, d'une école d'Anvers. Matsys est la transition visible et glorieuse entre les coloristes
de Bruges qui viennent de disparaître, et Rubens, dont l'avènement doit être, à la fin du siècle, la
surprise et la joie des Flandres. Ce n'est pas que, dans Y Ensevelissement du Christ, Matsys joue
hardiment avec tous les tons de la palette et connaisse le secret des oppositions savantes, Venise
seule à cette date déchiffrait le mot de l'énigme; mais il a du moins un sentiment exquis des gammes
intenses, un profond respect pour la justesse et la convenance des nuances locales et surtout une
manière chaude et vivace d'animer les carnations humaines, méthode excellente où l'on peut entrevoir
d'avance le génie des coloristes qui vont venir \
Des qualités presque pareilles recommandent l'intéressant tableau du Louvre, cette Descente de croix
qui, longtemps attribuée à Lucas de Leyde, a été récemmentrendue à son véritable auteur, Quentin Matsys.
Celte peinture n'est que le milieu d'un triptyque dont les volets ont disparu. Au centre de la composition,
qui s'enlève, vigoureuse et colorée, sur un fond d'or, on voit Nicodème qui, monté sur l'échelle, détache
de la croix le corps inanimé du Sauveur. Au-dessus de lui, un serviteur l'aide dans ce pieux travail et

1 « Encore qu'il y ait près de deux cent cinquante ans que cette pièce est peinte — disait Mensaert en 1763 — les couleurs en
sont si belles et si vives, qu'on croit voir une mignature. » Le Peintre amateur et curieux, tome 1, page 140.
supporte le bras gauche du Christ, dont le bras droit est soutenu par une sainte femme, agenouillée et
pleurante. Près d'eux sont Joseph d'Arimathie et Marie-Madeleine, et derrière celle-ci, une autre sainte
femme portant la couronne d'épines. A gauche, le disciple bien-aimé de Jésus soutient dans ses bras la
Vierge à demi-morte de douleur. Enfin, sur les premiers plans, des ossements, un vase de parfum et divers
accessoires analogues complètent cette scène de deuil.
De même que dans l'Ensevelissement du Christ du musée d'Anvers, il y a dans la Descente de croix du
Louvre des inexpériences de dessin, une sorte de gaucherie dans les attitudes, un dédain profond pour

le style, enfin mille particularités, mille indigences qui semblent trahir un pinceau du quinzième siècle ou,
du moins, la main d'un artiste complètementétranger au charme des élégances italiennes. Les costumes
eux-mêmes ont quelque chose d'historiquement barbare : ils affectent une tournure si archaïque ; certains
détails—par exemple les gants verts de la Madeleine — sont d'une originalité si rare, qu'un spectateur
inattentif pourrait s'y tromper et s'exposeraitpeut-être à ne voir qu'une œuvre bizarre dans ce tableau, qui
est en réalité une œuvre admirable. Il faut faire abstraction de la forme que le naïf artiste a donnée à sa
pensée pour étudier le drame éternellement vrai dont il a exprimé les poignantes angoisses. Le cadavre du
Christ. a pris, sous le pinceau de Matsys, les pâleurs mates, les rigidités anguleuses, les laideurs émouvantes
que la mort prête aux corps qu'elle touche. La Vierge s'abîme, presque folle, dans un désespoir sans horizon,
et, le regard perdu, les yeux rougis de larmes de sang, les saintes femmes qui l'assistent à cette heure
suprême ne sont pas des comparses inutilement mêlés à la scène, mais des âmes émues qui,
en
s'associant au deuil maternel, sont en même temps torturées par leur propre douleur Ajoutons
que \
dans ce tableau, comme dans Y Ensevelissement du Christ, les physionomies des personnages et les
moindres détails des costumes sont étudiés sur nature avec une conscience, une patience que nous
qualifierions volontiers de vénérables. Les types ont une intimité si pénétrante qu'on les prendrait pour
des portraits, et il est telle figure
— celle de la Madeleine notamment — qui, regardée un moment,
s'empare de l'attention du spectateur et s'incruste à jamais dans sa mémoire. Étudié sous le rapport
purement pittoresque, ce tableau abonde en surprises excellentes. La coloration, parfaitementharmonieuse,
y présente des nuances vives, des tons intenses qui révèlent un artiste des mieux doués. Un œil habitué
aux splendeurs de l'idéal italien pourrait, dans cette composition, relever bien des fautes; mais, si elle
se place au point de vue du caractère et du sentiment, la critique doit tout pardonner.
A l'heure où il achève le tryptique d'Anvers et la Descente de croix du Louvre, Quentin Matsys
nous
apparaît donc comme parvenu au plus haut degré de son talent. D'autres sujets religieux furent demandés
a son pinceau. On sait qu 'll avait peint pour une des chapelles de la cathédrale un Christ en croix;
mais ce tableau a disparu lors de la dévastation des églises par les briseurs d'images. Quentin peignit
aussi, pour Saint-Pierre de Louvain, un tryptique, qui fut placé dans la chapelle de Sainte-Anne, et où
il représenta au milieu une Sainte Famille, à gauche un ange annonçant il Zachnrie la
grossesse
d'Elisabeth et à droite la mort de la Vierge 2.
Ces grands travaux obtinrent auprès des contemporains de Matsys
un succès considérable et l'ancien
maréchal eut bientôt une renommée. Il faisait d'ailleursbonne figure dans la ville d'Anvers, déjà si
amoureuse
de l'art et des artistes. On ne connaît bien ni son caractère ni sa vie, mais tout fait présumer
en lui les
habitudes laborieuses d'un homme simple, aimant le chez-soi et la tranquillité féconde de l'atelier. Sa
femme, Adélaïde Van Tuylt, était morte en lui laissant six enfants. On ne dit pas combien dura ce veuvage,
mais on sait qu'en 1508 ou 1509, Matsys épousa en secondes noces Catherine Moyens, qui lui donna bientôt
une autre famille'. Le peintre, ou meester Quinten comme on l'appelait volontiers, était d'ailleurs une
véritable organisation d'artiste. Carl van Mander prétend qu'il fut un musicien très-habile;
on a dit
également qu'il avait cultivé avec quelque succès les lettres flamandes. Aussi Matsys avait-il de
par le
monde littéraire des amitiés puissantes ou illustres. Il paraît avoir connu familièrement Thomas Morus
et Pierre Gilles (Petrus Egidius). Érasme était son ami, et faisait le plus grand cas de son talent. Dans
une lettre datée du 4 des calendes de septembre 1526, il en parle avec éloge et le traite de insignis
artifex. Quentin acquitta noblement sa dette. « Il y avoit, dit Félibien, dans le cabinet du feu
roy

II ne sera peut-être pas sans intérêt pour le lecteur de savoir


1
ce qu'un critique de la fin du dix-septième siècle pensait de
cette œuvre puissante. « J'omettois à vous dire que, dans une des grandes salles de la maison professe des Jésuites de Paris,
on voit un grand tableau de forme irrégulière sur fond de bois oit il (Matsys) a exprimé tout ce que la passion, la douleur et la
tristesse ont de plus particulier. C'est une Descente de croix, oil l'on voit un Christ mort d'une carnation si livide et si
mortifiée, que, sans le sujet qu'elle offre aux yeux, elle vous feroit horreur. La Vierge paroît à
ses cotez sans mouvement et
sans vie, mais d'une manière si pathétiqne et si affligeante, qu'il est difficile de ne pas mourir avec elle. Les femmes qui
l accompagnent pleurent pour elle, et marquent,
par la désolation et le délabrement de leur attitude, ce que l'amour est capable
de produire dans un cœur qui aime et qui souffre. Ceux qui ont aidé a le descendre de
ce poteau ne sçavent ce qu'ils sont, et,
tous surpris de l'état ou ils voyent leur maître, ils voudroientn'avoir jamais été. Enfin la consternation est si grande dans toute
cette représentation, qu 'il n est pas possible de la voir sans dire à l'avantage de son autheur que c'est une des plus
rares pièces
qu 'il ait jamais fait. » (Florent Lecomte, Cabinet des singularitez, 1702, II, page 198.)
2 Descarrips a parlé de
ce tableau en termes assez étranges. « Il y a certainement, écrit-il, des têtes comme si elles étoient de
Raphaël pour la finesse et les expressions; la couleur est aussi belle et aussi éclatante
que si le tableau venoit. d'être peint : avec
tout cela, je suis loin de le regarder comme un chef-d'œuvre; tout y est dur et avec sécheresse, sans effet et sans
aucune souplesse
dans le dessin. » Voyage pittoresque de la Flandre et du Brabant, 1838, page 97.
3 On montre à Florence le portrait de Catherine Heyens, la seconde femme de
Matsys. Cette œuvre délicate est. dit-on. datée
de 1520. Y. A. Michiels. Rubens et l'École d'Anvers.
d'Angleterre Charles Ier, les portraits d'Érasme et de Petrus Égidius dans un mesme ovale : le dernier tenoi"
une lettre que Thomas Morus, qui estoit intime ami de tous les deux, luy avoit écrite » Et c'est même
il ce propos que le chancelier de Henri VIII adressa i1 Quentin Matsys des vers dont l'éditeur des lettres

d'FIrasme nous a conservé le texte, et où, suivant l'usage du temps, le philosophe de Rotterdam le compare
tout simplement à Apelles 2
Mais ce n'est que par exception, et pour complaire aux caprices de son cœur, que Quentin faisait des

portraits : d'ordinaire, il peignait plus volontiers des intérieurs de boutique ou de comptoirs, où il


introduisait, en leur conservant à peu près leurs proportions naturelles, des avares entassant
amoureusement des piles de sequins .et de ducats, 'ou des marchands caressant de la main et du regard
de splendides orfèvreries. Nous avons au Louvre un excellent échantillon de cette manière que Matsys a

1 Yovez aussi sur ce double portrait, M. de Burigny, Vie d'Erasme, 1757, tome I, page 220.
Quintine, o veteris novator artis,
Magno non minor artifex Apelle.
Mire composito potens colore
Vitam adfingere mortuis figuris, etc.
peut-être trop aimée : je veux parler du Banquier et sa femme, tableau qui paraît avoir été peint — car
la date n'en est pas aisément lisible
— en 1518 ou 1519 \ Le mari, banquier sans doute et en même temps
prêteur sur gages, compte un rouleau de pièces d'or, tandis que sa femme, assise auprès de lui, interrompt
la lecture du manuscrit enluminé qu'elle feuillette pour écouter, elle aussi, la douce musique des
doublons tombant l'un après l'autre sur la table sonore. Le visage du banquier a un caractère saisissant :
c'est un homme amaigri et brûlé par les fièvres du lucre; la femme est de la même religion que lui; le
charme lui manque, et Matsys, toujours indifférent à l'élégance, lui a donné des mains singulièrement
disgracieuses et maladives. Au fond, la porte s'entr'ouvre sur une rue et laisse entrevoir deux bourgeois
flamands hardiment indiqués dans un sentiment caricatural, car l'artiste sacrifie quelquefois au burlesque.
Je n'ai d'ailleurs aucune peine à le reconnaître : le tableau du Banquier et sa femme ne ressemble en rien
à Y Ensevelissement du Christ : le faire y est de beaucoup moins large et trahit même quelque sécheresse;
l'importance exagérée des accessoires nuit aux figures, et le détail y est peut-être caressé d'un pinceau
trop patient.
A côté de cette peinture célèbre, il faut placer un tableau plus célèbre encore, les Avares, qui font
partie de la collection de la reine d'Angleterre à Windsor-Castle. Matsys y a représenté, à mi-corps et
dans des dimensions un peu plus grandes que nature, deux personnages qui s'occupent à compter et à
vérifier des monnaies. L'un écrit dans un gros livre posé sur une table chargée d'or, d'argent, de joyaux
et de pierreries. Son compagnon se penche vers lui et semble suivre de l'œil les calculs de son ami. Des
accessoires traités avec beaucoup de soin complètent ce tableau : au fond est une boiserie où l'on voit
une tablette sur laquelle sont posés quelques ustensiles de ménage. Un petit perroquet est le seul témoin que
le peintre ait donné à cette scène d'intérieur. «L'exécution, a dit un bon juge, est d'une grande manière,
.
non pas d'un grand style, mais d'un dessin arrêté et caractéristique, d'une touche large et simple, par
plans décidés, et sans la minutie que ce genre semble comporter et justifier *. »
Sans examiner si le pinceau de Matsys se montre réellement aussi large dans les Avares que le dit le
savant critique que nous venons de citer, nous admirons comme lui le profond caractère que le peintre
d'Anvers a imprimé à ses figures, et nous croyons que, sous ce rapport, ce tableau est peut-être supérieur
au Banquier que possède le Louvre. Ce qui doit frapper aussi dans les Avares, c'est le parti pris de
couleur adopté par l'artiste. L'un des personnages est coiffé de rouge et vêtu de vert; l'autre porte une
coiffure verte et un vêtement rouge : Matsys a recherché un effet de contraste analogue dans les
Comptables du Musée d'Anvers. Les tons sont d'ailleurs d'une intensité singulière; ils sont très-francs,
et peut-être le sont-ils trop. Il me semble même que, pour un œil véritablement amoureux ,de l'harmonie
et des nuances rompues, la coloration de Matsys n'est pas exempte de dureté : c'est sans doute à propos
du tableau des Avares ou de ceux qu'il a peint dans ce genre, que Descamps a pu dire de Quentin : « Sa
manière est tranchante. » Malheureusement, on ne juge d'ordinaire le maréchal d'Anvers que sur les
peintures, assez nombreuses, qu'il a exécutées dans ce sentiment et qui appartiennent presque toutes aux
dernières années de sa vie. A voir ces œuvres un peu tend'ues, dont le coloris brille d'un certain éclat
métallique, et qui accusent moins de génie que de patience, on devine que, si l'artiste vieilli tient encore
le pinceau d'une main ferme, il n'a plus au fond du cœur ces sources d'émotion jaillissante, ce profond
sentiment du drame qui lui ont inspiré la Descente de croix et l' Ensevelissement du Christ. A la fin
d'une carrière si noblement parcourue, aux dernières heures d'une vie si bien employée, le vaillant
artiste, qui mit dans son œuvre un si violent effort, avait conquis le droit de se reposer.

1 Avant cette époque, Matsys avait déjà traité ce sujet dans un tableau, qui, au temps de Baldinucci, se voyait chez un
marchand d'Anvers, nommé Stenens. L'historien italien nous apprend que celte peinture était datée de 1514 (Notizie de'
Professori del Disegno, 1811, tome VI, page 329), et Florent Lecomte, qui choisit étrangement ses mots, voit dans cette scène
« la chose du monde la plus galante et la miêux concertée dans son expression. »
2 W. Burger.— Trésors d'art exposés
à Manchester, page 162.
Mais Quentin Matsys ne se reposa pas. Jusqu'à l'instant suprême, il resta fidèle à la tâche commencée,
peignant des portraits ou des sujets de fantaisie, attentif à l'éducation de ses enfants et de ses élèves.
' S'il est difficile de dire quand naquit Matsys, il n'est guère plus aisé' d'indiquer exactement l'époque de sa
mort; on sait toutefois que Van Mander et les anciens biographes se sont trompés quand ils l'ont fait
mourir en 1529. Matsys vivait encore le 8 juillet 1530, puisqu'on le voit figurer dans un acte passé ce
jour-là devant le magistrat d'Anvers, mais il n'existait plus le 12 octobre 1531, date de l'acte de partage
fait entre la veuve du peintre et ses enfants mineurs. Ajoutons que les registres de la cathédrale constatant

le décès de meester Quinten pendant l'année comprise entre la Noël 1530 et celle de 1531, il y a toute
apparence que c'est pendant le premier semestre de cette dernière année que s'est éteint le fameux
maréchal d'Anvers 1.
Quentin Matsys ne mourait pas tout entier : il laissait, comme héritier de son nom et de sa manière, un
fils, nommé Jean, qui, élève de Jaket Oskens en 1516, devint franc-maître en 1531 et vivait encore en
1569. Mais ce ne fut que pendant sa jeunesse que Jean Matsys resta fidèle aux traditions de son père Après
avoir pendant quelques années copié ses tableaux et multiplié à un grand nombre d'exemplaires ses
Avares et ses Banquiers, il subit à son tour les influences italiennes, et se laissa prendre
— en gardant
pourtant un peu de sa gaucherie première — aux séductions de la Renaissance. Si l'on en juge par sa
Betsabée, du Louvre, par sa Guérison de Tobie, du Musée d'Anvers, il parla comme un barbare la belle
langue des élégances. Son dessin est maniéré, sa forme est pauvre, il épèle sans comprendre. Quentin
trouva en Allemagne des imitateurs plus zélés; mais son action ne fut pas de longue durée. Avant la moitié
du seizième siècle, le vent qui soufflait de Rome et de Florence avait dispersé tous ces copistes attardés.
Ainsi, Quentin Matsys n'a pas eu l'honneur de fonder une école; et il a eu d'autant moins d'influence
sur ses contemporains,que sa plus grande force était dans son sentiment, chose admirable et fragile qu'un
maître ne peut léguer à ses élèves Mais sa personnalité ne tient pas moins, dans l'histoire de l'art flamand,
une place glorieuse et enviée. Matsys, un peu en retard sur le mouvement de son époque, a exprimé,
sans le savoir peut-être, les vagues tristesses de ces esprits tendres, qui voyaient avec regret finir le
moyen âge et qui ne sentaient pas bien l'opportunité de cette renaissance dont parlaient avec tant de
fanfares ceux qui revenaient d'Italie. Fidèle à l'autorité du culte de la veille, l'auteur de l'Ensevelissement
du Christ a un instant prolongé le quinzième siècle dans le seizième; il ne s'est pas agenouillé devant
l'antiquité retrouvée. Mais, admirablement sincère, il a galvanisé des formes mortes en les réchauffant
à l'ardent foyer de son cœur. Sorte de miniaturiste dans de grandes proportions, il a continué l'œuvre des
peintres de Bruges, et il y a ajouté beaucoup. Comme eux, il a eu l'amour de la nature, la religion du
détail, le génie de la patience. C'est un spectateur assidu des choses de la réalité, qui, dans l'ardeur
de son zèle, respecte jusqu'à la laideur. Par ces qualités précieuses, il est Flamand autant qu'on
peut l'être; il l'est aussi par son coloris si intense toujours et si attentif à traduire la vérité du ton
local. Laissez finir le seizième siècle, laissez passer la foule érudite des imitateurs de Michel-Ange
et de Raphaël, et lorsque Rubens viendra clore cette comédie italico-flaniande, vous verrez reparaître
le génie de la nationalité un instant asservi, vous comprendrez que l'ancien forgeron d'Anvers est bien
un artiste de son pays, et qu'il a sagement fait de rester fidèle à ses instincts. Sans doute, l'idéal est
absent de son œuvre, l'élégance manque à ses types, la grâce ne resplendit pas sur ses figures, mais
l'effort de Quentin Matsys veut qu'on le constate et qu'on le glorifie, car,' dans son inexpérience des belles
formes, il a montré une émotion loyale et profonde, un sentiment dramatique et douloureux
que de plus
savants que lui n'ont pas connus.
PAUL MANTZ.

1 Si l'on acceptait ces chiffres, il faudrait sans doute voir le dernier tableau de Quentin Matsys dans
un portrait qui est daté
de 1531 et qui, d'après une indication que nous empruntons à M. Waagen, appartient à lord Northwick. Treasures'
, of Art
in Great Britain, 1854, tome III, page 206.
Les catalogues des collections publiques et des cabinets vers un portrait d'homme, mais ce tableau n'est pas men-
d'amateursattribuent à Quentin Matsys beaucoup de pein- tionné par M. Waagen. On doit peut-être douter de son
tures qui ne sont certainement pas de sa main. Nous in- authenticité.
diquerons les tableaux suivants, sans assurer cependant DRESDE. Un Peseur d'or.
qu'ils soient tous authentiques: BERLIN. Une Madone. (Voir sur ce tableau l'Art en Al-
MUSÉE DU LOUVRE. Le Banquier et sa femme. Ce ta- lemagne, par H. Fortoul.)
bleau est reproduit pour la première fois dans la biographie VIENNE. Saint Jérôme, un Usurier, portrait d'homme,
de Matsys, p. 9. peintures d'une authenticité douteuse.
Le Christ descendu de la croix. On ignore quand et MUNICH. La Circoncision, un Homme et une Femme oc-
comment cette œuvre importante est entrée en France. A la cupés à compter de 1'(irqent ; deux Usuriers; Saint Jean et
fin du dix-septième siècle, elle était placée dans l'une des saint Barthélémy, la Madeleine, sainte Barbe et sainte
salles de la maison professe des Jésuites, rue Saint-Antoine, Christine.
et nous avons cité la description que Florent Lecomte en FRANCFORT.Portrait d'homme.Ce tableau porte l'inscription
donnait alors. Ce tableau paraît être resté chez les Jésuites suivante : le prophète Knipperdolling, bourgmestre et roi à
jusqu'à la destruction de cet ordre. D'après le catalogue du Munster. Quint. Metsiis effigiebat mens Jul. 21 anno 1534
Musée du Louvre, il aurait été transporté en 1763 dans l'é- Cette inscription est évidemmentfausse.
dise du Val-de-Grâce, au-dessus de la porte d'entrée. Cette NUREMBERG.(Chapelle de Saint-Maurice.) La Trinité, le
indication ne semble pas exacte: bien avant 1763, et à Crucifiement, tableaux cités par M. Fortoul dans Y Art en
l'heure même où la Descente de croix de Matsys ornait la Allemagne.
maison des Jésuites, il y avait au Val-de-Gràce,"« au-dessus STOCKHOLM : Un Banquier avec sa fille et deux débiteurs.
de la porte d'entrée, » une autre Descente de croix, qui était SAINT-PÉTERSBOURG.Les Peseurs d'or, deux peintures que
attribuée par les uns -',l Lucas de Leyde, par les autres à M. Viardot signale comme des tableaux de pacotille.
Albert Durer, mais qui ne doit pas être confondue avec celle FLORENCE. Saint Jérôme, et deux portraits du maître, re-
que possédaient les Jésuites, et qui est aujourd'hui au Louvre. présenté à un âge différent.
(V. d'Argenville, 1749, et G. Brice, 1752.\ MADRID. La Vierge (en buste) ; le Sauveur (id.)
Le mêmemuséea possédé,sous le premier empire, la Famille M. Reiset possède de Quentin Matsys un dessin double,
de la Vierge et Sainte Elisabeth, et les deux volets de ce exécuté à la mine d'argent sur papier préparé. Il représente
tableau représentant l'un le Mariage de sainte Elisabeth et d'un côté Trois têtes d'hommes, et au verso deux Têtes de
l'autre Zacharie perdant la parole. Ces tableaux provenaient femmes.
sans doute de l'église Saint-Pierre, à Louvain. Quant à la valeur vénale des œuvres de Matsys, le fait le
YALENCIENNES. Un Banquier comptant son or. (Tableau plus intéressant que nous puissionsciter est l'histoire du trip-
douteux.) tyque du musée d'Anvers. La corporationdes menuisiersde-
ANVERS. L'Ensevelissement du Christ et ses deux volets vait le payer 300 florins, mais les conventions ne furent pas
peints l'un et l'autre de deux côtés; Tête du Christ, Tète de littéralement exécutées, et au lieud'acquitter le prix principal,
la Vierge, Madeleine, les Comptables, la Sainte Face. les intéressés servirent une rente aux enfants de Quentin
La reproductionde l' Ensevelissement du Christ, — qui n'avait Matsys. Plus tard, Philippe II, désireux de posséder ce ta-
jamais été gravé, — accompagne cette notice, p. 5. bleau, en offrit une somme considérable ; mais les menuisiers
Élisabeth ne fut
ANGLETERRE. — Windsor. Les Avares. Ce tableau, qui ne voulurent point s'en désaisir, et la reine
pas plus heureuse, bien qu'elle en eut offert 5,000
Earlom en 1770, et a figuré à nobles à la
a été gravé par Richard
l'exposition de Manchester en 1857, est reproduit ci-dessus, rose, c'est-à-dire plus de 40,000 florins. Néanmoins, la
p. 3. corporation, appauvrie à la suite de la guerre avec l'Espagne,
CABINET DE M. GREEN, A IIADLEY. La Vierge, l'Eii,làlit songeait à se défaire du fameux triptyque, lorsqu'en 1580, et
Jésus, sainte Catherine et divers saints, tableau d'autel, avec grâce à l'intervention du peintre Martin de Vos, les doyens du
deux volets, représentant l'un saint Jean Baptiste, l'autre métier consentirent à le céder à la ville d'Anvers, moyennant
saint Jean l'Évangéliste. Ce tableau a été exposé à Man- une rente annuellede 50 florins. Combien vaudrait aujourd'hui
chester. Bien qu'il soit certifié par M. Waagen, il ne nous a ce chef-d'œuvre?Nul ne peut le dire.
pas paru dans la manière habituelle du maître. VENTE BONNIER DE LA MOSSON, 1745. — Un Joaillier dans
CABINET DE M. DANDY SEYMOUR. Une Vieille femme, demi- son cabinet,qui écrit sur un registre et qui compte de l'argent
figure. (42 pouces et demi de haut sur 30 pouces et demi de large.)
CABINET DE LORD NORTHWICK, A THIRLESTAINE-HOUSE. Un Gersaint, l'auteur du catalogue de celte vente, signale ce ta-
Portrait d'homme. Ce portrait porte l'inscription suivante : bleau comme « très-beau ». Il ajoute qu il est peint sur bois
1531, JET. 19. ettrès-fini.
HAMILTON-PALACE Une répétition des Avares. Ce tableau, Banquier et sa femme, du Musée du Louvre, acquis le
Le
qui a beaucoup souffert, pourrait, d'après la conjecture de
M. Waagen, être l'œuvre du fils de Matsys.
COLLECTION DE M. J. HEATH. Une Téte de Madone. Cette
VENTE JEAN VAN liAI.. Anvers, 1836.
960 fr. C'est le tableau du Musée d'Anvers.
-
29 juillet 1806, d'un sieur Marivaux, a été payé 1,800 fr.
La Madeleine,

peinture, que. nous avons vue à l'exposition de Manchester, est VENTE DE GUILLAUME 11, ROI DE HOLLANDE. La Haye, 1850.
tout à fait dans la manière de la Vierge du Musée dAnvers — Le Couronnement de
la Vierge, 2,000 florins ; Buste du
Le catalogue de Hampton-Courtattribue au maréchal d'An- Christ. Buste de la Vierge (ensemble), 2,350 florins.
rf}cck /71!zJIZail{le. Mueéd -'-fyeûyceioz-.

JEAN GOSSART, DE MAUBEUGE


NÉ VERS l 47 0. — MOUT EN 1532.

Après la mort de Memlinc, ce dernier représentant des pures traditions


des van Eyck, l'école flamande subit un temps d'arrêt pendant lequel elle
oscilla entre sa première manière, qui avait produit tant de chefs-d'œuvre,
et un genre différent, mieux approprié aux tendances qui poussaient tous
les esprits vers l'antiquité. Il serait curieux de suivre, dans ses détails, les
péripéties de cette lutte, de montrer, à côté des artistes qui firent triompher
les principes nouveaux, les maîtres dont ils avaient étudié les leçons et ceux
qui restèrent fidèles à l'art ancien. Mais, avec Memlinc, la filiation des chefs
de l'école de Bruges s'arrête ; on ne peut dire, avec quelque certitude, qui
fut son élève de prédilection. Le centre de l'école, que Roger Valider
Weyden avait une première fois déplacé en le transférant à Bruxelles,
abandonne Bruges pour Anvers, qu'il ne doit plus quitter.
Le caractère de la peinture flamande, caractère pieux et tranquille,
subissait d'abord de grandes transformations, chez Metzys et Bosch. Le
premier donnait déjà plus de hardiesse au dessin, des mouvements plus
III)l es -,'l ses personnages; il traitait avec une égale prédilection les épisodes de la vie ordinaire et les
sujets religieux, tandis que Bosch. comme s'il eut pressenti la révolution dont Luther et Calvin allaient donner
le signal, peignait les scènes de l'enfer avec une exagération touchant de bien près au ridicule. Ces deux
peintres forment en quelque sorte la transition entre ceux qui vécurent avant eux et toute une pléïade d'artistes
qui apparut dans le premier tiers du seizième siècle, et s'enthousiasma pour les œuvres de l'école italienne,
qui parvenait en ce moment à son apogée.
L'artiste dont nous allons esquisser la vie peut être regardé comme le principal auteur de cette révolution;
il paraît certain qu'il revint d'au delà des Alpes avant Bernard van Orley, le premier de ses émules. Son rôle
d'initiateur donne à sa biographie une grande importance ; par malheur elle est fort incomplète, et ce que
l'on en sait a été souvent vicié ou dénaturé. Ses relations avec ses protecteurs présentent plus d'une lacune,
et quant à sa vie intime, on en a fait un roman ou plutôt un pamphlet, où l'auteur de tant de belles
compositions, l'artiste patient, laborieux, est représenté comme un vil débauché. On a déjà protesté, avec
raison, contre ces imputations, qui, jusqu'à présent, n'ont été confirmées par aucun texte positif ; d'autre
part, à mesure que l'histoire de la peinture s'éclaircit, on voit se multiplier le nombre des œuvres de l'artiste,
et oit constate l'étendue de ses relations dans les classes les plus élevées de la société.
Jean Gossart naquit à Maubeuge, circonstance à laquelle il doit le nom de Mabusius ou Mabuse, qui sert
d'ordinaire à le distinguer. Que d'obscurités entourent la jeunesse de ce grand peintre ! Partout on ne rencontre
que contradictions et incertitudes, comme dans les biographies de Memlinc, de van Orley et de tant d'autres.
La date de sa naissance est inconnue; toutefois, on peut la fixer à l'année 1470 environ, car Mabuse
avait déjà de la réputation lorsqu'il partit pour l'Italie, vers 1507. De sa famille, de son éducation artistique,
nous ne connaissons absolument rien.
On classe parmi les œuvres de Mabuse le tableau qui est cité par van Mander comme ornant le palais de
Whitehall, à Londres, et que l'on conserve aujourd'hui au château de Windsor. On ne pourrait lui en
dénier la paternité, car il y a imprimé le cachet de son talent et on y lit son nom de Mabuse ; mais on s'est
singulièrement mépris sur le sujet de ce panneau et sur la date de l'exécution. Une copie porte le
millésime 1495, tandis que les costumes accusent une époque postérieure d'une trentaine d'années. Quant
aux trois enfants qui y sont représentés, ce ne sont pas les rejetons de Henri VII, mais ceux du cruel
Christiern II, roi de Danemark, comme le porte un inventaire redigé dès le règne de Henri VIII. J'assignerais
de préférence au jeune Mabuse une autre production de la première école flamande, qui appartient aussi à la
famille régnanted'Angleterre. Elle nous montre le prince Arthur, qui épousa Catherine d'Aragon le 14 novembre
1501, et mourut le 2 avril de l'année suivante, âgé seulement de seize ans. Ce fils aîné de Henri VII,
dont la figure placide et un peu joufflue rappelle celle de son terrible frère, a un chaperon sur la tête,
une petite chaîne au cou, sur les épaules une pelleterie, au-dessus de laquelle descend un collier où les
roses rouges alternent avec les roses blanches, en souvenir de la réconciliationdes deux lignées si longtemps
ennemies. Le prince pose une main sur sa poitrine et semble appuyer l'autre sur le rebord du cadre.
On s'accorde aujourd'hui à enlever à Jean Gossart une splendide composition qu'on ne lui a assignée
que parce qu'on s'est trompé sur les personnages dont les traits y sont reproduits. Peinte vers 1484, elle peut
difficilement sortir du pinceau d'un artiste qui vécut jusqu'en 1532. C'est un diptyque, où l'on voit : à
gauche, le roi d'Écosse, Jacques III, et saint André, le patron de son royaume, qui lui place la couronne sur
la tète ; à droite, la reine Marguerite de Danemark, avec saint George : « Dans tout le côté gauche de
« l'exposition, dit Burger, à la page 167 de son livre sur l'exposition de Manchester, il n'y a pas une

« œuvre de ces maîtres primitifs qui ait une pius grande tournure, plus de fierté dans les lignes, plus
« de profondeur et de sévérité d'expression.
Si l'on adopte l'opinion qui attribue à Mabuse le portrait du prince Arthur, ce fut dans les premières
années du seizième siècle que notre peintre brilla à la cour des Tudor. De ce temps aussi datent, suivant
toute apparence, deux des œuvres de l'artiste, que possède le musée d'Anvers : les Quatre Marie revenant
du tombeau du Christ et les Juges intègres, peintures qui présentent un cachet véritable de sévérité et de
recueillement. Là se fait encore sentir l'influence des premiers maîtres de l'école de Bruges, influence qui
s'affaiblit de plus en plus chez Mabuse, à partir de son voyage en Italie.
Mabuse accompagna au delà des Alpes un des capitaines belges les plus redoutés de l'époque, Philippe
de Bourgogne, fils naturel du grand-duc du même nom, que l'empereur Maximilien d'Autriche et sa fille
Marguerite,la gouvernante générale des Pays-Bas au nom du jeune Charles (depuis Charles-Quint),envoyèrent
au pape Jules II, entre les années 1507 et 1513. Le célèbre pontife accueillit le vieil ambassadeur
avec distinction et lui offrit de riches présents, mais ne put lui faire accepter que deux statues de marbre,
qui parurent à Philippe plus précieuses que toutes les richesses de la capitale du monde chrétien. Au milieu

des préoccupations politiques, ce gentilhomme avait étudié la peinture et l'architecture ; enthousiaste des
monuments de l'antiquité, il voulut en emporter dans sa patrie la représentation fidèle et chargea Mabuse
du soin de peindre des Vues des édifices antiques de Rome.
De retour en Belgique, Philippe de Bourgogne devint le chef spirituel du diocèse d'Utrecht, où Frédéric
de Bade, son prédécesseur, n'avait pu rétablir la paix et le repos. Dans sa nouvelle dignité, qui semblait
peu compatible avec ses goûts belliqueux et fastueux, il se montra le généreux Mécène des artistes et des
littérateurs. Jusqu'à sa mort, qui arriva le 7 avril 1524, il employa ses instants de loisir à embellir le château
de Suythurg et la vieille tour du palais épiscopal de Wyck-te-Duerstede. Toujours entouré d'architectes, de
sculpteurs et de peintres, il vivait avec eux dans une telle familiarité, qu'on aurait pu le prendre pour leur
égal. Il attira, en outre, dans ses Etats, des poètes qui chargèrent de légendes versifiées les peintures
exécutées par ses soins, les bâtiments élevés par ses ordres. Il comblait de faveursceux qui excellaientdans
un art, et en particulier, le Vénitien Jacques de Barbari et Jean de Maubeuge, « le Zeuxisetl'Apelles de son
emps. » Les peintures dont celui-ci orna la forteresse de Duerstede furent plus tard transportées ÜTTtrecht,
où on les plaça dans les salles servant de lieu de réunion aux États de la province.
Deux autres membres illégitimes de la maison de Bourgogne se plurent à encourager Mabuse : Adolphe,
seigneur de Beveren, mort en 1540, et Maximilien, fils du seigneur de Falais, Baudouin de Bourgogne,
nommé par le pape abbé du monastère de Middelbourg en Zélande, en 1520, mort à Bruxelles en 1534.
Mabuse peignit pour Adolphe (et non pour son fils Maximilien, premier marquis de la Vere) un tableau où
il a représenté la Vierge sous les traits de la femme de ce seigneur, et Jésus
sous ceux de leur fils. Suivant
van Mander, on remarque dans ce tableau, qui est aujourd'hui à la Pinacothèque, tant de grâce et de
délicatesse, qu'on n'oserait lui préférer aucune production du même maître. Le tableau des Quatre Marie,
du musée d'Anvers, est orné des armoiries d'Adolphe, ce qui donne à croire que ce fut ce seigneur qui
encouragea le premier les études de Mabuse.
L'abbé Maximilien, à qui on doit la reconstruction de l'abbaye de Middelbourg, ruinée par un incendie,
commanda à Mabuse un triptyque tellement considérable que, pour l'ouvrir, on devait en soutenir les doubles
volets au moyen d'étais. Van Mander dit que le peintre y travailla très-longtemps. Peu de tableaux jouirent de
plus de réputation et donnèrent lieu à autant d'exagérations : l'artiste y travailla quinze ans ; Albert Durer fit
le voyage de la Zélande pour pouvoir l'admirer et en loua la peinture plus que le dessin; un ambassadeur de
Portugal en estima la valeur à 80,000 ducats ! La chrétienté n'avait pas de perle comparable (cui similem tota
christianitas nullam habet) ! Autant d'erreurs que d'assertions. On a accusé les iconoclastesd'avoir détruit ce
chef-d'œuvre; c'est encore un fait controuvé. La Descente de croix, de Middelbourg, périt, le 24 janvier
1568, dans un incendie qui détruisit l'église abbatiale et ses richesses artistiques.
Ce fut pendant qu'il résidait en Zélande, chez le marquis de la Vere, que Mabuse se signala, si l'on en croit
van Mander, par les plus folles excentricités. Adonné à de honteuses débauches, il dissipait dans les orgies
le prix de ses travaux. Durant son séjour chez le marquis, celui-ci reçut la visite de l'empereurCharles-Quint,
et, à cette occasion, toutes les personnes attachées au service du château reçurent de nouveaux costumes
en soie. Mabuse réclama l'étoffe du sien, dans l'intention de lui donner une forme originale. Il ne l'eut pas
plutôt entre les mains qu'il alla la vendre pour se procurer de l'argent. Néanmoins, lorsque le souverain
arriva, Mabuse était plus splendidement habillé que les autres, et les broderies de sa robe avaient un tel
cachet d'élégance, que l'empereur, émerveillé, fit approcher l'artiste et prit dans ses mains la précieuse
étoffe; ce n'était que du papier dont l'éclat était dû au pinceau magique de Mabuse ! Plus tard, ajoute-t-on,
celui-ci alla habiter Middelbourg et s'y conduisit de telle façon qu'il fallut l'enfermer; pour charmer les
ennuis de sa prison, il dessina, au crayon noir, de charmantes esquisses, dont quelques-unes furent
montrées à van Mander.
Ces traditions reposent peut-être sur des faits historiques, mais contrastent singulièrement avec l'activité
que déploya le peintre il la fin de sa carrière et avec le talent réel dont il fit preuve dans ses compositions.
On a probablement exagéré ses torts. Il aura eu un caractère jovial; ses voyages, ses liaisons avec des
Italiens, son séjour à la cour de seigneurs opulents, l'auront éloigné des habitudes d'ordre et d'économie
si chères aux habitants des Pays-Bas, et surtout à ces laborieux et simples Zélandais, au milieu desquels
il vécut plusieurs années.
Des indices rares, mais certains, nous le montrent recherché à la cour de Bruxelles, quoiqu'il vécut de
préférence à Utrecht et en Zélande. Par lettres en date du 3 avril 1516, Charles-Quint lui alloua une
somme de 40 livres de Flandres pour deux portraits de sa sœur Eléonore et « autres menues parties de
peinture. » Marguerited'Autriche, de qui il existe au musée d'Anvers un portrait attribué à Mabuse, lui fit
payer 40 livres de 40 gros pour avoir travaillé, dans son palais de Malines, pendant quinze jours, à peindre
des tableaux et à en restaurer d'autres (quittance du 12 juin 1523).
Le nombre de ses tableaux datés donne la preuve de sa fécondité et de son ardeur au travail. Son
Neptune et Amphitrite, du musée de Berlin, remonte à l'année 1516. En 1521, il exécuta un» Descente de

croix, avec volets représentant saint Jean-Baptiste et saint Pierre. La Danaë recevant la pluie d'or, à la
Pinacothèque, remonte à l'année 1522; le Portrait de religieux, de la collection Vander Schrieck, de
Louvain(aujourd'hui dans les galeries du Louvre), et la Femme adultère, de la collection d'Aremberg, à
1526; le Christ couronné d'épines, de la collection Weyer, de Cologne, et la Vierge tenant l'Enfant
Jésus, de la Pinacothèque, à 1527 ; le Christ en croix que l'on admirait jadis dans l'abbaye de Tongerloo,
à 1530.
Au seizième siècle, chacune des villes importantes des Pays-Bas se glorifiait de posséder
une œuvre de
Mabuse ; mais le temps a détruit un grand nombre de ses tableaux, et les révolutions et les guerres
en ont
entraîné beaucoup d'autres hors de la patrie du peintre.
Les principales compositions du maître ornent l'Angleterre. Celle que l'on regarde comme
son
chef-d'œuvre, l' Adoration des Mages, décore Castle Howard, la résidence des comtes de Carlisle; cette
œuvre capitale, qui est admirablement conservée, présente à la fois le côté brillant et le côté faible du
peintre: la beauté du coloris et le fini de l'exécution contrastent avec l'absence d'expression. Elle
offre un développement de six pieds carrés et est signée JENNI GOSSAERT. Van Mander raconte que, de son temps,
un nommé Magnus, de Delft, possédait une Descente de croix de Mabuse, où les personnages, parfaitement
rendus, respiraient une douleur très-bien exprimée; le dessin, le coloris y étaient très-remarquables et les
étoffes drapées avec un goût exquis. Nieuwenhuys acheta cette Descente de croix à Bruges, en 1810, et
en
vendit plus tard au roi des Pays-Bas, Guillaume II, les volets, où l'on voit : d'une part, saint Jean-Baptiste;
d'autre part, saint Pierre; ils portent ces indications : JOHES MALBODI PINGEDAT-ANNO 1521, et sont devenus,
ainsi que le panneau central, la propriété de M. Dingwall. Plusieurs Vierges avec l'Enfant Jésus, sujet que
Mabuse affectionnait particulièrement, et des portraits, notamment les beaux et curieux portraits de Windsor,
complètent le contingent des productions du peintre que l'Angleterre peut montrer aux étrangers.
Au musée de Berlin, on remarque des scènes empruntées à l'histoire de la Grèce antique et à la
Genèse : Neptune et Amphitrite, Noé endormi par l'ivresse. L'étude du nu, tentée par Mabuse, n'y a
produit qu'un résultat médiocre, comme pour prouver à l'artiste flamand qu'il ne pouvait impunément
quitter le monde tranquille et chaste dans lequel avaient vécu ses prédécesseurs. Et cependant, ses essais
en ce genre furent loués ; les éloges qu'il recueillit encouragèrent ses élèves et ses rivaux à marcher dans
la voie nouvelle où il était entré le premier. La Danaë., de la pinacothèque de Munich, offre les mêmes
défauts, tandis qu'on admire, dans cette collection, la Vierge tenant l'Enfant Jésus, où Mabuse a donné les
traits de la mère du Sauveur à la dame de la Vere et ceux du divin Enfant à son fils.
Sur la foi d'autres écrivains, nous avons attribué à Bernard van Orley le tableau du maître-autel de la
cathédrale de Prague, représentant saint Luc peignant la Vierge ; ce tableau, dont les volets sont de Michel
de Coxie, fut peint par Mabuse. Lorsque l'archiduc Mathias le transporta dans ses États d'Allemagne, il fut
d'abord déposé au palais de Prague, où il se trouvait encore lorsque le magistrat de Malines en demanda
la restitution, par une lettre en date du 12 mars 1614. Lorsqu'on en opéra la restauration, en 1836,. on
aperçut sur la ceinture de la Vierge le nom de Gossart. On connut ainsi le véritable auteur de cette belle
composition, qui avait été précédemment attribuée à Holbein le jeune, à Rubens, à Raphaël ! et dont on
regardait les volets comme sortis du pinceau du Corrége ou de celui de Jules Romain !
L'histoire d'un autre panneau du peintre de Maubeuge présente des particularités intéressantes; nous
voulons parler de la Vierge embrassée par l'Enfant Jésus, qui fait partie du musée de Madrid ; elle fut
peinte pour le couvent des Augustins, de Louvain. En 1587, le roi d'Espagne, Philippe II, ayant exempté
cette ville de toute charge, de tout impôt, pendant un terme de douze années, en considération de
la détresse à laquelle elle se trouvait réduite et en reconnaissance de sa fidélité à la cause du monarque et
à la foi catholique, les magistrats résolurent de lui témoigner leur gratitude par l'envoi d'une œuvre d'art;
c'est alors qu'ils achetèrent aux Augustins, pour 350 florins, leur tableau de Mabuse.; ils l'envoyèrent à leur
souverain, qui, leur écrivit-on, « l'at receu fort bénignement et luy at semblé fort belle.»
Le musée d'Anvers est assez riche en tableaux de Mabuse, et ils y sont d'autant plus curieux à étudier,
que les uns se rattachent il sa première manière et les autres à la seconde; à cette dernière appartient aussi
le beau triptyque du musée de Bruxelles, qui, d'après la tradition, provient de l'abbaye de Dilighem. On
y
voit, sur le panneau central, le Christ chez Simon le pharisien; à droite, la Madeleine conduite
au
ciel par un ange; à gauche, la Résurrection de Lazare; au bas du volet droit s'agenouille
un abbé de
l'ordre de Prémontré, ayant près de lui son écusson d'argent aux trois pals d'azur, et la devise
cum moderamine (avec modération). L'épisode principal se passe dans une de ces splendides constructions,
en style Renaissance , que Mabuse affectionnait, et qui caractérisent aussi les œuvres de ses

contemporains; l'accessoire prend ici de telles proportions


que le sujet est tout à fait sacrifié. Les types des
personnages, comme on le remarque encore dans d'autres tableaux de Mabuse, manquent de noblesse et de
variété, tandis que l'exécution des moindres détails est réellement merveilleuse.
autant qu'on peut en juger par quelques indications chronologiques, incertaines et incomplètes, Mabuse
fut le premier peintre de son pays qui revint d'Italie enthousiasmé des
chefs-d'œuvre qui s'y accumulaient,
avide d'imiter le style et la manière des grands artistes de
ce pays. Faut-il le condamner? faut-il
l'absoudre? Questions oiseuses, au surplus;
car, était-il possible à un peintre, quelque bien doué qu'il fût,
de résister à l'influence qu'exerçaient des hommes tels
que Raphaël, Michel-Ange, Léonard de Vinci? Ces
grands maîtres avaient porté la peinture à son apogée;
sous leur main puissante, la science de la composition,
l'étude du corps humain, l'imitation des vastes constructions
de l'antiquité donnaient à leurs tableaux
un
cachet de vérité et de grandeur saisissant. La séduction fut irrésistible et générale. Sauf Metzys, qui vieillit
sans sortir de son atelier d'Anvers, tous les chefs de l'école belge postérieure à Memlinc entrèrent dans la
même voie avec plus ou moins de succès.: Mabuse, van Orley, Bellegambe, Blondeel, que l'on doit
toujours réunir, non seulement parce que leur existence commença et finit presque en même temps,
mais aussi parce que leur commune soumission à l'influence italienne se révèle darv leurs œuvres.
Mabuse séjournait encore en Zélande en l'année 1528, ainsi que nous l'apprend une lettre écrite par
le roi de Danemark, Christiern II, à l'abbé de Saint-Pierre, de Gand, et datée du 20 août de cette année.
Le monarque exilé, qui habitait alors la ville de Lierre, en Brabant, désirant faire élever un monùment à la
mémoire de sa femme Isabelle, invita l'habile artiste à venir le trouver à Gand, afin qu'il pût l'entretenir
de son projet. Ces circonstances peu connues viennent à l'appui de l'opinion d'un savant archéologueanglais,
qui voit dans les prétendus enfants de Henri VII, du tableau de Windsor, les héritiers du roi danois.
Notre peintre mourut, non dans les prisons de Middelbourg, non en 1562, comme on l'a répété si
longtemps, mais le 1er septembre 1532, dans la ville d'Anvers, où il reçut une honorable sépulture sous

.
les voûtes de la collégiale de Notre-Dame. Il avait été marié, et laissa une fille qui épousa un peintre de
Louvain, Henri Vander Heyden. Ce peintre l'avait suivi à Middelbourg, et l'avait aidé dans les grands
travaux qu'il y exécuta. Une autre postérité continua dans l'art les traditions de Mabuse : nous voulons
parler de ses élèves, dont les plus remarquables furent le Liégeois Lambert - Lombard et un enfant
dè la Hollande, Jean Schoreel.

CLOTERS.

MtGMMîlSS !
JE USIMMadDSS
La plupart des détails que l'on connaît sur Mabuse sont Ève, Noé endormi par l'ivresse, Une jeune personne pesant
dus à van Mander. La mention de ses relations avec l'évêque des pièces d'argent.
d'Utrecht se trouve dans l'appendice que Suffrid Petri a MUSÉE DE DRESDE.

Adoration des Mages, grand tableau
ajouté à l'Histoire des Évêques d'Utrecht, de Beka. qui était d'abord à Gênes.
MM. Altmeyèr et Pinchart ont fait connaître quelques nou- ÉGLISE CATHÉDRALEDE PRAGUE.
— Saint Luc peignant
la
veaux détails sur Mabuse : le premier, dans un travail sur Vierge, avec volets de Coxie (Voir la Revue citée plus haut,
Marguerite d'Autriche; le second,dans ses Archives des Arts. 1. c.,,p. 285).
Principaux tableaux dus ou attribués à Mabuse : EN ANGLETERRE. — Adam et Ève, tableau quia appartenu
MUSÉE DU LOUVRE.
— Tête de religieux, avec ces mots :
à Charles 111 ; Jésus et le Jeune Homme riche, les Enfants
iETATIS 40, 1526. Signé: Joannes Malboddinge. Provient de du roi Christiern Il, le Prince. Arthur, l'Adoration des
la galerie Vander Schrieck, de Louvain. Mages, chez le comte de Carlisle; Saint Jérôme, en buste,
MusÉE DE BRUXELLES. — Jésus chez Simon le Pharisien. chez le" comte Spencer, à Althorp; la Légende du comte de
Toulouse, chez sir John Nelthorbe; Portrait d'homme, chez
HÔTEL D'AREMBERG, A BRUXELLES.
— La Femme adultère,
avec volets représentant les donateurs, tableau portant la M. Green, etc.
date 1526 et la signature M. F. PINACOTHÈQUE DE MUNICH.
— Danaë, Sainte Anne et
du Marie sur un trône, la Vierge et l'Enfant Jésus, le Christ
MUSÉE D'ANVERS.
— Les Quatre Marie revenant
tombeau du Christ, les Juges intègres, Ecce Homo, signé dans son église, entouré des symboles des évangélistes; Saint
Joannes l11adbrodius invenit : Portrait de femme, avec la Michel, tableau que Strixner a lithographié.
marque J.-G.-F., la Vierge et l'Enfant Jésus, Marguerite SAINT-MAURICE, A NUREMBERG. — La Sainte Famille.
d'Autriche. MUSÉE DE VIENNE.
— La Vierge assise
dans une niche
MUSÉE DE l\IADRlD.-La Vierge que son Enfant embrasse. et tenant l'Enfant Jésus.
(Voir l'histoire de ce tableau dans la Revue d'Histoire et PALAIS DUCAL DE GÈNES. — La Vierge sur un trône.
d'Archéologie, de Bruxelles, t. Ier, p. 56.) Marie assise au pied de la croix -et regardant le corps de
A COLOGNE, dans l'église de Leyskirchen.-La Déposition son Fils étendu à terre, tableau qui a été dessiné par
de la Croix, tableau qui fut donné à cette église, en 1524, Wierix, et gravé par De Jode.
par l'échevin Jobelin Schmitgen. Le portrait de l'artiste a été gravé par Wierix et publia à
MusÉE DE BERLIN. — Neptune et Amphitrite, Adam et Anvers par Galle.
Sco/e fffîamanc/e. ,J/ueù lfeltjtéttæ.

BERNARD VAN ORLEY ou DE BRUXELLES


NÉ EN 1-170. — MORT EN 1o42.

Lorsqu'on abandonne l'étude de la biographie des


plus anciens peintres de la Flandre, pour s'attacher à
celle de leurs successeurs immédiats, les artistes qui
brillèrent au seizième siècle, on se heurte au même
obstacle. Les renseignements ne se montrent guère
plus abondants; les erreurs généralement reçues se
rencontrent encore à chaque pas. Et dans cette voie
difficile, la même aridité rebute l'explorateur. Certes,
à force de recherches, il est possible de reconstituer
ce que l'on peut appeler la charpente d'une biographie
d'artiste, de préciser des dates, d'énumérer et de
caractériser des tableaux; mais où chercher ces détails
intimes qui révèlent les préoccupations d'une âme
d'élite, qui expliquentles différentes phases d'un talent
remarquable? Le peintre dont nous allons esquisser
l'histoire vécut pourtant dans des conditions qui
semblaient devoir être plus favorables au souvenir de
ses actions. il habita la capitale de son pays; il occupa
une position éclatante; il fréquenta une cour où se rencontraient les premiers littérateurs du temps, et
pourtant, que d'incertitudes, que de particularités douteuses dans son existence ! Malgré les efforts tentés
jusqu'aujourd'hui, le voile qui la recouvre ne s'est déchiré qu'à demi.
Bernard Van Orley ou d'Orley (d'Orlieh, d'Ourlech, dOrlet, dans les comptes; d'Orley ou de
Orlay, si l'on s'en rapporte à ses tableaux signés) appartenait à une noble famille du Luxembourg qui
s'attacha à la cour des ducs de Bourgogne. D'heureuses alliances procurèrent à cette lignée la possession de
beaux domaines situés en Brabant; des charges importantes mirent en relief les talents, l'habileté de ses
chefs, principalement sous le règne de Charles-Quint. Par quels liens Bernard Van Orley se rattachait-il au
personnage du môme nom qui était de son temps seigneur de Seneffe et hailli du Brabant wallon, tandis
qu'humble membre d'un corps de métier, il arrivait à la célébrité par d'autres voies? Ce point n'est pas
éclairci, et les commencementssurtout de la vie de notre peintre restent entourésd'obscurité.
Si la date de sa naissance, que les uns placent en l'année 1490, et d'autres, avec plus de vraisemblance,
en 1470, n'est pas déterminée avec certitude, le lieu où il vitle jour n'a jamais été contesté. On s'accorde
à le faire naître à Bruxelles, et il est presque aussi connu sous le nom de Barent ou Bernard de Bruxelles,
que sous sa véritable désignation patronymique. Il naquit, selon toute apparence, de Jean Van Orley, qui
fut reçu dans la bourgeoisie de Bruxelles en l'année 1464. Nul ne sait où il puisa sa première éducation
artistique ; il est vrai que cette question, importante d'ordinaire dans la biographie d'un artiste, devient
ici secondaire, à cause de la modification complète que le talent du jeune peintre ne tarda pas à subir.
Disons cependant, pour ne pas laisser subsister cette lacune, que nous inclinons à voir dans Van Orley
un élève de Jean de Conincxloo, le seul peintre de talent qui vécût à Bruxelles vers l'année 1500.
Voir l'Italie, visiter ses innombrables monuments, admirer les chefs-d'œuvre dont la réputation seulp,
venait jusqu'à eux, tel était alors le rêve favori des artistes flamands. Van Orley partagea l'engouement
général, et, comme Jean de Maubeuge, revint en Belgique, séduit, transformé par les leçons des maîtres
italiens. Il arriva à Rome à l'époque où Raphaël remplissait le Vatican de ses chefs-d'œuvre. Cédant à un
enthousiasme bien légitime, l'artiste bruxellois marcha dans le sillon que le grand peintre d'Urbin avait
ouvert. Épris de son grand style, de son dessin si suave et si correct, il étudia avec assiduité, et il parvint
à s'approprier quelques-unes des qualités de Raphaël. Si des renseignements de famille n'exagèrent pas,
celui-ci ne resta pas insensible à l'admiration que l'artiste étranger témoigna pour son talent, et une étroite
amitié resserra les liens qui s'étaient formés entre eux.
De retour dans sa patrie, Van Orley se vit recherché, de nombreuses commandes lui arrivèrent,
et la gouvernante générale des Pays-Bas, la tante de l'empereur Charles-Quint, Marguerite d'Autriche,
le choisit pour son peintre. A partir de ce moment jusqu'à sa mort, il compta comme un des
chefs de l'école flamande, et plein de confiance dans son avenir, il prit pour devise ces mots flamands :
Elx syne tyt (A chacun son temps). Les vieux maîtres, ses prédécesseurs, avaient eu leurs jours de
renommée; son tour était venu. Il sentit sa force et la proclama sans crainte. A lui maintenant de plaire
aux yeux, d'influencer la mode, de décider souverainement les questions d'art et de goût. Il comptait sur
des succès nombreux, et la foule, qui aime les cœurs hardis, s'empressa de le suivre.
A titre de peintre de madame Marguerite, Van Orley recevait 19 livres par an ou un sou par jour. La
princesse lui fit. payer, en outre, des sommes importantes, tantôt pour des peintures de tout genre, tantôt
« pour
d'agréables services, desquels elle ne veut ici déclaration. » Très-souvent, elle commanda son
portrait au peintre, et elle contribua beaucoup à répandre sa réputation, en distribuant ses compositions
à des membres de la famille impériale, à des seigneurs de la cour, à des maisons religieuses.
La composition intitulée : Sur la vertu de Patience fut envoyée par elle au comte d'Hooghstraeten,
de la maison de Lalaing, celui des courtisans pour qui elle montrait le plus d'affection. Elle l'invita à
placer cette peinture sur la cheminée de la chambre qu'elle occupait lorsqu'elle visitait le château
d'Hooghstraeten. C'est le tableau que possède actuellement M. Nieuwenhuys, et où l'histoire de Job est
représentée en cinq compartiments, dont deux offrent chacun deux épisodes. Ici le peintre se montre tout à
fait novateur; il s'éloigne entièrement des Flamands. Son dessin est savant, et il affecte une telle recherche
de poses difficiles, qu'on croirait avoir sous les yeux l'œuvre d'un imitateur du fougueux Michel-Ange,
plutôt que celle d'un disciple du gracieux Raphaël. L'inscription : bernardus dorley Óruxellanus ftzciebat
a dni MCCCCCXXI, 1111 may, détermine l'époque de l'achèvement de cette œuvre remarquable, qui
justifie la popularité précoce dont le nom de l'artiste fut entouré. L'Histoire de Job a fait partie de la
magnifique collection de tableaux du roi des Pays-Bas, Guillaume II.
Il nous est resté iin témoignage précieux de la haute position que le peintre avait conquise, de son
influence sur l'esprit de Marguerite d'Autriche. L'écrivain qui nous le fournit, c'est le célèbre Albert
Durer, qui, dans le récit de son voyage aux Pays-Bas, fait preuve d'une bonhomie qui n'est égalée
que par sa constante préoccupation pour ses intérêts. A son arrivée à Bruxelles, au mois de septembre 1520,
Van Orley l'invita à sa table. Le repas fut si beau que le peintre bruxellois, si l'on en croit l'éminent

touriste, «n'en fut pas quitte pour dix florins. » En retour des prévenances dont il se vit l'objet, Durer
peignit le portrait de Van Orley. Il semble néanmoins attribuer à celui-ci la parcimonie
que Marguerite
montra à son égard, et son mécontentement se fait jour en plus d'un passage de sa relation.
Dürer et Van Orley auraient pu d'autant mieux s'entendre qu'ils pensaient de même
sur un point
capital : le peintre allemand songeait déjà à se séparer de l'Eglise romaine; quant à Van Orley, il penchait
aussi pour la réforme religieuse, et, vers ce temps, se vit impliqué, avec d'autres
personnes de Bruxelles,
dans un procès pour fréquentation de prêches clandestins. Il s'en tira heureusement, grâce à
une protection
que l 'on devine sans peine. Cette circonstance rend doublementprécieux le tableau de l'ancienne collection
Boisserée (jadis, dans l'abbaye de Saint-Michel d'Anvers, aujourd'hui à la pinacothèque de Munich),
où Van Orley a représenté saint Norbert, le fondateur de l'ordre de Prémontré, discutant
avec Tanchelin,
le chef des hérétiques d'Anvers. Les défenseurs des deux opinions y forment un contraste frappant : une
intelligence pervertie se trahit sur le visage de Tanchelin, et la dureté et les appétits matériels caractérisent
les traits de ses adhérents, tandis que la mâle ligure de Norbert se dessine au milieu des têtes plus placides
des fidèles : femmes charmantes assises au pied de la chaire, hommes graves et sérieux groupés plus loin.
Entre l'hérésiarque et le défenseur de la foi, on aperçoit un auditeur qui semble hésitant. Cet esprit livré
au doute, c'est Van Orley lui-même, et c'est son portrait, frappant par la ressemblance, qui l'a fait
reconnaître pour l'auteur du tableau. La scène se passe dans une splendide basilique, dont le style, tout
romain, atteste la prédilection de l'artiste pour l'architecture de la Renaissance. Au fond, dans un paysage,
se dessine un second épisode de la vie du saint.
En 1530, Marguerite d'Autriche vint à mourir. Déçue dans ses rêves de bonheur par la mort prématurée
des princes auxquels elle fut successivementfiancée, fatiguée des ennuis du pouvoir, entourée d'envieux
de sa grandeur, la bienfaitrice de Van Orley s'était consolée de ses chagrins en appelant à sa cour les
hommes les plus distingués de l'époque. Son noble exemple fut imité par sa nièce Marie, la veuve de
Louis II, dernier roi de la Hongrie indépendante. Van Orley la peignit très-fréquemment, et exécuta pour
elle les portraits de son mari défunt, de l'empereur Charles, du roi des Romains Ferdinand, de la
duchesse de Milan. Ces peintures étaient payées de 13 à 17 livres, lorsqu'elles étaient de petite dimension;
de 28 à 30 livres, lorsque le personnage représenté était de grandeur naturelle.
Le Jugement dernier, de l'église Saint-Jacques, d'Anvers, permet d'étudier le peintre dans sa dernière
manière, car cette belle composition date des années 1537 à 1540. Dans le haut du triptyque, au centre,
on aperçoit Jésus-Christ, la Yierge, des saints et des anges; mais toute cette partie supérieure a été sacrifiée,
l'artiste s'étant particulièrement attaché à représenter la séparation des bons et des méchants. On les voit,
en multitudes innombrables, abandonner leurs sépultures, et au milieu d'eux on remarque Adam, qui
recule d'effroi en apercevant les démons et les réprouvés, tandis qu'Eve, chaste dans son entière nudité,
semble attendre avec confiance l'exécution des promesses divines. La couleur fine et intense du peintre,
ses grandes connaissancesen anatomie se retrouvent dans cette œuvre capitale, de même que son talent
de portraitiste donne une valeur considérable aux volets, où sont représentés les donateurs du tableau,
Adrien Rockox et Catherine Van Overhoff, avec leurs enfants et leurs saints patrons.
Van Orley peignit encore le Jugement dernier pour les aumôniers (ou administrateurs généraux des
fondations charitables) de la même ville. Au siècle dernier, cette œuvre était placée à Notre-Dame, à
l'intérieur de la chapelle des Aumôniers;actuellement on la conserve dans une salle de l'hospice de Sainte-
Elisabeth. Le Sauveur y est assis sur un arc-en-ciel et a le globe du monde à ses pieds; sous lui s'étendent
trois zones superposées, formées par les anges, les bienheureux, les ressuscités. Sur les volets sont retracées
les œuvres de miséricorde, sauf la septième, qui s'accomplitsur le premier plan du panneau central. Là, au
milieu de la résurrection générale, on dépose un corps mort dans un cercueil que bénit un prêtre.
Obéissant à la préoccupation constante des Flamands pour l'exécution des moindres détails, Van Orley
semble oublier ici la véritable signification de la grande scène reproduite par son pinceau. Le tableau, au
surplus, n'est pas aussi remarquable que le précédent, et cependant son origine est très-authentique.
Van Mander en parle, et nous apprend qu'afin de donner une plus grande beauté et plus de durée à la
peinture, l'artiste, avant de commencer son travail, fit dorer entièrement le bois qu'il comptait y employer.
Ce procédé, suivant le même écrivain, eut aussi pour résultat de donner plus de transparence au ciel.
A Malines, Van Orley peignit le panneau central du tableau d'autel de la chapelle des Peintres; il y
représenta la Vierge et l'enfant Jésus, ayant devant eux l'évangéliste saint Luc, retraçant l'épisode de
l'Annonciation. Michel Coxie, son élève favori, exécuta les volets de ce triptyque, qui fut enlevé lorsque les
troupes des États-Générauxprirent et pillèrent Malines en 1580. L'archiduc Matthias d'Autriche se l'adjugea
et le transporta en Bohème, où il orne actuellement l'église de Saint-Yeit, de Prague.
Mais ce fut surtout Bruxelles qui s'enrichit des productions du célèbre peintre. Devenue véritablement
la capitale des Pays-Bas, la résidence constante de la cour, cette ville voyait le goût des arts se développer
dans son sein en même temps qu'augmentaient sa population et sa prospérité. Les églises, embellies ou
reconstruites, s'ornaient d'objets d'art nouveaux. A titre de compatriote, de peintre de la cour, de chef

d'école, VanOrley fut naturellement appelé à profiter de cette tendance des esprits. Posséder de ses œuvres
devint une manie, une nécessité. La Chute des anges décora longtemps une des chapelles de la nef de
l'église de Sainte-Gudule; la Nativité du Christ fut placée dans la chapelle de Saint-Luc ou des Peintres,
à Saint-Géry. On attribue aussi à notre artiste la Mort de la Vierge, qui a été trouvée dans un couloir de
l'Infirmerie du béguinage, lors de la démolition de cet édifice, vers l'année 1826, et qui orne aujourd'hui la
salle d'assemblée du Conseil général des hospices, à l'Hôpital Saint-Jean; mais ce tableau, où on remarque
de très-belles parties, est signé : sur le bord d'un vêtement, au coin du panneau central, vers la droite,
se lisent ces mots : VAN DEN KOTN, qui constituent évidemment une signature. Bien que quelques têtes, dans
cette composition, soient véritablement belles, l'ensemble ne présente nullement les grandes qualités de
coloriste et de dessinateur qui éclatent dans des œuvres très-authentiques de Van Orley : sa Vie de Job,
son Jugement dernier, Saint Norbert discutant avec Tanchelin, ses portraits. Rien surtout n'y révèle
le peintre du beau retable du Musée de Bruxelles : le Sauveur descendu de la croix. Ce dernier tableau
commande l'attention et captive le regard, tant la couleur y est intense et vigoureuse, la composition
sage, le dessin d'une correction tout italienne. Si les types des personnages y manquent quelque peu
d'élégance, leurs physionomies sont pleines d'expression et trahissent la profonde douleur qu'ils ressentent.
La Vierge est absorbée dans la contemplation de son divin Fils, dont le corps est étendu sur ses genoux ;
la Madeleine embrasse, en pleurant, la main du Sauveur; saint Jean et cinq autres personnages complètent
la scène. Sur les volets sont peints : d'une part, le donateur, ses sept fils et saint Jean-Baptiste ; d'autre
part, la donatrice, ses cinq filles et sainte Marguerite.
Le temps a dispersé de tous côtés les œuvres de notre peintre, et il est peu de cabinets importants où il
n'en soit entré. Le Louvre n'en possède qu'une, le Mariage de la Vierge (n° 367), dont nous donnons le
dessin. Elle provient de la collection du roi Louis XVIII, qui l'acheta de M. de Langeac, en 1822. La scène
principale se passe en avant d'une tente en velours vert qui renferme l'Arche d'alliance, et dont les
ornements, ainsi que les vêtements des deux époux et du grand prêtre, ont été recouverts d'or par le peintre.
La plus importante des autres compositions de celui-ci se trouve dans l'église de Notre-Dame,, de
Lubeck. On y voit : au centre, la Trinité et des Saints, d'après une gravure très-connue d'Albert Durer;
sur les doubles volets : la Sybille montrant à l'empereur Auguste la Vierge et l'enfant Jésus, saint Jean
l'évangéliste ayant la vision de l'Apocalypse, l'Annonciation et les Pères de l'Eglise latine.
Ces travaux, quelque multipliés qu'ils fussent, n'absorbèrent pas toute la vie de Van Orley. Il exécuta
un très-grand nombre de dessins pour des verrières et pour des tapisseries, et exerça par là une grande
influence sur les progrès de l'art architectural, dont les verrières formaient alors un complément obligé,
ainsi que sur l'industrie. Marie de Hongrie venait de succéder à sa tante en qualité de gouvernante générale
des Pays-Bas, lorsqu'on entreprit, à Bruxelles, à la gauche du chœur de l'église de Sainte-Gudule, la
construction de la belle chapelle du Saint-Sacrement de Miracle (en 1532). Le plan présenté par l'architecte
Wyenhoven ayant été jugé le meilleur, Van Orley fut chargé d'en exécuter, sur parchemin, une copie,
qu'on lui paya 2 livres 10 sous 9 deniers, soit 10 florins carolus. On lui commanda ensuite les dessins des
vitraux que l'on devait placer dans les fenêtres de la chapelle, mais il n'eut pas le temps de les terminer,
sauf un seul, celui de la verrière qui fut donnée par François Ier, roi de France, et par sa femme Éléonore
d'Autriche, verrière qu'exécuta Jean Haeck, d'Anvers, et qui coûta 350 florins. Après la mort de Van
Orley, la fabrique de l'église acquit de son tils Jérôme quelques esquisses, et du peintre Gilles Willems,
qui demeurait chez Bernard, le dessin de la verrière dont le roi de Portugal avait pris la dépense à sa charge.
Le restant du travail fut terminé par Michel Coxie. Les deux beaux vitraux peints qui ornent les murs
terminaux des transepts de la collégiale de Bruxelles, ont aussi été dessinés par Van Orley, et furent
placés le jour de saint Thomas, au mois de décembre 1537. Ils représentent, celui du transept nord,
Charles-Quint et sa femme; celui du transept sud, Marie de Hongrie et son mari. Tous les vitraux dont nous
venons de parler présentent les mêmes caractères. Dans tous, l'idée religieuse est presque entièrement
absente. Les donateurs agenouillésattirent seuls l'attention, tandis que leurs patrons se dissimulent derrière
eux, avec une modestie singulière. Dans le bas, de longues énumérations de titres; dans le haut, des séries
d'écussons, pittoresquement groupés autour du couronnement d'une splendide construction de style
Renaissance, complètent le panégyrique. Cette part faite à la critique, il faut proclamer l'œuvre même
irréprochable; elle donne aux absides de l'église de Sainte-Gudule un aspect imposant et sévère, dont on
trouverait difficilement un autre exemple.
Suivant une opinion généralement acceptée en Belgique, un pape, Léon X ou Adrien VI, aurait confié
à Van Orley le soin de surveiller l'exécution des tapisseries destinées au Vaticnn, mais cette assertion
ne repose que sur des données douteuses; on a attribué également à notre peintre des tapisseries qui,
très-certainement, ne furent commandées qu'après sa mort. Il n'en fut pas moins l'auteur d'un grand
nombre de cartons. La fabrication des tapis de Bruxelles était alors parvenue à son apogée, et rien ne pouvait

mieux concourir au maintien de sa réputation que l'intervention d'un artiste dont le talent était partout
reconnu et admiré. Notre peintre dessina pour Charles-Quint plusieurs grandes chasses, où on voyait
l'empereur avec les princes de sa famille, et où le paysage reproduisait les plus beaux sites des environs de
Bruxelles, ceux où Charles aimait à forcer le gibier. Les tapisseries qui furent confectionnées à grands frais
d'après ses modèles, ornèrent longtemps le palais de Bruxelles. Le comte de Nassau, l'un des plus puissants
seigneurs du pays, fit exécuter de la même manière une généalogie de ses aïeux, en seize pièces, dont
chacune offrait un chevalier ou une dame, à cheval et de grandeur naturelle. Vers l'an 1600, les patrons
de ces dernières furent portés à La Haye et offerts au comte Maurice, fils du Taciturne, qui les fit
reproduire sur toile par un Anversois de talent, Ilans Jordaens.
Van Orley habitait à Bruxelles, près de la Senne, une maison située en face de la tour de l'église de
Saint-Géry. Lorsqu'il expira, ce fut à l'intérieur de ce dernier édifice qu'on l'ensevelit, dans la chapelle
de Saint-Maur, la première du collatéral droit. Van Mander ignorait à la fois la date de la naissance du
peintre et celle de sa mort; tout ce qu'il put apprendre, c'est que Bernard mourut très-âgé. Les
renseignements que nous possédons sont un peu moins incomplets, depuis que l'on a retrouvé le texte de
l'inscription de son tombeau, texte que voici traduit du flamand : « Ici repose maître Aert (pour Bernaert)
« Van Orley, peintre de Marguerite, duchesse d'Autriche, et de Marie, reine de Hongrie, qui mourut en

« 1541
(1542, nouveau style), le 6 janvier, et demoiselle Agnès Zeghers, sa femme, qui expira en 1539, le
« 13
septembre. » Des armoiries ornaient sa pierre tumulaire, qui nous paraît avoir été renouvelée dans
les temps postérieurs. Ni cette tombe, ni l'église même, où les amis des arts allaient donner un souvenir à
l'élève de Raphaël, n'existent plus ; une place publique, dite de la Fontaine, en recouvre les caveaux.
La collection de Cock nous offre un portrait de l'artiste qui releva, au seizième siècle, la gloire artistique
de Bruxelles, et Lampsonius lui consacra quelques vers latins où il rappelle la générosité de Marguerite
d'Autriche à son égard. Mais on n'a pas suffisamment fait ressortir la conclusion à laquelle on arrive
naturellement par l'examen des œuvres de ce maître : que le contact de l'école italienne ne pouvait qu'être
favorable aux Flamands, comme Rubens et Van Dyck en furent plus tard les vivants et glorieux témoignages.
Dans l'art, comme dans la littérature, l'isolement n'exerce qu'une action funeste; une école,en se repliant
sur elle-même, se donne le coup de la mort; pour s'infuser un sang nouveau, il faut chercher d'autres
horizons, varier ses enseignements, comparer, en un mot, Le succès, il est vrai, dépend de la source où
l'on va puiser, et c'est en cela qu'on doit admirer la sagacité ou le bonheur pe Van Orley, d'avoirrencontré
sur sa route le divin maître d'Urbin. Si la plupart de ses compatriotes: s'égarèrent, s'ils se laissèrent
séduire par le style d'autres peintres italiens, s'ils abdiquèrent leurs propres qualités pour marcher à la
remorque d'une école en décadence, un pareil reproche ne peut atteindre notre artiste. Ses portraits surtout
nous charment, et un bon juge a fait remarquer combien ils se rapprochent de ceux d'Holbein. «La différence,
« dit M. Marsuzi de Aguirre, est souvent peu sensible; le ton chaud, pour ne pas dire rougeâtre, des chairs,

<(
la diffusion de la lumière, la simplicité et le naturalisme de la composition, la sobriété des accessoires
Il
leur sont communs, de telle sorte qu'il faut une grande pratique pour découvrir, dans une plus savante
«
correction de dessin et de style, dans une certaine lourdeur de la brosse et de l'empâtement, ceux qui
<(
sortent de la main de Van Orley. »
Artiste novateur, infatigable, Bérnard hérita du sceptre de l'art flamand, après la mort de Quentin Metzys
et de Maubeuge, et, après l'avoir tenu avec gloire, le transmit, par son élève Coxie, à Otto Van Veen, de qui
il passa dans les mains puissantes de Rubens.
ALPHONSE WAUTERS.

BKIIMIK M IIMŒ1TOIS
Il n'a été publié jusqu'à présent qu'un seul travail, vérita- GALERIE NATIONALE A LONDRES.
— La Madeleine.
blement original, sur Bernard Van Orley. Il est dû à — Saint Norbert et Tanchelin.
PINACOTHÈQUE DE MUNICH.
M Gœthals, ancien conservateur de la Bibliothèque de la A VIENNE. — Antiochus Epiphane et la Descente du
ville de Bruxelles, et fait partie de son Histoire des lettres, Saint-Esprit.
des sciences et des arts en Belgique, t. III. C'est là que presque EN ANGLETERRE.— Le prince Albert, quatre tableaux; le
tous les écrivains et nous-même avons surtout puisé. duc de Devonshire, trois tableaux; le comte Spencer, un
La plupart des œuvres importantes de Van Orley étant portrait; le comte Scarsdale, un tableau; M. Nieuwenhuys,
citées dans les pages qui précèdent, nous ne donnerons plus l'Histoire de Job; LiverpoolInstitution, un tableau.
qu'une liste très-succincte de ses œuvres. A PRAGUE.
— Saint Lucpeignant devant la Vierge.
A LUBECK. — La Trinité et les Saints, le plus grand des
MUSÉE DU LOUVRE.
— Mariage de la Vierge. tableaux de Van Orley.
MusÉE D'ANVERS.— L'Adoration des Mages (reproduit en EN BELGIQUE.
— A Sainte-Catherine de Bruxelles, Un
tète de cette notice), et quatre autres tableaux. Christ crucifié; à Sainte-Gudulc, de belles verrières; à
MUSÉE DE BERLIN. — Trois tableaux. Saint-Jacquesd'Anvers, le Jugement dernier; le même motif
MUSÉE DE BRUXELLES. — Quatre tableaux. à Sainte-Élisabeth, de la même ville.
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MICHEL DE COXIE
É EN 1499. — MORT Eli 1592.

On considère généralement le seizième siècle comme une époque


de décadence pour l'école flamande de peinture.Cette opinion ne peut
être acceptée qu'avec des réserves. L'école faiblit, parce que ses
chefs, répudiant les qualités qui avaient caractérisé leurs devanciers,
adoptèrent une manière nouvelle sans se l'assimiler complètement.
Ils cessèrent, de plus en plus, d'être flamands, sans devenir tout il
fait italiens. Mais cette période de transition, dont la majeure partie
fut remplie par d'affreuses guerres, ne fut pas d'une longue durée.
Pendant la première moitié du seizième siècle, la pléiade des artistes
des Pays-Bas se montre aussi brillante que jamais : c'est l'époque
de Quentin Metzys, de Jean Mabuse, de Bernard van Orley, dl'
Lucas de Leyde, de Jean Bellegambe. Ici encore des talents
nombreux et originaux apparaissent. L'affaiblissement ne se trahit
que dans la génération qui suit, et qui subit complètement l'influence
des maîtres du Midi. Cependant, elle ne décline pas sans gloire, et
elle peut revendiquer, entre autres œuvres de mérite, les tableaux
religieux de Frans Floris et de Michel de Coxie, ainsi que les portraits de Pourbus et d'Antonio Moro.
Par sa naissance, Michel de Coxie appartient au quinzième siècle, car il naquit en 1499, peu d'années
après la mort de Memlinc. Ce peintre vit la prospérité de sa patrie atteindre à son apogée pendant le règne
de Charles-Quint, puis décliner dès les premières années de Philippe II, et enfin disparaître dans les luttes
sanglantes des provinces belges contre les généraux du roi d'Espagne. Lorsque l'autorité de celui-ci redevint
dominante dans les contrées méridionales des Pays-Bas, Coxie était parvenu à l'âge de quatre-vingt-six ans.
Les doctrines catholiques reprirent alors une nouvelle puissance; grâce à elles, grâce à la nécessité où l'on
se trouva de réparer les pertes qu'avaient subies les trésors artistiques des églises et des abbayes, l'art de
la peinture reçut une nouvelle impulsion. Malgré son âge avancé, Coxie fut l'artiste qui profita le mieux de
ce mouvement réparateur, et, dans ses dernières années, il donna la preuve que son activité et son talent
ne s'étaient pas énervés. Après avoir successivement vu grandir et s'éteindre trois générations d'artistes,
il restait presque seul : ses maîtres étaient morts; ses rivaux et même la plupart de leurs élèves et des siens
avaient trouvé le repos dans la tombe ou dans l'exil ; et cependant ni son isolement, ni sa vieillesse ne le
découragèrent. De nombreux tableaux affermirent encore sa réputation jusqu'à ce qu'arriva pour lui le jour
fatal, peu de temps avant que Rubens ne vînt rendre la vie à l'art flamand.
Michel de Coxie, ou, pour lui donner son nom patronymique dans toute son exactitude, Van Cocxyen,
naquit à Malines, d'un père qui s'appelait comme lui et qui était également peintre, mais dont on ne cite
aucune production. Après avoir épuisé les leçons paternelles, il étudia, à ce qu'il semble, sous Bernard van
Orley, qu'il quitta pour se rendre en Italie. Là, à l'imitation du peintre bruxellois qui lui avait servi de guide,
il étudia de préférence les œuvres de Raphaël, et il parvint à imiter sa manière à tel point qu'on lui donna
le nom de Raphaël flamand. Lorsque Vasari se lia avec lui, à Rome, en 1532, il jouissait dans cette ville
d'une brillante réputation et l'on admirait à la fois la correction de son dessin et l'art qu'il déployait dans
ses compositions. Une fresque qu'il exécuta pour l'église de Saint-Pierre, la Résurrection du Sauveur, excita
l'admiration générale et lui valut la protection d'un enfant du Brabant qui était entré dans le collège des
cardinaux, Guillaume Enckevoort.
De retour aux Pays-Bas avec Ida van Hasselt, qu'il avait épousée à Rome, Coxie se fit recevoir dans la
corporation malinoise de Saint-Luc ou des peintres, le 11 novembre 1539. Il doit aussi avoir habité
Bruxelles, où il travailla beaucoup. De ce premier temps de sa carrière date le triptyque qu'il peignit pour
l'autel de la corporation dont nous venons de parler, et que l'on a cité, à tort, comme une preuve de
l'amitié qui l'unissait à son maître. En effet, celui-ci n'est pas l'auteur de la partie centrale du tableau, qui
est très-certainement de Jean Gossart, de Maubeuge, dit aussi Jean Mabuse. Cette partie centrale fut
exécutée, selon toute apparence, longtemps avant les volets, car Mabuse mourut en 1532 et Coxie ne travailla
sans doute pour le métier des peintres de Malines qu'après sa réception dans cette corporation. Malgré ce que
nous venons de dire, on ne doit pas répudier l'opinion généralement admise sur les relations du peintre
malinois avec le célèbre artiste de Bruxelles. Celui-ci étant mort en 1542 sans avoir pu achever les dessins
des grands vitraux de la chapelle du Saint-Sacrement, dans l'église des saints Michel-et-Gudule, ce fut
Coxie qui les fournit à la fabrique de l'église. Il exécuta, en 1542, le vitrail où sont représentés Catherine
d'Autriche et le roi Jean III de Portugal; en 1547, celui où l'on voit Marie, la gouvernante générale des
Pays-Bas, et son mari Louis II, roi de Hongrie; en 1556, celui où sont figurés l'archiduc Maximilieu
d'Autriche (depuis empereur sous le nom de Maximilien II) et sa femme Marie, fille de Charles-Quint. Le
premier dessin lui fut payé 70 florins d'or, le deuxième 72 florins, le troisième 24 florins 3 sous; il reçut
40 florins pour un quatrième, don de Philippe II. Ces vitraux, sauf le premier, existent encore, et présentent
le même caractère que ceux dont Van Orley a donné le modèle.
En 1552, Coxie peignit pour l'hôtel-de-ville de Bruxelles un Jugement de Salomon, avec des volets sur
lesquels étaient représentés les magistrats communaux alors en fonctions, tableau qui a disparu. L'artiste
travailla beaucoup à cette époque de sa vie, et, néanmoins, il ne nous est resté que peu de détails sur les
œuvres originales auxquelles il consacra son temps. On sait qu'il orna l'église d'Alsembergh (à trois lieues au
sud de Bruxelles) d'un Christ en croix, que Van Mander cite comme son chef-d'œuvre. Coxie fut longtemps
occupé à décorer de ses compositions les murailles et les cheminées du palais de Binche, brûlé, en 1552,
par l'armée du roi de France Henri II; il fit, en outre, des dessins pour vitraux, ainsi que des patrons de
tapisseries pour Charles-Quint. En 1555 fut exécutée la grande fenêtre du transept méridional de l'église de
Saint-Bavon, de Gand, où on voyait le baptême de l'eunuque de Candace et la représentation de Philippe II
et de sa première femme, Marie Tudor, accompagnés de leurs patrons. Ce vitrail n'existe plus. Le roi

François offres magnifiques à Coxie pour le décider à venir habiter Paris, mais le peintre milanois
Ier fit des
résista à ses sollicitations, et, depuis son retour d'Italie, ne quitta plus les Pays-Bas.
Le roi Philippe II et la reine Marie de Hongrie, sa tante, mirent aussi à l'épreuve le talent d'imitateur que
possédait Coxie, et, chose rare, cet élève de Rllphaël, lui qui avait très-bien saisi la manière de procéder des
Italiens, sut reproduire avec un égal bonheur les compositions, si différentes pourtant, de la première école
flamande. Il copia, pour la reine Marie, la célèbre Descente de Croix de Roger vander Weyden, qui ornait
il Louvain la chapelle de Notre-Dame-hors-les-Murs,et qui est aujourd'hui l'un des plus riches joyaux de

la galerie d'Isabelle, au Musée de Madrid. Philippe II lui commanda une reproduction de l'Adoration de
l'Agneau, des Van Eyck, reproductionque Coxie commença en 1559 et qui lui fut payée 2,000 ducats. Coxie ne
parvint pas à s'élever à la hauteur de son modèle, mais réussit cependantà reproduire avec bonheur les grandes
ligures qui forment la partie supérieure de la composition des Van Eyck. Son œuvre, après avoir orné pendant
plus de deux siècles le palais de Madrid, fut enlevé de l'Espagne pendant les guerres de Napoléon Ier, et est
aujourd'hui morcelé ; ses différentes parties se trouvent, les unes dans la galerie du roi de Bavière, il
Schleisheim, d'autres au Musée de Berlin, d'autres encore dans la cathédrale de Gand, où elles ont remplacé
les volets originaux, disparus à la suite d'un acte inqualifiable de vandalisme.
On remarquera que la plupart des travaux de Coxie lui furent commandés par des membres de la famille
impériale. Coxie hérita en quelque sorte de la faveur dont son maître Van Orley avait joui, et devint
le peintre en titre de Philippe II aux Pays-Bas. Cette haute position et de nombreux travaux lui procurèrent
de grandes richesses, d'autant plus rapidement que sa femme était très-économe et ne cessait de l'exciter au
travail. Leur vaste habitation, qui s'élevait, à Malines, dans la rue dite le Bruel, en face de la ruelle de la
Vigne, se transforma en un véritable musée, où l'on pouvait admirer, à côté des compositions du propriétaire,
un choix d'oeuvres des meilleurs artistes du même temps.
Le succès qui récompensa les efforts de Coxie semble avoir heureusementinflué sur son caractère. Gai et
spirituel, il brillait dans la conversation, et l'on raconte qu'étant prié par un jeune peintre de venir voir
des dessins que celui-ci avait rapportés d'Italie, au grand préjudice, disait-il, de ses épaules, qui en étaient
encore endolories, il lui répondit : « Votre tête aurait pu vous épargner cette besogne, » comme pour
reprocher à son interlocuteur d'avoir perdu son temps et ses peines, d'être resté un copiste tandis qu'il
aurait dû apprendre à créer, à composer. Glorieux du rang où il était monté, le peintre malinois aimait il
donner la preuve de la facilité et de la sûreté de sa main; lorsqu'il se voyait entouré d'amis, il se plaisait
à improviser des dessins, qu'il charbonnait sur le mur. Son portrait nous offre des traits réguliers et graves,
voiFe sévères; les tristes épisodes de l'époque semblent y avoir marqué leur empreinte sans effacer l'influence
de la nature réfléchie et laborieuse de l'artiste.
Les envieux, qui s'attaquent à tous les noms entourés de considération, prétendirent que Coxie n'avait fait
qu'imiter les maîtres italiens, et, dit-on, ce peintre montra quelque mécontentement lorsque Jérôme Coeli
grava sur cuivre un choix de leurs productions. Mais on put bientôt se convaincre que l'imitation n'avait pas
été servile. D'ailleurs, notre artiste, afin de prouver qu'il savait aussi composer, entreprit de dessiner
l' Histoire de Psyché, dont il fit une série consistant en trente-deux parties.
Une époque de tourmentes était arrivée. Elle aurait pu être conjurée par de l'habileté et de la modération;
la perfidie et la cruauté de la cour de Madrid attisèrent et firent enfin éclater le feu qui couvait sous la cendre.
Coxie, de même que tous ses compatriotes, fut accablé de déboires sans nombre. En 1572, Malines subit un
sac épouvantable, par le motif futile que cette ville s'était laissé surprendre par les partisans du prince d'Orange ;
huit ans après, les Malinois ayant abandonné la cause nationale pour se soumettre à l'Espagne, leur ville
fut prise une seconde fois et ravagée par les troupes des États-Généraux.
On doit rendre cette justice au gouvernement espagnol, qu'il se montra plein d'égards pour le peintre
malinois, que, en sa faveur, du moins, il essaya d'alléger le fardeau des malheurs du temps. En l'an 1570, le
duc d'Albe confirma à Coxie et à son fils Raphaël l'exemption des logements militaires dont ils jouissaient déjà ;
en 1589,1e roi lui-même intervint pour faire payer à l'artiste une somme de 2,500 florins qui lui était due
du chef de rentes assignées sur les revenus du domaine aux quartiers de Louvain et de Malines Dans la lettre
que le monarque écrivit en cette occasion au prince de Parme, le 1er avril, on lit que Coxie était « réduit il
tel état qu'il ne lui étoit possible de gagner sa vie par son art, dans lequel il avoit été non peu renommé. »
Une grande partie des œuvres de Coxie avait disparu de la Belgique. Charles-Quint, en allant s'enfermer
au monastère de Saint-Just, y avait transporté quatre peintures de cet artiste : Jésus-Christ portant sa croix et
montant au Calvaire; Jésus crucifié, qui servait à recouvrir le précédent; la Vierge et Jésus portant sa croix.
Trois autres .toiles partirent pour l'Espagne avec la collection de tableaux de Marie de Hongrie : Tantale, le
Christ au jardin des Olives et David tuant Goliath; ce dernier est encore conservé à l'Escurial. Philippe 11
avait maintes fois admiré dans l'église d'Alsembergh le Crucifiement, de Coxie; ce tableau ayant été vendu ail
cardinal Granvelle par un négociant de Bruxelles, Thomas Wéry, le roi s'empressa d'en faire l'acquisition.
Lors du second sac de Malines, en 1580, cette ville fut dépouillée des volets que Coxie avait peints pour
l'autel de Saint-Luc, à Saint-Rombaud ; l'archiduc Mathias se les fit adjuger et les emporta dans ses États
héréditaires, où ils ornent aujourd'hui le maître-autel de l'église de Saint-Vith, à Prague.
Le zèle des corporations et des particuliers permit à la Belgique de réparer quelques-unes de ses pertes,
entre tous on peut citer les gildes ou compagnies de tireurs, comme s'étant distinguées à cette époque

par leur goût pour la peinture. Ainsi que nous l'avons dit plus haut, Coxie reçut des commandes de tous
côtés. Les archers d'Anvers lui firent peindre, pour leur autel dans la cathédrale d'Anvers, un Martyre de
saint Sébastien (avec volets, par Ambroise Francken le Vieux), signé et daté de 1575, et qui est aujourd'hui
au musée de la même ville. Le saint est lié à un arbre; quatre archers visent le martyr, que vient
d'atteindre une première flèche. Derrière le groupe de ces archers se trouvent l'empereur Dioclétien, des
personnes de sa suite et des spectateurs. A droite, on voit un soldat assis, sous le bras duquel apparaît la
tête d'un chien de chasse. Une autre corporation militaire d'Anvers, celle des arbalétriers, demanda à
Coxie une peinture, dont on ne connaît que les quatre volets, qui sont aussi déposés au musée. Sur le
premier, saint Georges, suspendu à un tronc d'arbre, est torturé par ses bourreaux; sur le deuxième, il est
représenté à genoux et va recevoir le coup mortel; le troisième'volet nous montre, sous les. traits de
Coxie, le même personnage, debout, tenant une lance brisée et ayant à ses pieds le dragon qu'il vient de
vaincre. Enfin le quatrième représente sainte Marguerite, ou, d'après les hagiographes, Alexandra, femme
de Dioclétien, qui, dit-on, fut convertie par la guérison miraculeuse de saint Georges, après son premier
martyre, et fut ensuite suppliciée avec lui. Le peintre lui a donné, à ce qu'il semble, les traits de sa
première femme, Ida van Hasselt.
Par un acte en date du 2 janvier 1587, les archers de Malines demandèrent à Michel de Coxie un
triptyque représentant le même sujet et qui se trouve encore dans l'église métropolitaine de la Belgique; ce
tableau, où on remarque de grandes beautés, fut achevé en une année, comme le prouve la date qu'il porte,
et fut payé 150 florins. C'est encore de ce temps que date la Mort de la Vierge, autre triptyque que les
arbalétriers de Bruxelles firent placer dans l'église Notre-Dame-du-Sablon, et qui, après avoir été transporté
à Paris après la conquête de la Belgique en 1794, fut enlevé du Louvre en 1815, et a été récemment
acquis pour le Musée de Bruxelles. Elle est ornée des armoiries de la famille de Busleydra, dont plusieurs
membres figurèrent dans la magistrature de Bruxelles et, en qualité d'échevins, eurent le commandement
supérieur de la gilde des arbalétriers. On y voit aussi l'écusson des La Tour-Taxis, qui étaient surintendants
héréditaires de l'église du Sablon, et qui enrichirent d'objets d'art ce beau temple.
Une résolution du magistrat de Malines, en date du 6 septembre 1585, prouve que ces tableaux
s'exécutaient souvent au moyen de cotisations personnelles. Les communemestres et échevins décidèrent
alors qu'ils feraient peindre par Coxie, pour l'hôtel-de-ville, un tableau représentant le Christ en croix, la
Vierge, saint Jean, la Madeleine au pied de la croix, et, dans le haut, Dieu le Père, et que le peintre
recevrait 300 florins, somme dont chacun d'entre eux payerait une part. Citons, parmi les églises pour
lesquelles notre artiste travailla, celle de Sainte-Gudule, de Bruxelles, où l'on voit, dans la chapelle du
collatéral nord la plus voisine de l'abside, une Cène, avec sujets empruntés il l'Ancien Testament sur les
volets, et, dans les transepts, deux grands triptyques : l'un représentant des Episodes de la vie de
sainte Gudule, l'autre le Crucifiement, le Portement de la Croix et la Déposition au tombeau. Ces deux
derniers furent payés, celui-ci, 700 florins; celui-là, sur le revers duquel on lit que le peintre le peignit
en 1592, à l'àge de quatre-vingt-douzeans, 800 florins.
Cette œuvre fut probablement la dernière à laquelle Coxie travailla. Appelé il Anvers par le magistrat
pour y orner le palais communal, il tomba d'un échafaudage et se blessa. On le transporta i.t Malines, où
il expira quelques jours après, le 5 mars 1592.
La première femme de Coxie étant morte, il avait épousé en secondes noces Jeanne van Sdwlle, avec
laquelle il testa dès le 15 juin 1573, et qui se remaria plus tard à Philippe van Roy. Il n'avait eu d'Ida
van Hasselt qu'un fils, auquel on donna le nom glorieux de Raphaël, comme pour rappeler l'homme dont
le génie avait exercé sur le talent de Coxie une si puissante influence. Jeanne van Sehelle, à son tour,
donna le jour à trois enfants : Michel, Conrad et Anne. Raphaël et Michel adoptèrent la profession de leur
père, mais ni l'un ni l'autre n'ont marqué dans l'histoire de l'art. Raphaël, qui naquit en l'année 1540 et
était déjà marié en 1570, se fixa plus tard à Bruxelles, où il fut reçu dans la bourgeoisie en 1587-1588,
et où il mourut en 1616. On ne connaît qu'un seul de ses tableaux, le Jugement dernier, qui se trouve au
Musée de Gand, où il a été transporté après avoir orné la maison communale de cette ville pendant plus de
deux siècles. Cette œuvre remarquable donna lieu à un long et curieux procès, dont on a, tout récemment,
exposé les principales péripéties. La valeur de la peinture commandée par les magistrats gantois fut évaluée
par quatre experts : Martin de Vos, Ambroise Franck le Vieux, Gilles Mostaert et Bernard de Ricke, qui
en fixèrent le prix à 1,400 florins d'or; mais Raphaël ne trouva pas cette somme suffisante et réclama
encore un cadeau valant 100 florins, ce qui lui fut, en effet, adjugé par le Conseil de Flandre, le
12 juillet 1597. Y compris les frais du procès et d'autres dépenses de différente nature, le Jugement
dernier coûta 2,085 florins d'or, chiffre considérable pour J'époque. Raphaël de Coxie eut la gloire de
former Gaspar de Crayer, l'un des meilleurs artistes de l'école flamande. Comme celle de Van Orley, la
famille Coxie se perpétua longtemps
9
encore, et, au commencement du dix-huitième siècle, tandis qu'un de
ses membres occupait la haute dignité de président du Conseil privé, d'autres descendants du peintre de
Philippe Il maniaient encore le pinceau.

Vasari et Guicciardin vantent l'habileté de Coxie, et, en effet, ce peintre dessinait et composait avec art.
Dans ses tableaux, les nus, exécutés dans le style italien, trahissent une habileté remarquable, et çà et là,
on remarque des raccourcis exécutés avec hardiesse et parfaitementréussis. Coxie avait à un haut degré
le sentiment de l'élégance, et, de même que les premiers peintres de l'école flamande, aimait à écarter les
détails des supplices qui auraient pu révolter le spectateur. Ses têtes de femmes sont souvent de vrais types
de grâce; mais il ignore l'art de concentrer l'intérêt sur le personnage principal; dans les Cènes que
possèdent le musée et l'église de Sainte-Gudule, de Bruxelles, la figure du Christ est de la plus entière
insignifiance, et s'efface devant de belles têtes d'apôtres, qui ne sont peut-être que des réminiscences.
La recherche dans les poses et l'exagération des contours, constituent encore, chez Coxie, deux défauts
graves, qui trahissent chez lui une tendance malheureuse à se rapprocher de Michel-Ange et da ses
imitateurs. »
*

WAUTERS.

MŒIIBŒIK IT0
HHDIIOLÏMHS
Nous avons puisé la plupart des faits que nous venons A Saint-Pierre, dans la même ville, se trouve un autre
d'exposer dans*une notice écrite par M. Goethals (Lectures triptyque où l'on voit le Portement de la Croix, le Crucifie-
relatives il l'histoire des Sciences, des Arts, des Lettres, etc., ment et la Résurrection.
en Belgique, tome III, pages 106 à 117). Quelques détails Au Musée d'Anvers appartiennent, outre le Martyre de
nouveaux sur Coxie nous ont été révélés par M. Seffen, de saint Sébastien, déjà cité, quatre tableaux ayant servi de
Malines (Vlaemsche School, année 1556, p. 17 et 27), et Pin- volets à une composition plus importante et offrant des épi-
chart (Archives,et dans la Revue universelle des Arts, t. III, sodes de la Légende de saint Georges, et le Triomphe du
passim). Sur Raphaël de Coxie, voyez un travail de M. de Christ, qui ornait anciennement un tombeau dans la cathé-
Busscher, dans les Bulletins de l'Académieroyale de Belgique drale.
(2C série, t. XVI). A Saint-Jacques, église d'Anvers célèbre par la quantité
Van Mander, et, d'après lui, Descamps, placent en l'année de tableaux qu'elle renferme : Saint Jean baptisant le Sau-
1497 l'époque de la naissance de Coxie; mais plusieurs dates veur.
placées par le peintre lui-même sur ses tableaux prouvent A Saint-Bavon, à Gand : la Parabole du mauvais riche,
qu'il ne naquit que deux ans plus tard. avec volets représentant les sept œuvres corporelles de mi-
Nous n'avons pas cru devoir revenir à l'orthographe Van séricorde; Saint Jean-Baptiste et le Chanoine Jean de
Cocxyen, parce que le nom de Coxie a reçu le baptême de la Hertoghe.
traduction et reproduit le nom flamand sans altération no- A Saint-Jacques, autre église de Gand : la Nativité, le
table. Crucifiement et la Résurrection.
Outre la Mort de la Vierge, dont nous avons parlé, le Musée Au Musée de Madrid : la Mort de la Vierge, provenant de
de Bruxellespossède'un Couronnement d'épines, où le Christ l'église de Sainte-Gudule, de Bruxelles, à laquelle elle fut
est représenté dans une attitude pleine de noblesse; une achetée par le roi Philippe 11 ; la partie inférieure représente
Cène, avec volets; le Couronnementd'épines et l'Agonie au la Vierge couchée et vénérée par un ange et les apôtres ; dans
jardin des Olives, triptyque dont la dernière partie offre le haut, elle s'élève au ciel, entourée d'esprits célestes. A
un effet de nuit remarquable. l'Escurial : le Christ et la Vierge intercédant auprès de Dieu
Cette Cène vient de l'église de Sainte-Gudule, où l'on le Père; Sainte Cécile, tableau qui a appartenu à Rubens;
voyait encore, outre les vitraux de la chapelle du Saint-Sa- la Descente de croix; Joachim et sainte Anne; David vain-
crement et les trois triptyques que nous avons mentionnés queur de Goliath.
à la fin de notre travail: une Résurrection de Lazare, un « Chez les Carmélites déchaussées de Medina del Campo,
Ecce Homo et un Saint Jean-Baptiste, qui ont disparu. dit M. Michiels, on voyait une Résurrection, avec person-
Dans la cathédrale de Malines sont placés : le Martyre de nages de grandeur naturelle. »
saint Sébastien, peint en 1587; le Martyre de saint A la Pinacothèque de Munich : Sainte Barbe, tableau qui a
Georges, triptyque qui a été exécuté pour la gilde des arbalé- été lithographié par Stricxner.
triers; la Circoncision, où le peintre s'est représenté lui- A Vienne : Marie et l'Enfant Jésus.
même, et où la scène se passe dans un temple immense de A Prague : Saint Jean dans l'île de Pathmos et le Martyre
style grec, dù au pinceau de De Vries. de saint Veit ou Vith, volets du tableau du maître autel.
Dans le Musée communalde Louvain figure une Ascension, Plusieurs graveurs, et notammentJean Sadeseer, qui vivait
triptyque qui ornait jadis la tombe du secrétaire de Charles- en 1575, ont gravé d'après Coxie.
Quint, Morillon, mort en 1548.
[texte_manquant]
PIERRE PORBUS ET FRANÇOIS PORRUS
t>

NÉ EN 1610. 1684 NÉ EN 1540. MORT F.N 1:;80.


— MORT EN —

Il ne faut pashésiter à ranger Pierre Porbus et son


fils François parmi les meilleurs portraitistes du seizième
siècle. Par leurs patientes méthodes, par leur respect
pour le caractère individuel des personnagesquiposèrent
devant eux, les deux peintres flamands se rattachent à
la grande école dont Holbein demeure l'initiateur et le
modèle souverain. Moins savants que lui, mais non moins
sincères, Pierre et François Porbus ont la passion de la
vérité : ils recherchent naïvement l'accent spécial des
physionomies; ils disent tout, même ce que les idéalistes
aimeraient à cacher, et leur loyal pinceau exprime sur
les visages généreusement frappés de lumière les détails
précis de la ressemblance intime.
Pierre Porbus — ou Pourbus — était d'origine
hollandaise. Il naquit à Gouda, vers 1510 (la date
exacte n'a [pas encore été trouvée par les fouilleurs
d'archives), et il vint, très-jeune, se fixer à Bruges,
qui fut dès lors pour lui comme une seconde patrie.
Quelques écrivains ont prétendu qu'il reçut def leçons de Lancelot Blondeel, mais le fait peut paraître
douteux pour peu que l'on compare la manière des deux maîtres. Il est certain toutefois que Pierre
Porbus épousa la fille du vieux peintre brugeois, qui, après avoir été maçon pendant sa jeunesse, occupait
dans la ville une situation honorée et très-lucrative. Cette alliance porta bonheur à Pierre Porbus, que son
latent mit d'ailleurs bien vite en lumière. Quoique les renseignements positifs sur sa vie soient encore
assez rares, on sait aujourd'hui par les précieuses recherches de M. James Weale qu'il fut reçu en 1540
membre du Vieux-Serment des Arbalétriers de Saint-Georges. Trois ans après, le 26 août, il acquérait le
titre de franc-maître de la corporation de Saint-Luc, qui lui confia, à diverses reprises, des fonctions
importantes, et qui lui conféra par deux fois, en 1569 et en 1580, le titre de doyen. A cette dernière
époque, Pierre Porbus était déjà un vieillard; sa vie cependant se prolongea quelques années encore :
il mourut le 30 janvier 1584, à Bruges ou à Anvers, car les historiens ne sont pas d'accord sur ce point.
Les comptes de la ville et ceux du Tribunal du Franc font connaître que Pierre Porbus fut souvent
employé par les échevins et par les magistrats de Bruges. La souplesse de son talent, son esprit
éternellement actif, le rendaient apte aux travaux les plus divers. Comme son beau-père Lancelot Blorideel,
il était quelque peu architecte et ingénieur. Il présida plusieurs fois à l'organisation des fêtes publiques, et
il improvisa, pour les réjouissances populaires, des décorations somptueuses. Il était de plus topographe,
arpenteur, agrimensore, comme dit Baldinucci. Il fut chargé de lever le plan des environs de Bruges et il
l'exécuta en détrempe sur une vaste toile. Pour tout dire en un mot, il était de la race de ces vaillants
artistes du seizième siècle, dont la libre intelligence s'ouvrait à toutes les conceptions, et dont la main
savante était capable des plus minutieux comme des plus importants travaux.
Dans le domaine de la peinture
— et c'est là surtout ce qui doit intéresser les lecteurs de ce livre —
Pierre Porbus a exécuté, indépendammentd'excellents portraits, un certain nombre de tableaux religieux
dont quelques-unssont encore conservés dans les églises et à l'Académie de Bruges. C'est là, c'est au Musée
de cette ville, qu'on peut voir son chef-d'œuvre, le grand tableau du Jugement dernier, qu'il peignit pour
le Tribunal du Franc, en 1551, c'est-à-dire lorsque son talent était dans toute sa force. Bien que cette peinture
soit datée du milieu du seizième siècle, elle rappelle, par la disposition des groupes qui y figurent et par
sa signification générale, le principe religieusementtraditionnel qui guidait en pareil cas les artistes des
époques précédentes. Dans la partie supérieure du tableau, on voit le Christ trônant et assis sur
l'arc-en-ciel. Au-dessus, dans la profondeur sereine de l'éther, planent deux anges, tenant l'un une épée,
l'autre la tige d'un lis. A la droite du Christ est la Vierge, entourée de plusieurs saints. La partie
intermédiaire de la composition est occupée par divers groupes : ici, ce sont des justes auxquels des
anges ouvrent les chemins du ciel; là, des réprouvés que des démons, naïvement terribles, précipitent
dans les abîmes. Sur le premier plan est représentée la Résurrection des morts avec les divers épisodes
qu'un pareil thème peut fournir à l'imagination d'un peintre habile et convaincu. Et c'est la conviction, en
effet, qui éclate dans cette peinture. Quoique Pierre Porbus, placé entre deux écoles, soit aussi loin
de la naïveté charmante des maîtres primitifs que de la grandeur des peintres de la Renaissance, la
sincérité de l'émotion est devenue une force chez lui, et l'impression morale qu'il a éprouvée, il a su la
rendre visible à tous. Le tableau de la Résurrection du Christ, que possède le Musée du Louvre, est loin
de réunir les mêmes qualités. La composition est médiocrement originale; la figure du Christ est d'un
dessin grêle et mesquin ; la peinture est à la fois débile et sèche. Le vieux Porbus est assurément un
maître loyal ; mais il a eu, comme tant d'autres, ses heures de tristesse et d'ennui.
Aussi n'est-ce point dans de pareils tableaux qu'il faut étudier le talent de Pierre Porbus : ses peintures
religieuses sont ordinairement accompagnées de volets où sont représentés les donateurs en leurs dévotes
attitudes. C'est dans ces portraits que Pierre Porbus fait merveille. Son pinceau sérieux excelle à reproduire
dans leur réalité intime, dans leurs costumes de tous les jours ces gentilshommes ou ces bourgeois
flamands, à genoux, les mains jointes, physionomies familières auxquelles la conviction religieuse donne
je ne sais quelle émouvante gravité. Et ce ne sont pas seulement le père et la mère que Porbus agenouille
ainsi devant le panneau central de son triptyque: il place les enfants auprès des ancêtres; d'un côté,
les fils sévèrement vêtus de leurs pourpoints noirs; de l'autre, les jeunes filles, le visage à demi caché
sous les coiffes blanches. Les églises de Bruges sont remplies de ces tableaux naïfs, portraits pleins de
netteté et inondés de lumière où revit le tendre génie des générations disparues.
François Porbus, son fils, est peut-être plus habile, mais il n'a pas cette candeur touchante. Né à Bruges,
en 1540, il appartient davantage à l'esprit, aux tendances du seizième siècle, et il est d'autant mieux

conquis aux méthodes nouvelles qu'après avoir reçu les premières leçons de son père, il alla demeurer à
Anvers, où il devint l'élève de FransFloris. Aussi, sans avoir mis le pied en Italie, François Porbus a connu
d'une manière indirecte les élégances du style ultramontain. On assure qu'il s'associa à la famille de son
maître, en épousant sa nièce, la fille de l'architecte Corneille de Vriendt. En 1564, d'après Baldinucci,
en 1569, d'après le catalogue du Louvre, il fut reçu franc-maître de Saint-Luc, et il consacra dès lors au
travail tous les instants d'une vie qui ne devait pas être de longue durée.
Comme son père, François Porbus fut un portraitiste exact et sincère : il prit souvent plaisir à introduire
dans les compositionsreligieuses qu'il peignait pour les couvents et les églises,les effigies de ses contemporains
ou de ses amis. Dans le tableau qu'on voit aujourd'hui à Saint-Bavon, et qui représente le Christ au milieu
des docteurs, on reconnaît, dit-on, quelques-uns des personnages de la cour de Philippe II, et il semble
évident, en effet, que la plupart des figures réunies dans ce tableau ne sauraient être que des portraits, tant
elles ont un caractère individuel et précis. Quant au style de François Porbus, c'est celui d'un élève intelligent
de Frans Floris, c'est-à-dire qu'il combine avec le goût flamand les influences d'un italianisme assez
prononcé. Ce double caractère est visible, non seulement dans le Christ au milieu des docteurs, que nous
venons de citer, mais encore dans la Résurrection de Lazare, de la cathédrale de Tournay, et dans les
compositions que Sadeler a gravées d'après lui, telles que la Conversion et le Martyre de saint Puul, et la
Chaste Suzanne. Mais cet art, où se trahit un imitateur timoré, n'est qu'un art de seconde main; il faut
préférer à ces œuvres sages et froides les portraits, vrais et sentis, que l'artiste faisait sous l'impression
directe de la nature.
Baldinucci. traduisant Carle Van Mander et ajoutant à son récit quelques fleurs de rhétorique italienne,
a raconté la mort prématurée de François Porbus. Decamps résume ainsi leur témoignage: « La ville d'Anvers
l'avoit nommé enseigne dans sa milice bourgeoise, ce qui fut cause de sa mort. S'étant fort échauffé à
jouer du drapeau, il fut se reposer au corps de garde, près duquel on venoit de vuider un égout. Il se
trouva incommodé, tomba malade et mourut promptement, âgé de quarante ans, en 1580. »
François Porbus laissa un fils qui porta le même nom que lui, et qui ajouta à la gloire de la famille une
illustration de plus, en devenant le peintre de Henri IV et de Marie de Médicis. Le lecteur trouvera -dans la
suite de ce livre le récit de sa vie et l'examen de ses œuvres. Le dernier des Porbus a certainement
mérité sa renommée, mais il a trop fait oublier les deux peintres dont il porte le nom, et dont l'œuvre, si
grave et si vivant, complète pour le voyageur l'impression mélancolique qu'il rapporte d'une visite à
Bruges: que saurions-nous des échevins, des hommes de cour, des religieuses, des savants, des prélats
qui se pressaient dans les rues de la ville, si Pierre et François Porbus ne nous en avaient rien dit?
PAUL MANTZ.

M(EMMM§ IIT îlllUIttffi


PIERRE PORBUS. — MUSÉE DU LOUVRE. — La Résur- ÉGLISE SAINT-JACQUES. -Sotre-Dame des Douleurs, avec
les portraits de J. Van Belle et de Catherine Hylaert (1556).
rection de Jésus-Christ. Ce tableau, donné au roi Louis-Phi-
lippe par M. Vatout, porte l'inscription suivante : P. Povrbvs — Ex-Voto de la famille Van Male (1578).
faciebat Ao Dni 1566. BRUXELLES. — J. Van der Gheenste, échevin de Bruges.
BRUGES (ACADÉMIE.) — Le Jugement dernier, signé P. P. ROTTERDAM. — Portrait de femme.
1551, et provenant du Tribunal du Franc. Un triptyque et VIENNE. — Un homme en vêtement noir ; Gusman, comte
ses volets. — La peinture principale représente la Descente de d'Olivarès, portrait d'homme à barbe rouge (1558).
Croix : sur les volets sont le Portement de la Croix et la
Résurrection. Le soubassement, ou la prédelle, est divisé en FRANÇOIS PORBUS. — AMSTERDAM. — Élizabeth, reine
trois compartiments où sont figurées l'Adoration des Bergers, d'Angleterre (acquis à la vente Van Hulzt, en 1737, et paye
Y Annonciation et la Circoncision. Ces peintures, exécutées KO florins).
BRUGES (HÔPITAL SAINT-JEAN.) — L'Échevin Van Brakele.
t'II 1570, proviennent d'une église de Damine.
Portrait d'homme, portrait de femme, datés de 1551. — Sicolas Van Nieuwenhore.
HOTEL-DE-VILLE. — Vue del'Abbaye des Dunes. BRUXELLES. — Portrait d'homme (1573), reproduit par la
ÉGLISE SAINT-SAUVEUR.
— Un triptyque : au milieu, la gravure, à la page 3 de cette notice.
Cène; sur les panneaux, le prophète Elie, Abraham et COPENHAGUE.
— Portrait d'homme (1573).
Melchisédech.D'après M. Weale, ce tableau aurait été peint GAND. (SAINT-BAVON.) — Jésus-Christ au milieu de

en 1559. Docteurs. Gravé au trait par Normand.


ÉGLISE NOTRE-DAME. Portraits d'Anselme de Boedt TOURNAY(CATHÉDRALE.;—LaRésurrectionde Lazare ( 1575).

et de Jeanne Voet (1573). — La Cène, signée P. Pourbus VIENNE. — Un Chevalier de l'ordre de Calatrava; une
faciebat, 1562.— Un triptyque représentant VAdoration des Dame; un portrait d'homme (1568).
Bergers, avec les portraits des membres de la famille VENTE DU GÉNÉRAL D'ARMAGNAC (février 1857). — La
Damhoudere (ibli). — Autre triptyque représentant le Visitation, la Vierge et l'Enfant Jésus. Ce dernier tableau est
Christ 1'11 Croix, et deux autres sujets. signé: F. PorRBVS.
Scafe f7Íamande

FRANS FLORIS (FRANÇOIS DE VRIENDT)


NÉ VERS 1520. — MORT EN 1570.

Je ne sais pourquoi les beaux esprits qui ont raconté, en la


défigurant, l'histoire de l'art en Flandre, se sont trouvés d'accord
pour décerner à Frans Floris le surnom de Raphaël flamand. Nul,
parmi les peintres de l'école d'Anvers, n'est digne de se mesurer
avec le glorieux maître d'Urbin; mais si, par aventure, quelqu'un
d'entre eux méritait l'honneur de lui être comparé de loin, ce ne
serait certes pas Frans Floris, qui, séduit de bonne heure par les
violences florentines, s'est efforcé d'imiter non le divin Sanzio,
mais Michel-Ange lui-même. Dans quelle mesure il a atteint son
austère idéal, cette étude essaiera de le dire. Ce qu'il importe de
noter d'abord, c'est que, né en ces belles années où le génie de la
Renaissance répandait ses enchantementssur le monde, Frans Floris
oublia son pays, sa race et la loi de ses origines, pour se faire non
pas seulement italien, mais toscan. Nul, parmi les artistes flamands
du seizième siècle, ne renia plus absolument sa nationalité; nul ne
posséda à un aussi éminent degré le don de s'assimiler le style et le tempérament d'autrui; mais c'est là
un jeu plein de périls, et il est regrettable peut-être que l'habile peintre ne soit pas resté plus fidèle à sa
patrie et à ses dieux.
François de Vriendt, qui porta comme son aïeul et comme son père le surnom de Floris,est né à Anvers vers
1520. Il était fils de Claude de Vriendt, auquel les anciens documents donnent le titre de tailleur de pierres,
ce qui veut dire qu'il était sculpteur, ainsi que l'a remarqué Joachim Sandrart, qui le qualifie de statnarius
\
lande dignus Son oncle, Corneille Floris, était aussi sculpteur. Le jeune François grandit dans le culte
des arts. Il avait trois frères qui tournèrent également de ce côté leur fantaisie et leur rêve. Le premier.
Corneille de Vriendt, devint architecte et construisit à Anvers des monuments qui y sont encore fameux 2.
Jacques, le second, se fit peintre sur verre, et l'on sait qu'il a exécuté, entre autres œuvres remarquées,
le vitrail du Jugement dernier, à Sainte-Gudule; le troisième enfin, nommé Jean, préféra la céramique et se
fit même, à ce que raconte Descamps, « une réputation dans la faïence, qu'il peignoit bien. » Philippe 11,
informé de son mérite, le prit à son service et l'appela en Espagne, où il mourut jeune.
Frans Floris suivit d'abord la profession de son père et de son oncle, et, associé à leurs travaux, il passa
ses premières années à sculpter des statues ou des pierres tombales « sive statuas, sive monumenta in
templis sculpendo, Mais ce n'est pas là qu'il devait trouver la gloire; et par un de ces hasards, une de
ces lois plutôt qui se rencontrent si souvent dans les annales des arts, l'enfant qu'on élevait pour en faire
un statuaire devint un peintre illustre.
La Flandre, récemment affranchie des formes naïves de l'art religieux du quinzième siècle, n'avait pas
tardé à regarder d'un autre côté et à s'inquiéter d'un idéal nouveau. Plusieurs de ses peintres avaient déjà
passé les Alpes. Michel van Coxcyen, jeune encore, commençait à faire parler de lui, lorsqu'on vit revenir
d'Italie un maître qui n'occupe peut-être dans la mémoire des curieux qu'une place secondaire, mais qui,
si l'on considère son importance historique, mériterait assurément une renommée meilleure. Le Liégeois
Lambert Lombard avait été conduit il Rome, en 1538, parle cardinal RéginaldPool. Il n'était resté que très-peu
de temps en Italie, mais il y avait étudié les œuvres d'André del Sarte, et
son intelligence ardente et prompte
avait été profondément frappée du génie de la Renaissance; cette grande aurore avait dessillé ses yeux; si bien
que lorsqu'il revint à Liége, il y ouvrit une école où il enseignait publiquement que le moyen âge était a jamais
fini, que l'Italie était le pays de l'idéal. Frans Floris touchait alors à ses vingt ans : troublé et séduit par ces
grandes nouvelles, il quitta Anvers et vint s'établir il Liége pour profiter des leçons de Lambert Lombard.
Il s'étudia d'abord il l'imiter et il y réussit si bien que, plus tard, le vieux maître, jouant sur les mots, se
complut à le traiter de larron, voulant dire par là qu'il lui avait dérobé son secret et sa manière. Une fois
instruit, ou du moins en voie de l'être, Frans Floris revint il Anvers; il y montra des preuves d'un talent
déjà sûr, et, en 1 540. il fut reçu franc maître dans la corporation de Saint-Luc.
Mais son ardent esprit ne pouvait s'arrêter là. Cette merveilleuse Italie dont Lambert Lombard lui avait
fait entrevoir les prodiges, il voulut la connaître par lui-même, et, entraîné par une mystérieuse attraction,
il partit. Cette phase de la vie de Floris est restée fort ignorée. Les historiens italiens ne disent pas plus
que les annalistes flamands à quelle époque il fit ce voyage et combien dura son excursion. Frans Floris
travailla beaucoup d'après l'antique, copiant et dessinant les restes grandioses de cet art perdu, et étudiant
avec une admiration pareille les chefs-d'œuvre des maîtres modernes. Ce fut le jour de Noël 1541, — nous
le savons par Vasari, — qu'après un travail de huit années, Michel-Ange découvrit la grande fresque de la
chapelle Sixtine, ce sombre poëme du Jugement dernier, où il a exprimé toutes les terreurs et aussi toutes
les espérances de son temps. Frans Floris était peut-être à Rome à cette époque, ou sans doute il y arriva
peu après; et, comme tous les artistes d'alors, il subit le charme imposant qui se dégageait de l'œuvre du
maître. Sculpteur jusqu à vingt ans, il était prédisposé, par son éducation même et par les enseignements
de Lambert Lombard, à goùter ces formes au puissant relief et la majestueuse grandeur de ces attitudes
violentes. Floris étudia longtemps la fresque de la Sixtine, et il en garda dans sa mémoire comme une

1 J. Sandrart. Academia nobilissimœ artis pictoriœ. p. 253.


i Corneille de Vriendt a construit à Anvers l'Hôtel de Ville, le bâtiment des Oosterlings, et une maison pour son frère Frans
Floris. 11 est mort en 1575.
éternelle image où revivait toujours ce terrible Jugement. avec la mâle fierté de son dessin héroïque et les
mélancolies de sa coloration monotone, mate, attristée.
Lorsque Frans Floris revint à Anvers, il ne rapportait pas seulement des souvenirs : ses cartons étaient
pleins de dessins il la sanguine, qu'il montra à ses amis étonnés, et qui, pendant le reste de sa carrière, lui
servirent de motifs et de thèmes pour les vastes compositions qu'il entreprit. Un chaud rayon du soleil
d'Italie l'enflamma dès lors et réchauffa sinon son coloris, qui demeura toujours terne, du moins son style,
qui resta libre, large et mouvementé. Ses premières compositions étonnèrent beaucoup les amateurs flamands.
11 y faisait paraître des attitudes si fortes et parfois aussi si tourmentées, il enchevêtrait si vaillamment,

si follement peut-être les personnages et les groupes, il abondait en inventions si compliquées et si nouvelles,
que les gens sages s'inquiétèrent d'abord de ces violences et de ces furies. Mais les artistes, les esprits
jeunes, et bientôt même les grands personnages, se déclarèrent pour Frans Floris et le recherchèrent. Le
prince d'Orange, les comtes de Horn et d'Egmont devinrent ses protecteurs, presque ses amis. Comme il
travaillait très-vite, sa fortune fut bientôt faite; sa renommée se répandit dans les Pays-Bas comme en
Espagne, et, dès lors, dans toutes les occasions importantes, ce fut à lui qu'on pensa d'abord.
Les habitants de Delft ayant résolu de faire peindre un Crucifix pour une de leurs principaleséglises, c'est
il Frans Floris qu'ils s'adressèrent. Descamps rapporte, à ce propos, une anecdote, une légende plutôt, il

laquelle il a l'air d'attacher un intérêt qui nous échappe. Floris s'étant mis en route pour Delft, se détourna
de son chemin et s'arrêta à Leyde, chez Aertgen Claessons, peintre alors fameux, mais oublié aujourd'hui : « Lr.
maître, dit l'historien, n'étoit pas chez lui, mais ses élèves l'introduisirent dans son atelier, qui étoit un
grenier. Floris prit un charbon, et traça sur un bout de muraille blanchie la tête de saint Luc, une tête
de bœuf, et les armes de la peinture. Sitôt qu'il eut fini son dessin, il retourna à son auberge. Aertgen, de
retour, fut averti, par les traits hardis du charbon, qu'un étranger étoit venu.... et n'eut pas plutôt considéré
le dessin qu'il s'écria : C'est Franc Flore, ce ne peut être que lui; ce grand maître s'est donné la peine de
me venir voir.1 » Cette histoire n'est-elle pas renouvelée des Grecs, et ne lit-on pas qu'Apelles et Protogènes
ont eu une semblable aventure ? Mais cette vieille légende prouve que Floris est allé peindre un Crucifix
à Delft, et c'est pour cela que nous l'avons reproduite.
Frans Floris eut d'ailleurs des occasions plus éclatantes de montrer publiquement son savoir-faire.
Lorsque, en 1549, Charles-Quintfit son entrée à Anvers, il fut chargé, avec Jean deVries, de peindre les
arcs de triomphe qui furent placés en divers endroits de la ville. Floris, toujours fidèle à ses souvenirs
d'Italie, apportait aux travaux de ce genre un goùt charmant d'ornementation et en même temps une rapidité
d'exécution qui étonnait les esprits naïfs. On raconte qu'en cette circonstance il peignit en un jour sept
figures grandes comme nature. Ce tour de force dut surprendre en effet à une époque où l'école flamande,
timide encore, n'avait pas acquis cette liberté de pinceau qu'elle devait plus tard pousser si loin.
Les travaux de cette sorte convenaient d'ailleurs admirablement au fougueux génie de Frans Floris.
Quelquesannées après, lorsque Philippe II fit il son tour son entrée solennelle à Anvers, l'ancien disciple de
Lambert Lombard peignit à cette occasion un vaste tableau représentant la Victoire debout au milieu défigurés
captives qui symbolisaient les peuples vaincus par l'Espagne. Cette composition, qui se détachait comme en
relief sur un fond formé de trophées et d'armes entassées, était tout à l'honneur du souverain qui devait
bientôt malmener si durement les habitants des Pays-Bas. Floris prit soin de faire graver ou peut-être de
graver lui-même, en 1552, cette allégorie si cruellementoublieuse du sentiment national, et il l'accompagna
de six vers où Philippe II est presque déifié. Faut-il croire que François de Vriendt, si peu flamand par son
style, ne l'était pas davantage par le cœur?
Mais ce n'est pas dans ces ouvrages décoratifs, improvisations d'un jour destinées à disparaître le
lendemain, qu'il faut chercher le véritable talent de Frans Floris. Son chef-d'œuvre est au musée
d'Anvers : c'est la Chute des Anges rebelles, composition achevée en 1554, c'est-à-dire au moment où
Floris était déjà dans toute sa force. Ce tableau, qui fut peint pour décorer l'autel de saint Michel,
patron des escrimeurs, se divise, pour ainsi dire, en deux zones d'un caractère tout différent.
La partie supérieure représente les esprits célestes qui, restés fidèles à la loi de Dieu, repoussent les
anges déchus; la partie inférieure nous montre ces esprits maudits chassés de l'empirée et retombant
dans les abîmes. C'est comme une bataille qui se livre dans les régions douteuses où finit le ciel, où
l'enfer commence. La lutte est acharnée et terrible : trois anges, très-beaux et très-purs de des-in, s'attaquent
au chef des démons, à Lucifer, sorte de dragon qui se tord dans les convulsions de la rage. Les autres
auges rebelles ne sont ni moins étranges ni moins fantastiques : Floris a conservé à leur corps la
forme humaine, mais il leur a donné des têtes de bouc, des hures de sangliers, des queues de vipères, des
serres d'aigles, des griffes de tigres. Jamais le moyen âge, jamais la légende populaire ne virent passer dans
leurs nocturnes cauchemars une armée plus bizarrement diabolique. Les habitants du ciel ont, au contraire,
dans le tableau de Frans Floris, une beauté rayonnante et sereine, et il se mêle à leur force une grâce qui
se souvient de l'Italie et qui y fait songer. Cette composition, à la fois mouvementée et tranquille, fantastique
et réelle, est, nous Ip. répétons, l'œuvre la mieux réussie de François de Vriendt : il faut l'avoir étudiée
longtemps pour comprendre la valeur d'un maître que la France ignore trop.
Les comptes de la cathédrale de Notre-Dame d'Anvers nous apprennent qu'en 1559 Frans Floris
travailla pour cette église. On sait, en effet, qu'il peignit d'une part une Assomption de la Vierge, dont la
trace s'est malheureusement perdue 2, et, d'autre part, une Nativité que, selon toutes les vraisemblances.

' Descamps, Vie des Peintres flamands, 1.1, p. 68.


' D'après Descamps, ce tableau « fut détruit pendant les troubles du pays : d'autres disent qu'il fut enlevé et qu'il est encore
conservé avec beaucoup de soin en Espagne. » La Vie des Peintres flamands, 1753, t. 1, p. 1Il.
il faut reconnaître dans le tableau que le musée d'Anvers conserve sous le titre de l'Adoration des bergers.
Le petit Jésus est couché dans la crèche, la Vierge agenouillée adore en lui le Dieu qu'elle vient d'enfanter.
D'un côté des bergers s'avancent portant leurs offrandes, et de l'autre des paysans, des femmes, figures d'une

rusticité austère et charmante, s'empressent autour du nouveau-né et lui font fête. Ce tableau, qu'il faut
considérer comme un des plus importants dans l'oeuvre de Frans Floris, est surtout remarquable par
.l'expression: les têtes sont fines et douces; les accessoires, les animaux, sont peints avec une largeur savante.
Le seul regret que nous puissions émettre à propos de cette peinture, c'est
que, comme dans la Chute des
Anges rebelles, comme dans le Jugement dernier du musée de Bruxelles, le coloris abonde en gris roux,
en
tons neutres, et paraisse si effacé et si terne. Il n'est pas douteux que le principe de cette coloration
attristée ne fut, pour le pinceau de François de VriendL, un ressouvenir de la fresque de Michel-Ange.
Dans les sujets tendres, tels que l'Adoration des Bergers, que nous venons de décrire, et tels aussi que la
Sainte Famille, dont Antoine Wiérinx nous a laissé une gravure, Floris semble oublier le grand maitre toscan,
pour se rapprocher du génie plus doux d'André del Sarte. On conçoit combien le Flamand italianisé est loin
de la grâce de celui qui fut surnommé Andrea senza errori, non pas tant à cause de sa correction qu'à
cause de la parfaite harmonie de ses contours délicieusement déroulés. Frans Floris n'a point cette séduction
toujours victorieuse; souvent même, comme dans la Naïade, comme dans la Daphné, son dessin présente
des angles violents, des lignes qui se coupent d'une manière désagréable. Mais le modelé de ses figures nues
montre parfois des délicatesses ex-quises, et sa science, puisée à l'école des maîtres florentins, s'enveloppe
de douceur, se revêt d'un charme attendri.
Ainsi, apte à tous les genres, peintre de mythologies et de saintetés, Frans Floris vit de bonne heure
venir à lui le succès et la fortune. Malheureusement, il ne sut gérer ni son talent, ni sa richesse. Des
que l'aisance eut frappé à sa porte, il commença à vivre largement et ne refusa plus rien il sa
fantaisie d'artiste. Il eut d'abord l'ambition d'être bien logé, et appelant à son aide son frère l'architecte,
il se fit construire à Anvers une maison splendidement décorée dans le goût antique, et il en orna
lui-même la façade de figures allégoriques qui, de loin, ressemblaient à des statues de bronze, Ces dépenses
compromirent gravement sa fortune, et pour payer sa demeure princière, Floris, appauvri, fut obligé
de travailler comme un ouvrier. Malheureusement, le laborieux artiste n'avait pas su se préserver d'un
vice assez fréquent dans la Flandre du seizième siècle. Sa vie n'était pas exempte, selon l'expression
adoucie de Florent le Comte de « quelques petits dérèglements » Cela veut dire , — car il n'est
,
pas possible de le dissimuler davantage, — que Frans Floris était un buveur déterminé. Bien loin de
chercher à cacher ce vilain côté de son ardente nature, il était plutôt disposé à s'en faire gloire, et les
historiens qui ont parlé de lui enregistrent avec complaisance le récit des hauts faits qui signalèrent sa
carrière bachique. 11 avait, avec les plus illustres buveurs de son temps, des luttes véritablement inouïes, et
presque toujours il en sortait vainqueur. Vainement ses meilleures amis essayèrent de le guérir de cette passion
fatale. Thierry Cornhert, qui était à la fois un bel esprit et un artiste, et qui avait gravé ses tableaux du
Jugement de Salomon et de la Visite de la reine de Saba, crut trouver dans sa vieille amitié pour Frans
Floris le droit de lui adresser une réprimande poétique. Il liii envoya une lettre en vers, où il supposait
qu'Albert Durer lui était apparu en songe, et qu'après avoir fait du talent de Floris le plus vif éloge, il avait
blâmé les excès honteux de sa vie. L'apologue était ingénieux ; mais les buveurs sont incorrigibles, et
Cornhert en fut pour sa poésie et sa morale. Floris continua il vivre de la même sorte... Et qui sait? Si
cet ingénieux esprit se réfugiait ainsi dans les joies vulgaires de l'ivresse, c'est sans doute qu'il avait
quelque chose à oublier. Les historiens nous apprennent que François de Vriendt était marié à une femme
acariâtre et sotte : peut-être est-ce là qu'il faut chercher le secret de son vice persistant.
Frans Floris garda toujours d'ailleurs, au milieu de son apparent désordre, l'étincelle sacrée qui fait
l'artiste. Bien des fois ses élèves le virent rentrer chez lui, l'œil allumé, la lèvre en feu, les jambes
titubantes; mais en se retrouvant devant son chevalet, Floris ressaisissait peu à peu sa raison perdue, et, prise
alors d'une activité fiévreuse, son imagination surexcitée lui dictait de puissantes fantaisies. Son pinceau
courait sur la toile, et, guidé par je ne sais quel clairvoyant génie, — il y a un Dieu pour les buveurs, —
Floris donnait la vie aux plus audacieuses conceptions du rêve. Les tableaux qu'il produisit dans ces jours
d'ivresse lumineuse abondent en attitudes exagérées, en complications infinies : ce sont les songes bizarres
d'un élève de Michel-Ange devenu fou.
Le seizième siècle avait entraîné Floris par toutes ses séductions à la fois. Esprit lettré, amoureux de la
fable antique et de ses mensonges enchantés, il se plaisait aux mythologies, aux emblèmes, et c'était une joie

1 Cabinet des singularités, t. Il, p. 216.


pour lui lorsqu'il pouvait décorer une maison luxueuse de ses peintures symboliques. Tous ces sujets qui,
depuis cette époque, ont un peu vieilli, mais qui étaient alors dans leur nouveauté première, les Cinq
Sens, les Saisons, les Éléments, occupèrent tour à tour son pinceau ingénieux. Aussi le vit-on profiter avec
empressement de l'occasion qui lui fut offerte de peindre deux vastes salons dans la maison de plaisance
d'un riche curieux d'Anvers, Nicolas Jonghelingh. Il décora la première salle de dix grands tableaux
représentant les Travaux d'Hercule, compositions mouvementées et vigoureuses dont Jérôme Cock a fait
l'objet d'une publication intéressante : une des planches du recueil porte la date de 1563. Ce travail à

peine achevé, Floris peignit chez Jonghelingh un second salon où il représenta,


en sept panneaux, les Arts
et les Sciences : la Grammaire, la Dialectique, l'Arithmétique, la Rhétorique, la Musique, la Géométrie et
l Astrologie furent représentées
sous un voile emprunté au symbolisme antique dans cette galerie qui dut
être terminée avant 1565, date du recueil gravé qu'en fit faire ce même Jérôme Cock, éditeur ordinaire
des œuvres de Frans Floris.
Ces grandes peintures furent les derniers travaux de ce
genre exécutés par François de Vriendt. Il faut
dire que les temps devenaient difficiles, et que déjà l'Espagne posait
sur la Flandre une main de plomb. Le
sang commença a couler sur les places publiques ; les deux meilleurs protecteurs du peintre les comtes
d'Egmont et de Horn furent décapités le 5 juin 1568. Les jours des douces allégories étaient passés. Au
milieu des tragédies qui l'entouraient, Floris revint,
sans avoir peut-être une exacte conscience de
ce qu'il faisait, aux sujets graves, aux motifs douloureux. Il entreprit, pour un personnage que les historiens
désignent sous le titre du « Grand-Prieur d'Espagne, » deux vastes tableaux qui n'avaient pas moins de
vingt-sept pieds de hauteur. Le premier représentait le Christ en croix. Mais Floris, plaçant l'espérance
il côté du deuil, avait peint dans le second la Résurrection du Sauveur. L'artiste ne put achever ces deux
grandes compositions : il mourut le 1er octobre 1570, âgé de cinquante ans environ, usé par un constant
travail et peut-être aussi par les désordres de sa vie. Les volets de ces tableaux furent terminés par deux
de ses meilleurs élèves, François Pourbus et Crispian Van den Broecke.
Frans Floris laissa, indépendammentd'un grand nombre de disciples, parmi lesquels on doit citer Martin
de Vos, Lucas de Ileere et Martin van Cleef, deux fils, dont l'un nommé François, comme son père, a
longtemps travaillé en Italie, où il se fit surtout connaître par des tableaux de petite dimension.
Baldinucci lui a fait l'honneur de lui consacrer quelques lignes élogieuses.
L'influence de Frans Floris sur les artistes de son temps fut considérable : sans doute le génie italien
avait pénétré en Flandre avant lui, mais par l'autorité de son œuvre constamment applaudi, par le
caractère de son imagination, tour à tour fougueuse ou délicate, par le prestige qui s'attachait naturellement
à un peintre qui imitait si savamment Michel-Ange ou André del Sarte, il eut l'honneur de discipliner
presque toutes les fantaisies contemporaines et d'organiser une grande école qui régna florissante et
admirée jusqu'aux premières années du dix-septième siècle. Toutefois, cette école, plus italienne que
flamande, avait contre elle les traditions anciennes du pays et les résistanceséternelles du tempérament
national. Elle ne peut donc compter dans l'histoire de l'art en Flandre que comme un intermède pendant
lequel d'habiles rhétoriciens occupèrent un instant la scène; mais ils n'eurent pas le temps d'achever la
pièce. Rubens, survenant tout à coup, mit en fuite ces comédiens étrangers, et l'école, rendue à elle-même,
recommença à parler flamand.
PAUL MANTZ.

MIlIEMiUÎS N RBIDUMTMBS.
La renommée de François Floris a eu beaucoup à souf- glise Notre-Dame-des-Victoires sur le Sablon, présente une
frir des troublesreligieuxqui agitèrent les Pays-Bas au seizième singularité qui doit être signalée. « Au bas du volet gauche,
siècle : plusieurs de ses tableaux ont péri, et ne nous sont plus dit M. A. de Montaiglon, un écusson est répété avec ces trois
connus que par la gravure. Balthazar Sylvius, Lyefrinck, dates, 1565, 1588, 1630, et trois bustes d'hommes, les mains
Wierinx, Corneille Cort, et surtout Philippe Galle, ont repro- jointes comme des donateurs, et dont les types se rapportent
duit les plus importantes de ses compositions,et souvent ils en bien à ces dates. Les têtes ont évidemment été ajoutéesaprès
ont exagéré le caractère et la violence. coup, et peintes, deux fois au moins, par une autre main que
Parmi les tableaux qui restent de Floris, nous devons citer : celle de Floris, mort en 1570. » (Le Musée de Bruxelles, 1850.)
MusÉE D'ANVERS. — La Chute des Anges rebelles. Ce ta- Sainte Famille. (Tableau douteux.)
bleau, qui est signé FF. IV. ET. F. A. 1554, a été peint pour BERLIN. — Vénus embrassant l'Amour; Loth et ses filles;
l'autel du Serment des Escrimeurs, à la cathédrale d'Anvers. les Filets de Vulcain. Ce tableau est signé : 1547. F.F.IV.
Il a figuré au Louvre sous le premier Empire. COPENHAGUE. Juda et Thamar.
Saint Luc. C'est le portrait du peintre Ryckaert-Aertsz. FLORENCE. — Adam et Ève. 1560.
Floris s'est représenté lui-même sous les traits du personnage VIENNE. — Adam et Ève sous l'arbre de la science; Adam
qui, placé derrière le saint, est occupé à broyer des couleurs. et Eve chassés du paradis ; la Sainte Famille.
(Cette composition provient de l'ancienne Académie d'Anvers.) VENTE DU PRINCE DE CONTI. 1777. — Le Festin des Dieux,
Adoration des Bergers. Ce tableau a longtemps figuré sur compositionde sept figures, 531 livres; Vénus sortant du bain
l'autel des Jardiniers, à la cathédrale d'Anvers. accompagnée des trois Grâces, 1,760 livres.
BRUXELLES.
— Le Jugement dernier. Cette peinture, qui VENTE NOGARET. 1807. Diane découvrant la grossesse de
était placée sur l'autel de la chapelle du Serment, dans l'é- Calisto; composition de dix figures. 699 francs.
Seo/e !J!ÍtlfllanC!e. rael- ////./ cie jU'nJ'e, Séenej^in&iéâaaea, J^auaaaed.

BREUGHEL DES PAYSANS


- - BREUGHEL D'ENFER, NÉ
NÉ EN 1530? MOIIT EN 16.. ET EN 1574? - MORT EN 16371

Deux mérites distinguent spécialement les hommes


dans toutes les carrières, l'esprit d'initiative et le talent
d'exécution.
Le premier s'avance partout comme le trappeur des
forêts américaines l'œil et l'oreille aux aguets. Loin de
,
chercher les routes battues, il les fuit; loin de compter
sur l'expérience de ses prédécesseurs, il examine, il juge
tout par lui-même. Aucun objet, aucune circonstance
dont il puisse tirer parti n'échappe à son observation. Il
marche dans le désert avec la sagacité d'un explorateur,
et se crée un domaine du lieu où il dresse sa tente, où
il allume son foyer, sous un ciel inconnu.
Le talent d'exécution possède d'autres avantages. En
lui la pensée trouve un serviteur fidèle, qui seconde ses
projets, qui réalise ses plans. Aussitôt qu'il paraît, les
idées prennent un corps : l'argile devient statue, le marbre devient temple. Il est l'intermédiaire obligé
entre le monde intellectuel et le monde positif, où rien d'ébauché, d'incomplet, ne saurait vivre et ne
possède de valeur. Batelier magique, les ombres destinées à revêtir une forme palpable glissent avec lui
des brumeuses régions du possible dans l'univers réel que nous habitons.
Ces aptitudes sont souvent désunies, souvent associées d'une manière inégale : l'une ou l'autre domine
et rompt toute proportion. Elles n'obtiennent pas. d'ailleurs
un succès du même genre. Les contemporains
apprécient mieux l'invention et l'originalité : ils savent au juste
en quoi une œuvre diffère des œuvres
précédentes. Peu il peu le souvenir de l'innovation
se perd, et la postérité n'en tient plus compte.
L'habileté du travaille éclipse alors le mérite de l'initiative C'est qui
ce est advenu pour Pierre Breughei.
Pore d'une famille illustre, représentant à^une
avec opiniâtreté les goûts spéciaux de l'école flamande,
époque où tous les peintres des Pays-Bas imitaient l'Italie et il'
se détournaient de la nature, excite
maintenant peu d'intérêt parmi les amateurs. Il ressemble aux portraits
que le temps dégrade dans les salles
d 'tiii vieux château et qu'on abandonne à
ses ravages, quoique l'un d'eux figure l'aïeul des propriétaires.
On ne sait quel nom portait la famille de notre artiste. Originaire
de Breughel, village situé non loin
de Bréda, il tut désigné toute sa vie d'après le lieu de
sa naissance, comme les seigneurs d'après leurs
domaines. Suivant les uns, il aurait vu le jour
en 1510, suivant les autres, en 1530. La seconde date est
la plus vraisemblable. Son premier fils, Breughel de Velours,
ne fut reçu franc-maître de l'académie de
Saint-Luc, a Anvers, qu'en 1597; le second, Pierre Breughel le jeune,
qu'en 1609. Le registre de la
(rhilde mentionne ses élèves jusqu'en 1599, époque où travaillait
encore sous sa direction un certain
André Daniels. Un vieillard de 89 ans eût-il été
propre à donner des leçons? Cette hypothèse d'ailleurs
ie rendrait père dans un âge par trop avancé.
Il grandit au milieu des scènes et des
personnages qu'il devait reproduire, attendu que ses parents
cultivaient la terre, fanaient le foin et soignaient le bétail. Pierre Kock
d'Alost, homme entreprenant
qui avait poussé jusqu'en Turquie ses pérégrinations aventureuses, lui apprit à tenir le
crayon et le
pinceau. Par quels indices le jeune paysan avait-il manifesté vocation et obtenu
sa le consentement de sa
famille, grande victoire toujours difficile à remporter? Les biographes
ne nous le disent point. L'artiste
chez lequel il entra, était un homme de mérite, qui avait formé
son talent sous les yeux et d'après les
conseils de Bernard van Orley. Pendant que Breughel prenait
ses leçons, il portait souvent et amusait la
petite fille du coloriste, sans deviner qu'elle serait
un jour sa femme.
De ce premier atelier, il passa dans celui du fameux Jérôme
Cock, plus célèbre comme graveur
que
comme peintre : je ne sais s'il existe encore une seule œuvre de son pinceau, tandis
que ses planches sont
très-nombreuses. Lorsque Breughel, sorti de
son atelier, eut fait preuve de talent et d'invention, fixé
sur lui les regards des amateurs, son ancien maître grava lui-même ou fit
graver un bon nombre de
ses tableaux. Son rude travail était en harmonie avec la manière de
son élève.
Le véritable guide de Pierre Breughel, néanmoins, l'homme dont il
suivit le plus fidèlement les traces,
ce fut Jérôme Bosch. Il était mort depuis longtemps, mais
ses toiles étranges charmèrent le jeune novice
et paraissent d'ailleurs avoir eu, pendant tout le seizième siècle,
un très-grand succès dans le nord de
l 'Europe. Ses conceptions fantasmagoriques plaisaient
au génie sombre et capricieux des races
septentrionales. Ses œuvres burlesques n'impressionnèrent
pas moins fortement son disciple posthume,
et Breughel entra dès lors à pleines voiles dans les
parages qu'il ne devait plus quitter.
La mode exigeait qu'un artiste allât de très-bonne heure compléter
ses études, en s'inspirant des maîtres
italiens. Pierre n'eut garde de déroger à cette coutume. Pour
se rendre dans la Péninsule, il traversa la
France et les Alpes. Les abruptes sommets, les glaciers, les torrents,
les abîmes, les lacs. les sombres
défilés, les immenses lointains des hautes montagnes frappèrent
vivement son imagination. Ils lui
inspirèrent le goùt du paysage. Le studieux jeune homme esquissa de nombreuses
vues, qui plus tard
lui servirent à peindre les fonds spacieux de
ses tableaux, à représenter des sites très-étendus; on y
observe déjà ces effets de lignes, de perspective et de lumière,
ce sentiment de la grande
,
iiiiiii-e (Iij'oiiv
admire chez les artistes anglais de nos jours, notamment chez Burtlelt,
le plus poétique dessinateur des

Batlrgeber, Annalen der niederlandischen Malari,


p. i62.
2 1/0 Levcnder scliilders, t. Je'.
j âge 179.
Trois Royaumes. Jérôme Cock grava un bon nombre de ces morceaux champêtres, et les fils de Breughel
y puisèrent, leurs tendances bucoliques, leur manière fine et délicate de peindre les scènes agrestes.
Un marchand, pour lequel le père travailla beaucoup, après son retour, fixa son attention sur d'autres
images rustiques,, sur d'autres aspects de la nature. Cet homme au caractère enjoué, aux mœurs faciles,
l'entraînait dans les fêtes de village, où ils se divertissaient comme de simples mortels et profitaient
comme observateurs. Vêtus en campagnards, pour ne point troubler les paysans de leur luxe et de la gêne

qu'il produit dans les classes laborieuses, ils se mêlaient cordialement il la fête. Y avait-il une noce,
ils se prétendaient les parents du jeune couple, et pour prouver leur consanguinité, offraient des cadeaux;
ces arguments victorieux persuadaient les cultivateurs, ou les décidaient à paraître convaincus. Pendant
ta
que. joie circulait de proche en proche, Breughel et Jean Franckert, son compagnon, avaient toutes les
facilités désirables pour prendre sur le fait les mœurs rustiques, pour examiner les traits, les expressions,
les vêtements, les gestes. les attitudes. La mémoire du peintre en tenait un compte fidèle, et quelques
jours après tout ce qu'il avait vu reparaissait sur la toile : mais il excellait principalement à rendre les
postures plus ou moins comiques des villageois.
Ces excursions avaient lieu autour d'Anvers, le peintre ayant choisi pour séjour cette dernière vitie,
après sa résidence passagère en Italie. Il lut reçu franc-maître de la corporation de Saint-Luc, dans
l'année 15M. Breughel unit toujours le goût des facéties à un caractère paisible et sage: il comptait
ordinairement ses paroles, ce qui rendait ses plaisanteries d'autant plus piquantes. Lès mystifications même
ne lui répugnaient point: il se drapait en revenant,gémissait d'une voix lamentable, effrayait les
personnes crédules. Son portrait. n'annonce point ces joviales dispositions: une élégante barbe noire, un
beau front, de grands yeux expressifs, des traits reguliers, une bouche bien faite lui donnent un air grave
et un aspect chevaleresque.
Une jeune fille, qu'il avait prise pour servante, se trouva tellement à son goût qu'elle régna bientôt
chez lui en maitresse. Breughel l'eût épousée sans répugnance aucune, si elle n'avait eu le défaut de
mentir avec une obstination prodigieuse et en toute circonstance. Ses perpétuelles inventions choquaient,
fatiguaient, exaspéraient l'artiste. Mais les remontrances, les prières, les menaces même ne pouvaient rien
sur elle. Las de ses impostures, Pierre résolut d'en finir. Il prit une taille de boulanger, passablement
longue, et, la lui montrant, lui déclara qu'il y noterait chaque nouvelle histoire au môyen d'une coche:
si elle laissait les marques envahir tout l'espace, non seulement leur union projetée n'aurait point lieu,
mais ils se quitteraient pour toujours. De si rudes conditions n'amendèrent peint la babillarde ; elle jasait,
elle débitait des contes sans trève ni merci, et la taille se crénelait à proportion: l'heure des adieux
sonna bientôt. Devenu maître de lui-même, Breughel se chercha une plus digne compagne. Pierre Kock
était mort; sa femme et sa fille habitaient Anvers. La jeune enfant qu'il avait portée sur ses bras, fait
danser sur ses genoux, lui revint en mémoire; devenue grande, elle avait, selon toute apparence, d'autres
charmes que ceux du souvenir. Le peintre lui rendit visite, témoigna le désir de lui plaire et demanda sa
main. Comme on craignait un'retour de tendresse pour son ancienne gouvernante, la mère et la fille
exigèrent qu'il vînt habiter Bruxelles : un déplacement de huit lieues, pour obtenir une jolie perstnne,.
n'avait rien qui dut l'effrayer. Il changea de domicile, et la noce ne tarda point à se faire.
Comme peintre, Breughel raviva l'esprit flamand, que l'imitation des m-aîtres italiens éteignait de jèur
en jour. On conçoit sans peine le pouvoir absolu de la mode relativement au costume ; mais son empire
illimité dans le monde moral et intellectuel m'a toujours surpris. Pourquoi cette discipline que chacun
accepte, pourquoi cette fièvre de servitude? Ne semble—t-ii pas plus naturel que. tout homme suive une
direction particulière, se livre au courant de ses idées ou de ses caprices? Breughel, lui, ne se laissa pas
entraîner par la foule. Pendant que toqs ses compatriotes ambitionnaient la gloire de Michel-Anee et de
Raphaël, cherchaient à gravir lentement jusqu'aux cimes radieuses, où ces génies créateurs s'étaient elaicés
d'un vol libre et hardi, le paysan devenu peintre ne consultait que ses goûts. Il reproduisait.les scènes
familières, qui avaient frappé ses regards dans son enfanc-e et qui les attiraient encore tous les jours. Par
son amour du merveilleux, par son talent de paysagiste, par son habileté à peindre les mœurs villageoises,
Breughel renouait les traditions de la peinture flamande, donnait une main au passé, l'autre à l'avenir :
disciple de Jérôme Bosch, allié des Van Eyck et -de Memling, il préparait Téniers, les kermesses de Rubens,
Brauwer et Van Ostade. Ses tendances pastorales Je firent surnommer Breughel des paysans (Boeren
Brueghel) ; ses épisodes comiques, Breughel le drôle (Vièsen Brueghel).
La partie la plus faible chez lui, c'est l'exécution. Ses tableaux mal coordonnés, tant pour le dessin que
pour le coloris, n'offrent pas à la vue un ensemble harmonieux et satisfaisant. La lumière même n'y forme
pas un centre autour duquel se groupent les ténèbres, Oll, si l'on veut, les parties les moins éclairées. Les
formes, les couleurs, les rayons et les ombres paraissent s'épandre au hasard sur la toile, comme un fleuve
débordé sur la plaine. Les objets, les figures, par exemple, sont représentés d'une façon trop sommaire :
on y voudrait plus de détails; ils y gagneraient en précision et en réalité. Sous ce rapport, Breughel le vieux
forme contraste avec ses fils, surtout avec Breuguel de Velours, qui multiplie les nuances et les coups de
pinceau. Il avait conservé pour la méthode primitive de la peinture à la gomme une affection particulière;
ce genre de travail, où l'harmonie est,presque impossible, fut, selon toute vraisemblance, une des causes
qui rendirent sa touche dure et sèche. La force de l'imagination, la vigueur du dessin, le naturel des poses,
des mouvements, des physionomies, le caractère ingénieux des idées compensentces défauts.
Sa rude exécution néanmoinslui a porté un grave préjudice : ses tableaux peu recherchés des amateurs,
généralement peu estimés, ont presque tous disparu, quoiqu'ils fussent très nombreux et que les graveurs
les plus habiles de l'époque les eussent reproduits. Le château royal de W urtzbourg en possède une collection,
mais Hathgeber, qui nous donne ce renseignement, n'y ajoute aucun détail. « Ils sont placés trop haut, »
dit-il. L'éloignement l'a empêché de reconnaître les sujets, de lire les dates et, à plus forte raison,
d'apprécier le travail. La galerie de Schleissheim renferme plusieurs morceaux conçus dans le genre qui a

fait surnommer notre artiste Breughel des Paysans. On y voit une fête rustique en pleine campagne, olt
les personnages boivent, dansent et se houspillent; une noce champêtre, où les convives mettent de
l'argent dans un plat. pour l'offrir à la mariée ; saint Jean-Baptiste prêchant une nombreuse réunion
populaire ; des campagnards faisant dénicher des oiseaux par leurs enfants, puis des aveugles sur le point
de tomber dans une rivière.
Le Louvre contient deux panneaux de Breughel, qui ont de faibles dimensions, mais une assez grande
importance. L'un figure un site champêtre traversé par une rivière un pont de bois, des paysans et des
,
paysannes qui s'entretiennent; l'autre, une danse de villageois dans la grande rue de la commune et
devant une auberge. Finement peints, soigneusement dessinés, ils montrent le style des Breughel il son
premier état, indiquent les obligations des deux fils envers le père.
Une planche gravée d'après cet affectueux précurseur donne une idée de ce que devaient être ses
meilleurs tableaux. Elle a pour sujet la résurrection du Christ. A gauche on voit un mur de rochers, dans
lequel s'ouvre uue grande caverne. C'est là que les apôtres avaient enseveli leur maître, Vainqueur de la
mort, il s'élève dans les airs sur un flot de nuages, que font ressortir les sombres masses pierreuses Un
ange terrible et menaçant achève de détourner le bloc qui fermait la grotte sépulcrale. Les soldats éperdus
gisent çà et là sur le terrain éblouis, frappés d'épouvante. Les saintes femmes arrivent par un sombre
,
dénié au-delà duquel on aperçoit Jérusalem inondée de lumière. C'est un morceau d'un grand effet.
,
Le musée de Bruxelles offre aux curieux un tableau qui permet d'apprécier la manière de Breughel dans
le genre fantastique. Il a pour sujet la chute des anges maudits et semble exécuté sur une impression
blanche, comme ceux de Jérôme Bosch. C'est une averse de démons, que la colère divine précipite par
milliers vers le gouffre éternel. Unissant, mêlant toutes les formes de la nature, le peintre en a composé
d'horribles monstres. Comment exprimer ces hideux amalgames? Ils trahissent sans doute une grande liberté
d'imagination, mais un vice général dépare le merveilleux de Pierre Breughel : il manque d'esprit. On
voudrait dans ces sortes de rêves plus de finesse, des intentions délicates : l'auteur se montre lourdement
téméraire, gauchement facétieux.
Sou goût l'entraînait si bien hors de la nature, qu'il est toujours prêt il franchir les limites qui séparent
ie monde surnaturel du monde positif. Son Intérieur d'école, sujet bien réel cependant, offre des traits
incompatibles avec la réalité.
Parlons pour finir du Portement de croix, placé au musée d'Anvers : on croirait plutôt voir une charge
qu'une œuvre sérieuse. Pendant que Jésus ploie sous l'instrument fatal, les spectateurs gobelottent,s'amusent,
forment autour de lui une véritable kermesse. La même inconvenance, que l'on remarque sur un bon
nombre de gravures, explique les soupçons d'hérésie auxquels fut en butte Pierre Breughel. C'était un danger
terrible, à une époque où Philippe II et l'inquisition ravageaient les Pays-Bas. L'insuffisance et l'obscurité
de langage delà peinture, quand elle veut exprimer des notions abstraites, le protégeaient sans doute contre
une accusation positive. Mais il paraît avoir beaucoup souffert des propos que l'on tenait sur son compte.
Il légua par testament à sa veuve une toile où on voyait une pie attachée au gibet, comme l'emblème des
médisants et calomniateurs, qu'il jugeait dignes de la potence. Il avait aussi représenté symboliquement le
triomphe de la vérité; quelle vérité? Il s'agissait, selon toute apparence, des maximes nouvelles, car
l'ancien dogme, exerçant l'autorité depuis longtemps, n'avait pas besoin de remporter une victoire. Breughel
considérait ce tableau comme son chef-d'œuvre. Obligé de se contraindre devant le monde, il avait
exprimé ses opinions secrètes sur de nombreux dessins, faits avec amour et commentés par des inscriptions :
les estimant lui-même dangereux pour sa veuve, il la pria de les hrÙler, quand il sentit approcher sa
dernière heure.
A quelle époque mourut-il? Nul biographe ne nous l'enseigne, mais ce fût après l'année 1599, puisque,
cette même année, les registres de la ghilde mentionnent le jeune Daniels comme étudiant sous sa
direction. Peu de mois avant sa fin, la régence de Bruxelles lui avait demandé plusieurs tableaux, qui
devaient figurer le creusement du canal de Bruges à Anvers : la mort l'empêcha de terminer ce travail
bizarre et ingrat. Il puisait sans doute son intérêt dans son actualité; le percement de la voie navigable
nous renseignerait donc sur la date de sa mort, si l'on en pouvait connaître l'époque.
On n'a, pour ainsi dire, aucun détail ni biographique, ni autre, sur Pierre Breughel le jeune, surnommé
Breughel d'Enfer. Karel van Mander nous apprend qu'il étudia dans l'atelier de Gilles van Koningslo et
reproduisait fort habilement les œuvres de son père. Nous savons d'ailleurs qu'il fut reçu franc-maître
à l'académie de Saint-Luc en 1(109. Là se bornent toutes nos connaissances historiques il son égard.
Iloubraken et Weyermaii le passent sous silence : Descamps, traducteur obtus des biographes néerlandais,
ne nous instruit pas davantage. En copiant les tableaux de sou père. le jeune Breughel contracta ses goûts.
Les motifs qu'il traitait d'habitude étaient des incendies et des scènes infernales : de là, le sobriquet par
lequel on le désigne. Né à Bruxelles, on croit qu'il y mourut. Van Dyck a gravé son portrait à
Peau-farte : c'est une belle tête, pleine d'expression, avec une barbe touffue. On doit le ranger parmi les
meilleures pièces de la collection
.

Pierre Breughel le jeune peignait plus finement que son père et, sous ce rapport, a une grande
similitude avec son frère., Breughel de Velours. On ne saurait mieux représenter les effets de la flamme
dans les ténèbres. Scbleissheim possède de lui quatre: tableaux sur cuivre, dont les sujets trahissent ses
prédilections : ils figurent Énée descendant aux enfer's, sous la conduite de la Sybille, la Tentation de
Saint Antoine, la ruine de Sodome, à laquelle échappent Loth et ses filles, l'incendie de Troie et le
héros de Virgile sauvant son père. On admire principalement les deux derniers ouvrages. Le sombre
caractère du seizième siècle, cette époque de crimes, de persécutions et de guerres atroces, qui avait
inspiré Breughel le vieux, se reflétait donc jusque dans les tragiques peintures de son fils.
ALFRED l\IICHIELS.

BMIŒMMS M' HÏÏÏDIKmTOÏÏS.


Rubens faisait sans doute grand cas de P. Breughel le vieux, signés en toutes lettres, portent les monogrammessuivants :
puisque son hôtel renfermait cinq ouvrages de cet artiste. P. B. P. B. F.
Outre Jérôme Cock, différents graveurs ont reproduits ses MUSÉE DE NAPLES.
— De Pierre Breughel (le père ou le
tableaux, notamment Perret, Mandere, Philippe, Jean et fils ?) : Un vieux prêtre et un voleur, sujet satirique, signé et
Théodore Galle. On pourrait donc avec de la patience former daté de 1565. — La Parabole des Aveugles ; tableaux peints
une collection curieuse de planches d'après ce maître, collec- à la gouache.
— Deux Paysages ornés de figures. — Campa-
tion qui n'existe nulle part : notre cabinet des estampes n'en
possède qu'un petit nombre.
Dans le chapitre consacré à Marc-Antoine et à quelques
gnes avec bergers
MUSÉE DE LA HAYE. -
et troupeaux.
De Breughel d'Enfer : Jésus-Christ
délivrant les âmes du Purgatoire.
— Le Paradis.
autres, Vasari énumère certains morceaux de Pierre Breughel
le vieux, gravés par Jérôme Cock.
-
MUSÉE D'ANVERS. Portement de Croix, signé et daté 1607,
par Breughel le vieux.
— De Breughel le vieux : Paysage avec — Chute des Anges, par le même.
MUSÉE DU LOUVRE. MUSÉE DE BRUXELLES.
rivière et pont. — Fête villageoisedans une grande rue. MUSÉE DE GAND.
— Fête rustique, par le même.
GALERIE IMPÉRIALE DE VIENNE.
— Elle renferme un des ta- MUSÉE DE NANTES.
— Quatre paysages par le même.
bleaux les plus célèbres de Breughel le vieux : La Construction Il existe dans le château de Gotha un paravent énorme,
de la Tour de Babel. Sur une pierre de taille, on remarque tout couvert de peintures que l'on attribue à Pierre Breughel
la signature suivante : Brueghelfe. MCCCCCLXIII.Karel van le vieux. Un prince régnant l'acheta huit mille thalers, pen-
Mander et Baldinucci parlent de ce morceau comme d'une dant la première moitié du dix-huitième siècle. Il orne main-
œuvre exceptionnelle. — Paysage, effet de neige. Signé : tenant la galerie ducale et se compose de 74 panneaux, peints
P. Brveghel, 1601. — Descente de croix, où fourmillent les sur les deux côtés, formant 148 tableaux, dont les sujets sont
acteurs et spectateurs. Signé. — Combat des Israélites contre empruntés au nouveau Testament. Il faut y ajouter cinq pan-
les Philistins. Signé. — Quatre tableaux, figurant les quatre neaux historiés sur une seule face. La galerie du Belveldère,
saisons : le Printemps est signé. — Une lutte entre des à Vienne, possède une œuvre analogue, qui fut évidemment
paysans et des soldats, en collaboration avec un des Frank. exécutée par la même main. C'est un immense polyptyque,
De Pierre Breughel le jeune : La tentation de St-Antoine. dont les panneaux s'appliquent l'un sur l'autre, comme les
— La Femme adultère, qui a feuillets d'un livre, et retracent également des scènes de
PINACOTHÈQUE DE MUNICH.
été lithographiée, en -1816, par Piloty. Perret a gravé, en l'Évangile. Le travail est presque aussi étendu que celui de
1579, une autre composition de Breughel le vieux; sur le Gotha. Ces compositions, à en juger d'après les caractères du
même motif. style, doivent avoir été exécutées vers la fin du seizième
MUSÉE DE MADRID.
— De Breughelle vieux : Trois paysages. siècle. Si Breughel le vieux les a réellement tracées, elles
— Un paysage, où l'on voit des maisons rustiques, une expliqueraient pourquoi on ne trouve point de tableaux avec
charrette, un troupeau de vaches, un bocage et, dans le loin- sa signature, qui soient postérieurs à 1570, hormis la cam-
tain, une bourgade. — Un paysage avec des figures et des pagne neigeuse datée de 1601, que possède le musée de
charrettes : on y voit quelqueshommes à cheval. Vienne. Deux entreprises de cette importance, richement
— Un palais
près d'un lac : sur le premier plan, au bord de l'eau, on aper- payées par des princes, suffisaient pour absorber tout son
çoit un carrosse et une foule de personnages. temps.
De Pierre Breughel d'Enfer : L'enlèvement de Proserpine : Beaucoup de dessins de Pierre Breughel ornent la collection
le char de Pluton, qui l'emporte, va franchir le seuil de l'enfer. de l'archiduc Charles, à Vienne. Un morceau grotesque, où
— La Tour de Babel. — Incendie et sac d'une ville par des des ressuscités s'élancent par la porte d'un monument, et un
troupes victorieuses. site champêtre sont datés de 1 561.
MUSÉE DE BERLIN.
— De Breughel le vieux : Violent Lorsque les tableaux de Breughel le vieux paraissent dans
combat entre des pèlerins et des estropiés, auprès d'un les ventes publiques, ils n'y figurent pas sous le nom du maître
cimetière : quelques spectateurs s'enfuient, des jeunes gens et se vendent en général très-bon marché. Les amateurs et
s'amusent à lancer des pierres dans la mêlée. experts, ne connaissant pas son style, ne peuvent lui attri-
— Danse
très-animée de paysans, sur une large clairière dans une buer ses productions, quand elles ne sont pas signées.
forêt : deux musiciensjouent de la cornemuse. VENTE CROZAT,1741.—Onzedessins dont un de 1558,181iv.
De Breughel d'Enfer : Lutte acharnée devant une maison VENTE DU PRINCE DE CARIGNAN, 1742. — Un Calvaire,
entre des villageois et des lansquenets ; auprès, une charrette avec quantités de figures. 44 pouces sur 60. Fr. 1900.
et une petite fille qui s'enfuit dans le lointain, des arbres et VENTE MARIETTE, 1775. — L'homme qui baille. Nous en
d'autres chaumières — Le Christ portant sa croix : chacun donnons la reproduction en tête de cette monographie.30 liv.
des deux larrons est traîné au supplice sur une charrette; VENTE DU PRINCE DE CONTI, 1777. — Un Paysage dans
une foule de soldats les environnent. Sainte - Véronique le Tyrol, rempli d'eau et de rochers. 270 liv.
s'agenouilledevant le Christ. Signé : P. BRUEGHEL, 1606. VENTE BASAN PÈRE, 1798. — La guérison d'un possédé;
GALERIE DE DRESDE.
— La
tentation'de St-Antoine — à l'encre et colorié, retouché par Rubens. 49 fr.
L'Enfer.— Quelques panneaux des Breughels, qui ne sont pas VENTE PAIGNON DIJONVAL, 1821.- Incendiede Troie. 39 fr.
fêca/e '/'/t///"//"// Sfowéoire, Jëerh'aiû.

MARTIN DE VOS
NÉ KX 1531
— MORT EX Ibll3.

Le seizième siècle flamand a vu naître ou Heurir toult.


une famille de peintres qui ont une physionomie singulière
et vraiment curieuse à observer. Ce sont les maîtres qui,
attirés en Italie par les grands noms de Léonard, de Michel-
Ange, de Raphaël, quittèrent les froides régions du Nord pour
aller se réchauffer au soleil de la Renaissance. Martin de Vos
fut un de ces maîtres. Il était d'Anvers, et l'on ne sait pas
d'une manière certaine en quelle année il vint au monde.
Les uns disent en 1520; mais cette date n'est guère probable,
car Franz Floris ou Franc Flore, dont Martin de Vos fut Jt,
disciple, naquit précisément en cette même année 1520, et
il est bien rare que l'élève ne soit pas de quelques années
plus jeune que le maître; les autres, d'après Karel Van
Mander, placent la naissance de Martin de Vos en 1;j:n
et le font avec plus de vraisemblance. Quoi qu'il en soit, de Vos était fils de peintre, et les registres
manuscrits de la confrérie de Saint-Luc, d'Anvers, témoignent que son père, Pierre de Vos, Hollandais
d'origine, fut reçu franc-maître de cette confrérie en 1519.
C'est donc dans la maison paternelle que Martin de Vos reçut les premiers enseignements de son art.
Mais dans le temps qu'il était fort jeune encore, une grande école s'ouvrit à Anvers, celle de Franc Flore,
qu on appelait le Baphaël de la Flandre et qui en fut plutôt le Michel-Ange. Les élèves y accouraient de
toutes parts. Martin s'y Ht admettre. C'est là qu'il entendit parler pour la première fois des merveilles
de Rome, de Florence et de Venise, des fresques de Miche!-Ange, des chambres et des loges de Raphaël.
Floris avait étudié profondément ces maîtres sublimes; il les vantait avec enthousiasme; il tenait d'eux, et
surtout de Michel-Ange, le goût de l'anatomie poussé jusqu'à l'ostentation, un dessin mâle, sec et fier, et un
style que le génie flamand, abandonné à ses propres inspirations, n'eût jamais trouvé. A l'exemple de Floris.
Martin de Vos voulut aller voir cette belle Italie, d'où son maître était revenu si savant et si émerveillé.
Il partit donc et se rendit d'abord à Rome. De son séjour dans cette ville, il ne nous reste aujourd'hui que
fort peu de traces. Nous savons pourtant qu'il y dessina beaucoup d'antiquités et qu'il y peignit une
Conception pour l'église San-Francesco-in-Ripa, et pour le palais Colonna les Quatre saisons. Mais il faut
croire qu'il n'y demeura pas bien longtemps, car, selon le témoignage deRidolfi, Martin de Vos était encore
tout jeune (giovinetto) lorsqu'il fit un voyage à Venise, attiré par le renom des grands coloristes auprès
desquels il espérait compléter son éducation de peintre. Parmi tous les illustres Vénitiens d'alors, le Tintoret
fut celui auquel il s'attacha de préférence1. On raconte qu'un jour, des artistes flamands qui arrivaient de
Rome, ayant montré au Tintoret quelques têtes qu'ils avaient peintes et finies avec beaucoup de soin, il leur
demanda combien de temps ils avaient mis à peindre ces têtes. Comme les Flamands répondirent que c'était
l'ouvrage de plusieurs semaines, le fougueux Tintoret prit du noir sur- sa palette, et en quatre coups de
pinceau, il dessina sur la toile une figure qu'il rehaussa avec du blanc. Puis, se tournant vers ses confrères
étrangers : «Voiià, dit-il, comment nous autres, pauvres peintres vénitiens, nous avons coutume de nous
y prendre pour faire nos ligures. » Si celte anecdote est vraie, et l'on ne peut nier qu'elle ne soit bien
conforme au caractère de Tintoret, nul doute que les Flamands auxquels il donna celte leçon, ne fussent, l'un
Paul Franceschi, appelé en Italie Paolo Fiamingo, l'autre Martin de Vos. Ceux-ci furent en effet les disciples
de Robusti. En peu de temps ils s'approprièrent sa manière expéditive et hardie, ses touches à effet, et sa
facilité, sinon son génie. Aussi le Tintoret les prit-il pour collaborateurs l'un et l'autre, ne voulant du reste
garder avec lui que les élèves qui étaient capables de lui venir en aide dans ses vastes entreprises de peinture.
Martin de Vos et son compatriote eurent donc l'honneur d'être employés aux ouvrages du Tintoret; mais,
comme on le pense bien, les morceaux dont il leur confia l'exécution, étaient les parties secondaires de ses
tableaux, particulièrement les paysages.
Abondant, facile dans ses inventions, prompt à concevoir un sujet donné sous divers aspects, Martin de
Vos put développer à l'aise ses facultés naturelles, et il les accrut de tout ce que lui enseigna le Tintoret. Dans
la fréquentation de cet homme plein d'esprit, plein de feu, inépuisable créateur de figures improvisées,
il meubla sa mémoire de motifs sans nombre, il fit provision d'idées et de formes, et il apprit
pour ainsi
dire par cœur les contours, les attitudes, les gestes, les mouvements, les raccourcis qu'il voyait se multiplier
à l'infini sous ses yeux et qui allaient devenir les éléments de ses compositions futures. Mais avant d'être
mis en œuvre, ces éléments divers prirent un caractère plus calme dans son imagination septentrionale.
Les pensées impétueuses du maître furent assagies et refroidies, son dessin violent, bizarre et forcé se
traduisit, chez son élève, en lignes correctes mais lourdes; les contours brûlants du Vénitien devinrent secs
dans la peinture du Flamand; les couleurs emmêlées du Tintoret, ses empâtements furieux tirent place, chez
de Vos, à des tons plus distincts, à une manière plus nette, à un coloris moins harmonieux, mais voyant et

1 Giovinetto venne questi a Venetia, tratto dalla fama de' Pittori valorosi, e vedule le opere del Tintoretto, insinuatosi nella
casa di quello, \i studio lungamente, e si fece pralico net compor le invenlioni; e alcune volte gli servi, come si disse, nel
far de' paesi. Le mirarigliedell'arte orero le vite degl'illustri pittori Veneti, dello stato, descritte dal cavalier Carlo
e
Ridolfi. In Venetia, -1048.
puissant. Enfin l'habitude de peindre le paysage ne lit que développer en lui le sentiment de la nature,
sentiment naïf et tendre que l'on retrouve dans tous les artistes du Nord, et qui vint ajouter un charme de
plus aux talents du peintre d'Anvers.
Associé aux travaux du Tintoret, Martin de Vos lit peu de tableaux en Italie; du moins n 'en laissa-t-il
aucun à Venise t.Peut-être dans une ville où éclataient les peintures de Giorgion, du Titien, de Tintoret,
n'osa-t-il se lier à ses seules forces, et passer du rang de collaborateur en sous-ordre à celui de maître.
Ce ne fut guère qu'à son retour à Anvers qu'il commença de travailler pour son compte. Les registres de
la confrérie de Saint-Luc constatent qu'il fut admis dans cette confrérie en 1558, et non en 1559, comme

l'écrivent la plupart des biographes, qui paraissent avoir confondu ici Martin avec Jacques et Philippe de
y082. A partir de ce jour, Martin de Vos fut un des peintres les plus accrédités de son pays. A un dessin
ferme, qui ne laissait à désirer qu'un peu plus de sveltesse et d'élégance, il joignait un coloris clair, vigoureux
et agréable, et la précision de son modelé le rendait propre au genre du portrait. Ceux qu'il fit à Anvers
étaient remarquables par la vérité et la vie : « icones que vividissimas quàm plurimas, » dit Sandrart. Mais
tout son talent ne pouvait pas se faire jour dans la peinture des portraits. L'invention, l'arrangement des
groupes, le naturel du geste, la richesse et la signification des accessoires, l'entente du paysage, ce sont la

4 oltromantanonon habbiamo pitture particolari, ma dalle molte cose sue date alla stampa, si può venire
Di questo ingegnoso
in cognitione del suo valore. Ridolfi.
2 Voir le Catalogue du Musée d'Anvers, publié par le conseil d'administrationde l'Académie des beaux-arts de cette ville.
les vraies qualités de Martin de Vos, et il eut ce bonheur qu'il put les faire briller
sans sortir de sa ville natale,
étant arrivé juste à une époque où personne en Flandre ne pouvait lui disputer la première place. Entre
Bernard Van Orley qui était mort, et Otto Venius qui était encore un enfant, de Vos se trouva n'avoir d'autre
compétiteur sérieux que Franc Flore, qui mourut lui-même en 1570. C'est donc à de Vos
que s'adressèrent
les communautés religieuses, les églises d'Anvers, les Jésuites, pour avoir
ces tryptiques, ces tableaux votifs
que le catholicisme imposait à la dévotion. En visitant la seule cathédrale d'Anvers, on pouvait autrefois se
faire une idée de la fécondité de sa verve et de la facilité de son pinceau. Chacun des
corps de métiers avait
sa chapelle dans cette basilique, et pas une ou presque pas une de ces chapelles qui ne fût décorée d'un
tableau de Martin de Vos. Dans sa bonhomie toute flamande, l'artiste s'était
cru obligé de choisir des sujets
analogues aux diverses professions. Pour la chapelle des marchands de vin,
par exemple, il peignit les Noces
de Cana, pour la chapelle des boulangers, la Multiplication des pains,
un de ses plus beaux ouvrages, et
pour celle des peintres et sculpteurs, Saint Luc peignant la Vierge. La plupart de ces tableaux sont aujourd'hui
au musée d 'AnN-ers, et notamment le plus considérable de tous, celui qui appartenait à l'ancienne confrérie
de l'Arbalète. C'est un tryptique dont le panneau principal plus de trois mètres de hauteur. Il
a représente
la victoire du Christ sur la mort et le péché, qui sont figurés
par un crâne et par un dragon. Vêtu d'une
draperie légère, le fils de Dieu s'élève au ciel, la croix à la main, entre les deux grands apôtres saint Pierre
et saint Paul. Le premier, à genoux, montre le Christ et pose ses clefs symboliques
sur un Évangile ouvert:
le second porte une main à son cœur,
comme pour témoigner de sa foi, et appuie l'autre main sur un
Évangile également ouvert, à l'endroit où
se lit l'Épître aux Romains. Derrière lui on voit sainte Marguerite,
les mains croisées sur sa poitrine, et accompagnée de l'agneau; du côté opposé, derrière saint Pierre,
est un
guerrier vêtu ou plutôt armé à la romaine, saint Georges, qui tient IlIl étendar.I à croix de gueules
sur un
champ d'argent. Dans les airs, au sein d'une gloire, planent deux anges qui achèvent la pieuse symétrie de
ce tableau mystique. Dans l'intérieur des volets, l'artiste a peint, tl droite le Baptême de Constantin
sur 1111
fond de paysage, à gauche la fondation d'une église qui doit être, Saint-Pierre de Rome, comme l'a
non pas
dit Descamps, mais Sainte-Sophie.
Dessinateur savant et bon coloriste, car suivant l'observation de Haldinucci,
on ne pouvait sortir de l'école
du Tintoret sans posséder au moins la seconde de
ces qualités1, Martin de Vos a su atteindre, dans ses
peintures, au relief des parties, mais non au relief de l'ensemble. On
y remarque en effet des têtes pleines
de vie et de couleur, des morceaux d'un beau faire qui sollicitent et charment le regard; mais faute
d'avoir
su ménager des masses de lumière et des masses d'ombre, faute d'avoir habilement sacrifié certaines parties
au triomphe des principales figures, il a manqué le plus souvent l'effet général de son tableau. Tout est
y
fini avec le même soin, modelé avec le même relief. Toutes
ces têtes vivantes parlent à la fois, de manière
que l'attention se partage, l'intérêt se disperse et l'œil s'égare. Il y a pius : les fonds sont touchés avec la
même précision que les premiers plans, de façon que les lois de la perspective aérienne
sont aussi mal
observées que celles du clair-obscur. L unité d'une composition,
son harmonie, sa beauté optique veulent
que l intérêt y soit gradué; que la lumière, au lieu de s'éparpiller, se concentre; que les figures secondaires
soient subordonnées non-seulement par l'inégalité du clair qui les fait valoir, mais par une exécution plus
libre et moins serrée; enfin que les objets éloignés soient touchés
avec une indécision proportionnée à leur
distance. Voilà ce que Martin de Vos ignorait ou ne savait point pratiquer. Les Flamands attendaient
qu'on
leur enseignât le grand principe de l'unité et les secrets du eIair-ohscnr. Le génie de Rubens n'avait
pas
encore paru.
Fidèle aux habitudes et aux tendances de son pays, Martin de Vos
ne manque pas de donner de
l 'iiiiiioi-taiice aux détails, de multiplier les accessoires
et d'ouvrir une fenêtre sur le paysage. A ce trait, vous

1Carlo Van Mander, pitlore tiaminingo, ehe iH-


suo idiuma scrisse alcune poche cose di lui... disse bene, ch'cgli (Martino) ebbe
un buon colorito, cd in vero non j:ole\a della scuola de] Tinlorellouscir pitlore, clic
non colorisse bene. !;atdinucci, Notiziede'
professori del disegno, Milano, -ISH. Tome 7,
page 628.
reconnaissez tout de suite la prédominance d'un esprit flamand que l'Italie n'a pas entièrement façonné.
Chose bizarre! c'est presque toujours le groupe secondaire qui l'emporte, chez de Vos, sur les principales
ligures. Au premier plan, ses personnages se présentent avec un certain apparat et des mouvements contrastés
qui trahissent encore l'influence de l'éducation italienne; mais plus loin, la pensée du tableau reparaît sous
des formes plus naïves, dans le gracieux encadrement de la nature. Parfois la scène, au lieu de se répéter
dans l'éloignemenl, s'ycontinue. Si l'on voit sur le devant du tableau l'Enfant prodigue se jeter aux pieds
de son père, on aperçoit dans le fond les tables qui déjà sont dressées et le festin qui commence. Et comme

si le peintre eût voulu se jouer par avance des lois solennelles de l'art classique, il
nous montre encore sur
la même toile l'Enfant prodigue, à genoux, gardant des pourceaux. Manière ingénue et toute primitive de
!
méconnaître les unités d'action, de temps et de lieu Mais il faut s'arrêter un instant à ces jolis fonds où
l'artiste a, pour ainsi dire, ménagé des échos à son drame : ce sont ordinairement des
paysages. Martin de
Vos partage ainsi avec Bernard Van Orley, l honneur d avoir introduit dans lesPays-Bas
un genre qui devait
y être poussé aux dernières limites de la perfection. On sait comment les peintres du seizième siècle virent
la campagne : ce fut sous les couleurs les plus vives. Avant Paul nril, avant Breughel, Martin de Vos revêtit
son paysage de ces tons verts et bleus dont la crudité piquante étonne aujourd'hui nos regards, habituésque
nous sommes par les grands paysagistes de la Hollande à la mélancolique et douce harmonie des couleurs
rompues et des teintes automnales. Il était d ailleurs tout simple que l amour de la nature commençât par
retracer l'éclatante image du printemps. Martin de Vos n'a pas seulement représenté le plat
pays de la
province d'Anvers : il a mouvementé son paysage; il l'a coupé d'accidents pleins de grâce d'intérêt;
et il y a
supposé des formes plus heureuses, en même temps que les couleurs violentes de l'émeraude de l'outremer.
et
Il semble même que pour peindre la nature, il ait regardé
en Allemagne plutôt qu'en Flandre. Enfin il a
égayé ses fonds de cabanes agrestes, et particulièrement de maisonnettes gothiques,
assez semblables à celles
qui ornent les lointains des tableaux et des gravures d'Albert Durer.
Quelquefois, au lieu d'un paysage, les derniers plans représentent des intérieurs, les réduits
mystérieux
du logis qui est le théâtre de l 'actioii. Une porte s'entr'ouvre, qui
nous fait voir le côté intime des choses, et
nous laisse pénétrer en quelque sorte dans les coulisses du drame. Prenons l'histoire de Jésus chez Marthe et
Marie, lorsqu'il dit à la dernière qu'elle a gardé pour elle la bonne
part. Si Martin de Vos vient à choisir
pour sujet ce trait de l 'Écriture, il ne manquera pas de nous montrer en détail l'intérieur des deux juives,
comme si nous-mêmes nous assistions à leur entrevue familière avec Dieu; il ne manquera
pas surtout de
jeter un rayon de lumière sur telle chambre éloignée, où Marthe la ménagère s'occupe des soins domestiques,
tandis qu 'on la revoit, sur le devant du tableau, prêter l'oreille
aux divines paroles du visiteur. C'est ainsi qu'à
une intention de noblesse, Martin de Vos mêle toujours, dans ses compositions,l'amour de la vie commune,
de la vie réelle, et de ce mélange de deux éléments si divers, il résulte
une surprise qui n'est point
désagréable, un intérêt singulier. A vrai dire, ce n'est là qu'un style bâtard; mais il
y a souvent beaucoup
de saveur dans ce fruit du croisement des deux sèves, la sève italienne, la sève flamande.
Le manque d'effet, qui est le défaut dominant de Martin de Yos,
se retrouve dans ses meilleurs ouvrages,
le Saint Luc, par exemple, et l'Incrédulité de saint Thomas, tableaux à volets
qui furent peints pour la
confrérie des pelletiers. Le faible souvenir qu'on en garde, et
que nous en conservons nous-même après les
avoir vus au musée d 'Anvers, tient à l insuffisance de l'impression qu'ils produisent,
en d'autres termes, à
l'absence des sacrifices qui concourent à l'unité. Mais ce qui est
un défaut dans la peinture d'histoire, devient
une qualité chez le peintre de portraits. Le soin, le relief donnés indifféremment à toutes les parties d'une
vaste composition nuisent à l'ensemble et rompent infailliblement l'harmonie; mais quand l'artiste n'a qu'une
seule tête à modeler, il peut, il doit l'attaquer résolûment
avec tous ses moyens d'expression, puisqu'il n'a pas à
craindre la rivalité d une autre figure. Aussi Martin de Vos fut-il
un excellent peintre de portraits. En 1579.
lorsque Alexandre Farnèse, duc de Parme, général de l'armée espagnole
pour Philippe II, se rendit maître de
la ville d'Anvers, il voulut avoir son portrait de la main du plus habile des peintres flamands,
et ce fut Martin
de Vos qu'on lui désigna. Celui-ci, du reste, était alors, depuis 1572, le doyen de la
confrérie de Saint-Luc,
et il dut peut-être à cette qualité l'honneur de peindre un grand capitaine. Quant
aux portraits de Martin
de Vos lui-même, il en existe plusieurs, dont
un à la galerie du Belvédère à Vienne et qui est de sa main.
De Vos s 'y est représenté déjà vieux, tête nue, les cheveux crépus,
portant la barbe courte, un vêtement noir
et une fraise empesée. Un autre portrait de l'artiste (sans doute celui qui est à Florence) fut peint
par Joseph
Heinz, et semblerait prouver que Martin de Vos fit
un voyage en Allemagne vers l'âge de soixante ans. Né en
Suisse, Joseph Heinz passa la plus grande partie de
sa vie à Prague, et il est vraisemblable que c'est en
Allemagne, et non pas en Flandre, qu 'il fit le portrait du peintre flamand. Comme
nous l'avons dit, d'ailleurs,
les paysages qui embellissent la plupart des tableaux de Martin de Vos, témoignent
du séjour qu'il aurait fait
en Allemagne, et son architecture est gothique. Le portrait peint par Joseph Heinz été gravé
a par Gilles
Sadeler, avec une bordure historiée où l'on voit
un renard qui tient une bêche, symbole du travail, et qui
porte sur son dos une colombe avec cette légende : « Puro astu et labore. C'était la devise du peintre, dont
»
le nom de Vos, en flamand, signifie renard
La gravure a fait à Martin de Vos
un nom qui ne périra point. Traduites par Collaert, par les trois Wierix
et surtout par les Sadeler, ses innombrables inventions ont bien ,
pu y perdre le mérite d'un coloris puissant et
vif, mais en revanche, elles y ont regagné
en partie l'unité qui leur manquait. La Création du monde et celle

' Voyez les notes manuscrites de Mariette dans l'exemplaire de VAbecedario


que possède le Cabinet des Estampes il Paris.
de l'homme, l'histoire d'Adam et Ève, le Déluge, les livres des prophètes, la vie du Christ lui ont fourni la
plupart des sujets qui ont exercé son génie fécond et varié, sa verve généreuse. Quelquefois il a touché à la
mythologie, pour retracer, par exemple, les diverses phases de l'humanité, passant de la vie patriarcale aux
agitations du commerce, et de la guerre à l'amour, sous les règnes de Saturne, de Mercure, de Mars et de
Vénus. Toujours, par l'arrangement, le luxe et l'intention du détail, il a su prêter de l'intérêt à ses tableaux,
et tirer un parti imprévu des plus vulgaires données. Les Éléments, les Saisons lui ont servi de prétexte pour
passer en revue la création toute entière, comme se plut à le faire, après lui, Breughel de Velours. Dans ces
compositions abondantes, les femmes qui symbolisent la terre et l'eau, les jeunes hommes qui représentent

l'air et le feu, sont entourés de tous les attributs de leur règne, non pas de ceux que la convention poétique a
depuis longtemps consacrés, mais de ceux que répand à profusion la vertu génératrice de la nature. La Terre,
encadrée dans des festons de fruits et de fleurs, est comme gardée par le lion, le taureau, le mouton et le
cerf. L'Eau est embordurée d'une guirlande d'animaux aquatiques, poissons, tortues, coquillages, écrevisses,
crabes, limaces, grenouilles, hérons, martin-pécheurs qui se regardent, se menacent, se poursuivent, se
rangent symétriquement, et forment à la déesse comme une riche parure de toutes les parturitions de la mer.
Suivant Sandrart, Martin de Vos serait mort en 1604; mais les notes de Mariette, qui fut toujours un
homme très-bien informé, disent que de Vos mourut au mois de décembre 1603, à l'âge de soixante-douze ans.
Il laissa pour élève son propre (ils, Martin de Vos le jeune, qui fut admis comme fils de maître, dans la
confrérie de Saint-Luc, en 1607, son frère Pierre de Vos, son neveu Guillaume, dont Juste Suttermans fut le
disciple, Henri de Klerck, et enfin Yenceslas Coebergerqui devint
le peintre le plus habile et le plus renommé
de son école. On composa, pour être mis
sans doute au bas de son portrait, ces quatre vers cités par Sandrart
:

Qui se offert oculis Martinus Vossius ille '


C.ujus erat frater piclor, et ipse pater,
Arte liic Martinus sane est Ilemskerkiusalter.
Nam simili ductu pinxit uterque modo.

Moins maniéré que ne le furent ses successeurs, de Vos recherche


pourtant, à l'exemple du Tintoret, les
contrastes de mouvement et d'attitude, les désinvoltures pittoresques; mais
on ne rencontre point dans ses
tableaux, comme dans ceux de Bloemaert, des
personnages inutiles, des figures oisives, des remplissages. Avec
lui, du reste, on vit disparaître, non-seulement les dernières
traces du style italien, importé en Flandre par
Van Orley, Lambert Lombart et Franc Floris, mais les
restes de l'art gothique dont quelques vestiges se
remarquent encore, chez de Vos, dans les plis anguleux des draperies et dans le choix des fabriques.
Au
moment où expire Martin de Vos, éclate le génie de Rubens qui vient régénérer l'art national
dans les
Pays-Bas. Mais entre ces deux maîtres se place Otto Venius, qui forme
une transition entre Martin de Vos et
Rubens, comme de Vos en formait une entre Otto Venius Franc Flore.
et
<;H\HLKS BLA:\C.

iMMMire M ramiŒjmiDiSc,
Les ouvrages de Martin de Vos, qui sont !\ous ne trouvons aucun ouvrage de Martin de Vos, ni
communs en
Belgique, sont assez rares dans les autres pays.
LE MT.su; DU LOI-VUE n'en possède qu'un seul : Saint Paul
dans le Musée d'AMsxEiunM, ni dans le Musée de LA HAvi
ni dans la Galerie nationale de LONDRES, ni dans la (.aterie
,
piqué par une vipère, dans l'île de Mytlnlène. Saint Paul de DRESDE, ni à la Pinacothèque de MUNICH.
porte un fagot sous son liras; à droite, un homme à genoux BELVEDÈRE, à Vienne. Il
y a deux morceaux du maître
et à moitié nu prend des morceaux de bois pour alimenter Jésus en croix : Marie et saint Jean se tiennent debout au
le feu d un brasier allumé par terre à gauche,
;
; une jeune
fille assise, et près d'elle un petit garçon debout dans le
fond, d'autres figures et un temple circulaire. Ce tableau fut
pied de la croix que la Madeleine embrasse avec kneur.
Petit tableau sur cuivre.
Le Portrait du peintre par tui-monc; il parait déjà
donné en H850 au Musée par M. Coltini. sur
l'âge, a des cheveux crépus, porte la barbe courte, un babil
MUSÉE D'ANVERS. On
y compte d'abord neuf tableaux de noir et une fraise empesée. Buste de grandeur naturelle.
Martin de Vos, parmi lesquels on remarque deux beaux MISEE DE IkHul\. Deux tableaux dont l'un représente
tryptiques. Le premier représente : dans le panneau princi- Jésus sur la mer de l'il)éî,iade : l'autre,,
pal, le Triomphe du Christ: sur le volet de gauche, la une Allégorie my-
thologique où l'on voit Mars, Vénus, l'Amour., etc.
Fondation de Sainte-Sophie, et sur celui de droite, le Bap- GALERIE DE FLORENCE. On y trouve le portrait du peintre
tême de Constantin. dans la fameuse collection des portraits de peintres peints
Les sujets du second tnptique sont dans le
: panneau du par eux-mêmes ; plusieurs portraits de la maison de Médi-
milieu, Saint Thomas touchant les plaies du Christ; cis, et un Paradis terrestre 01'1 l'on voit un Il'l's-grand
sur le
volet de gauche. le Baptêmedu Christ ; sur celui de droite, nombre d'animaux de toute espèce.
la Décollation de saint Jean. Les Sadeler, Collaert, (,i-iiiitlioi)iiiie et les Wierix ont
La, Nativité du Christ, le Denier de César, le Denier de gravé d'après Martin de Vos, les Sadeler surtout.
la veuve, le Denier de tribut, Saint Luc peignantla Vierge, Les tableaux de Martin de Vos se présentent assez rare-
Saint François et un de ses compagnons,la Tentation de ment dans les ventes publiques.
saint Antoine sont les sujets des autres tableaux. VEiVn; CARDINAL FESCII. Jésus-Christ remettant les clefs
Outre ces tableaux, II' Musée d'A",EliS possède à saint Pierre. 81 scudi. — La Sél)(tï-(ilion des apdfJ'es.
onze es-
quisses représentant des scènes de la vie de saint François, 73 scudi. — L'Eternel sur son trône. 3,1 scudi.
et deux grisailles. — Jésus-
Christ et la Vierge apparaissant sur des nuages. 21 scudi.
Scafe 9Íaman de. Sfôidâm'e. ^fiueAj re/taceuœ.

FRANÇOIS FRANCKEN LE VIEUX


o
NÉ VERS 1 544 , MORT EN 1616

AMBROISE FRANCKEN JÉROME FRANCKEN


NÉ VERS 1545, MORT EN 1618 MORT VERS 1620.

problèmesque l'historien de la peinture flamande


De tous les
rencontre en son chemin, il n'en est guère de plus obscur que
la généalogie des nombreux artistes qui ont porté le nom de
Franck ou Francken. Bien que les recherches entreprises
dans les registres des anciennes paroisses d'Anvers aient déjà
fourni sur ce point quelque lumière, il est de notre devoir de
confesser qu'une étrange confusion règne encore dans l'histoire
de cette dynastie compliquée. Nous ne sommes donc pas en
mesure de donner satisfaction, quant à présent, aux légitimes
exigences de la curiosité et de répondre à toutes les questions
que l'érudition a dû se poser à propos des Francken. Le
lecteur voudra bien nous permettre d'ignorer ce que tout le
monde ignore, ce qui, peut-être, restera à jamais inconnu.
Toutefois, au milieu des obscurités de cette généalogie,
on voit d'abord se dégager, dès la seconde moitié du seizième
siècle, trois peintres, trois frères, — François, Ambroise et
Jérôme Francken — qui, se rattachant d'une manière assez
directe à l'école de Frans Floris et de Martin de Vos, prolongèrent jusqu'aux premières années du siècle
suivant le succès de ces méthodes un peu froides où le génie flamand essayait de
se combiner avec la grâce
italienne. Dans le langage des historiens de l'art et des faiseurs de catalogues, chacun de
ces maîtres est
surnommé « le Vieux, » et cette appellation doit en effet leur être conservée si l'on veut les distinguer des
artistes de leur descendance qui, eux aussi, ont porté les prénoms de Jérôme, d'Ambroise et de François.
Les trois frères dont l'œuvre doit nous occuper aujourd'hui étaient filjs d'un peintre d'Hérenthals,Nicolas
Francken, qui aurait vécu jusqu'en 1591, d'après M. Villot, jusqu'en 1596, d'après Mariette. Le talent de
Nicolas Francken nous est inconnu; vers le milieu du dix-huitième siècle, on voyait encore dans l'église de
sa ville natale son tombeau avec son portrait peint par lui-même. Nicolas était, on peut du moins le supposer,
un adhérent de Frans Floris. L'aîné de ses fils, François, paraît être né à Hérenthals, vers 1544. Cette
date est approximative, l'acte authentique qui constate son baptême n'ayant pas encore été retrouvé.
François Francken le Vieux, quittant de bonne heure son village de la Campine, où il aurait
eu quelque
peine à apprendre son métier, vint à Anvers et entra dans le grand atelier de Frans Floris, qui était alors
le maître de la situation. Les renseignementsnousmanquent sur cette première période de
sa vie. En 1567, il
obtint le droit de bourgeoisie, et la même année, il fut reçu franc-maître de Saint-Luc.François Francken
ne
paraît pas avoir fait le voyage d'Italie; il se contenta d'étudier le style florentin dans les œuvres de son maître.
Vers 1575, il épousa Elisabeth Mertens, qui lui donna plusieurs enfants, parmi lesquels
nous devons nous
borner à citer trois fils, Jérôme, François et Ambroise, qui firent aussi de la peinture, mais avec
un succès
inégal. En 1588-1589, François Francken le Vieux remplit les fonctions de doyen de la gilde de Saint-Luc;
en 1594, nous le voyons figurer à titre de parrain sur l'acte de baptême d'un enfant de David Ryckaert
le Vieux; en 1607, il est témoin du mariage de son fils François; enfin,
sa vie se prolongea jusqu'au
5 octobre 1616. Il mourut à Anvers, qu'il ne paraît pas avoir quitté. On
nous pardonnera d'avoir, en si peu
de lignes, accumulé tant de dates; mais nous marchons ici sur un terrain nouveau, et il faut quelque
prudence pour ne pas embrouiller davantage l'inextricable écheveau des Francken.
Nous ne connaissons qu'un petit nombre de tableaux de François Francken le Vieux. Celui
que conserve
le Musée d'Anvers et qui représente Étéocle et Polynice est une œuvre médiocrement significative. Dans cette
grisaille, Francken a montré les deux frères près d'en venir aux mains; autour de l'arène, la foule des
guerriers assiste à leur combat tragique; au fond se dresse le bûcher qui doit dévorer le cadavre du vaincu.
C'est un de ces tableaux sans grand caractère qu'on regarde en passant d'un œil distrait et qui
ne laissent dans
le souvenir qu'une trace fugitive. François Francken le Vieux a fait voir plus de gravité dans
son vaste
triptyque de la cathédrale d'Anvers : le panneau central représente Jésus au milieu des docteurs l'un des
:
volets raconte le Miracle d'Élie à Sarepta; l'autre, le Baptême de saint Augustin. L'œuvre, datée de 1 587,
est du meilleur temps du maître. Reynolds l'étudia avec intérêt lors de son voyage dans les Flandres. On
sent en effet dans ce tableau l'effort sincère d'un disciple intelligent de Frans Floris, d'un artiste qui
a
entendu parler de l'Italie et qui cherche la correction dans le contour, l'expression dans les physionomies.
Ce qui manque à cette peinture, ce qui manque à François Francken, c'est de l'accent et de l'audace; il eut
toujours plus de sagesse que d'inspiration, et, pour tout dire, il ne nous paraît pas qu'on puisse passionner
se
beaucoup pour cette personnalité discrète et quelque peu effacée.
Son frère Ambroise a été évidemment un producteur plus actif et plus applaudi. On
suppose qu'il est né à
Hérenthals vers 1545. Comme son frère aîné, il fut élève de Frans Floris, dont il n'a cependant
pas suivi
exactement la manière. Jeune encore, il fut appelé à Tournai par l'évêque de cette ville; c'est du moins
ce que raconte Van Mander, qui l'a connu à cette époque. Pas plus que François, Ambroise ne paraît
avoir vu l Italie ; mais elle lui fut révélée d'une manière indirecte, d'abord
par les leçons de son maître, et
ensuite par son séjour à Fontainebleau, où nous savons qu'il vint étudier il avait alors vingt-cinq
; ans. La
trace de son passage en France est conservée dans les registres de la petite église d'Avon, qui
nous apprennent
que, le 27 mai 1570, il fut parrain d'un enfant de Mathurin Mordieu1. Puisque son nom n'est pas cité dans

Comte deLaborde. La Renaissanceà la cour de France. 1. 675 et 927.


employé aux travaux de décoration qui
les comptes royaux, il n'est pas vraisemblable qu'il ait été

s'achevaient alors à Fontainebleau; mais il y étudia certainement les grandes fresques du Rosso et du
Primatice, et cette admiration de sa jeunesse est restée visible dans son œuvre.
Ses études achevées, Ambroise Francken revint à Anvers: en 1573, il se faisait recevoir franc-maître de
Saint-Luc; quatre ans après il obtenait le droit de bourgeoisie, et en 1581-1582, il devint doyen de la gilde.
Il s'était marié, on ignore à quelle époque, avec Claire Pickaert, et ne quitta plus la Flandre, où il paraît
avoir été fort occupé, si l'on en juge par le nombre des tableaux qui restent de lui. Il termina, le
16 octobre 1618, sa vie laborieuse.
L'église Saint-Jacques et le Musée d'Anvers possèdent les meilleures pages de son œuvre. A Saint-Jacques,
sont deux volets importants, la Femme adultère et la Résurrection de la fille de Jaïr; au Musée, on retrouve
la Multiplication des pains, exécutée en 1598, pour l'autel de la chapelle des Boulangers à la cathédrale;
le grand triptyque de la Cène, provenant de l'église Saint-Georges; le Martyre de saint Crépin et de saint
Crépinien, qui décorait autrefois l'autel des Cordonniers à Notre-Dame, et d'autres tableaux encore. Ce qui
frappe au premier coup-d'œil, lorsqu'on étudie ces œuvres, c'est que, sous le rapport du coloris, Ambroise
Francken a rompu avec les traditions de son maître Frans Floris : il abandonna sa gamme triste et grise
pour les tons plus brillants que Martin de Vos avait mis à la mode et qui étaient d'ailleurs dans le génie
instinctif de l'école d'Anvers. Même au point de vue du dessin, Ambroise Francken n'est pas sans quelque
affinité avec ce dernier peintre. Martin de Vos l'avait précédé de quatorze ans dans la vie et dans l'art et il
exerça toujours sur lui un certain prestige, qui se combinait dans son esprit avec le charme adouci de la
manière d'Otto Vénius, et avec les souvenirs puisés au grand atelier de Fontainebleau. Ces influences
harmonieusementcompliquées se lisent nettement dans les deux volets de l'église Saint-Jacqueset plus encore
dans le Martyre de saint Crépin et de saint Crépinien.
«Cette composition, dit Descamps dans son Voyage pittoresque, est pleine de feu et de génie, mais froide
de couleur et trop égale d'effet. »La remarque n'est pas sans fondement. Ambroise Francken choisit un sujet
dramatique et même assez étrange. Pendant que les bourreaux écorchent les deux martyrs, des poinçons
et des alènes, réunis dans une corbeille pleine d'outils de cordonnier, s'animent miraculeusement et
s'élancent contre les persécuteurs épouvantés. Appelé à raconter cette bizarre légende, Ambroise Francken
se montre singulièrement attentif à l'expression de la douleur et de la colère ; il cherche sincèrementà faire
parler les physionomies de ses personnages, et telle est cependant la froideur de son pinceau, que, là où il
aurait tant de raison d'être terrible, il est tout simplement ennuyeux.
Il y a pourtant dans ce tableau, dont la monotonie a pour cause première l'absence d'ombres vigoureuses,
quelques détails naïfs qui témoignent d'un certain zèle dans l'étude de la nature. Ambroise Francken a
reproduit avec un soin extrême les plus humbles objets qu'il avait à représenter, ne semble-t-il pas qu'il y
ait toujours dans un peintre flamand un réaliste plus ou moins avoué? Ce culte du détail intime est souvent
visible dans le tableau de Jésus chez Marthe et Marie, dont Gérard de Jose nous a conservé la gravure.
Les personnages évangéliques qui occupent le premier plan sont dessinés à l'italienne dans un sentiment
vaguement idéalisé; mais on aperçoit au fond un intérieur de cuisine qui évidemment a été étudié « sur le
vif » et qui est d'une familiarité charmante. On y reconnaît la table de ménage, le foyer hospitalier et les
mille engins chers aux héros de Rabelais. Chose singulière! même en plein seizième siècle, et lorsque la
mode italienne les avait envahis, les Flamands ont toujours compris la poésie de la cuisine.
Fidèle interprète de l'esprit de son temps, Ambroise Francken le Vieux eut pour l'allégorie un goût qui
fut toujours très-vif, mais qui ne fut pas toujours heureux. Il a composé, comme Otto Vénius, des séries de
sujets symboliques et moraux. La plus importante est celle qui, gravée en 1579, oppose dans huit planches
la lutte ou du moins le contraste des Vertus et des Vices. Ces planches, illustrées de légendes en allemand,
en flamand et en français, ont moins le cachet d'une œuvre d'art véritable que celui d'une production
de l'imagerie populaire. Un vague italianisme s'y mêle à une saveur barbare. Ambroise Francken et son
interprète ont fait, dans ce travail, une trop large part à la laideur.
Ambroise voulut aussi lutter avec les fabulistes : rajeunissant le vieux conte auquel Poggio a donné sa
première forme et dont notre La Fontaine devait s'inspirer plus tard, il a redit dans une suite de six dessins,
faiblement gravés par Charles de Mallery, l'histoire du meunier et de son fils, qui, soit qu'ils montent sur
leur âne ou marchent à côté de lui, ne parviennent pas à complaire à tous les passants. On
ne saurait Pli
effet contenter tout le monde, et Francken n'a pas été plus heureux
que ses héros, car si nous avions à
juger son œuvre, nous aurions le droit de dire qu'il était difficile de conter plus lourdement
une charmante
histoire. A notre sens donc, la meilleure allégorie qui nous reste d'Ambroise Francken le Vieux est la grande.
planche qui a été gravée en 1578 et qui représente Y Homme soutenu par la Grâce et éclairé
par la Vérité.
La composition et les types sont étudiés sur le mode italien, et les deux figures de femmes qui relèvent
le personnage principal et le soutiennent montrent des formes robustes et
non sans élégance. Ainsi, qu'on
l'étudié au Musée et dans les églises d'Anvers, ou dans les gravures qu'il inspirées, Ambroise Francken
a
est de beaucoup au-dessus de son frère François.
Le vieux peintre d Ilérenthals eut un troisième fils, nommé Jérôme. La date de
sa naissance n'étant pas
connue ou n'ayant été qu'arbitrairement indiquée, il nous est impossible de dire s'il était plus jeune que ses
deux frères ; nous serions cependant tenté de le croire d'après les circonstances de
sa vie. Après avoir
traversé, comme François et comme Ambroise, l'atelier de Frans Floris, il partit, dit-on,
pour l'Italie, et,
sous le règne de Henri III, il vint en France. Le roi, s'il en faut croire ce qu'on raconte, aurait été enchanté
de son mérite et l'aurait choisi pour son portraitiste ordinaire. L'inscription qui ligure
au bas du portrait
de Jérôme Francken peint par lui-même, et gravé par Jean Morin, lui donne
en effet le titre de « peintre du
roy. » — Nous devons déclarer toutefois que nous ne connaissons pas d'effigie de Henri III peinte par
l aitiste flamand. Un fait certain, c'est qu'il compta
au nombre de ses plus chaleureux protecteurs le
premier président du Parlement, Christophe de Thou. Jérôme Francken peignit
pour lui en 1585 le tableau
qui décorait, avant la Révolution, l'autel de l'église des Cordeliers et qui représentait Y Adoration des
Bergers. Germain Brice, qui cite ce tableau dans sa Description de Paris, ajoute
que Christophe de Thou y
était représenté avec toute sa famille. Cette œuvre est malheureusement perdue, et toutes les recherches
que nous avons faites pour en retrouver la trace sont demeurées inutiles. Mais Mariette a vu bien des fois
l Adoration des Bergers, et il
en a dit un mot intéressant. « A en juger par le tableau qui est à Paris,
Jérôme Francken semble avoir voulu imiter la manière de dessiner et de composer de Frans Floris, qui, toute
sauvage qu'elle étoit, étoit alors en estime auprès de bien des gens. »
D'après le rédacteur du catalogue du Louvre, qui ne cite pas son autorité, Jérôme Francken était de retour
t't Anvers en 1590. Il
y resta cinq ans. Revenu à Paris, vers 1595, il y travailla jusqu'à la fin de sa vie.
Nous n'hésitons pas à reconnaître le nom de notre peintre dans le nom, évidemment défiguré, d'un certain
Jérôme Francau, qui, en 1602, « reçut cent vingt écus pour avoir exécuté
un tableau représentant le prévôt
des marchands et les échevins, ainsi que les autres officiers municipaux en charge à cette époque \ Ce
»
tableau était placé à l'hôtel de ville, et il a disparu, sans qu'il soit possible d'en retrouver la trace.
Jérôme Francken habitait encore le faubourg Saint-Germain en 1604; cette date et
ce détail nous sont
fournis parBaldinucci, qui les emprunte à Van Mander2; à partir de cette époque,
nous le perdons de vue;
on assure qu'il mourut fort âgé, vers 1620.
Il ne reste qu'un petit nombre de peintures de Jérôme Francken. Nous ne
pouvons guère citer que
l' Abdication de Charles-Quint, au Musée d'Amsterdam; mais nous croyons qu'on pourrait lui attribuer le
tableau du Musée de Lille qui retrace un autre épisode dela vie du même empereur. Ce qu'il serait curieux de
retrouver, et peut-être y parviendrons-nousun jour, ce serait un des portraits assez nombreux qu'il dû
a
peindre, soit lorsqu'il était attaché à la maison de Henri III, soit lorsqu'il revint à Paris
sous Henri IV. Qui
sait si, parmi les peintures de ce genre qu'on attribue à François Porbus, il n'en est
pas quelques-unes
qu'on devrait rendre à Jérôme Francken3?
Tels furent, tels du moins paraissent avoir été ces trois frères Francken, dont l'histoire est aujourd'hui

1 Le Roux de Lincy. Histoire de la Ville de Paris, lre partie,


p. 44.
- Baldinucci. Notizie de' professori del disegno. VIII. p. 175.
Il n est pas sans intérêt de remarquer à
ce propos qu'un mariage paraît avoir rapproché les deux familles : nous savons
du moins que la femme de François Porbus s'appelait Elizaheth Francken. (Archives de l'art français, III,
p. 109.)
si obscure et si conjecturale, et qui eurent cependant leur importance à la fin du seizième siècle. Sortis
tons les trois de l'atelier de Frans Floris, contemporains de Martin de Vos et d'Otto Vénius, ils continuèrent,

même après l'avénement de Rubens, les méthodes intermédiaires où le goût italien


et le génie flamand se
mêlaient dans une inégale mesure. Leur œuvre, et c'est là
son défaut, combine Florence et Anvers, tout
en accusant cependant une préférence déjà visible, pour les fêtes de la couleur. Jeunes, les trois Francken
ont vu finir Frans Floris; vieux, ils ont vu commencer Rubens; ils ont assisté, non sans quelque surprise,
à son retour d'Italie et bientôt à son triomphe. Dès lors, ils n'eurent plus qu'une situation amoindrie, comme
il convenait à des artistes du seizième siècle oubliés dans le dix-septième, et qui n'étaient plus que les
représentants d'un art abrogé. Aujourd'hui, ils n'intéressent guère que ceux qui ont la passion, peut-être
faudrait-il dire la manie de l'histoire, et, placés entre les maîtres qui les ont précédés et les maîtres qui les
ont suivis, ils ont ce tort considérable de n'avoir pas été de vrais Flamands.
PAUL MANTZ.

MlffiCŒ JEW ÏIlMMMSS

FRANÇOIS FRANCKEN LE VIEUX. triptyque conservé autrefois à la cathédrale, et dont Michel


Le Musée du Louvre ne possède aucun tableau de Fran- van Coxcyen avait peint le panneau central en 1575. L'un
de ces volets représente Saint Sébastien guérissant Zoé,
çois Francken le Vieux. L'Histoire d'Ester, qui lui est
femme de Nicostrate. Cette composition,qui n'avait pas encore
attribuée par le catalogue de M. Villot, est l'œuvre de son
été gravée, est reproduite page 7.
fils François le Jeune. ÉGLISE SAINT-JACQUES. Portraits d'un curé et de deux

ANVERS (MUSÉE).
— Etéocle et Polynice, grisaille, prove- marguilliers, Portraits de Nicolas Mertens et de sa femme
nant de l'ancien Serment de l'escrime.
Jeanne Brandt. Le revers de ces panneaux est décoré de
NOTRE-DAME.— Jésus au milieu des docteurs (1587). Un
grisailles.
des volets représente Saint Ambroise baptisant saint Au-
Jésus-Christ et la femme adultère, Résurrection de la
gustin; l'autre, le Miracle d'Élie à Sarepta. fille de Jair.
ÉGLISE SAINT-JACQUES. Chapellede Saint-Jean-Baptiste.
— La Sainte Trinité. Triptyque exécuté en 1608.
Deux volets, l' Ensevelissement de Jésus-Christ et l'Appari-
Le Christ en croix.
tion de Jésus à Marie-Madeleine. Le revers de ces volets
CABINET DE M. MERTENS-BAUDUIN. Les Noces de Cana.
est décoré de grisailles représentant l'Évëque saint Sévère —
Peinture sur cuivre.
et Saint Ambroise. de 1586.
ANGLETERRE. BLENIIEIM. — Destruction de l'armée de
MAYENCE.
— Un tableau daté
Nous reproduisons ici le monogramme d'Ambroise Franc-
Pharaon dans la mer Rouge, « petite peinture d'une déli-
ken, tel qu'il l'a inscrit sur son tableau de la Cène, du Musée
catesse extraordinaire, » dit M. Waagen. d'Anvers.
DRESDE. — La Fuite en Égypte.
VIENNE. — Un Cabinet de tableaux. Bien que cette pein-
ture porte le monogramme FF, nous ne sommes pas certain
qu'elle soit l'œuvre de François Francken le*Vieux.
VENTE DU CARDINAL FESCH (Rome, 1845). — Les OEuvres
de Miséricorde.

AMB.ROISE FRANCKEN LE VIEUX. JÉRÔME FRANCKEN LE VIEUX.


»

ANVERS (MUSÉE).
— La Multiplication des pains, tableau AMSTERDAM.
— Abdication de Charles-Quint. L'empereur.
exécuté en 1598, pour l'autel des Boulangers, à la cathé- est assis sur son trône ; d'un côté, l'on voit son frère Ferdi-
drale. nand Ier, de l'autre, Philippe Il. Une foule de courtisans et
La Cène, avec deux volets peints des tleux côtés, prove- de seigneurs les entoure. Au premier plan, les figures allé-
nant de l'ancienne église de Saint-Georges. goriques des quatre parties du monde.
Martyre de saint Crépin et de saint Crépinien. Ce tableau DRESDE. — La Décollation de saint Jean-Baptiste.
décorait autrefois la chapelle des Cordonniers, à la cathé- LILLE. — Charles-Quint prenant l'habit religieux. Le
drale. On en trouvera la gravure à la page 5 de cette bio- cataloguedu musée attribue ce tableau à François Francken
graphie. le Vieux. Sans vouloir rien affirmer de trop précis à cet
Martyre de saint Georges, Décollation de saint Georges. égard, nous serions tenté d'y voir une production de Jé-
Ces deux volets sont peints de chaque côté. La gravure du rôme, qui aurait, dans ce cas, fait une série de peintures
dernier de ces volets accompagne la présente notice (page 3). relatives à Charles-Quint.
Charité de saint Côme et de saint Damien, Martyre des Rappelons ici que Jérôme Francken avait peint, pour le
mêmes saints. Volets d'un tableau dont la trace est perdue. couvent des Cordeliers de Paris, une Adoration des Bergers,
Martyre de sainte Catherine d'Alexandrie. Provenant de dont il ne nous a pas été possible de retrouver la trace.
l'abbaye de Tongerloo. Son portrait, peint par lui-même, existait encore au temps
Deux épisodes de la vie de saint Sébastien. Volets peints de Jean Morin,qui en a fait une excellente gravure. On ignore
des deux côtés. Ces tableaux faisaient partie d'un grand ce qu'il est devenu. Il est reproduit en tête de cette biographie.
Sco/e 1-1 %tdlæj,t', ~le -e

OTHO VENIUS
NE EN 1556. EN 1629.
— MORT

Le nom d'Otho Venius ne périra pas : tant que les admirateurs


de Hubens aimeront à rechercher les origines du grand artiste
flamand, ils s'arrêteront avec une curiosité sympathique devant la
noble figure du maître sincère qui eut l'honneur d'avoir un
instant pour élève le lumineux peintre d'Anvers, et de contribuer,
dans une certaine mesure, à l'épanouissement de son génie.
Mais quand bien même Otho Venius n'aurait pas eu cette gloire
heureuse, il ne mériterait pas moins l'attention de l'histoire;
fils laborieux de ce fécond seizième siècle qui vit partout l'art se
renouveler, ne fut-il pas, plus que tout autre, frappé par le doux
reflet de la Renaissance? N'est-il point, parmi les maîtres trop
oubliés de cette époque, celui qui parvint le mieux à associer à
l'accent individuel de la vérité flamande la fleur idéale de la grâce
italienne?
Otho ou Otto Van Veen, qui, selon la mode un peu pédante
du temps, latinisa son nom hollandais, était né à Leyde en 1556, au sein d'une famille qui tenait a
bon droit dans le pays un rang distingué. D'après une généalogie dont un jugement du conseil souverain
de i!rabant rendu le 17 novembre 1668, a solennellement constaté l'exactitude, Corneille Van Veen, le
,
père du peintre dont nous avons à raconter la vie ',
descendait en ligne directe d'un fils naturel de
Jean III, duc de Brabant et d'Isabeau Van Veen. Il était en outre seigneur de Ilogeveen,
Desplasse,
Vuerse, Draakensteyn et autres lieux, et de plus, il était riche. Venu
au monde au centre d'une université
qui s'était depuis longtemps rendue fameuse, Otho Venius reçut
une éducation très-soignée et surtout
très-littéraire. On ne négligea rien pour en faire un savant. Tout jeune
encore, il comprenait le latin
et, au besoin, il pouvait l'écrire. Il paraît avoir reçu ses premières leçons de dessin de
son compatriote
Isaac Nicolaï, que Descamps nous représente comme l'auteur de divers tableaux d'une belle
« ordonnance
et bien dessinés pour le temps. » D'après d'autres écrivains, Otho Venius aurait aussi profité des conseils
de Swanenburg, le père de celui qui, un demi-siècle après, devait être le maître
de Rembrandt2.
Mais sous l'un comme sous l'autre de ces professeurs, Otho n'apprit
que les premiers rudiments de
la peinture et ce ne fut pas à Leyde qu'il acheva
son éducation d'artiste.
Lorsqu'après avoir longtemps ému les esprits de sourdes agitations, les troubles des Pays-Bas éclatèrent
dans toute leur violence, les notables habitants de la contrée, et entr'autres Corneille
Van Veen, qui
avait été nommé bourgmestre de Leyde en 1565, furent obligés de prendre
un parti et de se déclarer
ouvertement pour la cause de la liberté nationale ou pour la domination espagnole. Au lieu d'obéir,
comme ses compatriotes, aux inspirations de son cœur, Corneille Van Veen crut agir
en politique habile
en se rangeant du côté de l'Espagne. Il se trompait. Ce choix, malheureux dans son principe, lui fut funeste
dans ses conséquences ; car, à la suite des luttes civiles qui eurent
pour effet de compromettre gravement
sa fortune, Corneille, désespérant de pouvoir jamais se rapprocher des vainqueurs, fut obligé de quitter le
territoire des Provinces-Unies.
Il partit donc avec sa famille et vint s'établir à Liège (1571). Là,
son fils, qui avait environ quinze ans,
devint le protégé de Gérard de Groesbeck, évêque et prince de la ville. Esprit lettré
et intelligent,
Groesbeck était, ainsi que le rapporte Marguerite de Valoisr qui l'a voyagea'
connu lors de son fameux
Spa, « un seigneur accompagné de beaucoup de vertus, de prudence, de bonté
et qui parloit bien
françois; agréable de sa personne, honnorable, magnifique et de compagnie fort agréable'.
» Otho Venius
ne pouvait rencontrer un plus généreux patron. Groesbeck prit soin de lui, et d'après ses conseils, le
jeune artiste devint l'élève de Dominique Lampsonius, qui était alors secrétaire de l'évêque
et qui,
quoiqu 'il ne s occupât guère plus à cette date
que de littérature et de science, connaissait fort bien la
peinture, l'ayant pratiquée pendant plusieurs années sous la discipline de Lambert Lombard. Avec
Lampsonius Otho Venius étudia tout ce qu'il n'avait appris qu'imparfaitement à Leyde
, les mathématiques
le blason, l'histoire naturelle et même la poésie. Groesbeck le fit ensuite partir , ,
pour l'Italie.
Arrivé à Rome, Otho Venius devint l'élève de Federigo Zucchero. Jeune
encore, mais, déjà rompu à
toutes les difficultés du métier, le maître romain préludait à
ces gigantesques figures aux attitudes
tourmentées qui, après avoir fait sa réputation au seizième siècle, la compromettent aujourd'hui.
A l'école
de ce peintre savant, Otho Venius acheva d'apprendre à dessiner. Pendant
sept longues années, il parut
vouloir prendre à tâche d'oublier le génie du nord, et
amoureux des élégances romaines, il parvint à
italianiser son esprit et sa main. Zucchero ne fut pas d'ailleurs
son seul modèle. Van Veen parcourut toute la
Péninsule, et -on le voit par son œuvre, il dut s'arrêter
— avec admiration devant les peintures du Corrège,

1Malgré les recherches des auteurs qui nous ont précédé dans
cette étude, l'orthographe véritable du prénom du maître de
Rubens ne nous paraît pas encore définitivement fixée. Les Italiens,
et Baldinucci à leur tête, l'appellent d'ordinaire Ottavio
et par contraction Otto, et en Flandre même, ce nom lui est également attribué dans des pièces
contemporaines. Les registres
de la Confrérie de Saint-Luc à Anvers l'appellent indifféremment Octave
ou Otto et un compte des finances pour l'année 1615 le
nomme Octavio Veen. Si nous avons adopté l'autre forme, c'est par ce
que Van Veen a signé Otho Voenius ou Venius, non
seulement plusieurs de ses tableaux, mais aussi les recueils de
gravures qu'il a publiés : un érudit qui savait tant de choses,
devait au moins savoir son nom.
' A. Michiels. Histoire de la Peinture flamande et hollandaise, IV. 152.
3 Mémoires et lettres de Marguerite
de Valois (1812), p. 108.
dont le modelé attendri et la délicate morbidesse exercèrent sur lui une séduction éternelle. Ainsi, grandi
et fortifié par l'étude assidue des maîtres ultramontains, appauvri en revanche du côté de la naïveté et de
la candeur flamande, il quitta enfin la terre enchantée qu'il devait plus tard faire aimer à son glorieux
élève et à laquelle son talent resta toujours fidèle.
Otlio Venius prit pour revenir chez lui le chemin des écoliers. Il voyagea d'abord en Allemagne, et

l'empereur le retint quelque temps il Vienne. Il travailla ensuite pour les électeurs de Bavière et de Cologne.
En se rapprochant de sa patrie, il eut l'invincible désir d'y rentrer, et il céda d'autant mieux à son pieux
caprice, qu'il était rappelé en Flandre par Alexandre Farnèse, gouverneur des Pays-Bas. Ce prince le fit
venir a Bruxelles, le nomma peintre de la cour d'Espagne à la place de Jost Van Whingen, qui partait pour
Francfort (1584), et enfin ingénieur des armées royales; car Otho Venius avait étudié les sciencesexactes, et
un faiseur d'épitaphes a pu dire de lui qu'il connaissait l'art des fortifications et des siéges, castrensium *

(,(I liens
mnthernatUln.
L'une des premières œuvres qui attirèrent l'attention publique sur Otho Venius, ce fut le grand portrait
d Alexandre Farnèse qu'il représenta, vêtu de son armure, mais affublé d'une manière par trop allégorique,
des attributs d'Hercule. Dans cette effigie solennelle et pleine de flatterie, le prince de Parme tient la
massue du demi-dieu et l'invincible égide où grimace le masque de Méduse. Au fond, sur une colline
d'un abord facile, s'entr'ouvre le temple de la gloire, prêt à recevoir le victorieux qui
a terrassé la
rebellion et son hydre aux têtes renaissantes. Ce portrait dut accroître de beaucoup l'estime qu'Otho
Venius commençait à inspirer à Alexandre Farnèse. Déguiser le prince en Alcide, n'était-ce
pas l'élever
au-dessus du commun des hommes, et se placer soi-même au-dessus de tous les peintres?
Le musée du Louvre a recueilli dans ses galeries une intéressante peinture qui date à
peu près de cette
époque (1584) et qui peut donner une idée du genre de talent que possédait alors Otlio Venius. Je
veux
parler de ce tableau, doublement curieux sous le rapport de l'art et de l'histoire, où l'artiste, âgé de
vingt-huit ans, s'est représenté assis à son chevalet et travaillant en compagnie de tous les membres de
sa
famille. Cette peinture n'emprunte rien aux combinaisons artificielles de l'imagination et de la science;
mais il y a, dans cette réunion toute naïve de visages honnêtes, un accent sincère d'intimité,
une simplicité
d'âme qui inspire le respect. Ce n'est pas un tableau dans le sens ordinaire du mot; c'est la représentation
candide et loyale d'une scène de famille, où toutes les figures s'éclairent d'un
rayon pareil, où toutes
les effigies sont peintes avec une tendresse égale, un soin pieux qui semble venir du
cœur. De tous les
ouvrages d'Otho Venius que nous ayons été appelé à examiner, c'est le seul où, fidèle au tempérament de
son pays, l'artiste ait oublié Rome et Florence : devant la nature il s'est retrouvé Flamand.
,
Aussi ignore-t-on complètement le maître, lorsqu'on n'a vu que
son tableau du Louvre : pour bien
connaître Otho Venius, pour savoir quelle est son importance dans l'histoire de l'école de Flandre, il faut
l'étudier à Bruxelles, à Anvers, à Gand. Là du moins on reconnaît le pseudo-italien de la Renaissance,
l'élève de Zucchero et l'admirateur du Corrège. En 1589, Otho peignit pour le couvent des capucins de
Bruxelles le Mariage mystique de sainte Catherine, composition conservée aujourd'hui
au musée de
la ville, où elle est connue sous le titre du Capucin d'Aremberg, parce qu'un religieux de cette famille s'y
trouve assure-t-on, représenté. «C'est, dit un critique du siècle dernier, un rare morceau dont tous les
,
connoisseurs font beaucoup de cas 1 ; » et en effet Otho Vemus n'a jamais été plus fidèle
au charme de
ses réminiscences italiennes, jamais il n'a étudié avec plus de soin le galbe correct de ses figures. Son
pinceau, qui incline quelquefois vers la sécheresse, et qui, trop épris de la forme précise, cerne volontiers
ses personnages d'un contour durement découpé, s'est amolli dans le Mariage de sainte Catherine, et,
chargé de couleurs plus fluides et plus grasses, a caressé le panneau avec une délicatesse qui
se souvient
du Corrège. Le musée de Bruxelles conserve aussi d'autres tableaux d'Otho Venius; mais le plus
remarquable, au point de vue de l'expression et du style, est sans doute le Christ descendu de la croix
où l'on admire, empressé auprès du sanglant cadavre, un groupe de femmes éplorées; car -et c'est ici
.

son grand honneur — Otho Venius n'est pas un imitateur vulgaire des maitres qu'il a étudié : c'est iiii
maître lui-même, un cceur ému qui jette dans son oeuvre un sentiment sincère; sous ce rapport, la
Résurrection de Lazare, qu'on voit à Gand dans l'église de Saint-Bavon, est une composition douloureuse
qui mérite les plus vifs éloges.
Après la mort du prince de Parme (1592), Otho Venius quitta Bruxelles et vint se fixer à Anvers. Il
ne
tarda pas à y épouser une jeune fille d'une noble maison, Marie Loots, qui lui donna sept enfants."Sa vie,
déjà sérieuse, n'eut désormais pas d'autre délassement que le travail, et les églises et les couvents d'Anvers
gardent encore la trace de son activité : les peintres de la ville l'acceptèrent parmi eux et lui firent fête
:
en 1594, Otho Venius fut reçu franc-maître de la confrérie de Saint-Luc, et ses collègues lui accordèrent
une telle estime que, dix ans après (1603-1604), la gilde le reconnaissait comme doyen.
Grâce à son talent, grâce à sa bonne renommée, Otho Venius jouissait à Anvers d'une situation
excellente. Son atelier, devenu fameux dans tout le pays, s'ouvrit bientôt aux études des jeunes artistes qui
venaient y puiser, avec le respect de leur noble métier, les conseils d'une longue expérience. En 1596.

1 Description de la Ville de Bruxelles. 1743. p. 117


Otho avait reçu chez lui le brillant élève qui devait à jamais illustrer son école, Pierre-Paul Rubens; ce qui
indique qu'à cette date Otho Venius était, sinon le plus habile peintre d'Anvers, du moins celui qu'on

croyait le plus capable de mener à bien une éducation d'artiste. Les magistrats le tenaient en grande
estime. Aussi, lorsque l'archiduc Albert fit son entrée solennelle à Anvers, ce fut Otho Venius qui fut chargé
de la décoration des arcs de triomphe que la ville éleva sur le passage du gouverneur des Pays-Bas.
L'archiduc fut, assure-t-on, si satisfait des belles inventions d'Otho Venius, il fut tellement séduit par le
caractère de l'homme, qu'il l'appela auprès de lui à Bruxelles et le nomma surintendant des monnaies1
Ainsi aucun titre, aucun emploi, ne devait manquer à cet esprit ingénieux qui, par l'universalitéde ses études,
était à la hauteur de toutes les fonctions.
Rappelons-le d'ailleurs : lorsque Otho Venius improvisait à Anvers ces fastueuses décorations
dans le goût mythologique il obéissait sans travail et sans peine à l'éducation qu'il s'était faite, il
,
sacrifiait à cet amour pour l'allégorie qui était devenu la moitié de son talent. Il était passé maître en ce
genre de jeux d'esprit, et il le fit bien voir par la publication de divers recueils, qui ont été la joie de
son temps, et qui, nous le déclarons avec franchise, ont aujourd'hui perdu beaucoup de leur intérêt.
Sans examiner en détail les livres qu'il a produits dans ce genre, nous ne pouvons omettre ses
Amorum emblemata, publiés en 1608. Ce recueil fut présenté par l'auteur à l'archiduchesse Isabelle,
qui loua fort le peintre, mais qui, d'après une tradition dont tous les historiens se sont faits l'écho,
engagea Otho Venius à appliquer son crayon à de plus pieux délassements. Ce fut pour complaire au
désir de la chaste archiduchesse que, quelques années après, il donna au public son autre recueil,
Amoris divini emblemata (Anvers, in - 40 1615). Ces planches révèlent une imagination facile, un
esprit ingénieux, mais ce sont des allégories et ce mot dit tout. Cette phase du talent d'Otlio Venius
est d'ailleurs curieuse à étudier, car elle nous apprend chez qui Rubens a puisé son goût pour les
symboles de la mythologie.
Une fois lancé dans cette voie, Otho Venius ne s'arrêta plus. Toutefois, il s'attacha à des sujets d'un autre
ordre et composa plusieurs séries de dessins sur des légendes religieuses ou des traits de l'histoire nationale :
2
Nul n'ignore ses illustrations pour la vie de Saint-Thomas-d'Aquin et le recueil qu'il publia en 1612
sous le titre de Batavorum cum Romanis hélium. C'est là de l'imagerie sérieuse, très-italienne dans ses
préoccupationset dans son style, car presqu'à chaque scène, l'œil s'étonne de rencontrer des attitudes, des
gestes, des draperies qu'il n'est pas accoutumé de trouver d'ordinaire chez les artistes de Flandre.
Malgré son culte pour l'allégorie, malgré son goût pour les légendes historiques, Otho Venius ne fut
jamais complètement distrait de la contemplation de la nature. Il y revint par le portrait : ceux qui
restent de sa main donnent une idée avantageuse de ce que son talent aurait pu faire dans ce genre
difficile, s'il s'y était appliqué avec une attention plus spéciale et mieux soutenue. Dès 1602, il a peint
Louis Dorléans, le fougueux ligueur qui protesta si longtemps contre le succès de Henri IV. Le musée de
Versailles conserve aussi de lui une effigie qui passe pour être celle de Guillaume Barneveldt (1603).
Enfin, tous ceux qui ont visité l'hôtel de ville d'Anvers se sont arrêtés devant son portrait en pied du jeune
prince Philippe d'Espagne (1610). Cet ouvrage, excellent par sa simplicité et sa franchise, a un vif accent
de nature. Du reste, tous les portraits d'Otlio Venius se rattachent plus ou moins au principe qui a
présidé à l'exécution de son tableau du Louvre, je veux dire qu'ils sont sobres, lumineux et graves, et
que, dans leur ressemblance intime, on sent l'effort loyal d'un contemporain de Fourbus.
Cependant Otho Venius vieillissait. L'un des derniers tableaux qu'on lui vit peindre avec succès, c'est celui
que l'archiduchesse Isabelle lui fit faire en 1615 pour le donner à la confrérie des arquebusiersde Bruxelles.
Dans sa partie centrale,ce triptyque représentait la figure de saint Georges,et, sur les panneaux, les portraits
de la princesse et de son mari. Les historiens nous apprennent aussi que les gouverneurs des Pays-Bas,
par une fantaisie qui n'a pas été expliquée , se firent peindre sous le costume de deux ermites et nous
savons qu'à cette époque le vieil artiste était encore dans les bonnes grâces de ses maîtres, puisqu'un
document de 1619 nous le montre recevant une indemnité de 150 livres « en considération de ses petits
gages et du travail extraordinaire que lui a imposé son titre de garde des monnaies. » L'archiduc aimait son

1 Dans un compte de dépenses de l'exercice 1615, « Ottavio Veen » est désigne comme garde et wardain des monnaies de
leurs altesses à Bruxelles. (Gachard, Particularités inédites sur Rubens, et A. Michiels. Rubens et l'École d'Anvers, p. 53.)
2 Vita D. Thomœ Aquinatis, Othonis Vœni ingenio et manu dehneata Anvers. 1610 Ce recueil se compose de
.
:H planches et d'un frontispice exécutés par divèrs graveurs.
ancien sérviteur et surtout il lui tenait compte d'avoir refusé, pour, rester à Bruxelles auprès de lui, les

propositions de Louis XIII qui, voulant l'attirer à Paris pour faire des modèles de tapisseries, lui avait fait
offrir « une pension de quatre cents escus par an
» \
t Florent Lecomté. Cabinet des Singularités. II. 239.
Otho Venius atteignit ainsi l'heure pénible où la main de l'artiste fatigué n'a plus d'autre ambition que
le repos. La joie de son cœur, ce fut de voir grandir sous ses yeux sa fille Gertrude, dont il avait fait
son élève, et qui, d'un pinceau pieux et déjà savant, reproduisit les traits de son père dans un portrait
que conserve aujourd'hui le musée de Bruxellesl. Mais bien des regrets attristèrent la vieillesse d'Otho Venins:
ilassista sans amertume au triomphe de Rubens, et cependant le succès de la nouvelle école d'Anvers,
citait l'évanouissement du beau rêve qu'il avait fait avec ses amis, et l'oubli de ce grand style italien de la
Renaissance que, comme Franz Floris et Martin de Vos, il avait voulu inoculer à l'art flamand. Enfin Otho
Venius vit mourir son protecteur l'archiduc Albert, et il finit par s'éteindre lui-même, à Bruxelles, non pas
en 1634, comme on le lit partout, mais le 6 mai 1629, ainsi qu'il résulte de la date authentique consignée
sur le registre de la confrérie des Romanistes d'Anvers, dont Venius était membre, et de l'inscription
apposée, probablement par les soins de Gertrude, au bas de la gravure du portrait de son père'.
L'auteur des Emblèmesd'Amour mourut à propos. Depuis vingt ans déjà, c'est-à-dire depuis que Rubens
était revenu d'Italie l'art avait subi en Flandre une révolution profonde. Sans doute les artistes de l'école
,
nouvelle conservaient encore une sorte de respect stérile pour la tentative de leur devancier, mais le
principe de l'imitation florentine ou romaine n'avait plus un seul adhérent. Dernier représentant d'un
culte abrogé, le vieil Otho Venius survivait à son siècle, et bien qu'entouré de toutes les vénérations, il
n'était plus écouté de personne. L'étoile de l'art italien pâlissait, et, grâce au réveil de l'ardente école qui
fut toujours amoureuse de la lumière et de la vie, le génie flamand était rendu à lui-même.

PAUL MANTZ.

Gertrude Van Veen, quatrième enfant d'O. Venius, a été baptisée à Anvers le 4 juin 1602. Elle mourut en 1643.
1

2 V. la note insérée par M. Pierre Génard dans le Catalogue des


œuvres d'art exposées à Anvers, en 1855. La date de 1629
n'avait échappé d'ailleurs ni à Baldinucci, ni à Mariette.

MMMMM JÆ
TI' lïïlMM'lKDlS.
Ainsi que nous l'avons indiqué, l'œuvre d'Otho Venius n'a MUNICH. Le Triomphe de l'Eglise; six tableaux.
guère quitté les Pays-Bas : aussi ne peut-on l'étudier avec VIENNE. Les portraits des archiducs Ernest et Albert.
profit que dans les musées ou les églises de Belgique. Le AMsTEIlDAM. Douze petits tableaux relatifs à l'histoire des
Louvre ne possède de la main du maître de Rubens que le Bataves.
Portrait de famille dont nous avons parlé, et nous ne pouvons Indépendamment des recueils dont nous avons parlé, Otho
signaler que le portrait de Barneveldt à Versailles, et à Valen- Venius a publié les ouvrages suivants :
ciennes, une peinture de dimensions et d'importance mé- Q. Horatii Flacci emblemata cum notis latinè, italicè,
diocres, le Jugement de Paris. gallicè et fiandricè (Anvers. in-4u). 103 planches gravées par
La Belgique est, au contraire, fort riche en tableaux d'Otho C. Boel et par Gisbert Van Veen.
Venius ; nous nous bornerons à citer : Conclusionesphijsicœettheologicoe, notis et {igurisdispositœ.
BRUXELLES (Musée royal), le Portement de la Croix, le Historia septem Infantium de Lara (Anvers. 1612). 40 plan-
Christ au Calvaire, le Mariage de Sainte Catherine et le ches dont la gravure est attribuée à Ant. Tempesta, et dont
Christ descendu de la Croix. Félibien a donné un long commentaire (Entretiens sur la vie
GAND (Église Saint-Bavon), la Résurrection de Lazare, com- des Peintres. 1725. III. p. 332).
position superbe qui a fait partie du musée impérial du Louvre L'œuvre d'Otho Venius a été gravé par son frère Gisbert
en 1810. On voit aussi, dans la salle du Chapitre, un Ecce Van Veen et par Jérôme Wieryx, Pierre de Jode, G. Swanen-
homo, demi-figure de grandeur naturelle. burg, A. Tempesta, etc. Ses tableaux, immobilisés, pour
ANVERS (Musée Zachéc sur le figuier, Vocation de ainsi dire, dans les monuments qu'ils décoraient autrefois, se
,
Saint Mathieu, Miracle de Saint Nicolas, Charité de Saint rencontrent très-rarement dans les ventes publiques, Nous
.Vicolas, Saint Luc devant le Proconsul, et le portrait nous bornerons à citer :

assez faible — de l'Évêque Mirœus ; VENTE ni; PRINCE DE COl'iTI. 1777. Une femme sous III
Église Notre-Dame, Jésus-Christ guérissant les malades, figure de Venus qui fait jaillir dit lait de ses mamelles dans
la Cèiîe, Sainte Famille; le bec de deux pigeons. 1,999 liv. 19 s.
Église Saint-André, le Martyre de Saint André. VENTE ***. 1835. Le Portrait de la famille d'Otho !'<-N!'m.
Hôtel de Ville, le portrait du prince Philippe d'Espagne. aujourd'hui au Louvre. 240 fr.
fêco/è 3%amanc/c. Jëayéaaeé.

PAUL BRIL
NÉ EN 15 5 6. — MORT EN 1626.

Longtemps on s'est plu à croire que les artistes immortels dont


le nom domine une époque de l'histoire, naissaient tout à coup au
sein de l'humanité, sans aïeux, sans filiation pour ainsi dire, et
comme Vénus sortant de l'onde émue. Point de croyance plus
répandue jadis et plus fausse cependant. La féconde et puissante
humanité elle - même ne peut improviser un grand homme ;
il lui faut une longue gestation, une série de transformations
progressives, pour produire un de ces génies éclatants dont la
gloire efface le souvenir des efforts lents et successifs accomplis
avant eux. De Giotto à Raphaël, quelle suite de peintres puissants
auxquels il ne manqua que de naître un ou deux siècles plus tard
pour mériter aussi le surnom de divins !
Dans le genre du paysage, comme dans la peinture d'histoire,
même tradition, même entraînement, mêmes phénomènes : pour préparer la venue d'un Claude ou d'un
Poussin, plusieurs générationsd'artistes durent travailler, pour ainsi dire, au piédestal où ils allaient monter
;
une foule de peintres venus de l'Allemagne et de la Hollande durent apprendre à mêler l'amour naïf de
la nature, inné chez les peuples septentrionaux, au sentiment idéal de la beauté départi à la nation italienne.
Du mariage mystique du Sud et du Nord de l'Europe devait naître le grand Poussin.
Parmi ces maîtres précurseurs des illustres paysagistes du xvn° siècle, il en est un dont la postérité
a
conservé le nom et les ouvrages : ce maître, c'est Paul Bril. Les écoles vénitienne et flamande
se disputent,
il est vrai, l'honneur d'avoir créé le genre du paysage. Quoique l'histoire semble établir
que Giorgione et le
Titien songèrent les premiers à traiter le paysage comme sujet principal d'un tableau, et justifier ainsi la
prétention des Vénitiens, il est permis de croire que la Flandre fut le berceau des plus anciens paysagistes.
Telle est du reste l'opinion de l'Italien Baldinucci lui-même. Il faut ajouter
que le caractère calme et
mélancolique des hommes du Nord les porte à la contemplation du monde extérieur. Ali moment où
l'humanité sortit de la longue barbarie du moyen âge, ils durent être les premiers éveillés sentiment de
au
la nature. De plus, la lumière qui joue un si grand rôle dans les paysages, offre
ses effets les plus pittoresques
dans les pays brumeux du Nord. C'est là que le soleil déchirant tout à
coup les nuages, inonde de rayons une
partie de la campagne, tandis que l autre reste plongée dans une muette obscurité c'est là
; que les nues se
colorent de teintes variées où le peintre peut étudier les dégradationsde tons les plus merveilleuses.
Ce qu'il y a de certain, c'est que le premier peintre resté célèbre qui cultiva exclusivement le
genre du
paysage, fut le flamand Paul Bril. Il est à remarquer toutefois que ce peintre vécut constamment en Italie,
et la suite de sa vie nous prouvera que son génie se développa sous la double influence des instincts qu'il
avait apportés de son pays natal et des grands modèles qu'il trouva dans son pays d'adoption. Il naquit à Anvers,
en 1556 t. Il étudia fort jeune dans l'atelier de Daniel Wortelmans, peintre ignoré. Il paraît, si l'on en croit
Karle Van Mander, qu'il se montra d'abord assez rebelle aux premiers enseignements de la peinture jusqu'à
l âge de quatorze ans, il ne fit paraître aucun signe de
son génie. Obligé de pourvoir à son existence par son
:
travail, il peignait à la gouache des clavecins et ces lyres à trois cordes qu'on appelait pandores. La peinture
alors s'employait surtout à l'ornementation. Tous les meubles, en Italie, vers la fin du
xve siècle et au
commencement du xvi% étaient enrichis de peintures. Desco, peintre florentin, et Starnina, en Espagne,
excellaient dans ce genre 2. Gaddi, Orcagna, Giotto lui-même peignirent des cassoni, petits tableaux qui
servaient à décorer les boîtes où l'on mettait les présents de noces des jeunes mariées. Quoique Paul Bril
exécutât ce travail avec une grande facilité, il avait peine à en vivre. La nécessité donc, et peut-être aussi
le désir de voir et l'humeur inquiète l'éloignèrent de bonne heure d'Anvers il partit
: pour Bréda. Ses parents,
qui souffraient déjà de l'absence de leur fils aîné Mathieu, le rappelèrent cependant bientôt dans
sa ville
natale. Là le bruit des succès que Mathieu obtenait en Italie réveilla son inquiétude, et il s'enfuit
un beau
jour, à peine âgé de vingt ans, pour courir après son rêve de l'Italie. Il s'arrêta pourtant quelques mois à
Lyon avant de franchir les Alpes. D'Argenville nous apprend que Paul Bril y étudia sous
un maître inconnu,
mais dont les enseignements ne lui furent pas inutiles. Son coloris devint meilleur, et il prit
une manière de
peindre plus ferme et plus vigoureuse.
Arrivé à Rome, il y trouva son frère Mathieu, établi depuis plusieurs années et chargé
par Grégoire XIII
de grands travaux au Vatican. Tant que dura la vie de ce pape, Paul travailla
sous les yeux de son frère et
lui aida à achever les ouvrages qu'il avait entrepris dans la grande galerie et les loges du palais pontifical.
Paul Bril montra dès lors tant d'habileté, qu'à la mort de Mathieu, arrivée
en 1584, le pape Sixte-Quint,
successeur de Grégoire XIII, n hésita pas à lui confier la suite des travaux de son frère'. A partir de ce

Baldinucci le fait naître en 1584, mais c'est


une erreur qu'il indique lui-même en racontant que Paul prit la suite des
travaux de son frère, qui mourut précisément à cette date de 4581. Van Mander et Sandrart fixent également la naissance de
Paul Bril à l'année 1556.
2 Lanzi, Storia pitlorica della ltalia, tome 1, p. 50.
S 'il est vrai que Paul Bril dut à Sixte-Quint d'être choisi
pour l'héritier de son frère, il faut du moins reculer d'une année
la mort de Mathieu, car Sixte-Quint n'arriva
au trône pontifical qu'en 1585. Si au contraire Mathieu est mort en 1584, c'est
Grégoire XIII qui dut continuer à Paul la faveur qu'il
avait accordée à Mathieu.
moment, la réputation de Paul Bril fut établie, et ne fit que s'accroître pendant le cours d'une vie longue et
laborieuse. Les papes Sixte-Quint, Clément VIII, Paul V, etc., lui commandèrent des travaux considérables.

On voit encore à Rome la grande composition qu'il peignit en 1602, dans la belle salle à manger construite
par Clément VIII, où l'on voyait saint Clément, patron de ce pape, lié à une ancre et précipité dans la mer
Cette peinture n'a pas moins de soixante-huit palmes romains (cinquante-neufpieds environ). Les voûtes des
deux escaliers à côté de la Scala Santa, près Saint-Jean de Latran, furent également ornées
par son pinceau
de deux grandes fresques. Dans l'une il a représenté le prophète Jonas englouti par la
baleine; dans l'autre
le même Jonas sorti de la baleine et jeté sur le rivage. L'énumération des qu'il alors, soit
paysages composa
pour le palais des papes, soit pour les diverses maisons religieuses de Rome, formerait un catalogue
considérable. Baldinucci nous apprend qu'immédiatement après la mort de Mathieu, Paul Bril fut employé
par
les plus grands peintres du temps, pour orner leurs tableaux de fonds de nul
paysage, parce que ne savait
mieux que lui assortir à un fait d'histoire les agréments d'une belle
campagne.
Paul Bril surpassa de beaucoup son frère Mathieu. Celui-ci avait toujours conservé manière flamande du
sa
xvi- siècle, un peu sèche et raide; Paul au contraire se distingue par un coloris harmonieux,
une touche
légère, beaucoup de simplicité et de grandeur dans
ses compositions. Ces qualités toutefois ne se montrèrent
en lui que dans la seconde période de sa vie d'artiste. On trouve, en effet, entre les premières œuvres de
Paul Bril et celles qu'il produisit dans son âge mûr et
sa vieillesse, une telle différence, que l'on est
généralement convenu de dire qu'il changea sa manière après avoir
vu les tableaux de Titien et d'Annibal
Carrache. Il est possible que Paul Bril se soit perfectionné
par l'étude de ces grands maîtres; mais si le
sentiment profond de la réalité et le génie dont le ciel l'avait doué,
ne lui eussent enseigné l'art de rendre la
nature, ce n'est pas l'exemple des autres peintres qui eût jamais fait de lui
un artiste original. Avant de
voir le Titien et les Carraches, il avait vu la
campagne ; il avait vu les Alpes : ce furent ses maîtres : « Les
«Alpes instruisirent Paul Bril avec Mathieu son frère aîné, dit Hagedorn, dans la manière de traiter le
« paysage. Ils firent naître dans l'esprit des artistes ultramontains le goût de choisir de belles contrées,
« d envisager les riches points de vue comme des objets particuliers de la peinture. Dans la suite de soixante
»
gravures que Niewlant nous a laissées d après son maître Paul Bril, il est aisé de vérifier la justesse de cette
observation. La grandeur des lignes, la profondeur des horizons, la présence de
l'air, la vigueur de la
végétation, la variété des accidents de terrains, tout rappelle les
pays de montagne. Il n'est pas jusqu'à ce
coloris d 'un vert trop cru, si souvent reproché
aux paysages de Paul Bril, qui ne soit un souvenir de la
nature alpestre.
Il n est guère de sujets de paysage qui n'ait été traité
par Paul Bril. Dans son œuvre, on trouve tantôt des
scènes rustiques, de fraîches rivières dont l'eau met
en mouvement les roues d'un moulin ombragé de
grands arbres, des bergers ramenant leurs troupeaux dans des chemins
creux inclinés et pittoresques, tantôt
des cascades et des torrents coulant entre de hautes montagnes
couvertes de sapins et emportant dans leur
course bruyante les débris d'arbres et de rochers (dans ce genre, il fraye la route à Everdingen à
tantôt des plages de sable où la mer brise
et Ruisdael)
ses flots tranquilles comme dans un tableau de Van de Velde;
,
quelquefois même des coups de soleil glissant à travers les
nuages, effet de la nature que le grand Ruisdael
sut rendre si pathétique dans ses compositions. En général les animaux
sont peu travaillés et rendus assez
grossièrement; on voit que Paul Bril n'avait nullement étudié leur anatomie, l'art de rendre la laine
ou le
poil qui les couvre, la grâce ou la naïveté de leurs attitudes.
Mais les êtres vivants de son paysage, ses vrais
habitants, ce sont les grands arbres, dont il sait si bien contraster
les profils, arrondir les têtes touffues,
varier les formes, les masses et les contours, indiquant par cette variété même la diversité des espèces. Le
chêne au tronc noueux, à la feuille fortement accentuée,
au vert sombre, est son arbre de prédilection : il ne
manque jamais de l'entourer de lierre; la plante parasite grimpe depuis la base qu'elle
enlace de verdure, se
mêle aux branches les plus hautes et retombe parmi les feuilles
en lianes flexibles et déliées. A ce signe seul
on pourrait reconnaître un tableau de Paul Bril. Chez lui point de chêne qui
ne porte dans ses bras noueux
le gui sacré. Ses eaux sont belles et transparentes,
ses rochers fermes, bien cassés, sauvages, abruptes.
Ce peintre, qui eut à créer
en grande partie l'art du paysage, qui s'avisa le premier, au témoignage
d'Hagedorn, d'abaisser l'horizon que
ses devanciers affectaient de placer fort haut, et qui par là rendit au
paysage sa vérité en offrant le spectacle de la nature tel qu'il
nous apparaît de la terre où nous sommes,
et non tel que nous le verrions du sommet d'une haute
montagne ou de la nacelle d'un aérostat, ce peintre
de génie parvint, lorsqu'il fut dans toute la force de son talent, à créer des œuvres qui soutiennent la
comparaison avec les plus grands paysagistes du xvne siècle. Pan et Syrinx, la Chasse aux Canards, Diane
suivie de ses Nymphes, Piane découvrant la faiblesse de Calisto sont autant de chefs-d'œuvre. Si vous
voulez avoir l'idée d'une retraite profonde, d'une nature vierge où la végétation abonde comme dans les
forêts de l'Amérique, où la senteur pénétrante de la verdure vous enivre, arrêtez-vous devant cette peinture
qui représente la Chasse aux Canards. Personne n'a mieux fait comprendre, n'a mieux traduit la force et la
beauté de ce mot latin : frondosus. A droite, deux énormes chênes, couverts de lierre, comme les aime Paul
Bril, servent de repoussoir à tout le fond du tableau, où l'on aperçoit une rivière ombragée d'arbres caressés

par la lumière : les lointains sont mis à leur place par l'interposition d'une légère vapeur. Que ces arbres
sont spirituellement groupés! leur position accuse tous les mouvements du terrain qui les nourrit. Leur
front se mire dans l'eau. Herbes, roseaux, arbrisseaux, plantes de toutes sortes croissent sur ces bords
enchantés : les vaches paresseuses s'y plongent jusqu'au poitrail et y demeurent immobiles. Sous cette voûte
formée à droite par de jeunes arbres, l'un vers l'autre inclinés, quelle fraicheur, quel air pur, quel silence !
Et pourtant, deux chasseurs ont pénétré dans cette retraite; déjà l'un d'eux, armé d'un fusil, s'agenouille et
couche en joue les canards qui jouent au bord de la rivière. Une détonation inattendue va réveiller les échos
endormis, la destruction va signaler la présence de l'homme. Ces figures passent pour être d'Annibal Carrache.
Ce qui est surtout admirable dans ce tableau, comme dans la plupart des paysages de Paul Bril,
ce
sont les lointains. La légèreté de sa touche dans les seconds plans est merveilleuse : cette gaze transparente
et bleuâtre que l'air semble étendre sur les objets éloignés, surtout dans les pays de montagnes, on la
retrouve dans tous ses tableaux : elle flotte sur la cime des arbres, sur le sommet des collines, sur l'azur du
ciel, à l'horizon, et pare tous les objets d'une indécision poétique et toutefois les objets du premier
; plan
sont accusés rudement, vivement, avec une franchise qui va jusqu'à la crudité. C'est à rendre cet effet
merveilleux de la nature que Paul Bril semblait employer tout son génie. Sur le devant de
ses compositions
il place d'ordinaire, à droite ou à gauche, de grands arbres plongés dans l'ombre, et qui font reculer
à perte
de vue ses horizons baignés d'une lumière vaporeuse. Ainsi ces admirables perspectives inondées d'or
et de
soleil, de Claude Lorrain, Paul Bril les avait entrevues : il y a moins de clarté, moins de vie chez Paul
Bril ; c'est la nature des Alpes, c'est le paysage vu entre de hautes montagnes dont les ombres entretiennent
une éternelle fraîcheur. Au contraire, c'est sous le ciel brûlant de Naples que Claude reçoit la splendide
révélation de son génie. D'ailleurs je suis loin de dire que Paul Bril soit l'égal du Lorrain et
; pourtant le
vieux maître est arrivé quelquefois à une telle perfection qu'on a
pu se tromper et attribuer à l'illustre
Français les toiles du Flamand. Ainsi M. Waagen a trouvé au château de Blenheim,
en Angleterre, un petit
paysage attribué à Claude qu'il a reconnu pour être un Paul Bril. Mais quoi! la filiation n'est-elle pas
directe, et si la comparaison de leurs œuvres nous manquait, l'histoire ne nous apprendrait-elle
pas
que Claude fut élève d'Augustin Tassi, disciple lui-même de Paul Bril?
Dans les œuvres où Paul Bril s est élevé à toute la hauteur de son talent,
on remarque un charmant
mélange de style italien et de naïveté flamande. Diane et Calisto, Pan et Syrinx présentent déjà la noble
ordonnance, les lignes larges et harmonieuses, le choix d'arbres et de sites du paysage historique. Dans
d'autres compositions, Paul Bril s'est plu à représenter des arcs de triomphe, des temples, des édifices inspirés
par le souvenir de l architecture de Rome et d Athenes. L idéal de la beauté que les temps antiques avaient
transmis à l'Italie du xve et du xvi* siècle, et qui avait inspiré la peinture et la sculpture de
ce temps,
commence alors d'influer aussi sur le paysage. Dès que le temple grec ou l'aqueduc romain apparaissent
dans une campagne, il semble que la nature doive s assortir aussitôt à la régularité calme de
ces rangées
de colonnes élégantes, à la sevère hardiesse de ces arcs démesurés. Le premier, Paul Bril chercha l'idéal
antique dans la nature, et il indiqua du doigt pour ainsi dire la route de l'immortalité grand Poussin.
au
Mais si Paul Bril pressentit le paysage héroïque, il ne perdit jamais complétement
ce sentiment naïf et
vrai dela nature qui appartient aux peintres de race flamande, conception plus moderne de la réalité où
l'homme ne s'efforce plus d'arranger la nature au gré de sa pensée et de sa philosophie mais
,
se plaît
à la contempler avec amour, se livre à elle et lui demande en échange le secret de
sa mystérieuse poésie.
Quoique le souvenir de la terre natale s'efface à mesure que le séjour de Paul Bril
en Italie se prolonge,
à mesure qu'il avance en âge, il n'est pas pourtant une seule de ses compositions où
on ne le retrouve
à un degré quelconque. Il ménage toujours, dans ses œuvres les plus empreintes de style, quelque recoin,
quelque voûte de verdure, quelque source jaillissant de rochers brisés où la nature
se laisse voir dans
sa nudité chaste et belle. L'on peut affirmer que non-seulement Claude et Poussin descendent de Paul Bril,
mais encore que l 'école naturaliste des Pays-Pas doit reconnaître en lui, sinon un maître, du moins
un
précurseur.
Le crédit dont Paul Bril jouissait à Rome était tel, que les cardinaux et les nobles romains disputaient
aux papes le temps que cet artiste employait in œdibus vaticanis. Il serait impossible d'énumérer toutes les
peintures à fresque, toutes les peintures sur toile ou sur cuivre, qu'il répandit dans les diverses églises,
chapelles ou monuments de Rome, ou qu 'il vendit à des particuliers. Il ne fallait point
songer à mettre un
paysage de ce maître dans son palais ou dans sa galerie si l'on n'était résolu à dépenser plus de cent ducats.
Cent ducats, c'était le prix des moindres toiles de Paul Bril, et n'en avait pas qui voulait, même
en donnant
le double. Les contemporains faisaient avec raison le plus grand cas de ses paysages qui représentaientsouvent
des vues de la campagne de Rome où l exacte fidélité était rehaussée par la noblesse
que l'artiste savait
donner aux monuments, aux arbres, à la fuite des collines; on admirait surtout la vérité dans le détail, la
largeur dans la masse de ses feuillages. Dans cette partie, en effet, il s'éleva incomparablement au-dessus
de tous ses devanciers, et peut-être n'a-t-il pas été surpassé depuis. Ses
successeurs ont pu donner plus
de grâce et plus de naturel à leurs arbres, mais nul mieux que lui n'a
su accuser par le dessin des feuilles
et la touche des troncs la différence des espèces, nul n'a mieux indiqué par les ondulations des cimes, par
l'inclinaison des tiges, les mouvements du terrain caché par les forêts. Les bois, vus de haut, du sommet
d'une montagne qui les couronne, ressemblent à une mer de verdure que la brise effleure ou soulève comme
les flots de l'Océan; Paul Bril a vu et peint ce bel effet de la nature avec une habileté surprenante.
Il mourut à Rome, le 7 octobre 1626, âgé de soixante-douze ans, et fut enterré dans l'église de
l' Aîîi,nia. Vers la fin de sa vie, il paraît qu'il ne peignait plus que de très-petits paysages et presque toujours
sur cuivre. Ces dernières compositions sont d'un grand fini, et peut-être est-il permis de croire que l'exemple
d'Adam Elsheymer, qui devait se trouver à Rome vers cette époque, influa sur les dernières tentatives du

génie de Bril. On cite parmi les chefs-d'œuvre de cette période de vie,


sa un petit paysage sur marbre, de la
touche la plus moelleuse. Il semble qu 'en avançant en âge, sa main, au lieu de s'alourdir, devenait plus
ferme et plus légère. Ainsi, peu d 'années avant sa mort, il grava à l'eau forte, procédé dont
on commença
de se servir vers ce temps-là, plusieurs paysages où il se laissa aller à toute
son imagination.
La réputation de Paul Bril devait lui amener des disciples de toutes les parties de l'Europe. Il eut
en effet
plusieurs élèves : parmi eux l'on distingue Guillaume Niewlant et Augustin Tassi, dont j'ai déjà parlé,
Spierings, Balthasar Louvers et Corneille Vroom. Augustin Tassi et Niewlant portèrent, l'un
en Italie et en
France, l'autre en Hollande, la tradition du génie de Bril. Nous avons vu déjà
que Claude Lorrain fut élève
de Tassi.
Ce Paul Bril fut donc comme la souche de cette génération de grands paysagistes qui ont immortalisé
l art du XVIIe siècle. Ce n'est point là
un titre douteux à la gloire ; mais il en a d'autres, et rien ne le prouve
mieux que de voir son nom briller encore à côté des noms éclatants de tant de disciples immortels. Comment
son étoile n'en fut-elle point éclipsée? C'est qu'il eut un génie véritablement original, c'est qu'il maria
avec tant de bonheur l'observationnaïve et forte des Flamands à l'élégance et à la noblesse des Italiens, que
ses œuvres ont à la fois la réalité et l'élévation , l'ingénuité et la grandeur qu'on ne retrouve point, au
même degré du moins, dans ceux qui l'ont suivi et surpassé.

CHARLES BLANC.

MIMMUEIM JETII MMMTODïïS

Paul Bril a gravé d'une pointe facile, d'après ses dessins, un fort beau paysage de ce maitre à Castle Howard, chez le
plusieurs belles eaux-fortes : comte de Carlisle.
-
4 Un paysage, orné de ruines et de fabriques, dans A Rome, dans une des salles du palais des papes, on voit
lequel est représentée la parabole du bon Samaritain. un grand paysage à fresque de plus de vingt mètres de long,
2u L'Ange qui ordonne au jeuneTobie de retirer le poisson représentant saint Clément attaché à l'ancre et jeté dans la
de l'eau. mer; dans une autre, six paysages représentant les plus
3° Une marine, sur le devant de laquelle sont des pas- beaux couvents situés dans les États du pape. Paul Bril a
teurs; au milieu, la vue d'un bourg; plus loin, la mer peint aux voùtes des deux escaliers qui se trouvent à côté de
avec différents navires. la Scala santa, près de Saint-Jean-de-Latran,l'histoire de
4u Une autre marine au premier plan un grand vaisseau Jonas; à Monte Cavullo, le paysage où se trouve reproduite
,
à la rade, et sur le second un rocher surmonté d'une la création du monde; à Saint-Vital dix paysages, et, à
forteresse. Sainte-Cécile, le sujet qui se trouve à la voùte.
Ces quatre morceaux se trouvent dans la suite des pièces A Fontainebleau il y a plusieurs appartements qui sont
,
gravées de Guillaume Nieulant. décorés par des tableaux de Paul Bril.
5" et 6u Deux paysages marqués : PAULUS BRIL INV. ET Les artistes qui ont peint des figures dans les tableaux de
FEC. VICENZO CENOI FORMiS ROM.E. Paul Bril sont : A. Carrache, le Josepin, Rottenhamer, etc.
7u Vue des côtes de la Campanie avec des fabriques et des Ce maître a laissé des dessins parfaitement exécutés à la
rochers, P. BRIL FEC. 1590. plume, avec un lavis de bistre ou d'encre de la Chine sur
8° Autre vue de la même contrée ornée de la même lequel il passait des hachures en tout sens.
façon. Les tableaux de Paul Bril se produisent rarement dans les
Sandrart cite de lui une grande estampe composée de ventes publiques. Voici ce que les catalogues nous ont
ruines et de figures. fourni :
D'habiles artistes ont gravé d'après les compositions de Vente Lorangère, 1744 : un petit paysage sur cuivre,
Paul Bril, entre autres : les Sadeler, C. Galle, Hollar, vendu 200 livres 1 s.
D. Custos, A. J. Prenner, Vorstermann, Hondius, Madeleine Vente duc de Tallard, 1756 : un Paysage orné de
de Pass, Niewlant, qui en a gravé une suite de soixante, etc. chèvres, 171 livres.
Presque toutes les galeries publiques de l'Europe ont des Vente de Jullienne, 1767 : deux Paysages, fabriques,
tableaux de Paul Bril. chutes d'eau, figures, animaux, 1,374 livres.
LE LOUVRE en possède sept : une Chasse aux canards Vente Blondel de Gagny, 1776 : Latone et ses enfants,
avec figures, d'Annibal Carrache; nous l'avons reproduit. 1,880 livres; la Cascade de Tivoli, 1,001 livres; zin
Diane et ses nymphes, que nous avons également gravé, et riche Paysage, 606 ; et d'autres encore qui allèrent à 500 et
quatre autres paysages. Ces tableaux ont été estimés par les 400 francs.
experts du Musée, le premier 2,000 fr., le second 3,000 fr., Vente prince de Conty, 1777 : une Vue, prise de Tivoli,
les autres 1 ,500, 1 ,000 et 800 fr. 612 livres ; un paysage, la Chasse aux canards, 600 livres;
MuNich en a deux ; DRESDE, le même nombre; AMSTERDAM, divers autres atteignirentles prix de 400, 300 et 200 livres.
un seul; BERLIN, trois ou quatre; le MUSEO DELREY, à Vente Randon de Boisset, 1774 : deux paysages, dont l'un
Madrid quatre également. Diane et ses nymphes , s'élevèrent à 5,000 fr. ; un autre de
,.
Au château de Blenheim, en Angleterre, il y en a un si quelques pouces (sur cuivre) atteignit le prix de 801 liv. 1 s.
beau qu'il a longtempspassé pour un ClaudeLorrain. La Tour Nous n'avons trouvé ni marques ni signature sur les pein-
de Babel de ce maître se trouve à Corsamhouse, dans la tures de Paul Bril ; ses eaux - fortes sont marquées comme
collection de la famille Methuen. Nous connaissons encore suit. AD.
Sca/e ffiéamancte. %úéotJfe, t^eueâ) Jfe4?téaa:

HENRI VAN BALEN


É
N* EN 1 'i 6 0 — MOMI F,N IO.S'2.

Dans sa délicatesse, parfois un peu fade, l'œuvre gracieuse


de Henri van Balen marque la transition entre le style
pseudo-italien que des maîtres trop savants avaient tenté
d'acclimater dans les Pays-Bas et le goût purement flamand
de Rubens et de ses élèves. Il demeure évident, toutefois,
que les blanches divinités dont van Balen peuple les
paysages de Breughel, les madones et les saintes qu'il achève
avec tant de soin pour les chapelles discrètes et les
oratoires familiers, appartiennent bien moins à Florence
qu'à Anvers. Malgré les exemples qu'il avait sous les yeux,
cet artiste tranquille et doux n'était pas homme à lutter,
comme l'avaient fait Frans Floris et Otho Venius , contre
les influences toutes puissantes du tempérament natal.
L'élément flamand prédomine donc dans son œuvre. Van
Balen a peint, non sans talent, mais à coup sûr sans passion
et sans génie, une multitude de tableaux, petits par la
dimension comme par la pensée. C'est un maître de second
I)l'tire. Et cependant, il a sa place et son rôle dans l'histoire de l'école flamande, et on ne saurait, sans
injustice, le retrancher du groupe d'artistes qui brillèrent en Flandre pendant les vingt premières années
du dix-septième siècle.
Henri van Balen paraît être entré assez tardivement dans la carrière des arts. Né à Anvers en 1560, il
avait trente-trois ans lorsqu'il fut reçu maître de Saint-Luc. C'est là un fait exceptionnel dans les annales
de l'école, car, on le sait par la biographie de la plupart des peintres flamands, la vie active commençait
ordinairement de meilleure heure pour ces vaillants ouvriers. Il se peut, ainsi qu'on l'a supposé, que les
troubles politiques qui attristèrent les dernières années du seizième siècle aient ajourné ou contrarié
l'éclosion de son talent ; il se peut aussi, et c'est à cette conjecture que nous nous arrêterions de préférence,
que van Balen soit parti tout jeune pour l'Italie, et qu'il ne se soit fait inscrire sur les registres de la
communauté de Saint-Luc qu'au retour de son voyage, en 1593. Ces considérations et d'autres encore
nous conduisent à adopter la pensée des auteurs du catalogue du musée d'Anvers, qui, s'inscrivant en faux
contre une tradition partout répétée, refusent de croire que van Balen ait pu être l'élève d'Adam vanNoort.
Il est certain que ce dernier étant né en 1557, les deux artistes avaient à peu près le même âge, de
telle sorte que, s'il a existé entre eux des relations (dont on n'a d'ailleurs aucune preuve), ce furent sans
doute celles de deux camarades s'occupant ensemble du même art sans que l'un ait été, à proprement
parler, le maître et l'initiateur de l'autre. Ajoutons que la manière soignée et un peu frêle de van Balen
n'a aucun rapport avec les allures libres et puissantes de van Noort.
Van Balen paraît donc s'être formé en Italie. Lorsqu'il y arriva, le seizième siècle, déjà troublé dans sa
foi, inclinait visiblement vers la décadence. Le temps des petites œuvres approchait. N'est-ce pas alors que
débute l'Allemand Rottenhammer, qui passa plusieurs années à Rome et à Venise, et qui, après avoir étudié
le Tintoret, semble l'avoir oublié si souvent? Les influences qui poussèrent l'artiste bavarois à peindre sur
le cuivre ces mythologies où la fraîcheur du ton n'exclut pas la sécheresse du pinceau, van Balen les subit
également, et le rôle qu'il joua à Anvers, à son retour, ne fut pas sans analogie avec celui que Rottenhammer
remplit, de son côté, à Munich et à Augsbourg. Van Balen rapporta de son voyage en Italie un goût singulier
pour les créations de la poésie et de la Fable. Diane et ses nymphes, Vénus et son fils, le berger Pâris
transformé en juge de la beauté, Didon se réfugiant avec Énée dans la grotte amoureuse, furent dès-lors
les sujets chers à son pinceau, qui n'avait pas appris les splendeurs du style italien, mais qui s'imaginait
corriger le goût flamand en donnant aux figures plus de sveltesse et parfois même un peu de manière
et d'afféterie.
Si l'on en juge par le nombre de ses tableaux et par la qualité de ses collaborateurs et de ses amis, van
Balen paraît avoir eu à Anvers les succès les plus honorables, bien qu'ils aient été tardifs. Il est à remarquer
d'ailleurs que l'artiste, aussi peu diligent dans les choses de la vie réelle que dans celles de son art, mit à
se marier une lenteur qui contraste avec le zèle que ses compatriotesapportaient à l'accomplissement de ce
premier devoir de tout bon Flamand. Il avait déjà quarante-cinq ans lorsqu'il épousa Marguerite Briers
(9 septembre 1605). Il en eut huit enfants. La naissance de sa première fille, en 1607, nous donne
occasion de remarquer que, dès cette époque, vaR Balen avait noué d'étroites relations d'amitié avec
Breughel de Velours, puisque ce fut le fin paysagiste qui servit de parrain à la petite Madeleine. Deux ans
après, van Balen rendait le même service à son ami. En 1613, les deux familles étant de plus en plus liées,
un autre enfant de van Balen et de Marguerite Briers eut pour marraine la femme de Breughel. Il n'y a
rien là qui doive nous surprendre. Comment n'auraient-ils pas vécu dans une étroite intimité de cœur, ces
deux peintres qui mettaient si souvent en commun leur talent et leur pinceau? Bien des œuvres, sinon
fortes, du moins agréables, sont nées de celle collaboration intelligente. Breughel disposait le décor du
théâtre, paradis peuplés d'animaux aux couleurs chatoyantes, gazons verts émaillés de mille fleurettes;
quand la scène était préparée, van Balen y introduisait des personnages empruntés, le plus souvent, à la
fable antique, mais quelquefois aussi à la légende chrétienne, comme le groupe de la Sainte Famille, par
exemple, ou le sujet du Repos en Egypte, pour lequel il paraît avoir eu une prédilection marquée. Van
Balen et Breughel se faisaient des concessions mutuelles, et s'entendaient pour que chacun des éléments du
tableau conservât sans nuire à l'ensemble, son importance et sa valeur. L'heureuse association des deux
peintres aurait sans doute duré longtemps, si la mort du paysagiste, survenue en 1625, n'eût brusquement
interrompu le Iravail poursuivi en commun. Mais van Balen demeura fidèle au souvenir de Breughel, et
celui-ci ayant laissé des enfants mineurs, la tutelle resta confiée à l'ami survivant, associé dans cette
œuvre pieuse à Corneille Schpt et à Rubenslui-même.
Henri van Balen, affilié, ainsi que nous l'avons dit, à la ghilde de Saint-Luc, se montra dévoué aux
intérêts de la corporation. Il eut l'honneur de remplir les fonctions de doyen pendant l'année 1609-1610.
Il ne négligea d'ailleurs aucune occasion de rendre service à ses confrères. En 1618, à propos d'un concours
ouvert par une association rivale, il peignit, avec l'aide de Breughel de Velours, de F. Francken et de

Sébastien Vrancx, les figurines d'un blason symbolique, qui obtint le premier prix, œuvre singulière que
nous nous souvenons avoir vue à l'Exposition des tableaux anciens, organisée à Anvers en 1855, et qui
montre, avec un heureux sentiment de la couleur, un certain goût somptueux et décoratif.
Si nous avons rappelé ce fait, si peu significatif en apparence, c'est que nous y voyons la preuve que, s'il
l'eût voulu, van Balen aurait pu mieux faire que d'étoffer, d'une manière un peu monotone, les
paysages de ses amis. C'est, en effet, la variété qui manque à son œuvre. Florent Lecomte a beau dire :
«Van Balen a traité toutes sortes d'histoires, » l'artiste, inhabile à se renouveler, a abusé de la Sainte-
Famille qu'il assied au pied d'un arbre dans une Égypte chimérique; il nous a montré trop souvent Diane
partant pour la chasse avec ses nymphes, les Dieux attablés comme de simples mortels, les éternelles
allégories des Saisons ou des Éléments. La force manque d'ailleurs, comme l'invention, aux créations
doucereuses de van Balen ; l'exécution y est caressée à l'excès; la blancheur systématique des chairs,
au lieu de voiler les infirmités du dessin,, accuse au contraire la rondeur banale des formes; enfin, quoique
van Balen ait aimé la lumière, quoiqu'il ait cherché la grâce, on sent d'autant mieux dans son œuvre
quelque chose d'un art de décadence, que son succès est contemporain de l'heure glorieuse oit Rubens,
revenu d'Italie, va ouvrir à l'école flamande des chemins splendides et nouveaux.
Van Balen put assister à cette grande transformation, car il ne mourut que le 17 juillet 1632. Sa femme
lui survécut six ans; puis, lorsqu'elle l'eut rejoint dans le tombeau, leurs enfants firent placer en leur
honneur, contre un des piliers de l'église Saint-Jacques, un petit monument qui existe encore. Il se
compose d'un tableau central, peint par van Balen lui-même, et représentant la Résurrection de Jésus-Christ
et les portraits du peintre et de Marguerite Briers, mélancoliques effigies où van Dyck a acquitté la dette
de son cœur, car il avait été l'élève du vieux maître, et il ne l'oublia jamais.
Van Balen avait eu six fils. Trois d'entre eux, Jean, Gaspard et Henri, paraissent avoir suivi la profession
de leur père ; mais Jean est le seul dont l'histoire se souvienne. Né à Anvers en 1611, il y mourut en 1654.
Sandrart, qui lui a consacré quelques mots, raconte qu'il voyagea en Italie et que les œuvres, de grande ou
de petite dimension, qu'on peut voir dans sa ville natale, demeurent comme un éternel témoignage de son
habileté. Quant il nous, nous serions moins indulgent pour Jean van Balen. Les rares tableaux que nous
avons vus de lui, notamment la Trinité de l'église Saint-Jacques, montrent qu'il avait subi les influences de
Rubens, mais qu'il n'est, à côté du maître souverain, qu'un disciple effacé et affaibli. Quant à ses frères,
Gaspard et Henri, ils ne paraissent pas avoir franchi les limites d'une honnête médiocrité.
Ainsi, bien que la famille des van Balen ait donné quatre peintres à l'école d'Anvers, le chef de la maison
parvint seul à se faire une renommée. 11 n'eut cependant aucune des qualités viriles qui font les artistes
puissants, il ne sut pas racheter par les magnificences du pinceau ce que son style avait de vulgaire et
de hasardeux; mais Henri van Balen a été le maître de van Dyck et de Snyders, et, grâce à cette heureuse
fortune, l'histoire ne peut plus l'oublier.
PAUL M AN TZ.

M(E]iimms HT
Le portrait de van Balen, peint par van Dyck, a été gravé cours de 1618, en collaboration avec F. Francken, Breughel
par Paul Pontius. de Velours et Sébastien Vrancx.
— Le Repas des dieux (signé H.
MUSÉE DU LOUVRE.
— Hommage de Bacchus à Diane.
V AMSTERDAM.
BALEX). Les figures d'Uranie et des Zéphyrs dans le
— ta- BRUXELLES. L'Abondance et l'Amour (paysagede Breu-

bleau de l'Air, de Breughel de Velours ^1621). ghel).
— La Vierge et l'Enfant Jésus
ANVERS. NOTRE-DAME. FLORENCE.
— Le Mariage de la Vierge.
(panneau central d'un triptyque). Égypte, dans un paysage de van
— Repos en
GLASCOW.
SAINT-JACQUES. — La Résurrection. C'est le tableau qui Uden.
orne l'épitaphe de van Balen. LILLE. — Repos de la. Sainte Famille, paysage de Breu-
SAI-,T-CHARLES-BORROIIÉE. Quatre petits tableaux. ghel.

SAINT-PAUL. — L'Annonciation. LOUYAIN. Baptême de Jésus-Christ.

— Prédication de saint Jean-Baptiste. Ce tableau,
MUSÉE.
— Saint Jérôme, Bacchanale, Repos de Diane,
MUNICH.
placé autrefois à la cathédrale, dans la chapelle des Menui- des Nyiiil)hes dans une forêt, les Quatre Saisons (avec Breu-
siers, est cité avec éloge par Descamps. Mensaert le regarde ghel" le Banquet des dieux, etc.
,
comme un des chefs-d'œuvre du maître. ROTTERDAM.
— Mort de sainte Claire.
Deux volets d'un triptyque. Chacun de ces panneaux re-
— La Sainte Famille (paysage de Breughel).
TURIN.
présente un Concert d'anges. Sur le revers sont les figures VIENNE. — L'Assomption de la Vierge, l'Enlèvement
de saint Philippe et de sainte Anne. Réunis au tableau cen- d'Euro/le.
tral, qui est resté à la cathédrale, et que nous avons indiqué VENTE LANEKER (Anvers 1769). Une Bacchanale (paysage

plus haut, ces volets ornaient le monument de Philippe de Breughel). 150 florins; la Prédication de saint Jean, 95
Heemscn et de sa femme. florins.
CABINET DE M. WILLEMS.
— La Vierge avec l'Enfant VENTE SCHAMI» D'An:scHooT(Gand.1840).—ÉnéeetDidon.
Jésust au milieu d'une guirlande de fleurs, de Breughel. Vi'NTE STEVENS(1847).— Le Retour de la chasse, paysage
— Blason peint pour le con-
CABINET DE M. REYNWÏT. de Kierings. 201 fr.
rffcole f#lamande. >/'et /rytf //S^é/fec^o-ried.
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ABRAHAM JANSSENS
NÉ EN 1567. - MORT VERS 1631.

Il suffit d'avoir feuilleté au hasard une


biographie de Rubens pour savoir que
lorsque, à son retour d'Italie, le grand
coloriste d'Anvers inaugura dans l'art
flamand une méthode splendide et
nouvelle, il se rencontra un audacieux, un
fou peut-être, qui, refusant de s'incliner
devant le maître, osa le défier le pinceau
à la main. Cet aventureux champion des
causes perdues, c'était Abraham Janssens.
Grâce à cette anecdote, authentique ou
controuvée, Janssens, au milieu de tous ceux qu'on oublie, jouit encore d'une notoriété qui ne périra
pas. La grande renommée de Rubens protége à jamais l'humble peintre qui, dans un accès de délire,
essaya, dit-on, de se mesurer avec lui.
Abraham Janssens. né il Anvers en 1567, avait dix ans de plus que Rubens. En 1585, il entra dans
l'atelier de Hans Snellinck. Ajoutant aux leçons de ce maître les enseignements qu'il puisa dans l'étude
assidue de la nature, le jeune peintre fit de rapides progrès. Une excursion en Italie compléta son
éducation d'artiste. L'histoire, il est vrai, ne parle pas de ce voyage ; mais comme Abraham a été associé
à la confrérie des Romanistes, comme le caractère de son dessin et de son coloris est profondément italien, il
n'est pas douteux pour nous qu'il n'ait fait au delà des monts un certain séjour. Nous en trouverions au
besoin une preuve nouvelle dans la date tardive de sa réception parmi les membres de la corporation
de Saint-Luc. Il ne fut reçu franc-maître qu'en 1601, et il va tout lieu de supposer qu'il revenait alors de
Rome.
A l'époque où Janssens commença à faire parler de lui, l'école flamande était en voie de transformation.
Le vieux Martin de Vos travaillait encore d'une main défaillante et Otho Venius était alors le plus fidèle
représentant des idées ultramontaines. Abraham Janssens fut d'abord le continuateur de ces maîtres;
il se montra partisan de la forme correcte et serrée, du dessin strict et précis. Bien qu'il fût quelque peu en
retard sur le mouvement contemporain, le succès vint à lui; ces patientes méthodes suffisaient e"n 1601 :
Rubens, absent, n'avait pas encore jeté sur l'art flamand sa grande flamme.
Ici se place dans la vie d'Abraham Janssens un fait qui, s'il en fallait croire les biographes, aurait
exercé sur l'ensemble de sa carrière une influence décisive. Le 1er mai 1602, Janssens épousa à Anvers
Sara Goetkindt, la fille d'un peintre que des liens d'amitié et sans doute des affinités d'école rattachent à
la famille des Breughel. A propos de ce mariage, l'histoire ne nous donne qu'un nom et une date; elle
ajoute seulement que six enfants sortirent de cette union, et que la femme de Janssens survécut quelques
années à son mari. Mais les conteurs d'anecdotes en savent bien davantage. Pour eux, le mariage de
Janssens est le premier chapitre d'un roman qui ne s'achève qu'à la mort du peintre. Sandrart rapporte
que la jeune fille qu'Abraham avait épousée était d'une beauté merveilleuse, que l'artiste en était amoureux
jusqu'à en perdre l'esprit, et qu'il passait son temps à ses genoux au lieu de travailler, comme un honnête
mari le doit faire, pour sa femme et pour ses enfants. D'après l'historien de Nuremberg, Janssens
est uné victime de l'amour, ce doux mal, morbus suavis, qui charme et qui torture les cœurs
qu'il possède. Toujours empressé de complaire à sa jeune épouse, Abraham ne la quittait plus,
et, comme elle aimait les plaisirs et le bruit, il lui sacrifia ce qu'il avait de fortune, la conduisant de
fête en fête, et oubliant, dans sa constante ivresse, les soins vulgaires mais sacrés du père de famille
deambidationibusvacans rem familiarem nlinÙs curabat). Descamps redit le même conte: «Janssens perdit
un temps précieux dans les promenades; les guinguettes lui servaientd'atelier; il devint pauvre. » L'auteur de
la Vie des Peintres flamands a ici manqué de courage; il fallait suivre Sandrart jusqu'au bout; il fallait ajouter
avec lui que Janssens, trop attentif aux leçons qu'on prend dans les tavernes, était devenu très-amoureux
de la bonne chère; que l'assaisonnement d'un mets délicat finit par être pour lui une grosse affaire; qu'il
s'essayait parfois lui-même dans cet art difficile; enfin, pour tout dire en un mot, que Janssens, descendu
des hautes régions qu'habite l'idéal, s'était presque fait cuisinier '. Il y a évidemment dans de pareils récits
beaucoup d'exagération et de caprice. On ne s'imagine pas Abraham Janssens occupé de soins si puérils,
lorsqu'on sait que, pendant l'exercice 1606-1607, la ghilde de Saint-Luc lui faisait l'honneur de lui confier
les fonctions de doyen, ce qui était plus encore un hommage rendu à son caractère qu'à son talent.
Toutefois, le temps de la lutte approchait. Janssens jouissait en paix de sa célébrité et de son bonheur
lorsque, en 1608, Rubens, qu'on n'attendait pas sitôt, revint à Anvers. Le jeune peintre ne fut pas long
à rallier autour de lui les anciens amis de son enfance. Il mettait
au service d'une imagination puissante
un pinceau si hardiment lumineux, qu'il séduisit, en quelques jours, les juges qui, d'après leur éducation
et leurs habitudes, auraient dit lui être le plus hostiles. Le coup fut rude à Abraham Janssens. L'ancien

(1) Le texte de Sandrart est trop curieux pour n être


pas reproduit : « Perquè urbem dismrsitans de nobis quibusdam esset
sollicitus sivè piscibus exoticis et hollandicis, sicè aliis quibusdam cibis italicis,
quos deindè ipscmet lautissimè lJrœparabnt,
cumque socds quibusdam aliis iii ter poeula consumebat. (Academia nobilissinueartis I)ictort([,. IGtn,p. 291.).
disciple de Snellinck croyait à un art plus sage, à une coloration moins éclatante, et puis —car l'intérêt
personnel a sa place dans tous les sentiments humains — le succès de Rubens le dépossédait de son succès.
Il fit donc au glorieux maître une sorte d'opposition, et, à l'heure où la plupart des peintres se
transformaient, il persista dans sa manière. C'est alors que, d'après les biographes de Rubens, Janssens

fit proposer un défi au grand coloriste : les deux peintres devaient traiter le même sujet, et un jury
composé avec impartialité aurait jugé le résultat de la lutte. Rubens accueillit par un sourire cette
proposition singulière; il fit dire à son rival que ses tableaux ornaient les églises et les palais d'Italie,
de Flandre et d'Espagne; que Janssens n'avait qu'à placer ses œuvres à côté des siennes, et que la
comparaison se ferait d'elle-même; puis, revenant à des soins plus graves, il reprit dans son atelier le
tableau commencé. Le duel proposé n'eut donc pas lieu, et Janssens fut vaincu sans combat.
Sans combat?... ce serait peut-être trop dire : une circonstance se rencontra où Rubens et Abraham
furent en concurrence. Il y avait autrefois dans la salle du Serment, à l'Hôtel-de-Ville d'Anvers, deux
tableaux qui se faisaient pendant et que les deux maîtres paraissent avoir peints à la même époque. Celui
l
de Janssens représentait l'Union, l' Abondance et Amour ; celui de Rubens, Mars couronné_pai, la Victoire.
Mensaert établit entre ces compositions un curieux parallèle . « Il n'est pas étonnant, dit-il, que les deux
maîtres aient travaillé à l'envi l'un de l'autre pour faire ces deux chefs-d'œuvre; je crois même qu'il est
assez difficile de juger qui des deux a remporté le prix; selon mon idée, si Rubens a plus de brillant dans
sa couleur, il me semble que A. Janssens est plus net et plus correct. »
N'en déplaise à Mensaert, il ne nous paraît guère croyable que Janssens ait pu se tirer avec tant
d'honneur d'une lutte aussi dangereuse. Le tableau de Rubens est vraisemblablementcelui qui est conservé
au musée de Tours : il est splendide. L'autre terme de la comparaison nous manque; mais, si parfait
qu'on le suppose, il était évidemment fort inférieur à l'œuvre si lumineuse et si vivante du grand maître
d'Anvers. Ce qu'il nous importait de noter, c'est que, par l'effet d'un hasard ou d'un concours raisonné de
deux volontés, les deux peintres se trouvèrent un jour face à face, et que, sous ce rapport du .moins, la
légende n'a pas tout à fait tort. Mais elle se trompe quand elle assure que Janssens mourut pauvre.
Bien que délaissé par une portion du public, il conserva son prestige aux yeux de tous ceux qui, malgré le
triomphe de Rubens, tenaient encore pour les méthodes anciennes. Les églises, les couvents, continuèrent
de le faire travailler. Aussi, il garda dans Anvers et ailleurs la considération qui lui était due, et toujours il
marcha de pair avec les plus illustres, avec les meilleurs. Enfin, des documents authentiques nous
apprennent que, loin de s'éteindre dans la misère et l'abandon, il était riche et heureux, lorsque la mort
le vint prendre, vers la fin de l'année 1631, ou, en tout cas, avant le 17 septembre 1632.
Le véritable malheur de Janssens, car il y eut en effet dans sa vie une calamité qui pèse encore sur son
finit et l école de
nom, c'est que, placé sur la limite de deux siècles, entre l'école italico-flamande qui
Rubens qui commence, il n'a fait aucune concession à la mode nouvelle. Lorsque Rubens est splendide,
Janssens demeure terne; le savant coloriste excelle à noyer ses contours dans la transparence des
demi-teintes;les ombres chez Janssens sont d'ordinaire noires et lourdes,et ses lignes se découpentdurement
sur la toile. Abraham, il est vrai, est plus italien dans son style, plus soucieux des belles formes et
des beaux types; mais dans ses compositions, il est pauvre, tandis que Rubens a l invention puissante,
l'imagination éternellement féconde, le luxe splendide d'un roi d 'Orieiit. Si bien disposé qu 'on puisse être
envers Abraham Janssens, on conçoit qu'il dut être vaincu dans la lutte qu 'il osa soutenir, car
le duel
avait lieu à Anvers ; les juges croyaient à la couleur, au mouvement, à la lumière, et Janssens, pour
combattre le plus flamand des peintres, avait renoncé par avance à toutes les armes de l'art flamand.
PAUL MANTZ.

MUSÉE D'ANVERS, — Sainte Famille. Saint Jean présente GAND. ÉGLISE SAINT-PIERRE. — La Pêche miraculeuse.
des cerises au petit Jésus. SAINT-BAVON. — Descente de Croix. Ce tableau, dit Des-
L'Adoration des Mages, tableau provenant de l'ancienne camps dans son Voyage pittoresque, c est d'une grande et
église des Dominicains. belle manière, correct et ferme de dessin. »
La Ville d'Anvers et l'Escaut. Cette allégorie ornait autre- SAINT-NICOLAS.— Saint Jérôme, « tableau dur, mais non
fois la cheminée de la salle des États, à l'Hôtel-de-Ville. sans mérite, » a dit le même écrivain.
ÉGLISE SAINT-CHARLES-BORROMÉE. — Les Douze Apôtres. MALINES. SAINT-ROMBAUT. Saint Luc peignant la Vierge.
BERLIN. — Méléagre, Pomone. STOCKHOLM.— Moïse frappant le rocher.
BRUGES. CATHÉDRALE SAINT-SAUVEUR. — L'Adoration des TOULOUSE. — Le Couronnement d'Épines, tableau pro-
Bergers, tableau provenant de la chapelle des Bouchers. venant d'une Église de Gand.
BRUXELLES. — La Foi et l'Espérance soutiennent la Vieil- VENTE VAN LANEKKR (Anvers 1769). — Un Vieillard et
lesse contre les fatigues du temps. une vieille Femme (25 pouces sur 18). 70 florins.
Oco-fe f^famanc/e. Stiferteu-rd (/'Saâaed.

PETER NEEFS
NÉ VERS 1570. MORT VERS 1638.

Nulle part les pompes du catholicisme ne s'étalent avec plus de


magnificence que dans les églises de Flandre et il n'est pas
,
surprenant que des artistes aient choisi pour sujet constant de leurs
peintures les scènes variées qui chaque jour s'y passent, éclairées
d'une poétique lumière. Il n'en est point des églisesde Belgique comme
de ces cathédrales du moyen âge que les Hollandais ont transformées
en temples protestants, et dont les murailles n'étalent aux yeux que
l'effrayante nudité de leurs parois austères. Tout, au contraire, y a
sa couleur, son accent, sa poésie. Ce ne sont partout que des
merveilles de l'art, des confessionnaux aux riches sculptures, des
stalles artistement fouillées, des chaires de vérité toutes chargées
d'allégories.Ici des inscriptionstumulaires et des blasons interrompent
les dalles et les varient de tons bleuâtres; là de brillants ex-voto
sont suspendus dans la demi-obscurité des voûtes; au faîte des piliers de la nef sont encastrés les écussons
armoriés; au fond des chapelles flamboient des tableaux d'une coloration splendide; de pieux triptyques
s'élèvent sur les autels privilégiés, ornés de reliquaires et fermés par des grilles en fer ouvragé; enfin
d admirables vitraux décomposent les
rayons du soleil et les font passer par toutes les couleurs du prisme.
Toutefois les historiens de l'art flamand n'ont jamais accordé qu'une attention distraite aux œuvres et à la
vie de ces maîtres patients autant qu'habiles qui, séduits par la poésie de la lumière, ont dépensé leur
existence à reproduire dans leur réalité parfaite des intérieurs d'église et des perspectives. S'ils parlent des
deux Steenwyck, de Peter Neefs et de son fils, de Van Nickelen et d'Emmanuel de Witt, c'est du bout
des lèvres, en courant, et comme si leur impatience avait hâte d'arriver à de plus intéressants sujets.
Houbraken, par exemple, ne trouve rien à dire sur Peter Neefs, sinon que ce peintre peignait des intérieurs
d'église, «genre de peinture, ajoute-t-il, que j'aime mieux voir faire aux autres que de le faire moi-même. »
Les biographes ont longtemps confondu les deux Neefs, ainsi qu'ils avaient fait pour les deux Steenwyck, et
ils ont si bien embrouillé les dates et les œuvres, que c'est à peine si la critique moderne, dont l'ambition est
d'éclaircir toutes les choses obscures, peut parvenir à se reconnaître dans ces ténèbres. Un point toutefois
demeure certain, c'est que des deux Peter Neefs, le père-c'est celui dont nous parlons ici— fut de beaucoup
le plus habile et le plus recherché. Il était né vers 1570 à Anvers, et il avait eu pour maître Henri Van Steenwyck,
premier du nom, artiste consciencieux, mais qui fut dépassé dans la spécialité de son art par son élève et par
son fils. Le vieux Steenwyck s'en tenait à la reproduction exacte de la réalité. Il peignait des intérieurs
d'église, et l'on peut dire qu'il fut le créateur de ce genre de peinture; mais strictement fidèle à la vérité,
il copiait en géomètre les lignes élégantes de cette architecture ogivale qu'il aurait dû comprendre en
poète, interpréter en peintre. C'est à cette école que se forma Peter Neefs, presque en même temps que
Steenwyck le fils, qui devait être avec lui le grand peintre de perspectives de la Flandre, au dix-septième siècle.
A l'heure où il perdit son maître (1604) Peter Neefs était déjà lui-même un artiste savant et sinon célèbre
,
encore, du moins connu à Anvers et dans les villes voisines. La mort de Steenwyck eut pour son disciple un
double résultat: en même temps qu'elle le faisait passer au rang des maîtres, elle l'affranchissait d'une
influence qui avait peut-être son danger pour un homme qui visait à la perfection même. Ce fut en effet vers
cette époque que Peter Neefs modifia et éclaira sa manière. Trop fidèle d'abord aux leçons du vieux Steenwyck,
il avait longtemps peint d'un pinceau un peu sec et dans des gammes un peu sombres : l'étude assidue de la
nature lui donna une touche plus moelleuse; il sentit que l'interposition de l'air adoucit les contours tout en
leur laissant une précision suffisante; il vit que la nature n'est jamais noire, que l'ombre même la plus épaisse
a d'imperceptiblesdemi-teintes; il commença dès lors à faire des tableaux plus blonds, plus transparents
et plus clairs. Ce fut sa seconde manière, celle que les amateurs véritables ont toujours préférée.
Celte transformation parut heureuse aux contemporainsmême de Peter Neefs, et cependant, si distingué
qu'il fût par son talent de la foule des artistes ordinaires, il est resté sans biographie. Il a vécu, il s'est
éteint sans bruit. Les collecteurs d'anecdotes n'ont rien à nous conter sur ses mœurs, sur son caractère, sur
ses habitudes. Ils ne savent pas même la date exacte de sa mort. C'est qu'apparemment Peter Neefs, avec
ses éternels intérieurs d'église, n'amusait pas assez leur curiosité frivole. Qu'était-il pour eux? Un ouvrier
plutôt qu'un artiste, étroitement attaché à la reproduction d'une réalité qui ne les intéressait guère, un
homme habile dans l'exécution, mais sans invention et sans poésie. Peter Neefs peignait admirablement
les cathédrales de la Flandre, mais il ne peignait que cela, et il ne savait pas même, dans la mesure
limitée de son talent, dessiner les figures qui devaient peupler ses églises vides. Il est vrai qu'il chargea de ce
soin des mains exercées, celles de Franck, par exemple, de Teniers, de Van Thulden et parfois même de Breughel
de Velours et du grand Rubens. Mais n'est-ce pas un fait digne de remarque et grandement à l'honneur
de Peter Neefs que l'empressement de tous ces maîtres si renommés à illustrer ses Intérieurs d'église de
leurs figures pittoresques? N'est-ce point une preuve de la haute estime qu'ils avaient pour lui?
Fraternellementuni à tous ces peintres qui brillèrent dans la première moitié du dix-septième siècle, Peter
Neefs passa au milieu d'eux sa vie toujours occupée et toujours obscure. Il ne voyagea pas. Pourquoi
aurait-il entrepris des courses lointaines? N'avait-il pas à sa porte tout ce qu'il fallait à son ambition? La
cathédrale d'Anvers, qu'il a si souvent reproduite aux diverses heures du jour et sous tous ses aspects,
grandioses ou mystérieux,était l'unique but de ses quotidiens pèlerinages, et devint le motif le plus familier
de ses petits chefs-d'œuvre. Ce fut dans cet étroit horizon qu'il enferma sa carrière et son rêve. Peter Neefs
mourut à Anvers, avant tous ses amis, vers 1638 ou 1639.
Il laissait, avec un nom justement respecté, un grand nombre de tableaux, différents par la manière, mais
(l'une perfection qui quelquefois défie toute critique. Mêlant à la connaissance parfaite de la perspective
géométrique un sentiment exquis de la perspective aérienne, il savait concilier la dégradation des plans
soient du premier temps de sa vie ou de la
avec la précision des lignes. Que les peintures de Peter Neefs
lin, qu'elles soient d'une teinte lumineuse ou assombrie, elles se recommandent toujours par une rare
puissance d'illusion. Il semble que Peter Neefs ait par avance deviné le daguerréotype. Impossible d'avoir
l'œil plus juste, impossible aussi d avoir la main plus sûre, et s ils n ont pas l onction et le charme de la

photographie,,ses tableaux en ont la fidélité merveilleuse, et il est déjà surprenant que, par sa seule
intuition, un artiste soit arrivé au pressentiment des plus intimes secrets de la nature.
Peter Neefs était trop intelligent des vraies conditions de l'art pour ne voir dans une église que des piliers
et des murs. Un autre à sa place eût été froid peut-être — et son maître Steenwyck n'avait pas su éviter ce
défaut; — mais Neefs fut toujours un peintre intéressant, sans cesser d'être un géomètre irréprochable.
Il n'est pas un de ses tableaux qui n'amuse les yeux, souvent même l'esprit. Tout le drame de la vie
religieuse se noue et se dénoue dans les claires églises dont sa main savante nous ouvre les portes. Ici
c'est un baptême, là une messe funèbre; plus loin, dans une chapelle discrète, c'est un mariage. Une autre
fois, c'est une procession qui passe, lente et solennelle, ou c'est un prêtre qui, suivi d'un pieux cortège, va
porter le viatique à un moribond, ou bien encore c'est une file de jeunes communiantes en voile blanc. Et
puis tout ce petit monde flamand, si assidu aux observances du culte, est là qui passe et repasse, qui
chuchote avec le bedeau, qui se rend à la sacristie, donne l'eau bénite, fait brûler des cierges, s'agenouille
à confesse, s'assied pour chanter les psaumes, murmurer des patenôtres ou égrener le chapelet.
Il y a mieux encore que tout cela dans les tableaux de Peter Neefs : il y a la lumière, ce poëme en trois chants,
ce beau poëme du jour, du soir et de la nuit, dont l'artiste a connu et révélé toutes les splendeurs, tous les
mystères. Il a représenté des églises aux pâles rayons du matin, aux vives clartés de midi, aux lueurs
tombantes du crépuscule; il a même, par une sorte de tour de force qu'il faut admirer, il a peint la nuit,
et les trop rares tableaux où il a essayé de le faire sont peut-être ses chefs-d'œuvre.
Peter Neefs a laissé un fils qui a porté le même nom que lui, s'est adonné au même genre et s'est
approprié si bien les procédés de son père qu'on a pu souvent le confondre avec lui. Cependant, à y regarder
de près, on le trouvera inférieur au vieux Neefs, car il est à la fois plus sec et plus épais; ses lignes, droites ou
courbes, sont tirées avec moins de délicatesse et viennent quelquefois à l'œil. Il n'a pas su, aussi bien que son
père, faire fuir les murs et les pavés par le jeu combiné des deux perspectives. Peter Neefs le jeune, né à
Anvers à une date qu'on ignore, y mourut en 1651.
Aux qualités pittoresques que réunissent les œuvres des deux Neefs, le temps vient ajouter un mérite
nouveau. Les délicates peintures dans lesquelles ils ont reproduit la physionomie intérieure des églises de
Flandre étaient déjà précieuses pour les contemporains : elles le sont bien plus encore pour nous, qui pouvons
les considérer comme des restitutions anticipées de ces beaux monuments. Pour mon compte, je n'ai jamais
regardé un tableau de Peter Neefs, qu'il n'ait réveillé en moi les impressions diverses que produit la vue d'une
église gothique, soit qu'on y entre aux heures languissantes de l'après-midi, soit qu'on s'y trouve surpris
par l'ombre du soir, alors que les vieux vitraux, ne montrant plus que des figures indécises, ressemblent à
un grimoire cabalistique de caractères inconnus; soit entin qu'on arrive à l'heure solennelle du salut, quand
le tabernacle étincelle de flambeaux, que des nuages d'encens couvrent le sanctuaire, et que des prêtres,
revêtus de leurs dalmatiques, président au concert que font entendre les voix angéliques des enfants de
chœur et des épouses de Dieu.
CHARLES BLANC.

IMIffiMiK OT
Les tableaux de Peter Neefs ne sont pas communs. Il y en est éclairé par la lumière du jour, l'autre par la lueur
a cependant neuf au MUSÉE DU LOUVRE. Ce sont tous des des flambeaux. 800 liv. Autre Intérieur où l'on voit un pré-
Intérieurs d'église, à l'exception d'un seul qui représente dicateur en chaire. Les figures, comme dans le tableau pré-
Saint Pierre délivré de prison. cédent, y sont peintes par Van Thulden. 600 liv.
MUSÉE DE BRUXELLES. L'Intérieur de la cathédrale d'An- VENTE BRAAMCAMP, 1771. La grande église Notre-Dame
vers. On y voit la cérémonie d'un baptême. d'Anvers, très-ornée de figures et de peintures par Rubens.
MUSÉE D'AMSTERDAM.Vue d'une église catholique donnant 510 florins. — Deux tableaux représentant deux chapelles de
sur le maître-autel. Notre-Dame d'Anvers. Les figures sont peintes par Franck.
VIENNE. Vue de la cathédrale d'Anvers. On y remarque 675 florins.
quantité de figures peintes par un des Franck. VENTE RANDON DE BOISSET, 1777. Deux tableaux d'un fini
MUNICH. L'Intérieur d'une église pendant la nuit. On voit précieux. Les figures sont de Teniers. 1,202 liv.
y
un prêtre qui porte le viatique à un malade. VENTE PRINCE DE CONTI. Intérieur d'une église flamande
GALERIE DE FLORENCE. Un Intérieur d'église. enrichie de figures par Franck. Tableau provenant de la vente
Les tableaux de Neefs sont précieusement finis et chers du duc de Choiseul, ci-dessus mentionnée. 820 liv.
en proportion. VENTE LEBOEUF, 1782. Les deux Intérieurs d'église qui ont
VENTE LORANGÈRE, 1745. Deux petites Vues d'église, figuré dans la vente Randon de Boisset. 601 liv.
sur
bois, très-fines. 2H liv. VENTE CARDINAL FESCII, 1845. Intérieur d'une église go-
VENTE DUC DE CIIOISEUL. Intérieur d'une église flamande. thique, orné de figures peintes par Séb. Franck. 46 scudi,
On y voit des figures de Franck. -1,002 liv. soit environ 260 francs.
VENTE JULIENNE, 1767. Deux Intérieursd'église, dont l'un
Gca/r Sb/.eàf w/iytruce

FRANÇOIS PORBUS (LE JEUNE)


NÉ EN 1570. — MORT FN 1 f>2"2.

Dernier rejeton d'une famille de peintres qui a tenu une grande


place dans l'histoire de l'art flamand, François Porbus ou Pourbus,
qu'on appelle ordinairement le jeune, pour le distinguer de son père,
est né à Anvers en 1570. On sait peu de chose de sa vie, et ses
commencements surtout sont restés obscurs. Il trouva dans sa propre
maison un maître exercé. Docile aux enseignementspaternels, il apprit
à peindre, non-seulement le portrait, mais aussi l'histoire, et nous
verrons tout à l'heure qu'il a traité ces deux genres avec un mérite
presque égal. Malheureusement, une mort prématurée lui enleva son
père à un âge où il ne pouvait guère posséder que les premiers
rudiments de son art. Sa mère se remaria, et le jeune François se
trouva dès lors abandonné au hasard de ses propres inspirations. Ses
progrès n'en furent pas moins rapides : il avait vingt et un ans lorsqu'il
fut reçu franc-maître de la corporation de Saint-Luc (1591).
François Porbus commença par voyager. Quel pays parcourut-il
d'abord, personne ne le sait d'une manière certaine; mais Mariette
assuré qu'il a visité l'Italie '. Cette excursion n'aurait rien d'invraisemblable; toutefois, le style de Porbus
n a gardé aucune trace de l'étude des maîtres italiens. Pilkington, qui paraît ne pas vouloir se compromettre,

1 Voy. VAbecedario de Mariette, t. IV, p. 199, et la Description de la Fille de Paris, de Germain Briœ, 1752. T. I, p. 528.
dit simplement qu'il voyagea en Europe, et qu'au retour de son expédition il vint se fixer à Paris. A quelle
époque? On l'ignore. Pour nous, nous croyons que François Porbus n'est pas venu en France avant 1600;
mais il y a lieu de penser qu'il a assisté à la seconde moitié du règne de Henri IV. Paris avait alors donné
asile à une véritable colonie d'artistes flamands. Reçu et guidé par ses compatriotes, Porbus commença
par faire des portraits; peu à peu, il parvint à être connu des gens de cour et il fut même admis à l'honneur
de peindre le roi : soit qu'il se soit servi fréquemment de la même étude, soit que Henri IV ait consenti
à poser plusieurs fois devant lui, Porbus a souvent répété le portrait de ce prince. Toutefois, ce n'est
qu'en 1610 que l'artiste acheva la charmante effigie que conserve le Louvre ; je veux parler de celle 011
Henri, debout, vêtu de noir et portant le cordon de l'ordre du Saint-Esprit, est représenté posant la main
droite sur une table. Œuvre précise et délicate, cette peinture est devenue le type pour ainsi dire officiel
de tous les portraits de Henri IV.
Le Musée de Valenciennes montre de François Porbus deux tableaux qui donnent de sa manière une
idée vraiment excellente. Le premier est le portrait de la princesse Dorothée de Croy : il a été peint en
1615; le second, qui date sans doute de la même époque, est le portrait des deux enfants de la princesse.
Rien ne se peut voir de plus naïf, de plus charmant, de plus vrai. Bien que l'exécution soit serrée et
patiente, il y a dans ces peintures, dans la dernière surtout, des qualités très-flamandes, soit dans la
coloration fraîche et tendre des carnations d'enfant, soit dans la largeur spirituelle des costumes et des
accessoires.
Porbus, qui savait si bien faire vivre une tête dans un cadre étroit, excellait aussi à grouper
naturellement plusieurs personnages dans un de ces portraits à la fois familiers et solennels qu'on
aimait tant alors. Les magistrats de l'Hôtel-de-Yille de Paris connurent bientôt quel était le mérite de
Porbus en ce genre, et ils employèrent souvent son pinceau. Les événements du règne de Louis XIII
lui inspirèrent deux vastes compositions. La première était relative à la minorité du jeune fils de Henri IV,
la seconde à sa majorité. Tous les écrivains qui ont parlé de ces peintures s'accordent à en faire le plus
vif éloge. Mariette, juge difficile pourtant, les cite avec admiration. Il est à jamais regrettable que
ces œuvres aient disparu pendant la Révolution. Indépendamment des deux tableaux que nous venons de
rappeler, Porbus avait peint pour l'Hôtel-de-Villequelques compositions également importantes : on sait, par
exemple, qu'il fut plusieurs fois chargé de faire le portrait des échevins de Paris. Il serait curieux de
rechercher quel est celui de ces ouvrages qui se retrouve, malheureusement bien mutilé, au Musée de
Saint-Pétersbourg. On remarque à l'Ermitage, dit M. Viardot, « trois fragments d'un tableau de François
Porbus le jeune, où l'on voit Henri IV, le duc d'Épernon, le chancelier Du Vair et les échevins de
Paris. » Le peintre, nous l'avons dit, excellait dans ces compositions d'apparat.
Ainsi accueilli et employé par les magistrats de l'HôteI-de-Ville, François Porbus oublia la Flandre et
s'établit définitivement parmi nous. On ignore s'il finit par se marier, mais on sait du moins, et le
détail est précieux, qu'il commença par avoir une fille. Les registres des baptêmes de l'ancienne paroisse
de Saint-Germain-l'Auxerroiscontiennent, à la date «du mardy 21e jour de janvier 1614 », la mention
suivante : « fut baptisée Elysabeth, fille naturelle de François Porbus et d'Elysabeth Francque 1 . J)
La jeune femme qui donnait ainsi un enfant à Porbus appartenait sans doute à cette confuse famille des
Franck, interminable lignée qui avait déjà fourni un peintre à Henri III, et qui, ayant un pied à Anvers
et l'autre à Paris, pouvait revendiquer deux patries.
Ce ne fut pas seulement à l'Hôtel-de-Ville qu'on employa le pinceau de François Porbus. Lorsque le 10:
tit décorer, au Louvre, cette longue salle qu'on appelait la Gallerie des peintures, et qui devint plus
tard la galerie d'Apollon, le peintre flamand eut part à ce grand travail. Il fit notamment, dans la série
des effigies des rois et des reines de France, le portrait en pied de Marie de Médicis, qui.
heureusement sauvé de l'incendie de 1661, occupe aujourd'hui à notre Musée une place si honorable.

1 Archives de l'Art français, t.. HI, p. 109.


Ce portrait, à en croire Sauvai, « passe pour un des plus achevés que nous ayons de Porbus, et même
le meilleur de cette galerie. En effet, les vêtements en sont si vrais, les diamants dont il les a brodés
sont si brillants et les perles si naturelles, la tête si noble, les mains si belles et si finies, qu'il ne se

peut rien voir de plus charmant; et quoique l'azur fût alors fort cher, ce peintre, néanmoins, l'a répandu
avec tant de prodigalité sur cette figure qu'il y en a pour six-vingts écus. »
Nous ne savons pas aussi exactement que Sauvai combien ont pu coûter les couleurs employées par
Porbus pour peindre Marie de Médicis, mais nous retrouvons avec autant d'intérêt que de plaisir dans ce
sérieux portrait une œuvre tout à fait historique, une peinture savante, respectueuse de la vérité et
cependant pleine d'art. La coloration est flamande, l'exécution a déjà un peu de la sagesse française.
C'est qu'en effet François Porbus fut toujours sage, et qui sait s'il ne le fut pas trop, surtout dans ses
tableaux d'église?
Les sujets religieux que peignait Porbus le jeune se rapportent presque tous aux derniers temps de sa
vie. Il devenait ambitieux en vieillissant: en 1618, il exécuta pour le maître-au'el de Saint-Leu-et-
Saint-Gilles une Cène dont le Louvre a hérité; et, deux ans après, Saint François recevant les
stigmates, tableau qui, placé autrefois au couvent des Jacobins de la rue Saint-Honoré, se retrouve
aussi au Louvre. Enfin, il avait peint pour la même église une Annonciation qui, selon toutes les
vraisemblances, est le tableau qu'on voit au Musée de Nancy, et dont un critique du dix-huitième
siècle a pu dire que, « quoique beau dans ses détails, il pourrait mériter les reproches qu'on a faits à cet
habile artiste », c'est-à-dire le manque de mouvement, de liberté et de chaleur. Il est certain que les
compositions religieuses de François Porbus, toujours méthodiques et compassées, n'ont rien de l'animation
bruyante qui caractérise l'école flamande. En étudiant la Cène et le Saint François, on est bien loin de
songer qu'à l'heure où Porbus achevait ces pages honnêtes et froides, Rubens allait commencer pour Marie
de Médicis les flamboyantes allégories du Luxembourg.
François Porbus—qui mourut en 1622-fut avant tout un peintre sincère. Cette froideur, qu'on reproche
avec raison à ses compositions religieuses, est bien moins visible dans ses portraits. C'est là qu'il
triomphe; aussi la critique n'a-t-elle guère vu en lui qu'un portraitiste. « Sa touche, dit Mariette, est des
plus précieuses. J'ai une tête d'Henri IV, faite par lui, qui peut aller de pair avec tout ce que Rubens et
Van Dyck ont fait de plus beau. » L'éloge est peut-être un peu exagéré, mais il est certain qu'il y a parfois
chez Porbus une fraîcheur de tons, un éclat de lumière, une finesse dans les demi-teintes qui en font un
peintre singulièrementhabile. Grâce à sa précision, à sa sincérité, à sa divination des physionomies, Porbus
est un des plus fidèles témoins des règnes de Henri IV et de Louis XIII. Tous les illustres personnages
du temps posèrent devant lui. Capitaines ou poëtes, soldats ou philosophes, il les a tous saisis du
bout de son pinceau délicat, et il les a éternisés dans la parfaite vérité de leur ressemblance intime.
Peut-être interprète-t-il un peu sèchement quelques-uns des détails du visage humain ; mais s'il dit
trop, c'est qu'il veut tout dire : tel est le mérite, tel est le défaut du dernier des Porbus. Sans être
grand, sans être fort, il a sa place dans l'histoire, et son talent loyal s'appelle d'un beau nom — la
conscience.
PAUL MANTZ.

lu7lillialuâlEg ITT ÏÏHM(CMH®Ïϧ-

L'oeuvre de François Porbus le jeune a eu beaucoup à MONTPELLIER.— Henri 1V (petit portrait).


souffrir des révolutions, et ses portraits ont en outre été con- NANCY. — L'Annc,nciation; un portrait d'homme.
fondus avec ceux de son père. Nous pouvons toutefois citer VALENCIENNES; — La Princesse de Croy (1615) ; les En-
de lui les peintures suivantes : fants de la princesse de Croy; Marie de Médicis.
MUSÉE DU LOUVRE. — La Cène (1618) ; Saint François BERLIN. — Portrait de Henri IV.
d'Assise recevant les stigmates (1620) ; deux portraits de MUNICH. — Un Homme vêtu de noir (1615); une Vieille
Henri IV, Marie de Médicis, le chancelier Du Vair. femme portant un bonnet blanc et une fraise.
Le Louvre possède aussi de Porbus deux portraitsd'hommes, SAINT-PÉTERSBOURG.— Fragments d'un des tableaux rie
dessins au crayon noir et au pastel, et le Prévôt des mar- l'Hôtel-de-Ville de Paris.
chands et les Echevins de Paris félicitant Louis XIII sur son FLORENCE. — Le portrait du peintre.
mariage ; dessin à la plume. LONDRES. — Cabinet du comte de Spencer. — Un person-
VERSAILLES.— Henri IV (répétition de l'un des portraits du nage du temps de Henri IV, portrait en pied exposé à Man-
Louvre); Philippe-Guillaumede Nassau.. chester en 1857, commeceluide Henri de Lorraine, duc de Guise.
GRENOBLE. — Louis XIII à cheval. VIENNE — Une jeune dame en riche toilette,.
fcco/e &âima?u/&. r<Sa/i/eaMO", refi^ieeiœ, t$ened ,(ÚéonytU&.

MARTIN PEPYN
NÉ EN 1575; — MORT
APRÈS 1643.

Encore un naufragé de l'histoire ! Encore un peintre dont les tableaux


ont été détruits ou débaptisés, sauf un petit nombre, et qui aurait besoin
qu'on cherchât sa trace d'église en église, de musée en musée, de
collection en collection! Les historiens l'ont aussi mal traité que les
brocanteurs. Houbraken ne dit pas à son égard un seul mot qui ne soit
inexact ou absurbe, et le malheureux Descamps traduit ses paroles avec
une déplorable servilité ; puis il ajoute qu'il n'a vu aucun tableau du
maître. « On peut seulement en juger, dit-il, par le rapport deRubens.
Sur le bruit que cet artiste allait quitter Rome pour descendre dans les
Pays-Bas, il en témoigna de l'inquiétude; mais, peu après, ayant appris
que Pepyn s'y était marié, et qu'il était déterminé à y finir ses jours, il
lui échappa de dire qu'il ne craignait plus personne qui pût lui disputer
sa gloire dans les Pays-Bas. » Puisque l'inhabile critique avait adopté
cette fausse opinion, un homme capable d'alarmer Rubens aurait dû lui
inspirer la plus vive curiosité : il aurait dû éprouver un impatient désir
de rechercher ses travaux. La moindre enquête, pendant le dix-huitième
siècle, eût donné des résultats précieux, puisque j'ai retrouvé moi-même,
à Anvers, quelques panneaux charmants, qui portent le nom de Martin
Pepyn et la date de l'année où il les historia.
lis ornent deux autels, situés à droite et à gauche du chœur, dans la chapelle de l'hôpital Sainte-Elisabeth :
ce sont des triptypes, dont les volets sont peints sur chaque face. Cela forme, en conséquence, dix tableaux,
groupés cinq par cinq. Pendant que je les admirais avec un sentiment indécis que légitimaient leur
caractère et la nature du travail, je remarquai sur un des volets la signature et la date suivantes :
Martinus Pepyn in. f. anno dni 1626. Jugez de mon étonnement! J'avais sous les yeux dix morceaux de ce
maître inconnu, qui passait pour avoir fait trembler Rubens. Un battant du second triptyque m'offrit la même
signature, un peu effacée, mais encore lisible, tandis que la date avait complétement disparu. Enfin, je
pouvais donc apprécier la valeur du peintre mystérieux, dont nul n'avait encore estimé ou décrit un seul
ouvrage !
Mais combien ces panneaux ressemblaient peu à l'idée qu'on aurait dû s'en faire d'après les sornettes de
Descamps ! Tout individu familiarisé avec l'histoire de la peinture flamande les aurait pris pour des œuvres
de Bernard van Orley ou de Michel Coxie, peintes en 1526 et non en 1626. Le style nous reporte à cent ans
de la date. Quant au sentiment, au caractère, ils font remonter encore plus loin : ils entraînent le spectateur
jusqu'à l'école des Van Eyck, le plongent dans la poésie douce et tranquille des vieux maîtres brugeois,
comme dans une tiède atmosphère de printemps.
Ainsi, à l'époque même où Rubens changeait la méthode, le goût, les habitudes des peintres flamands; où
l'art septentrional, sans perdre sa physionomie, absorbait presque toutes les qualités de l'art méridional,
un homme opiniâtre maintenait la tradition, repoussait avec dédain la manière nouvelle. Autour de lui
se groupaient un certain nombre d'élèves et d'adeptes, qui avaient pour dieux lares les anciens coloristes
indigènes. C'était une véritable phalange de conservateurs, en adoration devant le passé.
Il s'en fallait de beaucoup cependant que Martin Pepyn fût un esprit ordinaire. La nature, libérale, lui
avait donné un talent supérieur, une imagination délicate, un profond sentiment poétique. Mais son goût,
ses facultés, n'avaient rien de commun avec l'audace, l'emportement, l'énergie dramatique de Rubens et
de ses élèves. Il aimait la douce piété, le calme, la rêverie, les tendres sentiments de la vieille école; il
aimait sa couleur fine, serrée, polie comme de l'émail, la minutieusevérité de l'exécution; il aimait ses types,
la grâce de ses accessoires, l'opulence de ses costumes, la tranquille splendeur de ses paysages.
Les deux triptyques de l'hôpital Sainte-Élisabeth suffiraient pour le prouver.
L'un est consacré à saint Augustin et retrace quelques épisodes de sa vie. Son baptême est un morceau
parfaitement composé, où le champ dela peinture se trouve rempli avec un grand bonheur. Pâle d'émotion,
le catéchumène, agenouillé, tourne vers le ciel des regards qui expriment la dévotion la plus enthousiaste.
Un personnage placé derrière lui offre un caractère opposé: c'est un jeune diacre, sur les traits duquel
brille la fraîcheur et s'épanouit la bienveillance. Les autres figures se rapprochent encore davantage du
monde réel et forment un contraste plus marqué avec l'imposant néophyte. Le derrière du volet gauche
nous introduit en plein dans la vie commune : les pauvres qui reçoivent les aumônes du saint orateur ne
sont pas éloignés du comique. On observe la même opposition entre la scène de l'autre panneau, où le
confesseur de la foi opère son dernier miracle, où son noble visage respire la calme fermeté que donnent
les convictions, et l'empressement vulgaire des personnages impatients d'atteindre sa demeure.
Le second retable est une sorte de poëme, dans lequel sainte Élisabeth de Hongrie nous apparaît avec un
charme légendaire. Sur le tableau du milieu, elle distribue aux pauvres ses bijoux; le volet droit la
représente lavant les pieds des malades, puis assistée au lit de mort par un moine dominicain. Sur le
volet gauche, une foule d'indigents se pressent pour obtenir une part de ses dons; voulant récompenser
tant de vertus, l'Homme-Dieu l'accueille enfin au seuil du paradis.
La première scène est d'un agencement parfait. La princesse occupe le milieu du panneau, et des anges
qui planent dans le ciel lui apportent une couronne. Sa tête charmante exprime la piété, la douceur,
le désintéressement, la bienveillance et la modestie. Un homme tenant la corbeille pleine de présents,
deux femmes et deux jeunes garçons qui contemplent la sainte, sont d'excellents portraits, pleins de
finesse, d'animation et de vérité. Une mendiante, assise sur la terre nue, sourit à son petit garçon en
chemise trouée, qui, ayant reçu d'Élisabeth une chaîne d'or, la montre à sa mère, tout rayonnant de joie.
Personne ne verra sans plaisir la sainte lavant les pieds d'un malade. Dans son humble attitude, elle
conserve toute sa grâce et toute sa dignité. Le panneau qui la Représente au lit de mort atteste
également des facultés poétiques d'un ordre supérieur. Assistée d'un moine noble et grave, elle écoute un
ange, qui lui fait la lecture de ses bonnes actions dans le livre du Jugement. La piété la plus vive, le courage
le plus ferme sont peints sur ses traits : son âme va quitter doucement notre monde périssable, au bruit

des paroles qui lui promettent un bonheur éternel. La glorification de la


sainte mérite encore de grands
éloges. Quel enthousiasme religieux, quel sentiment de bonheur brillent
suave l'artiste
!
sur son visage Quelle beauté
a donnée au Fils de l'homme ! Un petit. ange, placé au milieu des nues, ouvre les bras dans
1111 transport de joie admirable.

Martin Pepyn était, comme on le voit,


un homme d'un talent idéal. Jetons maintenant un coup il œil
sur sa biographie, que l'on a, en quelque sorte, dénaturée à plaisir.
Martin Pepyn naquit à Anvers le 18 février 1575, selon
toute apparence, car il fut baptisé le 21 du
même mois dans l'église Notre-Dame, et c'était alors l'habitude de
ne faire administrer ce sacrement que
trois jours après la délivrance de la mère : il eut pour parrains Jean Patilia et Esther de Bruenne. Son
père, qui portait le prénom de Guillaume, était originaire de Bruxelles, et fripier, ou plutôt marchand
d'objets rares et curieux. Il devint membre de la confrérie de Saint-Luc pendant l'année 1593. Martin fut
reçu franc-maître par la même corporation en 1600, comme fils de maître, ce qui prouve que son père
avait aussi tenu le pinceau. Ayant recherché Marie Huybrechts peu de temps après et ayant été bien
accueilli par elle, le curé de Notre-Dame leur donna la bénédiction nuptiale le 1er décembre 1601. Notre
artiste semble avoir été un homme pieux, aussi bien que son père, car ils furent affiliés, l'un et l'autre,
à la Sodalité de la Vierge, confrérie fondée par les jésuites. Martin prit place dans le conseil de la Société
en 1614 et 1628. Sa femme mit au jour, en 1615, une fille que l'on présenta, le 15 mars, à l'église
Saint-André, sous le nom de Marthe; quatre ans après, elle accoucha d'une seconde, qui, le 13 février,
reçut à Notre-Dame le prénom de Catherine. Pepyn admit comme élève dans son atelier, en 1626, François
van den Boost. Six ans plus tard, Van Dyck peignit son portrait, qui fut gravé par Bolswert. Sa femme et
lui moururent la même année, en 1646-1647. Sa fille Catherine exerça la même profession; j'ai vu d'elle,
dans l'abbaye de Tongerloo, une toile signée, qui malheureusemenl a peu de valeur. L'académie de Saint-Luc
lui avait conféré la maîtrise en 1653.
Ces détails authentiquesréfutent toutes les assertions d'Houbraken, reproduites par Descamps.
Outre les retables que nous avons décrits, on peut voir, sans sortir d'Anvers, plusieurs productions de
Martin Pepyn, qui achèvent de faire connaître son style. Mentionnons d'abord une Sainte Famille,
transportée de l'église Saint-Paul dans la chapelle des mariages, contiguë au monument. La Vierge tient
sur ses genoux son divin Fils, auquel sainte Anne présente une pêche ; à sa droite et à sa gauche, plusieurs
de ses parentes sont groupées avec leurs enfants, et la variété de leurs attitudes fait ressortir l'élégance de
leurs formes. On admire surtout parmi elles une ravissante jeune fille qui, embrasse un petit garçon. La
vivacité affectueuse-de son mouvement, la grâce de sa tournure et la beauté de ses traits éveillent dans le
spectateur ce sentiment idéal, qui est la plus pure de toutes les joies.
L'attachement de Pepyn aux vieilles coutumes était si opiniâtre, qu'il repoussait les moindres innovations.
Toutes ses peintures sont exécutées sur panneau; l'usage de la toile devenait alors universel, mais lui, le
réactionnaire inflexible, ne voulait employer que le bois.
Il subissait pourtant malgré lui l'influence de son époque. Un très-beau tableau que possède le Musée de
Bruxelles, la Patrone des Orphelins, a relativement un aspect moderne; les personnages y sont plus grands
que dans les œuvres de l'école brugeoise, plus grands même que dans les peintures du seizième siècle. La
science et la liberté d'exécution, qui distinguaient les œuvres de ses contemporains,ont modifié le style du
maitre, sans lui enlever totalement sa physionomie archaïque. La tête majesteuse de sainte Anne figurerait
très-bien sur une toile d'André del Sarto.
ALFRED MICHIELS.

M(EMKG1!8 lELf HlSDH(EM!(DIg

Le Musée d'Anvers renferme deux tableaux de Martin le travail de l'auteur dans lequel on remarque la plus grande
Pepyn : le premier, figurant le Passage de la mer Rouge, liberté de dessin.
porle la signature de l'auteur et la date de 1626; l'autre La production la moins importante de Martin Pepyn est le
représente Saint Luc débitant un sermon. L'archaïsme y panneau conservé à l'église Saint-André d'Anvers, qui repré-
domine encore plus que dans le précédent. Il ornait autrefois sente Sainte Anne instruisant la Vierge.
la salle oil la confrérie de Saint-Luc tenait ses réunions. Dans l'hôpital Sainte-Élisabeth : Robert Hubar, aumônier
La cathédrale de la même ville possède un tableau exé- de l'établissement,couché sur son lit de mort, tableau por-
cuté par notre artiste, offrant sa signature et la date de 1637. tant la date de 1624.
On y voit saint Norbert agenouillé devant l'ostensoir. C'est
OsCo/<r ffiïemmnc/f. <Sfâidfotre, Jëayaapeà, &ceurd.

BREUGHEL DE VELOURS (JEAN BREUGHEL, DIT) '

NE EN 1575. — MORT EN 1642.

Un célèbre baron allemand que l'on est convenu de re-


connaître comme une autorité en matière d'art, sans doute
parce que ses livres se vendent fort cher, M. de Heinecke, pré-
tend que Jean Breughel a été surnommé de velours à cause de
la finesse de son pinceau; mais, sans parler du peu de rapport
qu'il y aurait entre le sobriquet donné à Breughel et la
finesse de son pinceau, plutôt sec que moelleux, il est certain
que l'habitude où était ce peintre de ne porter que des habits
de velours fut la véritable cause du surnom qu'on lui donna.
Il appartenait du reste à une famille de paysans originaire du
village de Breughel près de Bréda, d'où ils avaient tiré leur
nom. Son père était ce Pierre Breughel qu'on appela le drôle,
parce qu'il peignait les mœurs des villageois, et particulièrement leurs fêtes, avec un entrain de jovialité
et un sentiment du grotesque dont l'art n'offrait pas encore d'autre exemple, si ce n'est dans quelques
ouvrages de l'inclyte Van Thulden et de l'adextre Paténier, comme dit Rabelais.
Jean Breughel naquit à Bruxelles, en quelle année? on ne le sait pas au juste. Houbraken, en indiquant
la date de 1589, se trompe à n'en pas douter, car nous avons aujourd'hui, dans les archives de la confrérie de
Saint-Luc d'Anvers, notamment dans le Liggere1 où sont inscrits les noms de tous les membres de la
corporation, la preuve que Jean Breughel fut reçu franc-maître en 1597 : il n'aurait eu alors que huit ans!
D'autres biographes placent en 1575 la naissance de Breughel de Velours, et cette date est beaucoup plus
vraisemblable. Selon Karel Van Mander, le fils de Pierre Breughel fut élevé chez la veuve de Pierre Koeck
d'Alost, son aïeule maternelle; il y apprit à peindre en miniature et à gouache, et devint si habile que ses
premiers tableaux, représentant des fruits et des fleurs, passèrent, dit-on, pour des prodiges. Il s'appliqua
ensuite à la peinture à l'huile dans l'atelier de Pierre Goëldndt dont le beau cabinet lui tint lieu de maître.
Voià tout ce que nous connaissons des commencements de Jean Breughel. Qu'il ait été l'élève de
son père,
comme le prétend Houbraken, cela n'est guère probable, à voir la différence de leurs manières.
Quoi qu'il en soit, il est constant que Jean Breughel sentant s'éveiller en lui l'humeur d'un paysagiste
voulut voyager et partit pour faire, comme les autres, son tour d'Italie. Il séjourna quelque temps à Cologne
;
c'est là sans doute qu'il fut frappé pour la première fois des pittoresques points de vue que présentent les bords
d'un fleuve et du bon effet que peuvent produire, dans un paysage, des barques vues en raccourci quand elles
remontent le courant a la voile ou qu'elles sont amarrées au rivage le long duquel se rangent des maisons aux
toitures inégales. Breughel qui était tout entier à l'observation de la nature et ne cessait de dessiner
provisoirement au lavis tout ce qui lui paraissait bon à peindre, trouva sur les bords du Rhin un motif qui
lui devint plus tard familier. Ce qu'il y voyait au reste de plus séduisant, c'était l'occasion qui se présentait
de grouper un grand nombre de ligures dans un petit espace, car il savait mieux que personne les mettre
sur
leurs pieds, leur conserver dans les proportions les plus exiguës une justesse extraordinaire de mouvement,
un naturel parfait, sans jamais tomber dans l'ignoble. Il devait, en ce genre, tracer la voie aux Abraham
Storck, aux François de Paula Ferg.
Ce fut toutefois par un tableau de fleurs qu'il établit
sa réputation à Cologne, ou du moins par un tableau
où brillait par dessus tout un encadrement de fleurs et de fruits. C'était un Jugement de Salomon, mais
non
pas celui par lequel ce sage roi découvrit la bonne mère. La reine de Saba présenta un jour au roi d'Israël
six fleurs de lys naturelles et six fleurs de lys artificielles, ces dernières si artistement imitées qu'il était fort
difficile de les distinguer des véritables. Salomon, dans sa haute sagesse, lâche
une abeille qui va droit aux
fleurs naturelles. Breughel avait rendu ce sujet avec amour et l'on peut croire que les fleurs jouaient
un aussi
grand rôle dans sa peinture que dans la légende.
De même que Paul Bril, Coninxloo, David Vickenboomset Roland Savery, Jean Breughel vit les couleurs
de la nature à leur plus haut degré d'intensité ; il employa les tons de sa palette dans toute leur énergie,
sans
les rompre, sans songer à en adoucir l'éclat. Ses verts et ses bleus sont éblouissants comme
ceux du reste
qu'avaient mis en œuvre les premiers peintres à l'huile, Hubert et Jean Van Eyck. C'est par erreur, suivant
nous, qu'on attribue cette crudité de tons à la disparition des glacis de gomme-gutte qui les harmonisaient,
dit-on, quand le peintre les termina. Si des nettoyeurs ignorants ont parfois détruit l'accord de ces vieux
tableaux, il n'en est pas moins certain que quelques-uns sont arrivés jusqu'à nous parfaitement conservés,
et que ceux-là même ont une vivacité de couleur qui blesse l'œil ou du moins le fatigue. En Italie comme
dans les Pays-Bas, chez les Allemands comme chez les Espagnols, partout la peinture a commencé
par des
teintes vierges et des couleurs éclatantes. Le quinzième et le seizième siècle nous présentent ce phénomène,
très-explicable d'ailleurs par le voisinage de l'art gothique qui avait fait scintiller les couleurs du prisme
aux
vitraux des églises et enluminé les manuscritsdu moyen-âge des teintes les plus splendides, les plus exaltées.
De Cologne, Jean Breughel se dirigea sur Rome. Sa réputation, dit d'Argenville, l'y avait devancé. Le
cardinal Frédéric Borromée, ayant eu occasion de le connaitre, le protégea, le prit même pendant quelque
temps à son service et lui fit peindre un assez grand nombre de petits tableaux qui furent ensuite portés il

Voyez l excellent Catalogue du Musée d'Anvers, publié par l'Académie des Beaux-Arts de cette ville.
Milan. C'étaient, par exemple, Daniel dans la fosse, une vue perspective de l'intérieur de la cathédrale
d'Anvers, un Saint Jérôme au désert, dont la figure était de Crespi, enfin les Quatre Éléments, peints sur cuivre
et qui passent pour les chefs-d'œuvre du peintre flamand.
Il n'est pas un voyageur, allant visiter la Bibliothèque Ambrosienne de Milan, à qui l'on n'ait fait admirer ces
tableaux merveilleux dont le sujet fut si bien choisi pour mettre en lumière toutes les qualités de Breughel de
Velours, la richesse de son imagination capable de transformer la terre en Paradis, son habileté à tout rendre,

les figures animées aussi bien que les menus détails de la nature morte, sa connaissance des animaux, sa pa'etle
qui était un écrin. Ils sont innombrables les artistes qui ont peint les Quatre Éléments. Mais, chez Breughel,
ce n'était pas, comme il arrive si souvent, une suite de froides allégories ou une représentation des plaisirs que
l'homme peut trouver sur la terre, dans l'eau, dans l'air, auprès du feu. Non; Breughel avait tout simplement
recommencé la création. Sur des plaques de cuivre, qui avaient au plus deux pieds de largeur, il imagina de
faire tenir un monde entier, les animaux de toutes les espèces, tous les oiseaux de l'air, tous les poissons de
l'Océan, et il y mit une fraîcheur de ton, une lumière, une profusion de détails qui n'ont cessé de ravir, depuis
plus de deux siècles, les voyageurs les plus exercés au jugement des œuvres d'art. « Je ne connais pas de peintre,
dit Cambry, dont les couleurs mordent plus vivement sur la mémoire, qu'on me pardonne cette expression. »
Et, en effet, Breughel a osé lutter avec les splendeurs de la nature. La Terre n'est pas ici une figure
symbolique, une femme coiffée en Cybèle, c'est la terre elle-même, celle que nous foulons sous nos pieds,
habillée de verdure, parée de fleurs, ombragée d'arbres, la terre avec tous les animaux qui l'habitent, depuis les
plus féroces jusqu'aux plus doux. Il semble que Breughel se soit transporté, en imagination, au cinquième jour
de la Genèse, et qu'il ait vu s'ébattre sur les gazons de l'Eden, confondus dans une mêlée fraternelle, toutes ces
bêtes fauves qui ne présentent à notre esprit que l'idée de carnage, et dont la mission est de s'entre-dévorer.
Le Feu est représenté par la réunion de tous les instruments de l'alchimie, de tous les objets qui se forgent
sur l'enclume ou se font de verre, et par un million de vases et d'armures de formes infiniment variées, ornés,
ciselés, sculptés en relief, finis par le pinceau de Breughel comme ils auraient pu l'être par le poinçon de
Cellini. L'Air est peuplé d'oiseaux, de papillons, de scarabées, d'insectes volants, qu'un enfant, avec sa lunette,
poursuit de l'œil à travers les nuages. Là sont reproduits, dans tout leur éclat, le beau plumage du faisan de la
Chine, la pintade, l'oiseau-mouche, le colibri étincelant, le martin-pêcheur qui se colore des nuances de
l'arc-en-ciel et brille de tout le lustre de la soie, le paon avec ses tons si splendides et si harmonieux, ses reflets
si ondoyants et si fugitifs, avec son éblouissante parure de rubis, d'émeraude, de saphir, d'or, de pourpre et
d'azur. L'Eau enfin laisse voir une quantité prodigieuse de poissons et de coquillages. Mais, cette fois, l'histoire
de la création se complique des fictions de la mythologie. L'humide élément obéit à une naïade amoureuse; les
carpes sont blessées par des amours, et comme si ce n'était pas assez de toutes les couleurs que le peintre a dû
employer dans cette représentation des plus beaux produits de la mer, il a fallu que, par un nouveau miracle de
sa palette, il imitât les lumineuses et célestes nuances de la ceinture d'Iris. « Toutes ces choses, dit Cochin
dans son Voyage pittoresque, sont représentées si en petit qu'on est étonné que le pinceau ait pu les
faire; mais, lorsqu'on les voit avec une loupe, l'étonnement redouble, car les animaux et autres objets en sont
peints avec la plus grande vérité de couleur et de forme. Ils semblent se mouvoir. Ils sont dessinés, touchés
de la manière la plus spirituelle, et paraissent du plus grand fini, même avec la loupe. »
C'est une remarque à faire, que les Flamands qui allaient à Rome au seizième siècle, et encore au
dix-septième, y contractaient non pas tant le goût des sujets pieux que celui des tableaux mythologiques. La
capitale du christianismeétait devenue tout à fait païenne, et c'étaient des divinités de l'Olympe qui ornaient la
demeure des princes de l'Église. L'amour de l'antiquité était alors une marque de distinction dans l'esprit, et
ces dieux de la fable, dont le dix-neuvième siècle s'est montré un beau jour si fatigué, ils remplissaient alors
l'imagination des poètes et les compositions des peintres. Breughel de Velours, qui avait trouvé tant de charme
il peindre naïvement des guirlandes de fleurs, ensuite des vues de rivières, des bateaux, des moulins et des

paysans, ne voyait plus maintenant dans la nature que des nymphes de la suite de Diane. Aussi, quand il eut
à recommencer les Quatre Éléments,
— car on estimait beaucoup ces petits tableaux où il savait renfermer,
sans confusion, tout un abrégé de l'univers, et on lui en demanda des répétitions et des variantes, — Breughel
emprunta ses figures à la mythologie. Le soleil parcourut les cieux dans le char d'Apollon; les nymphes du
Permesse furent appelées à figurer les Éléments, et l'on peut voir au Louvre la muse Uranie assise sur des
nuages, figurant l'Air et tenant sur ses doigts un attribut de l'invention de Breughel, un perroquet.
Mais en quelles années Jean Breughel travaillait-il à Rome? Il n'est pas facile de le préciser. Mariette estime
que Breughel a dû être dans cette ville en l'année 1593. « J'ai pris, dit-il, cette date sur un dessin du Colisée
fait par lui en aoust. » Il semble naturel de croire, en effet, qu'il ne passa franc-maître dans la confrérie de
Saint-Luc qu'aprèsson retour d'Italie. Ce qui est certain, c'est qu'en l'année 1597, il était de retour à Anvers;
Rubens ne fut admis dans la corporation que l'année suivante, et ne partit pour l'Italie qu'en 1600. On doit
donc supposer que Breughel et Rubens se connurent dès-lors, et commencèrent à associer leurs pinceaux. Nous
avons vu, du reste, plus d'une fois, des morceaux de la jeunesse de Rubens ornés de fleurs par Breughel.
C'étaient ordinairement des madones que Breughel encadrait gracieusement dans ses guirlandes de lys, de
tulipes, d'œillets, de jasmins, de roses et d'altheea, parmi lesquelles se jouaient de jolis insectes, des scarabées,
des papillons et un des oiseaux favoris du peintre, le perroquet. Quelquefois, comme pour amuser l'enfant Jésus,
un petit singe lion vient s'accrocher à la guirlande et faire
quelque irrévérencieuse grimace qui peut bien
choquer le spectateur en prière devant la Madone de Rubens, mais qui ne choquait point l artiste ingénu,
dévotement prodigue de ses fantaisies et de ses couleurs. L'éclat du pinceau de Rubens eût éclipsé tout autre
collaborateur; Breughel seul pouvait briller à côté de Rubens, et j'ajoute que Rubens seul pouvait faire admirer
ses figures au milieu des éclatants bouquets de son ami.
Breughel de Velours a peint très-souvent le Paradis terrestre. Aussi l'appelle-t-on quelquefois Breughel de
Paradis, par opposition au surnom de Breughel d'Enfer donne à son frère, Pierre Breughel. Tantôt les figures
de ces Paradis sont de Henri van Balen, — j'en citerai pour exemple le tableau du Louvre; — tantôt elles sont

de Henri de Klerck — comme dans le Paradis terrestre de la Bibliothèque Ambrosienne; — tantôt elles sont de
Rubens. Nous avons vu plusieurs fois au musée de La Haye le magnifique Paradis où Rubens et Breughel
de Velours ont mêlé leurs pinceaux. Le grand maître a peint sur le premier plan les figures d'Adam et Eve et
un superbe cheval brun qui occupe le coin du tableau. Adam est assis au pied d'un arbre; Eve se tient debout
dans la splendide nudité de ses carnations, et comme pour mieux montrer la rondeur de ce beau corps qui
porte l'humanité dans ses flancs, elle lève le bras et cueille une pomme que lui offre le serpent enroulé autour
des branches de l'arbre. Rubens a exécuté ces figures avec un soin admirable, d'une manière finie, caressée,
telle que la voulaient d'ailleurs et l'harmonie du tableau et le voisinage des précieuses peintures de Breughel;
contre son ordinaire, il a mis sa signature sur le panneau que Breughel a également signé. Des myriades de
quadrupèdes et d'oiseaux peuplent le séjour enchanté du premier homme, vaste jardin coupé de ruisseaux et
parfumé de fleurs. Le cerf y promène fièrement son bois dans les bois; les tigres s'y jouent avec le bœuf, et le
lion vit en paix avec les troupeaux, qui n'ont pas encore de berger; le paon étale vaniteusement sa queue aux
pieds d'Eve, et la première femme pose son pied entre le chien et le chat, comme si déjà elle hésitait entre
la fidélité et la perfidie. « Ce tableau, dit l'ancien catalogue du musée de La Haye, provient du cabinet de
M. Delacourt Van der Voort à Leyde; il fut acheté pour le stathouder à raison de 7,350 florins. »
Breughel de Velours se maria à Anvers avec une belle Flamande qui a été chantée en beaux vers flamands
par le peintre-poète Corneille Schut. Il eut de ce mariage une fille, Anne Breughel, célèbre dans l'histoire
de l'art pour avoir eu trois tuteurs illustres : ce même Corneille Schut, Van Balen et Rubens, mais surtout pour
avoir été la première femme de David Teniers. Lié avec tous les grands peintres de son pays, Jean Breughel
faisait figure à Anvers. Lorsque Van Dyck commença cette magnifique galerie de portraits d'artistes que nous
ont gravée les Lucas Wostermann, les Pontius, les Bolswert, les Pierre de Jode, il fit cet honneur à Breughel de
Velours de lui graver son portrait à l'eau-forte de sa propre main. C'est une des plus admirables estampes de
Van Dyck. La tête seule est modelée; mais elle pense, elle respire. Avec quelques traits et quelques points,
Van Dyck a donné à la figure de Breughel la vie, l'expression, le caractère, et ce caractère est à la fois plein
de bonhomie et de noblesse. L'intimité dans laquelle vivaient alors les peintres enrôlés dans la confrérie de
Saint-Luc explique suffisammentpourquoi l'on rencontre sur tant de tableaux les preuves de leur collaboration,
alors qu'ils auraient pu fort bien se passer l'un de l'autre. Assurément Rubens, si grand paysagiste lui-même,
n'avait besoin de personne pour faire les fonds de ses tableaux historiques; mais c'était par goût qu'il demandait
à Wildens, à Van Uden, à Breughel de Velours un paysage pour accompagner ses figures, une guirlande de
fleurs pour encadrer ses madones. Et de son côté si Breughel avait recours au pinceau de Rubens, s'il donnait
à peindre à Van Balen les figures de son Paradis et à Rotenhamer les saints voyageurs de la Fuite en Égypte
qui se voit au musée de La Haye, ce n'est pas qu'il fût incapable de les peindre lui-même. Personne au
contraire ne savait dessiner une figure plus élégamment, plus juste ni mieux d'aplomb. Breughel l'a prouvé
surabondamment dans ses Vues de Flandre, dans cette Foire de Broom qui faisait partie de la collection
d'Appony à Vienne et dont parle M. deBurtin, mieux encore dans son fameux petit tableau de l'ancienne
galerie de Dusseldorf (depuis transférée à Munich) où il fit tenir tout le camp de Scipion l'Africain devant
Carthagène, peinture d'un fini merveilleux, grande miniature à l'huile dans laquelle se meuvent une quantité
innombrable de figures intéressantes et dont le principal groupe représente la continence de Scipion. L'habileté
de Breughel en ce genre était même si bien reconnue qu'on venait de toutes parts lui demander son aide.
Tandis que Van Balen ou Henri de Klerck faisaient passer leurs jolies nymphes à travers les bocages verdoyants
de Breughel, celui-ci s'en allait paître un troupeau dans les pâturages d'un paysagiste; souvent il s'employait
à orner de figurines et d'animaux les sites montagneux de Josse de Momper; souvent aussi il était chargé d'in-
troduire la foule dans les Intérieurs d'églises de Peter Neefs et de Henri Steenwyck. Je dis la foule, car Breughel
n'était jamais plus heureux que lorsqu'il trouvait l'occasion de peindre dans une petite toile un grand nombre
de figures. Il savait agenouiller une multitude de dévotes sur les dalles de la Cathédraled'Anvers, asseoir trente
chanoines dans le chœur, grouper les chantres autour du lutrin, faire défiler toute une nombreuse famille en
habits de fête assiégée par les pauvres au sortir de la cérémonie d'un baptême. Il me souvient à ce sujet de ce
que dit Mariette dans ses notes manuscrites sur l'Abecedario : « Un des plus beaux Breughel que j'aie vu est
« présentement dans le cabinet du prince Eugène de Savoie. Il représente la procession de douze pucelles qui

« se fait à Bruxelles sur la place du Sablon (suivant la fondation qui en a été faite par l'infante Isabelle). Il s'y

« trouve un nombre prodigieux de figures qui sont peintes avec tout l'esprit que l'on peut désirer; les têtes en
« sont si bien touchées qu'elles paraissent de Van Dyck. Cependant les ouvrages qu'il réussissait le mieux
« étaient les paysages, les animaux et les fleurs, qu'il peignait d'une manière très-finie et très-spirituelle, mais
« un peu sèche. »
Félibien place en l'année 1642 la mort de Jean Breughel. L'exactitude de cette date semble d'abord infirmée
par le tableau de Scipion l'Africain devant Carthagène dont nous venons de parler, où on lit, suivant le
catalogue : « BRUEGHEL 1660 FEC. ANVERSA; mais il faut croire que l'auteur du Catalogue de la galerie de
Dusseldorfaura mal lu, car en 1660 Breughel aurait eu quatre-vingt-cinq ans, et ce n'est pas à cet âge qu'on
exécute un pareil tableau, avec tant de finesse et d'une main aussi sûre. D'autre part, il n'est pas possible que
ce peintre fût en vie en 1660, puisque sa fille avait des tuteurs lorsqu'elleépousa David Teniers, dont le mariage
avec Anne Breughel est certainement bien antérieur à cette époque. Teniers, né en 1610, n'attendit pas d'avoir
cinquante ans pour se marier en premières noces, ainsi que le prouvent les tableaux où il s'est peint avec sa
jeune femme sous la figure d'un homme de trente à trente-cinq ans. On peut donc regarder comme certaine la
date indiquée par Félibien pour la mort de Breughel.
On ne sait trop pourquoi les amateurs qui attachaient autrefois un si grand prix aux ouvrages de ce maître,
s'en sont peu à peu dégoûtés. Sans doute Breughel de Velours n'est pas exempt de défauts. On lui reproche avec
raison de ne pas observer la perspective aérienne, de peindre ses lointains d'un bleu trop cru qui les empêche
de fuir, de laisser dominer les habits rouges dans ses figurines, ce qui fatigue l'œil, d'autant que ses verts

sont d'autre part aussi vifs que les tons de l'émail. Mais, en dépit de ces imperfections, Breughel est un peintre
rempli de charme, un paysagiste excellent qui sait rendre pittoresques et intéressants les sites les plus vulgaires.
Si l'on regarde ses Vues de Flandre, qui sont la partie la plus connue de son œuvre, dans les jolies estampes
de Lebas dont la pointe a corrigé les défauts du coloris de Breughel, on y trouvera le naturel d'un Ostade
avec l'esprit d'un Teniers, et, quant au paysage, le sentiment de Paul Bril et sa touche vive, ferme et légère.
Vous connaissez peut-être les plaines unies et monotones de la province d'Anvers : ce sont là les vues
favoritesde Jean Breughel. Il aime, sans doute en souvenir du canton de ses pères, à percer au milieu de son
paysage la route de Bréda, bordée de grands arbres, et il la couvre de voyageurs à pied, à cheval, en voiture.
Le coche d'Anvers, le chariot du paysan, le carrosse du gentilhomme escorté de ses gens, la chaise du
bourgeois sont représentés sur le devant de sa composition et animent ses routes. Tantôt ce plat paysage
flamand est accidenté de moulins, tantôt il est égayé par une famille d'oiseaux de basse-cour à l'entrée d'un'
village riant que divisent les sinuosités d'un ruisseau. Souvent on y voit une ville assise sur les bords de

1 Ce tableau, peint sur cuivre, à peu près de la mème grandeur que notre estampe, fait partie de la riche collection de
M. Jules Duclus, amateur aussi obligeant qu'il est versé dans la connaissance des maîtres.
l'Escaut que remontent des bateaux pêcheurs, des navires de commerce, des chaloupes. Tout se meut, tout
voyage dans les tableaux de Breughel. La nature n'est pas encore pour lui cette divinité inconnue que
poursuivra l'âme inquiète de Ruysdael; c'est uniquement la demeure de l'homme, l'objet de ses travaux, le
témoin de ses agitations et de ses peines. On dirait que le peintre attachait une intention obstinée, peut-être
la pensée ou plutôt l'image de la vie, à ce grand chemin qui fuit à perte de vue et se termine
au loin par
une forme indécise vers laquelle se hâtent les voyageurs.
CHARLES BLANC.

M(Mm(MM M
Jean Breughel a gravé à l'eau-forte quatre estampes qui Nous avons dit que les tableaux de Breughel avaient subi
sont sans doute fort rares, car on ne les trouve pas au Cabinet une dépréciation considérable. De six mille livres qu'on les
des estampes de la Bibliothèquenationale, et on n'en voit la payait d'abord, dit Lebrun, ils sont venus à trois mille livres
description nulle part. M. deHeinecke, qui a donné l'énump- et mème au-dessous.Voici les prix de ventes :
ration des gravures exécutées d'après Breughel, a perdu une VENTE DU PRINCE DE CARIGNAN, 1742. Deux tableaux de
belle occasion de décrire celles qui sont exécutées par lui. 9 poucesde haut sur 13 de large, l'un sur cuivre représentant
Ce sont quatre paysages numérotés de i à 4, avec ces mots: un Paysage où il y a une Fuite en Égypte; l'autre, sur bois,
Sadeler excud. représentant un Paysage et Marine avec plusieurs figures
Les dessins de Breughel sont peut-être plus estimés que par Griffier; ensemble 1,130 francs. Un tableau sur cuivre
ses tableaux, et n'ont subi en tous cas aucune dépréciation. de 54 pouces de long sur 23 de haut, représentant la lintaille
Ils sont coloriés de bleu d'Inde dans les ciels, les eaux et les dis Amazones; 1,510 francs.
lointains ; les devants sont lavés au bistre. Un trait de plume VENTE DU COMTE DE VENGE, 1760. Vente de poisson à Scheie-
très-léger fait, dit D'Argenville, l'ouvrage des arbres et des lingue. C'est le tableau qui a été gravé à l'eau-forte par
terrasses, par plusieurs hachures presque couchées et beau- Chédel. Il est daté de 1617 ; 1,650 livres.
coup d'endroits pointillés. Souvent les arbres sont feuillés VENTE JULIENNE, 1767. Une Foire de Village, et un pen-
au pinceau et mèlés de couleurs rougeàtres et jaunes qui font dant; 1,670 livres.— Vue du Temple de la sibylle, et pour
un grand effet. pendant un paysage de Stalben, attribué à Breugheld'Enfer ;
Passons aux tableaux de ce maitre. Le LOUVRE en contient 464 livres.
sept : 1° La Terre ou le Paradis terrestre; les figures sont de VENTE GAIGNAT, 1768. Deux Paysages avec figures; 2,80*2
Henri Van Balen. 2° L'Air. Uranie est assise sur des nuages, livres 2 sols.
tenant un perroquetblanc. Signé BRVEGHEL, 1621. Les figures VENTE DUC DE CHOISEUL, 1772. L'Entrée d'un bois où se
sont aussi de Van Balen. Ces deux tableaux faisaient partie trouvent des mares d'eau que traversent des animaux : 3,910
d'une suite des Quatre Éléments. 3° La Bataille d'Arbelles. livres. — Une Vue du Tyrol, nombre de figures autour d'un
Le champ de bataille est une immense vallée couronnée de mai ; 700 livres.
bois. Le nombre de figures y est incalculable. On y remarque VENTE PRINCE DE CONTI, en 1777. L'Entrée d'un bois où se
la famille de Darius prisonnière, et sa femme àgenouxdevant trouvent des mares d'eau que traversent des figures et des
Alexandre à cheval. animaux. Ce tableau, provenant du cabinet du duc de Choi-
4° Verlumne et PÚulOlIe. C'est un riche paysage dont le seul, fut adjugé à 1,600 livres. — Deux Paysages peints sur
devant est couvert de fruits de toute espèce. Les figures sont cuivre, dont une Vue d'Italie, par Paul Bril ; une autre ren-
attribuéesà un des Franck. Ce tableau a été donné, en 1850, fermant des chariots et des cavaliers, par Breughel; ensemble
au Musée, par M. Pierret. 900 livres. — Vue du Temp e de la sibylle et son pendant
5" Vue de Tivoli. On y voit un large pont que des cavaliers (paysage avec fabriques, par Stalben), provenant de la vente
ont traversé, et près duquel s'élève sur un rocher le temple Julienne ; ensemble 440 livres seulement; mais le Breughel
de la sybille. était contesté.—Même Vente, un Concert de chats, peint sur
6° Paysage. On y voit une barque portant plusieurs per- cuivre (2 pouces de hauteur), 400 livres. —Quatre dessins du
sonnes richement vètues. maître furent vendus, l'un dans l'autre, 142 livres.
7° Paysage. Sur une route qui passe devant un moulin, VENTEDENON, 1826. Une Habitation quisemb\to être l'entré'
deuxcavaliers rencontrentun chariot trainé par trois chevaux. d'un monastère, près d'un pont; 525 fr.
— Ces deux derniers tableaux étaient attribués à Paul Bril VENTE VIGNERON, 1828. Fin d'une bataille ; 301 t'r.
par l'ancien catalogue. VENTE CARDINAL FESCH, 1845. Deux pendants : la Houle
Il n'y a pas de Jean Breughel au MUSÉE D'ANVERS, et il est dans le bois ; autre Route où l'on voit un cavalier, un garde-
permis de s'en étonner. Le MUSÉE DE BRUXELLES n'en possède chasse et ses chiens; ensemblc87seudi,envil'on 465 francs.
qu'un l'Abondanceet l'Amour répandent leurs dons sur la VENTE COTTREAU 1850. Orphée aux Enfers ; 281 fr.
, ,
terre. Les figures sont de Van Balen. VENTE MARÉCHALSOULT, 1852. t'I
Vierge et l'enfant, figul't,:o-
On trouve des Breughel aux MUSEES DE LA HAYE et D'AMS- de Rottenhamer ; 638 francs.— Vénus et Adonis; 355 francs.
TERDAM à DRESDE, à MUNICH, à BERLIN,
aussi
,
à VIENNE ; on en voit Nous donnons ci-dessous les signature et initiales qu'on
à TURIN dans la GALERIE DU ROI DE SARDAIGNE;de fort trouve sur quelques-uns des tableaux de ce maître.
.
beaux à MILAN, entre autres, deux ovales sur ivoire encastrés
dans un bénitier. FLORENCEen possède beaucoup, peints sur
marbre ou pierres précieuses.
On retrouve encore les Quatre Éléments au MUSÉE DE
MADRID.
$co/é fffiamcmc/e. <60tM k aenr&f.
PIERRE-PAUL RUBENS
NÉ EN 1577
- MORT ES 1640.

L'abondance, le luxe, la santé des ouvrages de Pierre-Paul


Rubens, nous disent mieux que toutes les histoires sa vie
heureuse et splendide, fleuve de prospérité, dont le cours ne
fut pas un moment troublé par le moindre orage.
On fait remarquer au voyageur qui s'arrête à Cologne deux
inscriptions en langue allemande sur la façade d'une maison de
bourgeoise apparence, située rue des Étoiles. La première
inscription dit que Pierre-Paul Rubens naquit dans cette maison;
l'autre, que Marie de Médicis, reine de France, y.vint finir sa
vie, dans la chambre même où le peintre avait vu le jour
.
Revirements ironiques des grandeurs humaines! La veuve de
Henri IV, la fille, la mère des rois que le peintre se plaisait à
représenter au milieu des emblèmes d'une grandeur impéris-
sable, devait un jour tomber de ces hauteurs idéales et mourir
dans un exil dont la pauvreté envenimait les douleurs. La
maison de la rue des Étoiles abrite aujourd'hui la famille et les
ballots d'un marchand : la réalité est venue siéger derrière un comptoir, à la place de la poésie des souvenirs.
Pour trouver dans la vie de l'homme le secret des œuvres du peintre, ses nombreux biographes et

1 M. Wallraff fit placer, en 1822, ces deux inscriptions. Dans la première se trouvent ces mots qui ont excité au plus haut
degré les prétentions nationales de la Belgique :
\1 notre Pierre-Paul Rubens, l'A-pelles de l'Allemagne, etc. » — (Voyez à ce
critiques ne sont pas d'accord sur son origine. Les uns le font descendre d'une noble famille de Styrie;
Barthélemy Rubens, son aïeul, aurait accompagné Charles-Quint à la diète de Worms et brillé parmi les
plus beaux cavaliers de la cour de l'empereur à Bruxelles. La manière somptueuse que le peintre a
déployée dans ses ouvrages serait une impression d'enfance que devait plus tard développer en lui la
fréquentation des cours.
D'autres écrivains nous assurent que Rubens appartenait à cette race demi-bourgeoise, demi-plébéienne,
race intelligente, sensuelle, âpre au travail et au lucre, ambitieuse d'honneurs, et dont le génie abondant
et vivace manqua toujours d'élégance et d'idéalité. Voilà, disent ces derniers, comment l activité de Rubens
lui procura tant de richesses et put suffire à la rapide exécution de ses toiles dont le nombre est tellement
prodigieux et les dimensions si vastes, que l'on pourrait décorer, pour ainsi dire, en les y réunissant, la
plus grande rue d'une grande ville ; pourquoi, enfin, le peintre affectionnait tant ces formes sanguines,

sujet un article sur ces inscriptions dans le Messager des sciences et des arts de Gand, liv. ix etx de l'ancienne série, 1823. )
Le lieu de naissance de Rubens a soulevé pendant longtemps de très-vives controverses. Pour le faire naître à Anvers, on s'est
appuyé sur un passage de la vie de Philippe Rubens , frère du peintre et célèbre par sa science des antiquités. On lit dans cette
vie, écrite par Jean Brandt, que la régence d'Anvers appela de Rome Philippe Rubens pour lui conférer la charge de secrétaire
de la ville ; mais que cette fonction ne pouvait être remplie que par une personne jouissant du droit de bourgeoisie accordé aux
seuls Brabançons. On allégua que l'on pouvait faire une exception à la règle en faveur d'un savant tel que Philippe Rubens, bien
qu'il ne fût pas né à Anvers, où tous ses frères, sœurs, père, mère et ancêtres avaient vu le jour, « ubi fratres (par conséquent
Pierre-Paul Rubens), sorores, uterque parens, aliique rétro majores hùnc aerem primum hausêre. — (Voy. les Nouveaux
Mémoires de l'Académie de Bruxelles, tome VI : Généalogie de la famille de Rubens, par le baron de Reiffemberg.)
On a beaucoup discuté, dit M. Émile Gachet, de la commission royale d'histoire de Belgique, sur les prétentions réciproques
d'Anvers et de Cologne au sujet de la naissance de Rubens. On a dit en faveur d'Anvers que si les registres des églises ne
gardaient nulle trace de son baptême, il fallait en accuser les troubles de religion au milieu desquels il était né. On a ajouté que
la preuve la plus convaincante que Rubens était né à Anvers, c'est qu'il lui eût été impossible sans cela d'exercer dans cette ville
les droits de bourgeoisie et par conséquent de faire partie de la corporation des peintres. Toutes ces raisons doivent tomber, selon
Cologne s'explique,
nous, devant les faits suivants : en premier lieu, la non-inscription sur les registres d'Anvers et de
non-seulementpar les troubles qui agitaient le pays, mais bien mieux encore par la religion que suivait Jean Rubens le père, et
pour laquelle il s'expatria.
En second lieu, pour le fait du droit de bourgeoisie que nous reconnaissons comme le plus spécieux, on doit avouer cependant
qu'il serait possible de trouver des exceptions à la règle générale, et que Rubens à son retour d'Italie avait plus qu 'un autre
mérité qu'on fît plier cette règle en sa faveur ; ceux qui ont vu attentivement les registres de la corporation de Saint-Luc le
savent de reste. Enfin, et ce dernier point semble trancher la question, puisqu'il est vrai que Jean Rubens a quitté Anvers
Philippe, et qui fut l'aîné de notre
en 1568 , et qu'il est allé s'établir à Cologne, où il eut, en 1574, un fils qui s'appela
peintre (car c'est là un fait incontestable que Jean Brandt a consigné lui-même dans la biographie de Philippe Rubens écrite et
imprimée en 1615), à qui fera-t-on croire que Marie Pypelincx soit revenue tout exprès à Anvers, en 1577, pour y donner le jour
Rubens son époux, en 1587, après la
au peintre, lorsqu'il est avéré qu'elle ne rentra dans cette ville qu'après la mort de Jean
pacification? En un mot, quel homme de bonne foi ne s'en tiendra pas au témoignage contemporain du neveu de Rubens
lui-même, à l'auteur de la biographie du grand artiste si longtemps attribuée à Gevaerts, et restituée enfin à Philippe Rubens
par M. le baron de Reiffemberg?
P.-P. Pubens écrivait d'Anvers au peintre George Geldorp, qui avait été chargé de lui demander un tableau d autel pour
l'église de Saint-Pierre de Cologne : « Si je pouvais choisir ou désirer un sujet à mon goût, relativementà saint Pierre, je
(1 prendrais son
crucifiement avec les pieds en haut. Il me semble qu'il y a là pour moi de quoi faire quelque chose
« d'extraordinaire. Du reste,
j'en laisse le choix à celui qui en fera les frais et jusqu 'à ce que nous ayons vu quelle sera la
« dimension du tableau. J'ai une grande
affection pour la ville de Cologne, où j'ai été élevé jusqu 'à l âge de dix ans, et bien des
« fois, depuis tant d'années, j'ai eu
le désir de la revoir. » Cette lettre, ajoute M. Émile Gachet, fait voir clairement que Rubens
n'a pas donné le tableau de saint Pierre à l'église de Cologne en souvenir du baptême qu'il y aurait reçu, ainsi que l 'on a voulu
le prétendre ; mais elle est loin aussi de fournir des arguments à ceux qui soutiennentque Rubens n'est pas né à Cologne, et de
quelque manière que l'on tourne les expressions dont le peintre s'est servi, il est impossible de traduire la phrase : lek aldaer
ben obgevoedt tot het thienste jaermyns levens, autrement que par ces mots : « J'ai été élevé à Colognejusqu'à l'âge de
dix ans. » Si cette façon de parler n'implique pas la naissance, elle la rend au moins plus que probable. Au surplus, ce sont là
des discussions puériles. — (Voy. les Lettres inédites de P.-P. Rubens, publiées par Émile Gachet, in-8 , Bruxelles, 1840.)
L'introduction de M. Gachet est un travail intelligent et sérieux. TH. SILVESTRE.
exubérantes, ces musculatures herculéennes ; amour exagéré de l'action qui, étouffant la pensée de l'artiste
sous le poids de la matière, donnait aux saints les formes des athlètes, aux femmes et aux vierges l'énorme,
la rouge beauté de ces virago du peuple nourries de la vapeur du sang dans l'atmosphère des boucheries.

Mais, noble ou roturière ', l'origine du peintre ne suffirait pas à expliquer ses œuvres. Sans doute le
génie peut subir quelquefois les influencesqui l'environnent mais il est toujours
; assez fort par lui-même pour
se soustraire à celles qui sont puériles. L'artiste, même, n'a plus ni patrie ni famille lorsque ses œuvres

t Michel, de Piles, Van Grimberghe et une foule d'autres biographes assignent à Rubens une noble origine. Descamps,
Félibien, Dargenville, Houbraken, etc., ne disent rien de
ses aïeux. Le baron de Reiffemberg lut, en 1833, à l'Académie de
Bruxelles, un mémoire généalogique dont voici le titre et
un extrait : Généalogie de la famille de Rubens, tirée des manuscrits
et des ouvrages imprimés de Butkens, Van der Leene, Le Roy, Foppens, de Vesiano, Hellin,
etc.
« Barthélemi Rubens, d'une famille noble, originaire de Styrie, établi aux Pays-Bas avant l'an 1528, épousa Barbe Arents,
font le tour du monde; son âme est partout dans chacun de ses tableaux. Il est une influence plus sérieux
qui devait dominer le peintre comme elle domine tout le monde : sa propre organisation, son tempérament.
Deux principes se querellent éternellement dans l'homme : son esprit et son corps. La partie la plus forte
de nous-même subjugue l'autre, exagère sa victoire et la proclame dans nos œuvres. Toutes les religions ont
connu cet antagonisme que le poëte Horace appelait l'homme double. La matière domina chez les païens.
aussi divinisèrent-ils leurs ivresses physiques : Bacchus, le vin; Vénus, l'amour. Les chrétiens, au contraire,
en soumettant la chair à l'esprit, voulurent glorifier les austères vertus et remplacer les divinités brutales
du paganisme par des personnificationsaugustes dont l'âme dominait le corps. S'il appauvrit la beauté
physique, le christianisme donna plus d'expression à la figure humaine et l'illumina de plus vives clartés.
La pensée s'affranchit de l'animalité, l'art grandit en beauté morale. Mais toute puissance s'exagère la
:
nature physique, outragée par la réaction spirituelle du christianisme, ne devait pas tarder à revendiquer
ses droits. Cette lutte dure encore; voilà la cause de nos hésitations dans l'art dont la vérité absolue doit
sortir, un jour, de la réconciliation entre toutes les facultés de l'homme.
On se plait, assez généralement, à diviser les talents en intelligences et en tempéraments, en
penseurs
et en hommes d'activité. Cela est surtout vrai pour les peintres. Aussi faut-il s'appliquer à surprendre dans
leur organisation particulière, dans leur caractère, le secret de leurs ouvrages, qui, à vrai dire, ne sont
que les miroirs de leur personnalité.
Rubens est une nature païenne, un tempérament, une activité.
La peinture flamande avait conservé une grandeur originale pendant toute la durée du xve siècle. Éprise des
croyances naïves et des beautés de l'art gothique, elle s'abîmait dans la contemplation, au fond des cathédrales
pleines de visions enivrantes et de mystérieuses terreurs. Pénétrant par la foi les secrets de l'art chrétien
ennemi de la vie mondaine, les peintres avaient montré beaucoup d'éloignement pour les sujets profanes.
Leurs immages pieuses, chastement drapées, offraient un double caractère de roideur et de naïveté, fidèle
expression de la pensée chrétienne, mélange de sévérité et de tendresse. Les corps des apôtres, des saints,
des vierges, des martyrs, maigres et diaphanes, semblaient faits d'une essence toute spirituelle, et l'âme
illuminait leurs visages comme un rayon de la lumière incréée. Mais les agitations du XVje siècle viennent
réveiller l'art de ses songes mystiques : la peinture flamande se fait réaliste et voyageuse. Si l'un de ses
maîtres fervents avait, naguère, entrepris un pèlerinage à la Terre-Sainte, ses peintres aimèrent mieux
ensuite courir l'Italie et butiner, comme un essaim d'abeilles, dans toutes les écoles. S'abandonnant à
l'unique penchant de leurs préférences individuelles, ils imitent, tour à tour, Léonard de Vinci, le Titien,
Véronèse. Dans son enthousiasme pour Michel-Ange, François Floris exagère la forme, et bâtit pour ainsi
dire, dans la peinture, les colosses que le grand sculpteur a taillés dans la pierre ; Martin de Vos s'attache à
reproduire le coloris des Vénitiens; Otto-Veniusles magiques lumières et les ineffables douceurs du Corrége.
Telle est la situation de la peinture flamande, au moment où Rubens nous apparaît dans l'histoire de l'art.
Il y avait, en 1566, dans le conseil d'Anvers, un échevin nommé Jean Rubens. Il y vivait paisiblement
avec sa femme Marie Pypelincx, qu'il avait épousée au retour d'un long voyage en Italie. En ce temps-là,
Philippe II, roi d'Espagne, opposait, dans les Pays-Bas, une oppression farouche aux envahissements de la
liberté de conscience que la noblesse belge, secrètement liguée avec la noblesse de France, d'Allemagne et de
Hollande, défendait contre la Sainte Inquisition. Une révolution sanglante fermentait au cœur des Flandres ;
épiés, poursuivis de ville en ville, à travers les campagnes et jusqu'au fond des bois, les religionnaires se

dite Spirinck, native d'Anvers, de laquelle il eut un fils Jean Rubens, le -18 mars 1530. Jean épousa Marie Pypelincx. Leur
septième enfant fut Pierre-Paul Rubens, etc... » (Nouveaux mémoires de l'Académie de Bruxelles, tome VI.)
M. Gachard, dans sa brochure intitulée : Particularités et documents inédits
sur Rubens, Bruxelles, 1842, s'exprime en ces
termes : « Rubens, n'étant pas noble, ne pouvait être fait chambellan, et quant à la dignité de conseiller d'État, elle était réservée
aux seigneurs les plus éminents du pays, à des personnages tels que le prince d'Orange, le duc d'Arschot, le comte de Solre, etc. »
L opinion de M. Gachard est la véritable. I\ous verrons, dans la suite de cette monographie, quelle fut l'insolence du noble duc
d'Arschot envers le roturier Rubens.
k'ventîeiTbaiHles exaspérées : les orateurs fanatiquesenivrent les âmes; les orgies de la révolte répondront aux

excès de l 'oppression. Réduits à exercer en plein soleil, dans les ravins et les lieux sombres,
un culte
maudit, les proscrits s'exaltent au sein de la nature qui verse dans les cœurs blessés ses inspirations
sauvages. Leur fureur s'allume à la vue des magnifiques cathédrales où d'implacablespersécuteurs exercent
un culte dont l'opulence contraste si fortement avec leur misère. Artisans des villes, mariniers, paysans,
armés de faux, de haches, de mousquets, se répandent dans la Flandre occidentale et portent la dévastation
dans les églises et les couvents : les autels tombent, les statues sont mutilées, les tableaux sont promenés
à la pointe des fourches, les livres brûlés à la voix des prédicateurs montés en chaire la torche à la main;
Saint-Omer, Ypres, l'abbaye de AVewelgen Menin, Commines, Warwic, Lille, voient passer la destruction
comme un torrent de lave qui, toujours grossissant dans sa course, arrive à Anvers. On y célébrait, ce jour-là,
la fête de l'Assomption au milieu d'un concours extraordinaire d'étrangers. La cathédrale est envahie, la statue
de la Vierge traînée la corde au cou est décapitée sur les dalles; un Christ, magnifique sculpture, est mis en
pièce. On arrose le sol, on lave les chaussures avec le vin et l'huile des sacrifices; on brise les sépulcres pour
disperser les ossements. Vivent les gueux! vivent les queux l était le cri de ralliement de cette foule enivrée.
Les belles orgues tombent en pièces gémissantes ; les grands cierges éclairent cette orgie de leurs flammes
mystiques ; le tocsin sonne; Anvers tremble dans les ténèbres, et le soleil se lève sur les débris de soixante-dix
autels. Quatre jours suffisent au ravage de quatre cents églises, seulement dans le Brabant et la Flandre.
A la nouvelle de ces événements,la colère de Philippe II n'eut plus de bornes : il envoya dans les provinces
révoltées le duc d'Albe, homme d'un caractère implacable qui y promenal'extermination. Alors la noblesse
belge, tirant l'épée, se jeta résolûment à la tête de la guerre civile : le sang coulait par torrents sur les places
publiques et dans les batailles; les têtes des comtes de Horn et d'Egmont, d'un grand nombre de nobles et de
bourgeois avaient roulé sous la hache du bourreau. Il n'y avait plus un asile dans les Pays-Bas pour quiconque
était soupçonné d'attachement aux libertés publiques2. Jean Rubens se sentit menacé. On lui supposait de
secrètes sympathies pour les martinistes ou luthériens et des relations de conspirateur avec Guillaume le
Taciturne •
« Monsieur Bubens, — lui écrivait le prince de Chimay, — le roi d'Espagne nous
subjugue de rechef par son
barbare et tyrannique gouvernement dont ma mémoire est encore si fraische, j'aimerois mieulx de ma part
d'endurer tout tes traverses du monde, pour nous défendre jusqu'à la dernière goutte de mon sang, etc.3. »
Mais Jean Bubens, chargé de famille, préféra se retirer à Cologne (1568). C'est là que durant la neuvième
année de son exil, naquit un septième enfant, le 29 juin 1577, jour de la fête des deux apôtres Pierre et
Paul dont il prit les noms.
Un grand peintre venait au monde, dont l'étonnante fécondité devait, non-seulement réparer les désastres
que les révolutions avaient fait subir aux arts dans sa patrie, mais enrichir encore les églises, les musées,
les galeries de toute l'Europe, de Rome à Paris, de Londres à Saint-Pétersbourg, de Milan à Vienne.
Pierre-Paul commença ses études au collége des jésuites de Cologne avec cette facilité qu'il doit montrer
en toutes choses dans le cours de sa vie. Il perdit son père en 1587. Anvers était depuis deux ans tranquille ;
la veuve Rubens voulut retourner dans sa ville natale, où elle déploya la plus grande habileté à récupérer
une partie de ses biens. C'est de sa mère, assurément, que le peintre tenait cet esprit d'ordre, cette vigilance
des intérêts, cette ruse de caractère qui, en le faisant accuser plus tard d'avarice et de duplicité, le rendirent
si utile, comme homme politique, aux princes de son temps et surtout à lui-même. Le jeune homme, placé en
qualité de page chez la veuve du comte de Lalain, s'ennuya bientôt de cette vie oisive et la quitta pour suivre
sa vocation. Il entra, dans l'atelier d'Adam Van Noort, peintre d'histoire réputé à Anvers comme coloriste4.
Après avoir étudié quatre années sous la direction de Van Noort5, Rubens entra dans l'atelier d'Otto-Venius,

t Van der Wynckt, Histoire des troubles des Pays-Bas.


2Van Hasselt, Hist. de Rubens.
3 Biblioth. Antwerp.

4 « Ad picturae studium impulsus a matre impetravitut Adamo Van Noort, pictori Antverpiensi instituendustraderetur. » (Phii.

Rub., Vita P. P. Rubenii. Voy. Nouveaux Mémoiresde l'Acad. de Bruxelles, tome X; Mémoire de M. le baron de Reiffemberg.
II c Sub hoc magistro (Van Noort) prima artis suae fundamenta par annos quatuor posuit. » (Ibid.) -
peintre officiel de l'archiduc Albert et de l'Infante Isabelle, gouverneurs des Pays-Bas. Otto-Veniusavait reçu
une éducation savante que le séjour des cours de l'Europe avait animée et embellie. Trop érudit pour être
un homme d'originalité et d'inspiration, Otto-Venius n'était qu'un charmant imitateur des maîtres; l'on peut
dire que pourtant Rubens n'apprit guère de lui que les belles manières, l'amour excessifdes lettres et le faux
goût des allégories. Il y avait près de quatre ans que Rubens travaillait avec son second maître1 ; mais sa
personnalité l'entraînant vers des études plus fortes et plus libres, il résolut de partir pour l'Italie. Otto-Venius

présenta son élève chéri à l'archiduc Albert et à l'Infante, qui, ravis de l'élégance du jeune artiste, lui
donnèrent des lettres de recommandation pour plusieurs souverains. Mais, suivant Bellori, Rubens avait des
qualités capables de lui servir de protection en tout lieu : — « Il était grand, bien fait, d'un beau sang, d'un
fort tempérament; à la fois doux et fier, noble dans ses manières, distingué dans ses vêtements; il portait
ordinairement une chaîne d'or à son cou. »
Il partit pour l'Italie, le 9 mai de l'année 1600.
Venise, que l'enthousiasme des artistes, des poëtes, des voyageurs, avait tant glorifiée entre toutes
les villes d'Italie, attira d'abord son ardente curiosité. Pendant qu'il y étudiait les maîtres coloristes, un

' «Deinde sub Ottonis Yenii pictorum belgicorum illo tempore principis disciplina alios quatuor annos fere exegit. » (Ibid,)
2« Fu egli di statura grande, ben formato e di bel colore e temperamento; era maestoso insieme e humano, e nobile di
maniere e d'habiti, solito portare collana d'oro al collo, etc.. »
gentilhomme de la cour du duc de Mantoue, logé dans l'hôtellerie où le peintre était lui-même descendu,
témoigna le désir de le voir travailler dans son atelier. L'aspect de quelques toiles commencées et la
conversation de l'artiste charmèrent le gentilhomme, qui, de retour à Mantoue peu de jours après, parla au
duc Vincent de Gonzague du talent et du caractère de Rubens avec une telle chaleur, que le duc prit la
résolution de l'appeler auprès de lui et de l'attacher à son service. Rubens quitta Venise pour Mantoue. Le
duc Vincent y possédait une galerie très-riche en ouvrages de Jules Romain. Au dire de certains biographes,
et notamment de M. Van Ilasselt, auteur d'une vie de Rubens consciencieusementécrite, mais pleine
d'enthousiasme national, Rubens s'appliquait à les imiter en ce qu'elles avaient de fougueux, c'est-à-dire
de sympathique à sa propre nature.
Il y a plus de science que de fougue dans les œuvres de Jules Romain. La fougue, dans les ouvrages de
Rubens, ne rappelle en rien Jules Romain ; et, d'ailleurs, un maître n'enseignejamais il un autre l'emportement
des facultés. Privilège exclusif des natures inspirées, la fougue suffit à elle seule, à l'originalité, il la gloire
des plus grands peintres : le Tintoret, Rembrandt, et, de nos jours, Delacroix, voilà les hommes fougueux.
Ivresse de la pensée, orage des passions, ardeur tumultueuse de tout ce qui respire, mystérieuse violence
de la nature inorganique, la fougue tourmente à la fois l'homme, les animaux et les éléments. Elle s'épanche
de nos cœurs par l'amour, la haine, la douleur; jaillit des entrailles de la terre par le cratère des volcans,
se précipite avec les fleuves, traverse le ciel sur l'aile des tempêtes. C'est elle qui soulevait d'une sainte
horreur la chevelure des sibylles, et qui, de tout temps, donna l'audace au guerrier, la fièvre au poëte,
l'exaltation au croyant, l'héroïsme au martyr. Jules Romain ne connut pas la fougue : avec toute son
imagination,toute son énergie, il resta toujours soumis à l'influence de Raphaël, son maître, dont le tranquille
génie poursuivait l'idéal de l'ordre, l'harmonie des lignes. Calculé dans tous les détails de sa vie, froid dans
sa sagesse, éloigné d'ailleurs, par l'activité des affaires, du recueillement, source des grandes aspirations,
Rubens ne fut pas davantage un homme de fougue. La surabondance, l'ivresse de la vie qui nous frappent
dans ses ouvrages, ne résultent pas de l'exaltation du cerveau, mais de la hardiesse du coup d'œil et de
la vigueur du pinceau. L'amour excessif de la mythologie, l'habitude des toiles d'une immense étendue, les
réminiscences de Michel-Ange, et, surtout, cette superfétation grandiose qui caractérise l'œuvre de tous les
maîtres venus en des époques de décadence : voilà les seules analogies qu'il soit possible de trouver entre
Rubens et Jules Romain. Rubens est infiniment plus vivant. Sa Kermesse, ses Chasses, quelques sujets
bibliques, la Bataille des Amazones, sont les incomparables triomphes de la hardiesse, de la fierté, de
l'opulence pittoresque. Les trois premiers tableaux de Rubens ornèrent l'église de Mantoue et trois autres,
à la demande des archiducs gouverneurs des Pays-Bas, embellirent l'église Santa-Croce di Gerusalemmc
.
le Couronnement d'épines, le Crucifiement, l'Invention de la Croix. Suivant les conceptions tourmentées
ordinaires à Tintoret, les deux pieds du Crucifié ne sont pas cloués. Le peintre sacrifiait ici la tradition
chrétienne pour montrer avec plus d'énergie les convulsions de la mort physique1.
Chargé bientôt après, par le duc Gonzague, d'une mission secrète à la cour d'Espagne, Rubens partit sous
le prétexte d'offrir au roi Philippe III un carrosse, sept chevaux magnifiques et de riches présents destinés au
duc de Lerma, premier ministre2. A Rome, le pape, les cardinaux Chigi, Rospiglioso, Colonna, la princesse
de Scalamarre, les pères de l'Oratoire, demandèrent plusieurs ouvrages au peintre, qui ne tarda pas à visiter
Florence. L'influence exercée sur lui par la manière grandiose de Michel-Ange fut si profonde qu'il n'en
perdit jamais l'empreinte souveraine.
De Florence, Rubens se rendit à Bologne; mais le dessin correct et la composition sévère des Carraches
n'avaient rien à dire à son génie ennemi de la simplicité.. A Milan, il fit la copie de la Cène de Léonard d(
Vinci et un tableau pour la bibliothèque Ambroisienne, la Vierge et l'Enfant Jésus dans un cercle de fleuiv

1 Ces trois ouvrages passèrent dans la suite en Angleterre. Le second, acheté en 1821 par le comte de Woronzo, périt en mer
(Van Hasselt, Histoire de la vie et des ouvrages de Rubens, in-8°. Bruxelles, 1840, page 19.)
2 (IMissus est in Hispaniam... ut regi catholico Philippo redam pulcherrimam et septem generosissimos equos offerret, etc. )

(PhilippeRubens. Vit. P.-P. Rub.. dans les Nouveaux Memoires de VAcademie de Bruxclles, loc. cit.)
peint par son ami Breughel de Velours. Puis il courut à Gênes, dont l'opulence et l'activité lui rappelaient
le souvenir d'Anvers et stimulaient son penchant naturel pour le lucre. Sa réputation l'y avait

précédé le sénat, les nobles, les marchands, le convièrent à des fêtes splendides,
. et se disputèrent, Ù
prix d'or, ses tableaux et ses portraits. Le peintre avait dessiné les églises et les palais de Gênes, dont
le recueil fut dans la suite publié à Anvers,
sous ce titre : Palazzi antichi e moderni di Genova raccolti c
disegnati. Mais un douloureux événement vint l'enlever à l'Italie
: une lettre d'Anvers lui annonçait In
dangereuse maladie de sa mère. 11 partit toute hâte
en pour la revoir; àson arrivée, elle n'était plus (1608V
Rubens avait passé huit années en Italie sous la protection constante du duc de Mantoue, courant de ville
en ville, d'école en école, de chef-d'œuvreen chef-d'œuvre. Doué d'une grande activité, d'une vaste mémoire,
d'une facilité d'assimilation peut-être inconnue jusqu'à lui; tour à tour Italien en Italie, Espagnol en
Espagne, la souplesse qu'il avait à se transformer ne lui enleva rien de sa nature et de son originalité
flamandes. S'il a souvent montré la plus grande habileté à couvrir des apparences d'un génie créateur des
ressouvenirs et des imitations, s'il a sucé, pour ainsi dire, la moelle des plus grands maîtres, en demeurant
lui-même, il faut dire que jamais il ne lui fut possible de se défendre d'un grand éloignement pour ceux
dont le tempérament était opposé au sien. Rubens se retira quatre mois dans l'abbaye de Saint-Michel où
sa mère avait été ensevelie, pour donner un libre cours à sa douleur. Puis, il tomba dans une mélancolie
profonde, le mal de l'Italie. Il se disposait à y retourner; mais les archiducs, jaloux de conserver auprès
d'eux l'artiste, et surtout le diplomate, en un moment où ils avaient avec la Hollande des relations
difficiles, l'attachèrent à leur service par une riche pension, par une chaîne d'or, suivant l'expression de
Philippe Rubens, son neveu et son biographe 1. Pour se délivrer des distractions de la cour de Bruxelles,
le peintre se réserva de séjourner habituellement à Anvers où il se tiendrait toujours prêt à répondre
au
premier appel de ses princes, et comme la trêve de 1609, signée à Anvers et à La Haye, lui faisait espérer
quelques années de calme pour son pays si longtemps bouleversé, il se maria avec la fille d'un riche
sénateur d'Anvers, Isabelle Brandt, beauté robuste dont le portrait a pris trop souvent dans son œuvre la
place de l'élégance et de la grâce. Rubens acheta une grande maison sur la place de Meer et la fit
entièrement reconstruire à l'italienne : entre la cour et le jardin s'élevait une rotonde à fenêtres cintrées,
surmontée d'une lanterne de Panthéon. Dans ce musée, où conduisait un escalier royal, l'artiste fit placer
les riches objets d'art recueillis dans ses voyages : tableaux, statues antiques, bustes, bas-reliefs, médailles,
onyx, agates, et, jusqu'à la fin de ses jours, il conserva en Italie des correspondants fidèles qui faisaient
pour son compte de fréquentes acquisitions. Le sculpteur Duquesnoy, son compatriote et son ami, était
plus particulièrement chargé de ces soins intelligents. La fortune du peintre grandissait avec sa renommée
:
« Il n'y avait pas de prince et d'amateur qui ne voulût avoir quelque chose de lui2. »
La construction de sa demeure fut la singulière occasion qui donna naissance à l'un de ses chefs-d'œuvre,
la Descente de Croix de la cathédrale d'Anvers. Vers l'année 1610, Rubens avait acheté une partie d'un
terrain qui appartenait à la confrérie dite des Arquebusiers. Pour agrandir le plus possible et gratuitement
sa maison, le peintre empiétait sur le terrain de ses voisins. Un procès allait commencer, lorsque M. de
Rockox, son ami, ancien bourgmestre et capitaine du Serment, exhorta ses confrères à la conciliation il
:
fut entendu que le peintre ferait un tableau pour la chapelle qu'ils avaient à la cathédrale. Le sujet désigné
était un des principaux traits de la vie de saint Christophe, patron de la confrérie. Suivant l'étymologie
grecque du nom de Christophe (xpt,,.,roi, ?epsiv), Rubens conçut la pensée de la Descente de Croix, triptyque
où se trouvent réunis tous les personnages qui ont porté Jésus durant le cours de sa vie mortelle
: on voit
sur l'un des volets, la Vierge enceinte qui rend visite à Elisabeth; sur l'autre, Siméon tenant dans ses bras
l'enfant présenté au temple ; sur le revers des volets, saint Christophe et un ermite qui cherche, avec une
lanterne, à passer le gué d'une rivières.
Le sujet principal est composé de neuf figures : des ouvriers, au sommet de deux échelles, font descendre

1 II Aureis vinculis lig&runt. »

-
Sandrart
3 Extraitdes registres du Serment et de la confrérie des Arquebusiers d'Anvers, ayant rapport à la transaction de
Ilubens avec les supports, touchant le tableau la DESCENTE DE CROIX, posé au retable de leur autel dans la cathédrale
:
Le 7 septembre 1611 a été passé le contrat du dit tableau, à la salle des Arquebusiers, entre
ces messieurs et Pierre-Paul
Rubens, en présence de M. Nicolas Rockox, ancien bourgmestre et leur capitaine.
Dépensé en vin d'honneur aux élèves, lors des trois visitations des panneaux dans la maison du dit Rubens... fl. 9, 10.
En 1612, le dit tableau a été transporté de la maison du dit sieur Rubens à la chambre du dit Serment.
Item, payé en différentes fois, tant pour le transport des dits panneaux, des matériaux
pour l'échafaudage, le transport de
le corps du Christ, il l'aide d'un linceul que l'un tient avec ses dents, l'autre de sa main gauche. Fortement
appuyés sur les bras de la croix, ils se penchent, pour accompagner de leur main restée libre, le Christ que
saint Jean, un pied sur l'échelle, les reins cambrés, soutient avec énergie. Un des pieds du Sauveur s'arrête
sur la belle épaule de Madeleine, en effleurant sa chevelure d'or. Joseph d'Arimathie et Nicodème, placés en
face l'un de l'autre sur le milieu des échelles, forment avec les deux ouvriers de la partie supérieure du
tableau un carré de figures robustes, mais vulgaires. La Vierge, debout au pied de l'arbre du supplice, tend
les bras vers son fils; Salomé accroupie relève sa robe. On voit, à terre, une légende et un vase de cuivre,
olt, dans le sang coagulé, trempent la couronne d'épines et les clous du crucifiement.
La foule, toujours enivrée par le spectacle des supplices, vient de s'éloigner du Golgotha au jour mourant.
Le ciel triste et noir, après le sacrifice du Calvaire, comme il est dit dans l'Ecriture, est traversé par une
lumière qui éclaire les épaules de l'un des ouvriers dont l'attitude hardie rappelle la composition de Daniel
de Vol tei-i-e. Si cette lumière était seule et plus large, la Descente de Croix de Rubens ne serait pas sans
quelque rapport avec la manière de Rembrandt; mais la couleur de la chair du Christ, opposée à l'éclat du
linccul, produit ici une lumière dominante à laquelle sont subordonnés, suivant la manière vénitienne, de
petits clairs qui passent sur la tête et les épaules de Madeleine, les visages de Marie, de Salomé et de Joseph.
Rembrandt n'employait le plus souvent qu'une seule masse de lumière; Rubens et les Vénitiens, au
contraire, en disposaient plusieurs dans une habile gradation, de même qu'ils avaient pour habitude de
donnera leurs figures des places relatives dans la composition, sans en sacrifier une seule d'une manière
absolue1. Mais les plus grands effets sont toujours produits par les peintres capables de sacrifice, et Rembrandt
l'a victorieusement prouvé. Ramenant sa pensée, son âme tout entière en un point principal de l'ouvrage,
il y entraîne l'âme du spectateur par une invincible fascination. Rubens qui, :ni contraire, n'aime à rien

l'atelier dans le vestibule, etc., el de là, à la chapelle, etc., la livraison des matériaux, les frais des ouvriers, priseurs,
entrepreneurs, par signification fl. 176, 14 1/4
Item, le 16 janvier 1615, on a fait accord avec Pierre-Paul Rubens et David Remeeus, doreur, touchant
leurs ouvrages et travaux en présence des doyens, etc ; dépensé alors fl. 46, 18.
Jtem, le même jour, payé à compte au dit sieur Pierre-Paul Rubens fi. 1000.
Item, payé à David Remeeus pour la dorure des cadres du tableau el deux volets, presque fl. -HO.
ltCI/!, l'an 1615, payé pour 323 pots de bière consommés par les ouvriers en construisant la muraille fl. 40,. 2.
.
i\. B De cette somme le dit sieur Rubens doit payer la moitié, mais point du reste.
Item, l'an 1615, payé pour une paire de gants présentée à l'épouse du dit sieur Rubens
....
(Ici plusieurs autres dépenses dont nous supprimons la mention, et qui se trouvent dans cet accofrd.)
fl. 8, 10.

Item, le 16 décembre 1622, le doyen Jean de Leese a passé son compte général d'administration et délivré à la chambre
(l'assemblée des supports) la quittance générale du sieur Pierre-Paul Rubens, peintre, par laquelle celui-ci reconnaîtavoir reçu
la somme de quatre cents livres de gros (2,400 fl.) en payement entier du tableau posé sur l'autel en date du t6 février 1621.
Recherché et collationne es registres de la chambre des aiquebusiers d'Anvers parle soussigné, secrétaire de la dite chambre.
Anvers, le 2i juillet 1771.
F.-B.- BELTENS.
(Traduit du flamand par M. Gachet.)

1Voici, dit Reynolds, la manière dont je me suis servi pendant mon séjour à Venise pour me rendre utiles les principes des
maîtres de cette école : lorsque je remarquais quelque effet extraordinairede clair-obscur dans un tableau, je prenais une feuille
de mon cahier dont je noircissais toutes les parties dans la même gradation de clair-obscurque l'était le tableau, en laissant intact
le papier blanc pour représenter la lumière, et cela sans faire attention au sujet ni au dessin des figures. Quelques essais de cette
espèce suffisent à faire connaître la méthode des peintres vénitiens dans la distribution des jours et des ombres : un petit nombre
d'épreuves me convainquirentque le papier était toujours tacheté à peu près de la même manière, et il me parut que la pratique
générale de ces maîtres était de ne pas donner plus d'un quart du tableau au jour, en y comprenant la lumière principale et les
lumières secondaires; un autre quart à la plus forte ombre possible, et le reste aux demi-teintes. Il paraît que Rubens a donné
plus d'un quart de ses ouvrages à la lumière et Rembrandt beaucoup moins, c'est-à-dire tout au plus un huitième; ce (lui fait que
sa lumière est extrêmementbrillante.
(REYNOLDS, Œuvres complètes, tome If, page 187 et 188, in 8°; Paris, 1807.
sacrifier, fatigue bientôt l'attention, en l'appelant à la fois par un égal intérêt dans toutes les directions de
la toile. Si ses figures sont supérieurement exécutées, aucune d'elles ne nous subjugue
par un vrai cachet
d'idéalité ; lorsque la lumière inonde ses tableaux, nous ne savons d'où elle arrive, et l'on croirait volontiers
que le peintre avait l'habitude de travailler en plein air. Aussi, admirable par le mouvement des groupes,
la splendeur des décorations, la limpidité des fonds, est-il resté inférieur dans l'étude des types, dans
l'expression de l'âme, qui, fuyant le tumulte et l'éblouissement du monde, aime à se retirer dans l'ombre
mystérieuse des rêves. Rembrandt, nature méditative, semble avoir peint, du fond d'une prison,
ses
hallucinations sublimes : la lumière rendue si vive par les ombres ambiantes, c'est le chemin des apparitions
qui descendaient à lui, et par lequel s'élevait son âme; ces lueurs soudaines sont les éclairs de
son génie
ardent, concentré comme le foyer de la lentille d'Archimède.
Admirable d'exécution, prodigieuse de couleur, la Descente de Croix de Rubens n'a rien de chrétien.
Voyez-vous cette tête pendante, ces membres flasques et pesants, cette mort réelle? Ce n'est
pas l'Homme-
Dieu endormi d 'tin sommeil de trois jours, c'est un Hercule mort à jamais. La dissolution
commence; ce
cadavre va retourner aux éléments, la poussière à la poussière; point de résurrection à la mort païenne;
plus rien au delà du tombeau. Et cette robuste matrone, drapée à la manière des pleureuses
que l'antiquité
payait aux jours des funérailles, c'est la Vierge dont la résignation et la foi devraient étouffer les sanglots
humains. Combien Lesueur a mieux senti la poésie du christianisme! Autant il est inférieur à Rubens
par
la hardiesse, l'éclat et la vigueur, autant il le surpasse, dans le même sujet,
par la suavité du sentiment.
Sans doute, l'énergie du drame de Lesueur est affaiblie par la dispersion des personnages; mais
comme
chaque tête est expressive! En elles, la foi a surmonté la douleur, comme le Christ triomphera de la mort. Et
ne voit-on pas déjà l'âme rayonner à travers ce corps transparent, pareille à la flamme d'une lampe sacrée?
La tête, doucement inclinée, ne paraît qu'endormie. Mais, il faut le dire, jamais Lesueur n'eût osé opposer
immédiatement la couleur des chairs du Christ à un linceul d'une blancheur aussi éclatante que l'est celui
de Rubens, qui se faisait un jeu des difficultés et des tours de force. Titien lui-même ne l'aurait point tenté
sans amortir le blanc par une de ces teintes dorées qu'il semblait emprunter aux rayons du soleil couchant.
Et qu'importe après tout à Rubens tous vos songes mystiques? N'est-il pas le peintre de la vie, de la vie
bien vivante, le poète de la forte santé que jamais la fièvre de la pensée ne fit pâlir? Croyez-vous qu'il aîmât
ces vieux maîtres flamands avec leurs saints étiques? Des hommes robustes et forts, bateliers, forgerons,
paysans de la Flandre, vivront sur ces toiles, apôtres, saints, martyrs ou bourreaux. Jupiter, Hercule,
Antinous, Mercure, prêteront tour à tour leurs traits au Dieu chrétien. Les amours et les anges, Belges
joufflus à la tête ronde, seront à peine soutenus par leurs ailes.
Chargé par la confiance des princes de négociations délicates, Rubens fut quelquefois redevable à ses
pinceaux du succès de ses ambassades, et la fréquentation des cours doubla l'éclat de son style naturellement
somptueux. C'était vers l'an 1619. La trève de douze ans, signée entre l'Espagne et la Hollande, allait toucher
à sa fin. Épuisée de ressources, la Belgique aspirait à la paix. Seul, le parti national s'agitait, en Hollande, à la
voix de Barnevelt qui ne.tarda pas à mourir sur l'échafaud avec
une stoïcité digne des temps antiques. Le
champ restait libre aux intrigues du prince d'Orange : dévoré d'ambition, Maurice nourrissait le projet de se
rapprocher secrètement de l'Espagne, et l'archiduc Albert prêtait à ses insinuations une oreille complaisante.
Mais, séduit par l'illusion d'une alliance avec l'Angleterre, Philippe III n'écoutait
que le comte de Gondomar,
son ambassadeur a Londres. Celui-ci lui faisait entendre que le duc de Galles, depuis Charles Ier, était résolu à
faire au profit de l'Espagne une descente en Hollande, et à demander la main de l'Infante. De son côté,
Louis XIII, pour contre-balancer l'influence de l'Angleterre unie à celle des protestants français, proposait au
roi d'Espagne une alliance offensive contre la Hollande, foyer de l'hérésie. Pendant les hésitations de
Philippe III, l'archiduc Albert redoublait d'activité pour arriver à un moyen de pacification : une dame
Tserclaes, femme noble, très-catholique, et d'âge fort sage1, lui servait d'intermédiaire auprès du prince

1 Correspondance des archiducs.


d'Orange, auquel il ne restait plus qu'à faire agréer le prix de sa défection, lorsque le roi d'Espagne fut
surpris par la mort. Le besoin de la paix était si impérieux pour les parties belligérantes, que l'expiration

Je.ta trève ne fut pas le signal de la reprise immédiate


des hostilités : les négociations continuèrent;
-Rubens et la dame Tserclaes
en furent les agents les plus actifs. Celui-là avait l'espérance de réunir autour
d'Isabelle un parti national dégagé des influences espagnoles
et capable de rendre à la Belgique désolée la
richesse et le repos. Voilà les motifs qui chez Rubens
imposaient silence à toutes les autres susceptibilitésdu
patriotisme : en lui l'artiste l'emportait sur le citoyen. Les complications dela guerre de trente ans, l'élévation
de Richelieu aux affaires, avaient accru les difficultés. Le sieur de Baugy, résident français à Bruxelles,
dénonçait comme un danger l'influence exercée par le peintre sur l'esprit d'Isabelle et attribuait, dans la
suite, à un intérêt d'argent, toutes ses manœuvres politiques. Le sieur d'Espesses, autre émissaire de Richelieu
établi à La Haye, le signalait comme un agent d'intrigues dont la dame T'serclaes était l'instrument vénal.
Toutes ces préoccupations n'empêchaient pas Rubens de donner beaucoup de temps à la peinture; mais
le nombre de ses ouvrages serait néanmoins un mystère, si l'on ne connaissait la manière dont il avait
régie sa vie : il se levait à quatre heures du matin, entendait la messe, s'installait dans son atelier. Comme
il redoutait à l'excès l'influence de la bonne chère sur l'imagination de l'homme, il était d'une extrême
frugalité. Le soir des beaux jours, il aimait à se promener autour des remparts d'Anvers, monté sur un de
ces fiers chevaux d'Andalousie, à la tête arquée, aux crins flottants jusqu'à terre, et qui lui servaient de
modèles. Rubens entretenait de nombreuses correspondances avec les artistes et les savants de tous les pays
:
en Italie, avec Jérôme Aléandre et le sculpteur Duquesnoy; en France, avec les Dupuy, les de Thou, si
célèbres, l'un dans les lettres, l'autre par sa fin tragique, et surtout avec Peiresc, illustre antiquaire de
Provence que le vieux Balzac appelait dans ses lettres précieuses, une pièce du naufrage de l'antiquité,
une relique du siècle d'or. « J'ai veu avec un grand plaisir — écrivait le naïf Peiresc au greffier d'Anvers —
l'inventaire du cabinet de Monsieur Rubenius à qui je vous supplie de faire mes très-humbles remerciements
de tant d'offres de son honesteté qu'il m'a daigné faire. Je le servirai de tout mon cœur en tout ce qu'il
m'employera, ne pouvant assez admirer la richesse de ses figures. Je vouldrois bien pouvoir faire un voyage
en ce pays-là pour en avoir la veue, et surtout de ces belles testes de Cicéron, de Sénèque et de Chrysippus,
dont je lui desroberois possible un petit griffonement sur du papier, s'il me le permettoit 1. »
Passion de savant fossile! Peiresc voulait aller en Flandre visiter Rubens, mais surtout Chrysippus.
« Je ne puis — disait-il encore — assez me louer de son honesteté ni célébrer assez dignement
,
l'éminence de sa vertu et de ses grandes parties, tant en érudition profonde et cognoisçance merveilleuse
.
de la bonne antiquité qu'en la dextérité et rare conduitte dans les affaires du monde, non plus que
l'excellence de sa main, et la grande douceur de sa conversation en laquelle j'ay eu le plus agréable
entretien que j'eusse eu de fort longtemps. »
Ce fut par l'intermédiaire de Peiresc que Rubens obtint pour la vente de ses gravures en France un privilège
qui lui occasionna dans la suite un procès dans lequel il fut accusé de tirer, au moyen de ses planches, des
sommes énormes du royaume. Les deux savants se tenaient au courant des nouvelles politiques, des
découvertes dans les lettres, les arts, les sciences, et faisaient un échange continuel de publications écrites
dans toutes les langues de l'Europe. Tantôt Rubens se réjouit de recevoir de son ami des inscriptions, des
empreintes prises sur les pierres et camées antiques, la diva vulva con ale di papilioni'1; tantôt il lui fait
parvenir en Provence le fragile mécanisme du mouvementperpétuel, découverte faite par un de ses amis, et
qui le remplit d'enthousiasme. Puis, il s'aventure en dissertations dans sa Théorie de la figure humaine3, sur

1 Lettre à Peiresc.
2 Au même.

J Ce manuscrit latin fut copié par un certain Johnson pour la Société des antiquaires de Londres. On croit l'original à Paris,

mais il ne nous a pas été possible de le trouver pas plus qu'un autre ouvrage attribué à ce peintre : de Coloribus. Vers la fin
,
de 1772, Jombert, libraire de Paris, acheta, à la vente Huquier, une collection de planches de cuivre gravées d'après tes
dessins de Rubens, et un recueil d'annotationslatines qui déjà avaient été fort mal traduites en français. Jombert les fit traduire
de nouveau ; mais il poussa l'ignorance jusqu'à supprimer, sous prétexte de rêveries, deux chapitres de Rubens : l'un touchant la
cabale et la chimie l'autre relatif à la formation primitive de l'homme créé d'abord hermaphrodite, puis divisé en deux sexes,
,
comme on le voit dans le Drame de la vie humaine de Giorgione, et au mariage de la lune avec le soleil. Au reste, Cardan
,
Albert Durer, Jean-Paul Lomazze, Vincent Scamozzi, et tant d'autres s'étaient déjà livrés à des spéculations de même nature :
ce Ces grandes proportions harmoniques que Lomazze sait découvrir dans le corps humain par les nombres et les tons de la

musique — dit Hilaire Pader, son traducteur — témoignent de la parfaite symétrie de ce petit monde; c'est pourquoi l'homme
est dit le plus parfait œuvre de la nature, l'image du Créateur et le roi des animaux, qui contient dedans soi les quatre éléments :
les opérations de la chimie, les hermaphrodites, le mariage du soleil avec la lune, l'harmonie des mondes.
Aspirations intelligentes vers les hauteurs de l'absolu où toutes les notions humaines, semblables aux rayons

du soleil, convergent à !
éternelle vérité Mais Rubens redevenait bientôt un homme positif, un homme
t
d affaires. D après sa Théorie de la figure humaine, recueil désordonné de réminiscences
et d'opinions

de sorte que non-seulement la musique trouve la division de


y ses tons, la géométrie ses points, lignes et figures ; mais, de
personnelles que Rubens écrivait à la marge de ses cahiers de dessin, l'homme fait à l'image de Dieu est le
prototype de la beauté dans la création; la beauté de la femme n'est que de second ordre, un dérivé, bien
qu'elle surpasse celle de l'homme par l'élégance et la grâce. A partir de sa première chute, l'homme aurait
subi des dégénérescencesgraduelles et dès lors emprunté aux animaux (les traits et des instincts. C'est là une
des nombreuses contradictions de Rubens, qui ne tardera pas à nous dire, d'abord, que le type de l'homme
est absolu, indépendant de sa nature; ensuite, qu'il est un composé de tous les éléments de l'univers. II
rapporte la figure humaine à ces principes géométriques : le cube, la sphère, la pyramide. La sphère préside
à la formation de la tête, le cube à celle du tronc, et, c'est suivant la pyramide, que les membres de l'homme
diminuent graduellementvers leurs extrémités. Au cube se rattachent les corps forts et robustes, les héros, les
athlètes. Les anciens ont connu trois types de la force :
L'Hercule Farnèse auquel le sculpteur a donné les traits les plus caractéristiques du lion, du taureau et
du cheval; et, en effet, les cheveux d'Hercule ont une parfaite analogie avec la crinière du lion et du cheval;
le front participe du taureau et du lion ; le chignon du cou, son emmanchement sur les épaules sont
,
charnus, musculeux, comme dans le taureau.
On remarque dans le second type, supérieur au premier par l'élégance, plus d'élévation dans la poitrine,
de largeur dans les épaules, de longueur dans les bras, de fermeté dans les muscles du ventre. La hanche
est saillante, les cuisses épaisses et diminuant en forme de pyramide jusqu'au pied dont le talon est
développé. Les muscles s'élèvent en monticules.
Le troisième type se distingue par une complexion plus sèche, la grandeur des os, la longueur de la tête,
le développement des bras, des cuisses, des jambes, la platitude du ventre, la fermeté des chairs, la saillie
des tendons, qui, pareils à des cordes, soulèvent la peau par leur relief: Exemple, le gladiateur qui porte
un coup à son adversaire en se préservant de celui dont il est menacé.
Mais un quatrième modèle de la vigueur physique n'existerait, au dire de Rubens, que dans l'idéal des
artistes : c'est le Christ, le Christ auquel le peintre prêtera, dans le cours de ses ouvrages, les foudres de
Jupiter pour châtier le monde.
De la sphère dérivent les formes arrondies de la femme : l'élévation du dos, les épaules, la poitrine, le
ventre, tous ses contours. A l'exemple des statues antiques, la beauté est également éloignée de la maigreur
et de l'embonpoint. Des chairs solides, à la fois blanches et d'un rouge pâle, mélange de lis et de roses, de lait
et de sang; le visage gracieux; un col élancé, blanc et flexible comme celui du cygne ; des épaulesmédiocrement
larges, le bras arrondi, la main et les doigts souples et allongés; la poitrine unie, ample, un peu élevée; les
seins fermes, doucement séparés; les reins vigoureux et minces à la taille; un buste presque triangulaire; le
ventre ferme, mais d'un contour doux et coulant jusqu'à la partie naturelle petite et relevée; la partie du dos
entre les deux aisselles plate, un peu enfoncée dans le milieu, comme un sillon creusé le long de l'épine; le
contour des épaules fuyant; les fesses charnues, retroussées; les cuisses fortes; le genou rond; la jambe
saillante et diminuant avec grâce jusqu'à son pied, petit et bombé au coude : telle est, aux yeux de Rubens, la

surcroît, l'astrologie y trouve ses astres, la philosophie sa matière et sa forme, et la chymie la différence de ses vaisseaux et
fourneaux. Et ne t'étonne pas si je mêle ici la chymie, car je t'assure que si tu n'es spagyrique tu ne deviendras pas excellent
peintre....
« Des navires, barques, galères et semblables sont tirés du corps humain, à l'exemple de l'arche de Noé.... Ceux qui ont
mesuré ce petit monde ont divisé le corps en six pieds, le pied en dix degrés, et le degré en cinq minutes, qui firent le nombre
de soixante degrés et de trois cents minutes, auxquelles ils parangonnèrent autant de coudées géométriques par lesquelles
l'arche de Noé fut décrite par Moyse; car, comme le corps humain a trois cents minutes de long, cinquante de large et trente
de haut, aussi l'arche fut de trois cents coudées de long, cinquante de large, trente de hauteur. » (Voy. Théorie de la figure
humaine, etc. 1773, in-4" ; Paris, Jombert.) Ce livre, simple extrait du grand manuscrit auquel Rubens devait consacrer un article
spécial de son testament et que nous avons en vain cherché, est presque entièrement dépourvu d'esprit et de logique. TH. S.
Un autre cahier d'études a été gravé par P. Pontius en vingt feuilles, et un troisième, faussement attribué à Van Dyck qui n'y
a fourni que deux têtes, par le comte de Caylus. (Voyez Basan, Dict. des Grav., page 224.)
beauté de la femme. Et néanmoins il Iiii donnera trop souvent des formes masculines; il choisira même ses

vierges parmi les beautés rubicondes, les filles aux larges reins, aux robustes mamelles, dont on fait les
Libertés et les Républiques. Voyez plutôt la Madeleine, dans le tableau qui représente le Christ au tombeau:
c'est une maritorne des tavernes flamandes. Sa chevelure, bas plantée sur un énorme cou, traîne jusqu'à
terre, en passant sur ses yeux, qui pleurent des ruisseaux. Agenouillée, elle tient dans ses mains les clous
du crucifiement, tandis que Marie, la bouche grande ouverte, hurle sa douleur maternelle.
Dans la Fuite en Égypte, la Vierge, couverte d'un chaperon, ressemble par ses proportions gigantesques
il ces statues de pierre qui portent à leur front la couronne murale pour représenter les villes. C'est il
la Vierge,, assurément, qu'il appartient de protéger l'Enfant Jésus et saint Joseph contre les accidents
qui pourraient survenir en chemin. La sainte famille marche par un clair de lune, que l'on prendrait
pour le jour même, tant les couleurs fières et brillantes répandent de lumière dans ce tableau.
Réconciliée avec son fils Louis XIII, à Angoulême, et de retour à Paris, en 1620, Marie de Médicis, qui
voulait enrichir son palais du Luxembourg des ouvrages d'un grand peintre, fit appeler Rubens, à la
recommandation du baron deVicq, ambassadeur des Pays-Bas, et lui demandal'histoire de sa vie en Aingt-un
sujets. Mais, au lieu d'une histoire réelle, le peintre composa une espèce de poëme allégorique dont chaque
tableau est un chant1. Conception turbulente, bizarre, où se trouvent réunis en personnes sur la terre, au
sein de la mer, dans l'Olympe et le ciel chrétien, dans la Fable et l'histoire de France, les divinités, les
éléments, les idées abstraites. La passion de l'époque était aux allégories. Nous avons vu que Rubens en
avait pris le goût à son maître Otto-Venius, qui a écrit sur cette matière un livre illustré de figures, bon
tout au plus, d'après Joshua Reynolds, à amuser les enfants. Rubens prodigua les emblèmes, peupla la
terre, le ciel et l'onde de personnages étonnés de se voir ainsi réunis. Les uns, dans une entière nudité,
étalent leurs formes plantureuses, animées d'un sang réel ; les. autres, revêtus de draperies flottantes,
promènent leur majesté, leur splendeur. L'or, les pierreries, le satin, le velours, ruissellent sous la lumière,
la reflètent ou boivent ses rayons. Mais, qui pourrait tout d'abord démêler sans programme le sens de ces
allégories tour à tour ingénieuses et grossières?
La femme qui joue du violoncelle, c'est l'Harmonie accordant toutes les facultés de la princesse. Les
trois Parques, sœurs cruelles, mais ici bienveillantes, filent les jours d'or et de soie de l'enfant aimé des
dieux; Mercure descend du ciel avec l'Eloquence; la fontaine de Castalie verse la poésie de ses flots.
Voyez-vous Jupiter et Junon assis sur les nuées? Ils s'entretiennent du mariage de la princesseflorentine
avec Henri IV. C'est une douce conspiration : l'Amour a présenté au prince le portrait de Marie de Médicis,
l'Hymen lui vante sa beauté, la France ses vertus, pendant que deux Amours enlèvent son casque et son
bouclier, comme pour éloigner un moment de son cœur épris, toute pensée de guerre et de vaillance.
Ici, l'évèque de Marseille vient sous son dais au-devant de la reine. Vêtue d'une tunique bleue étoilée de
lis d'or, la France reçoit sa souveraine sur un pont de barques. Pour protéger la galère qui l'a portée,
Neptune est arrivé de Marseille avec elle, suivi de sa famille marine : trois Sirènes, beautés à queue de
poisson, tourmentent de leur joie folâtre et lascive l'onde qui jaillit en flocons d'écume autour de leurs
flancs musculeux; les Tritons joufflus font retentir leurs conques, tandis que la Renommée plane dans le
ciel embrasé de la Provence, pour annoncer partout la nouvelle de l'heureuse arrivée.
Là, c'est la ville de Lyon. Sur un char attelé de deux lions montés par des Amours, la cité vient aussi à la
rencontre du roi et de la reine qui, sous les traits de Jupiter et de Junon, sont assis dans les hauteurs de
l'Olympe, le roi sur le dos de l'aigle, porteur de la foudre, la reine sur le char aux deux paons, emblèmes
de l'orgeilleuse puissance. Les deux oiseaux stupides font une roue plus éblouissante que l'arc-en-ciel.
Plus loin, Mercure, le dieu de l'éloquence et du vol
— pensée ingénieuse de l'antiquité et si réelle
encore parmi nous — ne rougira pas d'offrir, dans une entière nudité et en compagnie du cardinal de
La Rochefoucauld, un rameau d'olivier à Marie de Médicis, en signe de sa réconciliation avec son fils Louis XIII.
tin tableau moins chargé de vains ornements, c'est celui qui représente Henry IV confiant le gouvernement
fi Marie de J/édicis. Les portraits en sont admirables. Rubens affectionnait pour ses traits, un peu moins

1 Vo:.. les I?e,clterches et indications à la fin de la monographie.


que Van Dyck peut-être, les draperies noires qui font ressortir plus vivement le relief des traits et l'éclat des
fraîches carnations. Ici la reine est vêtue d'une robe violette qui est d'un effet plein d'originalité et de charme.
Rubens semble avoir épuisé, comme pour étonner le spectateur, toutes les ressources de son style théâtral
dans la galerie du Luxembourg: grands effets, surprises mécaniques. Réunies aujourd'hui au musée du
Louvre, ces toiles sont toutes des prodiges pour la hardiesse de la manière et l'éclat du coloris. Cette œuvre,
(lui est à la fois une féerie et une débauche de l'art, fut exécutée, il y a quelques années, aux Gobelins, en
tapisseries. Rubens est le plus illustre des décorateurs.

Vers la (in du mois de mai 1025, l'artiste vint à Paris pour y achever les deux derniers tableaux de la
galerie; et la reine, qui se plaisait en sa compagnie, se fit préparer un siége dans l'atelier. Elle pria un jour
M. de Bautru de présenter Rubens dans un cercle composé des dames de la Cour :

— « Madame la duchesse de Guéménée brille entre toutes par l'éclat et


l'élégance de ses charmes, dit
Rubens.
monde.
— « Vraiment, répondit M. de Bautru, c'est une beauté singulière, une merveille du
beauté
— u Y aurait-il au nombre de mes dames, demandait peu après la reine à l'artiste , quelque
supérieure à celles que vous avez admirées dans vos voyages?
— « Si j'étais Pàris, je donnerais la pomme d'or à la duchesse de Guéménée.
— « Vous êtes bon juge1. »

t Michel, Vie de Rubens, p. 123, 121.


Ce fut àParis que Rubens fit la première rencontre du duc de Buckingham, ce favori de Charles Ier, si
célèbre par l'audace de ses entreprises galantes auprès des reines, ses folies politiques et sa magnificence.
Cette liaison entre Rubens et Buckingham devint si étroite, que le peintre, visité plus tard à Anvers par le
ministre anglais, consentit à lui céder, pour la somme de 100,000 florins de Brabant, suivant Michel,
100,000 florins de Hollande, au dire d'Houbraken, 10,000 livres sterling, selon Walpole, la collection qui
faisait la gloire de son cabinet, se réservant toutefois le moulage des antiques exécuté aux frais du
gentilhomme. Entre autres objets livrés à Michel Le Blond, pour le compte du duc, se trouvaient cent
tableaux: dix-neuf Titien, vingt-un Bassan, treize Véronèse, huit Palma, dix-sept Tintoret, trois Léonard de
Vinci, trois Raphaël, treize Rubens1. Houbraken et Sandrart trouvaient fort exagéré le prix de cette vente.
Aussi le premier nous assure que le peintre « savait gagner de l'argent par tous les moyens ; » l'autre « qu'il
passait pour ne pas être fort généreux, et que beaucoup l'accusaient de tenir la main bien serrée sur ses écus
sonnants. » Sans pousser l'avarice à l'excès où la portait, dit-on, Rembrandt, — parce qu'il était, avant
tout, dominé par l'esprit des bienséances mondaines et enclin à la vanité de cette bourgeoisie marchande (It'
Belgique et de Hollande, en qui l'amour des arts eut peut-être pour principe l'ostentation de l'opulence,
— Rubens brûla toute sa vie de la soif de l'or. Il se plaignait toujours de ne pas être assez largement
payé, comme si l'art n'avait d'autre fin que la richesse et le génie d'autre récompense digne de lui
que la couronne d'or. Les tableaux du Luxembourg, à peine terminés, il se plaint amèrement à son ami
Peiresc de n'en pas tenir l'argent : la mi stufo di questa corte2. Puis, il tremble d'être compromis par ses
opinions aux yeux de Richelieu, de perdre une magnifique commande, et il ne cesse de glorifier la générosité
de Buckingham, en la comparant avec ironie à la mesquine reconnaissance des souverains. Un alchimiste,
qui a trouvé la pierre philosophale, lui offre de partager le fruit de sa découverte, s'il veut consentir à lui
faire quelques avances pour organiser ses fourneaux : « Non pas, dit Rubens, vous êtes venu vingt ans trop
tard ; j'ai trouvé la pierre philosophale sur ma palette. » Son activité mercantile ne lui laissant pas le temps
de penser, le portait à travailler, pour ainsi dire, au mètre, à la journée, ainsi qu'un décorateur vulgaire, et
faisait courir sur les toiles ses inépuisables pinceaux comme des ruisseaux dans les plaines.
À l'exemple de Raphaël, Rubens élevait autour de lui une famille de jeunes peintres devenus, la plupart,
de grands maîtres: Van Dyck, Jordaens, Gaspard de Crayer, Van Egmont, Diepenbeek, Corneille Schut,
Erasme Quellyn, Momper, Vildens, Lucas van Uden, François Sneyders, constellation qui gravitait autour
de son génie. Tandis que les uns travaillaient à ses tableaux d'histoire et de genre, les autres s'occupaient
de paysages et d'animaux. Fidèle aux procédés employés par le maître, le pinceau des élèves a quelquefois
trompé des regards exercés.
Les vastes toiles de la galerie du Luxembourg esquissées par Rubens à Paris et peintes à Anvers dans soi)
atelier, en deux ans suivant Michel3, en trois d'après Walpole4, sont l'ouvrage collectif des élèves achevé
par les touches larges et éclatantes du maître.
Afin d'étendre sa renommée par la gravure, Rubens dirigeait le burin des artistes Bolswert, Paul Dilpont,
Lucas Vosterman, ses plus fidèles interprètes, et il gravait lui-même des eaux-fortes pleines de caractère.
Telle fut sa vogue, que l'on avait quelquefois recours à sa belle main pour les titres de livres, les vignettes,
les culs-de-lampes, les images de missels. Durant le marché du vendredi, il se faisait à Anvers, dit Campo
Weyermann, un commerce considérable, mais le plus souvent frauduleux, d'ouvrages de divers genres que
d'avides brocanteurs répandaient dans tous les pays de l'Europe sous le nom de Rubens.
Dans le cours du mois de juillet 1626, il perdit sa femme, Isabelle Brandt. — « Oui, j'ai perdu, dit-il il son
amiYalavès3, une excellente compagne; on pouvait, que dis-je?on devait la chérir même par raison, car elle

1 Smith, Life of Rubens, p. xxxi.


2 Lettre à Peiresc, 1625.
Michel, Ilist. de la vie et des ouvr. de Rubens, page 122.
lt Walpole, Anecdotes ofpainting in England, vol. II, p«i<,rc 141.
5 Lettre à Valavès. juillet 1626.
n'avait aucun des défauts de son sexe, etc. » Mais lloubraken fait observer, avec malignité, qu'elle on avail, '

1
1

au contraire, le plus ordinaire :


Isabelle aurait à la fois aimé son mari et Antoine Van Dyck. Rubens se
' serait, dit-on, vengé, dans la suite, de l'infidélité d'Isabelle,, mais ceci est peut-être une fable, dans
son tableau du Jugement dernier, où l'on voit un diable qui, la serrant dans ses griffes, l'entraîne dans
les flammes.
Cependant la Hollande avait repris les hostilités. La guerre d'Allemagne lui prêtait des secours imprévus.
Richelieu s'efforçait d'isoler l'Espagne, tandis que Philippe IV 11e cessait de poursuivre une alliance avec
l'Angleterre. Chargé d'en entamer la négociation, Rubens avait parfaitement compris qu'il fallait absolument
à l'Espagne une force auxiliaire capable de la protéger contre l'audacieux et persévérant génie de Richelieu.
C'est pourquoi il entreprit une tournée vers les frontières de la Hollande pour avoir l'occasion de s'entendre
avec BalthasarGerbier, résident anglais à La Haye. Ce voyage avait les apparences d'une promenade d'artiste.
« Après la mort de sa femme — dit Sandrart — Rubens voulut chercher une distraction dans les
voyages. Il partit donc pour la Hollande, visita les artistes de ce pays : Honthorst, à qui il acheta son
tableau : Diogène cherchant un homme..., Abraham Bloemaert, Cornille Poelembourg. Honthorst étant
retenu chez lui par une indisposition, Rubens eut le désir de m'avoir pour compagnon. Partis il la suite d'un
festin donné en son honneur, nous visitâmes, durant quatorze jours, toutes les curiosités de la Hollande.
Je pourrais donner de longs détails sur ce voyage, sur les agréments de l'esprit de Rubens; qu'il me suffise
de dire que s'il excellait dans son art, il possédait également tous les genres de mérite; aussi était-il entouré
d'un respect universel. Ilme parla avec enthousiasmedes scènes nocturnes de Honthorst, de l'élégance des
ouvrages de Poelembourg enrichis de gracieux paysages... »
Philippe IV mandait Rubens auprès de lui. L'ambassadeur partit dans le mois d'août 1628. Dans ses lettres,
datées de cette époque, Rubens raconte l'immoralité de la cour, l'insolence de la noblesse, la décadencede la
monarchie espagnole. Il faut compter au nombre des ouvrages qu'il laissa en Espagne : l'Enlèvement des
Sabines, la Réconciliation des Bo?nains avec les Sabins, le Triomphe de l'Église, sujet traité avant lui pour
le roi Philippe Il par Titien, qui calmait parfois la sombretristesse du monarquepar de riantes images. Vénus
et Adonis, Diane et Actéon, l'Enlèvement, d'Europe, copies de Rubens, d'après Titien, sont des ouvrages
pleins d'esprit et de finesse, traduits en langue flamande, au dire de Raphaël Mengs. Les originaux étaient,
réservés au duc de Galles, Charles Ier, qui ne les posséda jamais, puisqu'au lieu d'épouser l'Infante, comme
l'Espagne l'avait un moment espéré, il reçut la main de madame Henriette de France. Rubens décora la
chapelle des Carmélites, à la prière du duc d'Olivarez, peignit le Martyre de saint André, à la chapelle
flamande, cinq portraits de Philippe IV et d'Elisabeth de Bourbon; celui du duc d'Olivarez et des grands de
la cour. Dans une lettre, datée de Madrid 1, le peintre s'excuse auprès son ami Peiresc « de 11e l'avoir pas
visité en. Provence lorsqu'il se rendait en Espagne; lui apprend qu'il vient de commencer le portrait du roi
à cheval, en quoi Sa Majesté prend un si singulier plaisir qu'elle vient tous les jours le voir travailler; qu'il a
déjà fait les portraits de tous les membres de la famille royale, et cela avec la plus grande facilité du monde
en leur présence. »
« Je vous supplie —
écrit également Rubens à son ami le greffier d'Anvers — de prendre mon petit
Albert, cet autre moi-même, non pas dans votre sanctuaire, mais dans votre musée. J'aime cet enfant, et
c'est à vous, le pontife des muses, que je le recommande vraiment pour que vous en preniez soin, de
concert avec mon beau-père et mon frère Brandt, soit pendant ma vie, soit après ma mort. »
Sur l'invitation qu'il en avait reçue, Rubens alla visiter Jean, duc de Bragance, depuis roi de Portugal, à
sa maison de chasse de Yillaviciosa. Plusieurs gentilshommes espagnols et flamands accompagnèrentl'artiste.
Mais le prince, averti de l'arrivée d'une si nombreuse compagnie, envoya à sa rencontre un cavalier chargé
de dire à Rubens que Son Altesse ne pouvait le recevoir, des affaires sérieuses la rappelant subitement à
Lisbonne. Elle priait en outre Rubens de vouloir bien accepter de sa main une gratification de cinquante
pistoles. En souriant de l'avarice du monarque, Rubens exprima tous les regrets que lui inspirait le
départ précipité de son noble amphitryon, refusa les cinquante pistoles, ajoutant qu'il avait eu le soin

' Lettre à Peiresc.


d'en prendre mille avec lui avant de se mettre en voyage. Surpris par la nuit, les cavaliers reçurent
l'hospitalité dans un couvent. Le lendemain, pendant la messe, promenant au hasard ses yeux dans l'église,
le peintre fut frappé, dit-on, par un tableau qui lui semblait de sa propre main. Il se perdait en conjectures
pour arriver il découvrir l'école et le nom auxquels pouvait se rattacher le mystérieux chef-d'œuvre. Plusieurs

moines, tour à tour interrogés, semblaient, par un silence calculé, se plaire à l'impatience du cavalier
inconnu qui dévorait des yeux la toile muette. Le prieur répondit enfin à son insistance :
« Nous ne pouvons pas vous dire le nom de l'auteur de cet ouvrage.

— « C'est le peintre Rubens qui vous en supplie. »


A ce nom célèbre, le moine pàlit et ajoute:

« Celui qui a peint ce tableau est mort au monde; il est moine.

— « Moine, s'écrie Rubens, la lumière sous le


boisseau! Mon père, dites-moi son nom et celui titi couvent
qui lui sert d'asile. Il faut qu'il en sorte; Dieu lui a donné le génie pour le faire rayonner comme un flambeau
aux yeux des hommes. »
Vaincu par la lutte intérieure, le moine fidèle à l'humilité chrétienne chancelle et tombe évanoui sur les
dalles de la chapelle. Bientôt après, il avait cessé de vivre. Ce moine était Xavier Collantes, l'auteur du tableau

1 Van Hassi II.


Rubens quitta l'Espagne emportant le titre de secrétaire du conseil privé, charge qui-devait passer à son fils
Albert1, et de nouvelles instructions touchant l'alliance projetée avec l'Angleterre. Mais Philippe IV n'avait
pu donnera Rubens que des décorations et des titres, tant l'argent était rare à la cour. Il dut néanmoins,
pour prix de ses travaux, lui remettre un mandat sur l'Infante, ou plutôt sur « ces bonnes provinces-belges
qui avaient la réputation bien connue de ne jamais laisser protester les billets de leurs souverains2. »
Le 12 mai Rubens arrivait à Paris ; quelques jours après à Bruxelles, d'où il repartait aussitôt pour
Londres, Mais son ami et protecteur Buckingham avait été assassiné par Felton. Charles Ier prit le peintre en
amitié : il fut entendu entre le monarque et l'ambassadeur que l'Espagne et l'Angleterre s'adresseraient
mutuellement un plénipotentiaire, en attendant la conclusion officielle de la paix, et tandis que le grand
trésorier Cottington arrivait à Madrid, don Carlos Coloma arrivait à Londres.
« Milord Carlil traita deux fois splendidement dans une semaine l'ambassadeur espagnol, .ainsi que
M. Rubens, qui fraya le chemin de sa venue 3.
» Cette mission remplie, l'artiste retourna à Anvers, et ne
reparut à Londres que pour assister il la signature du traité, au mois de décembre 1630. Pour lui donner
un témoignage public de son estime, Charles Ier le créa chevalier, et lui fit présent d'une épée magnifique
et d'un collier de diamants. *
La présence de Rubens donna une vive impulsion au goût des beaux-arts en Angleterre. Alors commencèrent
ces collections particulières, si célèbres aujourd'hui. Sous Charles 1er, le prix des tableaux et autres objets
d'art fut triplé en Europe. Ce fut par les conseils du peintre que le roi d'Angleterre fit l'acquisition des plus
beaux cartons qui se vendaient en Hollande, et de la collection du duc de Mantoue, qui ne lui coûta pas
moins de 20,000 livres sterling. Les peintures des plafonds de AVhite-Hall, exécutés par Rubens, portent le
caractère de ce faux goût allégorique déjîi tant reproché à l'artiste. Dans l'Apothéose de Jacques on voit
les Vertus représentées par des députés, et la Prudence, sous les traits d'Apollon, qui tient dans sa main
une-corne d'abondance. Rubens reçut une somme de 3,000 livres sterling pour ses travaux à White-Hal!,
travaux réparés en 1780 par le peintre Cipriani4.
Un des personnages les plus éminents de l'Angleterre, ayant un jour trouvé Rubens à son chevalet, lui
demanda :
— « L'ambassadeur de Sa Majesté catholique s'amuse parfois à peindre!
— « Je m'amuse quelquefois à être ambassadeur, » répondit Rubens, pour élever la noblesse des arts
au-dessus, de la vanité diplomatique.
Cependant une fermentation nouvelle régnait au cœur des provinces wallonnes; la cause de la. Hollande
entraînait les provincesflamandes; Richelieu, triomphant, semait d'une main hardie l'or et les intrigues.
Rubens partait pour négocier encore avec la Hollande, au nom de l'Espagne, muni d'un passe-port du priLl'c
d'Orange, lorsque les députés' des États, qui.venaient d'imposer à l'archiduchesse Isabelle leur volonté de
traiter avec les Hollandais sans le concours des Espagnols, s'élevèrent contre les pouvoirs extraordinaires
confiés il Rubens. Le duc d'Arschot l'alla rejoindre, exigeant de lui la remise de ses notes diplomatiques.
Rubens fit preuve, en cette occasion, d'une humilité, d'une faiblesse tout il fait indigne d'un homme, et
surtout d'un homme de génie, ce qui n'empêcha point le duc d'Arschot de lui écrire un billet où respire Iii
superbe nobiliaire, mais dépourvue de toute dignité : ((J'eusse bien peu obmettre de vous faire l'honneur
« de vous respondre pour avoir si notablement
manqué à vostre devoir de venir me trouver en personne sans
« faire le confident à m'escrire ce billet qui est bon pour persones
égales, puisque j'ay esté depuis unze heures
« jusqu'à douze heures et demie à la taverne, et y suis
retourné le soir à cinq heures et demie, et vous avez eu
« assez de loisir pour me parler Tout ce que je puis vous dire, c'est que je seray bien ayse que VO:IS
« appreniez
dorénavant comme doivent escrire à des gens de ma sorte ceux de la vostre, etc. »

1 Le même qui écrivit plus tard un livre sur les costumes de l'antiquité : De re vestiariâ, Tu. S.
2 .Émile Gacliet, Introduction aux lettres de Rubens. Bruxelles, 1840, in-Rn.
3Walpole, Anecdotes of painting.
4 Dallaway, les Beaux-arts en Angleterre.
La gouvernante des Pays-Bas eut la faiblesse de rappeler son ambassadeur, qui, se retirant des affaires,
retrouva dans les arts les joies que la politique lui avait un moment ravies. La mort de l'Infante vint le

délivrer, à jamais, du commerce énervant des cours. Il épousa, le 6 décembre 1630, à Anvers, une
belle jeune fille de seize ans, Hélène Forment, qui couronna de fleurs et de fruits
sa vieillesse, poétique
ruine, en lui donnant cinq enfants. Mais, au dire de Campo Weyermann, Rubens ne tarda pas à s'apercevoir
« que la cour, une belle jeune femme et le vilain mal de goutte, sont trois bénédictions dont pourrait
fort bien se passer un vieillard. »
Le cardinal-Infant Ferdinand, frère de Philippe IV, venait, après la sanglante bataille de Nordlingue,
prendre possession du gouvernement général des Pays-Bas. La ville d'Anvers le reçut dans ses murs, au mois
de mai 1535, avec grande pompe. Ordonnateur de la fête, Rubens fit, de sa main, les esquisses légèrement
coloriées qui ornèrent les onze arcs de triomphe élevés sur le passage du prince.
. En 1635, le génie du peintre jeta un de ses
derniers éclairs : le Martyre de saint Pierre de la cathédrale
de Cologne.
« Vostre gloire et vostre
célébrité, Monsieur, — écrivait Rubens à son compatriote le sculpteur Duquesnoy,
qui venait de tailler la statue de saint André à Saint-Pierre de Rome, — rejaillissent sur notre nation entière.
Si mon âge et une goutte funeste qui me dévore ne me retenoient ici, je partirois à l'instant et irois admirer
de mes propres yeux des choses si dignes d'éloges. Mais, puisqueje ne puis me procurer cette satisfaction,
j'espère du moins avoir celle de vous revoir incessamment parmi nous, et je ne doute pas que notre chère
patrie ne se glorifie un jour des ouvrages dont vous l'aurez enrichie. Plût au ciel que cela arrive avant que
la mort, qui va bientôt me fermer les yeux pour jamais, me prive du plaisir inexprimable de contempler les
merveilles qu'exécute cette main habile que je baise du plus profond de mon cœur t. » A peine cette lettre

était-elle arrivée à sa destination, que Rubens succombait à un accès de goutte remontée, le 30 mai 1640,
âgé de soixante-deux ans et onze mois.
Magistrature, clergé, noblesse, bourgeoisie, peuple d'Anvers, suivirent dans l'église collégiale de
Saint-Jacques, où il fut déposé dans le caveau de la famille Forment, le cercueil qui contenait les restes
du peintre. Trois jours après, fut célébré en son honneur un service funèbre dont la pompe, digne de
l'orgueil des rois, rappelait le caractère de ses peintures.
On trouva dans son cabinet des richesses considérables: joyaux, objets d'art, curiosités de toute nature :
six chaînes d'or et plusieurs bagues, souvenirs de divers souverains ; le cordon de chapeau en diamants
que lui avait donné Charles Ier d'Angleterreet qui ne valait pas moins de
'.
dix-mille écus Sculpturesen ivoire,
cristaux de roche, médailles antiques et modernes, agates orientales, onyx, cornalines et plus de deux
cent trente tableaux de peintres italiens, flamands, hollandais, dont quatre-vingt-treize de Rubens
lui-même': l'ensemble de tous ces objets mis en vente devait produire plus d'un demi-million de florins.
Rubens avait dominé dans toutes les parties de son art: histoire, allégorie, genre, paysage, portrait,
animaux, fleurs et fruits. Pareille à cette corne d'abondance que le peintre semblait à plaisir reproduire
dans ses ouvrages comme l'emblème de son propre génie, sa fécondité fut inépuisable. A l exemple de
la plupart des maîtres coloristes, il faisait ses esquisses au pinceau : delà les négligences, le relâchement
reprochés à ses contours. Plus éclatant par la lumière et la fraîcheur que les Vénitiens, ses maîtres tant aimés,
il ne s'éleva pas jusqu'à eux par l'harmonie, l'esprit, l'élégance et la majesté. Formé des extrêmes de deux
couleurs tendres et de deux couleurs fières, son coloris mal fondu touche parfois à la crudité, et, pareils à des
corbeilles de fleurs, ses tableaux finissent, comme elles, par nous porter au cerveau. C'est par les fonds
que Rubens s'est le plus rapproché de l'harmonie : il paraît les avoir
faits avec la réunion de toutes les
couleurs passées sur sa palette.
Avec plus de relief et de vie, ses portraits n'ont pas la grandeur calme de ceux du Titien ni toute la,
délicatesse de ceux de Van Dyck ; mais celui que l'on appelle le Chapeau de paille, et dont Rubens ne voulait
jamais se séparer, est une merveille.
Dans ses paysages, il lutte quelquefois avec la nature pour la transparence et les vapeurs flottantes de
l'air. Ce sont des sites pris ordinairement autour de son riant château de Steen entre Vilvorde et Malines, et
animés par des accidents dramatiques : coups de soleil, orages, arcs-en-ciel.
Moins versé dans la science de l'antiquité que Poussin, qui par son esprit vivait mieux en elle que dans

1 Anvers, i7 avril 1640.


Smith, Life of.Rubens, page 41.
3 Michel.
son propre siècle et préférait les statues à ses meilleurs amis, Rubens n'excelle que dans les types les plus
grossiers de la mythologie : Faunes, Satyres et Silènes.
Silène est abruti dans son ivresse et son triomphe! Plein de vin jusqu'au gosier, sa marche s'égare en
festons pesants. Où trébuchera ce pied suspendu? Silène éclatera-t-il en tombant? Ah! sauvez cette cruche
emplie par Bacchus! Mais non, le Dieu vigilant conduira partout son vieil ami d'une main invisible, et si
d'aventure il venait à choir, n'ayez crainte ; car le vin, comme l'huile des lutteurs antiques, assouplit tous
ses membres.

Le peintre n'aimait que les grands animaux : le cheval, le taureau, le tigre, le lion, pour le plaisir de
jouer avec l'étude de leurs puissantes musculatures.
La vie physique déborde de l'œuvre de Rubens, s'agite comme l'air dans le ciel, les flots dans la mer, et
pourtant une espèce d'ennui saisit à la longue l'âme de celui qui le contemple. Le peintre, à la vérité, avait
l'Habitude de représenterà la fois tous les âges, toutes les conditions; mais les mêmes types reparaissent
toujours il nos yeux. «Rubens avait le défaut d'être un peu trop de son pays», a dit M. de Reiffemberg \
« Jamais de ma vie je ne fus si
dégoûté qu'en Flandre du Rubens et de ses éternelles femmes et de son infernal
éclat de couleurs, du moins à ce qu'il me semblait2, » s'écrie Byron avec une exagération mêlée de
justesse. L'oeuvre de Rubens présente la même uniformité que la vie animale, et comme l'activité variée
nous vient de l'esprit, dont les tourments mêmes nous enivrent d'une âpre volupté, le poëte cherchait ces
tourments dans les ouvrages du peintre, dans la vie, partout, comme nous les cherchons nous-mêmes

1 Nouveaux mémoires de l'Académie de Bruxelles.


Mémoires, tome III.
avec une avidité irascible. Nature bourgeoise, matérialiste, tiède comme la prospérité, Rubens ne comprit
rien à la poésie chrétienne, si chère aux âmes blessées, altérées d'espérances, de consolations, et il n'aimait
pas la grande mysticité des monuments gothiques. Souvent il a commis des erreurs grossières de sentiment
dans ses compositions religieuses : un chien rongeant un os sous la table de la Cène, n'est-ce pas là un
fait qui répugne profondément?
Par l'étalage de la matière, la prodigalité du faste, le tumulte des couleurs, et surtout par l'absence de
la pensée, Rubens fatigue à la longue l'intelligence ; mais il a donné un bel oreiller de chair fraîche aux
natures lascives, hennissantes, qui s'épuisent sans aimer et sans être aimées, car les femmes de Rubens n'ont
pas d'âme. Parmi ces beautés froides et cruelles, sirènes de théâtre, ivresse et châtiment de l'homme sensuel,
en est-il une, une seule, dont la physionomie sublime nous rappelle ces héroïnes qui sauvèrent les nations,
ces mères fortes qui donnent à la patrie les penseurs et les martyrs, ces anges de la famille puissants et
doux, tour à tour penchés sur le berceau de l'enfant, le lit du vieillard, le grabat du pauvre, et dont le cœur
et les entrailles sont bénis.
THÉOPHILE SILVESTRE.
t

IKllIMlïïS M niDIKEMU®!^

De tous les peintres anciens ou modernes, dont l'histoire riage de Henri IV célébré à Lyon, — " la Naissance de
garde les noms, P,-P Rubens est le plus fécond. Les sujets Louis XIII, — Henri IV confiant le gouvernement à
gravés à l'eau-forte de sa main sont : Saint François d'As- la reine, — * le Couronnement de Marie de Médicis,
sise recevant les stigmates — Madeleine pénitente, — * l'Apothéose de Henri IV, — * le Gouvernement de la
,
— Sainte Catherine, —une Femme tenant un flambeau reine, — le Voyage de Marie de Médicis au port de Cé,
auquel un jeune garçon en veut allumer un autre. Paul
— l'Échange des princesses, — ' la Félicité de la Régence,
— la Majorité de Louis XIII,.- la Fuite de la reine au
Dupont ou Vosterman ont achevé au burin cette dernière
eau-forte devenue fort rare. — Buste de vieillard à barbe et château de Blois, — sa Réconciliation avec son fils,
à bonnet fourré. —
— 19, Conclusion de la paix , — l'Entrevue de Marie de
Rubens nous a laissé une quantité inouïe de cartons, des- Médicis avec son fils, — le Triomphe de la Vérité1

sins finis ou esquissés, et un nombre vraiment fabuleux de Ces vingt et une toiles et ies portraits de François, duc. de
tableaux peints. Lorsque l'on considère l'étendue et l'im- Toscane, de Jeanne d'Autriche et de Marie de Médicis
portance de ses ouvrages, on est à se demander si c'est bien peinte sous les traits de Bellone, furent évalués, ensemble,
là le travail d'un seul homme. par la Restauration, 11,000,000 de francs.
Cinquante graveurs ont été employés à répandre ses pro- Après ces tableaux, nous devons citer dans la même gale-
ductions ; nous devons citer : L. Vosterman, C. Galle, rie : le .beau portrait de Richardot, président du conseil
Bolswert, Suyderhoff, C, Vischer ,«-Pene, Ilollar, L. Van des Pays-Bas, longtemps attribué à Van Dyck, estimé
Uden, J. Meyssens, parmi les plus célèbres. 27,000 fr. sous l'Empire, et élevé à 40,000 fr., sous la
La Bibliothèque nationale de Paris possède, au cabinet Restauration. — Le portrait du baron de Vicq, qui avait
des estampes, cinq volumes in-folio, contenant une partie de pour la France une valeur historique, a été acquis par le
l'œuvre gravée de Rubens. M usée, à la vente du roi de Hollande, au prix de 7,025 flo-
M. Van Hasselt, dans le Catalogue qu'il a dressé en 1840, rins, environ 15,000 francs. On sait que le baron de Vicq
après le Catalogue raisonné de Smith, et à la fin de son lit obtenir à Rubens la commande de la galerie de Médicis.
Histoire de la rie et des ouvrages de Rubens, lui attribue Les filles de Loth, petit tableau dans lequel la fraîcheur
1461 compositions. s'allie à la grâce, estimé, sous l'Empire, 40,000 fr., et
Toutes les galeries publiques de l'Europe, tous les grands 60,000 fr. sous la Restauration ; le Triomphe de la Religion,
cabinets d'amateurs, une partie des églises de la Belgique, ouvrage largement traité, destiné, disait-on, à être repro-
possèdent des ouvrages du célèbre artiste. duit en tapisserie, estimé 40,000 fr. sous l'Empire, et
80,000 fr. sous la Restauration ; Thomyris, reine des Scy-
LE MUSÉE DU LOUVRE en compte quarante-trois, dont thes, un des meilleurs ouvrages du maître, évalué par les
vingt et un grands sujets allégoriques, formant la galerie de experts de l'Empire 72,000 fr., et par ceux de la Restaura-
Médicis, et qui ornaient jadis le palais du Luxembourg. En tion 80,000 fr.; la Kermesse, ouvrage plein d'entrain, de
voici les noms : hardiesse et de tumulte, apprécié 80,000 fr. par l'Empire
et 100,000 fr. par la Restauration ; le transparent paysage
La Destinée de Marie de Médicis, de l'Arc-en-Ciel, évalué par l'Empire 35,000 fr. et 40,000 fr.
— sa Naissance, par la Restauration.
Éduration,
— son — * Henri IV recevant le portrait de
Marie de Médicis, — * son Mariage avec elle,
— ' le Dé- Nous avons fàit précéder d'un astérisque* les tableaux que les
1
barquement de Marie de Médicis à Marseille,
— le Ma- amateurs regardent comme les meilleurs.
Les villes des départements comptent aussi des ouvrages
— lJIédée furieuse, — Andromède attachée au rocher,
remarquablesdu grand maître :
— Andromède delivrée par Persée. La figure d'Andromède
MUSÉE DE MARSEILLE le Prince d'Orange et sa fa-
: est, pour la fraîcheur et la grâce, une des plus belles créa-
mille, — Chasse au sanglier, — Adoration des bergers, tions de Rubens; — Philippe II couronné par la Victoire,
— la Flagellation, — la Résurrection. allégorie d'après un ancien portrait ;
— Nymphes surprises
MusÉE DE TOULOUSE : le Christ entre les deux larrons, par des Satyres, bacchanale pleine de mouvement; — le
grande esquisse, une des plus belles du maître par sa har- Jardin d'amour, paysage galant, et rare par la délicatesse de
diesse et sa vigueur. l'exécution ; — Quatre petites esquisses d'allégories,
— une
MUSÉE DE BORDEAUX : le Martyre de saint Georges, —
Kermesse, — la Sainte Famille, -le Christ couronné d'épines,
liacchus et Ariane, — le Christ en croix. ouvrage magnifique ; — la Vierge glorieuse adorée par un
MUSEE DE MONTPELLIER : le Christ en croix,
groupe de quinze saints.
— Paysage
mêlé de ruines et de monuments antiques nymphes L'ACADÉMIE DE MADRID : Hercule et Omphale : Hercule file
, ,
pâtres, bestiaux, — Épisode d'une guerre de religion, d'une manière grotesque au milieu des femmes. Composition
— Portrait de François Franck, peintre d'Anvers. ridicule, mais chef-d'œuvre de coloris.
MUSÉE DE GRENOBLE : Saint Grégoire, pape, entouré de
VIENNE le Belvédère. Le Belvédère de Vienne compte
:
saints et de saintes. vingt-trois Rubens : Saint Ignace de Loyola guérissant les
MUSÉE DE LYON : Saint François, saint Dominique et possédés, —l'Assomption de la Vierge, entourée d'anges; en
plusieurs autres saints préservant le monde de la colère bas, auprès de son tombeau sept apôtres, trois hommes et
de Jésus-Christ, -Adoration des Mages. ,
quatre femmes assemblés ; — Saint François Xavier aux
MUSÉE DE NANTES : Allégorie : la guerre civile et le Indes, tableau composé de quarante-cinq figures colossales.
fanatisme, morceau estimé ; — Tête d'Hercule, sur bois, — Ces pièces d'autel ont d'immenses proportions. — Saint
esquisse d'un ton chaud; — Portrait d'Isabelle Brandt,
première femme de Rubens ; — Différentes études de fi-
-
Jérôme en habit de cardinal, buste peint sur bois; Saint
Pipin, duc de Brabant, avec sa fille sainte Bègne, vêtue de
gures, peintes sur bois ; — Sainte Famille aux anges, petit, l'habit de l'ordre des béguines, dont elle fut la fondatrice,
tableau de chevalet; — la Fuite en Egypte, autre petit peinture sur bois; — Buste d'un vieillard à longue barbe,
ouvrage signé des initiales : P.-P. R. Le paysage est d'une en profil, vêtu de pourpre, peint sur bois, signé P. P. R. ; —
main étrangère. Méléagre et Atalante èt la chasse du sanglier de Calydon,

MUSÉE BIBLIOTHÈQUE DU HAVRE
Saint Ambroise refusant et l'empereur Théodose l'entrée de
l'Automne : un groupe
.
d'enfants portant des fruits, — .l'Enfant Jésus sur les l'église de Milan pièce d'autel avec onze grandes figures;
, —
l'alliance de Ferdinand 111, roi de Hongrie, avec Charles-
genoux de la Vierge, — le Triomphe de la Religion Ferdinand, infant d'Espagne, devantNordlingue,avec figures
esquisse de la grande composition bien connue de Rubens.,
allégoriques ; —- les Quatre parties du monde, allégorie:
MusÉE DE CAEN : Melchisédech offrant le pain et le vin — le
portrait du peintre, âgé de soixante ans, avec un grand cha-
à Abraham, grande composition bien distribuée;
— Por- peau et un manteau noir, signé P.-P. RUBENS; — l'Esquisse
trait de Jacques 1". du tableau de saint François Xavier aux Indes, le Christ

MUSÉE DE LILLE Descente de croix, — la Madeleine mort, la Vierge et saint Jean, — l'Esquisse du tableau de
:
mourante , — Saint François recevant l'Enfant Jésus
des mains de la Vierge,
-
saint Ignace de Loyola, Portrait de la maîtresse du Titien,
— Saint François, — Saint vêtue de satin blanc brodé d'or, copie du Titien par Rubens;
Bonaventure. Éphigénie et ses deux compagnes endor-
— Cimon qui regarde
mies dans un jardin, — Tête de saint André mis en croix,
MUSÉE DE VALENCIENNES : Jésus mort sur la croix, —
Étienne, — Portrait de l'archiduchessed'Autriche, épouse de Louis XIII,
l',.Innonciation — Saint diacre prêchant
— Buste d'un homme et barbe rougeâtre avec un collet simple
, ,
Jésus-Christ dans le Sanhédrin la Lapidation de
— et une chaîne d'or autour du cou, — Tête d'un lévite qui
saint Etienne, — Saint Étienne ,au tombeau. L'An-
— (t tourne le dos, — Buste d'un homme à tête et à barbe grises,
nonciation, dit l'auteur du Livret historique du musée de
Valenciennes, offre une particularité bien remarquable vêtu d'un habit fourré avec une fraise autour du cou,
tableau renferme les portraits de la troisième femme de
: ce
Portrait d'Élisabeth, première femme de Philippe IV; —

Rubens et de plusieurs de ses enfants. » INous Buste d'un homme vigoureux, aux cheveux noirs et courts,
— nous borne- à la barbe brune, vêtu d'un habit fourré. Ces ouvrages déco-
rons à rappeler que la seconde femme de Rubens survécut
au peintre. rent la quatrième chambre du Belvédère de Vienne, dite salle
Dans les cabinets des amateurs de Paris ou des départe- de Rubens.
ments de la France, nous ne connaissons, comme devant PINACOTHÈQUE ROYALE DE MUNICH
être mentionnés, qu'un très-petit nombre de tableaux : Dans la quatrième
pou- salle, dite salle de Rubens, et dans le cabinet contigu pièces
vant être attribués à Rubens. M. George, cependant, en pos- ,
richement décorées, sont plï:cés sur un fond de tapisseries
sède un, à Paris, représentant le Baptême de Jésus-Christ
rouges, au centre de la Visiacotti, et sous les benjoins,
par saint Jean, qui peut rivaliser avec les plus beaux. quatre-vingt-quinze tableaux peints par Rubens. Nous nous
Poursuivons nos recherches dans les musées étrangers bornerons à rappeler les plus célèbres : la Damnation des
:
MADRID: .leMusée royal compte parmi les plus remar- pécheurs, — la Réconciliationdes Romains avec les Sabins,
quables : l'Adoration des rois. Le portrait de Rubens est
dans le groupe, à droite ; — l'Adoration des bergers, — le Jugement dernier, —
— Mercure et Argus, — Juge- Saint Michel précipitant les damnés,
— la Bataille des
ment de Pâris, — les Trois Grâces,
— Diane et Calixto, Amazones, — la Chasse aux lions,
— la Chasse aux san-
Apollon et Midas Atalante vaincue, — l'Enlève- gliers. — On attribue les animaux à Sneyders.
ment de
, —
Proserpine, — Orphée et Eurydice, — La Defaite
— Moïse et de Sennachérib, Plusieurs portraits magnifiques de souve-
les serpents, —
— Saturne dévorant un
la Voie lactée,

de ses enfants, deux scènes d'un dramatique enrayant ; rains, — Plusieurs portraits des femmes et des enfants de
Rubens, oie...
GALERIE ROYALE DE DRESDE : Trente-trois tableaux de
Rubens, dont deux ne sont pas authentiques1 : Les deux
-'
et les satyres. les Saints adorant Jésus, -
la Charité
romaine, — Bacchus, — le Fleuve du Tigre, — Persée et
fils du peintre,— Silène tient une coupe dans laquelle une
bacchante lui verse à boire, — Saint Jérôme et son lion, —
Andromède, -la Mort d'Adonis, — la Visitation,
Descente de croix, et quelques paysages.
-la
une Jeune femmevêtue de noir, et voilée, — Bethsabée auprès L'Angleterre est fort riche en ouvrages de Rubens, tant
d'une fontaine, — une Jeune femme à tête nue tenant des par ses galeries privées que par ses galeries publiques.
roses à la main, — Hercule ivre, soutenu par un faune et des GALERIE NATIONALE : les Bénédictions de la paix, tableau
bacchantes, — la Chasse aux lions, — la Chasse aux sangliers,
capital sorti de la collection de feu le marquis de Stafford;
— le Jugement dernier, — Neptune apaisant la tempête, —
Portrait d'Hélène Forment, — le Jardin d'amour, — Tigresse — les Aumônes de saint Bavon, grande et belle esquisse,
allaitant ses petits, etc. — l'Enlèvement des Sabines, — Sainte Famille, ouvrage
médiocre ; — Un beau site du Brabant, provenant du palais
MUSÉE D'AMSTERDAM :
Christ traînant sa croix au Calvaire, esquisse.
-
la Piété filiale romaine, Jésus- Balbi, à Gênes.

CHATEAU DE WINDSOR (salle Rubens) : le Portrait du


MUSÉE DE LA HAYE Vénus et Adonis dans un paysage,—
: peintre, tiré de la collection de Charles Ier, inférieur au même
Isabelle Brandt, — Hélène Forment et le Confesseur de Ru- portrait fait pour la galerie de Florence ; — celui d'Hélène
bens, trois portraits. Forment, richement vêtue, vendu à Georges IV, en 1820,
800 guinées; — l'Infant Ferdinand d'Espagne et l'archiduc
MUSÉE DE BRUXELLES : le Christ voulant foudroyer le Ferdinand d'Atttriche, à cheval (épisode de la bataille de
monde, — le Martyre de saint Liévin, — le Couronnement Nordlingue), — Pan poursuivant Syrinx, — Saint Martin
de la Vierge, — Station du Christ montant au Calvaire, — partageant son manteau avec un pauvre, — Portrait de
le Christ au tombeau, —l'Adoration des Mages, — l'Assoml)- l'ambassadeur Gerbier, attribué par quelques personnes à
tion de la Vierge, — Portrait à mi-corps de l'archiduc Albert, Van Dyck; — un Fauconnier, — Saint Georges recevant les
— Portrait à mi-corps de l'infante Isabelle. palmes de la victoire, — la Prairie de Laeken, — le Départ
pour le marché, gravé par Browne, — et l'Étable à vaches,
-
MUSÉE D'ANVERS : le Coup de lance donné au Christ en
croix,-l'Adoration des Mages, Sainte Thérèse intercédant
pour les âmes du Purgatoire, tryptique, — la Communion
sont de beaux paysages de Rubens.

HAMPTON-COURT Vénus et Cupidon, par Rubens, d'après


:
de saint François d'Assise. — Cinq des esquisses faites par Titien, copie offerte par le peintre à Charles Ier, en 1629 ; —
Rubens pour les arcs de triomphe élevés par la ville d'Anvers Nymphes et satyres, —Paysage avec un arc-en-ciel,—
sur le passage de Ferdinand d'Autriche, en 1635. — Le Musée Portrait de sir Théodore de Mayeme, — un Éléphant, un
conserve également la chaise carrée, garnie en cuir et ornée lion, une lionne, provenant du pah:i" Balbi, à Gênes.
de clous de cuivre à larges têtes arrondies, qui servait à Pierre-
Paul Rubens aux séances de la corporation de Saint-Luc, dans DULWICH-COLLEGE : Un paysage pastoral.
l'année de son décanat, 1633. Voilà pour les galeries publiques.
CATHÉDRALE D'ANVERS :la fameuse Descente de croix, Dans les galeries privées, on trouve :

tryptique. Nous avons donné les gravures du sujet principal COLLECTION DE M. WILKINS : l'Enfantprodigue.
et de l'un des volets. — La Mise en croix, peinture pour
l'église de Sainte-Valburge, — l'Assoinl)tion de la Vierge, COLLECTION DE M. ROBERT PEEL : le fameux portrait de la
tableau placé sur le maître-autelde la cathédrale, et qui con- jeune fille dit le Chapeau de paille, chef-d'œuvre de coloris

-
tient plus de trente personnages ; — Saint Jean, — Sainte
Catherine, la Résurrection, tryptique, ouvrage inférieur
aux précédents.
et de clair-obscur peint, comme disent les Italiens, con
amore. De son vivant, le peintre ne voulut jamais, dit-on,
se séparer de cet ouvrage qui, après avoir passé des mains
de sa veuve dans celles de la famille Lunden pour la somme
L'ÉGLISE DE SAINT-PAUL, appelée aussi l'église des Domi- de 60,000 et successivement 35,970 florins de Hollande,
nicains., possède un bel ouvrage du peintre, la Flagellation.
21,000 écus de Prusse, resta enfin, à Robert Peel, pour
L'ÉGLISE SAINT-JACQUES, à Anvers, renferme le tombeau 35,000 livres sterling, la plus grande somme que l'on ait
de Rubens dessiné par lui-même, et une Sainte Famille, qui jamais payée pour un portrait de demi-figure ; — une Bac-
contient tous les portraits de la famille du peintre, tableau de chanale.
-
toute magnificence; l'Éducation de la Vierge, tryptique :
COLLECTION ABRAHAM HUME Achille découvert parmi les
sur le volet de droite se trouve le portrait de NicolasRockox ; filles de Lycomède.
:

— la Vierge au perroquet, — le Christ en croix, — la


Trinité, — la Descente de croix, répétition réduite du
COLLECTION DU CHATEAU DE BLENHEIM : une Bacchanale, à
grand tableau de la cathédrale dont nous avons donné la
peu de chose près semblable à celle de la galerie de Munich,
gravure. attribuée généralement à Rubens, mais que nous croyons de
Rubens est noblement représenté en Russie : Van Dyck; — l'Enlèvement de Proserpine, bel ouvrage du
LE MusÉE IMPÉRIAL DE L'ERMITAGE a spécialement con- maître ; — Loth,. sa femme et ses filles, — la sainte Famille
sacré aux peintres flamands deux salles : on y remarque revenant d'Égypte, — la Charité romaine, — Portrait de
surtout onze belles toiles de Rubens : Portraits d'un Hollan- Paracelse, — Andromède et Persée, — Portraits de la
dais distingué et de son épouse, — la Mère et l'enfant, — la famille de Rubens, — le Peintre et sa seconde femme Hélène
Pécheresse aux pieds du Sauveur, — Silène avec les faunes Forment, menant un petit enfant par la lisière, se pro-
mènent dans un élégant jardin, ouvrage admirable; l a Vierge
et l'Enfant sur le trône, esquisse d'un grand tableau de
1 Adoration des Mages, attribuée à Rubens. Rubens fait dans les premières années qui suivirent son
— Jésus sur le lac
de Géné:areth, esquisse attribuée à Rubens. retour d'Italie; — Vénus, l'Amour et Adonis, bon tableau
de la moyenne époque du peintre ; — une Bacchanale, CHEZ LE MARQUISDE BUTE A LUTONHOUSE : un Enfant (que
excellente peinture, scène très-brutale. l'on croit être un des fils de Rubens) gardé par la gouver-
Chasse aux loups,
nante, est debout sur une table de cuisine, au milieu des raisins
COLLECTION DE LORD ASIIBURTON :
et des fruits attribués à Sneyders ; — une des onze esquisses
célèbre tableau, — l'Enlèvement des Sabines, — Récon-
des arcs de triomphe élevés à Anvers en 1635.
ciliation des Romains avec les Sabins, première intention
Les tableaux de chevalet laissés par Rubens sont peu
des grands tableaux de l'Escurial.
nombreux. On en rencontre rarement chez les amateurs, et
GALERIE DE GROSVENOR,appartenant au marquis de West- plus ràrement encore dans les ventes publiques.
minster : Récolte de la manne, — quatre Pères de l'Église, En 1745, à la vente du chevalier de La Roque, une esquisse
de Mel-
— les Quatre évangélistes, — Abraham recevant de Rubens fut vendue 61 livres 1 son : saint Georges terras-
c/iisrdcch le pain et le vin, grande composition de dix-sept sant le diable.
figures. — Ces quatre tableaux, peints par Rubens pour le M. le duc de Tallard possédait plusieurs tableaux de Rr-
couvent des Carmelites de Loeches, en Espagne, restèrent bens. A la vente de cet amateur, survenue en 1751, la
dans ce couvent jusqu'en 1808, et furent acquis, cette même sainte Cécile fut adjugée 20,050 livres; l'Adoration des
année, parle comte de Blirch, ambassadeur danois à la cour rois, 7,500 livres, et un Paysage, orné de figures et d'ani-
de Madrid, qui les vendit en Angleterre pour 10,000 livres
sterling. — L'Adoration des rois, composition de treize maux, 9,905 livres.
Chez M. de Julienne, en 1767, une Charité romaineatteignit
figures que Rubens exécuta, dit-on, en huit jours pour
le chiffre de 5,000 livres. — En 1770, à la vente de M. de
l'église des Sœurs-Blanches de Louvain, ouvrage faible; —
La Live de Jully, le Portrait d'une des femmes de Rubens
le Peintre Pausias et Glycère, deux têtes qui passent pour
s'éleva à 20,000 livres.
être celles du peintre et de sa femme; — lxicn embrassant
Vente Randon de Boisset, en 1777 : Adoration des bergers,
un nuage, — l'Expulsion d'Agar, ouvrage excellent; — un 10,000 francs; — Portrait de l'une des femmes de Rubens,
Paysage, véritable bijou.
18,000 fr.
COLLECTION DE M. T.-Il. HOPE : Le Naufrage d'Énée, Vente Robit, en 1801 : Sainte Famille, 12,000 fr.; la Résur-
excellent tableau. rection, 8,420 fr.
COLLECTION DU COMTE RADNOR A LONC.FORDCASTLL: Pay- Vente Clos, en 1812 : Portrait du duc de Buckingham,
sage désert, environs de l'Escurial, — Vénus et ses nymphes, 9,000 fr.
esquisse du grand tableau qui était autrefois dans la galerie Vente Lerouge, en 1808 : une Sainte Famille, 21,300 fr.
d'Orléans. Vente Laperrière, en 1823 : Sainte Famille, sainte Élisa-
COLLECTION DU COMTE DE PEMBROKE A WILTONGOUSE: beth et saint Jean, 64,000 fr.
L'Enfant Jésus, — saint Jean, — une Jeune fille et des Vente Bonnemaison, en 1827 : Marche de Silène, 20,500 fr.
anges. Vente Iléris, de Bruxelles, en 1841 : le Denier de César,
COLLECTION METHUEN A CORS.&MIIOUSE: Portrait d'homme 35,000 fr.
à collerette blanche, attribué à Rubens, et qui est plutôt Vente du cardinal Fesch, à Rome, en 1845 : l'Adoration des
l'œuvre de Mirevelt; — la Chasse aux loups petite et bonne bergers, 13,500 fr.
,
répétition du tableau possédé par lord Ashburton ; — David Rubens a laissé un si grand nombre de dessins, aux
et Abigaïl, excellent tableau. crayons mêlés, à l'encre de Chine, à la pierre d'Italie, à la
COLLECTION DE M. P. MILES A LHL;,I(;T-COURT : la Femme sanguine, etc., qu'il nous est impossible de les énumérer ici.
adultère, — vendu à Anvers, en 1816, aux enchères de la Qu'il nous suffise de dire que toutes les nations en possèdent
collection Henri Hope, 2,000 livres sterling; — la Vierge dans leurs musées, ainsi que la plupart des amateurs renom-
tenant l'Enfant Jésus debout sur ses genoux, — la Con- més dans leurs cabinets.
version de saint Paul, superbe ouvrage qui, acheté dans Le Musée du Louvre conserve vingt-quatre dessins de
la famille de Montesquieu par M. Delahante, fut envoyé en Rubens; mais il faut dire qu'il y en a un qui n'est pas
Angleterre, puis cédé à Hart Davies pour 4,000 guinées, et authentique : la Cène. Ces dessins sont: le Baptême de Jésus,
revendu, en 1810, à l'enchère, pour 2,550 guinées. aux deux crayons noir et blanc, — l'Adoration des M ages,
COLLECTION DU COMTE DE WARWICK A WARWICKCASTLE: aux trois crayons, lavé et retouché à la gouache ; —l'Adora-
Portrait du comte d'Arundel, — Ignace de Loyola, en tion des Mages, aux trois crayons, et retouché au lavis; —
robe rouge bordée d'or, autrefois au collège des jésuites la sainte Famille en Égypte, au crayon noir et rehaussé de
d'Anvers. blanc ; — Élévation de Jésus sur la croix, esquisse à l'aqua-
relle sur crayon ; — le Christ mort, superbe dessin aux trois
COLLECTION DU COMTE DE CARLISLE A CASTLE-HOWARD: la crayons retouché à la gouache et colorié en partie ; — la
fille d'Hérode recevant la tête de saint Jean, composi- Descente de croix, aux trois crayons et retouché au lavis; —
tion énergique; — Buste de Thomas Howard, comte d'Arun- Saint François recevant les stigmates, au crayon noir, lavé et
del. Ce portrait, un des plus beaux de Rubens, fut gravé par rehaussé de blanc ; — Saint Étienne, camaïeu à l'huile ; —
Houbraken. l'archiduc Albert à cheval, dessin à la plume et lavé; — la
COLLECTION DE M. COKE, AU CHATEAU DE HOLKMAN: Re- Chasse aux lions, au crayon noir, lavé, rehaussé de blanc et
tour de la sainte Famille, répétition du sujet qui se trouve retouché par Rubens; — Paysage; — Étude au crayon noir
à Blenheim. et blanc et au pastel, etc
Quarante beaux dessins de Rubens faisaient partie de la
COLLECTION DU COMTE SPENCER à sa campagne d'Aithorp:
David et les anciens d'Israël sacrifiant à Jéhova, esquisse vente du cabinet de Guillaume II, roi de Hollande. Il faut au
nombre des plus remarquables,citer : le Portrait de la pre-
pour tapisserie.
mière femme de l'artiste, à la pierre d'Italie, d'un très-beau
COLLECTION DU DUC DE BEDFORT : Abel étendu mort, ta- faire, vendu 657 francs;— celui d'un Homme de distinction,
bleau très-beau de chair et de clair-obscur. 636 fr. ; — Jeune dame accroupie, étude du Jardin d'artwur,
445 fr. ; — un Cavalier debout, du même tableau, 424 fr. ; Prométhée, 328 fr. ; — une Dame de distinction, très-belle
autre Étude pour le même tableau, 254 fr. ; — le Christ en esquisse, 700 francs, — Intérieur d'une écurie, 212 francs.
croix, figure académique du plus grand mérite, 348 fr. ; — AD.

Nous avons pris les armes de P.-P. Rubens dans un de ses portraits peint par lui-même.

Nous ajoutons les monogrammesque le peintre apposait assez rarement à ses peintures oa -,'t ses dessins.
0ca/e f#lamanck. 'ëAa/êea, *s&tumaeiœ, @&a&t>re mOjf/e.

FRANCOIS SNEYDERS
O
NÉ EN 1579.
— MORT EN 1649.

Bien qu'on ait de tout temps confondu sous


le nom d'École flamande les diverses écoles
des Pays-Bas, il existe entre elles des différences
tellement tranchées, qu'on ne les croirait pas
nées sous le même ciel. Il est étrange que des
écoles aussi voisines que le sont les villes
d'Anvers et d'Amsterdam aient produit des
génies si peu semblables. Tandis que les
Flamands, à la suite de Rubens, couvrent de
grandes toiles et les peignent avec beaucoupde
largeur et de fougue, les Hollandais s'appliquent
patiemmentà faire de petits tableaux dans une
manière attentive, précieuse et finie. Les uns
cherchent le côté intime de la peinture, les autres la regardent de préférence par son côté décoratif. Et ce
contraste, dont nous dirons ailleurs les causes, il est sensible dans toutes les branches de l'art, aussi bien dans
les sujets où les figures jouent le premier rôle, que dans les représentations de la campagne, des animaux,
des fruits et des fleurs. De même qu'il n'y a aucune ressemblance entre les paysages si hardiment brossés
de Van Artois, de Wildens et même de Huysmans de Malines, et ces bocages de Ruysdael, ces dunes de
YVynants, touchés d'une main si discrète, avec tant de soin et d'amour; de même les chasses de Philippe
Wouwermans, les animaux de Karel Dujardin, les natures mortes de David de Heem, les fruits et les fleurs
de Van Huysum n'ont aucune analogie avec les meutes haletantes de François Sneyders, non plus qu'avec
ses belles fruiteries et ses splendides garde-manger.
Si Rubens n'eût pas été un génie universel, capable d'entreprendre tous les genres et d'y faire des prodiges,
s'il se fût borné à peindre des lions, des sangliers et des chiens, des amas de gibier et des provisions de fruits,
Rubens, oui, Rubens lui-même n'eût pas été, ce nous semble, un plus grand peintre que Sneyders. C'est,
du reste, sur les exemples de ce maître illustre, sinon à son école, que Sneyders se forma une manière si
vigoureuse et si entraînante. Plus jeune de deux ans que Rubens, il était né en 1579 et il mourut à
soixante-dix ans, en 1649, n'ayant guère laissé à sa biographie d'autres éléments que ses ouvrages. 11 avait
appris son art, d'abord chez Pierre Breughel le vieux, ensuite chez Henri Van Balen, où il vit arriver bientôt
un jeune homme dont le nom était promis à la gloire, Antoine Van Dyck. Malgré la différence de leur âge,
Van Dyck et Sneyders se lièrent d'amitié, et sortis de l'école, ils ne tardèrent pas à subir l'un et l'autre
l'irrésistible influence de l'artiste dont le génie commençait à éclairer toute l'école flamande. L'un et l'autre
ils agrandirent leur talent et le réchauffèrent, pour ainsi parler, au feu de Rubens.
Quant à Sneyders en particulier, il se pénétra si bien de l'esprit du maître, qu'en le voyant peindre, Rubens
put croire qu'il voyait ses propres ouvrages, ou du moins ceux d'un de ses élèves les plus proches et les
meilleurs. Dans les commencements,François Sneyders s'était exercé aux natures mortes, et y avait montré
déjà tout son tempérament de peintre. Il se plaisait à grouper sur une table du gibier mort, des fruits,
des légumes, mais uniquement pour s'imposer la tâche, ou plutôt pour se procurer le plaisir d'en observer
curieusement les beaux tons et de les bien rendre, car de faire un tableau, je veux dire de le composer.
Sneyders ne s'en préoccupa jamais. Ordinairement, les peintres de natures mortes se donnent la peine d arranger
leurs inertes modèles, tout comme un peintre d'histoire disposerait ses figures vivantes. Parmi tant d 'objets
qui ailleurs seraient accessoires, ils en choisissent un qui, dans leur tableau, devient principal. Celui-la
présente les plus grandes lignes ou reçoit la plus vive lumière, tandis que les autres, suivant le degré d'intérêt qui
leur est départi, ne paraissentque dans le demi-jourou s'effacent dansl'ombre, soit que le peintre les y place tout
exprès, soit que l'obscurité même du ton local les subordonne à des corps plus brillants. Ainsi, jusque dans
des chaudrons
un lntirieur de cuisine deKalf ou de Van Toi, on reconnaît de grands et de petits personnages,
reluisants et des ustensiles secondaires. Mais Sneyders, en peignant ses natures mortes, n'a pensé qu'à saisir
la finesse ou l'éclat des couleurs, à exprimer avec énergie et vérité la nature visible des substances. Il n'a pas
considéré ses fruits, ses viandes, ses bêtes mortes comme devant jouer un rôle dans la chromatique de son
tableau, mais tout simplement comme des motifs de peinture pratique, c'est-à-dire qu 'il lui a suffi de
s'appliquer à bien rendre la fourrure d'un lièvre pendu par la patte, le pelage hérissé d'une hure de verrat,
le chatoyant et magnifique plumage d'un paon, les feuilles épineuses d'un pied d 'artieliaut, enfin les côtes
saillantes et rugueuses d'un cantaloup. Peu lui importe que la réunion de tous ces objets forme un tableau
bien distribué, un de ces agréables bouquets de couleurs que l'œil peut embrasser aisément et d 'un seul coup.
L'essentiel pour lui est d'avoir appris de la sorte son métier de peintre. Et, dans le fait, il n est peut-être
le peintre se
pas de plus sûr moyen. La nature morte pourrait se comparer à une carte d'échantillons que
compose au début de sa carrière, afin de la consulter plus tard pour les mille nuances de son
coloris, et
dans laquelle il s'habituera en peu de temps à connaître la valeur et la qualité des tons, ceux qui se nuisent
et ceux qui se font valoir, de la même manière que l'écrivain puise dans le dictionnaire de sa mémoire tous
les mots dont il a d'abord connu la juste signification et qu'il doit enchâsser dans le discours. Ainsi, l'étude
des objets inanimés est comme la grammaire du peintre ; elle lui enseigne à parler correctement le langage
de son art, en attendant qu'il puisse le parler avec éloquence.
Les premiers tableaux de Sneyders durent frapper Rubens qui put y reconnaître, nous l'avons dit, sa propre
manière et les regarder comme le produit de l'influence décisive qu'il étendait sur ceux-là mêmes qui n'étaient
point ses disciples. Accablé de travaux et forcé par là de se faire le chef d'une vaste entreprise, Rubens avait
besoin d'aides malgré son étonnante facilité, et de même qu'il s'était formé des collaborateurs, pour les
figures, dans la personnede Van Dyck, pour les paysages, dans Wildens et Lucas Van Uden, il désira s'attacher
François Sneyders pour l'exécution des accessoires qu'il ferait entrer dans la composition de ses tableaux,
tels que fruits, légumes, animaux vivants ou morts. A son tour Rubens mit de la bonne grâce à orner de
.

figures les grandes natures mortes de Sneyders; mais involontairement il y prit la première place, bien qu'il
ne donnât à ces figures qu'une action insignifiante, comme celle, par exemple, de pendre un chevreuil par la
patte ou bien de choisir dans le fruitier un plat de dessert. Il nous souvient d'avoir remarqué au musée de
La Haye un de ces tableaux auxquels Sneyders et Rubens ont travaillé de compagnie, et il faut convenir que
ces deux maîtres, également habiles, s'y disputent l'admiration du spectateur aux dépens du tableau lui-même.
On y voit un personnage singulièrement vêtu en chasseur et en moine. Il porte par dessus son froc un cor
de chasse suspendu à sa bandoulière, et il vient accrocher un daim à la muraille. C'est sans doute le prieur
d'un couvent qui s'est fait peindre ainsi pour montrer comment son habileté de chasseur approvisionnait
l'office de la communauté. Perdreaux, bécassines, coq d'Inde, lièvre, hure de sanglier, melons, raisins,
artichauts, asperges, Sneyders a réuni sur cette toile tout ce qui promet la bonne chère et toutefois l'amateur
de peinture y trouverait son compte aussi bien que le gourmand. Chaque partie du tableau est accentuée
par
un maniement de pinceau tout particulier. Le duvet de la perdrix, le poil du lièvre, la surface raboteuse et
crevassée du melon, ses intermittencesde tons vert d'eau et de tons dorés, la provoquante maturité du
muscat
et sa transparence, sont rendus à faire illusion et si bien nuancés par la touche, qu'il y a là de quoi éveiller
l appétit d 'uii gastronome et de quoi ravir
en même temps le goût d'un curieux. Mais il est certain que la
présence d'une figure de Rubens est plutôt nuisible qu'utile au tableau. Et cependant on ne pouvait associer

,
deux talents mieux faits pour s'entendre, deux pinceaux mieux assortis, car c'est la même ardeur dans
I l'exécution

d'éclat.
la même fierté dans la touche, et pour la couleur, le même degré à
peu près d'intensité pl

La collaboration d'un homme tel que Rubens dut être pour Sneyders un grand honneur et contribuer à
lui faire une réputation dans les Flandres. Lui-même, du reste, il avait élargi
son horizon, et sans
s élever pourtant jusqu'à la dignité de l'histoire, il s'était adonné à peindre des sujets de chasse et à les
peindre en grand. On raconte qu'une Chasse au cerf fit sa fortune. Philippe III, roi d'Espagne, qui était
alors dans les Pays-Bas, où il venait sans doute de conclure sa trêve avec les Provinces-Unies, ayant
vu
le tableau de Sneyders, en fut si content qu'il voulut en avoir d'autres de
sa main et lui commanda différentes
chasses et des batailles. De son côté, l'archiduc Albert s'empressa d'imiter les préférences du roi d'Espagne,
et quand, de gouverneur des Pays-Bas, il en fut devenu le souverain, il nomma Sneyders son premier peintre.
Nous n avons jamais vu de batailles peintes par ce maître, mais bien souvent nous avons admiré ses chasses
:
elles sont exécutées avec une verve entraînante, avec un feu que le seul Rubens pouvait égaler. Ce sont
au
surplus de vraies batailles, dont les héros sont des cerfs, des loups, des ours, des sangliers. La vie
extraordinaire que Rubens mettait dans ses figures d'hommes et de femmes, Sneyders a su la faire palpiter
dans ses animaux. Leurs yeux étincellent, leurs naseaux respirent, leur mâchoire écume, leur gueule
ouverte est tout humide de sang et quand il représente des chiens furieux qui se ruent sur un sanglier, lui
,
déchirent les flancs, le mordent aux oreilles, laissant plusieurs d'entre eux éventrés sur le terrain, on croit
entendre toutes les notes de leurs aboiements, leurs cris aigus de joie ou de douleur, le grognement de la
bête et le son du cor. Il est impossible de mieux reproduire par le pinceau l'impression qu'éprouve un
habitant des campagnes qui, en traversant un bois, voit tout à coup passer rapidement auprès de lui une
bête noire avec son cortége de mâtins hurlants et enragés.
C'est ici qu'on peut saisir la différence qui existe entre Sneyders et les peintres hollandais qui ont traité les
mêmes sujets que lui. Wouwermans, par exemple, nous fait assister aux préparatifs de la chasse plutôt qu'il
ses drames. La scène qu'il nous montre se passe ordinairement dans la cour d'un château seigneurial, <m
milieu des dames que l'on aide à monter en selle, auxquelles on adresse des propos galants ou des saluts. La
Halte des chasseurs, la Buvette, le Retour, tels sont les motifs qui reparaissent constamment dans l'œuvre
gravé par Moyreau. Tantôt les chasseurs avalent d'un trait le coup de l'étrier, tantôt ils se reposent sur
l'herbe, à côté de leurs montures, tantôt ils reviennent triomphants au bruit des fanfares. Mais bien
rarement voit-on chez Wouwermans les péripéties de la chasse; le peintre les représente ou les suppose dans
le lointain de ses vaporeux paysages. Au contraire Sneyders nous transporte en pleine campagne, en pleine
chasse, au milieu des bois. Le cerf et les chiens sont les principaux acteurs de son tableau, et le moment
qu'il se plaît à choisir est celui où l'animal, harcelé par de nouveaux relais, se défend avec désespoir et
bondit par-dessus les chiens sanglants qu'il a décousus à coups d'andouiller. C'est, au fait, l'instant le plus
dramatique, le plus intéressant de la chasse, par cela seul que le dénouement étant encore incertain. II'
spectateur imagine volontiers que cette bête légère, élégante, à qui ses armes servent de parure, échapper:'
peut-être à la dent cruelle des limiers et au couteau des chasseurs.
Houbraken s'étonne avec raison que Sneyders ait dessiné aussi juste, dans des postures aussi variées, des
animaux que le peintre ne peut voir ainsi que par les yeux de l'imagination. Il faut bien connaître, en efl'el,
l'anatomie des bêtes, leur caractère, leurs allures, l'élan que leur imprime le courage, l'attitude que leur
donne la peur et enfin le principe même de leur mouvement, pour les peindre de la sorte, c'est-à-dire par
cœur, avec la seule science du jeu de leurs muscles et de l'élasticité de leurs membres. Car ce n'est guère
d'après nature qu'on peut dessiner un lion bondissant, étudier un sanglier furieux, saisir l'expression de
douleur d'un cerf aux abois, la mine féroce d'un loup qui a flairé le carnage. Le plus intrépide chasseur
n'approche pas de ces redoutables bêtes comme ferait un peintre de son modèle. Aussi le spectateur qui en
est encore plus éloigné, est-il en général peu difficile sur la fidélité de ces représentations, et le talent du
peintre consiste à leur donner un tel degré de vraisemblance que chacun les croie sans reproche, comme
s'il avait déjà vu plusieurs fois dans la nature l'objet représenté. Pour ce qui est des animaux domestiques,

dont les formes nous sont plus familières, l'artiste a beaucoup plus de peine à nous contenter, et il faut
que Sneyders ait poussé bien loin la vérité de ses expressions, la justesse de ses mouvements et de ses
contours, pour que nous admirions ses belles meutes de chiens, lancés ou au repos, son lévrier élégant
souple et fort, ses danois tachetés de noir, ses chiens de Barbarie au râble épais, au nez ouvert et bien
fendu, qui ont la cuisse troussée, le jarret droit, le pied sec, la queue grosse près des reins, le poil rude
au-dessous du ventre, et dans lesquels un chasseur de profession se plaît à reconnaître à de tels signes des
chiens robustes, de haut nez et de longue baleine, réunissant la vitesse à la force, durs à la fatigue et
pénibles au froid, comme disaient les anciens veneurs.
La figure humaine ne paraîtrait pas dans les tableaux de Sneyders, si Rubens, Jordaens .Martin de
ou
Vos n'étaient venus l'y ajouter de leur main, sans doute à la prière de l'archiduc ou des autres amateurs
qui achetaient les chasses du peintre flamand. Mais quelle que soit, je le répète, la concordance des
tempéraments, la similitude des manières et des pinceaux, il est bien rare que le peintre auxiliaire ne
vienne pas troubler ici l'unité de l'œuvre commune par son involontaire supériorité. Dans une chasse
traitée en grand, l'absence de l'homme ou du moins son éloignement feraient beaucoup mieux. Autrement
on ne sait quel est le principal objet du tableau, et dès que l'attention se divise, l'impression est affaiblie, sinon
manquée. Et cela est si vrai que ces genres de peintures où deux artistes ont réuni leurs talents font
toujours hésiter celui qui en parle et celui qui est tenu de les décrire. S'agit-il d'un cerf pressé par les
chiens et talonné par les chasseurs, on est embarrassé de dire si le tableau est un Rubens avec des animaux
de Sneyders ou un Sneyders avec des ligures de Rubens, le premier rôle n'étant pas nettement réservé à
l'un des deux collaborateurs. Au contraire, on s'arrête avec plaisir devant les morceaux que le peintre
d'animaux a exécutés à lui tout seul, parce qu'une fois descendu dans les régions inférieures de la nature,
on peut s'attacher sans distraction au curieux spectacle des passions animales, à ce point surexcitées par le
son de la trompe. Et si l'on aime vraiment la peinture, on admire alors tout à son aise le maniement du
pinceau conduit par le sentiment des formes, les accents d'une touche fière et souple qui rehausse vivement
les lumières et amincit les ombres, l'adresse avec laquelle sont exprimés la crinière du lion, les soies du
sanglier, la grossière fourrure de l'ours, le poil du chien, la robe lustrée du chevreuil. Il nous souvient d'avoir
éprouvé ces jouissances d'amateur devant la Chasse à l'ours du Musée de Dresde qui fixa quelques instants
,
nos regards et où brillent du reste d'autres qualités. Rien de mieux senti, par exemple, que l'intelligence de
la bête, au milieu de ses périls. Je parle de la ruse, de la malice de ses petits yeux, de son air de fausse naïveté,
et si l'on peut s'exprimer ainsi à propos d'un ours, de ces apparences de bonhomie féroce que Sneyders a
rendus à merveille dans cette peinture.
Joshua Reynolds, quand il visita les musées de Belgique et de Hollande, ne fit que peu d'attention à Sneyders.
« Les ouvrages de ce maître,
dit-il, paraissent par leurs sujets, par leurs dimensions et l'on peut dire aussi
par leur nombre, plus propres à orner une antichambre que tout autre endroit. » Et plus loin le peintre anglais

t
ajoute : « Il y a ici du gibier, des chasses au sanglier et au cerf, par Sneyders, De Vos, Fyt et Weenix : c'est
Weenix qui est infiniment le meilleur ». La vérité est que les chasses de Sneyders, et même ses natures mortes
sont ordinairement de grandes toiles faites pour couvrir les murailles d'une galerie extérieure, ou pour
s'encadrer dans les panneaux d'une vaste salle à manger, comme on en faisait autrefois, comme on n'en fait
plus aujourd'hui. Plus nous allons, plus le rétrécissement de nos demeures rend difficile le placement de ces
magnifiques décorations. Ce qui était pour nos aïeux une jouissance est devenu pour nous un embarras. Il en
est des peintures de Sneyders comme de nos tapisseries desGobelins, comme des batailles d'Alexandre, de Charles
Lebrun, ou des superbes estampes qu'en ont gravées les Audran et les Edelinck. A moins de trouver un refuge
dans les musées, à moins d'être accueillis dans les appartements de quelque ancien château, ces objets d'art
tristement roulés au fond des greniers, sont dévorés par la moisissure et se mangent aux vers. L'architecture
les chasse de partout, l'espace leur manque, et il est bien à craindre que la plupart n'aient été détruits avant
que les grandes constructions de l'avenir leur aient donné l'hospitalité. Mais quand ils ornaient l'escalier du
palais de l'archiduc, quand ils honoraient le vestibule des maisons seigneuriales de Rruxelles, où Sneyders
habita long-temps, les tableaux de ce maître devaient charmer l'attente du visiteur. La manière large,
vaillante et décorative dans laquelle ils étaient peints, n'empêchaient pas le curieux d'y découvrir un modelé
ferme, une exécution serrée, et cette profonde science qui autorise la liberté du pinceau, sans parler de la
qualité du ton et des autres beautés pittoresques de nature à être senties dans le pays de Rubens.
Quant à la supériorité que Reynolds attribue à Weenix sur Sneyders aussi bien que sur Fyt, nous ne saurions
la reconnaître, et de la part d'un critique aussi peintre que Reynolds, ce jugement a lieu de nous étonner.
Car s'il est permis à des amateurs de préférer la peinture plus finie des deux Weenix, il est étrange qu'un
artiste partage cette préférence, puisqu'en général les artistes ont plus de goût pour les hardies indications

1 OEuvres complètes du chevalier Josué Reynolds, tome Il. (Voyage en Flandre). Paris, 1806.
de la touche que pour le fondu précieux des couleurs. Au surplus les tableaux de Weenix et ceux de François
Sneyders sont exécutés les uns et les autres comme ils dexaient l'être eu égard à leurs dimensions respectives,
et il est parfaitement inutile d'établir entre eux une comparaison. Ce qu'on peut regretter, au sujet de Sneyders,
c'est qu'il n'ait pas été universel même dans le genre où il s'est illustré. On a remarqué, par exemple, qu'il
ne peignait pas les chevaux, et que, pour les lions, il avait recours au pinceau de Rubens, seul capable à ses
yeux de leur imprimer ce caractère de sauvage fierté qui est la noblesse des animaux du désert. Un autre
point sur lequel Sneyders peut être souvent pris en faute, c'est le clair-obscur. Non-seulement il s'inquiète fort
peu, nous l'avons dit, de la disposition de ses groupes, mais il ne prend aucun soin de les éclairer de façon à

faire un tableau, c'est-à-dire d'y jeter une lumière principale à laquelle on subordonne toutes les autres. Il y
a de lui telle chasse au sanglier dans laquelle l'animal poursuivi forme au centre du tableau une masse noire
que rien ne rappelle suffisamment et à propos, tandis que les grands clairs sont éparpillés et même se trouvent
proche du cadre, ce qui est contraire aux lois naturelles de la distribution des lumièreset des ombres. A cela
près, Sneyders est un peintre des plus habiles. Tout ce qu'il a voulu peindre, il l'a réussi d'une manière
surprenante, et il n'a voulu heureusement que ce qui était dans la sphère de ses études favorites et du ressort
de son généreux talent. Aux objets inanimés il a su donner, je ne dis pas ce genre d'illusion que recherchent
les ignorants et qui les ravit, mais ce charme secret qui résulte du caractère des choses spirituellement
observé, du souvenir agréable que réveille en nous leur présence inattendue sous un rayon de lumière, et
même de l'idée que peut faire naître une vive sensation. Quant aux animaux, et il a surtout représenté ceux
que l'homme poursuit ou mène à la chasse, Sneyders leur a donné le mouvement, la chaleur et le souffle de
la vie; c'est pour cela qu'il obtint le plus grand honneur qu'un peintre de son temps pût ambitionner,
l'admiration de Rubens.
CHAULES BLANC.

MEMMiSS JET HMiaîMHS,


Il est dit dans toutes les biographies que Sneyders a gravé GALERIE DU BELVÉDÈRE, à Vienne. — Deux renards pour-
à l'eau forte. Mais il est certain que les pièces qu'on lui at- suivis par cinq chiens dans une plaine. Daniel dans la fosse
tribue ont été gravées par Jean Fyt. Le nom de Sneyders n'a aux lions, tableau de chevalet, peint sur bois. Un sanglier
été indiqué sur ces pièces qu'après les premierstirages, par attaqué par neuf chiens. Un cerf et un chevreuil poursuivis
un éditeur qui espérait sans doute les mieux vendre. par des chiens. Le Paradis terrestre avec toutes sortes d'ani-
Un grand nombre de tableaux de Rubens, de Jordaens, maux sauvages et domestiques; au fond, la création d'Eve.
de Martin de Vos, portent la trace évidente de la collabora- On trouve encore de magnifiques chasses de Sneyders
tion de Sneyders ; mais nous mentionnerons seulement ici dans la galerie de Florence, et dans celle de l'Ermitage, à
les morceaux qui sont tout entiers de la main de ce peintre et Saint-Pétersbourg. Une des plus vastes salles de cette der-
ceux où les figures ne jouent qu'un rôle secondaire. nière galerie porte le nom de Sneyders, à causedes nombreux
LE MUSÉE DU LOUVRE contient sept tableaux de Sneyders et superbes ouvrages de ce maître qu'on y a rassemblés, et
1. Le Paradis terrestre. On y voit des animaux de toutes les parmi lesquels on admire des loups dévorant un cheval.
espèces, et dans le fond, la création de la femme. 2. L'entrée Pierre Boel, Zaal, Lucas Wosterman, Joullain, Prenner et
dans l'Arche. C'est encore une réunion de quadrupèdes et autres ont gravédivers morceaux, particulièrementdes chas-
d'oiseaux qui se dirigent, deux à deux, vers l'Arche que l'on ses, d'après Sneyders. Van Dyck nous a laissé un portrait de
aperçoit dans le fond, avec Noé et sa famille. 3. Cerf pour- ce grand maître, qui est une de ses plus admirables eaux-
suivi par une meute. Il foule aux pieds un chien renversé, fortes. Elle a été achevée au burin par Jean Meyssens. Les des-
et en lance un autre en l'air... etc. 4. Chasse au sanglier. Ce sins de Sneyders, dit d'Argenville, sont faits à la pierre noire
tableau, qu'on attribue également à Paul de Vos, représente sur papier bleu, rehaussé de blanc de craie, avec de l'encre de
un sanglier qui a blessé trois chiens et qui en découd deux la Chine dans les grandesombres. La touche en est extrême-
autres... 5. Les marchands de poissons.On y voit un homme ment spirituelle, particulièrement dans les animaux et dans
qui verse dans un baquet des anguilles et des lamproies ; les plantes.On voit aussi de ce maitre des dessins entièrement
un autre qui coupe un saumon par tranches, et toutes sortes à la plume, touchés librement;les figures en sont matérielles
de poissons... 6 Des chiens dans un garde-manger.L'un se et les hachuresirrégulières. C'est ce goût qui dénote Sneyders.
dresse sur ses pattes et mord dans un morceau de viande; VENTE VAN LEYDEN, 1804. — Intérieur d'une office remplie
l'autre ronge un os sous la table chargée de provisions; dans de gibier, vases, fruits et légumes, où se sont introduits des
le fond un chat. 7. Fruits et animaux. Au milieu sur le pre- chieps et des chats -, 180 francs.
mier plan un écureuil mange une noisette, un perroquet atta- VENTE CARDINAL FESCH, -
1845. La Poule en litige. Deux
que un abricot, un singe vole du raisin... etc. renards et un loup se disputent une poule. Fond de paysage.
MUSÉE DE BRUXELLES.—Bienque Sneyders ait longtemps ha- Chasse au sanglier. Il est serré de près par cinq chiens de
bité Bruxelles, on ne trouve qu'un seul morceau de lui dans meute et paraît ètre sur ses fins. Le fond est une jolie cam-
le Musée de cette ville ; il représente un cygne, un chevreuil, pagne : ensemble, 1,270 scudi, soit 6,850 francs environ.
un paon, du gibier, des fruits, des légumes, sur une table. Lions poursuivant un chevreuil. Un chevreuil et un liè-
MUSÉE D'ANVERS. —Deux tableaux donnés par le baron de vre gagnent la plaine, tandis que deux lions se disputantcette
Pret : 1. Cygnes et chiens. Deux cygnes de grandeur natu- proie, vont se livrer un combat sanglant; 421 scudi, soit en-
relle se défendent avec vigueur contre deux chiens de chasse viron 2,300 francs.
qui ont effrayé deux canards. 2. Nature morte. Parmi toute VENTE CYPIERRE, 1845. — Combat d'un buffle contre qua-
sorte de gibier, on y remarque un énorme homard. tre loups. Le buffle vient de lancer en l'air un loup qui re-
MUSÉE D'AMSTERDAM.—On y compte deux natures mortes du tombe la tète en bas; 705 francs.
maître, et une chasse du crocodile et de l'hippopotame,espè- VENTE LOUIS-PHILIPPE, 1853. — Quatre grands tableaux
ces d'animauxque Sneyders n'a peut-ètre peints que cette fois. représentant des groupes d'oiseaux ont produit ensemble
MUSÉE DELA HAYE. —Une chasse au cerf et le tableau de gi- 8,575 francs.
bier et de fruits dont nous avons parlé dans le cours de cette VENTE GENTIL DE CHAYAGNAC, 1854. — Deux singes jouant
biographie, où l'on admire une figure de religieux vètu en au tric-trac, 1,120 francs.
chasseur, de la main de Rubens. Un Garde-manger. — Beau groupe de gibier, de l'ruits, de
PINACOTHÈQUE DE MUNICH.—Quatre morceaux de Sneyders, légumes et d'objets divers sur une table de pierre, signé
dont les plus remarquables sont deux lionnes poursuivant F. SNEYDERS, 1632; 2,500 francs. — Nous reproduisonscette
un chevreuil, une lionne tuant un sanglier, deux magni- signature qui est assez rare sur les tableaux de Sneyders.
fiques toiles où les animaux sont de grandeur naturelle. Ceux du Louvre ne sont pas signés. Nous ajoutons la signature
GALERIE DE DRESDE. — Une chasse au sanglier et une des eaux-fortes qui est très-contestable,comme on l'a dit plus
chasse à l'ours, où l'on voit des figures de chasseurs peintes haut.
par Rubens, sont les plus notables ouvrages de Sneyders
dans cette galerie qui n'en renferme pas moins de neuf; les
autres sont des natures mortes, à l'exception d'un combat de
chiens contre un ours.
Scafe
Mff"o e %ú!{I(;j,e, *e,,4 reâpceuœ

0
FRANÇOIS FRANCKEN-LE-JEUNE
o
NÉ EN 1581. — MORT EN 1642.

François Francken-Ie-Vieux, qui mourut à Anvers en 1616, avait


eu, de son mariage avec Élisabeth Mertens, quatre fils, dont les noms
nous ont été conservés, mais qui ne méritent pas tous de figurer dans
l'histoire de l'école flamande. Jérôme et François sont les seuls qui nous
soient connus par leurs œuvres, et les seuls aussi dont on puisse
parler avec quelque certitude. Les deux frères furent d'ailleurs inégaux
par la renommée comme par le talent : le plus habile et le plus
célèbre des fils du vieux Francken, ce fut François, ou, pour lui
donner son nom tout entier, François Francken-le-Jeune.
Né à Anvers, et baptisé à la cathédrale, le 6 mai 1581, il grandit dans
l'atelier de son père, et ce fut en le voyant travailler qu'il apprit il
peindre, bien qu'il ait adopté plus tard une manière plus moderne, ainsi
qu'il convenait à un artiste qui était, à quelques années près, le
contemporain de Rubens. Le voyage d'Italie qu'il fit dans sa première
jeunesse lui fut d'un grand secours, parce qu'il y oublia les méthodes
un peu pédantes auxquelles son père et ses oncles étaient si longtemps
restés fidèles. François Francken, après s'être arrêté à Venise, visita
sans doute les principales villes où la peinture était en honneur. Il n'est
pas sons intérêt de rappeler qu'à cette époque, Rubens résidait aussi en Italie Il serait curieux que les
deux artistes flamands s'y fussent rencontrés. Malgré la distance qui les sépare, il nous paraît évident que
le jeune Francken s'est réchauffé plus qu'on ne le dit d'ordinaire à l'ardent rayon que dégageait déjà le
glorieux maître.
En 1605, François Francken, de retour à Anvers, entrait dans la gilde de Saint-Luc. Deux ans après, il
épousait Élisabeth Plâcquet, qui lui donna trois fils1 et cinq filles. Bientôt, et quoiqu'il fût jeune encore, il
devint, si l'on en juge par le nombre de ses œuvres, un des maîtres les plus actifs de l'école d'Anvers.
Plusieurs des tableaux qu'il fit alors nous sont connus; aussi avons-nous quelque peine à nous expliquer
ce que Descamps a voulu dire lorsque, parlant des premiers travaux de l'artiste, il a écrit : « On fut étonné
de voir ce peintre s'attacher plus à peindre les folies du carnaval et d'autres sujets de cette espèce qu'à
traiter l'histoire en grand. » Le premier des tableaux de Francken dont la date ait été relevée est le
Christ en croix, de la galerie de Vienne, qui fut peint en 1606, et qui, n'en déplaise à Descamps, n'a rien
de carnavalesque. La vérité est que, dès cette époque, Francken-Ie-Jeune peignait d'un pinceau également
zélé des scènes de fantaisie, comme le Sabbat des Sorcières (1607, Musée de Vienne), ou des sujets sérieux,
comme les Œuvres de miséricorde (1608, Musée d'Anvers). Cette peinture nous montre le talent déjà
caractérisé du jeune maître. Au premier plan, des mendiantes et des pauvres viennent en foule chercher le
pain que la charité leur distribue; plus loin, les autres formes du dévouement chrétien sont mises en action
dans des groupes épisodiques. Dans la partie supérieure du tableau, apparaît le Christ glorieux. C'est là une
peinture sans grand éclat, mais non sans conscience, et les contemporains durent y voir plus qu'une
promesse. François Francken s'annonçait comme un élégant peintre d'historiettes, et Breughel, Josse de
Momper, Peeter Neeffs, pouvaient reconnaître en lui l'habile figuriste qui devait peupler de vivants
personnages leurs solitudes agrestes ou leurs intérieurs d'église.
A la fin de 1614, François Francken eut l'honneur d'être nommé doyen de la gilde de Saint-Luc. 11
faisait aussi partie de la société littéraire connue sous le nom de la Violette, et lors d'un concours ouvert en
1618 par une compagnie rivale, il peignit, avec Van Balen, Sébastien Vrancx et Breughel Velours un
blason symbolique qui obtint le prix. Il dessina en outre des costumes pour les représentations théâtrales
que donnait l'association, ou, comme on disait, « la chambre de rhétorique » à laquelle il était affilié.
Ces détails, que nous empruntons au catalogue du Musée du temps, nous montrent François Francken-
le-Jeune en relation familière avec les meilleurs peintres du temps. Il a dû aussi connaître Rubens, bien
qu'aucune trace de leur amitié ne nous ait été conservée; mais il a certainement été lié avec Van Dyck,
qui fit de lui ce beau portrait dont Guillaume Hondius et Pierre de Jode nous ont laissé la gravure et que
le lecteur a reconnu en tête de cette biographie.
L'œuvre de François Francken-le-Jeune est bien en effet celui d'un peintre qui a vu de près les vaillants
maîtres de l'école d'Anvers ; mais il n'est cependant pas de la puissante race des héros. Nulle trace de
grandeur chez lui, nulle velléité d'enthousiasme. Ses ambitions sont des plus modérées. Toutefois, dans le
cadre assez restreint d'ordinaire où s'est enfermée sa prudente fantaisie, il a montré du goût pour la
couleur, une main agile à la libre manœuvre du pinceau. Ses tableaux sont trop nombreux et trop connus
pour que nous ayons de grands efforts à faire pour caractériser sa manière. Nous nous bornerons à rappeler
la Vierge et et.['Enfant Jésus, du Musée d'Amsterdam, la Réunion de Musiciens, de Munich, et aussi les
peintures du Louvre, qui sont décisives. Le Christ entre les deux larrons et la Parabole de l' Enfant
prodigue suffisent à faire connaître François Francken-le-Jeune. Le dernier de ces tableaux se compose d'un
sujet central qui représente le Départ de l'Enfant prodigue; il est entouré de diverses scènes relatives à
et
la légende évangélique peintes en grisaille, genre dans lequel François Francken a excellé. Il est à peine
utile de le dire, l'art de François Francken-Ie-Jeune est un art sans gravité. Ses tableaux religieux ne sont
que des tableaux de genre. Mais il y a chez lui beaucoup de talent d'exécution; son pinceau leste et vif se

1 Jérôme, né en 1611, élève de Van der Laenen en 1637; —Jean-Baptiste, né en 1618, — et Ambroise, né en 1622 et
reçu maître en 1645. La biographie de ces trois Francken est comprise tout entière dans les dates que nous venons de donner.
joue au caprice de la touche : il est habile à peindre les chairs lumineuses, grasses, vivantes, comme le
devait faire un artiste qui comprenait les maîtres de son temps et qui, même dans ses compositions en
miniature, s'inspirait le plus possible de leurs larges procédés. Francken s'inquiète spirituellement des détails,
il se complaît dans l'accessoire, il s'ingénie à trouver des sujets qui lui permettent de faire valoir l'adresse
de son pinceau. Son tableau du Louvre, la Visite d'un prince dans le trésor d'une église, peut, dans ce
genre, être cité comme un exemple. L'intérêt du motif est nul, mais Francken y a vu une occasion de
grouper des ligures aux costumes éclatants, des ornements religieux, de scintillantes orfèvreries : son
ambition n'en demandait pas davantage. Il aii^iit aussi à peindre des intérieurs d'appartements, des galeries
i(

de tableaux ou de curiosités, pour avoir le plaisir d'y faire entrer des personnages
aux attitudes élégantes
s'enlevant en vigueur sur des fonds neutres et sobres. Et il ne travaillait pas seulement pour lui: Peeter
Neeffs, Van Bassen, Josse de Momper avaient trouvé dans leur jeune camarade
un aide infatigable : il a
peuplé de spirituelles figurines leurs intérieurs d'église et leurs paysages.
François Francken-le-Jeune mourut à Anvers le 6 mai 1642 il ne survécut guère à Rubens, à Van
:
Dyck, à celte première génération des maîtres anversois, dont il était lui-même
un représentant en miniature,
un disciple atténué. Il avait été précédé dans la tombe par son frère Jérôme, qu'on appelle le Jeune, et
qui, né à Anvers en 1578, y mourut en 1623. Nous ne connaissons de
sa main qu'un tableau authentique,
Horatius Coclès aîi pont Sublicius.
D autres artistes, appartenant vraisemblablement à la même famille, ont porté le nom de Francken. Ils
ont prolongé jusqu 'à la fin du dix-huitième siècle le succès, bien diminué cependant, du
genre anecdotique
que François Francken-le-Jeune avait mis il la mode. Mais, dans leur art sans finesse, ils ne furent que de
pâles imitateurs. Quant à la biographie de ces derniers peintres, elle demeure, quant à présent, ignorée
et impossible. On ne pourra songer à l'écrire que lorsque les actes de l'état civil, tirés de la poussière des
archives, permettront d'établir la filiation, encore si obscure, de la famille Francken. Aujourd'hui, l'écheveau
est inextricable. Mariette l'avait bien compris. « MM. d'Argenville et Descamps, écrit-il, ont parlé assez
amplement de tous les peintres de la famille Franck ; mais je trouve qu'ils ont embrouillé la matière au
lieu de l'éclaircir : je ne l'entreprendrai pas, tant j'y trouve de difficultés. » Puisque les archives n'ont
pas encore dit leur secret, imitons la prudence de notre m4re Mariette, et attendons.
PAUL MANTZ

M(ËMM]M m MSIKEMIIMS
AMSTERDAM. — La Vierge et l'Enfant Jésus entourés des MADRID. — Ecce Homo, signé D. Franck.
Pères de l'Église et de divers personnages. Signé f. francken. MUNICH. — Un Combat de cavalerie, signé F. Frank
in f. Ao 1616. Nous reproduisonsci-dessous cette signature. inv. f. AO 1631.
MUSÉE VAN DER Hoop. — La Parabole de l'Enfant pro- Réunion de personnages faisant de la musique, signe
digue, sujet entouré de grisailles. D° F. Frank inv. et f.
ANVERS. — Miracles au tombeau de saint Bruno. Les Les Sept OEuvres de misericorde(1630). Le Christianisme
OEuvres de miséricorde (1608). Le Martyre des quatre et le Paganisme, allégorie.
couronnés, triptyque avec deux volets peints de chaque côté, ROTTERDAM. — Une Compagnie de musiciens.
Signé D. J. F. F. (Den jongen Frans Francken). VIENNE. — Le Christ sur la croix, signé De1l Ion F. F.
CABINET DE M. MERTENS-BAUDUIN. — La Résurrection in. 1606.
de Lazare. Un Sabbat de sorcières, signé Den Ion francis frankin
CABINET DE M. REYNWIT. — Le Blason de la gilde de fecit et inv. 1607.
Saint-Luc, peinture exécutéeavec le concours de Van Balen, Solon à la cour de Crésus, signé D.o. F. Franck. inv.
de J. Breughel et de Sébastien Vrancx. Des Dames et des cavaliers à table dans un appartement.
BERLIN. — Les figures d'un tableau de Van Bassen (1624), Ecce Homo, signé F. Franck inv.
avec la curieuse inscription F. Franck figuravit. VENTE DU CARDINAL FESCH (Rome, 1845). — La Fuite en
BRUGES. ÉGLISE NOTRE-DAME. — La Madeleine aux pieds Égypte, tableau daté de 1608.
du Christ (1628). On voit, par les indications que nous venons de reproduire,
BRUXELLES. — Crésus montrant ses trésors à Solon. Acquis que les signatures de F. Francken-le-Jeune ont beaucoup
en 1856 pour la somme de 600 fr. varié. L'une de ces signatures (DO Francken) a donné lieu à
LOUVRE. — Histoire d'Esther. Le catalogue attribue ce bien des suppositions. On a prétendu d'abord que D° était
tableau à F. Francken-le-Vieux; mais M. Burger a fait remar- une abréviation du prénom italianisé de Dominique; mais
quer qu'il était signé Du F. F. Acquis au prix de 500 fr. cette conjecture tombe d'elle-même, puisque Francken s'ap-
La Parabole de l'Enfant prodigue. Un sujet central, en pelait François et non Dominique. D'autres écrivains, et
couleur, entouré de huit grisailles (1633). M. Burger un des premiers, ont vu dans ces deux lettres
La Passion de Jésus-Christ, avec huit grisailles. Signé l'abréviation de Donno, Francken ayant, suivant eux, pris
f. franck in. le nom de Don Francisco après son retour d'Italie. Cette ex-
Visite d'un prince dans le trésor d'une église. Signé plication a été adoptée par les rédacteurs du catalogue du
Ao 1633. D°. Franck in. et f. Acquis en 1844 pour la somme Musée d'Anvers. Malgré de si puissantes autorités, elle ne
de 1,800 fr. nous satisfait pas complètement, et nous cherchons encore.
Scafe 5».,e-ant-le-. '({//'/fuu:/' de ,?e?'tl'è, Jêciyda^eà.

DAVID TENIERS (LE VIEUX) 1

NÉ Eîï 1.582.
- MORT EN 1649.

Les historiens qui ont voulu étudier, dans ses origines, le


talent de Teniers le jeune, ont signalé chez lui, en même temps
que la mystérieuse influence du génie natif, le résultat, aisément
reconnaissable, du fécond enseignement de Rubens. Ouic'est
,
chez le grand maître d'Anvers que David Teniers s'est formé;
-c'est dans son œuvre éclatante qu'il a appris l'harmonieuse
combinaison des couleurs amies; c'est grâce à Rubens qu'il a su,
même en des cadres dont les proportions sont souvent celles de
la miniature, conserver tant de souplesse et tant de largeur.
Une bonne fée, dit-on, lui a- donné le reste : sans doute, mais
s'il relève de Rubens pour le libre maniement du pinceau, s'il a
reçu du ciel son charmant esprit, qui l'a conduit, tout enfant,
dans les campagnes lumineuses ou dans les tavernes, enfumées et
lui a qIonlré:le premier, les paysans jouant aux boules devant
une maison rustique, le buveur cherchant la vérité au fond de
son verre, le rémouleur faisant gaiement tourner sa roue, n'est-ce
pas son père, celui que les biographes, dans le choix malheureux de leurs surnoms, appellent volontiers
David Teniers le Vieux? --
Teniers le père, — n'est-ce pas mieux dire?—a eu sans doute la meilleure joie de ce monde artiste,
.
il a vu grandir son fils dans l'art qu'il aimait; toutefois l'élève a fini par dépasser le maître, et la renommée
a jeté tant d'éclat sur le nom de Téniers le jeune qu'elle a laissé dans une ombre peut-être injuste le maître
laborieux qui, le premier, lui avait servi de guide. L'indifférence moderne a dispersé ses œuvres jadis
prisées, la spéculation les a débaptisées, si bien que, parmi ceux qui nous lisent, beaucoup peut-être ne
connaissent de Teniers le père que son nom.
L'artiste trop oublié dont nous avons à redire la vie naquit à Anvers en 1-582. Il était fils de Julien
Teniers, dont il est d'usage de faire un peintre, mais auquel les actes authentiques donnent plus simplement
le titre de mercier1. En présence de cette rectification, il est difficile d'admettre, comme on le raconte
d'ordinaire, que Julien Teniers ait pu enseigner lui même à son fils les procédés d'un art qui n'était pas
le sien. Les aptitudes de David se révélèrent de bonne heure, puisque dès 1596,
— à quatorze ans, — nous
le voyons inscrit comme élève sur le registre de la corporation de Saint-Luc qui, en 1606, le reçut en
qualité de franc-maître. Il ne reste de la main de David Teniers aucune œuvre authentique qui puisse
nous faire connaître quel était alors son talent ou même le genre de peinture qu'il avait d'abord
embrassé. Il parait s'être essayé à son début, dans des sujets reli-gieux, assez voisins par le sentiment
,
comme par le style, de ceux que peignaient à cette époque Sébastien Franck et François Pourbus. Il
appartiendrait donc, du moins par ses commencements, à cette école intermédiaire et quelque peu
hésitante qui prolongea un moment, dans le dix-septième siècle, les patientes pratiques du siècle précédent.
Mais le temps de l'audace allait venir. Au mois de janvier 1609, Rubens, tout resplendissant du soleil
italien, rentre victorieux dans Anvers. Bien qu'il ne soit pas certain que Teniers le père ait été, dans le
sens ordinaire du mot, l'élève du glorieux maître, il n'est pas douteux qu'à l'exemple des autres peintres
d'Anvers, il ait subi sa puissante influence. On le vit bientôt élargir sa manière et travailler d'une main plus
libre. Sans pouvoir affirmer rien de positif à cet égard, je serais tenté de voir une production de ce temps,
dans un tableau, médiocre peut-être, mais à coup sur intéressant, qui décore aujourd'hui à Anvers l'église
Saint-Paul, et qui est comme une longue frise où Teniers le père a représenté les Sept OEuvres de
miséricorde. Autant que j'en puis juger il distance, la composition, de toutes paris fragmentée en groupes
épisodiques, n'aurait pas une unité parfaite, et la couleur elle-même, trop peu économe des nuances claires
et des tons francs, y montrerait un pinceau encore bien étranger aux lois de l'harmonie. Cette peinture
n'est du reste, malgré la sainteté du motif, qu'un tableau de genre traité dans de vastes proportions.
Il ne paraît pas d'ailleurs que Teniers le vieux ait longtemps gardé sa place dans le nombreuxcortège des
adhérents de Rubens. Il voulut bientôt voir par lui-même cette Italie dont on lui parlait tant. Marié le
12 octobre 1508 à Dympne Cornelissen de Wilde, il assistait le 15 décembre 1610 au baptême de
son fils
aîné, le fameux David; mais il ne doit guère être resté plus longtemps à Anvers, et nous supposons que
c'est vers l'année suivante qu'il faudrait fixer la date de son départ.
A peine arrivé à Rome, Teniers y fit rencontre d'Adam Elzheimer, qui lui enseigna l'art de peindre des
tableaux de petite dimension, à en soigner minutieusement les détails et il les éclairer de ces effets de lumière
pour lesquels il avait un goût tout spécial. Certaines œuvres de Teniers ont gardé la trace, à jamais visible
,
de l'influence qu'Elzheimer exerça sur lui : la Nativité, dont Corneille Galle nous a laissé une gravure,
Cil
est une preuve. N'est-ce pas à l'imitation du maître allemand que Teniers a projeté sur le groupe de la
Vierge et de l'Enfant Jésus, les lueurs de la torche que tient saint Joseph, et dont les vives clartés,
concentrées sur un seul point, contrastent avec les ombres vigoureuses qui enveloppentle reste de la scène?
Un autre exemple montre bien mieux encore l'action subie par Teniers dans l'eau-forte qu'il
: a gravée
lui-même d'après l'une de ses compositions,
— précieuse planche dont le lecteur trouvera ici une

[texte_manquant]

1 Voyez la note de M. Th. Van Lérius dans le Catalogue des OEuvres d'art des anciens maîtres exposées à Anvers
en 18:;;;.
Les anciens documents donnent Tenier au lieu de Teniers : c'est en effet la forme primitive du nom. Au bas de l'estampe de lil
Cène, Van Panderen a écrit David Tenir, et l'on sait que le nom du vieux maître
se prononçait ainsi en Flandre.
reproduction fidèle — il a groupé, devant la porte d'une ferme, de rudes paysans se chauffant autour d'un
feu de branches sèches : pendant que le fagot jeté dans le brasier pétille et flamboie, la lune passe,
blanche et claire, dans un ciel nuageux : il semble que Teniers se soit amusé à combiner dans son paysage
le rayonnement de deux lumières opposées. Mais alors même que le peintre d'Anvers empruntait Elzheimer à
le secret de ces associations savantes, il restait Flamand dans le type de ses personnages et surtout dans leur
esprit. Il aimait à représenter des fumeurs assis dans d'obscures tabagies, des alchimistes cherchant le secret
de l'œuvre hermétique, des musiciens et des mendiants promenant au soleil leur chanson ou leur pauvreté.
Ainsi, par le caractère de son inspiration essentiellement réaliste, le vieux Teniers annonce son fils et
prépare son prochain triomphe.

Elzheimer ouvrit aussi il son disciple un monde qu'il ignorait : il lui fit faire connaissance avec la mythologie ;
mais il ne put
— étant lui-même demeuré un peu Allemand — lui révéler dans tous ses enchantements la
poétique élégance de ces déesses et de ces nymphes qui courent à demi-nues dans les forêts virgiliennes. Sans
avoir la prétention d'atteindre à la grâce, Teniers peignit des scènes mythologiques, Vénus sortant du bain,
Mercure et Argus, Vertumne et Pomone, et bien d'autres encore. Enfin, esprit accessible à toutes les
fantaisies, pinceau prêta tous les caprices, il s'amusa il imiter les anciens maîtres et devint bientôt savant
dans le pastiche.
Les biographes assurent que Teniers le père demeura auprès d'Elzheimer près de dix ans Si cette '.
assertion était exacte, il en faudrait conclure que l'artiste flamand aurait quitté Rome vers 1620, c'est-à-dire
a l'époque présumée de la mort de son ami. De retour à Anvers, il reprit la place qu'il avait quittée. On

1 Pilkington affirme toutefois que Téniers ne demeura il Rome que six ans. General Dictionary of Paintcrs. 1810, p. o71
n'a malheureusement point de données précises sur les œuvres qu'il dû produire alors. On sait seulement
a
que, lié avec les plus grands artistes du temps et surtout avec Rubens, Teniers le père continua à peindre
et se montra même très-fécond, soit qu'il eut pour son art une passion réelle soit qu'il eut à
,
pourvoir,
comme on l'a dit, aux besoins d'une famille nombreuse. Toutefois, par une fatalité doublement funeste à sa
renommée, il se trouva bientôt dépassé par Adrien Brauwer qui,
en 1631, se fit recevoir maître à Anvers,
et par son fils David, qui, l'année suivante, fut également admis à la maîtrise. Ce dernier lui servit d'abord
de collaborateur et ils tirent ensemble, pour le prince de la Tour-Taxis, les cartons d'une
vastes tenture de
tapisserie. Mais bientôt la réputation du jeune maitre devint si éclatante qu'elle absorba l'attention des
curieux. Dès lors, les biographes perdent de vue Teniers le père, et l'on
ne sait plus de lui qu'une chose,
c'est que, parvenu à l'âge de soixante-sept ans, il mourut à Anvers,
en 1649.
Le talent de David Teniers le Vieux a souffert de la diversité des maîtres dont il
a reçu des leçons et surtout
de la différence des genres de peinture où il s'est essayé. Moins éparpillé il eut été plus fort. Teniers peint
, a
dans toutes les manières et n est resté maître dans aucune. Ses tableaux religieux n'ont pas de caractère
propre : nous avons remarqué dans la Nativité une réminiscence des procédés d'Elzheimer; dans la Cène
qu'a gravée Egbert Van Panderen, il y a comme une imitation
vague du goût de François Pourbus. Lorsque
le vieux Teniers a voulu peindre des mythologies, il s'y est montré
un peu lourd. Ses meilleurs tableaux sont
ses sorciers, ses bohémiennes, enfin ses mille et une paysanneries dont le motif allait bientôt être repris
par son fils. Ces compositions ont de la gaîté, de l'esprit peut-être, mais elles n'ont pas cette coloration
argentée, cette délicatesse de touche, cette merveilleuse transparence
que tout le monde —Louis XIV excepté
a reconnu dans les précieux tableaux du peintre des kermesses flamandes. Si les campagnards de Teniers
le jeune sont charmants dans leur rusticité naïvement spirituelle,
ceux du père sont plus rustiques encore, plus
déguenillésdans leur brune toilette, plus grossièrement indiqués
par le pinceau hasardeux. Le grand roi
traitait de « magots » les paysans de Teniers le fils : s'il avait VII
ceux du vieux David, qifaurait-il dit?
P AU L MA N T Z.

MraiMiœ ira HHMdMnjbïïSo


L'indifférence des faiseurs de catalogues et la fraude des Florence. On y reconnait l'Église Santa-Maria della Impru-
marchands sont parvenues à confondre si bien les œuvres des neta Ce tableau, que le catalogue de M. de Dellis attribue il
deux Teniers que beaucoup de tableaux du père sont mis Teniers le fils, est vraisemblablement de Teniers le Vieux'
aujourd 'hui sur le compte du fils. D'un autre côté, VIENNE. .

attribue souvent à Elzheimer les compositions mythologiques


on — Tobie et l'Ange, Junon demandant à Jupiter
la métamorphose d'io (1638), Mercure endormant Argus kl..
exécutées par le vieux David. Nous n'indiquons donc qu'avec Vertumne et Pomone lid.;, Pan et une Nymphe.
une certaine réserve quelques-uns des ouvrages suivants: GALERIE LICIITENSTEIN, à Vienne.
MusÉE DE BORDEAUX. — Deux paysages, el
— Un Paysage, signé du mono- quatre tableaux de genre.
gramme dont se sont servis le père et le fils (un petit T dans LONDRES, Galerie Bridgewater,
un grand D.) — Scène villageoise.
FLORENCE.
— Un Chimiste dans son laboratoire. 1111
MUSÉE DE LILLE.
— Scène de Sabbat, un Nécromancien. Médecin assis une Bouteille à la main.
-
MUSÉE DE NANTES. Jeunes Bergers jouant
ANVERS Église Saint-Paul.
aux cartes. VENTE DU PRINCE DE CONTI, 1777.
— Vénus sortant du
— Les sept OEuvres de Bain, Des lemmes à cheval, en marche avec d'autres
Misericorde. — Cabinet de M. Moons Van der Straelen, le figures 1,'nsernble, 1,199 fr. 19 sous\
Tir à l'Arc. Un fielleux dans la campagne et un Marchand dl'
BERLIN.
DRESDE.
— Tentation de Saint Antoine.
— Une Kermesse.
i
Liqueurs. 40 liv.
VENTE DU CARDINAL FESCII Rome 1845
MUNICH. Une Grande Foire italienne dans les — Un Paysaqe.
— environs de 81 scudi.
,«) ~, .tf/a-manc/e. J^ayda^eà.

JEAN WILDENS
NE EN 1 584. - MORT EN 1053.

Lorsque Rubens, qui avait toujours ,aimé les


antiques, offrit à sir Dudley Carleton de lui donner
divers tableaux de sa main en échange de quelques-
statues de sa collection, il se mit à l'œuvre avec
une ardeur enfiévrée, car il avait hâte de posséder
les merveilles qui lui avaient été promises par le
diplomate anglais. Rubens devait lui envoyer entre
autres peintures, une Chasse au lion, une Chaste
Suzanne et Agar répudiée par Abraham. Mais, si
rapide que fût son pinceau, il allait encore trop
lentement au gré de son caprice, et l'impatient artiste
résolut alors de nrendrp un flirta nnn nnnJ>JPI;: ficmrpc
I
mais pour les paysages qui servaient de fond a ces tableaux. Il écrivit aussitôt à sir Dudley Carleton
en
(26 mai 1618): « Ho preso, secondo il mio solito,
un valentuomo nel suo mestiere a finire li paesaggi 1 ».

Cette lettre a été publiée, pour la première ;fois, par M. H. Carpenter dans
ses Mémoires sur Van Dyck, et reproduite (en
'tnglais) par M. Sainsbury; Original papers illustrative of the life of Rubens.
1859, p. 38.
Quel était l'habile homme à qui Rubens faisait ainsi l'honneur de l'associer à son œuvre ?... Si l'on songe
qu'à cette date la plupart des paysagistes flamands travaillaient encore dans une manière exacte et petite ;
si l'on considère que Van Uden, qui passe pour un des collaborateurs habituels de Rubens, n'était .alors
qu'un très-jeune homme qui n'avait pas même conquis la maîtrise, nul doute n'est possible : l'aide auquel
le grand peintre faisait appel ne peut être que Jean Wildens.
A l'époque où il se trouva ainsi associé à Rubens, Wildens avait déjà donné depuis longtemps des preuves
de son habileté. Né à Anvers en 1584, il était entré à l'âge de sept ans dans l'atelier d'un peintre peu connu,
\
Pierre Verhulst En 1604, il fut admis parmi les maîtres de Saint-Luc, et il passa bientôt auprès de ses
confrères pour un peintre recommandable, puisqu'il reçut lui-même des élèves (1610). Enfin les tableaux
qu'il peignait alors avaient appelé l'attention des graveurs, qui s'empressèrent de reproduire ses premiers
ouvrages.
Wildens, aux années de ses débuts, ne paraît pas avoir subi encore l'influence de Rubens. Il a toutes les
timidités, de cette école intermédiaire qui, pour le paysage surtout, se montre si voisine du seizième siècle.
Il est curieux d'étudier la suite d'estampes que J. NIatham, II. Hondius et André Stock ont gravée d'après
lui en 1614. Cette série de planches, qui représentent les Douze mois de l'année, révèle en Wildens un
adhérent de Josse de Momper. Il peint volontiers de grandes perspectives dont les profondeurs laissent
apercevoir des rochers et des bois perdue dans des lointains bleuâtres. Sur ces fonds, faiblement colorés, il
détache en vigueur de petites figurines naïvement spirituelles. A l'exception de Février, qui nous montre une
mascarade prenant ses ébats sur une place publique quelque peu italienne, les Douze mois sont consacrés à la
glorification des occupations ou des délassements champêtres. Le labourage, la culture des fleurs, la tonte des
moutons, les jeux des patineurs sur les étangs glacés, tels sont les motifs que Wildens a mis en scène. Les
ligures qui animent ses tableaux ont du caractère et de l'esprit; mais il nous semble douteux qu'elles soient
l'oeuvre du paysagiste lui-même ; elles sont d'un goût rustique qui fait songer aux Breughel.
Il ne paraît pas que Wildens ait visité l'Italie. La nature familière des environs d'Anvers, la vue de l'Escaut
et des vertes prairies qu'il arrose suffisaient à sa curiosité ; en outre, du jour où il y mit les pieds, l'atelier de
Rubens devint pour lui tout un monde. Pour compléter sa vie, il ne lui manquait qu'une femme : Wildens
se maria, le 12 novembre 1619, avec une jeune fille de dix-huit ans, Marie Stappaert; mais il eut à peine le
temps d'être heureux. Moins de cinq ans après son mariage, l'artiste flamand eut celte peine, amère entre
toutes, de voir mourir sous ses yeux la femme qu'il aimait (29 mai 1624). Elle lui laissait deux enfants,
Jean-Baptiste, dont l'histoire n'a pas gardé le souvenir, et Jérémie, qui fut peintre comme son pères.
Wildens était à cette époque un des familiers de la maison de Rubens. Le grand maître, nous l'avons
dit, l'employait quelquefois à peindre des fonds de paysage dans ses tableaux. Wildens y gagna d'élargir
ses procédés et d'abandonner peu à peu les méthodes patientes qu'il avait mises en pratique dans la première
partie de sa carrière; dès lors, il ne fut plus le disciple de Pierre Verhulst, mais celui de Rubens.
D'étranges choses ont été racontées au sujet d'une prétendue rivalité qui se serait élevée entre lui et son
nouveau maître. Cette absurde historiette préoccupait encore, en 1763, le peintre NIensaert, qui, visitant il
cette époque les cabinets des amateurs d'Anvers, écrit sérieusement les lignes suivantes . «M. de Lunde
nous fit voir un admirable paysage peint par Rubens, qui représente une Vue de la paroisse de
Laeken Le propriétaire de ce tableau nous dit que Rubens l'avoit peint au sujet d'un démêlé qu'il avoit
eu avec Wildens, peintre de paysages, auquel il vouloit faire connoitre qu'il étoit aussi habile maître en
paysages qu'en figures. » Pour nous, nous en avons toujours été convaincu, et il faut être bien amoureux
de l'anecdote pour croire que Wildens ait pu douter, même un jour, même une heure, de l'omnipotence

1 Nous ne savons si ce Pierre Verhulst (qui vivait ainsi en 1591) doit être confondu avec un certain Verhulst dont il est
question dans une lettre de Rubens, en 1640, et qu'il considère comme un des peintres les plus communs de la ville d'Anvers.
Ce Verhulst avait peint, d'après un croquis de Rubens, une Vue de l'Escurial (Sainsbury, p. 267).
2 Jérémie Wildens, né à Anvers en 1621 et franc-maître de Saint-Luc en 1646-1647, mourut jeune, le 30 décembre 1653. Il

ne reste de lui aucune œuvre connue.


de Rubens dans tout ce qui touchait à la peinture. Loin de là, il fut un des premiers à profiter de ses
conseils. Déjà rapprochés par l'amitié, les deux artistes se lièrent encore d'une manière plus intime lorsque
Rubens épousa, en 1630, Hélène Fourment, dont la mère (Claire Stappaert) était la parente de la femme
de Wildens. La confiance que Rubens avait en son collaborateur ne se démentit jamais, et, pour le prouver,
il suffirait sans doute de rappeler que lorsque, se sentant près de sa fin, le grand maître songea à faire

son testament (27 mai 1640), ce fut à Jean Wildcns, à Snyders et à Jacques Moermans qu'il commit le soin
de présider à la vente de sa collection de tableaux, de statues et de médailles
Wildens était lié avec tous les artistes célèbres de l'école. En 1632, il tenait sur les fonts de baptême

une des filles de Gérard Seghers. Rombouts, Corneille de Vos, Langhenjan le comptaient au nombre de
leurs amis; il a quelquefois peint des fonds de paysage dans les tableaux de chasse de Snyders; enfin
Van Dyck a fait de lui un portrait superbe. Ainsi associé à de nobles travaux et environné d'illustres
amitiés, Wildens atteignit l'âge de soixante-neuf ans, et mourut le 16 octobre 1653.
Mais si Wildens a été si bien placé dans l'estime de ses contemporains, s'il a eu en réalité le talent de
paysagiste que Rubens lui-même lui reconnaissait, comment se fait-il que ses tableaux soient si rares? Le
musée de Dresde, celui de Madrid, la galerie Bridgewater, à Londres, et les cabinets du marquis de Bute et
de M. Martin sont presque les seules collections qui renferment des œuvres de Wildens, du moins des
Œuvres tout à fait personnelles. Sans reparler des Douze mois de l'année, dont la trace s'est perdue,
qu'est devenu ce petit paysage (le Cavalier) que W. Hollar a gravé en 1650? Au dix-huitième siècle, on
admirait encore deux tableaux de Wildens dans le cabinet de l'abbaye de Saint-Martin de Tournay. Tout

1 Alfred Michiels, Rubens et l'école d'Anvers. 1854, p. 185.


cela est dispersé aujourd'hui. Wildens, on doit le supposer, avait des ambitions modestes. Peu soucieux
de s'illustrer, il s'estimait assez heureux de travailler aux tableaux de ses amis. Aussi faut-il chercher
la trace de son talent dans les paysages qui servent de fond aux peintures de Snyders, de Rombouts, de
Langhenjan et surtout de Rubens. C'est avec Rombouts qu'il s'associa pour peindre la Sainte Famille du
musée d'Anvers; et, comme la vérité nous est chère, nous devons dire que le paysage sur lequel
se
détachent les figures est, dans sa facture hasardeuse et lâchée, médiocrement honorable pour Wildens.
Il avait été mieux inspiré sans doute dans d'autres œuvres aujourd'hui perdues. Descamps et Mensaert
s'accordent à faire l'éloge de deux grands paysages qu'ils ont vus l'un et l'autre à Anvers, au couvent
des religieuses appelées « Facons » — c'est Falcons qu'il fallait écrire,
— et qui représentaient la Fuite
en Égypte et le Repos de la Sainte Famille. Les personnages étaient de Langhenjan. « Ces deux
tableaux, dit Mensaert en son étrange style, sont des chefs-d'œuvre tant pour le paysage que pour les
figures : les coloris sont très-gais, très-brillants, et le tout au mieux composé. » Quant à la part de
collaboration qui revient à Wildens dans les tableaux de Rubens, c'est un point qu'il n'est pas facile
d'éclaircir, puisqu'il est avéré que le glorieux maître s'est fait aider par plus d'un paysagiste, par Van Uden
quelquefois, peut-être par Verhulst, et que lorsqu'il voulait détacher ses figures sur un paysage superbe,
il avait soin de le peindre lui-même. Nous ne serions pas surpris, toutefois, que Wildens eût été associé
à l'exécution de la galerie allégorique de Marie de Médicis : il est surtout, au fond du tableau qui
représente Henri IV recevant le portrait de la reine, une campagne flamande qui, dans ses verdures
fraîches et lumineuses, pourrait lui être attribuée. Ce qui avait séduit Rubens dans le talent de son
collaborateur, c'est que celui-ci, dompté par l'admiration, entrait complaisamment dans sa pensée, et qu'il
subordonnait toujours le paysage aux figures qui devaient jouer le premier rôle dans les tableaux qu'ils
peignaient en commun. Le faible ressort de sa personnalité sans résistance lui permettait de se diminuer
ainsi lui-même et de s'effacer. Et il ne faut pas l'en blâmer : la meilleure gloire de Wildens, si ce mot-là
est fait pour lui, n'est-elle pas d'avoir obéi au puissant caprice de Rubens avec la docilité d'un ouvrier
intelligent?
PAUL MANTZ.

MEMMim M mMmnMs
Les renseignements que nous venons de donner sur J. Wil- GALERIE DE M. MARTIN, A HAM-COURT.
— Chasse au
dens expliquent, dans une certaine mesure, pourquoi ses Sanglier.
tableaux sont si rares. Nous n'avons donc pu réunir sur son
— Un paysage. M. Waagen
CABINET DU MARQUIS DE BUTE.
œuvre que les indications suivantes : fait observer que ce tableau, qui doit appartenir à la pre-
MUSÉE D'ANVERS.
— La Fierge et l'Enfant Jésus. Le mière manière du maître, est un peu dans le style de Breu-
paysage seul est de Wildens; les figures, qui constituent la ghel et de Roland Savery.
partie essentielle du tableau, sont de Rombouts. On sait que MADRID.
— Les Environs de Spa ; la Partie de Chasse,
cette peinture, antérieure à 1637, provient de l'église des et deux grands paysages. Dans le premier, où l'on voit des
Récollets de Malines. chaumières au bord d'un lac, des bergers font paître leurs
DRESDE. — Effet d'hiver. (Un chasseur revenant de la troupeaux; dans le second, une bohémienne dit la bonne
chasse et portant un lièvre.) Grand tableau de 10 pieds aventure à des paysans.
A pouces de large sur 6 pieds 11 pouces de haut. VENTE RUBENS (1640). Un paysage. (On sait que cette
LONDRES.— GALERIE BRIDGEWATER. Un paysage boisé, vente eut lieu à l'amiable, par les soins de Snyders, de

traversé par un cours d'eau et enrichi de figures. (Gravé dans Moermans et de Wildens.)
la galerie Stafford.) Ce tableau, d'une exécution large et libre VENTE BURGRAAFF (1811).
— Un tableau d'animaux par
et d'une coloration très-chaude, est évidemment un des Snyders, paysage de Wildens, 351 francs.
chefs-d'œuvre de Wildens.
<§>co/e fwamanc/f. Jl?oJfI?tatÍd.

FRANCOIS HALS
O
NÉ EN 1584.
— MOUT EN 1666.

Faut-il croire tout ce qu'on raconte de François Hais? Doit-on


admettre, sur la foi des historiens de l'art flamand, que ce savant
peintre, qui tint si vaillamment le pinceau; que ce maître loyal,—
le premier portraitiste de Flandre, après Van Dyck,— n'ait jamais
été qu'un vulgaire pilier de taverne, un esprit constamment perdu
dans les vapeurs de l'ivresse, une intelligence toujours vacillante
entre la débauche de la veille et l'orgie du lendemain ? Tous le
racontent, tous l'affirment, et, grâce à ces malignités unanimement
reproduites, la réputation de François Hals est si bien faite, qu!'
l'histoire semble avoir à jamais marqué sa place dans le groupe aviné
des buveurs. Sans oser nous inscrire en faux contre l'autorité d'une
tradition qui date déjà de deux siècles, nous eussions voulu étudier
de près la question et rechercher si François Hals fut réellement
l'intrépide ivrogne qu'on suppose; malheureusement, la vie de cet
habile portraitiste n'a jamais été sérieusement racontée : les dates de sa naissance et de sa mort, une
anecdote d'une authenticité douteuse, voilà tout ce qu'on sait de lui. Il appartiendrait aux érudits de
la Belgique et de la Hollande de retrouver, dans les archives locales, les éléments de la biographie
d'un artiste qui honore ces deux pays
Frans ou François Hais, que l'école flamande revendique à cause de ses origines, bien plus qu'en
raison de la nature de son talent, était né à Malines, en 1584. On ne connaît rien de sa famille ; de
son éducation première, on sait peu de chose. Toutefois, le nom de son maître nous a été conservé, et
ce détail n'est pas indifférent, puisque ce maître fut Karl Van Mander, c'est-à-dire un homme d'expérience
et de savoir. Né aux plus beaux jours du seizième siècle, Van Mander avait eu la noble maladie des
artistes de son temps: à peine émancipé, il avait couru vers l'Italie, et mêlé aux grands exemples de
Home et de Florence, il avait sincèrement étudié le style de ces deux écoles, sans cependant y pouvoir
atteindre. A en juger par son curieux tableau de l'église de Courtrai, Van Mander combinait assez
maladroitement, sous l'effort d'un pinceau pénible, le génie flamand et le génie italien. Mais, supérieur à
son œuvre, il était plein de théories excellentes; esprit lettré, il savait se servir de la plume, et il a
laissé sur la vie des peintres de son pays un livre souvent consulté. Ignore-t-on d'ailleurs que beaucoup
qui, le pinceau à la main, demeurent faibles et sans accent, peuvent être de dignes professeurs.
d'intelligents théoriciens?
Karl Van Mander était de ceux-là : aussi le jeune talent de François Hais grandit vite sous la discipline
de ce maître amoureux du beau style ; en outre, ainsi qu'il arrive souvent aux organisations vigoureuses,
Hais compléta et rectifia, par une étude assidue de la nature, l'éducation que lui avait donnée Van
Mander ; ce dernier d'ailleurs mourut en 1606; Hals avait alors vingt-deux ans. Une irrésistible force
l'entraînait vers le portrait : il suivit son impulsion secrète ; il se consacra tout entier à ce genre difficile,
et il lit si bien qu'il y acquit de bonne heure une réputation qu'une attentive enquête de son œuvre doit
plutôt augmenter qu'amoindrir.
N'oublions pas d'ailleurs quelle était, au moment où François Hals entra dans la carrière, la situation
de l'art du portrait en Flandre. Otho Venius, vieilli, restait fidèle aux pratiques anciennes; je
veux dire
que, malgré tout son savoir, il n'était pas exempt de sécheresse. La fiévre de l'allégorie le possédait du
reste si bien, qu'il ne peignait le portrait que d'une main distraite et quand il n'avait rien de mieux à
faire. François Pourbus était dans toute la force de son talent, mais déjà il avait quitté son pays, et, appelé
par Henri IV, il se dirigeait vers la France. Quant à l'école nouvelle, elle n'avait pas encore pris possession
du terrain. Rubens était en Italie, et pour Van Dyck, il avait sept ans. François liais comprit qu'il avait,
y
dans l'art flamand, une excellente place à prendre, et, sans marchander davantage, il la prit.
Avec un aussi ferme pinceau que le sien, avec son aptitude singulière pour saisir le caractère des
physionomies, il semble que F. Hais eut dû rencontrer en Flandre un succès solide et durable. Mais telle
est l'obscurité qui règne sur sa vie, qu'on ne sait rien du résultat de ses premières tentatives. Néanmoins,
il y a lieu de conjecturer qu'elles ne furent point aussi bien accueillies qu'elles auraient dit l'être,
puisqu'il
quitta la Flandre et vint, jeune encore, s'établir en Hollande, et spécialement à Harlem, qui, plus
hospitalière que Malines, fut désormais pour lui comme une autre patrie.
A quelle époque François Hais quitta-t-il son pays? il n'est
pas aisé de le dire. Nous savons seulement
qu'il peignit, dans sa ville d'adoption, le portrait d'un vieillard, Jacques Zaffius, archidiacre de l'église de
Harlem, lequel est mort en 1618. On pourrait peut-être en conclure que Hais avait quitté la Flandre avant
cette date. Une fois installé en Hollande,l'artiste flamand exécuta aussi les portraits de Herman Langelius,
(lue le texte de la gravure de Blotelingh qualifie de Ecclesiastes Amstelœdamensis et du lexicographe
,
Schrevelius, vivante effigie dont Suyderhoef nous a laissé une si belle estampe. Ainsi, François liais trouvait
aisément des occasions d'employer son pinceau; mais, d'après la légende, il ne travaillait
pas toujours,
et c'est Harlem que se seraient développés ses goûts de débauche et d'oisive rêverie. Il passait, dit-on,
les trois-quarts de ses journées dans une taverne, accoudé devant un large vidercoine, et,
sa longue pipe
il la main, il regardait vaguement, dans une muette extase, monter les spirales fuyantes d'une blanche
fumée. On assure même que le paresseux artiste ne rentrait à son atelier et ne reprenait ses pinceaux
que lorsqu'il y était contraint, par la phis stricte des conseillères, la faim. On lit partout, à propos des
méchantes mœurs de liais, et aussi de son talent, une anecdote trop caractéristique pour que nous négligions
de la rappeler à notre tour.
l'ii jour—c'était en 1630 — un inconnu, récemment arrivé à Harlem, vient frapper à la porte de François

,
liais. Le 'peintre n'était pas chez Illi mais de charitables voisins, informés de ses habitudes, vont le chercher
au cabaret le plus proche. Désolé de quitter son verre encore plein et ses joyeux camarades, Hais a quelque
peine it se déranger ; il y consent cependant et rentre chez lui. Le visiteur inconnu qui l'attendait avait
toutes les apparences d'un gentilhomme. Ses manières, sa parole ne sont pas au-dessous de l'élégance de
son costume. Il explique, de l'air le plus charmant du monde, qu'il n'a pas voulu traverser Harlem sans
connaître l'un des plus fameux peintres de la ville et qu'à la veille d'entreprendre un long voyage, il
se croirait criminel s'it négligeait d'emporter son portrait peint par une main aussi savante. Il ajoute qu'il
est pressé et qu'il veut être peint tout de suite. L'inconnu s'assied aussitôt et François Hals, dissipant en
raison de la gravité de la circonstance, les restes de son ivresse, saisit la première toile qui se rencontre sous
sa main et commence à peindre. Le noble seigneur, sérieux et digne, posait avec une impassibilité
parfaite.
Cependant Hals se hâtait; sa main était si sûre et si prompte qu'au bout de quelques heures l'effigie du
personnage vivait sur la toile. Tout fier d'avoir fait si vite et si bien, Hals se lève, appelle son modèle et lui
montre l'œuvre achevée. L'inconnu se déclare satisfait; il s'étonne naïvement qu'il soit possible de terminer
si tôt un portrait, et ose dire que la peinture ne lui paraît pas si difficile et
que, bien qu'étranger aux secrets
de cet art charmant, il se fait fort de peindre lui aussi un portrait ressemblant et fidèle. François Hals s'imagine
qu'il a affaire à un fou, mais trop sur de lui-même pour craindre un rival, il se prête complaisamment
au
caprice de son modèle; il s'assied à la place que l'élégant gentilhomme vient de quitter, et c'est celui-ci qui
s'empare de la palette et des pinceaux. François Hais ne put cacher son étonnement lorsque,
sans bouger
de place, il vit le cavalier s'escrimer lestement sur la toile et surtout attacher
sur lui le regard profond
d'un homme habitué à étudier la nature vivante. Mais quelle fut la surprise du peintre de Harlem, lorsque,
appelé à considérer l'œuvre du gentilhomme, il dut y reconnaître la main d'un grand maître? —Vous ètes
Van Dyck, s'écria-t-il en lui sautant au cou avec la familiarité d'un confrère et d'un ami. C'était Van Dyck,
en effet, Van Dyck dont la jeune renommée avait pénétré en Hollande et qui, appelé parle prince
d'Orange, n'avait pas voulu traverser Harlem sans connaître son ancien compatriote le peintre savant
,
dont il disait que, s 'il avait su fondre davantage ses couleurs, il eut été le premier portraitiste du temps.
Si l histoire est absolument vraie, nous ne saurions le dire mais
; en tout cas elle est bien trouvée, et
elle ne dément pas ce qu'on sait de Van Dyck et de son caractère. Les biographes ajoutent
que l'élégant
maître d'Anvers, qui préméditait alors un voyage à Londres, eut la générosité de proposer à François Hais
de l'y conduire avec lui. Là, du moins, le travail ne lui aurait jamais manqué:
au lieu de peindre des
bourgeois économes, de parcimonieux marchands ou de pauvres prêtres, il aurait
vu poser devant lui de
nobles dames, la fleur de l'aristocratie britannique, les princes de la maison souveraine et peut-être le
roi lui-même. L'offre était tentante, mais l'on assure que Hals refusa l'invitation de Van Dyck. Abruti
«
par le vin, dit Descamps, il répondit qu'il était heureux et qu'il ne désirait pas un meilleur sort '. »
La vérité est que Hals n'aimait pas les aventures; il avait des goûts modestes, et, content de
peu, il
.
trouvait à Harlem assez de travail pour suffire à ses besoins et à ceux de sa famille 2 Il faut dire d'ailleurs
qu'il était alors dans tout l'éclat de son talent. Nous n'en voudrions pas d'autre
preuve qu'un portrait de
jeune homme qui figure au musée de Bordeaux, et qui porte la date de 1632. Cette tête intelligente
et
lumineuse, aussi franche par l'expression que par le faire, frappe le regard
par un profond sentiment de
réalité et de vie. Aucune recherche artificielle n'en altère l'accent loyal; les lèvres s'entr'ouvrent
comme
pour parler, les yeux sont humides et vivants. Ce beau portrait, où l'on a cru à tort retrouver les traits du
maître lu.\-même, est assurément l'un des meilleurs qui soient sortis de son pinceau.
Nul doute qu'on ne doive d'ailleurs reconnaître dans François Hals, dans le prétendu héros des cabarets
de Harlem, un artiste patient quelquefois et toujours sagace, un peintre doué d'un
sens particulier pour
rendre le caractère individuel des physionomies. Voyez au Louvre le portrait de Descartes! L'œuvre n'est
pas des plus fortes, et Hals a souvent peint d'une main plus ferme et plus accentuée; mais cette peinture
est doublement curieuse, soit parce qu'elle nous conserve, sans mensonge, les traits maladifs et
presque
vulgaires d'un grand génie philosophique, soit parce qu'on y peut lire nettement le système pittoresque
de François Hals. Jamais le sincère artiste ne transigea avec la vérité, si disgracieuse fût-elle; jamais il
ne
s'égara à la poursuite d'un chimérique idéal. Descartes
— on peut, je suppose, le rappeler sans outrager

1 Descamps, Vie des peintres flamands et-hollandais, 1753, tome 1


page 361.
2 Hals s était marié avant 1630. Descamps raconte qu'en
emportant son portrait, Van Dyck (1 répandit, dans les mains des
enfants du peintre, quelques guinées que le père prit à
son tour pour les répandre dans les guinguettes.»
cette grande mémoire— Descartes n'avait reçu en partage qu'une beauté médiocre; Hals a religieusement
conservé, dans son portrait, tous les éléments d'une laideur qui n'exclut cependant ni la finesse, ni
l'intelligence. Cet ouvrage a déjà été gravé bien des fois, et c'est désormais l'image authentique et pour
ainsi dire définitive du hardi penseur tourangeau.

N'était-ce pas d'ailleurs le talent spécial du peintre de Malines que de savoir accepter avec franchise le
caractère de ses modèles et de mettre courageusement en relief le trait particulier, la singularité même
de leur physionomie? Un amateur de Paris, M. Dablin, possède de François Hals un portrait, qui, par
la hardiesse de son exécution savante, donne de l'auteur une très-haute idée. C'est l'effigie d'un militaire
hollandais, dont nous regrettons de ne pas connaître le nom, car, à en juger par l'expression énergique de
son mâle visage, par l'ardente coloration dont le soleil des champs de bataille a doré son teint, ce rude
personnage a dû se trouver mêlé aux grandes luttes de son temps. Cette peinture est traitée largement,
avec une audace libre, et qui, sûre de son résultat, s'inquiète peu de la perfection des détails secondaires.
Les mains et diverses parties du vêtement sont presque restées à l'état d'ébauche; tout l'effet, toute la
lumière, toute la vie se concentrent sur la tête qui est d'un puissant relief et semble vraiment sortir du
a
cadre. Non, l'artiste qui exécuté cette vaillante peinture n'occupe pas encore dans l'art la place à laquelle
il a droit.
François Hals, hâtons-nous de le dire, ne se borna pas à faire des portraits. Karl Van Mander lui
avait appris à dessiner. Désireux de montrer sa science, Hais peignit quelques tableaux d'histoire,
en
même temps qu'entraîné par l'exemple des artistes hollandais, et frappé sans doute aussi
par le spectacle
des choses qu'il avait tous lés jours sous les yeux, il exécuta des scènes familières. Les peintures historiques de
Hals doivent être assez rares ; mais l'auteur du Voyage pittoresquede la Flandre et du Brabant
en cite un trop
curieux exemple pour que nous ne le mentionnions pas d'après lui. Dans l'église des Récollets d'Ypres,
écrit-il, on remarque « un grand tableau qui représente la levée du siége d'Ypres
par l'intercession de la Vierge
qui paraît dans le ciel; dans le bas, on voit une palissade qui entoure la ville, qui
y fut placée
miraculeusement dans une nuit sans le secours de personne. Les officiers des assiégeants paraissent.
comme le reste de l'armée, étonnés, et se disposent il décamper. » Ce tableau de François liais, ajoute-t-il,
« bien conservé pour la couleur, est bien dessiné et d'un bon effet1. » On voyait aussi autrefois à Dell!
une composition représentant les principaux chefs de la Compagnie du Mail, personnages de grandeur
'
naturelle. « La vie et l'âme se peignent dans chaque figure », dit Papillon de la Ferté qui, il est vrai,
ne
parle de ce tableau que par ouï dire.
Quant aux scènes d'intérieur, à ces groupes de buveurs joyeusement attablés autour d'un pot de bière,
François Hals les avait sous les yeux et il pouvait les peindre d'après nature. On rencontre de
sa main.
dans les cabinets d'Amsterdam et de La Haye, quelques petites toiles de
ce genre. Parmi les meilleures,
il faut peut-être citer son piquant tableau des Béatitudes, où le sentiment du réalisme hollandais éclate
avec un esprit qui fait songer à Brauwer8. Au centre de cette composition, un buveur, plus heureux que
ceux qui l'entourent, tient des deux bras un broc où il espère trouver l'oubli de toutes peines; près de
lui se presse, la lèvre avide, l'œil en feu, un monde remuant d'enfants et de jeunes drôles qui
se
préparent à prendre leur part de cette bonne aubaine. Il y a dans cette peinture une animation singulière \
Hals a fait aussi des têtes de fantaisie. On voyait de lui au siècle dernier, dans le cabinet du comte de
Vence, un tableau représentant « Un fou qui tient une marotte. » Il semble avoir pensé à Rembrandt dans
a
le Bieur, qui été gravé par Claessens. Une autre fois enfin, Hals peignit une vieille femme qui
a auprès

1 Descanips, Voyage pittoresque de la Flandre et du Brabant, page 260 (édition de 1838).

a
Extrait de la Vie des peintres, tome Il, page 146.
3Adrien Brauwer passe pour avoir été l'élève de François Hals. Les historiens ont même raconté à
ce propos des anecdotes qui.
si elles étaient vraies, donneraient une bien triste idée du caractère du portraitiste de Matines. A
en croire ces écrivains, Hais,
après avoir pris chez lui Brauwer tout enfant, et l'avoir fait travailler avec lui, l'aurait, dit-on, accablé de mauvais traitements
et
se serait approprié, pour les vendre comme siens, les ouvrages de son élève. Brauwer, indigné, aurait fini par déserter cette maison
inhospitalière. Nous ne sommes pas en mesure de démentir ces méchants contes
; nous savons toutefois que les érudits de la Belgique
et M. Van Lérius à leur tête, ne les admettent que sous bénéfice d'inventaire. Brauwer n'est-il
pas l'un des peintres sur la vie
duquel on a fait courir les plus folles légendes ?
4 Pour se mettre en garde contre toute méprise, il convient de
remarquer que tous les tableaux de ce genre qu'on attribue à
François Hals ne sont certainement pas de lui. François eut
un frère, Dirck (ou Thierry), qui, né à Malines en 1589, et mort
à Harlem en 1656, peignit ordinairement des scènes familières, des conversations
« et des animaux en petit. » "Encyc/opeàic
méthodique, Beaux-Arts, tome II, page 58.) Pilkington le dit élève d'Abraham Bloemaert,
et en parle comme d'un maître plein
d'esprit et d'humour. Le catalogue du cabinet de M. Stevens, vendu à Paris
en 1847, mentionne de Dirck liais un intérieur
d 'al)partement, où l artiste avait représenté
un cavalier pinçant de la guitare près d'une dame qui essaie de jouer du vio)on.—
Enfin f auteur de la Notice sur Saint-Bavon attribue
au même artiste les figures d'un des grands paysages de Van Uden que
possède cette cathédrale.
d'elle un hibou. Dans cette image caricaturale, dont L. B. Coclers nous a laissé une spirituelle eau-forte,
on reconnaît comme un avant-goût de la puissante fantaisie de Goya. Peindre d'un pinceau aussi ferme,
conserver si précieusement le caractère individuel des types, se montrer si sérieux, même dans le sourire,
c'était encore faire du portrait.
Il ne faut pas croire d'ailleurs que Hals ait longtemps gardé les rapides procédés de l'école flamande.
Loin de là, il avait pris en arrivant à Harlem une manière plus attentive et- plus lente. « Il mettoit, nous
dit-on, la plus grande précision dans ses ébauches; c'étoient des études serviles de la nature, mais il

revenoit ensuite sur ce travail par des touches hardies qui cachoient toute la peine de ses premières
opérations et,donnoient à ses ouvrages une grande force et une vive expression-»
Ainsi cet ivrogne « à la vie crapuleuse, » ce « débauché abruti par le vin était à tout prendre
» un peintre
sérieux, un maître amoureux de son art, un vaillant ouvrier qui travaillait longtemps et beaucoup. Malgré
les habitudes peu réglées de sa vie extérieure, malgré ses stations plus ou moins fréquentes cabaret, François
au
Hais s'était marié. Dans un portrait, qui fait la joie et l'honneur du musée d'Amsterdam, il s'est représenté
à cote de sa jeune femme. Les deux figures se détachent
sur un fond de paysage vigoureux et charmant, et
cette œuvre, qui mériterait d'être gravée, est l'une des plus larges, l'une des plus magistrales qui soient
sorties de la main de l'auteur. Il semble que, travaillant pour lui-même et
presque pro ariset focis, l'artiste
ait eu le pinceau plus libre et plus sûr : qui sait si, dans cette simple et noble peinture, le cœur n'a pas été
de la partie ? -**

Car — il faut bfên l'avouer, — ce visiteur assidu de. tous les cabarets, il eut un foyer, il eut une famille,
Le registre de la corporation des peintres de Harlem nous a conservé le nom de trois maîtres, Franz,
Herman et Jan qui, selon toutes les vraisemblances., furenMes-1ils de François Hais. S'ils eurent du talent,
l'histoire ne le dit pas, et.aucune oeuvre authentique ne permet aujourd'hui de Jéur constituer une
renommée. Tout est mystère d'ailleurs dans ce qui touche à la vie, à la maison de François Hals. Le
, ,
seul point qui nous reste à noter, c'est que ce laborieux buveur, protégé et défendu pour ainsi dire par le
vice qui aurait dû hâter sa fin, vécut presque aussi longtemps qu'un patriarche, et s'éteignit à Harlem à
l'âge de- quatre-vingt-deux ans, le 20 août 1666. L'art du portrait -perdait en lui l'un de ses plus courageux
champions, l'un denses maîtres le plus justement admirés. La Hollande ramassa sans doute le pinceau de
l'enfant prodigue qu'elle avait adopté, et elle sut encore s'en servir dignement ; mais dans sa véritable
patrie, il n'eut point d'héritier. François Hals fut le dernier des grands portraitistes' flamands.
' PAUL MANTZ.

L'oeuvrede François Hals, dont quelques pièces seulement


ont été gravées par Suyderhoef, J. Van Velde, A. Blotelingh,
A BERLIN.— Un Gentilhomme et sa femme. - Le mari est
vêtu d'un habit noir richement brodé sur lequel se détachent
James Watson, Blackmore, A; Mathara et L.-B. Coclers, est une fraise élégamment découpée et une large décoration.
aujourd'huidispersée dans tous les cabinets de l'Europe. Nous Habillée d'une robe de soie blanche aux riches broderies, la
rappellerons qu'on voit de sa main : - dame donne le bras à son mari et tient quelques roses à la
Au LOUVRE. — Le Portrait de Descartes; main. — Au fond, un jardin.
CABINET DE M. DABLIN.
— Un militaire Hollandais. Quant au prix d'adjudication des portraits de Hals qui ont
Au MUSÉE DE BORDEAUX. — Un jeune homme. Vu de face, figuré en vente publique, nous nous contenterons de citer les
il appuie la main gauche sur la poitrine. Ce tableau,porte chiffres suivants :
l'inscription suivante : Ætatis suse 28. 1632. Franz Haals VENTE DU PRINCE DE CONTI 1777.
— Un homme et une
,
pinxit. femme qui ont un air de gaité, figures en buste de -pro-
A LONDRES (Hampton-Court). — Un Jeune garçon riant; portion naturelle ( tableau d'une authenticité contestable),
un Gentilhomme (petit portrait en,pied). 44 livrer.
(GALERIE DE LORD ELLESMERE). Une Dame portant une VENTE SOLLIER, 1781 — Portrait à mi-corps d'un êmirtl
.
large fraise. (Une note du cataloguede 1851 indique que ce ta- hollandais, 130 livres. («Ce tableau, dit le catalogue rédigé
bleau, qui a d'ailleurs été gravé dans la galerie Stafford, est par Rémy, mérite considération.»)
plutôt dans la manière de Rembrandt que dans celle de Hals.)
A BRUXELLES (Cabinet du duc d'Arernberg).
Enfants.
,- Deux
VENTE DE MADAME LANGI.IER, 1788. — Un personnage gro-
tesque, entouré de jeunes garçons, joue d'un instrument pour
avoir le' débit de ses bonbons, 370 livres.
A AMSTERDAM. — François Hals et sa femme; un Portrait VENTE DU CARDINAL FESCÏI (Rome, 1845). — tn Philo-
d'homme. sophe. Sa tête est couverte d'une petite calotte noire; il porte
A MUNICH. — Portrait de famille. Un seigneur et sa femme des moustaches et une mouche au menton; soi habillement
sont assis sous un portique dont la vue donne sur un jardin ; consiste en un pourpoint noir sur lequel se rabattent «m col de
leurs enfants jouent et s'amusent autour d'eux. chemise et des manchettes de dentelle, 77 scudi.
A FRANCFORT'.-Portraitd'un Hollandais (1638) ; portrait Portrait d'un homme coiffé d'un chapeau à Imrt/es bords,
de sa femme; une Dame hollandaise. Elle porte une collerette 138 seudi.
ronde et est assise.
&-'ole !#Íâlnandr.,%;dtO£?fe/ Së&rércufo.

GASPARD DE CRAYER
"E EN 1585. — MORT EN 1669.

Les historiens de l'art flamand racontent que, lors d'une


visite qu'il fit un jour à l'abbaye d'Afflighem dans les environs
de Bruxelles, Rubens, s'arrêta complaisamment devant l'un des
tableaux que Gaspard de Crayer venait de terminer pour le
réfectoire de ce couvent, et que, pris d'un soudain enthousiasme,
le glorieux maître laissa échapper ces paroles: « Crayer, Crayer,
personne ne vous surpassera ! » Que ces mots aient été prononcés
sous une forme ou sous une autre, qu'ils aient été dits à l'abbaye
d'Afflighem ou ailleurs, en présence de l'auteur de l'œuvre glorifiée
ou loin de lui, c'est un point dont nous laissons la décision aux
patients chercheurs de dates obscures, aux esprits inquiets des
petites choses. L'important pour nous — et pour Gaspard de Crayer
— c'est le fait réel qui se cache ici sous le voile de la légende ; c'est
qu'au plus beau moment de sa vie, le grand maître de l'école
d'Anvers ait pu faire publiquement l'éloge d'un artiste qui n'avait
pas été son élève, et qui, par une heureuse fortune, avait grandi, sans avoir reçu ses leçons, dans le
culte du même idéal1.
Et pourtant, à l'heure où Rubens disait à Gaspard de Crayer que nul ne le surpasserait, plusieurs

D'après une tradition que Mariette semble avoir empruntée au Peintre amateur et curieux de Mensaert, c'est dans les
peignaient avec une main plus savante, avec une plus ardente imagination Crayer n'était, à vrai
:
dire, qu'un habile coryphée prenant part à l'évolution de l'art contemporain,
sans être cependant
une personnalité distincte, un maître indépendant, un génie. Il ne faut voir en lui qu'un artiste d'une
expérience consommée, un producteur d'une fécondité rare. Son pinceau est large facile et joue
, avec
ln couleur comme dans son élément natif. Peintre inégal, et d'ailleurs infiniment laborieux,
Crayer
a beaucoup travaillé, et trop peut-être; mais l'histoire de son talent présente cette singularité,
que,
témoin du triomphe deRubens, il a subi involontairementl'ascendant de
ce vigoureux génie, et que, sans
avoir reçu de lui de leçons directes, il a imité sa libre pratique et ses larges façons de voir la forme
et de l exprimer par la couleur. Lorsque Rubens l'honorait de
sa louange, c'est qu'il retrouvait en lui
un disciple inconnu, un adhérent passionné, et il le remercia plus tard de cette fidélité spontanée
en
lui léguant un de ses tableaux.
Gaspard de Crayer ou de Craeyer est né à Anvers, non
pas en 1582, comme on le dit un peu
partout, mais bien en 1585, et il fut baptise le 18 novembre à l'Église Notre-Dame Le père de Crayer
cumulait deux professions : il était à la fois maître d'école et marchand de tableaux, et
son nom se
trouve inscrit à ce dernier titre sur les registres de la confrérie de Saint-Luc. Mais soit qu'il n'ait
pas
réussi dans son double métier, soit par caprice ou par toute autre
cause, le vieux Graver quitta Anvers
et vint s'établir à Bruxelles. C'est là que Gaspard fit son éducation d'artiste. Il y avait alors dans la
capitale du Brabant, un maître qui avait hérité de la renommée, sinon du talent de
son père:
c'était le fils de Michel Van Coxcyen. Né à l'heure des plus grandes ferveurs italiennes, il avait
reçu
le nom de Raphaël, et le portait assez tristement. C'est à lui
que Gaspard de Crayer demanda des leçons;
mais il se garda bien de les suivre d'une manière servile et de s'enrôler dans le bataillon attardé qui,
sans souci du génie national, persistait à imiter l'Italie déjà frappée au cœur. Crayer ne fit pas le lointain
voyage que tous les jeunes peintres faisaient alors, il ne se laissa pas séduire par les doctrines
ultramontaines que prêchait encore le vieil Otlio Venius, et, fidèle à l'originalité de
son pays et de
sa race, il resta Flamand. v
La première date que nous rencontrons dans la vie de Gaspard de Crayer est celle de
son entrée dans
la corporation des peintres de Bruxelles, en 1607. Nous ne sommes pas
en mesure de dire s'il avait déjà
à cette époque un talent bien décidé, car ses tableaux, trop rarement datés, ne nous permettent point
de suivre pas à pas les modifications et les progrès de sa manière. Du reste,
un fait significatif se produisit
alors : Rubens revint en Flandre en 1608, et dès lors toutes les intelligences, toutes les curiosités furent
entraînées par l'autorité de ses grandes allures. Crayer ne fut pas le dernier à subir cette haute influence.
Je serais disposé à croire pourtant que ses débuts furent difficiles et qu'il ne s'est pas élevé de prime saut
au point qu'il devait atteindre dans la maturité de son talent. Du moins, je trouve encore bien de
la faiblesse dans son tableau de Job sur le fumier, qui porte la date de l(ilî), et qui, après avoir
longtemps décoré Saint-Bavon, est venu, par les hasards de la guerre, prendre place
au musée de

circonstances suivantes que Rubens aurait fait à Crayer le compliment que ses biographes enregistrent
avec tant de soin :
« Rubens, dit-il, ayant été consulté sur un tableau qu'avoit peint Crayer et qu'il trouva très-beau, dit en flamand
que le coq
avoit très-bien chanté. Il faut sçavoir, pour bien comprendre le fin de ce bon mot, que Crayer, dans la langue du
pays, est une
expression particulière dont on se sert pour signifier le chant que fait le coq, et que le mot haan, que Rubens employoit dans
sa
phrase, a une double signification; que ce mot, qui veut dire un coq, signifie dans le figuré un homme qui prime les autres »
sur
(Abecedario, t. II, p. 39). Quant au tableau qui a excité l admiration de Rubens, il n est pas aisé de l indiquer d'une manière
précise. Campo W eyerman veut que ce soit la Glorification de sainte Catherine, conservée encore aujourd'hui à Bruxelles dans
l'église qui porte ce nom- Mensaert prétend que le fameux éloge a été prononcé à propos d'un tableau représentantle Roi Gaudula
chantant devant saint Benoît, qui, de son temps, se trouvait dans le réfectoire de l'abbaye d'Affl4;hem, et qui, ajoute-t-il, était
peint cdans le goût du Titien. » Dans le récit de Descamps, il s'agit, bien d'une peinture appartenant au même couvent; mais
du Centenier se prosternant aux pieds de Jésus-Christ.
1 Voir, pour cette date et pour quelques renseignements
nouveaux dont nous avons tiré parti dans cette biogrrphie, la dernière
édition du Catalogue du Musée d'Anvers: 1857, p. 224.
Toulouse. Le pieux personnage y est représenté endurant avec une patience surhumaine les injures
de sa femme. Les ligures n'ont dans cette scène de ménage qu'une expression insuffisante et
vague, et, malheureusement, la coloration abonde en tons roux , en nuances ternes et lourdes. Si
frayer ne s'était pas affranchi de ces pesanteurs et de ces vulgarités, il ne tiendrait qu'un rang
médiocre dans le groupe radieux des maîtres flamands.

Toutefois, la sympathie des connaisseurs de Bruxelles et des environs lui fut acquise de bonne heure,
et plus d'un haut personnage fit fête à ce pinceau encore hésitant. Crayer rencontra surtout un
protecteur fervent dans un prélat, un peu oublié aujourd'hui, Jacques Boonen, qui en 1617 était devenu
e\eque de Gand et qui, bientôt après, fut appelé à l'archevêché de Malines. Lettré, pieux et riche, Boonen
aimait les arts, mais il les aimait dans une mesure étroite, et d'une manière que la libre audace
de l'esprit moderne serait tentée de regarder comme intolérante. Il prisait avant tout la réserve dans
le sentiment, la chasteté dans les motifs et dans les formes. 11 poussait le zèle, disent ses panégyristes,
jusqu'à briser ou brûler de ses propres mains les statues et les tableaux qui pouvaient être une occasion
de scandale aux. yeux pudiques, et l'on assure que, pour indemniser les propriétaires des œuvres qu'il
lUI paraissait convenable de supprimer dans l'intérêt moral de son diocèse, il dépensa plus de trois mille
florins1. Boonen était donc un Mécène sévère. Il ne trouva heureusement dans Gaspard de Crayer aucune
velléité mauvaise, et c'est en effet le lieu de remarquer ici que, sauf deux ou trois occasions où il s'essaya
dans le portrait ou dans des sujets empruntés à la mythologie, l'habile artiste n'a guère consacré son
pinceau qu'à la représentation d'histoires religieuses. Ce talent particulier devint même bientôt le
principe du long succès de Crayer. D'importants travaux lui furent demandés de toutes parts, et. nul ne
saurait dire le nombre de tableaux qu'il peignit pour les églises et pour les couvents. Courtrai lui fit faire
le Martyre de sainte Catherine et la Sailite-Triîiité ; Gand et Anvers, Vilvorde et Louvain voulurent avoir
quelques peintures de sa main féconde, et les prieurs des plus riches abbayes vinrent frapper à la porte
de son atelier'. Malgré les guerres qui l'ont appauvrie, la Belgique moderne est pleine de 1'(J'mre de
Gaspard de Crayer, et l'on ne peut faire un pas dans ses églises ou dans ses musées sans rencontrer 1111
ou plusieurs tableaux de ce maître qui, aussi laborieux que Rubens, a tenu le pinceau jusqu'à sou
dernier jour.
La renommée de Crayer obtint en outre une consécration officielle. Lorsque l'archiduc Ferdinand, frère
de Philippe IV (le Cardinal-Infant), fut appelé à nruxelles comme gouverneur de la Flandre (1634), Graver
devint son peintre favori et fut même attaché au service de sa maison. Un écrivain local te désigne
comme pictor domesticus du cardinal. C'est sans doute à ce titre que, lors de t'entrée du prince à Gand,
cérémonie qui eut lieu l'année suivante, il fut chargé de peindre les deux tableaux décoratifs de l'arc de
triomphe élevé -li cette occasion dans la cité gantoise. Dans l'un, il représenta François Ier fait prisonnier
à Pavie; dans l'autre, la descente de Charles-Quint en Afrique : double flatterie adressée au
gouverneur
espagnol. On sait aussi qu'il fit le portrait de l'archiduc, et que, cette peinture ayant été envoyée à
Philippe IV, celui-ci fut si satisfait que, pour témoigner sa reconnaissance au peintre, il lui fit don d'une
chaîne d'or ornée d'un précieux médaillon, distinction enviée que les souverains accordaient quelquefois
aux grands artistes, et qui devait être, au dix-septième siècle, le plus hauf degré de la faveur, puisque les
historiens se montrent si soigneux de constater ce fait toutes les fois qu'il s'est produit
au bénéfice des
peintres dont ils nous ont conservé la vie.
S'il en faut croire le témoignage des biographes, et notamment de Descamps, l'œuvre qui valut il
Crayer cette marque de bienveillance, était un portrait « en pied et de grandeur de nature. Il résulte de
»
cette indication que Crayer a dû peindre plusieurs fois l'archiduc Ferdinand, puisque l'on conserve
au
Louvre un exemplaire d'un portrait autrement composé. Ici l'Infant est représenté à cheval; il est revêtu
d'une armure sur laquelle une écharpe d'un ton rougeatre est placée en sautoir; il le front découvert,
a
et, la main appuyée sur un bâton de commandement,il monte un de ces genets d'Espagne
que les peintres
du temps semblent avoir pris à tâche de défigurer pour les rendre plus élégants et plus tins. Crayer
a
franchement sacrifie au goût a la mode : la tête busquée du cheval de l'archiduc est démesurément petite.
Dans son ensemble, le portrait du Cardinal-Infant a une belle prestance et
une noble allure; l'exécution
en est large et facile; mais, si bien disposé qu'on soit en faveur de Crayer, il est impossible de ne
pas
reconnaître, que dans ses grands portraits d'apparat, il demeure bien au-dessous de Van Dyck.

Castitatis tantus amator, ut statuas, picturas et imagines obscaenas propiis manibus confringens
« sicpius igni injecerit, et
ut ex aliorum manibus sine strepitu eriperent.ur, supra tria florenorum millia contulerit. Swert, Necrolonium,
» Inn, f). 83
«Gaspard de Crayer, dit Florent Lecomtp. se donna
une manière dans ses ouvrages qui lui en attira beaucoup pOI:r les
principales églises et abbayes des Païs-Bas. On voit en celle de Vicoigne
quatre pièces de quinze pieds de haut enchâssées dans
un ouvrage de marbre, qui représentent les différons mystères de la Passion : il a peint dans l'abbaye considérable de Saint-Denis.
près de Mons. entr autres sujets, le martyre de saint Denis portant tête dans
sa ses mains, dont les yeux pêlroissent. encore être
en mouvement, tant il y a de vivacité dans toutes les parties » Cabinet des singularités, t. Il.
p. 264.
Gaspard de Crayer jouissait à Bruxelles d'une situation excellente; ce même Van Dyck, qui aurait pu être

son rival, était son ami et lui avait donné place dans cette série de nobles effigies qui devaient immortaliser
ensemble et le peintre et ses modèles; le travail et la gloire arrivaient à la fois à l'artiste, qui était, en outre,
devenu archer dans la garde noble du gouverneur. Et cependant cette existence occupée et peut-être
un peu dépendante, avait ses ennuis et ses misères secrètes. Gaspard de Crayer résolut, ainsi que récrit
Descamps, de « se dérober au grand monde qui lui faisoit perdre le plus précieux de son temps. Sans rien
dire il personne, ajoute-t-il, excepté à son ami et son élève Jean Van Cleef, il fit louer une maison
spacieuse il Gand, où il se retira, abandonnant la cour et l'emploi dont on l'avoit gratifié.»
Cette désertion, dont Descamps oublie de nous donner la date, n'est peut-être pas un de ces faits positifs
qu'on doive regarder comme acquis il l'histoire. La vie de Crayer est trop mal connue pour qu'on puisse
dire encore quand et comment il quitta Bruxelles. Ce qui est certain, c'est que le Cardinal-Infant étant
mort en 1641, il serait possible que Crayer, qui perdait en lui un protecteur dévoué, eut profité de cet
événement pour disposer à sa fantaisie de son talent et de lui-même. Florent Lecomte nous apprend
cependant que « l'archiduc Léopold ayant été fait gouverneur des Pays-Bas, lui continua ses appointements,
sur le rapport qu'on lui fit de sa capacité et de sa probité, et l'employa il divers ouvrages.» C'est
évidemment de ce côté qu'est la vraisemblance. Quoiqu'il en soit, Crayer ne trouva pas il Gand le repos
qu'il cherchait. Il contribua puissamment à la décoration des églises de la ville, puisqu'on un très-court
espace de temps, il ne fit pas moins de vingt-un tableaux d'autel. Les communautés religieuses pour
lesquelles il n'avait pas encore travaillé s'adressèrent à lui. Le moment d'ailleurs devenait excellent pour
Crayer, car Bubons venait de mourir (1640), et Van Dyck allait aussi suivre son maître dans la tombe
(9 décembre 1641). Gaspard allait donc être, avec Jordaens, l'un des plus fidèles représentants des
méthodes que l'école d'Anvers avait mises en honneur. Ajoutons enfin que ce temps est celui de sa plus
grande force : je n'en voudrais pour preuve que la Notre-Dame du Rosaire du musée de Valenciennes,
précieuse peinture qui porte la date de 1641, et qui, par l'éclat lumineux des carnations, la fraîcheur du
coloris et la fierté du pinceau, est vraiment digne d'un héritier de Bubons.
Des qualités pareilles brillent dans les productions réussies de Crayer, notamment dans la Conversion de
saint Hubert (église Saint-Jacques à Louvain), dans l'Adoration des bergers (musée d'Amsterdam), dans
l'Édiicatioîi de la Vierge (musée de Nantes). Mais de toutes les œuvres que nous avons
vues de lui, celle
qui a laissé en nous le meilleur souvenir, c'est un modeste ex voto conservé à Bruxelles, le Chevalier
Donglebert et sa femme en adoration devant le Christ mort. Le cadavre du crucifié n'est peut-être qu'un
accessoire dans cette peinture, mais les deux figures agenouillées du chevalier et de sa compagne sont
des portraits admirables, des effigies pleines d'onction, de caractère, d'intimité. Point d'artifice ici, point
de manière ; tout est sacrifié aux têtes qui sont singulièrement lumineuses et vivantes. Bien de plus
simple par le sentiment, rien de plus loyal par l'exécution.
Si j'insiste sur YEx voto du musée de Bruxelles, c'est que les qualités qu'on y admire ne se rencontrent
pas réunies il un si haut degré dans la plupart des œuvres de Crayer. Soit qu'il fut pressé de produire, soit
que, trop aisément satisfait de lui-même, il peignit souvent de pratique, il a peuplé les églises de Flandre
de grands tableaux qui, de loin, sont pleins de fracas et de tumulte, mais qui, examinés de plus près, ne
contiennent aucune émotion réelle. Crayer était, à n'en pas douter, un tempérament vigoureux, un de
ces vaillants ouvriers qui n'ont pas besoin de repos, et qui, après douze ou quinze heures de travail,
demandent il travailler encore; aussi n'eut-il point de vieillesse. A voir son tableau du Martyre de
saint Biaise conservé aujourd'hui au musée de Gand, qui se douterait que cette violente peinture est
1 œuvre d'un pinceau plus qu'octogénaire? Dans l'agitation excessive des attitudes, dans le laisser-aller du

dessin, dans l'ardeur exagérée de la coloration, ne serait-on pas plutôt disposé à retrouver la fougue d'un
talent jeune qui jette librement sa gourme et qui plus tard deviendra sage?
Mais le Martyre de saint Blaise fut le dernier tableau de Crayer, et, quand bien même il eut voulu se
corriger, la mort ne lui en aurait pas laissé le temps. Toujours valide et courageux, il méditait des œuvres
nouvelles, lorsque le 27 janvier 1669, son pinceau lui tomba des mains pour toujours. Le laborieux artiste
fut enterré à Gand dans l'église des Dominicains.
Gaspard de Crayer, nous l'avons dit, n'a guère peint que des tableaux empruntés à la légende catholique
ou d'assez rares portraits; mais, deux ou trois fois, dans des jours d'oubli, et lorsque'le pudique Boonen
ne le regardait pas, il a essayé de demander à la fable un peu de sa poésie et de sa grâce. On connaît de

lui dans ce genre Hercule entre la Volupté et la Vertu et la Danse des Nymphes. Ces
compositions sont
infiniment curieuses, en ce sens surtout que, par le galbe des femmes qui montrent
y sans voile leur
robuste nudité, on voit avec évidence combien peu Crayer avait sacrifié
au goût italien et avec quelle
persistante fermeté il était demeuré fidèle au naturalisme flamand.
Aussi, et bien qu'il n'ait pas traversé, comme la plupart des maîtres de
son temps, le fécond atelier de
Rubens, Gaspard de Crayer appartient par
ses tendances et par son œuvre aux plus beaux temps de
l'école d'Anvers. Il aime avec passion la couleur, il se complait dans la splendeur des carnations
lumineuses, il rend avec une largeur presque magistrale les étoffes aux plis flottants, il est fou du
mouvement et de la vie. Homme habile, mais trop peu en défiance contre sa facilité, s'il a fait des
tableaux excellents, il en a fait plusieurs qui, dans leur richesse apparente, sont pauvres et vides. Etudiez-le
donc dans ses peintures réussies, dans ses œuvres raisonnées, attentives, loyales. A ce titre, il est, lui aussi,
l'honneur d'Anvers; il demeure l'une des gloires de son pays et de son temps. Dans le noble défilé des
coloristes de l'école flamande, Rubens s'avance le premier; Van Dyck et Jordaens le suivent en se donnant
la main. Derrière eux s'agite toute une armée, multitude fourmillante et un peu confuse. Regardez bien
cependant : au milieu de ces soldats qui portent un uniforme pareil, et qui vont du même pas, il en est un
qui se distingue des autres et qui tient son drapeau d'une main plus ferme. C'est Gaspard de Crayer.
PAUL MANTZ.

ISOIMIE M HHM(EMH(DMo

Gaspard de Crayer appartient à cette forte race d'artistes Dominicains ; il porte l'inscriptionsuivante : 1668; œtatis 86).
qui étonnèrent le dix-septième siècle par l'abondance d'une Cette date semhleraitdonner raison il Descamps et aux histo-
production incessante. Il a yraiment passé sa vie le pinceau riens qui, comme lui, font naître Crayer en 1582. Les auteurs
à la main; aussi ses œuvres sont-elles si nombreuses, qu'il du catalogue du Musée d'Anvers n'ont pas cru cependant
serait impossible d'en dresser un catalogue. Bien que la Bel- devoir s'arrêter à cette difficulté, et la date du baptême du
gique en ait gardé la meilleure part, nous retrouvons un peu peintre (1585) leur paraît être, ainsi que nous l'avons dit,
partout des tableaux de ce fécond artiste. celle de sa naissance.
MUSÉE DU LOUVRE. La Vierge et l'enfantJésus adorés par LOUVAIN (Église Saint-Jacques).Conve1'siondesaintHubert.desaint Hubert.
plusieurs saints, Saint Augustin en extase (est gravé ci-dessus On sait que dans ce tableau le paysage a été peint par Van
page 51. Portrait équestre du Cardinal Infant. Artois, et les animaux par Sneyders. (Mensaert, 1.1, p..274.)
BORDEAUX.L'Adoration des bergers. AMSTERDAM. L'Adoration des bergers, Descente de croix,
DIJON. Assomption de la Vierge. Ecce Homo.
LILLE. Martyrs enterrés vivants, la Pêche miraculeuse. VIENNE. La Vierge entre saint Augustin et sainte Catherine.
LYON. Saint Jérôme dans le désert. MUNICH. Ex Voto. Dans la partie supérieure du tableau, la
NANCY. La Peste de Milan. Vierge glorieuse entourée de plusieurs saints ; au bas, divers
NANTES. L'Éducation de la Vierge. personnages, parmi lesquels la tradition veut reconnaître
TOULOUSE. Job sur le fumier. (Ce tableau est vraisembla- Crayer, sa femme et d'autres membres de sa famille.
blement le même que celui qui est désigné par Mensaert Par une singularité qu'il n'est pas facile d'expliquer, Gas-
comme ornant l'une des chapelles de Saint-Bavon, à Gand.) pard de Crayer a été très-peu gravé. Le cabinet des estampes
VALENciENNES. Notre-Dame du Rosaire (1641), la Made- de la Bibliothèque impériale ne possède que quelques pièces
leine repentante. d'après lui. Parmi ces planches, on peut mentionner : un
ANGLETERRE. Cabinet de lord Northwick, à Thirlestaine- Christ ressuscité,gravé par F. Landerer; le Prince Charles de
House. Six figures de femme dansant autour d'un arbre. Lorraine, par Pierre de Jode; une Sainte Famille, par Van
ANVERS (Musée,). Élie au désert. Schuppen; le Martyre de saint Blaise, par F. Pilsen, et quel-
Église Saint-Paul. Vision de saint Dominique, le Christ ques estampes modernes, telles que Hercule entre la Volupté
mort soutenu par saint Jean, la Madeleineet les anges. et la Vertu, gravé par Trière, etc.
Cabinet de M. de Wasme. Hérodiade tenant la tête de saint Les dessins de Crayer sont assez rares. M. de Julienne
Jean Baptiste. avait de lui une Tête de vieille femme, à la pierre noire,
BRUXELLES (Musée). Vocation de saint Pierre, Assomption lavée à l'encre et rehaussée de blanc. Le prince de Ligne
de sainte Catherine, Apparition de la Vierge à saint Bernard, possédait quatre dessins du maître dans le précieux cabinet
Martyre de saint Blaise (ce tableau, qui était à l'abbaye de Dili- dont le catalogue a été dressé par Bartsch : l'Enlèvementdes
lighem,est gravé ci-dessus, p. 7.), Conversion de saint Julien, le Sabines, le Martyre de saint Lievin, Sainte Élisabeth et
ChevalierDonglebert et sa femme en adorationdevantleChrist saint Jean à genoux devant l'Enfant Jésus et Jésus-Christ
mort, Saint Antoine et saint Paul ermites, Martyre de sainte apparaissant à une religieuse.
Apolline,Des Anges parant la Viergeet quatreautres tableaux. VENTE DU COMTE DE FRAULA, Bruxelles 1738. Assomption
Église Sainte-Catherine.Glorification de sainte Catherine. de la Vierge. — 240 florins.
GAND (Musée). Tobie et l'ange, le Jugement de Salomon, VENTE DU PRINCE I)E HUBEMPRÈ. Bruxelles 1765. Diogène
les deux tableaux de l'arc de triomphe érigé à Gand en 1635, et Alexandre. — 420 florins.
Sainte Rosalie, Saint Jean à Pathmos, la Résurrection, Tête VENTE DU CARDINAL FESCH (Rome. 1845 ). Madeleine
de femme. Saint Simon Stock recevant le scapulaire, le repentante. — 40 scudi.
Martyre de saint Blaise (ce tableau provient de l'église des G. de Crayer signait ses tableaux des marques ci-après :
Scafe &/amanc/fi SfciJâowc, c2?{)ifljf{{{tf

CORNEILLE DE VOS
NI-: V !: K s l'Isa. — MO HT I;x H;5l.

Le curieux quiaurait l'imprudence d'étudier dans les récits


des biographes la vie et le talent de Corneille de Vos se
verrait exposé il d'étranges méprises. Les livres en effet ne
donnent, que des renseignements incomplets ou inexacts sur
J'
ce maître, à qui la critique moderne aura eu honneur de
l'aire une tardive renommée. Par suite d'une similitude de nom
qui lui a été fatalt), Corneille de Vos a été cont'ondu,
nun-seutement avec son frère, mais encore avec un autre
artiste qui n'était même pas de sa famille. -'Tari!'He, dont
la sagacité est pourtant toujours en <''vei!, semble se troubler
en présence de tous ces de Vos; Descamps, qui a du reste
t'erreur si facile, embrouille tout à fait la question. Sa faute,
principale est d'avoir identifié Corneille avec Simon de Vos,
et d'avoir, surtout dans son Voyiuje (,ji Ulamlre, attribué au
second de ces maîtres des tableaux qui sont l'œuvre du
premier, et qu'il met d'ailleurs il côté de « ce que Van Dyck
n lait de mieux. » Et il nous semble que l'honnête académicien de Rouen a montré quelque légèreté en IOill.
''ee). puisque les ouvrages de Corneille de Vos sont pOlir la plupart signés tout au loug, en belles majuscules
ténèbres, et nous
admirablement lisibles. Quoi qu'il Pli soit, la lumière aujourd'hui s'est laite dans ces
Simon de Vos — rendre il Corneille ce qui lui appartient. Le
pouvons -- ait risque de diminuer un peu
fin coloriste, n'est donc pas
catalogue du musée d'Anvers, qui nous permet de replacer à son rang ce
seulement une œuvre de science, mais aussi une oeuvre de justice.
Corneille de Vos est né vers 1585 — la date est douteuse encore -
à Ilulst, s'il en faut croire Iloubraken,
Papebrochius. En tout cas, c est à Anvers
à Alost, si l'on s'en rapporte à l'affirmation plus vraisemblable de
plus jeune que lui, Paul de
qu'il s'est formé, et sa manière est essentiellement flamande. Il avait un frère
Marguerite, qui épousa
Vos, qui devint un habile peintre d'animaux et de sujets de chasse, et une sœur,
Remeeus n'est pas
plus tard François Snyders. En 1599, Corneille était élève de David Remeeus. Ce
cathédrale d'Anvers 1, mais nous
tout à fait un inconnu; nous savons qu'il avait travaillé en 1594 à la
devint doyen de Iii
n'avons aucune information sur son talent. Reçu maître en 1 608 , Corneille de Vos
communauté des peintres en 1619. Deux ans auparavant, il avait épousé Suzanne Cock, dont il eut six enfants.
11 forma plusieurs élèves, entre autres Jean Cossiers et
Simon de Vos, avec lequel il est si souvent confondu;
enfin, il mourut à Anvers le !) mai 1651.
celle d'un artiste qui,
C'est là, à vrai dire, tout ce que nous savons de la vie de Corneille de Vos. C'est
retiré dans son atelier laborieux, loin des bruyantes aventures, n'a pas eu l'honneur, périlleux souvent,
d'attirer sur lui l'attention des biographes. Mais, à défaut de données romanesques ou anecdotiques, il nous
de son pinceau,
reste plusieurs pages de son œuvre, témoins fidèles qui nous disent quelles furent la prestesse
édifier sur les
la dignité consciencieuse de son talent. Une visite au musée d'Anvers peut suffire pour nous
véritables mérites de ce maître, que la France connaît trop peu.
dans ce
Et d'abord, Corneille de Vos est un admirable portraitiste. Anvers possède son chef-d'œuvre
corporation de Saint-Luc, celui-là même
genre, la parlante effigie d'Abraham Grapheus, le messager de la
dont les peintres de l'atelier de Rubens semblent s'être complu à reproduire à l'envi la curieuse
figure.

A celui qui a pu voir une fois ce vivant portrait, on peut prédire qu'il s'en souviendra toujours.
Dans le
tableau de Corneille de Yos, Grapheus, vieillard aux cheveux grisonnants, à la laideur sympathique, apparaît
vêtu de noir, et portant sans solennité la fraise empesée du temps de l'archiduc Albert. Il est debout
devant une table où sont posées des coupes d'or et d'argent, scintillantes orfèvreries gagnées par la
communauté dans ses luttes avec des associations rivales. Lui-même, il est paré comme une châsse, car sa
poitrine est couverte de médailles et de plaques reluisantes. Malgré 1 etrangete de cet accoutrement, le
portrait de Grapheus est plein d'intimité et de bonhomie; la nature y parle seule, et tout haut, car Corneille
de Vos n'était pas de ceux qui, en présence d'une individualité franchementaccentuée dans sa
laideur, se
perdent dans les subtilités de ridéal. C'est d'ailleurs une peinture précise, solide, sobre, sans grande
intensité dans le ton, sans violence dans la touche, telle enfin qu'on devait 1 attendre d un artiste qui, sans
doute, était plus jeune que Rubens, mais qui était entré dans l'art avant Jordaens, avant Van Dyck, avant
Corneille Schut, et qui, dans sa manière exacte et rigoureuse, n'était pas encore complètement émancipé.
Les mêmes qualités de vérité et de lumière se retrouvent dans les deux volets d un tableau, aujourd
'liui

disparu, qui représentait probablement un ex-voto pareil à ceux qu'on avait coutume de placer dans les
églises. Des deux volets conservés, le premier montre un père avec ses cinq fils ; le second, une mère
prie-Dieu, joignent
avec un nombre égal de jeunes filles. Toutes ces figures, agenouillées devant un
dévotement les mains comme dans les tableaux naïfs des âges précédents. Car, il faut bien le remarquer,
Corneille de Vos garda souvent dans la disposition de ses sujets quelque chose des modes anciennes. 11
semble toutefois s'être plus hardiment affranchi de la tradition dans le tableau qu 'il peignit en 1630 pour
le monument funéraire de Nicolas Snoeck et de sa famille, placé jadis à l'abbaye de Saint-Michel. Cette

(1) A. Michiels, Rubens et l'école d'Anvers, p. 564. Peut-être n'est-il pas inutile de rappeler ici que c'est un certain David
inédites
Remeeus qui fut chargé de dorer, en 1615, le cadre du tableau de Rubens, la Descente de croix. E. Gachet; Lettres
de Rubens, p. \vu.
composition représente saint Norbert recueillant les saintes hosties et les vases sacrés cachés par les
habitants d'Anvers pour les soustraire aux profanations de l'hérésiarque Tankelm. A droite du tableau,
qui se développe dans le sens horizontal comme une frise, le saint abbé, accompagné d'un groupe de
religieux, reçoit les calices et les ostensoirs qu'on dépose à ses pieds; à gauche, d'autres personnages
agenouillés lui présentent divers ornements d'église que leur piété a préservés du contact d'une main
hérétique. Sans affecter une disposition symétrique, la composition s'arrange savamment dans le cadre et
présente au regard l'aspect d'une scène à la.fois mouvementée et sévère; la coloration, où abondent les
tons elairs et frais, est harmonieuse dans sa douceur; la tête du saint et celles des autres personnages sont

marquées d'un cachet très-individuel : ce sont évidemment des portraits; et c'est sans doute à cause de ce
caractère d'intimité et de vie qu'après avoir décrit ce tableau, Descamps résume ainsi son opinion: «Ce
n'est pas exagérer que de l'égaler à ceux qui ont fait la réputation de Van Dyck1. »
La valeur de Corneille de Vos comme portraitiste ne paraît pas d'ailleurs avoir été méconnue de ses
contemporains. Malheureusement,ce point a été fort obscurci par les écrivains qui ont confondu Corneille
avec Simon de Vos. Mariette est curieux à entendre à cet égard. « On assure, dit-il, que Rubens, ne pouvant
suffire aux différents ouvrages dont il s'étoit surchargé, renvoya plus d'une fois à Simon de Vos des personnes
de considération qui avoient voulu être peintes par lui, en leur disant que ce peintre le valoit et qu'il
feroit tout aussi bien qu'il le pourroit faire. » Mais à peine le judicieux Mariette a-t-il écrit ces lignes

(1) Voyage en Flandre et en Brabant,'p. 164.


qu'il se reprend aussitôt : « Cela étoit vrai, ajoute-t-il, mais ce que je remarque ici ne doit-il pas plutôt
être mis sur le compte de Corneille de Vos? » Eh bien ! toute vérification faite, il ne nous parait pas
douteux que si Rubens a dit le mot qu'on lui prêle, s 'il a jamais envoyé des « personnes de considération »
à Simon qu'il a dû les adresser. Simon était
pour se faire peindre chez un de Vos, c'est à Corneille et non
moins de réputation que lui et moins de
encore fort jeune à cette époque; élève de Corneille, il avait
talent; en outre, il ne paraît pas qu'il fut portraitiste de profession. Corneille de Vos était du reste un
des adhérents les plus directs de Rubens, un ami de ses plus glorieux élèves. Beau-frère de Snyders,
qui avait épousé sa sœur, lié avec Wildens dès 1620 et peut-être avant, il avait aussi des relations
amicales avec Van Dyck, qui n'a pas manqué de donner place à son effigie dans sa galerie triomphante.
Enfin, les portraits de Corneille de Vos étaient de ceux que Rubens devait aimer: l'éclat lumineux des
chairs, la distinction des physionomies, la grâce vivante des attitudes, n'étaient-ce pas là les qualités
que le grand maître cherchait lui-même ? Corneille est bien de son
école sur ce point, et un connaisseur
exercé, M. Burger, n'a-t-il pas été jusqu'à dire que « ses beaux portraits pourraient être attribués a
Hubens? » C'est aussi l'avis de M. Viardot, qui, dans ses Musées d'Espagne, parle avec une égale admiration
des grandes compositions de Corneille, notamment du Triomphe de Bacchus, qui tient si dignement sa
place parmi les chefs-d'œuvre du musée de Madrid.
Ainsi, qu'on le considère comme peintre d'histoire ou comme portraitiste, Corneille de Vos est lié par les
plus intimes attaches à la puissante école d'Anvers. Mais, s'il faut tout dire, et malgré les autorités que
d'Abraham Grapheus
nous venons de rappeler, il nous semble que, si l'auteur du Saint Norbert et du portrait
se rapproche de Rubens par les tendances de son talent, et, pour ainsi
dire, par son idéal, il s'en éloigne
timide. Ses formes ont moins
par la réserve volontaire ou fatale de son tempérament plus débile et plus
de relief, son dessin a-moins d'accent, le jeu de ses lumières et de ses ombres a moins de puissance. Et
lorsque nous songeons à la tendresse parfois exquise de son pinceau, aux finesses de ses colorations
argentées, nous croyons être bien près de la justice en plaçant Corneille de Vos entre Van Dyck et Gaspard
de Graver.
PAUL MANTZ.

MŒlBMilOS MlDlIffiMlIMS
A'\vi;K-. ÉULISE Nonu-DAME. Le Christ descendu de la Saint "\o/'be/'t recueillant les hosties (lGJO). Ce tableau.
croix, triptyque. Sur les volets, les portraits du peintre Jean qui provient de l'ancienne abbaye de Saint-Michel, est com-
de Wael et de sa femme. Cette peinture était autrelois a paré par Descamps il un Van Dyck. Il est gravé, pour la
Saint-André. Descamps, qui l'attribue it Simon de Vos, la première fois, à la page 3 de la présente notice.
considère comme un très-beau tableau
«
it égaler it ce que L'Adoratio/l des Ma.llcs, et ses deux volets représentant
Van Dyck a fait de mieux. » Guillaume Van Meerbeeck et sa femme Barbe Kegelers (pro-
Mus l'ai. Portrait d'Abraham Graphcus, signé et daté 1620 venant de la cathédrale).
<j)rovcnant de l'ancienne Académie d'Anvers). BERUN. Portraits el'un gentilhomme et de sa /'f'yMmp.
Portraits de famille (ex-voto). Deux volets réunis aujour- MADRID. Triomphe de Bacchus; Apollon et le serpent
d'hui dans un même cadre. Pi/thon; Vénus sortant de l'(:nunc de la mer.
Le T'œu a la Vierge. Un jeune homme vêtu de gris est VIENNE. Le Baptême de Clovis.
agenouillé devant une madone : derrière lui on voit quatre VENTE LEROV D'ÉTIOLEES (février 1861). Portrait d'lm
autres personnages en prière. homme avec son fils, signé et daté 1626, 4,000 francs. —
Portraits d'homme et de femme à genoux devant ["(futel Ce tableau provenait de la collection de lord Northwick,
de la rierge. vendue en 1859, et il avait été souvent attribué à Rubens.
Sce/fl !71itlllttjZdr. Sfn/ertctird c/'&aâded.

HENRI VAN STEENWYCK


NE VERS 1589. — MORT EN 1638.

On a souvent confondu Henri Steenwyck le fils avec son père, à


cause de la similitude de leurs prénoms et de la ressemblance de
leurs tableaux. Celui dont nous donnons l'histoire et le portrait est
Henri Steenwyck le fils, né à Francfort en 1589, mort à Londres
en 1638, le plus habile des artistes qui portèrent son nom. C'est le
pinceau de Van Dyck, traduit par l'élégant burin de Paul Pontius,
qui a transmis à l'impérissable génération des amateurs la figure
intelligente, fine et noble du meilleur des peintres de perspectives.
Au premier abord, il semble que rien n'est plus contraire au
génie de la peinture que la reproduction des édifices, à moins
qu'on ne les considère comme un simple accessoire. En un rang
secondaire, dans les paysages de Claude, par exemple, dans les
graves compositions du Poussin, les fabriques jouent un rôle imposant; elles interrompentles lignes onduleuses
du paysage, et lui impriment un caractère auguste en y mêlant le souvenir des grands peuples qui ont écrit
cil marbre leurs pensées. Mais si l'architecture est un
élément riche et fécond, quand on en use avec goût et
sobriété, il répugne à l'esprit qu'un art soumis a la règle impérieuse des mathématiques puisse devenir l objet
principal d'un tableau. Quelle distance, en effet, entre la fantaisie et l 'exactittidel Et comment dévorer
l'immense intervalle qui existe entre l'inspiration du peintre et le compas du géomètre? Cependant, il s est
trouvé des artistes capables de nous intéresser avec de simples perspectives,et d 'associei l 'éqtierre à la poésie.
De même qu'un seigneur opulent désire avoir, sous divers points de vue, le portrait de son château et
des paysages qui l'environnent, de même les habitants des pays catholiques, au xvne siècle, vouaient aux
,
pierres de leur église un culte de vénération , d'amour et d d'liabitiide le culte du propriétaire pour sa
chose. Le fidèle s'attachait particulièrement à la cathédrale dont les cloches avaient sonné son baptême, a
la chapelle où il s'était marié plein d'émotion et de jeunesse, à la nef qui, non loin de tel pilier, renfermait
la tombe de ses aïeux. Pour le fervent dévôt des Pays-Bas, toujours Espagnols, l'église de la paroisse
devenait l'église du cœur. De là naquit sans doute cette branche de la peinture dont l'objet fut la perspective
des temples gothiques. On voulut posséder chez soi la vue exacte de Sainte-Gudule de Bruxelles, de
Saint-Jacques d'Anvers, la chapelle des Dominicains de Malines, le choeur de Saint-Bavon de Gand.
Sans sortir de son cabinet, le pieux amateur put assister aux pompeuses cérémonies du salut, aux vêpres,
au sermon, ou même à la modeste homélie qu'adresse l'humble vicaire aux
catéchumènes, en une chapelle
latérale, à la lueur de quelques flambeaux, quand le reste de l'église est désert et sombre.
Tels sont, en effet, la plupart des tableaux de Steenwyck. On retrouve à leur aspect tous les sentiments
qu'éveille dans l'àme du chrétien la contemplation des basiliques du moyen âge, toutes les pensées auxquelles
semblent répondre les formes de l'ogive, l'élan des sveltes colonnes montant jusqu'à la voûte comme des
tiges de peupliers; tout le côté moral, enfin, de cette architecture inspirée par la foi et l'amour. Le plus
souvent, on entre dans les tableaux de Steenwyck par le grand portail; c'est-à-dire qu'on voit fuir devant
soi la nef du milieu jusqu'au maître-autel, qui tantôt se dessine à travers les dentelures du jubé, tantôt
laisse voir les apprêts du sacrifice, le missel, les blanches nappes et les cierges allumés. Mais afin d éviter
l'égalité parfaite des parties droites avec les parties gauches, le peintre a eu soin de placer son point de
vue plus près d'un pilier que de l'autre, de manière à remplacer l'ingrate
symétrie du parallélisme par une
disposition qui dérange agréablement les contours, donne lieu à des projections imprévues et intéresse les
regards. Combien de goût et de sentiment n'y faut-il pas! Pour peu que l'artiste ait dérangé son chevalet,
l'impression change, les accidents de l'architecture varient. Telle lampe encore allumée sous la voûte d'une
chapelle silencieuse aurait été cachée par un pilier, si le peintre eût fait un pas de plus, un pas de moins;
telle femme qu'on aperçoit là-bas, priant dans la pénombre et penchée sur sa chaise haute, aurait disparu.
La vie de Steenwyck ne présente aucun incident remarquable, si ce n'est un voyage qu'il fit à Londres
à l'époqne où son compatriote Van Dyck y était en grande faveur. Accablé de travaux, Van Dyck fut
ravi de trouver dans l'excellent peintre de perspectives un artiste capable d'ajouter à ses tableaux des
fonds d'architecture. Par exemple, dans les magnifiques et divers portraits de Charles Ier et de la reine
Henriette, vrais tableauxhistoriques, ce fut Steenwyck qui peignit le château de^ Windsor et d'autres résidences
royales, pour servir de fond à ces portraits. Il s'en acquitta, non-seulement avec la science profonde qu'il
avait acquise dans la spécialité de son art, mais aussi avec ce tact infiniment rare qui consiste à ne jamais
nuire à l'effet principal par l'importance d'un accessoire trop bien rendu; il sut, en un mol, se tenir
modestement à sa place et rehausser les œuvres de son illustre confrère en y plaçant à propos ces édifices
dont la vue achève quelquefois la pensée du peintre. Que d'éloquence 110 donne pas à un portrait de
Charles 1er une échappée de vue sur les fenêtres de Whitehall, d'où l'on sait qu'un jour l'élégant
gentilhomme sortit pour se rendre de plain-pied à l'échafaud !
Steenwyck n'a pas seulementpeint des églises gothiques : il a connu et reproduit tous les styles d'architecture ;
figures
un de ses plus fameux tableaux est la Prison de saint Pierre 1, dont parle le savant Hagedorn. Les

' Ce tableau appartenait à Hagedorn.


sont de Corneille Poëlenburg, qui a choisi le moment où un ange délivre saint Pierre. Les gardes sont
endormis sous une lampe suspendue à la voûte, et dont la lumière, tombant d aplomb sur eux, fait briller
leurs armures. L'œil s'enfonce à plaisir sous cette voûte profonde jusqu'à la galerie par où l apôtre commence
à fuir. L'architecture est massive et le tableau silencieux. Quelques lumières, plus faibles que la lampe
suspendue, brillent tristement à la porte des autres cachots. Sur le second plan se voient les premières
marches d'un escalier aux larges pierres, qui annonce que sous la voûte éclairée il y a encore d autres
voûtes plus profondes et plus redoutables. La grandeur de l'architecture romaine se montre ici, et sa solidité
dans la construction d'une prison présente un contraste évident avec la facilité de l'évasion miraculeuse du
saint. Au bout de la galerie qui fuit devant vos yeux, s'ouvrent deux fenêtres cintrées par où l'on aperçoit
les édifices de Home, autant qu'on en peut juger par l'extrême petitesse de ces objets infiniment éloignes.

La grande difficulté, dans les tableaux d'architecture, ce n'est pas tant la perspective linéaire que la
perspective aérienne. Il faut dégrader insensiblement les couleurs, faire sentir les plans par la touche même,
donner du vague aux derniers murs en raison de la distance plus ou moins grande qui les sépare du spectateur.
En d'autres termes, il ne suffit pas de mettre chaque pilier à sa place, il faut encore le mettre à son plan; telle
colonnade pourrait avoir les dimensions voulues par la géométrie descriptive et satisfaire parfaitement l'œil
d'un architecte, sans être pour cela satisfaisante au point de vue de l'art. Autant il faut de précision dans les
intervalles, d'exactitude dans les mesures, autant il est bon de laisser de vague aux objets lointains, d'adoucir
les contours, de n'indiquer les lumières que par une touche moelleuse et fondue, en réservant pour les corps
les plus rapprochés la fermeté du pinceau et quelques vives épaisseurs aux endroits que vient frapper le rayon.
Steenwyck, sous ce rapport, est peut-être plus peintre que Peter Neefs. Il aime à subordonner la rectitude
mathématique aux agréments du pinceau, c'est-à-dire qu'il se plait à couvrir d'une couleur grasse, autant
qu'il est possible, la sécheresse des contours que d'autres eussent tracés au tire-ligne. Plein de sentiment,
s'il rencontrait quelques-unes de ces sacristies tranquilles, sonores, où le jour ne pénétrait qu affaibli par des
vitraux plombés, jaunis par le temps, aussitôt il y supposait quelque scène de l Évangile pour avoir l occasion
d'y produire les heureux effets de sa double perspective.Le tableau où il a peint Jésus chez Jlarthe et Alarie,
dont nous donnons ici la gravure, est un de ses chefs-d'œuvre. La douce clarté qui s'y répand est d'une
illusion charmante : pas de lumière brusque, pas d'opposition choquante qui pourrait donner au tableau,
suivant l'expression consacrée, l'air d'une porte à deux battants. Tout s'harmonise, tout s'éloigne au moyen
d'une dégradation ménagée avec tant d'art que l'œil se promène dans les profondeurs de l'appartement,
s'arrête un instant à la figure de Marie, se repose sur celle du Christ qui est assis auprès de la fenêtre, fait
le tour de la boiserie et va surprendre dans la pièce voisine Marthe, la naïve ménagère, occupée des soins
de la vie commune, tandis que sa sœur est venue parler à ce visiteur tendre et modeste, qui est un Dieu.
Il est certaine heure du soir où les églises gothiques ont un charme inexprimable. Dans les pays vraiment
catholiques, on ne ferme les églises qu'à une heure très-avancée. On se garde bien d'ôter au monument
ses plus beaux aspects et la mélancolie de ses crépuscules. On laisse les pieux rêveurs s'oublier sur un
banc, au sein des grandes ombres qui enveloppent les chapelles basses, pendant que la principale nef conserve
encore une lueur pâle et qu'un reste de jour ou peut-être un rayon brisé de la lune anime encore les vitraux
supérieurs et colore la rose du portail. J'aime à retrouver dans les tableaux de Steenwyck, non-seulement
l'exacte architecture des cathédrales, leurs colonnettes élancées, leurs vitraux, leur pavé sonore, et ce
bénitier de marbre où se réfléchit le vaisseau de l'édifice, mais aussi l'impression que produisent toutes ces
choses aux différentes heures du jour, l'essence morale qui s'en dégage, et la poésie imprévue d'un spectacle
dont les éléments ne sont, après tout, que des pierres, des rayons et des ombres.
CHARLES BLANC.

MŒMMIŒS KF HïïMfEâTOÏÎio
Henri Steenwyck occupe une place distinguée parmi les cet artiste. Intérieur d'une église des Pays Bas, ornée de
Petits Flamands, ainsi qu'on est convenu d'appeler les figures peintes par Porbus : prix, 1,9it livres. Intérieur
maîtres de cette école qui n'ont pas abordé les grands sujets d'église, enrichi de belles figures (celles-ci éclairées aux
historiques. Ses tableaux sont plus rares en France que flambeaux), So2 livres 10 s.
ceux de Peter Neefs, son élève. C'est en Angleterre, où VENTE HANDON DE BOISSET (Paris, 1777). Intérieur d'une
il séjourna longtemps et où il mourut, que se trouvent les église, orné de ligures, peint sur cuivre, 560 livres.
plus belles productions de cet artiste. Ses tableaux sont VENTE MARQUIS DE MÉNARS (Paris, 1782). Deux tableaux
peints sur toile, sur panneau et sur cuivre. Ils sont de plus pendants : l'un représente un Intérieur d'église, l'autre un
grande dimension que ceux de Peter Neefs et ordinairement Intérieur de prison, furent vendus 300 livres.
d'un ton plus blond. Les figures dont ils sont ornés sont de VENTE DE CHOISKUL-PRASLIN (Paris, 1792). Intérieur d'église,
Fr. Franck, Elzheimer, Poëlenburg, Porbus, Breughel, Van messe de minuit, 16 figures de la main de Fr. Franck, ne
Calden et autres habiles peintres. fut vendu que 200 livres.
On voit à VIENNE quelques bons tableaux d'architecturede VENTES VINT-VICTOR (Paris, 1822). Cinq tableaux de Steell-
H. Steenwyck. wyck : le Repos d'flérode, composition capitale, fut vendu
A Dresde, dans la GALERIE ROYALE, quelques beaux inté- 680 francs; un Intérieur d'église éclairé aùx flambeaux .
rieurs. figures de Breughel, fut adjugé pour 676 francs ; la Prison
Au MUSÉE D'AMSTERDAM une église catholique à la lueur de saint Pierre intérieur éclairé de plusieurs lampes,
, ,
des flambeaux. vendu 302 francs ; un Intérieur d'église, effet de jour : prix
A celui de LA HAYE, des bàtiments avec figures. 182 fr.
Le MUSÉE DU LOUVRE possède cinq tableaux de ce maitre : VENTE TAIWIEl: FILS, 1841. Un Intérieur d'église, vu DE
quatre intérieurs d'églises avec des figures, et la vue inté- jour, orné de figures, 156 fr.
rirure d'une vaste salle dans le style gothique; le sujet VENTE VASSEROT (Paris, 1845). Un Intérieur d'église, sur
représente Jésus chez Marthe et Marie. bois, fut vendu 799 fr.
Les tableaux d Henri Steenwyck sont rares dans les ventes VENTE STEVENS (Paris, 1817). Vue intérieure d'un Temple
publiques. Voici cependant le relevé des prix de ceux qui protestant, 700 fr.
ont orné quelques-unes des galeries célèbres : La plupart des tableaux de C Î maître sont dates et signes.
VENTE PRINCE DE CONTI (Paris, 1777), deux tableaux de

Les Rechercheset Indicationsci-dessus sont de M. Armcngaud.


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DANIEL SEGHERS
NÉ F..\ O. — MORT EN 1601.

Le jésuite Daniel Seghers n'est pas un élève de


Rubens, et cependant, si l'on songe à la largeur
de ses méthodes, à sa libre manière de voir et
d'interpréter la nature, nul n'appartient plus que lui i,
la grande tradition du maître d'Anvers. C'est que,
lorsqu'un peintre tel que Rubens apparaît dans l'histoire
d'une école, son influence ne se circonscrit pas dans
le genre qu'il a particulièrement cultivé : elle s'étend
il toutes les branches de l'art; elle fait courir sa sève

généreuse dans celles mêmes que sa main hautaine n'a


point abordées. Sitôt que le glorieux maître eut révélé
son secret, les paysagistes, les peintres d'animaux,
et jusqu'aux peintres de fleurs, séduits par l'autorité
de son exemple, modifièrent leurs procédés et se firent une pratique indépendante et large que leurs patients
devanciers n'avaient pas connue.
Daniel Seghers n'hésita pas à s'associer à ce mouvement. Il est vrai que sa naissance et son éducation
le rapprochèrent tout d'abord de l'école de Rubens Né à Anvers en 1590, et baptisé le 6
décembre à la
cathédrale, il appartenait à cette forte génération d'artistes qui devaient jeter tant d'éclat sur la Flandre,
de ses plus
et il assista, enfant, à l'aurore de ce dix-septième siècle qui fut pour l école d Anvers le temps
grands triomphes. Après avoir reçu de son père, Pierre Seghers, les premières leçons de peinture, Daniel
entra chez un maître célèbre, Breughel de Velours. Breughel n'était pas seulement alors l'harmonieux et
fin paysagiste qui déroule au fond de ses perspectives l'étrange poésie de ses horizons bleus;
c'était aussi le
plus habile peintre de fleurs que possédât la Flandre. Son pinceau lumineux et délicat excellait à tresser
autour d'une sainte image de fraîches guirlandes de roses et de marguerites, œuvre difficile dans laquelle
il

eut plus d'une fois l'honneur d'associer son nom à celui de Rubens.
On devine que, sous la discipline d'un tel maître, Daniel Seghers dut grandir vite. En 1611, à vingt et un
Désormais, il voyait clair dans sa vie; il
ans, il acquit le titre de maître dans la corporation de Saint-Luc.
n'avait qu'à marcher tranquillement dans-la voie qui lui était ouverte. Néanmoins, les pures joies de l'art ne
suffisant pas à son ardent esprit, il s'attaqua résolûment aux aridités de la théologie, et il paraît qu'il y fit
merveille. Seghers aurait pu s'arrêter à l'Évangile, ou tout au moins aux Pères de l'Église; mais des conseils
intéressés l'engagèrent à pousser plus avant ses études, et, curieux, imprudent peut-être, il alla chercher la
doctrine religieuse jusque dans les constitutions de saint Ignace de Loyola. Il fit plus encore : le 10 décembre
1614, il entra au noviciat de la compagnie de Jésus, à Malines, et toutes les formalités ayant été accomplies,
il fut bientôt admis à prononcer ses vœux.
Les Jésuites d'Anvers, chez lesquels Seghers se retira, furent charmés de posséder dans leur couvent
supérieur la
un frère de ce mérite : aussi le traitèrent-ils en enfant gâté. Daniel obtint même de son
permission d'aller à Rome. Lorsqu'il revint à Anvers, il était tout à fait rompu aux difficultés de l'art, et
son talent, formé par l'étude assidue de la nature et par la comparaison des œuvres
des maîtres, lui permit.
bientôt de rendre d'éclatants services à son ordre.
L'occasion ne se fit pas attendre. Les Jésuites avaient fait construire à Anvers une vaste église qui fut
consacrée en 1621 par l'évêque Jean Maldérus. Rubens avait donné le dessin du portail. Les bons pères,
très-satisfaits de son œuvre, le prièrent de présider à la décoration intérieure du monument. Rubens y
prodigua, selon la mode régnante, le luxe des marbres de couleurs diverses, les revêtements d'ébène, les
chaires et les confessionnauxpompeusement sculptés. Il n'oublia pas la peinture. Henri Van Balen et Corneille
Schut, Jean Liévens et Gérard Seghers eurent la plus grande part à l'ornementation de la nef et des autels;
et, bien qu'il ne fût qu'un modeste peintre de fleurs, Daniel y fut également employé. Si l'église des Jésuites
n'avait été incendiée en 1718 par la foudre, qui n'épargna que la façade, la sacristie et une chapelle
latérale, nous y retrouverions de brillantes traces du talent du frère Seghers. Malheureusement, ce n'est
plus que par le témoignage des auteurs contemporains que nous savons qu'il avait peint de riches guirlandes
autour d'une madone de Rubens, et qu'il avait également encadré de fleurs une composition importante où
son ami Corneille Schut avait représenté l' Apparition de la Vierge à saint Ignace. C'est aussi avec Corneille
Schut que Daniel avait exécuté, pour la même église, seize tableaux de petite dimension qui existaient encore
à l'heure où Descamps rédigeait son Voyage pittoresque de la Flandre, mais dont la trace s'est aujourd'hui
perdue.
La renommée du frère Seghers ne tarda pas à se répandre au dehors. On se méprendrait gravement,
d'ailleurs, si l'on imaginait qu'au dix-septième siècle les Jésuites d'Anvers fussent soumis à une règle bien rigide.
Loin de se renfermer dans les étroites murailles de leur couvent, ils se mêlaient volontiers au mouvement du
monde et de la politique. L'accroissement de la société fondée par Loyola, tel était le but auquel tendaient

1 Les rédacteurs du catalogue du Musée d'Anvers, adoptant l'orthographe indiquée par Papebrochius, écrivent Daniel
Zegers. On nous permettra de conserver la forme ancienne, l'habile peintre de fleurs ayant signé Seghers quelques-uns de ses
tableaux, notamment ceux que conservent les musées de Copenhague et de Berlin.
leurs constants efforts, et, dans l'ardeur de leur zèle, ils mettaient tout à profit. Qui sait si, entre des
mains aussi habiles, Daniel Seghers lui-même ne fut pas un instrument dont ils trouvèrent moyen de se
servir? Son nom étant déjà célèbre hors de Flandre, il prit fantaisie au prince d'Orange de posséder au
moins une œuvre du fameux jésuite dont on racontait tant de merveilles. Il envoya à Daniel Seghers
son premier peintre, Thomas Willeborts, avec la mission de rapporter, à quelque prix que ce fût, un tableau
de cette main savante (1643). Seghers peignit alors un splendide bouquet imprégné des rosées matinales;

puis il l'envoya comme un présent offert par la Compagnie au prince, qui, touché d'un si généreux procédé,
fit remettre en échange aux Jésuites quelques joyaux splendides, entre autres un chapelet d'or et d'émail,
et y ajouta, pour le peintre, une palette et douze pinceaux, également en or. Bientôt Daniel Seghers se
remit à l'œuvre, et peignit pour la princesse d'Orange un vase de fleurs de l'exécution la plus merveilleuse :
la princesse ne pouvait faire moins que son mari; elle envoya à l'artiste un appuie-main en or, d'autres
disent un crucifix de la plus grande richesse. Enfin, elle prit les bons pères sous sa protection; les Pays-Bas
devinrent accessibles à leurs émissaires, et il demeura entendu que les soldats hollandais qui, en ce temps-là,
poussaient parfois.leurs promenades jusqu'aux portes d'Anvers, respecteraient désormais la maison de cam-
pagne que les Jésuites possédaient à Deurne. Qu'on vienne dire, après cela, que la peinture est un art inutile!
Nous ne prétendons pas insinuer que Daniel Seghers se soit associé aux calculs de ses confrères et
qu'il ait mis tant de politique dans sa générosité. C'était le plus simple et le plus laborieux des hommes;
il vivait sans ambition, comme sans orgueil ; mais il travaillait pour son couvent et à la plus grande gloire
de Dieu. Il aimait son art pour les joies sereines qu'il lui procurait, et non pour le bruit sympathique qui
se faisait autour de son nom. Une prière le matin et le soir, la culture des fleurs dans le
jardin de la
maison, un aveugle dévouement pour les intérêts de son ordre, une infatigable ardeur au travail, tels étaient
les éléments dont se composait la vie calme et sérieuse de Daniel Seghers. Cette existence, pieusement
occupée, ne lui fut point nuisible, puisque Daniel ne mourut que le 2 novembre 1661, à l'âge de soixante
et onze ans.
Daniel Seghers n'est pas indigne des éloges qui lui furent prodigués par ses contemporains. Si l'on en
excepte quelques tableaux, qui datent vraisemblablement de sa jeunesse, et où le pinceau précise un peu
sèchement les contours, l'ensemble de son œuvre permet de le placer au premier rang parmi les peintres
de fleurs. Sans avoir été le disciple de Rubens, le jésuite d'Anvers se rattache directement à son école par
la largeur et la sûreté de ses procédés. Tous les élèves du maître, et le maître lui-même, se sont tenus
honorés de l'avoir pour collaborateur : Corneille Schut, Van Thulden, Erasme Quellin, Van Dyck peut-être,
ont peint des madones ou des portraits au centre des médaillons que Daniel Seghers entourait de ses plus
éclatantes guirlandes. Dans les tableaux qu'ils faisaient avec lui, les peintres habiles que nous venons
de nommer semblaient d'ailleurs vouloir effacer leur personnalité, et ils ne peignaient guère qu'en
camaïeu ou en grisaille les pieuses images autour desquelles Seghers enroulait ses festons. Aussi, malgré ce
dangereux voisinage, les bouquets du jésuite d'Anvers conservent-ils toujours leur tonalité brillante et leur
lumineuse fraîcheur. On a vanté, non sans raison, le talent singulier avec lequel il marie la blancheur des
lis à l'éclat des roses et des pavots; il a aussi rendu, avec un bonheur qui ne se dément jamais, les feuillages
de certains arbustes et surtout les luisants du houx. Je ne lui reprocherai que le vulgaire et monotone
artifice de ses fonds noirs. Seghers, ici, n'a pas abordé franchement la difficulté suprême; il n'a pas osé
enlever les clairs sur les clairs. Mais on aimera toujours la luxueuse abondance de sa composition, le goût
savant avec lequel il tresse ses couronnes, la délicatesse des brins d'herbe qui s'enlacent à ses guirlandes.
et ces insectes légers, ces gourmandes abeilles qui, voltigeant autour de ses bouquets, viennent s'y enivrer
de parfums et de rosée.
FAI L MANTZ.

MŒMrœ lr nSlDMHWM.
JE

)IUSÉE D'ANVERS. — La Guirlande de saint Ignace. LONDRES. BRIDGEWATER GALLERY. — La Vierge entourée
Le fondateur de la Compagnie de Jésus est représenté en d'une guirlande, figure de C. Schut. — Fleurs et fruits
buste : il tient un livre ouvert où on lit d'un côté : Ad autour d'un paysage attribué à Brouwer.
maiorem Dei gloriam et de l'autre : Regulœ societatis Jesu. LYON. — Une couronne composée de toutes sortes dl'
Une guirlande de fleurs entoure cette effigie. — Figure de fleurs. — Une vase de fleurs posé sur un autel antique.
C. Schut. — Ce tableau provient de la chapelle Saint-Ignace. MUNIGH. — Un bas-relief où l'on voit des enfants qui
dans l'ancienneéglise du couvent des Jésuites à Anvers. jouent; autour, une guirlande.
« Guirlande de la Vierge. Figure
de Corneille Schut. Ce NANTES. — Guirlande de fleurs entourant l'Enfant Jésus.
tableau décorait autrefois le palais des évêques d'Anvers. peint en grisaille, et debout sur lin globe autour duquel
BERLIN. — Deux tableaux de fleurs : l'un d'eux porte les rampe un serpent. Figure attribuée à Corn. Schut.
signatures suivantes : Daniel Seghers, Soctis Jesu. — VALENCIENNES. — Guirlande autour d'une Sainte Famille
E. Quellinus. de Van Thulden.
BRUXELLES. — La Vierge entourée de fleurs, figure de VIENNE. — Cinq tableaux, parmi. lesquels une Sainte
Corneille Schut. — Le Christ dans une guirlande, figure Famille de Van Dyck.
d'Er. Quellin. — Un bouquet. VENTE DU PRINCE DE CONTI. 1777. — Guirlande de fleurs.
COPENHAGUE. — Des fleurs; tableau signé Danièl Seghers, Dans un médaillon, que l'artiste avait sans doute laissé vide,
Soc. Jesu. la Vierge et l'Enfant Jésus, par Fragonard, 781 livres.
FLORENCE. — Portrait d'homme, entouré de fleurs. VENTE DULAC. 1778. — Le même tableau, 720 livres.
LA HAYE. — Une guirlande autour d'une statue de la VENTE SCHAMP D'AVERSCIIOOT (Gand, 1840).— Des fleurs
Vierge, avec l'Enfant Jésus.- Des fleurs autour du buste de entourant un cartouche où sont figurés la Vierge et l'Enfant
Guillaume III. Jésus, peints en grisaille, par E. Quellin ou Diepenbeke.
( rr-/r .. GÉRAIt]) SEGHERS
..
VF EX 1591. — MORT EN 11;:;1
h///.!
.
/// //y/r eelq,el,

Lorsque le glorieux maitre d'Anvers entra victorieusement dans


l'art qu'il devait transformer, il s'éleva du fond de tous les ateliers
contemporains comme un cri de délivrance, et l'on entendit partout
en Flandre la rumeur joyeuse d'un applaudissement sympathique.
Entraînés et presque subjugués par le charme puissant du merveilleux
coloriste, les peintres les plus habiles abandonnèrent les vieilles
méthodes et suivirent ardemment le nouveau maître. Sans se
demander si quelques-uns d'entre eux n'ont pas fait preuve d'une
soumission exagérée, l'histoire et surtout le succès ont donné
raison à tous ceux qui, faisant bon marché de leur personnalité,
s'enrégimentèrent d'enthousiasme sous le triomphant drapeau de
Rubens; notre pensée n'est point de diminuer leur gloire, mais nous
les croyons dignes aussi de quelque estime et peut-être de quelque
respect, ceux qui — si peu nombreux d'ailleurs — essayèrent un
instant de lutter contre l'enivrement général et qui, préservés par
leur tempérament d'artiste ou par l'autorité persistante de leur
éducation première, refusèrent desui\re aveuglément l'école transformée. Gérard Seghers est un de ceux-là :
bien qu'il in* tout prendre <|ifun peintre de second ordre, bien que sa protestation n'ait dure
soit il

qu'un moment, il eut le courage — ou l'entêtement — de rester hdè!e, pendant une bonne partie de sa
carrière, aux enseignements de l'Italie. Cette résistance lui constitue dans l'histoire de l'art flamand ait
dix-septième siècle une physionomie distincte, et, ne fut-ce qu'à ce titre, il mérita peut-être qu'on
l'Mlldit' de près.
Gérard Seghers ou Zeeghers (car, s'il faut s'en rapporter à de récentes recherches, son nom se présente
sous ces deux formes dans les documents contemporains) est né à Anvers en 1501, et non en 15S!>,
comme on l'a cru longtemps sur la foi d'un témoignage inexact t. Les commencements de sa \ie
sont restés obscurs. Nous saxons seulement qu'en 1IiO:3, c'est-à-dire à douze ans, il se fit. inscrire au
nombre des élèves de la confrérie de Saint-Luc; mais les registres de cette corporation ne mentionnent
point le nom de son premier maître. Toutefois Gérard parait avoir successivement fréquenté les ateliers
de fleuri Yan Balen et d'Abraham Janssens. Le premier, qui exerça une incontestable influence sur
renseignement de l'art à Anvers à la fin du seizième siècle, peignait volontiers, dans une manière
lumineuse et quelquefois un peu blanche, des chairs d'un modelé délicat et d'une vivante morbidesse.
Mais, soit qu'il n'ait travaillé avec lui que peu de temps, soit que son tempérament d'artiste ne se prêtât
point à cette recherche de la lumière et qu'il n'ait pli s'habituer il ces fraîcheurs de tons, Gérard Seghers
ne doit presque rien aux leçons de Van Balen. Les conseils d'Abraham Janssens paraissent avoir frappe
son jeune esprit d'une empreinte plus durable et plus profonde.
Vous connaissez Janssens! C'est ce peintre qui, pris d'une ambition un peu folle, essaya de se poser
en rival de Rubens. Il osa lutter avec lui non-seulement pour la facilité exubérante du pinceau, car il l'a
plusieurs fois défié la palette à la main, mais encore pour le faste de la vie extérieure, le luxe des
costumes et des équipages. Combat puéril, guerre vaniteuse et presque ridicule, dont le fier génie de
bubons ne daigna pas s'émouvoir. Et cependant Abraham Janssens savait à merveille son noble métier:
il aimait les teintes vigoureuses, il tenait le pinceau d'une main ferme, il accusait les contours d'une
ligne précise et sûre. Grâce à ces exemples, Gérard Seghers grandit vite. Son talent parait avoir été
précoce, puisque dès 1608 nous le voyons entrer comme franc-maître dans la confrérie de Saint-Luc.
Mais, à vrai dire, ce n'est pas à Anvers, c'est en Italie qu'il acheva son éducation d'artiste et parvint
à acquérir une personnalité, une manière. A quelle époque fit-il ce voyage? Il nous est impossible d'en

marquer la date précise, car la vie de Seghers n'a jamais été sérieusementécrite, et sa biographie présente
quelques points obscurs que les recherches des critiques les plus sagaces n'ont pu parvenir à éclairer tout
à fait. Il paraît toutefois que, séduit par les qualités de ses premiers tableaux, deux riches négociants
d'Anvers. Pierre et Antoine Goetbenck, avaient pris Gérard en affection. Ils renvoyèrent en Italie, un peu
pour qu'il y pÙt achever ses études, et aussi sans doute pour qu'il y fit emplette des curiosités d'art et des
peintures dont ils désiraient enrichir leur collection2. Ainsi poussé vers le pays des grandes traditions,
le jeune peintre se mit en route.
A l'heure où (iérard Seghers arriva en Italie, l'école de Michel-Ange de Caravage tenait partout le haut
du pavé. Le caprice des gens du monde, la fantaisie des gens d'église s'étaient engoués de cette manière
vigoureuse et presque brutale qui, il est vrai, n'eut qu'un succès passager, mais qui obtenait alors tous les
encouragements de la mode et tous ses sourires. On faisait, surtout il Rome, un cas particulier d'un peintre
qui s'était associé de loin au triomphe de Caravage, Bartolomeo Manfredi, et qui, comme le maître l'avait
essayé souvent, comme Valentin apprenait à le faire, peignait d'une brosse un peu violente des intérieurs
de cabarets, des joueurs attablés devant des cartes, des musiciens préludant à leurs mélodies dans la
pénombre d'une salle mal éclairée, (iérard Seghers, après avoir hésité d'abord et copié au hasard tous les
maîtres et tous les styles, finit par s'épreudre du goût le plus vif pour les compositions et le procédé

1 Voyez il ce propos les curieux renseignementsdonnés par M. A. Micliiels. Itubms et l'école d'Am'I'/'s, page :j08.
1 Firent, LI' Comte. Cabinet des ninrjularitrz. tome il, page 261
-
pittoresque de Manfredi. Il aurait pu mieux choisir; mais les leçons de Janssens l'avaient peut-être prédisposé
à comprendrece genre de peinture, et bientôt il imita si bien son modèle que, d'après le dire de Uescamps,
qui exagère sans doute quelque peu, « il embarrassa les connoisseurs. » Sans prendre à la lettre l'assertion de
l'historien que nous venons de citer, il faut signaler dans Gérard Seghers cette puissante faculté d'assimi):))i<m

qui lit peut-être la moitié de son talent ; il faut remarquer surtout qu'en imitant à ce point le coloris sombre
et un peu dur du peintre d'Ustiano, Gérard rompait franchement avec les pratiques les plus constantes d.,
l'art flamand.
Après avoir séjourné quelque temps Home, Seghers visita les autres villes d'Italie, s'arrètaut partout
il
où il y avait quelque chose il apprendre ou quelque peinture a acquérir pour la collection des frères
Goetbenck. ('.'est dans un de ces voyages qui! lit, it Mitan, la rencontre du cardinal Zapata, prélat espagnol
qui, avant de devenir grand-inquisiteur et de faire durement les affaires du saint-office, s'occupait de soins
plus doux et s'intéressait vivement aux arts. Le cardinal imagina de conduire Gérard Seghers en Espagne.
Arrivé à Madrid, le peintre fut solennellement présenté au roi, qui le fit travailler dans un de ses palais
et dans quelques églises, lui donna une pension et l'attacha, comme chambellan, au service de sa personne.
On ajoute que ce souverain ne consentit qu'avec peine au départ de Gérard Seghers 1.
Le séjour du jeune maître à la cour d'Espagne n'était guère de nature à modifier sa manière, il
égayer son coloris. Aussi lorsque Seghers revint à Anvers, il lui arriva une chose étrange et qu'il n'avait
certainement pas prévue. Ses compatriotes reconnurent bien en lui l'ami d'autrefois, l'ancien camarade
d'atelier; mais nul ne voulut reconnaître le peintre. Il faut dire qu'à cette date, toute l'école se précipitait,
sur les pas de Rubens, vers le culte de la couleur splendide, des tons brillants et clairs, des nuances
lumineuses. L'imitateur attardé de Caravage parlait donc une langue oubliée, et il eut toutes les peines
du monde à se faire comprendre. Toutefois, comme on ne change pas de manière en un jour et comme
Manfredi était encore l'objet de ses sympathies en retard, Gérard Seghers lutta de son mieux, et pendant
quelque temps, époque vraiment critique de sa vie, il fut seul, ou presque seul, dans Anvers à se souvenir
de la mode italienne. Le Reniement de saint Pierre, qu'il peignit d'abord, caractérise admirablement la
phase que son talent traversait alors. C'est un effet de nuit, une consciencieuse étude, où se groupent
divers personnages artificiellement éclairés par le rayon, un peu brutal, d'une lumière factice. Mais l'énergie
anime tous les visages, et Seghers montrait du moins, à côté de ses défauts, une qualité de premier ordre,
l'expression. Un mérite à peu près pareil recommande la Sainte Cécile chantant les louanges de Dieu.
C'est aussi un effet de lumière; mais il est conçu dans une gamme plus transparente et plus douce.
Enfin, dans un genre encore plus voisin de celui de Manfredi, Seghers a peint comme lui des tabagies
où il fait asseoir autour d'une table de jeu des gentilshommes à la mine équivoque des buveurs i1
,
demi plongés dans la fumée et dans l'ivresse. Les tableaux de cette espèce sont assez rares dans l'œuvre
de Gérard Seghers; le meilleur a été gravé par N. Lauwers : il représente une compagnie de vauriens
fumant, buvant et faisant tapage autour d'une table encore chargée de flacons. La scène a de l'animation,
elle a de la vie; enfin Seghers a jeté sur ce sujet vulgaire la transparente obscurité d'un demi-jour
mystérieux. N'était-ce pas d'ailleurs son talent de racheter ainsi par le charme piquant ou l'imprévu de
l'effet le peu d'intérêt que les compositions de ce genre pouvaient avoir pour le spectateur? et n'est-ce
pas là ce qui a fait dire un peu prétentieusementà Florent Le Comte : « Il a fait des obscuritez et des nuits
qui valent bien les plus beaux jours? »
Hâtons-nous de le remarquer pourtant, cette manière vigoureuse qui se souvient trop du Caravage, ne
fut dans l'œuvre et dans la carrière de Gérard Seghers qu'une phase rapidement traversée. Il était resté
Flamand par le dessin, s'il ne l'était plus par la couleur. Dans sa Sainte Cécile, les anges qui chantent
avec la douce patronne des musiciens appartiennent absolument par le type à la robuste et saine école
d'Anvers. Éclairé par les conseils de ses amis, entraîné par l'exemple de ses anciens camarades, instruit
à ses dépens du succès incertain qui attendait les imitateurs de Manfredi, Seghers s'amenda, et peu à peu,
sans abandonner le style de ses maîtres d'Italie, sans aller franchement vers Rubens, il se fit une manière
intermédiaire qui réussit bientôt et dont le caractère mixte lui donna dans la sympathie des connaisseurs
de son temps une place de jour en jour meilleure. Si les tableaux de Seghers étaient datés, on pourrait
suivre d'année en année les lentes transformations que subit son talent plein de souplesse. Il fit bien de
tempérer sa vigueur, car la mode est toute puissante, et en faisant cette concession au goût de l'époque,
Seghers rencontra ce qui est si doux au cœur de l'artiste, le succès.
Aussi, les plus riches corporations religieuses de la Flandre se hâtèrent d'employer son pinceau. Il obtint
d'abord le patronage des jésuites, de cet ordre alors si influent, qui avait dans chaque ville une église,

Mensaert, le Peintre amateur et curieux, t. 1, page 222, Florent Le Comte, t. il. page 261. Joachim Sandrart fait aussi
1

mention du voyage de Seghers en Espagne. Academia nobilissimsc artis pictorix. 1683, p. 294.
un couvent, une école. Gérard Seghers peignit pour les bons pères de Courtray une Annonciation et une
Insurrection de Jésus-Christ; ceux de Gand lui demandèrent six tableaux, entr'autres Saint Ignace
écrivant ses constitutions sous l'inspiration de la Vierge; mais c'est à Anvers surtout que la puissante
compagnie lui donna occasion de se distinguer.
Lorsque les Jésuites de cette ville firent consacrer en 1621 l'église dont Rubens avait dessiné la façade
et qui est dédiée à présent à saint Charles Borromée, Gérard Seghers, alors dans toute la force de son talent,

fut l'un des premiers peintres qu'ils appelèrent pour décorer leur nouveau temple. Il peignit pour eux le
Christ attaché à la croix, grande composition qui orne encore aujourd'hui le maître-autel, et qui, à
diverses époques de l'année, cède ou reprend cette place glorieuse en alternant avec les tableaux de
Corneille Schutt et d'un peintre moderne, M. G. Wappers 1 ; c'est cette toile qui, d'après la remarque un
peu exagérée de Descamps, est « entièrement dans la manière du Tintoret. » IJ fit aussi pour l'autel d'une
autre chapelle, saint François Xavier aux genoux de la Vierge et de l'Enfant Jésus, peinture sévère par le
coloris, sinon par le style, et qui donne une si exacte idée du talent du maître à l'heure où sa manière
était en voie de transformation.

J. Van Vyve, Guide dans la ville d'Anvers (1854), page 77.


Indépendamment des jésuites, beaucoup d'autres associations religieuses eurent recours au pinceau de
Gérard Seghers ; les couvents de femmes trouvèrent en lui un pourvoyeur assidu. Son long séjour en Italie
lui avait permis d'apprendre jusque dans leurs plus minces détails les secrets du symbolisme de toutes les
, ,
dévotions à la mode. Aucune des formes du mysticisme ne lui était inconnue et son pinceau excellait dans ces
sujets pieux qui, reproduits parle burin des graveurs, allaient ensuite alimenter les courants de l'imagerie
populaire. Tel est, s'il faut citer un exemple, ce tableau du musée d'Anvers, où Seghers a représenté
la Vierge assise sur un trône de nuages et apportant le premier scapulaire au bienheureux Simon Stock
,
général des Carmes, qui, revêtu du manteau blanc de son ordre, reçoit à genoux le pieux emblème. Tel
encore cet autre tableau du même musée, Y Extase de sainte Thérèse, où, matérialisant ce qui, dans la
légende de la sainte, doit se prendre dans le sens mystique, il a figuré un séraphin descendant du ciel et
s'apprêtant à transpercer le cœur de la pieuse carmélite du dard enflammé de l'amour divin. Ne reconnait-
on pas dans ce besoin d'exprimer l'inexprimable et de symboliser pour l'œil du corps les plus intimes
aspirations de l'âme l'artiste qui a vu de près la dévotion italienne et l'ascétisme espagnol ?
,
Mais, alors même qu'il traitait de pareils sujets, le pinceau de Gérard Seghers oubliait un peu son éducation
ultramontaine et redevenait flamand. Il y a dans son œuvre tel tableau qu'on est étonné d'y rencontrer et
où l'influence de Rubens est inscrite hautement et sans hésitation. Son meilleur ouvrage dans cette dernière
manière c'est la grande Adoration des Mages qui décore à Bruges, l'église de Notre-Dame. Chose étrange !
, ,
entraîné par la donnée même, séduit par l'élément fastueux et pour ainsi dire décoratif qu'elle recèle,
Gérard Seghers .a répandu sur cette toile l'éclat luxuriant et presque les tons clairs que le maître d'Anvers
nous a appris à aimer. Une fois entré dans cette voie, l'artiste converti ne s'arrêta plus. L'ancien imitateur
de Caravage devint l'un des plus ardents prosélytes de Rubens.
Grâce à ce loyal retour vers l'art de son pays et de son temps, grâce aussi aux mérites de sa peinture
qui resta toujours vigoureuse, Seghers avait conquis à Anvers une situation excellente au point de vue de la
renommée, et meilleure encore sous le rapport de la fortune. Le courageux artiste était célèbre et, chose
,
qui ne parait pas lui avoir été indifférente, il était devenu riche. Il avait fini par obtenir l'amitié de Rubens,
trop généreux et trop grand pour redouter en lui un rival, et de Van Dyck, qui lui lit l'insigne honneur de
graver d'après lui un portrait vivant et superbe. Seghers a fait, hors de Flandre, quelques voyages doublement
profitables pour sa réputation et pour son bien-être. Un compilateur, quelquefois bien informé, prétend
qu'il fut appelé en Angleterre et que, dans cette excursion à Londres, « il hérita de la vogue que Rubens
,
et Van Dyck y avoient eue 1 » J. Sandrart — c'est lui-même qui le raconte— le rencontra il Amsterdam en
.
1645 2 mais il ne paraît pas que Seghers ait fait un long séjour en Hollande, puisqu'il était bientôt après il
,
Anvers, où la ghilde de Saint-Luc le nomma son doyen pendant l'exercice 1646-1647. Le duc de Neubourg,
pour lequel il avait peint une Vierge, lui envoya un riche présent accompagné d'une chaîne d'or avec son
portrait, car tel était alors l'usage, et il était tout naturel que les peintres secondaires fussent traités par les
petits princes d'Allemagne comme les vrais maîtres l'avaient été par les vrais rois. Enfin, pour achever
,
l'imitation ou la parodie Gérard Seghers voulut aussi étonner Anvers par le luxe de son existence. « La folie
,
du bâtiment le prit, » dit Florent Le Comte; et nous savons par un autre écrivain qu'il «se fit bâtir une
superbe maison sur la place de Meer 3. » Seghers ne s'arrêta pas là : la maison une fois construite, il

Papillon de La Ferté, tome fI, page 150. Toutefois, Sandrart ne dit pas un mot de
1
ce voyage, et Walpole, qui enregistre
avec tant de soin les noms des artistes étrangers qui ont visité l'Angleterre, ne mentionne point celui de Gérard Seghers.
2 C est dans l entretien que les deux peintres eurent alors
que Seghers avoua naïvement à Sandrart qu'en changeant sa manière
de peindre, il avait eu, avant tout, pour mobile, le désir de réussir et de sacrifier au goût à la mode. « Sic enim cum
anno 1645
Amstelodami eundem risitarem, opera quædam, qux pro suis rnihi exhibebat, ab ipso facta non amplius judicassem,
nisi assez-erantifides habenda fuisset, ubi hanc simul mild ea-I)oiieb(il rationern Ruhenii D!IA-ii(Ille modut/t
,
arridere seculo undè eundem "et sibi sectandum, nummoru impie potins quant fumir awiipi,, slllf/ei/r/IIII/. Samli ir!
Academia nobilissimœartis pictoriœ (1683), page 29i.
'
3 Mensaert, le Peintre amateur et curieux, tome 1,
page 111
lai lut la meubler : sa fantaisie lit noblement les choses, car il ne consacra pas moins de soixante mille
florins — somme considérable pour le temps — il l'acquisition d'un cabinet composé des curiosités les plus
rares et des meilleurs tableaux des maîtres de l'époque.
C'est dans celte calme retraite que Gérard Seghers, toujours occupé de l'art qu'il aimait, passa désormais
sa vie. Il partageait son temps outre la pratique de la peinture et l'rducation de son fils Jean-Baptiste

1'1' dernier, qui était Ill" Anvers en Íl)24, visita l'Italie, et son talent, au dire de Sandrart, donnait
il

les meilleures promesses; mais soit que l'avenir ait démenti ces assurances, soit qu'une mort prématurée
l'ait enlevé avant l'heure, l'histoire n'a retenu que son nom. Gérard Seghers fut plus heureux avec son
autre élève Jean Meel, qui montra dans ses bambochades tant d'esprit et de verve heureuse. Mais ces
contentements de l'amour-propre et du cœur ne pouvaient pas être éternels. « Le terme du repos, dit
assez singulièrement Florent le Comte, étant arrive pour lui, et ne voulant. point disputer contre la
nécessité de la mort qu'il avoit prévue il acquiesça volontiers il cette loi et marqua par sa résignation
, ,
qu'il illotil.oit content. » (18 mars 1651. ).
Ainsi s'éteignit, dans tout l'éclat de sa gloire, ce rainant artiste qui, au moment 01'1 triomphait Ruhens,
eut le courage d'essayer un instant une lutte inutile et d'opposer à ses claires splendeurs les ténébreuses
violences de Caravage et de Manfredi. Sans doute en persistant dans cette manière abolie, en s'attardant
dans le culte presque exclusif des tons sombres et vigoureux, il prenait parti pour l'art de la veille contre l'art
du lendemain, et, en ce sens il avait tort : l'indifférence de ses contemporains le lui fit bien voir, et
,
lui-même reconnut son erreur, puisqu'il se laissa aller au courant général et sacrifia ensuite aux dieux
il

nouveaux avec la ferveur d'une conversion récente. — Il faut louer chez Gérard Seghers, soit qu'on l'étudié
dans l'une ou dans l'autre de ses manières, une grande force de volonté, un don réel de l'expression, une
heureuse recherche du mouvement et de la vie, un talent particulier pour détacher ses figures et en faite
saillir le puissant relief. Mais ce qui, indépendamment de ses qualités pittoresques, nous touche davantage
dans Gérard Seghers, c'est l'accent, nettement accusé, d'une personnalité vivace. Alors que Van Dyck et
Jordaens Crayer et Diepenheke, Van Thulden et Corneille Schutt s'inclinaient devant le maître et l'adoraient
,
n'est-ce rien que d'avoir, même un instant, regardé sans baisser la paupière l'ardent soleil de Rubens ?
,

PAUL MANTZ.

IMIMMIK K HIlïifâïlt'IMo

A tous ceux qui voudraient étudier sérieusement l"œuvre Sainte Claire eIl adoration devant l'enfant Jésus et la Vif!"!'
abondant et varié de Gérard Seghers, nous ne saurions au Scapulaire.
donner qu'un conseil : visitez les églises et les musées de A GAND (église Saint-Michel), la Flagellation ;
Belgique. Nous devons toutefois rappeler que, sans aller en Église Saint-Bavon le Martyre de Saint-Liévin grave pill
,
Flandre, on peut voir de ce maître : J. Nefs),
Au LOUVRE, Saint François d'Assise en extase; A BRUGES (église Notre-Dame), l'Adoration des mages.
A MONTPELLIER,Saint André tenant deux poissons: Musée, la Sainte Trinité.
A TOULOUSE, l'Adoration des rois: L'œuvre de Gérard Seghers a été gravé par Paul Pontius
A DIJON une Descente de croix ; Alex. Voet. P. Mariette..1. Nefs, Corn. Galle, Pierre de Jodc.
,
Au MUSÉE DE MADRID, Jésus chez Marthe et Marie. Bolswert, etc.
Quant à la Belgique, nous nous contenterons d'indi- La plupart de ses tableaux étant demeurés en Belgique, 011
quer : n'en rencontre que fort peu dans les ventes publiques. Nous
A ANVERS (église Saint-Charles-Borromée), Saint Xavier ne pouvons guère signaler que les prix suivants :
devant la Vierge, le Christ attaché à la croix;
Église Saint-Antoinede Padoue, la Miséricordedivine;
VENTE DU CARDINAL FESCII -
Rome, 1845). Le Reniement
de saint, Pierre. 680 scudi (ce tableau était depuis trente
Musée, saint Stanislas Kotska. Mariage de la Vierge, ans dans la collection du Cardinal!: Gères cherchant sa fillr
Extase de sainte Thérèse, le Christ revenant des Limbes. 30 scudi.
0coâ !J!Iamanae, 3êaàuÏÏed, J^aydaaej.

PIERRE SNAYERS
NÉ EN 1593.
— MORT APRÈS 1662.

L'histoire nous a conservé sur Pierre Snayers


si peu de renseignements que le lecteur nous
pardonnera de reproduire ici, malgré l'étrangeté
du style et la fantaisie de l'orthographe, les
quelques lignes consacrées à cet habile maître
par Corneille de Bie : « Petrus Snayers, dit-il
assez singulièrement, nasquit en Anvers l'an 1593;
très bon paintre de batailles. Paysages en grande
et petite forme extrêmement bien renommez ; qu'il
fut paintre de l'archiducq Albert et Isabelle ; aussi
domesticq de Son Altesse le Prince Cardinal Infante
d'Espaigne et dez plus aultres princes. Demeurant
à Bruxelles. » Telle est l'inscription qu'on peut lire dans le Gulden Cabinet, au bas du portrait de Snayers
gravé par C. Coukercken, d'après D. van Heil. Les faits que mentionne ce texte barbare sont d'ailleurs
exacts et ils constituent à peu près tout ce qu'on sait de la vie de Snayers. Baldinucci, Mariette et les
dictionnaires modernes n'en disent guère plus long sur son compte.
Ainsi Pierre Snayers, ou Snyers (car il a capricieusement signé ses tableaux de l'un ou de loutre nom),
appartient à l'école d'Anvers. On prétend, sans que le fait soit bien constaté, qu'il fut élève de Henri van
Balen le Vieux. Son talent se développa pendant les premières années du dix-septième siècle, sous les
influences heureuses qui fécondaient alors l'art flamand. Il ne nous paraît pas douteux que Snayers n'ait,
subi, comme la plupart de ses contemporains, la souveraine action de Rubens, car il avait quinze ans
lorsque ce dernier, arrivant d'Italie en 1608, commença à étonner Anvers par la splendeur de son coloris
et la puissance de son pinceau. Néanmoins on aurait quelque peine à s'expliquer où Snayers a pu prendre
le goût des batailles, si l'on ne se rappelait que, vers cette époque, Breughel de Velours, l'habile artiste
qui a touché à presque tous les genres, peignait quelquefois, dans des proportions réduites, des
escarmouches de cavalerie et des sujets militaires. Sans doute, lorsque la fantaisie, d'ordinaire si pacifique
de Breughel, le poussait à ces violences, il se réfugiait dans l'antiquité et il enchevêtrait en un savant
désordre, — comme dans la Bataille d'Arbelles, par exemple, — des Perses un peu chimériques et des
Macédoniens médiocrement exacts. Il y avait pourtant, dans ces combats d'une couleur si fine et souvent
si gaie, des cavaleries lancées au galop, des étendards flottant au vent, des piques et des cuirasses reluisant
au soleil. Ces batailles enjouées ont pu faire naître dans l'esprit de Snayers l'ambition de peindre des
batailles sérieuses. C'est de ce côté du moins qu'il chercha sa voie; il commença par habiller à la moderne
les guerriers antiques de Breughel, et il fit si bien qu'il mérita le titre de prœliorum pictor, qu'on peut
lire au bas de son portrait, gravé d'après Van Dyck, par André Stock.
A la suite d'un voyage qui n'a pas laissé de trace dans les documents imprimés, et à une date que nous
ignorons, mais qui est évidemment antérieure à 1621, Pierre Snayers devint l'un des peintres de l'archiduc
Albert, gouverneur des Pays-Bas. C'est alors sans doute qu'il alla demeurer à Bruxelles. Les historiens ne
nous ont conservé l'indication d'aucun des ouvrages qu'il exécuta pour ce prince. Nous savons seulement
qu'après la mort de l'archiduc, sa veuve Isabelle continua à honorer Snayers de son bienveillant patronage.
Enfin, lorsque la gouvernante des Pays-Bas fut remplacée par le cardinal-infant, Snayers trouva en lui un
protecteur également chaleureux (1633). Il devint, comme l'écrit si bien Corneille de Bie, d01nesticq du
nouveau gouverneur, c'est-à-dire qu'il fut attaché à sa maison. Plusieurs des tableaux qu'il peignit alors
furent envoyés en Espagne, et le Musée de Madrid possède aujourd'hui les pages les plus importantes de
son œuvre. Il ne nous a pas été donné de les voir, mais nous savons que ces peintures, pour la plu-
part de grande dimension, représentent des champs de bataille, des troupes en marche, des villes
assiégées; que le paysage y joue un grand rôle, Snayers ajoutant à l'habileté d'un savant metteur en
scène l'exactitude et la patience d'un topographe, et enfin nos amis sont là pour nous dire que ces com-
positions militaires sont peintes avec beaucoup de liberté et d'esprit
Nous nous rappelons avoir vu à la vente du maréchal Soult deux tableaux qui avaient été vraisemblablement
rapportés d'Espagne et qui donnaient une idée excellente du talent de Snayers. Dans le premier, l'artiste
avait représenté un Choc de cavalerie; dans le second, qui portait la date de 1634, on voyait la Marche
d'un corps d'armée. Il ne nous a pas paru que ces peintures eussent le moins du monde un caractère
historique. C'étaient des conflits imaginaires, des rencontres créées à plaisir entre des reîtres comme ceux
qui composaient alors les armées allemandes et des fantassins pareils à ceux qui combattaient en Piémont
avec Créqui ou d'Harcourt. Mais si l'aventure n'est pas conforme aux chroniques, elle est vraie par
l'exactitude des costumes, elle est piquante par l'élément pittoresque. Rien d'ailleurs ne manquait à Snayers
pour réussir dans ce genre. Il peignait en paysagiste les premiers plans et les lointains de ses tableaux; il
avait étudié la structure et les attitudes du cheval de guerre; il savait habiller et armer ses soldats à la
dernière mode ; enfin son pinceau est libre et vif : sans aller jusqu'à dire avec Descamps, « qu'il coloriait
quelquefois comme Rubens, » il est hors de doute que Snayers se rattache directement à l'école du grand
maître d'Anvers par la franchise de ses tons et l'heureuse harmonie de l'ensemble.
Les événements qui inquiétaient alors l'Europe étaient d'ailleurs de nature à fournir des inspirations à

i
Viardol, Musées d'Espagne, 1843, p. 102; comte Clément de Ris, Musée de Madrid, 1859, p. 125.
un peintre de batailles. Les péripéties de la guerre de Trente ans trouvèrent dans Pierre Snayers un témoin
toujours bien informé, du moins en ce qui touche la période où, sous le règne de Ferdinand III, Piccolomini
commandait les troupes impériales. Il se constitua aussi l'historien des hauts faits de l'archiduc Léopold
dans la campagne des Flandres. On peut lire dans Nagler la liste des tableaux que lui inspira cette
douloureuse page de l'histoire au dix-septième siècle. Ce sont des embuscades, des convois surpris, des
villes investies ou adroitement secourues; ce sont surtout des maraudeurs pillant les chaumières des paysans;
car le soldat, mal payé par ses maîtres, vivait alors sur le pays et affamait les provinces qu'il avait la

prétention de délivrer. Le Musée de Vienne, et surtout celui de Madrid, ont gardé quelques-unes des
peintures militaires inspirées à Snayers par les événements contemporains.
Parfois, il se laissait aller à son imagination, et, remontant le cours des âges, il traitait, non sans
bonheur, des sujets empruntés à l'histoire des temps primitifs. On connaît de lui une importante
composition qui représente la Conversion de saint Paul sur le chemin de Damas. La scène se développe
en largeur et se complique, dans le goût flamand, d'épisodes pleins de mouvement et de fracas : entouré
des deux côtés par des groupes de soldats et de cavaliers, le futur apôtre vient d'être subitement éclairé par
la vision céleste; il est tombé de cheval, et, éperdu de la mystérieuse aventure, il contemple, dans la nue
entr'ouverte, l'apparition divine qui fera de lui un homme nouveau. L'ensemble, nous l'avons dit, a de
l'animation et de l'éclat, et montre à quel point Snayers était resté fidèle à son pays et à son temps.
D'autres fois, sa fantaisie aborde des sujets d'un genre différent. On a vu passer en 1.827, à la vente du
chevalier Féréol.de Bonnemaison, un important tableau de Snayers, qui représentait une Cérémonie
religieuse dans ùne. ville de Flandre. Uné procession s'apprêtant à sortir d'une église, une foule
pittoresquement groupée pour assister à ce spectacle, tels étaient les principaux éléments de cette composition,
d'autant plus précieuse pour nous qu'elle était évidemment conçue en dehors des procédés habituels de
l'auteur. Il passe aussi pour avoir fait quelques portraits: celui d'un paysagiste qu'on -admirait autrefois
chez le comte de Vence était, s'il en faut croire Descamps, l'œuvre de Snayers. Enfin la représentation
pittoresque des prairies et des bois n'avait pas de secrets pour lui; et ici, nous pouvons invoquer une
autorité souveraine, celle de Rubens, qui avait placé dans sa collection trois paysages de Snayers. Les
plaines de la campagne flamande, la chaumière entourée d'arbres, des voyageurs se reposant au bord du
chemin, quelquefois des effets de nuit, tels sont les thèmes qu'il traite de préférence, et il y montre,
avec un pinceau large et sûr., la, conscience d'un maître vivement épris de son art.
Quant à la biographie de Snayers, nous ne sommes pas en mesure de la compléter : elle se résume dans
les quelques faits que nous avons indiqués plus haut. La date de sa mort n'est même pas connue. Il vivait
encore en 1662, lorsque Corneille de Bie publia son livre; c'est là tout ce que nous pouvons dire. La
protection des princes avait assuré à Snayers une vie tranquille ; son habileté lui fit une renommée ; les
illustres amitiés ne lui manquèrent pas, puisque Van Dyck et Van Heil ont peint son portrait, puisque Rubens
professait pour son talent une véritable estime. Enfin, un dernier trait achèvera de faire connaître le
digne peintre. Lorsque le jeune Van der Meulen, impatient d'apprendre les secrets de son art, se mit en
quête d'un initiateur, il alla tout droit chez Pierre Snayers. Ce choix fait en même temps l'éloge de l'élève
et celui du maître. Et, en effet, ce n'est pas un mince honneur pour le vieil artiste que d'avoir appris son
métier au spirituel historiographe des batailles de Louis XIV.
PAUL MA.NTZ.

Les graveurs n'ont reproduit qu'un petit nombre des


tableaux de Pierre Snayers. On trouvera toutefois quelques
TOULOUSE. - Une Tête d'évêque. Ce tableau a été envoyé
en 1812, par le gouvernement, comme une peinture de l'école
planches d'après lui dans le recueil que Prenner a consacré à flamande : rien ne prouve qu'il s'oit l'œuvre de P. Snayers.
l'illustration de la galerie de Vienne, sous le titre de : Thea- VIENNE. — Paysage montagneux, avec un bâtiment ruiné;
trum artis pictoriœ (1727).
Quant à ses peintures, les catalogues des Musées nous
fournissent les indications suivantes :
— Une Bataille. — Halte
-
sur le devant, quelques voyageurs se reposent sotrsdesarbres.
de cavalerie. Choc de cavaliers.
— Un Combat sur un pont.
BERLIN. — Des Voyageurs dans un paysage. CABINET DE RUBENS, vendu en 1640. — Deux Paysages et.
DRESDE.— Une Scène de pillage. Deux autres tableaux. un Effet de nuit.
FRANCFORT. — Deux tableaux, dont l'un est signé : VENTE CHEVALIER, 1779. — Une Chasse au sanglier,
P. Snyers. 120 livres. (Ce tableau est plus vraisemblablement de
HAMPTON COURT. — Une Bataille. Snyders.)
MADRID. Trois paysages et douze tableaux de batailles ou VENTE FÉRÉÔL DE BONNEMAISON, 1827. — Cérémonie
scènes militaires, entre autres la Prise d'Ypres par les religieuse dans une ville de Flandre, grand tableau signé
Espagnols, les vues topographiques de Breda et de Gra- Peeter Snayers F.
velines, Saint-Omer secouru en 1638, le Siège d'une place VENTE SCHAMP D'AVESCHOOT. (Gand, 1840).— Rencontre
forte dans les Pays-Bas, etc. — Un de ces tableaux est signé d'ennemis.
Peeter Snayers, 1645. VENTE DU CARDINAL FESCH. (Rome, 1845). —Les Fléaux
MUNICH. — Le catalogue de ce Musée attribue à Van Dyck de la Guerre.
et à Snyders un grand tableau représentant une des victoires VENTE DU MARÉCHAL SOULT, 1852.— Choc de cavalerie.
de Henri IV sur le duc de Mayenne. D'après Nagler, ce d'armée (1634).
— Marche d'un corps
tableau devrait être restitué à Snayers. VENTE MORET, 1859. — Paysage boisé avec figures.
Æfcok iffiàmatic/e. xrle~1011 Jfëai'éraû,').
l'el

JACQUES JORDAENS
qÉ EN 4 593. — MORT EN 1 6 7 8.

Sur la fin du xvie siècle naquit en Flandre une génération


de peintresvaillants et robustes, qui, marqués à l'empreinte
du génie national, allaient redonner une physionomie
flamande à l'art flamand. Car depuis près de cent ans, il
n'y avait plus de peinture indigène dans la patrie du
grand artiste qui avait inventé la peinture à l'huile. Tandis
que les Breughel, race de paysans naïfs et spirituels,
faisaient déjà sous la dictée de la nature, des tableaux
singuliers que méprisaient sans doute les ambitieux secta-
teurs du style ultramontain, un homme fantasque et
violent, Adam Van Noort, s'abandonnait à tous ses
caprices sans s'inquiéter des importationsétrangères et de
cette Italie devenue le pèlerinage obligé de ses devanciers
et de ses rivaux. Vivant au milieu des courtisanes et des
fumeurs sa manière originale, fougueuse et désordonnée comme sa vie, contrastait avec la froide manière
,
des imitateurs. La jeunesse enthousiaste affluait dans son atelier, quoique le Flamand italianisé Otto Venius
eût, lui aussi, ouvert une école.
C'est chez Van Noort qu'entra Jacques Jordaens, lorsque déjà Rubens et Van Balen en étaient sortis. Né le
20 mai en 1593, quelques années après Rubens, quelques années avant Quellinus, Van Dycket Teniers,
Jordaens, fils d'un marchand de toile, allait contribuer plus que personne à la résurrection de l'art flamand.
Dans l'atelier d'Adam Van Noort, Jordaens se sentit à l'aise. Son imagination s'accommodait de la rude
pratique du vieux maître, dont l'atelier avait encore un autre attrait pour Jordaens. L'amour qui joue un si
grand rôle dans la vie de tous les artistes, l'amour l'avait attaché à Catherine, fille de Van Noort. Tandis que
le père courait les tavernes, la belle Catherine venait converser avec l'élève, si bien qu'il fallut les marier.
Rubens était alors dans toute sa gloire. Jordaens entra chez Rubens, sans quitter Van Noort; il étudia ses
deux maîtres à la fois; il copia les chaudes et vigoureuses peintures rapportées de Venise par Rubens, et
devint bientôt un praticien consommé. A l'âge de vingt-cinq ans, il aidait déjà Rubens à la série des tableaux
allégoriques pour Marie de Médicis, terminés à Anvers en 1623, et il vint probablement lui-même en France,
avec Van Thulden, Van Hoeck, Van Uden et plusieurs autres disciples de Rubens, dont on conserve encore
quelques œuvres dans la salle du Livre-d'Or, au Luxembourg. Les douze figures du Zodiaque, placées dans la
partie supérieure de la voûte de la première salle du musée moderne, de chaque côté du Lever de l'Aurore,
peint, plus tard, au centre de la galerie, par Callet, sont de Jordaens.
Mais c'était Anvers qui convenait à cet ardent génie, dont personne, pas même Rubens, n'a égalé la fougue
et l'exubérance. Si Rubens, dans ses Bacchanales, est le peintre de Bacchus et des nymphes sensuelles,
Jordaens est le peintre de Sylène et des lubriques satyres. Si Rubens n'était pas le créateur et la suprême
expression du style flamand, Jordaens eût été de force à inventer cette peinture abondante, charnue, pleine
de muscles et de vitalité. Car on ne saurait dire que Jordaens ait imité Rubens. Ils sont de la même famille et
du même tempérament, celui-ci plus distingué, plus pensif et plus profond, l'autre, ordinairement, plus rude
et plus grossier; encore, lorsqu'il a contenu sa verve et tempéré son exécution, ressemble-t-il à son maître, de
même que Rubens lorsqu'il s'emporte et rugit pourrait être pris pour Jordaens. Il y a des Jordaens attribués
à Rubens et des Rubens à Jordaens. Rubens tient le milieu entre Jordaens et Van Dyck. Rubens est d'or, Van
Dyck d'argent, Jordaens est de sang et de feu. Mais tous trois ont quelquefois parcouru toute cette gamme de
couleur, du haut en bas. Ainsi le fin et délicat Van Dyck s'est emporté jusqu'au rouge de Jordaens dans un
Sylène soutenu par les satyres, du musée de Bruxelles; Rubens a fait de même, dans un tableau de ce musée,
dans le Saint Lievens, où le bourreau arrache la langue du saint au milieu d'une gloire d'anges descendus
du ciel pour lui offrir la palme du martyre.
Jordaens représente donc, même au delà de Rubens, la fureur du coloris et l'ampleur de la pratique. Sa
peinture flambe, brûle, éclate. Ses personnages s'étalent avec une incomparable prospérité. Sur ses toiles, on
n'a jamais vu de femmes maigres et pâles, mais des matrones rebondies, avec des formes exaltées, du sang
pourpre plein les veines.
A Anvers, Jordaens conquit bien vite la popularité immense qui ne pouvait lui faire défaut dans un tel
milieu. Les gros Flamands reconnaissaient leur roi par la vertu de la chair. Vive Jordaens, et Bacchus en
Hercule, et la Vénus du Nord! La Vénus de Jordaens, c'était Catherine Van Noort, qu'il a peinte dans la plu-
part de ses tableaux, de même que Rubens a peint Isabelle Brandt ou Hélène Forman. Regardez Catherine
s'épanouir comme une grenade ouverte au soleil dans le Concert de famille et dans ce tableau ruisselant de
chair qu'on appelle le Roi boit, que l'on dirait placés au musée du Louvre pour marquer la différence qui sépare
les réalités dela vie des mensonges de la peinture. Ici, elle est assise à droite, tenant un enfant; là, elle est vue
de face, au milieu, sous la tête du fou d'Anvers, élu des modèles favoris de Jordaens, et elle chante, ou plutôt
elle crie de tous ses poumons avec les joyeux concertants de ce tapage si improprement appelé concert. Ad-
mirez comme elle porte bien sa chevelure splendide, comme son double menton s'emmanche solidement à un
ou nécronien, comme sa gorge est attachée à une poitrine pleine de souffle et de santé, et comme ses flancs
prennent de l'espace! Et partout où Jordaens l'a mise, cette Vénus familière et préférée, dans les bacchantes,
dans les bergères, dans les rôles d'impératrices, elle s'est toujours trouvée à sa place, et n'a jamais rien voulu
perdre de l'éclat de sa peau, ni de l'épaisseur de ses muscles; elle n'a pas réprimé un seul pli de sa bouche
souriante, ni renoncé au moindre degré de sa fraîcheur et de sa couleur. La femme de Jordaens tient à sa répu-
tation comme la femme de César.
,
« Il est remarquable, dit M. Thoré avec sa verve habituelle, qui dans ses rencontres me rappelle les plus
chaudes et les plus belles tirades de notre ami Diderot, il est remarquable, par d'excellentes raisons, que les
femmes ou les maîtresses des poëtes et des peintres symbolisent toujours à merveille le caractère et le
style des artistes qui les ont aimées. Les vers d'Horace et d'Ovide ressemblent à Chloé et à Julie. Dante est
mystérieux comme Béatrix. La peinture de Raphaël est belle et noble comme la Fornarina; la Volante, du
Titien, est ambrée et robuste, comme la couleur de Venise; le talent d'Albert Durer est anguleux et volon-

taire, comme la femme qui rendit si malheureux le pauvre grand peintre de Nuremberg. Rubens est fleuri,
voluptueux, splendide, comme Isabelle et Hélène; Van Dyck est élégant comme ses maîtresses de la cour
d'Angleterre; Boucher est maniéré comme les filles de l'Opéra; Poussin est grave comme la philosophie, son
amante; Lesueur est chaste comme les religieuses qu'il adorait au couvent, d'une passion romanesque et dis-
crète. Dis-moi qui tu aimes et je te dirai qui tu es. »
Jordaensaimait la fraîcheur, la fécondité, l'éclat et l'énergie. Toute sa peinture offre ces rares qualités. En six
jours, comme le Dieu de la Bible, il peignait Pan et Syrinx, figures de grandeur naturelle, dans un paysage
éblouissant, un de ses chefs-d'œuvre. Mais le septième jour, il ne se reposait point. Sa main infatigable créait
sans cesse de nouvelles images, donnait la vie à de nouvelles figures. Rubens a peint environ trois mille
tableaux, dont près de quinze cents ont été gravés; Teniers a fait jusqu 'à trois cent cinquante tableaux en une
seule année. Jordaens égala presque en fécondité ces producteurs prodigieux. Il a souvent exécuté en une
séance, un portrait ou une figure de grandeur naturelle.
Aussi, sa fortune augmentait avec sa renommée. Sa maison était luxueuse comme une maison de grand
seigneur. Breughel, Rubens, Van Dyck, Teniers, ont eu également ce privilége de vivre dans des palais, au
milieu des magnificences de la civilisation, entourés des chefs-d oeuvre de l 'art, des merveilles de l 'industrie,
de toutes les ressources de la richesse. Van Dyck, à la vérité, s engouffra dans l 'alchimie, et Teniers se ruina
plusieurs fois; mais Jordaens, que son caractère ouvert et loyal faisait rechercher de tout le monde, auquel
Rubens avait voué une amitié fraternelle, demeura toute sa vie durant dans une abondance délectable,
dans un bonheur que rien ne troubla; heureux de ses chevaux pommelés, qu'il peignait avec tant de
feu, après les avoir montés, et de ses étoffes éclatantes, dont il habillait ses personnages, après s'en être
lui-même revêtu. Depuis 1639 jusqu'à sa mort, il habita à Anvers la maison faisant le coin sud-est de la
rue Renders.
Les peintres, alors, vivaient dans une confraternité sans nuages, se prêtant les uns aux autres le secours
de leur spécialité, pour faire des œuvres plus parfaites, quoique chacun de ces grands hommes eût été bien
capable de traiter en maître accompli les divers genres de la peinture. Les brillantes écoles d 'Italie avaient fait
ainsi au xvie siècle. Rubens a peint des figures dans les cuisines de Sneyders, dans les fins paysages de
Breughel, et même au milieu de ses guirlandes de fleurs. Les Franck et Teniers ont découpé leurs petites
figures dans presque tous les tableaux des contemporains.
Il en était de même en Hollande, où Berghem, Lingelback, Poelemburg, Adrien Van de Velde, Wouwermans,
Cuyp et autres, animaient de personnages les paysages de Wynants, de Van der Neer, de Ruysdael, et même
d'Hobbema, les places publiques de Van der Heyden ou les intérieurs d église de Steenwyck et de Peeter Neefs.
La plupart des Flamands du xvne siècle ont travaillé aux chefs-d'œuvre originaux de Rubens.
Outre qu'il a été le collaborateur de Rubens en plusieurs œuvres capitales, Jordaens a peint très-souvent en
compagnie de Sneyders, ou de Jean Fyt. Les grosses servantes de Jordaens allaient bien avec les gibiers
rutilants et les poissons argentés de Sneyders, avec ses homards accrochants la lumière à tous leurs piquants.
Les lièvres roux, les faisans, les canards, les sangliers et les meutes de Fyt, se trouvaient on ne peut mieux
dans la compagnie des braves sonneurs de trompe, que Jordaens peignait vivants et palpitants, comme pour
faire un éclatant contraste avec la nature morte du Hollandais. Bien qu'il prêtât volontiers son concours,
Jordaens, lui, n'appela jamais personne à son aide pour ses propres compositions, faisant toujours de sa main,
ciels. Personne n'a engraissé de plus
ses chevaux, ses chiens, ses vaches et ses moutons, ses paysages et ses
beaux bœufs que Jordaens; personne n'a élevé des chevaux plus vaillants et plus solides, et ses chiens
haletants le disputeraientaux meutes victorieuses de Sneyders.
les
Dans le Triomphe allégorique du prince Frédéric Henri de Nassau, conservé maintenant à La Haye,
chevaux blancs, attelés au char, sont magnifiques. Ce triomphe, dont il existe quelques esquisses dans les
musées belges, passe pour un des meilleurs tableaux de Jordaens. C est assurément une de ses compositions
les plus grandioses et les plus soignées. Il avait ici à célébrer son prince, comme Rubens avait
célébré sa reine
bien-aimée, Marie de Médicis. Sans doute, en peignant son Triomphe de Nassau, il puisa dans les trésors de
magnificence que renfermait l'œuvre de Rubens; mais du moins on peut dire qu 'en cette concurrence, le
Médicis
disciple inspiré a égalé le maître inspirateur. Il est vrai que notre galerie de l histoire de Marie de
vraiment
est assez secondaire dans la série des Rubens, à cela près de certains morceaux d une importance
capitale.
il faut voir
Si l'on veut trouver réunies à leur plus haut degré de splendeur toutes les qualités de Jordaens,
treize pieds sur
le Jésus chassant les vendeurs du temple, qui resplendit au musée du Louvre; la toile, large de
des
neuf de hauteur, est pleine à se rompre : un peu à droite, le Christ, et autour de lui des hommes et
qui se sauvent,
femmes, des bœufs et des moutons; au milieu et à gauche, des colosses mâles et femelles
emportantleurs marchandises sur leur tête, leurs éventaires sous leurs bras; dans le nombre, une grosse
les personnages du tableau. Au
femme, à chapeau de paille, et qui semble à elle seule peser autant que tous

premier plan, un homme qui est vu de raccourci et qui tombe en avant, a effrayer le spectateur, quand il est
Israélites regorgeant de force
sous le tableau; au fond, les deux scribes des marchands, deux énormes
et de santé comme tout le reste. A gauche, entre les colonnes, des figures curieuses
qui regardent. En haut,
en bas, ici et là, partout, la foule, le mouvement, la couleur.
Le Roi boit, qui a été gravé souvent, et surtout par Paul Pontius dont c'est le chef-d'œuvre, est aussi
une
composition pleine de vie et de lumière. On y retrouve la plupart des têtes affectionnées de Jordaens, outre
sa femme, dont nous avons déjà parlé. On connaît plusieurs dessins éblouissants de ces deux tableaux. Les
dessins de Jordaens sont, d 'habitude, des aquarelles très-vigoureuses, dessinées
aux crayons noir et rouge,
lavées de toute couleur, et quelquefois rehaussées de blanc et même d'autres tons à l'huile. Ils
se vendent
assez cher, à cause de leur beauté et de leur importance, plus cher même, relativement, que les grands
tableaux du maître. Jordaens a aussi gravé quelques eaux-fortes assez recherchées, dont le catalogue raisonné
a été dressé par Hecquet, et placé à la suite de celui de Rubens, par le même auteur.
Jordaens a été supérieur dans le portrait, comme dans les allégories, les tableaux religieux et mythologiques,
ou les sujets de caprice. Encore, sa manière, qui se refuse sans doute aux sujets distingués, est-elle mieux*
appropriée au portrait, qui exige surtout la traduction de la nature. En fait de mythologie, les Silènes, les
Satyres, la Vache Io, les bacchanales; en fait de tradition catholique, les naissances dans l'étable, les
adorations des bergers, etc., tout cela va bien; mais il ne faudrait pas entraîner Jordaens dans la délicatesse
et le mysticisme. Pour ses portraits, les marins hollandais sont formés tout exprès à son usage; la réalité lui
appartient. Il n'est pas embarrassé de transporter sur sa toile leurs grosses joues rubicondes, d'y faire
briller leurs yeux enflammés, d'y draper leurs manteaux à grands plis.
Quand Rubens fut mort, en 1640, et Van Dyck en 1641, il est clair que Jordaens n'eut plus de rivaux à
Anvers. Il n était presque alors qu'à la moitié de sa carrière. Ses tableaux de cette époque sont innombrables.
Tous les princes d 'Allemagne, tous les riches des Pays-Bas, tous les châteaux et toutes les églises, voulurent
avoir des œuvres de Jordaens. Lui, avec l'entrain de son tempérament et la facilité de pratique, il enlevait
sa
des figures gigantesques à la journée, il couvrait de ses robustes couleurs des arpents de toile,
sans se lasser;
il dépensait à profusion tous ses trésors, et cela dura jusqu'en sa vieillesse. Ces terribles artistes, comme
Michel-Ange, Titien, Jordaens, pour qui l'art est une seconde vie, ne cessent de peindre et de vivre que le
jour de leur mort.
Jordaens cependant eut le malheur de perdre Catherine Van Noort, en 1659. A partir de cette époque, il
se ralentit un peu, et dix-neuf ans après, en 1678, le 18 octobre, il mourut lui-même, âgé de quatre-vingt-
cinq ans. Sa fille chérie, Anne Catherine, mourut le même jour que lui. On les enterra tous deux dans l'église
réformée de la seigneurie et bourg de Pûtte, village situé sur la frontière des Provinces-Unies où
se
trouve encore la pierre tumulaire du grand peintre flamand, que fit restaurer, il y a quelques années, le
roi Guillaume II des Pays-Bas. Jordaens, qui le croirait? le grand faiseur d'images, était protestant. Né dans
la religion catholique, il avait adhéré, avec son beau-père, quelques années après son mariage, au culte
réformé, à cette religion indifférente ou plutôt hostile aux cérémonies du culte extérieur et à la signification
de la forme.
De Piles a écrit au sujet de Jordaens : « Il ne lui manquait que d'avoir vu l'Italie. » Cela lui manquait, il est
vrai; mais pour bien rédiger la phrase, il faut dire : « heureusement qu'il ne vit point l'Italie. » Il est en effet
des peintres auxquels l'Italie n'est pas bonne, et en qui l'originalité native, lorsqu'elle est aussi puissante, est
préférable même avec ses vices, à une science qu'on accepte malgré soi, et à une correction d'emprunt qui
devient par cela même maniérée et fausse. Et à ce sujet, qu'on nous permette de citer l'opinion d'un
homme fort sensé et qui n'est point suspecte ici, celle du classique Taillasson. Il compare le regret
exprimé par de Piles au sujet du voyage en Italie, à ces lieux communs que l'on répète sans cesse et qui
rappellent les remèdes qu'on ordonne pour toutes les maladies. « Sans doute, l'Italie aurait pu donner
une meilleure forme au dessin de Jordaens, mais elle n'aurait pas donné plus d'élévation et de noblesse
à son génie; elle l'aurait peut-être écarté davantage encore du genre pour lequel il était né : la nature
l'avait particulièrement organisé pour bien sentir, pour bien exprimer des vérités communes, des figures
triviales et risibles, qu'il rendait avec une justesse et une énergie tout-à-fait originales. Personne n'a
peint comme lui ces visages rubiconds, chargés de masses de chair, à travers laquelle on croit voir
circuler ensemble de la bière, du vin, du sang et de l'eau-de-vie. De Piles aurait eu bien plus de
raison de dire : « quel homme extraordinaire Jordaens eût été, si, au lieu de peindre les sujets antiques,
« des sujets de l'histoire héroïque, il s'en fût tenu à ceux de l'espèce du Roi boit; sujet qu'il sentait si

« bien qu'il l'a peint de plusieurs manières différentes. » Nous dirons donc à notre tour : Il vaut mieux
être Jacques Jordaens d'Anvers, Jordaens le Flamand, incorrigible, incorruptible, entier, que d'être un
transfuge dénationalisé et débaptisé par les Italiens, qui n'eussent pas manqué d'appeler Jacques Jordaens
Jacopo Giordano. On n'est quelqu'un, a dit un homme d'esprit, qu'à la condition de n'être pas quelque
autre.

CHARLES BLANC.
MGISMIM JETI' MDIKGJLTOM -

Si nous exceptons le tableau allégorique : la Loi humaine duit ; le Concert de famille, véritable chef-d'œuvred'exécu-
basée sur la Loi divine que l'on voit au musée d'Anvers, et tion de modelé et d'énergie ; l'excellent portrait de l'amiral
,
au bas duquel Jordaens a constaté dans une longue inscrip- Ruyter.
tion, qu'il a signée en lettres romaines, le don qu'il faisait A VIENNE AU BELVEDER : Deux Marchés aux poissons,
de cette peinture à la confrérie de Saint-Luc; nous ne retrou- — le Roi boit, Baucis et Philémon.
vons la signature de cet artiste au bas d'aucun de ses A MUNICH : Le Roi boit, sujet souvent répété.
tableaux. A DRESDE : Diogène, sa lanterne à la main, — le Christ
J. Jordaens, à l'exemple de beaucoup de peintres, a gravé ait tombeau, entouré des saintes femmes, — Ariane
plusieurs sujets à l'eau forte. Son œuvre se compose de huit entourée de Faunes et de Bacchantes, — Présentationau
planches: une Fuite en Égypte, — Jésus chassant les Temple, — Repas de famille, — Hérode pris de vin.
vendeursdu Temple, — une Descente de croix , — Mer- A AMSTERDAM : Le dieu Pan gardant des chèvres,
cure coupant la tête à .4rgus, — Jupiter arrêtant 10, — A LA HAYE : Vénus suivie de Bacchantes et de Satyres,
Jupiter enfant nourri par la chèvre Amalthée, — un — un Satyre et une
fille tenant une corbeille remplie de
Paysan arrêtant un bœuf par la queue, — Saturne sur fruits.
les nues dévorant un de ses enfants. Cette pièce est très- A BRUXELLES : Saint Martin guérissant un possédé, —
rare. un Satyre portant un Faune, — le Triomphe du prince
Ces estampes sont peu recherchées des amateurs. A la Frédéric-Henride Nassau, — tête d'Apôtre priant, —
vente Ri gai, en 1817, la collection complète, moins le la Vanité du monde, — le Satyre et le Paysan.
Saturne, n'atteignit que le chiffre insignifiant de 3 fr. 55 c. A ANVERS : Sept tableaux de J. Jordaens : la Cène; les
Comme Rubens, J. Jordaens eut le bonheur de voir ses Sœurs hospitalières ; le Christ au tombeau; le Pégase;
compositionsreproduites par le burin des plus habiles gra- un tableau allégorique; l'Adoration des Bergers; la Loi
veurs de son époque. Malheureusement on n'en compte que humaine basée sur la Loi divine.
vingt-trois, mais ce sont autant de chefs-d'œuvre. Bolswert A LONI)RES : Une Sainte-Famille.
n'a rien gravé de mieux que Jupiter nourri par les Satyres, A SAINT-PÉTERSBOURG : L'apôtre Saint Paul.
A MADRID : Jugement de Salomon, le Mariage de sainte
— le dieu Pan qui garde des chèvres, — le Concert, — un
Faune tenant une corbeille de raisins et ayant derrière Catherine, — un Concert, — un Repas de famille, —
lui Cérès; Paul Pontius, que le Roi boit; Marinus, que la Méléagre,— le Jugement de Paris, — Sacrifice à Pomone
sainte Apolline; P. de Jode, que la Nativité et le saint et Diane au bain.
Martin; Lauwers, que Baucis et Philémon, et Vorster- Les tableaux de chevalet de Jacques Jordaens, les seuls à
man, que les deux sujets du Satyre chez le Paysan. Toutes peu près que les amateurs pussent rechercher et les seuls
ces pièces sont fort chères. Déjà, en 1 775, à la vente Mariette, aussi qui se produisent dans les ventes publiques, sont très-
on adjugeait pour 145 livres 1 s. le Roi boit, et pour 199 livres rares. C'est à cette circonstance que nous devrons de ne pas
19s. .le Faune tenant une corbeille, et le pendant, gravé pouvoir indiquer un grand nombre de prix. Voici ceux que
par Falk, qui représente deux figures d'hommes et de nous avons pu recueillir :
femme qui chantent. VENTE DE JULIENNE, 1767 : Le Concert, gravé par Bols-
J. Jordaens a laissé un grand nombre de dessins, ils sont wert : 800 livres ; Notre Seigneur qui appelle à lui les
ordinairement coloriés et tiennent lieu de tableaux ; souvent enfants : 1,202 livres.
le trait est au pinceau; quelques-uns sont arrètés à la plume; VENTE PRINCE DE CONTY, 1777 : Portrait de Jordaens
les fonds sont hachés à la pierre noire sur laquelle est passée et de sa femme : 2,000 livres; il en avait atteint 2,400 à la
une teinte au lavis. Cet artiste se servait aussi de bistre, vente du duc de Choiseul, cinq années avant; Argus qui
d'encre de la Chine qu'il rehaussait de blanc. Les têtes de ses garde la vache 10: 150 livres; Adonis partant pour la
dessins sont lourdes, incorrectes et le caractère en est bas; chasse : 423 livres.
le goût commun, mais les compositionsen sont bien éten- VENTE RANDON DE BOISSET, 1777 : Le Roi boit, composi-
dues, grandioses et d'un effet admirable. tion de douze figures: 4,801 livres; Silène et l'Ai)iouî- :
Le Louvre en possède plusieurs. 2,060 livres.
Presque tous les musées de l'Europe comptent quelques Enfin, et plus récemment, nous trouvons à la vente de
peintures de J. Jordaens, mais ceux de la Belgique, et les Guillaume II, roi des Pays-Bas (1850), trois tableaux de
églises surtout de ce pays, sout remplis des productions de J. Jordaens : Neptune et Amphytrite, vendu 4,330 fr. 40 c.;
ce maître. l'Adoration des Mages et le Portement de Croix, vendus
LE LOUVRE en a sept : Jésus chassant les vendeurs du ensemble 2,222 fr. 01 c.
temple, estimé 36,000 fr.; le Jugement dernier, 800 fr.; Plus récemment encore, à la vente du maréchal-général
les Quatre Évangélistes, 6,000 fr.; le Roi boit, qui nous Soult, duc de Dalmatie, 1852 : un Satyre et deux Faunes :
paraît ètre une copie, 10,000 fr.; un Satyre, un Enfant, 405 francs.
et une Femme qui trait une chèvre, que nous avons repro- AD.
(ocaée .r%'mancle
-i e-#l.

LUCAS VAN UDEN


NÉ EN 1595.
— MORT VERS 1660.

Bien qu'il soit singulièrement déchu de son ancienne


renommée et que son œuvre n'occupe plus aujourd'hui
dans les musées et les cabinets d'amateurs la place
qu'on lui donnait jadis, Lucas Van Uden aura toujours
droit à un souvenir dans l'histoire du paysage en Flandre.
Né aux plus beaux jours de l'école d'Anvers, lutteur
activement mêlé aux grandes choses qui signalèrent le
règne de Rubens, appelé enfin à travailler sous sa
direction à la décorationdes palais et des églises, il a reçu
de la bouche même du maître un enseignement dont il
aurait sans doute pu tirer un meilleur parti, mais qui,
quelle que soit l'infériorité relative du résultat obtenu,
attachera au nom à demi voilé de Van Uden lin vague reflet de célébrité. Certes, le plus savant
paysagiste d'Anvers, celui qui comprenait, le mieux la magie des grands spectacles de la nature, c'était
Rubens lui-même. Il suffit d'avoir vu au Musée de Louvre l'effet de soleil couchant qui resplendit dans le
tableau du Tournoi et le poétique arc-en-ciel qui sourit dans la composition voisine pour sentir que, lorsqu'il
avait besoin de faire mouvoir ses figures sur un fond de paysage ou de dérouler en plein air ses mythologies
et ses scènes rustiques, Rubens n'avait à invoquer le secours de personne. Toutefois l'illustre maître était
si vivement attiré vers l'histoire proprement dite et vers le portrait, il se laissait d'ailleurs surcharger de
tant de travaux que parfois, dans les moments où il ne voulait ou ne pouvait pas tout faire par lui-même, il fil
appel au concours d'un pinceau étranger. Lucas Van Uden, et c'est là le plus sérieux honneur de sa vie,
fut l'un des artistes (peut-être faudrait-il dire l'un des ouvriers) que Rubens associa le plus volontiers à cette
glorieuse collaboration.
Lucas Van Uden était né à Anvers, le 18 octobre 1595, dans la maison et sous les yeux d'un peintre, car
son père, Arnould Van Uden, était l'un des artistes que l'hôtel de ville employait d'ordinaire pour les travaux
décoratifs des cérémonies municipales. Arnould passe pour avoir enseigné les rudiments de la peinture a
son fils, qui, comprenant sans doute l'insuffisance de ses leçons, essaya d'y suppléer par l'étude assidue de
la nature. Les historiens de l'art flamand font du jeune Van Uden un esprit contemplatif, une sorte de rêveur
qui, dès les premières lueurs du matin, allait épier dans les vapeurs des champs humides le silencieux
lever de l'aurore. Ils le représentent le crayon ou le pinceau à la main, fixant sur le papier ou sur la toile
les silhouettes des grands arbres mélancoliques, le toit fumeux du berger, le moulin aux ailes tournantes,
et surtout les effets mystérieux, dramatiques, charmants qui font du ciel et de ses métamorphoses le plus
beau, le plus varié des spectacles de ce monde. Disons-le tout de suite, l'étude de l'œuvre de Lucas Van Uden
ne confirme pas tout à fait l'assertion de ses biographes. On n'y retrouve point l'artiste qui a vécu en aussi
étroite communion avec la grande enchanteresse. On y sent moins l'homme aux naïves impressions que le
peintre qui, nourri dans les ateliers de la sève des maîtres, obéit, sans trop s'en rendre compte, aux
habitudes d'un maniérisme quelque peu systématique. Van Uden n'a pas cette fraîcheur, cette onction, cette
intimité que nous trouvons, par exemple, dans les paysagistes hollandais, et qui montrent qu'en reproduisant
avec le pinceau la physionomie des champs et des bois, ces artistes émus mettaient dans leur œuvre une
bonne part de leur cœur.
C'est qu'en effet, et quoi qu'on ait dit, le talent de Van. Uden ne fut pas le produit spontané d'un génie
qui s'engendre de lui-même. Indépendamment de son père, Van Uden eut un maître, et peut-être deux :
« L'on m'a assuré, dit Mariette dans les notes manuscrites de YAbecedario du P. Orlandi, qu'il étoit disciple
de Fouquier. » Cette conjecture n'aurait rien que de vraisemblable; mais à défaut d'une preuve authentique,
il faut plutôt supposer que, s'il y a quelque chose de commun entre Jacques Fouquières et Van Uden, c'est
qu'ils se sont tous deux abreuvés à la même source, et qu'ils ont subi à un égal degré la puissante influence
du même maître, Rubens. Il paraît que les premiers essais de Van Uden avaient attiré sur lui l'attention
de l'homme qui, toujours occupé de son art, savait le mieux ce qui se passait dans Anvers, aux alentours
de son atelier et dans l'atelier de ses confrères. Il se fit amener le jeune peintre; il lui donna des avis,
il lui apprit les belles méthodes pour bien voir la nature et la bien rendre, et aussi, car c'est là ce qui
caractérise Van Uden, ces libres hardiesses du pinceau qui rapprochent sa manière de celle qu'emploient
les décorateurs dans l'exécution des vastes machines pittoresques. Désormais, et dès qu'il eut vu combien
Rubens peignait vite et à coup sûr, la nature ne fut plus pour Van Uden la première et la seule institutrice,
la muse toujours consultée et toujours obéie : Rubens passa avant elle, et le jeune paysagiste, tempérament
d'un ordre secondaire et peut-être même un peu servile, ne vit plus les choses du monde extérieur qu'avec
les yeux de son maître. Ce dernier le traita du reste avec une tendresse paternelle; il lui fit l'honneur
de peindre d'éclatantes figures dans quelques-uns de ses paysages, faveur doublement précieuse, puisqu'en
donnant à Van Uden une notoriété précoce, elle augmentaitsingulièrement la valeur de ses tableaux, qui,
dès lors, commencèrent à se vendre Mais, je le demande, lorsqu'un curieux achetait ainsi l'œuvre
commune du maître et de l'élève, que consentait-il à payer de ses plus beaux florins, les figures de Rubens
ou les perpectives de Van Uden?
Bientôt célèbre, le nouveau paysagiste fut associé en 1627 à la corporation de Saint-Luc', et cette
affiliation le consacra aux yeux de tous. Lucas Van Uden avait d'ailleurs connu dans l'atelier de Rubens
les plus illustres peintres du temps et entre autres Van Dyck, qui non moins généreux que le maître, fit de
lui un portrait vivant et superbe. L'effigie de Van Uden, gravée par Luc Yorsterman, figure dans la série
connue sous le titre de Centum Icones. L'artiste y est qualifié de pictor ruralium prospectuum. 11 y apparaît
comme un homme jeune encore, vêtu d'un pourpoint aux manches élargies et le col entouré d'une fraise
([in étale sur le vêtement ses élégantes découpures. Van Uden tient à la main une épreuve d'une gravure

inachevée où l'on voit se dessiner un arbre. Son visage, accentué d'une moustache à la Van Dyck, est
intelligent et doux, l'expression en est presque tendre, et, détail curieux, l'œil rêveur n'est pas sans
tristesse.
Et cependant, s'il est vrai que le succès console de toute peine, Van Uden n'avait pas le droit d'être
mélancolique. Son talent ne rencontrait point d'ennemis; sa vie ne se heurtait contre aucun obstacle. Van
Uden réussissait, et pour savoir pourquoi, il suffit de se rendre un compte rapide de la marche que suivait
alors en Flandre la peinture de paysage. Un artiste d'une certaine vigueur, Jacques Fouquières, celui-là
même que Mariette désignait tout à l'heure comme l'un des maîtres de Van Uden, était parti pour la France
en 1621, laissant à Anvers une place inoccupée; d'autre part, Breughel de Velours venait de s'éteindre
dans toute la force de son talent regretté (1625), enfin, un peintre dont la génération précédente avait
fait grand cas, Paul Bril, était mort à Rome en 1626, emportant avec lui dans la tombe le secret d'une
manière qui ne devait pas avoir d'imitateurs. Ainsi il ne restait guère plus sur le champ de bataille que les
paysagistes qui suivaient de près ou de loin les chemins frayés par Rubens. Josse de Momper et Jean

1 Alfred Michiels, Rubens et l'école d'Anvers, i854, page 414.


Wildens tenaient le haut du pavé. Bien qu'ils ne fussent pas absolument du même âge et que leur
pinceau ne montrât pas une habileté pareille, ils avaient tous deux reçu la même éducation, les exemples
laissés par Breughel de Velours étaient constamment sous leurs yeux, leur principe était identique, et
dans leur respect exagéré pour une méthode qu'une observation sincère leur avait autrefois révélée, mais
(lui était devenue pour eux un système et presque une routine, ils voyaient presque toujours la nature
sous cet aspect étrange et un peu bleuâtre qui, ainsi qu'Houbraken en a fait la remarque, azuré
ordinairement les horizons, les champs et les bois à l'heure où l'aurore, encore mal éveillée, projette au
loin ses lueurs indécises. — Mais leur pinceau fatigué s'était fait une habitude de cette coloration voilée et
froide, et alors même qu'ils représentaient la campagne au moment où le soleil de midi l'inonde de sa
pleine lumière, ils enveloppaient toujours leurs verdures d'une sorte de vapeur bleue. Lucas Van Uden.
lui aussi, avait connu et admiré Breughel, mais il était plus jeune que les maîtres que nous venons de
nommer. Moins savant sans doute, moins consciencieux assurément dans l'exécution du détail, il
paraissait mieux affranchi de la tyrannie des traditions anciennes, et au gré des curiosités flamandes, il
apportait dans son interprétation de la nature un art sinon plus vrai, du moins plus nouveau.
Les. paysagistes d'alors ne manquaient pas d'occasion d'employer leur talent. Indépendamment des
amateurs qui faisaient appel à leur pinceau pour la décoration de leurs maisons, le clergé lui-même aimait
à les associer à l'embellissementde ses cathédrales. C'était une joie pour les prêtres et pour les moines que
d'égayer la froide nudité de leurs églises à l'aide de grandes toiles semi-religieuses, semi-pastorales, fraîches
perspectives des campagnes voisines, solitudes ombreuses et vertes qui, au milieu des lignes sévères de
l'architecture étaient comme un vivant souvenir de la nature extérieure. Van Uden fut plus d'une
,
fois appelé à exécuter des peintures de ce genre; mais son œuvre la plus importante — et elle est
malheureusement dispersée aujourd'hui, — ce fut la série de paysages qu'il peignit pour Saint-Bavon et
où il avait représenté les principales scènes de la vie des Pères du désert \
L'Italie elle-même plaça dans l'une de ses églises des tableaux de Van Uden, et si j'en crois une
indication qui aurait peut-être besoin d'être vérifiée, elle ne craignit pas d'y mettre en pleine lumière des
paysages enrichis de personnages de la fable. Qui le croirait? les deux tableaux de Van Uden que possède
le Louvre ont figuré jadis, par une distraction qui provoque le sourire, dans l'église de Saint-Louis des
Français, à Rome 2, et ils représentent l'un l' Enlèvement de Proserpine, l'autre Cérès et la nymphe
Cyané, sujets qui, au premier abord, n'ont rien d'absolument catholique. Mais quelle que soit la
provenance de ces deux peintures, elles tiennent trop de place dans l'œuvre de Van Uden pour que nous
ne nous y arrêtions pas un instant.
L'Enlèvernent de Proserpine, il est impossible de le nier, est un paysage complètement systématique.
Au premier aspect, c'est moins un tableau qu'une tapisserie, ce sont les mêmes tons éteints, la même
coloration fanée. Dans les profondeurs de l'extrême horizon, une montagne et la silhouette d'une ville
antique se perdent dans un lointain gris; plus près du spectateur, s'étendent des bosquets d'un bleu vert,
ce qui dénote dans Van Uden un peintre presque contemporain de Jean Breughel; plus près encore est
un vaste champ de blé où d'actifs paysans moissonnent les épis mûrs; enfin sur les premiers plans, on
voit, au milieu d'âpres terrains tout hérissés d'accidents pittoresques, se dresser de grands arbres sévères
et couler une rivière au flot transparent. C'est là que se passe le drame. Pluton vient de saisir Proserpine,
qui se débat dans les convulsions d'une douleur impuissante, tandis que, sortant à demi de l'eau, Cyané,
la nymphe sicilienne, appelle le ciel à son aide et essaie de s'opposer à l'enlèvement de sa compagne.
L'imagination, et même une imagination féconde, a seule pu fournir à Van Uden les éléments d'un
paysage aussi compliqué et où, j'ai regret à le dire, le sentiment véritable de la nature est si visiblement
absent.

1 Mcnsaert, le Peintre amateur et curieux, 1763. Il. p. 19, 20 et 23.


i Notice des tableaux exposés au Musée du Louvre (école flamande), 1852.
Dans la composition qui sert de pendant à celle que nous venons de décrire, l'influence de Rubens
se trahit davantage, et l'on y reconnaît en même temps une plus sincère étude des réalités agrestes.
L'horizon, chargé de nuages pluvieux et comme hésitant entre le beau temps et l'orage, s'éclaire et
s'accidente, par un de ces effets dont Rubens avait enseigné la poésie à Van Uden, de la lueur empourprée
d'un double aro-en-ciel. Au milieu de la toile un groupe d'arbres se dresse sur un tertre et anime le tableau
par la coloration vigoureuse de son feuillage vivace. Quant aux figures, elles racontent la suite du drame

dont Van Uden retraçait tout à l'heure la première scène. Cérès y apparaît tenant un flambeau (et l'on
ne saurait dire pourquoi, puisque l'artiste a représenté un effet de jour); elle court désespérée et comme
folle, demandant à tous les échos la fille qu'un dieu lui a prise. C'est alors qu'elle rencontre Cyané, qui,
témoin de l'enlèvement de Proserpine, en redit les détails à la mère plaintive. Les figures dont Van Uden
a enrichi ces deux tableaux ne révèlent la main d'aucun des artistes flamands qui nous sont connus; elles
ont du mouvement, presque du style, et à cause de l'originalité de leur exécution, nous ne pouvons les
attribuer qu'à Van Uden lui-même, qui, ainsi que Descamps nous l'apprendra tout à l'heure, était plus
habile dans la représentation de la figure humaine que les paysagistes
ne le sont d'ordinaire. Le groupe de
Proserpine et de Pluton et la silhouette de Cérès éperdue donnent une
assez haute idée du talent de Van
Uden dans ce genre cette manière hautaine et animée, ce goût, involontairementitalien, qui éclate
:
dans les attitudes et dans les gestes, doivent même faire regretter que le modeste peintre de perspectives
ne se soit pas essayé à reproduire, dans des proportions plus élevées, de véritables sujets historiques.
Malgré ce mérite spécial, Lucas Van Uden n'en est pas moins un de ces maîtres que la renommée a
traités en enfants gâtés, et que leur œuvre a quelque peine à défendre contre les sévérités de la critique
moderne. On le tenait en haute estime au dix-huitièmesiècle, mais le goût a changé, et il n'est personne qui
consentirait à s'associer aujourd'hui à l'éloge que Descamps faisait alors de sa manière. « Ses paysages,
dit-il, sont intéressants; des cieux et des lointains clairs, une étendue de pays, des arbres variés; une
touche légère donne du mouvement à son feuillé. Sa couleur est naturelle, tantôt tendre et quelquefois
vigoureuse. Fin et piquant dans ses petits tableaux, large et décidé dans le grand, on peut le mettre au
rang de ceux qui ont le mieux peint la figure. Il sera toujours placé avec distinction à côté des plus grands
maîtres \ »
Non, Van Uden ne sera pas toujours aussi bien placé. Et cependant il y a quelque vérité dans les
éloges que Descamps lui donne. Ce maître hardi qui maniait avec tant d'aisance la brosse du décorateur,
savait se servir également des plus fins pinceaux, et il a fait dans de petites proportions des œuvres
d'une certaine délicatesse. Le paysage que possède M. Duclos est un charmant échantillon de la manière
patiente de Van Uden. Passer ainsi de la grande machine à la peinture de chevalet, c'est faire preuve
d'une souplesse de talent qui ferait envie à plus d'un maître glorieux ; c'est montrer en même temps
qu'on a traversé l'atelier de Rubens, et profité des leçons de ce puissant génie qui enseignait que, si
l'ampleur doit être avant tout recherchée, l'esprit a sa valeur aussi, et qui, ajoutant l'exemple au
précepte, tenait de la même main la brosse héroïque du peintre d'histoire et le pinceau familier du
peintre d'anecdotes.
Mais le triomphe de Van Uden, l'art dans lequel il montre vraiment de la finesse et du piquant, c'est la
gravure à l'eau forte. Ici encore il faut reconnaître chez lui une faculté précieuse, celle de renouveler, de
diversifier sa manière. Les planches qu'il a gravées d'après lui-même — et le Chariot que l'on relève en est
un frappant exemple — sont pour la plupart faites avec une grande ténuité de pointe ; le détail y est
curieusement écrit, et le feuillé des arbres est surtout d'une exécution légère et vive. Mais ce n'est pas là, je
l'avoue, ce qui me touche le plus dans les eaux-fortes de Van Uden. Celles où je trouve un plus grand
caractère d'art, une exécution plus large et plus libre, ce sont les quatre pièces qu'il a gravées d'après Rubens,
et les quelques estampes dont il a emprunté le motif à Titien. Le Couvent des Capucins, où l'on reconnaît
si bien la hardiesse du lumineux maître d'Anvers, est une planche superbe ; l'air circule entre les arbres,
les eaux sont transparentes et le regard aime à se promener dans cette campagne humide et si
,
véritablement flamande. Dans le Bon Samaritain, au contraire, c'est Titien qui est en cause, et Van
Uden a donné à son travail une largeur singulière, une sorte de chaleur italienne. Pourquoi Van Uden,
au lieu de faire tant de tableaux d'une coloration fade et effacée, n'a-t-il pas employé son temps et sa

i Descamps, Vie des peintres flamands et hollandais, tome T, page 409. — Lacombe fait de Van Uden un éloge presque pareil.
« Ce maître, dit-il, est au rang
des plus célèbres paysagistes. Une touche légère, élégante et précise, caractérise sa manière. Il
donnoit beaucoup d'éclat à ses ciels ; les sites de ses paysages sont agréables et variés ; la vue se perd dans des lointains qu'il a
su représenter; on croit voir les arbres agités par le vent; des figurines, parfaitement dessinées, donnent un nouveau prix à ses
ouvrages. » Dictionnaire des Beaux-Arts, 1753, p. 708. Ces louanges sont répétées presque dans les mêmes termes par
l' Encyclopédie méthodique (Beaux-Arts), tome II, page 66. —Gault de Saint-Germain, l'un des premiers, s'est aperçu que
Van Uden n'était peut être pas digne d'une approbation aussi complète. Il avoue que son coloris est monotone. Dans le livre que
nous avons déjà cité, M. Michiels se montre plus sévère encore. Les tableaux de Van Uden, écrit-il, « sont des toiles blafardes
où dominent le gris, le vert pâle et le bleu clair. On dirait des peintures, à la détrempe, plutôt que des peintures à l'huile. Nulle
harmonie ne règne entre ces teintes glaciales qui donnent l'idée de ce que doit être un printemps de la nouvelleZemble. 1) —
Rappelons ici que Lucas Van Uden eut un frère, nommé Jacques, qui passe pour avoir peint des paysages dans son genre,
mais sur lequel les biographies ne fournissent aucune donnée précise.
vie à reproduire à l'eau-forte les œuvres des paysagistes qui avaient mieux que lui étudié et compris
la nature ?
On a longtemps ignoré à quelle époque mourut Lucas Van Uden, et, malgré les recherches des érudits,
on ne sait pas encore exactement quand s'éteignit ce peintre plus laborieux que puissant. On a lieu de
penser toutefois qu'il est mort en 1660 ou 1662; mais je ne sache pas qu'aucun témoignage authentique
soit venu jusqu'à présent confirmer l'une ou l'autre de ces dates. Le moment arrivait d'ailleurs où tous
ceux qui, de près ou de loin, avaient appartenu à l'école d'Anvers devaient successivement s'effacer. Déjà

Wildens et Josse de Momper avaient disparu Fouquières,


; presque à la mème époque, expirait à Paris,
sans honneur et sans héritiers; Van Artois n'avait plus que quelques années à vivre. Triste lendemain
du siècle qui va finir! Huysmans de Malines sera bientôt le maître de la situation, et l'art flamand
commencera avec lui une évolution nouvelle. Et, déjà, voyez combien, dans ses compositions savamment
compliquées, dans ses vastes perspectives où s'entassent avec méthode les rochers et les arbres, les collines
et
les bois, Van Uden est loin de ces peintres naïfs qui,
encore sous le charme de leur découverte récente,
rendent simplement, loyalement, les, spectacles de la nature flamande. Non, il n'est
pas vrai, comme le
racontent Houbraken et ceux qui le copient, que Van Uden ait passé son enfance sérieuse dans les prés
humides et verts ou sous l ombre inspiratrice des chênes. Il n'est
pas vrai que, promeneur sans cesse
égaré dans les champs, il ait étudié à toute heure le ciel et
ses merveilles changeantes, les clartés indécises
de l'aurore matinale, les radieuses splendeurs de midi, le charme attiédi des crépuscules voilés.
Van Uden
n'est point un amant sincère de la réalité : il a un style, un système, une manière ; seulement, — et
c'est là ce qui lui fait'sa place dans l'histoire,—cette manière de comprendre et d'interpréter la nature,
il l'a apprise sous les yeux d'un maître puissant. Van Uden est le dernier paysagiste qui soit sorti de
l'atelier de Rubens.
PAUL MAN T Z.

M(LISM(HMM OT IHMIGM'MÏÏS.

Lucas Van Uden s'est gravé lui même, et ce n'est que par Saint-Paul et Saint-Antoine devant leur ermitage (ligures
exception que les graveurs français se sont exercés à inter- de David Teniers).
préter ses œuvres. Rappelons toutefois que de Marcenay a re- Un paysage; sur les premiers plans deux femmes avec
produit en 1753 un important paysage de Van Uden qui se un enfant.
trouvait alors chez le comte de Vence et auquel il a donné Un fleuve et de petites cascades.
pour légende les mots : Le ciel se couvre, hâtons-nous! Un Une rivière sur laquelle naviguent des bateaux. Au premier
coucher de soleil orageux s'étend au loin dans la campagne, plan, des pêcheurs ramènent leurs filets (figures de Pierre
des nuages menaçants courent dans le ciel où volent des Bout).
oiseaux effarés. Au premier plan, des voyageurs attardés Paysage enrichi d'animaux.
commencentà hâter le pas. Autre Paysage. Dans le fond, un rocher ; sur une colline
L'œuvre de Van Uden est aujourd'hui bien dispersé. Saint- du premier plan, des voyageurs, un berger et son troupeau.
Bavon, oil il avait tant travaillé ne conserve plus que trois MADRID. — Vue d'une montagne et d'un ravin. — Autre
tableaux de sa main ; Saint Jean prêchant dans le désert, paysage où l'on voit, au pied d'un rocher, Hébé et l'aigle de
la Tentation de saint A ntoine et saint Yves, protecteur des Jupiter. Le catalogue de cette collection indique que les figures
veuves et des orphelins. Les figures de cette dernière com- sont de Jordaens.
position seraient, dit-on, de Thierry Hais. (Notice sur la M. de Julienne possédait divers dessins de Van Uden. Nous
cathédrale de Saint-Bavon, par un membre du clergé de mentionneronsd'après le catalogue de sa vente qui eut lieu en
cette église. Gand 1853). 1767 : « Deux paysages coloriés comme des tableaux, composés
Ces peintures ne sont pas les seules que Van Uden avait agréablement et dont les effets sont piquants ; dans l'un on
exécutées à Gand. En 1753, date de la publicationdu premier voit des maisons, deux hommes et des animaux dans une
volume de Descamps,on voyait chez M. J.-B. Dubois deuxpetits prairie; dans l'autre une église, une chaumière et beaucoup
paysages avec figures et dans le cabinet de M. Deyne, seigneur d'arbres. » Ces deux dessins furent vendus ensemble, i60
de Lievergem, un grand tableau avec des figures de D. Téniers. livres.
Nous citerons en outre les œuvres suivantes : Soit que le temps en ait altéré les couleurs, soit pour toute
MUSÉE DU LOUVRE. — L'Enlèvement de Proserpine, Cérès autre cause, les tableaux de Van Uden n'ont pas conservédans
et la nymphe Cyané. les ventes, leur valeurpremière. « Il n'est pas rare, dit Gault de
Saint-Germain, de les voir adjuger aux enchères pour un prix
CABINET DE M. DUCLOS. — Un petit paysage. Ce tableau
médiocre, surtout quand ils sont d'une grande dimension. »
est reproduit dans la notice sur Van Uden.
VENTE BONNIER DE LA MOSSON, 1745. — Le Jugement de
MUSÉE DE ROUEN. — Paysage. Quelques paysans s'entre- Midas, paysage ; la Fuite en Egypte, petit tableau peint sur
tiennent sur le bord d'un chemin. bois.
LONDRES. -^Hampton-Court.Un paysage. The Devilsoiving VENTE DU PRINCE DE CONTI, 1777. — Deux paysages et
tares among the wheat. vues de rochers. Les figures qui les enrichissent sont, dans
DRESDE. — Le musée de Dresde possède sept tableaux de l'un, de Van Uden lui-même, et dans l'autre, ils sont de
Van Uden : Chantreau, 241 livres.
Une noce de paysans. D'après Lehninger, qui fait mention VENTE SAINT-YVES, 1805. — Vue (I*ttii(, vaste campagne
de ce tableau dans sa Description de Dresde, les figures coupée par une route où. des pâtres conduisent des troupeaux,
seraient de David Teniers. 427 francs.
Scafe -, ,9ireld reZ/p/rux, '/V-i/v/v
.

THÉODORE ROMBOUTS
NÉ El\" t5U':. — MORT EN 1637.

Théodore Rombouts a eu beaucoup à se plaindre de


l'imagination des biographes et de la fantaisie des conteurs
d'anecdotes. Sur la foi de je ne sais quelle tradition
hasardeuse, ils ont fait de lui un personnage de comédie, un
pauvre fou qui, saisi d'une ambition ridicule, aurait osé
déclarer la guerre à Rubens, et qui, l'attaquant de tous les
côtés à la fois, se serait évertué à l'égaler, à le surpasser
peut-être, non-seulement dans son talent de peintre, mais aussi
dans le luxe de sa vie extérieure, dans ses grandes allures
d'ambassadeur et de gentilhomme. Ces inventions qui, hier
encore, remplissaient les meilleurs livres, ont été reléguées
au rang des fables par les recherches de la critique moderne ;
il n'en reste plus rien aujourd'hui, ou du moins peu de chose
Toutefois, la physionomie de Rombouts, dégagée ainsi de
l'atmosphère romanesque dont nos devanciers s'étaient
complus à l'entourer, conserve encore une séduction douce
et triste. S'il n'a pas osé, comme on l'affirmait jadis, entrer ouvertement en lutte avec Rubens, il a peut-être,
dans la loyauté de son cœur d'artiste, souffert de son infériorité évidente; il a pu croire que le grand
coloriste flamand ne suivait pas le droit chemin tracé par les maîtres d 'Italie ; enfin il a voulu, au nom d 'uii
système pittoresque de jour en jour plus délaissé, enrayer le mouvement qui entraînait l école entière. Se
fût-il trompé, une aussi ardente conviction demeurerait respectable. D'ailleurs, n'y a-t-il pas toujours de
la poésie et comme un mystère douloureux dans ces existences prématurément brisées, et ne sait-on pas que
Rombouts est mort, plein de jeunesse, dans l'efflorescence de son talent, et sans avoir dit son dernier mot?
Théodore Rombouts naquit à Anvers en 1597, et fut baptisé le 2 juillet à la cathédrale. Pour préciser la
situation de l'école à cette date, il suffira de dire que Rubens avait vingt ans, que Jordaens n était qu 'un
enfant, et que Van Dyck n'était pas encore de ce monde. Rombouts fut initié aux pratiques de la peinture
fait dominant de sa vie; car, malgré les
par un maître très-remarquable, Abraham Janssens. C'est là le
concessions apparentes qu'il put faire plus tard au goût nouveau, il demeura jusqu'à son dernier jour fidèle
était Janssens. Plus âgé que Rubens de
aux influences de son éducation première. Or, on sait quel peintre
dix ans, il avait été doué par la nature d'un talent original et robuste, d'une volonté singulièrement
persistante. Il eut, presque seul, aux premiers jours du dix-septième siècle, le courage, l'entêtement, si l'on
veut, de rompre en visière aux théories du chef de l'école flamande : Rombouts apprit à son école le secret
des manières vigoureuses, des ombres accentuées et des grands effets de contraste; mais cet enseignement
Rubens avait déjà visitée, mais que, tel
ne lui suffisant pas, il voulut voir par lui-même cette Italie, que
était du moins le sentiment d'Abraham Janssens, — il n'avait pas su comprendre.
Rombouts avait vingt ans lorsqu'il entreprit ce voyage. Bien que son talent précoce fût déjà presque formé,
il le sentit grandir et se préciser sous l'influence des doctrines qui prédominaient à Rome ; car, ne l
oublions
extrême des violents procédés qu'il avait
pas, si Caravage était déjà mort en 1617, on faisait encore un cas
mis à la mode. Rombouts, déjà à demi gagné à cette cause par les conseils de Janssens, entra de
grand
il éprit de ces sujets où
cœur dans la voie que lui montraient les disciples de Caravage; comme eux, s
l'élément pittoresque des costumes et le caprice du clair-obscur tiennent la première place, et, à la suite
de Manfredi, de Gérard Seghers, de Valentin, il peignit des intérieurs de tavernes, des musiciens jouant
de

la guitare ou du luth, des buveurs joyeusement attablés devant un broc toujours rempli,
toujours vidé, sujets
des
vulgaires empruntés à la réalité la moins poétique, mais sur lesquels le jeu capricieux de la lumière et
ombres venait jeter son accent fantasque et son étrange magie.
Dans un autre genre de peinture, Rombouts fit des tentatives qui ne lui
réussirent pas moins. Dès les
premiers temps de son séjour à Rome, un gentilhomme, — un Français, d'après Florent Lecomte, — lui
tâche
commanda douze tableaux inspirés de l'Ancien Testament. On dit qu 'il se tira savamment de cette
certain
difficile, et que, grâce à ce premier succès, son nom commença à être prononcé en Italie avec un
respect. On ajoute que le grand-duc de Toscane, ayant entendu parler des mérites de Rombouts,
le fit
furent ces
appeler à sa cour, et le chargea de travaux importants. Mais il nous est impossible de dire quels
Rombouts a travaillé à Pis?
travaux. Nous savons seulement, par un tableau du musée de Copenhague, que
en 1622. L'importante peinture qui nous
apprend ce détail, et que nous avons le regret de ne point
avaient
connaître, représente, sous un aspect légèrement idéalisé, le combat ou le tournoi que les Pisans
âge. On suppose que
coutume de célébrer sur le pont de l'Arno, en souvenir de leurs grandes luttes du moyen
il n'y reste aucune
cette composition fut peinte pour le roi de Danemark, Christian IV. Quant à Florence,
musée des Uffizzi,
trace du passage de Rombouts; du moins nous n'avons rencontré de tableaux de lui ni au
oublié. Ne semble-t-il
ni au palais Pitti, ni dans les innombrables églises de la ville. Son nom même y est
été aussi décidé qu 'on l 'assure, la Toscane eût conserve
pas que, si son succès auprès du grand-duc eût
de Rombouts un plus vivant souvenir?
vraisemblable, toutefois,
On ignore combien de temps dura le voyage du peintre flamand en Italie. Il est
qu'il ne revint guère à Anvers qu'en 1624; peut-être y fut-il rappelé par la maladie de son
père, qui mourut
le 2 octobre de cette année. A peine arrivé dans sa ville natale, Rombouts
prit ses dispositions pour y passer
la gilde de
laborieusement et heureusement sa vie. Il commença par se faire recevoir franc-maître de
Saint-Luc (3 février 1625), et, bientôt après, il se maria. Les renseignementsrecueillis par les auteurs du
catalogue du musée d'Anvers nous apprennent qu'il épousa, le 17 septembre 1627, Anne Van Thielen,
dont le père, qui devint plus tard seigneur de Couwenberg, appartenait à une famille noble de Malines. Un
seul enfant, une fille, naquit de ce mariage, et elle fut baptisée à la cathédrale, le 27 août de l'année
suivante. Théodore Rombouts eut bientôt à Anvers une situation assez brillante : de 1628 à 1630, il fut doyen
de la corporation des peintres, et il obtint successivementplusieurs grades dans les confréries littéraires ou
les associations de charité qui étaient alors si nombreuses en Flandre. Les circonstances lui vinrent en aide,
et, sans avoir jamais occupé le premier rang, il sut pourtant acquérir une certaine renommée.

A la mort d'Abraham Janssens (1631 ?), Rombouts se trouva naturellement chargé, avec son camarade
Gérard Seghers, de continuer l'enseignement de leur maître commun et de défendre ses procédés, chaque
jour plus menacés par l'école triomphante. A en croire Campo Weyerman et ceux qui l'ont copié, Rombouts
aurait accepté tout entier l'héritage du maître, c'est-à-dire qu'il lui aurait succédé non-seulement au point
de vue du talent, mais encore sous le rapport de la jalousie qu'il portait à Rubens. On raconte à ce sujet
d'étranges choses. On veut que le succès de l'auteur de la Descente de Croix ait été pour Rombouts le plus
douloureux des supplices; que le jeune artiste soit ouvertement entré en guerre avec le maître victorieux,
qu'il l'ait défié comme peintre et comme homme, et qu'à la grande surprise des habitants d'Anvers, il ait
rivalisé avec lui de luxe et d'élégance. Le crédule Florent Lecomte n'a pas manqué d'accueillir ces
traditions. « La fortune de Rombouts, — écrit-il,— monta vite et haut, et sa magnificence en toutes choses
paroissoit le vouloir disputer contre Rubens, notammentdans une maison dont il acquit le titre de propriété,
qu'il orna superbement; mais, comme le bonheur des hommes est sujet à de grands revers, et que, semblable
à ces vaisseaux qui sont en pleine mer, tantôt d'un bord, tantôt d'un autre, il est dans un perpétuel
balancement, le calme qu'il goûtoit se ralentit un peu et se dissipa; joint à cela que le malheur des guerres
acheva de ruiner ses idées, et ne put lui donner le loisir d'achever les entreprises qu'il avoit commencées.
Se voyant ainsi sans ouvrage, par rapport à tout ce qu'il avoit fait ci-devant, il résolut de retourner à
Florence, et, comme il se disposoit à ce grand voyage, le chagrin, qui ne l'abandonnoit pas, redoubla ses
accès, et le fit tomber dans une si grande tristesse qu'il en mourut1. »
A cette historiette si ingénieusement conçue, il ne manque guère qu'un mérite, — la vérité. Sans doute,
il est vrai qu'un artiste flamand, qu'un contemporain de Rubens, eut l'ambition de se faire construire, comme
le souverain maître l'avait fait lui-même, une demeure monumentale : la maison existe encore, elle est
située sur la place de Meir, à côté du palais actuel du roi Léopold; mais, par un fâcheux contre-temps,
il se trouve que cette maison a été construite, non par Rombouts, mais par Gérard Seghers, si bien qu'en
contant cette aventure, Campo Weyerman, Florent Lecomte, Descamps, ont attribué à l'un des deux élèves
de Janssens ce qui appartenait à l'autre. Nous sommes d'ailleurs très-disposé à leur pardonner leur
erreur : heureux serions-nous, nous tous qui tenons la plume du biographe, si nous ne commettions
que de pareilles fautes!
Renonçons donc à cette vieille fable. Il n'y a pas eu, il n'a pu y avoir, entre Rombouts et Rubens, aucune
rivalité sérieuse, aucune lutte déclarée. Sur le seul terrain de l'art, il a existé entre eux des divergences de
principes, et, s'ils ont été divisés, ils l'ont été par une simple question d'école. Comme son maître Janssens,
comme son condisciple Seghers, Rombouts était en retard; il lutta contre les tendances inaugurées par
Rubens, et, à vrai dire, son opposition ne fut pas tellement systématique et radicale, qu'il ne se laissât
parfois influencer malgré lui par la séduction des méthodes qu'il faisait profession de combattre. Le musée
de Gand possède un tableau qu'il avait peint pour l'église des Récollets de cette ville, et qui, étudié de près,
montre qu'il eut dans sa foi des hésitations, des défaillances. Ce tableau, qui nous semble avoir quelque
importance dans l'œuvre de Rombouts, représente le Songe de saint Joseph. L'ange qui apparaît au saint
endormi et vient l'avertir qu'il est temps de fuir les persécutions d'Hérode, est inspiré par le sentiment
italien; il a de l'élan, il brille d'une grâce agitée et vivante. La partie inférieure de la composition est plus
vulgaire, et, pour le style, elle est dans les données de l'école d'Anvers. Peinture assez large, d'ailleurs, et
librement faite. Descamps, qui a cité ce tableau dans son Voyage pittoresque en Brabant, dit qu'il est
« correct de dessin, bien composé, bien colorié, et d'une exécution facile et ferme. » Et il y a quelque
chose de vrai dans ces éloges, sauf que deux éléments opposés, deux manières, se combinent dans ce tableau,
qui, dès lors, ne saurait être d'une unité parfaite.
C'est peut-être ici le lieu de remarquer que, bien que Théodore Rombouts ait continué à demeurer il
Anvers, ce fut la ville de Gand qui employa le plus souvent son pinceau. Elle eut plus d'une fois recours à
lui dans des occasions solennelles. Ainsi nous savons que, lorsque Ferdinand d'Autriche — le cardinal-infant
— fit son entrée à Gand, le 27 janvier 1635, Rombouts peignit pour cette cérémonie deux grands tableaux
dont le sujet ne nous est pas connu 2, mais qui, dans le fracas de leurs intentions mythologiques, devaient
ressembler quelque peu à ceux que Gaspard de Crayer exécuta pour la même solennité. Les magistrats de
Gand demandèrent aussi il Rombouts un tableau pour les décorations de la salle de Justice il l'hôtel de ville.
Cette peinture, dont le Musée a hérité, montre l'antique Thémis assise sur un trône et entourée de juges
dont elle inspire les décisions. Quatre figures, représentant les quatre parties du monde, et d'autres
personnages symboliquesécoutent religieusement ses arrêts et semblent rendre hommage à son infaillible
sagesse. Grâce à la chaleur d'une coloration accentuée, à la largeur d'un dessin ressenti, ce tableau passait

1 Florent Lecomte, Cabinet des Singularitez. Ii02. T. II, p. 257.


2 D'après les comptes de la ville, ces tableaux furent payés à Rombouts 133 livres, 14 escalins, 8 gros. (V. l'excellent

catalogue du Musée d'Anvers, 01'1 nous avons puisé les principaux éléments de cette biographie.)
autrefois pour une des œuvres les mieux réussies de Rombouts, et partageait l'admiration des curieux
avec
le Sacrifice d'Abraham, importante composition qui décorait aussi l'hôtel de ville de Gand, et qui, à le juger
par la gravure que Bolswert en a laissée, prouve que l'auteur, semblable en ceci à Rubens, aimait par-dessus
tout les sujets violents, les motifs qui permettaient de rechercher, dans la couleur et le dessin, le drame,
le mouvement, la vie.
Enfin, l'église Saint-Bavon a conservé le tableau dans lequel Rombouts semble avoir
eu l'imprudenlc

pensée, non de se mesurer avec le glorieux maître d'Anvers, mais de montrer à


ses confrères de la gilde
de Saint-Luc que, même après le chef de l'école,
on pouvait trouver des inspirations heureuses. Le sujet,
la Descente de Croix, est un de ceux dont Rubens s'est emparé
par le droit du génie : il l'a si bien
marqué du sceau de sa personnalité puissante que Rombouts aurait dû reconnaître l'impossibilité de le traiter
après lui. Mais, au lieu de le paralyser, cette difficulté surexcita
son zèle : Rombouts, qui avait déjà pris .t
Rubens un de ses motifs préférés, Saint François recevant les Stygmates, eut la hardiesse de venir
une seconde
fois combattre le maître sur un terrain qui lui appartenait
en propre. Est-ilutile de dire que son audace en cette
occurrence fut plus grande que son bonheur? Malgré les qualités que Rombouts y a fait paraître, Descente
sa
de Croix n est qu une peinture estimable. La composition
est sage, et peut-être pourrait-elle paraître un peu
pauvre a quelqu un qui, revenant d 'Anvers, serait encore sous le charme de la grande
œuvre de Rubens. Du
reste, Romboutsa déployé dans cette toile les qualités qui lui sont ordinaires. Le dessin, sans avoircette élégance
que l'Italie seule a connue, est correct dans sa vérité un peu banale et dans sa force un peu outrée ;
l'exécution, où le souvenir des méthodes de Janssens demeure visible, révèle une main habile, un pinceau
délibéré, bien qu'il ne soit pas exempt d'une certaine sécheresse. Alors que Rubens — et c'est là une des
plus notables parmi les différences qui séparent le puissant artiste de son prétendu rival — plonge hardiment
sa brosse dans la couleur onctueuse et grasse, Rombouts, plus économe ou plus timide, n'en prend que juste
ce qu'il faut pour couvrir sa toile. Autant l'un est prodigue et exubérant, autant l'autre est parcimonieuxet
contenu. L'œuvre de Rombouts pèche surtout par la lumière. Trop fidèle aux souvenirs qu'il avait rapportés
d'Italie, mal conseillé par son ancienne admiration pour le Caravage, il a accusé durement les contours de
ses figures, qui se découpent sèchement sur les fonds ; les demi-teintes sont sans transparence, les ombres
sont noires. C'est surtout en cela que Rombouts est loin de Rubens et même de tous ceux qui avaient
loyalement accepté les enseignements du maître. Il ne sait pas, comme eux, modeler en pleine pâte des
chairs lumineuses et vivantes; son pinceau aride ne sait point faire courir le sang sous l'épiderme frémissant
et souple. Et voilà pourquoi, malgré le caractère flamand des têtes et la vigueur du dessin, sa Descente de
Croix est si loin de celle de Rubens.
Gand ne fut pas la seule ville de Flandre qui sut mettre à profit le talent de Rombouts. Il travailla pour
les Augustins et pour les Récollets de Malines, et, dans l'église Notre-Dame de la même ville, il peignit une
importante composition, qu'on peut y étudier encore, le Christ porté au tombeau. Un écrivain du dix-huitième
siècle rapporte, en outre, qu'avant le bombardement de Bruxelles, en 1695, le couvent des Dominicains
possédait plusieurs tableaux de Rubens et de « Théodore, » c'est-à-dire de Rombouts 1. Mais soit qu'il ne
trouvât pas pour ses tableaux sérieux une rémunération en rapport avec le travail qu'ils lui coûtaient, soit que
son esprit inquiet l'ait entraîné vers des sujets plus séduisants pour la foule, l'élève de Janssens fut plus
d'une fois tourmenté par des réminiscences italiennes, et, comme le dit si bien Florent Lecomte, « il
peignit heureusementdes festins, des débauches, des jeux de charlatans et mille autres enjouements de ce
caractère. » Néanmoins les tableaux de ce genre sont assez rares dans l'œuvre de Rombouts : ils sont
même en si petit nombre que nous sommes tenté de supposer que, trompés par la similitude de la manière,
les curieux les ont classés dans leurs collections sous le nom de Gérard Seghers, qui, on le sait, s'est complu
à traiter des sujets analogues. Le musée de Munich possède une des plus importantes compositions que
Rombouts ait exécutées dans cette donnée. Elle montre un groupe de chanteurs qui unissent leurs voix
aux sons qu'un autre musicien tire d'une guitare. Bolswert a gravé d'après lui un tableau dans le même
goût, mais qui ne réunit que deux figures. Enfin, au temps où Descamps imprimait son livre, M. Deyne,
seigneur de Lievergem, possédait un intérieur représentant des soldats jouant aux cartes. Rombouts
réussissait aisément dans ces sujets, qui n'exigent aucun style, et qui n'ont rien à voir avec les sévères
inquiétudes de l'idéal2.
Les tableaux que Rombouts emprunta à l'histoire ou à la mythologie ne sont pas moins rares. Sauf la
Thémis du musée de Gand, les peintures improvisées pour l'entrée de l'archiduc d'Autriche, et une vaste
composition, le Serment d'Annibal, qui a appartenu au duc d'Orléans, et qui ne nous est d'ailleurs connue

1 Description de la ville de Bruxelles. 1743, p. 167.


2 Les catalogues de diverses collections publiques ont longtemps attribué à Théodore Rombouls des paysages qui ne sont ni

de son école, ni de son temps. Mieux avisée, la critique moderne les a rendus à leur auteur véritable, le paysagiste hollandais
J. Rontbout, qui vivait dans la seconde moitié du xvne siècle. (W. Bürger, Musées de la Hollande, H, p. 132 et 293.) Peut-être,
si l'on voulait se montrer tout à fait exact, faudrait-il retirer à Théodore Rombouts quelques-unes des scènes familières
ou des paysanneries qu'on prétend êlre de lui. Il est certain qu'indépendamment de l'élève de Rubens et du
paysagiste
hollandais, il a existé un troisièmemaître qui, en raison de la similitude du nom, a pu quelquefois être confondu avec le peintre
dont nous racontons la vie. Cet artiste inconnu nous est révélé par un tableau du musée d'Orléans, qui représente une Femme
faisant la toilette de son enfant ; mais cette peinture, un peu lourde d'ailleurs, est signée et datée A. Romboouts, 1682. Le
nom de ce maître n'est mentionné par aucune biographie.
que par la gravure que Godefroy en a faite, nous ne saurions guère citer de Rombouts que; deux ou trois
sujets de fantaisie et des tableaux de sainteté. Ces derniers mêmes ne se rencontrent pas fréquemment. Le
musée d'Anvers n'en possède que deux. Le premier, œuvre peu significative,est une Saintf1 Famille, groupe
de figures de petite dimension qu'il a placées dans un paysage assez froid d'un collaborateur de Rubens,
Jean Wildens. Le second, où la personnalité de l'artiste s'accentue davantage, représente le Christ pèlerin,
reçu par saint Augustin. La légende chrétienne a fourni à Rombouts le sujet de cette peinture, dans
laquelle on voit le Christ poursuivantà travers le monde son voyage de rédemption; il est assis devant le saint
évêque, qui, revêtu de l'habit des solitaires de son ordre, et accompagné de plusieurs religieux, essuie

pieusement un des pieds du céleste pèlerin, tandis que l'autre baigne dans un bassin de cuivre où
se lisent
la signature du maître et la date 1636. Au haut du ciel, Dieu et le Saint-Esprit apparaissent dans
une gloire
entourée d'anges. Ce tableau n'est pas un des meilleurs de Rombouts, il a peu d'accent, et, dans la gamme
éteinte de son coloris, comme dans les faiblesses de son exécution, il semble accuser chez l'auteur une
lassitude prématurée. Rombouts était pourtant dans toute la force de l'âge, il n'avait que trente-neuf ans
quand il peignit le Christ pèlerin. Il aurait dÙ, ce semble, peindre avec plus d'énergie, donner à ses
personnages plus de caractère, à son dessin plus de vigueur. Faut-il croire qu'il était déjà atteint du mal
qui devait l'emporter, ou qu'en présence du succès toujours éclatant de Rubens et de ses brillants élèves, il
commençait a comprendre que les principes d'Abraham Janssens avaient fait leur temps, et que la sympathie
de la foule appartenait désormais tout entière à l'école nouvelle? Cette conviction, si douloureuse
pour lui,
l aura sans doute fait hésiter, et
sa foi, dès ce jour vacillante, aura rendu sa main moins assurée. Ce qui est
I
certain, c'est que ce tableau paraît être le dernier qu'il ait exécuté. Théodore Rombouts, prématurément
brisé dans ses espérances, expira à Anvers le 14 septembre 1637. On lui fit de dignes funérailles : il fut
enterré auprès de son père et de sa mère, dans l'église des Grands-Carmes. Quelques mois après, la
fabrique de la cathédrale touchait une somme de douze florins qu'il lui avait léguée en mourant, et sa
veuve ne lui ayant survécu que jusqu'en 1639, il ne resta bientôt plus de Rombouts qu'un enfant pour le
pleurer, et quelques tableaux pour dire quelle avait été son ambition, quelle avait été sa défaite.
PAUL MANTZ.

M(ElM(GlK ŒT MMMTOm
Le burin des graveurs habiles s'est rarement exercé à re- sur le Ponte-Mezzo. Douze compagnies,.desoixante hommes
produire les œuvres de Théodore Rombouts. Nous rappelle- chacune, se battent ainsi pendant trois quarts d'heure.
rons toutefois que son tableau du Sacrifice d'Abraham a été L'artiste, qui a voulu reproduire cette fête, n'a point revêtu
gravé deux fois, d'abord par Schelte aBolswert, dans une belle les combattants des armures et des massues dont ils se
estampe dédiée à Antoine Triest, évêque de Gand, et ensuite servent en réalité, mais il a idéalisé le combat.
par Etienne Jeaurat, dans de plus petites dimensions,et d'une Au milieu du tableau l'on voit un pont voûté au-dessus de
manière assez peu fidèle. l'Arno ; sur ce pont plusieurs jeunes garçons nus se battent
Pierre de Balliu a gravé une Sainte Famille, jolie compo- avec ardeur, quelques-unssemblent près de tomber, d'autres
sition qui réunit, dans un paysage flamand, la Vierge, sainte sont précipités dans l'eau et quelques-uns en sont remontés
Anne, le petit Jésus et saint Jean-Baptiste. Nous avons re- et se sont assis sur le bord. Au bout du pont, sur un siége
produit ce tableau par la gravure de la page 3. élevé, se trouve le juge du combat. Au travers de la voûte, on
Bolswert a gravé, d'après Rombouts, un Chanteur et une aperçoit des habitations. Le tableau porte le monogramme du
Musicienne. La première de ces figures sert de tête de lettre peintre et la date 1622. Cette date fait supposer que
à la biographie du maître. l'artiste l'a peint durant son séjour en Italie, et vraisem-
La collection du duc d'Orléans renfermait une grande com- blablement cette œuvre lui a été commandée par le roi
position, le Serment d'Annibal, qui a été gravé par Go- Christian IV,
defroy. MUSÉE DE FRANCFORT.
— Portrait, d'un homme en buste,
Parmi les œuvres de Rombouts conservées dans les col- avec un chapeau rond.
lections publiques ou privées, nous citerons : MUSÉE DE GAND.
— Songe de saint. Joseph. Ce tableau
MUSÉE D'ANVERS.— Le Christ pèlerin reçu par saint Au- provient de l'ancienne église des Récollets.
gustin (1636), tableau provenant de l'église des Augustins de Thémis et ses attributs. Cette composition, citée avec éloge
Malines. par Mensaert, décorait autrefois l'hôtel de ville.
Sainte Famille. Le paysage a été peint par Wildens; ta- Un Homme fumant sa pipe.
bleau conservé autrefois dans le couvent des Récollets de SAINT-BAVON. — La Descente de Croix.
Malines. MUSÉE DE LILLE.
— Reniement de saint Pierre.
CABINET DE M. MOONS VAN DER STRAELEN. — La Vierge MUSÉE DE MADRID. — Le Charlatan. — (Ce tableau est
et l'Enfant Jésus, à qui sainte Anne présente une lJOire; à reproduit page 7.)
gauche, près de ce groupe, l'apôtre saint Jacques le Majeur. MALINES. ÉGLISE NOTRE-DAME. — Jésus-Christ porté au
BRUGES. HÔPITAL SAINT-JEAN. — Ecce Homo, Mater do- tombeau.
lorosa. MUSÉE DE METZ. — Tentation de saint Antoine, Esquisse
MUSÉE DE COPENHAGUE. — Combat sur le pont de l'Arno. MUSÉE DE MUNICH. — Une Société de Chanteurs et 1/n
Le cataloguede M. Conrad Splengler donne de ce tableau la Joueur de Guitare.
descriptionsuivante : Nous reproduisons ci-dessous la signature de Rombouts,
« Le peupledes deux
quartiers de Pise, fidèle à une coutume telle qu'il l'a inscrite sur son tableau du Christ pèlerin, du
datant du moyen âge, simule tous les trois ans un combat musée d'Anvers :
,
Sco/e <j^£zmanc/e. (l~p . refit//,eux, /é/&çarte/i.
,

1
CORNEILLE SCHUT
NÉ EN 1597.— MOIITEN 1655

Lorsque Corneille Schut voulut prendre, dans l'école


d'Anvers, le rang que lui assignaient son talent et son
courage, toutes les places étaient déjà occupées. Sans parler
de Rubens, chef incontesté de ce groupe radieux, les peintres
qu'il avait formés, et ceux mêmes qui ne subissaient qu'à
contre-cœur sa puissante influence, s'étaient tacitement
entendus pour s'emparer de toutes les avenues de l'art, et
chacun avait su se faire sa part dans la grande œuvre que
l'école flamande poursuivit avec tant de vaillance, avec tant
d'éclat. Les premiers rôles étant distribués, Corneille Schut
ne put jamais jouer que les doublures; mais il s'acquitta de
sa. tâche avec un,zèle si intelligent, avec une bonne volonté si active, que, bien loin de déparer l'ensemble,
il apporta un utile concours au travail
commun. Sans se plaindre jamais de la situation modeste qui lui était
faite, l'habile maître sut briller au second rang.
La date exacte de sa naissance a longtemps été ignorée,
ou, pour mieux dire, comme les registres des
anciennes paroisses d'Anvers font mention de plusieurs artistes qui ont porté, non-seulement le nom, mais
encore le prénom de Corneille Schut, les biographes les mieux intentionnés, trompés par une similitude aussi
complète, avaient d'abord fait fausse route. Les auteurs du Catalogue du Musée d'Anvers nous ont éclairé
sur ce point délicat, et, grâce à leurs savantes recherches, on peut affirmer aujourd'hui que Corneille
Schut est né dans cette ville, non en 1590, mais en 1597, et qu'il a été baptisé à la cathédrale le 13 mai
de la même année. Le jeune artiste reçut les leçons de Rubens; on ignore, il est vrai, à quelle époque il
prit rang parmi les francs-maîtres de Saint-Luc, mais, comme des documents authentiques établissent qu'il
entra en 1619 dans la Société de secours mutuels organisée par les peintres, et en 1620, dans une des
académies littéraires d'Anvers (la Violette), on doit supposer qu'il avait été affilié à la corporation des
maîtres un peu avant la première de ces dates, c'est-à-dire vers 1618.
Soit que le talent de Corneille Schut ait donné de bonne heure de brillantes promesses, soit que son
caractère lui ait concilié d'universelles sympathies, nous voyons le jeune peintre admis, malgré son âge,
dans la familiarité de Rubens et honoré de sa puissante protection. Une tradition, qui n'est malheureusement
appuyée sur aucun document positif, veut que Corneille ait travaillé aux grandes peintures de l' Histoire de
Marie de Médicis, exécutées, on le sait, de 1621 à 1625. Il paraît aussi que pendant cette dernière année, il
eut l'honneur de voir son nom associé à celui de Rubens dans une touchante circonstance. Breughel de
Velours allait mourir, laissant derrière lui des enfants mineurs dont le sort intéressait toute la famille des
peintres ; à son heure suprême, il eut le temps de désigner, pour s'occuper de l'éducation et des intérêts
de ces orphelins, trois tuteurs qu'il choisit parmi ses amis les meilleurs. C'étaient Rubens, Henri Van Balen
et le jeune Corneille Schut, qui n'avait encore que vingt-huit ans, mais qui montrait déjà tous les signes
d'une maturité précoce1.
La biographie de Corneille Schut présente une singularité qu'il faut noter. Alors qu'à l'exemple de
Rubens, et d'après ses conseils, tous les élèves du glorieux maître se faisaient un devoir sacré de visiter
l'Italie, Corneille ne quitta pas la Flandre. Il ne faut pas en conclure qu'il n'ait pas eu un vif amour de son art,
mais seulement qu'il trouva, tout de suite, des travaux qui occupèrent sa jeunesse et le détournèrentde ce
voyage. Quoi qu'il en soit, il se maria à Anvers, le 7 octobre 1631, avec Catherine Geensins, qui lui donna
trois enfants 2. Bientôt il acquit dans l'art une situation si honorée, et son caractère lui mérita tant d'estime,
qu'en 1634-1635, ses confrères voulurent lui décerner le titre de doyen de la guilde de Saint-Luc. Mais
Corneille Schut, tout entier aux joies de son atelier et de sa maison, ne se sentit pas les qualités requises
pour cette fonction, qui engageait d'ailleurs la responsabilité du titulaire et lui imposait un travail réel.
Il obtint, par mesure exceptionnelle, et moyennant une contribution de deux cents florins, le droit d'être
dispensé des lourdes charges du décanat.
A cette époque, et même auparavant, Corneille Schut s'était déjà fait connaître par plus d'une œuvre
estimée. Son imaginationétait richement pourvue, l'invention ne lui coùtait rien, et sa fantaisie, inépuisable
en combinaisons nouvelles, s'exerçait à la fois dans tous les genres. Il faisait même des dessins pour
l'illustration des livres qu'on imprimait alors à Anvers. Corneille Galle a daté de 1632 la gravure du
r
frontispice composé par Corneille pour le commentaire du jésuite Jacques Tirinus sur Ancien et le Nouveau
Testament, et l'année suivante, Witdoeck achevait ses belles estampes d'après les tableaux de son maître
et de son ami, la Vierge au Croissant et la Judith coupant la tête à Hulopherne. Ces premières œuvres, de
même que la Chaste Suzanne, dont Lucas Vorstermann nous a conservé la gravure, témoignent chez

1 Les auteurs du catalogue du musée d'Anvers ont accepté ce fait sans le discuter, et, avec eux, nous le considérons comme
vraisemblable. Toutefois, pour mettre en repos notre conscience de critique, nous devons faire observer qu'il ne serait pas
impossible que le tuteur des enfants de Breughel ait été, non pas notre peintre, mais son homonyme Corneille Schut, celui qui
travailla à la cathédrale en 1598, qui servit de parrain à un enfant de Henri Van Balen, le 10 juin 1609, et qui fut nommé doyen de
la confrérie des Romanistesen 1610.
1 Pierre-Guillaume,né en 1632, mort en 1638; Élizabeth-Catherine, née en 1634, morte en 1679, et Anne, née en 1636 et
morte en 1638.
Corneille Schut de cette fièvre de naturalisme qui caractérise si bien le goût flamand. L'artiste se
préoccupe moins du style que de la vie; il n'est pas troublé par les grandes visions de l'idéal; ses types
sont vulgaires, ses formes robustes et même redondantes, et, à ce point de vue, la Chaste Suzanne dont
nous venons de parler est singulièrement significative; car, à vrai dire, elle est plus voisine des créations
de Jordaens que de celles de Rubens. Le sentiment de la grâce élégante avait été refusé à Corneille Schut;
mais il avait au plus haut degré celui du mouvement, de la force, de la santé. La chair s'exalte dans ses
ligures exubérantes; ses compositions ont de l'entrain et du fracas; ses draperies voltigent, éternellement

agitées. Qu'est-ce à dire? sinon que Corneille était tout à fait de son pays et de son temps, et qu'il obéissait,
avec une ardeur juvénile, à la loi promulguée par Rubens.
Ne soyons donc nullement surpris de le voir associé, en 1635, dans une grande entreprise, avec
quelques-uns des maîtres les plus renommés de l'école flamande. Le prince Ferdinand, celui qu'on appelle
le cardinal-infant, allait faire dans sa bonne ville de Gand une entrée triomphale. Il fallait le recevoir avec
éclat : plusieurs arcs de triomphe ayant été dressés, le bourgmestre et les échevins confièrent le soin de les'
décorer à Gaspard de Crayer, à Rombouts, à Nicolas Roose, à Jean Stadius et enfin à Corneille Schut
lui-même. Nous ne saurions dire exactement quelle part échut à chacun d'eux dans l'exécution de ces
peintures : nous savons seulement, par les recherches de M. P. Van Duyse, que Schut reçut pour son salaire
135 florins, 6 escalins et 18 gros, c'est-à-dire une somme un peu supérieure à celle qui avait été attribuée
a Théodore Rombouts. Quant aux sujets que représentaient ces décorations improvisées, quelque chose nous
en a été conservé par G. Récaims, dans le gros livre qu'il a publié à Anvers, en 1636, sous le titre de
Serenissimi principis Ferdinandi Hispaniarum lnfantis S. R. E. Cardinalis triumphalis introïtus in
Flandriœ metropolim Gandavum. On sait de plus que Corneille Schut eut un rôle important dans cette
publication, puisqu'il fut chargé de faire les dessins qui en ornent les pages. Mais ses croquis, confiés à des
graveurs assez malhabiles, ont perdu dans cette traduction l'esprit et la fougue que Corneille y avait sans
doute fait paraître. Est-il besoin d'ajouter que les peintres employés en cette solennelle circonstance par
les échevins de Gand avaient épuisé dans leur œuvre les formules de l'adulation la plus excessive? Les
allégories de la Fable antique et parfois aussi les divinités chrétiennes se prêtent le mutuel appui de leur
symbolisme dans ces compositionsdont la gloire de la maison hispano-autrichienne fournit le motif principal.
Le chef de la famille, Charles-Quint, est véritablement divinisé, aussi bien dans les panneaux et dans les
emblèmes qui décoraient les arcs de triomphe que dans les poésies et les sentences latines qui en
expliquaient le sens aux bons Gantois, vraiment trop oublieux ce jour-là de leur ancienne révolte et du
chàtiment que le monarque espagnol leur avait infligé un siècle auparavant. Mais quand les peuples
poussent à ce point le pardon des injures, les peintres n'ont pas le droit de se souvenir. Corneille Schut fit
donc comme Crayer et comme Rombouts, et il faut dire que la richesse de son imagination el le prestige
de son libre pinceau le rendaient singulièrement apte à la pratique de l'art décoratif.
Corneille était encore dans la joie de son succès, lorsque, pendant le courant de l'année suivante, jl
perdit sa femme Catherine Geensins (22 décembre 1637), et quelque temps après son fils et une de ses
filles (octobre 1638). Il chercha dans le travail, non une consolation — car à de pareilles douleurs il n'est
point de remède — mais une sorte de distraction sévère qui pût occuper son esprit et tromper sa peine.
Cette période de son existence est peut-être la plus féconde. Les églises d'Anvers, les couvents des
environs, se remplirent de ses œuvres. Il s'était lié d'une étroite amitié avec Daniel Seghers, et l'on sait que
l'école flamande a dû à leur active collaboration bien des œuvres délicates. Corneille peignait, en camaïeu
et en grisaille, des sujets religieux, et notamment la Vierge et l'Enfant Jésus; Daniel encadrait ces groupes
de ses plus éclatantes guirlandes. A la recommandation de son ami, Schut fut chargé de peindre pour le •
maître-autel de l'église de la maison professe des jésuites d'Anvers, le Couronnement de la Vierge,
important tableau qui existe encore, et qui est rangé au nombre de ses ouvrages les mieux réussis. Il peignit
aussi pour les mêmes religieux un portrait d'Ignace de Loyola, que Daniel Seghers entoura d'une fraîche
couronne de fleurs, deux tableaux empruntés à la vie de saint François-Xavier, et une composition pleine
de mouvement et de verve, qui représente la Circoncision, et qui, malgré certaines singularités de détail,
malgré certaines fautes de goût, n'est pas indigne de l'estime qu'on en faisait jadis, ne serait-ce qu'à
cause des anges, si pittoresques et si légers, qui se groupent autour du petit Jésus en lui montrant les
instruments de la Passion. Dans l'église Saint-Jacques, Corneille Schut peignit le Christ mort sur les genoux
de la Vierge, œuvre secondaire qui accompagne une inscription en l'honneur de la famille Geensins, à
laquelle appartenait la femme qu'il venait de perdre.
Le Serment ou la Confrérie de l'Arbalète lui fit peindre, pour l'autel de la chapelle qu'il possédait à la
cathédrale, un grand tableau, le Martyre de saint Georges, qui est aujourd'hui au Musée d'Anvers. C'est
une des meilleures compositions du maître. Le saint, à genoux sur les marches d'un temple antique, va
subir le dernier supplice ; mais, plongé dans une muette extase, il ne voit ni les glaives que les bourreaux
agitent autour de lui, ni le prêtre qui veut le contraindre à sacrifier aux faux dieux; sa pensée est ailleurs :
il contemple dans le ciel entr'ouvert les légions d'anges qui l'appellent et préparent pour lui la couronne
des victorieux. L'ensemble de ce tableau a de l'éclat et de la vie, l'ordonnance en est largement conçue;
mais, examinés l'un après l'autre, chacun des personnages qui prennent part à ce grand drame est d'une
vulgarité de type, et, il faut le dire, d'une laideur qui désespérera toujours les amants des lignes pures et
des belles formes. Ce caractère de trivialité frappe l'œil le plus indulgent au Musée d'Anvers, c'est-à-dire
serait-ce, si le
au milieu de toiles qui participent plus ou moins du même dédain pour le style : que
tableau de Corneille Schut était placé dans un musée d'Italie, à côté de ces œuvres viriles où la passion,
même en ses plus ardentes violences, demeure toujours respectueuse du beau?... Mais ce sentiment, nous
avons déjà eu occasion de le dire, ne tenait qu'une place médiocre dans les préoccupations de Corneille

Schut. Ilétait tout entier à l'effet décoratif, à l'aspect pittoresque, au flamboiement des lignes et des
attitudes, et aussi, il serait injuste de le nier, à l'expression dramatique des émotions humaines. C'est là
ce
ll
(lit a cherché, c est là ce qu 'il a trouvé dans le Martyre de saint *Ceoî-qes ; cette scène à grand spectacle
était d'ailleurs dans la nature de son talent, et ce sujet souriait tellement à sa fantaisie, qu'il y revint
plusieurs fois, et qu'après l'avoir traité dans le grand tableau que nous venons de décrire, il en fit le motif
d'une gravure à l'eau-forte qu'on doit classer au nombre de ses plus belles estampes.
Car, c'est ici le lieu de le dire, Corneille Schut n'était pas seulement un peintre, il avait appris aussi à
graver, et il attaquait le cuivre avec une puissante énergie, avec un caprice magistral. Sa pointe était
infatigable : plus de cent trente eaux-fortes disent quelles furent dans ce genre sa fécondité et son adresse.
Sujets religieux, mythologies, frontispices, compositions allégoriques, Corneille a touché à tout avec une
égale assurance. Bien qu'il n'ait jamais vu l'Italie et que son talent soit profondément étranger au génie
des écoles ultramontaines, il s'est complu à donner un titre italien, Varie Capricci, à un de ses recueils
d'eaux-fortes. Il a fait aussi une nombreuse suite représentant la Vierge et l'Enfant Jésus, et ce n'est pas
sans surprise qu'on y peut voir avec quelle merveilleuse souplesse son inépuisable invention a su varier et
renouveler sans cesse ce sujet si simple et si banal d'une mère embrassant son enfant. Le style est indigent;
mais le sentiment est délicat, les attitudes heureusementtrouvées, et l'on voit bien que l'artiste a étudié sur
les lèvres de Catherine Geensins la grâce attendrie du sourire maternel. Schut est aussi fort à son aise dans
la traduction, plus ou moins exacte, de ses propres compositions : les pauvretés de dessin y abondent; les
incorrections, les laideurs même n'arrêtent pas sa verve facile; mais ces fautes de détail disparaissent
parfois dans l'heureuse harmonie de l'ensemble; et nous croyons, en définitive, que la critique doit faire
quelque état des eaux-fortes de Corneille Schut, surtout de celles qui, légèrement traitées et moins
chargées de travail, affectent, dans leur tonalité générale, une coloration claire et blonde.
Il suffit de feuilleter l'œuvre gravé de Corneille Schut pour s'apercevoir qu'on a affaire à un peintre. Il
l'était en effet, et, bien qu'il eût déjà fait paraître ses mérites dans un grand nombre de tableaux importants,
il accepta avec empressement l'occasion qui lui fut offerte, en 1647, de résumer les qualités de son pinceau
dans une œuvre de vaste dimension. N'était-ce pas, pour un artiste tel que lui, une véritable bonne fortune
que d'avoir à peindre la coupole de Notre-Damed'Anvers?... Bien que le prix qui lui était offert pour ce grand
travail (360 florins) ne fût pas très-considérable, il n'hésita pas à s'en charger, et il peignit l'Assomption
de la Vierge, le plus célèbre, sinon le meilleur de ses ouvrages. Corneille Schut a représenté la Mère du
Christ montant doucement dans le ciel, dont les anges, qui volent autour d'elle, semblent lui désigner le
chemin. L'extrême hauteur à laquelle cette peinture est placée ne permet pas d'en apprécier l'exécution;
mais quoique l'œuvre de Corneille soit, en général, fort admirée, il nous a paru que la composition était
un peu vide, et que, s'il se fût souvenu davantage des exemples de Rubens, il aurait pu y indiquer plus
de solennité, plus d'éclat, plus de richesse. Il est vrai que la cathédrale d'Anvers, où se trouve placée
r Assomption de la Vierge, est un véritable musée de l'école flamande. Lorsqu'on vient d'admirer les
radieuses peintures de Rubens, on a les yeux trop éblouis pour ne pas trouver ternes et tristes les
meilleures créations de Corneille Schut.
Mais alors même que l'Assomption n'aurait pas à redouter ce dangereux voisinage, il faudrait bien
reconnaître que dans cette peinture, comme dans le Martyre de saint Georges et dans la plupart de ses
autres tableaux, Corneille a pu emprunter ses types au chef de l'école d'Anvers, mais non la magie de ses
colorations lumineuses. Inhabile à comprendre sous ce rapport les grandes .eçons du maître, il ignore l'art
de donner de la transparence aux demi-teintes, il aime les ombres lourdes et noires. Aussi ses
compositions, vivantes par le sentiment et par le dessin, ne le sont-elles pas toujours par la couleur; ce
caractère de tristesse et d'ennui est tellement visible dans plusieurs dé ses œuvres, que quelques critiques
modernes ont voulu douter que Corneille fût l'élève de Rubens.
Les écrivains espagnols ont avancé, avec une assurance parfaite, un fait dont nous n'avons trouvé nulle
part la trace, et que les auteurs du catalogue du musée d'Anvers ont passé sous silence, sans doute parce
qu'il leur a paru controuvé. Céan Bermudez, résumant des traditions anciennes, raconte que Corneille Schut
a fait un voyage en Espagne et qu'il y a travaillé quelque temps. D'après cet écrivain, Corneille serait venu
il Madrid avec son frère Pierre Schut, ingénieur de Philippe IV, et il aurait peint, entre autres choses, pour
le grand escalier du collège impérial, un vaste tableau représentant saint François Xavier baptisant des
Indiens. Céan Bermudez n'assigne d'ailleurs aucune date à ce prétendu voyage, et la manière vague dont il
en parle peut faire supposer que son assertion repose sur une erreur ou sur une conjecture purement
\
gratuite Des recherches nouvelles éclairciront sans doute plus tard ce point douteux : quoi qu'il en soit,
d'après les documents publiés jusqu'à présent, il ne paraît pas que Corneille Schut ait jamais quitté la Flandre,
où il était, d'ailleurs, si utilement occupé. La sympathie que ses contemporains lui avaient vouée ne lui fit
pas défaut un seul jour, et jusqu'à la fin de sa vie, il eut constamment le pinceau à la main, remplissant
de tableaux les églises et les couvents de la Flandre; multipliant, pour se reposer, les exemplaires de

ses pittoresques eaux-fortes, et partageant ses heures entre son travail et sa nouvelle famille; car
Corneille Schut n'avait pu supporter les amertumes de la solitude : à une date que l'on ignore, il s'était
remarié avec Anastasie Scelliers, et, moins désireux dès lors d'être mêlé aux bruits de la ville, il était allé
s'établir avec sa femme dans la paroisse de Saint-Willebrord, à quelque distance d'Anvers. Mais les longs
bonheurs n'étaient pas permis à Corneille Schut. Anastasie Scelliers mourut le 24 octobre 1654. Ce
nouveau coup retentit douloureusement dans le cœur du vieux peintre. Il essaya d'abord de résister au mal

1 Un artiste du nom de Corneille Schut a certainement vécu en Espagne; mais c'était le fils de l'ingénieur de Philippe IV, et,
conséquemment, le neveu de notre Corneille. Établi à Séville, il eut une grande part à la création de l'Académie de peinture qui
y fut fondée en 1660, et dont il fut successivementfiscal, consul et président. Ce Schut devint presque complétement Espagnol,
et il reste de lui un assez bon nombre de dessins à la plume ou à l'encre de Chine, qui ressemblent souvent à ceux de Murillo.
Il mourut à Séville en 1676. (V. Céan Bermudez. Diccionario de los
mas ilustres profesores de lis bellas artcs en Espana, 1Ni.
p. 359, et le petit livre publié par le même auteur sur l'école de Séville (1806).
et, pendant quelques mois, il eut le courage de lutter contre son chagrin; mais sa blessure était inguérissable,
et, le 29 avril 1655, il s'éteignit à son tour. On l'enterra avec sa femme dans l'église de Saint-Willebrord,
où une pieuse amitié fit élever en leur honneur un monument qu'on y voit encore. L'épitaphe latine qui
décore leur tombeau est simple et touchante : elle demande au passant de prier pour que ceux qu'un
mariage, sitôt brisé, avait un instant associés sur la terre, soient à jamais réunis dans le ciel.

PAUL MANTZ.
0

MMIMIK mT ÏMIKËiWfS
Van Dyck avait fait de Corneille Schut un portrait qui a été prit ; le Christ mort.
— Ces tableaux ornent le monument fu-
gravé par Vorstermann : c'est celui qui figure en tête de cette nèbre de Corneille Schut et de sa seconde femme, Anastasie
biographie. Scelliers.
Les compositions de Corneille ont été reproduites à l'eau
- BRUXELLES (MUSÉE).
— Martyre de saint Jacques, es-
forte, par l'artiste lui-même, avec un talent que nous avons quisse. — La Vierge, avec des fleurs de Daniel Seghers.
essayé d'apprécier : son œuvre a été en outre gravé par les ÉGLISE SAINTE-CATHERINE.
plus célèbres maîtres du temps, W. Hollar, C. Galle, P. Pon- — Sainte Anne, patronne des
bateliers, implorant le ciel. Mensaert, dans son Peintre cu-
tius, Lucas Vorstermann le jeune, Jean Popels, Natalis, Rom- rieux (1, 25), fait l'éloge de ce tableau, que Descamps regarde
baut Eyndhouedts, J. Mechau, et surtout Jean Witdoeck, qui au contraire comme « dur, sec, sans effets et assez médiocre,
se forma sous l'inspiration directe de Corneille Schut. Le excepté quelques détails bien faits. »
peintre Philippe Wleugels, qui vint travailler en France, était COPENHAGUE.
— Bacchus, Cérès et Vénus. — La Vierge.
aussi son élève. DRESDE. — Neptune et Amphytrite.
Voici l'indication des principalesproductions du maître : — Offrande à Vénus.
LILLE. — Alexandre coupant le nœud gordien.
ANVERS (MUSÉE).
— Le Christ et la Vierge remettant à PARIS (MUSÉE DU LOUVRE).
— Les Israélites recueillant la
saint François, agenouillé devant eux, le bref de l'indul- manne (dessin en camaïeu). — Frise ornée d'une guirlande
gence dite Portiuncula. — Ce tableau provient de la chapelle de fleurs, d'animaux, d'oiseaux, etc. (dessin au crayon, lavé
de la famille Franco y Feo, dans l'ancienne église des Ré- et rehaussé de blanc).
collets. ROTTERDAM. — Des enfants jourint dans un paysage.
Le Martyre de saint Georges. — Cette peinture, qui a été VIENNE. — La Vierge, entourée de fleurs de D. Seghers.
gravée par l'artiste lui-même et par R. Eyndhouedts, a décoré
— Héro pleurant sur le corps de Léandre. (Gravé par
jusqu'en 1798 l'autel du Jeune Serment de l'Arbalète à la ca- G. Leybold.)
thédrale. Dans son Voyage en Flandre et en Brabant, Des- Corneille Schut paraît avoirtraité deux foi s ce sujet. Du moins,
camps parle ainsi de ce tableau : « C'est une composition nous avons vu en 1860, à l'expositiond'Amiens, une réplique
pittoresque, pleine de génie et dessinée avec correction. Je la originaledu tableau du Musée de Vienne. Cette peinture, que
considère comme l'ouvrage le plus estimable du maître. » le Catalogueattribuait à tort à Van Dyck, appartient à M. le
La Purification de la Fierge. — Provenant du couvent des marquis de Landreville.
Augustins de Malines. Pour ne pas faire double emploi, nous nous sommes abste-
CATHÉDRALE D'ANVERS.
— La coupole, représentant l'As- nu de relater ici tous les tableaux peints en collaborationpar
somption de la Vierge. Corneille Schut et Daniel Seghers. On en trouvera l'indication
SAINT-CHARLES BORROMÉE(ancienne église des Jésuites). à la suite de la biographie du jésuite d'Anvers.

La Circoncision; l'Assomption; la Reine des Saints; Saint * Les tableaux de Corneille Schut, immobilisésdans les églises
François-Xavier convertissant un Indien ; le même saint et dans les musées, ne se rencontrent pas fréquemmentdans
consacrant les hosties. les ventes publiques.
SAINT-JACQUES.
— Le Christ mort sur les genoux de la VENTE RANDON DE BOISSET. 1777.
— La Vierge assise te-
Vierge. nant sur ses genoux l'Enfant Jésus qui caresse saint Jean,
SAINT-Wn.LEBRoRD-LÈS-ANVERS. Dieu et le Saint-Es- appuyé sur une croix. — 330 livres.

$co& &famanc/e. S&Méeit'e, J&vrfaa/éj

JEAN VAN HOECK


NE KN 1598. — MORT EN 1650.

Jean van Hoeck (prononcez Houk) est un de ces


hommes que la cupidité des marchands de tableaux,
l'orgueil des amateurs et l'ignorance des historiens ont
condamnés à l'oubli, comme à une seconde mort. Il a
obtenu pendant sa vie une gloire immense et méritée;
il avait peint une foule de tableaux et de portraits.
Pourquoi l'ombre s'est-elle amassée autour de son nom*?
Pourquoi ses œuvres ont-elles disparu? Pourquoi n'en
voit-on ni dans les musées, ni dans les collections
particulières, ni dans les ventes publiques? Parce que
son style avait la plus grande ressemblance avec la
manière d'un artiste fameux, qu'on pouvait attribuer
ses toiles à Van Dyck, en augmenter ainsi la valeur
d'opinion et la valeur vénale. On n'a point reculé, tant
s'en faut, devant cette odieuse supercherie ; un tiers
peut-être des tableaux qui passent pour avoir été
exécutés par Van Dyck, sont de Jean van Hoeck, un
autre tiers d'Érasme Quellyn le Vieux, leur compatriote.
Deux gloires légitimes ont été englouties dans une seule renommée, comme des torrents au tond d 'uii
précipice. Combien d'amateurs connaissent le peintre officiel de l'empereur Ferdinand II et de l'archiduc
Léopold?
Jean van Hoeck était né à Anvers, le 3 septembre 1598 ; son père se nommait Guillaume van Hoeck et sa
mère Appoline Janssens; ils appartenaient l'un et l'autre à d'honorables familles et ne manquaient pas
de bien. Aussi leur fils reçut-il une excellente éducation, qui lui fut par la suite d'un grand
secours dans
ses travaux et dans ses relations avec le monde. Elle lui servit d'abord de recommandation auprès de Rubens,
car Pierre-Paul, étant lui-même instruit, aimait le savoir chez les autres ; il enseigna conséquemment l'art de
peindre à Jean van Hoeck, sans le détourner de ses études. L'élève profita si bien des leçons du grand
homme qu'il devint son égal sur plusieurs points.
Son noviciat terminé, le désir le prit d'aller voir au delà des Alpes les merveilles de l'art italien. Il
allongea sa route, on ne sait pour quel motif, et traversa l'Allemagne, où commençait alors la guerre de
Trente-Ans. A Rome, il évita la société, fréquenta les églises, les collections de toiles fameuses et de statues
antiques plus que les salons; absorbé par l'étude, il semblait n'avoir aucun désir de renommée. Son talent
exceptionnel attira sur lui les regards, des peintres déjà célèbres firent son éloge et le recherchèrent,
plusieurs cardinaux voulurent avoir de ses ouvrages, les grands seigneurs lui ouvrirent leurs palais et les
sociétés savantes lui offrirent des diplômes. Le public se forma de lui une si haute opinion en si peu de
temps que les amateurs farouches se laissèrent eux-mêmes apprivoiser; ils lui permirent non seulement
de voir, mais de copier les tableaux qu'ils ne montraient à personne. Tout le monde lui conseillait de
rester dans la ville éternelle, où ses débuts lui promettaient la plus brillante carrière.
Au milieu de son triomphe, soit que l'ambassadeur d'Autriche y prît part, soit qu'un tableau de Jean
van Hoeck eut été expédié à Vienne, l'empereur Ferdinand II témoigna le désir d'attirer le peintre en
Allemagne, et le jeune coloriste accepta la proposition. Le lugubre caractère de ce prince ne semble pas
en harmonie avec les pensées douces, avec les nobles sentiments qu'éveillent les beaux-arts; mais
Ferdinand II ne les aimait pas pour eux-mêmes : il-les employait à rehausser la pompe du culte. Il faisait
venir de tous les pays du monde les chanteurs les plus habiles, les meilleurs instrumentistes connus,
les payait bien, leur octroyait de nombreuses faveurs et ne leur marchandait pas les présents. Ces frais ne
lui semblaient point inutiles, car il avait coutume de répéter que les musiciens servent à louer Dieu et à
distraire innocemment l'esprit. Le cruel dévot recherchait également les peintres supérieurs, qu'il chargeait
d'évoquer sur la toile les saints et les saintes, de retracer, avec tout leur talent, les principaux épisodes
de la Bible et de l'Évangile. Outre Van Hoeck, il appela, dans ce but, à la cour de Vienne, François
Wouters, autre élève de Rubens, qui exécutait aussi bien le paysage que les figures.
Un membre de la famille impériale, Léopold-Guillaume, le second des deux fils que Ferdinand avait eus
de Marie-Anne, devint pour notre artiste un protecteur plus agréable. C'était un homme gai, d'un caractère
doux, qui n'avait point brillé dans les luttes furieuses de l'Europe, où il s'était fait battre en toute
circonstance; mais qui avait le goût des belles choses et savait apprécier le mérite. Il employa Van Hoeck,
dont la noblesse et le clergé se disputaient les tableaux. Chargé par l'Espagne du gouvernement des
provinces belges en 1646, il emmena l'artiste et le nomma son peintre officiel. Exilé depuis si longtemps,
ce dernier ne demandait peut-être pas mieux que de revoir son pays natal. Les bonnes gràces de l'archiduc
y furent partagées entre lui et le célèbre Téniers. Léopold-Guillaume achetait d'ailleurs toutes les toiles
brillantes qu'il pouvait se procurer, de sorte qu'il eut bientôt formé à Bruxelles une collection importante.
Il choisit pour conservateur le peintre des kermesses, qui, sans doute à son instigation, reproduisit en
miniature la galerie entière. Chacune des douze salles devint le sujet d'un tableau. Ces peintures se
trouvent maintenant disséminées en Autriche, en Espagne et en Angleterre. On y admire la souplesse du
pinceau, qui a imité, dans un espace si restreint, le style des différents maîtres, au point qu'on ne peut s'y
méprendre. Sur la toile exposée à Vienne, l'archiduc, entouré de ses courtisans, montre de sa canne un
tableau placé à terre. Il semble interroger Téniers pour savoir quel en est l'auteur. Les personnages qui
l'environnent sont tous peints d'après nature et ont pour l'histoire un intérêt spécial. Un autre morceau
décore le musée de Madrid ; mais la plupart se voyaient à Blenheim, chez la duchesse de Marlborough,
pendant le siècle dernier.
Quoique domicilié à Bruxelles, van Hoeck fit peu de travaux pour les amateurs et les monuments religieux
des Pays-Bas. Les personnes qu'il avait connues en Italie et en Allemagne lui adressaient un grand
nombre de commandes, qui absorbaient presque tout son temps. Il aurait fini sans doute par leur préférer
des admirateurs moins éloignés, mais la mort lui arracha des mains la palette, en 1650. Un de ses derniers
tableaux, peint après le fameux traité de Munster, représentait Ferdinand III, couronné par le dieu Mars et
par la Paix, suivie de l'Abondance.

Devenu maladif, Léopold-Guillaume quitta Bruxelles en 1656, une année avant la mort de l'empereur son
frère. A Vienne, ce protecteur des arts, nommé tout jeune grand-maître de l'Ordre Teutonique, buvait du
lait d'ânesse, prenait même des bains entiers de ce lait pour combattre son épuisementprécoce. Il eut beau
faire, il mourut à l'âge de quarante-huit ans, le 20 novembre 1662. Sa collection de tableaux, qu'il avait
emportée, forme maintenant la partie la plus considérable du musée de Vienne. Il l'avait léguée par son
testament, le 9 octobre 1661, à son neveu, l'empereur Léopold Ier.
On voit à Malines, dans l'église Notre-Dame, un tableau de van Hoeck, représentant le Christ mort, soulevé
par Joseph d'Arimathie et par saint Jean, qui vont le porter au tombeau. Il y a peu d'œuvres supérieures,
s'il en existe. On ne sait ce qu'on doit admirer le plus, le dessin ou la couleur, les types ou les expressions,
les attitudes ou le clair-obscur. Saint Jean, dans sa force juvénile, son compagnon, dans la dignité de la
vieillesse le glorieux cadavre lui-même, étonnent et ravissent; le Supplicié a des traits élégants et nobles.
,
une barbe, une chevelure noires, qui attestent l'influence de l'Italie sur le peintre. Croisant les mains, la
Vierge regarde son fils avec un sentiment de profonde douleur qu'on ne pouvait mieux rendre. Madeleine
personnifie merveilleusement la femme de plaisir, vulgaire, étourdie, insouciante, passionnée sans tendresse.
Au fond du tableau, on aperçoit un homme qui examine la scène lugubre et une catéchumène en pleurs.
L'exécution rappelle à la fois le style des maîtres vénitiens et la manière de Rubens; elle unit avec un
rare bonheur les qualités des peintres du nord aux qualités des peintres du midi.
La même église renferme une autre toile de Jean van Hoeck, dont les figures paraissent seulement à
mi-corps. C'est un chef-d'œuvre que n'éclipse pas le précédent. Le Fils de l'Homme y porte sa croix en
parlant à la Vierge, qui l'écoute, les mains jointes, avec une tristesse ineffable. Deux bourreaux athlétiques
surveillent et conduisent le Rédempteur; l'un d'eux, ne pouvant contenir sa haine, lui fait une horrible
grimace. Saint Jean et sainte Madeleine suivent la mère de Jésus; leur douleur est si vraie, si touchante
qu'elle se communique au spectateur. Comme sur l'autre page, on remarque ici les obligations de l'auteur
envers Rubens et les effets de son séjour par delà les Alpes. Un chaud reflet du soleil italien y dore les
visages, les costumes, les moindres accessoires.
Une peinture qui ornait jadis le maître-autel des Récollets ou Minimes, à Bruges, et que possède
maintenant la cathédrale, inspire les mêmes réflexions et donne également la plus haute idée de l'artiste.
On y voit le Rédempteur crucifié, sa mère, saint Jean et un moine de l'ordre auquel appartenait le tableau.
Une profonde sensibilité anime les traits, les gestes, les attitudes des différents personnages. Il semble, en
outre, qu'un rayon de lumière italienne dorme sur la toile.
D'après ces morceaux, on peut apprécier la manière de Jean van Hoeck; on pourrait même lui restituer
quelques ouvrages attribués à d'autres maîtres, par spéculation ou par vanité. Les châteaux et palais de
la noblesse autrichienne doivent d'ailleurs en renfermer qui portent encore son nom. Mais ce ne serait pas
une entreprise facile que d'y pénétrer. Le catalogue de la galerie du Belvédère, publié en 1858, annonce
trois productions de ce peintre qu'il serait important de voir; elles achèveraient de fixer la critique
sur le talent d'un maître jadis fameux, auquel l'ignorance des historiens a été si funeste.
Paul Pontius, François van den Steen, Corneille Galle et d'autres encore peut-être ont gravé d'après lui.
On retrouve sur leurs estampes le beau dessin, la vive sensibilité, les types heureux, l'imagination délicate
et brillante que j'ai admirés dans les tableaux que possède la Belgique.
ALFRED MICHIELS.

liKIMŒM M ISIIKGMIKDHS
Le prince Charles de Lorraine possédait de Jean van Hoeck on voit en perspective une bataille) ; sur la troisième toile,
les portraits des archiducs Albert et Isabelle, que l'on com- un ange le présente à la Madone, qui tient son fils dans ses
parait aux effigies de Van Dyck. bras et trône parmi les nuages.
On voyait chez M. Van Heteren, à La Haye, une Pallas qui Gravures d'après Jean van Hoeck :
embrassait la Prudence et foulait sous ses pieds les Vices. Une Sainte Famille, par Paul Pontius. La Vierge, qui
Le catalogue de la galerie de Vienne rédigé en 1796 an- tient son fils endormi sur ses genoux, lève la couverture de
nonce comme de Jean van Hoeck : son berceau pour le coucher.
10 Un portrait en buste de Philippe 7r, roi d'Espagne,sur toile; Une Sainte Famille, par François van den Steen. La fille
2° Une Danse de Paysans avec des figures nombreuses et de David s'y apprête aussi à coucher le petit Jésus. Saint
de petites proportions, également sur toile. Jean-Baptiste porte un flambeau, dont it protège la flamme
Il indique également un portrait de l'artiste lui-même, avec sa main. Cette gravure, dédiée à Justine Marie, comtesse
en buste, exécuté par un auteur inconnu. de Schwartzenberg, est d'une extrême rareté. Nous la repro-
Sur le catalogue de 1858, on ne trouve plus ces indications; duisons en tête de la présente notice.
elles sont remplacées par trois effigies de l'archiduc Léopold- Philémon et Baucis recevant Jupiter et Mercure.
Guillaume, l'une qui le montre armé de pied en cap, l'autre Le Sauveur agonisant, par Corneille Galle, morceau ma-
à cheval et entouré de génies (au fond de ce dernier tableau, gnifique, plein de sentiment et d'animation.
Sc»/g ,7&Hlande. %déæj,e, '(o/fa-iéed, &am/wc$ac/ea.

JEAN MIEL
NÉ EN 1599. — MORT EN 1664.

S'il est vrai que la postérité n'ait jamais tort, il faut regarder
Jean Miel comme un peintre de pastorales et de bambochades, bien
qu'il se soit illustré de son vivant par des tableaux de dévotion et
des sujets historiques traités dans le grand. En le rangeant parmi
les peintres de figures familières et grotesques, l'histoire n'a fait que
se conformer au goût décidé que Jean Miel manifesta pour ce genre
de peinture.
Flamand d'origine, Jean Miel eut beau faire le voyage de Rome,
entrer sous la discipline d'un maître sévère et classique, apprendre
son art dans toute la dignité que lui prêtait l'école romaine, il resta
malgré lui un peintre flamand, et retrouvant au milieu d'une ville
où brillaient alors le Dominiquin, André Sacchi, Nicolas Poussin,
le Caravage et Claude Lorrain, un de ses compatriotes, le facétieux
Pierre de Laer, si connu déjà sous le nom de Bamboche, il fut
entraîné vers la manière de ce peintre spirituel des gueux, des
voleurs, des rudes pâtres de la Sabine, des palefreniers et des
lansquenets; manière toute nouvelle pour des Homains, mais qui
devait plaire du premier coup à un artiste originaire des Pays-Bas. Né en 1599, aux environs d'Anvers, dans
un village que D'Argenvilleappelle Vlanderen (confondant la Flandre avec un village qui n'a jamais existé)
Jean Miel reçut les premières leçons de Gérard Seghers, élève lui-même de Rubens. Il fut donc tout préparé
dès sa jeunesse à pratiquer et à comprendre la grande peinture, dans laquelle Gérard Seghers s'était fait un
nom. Aussi, lorsqu'il entreprit le voyage de Rome, pèlerinage obligé dans ce temps-là pour quiconque
aspirait à la consécration de son talent, Jean Miel était déjà un fort habile homme. Je ne sais quel sobriquet
lui fut donné lorsqu'il fut reçu par la bande joyeuse qu'avaient formée à Rome les peintres flamands, hollandais
et allemands, et qui étaient en possession de baptiser les étrangers nouveaux-venus; mais il est certain qu'il
connut bientôt le hollandais Pierre de Laer, qu'on venait de surnommer Bamboche, parce qu'il était contrefait,
bossu et semblable à ces poupées que les Italiens appellent bambozzo 2, Cet artiste original, plein de verve,
de gaîté et d'esprit, j'allais presque dire de génie, était arrivé dans Rome quelques années avant Jean Miel,
et, au milieu des solennités de la peinture romaine, à deux pas des fresques sublimes du Vatican, sous les yeux
du grand et grave Poussin dont il conquit l'amitié, il s'était créé un genre à part, le genre des Bambochades,
auquel il donna son nom. Les descendants de Raphael, qui n'avaient guère mis en scène que des dieux, des
saints, des héros ou des papes, ne furent pas peu surpris de voir entrer dans le domaine de la peinture, les
paysans, les gardeurs de buffles, les voiturins, les piferari, les servantes d'auberge, les bandits, les bohémiens
et les joueurs de stylet. Le Bamboche, joyeux viveur, s'était fait pardonner cette espèce de scandale à force de
facéties, de bons mots et de gambades; mais l'ensemble de l'école romaine, retenue par l'influence de Zampieri
et de Nicolas Poussin, n'en était pas moins resté fidèle aux grandes traditions de l'art, du moins quant au choix
des sujets. Quelques-uns cependant, et par exemple Michel-Ange des Batailles et Jean Miel, furent séduits
par cette manière piquante du Bamboche qui faisait sourire Nicolas Poussin dans sa toge; le clair-obscur y
jouait d'ailleurs un grand rôle : or, c'était justement l'époque où le Caravage avait inauguré la manière forte,
c'est-à-dire les violents contrastes de lumière et d'ombre, qui flattaient l'œil de notre Valentin et attirèrent
un instant le Guide lui-même. Ce qu'avait fait en grand le Caravage, Pierre de Laer le fit en petit, mais ce
qui n'était pas supportable dans le premier était au contraire charmant dans l'autre; car des goujats en
guenilles jouant aux cartes sur un tambour, peuvent nous plaire dans un tableau de chevalet, tandis que la
Mort de la Vierge perd bien quelque chose, ce me semble, à être représentée comme une scène de domestiques.
Voilà donc la fantaisie, comme nous dirions aujourd'hui, importée à Rome par un Hollandais; les Italiens
ne s'y trompent point, ils donnent tout de suite aux familiarités du Bamboche le nom de caprices, capricci"
en bonne part, en mauvaise part bambocciate. Jean Miel, disons-nous, s'adonna de bon cœur au genre du
paysage, des animaux, des grotesques et en général à toute cette partie secondaire de l'art qu'affectionnent
les peintres naturalistes. Il s'y montra si habile, que le savant André Sacchi l'appela dans son atelier, voulant
s'en faire un aide pour les travaux qu'il devait exécuter au palais Barberini, dans les appartements du rez
de chaussée. Entre autres peintures, il y en avait une, en forme de frise, qui devait représenter la cavalcade
pontificale; celle-là fut dévolue spécialement à Jean Miel; mais comme il y travaillait, une dissidence éclata
entre Miel et André Sacchi, occasionnée sans doute par les malicieuses remarques de quelque ami officieux :
les deux artistes en vinrent à de vives paroles, et André s'étant mis en colère, renvoya durement Jean Miel
en lui disant d'aller faire ailleurs ses bambochades 3
Jean Miel, piqué d'une telle boutade, en conçut pour quelque temps du dégoût à l'endroit des sujets
familiers qu'on venait de lui reprocher si amèrement. Le chevalier Bernin, qui l'avait pris en amitié, lui
donna des conseils dans ce sens, et voulant s'attacher aux grandes figures, il fit un voyage en Lombardie
pour y étudier les ouvrages des Carrache et surtout la merveilleuse coupole du Corrège, à Parme. Cette
excursion fut profitable à son talent, elle agrandit ses idées, développa ses aptitudes, et à son retour dans
Rome, il y parut si habile que les travaux lui vinrent de toutes parts. L'église de San-Lorenzo in Lucina

1 Mariette en fait la remarque dans les notes manuscritesdont il a enrichi l'Abecedario pitlorico du père Orlandi.
4 Voir, dans cette Histoire, la vie de Pierre de Laer.

3 Andrea forte si disgusto con esso, e venuto in collera gli disse, che egli
se ne andnsse a dipignere le sue'bambocciate.
Baldinucci, Notizie de' professori del disegno, tomo xm.
lui commanda le Miracle de saint Antoine de Padoue. Le pape Alexandre VII lui lit peindre dans sa galerie
de Monte-Cavallo l'histoire de Moïse frappant le rocher. En 1656, au Vatican, il exécuta, pour ce même
Alexandre VII, des peintures à fresque dans une chapelle voisine de la chambre du pape; et au palais Raggi
il représenta, dans deux tableaux en forme de frise, la rue del Corso, où se font les mascarades de Rome.
Ces divers ouvrages étaient assez noblement traités et d'une bonne couleur; mais son dessin, en ces grandes
occasions, n'avait pas autant de correction et de finesse qu'il en montrait dans ses petites toiles.
Quelques peintures de Jean Miel, qui avaient été envoyées de Rome en Piémont, firent connaître ce peintre
il la cour du duc de Savoie. Charlef-Emmanuell'invita gracieusement à venir à Turin et Jean Miel, s'y étant

rendu en 1659, y fut reçu avec beaucoup d'affabilité et de courtoisie, con tratti di benignità e d'amore, dit
le biographe italien. Il est vrai de dire qu'une fois à la cour de Charles-Emmanuel, il devint, pour ainsi parler,
la propriété du duc. Des travaux importants l'y attendaient. Sur le soffite de la grande salle où se tient la
garde du roi, dit Lanzi, on voit quelques tableaux de Miel, qui, au milieu des représentations fabuleuses des
dieux du paganisme, renferment des faits véritables à la gloire de la maison royale. Il en peignit une partie
à fresque, une partie à l'huile, et le tout de grandeur naturelle en onze morceaux. Mais les peintures qu'il
fit avec le plus de goût, comme étant le plus en harmonie avec son tempérament, furent celles qu'on lui
commanda pour la maison de chasse, appelée la Vénerie royale. Là, il fit voir toutes les qualités de peintre
que la vocation lui avait données et que la fréquentation de Bamboche développa : l'intelligence de la
perspective, une grande vigueur de clair-obscur, l'observation non pas tant naïve que spirituelle, des
mouvements, des gestes, des attitudes, des costumes, du jeu des physionomies, de tout ce qui importe à la
représentation des scènes de la vie commune. C'étaient des Rendez-vous de chasse avec un nombre infini de
petites figures, le Départ des chasseurs et la Curée, avec les écuyers, les fauconniers, les valets et les chiens.
C'était l'Aller au bois, c'était le Laisser-courre où se voit au milieu d'un magnifique paysage, un cerf
poursuivi par des lévriers. Jean Miel mit dans ces peintures beaucoup de relief et de naturel, je ne dis pas le
feu de Rubens, mais quelque chose de cette saveur pittoresque dont Pierre de Laer avait fourni le modèle
dans ses coups de pistolet et que poussait si loin le peintre génois Benedetto Castiglione. Aussi toutes ces
chasses furent-elles gravées au burin et les estampes rapportées au livre que l'on publia sous les auspices de
la cour de Turin, avec ce titre : Veneria, disegnata e descritta dal conte Amedeo di Castellamonti. La
récompense du peintre fut digne d'un prince qui aimait les arts autant que la chasse. Comblé d'honneurs et de
biens, Jean Miel fut décoré de l'ordre de Saint-Maurice et en reçut la croix ornée de diamants, comme h;
raconte Cristofano Orlandi, son disciple favori.
Cependant Jean Miel n'avait pas plutôt mis la main à quelque tableau d'église, que son naturel,
chassé pour un instant, revenait au galop. S'il est vrai que l'on se crée souvent un penchant factice pour les
choses que l'on ne sait point, il est rare qu'on n'ait pas une inclination réelle pour ce que l'on sait faire le
mieux. Jean Miel ne manquait aucune occasion d'encadrer en de petits tableaux ses personnages de prédilection
(lui, sans touchera la caricature, atteignaient aux dernières limites de la vérité. On peut affirmer, quand on a
parcouru son œuvre, je veux dire tout ce que l'on a gravé d'après lui, qu'il mena dans Rome à peu près une
vie semblableà celle qu'y menaient dans le même temps Valentin, Callot, le Bamboche. Sans se croire obligé
de prendre leurs mœurs, il étudiait de près les héros familiers de sa peinture de chevalet, le muletier devant
la porte des hôtelleries, les voyageurs à la dinée, festinant au soleil et faisant mettre leur monture à l'auge,
les pâtres romains au repos sur quelque ruine, les chasseurs en halte, les paysans sur le seuil du cabaret,
les bandits dans les repaires où Valentin les surprenait tantôt organisant des concerts de famille, tantôt se
faisant dire la bonne aventure par des bohémiennes au teint cuivré, et enfin ces équivoques gentilshommes
dont l'Italie abondait alors et qui étaient toujours prêts à donner un coup de couteau pour de l'argent et il
conduire l'étranger dans des lieux suspects. 11 n'est pas de galerie un peu riche qui ne possède un de ces
tableaux de Jean Miel, conçus et exécutés dans le genre où il excellait et qui seul l'a fait connaître aux
amateurs de l'Europe, ses autres ouvrages n'étant jamais sortis des églises de Rome, des résidences du pape
et des palais de Turin. Ainsi, il est remarquable qu'à Rome même, le cardinal Fesch, dans sa fameuse galerie,
n'avait de Jean Miel qu'une bambochade, assez leste par l'intention, mais qu'il nous sera bien permis de
décrire, du moment qu'un cardinal se crut permis de l'avoir. « Un homme d'assez mauvaise mine, dit
M. George', entièrementenveloppé dans son manteau, accompagne un jeune militaire et vient de s'arrêter avec
lui à deux pas d'une maison particulière, vers laquelle les a conduits un pauvre diable délabré et couvert de
haillons. Tandis que notre militaire compte dans sa main la monnaie qui doit le débarrasser de son guide, une
jeune fille que la curiosité excite ou que la visite de l'étranger intéresse, s'est avancée à la fenêtre dont elle
soulève le store avec précaution. Une petite partie de la ville de Borne, que l'on aperçoit dans l'éloignement
à travers une voûte cintrée qui, en s'élançantde la maison, traverse la voie publique, ferait croire à l'élévation
du lieu et surtout à son isolement. » Nous n'ajouteronsrien à cette description, qui nous paraît assez claire
dans sa demi-obscurité. Tel était l'échantillon du talent de Jean Miel que possédait cet illustre prince de
l'Eglise, qui aima la peinture presque autant que la messe. Au Louvre et dans les célèbres cabinets de
Londres, on ne rencontre non plus que des paysanneries de Jean Miel, de joyeuses dinées, des danses
villageoises, des joueurs de vielle ou de chalumeau, des scènes enlîn toujours empruntées à la vie
commune. On connaît de lui les Plaisirs du paysan, faisant pendant aux Plaisirs des seigneurs, deux
charmantes compositions auxquelles la pointe fine et mordante de notre graveur français Jacques-Philippe
Lebas, a conservé tout leur charme, tout le piquant de leur effet, et pour parler comme parleraient Diderot,
Chardin et Dandré-Bardon. tout leur ragoût pittoresque. On peut dire que par le choix de ses modèles et par
sa manière de les peindre et surtout de les éclairer, Jean Miel ressemble en petit au Valentin. Il y a même

1 Catalogue de la vente du cardinal Fesch. Rome, 1845.


je crois, dans son talent, beaucoup plus de la malice française que de la naïveté flamande. Mais si on les
considère comme des tableaux de mœurs, ces petits sujets nous reportent très-fidèlement à l'Italie de ce
temps-là, qui sous tant de rapports est encore la même aujourd'hui. Le Jean Miel qui parut à la vente du duc de
Choiseul était un ravissant modèle de cette observation intelligente des mœurs populaires et une fidèle image de
ce qui se passe deux fois parjour à la porte des monastères italiens, assez semblables sur ce point aux communautés
espagnoles, lorsque les pauvres viennent au son de la cloche recevoir l'aumône que leur distribue l'économe
du couvent. Quelle florissante et rubiconde figure que celle du frère capucin qui préside à la répartition des

pains et des soupes, et comme le contraste se présente naturellement, sans qu'on le cherche, entre la prospérité
du moine et la maigreur de ces pauvres diables, entretenus dans leurs guenilles et dans leur paresse par la pieuse
hospitalité du monastère ! Et comme la composition se termine et se couronne bien par le joli campanile du
couvent, dont la vue réjouit l'âme et inspire le goût du cloître, surtout quand on regarde la verdure qui
interrompt les lignes de tous les murs et laisse deviner, par delà, un riant jardin avec ses plates-bandes que
remue la bèche du moine en récréations !
Le procédé constant de Jean Miel dans ses petits tableaux est de tenir ses fonds clairs et de donner beaucoup
de vigueur aux ombres des premiers plans. Il appliqua ce principe à ses peintures du château de la Vénerie,
mais avec la discrétion que demandent des peintures murales qu'il faut toujours comprendre comme il les
comprit, c'est-à-dire dans une manière plus décorative, et comme un simple ornement devant embellir des
salles que les veneurs ne font que traverser en se rendant à la chasse véritable. Quant à la composition, bien
qu'elle ait du mouvement, on y sent quelque chose d'officiel et de convenu qui annonce un peintre fort peu
chasseur. Le cerf de Jean Miel a des tournures assez primitives, il faut l'avouer, et qui rappellent, du moins
dans la gravure qu'en fit le sieur Tasnière, les estampes un peu frustes de la Vénerie de Dufouilloux. Les
autres animaux de la chasse, le lièvre, l'ours, le sanglier, les chiens même sont dessinés d'une façon tellement
rudimentaire qu'on serait tenté de croire que Jean Miel vit la plupart de ces bêtes seulement dans de vieilles
estampes. Au lieu d'écumer comme font ceux de Rubens, ses chiens s'approchent avec ménagement et
convenance de la bête rendue, et tout se passe, non comme un combat, mais comme un plaisir réglé d'avance.
Pour ce qui est des figures humaines et des divinités mythologiques — ces dernières sont peintes dans les plafonds
et sur les compartiments le plus élevés de la muraille — on y retrouve le talent de Jean Miel pour disposer
clairement les masses, accuser les plans, bien choisir et bien contraster les attitudes. Au dessous des déités
de la fable, naturellementplacées dans le ciel des lambris, les panneaux plus à portée de l'œil représentent
des dames en chapeaux à plumes et jupes longues, suivant la chasse et semblables à celles que plus tard nous
verrons passer, à la suite de Louis XIV, dans les carrousels de Van der Meulen.
Les eaux-fortes de Miel ne sont pas moins recherchées que ses petits tableaux. Cependant le peintre-graveur
me semble, dans les premières pièces qui composent son œuvre ', inférieur à Pierre de Laer. Comparée à celle
du maître hollandais, sa pointe manque de légèreté et de vigueur. Le clair-obscur en est toutefoisbien entendu,
c'est-à-dire que les objets s'enlèvent heureusement les uns sur les autres. Mais là où Jean Miel a manié la
pointe en maître, c'est dans les eaux-fortes qu'il composa pour le livre intitulé : Fabiani Stradœ, de bello
belgico decades duœ. Ces estampes, au nombre de trois, sont des chefs-d'œuvre de gravure à l'eau-forte. Elles
représentent, la première, le Siége de Alaestricht par Alexandre de Parme, en 1579; la seconde, la Prise de
Maestricht; la troisième, la Prise de Bonn par le prince de Chimay, en 1588. Jean Miel a conduit en peintre
ces trois estampes ; moins précis, moins sec que Jacques Callot, il a su y mettre un peu de la confusion d'une
bataille, avec toute la clarté désirable dans une gravure de ce genre qui n'est nullement de caprice. Le travail de la
pointe n'a rien de régulier ni de froid. Au contraire, elle est maniée avec franchise comme un pinceau. D'un point
de vue que le peintre a placé très-haut, on voit se dérouler toute la bataille, ou pour mieux dire les travaux du
siége. Les Espagnols, campés dans des bastions ouverts à la gorge, tirent du canon et du mousquet sur les Belges
qui font une sortie. On distingue dans les pièces du Siège et de la Prise, des épisodes assez habilement ménagés
pour ne pas trop distraire l'attention et rompre l'unité du morceau. Ici, c'est Alexandre de Parme, général de
l'armée espagnole, que l'on voit porté sur un espèce de fauteuil. Là, c'est un capitaine blessé, Fabio Farnese,
que l'on transporteétendu sur un brancard. La prise de Bonn, par le prince de Chimay, en 1588, n'est pas
moins intéressante ni moins bien réussie. Le spectateur est supposé en observation sur une tour. La ville
fortifiée baigne ses murs dans le Rhin, qui traverse la composition par le milieu; elle est entourée de redoutes
d'où les Espagnols font jouer leurs batteries et que l'œil reconstruit très-bien avec leurs angles saillants
et rentr ants, à travers la fumée du canon qui les enveloppe. Mais je laisse au docte Bartsch, passé maître en ces
matières, le soin d'apprécier ces belles et rares estampes.
Pour en revenir aux peintures de Jean Miel, il est aisé de les reconnaître, bien qu'elles ressemblent à celles
de Bamboche et de Michel Ange Cerquozzi, qu'on appelle aussi Michel Ange des batailles et Michel Ange des
bambochades. Une couleur forte, des oppositions tranchées de lumière et d'ombre comme les présentent
toujours les objets étudiés en plein soleil, des ciels clairs, distinguent les tableaux de Miel. Chez lui les figures
se détachentle plus souvent les unes des autres par l'ombre même qu'elles produisent. Quelquefois ces charmants
petits sujets peints sur des toiles imprimées en rouge, comme celles dont se servit trop fréquemment le Poussin,
ont poussé au noir; mais ordinairement ses teintes sont douces et dorées, et le tout ensemble est harmonieux,
plein de chaleur et blond, surtout dans les lointains, le piquant de l'accentuation étant réservé pour les devants.
Salvator Rosa, du temps même où florissait Jean Miel, s'élevait dans ses satires contre ce genre de peintures
familières que les Hollandais avaient introduit et fait accepter dans Rome. Chose étrange! ce Salvator si

1 Celles qui portent les numéros 1, 2 et 3 du catalogue de Bartsch.


romantique, si novateur lui-même, cet aventurier de l'art qui savait si bien descendre aux sujets du Bamboche
et peignait lui aussi des goujats jouant aux cartes sur un tambour, mais en ayant soin de les dissimuler sous
des casques éclairés d'une lueur sinistre et sous des cuirasses qui leur prêtaient un faux air de héros, ce même
Salvator, dis-je, s'avisa de trouver ignobles les compositions de Pierre de Laer et de Jean Miel. Il disait tout
haut que les peintres pas plus que les grands, ne devraientdonner place dans leurs ateliers ou dans leurs galeries

à de semblables images, tant il est vrai qu'on ne voit jamais la poutre qu'on a dans les yeux, suivant
l'expression de l'Évangile, mais que toujours on aperçoit la paille qui est dans l'œil du voisin. Le judicieux
Lanzi a parlé de Jean Miel en peu de mots, et en a dit précisémentce qu'il convientd'en penser. Noble dans ses
idées, grandiose, élevé au-delà de ce que sont ordinairement ses compatriotes, ayant une grande intelligence
de la perspective, remarquable par une vigueur de clair-obscur qui n'exclut point la délicatesse du coloris,
surtout dans les tableaux de cabinet, il eut un talent singulier pour les figures de proportion moyenne...
Homme d'un esprit supérieur, ajoute Lanzi, qui se fit applaudir à Rome par des peintures facétieuses, et en
Piémont par des peintures d'un genre sévère !
CHARLES BLANC.
Jean Miel a gravé un petit nombre d'eaux-fortes, d'une cés à reboursd'une pointe très-fine. Ce morceau est extrême-
pointe légère et ferme. Bartsch les a décrites au nombre de ment rare. Il a 18 centimètres environ de haut sur 13 cen-
neuf dans le premier volume du Peintre-graveur. En voici timètres de large.
A la VENTE DEBOIS, en 1843, les pièces n" 1, 2 et 3, furent
une indication sommaire :
1° Le Berger. Il est assis sur un tronc d'arbre abattu, vendues 30 fr. — Mais les pièces 4, 5 et 6, qui leur sont bien
vu de trois quarts, et il joue de la cornemuse; à
gauche, à supérieures par la compositionet la beauté du travail, s'éle-
une petite distance, on voit trois chèvres dont une est debout. vèrent à 79 francs.
A droite, est le chien du berger, entre le tronc d arbre Les tableaux de Jean Miel ne sont pas très-rares, mais ils
et une petite haie. Aux pieds du berger, sont une gibecière sont très-estimés. Ils sont répandus partout : il n'est pas de
et une gourde. Au bas de la gauche est écrit : Gno (Giovanno) musée ni de collection particulière un peu riche où l'on n'en
Miele fecit et inv. trouve.
2° La Vieille. Une vieille femme assise cherche les poux Le MUSÉE Du LOUVRE contient cinq tableaux de ce maitre :
à une petite fille dont elle tient la tète sur ses genoux. A 1° le Mendiant, 2° le Barbier napolitain, 3" Paysage, 4° Halte

gauche est un bàt, et un peu plus loin est un àne ; dans le militaire, 5° la Dînée des voyaijeurs.
fond à droite une chaumière et un arbre ; derrière la vieille, Les tableaux religieux ou historiques de Jean Miel se re-
une poule et ses poussins dans un panier. trouvent :
3° L'épine dans la plante du pied. Un paysan italien po- Dans les églises de Rome, notamment à San-Lorellzo in
sant sa jambe gauche sur son genou droit, se tire une Lucina, où l'on voit un saint Antoine de 1'1ldIJue- au Vatican,
épine de la plante du pied. Un panier, dans lequel on voit où il peignit à fresque dans une chapelle voisine de la
une bouteille, est placé derrière son dos, et près de lui, chambre du pape — dans la galerie de Montecavallo,où il re-
sur le devant à gauche, repose son chien. Au bas sur une présenta l'Histoire de Moïse — à Turin, dans l'ancien palais
pierre : Miele fec. des ducs de Savoye, où il fit, moitié à fresque, moitié à l'huile,
Ces trois pièces ont 25 centimètres de largeur sur 14 en- dans la salle des gardes, onze morceaux tirés de la Fable.
viron de hauteur. Il y représenta aussi dans la maison de chasse qu'on appelle
4° Le Siège de Maestricht, par Alexandre de Parme, Vénerie royale, divers sujets appropriés à la destination du
en 1579. Cette ville occupe toute la largeur de l'estampe. château, le Départ des chasseurs, un Rendez- vous de chasse,
Les Espagnols sont occupés à divers travaux de siége et à une Curée, et dans de plus petites dimensions, l'Aller au bois
combattre les Belges qui font une sortie. On distingue sur le et le Laisaer-cnurre. Ces ouvrages ont été gravés dans le livre
devant un capitaine blessé (FabioFarnese) porté sur un bran- qui a pour titre YKNERIA, disegnata e descritlll dal conte
card. Au haut de l'estampe une large banderole avec l'expli- Amedeo di Castellamonte.
cation en latin des divers groupes. Au bas de la droite, on Jacques-Philippe Lebas, Valet, Daullé, Dupreil ont gravé
lit : Jons Miele jeciletinv. diverses pièces d'après Jean Miel.
5° La Prise de Maestricht. La ville est attaquée de toute Voici les prix de ses tableaux, que nous relevons dans les
part par les Espagnols.Surtoute la largeur du devant, est re- ventes les plus notables :
présentée une marche triomphale,dans laquelle on distingue VENTE DUC DE CHOISEUL, 1772. Saint François distribuant
Alexandre de Parme, général de l'armée espagnole, porté l'aumône à la porte de son couvent. Ce tableau, précédem-
sur une espèce de fauteuil. Une banderole comme à la pièce ment vendu 1,800 livres à la vente Gaignat, fut adjugé ici
précédente, et au bas: Jons Miele fecit. pour 2,000 livres.-Paysans italiens.C'est un divertissement.
6° La Prise de Bonn, par le prince de Chimay, en 1588. La principale figure tient une bouteille à la main et danse
La ville est sur les bords du Rhin qui règne sur toute la lar- au milieu de la place. — 1,000 livres.
geur de l'estampe; elle est entourée de redoutes d'où les Es- VENTE PRINCE DE CONTI, 1777. Saint François distribuant
pagnols font jouer leurs batteries. Sur le devant un groupe l'aumône, provenant de la vente précédente. — 1,803 livres.
de cavaliers. Vers la droite, le prince de Chimay à cheval Adjugé au duc de Chabot.
donne des ordres. Une banderole occupe le haut, et au bas VENTE RANDON DE BOISSET, 1777. LrI Bohémienne. Elle dit
de la droite, on lit : Jons Miele fecit et inventor. la bonne aventure à un jeune garçon. Le tableau se compose
— Ces trois estampes,
qui sont extrèmement rares, et j'a- de onze figures dont un homme à cheval sur le premier
joute de la plus grande beauté, ont été gravées pour un ou- plan. — 2,100 livres.
vragé en deux vol. in-folio qui a pour titre : Fabiani Stradœ VENTE DUCHESSEDE BERRI, 1837. Un tableau de Jean Miel, re-
de bello Belgico decades duœ. Ilomce, 1640. Elles portent présentant une Dispute, fut vendu 2,200 fr.
32 centimètres de largeur sur 42 environ de hauteur. VENTE CARDINAL FESCH, 1845. L'Etranger et le Commission-
7° L'Assomption. La sainte Vierge sur un nuage, entourée naire. C'est le tableau dont nous avons parlé plus haut dans
de chérubins. Elle est à genoux, les bras au ciel. Au bas la biographie du peintre. On en trouvera une description
sont les douze apôtres, parmi lesquels on distingue saint Pierre détaillée dans le catalogue de M. George. — 18 scudi : environ
aux clefs qui sont à ses pieds. Au bas de la gauche est 260 fr.
écrit: J. Miel fe. Ce morceau est très-rare. Il a 32 centi- Les dessins de Jean Miel sont quelquefois à la plume,
mètres de largeur sur 25 environ de hauteur, plus, en bas, quelquefois à la pierre noire, lavés à l'encre de Chine ou
une marge de 15 millimètres. touchés au bistre. Ils sont pleins d'esprit et d'effet et fort esti
8° Frontispice de livre. Un guerrier romain tient un dra- més. Aux VENTES NEYMAN, DUC DE TAI.UARD et autres, des des-
peau déchiré, sur lequel est. écrit; quanlo lacero più, tanto sins de ce maître allaient au prix moyen de 40 francs. L'n
più bella. Il a le pied gauche appuyé sur le socle d'un pié- Opérateur jouant une farce, joli dessin à la plume, monta
destal orné du titre : la poverta contenta,..,ete.Au bas de la jusqu'à 128 livres, en 1750.
droite est écrit ; Joan Miele fecit. Miel signait souvent ses tableaux d'uni1 simple initiale,
9" Ganymède enlevé par Jupiter. Il a le bras gauche passé comme ci-dessous.
autour du cou de l'aigle et tient de la main droite «élevée le
bout d'une draperie passée autour de ses reins. L'aigle a les
ailes déployées. Sur le devant, à gauche, près d'un tronc
d'arbre, est le chien de Ganymède qui le regarde avec
anxiété. Au bas de la droite, les mots Mielle Roma sont tra-
rffco/i &famanc/e. Sfiécneu-rd cie cumme.

ADRIEN VAN UTRECHT


NÉ EN i 99. — MORT EN 1055.
e

Pour apprécier Adrien Van Utrecht à sa vraie


mesure, il faut se rappeler qu'il peignait, dix ans
avant Jean Fyt, ces tableaux d'animaux vivants ou
morts, ces pièces de gibier, ces fruits et ces
ustensiles de chasse, que nous admirons aujour-
d'hui dans la salle à manger des maisons somp-
tueuses. Il ne possède pas au même degré que
lui la finesse du pinceau, la délicatesse des colo-
rations légères; ses lumières sont parfois un peu
lourdes, mais Van Utrecht n'a pas moins que
Jean Fyt la sûreté de la main, la franchise de
l'exécution et surtout un admirable sentiment de
la nature et de la vie. Il est regrettable que ses
œuvres, peu nombreuses d'ailleurs, ne soient nns
' * J r —~
connues de tous les curieux. Si nous avions au Louvre un seul de ses tableaux, nous serions plus à l'aise
pour montrer que les Flamands ne se trompent pas en tenant en haute estime ce maître habile qui a
ouvert le chemin à Jean Fyt et à bien d'autres.
Quoique son nom paraisse révéler une origine hollandaise, Adrien Van Utrecht est. né à Anvers le
12 janvier 1599. On a raconté qu'ayant commencé à peindre des oiseaux, en amateur et pour distraire
qui n avait
ses loisirs, il y réussit si heureusement qu'il prit la peinture ail sérieux, faisant ainsi, de ce
d'abord été qu'un jeu pour lui, l'occupation constante de sa vie. D'un autre côté, on a prétendu, sur la
foi de je sais quel texte mal compris, que Van Utrecht était empailleur d'oiseaux. A ces historiettes, les
auteurs du catalogue du musée d'Anvers répondent, preuves en main, que, dès l'âge de quinze ans,
c'est-à-dire en 1614, le jeune Van Utrecht entrait dans l'atelier d'un peintre peu connu, Ilerman de Ryt,
et, qu'à la suite des études qu'il fit sous sa direction, il fut reçu maître de Saint-Luc, le 14 août 1625.
Il existe au musée de Rotterdam un tableau qui prouve que dès cette époque, ou du moins très-peu
de temps après, le talent de Van Utrecht était déjà complètement formé. Cette peinture, qui est datée de
1627, représente un coq, une poule et ses poussins effrayés à la vue d'un épervier qui les menace : la
vigueur du coloris, la justesse des altitudes et la fermeté du pinceau montrent que l'artiste n'avait déjà plus
rien à apprendre. Ce tableau constitue cependant une sorte d'exception dans son œuvre, car il représente
des oiseaux vivants; et, ainsi que nous le verrons par la suite, Van Utrecht s'est attaché de préférence à
peindre des animaux morts, du gibier entassé sur une table, au milieu de fruits, de légumes et de riches
accessoires.
Après avoir ainsi donné une première preuve de son talent, Adrien Van Utrecht songea à se marier. Il
épousa, le 5 septembre 1627, Constance Van Nieulant, la fille d'un artiste qui, non content de peindre
des tableaux d'architecture et de ruines, se piquait aussi de bel esprit et poussait le zèle jusqu'à faire des
tragédies. Constance elle-même, bien qu'elle n'eût encore que seize ou dix-sept ans, ambitionnait déjà le
laurier poétique, et elle fit si bien qu'elle mérita plus tard les éloges des lettrés de son temps.
A ces qualités un peu mondaines, Constance Van Nieulant joignait des mérites qui, essentiellement
flamands, ne déplurent pas à Van Utrecht. Elle fut une excellente et surtout une active mère de famille,
et, dans l'espace de vingt ans, elle donna douze enfants à son mari. Il serait sans intérêt de redire ici
les prénoms de tous ces enfants, qui n'appartiennent pas à l'histoire ; mais il est curieux de rencontrer
parmi les parrains qui les assistent au baptême : Simon de Vos, beau-frère de Van Utrecht; Guillaume Van
Nieulant, son beau-père ; Gérard Seghers, Jacques Moermans, l'élève de Rubens, et d'autres encore. Il y faut
voir la preuve de ce fait que Van Utrecht avait d'étroites relations de parenté ou d'amitié avec tous ces
artistes, et qu'il tenait un rang honorable dans la corporation des peintres d'Anvers.
Les biographes de-Van Utrecht racontent qu'il a beaucoup voyagé. D'après la note, si curieuse
d'ailleurs, qui accompagne son portrait dans le recueil de Corneille de Bie, il aurait visité « la France, la
Provence, l'Italie et l'Allemagne.» Nos informations particulières ne nous fournissent aucune donnée sur ces
prétendus voyages; nous savons seulement que les tableaux de Van Utrecht sont peut-être moins rares en
Allemagne que partout ailleurs; mais nous n'avons trouvé nulle part la trace d'une excursion de Van
Utrecht en France. D'un autre côté, comme il est prouvé par des dates authentiques que l'artiste a presque
toujours résidé à Anvers, nous ne voyons pas trop à quelle époque il aurait pu courir le monde, à moins
qu'il n'ait mis à profit le temps qui s'écoula entre la naissance de son premier enfant (22 mai 1629) et
celle du second (5 décembre 1633), entr'acte considérable pendant lequel la stérilité relative de Constance
Van Nieulant paraît devoir impliquer l'absence de son mari. Quoi qu'il en soit, Van Utrecht était à Anvers
en 1633, et il y demeura jusqu'à la fin de sa vie, si laborieusement, si
paternellement occupée.
nommé
Ainsi que nous 1 avons déjà indiqué, Van Utrecht peignait de préférence ce genre, qu'on a si mal
« la nature morte. »
Il y réussissait, d'une façon singulière. Corneille de Bie est admirable à entendre sur ce
point. « Son exercice, dit-il en son jargon habituel, son exercice est en fruicts, animaulx mortes et vifs...,
princepalement les poulées, éocqs d'Indes et autres oiseauz. » On pourrait parler un meilleur langage, mais
on ne saurait dire plus exactement que Van Utrecht, entré de bonne
heure dans la basse-cour où
Hondekoeter doit, plus tard, faire merveille, s'est complu à peindre, avec leurs vives couleurs, toutes
sortes de volatiles et d'oiseaux familiers. Une fois, pourtant, il délaissa ses héros ordinaires pour célébrer un
personnage plus imposant. Le 17 avril 1635, le cardinal Infant Ferdinand d'Autriche arriva solennellement
à Anvers; et, en mémoire de cette journée, Van Utrecht exécuta un tableau qui est aujourd liui conservé à
l'Ilôtel-de-Ville. Le souvenir, peut-être un peu vague, qui nous est resté de cette peinture nous la montre
comme une œuvre ordinaire; mais nous y devons voir la preuve que l'artiste savait
peindre les figures,
et nous nous permettrons d'en conclure, contrairement aux assertions de quelques-uns, qu 'il était
parfaitement en mesure de peindre lui-même les personnages qu'on remarque quelquefois dans ses
intérieurs de cuisine.
Mais ce n'est pas dans des tableaux tels que l' Arrivée du cardinal Infant à Anvers qu'il faut chercher le
talent habituel de Van Utrecht. Regardez, au contraire, au musée de Gand, l' Échoppe d'un marchand de

poissons. Cette peinture est, en son genre, un chef-d'œuvre: jamais le pinceau flamand n'a rendu avec
autant d'intimité et de largeur à la fois la rude enveloppe du homard, la difformité amusante du crabe,
les écailles argentées des autres poissons. Et quelle exécution solide et loyale ! Quel soin dans le détail!
Quelle liberté magistrale dans l'ensemble ! Van Utrecht a, d'ailleurs, de l'imagination et de la fantaisie; il
varie savamment ses sujets. Ainsi, un de ses plus heureux tableaux est celui du musée Van der Hoop, à
Amsterdam, dont M. Burger nous donne une minutieuse description : « Toile de huit à dix pieds de large....
Abondance et richesse. Des pâtés, des jambons, un homard, des raisins, des pêches, des citrons sur une
table. A gauche, par terre, des instruments de musique; sur une chaise, des vases d'or; en haut, un
perroquet; il droite, un grand bassin ciselé, un petit épagneul blanc; au milieu, un singe jouant avec des
fruits renversés d'une corbeille. Exécution très-vigoureuse. » Ajoutons que, malgré ce luxe d'accessoires,
le tableau de Van Utrecht se compose savamment, et qu'au milieu de cette confusion apparente, la lumière
et la couleur font l'unité et l'harmonie.
Van Utrecht n'a cependant pas les colorations brillantes et les grandes allures qui distinguent Snyders,
bien plus que lui voisin de Rubens, dans ses chasses exubérantes et lumineuses; d'un autre côté, il est
moins délicat que Jean Fyt, moins attentif au détail, et ses tonalités sont quelquefois opaques et lourdes.
Mais il est juste de le placer entre ces deux maîtres, qui n'auraient ni l'un ni l'autre à se plaindre d'être
mis en parallèle avec un voisin si digne de leur être comparé. Au dix-septième siècle, on tenait d'ailleurs
en grande estime le talent de Van Utrecht. Les Hollandais — c'est Sandrart qui le dit — se disputaient ses
tableaux et les payaient fort cher. Il travailla pour de très-hauts personnages, notamment pour le roi d'Espagne,
qui, ainsi que le rapporte Descamps, « se saisissoit de presque tout ce qui sortoit de sa main. »
Van Utrecht dut à ces nobles clients une vie heureuse et exempte d'inquiétudes; la fortune ne se lassa
point de lui sourire, et il était presque riche lorsqu'il mourut à Anvers, en 1652-1653, pendant que David
Ryckaert le jeune était doyen de Saint-Luc.
PAUL MANTZ.

MMIES(ËMM H IIlJŒâTOM
Le portrait de Van Utrecht a été peint par Jean Meysseus LILLE. — Combat de coqs. Ce tableau a longtemps été
et gravé par Conrad Waumans. attribué à Ilondekoeter : il nous paraît douteux qu'il soit de
Le Musée du Louvre ne possède aucun ouvrage de Van Van Utrecht.
Utrecht; mais il existe des tableaux de lui dans les collec- LONDRES (CABINET DE LORD SCARSDALE). — Diverses
tions suivantes : espèces d'oiseaux.
AMSTERDAM(MUSÉE VAN DER HOOP).
— Une table chargée CABINET DE M. W. GAEDAERTZ.
— Légumes sur une table;
de fruits et de diverses provisions; au bas, des instruments peinture exposée à Manchester en IS5i.
de musique. C'est le tableau dont nous avons emprunté la MADRID. — Un paon, un cygne et plusieurs oiseaux sur
description à M. Burger. une table ; il côté, une vieille femme causant avec deux hom-
ANVERS (MUSÉE).
— Un Cygne mort : d'autres pièces mes. (Les figures sont attribuées à Jordaens.) Un autre tableau
de gibier, des fruits, sont déposés au pied d'un Terme. Fond représentant des Oiseaux morts, des fruits et des légumes.
de paysage, où l'on voit apparaître la tête d'un mulet. Ce ROTTERDAM.
— Un coq, une poule et ses poussins effrayés
tableau qui provient, de la collection Van Lanschot, est un peu ri ['approche d'un ëpervier (signé et daté 1627).
noir, et ne suffit pas à faire apprécier le talent du maître. Les Musées de Cassel. de Brunswick de Copenhague et
HOTEL DE VILLE. — Entrée du cardinal Ferdinand la galerie du prince de Leuchtenberg possèdent aussi des
d'Espagne en 1635. tableaux de Van Utrecht.
BRUXELLES (CABINET DE M. DUBUS DE GISIGNIES). — Sa- VENTE A. W. (25 février 1863). Gibier et fruits. Dans
ture morte. l'intérieur d'une cuisine, une table est couverte de gibier et
DRESDE. —Sur une table, un gobelet d'or, un homard et de fruits de toute espèce; au centre de la composition, une
divers mets : au bas, un épagneul qui agace un chat. servante tient une volaille d'une main et de l'autre une corde
GAND.
— L'Échoppe d'un marchand de poissons, avec attachée à un croc, où sont pendus plusieurs oiseaux. La
trois figures de grandeur naturelle : un des chefs-d'œuvre du figure est attribuée (à tort) à Gaspard de Graver. Grand ta-
maitre. Signé d'un A et de deux V réunis en mono- bleau de 2 mètres 10 centimètres de large; un peu noir dans
gramme. les fonds, mais excellent: 505 fr.
tffcÕ!::- &/am<ztu/e.

.
PIERRE VAN MOL
NÉ EN 1599.
— MORT EN 1650.

Si Van Moln'avait partagé entre deux patries sa vie, son talent


et sa renommée, il occuperait sans doute dans l'histoire de l'art
une place meilleure; mais, né en Flandre, élevé dans le pays
et presque sous les yeux de Rubens, puis volontairementexilé en
France, il a été oublié de ses compatriotes sans jouir parmi nous
du bénéfice d'une adoption complète. Aussi nul n'a songé à
faire sa biographie. Van Mol, écrivent négligemment Florent
Le Comte et Félibien, travaillait « aux histoires et aux portraits : »
c'est bien peu dire, c'est passer bien vite devant l'ardent coloriste
qui, dans plus d'une œuvre heureuse, a touché de si près aux
qualités viriles qui ont fait la gloire de l'école flamande.
La vie de Pierre Van Mol est une page blanche où s'inscrivent
seulement quelques dates. Lorsqu'il naquit à Anvers en 1599,
de grandes choses se préparaient et le temps du renouvellement
était proche. Van Mol paraît avoir eu deux maîtres : Wolfart et
Sèger Van den Grave. Le premier est si peu connu, le second si ignoré, qu'il est difficile à la critique
-
de dire quelle fut leur valeur réelle. Quoi qu'il en soit, les débuts du jeune peintre furent précoces il
:
n avait que douze ans lorsqu'il entra, en 1611, dans l'atelier de SegerVan den Grave, membre de la corporation
de Saint-Luc d'Anvers. Il est douteux qu'il soit resté longtemps dans cette école obscure. Rubens étant
revenu
d'Italie, Van Mol comprit vite en quelles mains était la lumière il alla droit
: au peintre inspiré qui
rajeunissait alors l'art flamand, et, sans recevoir de lui des leçons directes, il subit désormais
son influence,
et se laissa conduire par ce vigoureux génie.
Par quelle porte Van Mol entra-t-il dans l'art? par quelle œuvre
se fit-il connaître? On l'ignore. Toutefois.
parvenu à la maîtrise dans la gilde de Saint-Luc en 1622 ou 1623, il commença dès lors à faire parler de
lui; mais si l 'on en juge par le petit nombre d'ouvrages qui nous restent de
sa main, il ne paraît pas que sa
production ait jamais été bien active. Ses tableaux sont rares, même en Belgique. On sait cependant qu'il
décora le maître-autel de l'église du prieuré de Groenendal, et. qu'il peignit
pour la chapelle des tailleurs,
dans la cathédrale d'Anvers, une Adoration des Mages qu'on peut voir aujourd'hui
, au Musée. Cette
composition n est pas sans valeur. La Vierge est assise a droite avec le petit Jésus;
aux genoux du divin
Enfant se tient un mage, vieillard à barbe blanche, revêtu d'un splendide manteau dont les
pans sont soutenus
par trois enfants agenouillés. Deux autres mages, des hommes d'armes, des serviteurs entourent le groupe
principal. Dans la disposition générale de la scène, et surtout dans le coloris,
on reconnaît l'influence de
Rubens. Les types reproduits par Van Mol sont dépourvus de style des
: yeux habitués aux élégances
italiennes n'y verraient certainement que lourdeur et trivialité. Mais
par la largeur de l'exécution, par
le goût pompeux des étoffes déroulées à grand fracas, Van Mol s'annonçait
comme un pur Flamand.
Toutefois, l auteur de l Adoration des Mages dut, en se comparant à
ceux qui l'entouraient, sentir sa
faiblesse relative. Qu 'était-il à côté de Rubens, et même à côté des disciples, déjà glorieux, qui imitaient
sa
libre manière, sa coloration enflammée? Séduit par l'espoir de tirer en France
un meilleur parti de son
talent, Pierre Van Mol vint se fixer à Paris.
Nul ne pourrait dire avec exactitude à quel moment du règne de Louis XIII Van Mol abandonna
son pays
pour le nôtre. Les témoignages contemporains ne le mettent en scène qu'un peu après la mort du cardinal
de Richelieu, vers 1643; mais le texte qui nous parle de lui à cette date
nous donne à supposer qu'il était
déjà établi depuis quelque temps parmi nous. Nicolas Wleughels, qui a raconté, dans
un si piquant mémoire,
la vie de son père Philippe, nous montre ce dernier arrivant vers cette époque à Paris
en compagnie du
jeune Wolfart, le fils de celui qui avait été naguère le maître de Van Mol. Les deux Flamands avaient
pour
Van Mol des lettres de recommandation; ils le cherchèrent longtemps par la
ville et parvinrent enfin à le
découvrir en son logis de la rue Taranne. Le brave peintre les reçut comme des messagers de la patrie
;
il les mit en relation avec les membres de la petite colonie néerlandaise et leur fit faire leurs premiers
pas
dans le monde K
Il est bon de dire, en effet, que Pierre Van Mol, si oublié qu'il soit aujourd'hui, parait avoir été, pendant
la minorité de Louis XIV, tenu pour quelque chose par la société polie et littéraire du temps. Un poëte d'un
assez triste renom, Scudéry, nous apprend dans des vers ridicules, qu'il peignit « la marquise de Rambouillet
regardant le marquis de Pisani mort. » Or, le marquis de Pisani, fils de la savante Arthénice, fut tué au
mois d août 1645 à la bataille de Nortlingue. Nous savons, parle témoignage du même écrivain,
que Van
Mol lit, à peu près à la même époque, le portrait de la fameuse M"e de Bouteville,
au moment où elle
allait devenir la duchesse de Châtillon, et mériter, par ses galantes prouesses, une place dans le roman
satirique de Bussy '. Faut-il dire encore que Van Mol a peint les portraits du cardinal Mazarin, de Charles
de Houel, chevalier et baron de Morainville, et de quelques autres personnages de distinction? On a perdu

1 Mémoires sur la vie et les ouvrages des membres de l'Académie de peinture, 1, p. 355 et 358. Van Mol s'était marié ; Talle-
mant des Réaux a parlé une fois de sa veuve ou de la Van Mol, comme il l'appelle avec irrévérence. Il la mêle même à une
,
aventure qui ne donne pas de sa moralité une haute idée. T. IX, p. 70 et 71. (Édition de 1840.)
s Le Cabinet de M. de Scudéry. 1646.
p. 95 et 96.
la trace de ces œuvres également curieuses pour l'art et pour l'histoire. Qu'est devenu surtout ce portrait
d'un « Bon beuveur » qui a inspiré de si pauvres vers au poëte d'Alibray? 1
Les relations de Van Mol avec le monde semi-offlciel du temps lui avaient donné l'occasion de produire
des œuvres plus importantesque celles que nous venons de citer. Il fut un temps où les églises et les couvents de
Paris possédaient de sa main des compositions religieuses d'un vif intérêt. Germain Brice et Dargenville nous
apprennent qu'on voyait autrefois de lui, dans le réfectoire de Saint-Germain-des-Prés, une Nativité; aux
Petits-Pères, un sujet pareil ; au maître-autel du couvent des TTrsulines, une Annonciation, tableau « d'un

coloris extrêmement vigoureux, » et chez les Carmes déchaussés, plusieurs scènes de la vie de saint Jacques
et de saint Dominique. La révolution a dispersé l'œuvre de Van Mol. Mais un amateur de Paris, M. George,
a
longtemps possédé dans son cabinet, qui a eu le sort de toutes les collections du monde,
un grand tableau
de Van Mol, composition éclatante et forte qui pourrait être l'une des deux Nativités dont font mention Brice et
Dargenville. Un coloriste véritable, un praticien de la meilleure race a seul
pu peindre l'Enfant Jésus et les
beaux anges qui se penchent sur lui. Dans ce tableau, qui manque au musée du Louvre, la vigueur de
I 'elfet, le charme lumineux des carnations, la sûreté magistrale du pinceau,
tout fait penser aux noms
les plus heureux de l'école flamande.
Aux diverses compositions que nous venons de rappeler, il faut ajouter celle
que possède le Musée, la

1 Poésies de Vion d'Alibray. 1653. p. 43 et 56.


Descente de Croix. L'agencement de ce tableau révèle une fantaisie savante : saint Jean soutient le corps du
Christ qui vient d'être détaché de la croix, tandis que la Vierge, agenouillée, contemple avec une muette
douleur le cadavre de son Fils. Deux saintes femmes sont debout derrière elle, et Marie-Madeleineembrasse
la main pendante du Christ. L'exécution, ici encore, est toute flamande. Sans doute, la coloration a des
vigueursqui, çà et là, touchent presque au noir, mais il n'est pas impossible qu'en enveloppant sa composition
de ce voile assombri, Van Mol ait voulu ajouter à la gravité émouvante de la scène.
Ces travaux, trop oubliés aujourd'hui, avaient fait à Van Mol un semblant de renommée. L'artiste
flamand, définitivement fixé à Paris, était lié avec les meilleurs peintres du temps. Bientôt on le vit s'associer
;'t eux dans une entreprise restée célèbre. Lorsque, au commencement de 1648, les plus fameux artistes

d'alors voulurent, en élevant autel contre autel, se soustraire à la domination jalouse de l'ancienne
communauté des maîtres, Van Mol fut l'un des premiers à prendre part aux réunions d'où sortit l'Académie
de peinture et de sculpture. Son nom ligure, à la suite des douze anciens, dans la liste des membres
reçus, le 1er février, par la naissante compagnie. Un pareil honneur était bien dû au long effort d'une
vie si laborieusement employée. Malheureusement, Pierre Van Mol ne jouit pas 'longtemps de son titre
d'académicien. Il mourut à Paris le 8 avril 1650, dans les bras de Philippe Wleughels, son compatriote et
son protégé. L'art flamand vit s'éteindre en lui un de ses plus fidèles représentants, et, nous ne devons
pas craindre de le dire, celui qui, égaré au milieu des disciples de Vouet, rendait le meilleur témoignage
de la puissance de l'école d'Anvers.
I»AUL MANTZ.

M(mm(Ëim H MMmMs
L'œuvre de Van Mol est si peu abondant que, dans la Il nous reste il mentionner les œuvres les plus remarqua-
courte notice qu'on vient de lire, nous l'avons presque cité bles de Van Mol, et les prix qu'elles ont atteints dans les ven-
tout entier. Il y faut ajouter toutefois le portrait de Nicolas tes publiques :
Sevin, qui a été gravé par J. Couvay, et celui d'un digne per- MUSÉE D'ANVERS.
— L'Adoration des Mages.
sonnage assis à sa table de travail, dont on connaît une gra- MUSÉE DE BERLIN.
— Isaac bénissant Jacob.
vure par Alix. Les portraits de Mazarin et du baron de Mo- MUSÉE DU LOUVRE,
— Descente de Croix.
rainville ont été reproduits, l'un par Nanteuil, l'autre par Van MUSÉE DE MARSEILLE.
— L'Adoration des Bergers.
Schuppen. MusÉE DE MAYENCE.
— La Fille de Pharaon.
Van Mol peignit aussi, dans de petites dimensions, des MUSÉE D'ORLÉANS.
— Diogène cherchant un homme.
— Descente de Croix.
MUSÉE DE REIMS.
sujets anecdotiques ou des scènes familières. On connaît de
lui, dans ce genre, la Danse flamande de l'ancienne galerie MUSÉE DE ROUEN.
— Générosité de Scipion l'Africain.
du duc d'Orléans. Mais il ne faudrait pas prendre à la lettre VENTE LEBRUN. 1791 — Diogène cherchant un homme,
le mot de Florent Le Comte : « Volfart et Van Mole ont été tableau provenant du cabinet du baron d'Holbach. (Il a été
recherchés pour leur manière de peindre des cuisines et gravé par Folo) 5.948 livres. Revendu 10,4 61 fr. à la vente
autres sujets de basse conséquence. » Ce n'est pas de notre
peintre qu'il s'agit dans cette phrase, mais vraisemblablement
du frère Eugène Van Mol, moine augustin, celui-là même
Van Helsleuter, en 1802.
VENTE DU DUC D'ORLÉANS. (Londres. 1792.) - Danse fla-
mande, gravée par Guttemberg et mentionnée par Dubois de
dont l'abbé de Marolles a dit : Saint-Gelais.dans la Description des tableaux du Palais-
Royal. 42 guinées.
VENTE DU CARDINAL FESCII. (Rome1845.) -Mort de saint
Et pour les augustins, François d'Assises. Le saint est assisté de deux anges, dont
Frère Eugène Van Mol, promettant des festins, l'un lui présente un crucifix. Beau tableau provenant du
Montre avec Padelou qu'on ne peut s'y méprendre. cabinet du président Audry, d'Orléans.
&o/e #h?nanck. £^ëidéwre, ffio-rtraih.

ANTOINE V AN DYCK
NÉ EN 1599. — MORT EN 1 1)41.

Élégant de sa personne, distingué dans sa manière d'être


comme dans sa manière de peindre, ce gentilhomme de l'art,
Antoine Van Dyck, était le fils d'un marchand de toiles établi à
Anvers. Son père était originaire de Bois-Ie-Duc,ville de Hollande,
où il avait d'abord exercé la peinture sur verre, ainsi que le
témoigne l'auteur d'une ancienne description de Gouda, cité par
Houbraken. Sa mère, Marie Ciipers, étaitconnue parladélicatesse
de ses travaux à l'aiguille ; on dit même qu'elle savait dessiner
des figures dans la trame de ses broderies. Cette femme intelligente
fit éclore les inclinaisons naturelles de son fils. Elle l'éleva dans
le goût des belles choses et sut lui inspirer l'émulation de devenir
un artiste. Van Dyck, né le 22 mars J599, n'avait que onze ou
douze ans lorsque ses parents le firent entrer dans l'école de Henri
Van Balen, bon peintre d'histoire qui eut l'honneur d'avoir pour
élève François Sneyders. C'était une bonne école, assurément,et
Van Dyck put y apprendre à dessiner et à peindre sagement le nu,
à donner aux chairs de la rondeur et aux figures un tour agréable. MaisRubens, récemment revenu d'Italie,
tenait alors le premier rang à Anvers parmi tant de peintres d'ailleurs éminents. Van Dyck qui se sentait
attiré vers ce glorieux génie, sollicita la faveur d'être admis dans l'atelier de Rubens, et vers l'année 1615
il y entra. L'œil d'un tel maître eut bien vite entrevu ce que deviendrait Van Dyck, et de quel secours il
pourrait lui être, à lui Rubens, pour l'exécution des grands ouvrages dont il était surchargé. Aussi l'em-
ploya-t-il bientôt aux nombreuses répétitions qui lui étaient demandées, à ébaucher les tableaux dont il
avait tracé l'esquisse, et à traduire en dessins terminés les peintures que ses graveurs devaient repro-
duire. C'est ainsi que Van Dyck dessina cette superbe Bataille des Amazones, qui fut gravée par Lucas
Vorsterman, et l'histoire de Décius.
La supériorité de Van Dyck sur tous ses camarades était du reste parfaitement reconnue par eux-mêmes,
comme le prouve une anecdote que tous les biographes ont racontée. C'était l'hahitude de Rubens de faire
tous les jours une promenade à cheval dans la campagne. Pendant son absence, ses élèves, qui payaient
annuellement un petit tribut à Valveken, ancien domestique de Rubens, obtenaient de lui la permission de
pénétrer dans le cabinet du maître pour y observer sa manière d'ébaucher et sa manière de finir. Un jour
qu'ils se pressaient devant une toile que Rubens venait de quitter, l'un d'eux, Diepenbeke, fut poussé par
ses camarades sur l'endroit le plus fraîchement peint, et il effaça le bras d'une figure et la joue d'une autre.
Cet accident jeta la consternation dans l'école. Chacun se représentait la colère du maître et se croyait
déjà renvoyé, lorsqu'un des élèves, Jean Van Hoeck, dit à ses camarades: « Il nous reste encore environ
trois heures de jour ; que le plus habile d'entre nous prenne la palette et tâche de réparer le dommage ;
pour moi, je donne ma voix à Van Dyck. » Tous applaudirent, Van Dyck se mit à l'œuvre et repeignit si
bien ce qui avait été effacé, que le lendemain Rubens dit en présence de ses élèves, tremblants de frayeur :
« Voilà un bras et une
tête qui ne sont pas ce que j'ai fait hier de moins bien. » Cependant, en y regardant
de plus près, il reconnut bientôt le travail d'une main étrangère (si tant est qu'il ne l'eût pas reconnu tout
d'abord) et l'aveu qu'il obtint ne fit qu'ajouter à la haute opinion qu'il s'était formée du talent de Van Dyck.
Il est probable que Van Dyck quitta l'atelier de Rubens en 1618, car le 11 février de cette même année,
il fut reçu franc-maître de la confrérie de Saint-Luc, sous le décanat de Pierre Goetkint. Le premier ouvrage
qu'il peignit alors fut, dit-on, le Portement de Croix qui est placé dans l'église des Dominicains d'Anvers.
Ce tableau qui a été gravé par Corneille Galle le vieux, est exécuté dans la manière de Rubens, bien qu'on
puisse y remarquer déjà un dessin plus correct, un faire plus discret et plus délicat. Van Dyck fit dans ce
même temps quelques portraits remarquables et Félibien assure qu'ils lui furent payés un assez haut prix. On
peut croire, du reste, qu'il commençait d'avoir quelque réputationdans sa ville natale, puisque les Jésuites
d'Anvers ayant traité avec Rubens pour la décoration de leur église, suivant acte passé le 29 mars 1620,
lui permirent de se faire aider par quelques-uns de ses élèves, nommément par Van Dyck. A cette même
époque, un agent du comte d'Arundel écrivait d'Anvers à cet illustre amateur : « Van Dyck est ici avec
Rubens et ses ouvrages commencent à être presque aussi estimés que ceux de son maître. C'est un jeune
homme de vingt-un ans, appartenant à une des plus riches familles de la ville ; il ne sera pas facile de le
décider à partir d'ici, d'autant plus qu'il a sous les yeux l'exemple de la grande fortune de Rubens » \
Une ordonnance de comptant trouvée dans les registres de l'Échiquier,et publiée par M. Carpenter, nous
révèle un fait jusqu'à présent inconnu à tous les biographes, c'est qu'Antoine Van Dyck était en Angleterre
au mois de février 1620 : « A Antoine Van Dyck la somme de cent livres à titre de récompense pour un
service spécial rendu à sa Majesté. » Quel était ce service? On l'ignore... quelque portrait sans doute.

1 « VanJ)yck sta tuttavia con il sigr. Rubens e viene le sue opere stimate pocho meno di quelle del suo maestro E. Giovane
de queste parti,
di vintrun anno con padre e madre in questa citta molto ricchi ; di manierache e difficile che lui si parta
antiquités du château d'Arundel, par Thierry, cité
tanto più che vede la fortuna nella quale è Rubens. » Histoire et
par M. Carpenter dans l'ouvrage qui a pour
titre : Pictorial notices consisting of a memoir of sir Antony Van Dyck, etc. Cet
ouvrage estimable est rempli de documents précieux et
jusqu'alors inédits, sur Van Dyck, Rubens et autres artistes contem-
du cabinet des estampes au British
porains ; il a valu à son auteur la place bien méritée et dignement remplie, de conservateur
1845.
Muséum ; M. Louis Hymans en a donné une traduction en français. Anvers, -
Peut-être s'agit-il ici d'une simple gratification, car ces mots vagues pour un service spécial étaient la for-
mule ordinaire des libéralités royales, en Angleterre comme en France. Une autre pièce, tirée des archive:-»

du Conseil privé, nous fournit la date précise du départ de Van Dyck : C'est un passeport qui lui est déli-
vré le 28 février 1620 et qui porte entre autres signatures, celle du comte d'Arundel. Le peintre y est
appelé comme tout le monde « sujet de sa Majesté » et il n'obtient qu'un congé de huit mois, comme s 'il
eût pris dès lors un engagement ou accepté des travaux de nature à exiger son retour.
Ce fut seulement sur la fin de 1621 que Van Dyck partit pour l'Italie. Rubens que Marie de Médicis avait
appelé à Paris pour lui donner à peindre la galerie du Luxembourg, était revenu depuis peu de temps il
Anvers portant les esquisses que ses élèves allaient exécuter en grand et auxquelles il devait donner
seu-
lement la dernière main. L'assistance de Van Dyck lui eût été alors précieuse. Toutefois il lui inspira le
désir de faire le voyage d'Italie. Maintenant, que Rubens ait été jaloux de son élève et qu'il lui ait con-
seillé un tel voyage pour éloigner en lui un rival, c'est là un de ces contes qui méritent à peine
une
réfutation. Celui-ci d'ailleurs se réfute de lui-même. Envoyer Van Dyck en Italie, c'était vouloir agrandir
l'horizon de ses pensées, achever son talent. C'était lui donner à découvrir le dernier mot de ces grands
secrets de l'art dont la seule recherche est un bienfait, et dont lui, Rubens, avait eu d'emblée la révélation.
Ne dit-on pas aussi que le maitre eut l'intention de détourner son disciple de la peinture d'histoire pour le
reléguer dans le genre du portrait, comme si ce pouvait être au surplus un genre secondaire que celui où
n'ont brillé que les plus grands peintres, Léonard, Raphaël, Titien, André del Sarte, Rembrandt, Velas-
quez. Mais ce qui prouve que le goût de Van Dyck lui fut tout personnel, c'est qu'avant de partir pour
l'Italie, il offrit à son maître trois tableaux dont deux étaient précisément des tableaux d'histoire ; l'un
représentant unEcce homo, l'autre le Christ au jardin des Oliviers, poétique scène de nuit, éclairée parla
lumière des flambeaux. Rubens qui admirait beaucoup ce morceau et le faisait admirer à tout le monde,
lui assigna une place d'honneur dans sa maison, et en retour il fit présent à Van Dyck d'un des meilleurs
chevaux de son écurie.
Sur la route de Bruxelles à Louvain, est situé un petit village du nom de Saventhem. Van Dyck s'étant
arrêté en cet endroit, y fut frappé de la grâce d'une jeune fille appelée Anna Van Ophem que l'infante
Isabelle avait, dit-on, préposée à la garde de ses lévriers1. Le peintre la trouva si charmante qu'elle lui fit
oublier tout, Rubens, l'Italie, la gloire, tout, dis-je, excepté la peinture. On montre encore au château de
Tervueren, le portrait de cette jeune fille que Van Dyck peignit entourée de ses beaux chiens, et embellie
de tous les charmes que savent découvrir les yeux de l'amour. C'est pour lui plaire que l'artiste amoureux
composa deux tableaux qu'elle destinait à l'église de son village et dontl'un était le SaintMartinpartageant
son manteau avec un pauvre, qui attire dans cette église beaucoup de visiteurs étrangers. Van Dyck se
représenta lui-même dans la personne du saint Martin, monté sur le cheval que Rubens lui avait donné. Le
Louvre a possédé vingt ans ce magnifique tableau où Van Dyck a fait passer tout le feu de la jeunesse,
mais qui du reste est tout entier dans le style flamand. Le cheval est de race brabançonne ; il courbe la
tête à propos pour bien laisser voir son cavalier, lier et beau gentilhomme qui coupe son manteau avec
son épée et met une certaine élégance dans l'accomplissement de cet acte de charité. Deux mendiants,
dont l 'un est à demi-nu, sont accroupis sur le chemin, et Van Dyck a déployé toute sa science dans le
modelé d une de ces figures, toute son énergie dans l'expression de l'autre. La légende un peu romanesque
de cette jolie fille qui avait racheté par les offrandes de la dévotion les péchés de l'amour, prêtait à ce
morceau un intérêt de tradition locale. Les paysans de l'endroit y attachèrent toujours un grand prix. Au
mois de fructidor an II, un artiste français, M. Barbier-Valbone, habile peintre de portraits, qui était alors
lieutenant au cinquième régiment de hussards, fut chargé parles Représentants du peuple en mission à
l'armée, de recueillir les objets d'art dont on voulait s'emparer par droit de conquête. Mais l'enlèvement
du Saint Martin de Van Dyck ne fut pas sans danger. Les paysans révoltés s'attroupèrent, fermèrent les
portes de l'église et y bloquèrent le lieutenant Barbier avec sa faible escorte. Il fallut temporiser et attendre
qu'il arrivât des renforts.
VanDyck dut s'attarder assez longtemps dans le hameau qu'AnnaVan Ophem honorait de ses pas, éclairait
de ses yeux, car il fit encore à son intention et pour la même église un autre tableau : c'était une Sainte
famille où se retrouvait, dans les traits de la Vierge, la ressemblance profane de la jeune fille, toujours
présente à l'esprit du peintre. Ce tableau a péri, dit-on, ou a disparu depuis un demi-siècle environ.

1 Mensaert, le Peintre amateur et curieux, Bruxelles, 1763, ire partie, page 160.
Cependant Van Dyck partit enfin pour cette Italie dont Rubens lui avait tant parlé, et il s'en alla tout droil
il Venise. C était dans ce temps-là une ville florissante où resplendissaient les peintures encore jeunes du

prince des coloristes. Les fameuses fresques que Giorgion avaitpeintes sur le mur de t'EntrepôtdesAllemands
étaient alors dans tout leur éclat et les plafonds de Véronèse au palais ducal dans toute leur fraîcheur. Con-
templer les ouvrages du Titien, les copier, les étudier surtout, ce fut à peu près la seule préoccupation de
1
Van Dyck à Venise. Dirai-je qu'il s'y modifia profondément? Ce serait aller trop loin sans doute. Il con-
tracta seulement dans cette forte étude une certaine préférence pour les tons mordorés du Titien ; il
réchauffa le coloris flamand au soleil de ce grand maître. Il fut particulièrementfrappé de ses portraits ;il
en observa la dignité, les poses simples et graves. Il remarqua la tranquillité des grandes masses brunes sur
lesquelles s'enlèvent ces personnages au teint pâle et bilieux dont le regard profond semble devinerla pensée
du spectateur. Il vit comment les mains habilement rejetées dans le demi-clairservaientd'écho à la lumière
principale réservée à la tête, et comment le ton même de ces visages hàlés et fiers était rehaussé par une
chemisette dont la blancheur adoucie paraissait néanmoins éclatante sur le fond sombre du tableau. Van
Dyck tira profit de ces différentes observations.Il apprit à sacrifier sans affectation les parties secondaires
d'un portrait au triomphe du visage, et dans le visage même, à concentrer tout son art, toute l'énergie de
ses accents, toutes les finesses de sa touche sur les traits qui manifestent le plus clairement la vie, sur la
bouche qui parle, sur les narines qui respirent, sur les yeux qui pensent. On peut dire aussi que Venise
acheval'éducationdeVanDyck,etque,dans le jeunemaître, le grave Titien vienttempérer le fougueux Rubens.
Le goût de la peinture était alors répandu partout en Italie ; mais nulle part peut-être il n'était plus vif
qu'à Gênes. Cette république de marchandsavait accumulé d'immensesrichesses et bâti des palais de marbre
qui eussent fait envie à bien des souverains.Rubens, quelques années auparavant, étant passé à Gênes, y
avait été accueilli magnifiquementet avait laissé aux Balbi, auxBrignole et aux Spinola des peintures aussi
splendides que leurs palais. Van Dyck, se souvenant de l'accueil fait à son maître, se rendit à Gênes, et y
gagna la bienveillance et l'admiration des opulents seigneurs de la ville. Il y avait du reste plus d'une rai-
son pour qu'il en fût ainsi. Van Dyck était charmant de figure ; ses manières étaient nobles et portaient un
cachet d'élégance qui se retrouvait dans ses ouvrages, surtout dans ses portraits. Ceux qu'il fit chez les
Durazzo, les Balbi, les Brignole ont été par eux précieusement conservés. Les tableaux des plus illustres
maîtres ornaient déjà ces somptueuses demeures. On n'y admirait pas seulement les plafonds dorés, les
revêtements de marbres de toutes couleurs, les pavés de stuc et ces terrasses superbes qui donnent vue sur
la mer et qu'ombragent des arbres plantés dans des urnes colossales : la principale richesse des palais de
Gênes consistaiten peintures du Titien, de Véronèse, des Carrache, du Guide et même de Raphaël.Les Balbi
possédaient entre autres chefs-d'œuvre un Christ du Corrége auquel ils désiraient avoir un pendant. Van
Dyck peignit un autre Christ qui fut jugé digne de remplir cette glorieuse destination. Mais son portrait
équestre de Gio, Paolo Balbi devint un des plus beaux ornements du palais. Cette fois ce n'était plus sur
un limonier de brasseur que le peintre avait assis son héros : c'était sur un cheval fin, haut monté, à la tête
légèrement busquée, à l'œil plein de feu. Van Dyck fit encore pour la famille Brignolle un Ecce homo et de
magnifiques portraits, pour la famille Pallavicino celui du doge de ce nom dans son costume d'ambassa-
deur auprès du saint-siége. Enfin au palais Spinola, dont la façade extérieure était décorée des peintures
de Jules Romain, il peignit un Spinola couvert de son armure d'acier poli, tenant d'une main le bâton de
commandement, de l'autre appuyé sur le pommeau de son épée.
Van Dyck cependant voulait voir Rome, Rome surtout. Il en fit le voyage, on ne sait pas au juste à quel
moment; mais il est certain, d'après les dates inscrites par lui-même sur ses peintures, qu'il se trouvarendu
dans cette ville en 1623, quelques mois avant l'arrivée du Poussin. Le cardinalBentivoglio,qui avait été nonce
du pape dans les Pays-Bays et qui avait conservé un bon souvenir de sa nonciature,était alors le protecteur
des Flamands à Rome. Van Dyck, qui lui était sans doute recommandé, en reçut un accueil flatteur. Ces deux
hommes, le plus distingué des prêtres et le plus élégant des peintres, durent facilementse convenir,et nous
devons à leur sympathie réciproque ce fameux portrait du cardinal, ce portrait si noble, si fin, si fier, que
Morin a gravé en buste et dont l'estampe, qui est à son tour un chef-d'œuvre,fait la joie des amateurs qui
la rencontrent. On peut dire que Van Dyck a mis du génie dans l'expression de cette belle tête qui rayonne
d'intelligence, qui étincelle d'esprit. Les yeux sont fatigués, mais leur regard est perçant et profond ; la
bouche est fine et discrète comme doit l'être celle d'un diplomate qui fut assez souple pour désarmer les
puissants ennemis de sa famille et les gagner en les dominant. Le front est dépouillé; mais on n'en voit
que mieux la construction harmonieuse, les heureux développements et ces légères saillies que le pinceau
de l'artiste a fait sentir par des rehauts pleins de feu mais habilement fondus, et où chacune de ses touches
accuse pour ainsi dire la présence de la pensée.

Sous les auspices d'un tel personnage, Van Dyck n'eut pas de peine à se faire jour dans Rome. La faveur
des princes romains et, suivant toute apparence, les commandes du pape vinrent le trouver au palais du
cardinal Bentivoglio, où il était logé. C'est là qu'il peignit deux tableaux de piété qui sont aujourd'hui encore
à Monte-Cavallo, une Adoration des mages et une Ascension. C'est là quelesBraschi, les Corsini, les Colonna
lui demandèrent les peintures qui décorent leurs palais depuis deuxcents ans ety tiennent un rangélevé parmi
les œuvres des plus grands maîtres. La fréquentation de tous ces gentilshommesd'épée ou d'églisene pouvait
qu'ajouter à la distinction naturelle des manières de Van Dyck. Son goût pour le luxe, sa mise soignée, son
train de vie le firent remarquer des artistes ses compatriotes, qui l'appelaientelpittore cavalieresco. Ils cher-
chèrent à l'attirer dans leur bande joyeuse, mais leurs habitudes grossières, leurs propos mal sonnants
n'étaient pas faits pour séduire un raffiné tel que Van Dyck. Il aimait les plaisirs, mais non la débauche ;
il aimait la gaieté des festins, mais non les cris du cabaret ; il adorait les femmes, mais celles qu'il avait vues
en robes de satin dans les palais de marbre, et non pas l'épaisse et rude courtisane qui eût servi de com-
pagne à Pierre de Laer ou de modèle à Valentin. Blessés de son dédain, les peintres flamands se liguèrent
contre Van Dyck, décrièrent sa peinture et firent si bien qu'il prit en dégoût le séjour de Rome. Il y avait
passé deux ans, suivant Soprani, et il dut en partir vers la fin de 1624.
Selon le même auteur, Van Dyck alla de Rome à Florence. Un de ses compatriotes, Juste Suttermans.y
avait alors le titre de peintre du grand-duc, et il était en possession de peindre les grands personnagesde la
cour de Toscane, ce dont il s'acquittait avec un rare talent. Van Dyck devint son ami et fit de lui le noble
et vivant portrait dont l estampe figure dans la collection connue sous le nom de Centum Icônes. C'est à peu
près la seule trace qui soit restée du séjour de Van Dyck à Florence. Soprani nous apprend aussi que dans le
cours de ses voyages en Italie, le peintre flamand rencontra la comtesse d'Arundel, qui se fit accompagner
par lui jusqu'à Turin et voulut l'emmener avec elle en Angleterre ; mais Van Dyck résista poliment à ses
instances et s'en retourna à Gênes, où l'attendait son ami Corneille de Wael, peintre anversois, où le rappelait
d'ailleurs la générosité des grandes familles génoises. Cependant l'occasion s'étant présentée d'un navire
qui faisait voile pour la Sicile, Van Dyck en profita pour se rendre à Païenne avec un ami dont l histoire
nous a conservé le nom, le chevalier Vani. Arrivé là, il eut bientôt à peindre le portrait de Philibert de
Savoie, vice-roi de Sicile, et celui de Thomas de Savoie, prince de Carignan, qui fut gravé plus tard par
Pontius. Il dut cette faveur à la protection de la célèbre Sophonisbe Angosciola, qui avait connu le Titien
et passait à bon droit pour un des plus habiles peintres de son temps. Au dire du biographe italien déjà cité,
Van Dyck fit le portrait de cette femme, devenue aveugle, et s'estima heureux de jouir de sa conversation,
disant qu'il avait puisé plus de lumières dans les discours de cette femmeaveugle que dans l'étude des plus
grands maîtres 1. Mais la peste qui régnait en Sicile, peste dont le vice-roi venait de mourir, abrégea le
séjour de Van Dych dans ce pays. Il reprit la route de Gênes, y demeura quelque temps encore et repartit
enfin pour Anvers, où il arriva à la fin de 1626. Il avait donc passé cinq ans en Italie.
Un des premiers ouvrages de Van Dyck à Anvers, fut le grand tableau que lui commandèrentles Augustins
de cette ville pour le maître-autel de leur église. Il y représenta leur saint patron en extase, soutenu par
deux anges et accompagné de sainte Monique et d'un religieux. Les yeux dirigés vers le ciel, où lui appa-
raissent les trois personnes de la Trinité, saint Augustin est plongé dans le ravissement des célestes con-
templations, et toute son âme est passée dans son regard. C'est un superbe morceau dont l'expression
touche au sublime et dont reflet avait été calculé savamment; mais le saint étant vêtu d'une robe claire qui
formait la masse lumineuse du tableau, les moines, peu soucieux des lois du clair-obscur, insistèrent pour
que saint Augustin fût vêtu de la robe noire de leur ordre, et la condescendance de l'artiste troubla
malheureusementl'équilibre de sa composition. Nous pouvons toutefoisjuger de l'effet primitif par l'estampe

1 Dans les notes de sa traduction manuscrite des Anecdotes de Walpole, que nous avons consultées au département des
manuscrits, à la Bibliothèque, Mariette fait observer que Sophonisbe n'était plus à Palerme lorsque Van Dyck vint, et
y
qu'il n'a pu la connaître et la peindre qu'à Gênes, où elle s'était remariée. Sur ce point, il y a aurait lieu de s'en rapporter de
préférence à l'écrivain génois, si la rectification de Mariette ne se trouvait conforme à celle que nous nous rappelons avoir lue
dans un curieux manuscrit de la vente Jules Goddé. Il est vraisemblable au surplus que Sophonisbe devint aveugle
ne
qu'après son second mariage avec Horace Lomellino de Gènes, et qu'ainsi ce fut dans cette ville que Van Dyck l'entendit
parler si bien de son art.
que Pierre de Jodeen a gravée, sans doute d'après l'esquisse en grisaille que possède lordMethuen. Il est
probable que sous les traits de sainte Monique,le peintre avait rappelé la physionomie de Susanne Van Dyck,

sa sœur, béguine à Anvers, à laquelle fut dédiée l'estampe. Ce qui est certain, c'est que le religieux qu'on
voit dans le tableau, à côté de saint Augustin, offrait la ressemblance parfaite du frère Augustin Vander-
Meeren,qui avait procuré à Van Dyck la commande de cette peinture, destinée, dit Mariette, à faire l'ad-
miration des connaisseurs, tant qu'elle subsistera.
Ce fut à la même époque environ que Van Dyck peignit le Mariage mystique de la sainte Vierge avec le
bienheureuxHerman Joseph, de l'ordre des Prémonlr^s. On ne peut mettre, en vérité, plus de grâce dans
un tableau de dévotion ni rendre avec plus de bonheur l'expression d'un visage transfiguré par la foi, illu-
miné par l'extase. Un bel ange, à la chevelureondoyante, se penche pour prendre la main du pieux chanoine,
qui ose à peine l'avancer. La Vierge, ainsi escortée, met sa main pure dans la main du bienheureux, ou
plutôt elle ne fait que la toucher du bout de ses doigts divins. Mais quelle dignité charmante, que de grâce
et de délicatesse dans l'attitude de cette reine des cieux, descendue de son trône, radieuse et couronnée,
pour se prêter aux imaginaires fiançailles d'un moine dévoré par l'amour mystique! S'il était vrai, encore
une fois, que Rubens eût voulu, comme l'on dit, reléguer Van Dyck dans le genre du portrait, il faut con-
venir que celui-ci, par de semblablestableaux,aurait glorieusementdéjoué les intentions deson maître.Mais
les succès de Van Dyck n'éveillèrent d'autre jalousie que celle de quelques-uns de ses camarades, Corneille
Schutet Van Hoeck, par exemple. Ceux-ci affectaient, dit-on, de trouver le travail de Van Dyck sans énergie,
qu'ils lui
sa couleur sans ressort et sans éclat. Ils se moquèrent de la mesquinerie de sa manière, disant
avaient vu peindre avec un petit pinceau la poitrine du saint Sébastien de grandeur naturelle. Ces criti-
ques misérables purent bien attirer à Van Dyck certains désagréments et détourner quelques bourgeois
ignorants de se l'aire peindre par lui; mais elles n'empêchèrent point sa réputation deg randir auxyeux
des connaisseurs. A défaut de Rubens, qui commençait à vieillir et qui d'ailleurs pouvait à peine suffire à
ses innombrables travaux, quand il ne vaquait point il ses ambassades,
c'était son ancien disciple qui était
désigné parla voix publique des amateurs pour l'exécution des peintures dont les communautés religieuses
des Pays-Bas voulaient orner leurs églises ou leurs chapelles. Les chanoines de Courtray lui ayant com-
mandé un tableau, Van Dyck leur fit un chef-d'œuvre, l'Élévation de la croix. Rubens avait déjà traité ce
sujet, et il s'était plu à représenter les bourreaux du Christ dans les contorsions de la cruauté et de la rage ;
il avait opposé la violence de leurs efforts à la sérénité de leur victime. Sans pousser aussi loin l'énergie
des mouvements et celle des contrastes, Van Dyck sut faire un tableau plein de chaleur, de sentiment et
d'expression. La figure du Christ y est comme éclairée par la flamme intérieure du dévouement le plus su-
blime, et son humide- regard tourné vers les cieux attendrirait les bourreaux eux-mêmes, si la loi du sacri-
fice ne devait pas s'accomplir. On raconte que les chanoines de Courtray, ne comprenant point la beauté
de ce morceau, furent au moment de le refuser et firent subir au peintre toute sorte d'avanies ; mais ce
fait, longuement et complaisamment narré par Descamps, se trouve aujourd'hui positivement démenti par
siècle dernier par M. Mois et publiée en 18lt3 par M.
une lettre autographe de Van Dyck, découverte au
r
André Van Hilsselt dans le Bulletin de Académie d'archéologie qui s'imprime à Anvers. Il résulte de cette
lettre que les chanoines de Courtray, beaucoup moins ignorants qu'on ne le suppose, se montrèrent satis-
faits au contraire du tableau de Van Dyck et eurent la bonhomie de le lui témoigner par l'offre gracieuse de
quelquespetites gaufres de Courtray, friandise locale qu'ils joignirent à l'envoi des 600 florins qui était le
prix convenu 1.

i M. Mois avait cité ce document dans les notes


manuscrites d'un exemplaire interfolié de la Vie des Peintres flamands de
Belgique. Voici les termes de la lettre ;
Descamps, qui était naguère en la possession de M. Sylvain Van de Veyer, ministre de
ainsi
adressée à monsieur Roger-Braye, chanoine à Courtray : Votre agréable du 13 de ce mois m est bien parvenue
elle est «
100 livres de Flandre
qu'une douzaine de petites gaufres, de même que j'ai reçu par M. Marcus Van Woonsel la somme de
en paiement de la pièce de peinture faite par votre
ordre, de laquelle somme j'ai donné quittance au dit Mons, remerciant
j'ai pu pour donner du contentement
votre Révérence du paiement aussi bien que des petites gaufres. J'ai fait tout ce que
appris par votre lettre que votre Révérence de
par cet ouvrage, comme aussi (ce qui m'est infiniment agréable), j'ai
pleinement satisfaits. Votre Révérence
même que monsieur le Doyen et les autres messieurs les chanoines, vous en êtes
quoique je ne fasse cela pour
désire avoir comme souvenir l'esquisse du dit tableau, laquelle je ne veux pas lui refuser,
qu'il vous la fasse parvenir. Après quoi, je conclus le
personne d'autre. A cette fin je l'ai remise à M. Van Woonsel pour
présent en m'offrant à vous servir selon mon pouvoir, et je demeure, monsieur, en vous
priant d'agréer les vœux que
Van Dyck. Anvers,
je fais pour que le ciel vous accorde une longue et heureuse vie... Votre très humble serviteur, A.
le 20 mars 1631. »
Il faut le dire,il y avait dans le clergé d'alors beaucoup d'hommes instruits et lettrés, se connaissant en
peinture aussi bien qu'en toute autre chose,et lorsque les confrères de Van derMecrcn firent i. Van Dyckdes
chicanes sans pudeur au sujet de son tableau de Saint Augustinen extase et lui demandèrent par-dessus le
marché, déjà réduit à une faible somme, un Christ qui il lui seul valait beaucoup plus, ce n'étaient pas les

lumières qui manquaient à ces religieux. Aussi bien, pendant les quatre ou cinq ans qu'il passa dansson
pays, après son retour d'Italie, Van Dyck n'eut guère d'autres commandes que celles qui lui vinrent des
prêtres. Nous le voyons en effet travailler successivelllentpour les Jésuites d'Anvers et pour les Récollets de
Malines,peindl'e Saint Antoine dePadoue aux Capucins de Bruxelles et Saint Françoisd*Assise aux Capucins
de Termonde. Plusieurs même de ses portraits les plus fameux de ce temps-là furent ceux des dignitaires
de l'église, de l'abbé Scaglia, de Jeun Malderus, évêque d'Anvers, d'Antoine Triest, évêque de Gand, un
des plus passionnés et des plus fins connaisseurs des Pays-Bas.
Mais quelle brillante époque pour la peinture dans ces contrées! La Belgique et la Hollande étaient
une
pépinière d'artistes destinés à étonner le monde en lui montrant la beauté de l'art sous une face nouvelle.
La seule école de Rubensremplissait déjà l'Europe du bruit de son nom. Les meilleurs
graveurs qui aient
existé, les deux Bolswert, Lucas Vorsterman, Paul Pontius, Pierre de Jode répandaient par toute la terre
leurs admirables estampes, et portée sur ces feuilles volantes, la gloire des Flamands volait jusqu'aux
ex-
trémités de l'univers classique. Van Dyck, vivant au milieu de ces hommes d'élite, eut la plus belle idée
qui pût venir it un homme de son talent ; il imagina de faire les portraits des artistes de
son pays et d'en
composer une galerie qui, burinée sur le cuivre, ferait connaître à la postérité leurs physionomiesintelli-
gentes, leurs façons d'être, leur caractère. Nous devons à cette heureuse penséel'inappréciable collection
connue sous le nom des Cent portraits, et dans laquelle figurent, à côté de Rubens et de Van Dyck lui-
même, Jordaens, Diepenbeke, François Franck, Gérard Honthorst, Jean Snellinx, Paul de Vos, Henry
Steenwick, les deux Breughel, les deux Zeghers, le spirituel Téniers, le fier et bouillant Sneydcrs, l'em-
phatique Rombouts, et le charmant paysagiste Van Uden, et le bon Josse de Momper, si naïvement appelé
peintre de montagnes, pictor montium. Enfin, pour notre plus grande joie, les graveurs qui nous trans-
mirent ces beaux portraits, eurent soin de sculpter sur l'airain leur propre image, sans parler de quelques
eaux-fortes sublimes que Van Dyck fit mordre de sa main. Jamais peut-être Van Dyck ne fut plus fort, plus
charmant, plus maître de son génie que dans ces portraits d artistes où il put s abandonner à son inspira-
tion, varier ses motifs, choisir à son aise les attitudes de ses modèles, leurs ajustements, leurs mouve-
ments même, car il en est qui se meuvent, qui sortent de la toile, qui vous parlent, vous appellent, vous
tendent la main. C est la surtoutqu 'll faut étudier Van Dyck ; il y montre le rare talent qu'il avait
pour éclairer
une tête, de manière à faire sentirl'ostéologie du front, la fuite des tempes, la saillie des pommettes, les
moindres cartilages du nez, les méplats de la joue et ceux du menton. Il faut y voir aussi
une étude savante
des mains : elles sont ici individuelles et par conséquent elles s'accordent mieux
avec le tempérament de
l'original, puisque Van Dyck les peignit, je ne dis pas seulement d'après nature, mais d'après la nature du
personnage représenté, tandis que plus tard nous le verrons adopter pour tous ses portraits certaines mains
que lui posaient des modèles à gages, les peindre de pratique et en apprendre par cœur les proportions
élégantes, les doigts allongés, les fines jointures, les raccourcis.
Les excursions que Van Dyck fit à Bruxelles, et ensuite à La Haye, nous ont valu les portraits de Marie de
Médicis et de son fils Gaston, que la colère de Richelieu avait chassés de France, les portraits équestres, si
magnifiques et si imposants, du duc d'Aremberg et du duc d'Albe, ceux du prince d'Orange et de famille,
sa
et quantité: de petites peintures en grisaille d'après lesquels furent gravés la plupart des Cent portraits dont
la série se compose de tous les personnages illustres du temps, poètes, peintres, graveurs, philosophes,
diplomates, sans en excepter le fameux Érasme de Rotterdam, et les sombreshéros de la guerre de Trente
ans, Wallenstein, Tilly, Papenheim, l'empereur Ferdinand, Gustave Adolphe.Pendant son séjour en Hollan-
de, Van Dyck rendit visite à Franck Hais, et ces deux peintres échangèrent leurs portraits dans
une entre-
vue qui a été racontée par Houbraken, et dont les détails intéressants trouveront naturellement leur place
dans la biographie du peintre hollandais.
Depuis dix ans qu'il avait quitté l'Angleterre, Van Dyck s'était fait un grand nom. Le comte d'Arundel,
son ancien protecteur, longtempsen disgrâce,avaitreprisfaveur auprès de Charles1er, après la mort du duc
de Buckingham, favori du prince. Enfin, plusieurs tableaux de l'artiste flamand lui avaient été achetés à
Anvers par des seigneursanglais qui, pour faire leur cour à Charles Ier, les lui avaientofferts en présent. Une
lettre autographe de Van Dyck, écrite en espagnol et découverteaux archives de la reine, nous apprend qu'un
des gentilshommes de la chambre, Endymion Porter, avait commandé à Van Dyck une peinturedestinée au
roi, et d'autre part le livre des comptes de la trésorerieporte la mentionsuivante : « A EndymionPorter, une
somme de 78 livres pour un tableau représentant Armide etRenaud, achetépar lui à Monsieur Van Dyckd'An-
vers, et délivré à S. M., sans autre quittance qu'une lettre du sceau privé, du 20 mars 1629. » Comme on le
voit dans ces deux documents,qui ne paraissent pas se rapporter au même tableau, quoi qu'en dise M. Car-
penter, Van Djck, lorsqu'il se rendit à Londres, y avait été précédé par sa réputation, par les bons offices
du comte d'Arundel et par quelques morceaux de sa main montrés à un amateur fort éclairé, le roi d'Angle-
terre. Ce fut au mois d'avril 1632 qu'il s'embarqua pour l'Angleterre, non pas comme le dit Félibien, il la
prière de sir Kenelin Digby, mais sur l'invitation du comte d'Arundcl, suivant Bellori, qui tenait ses ren-
seignements de sir Kenelm Digby lui-même1. En effet, dès son arrivée, le peintre fut logé chez Edouard
Norgate, agent et protégé du comte d'Arundel, et il fut entretenu aux frais de la Couronne, ainsi qu'il résulte
d 'tin ordre du sceau privé, portant la date du 21 mai 1G32, ainsi conçu : Voulons et ordonnons...
« quevous

payiez ou fassiez payer à notre fidèle et bien-aimé Edouard Norgate, écuyer, la somme de 15 schellings par
jour,pour la nourriture du sieur Antonio Van Dike et ses serviteurs, à commencer du 16T jour d'avril der-
nier, pour continuer durant le séjour du dit Van Dike en ce pays.
»
Introduit dans la société la plus aristocratique du monde, présenté à la cour, Van Dyck fut bientôt
y
remarqué pour l'élégance de ses manières. Il se trouva que ce roturier avait l'air et les façons d'un vrai
gentilhomme, et si Charles Ie'le prit tout de suite en affection, c'est qu'il aimait la distinction de l'artiste
presque autant que sa peinture. Il pensa même, à ce qu'il paraît, à lui faire bâtir une maison tout exprès
pour lui, comme le prouvent ces mots écrits sur un agenda trouvé encore aux archives de la reine : « Parler

1 E perche il conte di Arondel, aveva introdotto il Van Dick alla grazia del Re...
etc. Vile dei Piltori, tome I, page 265, :
édition de Pise, 1821.
à Inigo Jones d'une maison pour Van Dyck. » En attendant de réaliser ce vague projet, Charles Ier assigna
au peintre un logement d'hiver à Blnckfrinrs et une résidence d'été à Elthani.
La première occupation de Van Dyck l'ut de peindre le roi, sa femme et ses enfants dans un seul et même
tableau qui se voit aujourd'hui au château de Windsor et décore l'appartement auquel est resté le nom de
Van Dyck. La reine y tient dans ses bras sa fille Marie, et le prince de Galles est à côté de son père. Quant
à Charles Ier lui-même, le peintre fit son portrait plusieurs fois, tantôt en pied, recouvert de son manteau
royal et revêtu de son armure, tantôt à cheval, sortant de la toile et. venant droit au spectateur.H nous
souvient d'avoir considérélongtemps ce dernier portrait quand nous visitâmesles]appartementsdeWindsor.
La tête de Charles ler y est, comme toujours, grave et mélancolique ; ses grands yeux cernés, dont le regard
est fixe et doux, ont une singulière expression de faiblesse, et je ne sais si les souvenirs de l'histoire y
contribuent, mais on croit démêler sur le pâle visage de ce prince quelques signes avant-coureurs de ses
tragiques destinées. L'écuyer qui l'accompagne et qui est à pied, porte son casque, et l'on a cru longtemps
que ce personnage était le duc d'Espernon; mais Walpole le nomme M. de Saint-Antoine, et Mariette se
range à son avis sur ce point, trouvant invraisemblable: « qu'un homme aussi fier que d'Espernon eût
souffert d'être peint, même auprès d'un roi, dans la posture d'un domestique. »
Brillante et rapide fut la faveur de Van Dyck.Trois mois après son arrivée, Charles lui conféra la dignité
de chevalier, avec le titre de principal peintre ordinaire de Leurs Majestés, et tui fit don d'une chaîne d'or
et de son portrait encadré de diamants.Bientôt il lui constitua une pension annuelle de 200 livres sterling,
au grand déplaisir de Daniel Mytens qui, en qualité de dessinateur des tableaux du roi, recevait seulement
20 livres par an, et qui, se voyant supplanté par Van Dyck, s'en retourna tristement dans son pays. Enfin
Charles Ier témoigna ouvertement de sa sympathie pour l'artiste flamand par les fréquentes visites qu'il lui
rendait à Blackl'riars. Souvent il lui arriva de quitter Whitehall et de traverser la Tamise dans son yacht
pour aller voir Van Dyck et passer quelques heures auprès de lui il le regarder peindre, il l'entendre parler
de son art. Il n'eut pas plutôt donné l'exemple que les grands seigneurs s'empressèrentde le suivre ; tout
homme à la mode se crut obligé de rendre visite à Van Dyck, et le peintre vit affluer chez lui les femmes
de la cour, les favoris du roi, ses ministres, ses chambellans, ses pages. Chacun voulait avoir son portrait,
et, il faut en convenir,jamais peintre, si ce n'est Titien peut-être, ne vit poser devant liii de plus fiers, de
plus charmants modèles. Les grandes damesanglaisesétaient alors et sont encore d'une beauté remarquable.
Sans avoir la désinvolture des Vénitiennes, ni leurs épaules provoquantes, ni la forte souplesse de leurs
attaches, elles ont, comme on dirait aujourd'hui, de la race. Dans l'atmosphère bruineuse qui les enveloppe,
leur teint se conserve d'une incomparable fraîcheur; leurs carnations, qui semblent pétries dans le lait, se
colorent finement de nuances roses; leurs mains longues ont la blancheur et le poli de l'ivoire; leur nez se
découpe en fines arêtes; leurs yeux sont ombragés de longs cils ordinairement plus clairs que le ton de la
prunelle, et des cheveux blonds, châtains ou cendrés, dont les boucles luisantes laissent paraitre un reflet
d'or, encadrent leurs figures d'une expression à la fois tendre et hautaine. Dans leurregardvoilé de langueur,
pensée et le secret de leur cœur.
sur leurs lèvres entr 'otivertes, on croit lire le roman de leur
Une de ces dames illustres par leur beauté était lady Venetia Digby, femme de sir Kenelm, ami du roi et
protecteur du peintre. Van Dyck semble avoir pris plaisir à la peindre, et entre autres portraits qu 'il fit
d'elle, il la représenta, dans une grande composition emblématique à la Rubens, et d'assez mauvais goût,
victorieuse du Mensonge, de la Colère, de l'Envie, et crut avoir lait merveille en opposant à la tranquille
figure de sa belle héroïne les traits hideux des Vices dont elle triomphe. Mais cette adorable lady étant
morte subitement à la fleur de l'âge, Van Dyck, mieux inspiré par un sentiment vrai que par le désir de
briller, peignit lady Venetia couchée et endormie du dernier sommeil, ayant à ses côtés l'image de sa jeu-
nesse flétrie, une rose fanée.
C'était un grand péril pour Van Dyck que la vue et la compagnie de tant de créatures ravissantes dont
les robes de satin venaient frôler son chevalet, dont, les manchons parfumaient son atelier. Naturellement
prompt à s'enflammer, le jeune artiste conçut plus d une passion. Il s éprit d abord de lady Stanhope,
gouvernante de la petite princesse Mnrie; mais les beaux portraits qu'il en fit ne servirent qu'à enchanter
Carey Raleigh, dont elle était amoureuse et à qui elle les donna. La plus sérieuse affection de Van Dyck
fut celle qu'il ressentit pourMargueriteLémon. Hollar, Morin et autres ont gravé le portrait de cette femme
célèbre par ses aventures galantes : « Elle était si passionnée dans ses amours, dit Mariette, qu'ayant appris
« le mariage de
Van Dyck avec Marie Ruthven, elle prit la résolution, pour se venger de l'infidélité de son
« amant, de lui couper
le poignet, afin qu'il ne pût plus exercer son art. Mais ce dessein ayant avorté, elle
« passa en
Flandre avec un nouvel amant, qui ayant péri à l'armée, elle se tua elle-même de désespoir. »
Sans parier icides nombreux tableaux mythologiquesou religieux que Van Dyck peignit pour le roi et pour
le
sir Kenelm Digby, tableaux dont la précieuse énumération se trouve dansBellori, peintre fit à Londresquan-
tité de portraits, la plupartaussi intéressants que des pages d'histoire.Ceuxqu'on a réunis à Windsorattirent
et captiventleregardai! pointqu'on nes'en peut détacher.Les deuxjeunesfilles duduc de Buckinghnm, sur-
tout sont admirables, et on ne peut leur comparerque le portrait du comte de Pembroke. Quelle aisance dans
la richesse des vêtements! quel naturel au sein(lii duluxe,etquellevie! ! On croiraitqu'ilsvont sortir toutill'heure
de leur cadre et se promener avec vous dans les appartementsdu château.Là se trouventles figures animées
de la duchesse de Richemont, qui fut jugée digne d'être peinte en Vénus, de la comtesse de Carlisle, de la du-
chesse de Sainte-Croix, et les portraits de RilligrewetdeCarew,gentilshommes dont il n'est plus permis d'ou-
blier les noms, depuis que Hamilton, de sa plume d'or, les a inscrits dans ses Mémoires de Grammont.
Il faut avouer que si Van Dyck sut donner à ses innombrables portraits une grande variété d'attitudes, il
rut peu varié en revanche dans sa manière de les peindre, commedans le choix des fondsetdes accessoires.
Pour les femmes, il se contentait ordinairement de leur mettre un évantail ou une fleur à la main et de les
détacher sur un rideau rouge ou de ce ton hrun qu'on appelle encore brun Van Dyck. Souvent on les voit
paraître dans un jardin sombre dont les devants sont ornés de larges plantes, tandis que, par une contradiction
inexplicable, la lumière du jour éclaire franchement leurs robes de satin, leurs belles mains ademi-gantées,
leur fine peau. Quelquefois avec l'aide de son compatriote Henri Steenwick, le discret et habile peintre de
peT'sp:ctives, il ouvre une échappée de vue sur Windsor ou Whitehall, et achèveainsi l'effet du tableau par un
motif(l'iireliltectiti-e. Mais quantà sa touche, elle est toujours la même. Ses têtes de femmes, d'enfants ou de
vieillards sont accentuées de la même manière ; les plans du nez sont toujours carrément accusés et très-
ressentis ; son pinceau est le même pour tous les yeux, et constamment il les fait briller par un em-
pâtement vif à côté des prunelles, si le regard est oblique, et sur la prunelle même, si l'œil fixe le
spectateur.
De Piles, dans son Coursdepeinture,nous a transmis quelques détails curieux touchant leshabitudesde Van
Dyck et sa manière d'opérer : « Le fameux abac,dit-il,homme connu de toutcequ'il y a d'amateurs des beaux-
« arts, qui
était des amis de Vandeik et qui lui a fait faire trois fois son pOI'tmit,m'aconté qu'un jour, parlant
« à ce peintre
du peu de temps qu'il employait à faire ses portraits, il lui répondit qu'au commencement il
« avait beaucoup
travaillé et beaucoup peiné ses ouvrages pour sa réputation et pour apprendre à les faire
il m'a dit que Van Dyck tenait ordinairement. Ce peintre donnait jour et
a vite... Voici quelle conduite
« heure aux personnes
qu'il devait peindreet ne travaillaitjamais plus d'une heure par fois à chaque portrait,
« soit à ébaucher, soit à finir ; et son horloge l-'avertissant de l'heure, il se levait et faisait la révérence à la
« personne, comme pour lui dire que c'en était assez pour ce jour-là, et convenait avec elle d'un autre
« jour et d'une autre heure ; après quoi son valet de chambre lui venait nettoyer ses pinceaux et lui préparer
une autre palette ,pendant qu'il recevait une autre personne à qui il avait donné heure. Il travaillait ainsi
à
«
« plusieurs portraits en un même jour avec une vitesse extraordinaire. Après avoir légèrement ébauché un
«
portrait, il faisait mettre la personne dans l'attitude qu'il avait auparavant méditée, et avec du papier gris
« et descrayonsnoirs et blancs,il dessinaiten un quart d heure sa taille et ses habits, qu 'il disposait d une
« manière grande et avec un goût exquis. Il donnait ensuite ce dessin à d habiles gens qu 'il avait chez lui
prière de Vandeik.
« pour le peindre d'après leshabits même que les personnes avaient envoyés exprès, à la
« Les élèves ayant fait d'après nature ce qu'ils pouvaient aux draperies, il passait légèrement dessus et y
« mettait en peu de temps, par son intelligence, l'art et la vérité que nous y admirons. Pour ce qui est des
« mains, il avait des personnes à ses gages, de l'un et de l'autre sexe, qui lui servaient de modèles. »
On imagineaisémentquels trésorsdutamasserVanDyck parcelabeur de touslesjour alors queses portraits
étaient payés cinquante ou trente livres sterling, suivantqu'ils étaient en pied ou en buste. Mais généreux jus-
qu'à la prodigalitécomme il était amoureuxjusqu'à la folie, il dépensait son argent en fantaisies de luxe,en
plaisirs, en festins,en cadeaux magnifiques aux femmes aimées.II avait, au dire de Walpole,des musiciensà sa
soldepour distraire les grands seigneursqui venaient poser chez lui, Arundel ou Pembroke,Warwick ou Mon-
trose.Habituellementil retenait à diner ses modèles pour mieux saisir l'expression de leurs traits dans le lais-
ser-aller de la causerie, au moment où ils oublieraient ses regards. Il avait enfin un grand état de maison, et
son talent, toutinépuisablequ'il était, suffisait à peine à tant de largesses. Du reste cette continuellealternati-
vede travail excessifet de plaisirs effrénés eut bientôt usé le tempérament de Van Dyck ; sa santé en souffrit
autant que sa bourse. On assure même qu'il donna dans la recherche de la pierre philosophale et que les
malsaines émanations de l alchimie achevèrent de détruire sa constitution et de compromettre sa fortune.
Ses amis, et de ce nombre était le roi, crurent le ramener à une vie plus heureuse en le mariant, et ils né-
gocièrent son alliance avec une jeune personne accomplie, dit-on, Marie Ruthven, petite-fille du comte de
Gowrie et nièce de la duchesse de Montrose. Le père de Marie, Patrick Ruthven, avait été longtemps pri-
sonnier à la Tour de Londres,comme impliqué dans la fameuse conspiration de Gowrie, et il n'avait laissé
aucun bien à sa fille. Mais élevée à la cour de la reine Henriette, Marie Ruthven avait ces grandes rela-
tions et ces parents illustres qui souvent valent mieux encore qu'une dot.
Un tel mariage ne rendit pas Van Dyck plus heureux.Il put toutefois augmenter son influence à la cour.
Aussi est-il peu de grandes maisons en Angleterre qui n'aient conservé quelque portrait de sa main,comme
la duchesse de Sutherland conserve à Stafford-housc celui d'Arundel, que nous y avons vu naguère et qui
est si dignement gravé par Alexandre Tardieu. Toutes les figures historiques de ce temps-là ont leur place
dans l'œuvre de Van Dyck, l'archevêque Laud aussi bien que l'infortuné lordStraITord, qui, selon toute ap-
parence, fut étroitement lié avec le peintre. Fatigué pourtant de l'uniformité de sa besogne ordinaire, le
chevalier Van Dyck imagina de couvrir de peintures les murs de la salle des banquets à Whitehall, salle dont
Rubens avait décoré le plafond, et d'y représenterl'histoire de l'ordre de la Jarretière, son institution, le
cortège des chevaliers en costume, la fête de Saint-Georges. Il fit proposer au roi ce vaste travail, et il en
ébaucha les compositions en grisaille; mais la somme qu'il demandait, 75,000 livres, parut à bon droit si
exorbitante1 que Charles Ier ne put accepter sa proposition, qui d'ailleurs lui souriait. Ce prince était alors
obéré et surveillé de près dans ses dépenses par son inflexible trésorier, l'évêque Juxon.Les soucis du gou-
vernementcommençaient à l'assaillir; les presbytériens grondaient, et déjà l'on pouvait apercevoir il l'ho-
rizon le point noir qui annonce la tempête. C'est à ce moment sans doute que Van Dyck fit ce portrait
sublime de Charles Ier, un des plus précieux morceaux de notre Louvre. Chose singulière! ce n'est pas
quandilpeint le monarque dans la pompe de ses habits royaux ou monté sur son cheval de parade, que Van
Dyck nous a le plus intéressé à son héros ; c'est quand il nous le montre simple gentilhomme,enjaquette de
satin de la Chine et en bottes molles, promenant dans les bois sa mauvaise fortune et ses rêveries. J'admire
avec quel art il a subordonné les figures de l'écuyer et du page, sans les effacer néanmoins, de manière que
d'un peu loin etau premier aspect, le roi paraîtêtre seul, et qu'on découvre ensuite non plus ce cortége que
Van der Meulen eût fait briller autour de Louis XIV, mais deux serviteurs dont l'unique présence augmente
pour ainsi dire la solitude du monarque, et son beau cheval, qui, l'œil morne et la tête penchée, semble se
conformer cisa triste pensée.Il n'est pas jusqu'à la vue lointaine de la mer et d'un navire qui s'approche du
rivage comme pour emmener un fugitif, qui n'ajoute à la grande impression de ce tableau d'histoire.
Oui, c'est de l'histoire qu'un semblable portrait. Et en effet, sur la fin de sa vie, le peintre put assister au
déclin de Charles Ieretàla détresse de son parti. Il vit Strafford porter sa tête sur l'échafaud ; il vit, la reine

1 II doit y avoir quelque erreur dans ce chiffre énorme, aussi Walpole lui-même le trouve-t-il invraisemblable.
Henriette se sauver en France et Charles Ier se réfugier avec ses enfants dans la ville d'York. Le comte
d'Arundel songeait à émigrer; les Cavaliers se dispersaient, le temps des portraits splendides était passé.
Van Dyck, malade, épuisé, attristé d'ailleurs par un mariage qui n'était pas selon son cœur, conçut

néanmoins le projet d'aller à Paris solliciter les peintures de la grande galerie du Louvre. Il partit donc au
commencement de l'année 1641. Mais il trouva sur son chemin Nicolas Poussin, qu'on avait fait revenir de
Rome tout exprès pour décorer le Louvre, et qui lui-même allait être dégoùtéet supplanté par les intrigues de
la jalousie. Van Dyck resta donc peu de temps à Paris. Toutefois il y laissa une trace de son passage dans le
portrait d'un éditeur d'estampes fort connu, Langlois dit dartres, qu'il représentajouant de la cornemuse.
De retour à Londres, Van Dyck tomba dans un état de langueur qui annonçait sa mort prochaine. Charles Ier,
qui lui était vraiment attaché, promit 300 livres à son médecin s'il parvenait à guérir le malheureuxpeintre.
Mais les sources de la vie étaient taries en lui ! On essaya en vain des remèdes les plus héroïques. Houbraken
raconte qu'on égorgea une vache à laquelle on ouvrit le ventre, et que l'on y coucha le moribond pour
ramener quelque chaleur dans ses membres glacés 1. Tout fut inutile. Van Dyck mourut à Blackfriars, le
9 décembre 1641, laissant une fille qui lui était née huit jours avant sa mort et qui s'appelait Justiniana.
Il fut enterré le 11 dans le chœur de l'ancienne cathédrale de Saint-Paul, près du tombeau de Jean de Gand.
Par son testament déposé à Doctor's Commons et daté du 1er décembre1641, il lègue 4,000 livres (sterling)
à une fille naturelle nommée Marie-Thérèse,en lui désignantsa sœur, Suzanne Van Dyck, béguine à Anvers,
pour tutrice. A une autre sœur, nommée Isabelle, il assure une pension de 250 florins. En cas que sa fille
Marie-Thérèse vînt à mourir sans être mariée, il faisait passer les 4,000 livres à une autre sœur qui avait
épousé M. Dirrick. A sa femme Marie et à sa fille Justiniana, née le jour même, 1er décembre, il lègue,
pour être également partagés entre elles, tous ses tableaux, effets et toutes les sommes dues à lui en
Angleterre par le roi, la noblesse et toute autre personne. Il confie à Catherine Cowley l'éducation de sa
fille, il laquelle il alloue 10 livres par an jusqu'à ce qu'elle ait atteint sa dix-huitième année. Il laisse des
dons en argent à ses exécuteurs testamentaires, 3 livres à chacun de ses serviteurs et 3 livres aux pauvres
des paroisses de Saint-Paul et de Sainte-Anne (Blackfriars)2.
La veuve de Van Dyck épousa sir Richard Pryse de Gogerdan, baronnet, de la province de Montgommery,
duquel elle n'eut point d'enfants. Justiniana fut mariée à sir John Stepney deFrendergast, dans la province
de Pembroke, troisième baronnet de ce nom, et leur postérité ne s'est éteinte que le 12 septembre 1825,
dans la personne de sir Thomas Stepney. Gratifiée par Charles II d'une pension qui fut mal payée, lady
Stepney, restée veuve, épousa en secondes noces Martin de Carbonell, dont les héritiers poursuivaient
encore en 1783 la remise des sommes dues à Van Dyck.
Plus noble que Rubens dans le choix des formes, Van Dyck eut moins de défauts que son maître, mais
peut-êtreaussi moins de grandeur. Il eut autant de charme dans son coloris sans avoir autant d'éclat. Il fut
dessinateur savant, mais sans pédantisme, et ses contours furent toujours conduits par le sentiment de la
grâce ou par le feu du génie. Bien près d'être égal au Titien dans ce grand genre des portraits où il apporta
d autres qualités, Van Dyck s'est parfois élevé très-haut dans ses compositionshistoriques, et la beauté des
expressions y est souvent aussi admirable que l'excellence de la touche. Ce n'est pas seulement dans les
merveilleuses estampes de Bolswert et de Vorsterman que son Couronnement d'épines et son Christ mort
sur les genoux de la Vierge sont des chefs-d'œuvre. Je ne connais guère de peintres qui aient fait des
Christ plus admirables. Tantôt on voit au pied de la croix des saintes en prière ou des anges qui recueillent
dans des coupes d'or le sang du sacrifice ; tantôt le Fils de l'homme est représenté seul, au haut de la
montagne, la nuit, sur un ciel noir, tandis qu'on aperçoit au loin la triste Jérusalem dans une lueur
crépusculaire. Tout récemment en visitant le cabinet d'un avocat célèbre', je me suis trouvé en présence
,
d'une de ces pathétiques images, et j'en ai ressenti une émotion extraordinaire, tout à fait imprévue. Rien
de plus touchant à voir que cette victime ainsi abandonnée sur le Golgotha, au sein des ténèbres, quand les
disciples se sont retirés et que Marie elle-même a été entraînée loin de ce lieumaudit!...Ilestdespeintres
complètement ignorés de la foule qui cependant occupent le premier rang dans l'art. Il est d'autres qui
en
ont le privilège d avoir un nom populaire et d'être admirés par les plus fins connaisseurs. De
ce nombre
est Van Dyck. Sa gloire s est répandue chez tous les peuples de l'Europe sans fatiguer les hommes d'élite
qui font et qui soutiennent les renommées. En peignant les héros de
son temps, il s'est associé à leur
immortalité ou les a enveloppés dans la sienne. De sorte qu'en même temps qu'il
a sa place marquée dans
la galerie des grands peintres, il demeure pour nous
un personnage de la grande histoire.
CHAULES BLANC.

1 Traduction manuscrite de madame Bernard Picard.


On trouvera le texte entier de ce document précieux dans l'ouvrage précité de M. Carpenter
et dans la traduction qu'en
a donnée M. Hymans, qui a imprimé aussi ia pièce originale.
:! Me Chaix d'Est-Ange.
Van Dyck a gravé à l'eau forte vingt-trois pièces pleines WINDSOR. — Dans la seule salle dite de Van Dyck (Van Dyck
de génie, et qui sont fort recherchées ; ce sont pour la plu- room), on compte plus de trente morceaux du peintre ; voici
part des portraits. Nous en avons dressé le catalogue d'après les principaux : le portrait du peintre Snellinx ; ceux du roi
l'excellent travail de M. Carpenter; le défaut d'espace nous Charles Jer et de la reine Henriette; la duchesse de Richmond,
force de supprimer ce catalogue. Nos lecteurs le trouveront lady Venetia Digby, les deux jeunes fils de Buckingham,
dans un livre qui sera bientôt publié par nous, et qui aura George et François Villiers, Killegrew et Corew ; le portrait
pour titre : Le Trésor de la curiosité. équestre de Charles Ier si souvent reproduit : il est accompagné
d'un écuyer qui tient son casque.
MUSÉE DE MADRID.
— Vingt-deux tableaux de Van Dyck :
Voici maintenant les tableaux de Van Dyck que possèdent
— la Vierge aux roses ; — le portrait du peintre David
les collections nationales de l'Europe. Ryckaert ; celui de la duchesse d'Oxford ; le comte de Bergh
LE MUSÉE DU LOUVRE ne contient pas moins de vingt et un en pied ; un Musicien; le comte de Bristol, etc.
tableaux de ce maître. Nous ne citerons que les principaux. PALAIS DE GÊNES. — Celui de Giacomo Balbi renferme un
Ex voto. La Vierge et l'Enfant Jésus reçoivent l'hommage portrait équestre de François Balbi, un portrait de femme, un
du donateur et de sa femme, qui les invoquent à genoux. Les Christ mort, une Femme et un enfant, le portrait de Spinola
experts du Musée estimèrent ce tableau 120,000 francs. La dans son armure.
Femme adultère; — Saint Sébastien : ce dernier fut estimé sous PALAIS BRIGNOLE-SALE.— Un portrait du prince d'Orange ;
l'empire, 12,000 francs. une demi-figure du Sauveur portant sa croix, peinte sur bois ;
Vénus accompagnée de l'Amour. Évalué 35,000 francs. le marquis Jules Brignole-Sale à cheval; la marquise Paola
L'Embarquement d'Énée ; — Mars et Vénus. Adomo Brignole-Sale; le Denier de César. On trouve encore de
Le portrait en pied de Charles Ier, estimé d'abord 80,000 beaux Van Dyck au palais Spinola et dans ceux de la famille
francs, ensuite 100,000. Charles Ier ne l'avait payé à l'artiste Durazzo.
que 100 livres sterling. M*"' du Barry l'acheta 24,000 livres A ROME, dans la galerie Borghèse, on admire le Christ mort
en 1770, du comte de la Guiche, à la vente duquel il avait sur les genoux de la Vierge, tableau fameux de Van Dyck
été retiré au prix de 17,000 livres. gravé par Vorsterman, et dans la collection du préfet français,
Le portrait de François II, celui d'un Charles Ior, duc de M. Mangin, un Christ en croix regardé comme un des chefs-
Bavière, et celui d'Isabelle-Claire-Eugénie, souveraine des d'œuvre de Van Dyck.
Pays-Bas. — Deux portraits de François de Moncade, Nous avons dit qu'il en existe un admirable à Paris dans le
l'un en buste, l'autre en grand et à cheval. Ce dernier cabinet de Me Chaix d'Est-Ange.
fut estimé sous l'empire 36,000 francs. — Le portrait en L'ERMITAGE, à Saint-Pétersbourg, a huit Van Dyck : encore
pied d'un homme et de sa petite fille. Il fut estimé 45,000 Charles Ier et sa femme, portraits séparés; le comte de
francs. Dembich ; lord Thomas Weston ; Van der Wouwer (celui
MUSÉE D'ANVERS.
— Six tableaux de Van Dyck : — le por- que Van Dyck a gravé à l'eau forte) ; le peintre François
trait de Malderus, évêque d'Anvers; — le Christ en croix ; Sneyders et sa femme; une Fuite en Égypte; Madeleine aux
— le Christ au bassin ; — le Christ au tombeau ; — un pieds de Jésus, copie d'un tableau de Rubens.
autre Christ en croix, — et le portrait en pied de César- Si les tableaux de Van Dyck sont nombreux dans les gale-
Alexandre Scaglia. ries publiques à Dresde, à Munich, à Berlin, à Vienne, en
— Huit tableaux du maître : — un revanche ils sont rares chez les particuliers et ne se produi-
MUSÉE DE BRUXELLES.
Christ en croix; — saint Antoine de Padoue tenant l'Enfant sent pas souvent dans les ventes.
Jésus; — Saint François en extase; — le Martyre de saint VENTE DE JULIENNE, 1767. — Le portrait de l'archiduc
Pierre; — une esquisse heurtée de la tête du juif présentant Léopold et de l'infante Eugénie, 310 livres. — Celui d'une
le roseau à Jésus-Christ dans le Couronnement d'épines ; — des bonnes amies de Van Dyck, dit le catalogue, 513 livres.
Silène ivre, soutenu par un berger, avec une bacchante ; — 11,000 livres.
— Deux hommes jouant aux cartes,
portraits d'un bourgmestre et d'un peintre. VENTE DE BRUNOY, 1777. — Un homme jouant de la gui-
MUSÉE D'AMSTERDAM.
— Trois Van Dyck : — portrait du tare, 6,000 livres. — Le portrait de Cromwell, selon le cata-
bourgmestre Van der Borght ; — portrait en pied de la logue, 500 livres. — Celui de Thomas Parr, 600 livres.
princesse Marie et de son frère ; — Femme en pleurs dans un VENTE PRINCE DE CONTI, 1777. — Un homme jouant de
Paysage. la musette (c'est le portrait de Langlois dit Ciartres, célèbre
MUSÉE DE LA HAYE.
— La Famille Huygens ; — le duc éditeur d'estampes). Il a son chapeau en partie rabattu, et
de Buckingham ; — la duchesse sa femme; — le peintre Quintin il est vêtu de rouge ; en bas est une tête de chien, 8,001
Simons. livres.
GALERIE NATIONALE DE LONDRES . — Le portrait de VENTE RANDON DE BOISSET, 1777. — Le portrait du président
Rubens ; — Saint Ambroise refusant d'admettre dans l'é- Richardot (celui qui est au Louvre), 10,400 livres.
glise l'empereur Théodose (c'est une copie, avec quelques VENTE CHOISEUL-PRASLIN, 1793. — Le Joueur de musette,
changements, du tableau de Rubens, qui se trouve à le même que celui précédemment mentionné, 8,800 livres.
Vienne) ; — portrait de Gevaerts, ami de Rubens ; — étude VENTE ÉRARD, 1832. — Le Baiser de Judas, 10,080 fr.
de chevaux. VENTE CARDINAL FESCH, 1845. — La Madeleine repentante,
te
HAMPTON-COURT.—PortrontdeMargueri Lémon ;—portratt 3,410 scudi, soit 18,414 francs.
de Charles Ier; — divers portraits de femmes; — le due de La Vierge et l'Enfant, adjugé à lord Netsford, 7,560 francs.
Notre-Seigneur, 615 scudi, soit
Buckingham ; — l'Amour et Psyché ; — deux Vierges ; — — La Résurrection de
Samson etDalila. 3,321 francs. — Enfin un portrait d'homme, 4,320 francs.
VENTE GUILLAUME, ROI DE HOLLANDE, 1850. — Portrait de Voici cette pièce avec son orthographe:
Philippe Leroy, seigneur de Ravels (celui que Van Dyck a MÉMOIRE POUR SA Mstie LE ROY.
gravé à l'eau forte), avec le pendant, Mme Leroy, 63,600 Pour moulures du Vetl conte 2TI
florins, soit 144,944 francs. Une teste d'un veliant poete
Le portrait de Martin Pepin, 9,799 francs. 12
La Madeleine repentante, 5,697 francs.
A tous ces renseignements intéressants nous ajouteronsle
plus curieux de tous et le moins connu : c'est le compte pré-
-+- Le prince Henry 1
Le roi à la ciasse (à la chasse) i
....
Le Prince Caries aveque ducq de Jare, prin-
go

cesse Marie, princesse P. S. ElisabetP.Anna, aoo


50
e ioo
loo
senté au roi Charles Iar en 1638 par Van Dyck. La pièce Le roy vestu de noir au Mons' Morre avec sa
originale se trouve aux archives de la reine, en Angleterre;
elle a été imprimée pour la première fois par M. Carpenter,
dans les Pictorial notices. On y voit que l'artiste a donné à
ses tableaux une évaluation que le roi n'a que très-rarement
-4-
-+-
mollure
Une reyne en petite forme
Une reyne vestue en blu
......
1 Tous les articles de ce compte que le roi
20
30
26

approuvée. Aussi le chiffre posé par Van Dyck se trouve-t-il a fait précéder d'une
croix étaient dus par la reine, qui devait en fixer le prix.
biffé par le roi, qui a mis en regard sa propre évaluation. 2 On présume que c'est le tableau qui est au Louvre.

2198. — ABBEVILLE. — TYP. ET STÉR. GUSTAVERETAUX.


êco/f f^/ama??c/r. Jëa-y.iafl-eJ

JACQUES FOUQUIÈRES
\È VERS 1600. — MOllT VERS lOCO.

« Le baron Fouquières est venu me trouver avec sa grandeur


accoutumée; il trouve fort étrange qu'on ait mis la main à
l'ornement de la grande galerie sans lui en avoir communiqué
aucune chose. Il dit avoir un ordre du Roy confirmé pat-
monseigneur de Noyers, touchant ladite direction, et prétend que
les paysages sont l'ornement principal dudit lieu, étant le reste
seulement des accessoires. J'ai bien voulu vous écrire ceci pour
vous faire rire. »
Voilà un homme déjà peint en ces quelques lignes d'une lettre
de Nicolas Poussin à M. de Chantelon. Mais pourquoi ce Fouquières
se faisait-il appeler baron, et pourquoi tant de hauteur dans ses
manières et dans ses discours. C'est que Louis XIII lui avait
accordé des lettres de noblesse, et que depuis ce moment, plein
de son importance autant qu'il était pénétré de son talent, Jacques
Fouquières affectait la tenue et les façons d'un gentilhomme.
« Je me souviens, dit Pymandre (dans les Entretiens de
Félibien), davoir vu ce Fouquières qui portait toujours une longue épée.. » La vanité du peintre flamand
¡'.tait d'autant plus ridicule qu'il était né dans une condition fort obscure, bien qu'il laissât croire qu'il
appartenait à la puissante famille des Fuggers, appelés en Flandre les Fokkiers, famille célèbre dans toute
l'Allemagne par l'immensité de son opulence devenue proverbiale. Je tiens de M. Vleughels, écrit
«
Mariette, qu'il a souvent ouï dire à son père qui était Flamand, ami de Fouquier et de sa même profession.
que bien loin d'être né gentilhomme, il était de fort médiocre condition, et que Juste d'Egmont ne le
mortifiait jamais tant que lorsqu'il lui reprochait d'être fils d'un charron, et de n'être riche que de nom.»
Au surplus, que Fouquières ait été noble d'origine ou roturier, cela importe fort peu et ne vaut pas la
peine que l'histoire s'en occupe; mais lorsqu'un homme se vante de sa noblesse, il est permis de s'enquérir
s'il a vraiment le droit de s'en vanter, en d'autres termes, si sa vanité n'est pas deux fois ridicule.
Sandrart dit que Fouquières était né dans la Flandre occidentale, sans nous donner la date de la
naissance de ce peintre ; mais d'après la place qu'il lui assigne dans son livre, Academia nobilissimœ artis
pectoriœ, où il a suivi l'ordre chronologique,on doit croire que Fouquièresétait né vers la fin du seizième
siècle; car Sandrart l'ayant fait passer immédiatement avant Pierre de Laër qui naquit en 1595, on peut
affirmer par induction que la naissance de Fouquières se place dans cette même année ou environ.
D'autre part, Félibien nous dit que Fouquières était d'Anvers. Nous voilà donc fixés sur ces deux points.
Suivant l'auteur des Entretiens, c'est à l'école de Breughel de Velours que Jacques Fouquières apprit
son art; d'autres disent qu'il fut l'élève de Josse de Momper, paysagiste alors en renom, qui figure dans
la galerie des cent portraits de Van Dyck, sous la dénominationde peintre de montagnes, pictor montium.
Ce qui est certain, c'est que les ouvrages de la jeunesse de Fouquières portent le cachet du premier de
ces
deux maîtres. On y voit rouler sur des chemins pierreux le chariot de Breughel traîné
par des chevaux
lourds et maigres. L'on y aperçoit sous des bouquets d'arbres des fermes flamandes, et, à l'entour, des
figures occupées aux travaux rustiques. La nature y est observée de près, naïvement, dans
sa réalité, dans
sa rudesse, avec ses intermittences de verdure et ses accidents de terrain, telle enfin que l'arrange le
hasard, telle que la décorent les caprices d'une végétation inégale. Et cette fidèle observation de la nature,
Fouquières l'apportait dans ses dessins comme dans ses tableaux. Il dessinoit volontiers, dit Mariette,
«
et s 'en acquittoit fort bien. Il manioit parfaitement bien la plume. Je n'en connois point de plus moelleuse.
Personne, que je pense, n'a dessiné des broussailles dans un plus grand détail et
avec plus d'intelligence.
Quoyque faits à peu d'ouvrage, ce n'en sont pas moins des portraits de la nature rendus dans
une fidélité
surprenante. Il y règne une telle variété dans le port des branches, les feuilles et les fleurs prennent des
tons si heureux et des formes si justes, que chaque genre de plantes se reconnaît aisément. Les ombres
sont avec cela distribuées avec tant d'intelligence que chaque objet avance
ou recule suivant qu'il est
nécessaire. Il ne se sert pourtant, pour faire agir sa machine,
que d'un lavis assez léger, sans trait;
quelquefois il y mesle quelques couleurs fort légères et mises à propos. Ce qui
me charme dans ce maître,
c est qu 'il est expresssif, et qu 'il entre merveilleusement dans le détail des formes; il n'oublie rien. Il y a
dans la plupart de ses dessins des effets de lumière étonnants. Sa manière de dessiner favorite 'est le lavis
sur un trait extrêmement léger fait au crayon noir, seulement pour arrêter sa première idée; mais son
lavis est heurté et est bien éloigné d'estre mol. »
Après avoir copié la nature, Fouquières comprit qu'une étroite imitation n'est
pas le seul but de l'art.
Sa manière s 'élargit; il vit la campagne de plus loin et
par suite plus grandement; il fit un choix parmi les
formes que lui présentait le hasard; il médita la combinaison des lignes, distingua mieux les divers plans
de son paysage, imprima un caractère de majesté
aux grands arbres qu'il rencontrait sur son chemin et
se plut à les grouper à souhait pour le plaisir des yeux. Il ne se bornait plus à faire le portrait de la
campagne, il composait avec des parties séparément vraies, un ensemble de son invention; il commençait
à idéaliser la nature en subordonnant le détail à des
masses imposantes et heureusement balancées.
Cette largeur de manière, cette façon de tout voir
en grand qui était presque du style et qui allait
former une transition entre Breughel et Poussin, entre Paul Bril et Claude, Fouquières la devait à
la
fréquentation de Bubons, car il connut ce grand homme à Anvers, et fut même employé
par lui à
l exécution de quelques fonds de
paysage dans les tableaux historiques où le maître n'avait pas le loisir
de les brosser lui-même. « Rubens, dit de Piles, enseigna à Fouquières les principes les plus essentiels de
son art. » Voilà comment l'élève de Breughel devint un paysagiste de premier ordre. Voilà comment
.
Fouquières a pu être comparé par de Piles au Titien, duquel il ne diffère que par la diversité des pays

représentés. Voilà comment, enfin, Mariette a pu dire : « M. de Piles a grandement raison de regarder
Fouquier comme le Titien des Flamands. Je suis sur cela entièrement de son avis. »
Des relations suivies qui existaient entre Fouquières et Rubens, et que le seul fait d'une collaboration
suffirait à établir, on peut conclure, au moyen d'un simple rapprochement de dates, que l'illustre chef
de l'école flamande, lorsqu'il fut appelé en France par Marie de Médicis pour peindre la galerie du
Luxembourg, amena Fouquières avec lui ou du moins l'y attira, car c'est dans la même année, en 1621,
que les deux peintres vinrent à Paris. Quoi qu'il en soit, le paysagiste flamand avait acquis déjà une assez
grande réputation, au dire de Sandrartt, pour être recherché et goùté dans tous les pays, particulièrement
en France où le paysage, regardé jusqu'alors comme un simple accessoire, n'était pas élevé encore à la
dignité d'un genre, car, à cette époque, Philippe de Champagne, qui avait été à Bruxelles l'élève
de Fouquières pour le paysage, n'était connu que de son maître; Claude Lorrain était ignoré, La Hire et
Sébastien Bourdon n'étaient que des enfants, et quant à Nicolas Poussin il ne devint, comme on sait,
un grand paysagiste que dans la campagne romaine, et il ne fit son premier voyage à Rome qu'en 1G24.
Il ne reste aujourd'hui aucune trace, au moins à notre connaissance, des travaux de peinture que dut
exécuter Fouquières à Paris dans les premières années de son séjour. Consacrées à la décoration des grands
hôtels, à remplir des trumeaux, à orner des dessus de porte, il est facile de comprendre que la plupart
de ces peintures ont dû périr ou changer de destination, ou se déplacer, ou s'altérer au point de
n'être plus reconnaissables. Toujours est-il que Fouquières eut ordre du roi Louis XIII, dans le temps où
M. de Noyers était surintendant des bâtiments, de peindre les vues des principales villes de France II se
mit donc en route, et, en 1629, il se trouvait à Marseille, comme nous l'apprenons par une lettre écrite
de cette ville à Langlois, de Chartres, célèbre marchand de tailles-douces, lettre mentionnée par Mariette
dans ses notes sur VAbecedario. A Paris, Fouquières affectait les façons d'un gentilhomme, prenait de
grands airs et ne se séparait jamais de sa longue épée; à Marseille, il oublia sa prétendue noblesse, à ce
qu'il paraît, et compromit sa dignité au point de se livrer à un commencement d'ivrognerie. « Il alla en
Provence, dit Félibien, et s'y arrêta longtemps à boire au lieu de travailler. » La paresse, d'ailleurs,
n'était pas un vice aux yeux de Fouquières, qui la regardait au contraire comme une conséquence forcée
de sa haute naissance, et pensait déroger lorsqu'il maniait le pinceau. Peut-être aussi ne faisait-il par là
(lue fournir un prétexte à son indolence naturelle. On ne sait au juste combien de temps il demeura en
Provence; mais Félibien affirme qu'il n'y fit aucun ouvrage de peinture et qu'il se contenta d'y dessiner
quelques paysages, tant pour lui-même que pour les vendre fort cher aux riches amateurs du pays. Un
de ces paysages, lavé à l'encre de Chine, figura plus tard dans le fameux cabinet Boyer d'Eguilles et
Coëlmans lui fit les honneurs de la gravure dans son Recueil. Cependant un ami des arts qui se trouvait
en Provence, M, d'Emery, arracha Fouquières à sa paresse et à ses habitudes et le ramena à Paris où il
lui fit reprendre une vie plus active, plus convenable. Lui-même il employa le peintre à la décoration de
son hôtel, et en sa qualité de surintendant des finances, il le paya noblement. Fouquières, du reste,
attachait un très-grand prix à ses ouvrages, et c'était une des formes de son orgueil, une autre façon de
rappeler sa noblesse, que de les faire payer fort cher. Aussi ne peignait-il que pour les grands seigneurs,
tels que M. de la Vrillière, M. de Noyers, et il affectait, même pour ces hauts personnages, de travailler à
contre-cœur, par pure condescendance et toujours la rapière au côté. Louis XIII, qui aimait la peinture et
s'y entendait quelque peu, eut du goût pour les tableaux de Fouquières; il en admirait la fière tournure,
la touche résolue, le sombre, la fraîcheur. Et, de fait, les paysages du peintre flamand devaient étonner
l'école française qui en était à jeter un premier regard sur la campagne. Ces étangs endormis sous de
grands arbres, ces légers bouleaux à l'écorce claire et lisse et aux branches inclinées qui s'élèvent au
milieu des troncs rudes de l'ormeau ou du châtaignier, ces belles masses arrondies des marronniers et
des tilleuls, ces plantes sauvages, ces ajoncs assez hauts pour cacher une bergère en fuite, ces nénuphars
qui flottent à la surface des eaux paresseuses; ces forêts, enfin, dont l'obscurité profonde est à elle seule

1 Celebris potissimum erat in subdialibus majoribus, arboribus silicet naturali quasi mole expressis, aquis stagnantibus, pétris,
rupibus, montibus, sylvis altioribus, frondibus, herbis, fundis que remotis; quae omnia tanto elaborabat ingenio, tantà que
artis sollicitudène, ut cooetaneum neminem haberet similem, sive pingendi modum pulcherrimum, sive ingenii vires considérés
exquisitissimas. Academia nobilissimœartis pictoriœ. Norirnbergœ, 1683.
2 Voyez la seconde édition de cet ouvrage publiée
par Mariette sous le titre : Recueil d'estampes d'après les tableaux des plus
célèbres peintres d'Italie, des Pays-Bas et de France, qui sont à Aix dans le cabinet de M. Boyer d'Aguille, conseiller au parlement
de Provence, gravés par Jacques Coélmans d'Anvers... avec une description de chaque tableau et le caractère de chaque peintre.
Paris, chez Pierre-Jean Mariette, rue Saint-Jacques, aux colonnes d'Hercule. nu.
une poésie, tout cela formait un spectacle nouveau pour nos Français qui n'avaient encore vu dans la
nature que l'homme et les dieux. Les espèces variées des arbres, l'allure et la physionomie des feuillés, le
port de chaque plante, la forme et le fouillis de chaque buisson, tout cela était exprimé dans le paysage
de Fouquières par une touche vive, piquante, qui parfois découpait le feuillage avec sécheresse, mais
qui toujours était appropriée à l'objet représenté. Rochers, collines, terrains accidentés, plantes épineuses

du premier plan, touffes de roseaux, tout était rendu avec une surprenante vérité, surtout les eau\
dormantes. Mais ce qu'il y a peut-être de plus remarquable dans les peintures de l'artiste flamand
éduqué par Rubens, c'est le caractère de l'ensemble, c'est l'impressionproduite par l'heureux mélange
d'un grand aspect et de détails accusés avec précision. Les paysages de Fouquières ont une âme. Ils
exhalent une senteur pénétrante; ils réveillent vivement l'idée ou le souvenir des mâles voluptés de la
chasse. Souvent, il est vrai, on y aperçoit caché derrière le tronc d'un vieux chêne et penché dans les hautes
herbes, un chasseur qui ajuste des canards sauvages, tandis que son compagnon retient les aboiements du
limier. On croit alors entendre la détonation qui va troubler le silence des grands bois; mais lors même que
Fouquières n'introduit aucune figure de chasseur dans son tableau, c'est toujours à la chasse que font
penser les solitudes boisées qu'il excelle à peindre, ces forêts coupées ordinairement par un cours d'eau
ou interrompues par un marais qui forme clairière. Son paysage n'est pas celui des philosophes ou des
rêveurs - c'est le paysage des braconniers. On aimerait s'y promener, et l'on s'y promène en effet, un
fusil sur l'épaule et un chien sur les talons, en aspirant la saine odeur des vieilles futaies,
en se livrant
tout entier au sentiment délicieux des choses rustiques.
A l'époque où Nicolas Poussin fut rappelé de Rome à Paris pour concourir à la décoration de la
grande galerie du Louvre, M. de Noyers avait déjà donné l'ordre à Fouquières de peindre les vues
principales des villes de France, qui, placées entre les fenêtres de cette même galerie, devaient en
l'emplir les trumeaux; mais l'arrivée du Poussin et l'ascendant que dut prendre un tel homme sur tous
les esprits éclairés, fit abandonner bientôt ce projet. Le grand peintre se trouva naturellement porté à sa
place, qui était la première ; il ne fut plus question des paysages et des vues de villes dont Fouquières avait
reçu la commande, et dans ces mêmes trumeaux destinés d'abord au paysagiste, Poussin imagina de
peindre une série de compositions relatives aux travaux d'Ilercule : « Je me suis occupé dit-il, à
,
travailler aux cartons, lesquels je suis obligé de varier sur chaque fenêtre et sur chaque trumeau m'étant
,
résolu d'y représenter une suite de la vie d'Hercule; matière certes capable d'occuper un bon dessinateur
tout entier '. » Et il avait si bien la conduite de toute la décoration, qu'il ajoute dans la même lettre:
« Il faut mèmement que j'invente tous les jours quelque chose de nouveau pour diversifier le relief du stuc,
autrement il faudroit que les hommes demeurassent sans rien faire... » On conçoit maintenant avec
quelle hauteur un artiste de la trempe du Poussin, après avoir pris de la sorte la haute main au Louvre,
par l'autorité de son génie presque autant qu'en vertu de son brevet de peintre ordinaire, on conçoit,
dis-je, avec quelle hauteur il dut recevoir à son tour le baron Fouquières venant parler de ses prétentions
à diriger tout, et de brosser des maisons et des arbres là où le Poussin se proposait de peindre des
héros et des dieux. Malheureusement, on le sait, les projets du Poussin n'eurent pas eux-mêmes plus
de suite que ceux de Fouquières, et il ne resta rien, de l'un ni de l'autre de ces deux maîtres, sur les
murailles du Louvre. Fouquières, cependant, y laissa un tableau peint à la gouache (Vue d'une route
pratiquée dans une montagne), lequel se voyait il y a quelque trente ans dans la galerie d'Apollon 2.
Sandrart rapporte que Fouquières travailla un certain temps chez l'Electeur palatin8; mais, suivant
son habitude, ce biographe ne donne pas la date, même approximative, du voyage de Fouquières en
Allemagne. Il est assez probable que ce voyage eut lieu après les contestations dont nous venons de
parler, alors que notre vaniteux paysagiste, dépossédé du grand travail qu'il s'était promis de faire dans
la grande galerie du Louvre, dut éprouver le besoin de cacher sa déconvenue et d'aller chercher fortune
ailleurs. Quoi qu'il en soit, il n'existe, que nous sachions, aucun ouvrage de Fouquières dans les divers
Musées d'Allemagne, soit qu'on ne l'ait pas jugé digne d'y figurer, soit que ses peintures encastrées dans
les panneaux du palais électoral ou exécutées à fresques sur le mur (car il peignait aussi de cette
manière) aient péri ou aient été endommagées. Le Musée du Louvre n'est pas, du reste, mieux partagé
que les galeries publiques de l'Allemagne et de la Belgique. Mais nous avons encore à Paris, au palais des
Tuileries, de beaux morceaux de Jacques Fouquières, au nombre de quatorze, dans trois salons donnant
sur le jardin et qui formaient, du temps de Louis XIV, l'appartement de la reine Marie-Thérèse. Ces
paysages peints sur les panneaux de la boiserie ou dans les médaillons de la voussure, servent
d'accompagnement aux peintures allégoriques de Jean Nocret. Il y a cinq ou six ans que nous les avons
vus (sans savoir alors qu'ils fussent de Fouquières), mais il nous souvient que nous les trouvions
savamment touchés, noblement décoratifs, d'une tournure fière et magistrale. Nous les prîmes d'abord
pour des Francisque Milet, et, en effet, les deux maîtres ne sont pas sans avoir quelque analogie;

1Lettres de Poussin. Lettre à M. de Chantelou, du 3 aoùt 1641.


2 Ce fait est consigné dans l'Histoire de l'art dupaysage, par Deperthes. Paris, Lenormanl, 1832. '
3 Unde admiranda quoque tam in Belgio quam in aula Electorali, palatinå, horum omnium post
se reliquit monumenta.
Academia artis pictorice...
seulement les paysages de Francisque procèdent du Poussin, ceux de Fouquières procèdent directement 1

de la nature.
Fouquières fut l'ami de Nicolas Montagne ou de Plate Montagne, qui était le neveu du célèbre graveur
Jean Morin. Suivant de Piles, Fouquières, que sa mauvaise conduite, sans doute l'ivrognerie, avait fait
tomber dans la détresse, mourut misérable chez un peintre nommé Sylvain qui demeurait au faubourg
Saint-Jacques et qui l'avait recueilli. Montagne l'étant allé voir, le dessina dans son lit au moment qu'il

expirait, et le lit enterrer à ses dépens. Mariette vit ce portrait de Fouquières avec plusieurs dessins du
paysagiste entre les mains des enfants de Montagne. « J'appréhende, dit-il, que tout cela n'ait été
dispersé ceux qui avaient ces dessins sont tous morts; c'étaient de vrais ours qui ne communiquoient avec
.
personne et qui auroient laissé périr dans la poussière des morceaux qui méritaient d'être mieux
conservés. Je regrette surtout le portrait de Fouquier. » Soit qu'on le rapproche des peintres de l'école
flamande, soit qu'on le compare à nos grands paysagistes du dix-septième siècle, Fouquières doit être
placé au premier rang dans son pays comme dans le nôtre. Poussin, et ceux-là surtout qui l'ont imité,
ont abusé quelquefois de la convention, et la volonté de mettre du style dans leur paysage a souvent
refroidi l'impression qu'ils voulaient produire. Fouquières a su rencontrer la grandeur sans chercher le
style, et ce caractère qui touche à l'héroïque, sans cesser d'être agreste, tient aussi au genre de figures
' qu'il a introduit dans son tableau. Jamais on n'y voit passer les divinités mythologiques. Aucun temple ne le
décore, aucun héros ne s'y promène, aucun pasteur de l'Arcadic n'y vient paître son troupeau. Une seule fois
on y surprend, parmi les roseaux, la nymphe qui fut aimée de Pan. Et cette rustique simplicité des figures
s'accorde parfaitement, du reste, avec les sites un peu sauvages que Fouquières aimait à peindre. Ainsi
le paysage de ce maître ne ressemble à aucun autre, car il est à la fois plus naïf que les Français et plus
noble que les Flamands. La poésie que ses rivaux poursuivaient dans des campagnes idéales, il la trouvait,
lui, dans la réalité même, à l'ombre des chênes au pied desquels se repose le chasseur égaré, ou sur les
bords des marécages solitaires, ou dans le mystère des forêts profondes.
CHARLES BLANC.

1MMBŒES M HHlMWliDHS.
On ne trouve, nous l'avons dit, aucun tableau de Fouquières Suite de quatre pièces non chiffrées :
dans les divers musées de l'Europe, pas plus que dans le 5. La Chasse aux canards. Charmant paysage, non boisé,
musée du Louvre, où il eût été si facile autrefois d'en réunir coupé par une vaste pièce d'eau qui baigne toute la gauche du
quelques-uns. Mais on voit quatre paysages de ce maître en devant. Le tronc d'un arbre mort s'incline sur les eaux et
forme de médaillons dans la salle dite du Conseil des mi- forme avec des roseaux une retraite à des canards sauvages,
nistres, aux Tuileries, sept paysages peints sur panneaux dont un s'envole à l'approche de deux chasseurs et d'un chien.
dans la bibliothèque du même palais, et trois autres dans la Dans la marge, à gauche : Fouquiere Pin. ; et à droite : Morin
chambre voisine, appelée Salon des dames. seul. cum priuil. Regis.
« Fouquières,
dit le Manuel d'IIuber et Rost, doit avoir 6. Le Bouvier près d'une mare. A la gauche du devant, un
gravé à la pointe plusieurs paysages de sa composition. » Cela bouvier fait sortir de l'abreuvoir deux bœufs qu'il chasse de-
est possible; mais jamais eau-forte de ce peintre n'a passé vant lui. Cette mare est ombragée par un gros arbre. A droite.
sous nos yeux; il ne s'en trouve aucune au cabinet des un chaumière; dans la marge, les mêmes noms.
Estampes, et aucune, que nous sachions, n'a figuré dans une 7. La Paysanneen marche. Charmant paysage coupé sur 1('
vente publique. Mais, en revanche, Fouquières a été fort bien devant par un chemin oil passent une femme, un enfant el
gravé par Arnould de Jode, Alexandre Voet, Michel-Montagne leur chien. A gauche, un autre chemin qui borde une forêt et
ou de Plate Montagne, Perelle et surtout Jean Morin. Ce der- que parcourt un coche suivi d'un paysan. Les mêmes noms
nier a fait, d'après Fouquières, neuf estampes qui sont dé- que dessus.
crites par M. Robert Dumesnil au tome Il.de son Peintre, La quatrième planche de cette suite est gravée d'après un
graveur français, sous les nos 95, 96, 97, 98, et 103, 104, autre peintre.
105, 107, 108, et qui sont de véritables chefs-d'œuvre. Deux pièces en pendant non numérotées.
Suite de quatre estampes non numérotées : 8. Les Moissonneurs. Quatre moissonneurs assis prennent
1. Paysan et paysanne en marche. Un paysan suivi de sa leur repas sous un bouquet d'arbres. A gauche une ferme
femme ayant entre eux leur chien et tous deux portant la hotte, ombragée d'arbres, et en avant, un champ de blé où deux
se dirigent à droite à travers un pays extrêmement montueux hommes passent portant des rateaux. Mêmes noms.
qui s'étend à perte de vue. Le plat pays est baigné par une 9. Marche de paysan. Une vaste chaumière occupe la
large rivière. Dans la marge à gauche : I. Foucquer pinxit; à gauche, à l'entrée d'un bois. En avant, un chemin que suivent
droite : 1. Morin sc. et exc., etc. cinq hommes chargés et une femme sur un âne. A droite, un
2. Le Chariot. Un chariot monté de trois personnes et étang au bord duquel s'élèvent deux grands arbres. Mêmes
attelé de deux chevaux que guide un charretier, sort d'une noms.
épaisse forêt à gauche et se dirige du côté opposé; un paysan Nous n'avons trouvé aucun tableau de Fouquières dans les
suivi d'une jeune fille le précède. Dans la marge : 1. Foucquier catalogues; mais ses dessins, qui sont fort estimés, ont figuré
pinxit, et à droite : 1. Morin sc. cum priu. Regis. quelquefoisdans les ventes publiques.
3. Le Cavalier. Sur des rochers à droite s'élèvent plusieurs VENTE MARIETTE, 1775. Un grand paysage, entrée d'un
arbres dont le plus haut remplit de ses branches le haut de la bois, au bord d'une rivière, largement lavé en couleur et d'un
composition; a gauche, un cavalier précédé d'un homme qui effet très-piquant. 15 livres.—Deux paysages en travers faits
porte un bâton; au fond une forêt. Dans la marge, à gauche: à la plume et trois en hauteur, faits au bistre et à l'encre.
1. Foucquer pinxit, et à droite : I. Morin se., etc.
12 liv. 5 sols.
4. Les deux Chaumières. Un chemin venant du fond de la Un paysage montagneux en travers coloré avec art et orné
droite, aboutit à gauche au bas du devant, où l'on voit une pièce de figures. 16 livres 18. s.
d'eau, et au delà deux chaumières à l'entrée d'un bois. Sur Autre paysage, aussi en travers, à l'encre de la Chine, ail se
ce chemin, trois figures dont un cavalier, et au bord du che- voient plusieurs baraques et hangars de tonnelier, orné de
min un gros arbre dont la cime atteint presque le haut de la figures, avec un paysage en hauteur,coloré et d'un grand effet.
planche; à son ombre un porte-balle se repose. I. Foucquier 23 livres 19 sols.
Pinx. et I. Morin se., etc.
écafe ,Z, 1
Cëa$/euti>%' c/eà c/e '{/c/i^r. Jfêortrcu/d.

LES DEUX VAN OOST


VAN OOST LE PÈRE VAN OOST LE FILS
NÉ EN 1601
. - MORT EN 1670. NÉ EN 1637.
- NIO[TT E:'i 1713.

Dans l'immense école de Rubens, qui est si peu connue, maigre


l'imposante célébrité du maître et la gloire de quelques disciples,
les Van Oost ont joué le rôle de faiseurs. Les gens habiles sont de
toutes les époques et arpentent d'un pied léger toutes les carrières.
Tandis que les hommes sérieux approfondissent, luttent contre les
obstacles, ou montent vers le ciel par un élan majestueux, par un
effort suprême, d'autres effleurent le sol, glissent comme 1 'liirotidelle,
sans braver la fatigue des explorations ni les dangers des hautes
tentatives. Ils sont, en fait d'art, de politique et de littérature, ce que
les esprits positifs sont dans la vie réelle. De l'intelligence, de
l'adresse, du sang-froid, peu d'écarts, point de chutes, mais aussi
nul héroïsme, nulle action d'éclat, nulle œuvre sublime. Les
tempéraments moyens fournissent des recrues perpétuelles à cette
calme et ingénieuse cohorte.
Les Van Oost, cependant, méritent qu'on les distingue des
spéculateurs vulgaires, qui, dans leur impatience de réussir, prennent
le chemin le plus court. Animés par la puissante inspiration du
maître anversois, nourris du lait des forts, ils devaient trahir sur
quelques points la vigueur athlétique de leur race. C'étaient des courtisans de la Fortune, d accord ; mais
les embrassements de la capricieuse déesse ne les énervaient point, et ils montraient ça et la leur énergique
tempérament, ou le prouvaient d'une manière soutenue en des œuvres complètes. Le public de cette
époque, d'ailleurs, habitué aux solides productions, rendait impossibles les succès frauduleux qu'on obtient
de nos jours en abusant une foule étourdie et ignorante.
Jacques van Oost, dit le Vieux, naquit à Bruges, en février 1601. Il appartenait à une famille
très-ancienne, qui possédait une ample part des biens de ce monde. Elle lui fit donner une éducation
brillante, dont il se félicita pendant toute sa vie. Comme on le destinait à la glorieuse et difficile carrière
de la peinture, où le précédait son frère aîné, il négligea insensiblement ses autres études. Le 19 janvier 1619,
il fut inscrit comme élève de François van Oost sur les registres de la corporation de Saint-Luc. Depuis
longtemps déjà il maniait le pinceau, selon toute vraisemblance, car on lui conféra le titre de franc-maître
le 18 octobre 1621. Quatre ans après, il perdit le guide affectueux qui lui avait enseigné les premiers
éléments de son art. François, jeune encore, donnait les plus grandes espérances. On lui attribue un tableau
transféré de l'église des Jacobins dans celle de Notre-Dame, à Bruges : il a pour sujet le Repos de la
Sainte Famille en pleine campagne. L'artiste mort avant l'âge aurait peint, dit-on, les figures, jetées par
malheur au second plan, et Lucas Achtschelling le paysage étendu qui les environne.
Se trouvant abandonné à lui-même, Jacques van Oost partit pour l'Italie, le rêve de toutes les
imaginations dans les Pays-Bas. Il y fit un assez long séjour, et, parmi les chefs de l'école transalpine,
étudia, imita de préférence Annibal Carrache; il s'était si bien assimilé la manière de ce grand homme, que
ses propres tableaux trompaient les connaisseurs. L'influence du peintre de Bologne, quoique dominée par
les traditions flamandes, se montre dans presque tous ses ouvrages. Ayant quitté l'Italie en 1630 pour
retournera Bruges, il fut nommé doyen de la corporation des peintres en 1633. Plusieurs copies d'après
Rubens et Van Dyck, faites alors par lui, prouvent que ces deux maîtres partageaient son admiration
avec Annibal Carrache. Bruges en possède quelques-unes : ainsi l'on voit à l'église Saint-Gilles un Saint
François d'Assise recevant les stigmates, excellente reproduction d'une toile de Bubens que Van Oost
passe pour avoir exécutée au-sitôt après son retour de la Péninsule, et qui ornait autrefois l'église des
Récollets, maintenant démolie. Notre-Dame offre aux curieux une Sainte Rosalie, d'après Van Dyck, où la
pieuse nonne se figure être couronnée par l'Enfant Jésus ; la cathédrale. Saint Pierre et saint Paul, d'après
Bubens, morceau que l'on croit exécuté vers 1636. On doit donc ranger notre artiste parmi les sectateurs
de l'illustre Anversois qui ne reçurent point directement ses leçons, mais formèrent leur style en se
pénétrant de son esprit. Tout au plus rendit-il visite au peintre prodigieux qui a créé tant de chefs-d'œuvre.
Jacques van Oost était bon musicien et fréquentait les meilleures sociétés; il avait d'ailleurs une figure
avenante, les manières d'un homme du monde et la conversation d'un homme instruit. Lue jeune personne
distinguée, Marie de Tollenaere, accepta donc avec empressement ses hommages, quand il la demanda pour
femme. Elle lui donna trois enfants : Jacques vau Oost, dit le Jeune, peintre égal à son père; un second fils
dont on ne connaît pas le nom, mais qui tint d'abord la palette, puis entra dans l'ordre de saint Dominique,
et une fille, morte chanoinesse régulière, en 1697, dans l'abbaye de SaiIlt-Trond, à Bruges.
Van Oost ayant, dès ses débuts, fait preuve d'un talent peu commun, était surchargé de travaux; on lui
demandait surtout des tableaux d'église et des portraits. Ce dernier genre, à lui seul, l'occupait beaucoup,
les amateurs ayant observé qu'il peignait les chairs avec un coloris frais, brillant et naturel. Quoique l'on
n'ait jamais parlé de ses toiles de chevalet, que, suivant Descamps, il irait jamais traité aucune scène
familière, il empruntait parfois des sujets à la vie réelle. M. Van Iluerne, amateur de Bruges, possédait,
en 1836, deux morceaux de Van Oost, qui furent alors lithographiés par P. de Ylominck. L'un représente
Quatre soudards assis autour d'une table, dans un endroit suspect, avec une fille de bonne volonté. L'un
boit sans se préoccuper d'autre chose; le second fait remplir son verre par une camériste de bas étage et le
soulève pour porter une brinde à sa belle (brinde est un vieux mot français, auquel on a maladroitement
substitué le monosyllabe toast, exotique et barbare). Le galant cherche d'ailleurs à saisir la gorge de la
créature, qui repousse sa main avec douceur et précaution. La tête enveloppée de linges imitant un bonnet,
la servante a bien l'air d'une guenipe de mauvais lieu. Un tout jeune homme, tenant une pipe à la main,
regarde le spectateur, comme mécontent de la fête à laquelle on l'a entraîné. Le dernier personnage, homme
sur le retour, examine la scène avec la tranquillité de l'âge mûr.
La seconde pièce nous montre des joueurs dans un établissement peu respectable. On y voit aussi quatre
individus, auxquels tient compagnie une femme très-légère, ébouriffée, débraillée, comme à la suite d'une
escarmouche. Elle regarde les cartes d'un novice que son jeu absorbe entièrement : c'est la dupe. Son
antagoniste ne compte ni sur la fortune, ni sur sa pénétration-, mais sur ses manœuvres frauduleuses :
enveloppé d'une tunique serrée à la taille par une ceinture, il a logé deux as dans cette dernière, juste au
milieu de ses reins, pour les prendre lorsqu'il sera temps. Derrière chaque joueur se tient debout un
sacripan, celui-ci drapé dans un manteau, celui-là le heaume en tête et la cuirasse sur la poitrine; ils prennent

tous les deux il la partie l'intérêt le plus vif. Derrière le groupe, la muraille offre la signature et la date
suivantes : J. Van Oost f. 1634.
Ces deux scènes animées, bien composées, prouvent que l'instinct flamand, que le goût de la vie réelle
inspiraient parfois Jacques van Uost. De grandes murailles nues occupent le fond de l'une et de l'autre,
l'artiste ayant toujours néglige les accessoires, ou du moins ne les ayant jamais traités avec amour. Il était
très-laborieux, mais voulait consacrer le moins de temps possible à chaque ouvrage. Pour être mieux payé,
sans doute, il n'exécutait généralement que de vastes morceaux. Mais, comme ils lui auraient pris un temps
considérable, s'il avait proportionné le nombre des personnages à l'étendue de la toile, il les épargnait avec
autant de soin que Pierre-Paul les multipliait. Sur une aire de cent pieds carrés, il dessinait deux ou trois
acteurs, puis prodiguait autour d'eux les colonnes, les architraves, les balustrades, les escaliers, les
tapi sseries, toutes les décorations imaginables. Ce n'était point des fonds charmants, oÙ se jouait sa
fantaisie, mais de véritables tentures déployées par iiii entrepreneur pour couvrir l'espace. Les figures
cependant prouvent un mérite exceptionnel : les types en sont bien choisis, les expressions vives, les
mouvements heureux, tes carnations naturelles et les draperies élégantes. Le champ même qui les environne,
quoique rempli d'objets insignifiants, ne laisse pas de plaire jusqu'à un certain point : on y admire la belle
couleur anversoise, que l'artiste pousse quelquefois jusqu'aux tons éblouissants et magnifiques de Jordaens.
Il fait donc assez bonne figure dans la triomphante escorte de Rubens : quand il l'a voulu, il a égalé ses
élèves directs.
Nul connaisseur ne verra sans admiration le Martyre de sainte Godeliève, qui orne la cathédrale de
Bruges, et que l'on croit peint vers l'année 1636. La composition en est des plus simples; elle est même
toute primitive. La sainte se trouve debout, entre deux exécuteurs qui lui ont passé une corde autour du
cou et en tiennent les deux extrémités, chacun d'eux tirant pour étrangler la victime. On a donc trois
personnages dans des attitudes parallèles, difficulté immense à vaincre. L'artiste, comme jaloux de montrer
sa force, l'a compliquée d'un problème encore plus redoutable : la vierge martyre porte une grande robe
écarlate, sans le moindre ornement ou accessoire. La pâleur de la mort sur le visage, elle regarde le ciel
avec un enthousiasme héroïque. Si belle, si bien rendue que soit son expression, une tête blême et une
draperie d'un rouge éclatant devraient produire l'effet le plus dur, le plus intolérable. Mais avant de mettre
la main à l'œuvre, l'artiste, sans le moindre doute, avait remarqué une gamme de tons qui lui permettait
d'associer une extrême vivacité de couleur à une complète harmonie, et de lutter par le même moyen
contre l'uniformité des lignes. Au lieu d'échouer dans sa périlleuse entreprise, il a donc fait un chef-d'œuvre.
Ceux qui n'ont point vu ce tableau ne peuvent imaginer il quel point il unit au pathétique la douceur et la
magnificence des tons. Dans un autre morceau, que possède l'église Notre-Dame, Jacques van Oost a encore
introduit une nonne tout habillée de rouge, et il a remporté une seconde victoire.
Le dernier morceau figure la Présentation de Marie au temple. La Vierge enfant, qui monte les degrés
du pieux édifice, est reçue par le grand prêtre, escorté de plusieurs personnages; sur la gauche, on voit
saint Joachim et sainte Anne, parents de la jeune israélite. Nulle part l'auteur ne s est montré plus grand
coloriste, nulle part son dessin n'a revêtu un plus noble caractère; la dignité de l'école bolonaise et de
l'école italienne, en général, forme un heureux mélange sur ce tableau avec les qualités de l'art flamand.
Jacques van Oost le peignit en 1655, pour la confrérie de Notre-Dame de la Présentation, car les pieuses
sociétés pullulaient dans les Pays-Bas espagnols sous l'influence de la maison d'Autriche. Les registres delà
compagnie prouvent que le trésorier, GuillaumeSchelhavers, le paya cinquante livres, somme bien insignifiante;
les dévots personnages en furent si satisfaits pourtant que, le 21 octobre 1655, ils donnèrent à l'auteur une
fête qui coûta onze cscalins et six gros.
Une œuvre non moins importante décorait autrefois l'abbaye de Saint-Troud, et orne maintenant la
cathédrale de Bruges. Le peintre y a figuré la Pentecôte d'une manière tout à fait originale. Le premier
plan du tableau représenté un portique ou l'entrée d'un temple; quatre colonnes de marbre blanc, exhaussées
sur des marches, soutiennent un entablement de marbre noir : ces deux sortes de pierres alternent dans le
reste de l 'édifice, beau monument dont le peintre a eu la fantaisie singulière de dorer certains ornements.
Au lieu de porte, un grand rideau noir ferme l'entrée du temple. Un jeune homme, le fils aine de Yan Oost,
écarte ce rideau et' laisse le regard plonger dans l'intérieur : on y voit le Saint-Esprit descendant sur les
apôtres et inondant la salle d'une éclatante lumière, qui forme contraste avec la sombre couleur du premier
plan. Quatre disciples attardés montent les marches du péristyle, surpris et charmés il la fois par la scène
merveilleuse; l'un d'eux, dans son élonnement, s'appuie contre la première colonne. Pour rompre l'uniformité
des lignes et des couleurs, Y an Oost a semé plusieurs objets sur les degrés du temple : un livre entr'ouvert
et plusieurs manuscrits font illusion. Un des personnages qui arrivent est le portrait de l'artiste lui-même.
Comme il peignait ce tableau, en 1658, l'année où sa tille Marie entra dans le monastère de Saint-Trond,
peut-être avait-il donne il la mère du Chri>t les traits de la jeune nonne.
Il travailla beaucoup depuis ce moment pour l'abbaye,
car on y voyait jadis neuf toiles de sa main,
actuellement dispersées dans les églises de Bruges. Quand la mort lui arracha sa palette, en 1671, il
fut enterré sous. les voûtes du monastère qu'il avait si bien décoré. Outre son fils, il laissa un élève,
J. B. Meuninckxhove, reçu franc-maître le 12 juillet 1611, mort en 1703. L'église Sainte-Anne possède
de lui un tableau qui représente le Christ au milieu d'un palais, devant le grand prêtre Anne. beau-père de
Caïphe. Ce morceau, exécuté en 1G 91, unit la justesse du dessin il la beauté du coloris.

Les ghildes ou corporations industrielles avaient demandé il Jacques van Oost un grand nombre de tableaux
Pt tes portraits de leurs doyens, de leurs membres les plus influents, qui ornaient autrefois leurs salles de
detiberation, leurs autels particuliers dans les églises. La cathédrale renferme un de ces ouvrages, peint vers
1633 pour la chapelle des ménétriers : il représente la Vierge sur les nues et quatre personnages en adoration
devant elle. L'église Notre-Dame en contient un autre, qui appartenait à la corporation des orfèvres et avait
la même destination ; il expose aux regards la Vierge tenant sur ses genoux le Fils de l'Homme et ayant autour
d'elle saint Pierre, saint Paul, saint Benoît, sainte Catherine et saint Éloi. Van Oost avait aussi exécuté, en
1659, pour le Palais de Justice, un morceau approprié il la nature du lieu; on y voyait les magistrats réunis
et occupant leurs siéges; ils venaient de condamner à mort un pauvre diable, auquel on lisait sa sentence.
Toutes les figures sont des portraits, et le coloriste a su habilement varier leurs attitudes. Enfin on conserve
dans la cathédrale, dite de Saint-Sauveur, une ioile peinte vers 1636, qui flottait autrefois sur la bannière
des francs-mollnoyeurs; elle offre aux regards, d'un côté saint Eloi, de l'autre les doyens et les membres
principaux de la jurande.
Pour donner de la vie aux portraits, Van Oost représentait souvent les personnages occupés d'une manière
conforme à leur profession ou il leur caractère. Il avait peint, par exemple, un médecin tâtant le pouls de sa
femme avec une attention extrême, en cherchant la cause de son mal; la patiente, qui était enceinte, épiait
en quelque sorte le visage de son mari, et attendait, pleine d'inquiétude, le jugement qu'il allait porter sur
son état.
La galerie impériale de Vienne possède de Jacques van Oost l'ancien une Adoration des JJe)'gers, qui passe
pour une œuvre supérieure. L'Enfant-Dieu est couché devant sa mère sur un linge blanc, et la fille de David
regarde les pasteurs qui entrent. Elle charme les yeux par la pureté, par la grâce de ses traits et par ses
élégantes proportions. Derrière elle se tient debout François d'Assise, que l'on ne voit pas sans étonnement
à Bethléem, peu de temps après la naissance du Christ. Un jeune pâtre, qui s'agenouille devant la crèche,
mérite les plus grands éloges. Les couleurs ont une force, une beauté peu communes, et se fondent
t rès-harmonieusement.
La seule toile de Van Oost que renferme le Louvre, Saint Charles Borrasnée communiant les Milanais
atteints de hl peste en 1576, porte, au contraire, les signes distinctifs des œuvres médiocres. L'auteur l'a
bien composée sous le rapport des lignes; elle plaît par le coloris et forme un ensemble attrayant; de loin
on la prendrait pour un morceau d'élite : quand on approche, l'illusion se dissipe. Quelques têtes ont sans
doute une vive expression, notamment celle du vieillard et de la vieille femme qui reçoivent l'eucharistie;
mais la mollesse de la touche trahit la rapidité de l'exécution : le pinceau n'a fait que courir sur cette toile.
On y cherche en vain l'énergie et le sentimentdramatique réclamés par le sujet.
Jacques van Oost le fils a pour la France un intérêt spécial, puisqu'il habita Lille pendant quarante
et un ans, et orna sans relâche nos églises septentrionales,qui possèdent encore ses tableaux. Né il Bruges
en 1637, il n'eut pas d'autre professeur que son père. Tout jeune encore, il étudia la peinture avec passion;
il était l'exemple de ses camarades, évitait les moindres causes de dérangement, et, absorbé dans son travail,
réjouissait le cœur du vieux Van Oost. Les amateurs s'occupèrent bientôt de son mérite naissant. Lorsqu'il
l'eut assez fortifié par la pratique, son père le laissa entreprendre le voyage d'Italie, quoique la Belgique fut
alors pleine d' chefs-d'œuvre; mais la mode et la routine sont deux puissantes déesses, et jamais on n'a
vu leurs temples déserts. Le jeune artiste devait traverser Paris; sans doute il s'y trouva bien, car au lieu d'y
passer quelques jours, il y resta deux années entières. S'étant alors remis en chemin, il finit par débarquer
en Italie. Sur les bords du Tibre, il montra le même zèle que dans sa ville natale : il copiait les antiques,
les œuvres des maîtres, cherchait à pénétrer le secret de leur talent, développait sa propre manière et ne
perdait pas un seul jour. Après plusieurs années de ce labeur assidu, il retourna en Flandre, où il peignit
quelques tableaux. De ce nombre est probablement celui qu'on voit à Bruges, dans la cathédrale, et qui porte
la date de 1668 près de la signature : lara/JUs van Oost de Jong/le. 1) représente la Vierge donnant une étole
à saint Hubert. L'artiste avait trente et un ans lorsqu'il l'exécuta. Mais bientôt le souvenir des deux années
qu'il avait passées il Paris le dégoûta de Bruges, qui devait être alors, dans la misère croissante de la Belgique,
une ville passablement monotone. Malgré les efforts de ses parents pour le retenir, Jacques van Oost
s'achemina donc vers la France.
Il arrive à Lille, va voir quelques artistes de, ses amis, qui le retiennent, qui lui procurent du travail;
il peint plusieurs portraits que tous les connaisseursadmirent, et les principaux habitants lui conseillent de
rester où il se trouve : ubi bene, ibi patria. En même temps on le surcharge de commandes, afin de. le
déterminer. Il continue donc à peindre, ne pouvant en conscience refuser de si bonnes occasions. Pendant
que son pinceau court sur la toile, l'amour se met de la partie; une jeune fille appelée Marie Bourgeois
seconde ses compatriotes, en soumettant le coloriste au plus naturel et au plus infaillible des sortiléges. Cette
lois, le peintre charmé ne fit aucune résistance : il épousa la magicienne et s'établit dans la ville, où il résida

quarante et un ans, comme nous avons déjà eu occasion de le dire. Mais il fit, selon toute apparence.
plus d une excursion à Bruges, et y passait, chaque fois, quelque temps
avec sa famille. Trois portraits
conservés à l'hôpital Saint-Jean ont dû être exécutés pendant ces absences ils
: nous montrent Claude de
Corte, Adrian Aneheman et Pierre Conrad van der Drugghen, nommés l'un après l'autre directeurs de
1 'établissement, le premier
en 1674, le second en 1685, le troisième en 1695, et peints par Van Oost II'
jeune, 1 année même de leur nomination. Il n est pas probable qu 'ils eussent fait le
voyage de Lille pour poser
devant l'artiste, Une Sainte Famille, de l'année 1674, que possède l'église Notre-Dame, corrobore
notre
induction : saint Jean-Baptiste enfant, accompagné d'un agneau, joue
y avec le Hédempteur; saint Joseph et
saint Joachim sont les portraits de deux membres de la famille Legillon, domiciliée à Bruges; le premier,
notamment, nous offre l'image de Charles Legillon, député aux États de Flandre, qui mourut en 1695.
Après une longue union, Van Oost, ayant perdu sa femme, retourna définitivement à Bruges, où il termina
ses jours, le 29 décembre 1713, âgé de soixante-seize ans.
Ses tableaux et ceux de son père ont iiii si grand rapport qu'on les distingue avec peine ; mais il subit
plus fortement l'influence de l'Italie, et pour la couleur, et pour le goût de la composition. Il empâte davantage
et peint d'une touche plus hardie. Moins avide ou moins pressé par les amateurs, il sacrifiait peu au désir
d'accélérer son travail; il réfléchissait longtemps, dessinait avec correction, dans un grand style. Sa couleur
d'élégance.
a tous les mérites de l'école d'Anvers. Il drapait ses ligures avec beaucoup de noblesse et
Quelques admirateurs enthousiastes ont comparé ses portraits à ceux de Van Dyck, opinion exagérée sans
doute, mais qui montre à quel point il réussissait. Edelinck a gravé celui d'un jeune magistrat en simarre et
en longue perruque. C'est une figure douce, intelligente et régulière, avec un nez faiblement aquilin, des
orbites charnus et de larges paupières. Les détails, parfaitement accusés, donnent à l'ensemble un vivant relief.
Si le talent du graveur y a contribué, l'original devait offrir des qualités analogues.
Le Martyre de sainte Barbe, qui orne la chapelle du même nom, dans l'église Saint-Étienne, à Lille, passe
pour le chef-d'œuvre de Jacques van Oost le jeune. Les autres édifices religieux de la même ville contiennent
tous des ouvrages de sa main. Si on fouillait leurs archives et celles de la commune, on trouverait donc sur
l'artiste des renseignements précieux.
Le père et le fils ont exécuté ensemble un triptyque sur toile, qui porte la date de 1665, et orne, à Bruges,
le petit musée de l'hôpital Saint-Jean. Le morceau du milieu représente la Vierge tenant le Christ sur ses
genoux et ayant à ses côtés les saintes femmes, pendant que Madeleine baise les pieds du Sauveur; deux
petits anges placés près de l'Homme-Dieu pleurent son agonie et les outrages qu'il a soufferts. Van Oost
et son fils, debout dans un coin, paraissent examiner la scène et discuter la valeur du tableau; ils sont grands
comme nature.
Un des volets nous montre deux sœurs hospitalières de l'époque, en grand costume, Marie Vermeulen, la
supérieure, et Marie van den Kerkhove. Sur l'aile opposée, on voit les sœurs Jeanne Suys et Jeanne
Strymeersch. Les quatre nonnes sont à genoux et en prière.
Ces trois tableaux sont bien composés, d'une belle couleur et d'un bon dessin. On admire surtout le
cadavre du Fils de l'Homme. D'après les renseignements que l'on conserve à l'hospice, Van Oost le père a
exécuté la page centrale, Van Oost le fils, les deux ailes. Voilà pourquoi ils se sont représentés sur l'image du
milieu. Cette œuvre importante peut servir à étudier la différence de leurs styles.
ALFRED MICHIELS.

MElM(G1Ï8 W HHMŒiTOHS

Les tableaux qui nous restent de Van Oost le père sont les salles du Louvre.Nous avons reproduit ce dernier à la p. 5.
nombreux, et l'on pourrait, sans sortir de Bruges, se faire De Jacques van Oost le fils on voit a Bruges, soit dans
les églises, soit à l'Académie et dans l'hospice Saint-Jean
une idée il peu près complète de sa manière. On trouvera
le catalogue de ceux que possèdent les Flandres dans 1 In- quatorze tableaux ; les églises et le musée de Lille en rCII-
ventaire des objets d'art publié par les deux commissions ferment dix-sept.
provinciales. Les Nations prosternées devant le Saint- Un seul tableau de Van Oost le père a été gravé au trait,
Sacrement ornent la cathédrale d'Ypres, une Adoration des celui du Louvre; de Van Oost le fils je ne connais que la
Bergers la galerie de Vienne, et un Saint Charles Borromée gravure d'un portrait par Edelinck.
Sca/e !$(;zmallC!e. Sfâiàéwre, ,
i~(- fo rs/tp.est(,.s\

ABRAHAM VAN DIEPENBEECK


NE VERS 1607. — MORT EN 1675.

Les érudits qui s'occupent, avec tant de patience et d'activité,


d'éclairer les points obscurs de l'histoire de l'art flamand, n'ont pu
parvenir encore à déterminer d'une manière précise la date exacte
de la naissance d'Abraham Van Diepenbeeck. Nous ne sommes
malheureusement pas en mesure de compléter leurs recherches, et,
bien qu'il nous en coûte de consigner ici une indication douteuse, nous
imiterons les savants auteurs du catalogue du musée d'Anvers, en répétant
avec eux que le fécond élève de Rubens est né à Bois-le-Duc vers 1607.
Mais nous supplions le lecteur de n'accepter qu'avec réserve cette date
conjecturale, qui, par plus d'une raison, nous paraît rajeunir un peu
trop le peintre dont nous allons raconter la vie.
On connaît mal les commencements de Van Diepenbeeck il y a lieu
-
de supposer toutefois qu'il quitta son pays quand les Hollandais se
rendirent maîtres de Bois-le-Duc, en 1629. Mais en perdant sa nationalité
par le fait brutal de la guerre, le jeune artiste demeura Flamand par le
cœur, et il le fit bien voir lorsque, plus tard, il sut se servir du pinceau. Van Diepenbeeck paraît avoir été
graveur avant d'être peintre ; du moins, la première œuvre authentique qu'on connaisse de lui est une
précieuse eau-forte qui porte la date de 1630, et qui représente, comme le dit Mariette, un jeune paysan
« se
reposant au pied d'un arbre, tenant son asne par le licou. » Cette planche est très-spirituellementgravée;
elle révèle une grande sûreté de main, et c'est précisément à cause de ces mérites que nous aurions
quelque tendance à supposer qu'elle n'est pas l'œuvre d'un artiste de vingt-trois ans, et, par suite, que
Diepenbeeck a du naître avant 1607. Mais laissons, encore une fois, ce point douteux qu'une découverte
prochaine se chargera sans doute d'éclaircir.
La biographie de Van Diepenbeeck présente d'ailleurs, pour l'historienméticuleux, bien d'autres desiderata.
On sait vaguement qu'il voyagea, mais nul ne peut dire où sa fantaisie le conduisit d'abord. Mariette prétend,
non sans quelque apparence de raison, qu'il habita un instant la France. « Il étoit à Paris, selon que je puis
le conjecturer, en 1632. Michel Lasne a gravé dans cette année une grande thèse
sur ses dessins. » Il est à
remarquer, ajoute le fin critique, « que dans cette même année, Van Thulden, condisciple de Diepenbeeck,
travailloit à Paris; les tableaux de la galerie du Luxembourg, peints par Rubens, auxquels ils avoient
eu
part, leur avoient acquis une certaine considération dans cette ville 1. »
Mariette, cette fois, en veut savoir trop long. Il se trompe ici, sinon sur le fait même du séjour de Van
Diepenbeeck à Paris, mais sur l explication qu 'il en donne. Quand le grand maître d'Anvers entreprit
en
1621 l'histoire allégorique de Marie de Médicis, Van Diepenbeeck, très-jeune alors,
ne connaissait pas encore
celui qui, quelques années après, devait lui apprendre à peindre. Du reste, le
voyage de l'artiste flamand
à Paris est pour Mariette un fait hors de doute. Dans le catalogue de la vente de
son cabinet, en 1775,
catalogue évidemment rédigé d'après ses notes, on trouve l'indication d'un dessin de Van Diepenbeeck,
représentant Saint Paul à Éphèse faisant écrire à l'un de ses disciples les lettres qu'il adresse de
cette
ville aux fidèles. « Ce dessin, ajoute le catalogue que nous citons, été fait à Paris pendant le séjour
a
de l'auteur, sans doute pour être gravé 2. »
C'est ici le lieu de dire que Van Diepenbeeck avait rencontré en France
un sincère admirateur de son talent
précoce. Un personnage aujourd'hui bien oublié, Jacques Favereau, conseiller à la Cour des Aides
en 1617,
s'était épris des allégories, des emblèmes qu'Otho Venius et ses disciples avaient mis à la mode. Le
digne magistrat, qui se piquait d ailleurs de bel esprit, et qui fit même quelques
vers dans le goût des
poëtes du règne de Louis XIII, s'était composé un cabinet où il avait réuni des dessins des meilleurs maî tres
«
de son temps. » Van Diepenbeeck fit pour lui une série de compositions empruntées
pour la plupart il la
mythologie. Dans la pensée de Favereau, ces dessins devaient servir à l'illustration d'un livre qu'il avait le
projet d'écrire, et qui, heureusement pour sa renommée, n'a jamais paru. 11
se proposait, dit Michel de
Marolles, d'accompagnerces estampes « de discours amoureux et moraux, et de sonnets, lesquels il vouloit
porter jusqu'au nombre de cent, pour appeler son livre l'ouvrage des cent sonnets 3.» Certes, le jeu de mots
était piquant, et Favereau se fut couvert de gloire par cette publication, si la mort
ne l'eût empêché de la
mettre au jour (1638). Toutefois, les planches gravées d'après les dessins de Diepenbeeck
ne furent pas
perdues : Michel de Marolles les utilisa à sa manière. Il
composa un texte pour chaque image, et, en 1655, il
enrichit les bibliothèques d 'un livre inutile de plus, les Tableaux du temple des Muses, représentant les
Vertus et les Vices sur les plus illustres fables de l'ai-itiquité
» \
Si, comme Mariette l 'assure, Van Diepenbeeck
composa à Paris les dessins allégoriques que lui avait
demandés J. Favreau, on peut supposer que c'est en se rendant
en Italie que l'artiste a du traverser la

' Mariette, II, p. 107.


s Trésor de la Curiosité, I, p. 285.
3 Mémoires de Marolles, 17o5, III,
p. 275.
Il existe plusieurs éditions de ce gros livre, que nul n'a jamais
pu lire. La première, et la seule qui doive nous intéresser,
est celle -de 1655: les gravures sont dues a Bloeniaert et à Matham (in-folio.) Abraham Wolfgank en publia une seconde en 1676
(Amsterdam, in-i '). Les gravures sont grossièrement réduites et copiées
par un artiste sans talent. Dans l'édition de 1733, les
figures ont été retouchées ou remplacées par des planches nouvellesde B. Picard; le aussi subi d'importantes modifications.
texte a
France. Mais ici le biographe se heurte à un nouveau problème. Aucun document authentique ne prouve
que l'artiste flamand ait fait, comme c'était l'usage alors, le fameux voyage au delà des Alpes. Les
historiens italiens, qui devraient en savoir quelque chose, ne sont pas d'accord sur ce point. Baldinucci
n'en dit rien ; Ticozzi, au contraire, affirme que Van Diepenbeeck visita l'Italie et même qu'il demeura
longtemps à Rome. On rencontre dans son œuvre quelques pièces qui sembleraientconfirmer cette assertion.
Ces estampes, gravées par Vorstermann et par d'autres chalcographes de son école, d'après des croquis

auxquels Van Diepenbeeck n'a pas mis son nom, représentent un certain nombre de saints et de martyrs
italiens, figures à demi barbares assez maladroitement empruntées aux fresques célèbres où les peintres
primitifs ont retracé leurs effigies. A côté de ces portraits se rencontrent des dessins d'après les costumes
qu'on suppose avoir appartenu à ces personnages légendaires. Si Van Diepenbeeck est l'auteur de ces
images, il a dû visiter successivement Assise, Amalfi, Florence, Pise, Rome et la plupart des villes
de la catholique Italie. L'artiste flamand résista d'ailleurs aux influences de l'art qu'il étudiait : il ne
modifia pas son style, il ne fit aucune concession aux élégances florentines. Son œuvre n'a rien d'italien :
mais avant d'en examiner le caractère et la valeur, il faut abandonner pour les certitudes de l'histoire le
vague domaine des hypothèses.
Qu'il ait fait ou non les voyages qu'on suppose, Abraham Van Diepenbeeck est à Anvers en 1635. Il y
est même chargé de travaux importants, mais en qualité de peintre-verrier. Il a inscrit cette date sur les
portraits des quatre aumôniers qui ornent les fenêtres d'une des chapelles de la cathédrale Notre-Dame.
Les vitres du chœur de l'église des Dominicains étaient aussi l'œuvre de Van Diepenbeeck, qui y avait
représenté la vie de saint Paul. Enfin, sa renommée comme peintre verrier arriva bientôt à Bruxelles, et
il eut l'honneur de travailler à la décoration de Sainte-Gudule. « Les quatre fenêtres du chœur, disait Mensaert

en 1763, sont peintes par A. Diepenbeeck. Elles représentent les saints mystères de la Vierge, et les
portraits de quelques monarques bienfaiteurs de ce riche temple \
» D'autres églises ont aussi
possédé des verrières du jeune maître 2; mais ces fragiles ouvrages ont péri.
Qu'on ne s'étonne pas, d'ailleurs, de voir Van Diepenbeeck s'essayer à son début dans la peinture sur
verre. II avait été précédé dans cette voie par son compatriote J. de la Barre, qui, lui aussi, avait quitté
Bois-le-Ducpour Anvers, et qui venait d'y exécuter, avec un succès si légitime, des travaux de premierordre.
Il est permis de croire que ce maître habile fut l'initiateur de Van Diepenbeeck dans ce
genre, déjà trop négligé.
Mais l'imitateur demeura bien au-dessous de son modèle. Sans doute Van Diepenbeeck savait dessiner, il
possédait le sentiment de la couleur, il avait l'invention abondante et facile, mais il se méprit parfois dans
l'exécution matérielle de ses verrières, et il en est peu qui aient conservé leur éclat primitif. Certains tons
ont gardé leur vigueur, d'autres ont pâli, si bien qu'il est tel de ses vitraux qui demeure aujourd'hui sans
ensemble et sans harmonie. Les révolutions et l'ignorance des restaurateurs se sont malheureusement
associées au temps pour compromettre cette partie de la renommée de Van Diepenbeeck.
On a prétendu que c'est en reconnaissant la fragilité de son œuvre ou même
son imperfection que
l'artiste comprit la nécessité d'avoir recours, pour exprimer les fantaisies de son ardente imagination, à
un procédé moins hasardeux et plus durable. La ville d'Anvers, qui venait de lui accorder le droit
de bourgeoisie (4 janvier 1636), était trop riche en maîtres glorieux pour que Van Diepenbeeck n'eût
pas la pensée de demander à la peinture à l'huile les moyens de réaliser son rêve. Il entra donc dans
l'atelier de Rubens, alors dans toute la splendeur de sa renommée et de son génie, et bientôt il devint
un de ses plus brillants élèves. Le succès ne se fit pas longtemps attendre : en 1638, Van Diepenbeeck
fut reçu maître dans la guilde de Saint-Luc, et bien qu'il n'abandonnât pas l'art du verrier, la peinture à
l'huile fut dès lors au premier rang de ses préférences. Rubens demeura son idéal, Anvers devint pour
lui une seconde patrie. Il avait épousé à Schelle, en juin 1637, la fille d'un notaire, Catherine
Heuvick, qui lui donna successivement huit enfants. Enfin, entraîné par le caractère de ses œuvres à
vivre en bonne intelligence avec les communautés religieuses qui employaient son pinceau, il s'était affilié
à la sodalité des Jésuites d'Anvers, et il y obtint même, le 13 juin 1639,
un grade important 3.
A partir de cette époque, Van Diepenbeeck entre dans la période la plus féconde de
son existence.
Les biographes se sont trop hâtés de dire qu'il abandonna complétement la peinture sur verre pour la
peinture à l'huile : ils n'ont pas pris garde qu'en 1644, Van Diepenbeeck exécutait pour l'abside du
chœur de Saint-Jacques,à Anvers, deux grands vitraux, le Christ tenant sa croix et la Mère des Douleurs.
Ils n ont pas remarqué non plus que les verrières de Sainte-Gudule, dont
nous avons parlé plus haut,
retraçant le portrait de l'archiduc Léopold, qui ne devint gouverneur des Pays-Bas qu'en 1647, ces
ouvrages sont postérieurs à cette date. D'autres travaux l'occupèrent aussi, et telle était alors l'activité
productive de Van Diepenbeeck,
— les registres de sa paroisse lui donnent pendant cette période un
enfant chaque année, — que nous ne savons trop à quelle date placer le voyage qu'il fit
en Angleterre.

1 fI, 74.
Le Peintre amateur et curieux
' Descampsdit qu'il avait peint, dans le cloître des Minimes d'Anvers, quarante vitraux représentant la vie de saint François
de Paule. Ce sont, dit-il, de petits tableaux transparents; la couleur l'air d'un lavis, etc. Voyage pittoresque de la Flandre,
a
1838, p. 174.
' Alfred Michiels, liubens et l'École d'Anvers, p. 385.
Ilne serait pas impossible que cette excursion ait eu lieu entre 1649 et 1652, c'est-à-dire au moment
où il venait de perdre sa femme, et avant qu'il n'ait eu le temps de songer à un second mariage.
intéressants détails sur le séjour de Van Diepenbeeck
Quoi qu'il en soit, Horace Walpole nous a conservé d
en Angleterre. Il paraît y avoir été fort employé par l'aristocratie, notamment par William Cavendish, duc
de Newcastle, qui s'occupait avec ardeur d'améliorer les races de chevaux, qui inventait des méthodes pour

les dresser, et qui a même consigné dans un traité ex professo le résultat de ses observations sur
cette science éminemment britannique. Van Diepenbeeck fit pour le duc les dessins des planches de ce livre.
Il dessina ensuite les vues des résidences que son noble protecteur possédait dans le Nottinghamshire
et le Derbyshire, et, au temps de Walpole, il y avait encore au château de Welbeck des ouvrages du
maître flamand. Il peignit en outre le portrait du duc, de la duchesse et de leurs enfants. Il fit aussi
celui de sir Hugh Cartwright, qui a été reproduit plus tard (1656) par Vorstermann, et celui du roi
Charles II, dont W. Hollar nous a laissé une gravure. D'autres travaux de ce genre ont dû aussi occuper son
pinceau, mais on ignore quand il quitta l'Angleterre1.

1 H. Walpole. Anecdotes of Painting. (Édition de 1849, pages 315 et 316.)


En 1652, Abraham Van Diepenbeeck était de retour en Flandre, et, le 13 mai, il se remariait à Schelle,
près d'Anvers, avec Anne van der Dort, qui, moins féconde que Catherine Heuvick, ne lui donna que
quatre enfants. Une fois rattaché à sa patrie par ce lien puissant et doux, Van Diepenbeeck ne quitta plus
sa maison laborieuse et vécut, le pinceau ou du moins le crayon à la main. Nous disons le crayon, parce que,
dans cette seconde partie de sa vie, l'artiste devint un infatigable producteur de compositions religieuses
ou allégoriques pour les libraires de Flandre. Dès lors, la peinture ne fut plus qu'un accessoire dans
l'existence de Van Diepenbeeck. « Tout ce qu'il composoit étoit agréable, a dit Descamps. Il inventoit avec
génie et exécutoit avec feu; mais il fut trop distrait par des compositions faites à la hâte. Il étoit surchargé
de thèses, de mausolées et de sujets de dévotion, qui furent gravés et enluminés pour être distribués dans
les écoles et les confréries. » Descamps ne se trompe pas : c'est Van Diepenbeeck qui a dessiné le frontispice
du Tribunal sacramentelle animarum de Pierre Marchant (1643), celui du Trisagion Marianum (1648), des
Commentaires sur la philosophie d'Aristote (1652), de l' Antidotarium Gandavense (1663), et de bien
d'autres in-folio solennels et oubliés. Ce sont presque toujours des inventions à grand fracas, pages un
peu froides dans leurs violentes allures, et pleines d'allégories mystiques dont nous avons perdu le sens.
Mais Van Diepenbeeck ne s'est pas arrêté là : il a été pendant vingt ou trente ans un des pourvoyeurs les
plus actifs de l'imagerie religieuse, et il a multiplié dans ce genre des compositions puériles qui pouvaient
satisfaire les Béguines ou les AnnoÚciades,mais où l'art n'a rien à voir. La dévotion populaire du dix-septième
siècle aimait à se repaître de grossiers symboles : il est fâcheux d'avoir à dire que Van Diepenbeeck a fait
à ces vulgaires appétits des concessions lamentables. Dans une grande planche, relative aux miracles
accomplis par la Vierge, il montre une pauvre femme qui, possédée du diable et tout à coup guérie,
voit sortir de sa bouche un dragon fantastique. Faut-il rappeler cette estampe où, donnant un corps
aux enseignements métaphoriques de l'Evangile, Van Diepenbeeck veut exprimer à sa manière que Jésus-Christ
est la source du salut et le montre, fontaine vivante, laissant couler sur le monde le sang de ses intarissables
blessures ? L'artiste a multiplié aussi, d'un crayon rapide et médiocrement exact, les portraits des
principaux fondateurs des ordres religieux, et plus particulièrement ceux des violents soldats à qui la
Compagnie de Jésus a dû sa renommée et ses triomphes.
Rien qu'ils aient été composés à la plus grande gloire de Dieu et de son Église, les dessins dont nous
venons de parler ne doivent être considérés que comme les productions mal venues d'un art inférieur. La
peinture flamande échappe aux rigueurs de la critique par la magie du coloris, par la fraîcheur lumineuse
des carnations et la légèreté des ombres, enfin, par la largeur virile d'une exécution audacieuse et libre. Ce
qui manque aux élèves de Rubens sous le rapport du style et de la pureté des formes, ils savent le faire
oublier à force d'éclat, de vigueur et de lumière. Mais, à l'heure où Van Diepenbeeck se servait du crayon
du dessinateur, il ne pouvait recourir à ces expédients magiques; aussi ses compositions trahissent-elles
l'infirmité de son tempérament et l'insuffisance de son goût. Ses christs sont souvent d'une rare laideur, et
la plupart de ses figures, tourmentées et molles comme des étoffes capricieusement chiffonnées, n'ont
aucune noblesse, aucun caractère. A ce laborieux inventeur d'images, il a toujours manqué une qualité
précieuse, — la distinction.
Il vaut donc mieux étudier dans Van Diepenbeeck le peintre lumineux qui avait appris son métier dans
l'atelier de Rubens. Nous avons le regret de ne pas connaître le tableau qui passe pour son chef-d'œuvre et
qui, conservé dans l'église de Deurne, près d'Anvers, représente Saint Norbert donnant la bénédiction
abbatiale au bienheureux Waltmann. Mais nous avons vu au Musée d'Anvers l' Extase de saint Bonaventure ;
au Louvre, Clélie passant le Tibre, et un portrait; à Bruxelles, Saint François adorant le saint-sacrement;
à Bordeaux, Y Enlèvement de Ganymède, et ailleurs, bien d'autres sujets où Van Diepenbeeck, demandant
ses inspirations, tantôt à l'histoire religieuse, tantôt à la mythologie, se souvient toujours de Rubens.
L'Enlèvement de Ganymède, que nous venons de citer, et les intéressants tableaux du Musée du Louvre,
suffiraient à la rigueur pour révéler la manière de l'artiste. Le glorieux maître d'Anvers est toujours son
guide et son modèle, et à tel point qu'on ne peut guère voir dans le Ganymède, jeune figure d'éphèbe aux
carnations d'un blanc rosé, qu'une copie libre du tableau où Rubens avait traité le même sujet, et
qui a fait jadis partie de la collection du duc d'Orléans. Dans la Clélie passant le Tibre avec ses compagnes,
groupe remuant de jeunes filles nues qui vont traverser le fleuve, les galbes, un peu grossiers et lourds,
appartiennent aussi à l'école d'Anvers. Van Diepenbeeck nous paraît avoir été mieux inspiré dans le
portraitd'un gentilhomme et d'une dame, riche et vigoureuse peinture qui orne également le Musée du Louvre.
Ce double portrait est tout un tableau. L'auteur a assis au pied d'un arbre une jeune femme, qui est vêtue

d'une robe de satin et qui tient une guitare; l'Amour, ayant en main la flèche symbolique, conduit vers elle un
jeune homme habillé en berger; son troupeau est derrière lui, et l'ensemble de la composition se détache
sur un fond de paysage. Ce tableau, qui a longtemps été attribué à Rubens, est d'un ton à la fois solide et
éclatant; il révèle même, chez Van Diepenbeeck, de hautes qualités de coloriste. Il est fâcheux, pour la
gloire du peintre de Bois-le-Duc, qu'il n'ait pas été toujours aussi bien inspiré.
Le malheur de Van Diepenbeeck, qui mourut à Anvers en 1675, ce fut de dépenser ses heures et ses
forces avec plus de fantaisie que de raison, et d'éparpiller en menue monnaie, en croquis improvisés, en
dessins insignifiants, un talent dont il aurait pu faire un meilleur usage. Trop d'entreprises l'occupèrent
a la fois : entraîné en même temps vers l'art des vitraux, vers la peinture proprement dite et vers la
composition des images religieuses, il n'a pas donné assez de son cœur à l'étude assidue et consciencieuse,
au travail sincère, qui n'enrichit pas toujours celui qui s'y livre, mais qui ne manque jamais de l'agrandir.
Ce n'est pas l'habileté, ce n'est pas la verve facile qui font défaut à son œuvre : c'est une qualité plus
personnelle et que nous croyons meilleure, — le sentiment.
PAUL M A NTZ.

ffiKiœiŒIS OT llllMWWS
Il est peu de graveurs de l'école flamande qui n'aient re- VIENNE. — Allégorie sur le néant des choses humaines.
produit au moins une des compositions d'Abraham VanDiepen- Près d'une espèce de philosophe cynique, au centre de la
beeck; mais Lauwers, Pierre Clouwet, W. Hollar, Michel composition, se lit la célèbre maxime de Socrate : Nosce te
Natalis, Pierre de Balliu, Corneille Galle, Bolswert et Pierre ipsum. (Viardot, Musees d'Allemagne, 1844, p. 225.)
— Le
de Jode ont mis plus particulièrement leur burin au service Christ mort, entouré de lu Vierge et de plusieurs anges.
de ce maître fécond. Beaucoup de ses dessins religieux ont. MISÉE DU LOUVRE. — Clélie passant le Tibre; Un gen-
été interprétés en outre par des graveurs anonymes. tilhomme et une dame.
Les tableaux de Van Diepenbeeck sont plus rares que ses MI SÉE DE BORDEAl"X.-L'Enlèvl'1nrnt de Gatiymède. L'ai-
compositions au bistre ou au crayon. Nous devons citer toute- gle est peint par Sneyders. Ce tableau, qui provient du cêlbi-
fois : net du marquis de Laeaze, il qui il avait été donné par le roi
ANVERS (MUSÉE). — Extase de saint Bonaventure. de Bavière, a malheureusement été retouché.
EGLISE NOTRE-DAME. — Saint Norbert, à mi-corps, au mi- Le Louvrepossèdedeux dessins de Van I)iepenbeeek : Saint
lieu d'une guirlande de fleurs et entre deux anges. Dominique recevant le rosaire des mains de la Vierge (douze
SACRISTIE DE NOTRE-DAME. — L'évêque Ambroise Capella. sujets tirés du Nouveau Testament entourent cette composi-
— Le Christ tenant la Croix, lrl
ÉGLISE SAINT-JACQUES. tion', et Diane découvrant la grossesse de Calisto.
Mère des douleurs ; peintures sur verre (en très-mauvais état). Les ouvrages du maître figurent rarement dans les ventes ;
COUVENT DES SOEURS-GRISES. — Le Miracle de l'hostie. nous citerons cependant :
CABINET DE M. MOONS VAN DER STRAEI.EN'. — Le Bienheu- VENTE AVED, 1766. — Une Orgie ou Fête de Bacchus.
reux Siard, de l'ordre des Prémontrés (grisaille); le Bien- Composition de dix-sept figures : tableau peint sur cuivre.
heureux Godefroid, comte de Cappenberg (idem). VENTE MARIETTE, 1775.
— La Vierge intercédée par saint
— Saint Norbert
ÉGLISE DE DEURNE, PRÈS D'ANVERS. Dominique, Diine découvrant la grossesse de Calisto, deux
donnant la bénédictionabbatiale au bienheureux Waltmann, dessins au bistre sur la même feuille, 179 liv. 19 s.
premier abbé de Saint-Michel. Les prélats de Tongerloo, L-i reine Pénélope travaillant il s(i tapisserie, Saint Palll
d'Averhode et de Middelbourgsont agenouillésauprès d'e lui. à Éphèse (dessins), 60 livres.
Ce tableau a longtemps été attribué à Rubens. VENTE NEYMAN, 1776.
— Le portrait d'un évoque, d'un
BERLIN.
— Clélie fuyant Porsenna: le Mariage de sainte beau caractère, coloré avec art; assis dans un fauteuil, il a la
Catherine. Van Diepenbeeck avait fait sur le même sujet un barbe et les cheveux gris; 50 livres.
superbe dessin, qui peut être considéré comme la première VENTE LEBRUN, 1791. — Les Préparatifs d'un sacrifice
pensée du tableau du Musée de Berlin. 'Ce dessin appartient dans le temple de Mars et de Vénus, composition de dix-sept
aujourd'hui à M. Émile Wattier, qui a bien voulu nous autoriser figures. Au fond, une tapisserie représentant le jugement de
à le faire graver pour illustrer cette biographie (V. page 5). Paris. Provenantde la vente Boyer de Fonscolombe (0'"46 sur
BRUXELLES.
— Saint François adorant le saint-sacrement. 0"'60 ; toile collée sur bois) ; 400 fr.
DRESDE. — Triomphe de Neptune. VENTE Dl; COMTE TIIIHAUDEAU, 1857. — Une assemblée:
MAYENCE.
— Les Dieux de l'Olympe (1652). dessin il la pierre noire, lavé de bistre, d'encre de Chine, et
MUNICH.
— Abraham et les trois anges ; Distribution de retouché il l'huile.
pain à des pauvres. VENTE DE LORD NORTIIWICK, 1859. — L'ne Dame avec iiii
STOCKHOLM.
— Diane avec ses nymphes. enfant endormi ; 18 guinées.
Sco-fe &âimande. %a&eaua> c/%idâwe eâ cie éeie,- g;o?ft?fat&

ERASME QUELLYN (LE VIEUX)


NÉ EN 1607.
— MORT EN 1678.

Le hasard ne se joue pas moins des réputations que du bonheur


et de l'existence des individus. Que de chances favorables dans
les succès des grands hommes! Combien d'eux eussent fléchi,
eussent perdu la moitié de leur valeur sous les outrages du
sort ! Que de gloires surfaites ! que de talents méconnus !
que d'injustices grossières commises non-seulement par les
contemporains, mais par cette postérité que l'on représente
comme toujours équitable! Un de nos poëtes n'en regrette-t-il
pas les infaillibles arrêts ?
Je ne paraîtrai point devant le trône austère,
Où la postérité, d'une inflexible voix,
Juge les gloires de la terre,
Comme l'Égypte, au bord de son lac solitaire,
Jugeait les ombres de ses rois.

La postérité n'appelle même pas un grand nombre de causes


qui devraient être plaidées à son tribunal; et alors comment les intéressés peuvent-ils obtenir justice .
Parmi les hommes supérieurs qui sont. restés hors de cour depuis deux cents ans, il faut placer en première
ligne Erasme Quellyn le vieux. Où sont ses admirateurs? Quels critiques l'ont prôné ? Quels historiens
lui ont assigné la place qu'il mérite? Ce noble esprit rôde depuis deux siècles dans la salle des pas perdus,
attendant l'heure de l'audience. Je me suis constitué une première fois son avocat d 'office; je vais prendre
de nouveau la parole en sa faveur. Si l'on veut considérer la perfection de ses ouvrages, sans se laisser
éblouir par le miroitement factice ou l'éclat réel des gloires depuis longtemps consacrées,
on verra que
bien peu d'artistes ont sur lui quelque avantage.
Erasme enseignait la philosophie à Anvers, une philosophie très-orthodoxe vraisemblablement,
comme
celle qu'on pouvait professer sous le règne de la Maison d'Autriche. Pendant qu'il analysait les systèmes les
moins périlleux conçus par l'intelligence humaine, Rubens occupait tous les esprits des merveilles de
son
pinceau, exaltait les imaginations par le spectacle de sa gloire. Le jeune docteur fréquentait maison et
sa
admirait ses tableaux. L'illustre coloriste, qui aimait les hommes distingués en tout genre, l'accueillait
avec
faveur. Ils parlaienttantôt de Socrate, de Platon et d'Aristippe, tantôt cie couleur et de dessin. Le visiteur
se sentait peu à peu entraîné vers l'art des savantes illusions, et finit par s'éprendre tellement de la peinture,
qu 'il voulut la pratiquer lui-même. Le grand homme ne lui offrit pas sans doute de lui en apprendre les
éléments, tâche ingrate que le premier venu pouvait remplir, car le philosophe, après avoir abandonné
sa
chaire, entra dans l'atelier d'un peintre obscur, nommé Verhaeghe, en 1633-1634; cette année même,
on
le reçut, comme fils de maître, à l'Académie de Saint-Luc.
Le tardif élève était alors âgé de vingt-six ans, puisqu'il avait vu le jour à Anvers le 19 novembre 1607,
et avait été baptisé à Notre-Dame le 22. Son père, qui portait le même prénom que lui, exerçait la profession
de sculpteur; il fut reçu membre de la corporation de Saint-Luc le jour où
son fils vint au monde. Son état
explique les goûts et la résolution du jeune Quellyn : l'attention du professeur avait été, dès
son enfance ,
dirigée vers les beaux-arts, et les souvenirs de la maison paternelle secondèrent l'action de Rubens. Il est
vraisemblable qu'il fit des progrès rapides, quoique nous n'ayons aucun renseignement à cet égard. Une fois
qu'il eut appris les rudiments de la peinture, son célèbre compatriote acheva son éducation. Sa modestie
avait besoin d'encouragementsperpétuels ; le grand peintre le rassurait, lui donnait confiance
en lui-même,
et comme le talent du disciple prenait un vigoureux essor, le maître put bientôt louer publiquement
ses
travaux. Quellyn cependant avait de la répugnance à les laisser voir, et il fallut encore que Rubens triomphât
de sa timidité.
La belle figure d'Erasme exprimait à la fois ses mérites intellectuels et ses qualités morales. La nature
lui avait donné une des plus charmantes têtes que l'on pût voir: un beau front, des
yeux pensifs, des
traits réguliers, une longue chevelure, un élégant contour, des moustaches et une impériale, le faisaient
immédiatement remarquer. Son air de douceur réfléchie, de bienveillance craintive, inspirait le désir
de se lier avec lui. Son élocution facile et abondante charmait ses auditeurs, l'habitude de la chaire ayant,
selon toute apparence, développé un talent originel. Quellyn passait d'ailleurs pour mener la conduite la
plus sage. Aussi le regardait-on comme un excellent parti, et les mères, les jeunes filles pensaient-elles
secrètement à lui. L'artiste put librement choisir parmi les belles Anversoises : une opulente héritière,
Catherine Hemelaer, obtint la préférence. Elle mit au jour trois fils, dont l'aîné devint plus tard aussi célèbre
que son père, quoiqu'il fût loin de posséder son imagination charmante et son habile exécution.
Ce serait un agréable travail que de raconter la vie d'un artiste si parfait, de le montrer dans
son intérieur,
où devaient régner 1 affection et l'élégance, dans ses relations avec tous les peintres, avec tous les hommes
distingués qui animaient et illustraient alors la ville d'Anvers. Mais les biographes néerlandais
nous ont
encore laissé moins de détails sur lui que sur la plupart des coloristes flamands. Il habitait, rue du Happart,
une maison qui porte maintenant le n° 619. En 1650, il était marguillier de l'église Saint-André, sa paroisse,
pour laquelle il fit deux tableaux qu'on y voit encore. Sa piété croissant avec l'âge, il fréquentait
perpétuellement les religieux. Les moines de l'abbaye Saint-Michel, à Anvers, le tenaient en grande estime :
il avait orné tout leur réfectoire de sujets empruntés aux livres saints et figurant des banquets, entre autres
les Noces de Cana, Jésus et la Madeleine chez Simon le Pharisien, la Cène, et les Pèlerins d'Emmaüs. Ces
peintures ont été probablement détruites en même temps que l'édifice; perte vraiment regrettable, puisqu'il
nous reste si peu de toiles authentiques de Quellyn et que presque toutes sont des chefs-d'œuvre.
L'influence de la domination espagnole, qui avait ramené les Flamands du protestantisme au catholicisme,
où elle les maintenait par la terreur, qui les poussait en outre vers le mysticisme et les rêveries
superstitieuses, se manifeste dans les ouvrages du grand peintre. Un livre contemporain, publié à Anvers
sous le titre suivant : Enchiridion Fidei christianœ (Manuel de la Foi chrétienne), renferme deux chapitres
curieux, l'un décoré de cette étiquette : Cum hereticis non est disputandum (il ne faut point discuter
avec les hérétiques); l'autre portant sur son frontispice cette charitable inscription : De hereticis
comburendis (on doit brûler les hérétiques). Effrayée de telles menaces, la population jadis éclairée des
Flandres tombait peu à peu dans une bigoterie ascétique. L'ancien maître de philosophie ne put s'en
préserver. Il dessina des images allégoriques pour les congrégations et les livres pieux. En 1656, notamment,

il décorait la première page de l'Année spirituelle, que faisait imprimerJuan de Palafox y Mendoça, évêque
d'Osma et membre du Conseil privé. On y voit un enfant que son bon ange tient par la main, en lui montrant
le ciel, tandis que Belzébuth lui saisit la jambe; plus bas, des têtes de damnés rôtissent dans le feu.
Insensiblement la dévotion fit aspirer Quellyn à la vie monastique. Ayant perdu sa femme, il se retira dans
l'abbaye de Tougerloo, où il termina tranquillement ses jours, le 11 novembre 1678, âge de 71 ans.
La manière de Rubens, le maître fougueux et dramatique, s'adoucit chez trois de ses élèves, prit sur
leurs tableaux une élégance, un charme poétique, dont on regrette parfois l'absence dans ses propres
ouvrages. Van Dyck, Érasme Quellyn et Jean van Hoeck forment cette gracieuse trinité. Quoique bien moins
célèbres que Van Dyck, les deux derniers ne lui étaient peut-être pas inférieurs; aussi beaucoup de leurs
tableaux sont-ils attribués journellement au peintre de Charles Ier. Quellyn a une délicatesse de formes,
une pureté de goût, une harmonie, un éclat, une suavité de couleur, qui autorisent à le mettre en
comparaison avec les princes de la palette. Quels chefs-d'œuvre éclipseraient le Saint Roch de l'église
Saint-Jacques, la Sainte Famille de l'église Saint-Sauveur, à Gand? Si on pouvait les placer dans une galerie
auprès des tableaux les plus fameux, ils soutiendraient sans désavantage cette rude épreuve. Le dernier
morceau représente une halte de la Fuite en Égypte; les trois personnages ont été surpris dans la solitude
par les ombres du soir; pour ne pas se perdre au milieu du désert, ils se sont arrêtés près d'une fontaine,
sous un palmier. Saint Joseph a pris l'enfant sur ses genoux, et la fille de David se tient debout devant lui,
les mains croisées; le nourrisson lui tend les bras dans un élan d'affection. Derrière la noble Israélite,
deux anges adultes paraissent attendre ses ordres. L'âne biblique, soigné par d'autres messagers divins,
se repose de ses fatigues. Des angelets folâtrent dans le ciel et dans la verdure des arbres. Telle est la
composition, que le langage peut expliquer; mais ce que ne peuvent rendre les mots, c'est le type admirable,
c'est le caractère majestueux du menuisier de Bethléem, l'exquise beauté de la Vierge et le profond
sentiment qui l'anime, la grâce des célestes envoyés, l'affectueuse expression du Christ et le goût parfait de
la disposition générale. L'œuvre entière annonce l'imagination d'un poëte. Le coloris, sombre et transparent
à la fois, comme l'exigeaient le moment où la scène a lieu et les nécessités de la peinture, émerveille
en
même temps par sa vigueur, par sa finesse, par son éclat et sa douceur.
Le Saint Roch d'Anvers enthousiasme à la première vue. Epuisé de douleur et de lassitude, le jeune
martyr se repose sur un tertre, où il appuie une de ses mains ; l'autre est soutenue par un bâton de voyage,
autour duquel il passe son bras. Son attitude et sa tête légèrement inclinée expriment la mélancolie; sa
Il
pâleur, ses yeuxmornes, ses traits fatigués attestent de longuessouffrances. regarde le ciel avec une résignation,
douce et triste. Ses beaux cheveux flottent amplement sur ses épaules. Il peut, du reste, passer pour l'image du
peintre, tant il lui ressemble. Deux anges adultes le soignent : l'un achève de panser la plaie de sa jambe,
l'autre s'apprête à le soutenir, s'il tombe en défaillance. Au pied du malade est couché le fameux chien
qui a donné lieu à un dicton populaire. Une forêt sombre et mystérieuse compose le fond du tableau. La
couleur, fine, intense, brillante et veloutée, n'est pas celle de Rubens : elle a un caractère spécial, un charme
irrésistible. Le dessin vaut le coloris, et l'habileté de la composition ne mérite pas moins d'éloges que le
dessin. On aurait peine à grouper dans un même espace plus de séductions pour l'esprit et pour les regards.
L'œuvre porte la signature du peintre et la date de 1660. Elle fut, sans le moindre doute, exécutée il
propos de la peste qui décima la population anversoise de 1658 à 1661.
Comment se fait-il que jamais un critique, un voyageur, un historien n'a publié une note pour signaler
ces deux merveilles à l'admiration publique? Tant de mérite et si peu d'appréciateurs! On répète
indéfiniment les mêmes observations sur quelques tableaux fameux, et l'on n'a pas consacré une ligne à
des toiles non moins excellentes ! Elles séjournent inconnues dans l'ombre de deux chapelles :
non-seulement la multitude passe auprès sans y faire attention, mais aucun artiste n'a eu l'idée de
les graver.
On a prétendu que la mort de Rubens affranchit, en quelque sorte, le talent de Quellyn, qu'il montra
depuis lors plus de hardiesse et d'originalité. Il serait difficile de révoquer en doute cette tradition ou de
la vérifier ; mais, si elle est exacte, le disciple fut affranchi de bonne heure, car il avait trente-deux ans
et quelques mois lorsque son maître cessa de vivre; or, il n'avait commencé l'étude de la peinture qu'à
l'âge de vingt-six ans. Jamais néanmoins il n'oublia les leçons du grand homme. Dans ses meilleurs
ouvrages, ses obligations envers lui s'effacent sans doute presque entièrement; l'élève a si bien transformé
la manière de son chef d'atelier qu'on en retrouve à peine des indices; mais quand sa verve s'attiédissait,
ou quand un souvenir de jeunesse passait, comme un rayon matinal, à travers sa fantaisie, on voyait
reparaître sur ses toiles le style de Pierre-Paul. L'Adoration des Bergers, par exemple, qui orne la cathédrale
de Saint-Rombaud, à Malines, dénote ces retours du peintre vers ses premières affections et ses premiers
travaux. La toile porte son nom et la date de 1669; il avait donc soixante-deux ans, lorsqu'il la couvrit de
personnages. Or, l'exécution rappelle tout à fait le goùt et les procédés de Rubens; ce sont les mêmes
chairs roses et abondantes, la même ampleur de formes, la même richesse de costumes. L'amarante
d'Otto Venius, qua Pierre-Paul aimait peu, reparaît sur les vêtements. La couleur, le dessin, l'aspect
général du tableau font immédiatement songer au chef de l'école anversoise. Les ombres sont seulement
plus fortes, d'où résulte une certaine exagération du clair-obscur, une opposition trop violente des parties

sombres et des parties lumineuses. Quoique la scène soit originalement conçue, l'élévation manque, aussi
bien que l'ardeur; le morceau. atteste une période passagère d'allanguissement.
La Cène qui décore, à Malines, l'église Notre-Dame et rappelle bien moins le style de Pierre-Paul,
dénote une plus vive inspiration. Le repas a lieu dans un portique sans toiture; un entablement soutenu
par d-e hautes colonnes se profile sur le ciel et sur des arbres majestueux. La noblesse et la variété des
types, les profonds sentiments qui animent les personnages, leurs excellentes attitudes, la puissance de
l'exécution et le charme de la couleur distinguent en même temps cet admirable
morceau. Je ne crois pas
que Van Dyck ait rien fait de mieux. Un jeune serviteur qui porte, sur le premier plan, deux vases de
cuivre attachés à un fléau, soutiendraitla comparaison avec les plus gracieuses créatures inventées
par le
génie de Raphaël. Les ombres étant d'ailleurs plus claires que dans les autres tableaux de Quellyn, l'œuvre
y gagne en harmonie.
C'est encore une production étonnante que le Christ sur le Calvaire, que possède l'église Saint-Nicolas,
à Gand. Le divin Martyr regarde le ciel avec un sentiment de douleur et de résignation merveilleusement
exprimé. Quelle belle tête que celle de la Madeleine, et quelles larmes tragiques tombent de
ses yeux
tournés vers le Rédempteur souffrant! Les autres acteurs du drame ne sont pas agités d'une moindre
émotion. La douleur de saint Jean ne pourrait s'accroître sans lui faire perdre connaissance. La toile est
sombre, parce que le soleil s'éclipse, mais toutes les formes demeurent nettes et distinctes dans
ces
ténèbres savantes.
Parmi les œuvres mystiques d Erasme Quellyn, il faut signaler le Triomphe de la Religion chrétienne, qui
orne l église Saint-Pierre, à Gand. Jamais figures emblématiques n'ont été peintes avec plus de bonheur.
Assise sur un char splendide et tenant en main l'ostensoir, la fille du Messie
avance malgré tous les obstacles.
Les roues du véhicule foulent l'Envie; l'Ignorance et la Sottise, chargées de liens, sont traînées à l'arrière.
Si le tableau mérite un reproche, c'est
que la jeune dialecticienne est trop belle : cette tête ravissante et ce
beau corps vous font oublier qu'on est devant un symbole, devant le songe gracieux d'un artiste. Une autre
allégorie, qu'on voit dans l'église Saint-André, à Anvers, n'a pas moins d'attrait poétique: elle représente
un
ange gardien protégeant son pupille contre les séductions du monde. Le sujet, clairement exposé, charme
l'esprit comme une légende, et le travail est digne de la composition. Le protecteur surnaturel, qui lutte
contre la Volupté, l'Ambition et l'Envie, a réellement l'apparence d'un être céleste. Dans
son regard brille
une colère profonde, mais digne et contenue, d'un caractère éminemment tragique. La toile porte une
signature complète : E. Quellinus fec. anno 1667, œtat. suce 59.
Si l auteur a su animer, rendre agréables de pareils motifs, c'est qu'il possédait
une imagination pleine de
grâce et de poésie : ses tableaux font quelquefois penser aux ballades septentrionales,
aux récits de la veillée,
aux contes populaires. Tel est celui qui représente le Ménagé de saint Joseph. Devant une cheminée où
se dressent de grands chenets flamands, la Vierge est assise dans un fauteuil d'osier, comme une simple
t
mère de famille. Le jeune Emmanuel dort sur ses bras, tout emmaiiloté. Un petit
ange suspend par les
deux coins un lange devant le feu, pour qu'il sèche. Près du foyer, on aperçoit
un vase plein de bouillie
•où trempe une cuillère. Un autre angelet bat les oreillers du Christ et met en ordre
son berceau. Tenant un
ciseau et un maillet, saint Joseph s'appuie sur le dossier du fauteuil et semble parler à la Vierge, qui l'écoute.
Ne dirait-on point un épisode des vieux contes publiés par l'évêque Percy,
par Clément Brentano et les
frères Grimm ?
Je suis persuadé qu'un grand nombre de toiles admirées comme des tableaux de Van Dyck, soit dans
les musées, soit dans les cabinets d'amateurs, sont dues au pinceau de Jean van Hoeck et à celui d'Erasme
Quellyn. Les marchands ont effacé la signature, ou ont profité de ce qu'elle manquait,
pour baptiser
ces pages d 'un nom qui augmentait leur valeur vénale. L'ignorance des acheteurs et leur vanité sont
devenues les complices de la fraude. Il serait donc important de bien examiner toutes les
œuvres qu'on
attribue au peintre de Charles Ier. Un homme qui connaîtrait parfaitementle style de Quellyn le vieux et la
manière de Van Hoeck pourrait ainsi leur restituer de magnifiques ouvrages. N'est-ce pas
une suprême
injustice de vouloir concentrer' toute la gloire sur un petit nombre d'individus,
comme on le fait
généralement, et, pour y parvenir, de reléguer les autres dans l'ombre, après avoir enlevé de leur front
des couronnes aussi bien méritées que celles des favoris du destin ?
Erasme eut pour élève son propre fils et un nommé Van den Kerkhove. Celui-ci fut un des artistes qui
contribuèrent à fonder l académie de Bruges, et son premier professeur. Il existe deux tableaux de sa main
dans l'église Saint-Jacques de la dernière ville : l'un représente le sacrifice d'Abraham, l'autre le jeune
Tobie conduit par l'Ange. On lui attribue une toile de l'église Saint-Gilles, où l'on voit le Pharisien le
et
Publicain priant à leur manière dans le temple, selon la parabole de l'Évangile.
Des hommes sans discernement ont voulu faire d'Erasme Quellyn le jeune le dernier grand peintre de
l école d 'Anvers. On
ne disait presque rien de son admirable père ; on ne disait rien surtout qui pût
expliquer à la foule inattentive, aux amateurs ignorants, son esprit poétique, le charme de
son dessin et
les merveilles de sa couleur. Jamais Descamps, si peu en garde contre les méprises,
ne s'est montré
moins judicieux que dans son chapitre sur Quellyn le jeune; il traite le père
avec un sans-façon ridicule

et vante le fils au delà de toute proportion. Ses œuvres cependant


ne sont pas de nature à exciter
l 'enthousiasme. Loin de soutenir la gloire conquise
par une légion de peintres fameux, il annonce plutôt la
décadence et la ruine de l'école flamande. Pour
un homme qui regarde et qui juge, ses œuvres portent
évidemment les signes e la médiocrité. Descamps n'avait fait,
au reste, que suivre les traces d'Houbraken
et de \\ eyerman ; à son tour, il a été pris au mot par certains copistes belges de notre temps.
Mais ces aveugles panégyristes, les premiers du moins et les seuls qui comptent, détruisent eux-mêmes
leur opinion. Weyerman et Descamps regardent la Piscine de Bethsaïde, qu'Erasme Quellyn avait peinte
pour l église de l'abbaye Saint-Michel, comme son œuvre principale, non-seulement à cause de son
étendue, mais à cause de son mérite. Le premier en fait des éloges si enthousiastes qu'ils sont absurdes
:
on ne parlerait pas autrement d'une merveille qui réunirait toutes les qualités. L'artiste l'exécuta en 1672,
à l âge de quarante-trois
ans, époque où il devait n'avoir rien perdu de sa force. Il y attachait lui-même
une grande importance, car il s'y est représenté avec sa femme, ses enfants et ses disciples. Jésus, suivi
de ses apôtres et entouré de curieux, se penche vers l'onde salutaire qu'un ange a dû toucher pendant
la nuit. Une colonne supportant une galerie encadre la scène. Parmi les groupes on remarque une jeune
mère montée sur un âne et le paralytique portant son lit. Telle est la disposition générale de ce morceau,
qu'on pourrait définir une toile à grand spectacle, les accessoires occupant les trois quarts de la superficie.
L'exécution est généralement dure; les demi-tons, les finesses de pinceau, les ombres diaphanes, que
recherchent tant les grands peintres, n'adoucissent pas les transitions. Quelques personnages sont même
grossièrement brossés. Plusieurs têtes ont une vive expression, notamment celle de la femme montée sur
un âne, celles du paralytique et des jeunes apôtres; mais, en somme, le dessin, la couleur, l'invention,
le sentiment, l'adresse technique ne dépassent point? la région moyenne à laquelle peuvent atteindre
la plupart des artistes.
Campo Weyerman prétend que ce tableau a été gâté par un vernisseur, allégation qui aurait besoin de
preuves. Les autres toiles du Musée ne lui paraissaient point avoir subi le même outrage, quand il les vit
il leur place primitive. Elles n'ont pas un meilleur aspect cependant, et ont poussé au noir comme la

Piscine de Bethsaïde. Les trois morceaux qui représentent les martyrs de Gorcum sont aussi des œuvres
médiocres. Dans les deux premiers (n°' 325 et 326), toutes les têtes ont le calme de l'insignifiance.
Le Christ chez Simon le Pharisien ne mérite pas plus d'éloges. C'est un travail essentiellementmédiocre,
de la colonne
pour ne point dire mauvais. J'en pourrais citer d'autres qui ne valent pas mieux. Du sommet
triomphale dressée en l'honneur de Quellyn le jeune, il faut donc abattre son image et y substituer celle
de son père, si injustement voué à l'oubli.
ALFRED MICHIELS.

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Le Musée du Louvre ne renferme aucun tableau d'Érasme Je regarde comme de Quellyn deux tableaux que renferme
Quellyn le vieux. l'église du Sablon, à Bruxelles: l'un ayant pour sujet la mort
L'église Saint-Sauveur, à Bruges, possède deux belles de sainte Barbe ; l'autre, une sainte qui refuse de sacrifier
pages de sa main : l'une représente une scène mystique, où aux idoles; et le saint Augustin offrant à Dieu un cœur
saint Augustin lave les pieds de Jésus; l'autre, le docteur enflammé que possède l'église de la Chapelle, dans la même
méditant sur le mystère de la Trinité. Le premier tableau ville.
porte la date de 1666; tous deux proviennent de l'ancien Comme Van Dyck, Érasme avait peint presque tous les
monastère des Augustins. artistes fameux de son temps. Que sont devenus ces portraits?
On attribue à Érasme une toile de la même église, figurant Une inscription placée sous son image, dans le Cabinet d'or
saint Antoine de Padoue, qui fait agenouiller un âne devant le de Cornille de Bie, nous apprend qu'il exécutait de petits ta-
Saint-Sacrement. bleaux ; il serait important de les rechercher. La même note
Deux tableaux inférieurs de Quellyn figurent dans le Musée assure qu'il entendait fort bien la perspective et brillait par
d'Anvers : le numéro 283 représente saint Bruno qui res- son talent d'architecte. Baldinucci (tome XVII, p. 54 et 55;
suscite un petit enfant ; le numéro 284, le même saint qui n'a fait que traduire cette inscription.
guérit un homme mordu par un serpent. Érasme a gravé des planches peu étendues, aussi bien
Une Sainte Famille, signée en toutes léttres, décore une d'après ses tableaux que d'après ceux de son maître. Bolswert,
chapelle située près de l'hôtel du gouvernement provincial, -,'l Pierre de Jode, Vorsterman, Pontius et d'autres artistes ont
Anvers. reproduit sur le cuivre ou l'acier quatre-vingts de ses toiles,
Une composition allégorique, signée et datée de 1665, orne sinon davantage. Notre Cabinet des estampes n'en possède
l'église Saint-Quentin, à Louvain; elle nous montre la Vierge qu'un très-petit nombre; les administrateurs devraient re-
tenant l'Enfant Jésus dans ses bras et écrasant la tête du garder comme indispensable d'acheter les autres.
serpent; au bas, saint Joachim et sainte Anne; dans le loin-
tain, Adam et Ève chassés du Paradis.
(o'co/e ^camanc/e. %úéæ?<e, I*eld re&Mfiuv.

THÉODORE VAN TULDEN


NÉ VERS 1607. MORT VERS 1676.

Nous sommes à peu près en mesure d'apprécier à sa


valeur l'œuvre de Théodore van Tulden; mais quant à
consacrer au laborieux artiste une biographie définitive, il
n'y faut pas songer encore. Les dates précises de sa naissance
et de sa mort ont échappé jusqu'à présent aux investigations
des chercheurs; tout ce qui touche à ses voyages est resté
voilé d'incertitude, et, pour le connaître à fond, il y aurait
beaucoup à trouver, beaucoup à oublier peut-être.
D'après des conjectures qui, en raison de leur vraisemblance,
peuvent être provisoirement acceptées, Théodore van Tulden
serait né à Bois-le-Duc vers 1607. Il vint à Anvers de fort
bonne heure, puisque, dès l'année 1621-1622, il y entrait en
apprentissage chez un peintre, d'ailleurs inconnu, Abraham
Blyenberch. Mais le véritable maître de van Tulden, ce fui
Rubens, dont les œuvres éclatantes étaient alors la leçon de
tous les jeunes artistes. Qu'il ait ou non fréquenté l'atelier
du maître, van Tulden s'appropria de son mieux sa grande
manière. Ses progrès furent d'ailleurs rapides, car on sait
qu'il fut reçu, en 1626-1627, dans la corporation de Saint-Luc.
Les biographes assurent que van Tulden fut employé par Rubens à l'exécution des peintures de la galerie
de Marie de Médicis ; Descamps va jusqu'à dire qu'il fut un de ceux qui accompagnèrent le glorieux artiste
à Paris. Ces assertions ne sauraient être acceptées qu'avec réserve. Il est extrêmement douteux que,
dans les trois voyages qu'il fit à Paris, de 1621 à 1625, Rubens ait amené avec lui aucun de ses élèves : il
n'en avait nul besoin puisqu'il ne peignit en France que les esquisses de la galerie et quelques études d'après
nature. Les tableaux que nous admirons aujourd'hui au Louvre furent peints à Anvers. Quoi qu'il en soit,
cette somptueuse décoration était terminée et mise en place au printemps de 1625, c'est-à-dire à une époque
où van Tulden n'était encore qu'un apprenti attendant son brevet de maîtrise.
Mais si le jeune artiste ne vint pas à Paris avec Rubens, il y arriva la. plus tôt possible, et
vraisemblablement en 1632. Le général de l'ordre des rédemptoristes, Louis Petit, faisait alors restaurer
la chapelle de son église. Pourquoi s'adressa-t-il à van Tulden? comment l'avait-il connu? on l'ignore;
mais il est certain qu'il chargea l'artiste flamand de peindre une série de petits tableaux qui, encastrés
dans la boiserie du chœur, au-dessus des stalles des religieux, représentaient les principaux épisodes de
la vie de Jean de Matha, fondateur de l'ordre, et de son acolyte Félix de Valois. Ces tableaux étaient fort
estimés; mais on ne paraît pas en avoir pris grand soin, puisque, à l'époque où Descamps écrivait son livre
(1754), ils avaient déjà été «repeints prcsqu'en entier)); au temps de Mariette, la série de ces tableaux n'était
plus complète ; enfin ils disparurent tout à fait et l'on ignore ce qu'ils sont devenus. Heureusement, van
Tulden avait eu la précaution de les graver à l'eau-forte. Son recueil se compose de vingt-quatre planches
et d'un frontispice daté de 1633. Ce sont des gravures légères, insuffisantes, où les formes sont indiquées
plutôt qu'écrites, et qui témoignent d'une grande facilité et d'une ambition qui se satisfait à peu de frais.
On ignore combien de temps van Tulden demeura à Paris. Descamps veut qu'il ait « parcouru une partie
de la France. » Il se pourrait que ces excursions lointaines se fussent bornées à une promenade à
Fontainebleau. Les merveilles qui décoraient le château étaient d'autant plus précieuses à van Tulden, qu'il
trouvait, dans les peintures de Rosso et du Primatice, comme un rayonnement de cette Italie qui troubla
toujours ses rêves et qu'il ne lui fut cependant pas donné de connaître. Il admira surtout la galerie oùNicolo
dell' Abbate avait raconté les travaux et les aventures d'Ulysse. lien fit même des croquis un peu sommaires
et il les grava à l'eau-forte, en cinquante-huitplanches, qu'il dédia, en 1633, à M. le duc de Liancourt. Le
vandalisme des architectes de Louis XV a donné beaucoup de prix aux gravures de van Tulden, car ce
recueil est tout ce qui nous reste aujourd'hui des fresques de Nicolo dcll' Abbate. Mais les planches de
l'artiste flamand ne sauraient nous consoler de ce que nous avons perdu. Nous ne pouvons voir, dans les
eaux-fortes de van Tulden, qu'une traduction approximative, et, disons le mot, inexacte. La fleur du génie
italien et sa grâce ont presque complètement disparu dans ces imitations lâchées et à peine correctes. Van
Tulden a aimé la belle langue que parlait Nicolo dell' Abbate; on peut assurer qu'il ne l'a pas comprise.
Après avoir improvisé ce travail, qui ne l'occupa sans doute que quelques mois, quelques semaines
peut-être, Théodore van Tulden retourna à Anvers, et il y assista, en 1635, à la triomphante entrée de
Ferdinand d'Autriche. Il fut même employé à peindre les décorations que les magistrats firent élever à cette
occasion, et ici du moins il fut vraiment le collaborateur de Rubens. Le grand artiste avait été l'organisateur
suprême de cette fête : il donna lui-même les modèles des arcs de triomphe qui furent dressés sur divers
points de la ville. Van Tulden, s'inspirant des leçons du maître, fit celui de la place de Meir. Le musée
d'Anvers possède encore la double esquisse représentant les deux faces de ce monument d'un jour. Quoique
rapides et lâchées, ces peintures doivent, selon nous, être citées au premier rang dans l'œuvre de van
Tulden. Elles montrent avec quelle aisance le jeune artiste avait su s'approprier les procédés et le coloris
de Rubens : malgré quelque indécision dans la forme, elles demeurent comme un excellent témoignage de
son habileté et de la prestesse de sa manœuvre. Van Tulden devint un peu plus tard l'historiographe de
l'entrée du prince Ferdinand. Il grava à l'eau-forte les arcs de triomphe et les chars qui avaient servi lors de
cette solennité, et, associé à Gevartius, qui rédigea le texte, il publia son œuvre en un beau volume, sous
le titre de Pompa introïtus Ferdinandi Austriaci, Riçl)aîziarum Infantis in urbem Antverpiam (1642).
Sur ces entrefaites, van Tulden s'était marié; le 24 juillet 1635 il avait épousé, à Anvers, la jeune Marie
van Balen, fille du peintre célèbre dont nous avons raconté l'histoire, et filleule de Rubens. L'année suivante,
il obtint le droit de bourgeoisie; enfin, la corporation de Saint-Luc lui confia les fonctions de doyen pour
l'année administrative 1638-1630.
A partir de cette époque, la vie de van Tulden présente, il côté de quelques faits certains, bien des pages
obscures. Le catalogue du musée d'Anvers, qui a jeté une si vive lumière sur la biographie des peintres
flamands, se borne à mentionner Cil deux mots le nouvel ouvrage que van Tulden fit, en 1647, pour Paris.

et peut-être même à Paris. Nous compléterons de notre mieux ces indications trop sommaires. Le général
des mathurins, Louis Petit, songeait toujours à son église; il entreprit de faire reconstruire le maître-autel, et
il confia à van Tulden le soin de le décorer. Celui-ci peignit — nous citons ici Germain Brice « trois

« tableaux que l'on change suivant les


saisons; ils représentent la Sainte Trinité, la Pentecôte et Y Assomption
« de la Vierge. » Il fit aussi pour une chapelle le Martyre
de sainte Barbe, où Mariette signale « une
assez juste application des principes de Rubens.» On a démoli le couvent des mathurins,
mais on a conserve
les trois tableaux qui décoraient l'autel. Nous croyons du moins les reconnaître dans la Trinité
ou la
Composition mystique du musée de Grenoble, tandis que la Pentecôte serait au Mans et Y Assomption à
Angers. Ces œuvres ont perdu à être dispersées: réunies, elles devaient constituer un grand ensemble décoratif,
il la manière des triptyques de Rubens. Ajoutons que van Tulden dessina et
grava, en 1649, le maître-autel
qu'il avait enrichi. Nous avons de grandes raisons de croire qu'il fit ce travail d'après nature, et à Paris même.
Nous ignorons à quelle époque van Tulden se retira à Bois-le-Duc. Il était sans doute fixé dans sa ville natale
lorsqu'il prit part, avec Jordaens, Jean Lievens et Gérard Honthorst, à l'exécution des peintures de la
Maison-du-Bois, aux portes de La Haye. Il y peignit plusieurs épisodes de la vie du prince d'Orange,
Frédéric-Henri, et aussi quelques autres tableaux qui, comme Vulcain forgeant les armes d'Énée, n'ont
aucun lien apparent avec l'histoire du prince. Nous savons d'une manière plus certaine que l'artiste était il
Bois-le-Duc,en 1656, lorsqu'il dessina les cartons de divers vitraux pour Sainte-Gudule. L'auteur de Bruxelles
illustré, J.-A. Rombaut, raconte, en effet, qu'on retrouva, au siècle dernier, les modèles qu'il avait faits il
cette occasion, et qui portaient, avec son nom, l'inscription suivante: Anno 1656, habitante SylvœDucis. Au
moment où Corneille de Bie achevait son livre (1662), van Tulden vivait encore à Bois-le-Duc. Nous le
perdons de vue après cette date. Immerzeel le fait mourir vers 1676.
Théodore van Tulden paraît avoir été un infatigable ouvrier. Les églises de la Belgique ont conservé de lui
de nombreux tableaux. On en peut voir aussi à Madrid, à Vienne, à Berlin. Le Louvre possède le Christ
apparaissant à la Vierge, grande page médiocrement émouvante, où l'imitation systématique de Rubens se
trahit dans la couleur, dans les attitudes, dans la lumière. Le musée de Bruxelles est mieux partagé, car on
y peut étudier van Tulden sous les deux aspects de son talent. La Kermesse de village est une réminiscence
de celle de Rubens. Des groupes avinés, de rustiques musiciens, des femmes entraînées dans
une folle
sarabande détachent gaiement leurs éclatants costumes sur un grand paysage clair. C'est là une peinture
d'une saveur bien flamande, mais pour ceux qui se rappellent le chef-d'œuvre de Rubens, la Kermesse, dont
van Tulden lui a emprunté le sujet et jusqu'à la disposition générale, n'est que la contrefaçon en vile prose
d'un poëme merveilleusement rhythmé. Le pinceau de van Tulden s'y montre rugueux, lourd, embourbé. C'est
aussi au musée de Bruxelles qu'est le Christ à la co.lonne, le plus sérieux des tableaux de l'artiste. Ici du
moins le peintre a eu le sentiment du sujet qu'il voulait traiter, et la coloration assombrie dont il a voilé sa
toile donne à cette page sévère un grand caractère de mélancolie.
Ce tableau, avouons-le, est presque une exception dans l'œuvre de van Tulden, si
peu ému d'ordinaire et
si absent des compositions qu'il improvise en se jouant. Peintre d'allégories, de scènes familières, de sujets
religieux, dessinateur de vitraux, graveur à l'eau-forte, il a été en toutes choses léger, rapide et facile jusqu'à
la négligence; l'à-peu-pr. lui a suffi, et il semble qu'il n'ait vu dans les fières méthodes de Rubens qu'un
procédé expéditif pour abattre en peu de temps beaucoup d'ouvrage. La gravité lui fait défaut, et peut-être
la conviction. Il est comme ces grands parleurs qui manquent presque toujours leurs effets parce qu'ils
n'ont pas l'air de croire aux belles histoires qu'ils racontent.
PAUL MANTZ.

IKEISMIIS ITT HHlII(Gra®ïï8


MUSÉE DU LOUVRE. - Le Christ apparaissant à la Vierge.
Signé T. van Tulden f. (Collectionde Louis XVI.)
GAND. — (SAiNT-MicHEL).
GRENOBLE.
— Martyre de saint Adrien.
— Composition mystique, signé : Théod. van
ANGERS. — Assomption de la Vierge. Tulden fec. Ao 1647.
ANGLETERRE.— GALERIE DE M. H. GALTON, A HADZOR.
— LE MANS. — Descente du Saint-Esprit.
Le Combat des Amazones. MADRID. — La Découverte de la pourpre; Orphée.
ANVERS. — Arc de triomphe élevé sur la place de Meir ROUEN. — L'Adoration des Mages.
lors de l'entrée de Ferdinand d'Autriche (dèux esquisses). VIENNE. — La Vierge sur un trône; à ses pieds, trois
Portrait de Benoit van Tulden, frère du peintre. figures représentant la Flandre, le Brabant et le Hainaut.
BERLIN. — Triomphe de Galatée. Signé: T. van Tulden fecit. A0 1654. La Visitation.
BRUXELLES.- Kermesse de village ; le Christ à la colonne, VENTE MICHEL OUDÀAN (Rotterdam 1766).
— L'Arrivée
gravé à la page 3 de cette biographie. d'Ulysse à Ithaque, dessin, 44 florins.
(oco/f &fanianc/e. wa/faaied, So-m'efaaAand.

JOSEPH CRAESBEKE
N'É VERS 160R. — MOUT E:X ¡(¡lil<,

Ce Craesbeke était boulanger de sa profession, mais c'était de par


la nature un véritable peintre. Il eut la chance de connaître Adrien
Brauwer par le mauvais côté et de lui ressembler par le bon. Il eut
comme lui des habitudes grossières, le goût de la débauche et du
cabaret, mais comme lui il fut un peintre excellent.
Né à Bruxelles vers 1608, il s'était établi à Anvers et il y cuisait
le pain, lorsque Adrien Brauwer, revenant d'Amsterdam, se présenta
aux portes d'Anvers sans passeport, fut mis en prison, délivré par
Rubens et généreusement recueilli dans la maison de ce grand
peintre. On sait qu'ennuyé bientôt de la vie réglée qu'il menait chez
Rubens, Brauwer ne songea plus qu'à se dérober à une hospitalité qu'il
trouvait plus gênante que la misère. Ce fut alors qu'il fit la rencontre
de Craesbeke, joyeux compagnon qui avait une jolie femme, mais qui
lui préférait sa pipe et son pot de bière. La conformité de leurs goûts les
ayant bientôt liés, ils s'y abandonnèrent avec toute la violence de leur tempérament et devinrent inséparables.
Craesbekedégoûté de son métier, passait sa vie chez Brauwer, l'accompagnait à la taverne, le suivait dans son
atelier. L'artiste voyant que son ami s'intéressait à la peinture et qu 'il le regardait curieusement travailler, lui
proposa de se faire peintre. Celui-ci avait observé comment le maître faisait sa palette, ébauchait, laissait
sécher sa toile et revenait ensuite sur son esquisse pour la préciser, la glacer, lui donner les derniers accents
:
il se trouva qu'il savait déjà peindre. Il ne fut donc pas plus tôt l'élève de Brauwer qu'il devint
son émule, et
comme les sujets que son maître aimait le plus étaient ceux qu'il pouvait chaque jour étudier avec lui au cabaret,
il se mit à peindre à son exemple des tabagies, des corps-de-garde, des querelles de
gens ivres, des chanteurs
ambulants, des bohèmes faisant la grimace. Mais s'il n'eut pas à se mettre en frais d'imagination pour
composer ses petits tableaux, en revanche il y dépensa un merveilleux talent d'exécution, celui qu'il tenait
de la nature plus encore que de Brauwer. Praticien consommé, aussi habile et plus chaud
que Teniers
lui-même, Brauwer savait au besoin finir un tableau, et s'il se contentait souvent d'une esquisse terminée
ou d'une peinture enlevée au premier coup, c'est qu'il était pressé de payer l'hôtesse de son bouge ou le
fripier qui l'habillait. Mais Craesbeke qui peignait d'instinct et qui naturellement avait le secret, comme
dirait Diderot, ne se donnait pas le temps de finir et jetait son impression sur la toile avec une verve
étonnante. Peindre, c était un plaisir pour lui presque autant que de boire, et il l'a lui-même très-gaîment
confessé dans ce tableau qu'on appelle l'Atelier de Craesbeke et qui est son chef-d'œuvre. Le Louvre possède,
heureusement pour nous, cet admirable morceau. Le maître y a donné tout à la fois une idée de son genre de
vie et un brillant échantillon de son talent. Craesbeke s'est représenté assis devant
son chevalet, dans une
chambre qui n'a pour tout meuble qu'un lit, une table, un escabeau et un méchant fauteuil sur lequel
pose
le modèle. Le peintre n'en est encore qu'à l'esquisse du personnage dont il fait le portrait,
que déjà l'on
apporte des rafraîchissements.Tandis qu'un valet entre dans l'atelier un plateau à la main, un autre paraît
offrir un verre de vin à Craesbeke qui s'interrompt pour jeter sur la dive liqueur regard plein d'onction et
un
de tendresse. On a cru longtemps que le modèle était Brauwer lui-même, et qu'ainsi Craesbeke s'était peint
faisant le portrait de son maître; mais comme l'a très bien fait observer l'auteur des notices du Musée Filhol,
ce personnage richement vêtu qui seul reste couvert, le serviteur ou du moins le courtisan et le petit page qui
se tiennent chapeau bas derrière ce seigneur, dans une attitude respectueuse, le musicien qui, pour égayer
la séance, a été chargé de chanter une romance en s'accompagnantde la guitare, la tenue même de modèle
ce
et ses beaux habits, tout démontre que le tableau ne représente pas Brauwer chez Craesbeke, c'est-à-dire un
artiste chez son camarade. Le peintre en titre des tripots, des goujats et des ivrognes se passait parfaitement
bien de musiciens et de pages, sans parler de sa physionomie qui ne ressemble ici, en aucune façon, à celle
qui nous est si bien connue par le beau portrait de Van Dyck. Le seul détail vraisemblable, dans cette
hypothèse, est celui des verres à boire et des plateaux.
Quoi qu'il en soit, l' Atelier de Craesbeke est un des plus jolis tableaux de l'école flamande au Louvre. Les
artistes en aiment le bel empâtement, les draperies souples, le ton moins chaud que celui de Brauwer, mais
non moins transparent, les beaux gris qui rappellent ceux de Vélasquez, la touche franche, spirituelle,
expressive, indiquant à merveille les plans de chaque objet, un peu heurtée, mais d'un excellent effet à
distance. Et ceux-là mêmes que ces qualités purement techniques n'intéressent guère, ou qui ne sauraient
les apprécier, y admirent encore le naturel de la composition dans un petit sujet qui pourtant est traité
avec
une certaine ironie, la grimace sentimentale du chanteur de romances, grimace qui se répète plusieurs fois
dans un tableau que l'on voit accroché à la muraille de ce modeste atelier, les airs penchés du peintre
jetant sur son verre un regard tendre, l'attitude aisée, la mine ravie du modèle qui porte son petit chien
avec tant de bonhomie, enfin le petit page que l'on a si drôlement attaché à l'épée de son maître.
Mais tandis que Brauwer et Craesbeke couraient les tavernes et menaient joyeuse vie, le boulanger crut
s'apercevoir que sa femme avait distingué la belle figure de Brauwer et ces façons de gentilhomme qu'il savait
prendre parfois en les variant de pasquinades. Il en conçut de la jalousie, d'autant qu'il était lui-même
puissamment laid... Voulant s'assurer s'il était encore aimé de sa femme, il imagina un stratagème qui ne
pouvait, dit Descamps, partir que d'une tête comme la sienne. Il se peignit sur la poitrine une blessure
épouvantable, teignit de rouge sa chemise, ses draps, son couteau à palette, et se laissa tomber sur son lit
en poussant les gémissements lamentables d'un homme qui va rendre le dernier soupir. Sa femme, accourue
à ses cris, lui donna des marques de douleur si vives, si sincères, que le peintre, heureux de se croire aimé,
se jeta dans ses bras, lui fit voir que sa plaie était peinte, que son sang n'était que du cinabre, et lui avoua
que, dans un accès de jalousie, il avait voulu mettre sa tendresse à l'épreuve. Toutefois, Craesbeke ne fut
pas plus tôt sûr de l'affection de sa femme, qu'il reprit son train de dissipation et de libertinage, car soudain
qu'elles sont à nous, nous ne sommes plus à elles, dit Montaigne. Mais Brauwer et lui s'étant permis quelques

plaisanteries un peu fortes, du genre de celles qui amusent les ivrognes, la justice d'Anvers crut devoir
intervenir, et Brauwer fut invité à évacuer le pays. Nos deux amis se séparèrent, et Craesbeke, dont la
jalousie s'était un instant réveillée, n'en fut peut-être que médiocrement affligé.
D'après le petit nombre de tableaux que ce peintre a laissés, on peut croire qu'il n'abandonna pas
complètement sa profession de boulanger et qu'il fit de la peinture seulement en amateur. Cependant
Craesbeke pouvait exercer son art à un autre titre, et ce fut vraiment un maître. Malheureusement il se plut,
non-seulement à observer la nature sans choix, mais à la représenter plus laide encore que le hasard ne la lui
offrait. Il semble que, non content de ne pas rechercher la beauté, il ait eu des préférences pour la laideur.
Ainsi les biographes nous apprennent qu'il aimait à peindre les plus ignobles grimaces et qu'il passait
quelquefois des heures entières devant son miroir à dessiner les contorsions volontaires de son visage et les
plis qu'y avait creusés la jovialité habituelle de son gros rire. Souvent, dit Houbraken, il se mettait un
emplâtre sur l'œil en ouvrant une bouche effroyable. C'est ainsi qu'il osa faire plusieurs fois son portrait,
notamment celui qui eut l'honneur de figurer dans le célèbre cabinet du comte de Yence, et que François
Basan a gravé. Par exception, il est arrivé à Craesbeke d'oublier les habitudes de sa vie et celles de son
esprit, pour peindre de beaux portraits dans un style décent, par exemple, ceux des principaux maîtres en
fait d'armes de la ville d'Anvers, dont il représenta dans le même tableau les différents exercices, tableau
qui se trouvait au dernier siècle dans la salle de leur confrérie, et qui peut-être y est encore. Mais, à part ce
caprice, les goûts dominants de Craesbeke se retrouvent dans presque toutes ses peintures, et celles-là sont
les meilleures, il faut bien le dire, parce qu'elles présentent les qualités du maître dans toute leur force,
c'est-à-dire que sa verve n'y est pas refroidie par ces convenances qu'on ne saurait observer avec fruit que
lorsqu'on en a un sentiment véritable. Chose surprenante que l'art du peintre! Partout où il est présent, la
laideur se tolère, la grossièreté disparaît, l'inconvenance s'oublie, et l'ignoble même, quoique impardonnable,
est cependant pardonné.

CHARLES BLANC.

lâMlMElK JET miWMiïDlSo

Les tableaux de Craesbeke sont rares. On doit penser du le tome III du Musée Filhol et dans le Musée Landon. Mais
reste que plusieurs de ses ouvrages ont été attribués à ces diverses gravures ont fort mal rendu l'esprit du maître.
Brauwer. On ne le retrouve tout entier que dans une admirable litho-
LE LOUVRE ne possède qu'un seul tableau de Craesbeke, graphie faite par M. Gigoux en 1832, et publiée par le
mais qui peut passer pour son chef-d'œuvre.C'est celui qui journal la Liberté, Revue des arts.
est connu sous le titre : l'Atelier de Craesbeke. Ce tableau, Basan a gravé le portrait du peintre qui était dans le
dit le catalogue, fut acheté par M. d'Angivilliers comme une cabinet de Vence et qui le représente la bouche démesuré-
œuvre de Brauwer et on l'inscrivit au livret de la première ment ouverte, un emplâtre sur l'œil. In-fol.
exposition du Musée en 1793, sous ce titre : Atelier de Maleuvre a gravé pareillement in-folio, sous le titre de le
Brauwer peignant un portrait. Roupilleur, un gros Flamand assis devant une table servie.
LE MUSÉE DE BRUXELLES n'a qu'une Tabagie Flamande,
— Tiré de la mème collection.
mais le MUSÉE D'ANVERS n'a aucun tableau de Craesbeke, et L'attribution de quelques tableaux de Craesbeke à Brauwer
cela peut surprendre. explique pourquoi on rencontre si rarement dans les ventes
MUSÉE D'AMSTERDAM. Portrait en pied de Hugo de Groot publiques des tableaux du premier de ces deux maîtres.
(Grotius) dans son cabinetd'étude. VENTE COMTE DE VENCE Un buveur endormi sur sa
.
GALERIE DU BELVEDÈRE à Vienne. Trois soldats en conver- chaise; il est proche du poèle et d'une table servie de
sation avec deux femmes assises sur une muraille en différents mets, aussi bien touchés qu'ils paraissent exquis.
ruines. Le fond est un paysage avec des fabriques. Bois, seize pouces sur douze : -100 liv.
Descamps cite comme des tableaux connus de Craesbeke, Le portrait de Craesbeke faisant la grimace. Il tient
une Femme ratissant des carottes de la collection Lormier une pipe et un verre à boire. Bois, treize pouces environ
à la Ilaye, et un Ermite en prière qui appartenait du temps sur dix. On en a l'estampe gravée par Beauvarlet. (Le cata-
de ce biographe à M. Cauwerven de Middlebourg. Cet auteur logue se trompe ici : l'estampe est de Basan.) 21 liv.
cite encore comme étant dans son propre cabinet, à Rouen, VENTE CARDINAL FESCH, 18^0. Les dangers d'une orgie.
un tableau capital peint sur bois. Ce sont des paysans qui A la suite d'une partie de cartes et après avoir bu outre
s'égorgent dans une guinguette. « Tout y est renversé, mesure, deux rustres se sont pris de querelle. L'un est
dit-il, tables, pots, verres, hommes, femmes et enfants; saisi à la gorge et renversé par l'autre sur un tonneau qui
ici un des combattants est étendu mort, un autre tient à la est entraîné dans sa chute, ainsi que la table, les certes et
gorge celui qui l'a blessé d'un coup de couteau : ce tahleau le pot de bière. Leurs femmes cherchent à les séparer. La
est entièrement dans la manière de Brauwer. n mèlée devient générale. La composition est de plus de vingt
Craesbeke a été fort peu gravé. Le tableau du Louvre l'a figures : 121 scudi, fi52 francs.
été plusieurs fois, dans le Musée Laurent par Thomas, dans Voici le monogramme de Craesbeke
Henriette se sauver -en France et Charles Ier se réfugier: avec ses enfants dans la ville d'York. Le comte
d'Arundel songeait à émigrer; les Cavaliers se dispersaient, le temps des portraits splendides était passé.
Van Dyck, malade, épuisé, 'attristé d'ailleurs par un mariage qui n'était pas selon son cœur, conçut

néanmoins le projet d'aller à Paris solliciter les peintures de la grande galerie du Louvre. Il partit donc au
commencement de l'année 1641. Mais il trouva sur son chemin Nicolas Poussin, qu'on avait fait revenir de
Rome tout exprès pour décorer le Louvre, et qui lui-même allait être dégoûté et supplanté par les intrigues de
la jalousie. Van Dyck resta donc peu de temps à Paris. Toutefois il y laissa une trace de son passage dans le
portrait d'un éditeur d'estampes fort connu, Langlois dit Ciartres, qu'il représenta jouant de la cornemuse.
De retour à Londres, Van Dyck tomba dans un état de langueur qui annonçait sa mort prochaine. Charles If'r,
qui lui était vraiment attaché, promit 300 livres à son médecin s'il parvenait à guérir le malheureux peintre.
Mais les sources de la vie étaient taries en lui On essaya en vain des remèdes les plus héroïques. Houbraken
!

raconte qu'on égorgea une vache à laquelle on ouvrit le ventre, et que l'on y coucha le moribond pour
ramener quelque chaleur dans ses membres glacés1. Tout fut inutile. Van Dyck mourut à Blackfriars, le
9 décembre 1641, laissant une tille qui lui était née huit jours avant sa mort et qui s'appelait Justiniana. 11
fut enterré le 11 dans le chœur de l'ancienne cathédrale de Saint-Paul, près du tombeau de Jean de Gand.
Par son testament déposé à Doctor's Gommons et daté du 1er décembre 1641, il lègue 4,000 livres (sterling)
à une fille naturelle nommée Marie-Thérèse, en lui désignant sa sœur, Suzanne Van Dyck, béguine à Anvers,
pour tutrice. A une autre sœur, nommée Isabelle, il assure une pension de 250 florins. En cas que sa fille
Marie-Thérèse vînt à mourir sans être mariée, il faisait passer les 4,000 livres à une autre sœur qui avait
épousé M. Dirrick. A sa femme Marie et à sa fille Justiniana, née le jour même 1er décembre, il lègue, pour être
également partagés entre elles, tous ses tableaux, effets et toutes les sommes dues à lui en Angleterre par le
roi, la noblesse et toute autre personne. Il confie à Catherine Cowley l'éducation de sa fille, à laquelle il
alloue 10 livres par an jusqu'à ce qu'elle ait atteint sa dix-huitième année. Il laisse des dons en argent tl
ses exécuteurs testamentaires, 3 livres à chacun de ses serviteurs et 3 livres aux pauvres des paroisses de
Saint-Paul et de Sainte-Anne (Blackfriars)2.
La veuve de Van Dyck épousa sir Richard Pryse de Gogerdan, baronnet, de la province de Montgommery,
duquel elle n'eut point d'enfants. Justiniana fut mariée à sir John Stepney de Frendergast, dans la province
de Pembroke, troisième baronnet de ce nom, et leur postérité ne s'est éteinte que le 12 septembre 1825, dans
la personne de sir Thomas Stepney. Gratifiée par Charles II d'une pension qui fut fort mal payée, lady
Stepney, restée veuve, épousa en secondes noces Martin de Carbonell, dont les héritiers poursuivaient encore
en 1783 la remise des sommes dues à Van Dyck.
Plus noble que Rubens dans le choix des formes, Van Dyck eut moins de défauts que son maître, mais
peut-être aussi moins de grandeur. Il eut autant de charme dans son coloris sans avoir autant d'éclat. Il fut
dessinateur savant, mais sans pédantisme, et ses contours furent toujours conduits par le sentiment de la
grâce ou par le feu du génie. Rien près d'être égal au Titien dans ce grand genre des portraits où il apporta
d'autres qualités, Van Dyck s'est parfois élevé très-haut dans ses compositions historiques, et la beauté des
expressions y est souvent aussi admirable que l'excellence de la touche. Ce n'est pas seulement dans les
merveilleuses estampes deBolswert et de Vorsterman que son Couronnement d'épines et son Christ mort sur
les genoux de la Vierge sont des chefs-d'œuvre. Je ne connais guère de peintres qui aient fait des Christ plus
admirables. Tantôt on voit au pied de la croix des saintes en prière ou des anges qui recueillent dans des
coupes d'or le sang du sacrifice; tantôt le Fils de l'homme est représenté seul, au haut de la montagne, la
nuit, sur un ciel noir, tandis qu'on aperçoit au loin la triste Jérusalem dans une lueur crépusculaire. Tout
récemment, en visitant le cabinet d'un avocat célèbre 3,
je me suis trouvé en présence d'une de ces
pathétiques images, et j'en ai ressenti une émotion extraordinaire, tout à fait imprévue. Rien de plus touchant
à voir que cette victime ainsi abandonnée sur le Golgotha, au sein des ténèbres, quand les disciples se sont
retirés et que Marie elle-même a été entraînée loin de ce lieu maudit!.... Il est des peintres complètement
ignorés de la foule qui cependant occupent le premier rang dans l'art. Il en est d'autres qui ont le privilège
d'avoir un nom populaire et d'être admirés par les plus fins connaisseurs. De ce nombre est Van Dyck. Sa
gloire s'est répandue chez tous les peuples de l'Europe sans fatiguer les hommes d'élite qui font et qui
soutiennent les renommées. En peignant les héros de son temps, il s'est associé à leur immortalité ou les a
enveloppés dans la sienne. De sorte qu'en même temps qu'il a sa place marquée dans la galerie des grands
peintres, il demeure pour nous un personnage de la grande histoire.
CHARLES BLANC.

1Traduction manuscrite de madame Bernard Picard.


2 On trouvera le texte entier de ce document précieux dans l'ouvrage précité
de M. Carpenter et dans la traduction qu 'eii

a donnée M. Ilymans, qui a imprimé aussi la pièce originale.


3 Me Chaix d'Est-Ange.
MMMŒIŒS 1T

Van Dyck a gravé à l'eau forte vingt-trois pièces pleines WINDSOU. Dans la seule salle dite de Van Dyck (Van Dyck
de génie, et qui sont fort recherchées; ce sont pour la plu- room), on compte plus de trente morceaux du peintre:
part des portraits. !\ous en avons dressé le catalogue d'après voici les principaux: le portrait du peintre Snellinx ; ceux
l'excellent travail de M. Carpenter; le défaut d'espace nous du roi Charles -1er et de la reine Henriette; la duchesse de
force de supprimer ce catalogue. Nos lecteurs le trouveront Richmond, lady Venetia Digby, les deux jeunes fils de Buc-
dans un livre qui sera bientôt publié par nous, et qui aura kingham, George et François Villiers, Killegrew et Corew ;
pour titre : Le Trésor de la curiosité. le portrait équestre de Charles Ier si souvent reproduit :
il est accompagné d'un écuyer qui tient son casque.
Voici maintenant les tableaux de Van Dyck que possèdent MUSÉE DE MADRID.
— Vingt-deux tableaux de Van Dyck :
les collections nationalesde l'Europe. — la Vierge aux roses ; le portrait du peintre David
Ryckaert, celui de la duchesse d'Oxford; le comte de
LE MUSÉE DU LOUVRE ne contient pas moins de vingt et un Berglt en pied ; un Musicien, le comte de Bristol, etc.
tableaux de ce maître. Nous ne citerons que les principaux.
PALAIS DE GÈNES. —Celui de Giacomo Balbi renferme un
Ex voto. La Vierge et l'Enfant Jésus reçoiventl'hommage portrait équestre de François Balbi, un portrait de femme,
du donateur et de sa femme, qui les invoquentà genoux.
Les experts du Musée estimèrent ce tableau -120,000 francs. un Christ mort, une Femme et un enfant, le portrait de
Spinola dans son armure.
La Femme adultère — Saint Sébastien : ce dernier fut PALAIS BUIGNOLE-SALE.-Unportrait du prince d'Orange
estimé, sous l'empire, 12,000 francs. ;

Vénus accompagnée de l'Amour. Évalué 35,000 francs. une demi-figure du Sauveur portant sa croix, peinte sur
bois; le marquis Jules Brignole-Sale à cheval, la mar-
l'Embarquement d'Énée — Mars et Vénus.
Le portrait en pied de Charles 1er, estimé d'abord
quise Paola Adomo Brignole-Sale; le Denier de César.
80,000 francs, ensuite -100,000. Charles 1er ne l'avait payé On trouve encore de beaux Van Dyck au palais Spinola et
à l'artiste que -100 livres sterling. Mmc Dubarri l'acheta dans ceux de la famille Durazzo.
A ROME, dans la galerie Borghèse, on admire le Christ mort
24,000 livres en 1770, du comte de la Guiche, à la vente
duquel il avait été retiré au prix de 17,000 livres. sur les genoux de la Vierge, tableau fameux de Van Dyck
Le portrait de François II, celui d'un Charles Ier, duc gravé par Vorsterman, et dans la collection du préfet
de Bavière, et celui d'Isabelle-Claire-Eugénie, souve- français, M. Mangin, un Christ en croix regardé comme
raine des Pays-Bas. — Deux portraits de François de
Mon- un des chefs-d'œuvre de Van Dyck.
cade, l'un en buste, l'autre en grand et à cheval. Ce Nous avons dit qu'il en existe un admirable à Paris dans
dernier fut estimé sous l'empire 30,000 francs.-Leportrait le cabinet de Me Chaix d'Est-Ange.
L'ERMITAGE, à Saint-Pétersbourg, a huit Van Dyck : encore
en pied d'un homme et de sa petite fille. Il fut estimé
45,000 francs. Charles Ier et sa femme, portraits séparés; le comte de
Dembich; lord Thomas Weston ; Van der Wouwer (celui
MUSÉE D'AMERS.
— Six tableaux de Van Dyck. — Le por-
trait de Malderus, évèque d'Anvers ; — le Christ en croix; que Van Dyck a gravé à l'eau forte) ; le peintre François
Sneyders et sa femme ; une Fuite en Égypte ; Madeleine
— le Christ au bassin ; — le Christ au tombeau ; — un
autre Christ en croix, — et le portrait en pied de César- aux pieds de Jésus, copie d'un tableau de Rubens.
Alexandre Scaglia. Si les tableaux de Van Dyck sont nombreux dans les
MUSÉE DE BRUXELLES. Huit tableaux du maître : —un galeries publiques à Dresde, à Munich, à Berlin, à Vienne,

Christ en croix ; — Saint Antoine de Padoue tenant l'En- en revanche ils sont rares chez les particuliers et ne se
fant Jésus; — Saint François en extase; — le Martyre de produisent pas souvent dans les ventes.
saint Pierre ; — une esquisse heurtée de la tète du juif VENTE DE JULIENNE, -1707.
— Le portrait de l'archiduc
présentant le roseau à Jésus-Christ dans le Couronnement Léopold et de l'infante Eugénie, 310 livres. — Celui d'une
d'épines — Silène ivre soutenu par un berger avec une des bonnes amies de Van Dyck, dit le catalogue, 513
-
bacchante ; portrait d'un bourgmestre et d'un peintre. livres.— Deux hommes jouant aux cartes, H,OOO livres.
VENTE DE BRUNOY, ni7. — Un homme jouant de la
MUSÉE D'AMSTERDAM.— Trois Van Dyck :
— portrait du
bourgmestre Van der Borght. — portrait en pied de la guitare, 0,000 livres. — Le portrait de Cromwell, selon le
princesse Marie et de son frère ; — Femme en pleurs dans catalogue, 500 livres. — Celui de Thomas Parr, 600 livres.
VENTE PRINCE DE CONTI, 1777. — Un homme jouant de la
un Paysage.
MUSÉE DE LA HAYE. —' La Famille Huygens,
— le duc de
musette (c'est le portrait de Langlois dit dartres, célèbre
Buckingham, — la duchesse sa femme, — le peintre éditeur d'estampes). II a son chapeau en partie rabattu, et
Quintin Simons. il est vêtu de rouge; en bas, est une tète de chien, 8,001
GALERIE NATIONALE DE LONDRES. Le portrait de Rubens; livres.

VENTE RANDON DE BOISSET, 1777. — Le portrait du prési-
— Saint Ambroise refusant d'admettre dans l'église
l'empereur Théodose (c'est une copie, avec quelques dent Richardot (celui qui est au Louvre), 40,400 livres.
changements, du tableau de Rubens, qui se trouve à VENTE CIIOISEUL-PRASLIN,1793. — Le Joueur de musette, le
Vienne); — portrait de Gevaerts, ami de Rubens; — étude même que celui précédemment mentionné, 8,800 livres.
VENTE ÉUARD, 1832. — Le Baiser de Judas, 10,080 fr.
de chevaux.
HAl\IPTOl'\COUHT.-Portrait de Marguerite Lémon
;
trait de Charles ler — divers portraits de femmes; —
;-
por- VENTE CARDINAL FESCII, 4845.— La Madeleine repentante
3,410 scudi, soit 48,444 francs.
le duc de Buckinglwm.- L'Amour et Psyché,— deux La Vierge et l'.Enfant, adjugé à lord Netsford, 7,5(',0
Vierges. — Samson et Dalila. francs. —La Résurrection de Notre-Seigneur, (H5 scudi, —
soit 3,321 francs. — Enfin un portrait d'homme,4,320 francs. Voici cette pièce avec son orthographe.
VENTE GUILLAUME ROI DE HOLLANDE, 1850. — Portrait de MÉMOIRE POUR SA Mgtifo LE ROY.
Philippe Leroy, seigneur de Ravels (celui que Van Dyck a
Pour moulures du Vol, conte
gravé à l'eau forte), avec le pendant, Mme Leroy, 63,600
Une teste d'un veliant poete -sa-/, 12
florins, soit 444,944 francs.
Le prince Henry 1 50
Le portrait de Martin Pépin, 9,799 francs.
Le roi à la ciasse (à la chasse.) 2 SQQ JOO
La Madeleine repentante 5,697 francs.
Le prince Cariesa veq leducqde Jare, princesse
A tous ces renseignementsintéressants nous ajouteronsle
Marie, princesse P. S.Elisabet P. Anna.. aoo 100
plus curieux de tous et le moins connu : c'est le compte
Le roy vestu de noir au Monsr Morre avec sa
présenté au roi Charles -fer en 1638 par Van Dyck. La pièce
mollure 3J£ 2.6
originale se trouve aux archives de la reine, en Angleterre;
elle a été imprimée pour la première fois par M. Carpenter,
+ Une reyne en petite forme
dans les Pictorial notices. On y voit que l'artiste a donné à
ses tableaux une évaluation que le roi n'a que très-rarement
+ Une reyne vestue en blu
........... 30
1 Tous les articles de ce compte que le roi a fait précéder
approuvée. Aussi le chiffre posé par Van Dyck se trouve-t-il d'une croix étaient dus par la reine, qui devait en fixer le prix.
biffé par le roi, qui a mis en regard sa propre évaluation. 2 On présume que c'est le tableau qui est au Louvre.
&;01/: !7tllItande. tsénimaucc, ScuiWj/érfeé

JEAN FYT
NÉ EN 1609.
— MORT EN 1661.

Jean Fyt est encore un de ces artistes que la critique


moderne aura eu l'honneur de remettre en lumière et
auxquels elle aura su restituer une biographie. Que
savait-on de lui, il y a dix ans? Rien, et moins que
cela peut-être, puisqu'on assignait à sa naissance
une date inexacte, puisque son voyage en Italie n'était
pas soupçonné, puisqu'on n'avait pas même eu le
facile courage .d'interroger ses eaux-fortes et d'en
dégager les renseignements qu'elles contiennent.
Quant au talent de ce maître, si habile et si fort dans
'le genre spécial qu'il s'est choisi, on le tenait sans
doute en quelque estime, mais il est bien certain
qu'on ne le prisait pas à sa valeur réelle. Nous avons
changé tout cela : Fyt est aujourd'hui classé au premier rang parmi les peintres d'animaux, et la place que
nous lui avons donnée, il ne la perdra plus.
Jean Fyt, dont la destinée fut si longtemps mystérieuse, est né à Anvers en 1609, et non en 1625,
comme le catalogue du Musée du Louvre l'a gratuitement imaginé. Sneyders avait. trente ans
alors, et,
grâce à lui, grâce à Rubens aussi, qui a touché à toutes choses, l'école d'Anvers savait peindre les
animaux avec une vérité magistrale, avec une fierté suprême. Fyt ne paraît cependant pas avoir subi
d'une manière directe l'influence du maître souverain. En 1621-1622, il fut admis dans l'atelier d'un
peintre peu connu, Jean van Berch; mais nous ne saurions guère dire si les leçons qu'il y reçut furent
bonnes ou mauvaises; il est visible d'ailleurs que la nature, assidûment étudiée, fut la véritable institutrice
de Jean Fyt. A vingt ans, c'est-à-dire en 1629, il fut admis au nombre des maîtres de la corporation de
Saint-Luc, et, à une date que nous avons le regret d'ignorer, il partit pour l'Italie1.
Ce voyage à Rome est un fait nouveau dans la biographie de Jean Fyt. Mais les érudits d'Anvers ayant,
en ces dernières années, découvert son nom parmi ceux des membres de la confrérie des Romanistes, où
il fut reçu en 1650, nul doute n'est possible aujourd'hui. La ghilde des Romanistes, on le sait, se composait
exclusivement des artistes qui avaient vu la terre sacrée. A cette preuve s'ajouteraient au besoin le titre
et la dédicace italienne du premier recueil d'eaux-fortes que publia Jean Fyt. cê recueil se compose de
huit planches qui représentent des chiens et qui doivent nous être singulièrement précieuses, non-seulement
parce qu'elles sont rares, mais encore et surtout parce qu'elles donnent une idée excellente du talent du
jeune maître. L'une de ces gravures, celle qui montre deux lévriers attachés l'un à l'autre par un lien, est
datée de 1640. Dans l'œuvre de Fyt, c'est le premier morceau qui porte une date certaine. Les autres
pièces du recueil ont été pour la plupart exécutées en 1642, et c'est à cette époque que l'artiste, réunissant
ces huit planches, les dédia à l'un de ses protecteurs, don Carlo Guasco, marquis de Solerio, chevalier de
l'ordre de Saint-Jacques, membre du conseil de guerre de Sa Majesté Catholique et capitaine général de
l'artillerie de l'armée d'Alsace. Ces eaux-fortes, dont l'exécution est d'ailleurs très-italienne, sont de l'allure
la plus franche, et révèlent une main souple, un esprit libre et fier. Fyt avait évidemment fait une longue
étude du caractère de l'animal. Le lévrier, le mâtin, le dogue, les limiers de toutes les races lui sont connus
dans le plus mince détail de leurs habitudes, de leur instinct et presque de leur génie.
Nous ignorons à quelle époque Jean Fyt revint à Anvers 2. Les péripéties dramatiques manquentd'ailleurs
à sa vie, car il était de ces ardents travailleurs à qui suffisent les sereines émotions de l'atelier. En 1650, nous
l'avons dit, il s'affilie à la corporation des Romanistes ; deux ans après, la compagnie l'élève à la dignité de
doyen, ce qui semble indiquer qu'on estimait son caractère autant que son talent. Enfin, le 22 mars 1654,
Fyt épousa, à l'église Saint-André, Jeanne-Françoise van den Zande, qui, de 1655 à 1660, lui donna deux
garçons et deux filles. La maison qu'il habitait rue du Couvent, près de l'abbaye de Saint-Michel, se remplit
ainsi de rumeurs joyeuses ; mais ce tapage d'enfants en belle humeur ne nuisit pas à son labeur incessant.
Si l'on en juge par le nombre de tableaux que Jean Fyt nous a laissés et par la conscience passionnée dont
le moindre de ses ouvrages porte la trace, on peut se le figurer comme un loyal ouvrier qui, dès l'aube, est
debout devant son chevalet, et qui, le soir venu, promène encore sur la toile son pinceau toujours
ardent à bien faire.
Jean Fyt associa plus d'une fois son talent à celui de collaborateurs glorieux. S'il en fallait croire quelques
écrivains, Rubens l'aurait admis à l'honneur de peindre des animaux et des pièces de gibier dans ses tableaux
de chasse. Nous pensons que les biographes se trompent sur ce point. D'abord, et ceci est significatif, on
ne rencontre aucune peinture où le pinceau des deux maîtres paraisse avoir été associé; ensuite, Fyt a été
reçu dans la corporation de Saint-Luc en 1629, il est sans doute parti peu après pour l'Italie, et Rubens
est mort en 1640, à une époque où notre peintre n'était pas encore de retour à Anvers; il ne nous semble
donc pas vraisemblable que les deux artistes aient pu travailler de concert à une œuvre commune. D'ailleurs
Rubens avait dans Sneyders un collaborateur qui lui suffisait amplement. Mais si Fyt n'a pas travaillé avec

t
II faut lire sur Fyt le Catalogue du Musée d'Anvers et quelques mots de M. Burger, Galerie Suermondt, 1860, p. 125.
2 Fyt était de retour en Flandre en 1645. Il peignit alors avec Jordaens un tableau dont Descamps parle en ces termes dans son
Vbyage en Brabant : « Dans la salle des Archers modernes, on trouve un très-beau tableau peint en 1645 par Jean Fyt. Il y a
du gibier de toutes les espèces, et cinq figures peintes par Jordaens. Ce tableau se gâte et mérite à tous égards d'être bien réparé. »
Rubens, il a travaillé avec ses élèves et notamment avec Jordaens. Sans parler du tableau qu'ils avaient
fait ensemble, en 1645, pour le Serment de l'Arc, il y avait autrefois dans la collection du cardinal Fesch
une composition un peu bizarre, la Rencontre d'un lion, qui était, paraît-il, l'œuvre de Jordaens et de Fyt.
En d'autres occurences, c'est avec Thomas Willeborts que le peintre d'animaux s'associait. Parmi les tableaux
qu'ils exécutèrent à eux deux, on doit citer le Repos de Diane, du Musée de Vienne (1650). L'ardente
chasseresse se repose de ses fatigues ; ses nymphes prennent soin des chiens ou mettent en ordre les pièces
de gibier qu'elles ont rapportées de leurs courses à travers les bois. Inutile de dire que, dans le concours
fraternel qui s'est établi entre les deux maîtres, ce n'est pas à Willeborts que la victoire est restée.

Et, en effet, qu'est-il besoin de figures mythologiques dans les tableaux de Jean Fyt? Pour composer une
peinture intéressante, il lui suffit d'un lièvre suspendu par la patte à un tronc d'arbre, de quelques oiseaux
morts détachant sur l'herbe verte les riches colorations de leur plumage, et d'un chien de chasse, gardien
intelligent et fidèle de ces richesses. L'invention est peu de chose dans les tableaux de Fyt, en ce sens que
les éléments que sa fantaisie met en jeu sont presque toujours les mêmes; mais elle doit être comptée pour
beaucoup si l'on songe à l'habileté avec laquelle, se renouvelant sans cesse, il sait varier la combinaison de
ces éléments de façon à ne se répéter jamais, à nous séduire toujours. Son dessin exact accuse les formes
avec une précision parfaite, et, sous la plume frissonnante de l'oiseau, sous le pelage léger de l'animal, on
sent le mouvement caché de la vie. Nous ne voulons citer, d'une manière particulière, aucune peinture
de Fyt. Les Deux Lévriers du Musée d'Anvers, le Garde-Manger du Louvre et vingt autres toiles, savamment
combinées et savamment peintes, montrent assez quel fut dans ce genre le talent du maître. Nous avons
dit quelles étaient la précision de son dessin, l'exactitude heureuse de son coloris, la fidélité patiente avec
laquelle il rend les détails ; mais ce soin précieux, cette infatigable conscience se concilient chez lui avec la
largeur du faire, et, même dans ses tableaux les plus finis, Jean Fyt demeure un Flamand de la grande
école.
Sneyders étant mort en 1657, Fyt se trouva naturellement appelé à lui succéder dans l'estime de tous
les bons juges. Il n'était pas indigne de cet honneur; et, s'il faut tout dire, bien que Sneyders soit un
maître considérable et au-dessus de la discussion, il nous semble que Fyt l'a dépassé quelquefois, non
par l'éclat de la lumière et le brio de l'exécution, mais par la sincérité de l'accent. Si Sneyders croit à
Rubens, Fyt croit à la nature, et il l'étudié avec la passion résolue d'un amoureux, avec le culte intelligent
d'un esprit qui déjà sait beaucoup, mais qui veut savoir encore davantage. Je dois remarquer toutefois
qu'il existe dans l'œuvre de Fyt une seconde série d'eaux-fortes qui attestent une certaine lassitude, un
respect moins profond pour la vérité du dessin. Ces eaux-fortes, qui, de même que celles du premier recueil,
sont au nombre de huit et qui représentent divers animaux, sont peut-être un ouvrage de ses dernières
années. Les épreuves que Bartscha décrites, et qui diffèrent sous ce rapport de celles que conserve le Cabinet
des estampes, portent une inscription indiquant qu'elles auraient été publiées en 1660, « à Paris, chez Van
Merlen, rue Saint-Jacques, à la Ville d'Anvers. » Il ne s'agit peut-être là que d'un nouveau tirage de gravures
antérieurement exécutées : toujours est-il que la série connue sous le titre de Différents animaux est bien
inférieure à celle dont nous avons parlé au début de cette Notice et qui représente des chiens.
La date de la mort de Jean Fyt a longtemps été ignorée; mais les auteurs du catalogue du Musée d'Anvers
nous ont éclairé sur ce point en citant un extrait des comptes de la paroisse Saint-André. Ce document
constate, à la date du 14 septembre 1661, une recette de douze florins payés aux deux marguilliers qui,
revêtus de leurs simarres, ont accompagné jusqu'à l'abbaye de Saint-Michel le convoi funèbre du « sieur Fyt.))
Or, celui que les comptables de Saint-André appellent tout simplement le sieur Fyt, c'est le peintre
éminent dont nous venons de raconter l'histoire.
PAUL MANTZ.

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Nos lecteurs trouveront dans le livre de Bartsch (t. IV, aux Ours; Deux Chiens se disputant de la viande; Des Chiens
p. 205) la descriptiondétailléedes seizeeaux-fortes de Jean Fyt. gardant du gibier; Chasse au Sanglier ; Gibier sur une table.
Quant à ses peintures, les catalogues des musées et des col- VALENCIENNES.
— Lapins et Canards ; Lièvres et Perdrix
lections particulières nous fournissentles indicationssuivantes :
LOUVRE. — Gibier et Fruits ; le Garde-Manger; un Chien
dévorantdu gibier, signés Johannes Fyt (1651).
,
VIENNE. — Gibier et accessoires de Chasse ; Fruits et
Animaux (1652) le Repos de Diane (1650) (les figures sont
de Thomas Willeborts); des Perdrix et un Chien, signé
AIX-LA-CHAPELLE.—GALERIESUERMONDT. -Deux Chiens Johannes Fyt (1647). (Ce tableau, quia été gravé par J. Eiss-
de chasse, un Chevreuil et d'autre gibier (1649).— Voy. sur ner, est reproduit en tête de cette biographie.)
ce tableau l'Étude de M. Burger sur la Galerie Suermondt. VENTE DE L'ÉLECTEUR DE COLOGNE, 1764.-Deux Hérons
ANVERS. — Le Repas de l'Aigle (donné au Musée en 1845, poursuivispar des Faucons, 100 livres. — Lièvres. Perdrix
par M. C.-J. Stier d'Aertselaer) ; Deux Lévriers (peinture -
et Bécasses, 501 livres. Fruits et Gibier, 400 livres.
provenant dela commanderie de Pitsenbourg, à Malines). VENTE VAN LANEKER. — Anvers (1769). Un Chien et des
BRUXELLES. — CABINET DE M. DUBUS DE GISIGNIES. — Cailles, 60 florins.
Un tableau daté de 1646. VENTE DE MME LENGLIER (1788). — Un Chien, un
DRESDE. — Deux Perdrix suspendues. Lièvre et des attributs de Chasse, 170 livres.
GENÈVE. — Nature morte; tableau donné par M. Fabry. VENTE LANEUVILLE (1811). — Différentes pièces de gibier
LILLE.- Oiseaux et Lapins; Gibier et Ustensiles de Chasse. et un Chien qui semble les garder.
LONDRES.—GALERIE BRIDGEWATER.-Un Chien enchaîné VENTE DU CARDINAL FESCH (Rome, 1845). — Des Oiseaux
à son chenil (gravé dans la galerie Stafford). morts; la Rencontre du Lion (Figures de Jordaens).
LYON. — Un Lièvre, des Bouvreuils et d'autres Oiseaux. VENTE DU MARÉCHAL SOULT (1852). — Gibiergardé par des
MUNICH. — Chevreuils poursuivis par des Chiens; Chasse Chiens,2,050 francs.
Sca/e ffl/amanc/e. Yie'ned rlr, fa me rJJlCtJlrlr.

DAVID TENIERS (LE FILS)


NÉ EN 1610. — MORT EN 1694.

« Pour loger tous mes tableaux, disait Teniers, il faudrait une


«
galerie de deux lieues de long. » — « Qu'on enlève tous ces magots, »
s'écriait Louis XIV, en apercevant à Versailles quelques bambochades
de Teniers.
Deux lieues de magots!... c'est tout un peuple. Le voilà bien, en
effet, tout entier sur ces toiles, le peuple flamand. Le voilà qui fume,
qui joue aux dés, qui boit de la bière ; le voilà qui devise au fond des
tavernes ou sur le pas de la porte; le voilà qui danse en plein vent.
Magots! disait le roi des gentilshommes; — magots, il est vrai, à un
certain point de vue : essayez donc de passer à ces bonnes gens un
pourpoint de grand seigneur! la chose serait aussi impossible que de
passer une veste de paysan aux gentilshommes de Van Dyck. Le
peuple au cabaret, le peuple dans les kermesses, la pipe et la pinte,
la clarinette et le tonneau, c'est donc là ce qu'a représenté David
Teniers, et la chose est admirable sous son pinceau; mais elle est bien
singulière, pour qui connaît la vie de ce peintre spirituel, opulent et fameux.
Teniers vivait en grand seigneur. Il avait entre Anvers et Malines un château, qu'on appelait le château des
Trois-Tours, et non-seulement trois tours, mais des pièces d'eau sur lesquelles nageaient des cygnes et des
nacelles, des avenues féodalest, un pont par dessus les fossés; pour escalier une colline; pour horizon, la
plaine semée de villages. Demeure du plus grand air, vraiment, et qui inspirait au propriétaire un si
complaisant orgueil, qu'il l'a représentée plus de vingt fois dans ses tableaux, la montrant tour à tour en
face, en trois-quarts, de profil, sur le premier plan, dans les fonds, partout enfin, sans en oublier une
girouette. De ce château, Teniers a presque fait sa signature. C'est là du reste qu'il menait la vie élégante,
à en juger d'après l'un de ses tableaux, qui le représente au milieu de sa famille, portant la veste de satin, la
fraise brodée, la perruque majestueuse du temps et la botte cavalière. Sa moustache est retroussée dans le
dernier genre. Il tient entre les jambes une contre-basse et accompagne son fils, qui, debout derrière lui, la
bouche ouverte, s'exerce à chanter comme il convient sans doute à un jeune gentilhomme de la contrée.
Madame Teniers, fort belle dans sa beauté fraîche et flamande, tient à la main le cahier de musique et porte
des dentelles de Malines. Un page s'apprête à verser le genièvre. Un singe, perché sur les meubles, et le
majordome, immobile à la porte du salon, assistent au concert et en paraissent ravis.
Tel était l'intérieur de Teniers. Là venaient de toutes parts, attirés par la gloire du peintre, retenus par la
brillante hospitalité du propriétaire, les gentilshommes les plus titrés du siècle, ceux dont les noms sont
aujourd'hui pour nous les étoiles de la nuit des temps. Don Juan d'Autriche, gouverneur des pays-Bas, le
même qui avait enlevé à Naples la fille de Ribera et fait mourir de chagrin le peintre espagnol', don Juan
d'Autriche essayait sous les yeux de Teniers, de peindre aussi les rustres Flamands et les trouvait encore plus
rebelles à son pinceau qu'à son épée. L'archiduc Léopold, qui avait eu l'honneur de donner le signal de cette
faveur universelle de Teniers auprès des grands, vit son exemple suivi par l'évêque de Gand et par toute la
noblesse amie des arts. Christine de Suède, qui avait attiré Descartes à sa cour, voulut être elle-même de
la cour de David Teniers, et elle lui envoya son portrait avec une chaîne d'or. Enfin, le roi d'Espagne,
Philippe IV, l'ami de Velasquez, avait fait construire à l'Escurial une galerie spécialemenl destinée aux
kermesses de Teniers, comme si, après a'%,,,ir perdu ses peuples de Flandre, il eût voulu du moins les
posséder en peinture. Ainsi Teniers vivait de la vie seigneuriale, il avait des princes pour élèves, des rois
pour flatteurs, et pourtant, chose bizarre! il ne représentait que des paysans, il ne réussissait que par le
peuple. Et ce goût pour le spectacle de la vie familière des bonnes gens, s'il est étrange chez un peintre qui
avait le plus grand soin de sa collerette, il est encore plus surprenant, plus extraordinaire chez ses clients
couronnés. Car tous ces danseurs, ces fumeurs, ces joueurs de Teniers, ressemblent fort aux gumx illustres
des Sept Provinces qui firent une si rude guerre à l'Espagnol : gueux des bois, gueux des matais, gueux des
villes, comme on les appelait alors; et ce qui les rend si joyeux, ce qui leur fait lever si haut le verre quand
ils boivent, le pied quand ils dansent, croyez-vous que ce soit uniquement la vertu d'une troisième cruche
de houblon? Ne serait-ce pas plutôt la victoire? Et Teniers le jeune, au milieu de son peuple, imposant
l'admiration aux rois de l'Europe, n'est-il pas un peu le Guillaume d'Orange de la peinture? L'un et l'autre,
ils ont triomphé par les gueux.
David Teniers naquit en 1610. Son père, David Teniers le vieux, était déjà peintre, ami d'Elzheimer, ami
de Rubens. Le premierjouet de l'enfant fut un pinceau, et comme Biaise Pascal, son contemporain de France,
il illustra de lignes prophétiques les murailles de la maison paternelle. Sa ville natale était Anvers, ce berceau
de Rubens, de Van Dyck, de Jordaens, de Gaspard de Crayer et de Porbus, cette patrie de la couleur. David
Teniers le jeune devait avoir cette destinée, assez rare chez les fils des hommes célèbres, d'être plus grand
que son père.
Dans ces premières années du XVIIe siècle, il s'en fallait de beaucoup que les Teniers fussent des seigneurs.
Le vieux Teniers, qui peignait déjà des paysans, menait un peu la vie de ses modèles. La tradition le
représente allant avec son fils vendre au marché ses tableaux, sur un âne. Le peintre, son fils et l'âne,

1 Voyez le Catalogue raisonné des tableaux de M. de Julienne, par Pierre Remy. 1767. Ecole des Va'ibas.
i Voyez dans cet ouvrage l'histoire de Ribera et l'aventure qui amena sa mort.
allaient ainsi d'Anvers à Bruxelles, offrant leur marchandise, et plus d'une fois ils eurent l'humiliation de
ne
point trouver d 'aclieteurs. Peut-être le goût des petites figures et des scènes populaires est-il né chez
Teniers le jeune des enseignements quotidiens de cet humble commerce, plutôt de l'exemple donné
encore que
par son père : les grandes compositions, la poésie, la pensée, le style, ne se vendent guère au marché. L'âne
rapportait les belles pièces et ne plaçait que les menues denrées. Or Teniers fut toute
sa vie fortement
préoccupé de la vente. Car il entendait que son existence fût riche
comme sa palette, facile comme son talent,
et nous verrons qu 'à ce genre d ouvrage il ne réussit pas moins qu'à tous les autres. Il est,
en peinture, le
créateur de l'improvisationqui donne des châteaux et des varlets, des justaucorps de satin, de beaux bahuts
en bois sculpté, des lustres en cuivre poli et de nobles dressoirs où brille la vaisselle d'or.

Un' jour Teniers, âgé d'environ quinze ans, peignait dans l'atelier de son père : entre Rubens. Tout se
trouble à l'apparition du grand peintre, et le jeune homme tremble, de peur? non, mais d'enthousiasme.
Rubens s'arrête devant le chevalet de l'élève, il promène sur le tableau commencé ce regard qui peuple les
toiles; puis, saisissant le pinceau de Teniers et conseillant à la fois de la main et de la parole, il lui donne
en quelques instants une leçon et un tableau. N'est-ce pas là une scène à peindre? Cet élève qui est Teniers,
ce maître qui est Rubens, et la tradition du génie se transmettant ainsi de vive voix ! Sans doute, de siècle
en siècle, les grands artistes s'inspirent les uns les autres; ils se servent ainsi de professeurs par la pensée,
et quand ils sont muets, leur œuvre parle encore; mais lorsque la leçon est vivante, cette transmission visible
est une émotion de plus pour la postérité. On aime ces rencontres dans le passé entre ceux qui doivent se
rencontrer dans l'avenir.
L'imitation passionnée des œuvres des grands maîtres est presque toujours la première forme de l'inspiration
chez la jeunesse. Trouver le talent d'autrui, c'est la première découverte du talent qui se cherche. Mais dans
la jeunesse de Tèniers, l'imitation offre cela de particulier qu'elle est une originalité véritable. Une copie faite
par Teniers n'est pas une copie, c'est un autre exemplaire du maître; il n'imite pas Titien, par exemple,
ou Paul Véronèse ou Rubens, il les recommence, et certes ce n'est pas à Teniers que peuvent s'appliquer
ces remarques du chevalier de Jaucourt : « Les faussaires en peinture contrefont plus aisément les ouvrages
« qui ne demandent pas
beaucoup d'invention, que ceux où toute l'imagination des artistes a eu lieu de se
« déployer.... Les faiseurs de
pastiches ne sauraient contrefaire l'ordonnance ni le coloris, ni l'expression des
« grands maîtres. On imite la
main d'un autre; mais on n'imite pas de même son esprit. »
Lui, Teniers, il avait la puissance de s'approprier tout. Son assimilation ne s'arrêtait pas à la manière
de manier le pinceau, d'employer les couleurs, de frapper les touches; il entrait si avant dans l'esprit du
peintre, il se pénétrait si profondément de son humeur, qu'il reproduisait à volonté la fermeté grave du Titien,
la fougueuse abondance de Rubens et le luxe de ses fraîches carnations, et ses airs de tête et le caractère
mouvementé de ses compositions. Si bien que Teniers, cet enfant de la cité d'Anvers, est le représentant
du génie national de la contrefaçon, et, par une autre singularité, ce sont des Flamands que ce Flamand
excelle à contrefaire, et toute la Belgique s'y trompe elle-même'. Rubens surtout, qui ne s'attendait pas à faire
un élève si fidèle, s'étonne de cette concurrence imprévue, qui le traduit ainsi dans sa propre langue. C'est à
s'y méprendre, en effet. Le cabinet de l'archiduc Léopold était peuplé de ces copies originales. Triest, évêque
de Gand, la reine de Suède, le roi d'Espagne en commandaient à Teniers; quelques amateurs, chose assez
piquante! poussaient la surprise jusqu'à la préférence. N'est-ce pas double fortune qu'un tableau de Rubens
qui est de Teniers?
C'est à David le fils que nous devons la célèbre collection de l'archiduc Léopold, qui fut publiée pour la
première fois, en 168-5, chez Abraham Teniers, frère de David, qui était marchand d'estampes à Anvers.
Mais cette publication ayant paru d'abord par planches séparées, le successeur d'Abraham fit de ces planches
un volume qu'il mit au jour sous ce titre : Théâtre des peintures de David Teniers, avec une préface qui dans
quelques exemplaires était en français, dans d'autres en espagnol, et dans le plus grand nombre en latin1. Plus
tard, les tableaux de l'archiduc ayant été transportés à Vienne, on joignit aux éditions subséquentes une gravure
qui représentait la vue perspective de ces tableaux rangés dans la galerie impériale. Mais dans la dernière
réimpression qu'on en fit en 1755, et qui est connue sous le titre : Le grand cabinet des tableaux de l'archiduc
Léopold-Guillaume, peint par des maîtres italiens, et dessiné par David Teniers, les éditeurs commirent une
faute en nommant David Teniers le vieux au lieu de David Teniers le fils. Le savant Heinecken a relevé cette
erreur dans son précieux livre.
Avec la nature, David Teniers en usait aussi familièrement qu'avec les grands maîtres. Il la contrefaisait,
elle aussi, et il lui dérobait non-seulementses formes, mais ses secrets, non-seulementses phénomènes, mais
son esprit. Et la facilité du travail, l'entrain de l'improvisation étaient chez lui des qualités prodigieuses, et
c'est par allusion à ces qualités que l'on raconte au sujet de Teniers des anecdotes plus ou moins arrangées sans
doute, mais conformes à son caractère et vraisemblables par ce côté. Il arrive un jour au village d'Oyssel avec
sa boîte à couleurs, revenant sans doute de quelque herborisation de peintre dans la campagne. Il avait faim,
mais il n'avait pas d'argent. Il entre dans une auberge et déjeune avec sécurité. Quand l'hôte lui présente la
note à payer, il prend ses pinceaux, et, en fort peu de temps, il transporte de la rue sur une toile un mendiant
qui jouait tranquillement de la cornemuse, sans se douter qu'il devenait un chef-d'œuvre. Un Anglais qui
déjeunait à côté de Teniers, de moins bon appétit sans doute, quoiqu'il eût des guinées plein ses poches,
s'approche du jeune Flamand et paraît fort surpris de voir ainsi payer un déjeuner en monnaie de peintre.
A la vue de ce mendiant qui, sur la toile, ne réclame plus la pitié, mais l'admiration, le riche amateur fait à

I Le titre latin etait Davidis Teniers antuerpiensis riCloris, etc. Theatrum picturarum. 1660, Antuerpice apud Henricum
Ametsens, in-folio.
l'artiste l'aumône de l'enthousiasme en pièces d'or et s'empresse d'emporter la copie, tandis que Teniers fait
déjeuner à son tour l'original et paie magnifiquement les deux repas à l'hôtelier stupéfait.
Cette aventure d'un déjeuner payé par un tableau, reproduite chaque jour, sous diverses formes, devait.

être l'histoire de la vie entière de Teniers. Dès que la gloire fut venue, il en fit du luxe, et chaque tableau
dut solder la fantaisie du jour. Jeune, brillant, admiré, sûr d'avoir toujours de la couleur au bout de son
pinceau, Teniers le jeune acheta le château des Trois-Tours pour y recevoir les princes ses amis, et commença
à dépenser en hospitalité les recettes quotidiennes de sa verve. Deux de ses tableaux, qui
ne se ressemblent
que par le talent, peuvent représenter parfaitement l'histoire de Teniers, sa vie de luxe, sa vie de travail,
l'une soutenue par l'autre : le premier de ces tableaux représente l'Enfant prodigue, non pas celui de
l'Évangile, mais l'enfant prodigue au XVIIe siècle, c'est-à-dire vêtu en gentilhomme, les cheveux tombant
sur
les dentelles, la plume au feutre et le talon éperonné. Déjà le chapeau, le manteau court et l'épée suspendue
au baudrier ont été déposés sur un siége. Nous sommes à la porte d'une hôtellerie, en plein air; le ciel est gai
et la campagne riante. Une table entourée de valets, servie par un page, porte la richesse et la joie du festin,
tandis qu'au premier plan, sur le sable, deux flacons de cristal pleins de liqueurs aux reflets dorés, brillent
et sont tenus au frais dans une large bassine de cuivre artistement ouvragée. L'enfant prodigue est assis entre
deux femmes habillées de soie, blondes, souriantes, faites pour l'amour; et sa main frémit dans la main de
la plus belle; je dis-la plus belle, car, sans voir sa figure, on la devine charmante. On croit savoir qu'elle a un
teint clair et frais, beaucoup de douceur dans le visage, rien qu'à en juger par la grâce, la rondeur et la
blancheur du cou, et aussi par cette légère coloration de la nuque à l'endroit où naissent des cheveux d'un
blond hasardé. Le plaisir est là, comme dans tous les tableaux de Teniers, mais cette fois c'est le plaisir dans
des conditions d'élégance, et, d'aventure, la beauté délicate s'y rencontre. Quant au gentilhomme qui fait les
honneurs du festin, si ce n'est pas Teniers lui-même, c'est peut-être son brillant ami, cet autre enfant
prodigue de la gloire, don Juan d'Autriche : voilà la dépense. Voici maintenant la recette : voyez dans ce
cabinet sombre, cet alchimiste p iché sur son œuvre mystérieuse. Les fourneaux sont allumés, les cornues
allongent contre les murailles leurs formes cabalistiques, les gothiques parchemins de la science sont ouverts,
et le hibou symbolique rêve dans son coin. Que fait là ce vieux docteur, sous son bonnet fourré? de l'or, de
l'or. C'est le secret de l'absolu. Et bien! à ce chercheur de transmutations, à ce vieillard ridé, chassieux et
barbu, enlevez ses lunettes, ôtez son bonnet, et voyez si ce n'est pas Teniers lui-même faisant de l'or avec des
couleurs. Heureux alchimiste dont l'alambic est une palette, le grand œuvre un chef-d'œuvre, et le laboratoire
la verte campagne des Flandres!
Ce fut là sa vie en effet : prodigalité et travail; deux plateaux d'une balance qui ne gardait pas toujours
l'équilibre, et c'est ainsi que, par l'improvisation de chaque jour, il se trouva, sans s'en apercevoir, avoir
fait ces deux lieues de tableaux qui n'ont fatigué personne, pas même l'auteur. On conçoit maintenant
pourquoi un grand nombre de ces toiles ont été appelées par les amateurs les après-diners de Teniers, nom
qui exprime à la fois le temps qu'elles lui coûtèrent et le motif qui les lui faisait peindre. Après dîner, il faut
payer la carte et rapidement. Les après-diners de Teniers sont donc le quart-d'heure de Rabelais. Chansons à
boire, scènes joyeuses de dessert, voilà ce que représentent ces petits tableaux de chevalet auxquels le peintre
mit si peu de prétention, auxquels nous mettons tant de prix. Aussi les faut-il regarder en sortant de table
:
c'est leur vrai jour.
« Montrez-moi une pipe, disait Greuze, et je vous dirai si elle appartient à une figure de Teniers. » Quel
caractère! quelle finesse d'observation cela ne suppose-t-il pas chez un peintre! mettre sa griffe sur tout,
signer de son nom le moindre détail, être reconnaissable dans une pipe! Quoi, lui, Teniers, si habile à
contrefaire ses devanciers ou ses amis, à dérober leur individualité, leurs airs de tête, leur procédé, leur
touche, leur esprit, il a lui-même une personnalité tellement tranchée, qu'on ne peut confondre sa manière
avec celle d'aucun autre! Oui, cet adroit voleur est, quand il veut, le mieux assuré des propriétaires. Tout à
l'heure, c'était le Protée de la peinture; il se glissait dans tous les ateliers, ramassait l'un après l'autre tous
les pinceaux, même au besoin cet illustre et redoutable pinceau du Titien qu'avait ramassé un empereur, il
colorait des tableaux à la façon vénitienne, il satinait des chairs avec la brosse de Rubens; il était tour à tour
Hollandais ou Espagnol, Tudesque ou Flamand,... et maintenant qu'il est retranché dans son cabaret, il est le
maître absolu chez lui; pas un artiste ne viendra dessiner un cruchon, peindre le ton d'un culot, toucher
le clair d'un tuyau de pipe, qu'on ne dise à l'instant : « Ceci n'est pas de David Teniers; je ne reconnais pas là
sa touche légère, spirituelle et décisive. » Non, dans toute l'histoire de la peinture chez les modernes, on ne
retrouverait pas un faiseur de pastiches aussi original, un imitateur aussi complètement inimitable.
Combien de peintres des Pays-Bas se sont attachés aux scènes de Bambochades! Les deux Van Ostade,
Brauwer, Corneille Béga et beaucoup d'autres ont rendu leur nom célèbre avec les mêmes sujets et presque
avec les mêmes personnages qui servirent de modèles à Teniers. Eh bien! parmi tant de maîtres, on démêle
sur-le-champ un buveur, un fumeur, une guinguette de Teniers. Et d'abord celles-ci se distinguent aisément
par la seule nature du sentiment que le peintre y a répandu, celui de la gaîté. David Teniers le jeune est
avant tout un philosophe enjoué, un observateurmalin, un peintre plein d'esprit, et dans la plus insignifiante
de ses après-dlners, on entrevoit toujours, au fond, une intention d'ironie familière. Introduisez, dans la
même tabagie, par exemple, AdI'Îen Ostade, Teniers, Brauwer. Aucun d'eux ne la verra des mêmes yeux

ni sous les mêmes couleurs. Aucun n'y verra les mêmes visages. Adrien Brauwer attendra, pour étudier
les physionomies, l'instant de la bataille. Il prendra ses pinceaux quand les buveurs échauffés saisiront les
cruches, les bancs, les chaises et les balais pour se les jeter à la tête. Adrien Van Ostade sera frappé de telle
pose naïve, de la quiétude d'un fumeur, de son silence. Il le peindra paisible, sérieux, méditatif, taciturne
et laid de toute sa bonne laideur; tandis que Teniers aura vu, au premier coup d'œil, le côté jovial,
le sourire goguenard; il aura choisi le moment où l'on devise sur les prouesses et les aventures de Monsieur le
bourgmestre de l'endroit. Ici on joue au trictrac sur une table ronde couverte d'un tapis. L'hôtesse assiste
à la partie, lance le gros mot pour rire et veut bien se laisser prendre la taille, pendant que son époux marque
sur une planche la bière qu'il vient de tirer. Là on boit à une accordée de village. Le père coupe des tranches
de jambon; le fiancé sourit d'un air niais, sans voir qu'on embrasse la mariée aux joues rebondies et
vermeilles. Cinq ou six paysans sont de la noce : celui-ci élève son verre, celui-là crie une santé; on rit enfin
et surtout l'on boit.... d'une trogne effroyable, comme dit Montaigne. Tout le monde est satisfait. Teniers
est ravi, car aucun détail de la scène ne lui a échappé; aucune expression de visage, si fugitive qu'elle fût, n'a
esquivé son crayon ou trompé son regard.
L'expression et la touche sont les deux grandes qualités par où brille Teniers le jeune. L'expression, plus
elle est grotesque, plus il se plaît à la poursuivre et mieux il la rend. C'est bien sous ce rapport le Scarron de
la peinture, et l'on peut dire qu'il a égalé la verve intarissable du chantre de Hagotin. Si les figures de Teniers
ressemblent si fort à ce héros du Roman comique, si elles sont courbes, voûtées, cagneuses, taillées à coups
de serpe, en revanche quelle justesse d'expression! Et si elles sont mal tournées dans la nature, comme elles
sont bien dessinées sur la toile! quelle vérité dans l'ensemble, quelle finesse dans les nuances! Chez Teniers,
le garçon d'auberge n'a pas les allures du paysan, le fermier de Perck ne danse pas comme le citadin de
Mali nés, et le magister du village a une façon particulière d'allumer sa pipe, de tenir ses cartes, de servir
du faro et de le boire. Que s'il vous arrive de rencontrer aux étalages des marchands de vieilles estampes les
Amusementsvillageois, arrêtez-vous un instant pour voir comme est rendue la passion des vieux joueurs de
boule. Il y a là un esprit, une ironie d'observation, un sentiment du burlesque, auxquels rien peut-être n'est
supérieur en ce genre. Un roi qui va jouer sa couronne, un amant qui risque la perte d'une maîtresse adorée,
un avare qui est sur le point d'aventurer son trésor, ne sont pas plus attentifs, plus intrigués, plus émus, ni sur
des épines plus tranchantes ou sur des charbons plus ardents que ce madré joueur de cochonnet au moment
où sa main cauteleuse vient de lancer la boule, longtemps pesée. Une fois partie, il ne veut plus qu'on lui
parle, c'est-à-dire qu'on parle à sa boule, car il soutient que le souffle d'une parole hostile pourrait en
détourner ou en arrêter la marche. Mais lui, il la suit de l'œil et du geste, l'encourage de la voix, la gourmande
si elle dévie, la caresse de quelques éloges sobrement ménagés, jusqu'à ce qu'évitant l'écart qu'allait lui
imprimerie heurt d'un caillou, elle arrive à destination, après avoir essuyé les feux croisés de cent yeux
braqués sur elle.
Exprimer avec tant de naturel et tant d'art ces scènes naïves, ces passions de soldats invalides, de villageois
grisonnants et endimanchés, ce n'est là pour Teniers qu'une des cent manières d'exercer son talent.
Parfois il rencontre la dignité, il s'élève jusqu'à la noblesse. On admirait naguère à la vente du cardinal
1
Fesch, à Rome, un Couronnementd'épines où Jésus, à demi-dépouillé de ses vêtements est représenté dans
l'intérieur d'un corps de garde. Il est assis sur une pierre et garrotté. « Ses longs cheveux tombent en
désordre sur ses épaules; sa tête affaissée sur sa poitrine se penche légèrement à droite, et ses regards abaissés
vers la terre expriment, comme tous les traits de son visage, une douleur profonde et résignée. Toute la
patience d'un Dieu outragé, toute la tendresse courageuse d'un homme, respirent sur ce beau visage
profondément empreint d'une mystérieuse mélancolie, où l'âme souffrante est venue s'épancher tout entière. »
Ainsi parle de ce tableau de Teniers un appréciateur qu'on peut en croire sur parole. Toutefois la souplesse
dont Teniers le jeune a fait preuve ici, et qu'il avait déjà déployée dans ses étonnants pastiches, ne l'empêche
pas d'avoir un caractère qui lui est parfaitement propre, et d'être facile à reconnaître, non-seulement à la
simple tournure d'une de ses pipes, comme disait Greuse, mais à la tournure ordinairement triviale de ses
sujets, et, pour les amateurs, à sa touche.
La touche est fort remarquable chez Teniers, et c'est peut-être de toutes ses qualités la plus caractéristique.
Son coloris fin, transparent, agréable, ses tons argentins suffisaient sans doute pour le distinguer des autres
peintres; mais il a un maniement de pinceau si franc, si léger, si facile, que c'est par là principalement
qu'il se trahit. Sa manière, du reste, paraît si naturelle, qu'on ne suppose pas au premier abord qu'il existe
une autre façon de peindre. Le procédé vulgaire et classique qui consiste à frotter les ombres et empâter
les lumières n'est écrit nulle part aussi simplement, aussi nettement et avec moins de peine que dans les
tableaux de Teniers : c'est un vrai modèle. Doué d'un tact sûr, d'un esprit fin, David Teniers savait d'ailleurs,
tout en restant lui-même, varier sa touche suivant les objets et leur donner ainsi une troisième fois l'accent

1 tableau, qui paraît ètre une des œuvres capitales de Teniers, est minutieusement décrit par
Ce M. George, peintre, dans
son excellent Catalogue raisonné de la galerie du cardinal Fesch. Rome, 1844.
de la réalité, s'il peignait des objets de nature morte; les apparences de la vie, s'il peignait des êtres animés.
Sa touche est donc au plus haut point intelligente, et si on la trouve si ferme, appliquée avec tant de résolution
et d'une main si libre, c'est qu'il avait beaucoup réfléchi, et que son pinceau était conduit, non par la routine,

mais par un sens exquis des formes, de la couleur et du pittoresque. Il sait que l'ivoire d'une clarinette ne doit
pas être touché comme le luisant d'un pot de grès, que le poli d'une cuirasse ou les reflets d'une batterie de
cuisine ne doivent pas être traités comme le nez qui bourgeonne sur le visage épanoui d'un ménétrier de
campagne.
Mais il y a chez Teniers le jeune une nuance plus importante encore à bien observer, c'est celle de la
perspective. Le coup d'œil de Teniers était si juste, que par le seul effet de la dégradation ou de la force des
teintes, de l'affaiblissement ou de la fermeté dans la touche, calculés avec une rare précision, il faisait fuir
ou avancer les objets, sans avoir besoin de ces grands repoussoirs, de ces sacrifices résolus, de ces partis
tranchés de lumière et d'ombre, dont peut se passer un savant artiste, à moins que le peintre n'y fasse
précisément consister son génie, à l'exemple de Ribera. Pour reculer, par exemple, un personnage revêtu
d'une couleur voyante, ou, si l'on veut, pour mettre à son plan une draperie rouge, Teniers n'a pas besoin
de l'alourdir par un gris nébuleux; il lui suffit de donner à ce rouge une teinte juste, c'est-à-dire d'y mêler
(lans une juste mesure ce ton général de l'air que les doctes connaisseurs appellent teinte évanouissante t.
Cependant, en l'absence même de la couleur et de la touche, et à ne considérer Teniers que dans les
gravures de Lebas, où il est reproduit si finement, le peintre reste encore un des plus expressifs, des plus
spirituels de son école et de bien d'autres. Sans doute si l'on arrive devant les tableaux de Teniers, comme y
arriva Louis XIV, entouré d'une cour brillante, avec la passion et les habitudes de la grandeur, infailliblement
l effet produit sera désastreux. Un héros qui donnerait le bras à la tière Athénaïs de Montespan,
ou qui tiendrait
la main de la duchesse de La Vallière, ne saurait prendre un vif intérêt à la représentation de scènes aussi
grossièrement triviales, et le mot de magots sera le cri de l'idéal effarouché. Un gouverneur des Pays-Bas
pourrait seul comprendre l'éternel épisode de l'homme tourné contre le mur; mais quand on s'occupe de David
Teniers, il ne faut pas oublier qu'on est entre Malines et Anvers, et que de là au Parthénon il y a quelque
douze ou quinze cents lieues, et des lieues de Brabant ! Il convient donc de fermer les portes sacrées de l'idéal
et d'entrer de bonne grâce dans le cabaret de Teniers, où pour toute ivresse nous nous contenterons de celle de
la bière, où pour toute poésie, nous accepterons la réalité.
Quels nuages de fumée! La pipe dans toutes les bouches, les cartes dans toutes les mains, des casseroles qui
reluisent aux murailles, une ménagère qui fait crier la friture sur un feu clair, les plus gourmands autour :
voilà l'intérieur. Mais qui sont ces gens-ci? Peut-être des matelots fraîchement débarqués des grandes Indes.
L'un joue le dix de pique; l'autre, les deux coudes levés, boit à même d'un cruchon ; un troisième vient
d'accrocherà un contrevent la charge du magister, croquée au charbon sur une méchante feuille de papier ;
celui-là embrasse la fille d'auberge et ne s'aperçoit point que l'hôtesse a ouvert une fenêtre donnant de l'escalier
du dehors dans le cabaret, sans doute pour surveillerd'un œil jaloux et d'une mine renfrognée les embrassements
illicites de la maritorne... Je me trompe, c'était pour fournir à Teniers un rayon de lumière dont il avait besoin
dans cet angle de son tableau. Eh quoi! sous cette même fenêtre s'est décemment retourné
un des buveurs
qui donne un libre cours aux effets de la bière nationale, celui de tous ces magots qui avait le plus scandalisé
Louis XIV !
Teniers n'eut pas seulement de commun avec Molière, son contemporain, le titre de valet de chambre d'un
prince, il eut aussi cette verve comique qui s'empare irrésistiblement des choses et les livre vivantes au rire
de la postérité. La gaieté n'abandonne jamais ni l'auteur ni ses personnages, mais c'est
une gaieté vraie,
intérieure, profonde et communicative. Dans la grande kermesse de Rubens, qui est au Louvre, on s'enivre
avec
passion, on s'embrasse avec fureur; dans les kermesses de Teniers, l'on rit, l'on boit et l'on danse
avec le
laisser-aller du plus parfait naturel. Il faut dire cependant que la gaieté de ce peintre se complique de raillerie
et de malice. S'il peint un charlatan qui crie son ratafia par les rues, s'il représente un arracheur de dents
qui propose à sa victime de soulager avec du genièvre le mal affreux que lui fait une molaire, arrachée
pourtant sans douleur, il est tout simple que l'expression de son pinceau soit d'une bonhomie caustique, mais
il n'est pas jusqu'à l'héroïsme que Teniers ne prenne par son côté trivial. Voici
un tableau qui porte pour titre
Apprêts militaires. Que pense-t-on que Teniers y ait placé? Un cavalier qui selle
son cheval? Non, c'est
Wouwermans qui l'eût compris de la sorte. Un gentilhomme qui saisit son casque? C'eût été l'affaire de

1 est aussi l expression dont se sert le savant M. Paillot de Montabert dans son Traité complet de la peinture; 10 vol. in-8,
C

avec planches. Paris, 1825.


Van Dyck. Teniers, en quelques coups de pinceau, a peint une vieille femme qui bat des habits. La poussière,
voilà pour lui ce que la gloire secoue tout d'abord.

Bohémiens disant la bonne aventure en pleins champs et se moquant de la crédulité de leurs pratiques;
alchimistes penchés sur leurs fourneaux et ridicules dans leur impuissant savoir; singes vêtus en gentilshommes,
l'épée au côté, le chapeau sur la tête devant l'homme, comme des grands d'Espagne devant le roi, et parodiant
ainsi les vanités humaines; sorcières préparant leurs chaudières au clair de lune; chats déchiffrant à livre
ouvert des cahiers de musique et contrefaisant la gravité des virtuoses : voilà les sujets favoris de Teniers, voilà -
les scènes où s'épanche sa verve railleuse. C'est là sa comédie de la vie. Teniers, dites-vous, a traité aussi des
sujets religieux? Oui, mais dans le martyrologe catholique, quel est le saint qui a eu toutes les préférences du
peintre? C'est saint Antoine. Quelle bonne occasion de rire! Autour du fervent ermite, réfugié dans l'extase,
cramponné aux ardeurs du mysticisme, répandre pour troubler son attention et son salut, les distractions les
plus irrésistibles, les monstres les plus grotesques, les cauchemars les plus cornus, les bêtes qu'on ne peut
voir sans éclater, quelle tentation pour Teniers lui-même! Aussi combien de fois n'a-t-il pas recommencé ses
entreprises bouffonnes contre la gravité du saint! Agenouillé dans sa grotte, le solitaire ridé et chenu joint
ardemment les mains, fixe les yeux avec désespoir sur les livres qui soutiennent et qui sauvent. Autour de lui
naissent et fourmillent les animaux les plus surprenants. Ils arrivent de partout, ils escaladent les rochers en
se faisant la courte échelle. Ceux qui ne peuvent entrer, collent aux fentes de la grotte des profils incroyables
qui suffisent à leurs mauvaises intentions. Debout à côté des livres pieux, des hiboux en lunettes lisent avec
non moins d'attention que le saint. De toutes parts crucifiées aux murailles, des chauve-souris regardent
l'infortuné chrétien pendant que des ptérodactyles et autres bêtes impossibles, inventées simultanément parla
fantaisie de Teniers et par l'imagination de Callot, avant d'avoir été reconstruites par le génie de Cuvier,
tirent par derrière la robe d'Antoine. Qui le croirait? Au milieu de" ce carnaval, le saint garde sa figure de
Carême. Ah ! si Teniers ne l'a pas fait rire, il y faut renoncer.
Le musée de Bordeaux renferme un beau tableau de Teniers, et fort rare par la vigueur inaccoutumée de
l 'effet. Une aussi vive opposition de lumière et d'ombre remarquable chez
un peintre qui avait l'habitude,
comme dit Gersaint, d'enlever des parties claires sur des fonds clairs1. Ce tableau, dont nous donnons ici la
gravure, porte le nom de Lecture diabolique. Ne serait-ce pas plutôt quelque drolatique variante du Saint
Antoine? Il me semble voir un loustic de cabaret, porteur d'une casquette de loutre et d'un
nez d'ivrogne,
qui est venu s'asseoir furtivement à la place du dévôt ermite, ayant à ses pieds les livres sainls et devant lui,
sur la table, la tête de mort obligée. En se voyant entouré de ces monstres encapuchonnés, ailés, enflammés,
qui le prennent apparemment pour le cénobite, il rit dans sa barbe des avances que lui font les
messagers de
Satan, comme s'il n'était pas des leurs!
« Le grand secret de Teniers, dit fort exactement M. Paillot de Montabert dans son Traité de la peinture,

« c'est sa grande connaissance et son grand sentiment de la perspective. Il la possédait à fond, et l'appliquait

« non-seulement aux formes, aux lignes, mais aux tons, aux teintes et à la touche. Outre ce moyen, le plus

« puissant de la peinture, Teniers entendait l'art de combiner le clair-obscur et beaucoup mieux encore,

« suivant moi, l'art de combiner les teintes.... Les effets de Teniers sont toujours très-débrouillés, ils sont

« aériens, naïfs et légers. Point de ce vaporeux qui n'est que la ressource de certains ignorants; point de
ces
« ténèbres générales au milieu desquelles scintille un point aigu de lumière... Son grand art, c'est de déguiser
« l'art, c'est de taire son secret. De prime abord, vous ne remarquez aucun artifice; il semble que le premier

« venu composerait, disposerait, éclairerait tout aussi bien que lui, tant son système est naturel; mais si l'on
« y réfléchit quelque temps, on découvre, malgré son adroite bonhommie, toutes les causes, tous les calculs,
« tous les artifices. Toujours sûr du résultat ou plutôt familier avec le principe de l'unité des clairs et des
« bruns, familier avec les moyens d'opposition, maître de jeter de la suavité par des objets demi-lumineux
ou
« de la fermeté par des contrastes très-ressentis, tantôt il place en se jouant un homme vêtu de blanc sur un
« ciel blanc lui-même, tantôt il place du gris sur du gris, du rouge sur du rouge; rien ne l'embarrasse et il
« se divertit, pour ainsi dire, en diversifiant les combinaisons8. »
On désire savoir quelle a été l'opinion de Teniers,
ce philosophe pratique, à l'endroit du mariage, et lequel

1 Gersaint, Catalogue de M. Quentin de Lorangère. Paris, 1767.


2 Traité complet de la peinture,
par M. Paillot de Montabcrt. Paris, i82a.
ilsuivit, de ces deux conseils donnés tour à tour à Panurge par son joyeux ami Pantagruel. Teniers se maria
deux fois, et voici comment on s'est plu à le raconter dans des livres où la fantaisie joue peut-être un trop
grand rôle. Il avait peint pour un gentilhomme qui allait prendre femme, un tableau de l'Hymen. L'Hymen
dans cette œuvre, remplie de malice comme à l'ordinaire, paraissaitcharmant, vu de loin, et morose, vu de
près. L'archiduc Léopold avait acheté cette toile et l'avait fait placer au bout de sa galerie sur une espèce
d'estrade. Pour monter sur cette estrade, il fallait passer un pas fort glissant; en deçà, c'était le charmant point
de vue; mais sitôt qu'on avait passé le pas, adieu les charmes. Or, il y avait à Anvers une jeune fille, Anne
Breughel, fille du célèbre peintre, Breughel de Velours. Lorsque Teniers imagina qu'ainsi seulet, il ne

pouvoit demourer toute sa vie, Anne Breughel était mineure, et n'avait pas moins de trois tuteurs, Corneille
Schut, Van Balen et Rubens. Ce devait être une ravissante jeune fille et un précieux trésor qu'Anne Breughel,
à en juger par les trois illustres peintres que le Magistrat lui avait donnés pour gardiens. Un jour qu elle visitait
la galerie de l'archiduc Léopold, et qu'on lui faisait voir le tableau de Teniers, le peintre proposa à la jeune
fille de passer le pas. On rit Et c'est ainsi que Teniers devint l'époux d'Anne Breughel.
On peut voir, au sujet de Teniers, combien sont rares les bons livres de peinture. Certes, s 'il était un artiste
qui prêtât à la justesse des appréciations par la netteté de sa manière, par le caractère tranché de ses sujets et
de leur physionomie, enfin, par la clarté, ou pour mieux dire, par l'évidence de ses expressions, c était David
Teniers. Et cependant, on peut fouiller les livres d'art, les livres historiques surtout, on n 'y trouvera pas une
page qui ait de l'intérêt sur un peintre qui sut en donner à tant de modèles. C est à
peine si d 'Argenvilte
dit pas un mot, pas
consacre six lignes à Teniers le jeune dans la biographie de Teniers le père. Félibien n 'eii
même dans l'édition publiée en 1706, seize ans après la mort de Teniers; DJ Piles, qui a si dignement 1)[ll'h'.
de Rubens, n'a trouvé à dire sur Teniers que trois ou quatre lignes assez insignifiantes.
Dans ses Observations sur quelques grands peintres, Taillasson a bien dessiné en quelques traits cette figure
de Teniers le fils. « Teniers, dit-il, peint le moral de ses paysans aussi bien que leur physique. Leurs passions,
en effet, ne devaient pas avoir la même physionomie que celles des autres hommes. Dans ses tableaux, on les
entend raisonner, discuter, politiquer... Lorsqu'il les a peints jouant aux cartes, avec quelle justesse et quelle
chaleur il a saisi l'espèce d'expression de cette espèce de joueurs! Il sait distinguer les différents états des
habitants des campagnes, et depuis le mendiant jusqu'au seigneur de la paroisse, toutes les nuances y sont
clairement senties... Ses tons de couleur sont vrais et riches, vigoureux et argentins; ses tableaux sont toujours
harmonieux, sans affectation de sacrifices. Dans les scènes d'intérieur, dans celles qui se passent en plein air,
le clair-obscur semble senti si aisément, qu'on dirait que le peintre n'y a pas songé. Le talent de Teniers
est surtout caractérisé par une touche rapide et spirituelle qui, en se jouant, porte partout la lumière, la couleur,
la vie et l'expression. Ses ouvrages, remplis de vérité, paraissent avoir été faits en un instant ; rien n'y sent la
contrainte, rien n'est copié servilement; tout y semble créé. » Du reste, si les bonnes appréciations sont rares
dans les livres, en revanche la tradition les a conservées parmi les amateurs. Teniers, de tous les peintres dont
les tableaux courent les ventes, est un de ceux qu'estiment le plus les vrais connaisseurs; mais c'est aussi
un de
ceux que les demi-savants ont la prétention de connaître le mieux pour l'avoir entendu citer à tout propos,
pour l'avoir vu figurer au théâtre dans des vaudevilles, enfin, pour avoir vu cent imitations d'A.bshoven, de
Ryckaert et de quelques autres.
Teniers avait un talent fort remarquable, celui de vendre ses tableaux. Une anecdote, qui, si elle n'est pas
inventée, a peut-être inspiré à La Fontaine sa fable du chat qui fait le mort pour mieux prendre les souris,
prouverait que le dix-septièmesiècle n'était sur aucun point en arrière du nôtre. Les toiles de Teniers, avons-
nous dit, étaient avidement recherchées. Néanmoins, un moment arriva où l'offre fut supérieure à la demande :
les tableaux de Teniers occupaient déjà deux lieues en Europe, et la dépense s'improvisait plus facilement
encore que la peinture. L'alarme est au château des Trois-Tours. Comment soutenir ce luxe, cette hospitalité
généreuse à laquelle le peintre et ses illustres amis sont habitués? Produire davantage, produire à toute heure,
saisir d'un pinceau rapide tous les paysans qui passent ou qui dansent, tous les fumeurs qui boivent, tous les
buveurs qui fument, c'est avilir les prix, tuer le marché. Teniers cherche des remèdes et ne voit de salut
que
dans la mort. Mourir, c'est liquider l'admiration. C'en est fait : la triste nouvelle se répand. Teniers est mort !
Ce peintre si spirituel ne peindra plus; heureux qui possède de
ses tableaux ! Il en a laissé quelques-unsqui sont
des chefs-d'œuvre. On accourt, l'or se montre et sonne, la hausse se déclare. Cependant, retiré
au fond de
sa demeure, le pinceau à la main et le rire sur les lèvres, le peintre travaille à ses œuvres posthumes. On
achète, on s'étonne, Teniers ressuscite et la joie est générale, même parmi les amateurs rançonnés. Le mort
a saisi le vif.
Après quelques années de bonheur, Teniers perdit Anne Breughel et il dut vendre le château des
à
Trois-Tours. Ce manoir qu'il avait illustré fut acheté par Jean de Fresne, conseiller la cour de Brabant.
Mais Teniers eut la chance d'y rentrer en épousant la fille du
nouveau propriétaire. Un des fils de Teniers se
fit, dit-on, récollet et l'on prétend qu'il a laissé quelques écrits touchant la vie et la mort de
son père. Quant
au joyeux peintre des tabagies et des kermesses, des singes en pourpoint, des cigognes en lunettes, des moines
en tentation et des alchimistes à l'œuvre, il mourut, mais sérieusement cette fois, en 1694, à l'âge de
quatre-vingt-quatre ans,
CHARLES BLANC.

mlEŒimIlE
m(ClIIlE gM HlMMWiHS»
Il n'est pas de galerie ni de cabinet qui ne possède des tabagies, des sujets rustiques, des alchimistes, des diableries,
tableaux de Teniers, et une collection où il ne s'en trouverait des singeries, des batailles, des animaux, des sujets d'histoire
pas serait, à juste titre, considérée comme incomplète. et de sainteté, des paysages et des natures mortes; partout
Indépendamment de ses jolies kermesses, de ses noces de il a déployé cette légèreté d'exécution et cette touche fine et
village si animées, Teniers a traité avec une verve, une spirituelle qui ne furent jamais dépassées.
chaleur d'imagination étonnante, les scènes de cabaret, des Les meilleurs graveurs de tous les pays ont reproduit à
l'envi les compositions de Teniers; nous citerons Hollar, ivrognes, fumeurs et singes. — Au milieu de petits cadres
L. Surugue, T. Galle, P. Pontius, Ph. Lebas, Tardieu, que Teniers terminait dans une soirée et qui ont conservé
T. Major, excellent graveur, peu connu, F. Basan, P. Chenu, le nom <¥ Après-diners, on y rencontre quelques ouvrages
J. Beauvarlet, F. Van Steen, Muller, Coryn-Boel, Van saillants: d'abord deux grandes Fêtes villageoises, provenant
Bruggen, Alliamet, Aveline, Lépicié, Moitte, de La Bar-the, du cabinet de Voyer d'Argenson; un très-beau Corps de
Laurent, Truchy, N. Lemire, Daullé, Levasseur, Canot, garde; l' Intérieur d'une cuisine pleine de gibier, de poisson
Baron Chedel, Schwab F. Boëce Couché Boutrois, et de légumes. — La Vue de sa maison, dans le village de
, , , ,
Guttenberg, Niquet, etc., etc. Perck, entre Anvers et Malines. — Mais la Malmaison a livré
Mais aucun d'eux n'en a rendu l'esprit comme le célèbre à l'Ermitage une œuvre hors de ligne, une œuvre hors de
Lebas, qui a pour ainsi dire fait passer dans ses estampes la prix : c'est un grand tableau qui fut peint en 1643 pour la
finesse de touche et les tons d'argent des tableaux du célèbre confrérie de l'Arbalète et qu'on appelle les Arquebusiers
Flamand. d'Anvers. On n'y compte pas moins de quarante-cinq per-
D. Teniers a gravé plusieurs pièces à l'eau forte, et il a sonnages en figurines de 8 à 10 pouces. L'arrangement de
laissé quelques dessins à la mine de plomb, traités comme cette foule en perspective est merveilleux comme le rendu
ses peintures, avec une grande finesse et beaucoup d'esprit. de tous les détails. —Descamps le désigne avec raison comme
Dans tous les pays où le sentimentde la peinture a pénétré, le plus beau tableau de Teniers. Rien de plus considérable
on trouve des tableaux de Teniers le jeune. ni de plus parfait n'est sorti du pinceau de ce maitre fécond.
Au BELVÉDÈRE, à VIENNE, on ne compte pas moins de dix- (Viardot.)
neuf compositions de ce maître, réunies dans la chambre On trouve à BRUXELLES quelques tableaux de Teniers,
no 6. — Une Noce de paysans, signé et daté de 1648. — faibles échantillonsdu talent de ce maître.
Abraham et Isaac sur la montagne. — Une Jeune fille net- Les salles du MUSÉE de MADRID ne contiennent pas moins
toyant des ustensiles de cuisine. — La Faiseuse de saucisses. de soixante-seize tableaux de D. Teniers. Une désignation
— Une Fête de village. — Une toile représentant une partie exacte serait sans intérèt; mais nous croyons qu'il est utile
du cabinet de tableaux de l'archiduc d'Autriche Léopold- de mentionner ceux qui par l'excellence du travail, ou par
Guillaume. On y voit cinquante tableaux de maîtres italiens, la nature des sujets, sortent de la ligne ordinaire.
copiés exactement en petit. — Des Paysans tirant à l'arba- A ce double titre, il faut d'abord citer une Galerie de
lète. — Une Kermesse. — La Fête des arbalétriers, qui tableaux visitée par des gentilshommes. En signant cette
était célébrée chaque année à Bruxelles. Parmi la masse de toile, Teniers écrivit à la suite de son nom : Pintor de la
peuple qui couvre la place des Sablons, on remarque les caméra (pour camara) de S. A. S. Voici l'explication de ce
portraits de Teniers et de sa famille. La toile est signée et sujet et de cette devise espagnole : — L'archiduc Albert,
datée de 1652. gouverneur des Pays-Bas pour l'Espagne, avait chargé notre
L'ancienneetfameuse GALERIE de DUSSELDORFne renfermait peintre de lui composer non pas un cabinetd'amateur, mais
qu'un tableau de D. Teniers, c'était une Fête de village. une galerie de prince. Quand il eut rempli cette mission
La PINACOTHÈQUE de MUNICH est très-riche en compo- délicate, à la satisfaction de son commettant, Teniers eut
sitions de ce maître. On y voit quatorze tableaux qui tous l'idée d'en perpétuer le souvenir par un tableau. On y voit
méritent un éloge particulier. Il faut citer de préférence une l'archiduc, en compagnie de quelques seigneurs, entrer dans
Foire italienne, de huit pieds sur douze ; une Tabagie de la galerie où Teniers, qui s'est mis égalementen scène, lui
singes, composition très-spirituelle et très-amusante. — présente des dessins étalés sur une table. Du haut en bas des
Un Corps de garde. — Une Société de dix fumeurs ou murailles sont rangés les tableaux de son choix fidèlement
buveurs. — Des Singes occupés à faire la cuisine ; quelques- copiés et réduits à des proportionsmicroscopiques, mais où
uns sont masqués. — Un Concert de chats et de singes, l'on reconnait néanmoins très-clairement, outre le sujet, la
charmant d'invention et d'esprit. — Une Danse; une Noce touche de chaque maître. (Viardot.)
de paysans. Il n'y manque qu'une Tentation de saint An- On peut citer encore parmi les fantaisies de Teniers un
tuÍlw. excellent tableau d'animaux qui ferait envie à Paul Potter;
la GALERIE de DRESDE, vingt-troistableauxde D. Teniers.
— le Roi boit, charmante scène de table d'une gaité franche
A
— La Partie de trictrac. — Kermesse flamande. — Paysans et communicative.
jouant aux cartes. — Une Vieille à laquelle appa- Le MUSÉE DU LOUVRE contient quatorze tableaux de D.
raissent des dires fantastiques. — Saint Pierre délivré Teniers, tous d'une belle qualité et quelques-uns hors de
de prison. — Corps de garde.
— Deux Paysages. — Un ligne. Nous citerons une Tentation de saint Antoine, tableau
Chimiste. — Tentation de saint Antoine.
— Buveurs jouant d'une exécution et d'une finesse de touche admirables; deux
aux dés. — Danse de paysans. — Une autre Tentation de compositions capitales, l'Enfant prodigue à table avec des
saint Antoine. — Vieux dentiste qui vient d'arracher une courtisanes, — les OEuvres de miséricorde, — une Noce de
dent. — Paysage montueux. — Dans l'une des deux Tenta- village, — un Intérieur de tabagie, — le Rémouleur — et
tions de saint Antoine, chose à peine croyable (fait observer
une Chasse au héron.
M. Viardot), il manque l'éternel œuf-poulet. C'est l'unique Malgré l'innombrablequantité des œuvres de Teniers, le
fois, ajoute cet amateur, qu'à sa connaissance,Teniers ait prix de ses tableaux a égalé dans tous les temps celui des
oublié sa plaisante invention.
ouvrages les plus recherchés.
Dans le MUSÉE de BERLIN, quatre D. Teniers, dont aucun VENTE LoR,&NGÈRE 1744 (faite par Gersaint). — Un Sujet
très-capital. Il faut cependant distinguer un Alchimiste, et ,
de cuisine, dit le catalogue, fut adjugé pour 60 livres; une
une Tentation de saint Antoine, grande, belle et importante Tabagie pour 130 livres; un Paysage des plus fins pour 362
au milieu des cent autres. livres 5 sous; — l'Atelier de Teniers, orné de divers tableaux,
Al'ERMITAGE, à SAINT-PÉTERSBOURG,sur les quarante-sept fut poussé à 320 livres. — Un an après, à la vente du che-
tableaux qui composent le contingentde Teniers, on trouve valier de La Roque, une Tabagie ne monta qu'à 96 livres;
tous les genres qu'il a traités : paysages, cabarets, tabagies, une autre, même sujet, fut poussée à 412 livres; — un joli
kermesses, corps de garde, tentation de saint Antoine, inté- Paysage, gravé par Lebas, sous le titre : l'Arc-en-ciet, fut
rieurs, scènes grotesques, musiciens, alchimistes,pècheurs, adjugé pour 142 livres 5 sous; — le Château de Teniers,
gravé aussi par Lebas, fut abandonné pour 220 livres. guinguette flamande, tableau également gravé, se vendit
VENTE JULIENNE 1767. — Les choses s'y passèrent diffé- 2,205 livres à celle de VINCENT DOUJEUX, en 1791, où on ne
,
remment. — Une danse villageoise monta à 5,900 livres; — comptait pas moins de dix-neuf tableaux de D. Teniers; —
une Noce de village alla jusqu'à 7,202 livres ; — un Paysage les Cinq sens, adjugés à la vente du comte Dubarry, en
orné de figures se vendit 1,542 livres; — le Château de 1774, pour 1,020 livres, se vendirent 3,801 livres.
.Teniers, qui quelques années auparavant avait été estimé VENTE ROBIT, 1802.
— Un tableau du premier mérité,
220 livres, fut porté à 900 ; — le Paradis terrestre, à 800 connu dans la curiosité sous le titre du Déjeuner de jambon,
livres; — un Intérieur de cuisine, à 630 livres, — et des composition capitale de vingt-six figures, qui avait fait partie
Joueurs de cartes, quatorze figures, à 2,000 livres. des collections de Randon de Boisset et Lempereur, et,
Ce mouvememt ascensionnel se soutint. En 1770, à la avant, de celle du prince de Rubembré, fut adjugé au prix
vente de M. DE LA LIVE DE JULLY, une Fête flamande, prove- de 17,000 livres. — Celui qui a pour titre la Foire de Gand
nant du cabinet de MME la comtesse de Verrue, se vendit 6,800 s'éleva à la somme de 12,720 livres; — les autres : une Fêle
liv. ; — uit Chimiste dans son laboratoire, gravé par Lebas, flamande, 7,800 livres; un Paysage, 4,520 livres; enfin un
s'éleva à 3,500 livres. — A la vente LEMPEREUR, en 1773. Intérieur de tabagie, 3,892 livres.
une Fêle flamande, provenant de ce mème cabinet de M"" de VENTE LAPÉIUÈRE, 1817.
— Une Fête de village fut vendue
Verrue, fut adjugé pour tO,001 livres 7 sols; — une Guin- pour 7,100 francs; — un Intérieur de tabagie (deux hommes
guelte flamande, 8,040 livres ; une Marine, gravée par Lebas, jouant aux cartes sur une planche posée sur un tonneau;
2,551 livres. auprès d'eux, trois spectateurs dont deux debout; plus loin,
VENTE MARQUIS DE BRUNOY, 1776. — Une Féte flamande, près d'une cheminée, deux paysans dont un vu par le dos
gravée par Lebas, sous le titre : Environs d'Anvers, fut est endormi), fut vendu 6,510 francs.
vendue 6,000 liv. ; — deux autres tableaux représentant des VENTE ROBERT DE SAINT-VICTOR. — L'Arc en ciel, gravé
Fêtes flamandes,gravées également par Lebas, sous le titre : par Lebas, 2,920 francs; — la Ferme, gravée par le mème,
les Accords flamands et le Lendemain des noces, atteignirent 2,790 francs.
le prix de 10,999 livres 19 sols. A la seconde vente de M. LAPEYRIÈRE,une Tentationde saint
VENTE BLONDEL DE GAGNY, 1776.
— On y vendit pour Antoine, sur cuivre (hauteur 21 pouces, largeur 28 pouces
29,000 livres l'Enfant prodigue, cette magnifique composi- 6 lignes), fut adjugée 8,750 francs; — les Quatre saisons,
tion qui orne le Musée du Louvre et dont tout le monde figurées dans quatre tableaux, furent poussées à 30,000 fr.
connaît l'admirable gravure exécutée par Lebas. — Une Fête
— un Intérieur de corps de garde, sur cuivre (14 pouces sur
de village, composée de plus de cinquante figures, fut payée 18), atteignit 12,999 francs. — A la vente de M. le chevalier
11,000 livres; — un autre tableau gravé par Lebas, sous le ÉRARD, en 1832, on comptait douze tableaux de Teniers.

titre : les Pécheurs, monta à 4,820 livres ; — la Femme L'Enfant prodigue, sur bois (hauteur 19 pouces 3 lignes,
jalouse, gravée par le mème, 1,155 livres; —/a Vue de largeur 28 pouces), monta à 17,100 francs; — les Quatre
Flandre, gravée par le mème, 2,404 livres. — Nous en saiwns, de la vente de M. Lapeyrière, furent retirées à
passons un bon nombre, car cette vente n'en contenait pas 24,000 francs.
moins de trente et un. VENTE DUC DE BERRI, 1837. — Le Déjeuner de jambon, que
VENTE PRINCE DE CONTI 1777.
, — Les OEuvres de misé- nous avons vu vendre 19,999 francs et 17,000 francs, fut
ricorde, le beau tableau que possède le Musée du Louvre, adjugé cette fois à 24,500 francs à M. Demidoff, qui, pour
qui avait orné successivement les galeries de M. Gaignat et quatorze tableaux qu'il acheta, dépensa la somme de 225,120
de M. le duc de Choiseul, fut adjugé pour la somme de francs; — l'Homme à la chemise blanche resta à M. Hope
10,510 livres. pour 18.900 francs; — le Concert champêtre, gravé par
VENTE RANDON DE BOISSET, 1777.
— Nous trouvons encore Lebas, 6,051 francs; — une Kermesse, qui à la vente Robit
dix tableaux de Teniers, presque tous importants s'était vendue 7,800 francs, atteignit à celle-ci le prix de
— La
Cotir d'une ferme, 11,100 liv. ; — l'Intérieur d'une chambre 7,860 francs.
(on voit sur le devant une table servie sur laquelle est un VENTE AGUADO. — Le Corps de garde, 15,300 francs.
jambon; quatre figures autour; les figures ont 10 pouces de VENTE CARDINAL FESCH, 1845. — Un seul tableau de Teniers,
proportion ; il y en a en totalité vingt-six),19,999 liv. 19 sols. parmi les quatre ou cinq qui y figuraient, mérita de fixer
VENTE CHOISEUL-PRASLIN,1793.
— Les tableauxde Teniers, l'attention des amateurs : c'était le Couronnement d'épines.
au nombre de treize, se vendirent à des prix assez élevés. — Il fut adjugé au prince de Canino moyennant 4,500 scudi
Une Kermesse, gravée par Ph. Lebas, fut adjugée à 29,250 (soit plus de 24,000 francs).
livres. Cette composition comprend quatre cents figures for- D. Teniers a signé presque tous ses tableaux soit en toutes
mant divers groupes et toutes variées d'attitude. — La Petite lettres, soit par la marque ci-après, qui était celle de son père.
Les Recherches et Indications ci-dessus sont de M. Armengaud.

VENTE MECKLEMBOURG, décembre 1854. — Intérieur d'un cellier. Un majordome ordonne à un jeune valet d'enlever des fruits
déposés sur une table. Dans. le fond, une vieille servante à une porte. Les fruits sont de la main de David de Heem, et le tableau
porte la signature des deux maîtres. — Ce charmant tableau a été adjugé pour 5,500 francs à M. Adolphe Thibaudeau.
é/cole t^ë&éâinc/atée. JÆaJf{?Zed.

11 .•, r'y : :
BONAVENTURE PETERS
NÉ EN 1614. — MORT F.K 1652.

Le bon Descamps, toujours si placide, s'est


échauffé une fois dans sa vie, au sujet de Bonaventure
Peters. Ses ouvrages, dit-il, n'inspirent que
«

« l'horreur. Il peignait des marines, des ouragans


« terribles : c'est presque dans tous un ciel confondu
avec l'eau, le tonnerre, les éclairs, des vaisseaux
«

« prêts à être
engloutis; l'un se brise contre un
« écueil et l'autre
est en feu et saute en l'air : tout ce
« qu'il a
fait en ce genre est précieux. Il passait
« pour le
meilleur peintre de marines de son siècle;
« ses
sujets sont remplis de petites figures touchées
« avec
esprit et avec finesse. On ne sait pas comment
« il a pu représenter tout ce qu'il a fait avec autant
de vérité; elle est au point de donner de eliroi. »
Comme la plupart des peintres de marines, Bonaventure Peters naquit dans le voisinage de la mer. Anvers,
sa patrie, était alors une des plus florissantesvilles de l'Europe. L'Escaut
lui amenait des navii es partis de
tous les points du globe. Ses rues, aujourd'hui désertes, étaient dans ce temps-là remplies de
monde, encombrées
devait
de chariots et de marchandises. Berceau de tant de grands artistes, pépinière de marins, Anvers
être à cette époque une école toute formée pour un peintre de marines, puisqu elle offrait il ses études un<
les plus
population de matelots, une forêt de navires, presque un bras de mer, et pour modèles de peinture,
magnifiques morceaux de l'art flamand., Vers 1630, lorsque Bonaventure
Peters, âgé de seize ans, dut
commencer peindre, en le supposant aussi précoce que l'étaient en général ses compatriotes, l'école de
à
Hubens brillait de tout son éclat. Déjà elle était descendue des régions
de l'histoire sacrée ou profane, dans
le domaine de ce que
nous appelons le genre. Le grand François Sneyders peignit les chasses et les animaux
comme eût fait Rubens lui-même. Pierre Snayers avait inauguré le genre des batailles; le jésuite Daniel
Seghers introduisait dans la peinture, même historique,
ses fraîches guirlandes de fleurs et de fruits; les
scènes familières et grotesques exerçaient parfois le fier pinceau de Rombouts.
Enfin quelques Anversois,
tels que Van Uden, Wildens, Josse de Momper peignaient
en maîtres le paysage... Mais, par une singularité qui
mérite d être remarquée, cette nombreuse école d'Anvers n'avait
pas un seul peintre de marines! Breughel
de Velours et Adam Willaerts avaient représenté, il est vrai, des rivières chargées
de bateaux, des barques
de pêcheurs remplies de figures, des plages même; mais ni l'un ni l'autre n'avait
fait de la mer l'objet
principal de leurs tableaux. Bonaventure Peters fut, je crois, le premier Flamand qui fit de l'art à bord
d'un
vaisseau et prit pour sujet l'Océan;
car Van Minderhout, que l'on dit né à Anvers, était plus jeune que lui
de vingt-quatre ans.
On ne sait qui fut le maître de Peters ni
aucune particularité de sa vie. Les biographes nous apprennent
seulement qu'il fut poète et passa pour bien faire les
vers, c'est l'expression de Descamps. Ce qui est certain,
c est que tous ses ouvrages révèlent une intention de poésie. Peters peut être comparé au hollandais Van
Goyen; non pas pour leur similitude, mais au contraire pour la différence de sentiment dont leurs
marines
portent l'empreinte. L'un et l'autre ont peint les mers septentrionales roulant leurs
eaux jaunâtres et tristes
sous un ciel bas et brumeux. Mais Van Goyen n'a représenté que la mer calme, sillonnée
au loin par des
chasse-marées, ou des canaux paisibles à peine ridés
par un vent frais et qui portent de grosses barques
chargées de marchandises. Peters, au contraire, n'a jeté les
yeux sur la mer ou du moins ne l'a étudiée avec
intérêt que lorsqu elle était houleuse, mugissante, soulevée
par la tempête et menacée par de lourds nuages
que déchirent les éclairs. L'impression que produisent les marines de Van Goyen est une impression de
quiétude qui berce l'esprit et l'endort. En apercevant
ces navires qui voguent doucement sur une mer dont
l'horizon recule à perte de vue, on laisse aller à leur suite
ses pensées; l'imagination la plus inquiète peu à
peu se pacifie et le tableau monotone de cette mer tranquille, de ces plages unies et silencieuses vous plonge
dans une rêverie semblable à celle que procure au voyageur l'aspect ordinaire de la Hollande. Bien differente
est l'impression qu'on éprouve devant les marines de Bonaventure : l'image des ouragans qui les bouleversent
vous transporte au milieu des périls de la mer, et ses petits tableaux ne rappellent que les moments de
grande émotion. Tout y est en mouvement, la nature et les hommes, le ciel et' l'eau. Ici c'est
une frèle
embarcation qui est ballotée par les vagues et sur le point de se briser contre les rochers du rivage; plus
loin, c est un bâtiment qu 'on aperçoit en pleine mer, penché entre deux lames aussi hautes
que des
montagnes et qui semble près d'être englouti. Quelquefois un rayon de soleil se glisse entre deux nuées et
vient jeter une lumière sinistre sur cette scène de détresse, ou bien c'est la foudre qui éclate
sur un ciel noir.
En un mot, rien n'est oublié de ce qui doit faire une sensation forte sur le spectateur. Quant
aux figures,
elles ne sont pas sans doute aussi fines que celles de Van de Velde, ni aussi savantes
que celles de Backuysen,
ni aussi dramatiquement jetées sur le premier plan que celles de Joseph Vernet; elles sont suffisamment
bien touchées; mais, toujours secondaires, elles semblent n'avoir été mises là
que pour nous intéresser aux
tourmentes de la mer, en nous faisant songer qu'elles menacent des hommes et que nous pourrions périr
nous-mêmes dans les abîmes où ils vont périr.
Il nous est arrivé cependant de rencontrer des tableaux de Peters qui
ne représentaient qu'un simple coup
de vent, ce que les marins appellent un grain; mais là encore le peintre trouvait à satisfaire son goût pour
heffet, car ces brusques changements de l'atmosphère ne manquent pas de produire un contraste piquant
entre la sérénité d'un lointain clair et la bourrasque momentanée qui assombrit le centre du tableau. En
homme qui certainement a beaucoup navigué et que l'on peut regarder, d'après ses peintures,
comme un
véritable loup de mer, Bonaventure Peters a peint également et par exception des bonaces, et alors il
se
rappoche de Van Goyen, sans avoir sa transparence et les tons argentins de Teniers dont il cherche à imiter
la touche leste et spirituelle, surtout lorsqu'il laisse voir les côtes et introduit dans sa marine un morceau
de paysage.
Nous avons dit que les figures de Peters ne valaient pas celles de Van de Velde ou de Backuyserr. Et
toutefois il existe dans la galerie du Belvédère à Vienne un tableau de Peter Neefs dans lequel les figures sont
de Bonaventure. C'est une vue de la cathédrale d'Anvers, sur le devant de laquelle est représenté 1111
seigneur accueilli par le clergé. Sans avoir vu ce tableau, nous pouvons induire de ce seul fait de l'association
de Peter Neefs avec Bonaventure. que ce dernier savait peindre les figures et en avait même la réputation

à Anvers; car autrement, dans une ville qui était alors remplie d'artistes d'élite en tous genres, et où les
plus habiles ne dédaignaient pas d'orner de figurines les tableaux de leurs confrères, Peter Neefs n'aurait
pas eu recours à un peintre de marines, pour lui donner à peindre les petits personnages d'un tableau
d'architecture, ou comme l'on dit, d'une perspective. Des prêtres en chappe, des diacres en surplis, des
enfants de chœur, tout un clergé enfin, dans son allure solennelle, ce ne sont pas là des figures à demander
à un peintre qui saurait seulement indiquer la pantomime d'un matelot, suspendre un mousse aux cordages
ou courber un canotier sur sa rame. Il faut donc que Peters ait été renommé dans son pays pour qu 011
lui ait confié une besogne ordinairement dévolue à Breughel de Velours ou à Sébastien Franck. Le peu
Valenciennes qui
que nous avons à dire sur Bonaventure Peters, nous permettra de citer ici un passage de
semble se rapporter au peintre flamand, bien qu'il ait été inspiré par un tableau de Loutherbourg : « Pour être
bon peintre de marines, dit Valenciennes, il faut savoir bien dessiner les figures et connaître l art de les grouper
indispensable
avec variété, en suivant le costume du pays où se passe la scène que l'on représente. Il est surtout
de connaître parfaitement la construction des navires de toute espèce, depuis le vaisseau de ligne jusqu 'à la
chaloupe ou au canot, savoir distinguer la physionomie des vaisseaux de chaque nation maritime, avoir des
études particulières et détaillées de tout ce qui sert au grément et il l'équipement du navire; des instruments,
machines et munitions employés dans les arsenaux, sur les ports et pour la navigation; des fortifications
maritimes, de la forme et de la cassure des rochers, de la nature des dunes et falaises qui bordent la mer
Il est essentiel surtout d'avoir acquis une grande habitude de peindre au premier coup, pour pouvoir faire en

un jour le ciel, les fonds et une partie des eaux dans la même pâte de couleur, surtout lorsqu'il y a de l'orage
ou du brouillard. Enfin il est absolument nécessaire d'avoir voyagé non-seulementsur les côtes, mais en
pleine mer.
Lorsqu'on ne peint la- mer que le long des côtes et sur le rivage, on risque de ne pouvoir pas déployer tout
'(
l'intérêt que peut inspirer un naufrage. A la vérité, les vaisseaux brisés contre les rochers, les hommes lancés
ou tombés dans la mer; ceux qui, pour éviter la mort qui les menace, s'accrochent au premier objet flottant
sur les eaux; ceux qui grimpent sur le rivage escarpé, ceux enfin qui sur la côte cherchent à sauver les
naufragés en leur tendant des cordes ou en allant les chercher à la nage, doivent, par leur mouvement et leur
situation, émouvoir notre sensibilité. Mais cet intérêt est en quelque sorte affaibli par l'apparence des secours
qui sont donnés ou reçus de toutes parts Quelle différence, si la tempête se fait sentir en pleine mer!
Le vaisseau, triste jouet des vents et des ondes en fureur, ne peut résister à leurs violents efforts; les voiles
sont déchirées et leurs lambeaux emportés; les mâts crient, se rompent et tombent sur le pont; une lame
effroyable se brise contre la poupe, enfonce les sabords, emporte la dunette et couvre d'une vague écumeuse et
noirâtre toute l'étendue du navire. L'eau pénètre de toutes parts; plus d'espoir si l'on diffère. Une frèle
chaloupe est mise à la mer; tout l'équipage s'y précipite, et l'esquif emporté sur le sommet de la lame, à peine
éloigné du vaisseau, le voit tournoyer et s'engloutir dans l'abîme. »
Parmi les pièces gravées par Hollar, Basan2 et autres d'après Bonaventure, il en est qui prouvent bien que le
peintre a voyagé sur mer, par exemple la Vue du port de Louving en Irlande, celle du Port de Tyr en Palestine.
Peters a donc pu étudier la mer, comme Backuysen,à bord d'un navire et y essuyer courageusement les tempêtes
qti 'il voulait peindre. Au surplus, ses marines ont un caractère de rudesse, un accent de vérité et, pour ainsiparler,
une odeur de goudron qui nous fontjuger que l'auteur n'était pas un marin d'eau douce. Du reste, son humeur le
portait évidemment au tragique, et s'il lui arrivait par extraordinairede planter un instant son chevalet dans
les sables de Scheveling, pour faire un tableau de cette plage paisible, uniquement animée par des marchands
ou des acheteurs de poissons, il revenait bien vite à son naturel en peignant de sa touche la plus fougueuse ses

1 Eléments de perspective pratique.


2Le nom de Basan se rencontre si souvent dans l'histoire de l'art, il se lit au bas d'un si grand nombre d'estampes, qu'il
convient de consacrer quelques lignes à ce graveur, mème dans l'Histoire des Peintres. Pierre-François Basan était le neveu
d'Etienne Fessard, graveur bien connu du dix-huitième siècle, qui lui apprit les rudiments du dessin et de la gravure. De son
école, il passa dans celle de Jean Daullé et devint habile dans son art ; mais il le serait devenu bien plus encore si l'ambition
d'acquérir une grande célébrité et de la fortune ne lui eùt fait abandonner la pratique du burin pour les spéculations du com-
merce. L'exemple de la fameuse maison des Mariette le soutenait dans ce dessein, et il se persuada facilement qu'il ne dérogeait
point en échangeant sa profession de graveur contre celle d'éditeur d'estampes. Il commença par voyager en Hollande et en
Angleterre, et, tout en achetant les planches dont il voulait se composer un fonds, il visitait les cabinets des curieux, augmen-
tait ses connaissances, achevait son éducation que M. Mariette avait ébauchée, et posait les bases de ces correspondances que,
depuis, il étendit à toute l'Europe. C'est à lui que le commerce des estampes doit son agrandissement,son utilité pour l'art et
pour l'artiste, sa dignité, j'allais dire, et ce mot, du reste, peut trouver so,n application, quand on parle de ces commerçants de
la vieille roche qui éditaient une estampe comme les Didot ou les Renouard éditaient un livre, et savaient ètre généreux en
restant habiles. Un jour, Jean-François Rousseaului présentant les épreuves de la Sainte Famille qu'il venait de graver pour le
Cabinet Choiseul, d'après Van der Werff, Basan trouve la planche si bien exécutée, qu'il ouvre sa caisse et invite l'auteur à v
puiser à discrétion, lui disant que des talents comme le sien étaient sans prix.
Basan fut le premier, dit Regnault Delalande, qui établit l'usage de tirer un certain nombre d'épreuves avant la lettre, et de
satisfaire ainsi, par un moyen sur de constatation, la préférence, d'autres diraient la manie des amateurs pour la rareté de
l'épreuve. Chargé par le duc de Choiseul, dont il avait la confiance, de faire graver les tableaux de sa galerie, Basan mit
infiniment de goût dans la confection de cet ouvrage, aujourd'hui fort recherché. Quand l'illustre ministre, en disgrâce, f'('
retira à Chanteloup, Basan l'étant allé voir avec tout Paris, M. de Choiseul le présenta aux visiteurs en disant : « Missicurs, i-oici
le maréchal de Saxe de la curiosité. »
combats à l'abordage, ses bâtiments qui sautent en l'air ou bien Y Incendie de la flotte anglaise dans le port
de Chatham.
Bonaventure eut un frère plus jeune que lui, Jean Peters, né à Anvers en 1624. Jean fut sans aucun doute
l'élève de Bonaventure, dont il reproduisitles sujets et la manière. Il s'adonna comme lui au genre des marines,des
vues de rivières, des plages. Nous avons un grand nombre de ces Vues gravées à l'eau forte d'après son dessin,
par Bouttats, et datées d'Anvers 1674. On y voit le Port d'Oran en Algérie et celui d'Alexandrie en Egypte.
Ces pièces, ainsi que plusieurs autres de moindre format étaient probablement destinées à orner ou plutôt à
,

compléter un livre de géographie. Elles montrent bien en tout cas que Jean Peters dut naviguer comme son
frère, et qu'il put trouver la sombre poésie de ses marines dans la simple fidélité de l'imitation. Mais sur Jean,
de biographie : « Jean Peters, dit Descamps, était
pas plus que sur Bonaventure, nous n'avons aucun élément
On ne sait
aimable et recherché dans le monde. Il a peint aussi des combats de mer d'une vérité surprenante.
Il convient de joindre
comment la mémoire a pu lui fournir ou le génie lui inspirer tant de détails différents. »
il ces trois lignes celles qui sont consacrées à ce peintre par le
Catalogue du Musée d Anvets, dans lequel ont
ville :
été fondus les précieux documents trouvés dans les divers registres de la confrérie de Saint-Luc cette
de

Il fut admis à la maîtrise de Saint-Luc en 1645-1646, sous le décanat


du célébré Teniers. Les
«
possède
biographes placent sa mort en 1677. » Vient ensuite la description du seul tableau de Jean Peters que
siècle, dit le catalogue,
sa ville natale, l'Escaut pris de glace devant Anvers : « Vers le milieu du dix-septième
l'Escaut fut pris de glace pendant plusieurs jours. Les Anversois y élevèrent des tentes et s'y promenèrent
en
patins, en traîneaux et même en voitures à roues. Ce tableau nous montre Anvers tel qu'il était à cette époque,
avec l'église et la porte du bourg, la grue et les tourelles des métiers. »
Pour en revenir à Bonaventure, il mourut à l'âge de trente-huit ans, suivant Corneille de Bie
son
contemporain, qui place la mort de Peters en 1652. Ce peintre fut enterré avec honneur à Hobeke, près
d'Anvers. On chanta sur sa tombe trois couplets funéraires qui furent composés sans doute par
un membre de
la confrérie de Saint-Luc, sur l'air :

Les flots n'auront point de rigueur

et dans lesquels on promettait, comme toujours, au défunt l'immortalité de sa réputation el de son âme.
Son frère, Jean Peters, lui composa l'épitaphe que voici :

Dees aert begrijpt een vas des werelts wonterheden


Zee shilder en poet, soo groot als d'aert oyt lede :
Peeters sijn toenaem was. den naem Bonaventuer
Sijn lof eeuwen verslijt, al rot dees sepultuer I.
Ce qui signifie :

Cy git une des merveilles du monde,


Ln pemtre de marines et un poète aussi grands que la terre en ait jamais portes.
Son nom était Peeters, son prénom Bonaventure.
Sa gloire lui survivra.

Après avoir transcrit cette épitaphe, Corneille de Bie ne put résister au plaisir d'y ajouter une vingtaine
de vers de sa façon. Nous épargnerons à nos lecteurs la poésie de ce rimeur intrépide, qui fut notaire et
procureur à Lyer et qui prend le titre de greffier de l'audience militaire de la dite ville. Qu'il nous suffise de
dire que le biographe versificateur, pour décrire dans de ronflants alexandrins les tempêtes de Bonaventure,
appelle à son secours et Pallas et Tethys, et les Vents et Neptune; après quoi le digne greffier nous apprend,
dans la langue d'Apollon, que Peters parla lui-même cette langue divine avec autant de grâce qu'Ovide, désigne
ici par son nom de Naso pour les besoins de la mesure et de la rime. Mais ce qui prouve de quel
renom jouissait
Peters dans son pays, c'est qu'on le jugea des plus dignes de figurer dans la galerie des peintres, sculpteurs,
architectes et graveurs que Jean Meyssens eut l'idée de publier à Anvers et que de Bie illustra de ses vers. Il est
assez curieux aujourd'hui de voir dans quel style on vanta les mérites de Peters au bas de son portrait gravé
par Hollar :

BONAVENTURE PEETERS. Très bon peindre de mers calmes et tempestes. Il s'entent bien aux navires. galères et batailles sur
mer. Cognoit l'orisont, ses elloignements sont douces, faict bien les villes et chateaux. On voit partout beaucoup de ses œures
dans les maisons des amateurs. Il est natif d'Anvers et fut né en l'an 1614.

Fort bien composés et très-intéressantsà regarder dans les gravures de Hollar, de Bacheley ou de Basan, les
tableaux de Peters sont peints lourdement et manquent de transparencedans celui de tous les genres qui
en
exige le plus. Sa triste palette se compose ordinairement de deux tons, le noir et le blanc. Tantôt il les
oppose
l'un à l'autre pour faire ressortir la blancheur de l'écume des vagues sur le flanc brun des navires, tantôt il les
mêle pour en composer diverses nuances de gris; mais jamais il n'arrive à ces gris argentins qui caractérisent
Teniers, ni à ces gris légers et fins qu'affectionnait Van Goyen et au travers desquels on voit transparaître
une
mince préparation de bitume et souvent même le simple ton du panneau. Chez Van Goyen, la monotonie des
couleurs est un charme et ne produit qu'une douce mélancolie qui effleure l'âme du spectateur, comme le
pinceau du maître a effleuré son tableau, tandis que l'uniformité sombre du coloris de Peters, qui du reste

' Het gulden cabinet van de edele ury schilder court inhoudende den lof van de vermarste schilders, architecte, Beldthowers
en de plaetmyders van de se eeuw, dow Cornelis de Bie. notaris tot Lyer, 1661.
a dû pousser au noir, n'inspire que la tristesse et l'horreur. Voilà pourquoi sans doute un artiste que tes
Anversois estimaient de son vivant le plus habile qui eût encore paru dans l'art de peindre les marines, est
aujourd'hui, sinon tout à fait oublié, du moins si peu recherché des amateurs, que ses ouvrages ne dépassent
guère le prix de cent écus et parfois même ne l'atteignent point. Ce qui a fait du tort à la mémoire de Peters,

c'est qu'il a été surpassé par ceux qui sont venus après lui ou ont vécu de son temps, tels que Bacluiysen,
Guillaume Van de Velde et Joseph Vernet. Et cependant si l'on y regarde bien, Bonaventure Peters paraîtra
encore, je crois, le plus marin de tous ces peintres de mannes.
CHARLES BLANC.

BMlffiMIK M' HIHœ&TIKDîSS»


Bonaventure Peters a gravé à l'eau forte d'une pointe est simple, gras et libre. Ces einq pièces sont des mannes.
ferme et facile quelques pièces qui n'ont été décrites nulle Nos lecteurs nous sauront gré sans doute de leur en donner
part et dontBastien ne fait aucune mention dans son Peintre ici pour la première fois la description.
1. — Le Fort sur le rocher.
graveur.
Il en existe cinq aucabinet des estampes de la Biblio- Ce fort s'élève vers le milieu de l'estampe, sur une île
thèque : quatre d'un petit format (9 centimètresde haut sur très-escarpée,qui n'est séparée que par un détroit d'un autre
12 environ) et une du format in-4°. Des quatre premières, rocher tenant à la terre ferme. A droite navigue un brick a
deux sont gravées d'une main encore timide et d'une pointe pleines voiles. On aperçoit un autre navire entre le rocher et
un peu maigre : ce sont probablement les essais du peintre. l'ile escarpée de l'autre côté du détroit. Le fort est surmonte
Les deux autres sont d'une exécution parfaite ; le travail en d'un drapeau. Le ciel est indiqué tout en haut par quelques
hachures horizontales. On y compte dix grands oiseaux et galère, ayant déjà perdu sa mâture et ses câbles, est jetée
,
plus bas on en distingue dix-neuf petits. Au bas de la droite, par les vagues contre un rocher escarpé au haut duquel on
au-dessous du trait carré, on lit : B. P. inv. voit accourir trois sauvages armés d'arcs et de flèches. On
2. — Le Fort au bord de la mer. remarque un peu plus loin les débris d'un vaisseausubmergé
Ce fort occupe le milieu de la composition et s'étend vers et quelques autres bâtiments en danger de périr. — Ce
la gauche. On y remarque deux tours principales, dont une tableau est marqué B. P. f.
à toit pointu, l'autre à créneaux. La droite est occupée par 2-3. — Deux marines avec différentes figures habillées à
un bâtiment en panne, au pied duquel est une chaloupe. On l'orientale sur le rivage. — On remarque dans le premier
aperçoit l'équipage du navire et de l'embarcation. Tout à tableau sur le devant, à gauche, un monument antique de
fait, sur la gauche, au-delà du fort, on en distingue un pierre représentant un lion sur un piédestal isolé.
autre flanqué de trois tours. Une barque engravée sur la 4-5. — Deux ports de mer du Levant. — Le premier offre
gauche et un vaisseau éloigné complètent cette marine. Le une forteresse appartenant aux Vénitiens, sur lesquels les
ciel est traversé par des volées d'oiseaux de mer. On lit : Turcs l'emportent d'assaut à la faveur d'une mine qu'ils
B. P. sur une petite langue de terre qui s'avance à gauche font sauter. Dans le second, on voit emporter les blessés.

sur le premier plan. Ces deux tableaux sont marqués B. P. f., 1645.
3. — Le Fleuve. On trouve encore dans la mème galerie une Vue de la
Ce morceau représente un fleuve coulant au pied d'une cathédrale d'Anvers par Peter Neefs, dans laquelle les figures
montagne escarpée et rocheuse qui occupe la droite et au sont de Bonaventure Peters.
sommet de laquelle s'élève un fort dominé par une haute MUSÉE DE DIIESDE.
— La Vue de Schevelingen. — Sur le
tour. Tout au bas de cette montagne, on aperçoit un hameau devant, il y a des hommes qui apportent des poissons et
et quelques arbres au bord du fleuve, et tout près de ce d'autres qui en marchandent.
hameau un bàtiment à voiles; sur la gauche, au second La PINACOTHÈQUE DE MUNICH possède un tableau de Jean
plan, un autre navire à voiles et une chaloupe conduite par Peters représentantune tempête sur mer.—Desvaisseauxsont
quatre hommes. Sur le devant de la gauche s'avance un coin jetés contre des montagnes escarpées sur lesquelles se trouve
de rivage où passent trois figures dont une à cheval; au loin un château fort. — Sur bois.
un petit bâtiment. Le ciel est exprimé par des traits hori- Jean Peters a dessiné beaucoup de lointains ports de mer,
zontaux sur lesquels s'enlèvent des nuages blancs. Sur le entre autres :
coin du rivage, on lit : B. P. Oran en Algérie, Alexandrie en Egypte.
4. — Le Port. Il a également dessiné et sans doute peint un grand nombre
Les constructions de ce port s'avancent dans la mer jusque de villes, telles que :
vers le milieu de l'estampe. Derrière un mur de fortifications Tweere en Zélande, ville murée située à une heure de
s'élève, entre autres fabriques, une tour carrée à pignon Middlebourg,dans l'île de Wakeren ;
pointu, surmontée d'une lanterne. Au milieu de la composi- Thiel, ville forte du pays de Gueldre; sur la rive droite du
tion, on remarque un navire à l'ancre, et plus avant sur la Wael ;
droite un petit navire marchand,voguant à la voile. Au loin, Ter Tholen, sur le rivage de Wosmeer, à deux lieues de
du mème côté, paraît un vaisseau. Le ciel est indiqué, Berg-op-Zoom, en Zélande;
çà et là, par quelques hachures légèrement courbes. On y Ter Goude en Hollande, sur le rivage de l'Yssel, à l'entrée
distingue nombre d'oiseaux de mer ainsi que d'autres à fleur du fleuve Gouwe, d'où elle a tiré son nom.
d'eau. Cette pièce n'est pas signée. Ces pièces ont été gravées à l'eau forte par Bouttats, à
5. — Redoute de Willemstadt. Anvers, en 1674, ainsi que plusieurs autres de petit format,
Au coin de la gauche s'élève une redoute à toit pointu. évidemment destinées à orner un livre de géographie. Ce
Elle est percée en haut de deux fenètres et de quatre à cinq sont les villes de Steenwyck, Helmout, Gorunn, Codsandt,
meurtrières, et s'ouvre en bas par une porte cintrée au pied Leerdam, etc., etc.
de laquelle est un arquebusier en sentinelle. Elle est cons- Les tableaux de Bonaventure Peters ne sont pas d'un
truite sur un pilotis qui se prolonge dans la mer jusque grand prix dans les ventes publiques. On peut fixer à 300
au-delà de la moitié de l'estampe. Derrière sont trois navires francs leur valeur ordinaire. Ils sont pour la plupart de
dont'le corps de bàtiment est en partie caché par le pilotis. petite dimension. On les trouve communément en Flandre.
La droite est occupée par une grosse barque marchande que VENTE CARDINAL FESCH.
— Une marine. — Deux barques
le vent fait pencher fortement du côté de la gauche et qui chargées de passagers, l'une à voiles, l'autre conduite par un
est manœuvrée par trois hommes. Au loin on aperçoit trois rameur et dans laquelle on remarque un homme enveloppé
vaisseaux en mer. Le ciel est légèrement nuagé dans le haut. d'un manteau rouge, traversent un fleuve légèrement agité
On y aperçoit, tout à fait sur la droite, deux mouettes. en face d'un village défendu par une tour carrée ; les maisons
Au bas de la gauche : Jean Meyssens excudil ; au milieu de ce village sont espacées. Un moulin à vent se présente
du bas : Redout van Willemstadt. B. Peeters fecit. sur la jetée, et au loin la cloche d'une église s'élève au-
Le MUSÉE DU LOUVRE ne renferme aucun tableau de Bona- dessus d'un taillis. Un vaisseau de haut bord et deux bateaux
venture Peters; mais ce qui est plus étrange, c'est qu'on pècheurs sont amarrés près du rivage. — 52 scudi, soit 280
n'en trouve plus au MusÉE D'ANVERS, dans sa ville natale. francs environ.
Ce Musée ne possède que le tableau de Jean Peters dont nous Mer agitée. — Plusieurs bateaux pècheurs, poussés par
avons parlé plus haut. un vent impétueux, voguent en pleine mer, à des distances
MUSÉE D'AMSTERDAM.
— L'Incendie de la flotte anglaise
plus ou moins rapprochées, dans l'attente d'un prochain
dans le port de Chatham. ouragan. — 52 scudi.
LA GALERIEDU BELVÉDÈRE(à Vienne) contient cinq tableaux Quelques marines de B. Peters gravées par Hollar, T. Major
de Bonaventure : et autres, portent les initiales B. P. in.
1. — Une tempête sur les côtes d'Afrique. — Une grosse
Scrde ^/amande. ~?JerércuÙ, !Æe'ned /tmtlié?fed

GONZALÈS COQUES
NÉ EN 1614. — MORT EN 1684.

Van Dyck venait de mourir, et l'école flamande était encore


dans la ferveur des premiers regrets, lorsqu'un jeune peintre,
inconnu jusqu'alors, Gonzalès Coques, essaya de consoler le
pays en deuil. Ce fut là son originalité et sa gloire. Il
sentit que
triomphant,
sur le terrain où le maître disparu avait posé son pied
il n'y avait plus de victoire possible ; mais il comprit aussi qu 'oii
pouvait profiter des exemples du grand portraitiste, et le
continuer, en quelque sorte, en réduisant harmonieusement,
dans un cadre restreint, ses fières allures et ses souveraines
élégances.
On a dit, non sans raison, que Gonzalès était un van Dyck
vu par le petit bout de la lorgnette :
c'est en effet de ce côté
qu'il faut chercher son point de départ, et cependant c'est à
peine s'il lui fut donné de connaître le grand artistequ'il prit pour
modèle. D'après les savantes recherches de M. Théodore van
Léri-us, Gonzalès Cocx ou Coques, dont le prénom semble
trahir
des origines espagnoles, naquit à Anvers, non en 1618, comme on l'a cru longtemps sur e emoignage e
Corneille de Bie, mais en 1614. Il avait vingt-sept ans lorsque van Dyck, qui, depuis quelque temps déjà,
avait quitté la Flandre, mourut prématurémenten Angleterre. Gonzalès est donc, vis-à-vis du grand peintre
de portraits, comme un fils posthume à qui il n'a pas été permis de voir son père, mais qui l'aime cependant
par ce qu'il en entend dire et qui le devine par ce qui reste de lui. Toutefois, ce ne fut pas dès le début
et tout d'un coup que le génie de van Dyck se révéla dans toute sa plénitude à son jeune esprit. Gonzalès
avait appris à peindre, en premier lieu, chez Pierre Breughel, qui lui avait ouvert son atelier en 1626 -1627,
et ensuite chez Ryckaert-le-Vieux. D'abord fidèle aux enseignements de ce maître, il semble s'être complu
à traiter, dans le même style, des sujets familiers. Lié d'une étroite amitié avec David Ryckaert le fils,
qui n'avait que deux ans de plus que lui, il peignait, avec plus de bravoure que de finesse, des tabagies
enjouées, de rustiques paysanneries. On sentait pourtant en lui l'étoffe d'un peintre, et, en 1640, il fut
reçu franc-maître de Saint-Luc.
La vie de Gonzalès Coques fut celle de tous les artistes flamands de cette période active et sereine.
Toutefois, avant de s enrégimenter d'une manière définitive dans la catégorie des hommes aux
mœurs
sévères, il commença par le roman : il aima la fille de son maître, la sœur de son camarade, Catherine
Ryckaert. Il en eut un enfant, et s'étant ainsi créé des affections et des devoirs, il se hâta de
se faire
pardonner son étourderie en épousant sa maîtresse (11 août 1643). Cet acte de réparation accompli, il
-
rentra en grâces auprès du vieux Ryckaert, et il se mit vaillamment au travail, sachant bien que la première
obligation qui incombe à un honnête homme, c'est d'être digne de son bonheur.
Au début de sa carrière d'artiste, Gonzalès avait suivi, dans le choix des sujets comme dans manière de
sa
peindre, les leçons de Ryckaert. Il montra bientôt que ce monde de fumeurs et de
paysans n'était pas
le sien ; il avait en lui des instincts d'élégance qui se firent jour, et, s'étant bien étudié lui-même, il comprit
qu'il n'était pas fait pour peindre pendant toute sa vie des joueurs se disputant au fond d'un cabaret, et des
rustres tristement étonnés de voir combien un verre contient peu de chose. Quoique le mot ne paraisse
guère flamand, Gonzalès avait un idéal. Dans de pareilles dispositions d'esprit, il n'eut
pas de grands efforts
à faire pour réaliser son rêve ou du moins pour trouver la voie où devait s'exercer
son talent : l'œuvre de
van Dyck, curieusementinterrogé, lui montra le chemin qu'il cherchait.
Gonzalès Coques, résolu à rompre avec les vulgaires inspirations de Ryckaert, s'émancipa
par le portrait.
Lorsqu 'un peintre a reçu une éducation qui lui paraît incomplète ou mauvaise,
ce n'est pas pour lui un
médiocre exercice que d'appeler un ami ou un parent, de le faire asseoir
au milieu de l'atelier, et là, sous
le clair rayon d'un jour loyal, de reproduire, sans parti pris et sans mensonge, la simple image qu'il
a sous
les yeux. Ainsi lit Gonzalès Coques: sa femme et sa fille furent ses premiers modèles il peignitlui-même
; son
propre portrait en 1646 (c est celui qui a été gravé par Paul Pontius) ; ses camarades, ses voisins et bientôt
de grands personnages posèrent devant lui. Ajoutant à l'aspect réel des hommes et des choses
un appoint
d 'élégance emprunté à van Dyck, il devint de bonne heure un des meilleurs portraitistes d'Anvers. Quoiqu'il
y ait réussi plus d une fois (notamment dans la figure de la Jeune fille de la galerie Suermondt), il faisait peu
de portraits de grandeur naturelle ; volontiers, il peignait ses personnages
en pied, mais il les réduisait de
façon à les faire entrer dans le cadre d'un tableau de chevalet. Ce qu'il aimait
par dessus tout, c'était de
représenter son modèle dans ses attitudes de tous les jours, et entouré des accessoires qui caractérisaient le
mieux sa profession ou sa condition sociale. Le savant apparaissait penché
sur ses livres, l'artiste avait
auprès de lui les instruments de son travail, le riche négociant d'Anvers écrivait à
son comptoir, pendant
qu une échappée ouverte au fond du tableau laissait apercevoir au loin les quais encombrés de marchandises
ou la mer chargée de navires. D autres fois, et comme nous le dirons tout à l'heure, c'est là surtout qu'il
a réussi, il ne se bornait pas à peindre un personnage isolé, il groupait autour de lui sa famille entière, et
les ser viteurs fidèles, et jusqu 'au chien qui, lui aussi, était de la maison. Il peignit de la sorte, ainsi
que le
raconte Corneillede Bie, Jacques le Merchier, sa femme et ses enfants; Jacques van Eycke,échevin d'Anvers,
et les membres de la famille Nassoingni, de Bruxelles. Mais sans insister davantage sur ce point, il suffit
d indiquer que le travail et la fortune entrèrent à la fois dans l'atelier de Gonzalès Coques, et qu'il eut
bientôt parla ville de nobles protections et, mieux que cela, de grandes amitiés. Dès 1649, le graveur Jean
Meyssens lui donnait place dans son recueil, les Images des divers hommes d'esprit sublime, et consacrait -
ainsi sa précoce renommée. Son talent était déjà connu en Angleterre et en Allemagne, et Charles 1er,
comme l'électeur de Brandebourg, faisait rechercher ses tableaux et les payait chèrement.
Gonzalès fut par deux fois, en 1664 et en 1679, doyen de la gilde de Saint-Luc. Cette situation lui permit
de rendre plus d'un service à la laborieuse compagnie. Ces grandes associations flamandes étaient, on le
sait, jalouses de leurs privilèges, et, par suite, elles ne vivaient pas toujours en bonne intelligence les unes

avec les autres. Une corporation rivale, le Jeune Serinent de l'Arbalète, avait voulu, en 1663, astreindre à
certains services militaires un des membres de la gilde de Saint-Luc, Jean Geulincx. La compagnie des
peintres, qui prétendait être exempte de cette charge, et qui devait l'être en elïet, opposa à cette injuste
attaque la plus vive résistance. En arrivant au décanat, Gonzalès Coques trouva le procès engagé, et dès lors
il prit l'affaire en main. Le litige dura quatorze ans; le patient artiste n'épargna ni son temps ni sa peine, il
multiplia les démarches et les suppliques pour obtenir la solution désirée. Il triompha : le 2 juin 1677, le
conseil souverain de Brabant donna gain de cause aux maîtres de Saint-Luc; mais les vaincus protestèrent,
menaçant de recommencer, d'éterniser le débat. Il fallut, pour éviter les ennuis d'un procès nouveau,
composer avec les récalcitrants; une transaction, conclue en 1680, vint mettre fin à ces longues querelles.
Pendant tout le procès, Gonzalès avait défendu avec autant d'ardeur que d'habileté l'antique privilège de la
gilde menacée; aussi ses collègues de Saint-Luc voulurent le remercier de ses soins et lui donner t:ii
témoignage exceptionnel de leur reconnaissance : ils lui firent présent d'une somme de 1,550 florins,
pensant, non que le dévouement doit se payer, mais qu'une indemnité était justement acquise à l'artiste
qui avait consacré à la défense de la cause commune un temps si précieux.
Mais Gonzalès n'était pas seulement, Dieu merci, un homme expert aux difficultés judiciaires, une
intelligence habile à manœuvrer parmi les broussailles de la procédure; il était peintre avant tout, et l'on
pouvait même le considérer comme un des meilleurs parmi les maîtres de cette seconde génération qui,
après la mort de Rubens et de van Dyck, prolongea assez avant dans le dix-septième siècle le succès de
l'école flamande. Grâce au goût charmant, à la fantaisie élégante qu'il y faisait paraître, les portraits de
Gonzalès Coques étaient de véritables tableaux. Les curieux à qui il a été donné de voir les Treasures of art
réunis à Manchester, en 1857, n'oublieront jamais les trois peintures de Gonzalès qui brillaient à cette
exposition fameuse. Le tableau connu sous le nom de la Famille Ver Helst, et qui appartient à la reine,
représente un personnage flamand sa femme et quatre petites filles, prenant le frais sur la terrasse d'un
,
château seigneurial. Les figures sont groupées naïvement, et peintes avec une largeur qui fait songer à van
Dyck. C'est pourtant un assez petit tableau, car il n'a guère que deux pieds de largeur. La composition est
plus riche et plus étoffée dans le portrait du stathouder Henri, prince d'Orange, et de sa famille. Le prince,
vêtu d'une sorte de robe de chambre, est assis à son bureau, près de sa bibliothèque; la princesse est
debout derrière lui; à droite s'ouvre une échappée sur un paysage. M. Burger, dont le souvenir vient ici en
aide au nôtre, signale avec raison, dans cette peinture, «une délicatesse inimitable, sans minutie ni
maigreur. » Toutefoisil nous semble que Gonzalès est plus charmant encore dans le tableau qui avait été prêté
à l'exposition par M. John Walter, le Pick-Nick. C'est aussi une réunion de famille, mais en pleine campagne,
dans un beau paysageflamand. On a fait un repas sur l'herbe, le dîner vient de s'achever; le père et la mère,
noblement vêtus, sont debout sur le gazon; autour d'eux leurs cinq enfants jouent et font de la musique; un
domestique ramasse les miettes du festin. Les figures, très-colorées, s'enlèvent gaiement sur les verdures
du fond: c'est un tableau brillant et sérieux, où Gonzalès a été admirablementaidé par l'auteur du paysage,
Jacques van Artois.
Il est bon de dire à ce propos que Gonzalès Coques aimait à associer à ses œuvres la main de
collaborateurs habiles. Parfois, il se bornait à introduire de charmantes figurines dans les tableaux de ses
amis; le plus souvent, les personnages devant jouer dans la composition le rôle principal, il priait un de ses
camarades de peindre un intérieur d'appartement ou un fond de paysage pour servir de décor aux acteurs
qu'il voulait mettre en scène. Ainsi, malgré la différence d'âge, et bien qu'il fût beaucoup plus jeune que
Henri Steinwick le fils, Gonzalès paraît avoir uni son pinceau à celui de l'habile « architecturiste. » Ils
exécutèrent ensemble un tableau conservé aujourd'hui chez le duc d'Arenberg, et qui, en raison de
cette collaboration, comme par le choix du sujet, semble deux fois exceptionnel. On y voit, dans un de ces
clairs intérieurs comme Steinwick sait les peindre, trois figures colorées et vivantes, le Christ chez Marthe et
Marie. C'est une traduction familière de la scène évangélique. Gonzalès s'y montre très-inquietde la couleur.
Il a assis le Christ au milieu de l'appartement, et il l'a gaiement vêtu d'une robe lilas et d'un manteau rouge;
Marie est placée à droite; elle est assise, dans une belle toilette, robe de soie jaune avec des manches
bleues; la bonne ménagère Marthe est debout à gauche, très-simplement vêtue; elle s'occupe par avance du
repas du soir, et le souper sera bien servi, car la table est abondamment garnie d'oiseaux morts et de
gibier, et le parquet est couvert de corbeilles pleines de fruits éclatants. Ces fruits et ces oiseaux sont
vraisemblablementde Jean van Kessel, qui paraît avoir travaillé quelquefois avec Gonzalès.
Mais l'ingénieux artiste eut d'autres collaborateurs encore. Il existe au musée de La Haye une composition
importante et singulière, qui représente l'intérieur d'une galerie de tableaux. Les figures seules sont de
Gonzalès, et M. Burger, un peu sévère peut-être, déclare « qu'elles ne sont pas bonnes; » quant aux peintures
suspendues aux murailles de la galerie, elles sont l'œuvre d'artistes différents. L'auteur des Musées de la
Hollande a retrouvé dans le catalogue d'une vente faite à Anvers, en 1741, l'indication des tableaux en
miniature qui ornent ce cabinet imaginaire. Jordaens lui-même, Pierre Boel, Eyckens-le-Vieux, Théodore
Boeyermans, van Breda, Cossiers et d'autres encore avaient pris leur pinceau le plus tin pour peindre,
chacun dans son style, ces jolis petits tableaux. Ils l'avaient fait, on doit le croire, pour complaire à leur-
camarade Gonzalès, et le musée de La Haye doit être fier de posséder l'œuvre précieuse où travaillèrent
tant de mains amies1.
Ce n'est pas que Gonzalès Coques eût besoin, pour bien faire, que d'autres artistes vinssent à son aide.
Sorti de cette vaillante école d'Anvers qui touchait à toutes choses, il était homme à se suffire à lui-même, et
il pouvait, sans le concours d'autrui, exprimer librement, sa pensée. 11 l'avait déjà prouvé dans le portrait du

prince d'Orange, dans la Famille VerHelst, dans le Pick-Nick; il le montrà mieux encore dans un tableau qu'on
peut considérer comme son chef-d'œuvre, le Repos champêtre. Les amateurs de Paris se souviennent de cette
page exquise qui, lors de la vente du cabinet de M. Patureau, est
entrée, à la suite de coûteuses enchères,
dans la collection de lord Hertford. Nous reproduisons cette œuvre virile et charmante, et, désireux de
complaire à ceux qui nous lisent, nous empruntons à Théophile Gautier la description de ce tableau. « Le

apprend,
1 Cette composition n'est pas la seule que Gonzalès ait exécutée dans ce genre. M. Théodore van Lérius nous
le
dans le Supplément au catalogue'du musée d'Anvers, qu'à l'issue du procès soutenu par la corporation de Saint-Luc contre
Serment de l'Arbalète, les membres de la compagnie, et Gonzalès avec eux, peignirent pour le procureur van Bavegom
l'Intérieur d'un cabinet de tableaux. On ignore ce qu'est devenue cette peinture; mais, comme elle ne fut achevee qu en
de J. Cossiers (1671).
1683, on ne saurait la confondreavec le tableau qui est cité par M. Burger, et qui est antérieur à la mort
fond, écrit-il, représente un parc d'une végétation riche et touffue, de laquelle se détachent heureusement
les figures épanouies d'un bon seigneur et de sa femme : l'homme est vêtu d'un justaucorps de velours brun
que recouvre à moitié une houppelande grise; il a la tête découverte, et ses traits, fortement accentués,
respirent le bien-être, la cordialité et le contentement de soi-même; il tient par la main sa femme, un peu
mûre déjà, mais d'une opulente santé flamande, qui a pour coiffure un chapeau à longue plume et pour
vêtement une superbe robe de taffetas cerise; il lui montre une jeune villageoise apportant un panier dt'
fruits. A côté d'eux, leur fille, en robe de soie blanche, joue avec son éventail et laisse pendre son chapeau
de paille... Une fontaine de marbre où boit un paon, et qui représente un Neptune dont les chevaux lancent
de l'eau par les narines, deux lévriers, un mâtin, une gibecière, une poire à poudre, sont les accessoires
de cette luxueuse composition, d'un coloris excellent, d'une pâte solide et d'une exécution magistrale.))
Et lorsqu'il peignait ainsi, sous le clair rayon d'un soleil de printemps, la joie, la richesse, la sérénité
des heureux, Gonzalès Coques cherchait peut-être dans le travail une consolation aux peines de son cœur.
Le malheur était venu frapper coup sur coup à la porte de l'artiste. Gonzalès, nous l'avons dit, avait eu de
Catherine Ryckaert, une fille, dont nous avons raconté la naissance un peu romanesque. Curieux de se
distinguer en toutes choses, au lieu de donner à la chère enfant un prénom vulgaire, il l'avait appelée
Gonzalina, nom étrange qui fait songer à l'Espagne, et qui résonne à l'oreille comme un bruissement
de castagnettes. Gonzalina, qu'on aime à se figurer charmante, venait de se marier avec un M. Lonegrave,
personnage important et estimé, lorsqu'elle mourut en pleine jeunesse, le 11 octobre 1667. Elle laissait un fils ;
Gonzalès le perdit trois ans après. Enfin, Il vit mourir sa femme, le 2 juillet 1674. Il aurait pu se résigner, et,
riche de ses souvenirs, rester seul dans sa maison en deuil. Mais il avait cinquante-six ans, et il sentit que
l'isolement, qui n'est jamais bon, est mauvais surtout à cet âge où le pied commence à devenir moins
solide sur les chemins difficiles de la vie. Gonzalès avait une si grande habitude de l'existence à deux, il se
trouva tellement « dépareillé » après la mort de Catherine Ryckaert, que ses amis vinrent à son aide et se
hâtèrent de le remarier; il épousa, le 21 mars 1675, Catherine Ryshéuvels, dont nous ignorons l'âge, le
caractère, la fortune. Si Gonzalès eut encore quelques jours tranquilles, nous ne saurions le dire : en tout
cas, son bonheur ne fut pas de longue durée, puisque le vaillant maître mourut le 18 avril 1684, laissant
aux amateurs de l'art des œuvres qui n'ont qu'un défaut, celui d'être trop rares1.
C'est qu'en effet, parmi les peintres de la seconde période de l'école d'Anvers, Gonzalès Coques n'est pas
seulement un des bons, il reste un des meilleurs. Il avait demandé à l'étude assidue de la nature ce caractère
de vérité qui éclate dans ses portraits et même dans les intérieurs d'appartement où il aime à placer ses
personnages pour nous les montrer dans la familiarité de leur vie quotidienne; à van Dyck il avait
emprunté la distinction des attitudes et je ne sais quelle poétique élégance; bien plus, quand on considère
la hardiesse savante de ses colorations (surtout dans le Repos champêtre), on serait tenté de croire que
Rubens lui a appris quelque chose. Disons-le cependant, et marquons d'un trait plus net le caractère un
peu compliqué de ce talent qui semble appartenir à deux écoles. Gonzalès n'est pas un pur Flamand; peintre
de portraits de petite dimension, il est obligé de veiller sur son pinceau, et de discipliner son allure en
raison de l'étroitesse des cadres où il enferme sa fantaisie. L'élément décoratif, si cher à l'école d'Anvers, lui
est interdit; l'exubérance doit, chez lui, céder le pas à la sagesse; aussi son dessin est-il plus serré, sa
touche plus courte et d'autant plus exquise qu'elle est plus contenue; en un mot, aux mérites des peintres
flamands qui firent l'admiration de sa jeunesse, Gonzalès ajoute des qualités presque hollandaises; il va loin
dans le caractère des physionomies, dans l'étude du détail intime; il aurait comprisTerburg, il aurait admiré

1 Gonzalès Coques fut enterré dans une chapelle de l'ancienne église Saint-Georges, à Anvers. MM. van der Straelen et Burger
ont publié l'inscription funéraire qu'on avait gravée sur son tombeau: sauf une date qui est restée en blanc, elle confirme les
renseignements que nous avons donnés plus haut.— M. Rombouts a trouvé dans les registres de la corporation de Saint-Luc les
noms de deux élèves de Gonzalès, Corneille van den Bosch et Léonard-François.. Verdussen. Aucun d'eux n'a marqué dan,'j
l'histoire de l'école.
Me'su, sans cesser cependant d'être de son pays et de son temps. Chose étrange, en effet, el qui n'a pas
été assez remarquée ! Les deux écoles, si distinctes qu'elles soient dans leurs tendances et dans leur génie,
semblent parfois s'être rencontrées, et avoir, pendant quelques jours, quelques heures peut-être, marché
côte il côte dans des chemins parallèles. La contemporanéité est une loi rigoureuse à laquelle il est
difficile d'échapper : on ne se connaît pas, et l'on se ressemble ! Gonzalès Coques a été, à son insu sans

doute, l'instrument de cette alliance momentanée entre l'art flamand et l'art hollandais. Mais ces deux
éléments se sont fondus en lui d'une façon si intime qu'il est .resté harmonieux, simple, personnel. Quoi
qu'on puisse dire, et malgré ces complications involontaires, Anvers le réclame. Gonzalès a aimé par
dessus tout la lumière, la vérité et la vie, et plus nous étudions son œuvre, où tant de virilité se marie à
tant d'élégance, plus nous trouvons de charme et de sérieux dans ce van Dyck in-18.

PAUL MANTZ.
HT Î1MM!(ID1§

Les œuvres de Gonzalès Coques sont peu nombreuses, CABINET DE M. DUBUS DE GISIGNIES.
— Plusieurs portraits
même en Flandre, où il a passé sa vie, et le musée du Louvre de petite dimension.
DRESDE. — La Famille de Gonzalès Coques. Le catalogue
ne possèderien de ce maître excellent; mais d'autres galeries
sont mieux partagées, et nous avons pu réunir les indications du Musée mentionneaussi les Portraits de Charles 1er et de sa
suivantes : femme Henriette ; mais M. Burger pense que ces deux pein-
On trouve la reproduction de trois portraits de Gonzalès tures doiventêtre attribuées à Daniel Mytens.
dans le Gulden Cabinet, de Corneille de Bie : le sien (gravé LA HAYE.
— Intérieur d'une galerie de tableaux, œuvre
par Paul Ponce), celui de Robert van Hoeck (gravé par Cau- précieuse due à la collaboration de divers artistes, et dans
kerken), et celui de Faidherbe (gravé par Pierre de Jode). laquelleGonzalès n'a peint que les figures.
AIX-LA-CHAPELLE.— GALERIE SUERMONDT. — Portrait de NANTES.— Un Magistrat flamancl et sa famille.
Corneille de Bie (provenant des cabinets de M. Schamp VALENCIENNES. — CABINET DE M. DUBOIS. — Portrait
d'Aveschoot et du comte Cornelissen). Une Jeune fille, por- d'un armateur.
trait de grandeur naturelle. VENTE JACQUES DE WIT (Anvers, 1741). — Vue d'un Cabi-
ANGLETERRE. — BUCKINGHAM-PALACE. — Ver Helst et sa net de tableaux ; 300 florins (aujourd'hui au Musée de La
famille (provenant de la collection de lord Rastock). Haye).
BpiTisH-MusEUM. — Une Dame assise, dessin à l'encre de VENTE LORMIER (La Haye, 1763).- Le Christ chez Marthe
Chine. et Marie (l'architecture est de H. Steenwick); 260 florins.
CABINET DU RÉVÉREND F. LEICESTER. — Le Stathouder VENTE BLONDEL DE GAGNY (1776). — Un Enfant à mi-
Henri, prince d'Orange, avec sa famille. corps se regardant dans un miroir, 1,550 livres. C'est sans
CABINET DE M. JOHN WALTER. Un Pick-Nick, réunion de doute le tableau gravé par Macret sous le titre de : Les Pré-
plusieurs figures dans un paysage peint par van Artois. mices de l'amour-propre, et qui est reproduit en tête de cette
CABINET DE LORD ELLESMERE.— Frédéric, électeurpalatin ; biographie.
Élisabeth, sa femme (gravés tous deux dans la galerie Staf- VENTE GROS (1778). — Une Famille de six personnes sous
ford). Portrait de David Téniers,vêtu de noir (provenant du
cabinet Watson-Taylor).
CABINET DE M. ROBARTS.- Une Dame en robe bleue jouant
VENTE DE Mme LANCRET (1782). -
un riche péristyle (cuivre) ; 2,900 livres.
Le Prince d'Orange,
figure en pied et de grandeur naturelle; 393 livres.
de six per-
du luth : auprès d'elle un gentleman vêtu de noir. D'après VENTE ROBIT (1801).
— Famille hollandaise
M. Waagen, ce tableau est peint avec une habileté qui fait sonnes, tableau provenant de la vente Montulé et gravé par
Moitte dans la galerieLebrun ; 3,000 fr. Cette composition est
songer à Metsu. C'est vraisemblablementcelui qui figure sous
le n° 332 dans le catalogue des objets d'art conquis par la le Repos champêtre, que nous retrouverons dans les ventes du
Grande-Armée (1807), et qui a été gravé par Chataignerdans
le musée Filhol.
CABINET DE SIR ROBERT PEEL. — Une Famille composée
roi de Hollande et de M. Patureau.
VENTE VAN HELSLEUTER (1802). - Une Famille de six lJcr-
sonnes dans le vestibule d'une grande maison; sur cuivre, 27
du père, de la mère et de six enfants, dans un jardin. pouces de largeur ; 2,350 fr. (C'est vraisemblablementle tableau
STAFFORD-HOUSE. — Trois Cavaliers et deux Dames autour de la vente Gros.)
d'une table : le paysage et les animaux sont de Pierre Gysels, 'VENTE PAIGNON-DIJONVAL (1821). — Portrait de Gonzalès
l'architecture est de Ghéring. Coques, peint par lui-même en 1646, et gravé par Paul Pon-
CABINET DE M. HOPE. — Portrait de famille. tius; 2K; fr.
CABINET DE M. LABOUCHÈRE. — Un Père est assis au cla- VENTE DE M'e SIROT (1833). — La Promenade au bois
vecin ; ses enfants sont autour de lui. (cuivre); 6,100 fr.
CABINET DE M. LANSDOWNE. — Portrait d'un architecte et VENTE ScHAMp D'AVESCHOOT (Gand, 1840). — Portrait de
de sa femme. Faidherbe. 'Un autre portrait, celui de Corneille de Bie (au-
BLENHEIM. — Une Famille hollandaise dans un apparte- jourd'huichez M. Suermondt).
tement. VENTE DU CARDINALFESCH (Rome, 1845). — Portrait d'une
COLLECTION DU MARQUIS D'HERTFORD.— La Leçon de mu- femme peintre assise devant son chevalets
sique (provenant du cabinet Saceghem, à Gand) ; le Repos VENTE DE GUILLAUME II, ROI DE HOLLANDE (1850).- Un
champêtre, tableau acquis à la vente de M. Patureau. Cavalier, une Dame et leur Famille dans un jardin, auprès
ANVERS. — MUSÉE. — Portrait de femme à mi-corps d'une fontaine; tableau provenant de la collection de Lucien
(légué en 1859 par MME van den Hecke-Baut). Bonaparte, dans le cataloguede laquelle il est gravé au trait
CABINET DE M. DE CALESBERG. — Portrait d'homme, Por- par Leoneti; 7,200 florins.
trait de femme. VENTE PATUREAU (1887).—Le Repos champêtre, 45,000 fr.
AVIGNON. — Un Bourgmestre (acheté en 1842 aux héritiers C'est le tableau de la collection du roi de Hollande. Il fut
-
de M. de Montfaucon). acheté par lord Hertford : on en trouvera la gravure à la
BRUXELLES. — GALERIE D'ARENBERG. — Le Christ chez page 3 de cette biographie.
Marthe et Marie, trois figures dans un intérieur, de Henri VENTE VAN DEN ScHRIEcK (Louvain, 1861). — Portrait de
Steenwick le jeune. (C'est le tableau de la vente Lormier.) Famille ; 1,625 fr.
Scafe &famcmc/e. Jê^'éraiù, elA (-Ir-
t yr,//;.

FRANCOIS DUCllATEL
O
NÉ EN 1 6 4 G. — MORT EN 1 694.

Nous ne saurions presque rien de François Duchâtel, si


le plus médiocre des écrivains flamands, G. P. Mensaert.
n'avait eu la bonne pensée de lui consacrer quelques lignes
d'éloge dans un livre oublié, le Peintre amateur et curieux,
imprimé à Bruxelles en 1763. Si insuffisante qu'elle soit, cette
biographie, que Mariette seul a connue, nous permet de
rectifier les inexactitudes de Descamps et de compléter la
notice du musée du Louvre, qui, à vrai dire, n'est pas de
nature à nous instruire beaucoup. François Duchàtel vaut
d'ailleurs qu'on s'occupe de lui, et il est étrange que l'histoire
se soit si peu inquiétée jusqu'à présent d'un maître aussi
habile dans les choses de son métier.
Mensaert nous apprend d'abord que François Duchâtel
ou Duchastel — car c'est ainsi qu'il a signé son chef-d'œuvre,
l'écrivent
— est né à Bruxelles, non en 1625, comme
Descamps et ses copistes, mais en 1616. Il ne devint peintre
que par accident: entraîné par l'amour des aventures, il
avait pris le parti des armes, et il était cornette dans un
régiment de cavalerie, où il servait, dit Mensaert, avec beaucoup de zèle, lorsqu un de ses amis fut tué
à ses côtés dans une bataille, « ce qui lui inspira tant de chagrin et de dégoût pour le service, qu'il le
quitta et se donna à la peinture 1. »
Ce changement de front eut lieu vers 1640, puisque Duchâtel avait environ vingt-quatre ans lorsque,
jetant son épée aux orties, il se prit d'une belle passion pour les arts. Il ignorait alors toutes les difficultés
de la peinture et toutes ses ressources. A quel maître alla-t-il demander conseil? Mensaert ne le dit pas;
Descamps, qui en sait toujours plus long que tous les autres affirme simplement qu'il fut l'élève de David
,
Téniers, « qui lui trouva tant de rapport avec son génie qu'il l'adopta comme son fils. » Nous ne sommes pas
en mesure de discuter cette assertion ; nous savons seulement que Téniers n'avait guère que six ans de
plus que Duchâtel, et que leur manière de peindre et surtout la gamme de leur coloris ne se ressemblent
pas autant qu'on a bien voulu le dire. La question si nettement tranchée par Descamps nous semble donc
douteuse encore.
Quoi qu'il en soit, Duchâtel apprit à peindre des portraits de petite dimension, des groupes de cavaliers
et de gentilshommes, des assemblées de paysans, des réunions de famille, des conversations, comme 011
disait a'ors. C'est à Bruxelles qu'il paraît avoir passé sa vie. Il se peut qu'il ait été riche, car il n'a pas
beaucoup produit, bien qu'il eût le travail facile et la main prompte à bien faire; il s'était marié, il eut
un fils qui épousa la fille de Victor-Honoré Janssens, et qui, devenu l'ami de Mensaert, lui raconta
sur son père les détails biographiques que nous reproduisons ici!. Malgré tout son talent, malgré le
choix de ses sujets, si bien faits cependant pour complaire aux amateurs délicats, Duchâtel ne paraît pas
avoir connu la gloire ; car les historiens contemporains ne se sont guère occupés de lui : Corneille de Bie
lui consacre deux ou trois lignes en passant, et Joachim Sandrart, qui a cependant célébré tant d'artistes
ignorés, ne cite pas même son nom. Enfin, Duchâtel mourut à Bruxelles, à l'âge de soixante-dix-huit ans,
c'est-à-dire en 1694, la même année que David Téniers.
Le chef-d'œuvre de François Duchâtel est conservé au Musée de Gand, et tous ceux qui ont vu cette
excellente peinture ont peine à s'expliquer comment l'auteur tient si peu de place dans les livres consacrés
à l'histoire de l'art flamand. C'est un vaste tableau, large de vingt pieds environ, racontant avec une
parfaite exactitude la cérémonie de l'inauguration (c'était le mot consacré) du roi d'Espagne Charles II; en
qualité de comte de Flandre et de duc de Brabant. Cette fête eut lieu à Gand, sur la place du Vendredi,
le 2 mai 1666. Charles II, qui n'était encore qu'un enfant, ne figure pas en personne dans le tableau
de Duchâtel. Il est représenté par le marquis François de Castel Rodrigo, gouverneur et capitaine-général
-
des Pays-Bas et de Bourgogne. Auprès du marquis, se pressent les évêques de Bruges et d'Ypres, le haut
clergé des bonnes villes de Flandre, les rois d'armes, la fleur dela noblesse, les chefs des gardes bourgeoises
et les bourgmestres, baillis, échevins et greffiers de ces anciennes associations municipales qui, même au
dix-septième siècle, conservaient encore tant de vitalité et d'importance. Autour de ces personnages, qui
sont presque tous des portraits historiques, se groupent dans la foule les doyens des gildes ou corporations
d'ouvriers et d'artistes, les curieux attirés par la solennité du spectacle, et parmi eux un modeste peintre,
François Duchâtel lui-même, tenant à la main un papier déroulé sur lequel on peut lire son nom avec
la date 1668, détail précieux à noter, car il prouve que ce tableau, dont l'exécution semblait réclamer
dix années de travail, a été achevé en moins de vingt mois.
Cette grande peinture est une des productions les plus spirituelles de l'école flamande. Dans la disposition
des groupes, agglomérés sans confusion et emmêlés sans désordre, on sent le fourmillement actif d'une
foule joyeuse; chaque personnage, pris isolément, a toute la sincérité d'un portrait, et il est visible que
Duchàtel a fait poser la plupart de ses modèles. Les têtes, doucement éclairées, ont de la physionomie; les
chevaux, les armes, les vêtements, les accessoires, l'estrade aux vives couleurs dressée pour la cérémonie,
et jusqu'aux maisons aux pignons aigus qui encadrent la sc<'He, tout est trnilé avec esprit et d'un pinceau

t Le Peintre amateur et curieux. 1763. II, p. 51.


* D après Mensarrt, le fils de Duchâtel mourut en 1737, âgé d'environ quatre-vingt-dix ans. Il serait donc né vers 1647
bien flamand ; la coloration est vigoureuse et chaude, et, qu'on l'étudié dans son ensemble ou dans ses
détails, qu'on l'examine de loin ou de près, cette vivante peinture se révèle au regard comme une œuvre
accentuée, libre et virile.
Le petit tableau de Duchâtel, que possède le Musée du Louvre, ne saurait donner qu une idée très-impaifaite
des mérites que nous venons de signaler dans la Proclamation de Charles II. Il est intéressant néanmoins,
non par le sujet, mais par l'exécution. On y voit un cavalier qui, richement vêtu
à la mode du temps de
Louis XIV, la tête couverte d'un chapeau à plumes et la canne à la main, se retourne à demi comme

gentilhomme debout auprès


pour appeler un compagnon ou lui faire signe de se hâter. A droite, est un
du cheval, et du côté opposé, un autre personnage avec un jeune homme qui sonne de la
trompette. Au
fond, une arcade ouverte sur la campagne laisse apercevoir le ciel et un bout de paysage. Les trois
figures
l'intimité
principales sont évidemment des portraits : elles en ont le caractère nettement accusé et
pénétrante. Elles sont d'ailleurs peintes à ravir, d'un pinceau exact, quoique délibéré, et elles sont colorées
de ces tons lumineux et chauds qui donnent vraiment l'impression de la vie.
L'ensemble, où les jaunes
modérés alternent avec les bruns, est conçu dans une gamme puissante et fine à la fois. La composition
cadre sont serrés les
est moins heureuse; les quatre personnages que Duchâtel a groupés dans le même
semble qu'on a sous les yeux, non un tableau tout
uns contre les autres de façon à ne pouvoir respirer; il
entier, mais le fragment d'un tableau coupé un peu à l'aventure.
De quel côté faut-il donc chercher les origines de Duchâtel? Quelle place faut-il lui donner dans l'Ecole
flamande? Pas plus que les peintures que nous venons de décrire, les rares sujets de conversations, les
scènes de famille ou les paysanneries qu'on rencontre quelquefois, ne révèlent une affinité bien étroite entre
le peintre de Bruxelles et son maître présumé, David Téniers. Duchâtel — est-il besoin de le dire? — est
moins tin dans sa touche, moins délicat dans sa coloration ; il n'a pas ces gris argentés, ces tons limpides et
clairs, cette «légèreté d'outil» qui font de Téniers un admirable fils de Rubens. Mensaert lui reproche aussi
« d'avoir négligé ses draperies ; ce
qui peut provenir de ce qu'il les faisoitsouvent faire par ses disciples. »
Nous ne savons si l'artiste flamand avait ainsi l'habitude de se faire aider par ses élèves, et franchement
nous en doutons un peu ; quoi qu'il en soit, l'observation est vraie, et c'est une différence de plus à noter
entre Duchâtel et Téniers. Mais. s'il s'éloigne de celui qu'on désigne d'ordinaire comme son initiateuret son
modèle, François DllchÚtel rappelle un autre maître glorieux, mn autre virtuose du pinceau, Gonzalès Coques.
Descamps lui-même a été frappé de cette ressemblance, et il dit très-bien cette fois : « On prend assez souvent
ses tableaux pour ceux de Gonzalès. » Mariette est plus précis encore. « Duchâtel,
écrit-il, embrassa le même
genre que Gonzalès Coques. Il peignit comme lui des portraits. Il rassembla dans un même tableau toute
une famille ; il en fit dont les compositions étoient extrêmement agréables. » Les deux maîtres se sont-ils
connus? On l'ignore, et rien n'autorise à l'affirmer; mais ils étaient à peu près du même âge; ils ont grandi
étroits
sous les mêmes influences, ils ont respiré le même air ; enfin ils se rattachent l'un à l'autre par les liens
d'une parenté mystérieuse. Même goût de couleur, même sentiment du portrait, même procédé d'exécution
à la fois précis et facile. Il n'est pas douteux pour nous que, dans plus d'une collection estimée, des
tableaux de Duchâtel sont attribués à Gonzalès Coques. Constater ce fait, c'est tout dire: une pareille
méprise n'équivaut-elle pas, pour le maître si longtemps dédaigné, à la plus flatteuse des apologies?
PAUL MANTZ.

[texte_manquant]
Les graveurs n'ont pasjugé il proposde reproduire les oeuvres éloge, le considère comme un de ceux où Duchàtel s'est le plus
de François Duchàtel: ses peintures sont d'ailleurs assez rares rapproché de Téniers.
et nos recherches ne nous fournissent, quant il présent, queles COPENHAGUE. —La Partie de tric-trac.
indicationssuivantes : G AND. —Fele célébréeà G and en 16G6, pour lu proclamation
cavalier et de deux de Charles 11, roi d'Espagne, en qualité de comte de Flandre
MUSÉE DU LOUVRE. — Portraits d'un
autresj)crsonnages.On ignore quand ce tableauest entré dans et de duc de Br(ib rnt. Ce tableau a été gravé en douze feuillet;
la collection nationale. Les catalogues du temps de l'Empire par Luc Yorsterman. Il est signé F. Duchastcl fecit vl°. 1668.
n'en font pas mention. Après avoir figuré dans les galeries la
Il était placé autrefois a l'nôtel-de-Ville,dans chambre de la
du Louvre, sous les règnes de Louis XVIII et de Chai les X, Cavalcade. V. -',l ce sujet le Peintre amateur, de Mensaert, II,
il fut transporté au palais de Compiègne, et il y était encore p. 51, et le Voyage pittoresqtte de la Flandre, par Descamps).
La dernière édition du catalogue du Musée de Gand
en 1837. Il est gravé pour la première fois dans la présente
Biographie. (1861) donne, avec le plus grand détail, la listedes personnages
AVIGNON. — Intérieur d'un corps de garde (provenant de historiques qui figurent dans le, tableau de Duchâtel. C'est
la collection Sauvan). dans cette composition que nous avons pris le portrait de
ANGLETERRE.—CABINET DE JJ. HOWARD-GALTON A HADZOR.
l'artiste, qui est reproduit en tète de cette biographie, et qui
Une réunion de paysans. M. Waagen, qui cite ce tableau avec n'avait pas encore été gravé.
rtcole ^famanc/e, ^âu^d, &rutâ), *Ammauœ.

JEAN VAN KESSEL


NÉ EN 1 6 26. - MOUT APRES 1662

Par ses origines comme par son talent, le peintre


Jean van Kessel appartient doublement à la famille des
Breughel. Sa mère était la fille de Breughel de Velours
et d'Isabelle de Jode; son oncle fut son véritable
maître. Nous savons donc, même avant d'avoir étudié
puisa son
son œuvre, à quelle école le jeune artiste
goût pour les fleurs, pour les oiseaux, pour tous ces
insectes d'or et d'argent qui courent, comme de vivantes
pierreries, au milieu des gazons verts.
Il ne fut cependant pas donné à Jean van Kessel de
connaître son grand-père. Breughel de Velours était
mort depuis plus d'un an lorsque son petit-fils fut baptisé
à Anvers, le 5 avril 1626. Jean ne put donc
profiter
d'une manière directe des leçons de son aïeul; mais
il était
il avait eu l'esprit de naître en bon lieu, et
entouré de telle sorte nue les maîtres ne pouvaient lui manquer.
loyal élevé e
Et d'abord, Jérôme van Kessel, son père, pratiquait la peinture, comme le devait faire un
fils les premiers
Corneille Floris : nous ne pensons pas, toutefois, que ce soit lui qui ait donné à son
académique 1634-1635,
éléments de l'art, puisque, encore tout enfant, c'est-à-dire pendant l'année
Jean van Kessel entrait à 1 école de Simon de Vos. En outre, et c'est là le fait important de cette
éducation précoce, il trouva un maître dévoué et son vrai modèle dans la personne de
son oncle Jean
Breughel le jeune, frère de sa mère. C'est lui qui l'avait tenusurles fonts de baptême, c'est lui qui le guida
dans la carrière avec une tendre sollicitude. Ce peintre, dont l'œuvre n'est pas encore intimement
connu,
était, à vrai dire, une doublure un peu effacée de Breughel de Velours; mais, si son pinceau est loin d'avoir
autant de vigueur que celui de son père, il n'avait pas moins de précision; il obéissait, d'ailleurs, au même
idéal, et, comme lui, il aimait à peindre des paysages aux horizons bleuâtres, des animaux de petite
dimension, des brins d'herbe et des fleurettes.
Jean van Kessel fut donc initié de bonne heure aux procédés de cette patiente école des Breughel, qui
fut si chère aux Flamands pendant la première moitié du dix-septième siècle, et qui se distingua
par un
culte passionné pour la nature, pour le paysage et les mille détails de la vie inférieure. Il n'avait guère
que
dix-huit ans lorsqu'il fut reçu franc-maître de Saint-Luc, en 1644-1645. Deux ans après,
—car van Kessel
fut précoce en toutes choses, — il épousa Marie van Abtshoven, proche parente du peintre qui s'est fait
connaître comme un des meilleurs imitateurs de Téniers. Le catalogue du Musée d'Anvers donne, d'après
les registres des paroisses, les prénoms des cinq enfants issus de ce mariage
: ces détails, qui nous font
pénétrer dans l'intérieur de la famille de van Kessel, montrent qu'il était
en relation d'amitié avec
plusieurs artistes distingués de cette époque si heureuse pour l'école flamande. Il était lié
avec David
Téniers, avec le peintre de fleurs Philippe van Thielen: nous savons,
en outre, qu'il travailla en collaboration
avec plusieurs de ses camarades, tels que van Thulden et Jean van Balen, le fils.
Van Kessel ne paraît pas avoir eu de bruyantes aventures. Il peignait
en silence, mais non sans succès,
des fruits, des guirlandes, des plantes, des objets immobiles, quelquefois aussi des figures et très-souvent
des animaux. Corneille de Bie cite avec éloge, parmi ses œuvres les mieux réussies, quatre tableaux où il
avait représenté, sous la forme d'allégories, l'Europe, l'Afrique, l'Asie et l'Amérique. Dans
ces peintures, qui
lui furent payées près de quatre mille florins, van Kessel, pour préciser
sa pensée, avait groupé autour de
chacune des parties du monde les fruits et les fleurs qu'elle produit, les animaux qui l'habitent. Descamps
parle aussi de trois tableaux qui, de son temps, étaient en Angleterre, chez le comte de Carlisle, et qui,
plus grands que ceux que van Kessel a peints d'ordinaire, montraient avec quelle habileté il
« a su imiter
les fleurs, les plantes, les chardons et les reptiles. Dans ce
» genre de peinture, van Kessel est un adhérent
de Breughel de Velours, et, pour ainsi dire, son disciple posthume parfois, il tente de suivre les
;
chemins ouverts par son ami David Téniers : comme lui, il a peint des intérieurs, des boutiques où scintillent,
confusément emmêlées, des armures reluisantes ; il s'est complu aussi à faire jouer la comédie humaine
a
des singes et à des chats. Mais, dans ce jeu plein de périls, il a moins d'esprit
que Téniers. Les tableaux de
J. van Kessel portent fréquemment une date : d'après celles que nous avons relevées,
nous pouvons dire
que les années comprises entre 1650 et 1660 caractérisent la meilleure veine de son talent. Dans les ouvrages
qui se rapportent à cette période, tels que le tableau du musée de Bordeaux et la Ménagère de la vente de
M. Véron, l exécution est pleine de largeur et de liberté. Plus tard,
van Kessel, changeant en défauts les
qualités de Breughel, adopta un faire minutieux et petit il semble alors peindre
: non avec un pinceau, mais
avec un cheveu, et il tombe dans la sécheresse, calamité presque inconnue à la généreuse école d'Anvers.
L histoire des artistes flamands présente tant de lacunes,
que les documents authentiques sur van
Kessel ne dépassent pas l année 1662. Il vivait encore à cette époque, lorsque Corneille de Bie publiait
son
Gulden cabinet. Comme il n'avait alors que trente-six
ans, il est vraisemblable que sa vie se sera prolongée
plus longtemps; un jour viendra où nous en saurons davantage
sur van Kessel; mais aujourd'hui nous ne
pouvons le suivre au delà de la date que nous venons d'indiquer. Nous n'admettons donc pas la tradition que
Pilkington a consacrée et que l'auteur du catalogue du Louvre reproduite à
a son tour; nous ne voulons,
nous ne pouvons pas croire que van Kessel, appelé en Espagne, y soit devenu peintre du roi, et ne soit
mort qu 'en 1708. Il nous paraît qu'il y a ici confusion évidente, et que pour y voir clair dans cette obscure
biographie, il faut distinguer ce qui appartient au père de ce qui appartient à l'enfant.
De son mariage avec Marie van Abtshoven, Jean van Kessel avait eu quatre fils : deux d'entr'eux furent
peintres : Ferdinand Léonard, né en 1648, et Jean, né en 1654.
Nous possédons sur ces deux artistes des données à peu près exactes. Nous savons que Ferdinand van
Kessel, dont on peut étudier le talent au musée de Vienne, peignit comme son père des animaux, des plantes,
des paysages, et qu'il travailla longtemps et glorieusement pour le roi de Pologne Jean Sobieski. Les livres

le font mourir à Bréda, en 1696. Quant à Jean van Kessel le jeune, il a passé sa vie en Espagne, et Palomino
et Céan Bermudez lui ont consacré chacun une notice intéressante.
D'après l'auteur du Diccionario historico de los mas ilustres profesores, Jean van Kessel le fils, que
plusieurs écrivains ont confondu avec son père, arriva à Madrid en 1680 et se fit connaître par des portraits.
La reine Marie-Louise d'Orléans, ayant entendu parler de lui par quelques dames du palais, désira se
faire peindre par le nouveau venu. Le jeune van Kessel réussit si bien que, le 21 avril 1686, il fut nommé
peintre du roi Charles II. Après la mort de Marie-Louise, en 1689, il sut mériter les bonnes grâces
de la nouvelle souveraine. Marie-Anne de Neubourg, et il fit aussi son portrait. Le talent de van Kessel
le fils était goûté en Espagne; déjà la fortune lui souriait, il devenait plus habile, il devenait plus riche;
*
mais ces prospérités furent brusquement interrompues, lorsque, en 1700, Philippe Y arriva, amenant à
sa suite un groupe d'artistes français. Jean van Kessel fut dès lors relégué au second rang : il mourut
à Madrid en 1708, laissant la réputation d'un portraitiste fidèle, qui, en ses jours heureux, s'était attaqué,
sans trop de maladresse, à la peinture d'histoire et de mythologie.
Si sommaires qu'ils soient, les détails que nous venons de reproduire suffisent pour mettre en évidence
l'erreur des biographes qui, réunissant en un seul deux artistes différents, ont confondu le fils de van Kessel
avec son père. Tenons-nous-en donc désormais aux indications du catalogue du musée d'Anvers, complétées par
le témoignage de Céan Bermudez : distinguons Jean van Kessel le vieux, dont nous perdons la trace en 1662,
de Jean van Kessel le jeune, qui arrive en Espagne en 1680 et qui y achève sa vie sous Philippe V. Puis,
laissant là les textes, demandons à l'œuvre de chacun des deux maîtres ce que valut son talent. Ici, il n'y
a pas de confusion possible : le plus habile et le plus original des van Kessel, celui qui mérite de figurer
dans Y Histoire des Peintres, c'est Jean van Kessel le père, le laborieux et loyal artiste qui nous a laissé
tant de fines peintures, qui a aimé la nature avec une si ardente tendresse, et qui, dans le tableau du
musée du Louvre, que nous reproduisonsaujourd'hui, a prouvé qu'il savait, aussi bien que son grand-père
Breughel de Velours, peindre d'un pinceau délicat la fleur parfumée et vivante.

PAUL MANTZ.

]M(MM(EIMS J.gif nHWOTIHDHS


Le portrait de Jean van Kessel a été peint par Erasme MONTAUBAN.
— Des Coqs attaqués par des
Éperviers. —
Quellin et gravé par Alexandre Voet le jeune. Des Serpents et des Hérissons.
Quant à son œuvre, qui paraît assez considérable, nous Le Catalogue du Musée de Vienne mentionnedeuxtableaux
nous bornerons aux indications suivantes : sur cuivre (des Singes j ou int aux cartes et un Singe et un
MUSÉE DU LOUVRE.
— La
Sainte Famille au milieu d'une Chat dans la boutique d'un barbier). Nous ignorons si ces
guirlande de fleurs. Les angles du tableau sont occupés par peintures sont de Jean van Kessel ou de son fils.
les quatre Évangélistes : en haut est le Père éternel ; en bas,
Satan et la Mort vaincus. Ces dernières compositionssont en
-
VENTE DE LA COMTESSE DE VERRUE (1737). Deux petits
tableaux dont le sujet n'est pas indiqué, 120 liv.
camaïeu gris. Le médaillon central a longtemps été attribué à VENTE DU MARQUIS DE CHANGRAN (1780). — Deux tableaux
F. Franck le jeune. représentant des oiseaux de diverses espèces (provenant du
ANGLETERRE. — CABINET DE SIR W. TREVELLYAN. Deux cabinet du prince de Conti), 240 livres.
tableaux représentant divers insectes, chenilles, papillons, etc. VENTE SCHAMP d'AvESCHOOT (Gand, 1840).— Paysage. —

ANVERS. -
L'un d'eux est daté de 1657.
Concert d'oiseaux. Ce tableau provient de l'an-
cienne commanderie de Pitsenbourg, à Malines.
Un bois traversé par un chemin sablonneux.
VENTE DU CARDINAL FESCH (Rome, 1845). — La Vierge,
l'Enfant Jésus et des Anges dans un paysage ; les figures
BORDEAUX. — Une table chargée de divers fruits (1653). sont de Jean van Balen.
Des fleurs groupées autour d'un cartouche renfermant une VENTE THIBAUDEAU. — La Tentation de saint Antoine,
grisaille. dessin à la plume lavé d'encre de Chine, sur papier bleu ;
FLORENCE.
— Des Poissons (deux tableaux). signé, J. van Kessel.
MADRID. — Une guirlande de fleurs; au centre, un mé- VENTE VÉRON (mars 1858). — Une Ménagère au milieu de
daillon par van Thulden. Portrait équestre de Philippe IV. Ce gibiers et de fruits; signé, J. van Kessel, 1650.
portrait est vraisemblablementl'œuvre de van Kessel le fils.
Scafe &famanc/e. Jffa/faaçe/)

ABRAHAM GENOELS
\Ii E\ 1640. — MORT EN 1723

Les registres de l'ancienne Académie royale de peinture


et de sculpture nous apprennent, en un style dont nous
aurions regret d'altérer la candeur, que, dans la séance
du 4 janvier 1665, « le sieur Genouelle a aporté le tableau
qui luy a esté ordonné sur le talant de paysage, lequel la
Compagnie ayant examiné, a été jugé capable d'estre reçu
en calité d'académissien , dont il a presté le sermen
ordinaire et promis de payer cinquante livre. »
Dans le nouveau confrère que l'Académie venait de se
donner en accommodant son nom à la mode française,
vous avez reconnu sans peine
Abraham Genoels, ce jeune
peintre flamand qui, séduit par les splendeurs dont le règne
de Louis XIV s'entourait déjà, avait quitté Anvers pour-
Paris, et était venu se perdre, étoile douteuse, dans la
vingt-cinq ans. rn ,
constellation qui gravitait autour de Lebrun. En 1665, Genoels n avait que
p
peu' de se faire une renommée; mais l'Académie se
en France, il n'avait pas encore eu le temps
venaient de Flandre; elle ouvrait
montrait sympathique aux artistes étrangers, à ceux-là surtout qui
aisément sa porte aux peintres qui, poursuivis par une compagnie rivale, cherchaient en son sein un lieu
d'asile; enfin le membre qu'elle venait de s'adjoindre s'abritait sous la puissante égide de Lebrun: il fut
donc reçu comme un enfant de la maison.
Le nouvel académicien était né à Anvers le 25 mai 1640 '. On ne sait pas exactement ce que fut son
père; mais on a quelque raison de supposer, un peu à cause de la parfaite identité du nom, que le jeune
artiste pourrait être le fils d'un certain Abraham Genoels, qui, pendant l'exercice 1636 à 1637, avait été
reçu franc-maître de la corporation de Saint-Luc. Quoi qu'il en soit, Abraham commença dé bonne
heure l'étude de son art; à onze ans il entrait dans l'atelier d'un maître secondaire, Backereel2, chez
lequel il devait rester jusqu'à sa quinzième année. Backereel lui apprit à peindre la figure, et l'on sait
en effet que la première ambition d'Abraham Genoels fut de se consacrer exclusivement au portrait; mais
élargissant bientôt son rêve, il se laissa tenter par le paysage, et il en étudia le secret à la meilleure des
écoles, dans ces campagnes lumineuses et vertes qui entourent Anvers d'une fraîche ceinture de prairies.
Descamps nous apprend que Genoels eut aussi un autre maître : désireux de connaître la perspective
jusque dans ses lois les plus abstraites, il alla pendant quelque temps demeurer à Bois-le-Duc auprès
d'un certain Firelans, dont le nom, défiguré peut-être, n'a point laissé de trace dans l'histoire de l'art.
Lorsqu'il eut appris avec lui les théories de l'optique et de la géométrie., Genoels. beaucoup plus instruit
que les artistes ne le sont d'ordinaire, revint dans sa ville natale.
L'heure était excellente pour y rester et s'y faire un nom, car Van Uden et Van Artois ne tenaient plus
le pinceau que d'une main défaillante, et les paysagistes devenaient rares. Mais Abraham Genoels avait
l'esprit inquiet et curieux; un vague désir de voir le monde le poussait; d'ailleurs, l'école d'Anvers était
déjà sur une pente fatale, il le comprit, et avide de se retremper à des sources plus vives, il se dirigea
vers la France.
Toutefois « la guerre entre l'Espagne et la France l'empêcha, nous dit-on, de partir sur-le-champ.
Peu après, il se rendit à Amsterdam, où il s'embarqua pour Dieppe sur une flotte marchande, escortée par
des vaisseaux de guerre. Il arriva enfin à Paris; il y trouva Laurent Franck, son neveu, et Francisque
Milé 3. » Lorsque Genoelsvenait ainsi grossir la colonie, je devrais dire la famille d'artistes flamands établis
parmi nous l'heure était décisive. Le traité des Pyrénées avait donné la paix à la France. Fouquet était
,
encore surintendant; mais déjà Colbert avait le département des arts et préparait de grandes choses.
Abraham Genoels trouva aisément à s'employer. L'académicien Pierre de Sève, qui peignait des modèles de
tapisseries, fut trop heureux de trouver en lui un aide intelligent. Descamps nous apprend en outre que le
grand-prieur lui avait donné un atelier au Temple et qu'il fit pour lui diverses peintures; enfin Genoels
peignit aussi des paysages qui lui furent demandés par la princesse de Condé et par l'ambassadeur
d'Angleterre.
Ainsi la vie commençait pour l'artiste flamand sois les auspices les plus heureux, et tout marchait au
gré de ses rêves, lorsque des difficultés, qu'il aurait du prévoir, lui furent tout à coup suscitées et
l'arrêtèrent un instant dans ses travaux. On sait quelle loi rigoureuse pesait alors sur l'art et sur les
artistes. Il n'était pas loisible à chacun de faire œuvre de peinture. La communauté de Saint-Luc, gardienne

1 Les dates de naissance et de mort de Genoels que nous donnons sont, non pas différentes, mais pl is précises que celles
qu'indiquent les historiens flamands. Nous les empruntons à Mariette, qui les tenait de Reynez, le concierge de l'Académie,
honnête homme qui prenait des notes sur tout et qui, de l'aveu de Mariette, « étoit l'exactitude même. »
2 Descamps donne à Backereel le prénom de Jacques; les auteurs du catalogue du Musée d'Anvers l'appellent Abraham. Il y a
Ii. une petite difficulté que nous ne sommes pas en mesure de résoudre; ce qui, à nos yeux, complique la question, c'est que
les deux Backereel que nous connaissons par les tableaux religieux exposés dans les églises de Bruges et au Musée de Bruxelles,
se nomment l'un Guillaume et l'autre Gilles. Ils paraissent être nés à Anvers, le premier en 1570, le second en 1372. La date
de leur mort n'est point connue; mais, si longue qu'ait été leur vie, aucun d'eux n'aurait pu être le maître de Genoels. Ils eurent
sans doute des fils et des neveux, et c'est dans cette descendance ignorée qu'il faudrait chercher le professeur de notre paysagiste.
1 Descamps, Yie des peintres flamands et hollandais, t. m.
p. 93
jalouse de son antique privilége, avait un surveillant à la porte de chaque maison, et elle faisait saisir
sans pitié le tableau ou la statue que l'imprudent artiste essayait d'élaborer et de mettre en vente
sans avoir satisfait aux charges de la maîtrise. C'était là le cas de Genoels. Sollicité d'abord de s'affilier a la
corporation, il avait froidement répondu à cette prière; les jurés eurent bientôt recours aux menaces.
Le danger devenait pressant. Genoels alla conter sa peine à de Sève , et celui-ci lui indiqua bien vite le
seul remède, l'unique refuge, c'est-à-dire l'Académie de peinture, qui, placée sous la protection directe du
roi et hors de la loi des jurandes, s'ouvrait volontiers aux victimes des tracasseries de la communauté des

lit
maîtres. Abraham Genoels fut à cette occasion présenté à Lebrun. L'affaire était simple; elle ne
aucune difficulté. Agréé le 1er février 1664, le jeune artiste reçut
l'ordre de peindre un paysage pour son
les registres de l'Académie nous
morceau de réception, et c'est aux formalités de cette réception que
faisaient assister tout à l'heure.
Ainsi les persécutions dirigées par la corporation de Saint-Luc contre Abraham Genoels
avaient été pour
lui l'occasion d'une double victoire. D'une part il était académicien, et d'autre part il
avait conquis la
alors au
faveur de Lebrun : c'était même là le bénéfice le plus clair de son aventure. Le glorieux maître,
commandé
faite de la puissance, travaillait depuis 1661 à cette série de tableaux dont Louis XIV lui avait
rapidité de son
d'emprunter le sujet à l'histoire d'Alexandre. L'œuvre était considérable, et malgré la
à Genoels
pinceau, Lebrun ne pouvait tout achever par lui-même. Ses biographes affirment qu 'il eut recours
et qu'il lui fit peindre les fonds et surtout les paysages de ses vastes tableaux. La nature extérieure 11e
joue, il est vrai, qu'un petit rôle dans ces compositions héroïques 01'1 tout est sacrifié aux personnages;
mais ici on voit un bout d'arbre, là un brin d'herbe, plus loin une colline noyée dans la brume ou la
poussière; c'est là l'œuvre de Genoels, et, si secondaire qu'elle soit, ce n'était pas alors un mince honneur
que d'e travailler, ouvrier obscur, aux tableaux du premier peintre de Louis XIV.
Le point important, c'est que, grâce à la protection de Lebrun, Genoels fut désormais attaché d'une
manière suivie aux travaux de la manufacture des Gobelins. Il y faisait des modèles, disons le mot, des
patrons destinés à être reproduits en tapisseries. Pour pouvoir indiquer d'une manière précise les divers
ouvrages exécutés par Genoels aux Gobelins, il faudrait dépouiller attentivement les comptes des bâtiments
royaux : nul n'a fait encore ce grand travail; toutefois des renseignements tirés des archives de la
manufacture nous permettent d'indiquer la part prise par Genoels à plusieurs de ces tapisseries. Il travailla
avec Yvart le père et Dubois à la tenture des Quatre Eléments, avec Ilouasse et de Sève il celle des
Saisons 1. Ce n'étaient pas là des tableaux proprement dits, mais de simples esquisses où la couleur,
vivement posée, indiquait aux ouvriers le ton des laines qu'ils devaient employer. L'œuvre achevée, les
modèles étaient ordinairement détruits.
Il est cependant une de ces peintures qui nous a été conservée. Lorsque le directeur des Gobelins reçut
r
l'ordre die. faire exécuter la fameuse tapisserie des Mois de année, il eut l'idée ingénieuse de représenter
dans chacun des panneaux de cette tenture l'une des résidences de Louis XIV, allusion transparente
aux douze maisons célestes du soleil, dont le roi était l'image sur la terre. On jugea à propos de
donner place dans cette série au château de Marimont, situé en Hainaut à quelque distance de Mons, et
qui venait d'être incorporé au domaine royal. Genoels reçut la mission d'aller prendre la vue de ce
château. Il partit avec deux des collaborateurs habituels de Van der Meulen, Iluchtemburg et Baudewyns.
C'était, nous dit Descamps, en 1669 ou 1670; Genoels ccdessina le château de Marimont de trois côtés, »
et après s'être un instant arrêté dans sa ville natale, où tout le monde fit fête à l'envoyé de Lebrun, il
revint à Paris et exécuta, dans d'e grandes proportions, le modèle qui devait être reproduit en tapisserie.
Cette peinture, dont l'histoire de L'art avait perdu la trace, se retrouve aujourd'hui au Musée de Versailles;
elle fait partie de cette suite des Douze mois- qui fut, sous la haute direction de Lebrun et de Van der Meulen,
l'œuvre commune de tous les artistes- qu'ils employaient aux Gobelins. C'est une esquisse facile, d'une
exécution sûre et précise et d'une coloration qui n'est pas sans vigueur. L'influence de Van der Meulen y
paraît évidente.
Ainsi employé par la haute direction des bâtiments du.noi, Abraham Genoels eût trouvé à Paris une vie
tranquille et peut-être même un peu de renommée; mais le mouvement était un besoin de sa nature
inquiète, et il avait à peine terminé sa peinture du Chdteau d'e Marimont, que, cédant à d'amicales
instances, il retourna à Anvers. Là, il se ressouvint qu'il était Flamand. Soit qu'il ait eu l'intention
réelle de planter désormais sa tente dans son pays, soit qu'il ait voulu faire acte de patriotisme, il se fit
recevoir membre de la ghilde de Saint-Luc (1672). Quelque temps après, il était si fraternellement uni aux
membres de l'association qu'onvoulut le nommer doyen. Ce fut à cette occasion que, désireux de s'exempter
de cette charge, il s'engagea, le 4. septembre 1673, à faire pour la aallede réunion, de. la compagnie un
tableau « digne de sa réputation. » Il. mit aussitôt la main à l'œuvre et acheva une composition pittoresque
dont le Musée d'Anvers a hérité.
Ce paysage, qui peut passer pour l'une des œuvres les mieux réussies du maitre, représente Minerve et
les Muses. Le lieu de la scène est emprunté à cette nature un. peu artificielle qui n'existe que pour les
académies. Au milieu d'une campagne élyséenne, fermée à gauche par. de grands arbres historiques, et à
droite par une sévère muraille de rochers, les Muses, réunies sur un petit monticule, reçoivent la visite
de Minerve leur souveraine. Ce paysage, visiblement entaché d'un parti-pris héroïque, appartient, comme

1 Lacordaire, Xoticc historique sur la manufacture des Gobelins, 18o3, p. 59 et 60.


sentiment, ce genre pompeux et froidement grandiose que le Guaspre pratiquait alors en Italie et qui
i)

trouvait en France tant de lourds imitateurs. A le juger par cette œuvre, le talent de Genoels n'est pas
sans quelque analogie avec celui de Francisque Mile. Comme lui, il aime les entassements de rochers
systématiquement bâtis, les montagnes à plusieurs étages et surtout ces constructions aux formes
régulières que, dans le jargon des ateliers, on a si longtemps appelé des fabriques : ses paysages sont toujours
abondamment garnis de temples, de tombeaux, de fontaines et de colonnades1; il n'y manque guère que
la nature

Abraham Genoelsachevait à peine son tableau de Minerve et les Muses, qu'un désir, qui bien des fois déjà
avait traversé ses rêves, lui revint tout à coup en tête. Il voulut admirer dans leur réalité pittoresque et sous
le chaud rayon de leur vraie lumière ces campagnes romaines et ces ruines fameuses dont il avait si souvent
entendu parler à l'Académie de Paris, mais que, pour y bien croire, il lui fallait voir de ses yeux et pour
ainsi dire toucher de ses propres mains. Il se disposa donc à partir pour l'Italie. Toutefois le comte de
\lonterey, gouverneur des Pays-Bas, lui ayant demandé des modèles pour une vaste tenture de tapisserie, u'
dut satisfaire au désir du noble comte, et avec l'aide de quelques amis, il expédia rapidement une

1 Abraham Genoels, dit Papillon de la Ferté, « sçavoit enrichir ses tableaux de détails agréables, qui suppléoient à ce que le
local ne lui fournissoit pas. » Extrait dela Vie des Peintres, t. n, p. 215. « Les ordonnances de ses paysages, dit
de son côté
fait. »
Mariette, ne sont pas fort naturelles et la touche en est maniérée, mais il ne laisse pas d'y avoir du bon dans ce qu a
'il

Abecedario, t. il, p. 292


besogne que, dans l'ardeur de ses ambitions nouvelles, il regardait peut-être déjà comme indigne de son
pinceau. L'œuvre achevée, il se considéra comme libre et fit ses préparatifs de départ.
Genoels n'était pas homme à voyager seul. Il chercha des compagnons de route, et emmenant avec lui le
sculpteur Pierre Verbruggen, le graveur Clowet et quelques autres amis, il quitta Anvers le 8 septembre
1674. Le voyage était déjà une fête, une de ces fêtes laborieuses comme Genoels les aimait. A peine
arrivé, l'artiste flamand se mit à l'œuvre, visitant, le crayon à la main, la ville sainte et les ruines qui
l'entourent. Dans cette campagne romaine qui souriait si fort à son tempérament académique, il reconnut
les perspectives sévères qu'il avait si souvent entrevues dans ses songes. Travaillant plutôt pour sa propre
édification que pour les plaisirs des autres, il lit un bon nombre d'études d'après nature, et multiplia
surtout les dessins, croquis rapides tracés à l'encre de Chine, lavés au bistre ou même coloriés d'aquarelle.
En même temps il sentit renaître en lui un goût des plus vifs pour un genre dans lequel il s'était déjà
essayé avec succès, la gravure à l'eau-forte. Il n'est pas sans intérêt de feuilleter aujourd'hui le recueil
des estampes qu'il a gravées à Rome. Plusieurs d'entre elles sont datées de 1675 et de 1676. Elles sont
ordinairement signées A. Genoels aliàs Archimedes, surnom bizarre qui avait été donné à l'artiste par la
joyeuse bande de peintres flamands établis en Italie et qu'il avait d'ailleurs accepté avec une sorte d'orgueil
candide, lui l'habile théoricien,l'exact professeur de perspective.
Les eaux-fortes de Genoels ne paraissent pas d'ailleurs révéler en lui une organisation d'artiste bien
puissante et bien fougueuse. Le plus souvent sa pointe délicate se contente d'égratigner légèrement le
cuivre. Genoels est un homme sage, adroit; mais, plus ingénieux que fort, il seipble plus touché de la
disposition heureuse des lignes que de la poésie de l'effet. L'élément architectural joue un très-grand rôle
dans ses paysages. On n'y voit que villas lointaines, temples au fronton symétrique longues colonnades
,
découpant sur l'horizon leur silhouette précise chapiteaux brisés où s'attachent le lierre et la ronce.
,
D'aulres fois Genoels nous introduit dans ces beaux jardins semi-italiens, semi-français qui, dans la
froide régularité de leurs lignes sévères, font si bien comprendre le règne de Louis XIV; ce sont des
arbres plantés en quinconces, des pièces d'eau se creusantun lit à angles droits dans des gazons fraîchement
tondus, d'immenses escaliers aux marches égales, et là-bas, sous les charmilles strictement taillées, de
blanches statues, divinités silencieuses de ces muettes solitudes. Qui sait si ces perspectives solennelles de
jardins et de villas ne sont pas le triomphe de Genoels? Il y montre une grande sûreté d'exécution, une
placidité de manière qui convient an sujet, un goût large et pur dans le jeu des ombres et des rayons.
Genoels semble avoir voulu donner du sentiment à la méthode et à l'ordre de la poésie.
Ainsi pendant son séjour à Rome, l'artiste flamand fut plutôt graveur que peintre. Il n'y lit qu'un
très-petit nombre de tableaux à l'huile, bien que les amateurs vinssent parfois frapper à la porte de son
atelier. Descamps nous apprend toutefois qu'il peignit trois paysages pour le cardinal Rospigliosi, dont il fit
également le portrait. Moins heureux, le marquis del Corpio ne put obtenir que deux tableaux. Aussi les
paysages de Genoels sont-ils singulièrement rares en Italie.
Sa provision d'études achevée, Genoels songea à rentrer en Flandre. Le 25 avril 1682, après une
absence qui avait presque duré huit ans, il quitta la terre italienne, chargé de dessins, de gravures el
même de moulages d'après l'antique. En traversant la France, il fit don d'un paysage à Colbert: il en
offrit un autre à son protecteur Lebrun, et sans s'arrêter davantage auprès de ses anciens confrères, il alla
droit à Anvers, où il arriva le 8 décembre et qu'il ne devait plus quitter. Bien qu'il fût encore dans la force
de l'âge, il ne peignit plus que dans de rares occasions: il aima mieux revenir à la gravure, et pendant
les premières années de son séjour en Flandre, il acheva un certain nombre d'eaux-fortes aussi fines et
surtout aussi italiennes que celles qu'il avait faites à Rome en présence de la nature et des monuments
eux-mêmes. Ces gravures, il les signa encore de son surnom d'Archimède, et pour mieux le mériter, il
donna à quelques écoliers intelligents des leçons de mathématiques et de perspective. Cependant l'âge \iiit;
et bien qu'en 1718 il eut encore la main assez sûre pour dessiner à la plume et à l'encre de Chine ces
deux Vues d'un parc qui ont fait partie du cabinet du comte Thibaudeau Genoels dût s'arrêter enfin
,
et il se laissa peu à peu oublier. Débris vivant de la plus belle époque du règne de Louis XIY, entra,
il
tourmenté d'un autre idéal, ne le comprenait pas
sans le bien comprendre, dans le dix-huitième siècle, qui,
davantage • personne ne songeait plus à lui, lorsque, le 10 mai 1723, on apprit qu'il était mort.
Ainsi s'acheva dans le silence et dans la solitude cette vie active et toujours occupée. Genoels avait
beaucoup travaillé, et cependant — si l'on excepte le recueil de ses eaux-fortes — il laissait peu de chose.
Il n'a du moins attaché son nom au souvenir d'aucune œuvre originale et durable. Collaborateur anonyme
de Lebrun, inventeur obscur de modèles de tapisseries, il a été annihilé par les puissants, comme un petit

portraits
ruisseau est absorbé par un grand fleuve. Lorsqu'il a voulu produire seul, il a peint quelques
d'une valeur secondaire et des paysages qui, laborieusement combinés en vue d'un succès
académique,
flamandes, a
n'ont jamais eu la fraîcheur, la poésie de la vraie campagne, Genoels, oublieux de ses origines
trop aimé le style italien du dix-septième siècle et pas assez les
réalités agrestes de la nature de tous les
la loi rigoureuse de la
temps. Professeur habile, il a appris aux écoliers de bonne volonté la perspective et
lumière. Et qui sait si l'enseignement de ces choses n'était pas sa meilleure aptitude et sa force
..
secrète?
Il est certain qu'en étudiant de près le désordre trop savant des
compositions de Genoels et la symétrie
du paysagiste,
harmonieuse et froide de ses lignes, on croit parfois reconnaître en lui, sous l'enveloppe
la rigidité sévère d'un géomètre mal déguisé.
l'AlL MANTZ.
MMMEMim in iniDiEiiTwiSo

Les tableaux d'Abraham Genoels sont assez rares. L'artiste célèbres du dix-huitième siècle en contenaient un assez bon
flamand a sans doute eu sa part dans l'œuvre de plus d'un nombre, et aujourd'hui encore on en voit passer quelquefois
maître illustre; il a travaillé avec Lebrun et Van der Meulen dans les ventes publiques.Cinq paysages, dessinés à la plume,
et il a puissammentcontribué à l'exécution des modèles des- ornaient le cabinet du prince de Ligne. M. Paignon-Dijonval
tinés aux Gobelins; mais il ne reste de lui qu'un petit nombre n'en possédait pas moins de dix-neuf, parmi lesquels nous
d'oeuvres originales et authentiques. Nous ne pouvons indiquer nous contenterons-de citer :
que les peintures suivantes : Vue d'une grotte ornée à l'extérieur de quelques arbres ;
MUSÉE D'ANVERS.
— Minerve et les Muses. D'après le au bas, deux figures assises; dessin à la plume, colorie
catalogue de cette collection, ce tableau aurait été peint par d'aquarelle.
Genoels en collaboration avec Kierings ; mais cette indication Deux autres Vues de grottes, à la plume, lavées d'encre de
ne paraît pas fondée, puisqu'on ne connaît aucun peintre Chine.
de ce nom qui ait vécu en même temps que Genoels et ait pu Vue intérieure d'une caverne, dessin lavé au bistre.
travailler avec lui. Cette composition provient de l'ancienne Quatre petites vues : forteresse sur le bord d'une rivière;
Société de Saint-Luc, à laquelle elle avait été donnée par intérieur d'un grand jardin; ruines d'un pont de pierre, etc.,
l'auteur lors de son départ pour l'Italie en 1673. Dans son dessins à la pierre noire lavés d'encre.
Voyage pittoresque de la Flandre, Descamps en parle comme Quatre Paysages ornés de fabriques dans le goût antique.
d'un « assez bon tableau. » Dessins à la plume.
MusÉE DE VERSAILLES.
— Le Château de Marimont. mo- Nos recherches ne nous fournissent aucun renseignement
dèle destiné à être exécuté en tapisserie. sur les prix atteints dans les ventes publiques par les tableaux
MUSÉE DE MOXTPELLIER.
— Paysage. Un voyageur se de Genoels. Il est vrai de dire que ses paysages sont quel-
repose sur le gazon. On voit dans le fond des fabriques en- quefois attribués à Francisque Mile. Nous sommes un peu

tourées de pins et de cyprès. Ce tableau a été gravé à l'eau- plus heureux pour les dessins et nous pouvons citer :
forte par l'auteur. Il y aurait lieu de rechercher si ce paysage VENTE NEYMAIN, Paris 1776.
— Un très joli paysage avec
n'est pas le morceau de réception présenté par-l'artiste à rochers, lointains et chute d'eau. Sur le devant, Saint-Jérôme
l'Académie de peinture en 1665. en prière. Dessin à la plume et au bistre. 6 pouces sur 7.
Abraham Genoels a pris soin de graver lui-même la plupart 29 livres.
de ses compositions.Presque toutes ces reproductions sont VENTE THIBAUDEAU (avril 1857).
— Tobic et l'Ange.
à l'eau-forte; mais, ainsi que le remarque lUariette, on a aussi paysage à plume et lavé d'encre de Chine. — 13 fr.
la
rie Genoels quelques paysages, « gravés d'une manière assez Vue d'un parc. Un escalier de quatre marches est placé à
singulière, qui imite le dessin, et qui a été pratiquée avant droite près de grands rochers formant grotte. Signé A. Genoels
lui par La Belle. » A.-F. Baudoins ou Baudewyns a reproduit alias Archimedes fecit œtatis 78 A" 1718 Augustus 26.— 25 fr.
d'après ses dessins quelques vues de jardins et de villas Autre vue d'un parc. Deux figures sont assises au premier
italiennes. Le cabinet des Estampes ne possède que deux plan. Ce dessin est également daté de 1718. — 10 fr.
de ces planches; mais elles sont lumineuses et larges, et Petit Paysage héroïque. Sur la droite, une rivière passe en
donnent une excellente idée des originaux. Mariette parle formantcascade sous une grandepierre plate, au-dessus de
,
aussi, dans les notes de son Abecedario de cinq paysages, laquelle on aperçoit quelques figures. Dessin à la plume sur
en rond, gravés par Chatillon d'après Genoels, et il ajoute : papier blanc. — 8 fr. 50 cent.
«. Ils sont mal exécutés et appesantis d'ouvrage. » Nous reproduisons les divers monogrammes de Genoels
Si les tableaux d'Abraham Genoels sont devenus rares; d'après ses eaux-fortes et tableaux et sa signature à l'Aca-
,
il n'en est pas de même de ses dessins. Lés collections démie française:
Sco/e tfflamaru/e. Jëciyjapeé.

CORNEILLE HUYSMANS (DIT DE MALINES)


NE EN 1648. — MORT EN 1727.

A l'exception du beau pays de Liége et des montagnesde Namur,


la Belgique est une contrée peu accidentée. monotone, qui
peut bien éveiller l'amour de la nature, mais qui ne saurait
faire naître le sentiment du grand paysage. Le Flamand des
environs d'Anvers, de Vilvorde ou de Malines, peut arriver sans
doute à la grâce d'un paysage familier, prêter de l'intérêt aux
cabanes et aux ponts rustiques, rendre pittoresque la physionomie
de quelques troncs d'arbres noueux, penchés sur une immobile
flaque d'eau; mais il lui sera bien difficile d'atteindre à la poésie
des grands effets. Comment pourrait-il deviner la majesté des
bois héroïques, et traduire, sans l'avoir reçue, l'impression que
produisent les vastes ombrages, le mouvement et la déchirure des
terrains, les pierres éboulées, les ravins obscurs et profonds ?...
Cependant, contre toute apparence, il s'est trouvé un peintre qui, au milieu d une campagne unie, a su von-
de Malines.
ou imaginer une grande nature : ce peintre, c'est Corneille Huysmans,
Lorsqu'on se trouve perdu dans une forêt haute et sombre, et qu 'on chemine depuis longtemps sans
retrouver la campagne, sans apercevoir le ciel autrement que par échappées, à travers les cimes du hêtre,
on éprouve une surprise charmante si tout à coup se rencontre une éclaircie qui laisse voir des terrasses
égayées par un rayon de soleil. Cet accident ravive la promenade, délasse les yeux et rompt la monotonie
des grandes masses obscures qu'on vient de traverser. Le poète errant s'arrête avec plaisir à considérer les
mousses de la terrasse, les petits cailloux que les torrents avaient entraînés et qui ont été retenus par une
racine. La forêt encadre tout cela de ses rameaux et sert de fond à un point de vue qui n'est rien
par
lui-même et qui a pourtant un charme secret, inexplicable, préparé par la divinité du hazard. Pour atteindre
à cette lande sablonneuse où l'on n'a rien à faire, il faudra descendre la pente de la forêt, traverser
un gros
ruisseau qui coule en grondant au pied des derniers arbres, et cela même donne du piquant à la situation.
(ju'il faut peu de chose à la nature pour nous émouvoir et à la peinture pour nous ravir ! Eh bien, cet agreste
tableau, c'est presque toujours le paysage de Huysmans.
Il est à croire que la rencontre de ce double accident de lumière et de terrain lui fit
pour la première fois
une impression bien vive, car il existe foi -t peu de tableaux dans lesquels il n'ait peint avec amour sa colline
préférée, monticule chétif où tout lui plaît, jusqu'aux moindres pierres jaunâtres
ou tachées de mousses,
que la prochaine pluie roulera au fond du ravin. Le sentiment qu'il voulut rendre, celui du moins qu'on
éprouve à contempler ses tableaux, c est un sentiment de liberté et de joie sauvage. On s'imagine respirer le
parfum du génévrier et cette mâle exhalaison des bois qui fortifie la poitrine et favorise les élans de la pensée.
Corneille Huysmans, qu'on appelle toujours Huysmans de Malines, était né,
non pas à Malines, mais à
Anvers, en 1648, au milieu de ce xvir siècle qui fut la brillante époque du paysage, l'époque de Ruysdael
et de Claude, des deux Poussin et de Wynants. Corneille était fort jeune lorsqu'il perdit ses parents. Fils d'un
architecte distingué, il avait été destiné par son père à l'étude de l'architecture; mais l'éducation du jeune
orphelin étant échue à un de ses oncles, celui-ci le fit entrer dans l'école de Gaspard de Witte, peintre de
paysage. Peu de temps après, quelques tableaux de Van Artois frappèrent d'une telle admiration l'élève
de Gaspard, qu 'il alla sur le champ se présenter à Bruxelles chez Van Artois et le demander pour-maître.
Van Artois était un gentilhomme dont les manières étaient aussi grandes
que son style; il accueillit Huysmans
avec grâce, le prit dans sa maison, et le chargea d'aller dessiner d'après nature de beaux arbres et de belles
eaux, car il était surtout peintre de rivières et de forêts. Ces études furent utiles sans doute à Van Artois qui
menait l'existence d'un seigneur; mais elles profitèrent beaucoup à Huysmans et formèrent le fond où il
devait puiser plus tard la composition de ses paysages, bientôt supérieurs à ceux de
son maître, quand,
devenu maître à son tour, il quitta Bruxelles pour se fixer à Malines et n'en plus sortir.
Le mérite le plus saillant dans les paysages de Corneille Huysmans,
comme dans Van Artois, comme aussi
dans Louis de Wadder, c'est un sentiment du grandiose qui est tout à fait inattendu. A l'inverse des
Hollandais, qui sont pourtant leurs si proches voisins, les artistes brabançons n'ont
pas eu besoin de voir
l'Italie pour rencontrer, je ne dis pas précisément le style, mais une sorte d'inspiration qui
en tient lieu.
Leurs arbres s'élancent jusqu'aux nues, étendent leurs verts rameaux dans toute la largeur de la toile
et
semblent à l étroit dans la bordure qui les encadre. Il y a cette différence entre
eux et les Italiens, ou si l'on
veut, entre eux et notre Claude, que le ciel tient peu de place dans la composition des Flamands. Les
nuages
floconneux, les coins d azur sont ménagés, surtout chez Huysmans de Malines, uniquement
pour détacher
les nobles profils du feuillage. Le premier rôle est évidemment réservé à la terre. La
nuance délicate qui
distingue les heures du jour, les phénomènes dela lumière,
ne sont pas les objets de la préoccupation du
peintre. Au contraire, il nous fait errer dans les campagnes ombreuses,
par ces temps un peu couverts où l'on
ne veut pas savoir l 'heure; il nous intéresse à la nature du sol, à la libre fortune de sa végétation et
aux
larges plantes qui poussent sur le premier plan du tableau; il
nous entraîne avec lui dans les fourrés, nous
fait passer sur des troncs d arbres que les bûcherons ont abattus la veille, et tout cela
pour nous conduire à
cette colline sablonneuse, sillonnée de fentes, ravagée par les orages, dont tout le charme consiste
en un
peu de mousse mêlée de gravier, sur lesquels vient tomber un regard du soleil.
Un des caractères de Huysmans de Malines
— et en cela il se distingue de tout le monde — c'est que,
sous ses grands arbres qui semblent faits pour prêter leur ombrage à des héros, il n'introduit que des
figures vulgaires : ce sont des pâtres menant boire leurs vaches dans un ravin encaissé qui termine la forêt,
quelquefois ce sont des bûcherons qui ont ôté leur habit et s'emploient à ébrancher un chêne. De sorte que,
s'il y a une intention de style, elle se manifeste dans le paysage et jamais dans les ligures qui l'animent.

La présence de ces rudes habitants imprime au tableau de Huysmans, en dépit de la belle nature de ses
arbres, une physionomie agreste toute particulière. Cela ne ressemble ni à la riante pastorale de Berghem,
ni à la mélancolie de Ruysdael, ni au grand goût un peu sauvage de Both d'Italie. Au premier coup d'œil,
on croirait que des bois si majestueux doivent recéler dans le mystère de leurs ombrages quelqu'un de ces
temples où la prêtresse merveilleuse des temps antiques rendait ses oracles; mais on n'y rencontrera ni
les colonnades arrondies de Cythère, ni la fontaine qui invite au repos les nymphes de la suite de Diane;
seulement on découvrira peut-être dans la demi-clarté d'un carrefour le toit d'une simple cabane, rustique
asile des braconniers.
Les figures de Huysmans étaient dessinées avec tant de naturel, si bien posées, touchées avec tant dp
facilité et d'adresse, que les paysagistes de son pays avaient souvent recours à son pinceau pour les figures
dont ils voulaient peupler leurs prairies. Le célèbre Van der Meulen, lors d'un voyage qu'il fit à Bruxelles,
sa patrie, voulut visiter Huysmans, et il le trouva digne d'être présenté à Louis XIV. On le sait, Van der
Meulen avait été appelé et retenu en France par les offres de Colbert, par les pensions et le sourire du roi.
En voyant que les paysages de Huysmans avaient le caractère de la grandeur, il pensa qu'un tel artiste était
fait pour être apprécié à la cour de Versailles, que la représentation de ces beaux arbres, étudiés par le peintre
dans la forêt de Soignies, conviendraient à merveille sur les toiles où lui, Van der Meulen, il peignait les
campements, les siéges, les pompeuses marches de Louis XIV et les carrosses qui conduisaient Montespan à la
guerre comme à une fête. Mais le naïf artiste ne voulut point quitter Matines ; il motiva son refus sur ce qu'il
ignorait la langue française et n'aimait que celle de son pays. Cependant, à la sollicitation de Van der Meulen,
il peignit pour ce maître, avec une étonnante franchise de pinceau et beaucoup de vigueur dans le coloris,
les Vues topographiques de Luxembourg et de Dinant et les environs de ces deux places fortes. Prises d'un
point très-élevé, ces Vues se déroulent, se comprennent clairement; mais l'exactitude du plan n'ôte rien au
charme de l'art. Depuis près de deux siècles que ces tableaux sont au Louvre, tout le monde les admire, et
il est bien difficile d'y soupçonner le mélange de deux palettes, tant il y a d'harmonie entre la cavalerie de
Van der Meulen et les fonds de Huysmans.
Il reste aujourd'hui peu de compositionsde ce grand paysagiste d'après lesquelles on puisse juger de son
vrai mérite, la plupart de ses tableaux ayant poussé au noir, par suite de la funeste habitude où il était
de les peindre sur des toiles imprimées en rouge. Lorsqu'on trouve un tableau bien conservé de ce maître, on
ne saurait y attacher trop de valeur. Le clair-obscur y est conduit dans le sentiment de Rembrandt, c'est-à-dire
que la lumière y étant très-épargnée y est aussi très-brillante. La pâle en est dorée comme celle de la Ronde
de nuit. La touche a une largeur facile qui semble appartenir à un peintre d'histoire, et si l'effet du paysage
est imposant, ce n'est pas aux dépens de la vérité. J'ai vu des Huysmans rappeler si bien la nature, qu'en
les apercevant au détour de l'escalier d'un palais, on les eût pris pour des fenêtres ouvertes sur la campagne.
Maintenant, quand on songe que la longue vie de Corneille s'est écoulée à Malines, qu'il vécut et peignit dans
cette ville jusqu'à l'âge de soixante-dix-neuf ans, car il y mourut en 1727, on est surpris sans doute qu'il
ait parfois les fières allures du Guaspre, et qu'il se soit élevé si aisément dela familiarité flamande à l'héroïque
poésie des grandes forêts; mais cela même prouve que l'art est vraiment en nous. La nature n'est que le
clavier où chacun vient à son tour exprimer les sentiments de son cœur.
CHARLES BLANC.

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Lebrun, le célèbre appréciateur de tableaux, disait avec adjugés pour la somme de 80 livres les deux. Cependant
raison de C. Huysmansque c'était un des paysagistesflamands justice fut rendue à ce maitre : à la VENTE DE M. DE CALONNE,
qui avaient mis le plus d'effet et de piquant dans leurs en 1788, un Paysage orné de fabriques, de figureset animaux,
ouvrages. 17 centimètres de hauteur sur 23 centimètres, fut adjugé au
Si l'on excepte le MUSÉE DU LOUVRE, qui possède quatre prix de 2,412 francs.
riches paysages de Huysmans; la GALERIE DE MUNICH, qui en Il n'était pas donné aux tableaux de ce maitre de se main-
renferme aussi quelques-uns, et un port de mer ; le MUSÉE tenir longtemps dans la faveur des amateurs. En 1823, à
DE BRUXELLES, où l'on remarque un paysage de ce maître la VENTE SAINT-VICTOR, un tableau de C. Huysmans, d'un
orné de figures; le MUSÉE et les ÉGLISES DE MALINES, qui ton chaud, orné de fabriques, figures et animaux, fut aban-
comptent plusieurs de ses compositions, et les tableaux donné pour 42 francs.
de Van der Meulen, où il a souvent peint de fort beaux A celle de M. BRUN, en 1841, un magnifique Paysage de ce
paysages, Huysmans a vu fermer sur ses œuvres les portes peintre, que l'appréciateurcompare au tableau des Bûcherons
des autres galeries publiques de l'Europe, injustice dont le du musée du Louvre, ne fut vendu cependant que 150 francs;
vengent les collections particulières, lorsque ses toiles sont le pendant monta à 180 francs.
d'une dimension logeable. L'année suivante, un Paysage de C. Huysmansfut vendu
Voici un relevé du prix des tableaux de Huysmans : 121 francs à la VENTE ÉTIENNE LEROY. En 1845, deux ta-
A LA VENTE DU CHEVALIER LA ROQUE, Paris, 1745, deux bleaux de ce maitre furent adjugés à 131 francs à la VENTE
Paysages de C. Huysmans furent vendus avec leurs bordures MEFFRE.
en bois sculpté et doré 60 livres 2 sols. Deux autres, dans le Les œuvres de Huysmans ont été rarement gravées; nous
mème état, 18 livres 2 sols. n'avons vu ni signature ni marque au bas d'aucun de
Le CABINET DE M. DE MÉNARS renfermait deux Paysages ses tableaux. Brulliot n'a pas été plus heureux dans ses
faisant pendant, ornés de figures et animaux; ils furent recherches.
Les Rechercheset Indicationsci-dessus sont de M. Armengaud.

Tout récemment, à la VENTE DE M. DUGLERÉ, maître d'hôtel de M. de Rothschild, il s'est vendu une magnifique collection de douze
Huysmans,dont le prix moyen a été de 850 francs, la totalité des paysages de ce maître ayant produit la somme de 10,105 francs.
fi'cefe '/?'/wa/"/t. &aydaped.

FRANZ VAN BLOEMEN


NE EN 1656. — MORT VERS 1748.

Et lui-aussi il a vécu en Arcadie !... Il était presque


enfant lorsqu'il quitta les vertes prairies de la Flandre,
curieux, comme tant d'autres l'avaient été avant lui,
d'admirer la campagne italienne et ses paysages
enchantés. Venu à Rome pour y étudier quelques
jours, il y resta toute sa vie. Dès qu'il eut vu ce pays
sans pareil, dès qu'il eut parcouru ces collines où tant
de ruines fameuses ajoutent au charme de la nature
leur austère poésie, il fut séduit, il fut perdu. Franz
van Bloemen a peint les environs de la ville éternelle ;
il en a représenté les montagnes aux profils sévères,
les lointains dorés par le soleil, et le talent qu 'il fit
paraître dans l'interprétation de ces perspectives lumineuses lui mérita - le
. surnom u1« urizzonie, plUS J
/-V • 1 __
1

père. A vrai dire,


sans doute à prononcer pour des lèvres italiennes que le nom barbare qu'il tenait de son
l'artiste flamand fut presque heureux qu'on le débaptisât; le surnom que ses camarades lui donnèrent, il
l'accepta comme un titre de gloire, et désormais oublieux de son pays, il finit par se croire Romain.
Il était pourtant né à Anvers, ce peintre qui devait faire si bon marché de
sa nationalité et du génie
particulier à sa race. Johan ou Julills Franz van Bloemen, venu au monde en 1656, appartenait
vraisemblablement à une famille d'artistes; car nous savons qu'en cette même année,
un certain Adrien
van Bloemen, qui n'a d'ailleurs laissé aucune trace dans l'histoire de l'art, était entré à l'atelier du peintre
de marines Johan Peeters d 'Aiivers, et il est naturel de supposer qu'un lien de parenté plus
ou moins direct
rattachait l'un à l'autre les deux artistes qui portaient le même nom. Du reste, Franz van Bloemen avait
deux frères qui, tous les deux, furent peintres : Peeter, l'aîné, l'avait précédé dans la carrière des arts, et
il n'est pas douteux que son exemple n'ait exercé sur sa vocation
une influence déterminante.
On ne sait pas exactement quel fut le maître de Franz van Bloemen. Mariette, qui lui consacré quelques
a
lignes dans les précieuses notes de son Abecedario, lui donne
pour guide Antoine Gheban. Sous ce nom
défiguré, il faut sans doute reconnaître celui d'Antoine Goubau, peintre habile, qui eut aussi l'honneur
d'enseignerà notre Largillière le maniement du pinceau. Les deux toiles de Goubau
que possède le musée
d Anvers révèlent un artiste qui peignait largement et à coup sûr. Bien
que son genre le plus habituel
consistât dans des sujets de conversations ou des scènes familières, il savait,
au besoin, faire mouvoir ses
figures au milieu d 'un paysage plein de réalité, ou grouper à l'angle d'une
rue leurs vigoureuses silhouettes.
Goubau avait longtemps travaillé en Italie; il était donc, à tous les points de
vue, en mesure de donner
d'excellentes leçons à son jeune écolier.
Dès que van Bloemen sut se servir des outils du peintre, il
se mit en route. Bien que nous ne sachions pas
avec précision à quelle époque il arriva à Rome, nous pouvons assurer qu'à ce moment le paysagiste par
excellence, ou, pour parler plus exactement, celui dont les amateurs prisaient le plus la manière, c'était le
Guaspre. Lorsque ce maître célèbre mourut (1675), van Bloemen avait dix-neuf
ans; il n'est donc pas
impossible que le jeune artiste ait pu le connaître et le voir à l'œuvre
en ses derniers jours; mais, par
contre, il est certain qu'il n'a pu recevoir les conseils d'un peintre qui passe pour avoir exercé quelque
influence sur son talent, Adrien van der Kabel. Ce dernier avait été s'établir à Lyon
vers 1670, et il ne
paraît pas qu 'il soit retourné à Rome. Mais ses œuvres figuraient avec honneur dans les collections des
curieux, et le jeune Flamand put les étudier à loisir, en même temps
que celles de Guaspre et du Poussin,
le créateur véritable du paysage héroïque. En parcourant la
campagne romaine, il reconnut aisément, dans
les beaux sites qu 'il avait sous les yeux, les motifs pittoresques
que les peintres à la mode lui avaient, par
avance, rendus familiers en les reproduisant dans leurs compositions sévères. Etudia-t-il la nature? Les
biographes l 'affirment, et il serait malséant de ne pas les en croire
sur parole; mais nous sommes assuré
que si van Bloemen fut touché de la splendeur lumineuse du ciel ,de la fraîcheur des cascades écumantes,
de la majesté des arbres aux feuillages emmêlés, il fut séduit bien davantage
par le mérite des représentations
que ses glorieux maîtres en avaient faites. Il n'était pas, — son œuvre le prouve,
— un naïf amant des
solitudes agrestes, un observateur candide épris de la fête éternelle que la grande enchanteresse offre
aux
yeux de ceux qui lui demandent son secret; préoccupé du désir de bien faire, ce qui, pour lui, se bornait
à faire comme tout le monde, van Bloemen était un paysagiste de cabinet. Il étudia donc
son art bien
moins devant les spectacles de la nature ou dans les émotions de son cœur que dans les
ouvrages des
maîtres consacrés : c'est là qu'il chercha, pendant toute sa vie, son inspiration et son idéal.
« Franz van Bloemen, dit Descamps, fit voir, dès ses premiers tableaux, qu'il avait déjà pénétré bien
avant dans les secrets de son art. » Aussi obtint-il, dès le début, l'estime des connaisseurs et le respect
de ses camarades. Nous avons déjà eu l'occasion de parler bien des fois de la société
que les artistes
flamands et hollandais avaient formée à Rome. Pour ces exilés venus de contrées si lointaines, cette
association, qui est restée célèbre sous le nom de Bande académique, faisait revivre, dans
sa douce
confraternité, les gildes du pays natal. Franz ne tarda pas à être admis dans le groupe d'artistes auquel
son
frère Peeterétait déjà affilié ; et dès lors, — c était d'ailleurs un usage sacré, il fallut désigner les deux
— van
Bloemen par des surnoms différents. Peeter, qui peignait volontiers des batailles, et qui resta toujours un peu
Flamand, fut appelé Standaert. Quant à Franz, il reçut un nom italien, et il avait à peine achevé quelques-
uns de ces tableaux où il se montrait si habile à rendre les dégradations fuyantes des
lointains lumineux, que
tous ses camarades le nommaient Orizzonte. Le surnom lui resta, et fit presque oublier son nom véritable.
Les écrivains italiens l'ont adopté et. s'en servent encore : lorsqu'ils parlent de monsÙ Orizzonte, c'est
Franz van Bloemen qu'ils veulent désigner. Pour lui, il accepta gaiement ce nom nouveau et s'en servit
plus d'une fois pour signer ses œuvres. Il fit plus : il se voyait si bien accueilli de tous, il se sentait si

heureux dans ce pays de la lumière et des vastes perspectives, il trouvait à chaque pas de si beaux sites
il reproduire, et, dans les galeries des grands seigneurs romains, tant de tableaux
à imiter, qu 'il oublia

peu à peu l'Escaut et ses bords humides, et que, fils adoptif des
régions heureuses « où résonne le SI:, »
il désappritbientôt sa langue maternelle.
Assurément il eut tort. C'est notre conviction profonde qu'un artiste, si bien doué soit-il, ne rompt pas
impunément avec toutes les traditions de la nationalité à laquelle il appartient, avec tous les instincts de a
chose,
famille et de son pays. A ces changements de religion et de patrie, le talent perd toujours quelque
de
l'originalité s'en va, les sources vives de l'inspiration se tarissent peu à peu, et tel qui, dans la mesure
plus que les faciles mérites d 'tiii
ses forces, eût pu devenir un artiste libre, et presque un maître, n 'a bientôt
imitateur heureux. Cette inévitable déchéance, cette triste diminution morale, que tant d autres avaient
*oloiistes
subies avant lui, van Bloemen les subit à son tour. Les. paysagistes flamands sont volontiers .
cette qualité lui fit défaut; volontiers aussi ils ont une manière puissante et large : van Bloemen adopta un
procédé plus méticuleux et plus froid. Gagna-t-il quelque chose à ce jeu plein de périls? L'examen
de son œuvre va nous le dire.
Van Bloemen fut autrefois très à la mode en France : aussi, bien qu'il n'ait jamais travaillé qu'en Italie,
est-ce dans nos collections nationales qu'il faut aujourd'hui chercher les plus importantes productions de
son pinceau : les musées de province en montrent de nombreux échantillons, et le Louvre n'a pas moins
de six tableaux de sa main. C'est beaucoup, c'est trop peut-être ; car un seul des paysages de van Bloemen
suffirait à faire connaître sa manière. C'est qu'en effet, si ses compositions ont un mérite, ce n'est pas celui
de la variété. Le système de ce maître, qui fut toujours plus érudit qu'inspiré, consiste à disposer dans un
ordre plus ou moins différent des motifs pittoresques dont nous ne prétendons pas discuter l'intérêt, mais
qui sont malheureusement presque toujours les mêmes. Le rocher aux formes symétriques, la tourelle à
demi ruinée, la cascade à l'écume blanchissante, la silhouette sévère d'une ville romaine, le tronc d'arbre
étendu tout exprès au bord de la route pour servir de siége au philosophe perdu dans sa rêverie : tels sont
les éléments principaux dont dispose, je ne dirai pas la fantaisie de van Bloemen, mais sa mémoire. Dans
la combinaison savante de son paysage académique, Orizzonte ne manque pas de donner place à quelques
personnages qui portent, parfois avec un peu de maladresse, l'austère costume de l'antiquité. Ici ce sont
des bergers qui gardent leurs troupeaux ou préludent à des danses rustiques; là, de jeunes filles qui viennent
de remplir à la source voisine leurs vases aux formes grecques ; plus loin, un vieux pâtre qui, appuyé contre
une colonne brisée, regarde le soleil se coucher derrière les montagnes et rêve à la brièveté des heures.
Le plus souvent, van Bloemen a pris la peine de peindre lui-même les figurines qui étoffent ses paysages, et
il n'y a pas trop mal réussi. Quelquefois au contraire, il a confié ce soin à un autre pinceau. Pilkington
fait mention d'un tableau de van Bloemen qui appartenait au marquis de Hastings, et dont les figures
avaient été peintes par Sébastien Conca, ce disciple maniéré de Solimène t. Nous n'avons pas vu ce
paysage, et nous éviterons sagement d'en rien dire, mais il nous semble que, mieux que tout autre, le
peintre flamand était en mesure d'animer par des personnages convenables ses compositions agrestes. Dans
ses œuvres bien venues, les acteurs sont faits pour le décor : ils se promènentnoblement, ils se reposent
avec emphase dans ses campagnes un peu théâtrales.
Ainsi Franz van Bloemen a peint l'Italie du Guaspre, et non l'Italie de la réalité. Mais s'il ressemble au
beau-frère de Poussin, à van der Kabel, à Francisque Millet, par les motifs qu'il leur emprunte et par le
caractère de sa composition correctement rhythmée, il se sépare un peu de ces maîtres par l'exécution. Le
Guaspre et ceux qui, comme lui, ont aimé les sombres verdures, sont souvent un peu noirs : van Bloemen
se plaît aux colorations plus tendres ; ses forêts et ses prairies sont parfois d'un vert assez lumineux, assez
printanier ; les montagnes lointaines qui, dans le fond de ses tableaux, dessinent un horizon « fait à souhait
pour le plaisir des yeux » sont souvent voilées de tons bleuâtres qui ne manquentni de justesse, ni de poésie ;
ses terrains, artistement modelés, ont de la vigueur et du relief ; enfin les feuillages de ses arbres, quoique
bien monotones dans leur dessin, sont d'ordinaire touchés assez largement, et quelquefois même avec
une négligence libre et aventureuse qui semble annoncer déjà les procédés décoratifs que le dix-huitième
siècle allait mettre en honneur.
Et ceci ne doit surprendre personne : par la seconde moitié de sa longue carrière, Franz van Bloemen
appartient à l'école spirituelle et inexacte qu'illustrèrent Lucatelli, Panini et bien d'autres encore. Il les a
connus, il les a vus à l'œuvre, et les gentilshommes romains, les cardinaux, les papes eux-mêmes
l'associèrent plus d'une fois à ces maîtres dans l'exécution de travaux importants. Van Bloemen peignit
deux grands paysages pour la décoration du Casino construit par l'architecte Fuga, dans les jardins du
palais pontifical, à Monte Cavallo 2. Le palazzo Colonna, si largement pourvu qu'il fût déjà des chefs-d'œuvre

1 Pilkington. Général dictionary of painters. 1840, p. 56.


2 Filippo Titi. Descrizionedelle Pitture esposte in Roma. 1763, p. 311.
de toutes les écoles, s'ouvrit à ses productions1 ; Mariette nous apprend enfin que le marquis Palavicini
avait placé plusieurs de ses tableaux dans la galerie où il conservait des paysages des plus habiles maîtres,
et il ajoute qu'ils s'y soutenaient. » C'était certes un grand honneur, et tout autre que Van Bloemen se
«
fût contenté de ce triomphe.
Toutefois, l'ambition de l'artiste flamand exigea davantage. A l'exemple de la plupart des peintres de
cette époque, il s'essaya dans la gravure. D'après les recherchesdes iconographes, son œuvre se composerait

de six eaux-fortes, qui sont assez rares ; mais le Cabinet des estampes, à Pans, les possède, et nous avons
froid l architecture et la statuaire
pu les étudier à notre aise 2, Ce sont des paysages 'uii aspect assez
d .

1 Vasi, Itinéraire de Rome. 1825, t. I, p. 306 et 308.


1 Voici l'indication des eaux-fortes gravées par Franz van Bloemen :

N° 1. - L'Obélisque. Au fond, une église; sur la droite, deux figures debout; à gauche, quelques autres personnages.
N° 2. — Les deux Statues. Paysage dans lequel on remarque, à gauche, deux statues sur
des piédestaux; a droite, une dame

se promène avec son enfant.


N" 3. - La Fontaine au sommet de l'escalier. Dans le bas, deux gentilshommesportant le costume
du dix-septième siècle.

N° 4. - Le Moine. Au fond, de grands arbres et des édifices surmontés


de statues. Sur le devant, un moine debout
y jouent un grand rôle. Dans ces vues de jardins à l'italienne, van Bloemen prodigue les escaliers, les
obélisques, les fontaines. De petites figures, maladroitementdessinées, se promènent à l'ombre de
ses arbres
ou se reposent sous ses portiques : quelques-unes sont vêtues à la mode du temps de Louis XIV, et c'est Iii
une singularité dans l'œuvre d'un maître qui professait pour l'antiquité un culte aussi exclusif. Mais combien
l'exécution de ces planches révèle une main incertaine et timide !... Si van Bloemen est peu coloriste dans
ses tableaux, il l'est moins encore dans ses gravures. Les ciels et les terrains, les fonds et les premiers plans,
tout y est du même ton, tout s'efface et s'endort dans une coloration grise et sans accent. Van Bloemen n'a
donc obtenu, dans l'eau-forte, que des résultats médiocres, et c'est pour cela sans doute qu'il renoncé si
a
vite à la pratique de cet art difficile.
Mais, quel qu'ait été son insuccès dans ce genre, sa renommée de peintre n'en fut point diminuée,
et les étrangers continuèrent à se disputer ses ouvrages. A l'heure où Mariette écrivit la trop courte note
qu'il lui a consacrée, van Bloemen avait la réputation d'ètre le plus habile paysagiste qui fût Rome. a
Aussi resta-t-il en Italie, supposant avec raison que s'il était retourné en Flandre, il lui eût fallu
pour
se faire connaître et pour se faire aimer de ses compatriotes tenter un effort nouveau, rapprocher sa
manière de celle que Huysmans de Malines avait mise à la mode, et, pour ainsi dire,
recommencer
sa vie. Son imagination épuisée, son grand âge, ne lui eussent pas permis un pareil tour de force :
il demeura donc dans le pays qui l'avait si généreusement accueilli, et c'est à Rome qu'il
mourut,
vers 1748 \
Ainsi, Franz van Bloemen survécut à ses deux frères. L'aîné, Peeter, dont nous
avons déjà dit un mot,
était né à Anvers en 1649. Il avait précédé Franz en Italie, mais il garda de son
pays un souvenir plus
durable, et il y revint bientôt. En 1699, il fut nommé directeur de l'académie, ou plutôt de la gilde des
peintres de sa ville natale, et l'on sait qu'il mourut en 1719. A certains égards, Peeter
van Bloemen était mieux
organisé que son frère : il avait du moins des aptitudes plus diverses, et traitait de préférence de plus
difficiles sujets. Il se montrait particulièrementhabile dans la peinture d'animaux. Lorsque
van den Bossche
exécuta le portrait équestre de Marlborough, c'est à Peeter van Bloemen qu'il confia le soin de peindre le
cheval du fameux général anglais2. Standaert a fait aussi des batailles, des fêtes populaires dans les
rues de
Rome, des caravanes composées de Turcs qui ne brillent guère plus par la couleur locale
que ceux de
Berghem ou de Weenix; enfin il a peint aussi des paysages où il n'a pas manqué, suivant l'usage de
sa
famille, d'accumuler des débris d'architecture, des statues mutilées, des bas-reliefs envahis
par le lierre.
Sa manière porte la trace d'un travail qui ne fut pas toujours facile
; on y sent l'effort, et sa peinture se
recommande davantage par la persistance et le zèle que par les dons naturels de l'inspiration. Toutefois,
dans ses tableaux réussis, le coloris ne manque ni de chaleur, ni de charme.
Un autre frère de l'Orizzonte a exercé la peinture, mais son
œuvre ne nous est pas connu, et nous ne
le citerons ici que pour mémoire. Norbert van Bloemen, né à Anvers
en 1672, étudia son art en Italie,
vraisemblablement sous les inspirationsde ses deux aînés, et vint ensuite habiter Amsterdam, où il
mourut,

cause avec un homme assis sur une pierre : au second plan, deux femmes et un enfant en costume du temps de Louis XIV.
N° 5. — L'Homme au Panier. Une rue aboutissant à une place
au fond de laquelle on voit une église à deux clochers, un
obélisque et diverses constructions : au premier plan, un homme porte sur l'épaule panier suspendu bout d'un bâton
un au : plus
loin, deux femmes debout causent avec un homme assis.
N 6. Les trois Hommes sous une arche. Vue de l'intérieur d'un cirque, prise d'une arche
sous laquelle trois hommes sont
en conversation.
Ces eaux-fortes sont signées Franc. Van Bloemen det. Horizonti mais elles
; ne sont malheureusement pas datées. On peut
voir, sur les gravures d'Orizzonte, Huber et Rost, VI, p. 266 et le Manuel du
graveur de M. Charles Le Blanc.
1 La date de la mort d 'Orizzonte n 'a pu encore être fixée
avec exactitude. Descamps le fait mourir vers 1740, le catalogue de
la galerie Bréra en 1742, le comte Orloff en 1749. La date
que nous indiquons, — sous toutes réserves cependant, — est celle
qui a été adoptée par le docteur Waagen, dans son Catalogue du musée de Berlin.
2 Catalogue du Musée d'Anvers. 1857,
p. 420.
en 1746. Les biographes n'en savent guère plus long sur sa vie. Il peignit, sans parvenir à se faire une
réputation, des portraits et des scènes de la vie intime, mais, comme son frère Peeter, il passe pour avoir
eu plus de bonne volonté que de talent, et, tout en reconnaissantqu'il a étudié la nature avec une passion
sincère, les écrivains qui, plus heureux que nous, ont pu voir des tableaux de sa main, lui reprochent de les
avoir enluminés d'une couleur «fausse et crue. »
Des trois van Bloemen, Franz est donc celui qui a su se faire la meilleure renommée. A ce point de vue,
il a peut-être agi sagement en demeurant en Italie; là, du moins, il était apprécié, compris, bien payé.
— et
Pour les amateurs de cette époque, pour les artistes qui avaient aimé le Guaspre, et qui regrettaient sa

grande manière, les paysages d'Orizzonte étaient une sorte de consolation et la poésie elle-même. Composés
savamment, ils paraissaient inspirés, et quelques juges indulgents allaient jusqu'à trouver dans ces
perspectives héroïques le mérite dont l'absence s'y fait peut-être remarquer davantage, — la vérité. Au
commencement de ce siècle, les historiens de l'art ultramontain, considérant avec raison van Bloemen
comme un des leurs, en parlaient encore avec une sympathie enthousiaste. Les éloges que lui décerne
Ticozzi ont de quoi surprendre les esprits sérieux qui n'accordent pas leur admiration au hasard. I suoi
paesaggi, écrit-il, sono di una straordinariabellezza, avendo saputo maravigliosamenteesprimere i naturali
effetti dell'acqua che si alza invapori nellecadute, dell'iride, delle nebbie, dell'aurora, etc... Mais si ces
éloges ont bonne grâce en cette langue où tout est charmant, même le mensonge, ils seraient intolérables
en français. L'appréciation de Ticozzi ne saurait donc être celle de la critique moderne. Pour nous, van
Bloemen est un émigré, et presque un déserteur : en prenant du service dans l'école italienne, il a perdu
sa qualité de Flamand.
PAUL MANTZ.
mw IHllKEfiTOHS

Dans le cours de sa longue vie, Franz van Bloemen a beau- MILAN. GALERIE BRÉRA.
— Paysage enrichi de petites
coup travaillé : ses tableaux sont donc en grand nombre. figures. Ce tableau est d'une coloration vigoureuse et même
Nous nous bornerons à indiquer ceux qui caractérisent le un peu sombre, qui n'est pas habituelle à van Bloemen.
mieux sa manière. MUSÉE DE ROTTERDAM.
— Deux Tableaux.
MUSÉE DU LOUVRE. — Première Vue d'Italie. Deux MUSÉE DE CAEN.
— Les Apprêts de la chasse; Chasse au
hommes assis au bord d'un chemin parlent à une femme cerf; deux autres paysages.
États romains.
debout. A droite, une fontaine où trois jeunes filles viennent MUSÉE DE LYON.
— Vue prise dans les
puiser de l'eau. Au fond, des fabriques et une vaste cam- (Légué au musée, en 1841, par M. Rayet, dessinateur en
pagne aux terrains accidentés. broderies.)
Deuxième Vue d'Italie. Un chemin tournant bordé à gau- MUSÉE DE MONTPELLIER. — Les environs de Grotta-Fer-
che par une rivière, et à droite par de grands arbres. Assis rata: on voit dans le lointain la plaine de Rome.
sur un rocher, un berger s'entretient avec une femme qui Un Paysage en hauteur. Un pont aboutit à une tour ados-
porte un paquet sur la tête. Au fond, de hautes montagnes, sée à une grande porte ; sur le devant deux figures.
une ville et des ruines antiques. (Gravé par Schroeder.) Le Pendnnt du précédent. Deux grands arbres sur le pre-
Troisième Vue d'Italie. Un homme et une femme assis cau- mier plan. Deux femmes assises à terre et un homme
sent avec un pâtre, sur une route qui serpente entre des debout. Un lac; quelques fabriques entourées d'arbres et
arbres et des rochers. Un homme étendu à terre demande des montagnes chargées de nuages.
l'aumône. Dans le lointain, une ville aux portes crénelées. Autre Paysage. Des terrains inclinés sur le revers d'une
(Gravé par B. Piringer (1812), par Godefroy, et en petit, par montagne.
De Saulx et Bovinet.) Ces quatre tableaux proviennent de la collection de
Des Pâtres gardant leurs troupeaux. Ils se reposent au X. Fabre, qui leb donna, en 1825, à la ville de Montpellier.
bord d'une rivière : adroite une femme montée sur un cheval. MUSÉE DE TOULOUSE.—Trois études d'après nature, pro-
Ce tableau, qui a été gravé par Eichler, était autrefoisattribué venant de la collection du cardinal de Bernis.
à Lucatelli. VENTE DE M. DE SELLE, 176i. — Une Marine et un Port
Deux autres Paysages, gravés par Duthenofersous le nom de mer, tableaux enrichis de figures 161 livres.
de Gaspard Dughet, et provenant de la collection de VENTE DE MADAME LAISCRET. 1782. — Des voyageurs dont
Louis XIV. Dans le premier, trois hommes accompagnés de un conduit des vaches. Le catalogue ajoute que ce tableau
deux lévriers, se sont arrêtés sur la pente d'un chemin est peint dans le goût de Berghem, ce qui pourrait faire
sinueux qui aboutit à un fleuve. Dans le second, trois bergers, douter de son authenticité.
revêtus d'un costume antique, se reposent sur le bord d'une VENTE GRIMALDIDE MONACO. 1802. — Deux Vues de Rome,
route. Plus loin, d'autres pâtres conduisent un troupeau près avec figures et animaux. (21 pouces sur 36). 667 francs.
de la rive d'un torrent. Dans le lointain, diverses fabriques VEl\TE ***. 11 juillet 1803. — Deux bons tableaux. Sujets
sur le sommet d'une montagne boisée. de chevaux et de figures de Napolitains, dans des sites de
CABINET DE M DUCLOS. — Un Paysage. C'est le" tableau paysages mêlés de rochers et de fabriques. — (Le catalogue,
que nous avons fait reproduire pour illustrer la présente rédigé par M. Delaroche,attribue ces tableaux à Franz van
biographie. (V. page 5.) Bloemen ; le genre des sujets donnerait à supposer qu'ils
MUSÉE DE BERLIN. — Apollon changeant en grenouilles sont l'œuvre de son frère Peeter, qui avait un talent parti-
les bergers qui avaient insulté Latone. Van Bloemen a placé culier pour peindre les chevaux )
cette scène dans un vaste paysage enrichi de beaux arbres, VENTE SCHAMPD'AVESCHOOT. (Gand, 1840.)— Des Ruines :
de rochers et de fabriques. Les principaux personnages sont dans le fond le château Saint-Elme et les environs de
au bord de l'eau, sur le premier plan. Plus loin, on aperçoit Naples.
des constructions dans le goût italien. VENTE DU COMTE THIBAUDEAU.1857. — Un Arc de triomphe
MUSÉE DE DRESDE. — Paysage avec de grands arbres. sous lequel ¡lasse un chemin conduisant à un grand escalier
Au premier plan, une rivière au bord de laquelle sont des de pierre. (Dessin à la plume et lavé de bistre sur Dapier
pêcheurs. blanc.)
(oco-fe mande. 5 Y'
e ,
,cpenN>.

Mensaert,. qui, dans son livre du Peintre amateur et curieux,


nous a déjà fourni plus d'un utile renseignement, nous servira
de guide une fois encore et nous dira ce que fut ce Victor-Honore
Janssens qui eut son jour de gloire au commencement du siècle
dernier, bien qu'il ait contribué, dans la mesure de ses forces,
à la décadence de l'école flamande. Lorsqu'il s'occupe des grands
maîtres de l'époque glorieuse, le crédule Mensaert ne saurait
être consulté sans précaution ; mais il a quelque droit de parler
de Janssens, à qui il dut son faible talent dans la peinture, et
qu'il a connu de fort près, du moins pendant la seconde période
de sa vie. Aussi trouve-t-on dans son volume quelques
indications sur Janssens qu'on chercherait vainement ailleurs.
Mariette en a largement profité ; nous ferons comme Mariette.
Yictor-Ilonoré Janssens naquit à Bruxelles en 1664. Son père,
qui était tailleur, ne manqua pas de s'apercevoir tout de suite
il voulut cultiver
que le ciel lui avait donné un fils exceptionnel;
les dispositions heureuses du jeune prodige, et il le mit chez
Volders, « peintre renommé, dit Mensaert, pour l'histoire et le portrait. » Ce Volders devait savoir son
métier, car il l'avait appris dans l'atelier de Gaspard de Graver. Janssens en jugea de même; il resta
huit ans avec lui, étonnant sa famille et ses -amis par sa facilité à tout comprendre et sa promptitude à bien
faire.
Il achevait à peine ce long apprentissage, que, désireux d'entrer enfin dans la vie, il obtint d'être présenté
au duc de Holstein, « qui étoit pour lors sur son départ pour l'Allemagne. Comme Janssens — continue
Mensaert — étoit d'une figure prévenante, bon dessinateur et peintre, ce seigneur le retint en cette qualité
avec des appointements de quatre cents florins par an. » Enchanté de cette heureuse aventure, Janssens se
mit en route avec le duc. Il fit pendant quatre ans partie de sa maison, travaillant avec une ardeur extrême
et s'efforçant de suppléer, par un effort de chaque jour, à ce qui manquait encore à son talent. Or, ce que
Janssens désirait le plus au monde, c'était de voir l'Italie ; son protecteur consentit à le laisser partir « et le
gratifia d'une somme considérable pour les frais de son voyage. »
LorsqueVictor Janssens arriva à Rome, l'école italienne n'était plus que l'ombre d'elle-même. Les décorateurs
triomphaient : la mode saluait dans leurs audaces ces pinceaux rapides qui savaient, en quelques jours,
couvrir de souriantes allégories les plafonds et les murailles d'un palais. Le jeune Flamand fut pris au
cœur par les gaietés de cet art facile ; en même temps il fit connaissance, sinon à Rome, du moins dans une
autre ville d'Italie, avec un peintre hollandais, assez célèbre alors, Pierre Molyn le Jeune, celui qu'on appelait
Tempesta, et qui s'était rendu digne de ce surnom, un peu par les sujets qu'il traitait de préférence et plus
encore par les orages de sa vie romanesque. Janssens ne put le rencontrer qu'après sa sortie de prison, car
Molyn, on le sait, avait été accusé d'avoir fait assassiner sa femme ou sa maîtresse, et il était tenu en
chartre privée à Gênes, lorsque le bombardement de la ville par l'armée de Louis XIV, en 1684, eut pour
conséquence de le faire mettre en liberté. Rendu à la pratique de l'art après cette aventure qui pouvait
finir si mal, Tempesta vécut jusqu'en 1701. Son talent et sa singularité séduisirent Janssens, et pendant
« plusieurs années, » dit Mensaert, il travailla avec
lui, cessant ainsi d'être Flamand auprès d'un maître
qui depuis longtemps avait oublié qu'il était Hollandais. Janssens peignait vraisemblablement les figures dans
les paysages de Tempesta. Mais il sut aussi travailler seul; il s'exerça dans les sujets mythologiques, sans
négliger la peinture religieuse, qu'il aima toute sa vie. « Les R. P. de la Société de Jésus le chargèrent,
dit son biographe, de l'exécution d'une pièce d'autel destinée pour la superbe église qu'ils avoient à Naples. »
Et ce ne fut pas là son moindre succès.
On ignore combien d'années Victor Janssens demeura en Italie; mais l'heure vint où, se croyant désormais
sûr de lui-même, il voulut revoir la Flandre. Il traversa la France, qui n'a gardé aucun souvenir de son
passage, et alla s'établir à Bruxelles. Là, il épousa la fille de M. Potter, receveur de la ville. MUe Potter
était « extrêmement belle, » elle avait « l'humeur douce, » mais elle était peu ménagère ; elle Apporta
dans la maison de Janssens le charme victorieux qui s'attache à une jolie femme, et aussi le désordre que ces
enchanteresses sont si habiles à introduire dans la fortune précaire d'un artiste. Mensaert, qui parle avec
réserve de tout ce qui touche à son maître, assure que ses affaires domestiques subirent « quelques petites
altérations. » Disons plus franchement que la charmante Mme Janssens dépensait par avance tout ce que
pouvait gagner son mari, et que la bonne harmonie du ménage en fut parfois troublée ; mais si les deux époux
se querellaient, ils ne cessèrent pas de s'aimer ; du moins, ils eurent plusieurs enfants : — onze, d'après
Descamps, — ce qui suppose, au milieu de leurs orages, d'assez fréquentes réconciliations.
Janssens était encore à Bruxelles, lorsque Mariette y arriva en 1718. « C'étoit lui, dit le savant critique,
qui faisoit les tableaux pour les tapisseries qu'exécutoient les sieurs de Vos et L. Leyniers, et il représentoit
presque toujours des sujets tirés de l'histoire profane ou de la fable. Je lui ai trouvé du génie, un pinceau un
peu lourd, des effets de lumière assez ordinaires, et rien de piquant dans sa façon de dessiner; avec cela ce
n'est pas un peintre méprisable... On voit nombre de ses ouvrages dans les églises du Brabant. Je me
souviens d'en avoir vu qui me firent plaisir dans l'abbaye de Dilighem. »
C'est peu après le voyage de Mariette que Janssens, qui venait de perdre sa femme, se rendit à Vienne
«pour dissiper son chagrin. » Il fut employé par l'empereur Charles VI et il eut en outre l'honneur d'enseigner
le dessin à l'impératrice Eléonore, veuve de Léopold Ier. Il reste peu de trace du séjour d'Honoré Janssens en
Autriche. Mensaert prétend que, de Vienne, le peintre s'en alla en Angleterre, où il serait demeuré deux ans.
Descamps reproduit la même assertion; mais Mariette, toujours prudent, s'est abstenu de parler de ce
voyage, qui probablement n'a pas eu lieu. Il est certain qu'Horace Walpole ne cite pas Y.-Il. Janssens
dans ses Anecdotes of painting, et l'on sait avec quel zèle il a pris soin de mentionner tous les artistes, si peu
importants qu'ils fussent, qui ont travaillé en Angleterre.
Victor Janssens a beaucoup produit. Né dans un temps où la religion de l'art commençait à se perdre et
où les peintres allaient de préférence aux succès faciles ; obligé en outre de gagner le plus d'argent possible

enfants qu'elle lui avait


d'abord pour payer les toilettes de sa femme, et ensuite pour élever les nombreux
des genres bien différents.
laissés, le courageux artiste travaillait pour ainsi dire des deux mains, et dans
de tapisseries de Bruxelles ; il fit avec
Mariette nous l'a déjà montré inventant des modèles pour les fabricants
zèle égal quantité considérable de tableaux de sainteté, pour les Dominicains, la Guérison
un une
de la Vierge; pour l 'église
miraculeuse du duc de Clèves; pour les Brigittines, un Christ sur les genoux
Sainte-Gertrude, une Assomption.
Saint-Nicolas, Saint Roch guérissant les pestiférés; pour le couvent de
Saint Charles Borromée, e une
Le musée de Bruxelles a hérité de deux tableaux du même genre :
c'est le caractère. Elles sont
Apparition de la Vierge à saint Bruno. Ce qui manque le plus à ces peintures,
la dernière de ces toiles, la figure de la Vierge, a
tout jus te
en réalité plus italiennes que flamandes, et, dans
autant de sentiment qu'une fade madone de Sasso-Ferrato.
Peintre de sujets profanes, Janssens a décoré d'une grande composition allégorique, l' Assemblée des Dieux,
le plafond de la salle des États à l'hôtel de ville de Bruxelles. Ce plafond, qui lui fut payé six
mille florins,
existe encore, et, on peut le dire hardiment, c'est le chef-d'œuvre de Janssens. Cette vaste peinture,

l'on voit les dieux de la fable antique siéger au milieu de l'Olympe, est conçue dans
un goût décoratif qui fait
songer aux œuvres analogues que certains maîtres français venaient d'achever à Versailles ; mais il ne reste
plus, dans cette grande machine, la moindre trace du génie flamand. C'est Janssens
encore qui donna les
modèles des trois belles tapisseries qu'on voit dans la même salle et qui représentent la Joyeuse entrée de
Philippe le Bon, l' Abdication de Chaî,les-Qi(int et l'Inauguration de Charles VI. Par le fait dont
elle
rappelle le souvenir, cette dernière composition nous permet de dater l'ensemble du travail, dont l'exécution
est ainsi postérieure à 1717.
Mais Victor Janssens n'était pas apte seulement aux grandes peintures
comme celles que nous venons
d'étudier; il faisait volontiers de petits tableaux, qu'il peignait le plus souvent dans
une manière claire et
égayée. Tantôt il s'inspirait de la fable ou de l'histoire, tantôt il entrait dans le vif des
mœurs de son temps. Il
paraît avoir exécuté une suite de peintures empruntées à l' Enéide deux de
: ces tableaux, Didon faisant bâtir
Carthage, et le Sacrifice d'Enée sont conservés au musée de Bruxelles. Un autre, dont les
dimensions ne
sont pas identiques, et qui représente Enée instruit de l'assassinat de Polydore,
se retrouve, on ne sait
pourquoi, au musée de Caen. Avouons-le, ces peintures sont faibles
par l'exécution autant que parla pensée.
Janssens comprend l'antiquité à la façon de Coypel et de Mme Dacier, et
— Mariette l'a bien jugé il a « un
pinceau un peu lourd.» Il est plus alerte et plus léger dans les tableaux de
genre, comme la Main chaude,
du musée du Louvre. La scène se passe dans un jardin décoré d'une riche colonnade
et de statues; une
élégante compagnie se livre à de galants entretiens;
une dame fait vibrer paresseusement les cordes d'une
guitare en écoutant les propos d 'un cavalier assis auprès d'elle; quelques autres
personnages jouent à la main
chaude. Les figures sont bien groupées, la coloration est lumineuse et gaie, et petit tableau
ce vaut mieux que
bien des œuvres prétentieuses de Janssens.
On peut s 'en étonner aujourd'hui, mais il est certain
que des travaux si divers avaient fait à Victor-Honoré
Janssens une réputation véritable. Il vieillit ainsi, travaillantjusqu'à la dernière heure. Il avaitmarié
sa fille aînée
au fils de Duchâtel, le peintre excellent dont nous avons raconté l'histoire. Plusieurs de ses enfants s'essayèrent
dans la peinture : Jean fit des portraits, Laurent devint paysagiste; ni l'un ni l'autre n'ont marqué
dans l'art.
Quant à Victor Janssens, il mourut à Bruxelles, en 1739, d'après Descamps, mais
plus vraisemblablement
en 1736, ainsi que le rapporte Mensaert, mieux informé que personne de tout ce qui touche à
son maître
vénéré. Disons le cependant, lorsque, dans l'excès de zèle, l'auteur du Peintre amateur ajoute que l'école
son
flamande perdit en Janssens un « second Crayer, il dépasse toute
» mesure. Assurément il est légitime de
regretter ceux qui s 'en vont; mais tous ne méritent pas un deuil égal, et
verser tant de larmes sur le
tombeau d'un artiste secondaire, c'est faire injure à la mémoire des grands morts.

PAUL MANTZ.

ITCMMlffiS M' ÏIIKG1T1DHS


MUSÉE DU LOUVRE.
— La Main chaude. (Gravé, pour la représentant l'Assemblée des Dieux. Dans une salle voisine,
première fois, à la page 3 de la présente notice.)
une Allégorie aux événements de 1708.
BRUXELLES (MUSÉE).
— Apparition de la Vierge à saint ÉGLISE SAINT-NICOLAS.
Bruno. Saint Charles Borromée. (Ce tableau provient du ÉGLISE SAINTE-CATHERINE.
— David pénitent.
couvent des Grands-Carmes.)— Le Sacrifice d'Énee.

— Guérison miraculeuse du
— duc de Clèves. (Autrefois aux Dominicains.)
Didon faisant bâtir Carthage. MUSÉE DE CAEN. Énée arrivant
HÔTEL DE VILLE. — sur les côtes de
— Le plafond de la salle des États Thrace apprend l'assassinat de Polydore.
1
Sc&fe &/amanc/e. 1-1-/é :Jknedj/tmtlIe;'ed.
tei,

NICOLAS WLEUGHELS
NÉ VERS 1669. - MORT EN 1737.

Nicolas Wleughels n'appartient guère à l'école flamande que


origines de sa famille:
par l'orthographe de son nom et par les
il a passé sa vie à Paris, à Venise, à Rome; son œuvre
est d 'uii
Français, et même d'un Français de la Régence; enfin il avait
cessé de comprendre la langue que son père n avait pas voulu
oublier. Mais .sont-ils plus Flamands que Wleughels, ces maîtres
Duvenède
qui, comme Victor-HonoréJanssens, Richard van Orley et
se sont donné tant de peine, à
la même époque, pour dessiner et
de la Flandre au dix-huitième
peur peindre à l'italienne?Le caractère
les pays
siècle — et son châtiment — c'est de ressembler à tous
et de van
du monde, excepté à la Flandre de Rubens, de Jordaens
Dyck.
serait pas
Avant de raconter l'histoire de Nicolas Wleughels, il ne
qui, ayant
hors de propos de dire un mot de son père Philippe,
dans sa jeunesse, voir à l'œuvre les maîtres de la période
pu,
Il était né
glorieuse, demeura fidèle aux souvenirs de son pays.
mère, Catherine Gérard, était, dit-on,
vers 1620 à Anvers, et sa
et ensuite orne e bc u ,
alliée à la famille de Rubens. Un peintre dont on ne nous a pas conservé le nom,
se chargèrent de lui apprendre se servir du pinceau. Philippe Wleughels eut en outre la bonne fortune de
il
pénétrer quelquefois dans l'atelier de Rubeus, si bien que lorsque, étant alors âgé de dix-huit ans, il peignit
le portrait de sa mère, il s'inspira de son mieux de la libre manière du grand artiste. Vers la fin de 4 1 ou tout 6
au commencement de l'année suivante, il se rendit en Angleterre : il peine débarque, il apprit la mort récente
de van Dyd" aventure attristante pour tous, mais surtout pour lui, était précisément venu il Londres
car il
« pour se mettre sous sa discipline. 1 » Philippe Wleugliels s'étudia dès lors il imiter les portraits de Lely, qui
avait hérité du succès de van Dyck. Il vécut ainsi deux ou trois ans. Nous devons ajouter toutefois que son
séjour en Angleterre n y a pas laissé de trace bien profonde : Horace Walpole n'en fait du moins aucune
mention.
W leughels \ hit ensuite se fixer a Paris,ou il était appelé
par deux de ses compatriotes, Philippe de Champaigne
et Pierre van Mol. C était vers la fin du règne de Louis XIII, c'est-à-dire il une époque où les artistes d'Anvers
et de Bruxelles étaient encore fort nombreux en France. Philippe Wleuglwls, qui ne savait pas le français et
qui ne parvint jamais il le parler décemment, fut d'abord un peu dépaysé lors de
son arrivée dans la grande ville ;
mais il fut fraternellement accueilli p:lr la colonie flamande dont van Mol était le chef et où figuraient aussi
N)casms Bernaert, houquières et q lelques autres. domine le nouveau camarade avait été outrageusement
vole par les chemins, on vint à son aide et on lui procura du travail. Philippe Wleughels, qui n'avait
pas encore
oublié les leçons de Corneille Schut, commença dès lors il faire des tableaux d'église et des portraits. Il
peignit une chapelle il Clignancourt,un ( hrist en croix pour une des salles de l'IIotel-Dieu, quarante tableaux
pour le couvent des Carmélites de Saint-Denis, et d'autres ouvrages encore ; mais ces peintures sont si bien
égarées aujourd hui qu 'll est impossible d'en retrouver une seule. Il épousa une fille de son compatriote
Mathieu van Plattenberg, le peintre de marines. 11 fut reçu, en 1663, membre de l'Académie royale. 11 prit
part à l exposition organisée au Palais-Hoyal en 1673 '(il avait envoyé le Buisson ardent). Enfin la fortune lui
souriant a Paris, il y resta jusqu a sa mort, survenue en 1691. Nous ne croyons pas cependant qu'il ait obtenu
jamais de grands succès. « 11 y a, nous dit son fils, de la couleur dans ses ouvrages, une grande union,
un
beau pmceau... Il fit quantité de portraits qui sont ressemblants, bien entendus et bien colorés, mais
peu
étudiés, ce qui le fil dogenerer en manière, et, sur la fin de sa vie, le réduisit à peu de chose. Voilà
» une
oraison funèbre qui, dans la bouche d un fils, ne 'aisse pas que d'être piquante.
Nicolas Wleugliels ou le chevalier Wleugliels, dont il
nous reste à parler maintenant, naquit à Paris
vers 1669. Il fit, ainsi (pi 'li l a dit lui-même, des études assez médiocres : son père, déjà âgé, et d'ailleurs un
peu trop Flamand, était pour lui un guide sans autorité. Nicolas s'attacha donc à Pierre Mignard, et, en 1694,
il i emporta le second prix au
concours de 1 Aeademie, sur un tableau qui représentait Loth et ses filles fuyant
Sodome. Quelque temps après, il partit pour l'Italie e! il séjourna plusieurs années2. 11 vit Venise, il vit
y
Rome, mais l art sévère le toucha peu. Au lieu d'admirer les grandes
œuvres, il s'amusait il dessiner des
costumes, il étudiait, en se promenant, la vie et les mœurs italiennes. Cette aimable façon de s'instruire
produisit tous les fruits qu on en pouvait attendre. Mariette le dit simplement
: « Il ne parut pas il son
retour que sa manière se fut enrichie, ni perfecLionné.*.
»
On n a pas de données exactes
sur les premières occupations de Nicolas Wleugliels à son arrivée à Paris :
il tl'Hynillalt peu. préférant les petits tableaux
aux grandes toiles, et traitant dans le même style les sujets de
I histoire antique
ou les fantaisies de la coquetterie moderne. Il s'essaya aussi dans la peinture décorative :
les Quatre Saisons, qu ktierne Jeaurat gravées
a en 171fi, étaient sans doute des dessus de portes. En
cette même année, le 31 décembre, il l'lit nommé membre de l'Académie royale, et il donna
pour sôn
morceau de réception le tableau d Apclles (t Can>/asj.e, qui est aujourd'hui au palais de Compiègne. C'est

Ces détails sont empnllltl'sil a la cuikuse notke


que Nicolas W ktiizhels il consacrée à son pl'It', et qui, longtemps inédite*,
;t été impt imée dans les Mémoires sur lu vie a es IIIC/Illms d l'Académie de peinture I:-:j't.. t. 1, P. 354).
N kolas Wleugliels était il Modène
- en 1712. Nous le savons par une lettre qu'il a<)rcssa. le 12 novembre, il Hosalba. en lui
illl%,oNr;iiit un tahleau. Il avait vraisemblablement
connu à Venise la charmante pastellisle. Ils se retrouvèrent à Pans en 1720.
vraisemblablement vers cette époque qu'il se lia avec Watteau. On sait que lorsque ce dernier quitta l'hôtel
du financier Crozat, les deux amis demeurèrent ensemble dans la maison du neveu de Lebrun, au bas de la
rue des Fossés-Saint-Victor. Cette liaison, qui aurait pu être si utile à Wleughels, développa son goût pour les
sujets de genre et de mœurs contemporaines; il y trouva ses meilleures inspirations, s'il est permis d'employer
Illl si grand mot à propos d'un maître si mince.
Nicolas Wleughels — disons-le puisque tout le monde l'a dit, et puisque c'est vrai— n'était qu'un peintre
assez vulgaire; mais il était plus lettré que les artistes n'avaient coutume de l'être à cette époque (n'a-t..il pas

essaye une traduction d ; l'Arctinu, de Lodo\ico Dotee?); les gens d'esprit faisaient état de son mérite; il
était homme de bonne mine, courtisan à l'occasion ; enfin — c'est Mariette qui l'assure — il avait même
Il un peu de charlatanerie. » Le surintendant des bâtiments du roi le prit tout à fait au
sérieux. Aussi, lorsque
Charles-François Poerson, qui était directeur de l'école de Home, eut révèle son insuffisance, c'est-à-dire
en 1724, Wleughels fut nommé il sa place. Il partit le 14 mai pour se rendre à son poste. Deux ans après, il
fut fait chevalier de Saint-Michel. Pendant son directorat, il eut le don de complaire au ministre, car il
s'acquittait de ses fonctions avec beaucoup de dignité, donnant des fêtes, recevant les ambassadeurs ou les
voyageurs de marque, et prenant, le plus possible, les attitudes officielles d'un véritable personnage. La mort,
survenant le 10 décembre 1737, l'arrêta au milieu de son rôle. Sa femme, Marie-Thérèse Gosset, et son
fils Bernard, lui firent ériger, à Saint-Louis-des-Français, un tombeau qui existe encore et pour la décoration
mélancoliquement une
duquel Michel-Ange Slodtz sculpta, dans le goût du temps, un petit génie tenant
-palette et des pinceaux désormais inutiles.
Nicolas Wleughels était-il digne du monument?... Les tableaux, assez rares,
qu'il nous a laissés,
(Valenciennes), montrent
Vulcain donnant à Vénus les armes d'b'llée (Toulouse), le Lever et la Toilette
dessin, indifférent au caractère. Il est tout juste aussi sérieux
en lui un peintre facile, peu soucieux du
qu'on pouvait l'être au temps de la comtesse de Parabère et de Mme de Prie. Comme Pater et comme
Lancret, Wleughels s'est complu à choisir ses sujets dans les contes de La
Fontaine; il y a fait paraître
trop peu de
quelque esprit et même quelque galanterie. L'antiquité, à laquelle il a touché trop souvent et avec
le bûcher, Pyrame et Thisbé sont
respect, ne l'a pas si heureusement inspiré : la Mort de Creuse, Didon sur
Wleughels a laissé aussi une série
des tragédies à la Coypel, des scènes sans émotion, mais non sans emphase.
gravé quelques-uns. Ces croquis ne
de costumes dessinés d'après nature en Italie; Moitte et Jeaurat en ont
comprendre
révèlent pas un talent bien spirituel, et l'on s'étonne que, vivant près deWatteau, Wleughelsn'ait su
ni sa mélancolie, ni son sourire.
personnalité. Mariette
Le malheur du chevalier Wleughels, c'est qu'il n'a jamais pu parvenir à se faire une
A peine savoit-il
lui a consacré quelques lignes qu'il faut reproduire ici, bien qu'elles soient un peu cruelles. «
plaisoient:
dessiner, écrit-il; il ne peignoit guère mieux; il avoit pourtant le secret de fairedes petitstableaux qui
quelque
c'est qu'il ne traitoit que des sujets agréables, et que ses figures, ainsi que ses compositions, avoient
des grands
chose de flatteur. Tout le monde n'étoit pas obligé de savoir qu'il les avoit pillées dans les œuvres
maîtres qui l'avoient précédé. Il ne faisoit aucune difficulté d'en copier des morceaux entiers et de les
reporter
lui en
dans ses tableaux. On le trouvoit continuellement entouré d'estampes où il fourrageoit, et personne ne
demandoit aucun compte... » Mais arrêtons-nous là : Mariette en a déjà trop dit, et il devient presque inutile
de rappeler le mot terrible de Dargenville, qui résume ainsi son opinion sur Nicolas
Wleughels : «On peut le
regarder comme le geai de la peinture. »
PAUL MANTZ

BEISBCIIS M IIIMMTOIS
de I.
Les œuvres de Wleughels ont été gravées par Étienne COMPIÈGNE. — Apelles et Campaspe, morceau
Jeaurat, Charles Simoneau, Larmessin, Chereau, N Tar- ception de Wleughels à l'Académie royale en 1716. Cette
dieu, Surrugue, C. Cochin, etc peinture est mentionnée sous le n° 161 dans la Notice des
Son portrait, peint par Antoine Pesne, est conservé au tableaux placés dans les appartements du palais de Com-
musée de Versailles; Jeaurat nous en a laissé une remar- pièyne, 1837.
quable gravure. TOULOUSE. — Vulcain donnant
à Vénus des armes pour
Ses tableaux se rencontrent assez rarement dans les galeries Enée. (Provenant de la collection du cardinal de Bernis.)
publiques et dans les ventes. VALENCIENNES. — Le Lever ; la Toilette
ANGERS. — La Diseuse de bonne aventure. — La Tête VENTE LALIVE DE JULLY, 1769. — La Fille d 'Hériodiade
de saint Jean-Baptiste. présentant à Hérode la tête de saint Jean-Baptiste.
$ce/e> ^auaa^ed, Scened mttdatNd.

JEAN VAN BREDAEL


NÉ EX 1G S 3 ; — MORT EN 1750.

Dans l'histoire de la peinture flamande, Breughel de


Velours n'est pas un artiste imprévu qui apparaît tout à
coup sur la scène, dit son mot et disparaît. Il avait été
annoncé à la fin du seizième siècle, et, dans la mesure
de ses forces, il fut le chef d'une petite école qui,
cent ans après lui, était encore à la mode. Le génie du
pays avait inspiré cette manière naïvement anecdotique,
et ils étaient évidemmentchers à la Flandre ces paysages
aux horizons bleuâtres, ces gazons semés de fleurs
éclatantes, ces tableaux de la vie rurale ou 1 on voit se
livrer à leurs jeux ou à leurs travaux d'innombrables
personnages si finement miniaturés. Le maître du
genre, Breughel de Velours, meurt en 1625; mais, après lui, son fils le continue, et après son tiJs,
d'autres peintres prolongent, pour la plus grande joie des amateurs, cette veine qui semble inépuisable.
Chose étrange, et qui montre bien à quel point ces sujets naïfs étaient dans le goût du pays, on persistait à
faire des Breughel, en Flandre, à l'heure où Boucher et Vanloo peignaient pour Louis XV leurs plus souriante^
mythologies.
Une famille d'artistes, les van Bredael, accepta la mission d'éterniser le succès de l'école dont nous
parlons. C'est une dynastie compliquée, et qui, en l'absence des actes authentiques de l'état civil, demeure
encore un peu confuse. Le chef de la maison, Pierre van Bredael, — celui dont on peut voir à l'Académie de
Bruges deux paysages gaiement peuplés de spirituelles figurines, — était né quelque temps après la mort
de Breughel de Velours, et avait été comme son disciple posthume. Il paraît avoir eu quatre fils, qui tous les
quatre furent peintres : Jean-Pierre, reçu franc-maître de la Gilde de Saint-Luc, à Anvers, en 1680, et qui,
appelé par le prince Eugène, alla mourir en Allemagne; Georges, le mari de la fille de Diepenbeke; Jean,
qui obtint, en 1683, le brevet de maîtrise; enfin, Alexandre, assez habile paysagiste, qui vécut jusqu'en 17201.
Alexandre eut lui-même un fils nommé Jean : c'est celui dont nous avons à nous occuper aujourd'hui.
Jean van Bredael, ou van Breda, — car les documents contemporains donnent à la fois ces deux formes, —
naquit à Anvers le 19 mars 1683; il était, ainsi que nous venons de le dire, fils du paysagiste Alexandre et
de Cornélie Sporckmans. De tous les côtés, et par toutes ses origines, il était lié à des peintres; aussi ne vint-il
à l'esprit de personne qu'il pût faire autre chose que de la peinture.
11 travailla avec son père jusqu'en 1701. Peut-être reçut-il aussi les conseils de son oncle Jean-Pierre, qui

était devenu doyen de l'Académie, en 1689, et qui peignait volontiers des batailles et des sujets militaires à la
\\ ouwermans. Nous ne savons pas exactement à quelle époque Jean van Bredael entra dans la corporation
de Saint-Luc; mais on affirme qu'à dix-huit ans, c'est-à-dire lorsqu'il quitta l'atelier de son père, il était
déjà habile dans les choses de son métier.
Quoique Descamps soit un guide peu sur, nous sommes bien forcé de nous en rapporter à lui, lorsqu'il
raconte, avec la plus grande vraisemblance d'ailleurs, que Jean van Bredael fit connaissance dans sa jeunesse
avec le marchand de tableaux Jacques de Witt, et qu'il travailla d'abord pour lui. Il se trouva que
Jacques de Witt possédait alors un certain nombre de peintures de Breughel de Velours. Van Bredael. qui
avait puisé dans les traditions de sa famille une admiration instinctive pour ce charmant maître, commença
par copier naïvement quelques-unes de ses œuvres, et il y réussit si bien que Jacques de Witt lui en fît
copier le plus possible. L'honnête marchand ne se faisait aucun scrupule de vendre ces imitations pour des
originaux, car le commerce n'était pas tellement candide, en ces époques reculées, qu'il n'eût déjà trouvé le
moyen de tromper les acheteurs et de leur donner du strass pour du diamant. On rencontre souvent de
ces faux Breughel sortis de l'officine de van Bredael et de son patron. Parfois, le jeune artiste y mettait plus
de réserve, et il se contentait de corriger le vieux maître. A la vente du cabinet de Sollier, en 1781, on a
vu passer un paysage de Breughel, dans lequel van Bredael avait jugé à propos d'ajouter quelques figures sur
les premiers plans, sans doute pour rajeunir l'œuvre du peintre et la mettre au goût du jour. Jacques de Witt
possédait aussi des Wouwermans : Van Bredael trouva là une autre mine d'étude et peut-être de contrefaçon .
il imita, dit-on, le maître hollandais au point de tromper les connaisseurs les plus exercés. Nous croyons
sincèrement que tout ceci a été un peu exagéré; toutefois, ce fut véritablement dans la boutique de Jacques de
AYitt que van Bredael fit
— pendant neuf ans — son éducation d'artiste. Son adresse dans l'art d'imiter
constitua toujours la moitié de son talent, et son originalité fut ainsi, dès le principe, réduite et atrophiée.
Jean van Bredael, se prenant désormais nu sérieux, partit bientôt pour l'Angleterre; mais nous ne saurions
admettre, comme le raconte Descamps, qu'il y arriva en même temps que le sculpteur Bysbrack. Nous savons
en effet, par le témoignage d'Horace Walpole, que Hyshrackvint s'établir à Londres en 1720. Or, van Bredael
l'y avait évidemment précédé, puisqu'il y connut le comte de Derwentwuter, conspirateur jacobite qui
fut, comme on sait, saisi après l'échauffourée de Preston, et supplicié en 1716. Quoi qu'il en soit, van
Bredael perdit dans le noble comte un protecteur ardent. Cette mésaventure n'altéra pas son courage; il
parvint à se faire des amis nouveaux,, il parut même vouloir se fixer à tout jamais à Londres, et, eu
1723, il y épousa une jeune Anglaise, Catherine Rick. De grands personnages, et le roi lui-même, assure-
l-un, employèrent plus d'une fois son pinceau. S'il en est ainsi, si les historiens ne nous ont pas trompé,

J. Weales. Catalogue du Musee de l'Academiede Bruges 1861. p. 81.


on peut se demander avec quelque surprise pourquoi les tableaux de van Bredael sont si rares en Angleterre.
Dans les quatre volumes de son gros livre, Treasures 0/ Art in Great Britain, M. Waagen n'en catalogue
pas un seul : peut-être n'en a-t-il pas rencontré dans les galeries qui lui ont été ouvertes; peut-être— et cette
conjecture est la plus vraisemblable — les a-t-il volontairement négligés.
Van Bredael, célèbre et enrichi, repassa la mer et vint s'établir à Anvers en 1725. Il y fut fort bien

accueilli. Ln document curieux, et trop peu consulté peut-être, la liste des chefs de la corporation et de
l'Académie de Saint-Luc, qui est conservée au musée d'Anvers, nous apprend que van Bredael (Johannes
Francisais van Breda, dit le texte) fut élu doyen de la Compagnie en 1726. Il trouva dans cette dignité une
raison de plus de se montrer habile, et ses productions furent bientôt très-recherchées.Les Allemands et les
Hollandais étaient surtout curieux de les posséder. Yan Bredaelétait le dernier représentant de la famille; on
récompensait en lui un siècle de travail et de zèle; enfin, il était presque le seul alors à faire des Breughel.
I n fait important nous donne la mesure de la situation honorée que van Bredael
s'était acquise et qu il
conserva jusqu'à sa mort. Lorsque, à la suite de la campagne de Flandre, Louis XV fit son entrée à Anvers,
en juin 1746, on se hâta de lui présenter van Bredael comme l'un des plus illustres artistes de l'Académie.
Louis XV, qui connaissait les obligations imposées à un roi triomphant, acheta au célèbre peintre quatre
tableaux : Notre-Seigneurprêchant sur les bords de la mer, Jésus-Christ faisant un miracle, et deux
paysages dans lesquels, dit Descamps, on voyait «une multitude de figures si bien dans la manière de
Breughel de Velours, qu'il sera difficile dans quelque temps de les distinguer de ceux de ce peintre. )) Les
gentilshommesqui entouraient le roi, le prince de Soubise, le maréchal de Lowendael, imitèrent son exemple,
et firent aussi une provision de van Bredael. Ce n'était certes pas un mince honneur pour le vieil artiste.
Il en ressentit une joie si vive « qu'il tomba malade et fut réduit à la dernière extrémité. » Mais Descamps

a bien soin d'ajouter qu'il ne mourut pas de son émotion : sa vie glorieuse se prolongea, en effet, jusqu'au
19 février 1750.
Tel est, sous la réserve de quelques corrections que nous avons dû y apporter, le récit qu'on trouve dans
les livres. La renommée de Jean van Bredael a subi, depuis le siècle dernier, bien des mésaventures. C'est le
sort promis à tous les artistes qui n'ont pas d'originalité propre, à ceux surtout qui, quoique bien doués par la
nature, semblent se restreindre à plaisir en s'enrôlant dans le groupe anonyme des imitateurs. Parmi les curieux
qui ont entendu parler de Jean van Bredael, beaucoup ignorent ses œuvres; et comment en serait-il autrement,
alors qu'au lieu de se produire sous le nom de l'artiste dans les cabinets des amateurs et dans les ventes, elles y
figurent sous le pavillon de Breughel de Velours et quelquefoispeut-ètre sous celui de Wouwermans? Les van
Bredael authentiquessont donc devenus rares. Néanmoins, le musée d'Amsterdam possède un paysage qui porte
sa signature et qui est incontestable; c'est la Vue d'un village au bord d'une rivière : de nombreuses figurines,
des chevaux, des chariots se mêlent sur les premiers plans et se pressent comme s'ils avaient hâte de rentrer
dans le tableau de Breugheld'où ils sont sortis. Il y a également un van Bredael au Louvre : c'est un Campement
militaire : un corps d'armée a dressé ses tentes près d'un village, et là aussi les figures s'agitent en grand
nombre, là aussi les chevaux, que l'artiste a toujours peints avec soin, sont finement touchés. Mais ce qui
manque à van Bredael, au maître jadis célèbre que George Ier et Louis XV honorèrent de leur patronage, c'est
le caractère, la franchise, l'accent. Quoi qu'on en ait pu dire, les imitations qu'il a faites d'après Wouwermans
sont peu trompeuses ; on les reconnaît à une touche plus lourde, à une coloration moins délicate et moins
transparente. Sur ce terrain d'ailleurs, van Bredael a été battu par un pasticheur plus habile que lui, Charles
van Falens. —D'un autre côté, lorsqu'il essaie de lutter avec Breughel, il est vaincu d'avance par le manque de
sincérité. Les amateurs du dix-huitième siècle, et Descamps avec eux, n'ont pu sentir .cette nuance; ils étaient
trop près des choses pour les bien voir, mais nous apprécions plus sainement aujourd'hui tout ce qui touche
au passé, et nous mesurons mieux la distance qui sépare Breughel, toujours si loyal et si personnel, de son
paie copiste Jean van Bredael.
PAUL MANTZ.

miSMlSS IT iiaiDiKUlïMll
A l'époque où Descamps publiait son livre, il y avait, à • (provenant du cabinet van Heteren, et cité par Descamps).
Rouen, chez M. Horutner, deux Batailles de J. van Bredael. Ce tableau, gravé en tète de celte biographie, porte la signa-
L'auteur de la Vie des Peintres flamands possédait aussi ture du maître; nous la reproduisons ci-dessous.
deux Batailles, peintes sur cuivre, et « entièrement dans la DRESDE. — Un Cavalier faisant ferrer son cheval. —
manière de Wouwermans. » Chasse au Faucon
A défaut de ces tableaux, dont nous n'avons pas retrouvé DINAN — CAIUNET DE M. ROLLE.— Le Maréchal ferrant.
la trace. ncus indiquerons les œuvres suivantes : — Nous n'avons pas Vil ce tableau; mais un amateur dont le
MUSÉE DU LOUVRE. — Campement militaire (acquis de jugement nous inspire toute confiance, nous le signale comme
Mme Pelet, en 1821, au prix de 400 fr.) Ce tableau, qui n'avait une œuvre capitale de J van Bredael. Cette composition,qui
pas été gravé, est reproduit à la page 3 de cette Notice. mesure 1 m. 20 c. de hauteur sur 1 m. 70 c. de largeur,
AMSTERDAM. — Vue d'un Village aux bords d'une rivière. porte la signature de l'artiste et la date 1728
éco/e /J!ÍcUllanct. CéAa^/ed, JSayda^fi).
,

CHARLES YAN FALENS


NÉ EN 1684. — MORT EN 1733.

L'histoire, sévère pour les imitateurs, devrait peut-être passer


sous silence ces maîtres timides on trop dociles qui consentent
à abdiquer toute personnalité et à marcher servilement sur les
traces de ceux qui les ont devancés. Ne regarder la nature que par
les yeux d'un autre; parvenir, à force de patience, à copier plus
diminuer de gaîté
ou moins exactement sa manière, c'est se
de cœur et s'annihiler soi-même. Aussi, qu'elle soit systématique
l'imitation est stérile et
ou involontaire, acceptée ou subie,
mauvaise, et dans ceux qui sacrifient à ce principe fatal, il faut
voir non des artistes, mais des ouvriers.
Charles Van Falens n'a guère été autre chose. Il a pu, dans
succès d'un jour; mais, mal
un temps d'indulgence, obtenir un
défendue par des œuvres secondaires, sa réputation n'a pas
duré. Triste destinée des copistes! Bien qu'il ne lut point
Hollandais et que l'instinct de son pays l'entraînât, ce semble, vers un genre de peinture plus Hure
et plus large, Van Falens s'éprit de la manière spirituelle de Philippe Wouwermall; il lui emprunta sa
coloration charmante et fine, il imita de son mieux la disposition savamment éparpillée de ses groupes,
il
étudia la gaîté lumineuse de ses horizons, il lui prit hardiment ses sujets préférés, enfin il essaya, en plein
dix-huitième siècle, d'être le Wouwerman de son temps.
Nous l'avons dit, en adoptant ce genre, élégant mais petit, Charles Van Falensrompait avec les traditions
les plus chères de sa patrie. Il est vrai, et ceci l'excuse un peu, que lorsqu'il naquit à Anvers en 1684,
l'école qui avait si longtemps suivi l'étendart radieux de Rubens en était aux derniers jours de sa splendeur.
Van Thulden venait de mourir, et David Teniers, déjà vieux, restait presque le seul témoin de cette
grande époque : il n'y avait plus d'école d'Anvers.
Quel fut le maître de Van Falens? on ne saurait exactement l'indiquer. L'auteur du catalogue du Musée
du Louvre le dit élève de F. Francken; mais cette initiale a besoin d'être expliquée. Dans la famille si
nombreuse et si mal connue des Francken, quel est celui qui, à l'âge où Van Falens apprit à peindre,
c'est-à-dire aux derniers jours du dix-septième siècle, put lui donner des leçons? Sans doute François
Francken, celui qu'on appelle le jeune, avait eu un neveu, qui s'appela François comme lui; maison ignore
absolument si ce peintre vivait encore à l'époque qui nous occupe. Sans vouloir faire de conjectures trop
téméraires, nous rappellerons qu'il y avait alors à Anvers un certain Constantin Francken, qui fut doyen de
la confrérie de Saint-Luc en 1694 et qui, par une particularité qui n'est pas sans importance, est partout
cité comme peintre de batailles et de chevaux. Qui sait si ce n'est pas chez lui que Van Falens apprit son
métier?
Il est vrai que quel qu'ait été son maître, le jeune artiste ne profita pas longtemps de ses leçons. En 1703
— il n'avait pas vingt ans encore — nous le voyons quitter son pays et venir s'établir à Paris. Comment
il fut reçu par nos artistes, quel emploi il fit de sa jeunesse et de son talent, il ne serait pas aisé de le dire,
car Van Falens n'a point de biographie, et sa vie est demeurée obscure. Toutefois on doit supposer que le
peintre flamand trouva occasion d'occuper utilement son pinceau, et n'eut pas à se plaindre de la France,
et la preuve, c'est qu'il y resta.
Mariette nous apprend que le talent particulier de Van Falens fut de copier les tableaux des maîtres à
la mode et surtout ceux de Wouwerman. Il apportait dans ce travail une dextérité singulière, et ses
reproductions étaient, dit-on, d'une telle exactitude qu'elles trompaient les plus fins connaisseurs.
Peut-être serait-il plus juste de dire que ces copies, confiées à d'honnêtes marchands, étaient vendues
par eux à des marquis ou à des financiers qui, médiocrement instruits des mérites de l'art hollandais,
donnaient aisément dans le panneau. L'artiste ignoré vécut d'abord de cette industrie, qui n'était pas
tout à fait loyale et ne lui promettait d'ailleurs ni grand profit ni bruyante renommée.
Van Falens, il est vrai, n'avait pas que ce talent. Il avait apporté de la Flandre, déjà savante dans cet
art spécial, le secret de restaurer, ou, comme le dit Mariette, de « raccommoder » les tableaux. Le
métier était lucratif, car Paris ne possédait guère alors d'habiles gens dans ce genre, et Van Falens y
faisait merveille. Lorsque le Régent compléta sa collection et s'occupa de la mettre en ordre, ce fut il
Van Falens qu'il eut recours pour restaurer celles de ses peintures qui avaient le plus souffert. « Le
duc d'Orléans, nous dit encore Mariette, lui fit faire la reveue de ses tableaux, et principalement de ceux
qu'il avoit acquis de don Livio Odescalchi; et je mets cela (ajoute le judicieux critique) au nombre des
malheurs qu'a éprouvés la peinture; car cela ne s'est pu faire qu'en écurant les tableaux et aux dépens
des glacis et des dernières touches qui, dans cette opération pressée, sont nécessairement obligés de
disparoître '. » Il y a malheureusement du vrai dans cette observation, mais malgré les inquiétudes
dont Mariette se faisait l'écho, Van Falens n'en fut pas moins chargé d'un autre travail important. La
galerie de Rubens, au palais du Luxembourg, avait eu à souffrir d'une restauration maladroite. On appela
alors Van Falens, « peintre flamand, dit Germain Brice, qui a un talent admirable pour faire revivre les
anciens tableaux 8. »

1 Mariette, tome II, page 232.


* Brice, Description de la ville de Paris, 4752, tome III, page 399.
Toutefois la gloire de restaurer les ouvrages des autres ne suffit pas à l'ambition de Van Falens : il voulut
s'essayer dans des entreprises plus difficiles et plus honorables. Par malheur, il avait si longtemps copié
Wouwerman, qu'il lui était devenu impossible de faire autre chose que des Wouwerman. Ses œuvres,
d'ailleurs assez peu nombreuses, montrent bien quelle fut son impuissance, et en même temps l'esprit de
son habile pinceau. D'Al'genville le fils, après avoir dit que Van Falens « a peint joliment des chasses et
des altes, » nous apprend qu'on voyait de lui, dans les salles de l'Académie de Saint-Luc, une Chasse à

l'oiseau ornée d'architecture, ce qui donne à supposer qu'il fut d'abord associé à cette corporation.Mais
ce mince honneur n'était pas au niveau de son rêve : il fit un effort de plus, et le 29 novembre 1726,
il fut reçu à l'Académie royale de peinture comme peintre de paysages et de chevaux.
Le Musée du Louvre a hérité des deux tableaux que Van Falens exécuta pour sa réception à l'Académie :
ce sont les plus charmants qu'on connaisse de sa main. Dans l'un, le Rendez-vous de chasse, on voit une
dame de qualité, à cheval, adressant la parole à un écuyer qui a mis pied à terre. Autour d'eux se
groupent un chasseur portant un faucon sur le poing et un autre cavalier prenant un verre de vin que
lui présente une paysanne; plus loin se montrent diverses figures, ici des laveuses attentives à leur travail,
là un ménétrier qui joue du violon à la porte d'une auberge; au fond, on aperçoit un village perdu
dans les perspectives d'un paysage accidenté. L'autre tableau, la Halte de chasseurs, n est guère moins
compliqué : Van Falens y a fait entrer une dame à laquelle un page apporte des fruits, lin chasscur
qui s'appuie sur son mousquet et tient son cheval par la bride, un cavalier donnant quelque monnaie à
un mendiant, un berger conduisant un troupeau de chèvres, et bien d'autres personnages encore, car
si Van Falens n'avait pas beaucoup d'imagination, il avait au moins beaucoup de souvenirs, et il
ne
se cachait pas pour le montrer. Nature docile et comme absorbée dans le culte exclusif d'un maître
trop aimé, il n'a aucune personnalité, aucun accent, aucun génie. Philippe Wouwerman serait
en
droit de revendiquer dans ses peintures non-seulement les costumes, la proportion et les attitudes
des personnages, mais aussi la coloration argentée et douce de l'ensemble. Toutefois Wouwerman est
un maître : il a l'imagination qui invente et qui dispose, il a la main qui exécute et qui exprime. Dans sa
composition, Van Falens n'a guère que des réminiscences; quant à son pinceau, il est habile, il est
soigneux, mais ce n'est à tout prendre que le pinceau d'un copiste.
Van Falens en jugeait sans doute autrement. Devenu académicien, il se prit
au sérieux, et sans
abandonnerla restauration des tableaux, il continua il faire des Wouwerman. On vit de lui le Chasseur
fortuné, le Départ pour la chasse et surtout la Prise du Héron, qui est, à n'en pas douter, l'une de
ses
œuvres les plus fines. Un double honneur fut fait à ces peintures : en même temps qu'elles prenaient
place dans la galerie d'un éminent personnage, le comte de Briilh, elles étaient gravées
par le fin burin
de Lebas et de Moyreau, artistes à la main loyale qui croyaient à Van Falens et le reproduisaient
respectueusement, savamment, comme ils avaient accoutumé de faire pour Teniers ou pour Berghem.
Ainsi accepté et accueilli, Van Falens devint presque français; il avait épousé Marie-Françoise Slodtz, la
sœur des sculpteurs si souvent employés par Louis XV ; l'hospitalité royale le logeait dans la cour du
vieux Louvre; il était heureux et il ne songeait guère plus à la Flandre, lorsqu'il mourut à Paris le 26
mai 1733 (et non le 29 comme on l'écrit d'ordinaire). Après avoir annoncé
, sa mort, le Mercure de
France ajoute, peut-être avec plus de complaisance que de saine critique: « Il n'a fait
que de petites
figures, des animaux et du paysage, dans le goût de Berghem et de Wauvremens. Ses tableaux sont
d'une composition admirable et d'un coloris charmant. » Ce fut là la première oraison funèbre de Van
Falens. Mariette vint bientôt et il en fit une autre d'un goût un peu différent :
« Ses tableaux dit-il,
,
ne sont pas sans mérite, mais ils se ressentent trop d'une imitation servile. » La critique moderne a
sanctionné l'un de ces jugements : malheureusement pour Van Falens, ce n'est pas à celui du Mercure
qu'elle a donné raison.
PAUL MANTZ.

1KIlMÏK H1 IIDKO&ÏIKDIS»

Les tableaux de Van Falens sont assez rares. En dehors MusÉE DU LOUVRE. Rendez-vous de chasse ; Halte de chas-
des copies ou des pastiches de Wouwerman qui courent les seurs. Ces deux tableaux, peints par Van Falens pour sa ré-
ventes publiques, l'artiste flamand n'a signé qu'un petit ception à l'Académie, ont été gravés en 1736 par Moyreau.
nombre de peintures originales. Dans le premier, un monogramme formé des lettres c. v. F.
Lebas a gravé d'après lui, le Depart pour la chasse ; la est inscrit sur la croupe d'un des chevaux.
Prise dit Héron ; le Rendez-vous de chasse ; le Chasseur MUSÉE DE STOCKIIOLM. Un homme et des femmes il cheval.
fortuné. P. Aveline et Filleul ont reproduit l' Utile accident MusÉE DE DRESDE. Départ pour la chasse au héron.
et le Retour de campagne.
Les dessins de Van Falens ne sont pas non plus fort nom-
breux. Le cabinet Paignon-Dijonval en contenait un à l'en-
VENTE H.. 22 novembre 1856.
425 francs.
-
MusÉE DE BI ITL[N. Paysage enrichi de figures.
Le Pot an lait rc/w('rM',

cre de Chine : Des chasseurs se reposant. VENTE DE LA MARQUISE D'U... 16 février 1857.
— Une
Parmi les peintures, nous devons citer : Halte de chasse et son pendant, 805 fr.
Sco-fe &/amanc/e. Mxdéwre-,

PIERRE-JOSEPH VERHAGHEN
NÉ EN 1728; — MORT EN 1811.

Pour le curieux qui étudie l'histoire de l'école flamande, pour


l'écrivain qui la raconte, le dix-huitième siècle est comme un
long entr'acte où la scène, jadis si noblement occupée, demeure
triste et déserte. Quelques artistes à peine apparaissent de loin en
loin pour rappeler que la Flandre a été pendant deux cents ans la
terre généreuse où sont nés tant d'admirables coloristes, tant de
puissants décorateurs. Et pourtant ce siècle est celui où l'art
français triomphe dans l'esprit et dans la grâce ; où l'Italie, déchue,
mais ingénieuse encore, nous montre de si souriants maniéristes;
où l'école anglaise, après s'être si longtemps cherchée, s'affirme
tout à coup dans quelques maîtres originaux et forts. Mais, au
milieu de cette fête de la peinture facile, la Flandre, aux mains
de princes étrangers, semble s'endormir; elle renie les dieux de
sa jeunesse, elle méconnaît son génie et
s'oublie elle-même. Au
début du dix-huitième siècle, l'école qu'illustra Rubens ne sait
plus où elle va : c'est le temps des grandes machines pompeuses
Duvenède,
et vides de Richard van Orley, des inventions affadies de
aussi de
élève trop assidu de Carie Maratte; c'est le temps
1 histoire. Apres
Victor-Honoré Janssens, le peintre expéditif et sans caractère dont nous avons raconte
eux, vont venir Verbeeck, Mathieu de Visch, Gaeremyn, tristes ouvriers d'un art qui s'égare de plus en
plus. La critique n'aurait ici qu'à s'attrister et à se taire, si, parmi cette foule d'artistes si faiblementinspirés,
elle ne rencontrait un nom qui doit l'arrêter un instant, celui de Verhaghen.
Hâtons-nous de le dire, Verhaghen est tout à fait un peintre d'une école en décadence, et, sous certains
rapports, il n'est allé ni plus haut ni plus loin que la plupart des maîtres obscurs que nous venons de
nommer. Il a tous les défauts de son temps, mais il sait encore son métier; son pinceau, merveilleusement
agile, couvre vaillamment de vastes toiles qui ont de l'effet et de l'aspect; plus heureux que les Flamands
italianisés qui travaillaient autour de lui, il a de l'imagination, de la verve, presque de l'esprit.
Pierre-Joseph Verhaghen est né le 19 mars 1728, à Aerschot, petite ville située à trois lieues de Louvain.
Son père, qui était receveur municipal, l'envoya à l'école jusqu'à l'âge de douze ans, et eut le bon goût de
ne pas contrarier ses dispositions premières. Verhaghen, encore enfant, avait rencontré par hasard un
peintre — c'est peut-être beaucoup dire — qui était venu restaurer les tableaux de l'église Notre-Dame, à
Aerschot. Van der Kerkhoven — c'était le nom de ce dangereux ouvrier
— n'avait jamais été admiré par
personne. Il fut touché de l'intérêt qu'il inspirait à ce naïf écolier; il le prit avec lui, moins comme élève
que comme apprenti, et ils parcoururent ensemble les villages voisins, réparant de leur mieux les toiles
endommagées, et ne se gênant pas, on le devine, pour y introduire, au besoin, des agréments de leur façon.
Verhaghen comprit bien vite que van der Kerkhoven n'était pas un maître sérieux; il le quitta, et en 1741,
c'est-à-dire à treize ans, il partit pour Anvers.
La gilde de Saint-Luc avait alors pour doyen un assez médiocre peintre, François-Henry Verbeeck.
Verhaghen entra-t-il à son atelier? nou" l'ignorons; mais soit qu'il ait étudié chez lui, chez Geerardts ou
chez Balthazar Beschey, il ne put recevoir de ces maîtres que des conseils douteux ou de mauvaises
leçons. Il est vrai que les églises d'Anvers renfermaient encore tous les chefs-d'œuvre dont Rubens,
Jordaens, van Dyck et les autres artistes de la pléïade glorieuse les avaient enrichies au siècle précédent.
Ce fut là l'atelier où Verhaghen forma son goût; c'est en contemplant ces grandes pages qu'il se créa
une manière bien différente assurément et bien plus large que celle qu'il aurait pu puiser dans l'étude des
tableaux des professeurs de l'Académie. Nous manquons d'ailleurs de données exactes sur ses débuts;
nous ignorons même quelle fut la durée de son séjour à Anvers; nous savons seulement qu'en quittant
cette ville, il vint s'établir à Louvain, et que, le 25 janvier 1753, il y épousa Jeanne IIensmans, qui lui donna
sept enfants1.
Lorsque nous disions tout à l'heure que Verhaghen étudia les maîtres du dix-septième siècle, nous avions
présentes à la mémoire les copies, assez nombreuses, qu'il a exécutées d'après leurs œuvres. Descamps,
dont le Voyage pittoresque date de 1769, parle de deux tableaux, la Mort de saint Antoine, et un Saint
recevant le viatique, qui étaient alors chez les Récollets de Louvain, et que Verhaghen avait copiés d'après
un maître qu'il ne nomme pas. Une église de la même ville conserve encore le Martyre de saint Quentin et
un Christ, d'après Gaspard de Crayer. Nous savons donc quelles furent les premières admirations du jeune
artiste; nous savons à quelle école il se forma.
Mais Verhaghen n'était pas seulement un copiste intelligent. Nous avons vu de lui, à l'église Saint-Jacques
de Louvain et au musée de Gand, deux vastes toiles qui prouvent que son talent et son audace s'étaient
développésde bonne heure. Le premier de ces tableaux, daté de 1765, représente l e Martyre de saint Jacques;
on y sent, avec une exécution libre et souple, les souvenirs des maîtres de l'époque antérieure; le second
tableau, peint en 1767, est la Présentation au Temple. C'est vraiment comme une grande ébauche, où tout
est indiqué, où rien n'est écrit, où le pinceau se joue des difficultés de la couleur et de la forme, une sorte
d'improvisation à la Vanloo, mais plus vaillante, plus solide, plus robuste de ton, sauf toutefois dans les
chairs, que Verhaghen — c'est son défaut — a toujours revêtues d'une coloration blanchâtre et plâtreuse.

Ces détails et la plupart de ceux qui vont suivre sont empruntés à une intéressante notice publiée par M. C. Piot dans le
Messager des Sciences historiques de Belgique. (Gand, 1839, p. 413.)
Ces tableaux, et d'autres encore, le tirent connaître des princes autrichiens, qui eurent plus d'une fois
recours à son pinceau. Dès 1770, Verhaghen peignait le grand tableau qui est aujourd'hui au musée de
Vienne, et où l'on voit saint lttienne, roi de Hongrie, recevant la couronne et les insignes de l'empire,
que le pape Sylvestre II lui a envoyés. Cette œuvre d'apparat et de luxe décoratif méritait une récompense.
Le 13 mai 1771, Yerhaghen recevait le titre de peintre du prince Charles de Lorraine, et quelques jours
après, l'impératrice Marie-Thérèse, prenant hautement l'artiste sous sa protection, l'autorisait à faire, aux
frais de la cassette impériale, un voyage d'étude en France et en Italie.
Parti le 16 mai avec son fils aîné, Verhaghen se dirigea vers Paris. Chose étrange, il y resta à peine un

mois. Le journal de Wille nous a conservé la trace de son passage. « Le 9 juin — écrit l'honnête graveur
service de l'impératrice-reine, vint chez moi et me fit voir de ses
— M. Verhaghen, peintre flamand au
accompagné de son fils, en Italie, pour y voir
ouvrages historiques qui portent un beau caractère. Il va,
ce qu'il y a de remarquable, le tout aux dépens de cette
princesse, qui lui a envoyé, en dernier lieu, cinq
flamand
médailles d'or, après avoir vu un tableau de sa main. Voila, depuis du temps, le premier peintre
qui promette quelque chose Il parut singulièrement content de plusieurs tableaux de mon
cabinet, entre
quitter »
autres, Sarah présentant Agar à Abraham, peint par M. Diétrich, qu il ne pouvoit pas .
connaisseur aurait dû faire le Diétiich
Après avoir admiré — peut-être un peu plus qu'un véritable ne 1

du Salon, qui se
de Wille, Verhaghen fit quelques visites à Pierre, à Cochin, et, sans attendre l'ouverture
commençait
préparait, il quitta Paris. Le 15 juin, il était à Lyon ; trois jours après, il travet sait les Alpes, et

Journal de Witte, l, p. ±77.


enfin le voyage qui lui tenait tant à cœur. Après s'être arrêté à Milan et à Bologne, il arriva à Rome, le
1er août, et se mit immédiatement au travail. Il peignit d'abord deux tableaux, un Christ en croix et les
Pèlerins d'Emmaüs, qui obtinrent un grand succès auprès des amateurs romains. Le pape lui-même,
Clément XIV, voulut voir l'artiste flamand et le reçut avec toutes sortes de bonnes grâces. Verhaghen,
enchanté, écrivait à sa femme des lettres modestement triomphantes. Il partageait son temps entre le travail
et l'étude des grandes œuvres des peintres anciens. Raphaël le toucha; mais à la façon dont il en parle à
M"" Verhaghen, on devineque tout en admirant le divin maître, il garde à Rubens les secrètes préférences de
son cœur.
Près de deux années se passèrent ainsi. Verhaghen quitta Rome, le 24 avril 1773, et se rendit à Vienne.
Marie-Thérèse lui fit le meilleur accueil, et elle ordonna qu'on plaçât dans sa chambre à coucher un épisode
de la vie de sainte Thérèse, qu'il avait peint pour elle pendant son séjour en Italie. Il eût été dans les
desseins de l'impératrice de retenir à la cour le peintre dont elle faisait tant de cas; mais Verhaghen
aimait son pays ; il revint à Louvain le 24 octobre, et il y fut reçu avec acclamation, les poètes eux-mêmes
ayant chanté l'heureux retour de leur glorieux compatriote.
Revenu au foyer, Verhaghen reprit son pinceau, et il prouva qu'il avait en lui quelque personnalité,
l'étude du style italien n'ayant en aucune façon modifié sa manière. Les tableaux qu'il fit à son retour de
Rome diffèrent à peine en effet de ceux qu'il avait peints avant son départ. C'est toujours la même prestesse
d'exécution, la même verve dans le rendu des étoffes, des orfévreries, des accessoires, la même pauvreté
dans ce qui touche à l'expression des sentiments humains. Verhaghen est frappé avant tout de l'aspect
extérieur des choses; il peint savamment un costume, mais l'âme du personnage qu'il met en scène lui
importe peu. De là, cette production rapide, abondante, intarissable. Les églises et les couvents de Louvain,
les chapelles des villages environnants, s'enrichirent d'un nombre considérable de tableaux de Verhaghen.
Bien qu'il ait traité parfois des sujets profanes, par exemple Virgile lisant ses poésies devant Auguste,
presque toutes ses peintures sont empruntées à la Bible ou à l'Évangile; il est à peine utile de dire que le
sentiment religieux y fait absolument défaut. Ces œuvres légères, décoratives, flamboyantes, sont étranges à
étudier dans le pays où Dirck Stuerbout et Quentin Metsys avaient montré jadis un pinceau si sincère, un
si grand souci de l'expression morale. Mais Verhaghen a beaucoup aimé la peinture, et, à ce titre, il lui
sera beaucoup pardonné.
Pierre-Joseph Verhaghen est mort à Louvain, le 3 avril 1811. Un de ses fils, curé à Wakkerzeel, vivait
encore en 1839.
PAUL MANTZ.

MMKMTO ITT MMMTOlS


ANVERS (MUSÉE). - Agar et Ismaël chassés par Abraham
(provenant de l'abbaye de Tongerloo).
ÉGLISE SAINT-JACQUES.
(1765).
— Le Martyre de saint Jacques
BRUXELLES. — L'Adoration des Mages.
— La Vierge avec l'Enfant Jésus ;
ÉGLISE SAINT-PIERRE.
GAND.-Présentation au Temple (signé: P.-J.Verhaghen, le Bon Pasteur ; le Martyre de sainte Catherine.
f. Lov., 1767. MALINES (ÉGLISE SAINT-ROMBAUD). Épisode de la
— Un
LOUVAIN (HÔTEL-DE-VILLE).-Motse présenté à la cour de vie de saint Rombaud.
Pharaon (1786). VIENNE. — Saint Étienne, roi de Hongrie, reçoit la cou-
ÉGLISE SAINT-QUENTIN.
— Le Martyre de saint Quentin, ronne et les insignes de l'empire, que le Pape Sylvestre Il lui
Un Christ, copies de Verhaghen, d'après Gaspard de Craver. a envoyés. Signé: P.-J. Verhaghen Aerschotanus, f. 1770.
(ocafe !7IizJlZallde. </, <$oiééot9<e, Jêarfaatéd

ANDRÉ LENS
NÉ EN 1739. — MORT EN 1822

Le dix-huitième siècle, pris en masse, était porté au


naturalisme, dans les systèmes, dans la littérature, dans
les arts, dans les goûts et les habitudes. Je n'ai pas
besoin de rappeler Condillac, Helvétius, Robinet, Dide-
rot, le baron d'Holbach, leurs théories positives et les
mœurs licencieuses du temps. L'homme cherchait du
même coup à briser toutes les contraintes, celles du
dogme, de la politique, de la tradition et des vieilles
règles académiques. On était las du passé, las des con-
ventions qui opprimaient les intelligences, et l'on aspirait
passionnément à un nouvel ordre de choses.
Cette tendance générale tourna au profit de l'école
néerlandaise. Non seulement on rechercha ses tableaux
dédaignés sous Louis XIV et dans la première partie du
dix-huitième siècle; non seulement il y eut des ama-
teurs, comme le comte de Vence, le duc d'Orléans, le
marquis de Voyer, MM. Blondel de Gagny, De la
Bouexière, De Gaignat, De Lassay, De Julienne, qui
pavoisèrent leurs cabinets de toiles flamandes et hollandaises; mais des graveurs indigènes comme Lebas,
De Ghendt, Bazan, Lemire, Aliamet, Gouar, Lempereur, s'attachèrent spécialement à reproduire les
compositions des grands maîtres qui sont et seront toujours la gloire des Pays-Bas. Les peintres subirent la
même influence et prirent la même route : Chardin, les Vanloo, Boucher, Pater, Descamps étudiaient
beaucoup plus les artistes du nord que ceux du midi, se rapprochaient beaucoup plus des premiers que des
seconds. Watteau, né à Valenciennes, Flamand d'origine par conséquent, symbolisait, pour ainsi dire, cette
propension,stimulait le goût qui entraînait ses contemporains vers les œuvres de l'art septentrional.
Sur tous les points donc le naturalisme triomphait, les systèmes fléchissaient le genou devant l'infatigable
puissance qui nous offre des modèles toujours nouveaux et quelquefois des types d'une accablante perfection.
Van Huysum, le dernier des grands peintres hollandais, mort en 1749, avait porté l'enthousiasme du réalisme
jusqu'à l'adoration des fleurs et des insectes. Balthazar Denner, de Hambourg, mort justement la même année
que Van Huysum, montrait une passion aussi vive pour les moindres détails, une aussi respectueuse docilité au
principe d'imitation ; seulement, il appliquait à la face humaine le patient travail qui faisait épanouir sur les
tableaux de son confrère toutes les merveilles des beaux jours.
Mais, comme les esprits originaux, les écoles et les systèmes trouvent infailliblement des contradicteurs.
Pendant que les artistes, les poètes, les philosophes se vouaient en masse au culte de la nature, quelques
intelligences rebelles cherchaient une autre divinité, soutenaient d'autres maximes. L'admiration des Grecs et
des Romains, qui avait égaré nos poètes du seizième siècle, qui s'était imposé des limites au dix-septième et
que menaçait le libre épanchement de la vie moderne, lasse de toujours se heurter contre des souvenirs, comme
les flots contre les digues, cette prévention se ranima de plus belle dix-huitième siècle.Deux savants lui
au
fournirent une ample pâture. AVinckelmann et Barthélemy, en étudiant avec obstination les œuvres de l'art
antique, les poètes, les historiens, les philosophesd'Athènes et de Rome, en pénétrant plus loin que leurs
devanciers dans l'esprit de la civilisation païenne, avaient conçu pour ce monde éteint une passion enthousiaste.
Leurs doctrines ne tardèrent pas à influencer les arts du dessin. Deux peintres allemands, Raphaël Mengs et
Carstens suivirent exactement les principes de AVinckelmann, crurent que les statues antiques pouvaient leur
apprendre tous les secrets du beau, que Raphaël et Michel-Ange, chez les modernes, avaient été seuls effleurés
par quelques rayons du génie hellénique, offraient seuls des modèles irréprochables. C'est une idée fixe des
amateurs et critiques rétrogrades de décerner exclusivement à ces deux maîtres les honneurs du triomphe.
Les maximes de Barthélémy et de AVinckelmann finirent par trouver en France un champion exalté dans le
peintre David.
Quelques années auparavant, Lens avait arboré la même bannière sur les bords de l'Escaut. Opiniâtre comme
tous les adorateurs des vieux principes ou des vieilles formes, il installa le système académique au milieu de
cette ville fameuse où Rubens, Van Dyck, Jordaens, Quellyn et tant d'artistes puissants avaient proclamé des
théories contraires. André Corneille Lens, fils de Corneille Lens, peintre de fleurs, vit le jour à Anvers, le
31 mars 1739, et apprit de bonneheure la peinture.Il eut pour premier maître un nommé Ykens, probablement
Jean-Pierre Ykens, reçu franc-maître en 1690 par la confrérie de Saint-Luc. Si le tableau du musée d'Anvers,
qui porte le n° 345 et la signature P. Ykens F., est de sa main, c'était un excellent professeur, beaucoup plus
habile que son élève. Il représente Sainte Catherinedisputant avec les philosophes. Le travail est un peu rude,
mais une excellentecouleur, un grand relief, des tons chauds et harmonieux font penser aux meilleurs disciples
de Rubens. Après avoir été à si bonne école, le jeune Lens entra dans l'atelier de Balthazar Besschey. Ni
l'un ni l'autre de ces deux maîtres ne semble avoir formé son goût. Anvers ne possède aucune statue antique;
mais, depuis la fin du dix-septième siècle, on avait formé à l'Académie une collection de plâtres moulés sur
les chefs-d'œuvre grecs ou romains ; ces reproductions et, suivant toute apparence, les gravures d'autres
morceaux fameux aidèrent les théories de AVinckelmannà influencerle jeune Lens. Pour un peintre qui a vécu
si près de nous, on devrait avoir des renseignements positifs ; mais il y a peu de temps qu'on recueille avec
soin les matériaux nécessaires à l'histoire de l'art.' Nous ne savons donc pas au juste quand il s'éloigna du
style régnant.
Le 28 février 1756, comme il allait accomplir sa dix-septième année, il obtint au concours annuel le premier
prix. L'attention publique se tourna dès lors vers lui, et ses progrès ne se ralentissant point, Charles de Lorraine
ie nomma, fort jeune encore, peintre officiel de la cour. Bientôt il lui fournit les moyens d'entreprendre, il
vingt-cinq ans, le voyage d'Italie, avec son frère JosephLens, qui tenait également le pinceau. Cette excursion
acheva de former son talent et de fixer sa manière. Pendant son séjour au delà des Alpes, il consacra presque
tout son temps à l'étude des marbres antiques et des ouvrages de Raphaël ; il copiait les uns, dessinait les
autres du matin au soir. Étant revenu dans sa ville natale, en traversant la France, à la fin de l'année 1768,
on le nomma professeur de dessin à l'Académie des Beaux-Arts.
Il avait adopté la doctrine classique avec toute sa rigueur, avec toute sa sécheresse. On voit poindre assez
nettement ses opinions dans son premier ouvrage : Le Costume des peuples de l'antiquité prouvé par les
monuments. Dans un autre livre : Du Bon goût ou de la Beauté en peinture, il cite fréquemment Boileau,
cherche à identifier les principes de l'art avec les principes littéraires affublés de rimes par l'auteur du
Lutrin. Comme beaucoup d'esprits bornés, il s'écrie : « Hors de la Grèce point de salut!» Puis vient l'éternel
duumvirat constitué en faveur de Michel-Ange et de Raphaël.

Lens eut la bonne fortune de rendre à ses collègues d'Anvers un important service. Jusque là les peintres
étaient restés soumis aux lois et règlements des corporations ouvrières; scandalisé de voir qu'on identifiait les
beaux-arts et les professions industrielles,l'admirateur de Boileau réclama auprès du gouvernementautrichien^
en 1770; sa tentative fut couronnée d'un plein succès en 1773. On put dès ce moment faire un libre usage
de la palette et du ciseau. Pendant un des voyages qui amenèrent dans les provinces belges l'empereur
Joseph II, ce prince, ayant visité Anvers, distingua spécialement André Lens et lui témoigna hautement son
estime. Ce n'était pas un connaisseur. Il proposa au panégyriste des anciens de le suivre a Vienne et de s y
établir, en fixant lui-même ses honoraires et sa position. Lens n'accepta pas; ni la perspectived'une brillante
carrière, ni l'espoir d'acquérir une belle fortune ne purent le résoudre à quitter sa patrie. Lens toutefois ne
demeura point dans la ville d'Anvers, et alla, en 1781, habiter Bruxelles, où il se maria.
C'était un homme aussi laborieux qu'épris de son art; il a exécuté une foule de morceaux de
chevalet, que possèdent les différentes collections de l'Europe et surtout les collections anglaises. Au nombre
de ses meilleurs ouvrages, il faut compter, suivant Immerzeel, les toiles qui ornaient jadis les salons du.
château de Laecken Elles lui avaient été demandées
par le duc de Saxe-Teschen, gouverneur des Pays-Bas et
amateur distingué; il les emporta dans la capitale de l'Autriche. Elles représentent des scènes
mythologiques.
Nous devons encore citer divers tableaux que renferme l'église de Lierre et dont
les sujets sont empruntés au
Nouveau-Testament;une Annonciation, destinée à Saint-Michel de Gand plusieurs grandes
; pages qui décorent
l'église Sainte-Madeleine de Lille, et figurent quelques épisodes fournis
par l'histoire de la célèbre pécheresse.
A Bruxelles, notre artiste peignit avec son élève François, chez le sieur Stevens, dé
les principales aventures
Bacchus.
Si, d 'après les théories de Lens, on croyait voir dans
ses tableaux un grand style, quelque chose de fier, de
noble et d'héroïque, une manière qui rappelle Phidias ou Michel Ange,
on serait complètementdéçu. Formes
rondes et atténuées jusqu'à la fadeur, attitudes empruntées, gestes gauches timides, voilà
ou les traits généraux
de son dessin. Les types de ses figures.... où les a-t-il trouvés? Où a-t-il découvert
ces têtes insignifiantes,
monotones, sans esprit, sans animation, sans caractère? Pourquoi
ces fronts bas, ces yeux microscopiques?
Et ces chairs roses comme une dragée teinte au carmin ? Est-ce le bon goût qui prescrit d'employer des
formes vulgaireset insipides? Est-ce l'idéal qui exige qu'on dénature à
ce point la couleur? Chose étonnante!
les prôneurs de l art sévère tombent dans des afféteries que les peintres de salon trouvent exagérées.
Sans doute, Lens compose d'une manière réfléchie, groupe
ses personnages avec soin, calcule leurs gestes,
leui s attitudes; sans doute il se conforme aux données historiques et géographiquesdans
les vêtements, les
armes, les. joyaux, les étoffes, les meubles et les monuments; il coordonne le sujet et le fond du tableau';
mais qu'on aimerait bien mieux de violents anachronismes et
un peu plus de fougue Comme on préférerait
!

les caprices d'une ardente imagination à cette vulgaire


sagesse !

André Lens, toutefois, est un peintre, un professeur dont la critique doit tenir compte. Il inauguré
a à Anvers
l'école historique moderne, pendant que son compatriote Ommegank (1755-1826) ressuscitait
le vieux génie
flamand. Les artistes du dix-huitème siècle, comme Pierre Ykens et Balthazar Besschey, les
maîtres de
Lens, suivaient négligemmentles traditions affaiblies de la grande école nationale fondée
par Rubens. Ce beau
fleuve perdu dans les sables n'avait laissé derrière lui que des flaques d'eau, où miroitait
encore la lumière, où
se réflétait un pan du ciel. Au lit desséché, il fallait rendre ses flots abondants, et, pour y parvenir, force
était de trouver des sources nouvelles. Quoique André Lens ne sût
pas manier adroitement la baguette de
coudrier qui révèle les eaux intérieures, il porta les esprits à la réflexion, il anima, stimula
ses contemporains
par son zèle, par ses théories, par ses travaux continus et ses innovations plus ou moins heureuses. Depuis
ce
moment, les efforts pour tirer l'art de sa torpeur n'ont point cessé en Belgique.
Lens atteignit une grande vieillesse ; quoiqu'il lui fût impossible de tenir le pinceau dans
ses dernières années,
il conservait un enthousiasme très-vif
pour son art, il en causait avec la passion de la jeunesse. Il mourut à
Bruxelles, le 30 mars 1822, la veille du jour où il aurait eu 83 ans accomplis.
ALFRED MICHI.ELS.

IKIIMMS JE1r lillMTMM


Anvers possèdetrois tableaux de Lens, l'Annonciation, la de Lens sur les costumes des anciens. Il rectifia et compléta
Peinture triomphant de l'Ignorance et de l'Envie, le por- le travail de l'artiste flamand, qui, n'étant pas un érudit,
trait du graveurMurtenasie, ancien directeur de l'Académie avait négligé certaines sources d'information.
d'Anvers : ce dernier ouvrage est signé et daté de 1762. La
Au musée de Vienne, Jupiter endormi dans les bras de
galerie de Bruxelles contient une Dalila coupant les cheveux Junon sur la cime du mont Ida.
de Samson.En 1795, un nommé Martini publia chez les Les Adieux d'Hector ont été gravés par J. Kovatsch.
frères Walter, à Dresde, une nouvelle édition de l'ouvrage
Scafe /J¥:NIZaIZde. i/'(/y,utyr, .Am;Ínaaæ.

OMMEGANCK
:'1E EN Hoo. — MORT EN IN 21.
-

Pendant que Lens tâchait maladroitement de


ranimer la peinture dans les Pays-Bas, en lui
communiquant un esprit nouveau qui l'eût détournée
de sa route, deux artistes suivaient tant bien que
mal les traditions flamandes, Joseph Yerhagen et
Jacques Herreyns, hommes secondaires, mais
possédant un vrai mérite, dont les tableaux ornent
encore une foule d'églises belges. Leur dessin a
une tournure facile, leur couleur un certain
charme. Le premier obtint une vogue européenne;
Joseph II visita le second, pendant son voyage dans
les Pays-Bas en 1781. Ils turent, en Belgique, les
derniers représentants de l'art national, tel que
l'avaient conçu les anciens maîtres.
Ommeganck prit aussi pour modèles ces illustres devanciers; mais comme il leur demanda conseil sans
les imiter positivement, comme il déploya une originalité manifeste, on doit le compter parmi les régénérateurs
de la peinture flamande, parmi les chefs de l'école moderne, vu surtout que la date de ses travaux le
rapproche de notre temps, et qu'il a obtenu dans notre siècle même ses succès les plus marqués. 0

Balthazar-Paul Ommeganck était né à Anvers le 26 décembre J7J3. Son père exerçait le métier
d'encadreur, profession qui lui inspira peut-être tout jeune le goût des arts du dessin. Il eut pour maîlrc
Joseph Antonissen, son compatriote, bon peintre de paysages (1737-1794), fort épris de la lumière, ayant une
touche agréable et vivifiant d'ordinaire ses tableaux rustiques au moyen d'animaux et de petits personnages.
Dès ses débuts, il montra un grand zèle et une application extraordinaire. « Il était de ces hommes que
chacun de leurs progrès stimule, dit un contemporain, qui, ayant toujours devant les yeux la carrière infinie
de l'art, se mettent en garde contre la présomption et l'abattement, deux écueils où viennent échouer une
foule d'aspirants à la gloire ; il n'avait la conscience de ses dons naturels que dans la mesure nécessaire
pour fortifier son courage et soutenir son espérance1 ».
Mais si Antonissen lui apprit les éléments et la technique de la peinture, d'autres maîtres lui enseignèrent
la partie la plus élevée, la plus difficile de l'art; je veux dire ces grands hommes, depuis longtemps couchés
sous l'herbe des cimetières, qui donnent par leurs ouvrages d'immortelles leçons aux néophytes capables de
les comprendre. Il alla surtout à l'école de Pynacker, Dujardin et Moucheron; leurs tableaux tranquilles et
moelleux, oÙ la lumière abonde, enveloppe tous les objets, fond tontes les couleurs dans une même gamme,
ont évidemment séduit son imagination, exercé l'influence la plus vive sur son talent. Il était né pour ces
douces bucoliques, pour ces agrestes rêveries que ne trouble aucun orage. A vingt-cinq ans, il avait déjà
tracé au milieu de la nature les limites de son domaine. On vit alors avec surprise ce Flamand moderne
cultiver un genre que les Hollandais semblaient s'être réservé. Comme eux, il étudiait constamment la
nature, ses grands phénomènes et ses moindres caprices, cherchait il fixer sur la toile ses formes permanentes
et ses grâces fugitives. Montrant dès-lors pour les moutons une préférence décidée, il les reproduisait
d'une manière supérieure. Les spacieux herbages qui entourent sa ville natale lui fournissaient d'heureux
motifs; mais il allait passer une partie de la belle saison dans la province de Liège. On le rencontrait
principalement aux environs de Huy, de Dinant et de Chaufontaine, copiant un site pittoresque, dessinant
quelque troupeau, tachant de saisir un effet lumineux. Tous les ans, lorsqu'il retrouvait ses paysages bien
aimés, il disait sans doute comme le poète : « Les voilà ces rochers audacieux et abruptes, qui donnent un
caractère de solitude plus profonde il une campagne déserte et sauvage, associant la paix des champs au
calme des cieux. Le jour est enfin venu où je me repose de nouveau sous ce large sycomore et admire les
fraîches pelouses, les vergers touffus ; ornés de fruits naissants, ils forment dans la saison actuelle de
grandes nappes vertes, et, loin de contraster avec les tons du paysage, se confondent par leurs nuances
avec les forêts et les halliers. Je les revois, ces haies charmantes, vagabondes, à peine dessinées ,
ces fermes pastorales que l'herbe enveloppe jusqu'au seuil, et les spirales de fumées qui montent
silencieusement à travers les rameaux 2. »
En 1788 fut organisée il Anvers la Société des Beaux-Arts; elle se composait d'amateurs et d'artistes,
comme toutes les sociétés analogues, et avait pour but de répandre le goût, la connaissance des belles
choses, de soutenir les jeunes talents, d'honorer, de stimuler au travail les talents accomplis. Elle devait
faire chaque année une exposition publique. Ommeganck fut un de ses fondateurs et de ses membres les
plus actifs. Quelques villes flamandes imitèrent l'exemple que leur donnait Anvers, et plus tard la compagnie
primitive s'étant développée, enrichie, ayant obtenu après 1815 l'appui de l'autorité supérieure, s'intitula
fièrement Société royale pottr Vencouragement des Beaux-Arts.
Mais à peine venait-elle de s'établir que la révolution brabançonne troubla le pays, étonna l'Europe de
ses farces violentes et de ses pieuses pantalonnades. On vit des moines porter le sabre et faire le coup de
feu, comme pendant les scènes de la Ligue. A cette comédie larmoyante succéda bientôt le drame terrible
et salutaire de la révolution française. Pendant douze ans la tempête gronda sur les provinces belges.
La guerre et la politique, la haine et la passion des réformes, l'inquiétude et la peur firent négliger les
beaux-arts. Un double enthousiasme, une persévérance invincible furent nécessaires à ceux qui les

t
Lofrede op Balthazar Paulus Ommeganck, lIitgesJ)f(¡ken te AntwerjJe/l door lan. Adr. Soyas; 182G.
2 Wordsworth, Lines camposed a feio miles above Till/cm abbci/.
cxHivaient. Heureusement pour lui, Ommeganck portait cette armure défensive; rabattement et la tristesse
n'avaient pas prise sur lui. Pendant qu'on se disputait et se battait, que les vieilles lois sociales tombaient
en ruine, le studieux observateur cheminait ou dessinait sur les hautes Fagnes, ces grandes bruyères
des Ardennes, longeait les bords de la Meuse, errait dans les bois et cherchait la solitude. On ne put croire
qu'un homme fût préoccupe de moutons, de verdure et de beaux arbres, pendant que l'Europe tout
entière devenait une sanglante arène. Un détachement de troupes françaises prit Ommeganck pour un
espion qui dissimulait, l'arrêta et le mit sous les verroux; ses croquis et ses ébauches furent envoyés à
Paris comme pièces de conviction. Pendant qu'il attendait la réponse qui devait décider de si loin pourquoi

il se promenait sous l'ombrage des chênes, une personne de Dinant, avec laquelle il était fort lié, apprit
sa mésaventure. Ce digne ami s'occupa aussitôt de lui faire rendre la liberté, en prouvant que la guerre
et la politique ne l'intéressaientpas le moins du monde. Ommeganck alla de nouveau passer des journées
laborieuses et tranquilles dans les vallons où serpentent la Meuse, l'Ourte et l'Amblève, sur ces montagnes
poétiques où des roches calcaires opposent leurs teintes grises au noir feuillage des sapins, à la verdure
plus pâle et plus riante des hêtres.
Absorbé à ce point par l'amour du travail, par la contemplation de la nature, Ommeganck devait
perfectionner chaque jour sa manière. Il n'avait pourtant pas la physionomie d'un rêveur : c'était un homme
robuste, aux sourcils fortement dessinés, aux grands yeux, aux traits énergiques. Son insouciance pour
tout ce qui ne concernait point directement son art allait cependant si loin, qu'elle lui faisait même oublier
la gloire. Un de ses amis voulut réparer, autant que possible, les effets de cette indolence. Ommeganck avait
peint un dessus de piano, conformément à un ancien usage, et avait déployé dans ce morceau toutes ses
qualités. Son fidèle admirateur envoya le panneau en France, à l'Exposition de 1799. La démarche
clandestine eut un plein succès; la foule curieuse et les juges éclairés louèrent également l'œuvre pastorale,
qui obtint le premier prix de paysage.
L'Expositionde 1805 augmenta en France la réputation du peintre flamand. Un morceau qu'il y envoya
lui-même fut très-bien accueilli par le public. Le gouvernement l'acheta pour le Musée du Luxembourg, et
l'Institut nomma l'auteur un de ses membres correspondants. A l'Exposition de 1808, on lui décerna une
médaille d'or; Immerzeel prétend même que l'impératrice Joséphine voulut, dès ce moment, avoir
un
tableau de sa main chaque année. A force de labeur, il était devenu un homme célèbre, mais, héias! il avait
cinquante-trois ans.
L'âge, toutefois, ne pesait pas à sa vigoureuse constitution. Il n'avait rien perdu de sa force, de sa verve, de
son enthousiasme. Ses tableaux avaient la même fraîcheur que jadis et attestaient une plus grande
expérience. Il étudiait, composait avec autant de soin que pendant sa jeunesse. La nature, qui avait été son
institutrice, qui le conseillait encore, était devenue depuis longtemps pour lui une compagne indispensable,
une amie toujours recherchée. Il fallait à son imagination, comme à sa poitrine, l'air pur des hauts lieux,
l'haleine embaumée des forêts. Une légère brume flottant sur la campagne enchantait sa vue, un rayon de
soleil entre deux nuages l'exaltait. De là cette minutieuse vérité que l'on admire dans ses tableaux. Non
seulement on reconnaît au premier coup d'œil la saison de l'année qui s'y trouve peinte, mais la période
à laquelle cette même saison est parvenue; la couleur des arbres, les tons de la lumière, les fleurs
disséminées dans le gazon ne laissent aucun doute. L'heure du jour ne se manifeste pas moins évidemment.
La pâleur des premiers rayons lumineux et la longueur des ombres, la rosée qui brille sur l'herbe et sur
les feuilles, la vapeur qui nage dans l'air et affaiblit toutes les nuances indiquent assez le matin. Mais le
brouillard se dissipe, l'astre inépuisable verse des flots d'or; l'ombre s'est condensée autour des arbres, sous
leur tente de verdure; la fraîcheur s'y est aussi retirée; l'implacable soleil de midi n'embrase point encore
l'atmosphère, n'allourdit pas les rameaux. Notre artiste aimait beaucoup les heures qui précèdent ou qui
suivent l'extrême chaleur du jour; le flamboyant éclat du soleil à son zénith l'effrayait et le décourageait.
Une des gravures qui accompagnent cette livraison reproduit un tableau dans lequel l'artiste a parfaitement
exprimé la langueur d'une chaude après-midi. Le soleil penche vers l'horizon, mais la fraîcheur du soir ne
se fait pas encore sentir. Les rayons de l'astre puissant illuminent les nuages qu'il a formés lui-même et
dorent une campagne solitaire. Accablé par le poids du jour, un berger s'est endormi sur le gazon, derrière
un massif d'arbres élégants qui le protégent comme un rideau. Son sommeil tranquille fait plaisir à voir.
Un âne, des chèvres, des moutons, les uns couchés, les autres debout, occupent le milieu de la toile. A
gauche, une source environnée de fleurs et de blocs pierreux dort dans son bassin agreste. Un roc pavoisé
de buissons et d'arbres nains s'élève au-dessus. Des collines onduleuses, où un ancien château émerge de la
verdure comme une île qui sort des vagues, forment la perspective et se baignent joyeusement dans la
lumière. C'est une œuvre excellente, qui nous transporte en imagination au milieu du site embrasé;
pendant qu'on la regarde, il semble que la douce mollesse des heures brûlantes vous gagne peu
à peu.
En général, Ommeganck préférait le matin au soir; mais son imagination ne reculait point devant les
approches de la nuit, et, quand il l'a voulu, il a su très-bien les représenter. Le Louvre possède un tableau
de ce genre. Le soleil vient de disparaître après un long,jour d'été. Sa lumière flotte à l'occident au milieu des
nuages et des vapeurs. Fatigué par la température, le berger aux pieds nus qui garde ce troupeau s'est assis,
ou, pour mieux dire, s'est à demi couché sur l'herbe. Les moutons eux-mêmes ont pris sur le vert pâturage
l'attitude nonchalante du repos. Un seul, resté debout, frotte sa tête contre le tronc d'un chêne, qui projette
élégamment ses branches. Plus actives et plus tenaces, deux chèvres ont escaladé un bloc de pierre où les
attiraient des broussailles et des plantes échevelées. Des collines, qui montent de gauche à droite, composent
le fond du paysage. On voit bien que c'est le soir d'un beau jour. car le fluide éclatant pénètre partout,
enveloppe tous les objets. La suavité, l'harmonie de la couleur ajoutent au poétique effet du tableau: on
sent le calme de la nature qui se prépare au sommeil'.
Les animaux que Paul Ommeganck place dans ses agrestes perspectives ne sont pas moins bien rendus que
le site lui-même. Aucun artiste n'a mieux peint les moutons, avec leur laine serrée, leurs yeux tranquilles,
leurs pieds minces et délicats. Ses chèvres ont aussi toute la vivacité capricieuse, toute l'élégance de leur
race : elles font penser immédiatement aux prairies escarpées des hautes Fagnes. Et ces vaches, comme elles
ruminent lentement sur l'herbe ! Comme elles paraissent satisfaites de leur pâture, de la fraîcheur de
l'ombre et de la douceur de l'air! Dans d'autres tableaux, où la lumière les inonde, comme elles semblent

PAYSAGE.

chercher du regard un abri, quelque roche qui les protège contre les aiguillons brûlants du soleil!
« Sous le rapport du travail, dit Adrien Snyers , on ne peut méconnaître que son exécution est en
même temps moelleuse et très-finie. La plupart de ses ouvrages nous montrent une couleur chaude et
harmonieuse. Il arrive à de grands effets par des moyens très-simples, très-naturels. Peu d'artistesfameux
ont su reproduire plus habilement la lumière et faire plus savamment usage de la perspective, soit linéaire,
soit aérienne. Sous presque tous les rapports, il mérite d'être comparé aux vieux maîtres hollandais. »
La conversation d'Ommeganck excitait vivement l'intérêt de ses auditeurs; il avait beaucoup réfléchi et
connaissait à fond les secrets de son art. Aussi les peintres d'Anvers étaient-ils fort désireux de
l'accompagner dans ses promenades, pour entendre ses observations. L'âge avait beau blanchir ses cheveux,

1 N° 365.
il n'attiédissait point son amour de la poésie rustique et des scènes champêtres. A plus de soixante ans,
il pouvait dire encore avec Byron : « Que de fois nous oublions le cours du temps, lorsque
nous sommes
seuls, en admiration devant le trône immense de la nature, devant ses forêts, ses nappes d'eau, ses
déserts, profonde réplique de son intelligence à la nôtre ! Ne sont-elles pas vivantes, les étoiles et les
montagnes? Les flots n'ont-ils point une âme?Les grottes humides laissent-elles couler sans émotion leurs
larmes silencieuses? Non, non, tous les objets, toutes les puissances de la création nous recherchent, nous
attirent vers leurs sphères, brisent avant l'heure nos terrestres chaînes et plongent notre esprit dans le
grand océan, où nous perdons la conscience de notre égoïste et vaine identité. Qui pense il lui-même,
quand il regarde les deux? »
Quoique Paul Ommeganck se lïit livré sans partage à des travaux bien différents de l'histoire, non-
seulement il reconnaissait la supériorité de ce dernier genre, mais il parlait des peintres qui l'avaient le
mieux traité avec une sorte de vénération. Plus d'une fois on le vit comme fasciné devant un chef-d'œuvre.
Aucun membre de la Société des beaux-arts ne veillait plus attentivement à la conservation des tableaux
que possédait le musée d'Anvers ; aucun ne. ressentit une douleur plus vive quand on les transporta au
Louvre. Lorsque ses collègues et lui se réunirent, en juillet 1815, peu après la bataille de Waterloo, dans
le but d'aviser aux moyens de les recouvrer, il manifesta une extrême impatience d'atteindre ce but.
Montrant la. nécessité de mettre à profit d'heureuses circonstances, il rappela combien avait été douloureuse
pour la ville, et spécialement pour les artistes, la perte de ces œuvres excellentes, développa tous les
motifs qui autorisaient à les réclamer, fit sentir quels avantages en retirerait l'école nationale. On rédigea
conséquemment une pétition au roi, où figuraient la plupart de ses idées. Mais ce n'était pas une petite
affaire que d'obtenir la restitution des précieuses toiles. On nomma une commission pour aller à Paris faire
de pressantes démarches; Ommeganck, Pierre van Regemorter et Odevaere la composaient. Notre artiste
ne se ménagea point, et le succès fut dû, en grande partie, à son activité. Pour le réoompenser de son
zèle, le roi Guillaume le nomma chevalier du Lion néerlandais1.
Ommeganck avait épousé une demoiselle Parent, qui lui donna sept filles et un fils; le jeune homme
ne suivit point les traces de son père; mais une des jeunes personnes hérita, dans une certaine
mesure, des facultés brillantes et sérieuses qu'il possédait, que l'histoire ne laissera point tomber dans
l'oubli.
La nature ne lui avait pas donné ce caractère engageant qui facilite, qui anime les relations; il était
généralement taciturne, concentré en lui-même, presque sévère. Dominé par son amour du bien et du
beau, par sa passion pour l'art, il ne mettait de verve dans un entretien que s'il tombait sur des matières
conformes à ses prédilections. Mais là encore, il fallait que ses interlocuteurs n'eussent pas des opinions
trop différentes des siennes. Venaient-ils à le contrarier, il gardait le silence. Tenant par-dessus tout, comme

Immerzeel prétend que cette commission fut choisie en 1814, et que le peintre de paysages, devant surtout sa réputation
1

aux Français, crut bienséant de se tenir kt l'écart, de laisser agir ses collègues. On avait mal renseigné le biographe hollandais.
La réclamation n'eut pas lieu en 1814, mais en 1815, et Ommeganck fut loin de montrer la réserve inutile dont il parle. L'éloge
prononcé vingt-cinq jours après sa mort devant la Société des beaux-arts, où tout le monde l'avait connu, renferme ce passage
décisif: « Je n'ai pas besoin de vous dire, Messieurs, quelle part il a prise à la tâche difficile de recouvrer ces objets précieux,
que de chagrins, que de soucis elle lui occasionna, que de mouvement il dut se donner avec ses braves collègues; je ne vous
apprendrais rien. Il me suffira de déclarer pour l'honneur de sa mémoire que tous les bons Néerlandais lui devront, comme nous,
une éternelle reconnaissance,devront unir son éloge aux actions de grâces méritées par le souverain qui, dans les premiers
jours d'un règne bienfaisant, a su nous remettre en possession de ces magnifiques trésors. » Immerzeel a donc tort de nier les
démarches d'Ommeganck.Il affirme cependant que son intervention causa aux Français le plus violent dépit. Le peintre ayant
exposé à Paris, peu de temps après, un tableau peint sur bois, un patriote offensé le raya, dit-il, d'un coup de couteau. L'artiste
flamand tâchait de réparer le désastre, lorsqu'un amateur lui acheta le morceau comme il était, « afin de transmettre il la postérité
le souvenir d'un acte si odieux de vandalisme », ajoute le catalogue du musée d'Anvers. Les rédacteurs, en effet, n'ont pas
manqué de reproduire cette douteuse anecdote et les erreurs qui la précèdent.

*
beaucoup dJ10mmes supérieurs, à ses idées systématiques, il n'aimait point les voir mises en question et
ne voulait pas se donner la peine de les défendre. Que lui importait que l'on pensât de telle ou telle façon?
Étudiant, cherchant, travaillant pour lui-même, il se souciait peu de faire partager ses convictions et désirait
plutôt les abriter comme une arche sainte, les 'soustraire au contact des mains profanes. Cette réserve,
cette indépendance, cette concentration morale nuisent plus que tous les vices dans le commerce du
monde. La foule aime les hommes qui se livrent complétèment à elle, ou qui, du moins, paraissent s'y
livrer. La réflexion et le travail assidu communiquent pourtant aux manières une certaine raideur, à l'esprit
un goût marqué pour l'isolement. On devrait respecter ces indices de nobles habitudes, ces traces de

' laborieux efforts, comme on respecte les chevrons ou les cicatrices d'un vieux soldat. Mais le vulgaire ne
montre d'indulgence qu'à l'égard de ceux qui n'en méritent aucune;
On trouvait chez Ommeganck toutes les vertus généralement associées aux caractères comme le sien.
Malgré la froideur de son abord, c'était un ami sincère et dévoué ; il se montrait obligeant, cordial même
envers les personnes qu'il jugeait dignes de son estime. Il aimait l'ordre, la régularité; il était économe.
N'ayant point d'ambition et craignant les perfidies du sort, il n'aurait pas joué un bien positif contre une
amélioration douteuse, risqué des avantages certains dans l'espoir de faire fortune. Religieux par sentiment
aussi bien que par conviction, il édifiait la pieuse bourgeoisie d'Anvers. Toutes ses actions témoignaient
de la plus complète droiture, et on aurait pu le proposer comme modèle aux pères de famille.
L'heure où il devait quitter ce monde arriva néanmoins. Le scrupuleux artiste mourut à Anvers le
18 janvier 1826, âgé de soixante et onze ans, et fut enseveli le 21 du même mois, dans l'église de
Saint-Charles-Borromée, suivant un usage que l'on observe encore en Belgique pour les hommes célèbres
et pour quelques personnages de la haute aristocratie. Les dessins et tableaux qui se trouvaient chez lui
au moment de son décès furent vendus l'année suivante.
Paul Ommeganck n'a publié ni livre ni brochure. Toutefois, ayant été nommé membre de l'Académie
néerlandaise, il adressa deux Mémoires à la Société, l'un concernant le beau idéal, l'autre concernant les
procédés pour peindre sur un fond clair ou sur un fond de couleur sombre. Je ne crois pas qu'on les ait
jamais imprimés.
Indépendamment du mérite de ses tableaux, Ommeganck a droit à la sympathie des connaisseurs et des
artistes par l'influence capitale qu'il a exercée. La vieille école flamande était morte; Lens tâchait d'en
créer une nouvelle, qu'il aurait modelée sur un type grec et affublée d'une draperie antique. Ommeganck a
trouvé plus naturel et plus avantageux de ressusciter l'esprit national; il a évoqué le génie des vieux
artistes flamands, et depuis lors la peinture belge marche de progrès en progrès.
ALFRED MICIIIELS.

SKiiMiœ in RMUMirRMS

Ommeganck étant un peintre moderne, on trouve seule- La galerie de Cassel, peu visitée quoique très-curieuse,
ment un petit nombre de ses tableaux dans les galeries pu- olfre aux amateurs trois compositions d'Ommeganck.
bliques, réservées en général aux productions des vieux Sur la première toile, on admire un paysage très-éclairé.
maîtres. Il faut donc chercher les siennes dans les cabinets ou un chasseur, le fusil sous le bras, chemine à gauche,
d'amateurs. tandis que, sur la droite, quatre pêcheurs tirent un filet dans
Le Musée de Bruxelles toutefois possède deux ouvrages de une rivière ; une chute d'eau écume au dernier plan.
lui : le premier figurant un site des Ardennes; le second, des Le second tableau nous fait voir un berger qui tient par la
animaux qui broutent et ruminent dans la campagne. bride un cheval portant une femme, et pousse devant lui, il
Le Musée de La Haye renferme un paysage de sa main, travers un gué, trois moutons, une chèvre et quatre vaches.
avec des moutons et un chariot ; Une lumière abondante inonde le paysage. A droite, un chas-
La galerie de Leuchtenberg, il Munich, un paysage oii deux seur, escorté de son chien, se dirige vers un bois.
pasteurs gardeiit des moutons, sur une prairie aboutissant kt Le troisième morceau figure une campagne dans laquelle
des ruines. serpente une rivière. A gauche, un moulin a vent occupe le
Outre le morceau que nous avons décrit, le Louvre pos- sommet d'une petite butte. Au premier plan, sur un pont,
sède une autre toile d'Ommeganck, qui porte le n° 364 une femme cause avec un homme assis près de l'eau. Derrière
et la signature de l'artiste: B. P. Ommeganck, 178t. Le eux, on aperçoit plusieurs vaches et plusieurs chèvres, les
premier plan montre des vaches qui broutent, une chèvre unes debout, les autres couchées.
qui piétine dans un ruisseau ; le second, un berger debout et Ommeganck doit avoir fait usage de mauvaisesimpressions
une paysanne occupée à traire une chèvre, tandis qu'un en- ou de mauvaises couleurs, car un bon nombre de ses toiles
fant boit du lait, dans une écuelle, puis une femme et un sont affreusement craquelées.
homme conduisant un troupeau de moutons. Dans le loin- A la vente de la collection Bernet, un tableau de sa
tain, on aperçoit une rivière, des chaumières et des mon- main, représentant un paysage avec des moutons, fut acheté
tagnes. 1,010 florins de Hollande.
APPENDICE

'RIIIERRY BOUTS
SK \'r.!!S t.!'j). MORT l'N 1 V 7 5

La lumière commence à peine à se faire sur le grand artiste dont nous venons d écrire le nom. Van Mander
et les anciens historiens citaient comme un des meilleurs peintres du quinzième siècle un certain Thierry de
Harlem, que, de son côté, Vasari appelait Diric di Lovanio, mais dont on ne connaissait ni les œuvres, ni la
vie. Grâce aux intelligentes recherches de MM. Van Even et Wauters, nous en savons davantage aujourd'hui.
Thierry Stuerbout ou plutôt Bouts (car c'est ainsi que son nom est écrit dans les documents récemment
découverts et notamment sur un reçu signé par le peintre), naquit a Harlem, d après une tradition que
Van Mander nous a conservée, et vers 1391, d'après les conjectures du savant archiviste de Louvain. On
ignore quel fut son maître, mais on sait, par le témoignage de Jean Molanus, que son père mourut en 1400,
sans avoir eu le temps de lui apprendre l'art qu'il pratiquait lui-même. M.
Waagen suppose, non sans
vraisemblance, que Thierry Bouts, ayant quitté la Hollande de bonne heure, vint travailler sous la discipline
de Hubert van Eyck. Toute la première partie de la vie de l'artiste demeure encore dans l'ombre : un document
daté de 1461 nous apprend qu'il était alors fixé à Louvain, et donne même à penser qu'il habitait depuis
longtemps cette ville, dont il était devenu le peintre en titre d 'office. Lomain fut en réalité pour Bouts comme
du caractère de son œuvre, que nous l avons
une seconde patrie, et c'est pour cela, aussi bien qu 'en raison
rangé parmi les peintres de l'école flamande.
Thierry Bouts se maria d'abord, vers 1450, avec Catherine van der Bruggen, et il épousa ensuite, en
1473, une veuve nommée Élizabeth van Voshem. Il eut de son premier mariage deux fils, Thierry et
Albert, qui paraissent avoir été peintres. Quant au vieil artiste, il mourut en 1475.
Chargé de la décoration de deux chapelles à 1 eglise Saint-Pierre de Louvain, Bouts peignit, pour la
première, le Martyre de Saint Erasme, et pour la seconde, un grand tableau à compartimentsdont le panneau
central représente la Cène. Ce vaste travail ne fut achevé qu'en 1467. L 'aiinée suivante, Bouts exécuta,
aujourd'hui au Musée de Bruxelles, et qui,
pour l'hôtel de ville de Louvain, les beaux tableaux qui sont
inspirés par d'anciennes légendes, représentent la Sentence inique de l'empereur Othon III, et le même
décrire ici, avec le soin qu'elles mériteraient,
empereur réparant l'injustice qu'il a commise. Nous ne pouvons
ces deux pages superbes, d'un si frappant caractère, d'une
coloration si vive. Elles ont été longtemps
attribuées à Memling et elles ne sont pas indignes de lui. Naïvement attentif à l'expression morale, Thierry
maîtres
Bouts donne aux physionomies de ses personnages un accent intime et pénétrant ; il a, comme ses
de la grande école des Van Eyck, une intelligente passion pour la vérité du détail. Le Martyre de saint
Erasme et la Cène, qui sont encore à Louvain, et les deux tableaux du Musée de Bruxelles, montrent en lui
un coloriste robuste et éclatant. Au point de vue du dessin, les académiques reprocheraient peut-être à Bouts
d'avoir démesurément allongé ses figures et de tenir peu de compte de la loi rigoureuse des proportions
humaines. Mais il ne faut pas juger les artistes du quinzième siècle flamand d'après les théories de l'école
de David. Le sentiment, chez ces maîtres naïfs et puissants, tient plus de place que la correction banale
du dessin. La renommée de Thierry Bouts est nouvelle encore ; mais elle doit grandir et s'étendre, et le
temps n'est pas loin où la critique, rendue à la juste notion de l'art, placera le vieux maître de Louvain à
côté de Rogier van der Weyden.

ANVERS. La Vierge tenant l'Enfant Jésus. — Saint Chris- d'un 'évêque.M. Waagen considère ce tableau comme une
tophe (attribution contestée). des plus remarquables productions du maître.
LOUVAIN. ÉGLISE SAINT-PIERRE. Le Martyre de saint
BRUXELLES. La Légende de l'empereur Othon Ill. Ces deux
Érasme. La Cène.
tableaux, peints pour l'hôtel de ville de Louvain, furent
MUNICH. Judas arrêtant le Seigneur.
achetés, en 1827, par le roi des Pays-Bas, au prix de
M. Waagen attribue à Thierry Bouts le Martyre de saint
10,000 florins. Vendus en 1850, avec la collection de Guil-
Hippolyte, conservé à Bruges dans la cathédrale Saint-Sau-
laume II, ils appartenaient à M. Nienwenhuys, qui les
céda au gouvernement belge, en 1861, pour la somme de veur, et qui a longtempsété donné à Memling. Ce tableau ne
30,000 francs. nous semble pas tout à fait digne du maître, et nous hésitons
un peu à partager le sentiment du savant directeur du Musée
LONDRES. CABINET DE SIR CHARLES EASTLAKE. Funérailles de Berlin.

PIERRE CRISTUS OU CHRISTOPHSEN


NÉ EN -
14.. MORT APRÈS 1472.

Les frères Van Eyck avaient à peine formulé l'idéal des écoles du Nord au quinzième siècle, que de
nombreux adhérents se groupèrent autour d'eux et adoptèrent leurs méthodes si naïves en apparence, mais
déjà si savantes. Parmi ces ouvriers de la première heure, un des plus habiles fut Pierre Christophsen, —
ou mieux Cristus, — sur le compte duquel on ne possède encore que des données incomplètes. M. Weale a
prouvé qu'il était né en Flandre, au hameau de Baerle ; mais la date de sa naissance n'est pas fixée. Il voyagea.
D'après Crowe et Cavalcaselle, il était à Cologne en 1438.Ils lls'établit plus tard à Bruges, où il obtint le droit de
bourgeoisie en 1444, et où il entra, en 1450, dans la corporation des peintres. Vasari, qui a entendu parler
de notre artiste, l'appelle Pietro Crista, et nous n'hésitons pas à le reconnaître dans le Pierre Cristus, de
Bruges, qui, ainsi que M. le comte de Laborde nous l'apprend dans son précieux livre, les Ducs de Bourgogne,
peignit en 1454, à la prière du comte d'Étampes, trois copies d'une image miraculeuse de la Vierge qui
appartenait alors à la cathédrale de Cambrai. Les récentes recherches de M. Weale nous montrent Cristus
peignant, en 1463, une grande représentation de l'Arbre de Jesse. En 1472, il vivait encore.
Il existe au Musée Stadel, à Francfort, un tableau de Pierre Cristus—la Vierge et l'Enfant Jesus-qui porte,
assure-t-on, la date de 1417 Cette date, qu'il ne nous a pas été donné de contrôler par nous-même, a été
contestée; mais nous ferons observer en passant que, pour en infirmer l'exactitude, il ne suffit pas, comme
on l'a fait, de dire que le tableau est peint à l'huile : nul n'ignore aujourd'hui que ce procédé était pratiqué
bien avant les Van Eyck. Quoi qu'il en soit, le tableau du Musée de Francfort révélerait, d'après les bons
juges, un coloriste vigoureux et savant, et cet accent de naturalisme que les deux grands peintres de Bruges
avaient mis en honneur. Le paysage sur lequel se détachent les figures appartient aussi à leur glorieuse école.
Une des plus intéressantes peintures de Pierre Cristus est celle qui a été exposée à Manchester, en 1857.
Ce tableau, qui appartenait alors au prince Albert, représente saint Pierre et sainte Dorothée, debout, se
détachant sur une tapisserie délicatement brodée d'or. Au-dessus, à peu près à la hauteur des têtes des
saints personnages, on aperçoit un paysage lumineux. Une exécution amoureusement soignée, le culte du détail
précis, un sentiment très-distingué de la couleur caractérisent, si nos souvenirs sont fidèles, l'œuvre de Pierre
Cristus. Bien que l'artiste ait aimé vers la fin de sa vie les formes un peu grêles, bien que son pinceau ait
vu diminuer son énergie, il ne doit pas moins être cité comme un des meilleursdisciples des Van Eyck.

ANVERS. Saint Jérôme. L'authenticité de ce tableau n'est avec saint Jérôme et saint François. Ce tableau, qui a fait
pas complétement établie. partie de la collection Aders, est signé : + PETRUS.XPR.ME.
BERLIN. Deux volets représentant l'Annonciation, la Nati- FECIT 1417 (?).
vité et le Jugement dernier (provenant d'une église de LONDRES. COLLECTIONDU PRINCE ALBERT. Saint Pierre et
Burgos). Le Jugement dernier porte l'inscription suivante : sainte Dorothée.
PETRUS XPR blE FECIT ANNO DOMINI MCCCCLIJ. MADRID. L'Annonciation, la Visitation, la Nativité et
COLOGNE. CABINET DE M. OPPENHEIM. Saint Éloi vendant l'Adoration des rois, quatre petits panneaux.
un anneau à des fiancés. Daté de 1449 et provenant de la SAINT-PÉTERSBOURG.Le Crucifiement, le Jugement dernier,
corporation des orfévres d'Anvers. volets d'un retable.
FRANCFORT. MUSÉE STADEL. La Vierge et l'Enfant Jésus,

GERARD VAN DER MEIRE


NÉ VERS 1 -
1427. MORT APRÈS 1474.

La seule œuvre authentique qui nous reste de Gérard van der Meire (le Christ entre les deux larrons,
à Saint-Bavon) nous montre l'école des Van Eyck déjà affadie et dégénérée. Il est vrai que l'artiste gantois
n'a pu connaître Hubert, mort en 1426, et qu'à l'heure où mourut Jean, en 1410, il n'était encore qu'un
enfant, si, du moins, il est né en 1427, comme on est en droit de le supposer. Issu d'une famille qui
des Van Eyck, dont il fut
a fourni plusieurs peintres à la ville de Gand, il se forma d'après les œuvres
plutôt l'imitateur que l'élève, et il entra dans la gilde de Saint-Luc en 1452. La date de sa mort n'est pas
des peintres.
connue; nous savons seulement qu'en 1474 il faisait encore partie de la corporation
Le grand triptyque de Saint-Bavon fut probablement le chef-d'œuvre de Gérard van der Meire. Le
volets sont figurés le Serpent
panneau central représente le Christ crucifié entre les deux larrons; sur les
d'airain et Moïse frappant le rocher. Ce tableau est en mauvais état; un nettoyage exagéré lui a fait perdre
évidemment la vigueur de sa coloration primitive; quoi qu'il en soit, et même en tenant compte de l action
destructive du temps, cette œuvre ne donne pas une très-grande idée du talent de Gérard van der Meire :
les têtes sont monotones, les mêmes expressions se reproduisent sur les visages, les corps sont maigres et
contemple,avec toutes les tristesses de
pauvres; toutefois quelques figures, notamment celle de la Vierge, qui
distingué. Dans cette vaste composition, en trois
son cœur, le cadavre de son fils, révèlent un sentiment
parties, le paysage a une grande importance, mais il ne montre qu une coloration fade et délavée . les chairs
des personnages, au lieu d'être de ce beau ton chaud et bistré qu 'on admire dans les créateurs de l 'école,
débile
sont blafardes et pâlies; on sent dans l'œuvre de Gérard van der Meire la main d'un imitateur plus
et peut-être moins convaincu.

ANVERS. Le Portement de la croix, avec ses deux volets. rine, à Hoogstraeten. M. Waagen refuse formellement d'y
Le Christ en croix. Le Christ au tombeau. Un diptyque reconnattre la main de Gérard van der Meire.
représentant, d'un côté, la Vierge, et, de l'autre, un Portrait GAND. SAINT-BAVON. Le Christ entre les deux larrons.
de femme. LONDRES. NATIONALGALLERY. Un Gentilhomme agenouillé ;
Ces divers tableaux proviennent de l'église Sainte-Cathe- auprès de lui, son patron saint Ambroise. (Acheté en 1851.)
HENRI DE BLES
NÉ VERS 1 lao-MORT VERS 1 5 50.

Le nom véritable de ce peintre n'est, pas connu. Les Flamands l'appellent Henri Met de Bles, ou Henri à
la houppe, parce qu'il avait, dit Ticozzi, « una ciocca di capelli blanchi sopra lao fronte. » De leur côté, les
Italiens l'ont surnommé Civetta, ou le Maître à la chouette, parce qu'il prenait plaisir à introduire dans ses
tableaux cet oiseau sinistre, qui est devenu comme son monogramme. Il naquit vers 1480, à Bouvigncs, dans
les environs de Dinant. Les circonstances de sa vie sont d'ailleurs ignorées ; on sait seulement qu'il habitait
Malines en 1521, et il paraît être mort à Liège vers 1550. Lanzi le fait cependant mourir à Ferrare, mais il
ne cite pas son autorité. Il est certain, toutefois, que Henri de Bles a vécu en Italie, qu'il a travaillé à
Venise, et Ticozzi rappelle, dans son dictionnaire, qu'il a décoré une chapelle dans l'église Saint-Nazaire, à
Brescia.
Henri de Bles marque la transition entre la naïve école du quinzième siècle, qu'il a vue s'éteindre, et le *
style italianisé des flamands de la période suivante. Il a traité des sujets de divers genres, mais, quel que soit
le motif qui l'inspire, il aime à détacher ses figures sur des fonds de paysage qu'il peignait avec le plus grand
soin. C'était là, à vrai dire, le meilleur de son talent, un peu bizarre et maniéré quelquefois. Ses agrestes
perspectives, — forêts, montagnes ou gazons,
— sont surchargées de détails et compliquées de rochers ou de
verdures intenses et sombres. On retrouve en lui l'exagération du système naturaliste inauguré par Jean
van Eyck. Le Maître à la chouette est toutefois un peintre curieux et il mérite une place dans l'histoire du
paysage en Flandre.

ANVERS. Le Repos en Égypte. Au premier plan, saint DRESDE. Un colporteur depouillépar des singes.
Joseph endormi. On aperçoit, sur un arbre, une chouette, FLORENCE. L'Intérieur d'une mine.
qui est la marque et comme la signature du maître. Ce LONDRES. COLLECTION DU PRINCE ALBERT. Le Christ en
tableau a fait partie de la collection Van Ertborn. croix.
BALE. Une Sainte Famille, dans un paysage. MUNICH. La Salutation angélique. L'Adoration des mages.
BERLIN. Portrait d'homme, dans un paysage. Ce dernier tableau est signé : Henricus Blessius f. C'est la
BRUGES. ÉGLISE NOTRE-DAME. L'Annonciation et l'Ado- seule signature du maître que nous connaissions.
ration des mages, diptyque. VIENNE. La Fuite en Égypte. Prédication de saint Jean-
BRUXELLES. La Tentation de saint Antoine. (Acheté en Baptiste. Le Bon Samaritain. Les Disciples d'Emmaus.
1856 au prix de 400 francs.)

JOACHIM PATENIER
'l-É VERS i49 0. MORT VERS 1548.

Joachim Patenier ou Patenir est, avec Henri de Bles, un des premiers flamands (lui aient donné au
paysage une importance spéciale. Il était le compatriote et presque le voisin du Maître à la chouette, étant
né à Dinant, vers 1490. C'est sans doute en souvenir de sa ville natale qu'il ajoute d'ordinaire à son nom
la lettre D. Ayant de bonne heure quitté son pays, il vint se fixer-à Anvers, et en 1515, il y fut reçu maître de
Saint-Luc. Albert Durer, voyageant en Flandre en 1520, assista, comme il l'a raconté lui-même, au mariage
de Patenier, fit son portrait et se lia avec lui. C'est il peu près tout ce qu'on sait de la vie de Patenier.
Il mourut en 1545, d'après M. Waagcn, et en 1548, d'après le catalogue du musée d'Anvers.
Joachim Patenier, dont les œuvres sont précieuses et rares, a toujours peint ..comme un artiste qui,
ayant vu finir le quinzième siècle, persista à l'aimer d'un cœur fidèle. Son pinceau délicat et sincère se
plaît aux colorations puissantes. Les figures, presque toujours de petite dimension, qui animent ses paysages,
sont ordinairement d'une autre main que la sienne. Il paraît toutefois avoir peint quelques sujets religieux,
comme Henri de Bles, avec lequel Patenier a plus d'un point de contact, bien qu'il lui soit supérieur pour
la finesse de l'exécution et aussi pour le sentiment. Ami d'Albert Durer, dont il a certainement admiré les
œuvres viriles, il accumule les détails dans les fonds et il accuse d'une touche trop précise les particularités
locales qui devraient se noyer et se perdre dans le lointain des horizons. En cette époque intermédiaire, où
le paysage s'affirmait à peine, Patenier a toujours conservé quelque chose de la patience du miniaturiste.

ANVERS. La Fuite en Égypte ( lithographiéeen 1835 dans que les figures soient de Patenier. On les a attribuées à
le Messager des Sciences historiques). Ce tableau porte l'in- Mostaert.
scription suivante : opus IOACIIIM D. PATINIR. Nous la repro- LONDRES.COLLECTIONDU PRINCE ALBERT. Saint Christophe.
duisons ci-après. — Saint Jean dans l'île de
Pathmos. — La Madeleine. — L(,
BRUXELLES. La Vierge de douleurs. Au centre, la Vierge Crucifiement.
tenant le cadavre du Christ. De chaque côté, des médaillons MUNICH. La Fuite en Égypte.
représentant la Circoncision, la Fuite en Égypte, Jésus parmi VIENNE. Le Baptême de Jésus-Christ. Signé : OPUS.lOACIIIM.
les docteurs, le Portement de la croix, le Crucifiement D.PATlNIER. Le Martyre de sainte Catherine,dans un paysage.
et la Mise au tombeau. Fond de paysage. Il est douteux Saint Jérôme.

LANCELOT BLONDEEL
NE VERS 1 496 .— MORT EN 158 1.

Bien qu'il n'ait pas marqué au premier rang, Lancelot Blondeel mérite d'être cité parmi les artistes
flamands dont le talent se réchauffa aux tièdes rayons de la Renaissance. On sait qu'en 1520, il travaillait
déjà pour la ville de Bruges; quant à la date de 1496, indiquée comme celle de sa naissance, elle est tirée
d'un passage du vieux poëte brugeois Édouard de Dene, qui, dans des vers cités par M. James Weale, nous
apprend que Blondeel avait soixante-cinq ans lorsqu'il mourut, en 1561. Le même poëte raconte qu'avant
de pratiquer la peinture, il avait exercé le métier de maçon et qu 'il devint ensuite très-savant
dans
l'architecture. Blondeel n'a pas renié ces humbles origines : lorsqu'il signe ses tableaux, il ajoute d'ordinaire
une truelle aux initiales de son nom.
tard la
Lancelot Blondeel fut reçu, en 1530, dans la corporation des peintres de Bruges, qui lui conféra plus
dignité de Vinder. Il maria sa fille à Pierre Porbus, ainsi que nous l'avons dit dans la biographie de ce maître.
il donna les plans et le
Des travaux incessants et bien divers occupèrent sa vie. Architecte juré du Franc,
dessin de la grande cheminéequ'on admire aujourd'hui au palais de justice de Bruges. Il
était ingénieuraussi,
utilité municipale.
et les échevins eurent plus d'une fois recours à lui pour les grands travaux d
Il reste, en outre, de Lancelot Blondeel quelques tableaux curieux qui, presque tous,
sont encore à Bruges.
dorés d'un goût parfois
Ils sont faciles à reconnaître, parce que l'artiste se plaît à y introduire des ornements
un peu bizarre, mais inspiré par le style de la
Renaissance. Les tableaux que nous connaissonsde lui sont des
moins ce que nous savons
sujets religieux; Blondeel paraît cependant avoir touché à tous les genres. C est du
peintre ecceltente in far fuocchi,
par Vasari, qui l'appelle Lancilotto et qui le considère comme un
iiotti, splendori, diavoli e cose somigliante.
BRUGES. ACADÉMIE. Saint Luc peignant la Vierge. Ce SAINT-JACQUES. La Legende de saint Côme et de saint
tableau, qui appartenait autrefois à la corporation des pein- Damien, tableau en trois compartiments, peint en 1523,
tres, porte la date de 1545 et le monogramme du maître. pour la corporation des barbiers.
Nous le reproduisonsci-dessous. CONFRÉRIE DE SAINT-GEORGES. Saint Georges terrassant
CATHÉDRALE SAINT-SAUVEUR. La Vierge avec saint Luc et le dragon.
saint Éloi. 1545

JEAN VAN HEMESSEN


MÉ VERS 1S00. — MORT APRÈS 1SSS.

Les érudits ont longtemps discuté sur la question de savoir si Jean van Hemessen doit être rangé dans
l école flamande ou dans l'école hollandaise. Pour
nous, nous croyons qu'il faut tenir quelque compte du
témoignage de Guichardin, qui, dans sa Description des Pays-Bas, prétend
que Van Hemessen est né aux
environs d'Anvers. Nous accepterions donc volontiers la conjecture émise par M. de Laet, et,
comme lui,
nous le croyons originaire de Hemixen, village situé auprès de cette ville. L'artiste aurait pris, dans ce
cas, le nom de son pays, ainsi qu'il était d usage à cette époque. Remarquons, à ce propos, que Vasari
ayant cité Van Hemessen dans son curieux chapitre sur les peintres des Pays-Bas, les derniers éditeurs du
biographe arétin ajoutent en note, qu'il y avait autrefois à Londres, dans la collection Woodhurn,
un portrait signé Johannes Sandel's de Hemessen pingebat, 1532. Nous ne voulons formuler ici aucune
affirmation hasardeuse, mais, s'il était prouvé que ce portrait fut de sa main, le nom véritable de Hemessen
serait Sanders.
Van Mander assure que Jean van Hemessen a habité Harlem. Un fait certain, c'est
que, dès 1537, il
était affilié à la gilde de Saint-Luc, à Anvers, et que, dix ans après, il exerçait les fonctions de doyen de
la corporation. C'est là, à peu près, tout ce qu'on sait de sa vie; mais des dates qu'il inscrites
a sur ses
tableaux on peut inférer qu'il n'est mort qu'après 1555
L 'œuvre de Van Hemessen révèle un artiste qui, bien
que l'art du seizième siècle eût déjà donné toutes
ses fleurs, tenait encore pour la peinture ancienne, et même, si l'on a le droit de le dire, pour la peinture
barbare. Son point de départ est dans Jean de Mabuse et dans Quentin Matsys; il les a imités quelquefois,
il ne les a pas compris. Ses types. sont violents, son dessin exagéré et
sauvage. Van Hemessen va, sans
méthode et. sans mesure, jusqu aux* contins de la laideur. Son coloris abonde
en tons bruns et durs ; ses
ombres sont lourdes; mais il y a chez lui une certaine recherche de l'expression, et sa naïve énergie
ressemble à de l'originalité.

ANVERS. MUSÉE. Conversion de saint Mathieu.


— Sainte
LONDRES. COLLECTION DU PRINCE ALBERT.
BRUXELLES. Descente de croix, triptyque. Le panneau Ursule — L'Adoration des rois.
cen-
tral représente le Christ descendu de la croix. Snr les volets MUNICH. Isaac bénissantJacob. Vocation de saint Mathieu.
sont figurés l' Arrestation de Jésus au jardin des Oliviers, la Saint Jean prêchant dans le désert. La Sainte Famille, signé
Résurrection et divers sujets épisodiques. Johannes de Hemessen p. 1541.
LOUVRE. Le Jeune Tobie rend la vue à son père. Important VIENNE. La Vocation de saint Mathieu (1537). Même
tableau signé : Joanes de Hemmessen 1555 inventor el sujet, avec quelques variantes (I:H8\ Saint Guillaume.
pictor. - Portrait de Jean de Mabuse.
JOSSE VAN CLEEF
NK VERS 1500 (?J. — MORT APRÈS 15ii6.

Nous demandons pardon de répéter toujours la même chose, et d'avoir à dire, à propos de Josse van
Cleef, comme de tant d'autres, que nous ignorons les dates de sa naissance et de sa mort, ainsi que les
principales circonstances de sa vie. Mais ici, nous regrettons d'autant plus d'être si mal informé, que Josse
van Cleef est incontestablement un des meilleurs portraitistes flamands du seizième siècle, un de ceux qui se
rattachent de plus près à la grande école du maître de la sincérité, Hans Holbein.
Le nom de Van Cleef ou Van Clève se rencontrant fréquemmentdans les archives de la gilde de Saint-Luc
d'Anvers, il n'est pas certain que notre artiste soit le même que le Joos van Clève qui. d'après la nomenclature
conservée au musée de cette ville, fut trois fois doyen dela corporation, en 1519, 1520 et 1525. Dans la liste
que M. Alfred Michiels a publiée à la fin de son livre sur Rubens, figure aussi un Josse van Clève, qui, à la
date de 1520, aurait travaillé pour la cathédrale d'Anvers. On n'ose pas l'identifier avec notre Van Cleef,
qui fut, avant tout, portraitiste, et qui fut employé en cette qualité par François Ier. C'est du moins ce
qu'on sait par le témoignage de Vasari, qui le mentionne avec honneur : Gran coloritore, écrit-il, e raro in
far ritratti di naturale.
Josse van Cleef paraît avoir travaillé en Angleterre. Il y serait venu vers 1550, sous Edouard VI, et aurait
vécu à Londres jusqu'en 1556. Ce sont les dates données par Horace Walpole: nous ne sommes pas en
mesure de les contrôler. D'après l'historien anglais, Van Cleef, n'aurait réussi qu'à moitié pendant son séjour
en Angleterre, sa raison se serait plus ou moins altérée; de lit le nom qu'on lui donne parfois : « Van
Cleef-le-Fou. » De retour dans les Pays-Bas, il y serait mort pauvre et oublié.
Quoi qu'il en soit, il reste de ce savant artiste des portraits excellents, qui rappellent un peu ceux de son
contemporain Antoine More, et qui n'ont ni moins d'éclat ni moins de vérité. Les curieux qui ont étudié la
grande exhibition de Manchester, en 1857, n'oublieront jamais le superbe portrait de Josse van Cleef, peint
par lui-même, qui avait été prêté par lord Spencer, et deux autres portraits empruntés à une église d'Oxford.
« Van Cleef, écrivait à ce propos M. Charles Blanc, rappelle
l'intimité, la délicatesse du dessin d'Holbein,
l'agréable intensité de son coloris, ses fonds d'un vert décidé, son exécution attentive aux détails et charmante
par cela même. Il sert de transition entre Holbein et Antoine More. » Il n'y a, disons-le bien vite, aucune
trace de folie dans ces peintures loyales où la nature est admirablement étudiée et comprise.Les carnations
sont exubérantes de vie, lumineuses et peut-être un peu rouges. Il y a chez Josse van Cleef comme une
première aurore des tons flamboyants de Jordaens.

ANGLETERRE. CABINET DE LORD SPENCER, A ALTHORP. D'après Horace Walpole, Van Cleef n'aurait pas été seule-
Portrait de Josse van Cleef, en buste. L'artiste porte une ment un excellent portraitiste : Charles Ier possédait de sa
toque et un pourpointnoir. Sa barbe est brune. main un tableau, Mars et Vénus, et la collection de Jacques II
OXFORD. Deux portraits d'homme, exposés à Manchester renfermait un Jugement de Pâris et une Nativité. Le catalo-
en 1857. gue de Rubens mentionne, en outre, les Pélerins d'Emmaiis,
WINDSOR. Portrait de l'artiste et de sa femme. par Van Cleef-Ie-Foi.

LAMBERT SUSTERMAN
NÈ EN 150 G.
— MORT EN 1560

Lambert, Lombard, ou, pour lui rendre son véritable nom, Lambert Susterman, ne fut pas sans doute un
artiste de premier ordre, mais il exerça sur l'école flamande une influence capitale. Peintre, archéologue
et poëte, fut vraiment un homme du seizième siècle, se mêlant à toutes choses, et également attentif
il

au mouvement des esprits et aux progrès de l'art. Vasari, qu'il est toujours bon de consulter sur ses
contemporains, le qualifie de qran letterato, giudizioso pittore ed architetto eccellentissimo. Né à Liége,
en 1506, Lambert Susterman reçut quelques leçons d'un peintre peu connu, Arnold de Beer, et se lia
ensuite avec Jean Gossaert de Mabuse, qui fut son véritable maître, et qui, en lui parlant de l'Italie,
l'enflamma d'un beau zèle pour l'art ultramontain. Protégé par l'évêque de Liége, il s'attacha à la fortune du
cardinal Réginald Pole et le suivit en Italie; mais, s'il est vrai que ce voyage n'ait eu lieu qu'en 1538, les
auteurs du catalogue du Musée d'Anvers se sont mépris en affirmant que Lambert Susterman travailla sous
la discipline d'André del Sarte, qui, on le sait, était mort dès 1530. Les maîtres que l'artiste liégeois suivit
en réalité, ce furent ces peintres milanais qui continuaient de leur mieux Léonard. Comme eux, Lambert
chercha les séductionsdu modelé délicat, les carnations doucement caressées, enfin, ce qu'on appelle si bien
la morbidesse. De retour à Liége, à une époque que nous ne saurions préciser, il fut accueilli comme un
maître deux fois respecté, d'abord parce qu'il avait connu Jean de Mabuse, et ensuite parce que, revenant
de la Lombardie, il en conservait, dans sa peinture et dans sa parole, le parfum et la séduisante saveur.
Susterman ne fit pas souvent usage de son pinceau, mais il forma, par ses conseils bien plus que par ses
exemples, de nombreux élèves, parmi lesquels il suffit de citer Frans Floris. Il a peint des sujets
religieux et des portraits dans cette manière italico-flamande, qui eut alors tant de succès, mais qui, il
faut bien le dire, était un danger pour l'école, un moment menacée dans l'essor de son originalité native.
Dans ses curieuses études sur la ville de Liége, M. le baron de Villenfagne prétend que Lambert Lombard
vivait encore en 1565 : l'inscription qui figure sur l'estampe de son portrait, gravé par Théodore Galle,
indique qu'il est mort a.Liège en 1560. Cette date est adoptée par les rédacteurs du catalogue du Musée
d'Anvers et par M. Waagen, double autorité qui compromet quelque peu celle de M. le baron de
Villenfagne.

ANVERS. Portrait d'un jeune homme (provenantdu cabinet BRUXELLES. La Cène, tableau daté de 1531.
de M. Danoot, à Bruxelles). MUNICH. Le Christ mort, sur les genoux de la Vierge.
BERLIN. La Vierge avec l'Enfant Jésus endormi. VIENNE. L'Adoration des bergers.

JE AN SNELLINCK
NÉ EN 15 4'». EN 1 638.
— MOK T

On n'a longtempspossédé sur Jean Snellinck ou Van Snellinck que le superbe portrait que Van Dyck a
fait de l'artiste et les quelques lignes qui lui ont été consacrées par Van Mander et par Corneille de Bie.Mais
les érudits de la Belgique, toujours habiles à découvrir ce qu'on ignore, sont parvenus à tirer du néant la
biographie du peintre et à reconstituer en grande partie son œuvre. D'après les recherches de MM. Van
Lérius, Génard et Vander Meersch, Jean Snellinck, qu'il convient d'appeler le Vieux, pour le distinguer de
son fils, est né à Malines en 1544. Il vint de bonne heure se fixer à Anvers, ou du moins il s'y maria, en
1574, avec Hélène de Jode. Il mourut en 1638. Breughel de Velours, Pierre Breughel-le-Jeune, Jean de
AYael et la plupart des peintres de l'époque étaient les amis de Snellinck. L'archiduc Albert employa
souvent son pinceau, ainsi que le comte de Mansfeld, gouverneur de Luxembourg. Van Mander raconte
que Snellinck a peint des batailles. L'assertion n'a rien d'invraisemblable, mais nous devons dire que tous
es tableaux de lui que nous connaissons représentent des motifs religieux. Les églises et les couvents de la
Flandre firent beaucoup travailler Snellinck, qui a dessiné aussi des patrons de tapisseries. Ce fut d'après
ses modèles que Georges Ghuys, le tapissier d'Audenaerde, fit exécuter la
série de tentures qui raconte
l histoire de Zénobie, reine de Palmyre.

Un des tableaux les plus intéressants de Jean Snellinck est conservé au musée d'Anvers. C est une grande
composition, datée de 1597, et représentant le Christ entre les deux larrons. A cette époque Rubens
avait vingt ans. Mais — l'œuvre de Snellinck le prouve — l'école flamande se préoccupait déjà de peindre
des chairs lumineuses et pour ainsi dire vivantes. Les figures du vieux Snellinck montrent, dans ce tableau
du moins, ces carnations blanches et roses que Van Balen va imiter tout à l'heure, et qui séduiront plus tard
Rubens, Jordaens et tous les peintres d'Anvers.

ANVERS. MUSÉE. Le Christ entre les deux larrons, signé MAUNEs. SAINT-ROMBAUT. La Résurrection de Jésus-Chris
J. Van Snellinck 1.5.9.7. Tableau donné au Musée, en 1860, (1601).
ÉGLISE SAINTE-CATHERINE. La Descente du Saint-Esprit
par M. Moons van der Straelen.
AUDENAERDE. ÉGLISE NOTRE-DAME. Adam et Eve, trip- .
3606)
Nous reproduisons ci-dessous la signature du tableau du
tyque.
SAINTE-WALBURGE. La Transfiguration (1616). L'Exalta- Musée d'Anvers.
tion de la Vierge.

BARTHÉLÉMY SPRANGER

N'Il-, EN \
J;¡ 6. MORT EN 1 625.

A voir les tableaux de Barthélemy Spranger, on a quelque peine à comprendre qu'ils soient l'œuvre d 'un
pinceau flamand. Spranger — ou Sprangers — était cependant né à Anvers, en 1546; mais le génie italien
complétement la langue de son pays. Il
exerça sur lui une séduction si irrésistible, qu'il oublia presque
avait traversé la France : dans un passage curieux, et qui mériterait d'être expliqué, Descamps raconte
que Spranger était venu à Paris, en 1563, et qu'il avait
travaillé chez Marc, peintre de Catherine de
Médicis, qui faisait des portraits « en détrempe. » Est-ce Marc Duval? On l 'i«noi,e, et c est là un point
qu'il serait bon d'éclaircir. Quoi qu'il en soit, Barthélémy Spranger, arrivé en Italie, y mena d abord une
vie difficile et précaire; mais, la fortune s'étant enfin décidée à sourire à ses efforts, il travailla pour le
prolongea jusqu'en 1575. Il vint
pape Pie Y et pour plusieurs grands personnages. Son séjour à Rome se
ensuite, avec la recommandation de Jean de Bologne, se fixer en Allemagne, à la cour de Maximilien II,
patrie,
et il fit pour lui et pour son fils Rodolphe d'importants ouvrages décoratifs. Après avoir revu sa
M. Waagen.
en 1602, il retourna à Prague, et il y mourut en 1625, d'après
mythologies
Spranger, dont le talent est peu connu en France, avait cessé d'être flamand. Peintre de
ou de sujets religieux, il a les défauts violents, le
dessin exagéré des Italiens, qui déjà se hâtaient d'un
fidèle interprète. Toutefois, Spranger a montré
pas si rapide vers la décadence. Il a trouvé dans Goltzius un
ressemblance et la
plus de sagesse dans le portrait, dont il avait fait une étude spéciale. Il cherche la
vérité ; il est singulièrement attentif aux délicatesses du modelé. Spranger était un de ces maîtres qui
ont besoin d'être conseillés et soutenus par l'éternelle institutrice, la nature.

ANVERS. CABINET DE M. VERLINDE. La Madeleine. Venus et Mercure. Apollon et les Muses (signé Bar. Spran-
Hercule chez
FLORENCE. Portrait de l'artiste. gers f.). Les Vertus de Rodolphe II, allégorie.
TURIN. Le Jugement dernier. Omphale (signé Bar. SprangersAnt. fecit). Vulcain et Mata.
VIENNE. Ulysse chez Circe. Mercure surprenant Vénus Le Triomphe de la sagesse. Portrait de l'artiste. Portrait de
dans les bras de Vulcain. Circè tenant la coupe magique. sa femme.
ADAlVI VAN NOORT
KK EN 1557. — MORT E 1641

Le Musée d'Anvers possède seize tableaux de Lambert van Noort, qui fut, à vrai dire,
un peintre assez
ordinaire; mais il ne peut malheureusement montrer aucune œuvre de son fils, Adam
van Noort, l'habile
maître qui eut l'honneur de contribuer à former Rubens. Ses tableaux sont d'ailleurs d'une insigne rareté,
et les habitants d'Anvers ne se rendent vraiment compte du mérite de ce puissant coloriste
que depuis le
jour où un généreux amateur a fait don à l'église Saint-Jacques d'une peinture, qui est
sans doute le
chef-d'œuvre de Van Noort, et dont nous aurons tout à l'heure à dire un mot.
D après les documents, incomplets encore, qu'on possède
sur lui, Adam van Noort, né à Anvers en 1557,
fut élève de son père. Il n'est pas certain qu'il ait fait le voyage d'Italie, et il semble même résulter d'un
propos attribue à Rubens qu'il n'aurait pas quitté la Flandre. Nous remarquerons cependant que Van
Noort ne fut reçu maître de Saint-Luc qu'en 1587, réception tardive, qui semble impliquer
un voyage
antérieur. En 1598, Adam van Noort était doyen de la corporation; en 1600, il travaillait
pour la cathédrale
d 'Anvers. Il vit successivement entier dans son atelier divers élèves qui devinrent des maîtres, tels
que
Rubens et Jacques Jordaens, qui épousa sa fille en 1616. L'excellent artiste mourut
en 1641. On nous
permettra de rejeter comme fabuleux, ou tout au moins comme très-exagérés les contes si souvent répétés
qui font de Van Noort un pilier de tavernes, un homme brutal, odieux à sa famille et détesté de ses élèves.
S 'il en avait été ainsi, Rubens ne serait pas resté quatre
ans dans son atelier et la gilde de Saint-Luc ne
lui aurait pas confié le décanat. Nous croyons, toutefois, qu'Adam
van Noort ne fut pas des plus laborieux,
puisqu 'oii ne cite de lui qu'un très-petit nombre de tableaux. Nous
sommes également prêt à reconnaître
que son talent eut des inégalités et des défaillances.
Mais comment ne pas admirer Adam van Noort, comment
ne pas saluer en lui le véritable maître de
Rubens, lorsqu 'on a vu à l église Saint-Jacques son œuvre principale, Saint Pierre présentant à Jésus-Christ
le poisson qui contient la pièce d'argent du tribut? C'est là
une peinture excellente, de la coloration la
plus franche et la plus vive, une page d'une exécution magistrale. Il est difficile d'avoir
un pinceau plus libre
et plus fort, un sentiment meilleur de la lumière. Il n'est que juste de signaler aussi dans le 1ableau de Van
Noort une prescience intelligente de toutes les qualités qui devaient être, quelques années après, l'honneur
de l école d 'Anvers. Rubens et Jordaens ne sont-ils
pas contenus en germe et annoncés d'avance dans cette
page éclatante et virile?

A-,VERS. ÉGLISE SAINT-JACQUES. Saint Pierre présentant construites dans le goût italien. Au premier plan, une cor-
à Jésus-Christ le poisson qui contient la drachme du tribut beille remplie de fruits et de fleurs.
(donné en 1844 par M. Antoine van Camp). DARMSTADT La Femme adultère.
.
BRUXELLES. Jésus appelant à lui les petits enfants. Les GAND. ÉGLISE SAINT-MtCHEL. La Guérison d'un malade
figures sont groupées à l'entrée d'une rue bordée de maisons
par la médiation de la Vierge.

JOSSE DE MOMPER
:\É Y EKS 155 9. -MORT EN 163 4 OU 16 S 5.

Malgré la confusion qui règne encore entre les membres de la famille des Momper, on est autorisé à
penser que le plus habile d'entre eux, Josse ou Jodocus de Momper, est né, vers 1559, à Anvers. Il fut
inscrit en 1581, comme fils de maître, sur les registres dela gilde de Saint-Luc. Son œuvre semble prouver
qu'il a voyagé, car il se complaît dans les grandes perspectives accidentées, dans la représentation des
montagnes ; l'inscription qui figure au bas de son portrait le qualifie même de pictor montium. Josse de
Momper se maria à Anvers en 1590, devint doyen de Saint-Luc en 1611, forma un grand nombre d'élèves
dont les noms sont demeurés obscurs, et mourut pendant l'année administrative 1634-1635.
Momper, dont on rencontre assez fréquemment les paysages clairs, légers, un peu fantastiques, a eu
pour amis et pour collaborateurs Pierre Breughel, François Francken le jeune, Il. van Balen et le vieux
Teniers. Les naïves figurines dont ils ont étoffé ses tableaux s'enlèvent en vigueur sur ses perspectives, où
dominent les terrains d'un gris jaunâtre, où les horizons lointains s'estompent, dans le bleu. La peinture de
Josse de Momper n'est bien souvent qu'un frottis léger qui couvre à peine la toile. La plupart de ses
tableaux, où la chimère tient quelque place, ont subi par l'action du temps une décoloration qui les affadit
un peu.

AIX-LA-CHAPELLE. GALERIE SUERMONDT. Un Paysage, a\CC DRESDE. Trois paysages.


le monogramme du maître formé d'un J et d'un M. LILLE. Vue des Alpes.
AMSTERDAM. Paysage montagneux. Un gentilhomme t'ait NANTES. Ruines au bord de la mer. Les Pêcheurs.
l'aumône à un pèlerin. VIENNE. Paysage avec des montagnes.
ANVERS. Un Épisode de la vie de l'archiduc MœrÚniliell, VENTE BLONDEL DE GAGNY, 1776. Un Prêtre célébrant
paysage orné do figures par François Francken le Jeune, Ce la messe dans une grotte; figures de Breughel de Velours.
tableau provient de l'abbave de Tongcrloo. 600 livres.

WENCESLAS COEBERGER
:'i¡.: VI? IIS 1 5fiO. — MORT EN 163

Wenceslas Coeberger on Koeberger, qu'on suppose être né à Anvers en 1560, fut l'élève de Martin de
Vos : c'est assez dire qu'il se rattache à cette école intermédiaire, et peut-être trop savante, qui regardait
comme surannés les maîtres naïfs de la période primitive et ne prévoyait pas encore les grandes audaces
de Rubens. En sortant de l'atelier de Martin de Vos, Coeberger se rendit en Italie, en traversant la France;
il habita longtemps Rome et Naples, et ne revint à Anvers qu'en 1605. A son retour, il fut nommé maître
de Saint-Luc, et il obtint la protection de l'archiduc Albert, qui l'appela à Bruxelles et le chargea de travaux
de toutes sortes, car W. Coeberger était à la fois architecte, ingénieur et peintre. Il remplit même des
fonctions administratives, puisqu'il fut chargé de l'organisation et de la direction du mont-de-piété,
institution d'origine italienne que l'artiste a contribué à introduire en Flandre. Wenceslas était d'ailleurs un
lettré ; il avait le goût des antiquités et des médailles, et les archéologues du temps eurent souvent recours
à son érudition. Il mourut à Bruxelles en 1634.
Wenceslas Coeberger, constamment occupé d'architecture et de travaux d'utilité publique, n'a laissé qu'un
petit nombre de tableaux. Sa manière froide et patiente combine, non sans habileté, le principe italien avec
le style flamand.

ANVERS. ÉGLISE SAINT-JACQUES. Constantin adorant la - BRUXELLES. La Mise au tombeau, daté de 1605 et pro-
croix retrouvée par sainte Hélène (1605). Ces deux ligures venant de l'église Saint-Géry, qui a, dit-on, été construite
sont les portraits de Josse Robyns et de sa femme. d'après les dessins de Coeberger lui-même.

SÉBASTIEN VRANCX
NÉ VKRS 1 568. MORT EN 18i7.

On nous permettra de nous affranchir ici de l'autorité de la tradition, et de considérer


Sébastien Vrancx
comme un peintre étranger à la famille des Francken, à laquelle on le
rattache d 'ordinaire. Nous n ignorons
dans les documents
pas que l'orthographe du dix-septièmesiècle a eu de singuliers caprices; nous savons que,
du temps, le Y et l'F sont bien souvent confondus ou arbitrairement employés; mais nous remarquons
aussi que le liggere dela gilde de Saint-Luc d'Anvers semble vouloir distinguer Vrancx Francken, et que de
les registres des anciennes paroisses, curieusement interrogés, n'ont encore révélé aucun lien de parenté
entre l'artiste que nous appelons Sébastien Vranex, parce qu'il a signé ainsi, et les trois frères Ambroise,
Jérôme et François Francken. Déjà, dans son livre sur les Musées de la Hollande (II, p. 331), M. Burger
avait manifesté ses doutes au sujet de l'identification de Sébastien Vrancx avec un Francken quelconque. Qui
sait si de nouveaux documents, bientôt découverts, ne viendront pas nous apprendre que notre artiste, au
lieu de descendre du vieux Nicolas Francken d'Hérenthals, est un parent de ce Pierre Vrancx, qui, d'après
la liste publiée par M. Alfred Michiels, aurait travaillé en 1542 à la cathédrale d'Anvers? Pour nous, nous
croyons à l'existence de deux familles distinctes, et nous séparons ce qui a été trop longtemps confondu.
Nous agirons avec la même liberté en ce qui concerne la date de naissance de Sébastien Vrancx. Le
millésime 1573, qu'on indique d'ordinaire, n'est appuyé sur aucun document positif : il se concilie mal
avec les œuvres de l'artiste; son épitaphe, publiée par M. Kramm, et reproduite par M. Burger, donnerait
d'ailleurs à penser qu'il est fils de Pieter Vrancx, marchand de soieries, et d'Élisabeth van Elsbeke, morte
en 1569. Si cette filiation, douteuse encore, était rigoureusement établie, Sébastien Vrancx serait né avant
le 19 février de cette année. Nous adoptons provisoirement une date approximative, 1568.
La vie de Vrancx est d'ailleurs assez mal connue. On le dit élève d'Adam van Noort, et il est plus que
probable qu'il a passé sa jeunesse en Italie. Il y était du moins estimé et recherché dès 1597, ainsi qu'il
résulte de la grande planche gravée alors à Rome, d'après une de ses compositions, la Conversion de saint
Paul. Cette estampe, qui porte l'inscription Sebastianus Vrancxus inven. Calist-us Ferrantes exe. Rom.
1597, est dédiée à Razalio, auditeur de rote. On a quelque raison de supposer que ce tableau, si fidèle
encore au style qui marqua la fin du seizième siècle, a été peint à Home. Quoi qu'il en soit, Vrancx était
de retour à Anvers en 1601, et c'est alors qu'il fut reçu maître de Saint-Luc.
En 1606, J. Matham grava une autre composition de Sébastien Vrancx, les Pèlerins d'Ei)inîaüs, grande
pièce à la manière de Breughel, où le sujet principal disparaît noyé dans les fantaisies de l'accessoire :
c'est une véritable paysannerie flamande. Quelque temps après, en 1612, Sébastien Vrancx était doyen de
Saint-Luc, et il donnait le dessin d'une coupe d'or qui fut ciselée par Adrien Yalck et dont il nous reste
une exacte représentation parmi les orfèvreries qui enrichissent le portrait d'Abraham Grapheus, peint
par Corneille de Vos. En 1618, il exécuta, avec H. van Balen et François Francken le Jeune, le blason
emblématique qui obtint le prix au concours. Cette œuvre existe encore chez un amateur d'Anvers.
Sébastien Vrancx devint quartinier et capitaine de la garde bourgeoise. C'est pour cela sans doute que
Van Dyck l'a représenté appuyé sur son épée, dans le beau portrait qui a été gravé par Bolswert. Il perdit,
en 1639, sa femme, Maria Pamfi (n'est-ce pas une Italienne?) et sa fille Barbara. Lui-même, il mourut le
10 mai 1647. On connaît sa fière devise : « La vertu marche sans crainte. »

ANVERS. CABINET DE M. L. REYNWIT. Blason de la cor- W. Hollar a gravé d'après Sébastien Yrancx un paysage, les
poration de Saint-Luc, peint en 1618 avec H. van Balen et Environs d'Anvers, qui ressemble tout à fait à un Breughel
FrançoisFrancken le Jeune. de Velours.
ROTTERDAM. Un Village pillé par des gens de guerre, signé On trouve dans le catalogue de la collection de Rubens la
S. Vrancx. mention de deux peintures de S. Vrancx : Une Bataille, et
VIENNE. L'Intérieurde l'église des Jésuites à Anvers, signé le sujet si souvent traité par le vieux Breughel, l'Aveugle
S. Vrancx.Un Convoi de marchandisespillé par des soldats. conduisant l'aveugle.

NICOLAS ROOSE
NÉ E:-i 1 57 S -- MORT EN 16 46.

Lorsqu'on admire, dans la cathédrale de Gand, le tableau célèbre où Rubens a représenté saint Bavon
distribuant ses richesses aux pauvres au moment d'embrasser la vie religieuse, on a les yeux trop éblouis
par cette lumineuse peinture, pour s'apercevoir qu'il existe dans la même chapelle un autre tableau qui
serait vraiment digne d'attention s'il n'avait à souffrir d'un aussi redoutable voisinage. Cette composition,
de la Vierge dans le ciel, — est l'œuvre d'un habile peintre gantois, Nicolas de Liemakere,
— VEntrée
surnommé Roose.
Né en 1575, Nicolas Roose travailla d'abord sous la discipline de Marc Gueraert ou Garrard le père,
ensuite sous celle d'Otto Venins, chez lequel il a du connaître Rubens. Cette liaison lui fut des plus
profitables; car, bien qu'il n'appartienne pas à la grande famille des maîtres d'Anvers, bien qu'il n'ait
jamais eu leur coloris éclatant et lumineux, Roose se rattache à Rubens par une sorte de fougue dans la
composition et par un luxueux talent de mise en scène. Sa vie n'offre pas d'épisode intéressant : deux fois
doyen de la corporation des peintres de sa ville natale, il eut, en 1635, l'honneur d'être associé à Corneille
Schut, à Crayer, à Rombouts, lors des cérémonies célébrées à l'occasion de l'entrée de l'archiduc Ferdinand.
C'est là le fait capital de la biographie de Roose, qui mourut à Gand en 1646.
Nicolas Roose n'a guère peint que des tableaux de sainteté : les églises de Gand 'et les couvents de la
province s'enrichirent de ses productions, empruntées pour la plupart à la légende mystique de la Yierge.
Il est, ou du moins il a essayé d'être le peintre de la cour céleste; mais il n'est religieux que d'intention,
sa peinture un peu lourde s'enveloppant trop souvent d'ombres épaisses et
noirâtres. C'est là le défaut de
sa Vierge triomphante de Saint-Bavon et de bien d'autres de ses tableaux. Les ciels de Nicolas Roose sont
snns profondeur et sans lumière. Ce qu'il faut louer chez lui, c'est une imaginationfacile, toujours
ingénieuse
à mêler les groupes, à varier les attitudes. S'il est vrai que Rubens ait fait, comme on l'assure, l'éloge de
Roose, on doit croire qu'il a voulu louer l'inventeur, en fermant généreusement les yeux sur les défauts
du peintre.
0

BRUGES. CATHÉDRALEDE SAINT-SAUVEUR. L'Institution du SAINT-BAVON. Mariage mystique de sainte Catherine. —


Rosaire. L'Entrée de la Vierge dans le ciel.
GAND (MUSÉE). La Vierge entouree des anges. Jésus- SAINT-NICOLAS. Le Bon Samaritain. Le Sacre de saint
Christ portant la croix (buste). La Sainte Famille. Nicolas.

ROLAND SAVERY
NE EN 1 576. — MORT EN 1653.

Le point de départ de Roland Savery doit être cherché, croyons-nous, dans 1 'œuvre des miniaturistes
qui, à la fin du seizième siècle, ont peint à la gouache ces paysages d'une coloration arbitraire, ces
perspectives d'un bleu chimérique,¡-:';ù Breughel de Velours et Josse de Momper sont venus, eux aussi,
chercher leurs premières inspirations. Né à Courtrai, en 1576, Savery quitta son pays le plus tôt possible,
et se rendit en Allemagne. L'empereur Rodolphe II le prit en grande estime et le fit amplement travailler.
Notre Flamand voyagea dans le Tyrol ; il vit les montagnes, les cascades écumantes, les noirs sapins
suspendus aux bords des abîmes, et, riche de ces souvenirs, il composa un assez grand nombre de
Après la mort de
paysages d'une exécution parfois un peu lourde, mais d'un ton vigoureux et fort.
Rodolphe II, en 1612, il vint se fixer à Utrecht, où il vécut jusqu'en 1639.
Les paysages de Roland Savery sont conçus dans une manière quelque peu artificielle. Des gazons
plantureux, des arbres aux frondaisons d'un vert brunâtre occupent les premiers plans, tandis que les
fonds s'estompent dans ces teintes bleuissantes si chères à Breughel. Des animaux et des oiseaux de toutes
sortes animent ses tableaux, où l'on sent l'effort d'une volonté résolue et opiniâtre.

Paradis terrestre. COLLECTION DU DE NORTHUMBERLAND. Paysage et


BERLIN. Le
BLEINHEIM. Orphée appelant à lui les animaux. a¡¡illwlU' , DUC
DRESDE. L'Arche de Noé. Trois paysages. Chasse au san- VENTE LAROQUE (1745). Un paysage extrêmement fini
glier. (cuivre). 90 livres.
HAMPTON-COURT. Un paysage arec des lions. VENTE DE BANCKEIM (1747). Un désert, une cascade et
LA HAYE. Orphée attirant les animaux. des animaux. 100 livres.
MUNICH. Chasse au sanglier. VENTE WASSENAER D'OBDAM (La Haye, 1750). Paysaqe
VIENNE. Un bouquet de fleurs.Paysage montagneux (1609). avec des vaches. 225 florins. Le Paradis terrestre. 128 florins.
La Tentation de Jésus-Christ. Orphée. Des voyageurs dans VENTE DU CARDINAL FESCH (Rome, 1845). Le Repaire des
un paysage (1608). Des oiseaux (1621). lions, paysage, signé et daté 1630.

DAVID VINCKEBOONS
NÉ EN 1 578 —MORT EN 1 6 29.

David Vinckeboons — ou Vinkbooms — dont les paysages ne sont pas sans quelque analogie avec
ceux de Roland Savery, naquit à Malines en 1578. Son père, Philippe, qui peignait à la gouache, lui
donna ses premières leçons et le conduisit à Anvers. C'est là que David commença à peindre à l'huile.
Vers la fin du seizième siècle, le père et le fils allèrent se fixer à Amsterdam. Philippe y mourut en 1601
et David en 1629.
Il reste de David Vinckeboons des dessins, des aquarelles, des gouaches, qui permettent de le placer entre
Breughel de Velours et Savery. Ses tableaux, où le paysage domine, représentent des kermesses flamandes,
des chasses, des foires champêtres, et quelquefois aussi des scènes évangéliques traitées sur le mode familier.
Rottenhammer passe pour avoir étoffé plusieurs de ses compositions. Ainsi que Savery, David Vinckeboons
aime à percher sur ses arbres des groupes, d'oiseaux, parmi lesquels, on reconnaît le pinson (vink), qui
est comme sa marque habituelle et sa signature.

AMSTERDAM. Le Prince Maurice allant à la chasse. MUNICH. La Montée au Calvaire, signé David Vink-Booms
ANVERS. Kermesse flamande(gravéepar Nicolas de Bruyn). f. 1611. Les Patineurs.
BRUXELLES. CABINET D'ARENBERG. Intérieur de forêt. NANTES. Des voyageursattaquéspar des brigands, paysage,
DRESDE. Des mendiants demandant l'aumône. Kermesse signé D. Vinck-Boorns f. 160".
villageoise. VIENNE. Le Drucifiement de Jésus-Christ. Repos en Égypte.
FLORENCE. Un groupe de paysans sur un canal glacé. La Fuite en Egypte (les figures sont db Rottenhammer).Saint
LILLE. Une Foire à l'entrée d'un bois. Fulgence dans une grotte.

LOUIS FINSONIUS
NÉ VERS 1580.
— MORT EN 1 632.

La Belgique a trop oublié ce peintre vaillant, qui, il est vrai, quitta sa patrie de grand matin
pour aller
s'enrégimenter dans l'école de Caravage. Mais un écrivain français, M. de Chennevières, a pris soin de la
renommée de Finsonius, et c'est lui qui, il y a quinze ans, nous a fait connaître cet artiste, dont
nous avons
pu, depuis lors, étudier l'œuvre dans les musées et les églises de la France méridionale.
Louis Finson ou Finsonius (c'est de ce dernier nom qu'il signe d'ordinaire) est né à Bruges
vers 1580.
passa sa jeunesse en Italie, et s'inspira de la manière de Caravage, qui était alors si goûtée. On sait, par la
date d 'un de ses tableaux, qu'il travaillait à Naples en 1612. L'année suivante, il était à Aix, où
son double
talent de portraitiste et de peintre d'histoire paraît avoir été hautement apprécié. Finsonius peignit les
portraits de plusieurs conseillers au parlement et celui de Malherbe, qui, on le sait, vécut quelque temps à Aix,
sous le règne de Louis XIII. Les églises et les couvents de la Provence eurent souvent recours au pinceau de
Finsonius. D'après une tradition rapportée par M. de Chennevières, l'artiste flamand se noya dans le Rhône,
en 1632.
Plusieurs villes du Midi possèdent des œuvres de Finsonius. Nous avons vu, et nous avons encore présent à
la pensée son grand tableau de l'église Saint-Trophime, à Arles, le Martyre de saint Étienne, peint en 1614.
C'est une vaste composition pleine de mouvement et de fracas, où Finsonius a montré beaucoup de talent
et de fougue, mais en même temps une obéissance trop complète aux dangereux principes proclamés par
le Caravage. Finsonius est noir et brutal. S'il était revenu en Flandre, ses compatriotes auraient eu de la
peine à reconnaître comme un des leurs ce singulier adorateur de la violence et de la nuit. Nul n'est plus
que lui loin de Rubens et de sa lumière.
Portraitiste, Finsonius s'est montré plus attentif à la vérité. Le portrait de sa mère, qui est à Paris, est
une œuvre sérieuse, pleine de sentiment et de douceur. L'artiste y a retrouvé ses qualités natives. Mariette
ne s'est donc pas tout à fait trompé lorsqu'il a dit de Finsonius : « Ce peintre flamand, peu connu hors de
la Provence, où il avoit établi son séjour, a fait cependant, dit-on, des portraits qui peuvent aller de pair
avec ceux de Van Dyck. »

Aix. ÉGLISE SAINT-JEAN. Résurrection de Jésus-Christ, ARLES. Lapidation de saint Étienne (1614). Adoration des
signé LudovicusFinsonius Belga Brugensis fecit anno 1610. mages (161-4).
SAINT-SAUVEUR. Incrédulité de saint Thomas (1613). MARSEILLE (MUSÉE). Magdeleine mourante.
MUSÉE. Portrait de femme (1624). PARIS. CABINET DE M. DE CHENNEVIÈRES. Portrait de la
BIBLIOTHÈQUE. Portrait de GuillaumeDu Vair. mère de Finsonius.

PAUL DE VOS
lIIÉ VERS -
11190. MORT VERS 1 654.

L'auteur du catalogue du Musée du Louvre paraît s'être mépris en faisant naître Paul de Vos en 1600.
Nous savons d'une manière certaine qu'il est entré en 1605 dans l'atelier de David Remeus; nous savons,
né en 1585 : on est
en outre, qu'il était plus jeune que son frère, l'excellent portraitiste Corneille de Vos,
donc provisoirement autorisé à penser qu'il est venu au monde vers 1590. Sa sœur Margueriteayant épousé
F. Snyders en 1611, Paul de Vos travailla sous les yeux de son beau-frère et devint l'un de ses plus habiles
imitateurs. Les circonstances de sa vie ne nous sont pas connues ; savoir qu'il fut en 1629 parrain d'un des
fils de son frère Corneille, c'est savoir peu de chose. Pilkington le fait mourir en 1654; mais nous ne
croyons pas que cette date soit officiellement établie. Paul de Vos trouva, dit-on, un chaleurenx protecteur
dans le duc d'Aerschot : il travailla pour l'empereur, pour le roi d'Espagne, et nous remarquons, en effet,
que ses principales productions sont conservées à Madrid. Il excellait à peindre les
chasses, et surtout les
chiens. Par la gamme de son coloris, par ses tons lumineux, par la légèreté du faire, Paul de Vos ressemble
beaucoup à son beau-frère Snyders son dessin est cependant moins délicat, et il n 'a pas sa souveraine
:
élégance.

CAEN. Un cheval dévoré par des loups. L'inventairedressé après la mort de Rubens nous apprend
MADRID. Un chien. Combat de chats. Cerfs et chiens. Un que le grand maître possédait deux tableauxde Paul de Vos :
lévrier blanc. Un taureau poursuivi par des chiens. Ani- Des fruits et des oiseaux, et Des chats se battant dans une
maux et fruits, etc., etc. cuisine.
SCHLEISHEIM. COLLECTION DU ROI DE BAVIÈRE. Deux Les musées et les galeries particulières renferment, sous
chiens se disputant un morceau de viande. Un chevreuil le nom de Snyders, un assez grand nombre de tableaux de
poursuivi par des chiens. Paul de Vos.
JEAN COSSIERS
NÉ EN 1600. —MORT EN 1671.

Sans être un artiste distingué et puissant, Jean Cossiers est un peintre fécond, facile, inépuisable. 11 naquit
à Anvers, en 1600, et il eut l'honneur d'avoir un maître des plus habiles, Corneille de Vos. Il a dû voyager
dans sa jeunesse, mais son œuvre ne garde pas la trace d'études bien sérieuses. En 1628-1629, il entra
dans la corporation de Saint-Luc, dont il devait plus tard devenir doyen. Le catalogue du Musée d'Anvers
nous apprend, avec un grand luxe de détails, les noms de ses deux femmes et les prénoms de ses douze
enfants. On sait combien ces artistes flamands étaient féconds en toutes choses.
Jean Cossiers, qui mourut en 1671, laissa un bon nombre de tableaux d'église, quelques figures de
fantaisie et des portraits. Il se montre, dans les uns et dans les autres, infiniment au-dessous de Corneille
de Vos, dont il procède cependant. Son imagination active se plaisait aux compositions tumultueuses, et il
y a certainement des groupes heureux dans son grand tableau du Musée de Bruxelles, le Déluge. Mais
Cossiers pousse la facilité jusqu'à l'abus. Il est lâché de dessin, peu respectueux pour le caractère dans ses
portraits. Ses tableaux, peints trop vite, paraissent avoir souffert : son coloris abonde en tons jaunâtres ou
plutôt roux, qui marquent dans l'école d'Anvers le commencement de la décadence.

ANVERS (MUSÉE). L'Adoration des bergers. Le même sujet. LILLE. Saint Nicolas arrêtant le bras d'un bourreau prêt
Provenant tous deux de l'église des Jésuites. it trancher la tête d'un captif, signé J. Cossiers, 1660.
Un gentilhomme allumant sa pipe pendant qu'un valet lui LOUVAIN. Adoration des bergers (-J643).
apporte à boire (provenant de l'ancien palais des évêques MADRID. La Métamorphose de Lycaon. Prométhée. Narcisse.
d'Anvers). Nous reproduisons ci-dessous la signature de Cossiers.
La Flagellation (provenant de l'abbaye de Saint-Bernard).
Portrait d'un chirurgien, signé Cossiers FI.
BRUXELLES. Le Déluge universel.

JEAN BREUGHEL-LE-JEUNE
NE EN 1601. MORT APRÈS 1677.

On voit passer quelquefois, dans les ventes publiques, des paysages qui ressemblent singulièrement à ceux
de Breughel-de-Velours, mais qui sont moins vigoureux de ton et d'une exécution à la fois moins accentuée
et moins fine. Ces tableaux paraissent, en outre, accuser le faire d'un imitateur un peu plus moderne que
le maître: les catalogues, toujours téméraires, n'hésitent pas à les attribuer à Breughel-de-Velourslui-même:
la vérité nous oblige à déclarer qu'ils sont pour la plupart l'œuvre de son fils, Jean Breughel-le-Jeune.
Les biographes ne disent pas un mot de cet artiste; mais son existence nous a été révélée par un paysage
qui fut vendu à Paris le 20 mars 1857 et dont la date (1661) nous troubla profondément..Nous eûmes dès
lors le pressentiment vague que ce tableau et ceux que nous avions déjà vus de la même main devaient
être d'un fils inconnu de Breughel-de-Velours:le supplément au catalogue du Musée d'Anvers est venu
tout récemment donner une forme définitive à nos convictions ébauchées, en mettant en pleine lumière la
personnalité si longtemps indécise de l'artiste qui nous mquiétait.
Un sait que Breughel-de-VeIoursavait épousé en 1599 Isabelle de Jode, la fille du graveur. Il eut, au
mois de septembre 1601, un fils qui fut nommé Jean. C'est là notre peintre, Jean Breughel-le-Jeune.
Après avoir reçu de son père des conseils qui furent la leçon de sa vie et la raison d être de son talent,
il partit pour l'Italie, où Breughel-de-Veloursavait laissé de si bons souvenirs. Il
vit Gênes, Turin et Milan,
où il fut généreusement accueilli par l'archevêque Frédéric Borromée. De retour à Anvers en 1625, il épousa
l'année suivante Anne-Marie Janssens, la fille d'Abraham. Sa situation dans l'école contemporaine paraît
avoir été, sinon brillante, du moins honorée. Son père, Breughel-de-Velours, étant mort en 1625, Jean
hérita de la bienveillante amitié que lui avaient témoignée Rubens, Van Balen et les meilleurs maîtres du
temps. Breughel-le-Jeune fut même doyen de la gilde de Saint-Luc en 1630-1631. On ignore l'époque de
lui un tableau daté de 1661, et les
sa mort; mais, ainsi que nous l'avons dit plus haut, nous avons vu de
rédacteurs du catalogue du Musée d'Anvers nous apprennent qu'en 1677, il vivait encore.
Les tableaux de Jean Breughel-le-Jeune, ceux du moins qui peuvent lui être attribués avec certitude, sont
des réminiscences, parfois un peu effacées et affadies, des peintures de Breughel-de-Velours. Il peignait
Les grands artistes qui avaient
comme lui des paysages aux horizons bleus, des fleurs, des animaux.
travaillé avec son père ne dédaignèrent pas d'être ses collaborateurs. Ce fait prouve suffisamment qu'on
le tenait en quelque estime, ses tableaux sont d'ailleurs confondus le plus souvent avec ceux de Breughel-
de-Velours, bien qu'ils soient d'une exécution plus débile et d'une coloration moins vive. Nous croyons que
si l'on voulait étudier à fond la question, il serait facile de distinguer les œuvres du père de celles du fils.

DRESDE. Un petit paysage avec un cabaret, signé et daté VENTE DU 20 MARS 1857. Un paysage, signé Breughel,
1641. Un paysage boisé, Une tour au bord de la mer, datés 1661. Ce tableau, où dominaient les tons bleus pàles, est
tous deux 1642. évidemmentune œuvre de la vieillesse de l'auteur.

FRANÇOIS DENYS
NÉ VERS 1.6.. — MORT APRÈS 1655.

Une exposition de tableaux anciens, organisée à Anvers en 1855, nous a montré, à notre
grande surprise,
deux portraits de François Denys qui nous ont donné une haute idée de la valeur de ce maître inconnu.
Ces portraits, qui avaient été envoyés à l'exposition par Mme la baronne de Pret de
Calesbergh, sont ceux
fecit
de Pierre van Horne et de sa femme Barbe van Heylaer. Ils sont signés et datés François Denys
1637, et révèlent un artiste qui a dû connaître Van Dyck et qui le rappelle par la
sûreté de 1 exécution et
la rare élégance de ses attitudes.
Bien que, depuis l'exposition dont nous venons de parler, les érudits d'Anvers aient
entrepris quelques
explorations au sujet de François Denys, l'habile peintre demeure encore inconnu dans ses origines comme
'artiste, un
dans ses dernières années. Nous possédons toutefois, pour la période intermédiaire de sa vie d
commencement de preuve par écrit.
Martine
François Denys fut reçu maître de Saint-Luc à Anvers en 1631; il se maria l année suivante avec
de dire
Vleckhamer, qui lui donna sept enfants, et, vers 1655, il quitta la Flandre, sans qu'il soit possible
Musée d Anvers ne
où il alla se fixer et à quelle époque il mourut. Les rédacteurs du catalogue du
baronne de
connaissent d'ailleurs de François Denys que les deux portraits qui appartiennent à Mœe la
Calesbergh et dont nous avons dit un mot au début de cette note.
renseignement de
A ces informations, bien*incomplètes, mais déjà précieuses, nous pouvons ajouter un
quelque intérêt : il existe au Musée de Versailles un portrait de François Paulin de Brouchoven, seigneur
de Véchel, qui porte l'inscription suivante: François Denys fecit 1652. Le personnage,
jeune encore et non
main droite et s appuyant de la main gauche
sans élégance, est représenté debout, tenant son chapeau de la
sur le dossier d'une chaise. La figure est posée à la Van Dyck; mais, comme rien ne nous est plus cher
que la vérité, nous devons déclarer que ce portrait, d'une exécution lâchée et imparfaite, est infiniment
au-dessous des belles effigies de Pierre van Horne et de sa femme. C'est une œuvre de pratique et de
métier; c'est aussi, on peut le croire, la peinture d'un artiste vieillissant et déjà moins fort, parce qu'il est
moins sincère et moins près de son modèle Van Dyck. Ce portrait est curieux cependant, et nos amis
d'Anvers peuvent, dès à présent, en prendre note.
Il n'est pas inutile de' rappeler ici que Mariette a parlé de notre peintre, qu'il nomme François de Nys. Le
savant annotateur fait remarquer que Paul Pontius a gravé d'après lui les portraits de divers personnages
importants, et il en tire avec raison cette conséquence que l'habile portraitiste avait mérité l'estime de ses
contemporains.
François Denys laissa un fils nommé Jacques, qui naquit en 1644, travailla longtemps à Mantoue et à
Florence et ne fut jamais qu'un peintre médiocre. Nous ne le citons ici que pour mémoire, et seulement
pour mettre le lecteur en garde contre les éloges exagérés que lui donne Descamps. Le biographe des
peintres flamands semble le confondre avec son père: il cite de lui un Ecce homo « entièrement dans le
goût de Van Dyck. » Ne serait-ce pas là une œuvre de notre inconnu François Denys?

ANVERS. CABINET DE MME LA BARONNE DE CALESBERGH. ceux du baron de Beck, du comte de Hornes, du baron de
Portraits de Pierre van Horne et de sa femme (1637). Lamboy et du baron d'Oedt. — Corneille Waumans a gravé
VERSAILLES. Portrait de F.-P. de Brouchoven (1652). d'après le même maître un portrait de J. Gillis, abbé de
Les portraits que Pontius a gravés d'après F. Denys sont t.
Saint-Bernard-sur-l'Escau

SIMON DE VOS
NÉ EN 1603. MORT EN t676.

Malgré la similitude du nom, et quoi qu'on en ait pu dire, Simon de Vos n'est point le parent de l'excellent
portraitiste Corneille de Vos, mais il fut son élève, et au milieu de l'obscurité qui a si longtemps régné sur
la vie des artistes flamands, il est tout naturel qu'on se soit mépris sur le caractère des relations qu'eurent
ensemble des peintres du même nom. Toutefois on s'est plus gravement trompé, en attribuant à Simon de
Vos des portraits ou des tableaux religieux qui sont de Corneille, ou des animaux et des chasses qui sont
de Paul.
Né à Anvers en 1603, d'Herman de Vos et d'Élizabeth van Oppen, Simon ne fut pas, comme on l'a dit,
élève de Rubens. Il entra en 1615 dans l'atelier de Corneille de Vos, et cinq ans après, c'est-à-dire à
dix-sept ans, il fut reçu maître de Saint-Luc. Il épousa, en 1628, Catherine van Utrecht, la sœur du peintre
d'animaux. Nous ignorons s'il a fait le voyage d'Italie. Il vécut jusqu'en 1676, sans faire beaucoup parler
de lui.
A examiner les choses de près, il semble que Simon de Vos a injustement bénéficié des éloges dus à

ses homonymes. Reynolds, Mensaert, Descamps citent, en les admirant, des tableaux qui ne sont pas
ses œuvres, mais celles de Corneille de Vos. Mariette lui-même a failli s'y laisser prendre. Dans la réalité
des faits, si l'on enlève à Simon de Vos les ouvrages qui ne sont pas de sa main, il reste à dire quelle
fut sa valeur propre, et ici la difficulté commence, car ses tableaux authentiques sont assez rares. Ce
n'était pas cependant un médiocre artiste, puisque Rubens possédait un tableau de lui, et puisque Van Dyck a
fait son portrait, qui a été gravé avec la curieuse inscription : Simon de Vos in humanisfiguris majoribus
et minoribus Antverp. Il peignait donc, en grand et petit, tantôt des tableaux d'église ou des portraits,
tantôt des sujets de conversations, des festins, des scènes de fantaisie. Il fut le maître de Jean van Kessel.
Sa manière n'est pas sans quelque analogie avec celle de Corneille de Vos; mais son coloris est plus faible,
son exécution moins vigoureuse.

GRENOBLE. Portrait d'un jeune homme. petit tableau sur cuivre provenant du cabinet Desfriches.
LILLE. La Résurrection de Jésus-Christ. Rubens possédait dans sa collection un tableau de Simon
VENTE MIRON (1823). Les OEuvres de miséricorde, de Vos, l' Enfant prodigue.

JACQUES VAN ES ou VAN ESSEN


-

NÉ EN 1606. MORT EN 1 66 5 OU 1 666.


Van Es, dont les biographes parlent à peine, est un excellent peintre de fruits, de gibier - et d'objets
inanimés. 11 fut baptisé à Anvers le 15 octobre 1606, et entra en 1620-1621 dans l'atelier d'un maître
inconnu, Omer van Lomnel ou Van Ommen. On a quelque raison de croire qu'au sortir de son apprentissage,
il fit une longue absence, car il n'obtint son brevet de maîtrise qu'en 1646-1647. Le portrait de Van Es a été
gravé par Wenceslas llollar, d'après Jean Meyssens. De récentes recherches de M. de Burbure ont prouvé
que notre artiste est mort entre le 18 septembre 1665 et le 18 septembre 1666.
Les tableaux de Van Es sont assez rares, ou du moins ils sont désignés, dans les collections d'amateurs
et dans les musées, sous un autre nom que le sien. Imitateur de Iléda, il se plaît à peindre des tables
chargées de victuailles, de flacons, de plats en métal ou en faïence. Sa manière est sobre, mais sans
sécheresse; il peint d'un pinceau léger et bien flamand. Son coloris est plein de finesse et d'harmonie. Le
temps n'est pas loin où l'on estimera à sa valeur ce maître encore si peu connu. i

ANVERS. Table chargée d'accessoires. Sur une table, recou- VIENNE. Un marché aux poissons. Boutique d'un mar-
verte d'un tapis verdâtre, se trouve une prune dans une chand de poissons. Les figures de ces deux tableaux sont
assiette d'étain, une coupe d'or, un couteau, un citron attribuées à Jordaens.
coupé, etc. (provenant du palais des évêques d'Anvers). Rubens avait chez lui deux peintures de Van Es : Un dé-
FRANCFORT. Des poissons sur une table de cuisine, signé jeuner et Un verre avec un jambon et un morceau de lard.
V:ES.f: Notre ami M. W. Burger possède deux excellents tableaux
LILLE. Un plat d'huîtres, une assiette de nèfles, un panier de Van Es.
contenant des raisins et des noix, etc. Ce charmant tableau.
qui provient de l'abbaye de Cysoing, est signé IV. ES. Nous
reproduisonscette signature.
MADRID. Un citron et des huîtres. Un verre de vin et des
raisins sur une table.

NICASIUS BERNAERT
NÉ VERS 1608. — MORT EN 1678.

ignoré en
Nicasius Bernaert a passé en France la plus grande partie de sa vie : aussi est-il presque
Flandre. D'après les registres de l'ancienne Académieroyale de peinture, il serait né à Anvers en 1608. On
le considère comme un élève de Snyders, et l'examen de son œuvre donne quelque
valeur à cette
apprend que
conjecture. Un document précieux, que nous avons contribué à mettre en lumière, nous
Nicasius- c'est ainsi qu'on l'appelait en France—était déjà fixé à Paris en 1643. Nicolas Wleughels
vint en France, vers
raconte, dans la curieuse notice qu'il a consacrée à son père, que, lorsque ce dernier
la fin du règne de Louis XIII, il fut accueilli par une compagnie d'artistes
flamands qui demeuraient au
qu'avant de
faubourg Saint-Germain, et parmi lesquels Nicasius était cité au premier rang. On suppose
l'Académie royale le
s'établir à Paris, il avait fait un voyage en Italie. Quoi qu'il en soit, il fut reçu à
17 octobre 1663, et donna, pour son morceau de réception, un tableau
représentant des fleurs et des fruits.
Lors de l'organisation de la manufacture des Gobelins, Nicasius fut attaché à l'établissement et Lebrun
l'employa à peindre, dans les patrons de tapisseries, des animaux et quelquefois des fonds de paysage. On
If
faisait cas de son talent. «M. Nicasius, a dit Claude-François Desportes, s'étoit acquis dans son genre une
réputation qu'il méritoit sans doute à plusieurs égards. Sans inventer ni dessiner d'un aussi grand goût que
son maître, il avoit fait paroître du génie dans ses compositions, de la correction dans son dessin, de la vie
et du mouvement dans les animaux, qu'il peignoit avec art.)) Le talent de Nicasius semble cependant avoir
subi, vers la fin de la vie de l'artiste, une éclipse presque complète. Lorsque notre habile peintre François
Desportes entra chez lui, vers 1674, le vieux Nicasius n'était plus que l'ombre de lui-même. « Il avoit, nous
dit-on, presque oublié totalement l'art de peindre et n'avoit conservé que la science de boire, dans
laquellgMl excelloit encore. Cette science fatale, qu'il avoit trop cultivée pendant le cours de sa vie, ne
l'avoit point du tout enrichi; il n'étoit plus question chez lui ni de cuisinière ni de cuisine; il n'avoit guère
de meubles, il avoit même peu de tableaux, et encore moins de dessins; aussi son école étoit-elle fort
déserte. »
Ces détails, que Claude-François Desportes tenait de son père, doivent être exacts. Nicasius Bernaert
mourut pauvre et oublié, le 16 septembre 1678. Ses tableaux, nombreux autrefois, sont devenus difficiles
à rencontrer. Sa manière est décorative et un peu lâchée, et, si l'on veut être juste, on ne peut considérer
Nicasius que comme un Snyders très-amoindri.

LOUVRE. Des lièvres et des oiseaux. — Un faisan, un ara du Palais-Royal, Nicasius avait envoyé un tableau repré-
et un oiseau aquatique. sentant des moutons et quelques chèvres.
DIJON. Un lièvre, un canard, un faisan et d'autre gibier. VENTE DU CARDINAL FESCH (Rome 1845). L'Abondance,
Il A l'exposition académiqueorganisée en 1673 dans la cour médaillon en grisaille, entouré de fruits et de fleurs.

t
VAN BOUCK
NÉ EN 16.. MORT EN 1673.

L'auteur du Cabinet des Singularitez, Florent Lecomte, a consacré à Van Bouck une note curieuse, et que
nous avons d'autant plùs d'intérêt à reproduire qu'elle constitue à peu près tout ce qu'on sait de la
biographie du maître. « Sneydre, écrit-il en son étrange. style, a fort bien fait les animaux morts et vivants,
comme aussi Van Boucle, son disciple, qui, par ses débauches, a toujours été gueux; mais, quoiqu'il soit
mort à l'Hôtel-Dieu de Paris, ses tableaux n'en sont pas moins estimez dans le cabinet du roi : ce dernier
mourut en 1673. »
Un autre renseignement sur Van Bouck nous est fourni par un document que nous avons déjà cité, le
mémoire de Nicolas Wleughels, sur la vie de son père. On y voit que, vers 1643, Van Bouck — ou Van
Boucle, selon l'orthographe française — faisait partie, avec Nicasius, Fouquières et quelques autres, du
groupe d'artistes flamands qui avaient établi au faubourg Saint-Germain le siége de leurs opérations. Le
Cabinet de M. de Scudery, publié en 1646, contient aussi un quatrain sur un grand tableau de fruits et de
fleurs, fait par Van Boucle, Linard et Louise Moilon. » Mais le nom de Van Bouck ne se retrouve pas dans
la liste des membres de l'Académie royale. Il paraît avoir travaillé aux Gobelins, et avoir été particulièrement
associé à l'exécution des modèles des tapisseries qui représentaient les Mois et dont les cartons sont
conservés au Musée de Versailles. Quant à sa mort misérable sur un lit d'hôpital, nous n'en savons que ce
que Florent Lecomte en a dit et nous aimerions à apprendre qu'il s'est trompé.

LOUVRE. Un valet gardant du gibier. quer nous donneraitl'initiale de son prénom, inconnu jusqu'à
DIJON. Un épagneul défend un morceau de viande qu'un présent.
levrier et un dogue viennent lui disputer. Signé P. V. B. DRESDE. Le catalogue rédigé par M. J. Hubner, attribue à
fecit anno 1643. S'il était prouvé que ce tableau est vérita- Van Bouck le portrait d'un Vieillard il barbe grise. Nous no
blement de Van Bouck, la signature que nous venons d'indi- savons ce qu'il faut penser de cette attribution.
JEAN VAN BOCKHORST DIT LANGEN-JAN
NÉ VERS 1610. MORT EC"i 1668.

Jean van Bockhorst, que ses camarades avaient surnommé Langen-Jan, à cause de sa liante taille,
n'est pas tout il fait un Flamand. Il est né à Munster, en Westphalie, vers 1fi10, mais il vint de bonne heure
étudier la peinture à Anvers, et il y choisit un maître excellent, Jordaens. Ses succès furent rapides : en
1633, il était maître de Saint-Luc. Sans obtenir jamais une réputation de premier ordre, il sut mériter
l'estime des corporations religieuses qui l'employèrent jusqu'à la fin de sa vie. Jean van Bockhorst, qui ne
paraît pas avoir quitté Anvers, mourut le 21 avril 1668 et fut enterré ï1 Saint-Jacques.
Malgré l'autorité qu'un maître tel que Jordaens devait exercer sur lui, Van Bockhorst ne fut'qu'à demi
lidèle aux leçons de ce grand peintre. Pour le suivre jusqu'au bout, il lui aurait fallu une fougue de pinceau,
une ardeur victorieuse qui lui manquèrent : aussi se tourna-t-il bien des fois du côté de Van Dyck. Il semble
surtout s'être inspiré de sa manière dans quelques portraits. Il a d'ailleurs touché à plus d'un genre : ses
grands tableaux d'église sont ceux qu'on rencontre le plus fréquemment; mais il a traité aussi des sujets
mythologiques,et l'on sait qu'il a peint des patrons de tapisseries.

ANVERS (MUSÉE). Le Couronnement de la Vierge, prove- LILLE. Le Martyre de saint Maurice et de ses compagnon,s
nant de l'abbaye de Saint-Bernard-sur-l'Escaut. (1661).
ÉGLISE SAINT-AUGUSTIN. Sainte Hélène tenant la vraie LONDRES. GALERIE BRIDGEWATER. L'Assomption de la
croix. Vierge. (Gravé dans la galerie Stafford.)
ÉGLISE DU BÉGUINAGE La Resurrectionde Jesus-Christ, avec MUNICH. Mercure, planant dans les airs, aperçoit Hersé,
. .
deux volets représentant Y Annonciation et YAscension. Ce fille de Cëcrops ; Ulysse découvre Achille déguisé en femme.
morceau, écrivait Descamps en 1754, est aussi beau que s'il — Ces deux tableaux forment pendants.
étoit de Van Dyck et entièrement dans sa manière. » VIENNE. Hersé se rendant au temple de Minerve.
GAND. SAINT-MICHEL.Conversionde saint Hubert (1666). VENTE SCIIAMP D'AVESCHOOT (Gand, 1810). Aaron, tête
L'ancien et le nouveau Testament. d'étude pour un tableau d'une église de Gand.

DAVID RYCKAERT
NÉ RN 1612. — MORT EN 16 61.

Divers artistes flamands ont porté le nom de Ryckaert, mais David, l'imitateur de Téniers, tut le plus
célèbre, et c'est d'ailleurs le seul dont il soit possible de caractériser le talent. Il naquit à Anvers en 1612;
il fut élève de son père, qui portait comme lui le prénom de David, et qui, d'après le témoignage de
Corneille de Bie, s'était acquis quelque réputation, en peignant, à peu près dans le style de Josse de Momper,
des paysages enrichis de montagnes, de rochers et de chutes d'eau. Mais David Ryckaert le fils adopta un
genre tout différent. Ami de Gonzalès Coques, qui avait épousé sa sœur, il se fit peintre de scènes familières
et de paysanneries. Il n'est pas douteux que le succès de Téniers n'ait beaucoup contribué à le pousser
dans cette voie.
Franc-maître de Saint-Luc en 1636, David Ryckaert épousa en 1647 Jacqueline Palmans, qui lui donna
huit enfants. En 1652, il devint doyen de la gilde. Il s'était attiré les bonnes grâces du gouverneur des
Pays-Bas, l'archiduc Léopold Guillaume, et il travailla beaucoup pour lui. Les amateurs de l époque
faisaient d'ailleurs grand cas de son talent ; aussi la fortune vint-elle frapper à la porte de son atelier.
David Ryckaert fit un bon emploi du produit de son travail : il possédait un cabinet de tableaux et d oeun,res
d'art. Il mourut à la fin de 1661 ou peut-être dans les premiers jours de 1662.
Ryckaert a beaucoup produit : par le choix de ses sujets, il peut être considéré comme un adhérent de
Téniers. Il aime il représenterles intérieurs de chaumière où des paysans prennent leurs repas, la taverne où les
buveurs se querellent, le chimiste au milieu de ses cornues, le médecin dans son officine, le peintre dans
son atelier. Parfois, lorsqu'il peint des figures isolées, il se plaît à les éclairer aux rayons d'une lampe, car
Ryckaert a plus d'une fois pensé à ses voisins les Hollandais, bien qu'il soit resté flamand par l'exécution.
Comparer Ryckaert il Téniers, ce serait lui rendre un mauvais service, ce serait donner cruellement la
mesure de la distance qui le sépare du lumineux peintre des kermesses, du brillant virtuose de la touche.
Ryckaert n'a point ce pinceau si habile à dire légèrement les choses; il n'a pas non plus ce coloris
argenté et cette transparence d'effet; mais il a de la verve, un certain sentiment de la comédie, des
colorations agréables et chaudes et sa négligence n'est pas sans esprit.

LOUVRE. L'Atelierd'un peintre. Sur un morceau de papier d'une lampe. Un Village pillé par des soldats, signé et daté
attaché à la muraille, on lit un monogramme à demi effacé, 1649.
et la date 1639.
VENTE SCHAMP D'AVESCIIOOT (Gand, 1840). Le Dîner à la
AMSTERDAM. L'Atelier d'un cordonnier.
ferme. La Partie de cartes.
ANVERS. La Fête villageoise (acheté en 1862 au prix de
1,705 fr.)
BRUXELLES. Un Chimiste dans son laboratoire, signé et
daté 1648. Nous reproduisonscette signature.
DRESDE. Une Famille de paysans. Même sujet.
FRANCFORT. Un tableau signé D. Ryckaert. a. 1639.
MONTPELLIER. Un Arracheur de dents (signé D. Ryckaert).
,)Iu,NicH Un Festin de paysans.
.
VIENNE. Une Sorcière. Foire de village, signé Davide Ry-
kaert fecit Antverpie 1648. Un vieillard lisant à la clarté

JACQUES D'ARTHOIS
NÉ EN 1613. —MORT EN 1 665.

Nous rendons à ce maître, qu'on appelle ordinairementJacques van Artois, le nom véritable qu'il a pris
soin d'inscrire lui-même sur ses tableaux. Né à Bruxelles en 1613, il ne paraît pas, ainsi qu'on l'a dit,
avoir reçu les leçons de Jean Wildens, mais bien celles d'un peintre peu connu, Jean Mertens, chez qui il entra
en apprentissage en 1625. Jacques d'Arthois étudia la nature dans les environs de Bruxelles : le genre
adopté par le paysagiste Louis de Vadder paraît aussi avoir exercé quelque influence sur son talent. Reçu
maître en 1634, il produisit beaucoup et parvint à s'enrichir; mais ayant dissipé un peu follement la
fortune qu'il avait amassée, il mourut pauvre en 1665.
Jacques d'Arthois n'est pas un paysagiste de la grande race; il avait cependant un pinceau facile, de
l'imagination, une manière large de voir la nature. :Dans ses tableaux de vaste dimension, il est quelque
peu lâché et décoratif. Les sites qu'il se plaisait à reproduire sont empruntés pour la plupart aux vertes
campagnes du Brabant, mais il trouvait cette nature trop familière, et il s'ingéniait à accidenter ses
perspectives, à élargir ses horizons. Nous préférons les paysages qu'il a traités dans le mode naïf.
Médiocrementhabile à peindre les figures, il eut souvent recours, pour étoffer ses tableaux, au pinceau, de
Van Herp et de David Téniers lui-même. Par contre, il a quelquefois peint des fonds de paysage dans les
compositions de Gaspard de Crayer et de Gérard Seghers. On doit donc avoir plus que de l'estime pour
Jacques d'Arthois; mais ce serait exagérer beaucoup que de dire avec Pilkington que la force de son
coloris fait songer à la puissance du Titien.

AIX-LA-CHAPELLE. GALERIE SUERMONDT. Un paysage. L'Hiver, figures de Pierre Bout. La Lisière du bois (aehett"
BRUGES. ACADÉMIE. Paysage boisé, signé: Jac. d'Arthois. 1,600 fr. en 1846). Deux autres paysages.
BRUXELLES. Le Retour de la kermesse, figures attribuées DRESDE. Trois paysages.
ilDavid Téniers le Vieux. Tableau signé Jacques d'Arthois, I)IUNICII. La Chasse au cerf.
et acheté en 180i, 242 fr. VIENNE. François (leborgia et son compagnon priant dans
un paysage. Saint Stanislas secouru par les anges. Les
figures de ces deux tableaux sont de Gérard Seghers.
VFNTÈ BLONDEL DE GAGNY. 1776,Chasse aucerf, 300 livres.

BERTHOLET FLÉMALLE
NÉ EN 1614. MORT EN 167o.

Les Archives de l'Art français ont publié sur ce peintre une lettre écrite par son neveu en 1711, et
qui nous autorise à substituer le nom de Flémalle à celui de Flemael, qui a été longtemps donné à notre
artiste. Né à Liége en 1614, Bartholomé ou Bertholet Flémalle tenait à une famille de peintres. Après
avoir étudié son art sous Gérard Douffet, il partit vers 1638 pour l'Italie et s'arrêta quelque temps à Rome
et à Florence. En revenant, il traversa Paris : nous n'avons encore que des données incertaines sur ce
premier séjour de Flémalle en France; mais nous savons que, protégé par de hauts personnages, -et
notamment par le chevalier Séguier, il fut chargé de travaux considérables.
Son œuvre principale fut la coupole de l'église des Carmes-Déchaussés, qui existe encore rue de
Vaugirard. « Les peintures dont le dôme est orné, dit Germain Brice, sont remarquables par leur beauté.
Elles sont de Bertholet Flemael peintre, originaire de Liége et chanoine de cette ville, qui y a représenté
l'enlèvement du prophète Élie dans un chariot de feu. Le saint prophète laisse tomber son manteau à
Elisée son disciple, qui tend les bras pour le recevoir, accompagné de plusieurs ligures diversement
disposées. Cette peinture est d'une grande manière. » Germain Brice ajoute que cette décoration a été
réparée en 1711 : nous croyons qu'elle a, en même temps, été rajeunie; certains détails, en effet, paraissent
inspirés par le goût maniéré qui allait prédominer au dix-huitième siècle. L'ensemble présente ce caractère
italico-français qui obtint tant de vogue sous Louis XIV. La gravité et le sentiment religieux font
complètement défaut à l'œuvre de Flémalle; mais il faut rendre à l'artiste cette justice que, chargé de
décorer une coupole assez faiblement éclairée, il a eu le bon esprit d'adopter un système de coloration
clair et lumineux, et qu'il s'est tiré habilement de la tâche difficile qui lui était imposée.
Après avoir exécuté à Paris quelques autres travaux moins importants, Bertholet Flémalle retourna dans
les églises de Liége ;
son pays vers 1647. Pinceau facile autant que laborieux, il travailla beaucoup pour
de grands personnages, et même .le roi de Suède surent aussi mettre à profit son talent. Mais ces succès ne
faisaient point oublier à l'artiste liégeois l'accueil qu'il avait reçu en France lors de son premier voyage.
11 résolut donc d'y revenir, et nous savons en effet qu'il était à Paris en 1670 : on
le traita suivant ses
mérites, et le 16 octobre il eut la joie d'être nommé membre de l'Académie royale de peinture, qui lui
conféra en même temps le titre de professeur. Toutefois Bertholet ne fit qu 'un court séjour à Paris, et après
avoir fait placer dans la grand'chambre du roi, aux Tuileries, un plafond représentant la Religion, il
retourna à Liège, où il devint chanoine de la collégiale de Saint-Paul. Il mourut dans sa patrie le
18 juillet 1675.
Bertholet Flémalle, il est à peine utile de le dire, avait presque complétement perdu dans ses voyages
développé
l'accent vigoureux de l'école flamande. Il s'est formé à Rome et à Florence, et c est à Paris qu 'il a
à
les germes de son talent. Sa grande peinture de l'église des Carmes est bien des égards une œuvre
inspirée
qui, par la liberté fastueuse
par le style des décorateurs italiens de la décadence ; c'est aussi une œuvre
prépare le
de son allure, la désinvolture des personnages et le mouvement des draperies volligeantes,
notions qu 'on peut
succès de l'école de Versailles. La manière de Bertholet Flémalle confond toutes les
d
a'voir sur la géographie : ne donne-t-elle pas à croire que Liége est à trois cents lieues Anvers
?

PARIS. ANCIENNE ÉGLISE DES CARMES. Le dôme, représen- tOUVRE. Les Mystères de l'Ancien et dit No?ti-('rit, Testa-
tant Y Enlèvementd'Elic. ment.
BRUXELLES. Le Châtiment d'Héliodore, tableau acheté à CAEN. Adoration des Bergers. Ce tableau, envoyé
par le
Liégeen18U, au prix de 2,415 fr. musée central en l'an XII, provientd'une église de Liège.
DRESDE. Pélopiclasprend les armes jiour chasser les Lace- VENTE DU COMTE DE FRAULA (Bruxelles 1738). Massacre
d,e'm,oniensde la forteresse de Cfldmée. des Innocents, 335 florins.

PHILIPPE VAN THIELEN


NÉ EN 1618. -MORT EN 1 667.

Jean-Philippe van Thielen, qui a peint avec talent des guirlandes et des bouquets, était, par ses origines,
un parfait gentilhomme. Né à Malines en 1618, et fils de Libert van Thielen et d'Anne Higoudts, il fut
seigneur de Couwenberg et autres lieux. Il était encore enfant lorsque, sa sœur ayant éfrousé Théodore
Rombouts (en 1627), il commença à prendre des leçons de son beau-frère ; mais il ne suivit pas le même
genre que lui. Il avait pour les fleurs un goût extrême , et comme Daniel Seghers était alors le meilleur
fleuriste de l'école, ce fut au jésuite d'Anvers que Van Thielen alla demander des leçons. Ses succès furent
rapides et brillants, mais il est inexact de dire qu'il a égalé Seghers
Philippe van Thielen, qui était venu s'établir (-:iAnvers, s'y maria vers 1639, avec Françoise de Ileinelaei,
;
il fut reçu maître de, Saint-Luc en 1641-1642. L'étude assidue de la nature,
un travail actif et l'éducation
de ses filles, auxquelles il apprit à peindre des fleurs, occupèrent dès lors sa vie. Vers la fin de carrière,
sa
il quitta Anvers et vint se fixer à Malines, où il fut
reçu dans la corporation des peintres en 1660. On sait,
par le témoignage de Corneille de Bie, que Van Thielen mourut en 1667, et un tableau conservé au musée
d'Anvers prouve qu'à cette date il était encore dans toute la force de son talent.
Comme Daniel Seghers, Van Thielen s'est complu à tresser des couronnes autour d'un médaillon, qu'il
faisait d ordinaire peindre par un de ses amis, et qui représentait un sujet religieux
ou un portrait. Il
connaissait admirablement le dessin de la fleur, il comprenait la magie de ses colorations éclatantes; il
aimait à faire voltiger autour de ses bouquets l'essaim bourdonnant des insectes. Mais ses fonds sont
un
peu noirs, sa manière est un peu lourde. Descamps est dans le vrai lorsqu'il dit, il propos de Van Thielen :
« Les deux seuls tableaux que j'ai vus de lui me font juger qu'il colorioit avec un peu moins de vivacité
que Seghers. » Il eut du succès cependant, et, au dix-septième siècle, les tableaux de Van Thielen étaient
chèrement payés par le roi d'Espagne et par « les plus qualifiés du Brabant
».

AN'Ens. Une Guirlande de ¡leut's. -Autre Guirlande o'-


tourant un cartouche orné d'une statuette en grisaille de la
MADRID. Des Fleurs autour d'une statuette de :illillt-
Jan/ues placée finis une niche.
Vierge tenant l'Enfant Jésus. Signe : 1. P. Van Thielen. /'. MILAN. Une Guirlande de fleurs autour d'un petit tableau.
1667. Signe : /. P. Van Thielen Rigouldtsf. 1648.
Ces deux tableaux proviennent de l'abbaye de Saint- NANTES. Médaillon formé de fleurs varices. (Au centie,
Bemard-sur-l'Escaut. l'Amour tenant son arc.)
LILLE. Des lulipes, des Roses et des -,I ne moues dans un VIENNE. La Vierge et l'Enfant Jésus, dans une guirlande
rase de cristal. Signé : Van Thielen. de fleurs. Signé : 1. P. Van Thiclen Rigouldts f. a° 1648
— Une Guirlande de fleurs. Signé : 1. P. Van Thielen f

THÉODORE BOEYERMANS
NE EN 1620. MORT VERS 1 677.

A le juger par quelques pages heureuses, Théodore Boeyermans est


un des peintres qui se sont le plus
approchés de la manière de Van Dyck. Il naquit à Anvers
en 1620 et se forma par l'étude assidue des
œuvres de ce maître; mais diverses circonstances l'ayant sans doute entravé à son début; il ne fut reçu
qu 'en 1654 dans la corporation de Saint-Luc.. La vie de Boeyermans ne présente d'ailleurs pas de fait
intéressant ; il mourut, sans avoir été marié, vers la fin de 1677
ou au commencement de, 1678,
Boeyermans a, comme peintre, des qualités qui auraient dû, croyons-nous, frapper plus qu'elles ne l'ont
fait l'attention des historiens de l'art flamand. Son imagination facile se joue aux grandes compositions,
son
dessin a des libertés heureuses; sa palette, un peu sombre quelquefois, abonde cependant en tons riches
et brillants : Boeyermans peint, non comme Van Dyck, mais dans sa manière, des têtes lumineuses et
vivantes. Le musée d'Anvers, les églises de Malines possèdent ses meilleures toiles ; il existe aussi, au musée
de Nantes, un tableau, les Vœux de saint Louis de Gonzagite, qui suffirait à donner une excellente idée du
talent de Théodore Boeyermans.

ANVERS. Un Ambassadeurdevant un rOI" — La Piscine ÉGLISE SAINT-JACQUES. L'Assomption de la Vierge, un des


de Bethsa'ide (1675). — Une Tête de femme.
— La Visite. — chefs-d'œuvre du maître. Ce tableau fut peint en 1671.
Anvers, mère nourricière des peintres. Ce dernier tableau COUVENT DES SoEURs NOIRES. La Guérisondu Paralytique.
ornait autrefois le plafond du salon de la confrérie de Saint- GAND. Vision de sainte Madeleine de Pazzi. — Saint
Luc, à laquelle l'artiste l'avait donné en 1665. Charles Borromée.
Boeyermans a également peint les figures de la Poésie et de la Vierge.-Le Meurtre
MALINES. BF,(;UI.XIGE. Mariage
de la Peinture dans le tableau allégorique offert, par Thierry de saint Rombaud.
van Delen à la confrérie de Saint-Luc. et qu'on retrouve all- NANTES. Les Vœux de saint Louis de (lonzar/uc. Signe
jourd'hui au musée d'Anvers. T. Bopi/ermans. 1671.

PIERRE ROEL
:'iÉ EN 1 TFSI. — MonT YEnS 1702.

Dans la notice que nous avons consacrée à Jean Fyt, notice dont les principales données sont empruntées
au catalogue du musée d'Anvers , nous avons, comme tout le monde, attribué à l'heureux rival de Snyders
le tableau de ce musée qui représente deux aigles dévorant leur proie. Par son énergie et par la hardiesse de
1 exécution, cette peinture ne nous paraissait pas indigne de Jean Fyt : mais, dans ces délicates questions, il

y a toujours place pour une erreur. Les savants auteurs du catalogue d'Anvers ont examiné de nouveau le
Repas de l'aigle, et, tout bien considéré, il paraît vraisemblable aujourd'hui que ce tableau n'est pas de
Jean Fyt, mais de Pierre Boel.
Ce Pierre Boel est d'ailleurs un peintre vigoureux, qui mérite à bien des égards de figurer dans notre
galerie. Il naquit à Anvers en 1622 ; la première partie de sa vie est médiocrement connue, et l'on ignore
quel fut son maître. On peut toutefois supposer qu'il se forma par l'étude de Snyders et de Jean Fyt, avec
lequel il a surtout de l'affinité. Il n'est pas moins savant que lui dans le choix de ses colorations, qui sont
toujours harmonieuses et fines.
D'après Corneille de Bie, Pierre Boel fit dans sa jeunesse un voyage en Italie. Il séjourna quelques années
à Rome, et nous croyons qu'il traversa la France en revenant dans sa patrie. Quoi qu'il en soit, il se maria à
Anvers en 1650, et sa femme, Marie Blanckaert, lui donna deux enfants.
A une date que nous ne saurions fixer d'une manière précise, mais qui est postérieure à 1663, Pierre
Boel vint à Paris. La manufacture royale des Gobelins venait d'être organisée sous la conduite de Lebrun.
Pierre Boel paraît y avoir été employé à peindre, dans les patrons de tapisseries, des animaux et des oiseaux.
Nous croyons du moins le reconnaître dans le « Boëls, peintre d'animaux», que M. Lacordaire mentionne
au nombre des artistes employés à donner des modèles aux tapissiers de Louis XIV.
Félibien, qui a parlé
aussi des travaux de notre peintre, l'appelle Boule, l'usage étant alors d'accommoder à la française
l'orthographe des noms des artistes étrangers.
La date de la mort de Pierre Boel a longtemps été ignorée; mais les renseignements consignés dans le
supplément au catalogue du musée d'Anvers nous autorisent à penser que l'habile maître a du mourir en
1702 ou 1703.
ANVERS. Le Repas de l'aigle. (C'est le tableau qui était MADRID. UnLièvre mort, un Cygne, et d'autres oiseaux
autrefois attribué à Jean Fyt.) gardés par trois chiens, dans un paysage.
Diverses pièces de gibier et des attirails de chasse réunis MUNICH. Deux Chiens de chasse gardant du gibier.
ii l'entrée d'un parc, tableau provenant de la vente Van den VENTE PLATTENRERG, 1774. Gibier, dans un paysage (220.).
Schrieck (407 francs). Pierre Boel a gravé à l'eau-forte quelques pièces d'une
GA?<D. Un Lièvre morte, t d'autres gibiers, excellenttableau exécution spirituelle et hardie.
de la coloration la plus vive et la plus délicate. A la vente du comte Rigal, en 1817, une épreuve de la
Chasse au Sanglier, fut payée 60 fr.

GILLES VAN TILBORGll


NÉ VERS 1625. - M'ORT VERS 1 67 8.

Nous ne possédons sur Gilles van Tilborgh ou Tilborg que des données insuffisantes et incertaines.
Dépourvues de toute garantie authentique, les dates de sa naissance et de sa mort, telles que nous venons
de les indiquer, ne sauraient être considérées que comme approximatives. On le croit fils d'un peintre
d'Anvers qui aurait porté le même prénom que lui et qui serait mort en ,1632. Mais laissons Iii les
hypothèses. Deux faits seulement sont certains, c'est que Van Tilhorgh est né à Bruxelles et qu'il fut admis
dans la corporation des peintres de cette ville le 26 mars 1654. M. le comte de Vence possédait, au
dix-huitième siècle, un tableau de Tilborgh qui représentait un Estaminet de paysans, et qui était daté
de 1658. Les érudits de Bruxelles devraient vraiment nous rendre le service de compléter, par des
recherches nouvelles, la biographie si mal connue de ce maître.
A en croire les dictionnaires, Van Tilborgh aurait été l'élève de David Téniers : l'assertion n'a rien
d'invraisemblable, et pourtant, lorsque nous examinons son œuvre, il nous paraît bien plus voisin encore
de François Duchâtel. Il a pris à Téniers le choix de ses sujets : intérieurs de tavernes, festins de paysans,
kermesses champêtres; mais il semble avoir emprunté à Duchâtel, et aussi à David Ryckaert, ses colorations
chaudes et parfois un peu opaques. Van Tilborgh a d'ailleurs été un peintre facile et fécond, et il est étrange
qu'on sache si peu à propos d'un artiste qui paraît avoir joui d'un certain prestige aux yeux des amateurs
de son temps. Pilldngton va jusqu'à dire, — mais nous n'en voulons rien croire, — que ses tableaux
furent un instant préférés à ceux de Téniers.

BRUXELLES. Les Princes de Ligne, de Chimay, de Rubem- Scène familière, signé Tilborgh fec. et inl'. Nous reprodui-
pre, de la Tour-et-Taxis et le duc d'Aremberg sortant il sons ci-dessous cette signature.
cheval du palais des ducs de Brabant. (Acheté en 1830, VENTE nu CARDINAL FESCH (Rome, 1843). Un Banquet
165 florins.) villageois.
DRESDE. Kermesse flamande.
LILLE. Fête de village (signé d'un monogramme formé
d'un T et d'un B). Ce monogramme est suivi d'une date dif-
ficile à lire, mais dont les premiers chiffres paraissent être
un 1 et un 5. Si cette énigme était un jour expliquée, la Fcte
de village serait l'œuvre de Van Tilborgh le Vieux.

JEAN SIBERECI-ITS
NÉ EN 1 627. MORT EN 170

Descamps nous jette dans des surprises extrêmes, lorsqu'il prétend que les paysages de Jean Siberechts
peuvent être confondus avec ceux de Berghem et de Karle Dujardin. Loin de ressembler à ces maîtres,
Jean Siberechts est un pur flamand, qui n'a pas grand souci de l'Italie, qu'il ignore, et qui peint, sans se
préoccuper de ridéal, des prairies très-vertes, des terrains humides et des rangées de peupliers ou de sailles.
Issu d'une famille de sculpteurs, il naquit à Anvers en 1627 ; on ne sait trop quel fut son maître. Il fut
reçu dans la gilde de Saint-Luc en 1648-1649, et il épousa peu après Marie-Anne Croes, qui lui donna deux
enfants. Sans parvenir jamais à la gloire, sans pouvoir lutter avec Wildens et avec Van Uden, Siberechts
mena à Anvers une vie tranquillementoccupée. 11 y demeurait encore en 1662, alors que Corneille
deBie
publia son Gulden Cabinet.
Quelques années après, une autre existence commença pour Jean Siberechts. Le duc de Buckingham,
traversant la Flandre en revenant de Paris, entra en relations avec notre paysagiste, qui se laissa emmener
en Angleterre. Dès lors, c'est à Vertue et à Horace Walpole qu'il faut demander des renseignements
sur Siberechts. D'abord employé par le due, qui le fit travailler à Cliefden, il resta en Angleterre après la
mort de son protecteur, survenue en 1688. Au temps de Walpole, les résidences aristocratiques de la
Grande-Bretagne contenaient plusieurs peintures de Siberechts, et aussi des aquarelles ou des gouaches
qui, nous dit-on, étaient plus faciles à rencontrer que ses tableaux. Il mourut en Angleterre en 1703.
Siberechts a aimé la nature familière de son pays, et toujours il lui est resté fidèle. En bon Anversois
très-simples
qu il était, il s'est volontiers préoccupé de la couleur : nous avons vu de lui plusieurs paysages,
de motif, où il s'est complu à faire briller le vêtement rouge d'une femme sur les tendres verdures d'une
prairie; la combinaison harmonieuse de ces deux tons lui souriait plus que toute autre. Mais Siberechts,
comme Wildens et les élèves de Rubens, a peint quelquefois dans la gamme chaude et brûlée. Son pinceau,
médiocrement attentif à la précision du dessin, est plein de vigueur, de caprice et de liberté.

ANVERS. Miracle de saint François d'Assises, paysage ILLE. Le Passage du Gué. -

signé et daté 1666.


BORDEAUX. Paysage flamand. — Deux Enfants sur le
premierl)lan ; au centre, une femme vétue d'un corsage rouge
et d'un jupon bleu.
BRUXELLES. La Cour de ferme. Signé : 1. Siberechts /.
anno 1660. Nous reproduisons cette signature.

ADRIEN GRYEF
VIVAIT DANS LA SECONDE MOITIÉ DU tIX-SEPTIÈME SIÈCLE

porté au
Avouons loyalement notre ignorance. D'après les textes, deux peintres flamands paraissent avoir
dix-septième siècle le nom de Gryef; tous deux se sont distingués dans la représentation des animaux, des
pièces de gibier, des objets inanimés ; mais on' ne sait pas si, comme l assure Campo Weyerman, ils
étaient frères, ou si, comme on est tenté de le supposer, Gryef le Jeune est le fils de Gryef le Vieux. Le
prénom d'Adrien, que nous avons inscrit en tête de ces lignes, a même été contesté: Nagler prétend que
Gryef s'appelait Antoine. Les dates ne sont pas moins incertaines. Le catalogue du
musée de^ Lille nous
né à Anvers
apprend seulement, mais sans citer son autorité, qu'un Gryef — le second, sans doute,
en 1670, fut recu maître de Saint-Luc en 1700 et se fixa
ensuite à Bruxelles, où il mourut en 1715.
qui, d après le
Pour nous, et en ne tenant compte que des tableaux, nous ne connaissons qu 'un Gryef,
paraît pas
caractère de ses œuvres, a dû travailler pendant la seconde moitié du dix-septième siècle; il ne
peut-être a-t-il travaillé avec Jean Fyt.
avoir été élève de Snyders, dont il n'a ni la largeur ni la puissance;
les plumages des
Il excelle à peindre le gibier; son pinceau, exact sans minutie, rend très-habilement
Combien il
oiseaux, le pelage soyeux des lièvres, et aussi les colorations délicates des fruits et des plantes.
quelques lignes à la
est à regretter que les historiens de l'art n'aient pas jugé à propos de consacrer
'exéctitioii, se
biographie de ce peintre, qui annonce déjà la décadence, niais qui, par la finesse de l
recommande encore à la sympathie des curieux !
LOLVRE. Paysage O¡;f(' des pièces de gibier, signé, : VENTE Dt PRINCE DE KIBEMPRK (Bruxelles H65). Gibier.
.t. Gryef f. 1)70 florins.
ANGLETERRE. COLLECTION M COLONEL WYNI)IIA)I. Deux VENTE DU CARDINAL FESCH (Homo 1845). Gibiei mort.
sujets de chasse.
DIJON. Deux lièvres, des perdrix, une becasse, etc.
LILLE. Légumes et fruits, signé A. Gryef f. Nous repro-
duisons cette signature.
NANTES. Cavaliers débouchant dans un chemin creux.
L'authenticitéde ce tableau n'est pas établie.

GILLES SMEYERS
NK EN 16,15. - MORT KN 1710.

Nous touchons, avec Gilles. Smeyers, au moment où les écoles vont de plus plus mêler
en se et
se confondre,
ou l accent flamand va commencer à s'effacer. Aux peintres qui n'ont connu ni Rubens, ni Van Dyck,
il semble avoir manqué un puissant élément d'instruction. Gilles Smeyers fut
un de ceux-là. Né à Malines
en 1635, il entra dans l'atelier de Jean Verhoeven, et, dès sa jeunesse jusqu'à la fin de sa vie, il peignit,
sans faire beaucoup parler de lui, des tableaux religieux pour les églises et les couvents de la province.
On ignore s 'il a voyagé, et cependant. l examen de
son œuvre semble prouver qu'il a connu l'art
contemporain et même l'école française. Il mourut à Malines en 1710.
Mensaert, dans son Peintre amateur et curieux, Descamps, dans
son Voyage pittoresque, nous
fournissent quelques renseignements sur les tableaux dont Gilles Smeyers avait décoré les églises de
sa
ville natale. Il avait peint pour les Dominicains, saint Pierre,
saint Paul et saint Dominique; pour
Sainl-Rombault, l'Açsonîpti,*oîz de la Vierge, Il travailla aussi
pour les abbayes d'Afflighcm et de Ninove.
Tous ces ouvrages sont plus ou moins dispersés aujourd'hui; mais le musée de Bruxelles recueilli deux
a
tableaux
.
Saint Norbert consacrant deux diacres et la Mort de saint Norbert, — qui peuvent être cités
au premier rang dans l 'œuvre du maître. Ce sont de grandes peintures claires et faciles, bien composées
d 'ailleurs, et doucement harmonieuses dans leur coloration pâlie. Smeyers aimait les effets
tendres et
discrets; il mettait partout des tons gris, argentins, bleuâtres, qui sont évidemment
sans force, .mais qui
ne sont pas sans distinction. Nous ne voulons étonner personne; nous devons avouer, toutefois, que
Gilles Smeyers nous a bien souvent fait songer à Subleyras.

BRUXELLES. Saint Norbert consacrant deux diacres. MALINES. EGLISE SAINT-JEAN.— Jésus-Christ
— entouré de
Mort de saint Norbert. divers saints. Signé : G. Smeyers.

ADRIEN-FRANÇOIS BOUDEWYNS
NÉ EN 1644. — MORT VERS 1700.

L obscurité la plus complète a longtemps régné


sur la vie de Boudewyns, dont on ignorait les origines,
les prénoms et l 'hist,oii-e. Mais M. Alexandre Pinchart, chef de section archives de Belgique, s'est
aux
chargé de faire la lumière dans cette biographie
que les plus ingénieuses conjectures n'avaient pu parvenir
à éclairer. Nous empruntons au supplément du catalogue du musée d'Anvers (1863) les
renseignements qui
suivent, et dont l'érudition française pourra désormais profiter.
Adrien-François Boudewyns, que Mariette et nos anciens livres appellent quelquefois Bauduins
ou même
Baudouin, est né a Bruxelles en 1644. Il apprit à peindre dans l'atelier du paysagiste Ignace
van den Stock,
et, le 22 novembre 1665, il fut reçu dans la corporation des peintres de sa ville natale. Il s'y était marié
l'année précédente avec Louise de Cenl.
Boudewyns vint ensuite en France : il y était déjà vers 1669 ou 1670; c'est du moins ce qui résulte d'un
passage dans lequel Houbraken raconte qu'Abraham Génoels, le peintre de batailles Jean van Huchtenburg
et notre paysagiste furent envoyés en Brabant, sur l'ordre de Louis XIV, pour peindre une vue du château
de Marimont, qui fut reproduite en tapisserie à la manufacture des Gobelins.Les recherches de M. Pinchart
prouvent, en outre, que Boudewyns n'était pas à Bruxelles pendant la période comprise entre 1673 et 1677.
Cette époque est celle de son séjour en France.
En arrivant à Paris, Boudewyns avait mis son pinceau au service de son célèbre compatriote Van der
Meulen. Nous croyons, bien qu'on ait dit le contraire, qu'il fut son aide plutôt que son élève, car il était
maître de Saint-Luc dès 1665, et il savait déjà son métier lorsqu'il vint en France. Van der Meulen avait
dix ans de plus que lui; c'était, d'ailleurs, un excellent paysagiste : on est donc autorisé à penser que
Boudewyns ne travailla pas, sans profit pour son talent, avec le peintre de batailles de Louis XIV. Nous
croyons aussi que c'est à Paris que le jeune artiste apprit à graver : on sait qu'il a reproduit d'une manière
remarquable plusieurs tableaux de Van der Meulen, notamment les Vues de Fontainebleau et de Vincennes,
et quelques paysages de son ami Abraham Génoels.
En 1677, Boudewyns était de retour à Bruxelles. Il y ouvrit un atelier où entrèrent plusieurs élèves,
entre autres Mathieu Schoevaerdts, qui devait, lui aussi, devenir un habile paysagiste. Immerzeel prétend
que Boudewyns est mort en 1700; cette date n'aurait rien d'invraisemblable, mais elle n'est pas encore
authentiquementétablie.
Pendant la seconde partie de sa vie, et alors qu'il demeurait à Bruxelles, Boudewyns associa à ses travaux
un jeune peintre, Pierre Bout, qui peignait des figures dans ses paysages ou ses vues de villes et de
monuments. Bout, né en 1658, se maria en 1695 et eut une fille en 1702. Sa vie est d'ailleursmal connue,
et la date de sa mort est ignorée. Ce qu'on sait, ce que tout le monde raconte, c'est que les deux peintres
travaillèrent souvent ensemble, et que cette intelligente collaboration a produit de nombreux tableaux,
qui, sans tenir un rang élevé dans les collections, sont cependant spirituels, curieux et amusants pour le
regard désœuvré.

LOUVRE. à Anvers (figures


L'Ancien Marché aux Poissons, VIENNE. Deux Paysages ornés d'animaux et de figures.
de Pierre Bout). par P. Bout.
BRUXELLES. CABINET DU DUC D'ARENBERG. Deux paysages. VENTE DE LA COMTESSE DE VERRUE (1737). DeuxPaysages
CAEN. Les Bestiaux à l'abreuvoir. Les Bohémiens. 160 liv.
DRESDE. Marché au bétail. Le Lac. La Porte du couvent. VENTE DU COMTE DE VENCE (1761). Deux Paysages, avec
Édifices au bord de la mer. Cinq autres paysages. de nombreuses figures de Pierre Bout. 440 liv.
MONTPELLIER. Deux paysages (figures de Pierre Bout). VENTE DU CARDINAL FESCfI (Rome, 1845). Le Passage du
NANTES. Le Moulin à eau. bar. La Lisière d'un bois.

JEAN VAN ORLEY


NÉ VERS 1665. - MORT EN 1736.

de la
L'œuvre facile, mais sans caractère, de Jean van Orley marque un nouveau pas dans la voie
décadence. Bien qu'il ait eu, aux premières années du dix-huitième siècle, une sorte de réputation, nous ne
éloge. Nous trouvons cependant
voyons pas que les biographes aient pris grand soin de nous conserver son
dans le Peintre amateur, de G. Mensaert, quelques renseignements qui, à défaut d'autres, constituent un
né à Bruxelles le
commencement d'informations. A en croire l'artiste écrivain, Jean van Orley serait
4 janvier 1665; il fut élève de son oncle, qui était religieux récollet et
qui passait pour avoir du talent.
l 'ai-t, italien
Mais Van Orlev fut surtout ainsi mw. le prouve son œuvre. le disciple de son temps, a connu
il
tel (lue t'entendait Pierre de Coftone, il a connu les maîtres français du règne de Louis Xl\; aussi a-t-il
fait prédominer dans sa manière l'élément décoratif, l'improvisation, la recherche du succès facile. Une
partie de sa vie a été consacrée à donner des patrons pour les fabriques de tapisseries de Bruxelles. « Ce
travail, dit assez étrangement Mensaert, a été la cause qu'il est tombé de son coloris naturel, qui étoit assez
délicat, et qu'il a donné dans le goût des couleurs burlesques. » A vrai dire, le coloris de Jean van Orley
n'est pas plus « burlesque » que celui des peintres de son temps et de Mensaert lui-même. Mais l'artiste
était fort employé par les maîtres tapissiers; il fallait, pour leur complaire, peindre au galop, inventer des
allégories, rajeunir les vieux symboles mythologiques; la perfection du travail n'était plus qu'une question
secondaire. Jean van Orley était toujours prêt. Il peignit le plafond de la Chambre du Greffe à l'hôtel de
ville de Bruxelles, et de nombreux tableaux pour les églises et les couvents des environs. Il mourut
le 22 février 1735, « laissant à ses héritiers, dit Mensaert, de très-bonnes rentes en biens-fonds. »
Jean van Orley avait un frère aîné, nommé Richard, qui, dans un art différent, ne fut guère moins célèbre
que lui. Né à Bruxelles en 1663, il fut aussi l'élève de son oncle le récollet. Mensaert, qui parle avec
complaisance de Richard van Orley, raconte « qu'il donnoit dans la mignature, et qu'il lavoit à l'encre de
la Chine, sur papier blanc, d'une grande propreté». Nous connaissons, en effet, des miniatures de Richard
van Orley. Ce qui y manque le plus, c'est l'esprit; mais nous ne croyons pas qu'il soit possible de pousser
plus loin le soin scrupuleux de l'exécution et les caresses minutieuses du pinceau. Richard aimait à traiter
des sujets empruntés à la mythologie, et, pour le sentiment de la poésie antique, il est exactement à la
hauteur des Coypel. Il a dessiné au crayon, ou peint à la gouache, de nombreuses vignettes dontles libraires
de son temps ont illustré leurs livres; il a lui-même gravé quelques estampes d'après Rubens et d'après
son frère, car la complaisance de son éclectisme lui permettait d'aflmirer ce qui s'exclue. Descamps
prétend que Richard van Orley aurait produit encore davantage s'il n'avait accepté les fonctions de
contrôleur des rentes de la ville de Bruxelles. Il mourut, d'après Mensaert, le 6 juin 1732, et fut enterré,
comme son frère, à Saint-Géry, sous la pierre tombale de Bernard van Orley; ils avaient en effet l'un et
l'autre la prétention de descendre de l'habile artiste du seizième siècle, dont M. Wauters nous a raconté
l'histoire.

BRUGES. CATHÉDRALE DE SAINT-SAUVEUR. La Pêche mira- Le musée d'Anvers possède un tableau (la Rentréedu pape
culeuse. La Madeleineaux pieds du Christ. Innocent II à Rome), qui provient de l'abbaye de Tongerloo
On conserve dans la sacristie de la même église huit et que le catalogue attribue à Richard van Orley.
grandes tapisseries exécutées par Van der Borght, d'après On a vendu à Paris, le 2 mai 1862, deux miniatures mytho-
les dessins de Jean van Orley. logiques de Richard van Orley. L'une a été payée 830 fr.,
Richard van Orley a gravé, d'après les compositions de l'autre 2,130 fr. La première était signée R. V. Orley 1697.
son frère, une suite de vingt-huit sujets tirés du Nouveau Cette signature nous permet de rétablir le véritable nom de
Testament l'artiste, dont Mensaert avait altéré l'orthographe.

THÉOBALD MICHAU
NÉ EN 1476. —MORT VERS 1769.

Théobald Michau paraît avoir hérité, au commencement du dix-huitième siècle, de la vogue que s'étaient
acquisè les pinceaux fraternellement associés de Boudewyns et de Pierre Bout. Insatiables dans leur
curiosité, les amateurs demandaient toujours des perspectives animées de milliers de personnagesj
des marchés en plein vent, des danses rustiques au seuil des tavernes égayées. Michau donna
généreusement aux amateurs ce qu'ils exigeaient de son zèle. La date de sa naissance paraît pouvoir être
fixée à 1676; mais les uns le font naître à Bruxelles, les autres à Tournai. Pilkington ajoute, non sans
quelque vraisemblance, qu'il se forma dans l'atelier de Pierre Bout. Michau étudia aussi les paysanneries
de Téniers. Sa biographie reste d'ailleurs à faire. Si Descamps n'a pas parlé de lui, c'est que l'artiste vivait
Michau était allé se lixer à Anvers, et l'on
encore à 1 heure ou il écrivait son livre. Un peu avant 1755,
vente après décès, dont le catalogue nous a
assure qu'il y vécut jusqu'en 1769. Un fait certain, c'est que sa
des tableaux de sa
été conservé, eut lieu à Anvers le 15 juin 1772. Sa collection ne contenait guère que
main.
celle de Téniers, qui passe
Dans la manière facile et légère que Michau s'était faite, il reste bien peu de
dix-huitième siècle y sont au contraire nettement
pour avoir été son modèle. Les caractères de l'école du
dans
écrits. Michau n'est pas un peintre tout à fait sérieux : il compose avec esprit, il groupe savamment,
délavé, et ses peintures rustiques
des paysages gais, des multitudes de figurines; mais son coloris est pâle et
familier doit être cherché dans
ont peu d'accent, surtout lorsqu'on songe que le point de départ de cet art
Breughel.
VENTE PRINCE DE RUBIDIPRÉ (Bruxelles 1765). Quatre
CAEN. Un Paysage. DU

MADRID. Un Port de mer. Un Paysage. paysages enrichis de figures, 591 florins.


pois- VENTE CHOISEUL, 1775. Deux Vues des environs du Rhin.
NANTES. Les Joueurs de cartes. Les Marchands de
988 livres.
sons. Quatre autres paysages.
village; signés VENTE DU CARDINAL FESCH (484A\Les Vendeurs de marée.
VIENNE. Les Patineurs. Foire devant 1/11

tous deux T. Michau


Un Port de mer.

CHARLES BREYDEL
NÉ F. N 1677. —MORT EN 1744.

de ces artistes
Charles Breydel, ou le chevalier Breydel, ainsi qu'il aimait à se faire appeler, est un
après le succès, et
capricieux comme on en rencontre tant au dix-huitièmesiècle. Il a passé sa vie à courir
il paraît avoir été doué d'un singulier besoin de
locomotion. Son talent a souffert de ces mœurs voyageuses.
Né à Anvers en 1677, il fut élève de Pierre Rysbraeck, mais c'est en
Allemagne, à Francfort, à Nuremberg,
tard à Amsterdam, il se lia
à Cassel, qu'il apprit véritablement son métier. Dans une excursion qu'il fit plus
de Vos, qui l'employa à copier les œuvres de quelques maîtres plus
avec un marchand de tableaux, Jacques
quantité considérable
anciens, et entre autres de Jean Griffier. Charles Breydel peignit à cette époque une
de bateaux et bordé de montagnes ou
de vues du Rhin, ou plutôt d'un fleuve un peu chimérique, chargé
aussi d'un grand secours : il devint
de constructions pittoresques. L'étude des tableaux de Breughel lui fut
mieux qu 'il oubliait le mieux sa
savant dans le pastiche, et, chose triste à dire, il réussissait d'autant
propre personnalité.
Breydel revint ensuite à Anvers, se maria avec Anne Bullens, dont il eut
cinq enfants, et sans trop se
Bruxelles en 1724, à Gand en 1727, à
soucier de sa famille, il reprit sa vie errante : nous le retrouvons à
où Anne Bullens l'attendait toujours.
Bruxelles encore un peu plus tard, partout enfin, excepté à Anvers,
été le grand Rubens, il sentit le
Cependant Breydel vieillissait : tourmenté de la goutte, comme l'avait
fixer à Gand, et c'est là qu 'il
besoin d'asseoir enfin sa vie inquiète et dissipée : il revint, en 1737, se
mourut en 1744.
de l'art, meilleure que la première. Il avait
La seconde partie de la vie de Breydel fut, au point de vue
à renoncé au pastiche, et, après avoir étudié Van der Meulen et les autres peintres de sujets
peu peu
capable, à la peinture anecdotique des
militaires, il s'était consacré, avec toute la gravité dont il était
médiocrement historiques, mettent aux
batailles. C'est dans ce genre qu'il a le mieux réussi. Ses tableaux,
Breydel emmêle spirituellement les groupes.
prises des Allemandsinexacts avec des Turcs de fantaisie; mais
il peint assez bien les chevaux, et, grâce à des
qualités peu sévères, il jouit encore de quelque estime
auprès des curieux qui se plaisent aux batailles enjouées.

de cavalerie. Deux tableaux provenant tailles est signée C. Breydel. Nous reproduisonscette signa-
BRUXELLES. Chocs
de l'abbaye de Saint-Bernard-sur-l'Escaut. L'une de ces ba- ttire.
CABINET DU DUC D'ARENBERG. Combat de cavaliers.
VENTE GUIGNON (1774). Deux Batailles turques, 499
livres.
VENTE PARR (1802). Scènes des guerres civiles de h
Flandre, deux tableaux, 980 fr.

GUILLAUME-JACQUES HERREYNS
NÉ EN 1 748. —MORT EN 1827.

Guillaume Jacques Herreyns est, à bien des égards, le dernier des Flamands. Il a vu s'éteindre l'art
facile du dix-huitième siècle, il a assisté à la renaissance pseudo-antique inaugurée par l'école de David,
et s'il avait vécu quelques jours de plus, il aurait vu la peinture belge s'affranchir et se régénérer de
nouveau. Né à Anvers en 1743, il suivit les cours de l'Académie, et après y avoir remporté plusieurs prix,
il y professa, dès 1765, la perspective et le dessin d'après l'antique. Il reçut ensuite la mission d'organiser
l'académie de Malines, et, en 1780, il fut nommé peintre du roi de Suède.
Pendant la période révolutionnaire, Herreyns rendit à l'art des services de toutes sortes. Il déploya
le plus grand zèle pour sauver les tableaux et les statues des églises. En 1800, il devint professeur de
l'école spéciale de peinture d'Anvers, et lorsque l'Académie fut réorganisée, en 1803, il fut maintenu
dans ses fonctions, ses aptitudes le rendant éminemment propre à l'enseignement. Le vieux peintre mourut
à Anvers le 10 août 1827.
L'œuvre de Guillaume-Jacques Herreyns est un compromis entre le style des diverses écoles de son
temps. Son dessin est plus correct que celui des maîtres du dix-huitième siècle, mais il est froid et sans
accent. Herreyns eut pourtant la force de résister aux dangereuses doctrines qui, sous le règne de David,
traversèrent la frontière et envahirent la Belgique. Tout prouve qu'il avait conservé au fond du cœur le
souvenir des grandes traditions de l'école flamande ; seulement, le monde était si sage autour de lui qu'il
n'osait faire passer dans son œuvre l'ardeur secrète de ses vieilles admirations. Il a surtout péché par le
coloris : ses tableaux sont exécutés dans une gamme brune ou rougeâtre qui montre à quel point Rubens
et Van Dyck étaient peu compris à cette malheureuse époque de l'histoire de l'art. Le nom de Herreyns
ferme donc assez tristement la liste des glorieux maîtres de l'école flamande, et rien, dans son œuvre
trop prudent, ne pouvait faire prévoir l'heureux réveil qui s'est produit dans l'art de nos voisins, ou pour
mieux dire, de nos amis.

ANVERS. EGLISE NOTRE-DAME. La Cène. Le Musée de Malines possède, en outre, un certain nombrp
MUSÉE. Portraits de J. Ghesquière (1793), de Jacques de de dessins de G. Herreyns, exécutés de 1771 à 1775.
-
Bue, de G.Hermans, etdeJ.-J. deBrandt (1809). Le Der-
nier soupir du Christ, signé Pinxit G. Herreyns Beg. Suec.
pr. C'est cette signature que nous reproduisons ci-dessous.
EGLISE DE DEURNE. La Purification de la Vierge.
MALINES. EGLISE SAINT-JEAN. La Cène (1793).
INTERCALÉES DANS LE TEXTE

NOMS DES PEINTRES TITRES DES SUJETS DESSINATEURS GRAVEURS

VAN CK (fllmERT ET JEAN). Leurs portraits E. BOCOURT. GUILLAUME.


» La Femme de J. Van Eyck »
DUPRÉ.
» Ensevelissement de Jésus >.
GUILLAUME.
» Triomphe de l'Agneau à Gand » L. CHAPON.
» Dieu le père, la Vierge et saint Joseph »
PANNEMAKER.
» Sainte Barbe » L. CHAPON
» La Vierge du Louvre » »
" Le Chanoine Pala d'Anvers » GUILLAUME.
" Saint Luc peignant la Vierge » L. CHAPON

MEMLINC (JEAN). Son portrait E. BOCOURT. L. CHATON.


Un Ange jouant de la musique METTAIS. »
n Sainte Véronique E. BOCOURT. GUILLAUME.
f) Arrivée de sainte Ursule à Rome » L. CHAPON
w La Présentation au Temple »
DELANGLE.

VANDERVEYDEN(RoGER,deBruxelles). Son portrait E. BOCOURT. SIMON.


» L'Annonciation » SOTAIN.

»
Le Pape Grégoire recevant la tête de Trajan
Descente de croix de Madrid
.. »
»
»
ETTLING.
» Philippe le Bon » »

VANDER GOES (HuGo). Portrait postiche E. BOCOURT. SOTAIN.


» Les quatre Marie EUSTACIIE- LORSAY. ROBERT.
" Madone de Munich » MINNE.

MATSYS (QUENTIN). Son portrait E. BOCOURT. VERDEIL.


" Tête de Christ »
GUILLAUME.
Le Puits d'Anvers »
GAUCHARD.
n Ensevelissementdu Christ d'Anvers »
GUILLAUME.
» Les Avares PREEMAN. GAUCIIARD.
" Le Banquier et sa femme, du Louvre
...... E. BOCOURT. GUILLAUME.

GOSSART (JEAN, de Maubeuge). Son portrait E. BOCOURT. GUILLAUME.


" Jehan Carondelet » DELANGLE.
" Les quatre Marie »
SOTAIN.
» Jésus chez Simon le Pharisien » »
» Les Juges intègres »
ROBERT.

VAN ORLEY (BERNARD, on de Brmellcs). Son portrait E. BOCOURT. SIMON.


11 Adoration des Mages »
SOTAIN.
Mariage de la Vierge » "

,"....
Saint Norbert réfutant l'hérésiarque Tanchelin PAQU!ER. ETHER)NGTo\
Portrait de femmefemme......... E. BOCOURT. MÉAIJLLE
NOMS DES PEINTRES TITRES DES SUJETS DESSINATEURS .;RAVEURS

COXIE (MICHEL DE). Son portrait E. BOCOURT. II. LINTON.


Sainte Barbe » L. Cll,%PON.
»
»
Jésus victorieux GAGNIET. MÉAULLE.
Jésus couronné d'épines E. BOCOURT. ETTLING.
,,
»
La Cène »
CHAIIUNEAU.

rORBUS (PIEIIHE et FHANÇOIS). Son portrait E. BOCOURT. GUILLAUME.


La Résurrection »
ROBERT.

»
Portrait de Van der Gheenste »
MÉAULLE.

FRANS FLORIS (FRANÇOIS De Vriends). Son portrait E. BOCOURT. L. CHAPON.


La Mélancolie CARLONI. SOTAIN.
»
L'Odorat PAQUIER. DUPRÉ.
»
»
La Sainte Vierge et l'EnfantJésus »
PANNEMAKER.
Hercule terrassant l'Hydre METTAIS. DUPRÉ.
o

BREUGHEL (des Paysans et d'Enfer). Leurs portraits E. BOCOURT. L. CHAPON.


Le Bâilleur »
GAUCHARD.
»
L'Alchimiste PAQUIER. L. CHAPON.
»
Bataille de paysans »
DELANGLE.
»
La Résurrection »
GAUCHARD.
»

VOS (MARTIN DE). Son portrait PAQUIER. QUARTLEY.


Une Lionne et Lionceau DE MORAINE. «
>.
Paon et Sirenx DE MORAINE. ROLAND.
»
Jésus chez Marthe et Marie GAGNIET. GUILLAUME.
»
L'Ermite PAQUIER. TRICIION.
x

VENIUS (OTHO). Son portrait A. II. CABASSON. PANNEMAKER.

«> Un aveuglementest suivi d'un autre » »

» Rien ne dure, afin que tout dure » »

»
L'Éternité est le fruit de nos études » »

»
Joconde » w

BRIL (PAUL). Son portrait II.EMY. REGNAULT.


Chaumière D'AUBIGNY. DESCHAMPS.
»
Site agreste »
LA VIEILLE.
»
La Chasse aux canards »
DUJARDIN.
»
» Diane et ses nymphes » »

VAN BALEN (HENRI). Son portrait E. BOCOURT. GUILLAUME.


Sainte-Famille » SOTAIN.
»
Le Repas des Dieux. »
VEUDEIL,
»

JANSSENS (ABRAHAM). Portrait postiche Il. EMY. REGNAULT.

>1 La Ville d'Anvers et l'Escaut E. BOCOURT. SOTAIN.


La Mise au tombeau METTAIS. PANNEMAKER.
»

PETER NEEFS. Portrait postiche E. BOCOURT. SOTAIN.


Intérieur d'église CATENACCI. TRICIION.
>.
)) » »
)1

PORBUS (FRANÇOIS, le jeune). Son portrait E. BOCOURT. GUILLAUME.


Marie de Médicis CARLONI. L. CHAPON.
1)
Henri IV RAPINE. RAPINE.
»

PEPYN (MARTIN), Son portrait E. BOCOURT. GUILLAUME


Sainte Élisabeth lavant les pieds des pèlerins. » LACOSTE jeune.
»
)'
Sainte Élisabeth distribuant des aumônes ... »
SOTAIN.

fi IIEL
REUG de Velours (Jean Breughel, dit). Son portrait BILLOTTE. QUARTLEY.
DUJARDIN.
Le Canal CATENACCI.
»
Le Chariot AUBER. PIERDON.
Vue des environs de Bruges PAQUIER. t'oTHEY.
u
La Chapelle du chemin ........ »
SARGENT.
NOMS DES PEINTRES TITRES DES SUJETS DESSINATEURS GRAVEURS
-

RUBENS (PIERRE-PAUL). Son portrait A. H. CABASSON. DUJARDlN.


» Silène » J. QUARTLEY.
» Suzanne au bain » FAGNION.
•" La Descente de croix d'Anvers FREEMAN. PIAUD.
» L'Arc-en-ciel.. '. L. MARVY. TIUCHON.
. -
La Fuite en Égypte
.
JI A. H. CABASSON. J. QUARTLEY.
" 8 Les Fils de Rubens » CARBONNEAU.
» La Conclusion de la paix » FAGNION.
8 Vénus et les Amours » PANNEMAKER.
n Le Château de Steen V. BEAUCÉ. LAVIEILLE.
» Henri IV A. H. CABASSON. »
8 ' La Marche de Silène MASSON.. GAUCHARD
.
» La VISITATION A. H. CABASSON. PANNEMAKER.
* La KERMESSE. MASSON. LAVIEILLE.
» Armes de Rubens » »

SNEYDERS (FRAXÇOIS). Son portrait E. BOCOURT. DELANGLE.


" * La Chasse FREEMAN. SARGENT.
» Le Marchand de gibier » »
.
» La Chasse au sanglier » »
^ Chiens dans un garde-manger
8 »
» .

FRANCKEN (FRANÇOIS, le jeune). Son portrait E. BOCOURT. ETTLING.


» L'Enfant prodigue » SOTAIN.
a Départ de l'Enfant prodigue » ETTLIN^.

TÈNIERS (DAVID, le vieux). Son portrait BILLOTTE. FAGNION.


» ' Le Fumeur ; GAGNIET. »
8 ' Clair de Lune E. BOCOURT. LAVIEILLE.

WILDENS (JEAN). Son portrait E. BOCOURT. GUILLAUME.


8 La Mare » BURGON.
» * Le Cavalier RAPINE. RAPINE.
.

HALS (FRANÇOIS). Son portrait.. E. BOCOURT. GUILLAUME.


.
8 ' Le Fifre GAGNIET. JATTIOT.
8 Un Gentilhomme et sa femme » VERMORCKEN."
" Béatitudes » DEGHOUY.
. .
8 Portrait de Descartes E. BOCOURT. LAVIEILLE.

DE CRAYER (GASPARD). Son portrait A. HADAMARD. GODARD.


.
8 Multiplication du pain PAQUIER. MAURAND.
" Saint Charles Borromée HADAMARD LIGNY.
.
» Extase de saint Augustin GAGNlET. PANNEMAKER.
8 Martyre de saint Biaise A. H. CABASSON. GAUCHARD.

VOS (CORNEILIÆ DE). Son portrait E. BOCOURT. GUILLAUME.


» Abraham Grapheus » DELANGLE.
» Saint Norbert recueillant des hosties » »

STEENWICK (HENRY). Son portrait FREEMAN. DUJARD1N.


» Intérieur d'église. CATENACCI. TRICHON.
» Jésus chez Marthe et Marie » FAGNION.

SEGHERS (DANIEL). Son portrait BILLOTE. LAVIEILLE.


T
B Fleurs PARENT. MIDDÉRICH.
» Vase de Fleurs E. BOCOURT. L. CHAPON.
.
SEGHERS (GÉRARD).
»
Son portrait
L'Annonciation
. .......... BILLOTTE.
GAGN1ET.
CHEVAUCHET.
GAUCHARD.
n Saint François-Xavier PAQUIER. DUPRÉ.
»
* Sainte Cécjle, ................
Reniement de saint Pierre A. H. CABAssoN.
GAGNIET.
FAGNION.
GUILLAUME
NOMS DES PEINTRES TITRES DES SUJETS DESSINATEURS GRAVEURS

SNAYERS (PIERRE). Son portrait E. BOCOURT. DELANGLE.


» Combat des paysans » »
» La Conversion de saint Paul METTAIS. SOTAIN.

JORDAENS (JACQUES). Son portrait V. BEAUCÉ. DUJARDIN.


» Satyre chez le Paysan A. H. CABASSON. TAZZINI.
»
»
Comme chantent les vieux sifflent les jeunes
Martyre de sainte Apolline
.. JACQUE.
A. H. CABASSON.
DUJARDIN.
Delangle etDeghoul.
» Jupiter et la chèvre Amalthée MASSON. LAVIEILLE.

VAN UDEN (LucAs). Son portrait E. BOCOURT. DUJAHDIN.


1) Paysage FREEMAN. PISAN.
w
»
»
La Halte dans le bois
Le Chariot renversé
Vue de Flandre ... »
D'AUBIGNY.
PAQUIER.
FAGNION.
SARGENT.
»

FRANKEN (JÉRÔME). Son portrait E. BOCOURT. SIMON.


)J Tète Chapitre
» »
" Décollation de saint Georges GAUCIIARD.
»
" Martyre de saint Crépin et saint Crépinien... » ROBERT.
» Saint Sébastien rendant la parole à Zoé SOTAIN.
»

ROMBOUTS (THÉODOREY. Son portrait BILLOTTE. TRICHON.


» Un Chanteui PAQUIER. L. CHAPON.
" La Vierge et Jésus DUPRÉ.
»
" Le Sacrifice d'Abraham :
. » »
Le Charlatan E. BOCOURT. GAUCHARD.

SCHUT (CORNEILLE). Son portrait E. BOCOURT. GUILLAUME.


J) Petits enfants A. PAQUIER. DEGREEF.
J)
'
La Vierge et Jésus
Martyre de saint Georges ... »
REUTMANN.
DELANGLE.
VERDEIL.
1) Héro et Léandre EUSTACHE-LORSAY. DELANGLE.

VAN IIŒCK (JEAN). Portrait postiche E. BOCOURT. SOTAIN.


^ Saint Jean-Baptiste VERDEIL.
»
» Philémon et Baucis METTAIS. ROBERT.

MIEL (JEAN). Son portrait BILLOTTE. PIAUD.


" Le Mendiant
» „
" Danse PAQUIER. CARBONNEAU.
" Départ pour la Chasse MARVY. DUMOJNT.
J) Halte devant l'Auberge JACQUE. TRICHON.

VAN UTRECHT (ADRIEN). Son portrait E. BOCOURT. GUILLAUME.


J) Poissons SOTAIN.
»
Nature morte SOTAIN.

VAN MOL (PIERRE). Portrait postiche. CATENACCI. SARGENT.


» Mazarin A. PAQUIER. L. CHAPON.
Danse Flamande EUSTACHE-LORSAY. CARBONNEAU.

VAN DICK (ANTOINE). Son portrait HADAMARD. TRICHON.


» Christ en croix
,, »
» Couronnement d'épines MASSON. PREDIIOMME.
» Charles IER, roi d'Angleterre FAUNION.
»
^ Amiral N. Vander Borcht A. H. CABASSON. TIMMS.
J) Henriette de France PAQUIER. CARBONNEAU.
Mariage mystique de Hermann Joseph....
..........
* A. Il. CABASSON. TIMMS.
Les Enfants de Charles pro
» La Sainte-Vierge
........ »

BROWN.
PANNEMAKER.
NOMS DES PEINTRES TITRES DES SUJETS DESSINATEURS GRAVEURS

FOUQUIÈRES (JACQUES). Son portrait E. BOCOURT. GUILLAUME.


" Passage A. PAQUIER. GAUCHARD.
1) Le Chariot » »
JJ Effet de neige J) BOURCIER.
» La Chasse aux canards J. SARGENT.

VAN OOST. Son portrait A. PAQUIER. GUILLAUME.


» Saint Antoine en extase devant Jésus E BOCOURT. ROBERT
» Un Carme pansant la jambe d'un Frère.... GAGNIET. SOTAIN.
» Saint Charles Borroméo » DUPRÉ.
» Saint Augustin lavant les pieds de Jésus-Christ. E. BOCOURT. GUILLAUME.

VAN DIEPENBEECK (ABRAHAM) Son portrait E. BOCOURT. GUILLAUME.


H Christ à la colonne ED. WATTIER. BREVIÈRE.
» Sainte Marguerite » DELANGLE.
n Mariage de sainte Catherine GERLIER. PANNEMAKER.
Ji Le Haras
... ED. WATTIER. SOTAIN.

VAN TULDEN (THÉODORE). Portrait postiche CATENACCI. SARGENT.


. ,
" Un Cavalier et une Dame E. BOCOURT. IIUREL.
» Le Christ à la Colonne
.... » L. CHAPON.

QUELLYN (ERASME, le vieux). Son portrait E. BOCOURT. GUILLAUME.


» Jésus METTAIS. CARBONNEAU,
»
Elisabeth, la Vierge, Jésus, saint Joseph.... ED. WATTIER. DUPRIt.
»
»
La Vierge, Jésus, sainte Anne et saint Jean
Enfants et Satyres .. A. PAQUIER.
»
»
DELANGLE.

CRAESBEKE (JosEPH). Son portrait A. H. CABASSON. DELANGLE.


» Soldats et femmes E. BOCOURT. »
» L'Atelier JACQUE. SOTAIN.

FYT (JEAN). Portrait postiche E. BOCOURT. SOTAIN.


» Nature morte ALLONGÉ. L. CHAPON.
» Les Chiens ED. WATTIER. DELANGLE.

TENIERS (DAVID, le lils). Son portrait BILLOTTE. GODARD.


» Le Gagne-petit E. BOCOURT. CH. JARDIN.
J) Les Philosophes bachiques MARVY. GAUCHARD.
» - La Lecture diabolique » »
» Kermesse Flamande FREEMAN. CARBONNEAU.
» Tentation de saint Antoine A. PAQUIER. TfMMS.
» La Femme jalouse MARVY. GAUCHARD.
» L'Enfant prodigue FREEMANN. TRICHON.

PETERS (BONAVENTURE). Son portrait BILLOTTE. DUJARDIN.


» Marine A. PAQUIER. PIERDON.
1) Flessingue FREEMAN. JATTIOT.
» Port de Mer » TRICHON.
» Fin d'Orage A. PAQUIER. PONTENIER.

COQUES (CONZALÈS). Son portrait A. PAQUIER. ETHERINGTON.


» Prémices de l'Amour-propre » L. CHAPON.
» Repos champêtre »
DELANGLE.
» Intérieur hollandais »
VERDEIL.
» Portrait GILBERT. GUILLAUME.

DUCHATEL (FRANÇOIS). Son portrait E. BOCOURT. L. CHAPON.


Un Cavalier et deux autres personnages.... SOTAIN.

.........
» GAGNIET.
» Intérieur d'un corps de garde E. BOCOURT. »

VAN KESSEL (JEAN). Son portrait E.BOCOURT. GUILLAUME.

...............
» Un Saint GAGNIET. DUPRÉ.
» Sainte-Famille »
ETHERlNGTON.
NOMS DES PEINTRES TITRES DES SUJETS DESSINATEURS GRAVEURS

GENOELS (ABRAHAM). Son portrait E. BOCOURT. GUILLAUME.


J) Paysage FLAMENG. TREMELAT.
» Tombeau antique » FAGNION
» Deux Hommes assis au bord d'un torrent.... » PISAN.
J) Paysage FREEMAN. PEULOT.

HUYSMANS (CORNEILLE, dil de Malines). Son portrait L. BILLOTTE. GAUCHARD.


» Paysage MARVY. PEULOT.
» Le Ravin 1) TIMMS.

VAN BLOEMEN (FRANZ). Portrait postiche E. BOCOURT. SARGENT.


» Regulus. PAQUIER. DUPRÉ.
Paysage » SARGENT.
» FREEMANN. PLERDON.
» Le Pâtre et les Voyageurs PAQUIER.
»

JANSSENS (VICTOR-HONORÉ). Portrait postiche E. BOCOURT. L. CIJAPOX.


Apparition de la Vierge a saint Bruno
»
J) La Main chaude.............. J)

»
ROBERT.
VERDEIL.

WLEUGHELS (NICOLAS). Son portrait PAQUIER. GUILLAUME.


Le Religieuse MJtAULLE.
" Télémaque et Calypso DELANGLE.
»

VAN BREDAEL (JEAN). Portrait postiche E. BOCOURT. SARGENT. '


» Village aux bords d'une rivière » ROBERT.
Campement Militaire METTAIS. DurRÉ.
VAN FALENS (CHARLES). Portrait postiche E. BOCOURT. CARBONNEAU.
M Le Repos FREEMAN. DELANGLE.
» La Prise du Héron PIEHDON.

VERHAGHEN(PIERRE-JOSEPH). Son portrait PAQUfER. L. CHAPON


» Présentation au Temple E. BOCOURT. CHAHUNEAU.
" Agar et Ismaël chassés par Abraham ROBERT.
»

LENS (ANDREA). Son portrait E.


M Les Adieux d'Hector............
Portrait du graveur Martenasie
BOCOURT.
METTAIS.
GUILLAUME.
»
J) E. BOCOURT. BOBERT.

OMMEGANCK. Son portrait HILLEMACHER. GUILLAUME.


Animaux
})

» Paysage et Bestiaux
Paysage
............ E. BOCOURT.
ALLONGÉ.
SOTAIN.
DUPRÉ.

» Paysage et Bestiaux
............. PAQUIER.
E. BOCOURT
DELANGLE.
BURGON.
TABLE ALPHABÉTIQUE

f) ES

MAITRES DE LÉCOLE FLAMANDE

LES PEINTRES DONT LE NOM EST PRÉCÉDÉ D'UN * SONT CEUX DONT LA BIOGRAPHIE SE TROUVE
DANS L'APPENDICE PLACÉ A LA FIN DU VOLUME.

1613 - 1665 Arthois (Jacques d')


* 22 1460?- 1531 Matsys (Quentin)
1560 - 1632 Balen (Henri van) 1427?- 1474? ' Meire (Gérard van der) 3
1608?- 1678 * Bernaert (Nicasius) 19 1425?- 1495 Memlinc (Jean)
1480?- 1550? * Bles (Henri de) 4 1676 - 1769 * Michau (Théobald) 30
1656 - 1748? Bloemen (Fransvan) 1599 - 1664 Miel (Jean)
1496?- 1561 * Blondeel (Lancelot) 5 1599 - 1650 Mol (Pierre van)
1610?- 1668 * Bockhorst (Jean van, dit Langen-Jan) 21 1559?- 1635? * Momper (Josse de) 10
1622 - 1702? * Boel (Pierre) 25 1570?- 1638? Neefs, le père (Peters)
1620 - 1677 ' Boeyermans (Théodore) . 24 1557 - 1641 * Noort (Adam van) 10
16..?- 1673 * Bouck (van) 20 1755 - 1826 Ommeganck (Paul)
1644 - 1700 ? * Boudewyns (Adrien-François) 28 XVII" SIÈCLE. Oost, père et fils (les van)
1391?- 1475 * Bouts (Thierry) 1 1470 - 1542 Orley (Bernard van)
1683 - 1750 Bredael (Jean van) 1665 - 1735 * Orley (Jean van) 2!)
1575 - 1642 Breughel de Velours (Jean 1490?- 1548? * Patenier (Joachim) 4
1530?- 16..? Breughel des Paysans 1575 - 1646? Pépyn (Martin)
1601 - 1677? ' Breughel le Jeune \Jean) 16 1614 - 1652 Peters ( Bonaventure)
1677 - 1744 * Breydel (Charles) 31 1570 - 1622 Porbus le Jeune (François)
1556 - 1626 Bril (Paul) 1540 - 1580 Porbus (François et Pierre)
14..?- 1472? * Christophsen (Pierre) 2 1607 - 1678 Quellyn, père et fils
1500?- 1556? * Cleef (Josse van) 7 1597 - 1637 Rombout§ (Théodore)
1560?- 1634 * Coeberger (Wenceslas) 11 1575 - 1646 * Roose (Nicolas) 12
1614 - 1684 Coques (Gonzalès) 1577 - 1640 Rubens (Pierre-Paul)
1600 - 1671 * Cossiers (Jean) 16 1612-1661 * Ryckaert (David) 21
1499 - 1592 Coxie (Michel de) 1576 - 1639 * Savery (Roland) 13
1608?- 1661? Craesbeke (Joseph) 1597 - 1655 Schut (Corneille)
1585 1669 Crayer (Gaspard de) 1590 - 1661 Seghers (Daniel)
16..?-- 1655? * Denys (François) 17 1591 - 1651 Seghers (Gérard)
1607?- 1675 Diepenbeck (Abraham vanï 1627 - 1703 * Siberechts (Jean) 26
1616 - 1694 Duchàtel (François) 1635 - 1710 * Smeyers (Gilles) 28
1599 - 1641 Dyck (Antoine van) 1593 - 1662? Snayers ( Pierre)
1606 - 1666? * Essen (Jacques van) 19 1544 - 1638 * Snellinck (Jean) 8
1366 - 1426 Eyck (Hubert et Jean van) 1579 - 1649 Sneyders (François)
1684 - 1733 Falens (Charles van) 1546 - 1625 * Spranger (Barthélemy) 9
1580 - 1632 * Finsonius (Louis) 14 1589?- 1638 Steenwyck ( Henri van)
1614 - 1675 * Flémalle (Bertholet) 23 1506 - 1560? * Susterman (Lambert) 7
1520 - 1570 Floris (Frans) 1610 - 1694 Téniers le Jeune (David )
1600?- 1660? Fouquières (Jacques) 1582 - 1649 Téniers le Vieux
1618 - 1667 * Thielen (Philippe van) 24
1581 - 1642 Francken le Jeune (François)
1544 - 1616 Francken le Vieux (François) 1(i2i 1678? * Tilborgh (Gilles van) 26
Fyt (Jean) 1607?- 1676? Tulden (Théodore van)
1609 - 1661
1640 - 1723 Genoels (Abraham) - 1595 - 1660
1599 - 1652
? Uden (Lucas van)
Utrecht (Adrien van)
ÏV SIÈCLE. Goes (Hugo van der)
1470?- 1532 Gossart, de Maubeuge (Jean) 1556 - 1629 Venius (Otho)
XVU° SIÈCLE. * Gryef (Adrien) 27 1728 - 1811 Verhaghen (Pierre-Joseph)
1584 - 1666 Hais (François) 1578 - -1629 4 Vinckeboons (David) 1'*

1500?- 1555? * Hemessen (Jean van) 6 1585?- 1651 Vos (Corneille de)
1743 - 1827 * Herrevns (Guillaume-Jacques) 32 1531 - 1603 Vos (Martin de)
1598 - 1650 Hoeck (Jean van) 1590?- 1654? * Vos (Paul de) l j
1648 1727 Huysmans (Corneille de Malines) 1603 - 1676 * Vos (Simon de)
- 1568?- 1647 * Vrancx (Sébastien) Il
1567 - 1631 ? Janssens (Abraham)
1664 Janssens (Victor) 14.. ?- 1464 Wevden ( Roger van der:
- 1736 1584 - 1653 Wifdens (Jean)
1593 - 1678 Jordaens (Jacques) Wleughels (Nicolas)
1626 16..? Kessel (Jean van) 1669?- 1737
1739 - 1822
Lcns (André-Corneille)
TABLE
DE

L'HISTOIREDESPEINTRESDE L'ÉCOLEFLAMANDE
1

LES PEINTRES DONT LE NOM EST PRÉCÉDÉ D'UN * SONT CEUX DONT LA BIOGRAPHIE SE TROUVE
DANS L'APPENDICE PLACÉ A LA FIN DU VOLUME.

INTRODUCTION en tête du volume 1595 - 1660? Lucas van Uden


Faux titre 1597 - 1637 Théodore Rombouts
Table chronologique des Maîtres 1597 - 1655 Corneille Schut
lIVe SIÈCLE Hubert et Jean van Eyck 1598 - 1650 Jean van Hoeck
1391?- 1475 * Thierry Bouts 1 1599 - 1664 Jean Miel
14..?- 1472? * Pierre Christophsen 2 1599 - 1652 Adrien van Utrecht
14.. ?- 1464 Roger van der Weyden

1599 - 1650 Pierre van Mol 1
1425?- 1495 Jean Memlinc 1599 - 1641 Antoine van Dyck
1427?- 1474?
XVe SIÈCLE
* Gérard van der Meire
Hugues van der Goes
3 1600?
1600 -
?
1660
1671 *
Jacques Fouqulères
Jean Cossiers 16
1460?- 1531 Quentin Matsys 1601 - 1677? * Jean Breughel le Jeune 16
1470?- 1532 Jean Gossart,de Maubeuge 16..?- 1655? * François Denys 17
1470 - 1542 Bernard van Orley 1603 - 1676 * Simon de Vos 18
1480?- 1550? * Henri de Bles 4 1606 - 1666? * Jacques van Essen 19
1490?- 1548? * Joachim Patenier 4 XVIIe SIÈCLE Van Oost, père et fils
1496?- 1561 * Lancelot Blondeel 5 1607?- 1675 Abraham Van Diepenbeck
1499 - 1592 Michel de Coxie 1607 - 1678 Quellyn, père et fils
1500?- 1555? * Jean van Hemessen 6 1607?- 1676? Théodore van Tulden
1500?- 1556? * Josse van Cleef 7 1608?- 1661? Joseph Craesbeke
1506 - 1560? * Lambert Susterman 7 1608?- 1678 * Nicasius Bernaert 19
1520 - 1570 Frans Floris 16..?- 1673 * Van Bouck 20
1530?- 16..? Breughel des Paysans 1609 - 1661 Jean Fyt
1531 - 1603 Martin de Vos 1610 - 1694 David Téniers le Jeune
1540 - 1580 François et Pierre Porbus ' 1610?- 1668 * Jean van Bockhorst, dit Langen-Jan 21
1544 - 1616 F., A. et J. Francken le Vieux 1612 - 1661 * David Ryckaert 21
1544 - 1638 * Jean Snellinck 8 1613 - 1665 * Jacques d'Arthois 22
1546 - 1625 * Barthélemy Spranger 9 1614 - 1675 * Bertholet Flémalle 23
1556 - 1629 Otho Venius * 1614 - 1652 BonaventurePeters
1556 - 1626 Paul Bril 1614 - 1684 Gohzalès Coques
1557 - 1641 * Adam van Noort 10 1616 - 1694 François Duchâtel
1559?-
1560?-
1560 - 1632
1635?
1634
*
*
Josse de Momper
Wenceslas Coeberger
Henri van Balen
10
11 -
1618 -
1620-
1667
1677
1622 - 1702?
*
*
*
Philippe van Thielen
Théodore Boyermans
Pierre Boel
24
24
25
1567 - 1631? AbrahamJanssens 1625?- 1678? * Gilles van Tilborgh 26
1568 ?.
1647 * Sébastien Vrancx 11 1626 - 16..? Jean van Kessel
1570?- 1638? Peter Neefs, le père 1627 - 1703 * Jean Siberechts 26
1570 - 1622 François Porbus le Jeune SIÈCLE
XVIIe * Adrien Grief 27
1575 - 1646? Martin Pepyn 1635 - 1710 * Gilles Smeyers 28
1575 - 1642 Jean Breughel de Velours 1640 - 1723 Abraham Genoels
1575 - 1646 * Nicolas Boose 12 1644 - 1700? * Adrien-FrançoisBoudewyns 28
1576 - 1639 * Roland Saverv 13 1648 - 1727 Corneille Huysmans" de Salines
1577 - 1640 Pierre-Paul Rubens 1656 - 1748? Frans van Bloemen
1578 - 1629 * David Vinckeboons 14 1664 - 1736 Victor Janssens
1579 - 1649 François Snyders 1665 - 1735 * Jean van Orley 29
1580?- 1632 * Louis Finsonius 14 1669?- 1737 Nicolas Wleugbels
1581 - 1642 François Francken le Jeune 1676 - 1769 * Théobald Michau 30
1582 - 1649 Téniers le Vieux 1677 - 1744 * Charles Breydel 31
1584 - 1653 Jean Wildens 1683 - 1750 Jean van Bredael
1584 - 1666 François Hals 1684 - 1733 Charles van Falens
1585
- 1669 Gaspard de Crayer 1728 - 1811 Pierre-Joseph Verhaghen
1585?- 1651 Corneille de Vos 1739 - 1822 André-Cornèille Lens
1589 ?T- 1638 Henri van Steenwyck 1743 - 1827 x Guillaume-JacquesHerreyns 32
1590 - 1661 Daniel Seghers 1755 - 1826 Paul Ommeganck
1590?- 1654? * Paul de Vos 15 APPENDICE,fin du volume
1591 - 1651 Gérard Seghers Table des gravures 33
1593 — 1662? Pierre Snavers ' —
alphabétique
1593 - 1678 Jacques Jordaens —-
des matières.
1 Cette table indique l'ordre dans lequel doivent être rangées et reliées les Biographies dont se compose le volume.
DES

MAITRES DE L'ÉCOLE FLAMANDE

LES PEINTRES DONT LE NOM EST PRÉCÉDÉ D'UN * SONT CEUX DONT LA BIOGRAPHIESE TROUVE
DANS L'APPENDICE PLACÉ A LA FIN DU VOLUME.

1366 - 1426 Hubert van Eyck 1577 - 1640 Pierre-Paul Rubens


1386?- 1440 Jean van Eyck 1578 - 1629 * David Vinckeboons
1391?- 1475 * Thierry Bouts 1579 - 1649 François Snyders
14..?- 1472? * Pierre Christophsen 1580?- 1632 * Louis Finsonius
14..?- 1464 Rogier van der Weyden 1581 - 1642 François Francken le Jeune
1425?- 1495 Jean Memlinc 1582 - 1649 Téniers le Vieux
1427?- 1474? * Gérard van der Meire 1584 - 1653 Jean Wildens
IVe- SIÈCLE Hugo van der Goes 1584 - 1666 François Hais
1460?- 1531 Quentin Matsys 1585 - 1669 Gaspard de Crayer
1470?- 1532 Jean Gossart, de Maubeuge 1585?- 1651 Corneille de Vos
1470 - 1542 Bernard van Orley 1589?- 1638 Henri van Steenwyck
1480?- 1550? * H-enri de Bles 1590 - 1661 Daniel Seghers
1490?- 1518 ? * Joachim Patenier 1590?- 1654 ? * Paul de Vos
1496?- H;61 * Lancelot Blondeel 1591 - 1651 Gérard Seghers
1499 - 1592 Michel de Coxie 1593 - 1662? Pierre Snayers
1500?- 1555? * Jean van Hemessen 1593 1678 JacquesJordaens
-
1500?- 1556? * Josse van Cleef 1595 1660? Lucas van Uden
-
1506 - 1560? * Lambert Susterman 1597 - 1637 Théodore Rombouts
1510 - 1584 Pierre Porbus 1597 - 1655 Corneille Schut
1520 - 1570 Frans Floris 1598 - 1650 Jean van Hoeck
1530?- 16..? Breughel des Paysans 1599 - 1664 Jean Miel
1531 - 1603 Martin de Vos 1599 - 1652 Adrien van Utrecht
1540 - 1580 François Porbus le Vieux 1599 - 1650 Pierre van Mol
1544 - 1616 François Francken le Vieux 1599 - 1641 Antoine van Dyck
1544 - 1638 * Jean Snellinck 1600?- 1660? Jacques Fouquières
1546 - 1625 * Barthélemy Spranger 1600 - 1671 * Jean Cossiers
1556 - 1629 Otho Yenius ?
1601 - 1677 * Jean Breughel le Jeune
15o6 - 1626 Paul Bril 16..?- 1655 ? * François Denys
1557 - 16&1' * Adam van Noort 1G03 - 1676 * Simon de Vos
1559?- 1635? * Josse de Momper 1606 - 1666 ? * Jacques van Essen
1860?- 1634 * 'Venceslas Coeberger XVIIe SIÈCLE Van Oost, père et fils
1560 - 1632 Henri van Balen ?-
1607 1675 Abraham Van Dicpenbeck
1567 - 163U, Abraham Janssens 1607 - 1678 Quellyn, père et fils
1568?- 1647 * Sébastien Vrancx 1607?- 1676 ? Théodore van Tuldou
1570?- 1638? Peter Neefs, le père 1608?- 1661? Joseph Craesbeke
1570 - 1622 François Porbus le Jeune 1608?- 1678 * Nicasius Bernaert
1575 - 1646 ? MaÍtin Pépin 16..?- 1673 * Van Bouck
1575 - 1642 Jean Breughel de Velours 1609 - 1661 Jean Fyt
1575 - 1646 * Nicolas Roose 1610 - 1694 David Téniers le Jeune
1576 - 1639 * Roland Savery 1610?- 1668 * Jean van Bockhorst, dit Langen-Jan
1612 - 1661 * David Ryckaert 1644 - 1700? * Adrien-François Boudewyns
-1613 - 1665 * Jacques d'Arthois 1648 - 1727 Corneille Huysmans de Malines
1614 - 1675 * Bertholet Flémalle 1656 - 1748 ? Frans van Bloemen
1614 - 1652 Bonaventure Peters 1664 - 1736 Victor Janssens
1614 - 1684 Gonzalès Coques 1665 - 1735 * Jean van Orley
1616 - 1694 François Duchâtel 1669?- 1737 Nicolas Wleughels
1618 - 1667 * Philippe van Thielen 1676 - 1769 * Théobald Michau
1620 - 1677 * Théodore Boeyermans 1677 - 1744 * Charles Breydel
1622 - 1702 ? * Pierre Boel 1683 - 1750 Jean van Bredael
1625? - 1678 ? * Gilles van Tilborgh 1684 - 1733 Charles van Païens
1626 - 16..? Jean van Kessel -
1728 '1811 Pierre-Joseph Verhaghen
1627 - 1703 * Jean Siberechts 1739 - 1822 André-Corneille Lens
nue SIÈCLE * Adrien Gryef 1743 - 1827 * Guillaume-Jacques Herreyns
1635 - 1710 * Gilles Smeyers 1755 - 1826 Paul Ommeganck
1640 - 1723 Abraham Genoels

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