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DES PEINTRES
DE
DES PEINTRES
DE TOUTES LES ÉCOLES
ECOLE FLAMANDE
PAR MM. CHARLES BLANC
PARIS
VVE JULES RENOUARD, LIBRAIRE - ÉDITEUR R
DIRECTEUR-GÉRANT : G. ÉTIIIOU - PÉROU
M DCCC LXIV
HISTOIRE
DES PEINTRES
DE TOUTES LES ÉCOLES
ÉCOLE FLAMANDE
INTRODUCTION
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A L'HISTOIRE
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école de Bruges des enseignements si imprévus, que l'Italie elle-même s'informe curieusement
de ce qui se prépare en ces régions lointaines, et s'apprête à envoyer des missionnaires pour
saluer, dans son berceau, l'art nouveau qui vient de naître.
Et comment l'Europe serait-elle restée indifférente à la révolution qui s'accomplissait? Les
auteurs du mouvement, les deux frères Hubert et Jean van Eyck, avaient un double droit à
l'attention et, il faut le dire, à la gratitude des artistes, puisque la rénovation dont ils s'étaient
faits les promoteurs apportait à la peinture des procédés tellement améliorés qu'on a pu les
croire nouveaux, et qu elle lui ouvrait en même temps les avenues d 'tin monde ignoré. Sans
vouloir exagérer l'importance des perfectionnements matériels que les Van Eyck ajoutèrent à
la pratique de la peinture à l'huile, il est juste de reconnaître qu'ils ont eu la plus grande part
au fait principal qui caractérise le début du quinzième siècle, je veux dire la substitution du
tableau à la peinture murale, à l'enluminure du manuscrit. L'art monumental a pu y perdre
quelque chose, mais, qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, ce n'est pas dans l histoire un
médiocre événement que cette mobilisation de la peinture, qui va désormais, comme la
médaille et bientôt comme le livre imprimé, courir de main en main, traverser les mers,
pénétrer dans les maisons qui jusqu'alors lui étaient fermées, et apporter à tous un enseignement,
une consolation, une lumière!
Mais les Van Eyck ont fait davantage : ils ne se sont pas bornés à perfectionner les procédés
employés avant eux, ils ont ouvert à la peinture une voie nouvelle et — c'est la leur
meilleure gloire — ils ont été des inventeurs, non-seulement dans les pratiques du pinceau,
dans la mise en œuvre des couleurs, mais encore dans les choses de la pensée et du
sentiment, qui sont l'essence même de l'art.
Nous n'avons pas à rechercher ici quelle fut la part des deux frères dans la double révolution
qu'ils firent subir à la peinture : nous ne les séparons pas l'un de l'autre, nous ne demandons
de leurs origines : nous
pas lequel des deux fut le plus grand. Nous tenons compte d'ailleurs
profité des efforts antérieurs
savons que, venus en Flandre des confins de l'Allemagne, ils ont
et des enseignements, déjà si féconds, que leur donnait la naïve et robuste école des bords
du Rhin; nous faisons donc état des influences allemandes; mais, ces réserves indiquées,
quelle noble part d'initiative leur reste encore! L'école flamande n'existait pas avant eux, et ils
l'ont créée.
Le fait capital qui domine dans l'œuvre de rénovation des Van Eyck, et ce qui fut pour eux
l'instrument de la délivrance, c'est un retour ardent, sincère, passionné vers la nature, si
dédaignée au moyen âge, si absente des vieilles formules byzantines. Le naturalisme, tel qu ils
l'entendaient dans la loyauté de leur intelligence, et, on serait tenté de le dire, dans la
tendresse de leur cœur, n'était rien moins qu'un principe de révolution dont le bénéfice
s'étendit bientôt à toutes les branches de l'art. Chose étrange et nouvelle! les Van Eyck
ouvrent les ils regardent, ils reproduisent naïvement ce qui les a charmés, et, la curiosité
yeux,
étant ici une vertu, ils marchent de découverte en découverte et ils font, en s instruisant
eux-mêmes, l'éducation de la Flandre. La nature, pieusement consultée, leur révèle la forme
humaine, sinon dans sa grâce, du moins dans sa vérité; elle leur enseigne le caractère des
types différents, le portrait, la vie intérieure, les humbles réalités du monde qui les entoure, et
bientôt le paysage. Jean van Eyck, continuant l'œuvre de son frère et faisant produire au
principe qu'il avait posé ses conséquences dernières, touche à toutes les formes, à toutes les
possibilités de la peinture, et il ouvre à la fois tous les chemins à l'école flamande qui va
naître. Il est, dans son pays, le premier des peintres religieux, le premier portraitiste, le premier
historien des scènes familières, le premier peintre de fleurs, le premier paysagiste. A tous ceux
qui l'entourent et qui déjà cherchent à l'imiter, il inspire cet ardent amour de la nature qui va
devenir pour eux comme une autre religion. Et en même temps, Jean van Eyck n'étant pas
seulement un puissant artiste, mais aussi un ouvrier d'une habileté sans égale, il apprend à ses
élèves à manier le pinceau -avec une liberté virile, à trouver l'harmonie dans le mélange des
tons, car le peintre du retable de Saint-Bavon contient en germe tous les coloristes d'Anvers.
Que l'école se constitue maintenant, elle saura dans quelle voie elle doit marcher.
qu'un groupe intelligent
A peine les Van Eyck eurent-ils prononcé la formule d'initiation,
d'artistes se pressa autour d'eux. On commence à les connaître aujourd'hui ces Rogier van
der Weyden, ces Memlinc, ces Thierry Bouts, ces Van der Goes, que l'histoire, injustement
distraite, a si longtemps ignorés. Ces maîtres diffèrent des Van Eyck et diffèrent entre eux, tantôt
par une coloration moins intense, tantôt par des formes plus allongées ou plus grêles, tantôt
par un timide effort tenté dans le sens de l'élégance et de la grâce. Quelques-unsatténuent Jean
van Eyck, corrigent, à leur manière, son puissant réalisme et commencent à l'affadir; mais
tous procèdent de lui, tous sont frères par leur amour pour la nature, par le soin merveilleux
dje l'exécution et du détail, par la profonde notion du portrait, et, disons-le aussi,
par la foi. Le
sentiment religieux peut s'exprimer sous bien des formes, il peut parler plus d'un langage.
L'Italie a eu ce don, précieux entre tous, de revêtir du prestige de la beauté ses madones et
ses saintes; celles des Van Eyck et de leurs élèves sont assurément d'un galbe moins pur, mais,
dans la familiarité de leur type, dans l'exactitude intime de leur costume flamand, dans la
particularité pénétrante de leur laideur aisément pardonnée, elles n'en sont pas moins animées
d'une touchante chasteté, d'une ferveur sereine et d'une tendresse infinie. Elles sont bien
portantes, il est vrai, et parfois un peu bourgeoisementmaternelles, mais elles ont dans le regard
lesentiment des choses invisibles, elles aiment, elles croient. Rogier van der Weyden et Memlinc
peuvent, au point de vue de l'idéal italien, manquer de style : qui oserait pourtant leur refuser
une place parmi les maîtres les plus tendres et les plus charmants?
Si cet art naïf et profond réussit dans les Flandres, il
ne faut pas le demander : les Van Eyck
étaient attendus, ils furent admirablement comprise Bien plus, le principe qu'ils inauguraient
était doué d'une vitalité puissante, et il montra, dès le début, une grande force d'expansion. La
nouvelle école flamande, protégée par les ducs de Bourgogne, pénétra au cœur de la France; le
roi René l'introduisit en Provence et dans l'Anjou. Jean van Eyck a travaillé en Portugal;
plusieurs de ses élèves ou du moins de ses adhérents se firent connaître en Italie par des œuvres
qui furent prisées à leur valeur. Josse de Gand travailla à Urbino, Rogier van derWeyden a
visité Rome, et tout porte à croire que Memlinc a fait aussi un long séjour au-delà des monts. En
même temps, des Italiens, comme Antonello de Messine, venaient en Flandre pour s'enquérir des
méthodes nouvelles: l'art des Van Eyck répandit donc sur une grande partie de l'Europe son
influence salutaire et son doux rayonnement.
Lorsque Memlinc mourut, en 1495, l'école flamande obéissait encore à ce sentiment naïf qui,
prenant pour point de départ la nature avec ses plus humbles vulgarités, arrive presque toujours
à l'émotion et monte quelquefois jusqu'au drame. Quentin Matsys, qui a vu finir le quinzième
siècle et commencer le seizième, fut l'héritier de ces maîtres sincères; nous sommes autorisé à
le dire aujourd'hui, il a dû connaître Thierry Bouts à Louvain, et il a continué jusqu 'en 1530
les méthodes qu'il avait apprises en étudiant son œuvre, peut-être en écoutant ses leçons. Notons
pas refusées aux représentants de l'art étranger. La mode s'en mêla : les princes qui
gouvernaient le pays, les grands seigneurs qui vivaient à l'ombre du despotisme espagnol, ne
se lassaient pas d'admirer les pseudo-florentins. Mais, au-dessous de ses classes heureuses, la"
vieille nationalité flamande conservait une vitalité latente. Étonnée, elle regardait passer sans les
comprendre ces artistes déguisés à l'italienne. Dès le début du siècle, le génie du pays commença
à protester à sa manière contre les dangers de ce travestissement.
Il protesta d'abord par le portrait. Josse van Cleef, qu'on a appelé le Fou, Pierre Porbus le Vieux
et son fils François, quelques autres que nous oublions, mais dont l'histoire se souvient, résistèrent
hardiment aux exagérations de l'italianisme. Placés sur le solide terrain de la réalité, ennemis de
tout mensonge, systématiquement hostiles aux séductions de l'idéal, ils jouèrent en Flandre
pendant tout le seizième siècle un rôle semblable à celui que HansHolbein, leur maître inconscient,
remplit en Suisse et en Angleterre. Ils n'eurent pas moins que lui le respect des physionomies
individuelles, le culte de la ressemblanceintime, la forte notion de la vie intérieure. Dans leurs
portraits de magistrats municipaux, d'hommes d'église, de bourgeois ou de chefs de gildes, il y a
une vitalité concentrée, une conviction familièrementhéroïque, une profondeur de caractère qui
révèlent à la fois l'individu et la catégorie sociale à laquelle il appartient. Le portrait, ainsi
compris, est au niveau de l'histoire. Si, dans le domaine de la peinture religieuse et mythologique,
le principe flamand perdait du terrain, il triomphait toujours dans le portrait, et Josse van Cleef
et les Porbus montraient plus d'énergie dans leur lutte contre les artistes revenus d'Italie, que le
tendre Janet ne fit voir de courage en s'opposant, à la même époque, au succès des maniéristes
de l'école de Fontainebleau.
Mais le danger devenant plus pressant, et les portraitistes ne suffisant pas à la tâche, la vieille
Flandre protesta avec plus de vigueur encore en appelant à son aide l'art populaire, la peinture
des bonnes gens. Un artiste à qui l'histoire mieux informée accordera tôt ou tard une importance
considérable, Pierre Breughel le Vieux — ou le Drôle — Se chargea de faire parler la vérité
flamande presque aussi haut que le mensonge de la mythologie italienne. Issu d'une famille de
paysans, Pierre Breughel entra dans l'art de son temps, avec la rude naïveté des ignorants et
des .pauvres. Il en savait assez cependant sur bien des choses; mais, quoiqu'il paraisse avoir
voyagé, il avait gardé un fond de rusticité et il pensait que l'ironie est souvent la forme de la
sagesse. Le vieux Breughel ne croyait guère aux divinités olympiennes auxquelles ses
contemporains donnaient tant de place dans leurs tableaux; il attachait plus de prix à l'humble
spectacle des choses naïves qu'il avait sous les yeux : il peignait les matelots en belle humeur,
l'ivrognetrébuchant au seuil du cabaret, l'alchimiste cherchant l'or potable, les amours en plein
vent, les bruyantes gaietés du dimanche, et il ajoutait volontiers à ses scènes champêtres je ne
sais quel accent moqueur, quelle exagération burlesque qui, sans trahir la vérité, mettait en saillie
l'élément caricatural qu'elle contient si souvent. D'autres fois, entrant en riant dans le monde
fantastique, il évoque la sorcellerie du moyen âge et se complaît aux plus amusantes diableries.
Pierre Breughel est, pendant la seconde moitié du seizième siècle, le grand comique de l'école
flamande; il se rattache, par le lien d'une fraternité qu'il ignore, à la famille de tous les rieurs
de l'époque; il est de ceux qui se sont servis de la gaieté comme d'un masque, pour cacher, en
les laissant deviner parfois, les inquiétudes, les mélancolies d'un temps où la vie humaine était
comptée pour si peu, où la lutte était dans tous les esprits et dans tous les cœurs. Aussi la plus
humble fantaisie du peintre des paysans dépasse-t-elle en sens moral, en valeur historique,
les plus doctes réminiscences de Frans Floris et de Martin de Vos. Pierre Breughel est d'ailleurs,
bien plus que les représentants de l'art officiel, dans les données traditionnelles de la peinture
' flamande. Il croit aux colorations hardiment contrastées, aux tonalités puissantes si chères aux
vieux maîtres du quinzième siècle; il cherche l'énergie et le caractère; exempt de toutes les
concessions qui diminuent, il peint comme il les voit les hommes, les maisons, les paysages;
créateur d'une école qui se modifia peu à peu et finit par s'éteindre, il eut l'honneur d'ajouter
aux résistances du génie national contre l'invasion des méthodes étrangères, la protestation de
son loyal éclat de rire.
Toutefois, cet art robuste et sain n'était guère accepté et compris que dans les régions
inférieures. Les aristocraties du temps et les classes lettrées demeuraient, ainsi que nous l'avons
dit, tout à fait sympathiques à l'italianisme, et la Flandre prenait plaisir à se nier, à s'amoindrir
elle-même. Aux premiers jours du dix-septième siècle, Otho Venins, amoureux de la peinture
ultramontaine, cherchait toujours les tendresses du Corrége et d'André del Sarte; les trois
Francken prolongeaient, non sans froideur, les leçons de l'école de Fontainebleau. Un
autre principe vint bientôt compliquer et attrister la situation. Quelques artistes, récemment
arrivés de Rome, et troublés par les violences du Caravage, imaginèrent de chercher les tons
vigoureux, les ombres accentuées, et essayèrent de persuader à leurs compatriotes qu'il était
de bon goût de peindre noir. Le génie du pays allait subir une nouvelle atteinte, l'élément
flamand était compromis, le ciel se chargeait de menaces, lorsque, en 1608, on vit arriver
d'Italie un jeune peintre, ardent et superbe, qui apportait aux esprits inquiets la certitude, aux
sa puissance, qu'il fut le héros du moment, le glorieux ouvrier de la délivrance. Un mot suffit
pour caractériser la révolution qui se produisit alors : Rubens rendit la Flandre à elle-même;
elle avait perdu la notion des qualités qui étaient en elle, il lui montra qu'elle pouvait se
reconquérir en renonçant au principe stérilisant de l'imitation étrangère; et, joignant à ce
bon conseil l'autorité de l'exemple, il fut le plus flamand des artistes de son temps. Sans
doute, son voyage en Italie ne lui avait pas été inutile; mais son robuste tempérament ne
se
laissa entamer par aucune influence dangereuse, et jamais il n'oublia les leçons qui lui avaient
été données par Adam van Noort, le peintre hardi qui savait si bien les secrets de la couleur et
de la lumière. Rubens avait en effet été annoncé, il était, pour ainsi dire, attendu, et c'est
pour
cela qu'il fut suivi : les adhésions lui arrivèrent de toutes parts : on vit même les disciples
attardés du Caravage renoncer à leurs ombres noires, pour marcher sur les traces du jeune
maître qui courait, léger et fort, dans la voie lumineuse.
Il est juste d'ailleurs de le reconnaître : les circonstances politiques étaient devenues meilleures;
le despotisme combiné de l'Espagne et de l'autorité catholique avait tempéré
sa rigueur, le
gouvernement de l'archiduc Albert et de l'infante Isabelle fut presque une période de repos; la
Flandre, bien qu'encore aux mains de princes étrangers, commençait à respirer plus librement.
Dans l'histoire de ces provinces, qui semblent faites pour toutes les joies de la paix et du travail,
il y eut alors un moment,de sérénité expansive. Ce- caractère du temps n'est nulle part mieux
marqué que dans l'œuvre de Rubens, où l'on sent déborder une vie d autant plus exubérante
qu'elle a été plus longtemps contenue, où l'on voit s'épanouir, largement ouverte, la fleur
radieuse de la jeunesse et de la santé.
La Flandre se reconnut et s'applaudit elle-même dans les puissantes manifestations de cet
art bien portant, et, pour ainsi dire, en dehors. Qu'auraient pensé cependant de ce débordement
de vie les peintres naïfs du quinzième siècle? Rubens, on est en droit de l'écrire, aurait
étrangement surpris les Van Eyck, les Van der Weyden, les Memlinc et tous ces maîtres discrets
qui abritaient sous des formesrigoureuses et précises un sentimentprofond, si mélancolique parfois
qui
et si tendre. Quelle distance entre ces calmes ouvriers des premiers jours et le triomphateur
s'agite bruyamment dans sa gaieté et dans sa victoire! Il semble qu'un monde les sépare. Tous
sont flamands cependant, mais, — n'est-ce pas là la grande loi de l 'histoire? — si l'esprit de
nationalité est puissant, les fatalités du temps sont plus impérieuses encore; la virilité est bien
loin de l'enfance, l'été n'est pas le printemps. Chez Van Eyck et chez Memlinc, la vie est
concentrée et pour ainsi dire intérieure ; chez Rubens et chez ses élèves, elle se manifeste et
dans ses grands
rayonne au dehors, et, avouons-le, elle perd, dans ses furieux mouvements et
gestes, sa force intime et pénétrante. Rubens a traité les plus émouvants sujets du
monde : la
car Rubens n'a jamais fait que des Rubens. Tel il avait été devant les chefs-d'œuvre de
l'antiquité ou du seizième siècle, tel il fut devant la nature; il la sent admirablement, il en est
plus que personne inspiré et charmé, et pourtant il la transfigure, il l'exagère, non dans le
sens de la beauté, mais dans le sens du mouvement et de la vie agissante, le corps humain
n'étant souvent pour lui qu'un prétexte ornemental, un superbe motif d'arabesque. A ce point
de vue, il s'opère chez Rubens une évolution analogue à celle qui s'était faite chez les Florentins
de la décadence. Qu'est-ce à dire? sinon que le grand artiste a une manière, ou, pour nous
servir d'un mot meilleur, un idéal.
C'est là évidemment le fait grave qui caractérise l'avènement de Rubens, c'est là, par-dessus
tout, l'élément nouveau, dangereux peut-être, qu'il introduit dans l'école. Grâce à lui, et pendant
son long règne, il y aura un idéal flamand. L'œuvre que Frans Floris et Martin de Vos avaient
tentée sans succès, Rubens la reprend à son tour, et il réussit, parce que, au lieu d'essayer
comme eux à acclimater à Anvers une plante exotique et fragile, il puise son génie dans la séve
même du pays, et fait produire à l'art flamand les fleurs et les fruits qu'il contenait en germe.
Rubens parle avec plus d'accent que ses contemporains, mais, en réalité, son langage est leur
langage, et c'est pour cela qu'il fut compris.
Cet idéal robuste etvivace était tellement dans les possibilités et dans les attentes du pays, que,
sous l'influence de Rubens, toutes les branches de l'art furent tout à coup renouvelées. Le maître
d'Anvers devint le chef de l'école dans la peinture religieuse et historique, dans le portrait, dans
le paysage, dans la représentation des animaux, des fleurs et des plus humbles choses, car il eut,
comme Jean van Eyck, le don de l'universalité. Il créa, presque sans le vouloir, une nouvelle
sculpture flamande; il forma, pour interpréter son œuvre, une armée de graveurs agiles, savants,
coloristes comme lui. Il y eut alors à Anvers et dans les villes voisines une magnifique éclosion
d'artistes qui sont à jamais l'honneur de l'école. Résultat étrange et superbe : de 1610 à 1650,
tous les peintres en Flandre ont du talent !
Dresser ici la liste des glorieux disciples de Rubens, ce n'est ni notre rôle, ni notre dessein.
Deux noms cependant, ceux de Jordaens et de Van Dyck, doivent être cités, parce que de tels
élèves sont des maîtres, parce que Jordaens, aux belles heures de sa jeunesse, n'a pas eu moins
paysans, des buveurs, devient un peintre plein de délicatesse et de douce coquetterie lorsqu'il
représente sa jeune femme, Anne Breughel, présidant au repas de famille ou se promenant,
blonde et vêtue de bleu, dans les prairies qui entourent son petit château. Et c'est ici, c'est en
étudiant Téniers, qu'on sent, mieux que les mots ne peuvent l'exprimer, la différence qui sépare
l'école flamande de l'école hollandaise. Téniers, qui se souvient toujours de Rubens, exprime
d'un pinceau léger et rapide un certain côté extérieur de la vie; il dit ses sérénités et ses joies
faciles; il ne va pas, comme ses voisins les Ostade, les Jean Steen, les Brauwer, au fond de la
comédie humaine; il ne cherche point l'envers des choses; il ne rit pas, il ne s'attriste pas avec
ces grands moqueurs. Sous ce rapport, il reste au-dessous du vieux Breughel, si puissant et si
convaincu dans sa gaieté caricaturale. Téniers n'en est pas moins un merveilleux artiste, un des
hommes qui caractérisent le mieux l'école flamande : en mêlant à l'éclatant concert des divinités
héroïques la chanson de la muse familière, il a complété Rubens.
L'influence de Téniers fut très-grande et s'étendit jusqu'à la fin du siècle. Les artistes qui
se réunirent autour de lui gardèrent cependant, comme David Ryckaert et François Duchâtel,
une certaine personnalité. Quant à Gonzalès Coques, qu'on a quelquefois rapproché du groupe
des peintres intimes, il est, malgré la petite dimension de ses figures, bien plus voisin de Van
Dyck. Et, chose étrange! il confine parfois à la Hollande, et l'on voit les deux écoles se mêler
doucement dans son œuvre, et, pour un instant, se pénétrer l'une l'autre.
A l'heure où triomphaient ces maîtres charmants, et à mesure que le dix-septième siècle
s'avançait vers ses dernières années, les peintres qui avaient succédé il Rubens faiblissaient
visiblement et commençaient, avec la meilleure volonté du monde, à le trahir ou tout au moins
à le compromettre. Sous la main des Van Oost et des deux Quellyn, le principe de décadence
que contenait à l'état latent l'œuvre splendide du maître s'était peu à peu révélé et envahissait
l'école. Ces peintres, et ceux qui travaillaient à côté d'eux, avaient conservé une grande fougue
de pinceau, une audacieuse liberté d'allures; mais la facilité allait chez eux jusqu'à l'abandon,
le flamboiement des lignes et le fracas des attitudes Remplaçaient le sentiment humain, et, triste
aventure à raconter, la notion de la couleur commença à manquer même aux artistes d'Anvers,
même à ceux qui, dans leur jeunesse, avaient vu peindre Rubens. Un des plus puissants
représentants de l'école, Jordaens, avait à la fin de sa vie attristé ses colorations par l'abus
des tons bruns et roux. La mode vint bientôt de suivre
ce système ; les tonalités perdent
alors leur fraîcheur et leur éclat; les ombres s'allourdissent, la palette s'obscurcit, et les teintes
chaudes ne suffisant plus, on passe aux teintes brûlées. Le dessin, nous l'avons dit, s enivre
follement et s'agite dans des caprices sans raison : l'heure arrive bientôt oit, de la grande école
exercer l'action la plus regrettable dans la contrée qui avait été la Flandre, le Brabant, le
lIainault, et qui avait d'ailleurs perdu, par le fait de la conquête, les chefs-d'œuvre de ses
églises. Lors de la Restauration, le grand maître de l'école archaïque, Louis David, fut exilé à
Rruxelles : il y passa les dix dernières années de sa vie, révélant à des artistes de moins en
moins flamands, les tristes secrets de la froideur et de la correction banale. La Flandre
avait été visitée par les maniéristes italiens, par les émules du Caravage, par les élèves de
Carle Maratte, mais rien n'était plus contraire à son génie expansif que les théories de David.
Ce fut vraiment là le coup de grâce, et l'on put croire un instant que cette fière école était à
jamais perdue.
Elle s'est relevée pourtant. Lors de la révolution de 1830 et pendant les années qui suivirent,
il s'estproduit un grand réveil dans le pàys des Van Eyck et de Rubens. Ce coin de terre, qui
fut si longtemps un champ de bataille et qui a excité pendant tant d'années des compétitions si
jalouses, a reconquis son indépendance, et, tous les biens arrivant à la fois, l'art lui a été
rendu avec la liberté. L'école belge, revenue à elle-même, s'est pieusement inquiétée de ses
origines : elle a compris, par une rapide étude de son histoire, que ses maîtres ont toujours été
forts lorsqu'ils ont obéi au génie national, et qu'ils ont vu leur talent décroitre, sinon
s'éteindre, lorsque, voulant parler un langage qui n'était pas le leur, ils ont trop complaisamment
cédé aux influences étrangères. Instruite par cette grande leçon, la nouvelle école de Relgique
a rejeté les sèches doctrines des académies — et bien que Rubens lui manque encore un
peu— elle s'est affirmée avec vaillance aux expositions universelles de Paris et de Londres;
elle montre, chaque année aux Salons d'Anvers, de Bruxelles et de G-and, de quelle séve elle
'a
est animée et quelles précieuses qualités elle a retrouvées. La peinture contemporaine est en
dehors de notre programme; nous ne voulons ici citer aucun des artistes qui sont l'honneur
du pays, nous taisons même les noms de nos amis les plus chers, mais chacun les connaît,
chacun sait quelles sont les forces vives de l'école belge et ce qu'elle est en droit d'espérer de
l'avenir.
Cette renaissance de la peinture en Belgique a été accompagnée, sinon provoquée, par un
réveil analogue dans les études relatives à l'histoire de l'art. Sans vouloir exagérer l'importance
de ce mouvement, il est manifeste que le passé tient au présent par de visibles attaches, et
qu'il n'est pas indifférent à l'inspiration des artistes qu'il y ait auprès d'eux des hommes qui
les comprennent, qui les aiment, qui sachent éclairer des lumières de la tradition la marche
de l'école nouvelle. D'ardents chercheurs ont entrepris de révéler aux maîtres contemporains
ce qu'étaient leurs ancêtres aucune bonne volonté n'a manqué à cette grande tâche. Mais
:
pour parvenir à l'exacte notion du passé, un vaillant effort était nécessaire. Il fallait tenir pour
suspectes et comme non avenues toutes les informations trop légèrement recueillies par les
écrivains antérieurs, passer au crible d'une critique, prudente jusqu'à la défiance, les
jugements, les anecdotes, les dates et les faits consignés dans les livres de Van Mander, de
Sandrart, de Weyerman, d'Houbraken, de Descamps. Qu'est-ce à dire? sinon qu'il fallait
remettre à l'étude l'histoire des institutions et des hommes, rendre à la lumière les annales de
ces gildes qui ont tant fait pour l'honneur de l'art, refaire une à une les biographies des
peintres flamands, en s'entourant, dans cette œuvre de restauration et de justice, de tous les
documents authentiques qu'une érudition noblement curieuse a su mettre au jour. Voilà
bientôt vingt ans que cet immense travail a été entrepris ; il n'est pas encore achevé, et, à vrai
dire, il ne sera terminé jamais, car c'est le glorieux supplice de l'histoire et sa fête éternelle,
de vider toujours, comme une autre Danaïde, une urne incessamment remplie. Toutefois, et
quelles que soient les difficultés de la tâche, quoique la question des origines demeure
encore voilée de bien des ombres, un grand pas a été fait. Les archives municipales ont été
fouillées, les registres des paroisses ont été interrogés, les papiers des anciennes corporations
ont été tirés de la poussière, et il est sorti de ce travail des biographies nouvelles pleines de
révélations imprévues, pleines aussi de démentis authentiquement adressés à la témérité des
écrivains d'autrefois. Certes, ce qu'il reste à éclaircir ou à trouver est considérable encore; mais
l'érudition belge a déjà amassé d'immenses richesses, et il ne faut pas hésiter à le reconnaître,
alors que l'histoire des diverses écoles européennes est à peine ébauchée, celle de l'art flamand
est étudiée avec tant d'ardeur et par tant de plumes savantes, que, bientôt peut-être, il sera
permis de la raconter.
Déclarons-le hautement : le livre auquel ces pages servent d'introduction n'eût pas été possible
il y a vingt ans. Que savions-nous sur cette bellé histoire avant la publication du Catalogue du
musée d'Anvers en 1849? Quels renseignements positifs possédions-nous sur les maîtres et sur
leurs aventures? Sans vouloir engager ici la personnalité de nos collaborateurs, au nom
desquels nous n'avons pas le droit de parler, nous pouvons dire, en ce qui nous touche
particulièrement, que les incessantes découvertes des savants belges ont été, dans ce long
travail, notre soutien et souvent aussi notre désespoir. Privés de la joie de pouvoir puiser
directement aux sources ignorées, nous avons été constamment attentifs aux recherches des
érudits d'Anvers, de Bruxelles, de Louvain, et notre rôle a été de profiter le plus possible de
leurs heureuses trouvailles. Au sortir des sentiers si souvent obscurs où nous nous étions
engagés, c'est donc pour nous un devoir, et un plaisir, d'adresser un chaleureux remercîment
à tous ceux qui ont été notre conseil et notre lumière.
.
Mais si l'œuvre a été, en tant de points, difficile et ardue, combien les auteurs de ce livre
n'ont-ils pas trouvé de compensations dans l'intérêt même de l'histoire qu'ils racontaient! Ce
n'est pas une médiocre joie que d'avoir à étudier la vie, à apprécier le talent de ces maîtres de
la vieille Flandre qui n'ont pas eu, comme les Italiens, la sainte fièvre de l'idéal, mais à qui il
doit être beaucoup pardonné, parce qu'ils ont beaucoup aimé la peinture, c'est-à-dire la peinture
colorée, solide, vivante, lumineuse. C'est en effet un principe essentiellement flamand, qu'il ne
sera jamais qu'un artiste secondaire, celui qui ne pourra pas rnettre au service de son rêve la
main savante d'un bon ouvrier. Les Van Eyck en jugeaient ainsi, c'était la théorie de Rubens et
de ses élèves; aujourd'hui encore, l'école belge professe avec raison qu'il est important de savoir
son métier. Cette doctrine, qui, si élémentaire qu'elle paraisse, n'a pu parvenir encore à se faire
complètement accepter en France, trouve dans l'histoire de l'école flamande sa plus éclatante
justification. Il est très-remarquable que les Van Eyck soient, ainsi que nous l'avons dit,
doublement inventeurs, et qu'ils aient innové dans la pratique de la. peinture comme dans le
domaine du sentiment. Il n'est pas non plus inutile de rappeler que, d'après les archives de la
gilde de Saint-Luc, à Anvers, le système d'enseignement en usage au seizième et
au
dix-septième siècle, c'est l'apprentissage, et un apprentissage tellement précoce que beaucoup
d'élèves entrent chez leurs maîtres à dix ou onze ans, quelquefois plus tôt. Grâce à cette forte
instruction pratique, le talent s'éveillait de grand matin chez les peintres flamands, le succès
venait de bonne heure : Rubens obtenait son brevet de maîtrise à vingt et un
ans, Téniers à
vingt-deux, Van Dyck à dix-neuf.
Et chez les uns et chez les autres, chez les plus grands et chez les moindres, quelle noble
passion pour l'art, quelle sérénité persistante au travail, quel infatigable enfantement!
Rubens, je le reconnais, a été quelque peu ambassadeur, il a fait de la numismatique et de
l'archéologie, il était en correspondancecontinuelle avec des savants et des grands seigneurs;
mais, au milieu de tant de soucis divers, il n'a pas
un instant négligé la peinture, et l'on peut
évaluer à deux mille le nombre de ses tableaux. Les portraits de Van Dyck
se comptent par
centaines, et il est mort à quarante-deuxans. Jordaens ne paraît pas s'être reposé beaucoup, Téniers
Ah! combien, à l'heure de la
non plus, ni Gaspard de Crayer, ni les Breughel, ni personne...
mort, ces bons ouvriers devaient s'endormir tranquilles, et comme ils ont bien mérité la petite
branche de laurier que nous venons déposer sur leur tombeau !
Arrêtons-nous. Une si vaillante ardeur au travail de chaque jour, des dons si heureux, des
circonstances clémentes ont fait à l'école flamande une situation privilégiée dans l histoire de
l'art. Supposez un instant qu'elle n'ait pas existé, éliminez-la des musées et de nos souvenirs, il se
fait tout à coup, dans les fastes du génie humain et dans le trésor de nos communes richesses, une
lacune considérable, un vide irréparable. L'idéal ayant eu ailleurs sa glorification et son
apothéose, il était bon que la nature eut à son tour sa fête et son triomphe. La fortune s'est ici
trouvée d'accord avec le droit. Alors que bien des écoles, et des plus fameuses, n'ont eu qu'un
moment d'éclat, l'art flamand a, dans ses annales, deux siècles éternellement glorieux, le
siècle des Van Eyck et le siècle de Rubens. Auprès de ces grandes personnifications du génie
national se groupent de nombreux bataillons d'artistes superbes ou charmants. Que l'Italie le
pardonne aux auteurs de ce livre! ils ont hautement célébré les mérites de ses maîtres, et s'ils
de leur rôle, car les temps de la vérité sont
ne l'avaient pas fait, ils seraient restés au-dessous
venus, et si l'histoire n'est pas la justice, elle n'est
rien.
PAUL MANTZ.
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coloristes du temps. Il figure la mort du Christ. Avec beaucoup de bonne volonté, on y remarque çà et là
quelques parties louables, mais nul rayon d'une aube prochaine n'éclaire cette œuvre insignifiante. Dès
leurs débuts, en conséquence, les frères Van Eyck durent produire un grand effet, car il est vraisemblable
que leur talent précéda la découverte de la peinture à l'huile. Selon Karel van Mander, ils s'étaient même
déjà rendus célèbres avant de connaître cet important secret. Sous leurs yeux travaillait leur sœur
Marguerite; emblème charmant de cette école gracieuse, elle demeura vierge pour se livrer sans partage au
culte du beau, à l'exaltation idéale qui l'entourait de songes poétiques.
Leurs parents avaient dû leur laisser quelque fortune. L'instruction donnée à leur petite famille met hors
de doute qu'ils vivaient dans une certaine aisance. Jean van Eyck possédait une science très-rare de son
géométrie,
temps. Un auteur du quinzième siècle, Barthélémy Facius, nous apprend qu 'il avait étudié la
les livres de Pline et les autres ouvrages des anciens. Il savait en outre le peu de chimie alors connue
et l'art de distiller. La nature lui avait donné d'ailleurs un caractère doux, obligeant, affectueux,
une élégance de maintien et de gestes qui lui servirent
auprès de Philippe le Bon.
Karel van Mander, Vasari et Facius lui attribuent l'invention de la peinture à l'huile : aucun texte n'en
fait honneur à Hubert. Mrs Liévin de Bast et Çornelissen ont voulu néanmoins arracher de son front cette
glorieuse couronne, pour la transporter sur la tête de son frère. Mais ils n'ont appuyé leur opinion d'aucune
Celui-ci nous a
preuve. Hubert était l'aîné, disent-ils, et fut selon toute apparence le maître de Jean.
laissé un témoignage de la respectueuse admiration qu'il lui inspirait. Ce sont les vers latins écrits sous
Y Adoration de V Agneau mystique. Jean y déclare son frère le plus grand peintre que
l'on ait jamais vu
(major quo nemo repertus), et ne se place qu'en seconde ligne (arte secundus). Quand même on prendrait
cet éloge au pied de la lettre et qu'on n'y verrait point un signe de modestie, une affectueuse hyperbole, quel
rapport la phrase a-t-elle avec le procédé nouveau? Elle n'y fait aucune allusion. Hubert van Eyck, après
tout, aurait pu éclipser le talent de son cadet, sans avoir rien inventé. Allons plus loin. S'il avait réellement
découvert la peinture à l'huile, un frère tellement empressé à lui rendre justice, à l'élever au-dessus de lui,
négative d'une force
ne l'aurait-il pas proclamé bien haut? Son silence sur ce point capital est une preuve
donc Jean van Eyck sur le fauteuil
peu ordinaire. En attendant une argumentation plus solide, laissons
d'honneur où il siége depuis quatre cent cinquante ans.
Sa méthode, au surplus, était moins un procédé nouveau que le perfectionnement d'un vieux moyen,
négligé, délaissé parce qu'il offrait trop de désavantages. Les artistes de l'Orient etde l'Occident connaissaient
la peinture à l'huile, comme le démontrent le livre de TheophilusPresbyter (Diversarium
artium schedula,
Mais on
ch. 27) et le Guide de la Peinture, si heureusement découvert au mont Athos par M. Didron.
employait l'huile de lin dans son état naturel, ce qui demandait une patience exemplaire, « car, chaque
fois
qu'on avait appliqué une couleur, on ne pouvait en superposer une autre si la première n était pas séchée. »
Encore fallait-il que l'on pût exposer l'ouvrage aux rayons du soleil (in his tantÙm rébus quœ sole
possunt). Tant d'inconvénients avaient dégoûté de cette manière. On peignait donc à la gomme trois
couleurs seulement, qui ne se mêlaient pas avec cette substance, le vermillon, la céruse et le carmin,
: siccari
étaient broyées avec du blanc d'œuf. La colle de parchemin, malgré l'opinion contraire admise depuis
arabique
longtemps, ne servait qu'à fixer les ors. On étendait sur les tableaux un vernis composé de gomme
sécher. Mais
et d'huile de lin bouillies ensemble. L'action du soleil était également indispensable pour le
ce genre de peinture donnait des tons pâles, qui ne flattaient
point l'œil et ne pouvaient rendre les teintes
procédé
des objets naturels. On cherchait donc dans toute l'Europe, avec une impatiente ardeur, quelque
moins vicieux, lorsque Jean van Eyck eut la gloire de le découvrir.
très-satisfait, il
Ayant un jour terminé un tableau qui l'avait occupé longtemps et dont il était d ailleurs
puissant. La
le vernit et l'exposa au soleil. Mais on ne modère pas comme on veut les rayons de l'astre
chaleur travailla le panneau et y forma des crevasses. Représentez-vous le chagrin de l artiste
envoyant
son œuvre ainsi détériorée ! Pendant qu'il l'examinait d'un œil
triste et morne, il se demanda s 'il ne pourrait
chimie ne devait-elle pas lui venir en
composer un enduit qui sécherait à l'ombre. Sa connaissance de la
désiré : après quelques
aide? L'ingénieuxFlamand se promit de n'épargner aucun effort pour atteindre le but
perdaient
essais infructueux, il observa que l'huile de lin et l'huile de noix, les plus siccatives de toutes,
bien plus promptement leur humidité quand on les avait fait bouillir, et que, si l'on y ajoutait des essences,
splendide, que l'été embrasât l'air ou
on accélérait encore ce résultat. Dès lors, que le ciel fût nuageux ou
à s'en préoccuper: il pouvait, sans le
que la froide saison blanchît la campagne, l'artiste n'avait plus
concours du soleil, revêtir ses panneaux de leur dernier lustre.
les coùleurs se
Mais un bonheur n'arrive jamais seul. Le peintre studieux remarqua bientôt que
s'étendaient
délayaient à merveille dans son amalgame, y prenaient un éclat extraordinaire, se maniaient,
Quelle
ensuite plus facilement et bravaient le contact de l'eau : le vernis même cessait d être indispensable.
joie! Quelle ressource ! Il était enfin arrivé au terme de ses vœux; ses images pourraient enfin rivaliser
avec la nature !
Que cette découverte stimulât énergiquement les deux frères, cela devait être. Ils se gardèrent bien de
divulguer tout d'abord leur secret : renfèrmés au contraire dans leur atelier, ils voulaient que personne ne
fût témoin de leur travail. De cette mystérieuse retraite sortaient par intervalles des peintures qui
émerveillaient les spectateurs. Jamais on n'avait rien vu de pareil, c'était le cas de le dire. On ne se lassait
point de les regarder, on ne se lassait point d'en parler avec ses amis et connaissances. Tous les amateurs
de l'Europe furent bientôt sur le qui-vive : on transporta les panneaux des Van Eyck en France, en
Allemagne, en Italie ; on les flairait, on essayait de deviner comment les artistes les avaient exécutés. Les
princes les recherchaient avidement : le duc d'Urbin, Frédéric II, acheta un morceau qui représentait une
salle de bain; Laurent de Médicis ne fut satisfait que quand il posséda un saint Jérôme et d'autres pièces;
des marchands florentins expédièrent de Bruges au roi de Sicile, Alphonse l'r, un grand tableau où
paraissaient vivre de nombreux personnages. En les voyant, un peintre du lieu, Antonello de Messine, fut
saisi d'une émotion extraordinaire; voulant à toute force connaître le merveilleux secret, il s'embarqua
immédiatement pour les Flandres. Là,11 fit si bien qu'il gagna la confiance de Jean van Eyck et obtint la
communication désirée.
Si la découverte du Limbourgeoisexcitait au loin un pareil enthousiasme, les princes qui gouvernaient la
Belgique ne pouvaient y rester insensibles. Le premier dont il fixa l'attention et reçut des encouragements
fut Jean de Bavière, élu dès l'âge de dix-sept ans évêque de Liége, en 1.390. Malgré ce titre obtenu par lui
grâce à la puissante influence de sa maison, il avait toujours refusé d'entrer dans les ordres et menait
une vie mondaine, n'aimant que le plaisir, le luxe et les armes. Étant si voisin du lieu où les deux frères
avaient vu le jour, il était naturel que leur talent vînt d'abord à sa connaissance. Il choisit donc Jean van
Eyck pour peintre officiel et le nomma son valet de chambre, emploi vulgaire dont le moyen âge avait fait
une dignité, comme de la plupart des fonctions domestiques. Cet aventureux et cruel seigneur étant mort
empoisonné, le 6 janvier 1425, Philippe le Bon, qui lui enviait sans doute son habile serviteur, eut hâte
de l'attacher à sa cour. Il lui offrit les mêmes titres, avec 100 livres par an de gages, monnaie de Flandre :
l'artiste devait en recevoir la première moitié le jour de Noël, la seconde à la s^int Jean d'été. Le contrat
passé entre eux porte la date du 19 mai 1425.
Des documents positifs prouvent qu'il ne fit pas seulement usage de son pinceau, mais le chargea
d'expéditions mystérieuses, sur lesquelles il faudrait pouvoir répandre quelque jour. Ainsi, en 1426, on
lui paya 91 livres 5 sous, à 40 gros la livre, « tant pour faire certain pèlerinage que Monseigneur, pour
lui et en son nom, lui a ordonné faire, dont aultre déclaration il ne veult estre faicte, comme sur ce que par
icelui seigneur lui pouvoit estre deu, à cause de certain loingtain voiaige secret, que semblablement il lui a
ordonné faire en certains lieux que aussi ne veult aultrement déclarer. » Ce langage énigmatique ne
compromettait pas Philippe le Bon; quelque texte heureusement découvert l'éclaircira peut-être un
jour. Le 27 octobre de la même année, Jean van Eyck reçut encore 360 livres, pour solde de compte. Enfin,
au mois de décembre, le duc ayant révoqué les pensions et gages que touchaient plusieurs de ses officiers,
exempta spécialementl'artiste de cette mesure, par lettres patentes du 3 mars 1427.
Mais le procédé nouveau qu'employaient les deux frères ne recommandait pas seul leurs travaux. La
découverte aurait certainement produit beaucoup moins d'effet, s'ils n'avaient pas montré dans des œuvres
excellentes les résultats qu'elle permettait d'obtenir. Ces investigateurs profonds étaient aussi de grands
peintres. L'art subit entre leurs mains une complète métamorphose. Au monotone éclat des fonds d'or, puérile
magnificence qui charme les esprits grossiers, les nations barbares, ils substituèrent des perspectives pleines
d'illusion. Tantôt c'était une campagne, avec ses bois, ses eaux, ses frais herbages, ses gracieuses collines
et les toits aigus, les tourelles des demeures féodales : la délicatesse du pinceau, la fidélité de l'imitation
le gazon. Tantôt c'était
y étaient poussées jusqu'aux dernières limites; pas une fleur ne manquait dans
l'intérieur d'une église, que la vue parcourait comme un monument réel; on apercevait les nefs, le chœur,
les galeries, les autels décorés, les moindres moulures, et lestons de la lumière éloignaient ou rapprochaient
les diverses parties du pieux édifice. Les deux magiciens ouvraient même aux curieux les salles tranquilles
des habitations, leur permettaient d'y plonger le regard. Nul n'avait encore fait un aussi habile usage de la
perspective. Pietro della Francesca, Paolo Uccello, Léon-Baptiste Alberti, contemporains des Van Eyck,
sentaient la nécessité de reproduire l'espace, cherchaient les moyens d'y parvenir, étaient plus savants
peut-être, mais ne possédaient pas comme eux toutes les ressources de la couleur. C'était donc une véritable
conquête, d'autant plus précieuse qu'elle assurait aux artistes deux nouveaux domaines, leur fournissaient
les moyens de rendre le paysage et de retracer l'intérieur des maisons comme des monuments publics.
Les Van Eyck dès lors joignirent à l'intérêt des scènes pieuses la poésie de la nature et celle de
l'architecture, et exécutèrent sans crainte des tableaux de genre. Ils montrèrent le Christ, la Vierge et les
saints dans de magnifiques bâtiments, qui charmaient les yeux, imprimaient au motif un plus noble
caractère; ou bien ils empruntèrent des données réelles à la vie de chaque jour. Ainsi on voyait de leur
temps, chez un cardinal Octavien, une image assez leste, qui représentait de très-belles femmes sortant du
bain ; un léger voile cachait à peine leur sexe, et l'une d'elles était placée de manière que son dos se
réfléchissait dans un miroir. Ils purent en outre iiguror des actions où le paysage est indispensable, comme
le baptême du Christ, la Prédication sur la montagne, et, pour descendre à de moindres sujets, les danses,
les noces rustiques, les fêtes de village, les travaux champêtres.
Avec ces nouvelles ressources, avec leur esprit d'observation, les Van Eyck eurent encore la gloire
d'accomplir une œuvre inexécutable avant eux : le portrait. Les prétendues effigies qu'on traçait jusqu alors
étaient des images de convention, qui rappelaient fort peu le modèle. On y voyait les lignes, les formes
générales de l'espèce, nullement les caractères particuliers, les traits individuels. En appliquant à la face
humaine les principes de la perspective, en dégradant, en combinant à l'infini les couleurs pour reproduire
les tons de la chair, les Van Eyck firent dédaigner ces vaines ébauches : on retrouva sur leurs panneaux
tous les signes distinctifs des personnages copiés par eux.
Ils peignirent si élégamment les fleurs, si habilement les animaux, non point séparés de la nature, mais
associés au luxe des champs et des jardins, les premières même au luxe des appartements, où leurs fraîches
corolles s'étalent dans les plus beaux vases, qu'on peut leur attribuer l'honneur d'avoir fondé ces deux
genres, montré la voie aux artistes hollandais.
Pendant qu'ils étudiaient si patiemment les objets réels, l'influence du christianisme les entraînait vers
l'allégorie. Leur principal ouvrage, YAdoration de l'Agneau mystique, n'est même qu'un vaste symbole.
Le Triomphe de l'Église, le travail-le plus étendu que Jean van Eyck ait exécuté sans collaboration,
appartient également à la classe des emblèmes. Comme les divins messagers de la Bible, après avoir
cheminé quelque temps sur la terre, ouvraient soudain leurs ailes, les deux frères, si positifs d'habitude,
prenaient tout à coup leur vol et planaient sans efforts dans les espaces illimités du monde abstrait.
Enfin, on les regarde comme ayant modifié l'art de peindre sur verre. Pendant tout le moyen âge, on
coloriait celui-ci dans la masse, et il fallait en conséquence un morceau différent pour chaque teinte du
la
vitrail. Appliquant matière colorante à la surface, nos artistes trouvèrent le moyen de juxta-poserplusieurs
nuances ou couleurs, sans l'intervention du cadre métallique. Les vitraux cessèrent depuis lors d'être une
laborieuse marqueterie, pour se changer en tableaux diaphanes, comme ceux de Cologne et de Sainte-
Gudule.
Tant de mérite, tant d'innovations, une gloire si étendue et si bien acquise n'inspirèrent pas à Jean
van Eyck le moindre orgueil. Entraîné par l'aspiration sincère du génie vers le beau, le bien ou le vrai,
espérant toujours mieux faire, il dominait ses propres ouvrages. Il inscrivait donc au bas de ses peintures
cette devise touchante et modeste, où l'on pourrait trouver même une certaine nuance de découragement :
« Als ikh kan, Comme
je puis. » L'homme supérieur avouait de la sorte n'avoir pas atteint son idéal et semblait
désespérer de l'atteindre. C'est qu'il l'avait placé très-haut, et, comme les artistes nuls ou médiocres, ne
tombait pas en adoration devant lui-même, dès qu'il obtenait quelque résultat.
On ne possède aucun morceau isolé qui soit l'œuvre authentique d'Hubert van Eyck et porte sa signature.
Le haut du retable de Gand, l' Adoration de l'Agneau, est l'unique travail qui permette de juger son talent et
sa manière. L'inscription placée au bas nous apprendqu'il l'avait commencé tout seul, et que la mort l'ayant
empêché de le finir, Jean le termina. On pense avec raison que la partie la plus archaïque doit être mise sur
le compte du frère aîné, partie qui occupe évidemment le haut de la composition. Dieu le père, Marie
et saint Jean-Baptiste, par exemple, sont environnés d'un fond d'or, suivant la coutume des peintres
primitifs. Les inscriptions étendues qu'on y observe, la pompe outrée des costumes reportent aussi la pensée
vers un temps lointain. Les trois personnages, d'ailleurs, mais surtout Jéhova, ont un caractère manifeste
de grandeur byzantine. La symétrie de leurs vêtements, le calme de leur attitude, leur grave expression
accusent une influence sacerdotale, leur donnent un aspect hiératique. La prodigieuse finesse du travail ne
saurait être surpassée : les couleurs sont fondues avec un soin extrême. Le visage de Dieu le père et la tête
de saint Jean offrent certaines nuances rouges, qui semblent distinguer particulièrement les Van Eyck : 011
les retrouve dans le panneau central, sur la figure des poëtes, des artistes sacrés, aussi bien que dans
plusieurs morceaux du frère cadet. A mesure qu'on descend vers le bas de l'image, le naturalisme de
celui-ci se développe et se manifeste.
Un panneau du musée de Naples, longtemps attribué, sans preuves et sans vraisemblance, au peintre italien
Colantonio del Fiore, a dans le travail, la couleur et le style une si frappante analogie avec le haut du
retable de Gand, que M. AYaagen n'hésite point à le déclarer son ouvrage. Il appuie son opinion de détails
concluants, et son goût, son savoir, sa perspicacité habituelle en garantissentd'ailleurs la justesse.
Une constante imitation de la nature, la recherche absolue de la vérité distinguent la manière de Jean
fuyait le
van Eyck. La tradition, les souvenirs des époques antérieures n'avaient pour lui aucun prestige : il
sanctuaire où étaient appendues les madones byzantines. Sous ce rapport, comme sous beaucoup d 'atitres,
il fut le vrai fondateur de l'école néerlandaise. Et pourtant l'art de peindre conserva entre ses mains un
caractère sérieux, que ses élèves adoucirent. Les monuments dessinés dans ses tableaux en offrent une
preuve singulière : il y sacrifie l'élégante et opulente architecture gothique à l austère et sombre architecture
romane, qui, sous ses lourdes voûtes, rappelle les douleurs du Bas-Empire, l'invasion des barbares et la
tristesse des catacombes.
Le seul tableau connu qui permette de juger la première manière de Jean van Eyck, se trouve à
l'Académie de Bruges ; c'est une tête du Sauveur, entourée d'un cadre fictif, où on lit :
Une autre inscription placée dans le champ de la peinture : JÉSUS VIA, JESUS VERITAS, JÉSUS VITA, trois
bouquets d'ornements substitués au nimbe, un alpha et un oméga dessinés à droite et à gauche, la roideur,
l'immobilité sculpturale des traits lui impriment un caractère prononcé d'archaïsme. On y observe les
tons rouges dont nous parlions tout à l'heure. Mais la majesté byzantine a complètement disparu : le Christ
s'offre à nos yeux sous le vulgaire aspect d'un campagnard. Cette première œuvre de Jean van Eyck trahit
donc de la manière la plus évidente son naturalisme. Les accessoires prouvent néanmoins qu 'à l âge de
trente-quatre ans l'auteur n'avait pas encore tout il fait rompu avec l'ancien goût. Deux critiques anglais
regardent ce tableau comme une copie de la tête présentée par Jean van Eyck il la corporation des peintres
d'Anvers, et appuient leur opinion d'arguments assez vraisemblables. Elle ne diminue pas l'intérêt de nos
observations sur les caractères et le style du travail.
Le morceau qui, par sa date, vient en seconde ligne, est l'œuvre capitale des deux frères. Dans la même
année où le plus jeune avait exécuté le christ de Bruges, un noble Gantois, Josse Vydt, seigneur de
Pamele, acheta, pour y établir la sépulture de sa famille, une chapelle de l'église Saint-Bavon. Il y fit ouvrir
un caveau et s'occupa immédiatement de décorer le petit édifice lui-même. Sur l'autel, il voulut déployer
1111 travail important d'Hubert van Eyck.
A sa prière, celui-ci commença donc un vaste retable, où il se
proposait de figurer, d'après l'Apocalypse, le Sauveur adoré sous la forme d'un agneau. Toutes les idées
chrétiennes devaient se grouper alentour, au moyen de personnages symboliques. Douze panneaux, quatre
immobiles et peints d'un seul côté, huit mobiles et peints sur les deux faces, lui parurent nécessaires pour
contenir cette pieuse multitude : on y compte en effet trois cent trente acteurs. La simple description d'une
pareille œuvre occuperait à elle seule plus d'une livraison; je ne puis donc l'entreprendre 1.
C'est tout un
poëme emblématique, dans le genre de ceux qu'affectionnait le moyen Age. L'histoire, l'allégorie s'y mêlent,
s'y entrelacent, comme dans les visions lugubres ou radieuses du chantre florentin.
Pour exécuter ce grand ouvrage, Hubert alla s'établir il Gand; à la Saint-Bavon de l'année 1422, il fut
reçu membre de la confrérie de Notre-Dame, sur l'avis du chapitre de la cathédrale. Mais le sort ne lui
permit point d'achever sa peinture épique : il y travaillait depuis six ans et l'avait sans doute fort avancée,
lorsque la mort, survenant d'un pas furtif, l'arracha de son atelier, le 18 septembre 1426. Ce fut pour lui
un amer chagrin de laisser son œuvre interrompue; son épitaphe nous annonce qu'il rendit avec peine son
âme à Dieu. On l'enterra dans le caveau sépulcral de la famille Vydt, sous la chapelle dont son immense
polyptique devait former le principal ornement. Un riche tombeau y couvrit sa dépouille, et l'enthousiasme
excité par ses travaux inspira l'idée singulière de détacher son bras droit pour l'exposer, comme un objet
de vénération, dans une armoire de fer, à la porte de l'église. On l'y voyait encore pendant le seizième
siècle.
Marguerite, qui était, selon toute vraisemblance, la cadette de Hubert et l'ainéc de Jean, mourut bientôt
après le plus âgé des deux frères. Josse Vydt lui donna aussi l'hospitalité dans sa crypte funèbre. Aucune
œuvre authentique de sa main ne nous est parvenue. Tout récemment, Mrs Crowe et Cavalcaselle lui ont
attribué les miniatures d'un manuscrit possédé par notre bibliothèquenationale, le missel du duc de Bedford
(Breviarium sarisberiense, n° 273). Mais je soupçonne qu'ils ne les ont point vues. Dans tous les cas, ils
seraient bien embarrassés pour dire en quoi elles offrent. les caractères du style des Van Eyck. Les types,
les airs de tête, les expressions et la couleur dénotent évidemment une origine française.
Que pouvait faire le seigneur gantois, sinon transmettre à Jean van Eyck la tâche commencée par
Hubert? L'artiste merveilleux accepta ce legs avec empressement et continua l'œuvre suspendue. Mais
il quitta la ville de Gand l'année même où il avait perdu son frère et sa sœur, le duc ayant loué pour lui, a
Bruges, la maison de Jacques Ranary, et payé par anticipation deux années de loyer. Bientôt cependant le
prince le força de quitter le pinceau, car il l'envoya en Portugal copier les traits de la princesse Elisabeth :
comme il avait demandé sa main, il voulait se faire une idée de sa personne. Le 19 octobre 1428, le peintre
s'embarqua au portde l'Écluse avec l'ambassade et ne revint que le jour de Noël 1429. Il avait dans
l'intervalle parcouru presque toute la péninsule ibérique, visité les rois mahométans, et rapportait de
précieux souvenirs. L'influence de ce voyage est manifeste sur les volets de l'Agneau mystique, où figurent
certains personnagesde l'Orient, exécutés depuis son retour. Trois ans lui furent encore nécessaires pour
achever cette énorme entreprise. Le G mai 1432 seulement, on put mettre en place le ré-table. Le duc de
i
Vo)ez t'e\pHc.Hio)) des sujets dans les HcrhcrclK-s l'l Indications. Voyez aussi le deuxième volume de mon Histoire de la
Peinture flamande el hollandaise et mes Peintres úrlll/cuis.
Bourgogne était allé le voir chez le peintre, avant qu'on le fit partir pour Gand 1, et avait donné aux valéts du
fameux coloriste une gratification de 25 sols.
L'étendue de l'œuvre, l'excellence du travail, les qualités diverses que l'on y admire et leur précoce
apparition lui donnaient une importance extraordinaire : elle causa dans le nord de l'Europe l'émotion la
plus vive et la plus durable. Tous les peintres l'étudièrent avec une sorte de vénération pendant deux siècles.
Elle fut pour l'art septentrional ce que les poëmes d'Homère avaient été pour la littérature grecque.
Le travail le plus important que Jean van Eyck ait exécuté tout seul orne le musée de la Santa-Trinidad,
à Madrid. Antonio Ponz l'avait vu en 1786 dans une chapelle de l'église de Palencia, et le décrit avec
admiration dans son Voyage d'Espagne. Il représente le Triomphe de la loi nouvelle sur la loi de Moïse,
sujet souvent figuré par les statuaires gothiques,sculpté notamment par Sabine de Steinbach, fille d'Erwin, au
^portail méridional de Strasbourg. La composition flamande occupe le parvis et les deux étages d'un
monument imaginaire, moitié byzantin, moitié ogival. En haut, le Rédempteur, auquel un énorme clocher
1Jean n'habitait plus alors la maison de Jacques Ranary. En 1430, il en avait acheté une autre située au Torre Rrugsken,
qui appartenait à Jean van Milanen ou Milauen : il paya pendant dix ans à la cathédrale une rente de 30 schelen, que devait
son prédécesseur et qui était hypothéquée sur l'immeuble.
sert de dais, repose sur un trône que décorent les emblèmes des quatre évangélistes, et lève la main pour
bénir les fidèles. A sa droite et à sa gauche, la Vierge et saint Jean, assis sur des bancs tapissés, lisent
avec componction de pieux volumes. Aux pieds du Nazaréen, on voit couché l'agneau qui lui sert de
symbole. Par une petite arcade, la base du trône laisse échapper un courant d'eau limpide, à la surface
duquel flottent une multitude d'hosties; ce courant traverse le premier étage, où quatre groupes d'anges,
aux longues chevelures, chantent et jouent de divers instruments, pour célébrer la victoire de l'Église, et
va plus bas alimenter une fontaine. Celle-ci, charmante construction comme savait les faire le moyen â go,
divise en deux la scène principale. A gauche, s'avancent les représentarits de la foi nouvelle, un pape, la
tiare au front et tenant à la main une bannière victorieuse, un cardinal, un empereur, un roi, d'autres
grands personnages; derrière eux, on aperçoit les fondateurs de l'école'flamande, Hubert et Jean van
Eyck, Hubert agenouillé, levant les mains en signe d'adoration, portant le collier d'un ordre autour du cou
et un somptueux costume; Jean, debout, modestement habillé d'une robe noire. Ils sont coiffés, l'un et
l'autre, comme sur le volet de l' Agneau mystique A droite de la fontaine s'éloignent, en pleine déroute,
les chefs de la synagogue. L'étendard du grand prêtre est brisé; lui-même, les yeux couverts d'un bandeau,
a perdu ses forces, car il chancelle et appuie une de ses mains sur un israélite agenouillé. Un second juif
tombe à la renverse, les jambes d'un troisième fléchissent sous lui, un autre se bouche les oreilles pour ne
pas entendre les paroles salutaires, un autre encore se déchire la poitrine, et plusieurs prennent ouvertement
la fuite.
La terreur et le désespoir de ce groupe forment un contraste saisissant avec la joie calme, l'austère
grandeur et la triomphante majesté des apôtres du christianisme. C'en est fait, l'ancienne doctrine ne peut
se maintenir devant la loi de grâce. L'habileté de la composition, au point de vue pittoresque et au point de
vue moral, l'énergie des expressions,la vigueur du coloris, la fermeté du dessin, concourent avec l'étendue
de l'œuvre à lui donner une importance capitale. Il est fâcheux que ce morceau n'ait pas encore été gravé
par un homme de mérite.
Après ces deux grandes œuvres, qui dominent toutes les autres par leur importance, une quinzaine de
tableaux signés et datés, ou d'une origine indubitable, permettent encore d'étudier et de caractériser la
manière du jeune Yan Eyck. Le plus ancien, qui passe pour représenter la Consécration de Tlio2nas Becket,
et que possède, à Chatsworth, le duc de Devonshire, a malheureusement subi tant -de retouches et de
dégradations qu'il flatte peu la vue. Il porte la date de 1421, et aurait été, en conséquence, exécuté par
Jean, lorsque son frère commençait le fameux retable de Saint-Bavon. Il offre des signes frappants
d'archaïsme, comme la tête du Sauveur que renferme le musée de Bruges. Ainsi les figures sont étagées
l'une au-dessus de l'autre, à la façon des miniaturistes et de toutes les époques primitives, où l'on ne sait
point échelonner les objets dans l'espace. Le dais et le fond du tableau accusent la même ignorance de la
perspective aérienne et de la perspective linéaire. Le gauche arrangement de -la colombe et des rayons
lumineux, la maigreur, les formes allongées des personnages, leurs attitudes raides, communes, trahissent
une égale inexpérience. Les draperies ont la lourdeur, les plis anguleux et surabondants de la statuaire
gothique en décadence, laquelle fut d'abord imitée par la peinture moderne. Quelques parties, notamment le
dais, ont gardé une belle couleur; mais les visages ayant été presque entièrement repeints, sans nul doute,
avant la seconde moitié du seizième siècle, l'œuvre a perdu les trois quarts de son mérité. Elle est importante
et curieuse néanmoins, parce qu'elle nous montre Jean van Eycli aux prises avec les difficultés originelles de
son art, difficultés que l'intelligence et l'adresse humaines-rencontrent sur leurs pas dans un ordre
invariable,
que le génie même le plus extraordinaire ne peut vaincre sans beaucoup de tâtonnements et d'efforts.
Quelques années après, l'inventeur de la peinture à l'huile en avait triomphé, comme le prouve l' Adoration
de l'Agneau mystique. Ses progrèsimmenses sont aussi manifestes sur deux ouvrages qui ornent, à Londres,
la GALERIE NATIONALE et suivent immédiatement, dans l'ordre chronologique, le tableau de Saint-Bavon. jL un
représente un homme coiffé d'un turban, peint en 1433; c'est une œuvre extrêmement remarquable
effet.
par la vigueur de la touche, par sa couleur brillante et profonde, par son harmonieux
L'autre, qui figure un Couple de nouveaux mariés, porte le millésime de 1434. Un homme et une femme
debout, sur le devant du tableau, se tiennent par la main; à leurs pieds on voit un chien terrier d'une
exécution admirable. La porte du fond laisse apercevoir une société nombreuse, qui vient sans doute pour
célébrer la noce. Certains documents trouvés par M. Weale nous font savoir que l'épouseur est Jean
Arnolphini ou Arnoulphin, compagnon et facteur de Marc Guidecon, marchand drapier de Lucques,
domicilié à Bruges. L'épousée a une telle similitude avec la femme de Jean van Eyck, que certains
critiques l'ont prise pour elle. C'était apparemment sa sœur, circonstance qui expliquerait pourquoi
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l'artiste entreprit le tableau, pourquoi même il le peignit avec un soin extraordinaire. Cette hypothèse,
d'ailleurs très-vraisemblable, donnerait en outre le sens de l'inscription, qui déroute les commentateurs.
On lit au bas du panneau : JOI-IANNES DE EYCK FUIT IIrc, 1434 (Jean van Eyck a été ici, 1434). Ce fuit hic a
déconcerté les plus habiles interprètes. Mais en supposant que le mariage auquel la peinture fait allusion
établissait des liens de parenté entre Jean van Eyck et Arnoulphin, l'auteur ne semblerait-il pas avoir voulu
constater qu'il assistait à la cérémonie? Le tableau serait alors une page commémorative, un monument de
famille. Jamais le glorieux inventeur n'a mieux rendu l'espace et les effets de l'air, jamais il n'a mieux fondu
les couleurs, mieux reproduit les nuances de la carnation. L'ameublement est peint avec une perfection
d'ensemble et de détails, qui émerveille les spectateurs: on admire malgré soi le lit, les fauteuils, le lustre
en cuivre, le parquet, le miroir concave où se reflètent les personnages et dont le cadre offre à la vue dix
scènes de la Passion, véritables miniatures. Après la bataille de Waterloo, le major Ilay trouva dans son
logement cette œuvre supérieure et très-bien conservée.
De l'année 1436 datent la Vierge sur un trône, adorée par saint Georges et saint Donat, qui orne le
musée de Bruges, et le portrait du sire de Leeuw, qui appartient à la galerie de Vienne. Le premier
travail a une grande importance. Le chanoine George van der Paele, nous apprend l'inscription latine, le
fit faire par Jean van Eyck pour l'église Saint-Donat. Au milieu du panneau, la Vierge, tenant le Christ
enfant, est assise sous un dais de tapisserie verte; à droite, on aperçoit le donateur agenouillé, derrière
lequel saint Georges debout salue la fille de David ; à gauche, saint Donat, pompeusementvêtu, porte dans
la main une petite roue chargée de cierges allumés. Une église romane abrite ces personnages sous ses
voûtes austères. On ne peut rien voir de mieux rendu que le pourtour du chœur, avec ses arcades pleines
d'ombre et ses lourds vitraux. Cette page ne devrait renfermer qu'un portrait, celui du chanoine qui l'a
commandé; mais toutes les têtes sont évidemment peintes d'après nature, même celle de l'enfant Jésus.
Elles manquent en conséquenced'idéal, et surprennent par leur étonnante vérité. L'artiste a soigneusement
copié ses modèles, sans leur faire subir la moindre altération, sans leur enlever aucun de leurs défauts.
Le même caractère de réalité absolue distingue la Vierge du musée d'Anvers, qui était restée jusqu'à
notre époque dans l'église du village de Dikkelvenne, situé à trois lieues de Gand, sur l'Escaut. La Mère
du Sauveur s'y montre à nous comme une épaisse femme du Nord, avec une tournure et une physionomie
tant soit peu triviales : ron jeune enfant, non plus, n'a rien de beau ni de gracieux. Mais l'exécution révèle
un talent supérieur. Le morceau porte la date de 1439.
C'est encore la fidélité excessive de l'imitation qui frappe dans le portrait du musée de Bruges représentant
la femme même de Jean van Eyck, peinte en 1439. Assurément il n'a pas voulu la flatter, car on trouverait
avec peine une aussi laide créature. Son grand front dépourvu de sourcils, ses petits yeux bordés de
rouge, son nez mince par le haut et large par le bas, sa bouche pincée, où la lèvre inférieure dépasse la
lèvre supérieure, son expression froide, sèche, désagréable, semblent faits pour inspirer toute autre chose
que l'amour. Un artiste épris de l'idéal n'aurait pu retracer avec une aussi accablante exactitude cette
disgracieuse ménagère. Il lui aurait prêté quelque charme fictif, il aurait, sans le vouloir, par une tendance
naturelle de son imagination, adouci les traits les plus rebutants. Mais le fondateur de l'école néerlandaise n'y
mettait pas tant de façons : il allait droit au vrai dans sa pesanteur et son ingénuité flamandes. Pour avoir
pu choisir une telle compagne, il fallait d'ailleurs qu'il n'eût pas un sentiment très-énergique de la beauté
des formes et des lignes,, ni même de l'expression morale.
Mais, comme tous les hommes de génie, quelle que soit leur nature, il avait des retours, des élans vers
la beauté suprême, dont le monde réel offre eà et là quelque charmant exemplaire. Les panneaux
inférieurs de Y Agneau mystique renferment des têtes délicates ou majestueuses, qui prouvent que Jean van
Eyck cessait parfois de raser la terre, pour s'élever dans les régions poétiques. Les deux images de sainte
Barbe, conservées à Bruges et à Gand, peintes l'une et l'autre en grisaille pendant l'année 1437, le démontrent
aussi, quoique d'une manière moins péremptoire. Les traits sont réguliers, mais flattent peu l'imagination,
parce qu'ils manquent de finesse : l'expression, au contraire, a tout le charme, toute la grâce morale que la
peinture peut lui donner. Pendant que la sainte feuillète un livre ouvert sur ses genoux, elle s'abandonne
à une méditation profonde, à une pieuse et douce rêverie : c'est comme une lumière céleste qui tombe sur
son visage et la transfigure de ses rayons.
Le Louvre possède un magnifique tableau de Jean van Eyck. On y voit le chancelier Rolin à genoux sur
un prie-Dieu, devant la Vierge et l'enfant Jésus. Cette œuvre d'élite orna longtemps la sacristie de la
cathédrale d'Autun, comme nous l'apprennent Filhol et Courtépée. Les trois personnages se tiennent dans
une galerie byzantine, qui, par ses arcades, laisse apercevoir un immense paysage. Marie est, en quelque
sorte, noyée dans un vaste manteau d'un rouge sombre et d'une étoffe très-épaisse; son abondante
chevelure glisse derrière ses oreilles et couvre ses épaules. Au-dessus d'elle plane un ange vêtu d'une
robe spacieuse, qui porte une ample couronne à jour, très-fouillée, très-compliquée, sans aucune
proportion avec les deux personnages. Le Sauveur, tout nu et bien dessiné, nous apparaît comme un gros
enfant aux cheveux d'un blond pâle. La tête de Rolin fait honneur à la patience flamande : la barbe rase,
les plis, les détails de la peau sont rendus avec un soin extrême. C'est un groupe tranquille, mais
austère et peu avenant. Par delà les colonnes, un petit jardin où se promènent des paons et des pies,
brode le sol de ses arabesques. Pour le paysage, comment décrire ce merveilleux panorama, qui a dû
occuper longtemps le pinceau de l'artiste? On y découvre un fleuve encaissé entre de plantureuses collines,
divisé par une île sur laquelle s'élève un château féodal, avec ses tourelles élégantes et ses toits coniques.
Plus près du spectateur, une ville entière, dans laquelle on distingue non-seulement les maisons, les quais,
les rues, la cathédrale et diverses églises, un pont chargé de monde que protége un grand châtelet bâti
dans l'eau, mais les toits, les cheminées, les fenêtres, les portes des logis et quelques centaines de bourgeois
peints en détail, sans que l'artiste ait négligé une pièce de leur costume, frappe d'étonnement par son
exécution minutieuse. Au loin, verdoie une fraîche campagne, et des monts bleuâtres festonnent l'horizon.
Les teintes un peu sombres du premier plan font ressortir l'abondante lumière qui baigne la perspective, en
augmentent la magie et la profondeur.
Parmi les œuvres signées de Jean van Eyck, il faut mentionner encore la Vierge entre saint Aficlzel et
sainte Catherine, que possède le musée de Dresde, production charmante dont le revers offre aux curieux'
une Annonciation; une tête du Sauveur, exécutée en 1438 et conservée à Berlin, remarquablepar son air
solennel, par son regard fixe et l'immobilité de son attitude.
Les productions authentiques de Jean van Eyck donnent une idée générale de son style, d'après laquelle
on lui attribue certains ouvrages qui en offrent les principaux caractères. On peut citer comme dignes de
l'illustre inventeur et comme tout à fait analogues à sa manière : le Saint Christophe d'Anvers, l'Annonciation,
qui appartient à l'empereur de Russie, l'Adoration des Mages, suspendue derrière l'autel, dans l'église
Sainte-Barbe de Castel-Nuovo, à Naples; une Vierge, que possède la maison Rothschild, à Paris; une autre
Vierge, de la galerie Doria; Saint Luc peignant Marie, belle page exposée à Munich, dont nous donnons
une gravure. On remarquera l'extrême similitude de ce panneau et de celui que renferme notre musée
national. Pour ne pas allonger une nomenclature peu séduisante, nous renvoyons le lecteur aux notes finales.
Un tableau que possède le musée de Vienne et qui a longtemps passé pour une production de Jean van
Eyck, inspire des doutes sérieux depuis que l'on a mieux étudié sa manière et toute l'école de Bruges. Il
représente le Sauveur descendu de croix, entouré par les saintes femmes et par quelques disciples. Le
travail en est excellent, mais offre les caractères d'une époque moins éloignée. La gravure jointe à notre
texte permettra au lecteur de se former une opinion. Si elle ne peut donner une idée de l'exécution
tedmique, elle montre la composition, l'agencement des personnages, leurs attitudes et leurs divers
sentiments. On n'y retrouve pas le goût, les habitudes pittoresques, les tendances morales de Jean
van Eyck. Ni lui ni ses élèves ne groupent leurs acteurs d'une manière si savante, si moderne, ne
communiquent à leurs poses, à leurs gestes, cette désinvolture, cette dramatique énergie. Loin de chercher
le mouvement, ils paraissaient le fuir; l'idéal de l'école, ce qu'elle tâchait de rendre et ce qui fait un de
ses mérites, c'est la vie dans le calme. La plupart de ses personnages sont immobiles; mais sous cette
tranquillité extérieure on aperçoit une piété sincère, d'affectueux sentiments, une poétique rêverie, l'amour
du travail, la confiance en Dieu et les douces émotions de la famille.
Jean van Eyck resta en faveur auprès de Philippe le Bon pendant toute sa carrière. Des textes officiels
nous donnent à cet égard une complète certitude. Dans l'année 1434, le peintre reçut 86 livres, au nom
du duc de Bourgogne, pour composicion à lui faicte et pour plusieurs journées vacquées à besongnes et
affaires. Le 30 juin de la même année, le puissant et habile seigneur tint sur les fonts baptismaux, non pas
en personne, mais par l'c 'fremise du sieur de Çhagny, l'enfant de l'ingénieux dessinateur. A cette occasion,
il lui donna six tasses d argent, qui pesaient ensemble douze
marcs, à huit livres un sou le marc, et avaient
par suite coûté 96 livres 12 sous. Cette même année encore, les trésoriers du prince hésitant il payer la
rente de l'artiste, le duc leur écrivit une lettre sévère, où il leur reproche de mécontenter un si habile homme :
t( Lui conviendra à ceste cause laissier notre service, en quoy prendrions très-grant déplaisir, car nous le
voulons entretenir pour certains grants ouvrages, en quoy l'entendons occuper cy-après et ne trouverons
pas de pareil à notre gré, ni si excellent en son art et science. » 11 ordonne qu'on le paye sans délai et sans
lui faire la moindre objection; il le leur dit une fois pour toutes et leur recommande de 11e point l'oublier,
s'ils ne veulent le mettre en colère, attendu qu'il leur saurait fort, mauvais gré de le contraindre à leur
adresser une seconde lettre. Cette mauvaise humeur et les termes qui l'expriment honorent le duc de
bourgogne ; ils montrent qu'il appréciait parfaitement le génie du peintre et que la sottise d'un administrateur
ne l'emportait point alors, comme dans la moderne Belgique, sur le talent le plus manifeste et les services les
plus honorables. En 1436, Jean van Eyck exécuta pour le duc un voyage secret hors de Flandre : sa mission
devait être d'une grande importance et d'un caractère diplomatique, attendu qu'elle coûta 720 livres. En
1439, son protecteur le chargea de faire enluminer un volume : on y coloria deux cent soixante-douzegrosses
lettres, douze petites, et la dépense fut de G livres 6 sous 6 deniers. On voit combien les artistes étaient
peu rétribués à cette époque. Au mois de juillet 1440, le peintre célèbre, âgé d'environ cinquante-quatre ans,
fut surpris par la mort, tandis qu'il peignait un retable que l'abbé Nicolas de Maelbeke lui avait demande'1
pour l'église Saint-Martin-d'Ypres. Ayant rendu il Bruges le dernier soupir, on l'enterra pompeusementsous
les voùtes de Saint-Donat. Ses obsèques coûtèrent 12 livres parisis, plus 24 sous payés aux sonneurs.
Sa femme lui survécut un certain nombre d'années : on ignore combien de temps dura son veuvage, mais
elle avait cessé de vivre en 1449. Sa fille llennie ou Lyeunie entra, la même année, dans un couvent de
Maas-Eycli, et le duc de Bourgogne lui lit à ce propos un don de 24 livres.
Un troisième Van Eyck, nommé Lambert, servait Philippe le Bon. 11 ne parait point avoir tenu le
pinceau. Telles furent les destinées de cette mémorable famille.
Les amateurs, les critiques même, qui lie sont pas habitués aux tableaux de l'école fondée par les deux
frères, les regardent avec plus d'étonnement que de plaisir. Leur aspect diffère trop de celui qu'offrent les
toiles modernes. A ces juges prévenus, les contours semblent durs, les mouvements raides, le travail
minutieux; dans la naïveté de l'expression, dans le calme des têtes, dans la surface luisante, émaillée de la
couleur, ils voient autant de défauts. Ceux qui ont beaucoup étudié les peintres flamands du quinzième siècle
sont tentés, au contraire, de préférer leur méthode. Si, par inexpérience, elle demeure, il certains égards,
au-dessous de la nature, elle en trace sous d'autres rapports une image plus fidèle. Sur les panneaux de
Bruges, on n'admire point sans doute ces grands airs de tête, ces poses hardies, ces gestes libres et vivants
qui font honneur aux écoles modernes. On y regrette sans doute la souplesse des lignes, la largeur de
la touche, la délicatesse des transitions, la moelleuse harmonie de l'ensemble. Mais combien d'avantages
précieux rachètent ces juvéniles imperfections! La manière, moins savante, est plus dépouillée d'artifices.
Le talent de l'observation, la justesse de l'exécution y dominent. Les portraits, par exemple, n'ont pas ces
attitudes fières ou gracieuses que Yan l)\ck, Lely, Vélasquez et Titien donnaient il leurs modèles en les
copiant : l'invention de l'homme s'y fait moins sentir. On y remarque d'autant plus les caractères de la vérité.
Les poses nous retracent le maintien même qu'avaient les personnages, leur port habituel, leurs gestes
favoris. C'est le prince, le bourgeois, le moine, le chevalier, la gentille dame, la lille du marchand, tels
qu'on les voyait au quinzième siècle. Les moindres particularités de leur ligure sont rendues avec un soin
prodigieux et un bonheur extrême. 11 semble qu'on les a connus ou qu'on fait leur connaissance. Ne va-t-on
point leur parler, s'asseoir il table près deux, écouter la douce légende de leur vie tranquille, l'éloge de
Philippe le Bon, ou le dernier épisode de la chronique locale? La patiente exécution de leur chevelure, de
leur barbe, de leur costume, des moulues, des draperies, des autres accessoires leur communique un air
surprenant de réalité. Le même caractère distingue les personnages fictifs des scènes religieuses. Ils sont
vivants, quoique imaginaires, et l'on pourrait presque leur attribuer une position sociale, d'après leur
physionomie et l'attitude de leur corps.
Un mérite analogue signale la reproduction des objets inanimés. Cette chambre avec ses volets garnis
de clous, avec ses vitres nombreuses encadrées dans le méta). ses bancs le, long des murs. ses coussins
rouges sur les bancs, les poutrelles peintes du plafond, le lit protégé par ses courtines, le dressoir, les plats,
les aiguières, et que sais-je encore? ne vous semble-t-il pas que vous y entrez, comme un fidèle sujet des
ducs de Bourgogne, que vous allez prendre plaée dans ce faudesteuil, regarder par cette fenêtre ouverte,
feuilleter ce livre à miniatures que porte un pupitre sculpté? Les monuments religieux sont si exactement
figurés que pas une moulure n'y manque, pas un dessin de vitrail, pas un rayon de lumière, pas un effet de
perspective ou de pénombre. Un peu plus, et on croirait y marcher, on croirait entendre le bruit de ses
f
pas sur les dalles et leur écho sous les voûtes du monument désert. Allons, curieux, arrête-toi : ton
indiscrétion va troubler cette jeune fille-en prière, là-bas, dans une chapelle écartée, devant la statue de
la Vierge ou devant une sainte qui lui apparaît. Les bois, les prés, les ruisseaux, les jardins, les éminences
incultes, les vallées fertiles ont le même charme de vérité : l'eau coule entre les bords des rivières, les
fontaines jaillissent, une ombre solennelle dort sous les rameaux des pins, le gazon pousse, des fleurs
en brodent le vert tapis, une bleuâtre fumée couronne les chaumières; on dirait qu'un. parfum s'exhale
des moissons, des fermes, des enclos, des pâturages, des étangs immobiles et des forêts silencieuses.
invente des combinaisons sans lin. La vie possède en elle-même un prestige qui manque le plus souvent aux
créations de l'esprit, aux chimères de la pensée. Mieux vaudrait, en général, copier le modèle vivant, mais le
copier avec soin, avec finesse et intelligence. C'est ce qu'a fait l'école de Bruges : elle a transporté sur ses
panneaux la forme originale, les traits nettement accusés, les nuances infinies que la nature emploie pour
caractériser ses productions; elle a su rendre les types variés de l'espèce humaine, les aspects les plus
frappants de l'univers. Sans doute, elle ne choisit pas toujours bien les modèles de ses personnages;
venue au monde chez une race prosaïque ou, pour mieux dire, chez un peuple qui unit un
sentiment très-vif
de la réalité à une imaginationpuissante, elle subissait l'influence de son origine, elle devait infailliblement
présenter un côté vulgaire. Mais souvent aussi elle monte plus haut qu'elle n'en avait rintention : dans ses
efforts pour atteindre la vérité, elle la dépasse et conquiert la beauté.
Par lui-même, d'ailleurs, le génie pittoresque eût amené ce résultat. Quand un homme de talent-manie le
pinceau, il produit sans le vouloir des effets heureux, trouve d'agréables combinaisons, étonne, charme,
intéresse. Parmi les couleui-s, les peintres de Bruges choisissaient les plus attrayantes; parmi les étoffes, les
plus douces à l'œil; parmi les rayons, les plus chauds, les plus suaves, les plus dorés; parmi les productions
de la nature et les oeuvres de l'industrie, celles que distinguent des qualités supérieures. Le monde que
nous ouvrent les anciens artistes flamands n'est pas, tant s'en faut, un monde trivial et grossier; le peintre l'a
modifié volontairementet à son insu; il en a fait, dans une certaine mesure, un domaine poétique, où l'idéal
a touché les objets de sa baguette d'or, pour leur communiquer un prestige insolite.
Dans les tableaux; de l'école brugeoise règne d'ailleurs un charme intellectuel et moral qui lui appartient
en propre. Les sentiments les plus doux, les idées les plus pacifiques, les impressions les plus calmes sont
la
source toujours diaphane où elle puise. Les mauvais penchants, l'égoïsme, l'envie, la haine, la cruauté,
l'ambition, l'avarice, le libertinage semblent ne point exister pour elle. La tendresse, la bienveillance, la
modération, la piété, le recueillement, toutes les affections et toutes les vertus forment son invariable
cortége. Elle en saisit, elle en retrace les moindres nuances. On dirait une troupe de vierges chrétiennes
qui, des fleurs sur le front et des fleurs dans les mains, passent devant nos yeux comme les saintes de
l'Agneau mystique. Une aimable naïveté ajoute à la grâce de leur physionomie.Le peintre et ses personnages
ont la fraîcheur juvénile de l'adolescence; nulle prétention, nulle dissimulation; rien n'altère la simplicité
de leur cœur. Aussi l'artiste ne pouvait-il exprimer les passions farouches et sanguinaires : il donnait aux
tyrans, aux persécuteurs, aux bourreaux des figures tranquilles, charitables, ingénues, qui contrastent
de la manière la plus décidée avec leur rôle. Comme leurs mauvaises actions les embarrassent! Quelle honte
ils en éprouvent ! Comme ils aimeraient bien mieux qu'on leur eût assigné une autre tâche ! Ils ont
beau faire, ils ne peuvent être méchants, et s'ils n'employaient tous leurs efforts à se contraindre, ils
verseraient des larmes sur les maux de leurs victimes. La nature extérieure a le même caractère inoffensif,
la même tranquillité, la même bonhomie, pour ainsi dire. Jamais un nuage ne ternit le ciel dans les tableaux
flamands du quinzième siècle, jamais une feuille ne manque aux arbres, jamais une tempête ne trouble
l'air, jamais un flocon de neige n'attriste la campagne. Sous ces froides latitudes où tourbillonnent les vents
du nord, l'école de Bruges a supprimé l'hiver.
Ses tableaux font donc éprouver au spectateur une action calmante et douce, comme celle de la nature
pendant les beaux jours. Devant ces figures sereines, devant ces lumineuses perspectives et cet azur sans
tache, devant ces intérieurs qui portent à la rêverie et ces paisibles scènes, on oublie le mal, les inimitiés,
la colère, la perfidie, l'orgueil, le mensonge, la débauche, les sentiments odieux et les passions funestes. On
vit quelque temps par l'imagination dans un poétique univers, où l'on aimerait à vivre -en réalité si le sort ne
qui nous bercent de
nous avait exclu d'un pareil Éden. Les artistes de Bruges, qui nous le font entrevoir,
gracieuses chimères, donnent ainsi une preuve de force en même temps que de noblesse morale et de
pureté. Le génie seul peut créer un monde à son image, nous envelopper d'illusions. La première école
flamande possède un patrimoine que nulle autre ne lui dispute, qu'elle parcourt en tressant des fleurs, comme
une jeune fille aux yeux caressants, timides et inspirés.
Mais d'où peuvent lui être venus le sentiment naïf, l'aimable douceur, la foi dans le bien, l'ignorance du
mal, l'éternelle paix qui se sont réfléchis du cœur de l'artiste sur ses ouvrages? Le quinzième siècle n'a
pas joui d'un grand repos : il fut troublé par des schismes, des rivalités et des guerres, qui le cèdent peu
aux violentes agitations du seizième. La lutte mortelle entre la maison de Bourgogne et la maison de
France, les terribles combats des Hussites, où périrent cinq cent mille hommes, les sanglants démêlés des
Suisses avec Charles le Téméraire, avec les Hapsbourg et les chevaliers déprédateurs embusqués sur Ifs
rocs des Alpes, donnent une idée du reste, exhalent une odeur de carnage très-peu favorable aux émotions
douces et intimes. Il s'en fallait bien que les mœurs fussent irréprochables? les caractères dociles et
humbles, la dévotion intelligente et affectueuse. L'histoire contemporaine n'offre donc pas les éléments que
les Van Eyck et leur école ont mis en œuvre. Ces flots limpides coulaient vers eux d'une autre source. On
ne peut méconnaître dans leurs tableaux une poétique interprétation de l'Évangile, auquel les faibles et les
petits Testaient fidèles, pendant que la noblesse et le clergé suivaient une autre morale, préféraient des
maximes plus mondaines. Réunis par l'opinion et par la coutume aux gens de métier, les artistes n'avaient
pas conçu les idées ambitieuses, le goût du luxe et des plaisirs, l'admiration outrée d'eux-mêmes, qui leur
ont donné depuis lors les vices des classes opulentes. Ils travaillaient pour gagner leur pain, pour nourrir
leur famille pour occuper leur esprit de la manière la plus conforme à sa nature. Ils avaient embrassé
,
une profession, et ils la cultivaient sans jactance, se rendant à peine compte de leur enthousiasme, de
leurs joies spirituelles, d'autant plus vives qu'elles étaient plus pures. L'infériorité sociale, où les maintenait
la distinction,des rangs, leur inspirait de la modestie, du calme, de la résignation, éloignait d'eux toutes
ces pensées inquiètes et moroses, qui affaiblissent le talent èomme elles troublent la vie. A quelque chose
malheur est bon, (lit le proverbe. C'est ainsi que, même en fréquentant la cour, ils ont pu s'isoler au
milieu de leur époque, ne subir aucune influence mauvaise et s'entourer d'une lumineuse atmosphère. On
eût dit les anges du Seigneur marchant dans les ténèbres. La force même de leur génie les préservait, à
la manière des talismans, et leur œuvre nous apparaît comme un songe gracieux, comme une échappée
de vue dans les bocages d'un jardin enchanté.
ALFRED MICHIELS.
IKEffilMiaS JE
Lr IHIMMIKDM '
Le Musée du Louvre renferme un tableau de Jean van Eyck la Vierge adorée par le chanoine Fan der Paele, saint Georges
dont l'authenticité n'a encore été mise en doute par personne. et saint Donat. L'inscription est absente.
Nous l'avons décrit suffisamment, aussi bien*que le Triomphe 3° Une reproduction de la grisaille de Bruges, où l'on voit
de l'Église, conservé à Madrid. sainte Barbe assise devant la tour qu'elle fait construire.
L'Académie de Bruges possède.dn même peintre : Panneau signé comme l'autre : Johes de Eyck nie fecit 1437.
i0 Une Tête du Christ. Dans le musée de Naples : Saint Jérôme, tableau de la
2° La Vierge adorée par le chanoine Van der Paele, saint plus remarquable exécution, attribué jusqu'ici au peintre
Georges et saint Donat. Le tableau offre cette inscription : italien Colanlonio del Fiore, mais qui rappelle exactement le
Hoc opus fecit fieri magister Georgius de Pala, ht/jus ecclesiœ style d'Hubert van Eyck.
canoniaus, 1Jer Johannem de Eyck, pictorem, et fundavit hic Au musée de Berlin : une Tête du Christ, où l'on retrouve
duas capellanias de grno chori Domirii 143\. On ne sait ce que le type byzantin. Sur le bord inférieur du panneau, on lit :
veut dire cette abréviation : gmo.
3° Sainte Barbe devant la tour qu'elle fait construire, gri- Johes de Eyck me fecit et appleviit anno lf138.
saille signée : Johes de Eyck me fecit 1437. 31january.
4° Femme de Jean van Eyck, portrait offrant- les inscrip- Pour les peintures de la National Gallery, nous n'avons
tions suivantes, l'une en haut de l'image, l'autre en bas : pas besoin d'y revenir.
Conjux meus Johannesme complevitanno 1439, Dans la gâterie impériale de Vienne : 1° le Portrait du sire
de Leeuw, avec cette inscription flamande :
mense junii.
JEtas meas triginta tria aimorum. ALS IKH KAN. Jan de Lecuw op sant Orselen dach
Au musée d'Anvers : Dat clar erst met ogfen sach (1401).
1° La Vierge debout portant le Christ clans ses bras, pan- Glioconterfeit nn heeft mi Jan
Van Eyck; well blyct wann er began (1436).
neau signé : ALS IKH KAN. Johes de Eyck me fecit complevit
anno 1439. Ce qui veut dire Jean de Leeuw, qui vit la lumière le
:
2° Une reproduction du tableau de Bruges, représentant jour de sainte Ursule, en 1401. Jean van Eyck a maintenant
fait mon portrait; regardez bien quand il commença : 1436. relégué Adam et Ève dans les combles, parce que l'artiste
2° Le Christ pleuré par sa mère et par différents saints. les a représentés nus, conformément aux paroles de la
Tableau gravé pour cette Notice. Bible.
A la pinacothèquede Munich : A ces panneaux, qui forment le centre de l'œuvre, il faut
1° Saint Luc peignant la Vierge. Admirable perspective adjoindre les six volets que possède le musée de Berlin.
2° L'Adoration des mages, panneau central dont les volets 10 Les Juges équitables. Ce sont dix cavaliers qui s'ache-
figurent l'Annonciationet la Présentation au temple. minent vers l'Agneau mystique. Le plus avancé, montant un
Au Musée de Dresde : la Vierge entre saint Michel et sainte cheval blanc richementcaparaçonné, nous offre le portrait
Catherine. d'Hubert van Eyck; son voisin, penché pour regarder autour
A Chatsworth, chez le duc de Devonshire : l'Installation de lui, est Jean van Eyck lui-même. Les deux effigies, co-
de Thomas Becket sur le siége archiépiscopal de Cantorbéry. piées pour nous à Berlin et gravées à Paris, ornent la présente
OEuvre endommagée, qui porte la date de 4421. Notice.
A Paris, chez la princesse Mathilde : un portrait.d'homme 20 Les Champions du Christ. Des montagnes couvertes de
et un portrait de femme; celle-ci a pour coiffure un hennin. neige forment la perspec ive de ces deux morceaux.
Chez M. Nieuwenhuys,à Bruxelles : la Vierge avec l'enfant 3° Les Saints ermites. Ils traversent un pays—couvert
Jésus, travail de petite dimension. d'une végétation abondante et de nombreuxrochers;
A Anvers, chez M. Weber: le Mariage mystique de sainte 4° Les Pieux pèlerins, ayant à leur tête saint Christophe.
Catherine d'Alexandrie; ; sur la lame d'une épée se trouvent Ces quatre ailes flanquaient le panneau central, olt I' Àgneati,
les mots : Joanes van Eyck, en écriture gothique du quin- mystique saigne pour les péchés des hommes. Les deux sui-
zième siècle. Une inscription ainsi placée me paraît dou- vantes accompagnaientle groupe supérieur, où figuraient
teuse. Dieu le père, la Vierge et saint Jean.
A Rome, dans la galerie Doria : la Vierge avec l'enfant 5° Des anges qui chantent;
Jésus, faussement attribuée à Albert Durer. 6° Des anges qui jouent des insti-vaibents: l'un d'eux touche
A Ypres, dans l'église Saint-Martin : la Vierge et l'enfant de l'orgue et occupe l'espacele plus considérable.
Jésus, devant lesquels est agenouillé le donateur, Nicolas de Les revers de ces tableaux offrent au spectateur :
Maelbeke. Sur l'extérieur des ailes, divisées l'une et l'autre 1° La Statue de saint Jean-Baptiste.
en deux compartiments, un autre groupe de Marie et de son 2° Le Portrait du donateur, Josse Vydt, qui parait d'un
Fils, trois Anges qui annoncent, au son de la trompette, la. âge très-avancé : il est à genoux, les mains jointes, et lève
venue du Rédempteur, la sibylle de Cumes, qui passe pour les yeux vers le ciel.
l'avoir prédite, et l'empereur Auguste, sous le règne duquel 3° Le Portrait de Lisbette Vydt, née Borluut, femme du
eut lieu l'incarnation.A l'intérieur, Jean van Eyck peignit le donateur. Elle est dans la même attitude que son mari.
Buisson ardent, la porte d'Ézéchiel ; il ébaucha un Gédéon 4° La Statue de saint Jean l'Evangéliste.
près de son merveilleuxemblème, et Aaron portant la verge b0 L'Ange Gabriel descendant vers Mark.
symbolique. Mais on prétend qu'il ne put les terminer, le 6° Marie à genoux, écoutant avec soumission les paroles
mal dont il devait mourir l'ayant surpris pendant qu'il tra- de Gkbriel.
vaillait à cet ouvrage. Au bas des quatre premiers revers court l'inscription sui-
M. Bogaert Dumortier, qui habite la ville de Bruges, en vante :
possède une copie.
PictorHubertus e Eyck, major quo nemo repcrtus,
Dans l'église Saint-Bavon, à Gand : Incepit: pondusque Johannes arte secundus
4° Dieu le père bénissant le monde; Suscepit laetus, Judoci Vyd prece fretus.
2° La Vierge; VcrsV seXta Mal Vos CoLLoCat aCta lVerl.
3° Saint Jean Baptiste;
4° Le panneau central, qui figure l' Adoration de l'Agneau Ce chronogramme forme la date de 4432, année où l'œuHP
mystique. Le symbole du Christ est placé sur un autel, son fut mise en place.
sang jaillit d'une blessure qu'il a au cou et tombe dans un Au-dessous du polyptique se trouvait primitivement un
calice. Une troupe d'anges balancent autour de lui leurs en- morceau oblong, une prédelle, comme on dit en italien, où
censoirs.A travers la campagne s'avancent les élus. Ce sont était représenté l'enfer.
les 'vierges martyres, les papes et les cardinaux,les saints rois Les six volets que possède le musée de Berlin furent déta-
et les prophètes. On aperçoit au loin la ville de Maëstricht. chés de l'œuvre en 1816. Un marchand de tableaux,nommé
5° Ève présentant à son mari la pomme fatale. Nieuwenhuys, eut alors l'adresse de se les faire vendre
6° Adam inquiété par cette offre périlleuse. 6,000 francs par les chanoines pendant l'absence de l'évê-
Les sibylles peintes sur les revers de ces deux panneaux que; il les céda pour 100,000 francs à M. Solly, auquel le
sont d'une exécution tellementinférieurequ'on ne saurait les roi de Prusse les acheta 400,000.
attribuer ni à l'un ni à l'autre des deux frères : un élève fut. A Saint-Pétersbourg: une Annonciation, que possédait
probablementchargé de cette tâche. jadis le roi de Hollande et qui a été acquise à sa mort par
Depuis l'année 4785, les chanoines de la cathédrale ont l'empereur de Russie.
ê;co/e ^itamant/er. fj/t/sfo ?te/ljtèaæ.
Jean van Eyck n'était pas encore descendu au tombeau, qu'un autre
peintre, sorti comme lui de la race flamande, continuait l'œuvre entreprise
par le glorieux inventeur de la peinture à l'huile, et propageait à la fois
la manière de son maître et ses procédés. Sous l'habile direction de
Roger, l'école brugeoise ne déchut pas : le disciple s'éleva presque à
la hauteur du maître, et, non-seulement se montra un puissant coloriste
et un savant dessinateur, mais sut imprimer à ses personnages un
cachet saisissant de vérité. Roger ne se contente pas de frapper le
spectateur, il l'émeut, il le domine. Ses grandes qualités, il les transmit
à deux de ses élèves, dont le nom appartient à l'Europe entière :
l'inimitable Memlinc et « le beau Martin, » Martin Schongauer.
L'existence de Roger, que de singulières erreurs avaient obscurcie,
est aujourd'hui connue dans ses détails principaux. Sa vie est acquise
à l'histoire, sauf pour ses premières années, au sujet desquelles il y a
contestation. Selon les uns, et c'est en particulier l'opinion de l'auteur
de ces lignes, Roger, comme le disent les anciens écrivains, naquit à
Bruxelles et étudia sous Jean van Eyck. Une autre opinion lui donne
pour patrie Tournai, où il serait entré comme apprenti chez Robert Campin, le 5 mars 1426 ou 1427,
et aurait été reçu maître-peintre le 1er août 1432. Dans les documents tournaisiens, il porte le nom de
Roger de la Pasture, dont Vander Weyden est l'équivalent en flamand. Parfois on écrit Rogier pour Roger,
mais c'est là une forme archaïque que presque tous les écrivains ont abandonnée. On ne serait plus admis
maintenant à regarder notre artiste comme brugeois, quoique quelques Italiens le nomment Roger de
Rruges; ni à le qualifier, comme Molanus, de peintre et de bourgeois de Louvam.
Roger naquit en 1400, d'un nommé Henri. Il était marié et père dès 1425, ce qui rend très-douteux
son tardif apprentissage à Tournai. En 1436, il était déjà, depuis quelque temps, fixé à Bruxelles en qualité
de peintre de la Ville, fonctions qu'il conserva jusqu'à sa mort et qu'il illustra en exécutant pour le palais
de la commune quatre grandes compositions qui furent longtemps considérées comme l'une des merveilles
des Pays-Ras. En cette année 1436, la capitale belge se trouvant dans la nécessité de restreindre ses dépenses,
l'administration décida, le 2 mai, qu'après la mort de Roger son emploi serait supprimé. Dans l'opinion
des magistrats d'alors, on avait probablementtiré de son talent tout le parti qu'on en avaitattendu ; peut-être
aussi, sa grande œuvre des tableaux de l'hôtel de ville était achevée, ou les idées qui en avaient provoqué
l'exécution ne dominaient plus dans les conseils de la commune. Quoi qu'il en soit, il paraît douteux que,
dans l'espace de temps qui s'écoula depuis le 1er août 1432 jusqu'au 2 mai 1436, en moins de quatre ans,
Roger ait acquis assez de réputation pour être appelé de Tournai à Rruxelles, puis lassé, dans sa seconde
résidence la protection d'abord accordée à son mérite. A ne considérer que ces seuls détails, on rencontre
de grandes difficultés pour accepter l'opinion nouvelle sur l'origine de Roger, opinion qui est d'ailleurs
de Vander Weyden.
en contradiction absolue avec les termes dont se sert Guicciardin en parlant
Celui-ci ne travailla qu'à des œuvres secondaires pour le duc Philippe de Rourgogne, mais plusieurs
communautés religieuses employèrent ses pinceaux ou acquirent de ses œuvres. Ces dernières se répandirent
rapidement jusqu'en Italie, où l'on en voyait à Gênes, à Ferrare, à Naples, dès le milieu du quinzièmesiècle.
C'étaient : à Gênes, des Femmes au bain, que deux jeunes gens contemplent avidement à travers les
fentes d'une porte ; à Ferrare, une Descente de croix avec volets représentant Adam et Ève chassés du
paradis et un Prince en prières, triptyque qui ornait l'appartement même de Lionel d'Esté; chez le roi
Alphonse de Naples, la Vierge recevant la nouvelle de l'emprisonnement de son fils et le Christ outragé
près de
par les juifs. En 1449, le Siennois Angelo Parrasio, qui travaillait dans le palais de Belfiore,
la deuxième de ces villes, séduit par les œuvres de Jean van Eyck et de Roger, cherchait à imiter ces deux
chefs de l'école flamande.
Quand Vander Weyden se rendit à Rome, lors du jubilé solennel de l'année 1450, sa réputation avait
déjà dépassé les Alpes; il partageait avec son maître la gloire d'avoir ouvert à la peinture des voies
nouvelles. On raconte que se trouvant dans la capitale de la catholicité, dans l'église de Saint-Jean de
Latran, il fut saisi d'admiration à la vue des peintures qui y représentaient l'histoire du patron de la
basilique; quand on lui eut dit qu'elles étaient dues à Gentile da Fabriano, il combla ce peintre de louanges
et le proclama le premier des artistes italiens.
A l'exception de l'accord qu'il conclut, en 1455, pour l'exécution d'un tableau destiné à l'abbaye de
Saint-Aubert, de Cambrai, tableau qui ne fut placé que quatre ans plus tard, sa biographie n'offre plus de
faits à citer. Roger paraît avoir été d'un caractère très-réservé et avoir consacré tous ses instants au
travail. On vante encore sa piété, ainsi que sa charité envers les pauvres, auxquels il fit un leus
considérable. Il mourut le 18 juin 1464, et fut enterré devant l'autel de sainte Catherine, au pourtour (111
chœur de l'église Sainte-Gudule, de Rruxelles.
Il résulte des documents du temps que Vander Weyden, sans être riche, se trouvait dans une position
aisée. On peut eonclure de ce fait que ses travaux furent appréciés et recherchés, et que l'on ne se
borna pas, comme cela n'arrive que trop souvent, à lui témoigner une admiration stérile. Le traitement
qu'il recevait de la Ville était modique, puisqu'il ne consistait qu'en une indemnité pour achat d IlIl
vêtement de cérémonie, mais tout ce qu'il exécutait pour l'administration, toute vacation, lui était payé
séparément. Dès l'année 1434, il possédait des rentes sur le domaine ducal de Brabant et sur la ville de
Tournai; vers l'année 14.i.4, il acheta une grande habitation à Rruxelles, dans la rue dite aujourd hui de
l'Empereur, habitation qu'il laissa à ses enfants. La somme de 4QO couronnes d'or, dont il' gràtifia la
chartreuse de Hérinnes lorsque son fils aîné, Corneille de Bruxelles, y fit profession, constitue" encore
une preuve de son opulence ' relative ! Enfin, si l'on en croit Van Mander, une reine, dont il peignit le
portrait, lui témoigna sa satisfaction en lui abandonnant la propriété d'une dîme.
ElisabethGoffaerts donna à Rogerquatre enfants : Corneille, qui mourut à Hérinnes en 1473, à l'âge de quarante-
huit ans; Marguerite, Pierre et Jean. Maître Pierre fut aussi peintre, mais son nom ne s'est entouré d'aucun
éclat et on n'a conservé de lui aucune œuvre authentique. Plus heureux, l'un des fils que Pierre eut de
Catherine valider Noot marcha avec succès sur les traces de son glorieux aïeul. Nous voulons parler de
Gosuin vander Weyden, qui abandonna Bruxelles pour se fixer à Anvers, y entra dans la gilde de
Saint-Luc, dont il fut doyen en 1514 et 1530, et reçut successivementplusieurs élèves dans son atelier, de
1503 à 1517. Parvenu à l'âge de soixante-dixans, il peignit pour l'abbaye de Tongerloo une œuvre remarquable,
la Mort et l'Assomption de la Vierge, où il se représenta, lui et le célèbre Roger. On a cru reconnaître
cette composition dans un tableau du Musée de Bruxelles, mais à tort, et rien ne nous permettrait
d'apprécier le talent de Gosuin, sans le Mariage de la Vierge, de l'église de Saint-Gommaire, de Lierre.
belle composition qui a été exécutée par lui vers l'année 1494 et a été longtemps attribuée à Roger.
Un autre Roger vander Weyden fut reçu franc-maître dans la gilde de Saint-Luc, en 1528, et vivait
encore en 1536. Comme Pierre, dont il était sans doute le petit-fils, ce dernier rejeton de la famille végéta
dans l'oubli.
Le grand artiste bruxellois compta une autre postérité, plus glorieuse que la première, et qui, si elle ne
perpétua pas son nom, propagea son style et sa manière. Jean van Eyck, comme le dit Yasari, n'eut
que lui pour disciple, ou, du moins, ne révéla qu'à lui le secret de la peinture à l'huile. Des recherches
récentes ont, en effet, prouvé que Christophsen, Vander Goes, les Vander Meire, Antonello de Messine ne
furent pas les successeurs immédiats des Van Eyck, et l'on a déjà supposé que plusieurs d'entre eux subirent
l'influence de Roger. A celui-ci revient, sans conteste, l'honneur d'avoir formé Memlinc, que l'on a si
justement nommé le Pérugin du Nord, et Schongauer,l'un des créateurs de la gravure, le digne précurseur
(l'Albert Durer.
Qui croirait que le maître de ces deux grands artistes, que l'homme dont le nom est déjà acclamé au
milieu du quinzième siècle par Facius, par Cyriaque d'Ancône, par Filarète ; dont le talent est célébré à la
fois dans les poésies de Santi, le père de Raphaël, et de Lemaire des Belges; dont Guicciardin, Yasari,
Lampsouius, Durer, Molanus redisent les louanges au seizième siècle, fut pendant plus de deux cents ans
rayé de l'histoire de l'art? Van Mander, dans sa Vie des Peintres, attribua ses actions et ses œuvres, en
partie à un prétendu Roger de Bruges, sur lequel il ne rapporte que quelques données sans précision, en
partie à un Roger vander Weyden, de Bruxelles, mort, dit-il, en 1529, et auquel on s'obstine à assigner
des séries de tableaux, sans avoir le moindre point de comparaison.
/ Cette dernière circonstance, d'attributions nombreuses légèrement acceptées et répudiées de même,
s'est produite à l'égard du premier Roger, et, pendant longtemps, tâtonnant dans les ténèbres d'une
période obscure, essayant d'accorder des témoignages souvent contradictoires, remarquant entre les
œuvres incontestables des Van Eyck et celle de Memlinc un certain nombre de tableaux où se révélait un
style particulier, on a attribué à Roger, puis retiré à ce peintre des compositions capitales, mais
qui, par malheur, ne sont ni signées, ni citées dans les documents. C'est ainsi qu'on place parmi
les productions de son pinceau une Naissance du Christ, du Musée de Berlin; les Sept Sacrements, du
Musée d'Anvers; le Jugement dernier, de l'hôpital de Beaune, etc. Chacune de ces compositions présente
de grandes qualités, mais une comparaison minutieuse prouverait probablement qu'il n'est pas possible de
leur reconnaître une origine commune.
La Naissance du Christ, qui fut peinte pour l'église de Middelbourg en Flandre, par ordre de Pierre
Bladelin, le fondateur de cette petite ville, mort en 1472, a, depuis quelques années, été classée, à tort ou
à raison, parmi les œuvres de Memlinc. Le beau triptyque des Sept Sacrements, œuvre magistrale, où le
sacrifice du Golgotha s'accomplit au milieu d'une nef gothique, tandis que les différents sacrements de
l'Église sont représentés par autant de groupes isolés, fut exécuté par ordre de Jean Chevrot, évoque de
Tournai (de 1437 à 1467); les tons clairs qui dominent dans ce tableau contrastent trop avec le coloris
chaud et vigoureux de Roger, pour qu'on le classe parmi les productions de notre artiste. Quant au
Jugement dernier, qui orne encore aujourd'hui l'hôpital de Beaune, fondé par Nicolas Raulin, chancelier
de Bourgogne, en 1441, l'attribution à Roger m'en semble très-douteuse.
En réalité, on ne connaît que deux peintures authentiques de notre artiste, et, par une circonstance
singulière, chacune a sa légende, chacune, pour arriver t-I l'asile où elle resplendit aujourd'hui, a passe
par toutes les phases d'une véritable odyssée.
La première existait déjà en 1431, d'après la tradition; dans un vieux manuscrit de la chartreuse
de Miraflorès, en Espagne, on la dit peinte par « maître Rogel, grand et fameux Flamand. » Le pape
Martin V, à ce que l'on rapporte, en fit don au roi d'Espagne Jean II, qui, en 1445, en gratifia la
chartreuse. Enlevée d'Espagne pendant les guerres qui désolèrent la Péninsule de 1808 il 1814, elle l'ut
achetée par M. Nieuwenhuys, acquise par le roi des Pays-Bas Guillaume II, et devint enfin l'un des
ornements du Musée de Berlin. On y voit, sur le panneau central, la Vierge tenant sur ses genoux le corps
« membres. » Ce qui les rend particulièrement remarquables, c'est que l'on y remarque une opposition
heureuse des sentiments les plus contraires sur le visage de la Vierge : ici, une profonde affliction; Iii, la
joie la plus profonde ou l'étonnement le plus vif.
Le tableau de Madrid se place a un rang supérieur il appartient probablement à
: une époque où le maître
avait amélioré sa manière, grâce à de nouvelles études. Roger le peignit
pour la chapelle surnommée Hors
des murs, de Louvain, et, cent ans plus tard, la reine Marie de Hongrie l'obtint du serment des arbalétriers
de cette ville, possesseurs de la chapelle, en échange d'une copie faite
par Coxie et d'orgues de la valeur de
500 florins. Le vaisseau qui portait cette œuvre en Espagne périt dans
une tempête, mais elle échappa aux
flots et souffrit peu du naufrage. Placée dans la galerie d'Isabelle, au milieu des plus splendides joyaux du
Musée de Madrid,la Descente de croix de Vander Weyden justifie complètement les louanges que les anciens
écrivains accordaient au talent de l'élève de Van Eyck. Coloris vigoureux et éclatant, dessin d'une
correction rare, distinction et expression dans les physionomies, grandeur et simplicité de composition,
tout est réuni dans cette production importante, dont il existe une répétition également très-belle
l'Escurial, et des copies ou imitations en plusieurs endroits.
Il est à déplorer que nous ayons perdu les quatre tableaux que Roger avait peints pour l'hôtel de ville de
Bruxelles (l' Acte de justice de l'empereur Trajan, le Pape saint Grégoire, averti par une vision, de la grâce
que Dieu avait accordée à cet empereur; le juge Herkenbald punissant son propre
fils coupable de viol, et la
Dernière Communion de ce sévère justicier). Mais les regrets des amis des arts ont été atténués par une
heureuse remarque de M. Pinchart. Notre ami a trouvé une reproduction de ces compositions de Roger
dans des tapisseries qui, prises par les Suisses parmi les dépouilles de l'armée de Charles le Téméraire,
sont encore conservées à Berne, et ont été publiées par M. Achille Jubinal. Bien qu 'on ne puisse demander a
ces deux imitations successives les beautés de l'œuvre originale , on y reconnaît cependant quelques-unes
des qualités que l'on se plaisait à signaler chez notre peintre, et en particulier l'art de grouper les
personnages et l'expression dramatique.
Dès l'année 1467, les princes qui visitaient Bruxelles s'empressaient d'aller admirer les tableaux de
l'hôtel de ville. Durer rendit le même hommageaux œuvres du «grand maître Roger, » comme il l'appelle.
Calvete de Estrella, qui accompagna Philippe II dans son voyage des Pays-Bas en 1549, reproduisit les
longues inscriptions qui en expliquaient les sujets et qui se retrouvent en entier sur les tapisseries de
Berne; et Lampsonius, en contemplant ces merveilleuses peintures, laissa échapper un cri d enthousiasme :
« 0 maître Roger, » dit-il, « quel homme vous
étiez! » Après le dix-septième siècle, le silence se fait, et tout
porte à croire que les tableaux de Roger périrent dans le bombardement de Bruxelles, en 1695.
Les tapisseries que l'on conserve dans la sacristie de l'église de Berne reproduisent de la manière la plus
complète les tableaux que Calvete de Estrella et, plus tard, Jacques Bollard, ont décrits en détail. Elles
ont vingt-six pieds de longueur sur treize pieds six pouces de hauteur. La première nous montre une
femme demandant justice à l'empereur Trajan et ce prince ordonnant le supplice de l assassin du fils de
cette femme. Sur la seconde, est dépeint un double épisode également consacré a Trajan : ici, le pape
Grégoire-le-Grandprie pour lui devant une image de saint Pierre, posée sur un autel; lit, on apporte au
souverain pontife la tête de l'empereur, qui, malgré le long espace de temps écoulé depuis la mort de ce
prince, a conservé une langue intacte. Enfin, une troisième tapisserie représente la légende d 'Ilerhenbald,
qui se compose de deux tableaux différents: D'abord Herkenbald saisit par les cheveux et frappe lui-même
qui lui a refusé la communion, l hostie
son neveu, coupable de viol; ensuite, il montre à un évêque
miraculeusement sortie de la custode pour aller se placer dans sa bouche.
Tout en hésitant à proposer une attribution nouvelle, nous penchons pour regarder comme étant de
Yander Weyden le fameux Jugement dernier, de Dantzick, tableau qui égale en valeur t Adoration de
l'Agneau, de Saint-Bavon. Cette composition magistrale, qui fut prise sur un vaisseau flamand par iiii
corsaire de Dantzick, en 1473, et donnée ensuite à l'église principale de cette ville, ne procède évidemment
que d'un artiste de premier ordre. Il s'y révèle une manière savante de
traiter le nu qui me semble exclure
Jean van Eyck; d'autre part, la date certaine de l'enlèvement du tableau contrarie l opinion qui se prononce
années, accusent un
pour Memlinc, dont les premières œuvres authentiques, postérieures de quelques
talent qui n'a pas atteint sa maturité. Ici tout est complet, tout est excellent, rien ne rappelle le l'aire d un
des maîtres secondaires de cette époque, tandis que deux indices, vagues, il est vrai, nous ramènentvers
l'l'ères
le Brabant et vers Bruxelles. D'anciens écrivains disent que le tableau fut peint en Brnbunt. pai les
Jean et Georges Von Eichen et qu'il occupa ces artistes pendant quarante années. Ce qui l'ail songer a
Bruxelles, c'est le patron de cette ville, dont l'image resplendissante occupe le centre du tableau, sous le groupe
les
du Christ, de laVierge et des Apôtres. D'une main l'archange tient la balance IIlI sont pèses tes justes et
méchants; de l'autre, il agite sa formidable lance au-dessus des êtres innombrables qui renaissent pour
le jour suprême et qui s'agitent dans les poses les plus variées, toutes traitées avec un égal bonheur.
La plupart des peintures de Roger dont parlent les anciens écrivains et les documents ont également
péri ou ont disparu, mais ce qui nous est resté de ses œuvres témoigne suffisamment de son mérite.
Ajoutons que notre artiste ne se borna pas à une spécialité, qu'il embrassa tous les genres. S'il retraça avec
bonheur les sujets les plus émouvants, il n'excella pas moins dans la reproductiondes scènes familières. Comme
nous le prouvent ses Femmes au bain, que l'on admirait à Gênes vers l'an 1450, il contribua à développer l'étude
du corps humain, il s engagea dans cette voie du réalisme où les Flamands ont marché depuis
avec tant de
succès, avec tant de persévérance. A l'exemple de son maître, il fut portraitiste, et portraitiste distingué;
ce qui en témoigne, c'est un tableau du Musée d'Anvers où est représenté le duc Philippe de Bourgogne,
son contemporain. (Voir plus haut).
Comme ses émules et ses successeurs, Roger ne dédaigna, ni de peindre de simples écussons, ni de
couvrir de couleur des sculptures. Il fut aussi miniaturiste, car lui seul a
pu exécuter la magnifique miniature
initiale du manuscrit des Annales du Hamaut, de Jacques de Guyse, manuscrit conservé il la bibliothèque
l oyale de Bruxelles et qui fut achevé en 1449. « Le peintre a représenté Philippe le Bon assis
sous un dais.
a recevant 1 hommage de ce livre, dans la forme accoutumée, bien connue des amateurs de manuscrits, Mander
<( ^ 'ey(leii put seul, continue M. le comte de Laborde, composer et exécuter ce chef-d'œuvre, digne de
son
« maître, digne de sa main. »
Plus les études historiques sur l'ancienne école flamande se poursuivent, plus la personnalité de Boger
se
(légage puissante entre son maître, Jean van Eyck, et Memlinc, son élève favori. Au milieu du quinzième
siècle, c'est lui qui tient le sceptre de l'art. Ses tableaux se répandent jusqu'en Espagne et jusqu'en Italie, et
lui-même, par son voyage à Rome, contribue à propager sa réputation. Un véritable engouement se manifeste
pour sa manière et pour ses types, que l'on retrouve constamment dans les productionsde l école allemande
du quinzième siècle, et dans les premières gravures. On vient de voir que les tapissiers de Bruxelles
reproduisirent des compositions de notre peintre. Celui-ci aura donc encore rendu à sa patrie ce suprême
service, de faire pénétrer le culte de l'art dans la populationindustrielle, de lui inspirer le goût du beau, de
donner à la fois à ses produits une signification plus haute, une valeur nouvelle. Aujourd'hui que l'heure de
la réhabilitation a sonné pour Roger, on n'accusera plus d'exagération cette épitaphe que l'on avait consacrée
à sa mémoire dans la collégiale de Bruxelles, et qu'une négligence coupable a laissé disparaître :
« Sous cette pierre, Roger, tu reposes inanimé, toi dont le pinceau excellait à reproduire la nature.
« Bruxelles
pleure ta mort, parce qu'elle craint de ne plus retrouver d'artiste aussi habile. L'art gémit
« également,
privé qu'il est d'un maître qui n'eut jamais son pareil. » Lampsonius, en répétant ces éloges,
glorifie Roger d'avoir été autant humain qu'habile, d'avoir, en mourant, assuré aux pauvres une ressource
contre la faim.
Pour nous résumer, disons que Vander Weyden fut à la fois un artiste éminent, et un bon citoyen, un
noble esprit et un grand cœur.
ALPHONSE WAUTERS.
JEAN MEMLINC
NÉ VERS 1425. — MORT EX 1495.
force et la délicatesse.
Cette précieuse faveur, Memlinc l'a obtenue de la destinée dans toute sa plénitude. Lorsqu'il dessina ses
premiers croquis, les Van Eyck et Bogier van der Weyden, le disciple bien-aimé de Jean, avaient résolu les
problèmes les plus difficiles de la peinture, créé une manière nouvelle ; leur successeur n'eut qu'à faire
usage du style inventé par eux, des ressources qu'ils lui transmettaient. Rien n'amortit sa verve, ne contraria
son imagination; heureux légataire, il put dépenser à sa guise le trésor que ses maîtres avaient arraché
des profondeurs du sol. Mais il le dépensa en homme intelligent, doué d'un mérite supérieur : il édifia un
palais magique, où règne l'idéal, où trône la beauté.
Jean Memlinc était né à Bruges ou à Maldeghem, mais on peut adopter sans crainte la première donnée,
qui a pour elle le témoignage de Van Mander. On ne sait pas en quelle année il vint au monde. Un
regrettable mystère voile toute l'existence de ce peintre poëte, comme celle d'un autre artiste inspiré, le
dramatique et profond Ruysdael. Son nom même a été longtemps un sujet de discussion. Les renseignements
découverts par M. James Weale, dans les archives religieuses et civiles de Bruges, viennent d'en fixer
l'orthographe. Ces documents nous fournissent un petit nombre de détails sur sa vie domestique et sa fortune,
mais ne nous racontent pas un seul événement. Nous allons grouper ces faits avec ceux qu'on trouve ailleurs,
et plonger le regard aussi loin que possible dans les ténèbres qui environnent l'artiste flamand.
Vasari et Guichardin rapportent qu'il étudia sous les yeux de Rogier van der Weyden. Il avait donc
quitté Bruges, où, selon tonte apparence, il demeurait, pour venir à Bruxelles chercher les leçons d'un
maître fameux. Non-seulement Rogier lui apprit à faire usage du crayon et du pinceau, mais il lui enseigna
l'art de peindre à l'huile. Decamps a prétendu, je ne sais pourquoi (il ne le savait probablement pas non
plus), que Memlinc ne voulut pas employer la méthode nouvelle, qu'il délaya toujours ses couleurs dans l'eau
de gomme. Cette erreur a trouvé des échos. Jamais cependant opinion plus absurde et plus fausse ne
trompa des lecteurs. Comment un homme si habile, un homme si épris du beau et qui en appréciait tellement
bien les conditions, aurait-il pu dédaigner un moyen admirable, pour s'en tenir à un procédé insuffisant?
Cette hypothèse n'offre aucune vraisemblance. Elle est démentie, d'ailleurs, et annulée par les faits. Tous
l'
les tableaux de Memlinc, sans exception connue, sont peints à huile.
Rogier van der Weyden apprécia comme il le méritait le talent de Memlinc, car il le prit pour
collaborateur. On voyait chez Marguerite d'Autriche, au seizième siècle, un triptyque dont le panneau central
avait été peint par le maître et dont le disciple avait exécuté les volets. Le morceau du milieu représentait la
Vierge tenant le Christ mort entre ses bras ; sur la face intérieure des vantaux étaient figurés deux anges ;
sur l'extérieur, l'Annonciation (Inventaire de Marguerite d'Autriche, fait en 1516).
A peine ces légers renseignements nous ont-ils fait entrevoir Memlinc qu'il nous échappe de nouveau. Nous
ne le retrouvons que dans les notes du Voyageur anonyme, publiées par Morelli. Ce touriste du seizième
siècle admira, en 1521, chez le cardinal Grimani, un morceau de sa main représentant Isabelle de Portugal,
femme de Philippe le Don, sur lequel on lisait la date de 1450. Ce tableau prouve que le duc de Bourgogne
avait de Memlinc la plus haute opinion (et il était connaisseur); autrement il ne lui aurait pas confié une tâche
de cette importance, il ne lui aurait pas laissé reproduire le visage de sa femme, qui avait été peinte une
première fois par Jean van Eyck lui-même. Le talent de Memlinc étant alors dans sa plénitude, l'artiste ne
pouvait guère avoir moins de vingt-cinq ans, ce qui placerait la date de sa naissance vers 1425. Et encore
pourrait-on dire que peu d'hommes montrent si jeunes un mérite accompli.
Durant cette même année 1450, Rogier van der Weyden entreprit un voyage au delà des Alpes. On
suppose qu'il emmena notre artiste dans la Péninsule et qu'ils y firent un assez long séjour. L'imitation des
chevaux antiques, observée sur quelques tableaux de notre peintre ; une vue du Colisée et d'autres monuments
romains; le livre d'heures acheté au seizième siècle par le cardinal Grimani et que renferme maintenant
le trésor de l'église Saint-Marc, œuvre précieuse où Memlinc a exécuté environ vingt-cinq miniatures,
confirment cette hypothèse et lui donnent une vraisemblance qui équivaut presque à la certitude.
Entre les années 1450 et 1462, nous perdons encore la trace de Memlinc. Il semble désigné dans le compte
des sommes que l'abbaye de Saint-Aubert, à Cambrai, paya pour une œuvre de Rogier, en 1460. Mais les
termes employés par le scribe n'ont pas toute la clarté voulue. Il faut donc arriver à son portrait, qu'il
exécuta lui-même deux années plus tard, et qui orne, à Londres, le cabinet de M. Aders. C'est une étrange
la
figure ; le front seul a quelque régularité ; mais ligne hétéroclite des arcades sourcilières, les yeux saillants et
hagards, le volume excessif du nez, les pommettes protubérantes, la largeur de la bouche et l'épaisseur des
lèvres, la forme carrée du menton, le désordre des cheveux, composent un ensemble disgracieux et rustique.
Ainsi la nature se plaît parfoisà cacher le sentiment du beau sous les traits les plus vulgaires, comme à voiler
d'un extérieur charmantles propensions les plus triviales.
Une coïncidence bizarre, que Rogier-van der Weyden avait aussi exécuté son propre portrait dans cette
c1 est
même année 1462. L'Anonyme de Morelli eut occasion de le voir, en 1531, chez un nommé Jean Ram, h
Venise. C'était un buste peint au miroir, nous dit le voyageur inconnu. Le portrait de Memlinc, que possède
M. Aders, est également un buste. Le maître et le disciple avaient-ils voulu faire
un échange amical? Rogier
van der Weyden sentait-il approcher la mort, qui l'enleva deux années plus tard? Voulait-il laisser à son
élève un affectueux souvenir? On a imaginé des hypothèses moins vraisemblables.
En 1470, Memlinc exécuta un diptyque, où l'on voyait, sur un panneau, saint Jean-Baptiste vêtu et assis
dans un paysage avec son agneau, nous dit le Voyageur anonyme; sur l'autre, la Vierge tenant son Fils,
également placé au milieu d'un paysage. Un citoyen de Padoue, nommé Pietro Bembo, possédait cet
ouvrage, il y a plus de trois cents ans. On ignore ce qu'il est devenu.
Ici nous rencontrons sur nos pas une nouvelle lacune, et une tradition populaire semble nous emporter
au pays des légendes. Memlinc, nous apprend-elle, serait un jour revenu à Bruges dans un état de
complète misère, et, tombé malade, aurait cherché un refuge à l'hôpital Saint-Jean. La châsse de sainte
fJrsule, le Mariage mystique de sainte Catherine d'Alexandrie, la Sibylle Zambeth, qui ornent encore la
pieuse demeure, semblent confirmer ce récit.
L'artiste, après la mort de Philippe le Bon, aurait, en conséquence, passé au service de Charles le Téméraire,
et ce prince fastueux emmenant à la guerre presque toute sa maison, il paraissait probable que Memlinc le
suivit dans les malheureuses expéditions entreprises contre les Suisses et contre la ville de Nancy. La
cruelle déroute du 5 janvier 1477 l'aurait forcé de prendre la fuite, comme les autres, sur les champs
couverts de neige. Des actes positifs constatent sa présence à Bruges en 1477 et 1478. Les registres de la
corporation des libraires nous apprennent que la maîtrise ayant demandé au peintre un tableau d'autel à
quatre volets, pendant la première de ces années, lui fournit les panneaux, suivant l'usage de l'époque, et
lui donna un à-compte d'une livre; l'année suivante, on lui paya l'œuvre entière huit livres deux
escalins. Deux morceaux datés prouvent qu'il travailla pour l'hospice en 1479. Le premier est un triptyque,
dont le milieu figure le Mariage mystique de sainte Catherine d'Alexandrie; un volet, l' Histoire de saint
Jeaîî-R(il)tlste; l'autre volet, l' Histoire de saint Jean l'évangéliste; le second morceau représente l' Adoration
des mages. Le frère Jean Floreins van der Riist, maître boursier du monastère, ayant demandé ces travaux à
Memlinc, le peintre plaça son protecteur derrière sainte Catherine, portant le costume ordinaire des moines
de l'hôpital. Le Mariage mystique eut un grand succès, car les corroyeurs en demandèrent une reproduction
il l'artiste, pour leur autel de l'église Notre-Dame, pendant l'année 1480. On ignore en quel moment au
juste il peignit la fameuse châsse de sainte Ursule, la Descente de croix et la Sibylle Zambeth, qui décorent la
même chambre de l'hospice que les tableaux précédents. Ils paraissent, comme les autres, constater le
séjour de Memlinc dans le pieux édifice consacré aux malades sans fortune ou sans économies.
Sur ces hypothèses et ces traditions, les actes découverts par M. James Weale sont venus jeter des doutes
sérieux, quoiqu'ils commencent précisément à l'époque où se tait la légende. De ces documenté il ressort que
Memlinc possédait deux maisons à Bruges en 1480, que ces deux maisonsétaient situées rue du Pont-Flamand,
qu'elles se touchaient, et que l'une au moins lui servait d'habitation. Nulle pièce n'indique l'époque où il les
acheta ; mais les comptes de l'église Saint-Donatienattestent que la fabrique reçut de lui, pour la première
fois, le 24 juin 1480, une somme de 34 deniers, qui était payée tous les ans par les propriétaires de ces
immeubles. La même année, l'artiste fit à la ville un prêt de 20 escalins, pour les frais de la guerre soutenue
pendant les mois de mai, juin, juillet et août. Deux cent quarante-sept personnes avaient ainsi aidé la commune
et ajouté aux 500,000 livres déjà employées dans le même but. Memlinc fut remboursé l'année suivante. Du
mois de septembre 1482 au mois de septembre 1483, la ville lui paya 6 escalins de gros pour l'indemniser du
quart des frais que lui avait occasionnés la toiture de son habitation, où il remplaça le chaume par des tuiles.
Presque toutes les maisons étant alors couvertes en paille, la commune, afin de prévenir les incendies,
avait offert une prime aux habitants qui feraient usage de matériaux plus so'ides et moins dangereux.
Jean Memlinc était marié: sa femme, qui s'appelait Anne, lui avait donné deux garçons, Jean et Nicolas,
et une fille nommée Pétronille ou Cornélie, car le diminutif Niel-kin, dont on se sert pour la désigner sur
un acte authentique, peut signifier l'un et l'autre. Anne mourut en 1487 ; le 10 septembre de cette année,
Louis de Valkenaere et Thierry van den Gheere, choisis pour être les tuteurs de ses enfants, apportèrentà
la chambre pupillaire le compte des biens que leur avait laissés la défunte. C'était la moitié de chacune des
maisons mentionnées tout à l'heure, plus la moitié d'une parcelle de terre sur laquelle se trouvait une petite
habitation, et la moitié d'un petit passage ouvert à côté; enfin une somme de 12 livres de gros tournois,
produite par la vente des meubles, et remise par le père aux tuteurs, avec garanties sur hypothèque pour les
moitiés de maisonset terrains.
En 1495, Jean Memlinc cessa de vivre à son tour. Le 10 décembre, les mêmes personnages vinrent
présenter à la chambre pupillaire le compte des biens dont ses enfants héritaient, à savoir les secondes
moitiés des habitations et terrains, plus 8 livres de gros, qui provenaient de la vente des objets mobiliers.
A ces faits importants joignons quelques détails déjà connus ou trouvés depuis peu, mais antérieurement
-
aux découvertes de M. James Weale. En 1484, Memlinc exécuta pour l'hospice Saint-Julien, à Bruges,
l'admirable Saint Christophe que possède maintenant le Musée 1. Martin van Nieuwenhove lui commanda
trois ans après un. diptyque, destiné aussi à l'hôpital Saint-Julien ; sur un des panneaux l'arti-s-te représenta la
iOn avait prétendu qu'en 1483 Memlinc reçut comme élève un nomméPascier van der Meersch, et que les archives de l'Aca-
démie de Brugesconstatent le fait. Le secrétaire de l'Académiel'a nié positivement, et M. J. Weale s'est assuré qu'il avait raison.
Vierge assise, tenant son Fils; sur l'autre, le donateur. L'image porte cette inscription : Hoc opus fieri fecit
Martinus de Newenhoven anno Dni 1487, anno vero œtatis suœ 231. Vers l'année 1490 enfin, le maître
célèbre doit avoir peint sa propre effigie, que possédait au commencement du seizième siècle le cardinal
Grimani. Le Voyageur anonyme en parle de la manière suivante : « Le portrait à l'huile de Jean Memlinc,
exécuté de sa propre main et fait au miroir : l'artiste paraît âgé de soixante-cinq ans environ2 ; il était assez
gras et vermeil. » Les registres de la corporation des libraires, mentionnés plus haut, contiennent un inventaire
de l'année 1499, dans lequel se trouve l'article suivant : « Plus un tableau à quatre volets, où sont en
portraicture Guillaume Vreland et sa femme, de pieuse mémoire, exécutés de la main de feu maître Hans. »
Nous avons suivi pas à pas, avec la prudence qu'exige l'histoire, les données qui nous restent sur la vie et
les travaux de Memlinc. Pour un homme si longtemps négligé, auquel les écrivains flamands ont accordé si
peu d'attention, les moindres détails sont précieux. Avec l'aridité de sa biographie contraste le charme de
ses tableaux. Tous les connaisseurs éprouvent la joie la plus vive quand ils se trouvent en présence de ces
délicates merveilles. Outre l'exécution parfaite qui les distingue, il y règne un sentiment poétique de la nature
et de la beauté humaine, que peu d'artistes ont possédé au même point.
Les personnages de Memlinc n'attestent pas seulement, comme ceux de Jean van Eyck, une étude patiente
des formes humaines, l'opiniâtre désir d'entrer en lutte avec la réalité ; on y trouve quelque chose de plus :
le goût, le choix, la préférence donnée aux types supérieurs, aux lignes élégantes, à la noblesse de l'expression.
Le Musée du Louvre renferme, depuis peu de temps, une œuvre secondaire de notre artiste. Ces deux
morceaux, volets d'un ancien triptyque, révèlent néanmoinsles qualités supérieures du maître. Ils représentent
saint Jean-Baptiste et sainte Madeleine, tous les deux debout, au milieu d'un site champêtre ; ils sont, l'un
et l'autre, de proportions effilées. Le précurseur a une tête énergique, des cheveuxcrépus, des traits fatigués.
Son œil fixe et rêveur, le galbe de son front, sa pensive attitude dénotent le penchant à la contemplation, à
l'exaltation : ils conviennent admirablement au prophète du désert, vox clamans in deserto. La figure de
Madeleine ne trahit pas un moindre discernement. Le nez, le front, la bouche sont d'une beauté remarquable;
la physionomie est noble, intelligente, réfléchie ; ses longs cheveux d'or, qui tombent sur ses épaules, ajoutent
à sa dignité. Cette femme, on le voit au premier coup d'œil, a pu faillir dans l'entraînement des passions,
mais elle ne devait pas rester longtempsprisonnière du vice ; du sein de son abaissement, elle devait remonter
vers la lumière, comme un cygne précipité par la tempête à la surface d'un marécage.
Le fond de chaque panneau montre au spectateur quatre épisodes de la vie du saint qui occupe le
premier plan. Ainsi l'on voit le précurseur baptisant le Christ sur les bords du Jourdain, puis haranguant
le peuple, puis décapité en haut d'une colline : Salomé la danseuse porte enfin sa tête au roi Hérode.
Memlinc a presque toujours suivi cette méthode narrative : il aimait à développer une action, à exposer,
au moyen de scènes diverses, l'histoire de ses personnages.
Raconter la légende de sainte Ursule entrait donc tout à fait dans ses goûts : c'était, pour ainsi dire,
un poëme qu'il composait, dont chaque image formait un chant. La pieuse princesse arrive d'abord à
Cologne, où Sigilandis, reine des Urbiens, l'accueille avec empressement; mais elle la quitte bientôt, car
elle s'achemine vers Rome. Aussi la voyons-nous, sur la seconde miniature, descendre à Bâle, afin de
traverser les Alpes. La réception que lui fait le souverain pontife, son retour au bord du Rhin, sous la
conduite et la protection du Saint-Père, qui n'a pas voulu la laisser partir seule, le massacre de ses
compagnes devant Cologne, les apprêts de sa mort et sa glorification charment ensuite les regards. La
sainte fille, toute resplendissante de lumière et trônant sur un siège d'or, paraît em orter avec elle notre
imagination dans les cieux, car jamais œuvre plus délicate, plus poétique, n'a enthousiasmé graduellement
les connaisseurs.
1 Martin van Nieuwenhove,ntius apprend le comte de Croeser, était né le 14 novembre 1463 ; il fut échevin de la ville de Bruges
en 1492, chef-homme en 1495, bourgmestre en 1497. Il mourut, bien jeune encore, le 16 août 1500. Memlinc a mal orthographié
son nom.
* Ce jugement concorde avec l'inductiond'après laquelle nous avons fixé en 1425 la naissance du peintre.
Le goût, le sentiment exquis de Memlinc s'appliquaient à la nature aussi bien qu'à l'homme. La
lumière prenait parfois sous son pinceau des tons d'or que n'a pas éclipsés Claude Lorrain; ses eaux
profondes et transparentes, ses gazons étoilés de fleurs, ses bois touffus, pleins d'ombres mystérieuses,
ses beaux ciels d'azur, à peine voilés d'une brume légère, le mettent au niveau des maîtres hollandais.
Les images qu'il trace de la nature font souvent rêver plus que la nature elle-même. Le génie leur a
communiqué une grâce secrète et un prestige idéal.
La poésie intime du foyer, notre artiste ne la comprenait pas moins, ne la rendait pas avec moins de
.
bonheur. Il y a telle œuvre de son pinceau, où une chambre élégante inspire l'idée du calme, du bien-être
attachés à la vie de famille : on aimerait y passer de longues heures dans l'étude et la contemplation. Les
Neefs et les Steenwyck n'ont pas mieux fait deux cents ans plus tard. Et si l'on considère les meubles, les ten-
tures, les accessoires de tout genre qui décorent ces intérieurs, on les trouve également bien exécutés. Un
volet de l'Adoration des mages, que possède l'hôpital Saint-Jean, à Bruges, nous montre, par exemple, une
table couverte d'un tapis blanc garni de franges, sur la table un chandelier contenant un cierge; ni
Gérard Dow, ni Abraham Mignon, ni Van Huysum n'ont peint avec plus de talent des objets inanimés.
L'œuvre de Memlinc prouve que la nature lui avait donné un esprit gracieux, une imagination délicate, *
un sentiment élevé de toutes choses. Ces nobles et douces qualités devaient répandre un prestige sur
sa vie, charmer les personnes qui l'approchaient. Pourquoi ne s'est-il pas trouvé parmi ces dernières un
homme capable de le comprendre, de le peindre d'après nature et de nous raconter sa biographie dans
un style moins lourd, moins sec, moins pâle que celui des écrivains namands?
ALFRED MICHIELS.
MŒlffiMlK Il
Au Musée du Louvre : deux volets d'un triptyque, l'un 5° La Sibylle Zambeth.
desquels représente saint Jean-Baptiste, l'autre sainte Ma- 6° Un triptyque, dont le milieu figure la Descente de Croix.
deleine. Ils appartenaient au roi de Hollande, Guillaume II, L'intérieur des volets représente Sainte Barbe et Adrien
et furent acquis à sa mort par la France, pour la somme 'de Reins, jeune frère hospitalier, à genoux devant son patron
11,728 fr. saint Adrien.
' Il y a cinq ans, une œuvre bien plus considérablefut mise Dans les salles de l'Académie,à Bruges : .
en vente à Paris. C'était un grand triptyque, d'une dimension to Un triptyque dont le panneau central représente le
peu ordinaire pour l'époque. Le panneau du milieu figurait la Baptême du Christ. Sur les ailes, le donateur et ses fils, la
résurrection du Christ; sur les ailes, on voyait son ascension donatrice et ses filles.
et le martyre de saint Sébastien. La beauté du travail était . 2° Saint Christophe, panneau central, daté de 4484. Sur
digne du maître, sous tous les rapports, et les trois morceaux les ailes. les donateurs et leurs fils.
parfaitement conservés. Ils furent retirés de la vente à Dans l'égliseSaint-Sauveur, à Bruges : le Martyre de saint
20,000 francs, le propriétaire les estimant davantage. Hippolyte.
Dans l'hôpital Saint-Jean, à Bruges : Dans l'église Saint-Pierre, à Louvain : le Martyre de saint
1° La châsse de sainte Ursule. Elle est en bois sculpté, Erasme.
entièrement doré, sauf dans les endroits que décorent les A Munich : huit tableaux.
peintures. Douze miniatures, grandes ou petites, ornent les A Berlin : un triptyque, deux tableaux et un volet.
façades, les pignons et la toiture. Dans le Musée d'Anvers :
2° Le Mariage mystique de sainte Catherine d'Alexandrie. lo L'Annonciation.Le nouveau catalogueattribue A Rogier
Les deux volets représentent la Mort de saint Jean-Baptiste, van der Weyden cet admirabletravail de Memlinc.
Saint Jean l'évangéliste dans l'île de Pathmos. 2° Un chanoine de l'ordre de Saint-Norbert.
3° Un triptyque, dont le milieu figure l'Adoration des Mages, 3° Un membre de la famille de Croy.
un volet l'Adoration des Anges, le second volet la Présentation A Florence : portrait d'un homme en prière, chef-d'œuvre
au Temple. A l'extérieur on voit saint Jean-Baptiste, ayant admirablementgravé par le professeur G. Marri.
près de lui son agneau ; sainte Véronique, portant le voile qui Il est singulier que l'on ne s'occupe pas davantage de re-
lui sert d'emblème. produire au burin les œuvres de Memlinc ; les estampes qui
4° Un diptyque représentant, d'une part, la Vierge et rendraient bien ces merveilleuxtableaux auraient un succès
l'Enfant Jésus ; de l'autre, Martin van Nieuwenhove. universel.
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(DE GAND)
preuve, que parce que l'on y voyait le portrait de sa bien-aimée. La passion avait si bien secondé le talent
de l'artiste, que, dans la suite, les meilleurs peintres, les plus habiles connaisseurs ne se lassaient pas de
contempler la ravissante Abigaïl.
Hugues fut appelé à Bruges pour y exécuter des peintures de circonstance, lors du mariage de Charles
le Téméraire et de Marguerite d'York, en 1467, et, peu de temps après, lors de la réception de cette
princesse en qualité de comtesse de Flandre. Il se vit d'abord confondu dans la foule de peintres que 1'011
appela de toutes les villes de la Belgique pour prendre part il ces travaux de décoration et ne reçut que
14 sous par jour, tandis que son compatriote, Daniel de Hyckp, en touchait 23; lorsqu'on fit une seconde fois
appel il son activité, on le rémunéra plus largement. On lui paya 14 livres de gros, somme alors considérable,
pour décorer les rues de Bruges de figures allégoriques ou historiques.
Un marchand italien, Thomas Portinari, qui remplissait à Bruges les fonctions de facteur ou agent de la
famille de Médicis, lui commanda un triptyque pour l'église de Santa-Maria-Nuova, petit édifice servant
d'oratoire à l'un des hôpitaux de Florence et dont les Portinari étaient les fondateurs et protecteurs. L'œuvre
de Van der Goes en orna longtemps le maître-autel; elle s'y trouve encore, mais divisée : le panneau central,
qui est bien conservé et où l'on voit l'Adoration des bergers, décore la nef de gauche : les volets, où
Van der Goes a représenté Portinari et sa famille, avec leurs saints patrons, et qui se voient dans la nef de
droite, sont en mauvais état. Cette œuvre authentique donne la véritable mesure du talent de l'artiste. La
scène est bien distribuée, l'expression des têtes est pleine de vérité et d'expression, les accessoires sont
traités avec beaucoup de soin et de délicatesse. La carnation est, ou claire, avec des ombres grisâtres, ou
d'un reflet rouge, avec des ombres brunes fortement accusées.
La pinacothèque de Munich possède un Saint Jean dans le désert, qui porte cette inscription : Hugo V. D.
Goes 1472. Le précurseur du Christ est assis près d'une source, dans un paysage boisé et montueux. Le
sujet est traité -dans la manière sombre et vigoureuse du maître, et l'on y remarque quelques réminiscences
d'un des panneaux de. Y Adoration de l'Agneau de Saint-Bavon.
En l'année 1476, Hugues prit tout-à-coup une résolution extrême. Il quitta Gand pour aller s'enfermer
dans le prieuré de Rouge-Cloître, de l'ordre-des chanoines réguliers de Saint-Augustin. Le prieur, qui l admit
religieux,
au nombre des novices, montra pour lui les plus grands égards. Malgré F oppositi-on de quelques
plus sévères qu'intelligents, il adoucit la règle en sa faveur et lui permit de fréquenterla chambre des hôtes,
ou quartier des étrangers, pour y converser et banqueter avec les nombreux laïques qui venaient examiner
ses œuvres. Les grands seigneurs de la cour de Bruxellesvisitaient fréquemment Rouge-Cloître dans ce but, et
Maximilien lui-même, le gendre de Charles le Téméraire, le chevaleresque empereur qui, depuis, encouragea
le célèbre Dürer, rendit cet hommage au talent de Van der Goes.
Ces détails, que j'ai fait connaître d'après un chroniqueur dont l'œuvre est encore inédite, Gaspar Ofhuys,
qui fut, comme il a soin de nous l'apprendre, novice en même temps.que Hugues, témoignent du rang élevé
que les meilleurs artistes de ce temps occupaient dans la société. Quoique simples membres des corps de
métier, appartenant à la bourgeoisie plébéienne par leur origine, leurs alliances, leur genre de vie, il?
étaient recherchés, respectés et admiras. La faveur du chef de la maison de Bourgogne avait entouré Jean
van Eyck, la fortune avait souri à Van der Weyden; l'engouement dont Van der Goes était l'objet rue le quitta
renommé
pas dans sa retraite, car, lorsqu'il mourut, il avait des commandes pour neuf années. « Il était si
dans l'art de la peinture, ajoute Ofhuys, qu'en deçà des montagnes, à ce que l'on disait, on n'aurait pu trou-
ver son pareil. » Hugues méritait une réputation. aussi éclatante, car ses qualités morales étaient sru niveau
de son habileté dans l'art. Passionné pour l'étude, on le voyait constamment lire dans un livre flamand;
surchargé de. travaux, il se préoccupait à un point excessif de l'idée de les .mener à bon fin.
Van der Goes quittait parfois l'enceinte du prieuré. En 1479-1480, il fut ap.pelé à Louvain par le magistrat
de cette ville, qui le chargea d'évaluer le tableau que le célèbre Thierri Bouts ou de Harlem (Stuerbout)
avait laissé inachevé. Quelque temps après, il partit pour Cologne avec son frère Nicolas van der Goes,
qui était entré également à Rouge-Cloître, et d'autres personnes. A son retour, il fut atteint pendant la
nuit d'un accès de folie furieuse, et il se serait tué si on ne l'en avait empêché dê force. Cependant en réussit
à le ramener à Bruxelles, où on p'arvint à le calmer un peu -en exécutant devantlui de la musique. Reconduit
entré en convalescencequ 'il tomba
au monastère et entouré de soins, il'se rétablit, mais à peine était-il
de nouveau malade et mourut, en 1482, six années après sa réception dans la communauté.
La rareté des productions de Van der Goes ne permet guères d'en apprécier la valeur. La Belgique
n'en possède plus une seule; il n'y en a d'authentiques qu 'en Toscane et à Munich. Les meilleurs critiques
louent le faire large et simple de Hugues, l'expression austère de ses figures, la vigueur de son coloris, mais
ils lui reprochent de la dureté dans les contours, de l'obscurité dans les ombres, une certaine absence de
clair-obscur ou* de relief et de transparencedans les chairs. Comme Memlinc à Bruges, il fut en Brabantle
dernier chef de l'école des Van Eyck, qui devait bientôt se transformersous la direction de Quentin Metzys,
puis subir l'influence des maîtres italiens. Après lui, la vieille manière des gothiques s'affaiblit et tend à
disparaître, tandis que l'art de la renaissance s'élève 4e plus en plus et triomphe enfin, grâce à Jean.de
Maubeuge et à Bernard van Orley.
ALPHONSE WAUTERS.
1SMlSMlK M 11WCHTWlS
Les seuls travaux spéciaux à consulter sur Van der Goes A FLORENCE, au palais Pitti, un Portrait de Portinari,
sont les suivants : De Busscher, Recherches sur les Reintres .d'après le tableau de Santa-Maria-Nuova.Dans la galerie des
gantois (Gand, 1859, in-8°), p. 69 et suivantes, et Wauters, Uffizi, la Vierge tenant l'Enfant Jésus, à qui sainte Catherine
Histoire de notre première école de peinture, cherchée dans offre une fleur, la plus charmante et la plus délicate des
les meilleuressources, discours prononcéà la séance publique oeuvres de Van der Goes, selon Crowe et Cavalcaselle.
de l'Académie royale de Belgique, le 21 mai 1863. Une liste Au MUSÉE DE LILLE, un sujet mystique: des Anges dans
des membres de la corporation plastique de Gand, où se un paysage montueux.
lisent les noms de quelques Van der Goes, est certainement A LA PINACOTHÈQUEDE MUNICIr, Saint Jean dans le désert,
tronquée et fautive. daté de 1472 (gravé dans le Messager des arts et des sciences,
Les tableaux de Van der Goes mentionnés par Van Mander année 1833, p. 417), une.Annonciation, lithographiéepar
Strixner et publiée par Boisserée en 1821 ; et quelques
et Van Vaernewyck ne se retrouvent plus. Vasari ne cite que
le triptyque de Florence. On attribue encore à Hugues les
tableaux de peu de valeur,
A Î>ARIS, à la Cour impériale, le Crucifiement, tableau où
œuvres suivantes :
A ALTON-TOWER, dans le Straffordshire, Marie debout
l'on retrouve la plupart des qualités et des défauts de Van der
tenant l'Enfant Jésus qui bénit le donateur, agenouillé,daté Goes, mais qui ne peut lui appartenir, si, comme on l'a dit,
de 1472. le tableau est antérieur à l'année 1452.
Au MUSÉE DE BERLIN, un grand nombre de panneaux, où A PISTOIE, près de- Florence, une Vierge avec l Enfant
les défauts de Van der Goes sont poussés à l'excès. Jésus, signé H. G.
Au MUSÉE DE BOLOGNE, une Vierge avec l'Enfant Jésus,
sujet que Van der Goes paraît avoir affectionné.
('//< f7Íama71rk. :Y6;déOtj'r, ^enre, Sorérasé-j
QUENTIN MATSYS
NÉ VERS 1460
— MOIIT EN 1531.
Il est vrai qu'il y a sur les commencements de Quentin Matsys une tradition différente et plus probable.
D'après cette autre version, Matsys, nature délicate et frêle, serait tombé malade à vingt ans. Obligé
d'abandonner un travail trop rude pour lui, il aurait pris des outils moins lourds, et après avoir enluminé
pour les confréries pieuses de la ville de grossières images gravées sur bois, il aurait abordé la peinture,
on sait avec quel succès Mais quel que soit le plus ou moins de vraisemblance de ces légendes, que la
dernière édition du catalogue du musée d'Anvers déclare d'ailleurs apocryphes, il est temps de rendre la
parole à l'histoire.
Malgré de savantes recherches et les longues polémiques auxquelles elles ont donné lieu, il n'est pas
possible de dire encore d'une manière précise où et quand Matsys est venu au monde 3. Depuis trois
siècles, Louvain et Anvers se disputent sur ce terrain douteux. A l'appui de la prétention de la première
de ces villes, M. Edouard Van Even produit une pièce qui établit que dès 1440, Arnold et Nicolas Massys,
originaires de la Campine, jouissaient à Louvain des droits de bourgeoisie,et il conjecture que Quentin est un
de leurs descendants directs. Il ajoute que, de 1469 a 1530, on signale à Louvain l'existence d'un certain
Josse Metsys, serrurier et maître horloger de la ville. Enfin il invoque l'autorité — un peu suspecte — de
Guichardin, qui, dans une liste des peintres de son temps, mentionne Quentin comme né dans l'ancienne
capitale du Brabant.
1 On raconte qu'Antigon, qui s'était établi sur les bords de l'Escaut, rançonnait les marchands et coupait une main à ceux
qui osaient trouver ses brigandagesde mauvais goût. De là le nom d'Anvers, Antwerpen (Hand werpen, main jetée).
2 Cette tradilion a elle-même ses variantes. Voici le texte de Pilkington : Some affirm that the first unfolding of his genuis
was occasioned by the sight of a print, which was shown to him by a friend, who came to pay him a visit while in a declining
state of health from the labour of his former employment; and that by his copying the print with some degree of success, he was
animatedwith a desire to learn the art of disign. " General dictionary of Painters. 1840, p. 360.
3 Le nom même de l'artiste a subi, dans les textes contemporains, toutes les variations dune orthographehésitante.
On le trouve écrit Messys, Matsys, Metsys, Mascys et plus souvent Massys. Le (ils de Quentin signe ordinairement Massiis.
La forme que nous adoptons nous est donnée par la signature du maitre telle qu'on la peut lire sur le tableau que possède le
Musée du Louvre.
Les savants rédacteurs du catalogue du Musée d'Anvers sont peu touchés de ces considérations. Ils
répondent que, d'après l'ancien droit brabançon, Arnould et Nicolas Massys pouvaient fort bien payer les
droits de bourgeoisie à Louvain, sans y demeurer. Ils ajoutent que leur ville a aussi possédé, à partir de
1446 et peut-être avant, une famille Metsys ou Massys dont les origines devraient vraisemblablement être
recherchées du côté de Malines. M. Léon de Burbure, qui a compulsé avec un soin si patient les archives de
l'église Notre-Dame, constate, de 1453 à 1466, l'existence à Anvers d'un forgeron, Jean Metsys, qui fit
pour le compte de la cathédrale plusieurs ouvrages en fer d'un prix élevé, et qui était en outre chargé
de la réparation de l'horloge de Saint-Jacques. Après sa mort, survenue vers 1467, la veuve de ce Jean
Metsys touchait encore quelques escalins, solde des travaux exécutés sans doute par son mari.
Il y a tout lieu de supposer — et M. Alfred Michielst, qui a récemment résumé la discussion dans une
1 Magasin pittoresque, 1834, pages 6 et 363. — D'autres ouvrages du même genre sont aussi attribués a Quentin : « Il fil
de la mesme manière un balustre qui est à Louvain. » Félibien, Entretiens sur la vie des peintres, tome 1, page ij42. Dans
l ouvrage que Félibien appelle un balustre, il faut sans doute reconnaîtrela fermeture de fer des fonts baptismaux de 1 église Saint-
m
9-
triptyque., La provenance de ce morceau, qui est une date dans l'histoire de l'art flamand, nous est
heureusement connue. La corporation des menuisiers d'Anvers, désirant faire décorer la chapelle qu'elle
possédait à la cathédrale de Notre-Dame, demanda en 1508 à Quentin Matsys, un tableau d'autel et les
deux panneaux destinés à le couvrir. Matsys prit son meilleur pinceau, recueillit ses forces, et fit si bien
que son œuvre est tout un poème douloureux. Le volet de droite représente la Décollation de saint
Jean-Baptiste, avec la fille d'Hérodiâde, qui apporte sur un plat d'argent la tête sanglante du précurseur;
1 « Encore qu'il y ait près de deux cent cinquante ans que cette pièce est peinte — disait Mensaert en 1763 — les couleurs en
sont si belles et si vives, qu'on croit voir une mignature. » Le Peintre amateur et curieux, tome 1, page 140.
supporte le bras gauche du Christ, dont le bras droit est soutenu par une sainte femme, agenouillée et
pleurante. Près d'eux sont Joseph d'Arimathie et Marie-Madeleine, et derrière celle-ci, une autre sainte
femme portant la couronne d'épines. A gauche, le disciple bien-aimé de Jésus soutient dans ses bras la
Vierge à demi-morte de douleur. Enfin, sur les premiers plans, des ossements, un vase de parfum et divers
accessoires analogues complètent cette scène de deuil.
De même que dans l'Ensevelissement du Christ du musée d'Anvers, il y a dans la Descente de croix du
Louvre des inexpériences de dessin, une sorte de gaucherie dans les attitudes, un dédain profond pour
le style, enfin mille particularités, mille indigences qui semblent trahir un pinceau du quinzième siècle ou,
du moins, la main d'un artiste complètementétranger au charme des élégances italiennes. Les costumes
eux-mêmes ont quelque chose d'historiquement barbare : ils affectent une tournure si archaïque ; certains
détails—par exemple les gants verts de la Madeleine — sont d'une originalité si rare, qu'un spectateur
inattentif pourrait s'y tromper et s'exposeraitpeut-être à ne voir qu'une œuvre bizarre dans ce tableau, qui
est en réalité une œuvre admirable. Il faut faire abstraction de la forme que le naïf artiste a donnée à sa
pensée pour étudier le drame éternellement vrai dont il a exprimé les poignantes angoisses. Le cadavre du
Christ. a pris, sous le pinceau de Matsys, les pâleurs mates, les rigidités anguleuses, les laideurs émouvantes
que la mort prête aux corps qu'elle touche. La Vierge s'abîme, presque folle, dans un désespoir sans horizon,
et, le regard perdu, les yeux rougis de larmes de sang, les saintes femmes qui l'assistent à cette heure
suprême ne sont pas des comparses inutilement mêlés à la scène, mais des âmes émues qui,
en
s'associant au deuil maternel, sont en même temps torturées par leur propre douleur Ajoutons
que \
dans ce tableau, comme dans Y Ensevelissement du Christ, les physionomies des personnages et les
moindres détails des costumes sont étudiés sur nature avec une conscience, une patience que nous
qualifierions volontiers de vénérables. Les types ont une intimité si pénétrante qu'on les prendrait pour
des portraits, et il est telle figure
— celle de la Madeleine notamment — qui, regardée un moment,
s'empare de l'attention du spectateur et s'incruste à jamais dans sa mémoire. Étudié sous le rapport
purement pittoresque, ce tableau abonde en surprises excellentes. La coloration, parfaitementharmonieuse,
y présente des nuances vives, des tons intenses qui révèlent un artiste des mieux doués. Un œil habitué
aux splendeurs de l'idéal italien pourrait, dans cette composition, relever bien des fautes; mais, si elle
se place au point de vue du caractère et du sentiment, la critique doit tout pardonner.
A l'heure où il achève le tryptique d'Anvers et la Descente de croix du Louvre, Quentin Matsys
nous
apparaît donc comme parvenu au plus haut degré de son talent. D'autres sujets religieux furent demandés
a son pinceau. On sait qu 'll avait peint pour une des chapelles de la cathédrale un Christ en croix;
mais ce tableau a disparu lors de la dévastation des églises par les briseurs d'images. Quentin peignit
aussi, pour Saint-Pierre de Louvain, un tryptique, qui fut placé dans la chapelle de Sainte-Anne, et où
il représenta au milieu une Sainte Famille, à gauche un ange annonçant il Zachnrie la
grossesse
d'Elisabeth et à droite la mort de la Vierge 2.
Ces grands travaux obtinrent auprès des contemporains de Matsys
un succès considérable et l'ancien
maréchal eut bientôt une renommée. Il faisait d'ailleursbonne figure dans la ville d'Anvers, déjà si
amoureuse
de l'art et des artistes. On ne connaît bien ni son caractère ni sa vie, mais tout fait présumer
en lui les
habitudes laborieuses d'un homme simple, aimant le chez-soi et la tranquillité féconde de l'atelier. Sa
femme, Adélaïde Van Tuylt, était morte en lui laissant six enfants. On ne dit pas combien dura ce veuvage,
mais on sait qu'en 1508 ou 1509, Matsys épousa en secondes noces Catherine Moyens, qui lui donna bientôt
une autre famille'. Le peintre, ou meester Quinten comme on l'appelait volontiers, était d'ailleurs une
véritable organisation d'artiste. Carl van Mander prétend qu'il fut un musicien très-habile;
on a dit
également qu'il avait cultivé avec quelque succès les lettres flamandes. Aussi Matsys avait-il de
par le
monde littéraire des amitiés puissantes ou illustres. Il paraît avoir connu familièrement Thomas Morus
et Pierre Gilles (Petrus Egidius). Érasme était son ami, et faisait le plus grand cas de son talent. Dans
une lettre datée du 4 des calendes de septembre 1526, il en parle avec éloge et le traite de insignis
artifex. Quentin acquitta noblement sa dette. « Il y avoit, dit Félibien, dans le cabinet du feu
roy
d'FIrasme nous a conservé le texte, et où, suivant l'usage du temps, le philosophe de Rotterdam le compare
tout simplement à Apelles 2
Mais ce n'est que par exception, et pour complaire aux caprices de son cœur, que Quentin faisait des
1 Yovez aussi sur ce double portrait, M. de Burigny, Vie d'Erasme, 1757, tome I, page 220.
Quintine, o veteris novator artis,
Magno non minor artifex Apelle.
Mire composito potens colore
Vitam adfingere mortuis figuris, etc.
peut-être trop aimée : je veux parler du Banquier et sa femme, tableau qui paraît avoir été peint — car
la date n'en est pas aisément lisible
— en 1518 ou 1519 \ Le mari, banquier sans doute et en même temps
prêteur sur gages, compte un rouleau de pièces d'or, tandis que sa femme, assise auprès de lui, interrompt
la lecture du manuscrit enluminé qu'elle feuillette pour écouter, elle aussi, la douce musique des
doublons tombant l'un après l'autre sur la table sonore. Le visage du banquier a un caractère saisissant :
c'est un homme amaigri et brûlé par les fièvres du lucre; la femme est de la même religion que lui; le
charme lui manque, et Matsys, toujours indifférent à l'élégance, lui a donné des mains singulièrement
disgracieuses et maladives. Au fond, la porte s'entr'ouvre sur une rue et laisse entrevoir deux bourgeois
flamands hardiment indiqués dans un sentiment caricatural, car l'artiste sacrifie quelquefois au burlesque.
Je n'ai d'ailleurs aucune peine à le reconnaître : le tableau du Banquier et sa femme ne ressemble en rien
à Y Ensevelissement du Christ : le faire y est de beaucoup moins large et trahit même quelque sécheresse;
l'importance exagérée des accessoires nuit aux figures, et le détail y est peut-être caressé d'un pinceau
trop patient.
A côté de cette peinture célèbre, il faut placer un tableau plus célèbre encore, les Avares, qui font
partie de la collection de la reine d'Angleterre à Windsor-Castle. Matsys y a représenté, à mi-corps et
dans des dimensions un peu plus grandes que nature, deux personnages qui s'occupent à compter et à
vérifier des monnaies. L'un écrit dans un gros livre posé sur une table chargée d'or, d'argent, de joyaux
et de pierreries. Son compagnon se penche vers lui et semble suivre de l'œil les calculs de son ami. Des
accessoires traités avec beaucoup de soin complètent ce tableau : au fond est une boiserie où l'on voit
une tablette sur laquelle sont posés quelques ustensiles de ménage. Un petit perroquet est le seul témoin que
le peintre ait donné à cette scène d'intérieur. «L'exécution, a dit un bon juge, est d'une grande manière,
.
non pas d'un grand style, mais d'un dessin arrêté et caractéristique, d'une touche large et simple, par
plans décidés, et sans la minutie que ce genre semble comporter et justifier *. »
Sans examiner si le pinceau de Matsys se montre réellement aussi large dans les Avares que le dit le
savant critique que nous venons de citer, nous admirons comme lui le profond caractère que le peintre
d'Anvers a imprimé à ses figures, et nous croyons que, sous ce rapport, ce tableau est peut-être supérieur
au Banquier que possède le Louvre. Ce qui doit frapper aussi dans les Avares, c'est le parti pris de
couleur adopté par l'artiste. L'un des personnages est coiffé de rouge et vêtu de vert; l'autre porte une
coiffure verte et un vêtement rouge : Matsys a recherché un effet de contraste analogue dans les
Comptables du Musée d'Anvers. Les tons sont d'ailleurs d'une intensité singulière; ils sont très-francs,
et peut-être le sont-ils trop. Il me semble même que, pour un œil véritablement amoureux ,de l'harmonie
et des nuances rompues, la coloration de Matsys n'est pas exempte de dureté : c'est sans doute à propos
du tableau des Avares ou de ceux qu'il a peint dans ce genre, que Descamps a pu dire de Quentin : « Sa
manière est tranchante. » Malheureusement, on ne juge d'ordinaire le maréchal d'Anvers que sur les
peintures, assez nombreuses, qu'il a exécutées dans ce sentiment et qui appartiennent presque toutes aux
dernières années de sa vie. A voir ces œuvres un peu tend'ues, dont le coloris brille d'un certain éclat
métallique, et qui accusent moins de génie que de patience, on devine que, si l'artiste vieilli tient encore
le pinceau d'une main ferme, il n'a plus au fond du cœur ces sources d'émotion jaillissante, ce profond
sentiment du drame qui lui ont inspiré la Descente de croix et l' Ensevelissement du Christ. A la fin
d'une carrière si noblement parcourue, aux dernières heures d'une vie si bien employée, le vaillant
artiste, qui mit dans son œuvre un si violent effort, avait conquis le droit de se reposer.
1 Avant cette époque, Matsys avait déjà traité ce sujet dans un tableau, qui, au temps de Baldinucci, se voyait chez un
marchand d'Anvers, nommé Stenens. L'historien italien nous apprend que celte peinture était datée de 1514 (Notizie de'
Professori del Disegno, 1811, tome VI, page 329), et Florent Lecomte, qui choisit étrangement ses mots, voit dans cette scène
« la chose du monde la plus galante et la miêux concertée dans son expression. »
2 W. Burger.— Trésors d'art exposés
à Manchester, page 162.
Mais Quentin Matsys ne se reposa pas. Jusqu'à l'instant suprême, il resta fidèle à la tâche commencée,
peignant des portraits ou des sujets de fantaisie, attentif à l'éducation de ses enfants et de ses élèves.
' S'il est difficile de dire quand naquit Matsys, il n'est guère plus aisé' d'indiquer exactement l'époque de sa
mort; on sait toutefois que Van Mander et les anciens biographes se sont trompés quand ils l'ont fait
mourir en 1529. Matsys vivait encore le 8 juillet 1530, puisqu'on le voit figurer dans un acte passé ce
jour-là devant le magistrat d'Anvers, mais il n'existait plus le 12 octobre 1531, date de l'acte de partage
fait entre la veuve du peintre et ses enfants mineurs. Ajoutons que les registres de la cathédrale constatant
•
le décès de meester Quinten pendant l'année comprise entre la Noël 1530 et celle de 1531, il y a toute
apparence que c'est pendant le premier semestre de cette dernière année que s'est éteint le fameux
maréchal d'Anvers 1.
Quentin Matsys ne mourait pas tout entier : il laissait, comme héritier de son nom et de sa manière, un
fils, nommé Jean, qui, élève de Jaket Oskens en 1516, devint franc-maître en 1531 et vivait encore en
1569. Mais ce ne fut que pendant sa jeunesse que Jean Matsys resta fidèle aux traditions de son père Après
avoir pendant quelques années copié ses tableaux et multiplié à un grand nombre d'exemplaires ses
Avares et ses Banquiers, il subit à son tour les influences italiennes, et se laissa prendre
— en gardant
pourtant un peu de sa gaucherie première — aux séductions de la Renaissance. Si l'on en juge par sa
Betsabée, du Louvre, par sa Guérison de Tobie, du Musée d'Anvers, il parla comme un barbare la belle
langue des élégances. Son dessin est maniéré, sa forme est pauvre, il épèle sans comprendre. Quentin
trouva en Allemagne des imitateurs plus zélés; mais son action ne fut pas de longue durée. Avant la moitié
du seizième siècle, le vent qui soufflait de Rome et de Florence avait dispersé tous ces copistes attardés.
Ainsi, Quentin Matsys n'a pas eu l'honneur de fonder une école; et il a eu d'autant moins d'influence
sur ses contemporains,que sa plus grande force était dans son sentiment, chose admirable et fragile qu'un
maître ne peut léguer à ses élèves Mais sa personnalité ne tient pas moins, dans l'histoire de l'art flamand,
une place glorieuse et enviée. Matsys, un peu en retard sur le mouvement de son époque, a exprimé,
sans le savoir peut-être, les vagues tristesses de ces esprits tendres, qui voyaient avec regret finir le
moyen âge et qui ne sentaient pas bien l'opportunité de cette renaissance dont parlaient avec tant de
fanfares ceux qui revenaient d'Italie. Fidèle à l'autorité du culte de la veille, l'auteur de l'Ensevelissement
du Christ a un instant prolongé le quinzième siècle dans le seizième; il ne s'est pas agenouillé devant
l'antiquité retrouvée. Mais, admirablement sincère, il a galvanisé des formes mortes en les réchauffant
à l'ardent foyer de son cœur. Sorte de miniaturiste dans de grandes proportions, il a continué l'œuvre des
peintres de Bruges, et il y a ajouté beaucoup. Comme eux, il a eu l'amour de la nature, la religion du
détail, le génie de la patience. C'est un spectateur assidu des choses de la réalité, qui, dans l'ardeur
de son zèle, respecte jusqu'à la laideur. Par ces qualités précieuses, il est Flamand autant qu'on
peut l'être; il l'est aussi par son coloris si intense toujours et si attentif à traduire la vérité du ton
local. Laissez finir le seizième siècle, laissez passer la foule érudite des imitateurs de Michel-Ange
et de Raphaël, et lorsque Rubens viendra clore cette comédie italico-flaniande, vous verrez reparaître
le génie de la nationalité un instant asservi, vous comprendrez que l'ancien forgeron d'Anvers est bien
un artiste de son pays, et qu'il a sagement fait de rester fidèle à ses instincts. Sans doute, l'idéal est
absent de son œuvre, l'élégance manque à ses types, la grâce ne resplendit pas sur ses figures, mais
l'effort de Quentin Matsys veut qu'on le constate et qu'on le glorifie, car,' dans son inexpérience des belles
formes, il a montré une émotion loyale et profonde, un sentiment dramatique et douloureux
que de plus
savants que lui n'ont pas connus.
PAUL MANTZ.
1 Si l'on acceptait ces chiffres, il faudrait sans doute voir le dernier tableau de Quentin Matsys dans
un portrait qui est daté
de 1531 et qui, d'après une indication que nous empruntons à M. Waagen, appartient à lord Northwick. Treasures'
, of Art
in Great Britain, 1854, tome III, page 206.
Les catalogues des collections publiques et des cabinets vers un portrait d'homme, mais ce tableau n'est pas men-
d'amateursattribuent à Quentin Matsys beaucoup de pein- tionné par M. Waagen. On doit peut-être douter de son
tures qui ne sont certainement pas de sa main. Nous in- authenticité.
diquerons les tableaux suivants, sans assurer cependant DRESDE. Un Peseur d'or.
qu'ils soient tous authentiques: BERLIN. Une Madone. (Voir sur ce tableau l'Art en Al-
MUSÉE DU LOUVRE. Le Banquier et sa femme. Ce ta- lemagne, par H. Fortoul.)
bleau est reproduit pour la première fois dans la biographie VIENNE. Saint Jérôme, un Usurier, portrait d'homme,
de Matsys, p. 9. peintures d'une authenticité douteuse.
Le Christ descendu de la croix. On ignore quand et MUNICH. La Circoncision, un Homme et une Femme oc-
comment cette œuvre importante est entrée en France. A la cupés à compter de 1'(irqent ; deux Usuriers; Saint Jean et
fin du dix-septième siècle, elle était placée dans l'une des saint Barthélémy, la Madeleine, sainte Barbe et sainte
salles de la maison professe des Jésuites, rue Saint-Antoine, Christine.
et nous avons cité la description que Florent Lecomte en FRANCFORT.Portrait d'homme.Ce tableau porte l'inscription
donnait alors. Ce tableau paraît être resté chez les Jésuites suivante : le prophète Knipperdolling, bourgmestre et roi à
jusqu'à la destruction de cet ordre. D'après le catalogue du Munster. Quint. Metsiis effigiebat mens Jul. 21 anno 1534
Musée du Louvre, il aurait été transporté en 1763 dans l'é- Cette inscription est évidemmentfausse.
dise du Val-de-Grâce, au-dessus de la porte d'entrée. Cette NUREMBERG.(Chapelle de Saint-Maurice.) La Trinité, le
indication ne semble pas exacte: bien avant 1763, et à Crucifiement, tableaux cités par M. Fortoul dans Y Art en
l'heure même où la Descente de croix de Matsys ornait la Allemagne.
maison des Jésuites, il y avait au Val-de-Gràce,"« au-dessus STOCKHOLM : Un Banquier avec sa fille et deux débiteurs.
de la porte d'entrée, » une autre Descente de croix, qui était SAINT-PÉTERSBOURG.Les Peseurs d'or, deux peintures que
attribuée par les uns -',l Lucas de Leyde, par les autres à M. Viardot signale comme des tableaux de pacotille.
Albert Durer, mais qui ne doit pas être confondue avec celle FLORENCE. Saint Jérôme, et deux portraits du maître, re-
que possédaient les Jésuites, et qui est aujourd'hui au Louvre. présenté à un âge différent.
(V. d'Argenville, 1749, et G. Brice, 1752.\ MADRID. La Vierge (en buste) ; le Sauveur (id.)
Le mêmemuséea possédé,sous le premier empire, la Famille M. Reiset possède de Quentin Matsys un dessin double,
de la Vierge et Sainte Elisabeth, et les deux volets de ce exécuté à la mine d'argent sur papier préparé. Il représente
tableau représentant l'un le Mariage de sainte Elisabeth et d'un côté Trois têtes d'hommes, et au verso deux Têtes de
l'autre Zacharie perdant la parole. Ces tableaux provenaient femmes.
sans doute de l'église Saint-Pierre, à Louvain. Quant à la valeur vénale des œuvres de Matsys, le fait le
YALENCIENNES. Un Banquier comptant son or. (Tableau plus intéressant que nous puissionsciter est l'histoire du trip-
douteux.) tyque du musée d'Anvers. La corporationdes menuisiersde-
ANVERS. L'Ensevelissement du Christ et ses deux volets vait le payer 300 florins, mais les conventions ne furent pas
peints l'un et l'autre de deux côtés; Tête du Christ, Tète de littéralement exécutées, et au lieud'acquitter le prix principal,
la Vierge, Madeleine, les Comptables, la Sainte Face. les intéressés servirent une rente aux enfants de Quentin
La reproductionde l' Ensevelissement du Christ, — qui n'avait Matsys. Plus tard, Philippe II, désireux de posséder ce ta-
jamais été gravé, — accompagne cette notice, p. 5. bleau, en offrit une somme considérable ; mais les menuisiers
Élisabeth ne fut
ANGLETERRE. — Windsor. Les Avares. Ce tableau, qui ne voulurent point s'en désaisir, et la reine
pas plus heureuse, bien qu'elle en eut offert 5,000
Earlom en 1770, et a figuré à nobles à la
a été gravé par Richard
l'exposition de Manchester en 1857, est reproduit ci-dessus, rose, c'est-à-dire plus de 40,000 florins. Néanmoins, la
p. 3. corporation, appauvrie à la suite de la guerre avec l'Espagne,
CABINET DE M. GREEN, A IIADLEY. La Vierge, l'Eii,làlit songeait à se défaire du fameux triptyque, lorsqu'en 1580, et
Jésus, sainte Catherine et divers saints, tableau d'autel, avec grâce à l'intervention du peintre Martin de Vos, les doyens du
deux volets, représentant l'un saint Jean Baptiste, l'autre métier consentirent à le céder à la ville d'Anvers, moyennant
saint Jean l'Évangéliste. Ce tableau a été exposé à Man- une rente annuellede 50 florins. Combien vaudrait aujourd'hui
chester. Bien qu'il soit certifié par M. Waagen, il ne nous a ce chef-d'œuvre?Nul ne peut le dire.
pas paru dans la manière habituelle du maître. VENTE BONNIER DE LA MOSSON, 1745. — Un Joaillier dans
CABINET DE M. DANDY SEYMOUR. Une Vieille femme, demi- son cabinet,qui écrit sur un registre et qui compte de l'argent
figure. (42 pouces et demi de haut sur 30 pouces et demi de large.)
CABINET DE LORD NORTHWICK, A THIRLESTAINE-HOUSE. Un Gersaint, l'auteur du catalogue de celte vente, signale ce ta-
Portrait d'homme. Ce portrait porte l'inscription suivante : bleau comme « très-beau ». Il ajoute qu il est peint sur bois
1531, JET. 19. ettrès-fini.
HAMILTON-PALACE Une répétition des Avares. Ce tableau, Banquier et sa femme, du Musée du Louvre, acquis le
Le
qui a beaucoup souffert, pourrait, d'après la conjecture de
M. Waagen, être l'œuvre du fils de Matsys.
COLLECTION DE M. J. HEATH. Une Téte de Madone. Cette
VENTE JEAN VAN liAI.. Anvers, 1836.
960 fr. C'est le tableau du Musée d'Anvers.
-
29 juillet 1806, d'un sieur Marivaux, a été payé 1,800 fr.
La Madeleine,
peinture, que. nous avons vue à l'exposition de Manchester, est VENTE DE GUILLAUME 11, ROI DE HOLLANDE. La Haye, 1850.
tout à fait dans la manière de la Vierge du Musée dAnvers — Le Couronnement de
la Vierge, 2,000 florins ; Buste du
Le catalogue de Hampton-Courtattribue au maréchal d'An- Christ. Buste de la Vierge (ensemble), 2,350 florins.
rf}cck /71!zJIZail{le. Mueéd -'-fyeûyceioz-.
« œuvre de ces maîtres primitifs qui ait une pius grande tournure, plus de fierté dans les lignes, plus
« de profondeur et de sévérité d'expression.
Si l'on adopte l'opinion qui attribue à Mabuse le portrait du prince Arthur, ce fut dans les premières
années du seizième siècle que notre peintre brilla à la cour des Tudor. De ce temps aussi datent, suivant
toute apparence, deux des œuvres de l'artiste, que possède le musée d'Anvers : les Quatre Marie revenant
du tombeau du Christ et les Juges intègres, peintures qui présentent un cachet véritable de sévérité et de
recueillement. Là se fait encore sentir l'influence des premiers maîtres de l'école de Bruges, influence qui
s'affaiblit de plus en plus chez Mabuse, à partir de son voyage en Italie.
Mabuse accompagna au delà des Alpes un des capitaines belges les plus redoutés de l'époque, Philippe
de Bourgogne, fils naturel du grand-duc du même nom, que l'empereur Maximilien d'Autriche et sa fille
Marguerite,la gouvernante générale des Pays-Bas au nom du jeune Charles (depuis Charles-Quint),envoyèrent
au pape Jules II, entre les années 1507 et 1513. Le célèbre pontife accueillit le vieil ambassadeur
avec distinction et lui offrit de riches présents, mais ne put lui faire accepter que deux statues de marbre,
qui parurent à Philippe plus précieuses que toutes les richesses de la capitale du monde chrétien. Au milieu
des préoccupations politiques, ce gentilhomme avait étudié la peinture et l'architecture ; enthousiaste des
monuments de l'antiquité, il voulut en emporter dans sa patrie la représentation fidèle et chargea Mabuse
du soin de peindre des Vues des édifices antiques de Rome.
De retour en Belgique, Philippe de Bourgogne devint le chef spirituel du diocèse d'Utrecht, où Frédéric
de Bade, son prédécesseur, n'avait pu rétablir la paix et le repos. Dans sa nouvelle dignité, qui semblait
peu compatible avec ses goûts belliqueux et fastueux, il se montra le généreux Mécène des artistes et des
littérateurs. Jusqu'à sa mort, qui arriva le 7 avril 1524, il employa ses instants de loisir à embellir le château
de Suythurg et la vieille tour du palais épiscopal de Wyck-te-Duerstede. Toujours entouré d'architectes, de
sculpteurs et de peintres, il vivait avec eux dans une telle familiarité, qu'on aurait pu le prendre pour leur
égal. Il attira, en outre, dans ses Etats, des poètes qui chargèrent de légendes versifiées les peintures
exécutées par ses soins, les bâtiments élevés par ses ordres. Il comblait de faveursceux qui excellaientdans
un art, et en particulier, le Vénitien Jacques de Barbari et Jean de Maubeuge, « le Zeuxisetl'Apelles de son
emps. » Les peintures dont celui-ci orna la forteresse de Duerstede furent plus tard transportées ÜTTtrecht,
où on les plaça dans les salles servant de lieu de réunion aux États de la province.
Deux autres membres illégitimes de la maison de Bourgogne se plurent à encourager Mabuse : Adolphe,
seigneur de Beveren, mort en 1540, et Maximilien, fils du seigneur de Falais, Baudouin de Bourgogne,
nommé par le pape abbé du monastère de Middelbourg en Zélande, en 1520, mort à Bruxelles en 1534.
Mabuse peignit pour Adolphe (et non pour son fils Maximilien, premier marquis de la Vere) un tableau où
il a représenté la Vierge sous les traits de la femme de ce seigneur, et Jésus
sous ceux de leur fils. Suivant
van Mander, on remarque dans ce tableau, qui est aujourd'hui à la Pinacothèque, tant de grâce et de
délicatesse, qu'on n'oserait lui préférer aucune production du même maître. Le tableau des Quatre Marie,
du musée d'Anvers, est orné des armoiries d'Adolphe, ce qui donne à croire que ce fut ce seigneur qui
encouragea le premier les études de Mabuse.
L'abbé Maximilien, à qui on doit la reconstruction de l'abbaye de Middelbourg, ruinée par un incendie,
commanda à Mabuse un triptyque tellement considérable que, pour l'ouvrir, on devait en soutenir les doubles
volets au moyen d'étais. Van Mander dit que le peintre y travailla très-longtemps. Peu de tableaux jouirent de
plus de réputation et donnèrent lieu à autant d'exagérations : l'artiste y travailla quinze ans ; Albert Durer fit
le voyage de la Zélande pour pouvoir l'admirer et en loua la peinture plus que le dessin; un ambassadeur de
Portugal en estima la valeur à 80,000 ducats ! La chrétienté n'avait pas de perle comparable (cui similem tota
christianitas nullam habet) ! Autant d'erreurs que d'assertions. On a accusé les iconoclastesd'avoir détruit ce
chef-d'œuvre; c'est encore un fait controuvé. La Descente de croix, de Middelbourg, périt, le 24 janvier
1568, dans un incendie qui détruisit l'église abbatiale et ses richesses artistiques.
Ce fut pendant qu'il résidait en Zélande, chez le marquis de la Vere, que Mabuse se signala, si l'on en croit
van Mander, par les plus folles excentricités. Adonné à de honteuses débauches, il dissipait dans les orgies
le prix de ses travaux. Durant son séjour chez le marquis, celui-ci reçut la visite de l'empereurCharles-Quint,
et, à cette occasion, toutes les personnes attachées au service du château reçurent de nouveaux costumes
en soie. Mabuse réclama l'étoffe du sien, dans l'intention de lui donner une forme originale. Il ne l'eut pas
plutôt entre les mains qu'il alla la vendre pour se procurer de l'argent. Néanmoins, lorsque le souverain
arriva, Mabuse était plus splendidement habillé que les autres, et les broderies de sa robe avaient un tel
cachet d'élégance, que l'empereur, émerveillé, fit approcher l'artiste et prit dans ses mains la précieuse
étoffe; ce n'était que du papier dont l'éclat était dû au pinceau magique de Mabuse ! Plus tard, ajoute-t-on,
celui-ci alla habiter Middelbourg et s'y conduisit de telle façon qu'il fallut l'enfermer; pour charmer les
ennuis de sa prison, il dessina, au crayon noir, de charmantes esquisses, dont quelques-unes furent
montrées à van Mander.
Ces traditions reposent peut-être sur des faits historiques, mais contrastent singulièrement avec l'activité
que déploya le peintre il la fin de sa carrière et avec le talent réel dont il fit preuve dans ses compositions.
On a probablement exagéré ses torts. Il aura eu un caractère jovial; ses voyages, ses liaisons avec des
Italiens, son séjour à la cour de seigneurs opulents, l'auront éloigné des habitudes d'ordre et d'économie
si chères aux habitants des Pays-Bas, et surtout à ces laborieux et simples Zélandais, au milieu desquels
il vécut plusieurs années.
Des indices rares, mais certains, nous le montrent recherché à la cour de Bruxelles, quoiqu'il vécut de
préférence à Utrecht et en Zélande. Par lettres en date du 3 avril 1516, Charles-Quint lui alloua une
somme de 40 livres de Flandres pour deux portraits de sa sœur Eléonore et « autres menues parties de
peinture. » Marguerited'Autriche, de qui il existe au musée d'Anvers un portrait attribué à Mabuse, lui fit
payer 40 livres de 40 gros pour avoir travaillé, dans son palais de Malines, pendant quinze jours, à peindre
des tableaux et à en restaurer d'autres (quittance du 12 juin 1523).
Le nombre de ses tableaux datés donne la preuve de sa fécondité et de son ardeur au travail. Son
Neptune et Amphitrite, du musée de Berlin, remonte à l'année 1516. En 1521, il exécuta un» Descente de
croix, avec volets représentant saint Jean-Baptiste et saint Pierre. La Danaë recevant la pluie d'or, à la
Pinacothèque, remonte à l'année 1522; le Portrait de religieux, de la collection Vander Schrieck, de
Louvain(aujourd'hui dans les galeries du Louvre), et la Femme adultère, de la collection d'Aremberg, à
1526; le Christ couronné d'épines, de la collection Weyer, de Cologne, et la Vierge tenant l'Enfant
Jésus, de la Pinacothèque, à 1527 ; le Christ en croix que l'on admirait jadis dans l'abbaye de Tongerloo,
à 1530.
Au seizième siècle, chacune des villes importantes des Pays-Bas se glorifiait de posséder
une œuvre de
Mabuse ; mais le temps a détruit un grand nombre de ses tableaux, et les révolutions et les guerres
en ont
entraîné beaucoup d'autres hors de la patrie du peintre.
Les principales compositions du maître ornent l'Angleterre. Celle que l'on regarde comme
son
chef-d'œuvre, l' Adoration des Mages, décore Castle Howard, la résidence des comtes de Carlisle; cette
œuvre capitale, qui est admirablement conservée, présente à la fois le côté brillant et le côté faible du
peintre: la beauté du coloris et le fini de l'exécution contrastent avec l'absence d'expression. Elle
offre un développement de six pieds carrés et est signée JENNI GOSSAERT. Van Mander raconte que, de son temps,
un nommé Magnus, de Delft, possédait une Descente de croix de Mabuse, où les personnages, parfaitement
rendus, respiraient une douleur très-bien exprimée; le dessin, le coloris y étaient très-remarquables et les
étoffes drapées avec un goût exquis. Nieuwenhuys acheta cette Descente de croix à Bruges, en 1810, et
en
vendit plus tard au roi des Pays-Bas, Guillaume II, les volets, où l'on voit : d'une part, saint Jean-Baptiste;
d'autre part, saint Pierre; ils portent ces indications : JOHES MALBODI PINGEDAT-ANNO 1521, et sont devenus,
ainsi que le panneau central, la propriété de M. Dingwall. Plusieurs Vierges avec l'Enfant Jésus, sujet que
Mabuse affectionnait particulièrement, et des portraits, notamment les beaux et curieux portraits de Windsor,
complètent le contingent des productions du peintre que l'Angleterre peut montrer aux étrangers.
Au musée de Berlin, on remarque des scènes empruntées à l'histoire de la Grèce antique et à la
Genèse : Neptune et Amphitrite, Noé endormi par l'ivresse. L'étude du nu, tentée par Mabuse, n'y a
produit qu'un résultat médiocre, comme pour prouver à l'artiste flamand qu'il ne pouvait impunément
quitter le monde tranquille et chaste dans lequel avaient vécu ses prédécesseurs. Et cependant, ses essais
en ce genre furent loués ; les éloges qu'il recueillit encouragèrent ses élèves et ses rivaux à marcher dans
la voie nouvelle où il était entré le premier. La Danaë., de la pinacothèque de Munich, offre les mêmes
défauts, tandis qu'on admire, dans cette collection, la Vierge tenant l'Enfant Jésus, où Mabuse a donné les
traits de la mère du Sauveur à la dame de la Vere et ceux du divin Enfant à son fils.
Sur la foi d'autres écrivains, nous avons attribué à Bernard van Orley le tableau du maître-autel de la
cathédrale de Prague, représentant saint Luc peignant la Vierge ; ce tableau, dont les volets sont de Michel
de Coxie, fut peint par Mabuse. Lorsque l'archiduc Mathias le transporta dans ses États d'Allemagne, il fut
d'abord déposé au palais de Prague, où il se trouvait encore lorsque le magistrat de Malines en demanda
la restitution, par une lettre en date du 12 mars 1614. Lorsqu'on en opéra la restauration, en 1836,. on
aperçut sur la ceinture de la Vierge le nom de Gossart. On connut ainsi le véritable auteur de cette belle
composition, qui avait été précédemment attribuée à Holbein le jeune, à Rubens, à Raphaël ! et dont on
regardait les volets comme sortis du pinceau du Corrége ou de celui de Jules Romain !
L'histoire d'un autre panneau du peintre de Maubeuge présente des particularités intéressantes; nous
voulons parler de la Vierge embrassée par l'Enfant Jésus, qui fait partie du musée de Madrid ; elle fut
peinte pour le couvent des Augustins, de Louvain. En 1587, le roi d'Espagne, Philippe II, ayant exempté
cette ville de toute charge, de tout impôt, pendant un terme de douze années, en considération de
la détresse à laquelle elle se trouvait réduite et en reconnaissance de sa fidélité à la cause du monarque et
à la foi catholique, les magistrats résolurent de lui témoigner leur gratitude par l'envoi d'une œuvre d'art;
c'est alors qu'ils achetèrent aux Augustins, pour 350 florins, leur tableau de Mabuse.; ils l'envoyèrent à leur
souverain, qui, leur écrivit-on, « l'at receu fort bénignement et luy at semblé fort belle.»
Le musée d'Anvers est assez riche en tableaux de Mabuse, et ils y sont d'autant plus curieux à étudier,
que les uns se rattachent il sa première manière et les autres à la seconde; à cette dernière appartient aussi
le beau triptyque du musée de Bruxelles, qui, d'après la tradition, provient de l'abbaye de Dilighem. On
y
voit, sur le panneau central, le Christ chez Simon le pharisien; à droite, la Madeleine conduite
au
ciel par un ange; à gauche, la Résurrection de Lazare; au bas du volet droit s'agenouille
un abbé de
l'ordre de Prémontré, ayant près de lui son écusson d'argent aux trois pals d'azur, et la devise
cum moderamine (avec modération). L'épisode principal se passe dans une de ces splendides constructions,
en style Renaissance , que Mabuse affectionnait, et qui caractérisent aussi les œuvres de ses
.
les voûtes de la collégiale de Notre-Dame. Il avait été marié, et laissa une fille qui épousa un peintre de
Louvain, Henri Vander Heyden. Ce peintre l'avait suivi à Middelbourg, et l'avait aidé dans les grands
travaux qu'il y exécuta. Une autre postérité continua dans l'art les traditions de Mabuse : nous voulons
parler de ses élèves, dont les plus remarquables furent le Liégeois Lambert - Lombard et un enfant
dè la Hollande, Jean Schoreel.
CLOTERS.
MtGMMîlSS !
JE USIMMadDSS
La plupart des détails que l'on connaît sur Mabuse sont Ève, Noé endormi par l'ivresse, Une jeune personne pesant
dus à van Mander. La mention de ses relations avec l'évêque des pièces d'argent.
d'Utrecht se trouve dans l'appendice que Suffrid Petri a MUSÉE DE DRESDE.
—
Adoration des Mages, grand tableau
ajouté à l'Histoire des Évêques d'Utrecht, de Beka. qui était d'abord à Gênes.
MM. Altmeyèr et Pinchart ont fait connaître quelques nou- ÉGLISE CATHÉDRALEDE PRAGUE.
— Saint Luc peignant
la
veaux détails sur Mabuse : le premier, dans un travail sur Vierge, avec volets de Coxie (Voir la Revue citée plus haut,
Marguerite d'Autriche; le second,dans ses Archives des Arts. 1. c.,,p. 285).
Principaux tableaux dus ou attribués à Mabuse : EN ANGLETERRE. — Adam et Ève, tableau quia appartenu
MUSÉE DU LOUVRE.
— Tête de religieux, avec ces mots :
à Charles 111 ; Jésus et le Jeune Homme riche, les Enfants
iETATIS 40, 1526. Signé: Joannes Malboddinge. Provient de du roi Christiern Il, le Prince. Arthur, l'Adoration des
la galerie Vander Schrieck, de Louvain. Mages, chez le comte de Carlisle; Saint Jérôme, en buste,
MusÉE DE BRUXELLES. — Jésus chez Simon le Pharisien. chez le" comte Spencer, à Althorp; la Légende du comte de
Toulouse, chez sir John Nelthorbe; Portrait d'homme, chez
HÔTEL D'AREMBERG, A BRUXELLES.
— La Femme adultère,
avec volets représentant les donateurs, tableau portant la M. Green, etc.
date 1526 et la signature M. F. PINACOTHÈQUE DE MUNICH.
— Danaë, Sainte Anne et
du Marie sur un trône, la Vierge et l'Enfant Jésus, le Christ
MUSÉE D'ANVERS.
— Les Quatre Marie revenant
tombeau du Christ, les Juges intègres, Ecce Homo, signé dans son église, entouré des symboles des évangélistes; Saint
Joannes l11adbrodius invenit : Portrait de femme, avec la Michel, tableau que Strixner a lithographié.
marque J.-G.-F., la Vierge et l'Enfant Jésus, Marguerite SAINT-MAURICE, A NUREMBERG. — La Sainte Famille.
d'Autriche. MUSÉE DE VIENNE.
— La Vierge assise
dans une niche
MUSÉE DE l\IADRlD.-La Vierge que son Enfant embrasse. et tenant l'Enfant Jésus.
(Voir l'histoire de ce tableau dans la Revue d'Histoire et PALAIS DUCAL DE GÈNES. — La Vierge sur un trône.
d'Archéologie, de Bruxelles, t. Ier, p. 56.) Marie assise au pied de la croix -et regardant le corps de
A COLOGNE, dans l'église de Leyskirchen.-La Déposition son Fils étendu à terre, tableau qui a été dessiné par
de la Croix, tableau qui fut donné à cette église, en 1524, Wierix, et gravé par De Jode.
par l'échevin Jobelin Schmitgen. Le portrait de l'artiste a été gravé par Wierix et publia à
MusÉE DE BERLIN. — Neptune et Amphitrite, Adam et Anvers par Galle.
Sco/e fffîamanc/e. ,J/ueù lfeltjtéttæ.
touriste, «n'en fut pas quitte pour dix florins. » En retour des prévenances dont il se vit l'objet, Durer
peignit le portrait de Van Orley. Il semble néanmoins attribuer à celui-ci la parcimonie
que Marguerite
montra à son égard, et son mécontentement se fait jour en plus d'un passage de sa relation.
Dürer et Van Orley auraient pu d'autant mieux s'entendre qu'ils pensaient de même
sur un point
capital : le peintre allemand songeait déjà à se séparer de l'Eglise romaine; quant à Van Orley, il penchait
aussi pour la réforme religieuse, et, vers ce temps, se vit impliqué, avec d'autres
personnes de Bruxelles,
dans un procès pour fréquentation de prêches clandestins. Il s'en tira heureusement, grâce à
une protection
que l 'on devine sans peine. Cette circonstance rend doublementprécieux le tableau de l'ancienne collection
Boisserée (jadis, dans l'abbaye de Saint-Michel d'Anvers, aujourd'hui à la pinacothèque de Munich),
où Van Orley a représenté saint Norbert, le fondateur de l'ordre de Prémontré, discutant
avec Tanchelin,
le chef des hérétiques d'Anvers. Les défenseurs des deux opinions y forment un contraste frappant : une
intelligence pervertie se trahit sur le visage de Tanchelin, et la dureté et les appétits matériels caractérisent
les traits de ses adhérents, tandis que la mâle ligure de Norbert se dessine au milieu des têtes plus placides
des fidèles : femmes charmantes assises au pied de la chaire, hommes graves et sérieux groupés plus loin.
Entre l'hérésiarque et le défenseur de la foi, on aperçoit un auditeur qui semble hésitant. Cet esprit livré
au doute, c'est Van Orley lui-même, et c'est son portrait, frappant par la ressemblance, qui l'a fait
reconnaître pour l'auteur du tableau. La scène se passe dans une splendide basilique, dont le style, tout
romain, atteste la prédilection de l'artiste pour l'architecture de la Renaissance. Au fond, dans un paysage,
se dessine un second épisode de la vie du saint.
En 1530, Marguerite d'Autriche vint à mourir. Déçue dans ses rêves de bonheur par la mort prématurée
des princes auxquels elle fut successivementfiancée, fatiguée des ennuis du pouvoir, entourée d'envieux
de sa grandeur, la bienfaitrice de Van Orley s'était consolée de ses chagrins en appelant à sa cour les
hommes les plus distingués de l'époque. Son noble exemple fut imité par sa nièce Marie, la veuve de
Louis II, dernier roi de la Hongrie indépendante. Van Orley la peignit très-fréquemment, et exécuta pour
elle les portraits de son mari défunt, de l'empereur Charles, du roi des Romains Ferdinand, de la
duchesse de Milan. Ces peintures étaient payées de 13 à 17 livres, lorsqu'elles étaient de petite dimension;
de 28 à 30 livres, lorsque le personnage représenté était de grandeur naturelle.
Le Jugement dernier, de l'église Saint-Jacques, d'Anvers, permet d'étudier le peintre dans sa dernière
manière, car cette belle composition date des années 1537 à 1540. Dans le haut du triptyque, au centre,
on aperçoit Jésus-Christ, la Yierge, des saints et des anges; mais toute cette partie supérieure a été sacrifiée,
l'artiste s'étant particulièrement attaché à représenter la séparation des bons et des méchants. On les voit,
en multitudes innombrables, abandonner leurs sépultures, et au milieu d'eux on remarque Adam, qui
recule d'effroi en apercevant les démons et les réprouvés, tandis qu'Eve, chaste dans son entière nudité,
semble attendre avec confiance l'exécution des promesses divines. La couleur fine et intense du peintre,
ses grandes connaissancesen anatomie se retrouvent dans cette œuvre capitale, de même que son talent
de portraitiste donne une valeur considérable aux volets, où sont représentés les donateurs du tableau,
Adrien Rockox et Catherine Van Overhoff, avec leurs enfants et leurs saints patrons.
Van Orley peignit encore le Jugement dernier pour les aumôniers (ou administrateurs généraux des
fondations charitables) de la même ville. Au siècle dernier, cette œuvre était placée à Notre-Dame, à
l'intérieur de la chapelle des Aumôniers;actuellement on la conserve dans une salle de l'hospice de Sainte-
Elisabeth. Le Sauveur y est assis sur un arc-en-ciel et a le globe du monde à ses pieds; sous lui s'étendent
trois zones superposées, formées par les anges, les bienheureux, les ressuscités. Sur les volets sont retracées
les œuvres de miséricorde, sauf la septième, qui s'accomplitsur le premier plan du panneau central. Là, au
milieu de la résurrection générale, on dépose un corps mort dans un cercueil que bénit un prêtre.
Obéissant à la préoccupation constante des Flamands pour l'exécution des moindres détails, Van Orley
semble oublier ici la véritable signification de la grande scène reproduite par son pinceau. Le tableau, au
surplus, n'est pas aussi remarquable que le précédent, et cependant son origine est très-authentique.
Van Mander en parle, et nous apprend qu'afin de donner une plus grande beauté et plus de durée à la
peinture, l'artiste, avant de commencer son travail, fit dorer entièrement le bois qu'il comptait y employer.
Ce procédé, suivant le même écrivain, eut aussi pour résultat de donner plus de transparence au ciel.
A Malines, Van Orley peignit le panneau central du tableau d'autel de la chapelle des Peintres; il y
représenta la Vierge et l'enfant Jésus, ayant devant eux l'évangéliste saint Luc, retraçant l'épisode de
l'Annonciation. Michel Coxie, son élève favori, exécuta les volets de ce triptyque, qui fut enlevé lorsque les
troupes des États-Générauxprirent et pillèrent Malines en 1580. L'archiduc Matthias d'Autriche se l'adjugea
et le transporta en Bohème, où il orne actuellement l'église de Saint-Yeit, de Prague.
Mais ce fut surtout Bruxelles qui s'enrichit des productions du célèbre peintre. Devenue véritablement
la capitale des Pays-Bas, la résidence constante de la cour, cette ville voyait le goût des arts se développer
dans son sein en même temps qu'augmentaient sa population et sa prospérité. Les églises, embellies ou
reconstruites, s'ornaient d'objets d'art nouveaux. A titre de compatriote, de peintre de la cour, de chef
d'école, VanOrley fut naturellement appelé à profiter de cette tendance des esprits. Posséder de ses œuvres
devint une manie, une nécessité. La Chute des anges décora longtemps une des chapelles de la nef de
l'église de Sainte-Gudule; la Nativité du Christ fut placée dans la chapelle de Saint-Luc ou des Peintres,
à Saint-Géry. On attribue aussi à notre artiste la Mort de la Vierge, qui a été trouvée dans un couloir de
l'Infirmerie du béguinage, lors de la démolition de cet édifice, vers l'année 1826, et qui orne aujourd'hui la
salle d'assemblée du Conseil général des hospices, à l'Hôpital Saint-Jean; mais ce tableau, où on remarque
de très-belles parties, est signé : sur le bord d'un vêtement, au coin du panneau central, vers la droite,
se lisent ces mots : VAN DEN KOTN, qui constituent évidemment une signature. Bien que quelques têtes, dans
cette composition, soient véritablement belles, l'ensemble ne présente nullement les grandes qualités de
coloriste et de dessinateur qui éclatent dans des œuvres très-authentiques de Van Orley : sa Vie de Job,
son Jugement dernier, Saint Norbert discutant avec Tanchelin, ses portraits. Rien surtout n'y révèle
le peintre du beau retable du Musée de Bruxelles : le Sauveur descendu de la croix. Ce dernier tableau
commande l'attention et captive le regard, tant la couleur y est intense et vigoureuse, la composition
sage, le dessin d'une correction tout italienne. Si les types des personnages y manquent quelque peu
d'élégance, leurs physionomies sont pleines d'expression et trahissent la profonde douleur qu'ils ressentent.
La Vierge est absorbée dans la contemplation de son divin Fils, dont le corps est étendu sur ses genoux ;
la Madeleine embrasse, en pleurant, la main du Sauveur; saint Jean et cinq autres personnages complètent
la scène. Sur les volets sont peints : d'une part, le donateur, ses sept fils et saint Jean-Baptiste ; d'autre
part, la donatrice, ses cinq filles et sainte Marguerite.
Le temps a dispersé de tous côtés les œuvres de notre peintre, et il est peu de cabinets importants où il
n'en soit entré. Le Louvre n'en possède qu'une, le Mariage de la Vierge (n° 367), dont nous donnons le
dessin. Elle provient de la collection du roi Louis XVIII, qui l'acheta de M. de Langeac, en 1822. La scène
principale se passe en avant d'une tente en velours vert qui renferme l'Arche d'alliance, et dont les
ornements, ainsi que les vêtements des deux époux et du grand prêtre, ont été recouverts d'or par le peintre.
La plus importante des autres compositions de celui-ci se trouve dans l'église de Notre-Dame,, de
Lubeck. On y voit : au centre, la Trinité et des Saints, d'après une gravure très-connue d'Albert Durer;
sur les doubles volets : la Sybille montrant à l'empereur Auguste la Vierge et l'enfant Jésus, saint Jean
l'évangéliste ayant la vision de l'Apocalypse, l'Annonciation et les Pères de l'Eglise latine.
Ces travaux, quelque multipliés qu'ils fussent, n'absorbèrent pas toute la vie de Van Orley. Il exécuta
un très-grand nombre de dessins pour des verrières et pour des tapisseries, et exerça par là une grande
influence sur les progrès de l'art architectural, dont les verrières formaient alors un complément obligé,
ainsi que sur l'industrie. Marie de Hongrie venait de succéder à sa tante en qualité de gouvernante générale
des Pays-Bas, lorsqu'on entreprit, à Bruxelles, à la gauche du chœur de l'église de Sainte-Gudule, la
construction de la belle chapelle du Saint-Sacrement de Miracle (en 1532). Le plan présenté par l'architecte
Wyenhoven ayant été jugé le meilleur, Van Orley fut chargé d'en exécuter, sur parchemin, une copie,
qu'on lui paya 2 livres 10 sous 9 deniers, soit 10 florins carolus. On lui commanda ensuite les dessins des
vitraux que l'on devait placer dans les fenêtres de la chapelle, mais il n'eut pas le temps de les terminer,
sauf un seul, celui de la verrière qui fut donnée par François Ier, roi de France, et par sa femme Éléonore
d'Autriche, verrière qu'exécuta Jean Haeck, d'Anvers, et qui coûta 350 florins. Après la mort de Van
Orley, la fabrique de l'église acquit de son tils Jérôme quelques esquisses, et du peintre Gilles Willems,
qui demeurait chez Bernard, le dessin de la verrière dont le roi de Portugal avait pris la dépense à sa charge.
Le restant du travail fut terminé par Michel Coxie. Les deux beaux vitraux peints qui ornent les murs
terminaux des transepts de la collégiale de Bruxelles, ont aussi été dessinés par Van Orley, et furent
placés le jour de saint Thomas, au mois de décembre 1537. Ils représentent, celui du transept nord,
Charles-Quint et sa femme; celui du transept sud, Marie de Hongrie et son mari. Tous les vitraux dont nous
venons de parler présentent les mêmes caractères. Dans tous, l'idée religieuse est presque entièrement
absente. Les donateurs agenouillésattirent seuls l'attention, tandis que leurs patrons se dissimulent derrière
eux, avec une modestie singulière. Dans le bas, de longues énumérations de titres; dans le haut, des séries
d'écussons, pittoresquement groupés autour du couronnement d'une splendide construction de style
Renaissance, complètent le panégyrique. Cette part faite à la critique, il faut proclamer l'œuvre même
irréprochable; elle donne aux absides de l'église de Sainte-Gudule un aspect imposant et sévère, dont on
trouverait difficilement un autre exemple.
Suivant une opinion généralement acceptée en Belgique, un pape, Léon X ou Adrien VI, aurait confié
à Van Orley le soin de surveiller l'exécution des tapisseries destinées au Vaticnn, mais cette assertion
ne repose que sur des données douteuses; on a attribué également à notre peintre des tapisseries qui,
très-certainement, ne furent commandées qu'après sa mort. Il n'en fut pas moins l'auteur d'un grand
nombre de cartons. La fabrication des tapis de Bruxelles était alors parvenue à son apogée, et rien ne pouvait
mieux concourir au maintien de sa réputation que l'intervention d'un artiste dont le talent était partout
reconnu et admiré. Notre peintre dessina pour Charles-Quint plusieurs grandes chasses, où on voyait
l'empereur avec les princes de sa famille, et où le paysage reproduisait les plus beaux sites des environs de
Bruxelles, ceux où Charles aimait à forcer le gibier. Les tapisseries qui furent confectionnées à grands frais
d'après ses modèles, ornèrent longtemps le palais de Bruxelles. Le comte de Nassau, l'un des plus puissants
seigneurs du pays, fit exécuter de la même manière une généalogie de ses aïeux, en seize pièces, dont
chacune offrait un chevalier ou une dame, à cheval et de grandeur naturelle. Vers l'an 1600, les patrons
de ces dernières furent portés à La Haye et offerts au comte Maurice, fils du Taciturne, qui les fit
reproduire sur toile par un Anversois de talent, Ilans Jordaens.
Van Orley habitait à Bruxelles, près de la Senne, une maison située en face de la tour de l'église de
Saint-Géry. Lorsqu'il expira, ce fut à l'intérieur de ce dernier édifice qu'on l'ensevelit, dans la chapelle
de Saint-Maur, la première du collatéral droit. Van Mander ignorait à la fois la date de la naissance du
peintre et celle de sa mort; tout ce qu'il put apprendre, c'est que Bernard mourut très-âgé. Les
renseignements que nous possédons sont un peu moins incomplets, depuis que l'on a retrouvé le texte de
l'inscription de son tombeau, texte que voici traduit du flamand : « Ici repose maître Aert (pour Bernaert)
« Van Orley, peintre de Marguerite, duchesse d'Autriche, et de Marie, reine de Hongrie, qui mourut en
« 1541
(1542, nouveau style), le 6 janvier, et demoiselle Agnès Zeghers, sa femme, qui expira en 1539, le
« 13
septembre. » Des armoiries ornaient sa pierre tumulaire, qui nous paraît avoir été renouvelée dans
les temps postérieurs. Ni cette tombe, ni l'église même, où les amis des arts allaient donner un souvenir à
l'élève de Raphaël, n'existent plus ; une place publique, dite de la Fontaine, en recouvre les caveaux.
La collection de Cock nous offre un portrait de l'artiste qui releva, au seizième siècle, la gloire artistique
de Bruxelles, et Lampsonius lui consacra quelques vers latins où il rappelle la générosité de Marguerite
d'Autriche à son égard. Mais on n'a pas suffisamment fait ressortir la conclusion à laquelle on arrive
naturellement par l'examen des œuvres de ce maître : que le contact de l'école italienne ne pouvait qu'être
favorable aux Flamands, comme Rubens et Van Dyck en furent plus tard les vivants et glorieux témoignages.
Dans l'art, comme dans la littérature, l'isolement n'exerce qu'une action funeste; une école,en se repliant
sur elle-même, se donne le coup de la mort; pour s'infuser un sang nouveau, il faut chercher d'autres
horizons, varier ses enseignements, comparer, en un mot, Le succès, il est vrai, dépend de la source où
l'on va puiser, et c'est en cela qu'on doit admirer la sagacité ou le bonheur pe Van Orley, d'avoirrencontré
sur sa route le divin maître d'Urbin. Si la plupart de ses compatriotes: s'égarèrent, s'ils se laissèrent
séduire par le style d'autres peintres italiens, s'ils abdiquèrent leurs propres qualités pour marcher à la
remorque d'une école en décadence, un pareil reproche ne peut atteindre notre artiste. Ses portraits surtout
nous charment, et un bon juge a fait remarquer combien ils se rapprochent de ceux d'Holbein. «La différence,
« dit M. Marsuzi de Aguirre, est souvent peu sensible; le ton chaud, pour ne pas dire rougeâtre, des chairs,
<(
la diffusion de la lumière, la simplicité et le naturalisme de la composition, la sobriété des accessoires
Il
leur sont communs, de telle sorte qu'il faut une grande pratique pour découvrir, dans une plus savante
«
correction de dessin et de style, dans une certaine lourdeur de la brosse et de l'empâtement, ceux qui
<(
sortent de la main de Van Orley. »
Artiste novateur, infatigable, Bérnard hérita du sceptre de l'art flamand, après la mort de Quentin Metzys
et de Maubeuge, et, après l'avoir tenu avec gloire, le transmit, par son élève Coxie, à Otto Van Veen, de qui
il passa dans les mains puissantes de Rubens.
ALPHONSE WAUTERS.
BKIIMIK M IIMŒ1TOIS
Il n'a été publié jusqu'à présent qu'un seul travail, vérita- GALERIE NATIONALE A LONDRES.
— La Madeleine.
blement original, sur Bernard Van Orley. Il est dû à — Saint Norbert et Tanchelin.
PINACOTHÈQUE DE MUNICH.
M Gœthals, ancien conservateur de la Bibliothèque de la A VIENNE. — Antiochus Epiphane et la Descente du
ville de Bruxelles, et fait partie de son Histoire des lettres, Saint-Esprit.
des sciences et des arts en Belgique, t. III. C'est là que presque EN ANGLETERRE.— Le prince Albert, quatre tableaux; le
tous les écrivains et nous-même avons surtout puisé. duc de Devonshire, trois tableaux; le comte Spencer, un
La plupart des œuvres importantes de Van Orley étant portrait; le comte Scarsdale, un tableau; M. Nieuwenhuys,
citées dans les pages qui précèdent, nous ne donnerons plus l'Histoire de Job; LiverpoolInstitution, un tableau.
qu'une liste très-succincte de ses œuvres. A PRAGUE.
— Saint Lucpeignant devant la Vierge.
A LUBECK. — La Trinité et les Saints, le plus grand des
MUSÉE DU LOUVRE.
— Mariage de la Vierge. tableaux de Van Orley.
MusÉE D'ANVERS.— L'Adoration des Mages (reproduit en EN BELGIQUE.
— A Sainte-Catherine de Bruxelles, Un
tète de cette notice), et quatre autres tableaux. Christ crucifié; à Sainte-Gudulc, de belles verrières; à
MUSÉE DE BERLIN. — Trois tableaux. Saint-Jacquesd'Anvers, le Jugement dernier; le même motif
MUSÉE DE BRUXELLES. — Quatre tableaux. à Sainte-Élisabeth, de la même ville.
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MICHEL DE COXIE
É EN 1499. — MORT Eli 1592.
François offres magnifiques à Coxie pour le décider à venir habiter Paris, mais le peintre milanois
Ier fit des
résista à ses sollicitations, et, depuis son retour d'Italie, ne quitta plus les Pays-Bas.
Le roi Philippe II et la reine Marie de Hongrie, sa tante, mirent aussi à l'épreuve le talent d'imitateur que
possédait Coxie, et, chose rare, cet élève de Rllphaël, lui qui avait très-bien saisi la manière de procéder des
Italiens, sut reproduire avec un égal bonheur les compositions, si différentes pourtant, de la première école
flamande. Il copia, pour la reine Marie, la célèbre Descente de Croix de Roger vander Weyden, qui ornait
il Louvain la chapelle de Notre-Dame-hors-les-Murs,et qui est aujourd'hui l'un des plus riches joyaux de
la galerie d'Isabelle, au Musée de Madrid. Philippe II lui commanda une reproduction de l'Adoration de
l'Agneau, des Van Eyck, reproductionque Coxie commença en 1559 et qui lui fut payée 2,000 ducats. Coxie ne
parvint pas à s'élever à la hauteur de son modèle, mais réussit cependantà reproduire avec bonheur les grandes
ligures qui forment la partie supérieure de la composition des Van Eyck. Son œuvre, après avoir orné pendant
plus de deux siècles le palais de Madrid, fut enlevé de l'Espagne pendant les guerres de Napoléon Ier, et est
aujourd'hui morcelé ; ses différentes parties se trouvent, les unes dans la galerie du roi de Bavière, il
Schleisheim, d'autres au Musée de Berlin, d'autres encore dans la cathédrale de Gand, où elles ont remplacé
les volets originaux, disparus à la suite d'un acte inqualifiable de vandalisme.
On remarquera que la plupart des travaux de Coxie lui furent commandés par des membres de la famille
impériale. Coxie hérita en quelque sorte de la faveur dont son maître Van Orley avait joui, et devint
le peintre en titre de Philippe II aux Pays-Bas. Cette haute position et de nombreux travaux lui procurèrent
de grandes richesses, d'autant plus rapidement que sa femme était très-économe et ne cessait de l'exciter au
travail. Leur vaste habitation, qui s'élevait, à Malines, dans la rue dite le Bruel, en face de la ruelle de la
Vigne, se transforma en un véritable musée, où l'on pouvait admirer, à côté des compositions du propriétaire,
un choix d'oeuvres des meilleurs artistes du même temps.
Le succès qui récompensa les efforts de Coxie semble avoir heureusementinflué sur son caractère. Gai et
spirituel, il brillait dans la conversation, et l'on raconte qu'étant prié par un jeune peintre de venir voir
des dessins que celui-ci avait rapportés d'Italie, au grand préjudice, disait-il, de ses épaules, qui en étaient
encore endolories, il lui répondit : « Votre tête aurait pu vous épargner cette besogne, » comme pour
reprocher à son interlocuteur d'avoir perdu son temps et ses peines, d'être resté un copiste tandis qu'il
aurait dû apprendre à créer, à composer. Glorieux du rang où il était monté, le peintre malinois aimait il
donner la preuve de la facilité et de la sûreté de sa main; lorsqu'il se voyait entouré d'amis, il se plaisait
à improviser des dessins, qu'il charbonnait sur le mur. Son portrait nous offre des traits réguliers et graves,
voiFe sévères; les tristes épisodes de l'époque semblent y avoir marqué leur empreinte sans effacer l'influence
de la nature réfléchie et laborieuse de l'artiste.
Les envieux, qui s'attaquent à tous les noms entourés de considération, prétendirent que Coxie n'avait fait
qu'imiter les maîtres italiens, et, dit-on, ce peintre montra quelque mécontentement lorsque Jérôme Coeli
grava sur cuivre un choix de leurs productions. Mais on put bientôt se convaincre que l'imitation n'avait pas
été servile. D'ailleurs, notre artiste, afin de prouver qu'il savait aussi composer, entreprit de dessiner
l' Histoire de Psyché, dont il fit une série consistant en trente-deux parties.
Une époque de tourmentes était arrivée. Elle aurait pu être conjurée par de l'habileté et de la modération;
la perfidie et la cruauté de la cour de Madrid attisèrent et firent enfin éclater le feu qui couvait sous la cendre.
Coxie, de même que tous ses compatriotes, fut accablé de déboires sans nombre. En 1572, Malines subit un
sac épouvantable, par le motif futile que cette ville s'était laissé surprendre par les partisans du prince d'Orange ;
huit ans après, les Malinois ayant abandonné la cause nationale pour se soumettre à l'Espagne, leur ville
fut prise une seconde fois et ravagée par les troupes des États-Généraux.
On doit rendre cette justice au gouvernement espagnol, qu'il se montra plein d'égards pour le peintre
malinois, que, en sa faveur, du moins, il essaya d'alléger le fardeau des malheurs du temps. En l'an 1570, le
duc d'Albe confirma à Coxie et à son fils Raphaël l'exemption des logements militaires dont ils jouissaient déjà ;
en 1589,1e roi lui-même intervint pour faire payer à l'artiste une somme de 2,500 florins qui lui était due
du chef de rentes assignées sur les revenus du domaine aux quartiers de Louvain et de Malines Dans la lettre
que le monarque écrivit en cette occasion au prince de Parme, le 1er avril, on lit que Coxie était « réduit il
tel état qu'il ne lui étoit possible de gagner sa vie par son art, dans lequel il avoit été non peu renommé. »
Une grande partie des œuvres de Coxie avait disparu de la Belgique. Charles-Quint, en allant s'enfermer
au monastère de Saint-Just, y avait transporté quatre peintures de cet artiste : Jésus-Christ portant sa croix et
montant au Calvaire; Jésus crucifié, qui servait à recouvrir le précédent; la Vierge et Jésus portant sa croix.
Trois autres .toiles partirent pour l'Espagne avec la collection de tableaux de Marie de Hongrie : Tantale, le
Christ au jardin des Olives et David tuant Goliath; ce dernier est encore conservé à l'Escurial. Philippe 11
avait maintes fois admiré dans l'église d'Alsembergh le Crucifiement, de Coxie; ce tableau ayant été vendu ail
cardinal Granvelle par un négociant de Bruxelles, Thomas Wéry, le roi s'empressa d'en faire l'acquisition.
Lors du second sac de Malines, en 1580, cette ville fut dépouillée des volets que Coxie avait peints pour
l'autel de Saint-Luc, à Saint-Rombaud ; l'archiduc Mathias se les fit adjuger et les emporta dans ses États
héréditaires, où ils ornent aujourd'hui le maître-autel de l'église de Saint-Vith, à Prague.
Le zèle des corporations et des particuliers permit à la Belgique de réparer quelques-unes de ses pertes,
entre tous on peut citer les gildes ou compagnies de tireurs, comme s'étant distinguées à cette époque
par leur goût pour la peinture. Ainsi que nous l'avons dit plus haut, Coxie reçut des commandes de tous
côtés. Les archers d'Anvers lui firent peindre, pour leur autel dans la cathédrale d'Anvers, un Martyre de
saint Sébastien (avec volets, par Ambroise Francken le Vieux), signé et daté de 1575, et qui est aujourd'hui
au musée de la même ville. Le saint est lié à un arbre; quatre archers visent le martyr, que vient
d'atteindre une première flèche. Derrière le groupe de ces archers se trouvent l'empereur Dioclétien, des
personnes de sa suite et des spectateurs. A droite, on voit un soldat assis, sous le bras duquel apparaît la
tête d'un chien de chasse. Une autre corporation militaire d'Anvers, celle des arbalétriers, demanda à
Coxie une peinture, dont on ne connaît que les quatre volets, qui sont aussi déposés au musée. Sur le
premier, saint Georges, suspendu à un tronc d'arbre, est torturé par ses bourreaux; sur le deuxième, il est
représenté à genoux et va recevoir le coup mortel; le troisième'volet nous montre, sous les. traits de
Coxie, le même personnage, debout, tenant une lance brisée et ayant à ses pieds le dragon qu'il vient de
vaincre. Enfin le quatrième représente sainte Marguerite, ou, d'après les hagiographes, Alexandra, femme
de Dioclétien, qui, dit-on, fut convertie par la guérison miraculeuse de saint Georges, après son premier
martyre, et fut ensuite suppliciée avec lui. Le peintre lui a donné, à ce qu'il semble, les traits de sa
première femme, Ida van Hasselt.
Par un acte en date du 2 janvier 1587, les archers de Malines demandèrent à Michel de Coxie un
triptyque représentant le même sujet et qui se trouve encore dans l'église métropolitaine de la Belgique; ce
tableau, où on remarque de grandes beautés, fut achevé en une année, comme le prouve la date qu'il porte,
et fut payé 150 florins. C'est encore de ce temps que date la Mort de la Vierge, autre triptyque que les
arbalétriers de Bruxelles firent placer dans l'église Notre-Dame-du-Sablon, et qui, après avoir été transporté
à Paris après la conquête de la Belgique en 1794, fut enlevé du Louvre en 1815, et a été récemment
acquis pour le Musée de Bruxelles. Elle est ornée des armoiries de la famille de Busleydra, dont plusieurs
membres figurèrent dans la magistrature de Bruxelles et, en qualité d'échevins, eurent le commandement
supérieur de la gilde des arbalétriers. On y voit aussi l'écusson des La Tour-Taxis, qui étaient surintendants
héréditaires de l'église du Sablon, et qui enrichirent d'objets d'art ce beau temple.
Une résolution du magistrat de Malines, en date du 6 septembre 1585, prouve que ces tableaux
s'exécutaient souvent au moyen de cotisations personnelles. Les communemestres et échevins décidèrent
alors qu'ils feraient peindre par Coxie, pour l'hôtel-de-ville, un tableau représentant le Christ en croix, la
Vierge, saint Jean, la Madeleine au pied de la croix, et, dans le haut, Dieu le Père, et que le peintre
recevrait 300 florins, somme dont chacun d'entre eux payerait une part. Citons, parmi les églises pour
lesquelles notre artiste travailla, celle de Sainte-Gudule, de Bruxelles, où l'on voit, dans la chapelle du
collatéral nord la plus voisine de l'abside, une Cène, avec sujets empruntés il l'Ancien Testament sur les
volets, et, dans les transepts, deux grands triptyques : l'un représentant des Episodes de la vie de
sainte Gudule, l'autre le Crucifiement, le Portement de la Croix et la Déposition au tombeau. Ces deux
derniers furent payés, celui-ci, 700 florins; celui-là, sur le revers duquel on lit que le peintre le peignit
en 1592, à l'àge de quatre-vingt-douzeans, 800 florins.
Cette œuvre fut probablement la dernière à laquelle Coxie travailla. Appelé il Anvers par le magistrat
pour y orner le palais communal, il tomba d'un échafaudage et se blessa. On le transporta i.t Malines, où
il expira quelques jours après, le 5 mars 1592.
La première femme de Coxie étant morte, il avait épousé en secondes noces Jeanne van Sdwlle, avec
laquelle il testa dès le 15 juin 1573, et qui se remaria plus tard à Philippe van Roy. Il n'avait eu d'Ida
van Hasselt qu'un fils, auquel on donna le nom glorieux de Raphaël, comme pour rappeler l'homme dont
le génie avait exercé sur le talent de Coxie une si puissante influence. Jeanne van Sehelle, à son tour,
donna le jour à trois enfants : Michel, Conrad et Anne. Raphaël et Michel adoptèrent la profession de leur
père, mais ni l'un ni l'autre n'ont marqué dans l'histoire de l'art. Raphaël, qui naquit en l'année 1540 et
était déjà marié en 1570, se fixa plus tard à Bruxelles, où il fut reçu dans la bourgeoisie en 1587-1588,
et où il mourut en 1616. On ne connaît qu'un seul de ses tableaux, le Jugement dernier, qui se trouve au
Musée de Gand, où il a été transporté après avoir orné la maison communale de cette ville pendant plus de
deux siècles. Cette œuvre remarquable donna lieu à un long et curieux procès, dont on a, tout récemment,
exposé les principales péripéties. La valeur de la peinture commandée par les magistrats gantois fut évaluée
par quatre experts : Martin de Vos, Ambroise Franck le Vieux, Gilles Mostaert et Bernard de Ricke, qui
en fixèrent le prix à 1,400 florins d'or; mais Raphaël ne trouva pas cette somme suffisante et réclama
encore un cadeau valant 100 florins, ce qui lui fut, en effet, adjugé par le Conseil de Flandre, le
12 juillet 1597. Y compris les frais du procès et d'autres dépenses de différente nature, le Jugement
dernier coûta 2,085 florins d'or, chiffre considérable pour J'époque. Raphaël de Coxie eut la gloire de
former Gaspar de Crayer, l'un des meilleurs artistes de l'école flamande. Comme celle de Van Orley, la
famille Coxie se perpétua longtemps
9
encore, et, au commencement du dix-huitième siècle, tandis qu'un de
ses membres occupait la haute dignité de président du Conseil privé, d'autres descendants du peintre de
Philippe Il maniaient encore le pinceau.
Vasari et Guicciardin vantent l'habileté de Coxie, et, en effet, ce peintre dessinait et composait avec art.
Dans ses tableaux, les nus, exécutés dans le style italien, trahissent une habileté remarquable, et çà et là,
on remarque des raccourcis exécutés avec hardiesse et parfaitementréussis. Coxie avait à un haut degré
le sentiment de l'élégance, et, de même que les premiers peintres de l'école flamande, aimait à écarter les
détails des supplices qui auraient pu révolter le spectateur. Ses têtes de femmes sont souvent de vrais types
de grâce; mais il ignore l'art de concentrer l'intérêt sur le personnage principal; dans les Cènes que
possèdent le musée et l'église de Sainte-Gudule, de Bruxelles, la figure du Christ est de la plus entière
insignifiance, et s'efface devant de belles têtes d'apôtres, qui ne sont peut-être que des réminiscences.
La recherche dans les poses et l'exagération des contours, constituent encore, chez Coxie, deux défauts
graves, qui trahissent chez lui une tendance malheureuse à se rapprocher de Michel-Ange et da ses
imitateurs. »
*
WAUTERS.
MŒIIBŒIK IT0
HHDIIOLÏMHS
Nous avons puisé la plupart des faits que nous venons A Saint-Pierre, dans la même ville, se trouve un autre
d'exposer dans*une notice écrite par M. Goethals (Lectures triptyque où l'on voit le Portement de la Croix, le Crucifie-
relatives il l'histoire des Sciences, des Arts, des Lettres, etc., ment et la Résurrection.
en Belgique, tome III, pages 106 à 117). Quelques détails Au Musée d'Anvers appartiennent, outre le Martyre de
nouveaux sur Coxie nous ont été révélés par M. Seffen, de saint Sébastien, déjà cité, quatre tableaux ayant servi de
Malines (Vlaemsche School, année 1556, p. 17 et 27), et Pin- volets à une composition plus importante et offrant des épi-
chart (Archives,et dans la Revue universelle des Arts, t. III, sodes de la Légende de saint Georges, et le Triomphe du
passim). Sur Raphaël de Coxie, voyez un travail de M. de Christ, qui ornait anciennement un tombeau dans la cathé-
Busscher, dans les Bulletins de l'Académieroyale de Belgique drale.
(2C série, t. XVI). A Saint-Jacques, église d'Anvers célèbre par la quantité
Van Mander, et, d'après lui, Descamps, placent en l'année de tableaux qu'elle renferme : Saint Jean baptisant le Sau-
1497 l'époque de la naissance de Coxie; mais plusieurs dates veur.
placées par le peintre lui-même sur ses tableaux prouvent A Saint-Bavon, à Gand : la Parabole du mauvais riche,
qu'il ne naquit que deux ans plus tard. avec volets représentant les sept œuvres corporelles de mi-
Nous n'avons pas cru devoir revenir à l'orthographe Van séricorde; Saint Jean-Baptiste et le Chanoine Jean de
Cocxyen, parce que le nom de Coxie a reçu le baptême de la Hertoghe.
traduction et reproduit le nom flamand sans altération no- A Saint-Jacques, autre église de Gand : la Nativité, le
table. Crucifiement et la Résurrection.
Outre la Mort de la Vierge, dont nous avons parlé, le Musée Au Musée de Madrid : la Mort de la Vierge, provenant de
de Bruxellespossède'un Couronnement d'épines, où le Christ l'église de Sainte-Gudule, de Bruxelles, à laquelle elle fut
est représenté dans une attitude pleine de noblesse; une achetée par le roi Philippe 11 ; la partie inférieure représente
Cène, avec volets; le Couronnementd'épines et l'Agonie au la Vierge couchée et vénérée par un ange et les apôtres ; dans
jardin des Olives, triptyque dont la dernière partie offre le haut, elle s'élève au ciel, entourée d'esprits célestes. A
un effet de nuit remarquable. l'Escurial : le Christ et la Vierge intercédant auprès de Dieu
Cette Cène vient de l'église de Sainte-Gudule, où l'on le Père; Sainte Cécile, tableau qui a appartenu à Rubens;
voyait encore, outre les vitraux de la chapelle du Saint-Sa- la Descente de croix; Joachim et sainte Anne; David vain-
crement et les trois triptyques que nous avons mentionnés queur de Goliath.
à la fin de notre travail: une Résurrection de Lazare, un « Chez les Carmélites déchaussées de Medina del Campo,
Ecce Homo et un Saint Jean-Baptiste, qui ont disparu. dit M. Michiels, on voyait une Résurrection, avec person-
Dans la cathédrale de Malines sont placés : le Martyre de nages de grandeur naturelle. »
saint Sébastien, peint en 1587; le Martyre de saint A la Pinacothèque de Munich : Sainte Barbe, tableau qui a
Georges, triptyque qui a été exécuté pour la gilde des arbalé- été lithographié par Stricxner.
triers; la Circoncision, où le peintre s'est représenté lui- A Vienne : Marie et l'Enfant Jésus.
même, et où la scène se passe dans un temple immense de A Prague : Saint Jean dans l'île de Pathmos et le Martyre
style grec, dù au pinceau de De Vries. de saint Veit ou Vith, volets du tableau du maître autel.
Dans le Musée communalde Louvain figure une Ascension, Plusieurs graveurs, et notammentJean Sadeseer, qui vivait
triptyque qui ornait jadis la tombe du secrétaire de Charles- en 1575, ont gravé d'après Coxie.
Quint, Morillon, mort en 1548.
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PIERRE PORBUS ET FRANÇOIS PORRUS
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conquis aux méthodes nouvelles qu'après avoir reçu les premières leçons de son père, il alla demeurer à
Anvers, où il devint l'élève de FransFloris. Aussi, sans avoir mis le pied en Italie, François Porbus a connu
d'une manière indirecte les élégances du style ultramontain. On assure qu'il s'associa à la famille de son
maître, en épousant sa nièce, la fille de l'architecte Corneille de Vriendt. En 1564, d'après Baldinucci,
en 1569, d'après le catalogue du Louvre, il fut reçu franc-maître de Saint-Luc, et il consacra dès lors au
travail tous les instants d'une vie qui ne devait pas être de longue durée.
Comme son père, François Porbus fut un portraitiste exact et sincère : il prit souvent plaisir à introduire
dans les compositionsreligieuses qu'il peignait pour les couvents et les églises,les effigies de ses contemporains
ou de ses amis. Dans le tableau qu'on voit aujourd'hui à Saint-Bavon, et qui représente le Christ au milieu
des docteurs, on reconnaît, dit-on, quelques-uns des personnages de la cour de Philippe II, et il semble
évident, en effet, que la plupart des figures réunies dans ce tableau ne sauraient être que des portraits, tant
elles ont un caractère individuel et précis. Quant au style de François Porbus, c'est celui d'un élève intelligent
de Frans Floris, c'est-à-dire qu'il combine avec le goût flamand les influences d'un italianisme assez
prononcé. Ce double caractère est visible, non seulement dans le Christ au milieu des docteurs, que nous
venons de citer, mais encore dans la Résurrection de Lazare, de la cathédrale de Tournay, et dans les
compositions que Sadeler a gravées d'après lui, telles que la Conversion et le Martyre de saint Puul, et la
Chaste Suzanne. Mais cet art, où se trahit un imitateur timoré, n'est qu'un art de seconde main; il faut
préférer à ces œuvres sages et froides les portraits, vrais et sentis, que l'artiste faisait sous l'impression
directe de la nature.
Baldinucci. traduisant Carle Van Mander et ajoutant à son récit quelques fleurs de rhétorique italienne,
a raconté la mort prématurée de François Porbus. Decamps résume ainsi leur témoignage: « La ville d'Anvers
l'avoit nommé enseigne dans sa milice bourgeoise, ce qui fut cause de sa mort. S'étant fort échauffé à
jouer du drapeau, il fut se reposer au corps de garde, près duquel on venoit de vuider un égout. Il se
trouva incommodé, tomba malade et mourut promptement, âgé de quarante ans, en 1580. »
François Porbus laissa un fils qui porta le même nom que lui, et qui ajouta à la gloire de la famille une
illustration de plus, en devenant le peintre de Henri IV et de Marie de Médicis. Le lecteur trouvera -dans la
suite de ce livre le récit de sa vie et l'examen de ses œuvres. Le dernier des Porbus a certainement
mérité sa renommée, mais il a trop fait oublier les deux peintres dont il porte le nom, et dont l'œuvre, si
grave et si vivant, complète pour le voyageur l'impression mélancolique qu'il rapporte d'une visite à
Bruges: que saurions-nous des échevins, des hommes de cour, des religieuses, des savants, des prélats
qui se pressaient dans les rues de la ville, si Pierre et François Porbus ne nous en avaient rien dit?
PAUL MANTZ.
si follement peut-être les personnages et les groupes, il abondait en inventions si compliquées et si nouvelles,
que les gens sages s'inquiétèrent d'abord de ces violences et de ces furies. Mais les artistes, les esprits
jeunes, et bientôt même les grands personnages, se déclarèrent pour Frans Floris et le recherchèrent. Le
prince d'Orange, les comtes de Horn et d'Egmont devinrent ses protecteurs, presque ses amis. Comme il
travaillait très-vite, sa fortune fut bientôt faite; sa renommée se répandit dans les Pays-Bas comme en
Espagne, et, dès lors, dans toutes les occasions importantes, ce fut à lui qu'on pensa d'abord.
Les habitants de Delft ayant résolu de faire peindre un Crucifix pour une de leurs principaleséglises, c'est
il Frans Floris qu'ils s'adressèrent. Descamps rapporte, à ce propos, une anecdote, une légende plutôt, il
laquelle il a l'air d'attacher un intérêt qui nous échappe. Floris s'étant mis en route pour Delft, se détourna
de son chemin et s'arrêta à Leyde, chez Aertgen Claessons, peintre alors fameux, mais oublié aujourd'hui : « Lr.
maître, dit l'historien, n'étoit pas chez lui, mais ses élèves l'introduisirent dans son atelier, qui étoit un
grenier. Floris prit un charbon, et traça sur un bout de muraille blanchie la tête de saint Luc, une tête
de bœuf, et les armes de la peinture. Sitôt qu'il eut fini son dessin, il retourna à son auberge. Aertgen, de
retour, fut averti, par les traits hardis du charbon, qu'un étranger étoit venu.... et n'eut pas plutôt considéré
le dessin qu'il s'écria : C'est Franc Flore, ce ne peut être que lui; ce grand maître s'est donné la peine de
me venir voir.1 » Cette histoire n'est-elle pas renouvelée des Grecs, et ne lit-on pas qu'Apelles et Protogènes
ont eu une semblable aventure ? Mais cette vieille légende prouve que Floris est allé peindre un Crucifix
à Delft, et c'est pour cela que nous l'avons reproduite.
Frans Floris eut d'ailleurs des occasions plus éclatantes de montrer publiquement son savoir-faire.
Lorsque, en 1549, Charles-Quintfit son entrée à Anvers, il fut chargé, avec Jean deVries, de peindre les
arcs de triomphe qui furent placés en divers endroits de la ville. Floris, toujours fidèle à ses souvenirs
d'Italie, apportait aux travaux de ce genre un goùt charmant d'ornementation et en même temps une rapidité
d'exécution qui étonnait les esprits naïfs. On raconte qu'en cette circonstance il peignit en un jour sept
figures grandes comme nature. Ce tour de force dut surprendre en effet à une époque où l'école flamande,
timide encore, n'avait pas acquis cette liberté de pinceau qu'elle devait plus tard pousser si loin.
Les travaux de cette sorte convenaient d'ailleurs admirablement au fougueux génie de Frans Floris.
Quelquesannées après, lorsque Philippe II fit il son tour son entrée solennelle à Anvers, l'ancien disciple de
Lambert Lombard peignit à cette occasion un vaste tableau représentant la Victoire debout au milieu défigurés
captives qui symbolisaient les peuples vaincus par l'Espagne. Cette composition, qui se détachait comme en
relief sur un fond formé de trophées et d'armes entassées, était tout à l'honneur du souverain qui devait
bientôt malmener si durement les habitants des Pays-Bas. Floris prit soin de faire graver ou peut-être de
graver lui-même, en 1552, cette allégorie si cruellementoublieuse du sentiment national, et il l'accompagna
de six vers où Philippe II est presque déifié. Faut-il croire que François de Vriendt, si peu flamand par son
style, ne l'était pas davantage par le cœur?
Mais ce n'est pas dans ces ouvrages décoratifs, improvisations d'un jour destinées à disparaître le
lendemain, qu'il faut chercher le véritable talent de Frans Floris. Son chef-d'œuvre est au musée
d'Anvers : c'est la Chute des Anges rebelles, composition achevée en 1554, c'est-à-dire au moment où
Floris était déjà dans toute sa force. Ce tableau, qui fut peint pour décorer l'autel de saint Michel,
patron des escrimeurs, se divise, pour ainsi dire, en deux zones d'un caractère tout différent.
La partie supérieure représente les esprits célestes qui, restés fidèles à la loi de Dieu, repoussent les
anges déchus; la partie inférieure nous montre ces esprits maudits chassés de l'empirée et retombant
dans les abîmes. C'est comme une bataille qui se livre dans les régions douteuses où finit le ciel, où
l'enfer commence. La lutte est acharnée et terrible : trois anges, très-beaux et très-purs de des-in, s'attaquent
au chef des démons, à Lucifer, sorte de dragon qui se tord dans les convulsions de la rage. Les autres
auges rebelles ne sont ni moins étranges ni moins fantastiques : Floris a conservé à leur corps la
forme humaine, mais il leur a donné des têtes de bouc, des hures de sangliers, des queues de vipères, des
serres d'aigles, des griffes de tigres. Jamais le moyen âge, jamais la légende populaire ne virent passer dans
leurs nocturnes cauchemars une armée plus bizarrement diabolique. Les habitants du ciel ont, au contraire,
dans le tableau de Frans Floris, une beauté rayonnante et sereine, et il se mêle à leur force une grâce qui
se souvient de l'Italie et qui y fait songer. Cette composition, à la fois mouvementée et tranquille, fantastique
et réelle, est, nous Ip. répétons, l'œuvre la mieux réussie de François de Vriendt : il faut l'avoir étudiée
longtemps pour comprendre la valeur d'un maître que la France ignore trop.
Les comptes de la cathédrale de Notre-Dame d'Anvers nous apprennent qu'en 1559 Frans Floris
travailla pour cette église. On sait, en effet, qu'il peignit d'une part une Assomption de la Vierge, dont la
trace s'est malheureusement perdue 2, et, d'autre part, une Nativité que, selon toutes les vraisemblances.
rusticité austère et charmante, s'empressent autour du nouveau-né et lui font fête. Ce tableau, qu'il faut
considérer comme un des plus importants dans l'oeuvre de Frans Floris, est surtout remarquable par
.l'expression: les têtes sont fines et douces; les accessoires, les animaux, sont peints avec une largeur savante.
Le seul regret que nous puissions émettre à propos de cette peinture, c'est
que, comme dans la Chute des
Anges rebelles, comme dans le Jugement dernier du musée de Bruxelles, le coloris abonde en gris roux,
en
tons neutres, et paraisse si effacé et si terne. Il n'est pas douteux que le principe de cette coloration
attristée ne fut, pour le pinceau de François de VriendL, un ressouvenir de la fresque de Michel-Ange.
Dans les sujets tendres, tels que l'Adoration des Bergers, que nous venons de décrire, et tels aussi que la
Sainte Famille, dont Antoine Wiérinx nous a laissé une gravure, Floris semble oublier le grand maitre toscan,
pour se rapprocher du génie plus doux d'André del Sarte. On conçoit combien le Flamand italianisé est loin
de la grâce de celui qui fut surnommé Andrea senza errori, non pas tant à cause de sa correction qu'à
cause de la parfaite harmonie de ses contours délicieusement déroulés. Frans Floris n'a point cette séduction
toujours victorieuse; souvent même, comme dans la Naïade, comme dans la Daphné, son dessin présente
des angles violents, des lignes qui se coupent d'une manière désagréable. Mais le modelé de ses figures nues
montre parfois des délicatesses ex-quises, et sa science, puisée à l'école des maîtres florentins, s'enveloppe
de douceur, se revêt d'un charme attendri.
Ainsi, apte à tous les genres, peintre de mythologies et de saintetés, Frans Floris vit de bonne heure
venir à lui le succès et la fortune. Malheureusement, il ne sut gérer ni son talent, ni sa richesse. Des
que l'aisance eut frappé à sa porte, il commença à vivre largement et ne refusa plus rien il sa
fantaisie d'artiste. Il eut d'abord l'ambition d'être bien logé, et appelant à son aide son frère l'architecte,
il se fit construire à Anvers une maison splendidement décorée dans le goût antique, et il en orna
lui-même la façade de figures allégoriques qui, de loin, ressemblaient à des statues de bronze, Ces dépenses
compromirent gravement sa fortune, et pour payer sa demeure princière, Floris, appauvri, fut obligé
de travailler comme un ouvrier. Malheureusement, le laborieux artiste n'avait pas su se préserver d'un
vice assez fréquent dans la Flandre du seizième siècle. Sa vie n'était pas exempte, selon l'expression
adoucie de Florent le Comte de « quelques petits dérèglements » Cela veut dire , — car il n'est
,
pas possible de le dissimuler davantage, — que Frans Floris était un buveur déterminé. Bien loin de
chercher à cacher ce vilain côté de son ardente nature, il était plutôt disposé à s'en faire gloire, et les
historiens qui ont parlé de lui enregistrent avec complaisance le récit des hauts faits qui signalèrent sa
carrière bachique. 11 avait, avec les plus illustres buveurs de son temps, des luttes véritablement inouïes, et
presque toujours il en sortait vainqueur. Vainement ses meilleures amis essayèrent de le guérir de cette passion
fatale. Thierry Cornhert, qui était à la fois un bel esprit et un artiste, et qui avait gravé ses tableaux du
Jugement de Salomon et de la Visite de la reine de Saba, crut trouver dans sa vieille amitié pour Frans
Floris le droit de lui adresser une réprimande poétique. Il liii envoya une lettre en vers, où il supposait
qu'Albert Durer lui était apparu en songe, et qu'après avoir fait du talent de Floris le plus vif éloge, il avait
blâmé les excès honteux de sa vie. L'apologue était ingénieux ; mais les buveurs sont incorrigibles, et
Cornhert en fut pour sa poésie et sa morale. Floris continua il vivre de la même sorte... Et qui sait? Si
cet ingénieux esprit se réfugiait ainsi dans les joies vulgaires de l'ivresse, c'est sans doute qu'il avait
quelque chose à oublier. Les historiens nous apprennent que François de Vriendt était marié à une femme
acariâtre et sotte : peut-être est-ce là qu'il faut chercher le secret de son vice persistant.
Frans Floris garda toujours d'ailleurs, au milieu de son apparent désordre, l'étincelle sacrée qui fait
l'artiste. Bien des fois ses élèves le virent rentrer chez lui, l'œil allumé, la lèvre en feu, les jambes
titubantes; mais en se retrouvant devant son chevalet, Floris ressaisissait peu à peu sa raison perdue, et, prise
alors d'une activité fiévreuse, son imagination surexcitée lui dictait de puissantes fantaisies. Son pinceau
courait sur la toile, et, guidé par je ne sais quel clairvoyant génie, — il y a un Dieu pour les buveurs, —
Floris donnait la vie aux plus audacieuses conceptions du rêve. Les tableaux qu'il produisit dans ces jours
d'ivresse lumineuse abondent en attitudes exagérées, en complications infinies : ce sont les songes bizarres
d'un élève de Michel-Ange devenu fou.
Le seizième siècle avait entraîné Floris par toutes ses séductions à la fois. Esprit lettré, amoureux de la
fable antique et de ses mensonges enchantés, il se plaisait aux mythologies, aux emblèmes, et c'était une joie
MIlIEMiUÎS N RBIDUMTMBS.
La renommée de François Floris a eu beaucoup à souf- glise Notre-Dame-des-Victoires sur le Sablon, présente une
frir des troublesreligieuxqui agitèrent les Pays-Bas au seizième singularité qui doit être signalée. « Au bas du volet gauche,
siècle : plusieurs de ses tableaux ont péri, et ne nous sont plus dit M. A. de Montaiglon, un écusson est répété avec ces trois
connus que par la gravure. Balthazar Sylvius, Lyefrinck, dates, 1565, 1588, 1630, et trois bustes d'hommes, les mains
Wierinx, Corneille Cort, et surtout Philippe Galle, ont repro- jointes comme des donateurs, et dont les types se rapportent
duit les plus importantes de ses compositions,et souvent ils en bien à ces dates. Les têtes ont évidemment été ajoutéesaprès
ont exagéré le caractère et la violence. coup, et peintes, deux fois au moins, par une autre main que
Parmi les tableaux qui restent de Floris, nous devons citer : celle de Floris, mort en 1570. » (Le Musée de Bruxelles, 1850.)
MusÉE D'ANVERS. — La Chute des Anges rebelles. Ce ta- Sainte Famille. (Tableau douteux.)
bleau, qui est signé FF. IV. ET. F. A. 1554, a été peint pour BERLIN. — Vénus embrassant l'Amour; Loth et ses filles;
l'autel du Serment des Escrimeurs, à la cathédrale d'Anvers. les Filets de Vulcain. Ce tableau est signé : 1547. F.F.IV.
Il a figuré au Louvre sous le premier Empire. COPENHAGUE. Juda et Thamar.
Saint Luc. C'est le portrait du peintre Ryckaert-Aertsz. FLORENCE. — Adam et Ève. 1560.
Floris s'est représenté lui-même sous les traits du personnage VIENNE. — Adam et Ève sous l'arbre de la science; Adam
qui, placé derrière le saint, est occupé à broyer des couleurs. et Eve chassés du paradis ; la Sainte Famille.
(Cette composition provient de l'ancienne Académie d'Anvers.) VENTE DU PRINCE DE CONTI. 1777. — Le Festin des Dieux,
Adoration des Bergers. Ce tableau a longtemps figuré sur compositionde sept figures, 531 livres; Vénus sortant du bain
l'autel des Jardiniers, à la cathédrale d'Anvers. accompagnée des trois Grâces, 1,760 livres.
BRUXELLES.
— Le Jugement dernier. Cette peinture, qui VENTE NOGARET. 1807. Diane découvrant la grossesse de
était placée sur l'autel de la chapelle du Serment, dans l'é- Calisto; composition de dix figures. 699 francs.
Seo/e !J!ÍtlfllanC!e. rael- ////./ cie jU'nJ'e, Séenej^in&iéâaaea, J^auaaaed.
qu'il produit dans les classes laborieuses, ils se mêlaient cordialement il la fête. Y avait-il une noce,
ils se prétendaient les parents du jeune couple, et pour prouver leur consanguinité, offraient des cadeaux;
ces arguments victorieux persuadaient les cultivateurs, ou les décidaient à paraître convaincus. Pendant
ta
que. joie circulait de proche en proche, Breughel et Jean Franckert, son compagnon, avaient toutes les
facilités désirables pour prendre sur le fait les mœurs rustiques, pour examiner les traits, les expressions,
les vêtements, les gestes. les attitudes. La mémoire du peintre en tenait un compte fidèle, et quelques
jours après tout ce qu'il avait vu reparaissait sur la toile : mais il excellait principalement à rendre les
postures plus ou moins comiques des villageois.
Ces excursions avaient lieu autour d'Anvers, le peintre ayant choisi pour séjour cette dernière vitie,
après sa résidence passagère en Italie. Il lut reçu franc-maître de la corporation de Saint-Luc, dans
l'année 15M. Breughel unit toujours le goût des facéties à un caractère paisible et sage: il comptait
ordinairement ses paroles, ce qui rendait ses plaisanteries d'autant plus piquantes. Lès mystifications même
ne lui répugnaient point: il se drapait en revenant,gémissait d'une voix lamentable, effrayait les
personnes crédules. Son portrait. n'annonce point ces joviales dispositions: une élégante barbe noire, un
beau front, de grands yeux expressifs, des traits reguliers, une bouche bien faite lui donnent un air grave
et un aspect chevaleresque.
Une jeune fille, qu'il avait prise pour servante, se trouva tellement à son goût qu'elle régna bientôt
chez lui en maitresse. Breughel l'eût épousée sans répugnance aucune, si elle n'avait eu le défaut de
mentir avec une obstination prodigieuse et en toute circonstance. Ses perpétuelles inventions choquaient,
fatiguaient, exaspéraient l'artiste. Mais les remontrances, les prières, les menaces même ne pouvaient rien
sur elle. Las de ses impostures, Pierre résolut d'en finir. Il prit une taille de boulanger, passablement
longue, et, la lui montrant, lui déclara qu'il y noterait chaque nouvelle histoire au môyen d'une coche:
si elle laissait les marques envahir tout l'espace, non seulement leur union projetée n'aurait point lieu,
mais ils se quitteraient pour toujours. De si rudes conditions n'amendèrent peint la babillarde ; elle jasait,
elle débitait des contes sans trève ni merci, et la taille se crénelait à proportion: l'heure des adieux
sonna bientôt. Devenu maître de lui-même, Breughel se chercha une plus digne compagne. Pierre Kock
était mort; sa femme et sa fille habitaient Anvers. La jeune enfant qu'il avait portée sur ses bras, fait
danser sur ses genoux, lui revint en mémoire; devenue grande, elle avait, selon toute apparence, d'autres
charmes que ceux du souvenir. Le peintre lui rendit visite, témoigna le désir de lui plaire et demanda sa
main. Comme on craignait un'retour de tendresse pour son ancienne gouvernante, la mère et la fille
exigèrent qu'il vînt habiter Bruxelles : un déplacement de huit lieues, pour obtenir une jolie perstnne,.
n'avait rien qui dut l'effrayer. Il changea de domicile, et la noce ne tarda point à se faire.
Comme peintre, Breughel raviva l'esprit flamand, que l'imitation des m-aîtres italiens éteignait de jèur
en jour. On conçoit sans peine le pouvoir absolu de la mode relativement au costume ; mais son empire
illimité dans le monde moral et intellectuel m'a toujours surpris. Pourquoi cette discipline que chacun
accepte, pourquoi cette fièvre de servitude? Ne semble—t-ii pas plus naturel que. tout homme suive une
direction particulière, se livre au courant de ses idées ou de ses caprices? Breughel, lui, ne se laissa pas
entraîner par la foule. Pendant que toqs ses compatriotes ambitionnaient la gloire de Michel-Anee et de
Raphaël, cherchaient à gravir lentement jusqu'aux cimes radieuses, où ces génies créateurs s'étaient elaicés
d'un vol libre et hardi, le paysan devenu peintre ne consultait que ses goûts. Il reproduisait.les scènes
familières, qui avaient frappé ses regards dans son enfanc-e et qui les attiraient encore tous les jours. Par
son amour du merveilleux, par son talent de paysagiste, par son habileté à peindre les mœurs villageoises,
Breughel renouait les traditions de la peinture flamande, donnait une main au passé, l'autre à l'avenir :
disciple de Jérôme Bosch, allié des Van Eyck et -de Memling, il préparait Téniers, les kermesses de Rubens,
Brauwer et Van Ostade. Ses tendances pastorales Je firent surnommer Breughel des paysans (Boeren
Brueghel) ; ses épisodes comiques, Breughel le drôle (Vièsen Brueghel).
La partie la plus faible chez lui, c'est l'exécution. Ses tableaux mal coordonnés, tant pour le dessin que
pour le coloris, n'offrent pas à la vue un ensemble harmonieux et satisfaisant. La lumière même n'y forme
pas un centre autour duquel se groupent les ténèbres, Oll, si l'on veut, les parties les moins éclairées. Les
formes, les couleurs, les rayons et les ombres paraissent s'épandre au hasard sur la toile, comme un fleuve
débordé sur la plaine. Les objets, les figures, par exemple, sont représentés d'une façon trop sommaire :
on y voudrait plus de détails; ils y gagneraient en précision et en réalité. Sous ce rapport, Breughel le vieux
forme contraste avec ses fils, surtout avec Breuguel de Velours, qui multiplie les nuances et les coups de
pinceau. Il avait conservé pour la méthode primitive de la peinture à la gomme une affection particulière;
ce genre de travail, où l'harmonie est,presque impossible, fut, selon toute vraisemblance, une des causes
qui rendirent sa touche dure et sèche. La force de l'imagination, la vigueur du dessin, le naturel des poses,
des mouvements, des physionomies, le caractère ingénieux des idées compensentces défauts.
Sa rude exécution néanmoinslui a porté un grave préjudice : ses tableaux peu recherchés des amateurs,
généralement peu estimés, ont presque tous disparu, quoiqu'ils fussent très nombreux et que les graveurs
les plus habiles de l'époque les eussent reproduits. Le château royal de W urtzbourg en possède une collection,
mais Hathgeber, qui nous donne ce renseignement, n'y ajoute aucun détail. « Ils sont placés trop haut, »
dit-il. L'éloignement l'a empêché de reconnaître les sujets, de lire les dates et, à plus forte raison,
d'apprécier le travail. La galerie de Schleissheim renferme plusieurs morceaux conçus dans le genre qui a
fait surnommer notre artiste Breughel des Paysans. On y voit une fête rustique en pleine campagne, olt
les personnages boivent, dansent et se houspillent; une noce champêtre, où les convives mettent de
l'argent dans un plat. pour l'offrir à la mariée ; saint Jean-Baptiste prêchant une nombreuse réunion
populaire ; des campagnards faisant dénicher des oiseaux par leurs enfants, puis des aveugles sur le point
de tomber dans une rivière.
Le Louvre contient deux panneaux de Breughel, qui ont de faibles dimensions, mais une assez grande
importance. L'un figure un site champêtre traversé par une rivière un pont de bois, des paysans et des
,
paysannes qui s'entretiennent; l'autre, une danse de villageois dans la grande rue de la commune et
devant une auberge. Finement peints, soigneusement dessinés, ils montrent le style des Breughel il son
premier état, indiquent les obligations des deux fils envers le père.
Une planche gravée d'après cet affectueux précurseur donne une idée de ce que devaient être ses
meilleurs tableaux. Elle a pour sujet la résurrection du Christ. A gauche on voit un mur de rochers, dans
lequel s'ouvre uue grande caverne. C'est là que les apôtres avaient enseveli leur maître, Vainqueur de la
mort, il s'élève dans les airs sur un flot de nuages, que font ressortir les sombres masses pierreuses Un
ange terrible et menaçant achève de détourner le bloc qui fermait la grotte sépulcrale. Les soldats éperdus
gisent çà et là sur le terrain éblouis, frappés d'épouvante. Les saintes femmes arrivent par un sombre
,
dénié au-delà duquel on aperçoit Jérusalem inondée de lumière. C'est un morceau d'un grand effet.
,
Le musée de Bruxelles offre aux curieux un tableau qui permet d'apprécier la manière de Breughel dans
le genre fantastique. Il a pour sujet la chute des anges maudits et semble exécuté sur une impression
blanche, comme ceux de Jérôme Bosch. C'est une averse de démons, que la colère divine précipite par
milliers vers le gouffre éternel. Unissant, mêlant toutes les formes de la nature, le peintre en a composé
d'horribles monstres. Comment exprimer ces hideux amalgames? Ils trahissent sans doute une grande liberté
d'imagination, mais un vice général dépare le merveilleux de Pierre Breughel : il manque d'esprit. On
voudrait dans ces sortes de rêves plus de finesse, des intentions délicates : l'auteur se montre lourdement
téméraire, gauchement facétieux.
Sou goût l'entraînait si bien hors de la nature, qu'il est toujours prêt il franchir les limites qui séparent
ie monde surnaturel du monde positif. Son Intérieur d'école, sujet bien réel cependant, offre des traits
incompatibles avec la réalité.
Parlons pour finir du Portement de croix, placé au musée d'Anvers : on croirait plutôt voir une charge
qu'une œuvre sérieuse. Pendant que Jésus ploie sous l'instrument fatal, les spectateurs gobelottent,s'amusent,
forment autour de lui une véritable kermesse. La même inconvenance, que l'on remarque sur un bon
nombre de gravures, explique les soupçons d'hérésie auxquels fut en butte Pierre Breughel. C'était un danger
terrible, à une époque où Philippe II et l'inquisition ravageaient les Pays-Bas. L'insuffisance et l'obscurité
de langage delà peinture, quand elle veut exprimer des notions abstraites, le protégeaient sans doute contre
une accusation positive. Mais il paraît avoir beaucoup souffert des propos que l'on tenait sur son compte.
Il légua par testament à sa veuve une toile où on voyait une pie attachée au gibet, comme l'emblème des
médisants et calomniateurs, qu'il jugeait dignes de la potence. Il avait aussi représenté symboliquement le
triomphe de la vérité; quelle vérité? Il s'agissait, selon toute apparence, des maximes nouvelles, car
l'ancien dogme, exerçant l'autorité depuis longtemps, n'avait pas besoin de remporter une victoire. Breughel
considérait ce tableau comme son chef-d'œuvre. Obligé de se contraindre devant le monde, il avait
exprimé ses opinions secrètes sur de nombreux dessins, faits avec amour et commentés par des inscriptions :
les estimant lui-même dangereux pour sa veuve, il la pria de les hrÙler, quand il sentit approcher sa
dernière heure.
A quelle époque mourut-il? Nul biographe ne nous l'enseigne, mais ce fût après l'année 1599, puisque,
cette même année, les registres de la ghilde mentionnent le jeune Daniels comme étudiant sous sa
direction. Peu de mois avant sa fin, la régence de Bruxelles lui avait demandé plusieurs tableaux, qui
devaient figurer le creusement du canal de Bruges à Anvers : la mort l'empêcha de terminer ce travail
bizarre et ingrat. Il puisait sans doute son intérêt dans son actualité; le percement de la voie navigable
nous renseignerait donc sur la date de sa mort, si l'on en pouvait connaître l'époque.
On n'a, pour ainsi dire, aucun détail ni biographique, ni autre, sur Pierre Breughel le jeune, surnommé
Breughel d'Enfer. Karel van Mander nous apprend qu'il étudia dans l'atelier de Gilles van Koningslo et
reproduisait fort habilement les œuvres de son père. Nous savons d'ailleurs qu'il fut reçu franc-maître
à l'académie de Saint-Luc en 1(109. Là se bornent toutes nos connaissances historiques il son égard.
Iloubraken et Weyermaii le passent sous silence : Descamps, traducteur obtus des biographes néerlandais,
ne nous instruit pas davantage. En copiant les tableaux de sou père. le jeune Breughel contracta ses goûts.
Les motifs qu'il traitait d'habitude étaient des incendies et des scènes infernales : de là, le sobriquet par
lequel on le désigne. Né à Bruxelles, on croit qu'il y mourut. Van Dyck a gravé son portrait à
Peau-farte : c'est une belle tête, pleine d'expression, avec une barbe touffue. On doit le ranger parmi les
meilleures pièces de la collection
.
Pierre Breughel le jeune peignait plus finement que son père et, sous ce rapport, a une grande
similitude avec son frère., Breughel de Velours. On ne saurait mieux représenter les effets de la flamme
dans les ténèbres. Scbleissheim possède de lui quatre: tableaux sur cuivre, dont les sujets trahissent ses
prédilections : ils figurent Énée descendant aux enfer's, sous la conduite de la Sybille, la Tentation de
Saint Antoine, la ruine de Sodome, à laquelle échappent Loth et ses filles, l'incendie de Troie et le
héros de Virgile sauvant son père. On admire principalement les deux derniers ouvrages. Le sombre
caractère du seizième siècle, cette époque de crimes, de persécutions et de guerres atroces, qui avait
inspiré Breughel le vieux, se reflétait donc jusque dans les tragiques peintures de son fils.
ALFRED l\IICHIELS.
MARTIN DE VOS
NÉ KX 1531
— MORT EX Ibll3.
1 Giovinetto venne questi a Venetia, tratto dalla fama de' Pittori valorosi, e vedule le opere del Tintoretto, insinuatosi nella
casa di quello, \i studio lungamente, e si fece pralico net compor le invenlioni; e alcune volte gli servi, come si disse, nel
far de' paesi. Le mirarigliedell'arte orero le vite degl'illustri pittori Veneti, dello stato, descritte dal cavalier Carlo
e
Ridolfi. In Venetia, -1048.
puissant. Enfin l'habitude de peindre le paysage ne lit que développer en lui le sentiment de la nature,
sentiment naïf et tendre que l'on retrouve dans tous les artistes du Nord, et qui vint ajouter un charme de
plus aux talents du peintre d'Anvers.
Associé aux travaux du Tintoret, Martin de Vos lit peu de tableaux en Italie; du moins n 'en laissa-t-il
aucun à Venise t.Peut-être dans une ville où éclataient les peintures de Giorgion, du Titien, de Tintoret,
n'osa-t-il se lier à ses seules forces, et passer du rang de collaborateur en sous-ordre à celui de maître.
Ce ne fut guère qu'à son retour à Anvers qu'il commença de travailler pour son compte. Les registres de
la confrérie de Saint-Luc constatent qu'il fut admis dans cette confrérie en 1558, et non en 1559, comme
l'écrivent la plupart des biographes, qui paraissent avoir confondu ici Martin avec Jacques et Philippe de
y082. A partir de ce jour, Martin de Vos fut un des peintres les plus accrédités de son pays. A un dessin
ferme, qui ne laissait à désirer qu'un peu plus de sveltesse et d'élégance, il joignait un coloris clair, vigoureux
et agréable, et la précision de son modelé le rendait propre au genre du portrait. Ceux qu'il fit à Anvers
étaient remarquables par la vérité et la vie : « icones que vividissimas quàm plurimas, » dit Sandrart. Mais
tout son talent ne pouvait pas se faire jour dans la peinture des portraits. L'invention, l'arrangement des
groupes, le naturel du geste, la richesse et la signification des accessoires, l'entente du paysage, ce sont la
4 oltromantanonon habbiamo pitture particolari, ma dalle molte cose sue date alla stampa, si può venire
Di questo ingegnoso
in cognitione del suo valore. Ridolfi.
2 Voir le Catalogue du Musée d'Anvers, publié par le conseil d'administrationde l'Académie des beaux-arts de cette ville.
les vraies qualités de Martin de Vos, et il eut ce bonheur qu'il put les faire briller
sans sortir de sa ville natale,
étant arrivé juste à une époque où personne en Flandre ne pouvait lui disputer la première place. Entre
Bernard Van Orley qui était mort, et Otto Venius qui était encore un enfant, de Vos se trouva n'avoir d'autre
compétiteur sérieux que Franc Flore, qui mourut lui-même en 1570. C'est donc à de Vos
que s'adressèrent
les communautés religieuses, les églises d'Anvers, les Jésuites, pour avoir
ces tryptiques, ces tableaux votifs
que le catholicisme imposait à la dévotion. En visitant la seule cathédrale d'Anvers, on pouvait autrefois se
faire une idée de la fécondité de sa verve et de la facilité de son pinceau. Chacun des
corps de métiers avait
sa chapelle dans cette basilique, et pas une ou presque pas une de ces chapelles qui ne fût décorée d'un
tableau de Martin de Vos. Dans sa bonhomie toute flamande, l'artiste s'était
cru obligé de choisir des sujets
analogues aux diverses professions. Pour la chapelle des marchands de vin,
par exemple, il peignit les Noces
de Cana, pour la chapelle des boulangers, la Multiplication des pains,
un de ses plus beaux ouvrages, et
pour celle des peintres et sculpteurs, Saint Luc peignant la Vierge. La plupart de ces tableaux sont aujourd'hui
au musée d 'AnN-ers, et notamment le plus considérable de tous, celui qui appartenait à l'ancienne confrérie
de l'Arbalète. C'est un tryptique dont le panneau principal plus de trois mètres de hauteur. Il
a représente
la victoire du Christ sur la mort et le péché, qui sont figurés
par un crâne et par un dragon. Vêtu d'une
draperie légère, le fils de Dieu s'élève au ciel, la croix à la main, entre les deux grands apôtres saint Pierre
et saint Paul. Le premier, à genoux, montre le Christ et pose ses clefs symboliques
sur un Évangile ouvert:
le second porte une main à son cœur,
comme pour témoigner de sa foi, et appuie l'autre main sur un
Évangile également ouvert, à l'endroit où
se lit l'Épître aux Romains. Derrière lui on voit sainte Marguerite,
les mains croisées sur sa poitrine, et accompagnée de l'agneau; du côté opposé, derrière saint Pierre,
est un
guerrier vêtu ou plutôt armé à la romaine, saint Georges, qui tient IlIl étendar.I à croix de gueules
sur un
champ d'argent. Dans les airs, au sein d'une gloire, planent deux anges qui achèvent la pieuse symétrie de
ce tableau mystique. Dans l'intérieur des volets, l'artiste a peint, tl droite le Baptême de Constantin
sur 1111
fond de paysage, à gauche la fondation d'une église qui doit être, Saint-Pierre de Rome, comme l'a
non pas
dit Descamps, mais Sainte-Sophie.
Dessinateur savant et bon coloriste, car suivant l'observation de Haldinucci,
on ne pouvait sortir de l'école
du Tintoret sans posséder au moins la seconde de
ces qualités1, Martin de Vos a su atteindre, dans ses
peintures, au relief des parties, mais non au relief de l'ensemble. On
y remarque en effet des têtes pleines
de vie et de couleur, des morceaux d'un beau faire qui sollicitent et charment le regard; mais faute
d'avoir
su ménager des masses de lumière et des masses d'ombre, faute d'avoir habilement sacrifié certaines parties
au triomphe des principales figures, il a manqué le plus souvent l'effet général de son tableau. Tout est
y
fini avec le même soin, modelé avec le même relief. Toutes
ces têtes vivantes parlent à la fois, de manière
que l'attention se partage, l'intérêt se disperse et l'œil s'égare. Il y a pius : les fonds sont touchés avec la
même précision que les premiers plans, de façon que les lois de la perspective aérienne
sont aussi mal
observées que celles du clair-obscur. L unité d'une composition,
son harmonie, sa beauté optique veulent
que l intérêt y soit gradué; que la lumière, au lieu de s'éparpiller, se concentre; que les figures secondaires
soient subordonnées non-seulement par l'inégalité du clair qui les fait valoir, mais par une exécution plus
libre et moins serrée; enfin que les objets éloignés soient touchés
avec une indécision proportionnée à leur
distance. Voilà ce que Martin de Vos ignorait ou ne savait point pratiquer. Les Flamands attendaient
qu'on
leur enseignât le grand principe de l'unité et les secrets du eIair-ohscnr. Le génie de Rubens n'avait
pas
encore paru.
Fidèle aux habitudes et aux tendances de son pays, Martin de Vos
ne manque pas de donner de
l 'iiiiiioi-taiice aux détails, de multiplier les accessoires
et d'ouvrir une fenêtre sur le paysage. A ce trait, vous
si le peintre eût voulu se jouer par avance des lois solennelles de l'art classique, il
nous montre encore sur
la même toile l'Enfant prodigue, à genoux, gardant des pourceaux. Manière ingénue et toute primitive de
!
méconnaître les unités d'action, de temps et de lieu Mais il faut s'arrêter un instant à ces jolis fonds où
l'artiste a, pour ainsi dire, ménagé des échos à son drame : ce sont ordinairement des
paysages. Martin de
Vos partage ainsi avec Bernard Van Orley, l honneur d avoir introduit dans lesPays-Bas
un genre qui devait
y être poussé aux dernières limites de la perfection. On sait comment les peintres du seizième siècle virent
la campagne : ce fut sous les couleurs les plus vives. Avant Paul nril, avant Breughel, Martin de Vos revêtit
son paysage de ces tons verts et bleus dont la crudité piquante étonne aujourd'hui nos regards, habituésque
nous sommes par les grands paysagistes de la Hollande à la mélancolique et douce harmonie des couleurs
rompues et des teintes automnales. Il était d ailleurs tout simple que l amour de la nature commençât par
retracer l'éclatante image du printemps. Martin de Vos n'a pas seulement représenté le plat
pays de la
province d'Anvers : il a mouvementé son paysage; il l'a coupé d'accidents pleins de grâce d'intérêt;
et il y a
supposé des formes plus heureuses, en même temps que les couleurs violentes de l'émeraude de l'outremer.
et
Il semble même que pour peindre la nature, il ait regardé
en Allemagne plutôt qu'en Flandre. Enfin il a
égayé ses fonds de cabanes agrestes, et particulièrement de maisonnettes gothiques,
assez semblables à celles
qui ornent les lointains des tableaux et des gravures d'Albert Durer.
Quelquefois, au lieu d'un paysage, les derniers plans représentent des intérieurs, les réduits
mystérieux
du logis qui est le théâtre de l 'actioii. Une porte s'entr'ouvre, qui
nous fait voir le côté intime des choses, et
nous laisse pénétrer en quelque sorte dans les coulisses du drame. Prenons l'histoire de Jésus chez Marthe et
Marie, lorsqu'il dit à la dernière qu'elle a gardé pour elle la bonne
part. Si Martin de Vos vient à choisir
pour sujet ce trait de l 'Écriture, il ne manquera pas de nous montrer en détail l'intérieur des deux juives,
comme si nous-mêmes nous assistions à leur entrevue familière avec Dieu; il ne manquera
pas surtout de
jeter un rayon de lumière sur telle chambre éloignée, où Marthe la ménagère s'occupe des soins domestiques,
tandis qu 'on la revoit, sur le devant du tableau, prêter l'oreille
aux divines paroles du visiteur. C'est ainsi qu'à
une intention de noblesse, Martin de Vos mêle toujours, dans ses compositions,l'amour de la vie commune,
de la vie réelle, et de ce mélange de deux éléments si divers, il résulte
une surprise qui n'est point
désagréable, un intérêt singulier. A vrai dire, ce n'est là qu'un style bâtard; mais il
y a souvent beaucoup
de saveur dans ce fruit du croisement des deux sèves, la sève italienne, la sève flamande.
Le manque d'effet, qui est le défaut dominant de Martin de Yos,
se retrouve dans ses meilleurs ouvrages,
le Saint Luc, par exemple, et l'Incrédulité de saint Thomas, tableaux à volets
qui furent peints pour la
confrérie des pelletiers. Le faible souvenir qu'on en garde, et
que nous en conservons nous-même après les
avoir vus au musée d 'Anvers, tient à l insuffisance de l'impression qu'ils produisent,
en d'autres termes, à
l'absence des sacrifices qui concourent à l'unité. Mais ce qui est
un défaut dans la peinture d'histoire, devient
une qualité chez le peintre de portraits. Le soin, le relief donnés indifféremment à toutes les parties d'une
vaste composition nuisent à l'ensemble et rompent infailliblement l'harmonie; mais quand l'artiste n'a qu'une
seule tête à modeler, il peut, il doit l'attaquer résolûment
avec tous ses moyens d'expression, puisqu'il n'a pas à
craindre la rivalité d une autre figure. Aussi Martin de Vos fut-il
un excellent peintre de portraits. En 1579.
lorsque Alexandre Farnèse, duc de Parme, général de l'armée espagnole
pour Philippe II, se rendit maître de
la ville d'Anvers, il voulut avoir son portrait de la main du plus habile des peintres flamands,
et ce fut Martin
de Vos qu'on lui désigna. Celui-ci, du reste, était alors, depuis 1572, le doyen de la
confrérie de Saint-Luc,
et il dut peut-être à cette qualité l'honneur de peindre un grand capitaine. Quant
aux portraits de Martin
de Vos lui-même, il en existe plusieurs, dont
un à la galerie du Belvédère à Vienne et qui est de sa main.
De Vos s 'y est représenté déjà vieux, tête nue, les cheveux crépus,
portant la barbe courte, un vêtement noir
et une fraise empesée. Un autre portrait de l'artiste (sans doute celui qui est à Florence) fut peint
par Joseph
Heinz, et semblerait prouver que Martin de Vos fit
un voyage en Allemagne vers l'âge de soixante ans. Né en
Suisse, Joseph Heinz passa la plus grande partie de
sa vie à Prague, et il est vraisemblable que c'est en
Allemagne, et non pas en Flandre, qu 'il fit le portrait du peintre flamand. Comme
nous l'avons dit, d'ailleurs,
les paysages qui embellissent la plupart des tableaux de Martin de Vos, témoignent
du séjour qu'il aurait fait
en Allemagne, et son architecture est gothique. Le portrait peint par Joseph Heinz été gravé
a par Gilles
Sadeler, avec une bordure historiée où l'on voit
un renard qui tient une bêche, symbole du travail, et qui
porte sur son dos une colombe avec cette légende : « Puro astu et labore. C'était la devise du peintre, dont
»
le nom de Vos, en flamand, signifie renard
La gravure a fait à Martin de Vos
un nom qui ne périra point. Traduites par Collaert, par les trois Wierix
et surtout par les Sadeler, ses innombrables inventions ont bien ,
pu y perdre le mérite d'un coloris puissant et
vif, mais en revanche, elles y ont regagné
en partie l'unité qui leur manquait. La Création du monde et celle
l'air et le feu, sont entourés de tous les attributs de leur règne, non pas de ceux que la convention poétique a
depuis longtemps consacrés, mais de ceux que répand à profusion la vertu génératrice de la nature. La Terre,
encadrée dans des festons de fruits et de fleurs, est comme gardée par le lion, le taureau, le mouton et le
cerf. L'Eau est embordurée d'une guirlande d'animaux aquatiques, poissons, tortues, coquillages, écrevisses,
crabes, limaces, grenouilles, hérons, martin-pécheurs qui se regardent, se menacent, se poursuivent, se
rangent symétriquement, et forment à la déesse comme une riche parure de toutes les parturitions de la mer.
Suivant Sandrart, Martin de Vos serait mort en 1604; mais les notes de Mariette, qui fut toujours un
homme très-bien informé, disent que de Vos mourut au mois de décembre 1603, à l'âge de soixante-douze ans.
Il laissa pour élève son propre (ils, Martin de Vos le jeune, qui fut admis comme fils de maître, dans la
confrérie de Saint-Luc, en 1607, son frère Pierre de Vos, son neveu Guillaume, dont Juste Suttermans fut le
disciple, Henri de Klerck, et enfin Yenceslas Coebergerqui devint
le peintre le plus habile et le plus renommé
de son école. On composa, pour être mis
sans doute au bas de son portrait, ces quatre vers cités par Sandrart
:
iMMMire M ramiŒjmiDiSc,
Les ouvrages de Martin de Vos, qui sont !\ous ne trouvons aucun ouvrage de Martin de Vos, ni
communs en
Belgique, sont assez rares dans les autres pays.
LE MT.su; DU LOI-VUE n'en possède qu'un seul : Saint Paul
dans le Musée d'AMsxEiunM, ni dans le Musée de LA HAvi
ni dans la Galerie nationale de LONDRES, ni dans la (.aterie
,
piqué par une vipère, dans l'île de Mytlnlène. Saint Paul de DRESDE, ni à la Pinacothèque de MUNICH.
porte un fagot sous son liras; à droite, un homme à genoux BELVEDÈRE, à Vienne. Il
y a deux morceaux du maître
et à moitié nu prend des morceaux de bois pour alimenter Jésus en croix : Marie et saint Jean se tiennent debout au
le feu d un brasier allumé par terre à gauche,
;
; une jeune
fille assise, et près d'elle un petit garçon debout dans le
fond, d'autres figures et un temple circulaire. Ce tableau fut
pied de la croix que la Madeleine embrasse avec kneur.
Petit tableau sur cuivre.
Le Portrait du peintre par tui-monc; il parait déjà
donné en H850 au Musée par M. Coltini. sur
l'âge, a des cheveux crépus, porte la barbe courte, un babil
MUSÉE D'ANVERS. On
y compte d'abord neuf tableaux de noir et une fraise empesée. Buste de grandeur naturelle.
Martin de Vos, parmi lesquels on remarque deux beaux MISEE DE IkHul\. Deux tableaux dont l'un représente
tryptiques. Le premier représente : dans le panneau princi- Jésus sur la mer de l'il)éî,iade : l'autre,,
pal, le Triomphe du Christ: sur le volet de gauche, la une Allégorie my-
thologique où l'on voit Mars, Vénus, l'Amour., etc.
Fondation de Sainte-Sophie, et sur celui de droite, le Bap- GALERIE DE FLORENCE. On y trouve le portrait du peintre
tême de Constantin. dans la fameuse collection des portraits de peintres peints
Les sujets du second tnptique sont dans le
: panneau du par eux-mêmes ; plusieurs portraits de la maison de Médi-
milieu, Saint Thomas touchant les plaies du Christ; cis, et un Paradis terrestre 01'1 l'on voit un Il'l's-grand
sur le
volet de gauche. le Baptêmedu Christ ; sur celui de droite, nombre d'animaux de toute espèce.
la Décollation de saint Jean. Les Sadeler, Collaert, (,i-iiiitlioi)iiiie et les Wierix ont
La, Nativité du Christ, le Denier de César, le Denier de gravé d'après Martin de Vos, les Sadeler surtout.
la veuve, le Denier de tribut, Saint Luc peignantla Vierge, Les tableaux de Martin de Vos se présentent assez rare-
Saint François et un de ses compagnons,la Tentation de ment dans les ventes publiques.
saint Antoine sont les sujets des autres tableaux. VEiVn; CARDINAL FESCII. Jésus-Christ remettant les clefs
Outre ces tableaux, II' Musée d'A",EliS possède à saint Pierre. 81 scudi. — La Sél)(tï-(ilion des apdfJ'es.
onze es-
quisses représentant des scènes de la vie de saint François, 73 scudi. — L'Eternel sur son trône. 3,1 scudi.
et deux grisailles. — Jésus-
Christ et la Vierge apparaissant sur des nuages. 21 scudi.
Scafe 9Íaman de. Sfôidâm'e. ^fiueAj re/taceuœ.
s'achevaient alors à Fontainebleau; mais il y étudia certainement les grandes fresques du Rosso et du
Primatice, et cette admiration de sa jeunesse est restée visible dans son œuvre.
Ses études achevées, Ambroise Francken revint à Anvers: en 1573, il se faisait recevoir franc-maître de
Saint-Luc; quatre ans après il obtenait le droit de bourgeoisie, et en 1581-1582, il devint doyen de la gilde.
Il s'était marié, on ignore à quelle époque, avec Claire Pickaert, et ne quitta plus la Flandre, où il paraît
avoir été fort occupé, si l'on en juge par le nombre des tableaux qui restent de lui. Il termina, le
16 octobre 1618, sa vie laborieuse.
L'église Saint-Jacques et le Musée d'Anvers possèdent les meilleures pages de son œuvre. A Saint-Jacques,
sont deux volets importants, la Femme adultère et la Résurrection de la fille de Jaïr; au Musée, on retrouve
la Multiplication des pains, exécutée en 1598, pour l'autel de la chapelle des Boulangers à la cathédrale;
le grand triptyque de la Cène, provenant de l'église Saint-Georges; le Martyre de saint Crépin et de saint
Crépinien, qui décorait autrefois l'autel des Cordonniers à Notre-Dame, et d'autres tableaux encore. Ce qui
frappe au premier coup-d'œil, lorsqu'on étudie ces œuvres, c'est que, sous le rapport du coloris, Ambroise
Francken a rompu avec les traditions de son maître Frans Floris : il abandonna sa gamme triste et grise
pour les tons plus brillants que Martin de Vos avait mis à la mode et qui étaient d'ailleurs dans le génie
instinctif de l'école d'Anvers. Même au point de vue du dessin, Ambroise Francken n'est pas sans quelque
affinité avec ce dernier peintre. Martin de Vos l'avait précédé de quatorze ans dans la vie et dans l'art et il
exerça toujours sur lui un certain prestige, qui se combinait dans son esprit avec le charme adouci de la
manière d'Otto Vénius, et avec les souvenirs puisés au grand atelier de Fontainebleau. Ces influences
harmonieusementcompliquées se lisent nettement dans les deux volets de l'église Saint-Jacqueset plus encore
dans le Martyre de saint Crépin et de saint Crépinien.
«Cette composition, dit Descamps dans son Voyage pittoresque, est pleine de feu et de génie, mais froide
de couleur et trop égale d'effet. »La remarque n'est pas sans fondement. Ambroise Francken choisit un sujet
dramatique et même assez étrange. Pendant que les bourreaux écorchent les deux martyrs, des poinçons
et des alènes, réunis dans une corbeille pleine d'outils de cordonnier, s'animent miraculeusement et
s'élancent contre les persécuteurs épouvantés. Appelé à raconter cette bizarre légende, Ambroise Francken
se montre singulièrement attentif à l'expression de la douleur et de la colère ; il cherche sincèrementà faire
parler les physionomies de ses personnages, et telle est cependant la froideur de son pinceau, que, là où il
aurait tant de raison d'être terrible, il est tout simplement ennuyeux.
Il y a pourtant dans ce tableau, dont la monotonie a pour cause première l'absence d'ombres vigoureuses,
quelques détails naïfs qui témoignent d'un certain zèle dans l'étude de la nature. Ambroise Francken a
reproduit avec un soin extrême les plus humbles objets qu'il avait à représenter, ne semble-t-il pas qu'il y
ait toujours dans un peintre flamand un réaliste plus ou moins avoué? Ce culte du détail intime est souvent
visible dans le tableau de Jésus chez Marthe et Marie, dont Gérard de Jose nous a conservé la gravure.
Les personnages évangéliques qui occupent le premier plan sont dessinés à l'italienne dans un sentiment
vaguement idéalisé; mais on aperçoit au fond un intérieur de cuisine qui évidemment a été étudié « sur le
vif » et qui est d'une familiarité charmante. On y reconnaît la table de ménage, le foyer hospitalier et les
mille engins chers aux héros de Rabelais. Chose singulière! même en plein seizième siècle, et lorsque la
mode italienne les avait envahis, les Flamands ont toujours compris la poésie de la cuisine.
Fidèle interprète de l'esprit de son temps, Ambroise Francken le Vieux eut pour l'allégorie un goût qui
fut toujours très-vif, mais qui ne fut pas toujours heureux. Il a composé, comme Otto Vénius, des séries de
sujets symboliques et moraux. La plus importante est celle qui, gravée en 1579, oppose dans huit planches
la lutte ou du moins le contraste des Vertus et des Vices. Ces planches, illustrées de légendes en allemand,
en flamand et en français, ont moins le cachet d'une œuvre d'art véritable que celui d'une production
de l'imagerie populaire. Un vague italianisme s'y mêle à une saveur barbare. Ambroise Francken et son
interprète ont fait, dans ce travail, une trop large part à la laideur.
Ambroise voulut aussi lutter avec les fabulistes : rajeunissant le vieux conte auquel Poggio a donné sa
première forme et dont notre La Fontaine devait s'inspirer plus tard, il a redit dans une suite de six dessins,
faiblement gravés par Charles de Mallery, l'histoire du meunier et de son fils, qui, soit qu'ils montent sur
leur âne ou marchent à côté de lui, ne parviennent pas à complaire à tous les passants. On
ne saurait Pli
effet contenter tout le monde, et Francken n'a pas été plus heureux
que ses héros, car si nous avions à
juger son œuvre, nous aurions le droit de dire qu'il était difficile de conter plus lourdement
une charmante
histoire. A notre sens donc, la meilleure allégorie qui nous reste d'Ambroise Francken le Vieux est la grande.
planche qui a été gravée en 1578 et qui représente Y Homme soutenu par la Grâce et éclairé
par la Vérité.
La composition et les types sont étudiés sur le mode italien, et les deux figures de femmes qui relèvent
le personnage principal et le soutiennent montrent des formes robustes et
non sans élégance. Ainsi, qu'on
l'étudié au Musée et dans les églises d'Anvers, ou dans les gravures qu'il inspirées, Ambroise Francken
a
est de beaucoup au-dessus de son frère François.
Le vieux peintre d Ilérenthals eut un troisième fils, nommé Jérôme. La date de
sa naissance n'étant pas
connue ou n'ayant été qu'arbitrairement indiquée, il nous est impossible de dire s'il était plus jeune que ses
deux frères ; nous serions cependant tenté de le croire d'après les circonstances de
sa vie. Après avoir
traversé, comme François et comme Ambroise, l'atelier de Frans Floris, il partit, dit-on,
pour l'Italie, et,
sous le règne de Henri III, il vint en France. Le roi, s'il en faut croire ce qu'on raconte, aurait été enchanté
de son mérite et l'aurait choisi pour son portraitiste ordinaire. L'inscription qui ligure
au bas du portrait
de Jérôme Francken peint par lui-même, et gravé par Jean Morin, lui donne
en effet le titre de « peintre du
roy. » — Nous devons déclarer toutefois que nous ne connaissons pas d'effigie de Henri III peinte par
l aitiste flamand. Un fait certain, c'est qu'il compta
au nombre de ses plus chaleureux protecteurs le
premier président du Parlement, Christophe de Thou. Jérôme Francken peignit
pour lui en 1585 le tableau
qui décorait, avant la Révolution, l'autel de l'église des Cordeliers et qui représentait Y Adoration des
Bergers. Germain Brice, qui cite ce tableau dans sa Description de Paris, ajoute
que Christophe de Thou y
était représenté avec toute sa famille. Cette œuvre est malheureusement perdue, et toutes les recherches
que nous avons faites pour en retrouver la trace sont demeurées inutiles. Mais Mariette a vu bien des fois
l Adoration des Bergers, et il
en a dit un mot intéressant. « A en juger par le tableau qui est à Paris,
Jérôme Francken semble avoir voulu imiter la manière de dessiner et de composer de Frans Floris, qui, toute
sauvage qu'elle étoit, étoit alors en estime auprès de bien des gens. »
D'après le rédacteur du catalogue du Louvre, qui ne cite pas son autorité, Jérôme Francken était de retour
t't Anvers en 1590. Il
y resta cinq ans. Revenu à Paris, vers 1595, il y travailla jusqu'à la fin de sa vie.
Nous n'hésitons pas à reconnaître le nom de notre peintre dans le nom, évidemment défiguré, d'un certain
Jérôme Francau, qui, en 1602, « reçut cent vingt écus pour avoir exécuté
un tableau représentant le prévôt
des marchands et les échevins, ainsi que les autres officiers municipaux en charge à cette époque \ Ce
»
tableau était placé à l'hôtel de ville, et il a disparu, sans qu'il soit possible d'en retrouver la trace.
Jérôme Francken habitait encore le faubourg Saint-Germain en 1604; cette date et
ce détail nous sont
fournis parBaldinucci, qui les emprunte à Van Mander2; à partir de cette époque,
nous le perdons de vue;
on assure qu'il mourut fort âgé, vers 1620.
Il ne reste qu'un petit nombre de peintures de Jérôme Francken. Nous ne
pouvons guère citer que
l' Abdication de Charles-Quint, au Musée d'Amsterdam; mais nous croyons qu'on pourrait lui attribuer le
tableau du Musée de Lille qui retrace un autre épisode dela vie du même empereur. Ce qu'il serait curieux de
retrouver, et peut-être y parviendrons-nousun jour, ce serait un des portraits assez nombreux qu'il dû
a
peindre, soit lorsqu'il était attaché à la maison de Henri III, soit lorsqu'il revint à Paris
sous Henri IV. Qui
sait si, parmi les peintures de ce genre qu'on attribue à François Porbus, il n'en est
pas quelques-unes
qu'on devrait rendre à Jérôme Francken3?
Tels furent, tels du moins paraissent avoir été ces trois frères Francken, dont l'histoire est aujourd'hui
ANVERS (MUSÉE).
— La Multiplication des pains, tableau AMSTERDAM.
— Abdication de Charles-Quint. L'empereur.
exécuté en 1598, pour l'autel des Boulangers, à la cathé- est assis sur son trône ; d'un côté, l'on voit son frère Ferdi-
drale. nand Ier, de l'autre, Philippe Il. Une foule de courtisans et
La Cène, avec deux volets peints des tleux côtés, prove- de seigneurs les entoure. Au premier plan, les figures allé-
nant de l'ancienne église de Saint-Georges. goriques des quatre parties du monde.
Martyre de saint Crépin et de saint Crépinien. Ce tableau DRESDE. — La Décollation de saint Jean-Baptiste.
décorait autrefois la chapelle des Cordonniers, à la cathé- LILLE. — Charles-Quint prenant l'habit religieux. Le
drale. On en trouvera la gravure à la page 5 de cette bio- cataloguedu musée attribue ce tableau à François Francken
graphie. le Vieux. Sans vouloir rien affirmer de trop précis à cet
Martyre de saint Georges, Décollation de saint Georges. égard, nous serions tenté d'y voir une production de Jé-
Ces deux volets sont peints de chaque côté. La gravure du rôme, qui aurait, dans ce cas, fait une série de peintures
dernier de ces volets accompagne la présente notice (page 3). relatives à Charles-Quint.
Charité de saint Côme et de saint Damien, Martyre des Rappelons ici que Jérôme Francken avait peint, pour le
mêmes saints. Volets d'un tableau dont la trace est perdue. couvent des Cordeliers de Paris, une Adoration des Bergers,
Martyre de sainte Catherine d'Alexandrie. Provenant de dont il ne nous a pas été possible de retrouver la trace.
l'abbaye de Tongerloo. Son portrait, peint par lui-même, existait encore au temps
Deux épisodes de la vie de saint Sébastien. Volets peints de Jean Morin,qui en a fait une excellente gravure. On ignore
des deux côtés. Ces tableaux faisaient partie d'un grand ce qu'il est devenu. Il est reproduit en tête de cette biographie.
Sco/e 1-1 %tdlæj,t', ~le -e
OTHO VENIUS
NE EN 1556. EN 1629.
— MORT
1Malgré les recherches des auteurs qui nous ont précédé dans
cette étude, l'orthographe véritable du prénom du maître de
Rubens ne nous paraît pas encore définitivement fixée. Les Italiens,
et Baldinucci à leur tête, l'appellent d'ordinaire Ottavio
et par contraction Otto, et en Flandre même, ce nom lui est également attribué dans des pièces
contemporaines. Les registres
de la Confrérie de Saint-Luc à Anvers l'appellent indifféremment Octave
ou Otto et un compte des finances pour l'année 1615 le
nomme Octavio Veen. Si nous avons adopté l'autre forme, c'est par ce
que Van Veen a signé Otho Voenius ou Venius, non
seulement plusieurs de ses tableaux, mais aussi les recueils de
gravures qu'il a publiés : un érudit qui savait tant de choses,
devait au moins savoir son nom.
' A. Michiels. Histoire de la Peinture flamande et hollandaise, IV. 152.
3 Mémoires et lettres de Marguerite
de Valois (1812), p. 108.
dont le modelé attendri et la délicate morbidesse exercèrent sur lui une séduction éternelle. Ainsi, grandi
et fortifié par l'étude assidue des maîtres ultramontains, appauvri en revanche du côté de la naïveté et de
la candeur flamande, il quitta enfin la terre enchantée qu'il devait plus tard faire aimer à son glorieux
élève et à laquelle son talent resta toujours fidèle.
Otlio Venius prit pour revenir chez lui le chemin des écoliers. Il voyagea d'abord en Allemagne, et
l'empereur le retint quelque temps il Vienne. Il travailla ensuite pour les électeurs de Bavière et de Cologne.
En se rapprochant de sa patrie, il eut l'invincible désir d'y rentrer, et il céda d'autant mieux à son pieux
caprice, qu'il était rappelé en Flandre par Alexandre Farnèse, gouverneur des Pays-Bas. Ce prince le fit
venir a Bruxelles, le nomma peintre de la cour d'Espagne à la place de Jost Van Whingen, qui partait pour
Francfort (1584), et enfin ingénieur des armées royales; car Otho Venius avait étudié les sciencesexactes, et
un faiseur d'épitaphes a pu dire de lui qu'il connaissait l'art des fortifications et des siéges, castrensium *
(,(I liens
mnthernatUln.
L'une des premières œuvres qui attirèrent l'attention publique sur Otho Venius, ce fut le grand portrait
d Alexandre Farnèse qu'il représenta, vêtu de son armure, mais affublé d'une manière par trop allégorique,
des attributs d'Hercule. Dans cette effigie solennelle et pleine de flatterie, le prince de Parme tient la
massue du demi-dieu et l'invincible égide où grimace le masque de Méduse. Au fond, sur une colline
d'un abord facile, s'entr'ouvre le temple de la gloire, prêt à recevoir le victorieux qui
a terrassé la
rebellion et son hydre aux têtes renaissantes. Ce portrait dut accroître de beaucoup l'estime qu'Otho
Venius commençait à inspirer à Alexandre Farnèse. Déguiser le prince en Alcide, n'était-ce
pas l'élever
au-dessus du commun des hommes, et se placer soi-même au-dessus de tous les peintres?
Le musée du Louvre a recueilli dans ses galeries une intéressante peinture qui date à
peu près de cette
époque (1584) et qui peut donner une idée du genre de talent que possédait alors Otlio Venius. Je
veux
parler de ce tableau, doublement curieux sous le rapport de l'art et de l'histoire, où l'artiste, âgé de
vingt-huit ans, s'est représenté assis à son chevalet et travaillant en compagnie de tous les membres de
sa
famille. Cette peinture n'emprunte rien aux combinaisons artificielles de l'imagination et de la science;
mais il y a, dans cette réunion toute naïve de visages honnêtes, un accent sincère d'intimité,
une simplicité
d'âme qui inspire le respect. Ce n'est pas un tableau dans le sens ordinaire du mot; c'est la représentation
candide et loyale d'une scène de famille, où toutes les figures s'éclairent d'un
rayon pareil, où toutes
les effigies sont peintes avec une tendresse égale, un soin pieux qui semble venir du
cœur. De tous les
ouvrages d'Otho Venius que nous ayons été appelé à examiner, c'est le seul où, fidèle au tempérament de
son pays, l'artiste ait oublié Rome et Florence : devant la nature il s'est retrouvé Flamand.
,
Aussi ignore-t-on complètement le maître, lorsqu'on n'a vu que
son tableau du Louvre : pour bien
connaître Otho Venius, pour savoir quelle est son importance dans l'histoire de l'école de Flandre, il faut
l'étudier à Bruxelles, à Anvers, à Gand. Là du moins on reconnaît le pseudo-italien de la Renaissance,
l'élève de Zucchero et l'admirateur du Corrège. En 1589, Otho peignit pour le couvent des capucins de
Bruxelles le Mariage mystique de sainte Catherine, composition conservée aujourd'hui
au musée de
la ville, où elle est connue sous le titre du Capucin d'Aremberg, parce qu'un religieux de cette famille s'y
trouve assure-t-on, représenté. «C'est, dit un critique du siècle dernier, un rare morceau dont tous les
,
connoisseurs font beaucoup de cas 1 ; » et en effet Otho Vemus n'a jamais été plus fidèle
au charme de
ses réminiscences italiennes, jamais il n'a étudié avec plus de soin le galbe correct de ses figures. Son
pinceau, qui incline quelquefois vers la sécheresse, et qui, trop épris de la forme précise, cerne volontiers
ses personnages d'un contour durement découpé, s'est amolli dans le Mariage de sainte Catherine, et,
chargé de couleurs plus fluides et plus grasses, a caressé le panneau avec une délicatesse qui
se souvient
du Corrège. Le musée de Bruxelles conserve aussi d'autres tableaux d'Otho Venius; mais le plus
remarquable, au point de vue de l'expression et du style, est sans doute le Christ descendu de la croix
où l'on admire, empressé auprès du sanglant cadavre, un groupe de femmes éplorées; car -et c'est ici
.
son grand honneur — Otho Venius n'est pas un imitateur vulgaire des maitres qu'il a étudié : c'est iiii
maître lui-même, un cceur ému qui jette dans son oeuvre un sentiment sincère; sous ce rapport, la
Résurrection de Lazare, qu'on voit à Gand dans l'église de Saint-Bavon, est une composition douloureuse
qui mérite les plus vifs éloges.
Après la mort du prince de Parme (1592), Otho Venius quitta Bruxelles et vint se fixer à Anvers. Il
ne
tarda pas à y épouser une jeune fille d'une noble maison, Marie Loots, qui lui donna sept enfants."Sa vie,
déjà sérieuse, n'eut désormais pas d'autre délassement que le travail, et les églises et les couvents d'Anvers
gardent encore la trace de son activité : les peintres de la ville l'acceptèrent parmi eux et lui firent fête
:
en 1594, Otho Venius fut reçu franc-maître de la confrérie de Saint-Luc, et ses collègues lui accordèrent
une telle estime que, dix ans après (1603-1604), la gilde le reconnaissait comme doyen.
Grâce à son talent, grâce à sa bonne renommée, Otho Venius jouissait à Anvers d'une situation
excellente. Son atelier, devenu fameux dans tout le pays, s'ouvrit bientôt aux études des jeunes artistes qui
venaient y puiser, avec le respect de leur noble métier, les conseils d'une longue expérience. En 1596.
croyait le plus capable de mener à bien une éducation d'artiste. Les magistrats le tenaient en grande
estime. Aussi, lorsque l'archiduc Albert fit son entrée solennelle à Anvers, ce fut Otho Venius qui fut chargé
de la décoration des arcs de triomphe que la ville éleva sur le passage du gouverneur des Pays-Bas.
L'archiduc fut, assure-t-on, si satisfait des belles inventions d'Otho Venius, il fut tellement séduit par le
caractère de l'homme, qu'il l'appela auprès de lui à Bruxelles et le nomma surintendant des monnaies1
Ainsi aucun titre, aucun emploi, ne devait manquer à cet esprit ingénieux qui, par l'universalitéde ses études,
était à la hauteur de toutes les fonctions.
Rappelons-le d'ailleurs : lorsque Otho Venius improvisait à Anvers ces fastueuses décorations
dans le goût mythologique il obéissait sans travail et sans peine à l'éducation qu'il s'était faite, il
,
sacrifiait à cet amour pour l'allégorie qui était devenu la moitié de son talent. Il était passé maître en ce
genre de jeux d'esprit, et il le fit bien voir par la publication de divers recueils, qui ont été la joie de
son temps, et qui, nous le déclarons avec franchise, ont aujourd'hui perdu beaucoup de leur intérêt.
Sans examiner en détail les livres qu'il a produits dans ce genre, nous ne pouvons omettre ses
Amorum emblemata, publiés en 1608. Ce recueil fut présenté par l'auteur à l'archiduchesse Isabelle,
qui loua fort le peintre, mais qui, d'après une tradition dont tous les historiens se sont faits l'écho,
engagea Otho Venius à appliquer son crayon à de plus pieux délassements. Ce fut pour complaire au
désir de la chaste archiduchesse que, quelques années après, il donna au public son autre recueil,
Amoris divini emblemata (Anvers, in - 40 1615). Ces planches révèlent une imagination facile, un
esprit ingénieux, mais ce sont des allégories et ce mot dit tout. Cette phase du talent d'Otlio Venius
est d'ailleurs curieuse à étudier, car elle nous apprend chez qui Rubens a puisé son goût pour les
symboles de la mythologie.
Une fois lancé dans cette voie, Otho Venius ne s'arrêta plus. Toutefois, il s'attacha à des sujets d'un autre
ordre et composa plusieurs séries de dessins sur des légendes religieuses ou des traits de l'histoire nationale :
2
Nul n'ignore ses illustrations pour la vie de Saint-Thomas-d'Aquin et le recueil qu'il publia en 1612
sous le titre de Batavorum cum Romanis hélium. C'est là de l'imagerie sérieuse, très-italienne dans ses
préoccupationset dans son style, car presqu'à chaque scène, l'œil s'étonne de rencontrer des attitudes, des
gestes, des draperies qu'il n'est pas accoutumé de trouver d'ordinaire chez les artistes de Flandre.
Malgré son culte pour l'allégorie, malgré son goût pour les légendes historiques, Otho Venius ne fut
jamais complètement distrait de la contemplation de la nature. Il y revint par le portrait : ceux qui
restent de sa main donnent une idée avantageuse de ce que son talent aurait pu faire dans ce genre
difficile, s'il s'y était appliqué avec une attention plus spéciale et mieux soutenue. Dès 1602, il a peint
Louis Dorléans, le fougueux ligueur qui protesta si longtemps contre le succès de Henri IV. Le musée de
Versailles conserve aussi de lui une effigie qui passe pour être celle de Guillaume Barneveldt (1603).
Enfin, tous ceux qui ont visité l'hôtel de ville d'Anvers se sont arrêtés devant son portrait en pied du jeune
prince Philippe d'Espagne (1610). Cet ouvrage, excellent par sa simplicité et sa franchise, a un vif accent
de nature. Du reste, tous les portraits d'Otlio Venius se rattachent plus ou moins au principe qui a
présidé à l'exécution de son tableau du Louvre, je veux dire qu'ils sont sobres, lumineux et graves, et
que, dans leur ressemblance intime, on sent l'effort loyal d'un contemporain de Fourbus.
Cependant Otho Venius vieillissait. L'un des derniers tableaux qu'on lui vit peindre avec succès, c'est celui
que l'archiduchesse Isabelle lui fit faire en 1615 pour le donner à la confrérie des arquebusiersde Bruxelles.
Dans sa partie centrale,ce triptyque représentait la figure de saint Georges,et, sur les panneaux, les portraits
de la princesse et de son mari. Les historiens nous apprennent aussi que les gouverneurs des Pays-Bas,
par une fantaisie qui n'a pas été expliquée , se firent peindre sous le costume de deux ermites et nous
savons qu'à cette époque le vieil artiste était encore dans les bonnes grâces de ses maîtres, puisqu'un
document de 1619 nous le montre recevant une indemnité de 150 livres « en considération de ses petits
gages et du travail extraordinaire que lui a imposé son titre de garde des monnaies. » L'archiduc aimait son
1 Dans un compte de dépenses de l'exercice 1615, « Ottavio Veen » est désigne comme garde et wardain des monnaies de
leurs altesses à Bruxelles. (Gachard, Particularités inédites sur Rubens, et A. Michiels. Rubens et l'École d'Anvers, p. 53.)
2 Vita D. Thomœ Aquinatis, Othonis Vœni ingenio et manu dehneata Anvers. 1610 Ce recueil se compose de
.
:H planches et d'un frontispice exécutés par divèrs graveurs.
ancien sérviteur et surtout il lui tenait compte d'avoir refusé, pour, rester à Bruxelles auprès de lui, les
propositions de Louis XIII qui, voulant l'attirer à Paris pour faire des modèles de tapisseries, lui avait fait
offrir « une pension de quatre cents escus par an
» \
t Florent Lecomté. Cabinet des Singularités. II. 239.
Otho Venius atteignit ainsi l'heure pénible où la main de l'artiste fatigué n'a plus d'autre ambition que
le repos. La joie de son cœur, ce fut de voir grandir sous ses yeux sa fille Gertrude, dont il avait fait
son élève, et qui, d'un pinceau pieux et déjà savant, reproduisit les traits de son père dans un portrait
que conserve aujourd'hui le musée de Bruxellesl. Mais bien des regrets attristèrent la vieillesse d'Otho Venins:
ilassista sans amertume au triomphe de Rubens, et cependant le succès de la nouvelle école d'Anvers,
citait l'évanouissement du beau rêve qu'il avait fait avec ses amis, et l'oubli de ce grand style italien de la
Renaissance que, comme Franz Floris et Martin de Vos, il avait voulu inoculer à l'art flamand. Enfin Otho
Venius vit mourir son protecteur l'archiduc Albert, et il finit par s'éteindre lui-même, à Bruxelles, non pas
en 1634, comme on le lit partout, mais le 6 mai 1629, ainsi qu'il résulte de la date authentique consignée
sur le registre de la confrérie des Romanistes d'Anvers, dont Venius était membre, et de l'inscription
apposée, probablement par les soins de Gertrude, au bas de la gravure du portrait de son père'.
L'auteur des Emblèmesd'Amour mourut à propos. Depuis vingt ans déjà, c'est-à-dire depuis que Rubens
était revenu d'Italie l'art avait subi en Flandre une révolution profonde. Sans doute les artistes de l'école
,
nouvelle conservaient encore une sorte de respect stérile pour la tentative de leur devancier, mais le
principe de l'imitation florentine ou romaine n'avait plus un seul adhérent. Dernier représentant d'un
culte abrogé, le vieil Otho Venius survivait à son siècle, et bien qu'entouré de toutes les vénérations, il
n'était plus écouté de personne. L'étoile de l'art italien pâlissait, et, grâce au réveil de l'ardente école qui
fut toujours amoureuse de la lumière et de la vie, le génie flamand était rendu à lui-même.
PAUL MANTZ.
Gertrude Van Veen, quatrième enfant d'O. Venius, a été baptisée à Anvers le 4 juin 1602. Elle mourut en 1643.
1
MMMMM JÆ
TI' lïïlMM'lKDlS.
Ainsi que nous l'avons indiqué, l'œuvre d'Otho Venius n'a MUNICH. Le Triomphe de l'Eglise; six tableaux.
guère quitté les Pays-Bas : aussi ne peut-on l'étudier avec VIENNE. Les portraits des archiducs Ernest et Albert.
profit que dans les musées ou les églises de Belgique. Le AMsTEIlDAM. Douze petits tableaux relatifs à l'histoire des
Louvre ne possède de la main du maître de Rubens que le Bataves.
Portrait de famille dont nous avons parlé, et nous ne pouvons Indépendamment des recueils dont nous avons parlé, Otho
signaler que le portrait de Barneveldt à Versailles, et à Valen- Venius a publié les ouvrages suivants :
ciennes, une peinture de dimensions et d'importance mé- Q. Horatii Flacci emblemata cum notis latinè, italicè,
diocres, le Jugement de Paris. gallicè et fiandricè (Anvers. in-4u). 103 planches gravées par
La Belgique est, au contraire, fort riche en tableaux d'Otho C. Boel et par Gisbert Van Veen.
Venius ; nous nous bornerons à citer : Conclusionesphijsicœettheologicoe, notis et {igurisdispositœ.
BRUXELLES (Musée royal), le Portement de la Croix, le Historia septem Infantium de Lara (Anvers. 1612). 40 plan-
Christ au Calvaire, le Mariage de Sainte Catherine et le ches dont la gravure est attribuée à Ant. Tempesta, et dont
Christ descendu de la Croix. Félibien a donné un long commentaire (Entretiens sur la vie
GAND (Église Saint-Bavon), la Résurrection de Lazare, com- des Peintres. 1725. III. p. 332).
position superbe qui a fait partie du musée impérial du Louvre L'œuvre d'Otho Venius a été gravé par son frère Gisbert
en 1810. On voit aussi, dans la salle du Chapitre, un Ecce Van Veen et par Jérôme Wieryx, Pierre de Jode, G. Swanen-
homo, demi-figure de grandeur naturelle. burg, A. Tempesta, etc. Ses tableaux, immobilisés, pour
ANVERS (Musée Zachéc sur le figuier, Vocation de ainsi dire, dans les monuments qu'ils décoraient autrefois, se
,
Saint Mathieu, Miracle de Saint Nicolas, Charité de Saint rencontrent très-rarement dans les ventes publiques, Nous
.Vicolas, Saint Luc devant le Proconsul, et le portrait nous bornerons à citer :
—
assez faible — de l'Évêque Mirœus ; VENTE ni; PRINCE DE COl'iTI. 1777. Une femme sous III
Église Notre-Dame, Jésus-Christ guérissant les malades, figure de Venus qui fait jaillir dit lait de ses mamelles dans
la Cèiîe, Sainte Famille; le bec de deux pigeons. 1,999 liv. 19 s.
Église Saint-André, le Martyre de Saint André. VENTE ***. 1835. Le Portrait de la famille d'Otho !'<-N!'m.
Hôtel de Ville, le portrait du prince Philippe d'Espagne. aujourd'hui au Louvre. 240 fr.
fêco/è 3%amanc/c. Jëayéaaeé.
PAUL BRIL
NÉ EN 15 5 6. — MORT EN 1626.
On voit encore à Rome la grande composition qu'il peignit en 1602, dans la belle salle à manger construite
par Clément VIII, où l'on voyait saint Clément, patron de ce pape, lié à une ancre et précipité dans la mer
Cette peinture n'a pas moins de soixante-huit palmes romains (cinquante-neufpieds environ). Les voûtes des
deux escaliers à côté de la Scala Santa, près Saint-Jean de Latran, furent également ornées
par son pinceau
de deux grandes fresques. Dans l'une il a représenté le prophète Jonas englouti par la
baleine; dans l'autre
le même Jonas sorti de la baleine et jeté sur le rivage. L'énumération des qu'il alors, soit
paysages composa
pour le palais des papes, soit pour les diverses maisons religieuses de Rome, formerait un catalogue
considérable. Baldinucci nous apprend qu'immédiatement après la mort de Mathieu, Paul Bril fut employé
par
les plus grands peintres du temps, pour orner leurs tableaux de fonds de nul
paysage, parce que ne savait
mieux que lui assortir à un fait d'histoire les agréments d'une belle
campagne.
Paul Bril surpassa de beaucoup son frère Mathieu. Celui-ci avait toujours conservé manière flamande du
sa
xvi- siècle, un peu sèche et raide; Paul au contraire se distingue par un coloris harmonieux,
une touche
légère, beaucoup de simplicité et de grandeur dans
ses compositions. Ces qualités toutefois ne se montrèrent
en lui que dans la seconde période de sa vie d'artiste. On trouve, en effet, entre les premières œuvres de
Paul Bril et celles qu'il produisit dans son âge mûr et
sa vieillesse, une telle différence, que l'on est
généralement convenu de dire qu'il changea sa manière après avoir
vu les tableaux de Titien et d'Annibal
Carrache. Il est possible que Paul Bril se soit perfectionné
par l'étude de ces grands maîtres; mais si le
sentiment profond de la réalité et le génie dont le ciel l'avait doué,
ne lui eussent enseigné l'art de rendre la
nature, ce n'est pas l'exemple des autres peintres qui eût jamais fait de lui
un artiste original. Avant de
voir le Titien et les Carraches, il avait vu la
campagne ; il avait vu les Alpes : ce furent ses maîtres : « Les
«Alpes instruisirent Paul Bril avec Mathieu son frère aîné, dit Hagedorn, dans la manière de traiter le
« paysage. Ils firent naître dans l'esprit des artistes ultramontains le goût de choisir de belles contrées,
« d envisager les riches points de vue comme des objets particuliers de la peinture. Dans la suite de soixante
»
gravures que Niewlant nous a laissées d après son maître Paul Bril, il est aisé de vérifier la justesse de cette
observation. La grandeur des lignes, la profondeur des horizons, la présence de
l'air, la vigueur de la
végétation, la variété des accidents de terrains, tout rappelle les
pays de montagne. Il n'est pas jusqu'à ce
coloris d 'un vert trop cru, si souvent reproché
aux paysages de Paul Bril, qui ne soit un souvenir de la
nature alpestre.
Il n est guère de sujets de paysage qui n'ait été traité
par Paul Bril. Dans son œuvre, on trouve tantôt des
scènes rustiques, de fraîches rivières dont l'eau met
en mouvement les roues d'un moulin ombragé de
grands arbres, des bergers ramenant leurs troupeaux dans des chemins
creux inclinés et pittoresques, tantôt
des cascades et des torrents coulant entre de hautes montagnes
couvertes de sapins et emportant dans leur
course bruyante les débris d'arbres et de rochers (dans ce genre, il fraye la route à Everdingen à
tantôt des plages de sable où la mer brise
et Ruisdael)
ses flots tranquilles comme dans un tableau de Van de Velde;
,
quelquefois même des coups de soleil glissant à travers les
nuages, effet de la nature que le grand Ruisdael
sut rendre si pathétique dans ses compositions. En général les animaux
sont peu travaillés et rendus assez
grossièrement; on voit que Paul Bril n'avait nullement étudié leur anatomie, l'art de rendre la laine
ou le
poil qui les couvre, la grâce ou la naïveté de leurs attitudes.
Mais les êtres vivants de son paysage, ses vrais
habitants, ce sont les grands arbres, dont il sait si bien contraster
les profils, arrondir les têtes touffues,
varier les formes, les masses et les contours, indiquant par cette variété même la diversité des espèces. Le
chêne au tronc noueux, à la feuille fortement accentuée,
au vert sombre, est son arbre de prédilection : il ne
manque jamais de l'entourer de lierre; la plante parasite grimpe depuis la base qu'elle
enlace de verdure, se
mêle aux branches les plus hautes et retombe parmi les feuilles
en lianes flexibles et déliées. A ce signe seul
on pourrait reconnaître un tableau de Paul Bril. Chez lui point de chêne qui
ne porte dans ses bras noueux
le gui sacré. Ses eaux sont belles et transparentes,
ses rochers fermes, bien cassés, sauvages, abruptes.
Ce peintre, qui eut à créer
en grande partie l'art du paysage, qui s'avisa le premier, au témoignage
d'Hagedorn, d'abaisser l'horizon que
ses devanciers affectaient de placer fort haut, et qui par là rendit au
paysage sa vérité en offrant le spectacle de la nature tel qu'il
nous apparaît de la terre où nous sommes,
et non tel que nous le verrions du sommet d'une haute
montagne ou de la nacelle d'un aérostat, ce peintre
de génie parvint, lorsqu'il fut dans toute la force de son talent, à créer des œuvres qui soutiennent la
comparaison avec les plus grands paysagistes du xvne siècle. Pan et Syrinx, la Chasse aux Canards, Diane
suivie de ses Nymphes, Piane découvrant la faiblesse de Calisto sont autant de chefs-d'œuvre. Si vous
voulez avoir l'idée d'une retraite profonde, d'une nature vierge où la végétation abonde comme dans les
forêts de l'Amérique, où la senteur pénétrante de la verdure vous enivre, arrêtez-vous devant cette peinture
qui représente la Chasse aux Canards. Personne n'a mieux fait comprendre, n'a mieux traduit la force et la
beauté de ce mot latin : frondosus. A droite, deux énormes chênes, couverts de lierre, comme les aime Paul
Bril, servent de repoussoir à tout le fond du tableau, où l'on aperçoit une rivière ombragée d'arbres caressés
par la lumière : les lointains sont mis à leur place par l'interposition d'une légère vapeur. Que ces arbres
sont spirituellement groupés! leur position accuse tous les mouvements du terrain qui les nourrit. Leur
front se mire dans l'eau. Herbes, roseaux, arbrisseaux, plantes de toutes sortes croissent sur ces bords
enchantés : les vaches paresseuses s'y plongent jusqu'au poitrail et y demeurent immobiles. Sous cette voûte
formée à droite par de jeunes arbres, l'un vers l'autre inclinés, quelle fraicheur, quel air pur, quel silence !
Et pourtant, deux chasseurs ont pénétré dans cette retraite; déjà l'un d'eux, armé d'un fusil, s'agenouille et
couche en joue les canards qui jouent au bord de la rivière. Une détonation inattendue va réveiller les échos
endormis, la destruction va signaler la présence de l'homme. Ces figures passent pour être d'Annibal Carrache.
Ce qui est surtout admirable dans ce tableau, comme dans la plupart des paysages de Paul Bril,
ce
sont les lointains. La légèreté de sa touche dans les seconds plans est merveilleuse : cette gaze transparente
et bleuâtre que l'air semble étendre sur les objets éloignés, surtout dans les pays de montagnes, on la
retrouve dans tous ses tableaux : elle flotte sur la cime des arbres, sur le sommet des collines, sur l'azur du
ciel, à l'horizon, et pare tous les objets d'une indécision poétique et toutefois les objets du premier
; plan
sont accusés rudement, vivement, avec une franchise qui va jusqu'à la crudité. C'est à rendre cet effet
merveilleux de la nature que Paul Bril semblait employer tout son génie. Sur le devant de
ses compositions
il place d'ordinaire, à droite ou à gauche, de grands arbres plongés dans l'ombre, et qui font reculer
à perte
de vue ses horizons baignés d'une lumière vaporeuse. Ainsi ces admirables perspectives inondées d'or
et de
soleil, de Claude Lorrain, Paul Bril les avait entrevues : il y a moins de clarté, moins de vie chez Paul
Bril ; c'est la nature des Alpes, c'est le paysage vu entre de hautes montagnes dont les ombres entretiennent
une éternelle fraîcheur. Au contraire, c'est sous le ciel brûlant de Naples que Claude reçoit la splendide
révélation de son génie. D'ailleurs je suis loin de dire que Paul Bril soit l'égal du Lorrain et
; pourtant le
vieux maître est arrivé quelquefois à une telle perfection qu'on a
pu se tromper et attribuer à l'illustre
Français les toiles du Flamand. Ainsi M. Waagen a trouvé au château de Blenheim,
en Angleterre, un petit
paysage attribué à Claude qu'il a reconnu pour être un Paul Bril. Mais quoi! la filiation n'est-elle pas
directe, et si la comparaison de leurs œuvres nous manquait, l'histoire ne nous apprendrait-elle
pas
que Claude fut élève d'Augustin Tassi, disciple lui-même de Paul Bril?
Dans les œuvres où Paul Bril s est élevé à toute la hauteur de son talent,
on remarque un charmant
mélange de style italien et de naïveté flamande. Diane et Calisto, Pan et Syrinx présentent déjà la noble
ordonnance, les lignes larges et harmonieuses, le choix d'arbres et de sites du paysage historique. Dans
d'autres compositions, Paul Bril s'est plu à représenter des arcs de triomphe, des temples, des édifices inspirés
par le souvenir de l architecture de Rome et d Athenes. L idéal de la beauté que les temps antiques avaient
transmis à l'Italie du xve et du xvi* siècle, et qui avait inspiré la peinture et la sculpture de
ce temps,
commence alors d'influer aussi sur le paysage. Dès que le temple grec ou l'aqueduc romain apparaissent
dans une campagne, il semble que la nature doive s assortir aussitôt à la régularité calme de
ces rangées
de colonnes élégantes, à la sevère hardiesse de ces arcs démesurés. Le premier, Paul Bril chercha l'idéal
antique dans la nature, et il indiqua du doigt pour ainsi dire la route de l'immortalité grand Poussin.
au
Mais si Paul Bril pressentit le paysage héroïque, il ne perdit jamais complétement
ce sentiment naïf et
vrai dela nature qui appartient aux peintres de race flamande, conception plus moderne de la réalité où
l'homme ne s'efforce plus d'arranger la nature au gré de sa pensée et de sa philosophie mais
,
se plaît
à la contempler avec amour, se livre à elle et lui demande en échange le secret de
sa mystérieuse poésie.
Quoique le souvenir de la terre natale s'efface à mesure que le séjour de Paul Bril
en Italie se prolonge,
à mesure qu'il avance en âge, il n'est pas pourtant une seule de ses compositions où
on ne le retrouve
à un degré quelconque. Il ménage toujours, dans ses œuvres les plus empreintes de style, quelque recoin,
quelque voûte de verdure, quelque source jaillissant de rochers brisés où la nature
se laisse voir dans
sa nudité chaste et belle. L'on peut affirmer que non-seulement Claude et Poussin descendent de Paul Bril,
mais encore que l 'école naturaliste des Pays-Pas doit reconnaître en lui, sinon un maître, du moins
un
précurseur.
Le crédit dont Paul Bril jouissait à Rome était tel, que les cardinaux et les nobles romains disputaient
aux papes le temps que cet artiste employait in œdibus vaticanis. Il serait impossible d'énumérer toutes les
peintures à fresque, toutes les peintures sur toile ou sur cuivre, qu'il répandit dans les diverses églises,
chapelles ou monuments de Rome, ou qu 'il vendit à des particuliers. Il ne fallait point
songer à mettre un
paysage de ce maître dans son palais ou dans sa galerie si l'on n'était résolu à dépenser plus de cent ducats.
Cent ducats, c'était le prix des moindres toiles de Paul Bril, et n'en avait pas qui voulait, même
en donnant
le double. Les contemporains faisaient avec raison le plus grand cas de ses paysages qui représentaientsouvent
des vues de la campagne de Rome où l exacte fidélité était rehaussée par la noblesse
que l'artiste savait
donner aux monuments, aux arbres, à la fuite des collines; on admirait surtout la vérité dans le détail, la
largeur dans la masse de ses feuillages. Dans cette partie, en effet, il s'éleva incomparablement au-dessus
de tous ses devanciers, et peut-être n'a-t-il pas été surpassé depuis. Ses
successeurs ont pu donner plus
de grâce et plus de naturel à leurs arbres, mais nul mieux que lui n'a
su accuser par le dessin des feuilles
et la touche des troncs la différence des espèces, nul n'a mieux indiqué par les ondulations des cimes, par
l'inclinaison des tiges, les mouvements du terrain caché par les forêts. Les bois, vus de haut, du sommet
d'une montagne qui les couronne, ressemblent à une mer de verdure que la brise effleure ou soulève comme
les flots de l'Océan; Paul Bril a vu et peint ce bel effet de la nature avec une habileté surprenante.
Il mourut à Rome, le 7 octobre 1626, âgé de soixante-douze ans, et fut enterré dans l'église de
l' Aîîi,nia. Vers la fin de sa vie, il paraît qu'il ne peignait plus que de très-petits paysages et presque toujours
sur cuivre. Ces dernières compositions sont d'un grand fini, et peut-être est-il permis de croire que l'exemple
d'Adam Elsheymer, qui devait se trouver à Rome vers cette époque, influa sur les dernières tentatives du
CHARLES BLANC.
Paul Bril a gravé d'une pointe facile, d'après ses dessins, un fort beau paysage de ce maitre à Castle Howard, chez le
plusieurs belles eaux-fortes : comte de Carlisle.
-
4 Un paysage, orné de ruines et de fabriques, dans A Rome, dans une des salles du palais des papes, on voit
lequel est représentée la parabole du bon Samaritain. un grand paysage à fresque de plus de vingt mètres de long,
2u L'Ange qui ordonne au jeuneTobie de retirer le poisson représentant saint Clément attaché à l'ancre et jeté dans la
de l'eau. mer; dans une autre, six paysages représentant les plus
3° Une marine, sur le devant de laquelle sont des pas- beaux couvents situés dans les États du pape. Paul Bril a
teurs; au milieu, la vue d'un bourg; plus loin, la mer peint aux voùtes des deux escaliers qui se trouvent à côté de
avec différents navires. la Scala santa, près de Saint-Jean-de-Latran,l'histoire de
4u Une autre marine au premier plan un grand vaisseau Jonas; à Monte Cavullo, le paysage où se trouve reproduite
,
à la rade, et sur le second un rocher surmonté d'une la création du monde; à Saint-Vital dix paysages, et, à
forteresse. Sainte-Cécile, le sujet qui se trouve à la voùte.
Ces quatre morceaux se trouvent dans la suite des pièces A Fontainebleau il y a plusieurs appartements qui sont
,
gravées de Guillaume Nieulant. décorés par des tableaux de Paul Bril.
5" et 6u Deux paysages marqués : PAULUS BRIL INV. ET Les artistes qui ont peint des figures dans les tableaux de
FEC. VICENZO CENOI FORMiS ROM.E. Paul Bril sont : A. Carrache, le Josepin, Rottenhamer, etc.
7u Vue des côtes de la Campanie avec des fabriques et des Ce maître a laissé des dessins parfaitement exécutés à la
rochers, P. BRIL FEC. 1590. plume, avec un lavis de bistre ou d'encre de la Chine sur
8° Autre vue de la même contrée ornée de la même lequel il passait des hachures en tout sens.
façon. Les tableaux de Paul Bril se produisent rarement dans les
Sandrart cite de lui une grande estampe composée de ventes publiques. Voici ce que les catalogues nous ont
ruines et de figures. fourni :
D'habiles artistes ont gravé d'après les compositions de Vente Lorangère, 1744 : un petit paysage sur cuivre,
Paul Bril, entre autres : les Sadeler, C. Galle, Hollar, vendu 200 livres 1 s.
D. Custos, A. J. Prenner, Vorstermann, Hondius, Madeleine Vente duc de Tallard, 1756 : un Paysage orné de
de Pass, Niewlant, qui en a gravé une suite de soixante, etc. chèvres, 171 livres.
Presque toutes les galeries publiques de l'Europe ont des Vente de Jullienne, 1767 : deux Paysages, fabriques,
tableaux de Paul Bril. chutes d'eau, figures, animaux, 1,374 livres.
LE LOUVRE en possède sept : une Chasse aux canards Vente Blondel de Gagny, 1776 : Latone et ses enfants,
avec figures, d'Annibal Carrache; nous l'avons reproduit. 1,880 livres; la Cascade de Tivoli, 1,001 livres; zin
Diane et ses nymphes, que nous avons également gravé, et riche Paysage, 606 ; et d'autres encore qui allèrent à 500 et
quatre autres paysages. Ces tableaux ont été estimés par les 400 francs.
experts du Musée, le premier 2,000 fr., le second 3,000 fr., Vente prince de Conty, 1777 : une Vue, prise de Tivoli,
les autres 1 ,500, 1 ,000 et 800 fr. 612 livres ; un paysage, la Chasse aux canards, 600 livres;
MuNich en a deux ; DRESDE, le même nombre; AMSTERDAM, divers autres atteignirentles prix de 400, 300 et 200 livres.
un seul; BERLIN, trois ou quatre; le MUSEO DELREY, à Vente Randon de Boisset, 1774 : deux paysages, dont l'un
Madrid quatre également. Diane et ses nymphes , s'élevèrent à 5,000 fr. ; un autre de
,.
Au château de Blenheim, en Angleterre, il y en a un si quelques pouces (sur cuivre) atteignit le prix de 801 liv. 1 s.
beau qu'il a longtempspassé pour un ClaudeLorrain. La Tour Nous n'avons trouvé ni marques ni signature sur les pein-
de Babel de ce maître se trouve à Corsamhouse, dans la tures de Paul Bril ; ses eaux - fortes sont marquées comme
collection de la famille Methuen. Nous connaissons encore suit. AD.
Sca/e ffiéamancte. %úéotJfe, t^eueâ) Jfe4?téaa:
Sébastien Vrancx, les figurines d'un blason symbolique, qui obtint le premier prix, œuvre singulière que
nous nous souvenons avoir vue à l'Exposition des tableaux anciens, organisée à Anvers en 1855, et qui
montre, avec un heureux sentiment de la couleur, un certain goût somptueux et décoratif.
Si nous avons rappelé ce fait, si peu significatif en apparence, c'est que nous y voyons la preuve que, s'il
l'eût voulu, van Balen aurait pu mieux faire que d'étoffer, d'une manière un peu monotone, les
paysages de ses amis. C'est, en effet, la variété qui manque à son œuvre. Florent Lecomte a beau dire :
«Van Balen a traité toutes sortes d'histoires, » l'artiste, inhabile à se renouveler, a abusé de la Sainte-
Famille qu'il assied au pied d'un arbre dans une Égypte chimérique; il nous a montré trop souvent Diane
partant pour la chasse avec ses nymphes, les Dieux attablés comme de simples mortels, les éternelles
allégories des Saisons ou des Éléments. La force manque d'ailleurs, comme l'invention, aux créations
doucereuses de van Balen ; l'exécution y est caressée à l'excès; la blancheur systématique des chairs,
au lieu de voiler les infirmités du dessin,, accuse au contraire la rondeur banale des formes; enfin, quoique
van Balen ait aimé la lumière, quoiqu'il ait cherché la grâce, on sent d'autant mieux dans son œuvre
quelque chose d'un art de décadence, que son succès est contemporain de l'heure glorieuse oit Rubens,
revenu d'Italie, va ouvrir à l'école flamande des chemins splendides et nouveaux.
Van Balen put assister à cette grande transformation, car il ne mourut que le 17 juillet 1632. Sa femme
lui survécut six ans; puis, lorsqu'elle l'eut rejoint dans le tombeau, leurs enfants firent placer en leur
honneur, contre un des piliers de l'église Saint-Jacques, un petit monument qui existe encore. Il se
compose d'un tableau central, peint par van Balen lui-même, et représentant la Résurrection de Jésus-Christ
et les portraits du peintre et de Marguerite Briers, mélancoliques effigies où van Dyck a acquitté la dette
de son cœur, car il avait été l'élève du vieux maître, et il ne l'oublia jamais.
Van Balen avait eu six fils. Trois d'entre eux, Jean, Gaspard et Henri, paraissent avoir suivi la profession
de leur père ; mais Jean est le seul dont l'histoire se souvienne. Né à Anvers en 1611, il y mourut en 1654.
Sandrart, qui lui a consacré quelques mots, raconte qu'il voyagea en Italie et que les œuvres, de grande ou
de petite dimension, qu'on peut voir dans sa ville natale, demeurent comme un éternel témoignage de son
habileté. Quant il nous, nous serions moins indulgent pour Jean van Balen. Les rares tableaux que nous
avons vus de lui, notamment la Trinité de l'église Saint-Jacques, montrent qu'il avait subi les influences de
Rubens, mais qu'il n'est, à côté du maître souverain, qu'un disciple effacé et affaibli. Quant à ses frères,
Gaspard et Henri, ils ne paraissent pas avoir franchi les limites d'une honnête médiocrité.
Ainsi, bien que la famille des van Balen ait donné quatre peintres à l'école d'Anvers, le chef de la maison
parvint seul à se faire une renommée. 11 n'eut cependant aucune des qualités viriles qui font les artistes
puissants, il ne sut pas racheter par les magnificences du pinceau ce que son style avait de vulgaire et
de hasardeux; mais Henri van Balen a été le maître de van Dyck et de Snyders, et, grâce à cette heureuse
fortune, l'histoire ne peut plus l'oublier.
PAUL M AN TZ.
M(E]iimms HT
Le portrait de van Balen, peint par van Dyck, a été gravé cours de 1618, en collaboration avec F. Francken, Breughel
par Paul Pontius. de Velours et Sébastien Vrancx.
— Le Repas des dieux (signé H.
MUSÉE DU LOUVRE.
— Hommage de Bacchus à Diane.
V AMSTERDAM.
BALEX). Les figures d'Uranie et des Zéphyrs dans le
— ta- BRUXELLES. L'Abondance et l'Amour (paysagede Breu-
—
bleau de l'Air, de Breughel de Velours ^1621). ghel).
— La Vierge et l'Enfant Jésus
ANVERS. NOTRE-DAME. FLORENCE.
— Le Mariage de la Vierge.
(panneau central d'un triptyque). Égypte, dans un paysage de van
— Repos en
GLASCOW.
SAINT-JACQUES. — La Résurrection. C'est le tableau qui Uden.
orne l'épitaphe de van Balen. LILLE. — Repos de la. Sainte Famille, paysage de Breu-
SAI-,T-CHARLES-BORROIIÉE. Quatre petits tableaux. ghel.
—
SAINT-PAUL. — L'Annonciation. LOUYAIN. Baptême de Jésus-Christ.
—
— Prédication de saint Jean-Baptiste. Ce tableau,
MUSÉE.
— Saint Jérôme, Bacchanale, Repos de Diane,
MUNICH.
placé autrefois à la cathédrale, dans la chapelle des Menui- des Nyiiil)hes dans une forêt, les Quatre Saisons (avec Breu-
siers, est cité avec éloge par Descamps. Mensaert le regarde ghel" le Banquet des dieux, etc.
,
comme un des chefs-d'œuvre du maître. ROTTERDAM.
— Mort de sainte Claire.
Deux volets d'un triptyque. Chacun de ces panneaux re-
— La Sainte Famille (paysage de Breughel).
TURIN.
présente un Concert d'anges. Sur le revers sont les figures VIENNE. — L'Assomption de la Vierge, l'Enlèvement
de saint Philippe et de sainte Anne. Réunis au tableau cen- d'Euro/le.
tral, qui est resté à la cathédrale, et que nous avons indiqué VENTE LANEKER (Anvers 1769). Une Bacchanale (paysage
—
plus haut, ces volets ornaient le monument de Philippe de Breughel). 150 florins; la Prédication de saint Jean, 95
Heemscn et de sa femme. florins.
CABINET DE M. WILLEMS.
— La Vierge avec l'Enfant VENTE SCHAMI» D'An:scHooT(Gand.1840).—ÉnéeetDidon.
Jésust au milieu d'une guirlande de fleurs, de Breughel. Vi'NTE STEVENS(1847).— Le Retour de la chasse, paysage
— Blason peint pour le con-
CABINET DE M. REYNWÏT. de Kierings. 201 fr.
rffcole f#lamande. >/'et /rytf //S^é/fec^o-ried.
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ABRAHAM JANSSENS
NÉ EN 1567. - MORT VERS 1631.
fit proposer un défi au grand coloriste : les deux peintres devaient traiter le même sujet, et un jury
composé avec impartialité aurait jugé le résultat de la lutte. Rubens accueillit par un sourire cette
proposition singulière; il fit dire à son rival que ses tableaux ornaient les églises et les palais d'Italie,
de Flandre et d'Espagne; que Janssens n'avait qu'à placer ses œuvres à côté des siennes, et que la
comparaison se ferait d'elle-même; puis, revenant à des soins plus graves, il reprit dans son atelier le
tableau commencé. Le duel proposé n'eut donc pas lieu, et Janssens fut vaincu sans combat.
Sans combat?... ce serait peut-être trop dire : une circonstance se rencontra où Rubens et Abraham
furent en concurrence. Il y avait autrefois dans la salle du Serment, à l'Hôtel-de-Ville d'Anvers, deux
tableaux qui se faisaient pendant et que les deux maîtres paraissent avoir peints à la même époque. Celui
l
de Janssens représentait l'Union, l' Abondance et Amour ; celui de Rubens, Mars couronné_pai, la Victoire.
Mensaert établit entre ces compositions un curieux parallèle . « Il n'est pas étonnant, dit-il, que les deux
maîtres aient travaillé à l'envi l'un de l'autre pour faire ces deux chefs-d'œuvre; je crois même qu'il est
assez difficile de juger qui des deux a remporté le prix; selon mon idée, si Rubens a plus de brillant dans
sa couleur, il me semble que A. Janssens est plus net et plus correct. »
N'en déplaise à Mensaert, il ne nous paraît guère croyable que Janssens ait pu se tirer avec tant
d'honneur d'une lutte aussi dangereuse. Le tableau de Rubens est vraisemblablementcelui qui est conservé
au musée de Tours : il est splendide. L'autre terme de la comparaison nous manque; mais, si parfait
qu'on le suppose, il était évidemment fort inférieur à l'œuvre si lumineuse et si vivante du grand maître
d'Anvers. Ce qu'il nous importait de noter, c'est que, par l'effet d'un hasard ou d'un concours raisonné de
deux volontés, les deux peintres se trouvèrent un jour face à face, et que, sous ce rapport du .moins, la
légende n'a pas tout à fait tort. Mais elle se trompe quand elle assure que Janssens mourut pauvre.
Bien que délaissé par une portion du public, il conserva son prestige aux yeux de tous ceux qui, malgré le
triomphe de Rubens, tenaient encore pour les méthodes anciennes. Les églises, les couvents, continuèrent
de le faire travailler. Aussi, il garda dans Anvers et ailleurs la considération qui lui était due, et toujours il
marcha de pair avec les plus illustres, avec les meilleurs. Enfin, des documents authentiques nous
apprennent que, loin de s'éteindre dans la misère et l'abandon, il était riche et heureux, lorsque la mort
le vint prendre, vers la fin de l'année 1631, ou, en tout cas, avant le 17 septembre 1632.
Le véritable malheur de Janssens, car il y eut en effet dans sa vie une calamité qui pèse encore sur son
finit et l école de
nom, c'est que, placé sur la limite de deux siècles, entre l'école italico-flamande qui
Rubens qui commence, il n'a fait aucune concession à la mode nouvelle. Lorsque Rubens est splendide,
Janssens demeure terne; le savant coloriste excelle à noyer ses contours dans la transparence des
demi-teintes;les ombres chez Janssens sont d'ordinaire noires et lourdes,et ses lignes se découpentdurement
sur la toile. Abraham, il est vrai, est plus italien dans son style, plus soucieux des belles formes et
des beaux types; mais dans ses compositions, il est pauvre, tandis que Rubens a l invention puissante,
l'imagination éternellement féconde, le luxe splendide d'un roi d 'Orieiit. Si bien disposé qu 'on puisse être
envers Abraham Janssens, on conçoit qu'il dut être vaincu dans la lutte qu 'il osa soutenir, car
le duel
avait lieu à Anvers ; les juges croyaient à la couleur, au mouvement, à la lumière, et Janssens, pour
combattre le plus flamand des peintres, avait renoncé par avance à toutes les armes de l'art flamand.
PAUL MANTZ.
MUSÉE D'ANVERS, — Sainte Famille. Saint Jean présente GAND. ÉGLISE SAINT-PIERRE. — La Pêche miraculeuse.
des cerises au petit Jésus. SAINT-BAVON. — Descente de Croix. Ce tableau, dit Des-
L'Adoration des Mages, tableau provenant de l'ancienne camps dans son Voyage pittoresque, c est d'une grande et
église des Dominicains. belle manière, correct et ferme de dessin. »
La Ville d'Anvers et l'Escaut. Cette allégorie ornait autre- SAINT-NICOLAS.— Saint Jérôme, « tableau dur, mais non
fois la cheminée de la salle des États, à l'Hôtel-de-Ville. sans mérite, » a dit le même écrivain.
ÉGLISE SAINT-CHARLES-BORROMÉE. — Les Douze Apôtres. MALINES. SAINT-ROMBAUT. Saint Luc peignant la Vierge.
BERLIN. — Méléagre, Pomone. STOCKHOLM.— Moïse frappant le rocher.
BRUGES. CATHÉDRALE SAINT-SAUVEUR. — L'Adoration des TOULOUSE. — Le Couronnement d'Épines, tableau pro-
Bergers, tableau provenant de la chapelle des Bouchers. venant d'une Église de Gand.
BRUXELLES. — La Foi et l'Espérance soutiennent la Vieil- VENTE VAN LANEKKR (Anvers 1769). — Un Vieillard et
lesse contre les fatigues du temps. une vieille Femme (25 pouces sur 18). 70 florins.
Oco-fe f^famanc/e. Stiferteu-rd (/'Saâaed.
PETER NEEFS
NÉ VERS 1570. MORT VERS 1638.
—
photographie,,ses tableaux en ont la fidélité merveilleuse, et il est déjà surprenant que, par sa seule
intuition, un artiste soit arrivé au pressentiment des plus intimes secrets de la nature.
Peter Neefs était trop intelligent des vraies conditions de l'art pour ne voir dans une église que des piliers
et des murs. Un autre à sa place eût été froid peut-être — et son maître Steenwyck n'avait pas su éviter ce
défaut; — mais Neefs fut toujours un peintre intéressant, sans cesser d'être un géomètre irréprochable.
Il n'est pas un de ses tableaux qui n'amuse les yeux, souvent même l'esprit. Tout le drame de la vie
religieuse se noue et se dénoue dans les claires églises dont sa main savante nous ouvre les portes. Ici
c'est un baptême, là une messe funèbre; plus loin, dans une chapelle discrète, c'est un mariage. Une autre
fois, c'est une procession qui passe, lente et solennelle, ou c'est un prêtre qui, suivi d'un pieux cortège, va
porter le viatique à un moribond, ou bien encore c'est une file de jeunes communiantes en voile blanc. Et
puis tout ce petit monde flamand, si assidu aux observances du culte, est là qui passe et repasse, qui
chuchote avec le bedeau, qui se rend à la sacristie, donne l'eau bénite, fait brûler des cierges, s'agenouille
à confesse, s'assied pour chanter les psaumes, murmurer des patenôtres ou égrener le chapelet.
Il y a mieux encore que tout cela dans les tableaux de Peter Neefs : il y a la lumière, ce poëme en trois chants,
ce beau poëme du jour, du soir et de la nuit, dont l'artiste a connu et révélé toutes les splendeurs, tous les
mystères. Il a représenté des églises aux pâles rayons du matin, aux vives clartés de midi, aux lueurs
tombantes du crépuscule; il a même, par une sorte de tour de force qu'il faut admirer, il a peint la nuit,
et les trop rares tableaux où il a essayé de le faire sont peut-être ses chefs-d'œuvre.
Peter Neefs a laissé un fils qui a porté le même nom que lui, s'est adonné au même genre et s'est
approprié si bien les procédés de son père qu'on a pu souvent le confondre avec lui. Cependant, à y regarder
de près, on le trouvera inférieur au vieux Neefs, car il est à la fois plus sec et plus épais; ses lignes, droites ou
courbes, sont tirées avec moins de délicatesse et viennent quelquefois à l'œil. Il n'a pas su, aussi bien que son
père, faire fuir les murs et les pavés par le jeu combiné des deux perspectives. Peter Neefs le jeune, né à
Anvers à une date qu'on ignore, y mourut en 1651.
Aux qualités pittoresques que réunissent les œuvres des deux Neefs, le temps vient ajouter un mérite
nouveau. Les délicates peintures dans lesquelles ils ont reproduit la physionomie intérieure des églises de
Flandre étaient déjà précieuses pour les contemporains : elles le sont bien plus encore pour nous, qui pouvons
les considérer comme des restitutions anticipées de ces beaux monuments. Pour mon compte, je n'ai jamais
regardé un tableau de Peter Neefs, qu'il n'ait réveillé en moi les impressions diverses que produit la vue d'une
église gothique, soit qu'on y entre aux heures languissantes de l'après-midi, soit qu'on s'y trouve surpris
par l'ombre du soir, alors que les vieux vitraux, ne montrant plus que des figures indécises, ressemblent à
un grimoire cabalistique de caractères inconnus; soit entin qu'on arrive à l'heure solennelle du salut, quand
le tabernacle étincelle de flambeaux, que des nuages d'encens couvrent le sanctuaire, et que des prêtres,
revêtus de leurs dalmatiques, président au concert que font entendre les voix angéliques des enfants de
chœur et des épouses de Dieu.
CHARLES BLANC.
IMIffiMiK OT
Les tableaux de Peter Neefs ne sont pas communs. Il y en est éclairé par la lumière du jour, l'autre par la lueur
a cependant neuf au MUSÉE DU LOUVRE. Ce sont tous des des flambeaux. 800 liv. Autre Intérieur où l'on voit un pré-
Intérieurs d'église, à l'exception d'un seul qui représente dicateur en chaire. Les figures, comme dans le tableau pré-
Saint Pierre délivré de prison. cédent, y sont peintes par Van Thulden. 600 liv.
MUSÉE DE BRUXELLES. L'Intérieur de la cathédrale d'An- VENTE BRAAMCAMP, 1771. La grande église Notre-Dame
vers. On y voit la cérémonie d'un baptême. d'Anvers, très-ornée de figures et de peintures par Rubens.
MUSÉE D'AMSTERDAM.Vue d'une église catholique donnant 510 florins. — Deux tableaux représentant deux chapelles de
sur le maître-autel. Notre-Dame d'Anvers. Les figures sont peintes par Franck.
VIENNE. Vue de la cathédrale d'Anvers. On y remarque 675 florins.
quantité de figures peintes par un des Franck. VENTE RANDON DE BOISSET, 1777. Deux tableaux d'un fini
MUNICH. L'Intérieur d'une église pendant la nuit. On voit précieux. Les figures sont de Teniers. 1,202 liv.
y
un prêtre qui porte le viatique à un malade. VENTE PRINCE DE CONTI. Intérieur d'une église flamande
GALERIE DE FLORENCE. Un Intérieur d'église. enrichie de figures par Franck. Tableau provenant de la vente
Les tableaux de Neefs sont précieusement finis et chers du duc de Choiseul, ci-dessus mentionnée. 820 liv.
en proportion. VENTE LEBOEUF, 1782. Les deux Intérieurs d'église qui ont
VENTE LORANGÈRE, 1745. Deux petites Vues d'église, figuré dans la vente Randon de Boisset. 601 liv.
sur
bois, très-fines. 2H liv. VENTE CARDINAL FESCII, 1845. Intérieur d'une église go-
VENTE DUC DE CIIOISEUL. Intérieur d'une église flamande. thique, orné de figures peintes par Séb. Franck. 46 scudi,
On y voit des figures de Franck. -1,002 liv. soit environ 260 francs.
VENTE JULIENNE, 1767. Deux Intérieursd'église, dont l'un
Gca/r Sb/.eàf w/iytruce
1 Voy. VAbecedario de Mariette, t. IV, p. 199, et la Description de la Fille de Paris, de Germain Briœ, 1752. T. I, p. 528.
dit simplement qu'il voyagea en Europe, et qu'au retour de son expédition il vint se fixer à Paris. A quelle
époque? On l'ignore. Pour nous, nous croyons que François Porbus n'est pas venu en France avant 1600;
mais il y a lieu de penser qu'il a assisté à la seconde moitié du règne de Henri IV. Paris avait alors donné
asile à une véritable colonie d'artistes flamands. Reçu et guidé par ses compatriotes, Porbus commença
par faire des portraits; peu à peu, il parvint à être connu des gens de cour et il fut même admis à l'honneur
de peindre le roi : soit qu'il se soit servi fréquemment de la même étude, soit que Henri IV ait consenti
à poser plusieurs fois devant lui, Porbus a souvent répété le portrait de ce prince. Toutefois, ce n'est
qu'en 1610 que l'artiste acheva la charmante effigie que conserve le Louvre ; je veux parler de celle 011
Henri, debout, vêtu de noir et portant le cordon de l'ordre du Saint-Esprit, est représenté posant la main
droite sur une table. Œuvre précise et délicate, cette peinture est devenue le type pour ainsi dire officiel
de tous les portraits de Henri IV.
Le Musée de Valenciennes montre de François Porbus deux tableaux qui donnent de sa manière une
idée vraiment excellente. Le premier est le portrait de la princesse Dorothée de Croy : il a été peint en
1615; le second, qui date sans doute de la même époque, est le portrait des deux enfants de la princesse.
Rien ne se peut voir de plus naïf, de plus charmant, de plus vrai. Bien que l'exécution soit serrée et
patiente, il y a dans ces peintures, dans la dernière surtout, des qualités très-flamandes, soit dans la
coloration fraîche et tendre des carnations d'enfant, soit dans la largeur spirituelle des costumes et des
accessoires.
Porbus, qui savait si bien faire vivre une tête dans un cadre étroit, excellait aussi à grouper
naturellement plusieurs personnages dans un de ces portraits à la fois familiers et solennels qu'on
aimait tant alors. Les magistrats de l'Hôtel-de-Yille de Paris connurent bientôt quel était le mérite de
Porbus en ce genre, et ils employèrent souvent son pinceau. Les événements du règne de Louis XIII
lui inspirèrent deux vastes compositions. La première était relative à la minorité du jeune fils de Henri IV,
la seconde à sa majorité. Tous les écrivains qui ont parlé de ces peintures s'accordent à en faire le plus
vif éloge. Mariette, juge difficile pourtant, les cite avec admiration. Il est à jamais regrettable que
ces œuvres aient disparu pendant la Révolution. Indépendamment des deux tableaux que nous venons de
rappeler, Porbus avait peint pour l'Hôtel-de-Villequelques compositions également importantes : on sait, par
exemple, qu'il fut plusieurs fois chargé de faire le portrait des échevins de Paris. Il serait curieux de
rechercher quel est celui de ces ouvrages qui se retrouve, malheureusement bien mutilé, au Musée de
Saint-Pétersbourg. On remarque à l'Ermitage, dit M. Viardot, « trois fragments d'un tableau de François
Porbus le jeune, où l'on voit Henri IV, le duc d'Épernon, le chancelier Du Vair et les échevins de
Paris. » Le peintre, nous l'avons dit, excellait dans ces compositions d'apparat.
Ainsi accueilli et employé par les magistrats de l'HôteI-de-Ville, François Porbus oublia la Flandre et
s'établit définitivement parmi nous. On ignore s'il finit par se marier, mais on sait du moins, et le
détail est précieux, qu'il commença par avoir une fille. Les registres des baptêmes de l'ancienne paroisse
de Saint-Germain-l'Auxerroiscontiennent, à la date «du mardy 21e jour de janvier 1614 », la mention
suivante : « fut baptisée Elysabeth, fille naturelle de François Porbus et d'Elysabeth Francque 1 . J)
La jeune femme qui donnait ainsi un enfant à Porbus appartenait sans doute à cette confuse famille des
Franck, interminable lignée qui avait déjà fourni un peintre à Henri III, et qui, ayant un pied à Anvers
et l'autre à Paris, pouvait revendiquer deux patries.
Ce ne fut pas seulement à l'Hôtel-de-Ville qu'on employa le pinceau de François Porbus. Lorsque le 10:
tit décorer, au Louvre, cette longue salle qu'on appelait la Gallerie des peintures, et qui devint plus
tard la galerie d'Apollon, le peintre flamand eut part à ce grand travail. Il fit notamment, dans la série
des effigies des rois et des reines de France, le portrait en pied de Marie de Médicis, qui.
heureusement sauvé de l'incendie de 1661, occupe aujourd'hui à notre Musée une place si honorable.
peut rien voir de plus charmant; et quoique l'azur fût alors fort cher, ce peintre, néanmoins, l'a répandu
avec tant de prodigalité sur cette figure qu'il y en a pour six-vingts écus. »
Nous ne savons pas aussi exactement que Sauvai combien ont pu coûter les couleurs employées par
Porbus pour peindre Marie de Médicis, mais nous retrouvons avec autant d'intérêt que de plaisir dans ce
sérieux portrait une œuvre tout à fait historique, une peinture savante, respectueuse de la vérité et
cependant pleine d'art. La coloration est flamande, l'exécution a déjà un peu de la sagesse française.
C'est qu'en effet François Porbus fut toujours sage, et qui sait s'il ne le fut pas trop, surtout dans ses
tableaux d'église?
Les sujets religieux que peignait Porbus le jeune se rapportent presque tous aux derniers temps de sa
vie. Il devenait ambitieux en vieillissant: en 1618, il exécuta pour le maître-au'el de Saint-Leu-et-
Saint-Gilles une Cène dont le Louvre a hérité; et, deux ans après, Saint François recevant les
stigmates, tableau qui, placé autrefois au couvent des Jacobins de la rue Saint-Honoré, se retrouve
aussi au Louvre. Enfin, il avait peint pour la même église une Annonciation qui, selon toutes les
vraisemblances, est le tableau qu'on voit au Musée de Nancy, et dont un critique du dix-huitième
siècle a pu dire que, « quoique beau dans ses détails, il pourrait mériter les reproches qu'on a faits à cet
habile artiste », c'est-à-dire le manque de mouvement, de liberté et de chaleur. Il est certain que les
compositions religieuses de François Porbus, toujours méthodiques et compassées, n'ont rien de l'animation
bruyante qui caractérise l'école flamande. En étudiant la Cène et le Saint François, on est bien loin de
songer qu'à l'heure où Porbus achevait ces pages honnêtes et froides, Rubens allait commencer pour Marie
de Médicis les flamboyantes allégories du Luxembourg.
François Porbus—qui mourut en 1622-fut avant tout un peintre sincère. Cette froideur, qu'on reproche
avec raison à ses compositions religieuses, est bien moins visible dans ses portraits. C'est là qu'il
triomphe; aussi la critique n'a-t-elle guère vu en lui qu'un portraitiste. « Sa touche, dit Mariette, est des
plus précieuses. J'ai une tête d'Henri IV, faite par lui, qui peut aller de pair avec tout ce que Rubens et
Van Dyck ont fait de plus beau. » L'éloge est peut-être un peu exagéré, mais il est certain qu'il y a parfois
chez Porbus une fraîcheur de tons, un éclat de lumière, une finesse dans les demi-teintes qui en font un
peintre singulièrementhabile. Grâce à sa précision, à sa sincérité, à sa divination des physionomies, Porbus
est un des plus fidèles témoins des règnes de Henri IV et de Louis XIII. Tous les illustres personnages
du temps posèrent devant lui. Capitaines ou poëtes, soldats ou philosophes, il les a tous saisis du
bout de son pinceau délicat, et il les a éternisés dans la parfaite vérité de leur ressemblance intime.
Peut-être interprète-t-il un peu sèchement quelques-uns des détails du visage humain ; mais s'il dit
trop, c'est qu'il veut tout dire : tel est le mérite, tel est le défaut du dernier des Porbus. Sans être
grand, sans être fort, il a sa place dans l'histoire, et son talent loyal s'appelle d'un beau nom — la
conscience.
PAUL MANTZ.
MARTIN PEPYN
NÉ EN 1575; — MORT
APRÈS 1643.
Le Musée d'Anvers renferme deux tableaux de Martin le travail de l'auteur dans lequel on remarque la plus grande
Pepyn : le premier, figurant le Passage de la mer Rouge, liberté de dessin.
porle la signature de l'auteur et la date de 1626; l'autre La production la moins importante de Martin Pepyn est le
représente Saint Luc débitant un sermon. L'archaïsme y panneau conservé à l'église Saint-André d'Anvers, qui repré-
domine encore plus que dans le précédent. Il ornait autrefois sente Sainte Anne instruisant la Vierge.
la salle oil la confrérie de Saint-Luc tenait ses réunions. Dans l'hôpital Sainte-Élisabeth : Robert Hubar, aumônier
La cathédrale de la même ville possède un tableau exé- de l'établissement,couché sur son lit de mort, tableau por-
cuté par notre artiste, offrant sa signature et la date de 1637. tant la date de 1624.
On y voit saint Norbert agenouillé devant l'ostensoir. C'est
OsCo/<r ffiïemmnc/f. <Sfâidfotre, Jëayaapeà, &ceurd.
Voyez l excellent Catalogue du Musée d'Anvers, publié par l'Académie des Beaux-Arts de cette ville.
Milan. C'étaient, par exemple, Daniel dans la fosse, une vue perspective de l'intérieur de la cathédrale
d'Anvers, un Saint Jérôme au désert, dont la figure était de Crespi, enfin les Quatre Éléments, peints sur cuivre
et qui passent pour les chefs-d'œuvre du peintre flamand.
Il n'est pas un voyageur, allant visiter la Bibliothèque Ambrosienne de Milan, à qui l'on n'ait fait admirer ces
tableaux merveilleux dont le sujet fut si bien choisi pour mettre en lumière toutes les qualités de Breughel de
Velours, la richesse de son imagination capable de transformer la terre en Paradis, son habileté à tout rendre,
les figures animées aussi bien que les menus détails de la nature morte, sa connaissance des animaux, sa pa'etle
qui était un écrin. Ils sont innombrables les artistes qui ont peint les Quatre Éléments. Mais, chez Breughel,
ce n'était pas, comme il arrive si souvent, une suite de froides allégories ou une représentation des plaisirs que
l'homme peut trouver sur la terre, dans l'eau, dans l'air, auprès du feu. Non; Breughel avait tout simplement
recommencé la création. Sur des plaques de cuivre, qui avaient au plus deux pieds de largeur, il imagina de
faire tenir un monde entier, les animaux de toutes les espèces, tous les oiseaux de l'air, tous les poissons de
l'Océan, et il y mit une fraîcheur de ton, une lumière, une profusion de détails qui n'ont cessé de ravir, depuis
plus de deux siècles, les voyageurs les plus exercés au jugement des œuvres d'art. « Je ne connais pas de peintre,
dit Cambry, dont les couleurs mordent plus vivement sur la mémoire, qu'on me pardonne cette expression. »
Et, en effet, Breughel a osé lutter avec les splendeurs de la nature. La Terre n'est pas ici une figure
symbolique, une femme coiffée en Cybèle, c'est la terre elle-même, celle que nous foulons sous nos pieds,
habillée de verdure, parée de fleurs, ombragée d'arbres, la terre avec tous les animaux qui l'habitent, depuis les
plus féroces jusqu'aux plus doux. Il semble que Breughel se soit transporté, en imagination, au cinquième jour
de la Genèse, et qu'il ait vu s'ébattre sur les gazons de l'Eden, confondus dans une mêlée fraternelle, toutes ces
bêtes fauves qui ne présentent à notre esprit que l'idée de carnage, et dont la mission est de s'entre-dévorer.
Le Feu est représenté par la réunion de tous les instruments de l'alchimie, de tous les objets qui se forgent
sur l'enclume ou se font de verre, et par un million de vases et d'armures de formes infiniment variées, ornés,
ciselés, sculptés en relief, finis par le pinceau de Breughel comme ils auraient pu l'être par le poinçon de
Cellini. L'Air est peuplé d'oiseaux, de papillons, de scarabées, d'insectes volants, qu'un enfant, avec sa lunette,
poursuit de l'œil à travers les nuages. Là sont reproduits, dans tout leur éclat, le beau plumage du faisan de la
Chine, la pintade, l'oiseau-mouche, le colibri étincelant, le martin-pêcheur qui se colore des nuances de
l'arc-en-ciel et brille de tout le lustre de la soie, le paon avec ses tons si splendides et si harmonieux, ses reflets
si ondoyants et si fugitifs, avec son éblouissante parure de rubis, d'émeraude, de saphir, d'or, de pourpre et
d'azur. L'Eau enfin laisse voir une quantité prodigieuse de poissons et de coquillages. Mais, cette fois, l'histoire
de la création se complique des fictions de la mythologie. L'humide élément obéit à une naïade amoureuse; les
carpes sont blessées par des amours, et comme si ce n'était pas assez de toutes les couleurs que le peintre a dû
employer dans cette représentation des plus beaux produits de la mer, il a fallu que, par un nouveau miracle de
sa palette, il imitât les lumineuses et célestes nuances de la ceinture d'Iris. « Toutes ces choses, dit Cochin
dans son Voyage pittoresque, sont représentées si en petit qu'on est étonné que le pinceau ait pu les
faire; mais, lorsqu'on les voit avec une loupe, l'étonnement redouble, car les animaux et autres objets en sont
peints avec la plus grande vérité de couleur et de forme. Ils semblent se mouvoir. Ils sont dessinés, touchés
de la manière la plus spirituelle, et paraissent du plus grand fini, même avec la loupe. »
C'est une remarque à faire, que les Flamands qui allaient à Rome au seizième siècle, et encore au
dix-septième, y contractaient non pas tant le goût des sujets pieux que celui des tableaux mythologiques. La
capitale du christianismeétait devenue tout à fait païenne, et c'étaient des divinités de l'Olympe qui ornaient la
demeure des princes de l'Église. L'amour de l'antiquité était alors une marque de distinction dans l'esprit, et
ces dieux de la fable, dont le dix-neuvième siècle s'est montré un beau jour si fatigué, ils remplissaient alors
l'imagination des poètes et les compositions des peintres. Breughel de Velours, qui avait trouvé tant de charme
il peindre naïvement des guirlandes de fleurs, ensuite des vues de rivières, des bateaux, des moulins et des
paysans, ne voyait plus maintenant dans la nature que des nymphes de la suite de Diane. Aussi, quand il eut
à recommencer les Quatre Éléments,
— car on estimait beaucoup ces petits tableaux où il savait renfermer,
sans confusion, tout un abrégé de l'univers, et on lui en demanda des répétitions et des variantes, — Breughel
emprunta ses figures à la mythologie. Le soleil parcourut les cieux dans le char d'Apollon; les nymphes du
Permesse furent appelées à figurer les Éléments, et l'on peut voir au Louvre la muse Uranie assise sur des
nuages, figurant l'Air et tenant sur ses doigts un attribut de l'invention de Breughel, un perroquet.
Mais en quelles années Jean Breughel travaillait-il à Rome? Il n'est pas facile de le préciser. Mariette estime
que Breughel a dû être dans cette ville en l'année 1593. « J'ai pris, dit-il, cette date sur un dessin du Colisée
fait par lui en aoust. » Il semble naturel de croire, en effet, qu'il ne passa franc-maître dans la confrérie de
Saint-Luc qu'aprèsson retour d'Italie. Ce qui est certain, c'est qu'en l'année 1597, il était de retour à Anvers;
Rubens ne fut admis dans la corporation que l'année suivante, et ne partit pour l'Italie qu'en 1600. On doit
donc supposer que Breughel et Rubens se connurent dès-lors, et commencèrent à associer leurs pinceaux. Nous
avons vu, du reste, plus d'une fois, des morceaux de la jeunesse de Rubens ornés de fleurs par Breughel.
C'étaient ordinairement des madones que Breughel encadrait gracieusement dans ses guirlandes de lys, de
tulipes, d'œillets, de jasmins, de roses et d'altheea, parmi lesquelles se jouaient de jolis insectes, des scarabées,
des papillons et un des oiseaux favoris du peintre, le perroquet. Quelquefois, comme pour amuser l'enfant Jésus,
un petit singe lion vient s'accrocher à la guirlande et faire
quelque irrévérencieuse grimace qui peut bien
choquer le spectateur en prière devant la Madone de Rubens, mais qui ne choquait point l artiste ingénu,
dévotement prodigue de ses fantaisies et de ses couleurs. L'éclat du pinceau de Rubens eût éclipsé tout autre
collaborateur; Breughel seul pouvait briller à côté de Rubens, et j'ajoute que Rubens seul pouvait faire admirer
ses figures au milieu des éclatants bouquets de son ami.
Breughel de Velours a peint très-souvent le Paradis terrestre. Aussi l'appelle-t-on quelquefois Breughel de
Paradis, par opposition au surnom de Breughel d'Enfer donne à son frère, Pierre Breughel. Tantôt les figures
de ces Paradis sont de Henri van Balen, — j'en citerai pour exemple le tableau du Louvre; — tantôt elles sont
de Henri de Klerck — comme dans le Paradis terrestre de la Bibliothèque Ambrosienne; — tantôt elles sont de
Rubens. Nous avons vu plusieurs fois au musée de La Haye le magnifique Paradis où Rubens et Breughel
de Velours ont mêlé leurs pinceaux. Le grand maître a peint sur le premier plan les figures d'Adam et Eve et
un superbe cheval brun qui occupe le coin du tableau. Adam est assis au pied d'un arbre; Eve se tient debout
dans la splendide nudité de ses carnations, et comme pour mieux montrer la rondeur de ce beau corps qui
porte l'humanité dans ses flancs, elle lève le bras et cueille une pomme que lui offre le serpent enroulé autour
des branches de l'arbre. Rubens a exécuté ces figures avec un soin admirable, d'une manière finie, caressée,
telle que la voulaient d'ailleurs et l'harmonie du tableau et le voisinage des précieuses peintures de Breughel;
contre son ordinaire, il a mis sa signature sur le panneau que Breughel a également signé. Des myriades de
quadrupèdes et d'oiseaux peuplent le séjour enchanté du premier homme, vaste jardin coupé de ruisseaux et
parfumé de fleurs. Le cerf y promène fièrement son bois dans les bois; les tigres s'y jouent avec le bœuf, et le
lion vit en paix avec les troupeaux, qui n'ont pas encore de berger; le paon étale vaniteusement sa queue aux
pieds d'Eve, et la première femme pose son pied entre le chien et le chat, comme si déjà elle hésitait entre
la fidélité et la perfidie. « Ce tableau, dit l'ancien catalogue du musée de La Haye, provient du cabinet de
M. Delacourt Van der Voort à Leyde; il fut acheté pour le stathouder à raison de 7,350 florins. »
Breughel de Velours se maria à Anvers avec une belle Flamande qui a été chantée en beaux vers flamands
par le peintre-poète Corneille Schut. Il eut de ce mariage une fille, Anne Breughel, célèbre dans l'histoire
de l'art pour avoir eu trois tuteurs illustres : ce même Corneille Schut, Van Balen et Rubens, mais surtout pour
avoir été la première femme de David Teniers. Lié avec tous les grands peintres de son pays, Jean Breughel
faisait figure à Anvers. Lorsque Van Dyck commença cette magnifique galerie de portraits d'artistes que nous
ont gravée les Lucas Wostermann, les Pontius, les Bolswert, les Pierre de Jode, il fit cet honneur à Breughel de
Velours de lui graver son portrait à l'eau-forte de sa propre main. C'est une des plus admirables estampes de
Van Dyck. La tête seule est modelée; mais elle pense, elle respire. Avec quelques traits et quelques points,
Van Dyck a donné à la figure de Breughel la vie, l'expression, le caractère, et ce caractère est à la fois plein
de bonhomie et de noblesse. L'intimité dans laquelle vivaient alors les peintres enrôlés dans la confrérie de
Saint-Luc explique suffisammentpourquoi l'on rencontre sur tant de tableaux les preuves de leur collaboration,
alors qu'ils auraient pu fort bien se passer l'un de l'autre. Assurément Rubens, si grand paysagiste lui-même,
n'avait besoin de personne pour faire les fonds de ses tableaux historiques; mais c'était par goût qu'il demandait
à Wildens, à Van Uden, à Breughel de Velours un paysage pour accompagner ses figures, une guirlande de
fleurs pour encadrer ses madones. Et de son côté si Breughel avait recours au pinceau de Rubens, s'il donnait
à peindre à Van Balen les figures de son Paradis et à Rotenhamer les saints voyageurs de la Fuite en Égypte
qui se voit au musée de La Haye, ce n'est pas qu'il fût incapable de les peindre lui-même. Personne au
contraire ne savait dessiner une figure plus élégamment, plus juste ni mieux d'aplomb. Breughel l'a prouvé
surabondamment dans ses Vues de Flandre, dans cette Foire de Broom qui faisait partie de la collection
d'Appony à Vienne et dont parle M. deBurtin, mieux encore dans son fameux petit tableau de l'ancienne
galerie de Dusseldorf (depuis transférée à Munich) où il fit tenir tout le camp de Scipion l'Africain devant
Carthagène, peinture d'un fini merveilleux, grande miniature à l'huile dans laquelle se meuvent une quantité
innombrable de figures intéressantes et dont le principal groupe représente la continence de Scipion. L'habileté
de Breughel en ce genre était même si bien reconnue qu'on venait de toutes parts lui demander son aide.
Tandis que Van Balen ou Henri de Klerck faisaient passer leurs jolies nymphes à travers les bocages verdoyants
de Breughel, celui-ci s'en allait paître un troupeau dans les pâturages d'un paysagiste; souvent il s'employait
à orner de figurines et d'animaux les sites montagneux de Josse de Momper; souvent aussi il était chargé d'in-
troduire la foule dans les Intérieurs d'églises de Peter Neefs et de Henri Steenwyck. Je dis la foule, car Breughel
n'était jamais plus heureux que lorsqu'il trouvait l'occasion de peindre dans une petite toile un grand nombre
de figures. Il savait agenouiller une multitude de dévotes sur les dalles de la Cathédraled'Anvers, asseoir trente
chanoines dans le chœur, grouper les chantres autour du lutrin, faire défiler toute une nombreuse famille en
habits de fête assiégée par les pauvres au sortir de la cérémonie d'un baptême. Il me souvient à ce sujet de ce
que dit Mariette dans ses notes manuscrites sur l'Abecedario : « Un des plus beaux Breughel que j'aie vu est
« présentement dans le cabinet du prince Eugène de Savoie. Il représente la procession de douze pucelles qui
« se fait à Bruxelles sur la place du Sablon (suivant la fondation qui en a été faite par l'infante Isabelle). Il s'y
« trouve un nombre prodigieux de figures qui sont peintes avec tout l'esprit que l'on peut désirer; les têtes en
« sont si bien touchées qu'elles paraissent de Van Dyck. Cependant les ouvrages qu'il réussissait le mieux
« étaient les paysages, les animaux et les fleurs, qu'il peignait d'une manière très-finie et très-spirituelle, mais
« un peu sèche. »
Félibien place en l'année 1642 la mort de Jean Breughel. L'exactitude de cette date semble d'abord infirmée
par le tableau de Scipion l'Africain devant Carthagène dont nous venons de parler, où on lit, suivant le
catalogue : « BRUEGHEL 1660 FEC. ANVERSA; mais il faut croire que l'auteur du Catalogue de la galerie de
Dusseldorfaura mal lu, car en 1660 Breughel aurait eu quatre-vingt-cinq ans, et ce n'est pas à cet âge qu'on
exécute un pareil tableau, avec tant de finesse et d'une main aussi sûre. D'autre part, il n'est pas possible que
ce peintre fût en vie en 1660, puisque sa fille avait des tuteurs lorsqu'elleépousa David Teniers, dont le mariage
avec Anne Breughel est certainement bien antérieur à cette époque. Teniers, né en 1610, n'attendit pas d'avoir
cinquante ans pour se marier en premières noces, ainsi que le prouvent les tableaux où il s'est peint avec sa
jeune femme sous la figure d'un homme de trente à trente-cinq ans. On peut donc regarder comme certaine la
date indiquée par Félibien pour la mort de Breughel.
On ne sait trop pourquoi les amateurs qui attachaient autrefois un si grand prix aux ouvrages de ce maître,
s'en sont peu à peu dégoûtés. Sans doute Breughel de Velours n'est pas exempt de défauts. On lui reproche avec
raison de ne pas observer la perspective aérienne, de peindre ses lointains d'un bleu trop cru qui les empêche
de fuir, de laisser dominer les habits rouges dans ses figurines, ce qui fatigue l'œil, d'autant que ses verts
sont d'autre part aussi vifs que les tons de l'émail. Mais, en dépit de ces imperfections, Breughel est un peintre
rempli de charme, un paysagiste excellent qui sait rendre pittoresques et intéressants les sites les plus vulgaires.
Si l'on regarde ses Vues de Flandre, qui sont la partie la plus connue de son œuvre, dans les jolies estampes
de Lebas dont la pointe a corrigé les défauts du coloris de Breughel, on y trouvera le naturel d'un Ostade
avec l'esprit d'un Teniers, et, quant au paysage, le sentiment de Paul Bril et sa touche vive, ferme et légère.
Vous connaissez peut-être les plaines unies et monotones de la province d'Anvers : ce sont là les vues
favoritesde Jean Breughel. Il aime, sans doute en souvenir du canton de ses pères, à percer au milieu de son
paysage la route de Bréda, bordée de grands arbres, et il la couvre de voyageurs à pied, à cheval, en voiture.
Le coche d'Anvers, le chariot du paysan, le carrosse du gentilhomme escorté de ses gens, la chaise du
bourgeois sont représentés sur le devant de sa composition et animent ses routes. Tantôt ce plat paysage
flamand est accidenté de moulins, tantôt il est égayé par une famille d'oiseaux de basse-cour à l'entrée d'un'
village riant que divisent les sinuosités d'un ruisseau. Souvent on y voit une ville assise sur les bords de
1 Ce tableau, peint sur cuivre, à peu près de la mème grandeur que notre estampe, fait partie de la riche collection de
M. Jules Duclus, amateur aussi obligeant qu'il est versé dans la connaissance des maîtres.
l'Escaut que remontent des bateaux pêcheurs, des navires de commerce, des chaloupes. Tout se meut, tout
voyage dans les tableaux de Breughel. La nature n'est pas encore pour lui cette divinité inconnue que
poursuivra l'âme inquiète de Ruysdael; c'est uniquement la demeure de l'homme, l'objet de ses travaux, le
témoin de ses agitations et de ses peines. On dirait que le peintre attachait une intention obstinée, peut-être
la pensée ou plutôt l'image de la vie, à ce grand chemin qui fuit à perte de vue et se termine
au loin par
une forme indécise vers laquelle se hâtent les voyageurs.
CHARLES BLANC.
M(Mm(MM M
Jean Breughel a gravé à l'eau-forte quatre estampes qui Nous avons dit que les tableaux de Breughel avaient subi
sont sans doute fort rares, car on ne les trouve pas au Cabinet une dépréciation considérable. De six mille livres qu'on les
des estampes de la Bibliothèquenationale, et on n'en voit la payait d'abord, dit Lebrun, ils sont venus à trois mille livres
description nulle part. M. deHeinecke, qui a donné l'énump- et mème au-dessous.Voici les prix de ventes :
ration des gravures exécutées d'après Breughel, a perdu une VENTE DU PRINCE DE CARIGNAN, 1742. Deux tableaux de
belle occasion de décrire celles qui sont exécutées par lui. 9 poucesde haut sur 13 de large, l'un sur cuivre représentant
Ce sont quatre paysages numérotés de i à 4, avec ces mots: un Paysage où il y a une Fuite en Égypte; l'autre, sur bois,
Sadeler excud. représentant un Paysage et Marine avec plusieurs figures
Les dessins de Breughel sont peut-être plus estimés que par Griffier; ensemble 1,130 francs. Un tableau sur cuivre
ses tableaux, et n'ont subi en tous cas aucune dépréciation. de 54 pouces de long sur 23 de haut, représentant la lintaille
Ils sont coloriés de bleu d'Inde dans les ciels, les eaux et les dis Amazones; 1,510 francs.
lointains ; les devants sont lavés au bistre. Un trait de plume VENTE DU COMTE DE VENGE, 1760. Vente de poisson à Scheie-
très-léger fait, dit D'Argenville, l'ouvrage des arbres et des lingue. C'est le tableau qui a été gravé à l'eau-forte par
terrasses, par plusieurs hachures presque couchées et beau- Chédel. Il est daté de 1617 ; 1,650 livres.
coup d'endroits pointillés. Souvent les arbres sont feuillés VENTE JULIENNE, 1767. Une Foire de Village, et un pen-
au pinceau et mèlés de couleurs rougeàtres et jaunes qui font dant; 1,670 livres.— Vue du Temple de la sibylle, et pour
un grand effet. pendant un paysage de Stalben, attribué à Breugheld'Enfer ;
Passons aux tableaux de ce maitre. Le LOUVRE en contient 464 livres.
sept : 1° La Terre ou le Paradis terrestre; les figures sont de VENTE GAIGNAT, 1768. Deux Paysages avec figures; 2,80*2
Henri Van Balen. 2° L'Air. Uranie est assise sur des nuages, livres 2 sols.
tenant un perroquetblanc. Signé BRVEGHEL, 1621. Les figures VENTE DUC DE CHOISEUL, 1772. L'Entrée d'un bois où se
sont aussi de Van Balen. Ces deux tableaux faisaient partie trouvent des mares d'eau que traversent des animaux : 3,910
d'une suite des Quatre Éléments. 3° La Bataille d'Arbelles. livres. — Une Vue du Tyrol, nombre de figures autour d'un
Le champ de bataille est une immense vallée couronnée de mai ; 700 livres.
bois. Le nombre de figures y est incalculable. On y remarque VENTE PRINCE DE CONTI, en 1777. L'Entrée d'un bois où se
la famille de Darius prisonnière, et sa femme àgenouxdevant trouvent des mares d'eau que traversent des figures et des
Alexandre à cheval. animaux. Ce tableau, provenant du cabinet du duc de Choi-
4° Verlumne et PÚulOlIe. C'est un riche paysage dont le seul, fut adjugé à 1,600 livres. — Deux Paysages peints sur
devant est couvert de fruits de toute espèce. Les figures sont cuivre, dont une Vue d'Italie, par Paul Bril ; une autre ren-
attribuéesà un des Franck. Ce tableau a été donné, en 1850, fermant des chariots et des cavaliers, par Breughel; ensemble
au Musée, par M. Pierret. 900 livres. — Vue du Temp e de la sibylle et son pendant
5" Vue de Tivoli. On y voit un large pont que des cavaliers (paysage avec fabriques, par Stalben), provenant de la vente
ont traversé, et près duquel s'élève sur un rocher le temple Julienne ; ensemble 440 livres seulement; mais le Breughel
de la sybille. était contesté.—Même Vente, un Concert de chats, peint sur
6° Paysage. On y voit une barque portant plusieurs per- cuivre (2 pouces de hauteur), 400 livres. —Quatre dessins du
sonnes richement vètues. maître furent vendus, l'un dans l'autre, 142 livres.
7° Paysage. Sur une route qui passe devant un moulin, VENTEDENON, 1826. Une Habitation quisemb\to être l'entré'
deuxcavaliers rencontrentun chariot trainé par trois chevaux. d'un monastère, près d'un pont; 525 fr.
— Ces deux derniers tableaux étaient attribués à Paul Bril VENTE VIGNERON, 1828. Fin d'une bataille ; 301 t'r.
par l'ancien catalogue. VENTE CARDINAL FESCH, 1845. Deux pendants : la Houle
Il n'y a pas de Jean Breughel au MUSÉE D'ANVERS, et il est dans le bois ; autre Route où l'on voit un cavalier, un garde-
permis de s'en étonner. Le MUSÉE DE BRUXELLES n'en possède chasse et ses chiens; ensemblc87seudi,envil'on 465 francs.
qu'un l'Abondanceet l'Amour répandent leurs dons sur la VENTE COTTREAU 1850. Orphée aux Enfers ; 281 fr.
, ,
terre. Les figures sont de Van Balen. VENTE MARÉCHALSOULT, 1852. t'I
Vierge et l'enfant, figul't,:o-
On trouve des Breughel aux MUSEES DE LA HAYE et D'AMS- de Rottenhamer ; 638 francs.— Vénus et Adonis; 355 francs.
TERDAM à DRESDE, à MUNICH, à BERLIN,
aussi
,
à VIENNE ; on en voit Nous donnons ci-dessous les signature et initiales qu'on
à TURIN dans la GALERIE DU ROI DE SARDAIGNE;de fort trouve sur quelques-uns des tableaux de ce maître.
.
beaux à MILAN, entre autres, deux ovales sur ivoire encastrés
dans un bénitier. FLORENCEen possède beaucoup, peints sur
marbre ou pierres précieuses.
On retrouve encore les Quatre Éléments au MUSÉE DE
MADRID.
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PIERRE-PAUL RUBENS
NÉ EN 1577
- MORT ES 1640.
1 M. Wallraff fit placer, en 1822, ces deux inscriptions. Dans la première se trouvent ces mots qui ont excité au plus haut
degré les prétentions nationales de la Belgique :
\1 notre Pierre-Paul Rubens, l'A-pelles de l'Allemagne, etc. » — (Voyez à ce
critiques ne sont pas d'accord sur son origine. Les uns le font descendre d'une noble famille de Styrie;
Barthélemy Rubens, son aïeul, aurait accompagné Charles-Quint à la diète de Worms et brillé parmi les
plus beaux cavaliers de la cour de l'empereur à Bruxelles. La manière somptueuse que le peintre a
déployée dans ses ouvrages serait une impression d'enfance que devait plus tard développer en lui la
fréquentation des cours.
D'autres écrivains nous assurent que Rubens appartenait à cette race demi-bourgeoise, demi-plébéienne,
race intelligente, sensuelle, âpre au travail et au lucre, ambitieuse d'honneurs, et dont le génie abondant
et vivace manqua toujours d'élégance et d'idéalité. Voilà, disent ces derniers, comment l activité de Rubens
lui procura tant de richesses et put suffire à la rapide exécution de ses toiles dont le nombre est tellement
prodigieux et les dimensions si vastes, que l'on pourrait décorer, pour ainsi dire, en les y réunissant, la
plus grande rue d'une grande ville ; pourquoi, enfin, le peintre affectionnait tant ces formes sanguines,
sujet un article sur ces inscriptions dans le Messager des sciences et des arts de Gand, liv. ix etx de l'ancienne série, 1823. )
Le lieu de naissance de Rubens a soulevé pendant longtemps de très-vives controverses. Pour le faire naître à Anvers, on s'est
appuyé sur un passage de la vie de Philippe Rubens , frère du peintre et célèbre par sa science des antiquités. On lit dans cette
vie, écrite par Jean Brandt, que la régence d'Anvers appela de Rome Philippe Rubens pour lui conférer la charge de secrétaire
de la ville ; mais que cette fonction ne pouvait être remplie que par une personne jouissant du droit de bourgeoisie accordé aux
seuls Brabançons. On allégua que l'on pouvait faire une exception à la règle en faveur d'un savant tel que Philippe Rubens, bien
qu'il ne fût pas né à Anvers, où tous ses frères, sœurs, père, mère et ancêtres avaient vu le jour, « ubi fratres (par conséquent
Pierre-Paul Rubens), sorores, uterque parens, aliique rétro majores hùnc aerem primum hausêre. — (Voy. les Nouveaux
Mémoires de l'Académie de Bruxelles, tome VI : Généalogie de la famille de Rubens, par le baron de Reiffemberg.)
On a beaucoup discuté, dit M. Émile Gachet, de la commission royale d'histoire de Belgique, sur les prétentions réciproques
d'Anvers et de Cologne au sujet de la naissance de Rubens. On a dit en faveur d'Anvers que si les registres des églises ne
gardaient nulle trace de son baptême, il fallait en accuser les troubles de religion au milieu desquels il était né. On a ajouté que
la preuve la plus convaincante que Rubens était né à Anvers, c'est qu'il lui eût été impossible sans cela d'exercer dans cette ville
les droits de bourgeoisie et par conséquent de faire partie de la corporation des peintres. Toutes ces raisons doivent tomber, selon
Cologne s'explique,
nous, devant les faits suivants : en premier lieu, la non-inscription sur les registres d'Anvers et de
non-seulementpar les troubles qui agitaient le pays, mais bien mieux encore par la religion que suivait Jean Rubens le père, et
pour laquelle il s'expatria.
En second lieu, pour le fait du droit de bourgeoisie que nous reconnaissons comme le plus spécieux, on doit avouer cependant
qu'il serait possible de trouver des exceptions à la règle générale, et que Rubens à son retour d'Italie avait plus qu 'un autre
mérité qu'on fît plier cette règle en sa faveur ; ceux qui ont vu attentivement les registres de la corporation de Saint-Luc le
savent de reste. Enfin, et ce dernier point semble trancher la question, puisqu'il est vrai que Jean Rubens a quitté Anvers
Philippe, et qui fut l'aîné de notre
en 1568 , et qu'il est allé s'établir à Cologne, où il eut, en 1574, un fils qui s'appela
peintre (car c'est là un fait incontestable que Jean Brandt a consigné lui-même dans la biographie de Philippe Rubens écrite et
imprimée en 1615), à qui fera-t-on croire que Marie Pypelincx soit revenue tout exprès à Anvers, en 1577, pour y donner le jour
Rubens son époux, en 1587, après la
au peintre, lorsqu'il est avéré qu'elle ne rentra dans cette ville qu'après la mort de Jean
pacification? En un mot, quel homme de bonne foi ne s'en tiendra pas au témoignage contemporain du neveu de Rubens
lui-même, à l'auteur de la biographie du grand artiste si longtemps attribuée à Gevaerts, et restituée enfin à Philippe Rubens
par M. le baron de Reiffemberg?
P.-P. Pubens écrivait d'Anvers au peintre George Geldorp, qui avait été chargé de lui demander un tableau d autel pour
l'église de Saint-Pierre de Cologne : « Si je pouvais choisir ou désirer un sujet à mon goût, relativementà saint Pierre, je
(1 prendrais son
crucifiement avec les pieds en haut. Il me semble qu'il y a là pour moi de quoi faire quelque chose
« d'extraordinaire. Du reste,
j'en laisse le choix à celui qui en fera les frais et jusqu 'à ce que nous ayons vu quelle sera la
« dimension du tableau. J'ai une grande
affection pour la ville de Cologne, où j'ai été élevé jusqu 'à l âge de dix ans, et bien des
« fois, depuis tant d'années, j'ai eu
le désir de la revoir. » Cette lettre, ajoute M. Émile Gachet, fait voir clairement que Rubens
n'a pas donné le tableau de saint Pierre à l'église de Cologne en souvenir du baptême qu'il y aurait reçu, ainsi que l 'on a voulu
le prétendre ; mais elle est loin aussi de fournir des arguments à ceux qui soutiennentque Rubens n'est pas né à Cologne, et de
quelque manière que l'on tourne les expressions dont le peintre s'est servi, il est impossible de traduire la phrase : lek aldaer
ben obgevoedt tot het thienste jaermyns levens, autrement que par ces mots : « J'ai été élevé à Colognejusqu'à l'âge de
dix ans. » Si cette façon de parler n'implique pas la naissance, elle la rend au moins plus que probable. Au surplus, ce sont là
des discussions puériles. — (Voy. les Lettres inédites de P.-P. Rubens, publiées par Émile Gachet, in-8 , Bruxelles, 1840.)
L'introduction de M. Gachet est un travail intelligent et sérieux. TH. SILVESTRE.
exubérantes, ces musculatures herculéennes ; amour exagéré de l'action qui, étouffant la pensée de l'artiste
sous le poids de la matière, donnait aux saints les formes des athlètes, aux femmes et aux vierges l'énorme,
la rouge beauté de ces virago du peuple nourries de la vapeur du sang dans l'atmosphère des boucheries.
Mais, noble ou roturière ', l'origine du peintre ne suffirait pas à expliquer ses œuvres. Sans doute le
génie peut subir quelquefois les influencesqui l'environnent mais il est toujours
; assez fort par lui-même pour
se soustraire à celles qui sont puériles. L'artiste, même, n'a plus ni patrie ni famille lorsque ses œuvres
t Michel, de Piles, Van Grimberghe et une foule d'autres biographes assignent à Rubens une noble origine. Descamps,
Félibien, Dargenville, Houbraken, etc., ne disent rien de
ses aïeux. Le baron de Reiffemberg lut, en 1833, à l'Académie de
Bruxelles, un mémoire généalogique dont voici le titre et
un extrait : Généalogie de la famille de Rubens, tirée des manuscrits
et des ouvrages imprimés de Butkens, Van der Leene, Le Roy, Foppens, de Vesiano, Hellin,
etc.
« Barthélemi Rubens, d'une famille noble, originaire de Styrie, établi aux Pays-Bas avant l'an 1528, épousa Barbe Arents,
font le tour du monde; son âme est partout dans chacun de ses tableaux. Il est une influence plus sérieux
qui devait dominer le peintre comme elle domine tout le monde : sa propre organisation, son tempérament.
Deux principes se querellent éternellement dans l'homme : son esprit et son corps. La partie la plus forte
de nous-même subjugue l'autre, exagère sa victoire et la proclame dans nos œuvres. Toutes les religions ont
connu cet antagonisme que le poëte Horace appelait l'homme double. La matière domina chez les païens.
aussi divinisèrent-ils leurs ivresses physiques : Bacchus, le vin; Vénus, l'amour. Les chrétiens, au contraire,
en soumettant la chair à l'esprit, voulurent glorifier les austères vertus et remplacer les divinités brutales
du paganisme par des personnificationsaugustes dont l'âme dominait le corps. S'il appauvrit la beauté
physique, le christianisme donna plus d'expression à la figure humaine et l'illumina de plus vives clartés.
La pensée s'affranchit de l'animalité, l'art grandit en beauté morale. Mais toute puissance s'exagère la
:
nature physique, outragée par la réaction spirituelle du christianisme, ne devait pas tarder à revendiquer
ses droits. Cette lutte dure encore; voilà la cause de nos hésitations dans l'art dont la vérité absolue doit
sortir, un jour, de la réconciliation entre toutes les facultés de l'homme.
On se plait, assez généralement, à diviser les talents en intelligences et en tempéraments, en
penseurs
et en hommes d'activité. Cela est surtout vrai pour les peintres. Aussi faut-il s'appliquer à surprendre dans
leur organisation particulière, dans leur caractère, le secret de leurs ouvrages, qui, à vrai dire, ne sont
que les miroirs de leur personnalité.
Rubens est une nature païenne, un tempérament, une activité.
La peinture flamande avait conservé une grandeur originale pendant toute la durée du xve siècle. Éprise des
croyances naïves et des beautés de l'art gothique, elle s'abîmait dans la contemplation, au fond des cathédrales
pleines de visions enivrantes et de mystérieuses terreurs. Pénétrant par la foi les secrets de l'art chrétien
ennemi de la vie mondaine, les peintres avaient montré beaucoup d'éloignement pour les sujets profanes.
Leurs immages pieuses, chastement drapées, offraient un double caractère de roideur et de naïveté, fidèle
expression de la pensée chrétienne, mélange de sévérité et de tendresse. Les corps des apôtres, des saints,
des vierges, des martyrs, maigres et diaphanes, semblaient faits d'une essence toute spirituelle, et l'âme
illuminait leurs visages comme un rayon de la lumière incréée. Mais les agitations du XVje siècle viennent
réveiller l'art de ses songes mystiques : la peinture flamande se fait réaliste et voyageuse. Si l'un de ses
maîtres fervents avait, naguère, entrepris un pèlerinage à la Terre-Sainte, ses peintres aimèrent mieux
ensuite courir l'Italie et butiner, comme un essaim d'abeilles, dans toutes les écoles. S'abandonnant à
l'unique penchant de leurs préférences individuelles, ils imitent, tour à tour, Léonard de Vinci, le Titien,
Véronèse. Dans son enthousiasme pour Michel-Ange, François Floris exagère la forme, et bâtit pour ainsi
dire, dans la peinture, les colosses que le grand sculpteur a taillés dans la pierre ; Martin de Vos s'attache à
reproduire le coloris des Vénitiens; Otto-Veniusles magiques lumières et les ineffables douceurs du Corrége.
Telle est la situation de la peinture flamande, au moment où Rubens nous apparaît dans l'histoire de l'art.
Il y avait, en 1566, dans le conseil d'Anvers, un échevin nommé Jean Rubens. Il y vivait paisiblement
avec sa femme Marie Pypelincx, qu'il avait épousée au retour d'un long voyage en Italie. En ce temps-là,
Philippe II, roi d'Espagne, opposait, dans les Pays-Bas, une oppression farouche aux envahissements de la
liberté de conscience que la noblesse belge, secrètement liguée avec la noblesse de France, d'Allemagne et de
Hollande, défendait contre la Sainte Inquisition. Une révolution sanglante fermentait au cœur des Flandres ;
épiés, poursuivis de ville en ville, à travers les campagnes et jusqu'au fond des bois, les religionnaires se
dite Spirinck, native d'Anvers, de laquelle il eut un fils Jean Rubens, le -18 mars 1530. Jean épousa Marie Pypelincx. Leur
septième enfant fut Pierre-Paul Rubens, etc... » (Nouveaux mémoires de l'Académie de Bruxelles, tome VI.)
M. Gachard, dans sa brochure intitulée : Particularités et documents inédits
sur Rubens, Bruxelles, 1842, s'exprime en ces
termes : « Rubens, n'étant pas noble, ne pouvait être fait chambellan, et quant à la dignité de conseiller d'État, elle était réservée
aux seigneurs les plus éminents du pays, à des personnages tels que le prince d'Orange, le duc d'Arschot, le comte de Solre, etc. »
L opinion de M. Gachard est la véritable. I\ous verrons, dans la suite de cette monographie, quelle fut l'insolence du noble duc
d'Arschot envers le roturier Rubens.
k'ventîeiTbaiHles exaspérées : les orateurs fanatiquesenivrent les âmes; les orgies de la révolte répondront aux
excès de l 'oppression. Réduits à exercer en plein soleil, dans les ravins et les lieux sombres,
un culte
maudit, les proscrits s'exaltent au sein de la nature qui verse dans les cœurs blessés ses inspirations
sauvages. Leur fureur s'allume à la vue des magnifiques cathédrales où d'implacablespersécuteurs exercent
un culte dont l'opulence contraste si fortement avec leur misère. Artisans des villes, mariniers, paysans,
armés de faux, de haches, de mousquets, se répandent dans la Flandre occidentale et portent la dévastation
dans les églises et les couvents : les autels tombent, les statues sont mutilées, les tableaux sont promenés
à la pointe des fourches, les livres brûlés à la voix des prédicateurs montés en chaire la torche à la main;
Saint-Omer, Ypres, l'abbaye de AVewelgen Menin, Commines, Warwic, Lille, voient passer la destruction
comme un torrent de lave qui, toujours grossissant dans sa course, arrive à Anvers. On y célébrait, ce jour-là,
la fête de l'Assomption au milieu d'un concours extraordinaire d'étrangers. La cathédrale est envahie, la statue
de la Vierge traînée la corde au cou est décapitée sur les dalles; un Christ, magnifique sculpture, est mis en
pièce. On arrose le sol, on lave les chaussures avec le vin et l'huile des sacrifices; on brise les sépulcres pour
disperser les ossements. Vivent les gueux! vivent les queux l était le cri de ralliement de cette foule enivrée.
Les belles orgues tombent en pièces gémissantes ; les grands cierges éclairent cette orgie de leurs flammes
mystiques ; le tocsin sonne; Anvers tremble dans les ténèbres, et le soleil se lève sur les débris de soixante-dix
autels. Quatre jours suffisent au ravage de quatre cents églises, seulement dans le Brabant et la Flandre.
A la nouvelle de ces événements,la colère de Philippe II n'eut plus de bornes : il envoya dans les provinces
révoltées le duc d'Albe, homme d'un caractère implacable qui y promenal'extermination. Alors la noblesse
belge, tirant l'épée, se jeta résolûment à la tête de la guerre civile : le sang coulait par torrents sur les places
publiques et dans les batailles; les têtes des comtes de Horn et d'Egmont, d'un grand nombre de nobles et de
bourgeois avaient roulé sous la hache du bourreau. Il n'y avait plus un asile dans les Pays-Bas pour quiconque
était soupçonné d'attachement aux libertés publiques2. Jean Rubens se sentit menacé. On lui supposait de
secrètes sympathies pour les martinistes ou luthériens et des relations de conspirateur avec Guillaume le
Taciturne •
« Monsieur Bubens, — lui écrivait le prince de Chimay, — le roi d'Espagne nous
subjugue de rechef par son
barbare et tyrannique gouvernement dont ma mémoire est encore si fraische, j'aimerois mieulx de ma part
d'endurer tout tes traverses du monde, pour nous défendre jusqu'à la dernière goutte de mon sang, etc.3. »
Mais Jean Bubens, chargé de famille, préféra se retirer à Cologne (1568). C'est là que durant la neuvième
année de son exil, naquit un septième enfant, le 29 juin 1577, jour de la fête des deux apôtres Pierre et
Paul dont il prit les noms.
Un grand peintre venait au monde, dont l'étonnante fécondité devait, non-seulement réparer les désastres
que les révolutions avaient fait subir aux arts dans sa patrie, mais enrichir encore les églises, les musées,
les galeries de toute l'Europe, de Rome à Paris, de Londres à Saint-Pétersbourg, de Milan à Vienne.
Pierre-Paul commença ses études au collége des jésuites de Cologne avec cette facilité qu'il doit montrer
en toutes choses dans le cours de sa vie. Il perdit son père en 1587. Anvers était depuis deux ans tranquille ;
la veuve Rubens voulut retourner dans sa ville natale, où elle déploya la plus grande habileté à récupérer
une partie de ses biens. C'est de sa mère, assurément, que le peintre tenait cet esprit d'ordre, cette vigilance
des intérêts, cette ruse de caractère qui, en le faisant accuser plus tard d'avarice et de duplicité, le rendirent
si utile, comme homme politique, aux princes de son temps et surtout à lui-même. Le jeune homme, placé en
qualité de page chez la veuve du comte de Lalain, s'ennuya bientôt de cette vie oisive et la quitta pour suivre
sa vocation. Il entra, dans l'atelier d'Adam Van Noort, peintre d'histoire réputé à Anvers comme coloriste4.
Après avoir étudié quatre années sous la direction de Van Noort5, Rubens entra dans l'atelier d'Otto-Venius,
4 « Ad picturae studium impulsus a matre impetravitut Adamo Van Noort, pictori Antverpiensi instituendustraderetur. » (Phii.
Rub., Vita P. P. Rubenii. Voy. Nouveaux Mémoiresde l'Acad. de Bruxelles, tome X; Mémoire de M. le baron de Reiffemberg.
II c Sub hoc magistro (Van Noort) prima artis suae fundamenta par annos quatuor posuit. » (Ibid.) -
peintre officiel de l'archiduc Albert et de l'Infante Isabelle, gouverneurs des Pays-Bas. Otto-Veniusavait reçu
une éducation savante que le séjour des cours de l'Europe avait animée et embellie. Trop érudit pour être
un homme d'originalité et d'inspiration, Otto-Venius n'était qu'un charmant imitateur des maîtres; l'on peut
dire que pourtant Rubens n'apprit guère de lui que les belles manières, l'amour excessifdes lettres et le faux
goût des allégories. Il y avait près de quatre ans que Rubens travaillait avec son second maître1 ; mais sa
personnalité l'entraînant vers des études plus fortes et plus libres, il résolut de partir pour l'Italie. Otto-Venius
présenta son élève chéri à l'archiduc Albert et à l'Infante, qui, ravis de l'élégance du jeune artiste, lui
donnèrent des lettres de recommandation pour plusieurs souverains. Mais, suivant Bellori, Rubens avait des
qualités capables de lui servir de protection en tout lieu : — « Il était grand, bien fait, d'un beau sang, d'un
fort tempérament; à la fois doux et fier, noble dans ses manières, distingué dans ses vêtements; il portait
ordinairement une chaîne d'or à son cou. »
Il partit pour l'Italie, le 9 mai de l'année 1600.
Venise, que l'enthousiasme des artistes, des poëtes, des voyageurs, avait tant glorifiée entre toutes
les villes d'Italie, attira d'abord son ardente curiosité. Pendant qu'il y étudiait les maîtres coloristes, un
' «Deinde sub Ottonis Yenii pictorum belgicorum illo tempore principis disciplina alios quatuor annos fere exegit. » (Ibid,)
2« Fu egli di statura grande, ben formato e di bel colore e temperamento; era maestoso insieme e humano, e nobile di
maniere e d'habiti, solito portare collana d'oro al collo, etc.. »
gentilhomme de la cour du duc de Mantoue, logé dans l'hôtellerie où le peintre était lui-même descendu,
témoigna le désir de le voir travailler dans son atelier. L'aspect de quelques toiles commencées et la
conversation de l'artiste charmèrent le gentilhomme, qui, de retour à Mantoue peu de jours après, parla au
duc Vincent de Gonzague du talent et du caractère de Rubens avec une telle chaleur, que le duc prit la
résolution de l'appeler auprès de lui et de l'attacher à son service. Rubens quitta Venise pour Mantoue. Le
duc Vincent y possédait une galerie très-riche en ouvrages de Jules Romain. Au dire de certains biographes,
et notamment de M. Van Ilasselt, auteur d'une vie de Rubens consciencieusementécrite, mais pleine
d'enthousiasme national, Rubens s'appliquait à les imiter en ce qu'elles avaient de fougueux, c'est-à-dire
de sympathique à sa propre nature.
Il y a plus de science que de fougue dans les œuvres de Jules Romain. La fougue, dans les ouvrages de
Rubens, ne rappelle en rien Jules Romain ; et, d'ailleurs, un maître n'enseignejamais il un autre l'emportement
des facultés. Privilège exclusif des natures inspirées, la fougue suffit à elle seule, à l'originalité, il la gloire
des plus grands peintres : le Tintoret, Rembrandt, et, de nos jours, Delacroix, voilà les hommes fougueux.
Ivresse de la pensée, orage des passions, ardeur tumultueuse de tout ce qui respire, mystérieuse violence
de la nature inorganique, la fougue tourmente à la fois l'homme, les animaux et les éléments. Elle s'épanche
de nos cœurs par l'amour, la haine, la douleur; jaillit des entrailles de la terre par le cratère des volcans,
se précipite avec les fleuves, traverse le ciel sur l'aile des tempêtes. C'est elle qui soulevait d'une sainte
horreur la chevelure des sibylles, et qui, de tout temps, donna l'audace au guerrier, la fièvre au poëte,
l'exaltation au croyant, l'héroïsme au martyr. Jules Romain ne connut pas la fougue : avec toute son
imagination,toute son énergie, il resta toujours soumis à l'influence de Raphaël, son maître, dont le tranquille
génie poursuivait l'idéal de l'ordre, l'harmonie des lignes. Calculé dans tous les détails de sa vie, froid dans
sa sagesse, éloigné d'ailleurs, par l'activité des affaires, du recueillement, source des grandes aspirations,
Rubens ne fut pas davantage un homme de fougue. La surabondance, l'ivresse de la vie qui nous frappent
dans ses ouvrages, ne résultent pas de l'exaltation du cerveau, mais de la hardiesse du coup d'œil et de
la vigueur du pinceau. L'amour excessif de la mythologie, l'habitude des toiles d'une immense étendue, les
réminiscences de Michel-Ange, et, surtout, cette superfétation grandiose qui caractérise l'œuvre de tous les
maîtres venus en des époques de décadence : voilà les seules analogies qu'il soit possible de trouver entre
Rubens et Jules Romain. Rubens est infiniment plus vivant. Sa Kermesse, ses Chasses, quelques sujets
bibliques, la Bataille des Amazones, sont les incomparables triomphes de la hardiesse, de la fierté, de
l'opulence pittoresque. Les trois premiers tableaux de Rubens ornèrent l'église de Mantoue et trois autres,
à la demande des archiducs gouverneurs des Pays-Bas, embellirent l'église Santa-Croce di Gerusalemmc
.
le Couronnement d'épines, le Crucifiement, l'Invention de la Croix. Suivant les conceptions tourmentées
ordinaires à Tintoret, les deux pieds du Crucifié ne sont pas cloués. Le peintre sacrifiait ici la tradition
chrétienne pour montrer avec plus d'énergie les convulsions de la mort physique1.
Chargé bientôt après, par le duc Gonzague, d'une mission secrète à la cour d'Espagne, Rubens partit sous
le prétexte d'offrir au roi Philippe III un carrosse, sept chevaux magnifiques et de riches présents destinés au
duc de Lerma, premier ministre2. A Rome, le pape, les cardinaux Chigi, Rospiglioso, Colonna, la princesse
de Scalamarre, les pères de l'Oratoire, demandèrent plusieurs ouvrages au peintre, qui ne tarda pas à visiter
Florence. L'influence exercée sur lui par la manière grandiose de Michel-Ange fut si profonde qu'il n'en
perdit jamais l'empreinte souveraine.
De Florence, Rubens se rendit à Bologne; mais le dessin correct et la composition sévère des Carraches
n'avaient rien à dire à son génie ennemi de la simplicité.. A Milan, il fit la copie de la Cène de Léonard d(
Vinci et un tableau pour la bibliothèque Ambroisienne, la Vierge et l'Enfant Jésus dans un cercle de fleuiv
1 Ces trois ouvrages passèrent dans la suite en Angleterre. Le second, acheté en 1821 par le comte de Woronzo, périt en mer
(Van Hasselt, Histoire de la vie et des ouvrages de Rubens, in-8°. Bruxelles, 1840, page 19.)
2 (IMissus est in Hispaniam... ut regi catholico Philippo redam pulcherrimam et septem generosissimos equos offerret, etc. )
(PhilippeRubens. Vit. P.-P. Rub.. dans les Nouveaux Memoires de VAcademie de Bruxclles, loc. cit.)
peint par son ami Breughel de Velours. Puis il courut à Gênes, dont l'opulence et l'activité lui rappelaient
le souvenir d'Anvers et stimulaient son penchant naturel pour le lucre. Sa réputation l'y avait
précédé le sénat, les nobles, les marchands, le convièrent à des fêtes splendides,
. et se disputèrent, Ù
prix d'or, ses tableaux et ses portraits. Le peintre avait dessiné les églises et les palais de Gênes, dont
le recueil fut dans la suite publié à Anvers,
sous ce titre : Palazzi antichi e moderni di Genova raccolti c
disegnati. Mais un douloureux événement vint l'enlever à l'Italie
: une lettre d'Anvers lui annonçait In
dangereuse maladie de sa mère. 11 partit toute hâte
en pour la revoir; àson arrivée, elle n'était plus (1608V
Rubens avait passé huit années en Italie sous la protection constante du duc de Mantoue, courant de ville
en ville, d'école en école, de chef-d'œuvreen chef-d'œuvre. Doué d'une grande activité, d'une vaste mémoire,
d'une facilité d'assimilation peut-être inconnue jusqu'à lui; tour à tour Italien en Italie, Espagnol en
Espagne, la souplesse qu'il avait à se transformer ne lui enleva rien de sa nature et de son originalité
flamandes. S'il a souvent montré la plus grande habileté à couvrir des apparences d'un génie créateur des
ressouvenirs et des imitations, s'il a sucé, pour ainsi dire, la moelle des plus grands maîtres, en demeurant
lui-même, il faut dire que jamais il ne lui fut possible de se défendre d'un grand éloignement pour ceux
dont le tempérament était opposé au sien. Rubens se retira quatre mois dans l'abbaye de Saint-Michel où
sa mère avait été ensevelie, pour donner un libre cours à sa douleur. Puis, il tomba dans une mélancolie
profonde, le mal de l'Italie. Il se disposait à y retourner; mais les archiducs, jaloux de conserver auprès
d'eux l'artiste, et surtout le diplomate, en un moment où ils avaient avec la Hollande des relations
difficiles, l'attachèrent à leur service par une riche pension, par une chaîne d'or, suivant l'expression de
Philippe Rubens, son neveu et son biographe 1. Pour se délivrer des distractions de la cour de Bruxelles,
le peintre se réserva de séjourner habituellement à Anvers où il se tiendrait toujours prêt à répondre
au
premier appel de ses princes, et comme la trêve de 1609, signée à Anvers et à La Haye, lui faisait espérer
quelques années de calme pour son pays si longtemps bouleversé, il se maria avec la fille d'un riche
sénateur d'Anvers, Isabelle Brandt, beauté robuste dont le portrait a pris trop souvent dans son œuvre la
place de l'élégance et de la grâce. Rubens acheta une grande maison sur la place de Meer et la fit
entièrement reconstruire à l'italienne : entre la cour et le jardin s'élevait une rotonde à fenêtres cintrées,
surmontée d'une lanterne de Panthéon. Dans ce musée, où conduisait un escalier royal, l'artiste fit placer
les riches objets d'art recueillis dans ses voyages : tableaux, statues antiques, bustes, bas-reliefs, médailles,
onyx, agates, et, jusqu'à la fin de ses jours, il conserva en Italie des correspondants fidèles qui faisaient
pour son compte de fréquentes acquisitions. Le sculpteur Duquesnoy, son compatriote et son ami, était
plus particulièrement chargé de ces soins intelligents. La fortune du peintre grandissait avec sa renommée
:
« Il n'y avait pas de prince et d'amateur qui ne voulût avoir quelque chose de lui2. »
La construction de sa demeure fut la singulière occasion qui donna naissance à l'un de ses chefs-d'œuvre,
la Descente de Croix de la cathédrale d'Anvers. Vers l'année 1610, Rubens avait acheté une partie d'un
terrain qui appartenait à la confrérie dite des Arquebusiers. Pour agrandir le plus possible et gratuitement
sa maison, le peintre empiétait sur le terrain de ses voisins. Un procès allait commencer, lorsque M. de
Rockox, son ami, ancien bourgmestre et capitaine du Serment, exhorta ses confrères à la conciliation il
:
fut entendu que le peintre ferait un tableau pour la chapelle qu'ils avaient à la cathédrale. Le sujet désigné
était un des principaux traits de la vie de saint Christophe, patron de la confrérie. Suivant l'étymologie
grecque du nom de Christophe (xpt,,.,roi, ?epsiv), Rubens conçut la pensée de la Descente de Croix, triptyque
où se trouvent réunis tous les personnages qui ont porté Jésus durant le cours de sa vie mortelle
: on voit
sur l'un des volets, la Vierge enceinte qui rend visite à Elisabeth; sur l'autre, Siméon tenant dans ses bras
l'enfant présenté au temple ; sur le revers des volets, saint Christophe et un ermite qui cherche, avec une
lanterne, à passer le gué d'une rivières.
Le sujet principal est composé de neuf figures : des ouvriers, au sommet de deux échelles, font descendre
-
Sandrart
3 Extraitdes registres du Serment et de la confrérie des Arquebusiers d'Anvers, ayant rapport à la transaction de
Ilubens avec les supports, touchant le tableau la DESCENTE DE CROIX, posé au retable de leur autel dans la cathédrale
:
Le 7 septembre 1611 a été passé le contrat du dit tableau, à la salle des Arquebusiers, entre
ces messieurs et Pierre-Paul
Rubens, en présence de M. Nicolas Rockox, ancien bourgmestre et leur capitaine.
Dépensé en vin d'honneur aux élèves, lors des trois visitations des panneaux dans la maison du dit Rubens... fl. 9, 10.
En 1612, le dit tableau a été transporté de la maison du dit sieur Rubens à la chambre du dit Serment.
Item, payé en différentes fois, tant pour le transport des dits panneaux, des matériaux
pour l'échafaudage, le transport de
le corps du Christ, il l'aide d'un linceul que l'un tient avec ses dents, l'autre de sa main gauche. Fortement
appuyés sur les bras de la croix, ils se penchent, pour accompagner de leur main restée libre, le Christ que
saint Jean, un pied sur l'échelle, les reins cambrés, soutient avec énergie. Un des pieds du Sauveur s'arrête
sur la belle épaule de Madeleine, en effleurant sa chevelure d'or. Joseph d'Arimathie et Nicodème, placés en
face l'un de l'autre sur le milieu des échelles, forment avec les deux ouvriers de la partie supérieure du
tableau un carré de figures robustes, mais vulgaires. La Vierge, debout au pied de l'arbre du supplice, tend
les bras vers son fils; Salomé accroupie relève sa robe. On voit, à terre, une légende et un vase de cuivre,
olt, dans le sang coagulé, trempent la couronne d'épines et les clous du crucifiement.
La foule, toujours enivrée par le spectacle des supplices, vient de s'éloigner du Golgotha au jour mourant.
Le ciel triste et noir, après le sacrifice du Calvaire, comme il est dit dans l'Ecriture, est traversé par une
lumière qui éclaire les épaules de l'un des ouvriers dont l'attitude hardie rappelle la composition de Daniel
de Vol tei-i-e. Si cette lumière était seule et plus large, la Descente de Croix de Rubens ne serait pas sans
quelque rapport avec la manière de Rembrandt; mais la couleur de la chair du Christ, opposée à l'éclat du
linccul, produit ici une lumière dominante à laquelle sont subordonnés, suivant la manière vénitienne, de
petits clairs qui passent sur la tête et les épaules de Madeleine, les visages de Marie, de Salomé et de Joseph.
Rembrandt n'employait le plus souvent qu'une seule masse de lumière; Rubens et les Vénitiens, au
contraire, en disposaient plusieurs dans une habile gradation, de même qu'ils avaient pour habitude de
donnera leurs figures des places relatives dans la composition, sans en sacrifier une seule d'une manière
absolue1. Mais les plus grands effets sont toujours produits par les peintres capables de sacrifice, et Rembrandt
l'a victorieusement prouvé. Ramenant sa pensée, son âme tout entière en un point principal de l'ouvrage,
il y entraîne l'âme du spectateur par une invincible fascination. Rubens qui, :ni contraire, n'aime à rien
l'atelier dans le vestibule, etc., el de là, à la chapelle, etc., la livraison des matériaux, les frais des ouvriers, priseurs,
entrepreneurs, par signification fl. 176, 14 1/4
Item, le 16 janvier 1615, on a fait accord avec Pierre-Paul Rubens et David Remeeus, doreur, touchant
leurs ouvrages et travaux en présence des doyens, etc ; dépensé alors fl. 46, 18.
Jtem, le même jour, payé à compte au dit sieur Pierre-Paul Rubens fi. 1000.
Item, payé à David Remeeus pour la dorure des cadres du tableau el deux volets, presque fl. -HO.
ltCI/!, l'an 1615, payé pour 323 pots de bière consommés par les ouvriers en construisant la muraille fl. 40,. 2.
.
i\. B De cette somme le dit sieur Rubens doit payer la moitié, mais point du reste.
Item, l'an 1615, payé pour une paire de gants présentée à l'épouse du dit sieur Rubens
....
(Ici plusieurs autres dépenses dont nous supprimons la mention, et qui se trouvent dans cet accofrd.)
fl. 8, 10.
Item, le 16 décembre 1622, le doyen Jean de Leese a passé son compte général d'administration et délivré à la chambre
(l'assemblée des supports) la quittance générale du sieur Pierre-Paul Rubens, peintre, par laquelle celui-ci reconnaîtavoir reçu
la somme de quatre cents livres de gros (2,400 fl.) en payement entier du tableau posé sur l'autel en date du t6 février 1621.
Recherché et collationne es registres de la chambre des aiquebusiers d'Anvers parle soussigné, secrétaire de la dite chambre.
Anvers, le 2i juillet 1771.
F.-B.- BELTENS.
(Traduit du flamand par M. Gachet.)
1Voici, dit Reynolds, la manière dont je me suis servi pendant mon séjour à Venise pour me rendre utiles les principes des
maîtres de cette école : lorsque je remarquais quelque effet extraordinairede clair-obscur dans un tableau, je prenais une feuille
de mon cahier dont je noircissais toutes les parties dans la même gradation de clair-obscurque l'était le tableau, en laissant intact
le papier blanc pour représenter la lumière, et cela sans faire attention au sujet ni au dessin des figures. Quelques essais de cette
espèce suffisent à faire connaître la méthode des peintres vénitiens dans la distribution des jours et des ombres : un petit nombre
d'épreuves me convainquirentque le papier était toujours tacheté à peu près de la même manière, et il me parut que la pratique
générale de ces maîtres était de ne pas donner plus d'un quart du tableau au jour, en y comprenant la lumière principale et les
lumières secondaires; un autre quart à la plus forte ombre possible, et le reste aux demi-teintes. Il paraît que Rubens a donné
plus d'un quart de ses ouvrages à la lumière et Rembrandt beaucoup moins, c'est-à-dire tout au plus un huitième; ce (lui fait que
sa lumière est extrêmementbrillante.
(REYNOLDS, Œuvres complètes, tome If, page 187 et 188, in 8°; Paris, 1807.
sacrifier, fatigue bientôt l'attention, en l'appelant à la fois par un égal intérêt dans toutes les directions de
la toile. Si ses figures sont supérieurement exécutées, aucune d'elles ne nous subjugue
par un vrai cachet
d'idéalité ; lorsque la lumière inonde ses tableaux, nous ne savons d'où elle arrive, et l'on croirait volontiers
que le peintre avait l'habitude de travailler en plein air. Aussi, admirable par le mouvement des groupes,
la splendeur des décorations, la limpidité des fonds, est-il resté inférieur dans l'étude des types, dans
l'expression de l'âme, qui, fuyant le tumulte et l'éblouissement du monde, aime à se retirer dans l'ombre
mystérieuse des rêves. Rembrandt, nature méditative, semble avoir peint, du fond d'une prison,
ses
hallucinations sublimes : la lumière rendue si vive par les ombres ambiantes, c'est le chemin des apparitions
qui descendaient à lui, et par lequel s'élevait son âme; ces lueurs soudaines sont les éclairs de
son génie
ardent, concentré comme le foyer de la lentille d'Archimède.
Admirable d'exécution, prodigieuse de couleur, la Descente de Croix de Rubens n'a rien de chrétien.
Voyez-vous cette tête pendante, ces membres flasques et pesants, cette mort réelle? Ce n'est
pas l'Homme-
Dieu endormi d 'tin sommeil de trois jours, c'est un Hercule mort à jamais. La dissolution
commence; ce
cadavre va retourner aux éléments, la poussière à la poussière; point de résurrection à la mort païenne;
plus rien au delà du tombeau. Et cette robuste matrone, drapée à la manière des pleureuses
que l'antiquité
payait aux jours des funérailles, c'est la Vierge dont la résignation et la foi devraient étouffer les sanglots
humains. Combien Lesueur a mieux senti la poésie du christianisme! Autant il est inférieur à Rubens
par
la hardiesse, l'éclat et la vigueur, autant il le surpasse, dans le même sujet,
par la suavité du sentiment.
Sans doute, l'énergie du drame de Lesueur est affaiblie par la dispersion des personnages; mais
comme
chaque tête est expressive! En elles, la foi a surmonté la douleur, comme le Christ triomphera de la mort. Et
ne voit-on pas déjà l'âme rayonner à travers ce corps transparent, pareille à la flamme d'une lampe sacrée?
La tête, doucement inclinée, ne paraît qu'endormie. Mais, il faut le dire, jamais Lesueur n'eût osé opposer
immédiatement la couleur des chairs du Christ à un linceul d'une blancheur aussi éclatante que l'est celui
de Rubens, qui se faisait un jeu des difficultés et des tours de force. Titien lui-même ne l'aurait point tenté
sans amortir le blanc par une de ces teintes dorées qu'il semblait emprunter aux rayons du soleil couchant.
Et qu'importe après tout à Rubens tous vos songes mystiques? N'est-il pas le peintre de la vie, de la vie
bien vivante, le poète de la forte santé que jamais la fièvre de la pensée ne fit pâlir? Croyez-vous qu'il aîmât
ces vieux maîtres flamands avec leurs saints étiques? Des hommes robustes et forts, bateliers, forgerons,
paysans de la Flandre, vivront sur ces toiles, apôtres, saints, martyrs ou bourreaux. Jupiter, Hercule,
Antinous, Mercure, prêteront tour à tour leurs traits au Dieu chrétien. Les amours et les anges, Belges
joufflus à la tête ronde, seront à peine soutenus par leurs ailes.
Chargé par la confiance des princes de négociations délicates, Rubens fut quelquefois redevable à ses
pinceaux du succès de ses ambassades, et la fréquentation des cours doubla l'éclat de son style naturellement
somptueux. C'était vers l'an 1619. La trève de douze ans, signée entre l'Espagne et la Hollande, allait toucher
à sa fin. Épuisée de ressources, la Belgique aspirait à la paix. Seul, le parti national s'agitait, en Hollande, à la
voix de Barnevelt qui ne.tarda pas à mourir sur l'échafaud avec
une stoïcité digne des temps antiques. Le
champ restait libre aux intrigues du prince d'Orange : dévoré d'ambition, Maurice nourrissait le projet de se
rapprocher secrètement de l'Espagne, et l'archiduc Albert prêtait à ses insinuations une oreille complaisante.
Mais, séduit par l'illusion d'une alliance avec l'Angleterre, Philippe III n'écoutait
que le comte de Gondomar,
son ambassadeur a Londres. Celui-ci lui faisait entendre que le duc de Galles, depuis Charles Ier, était résolu à
faire au profit de l'Espagne une descente en Hollande, et à demander la main de l'Infante. De son côté,
Louis XIII, pour contre-balancer l'influence de l'Angleterre unie à celle des protestants français, proposait au
roi d'Espagne une alliance offensive contre la Hollande, foyer de l'hérésie. Pendant les hésitations de
Philippe III, l'archiduc Albert redoublait d'activité pour arriver à un moyen de pacification : une dame
Tserclaes, femme noble, très-catholique, et d'âge fort sage1, lui servait d'intermédiaire auprès du prince
1 Lettre à Peiresc.
2 Au même.
J Ce manuscrit latin fut copié par un certain Johnson pour la Société des antiquaires de Londres. On croit l'original à Paris,
mais il ne nous a pas été possible de le trouver pas plus qu'un autre ouvrage attribué à ce peintre : de Coloribus. Vers la fin
,
de 1772, Jombert, libraire de Paris, acheta, à la vente Huquier, une collection de planches de cuivre gravées d'après tes
dessins de Rubens, et un recueil d'annotationslatines qui déjà avaient été fort mal traduites en français. Jombert les fit traduire
de nouveau ; mais il poussa l'ignorance jusqu'à supprimer, sous prétexte de rêveries, deux chapitres de Rubens : l'un touchant la
cabale et la chimie l'autre relatif à la formation primitive de l'homme créé d'abord hermaphrodite, puis divisé en deux sexes,
,
comme on le voit dans le Drame de la vie humaine de Giorgione, et au mariage de la lune avec le soleil. Au reste, Cardan
,
Albert Durer, Jean-Paul Lomazze, Vincent Scamozzi, et tant d'autres s'étaient déjà livrés à des spéculations de même nature :
ce Ces grandes proportions harmoniques que Lomazze sait découvrir dans le corps humain par les nombres et les tons de la
musique — dit Hilaire Pader, son traducteur — témoignent de la parfaite symétrie de ce petit monde; c'est pourquoi l'homme
est dit le plus parfait œuvre de la nature, l'image du Créateur et le roi des animaux, qui contient dedans soi les quatre éléments :
les opérations de la chimie, les hermaphrodites, le mariage du soleil avec la lune, l'harmonie des mondes.
Aspirations intelligentes vers les hauteurs de l'absolu où toutes les notions humaines, semblables aux rayons
du soleil, convergent à !
éternelle vérité Mais Rubens redevenait bientôt un homme positif, un homme
t
d affaires. D après sa Théorie de la figure humaine, recueil désordonné de réminiscences
et d'opinions
surcroît, l'astrologie y trouve ses astres, la philosophie sa matière et sa forme, et la chymie la différence de ses vaisseaux et
fourneaux. Et ne t'étonne pas si je mêle ici la chymie, car je t'assure que si tu n'es spagyrique tu ne deviendras pas excellent
peintre....
« Des navires, barques, galères et semblables sont tirés du corps humain, à l'exemple de l'arche de Noé.... Ceux qui ont
mesuré ce petit monde ont divisé le corps en six pieds, le pied en dix degrés, et le degré en cinq minutes, qui firent le nombre
de soixante degrés et de trois cents minutes, auxquelles ils parangonnèrent autant de coudées géométriques par lesquelles
l'arche de Noé fut décrite par Moyse; car, comme le corps humain a trois cents minutes de long, cinquante de large et trente
de haut, aussi l'arche fut de trois cents coudées de long, cinquante de large, trente de hauteur. » (Voy. Théorie de la figure
humaine, etc. 1773, in-4" ; Paris, Jombert.) Ce livre, simple extrait du grand manuscrit auquel Rubens devait consacrer un article
spécial de son testament et que nous avons en vain cherché, est presque entièrement dépourvu d'esprit et de logique. TH. S.
Un autre cahier d'études a été gravé par P. Pontius en vingt feuilles, et un troisième, faussement attribué à Van Dyck qui n'y
a fourni que deux têtes, par le comte de Caylus. (Voyez Basan, Dict. des Grav., page 224.)
beauté de la femme. Et néanmoins il Iiii donnera trop souvent des formes masculines; il choisira même ses
vierges parmi les beautés rubicondes, les filles aux larges reins, aux robustes mamelles, dont on fait les
Libertés et les Républiques. Voyez plutôt la Madeleine, dans le tableau qui représente le Christ au tombeau:
c'est une maritorne des tavernes flamandes. Sa chevelure, bas plantée sur un énorme cou, traîne jusqu'à
terre, en passant sur ses yeux, qui pleurent des ruisseaux. Agenouillée, elle tient dans ses mains les clous
du crucifiement, tandis que Marie, la bouche grande ouverte, hurle sa douleur maternelle.
Dans la Fuite en Égypte, la Vierge, couverte d'un chaperon, ressemble par ses proportions gigantesques
il ces statues de pierre qui portent à leur front la couronne murale pour représenter les villes. C'est il
la Vierge,, assurément, qu'il appartient de protéger l'Enfant Jésus et saint Joseph contre les accidents
qui pourraient survenir en chemin. La sainte famille marche par un clair de lune, que l'on prendrait
pour le jour même, tant les couleurs fières et brillantes répandent de lumière dans ce tableau.
Réconciliée avec son fils Louis XIII, à Angoulême, et de retour à Paris, en 1620, Marie de Médicis, qui
voulait enrichir son palais du Luxembourg des ouvrages d'un grand peintre, fit appeler Rubens, à la
recommandation du baron deVicq, ambassadeur des Pays-Bas, et lui demandal'histoire de sa vie en Aingt-un
sujets. Mais, au lieu d'une histoire réelle, le peintre composa une espèce de poëme allégorique dont chaque
tableau est un chant1. Conception turbulente, bizarre, où se trouvent réunis en personnes sur la terre, au
sein de la mer, dans l'Olympe et le ciel chrétien, dans la Fable et l'histoire de France, les divinités, les
éléments, les idées abstraites. La passion de l'époque était aux allégories. Nous avons vu que Rubens en
avait pris le goût à son maître Otto-Venius, qui a écrit sur cette matière un livre illustré de figures, bon
tout au plus, d'après Joshua Reynolds, à amuser les enfants. Rubens prodigua les emblèmes, peupla la
terre, le ciel et l'onde de personnages étonnés de se voir ainsi réunis. Les uns, dans une entière nudité,
étalent leurs formes plantureuses, animées d'un sang réel ; les. autres, revêtus de draperies flottantes,
promènent leur majesté, leur splendeur. L'or, les pierreries, le satin, le velours, ruissellent sous la lumière,
la reflètent ou boivent ses rayons. Mais, qui pourrait tout d'abord démêler sans programme le sens de ces
allégories tour à tour ingénieuses et grossières?
La femme qui joue du violoncelle, c'est l'Harmonie accordant toutes les facultés de la princesse. Les
trois Parques, sœurs cruelles, mais ici bienveillantes, filent les jours d'or et de soie de l'enfant aimé des
dieux; Mercure descend du ciel avec l'Eloquence; la fontaine de Castalie verse la poésie de ses flots.
Voyez-vous Jupiter et Junon assis sur les nuées? Ils s'entretiennent du mariage de la princesseflorentine
avec Henri IV. C'est une douce conspiration : l'Amour a présenté au prince le portrait de Marie de Médicis,
l'Hymen lui vante sa beauté, la France ses vertus, pendant que deux Amours enlèvent son casque et son
bouclier, comme pour éloigner un moment de son cœur épris, toute pensée de guerre et de vaillance.
Ici, l'évèque de Marseille vient sous son dais au-devant de la reine. Vêtue d'une tunique bleue étoilée de
lis d'or, la France reçoit sa souveraine sur un pont de barques. Pour protéger la galère qui l'a portée,
Neptune est arrivé de Marseille avec elle, suivi de sa famille marine : trois Sirènes, beautés à queue de
poisson, tourmentent de leur joie folâtre et lascive l'onde qui jaillit en flocons d'écume autour de leurs
flancs musculeux; les Tritons joufflus font retentir leurs conques, tandis que la Renommée plane dans le
ciel embrasé de la Provence, pour annoncer partout la nouvelle de l'heureuse arrivée.
Là, c'est la ville de Lyon. Sur un char attelé de deux lions montés par des Amours, la cité vient aussi à la
rencontre du roi et de la reine qui, sous les traits de Jupiter et de Junon, sont assis dans les hauteurs de
l'Olympe, le roi sur le dos de l'aigle, porteur de la foudre, la reine sur le char aux deux paons, emblèmes
de l'orgeilleuse puissance. Les deux oiseaux stupides font une roue plus éblouissante que l'arc-en-ciel.
Plus loin, Mercure, le dieu de l'éloquence et du vol
— pensée ingénieuse de l'antiquité et si réelle
encore parmi nous — ne rougira pas d'offrir, dans une entière nudité et en compagnie du cardinal de
La Rochefoucauld, un rameau d'olivier à Marie de Médicis, en signe de sa réconciliation avec son fils Louis XIII.
tin tableau moins chargé de vains ornements, c'est celui qui représente Henry IV confiant le gouvernement
fi Marie de J/édicis. Les portraits en sont admirables. Rubens affectionnait pour ses traits, un peu moins
Vers la (in du mois de mai 1025, l'artiste vint à Paris pour y achever les deux derniers tableaux de la
galerie; et la reine, qui se plaisait en sa compagnie, se fit préparer un siége dans l'atelier. Elle pria un jour
M. de Bautru de présenter Rubens dans un cercle composé des dames de la Cour :
1
1
moines, tour à tour interrogés, semblaient, par un silence calculé, se plaire à l'impatience du cavalier
inconnu qui dévorait des yeux la toile muette. Le prieur répondit enfin à son insistance :
« Nous ne pouvons pas vous dire le nom de l'auteur de cet ouvrage.
1 Le même qui écrivit plus tard un livre sur les costumes de l'antiquité : De re vestiariâ, Tu. S.
2 .Émile Gacliet, Introduction aux lettres de Rubens. Bruxelles, 1840, in-Rn.
3Walpole, Anecdotes of painting.
4 Dallaway, les Beaux-arts en Angleterre.
La gouvernante des Pays-Bas eut la faiblesse de rappeler son ambassadeur, qui, se retirant des affaires,
retrouva dans les arts les joies que la politique lui avait un moment ravies. La mort de l'Infante vint le
délivrer, à jamais, du commerce énervant des cours. Il épousa, le 6 décembre 1630, à Anvers, une
belle jeune fille de seize ans, Hélène Forment, qui couronna de fleurs et de fruits
sa vieillesse, poétique
ruine, en lui donnant cinq enfants. Mais, au dire de Campo Weyermann, Rubens ne tarda pas à s'apercevoir
« que la cour, une belle jeune femme et le vilain mal de goutte, sont trois bénédictions dont pourrait
fort bien se passer un vieillard. »
Le cardinal-Infant Ferdinand, frère de Philippe IV, venait, après la sanglante bataille de Nordlingue,
prendre possession du gouvernement général des Pays-Bas. La ville d'Anvers le reçut dans ses murs, au mois
de mai 1535, avec grande pompe. Ordonnateur de la fête, Rubens fit, de sa main, les esquisses légèrement
coloriées qui ornèrent les onze arcs de triomphe élevés sur le passage du prince.
. En 1635, le génie du peintre jeta un de ses
derniers éclairs : le Martyre de saint Pierre de la cathédrale
de Cologne.
« Vostre gloire et vostre
célébrité, Monsieur, — écrivait Rubens à son compatriote le sculpteur Duquesnoy,
qui venait de tailler la statue de saint André à Saint-Pierre de Rome, — rejaillissent sur notre nation entière.
Si mon âge et une goutte funeste qui me dévore ne me retenoient ici, je partirois à l'instant et irois admirer
de mes propres yeux des choses si dignes d'éloges. Mais, puisqueje ne puis me procurer cette satisfaction,
j'espère du moins avoir celle de vous revoir incessamment parmi nous, et je ne doute pas que notre chère
patrie ne se glorifie un jour des ouvrages dont vous l'aurez enrichie. Plût au ciel que cela arrive avant que
la mort, qui va bientôt me fermer les yeux pour jamais, me prive du plaisir inexprimable de contempler les
merveilles qu'exécute cette main habile que je baise du plus profond de mon cœur t. » A peine cette lettre
était-elle arrivée à sa destination, que Rubens succombait à un accès de goutte remontée, le 30 mai 1640,
âgé de soixante-deux ans et onze mois.
Magistrature, clergé, noblesse, bourgeoisie, peuple d'Anvers, suivirent dans l'église collégiale de
Saint-Jacques, où il fut déposé dans le caveau de la famille Forment, le cercueil qui contenait les restes
du peintre. Trois jours après, fut célébré en son honneur un service funèbre dont la pompe, digne de
l'orgueil des rois, rappelait le caractère de ses peintures.
On trouva dans son cabinet des richesses considérables: joyaux, objets d'art, curiosités de toute nature :
six chaînes d'or et plusieurs bagues, souvenirs de divers souverains ; le cordon de chapeau en diamants
que lui avait donné Charles Ier d'Angleterreet qui ne valait pas moins de
'.
dix-mille écus Sculpturesen ivoire,
cristaux de roche, médailles antiques et modernes, agates orientales, onyx, cornalines et plus de deux
cent trente tableaux de peintres italiens, flamands, hollandais, dont quatre-vingt-treize de Rubens
lui-même': l'ensemble de tous ces objets mis en vente devait produire plus d'un demi-million de florins.
Rubens avait dominé dans toutes les parties de son art: histoire, allégorie, genre, paysage, portrait,
animaux, fleurs et fruits. Pareille à cette corne d'abondance que le peintre semblait à plaisir reproduire
dans ses ouvrages comme l'emblème de son propre génie, sa fécondité fut inépuisable. A l exemple de
la plupart des maîtres coloristes, il faisait ses esquisses au pinceau : delà les négligences, le relâchement
reprochés à ses contours. Plus éclatant par la lumière et la fraîcheur que les Vénitiens, ses maîtres tant aimés,
il ne s'éleva pas jusqu'à eux par l'harmonie, l'esprit, l'élégance et la majesté. Formé des extrêmes de deux
couleurs tendres et de deux couleurs fières, son coloris mal fondu touche parfois à la crudité, et, pareils à des
corbeilles de fleurs, ses tableaux finissent, comme elles, par nous porter au cerveau. C'est par les fonds
que Rubens s'est le plus rapproché de l'harmonie : il paraît les avoir
faits avec la réunion de toutes les
couleurs passées sur sa palette.
Avec plus de relief et de vie, ses portraits n'ont pas la grandeur calme de ceux du Titien ni toute la,
délicatesse de ceux de Van Dyck ; mais celui que l'on appelle le Chapeau de paille, et dont Rubens ne voulait
jamais se séparer, est une merveille.
Dans ses paysages, il lutte quelquefois avec la nature pour la transparence et les vapeurs flottantes de
l'air. Ce sont des sites pris ordinairement autour de son riant château de Steen entre Vilvorde et Malines, et
animés par des accidents dramatiques : coups de soleil, orages, arcs-en-ciel.
Moins versé dans la science de l'antiquité que Poussin, qui par son esprit vivait mieux en elle que dans
Le peintre n'aimait que les grands animaux : le cheval, le taureau, le tigre, le lion, pour le plaisir de
jouer avec l'étude de leurs puissantes musculatures.
La vie physique déborde de l'œuvre de Rubens, s'agite comme l'air dans le ciel, les flots dans la mer, et
pourtant une espèce d'ennui saisit à la longue l'âme de celui qui le contemple. Le peintre, à la vérité, avait
l'Habitude de représenterà la fois tous les âges, toutes les conditions; mais les mêmes types reparaissent
toujours il nos yeux. «Rubens avait le défaut d'être un peu trop de son pays», a dit M. de Reiffemberg \
« Jamais de ma vie je ne fus si
dégoûté qu'en Flandre du Rubens et de ses éternelles femmes et de son infernal
éclat de couleurs, du moins à ce qu'il me semblait2, » s'écrie Byron avec une exagération mêlée de
justesse. L'oeuvre de Rubens présente la même uniformité que la vie animale, et comme l'activité variée
nous vient de l'esprit, dont les tourments mêmes nous enivrent d'une âpre volupté, le poëte cherchait ces
tourments dans les ouvrages du peintre, dans la vie, partout, comme nous les cherchons nous-mêmes
IKllIMlïïS M niDIKEMU®!^
De tous les peintres anciens ou modernes, dont l'histoire riage de Henri IV célébré à Lyon, — " la Naissance de
garde les noms, P,-P Rubens est le plus fécond. Les sujets Louis XIII, — Henri IV confiant le gouvernement à
gravés à l'eau-forte de sa main sont : Saint François d'As- la reine, — * le Couronnement de Marie de Médicis,
sise recevant les stigmates — Madeleine pénitente, — * l'Apothéose de Henri IV, — * le Gouvernement de la
,
— Sainte Catherine, —une Femme tenant un flambeau reine, — le Voyage de Marie de Médicis au port de Cé,
auquel un jeune garçon en veut allumer un autre. Paul
— l'Échange des princesses, — ' la Félicité de la Régence,
— la Majorité de Louis XIII,.- la Fuite de la reine au
Dupont ou Vosterman ont achevé au burin cette dernière
eau-forte devenue fort rare. — Buste de vieillard à barbe et château de Blois, — sa Réconciliation avec son fils,
à bonnet fourré. —
— 19, Conclusion de la paix , — l'Entrevue de Marie de
Rubens nous a laissé une quantité inouïe de cartons, des- Médicis avec son fils, — le Triomphe de la Vérité1
—
sins finis ou esquissés, et un nombre vraiment fabuleux de Ces vingt et une toiles et ies portraits de François, duc. de
tableaux peints. Lorsque l'on considère l'étendue et l'im- Toscane, de Jeanne d'Autriche et de Marie de Médicis
portance de ses ouvrages, on est à se demander si c'est bien peinte sous les traits de Bellone, furent évalués, ensemble,
là le travail d'un seul homme. par la Restauration, 11,000,000 de francs.
Cinquante graveurs ont été employés à répandre ses pro- Après ces tableaux, nous devons citer dans la même gale-
ductions ; nous devons citer : L. Vosterman, C. Galle, rie : le .beau portrait de Richardot, président du conseil
Bolswert, Suyderhoff, C, Vischer ,«-Pene, Ilollar, L. Van des Pays-Bas, longtemps attribué à Van Dyck, estimé
Uden, J. Meyssens, parmi les plus célèbres. 27,000 fr. sous l'Empire, et élevé à 40,000 fr., sous la
La Bibliothèque nationale de Paris possède, au cabinet Restauration. — Le portrait du baron de Vicq, qui avait
des estampes, cinq volumes in-folio, contenant une partie de pour la France une valeur historique, a été acquis par le
l'œuvre gravée de Rubens. M usée, à la vente du roi de Hollande, au prix de 7,025 flo-
M. Van Hasselt, dans le Catalogue qu'il a dressé en 1840, rins, environ 15,000 francs. On sait que le baron de Vicq
après le Catalogue raisonné de Smith, et à la fin de son lit obtenir à Rubens la commande de la galerie de Médicis.
Histoire de la rie et des ouvrages de Rubens, lui attribue Les filles de Loth, petit tableau dans lequel la fraîcheur
1461 compositions. s'allie à la grâce, estimé, sous l'Empire, 40,000 fr., et
Toutes les galeries publiques de l'Europe, tous les grands 60,000 fr. sous la Restauration ; le Triomphe de la Religion,
cabinets d'amateurs, une partie des églises de la Belgique, ouvrage largement traité, destiné, disait-on, à être repro-
possèdent des ouvrages du célèbre artiste. duit en tapisserie, estimé 40,000 fr. sous l'Empire, et
80,000 fr. sous la Restauration ; Thomyris, reine des Scy-
LE MUSÉE DU LOUVRE en compte quarante-trois, dont thes, un des meilleurs ouvrages du maître, évalué par les
vingt et un grands sujets allégoriques, formant la galerie de experts de l'Empire 72,000 fr., et par ceux de la Restaura-
Médicis, et qui ornaient jadis le palais du Luxembourg. En tion 80,000 fr.; la Kermesse, ouvrage plein d'entrain, de
voici les noms : hardiesse et de tumulte, apprécié 80,000 fr. par l'Empire
et 100,000 fr. par la Restauration ; le transparent paysage
La Destinée de Marie de Médicis, de l'Arc-en-Ciel, évalué par l'Empire 35,000 fr. et 40,000 fr.
— sa Naissance, par la Restauration.
Éduration,
— son — * Henri IV recevant le portrait de
Marie de Médicis, — * son Mariage avec elle,
— ' le Dé- Nous avons fàit précéder d'un astérisque* les tableaux que les
1
barquement de Marie de Médicis à Marseille,
— le Ma- amateurs regardent comme les meilleurs.
Les villes des départements comptent aussi des ouvrages
— lJIédée furieuse, — Andromède attachée au rocher,
remarquablesdu grand maître :
— Andromède delivrée par Persée. La figure d'Andromède
MUSÉE DE MARSEILLE le Prince d'Orange et sa fa-
: est, pour la fraîcheur et la grâce, une des plus belles créa-
mille, — Chasse au sanglier, — Adoration des bergers, tions de Rubens; — Philippe II couronné par la Victoire,
— la Flagellation, — la Résurrection. allégorie d'après un ancien portrait ;
— Nymphes surprises
MusÉE DE TOULOUSE : le Christ entre les deux larrons, par des Satyres, bacchanale pleine de mouvement; — le
grande esquisse, une des plus belles du maître par sa har- Jardin d'amour, paysage galant, et rare par la délicatesse de
diesse et sa vigueur. l'exécution ; — Quatre petites esquisses d'allégories,
— une
MUSÉE DE BORDEAUX : le Martyre de saint Georges, —
Kermesse, — la Sainte Famille, -le Christ couronné d'épines,
liacchus et Ariane, — le Christ en croix. ouvrage magnifique ; — la Vierge glorieuse adorée par un
MUSEE DE MONTPELLIER : le Christ en croix,
groupe de quinze saints.
— Paysage
mêlé de ruines et de monuments antiques nymphes L'ACADÉMIE DE MADRID : Hercule et Omphale : Hercule file
, ,
pâtres, bestiaux, — Épisode d'une guerre de religion, d'une manière grotesque au milieu des femmes. Composition
— Portrait de François Franck, peintre d'Anvers. ridicule, mais chef-d'œuvre de coloris.
MUSÉE DE GRENOBLE : Saint Grégoire, pape, entouré de
VIENNE le Belvédère. Le Belvédère de Vienne compte
:
saints et de saintes. vingt-trois Rubens : Saint Ignace de Loyola guérissant les
MUSÉE DE LYON : Saint François, saint Dominique et possédés, —l'Assomption de la Vierge, entourée d'anges; en
plusieurs autres saints préservant le monde de la colère bas, auprès de son tombeau sept apôtres, trois hommes et
de Jésus-Christ, -Adoration des Mages. ,
quatre femmes assemblés ; — Saint François Xavier aux
MUSÉE DE NANTES : Allégorie : la guerre civile et le Indes, tableau composé de quarante-cinq figures colossales.
fanatisme, morceau estimé ; — Tête d'Hercule, sur bois, — Ces pièces d'autel ont d'immenses proportions. — Saint
esquisse d'un ton chaud; — Portrait d'Isabelle Brandt,
première femme de Rubens ; — Différentes études de fi-
-
Jérôme en habit de cardinal, buste peint sur bois; Saint
Pipin, duc de Brabant, avec sa fille sainte Bègne, vêtue de
gures, peintes sur bois ; — Sainte Famille aux anges, petit, l'habit de l'ordre des béguines, dont elle fut la fondatrice,
tableau de chevalet; — la Fuite en Egypte, autre petit peinture sur bois; — Buste d'un vieillard à longue barbe,
ouvrage signé des initiales : P.-P. R. Le paysage est d'une en profil, vêtu de pourpre, peint sur bois, signé P. P. R. ; —
main étrangère. Méléagre et Atalante èt la chasse du sanglier de Calydon,
—
MUSÉE BIBLIOTHÈQUE DU HAVRE
Saint Ambroise refusant et l'empereur Théodose l'entrée de
l'Automne : un groupe
.
d'enfants portant des fruits, — .l'Enfant Jésus sur les l'église de Milan pièce d'autel avec onze grandes figures;
, —
l'alliance de Ferdinand 111, roi de Hongrie, avec Charles-
genoux de la Vierge, — le Triomphe de la Religion Ferdinand, infant d'Espagne, devantNordlingue,avec figures
esquisse de la grande composition bien connue de Rubens.,
allégoriques ; —- les Quatre parties du monde, allégorie:
MusÉE DE CAEN : Melchisédech offrant le pain et le vin — le
portrait du peintre, âgé de soixante ans, avec un grand cha-
à Abraham, grande composition bien distribuée;
— Por- peau et un manteau noir, signé P.-P. RUBENS; — l'Esquisse
trait de Jacques 1". du tableau de saint François Xavier aux Indes, le Christ
—
MUSÉE DE LILLE Descente de croix, — la Madeleine mort, la Vierge et saint Jean, — l'Esquisse du tableau de
:
mourante , — Saint François recevant l'Enfant Jésus
des mains de la Vierge,
-
saint Ignace de Loyola, Portrait de la maîtresse du Titien,
— Saint François, — Saint vêtue de satin blanc brodé d'or, copie du Titien par Rubens;
Bonaventure. Éphigénie et ses deux compagnes endor-
— Cimon qui regarde
mies dans un jardin, — Tête de saint André mis en croix,
MUSÉE DE VALENCIENNES : Jésus mort sur la croix, —
Étienne, — Portrait de l'archiduchessed'Autriche, épouse de Louis XIII,
l',.Innonciation — Saint diacre prêchant
— Buste d'un homme et barbe rougeâtre avec un collet simple
, ,
Jésus-Christ dans le Sanhédrin la Lapidation de
— et une chaîne d'or autour du cou, — Tête d'un lévite qui
saint Etienne, — Saint Étienne ,au tombeau. L'An-
— (t tourne le dos, — Buste d'un homme à tête et à barbe grises,
nonciation, dit l'auteur du Livret historique du musée de
Valenciennes, offre une particularité bien remarquable vêtu d'un habit fourré avec une fraise autour du cou,
tableau renferme les portraits de la troisième femme de
: ce
Portrait d'Élisabeth, première femme de Philippe IV; —
—
Rubens et de plusieurs de ses enfants. » INous Buste d'un homme vigoureux, aux cheveux noirs et courts,
— nous borne- à la barbe brune, vêtu d'un habit fourré. Ces ouvrages déco-
rons à rappeler que la seconde femme de Rubens survécut
au peintre. rent la quatrième chambre du Belvédère de Vienne, dite salle
Dans les cabinets des amateurs de Paris ou des départe- de Rubens.
ments de la France, nous ne connaissons, comme devant PINACOTHÈQUE ROYALE DE MUNICH
être mentionnés, qu'un très-petit nombre de tableaux : Dans la quatrième
pou- salle, dite salle de Rubens, et dans le cabinet contigu pièces
vant être attribués à Rubens. M. George, cependant, en pos- ,
richement décorées, sont plï:cés sur un fond de tapisseries
sède un, à Paris, représentant le Baptême de Jésus-Christ
rouges, au centre de la Visiacotti, et sous les benjoins,
par saint Jean, qui peut rivaliser avec les plus beaux. quatre-vingt-quinze tableaux peints par Rubens. Nous nous
Poursuivons nos recherches dans les musées étrangers bornerons à rappeler les plus célèbres : la Damnation des
:
MADRID: .leMusée royal compte parmi les plus remar- pécheurs, — la Réconciliationdes Romains avec les Sabins,
quables : l'Adoration des rois. Le portrait de Rubens est
dans le groupe, à droite ; — l'Adoration des bergers, — le Jugement dernier, —
— Mercure et Argus, — Juge- Saint Michel précipitant les damnés,
— la Bataille des
ment de Pâris, — les Trois Grâces,
— Diane et Calixto, Amazones, — la Chasse aux lions,
— la Chasse aux san-
Apollon et Midas Atalante vaincue, — l'Enlève- gliers. — On attribue les animaux à Sneyders.
ment de
, —
Proserpine, — Orphée et Eurydice, — La Defaite
— Moïse et de Sennachérib, Plusieurs portraits magnifiques de souve-
les serpents, —
— Saturne dévorant un
la Voie lactée,
—
de ses enfants, deux scènes d'un dramatique enrayant ; rains, — Plusieurs portraits des femmes et des enfants de
Rubens, oie...
GALERIE ROYALE DE DRESDE : Trente-trois tableaux de
Rubens, dont deux ne sont pas authentiques1 : Les deux
-'
et les satyres. les Saints adorant Jésus, -
la Charité
romaine, — Bacchus, — le Fleuve du Tigre, — Persée et
fils du peintre,— Silène tient une coupe dans laquelle une
bacchante lui verse à boire, — Saint Jérôme et son lion, —
Andromède, -la Mort d'Adonis, — la Visitation,
Descente de croix, et quelques paysages.
-la
une Jeune femmevêtue de noir, et voilée, — Bethsabée auprès L'Angleterre est fort riche en ouvrages de Rubens, tant
d'une fontaine, — une Jeune femme à tête nue tenant des par ses galeries privées que par ses galeries publiques.
roses à la main, — Hercule ivre, soutenu par un faune et des GALERIE NATIONALE : les Bénédictions de la paix, tableau
bacchantes, — la Chasse aux lions, — la Chasse aux sangliers,
capital sorti de la collection de feu le marquis de Stafford;
— le Jugement dernier, — Neptune apaisant la tempête, —
Portrait d'Hélène Forment, — le Jardin d'amour, — Tigresse — les Aumônes de saint Bavon, grande et belle esquisse,
allaitant ses petits, etc. — l'Enlèvement des Sabines, — Sainte Famille, ouvrage
médiocre ; — Un beau site du Brabant, provenant du palais
MUSÉE D'AMSTERDAM :
Christ traînant sa croix au Calvaire, esquisse.
-
la Piété filiale romaine, Jésus- Balbi, à Gênes.
tryptique. Nous avons donné les gravures du sujet principal COLLECTION DE M. WILKINS : l'Enfantprodigue.
et de l'un des volets. — La Mise en croix, peinture pour
l'église de Sainte-Valburge, — l'Assoinl)tion de la Vierge, COLLECTION DE M. ROBERT PEEL : le fameux portrait de la
tableau placé sur le maître-autelde la cathédrale, et qui con- jeune fille dit le Chapeau de paille, chef-d'œuvre de coloris
-
tient plus de trente personnages ; — Saint Jean, — Sainte
Catherine, la Résurrection, tryptique, ouvrage inférieur
aux précédents.
et de clair-obscur peint, comme disent les Italiens, con
amore. De son vivant, le peintre ne voulut jamais, dit-on,
se séparer de cet ouvrage qui, après avoir passé des mains
de sa veuve dans celles de la famille Lunden pour la somme
L'ÉGLISE DE SAINT-PAUL, appelée aussi l'église des Domi- de 60,000 et successivement 35,970 florins de Hollande,
nicains., possède un bel ouvrage du peintre, la Flagellation.
21,000 écus de Prusse, resta enfin, à Robert Peel, pour
L'ÉGLISE SAINT-JACQUES, à Anvers, renferme le tombeau 35,000 livres sterling, la plus grande somme que l'on ait
de Rubens dessiné par lui-même, et une Sainte Famille, qui jamais payée pour un portrait de demi-figure ; — une Bac-
contient tous les portraits de la famille du peintre, tableau de chanale.
-
toute magnificence; l'Éducation de la Vierge, tryptique :
COLLECTION ABRAHAM HUME Achille découvert parmi les
sur le volet de droite se trouve le portrait de NicolasRockox ; filles de Lycomède.
:
Nous avons pris les armes de P.-P. Rubens dans un de ses portraits peint par lui-même.
Nous ajoutons les monogrammesque le peintre apposait assez rarement à ses peintures oa -,'t ses dessins.
0ca/e f#lamanck. 'ëAa/êea, *s&tumaeiœ, @&a&t>re mOjf/e.
FRANCOIS SNEYDERS
O
NÉ EN 1579.
— MORT EN 1649.
figures les grandes natures mortes de Sneyders; mais involontairement il y prit la première place, bien qu'il
ne donnât à ces figures qu'une action insignifiante, comme celle, par exemple, de pendre un chevreuil par la
patte ou bien de choisir dans le fruitier un plat de dessert. Il nous souvient d'avoir remarqué au musée de
La Haye un de ces tableaux auxquels Sneyders et Rubens ont travaillé de compagnie, et il faut convenir que
ces deux maîtres, également habiles, s'y disputent l'admiration du spectateur aux dépens du tableau lui-même.
On y voit un personnage singulièrement vêtu en chasseur et en moine. Il porte par dessus son froc un cor
de chasse suspendu à sa bandoulière, et il vient accrocher un daim à la muraille. C'est sans doute le prieur
d'un couvent qui s'est fait peindre ainsi pour montrer comment son habileté de chasseur approvisionnait
l'office de la communauté. Perdreaux, bécassines, coq d'Inde, lièvre, hure de sanglier, melons, raisins,
artichauts, asperges, Sneyders a réuni sur cette toile tout ce qui promet la bonne chère et toutefois l'amateur
de peinture y trouverait son compte aussi bien que le gourmand. Chaque partie du tableau est accentuée
par
un maniement de pinceau tout particulier. Le duvet de la perdrix, le poil du lièvre, la surface raboteuse et
crevassée du melon, ses intermittencesde tons vert d'eau et de tons dorés, la provoquante maturité du
muscat
et sa transparence, sont rendus à faire illusion et si bien nuancés par la touche, qu'il y a là de quoi éveiller
l appétit d 'uii gastronome et de quoi ravir
en même temps le goût d'un curieux. Mais il est certain que la
présence d'une figure de Rubens est plutôt nuisible qu'utile au tableau. Et cependant on ne pouvait associer
,
deux talents mieux faits pour s'entendre, deux pinceaux mieux assortis, car c'est la même ardeur dans
I l'exécution
d'éclat.
la même fierté dans la touche, et pour la couleur, le même degré à
peu près d'intensité pl
La collaboration d'un homme tel que Rubens dut être pour Sneyders un grand honneur et contribuer à
lui faire une réputation dans les Flandres. Lui-même, du reste, il avait élargi
son horizon, et sans
s élever pourtant jusqu'à la dignité de l'histoire, il s'était adonné à peindre des sujets de chasse et à les
peindre en grand. On raconte qu'une Chasse au cerf fit sa fortune. Philippe III, roi d'Espagne, qui était
alors dans les Pays-Bas, où il venait sans doute de conclure sa trêve avec les Provinces-Unies, ayant
vu
le tableau de Sneyders, en fut si content qu'il voulut en avoir d'autres de
sa main et lui commanda différentes
chasses et des batailles. De son côté, l'archiduc Albert s'empressa d'imiter les préférences du roi d'Espagne,
et quand, de gouverneur des Pays-Bas, il en fut devenu le souverain, il nomma Sneyders son premier peintre.
Nous n avons jamais vu de batailles peintes par ce maître, mais bien souvent nous avons admiré ses chasses
:
elles sont exécutées avec une verve entraînante, avec un feu que le seul Rubens pouvait égaler. Ce sont
au
surplus de vraies batailles, dont les héros sont des cerfs, des loups, des ours, des sangliers. La vie
extraordinaire que Rubens mettait dans ses figures d'hommes et de femmes, Sneyders a su la faire palpiter
dans ses animaux. Leurs yeux étincellent, leurs naseaux respirent, leur mâchoire écume, leur gueule
ouverte est tout humide de sang et quand il représente des chiens furieux qui se ruent sur un sanglier, lui
,
déchirent les flancs, le mordent aux oreilles, laissant plusieurs d'entre eux éventrés sur le terrain, on croit
entendre toutes les notes de leurs aboiements, leurs cris aigus de joie ou de douleur, le grognement de la
bête et le son du cor. Il est impossible de mieux reproduire par le pinceau l'impression qu'éprouve un
habitant des campagnes qui, en traversant un bois, voit tout à coup passer rapidement auprès de lui une
bête noire avec son cortége de mâtins hurlants et enragés.
C'est ici qu'on peut saisir la différence qui existe entre Sneyders et les peintres hollandais qui ont traité les
mêmes sujets que lui. Wouwermans, par exemple, nous fait assister aux préparatifs de la chasse plutôt qu'il
ses drames. La scène qu'il nous montre se passe ordinairement dans la cour d'un château seigneurial, <m
milieu des dames que l'on aide à monter en selle, auxquelles on adresse des propos galants ou des saluts. La
Halte des chasseurs, la Buvette, le Retour, tels sont les motifs qui reparaissent constamment dans l'œuvre
gravé par Moyreau. Tantôt les chasseurs avalent d'un trait le coup de l'étrier, tantôt ils se reposent sur
l'herbe, à côté de leurs montures, tantôt ils reviennent triomphants au bruit des fanfares. Mais bien
rarement voit-on chez Wouwermans les péripéties de la chasse; le peintre les représente ou les suppose dans
le lointain de ses vaporeux paysages. Au contraire Sneyders nous transporte en pleine campagne, en pleine
chasse, au milieu des bois. Le cerf et les chiens sont les principaux acteurs de son tableau, et le moment
qu'il se plaît à choisir est celui où l'animal, harcelé par de nouveaux relais, se défend avec désespoir et
bondit par-dessus les chiens sanglants qu'il a décousus à coups d'andouiller. C'est, au fait, l'instant le plus
dramatique, le plus intéressant de la chasse, par cela seul que le dénouement étant encore incertain. II'
spectateur imagine volontiers que cette bête légère, élégante, à qui ses armes servent de parure, échapper:'
peut-être à la dent cruelle des limiers et au couteau des chasseurs.
Houbraken s'étonne avec raison que Sneyders ait dessiné aussi juste, dans des postures aussi variées, des
animaux que le peintre ne peut voir ainsi que par les yeux de l'imagination. Il faut bien connaître, en efl'el,
l'anatomie des bêtes, leur caractère, leurs allures, l'élan que leur imprime le courage, l'attitude que leur
donne la peur et enfin le principe même de leur mouvement, pour les peindre de la sorte, c'est-à-dire par
cœur, avec la seule science du jeu de leurs muscles et de l'élasticité de leurs membres. Car ce n'est guère
d'après nature qu'on peut dessiner un lion bondissant, étudier un sanglier furieux, saisir l'expression de
douleur d'un cerf aux abois, la mine féroce d'un loup qui a flairé le carnage. Le plus intrépide chasseur
n'approche pas de ces redoutables bêtes comme ferait un peintre de son modèle. Aussi le spectateur qui en
est encore plus éloigné, est-il en général peu difficile sur la fidélité de ces représentations, et le talent du
peintre consiste à leur donner un tel degré de vraisemblance que chacun les croie sans reproche, comme
s'il avait déjà vu plusieurs fois dans la nature l'objet représenté. Pour ce qui est des animaux domestiques,
dont les formes nous sont plus familières, l'artiste a beaucoup plus de peine à nous contenter, et il faut
que Sneyders ait poussé bien loin la vérité de ses expressions, la justesse de ses mouvements et de ses
contours, pour que nous admirions ses belles meutes de chiens, lancés ou au repos, son lévrier élégant
souple et fort, ses danois tachetés de noir, ses chiens de Barbarie au râble épais, au nez ouvert et bien
fendu, qui ont la cuisse troussée, le jarret droit, le pied sec, la queue grosse près des reins, le poil rude
au-dessous du ventre, et dans lesquels un chasseur de profession se plaît à reconnaître à de tels signes des
chiens robustes, de haut nez et de longue baleine, réunissant la vitesse à la force, durs à la fatigue et
pénibles au froid, comme disaient les anciens veneurs.
La figure humaine ne paraîtrait pas dans les tableaux de Sneyders, si Rubens, Jordaens .Martin de
ou
Vos n'étaient venus l'y ajouter de leur main, sans doute à la prière de l'archiduc ou des autres amateurs
qui achetaient les chasses du peintre flamand. Mais quelle que soit, je le répète, la concordance des
tempéraments, la similitude des manières et des pinceaux, il est bien rare que le peintre auxiliaire ne
vienne pas troubler ici l'unité de l'œuvre commune par son involontaire supériorité. Dans une chasse
traitée en grand, l'absence de l'homme ou du moins son éloignement feraient beaucoup mieux. Autrement
on ne sait quel est le principal objet du tableau, et dès que l'attention se divise, l'impression est affaiblie, sinon
manquée. Et cela est si vrai que ces genres de peintures où deux artistes ont réuni leurs talents font
toujours hésiter celui qui en parle et celui qui est tenu de les décrire. S'agit-il d'un cerf pressé par les
chiens et talonné par les chasseurs, on est embarrassé de dire si le tableau est un Rubens avec des animaux
de Sneyders ou un Sneyders avec des ligures de Rubens, le premier rôle n'étant pas nettement réservé à
l'un des deux collaborateurs. Au contraire, on s'arrête avec plaisir devant les morceaux que le peintre
d'animaux a exécutés à lui tout seul, parce qu'une fois descendu dans les régions inférieures de la nature,
on peut s'attacher sans distraction au curieux spectacle des passions animales, à ce point surexcitées par le
son de la trompe. Et si l'on aime vraiment la peinture, on admire alors tout à son aise le maniement du
pinceau conduit par le sentiment des formes, les accents d'une touche fière et souple qui rehausse vivement
les lumières et amincit les ombres, l'adresse avec laquelle sont exprimés la crinière du lion, les soies du
sanglier, la grossière fourrure de l'ours, le poil du chien, la robe lustrée du chevreuil. Il nous souvient d'avoir
éprouvé ces jouissances d'amateur devant la Chasse à l'ours du Musée de Dresde qui fixa quelques instants
,
nos regards et où brillent du reste d'autres qualités. Rien de mieux senti, par exemple, que l'intelligence de
la bête, au milieu de ses périls. Je parle de la ruse, de la malice de ses petits yeux, de son air de fausse naïveté,
et si l'on peut s'exprimer ainsi à propos d'un ours, de ces apparences de bonhomie féroce que Sneyders a
rendus à merveille dans cette peinture.
Joshua Reynolds, quand il visita les musées de Belgique et de Hollande, ne fit que peu d'attention à Sneyders.
« Les ouvrages de ce maître,
dit-il, paraissent par leurs sujets, par leurs dimensions et l'on peut dire aussi
par leur nombre, plus propres à orner une antichambre que tout autre endroit. » Et plus loin le peintre anglais
t
ajoute : « Il y a ici du gibier, des chasses au sanglier et au cerf, par Sneyders, De Vos, Fyt et Weenix : c'est
Weenix qui est infiniment le meilleur ». La vérité est que les chasses de Sneyders, et même ses natures mortes
sont ordinairement de grandes toiles faites pour couvrir les murailles d'une galerie extérieure, ou pour
s'encadrer dans les panneaux d'une vaste salle à manger, comme on en faisait autrefois, comme on n'en fait
plus aujourd'hui. Plus nous allons, plus le rétrécissement de nos demeures rend difficile le placement de ces
magnifiques décorations. Ce qui était pour nos aïeux une jouissance est devenu pour nous un embarras. Il en
est des peintures de Sneyders comme de nos tapisseries desGobelins, comme des batailles d'Alexandre, de Charles
Lebrun, ou des superbes estampes qu'en ont gravées les Audran et les Edelinck. A moins de trouver un refuge
dans les musées, à moins d'être accueillis dans les appartements de quelque ancien château, ces objets d'art
tristement roulés au fond des greniers, sont dévorés par la moisissure et se mangent aux vers. L'architecture
les chasse de partout, l'espace leur manque, et il est bien à craindre que la plupart n'aient été détruits avant
que les grandes constructions de l'avenir leur aient donné l'hospitalité. Mais quand ils ornaient l'escalier du
palais de l'archiduc, quand ils honoraient le vestibule des maisons seigneuriales de Rruxelles, où Sneyders
habita long-temps, les tableaux de ce maître devaient charmer l'attente du visiteur. La manière large,
vaillante et décorative dans laquelle ils étaient peints, n'empêchaient pas le curieux d'y découvrir un modelé
ferme, une exécution serrée, et cette profonde science qui autorise la liberté du pinceau, sans parler de la
qualité du ton et des autres beautés pittoresques de nature à être senties dans le pays de Rubens.
Quant à la supériorité que Reynolds attribue à Weenix sur Sneyders aussi bien que sur Fyt, nous ne saurions
la reconnaître, et de la part d'un critique aussi peintre que Reynolds, ce jugement a lieu de nous étonner.
Car s'il est permis à des amateurs de préférer la peinture plus finie des deux Weenix, il est étrange qu'un
artiste partage cette préférence, puisqu'en général les artistes ont plus de goût pour les hardies indications
1 OEuvres complètes du chevalier Josué Reynolds, tome Il. (Voyage en Flandre). Paris, 1806.
de la touche que pour le fondu précieux des couleurs. Au surplus les tableaux de Weenix et ceux de François
Sneyders sont exécutés les uns et les autres comme ils dexaient l'être eu égard à leurs dimensions respectives,
et il est parfaitement inutile d'établir entre eux une comparaison. Ce qu'on peut regretter, au sujet de Sneyders,
c'est qu'il n'ait pas été universel même dans le genre où il s'est illustré. On a remarqué, par exemple, qu'il
ne peignait pas les chevaux, et que, pour les lions, il avait recours au pinceau de Rubens, seul capable à ses
yeux de leur imprimer ce caractère de sauvage fierté qui est la noblesse des animaux du désert. Un autre
point sur lequel Sneyders peut être souvent pris en faute, c'est le clair-obscur. Non-seulement il s'inquiète fort
peu, nous l'avons dit, de la disposition de ses groupes, mais il ne prend aucun soin de les éclairer de façon à
faire un tableau, c'est-à-dire d'y jeter une lumière principale à laquelle on subordonne toutes les autres. Il y
a de lui telle chasse au sanglier dans laquelle l'animal poursuivi forme au centre du tableau une masse noire
que rien ne rappelle suffisamment et à propos, tandis que les grands clairs sont éparpillés et même se trouvent
proche du cadre, ce qui est contraire aux lois naturelles de la distribution des lumièreset des ombres. A cela
près, Sneyders est un peintre des plus habiles. Tout ce qu'il a voulu peindre, il l'a réussi d'une manière
surprenante, et il n'a voulu heureusement que ce qui était dans la sphère de ses études favorites et du ressort
de son généreux talent. Aux objets inanimés il a su donner, je ne dis pas ce genre d'illusion que recherchent
les ignorants et qui les ravit, mais ce charme secret qui résulte du caractère des choses spirituellement
observé, du souvenir agréable que réveille en nous leur présence inattendue sous un rayon de lumière, et
même de l'idée que peut faire naître une vive sensation. Quant aux animaux, et il a surtout représenté ceux
que l'homme poursuit ou mène à la chasse, Sneyders leur a donné le mouvement, la chaleur et le souffle de
la vie; c'est pour cela qu'il obtint le plus grand honneur qu'un peintre de son temps pût ambitionner,
l'admiration de Rubens.
CHAULES BLANC.
0
FRANÇOIS FRANCKEN-LE-JEUNE
o
NÉ EN 1581. — MORT EN 1642.
1 Jérôme, né en 1611, élève de Van der Laenen en 1637; —Jean-Baptiste, né en 1618, — et Ambroise, né en 1622 et
reçu maître en 1645. La biographie de ces trois Francken est comprise tout entière dans les dates que nous venons de donner.
joue au caprice de la touche : il est habile à peindre les chairs lumineuses, grasses, vivantes, comme le
devait faire un artiste qui comprenait les maîtres de son temps et qui, même dans ses compositions en
miniature, s'inspirait le plus possible de leurs larges procédés. Francken s'inquiète spirituellement des détails,
il se complaît dans l'accessoire, il s'ingénie à trouver des sujets qui lui permettent de faire valoir l'adresse
de son pinceau. Son tableau du Louvre, la Visite d'un prince dans le trésor d'une église, peut, dans ce
genre, être cité comme un exemple. L'intérêt du motif est nul, mais Francken y a vu une occasion de
grouper des ligures aux costumes éclatants, des ornements religieux, de scintillantes orfèvreries : son
ambition n'en demandait pas davantage. Il aii^iit aussi à peindre des intérieurs d'appartements, des galeries
i(
de tableaux ou de curiosités, pour avoir le plaisir d'y faire entrer des personnages
aux attitudes élégantes
s'enlevant en vigueur sur des fonds neutres et sobres. Et il ne travaillait pas seulement pour lui: Peeter
Neeffs, Van Bassen, Josse de Momper avaient trouvé dans leur jeune camarade
un aide infatigable : il a
peuplé de spirituelles figurines leurs intérieurs d'église et leurs paysages.
François Francken-le-Jeune mourut à Anvers le 6 mai 1642 il ne survécut guère à Rubens, à Van
:
Dyck, à celte première génération des maîtres anversois, dont il était lui-même
un représentant en miniature,
un disciple atténué. Il avait été précédé dans la tombe par son frère Jérôme, qu'on appelle le Jeune, et
qui, né à Anvers en 1578, y mourut en 1623. Nous ne connaissons de
sa main qu'un tableau authentique,
Horatius Coclès aîi pont Sublicius.
D autres artistes, appartenant vraisemblablement à la même famille, ont porté le nom de Francken. Ils
ont prolongé jusqu 'à la fin du dix-huitième siècle le succès, bien diminué cependant, du
genre anecdotique
que François Francken-le-Jeune avait mis il la mode. Mais, dans leur art sans finesse, ils ne furent que de
pâles imitateurs. Quant à la biographie de ces derniers peintres, elle demeure, quant à présent, ignorée
et impossible. On ne pourra songer à l'écrire que lorsque les actes de l'état civil, tirés de la poussière des
archives, permettront d'établir la filiation, encore si obscure, de la famille Francken. Aujourd'hui, l'écheveau
est inextricable. Mariette l'avait bien compris. « MM. d'Argenville et Descamps, écrit-il, ont parlé assez
amplement de tous les peintres de la famille Franck ; mais je trouve qu'ils ont embrouillé la matière au
lieu de l'éclaircir : je ne l'entreprendrai pas, tant j'y trouve de difficultés. » Puisque les archives n'ont
pas encore dit leur secret, imitons la prudence de notre m4re Mariette, et attendons.
PAUL MANTZ
M(ËMM]M m MSIKEMIIMS
AMSTERDAM. — La Vierge et l'Enfant Jésus entourés des MADRID. — Ecce Homo, signé D. Franck.
Pères de l'Église et de divers personnages. Signé f. francken. MUNICH. — Un Combat de cavalerie, signé F. Frank
in f. Ao 1616. Nous reproduisonsci-dessous cette signature. inv. f. AO 1631.
MUSÉE VAN DER Hoop. — La Parabole de l'Enfant pro- Réunion de personnages faisant de la musique, signe
digue, sujet entouré de grisailles. D° F. Frank inv. et f.
ANVERS. — Miracles au tombeau de saint Bruno. Les Les Sept OEuvres de misericorde(1630). Le Christianisme
OEuvres de miséricorde (1608). Le Martyre des quatre et le Paganisme, allégorie.
couronnés, triptyque avec deux volets peints de chaque côté, ROTTERDAM. — Une Compagnie de musiciens.
Signé D. J. F. F. (Den jongen Frans Francken). VIENNE. — Le Christ sur la croix, signé De1l Ion F. F.
CABINET DE M. MERTENS-BAUDUIN. — La Résurrection in. 1606.
de Lazare. Un Sabbat de sorcières, signé Den Ion francis frankin
CABINET DE M. REYNWIT. — Le Blason de la gilde de fecit et inv. 1607.
Saint-Luc, peinture exécutéeavec le concours de Van Balen, Solon à la cour de Crésus, signé D.o. F. Franck. inv.
de J. Breughel et de Sébastien Vrancx. Des Dames et des cavaliers à table dans un appartement.
BERLIN. — Les figures d'un tableau de Van Bassen (1624), Ecce Homo, signé F. Franck inv.
avec la curieuse inscription F. Franck figuravit. VENTE DU CARDINAL FESCH (Rome, 1845). — La Fuite en
BRUGES. ÉGLISE NOTRE-DAME. — La Madeleine aux pieds Égypte, tableau daté de 1608.
du Christ (1628). On voit, par les indications que nous venons de reproduire,
BRUXELLES. — Crésus montrant ses trésors à Solon. Acquis que les signatures de F. Francken-le-Jeune ont beaucoup
en 1856 pour la somme de 600 fr. varié. L'une de ces signatures (DO Francken) a donné lieu à
LOUVRE. — Histoire d'Esther. Le catalogue attribue ce bien des suppositions. On a prétendu d'abord que D° était
tableau à F. Francken-le-Vieux; mais M. Burger a fait remar- une abréviation du prénom italianisé de Dominique; mais
quer qu'il était signé Du F. F. Acquis au prix de 500 fr. cette conjecture tombe d'elle-même, puisque Francken s'ap-
La Parabole de l'Enfant prodigue. Un sujet central, en pelait François et non Dominique. D'autres écrivains, et
couleur, entouré de huit grisailles (1633). M. Burger un des premiers, ont vu dans ces deux lettres
La Passion de Jésus-Christ, avec huit grisailles. Signé l'abréviation de Donno, Francken ayant, suivant eux, pris
f. franck in. le nom de Don Francisco après son retour d'Italie. Cette ex-
Visite d'un prince dans le trésor d'une église. Signé plication a été adoptée par les rédacteurs du catalogue du
Ao 1633. D°. Franck in. et f. Acquis en 1844 pour la somme Musée d'Anvers. Malgré de si puissantes autorités, elle ne
de 1,800 fr. nous satisfait pas complètement, et nous cherchons encore.
Scafe 5».,e-ant-le-. '({//'/fuu:/' de ,?e?'tl'è, Jêciyda^eà.
NÉ Eîï 1.582.
- MORT EN 1649.
[texte_manquant]
1 Voyez la note de M. Th. Van Lérius dans le Catalogue des OEuvres d'art des anciens maîtres exposées à Anvers
en 18:;;;.
Les anciens documents donnent Tenier au lieu de Teniers : c'est en effet la forme primitive du nom. Au bas de l'estampe de lil
Cène, Van Panderen a écrit David Tenir, et l'on sait que le nom du vieux maître
se prononçait ainsi en Flandre.
reproduction fidèle — il a groupé, devant la porte d'une ferme, de rudes paysans se chauffant autour d'un
feu de branches sèches : pendant que le fagot jeté dans le brasier pétille et flamboie, la lune passe,
blanche et claire, dans un ciel nuageux : il semble que Teniers se soit amusé à combiner dans son paysage
le rayonnement de deux lumières opposées. Mais alors même que le peintre d'Anvers empruntait Elzheimer à
le secret de ces associations savantes, il restait Flamand dans le type de ses personnages et surtout dans leur
esprit. Il aimait à représenter des fumeurs assis dans d'obscures tabagies, des alchimistes cherchant le secret
de l'œuvre hermétique, des musiciens et des mendiants promenant au soleil leur chanson ou leur pauvreté.
Ainsi, par le caractère de son inspiration essentiellement réaliste, le vieux Teniers annonce son fils et
prépare son prochain triomphe.
Elzheimer ouvrit aussi il son disciple un monde qu'il ignorait : il lui fit faire connaissance avec la mythologie ;
mais il ne put
— étant lui-même demeuré un peu Allemand — lui révéler dans tous ses enchantements la
poétique élégance de ces déesses et de ces nymphes qui courent à demi-nues dans les forêts virgiliennes. Sans
avoir la prétention d'atteindre à la grâce, Teniers peignit des scènes mythologiques, Vénus sortant du bain,
Mercure et Argus, Vertumne et Pomone, et bien d'autres encore. Enfin, esprit accessible à toutes les
fantaisies, pinceau prêta tous les caprices, il s'amusa il imiter les anciens maîtres et devint bientôt savant
dans le pastiche.
Les biographes assurent que Teniers le père demeura auprès d'Elzheimer près de dix ans Si cette '.
assertion était exacte, il en faudrait conclure que l'artiste flamand aurait quitté Rome vers 1620, c'est-à-dire
a l'époque présumée de la mort de son ami. De retour à Anvers, il reprit la place qu'il avait quittée. On
1 Pilkington affirme toutefois que Téniers ne demeura il Rome que six ans. General Dictionary of Paintcrs. 1810, p. o71
n'a malheureusement point de données précises sur les œuvres qu'il dû produire alors. On sait seulement
a
que, lié avec les plus grands artistes du temps et surtout avec Rubens, Teniers le père continua à peindre
et se montra même très-fécond, soit qu'il eut pour son art une passion réelle soit qu'il eut à
,
pourvoir,
comme on l'a dit, aux besoins d'une famille nombreuse. Toutefois, par une fatalité doublement funeste à sa
renommée, il se trouva bientôt dépassé par Adrien Brauwer qui,
en 1631, se fit recevoir maître à Anvers,
et par son fils David, qui, l'année suivante, fut également admis à la maîtrise. Ce dernier lui servit d'abord
de collaborateur et ils tirent ensemble, pour le prince de la Tour-Taxis, les cartons d'une
vastes tenture de
tapisserie. Mais bientôt la réputation du jeune maitre devint si éclatante qu'elle absorba l'attention des
curieux. Dès lors, les biographes perdent de vue Teniers le père, et l'on
ne sait plus de lui qu'une chose,
c'est que, parvenu à l'âge de soixante-sept ans, il mourut à Anvers,
en 1649.
Le talent de David Teniers le Vieux a souffert de la diversité des maîtres dont il
a reçu des leçons et surtout
de la différence des genres de peinture où il s'est essayé. Moins éparpillé il eut été plus fort. Teniers peint
, a
dans toutes les manières et n est resté maître dans aucune. Ses tableaux religieux n'ont pas de caractère
propre : nous avons remarqué dans la Nativité une réminiscence des procédés d'Elzheimer; dans la Cène
qu'a gravée Egbert Van Panderen, il y a comme une imitation
vague du goût de François Pourbus. Lorsque
le vieux Teniers a voulu peindre des mythologies, il s'y est montré
un peu lourd. Ses meilleurs tableaux sont
ses sorciers, ses bohémiennes, enfin ses mille et une paysanneries dont le motif allait bientôt être repris
par son fils. Ces compositions ont de la gaîté, de l'esprit peut-être, mais elles n'ont pas cette coloration
argentée, cette délicatesse de touche, cette merveilleuse transparence
que tout le monde —Louis XIV excepté
a reconnu dans les précieux tableaux du peintre des kermesses flamandes. Si les campagnards de Teniers
le jeune sont charmants dans leur rusticité naïvement spirituelle,
ceux du père sont plus rustiques encore, plus
déguenillésdans leur brune toilette, plus grossièrement indiqués
par le pinceau hasardeux. Le grand roi
traitait de « magots » les paysans de Teniers le fils : s'il avait VII
ceux du vieux David, qifaurait-il dit?
P AU L MA N T Z.
JEAN WILDENS
NE EN 1 584. - MORT EN 1053.
Cette lettre a été publiée, pour la première ;fois, par M. H. Carpenter dans
ses Mémoires sur Van Dyck, et reproduite (en
'tnglais) par M. Sainsbury; Original papers illustrative of the life of Rubens.
1859, p. 38.
Quel était l'habile homme à qui Rubens faisait ainsi l'honneur de l'associer à son œuvre ?... Si l'on songe
qu'à cette date la plupart des paysagistes flamands travaillaient encore dans une manière exacte et petite ;
si l'on considère que Van Uden, qui passe pour un des collaborateurs habituels de Rubens, n'était .alors
qu'un très-jeune homme qui n'avait pas même conquis la maîtrise, nul doute n'est possible : l'aide auquel
le grand peintre faisait appel ne peut être que Jean Wildens.
A l'époque où il se trouva ainsi associé à Rubens, Wildens avait déjà donné depuis longtemps des preuves
de son habileté. Né à Anvers en 1584, il était entré à l'âge de sept ans dans l'atelier d'un peintre peu connu,
\
Pierre Verhulst En 1604, il fut admis parmi les maîtres de Saint-Luc, et il passa bientôt auprès de ses
confrères pour un peintre recommandable, puisqu'il reçut lui-même des élèves (1610). Enfin les tableaux
qu'il peignait alors avaient appelé l'attention des graveurs, qui s'empressèrent de reproduire ses premiers
ouvrages.
Wildens, aux années de ses débuts, ne paraît pas avoir subi encore l'influence de Rubens. Il a toutes les
timidités, de cette école intermédiaire qui, pour le paysage surtout, se montre si voisine du seizième siècle.
Il est curieux d'étudier la suite d'estampes que J. NIatham, II. Hondius et André Stock ont gravée d'après
lui en 1614. Cette série de planches, qui représentent les Douze mois de l'année, révèle en Wildens un
adhérent de Josse de Momper. Il peint volontiers de grandes perspectives dont les profondeurs laissent
apercevoir des rochers et des bois perdue dans des lointains bleuâtres. Sur ces fonds, faiblement colorés, il
détache en vigueur de petites figurines naïvement spirituelles. A l'exception de Février, qui nous montre une
mascarade prenant ses ébats sur une place publique quelque peu italienne, les Douze mois sont consacrés à la
glorification des occupations ou des délassements champêtres. Le labourage, la culture des fleurs, la tonte des
moutons, les jeux des patineurs sur les étangs glacés, tels sont les motifs que Wildens a mis en scène. Les
ligures qui animent ses tableaux ont du caractère et de l'esprit; mais il nous semble douteux qu'elles soient
l'oeuvre du paysagiste lui-même ; elles sont d'un goût rustique qui fait songer aux Breughel.
Il ne paraît pas que Wildens ait visité l'Italie. La nature familière des environs d'Anvers, la vue de l'Escaut
et des vertes prairies qu'il arrose suffisaient à sa curiosité ; en outre, du jour où il y mit les pieds, l'atelier de
Rubens devint pour lui tout un monde. Pour compléter sa vie, il ne lui manquait qu'une femme : Wildens
se maria, le 12 novembre 1619, avec une jeune fille de dix-huit ans, Marie Stappaert; mais il eut à peine le
temps d'être heureux. Moins de cinq ans après son mariage, l'artiste flamand eut celte peine, amère entre
toutes, de voir mourir sous ses yeux la femme qu'il aimait (29 mai 1624). Elle lui laissait deux enfants,
Jean-Baptiste, dont l'histoire n'a pas gardé le souvenir, et Jérémie, qui fut peintre comme son pères.
Wildens était à cette époque un des familiers de la maison de Rubens. Le grand maître, nous l'avons
dit, l'employait quelquefois à peindre des fonds de paysage dans ses tableaux. Wildens y gagna d'élargir
ses procédés et d'abandonner peu à peu les méthodes patientes qu'il avait mises en pratique dans la première
partie de sa carrière; dès lors, il ne fut plus le disciple de Pierre Verhulst, mais celui de Rubens.
D'étranges choses ont été racontées au sujet d'une prétendue rivalité qui se serait élevée entre lui et son
nouveau maître. Cette absurde historiette préoccupait encore, en 1763, le peintre NIensaert, qui, visitant il
cette époque les cabinets des amateurs d'Anvers, écrit sérieusement les lignes suivantes . «M. de Lunde
nous fit voir un admirable paysage peint par Rubens, qui représente une Vue de la paroisse de
Laeken Le propriétaire de ce tableau nous dit que Rubens l'avoit peint au sujet d'un démêlé qu'il avoit
eu avec Wildens, peintre de paysages, auquel il vouloit faire connoitre qu'il étoit aussi habile maître en
paysages qu'en figures. » Pour nous, nous en avons toujours été convaincu, et il faut être bien amoureux
de l'anecdote pour croire que Wildens ait pu douter, même un jour, même une heure, de l'omnipotence
1 Nous ne savons si ce Pierre Verhulst (qui vivait ainsi en 1591) doit être confondu avec un certain Verhulst dont il est
question dans une lettre de Rubens, en 1640, et qu'il considère comme un des peintres les plus communs de la ville d'Anvers.
Ce Verhulst avait peint, d'après un croquis de Rubens, une Vue de l'Escurial (Sainsbury, p. 267).
2 Jérémie Wildens, né à Anvers en 1621 et franc-maître de Saint-Luc en 1646-1647, mourut jeune, le 30 décembre 1653. Il
son testament (27 mai 1640), ce fut à Jean Wildcns, à Snyders et à Jacques Moermans qu'il commit le soin
de présider à la vente de sa collection de tableaux, de statues et de médailles
Wildens était lié avec tous les artistes célèbres de l'école. En 1632, il tenait sur les fonts de baptême
une des filles de Gérard Seghers. Rombouts, Corneille de Vos, Langhenjan le comptaient au nombre de
leurs amis; il a quelquefois peint des fonds de paysage dans les tableaux de chasse de Snyders; enfin
Van Dyck a fait de lui un portrait superbe. Ainsi associé à de nobles travaux et environné d'illustres
amitiés, Wildens atteignit l'âge de soixante-neuf ans, et mourut le 16 octobre 1653.
Mais si Wildens a été si bien placé dans l'estime de ses contemporains, s'il a eu en réalité le talent de
paysagiste que Rubens lui-même lui reconnaissait, comment se fait-il que ses tableaux soient si rares? Le
musée de Dresde, celui de Madrid, la galerie Bridgewater, à Londres, et les cabinets du marquis de Bute et
de M. Martin sont presque les seules collections qui renferment des œuvres de Wildens, du moins des
Œuvres tout à fait personnelles. Sans reparler des Douze mois de l'année, dont la trace s'est perdue,
qu'est devenu ce petit paysage (le Cavalier) que W. Hollar a gravé en 1650? Au dix-huitième siècle, on
admirait encore deux tableaux de Wildens dans le cabinet de l'abbaye de Saint-Martin de Tournay. Tout
MEMMim M mMmnMs
Les renseignements que nous venons de donner sur J. Wil- GALERIE DE M. MARTIN, A HAM-COURT.
— Chasse au
dens expliquent, dans une certaine mesure, pourquoi ses Sanglier.
tableaux sont si rares. Nous n'avons donc pu réunir sur son
— Un paysage. M. Waagen
CABINET DU MARQUIS DE BUTE.
œuvre que les indications suivantes : fait observer que ce tableau, qui doit appartenir à la pre-
MUSÉE D'ANVERS.
— La Fierge et l'Enfant Jésus. Le mière manière du maître, est un peu dans le style de Breu-
paysage seul est de Wildens; les figures, qui constituent la ghel et de Roland Savery.
partie essentielle du tableau, sont de Rombouts. On sait que MADRID.
— Les Environs de Spa ; la Partie de Chasse,
cette peinture, antérieure à 1637, provient de l'église des et deux grands paysages. Dans le premier, où l'on voit des
Récollets de Malines. chaumières au bord d'un lac, des bergers font paître leurs
DRESDE. — Effet d'hiver. (Un chasseur revenant de la troupeaux; dans le second, une bohémienne dit la bonne
chasse et portant un lièvre.) Grand tableau de 10 pieds aventure à des paysans.
A pouces de large sur 6 pieds 11 pouces de haut. VENTE RUBENS (1640). Un paysage. (On sait que cette
LONDRES.— GALERIE BRIDGEWATER. Un paysage boisé, vente eut lieu à l'amiable, par les soins de Snyders, de
—
traversé par un cours d'eau et enrichi de figures. (Gravé dans Moermans et de Wildens.)
la galerie Stafford.) Ce tableau, d'une exécution large et libre VENTE BURGRAAFF (1811).
— Un tableau d'animaux par
et d'une coloration très-chaude, est évidemment un des Snyders, paysage de Wildens, 351 francs.
chefs-d'œuvre de Wildens.
<§>co/e fwamanc/f. Jl?oJfI?tatÍd.
FRANCOIS HALS
O
NÉ EN 1584.
— MOUT EN 1666.
,
liais. Le 'peintre n'était pas chez Illi mais de charitables voisins, informés de ses habitudes, vont le chercher
au cabaret le plus proche. Désolé de quitter son verre encore plein et ses joyeux camarades, Hais a quelque
peine it se déranger ; il y consent cependant et rentre chez lui. Le visiteur inconnu qui l'attendait avait
toutes les apparences d'un gentilhomme. Ses manières, sa parole ne sont pas au-dessous de l'élégance de
son costume. Il explique, de l'air le plus charmant du monde, qu'il n'a pas voulu traverser Harlem sans
connaître l'un des plus fameux peintres de la ville et qu'à la veille d'entreprendre un long voyage, il
se croirait criminel s'it négligeait d'emporter son portrait peint par une main aussi savante. Il ajoute qu'il
est pressé et qu'il veut être peint tout de suite. L'inconnu s'assied aussitôt et François Hals, dissipant en
raison de la gravité de la circonstance, les restes de son ivresse, saisit la première toile qui se rencontre sous
sa main et commence à peindre. Le noble seigneur, sérieux et digne, posait avec une impassibilité
parfaite.
Cependant Hals se hâtait; sa main était si sûre et si prompte qu'au bout de quelques heures l'effigie du
personnage vivait sur la toile. Tout fier d'avoir fait si vite et si bien, Hals se lève, appelle son modèle et lui
montre l'œuvre achevée. L'inconnu se déclare satisfait; il s'étonne naïvement qu'il soit possible de terminer
si tôt un portrait, et ose dire que la peinture ne lui paraît pas si difficile et
que, bien qu'étranger aux secrets
de cet art charmant, il se fait fort de peindre lui aussi un portrait ressemblant et fidèle. François Hals s'imagine
qu'il a affaire à un fou, mais trop sur de lui-même pour craindre un rival, il se prête complaisamment
au
caprice de son modèle; il s'assied à la place que l'élégant gentilhomme vient de quitter, et c'est celui-ci qui
s'empare de la palette et des pinceaux. François Hais ne put cacher son étonnement lorsque,
sans bouger
de place, il vit le cavalier s'escrimer lestement sur la toile et surtout attacher
sur lui le regard profond
d'un homme habitué à étudier la nature vivante. Mais quelle fut la surprise du peintre de Harlem, lorsque,
appelé à considérer l'œuvre du gentilhomme, il dut y reconnaître la main d'un grand maître? —Vous ètes
Van Dyck, s'écria-t-il en lui sautant au cou avec la familiarité d'un confrère et d'un ami. C'était Van Dyck,
en effet, Van Dyck dont la jeune renommée avait pénétré en Hollande et qui, appelé parle prince
d'Orange, n'avait pas voulu traverser Harlem sans connaître son ancien compatriote le peintre savant
,
dont il disait que, s 'il avait su fondre davantage ses couleurs, il eut été le premier portraitiste du temps.
Si l histoire est absolument vraie, nous ne saurions le dire mais
; en tout cas elle est bien trouvée, et
elle ne dément pas ce qu'on sait de Van Dyck et de son caractère. Les biographes ajoutent
que l'élégant
maître d'Anvers, qui préméditait alors un voyage à Londres, eut la générosité de proposer à François Hais
de l'y conduire avec lui. Là, du moins, le travail ne lui aurait jamais manqué:
au lieu de peindre des
bourgeois économes, de parcimonieux marchands ou de pauvres prêtres, il aurait
vu poser devant lui de
nobles dames, la fleur de l'aristocratie britannique, les princes de la maison souveraine et peut-être le
roi lui-même. L'offre était tentante, mais l'on assure que Hals refusa l'invitation de Van Dyck. Abruti
«
par le vin, dit Descamps, il répondit qu'il était heureux et qu'il ne désirait pas un meilleur sort '. »
La vérité est que Hals n'aimait pas les aventures; il avait des goûts modestes, et, content de
peu, il
.
trouvait à Harlem assez de travail pour suffire à ses besoins et à ceux de sa famille 2 Il faut dire d'ailleurs
qu'il était alors dans tout l'éclat de son talent. Nous n'en voudrions pas d'autre
preuve qu'un portrait de
jeune homme qui figure au musée de Bordeaux, et qui porte la date de 1632. Cette tête intelligente
et
lumineuse, aussi franche par l'expression que par le faire, frappe le regard
par un profond sentiment de
réalité et de vie. Aucune recherche artificielle n'en altère l'accent loyal; les lèvres s'entr'ouvrent
comme
pour parler, les yeux sont humides et vivants. Ce beau portrait, où l'on a cru à tort retrouver les traits du
maître lu.\-même, est assurément l'un des meilleurs qui soient sortis de son pinceau.
Nul doute qu'on ne doive d'ailleurs reconnaître dans François Hals, dans le prétendu héros des cabarets
de Harlem, un artiste patient quelquefois et toujours sagace, un peintre doué d'un
sens particulier pour
rendre le caractère individuel des physionomies. Voyez au Louvre le portrait de Descartes! L'œuvre n'est
pas des plus fortes, et Hals a souvent peint d'une main plus ferme et plus accentuée; mais cette peinture
est doublement curieuse, soit parce qu'elle nous conserve, sans mensonge, les traits maladifs et
presque
vulgaires d'un grand génie philosophique, soit parce qu'on y peut lire nettement le système pittoresque
de François Hals. Jamais le sincère artiste ne transigea avec la vérité, si disgracieuse fût-elle; jamais il
ne
s'égara à la poursuite d'un chimérique idéal. Descartes
— on peut, je suppose, le rappeler sans outrager
N'était-ce pas d'ailleurs le talent spécial du peintre de Malines que de savoir accepter avec franchise le
caractère de ses modèles et de mettre courageusement en relief le trait particulier, la singularité même
de leur physionomie? Un amateur de Paris, M. Dablin, possède de François Hals un portrait, qui, par
la hardiesse de son exécution savante, donne de l'auteur une très-haute idée. C'est l'effigie d'un militaire
hollandais, dont nous regrettons de ne pas connaître le nom, car, à en juger par l'expression énergique de
son mâle visage, par l'ardente coloration dont le soleil des champs de bataille a doré son teint, ce rude
personnage a dû se trouver mêlé aux grandes luttes de son temps. Cette peinture est traitée largement,
avec une audace libre, et qui, sûre de son résultat, s'inquiète peu de la perfection des détails secondaires.
Les mains et diverses parties du vêtement sont presque restées à l'état d'ébauche; tout l'effet, toute la
lumière, toute la vie se concentrent sur la tête qui est d'un puissant relief et semble vraiment sortir du
a
cadre. Non, l'artiste qui exécuté cette vaillante peinture n'occupe pas encore dans l'art la place à laquelle
il a droit.
François Hals, hâtons-nous de le dire, ne se borna pas à faire des portraits. Karl Van Mander lui
avait appris à dessiner. Désireux de montrer sa science, Hais peignit quelques tableaux d'histoire,
en
même temps qu'entraîné par l'exemple des artistes hollandais, et frappé sans doute aussi
par le spectacle
des choses qu'il avait tous lés jours sous les yeux, il exécuta des scènes familières. Les peintures historiques de
Hals doivent être assez rares ; mais l'auteur du Voyage pittoresquede la Flandre et du Brabant
en cite un trop
curieux exemple pour que nous ne le mentionnions pas d'après lui. Dans l'église des Récollets d'Ypres,
écrit-il, on remarque « un grand tableau qui représente la levée du siége d'Ypres
par l'intercession de la Vierge
qui paraît dans le ciel; dans le bas, on voit une palissade qui entoure la ville, qui
y fut placée
miraculeusement dans une nuit sans le secours de personne. Les officiers des assiégeants paraissent.
comme le reste de l'armée, étonnés, et se disposent il décamper. » Ce tableau de François liais, ajoute-t-il,
« bien conservé pour la couleur, est bien dessiné et d'un bon effet1. » On voyait aussi autrefois à Dell!
une composition représentant les principaux chefs de la Compagnie du Mail, personnages de grandeur
'
naturelle. « La vie et l'âme se peignent dans chaque figure », dit Papillon de la Ferté qui, il est vrai,
ne
parle de ce tableau que par ouï dire.
Quant aux scènes d'intérieur, à ces groupes de buveurs joyeusement attablés autour d'un pot de bière,
François Hals les avait sous les yeux et il pouvait les peindre d'après nature. On rencontre de
sa main.
dans les cabinets d'Amsterdam et de La Haye, quelques petites toiles de
ce genre. Parmi les meilleures,
il faut peut-être citer son piquant tableau des Béatitudes, où le sentiment du réalisme hollandais éclate
avec un esprit qui fait songer à Brauwer8. Au centre de cette composition, un buveur, plus heureux que
ceux qui l'entourent, tient des deux bras un broc où il espère trouver l'oubli de toutes peines; près de
lui se presse, la lèvre avide, l'œil en feu, un monde remuant d'enfants et de jeunes drôles qui
se
préparent à prendre leur part de cette bonne aubaine. Il y a dans cette peinture une animation singulière \
Hals a fait aussi des têtes de fantaisie. On voyait de lui au siècle dernier, dans le cabinet du comte de
Vence, un tableau représentant « Un fou qui tient une marotte. » Il semble avoir pensé à Rembrandt dans
a
le Bieur, qui été gravé par Claessens. Une autre fois enfin, Hals peignit une vieille femme qui
a auprès
a
Extrait de la Vie des peintres, tome Il, page 146.
3Adrien Brauwer passe pour avoir été l'élève de François Hals. Les historiens ont même raconté à
ce propos des anecdotes qui.
si elles étaient vraies, donneraient une bien triste idée du caractère du portraitiste de Matines. A
en croire ces écrivains, Hais,
après avoir pris chez lui Brauwer tout enfant, et l'avoir fait travailler avec lui, l'aurait, dit-on, accablé de mauvais traitements
et
se serait approprié, pour les vendre comme siens, les ouvrages de son élève. Brauwer, indigné, aurait fini par déserter cette maison
inhospitalière. Nous ne sommes pas en mesure de démentir ces méchants contes
; nous savons toutefois que les érudits de la Belgique
et M. Van Lérius à leur tête, ne les admettent que sous bénéfice d'inventaire. Brauwer n'est-il
pas l'un des peintres sur la vie
duquel on a fait courir les plus folles légendes ?
4 Pour se mettre en garde contre toute méprise, il convient de
remarquer que tous les tableaux de ce genre qu'on attribue à
François Hals ne sont certainement pas de lui. François eut
un frère, Dirck (ou Thierry), qui, né à Malines en 1589, et mort
à Harlem en 1656, peignit ordinairement des scènes familières, des conversations
« et des animaux en petit. » "Encyc/opeàic
méthodique, Beaux-Arts, tome II, page 58.) Pilkington le dit élève d'Abraham Bloemaert,
et en parle comme d'un maître plein
d'esprit et d'humour. Le catalogue du cabinet de M. Stevens, vendu à Paris
en 1847, mentionne de Dirck liais un intérieur
d 'al)partement, où l artiste avait représenté
un cavalier pinçant de la guitare près d'une dame qui essaie de jouer du vio)on.—
Enfin f auteur de la Notice sur Saint-Bavon attribue
au même artiste les figures d'un des grands paysages de Van Uden que
possède cette cathédrale.
d'elle un hibou. Dans cette image caricaturale, dont L. B. Coclers nous a laissé une spirituelle eau-forte,
on reconnaît comme un avant-goût de la puissante fantaisie de Goya. Peindre d'un pinceau aussi ferme,
conserver si précieusement le caractère individuel des types, se montrer si sérieux, même dans le sourire,
c'était encore faire du portrait.
Il ne faut pas croire d'ailleurs que Hals ait longtemps gardé les rapides procédés de l'école flamande.
Loin de là, il avait pris en arrivant à Harlem une manière plus attentive et- plus lente. « Il mettoit, nous
dit-on, la plus grande précision dans ses ébauches; c'étoient des études serviles de la nature, mais il
revenoit ensuite sur ce travail par des touches hardies qui cachoient toute la peine de ses premières
opérations et,donnoient à ses ouvrages une grande force et une vive expression-»
Ainsi cet ivrogne « à la vie crapuleuse, » ce « débauché abruti par le vin était à tout prendre
» un peintre
sérieux, un maître amoureux de son art, un vaillant ouvrier qui travaillait longtemps et beaucoup. Malgré
les habitudes peu réglées de sa vie extérieure, malgré ses stations plus ou moins fréquentes cabaret, François
au
Hais s'était marié. Dans un portrait, qui fait la joie et l'honneur du musée d'Amsterdam, il s'est représenté
à cote de sa jeune femme. Les deux figures se détachent
sur un fond de paysage vigoureux et charmant, et
cette œuvre, qui mériterait d'être gravée, est l'une des plus larges, l'une des plus magistrales qui soient
sorties de la main de l'auteur. Il semble que, travaillant pour lui-même et
presque pro ariset focis, l'artiste
ait eu le pinceau plus libre et plus sûr : qui sait si, dans cette simple et noble peinture, le cœur n'a pas été
de la partie ? -**
Car — il faut bfên l'avouer, — ce visiteur assidu de. tous les cabarets, il eut un foyer, il eut une famille,
Le registre de la corporation des peintres de Harlem nous a conservé le nom de trois maîtres, Franz,
Herman et Jan qui, selon toutes les vraisemblances., furenMes-1ils de François Hais. S'ils eurent du talent,
l'histoire ne le dit pas, et.aucune oeuvre authentique ne permet aujourd'hui de Jéur constituer une
renommée. Tout est mystère d'ailleurs dans ce qui touche à la vie, à la maison de François Hals. Le
, ,
seul point qui nous reste à noter, c'est que ce laborieux buveur, protégé et défendu pour ainsi dire par le
vice qui aurait dû hâter sa fin, vécut presque aussi longtemps qu'un patriarche, et s'éteignit à Harlem à
l'âge de- quatre-vingt-deux ans, le 20 août 1666. L'art du portrait -perdait en lui l'un de ses plus courageux
champions, l'un denses maîtres le plus justement admirés. La Hollande ramassa sans doute le pinceau de
l'enfant prodigue qu'elle avait adopté, et elle sut encore s'en servir dignement ; mais dans sa véritable
patrie, il n'eut point d'héritier. François Hals fut le dernier des grands portraitistes' flamands.
' PAUL MANTZ.
GASPARD DE CRAYER
"E EN 1585. — MORT EN 1669.
D'après une tradition que Mariette semble avoir empruntée au Peintre amateur et curieux de Mensaert, c'est dans les
peignaient avec une main plus savante, avec une plus ardente imagination Crayer n'était, à vrai
:
dire, qu'un habile coryphée prenant part à l'évolution de l'art contemporain,
sans être cependant
une personnalité distincte, un maître indépendant, un génie. Il ne faut voir en lui qu'un artiste d'une
expérience consommée, un producteur d'une fécondité rare. Son pinceau est large facile et joue
, avec
ln couleur comme dans son élément natif. Peintre inégal, et d'ailleurs infiniment laborieux,
Crayer
a beaucoup travaillé, et trop peut-être; mais l'histoire de son talent présente cette singularité,
que,
témoin du triomphe deRubens, il a subi involontairementl'ascendant de
ce vigoureux génie, et que, sans
avoir reçu de lui de leçons directes, il a imité sa libre pratique et ses larges façons de voir la forme
et de l exprimer par la couleur. Lorsque Rubens l'honorait de
sa louange, c'est qu'il retrouvait en lui
un disciple inconnu, un adhérent passionné, et il le remercia plus tard de cette fidélité spontanée
en
lui léguant un de ses tableaux.
Gaspard de Crayer ou de Craeyer est né à Anvers, non
pas en 1582, comme on le dit un peu
partout, mais bien en 1585, et il fut baptise le 18 novembre à l'Église Notre-Dame Le père de Crayer
cumulait deux professions : il était à la fois maître d'école et marchand de tableaux, et
son nom se
trouve inscrit à ce dernier titre sur les registres de la confrérie de Saint-Luc. Mais soit qu'il n'ait
pas
réussi dans son double métier, soit par caprice ou par toute autre
cause, le vieux Graver quitta Anvers
et vint s'établir à Bruxelles. C'est là que Gaspard fit son éducation d'artiste. Il y avait alors dans la
capitale du Brabant, un maître qui avait hérité de la renommée, sinon du talent de
son père:
c'était le fils de Michel Van Coxcyen. Né à l'heure des plus grandes ferveurs italiennes, il avait
reçu
le nom de Raphaël, et le portait assez tristement. C'est à lui
que Gaspard de Crayer demanda des leçons;
mais il se garda bien de les suivre d'une manière servile et de s'enrôler dans le bataillon attardé qui,
sans souci du génie national, persistait à imiter l'Italie déjà frappée au cœur. Crayer ne fit pas le lointain
voyage que tous les jeunes peintres faisaient alors, il ne se laissa pas séduire par les doctrines
ultramontaines que prêchait encore le vieil Otlio Venius, et, fidèle à l'originalité de
son pays et de
sa race, il resta Flamand. v
La première date que nous rencontrons dans la vie de Gaspard de Crayer est celle de
son entrée dans
la corporation des peintres de Bruxelles, en 1607. Nous ne sommes pas
en mesure de dire s'il avait déjà
à cette époque un talent bien décidé, car ses tableaux, trop rarement datés, ne nous permettent point
de suivre pas à pas les modifications et les progrès de sa manière. Du reste,
un fait significatif se produisit
alors : Rubens revint en Flandre en 1608, et dès lors toutes les intelligences, toutes les curiosités furent
entraînées par l'autorité de ses grandes allures. Crayer ne fut pas le dernier à subir cette haute influence.
Je serais disposé à croire pourtant que ses débuts furent difficiles et qu'il ne s'est pas élevé de prime saut
au point qu'il devait atteindre dans la maturité de son talent. Du moins, je trouve encore bien de
la faiblesse dans son tableau de Job sur le fumier, qui porte la date de l(ilî), et qui, après avoir
longtemps décoré Saint-Bavon, est venu, par les hasards de la guerre, prendre place
au musée de
circonstances suivantes que Rubens aurait fait à Crayer le compliment que ses biographes enregistrent
avec tant de soin :
« Rubens, dit-il, ayant été consulté sur un tableau qu'avoit peint Crayer et qu'il trouva très-beau, dit en flamand
que le coq
avoit très-bien chanté. Il faut sçavoir, pour bien comprendre le fin de ce bon mot, que Crayer, dans la langue du
pays, est une
expression particulière dont on se sert pour signifier le chant que fait le coq, et que le mot haan, que Rubens employoit dans
sa
phrase, a une double signification; que ce mot, qui veut dire un coq, signifie dans le figuré un homme qui prime les autres »
sur
(Abecedario, t. II, p. 39). Quant au tableau qui a excité l admiration de Rubens, il n est pas aisé de l indiquer d'une manière
précise. Campo W eyerman veut que ce soit la Glorification de sainte Catherine, conservée encore aujourd'hui à Bruxelles dans
l'église qui porte ce nom- Mensaert prétend que le fameux éloge a été prononcé à propos d'un tableau représentantle Roi Gaudula
chantant devant saint Benoît, qui, de son temps, se trouvait dans le réfectoire de l'abbaye d'Affl4;hem, et qui, ajoute-t-il, était
peint cdans le goût du Titien. » Dans le récit de Descamps, il s'agit, bien d'une peinture appartenant au même couvent; mais
du Centenier se prosternant aux pieds de Jésus-Christ.
1 Voir, pour cette date et pour quelques renseignements
nouveaux dont nous avons tiré parti dans cette biogrrphie, la dernière
édition du Catalogue du Musée d'Anvers: 1857, p. 224.
Toulouse. Le pieux personnage y est représenté endurant avec une patience surhumaine les injures
de sa femme. Les ligures n'ont dans cette scène de ménage qu'une expression insuffisante et
vague, et, malheureusement, la coloration abonde en tons roux , en nuances ternes et lourdes. Si
frayer ne s'était pas affranchi de ces pesanteurs et de ces vulgarités, il ne tiendrait qu'un rang
médiocre dans le groupe radieux des maîtres flamands.
Toutefois, la sympathie des connaisseurs de Bruxelles et des environs lui fut acquise de bonne heure,
et plus d'un haut personnage fit fête à ce pinceau encore hésitant. Crayer rencontra surtout un
protecteur fervent dans un prélat, un peu oublié aujourd'hui, Jacques Boonen, qui en 1617 était devenu
e\eque de Gand et qui, bientôt après, fut appelé à l'archevêché de Malines. Lettré, pieux et riche, Boonen
aimait les arts, mais il les aimait dans une mesure étroite, et d'une manière que la libre audace
de l'esprit moderne serait tentée de regarder comme intolérante. Il prisait avant tout la réserve dans
le sentiment, la chasteté dans les motifs et dans les formes. 11 poussait le zèle, disent ses panégyristes,
jusqu'à briser ou brûler de ses propres mains les statues et les tableaux qui pouvaient être une occasion
de scandale aux. yeux pudiques, et l'on assure que, pour indemniser les propriétaires des œuvres qu'il
lUI paraissait convenable de supprimer dans l'intérêt moral de son diocèse, il dépensa plus de trois mille
florins1. Boonen était donc un Mécène sévère. Il ne trouva heureusement dans Gaspard de Crayer aucune
velléité mauvaise, et c'est en effet le lieu de remarquer ici que, sauf deux ou trois occasions où il s'essaya
dans le portrait ou dans des sujets empruntés à la mythologie, l'habile artiste n'a guère consacré son
pinceau qu'à la représentation d'histoires religieuses. Ce talent particulier devint même bientôt le
principe du long succès de Crayer. D'importants travaux lui furent demandés de toutes parts, et. nul ne
saurait dire le nombre de tableaux qu'il peignit pour les églises et pour les couvents. Courtrai lui fit faire
le Martyre de sainte Catherine et la Sailite-Triîiité ; Gand et Anvers, Vilvorde et Louvain voulurent avoir
quelques peintures de sa main féconde, et les prieurs des plus riches abbayes vinrent frapper à la porte
de son atelier'. Malgré les guerres qui l'ont appauvrie, la Belgique moderne est pleine de 1'(J'mre de
Gaspard de Crayer, et l'on ne peut faire un pas dans ses églises ou dans ses musées sans rencontrer 1111
ou plusieurs tableaux de ce maître qui, aussi laborieux que Rubens, a tenu le pinceau jusqu'à sou
dernier jour.
La renommée de Crayer obtint en outre une consécration officielle. Lorsque l'archiduc Ferdinand, frère
de Philippe IV (le Cardinal-Infant), fut appelé à nruxelles comme gouverneur de la Flandre (1634), Graver
devint son peintre favori et fut même attaché au service de sa maison. Un écrivain local te désigne
comme pictor domesticus du cardinal. C'est sans doute à ce titre que, lors de t'entrée du prince à Gand,
cérémonie qui eut lieu l'année suivante, il fut chargé de peindre les deux tableaux décoratifs de l'arc de
triomphe élevé -li cette occasion dans la cité gantoise. Dans l'un, il représenta François Ier fait prisonnier
à Pavie; dans l'autre, la descente de Charles-Quint en Afrique : double flatterie adressée au
gouverneur
espagnol. On sait aussi qu'il fit le portrait de l'archiduc, et que, cette peinture ayant été envoyée à
Philippe IV, celui-ci fut si satisfait que, pour témoigner sa reconnaissance au peintre, il lui fit don d'une
chaîne d'or ornée d'un précieux médaillon, distinction enviée que les souverains accordaient quelquefois
aux grands artistes, et qui devait être, au dix-septième siècle, le plus hauf degré de la faveur, puisque les
historiens se montrent si soigneux de constater ce fait toutes les fois qu'il s'est produit
au bénéfice des
peintres dont ils nous ont conservé la vie.
S'il en faut croire le témoignage des biographes, et notamment de Descamps, l'œuvre qui valut il
Crayer cette marque de bienveillance, était un portrait « en pied et de grandeur de nature. Il résulte de
»
cette indication que Crayer a dû peindre plusieurs fois l'archiduc Ferdinand, puisque l'on conserve
au
Louvre un exemplaire d'un portrait autrement composé. Ici l'Infant est représenté à cheval; il est revêtu
d'une armure sur laquelle une écharpe d'un ton rougeatre est placée en sautoir; il le front découvert,
a
et, la main appuyée sur un bâton de commandement,il monte un de ces genets d'Espagne
que les peintres
du temps semblent avoir pris à tâche de défigurer pour les rendre plus élégants et plus tins. Crayer
a
franchement sacrifie au goût a la mode : la tête busquée du cheval de l'archiduc est démesurément petite.
Dans son ensemble, le portrait du Cardinal-Infant a une belle prestance et
une noble allure; l'exécution
en est large et facile; mais, si bien disposé qu'on soit en faveur de Crayer, il est impossible de ne
pas
reconnaître, que dans ses grands portraits d'apparat, il demeure bien au-dessous de Van Dyck.
Castitatis tantus amator, ut statuas, picturas et imagines obscaenas propiis manibus confringens
« sicpius igni injecerit, et
ut ex aliorum manibus sine strepitu eriperent.ur, supra tria florenorum millia contulerit. Swert, Necrolonium,
» Inn, f). 83
«Gaspard de Crayer, dit Florent Lecomtp. se donna
une manière dans ses ouvrages qui lui en attira beaucoup pOI:r les
principales églises et abbayes des Païs-Bas. On voit en celle de Vicoigne
quatre pièces de quinze pieds de haut enchâssées dans
un ouvrage de marbre, qui représentent les différons mystères de la Passion : il a peint dans l'abbaye considérable de Saint-Denis.
près de Mons. entr autres sujets, le martyre de saint Denis portant tête dans
sa ses mains, dont les yeux pêlroissent. encore être
en mouvement, tant il y a de vivacité dans toutes les parties » Cabinet des singularités, t. Il.
p. 264.
Gaspard de Crayer jouissait à Bruxelles d'une situation excellente; ce même Van Dyck, qui aurait pu être
son rival, était son ami et lui avait donné place dans cette série de nobles effigies qui devaient immortaliser
ensemble et le peintre et ses modèles; le travail et la gloire arrivaient à la fois à l'artiste, qui était, en outre,
devenu archer dans la garde noble du gouverneur. Et cependant cette existence occupée et peut-être
un peu dépendante, avait ses ennuis et ses misères secrètes. Gaspard de Crayer résolut, ainsi que récrit
Descamps, de « se dérober au grand monde qui lui faisoit perdre le plus précieux de son temps. Sans rien
dire il personne, ajoute-t-il, excepté à son ami et son élève Jean Van Cleef, il fit louer une maison
spacieuse il Gand, où il se retira, abandonnant la cour et l'emploi dont on l'avoit gratifié.»
Cette désertion, dont Descamps oublie de nous donner la date, n'est peut-être pas un de ces faits positifs
qu'on doive regarder comme acquis il l'histoire. La vie de Crayer est trop mal connue pour qu'on puisse
dire encore quand et comment il quitta Bruxelles. Ce qui est certain, c'est que le Cardinal-Infant étant
mort en 1641, il serait possible que Crayer, qui perdait en lui un protecteur dévoué, eut profité de cet
événement pour disposer à sa fantaisie de son talent et de lui-même. Florent Lecomte nous apprend
cependant que « l'archiduc Léopold ayant été fait gouverneur des Pays-Bas, lui continua ses appointements,
sur le rapport qu'on lui fit de sa capacité et de sa probité, et l'employa il divers ouvrages.» C'est
évidemment de ce côté qu'est la vraisemblance. Quoiqu'il en soit, Crayer ne trouva pas il Gand le repos
qu'il cherchait. Il contribua puissamment à la décoration des églises de la ville, puisqu'on un très-court
espace de temps, il ne fit pas moins de vingt-un tableaux d'autel. Les communautés religieuses pour
lesquelles il n'avait pas encore travaillé s'adressèrent à lui. Le moment d'ailleurs devenait excellent pour
Crayer, car Bubons venait de mourir (1640), et Van Dyck allait aussi suivre son maître dans la tombe
(9 décembre 1641). Gaspard allait donc être, avec Jordaens, l'un des plus fidèles représentants des
méthodes que l'école d'Anvers avait mises en honneur. Ajoutons enfin que ce temps est celui de sa plus
grande force : je n'en voudrais pour preuve que la Notre-Dame du Rosaire du musée de Valenciennes,
précieuse peinture qui porte la date de 1641, et qui, par l'éclat lumineux des carnations, la fraîcheur du
coloris et la fierté du pinceau, est vraiment digne d'un héritier de Bubons.
Des qualités pareilles brillent dans les productions réussies de Crayer, notamment dans la Conversion de
saint Hubert (église Saint-Jacques à Louvain), dans l'Adoration des bergers (musée d'Amsterdam), dans
l'Édiicatioîi de la Vierge (musée de Nantes). Mais de toutes les œuvres que nous avons
vues de lui, celle
qui a laissé en nous le meilleur souvenir, c'est un modeste ex voto conservé à Bruxelles, le Chevalier
Donglebert et sa femme en adoration devant le Christ mort. Le cadavre du crucifié n'est peut-être qu'un
accessoire dans cette peinture, mais les deux figures agenouillées du chevalier et de sa compagne sont
des portraits admirables, des effigies pleines d'onction, de caractère, d'intimité. Point d'artifice ici, point
de manière ; tout est sacrifié aux têtes qui sont singulièrement lumineuses et vivantes. Bien de plus
simple par le sentiment, rien de plus loyal par l'exécution.
Si j'insiste sur YEx voto du musée de Bruxelles, c'est que les qualités qu'on y admire ne se rencontrent
pas réunies il un si haut degré dans la plupart des œuvres de Crayer. Soit qu'il fut pressé de produire, soit
que, trop aisément satisfait de lui-même, il peignit souvent de pratique, il a peuplé les églises de Flandre
de grands tableaux qui, de loin, sont pleins de fracas et de tumulte, mais qui, examinés de plus près, ne
contiennent aucune émotion réelle. Crayer était, à n'en pas douter, un tempérament vigoureux, un de
ces vaillants ouvriers qui n'ont pas besoin de repos, et qui, après douze ou quinze heures de travail,
demandent il travailler encore; aussi n'eut-il point de vieillesse. A voir son tableau du Martyre de
saint Biaise conservé aujourd'hui au musée de Gand, qui se douterait que cette violente peinture est
1 œuvre d'un pinceau plus qu'octogénaire? Dans l'agitation excessive des attitudes, dans le laisser-aller du
dessin, dans l'ardeur exagérée de la coloration, ne serait-on pas plutôt disposé à retrouver la fougue d'un
talent jeune qui jette librement sa gourme et qui plus tard deviendra sage?
Mais le Martyre de saint Blaise fut le dernier tableau de Crayer, et, quand bien même il eut voulu se
corriger, la mort ne lui en aurait pas laissé le temps. Toujours valide et courageux, il méditait des œuvres
nouvelles, lorsque le 27 janvier 1669, son pinceau lui tomba des mains pour toujours. Le laborieux artiste
fut enterré à Gand dans l'église des Dominicains.
Gaspard de Crayer, nous l'avons dit, n'a guère peint que des tableaux empruntés à la légende catholique
ou d'assez rares portraits; mais, deux ou trois fois, dans des jours d'oubli, et lorsque'le pudique Boonen
ne le regardait pas, il a essayé de demander à la fable un peu de sa poésie et de sa grâce. On connaît de
lui dans ce genre Hercule entre la Volupté et la Vertu et la Danse des Nymphes. Ces
compositions sont
infiniment curieuses, en ce sens surtout que, par le galbe des femmes qui montrent
y sans voile leur
robuste nudité, on voit avec évidence combien peu Crayer avait sacrifié
au goût italien et avec quelle
persistante fermeté il était demeuré fidèle au naturalisme flamand.
Aussi, et bien qu'il n'ait pas traversé, comme la plupart des maîtres de
son temps, le fécond atelier de
Rubens, Gaspard de Crayer appartient par
ses tendances et par son œuvre aux plus beaux temps de
l'école d'Anvers. Il aime avec passion la couleur, il se complait dans la splendeur des carnations
lumineuses, il rend avec une largeur presque magistrale les étoffes aux plis flottants, il est fou du
mouvement et de la vie. Homme habile, mais trop peu en défiance contre sa facilité, s'il a fait des
tableaux excellents, il en a fait plusieurs qui, dans leur richesse apparente, sont pauvres et vides. Etudiez-le
donc dans ses peintures réussies, dans ses œuvres raisonnées, attentives, loyales. A ce titre, il est, lui aussi,
l'honneur d'Anvers; il demeure l'une des gloires de son pays et de son temps. Dans le noble défilé des
coloristes de l'école flamande, Rubens s'avance le premier; Van Dyck et Jordaens le suivent en se donnant
la main. Derrière eux s'agite toute une armée, multitude fourmillante et un peu confuse. Regardez bien
cependant : au milieu de ces soldats qui portent un uniforme pareil, et qui vont du même pas, il en est un
qui se distingue des autres et qui tient son drapeau d'une main plus ferme. C'est Gaspard de Crayer.
PAUL MANTZ.
ISOIMIE M HHM(EMH(DMo
Gaspard de Crayer appartient à cette forte race d'artistes Dominicains ; il porte l'inscriptionsuivante : 1668; œtatis 86).
qui étonnèrent le dix-septième siècle par l'abondance d'une Cette date semhleraitdonner raison il Descamps et aux histo-
production incessante. Il a yraiment passé sa vie le pinceau riens qui, comme lui, font naître Crayer en 1582. Les auteurs
à la main; aussi ses œuvres sont-elles si nombreuses, qu'il du catalogue du Musée d'Anvers n'ont pas cru cependant
serait impossible d'en dresser un catalogue. Bien que la Bel- devoir s'arrêter à cette difficulté, et la date du baptême du
gique en ait gardé la meilleure part, nous retrouvons un peu peintre (1585) leur paraît être, ainsi que nous l'avons dit,
partout des tableaux de ce fécond artiste. celle de sa naissance.
MUSÉE DU LOUVRE. La Vierge et l'enfantJésus adorés par LOUVAIN (Église Saint-Jacques).Conve1'siondesaintHubert.desaint Hubert.
plusieurs saints, Saint Augustin en extase (est gravé ci-dessus On sait que dans ce tableau le paysage a été peint par Van
page 51. Portrait équestre du Cardinal Infant. Artois, et les animaux par Sneyders. (Mensaert, 1.1, p..274.)
BORDEAUX.L'Adoration des bergers. AMSTERDAM. L'Adoration des bergers, Descente de croix,
DIJON. Assomption de la Vierge. Ecce Homo.
LILLE. Martyrs enterrés vivants, la Pêche miraculeuse. VIENNE. La Vierge entre saint Augustin et sainte Catherine.
LYON. Saint Jérôme dans le désert. MUNICH. Ex Voto. Dans la partie supérieure du tableau, la
NANCY. La Peste de Milan. Vierge glorieuse entourée de plusieurs saints ; au bas, divers
NANTES. L'Éducation de la Vierge. personnages, parmi lesquels la tradition veut reconnaître
TOULOUSE. Job sur le fumier. (Ce tableau est vraisembla- Crayer, sa femme et d'autres membres de sa famille.
blement le même que celui qui est désigné par Mensaert Par une singularité qu'il n'est pas facile d'expliquer, Gas-
comme ornant l'une des chapelles de Saint-Bavon, à Gand.) pard de Crayer a été très-peu gravé. Le cabinet des estampes
VALENciENNES. Notre-Dame du Rosaire (1641), la Made- de la Bibliothèque impériale ne possède que quelques pièces
leine repentante. d'après lui. Parmi ces planches, on peut mentionner : un
ANGLETERRE. Cabinet de lord Northwick, à Thirlestaine- Christ ressuscité,gravé par F. Landerer; le Prince Charles de
House. Six figures de femme dansant autour d'un arbre. Lorraine, par Pierre de Jode; une Sainte Famille, par Van
ANVERS (Musée,). Élie au désert. Schuppen; le Martyre de saint Blaise, par F. Pilsen, et quel-
Église Saint-Paul. Vision de saint Dominique, le Christ ques estampes modernes, telles que Hercule entre la Volupté
mort soutenu par saint Jean, la Madeleineet les anges. et la Vertu, gravé par Trière, etc.
Cabinet de M. de Wasme. Hérodiade tenant la tête de saint Les dessins de Crayer sont assez rares. M. de Julienne
Jean Baptiste. avait de lui une Tête de vieille femme, à la pierre noire,
BRUXELLES (Musée). Vocation de saint Pierre, Assomption lavée à l'encre et rehaussée de blanc. Le prince de Ligne
de sainte Catherine, Apparition de la Vierge à saint Bernard, possédait quatre dessins du maître dans le précieux cabinet
Martyre de saint Blaise (ce tableau, qui était à l'abbaye de Dili- dont le catalogue a été dressé par Bartsch : l'Enlèvementdes
lighem,est gravé ci-dessus, p. 7.), Conversion de saint Julien, le Sabines, le Martyre de saint Lievin, Sainte Élisabeth et
ChevalierDonglebert et sa femme en adorationdevantleChrist saint Jean à genoux devant l'Enfant Jésus et Jésus-Christ
mort, Saint Antoine et saint Paul ermites, Martyre de sainte apparaissant à une religieuse.
Apolline,Des Anges parant la Viergeet quatreautres tableaux. VENTE DU COMTE DE FRAULA, Bruxelles 1738. Assomption
Église Sainte-Catherine.Glorification de sainte Catherine. de la Vierge. — 240 florins.
GAND (Musée). Tobie et l'ange, le Jugement de Salomon, VENTE DU PRINCE I)E HUBEMPRÈ. Bruxelles 1765. Diogène
les deux tableaux de l'arc de triomphe érigé à Gand en 1635, et Alexandre. — 420 florins.
Sainte Rosalie, Saint Jean à Pathmos, la Résurrection, Tête VENTE DU CARDINAL FESCH (Rome. 1845 ). Madeleine
de femme. Saint Simon Stock recevant le scapulaire, le repentante. — 40 scudi.
Martyre de saint Blaise (ce tableau provient de l'église des G. de Crayer signait ses tableaux des marques ci-après :
Scafe &/amanc/fi SfciJâowc, c2?{)ifljf{{{tf
CORNEILLE DE VOS
NI-: V !: K s l'Isa. — MO HT I;x H;5l.
A celui qui a pu voir une fois ce vivant portrait, on peut prédire qu'il s'en souviendra toujours.
Dans le
tableau de Corneille de Yos, Grapheus, vieillard aux cheveux grisonnants, à la laideur sympathique, apparaît
vêtu de noir, et portant sans solennité la fraise empesée du temps de l'archiduc Albert. Il est debout
devant une table où sont posées des coupes d'or et d'argent, scintillantes orfèvreries gagnées par la
communauté dans ses luttes avec des associations rivales. Lui-même, il est paré comme une châsse, car sa
poitrine est couverte de médailles et de plaques reluisantes. Malgré 1 etrangete de cet accoutrement, le
portrait de Grapheus est plein d'intimité et de bonhomie; la nature y parle seule, et tout haut, car Corneille
de Vos n'était pas de ceux qui, en présence d'une individualité franchementaccentuée dans sa
laideur, se
perdent dans les subtilités de ridéal. C'est d'ailleurs une peinture précise, solide, sobre, sans grande
intensité dans le ton, sans violence dans la touche, telle enfin qu'on devait 1 attendre d un artiste qui, sans
doute, était plus jeune que Rubens, mais qui était entré dans l'art avant Jordaens, avant Van Dyck, avant
Corneille Schut, et qui, dans sa manière exacte et rigoureuse, n'était pas encore complètement émancipé.
Les mêmes qualités de vérité et de lumière se retrouvent dans les deux volets d un tableau, aujourd
'liui
disparu, qui représentait probablement un ex-voto pareil à ceux qu'on avait coutume de placer dans les
églises. Des deux volets conservés, le premier montre un père avec ses cinq fils ; le second, une mère
prie-Dieu, joignent
avec un nombre égal de jeunes filles. Toutes ces figures, agenouillées devant un
dévotement les mains comme dans les tableaux naïfs des âges précédents. Car, il faut bien le remarquer,
Corneille de Vos garda souvent dans la disposition de ses sujets quelque chose des modes anciennes. 11
semble toutefois s'être plus hardiment affranchi de la tradition dans le tableau qu 'il peignit en 1630 pour
le monument funéraire de Nicolas Snoeck et de sa famille, placé jadis à l'abbaye de Saint-Michel. Cette
(1) A. Michiels, Rubens et l'école d'Anvers, p. 564. Peut-être n'est-il pas inutile de rappeler ici que c'est un certain David
inédites
Remeeus qui fut chargé de dorer, en 1615, le cadre du tableau de Rubens, la Descente de croix. E. Gachet; Lettres
de Rubens, p. \vu.
composition représente saint Norbert recueillant les saintes hosties et les vases sacrés cachés par les
habitants d'Anvers pour les soustraire aux profanations de l'hérésiarque Tankelm. A droite du tableau,
qui se développe dans le sens horizontal comme une frise, le saint abbé, accompagné d'un groupe de
religieux, reçoit les calices et les ostensoirs qu'on dépose à ses pieds; à gauche, d'autres personnages
agenouillés lui présentent divers ornements d'église que leur piété a préservés du contact d'une main
hérétique. Sans affecter une disposition symétrique, la composition s'arrange savamment dans le cadre et
présente au regard l'aspect d'une scène à la.fois mouvementée et sévère; la coloration, où abondent les
tons elairs et frais, est harmonieuse dans sa douceur; la tête du saint et celles des autres personnages sont
marquées d'un cachet très-individuel : ce sont évidemment des portraits; et c'est sans doute à cause de ce
caractère d'intimité et de vie qu'après avoir décrit ce tableau, Descamps résume ainsi son opinion: «Ce
n'est pas exagérer que de l'égaler à ceux qui ont fait la réputation de Van Dyck1. »
La valeur de Corneille de Vos comme portraitiste ne paraît pas d'ailleurs avoir été méconnue de ses
contemporains. Malheureusement,ce point a été fort obscurci par les écrivains qui ont confondu Corneille
avec Simon de Vos. Mariette est curieux à entendre à cet égard. « On assure, dit-il, que Rubens, ne pouvant
suffire aux différents ouvrages dont il s'étoit surchargé, renvoya plus d'une fois à Simon de Vos des personnes
de considération qui avoient voulu être peintes par lui, en leur disant que ce peintre le valoit et qu'il
feroit tout aussi bien qu'il le pourroit faire. » Mais à peine le judicieux Mariette a-t-il écrit ces lignes
MŒlBMilOS MlDlIffiMlIMS
A'\vi;K-. ÉULISE Nonu-DAME. Le Christ descendu de la Saint "\o/'be/'t recueillant les hosties (lGJO). Ce tableau.
croix, triptyque. Sur les volets, les portraits du peintre Jean qui provient de l'ancienne abbaye de Saint-Michel, est com-
de Wael et de sa femme. Cette peinture était autrelois a paré par Descamps il un Van Dyck. Il est gravé, pour la
Saint-André. Descamps, qui l'attribue it Simon de Vos, la première fois, à la page 3 de la présente notice.
considère comme un très-beau tableau
«
it égaler it ce que L'Adoratio/l des Ma.llcs, et ses deux volets représentant
Van Dyck a fait de mieux. » Guillaume Van Meerbeeck et sa femme Barbe Kegelers (pro-
Mus l'ai. Portrait d'Abraham Graphcus, signé et daté 1620 venant de la cathédrale).
<j)rovcnant de l'ancienne Académie d'Anvers). BERUN. Portraits el'un gentilhomme et de sa /'f'yMmp.
Portraits de famille (ex-voto). Deux volets réunis aujour- MADRID. Triomphe de Bacchus; Apollon et le serpent
d'hui dans un même cadre. Pi/thon; Vénus sortant de l'(:nunc de la mer.
Le T'œu a la Vierge. Un jeune homme vêtu de gris est VIENNE. Le Baptême de Clovis.
agenouillé devant une madone : derrière lui on voit quatre VENTE LEROV D'ÉTIOLEES (février 1861). Portrait d'lm
autres personnages en prière. homme avec son fils, signé et daté 1626, 4,000 francs. —
Portraits d'homme et de femme à genoux devant ["(futel Ce tableau provenait de la collection de lord Northwick,
de la rierge. vendue en 1859, et il avait été souvent attribué à Rubens.
Sce/fl !71itlllttjZdr. Sfn/ertctird c/'&aâded.
La grande difficulté, dans les tableaux d'architecture, ce n'est pas tant la perspective linéaire que la
perspective aérienne. Il faut dégrader insensiblement les couleurs, faire sentir les plans par la touche même,
donner du vague aux derniers murs en raison de la distance plus ou moins grande qui les sépare du spectateur.
En d'autres termes, il ne suffit pas de mettre chaque pilier à sa place, il faut encore le mettre à son plan; telle
colonnade pourrait avoir les dimensions voulues par la géométrie descriptive et satisfaire parfaitement l'œil
d'un architecte, sans être pour cela satisfaisante au point de vue de l'art. Autant il faut de précision dans les
intervalles, d'exactitude dans les mesures, autant il est bon de laisser de vague aux objets lointains, d'adoucir
les contours, de n'indiquer les lumières que par une touche moelleuse et fondue, en réservant pour les corps
les plus rapprochés la fermeté du pinceau et quelques vives épaisseurs aux endroits que vient frapper le rayon.
Steenwyck, sous ce rapport, est peut-être plus peintre que Peter Neefs. Il aime à subordonner la rectitude
mathématique aux agréments du pinceau, c'est-à-dire qu'il se plait à couvrir d'une couleur grasse, autant
qu'il est possible, la sécheresse des contours que d'autres eussent tracés au tire-ligne. Plein de sentiment,
s'il rencontrait quelques-unes de ces sacristies tranquilles, sonores, où le jour ne pénétrait qu affaibli par des
vitraux plombés, jaunis par le temps, aussitôt il y supposait quelque scène de l Évangile pour avoir l occasion
d'y produire les heureux effets de sa double perspective.Le tableau où il a peint Jésus chez Jlarthe et Alarie,
dont nous donnons ici la gravure, est un de ses chefs-d'œuvre. La douce clarté qui s'y répand est d'une
illusion charmante : pas de lumière brusque, pas d'opposition choquante qui pourrait donner au tableau,
suivant l'expression consacrée, l'air d'une porte à deux battants. Tout s'harmonise, tout s'éloigne au moyen
d'une dégradation ménagée avec tant d'art que l'œil se promène dans les profondeurs de l'appartement,
s'arrête un instant à la figure de Marie, se repose sur celle du Christ qui est assis auprès de la fenêtre, fait
le tour de la boiserie et va surprendre dans la pièce voisine Marthe, la naïve ménagère, occupée des soins
de la vie commune, tandis que sa sœur est venue parler à ce visiteur tendre et modeste, qui est un Dieu.
Il est certaine heure du soir où les églises gothiques ont un charme inexprimable. Dans les pays vraiment
catholiques, on ne ferme les églises qu'à une heure très-avancée. On se garde bien d'ôter au monument
ses plus beaux aspects et la mélancolie de ses crépuscules. On laisse les pieux rêveurs s'oublier sur un
banc, au sein des grandes ombres qui enveloppent les chapelles basses, pendant que la principale nef conserve
encore une lueur pâle et qu'un reste de jour ou peut-être un rayon brisé de la lune anime encore les vitraux
supérieurs et colore la rose du portail. J'aime à retrouver dans les tableaux de Steenwyck, non-seulement
l'exacte architecture des cathédrales, leurs colonnettes élancées, leurs vitraux, leur pavé sonore, et ce
bénitier de marbre où se réfléchit le vaisseau de l'édifice, mais aussi l'impression que produisent toutes ces
choses aux différentes heures du jour, l'essence morale qui s'en dégage, et la poésie imprévue d'un spectacle
dont les éléments ne sont, après tout, que des pierres, des rayons et des ombres.
CHARLES BLANC.
MŒMMIŒS KF HïïMfEâTOÏÎio
Henri Steenwyck occupe une place distinguée parmi les cet artiste. Intérieur d'une église des Pays Bas, ornée de
Petits Flamands, ainsi qu'on est convenu d'appeler les figures peintes par Porbus : prix, 1,9it livres. Intérieur
maîtres de cette école qui n'ont pas abordé les grands sujets d'église, enrichi de belles figures (celles-ci éclairées aux
historiques. Ses tableaux sont plus rares en France que flambeaux), So2 livres 10 s.
ceux de Peter Neefs, son élève. C'est en Angleterre, où VENTE HANDON DE BOISSET (Paris, 1777). Intérieur d'une
il séjourna longtemps et où il mourut, que se trouvent les église, orné de ligures, peint sur cuivre, 560 livres.
plus belles productions de cet artiste. Ses tableaux sont VENTE MARQUIS DE MÉNARS (Paris, 1782). Deux tableaux
peints sur toile, sur panneau et sur cuivre. Ils sont de plus pendants : l'un représente un Intérieur d'église, l'autre un
grande dimension que ceux de Peter Neefs et ordinairement Intérieur de prison, furent vendus 300 livres.
d'un ton plus blond. Les figures dont ils sont ornés sont de VENTE DE CHOISKUL-PRASLIN (Paris, 1792). Intérieur d'église,
Fr. Franck, Elzheimer, Poëlenburg, Porbus, Breughel, Van messe de minuit, 16 figures de la main de Fr. Franck, ne
Calden et autres habiles peintres. fut vendu que 200 livres.
On voit à VIENNE quelques bons tableaux d'architecturede VENTES VINT-VICTOR (Paris, 1822). Cinq tableaux de Steell-
H. Steenwyck. wyck : le Repos d'flérode, composition capitale, fut vendu
A Dresde, dans la GALERIE ROYALE, quelques beaux inté- 680 francs; un Intérieur d'église éclairé aùx flambeaux .
rieurs. figures de Breughel, fut adjugé pour 676 francs ; la Prison
Au MUSÉE D'AMSTERDAM une église catholique à la lueur de saint Pierre intérieur éclairé de plusieurs lampes,
, ,
des flambeaux. vendu 302 francs ; un Intérieur d'église, effet de jour : prix
A celui de LA HAYE, des bàtiments avec figures. 182 fr.
Le MUSÉE DU LOUVRE possède cinq tableaux de ce maitre : VENTE TAIWIEl: FILS, 1841. Un Intérieur d'église, vu DE
quatre intérieurs d'églises avec des figures, et la vue inté- jour, orné de figures, 156 fr.
rirure d'une vaste salle dans le style gothique; le sujet VENTE VASSEROT (Paris, 1845). Un Intérieur d'église, sur
représente Jésus chez Marthe et Marie. bois, fut vendu 799 fr.
Les tableaux d Henri Steenwyck sont rares dans les ventes VENTE STEVENS (Paris, 1817). Vue intérieure d'un Temple
publiques. Voici cependant le relevé des prix de ceux qui protestant, 700 fr.
ont orné quelques-unes des galeries célèbres : La plupart des tableaux de C Î maître sont dates et signes.
VENTE PRINCE DE CONTI (Paris, 1777), deux tableaux de
DANIEL SEGHERS
NÉ F..\ O. — MORT EN 1601.
eut plus d'une fois l'honneur d'associer son nom à celui de Rubens.
On devine que, sous la discipline d'un tel maître, Daniel Seghers dut grandir vite. En 1611, à vingt et un
Désormais, il voyait clair dans sa vie; il
ans, il acquit le titre de maître dans la corporation de Saint-Luc.
n'avait qu'à marcher tranquillement dans-la voie qui lui était ouverte. Néanmoins, les pures joies de l'art ne
suffisant pas à son ardent esprit, il s'attaqua résolûment aux aridités de la théologie, et il paraît qu'il y fit
merveille. Seghers aurait pu s'arrêter à l'Évangile, ou tout au moins aux Pères de l'Église; mais des conseils
intéressés l'engagèrent à pousser plus avant ses études, et, curieux, imprudent peut-être, il alla chercher la
doctrine religieuse jusque dans les constitutions de saint Ignace de Loyola. Il fit plus encore : le 10 décembre
1614, il entra au noviciat de la compagnie de Jésus, à Malines, et toutes les formalités ayant été accomplies,
il fut bientôt admis à prononcer ses vœux.
Les Jésuites d'Anvers, chez lesquels Seghers se retira, furent charmés de posséder dans leur couvent
supérieur la
un frère de ce mérite : aussi le traitèrent-ils en enfant gâté. Daniel obtint même de son
permission d'aller à Rome. Lorsqu'il revint à Anvers, il était tout à fait rompu aux difficultés de l'art, et
son talent, formé par l'étude assidue de la nature et par la comparaison des œuvres
des maîtres, lui permit.
bientôt de rendre d'éclatants services à son ordre.
L'occasion ne se fit pas attendre. Les Jésuites avaient fait construire à Anvers une vaste église qui fut
consacrée en 1621 par l'évêque Jean Maldérus. Rubens avait donné le dessin du portail. Les bons pères,
très-satisfaits de son œuvre, le prièrent de présider à la décoration intérieure du monument. Rubens y
prodigua, selon la mode régnante, le luxe des marbres de couleurs diverses, les revêtements d'ébène, les
chaires et les confessionnauxpompeusement sculptés. Il n'oublia pas la peinture. Henri Van Balen et Corneille
Schut, Jean Liévens et Gérard Seghers eurent la plus grande part à l'ornementation de la nef et des autels;
et, bien qu'il ne fût qu'un modeste peintre de fleurs, Daniel y fut également employé. Si l'église des Jésuites
n'avait été incendiée en 1718 par la foudre, qui n'épargna que la façade, la sacristie et une chapelle
latérale, nous y retrouverions de brillantes traces du talent du frère Seghers. Malheureusement, ce n'est
plus que par le témoignage des auteurs contemporains que nous savons qu'il avait peint de riches guirlandes
autour d'une madone de Rubens, et qu'il avait également encadré de fleurs une composition importante où
son ami Corneille Schut avait représenté l' Apparition de la Vierge à saint Ignace. C'est aussi avec Corneille
Schut que Daniel avait exécuté, pour la même église, seize tableaux de petite dimension qui existaient encore
à l'heure où Descamps rédigeait son Voyage pittoresque de la Flandre, mais dont la trace s'est aujourd'hui
perdue.
La renommée du frère Seghers ne tarda pas à se répandre au dehors. On se méprendrait gravement,
d'ailleurs, si l'on imaginait qu'au dix-septième siècle les Jésuites d'Anvers fussent soumis à une règle bien rigide.
Loin de se renfermer dans les étroites murailles de leur couvent, ils se mêlaient volontiers au mouvement du
monde et de la politique. L'accroissement de la société fondée par Loyola, tel était le but auquel tendaient
1 Les rédacteurs du catalogue du Musée d'Anvers, adoptant l'orthographe indiquée par Papebrochius, écrivent Daniel
Zegers. On nous permettra de conserver la forme ancienne, l'habile peintre de fleurs ayant signé Seghers quelques-uns de ses
tableaux, notamment ceux que conservent les musées de Copenhague et de Berlin.
leurs constants efforts, et, dans l'ardeur de leur zèle, ils mettaient tout à profit. Qui sait si, entre des
mains aussi habiles, Daniel Seghers lui-même ne fut pas un instrument dont ils trouvèrent moyen de se
servir? Son nom étant déjà célèbre hors de Flandre, il prit fantaisie au prince d'Orange de posséder au
moins une œuvre du fameux jésuite dont on racontait tant de merveilles. Il envoya à Daniel Seghers
son premier peintre, Thomas Willeborts, avec la mission de rapporter, à quelque prix que ce fût, un tableau
de cette main savante (1643). Seghers peignit alors un splendide bouquet imprégné des rosées matinales;
puis il l'envoya comme un présent offert par la Compagnie au prince, qui, touché d'un si généreux procédé,
fit remettre en échange aux Jésuites quelques joyaux splendides, entre autres un chapelet d'or et d'émail,
et y ajouta, pour le peintre, une palette et douze pinceaux, également en or. Bientôt Daniel Seghers se
remit à l'œuvre, et peignit pour la princesse d'Orange un vase de fleurs de l'exécution la plus merveilleuse :
la princesse ne pouvait faire moins que son mari; elle envoya à l'artiste un appuie-main en or, d'autres
disent un crucifix de la plus grande richesse. Enfin, elle prit les bons pères sous sa protection; les Pays-Bas
devinrent accessibles à leurs émissaires, et il demeura entendu que les soldats hollandais qui, en ce temps-là,
poussaient parfois.leurs promenades jusqu'aux portes d'Anvers, respecteraient désormais la maison de cam-
pagne que les Jésuites possédaient à Deurne. Qu'on vienne dire, après cela, que la peinture est un art inutile!
Nous ne prétendons pas insinuer que Daniel Seghers se soit associé aux calculs de ses confrères et
qu'il ait mis tant de politique dans sa générosité. C'était le plus simple et le plus laborieux des hommes;
il vivait sans ambition, comme sans orgueil ; mais il travaillait pour son couvent et à la plus grande gloire
de Dieu. Il aimait son art pour les joies sereines qu'il lui procurait, et non pour le bruit sympathique qui
se faisait autour de son nom. Une prière le matin et le soir, la culture des fleurs dans le
jardin de la
maison, un aveugle dévouement pour les intérêts de son ordre, une infatigable ardeur au travail, tels étaient
les éléments dont se composait la vie calme et sérieuse de Daniel Seghers. Cette existence, pieusement
occupée, ne lui fut point nuisible, puisque Daniel ne mourut que le 2 novembre 1661, à l'âge de soixante
et onze ans.
Daniel Seghers n'est pas indigne des éloges qui lui furent prodigués par ses contemporains. Si l'on en
excepte quelques tableaux, qui datent vraisemblablement de sa jeunesse, et où le pinceau précise un peu
sèchement les contours, l'ensemble de son œuvre permet de le placer au premier rang parmi les peintres
de fleurs. Sans avoir été le disciple de Rubens, le jésuite d'Anvers se rattache directement à son école par
la largeur et la sûreté de ses procédés. Tous les élèves du maître, et le maître lui-même, se sont tenus
honorés de l'avoir pour collaborateur : Corneille Schut, Van Thulden, Erasme Quellin, Van Dyck peut-être,
ont peint des madones ou des portraits au centre des médaillons que Daniel Seghers entourait de ses plus
éclatantes guirlandes. Dans les tableaux qu'ils faisaient avec lui, les peintres habiles que nous venons
de nommer semblaient d'ailleurs vouloir effacer leur personnalité, et ils ne peignaient guère qu'en
camaïeu ou en grisaille les pieuses images autour desquelles Seghers enroulait ses festons. Aussi, malgré ce
dangereux voisinage, les bouquets du jésuite d'Anvers conservent-ils toujours leur tonalité brillante et leur
lumineuse fraîcheur. On a vanté, non sans raison, le talent singulier avec lequel il marie la blancheur des
lis à l'éclat des roses et des pavots; il a aussi rendu, avec un bonheur qui ne se dément jamais, les feuillages
de certains arbustes et surtout les luisants du houx. Je ne lui reprocherai que le vulgaire et monotone
artifice de ses fonds noirs. Seghers, ici, n'a pas abordé franchement la difficulté suprême; il n'a pas osé
enlever les clairs sur les clairs. Mais on aimera toujours la luxueuse abondance de sa composition, le goût
savant avec lequel il tresse ses couronnes, la délicatesse des brins d'herbe qui s'enlacent à ses guirlandes.
et ces insectes légers, ces gourmandes abeilles qui, voltigeant autour de ses bouquets, viennent s'y enivrer
de parfums et de rosée.
FAI L MANTZ.
MŒMrœ lr nSlDMHWM.
JE
)IUSÉE D'ANVERS. — La Guirlande de saint Ignace. LONDRES. BRIDGEWATER GALLERY. — La Vierge entourée
Le fondateur de la Compagnie de Jésus est représenté en d'une guirlande, figure de C. Schut. — Fleurs et fruits
buste : il tient un livre ouvert où on lit d'un côté : Ad autour d'un paysage attribué à Brouwer.
maiorem Dei gloriam et de l'autre : Regulœ societatis Jesu. LYON. — Une couronne composée de toutes sortes dl'
Une guirlande de fleurs entoure cette effigie. — Figure de fleurs. — Une vase de fleurs posé sur un autel antique.
C. Schut. — Ce tableau provient de la chapelle Saint-Ignace. MUNIGH. — Un bas-relief où l'on voit des enfants qui
dans l'ancienneéglise du couvent des Jésuites à Anvers. jouent; autour, une guirlande.
« Guirlande de la Vierge. Figure
de Corneille Schut. Ce NANTES. — Guirlande de fleurs entourant l'Enfant Jésus.
tableau décorait autrefois le palais des évêques d'Anvers. peint en grisaille, et debout sur lin globe autour duquel
BERLIN. — Deux tableaux de fleurs : l'un d'eux porte les rampe un serpent. Figure attribuée à Corn. Schut.
signatures suivantes : Daniel Seghers, Soctis Jesu. — VALENCIENNES. — Guirlande autour d'une Sainte Famille
E. Quellinus. de Van Thulden.
BRUXELLES. — La Vierge entourée de fleurs, figure de VIENNE. — Cinq tableaux, parmi. lesquels une Sainte
Corneille Schut. — Le Christ dans une guirlande, figure Famille de Van Dyck.
d'Er. Quellin. — Un bouquet. VENTE DU PRINCE DE CONTI. 1777. — Guirlande de fleurs.
COPENHAGUE. — Des fleurs; tableau signé Danièl Seghers, Dans un médaillon, que l'artiste avait sans doute laissé vide,
Soc. Jesu. la Vierge et l'Enfant Jésus, par Fragonard, 781 livres.
FLORENCE. — Portrait d'homme, entouré de fleurs. VENTE DULAC. 1778. — Le même tableau, 720 livres.
LA HAYE. — Une guirlande autour d'une statue de la VENTE SCHAMP D'AVERSCIIOOT (Gand, 1840).— Des fleurs
Vierge, avec l'Enfant Jésus.- Des fleurs autour du buste de entourant un cartouche où sont figurés la Vierge et l'Enfant
Guillaume III. Jésus, peints en grisaille, par E. Quellin ou Diepenbeke.
( rr-/r .. GÉRAIt]) SEGHERS
..
VF EX 1591. — MORT EN 11;:;1
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.
/// //y/r eelq,el,
qu'un moment, il eut le courage — ou l'entêtement — de rester hdè!e, pendant une bonne partie de sa
carrière, aux enseignements de l'Italie. Cette résistance lui constitue dans l'histoire de l'art flamand ait
dix-septième siècle une physionomie distincte, et, ne fut-ce qu'à ce titre, il mérita peut-être qu'on
l'Mlldit' de près.
Gérard Seghers ou Zeeghers (car, s'il faut s'en rapporter à de récentes recherches, son nom se présente
sous ces deux formes dans les documents contemporains) est né à Anvers en 1501, et non en 15S!>,
comme on l'a cru longtemps sur la foi d'un témoignage inexact t. Les commencements de sa \ie
sont restés obscurs. Nous saxons seulement qu'en 1IiO:3, c'est-à-dire à douze ans, il se fit. inscrire au
nombre des élèves de la confrérie de Saint-Luc; mais les registres de cette corporation ne mentionnent
point le nom de son premier maître. Toutefois Gérard parait avoir successivement fréquenté les ateliers
de fleuri Yan Balen et d'Abraham Janssens. Le premier, qui exerça une incontestable influence sur
renseignement de l'art à Anvers à la fin du seizième siècle, peignait volontiers, dans une manière
lumineuse et quelquefois un peu blanche, des chairs d'un modelé délicat et d'une vivante morbidesse.
Mais, soit qu'il n'ait travaillé avec lui que peu de temps, soit que son tempérament d'artiste ne se prêtât
point à cette recherche de la lumière et qu'il n'ait pli s'habituer il ces fraîcheurs de tons, Gérard Seghers
ne doit presque rien aux leçons de Van Balen. Les conseils d'Abraham Janssens paraissent avoir frappe
son jeune esprit d'une empreinte plus durable et plus profonde.
Vous connaissez Janssens! C'est ce peintre qui, pris d'une ambition un peu folle, essaya de se poser
en rival de Rubens. Il osa lutter avec lui non-seulement pour la facilité exubérante du pinceau, car il l'a
plusieurs fois défié la palette à la main, mais encore pour le faste de la vie extérieure, le luxe des
costumes et des équipages. Combat puéril, guerre vaniteuse et presque ridicule, dont le fier génie de
bubons ne daigna pas s'émouvoir. Et cependant Abraham Janssens savait à merveille son noble métier:
il aimait les teintes vigoureuses, il tenait le pinceau d'une main ferme, il accusait les contours d'une
ligne précise et sûre. Grâce à ces exemples, Gérard Seghers grandit vite. Son talent parait avoir été
précoce, puisque dès 1608 nous le voyons entrer comme franc-maître dans la confrérie de Saint-Luc.
Mais, à vrai dire, ce n'est pas à Anvers, c'est en Italie qu'il acheva son éducation d'artiste et parvint
à acquérir une personnalité, une manière. A quelle époque fit-il ce voyage? Il nous est impossible d'en
marquer la date précise, car la vie de Seghers n'a jamais été sérieusementécrite, et sa biographie présente
quelques points obscurs que les recherches des critiques les plus sagaces n'ont pu parvenir à éclairer tout
à fait. Il paraît toutefois que, séduit par les qualités de ses premiers tableaux, deux riches négociants
d'Anvers. Pierre et Antoine Goetbenck, avaient pris Gérard en affection. Ils renvoyèrent en Italie, un peu
pour qu'il y pÙt achever ses études, et aussi sans doute pour qu'il y fit emplette des curiosités d'art et des
peintures dont ils désiraient enrichir leur collection2. Ainsi poussé vers le pays des grandes traditions,
le jeune peintre se mit en route.
A l'heure où (iérard Seghers arriva en Italie, l'école de Michel-Ange de Caravage tenait partout le haut
du pavé. Le caprice des gens du monde, la fantaisie des gens d'église s'étaient engoués de cette manière
vigoureuse et presque brutale qui, il est vrai, n'eut qu'un succès passager, mais qui obtenait alors tous les
encouragements de la mode et tous ses sourires. On faisait, surtout il Rome, un cas particulier d'un peintre
qui s'était associé de loin au triomphe de Caravage, Bartolomeo Manfredi, et qui, comme le maître l'avait
essayé souvent, comme Valentin apprenait à le faire, peignait d'une brosse un peu violente des intérieurs
de cabarets, des joueurs attablés devant des cartes, des musiciens préludant à leurs mélodies dans la
pénombre d'une salle mal éclairée, (iérard Seghers, après avoir hésité d'abord et copié au hasard tous les
maîtres et tous les styles, finit par s'épreudre du goût le plus vif pour les compositions et le procédé
1 Voyez il ce propos les curieux renseignementsdonnés par M. A. Micliiels. Itubms et l'école d'Am'I'/'s, page :j08.
1 Firent, LI' Comte. Cabinet des ninrjularitrz. tome il, page 261
-
pittoresque de Manfredi. Il aurait pu mieux choisir; mais les leçons de Janssens l'avaient peut-être prédisposé
à comprendrece genre de peinture, et bientôt il imita si bien son modèle que, d'après le dire de Uescamps,
qui exagère sans doute quelque peu, « il embarrassa les connoisseurs. » Sans prendre à la lettre l'assertion de
l'historien que nous venons de citer, il faut signaler dans Gérard Seghers cette puissante faculté d'assimi):))i<m
qui lit peut-être la moitié de son talent ; il faut remarquer surtout qu'en imitant à ce point le coloris sombre
et un peu dur du peintre d'Ustiano, Gérard rompait franchement avec les pratiques les plus constantes d.,
l'art flamand.
Après avoir séjourné quelque temps Home, Seghers visita les autres villes d'Italie, s'arrètaut partout
il
où il y avait quelque chose il apprendre ou quelque peinture a acquérir pour la collection des frères
Goetbenck. ('.'est dans un de ces voyages qui! lit, it Mitan, la rencontre du cardinal Zapata, prélat espagnol
qui, avant de devenir grand-inquisiteur et de faire durement les affaires du saint-office, s'occupait de soins
plus doux et s'intéressait vivement aux arts. Le cardinal imagina de conduire Gérard Seghers en Espagne.
Arrivé à Madrid, le peintre fut solennellement présenté au roi, qui le fit travailler dans un de ses palais
et dans quelques églises, lui donna une pension et l'attacha, comme chambellan, au service de sa personne.
On ajoute que ce souverain ne consentit qu'avec peine au départ de Gérard Seghers 1.
Le séjour du jeune maître à la cour d'Espagne n'était guère de nature à modifier sa manière, il
égayer son coloris. Aussi lorsque Seghers revint à Anvers, il lui arriva une chose étrange et qu'il n'avait
certainement pas prévue. Ses compatriotes reconnurent bien en lui l'ami d'autrefois, l'ancien camarade
d'atelier; mais nul ne voulut reconnaître le peintre. Il faut dire qu'à cette date, toute l'école se précipitait,
sur les pas de Rubens, vers le culte de la couleur splendide, des tons brillants et clairs, des nuances
lumineuses. L'imitateur attardé de Caravage parlait donc une langue oubliée, et il eut toutes les peines
du monde à se faire comprendre. Toutefois, comme on ne change pas de manière en un jour et comme
Manfredi était encore l'objet de ses sympathies en retard, Gérard Seghers lutta de son mieux, et pendant
quelque temps, époque vraiment critique de sa vie, il fut seul, ou presque seul, dans Anvers à se souvenir
de la mode italienne. Le Reniement de saint Pierre, qu'il peignit d'abord, caractérise admirablement la
phase que son talent traversait alors. C'est un effet de nuit, une consciencieuse étude, où se groupent
divers personnages artificiellement éclairés par le rayon, un peu brutal, d'une lumière factice. Mais l'énergie
anime tous les visages, et Seghers montrait du moins, à côté de ses défauts, une qualité de premier ordre,
l'expression. Un mérite à peu près pareil recommande la Sainte Cécile chantant les louanges de Dieu.
C'est aussi un effet de lumière; mais il est conçu dans une gamme plus transparente et plus douce.
Enfin, dans un genre encore plus voisin de celui de Manfredi, Seghers a peint comme lui des tabagies
où il fait asseoir autour d'une table de jeu des gentilshommes à la mine équivoque des buveurs i1
,
demi plongés dans la fumée et dans l'ivresse. Les tableaux de cette espèce sont assez rares dans l'œuvre
de Gérard Seghers; le meilleur a été gravé par N. Lauwers : il représente une compagnie de vauriens
fumant, buvant et faisant tapage autour d'une table encore chargée de flacons. La scène a de l'animation,
elle a de la vie; enfin Seghers a jeté sur ce sujet vulgaire la transparente obscurité d'un demi-jour
mystérieux. N'était-ce pas d'ailleurs son talent de racheter ainsi par le charme piquant ou l'imprévu de
l'effet le peu d'intérêt que les compositions de ce genre pouvaient avoir pour le spectateur? et n'est-ce
pas là ce qui a fait dire un peu prétentieusementà Florent Le Comte : « Il a fait des obscuritez et des nuits
qui valent bien les plus beaux jours? »
Hâtons-nous de le remarquer pourtant, cette manière vigoureuse qui se souvient trop du Caravage, ne
fut dans l'œuvre et dans la carrière de Gérard Seghers qu'une phase rapidement traversée. Il était resté
Flamand par le dessin, s'il ne l'était plus par la couleur. Dans sa Sainte Cécile, les anges qui chantent
avec la douce patronne des musiciens appartiennent absolument par le type à la robuste et saine école
d'Anvers. Éclairé par les conseils de ses amis, entraîné par l'exemple de ses anciens camarades, instruit
à ses dépens du succès incertain qui attendait les imitateurs de Manfredi, Seghers s'amenda, et peu à peu,
sans abandonner le style de ses maîtres d'Italie, sans aller franchement vers Rubens, il se fit une manière
intermédiaire qui réussit bientôt et dont le caractère mixte lui donna dans la sympathie des connaisseurs
de son temps une place de jour en jour meilleure. Si les tableaux de Seghers étaient datés, on pourrait
suivre d'année en année les lentes transformations que subit son talent plein de souplesse. Il fit bien de
tempérer sa vigueur, car la mode est toute puissante, et en faisant cette concession au goût de l'époque,
Seghers rencontra ce qui est si doux au cœur de l'artiste, le succès.
Aussi, les plus riches corporations religieuses de la Flandre se hâtèrent d'employer son pinceau. Il obtint
d'abord le patronage des jésuites, de cet ordre alors si influent, qui avait dans chaque ville une église,
Mensaert, le Peintre amateur et curieux, t. 1, page 222, Florent Le Comte, t. il. page 261. Joachim Sandrart fait aussi
1
mention du voyage de Seghers en Espagne. Academia nobilissimsc artis pictorix. 1683, p. 294.
un couvent, une école. Gérard Seghers peignit pour les bons pères de Courtray une Annonciation et une
Insurrection de Jésus-Christ; ceux de Gand lui demandèrent six tableaux, entr'autres Saint Ignace
écrivant ses constitutions sous l'inspiration de la Vierge; mais c'est à Anvers surtout que la puissante
compagnie lui donna occasion de se distinguer.
Lorsque les Jésuites de cette ville firent consacrer en 1621 l'église dont Rubens avait dessiné la façade
et qui est dédiée à présent à saint Charles Borromée, Gérard Seghers, alors dans toute la force de son talent,
fut l'un des premiers peintres qu'ils appelèrent pour décorer leur nouveau temple. Il peignit pour eux le
Christ attaché à la croix, grande composition qui orne encore aujourd'hui le maître-autel, et qui, à
diverses époques de l'année, cède ou reprend cette place glorieuse en alternant avec les tableaux de
Corneille Schutt et d'un peintre moderne, M. G. Wappers 1 ; c'est cette toile qui, d'après la remarque un
peu exagérée de Descamps, est « entièrement dans la manière du Tintoret. » IJ fit aussi pour l'autel d'une
autre chapelle, saint François Xavier aux genoux de la Vierge et de l'Enfant Jésus, peinture sévère par le
coloris, sinon par le style, et qui donne une si exacte idée du talent du maître à l'heure où sa manière
était en voie de transformation.
Papillon de La Ferté, tome fI, page 150. Toutefois, Sandrart ne dit pas un mot de
1
ce voyage, et Walpole, qui enregistre
avec tant de soin les noms des artistes étrangers qui ont visité l'Angleterre, ne mentionne point celui de Gérard Seghers.
2 C est dans l entretien que les deux peintres eurent alors
que Seghers avoua naïvement à Sandrart qu'en changeant sa manière
de peindre, il avait eu, avant tout, pour mobile, le désir de réussir et de sacrifier au goût à la mode. « Sic enim cum
anno 1645
Amstelodami eundem risitarem, opera quædam, qux pro suis rnihi exhibebat, ab ipso facta non amplius judicassem,
nisi assez-erantifides habenda fuisset, ubi hanc simul mild ea-I)oiieb(il rationern Ruhenii D!IA-ii(Ille modut/t
,
arridere seculo undè eundem "et sibi sectandum, nummoru impie potins quant fumir awiipi,, slllf/ei/r/IIII/. Samli ir!
Academia nobilissimœartis pictoriœ (1683), page 29i.
'
3 Mensaert, le Peintre amateur et curieux, tome 1,
page 111
lai lut la meubler : sa fantaisie lit noblement les choses, car il ne consacra pas moins de soixante mille
florins — somme considérable pour le temps — il l'acquisition d'un cabinet composé des curiosités les plus
rares et des meilleurs tableaux des maîtres de l'époque.
C'est dans celte calme retraite que Gérard Seghers, toujours occupé de l'art qu'il aimait, passa désormais
sa vie. Il partageait son temps outre la pratique de la peinture et l'rducation de son fils Jean-Baptiste
1'1' dernier, qui était Ill" Anvers en Íl)24, visita l'Italie, et son talent, au dire de Sandrart, donnait
il
les meilleures promesses; mais soit que l'avenir ait démenti ces assurances, soit qu'une mort prématurée
l'ait enlevé avant l'heure, l'histoire n'a retenu que son nom. Gérard Seghers fut plus heureux avec son
autre élève Jean Meel, qui montra dans ses bambochades tant d'esprit et de verve heureuse. Mais ces
contentements de l'amour-propre et du cœur ne pouvaient pas être éternels. « Le terme du repos, dit
assez singulièrement Florent le Comte, étant arrive pour lui, et ne voulant. point disputer contre la
nécessité de la mort qu'il avoit prévue il acquiesça volontiers il cette loi et marqua par sa résignation
, ,
qu'il illotil.oit content. » (18 mars 1651. ).
Ainsi s'éteignit, dans tout l'éclat de sa gloire, ce rainant artiste qui, au moment 01'1 triomphait Ruhens,
eut le courage d'essayer un instant une lutte inutile et d'opposer à ses claires splendeurs les ténébreuses
violences de Caravage et de Manfredi. Sans doute en persistant dans cette manière abolie, en s'attardant
dans le culte presque exclusif des tons sombres et vigoureux, il prenait parti pour l'art de la veille contre l'art
du lendemain, et, en ce sens il avait tort : l'indifférence de ses contemporains le lui fit bien voir, et
,
lui-même reconnut son erreur, puisqu'il se laissa aller au courant général et sacrifia ensuite aux dieux
il
nouveaux avec la ferveur d'une conversion récente. — Il faut louer chez Gérard Seghers, soit qu'on l'étudié
dans l'une ou dans l'autre de ses manières, une grande force de volonté, un don réel de l'expression, une
heureuse recherche du mouvement et de la vie, un talent particulier pour détacher ses figures et en faite
saillir le puissant relief. Mais ce qui, indépendamment de ses qualités pittoresques, nous touche davantage
dans Gérard Seghers, c'est l'accent, nettement accusé, d'une personnalité vivace. Alors que Van Dyck et
Jordaens Crayer et Diepenheke, Van Thulden et Corneille Schutt s'inclinaient devant le maître et l'adoraient
,
n'est-ce rien que d'avoir, même un instant, regardé sans baisser la paupière l'ardent soleil de Rubens ?
,
PAUL MANTZ.
IMIMMIK K HIlïifâïlt'IMo
A tous ceux qui voudraient étudier sérieusement l"œuvre Sainte Claire eIl adoration devant l'enfant Jésus et la Vif!"!'
abondant et varié de Gérard Seghers, nous ne saurions au Scapulaire.
donner qu'un conseil : visitez les églises et les musées de A GAND (église Saint-Michel), la Flagellation ;
Belgique. Nous devons toutefois rappeler que, sans aller en Église Saint-Bavon le Martyre de Saint-Liévin grave pill
,
Flandre, on peut voir de ce maître : J. Nefs),
Au LOUVRE, Saint François d'Assise en extase; A BRUGES (église Notre-Dame), l'Adoration des mages.
A MONTPELLIER,Saint André tenant deux poissons: Musée, la Sainte Trinité.
A TOULOUSE, l'Adoration des rois: L'œuvre de Gérard Seghers a été gravé par Paul Pontius
A DIJON une Descente de croix ; Alex. Voet. P. Mariette..1. Nefs, Corn. Galle, Pierre de Jodc.
,
Au MUSÉE DE MADRID, Jésus chez Marthe et Marie. Bolswert, etc.
Quant à la Belgique, nous nous contenterons d'indi- La plupart de ses tableaux étant demeurés en Belgique, 011
quer : n'en rencontre que fort peu dans les ventes publiques. Nous
A ANVERS (église Saint-Charles-Borromée), Saint Xavier ne pouvons guère signaler que les prix suivants :
devant la Vierge, le Christ attaché à la croix;
Église Saint-Antoinede Padoue, la Miséricordedivine;
VENTE DU CARDINAL FESCII -
Rome, 1845). Le Reniement
de saint, Pierre. 680 scudi (ce tableau était depuis trente
Musée, saint Stanislas Kotska. Mariage de la Vierge, ans dans la collection du Cardinal!: Gères cherchant sa fillr
Extase de sainte Thérèse, le Christ revenant des Limbes. 30 scudi.
0coâ !J!Iamanae, 3êaàuÏÏed, J^aydaaej.
PIERRE SNAYERS
NÉ EN 1593.
— MORT APRÈS 1662.
i
Viardol, Musées d'Espagne, 1843, p. 102; comte Clément de Ris, Musée de Madrid, 1859, p. 125.
un peintre de batailles. Les péripéties de la guerre de Trente ans trouvèrent dans Pierre Snayers un témoin
toujours bien informé, du moins en ce qui touche la période où, sous le règne de Ferdinand III, Piccolomini
commandait les troupes impériales. Il se constitua aussi l'historien des hauts faits de l'archiduc Léopold
dans la campagne des Flandres. On peut lire dans Nagler la liste des tableaux que lui inspira cette
douloureuse page de l'histoire au dix-septième siècle. Ce sont des embuscades, des convois surpris, des
villes investies ou adroitement secourues; ce sont surtout des maraudeurs pillant les chaumières des paysans;
car le soldat, mal payé par ses maîtres, vivait alors sur le pays et affamait les provinces qu'il avait la
prétention de délivrer. Le Musée de Vienne, et surtout celui de Madrid, ont gardé quelques-unes des
peintures militaires inspirées à Snayers par les événements contemporains.
Parfois, il se laissait aller à son imagination, et, remontant le cours des âges, il traitait, non sans
bonheur, des sujets empruntés à l'histoire des temps primitifs. On connaît de lui une importante
composition qui représente la Conversion de saint Paul sur le chemin de Damas. La scène se développe
en largeur et se complique, dans le goût flamand, d'épisodes pleins de mouvement et de fracas : entouré
des deux côtés par des groupes de soldats et de cavaliers, le futur apôtre vient d'être subitement éclairé par
la vision céleste; il est tombé de cheval, et, éperdu de la mystérieuse aventure, il contemple, dans la nue
entr'ouverte, l'apparition divine qui fera de lui un homme nouveau. L'ensemble, nous l'avons dit, a de
l'animation et de l'éclat, et montre à quel point Snayers était resté fidèle à son pays et à son temps.
D'autres fois, sa fantaisie aborde des sujets d'un genre différent. On a vu passer en 1.827, à la vente du
chevalier Féréol.de Bonnemaison, un important tableau de Snayers, qui représentait une Cérémonie
religieuse dans ùne. ville de Flandre. Uné procession s'apprêtant à sortir d'une église, une foule
pittoresquement groupée pour assister à ce spectacle, tels étaient les principaux éléments de cette composition,
d'autant plus précieuse pour nous qu'elle était évidemment conçue en dehors des procédés habituels de
l'auteur. Il passe aussi pour avoir fait quelques portraits: celui d'un paysagiste qu'on -admirait autrefois
chez le comte de Vence était, s'il en faut croire Descamps, l'œuvre de Snayers. Enfin la représentation
pittoresque des prairies et des bois n'avait pas de secrets pour lui; et ici, nous pouvons invoquer une
autorité souveraine, celle de Rubens, qui avait placé dans sa collection trois paysages de Snayers. Les
plaines de la campagne flamande, la chaumière entourée d'arbres, des voyageurs se reposant au bord du
chemin, quelquefois des effets de nuit, tels sont les thèmes qu'il traite de préférence, et il y montre,
avec un pinceau large et sûr., la, conscience d'un maître vivement épris de son art.
Quant à la biographie de Snayers, nous ne sommes pas en mesure de la compléter : elle se résume dans
les quelques faits que nous avons indiqués plus haut. La date de sa mort n'est même pas connue. Il vivait
encore en 1662, lorsque Corneille de Bie publia son livre; c'est là tout ce que nous pouvons dire. La
protection des princes avait assuré à Snayers une vie tranquille ; son habileté lui fit une renommée ; les
illustres amitiés ne lui manquèrent pas, puisque Van Dyck et Van Heil ont peint son portrait, puisque Rubens
professait pour son talent une véritable estime. Enfin, un dernier trait achèvera de faire connaître le
digne peintre. Lorsque le jeune Van der Meulen, impatient d'apprendre les secrets de son art, se mit en
quête d'un initiateur, il alla tout droit chez Pierre Snayers. Ce choix fait en même temps l'éloge de l'élève
et celui du maître. Et, en effet, ce n'est pas un mince honneur pour le vieil artiste que d'avoir appris son
métier au spirituel historiographe des batailles de Louis XIV.
PAUL MA.NTZ.
JACQUES JORDAENS
qÉ EN 4 593. — MORT EN 1 6 7 8.
taire, comme la femme qui rendit si malheureux le pauvre grand peintre de Nuremberg. Rubens est fleuri,
voluptueux, splendide, comme Isabelle et Hélène; Van Dyck est élégant comme ses maîtresses de la cour
d'Angleterre; Boucher est maniéré comme les filles de l'Opéra; Poussin est grave comme la philosophie, son
amante; Lesueur est chaste comme les religieuses qu'il adorait au couvent, d'une passion romanesque et dis-
crète. Dis-moi qui tu aimes et je te dirai qui tu es. »
Jordaensaimait la fraîcheur, la fécondité, l'éclat et l'énergie. Toute sa peinture offre ces rares qualités. En six
jours, comme le Dieu de la Bible, il peignait Pan et Syrinx, figures de grandeur naturelle, dans un paysage
éblouissant, un de ses chefs-d'œuvre. Mais le septième jour, il ne se reposait point. Sa main infatigable créait
sans cesse de nouvelles images, donnait la vie à de nouvelles figures. Rubens a peint environ trois mille
tableaux, dont près de quinze cents ont été gravés; Teniers a fait jusqu 'à trois cent cinquante tableaux en une
seule année. Jordaens égala presque en fécondité ces producteurs prodigieux. Il a souvent exécuté en une
séance, un portrait ou une figure de grandeur naturelle.
Aussi, sa fortune augmentait avec sa renommée. Sa maison était luxueuse comme une maison de grand
seigneur. Breughel, Rubens, Van Dyck, Teniers, ont eu également ce privilége de vivre dans des palais, au
milieu des magnificences de la civilisation, entourés des chefs-d oeuvre de l 'art, des merveilles de l 'industrie,
de toutes les ressources de la richesse. Van Dyck, à la vérité, s engouffra dans l 'alchimie, et Teniers se ruina
plusieurs fois; mais Jordaens, que son caractère ouvert et loyal faisait rechercher de tout le monde, auquel
Rubens avait voué une amitié fraternelle, demeura toute sa vie durant dans une abondance délectable,
dans un bonheur que rien ne troubla; heureux de ses chevaux pommelés, qu'il peignait avec tant de
feu, après les avoir montés, et de ses étoffes éclatantes, dont il habillait ses personnages, après s'en être
lui-même revêtu. Depuis 1639 jusqu'à sa mort, il habita à Anvers la maison faisant le coin sud-est de la
rue Renders.
Les peintres, alors, vivaient dans une confraternité sans nuages, se prêtant les uns aux autres le secours
de leur spécialité, pour faire des œuvres plus parfaites, quoique chacun de ces grands hommes eût été bien
capable de traiter en maître accompli les divers genres de la peinture. Les brillantes écoles d 'Italie avaient fait
ainsi au xvie siècle. Rubens a peint des figures dans les cuisines de Sneyders, dans les fins paysages de
Breughel, et même au milieu de ses guirlandes de fleurs. Les Franck et Teniers ont découpé leurs petites
figures dans presque tous les tableaux des contemporains.
Il en était de même en Hollande, où Berghem, Lingelback, Poelemburg, Adrien Van de Velde, Wouwermans,
Cuyp et autres, animaient de personnages les paysages de Wynants, de Van der Neer, de Ruysdael, et même
d'Hobbema, les places publiques de Van der Heyden ou les intérieurs d église de Steenwyck et de Peeter Neefs.
La plupart des Flamands du xvne siècle ont travaillé aux chefs-d'œuvre originaux de Rubens.
Outre qu'il a été le collaborateur de Rubens en plusieurs œuvres capitales, Jordaens a peint très-souvent en
compagnie de Sneyders, ou de Jean Fyt. Les grosses servantes de Jordaens allaient bien avec les gibiers
rutilants et les poissons argentés de Sneyders, avec ses homards accrochants la lumière à tous leurs piquants.
Les lièvres roux, les faisans, les canards, les sangliers et les meutes de Fyt, se trouvaient on ne peut mieux
dans la compagnie des braves sonneurs de trompe, que Jordaens peignait vivants et palpitants, comme pour
faire un éclatant contraste avec la nature morte du Hollandais. Bien qu'il prêtât volontiers son concours,
Jordaens, lui, n'appela jamais personne à son aide pour ses propres compositions, faisant toujours de sa main,
ciels. Personne n'a engraissé de plus
ses chevaux, ses chiens, ses vaches et ses moutons, ses paysages et ses
beaux bœufs que Jordaens; personne n'a élevé des chevaux plus vaillants et plus solides, et ses chiens
haletants le disputeraientaux meutes victorieuses de Sneyders.
les
Dans le Triomphe allégorique du prince Frédéric Henri de Nassau, conservé maintenant à La Haye,
chevaux blancs, attelés au char, sont magnifiques. Ce triomphe, dont il existe quelques esquisses dans les
musées belges, passe pour un des meilleurs tableaux de Jordaens. C est assurément une de ses compositions
les plus grandioses et les plus soignées. Il avait ici à célébrer son prince, comme Rubens avait
célébré sa reine
bien-aimée, Marie de Médicis. Sans doute, en peignant son Triomphe de Nassau, il puisa dans les trésors de
magnificence que renfermait l'œuvre de Rubens; mais du moins on peut dire qu 'en cette concurrence, le
Médicis
disciple inspiré a égalé le maître inspirateur. Il est vrai que notre galerie de l histoire de Marie de
vraiment
est assez secondaire dans la série des Rubens, à cela près de certains morceaux d une importance
capitale.
il faut voir
Si l'on veut trouver réunies à leur plus haut degré de splendeur toutes les qualités de Jordaens,
treize pieds sur
le Jésus chassant les vendeurs du temple, qui resplendit au musée du Louvre; la toile, large de
des
neuf de hauteur, est pleine à se rompre : un peu à droite, le Christ, et autour de lui des hommes et
qui se sauvent,
femmes, des bœufs et des moutons; au milieu et à gauche, des colosses mâles et femelles
emportantleurs marchandises sur leur tête, leurs éventaires sous leurs bras; dans le nombre, une grosse
les personnages du tableau. Au
femme, à chapeau de paille, et qui semble à elle seule peser autant que tous
premier plan, un homme qui est vu de raccourci et qui tombe en avant, a effrayer le spectateur, quand il est
Israélites regorgeant de force
sous le tableau; au fond, les deux scribes des marchands, deux énormes
et de santé comme tout le reste. A gauche, entre les colonnes, des figures curieuses
qui regardent. En haut,
en bas, ici et là, partout, la foule, le mouvement, la couleur.
Le Roi boit, qui a été gravé souvent, et surtout par Paul Pontius dont c'est le chef-d'œuvre, est aussi
une
composition pleine de vie et de lumière. On y retrouve la plupart des têtes affectionnées de Jordaens, outre
sa femme, dont nous avons déjà parlé. On connaît plusieurs dessins éblouissants de ces deux tableaux. Les
dessins de Jordaens sont, d 'habitude, des aquarelles très-vigoureuses, dessinées
aux crayons noir et rouge,
lavées de toute couleur, et quelquefois rehaussées de blanc et même d'autres tons à l'huile. Ils
se vendent
assez cher, à cause de leur beauté et de leur importance, plus cher même, relativement, que les grands
tableaux du maître. Jordaens a aussi gravé quelques eaux-fortes assez recherchées, dont le catalogue raisonné
a été dressé par Hecquet, et placé à la suite de celui de Rubens, par le même auteur.
Jordaens a été supérieur dans le portrait, comme dans les allégories, les tableaux religieux et mythologiques,
ou les sujets de caprice. Encore, sa manière, qui se refuse sans doute aux sujets distingués, est-elle mieux*
appropriée au portrait, qui exige surtout la traduction de la nature. En fait de mythologie, les Silènes, les
Satyres, la Vache Io, les bacchanales; en fait de tradition catholique, les naissances dans l'étable, les
adorations des bergers, etc., tout cela va bien; mais il ne faudrait pas entraîner Jordaens dans la délicatesse
et le mysticisme. Pour ses portraits, les marins hollandais sont formés tout exprès à son usage; la réalité lui
appartient. Il n'est pas embarrassé de transporter sur sa toile leurs grosses joues rubicondes, d'y faire
briller leurs yeux enflammés, d'y draper leurs manteaux à grands plis.
Quand Rubens fut mort, en 1640, et Van Dyck en 1641, il est clair que Jordaens n'eut plus de rivaux à
Anvers. Il n était presque alors qu'à la moitié de sa carrière. Ses tableaux de cette époque sont innombrables.
Tous les princes d 'Allemagne, tous les riches des Pays-Bas, tous les châteaux et toutes les églises, voulurent
avoir des œuvres de Jordaens. Lui, avec l'entrain de son tempérament et la facilité de pratique, il enlevait
sa
des figures gigantesques à la journée, il couvrait de ses robustes couleurs des arpents de toile,
sans se lasser;
il dépensait à profusion tous ses trésors, et cela dura jusqu'en sa vieillesse. Ces terribles artistes, comme
Michel-Ange, Titien, Jordaens, pour qui l'art est une seconde vie, ne cessent de peindre et de vivre que le
jour de leur mort.
Jordaens cependant eut le malheur de perdre Catherine Van Noort, en 1659. A partir de cette époque, il
se ralentit un peu, et dix-neuf ans après, en 1678, le 18 octobre, il mourut lui-même, âgé de quatre-vingt-
cinq ans. Sa fille chérie, Anne Catherine, mourut le même jour que lui. On les enterra tous deux dans l'église
réformée de la seigneurie et bourg de Pûtte, village situé sur la frontière des Provinces-Unies où
se
trouve encore la pierre tumulaire du grand peintre flamand, que fit restaurer, il y a quelques années, le
roi Guillaume II des Pays-Bas. Jordaens, qui le croirait? le grand faiseur d'images, était protestant. Né dans
la religion catholique, il avait adhéré, avec son beau-père, quelques années après son mariage, au culte
réformé, à cette religion indifférente ou plutôt hostile aux cérémonies du culte extérieur et à la signification
de la forme.
De Piles a écrit au sujet de Jordaens : « Il ne lui manquait que d'avoir vu l'Italie. » Cela lui manquait, il est
vrai; mais pour bien rédiger la phrase, il faut dire : « heureusement qu'il ne vit point l'Italie. » Il est en effet
des peintres auxquels l'Italie n'est pas bonne, et en qui l'originalité native, lorsqu'elle est aussi puissante, est
préférable même avec ses vices, à une science qu'on accepte malgré soi, et à une correction d'emprunt qui
devient par cela même maniérée et fausse. Et à ce sujet, qu'on nous permette de citer l'opinion d'un
homme fort sensé et qui n'est point suspecte ici, celle du classique Taillasson. Il compare le regret
exprimé par de Piles au sujet du voyage en Italie, à ces lieux communs que l'on répète sans cesse et qui
rappellent les remèdes qu'on ordonne pour toutes les maladies. « Sans doute, l'Italie aurait pu donner
une meilleure forme au dessin de Jordaens, mais elle n'aurait pas donné plus d'élévation et de noblesse
à son génie; elle l'aurait peut-être écarté davantage encore du genre pour lequel il était né : la nature
l'avait particulièrement organisé pour bien sentir, pour bien exprimer des vérités communes, des figures
triviales et risibles, qu'il rendait avec une justesse et une énergie tout-à-fait originales. Personne n'a
peint comme lui ces visages rubiconds, chargés de masses de chair, à travers laquelle on croit voir
circuler ensemble de la bière, du vin, du sang et de l'eau-de-vie. De Piles aurait eu bien plus de
raison de dire : « quel homme extraordinaire Jordaens eût été, si, au lieu de peindre les sujets antiques,
« des sujets de l'histoire héroïque, il s'en fût tenu à ceux de l'espèce du Roi boit; sujet qu'il sentait si
« bien qu'il l'a peint de plusieurs manières différentes. » Nous dirons donc à notre tour : Il vaut mieux
être Jacques Jordaens d'Anvers, Jordaens le Flamand, incorrigible, incorruptible, entier, que d'être un
transfuge dénationalisé et débaptisé par les Italiens, qui n'eussent pas manqué d'appeler Jacques Jordaens
Jacopo Giordano. On n'est quelqu'un, a dit un homme d'esprit, qu'à la condition de n'être pas quelque
autre.
CHARLES BLANC.
MGISMIM JETI' MDIKGJLTOM -
Si nous exceptons le tableau allégorique : la Loi humaine duit ; le Concert de famille, véritable chef-d'œuvred'exécu-
basée sur la Loi divine que l'on voit au musée d'Anvers, et tion de modelé et d'énergie ; l'excellent portrait de l'amiral
,
au bas duquel Jordaens a constaté dans une longue inscrip- Ruyter.
tion, qu'il a signée en lettres romaines, le don qu'il faisait A VIENNE AU BELVEDER : Deux Marchés aux poissons,
de cette peinture à la confrérie de Saint-Luc; nous ne retrou- — le Roi boit, Baucis et Philémon.
vons la signature de cet artiste au bas d'aucun de ses A MUNICH : Le Roi boit, sujet souvent répété.
tableaux. A DRESDE : Diogène, sa lanterne à la main, — le Christ
J. Jordaens, à l'exemple de beaucoup de peintres, a gravé ait tombeau, entouré des saintes femmes, — Ariane
plusieurs sujets à l'eau forte. Son œuvre se compose de huit entourée de Faunes et de Bacchantes, — Présentationau
planches: une Fuite en Égypte, — Jésus chassant les Temple, — Repas de famille, — Hérode pris de vin.
vendeursdu Temple, — une Descente de croix , — Mer- A AMSTERDAM : Le dieu Pan gardant des chèvres,
cure coupant la tête à .4rgus, — Jupiter arrêtant 10, — A LA HAYE : Vénus suivie de Bacchantes et de Satyres,
Jupiter enfant nourri par la chèvre Amalthée, — un — un Satyre et une
fille tenant une corbeille remplie de
Paysan arrêtant un bœuf par la queue, — Saturne sur fruits.
les nues dévorant un de ses enfants. Cette pièce est très- A BRUXELLES : Saint Martin guérissant un possédé, —
rare. un Satyre portant un Faune, — le Triomphe du prince
Ces estampes sont peu recherchées des amateurs. A la Frédéric-Henride Nassau, — tête d'Apôtre priant, —
vente Ri gai, en 1817, la collection complète, moins le la Vanité du monde, — le Satyre et le Paysan.
Saturne, n'atteignit que le chiffre insignifiant de 3 fr. 55 c. A ANVERS : Sept tableaux de J. Jordaens : la Cène; les
Comme Rubens, J. Jordaens eut le bonheur de voir ses Sœurs hospitalières ; le Christ au tombeau; le Pégase;
compositionsreproduites par le burin des plus habiles gra- un tableau allégorique; l'Adoration des Bergers; la Loi
veurs de son époque. Malheureusement on n'en compte que humaine basée sur la Loi divine.
vingt-trois, mais ce sont autant de chefs-d'œuvre. Bolswert A LONI)RES : Une Sainte-Famille.
n'a rien gravé de mieux que Jupiter nourri par les Satyres, A SAINT-PÉTERSBOURG : L'apôtre Saint Paul.
A MADRID : Jugement de Salomon, le Mariage de sainte
— le dieu Pan qui garde des chèvres, — le Concert, — un
Faune tenant une corbeille de raisins et ayant derrière Catherine, — un Concert, — un Repas de famille, —
lui Cérès; Paul Pontius, que le Roi boit; Marinus, que la Méléagre,— le Jugement de Paris, — Sacrifice à Pomone
sainte Apolline; P. de Jode, que la Nativité et le saint et Diane au bain.
Martin; Lauwers, que Baucis et Philémon, et Vorster- Les tableaux de chevalet de Jacques Jordaens, les seuls à
man, que les deux sujets du Satyre chez le Paysan. Toutes peu près que les amateurs pussent rechercher et les seuls
ces pièces sont fort chères. Déjà, en 1 775, à la vente Mariette, aussi qui se produisent dans les ventes publiques, sont très-
on adjugeait pour 145 livres 1 s. le Roi boit, et pour 199 livres rares. C'est à cette circonstance que nous devrons de ne pas
19s. .le Faune tenant une corbeille, et le pendant, gravé pouvoir indiquer un grand nombre de prix. Voici ceux que
par Falk, qui représente deux figures d'hommes et de nous avons pu recueillir :
femme qui chantent. VENTE DE JULIENNE, 1767 : Le Concert, gravé par Bols-
J. Jordaens a laissé un grand nombre de dessins, ils sont wert : 800 livres ; Notre Seigneur qui appelle à lui les
ordinairement coloriés et tiennent lieu de tableaux ; souvent enfants : 1,202 livres.
le trait est au pinceau; quelques-uns sont arrètés à la plume; VENTE PRINCE DE CONTY, 1777 : Portrait de Jordaens
les fonds sont hachés à la pierre noire sur laquelle est passée et de sa femme : 2,000 livres; il en avait atteint 2,400 à la
une teinte au lavis. Cet artiste se servait aussi de bistre, vente du duc de Choiseul, cinq années avant; Argus qui
d'encre de la Chine qu'il rehaussait de blanc. Les têtes de ses garde la vache 10: 150 livres; Adonis partant pour la
dessins sont lourdes, incorrectes et le caractère en est bas; chasse : 423 livres.
le goût commun, mais les compositionsen sont bien éten- VENTE RANDON DE BOISSET, 1777 : Le Roi boit, composi-
dues, grandioses et d'un effet admirable. tion de douze figures: 4,801 livres; Silène et l'Ai)iouî- :
Le Louvre en possède plusieurs. 2,060 livres.
Presque tous les musées de l'Europe comptent quelques Enfin, et plus récemment, nous trouvons à la vente de
peintures de J. Jordaens, mais ceux de la Belgique, et les Guillaume II, roi des Pays-Bas (1850), trois tableaux de
églises surtout de ce pays, sout remplis des productions de J. Jordaens : Neptune et Amphytrite, vendu 4,330 fr. 40 c.;
ce maître. l'Adoration des Mages et le Portement de Croix, vendus
LE LOUVRE en a sept : Jésus chassant les vendeurs du ensemble 2,222 fr. 01 c.
temple, estimé 36,000 fr.; le Jugement dernier, 800 fr.; Plus récemment encore, à la vente du maréchal-général
les Quatre Évangélistes, 6,000 fr.; le Roi boit, qui nous Soult, duc de Dalmatie, 1852 : un Satyre et deux Faunes :
paraît ètre une copie, 10,000 fr.; un Satyre, un Enfant, 405 francs.
et une Femme qui trait une chèvre, que nous avons repro- AD.
(ocaée .r%'mancle
-i e-#l.
inachevée où l'on voit se dessiner un arbre. Son visage, accentué d'une moustache à la Van Dyck, est
intelligent et doux, l'expression en est presque tendre, et, détail curieux, l'œil rêveur n'est pas sans
tristesse.
Et cependant, s'il est vrai que le succès console de toute peine, Van Uden n'avait pas le droit d'être
mélancolique. Son talent ne rencontrait point d'ennemis; sa vie ne se heurtait contre aucun obstacle. Van
Uden réussissait, et pour savoir pourquoi, il suffit de se rendre un compte rapide de la marche que suivait
alors en Flandre la peinture de paysage. Un artiste d'une certaine vigueur, Jacques Fouquières, celui-là
même que Mariette désignait tout à l'heure comme l'un des maîtres de Van Uden, était parti pour la France
en 1621, laissant à Anvers une place inoccupée; d'autre part, Breughel de Velours venait de s'éteindre
dans toute la force de son talent regretté (1625), enfin, un peintre dont la génération précédente avait
fait grand cas, Paul Bril, était mort à Rome en 1626, emportant avec lui dans la tombe le secret d'une
manière qui ne devait pas avoir d'imitateurs. Ainsi il ne restait guère plus sur le champ de bataille que les
paysagistes qui suivaient de près ou de loin les chemins frayés par Rubens. Josse de Momper et Jean
dont Van Uden retraçait tout à l'heure la première scène. Cérès y apparaît tenant un flambeau (et l'on
ne saurait dire pourquoi, puisque l'artiste a représenté un effet de jour); elle court désespérée et comme
folle, demandant à tous les échos la fille qu'un dieu lui a prise. C'est alors qu'elle rencontre Cyané, qui,
témoin de l'enlèvement de Proserpine, en redit les détails à la mère plaintive. Les figures dont Van Uden
a enrichi ces deux tableaux ne révèlent la main d'aucun des artistes flamands qui nous sont connus; elles
ont du mouvement, presque du style, et à cause de l'originalité de leur exécution, nous ne pouvons les
attribuer qu'à Van Uden lui-même, qui, ainsi que Descamps nous l'apprendra tout à l'heure, était plus
habile dans la représentation de la figure humaine que les paysagistes
ne le sont d'ordinaire. Le groupe de
Proserpine et de Pluton et la silhouette de Cérès éperdue donnent une
assez haute idée du talent de Van
Uden dans ce genre cette manière hautaine et animée, ce goût, involontairementitalien, qui éclate
:
dans les attitudes et dans les gestes, doivent même faire regretter que le modeste peintre de perspectives
ne se soit pas essayé à reproduire, dans des proportions plus élevées, de véritables sujets historiques.
Malgré ce mérite spécial, Lucas Van Uden n'en est pas moins un de ces maîtres que la renommée a
traités en enfants gâtés, et que leur œuvre a quelque peine à défendre contre les sévérités de la critique
moderne. On le tenait en haute estime au dix-huitièmesiècle, mais le goût a changé, et il n'est personne qui
consentirait à s'associer aujourd'hui à l'éloge que Descamps faisait alors de sa manière. « Ses paysages,
dit-il, sont intéressants; des cieux et des lointains clairs, une étendue de pays, des arbres variés; une
touche légère donne du mouvement à son feuillé. Sa couleur est naturelle, tantôt tendre et quelquefois
vigoureuse. Fin et piquant dans ses petits tableaux, large et décidé dans le grand, on peut le mettre au
rang de ceux qui ont le mieux peint la figure. Il sera toujours placé avec distinction à côté des plus grands
maîtres \ »
Non, Van Uden ne sera pas toujours aussi bien placé. Et cependant il y a quelque vérité dans les
éloges que Descamps lui donne. Ce maître hardi qui maniait avec tant d'aisance la brosse du décorateur,
savait se servir également des plus fins pinceaux, et il a fait dans de petites proportions des œuvres
d'une certaine délicatesse. Le paysage que possède M. Duclos est un charmant échantillon de la manière
patiente de Van Uden. Passer ainsi de la grande machine à la peinture de chevalet, c'est faire preuve
d'une souplesse de talent qui ferait envie à plus d'un maître glorieux ; c'est montrer en même temps
qu'on a traversé l'atelier de Rubens, et profité des leçons de ce puissant génie qui enseignait que, si
l'ampleur doit être avant tout recherchée, l'esprit a sa valeur aussi, et qui, ajoutant l'exemple au
précepte, tenait de la même main la brosse héroïque du peintre d'histoire et le pinceau familier du
peintre d'anecdotes.
Mais le triomphe de Van Uden, l'art dans lequel il montre vraiment de la finesse et du piquant, c'est la
gravure à l'eau forte. Ici encore il faut reconnaître chez lui une faculté précieuse, celle de renouveler, de
diversifier sa manière. Les planches qu'il a gravées d'après lui-même — et le Chariot que l'on relève en est
un frappant exemple — sont pour la plupart faites avec une grande ténuité de pointe ; le détail y est
curieusement écrit, et le feuillé des arbres est surtout d'une exécution légère et vive. Mais ce n'est pas là, je
l'avoue, ce qui me touche le plus dans les eaux-fortes de Van Uden. Celles où je trouve un plus grand
caractère d'art, une exécution plus large et plus libre, ce sont les quatre pièces qu'il a gravées d'après Rubens,
et les quelques estampes dont il a emprunté le motif à Titien. Le Couvent des Capucins, où l'on reconnaît
si bien la hardiesse du lumineux maître d'Anvers, est une planche superbe ; l'air circule entre les arbres,
les eaux sont transparentes et le regard aime à se promener dans cette campagne humide et si
,
véritablement flamande. Dans le Bon Samaritain, au contraire, c'est Titien qui est en cause, et Van
Uden a donné à son travail une largeur singulière, une sorte de chaleur italienne. Pourquoi Van Uden,
au lieu de faire tant de tableaux d'une coloration fade et effacée, n'a-t-il pas employé son temps et sa
i Descamps, Vie des peintres flamands et hollandais, tome T, page 409. — Lacombe fait de Van Uden un éloge presque pareil.
« Ce maître, dit-il, est au rang
des plus célèbres paysagistes. Une touche légère, élégante et précise, caractérise sa manière. Il
donnoit beaucoup d'éclat à ses ciels ; les sites de ses paysages sont agréables et variés ; la vue se perd dans des lointains qu'il a
su représenter; on croit voir les arbres agités par le vent; des figurines, parfaitement dessinées, donnent un nouveau prix à ses
ouvrages. » Dictionnaire des Beaux-Arts, 1753, p. 708. Ces louanges sont répétées presque dans les mêmes termes par
l' Encyclopédie méthodique (Beaux-Arts), tome II, page 66. —Gault de Saint-Germain, l'un des premiers, s'est aperçu que
Van Uden n'était peut être pas digne d'une approbation aussi complète. Il avoue que son coloris est monotone. Dans le livre que
nous avons déjà cité, M. Michiels se montre plus sévère encore. Les tableaux de Van Uden, écrit-il, « sont des toiles blafardes
où dominent le gris, le vert pâle et le bleu clair. On dirait des peintures, à la détrempe, plutôt que des peintures à l'huile. Nulle
harmonie ne règne entre ces teintes glaciales qui donnent l'idée de ce que doit être un printemps de la nouvelleZemble. 1) —
Rappelons ici que Lucas Van Uden eut un frère, nommé Jacques, qui passe pour avoir peint des paysages dans son genre,
mais sur lequel les biographies ne fournissent aucune donnée précise.
vie à reproduire à l'eau-forte les œuvres des paysagistes qui avaient mieux que lui étudié et compris
la nature ?
On a longtemps ignoré à quelle époque mourut Lucas Van Uden, et, malgré les recherches des érudits,
on ne sait pas encore exactement quand s'éteignit ce peintre plus laborieux que puissant. On a lieu de
penser toutefois qu'il est mort en 1660 ou 1662; mais je ne sache pas qu'aucun témoignage authentique
soit venu jusqu'à présent confirmer l'une ou l'autre de ces dates. Le moment arrivait d'ailleurs où tous
ceux qui, de près ou de loin, avaient appartenu à l'école d'Anvers devaient successivement s'effacer. Déjà
M(LISM(HMM OT IHMIGM'MÏÏS.
Lucas Van Uden s'est gravé lui même, et ce n'est que par Saint-Paul et Saint-Antoine devant leur ermitage (ligures
exception que les graveurs français se sont exercés à inter- de David Teniers).
préter ses œuvres. Rappelons toutefois que de Marcenay a re- Un paysage; sur les premiers plans deux femmes avec
produit en 1753 un important paysage de Van Uden qui se un enfant.
trouvait alors chez le comte de Vence et auquel il a donné Un fleuve et de petites cascades.
pour légende les mots : Le ciel se couvre, hâtons-nous! Un Une rivière sur laquelle naviguent des bateaux. Au premier
coucher de soleil orageux s'étend au loin dans la campagne, plan, des pêcheurs ramènent leurs filets (figures de Pierre
des nuages menaçants courent dans le ciel où volent des Bout).
oiseaux effarés. Au premier plan, des voyageurs attardés Paysage enrichi d'animaux.
commencentà hâter le pas. Autre Paysage. Dans le fond, un rocher ; sur une colline
L'œuvre de Van Uden est aujourd'hui bien dispersé. Saint- du premier plan, des voyageurs, un berger et son troupeau.
Bavon, oil il avait tant travaillé ne conserve plus que trois MADRID. — Vue d'une montagne et d'un ravin. — Autre
tableaux de sa main ; Saint Jean prêchant dans le désert, paysage où l'on voit, au pied d'un rocher, Hébé et l'aigle de
la Tentation de saint A ntoine et saint Yves, protecteur des Jupiter. Le catalogue de cette collection indique que les figures
veuves et des orphelins. Les figures de cette dernière com- sont de Jordaens.
position seraient, dit-on, de Thierry Hais. (Notice sur la M. de Julienne possédait divers dessins de Van Uden. Nous
cathédrale de Saint-Bavon, par un membre du clergé de mentionneronsd'après le catalogue de sa vente qui eut lieu en
cette église. Gand 1853). 1767 : « Deux paysages coloriés comme des tableaux, composés
Ces peintures ne sont pas les seules que Van Uden avait agréablement et dont les effets sont piquants ; dans l'un on
exécutées à Gand. En 1753, date de la publicationdu premier voit des maisons, deux hommes et des animaux dans une
volume de Descamps,on voyait chez M. J.-B. Dubois deuxpetits prairie; dans l'autre une église, une chaumière et beaucoup
paysages avec figures et dans le cabinet de M. Deyne, seigneur d'arbres. » Ces deux dessins furent vendus ensemble, i60
de Lievergem, un grand tableau avec des figures de D. Téniers. livres.
Nous citerons en outre les œuvres suivantes : Soit que le temps en ait altéré les couleurs, soit pour toute
MUSÉE DU LOUVRE. — L'Enlèvement de Proserpine, Cérès autre cause, les tableaux de Van Uden n'ont pas conservédans
et la nymphe Cyané. les ventes, leur valeurpremière. « Il n'est pas rare, dit Gault de
Saint-Germain, de les voir adjuger aux enchères pour un prix
CABINET DE M. DUCLOS. — Un petit paysage. Ce tableau
médiocre, surtout quand ils sont d'une grande dimension. »
est reproduit dans la notice sur Van Uden.
VENTE BONNIER DE LA MOSSON, 1745. — Le Jugement de
MUSÉE DE ROUEN. — Paysage. Quelques paysans s'entre- Midas, paysage ; la Fuite en Egypte, petit tableau peint sur
tiennent sur le bord d'un chemin. bois.
LONDRES. -^Hampton-Court.Un paysage. The Devilsoiving VENTE DU PRINCE DE CONTI, 1777. — Deux paysages et
tares among the wheat. vues de rochers. Les figures qui les enrichissent sont, dans
DRESDE. — Le musée de Dresde possède sept tableaux de l'un, de Van Uden lui-même, et dans l'autre, ils sont de
Van Uden : Chantreau, 241 livres.
Une noce de paysans. D'après Lehninger, qui fait mention VENTE SAINT-YVES, 1805. — Vue (I*ttii(, vaste campagne
de ce tableau dans sa Description de Dresde, les figures coupée par une route où. des pâtres conduisent des troupeaux,
seraient de David Teniers. 427 francs.
Scafe -, ,9ireld reZ/p/rux, '/V-i/v/v
.
THÉODORE ROMBOUTS
NÉ El\" t5U':. — MORT EN 1637.
la guitare ou du luth, des buveurs joyeusement attablés devant un broc toujours rempli,
toujours vidé, sujets
des
vulgaires empruntés à la réalité la moins poétique, mais sur lesquels le jeu capricieux de la lumière et
ombres venait jeter son accent fantasque et son étrange magie.
Dans un autre genre de peinture, Rombouts fit des tentatives qui ne lui
réussirent pas moins. Dès les
premiers temps de son séjour à Rome, un gentilhomme, — un Français, d'après Florent Lecomte, — lui
tâche
commanda douze tableaux inspirés de l'Ancien Testament. On dit qu 'il se tira savamment de cette
certain
difficile, et que, grâce à ce premier succès, son nom commença à être prononcé en Italie avec un
respect. On ajoute que le grand-duc de Toscane, ayant entendu parler des mérites de Rombouts,
le fit
furent ces
appeler à sa cour, et le chargea de travaux importants. Mais il nous est impossible de dire quels
Rombouts a travaillé à Pis?
travaux. Nous savons seulement, par un tableau du musée de Copenhague, que
en 1622. L'importante peinture qui nous
apprend ce détail, et que nous avons le regret de ne point
avaient
connaître, représente, sous un aspect légèrement idéalisé, le combat ou le tournoi que les Pisans
âge. On suppose que
coutume de célébrer sur le pont de l'Arno, en souvenir de leurs grandes luttes du moyen
il n'y reste aucune
cette composition fut peinte pour le roi de Danemark, Christian IV. Quant à Florence,
musée des Uffizzi,
trace du passage de Rombouts; du moins nous n'avons rencontré de tableaux de lui ni au
oublié. Ne semble-t-il
ni au palais Pitti, ni dans les innombrables églises de la ville. Son nom même y est
été aussi décidé qu 'on l 'assure, la Toscane eût conserve
pas que, si son succès auprès du grand-duc eût
de Rombouts un plus vivant souvenir?
vraisemblable, toutefois,
On ignore combien de temps dura le voyage du peintre flamand en Italie. Il est
qu'il ne revint guère à Anvers qu'en 1624; peut-être y fut-il rappelé par la maladie de son
père, qui mourut
le 2 octobre de cette année. A peine arrivé dans sa ville natale, Rombouts
prit ses dispositions pour y passer
la gilde de
laborieusement et heureusement sa vie. Il commença par se faire recevoir franc-maître de
Saint-Luc (3 février 1625), et, bientôt après, il se maria. Les renseignementsrecueillis par les auteurs du
catalogue du musée d'Anvers nous apprennent qu'il épousa, le 17 septembre 1627, Anne Van Thielen,
dont le père, qui devint plus tard seigneur de Couwenberg, appartenait à une famille noble de Malines. Un
seul enfant, une fille, naquit de ce mariage, et elle fut baptisée à la cathédrale, le 27 août de l'année
suivante. Théodore Rombouts eut bientôt à Anvers une situation assez brillante : de 1628 à 1630, il fut doyen
de la corporation des peintres, et il obtint successivementplusieurs grades dans les confréries littéraires ou
les associations de charité qui étaient alors si nombreuses en Flandre. Les circonstances lui vinrent en aide,
et, sans avoir jamais occupé le premier rang, il sut pourtant acquérir une certaine renommée.
A la mort d'Abraham Janssens (1631 ?), Rombouts se trouva naturellement chargé, avec son camarade
Gérard Seghers, de continuer l'enseignement de leur maître commun et de défendre ses procédés, chaque
jour plus menacés par l'école triomphante. A en croire Campo Weyerman et ceux qui l'ont copié, Rombouts
aurait accepté tout entier l'héritage du maître, c'est-à-dire qu'il lui aurait succédé non-seulement au point
de vue du talent, mais encore sous le rapport de la jalousie qu'il portait à Rubens. On raconte à ce sujet
d'étranges choses. On veut que le succès de l'auteur de la Descente de Croix ait été pour Rombouts le plus
douloureux des supplices; que le jeune artiste soit ouvertement entré en guerre avec le maître victorieux,
qu'il l'ait défié comme peintre et comme homme, et qu'à la grande surprise des habitants d'Anvers, il ait
rivalisé avec lui de luxe et d'élégance. Le crédule Florent Lecomte n'a pas manqué d'accueillir ces
traditions. « La fortune de Rombouts, — écrit-il,— monta vite et haut, et sa magnificence en toutes choses
paroissoit le vouloir disputer contre Rubens, notammentdans une maison dont il acquit le titre de propriété,
qu'il orna superbement; mais, comme le bonheur des hommes est sujet à de grands revers, et que, semblable
à ces vaisseaux qui sont en pleine mer, tantôt d'un bord, tantôt d'un autre, il est dans un perpétuel
balancement, le calme qu'il goûtoit se ralentit un peu et se dissipa; joint à cela que le malheur des guerres
acheva de ruiner ses idées, et ne put lui donner le loisir d'achever les entreprises qu'il avoit commencées.
Se voyant ainsi sans ouvrage, par rapport à tout ce qu'il avoit fait ci-devant, il résolut de retourner à
Florence, et, comme il se disposoit à ce grand voyage, le chagrin, qui ne l'abandonnoit pas, redoubla ses
accès, et le fit tomber dans une si grande tristesse qu'il en mourut1. »
A cette historiette si ingénieusement conçue, il ne manque guère qu'un mérite, — la vérité. Sans doute,
il est vrai qu'un artiste flamand, qu'un contemporain de Rubens, eut l'ambition de se faire construire, comme
le souverain maître l'avait fait lui-même, une demeure monumentale : la maison existe encore, elle est
située sur la place de Meir, à côté du palais actuel du roi Léopold; mais, par un fâcheux contre-temps,
il se trouve que cette maison a été construite, non par Rombouts, mais par Gérard Seghers, si bien qu'en
contant cette aventure, Campo Weyerman, Florent Lecomte, Descamps, ont attribué à l'un des deux élèves
de Janssens ce qui appartenait à l'autre. Nous sommes d'ailleurs très-disposé à leur pardonner leur
erreur : heureux serions-nous, nous tous qui tenons la plume du biographe, si nous ne commettions
que de pareilles fautes!
Renonçons donc à cette vieille fable. Il n'y a pas eu, il n'a pu y avoir, entre Rombouts et Rubens, aucune
rivalité sérieuse, aucune lutte déclarée. Sur le seul terrain de l'art, il a existé entre eux des divergences de
principes, et, s'ils ont été divisés, ils l'ont été par une simple question d'école. Comme son maître Janssens,
comme son condisciple Seghers, Rombouts était en retard; il lutta contre les tendances inaugurées par
Rubens, et, à vrai dire, son opposition ne fut pas tellement systématique et radicale, qu'il ne se laissât
parfois influencer malgré lui par la séduction des méthodes qu'il faisait profession de combattre. Le musée
de Gand possède un tableau qu'il avait peint pour l'église des Récollets de cette ville, et qui, étudié de près,
montre qu'il eut dans sa foi des hésitations, des défaillances. Ce tableau, qui nous semble avoir quelque
importance dans l'œuvre de Rombouts, représente le Songe de saint Joseph. L'ange qui apparaît au saint
endormi et vient l'avertir qu'il est temps de fuir les persécutions d'Hérode, est inspiré par le sentiment
italien; il a de l'élan, il brille d'une grâce agitée et vivante. La partie inférieure de la composition est plus
vulgaire, et, pour le style, elle est dans les données de l'école d'Anvers. Peinture assez large, d'ailleurs, et
librement faite. Descamps, qui a cité ce tableau dans son Voyage pittoresque en Brabant, dit qu'il est
« correct de dessin, bien composé, bien colorié, et d'une exécution facile et ferme. » Et il y a quelque
chose de vrai dans ces éloges, sauf que deux éléments opposés, deux manières, se combinent dans ce tableau,
qui, dès lors, ne saurait être d'une unité parfaite.
C'est peut-être ici le lieu de remarquer que, bien que Théodore Rombouts ait continué à demeurer il
Anvers, ce fut la ville de Gand qui employa le plus souvent son pinceau. Elle eut plus d'une fois recours à
lui dans des occasions solennelles. Ainsi nous savons que, lorsque Ferdinand d'Autriche — le cardinal-infant
— fit son entrée à Gand, le 27 janvier 1635, Rombouts peignit pour cette cérémonie deux grands tableaux
dont le sujet ne nous est pas connu 2, mais qui, dans le fracas de leurs intentions mythologiques, devaient
ressembler quelque peu à ceux que Gaspard de Crayer exécuta pour la même solennité. Les magistrats de
Gand demandèrent aussi il Rombouts un tableau pour les décorations de la salle de Justice il l'hôtel de ville.
Cette peinture, dont le Musée a hérité, montre l'antique Thémis assise sur un trône et entourée de juges
dont elle inspire les décisions. Quatre figures, représentant les quatre parties du monde, et d'autres
personnages symboliquesécoutent religieusement ses arrêts et semblent rendre hommage à son infaillible
sagesse. Grâce à la chaleur d'une coloration accentuée, à la largeur d'un dessin ressenti, ce tableau passait
catalogue du Musée d'Anvers, 01'1 nous avons puisé les principaux éléments de cette biographie.)
autrefois pour une des œuvres les mieux réussies de Rombouts, et partageait l'admiration des curieux
avec
le Sacrifice d'Abraham, importante composition qui décorait aussi l'hôtel de ville de Gand, et qui, à le juger
par la gravure que Bolswert en a laissée, prouve que l'auteur, semblable en ceci à Rubens, aimait par-dessus
tout les sujets violents, les motifs qui permettaient de rechercher, dans la couleur et le dessin, le drame,
le mouvement, la vie.
Enfin, l'église Saint-Bavon a conservé le tableau dans lequel Rombouts semble avoir
eu l'imprudenlc
de son école, ni de son temps. Mieux avisée, la critique moderne les a rendus à leur auteur véritable, le paysagiste hollandais
J. Rontbout, qui vivait dans la seconde moitié du xvne siècle. (W. Bürger, Musées de la Hollande, H, p. 132 et 293.) Peut-être,
si l'on voulait se montrer tout à fait exact, faudrait-il retirer à Théodore Rombouts quelques-unes des scènes familières
ou des paysanneries qu'on prétend êlre de lui. Il est certain qu'indépendamment de l'élève de Rubens et du
paysagiste
hollandais, il a existé un troisièmemaître qui, en raison de la similitude du nom, a pu quelquefois être confondu avec le peintre
dont nous racontons la vie. Cet artiste inconnu nous est révélé par un tableau du musée d'Orléans, qui représente une Femme
faisant la toilette de son enfant ; mais cette peinture, un peu lourde d'ailleurs, est signée et datée A. Romboouts, 1682. Le
nom de ce maître n'est mentionné par aucune biographie.
que par la gravure que Godefroy en a faite, nous ne saurions guère citer de Rombouts que; deux ou trois
sujets de fantaisie et des tableaux de sainteté. Ces derniers mêmes ne se rencontrent pas fréquemment. Le
musée d'Anvers n'en possède que deux. Le premier, œuvre peu significative,est une Saintf1 Famille, groupe
de figures de petite dimension qu'il a placées dans un paysage assez froid d'un collaborateur de Rubens,
Jean Wildens. Le second, où la personnalité de l'artiste s'accentue davantage, représente le Christ pèlerin,
reçu par saint Augustin. La légende chrétienne a fourni à Rombouts le sujet de cette peinture, dans
laquelle on voit le Christ poursuivantà travers le monde son voyage de rédemption; il est assis devant le saint
évêque, qui, revêtu de l'habit des solitaires de son ordre, et accompagné de plusieurs religieux, essuie
pieusement un des pieds du céleste pèlerin, tandis que l'autre baigne dans un bassin de cuivre où
se lisent
la signature du maître et la date 1636. Au haut du ciel, Dieu et le Saint-Esprit apparaissent dans
une gloire
entourée d'anges. Ce tableau n'est pas un des meilleurs de Rombouts, il a peu d'accent, et, dans la gamme
éteinte de son coloris, comme dans les faiblesses de son exécution, il semble accuser chez l'auteur une
lassitude prématurée. Rombouts était pourtant dans toute la force de l'âge, il n'avait que trente-neuf ans
quand il peignit le Christ pèlerin. Il aurait dÙ, ce semble, peindre avec plus d'énergie, donner à ses
personnages plus de caractère, à son dessin plus de vigueur. Faut-il croire qu'il était déjà atteint du mal
qui devait l'emporter, ou qu'en présence du succès toujours éclatant de Rubens et de ses brillants élèves, il
commençait a comprendre que les principes d'Abraham Janssens avaient fait leur temps, et que la sympathie
de la foule appartenait désormais tout entière à l'école nouvelle? Cette conviction, si douloureuse
pour lui,
l aura sans doute fait hésiter, et
sa foi, dès ce jour vacillante, aura rendu sa main moins assurée. Ce qui est
I
certain, c'est que ce tableau paraît être le dernier qu'il ait exécuté. Théodore Rombouts, prématurément
brisé dans ses espérances, expira à Anvers le 14 septembre 1637. On lui fit de dignes funérailles : il fut
enterré auprès de son père et de sa mère, dans l'église des Grands-Carmes. Quelques mois après, la
fabrique de la cathédrale touchait une somme de douze florins qu'il lui avait léguée en mourant, et sa
veuve ne lui ayant survécu que jusqu'en 1639, il ne resta bientôt plus de Rombouts qu'un enfant pour le
pleurer, et quelques tableaux pour dire quelle avait été son ambition, quelle avait été sa défaite.
PAUL MANTZ.
M(ElM(GlK ŒT MMMTOm
Le burin des graveurs habiles s'est rarement exercé à re- sur le Ponte-Mezzo. Douze compagnies,.desoixante hommes
produire les œuvres de Théodore Rombouts. Nous rappelle- chacune, se battent ainsi pendant trois quarts d'heure.
rons toutefois que son tableau du Sacrifice d'Abraham a été L'artiste, qui a voulu reproduire cette fête, n'a point revêtu
gravé deux fois, d'abord par Schelte aBolswert, dans une belle les combattants des armures et des massues dont ils se
estampe dédiée à Antoine Triest, évêque de Gand, et ensuite servent en réalité, mais il a idéalisé le combat.
par Etienne Jeaurat, dans de plus petites dimensions,et d'une Au milieu du tableau l'on voit un pont voûté au-dessus de
manière assez peu fidèle. l'Arno ; sur ce pont plusieurs jeunes garçons nus se battent
Pierre de Balliu a gravé une Sainte Famille, jolie compo- avec ardeur, quelques-unssemblent près de tomber, d'autres
sition qui réunit, dans un paysage flamand, la Vierge, sainte sont précipités dans l'eau et quelques-uns en sont remontés
Anne, le petit Jésus et saint Jean-Baptiste. Nous avons re- et se sont assis sur le bord. Au bout du pont, sur un siége
produit ce tableau par la gravure de la page 3. élevé, se trouve le juge du combat. Au travers de la voûte, on
Bolswert a gravé, d'après Rombouts, un Chanteur et une aperçoit des habitations. Le tableau porte le monogramme du
Musicienne. La première de ces figures sert de tête de lettre peintre et la date 1622. Cette date fait supposer que
à la biographie du maître. l'artiste l'a peint durant son séjour en Italie, et vraisem-
La collection du duc d'Orléans renfermait une grande com- blablement cette œuvre lui a été commandée par le roi
position, le Serment d'Annibal, qui a été gravé par Go- Christian IV,
defroy. MUSÉE DE FRANCFORT.
— Portrait, d'un homme en buste,
Parmi les œuvres de Rombouts conservées dans les col- avec un chapeau rond.
lections publiques ou privées, nous citerons : MUSÉE DE GAND.
— Songe de saint. Joseph. Ce tableau
MUSÉE D'ANVERS.— Le Christ pèlerin reçu par saint Au- provient de l'ancienne église des Récollets.
gustin (1636), tableau provenant de l'église des Augustins de Thémis et ses attributs. Cette composition, citée avec éloge
Malines. par Mensaert, décorait autrefois l'hôtel de ville.
Sainte Famille. Le paysage a été peint par Wildens; ta- Un Homme fumant sa pipe.
bleau conservé autrefois dans le couvent des Récollets de SAINT-BAVON. — La Descente de Croix.
Malines. MUSÉE DE LILLE.
— Reniement de saint Pierre.
CABINET DE M. MOONS VAN DER STRAELEN. — La Vierge MUSÉE DE MADRID. — Le Charlatan. — (Ce tableau est
et l'Enfant Jésus, à qui sainte Anne présente une lJOire; à reproduit page 7.)
gauche, près de ce groupe, l'apôtre saint Jacques le Majeur. MALINES. ÉGLISE NOTRE-DAME. — Jésus-Christ porté au
BRUGES. HÔPITAL SAINT-JEAN. — Ecce Homo, Mater do- tombeau.
lorosa. MUSÉE DE METZ. — Tentation de saint Antoine, Esquisse
MUSÉE DE COPENHAGUE. — Combat sur le pont de l'Arno. MUSÉE DE MUNICH. — Une Société de Chanteurs et 1/n
Le cataloguede M. Conrad Splengler donne de ce tableau la Joueur de Guitare.
descriptionsuivante : Nous reproduisons ci-dessous la signature de Rombouts,
« Le peupledes deux
quartiers de Pise, fidèle à une coutume telle qu'il l'a inscrite sur son tableau du Christ pèlerin, du
datant du moyen âge, simule tous les trois ans un combat musée d'Anvers :
,
Sco/e <j^£zmanc/e. (l~p . refit//,eux, /é/&çarte/i.
,
1
CORNEILLE SCHUT
NÉ EN 1597.— MOIITEN 1655
1 Les auteurs du catalogue du musée d'Anvers ont accepté ce fait sans le discuter, et, avec eux, nous le considérons comme
vraisemblable. Toutefois, pour mettre en repos notre conscience de critique, nous devons faire observer qu'il ne serait pas
impossible que le tuteur des enfants de Breughel ait été, non pas notre peintre, mais son homonyme Corneille Schut, celui qui
travailla à la cathédrale en 1598, qui servit de parrain à un enfant de Henri Van Balen, le 10 juin 1609, et qui fut nommé doyen de
la confrérie des Romanistesen 1610.
1 Pierre-Guillaume,né en 1632, mort en 1638; Élizabeth-Catherine, née en 1634, morte en 1679, et Anne, née en 1636 et
morte en 1638.
Corneille Schut de cette fièvre de naturalisme qui caractérise si bien le goût flamand. L'artiste se
préoccupe moins du style que de la vie; il n'est pas troublé par les grandes visions de l'idéal; ses types
sont vulgaires, ses formes robustes et même redondantes, et, à ce point de vue, la Chaste Suzanne dont
nous venons de parler est singulièrement significative; car, à vrai dire, elle est plus voisine des créations
de Jordaens que de celles de Rubens. Le sentiment de la grâce élégante avait été refusé à Corneille Schut;
mais il avait au plus haut degré celui du mouvement, de la force, de la santé. La chair s'exalte dans ses
ligures exubérantes; ses compositions ont de l'entrain et du fracas; ses draperies voltigent, éternellement
agitées. Qu'est-ce à dire? sinon que Corneille était tout à fait de son pays et de son temps, et qu'il obéissait,
avec une ardeur juvénile, à la loi promulguée par Rubens.
Ne soyons donc nullement surpris de le voir associé, en 1635, dans une grande entreprise, avec
quelques-uns des maîtres les plus renommés de l'école flamande. Le prince Ferdinand, celui qu'on appelle
le cardinal-infant, allait faire dans sa bonne ville de Gand une entrée triomphale. Il fallait le recevoir avec
éclat : plusieurs arcs de triomphe ayant été dressés, le bourgmestre et les échevins confièrent le soin de les'
décorer à Gaspard de Crayer, à Rombouts, à Nicolas Roose, à Jean Stadius et enfin à Corneille Schut
lui-même. Nous ne saurions dire exactement quelle part échut à chacun d'eux dans l'exécution de ces
peintures : nous savons seulement, par les recherches de M. P. Van Duyse, que Schut reçut pour son salaire
135 florins, 6 escalins et 18 gros, c'est-à-dire une somme un peu supérieure à celle qui avait été attribuée
a Théodore Rombouts. Quant aux sujets que représentaient ces décorations improvisées, quelque chose nous
en a été conservé par G. Récaims, dans le gros livre qu'il a publié à Anvers, en 1636, sous le titre de
Serenissimi principis Ferdinandi Hispaniarum lnfantis S. R. E. Cardinalis triumphalis introïtus in
Flandriœ metropolim Gandavum. On sait de plus que Corneille Schut eut un rôle important dans cette
publication, puisqu'il fut chargé de faire les dessins qui en ornent les pages. Mais ses croquis, confiés à des
graveurs assez malhabiles, ont perdu dans cette traduction l'esprit et la fougue que Corneille y avait sans
doute fait paraître. Est-il besoin d'ajouter que les peintres employés en cette solennelle circonstance par
les échevins de Gand avaient épuisé dans leur œuvre les formules de l'adulation la plus excessive? Les
allégories de la Fable antique et parfois aussi les divinités chrétiennes se prêtent le mutuel appui de leur
symbolisme dans ces compositionsdont la gloire de la maison hispano-autrichienne fournit le motif principal.
Le chef de la famille, Charles-Quint, est véritablement divinisé, aussi bien dans les panneaux et dans les
emblèmes qui décoraient les arcs de triomphe que dans les poésies et les sentences latines qui en
expliquaient le sens aux bons Gantois, vraiment trop oublieux ce jour-là de leur ancienne révolte et du
chàtiment que le monarque espagnol leur avait infligé un siècle auparavant. Mais quand les peuples
poussent à ce point le pardon des injures, les peintres n'ont pas le droit de se souvenir. Corneille Schut fit
donc comme Crayer et comme Rombouts, et il faut dire que la richesse de son imagination el le prestige
de son libre pinceau le rendaient singulièrement apte à la pratique de l'art décoratif.
Corneille était encore dans la joie de son succès, lorsque, pendant le courant de l'année suivante, jl
perdit sa femme Catherine Geensins (22 décembre 1637), et quelque temps après son fils et une de ses
filles (octobre 1638). Il chercha dans le travail, non une consolation — car à de pareilles douleurs il n'est
point de remède — mais une sorte de distraction sévère qui pût occuper son esprit et tromper sa peine.
Cette période de son existence est peut-être la plus féconde. Les églises d'Anvers, les couvents des
environs, se remplirent de ses œuvres. Il s'était lié d'une étroite amitié avec Daniel Seghers, et l'on sait que
l'école flamande a dû à leur active collaboration bien des œuvres délicates. Corneille peignait, en camaïeu
et en grisaille, des sujets religieux, et notamment la Vierge et l'Enfant Jésus; Daniel encadrait ces groupes
de ses plus éclatantes guirlandes. A la recommandation de son ami, Schut fut chargé de peindre pour le •
maître-autel de l'église de la maison professe des jésuites d'Anvers, le Couronnement de la Vierge,
important tableau qui existe encore, et qui est rangé au nombre de ses ouvrages les mieux réussis. Il peignit
aussi pour les mêmes religieux un portrait d'Ignace de Loyola, que Daniel Seghers entoura d'une fraîche
couronne de fleurs, deux tableaux empruntés à la vie de saint François-Xavier, et une composition pleine
de mouvement et de verve, qui représente la Circoncision, et qui, malgré certaines singularités de détail,
malgré certaines fautes de goût, n'est pas indigne de l'estime qu'on en faisait jadis, ne serait-ce qu'à
cause des anges, si pittoresques et si légers, qui se groupent autour du petit Jésus en lui montrant les
instruments de la Passion. Dans l'église Saint-Jacques, Corneille Schut peignit le Christ mort sur les genoux
de la Vierge, œuvre secondaire qui accompagne une inscription en l'honneur de la famille Geensins, à
laquelle appartenait la femme qu'il venait de perdre.
Le Serment ou la Confrérie de l'Arbalète lui fit peindre, pour l'autel de la chapelle qu'il possédait à la
cathédrale, un grand tableau, le Martyre de saint Georges, qui est aujourd'hui au Musée d'Anvers. C'est
une des meilleures compositions du maître. Le saint, à genoux sur les marches d'un temple antique, va
subir le dernier supplice ; mais, plongé dans une muette extase, il ne voit ni les glaives que les bourreaux
agitent autour de lui, ni le prêtre qui veut le contraindre à sacrifier aux faux dieux; sa pensée est ailleurs :
il contemple dans le ciel entr'ouvert les légions d'anges qui l'appellent et préparent pour lui la couronne
des victorieux. L'ensemble de ce tableau a de l'éclat et de la vie, l'ordonnance en est largement conçue;
mais, examinés l'un après l'autre, chacun des personnages qui prennent part à ce grand drame est d'une
vulgarité de type, et, il faut le dire, d'une laideur qui désespérera toujours les amants des lignes pures et
des belles formes. Ce caractère de trivialité frappe l'œil le plus indulgent au Musée d'Anvers, c'est-à-dire
serait-ce, si le
au milieu de toiles qui participent plus ou moins du même dédain pour le style : que
tableau de Corneille Schut était placé dans un musée d'Italie, à côté de ces œuvres viriles où la passion,
même en ses plus ardentes violences, demeure toujours respectueuse du beau?... Mais ce sentiment, nous
avons déjà eu occasion de le dire, ne tenait qu'une place médiocre dans les préoccupations de Corneille
Schut. Ilétait tout entier à l'effet décoratif, à l'aspect pittoresque, au flamboiement des lignes et des
attitudes, et aussi, il serait injuste de le nier, à l'expression dramatique des émotions humaines. C'est là
ce
ll
(lit a cherché, c est là ce qu 'il a trouvé dans le Martyre de saint *Ceoî-qes ; cette scène à grand spectacle
était d'ailleurs dans la nature de son talent, et ce sujet souriait tellement à sa fantaisie, qu'il y revint
plusieurs fois, et qu'après l'avoir traité dans le grand tableau que nous venons de décrire, il en fit le motif
d'une gravure à l'eau-forte qu'on doit classer au nombre de ses plus belles estampes.
Car, c'est ici le lieu de le dire, Corneille Schut n'était pas seulement un peintre, il avait appris aussi à
graver, et il attaquait le cuivre avec une puissante énergie, avec un caprice magistral. Sa pointe était
infatigable : plus de cent trente eaux-fortes disent quelles furent dans ce genre sa fécondité et son adresse.
Sujets religieux, mythologies, frontispices, compositions allégoriques, Corneille a touché à tout avec une
égale assurance. Bien qu'il n'ait jamais vu l'Italie et que son talent soit profondément étranger au génie
des écoles ultramontaines, il s'est complu à donner un titre italien, Varie Capricci, à un de ses recueils
d'eaux-fortes. Il a fait aussi une nombreuse suite représentant la Vierge et l'Enfant Jésus, et ce n'est pas
sans surprise qu'on y peut voir avec quelle merveilleuse souplesse son inépuisable invention a su varier et
renouveler sans cesse ce sujet si simple et si banal d'une mère embrassant son enfant. Le style est indigent;
mais le sentiment est délicat, les attitudes heureusementtrouvées, et l'on voit bien que l'artiste a étudié sur
les lèvres de Catherine Geensins la grâce attendrie du sourire maternel. Schut est aussi fort à son aise dans
la traduction, plus ou moins exacte, de ses propres compositions : les pauvretés de dessin y abondent; les
incorrections, les laideurs même n'arrêtent pas sa verve facile; mais ces fautes de détail disparaissent
parfois dans l'heureuse harmonie de l'ensemble; et nous croyons, en définitive, que la critique doit faire
quelque état des eaux-fortes de Corneille Schut, surtout de celles qui, légèrement traitées et moins
chargées de travail, affectent, dans leur tonalité générale, une coloration claire et blonde.
Il suffit de feuilleter l'œuvre gravé de Corneille Schut pour s'apercevoir qu'on a affaire à un peintre. Il
l'était en effet, et, bien qu'il eût déjà fait paraître ses mérites dans un grand nombre de tableaux importants,
il accepta avec empressement l'occasion qui lui fut offerte, en 1647, de résumer les qualités de son pinceau
dans une œuvre de vaste dimension. N'était-ce pas, pour un artiste tel que lui, une véritable bonne fortune
que d'avoir à peindre la coupole de Notre-Damed'Anvers?... Bien que le prix qui lui était offert pour ce grand
travail (360 florins) ne fût pas très-considérable, il n'hésita pas à s'en charger, et il peignit l'Assomption
de la Vierge, le plus célèbre, sinon le meilleur de ses ouvrages. Corneille Schut a représenté la Mère du
Christ montant doucement dans le ciel, dont les anges, qui volent autour d'elle, semblent lui désigner le
chemin. L'extrême hauteur à laquelle cette peinture est placée ne permet pas d'en apprécier l'exécution;
mais quoique l'œuvre de Corneille soit, en général, fort admirée, il nous a paru que la composition était
un peu vide, et que, s'il se fût souvenu davantage des exemples de Rubens, il aurait pu y indiquer plus
de solennité, plus d'éclat, plus de richesse. Il est vrai que la cathédrale d'Anvers, où se trouve placée
r Assomption de la Vierge, est un véritable musée de l'école flamande. Lorsqu'on vient d'admirer les
radieuses peintures de Rubens, on a les yeux trop éblouis pour ne pas trouver ternes et tristes les
meilleures créations de Corneille Schut.
Mais alors même que l'Assomption n'aurait pas à redouter ce dangereux voisinage, il faudrait bien
reconnaître que dans cette peinture, comme dans le Martyre de saint Georges et dans la plupart de ses
autres tableaux, Corneille a pu emprunter ses types au chef de l'école d'Anvers, mais non la magie de ses
colorations lumineuses. Inhabile à comprendre sous ce rapport les grandes .eçons du maître, il ignore l'art
de donner de la transparence aux demi-teintes, il aime les ombres lourdes et noires. Aussi ses
compositions, vivantes par le sentiment et par le dessin, ne le sont-elles pas toujours par la couleur; ce
caractère de tristesse et d'ennui est tellement visible dans plusieurs dé ses œuvres, que quelques critiques
modernes ont voulu douter que Corneille fût l'élève de Rubens.
Les écrivains espagnols ont avancé, avec une assurance parfaite, un fait dont nous n'avons trouvé nulle
part la trace, et que les auteurs du catalogue du musée d'Anvers ont passé sous silence, sans doute parce
qu'il leur a paru controuvé. Céan Bermudez, résumant des traditions anciennes, raconte que Corneille Schut
a fait un voyage en Espagne et qu'il y a travaillé quelque temps. D'après cet écrivain, Corneille serait venu
il Madrid avec son frère Pierre Schut, ingénieur de Philippe IV, et il aurait peint, entre autres choses, pour
le grand escalier du collège impérial, un vaste tableau représentant saint François Xavier baptisant des
Indiens. Céan Bermudez n'assigne d'ailleurs aucune date à ce prétendu voyage, et la manière vague dont il
en parle peut faire supposer que son assertion repose sur une erreur ou sur une conjecture purement
\
gratuite Des recherches nouvelles éclairciront sans doute plus tard ce point douteux : quoi qu'il en soit,
d'après les documents publiés jusqu'à présent, il ne paraît pas que Corneille Schut ait jamais quitté la Flandre,
où il était, d'ailleurs, si utilement occupé. La sympathie que ses contemporains lui avaient vouée ne lui fit
pas défaut un seul jour, et jusqu'à la fin de sa vie, il eut constamment le pinceau à la main, remplissant
de tableaux les églises et les couvents de la Flandre; multipliant, pour se reposer, les exemplaires de
ses pittoresques eaux-fortes, et partageant ses heures entre son travail et sa nouvelle famille; car
Corneille Schut n'avait pu supporter les amertumes de la solitude : à une date que l'on ignore, il s'était
remarié avec Anastasie Scelliers, et, moins désireux dès lors d'être mêlé aux bruits de la ville, il était allé
s'établir avec sa femme dans la paroisse de Saint-Willebrord, à quelque distance d'Anvers. Mais les longs
bonheurs n'étaient pas permis à Corneille Schut. Anastasie Scelliers mourut le 24 octobre 1654. Ce
nouveau coup retentit douloureusement dans le cœur du vieux peintre. Il essaya d'abord de résister au mal
1 Un artiste du nom de Corneille Schut a certainement vécu en Espagne; mais c'était le fils de l'ingénieur de Philippe IV, et,
conséquemment, le neveu de notre Corneille. Établi à Séville, il eut une grande part à la création de l'Académie de peinture qui
y fut fondée en 1660, et dont il fut successivementfiscal, consul et président. Ce Schut devint presque complétement Espagnol,
et il reste de lui un assez bon nombre de dessins à la plume ou à l'encre de Chine, qui ressemblent souvent à ceux de Murillo.
Il mourut à Séville en 1676. (V. Céan Bermudez. Diccionario de los
mas ilustres profesores de lis bellas artcs en Espana, 1Ni.
p. 359, et le petit livre publié par le même auteur sur l'école de Séville (1806).
et, pendant quelques mois, il eut le courage de lutter contre son chagrin; mais sa blessure était inguérissable,
et, le 29 avril 1655, il s'éteignit à son tour. On l'enterra avec sa femme dans l'église de Saint-Willebrord,
où une pieuse amitié fit élever en leur honneur un monument qu'on y voit encore. L'épitaphe latine qui
décore leur tombeau est simple et touchante : elle demande au passant de prier pour que ceux qu'un
mariage, sitôt brisé, avait un instant associés sur la terre, soient à jamais réunis dans le ciel.
PAUL MANTZ.
0
MMIMIK mT ÏMIKËiWfS
Van Dyck avait fait de Corneille Schut un portrait qui a été prit ; le Christ mort.
— Ces tableaux ornent le monument fu-
gravé par Vorstermann : c'est celui qui figure en tête de cette nèbre de Corneille Schut et de sa seconde femme, Anastasie
biographie. Scelliers.
Les compositions de Corneille ont été reproduites à l'eau
- BRUXELLES (MUSÉE).
— Martyre de saint Jacques, es-
forte, par l'artiste lui-même, avec un talent que nous avons quisse. — La Vierge, avec des fleurs de Daniel Seghers.
essayé d'apprécier : son œuvre a été en outre gravé par les ÉGLISE SAINTE-CATHERINE.
plus célèbres maîtres du temps, W. Hollar, C. Galle, P. Pon- — Sainte Anne, patronne des
bateliers, implorant le ciel. Mensaert, dans son Peintre cu-
tius, Lucas Vorstermann le jeune, Jean Popels, Natalis, Rom- rieux (1, 25), fait l'éloge de ce tableau, que Descamps regarde
baut Eyndhouedts, J. Mechau, et surtout Jean Witdoeck, qui au contraire comme « dur, sec, sans effets et assez médiocre,
se forma sous l'inspiration directe de Corneille Schut. Le excepté quelques détails bien faits. »
peintre Philippe Wleugels, qui vint travailler en France, était COPENHAGUE.
— Bacchus, Cérès et Vénus. — La Vierge.
aussi son élève. DRESDE. — Neptune et Amphytrite.
Voici l'indication des principalesproductions du maître : — Offrande à Vénus.
LILLE. — Alexandre coupant le nœud gordien.
ANVERS (MUSÉE).
— Le Christ et la Vierge remettant à PARIS (MUSÉE DU LOUVRE).
— Les Israélites recueillant la
saint François, agenouillé devant eux, le bref de l'indul- manne (dessin en camaïeu). — Frise ornée d'une guirlande
gence dite Portiuncula. — Ce tableau provient de la chapelle de fleurs, d'animaux, d'oiseaux, etc. (dessin au crayon, lavé
de la famille Franco y Feo, dans l'ancienne église des Ré- et rehaussé de blanc).
collets. ROTTERDAM. — Des enfants jourint dans un paysage.
Le Martyre de saint Georges. — Cette peinture, qui a été VIENNE. — La Vierge, entourée de fleurs de D. Seghers.
gravée par l'artiste lui-même et par R. Eyndhouedts, a décoré
— Héro pleurant sur le corps de Léandre. (Gravé par
jusqu'en 1798 l'autel du Jeune Serment de l'Arbalète à la ca- G. Leybold.)
thédrale. Dans son Voyage en Flandre et en Brabant, Des- Corneille Schut paraît avoirtraité deux foi s ce sujet. Du moins,
camps parle ainsi de ce tableau : « C'est une composition nous avons vu en 1860, à l'expositiond'Amiens, une réplique
pittoresque, pleine de génie et dessinée avec correction. Je la originaledu tableau du Musée de Vienne. Cette peinture, que
considère comme l'ouvrage le plus estimable du maître. » le Catalogueattribuait à tort à Van Dyck, appartient à M. le
La Purification de la Fierge. — Provenant du couvent des marquis de Landreville.
Augustins de Malines. Pour ne pas faire double emploi, nous nous sommes abste-
CATHÉDRALE D'ANVERS.
— La coupole, représentant l'As- nu de relater ici tous les tableaux peints en collaborationpar
somption de la Vierge. Corneille Schut et Daniel Seghers. On en trouvera l'indication
SAINT-CHARLES BORROMÉE(ancienne église des Jésuites). à la suite de la biographie du jésuite d'Anvers.
—
La Circoncision; l'Assomption; la Reine des Saints; Saint * Les tableaux de Corneille Schut, immobilisésdans les églises
François-Xavier convertissant un Indien ; le même saint et dans les musées, ne se rencontrent pas fréquemmentdans
consacrant les hosties. les ventes publiques.
SAINT-JACQUES.
— Le Christ mort sur les genoux de la VENTE RANDON DE BOISSET. 1777.
— La Vierge assise te-
Vierge. nant sur ses genoux l'Enfant Jésus qui caresse saint Jean,
SAINT-Wn.LEBRoRD-LÈS-ANVERS. Dieu et le Saint-Es- appuyé sur une croix. — 330 livres.
—
$co& &famanc/e. S&Méeit'e, J&vrfaa/éj
Devenu maladif, Léopold-Guillaume quitta Bruxelles en 1656, une année avant la mort de l'empereur son
frère. A Vienne, ce protecteur des arts, nommé tout jeune grand-maître de l'Ordre Teutonique, buvait du
lait d'ânesse, prenait même des bains entiers de ce lait pour combattre son épuisementprécoce. Il eut beau
faire, il mourut à l'âge de quarante-huit ans, le 20 novembre 1662. Sa collection de tableaux, qu'il avait
emportée, forme maintenant la partie la plus considérable du musée de Vienne. Il l'avait léguée par son
testament, le 9 octobre 1661, à son neveu, l'empereur Léopold Ier.
On voit à Malines, dans l'église Notre-Dame, un tableau de van Hoeck, représentant le Christ mort, soulevé
par Joseph d'Arimathie et par saint Jean, qui vont le porter au tombeau. Il y a peu d'œuvres supérieures,
s'il en existe. On ne sait ce qu'on doit admirer le plus, le dessin ou la couleur, les types ou les expressions,
les attitudes ou le clair-obscur. Saint Jean, dans sa force juvénile, son compagnon, dans la dignité de la
vieillesse le glorieux cadavre lui-même, étonnent et ravissent; le Supplicié a des traits élégants et nobles.
,
une barbe, une chevelure noires, qui attestent l'influence de l'Italie sur le peintre. Croisant les mains, la
Vierge regarde son fils avec un sentiment de profonde douleur qu'on ne pouvait mieux rendre. Madeleine
personnifie merveilleusement la femme de plaisir, vulgaire, étourdie, insouciante, passionnée sans tendresse.
Au fond du tableau, on aperçoit un homme qui examine la scène lugubre et une catéchumène en pleurs.
L'exécution rappelle à la fois le style des maîtres vénitiens et la manière de Rubens; elle unit avec un
rare bonheur les qualités des peintres du nord aux qualités des peintres du midi.
La même église renferme une autre toile de Jean van Hoeck, dont les figures paraissent seulement à
mi-corps. C'est un chef-d'œuvre que n'éclipse pas le précédent. Le Fils de l'Homme y porte sa croix en
parlant à la Vierge, qui l'écoute, les mains jointes, avec une tristesse ineffable. Deux bourreaux athlétiques
surveillent et conduisent le Rédempteur; l'un d'eux, ne pouvant contenir sa haine, lui fait une horrible
grimace. Saint Jean et sainte Madeleine suivent la mère de Jésus; leur douleur est si vraie, si touchante
qu'elle se communique au spectateur. Comme sur l'autre page, on remarque ici les obligations de l'auteur
envers Rubens et les effets de son séjour par delà les Alpes. Un chaud reflet du soleil italien y dore les
visages, les costumes, les moindres accessoires.
Une peinture qui ornait jadis le maître-autel des Récollets ou Minimes, à Bruges, et que possède
maintenant la cathédrale, inspire les mêmes réflexions et donne également la plus haute idée de l'artiste.
On y voit le Rédempteur crucifié, sa mère, saint Jean et un moine de l'ordre auquel appartenait le tableau.
Une profonde sensibilité anime les traits, les gestes, les attitudes des différents personnages. Il semble, en
outre, qu'un rayon de lumière italienne dorme sur la toile.
D'après ces morceaux, on peut apprécier la manière de Jean van Hoeck; on pourrait même lui restituer
quelques ouvrages attribués à d'autres maîtres, par spéculation ou par vanité. Les châteaux et palais de
la noblesse autrichienne doivent d'ailleurs en renfermer qui portent encore son nom. Mais ce ne serait pas
une entreprise facile que d'y pénétrer. Le catalogue de la galerie du Belvédère, publié en 1858, annonce
trois productions de ce peintre qu'il serait important de voir; elles achèveraient de fixer la critique
sur le talent d'un maître jadis fameux, auquel l'ignorance des historiens a été si funeste.
Paul Pontius, François van den Steen, Corneille Galle et d'autres encore peut-être ont gravé d'après lui.
On retrouve sur leurs estampes le beau dessin, la vive sensibilité, les types heureux, l'imagination délicate
et brillante que j'ai admirés dans les tableaux que possède la Belgique.
ALFRED MICHIELS.
liKIMŒM M ISIIKGMIKDHS
Le prince Charles de Lorraine possédait de Jean van Hoeck on voit en perspective une bataille) ; sur la troisième toile,
les portraits des archiducs Albert et Isabelle, que l'on com- un ange le présente à la Madone, qui tient son fils dans ses
parait aux effigies de Van Dyck. bras et trône parmi les nuages.
On voyait chez M. Van Heteren, à La Haye, une Pallas qui Gravures d'après Jean van Hoeck :
embrassait la Prudence et foulait sous ses pieds les Vices. Une Sainte Famille, par Paul Pontius. La Vierge, qui
Le catalogue de la galerie de Vienne rédigé en 1796 an- tient son fils endormi sur ses genoux, lève la couverture de
nonce comme de Jean van Hoeck : son berceau pour le coucher.
10 Un portrait en buste de Philippe 7r, roi d'Espagne,sur toile; Une Sainte Famille, par François van den Steen. La fille
2° Une Danse de Paysans avec des figures nombreuses et de David s'y apprête aussi à coucher le petit Jésus. Saint
de petites proportions, également sur toile. Jean-Baptiste porte un flambeau, dont it protège la flamme
Il indique également un portrait de l'artiste lui-même, avec sa main. Cette gravure, dédiée à Justine Marie, comtesse
en buste, exécuté par un auteur inconnu. de Schwartzenberg, est d'une extrême rareté. Nous la repro-
Sur le catalogue de 1858, on ne trouve plus ces indications; duisons en tête de la présente notice.
elles sont remplacées par trois effigies de l'archiduc Léopold- Philémon et Baucis recevant Jupiter et Mercure.
Guillaume, l'une qui le montre armé de pied en cap, l'autre Le Sauveur agonisant, par Corneille Galle, morceau ma-
à cheval et entouré de génies (au fond de ce dernier tableau, gnifique, plein de sentiment et d'animation.
Sc»/g ,7&Hlande. %déæj,e, '(o/fa-iéed, &am/wc$ac/ea.
JEAN MIEL
NÉ EN 1599. — MORT EN 1664.
S'il est vrai que la postérité n'ait jamais tort, il faut regarder
Jean Miel comme un peintre de pastorales et de bambochades, bien
qu'il se soit illustré de son vivant par des tableaux de dévotion et
des sujets historiques traités dans le grand. En le rangeant parmi
les peintres de figures familières et grotesques, l'histoire n'a fait que
se conformer au goût décidé que Jean Miel manifesta pour ce genre
de peinture.
Flamand d'origine, Jean Miel eut beau faire le voyage de Rome,
entrer sous la discipline d'un maître sévère et classique, apprendre
son art dans toute la dignité que lui prêtait l'école romaine, il resta
malgré lui un peintre flamand, et retrouvant au milieu d'une ville
où brillaient alors le Dominiquin, André Sacchi, Nicolas Poussin,
le Caravage et Claude Lorrain, un de ses compatriotes, le facétieux
Pierre de Laer, si connu déjà sous le nom de Bamboche, il fut
entraîné vers la manière de ce peintre spirituel des gueux, des
voleurs, des rudes pâtres de la Sabine, des palefreniers et des
lansquenets; manière toute nouvelle pour des Homains, mais qui
devait plaire du premier coup à un artiste originaire des Pays-Bas. Né en 1599, aux environs d'Anvers, dans
un village que D'Argenvilleappelle Vlanderen (confondant la Flandre avec un village qui n'a jamais existé)
Jean Miel reçut les premières leçons de Gérard Seghers, élève lui-même de Rubens. Il fut donc tout préparé
dès sa jeunesse à pratiquer et à comprendre la grande peinture, dans laquelle Gérard Seghers s'était fait un
nom. Aussi, lorsqu'il entreprit le voyage de Rome, pèlerinage obligé dans ce temps-là pour quiconque
aspirait à la consécration de son talent, Jean Miel était déjà un fort habile homme. Je ne sais quel sobriquet
lui fut donné lorsqu'il fut reçu par la bande joyeuse qu'avaient formée à Rome les peintres flamands, hollandais
et allemands, et qui étaient en possession de baptiser les étrangers nouveaux-venus; mais il est certain qu'il
connut bientôt le hollandais Pierre de Laer, qu'on venait de surnommer Bamboche, parce qu'il était contrefait,
bossu et semblable à ces poupées que les Italiens appellent bambozzo 2, Cet artiste original, plein de verve,
de gaîté et d'esprit, j'allais presque dire de génie, était arrivé dans Rome quelques années avant Jean Miel,
et, au milieu des solennités de la peinture romaine, à deux pas des fresques sublimes du Vatican, sous les yeux
du grand et grave Poussin dont il conquit l'amitié, il s'était créé un genre à part, le genre des Bambochades,
auquel il donna son nom. Les descendants de Raphael, qui n'avaient guère mis en scène que des dieux, des
saints, des héros ou des papes, ne furent pas peu surpris de voir entrer dans le domaine de la peinture, les
paysans, les gardeurs de buffles, les voiturins, les piferari, les servantes d'auberge, les bandits, les bohémiens
et les joueurs de stylet. Le Bamboche, joyeux viveur, s'était fait pardonner cette espèce de scandale à force de
facéties, de bons mots et de gambades; mais l'ensemble de l'école romaine, retenue par l'influence de Zampieri
et de Nicolas Poussin, n'en était pas moins resté fidèle aux grandes traditions de l'art, du moins quant au choix
des sujets. Quelques-uns cependant, et par exemple Michel-Ange des Batailles et Jean Miel, furent séduits
par cette manière piquante du Bamboche qui faisait sourire Nicolas Poussin dans sa toge; le clair-obscur y
jouait d'ailleurs un grand rôle : or, c'était justement l'époque où le Caravage avait inauguré la manière forte,
c'est-à-dire les violents contrastes de lumière et d'ombre, qui flattaient l'œil de notre Valentin et attirèrent
un instant le Guide lui-même. Ce qu'avait fait en grand le Caravage, Pierre de Laer le fit en petit, mais ce
qui n'était pas supportable dans le premier était au contraire charmant dans l'autre; car des goujats en
guenilles jouant aux cartes sur un tambour, peuvent nous plaire dans un tableau de chevalet, tandis que la
Mort de la Vierge perd bien quelque chose, ce me semble, à être représentée comme une scène de domestiques.
Voilà donc la fantaisie, comme nous dirions aujourd'hui, importée à Rome par un Hollandais; les Italiens
ne s'y trompent point, ils donnent tout de suite aux familiarités du Bamboche le nom de caprices, capricci"
en bonne part, en mauvaise part bambocciate. Jean Miel, disons-nous, s'adonna de bon cœur au genre du
paysage, des animaux, des grotesques et en général à toute cette partie secondaire de l'art qu'affectionnent
les peintres naturalistes. Il s'y montra si habile, que le savant André Sacchi l'appela dans son atelier, voulant
s'en faire un aide pour les travaux qu'il devait exécuter au palais Barberini, dans les appartements du rez
de chaussée. Entre autres peintures, il y en avait une, en forme de frise, qui devait représenter la cavalcade
pontificale; celle-là fut dévolue spécialement à Jean Miel; mais comme il y travaillait, une dissidence éclata
entre Miel et André Sacchi, occasionnée sans doute par les malicieuses remarques de quelque ami officieux :
les deux artistes en vinrent à de vives paroles, et André s'étant mis en colère, renvoya durement Jean Miel
en lui disant d'aller faire ailleurs ses bambochades 3
Jean Miel, piqué d'une telle boutade, en conçut pour quelque temps du dégoût à l'endroit des sujets
familiers qu'on venait de lui reprocher si amèrement. Le chevalier Bernin, qui l'avait pris en amitié, lui
donna des conseils dans ce sens, et voulant s'attacher aux grandes figures, il fit un voyage en Lombardie
pour y étudier les ouvrages des Carrache et surtout la merveilleuse coupole du Corrège, à Parme. Cette
excursion fut profitable à son talent, elle agrandit ses idées, développa ses aptitudes, et à son retour dans
Rome, il y parut si habile que les travaux lui vinrent de toutes parts. L'église de San-Lorenzo in Lucina
1 Mariette en fait la remarque dans les notes manuscritesdont il a enrichi l'Abecedario pitlorico du père Orlandi.
4 Voir, dans cette Histoire, la vie de Pierre de Laer.
3 Andrea forte si disgusto con esso, e venuto in collera gli disse, che egli
se ne andnsse a dipignere le sue'bambocciate.
Baldinucci, Notizie de' professori del disegno, tomo xm.
lui commanda le Miracle de saint Antoine de Padoue. Le pape Alexandre VII lui lit peindre dans sa galerie
de Monte-Cavallo l'histoire de Moïse frappant le rocher. En 1656, au Vatican, il exécuta, pour ce même
Alexandre VII, des peintures à fresque dans une chapelle voisine de la chambre du pape; et au palais Raggi
il représenta, dans deux tableaux en forme de frise, la rue del Corso, où se font les mascarades de Rome.
Ces divers ouvrages étaient assez noblement traités et d'une bonne couleur; mais son dessin, en ces grandes
occasions, n'avait pas autant de correction et de finesse qu'il en montrait dans ses petites toiles.
Quelques peintures de Jean Miel, qui avaient été envoyées de Rome en Piémont, firent connaître ce peintre
il la cour du duc de Savoie. Charlef-Emmanuell'invita gracieusement à venir à Turin et Jean Miel, s'y étant
rendu en 1659, y fut reçu avec beaucoup d'affabilité et de courtoisie, con tratti di benignità e d'amore, dit
le biographe italien. Il est vrai de dire qu'une fois à la cour de Charles-Emmanuel, il devint, pour ainsi parler,
la propriété du duc. Des travaux importants l'y attendaient. Sur le soffite de la grande salle où se tient la
garde du roi, dit Lanzi, on voit quelques tableaux de Miel, qui, au milieu des représentations fabuleuses des
dieux du paganisme, renferment des faits véritables à la gloire de la maison royale. Il en peignit une partie
à fresque, une partie à l'huile, et le tout de grandeur naturelle en onze morceaux. Mais les peintures qu'il
fit avec le plus de goût, comme étant le plus en harmonie avec son tempérament, furent celles qu'on lui
commanda pour la maison de chasse, appelée la Vénerie royale. Là, il fit voir toutes les qualités de peintre
que la vocation lui avait données et que la fréquentation de Bamboche développa : l'intelligence de la
perspective, une grande vigueur de clair-obscur, l'observation non pas tant naïve que spirituelle, des
mouvements, des gestes, des attitudes, des costumes, du jeu des physionomies, de tout ce qui importe à la
représentation des scènes de la vie commune. C'étaient des Rendez-vous de chasse avec un nombre infini de
petites figures, le Départ des chasseurs et la Curée, avec les écuyers, les fauconniers, les valets et les chiens.
C'était l'Aller au bois, c'était le Laisser-courre où se voit au milieu d'un magnifique paysage, un cerf
poursuivi par des lévriers. Jean Miel mit dans ces peintures beaucoup de relief et de naturel, je ne dis pas le
feu de Rubens, mais quelque chose de cette saveur pittoresque dont Pierre de Laer avait fourni le modèle
dans ses coups de pistolet et que poussait si loin le peintre génois Benedetto Castiglione. Aussi toutes ces
chasses furent-elles gravées au burin et les estampes rapportées au livre que l'on publia sous les auspices de
la cour de Turin, avec ce titre : Veneria, disegnata e descritta dal conte Amedeo di Castellamonti. La
récompense du peintre fut digne d'un prince qui aimait les arts autant que la chasse. Comblé d'honneurs et de
biens, Jean Miel fut décoré de l'ordre de Saint-Maurice et en reçut la croix ornée de diamants, comme h;
raconte Cristofano Orlandi, son disciple favori.
Cependant Jean Miel n'avait pas plutôt mis la main à quelque tableau d'église, que son naturel,
chassé pour un instant, revenait au galop. S'il est vrai que l'on se crée souvent un penchant factice pour les
choses que l'on ne sait point, il est rare qu'on n'ait pas une inclination réelle pour ce que l'on sait faire le
mieux. Jean Miel ne manquait aucune occasion d'encadrer en de petits tableaux ses personnages de prédilection
(lui, sans touchera la caricature, atteignaient aux dernières limites de la vérité. On peut affirmer, quand on a
parcouru son œuvre, je veux dire tout ce que l'on a gravé d'après lui, qu'il mena dans Rome à peu près une
vie semblableà celle qu'y menaient dans le même temps Valentin, Callot, le Bamboche. Sans se croire obligé
de prendre leurs mœurs, il étudiait de près les héros familiers de sa peinture de chevalet, le muletier devant
la porte des hôtelleries, les voyageurs à la dinée, festinant au soleil et faisant mettre leur monture à l'auge,
les pâtres romains au repos sur quelque ruine, les chasseurs en halte, les paysans sur le seuil du cabaret,
les bandits dans les repaires où Valentin les surprenait tantôt organisant des concerts de famille, tantôt se
faisant dire la bonne aventure par des bohémiennes au teint cuivré, et enfin ces équivoques gentilshommes
dont l'Italie abondait alors et qui étaient toujours prêts à donner un coup de couteau pour de l'argent et il
conduire l'étranger dans des lieux suspects. 11 n'est pas de galerie un peu riche qui ne possède un de ces
tableaux de Jean Miel, conçus et exécutés dans le genre où il excellait et qui seul l'a fait connaître aux
amateurs de l'Europe, ses autres ouvrages n'étant jamais sortis des églises de Rome, des résidences du pape
et des palais de Turin. Ainsi, il est remarquable qu'à Rome même, le cardinal Fesch, dans sa fameuse galerie,
n'avait de Jean Miel qu'une bambochade, assez leste par l'intention, mais qu'il nous sera bien permis de
décrire, du moment qu'un cardinal se crut permis de l'avoir. « Un homme d'assez mauvaise mine, dit
M. George', entièrementenveloppé dans son manteau, accompagne un jeune militaire et vient de s'arrêter avec
lui à deux pas d'une maison particulière, vers laquelle les a conduits un pauvre diable délabré et couvert de
haillons. Tandis que notre militaire compte dans sa main la monnaie qui doit le débarrasser de son guide, une
jeune fille que la curiosité excite ou que la visite de l'étranger intéresse, s'est avancée à la fenêtre dont elle
soulève le store avec précaution. Une petite partie de la ville de Borne, que l'on aperçoit dans l'éloignement
à travers une voûte cintrée qui, en s'élançantde la maison, traverse la voie publique, ferait croire à l'élévation
du lieu et surtout à son isolement. » Nous n'ajouteronsrien à cette description, qui nous paraît assez claire
dans sa demi-obscurité. Tel était l'échantillon du talent de Jean Miel que possédait cet illustre prince de
l'Eglise, qui aima la peinture presque autant que la messe. Au Louvre et dans les célèbres cabinets de
Londres, on ne rencontre non plus que des paysanneries de Jean Miel, de joyeuses dinées, des danses
villageoises, des joueurs de vielle ou de chalumeau, des scènes enlîn toujours empruntées à la vie
commune. On connaît de lui les Plaisirs du paysan, faisant pendant aux Plaisirs des seigneurs, deux
charmantes compositions auxquelles la pointe fine et mordante de notre graveur français Jacques-Philippe
Lebas, a conservé tout leur charme, tout le piquant de leur effet, et pour parler comme parleraient Diderot,
Chardin et Dandré-Bardon. tout leur ragoût pittoresque. On peut dire que par le choix de ses modèles et par
sa manière de les peindre et surtout de les éclairer, Jean Miel ressemble en petit au Valentin. Il y a même
pains et des soupes, et comme le contraste se présente naturellement, sans qu'on le cherche, entre la prospérité
du moine et la maigreur de ces pauvres diables, entretenus dans leurs guenilles et dans leur paresse par la pieuse
hospitalité du monastère ! Et comme la composition se termine et se couronne bien par le joli campanile du
couvent, dont la vue réjouit l'âme et inspire le goût du cloître, surtout quand on regarde la verdure qui
interrompt les lignes de tous les murs et laisse deviner, par delà, un riant jardin avec ses plates-bandes que
remue la bèche du moine en récréations !
Le procédé constant de Jean Miel dans ses petits tableaux est de tenir ses fonds clairs et de donner beaucoup
de vigueur aux ombres des premiers plans. Il appliqua ce principe à ses peintures du château de la Vénerie,
mais avec la discrétion que demandent des peintures murales qu'il faut toujours comprendre comme il les
comprit, c'est-à-dire dans une manière plus décorative, et comme un simple ornement devant embellir des
salles que les veneurs ne font que traverser en se rendant à la chasse véritable. Quant à la composition, bien
qu'elle ait du mouvement, on y sent quelque chose d'officiel et de convenu qui annonce un peintre fort peu
chasseur. Le cerf de Jean Miel a des tournures assez primitives, il faut l'avouer, et qui rappellent, du moins
dans la gravure qu'en fit le sieur Tasnière, les estampes un peu frustes de la Vénerie de Dufouilloux. Les
autres animaux de la chasse, le lièvre, l'ours, le sanglier, les chiens même sont dessinés d'une façon tellement
rudimentaire qu'on serait tenté de croire que Jean Miel vit la plupart de ces bêtes seulement dans de vieilles
estampes. Au lieu d'écumer comme font ceux de Rubens, ses chiens s'approchent avec ménagement et
convenance de la bête rendue, et tout se passe, non comme un combat, mais comme un plaisir réglé d'avance.
Pour ce qui est des figures humaines et des divinités mythologiques — ces dernières sont peintes dans les plafonds
et sur les compartiments le plus élevés de la muraille — on y retrouve le talent de Jean Miel pour disposer
clairement les masses, accuser les plans, bien choisir et bien contraster les attitudes. Au dessous des déités
de la fable, naturellementplacées dans le ciel des lambris, les panneaux plus à portée de l'œil représentent
des dames en chapeaux à plumes et jupes longues, suivant la chasse et semblables à celles que plus tard nous
verrons passer, à la suite de Louis XIV, dans les carrousels de Van der Meulen.
Les eaux-fortes de Miel ne sont pas moins recherchées que ses petits tableaux. Cependant le peintre-graveur
me semble, dans les premières pièces qui composent son œuvre ', inférieur à Pierre de Laer. Comparée à celle
du maître hollandais, sa pointe manque de légèreté et de vigueur. Le clair-obscur en est toutefoisbien entendu,
c'est-à-dire que les objets s'enlèvent heureusement les uns sur les autres. Mais là où Jean Miel a manié la
pointe en maître, c'est dans les eaux-fortes qu'il composa pour le livre intitulé : Fabiani Stradœ, de bello
belgico decades duœ. Ces estampes, au nombre de trois, sont des chefs-d'œuvre de gravure à l'eau-forte. Elles
représentent, la première, le Siége de Alaestricht par Alexandre de Parme, en 1579; la seconde, la Prise de
Maestricht; la troisième, la Prise de Bonn par le prince de Chimay, en 1588. Jean Miel a conduit en peintre
ces trois estampes ; moins précis, moins sec que Jacques Callot, il a su y mettre un peu de la confusion d'une
bataille, avec toute la clarté désirable dans une gravure de ce genre qui n'est nullement de caprice. Le travail de la
pointe n'a rien de régulier ni de froid. Au contraire, elle est maniée avec franchise comme un pinceau. D'un point
de vue que le peintre a placé très-haut, on voit se dérouler toute la bataille, ou pour mieux dire les travaux du
siége. Les Espagnols, campés dans des bastions ouverts à la gorge, tirent du canon et du mousquet sur les Belges
qui font une sortie. On distingue dans les pièces du Siège et de la Prise, des épisodes assez habilement ménagés
pour ne pas trop distraire l'attention et rompre l'unité du morceau. Ici, c'est Alexandre de Parme, général de
l'armée espagnole, que l'on voit porté sur un espèce de fauteuil. Là, c'est un capitaine blessé, Fabio Farnese,
que l'on transporteétendu sur un brancard. La prise de Bonn, par le prince de Chimay, en 1588, n'est pas
moins intéressante ni moins bien réussie. Le spectateur est supposé en observation sur une tour. La ville
fortifiée baigne ses murs dans le Rhin, qui traverse la composition par le milieu; elle est entourée de redoutes
d'où les Espagnols font jouer leurs batteries et que l'œil reconstruit très-bien avec leurs angles saillants
et rentr ants, à travers la fumée du canon qui les enveloppe. Mais je laisse au docte Bartsch, passé maître en ces
matières, le soin d'apprécier ces belles et rares estampes.
Pour en revenir aux peintures de Jean Miel, il est aisé de les reconnaître, bien qu'elles ressemblent à celles
de Bamboche et de Michel Ange Cerquozzi, qu'on appelle aussi Michel Ange des batailles et Michel Ange des
bambochades. Une couleur forte, des oppositions tranchées de lumière et d'ombre comme les présentent
toujours les objets étudiés en plein soleil, des ciels clairs, distinguent les tableaux de Miel. Chez lui les figures
se détachentle plus souvent les unes des autres par l'ombre même qu'elles produisent. Quelquefois ces charmants
petits sujets peints sur des toiles imprimées en rouge, comme celles dont se servit trop fréquemment le Poussin,
ont poussé au noir; mais ordinairement ses teintes sont douces et dorées, et le tout ensemble est harmonieux,
plein de chaleur et blond, surtout dans les lointains, le piquant de l'accentuation étant réservé pour les devants.
Salvator Rosa, du temps même où florissait Jean Miel, s'élevait dans ses satires contre ce genre de peintures
familières que les Hollandais avaient introduit et fait accepter dans Rome. Chose étrange! ce Salvator si
à de semblables images, tant il est vrai qu'on ne voit jamais la poutre qu'on a dans les yeux, suivant
l'expression de l'Évangile, mais que toujours on aperçoit la paille qui est dans l'œil du voisin. Le judicieux
Lanzi a parlé de Jean Miel en peu de mots, et en a dit précisémentce qu'il convientd'en penser. Noble dans ses
idées, grandiose, élevé au-delà de ce que sont ordinairement ses compatriotes, ayant une grande intelligence
de la perspective, remarquable par une vigueur de clair-obscur qui n'exclut point la délicatesse du coloris,
surtout dans les tableaux de cabinet, il eut un talent singulier pour les figures de proportion moyenne...
Homme d'un esprit supérieur, ajoute Lanzi, qui se fit applaudir à Rome par des peintures facétieuses, et en
Piémont par des peintures d'un genre sévère !
CHARLES BLANC.
Jean Miel a gravé un petit nombre d'eaux-fortes, d'une cés à reboursd'une pointe très-fine. Ce morceau est extrême-
pointe légère et ferme. Bartsch les a décrites au nombre de ment rare. Il a 18 centimètres environ de haut sur 13 cen-
neuf dans le premier volume du Peintre-graveur. En voici timètres de large.
A la VENTE DEBOIS, en 1843, les pièces n" 1, 2 et 3, furent
une indication sommaire :
1° Le Berger. Il est assis sur un tronc d'arbre abattu, vendues 30 fr. — Mais les pièces 4, 5 et 6, qui leur sont bien
vu de trois quarts, et il joue de la cornemuse; à
gauche, à supérieures par la compositionet la beauté du travail, s'éle-
une petite distance, on voit trois chèvres dont une est debout. vèrent à 79 francs.
A droite, est le chien du berger, entre le tronc d arbre Les tableaux de Jean Miel ne sont pas très-rares, mais ils
et une petite haie. Aux pieds du berger, sont une gibecière sont très-estimés. Ils sont répandus partout : il n'est pas de
et une gourde. Au bas de la gauche est écrit : Gno (Giovanno) musée ni de collection particulière un peu riche où l'on n'en
Miele fecit et inv. trouve.
2° La Vieille. Une vieille femme assise cherche les poux Le MUSÉE Du LOUVRE contient cinq tableaux de ce maitre :
à une petite fille dont elle tient la tète sur ses genoux. A 1° le Mendiant, 2° le Barbier napolitain, 3" Paysage, 4° Halte
gauche est un bàt, et un peu plus loin est un àne ; dans le militaire, 5° la Dînée des voyaijeurs.
fond à droite une chaumière et un arbre ; derrière la vieille, Les tableaux religieux ou historiques de Jean Miel se re-
une poule et ses poussins dans un panier. trouvent :
3° L'épine dans la plante du pied. Un paysan italien po- Dans les églises de Rome, notamment à San-Lorellzo in
sant sa jambe gauche sur son genou droit, se tire une Lucina, où l'on voit un saint Antoine de 1'1ldIJue- au Vatican,
épine de la plante du pied. Un panier, dans lequel on voit où il peignit à fresque dans une chapelle voisine de la
une bouteille, est placé derrière son dos, et près de lui, chambre du pape — dans la galerie de Montecavallo,où il re-
sur le devant à gauche, repose son chien. Au bas sur une présenta l'Histoire de Moïse — à Turin, dans l'ancien palais
pierre : Miele fec. des ducs de Savoye, où il fit, moitié à fresque, moitié à l'huile,
Ces trois pièces ont 25 centimètres de largeur sur 14 en- dans la salle des gardes, onze morceaux tirés de la Fable.
viron de hauteur. Il y représenta aussi dans la maison de chasse qu'on appelle
4° Le Siège de Maestricht, par Alexandre de Parme, Vénerie royale, divers sujets appropriés à la destination du
en 1579. Cette ville occupe toute la largeur de l'estampe. château, le Départ des chasseurs, un Rendez- vous de chasse,
Les Espagnols sont occupés à divers travaux de siége et à une Curée, et dans de plus petites dimensions, l'Aller au bois
combattre les Belges qui font une sortie. On distingue sur le et le Laisaer-cnurre. Ces ouvrages ont été gravés dans le livre
devant un capitaine blessé (FabioFarnese) porté sur un bran- qui a pour titre YKNERIA, disegnata e descritlll dal conte
card. Au haut de l'estampe une large banderole avec l'expli- Amedeo di Castellamonte.
cation en latin des divers groupes. Au bas de la droite, on Jacques-Philippe Lebas, Valet, Daullé, Dupreil ont gravé
lit : Jons Miele jeciletinv. diverses pièces d'après Jean Miel.
5° La Prise de Maestricht. La ville est attaquée de toute Voici les prix de ses tableaux, que nous relevons dans les
part par les Espagnols.Surtoute la largeur du devant, est re- ventes les plus notables :
présentée une marche triomphale,dans laquelle on distingue VENTE DUC DE CHOISEUL, 1772. Saint François distribuant
Alexandre de Parme, général de l'armée espagnole, porté l'aumône à la porte de son couvent. Ce tableau, précédem-
sur une espèce de fauteuil. Une banderole comme à la pièce ment vendu 1,800 livres à la vente Gaignat, fut adjugé ici
précédente, et au bas: Jons Miele fecit. pour 2,000 livres.-Paysans italiens.C'est un divertissement.
6° La Prise de Bonn, par le prince de Chimay, en 1588. La principale figure tient une bouteille à la main et danse
La ville est sur les bords du Rhin qui règne sur toute la lar- au milieu de la place. — 1,000 livres.
geur de l'estampe; elle est entourée de redoutes d'où les Es- VENTE PRINCE DE CONTI, 1777. Saint François distribuant
pagnols font jouer leurs batteries. Sur le devant un groupe l'aumône, provenant de la vente précédente. — 1,803 livres.
de cavaliers. Vers la droite, le prince de Chimay à cheval Adjugé au duc de Chabot.
donne des ordres. Une banderole occupe le haut, et au bas VENTE RANDON DE BOISSET, 1777. LrI Bohémienne. Elle dit
de la droite, on lit : Jons Miele fecit et inventor. la bonne aventure à un jeune garçon. Le tableau se compose
— Ces trois estampes,
qui sont extrèmement rares, et j'a- de onze figures dont un homme à cheval sur le premier
joute de la plus grande beauté, ont été gravées pour un ou- plan. — 2,100 livres.
vragé en deux vol. in-folio qui a pour titre : Fabiani Stradœ VENTE DUCHESSEDE BERRI, 1837. Un tableau de Jean Miel, re-
de bello Belgico decades duœ. Ilomce, 1640. Elles portent présentant une Dispute, fut vendu 2,200 fr.
32 centimètres de largeur sur 42 environ de hauteur. VENTE CARDINAL FESCH, 1845. L'Etranger et le Commission-
7° L'Assomption. La sainte Vierge sur un nuage, entourée naire. C'est le tableau dont nous avons parlé plus haut dans
de chérubins. Elle est à genoux, les bras au ciel. Au bas la biographie du peintre. On en trouvera une description
sont les douze apôtres, parmi lesquels on distingue saint Pierre détaillée dans le catalogue de M. George. — 18 scudi : environ
aux clefs qui sont à ses pieds. Au bas de la gauche est 260 fr.
écrit: J. Miel fe. Ce morceau est très-rare. Il a 32 centi- Les dessins de Jean Miel sont quelquefois à la plume,
mètres de largeur sur 25 environ de hauteur, plus, en bas, quelquefois à la pierre noire, lavés à l'encre de Chine ou
une marge de 15 millimètres. touchés au bistre. Ils sont pleins d'esprit et d'effet et fort esti
8° Frontispice de livre. Un guerrier romain tient un dra- més. Aux VENTES NEYMAN, DUC DE TAI.UARD et autres, des des-
peau déchiré, sur lequel est. écrit; quanlo lacero più, tanto sins de ce maître allaient au prix moyen de 40 francs. L'n
più bella. Il a le pied gauche appuyé sur le socle d'un pié- Opérateur jouant une farce, joli dessin à la plume, monta
destal orné du titre : la poverta contenta,..,ete.Au bas de la jusqu'à 128 livres, en 1750.
droite est écrit ; Joan Miele fecit. Miel signait souvent ses tableaux d'uni1 simple initiale,
9" Ganymède enlevé par Jupiter. Il a le bras gauche passé comme ci-dessous.
autour du cou de l'aigle et tient de la main droite «élevée le
bout d'une draperie passée autour de ses reins. L'aigle a les
ailes déployées. Sur le devant, à gauche, près d'un tronc
d'arbre, est le chien de Ganymède qui le regarde avec
anxiété. Au bas de la droite, les mots Mielle Roma sont tra-
rffco/i &famanc/e. Sfiécneu-rd cie cumme.
poissons. Cette peinture est, en son genre, un chef-d'œuvre: jamais le pinceau flamand n'a rendu avec
autant d'intimité et de largeur à la fois la rude enveloppe du homard, la difformité amusante du crabe,
les écailles argentées des autres poissons. Et quelle exécution solide et loyale ! Quel soin dans le détail!
Quelle liberté magistrale dans l'ensemble ! Van Utrecht a, d'ailleurs, de l'imagination et de la fantaisie; il
varie savamment ses sujets. Ainsi, un de ses plus heureux tableaux est celui du musée Van der Hoop, à
Amsterdam, dont M. Burger nous donne une minutieuse description : « Toile de huit à dix pieds de large....
Abondance et richesse. Des pâtés, des jambons, un homard, des raisins, des pêches, des citrons sur une
table. A gauche, par terre, des instruments de musique; sur une chaise, des vases d'or; en haut, un
perroquet; il droite, un grand bassin ciselé, un petit épagneul blanc; au milieu, un singe jouant avec des
fruits renversés d'une corbeille. Exécution très-vigoureuse. » Ajoutons que, malgré ce luxe d'accessoires,
le tableau de Van Utrecht se compose savamment, et qu'au milieu de cette confusion apparente, la lumière
et la couleur font l'unité et l'harmonie.
Van Utrecht n'a cependant pas les colorations brillantes et les grandes allures qui distinguent Snyders,
bien plus que lui voisin de Rubens, dans ses chasses exubérantes et lumineuses; d'un autre côté, il est
moins délicat que Jean Fyt, moins attentif au détail, et ses tonalités sont quelquefois opaques et lourdes.
Mais il est juste de le placer entre ces deux maîtres, qui n'auraient ni l'un ni l'autre à se plaindre d'être
mis en parallèle avec un voisin si digne de leur être comparé. Au dix-septième siècle, on tenait d'ailleurs
en grande estime le talent de Van Utrecht. Les Hollandais — c'est Sandrart qui le dit — se disputaient ses
tableaux et les payaient fort cher. Il travailla pour de très-hauts personnages, notamment pour le roi d'Espagne,
qui, ainsi que le rapporte Descamps, « se saisissoit de presque tout ce qui sortoit de sa main. »
Van Utrecht dut à ces nobles clients une vie heureuse et exempte d'inquiétudes; la fortune ne se lassa
point de lui sourire, et il était presque riche lorsqu'il mourut à Anvers, en 1652-1653, pendant que David
Ryckaert le jeune était doyen de Saint-Luc.
PAUL MANTZ.
MMIES(ËMM H IIlJŒâTOM
Le portrait de Van Utrecht a été peint par Jean Meysseus LILLE. — Combat de coqs. Ce tableau a longtemps été
et gravé par Conrad Waumans. attribué à Ilondekoeter : il nous paraît douteux qu'il soit de
Le Musée du Louvre ne possède aucun ouvrage de Van Van Utrecht.
Utrecht; mais il existe des tableaux de lui dans les collec- LONDRES (CABINET DE LORD SCARSDALE). — Diverses
tions suivantes : espèces d'oiseaux.
AMSTERDAM(MUSÉE VAN DER HOOP).
— Une table chargée CABINET DE M. W. GAEDAERTZ.
— Légumes sur une table;
de fruits et de diverses provisions; au bas, des instruments peinture exposée à Manchester en IS5i.
de musique. C'est le tableau dont nous avons emprunté la MADRID. — Un paon, un cygne et plusieurs oiseaux sur
description à M. Burger. une table ; il côté, une vieille femme causant avec deux hom-
ANVERS (MUSÉE).
— Un Cygne mort : d'autres pièces mes. (Les figures sont attribuées à Jordaens.) Un autre tableau
de gibier, des fruits, sont déposés au pied d'un Terme. Fond représentant des Oiseaux morts, des fruits et des légumes.
de paysage, où l'on voit apparaître la tête d'un mulet. Ce ROTTERDAM.
— Un coq, une poule et ses poussins effrayés
tableau qui provient, de la collection Van Lanschot, est un peu ri ['approche d'un ëpervier (signé et daté 1627).
noir, et ne suffit pas à faire apprécier le talent du maître. Les Musées de Cassel. de Brunswick de Copenhague et
HOTEL DE VILLE. — Entrée du cardinal Ferdinand la galerie du prince de Leuchtenberg possèdent aussi des
d'Espagne en 1635. tableaux de Van Utrecht.
BRUXELLES (CABINET DE M. DUBUS DE GISIGNIES). — Sa- VENTE A. W. (25 février 1863). Gibier et fruits. Dans
ture morte. l'intérieur d'une cuisine, une table est couverte de gibier et
DRESDE. —Sur une table, un gobelet d'or, un homard et de fruits de toute espèce; au centre de la composition, une
divers mets : au bas, un épagneul qui agace un chat. servante tient une volaille d'une main et de l'autre une corde
GAND.
— L'Échoppe d'un marchand de poissons, avec attachée à un croc, où sont pendus plusieurs oiseaux. La
trois figures de grandeur naturelle : un des chefs-d'œuvre du figure est attribuée (à tort) à Gaspard de Graver. Grand ta-
maitre. Signé d'un A et de deux V réunis en mono- bleau de 2 mètres 10 centimètres de large; un peu noir dans
gramme. les fonds, mais excellent: 505 fr.
tffcÕ!::- &/am<ztu/e.
.
PIERRE VAN MOL
NÉ EN 1599.
— MORT EN 1650.
1 Mémoires sur la vie et les ouvrages des membres de l'Académie de peinture, 1, p. 355 et 358. Van Mol s'était marié ; Talle-
mant des Réaux a parlé une fois de sa veuve ou de la Van Mol, comme il l'appelle avec irrévérence. Il la mêle même à une
,
aventure qui ne donne pas de sa moralité une haute idée. T. IX, p. 70 et 71. (Édition de 1840.)
s Le Cabinet de M. de Scudéry. 1646.
p. 95 et 96.
la trace de ces œuvres également curieuses pour l'art et pour l'histoire. Qu'est devenu surtout ce portrait
d'un « Bon beuveur » qui a inspiré de si pauvres vers au poëte d'Alibray? 1
Les relations de Van Mol avec le monde semi-offlciel du temps lui avaient donné l'occasion de produire
des œuvres plus importantesque celles que nous venons de citer. Il fut un temps où les églises et les couvents de
Paris possédaient de sa main des compositions religieuses d'un vif intérêt. Germain Brice et Dargenville nous
apprennent qu'on voyait autrefois de lui, dans le réfectoire de Saint-Germain-des-Prés, une Nativité; aux
Petits-Pères, un sujet pareil ; au maître-autel du couvent des TTrsulines, une Annonciation, tableau « d'un
coloris extrêmement vigoureux, » et chez les Carmes déchaussés, plusieurs scènes de la vie de saint Jacques
et de saint Dominique. La révolution a dispersé l'œuvre de Van Mol. Mais un amateur de Paris, M. George,
a
longtemps possédé dans son cabinet, qui a eu le sort de toutes les collections du monde,
un grand tableau
de Van Mol, composition éclatante et forte qui pourrait être l'une des deux Nativités dont font mention Brice et
Dargenville. Un coloriste véritable, un praticien de la meilleure race a seul
pu peindre l'Enfant Jésus et les
beaux anges qui se penchent sur lui. Dans ce tableau, qui manque au musée du Louvre, la vigueur de
I 'elfet, le charme lumineux des carnations, la sûreté magistrale du pinceau,
tout fait penser aux noms
les plus heureux de l'école flamande.
Aux diverses compositions que nous venons de rappeler, il faut ajouter celle
que possède le Musée, la
d'alors voulurent, en élevant autel contre autel, se soustraire à la domination jalouse de l'ancienne
communauté des maîtres, Van Mol fut l'un des premiers à prendre part aux réunions d'où sortit l'Académie
de peinture et de sculpture. Son nom ligure, à la suite des douze anciens, dans la liste des membres
reçus, le 1er février, par la naissante compagnie. Un pareil honneur était bien dû au long effort d'une
vie si laborieusement employée. Malheureusement, Pierre Van Mol ne jouit pas 'longtemps de son titre
d'académicien. Il mourut à Paris le 8 avril 1650, dans les bras de Philippe Wleughels, son compatriote et
son protégé. L'art flamand vit s'éteindre en lui un de ses plus fidèles représentants, et, nous ne devons
pas craindre de le dire, celui qui, égaré au milieu des disciples de Vouet, rendait le meilleur témoignage
de la puissance de l'école d'Anvers.
I»AUL MANTZ.
M(mm(Ëim H MMmMs
L'œuvre de Van Mol est si peu abondant que, dans la Il nous reste il mentionner les œuvres les plus remarqua-
courte notice qu'on vient de lire, nous l'avons presque cité bles de Van Mol, et les prix qu'elles ont atteints dans les ven-
tout entier. Il y faut ajouter toutefois le portrait de Nicolas tes publiques :
Sevin, qui a été gravé par J. Couvay, et celui d'un digne per- MUSÉE D'ANVERS.
— L'Adoration des Mages.
sonnage assis à sa table de travail, dont on connaît une gra- MUSÉE DE BERLIN.
— Isaac bénissant Jacob.
vure par Alix. Les portraits de Mazarin et du baron de Mo- MUSÉE DU LOUVRE,
— Descente de Croix.
rainville ont été reproduits, l'un par Nanteuil, l'autre par Van MUSÉE DE MARSEILLE.
— L'Adoration des Bergers.
Schuppen. MusÉE DE MAYENCE.
— La Fille de Pharaon.
Van Mol peignit aussi, dans de petites dimensions, des MUSÉE D'ORLÉANS.
— Diogène cherchant un homme.
— Descente de Croix.
MUSÉE DE REIMS.
sujets anecdotiques ou des scènes familières. On connaît de
lui, dans ce genre, la Danse flamande de l'ancienne galerie MUSÉE DE ROUEN.
— Générosité de Scipion l'Africain.
du duc d'Orléans. Mais il ne faudrait pas prendre à la lettre VENTE LEBRUN. 1791 — Diogène cherchant un homme,
le mot de Florent Le Comte : « Volfart et Van Mole ont été tableau provenant du cabinet du baron d'Holbach. (Il a été
recherchés pour leur manière de peindre des cuisines et gravé par Folo) 5.948 livres. Revendu 10,4 61 fr. à la vente
autres sujets de basse conséquence. » Ce n'est pas de notre
peintre qu'il s'agit dans cette phrase, mais vraisemblablement
du frère Eugène Van Mol, moine augustin, celui-là même
Van Helsleuter, en 1802.
VENTE DU DUC D'ORLÉANS. (Londres. 1792.) - Danse fla-
mande, gravée par Guttemberg et mentionnée par Dubois de
dont l'abbé de Marolles a dit : Saint-Gelais.dans la Description des tableaux du Palais-
Royal. 42 guinées.
VENTE DU CARDINAL FESCII. (Rome1845.) -Mort de saint
Et pour les augustins, François d'Assises. Le saint est assisté de deux anges, dont
Frère Eugène Van Mol, promettant des festins, l'un lui présente un crucifix. Beau tableau provenant du
Montre avec Padelou qu'on ne peut s'y méprendre. cabinet du président Audry, d'Orléans.
&o/e #h?nanck. £^ëidéwre, ffio-rtraih.
ANTOINE V AN DYCK
NÉ EN 1599. — MORT EN 1 1)41.
1 « VanJ)yck sta tuttavia con il sigr. Rubens e viene le sue opere stimate pocho meno di quelle del suo maestro E. Giovane
de queste parti,
di vintrun anno con padre e madre in questa citta molto ricchi ; di manierache e difficile che lui si parta
antiquités du château d'Arundel, par Thierry, cité
tanto più che vede la fortuna nella quale è Rubens. » Histoire et
par M. Carpenter dans l'ouvrage qui a pour
titre : Pictorial notices consisting of a memoir of sir Antony Van Dyck, etc. Cet
ouvrage estimable est rempli de documents précieux et
jusqu'alors inédits, sur Van Dyck, Rubens et autres artistes contem-
du cabinet des estampes au British
porains ; il a valu à son auteur la place bien méritée et dignement remplie, de conservateur
1845.
Muséum ; M. Louis Hymans en a donné une traduction en français. Anvers, -
Peut-être s'agit-il ici d'une simple gratification, car ces mots vagues pour un service spécial étaient la for-
mule ordinaire des libéralités royales, en Angleterre comme en France. Une autre pièce, tirée des archive:-»
du Conseil privé, nous fournit la date précise du départ de Van Dyck : C'est un passeport qui lui est déli-
vré le 28 février 1620 et qui porte entre autres signatures, celle du comte d'Arundel. Le peintre y est
appelé comme tout le monde « sujet de sa Majesté » et il n'obtient qu'un congé de huit mois, comme s 'il
eût pris dès lors un engagement ou accepté des travaux de nature à exiger son retour.
Ce fut seulement sur la fin de 1621 que Van Dyck partit pour l'Italie. Rubens que Marie de Médicis avait
appelé à Paris pour lui donner à peindre la galerie du Luxembourg, était revenu depuis peu de temps il
Anvers portant les esquisses que ses élèves allaient exécuter en grand et auxquelles il devait donner
seu-
lement la dernière main. L'assistance de Van Dyck lui eût été alors précieuse. Toutefois il lui inspira le
désir de faire le voyage d'Italie. Maintenant, que Rubens ait été jaloux de son élève et qu'il lui ait con-
seillé un tel voyage pour éloigner en lui un rival, c'est là un de ces contes qui méritent à peine
une
réfutation. Celui-ci d'ailleurs se réfute de lui-même. Envoyer Van Dyck en Italie, c'était vouloir agrandir
l'horizon de ses pensées, achever son talent. C'était lui donner à découvrir le dernier mot de ces grands
secrets de l'art dont la seule recherche est un bienfait, et dont lui, Rubens, avait eu d'emblée la révélation.
Ne dit-on pas aussi que le maitre eut l'intention de détourner son disciple de la peinture d'histoire pour le
reléguer dans le genre du portrait, comme si ce pouvait être au surplus un genre secondaire que celui où
n'ont brillé que les plus grands peintres, Léonard, Raphaël, Titien, André del Sarte, Rembrandt, Velas-
quez. Mais ce qui prouve que le goût de Van Dyck lui fut tout personnel, c'est qu'avant de partir pour
l'Italie, il offrit à son maître trois tableaux dont deux étaient précisément des tableaux d'histoire ; l'un
représentant unEcce homo, l'autre le Christ au jardin des Oliviers, poétique scène de nuit, éclairée parla
lumière des flambeaux. Rubens qui admirait beaucoup ce morceau et le faisait admirer à tout le monde,
lui assigna une place d'honneur dans sa maison, et en retour il fit présent à Van Dyck d'un des meilleurs
chevaux de son écurie.
Sur la route de Bruxelles à Louvain, est situé un petit village du nom de Saventhem. Van Dyck s'étant
arrêté en cet endroit, y fut frappé de la grâce d'une jeune fille appelée Anna Van Ophem que l'infante
Isabelle avait, dit-on, préposée à la garde de ses lévriers1. Le peintre la trouva si charmante qu'elle lui fit
oublier tout, Rubens, l'Italie, la gloire, tout, dis-je, excepté la peinture. On montre encore au château de
Tervueren, le portrait de cette jeune fille que Van Dyck peignit entourée de ses beaux chiens, et embellie
de tous les charmes que savent découvrir les yeux de l'amour. C'est pour lui plaire que l'artiste amoureux
composa deux tableaux qu'elle destinait à l'église de son village et dontl'un était le SaintMartinpartageant
son manteau avec un pauvre, qui attire dans cette église beaucoup de visiteurs étrangers. Van Dyck se
représenta lui-même dans la personne du saint Martin, monté sur le cheval que Rubens lui avait donné. Le
Louvre a possédé vingt ans ce magnifique tableau où Van Dyck a fait passer tout le feu de la jeunesse,
mais qui du reste est tout entier dans le style flamand. Le cheval est de race brabançonne ; il courbe la
tête à propos pour bien laisser voir son cavalier, lier et beau gentilhomme qui coupe son manteau avec
son épée et met une certaine élégance dans l'accomplissement de cet acte de charité. Deux mendiants,
dont l 'un est à demi-nu, sont accroupis sur le chemin, et Van Dyck a déployé toute sa science dans le
modelé d une de ces figures, toute son énergie dans l'expression de l'autre. La légende un peu romanesque
de cette jolie fille qui avait racheté par les offrandes de la dévotion les péchés de l'amour, prêtait à ce
morceau un intérêt de tradition locale. Les paysans de l'endroit y attachèrent toujours un grand prix. Au
mois de fructidor an II, un artiste français, M. Barbier-Valbone, habile peintre de portraits, qui était alors
lieutenant au cinquième régiment de hussards, fut chargé parles Représentants du peuple en mission à
l'armée, de recueillir les objets d'art dont on voulait s'emparer par droit de conquête. Mais l'enlèvement
du Saint Martin de Van Dyck ne fut pas sans danger. Les paysans révoltés s'attroupèrent, fermèrent les
portes de l'église et y bloquèrent le lieutenant Barbier avec sa faible escorte. Il fallut temporiser et attendre
qu'il arrivât des renforts.
VanDyck dut s'attarder assez longtemps dans le hameau qu'AnnaVan Ophem honorait de ses pas, éclairait
de ses yeux, car il fit encore à son intention et pour la même église un autre tableau : c'était une Sainte
famille où se retrouvait, dans les traits de la Vierge, la ressemblance profane de la jeune fille, toujours
présente à l'esprit du peintre. Ce tableau a péri, dit-on, ou a disparu depuis un demi-siècle environ.
1 Mensaert, le Peintre amateur et curieux, Bruxelles, 1763, ire partie, page 160.
Cependant Van Dyck partit enfin pour cette Italie dont Rubens lui avait tant parlé, et il s'en alla tout droil
il Venise. C était dans ce temps-là une ville florissante où resplendissaient les peintures encore jeunes du
prince des coloristes. Les fameuses fresques que Giorgion avaitpeintes sur le mur de t'EntrepôtdesAllemands
étaient alors dans tout leur éclat et les plafonds de Véronèse au palais ducal dans toute leur fraîcheur. Con-
templer les ouvrages du Titien, les copier, les étudier surtout, ce fut à peu près la seule préoccupation de
1
Van Dyck à Venise. Dirai-je qu'il s'y modifia profondément? Ce serait aller trop loin sans doute. Il con-
tracta seulement dans cette forte étude une certaine préférence pour les tons mordorés du Titien ; il
réchauffa le coloris flamand au soleil de ce grand maître. Il fut particulièrementfrappé de ses portraits ;il
en observa la dignité, les poses simples et graves. Il remarqua la tranquillité des grandes masses brunes sur
lesquelles s'enlèvent ces personnages au teint pâle et bilieux dont le regard profond semble devinerla pensée
du spectateur. Il vit comment les mains habilement rejetées dans le demi-clairservaientd'écho à la lumière
principale réservée à la tête, et comment le ton même de ces visages hàlés et fiers était rehaussé par une
chemisette dont la blancheur adoucie paraissait néanmoins éclatante sur le fond sombre du tableau. Van
Dyck tira profit de ces différentes observations.Il apprit à sacrifier sans affectation les parties secondaires
d'un portrait au triomphe du visage, et dans le visage même, à concentrer tout son art, toute l'énergie de
ses accents, toutes les finesses de sa touche sur les traits qui manifestent le plus clairement la vie, sur la
bouche qui parle, sur les narines qui respirent, sur les yeux qui pensent. On peut dire aussi que Venise
acheval'éducationdeVanDyck,etque,dans le jeunemaître, le grave Titien vienttempérer le fougueux Rubens.
Le goût de la peinture était alors répandu partout en Italie ; mais nulle part peut-être il n'était plus vif
qu'à Gênes. Cette république de marchandsavait accumulé d'immensesrichesses et bâti des palais de marbre
qui eussent fait envie à bien des souverains.Rubens, quelques années auparavant, étant passé à Gênes, y
avait été accueilli magnifiquementet avait laissé aux Balbi, auxBrignole et aux Spinola des peintures aussi
splendides que leurs palais. Van Dyck, se souvenant de l'accueil fait à son maître, se rendit à Gênes, et y
gagna la bienveillance et l'admiration des opulents seigneurs de la ville. Il y avait du reste plus d'une rai-
son pour qu'il en fût ainsi. Van Dyck était charmant de figure ; ses manières étaient nobles et portaient un
cachet d'élégance qui se retrouvait dans ses ouvrages, surtout dans ses portraits. Ceux qu'il fit chez les
Durazzo, les Balbi, les Brignole ont été par eux précieusement conservés. Les tableaux des plus illustres
maîtres ornaient déjà ces somptueuses demeures. On n'y admirait pas seulement les plafonds dorés, les
revêtements de marbres de toutes couleurs, les pavés de stuc et ces terrasses superbes qui donnent vue sur
la mer et qu'ombragent des arbres plantés dans des urnes colossales : la principale richesse des palais de
Gênes consistaiten peintures du Titien, de Véronèse, des Carrache, du Guide et même de Raphaël.Les Balbi
possédaient entre autres chefs-d'œuvre un Christ du Corrége auquel ils désiraient avoir un pendant. Van
Dyck peignit un autre Christ qui fut jugé digne de remplir cette glorieuse destination. Mais son portrait
équestre de Gio, Paolo Balbi devint un des plus beaux ornements du palais. Cette fois ce n'était plus sur
un limonier de brasseur que le peintre avait assis son héros : c'était sur un cheval fin, haut monté, à la tête
légèrement busquée, à l'œil plein de feu. Van Dyck fit encore pour la famille Brignolle un Ecce homo et de
magnifiques portraits, pour la famille Pallavicino celui du doge de ce nom dans son costume d'ambassa-
deur auprès du saint-siége. Enfin au palais Spinola, dont la façade extérieure était décorée des peintures
de Jules Romain, il peignit un Spinola couvert de son armure d'acier poli, tenant d'une main le bâton de
commandement, de l'autre appuyé sur le pommeau de son épée.
Van Dyck cependant voulait voir Rome, Rome surtout. Il en fit le voyage, on ne sait pas au juste à quel
moment; mais il est certain, d'après les dates inscrites par lui-même sur ses peintures, qu'il se trouvarendu
dans cette ville en 1623, quelques mois avant l'arrivée du Poussin. Le cardinalBentivoglio,qui avait été nonce
du pape dans les Pays-Bays et qui avait conservé un bon souvenir de sa nonciature,était alors le protecteur
des Flamands à Rome. Van Dyck, qui lui était sans doute recommandé, en reçut un accueil flatteur. Ces deux
hommes, le plus distingué des prêtres et le plus élégant des peintres, durent facilementse convenir,et nous
devons à leur sympathie réciproque ce fameux portrait du cardinal, ce portrait si noble, si fin, si fier, que
Morin a gravé en buste et dont l'estampe, qui est à son tour un chef-d'œuvre,fait la joie des amateurs qui
la rencontrent. On peut dire que Van Dyck a mis du génie dans l'expression de cette belle tête qui rayonne
d'intelligence, qui étincelle d'esprit. Les yeux sont fatigués, mais leur regard est perçant et profond ; la
bouche est fine et discrète comme doit l'être celle d'un diplomate qui fut assez souple pour désarmer les
puissants ennemis de sa famille et les gagner en les dominant. Le front est dépouillé; mais on n'en voit
que mieux la construction harmonieuse, les heureux développements et ces légères saillies que le pinceau
de l'artiste a fait sentir par des rehauts pleins de feu mais habilement fondus, et où chacune de ses touches
accuse pour ainsi dire la présence de la pensée.
Sous les auspices d'un tel personnage, Van Dyck n'eut pas de peine à se faire jour dans Rome. La faveur
des princes romains et, suivant toute apparence, les commandes du pape vinrent le trouver au palais du
cardinal Bentivoglio, où il était logé. C'est là qu'il peignit deux tableaux de piété qui sont aujourd'hui encore
à Monte-Cavallo, une Adoration des mages et une Ascension. C'est là quelesBraschi, les Corsini, les Colonna
lui demandèrent les peintures qui décorent leurs palais depuis deuxcents ans ety tiennent un rangélevé parmi
les œuvres des plus grands maîtres. La fréquentation de tous ces gentilshommesd'épée ou d'églisene pouvait
qu'ajouter à la distinction naturelle des manières de Van Dyck. Son goût pour le luxe, sa mise soignée, son
train de vie le firent remarquer des artistes ses compatriotes, qui l'appelaientelpittore cavalieresco. Ils cher-
chèrent à l'attirer dans leur bande joyeuse, mais leurs habitudes grossières, leurs propos mal sonnants
n'étaient pas faits pour séduire un raffiné tel que Van Dyck. Il aimait les plaisirs, mais non la débauche ;
il aimait la gaieté des festins, mais non les cris du cabaret ; il adorait les femmes, mais celles qu'il avait vues
en robes de satin dans les palais de marbre, et non pas l'épaisse et rude courtisane qui eût servi de com-
pagne à Pierre de Laer ou de modèle à Valentin. Blessés de son dédain, les peintres flamands se liguèrent
contre Van Dyck, décrièrent sa peinture et firent si bien qu'il prit en dégoût le séjour de Rome. Il y avait
passé deux ans, suivant Soprani, et il dut en partir vers la fin de 1624.
Selon le même auteur, Van Dyck alla de Rome à Florence. Un de ses compatriotes, Juste Suttermans.y
avait alors le titre de peintre du grand-duc, et il était en possession de peindre les grands personnagesde la
cour de Toscane, ce dont il s'acquittait avec un rare talent. Van Dyck devint son ami et fit de lui le noble
et vivant portrait dont l estampe figure dans la collection connue sous le nom de Centum Icônes. C'est à peu
près la seule trace qui soit restée du séjour de Van Dyck à Florence. Soprani nous apprend aussi que dans le
cours de ses voyages en Italie, le peintre flamand rencontra la comtesse d'Arundel, qui se fit accompagner
par lui jusqu'à Turin et voulut l'emmener avec elle en Angleterre ; mais Van Dyck résista poliment à ses
instances et s'en retourna à Gênes, où l'attendait son ami Corneille de Wael, peintre anversois, où le rappelait
d'ailleurs la générosité des grandes familles génoises. Cependant l'occasion s'étant présentée d'un navire
qui faisait voile pour la Sicile, Van Dyck en profita pour se rendre à Païenne avec un ami dont l histoire
nous a conservé le nom, le chevalier Vani. Arrivé là, il eut bientôt à peindre le portrait de Philibert de
Savoie, vice-roi de Sicile, et celui de Thomas de Savoie, prince de Carignan, qui fut gravé plus tard par
Pontius. Il dut cette faveur à la protection de la célèbre Sophonisbe Angosciola, qui avait connu le Titien
et passait à bon droit pour un des plus habiles peintres de son temps. Au dire du biographe italien déjà cité,
Van Dyck fit le portrait de cette femme, devenue aveugle, et s'estima heureux de jouir de sa conversation,
disant qu'il avait puisé plus de lumières dans les discours de cette femmeaveugle que dans l'étude des plus
grands maîtres 1. Mais la peste qui régnait en Sicile, peste dont le vice-roi venait de mourir, abrégea le
séjour de Van Dych dans ce pays. Il reprit la route de Gênes, y demeura quelque temps encore et repartit
enfin pour Anvers, où il arriva à la fin de 1626. Il avait donc passé cinq ans en Italie.
Un des premiers ouvrages de Van Dyck à Anvers, fut le grand tableau que lui commandèrentles Augustins
de cette ville pour le maître-autel de leur église. Il y représenta leur saint patron en extase, soutenu par
deux anges et accompagné de sainte Monique et d'un religieux. Les yeux dirigés vers le ciel, où lui appa-
raissent les trois personnes de la Trinité, saint Augustin est plongé dans le ravissement des célestes con-
templations, et toute son âme est passée dans son regard. C'est un superbe morceau dont l'expression
touche au sublime et dont reflet avait été calculé savamment; mais le saint étant vêtu d'une robe claire qui
formait la masse lumineuse du tableau, les moines, peu soucieux des lois du clair-obscur, insistèrent pour
que saint Augustin fût vêtu de la robe noire de leur ordre, et la condescendance de l'artiste troubla
malheureusementl'équilibre de sa composition. Nous pouvons toutefoisjuger de l'effet primitif par l'estampe
1 Dans les notes de sa traduction manuscrite des Anecdotes de Walpole, que nous avons consultées au département des
manuscrits, à la Bibliothèque, Mariette fait observer que Sophonisbe n'était plus à Palerme lorsque Van Dyck vint, et
y
qu'il n'a pu la connaître et la peindre qu'à Gênes, où elle s'était remariée. Sur ce point, il y a aurait lieu de s'en rapporter de
préférence à l'écrivain génois, si la rectification de Mariette ne se trouvait conforme à celle que nous nous rappelons avoir lue
dans un curieux manuscrit de la vente Jules Goddé. Il est vraisemblable au surplus que Sophonisbe devint aveugle
ne
qu'après son second mariage avec Horace Lomellino de Gènes, et qu'ainsi ce fut dans cette ville que Van Dyck l'entendit
parler si bien de son art.
que Pierre de Jodeen a gravée, sans doute d'après l'esquisse en grisaille que possède lordMethuen. Il est
probable que sous les traits de sainte Monique,le peintre avait rappelé la physionomie de Susanne Van Dyck,
sa sœur, béguine à Anvers, à laquelle fut dédiée l'estampe. Ce qui est certain, c'est que le religieux qu'on
voit dans le tableau, à côté de saint Augustin, offrait la ressemblance parfaite du frère Augustin Vander-
Meeren,qui avait procuré à Van Dyck la commande de cette peinture, destinée, dit Mariette, à faire l'ad-
miration des connaisseurs, tant qu'elle subsistera.
Ce fut à la même époque environ que Van Dyck peignit le Mariage mystique de la sainte Vierge avec le
bienheureuxHerman Joseph, de l'ordre des Prémonlr^s. On ne peut mettre, en vérité, plus de grâce dans
un tableau de dévotion ni rendre avec plus de bonheur l'expression d'un visage transfiguré par la foi, illu-
miné par l'extase. Un bel ange, à la chevelureondoyante, se penche pour prendre la main du pieux chanoine,
qui ose à peine l'avancer. La Vierge, ainsi escortée, met sa main pure dans la main du bienheureux, ou
plutôt elle ne fait que la toucher du bout de ses doigts divins. Mais quelle dignité charmante, que de grâce
et de délicatesse dans l'attitude de cette reine des cieux, descendue de son trône, radieuse et couronnée,
pour se prêter aux imaginaires fiançailles d'un moine dévoré par l'amour mystique! S'il était vrai, encore
une fois, que Rubens eût voulu, comme l'on dit, reléguer Van Dyck dans le genre du portrait, il faut con-
venir que celui-ci, par de semblablestableaux,aurait glorieusementdéjoué les intentions deson maître.Mais
les succès de Van Dyck n'éveillèrent d'autre jalousie que celle de quelques-uns de ses camarades, Corneille
Schutet Van Hoeck, par exemple. Ceux-ci affectaient, dit-on, de trouver le travail de Van Dyck sans énergie,
qu'ils lui
sa couleur sans ressort et sans éclat. Ils se moquèrent de la mesquinerie de sa manière, disant
avaient vu peindre avec un petit pinceau la poitrine du saint Sébastien de grandeur naturelle. Ces criti-
ques misérables purent bien attirer à Van Dyck certains désagréments et détourner quelques bourgeois
ignorants de se l'aire peindre par lui; mais elles n'empêchèrent point sa réputation deg randir auxyeux
des connaisseurs. A défaut de Rubens, qui commençait à vieillir et qui d'ailleurs pouvait à peine suffire à
ses innombrables travaux, quand il ne vaquait point il ses ambassades,
c'était son ancien disciple qui était
désigné parla voix publique des amateurs pour l'exécution des peintures dont les communautés religieuses
des Pays-Bas voulaient orner leurs églises ou leurs chapelles. Les chanoines de Courtray lui ayant com-
mandé un tableau, Van Dyck leur fit un chef-d'œuvre, l'Élévation de la croix. Rubens avait déjà traité ce
sujet, et il s'était plu à représenter les bourreaux du Christ dans les contorsions de la cruauté et de la rage ;
il avait opposé la violence de leurs efforts à la sérénité de leur victime. Sans pousser aussi loin l'énergie
des mouvements et celle des contrastes, Van Dyck sut faire un tableau plein de chaleur, de sentiment et
d'expression. La figure du Christ y est comme éclairée par la flamme intérieure du dévouement le plus su-
blime, et son humide- regard tourné vers les cieux attendrirait les bourreaux eux-mêmes, si la loi du sacri-
fice ne devait pas s'accomplir. On raconte que les chanoines de Courtray, ne comprenant point la beauté
de ce morceau, furent au moment de le refuser et firent subir au peintre toute sorte d'avanies ; mais ce
fait, longuement et complaisamment narré par Descamps, se trouve aujourd'hui positivement démenti par
siècle dernier par M. Mois et publiée en 18lt3 par M.
une lettre autographe de Van Dyck, découverte au
r
André Van Hilsselt dans le Bulletin de Académie d'archéologie qui s'imprime à Anvers. Il résulte de cette
lettre que les chanoines de Courtray, beaucoup moins ignorants qu'on ne le suppose, se montrèrent satis-
faits au contraire du tableau de Van Dyck et eurent la bonhomie de le lui témoigner par l'offre gracieuse de
quelquespetites gaufres de Courtray, friandise locale qu'ils joignirent à l'envoi des 600 florins qui était le
prix convenu 1.
lumières qui manquaient à ces religieux. Aussi bien, pendant les quatre ou cinq ans qu'il passa dansson
pays, après son retour d'Italie, Van Dyck n'eut guère d'autres commandes que celles qui lui vinrent des
prêtres. Nous le voyons en effet travailler successivelllentpour les Jésuites d'Anvers et pour les Récollets de
Malines,peindl'e Saint Antoine dePadoue aux Capucins de Bruxelles et Saint Françoisd*Assise aux Capucins
de Termonde. Plusieurs même de ses portraits les plus fameux de ce temps-là furent ceux des dignitaires
de l'église, de l'abbé Scaglia, de Jeun Malderus, évêque d'Anvers, d'Antoine Triest, évêque de Gand, un
des plus passionnés et des plus fins connaisseurs des Pays-Bas.
Mais quelle brillante époque pour la peinture dans ces contrées! La Belgique et la Hollande étaient
une
pépinière d'artistes destinés à étonner le monde en lui montrant la beauté de l'art sous une face nouvelle.
La seule école de Rubensremplissait déjà l'Europe du bruit de son nom. Les meilleurs
graveurs qui aient
existé, les deux Bolswert, Lucas Vorsterman, Paul Pontius, Pierre de Jode répandaient par toute la terre
leurs admirables estampes, et portée sur ces feuilles volantes, la gloire des Flamands volait jusqu'aux
ex-
trémités de l'univers classique. Van Dyck, vivant au milieu de ces hommes d'élite, eut la plus belle idée
qui pût venir it un homme de son talent ; il imagina de faire les portraits des artistes de
son pays et d'en
composer une galerie qui, burinée sur le cuivre, ferait connaître à la postérité leurs physionomiesintelli-
gentes, leurs façons d'être, leur caractère. Nous devons à cette heureuse penséel'inappréciable collection
connue sous le nom des Cent portraits, et dans laquelle figurent, à côté de Rubens et de Van Dyck lui-
même, Jordaens, Diepenbeke, François Franck, Gérard Honthorst, Jean Snellinx, Paul de Vos, Henry
Steenwick, les deux Breughel, les deux Zeghers, le spirituel Téniers, le fier et bouillant Sneydcrs, l'em-
phatique Rombouts, et le charmant paysagiste Van Uden, et le bon Josse de Momper, si naïvement appelé
peintre de montagnes, pictor montium. Enfin, pour notre plus grande joie, les graveurs qui nous trans-
mirent ces beaux portraits, eurent soin de sculpter sur l'airain leur propre image, sans parler de quelques
eaux-fortes sublimes que Van Dyck fit mordre de sa main. Jamais peut-être Van Dyck ne fut plus fort, plus
charmant, plus maître de son génie que dans ces portraits d artistes où il put s abandonner à son inspira-
tion, varier ses motifs, choisir à son aise les attitudes de ses modèles, leurs ajustements, leurs mouve-
ments même, car il en est qui se meuvent, qui sortent de la toile, qui vous parlent, vous appellent, vous
tendent la main. C est la surtoutqu 'll faut étudier Van Dyck ; il y montre le rare talent qu'il avait
pour éclairer
une tête, de manière à faire sentirl'ostéologie du front, la fuite des tempes, la saillie des pommettes, les
moindres cartilages du nez, les méplats de la joue et ceux du menton. Il faut y voir aussi
une étude savante
des mains : elles sont ici individuelles et par conséquent elles s'accordent mieux
avec le tempérament de
l'original, puisque Van Dyck les peignit, je ne dis pas seulement d'après nature, mais d'après la nature du
personnage représenté, tandis que plus tard nous le verrons adopter pour tous ses portraits certaines mains
que lui posaient des modèles à gages, les peindre de pratique et en apprendre par cœur les proportions
élégantes, les doigts allongés, les fines jointures, les raccourcis.
Les excursions que Van Dyck fit à Bruxelles, et ensuite à La Haye, nous ont valu les portraits de Marie de
Médicis et de son fils Gaston, que la colère de Richelieu avait chassés de France, les portraits équestres, si
magnifiques et si imposants, du duc d'Aremberg et du duc d'Albe, ceux du prince d'Orange et de famille,
sa
et quantité: de petites peintures en grisaille d'après lesquels furent gravés la plupart des Cent portraits dont
la série se compose de tous les personnages illustres du temps, poètes, peintres, graveurs, philosophes,
diplomates, sans en excepter le fameux Érasme de Rotterdam, et les sombreshéros de la guerre de Trente
ans, Wallenstein, Tilly, Papenheim, l'empereur Ferdinand, Gustave Adolphe.Pendant son séjour en Hollan-
de, Van Dyck rendit visite à Franck Hais, et ces deux peintres échangèrent leurs portraits dans
une entre-
vue qui a été racontée par Houbraken, et dont les détails intéressants trouveront naturellement leur place
dans la biographie du peintre hollandais.
Depuis dix ans qu'il avait quitté l'Angleterre, Van Dyck s'était fait un grand nom. Le comte d'Arundel,
son ancien protecteur, longtempsen disgrâce,avaitreprisfaveur auprès de Charles1er, après la mort du duc
de Buckingham, favori du prince. Enfin, plusieurs tableaux de l'artiste flamand lui avaient été achetés à
Anvers par des seigneursanglais qui, pour faire leur cour à Charles Ier, les lui avaientofferts en présent. Une
lettre autographe de Van Dyck, écrite en espagnol et découverteaux archives de la reine, nous apprend qu'un
des gentilshommes de la chambre, Endymion Porter, avait commandé à Van Dyck une peinturedestinée au
roi, et d'autre part le livre des comptes de la trésorerieporte la mentionsuivante : « A EndymionPorter, une
somme de 78 livres pour un tableau représentant Armide etRenaud, achetépar lui à Monsieur Van Dyckd'An-
vers, et délivré à S. M., sans autre quittance qu'une lettre du sceau privé, du 20 mars 1629. » Comme on le
voit dans ces deux documents,qui ne paraissent pas se rapporter au même tableau, quoi qu'en dise M. Car-
penter, Van Djck, lorsqu'il se rendit à Londres, y avait été précédé par sa réputation, par les bons offices
du comte d'Arundel et par quelques morceaux de sa main montrés à un amateur fort éclairé, le roi d'Angle-
terre. Ce fut au mois d'avril 1632 qu'il s'embarqua pour l'Angleterre, non pas comme le dit Félibien, il la
prière de sir Kenelin Digby, mais sur l'invitation du comte d'Arundcl, suivant Bellori, qui tenait ses ren-
seignements de sir Kenelm Digby lui-même1. En effet, dès son arrivée, le peintre fut logé chez Edouard
Norgate, agent et protégé du comte d'Arundel, et il fut entretenu aux frais de la Couronne, ainsi qu'il résulte
d 'tin ordre du sceau privé, portant la date du 21 mai 1G32, ainsi conçu : Voulons et ordonnons...
« quevous
payiez ou fassiez payer à notre fidèle et bien-aimé Edouard Norgate, écuyer, la somme de 15 schellings par
jour,pour la nourriture du sieur Antonio Van Dike et ses serviteurs, à commencer du 16T jour d'avril der-
nier, pour continuer durant le séjour du dit Van Dike en ce pays.
»
Introduit dans la société la plus aristocratique du monde, présenté à la cour, Van Dyck fut bientôt
y
remarqué pour l'élégance de ses manières. Il se trouva que ce roturier avait l'air et les façons d'un vrai
gentilhomme, et si Charles Ie'le prit tout de suite en affection, c'est qu'il aimait la distinction de l'artiste
presque autant que sa peinture. Il pensa même, à ce qu'il paraît, à lui faire bâtir une maison tout exprès
pour lui, comme le prouvent ces mots écrits sur un agenda trouvé encore aux archives de la reine : « Parler
1 E perche il conte di Arondel, aveva introdotto il Van Dick alla grazia del Re...
etc. Vile dei Piltori, tome I, page 265, :
édition de Pise, 1821.
à Inigo Jones d'une maison pour Van Dyck. » En attendant de réaliser ce vague projet, Charles Ier assigna
au peintre un logement d'hiver à Blnckfrinrs et une résidence d'été à Elthani.
La première occupation de Van Dyck l'ut de peindre le roi, sa femme et ses enfants dans un seul et même
tableau qui se voit aujourd'hui au château de Windsor et décore l'appartement auquel est resté le nom de
Van Dyck. La reine y tient dans ses bras sa fille Marie, et le prince de Galles est à côté de son père. Quant
à Charles Ier lui-même, le peintre fit son portrait plusieurs fois, tantôt en pied, recouvert de son manteau
royal et revêtu de son armure, tantôt à cheval, sortant de la toile et. venant droit au spectateur.H nous
souvient d'avoir considérélongtemps ce dernier portrait quand nous visitâmesles]appartementsdeWindsor.
La tête de Charles ler y est, comme toujours, grave et mélancolique ; ses grands yeux cernés, dont le regard
est fixe et doux, ont une singulière expression de faiblesse, et je ne sais si les souvenirs de l'histoire y
contribuent, mais on croit démêler sur le pâle visage de ce prince quelques signes avant-coureurs de ses
tragiques destinées. L'écuyer qui l'accompagne et qui est à pied, porte son casque, et l'on a cru longtemps
que ce personnage était le duc d'Espernon; mais Walpole le nomme M. de Saint-Antoine, et Mariette se
range à son avis sur ce point, trouvant invraisemblable: « qu'un homme aussi fier que d'Espernon eût
souffert d'être peint, même auprès d'un roi, dans la posture d'un domestique. »
Brillante et rapide fut la faveur de Van Dyck.Trois mois après son arrivée, Charles lui conféra la dignité
de chevalier, avec le titre de principal peintre ordinaire de Leurs Majestés, et tui fit don d'une chaîne d'or
et de son portrait encadré de diamants.Bientôt il lui constitua une pension annuelle de 200 livres sterling,
au grand déplaisir de Daniel Mytens qui, en qualité de dessinateur des tableaux du roi, recevait seulement
20 livres par an, et qui, se voyant supplanté par Van Dyck, s'en retourna tristement dans son pays. Enfin
Charles Ier témoigna ouvertement de sa sympathie pour l'artiste flamand par les fréquentes visites qu'il lui
rendait à Blackl'riars. Souvent il lui arriva de quitter Whitehall et de traverser la Tamise dans son yacht
pour aller voir Van Dyck et passer quelques heures auprès de lui il le regarder peindre, il l'entendre parler
de son art. Il n'eut pas plutôt donné l'exemple que les grands seigneurs s'empressèrentde le suivre ; tout
homme à la mode se crut obligé de rendre visite à Van Dyck, et le peintre vit affluer chez lui les femmes
de la cour, les favoris du roi, ses ministres, ses chambellans, ses pages. Chacun voulait avoir son portrait,
et, il faut en convenir,jamais peintre, si ce n'est Titien peut-être, ne vit poser devant liii de plus fiers, de
plus charmants modèles. Les grandes damesanglaisesétaient alors et sont encore d'une beauté remarquable.
Sans avoir la désinvolture des Vénitiennes, ni leurs épaules provoquantes, ni la forte souplesse de leurs
attaches, elles ont, comme on dirait aujourd'hui, de la race. Dans l'atmosphère bruineuse qui les enveloppe,
leur teint se conserve d'une incomparable fraîcheur; leurs carnations, qui semblent pétries dans le lait, se
colorent finement de nuances roses; leurs mains longues ont la blancheur et le poli de l'ivoire; leur nez se
découpe en fines arêtes; leurs yeux sont ombragés de longs cils ordinairement plus clairs que le ton de la
prunelle, et des cheveux blonds, châtains ou cendrés, dont les boucles luisantes laissent paraitre un reflet
d'or, encadrent leurs figures d'une expression à la fois tendre et hautaine. Dans leurregardvoilé de langueur,
pensée et le secret de leur cœur.
sur leurs lèvres entr 'otivertes, on croit lire le roman de leur
Une de ces dames illustres par leur beauté était lady Venetia Digby, femme de sir Kenelm, ami du roi et
protecteur du peintre. Van Dyck semble avoir pris plaisir à la peindre, et entre autres portraits qu 'il fit
d'elle, il la représenta, dans une grande composition emblématique à la Rubens, et d'assez mauvais goût,
victorieuse du Mensonge, de la Colère, de l'Envie, et crut avoir lait merveille en opposant à la tranquille
figure de sa belle héroïne les traits hideux des Vices dont elle triomphe. Mais cette adorable lady étant
morte subitement à la fleur de l'âge, Van Dyck, mieux inspiré par un sentiment vrai que par le désir de
briller, peignit lady Venetia couchée et endormie du dernier sommeil, ayant à ses côtés l'image de sa jeu-
nesse flétrie, une rose fanée.
C'était un grand péril pour Van Dyck que la vue et la compagnie de tant de créatures ravissantes dont
les robes de satin venaient frôler son chevalet, dont, les manchons parfumaient son atelier. Naturellement
prompt à s'enflammer, le jeune artiste conçut plus d une passion. Il s éprit d abord de lady Stanhope,
gouvernante de la petite princesse Mnrie; mais les beaux portraits qu'il en fit ne servirent qu'à enchanter
Carey Raleigh, dont elle était amoureuse et à qui elle les donna. La plus sérieuse affection de Van Dyck
fut celle qu'il ressentit pourMargueriteLémon. Hollar, Morin et autres ont gravé le portrait de cette femme
célèbre par ses aventures galantes : « Elle était si passionnée dans ses amours, dit Mariette, qu'ayant appris
« le mariage de
Van Dyck avec Marie Ruthven, elle prit la résolution, pour se venger de l'infidélité de son
« amant, de lui couper
le poignet, afin qu'il ne pût plus exercer son art. Mais ce dessein ayant avorté, elle
« passa en
Flandre avec un nouvel amant, qui ayant péri à l'armée, elle se tua elle-même de désespoir. »
Sans parier icides nombreux tableaux mythologiquesou religieux que Van Dyck peignit pour le roi et pour
le
sir Kenelm Digby, tableaux dont la précieuse énumération se trouve dansBellori, peintre fit à Londresquan-
tité de portraits, la plupartaussi intéressants que des pages d'histoire.Ceuxqu'on a réunis à Windsorattirent
et captiventleregardai! pointqu'on nes'en peut détacher.Les deuxjeunesfilles duduc de Buckinghnm, sur-
tout sont admirables, et on ne peut leur comparerque le portrait du comte de Pembroke. Quelle aisance dans
la richesse des vêtements! quel naturel au sein(lii duluxe,etquellevie! ! On croiraitqu'ilsvont sortir toutill'heure
de leur cadre et se promener avec vous dans les appartementsdu château.Là se trouventles figures animées
de la duchesse de Richemont, qui fut jugée digne d'être peinte en Vénus, de la comtesse de Carlisle, de la du-
chesse de Sainte-Croix, et les portraits de RilligrewetdeCarew,gentilshommes dont il n'est plus permis d'ou-
blier les noms, depuis que Hamilton, de sa plume d'or, les a inscrits dans ses Mémoires de Grammont.
Il faut avouer que si Van Dyck sut donner à ses innombrables portraits une grande variété d'attitudes, il
rut peu varié en revanche dans sa manière de les peindre, commedans le choix des fondsetdes accessoires.
Pour les femmes, il se contentait ordinairement de leur mettre un évantail ou une fleur à la main et de les
détacher sur un rideau rouge ou de ce ton hrun qu'on appelle encore brun Van Dyck. Souvent on les voit
paraître dans un jardin sombre dont les devants sont ornés de larges plantes, tandis que, par une contradiction
inexplicable, la lumière du jour éclaire franchement leurs robes de satin, leurs belles mains ademi-gantées,
leur fine peau. Quelquefois avec l'aide de son compatriote Henri Steenwick, le discret et habile peintre de
peT'sp:ctives, il ouvre une échappée de vue sur Windsor ou Whitehall, et achèveainsi l'effet du tableau par un
motif(l'iireliltectiti-e. Mais quantà sa touche, elle est toujours la même. Ses têtes de femmes, d'enfants ou de
vieillards sont accentuées de la même manière ; les plans du nez sont toujours carrément accusés et très-
ressentis ; son pinceau est le même pour tous les yeux, et constamment il les fait briller par un em-
pâtement vif à côté des prunelles, si le regard est oblique, et sur la prunelle même, si l'œil fixe le
spectateur.
De Piles, dans son Coursdepeinture,nous a transmis quelques détails curieux touchant leshabitudesde Van
Dyck et sa manière d'opérer : « Le fameux abac,dit-il,homme connu de toutcequ'il y a d'amateurs des beaux-
« arts, qui
était des amis de Vandeik et qui lui a fait faire trois fois son pOI'tmit,m'aconté qu'un jour, parlant
« à ce peintre
du peu de temps qu'il employait à faire ses portraits, il lui répondit qu'au commencement il
« avait beaucoup
travaillé et beaucoup peiné ses ouvrages pour sa réputation et pour apprendre à les faire
il m'a dit que Van Dyck tenait ordinairement. Ce peintre donnait jour et
a vite... Voici quelle conduite
« heure aux personnes
qu'il devait peindreet ne travaillaitjamais plus d'une heure par fois à chaque portrait,
« soit à ébaucher, soit à finir ; et son horloge l-'avertissant de l'heure, il se levait et faisait la révérence à la
« personne, comme pour lui dire que c'en était assez pour ce jour-là, et convenait avec elle d'un autre
« jour et d'une autre heure ; après quoi son valet de chambre lui venait nettoyer ses pinceaux et lui préparer
une autre palette ,pendant qu'il recevait une autre personne à qui il avait donné heure. Il travaillait ainsi
à
«
« plusieurs portraits en un même jour avec une vitesse extraordinaire. Après avoir légèrement ébauché un
«
portrait, il faisait mettre la personne dans l'attitude qu'il avait auparavant méditée, et avec du papier gris
« et descrayonsnoirs et blancs,il dessinaiten un quart d heure sa taille et ses habits, qu 'il disposait d une
« manière grande et avec un goût exquis. Il donnait ensuite ce dessin à d habiles gens qu 'il avait chez lui
prière de Vandeik.
« pour le peindre d'après leshabits même que les personnes avaient envoyés exprès, à la
« Les élèves ayant fait d'après nature ce qu'ils pouvaient aux draperies, il passait légèrement dessus et y
« mettait en peu de temps, par son intelligence, l'art et la vérité que nous y admirons. Pour ce qui est des
« mains, il avait des personnes à ses gages, de l'un et de l'autre sexe, qui lui servaient de modèles. »
On imagineaisémentquels trésorsdutamasserVanDyck parcelabeur de touslesjour alors queses portraits
étaient payés cinquante ou trente livres sterling, suivantqu'ils étaient en pied ou en buste. Mais généreux jus-
qu'à la prodigalitécomme il était amoureuxjusqu'à la folie, il dépensait son argent en fantaisies de luxe,en
plaisirs, en festins,en cadeaux magnifiques aux femmes aimées.II avait, au dire de Walpole,des musiciensà sa
soldepour distraire les grands seigneursqui venaient poser chez lui, Arundel ou Pembroke,Warwick ou Mon-
trose.Habituellementil retenait à diner ses modèles pour mieux saisir l'expression de leurs traits dans le lais-
ser-aller de la causerie, au moment où ils oublieraient ses regards. Il avait enfin un grand état de maison, et
son talent, toutinépuisablequ'il était, suffisait à peine à tant de largesses. Du reste cette continuellealternati-
vede travail excessifet de plaisirs effrénés eut bientôt usé le tempérament de Van Dyck ; sa santé en souffrit
autant que sa bourse. On assure même qu'il donna dans la recherche de la pierre philosophale et que les
malsaines émanations de l alchimie achevèrent de détruire sa constitution et de compromettre sa fortune.
Ses amis, et de ce nombre était le roi, crurent le ramener à une vie plus heureuse en le mariant, et ils né-
gocièrent son alliance avec une jeune personne accomplie, dit-on, Marie Ruthven, petite-fille du comte de
Gowrie et nièce de la duchesse de Montrose. Le père de Marie, Patrick Ruthven, avait été longtemps pri-
sonnier à la Tour de Londres,comme impliqué dans la fameuse conspiration de Gowrie, et il n'avait laissé
aucun bien à sa fille. Mais élevée à la cour de la reine Henriette, Marie Ruthven avait ces grandes rela-
tions et ces parents illustres qui souvent valent mieux encore qu'une dot.
Un tel mariage ne rendit pas Van Dyck plus heureux.Il put toutefois augmenter son influence à la cour.
Aussi est-il peu de grandes maisons en Angleterre qui n'aient conservé quelque portrait de sa main,comme
la duchesse de Sutherland conserve à Stafford-housc celui d'Arundel, que nous y avons vu naguère et qui
est si dignement gravé par Alexandre Tardieu. Toutes les figures historiques de ce temps-là ont leur place
dans l'œuvre de Van Dyck, l'archevêque Laud aussi bien que l'infortuné lordStraITord, qui, selon toute ap-
parence, fut étroitement lié avec le peintre. Fatigué pourtant de l'uniformité de sa besogne ordinaire, le
chevalier Van Dyck imagina de couvrir de peintures les murs de la salle des banquets à Whitehall, salle dont
Rubens avait décoré le plafond, et d'y représenterl'histoire de l'ordre de la Jarretière, son institution, le
cortège des chevaliers en costume, la fête de Saint-Georges. Il fit proposer au roi ce vaste travail, et il en
ébaucha les compositions en grisaille; mais la somme qu'il demandait, 75,000 livres, parut à bon droit si
exorbitante1 que Charles Ier ne put accepter sa proposition, qui d'ailleurs lui souriait. Ce prince était alors
obéré et surveillé de près dans ses dépenses par son inflexible trésorier, l'évêque Juxon.Les soucis du gou-
vernementcommençaient à l'assaillir; les presbytériens grondaient, et déjà l'on pouvait apercevoir il l'ho-
rizon le point noir qui annonce la tempête. C'est à ce moment sans doute que Van Dyck fit ce portrait
sublime de Charles Ier, un des plus précieux morceaux de notre Louvre. Chose singulière! ce n'est pas
quandilpeint le monarque dans la pompe de ses habits royaux ou monté sur son cheval de parade, que Van
Dyck nous a le plus intéressé à son héros ; c'est quand il nous le montre simple gentilhomme,enjaquette de
satin de la Chine et en bottes molles, promenant dans les bois sa mauvaise fortune et ses rêveries. J'admire
avec quel art il a subordonné les figures de l'écuyer et du page, sans les effacer néanmoins, de manière que
d'un peu loin etau premier aspect, le roi paraîtêtre seul, et qu'on découvre ensuite non plus ce cortége que
Van der Meulen eût fait briller autour de Louis XIV, mais deux serviteurs dont l'unique présence augmente
pour ainsi dire la solitude du monarque, et son beau cheval, qui, l'œil morne et la tête penchée, semble se
conformer cisa triste pensée.Il n'est pas jusqu'à la vue lointaine de la mer et d'un navire qui s'approche du
rivage comme pour emmener un fugitif, qui n'ajoute à la grande impression de ce tableau d'histoire.
Oui, c'est de l'histoire qu'un semblable portrait. Et en effet, sur la fin de sa vie, le peintre put assister au
déclin de Charles Ieretàla détresse de son parti. Il vit Strafford porter sa tête sur l'échafaud ; il vit, la reine
1 II doit y avoir quelque erreur dans ce chiffre énorme, aussi Walpole lui-même le trouve-t-il invraisemblable.
Henriette se sauver en France et Charles Ier se réfugier avec ses enfants dans la ville d'York. Le comte
d'Arundel songeait à émigrer; les Cavaliers se dispersaient, le temps des portraits splendides était passé.
Van Dyck, malade, épuisé, attristé d'ailleurs par un mariage qui n'était pas selon son cœur, conçut
néanmoins le projet d'aller à Paris solliciter les peintures de la grande galerie du Louvre. Il partit donc au
commencement de l'année 1641. Mais il trouva sur son chemin Nicolas Poussin, qu'on avait fait revenir de
Rome tout exprès pour décorer le Louvre, et qui lui-même allait être dégoùtéet supplanté par les intrigues de
la jalousie. Van Dyck resta donc peu de temps à Paris. Toutefois il y laissa une trace de son passage dans le
portrait d'un éditeur d'estampes fort connu, Langlois dit dartres, qu'il représentajouant de la cornemuse.
De retour à Londres, Van Dyck tomba dans un état de langueur qui annonçait sa mort prochaine. Charles Ier,
qui lui était vraiment attaché, promit 300 livres à son médecin s'il parvenait à guérir le malheureuxpeintre.
Mais les sources de la vie étaient taries en lui ! On essaya en vain des remèdes les plus héroïques. Houbraken
raconte qu'on égorgea une vache à laquelle on ouvrit le ventre, et que l'on y coucha le moribond pour
ramener quelque chaleur dans ses membres glacés 1. Tout fut inutile. Van Dyck mourut à Blackfriars, le
9 décembre 1641, laissant une fille qui lui était née huit jours avant sa mort et qui s'appelait Justiniana.
Il fut enterré le 11 dans le chœur de l'ancienne cathédrale de Saint-Paul, près du tombeau de Jean de Gand.
Par son testament déposé à Doctor's Commons et daté du 1er décembre1641, il lègue 4,000 livres (sterling)
à une fille naturelle nommée Marie-Thérèse,en lui désignantsa sœur, Suzanne Van Dyck, béguine à Anvers,
pour tutrice. A une autre sœur, nommée Isabelle, il assure une pension de 250 florins. En cas que sa fille
Marie-Thérèse vînt à mourir sans être mariée, il faisait passer les 4,000 livres à une autre sœur qui avait
épousé M. Dirrick. A sa femme Marie et à sa fille Justiniana, née le jour même, 1er décembre, il lègue,
pour être également partagés entre elles, tous ses tableaux, effets et toutes les sommes dues à lui en
Angleterre par le roi, la noblesse et toute autre personne. Il confie à Catherine Cowley l'éducation de sa
fille, il laquelle il alloue 10 livres par an jusqu'à ce qu'elle ait atteint sa dix-huitième année. Il laisse des
dons en argent à ses exécuteurs testamentaires, 3 livres à chacun de ses serviteurs et 3 livres aux pauvres
des paroisses de Saint-Paul et de Sainte-Anne (Blackfriars)2.
La veuve de Van Dyck épousa sir Richard Pryse de Gogerdan, baronnet, de la province de Montgommery,
duquel elle n'eut point d'enfants. Justiniana fut mariée à sir John Stepney deFrendergast, dans la province
de Pembroke, troisième baronnet de ce nom, et leur postérité ne s'est éteinte que le 12 septembre 1825,
dans la personne de sir Thomas Stepney. Gratifiée par Charles II d'une pension qui fut mal payée, lady
Stepney, restée veuve, épousa en secondes noces Martin de Carbonell, dont les héritiers poursuivaient
encore en 1783 la remise des sommes dues à Van Dyck.
Plus noble que Rubens dans le choix des formes, Van Dyck eut moins de défauts que son maître, mais
peut-êtreaussi moins de grandeur. Il eut autant de charme dans son coloris sans avoir autant d'éclat. Il fut
dessinateur savant, mais sans pédantisme, et ses contours furent toujours conduits par le sentiment de la
grâce ou par le feu du génie. Bien près d'être égal au Titien dans ce grand genre des portraits où il apporta
d autres qualités, Van Dyck s'est parfois élevé très-haut dans ses compositionshistoriques, et la beauté des
expressions y est souvent aussi admirable que l'excellence de la touche. Ce n'est pas seulement dans les
merveilleuses estampes de Bolswert et de Vorsterman que son Couronnement d'épines et son Christ mort
sur les genoux de la Vierge sont des chefs-d'œuvre. Je ne connais guère de peintres qui aient fait des
Christ plus admirables. Tantôt on voit au pied de la croix des saintes en prière ou des anges qui recueillent
dans des coupes d'or le sang du sacrifice ; tantôt le Fils de l'homme est représenté seul, au haut de la
montagne, la nuit, sur un ciel noir, tandis qu'on aperçoit au loin la triste Jérusalem dans une lueur
crépusculaire. Tout récemment en visitant le cabinet d'un avocat célèbre', je me suis trouvé en présence
,
d'une de ces pathétiques images, et j'en ai ressenti une émotion extraordinaire, tout à fait imprévue. Rien
de plus touchant à voir que cette victime ainsi abandonnée sur le Golgotha, au sein des ténèbres, quand les
disciples se sont retirés et que Marie elle-même a été entraînée loin de ce lieumaudit!...Ilestdespeintres
complètement ignorés de la foule qui cependant occupent le premier rang dans l'art. Il est d'autres qui
en
ont le privilège d avoir un nom populaire et d'être admirés par les plus fins connaisseurs. De
ce nombre
est Van Dyck. Sa gloire s est répandue chez tous les peuples de l'Europe sans fatiguer les hommes d'élite
qui font et qui soutiennent les renommées. En peignant les héros de
son temps, il s'est associé à leur
immortalité ou les a enveloppés dans la sienne. De sorte qu'en même temps qu'il
a sa place marquée dans
la galerie des grands peintres, il demeure pour nous
un personnage de la grande histoire.
CHAULES BLANC.
approuvée. Aussi le chiffre posé par Van Dyck se trouve-t-il a fait précéder d'une
croix étaient dus par la reine, qui devait en fixer le prix.
biffé par le roi, qui a mis en regard sa propre évaluation. 2 On présume que c'est le tableau qui est au Louvre.
JACQUES FOUQUIÈRES
\È VERS 1600. — MOllT VERS lOCO.
représentés. Voilà comment, enfin, Mariette a pu dire : « M. de Piles a grandement raison de regarder
Fouquier comme le Titien des Flamands. Je suis sur cela entièrement de son avis. »
Des relations suivies qui existaient entre Fouquières et Rubens, et que le seul fait d'une collaboration
suffirait à établir, on peut conclure, au moyen d'un simple rapprochement de dates, que l'illustre chef
de l'école flamande, lorsqu'il fut appelé en France par Marie de Médicis pour peindre la galerie du
Luxembourg, amena Fouquières avec lui ou du moins l'y attira, car c'est dans la même année, en 1621,
que les deux peintres vinrent à Paris. Quoi qu'il en soit, le paysagiste flamand avait acquis déjà une assez
grande réputation, au dire de Sandrartt, pour être recherché et goùté dans tous les pays, particulièrement
en France où le paysage, regardé jusqu'alors comme un simple accessoire, n'était pas élevé encore à la
dignité d'un genre, car, à cette époque, Philippe de Champagne, qui avait été à Bruxelles l'élève
de Fouquières pour le paysage, n'était connu que de son maître; Claude Lorrain était ignoré, La Hire et
Sébastien Bourdon n'étaient que des enfants, et quant à Nicolas Poussin il ne devint, comme on sait,
un grand paysagiste que dans la campagne romaine, et il ne fit son premier voyage à Rome qu'en 1G24.
Il ne reste aujourd'hui aucune trace, au moins à notre connaissance, des travaux de peinture que dut
exécuter Fouquières à Paris dans les premières années de son séjour. Consacrées à la décoration des grands
hôtels, à remplir des trumeaux, à orner des dessus de porte, il est facile de comprendre que la plupart
de ces peintures ont dû périr ou changer de destination, ou se déplacer, ou s'altérer au point de
n'être plus reconnaissables. Toujours est-il que Fouquières eut ordre du roi Louis XIII, dans le temps où
M. de Noyers était surintendant des bâtiments, de peindre les vues des principales villes de France II se
mit donc en route, et, en 1629, il se trouvait à Marseille, comme nous l'apprenons par une lettre écrite
de cette ville à Langlois, de Chartres, célèbre marchand de tailles-douces, lettre mentionnée par Mariette
dans ses notes sur VAbecedario. A Paris, Fouquières affectait les façons d'un gentilhomme, prenait de
grands airs et ne se séparait jamais de sa longue épée; à Marseille, il oublia sa prétendue noblesse, à ce
qu'il paraît, et compromit sa dignité au point de se livrer à un commencement d'ivrognerie. « Il alla en
Provence, dit Félibien, et s'y arrêta longtemps à boire au lieu de travailler. » La paresse, d'ailleurs,
n'était pas un vice aux yeux de Fouquières, qui la regardait au contraire comme une conséquence forcée
de sa haute naissance, et pensait déroger lorsqu'il maniait le pinceau. Peut-être aussi ne faisait-il par là
(lue fournir un prétexte à son indolence naturelle. On ne sait au juste combien de temps il demeura en
Provence; mais Félibien affirme qu'il n'y fit aucun ouvrage de peinture et qu'il se contenta d'y dessiner
quelques paysages, tant pour lui-même que pour les vendre fort cher aux riches amateurs du pays. Un
de ces paysages, lavé à l'encre de Chine, figura plus tard dans le fameux cabinet Boyer d'Eguilles et
Coëlmans lui fit les honneurs de la gravure dans son Recueil. Cependant un ami des arts qui se trouvait
en Provence, M, d'Emery, arracha Fouquières à sa paresse et à ses habitudes et le ramena à Paris où il
lui fit reprendre une vie plus active, plus convenable. Lui-même il employa le peintre à la décoration de
son hôtel, et en sa qualité de surintendant des finances, il le paya noblement. Fouquières, du reste,
attachait un très-grand prix à ses ouvrages, et c'était une des formes de son orgueil, une autre façon de
rappeler sa noblesse, que de les faire payer fort cher. Aussi ne peignait-il que pour les grands seigneurs,
tels que M. de la Vrillière, M. de Noyers, et il affectait, même pour ces hauts personnages, de travailler à
contre-cœur, par pure condescendance et toujours la rapière au côté. Louis XIII, qui aimait la peinture et
s'y entendait quelque peu, eut du goût pour les tableaux de Fouquières; il en admirait la fière tournure,
la touche résolue, le sombre, la fraîcheur. Et, de fait, les paysages du peintre flamand devaient étonner
l'école française qui en était à jeter un premier regard sur la campagne. Ces étangs endormis sous de
grands arbres, ces légers bouleaux à l'écorce claire et lisse et aux branches inclinées qui s'élèvent au
milieu des troncs rudes de l'ormeau ou du châtaignier, ces belles masses arrondies des marronniers et
des tilleuls, ces plantes sauvages, ces ajoncs assez hauts pour cacher une bergère en fuite, ces nénuphars
qui flottent à la surface des eaux paresseuses; ces forêts, enfin, dont l'obscurité profonde est à elle seule
1 Celebris potissimum erat in subdialibus majoribus, arboribus silicet naturali quasi mole expressis, aquis stagnantibus, pétris,
rupibus, montibus, sylvis altioribus, frondibus, herbis, fundis que remotis; quae omnia tanto elaborabat ingenio, tantà que
artis sollicitudène, ut cooetaneum neminem haberet similem, sive pingendi modum pulcherrimum, sive ingenii vires considérés
exquisitissimas. Academia nobilissimœartis pictoriœ. Norirnbergœ, 1683.
2 Voyez la seconde édition de cet ouvrage publiée
par Mariette sous le titre : Recueil d'estampes d'après les tableaux des plus
célèbres peintres d'Italie, des Pays-Bas et de France, qui sont à Aix dans le cabinet de M. Boyer d'Aguille, conseiller au parlement
de Provence, gravés par Jacques Coélmans d'Anvers... avec une description de chaque tableau et le caractère de chaque peintre.
Paris, chez Pierre-Jean Mariette, rue Saint-Jacques, aux colonnes d'Hercule. nu.
une poésie, tout cela formait un spectacle nouveau pour nos Français qui n'avaient encore vu dans la
nature que l'homme et les dieux. Les espèces variées des arbres, l'allure et la physionomie des feuillés, le
port de chaque plante, la forme et le fouillis de chaque buisson, tout cela était exprimé dans le paysage
de Fouquières par une touche vive, piquante, qui parfois découpait le feuillage avec sécheresse, mais
qui toujours était appropriée à l'objet représenté. Rochers, collines, terrains accidentés, plantes épineuses
du premier plan, touffes de roseaux, tout était rendu avec une surprenante vérité, surtout les eau\
dormantes. Mais ce qu'il y a peut-être de plus remarquable dans les peintures de l'artiste flamand
éduqué par Rubens, c'est le caractère de l'ensemble, c'est l'impressionproduite par l'heureux mélange
d'un grand aspect et de détails accusés avec précision. Les paysages de Fouquières ont une âme. Ils
exhalent une senteur pénétrante; ils réveillent vivement l'idée ou le souvenir des mâles voluptés de la
chasse. Souvent, il est vrai, on y aperçoit caché derrière le tronc d'un vieux chêne et penché dans les hautes
herbes, un chasseur qui ajuste des canards sauvages, tandis que son compagnon retient les aboiements du
limier. On croit alors entendre la détonation qui va troubler le silence des grands bois; mais lors même que
Fouquières n'introduit aucune figure de chasseur dans son tableau, c'est toujours à la chasse que font
penser les solitudes boisées qu'il excelle à peindre, ces forêts coupées ordinairement par un cours d'eau
ou interrompues par un marais qui forme clairière. Son paysage n'est pas celui des philosophes ou des
rêveurs - c'est le paysage des braconniers. On aimerait s'y promener, et l'on s'y promène en effet, un
fusil sur l'épaule et un chien sur les talons, en aspirant la saine odeur des vieilles futaies,
en se livrant
tout entier au sentiment délicieux des choses rustiques.
A l'époque où Nicolas Poussin fut rappelé de Rome à Paris pour concourir à la décoration de la
grande galerie du Louvre, M. de Noyers avait déjà donné l'ordre à Fouquières de peindre les vues
principales des villes de France, qui, placées entre les fenêtres de cette même galerie, devaient en
l'emplir les trumeaux; mais l'arrivée du Poussin et l'ascendant que dut prendre un tel homme sur tous
les esprits éclairés, fit abandonner bientôt ce projet. Le grand peintre se trouva naturellement porté à sa
place, qui était la première ; il ne fut plus question des paysages et des vues de villes dont Fouquières avait
reçu la commande, et dans ces mêmes trumeaux destinés d'abord au paysagiste, Poussin imagina de
peindre une série de compositions relatives aux travaux d'Ilercule : « Je me suis occupé dit-il, à
,
travailler aux cartons, lesquels je suis obligé de varier sur chaque fenêtre et sur chaque trumeau m'étant
,
résolu d'y représenter une suite de la vie d'Hercule; matière certes capable d'occuper un bon dessinateur
tout entier '. » Et il avait si bien la conduite de toute la décoration, qu'il ajoute dans la même lettre:
« Il faut mèmement que j'invente tous les jours quelque chose de nouveau pour diversifier le relief du stuc,
autrement il faudroit que les hommes demeurassent sans rien faire... » On conçoit maintenant avec
quelle hauteur un artiste de la trempe du Poussin, après avoir pris de la sorte la haute main au Louvre,
par l'autorité de son génie presque autant qu'en vertu de son brevet de peintre ordinaire, on conçoit,
dis-je, avec quelle hauteur il dut recevoir à son tour le baron Fouquières venant parler de ses prétentions
à diriger tout, et de brosser des maisons et des arbres là où le Poussin se proposait de peindre des
héros et des dieux. Malheureusement, on le sait, les projets du Poussin n'eurent pas eux-mêmes plus
de suite que ceux de Fouquières, et il ne resta rien, de l'un ni de l'autre de ces deux maîtres, sur les
murailles du Louvre. Fouquières, cependant, y laissa un tableau peint à la gouache (Vue d'une route
pratiquée dans une montagne), lequel se voyait il y a quelque trente ans dans la galerie d'Apollon 2.
Sandrart rapporte que Fouquières travailla un certain temps chez l'Electeur palatin8; mais, suivant
son habitude, ce biographe ne donne pas la date, même approximative, du voyage de Fouquières en
Allemagne. Il est assez probable que ce voyage eut lieu après les contestations dont nous venons de
parler, alors que notre vaniteux paysagiste, dépossédé du grand travail qu'il s'était promis de faire dans
la grande galerie du Louvre, dut éprouver le besoin de cacher sa déconvenue et d'aller chercher fortune
ailleurs. Quoi qu'il en soit, il n'existe, que nous sachions, aucun ouvrage de Fouquières dans les divers
Musées d'Allemagne, soit qu'on ne l'ait pas jugé digne d'y figurer, soit que ses peintures encastrées dans
les panneaux du palais électoral ou exécutées à fresques sur le mur (car il peignait aussi de cette
manière) aient péri ou aient été endommagées. Le Musée du Louvre n'est pas, du reste, mieux partagé
que les galeries publiques de l'Allemagne et de la Belgique. Mais nous avons encore à Paris, au palais des
Tuileries, de beaux morceaux de Jacques Fouquières, au nombre de quatorze, dans trois salons donnant
sur le jardin et qui formaient, du temps de Louis XIV, l'appartement de la reine Marie-Thérèse. Ces
paysages peints sur les panneaux de la boiserie ou dans les médaillons de la voussure, servent
d'accompagnement aux peintures allégoriques de Jean Nocret. Il y a cinq ou six ans que nous les avons
vus (sans savoir alors qu'ils fussent de Fouquières), mais il nous souvient que nous les trouvions
savamment touchés, noblement décoratifs, d'une tournure fière et magistrale. Nous les prîmes d'abord
pour des Francisque Milet, et, en effet, les deux maîtres ne sont pas sans avoir quelque analogie;
de la nature.
Fouquières fut l'ami de Nicolas Montagne ou de Plate Montagne, qui était le neveu du célèbre graveur
Jean Morin. Suivant de Piles, Fouquières, que sa mauvaise conduite, sans doute l'ivrognerie, avait fait
tomber dans la détresse, mourut misérable chez un peintre nommé Sylvain qui demeurait au faubourg
Saint-Jacques et qui l'avait recueilli. Montagne l'étant allé voir, le dessina dans son lit au moment qu'il
expirait, et le lit enterrer à ses dépens. Mariette vit ce portrait de Fouquières avec plusieurs dessins du
paysagiste entre les mains des enfants de Montagne. « J'appréhende, dit-il, que tout cela n'ait été
dispersé ceux qui avaient ces dessins sont tous morts; c'étaient de vrais ours qui ne communiquoient avec
.
personne et qui auroient laissé périr dans la poussière des morceaux qui méritaient d'être mieux
conservés. Je regrette surtout le portrait de Fouquier. » Soit qu'on le rapproche des peintres de l'école
flamande, soit qu'on le compare à nos grands paysagistes du dix-septième siècle, Fouquières doit être
placé au premier rang dans son pays comme dans le nôtre. Poussin, et ceux-là surtout qui l'ont imité,
ont abusé quelquefois de la convention, et la volonté de mettre du style dans leur paysage a souvent
refroidi l'impression qu'ils voulaient produire. Fouquières a su rencontrer la grandeur sans chercher le
style, et ce caractère qui touche à l'héroïque, sans cesser d'être agreste, tient aussi au genre de figures
' qu'il a introduit dans son tableau. Jamais on n'y voit passer les divinités mythologiques. Aucun temple ne le
décore, aucun héros ne s'y promène, aucun pasteur de l'Arcadic n'y vient paître son troupeau. Une seule fois
on y surprend, parmi les roseaux, la nymphe qui fut aimée de Pan. Et cette rustique simplicité des figures
s'accorde parfaitement, du reste, avec les sites un peu sauvages que Fouquières aimait à peindre. Ainsi
le paysage de ce maître ne ressemble à aucun autre, car il est à la fois plus naïf que les Français et plus
noble que les Flamands. La poésie que ses rivaux poursuivaient dans des campagnes idéales, il la trouvait,
lui, dans la réalité même, à l'ombre des chênes au pied desquels se repose le chasseur égaré, ou sur les
bords des marécages solitaires, ou dans le mystère des forêts profondes.
CHARLES BLANC.
1MMBŒES M HHlMWliDHS.
On ne trouve, nous l'avons dit, aucun tableau de Fouquières Suite de quatre pièces non chiffrées :
dans les divers musées de l'Europe, pas plus que dans le 5. La Chasse aux canards. Charmant paysage, non boisé,
musée du Louvre, où il eût été si facile autrefois d'en réunir coupé par une vaste pièce d'eau qui baigne toute la gauche du
quelques-uns. Mais on voit quatre paysages de ce maître en devant. Le tronc d'un arbre mort s'incline sur les eaux et
forme de médaillons dans la salle dite du Conseil des mi- forme avec des roseaux une retraite à des canards sauvages,
nistres, aux Tuileries, sept paysages peints sur panneaux dont un s'envole à l'approche de deux chasseurs et d'un chien.
dans la bibliothèque du même palais, et trois autres dans la Dans la marge, à gauche : Fouquiere Pin. ; et à droite : Morin
chambre voisine, appelée Salon des dames. seul. cum priuil. Regis.
« Fouquières,
dit le Manuel d'IIuber et Rost, doit avoir 6. Le Bouvier près d'une mare. A la gauche du devant, un
gravé à la pointe plusieurs paysages de sa composition. » Cela bouvier fait sortir de l'abreuvoir deux bœufs qu'il chasse de-
est possible; mais jamais eau-forte de ce peintre n'a passé vant lui. Cette mare est ombragée par un gros arbre. A droite.
sous nos yeux; il ne s'en trouve aucune au cabinet des un chaumière; dans la marge, les mêmes noms.
Estampes, et aucune, que nous sachions, n'a figuré dans une 7. La Paysanneen marche. Charmant paysage coupé sur 1('
vente publique. Mais, en revanche, Fouquières a été fort bien devant par un chemin oil passent une femme, un enfant el
gravé par Arnould de Jode, Alexandre Voet, Michel-Montagne leur chien. A gauche, un autre chemin qui borde une forêt et
ou de Plate Montagne, Perelle et surtout Jean Morin. Ce der- que parcourt un coche suivi d'un paysan. Les mêmes noms
nier a fait, d'après Fouquières, neuf estampes qui sont dé- que dessus.
crites par M. Robert Dumesnil au tome Il.de son Peintre, La quatrième planche de cette suite est gravée d'après un
graveur français, sous les nos 95, 96, 97, 98, et 103, 104, autre peintre.
105, 107, 108, et qui sont de véritables chefs-d'œuvre. Deux pièces en pendant non numérotées.
Suite de quatre estampes non numérotées : 8. Les Moissonneurs. Quatre moissonneurs assis prennent
1. Paysan et paysanne en marche. Un paysan suivi de sa leur repas sous un bouquet d'arbres. A gauche une ferme
femme ayant entre eux leur chien et tous deux portant la hotte, ombragée d'arbres, et en avant, un champ de blé où deux
se dirigent à droite à travers un pays extrêmement montueux hommes passent portant des rateaux. Mêmes noms.
qui s'étend à perte de vue. Le plat pays est baigné par une 9. Marche de paysan. Une vaste chaumière occupe la
large rivière. Dans la marge à gauche : I. Foucquer pinxit; à gauche, à l'entrée d'un bois. En avant, un chemin que suivent
droite : 1. Morin sc. et exc., etc. cinq hommes chargés et une femme sur un âne. A droite, un
2. Le Chariot. Un chariot monté de trois personnes et étang au bord duquel s'élèvent deux grands arbres. Mêmes
attelé de deux chevaux que guide un charretier, sort d'une noms.
épaisse forêt à gauche et se dirige du côté opposé; un paysan Nous n'avons trouvé aucun tableau de Fouquières dans les
suivi d'une jeune fille le précède. Dans la marge : 1. Foucquier catalogues; mais ses dessins, qui sont fort estimés, ont figuré
pinxit, et à droite : 1. Morin sc. cum priu. Regis. quelquefoisdans les ventes publiques.
3. Le Cavalier. Sur des rochers à droite s'élèvent plusieurs VENTE MARIETTE, 1775. Un grand paysage, entrée d'un
arbres dont le plus haut remplit de ses branches le haut de la bois, au bord d'une rivière, largement lavé en couleur et d'un
composition; a gauche, un cavalier précédé d'un homme qui effet très-piquant. 15 livres.—Deux paysages en travers faits
porte un bâton; au fond une forêt. Dans la marge, à gauche: à la plume et trois en hauteur, faits au bistre et à l'encre.
1. Foucquer pinxit, et à droite : I. Morin se., etc.
12 liv. 5 sols.
4. Les deux Chaumières. Un chemin venant du fond de la Un paysage montagneux en travers coloré avec art et orné
droite, aboutit à gauche au bas du devant, où l'on voit une pièce de figures. 16 livres 18. s.
d'eau, et au delà deux chaumières à l'entrée d'un bois. Sur Autre paysage, aussi en travers, à l'encre de la Chine, ail se
ce chemin, trois figures dont un cavalier, et au bord du che- voient plusieurs baraques et hangars de tonnelier, orné de
min un gros arbre dont la cime atteint presque le haut de la figures, avec un paysage en hauteur,coloré et d'un grand effet.
planche; à son ombre un porte-balle se repose. I. Foucquier 23 livres 19 sols.
Pinx. et I. Morin se., etc.
écafe ,Z, 1
Cëa$/euti>%' c/eà c/e '{/c/i^r. Jfêortrcu/d.
tous les deux il la partie l'intérêt le plus vif. Derrière le groupe, la muraille offre la signature et la date
suivantes : J. Van Oost f. 1634.
Ces deux scènes animées, bien composées, prouvent que l'instinct flamand, que le goût de la vie réelle
inspiraient parfois Jacques van Uost. De grandes murailles nues occupent le fond de l'une et de l'autre,
l'artiste ayant toujours néglige les accessoires, ou du moins ne les ayant jamais traités avec amour. Il était
très-laborieux, mais voulait consacrer le moins de temps possible à chaque ouvrage. Pour être mieux payé,
sans doute, il n'exécutait généralement que de vastes morceaux. Mais, comme ils lui auraient pris un temps
considérable, s'il avait proportionné le nombre des personnages à l'étendue de la toile, il les épargnait avec
autant de soin que Pierre-Paul les multipliait. Sur une aire de cent pieds carrés, il dessinait deux ou trois
acteurs, puis prodiguait autour d'eux les colonnes, les architraves, les balustrades, les escaliers, les
tapi sseries, toutes les décorations imaginables. Ce n'était point des fonds charmants, oÙ se jouait sa
fantaisie, mais de véritables tentures déployées par iiii entrepreneur pour couvrir l'espace. Les figures
cependant prouvent un mérite exceptionnel : les types en sont bien choisis, les expressions vives, les
mouvements heureux, tes carnations naturelles et les draperies élégantes. Le champ même qui les environne,
quoique rempli d'objets insignifiants, ne laisse pas de plaire jusqu'à un certain point : on y admire la belle
couleur anversoise, que l'artiste pousse quelquefois jusqu'aux tons éblouissants et magnifiques de Jordaens.
Il fait donc assez bonne figure dans la triomphante escorte de Rubens : quand il l'a voulu, il a égalé ses
élèves directs.
Nul connaisseur ne verra sans admiration le Martyre de sainte Godeliève, qui orne la cathédrale de
Bruges, et que l'on croit peint vers l'année 1636. La composition en est des plus simples; elle est même
toute primitive. La sainte se trouve debout, entre deux exécuteurs qui lui ont passé une corde autour du
cou et en tiennent les deux extrémités, chacun d'eux tirant pour étrangler la victime. On a donc trois
personnages dans des attitudes parallèles, difficulté immense à vaincre. L'artiste, comme jaloux de montrer
sa force, l'a compliquée d'un problème encore plus redoutable : la vierge martyre porte une grande robe
écarlate, sans le moindre ornement ou accessoire. La pâleur de la mort sur le visage, elle regarde le ciel
avec un enthousiasme héroïque. Si belle, si bien rendue que soit son expression, une tête blême et une
draperie d'un rouge éclatant devraient produire l'effet le plus dur, le plus intolérable. Mais avant de mettre
la main à l'œuvre, l'artiste, sans le moindre doute, avait remarqué une gamme de tons qui lui permettait
d'associer une extrême vivacité de couleur à une complète harmonie, et de lutter par le même moyen
contre l'uniformité des lignes. Au lieu d'échouer dans sa périlleuse entreprise, il a donc fait un chef-d'œuvre.
Ceux qui n'ont point vu ce tableau ne peuvent imaginer il quel point il unit au pathétique la douceur et la
magnificence des tons. Dans un autre morceau, que possède l'église Notre-Dame, Jacques van Oost a encore
introduit une nonne tout habillée de rouge, et il a remporté une seconde victoire.
Le dernier morceau figure la Présentation de Marie au temple. La Vierge enfant, qui monte les degrés
du pieux édifice, est reçue par le grand prêtre, escorté de plusieurs personnages; sur la gauche, on voit
saint Joachim et sainte Anne, parents de la jeune israélite. Nulle part l'auteur ne s est montré plus grand
coloriste, nulle part son dessin n'a revêtu un plus noble caractère; la dignité de l'école bolonaise et de
l'école italienne, en général, forme un heureux mélange sur ce tableau avec les qualités de l'art flamand.
Jacques van Oost le peignit en 1655, pour la confrérie de Notre-Dame de la Présentation, car les pieuses
sociétés pullulaient dans les Pays-Bas espagnols sous l'influence de la maison d'Autriche. Les registres delà
compagnie prouvent que le trésorier, GuillaumeSchelhavers, le paya cinquante livres, somme bien insignifiante;
les dévots personnages en furent si satisfaits pourtant que, le 21 octobre 1655, ils donnèrent à l'auteur une
fête qui coûta onze cscalins et six gros.
Une œuvre non moins importante décorait autrefois l'abbaye de Saint-Troud, et orne maintenant la
cathédrale de Bruges. Le peintre y a figuré la Pentecôte d'une manière tout à fait originale. Le premier
plan du tableau représenté un portique ou l'entrée d'un temple; quatre colonnes de marbre blanc, exhaussées
sur des marches, soutiennent un entablement de marbre noir : ces deux sortes de pierres alternent dans le
reste de l 'édifice, beau monument dont le peintre a eu la fantaisie singulière de dorer certains ornements.
Au lieu de porte, un grand rideau noir ferme l'entrée du temple. Un jeune homme, le fils aine de Yan Oost,
écarte ce rideau et' laisse le regard plonger dans l'intérieur : on y voit le Saint-Esprit descendant sur les
apôtres et inondant la salle d'une éclatante lumière, qui forme contraste avec la sombre couleur du premier
plan. Quatre disciples attardés montent les marches du péristyle, surpris et charmés il la fois par la scène
merveilleuse; l'un d'eux, dans son élonnement, s'appuie contre la première colonne. Pour rompre l'uniformité
des lignes et des couleurs, Y an Oost a semé plusieurs objets sur les degrés du temple : un livre entr'ouvert
et plusieurs manuscrits font illusion. Un des personnages qui arrivent est le portrait de l'artiste lui-même.
Comme il peignait ce tableau, en 1658, l'année où sa tille Marie entra dans le monastère de Saint-Trond,
peut-être avait-il donne il la mère du Chri>t les traits de la jeune nonne.
Il travailla beaucoup depuis ce moment pour l'abbaye,
car on y voyait jadis neuf toiles de sa main,
actuellement dispersées dans les églises de Bruges. Quand la mort lui arracha sa palette, en 1671, il
fut enterré sous. les voûtes du monastère qu'il avait si bien décoré. Outre son fils, il laissa un élève,
J. B. Meuninckxhove, reçu franc-maître le 12 juillet 1611, mort en 1703. L'église Sainte-Anne possède
de lui un tableau qui représente le Christ au milieu d'un palais, devant le grand prêtre Anne. beau-père de
Caïphe. Ce morceau, exécuté en 1G 91, unit la justesse du dessin il la beauté du coloris.
Les ghildes ou corporations industrielles avaient demandé il Jacques van Oost un grand nombre de tableaux
Pt tes portraits de leurs doyens, de leurs membres les plus influents, qui ornaient autrefois leurs salles de
detiberation, leurs autels particuliers dans les églises. La cathédrale renferme un de ces ouvrages, peint vers
1633 pour la chapelle des ménétriers : il représente la Vierge sur les nues et quatre personnages en adoration
devant elle. L'église Notre-Dame en contient un autre, qui appartenait à la corporation des orfèvres et avait
la même destination ; il expose aux regards la Vierge tenant sur ses genoux le Fils de l'Homme et ayant autour
d'elle saint Pierre, saint Paul, saint Benoît, sainte Catherine et saint Éloi. Van Oost avait aussi exécuté, en
1659, pour le Palais de Justice, un morceau approprié il la nature du lieu; on y voyait les magistrats réunis
et occupant leurs siéges; ils venaient de condamner à mort un pauvre diable, auquel on lisait sa sentence.
Toutes les figures sont des portraits, et le coloriste a su habilement varier leurs attitudes. Enfin on conserve
dans la cathédrale, dite de Saint-Sauveur, une ioile peinte vers 1636, qui flottait autrefois sur la bannière
des francs-mollnoyeurs; elle offre aux regards, d'un côté saint Eloi, de l'autre les doyens et les membres
principaux de la jurande.
Pour donner de la vie aux portraits, Van Oost représentait souvent les personnages occupés d'une manière
conforme à leur profession ou il leur caractère. Il avait peint, par exemple, un médecin tâtant le pouls de sa
femme avec une attention extrême, en cherchant la cause de son mal; la patiente, qui était enceinte, épiait
en quelque sorte le visage de son mari, et attendait, pleine d'inquiétude, le jugement qu'il allait porter sur
son état.
La galerie impériale de Vienne possède de Jacques van Oost l'ancien une Adoration des JJe)'gers, qui passe
pour une œuvre supérieure. L'Enfant-Dieu est couché devant sa mère sur un linge blanc, et la fille de David
regarde les pasteurs qui entrent. Elle charme les yeux par la pureté, par la grâce de ses traits et par ses
élégantes proportions. Derrière elle se tient debout François d'Assise, que l'on ne voit pas sans étonnement
à Bethléem, peu de temps après la naissance du Christ. Un jeune pâtre, qui s'agenouille devant la crèche,
mérite les plus grands éloges. Les couleurs ont une force, une beauté peu communes, et se fondent
t rès-harmonieusement.
La seule toile de Van Oost que renferme le Louvre, Saint Charles Borrasnée communiant les Milanais
atteints de hl peste en 1576, porte, au contraire, les signes distinctifs des œuvres médiocres. L'auteur l'a
bien composée sous le rapport des lignes; elle plaît par le coloris et forme un ensemble attrayant; de loin
on la prendrait pour un morceau d'élite : quand on approche, l'illusion se dissipe. Quelques têtes ont sans
doute une vive expression, notamment celle du vieillard et de la vieille femme qui reçoivent l'eucharistie;
mais la mollesse de la touche trahit la rapidité de l'exécution : le pinceau n'a fait que courir sur cette toile.
On y cherche en vain l'énergie et le sentimentdramatique réclamés par le sujet.
Jacques van Oost le fils a pour la France un intérêt spécial, puisqu'il habita Lille pendant quarante
et un ans, et orna sans relâche nos églises septentrionales,qui possèdent encore ses tableaux. Né il Bruges
en 1637, il n'eut pas d'autre professeur que son père. Tout jeune encore, il étudia la peinture avec passion;
il était l'exemple de ses camarades, évitait les moindres causes de dérangement, et, absorbé dans son travail,
réjouissait le cœur du vieux Van Oost. Les amateurs s'occupèrent bientôt de son mérite naissant. Lorsqu'il
l'eut assez fortifié par la pratique, son père le laissa entreprendre le voyage d'Italie, quoique la Belgique fut
alors pleine d' chefs-d'œuvre; mais la mode et la routine sont deux puissantes déesses, et jamais on n'a
vu leurs temples déserts. Le jeune artiste devait traverser Paris; sans doute il s'y trouva bien, car au lieu d'y
passer quelques jours, il y resta deux années entières. S'étant alors remis en chemin, il finit par débarquer
en Italie. Sur les bords du Tibre, il montra le même zèle que dans sa ville natale : il copiait les antiques,
les œuvres des maîtres, cherchait à pénétrer le secret de leur talent, développait sa propre manière et ne
perdait pas un seul jour. Après plusieurs années de ce labeur assidu, il retourna en Flandre, où il peignit
quelques tableaux. De ce nombre est probablement celui qu'on voit à Bruges, dans la cathédrale, et qui porte
la date de 1668 près de la signature : lara/JUs van Oost de Jong/le. 1) représente la Vierge donnant une étole
à saint Hubert. L'artiste avait trente et un ans lorsqu'il l'exécuta. Mais bientôt le souvenir des deux années
qu'il avait passées il Paris le dégoûta de Bruges, qui devait être alors, dans la misère croissante de la Belgique,
une ville passablement monotone. Malgré les efforts de ses parents pour le retenir, Jacques van Oost
s'achemina donc vers la France.
Il arrive à Lille, va voir quelques artistes de, ses amis, qui le retiennent, qui lui procurent du travail;
il peint plusieurs portraits que tous les connaisseursadmirent, et les principaux habitants lui conseillent de
rester où il se trouve : ubi bene, ibi patria. En même temps on le surcharge de commandes, afin de. le
déterminer. Il continue donc à peindre, ne pouvant en conscience refuser de si bonnes occasions. Pendant
que son pinceau court sur la toile, l'amour se met de la partie; une jeune fille appelée Marie Bourgeois
seconde ses compatriotes, en soumettant le coloriste au plus naturel et au plus infaillible des sortiléges. Cette
lois, le peintre charmé ne fit aucune résistance : il épousa la magicienne et s'établit dans la ville, où il résida
quarante et un ans, comme nous avons déjà eu occasion de le dire. Mais il fit, selon toute apparence.
plus d une excursion à Bruges, et y passait, chaque fois, quelque temps
avec sa famille. Trois portraits
conservés à l'hôpital Saint-Jean ont dû être exécutés pendant ces absences ils
: nous montrent Claude de
Corte, Adrian Aneheman et Pierre Conrad van der Drugghen, nommés l'un après l'autre directeurs de
1 'établissement, le premier
en 1674, le second en 1685, le troisième en 1695, et peints par Van Oost II'
jeune, 1 année même de leur nomination. Il n est pas probable qu 'ils eussent fait le
voyage de Lille pour poser
devant l'artiste, Une Sainte Famille, de l'année 1674, que possède l'église Notre-Dame, corrobore
notre
induction : saint Jean-Baptiste enfant, accompagné d'un agneau, joue
y avec le Hédempteur; saint Joseph et
saint Joachim sont les portraits de deux membres de la famille Legillon, domiciliée à Bruges; le premier,
notamment, nous offre l'image de Charles Legillon, député aux États de Flandre, qui mourut en 1695.
Après une longue union, Van Oost, ayant perdu sa femme, retourna définitivement à Bruges, où il termina
ses jours, le 29 décembre 1713, âgé de soixante-seize ans.
Ses tableaux et ceux de son père ont iiii si grand rapport qu'on les distingue avec peine ; mais il subit
plus fortement l'influence de l'Italie, et pour la couleur, et pour le goût de la composition. Il empâte davantage
et peint d'une touche plus hardie. Moins avide ou moins pressé par les amateurs, il sacrifiait peu au désir
d'accélérer son travail; il réfléchissait longtemps, dessinait avec correction, dans un grand style. Sa couleur
d'élégance.
a tous les mérites de l'école d'Anvers. Il drapait ses ligures avec beaucoup de noblesse et
Quelques admirateurs enthousiastes ont comparé ses portraits à ceux de Van Dyck, opinion exagérée sans
doute, mais qui montre à quel point il réussissait. Edelinck a gravé celui d'un jeune magistrat en simarre et
en longue perruque. C'est une figure douce, intelligente et régulière, avec un nez faiblement aquilin, des
orbites charnus et de larges paupières. Les détails, parfaitement accusés, donnent à l'ensemble un vivant relief.
Si le talent du graveur y a contribué, l'original devait offrir des qualités analogues.
Le Martyre de sainte Barbe, qui orne la chapelle du même nom, dans l'église Saint-Étienne, à Lille, passe
pour le chef-d'œuvre de Jacques van Oost le jeune. Les autres édifices religieux de la même ville contiennent
tous des ouvrages de sa main. Si on fouillait leurs archives et celles de la commune, on trouverait donc sur
l'artiste des renseignements précieux.
Le père et le fils ont exécuté ensemble un triptyque sur toile, qui porte la date de 1665, et orne, à Bruges,
le petit musée de l'hôpital Saint-Jean. Le morceau du milieu représente la Vierge tenant le Christ sur ses
genoux et ayant à ses côtés les saintes femmes, pendant que Madeleine baise les pieds du Sauveur; deux
petits anges placés près de l'Homme-Dieu pleurent son agonie et les outrages qu'il a soufferts. Van Oost
et son fils, debout dans un coin, paraissent examiner la scène et discuter la valeur du tableau; ils sont grands
comme nature.
Un des volets nous montre deux sœurs hospitalières de l'époque, en grand costume, Marie Vermeulen, la
supérieure, et Marie van den Kerkhove. Sur l'aile opposée, on voit les sœurs Jeanne Suys et Jeanne
Strymeersch. Les quatre nonnes sont à genoux et en prière.
Ces trois tableaux sont bien composés, d'une belle couleur et d'un bon dessin. On admire surtout le
cadavre du Fils de l'Homme. D'après les renseignements que l'on conserve à l'hospice, Van Oost le père a
exécuté la page centrale, Van Oost le fils, les deux ailes. Voilà pourquoi ils se sont représentés sur l'image du
milieu. Cette œuvre importante peut servir à étudier la différence de leurs styles.
ALFRED MICHIELS.
MElM(G1Ï8 W HHMŒiTOHS
Les tableaux qui nous restent de Van Oost le père sont les salles du Louvre.Nous avons reproduit ce dernier à la p. 5.
nombreux, et l'on pourrait, sans sortir de Bruges, se faire De Jacques van Oost le fils on voit a Bruges, soit dans
les églises, soit à l'Académie et dans l'hospice Saint-Jean
une idée il peu près complète de sa manière. On trouvera
le catalogue de ceux que possèdent les Flandres dans 1 In- quatorze tableaux ; les églises et le musée de Lille en rCII-
ventaire des objets d'art publié par les deux commissions ferment dix-sept.
provinciales. Les Nations prosternées devant le Saint- Un seul tableau de Van Oost le père a été gravé au trait,
Sacrement ornent la cathédrale d'Ypres, une Adoration des celui du Louvre; de Van Oost le fils je ne connais que la
Bergers la galerie de Vienne, et un Saint Charles Borromée gravure d'un portrait par Edelinck.
Sca/e !$(;zmallC!e. Sfâiàéwre, ,
i~(- fo rs/tp.est(,.s\
auxquels Van Diepenbeeck n'a pas mis son nom, représentent un certain nombre de saints et de martyrs
italiens, figures à demi barbares assez maladroitement empruntées aux fresques célèbres où les peintres
primitifs ont retracé leurs effigies. A côté de ces portraits se rencontrent des dessins d'après les costumes
qu'on suppose avoir appartenu à ces personnages légendaires. Si Van Diepenbeeck est l'auteur de ces
images, il a dû visiter successivement Assise, Amalfi, Florence, Pise, Rome et la plupart des villes
de la catholique Italie. L'artiste flamand résista d'ailleurs aux influences de l'art qu'il étudiait : il ne
modifia pas son style, il ne fit aucune concession aux élégances florentines. Son œuvre n'a rien d'italien :
mais avant d'en examiner le caractère et la valeur, il faut abandonner pour les certitudes de l'histoire le
vague domaine des hypothèses.
Qu'il ait fait ou non les voyages qu'on suppose, Abraham Van Diepenbeeck est à Anvers en 1635. Il y
est même chargé de travaux importants, mais en qualité de peintre-verrier. Il a inscrit cette date sur les
portraits des quatre aumôniers qui ornent les fenêtres d'une des chapelles de la cathédrale Notre-Dame.
Les vitres du chœur de l'église des Dominicains étaient aussi l'œuvre de Van Diepenbeeck, qui y avait
représenté la vie de saint Paul. Enfin, sa renommée comme peintre verrier arriva bientôt à Bruxelles, et
il eut l'honneur de travailler à la décoration de Sainte-Gudule. « Les quatre fenêtres du chœur, disait Mensaert
en 1763, sont peintes par A. Diepenbeeck. Elles représentent les saints mystères de la Vierge, et les
portraits de quelques monarques bienfaiteurs de ce riche temple \
» D'autres églises ont aussi
possédé des verrières du jeune maître 2; mais ces fragiles ouvrages ont péri.
Qu'on ne s'étonne pas, d'ailleurs, de voir Van Diepenbeeck s'essayer à son début dans la peinture sur
verre. II avait été précédé dans cette voie par son compatriote J. de la Barre, qui, lui aussi, avait quitté
Bois-le-Ducpour Anvers, et qui venait d'y exécuter, avec un succès si légitime, des travaux de premierordre.
Il est permis de croire que ce maître habile fut l'initiateur de Van Diepenbeeck dans ce
genre, déjà trop négligé.
Mais l'imitateur demeura bien au-dessous de son modèle. Sans doute Van Diepenbeeck savait dessiner, il
possédait le sentiment de la couleur, il avait l'invention abondante et facile, mais il se méprit parfois dans
l'exécution matérielle de ses verrières, et il en est peu qui aient conservé leur éclat primitif. Certains tons
ont gardé leur vigueur, d'autres ont pâli, si bien qu'il est tel de ses vitraux qui demeure aujourd'hui sans
ensemble et sans harmonie. Les révolutions et l'ignorance des restaurateurs se sont malheureusement
associées au temps pour compromettre cette partie de la renommée de Van Diepenbeeck.
On a prétendu que c'est en reconnaissant la fragilité de son œuvre ou même
son imperfection que
l'artiste comprit la nécessité d'avoir recours, pour exprimer les fantaisies de son ardente imagination, à
un procédé moins hasardeux et plus durable. La ville d'Anvers, qui venait de lui accorder le droit
de bourgeoisie (4 janvier 1636), était trop riche en maîtres glorieux pour que Van Diepenbeeck n'eût
pas la pensée de demander à la peinture à l'huile les moyens de réaliser son rêve. Il entra donc dans
l'atelier de Rubens, alors dans toute la splendeur de sa renommée et de son génie, et bientôt il devint
un de ses plus brillants élèves. Le succès ne se fit pas longtemps attendre : en 1638, Van Diepenbeeck
fut reçu maître dans la guilde de Saint-Luc, et bien qu'il n'abandonnât pas l'art du verrier, la peinture à
l'huile fut dès lors au premier rang de ses préférences. Rubens demeura son idéal, Anvers devint pour
lui une seconde patrie. Il avait épousé à Schelle, en juin 1637, la fille d'un notaire, Catherine
Heuvick, qui lui donna successivement huit enfants. Enfin, entraîné par le caractère de ses œuvres à
vivre en bonne intelligence avec les communautés religieuses qui employaient son pinceau, il s'était affilié
à la sodalité des Jésuites d'Anvers, et il y obtint même, le 13 juin 1639,
un grade important 3.
A partir de cette époque, Van Diepenbeeck entre dans la période la plus féconde de
son existence.
Les biographes se sont trop hâtés de dire qu'il abandonna complétement la peinture sur verre pour la
peinture à l'huile : ils n'ont pas pris garde qu'en 1644, Van Diepenbeeck exécutait pour l'abside du
chœur de Saint-Jacques,à Anvers, deux grands vitraux, le Christ tenant sa croix et la Mère des Douleurs.
Ils n ont pas remarqué non plus que les verrières de Sainte-Gudule, dont
nous avons parlé plus haut,
retraçant le portrait de l'archiduc Léopold, qui ne devint gouverneur des Pays-Bas qu'en 1647, ces
ouvrages sont postérieurs à cette date. D'autres travaux l'occupèrent aussi, et telle était alors l'activité
productive de Van Diepenbeeck,
— les registres de sa paroisse lui donnent pendant cette période un
enfant chaque année, — que nous ne savons trop à quelle date placer le voyage qu'il fit
en Angleterre.
1 fI, 74.
Le Peintre amateur et curieux
' Descampsdit qu'il avait peint, dans le cloître des Minimes d'Anvers, quarante vitraux représentant la vie de saint François
de Paule. Ce sont, dit-il, de petits tableaux transparents; la couleur l'air d'un lavis, etc. Voyage pittoresque de la Flandre,
a
1838, p. 174.
' Alfred Michiels, liubens et l'École d'Anvers, p. 385.
Ilne serait pas impossible que cette excursion ait eu lieu entre 1649 et 1652, c'est-à-dire au moment
où il venait de perdre sa femme, et avant qu'il n'ait eu le temps de songer à un second mariage.
intéressants détails sur le séjour de Van Diepenbeeck
Quoi qu'il en soit, Horace Walpole nous a conservé d
en Angleterre. Il paraît y avoir été fort employé par l'aristocratie, notamment par William Cavendish, duc
de Newcastle, qui s'occupait avec ardeur d'améliorer les races de chevaux, qui inventait des méthodes pour
les dresser, et qui a même consigné dans un traité ex professo le résultat de ses observations sur
cette science éminemment britannique. Van Diepenbeeck fit pour le duc les dessins des planches de ce livre.
Il dessina ensuite les vues des résidences que son noble protecteur possédait dans le Nottinghamshire
et le Derbyshire, et, au temps de Walpole, il y avait encore au château de Welbeck des ouvrages du
maître flamand. Il peignit en outre le portrait du duc, de la duchesse et de leurs enfants. Il fit aussi
celui de sir Hugh Cartwright, qui a été reproduit plus tard (1656) par Vorstermann, et celui du roi
Charles II, dont W. Hollar nous a laissé une gravure. D'autres travaux de ce genre ont dû aussi occuper son
pinceau, mais on ignore quand il quitta l'Angleterre1.
d'une robe de satin et qui tient une guitare; l'Amour, ayant en main la flèche symbolique, conduit vers elle un
jeune homme habillé en berger; son troupeau est derrière lui, et l'ensemble de la composition se détache
sur un fond de paysage. Ce tableau, qui a longtemps été attribué à Rubens, est d'un ton à la fois solide et
éclatant; il révèle même, chez Van Diepenbeeck, de hautes qualités de coloriste. Il est fâcheux, pour la
gloire du peintre de Bois-le-Duc, qu'il n'ait pas été toujours aussi bien inspiré.
Le malheur de Van Diepenbeeck, qui mourut à Anvers en 1675, ce fut de dépenser ses heures et ses
forces avec plus de fantaisie que de raison, et d'éparpiller en menue monnaie, en croquis improvisés, en
dessins insignifiants, un talent dont il aurait pu faire un meilleur usage. Trop d'entreprises l'occupèrent
a la fois : entraîné en même temps vers l'art des vitraux, vers la peinture proprement dite et vers la
composition des images religieuses, il n'a pas donné assez de son cœur à l'étude assidue et consciencieuse,
au travail sincère, qui n'enrichit pas toujours celui qui s'y livre, mais qui ne manque jamais de l'agrandir.
Ce n'est pas l'habileté, ce n'est pas la verve facile qui font défaut à son œuvre : c'est une qualité plus
personnelle et que nous croyons meilleure, — le sentiment.
PAUL M A NTZ.
ffiKiœiŒIS OT llllMWWS
Il est peu de graveurs de l'école flamande qui n'aient re- VIENNE. — Allégorie sur le néant des choses humaines.
produit au moins une des compositions d'Abraham VanDiepen- Près d'une espèce de philosophe cynique, au centre de la
beeck; mais Lauwers, Pierre Clouwet, W. Hollar, Michel composition, se lit la célèbre maxime de Socrate : Nosce te
Natalis, Pierre de Balliu, Corneille Galle, Bolswert et Pierre ipsum. (Viardot, Musees d'Allemagne, 1844, p. 225.)
— Le
de Jode ont mis plus particulièrement leur burin au service Christ mort, entouré de lu Vierge et de plusieurs anges.
de ce maître fécond. Beaucoup de ses dessins religieux ont. MISÉE DU LOUVRE. — Clélie passant le Tibre; Un gen-
été interprétés en outre par des graveurs anonymes. tilhomme et une dame.
Les tableaux de Van Diepenbeeck sont plus rares que ses MI SÉE DE BORDEAl"X.-L'Enlèvl'1nrnt de Gatiymède. L'ai-
compositions au bistre ou au crayon. Nous devons citer toute- gle est peint par Sneyders. Ce tableau, qui provient du cêlbi-
fois : net du marquis de Laeaze, il qui il avait été donné par le roi
ANVERS (MUSÉE). — Extase de saint Bonaventure. de Bavière, a malheureusement été retouché.
EGLISE NOTRE-DAME. — Saint Norbert, à mi-corps, au mi- Le Louvrepossèdedeux dessins de Van I)iepenbeeek : Saint
lieu d'une guirlande de fleurs et entre deux anges. Dominique recevant le rosaire des mains de la Vierge (douze
SACRISTIE DE NOTRE-DAME. — L'évêque Ambroise Capella. sujets tirés du Nouveau Testament entourent cette composi-
— Le Christ tenant la Croix, lrl
ÉGLISE SAINT-JACQUES. tion', et Diane découvrant la grossesse de Calisto.
Mère des douleurs ; peintures sur verre (en très-mauvais état). Les ouvrages du maître figurent rarement dans les ventes ;
COUVENT DES SOEURS-GRISES. — Le Miracle de l'hostie. nous citerons cependant :
CABINET DE M. MOONS VAN DER STRAEI.EN'. — Le Bienheu- VENTE AVED, 1766. — Une Orgie ou Fête de Bacchus.
reux Siard, de l'ordre des Prémontrés (grisaille); le Bien- Composition de dix-sept figures : tableau peint sur cuivre.
heureux Godefroid, comte de Cappenberg (idem). VENTE MARIETTE, 1775.
— La Vierge intercédée par saint
— Saint Norbert
ÉGLISE DE DEURNE, PRÈS D'ANVERS. Dominique, Diine découvrant la grossesse de Calisto, deux
donnant la bénédictionabbatiale au bienheureux Waltmann, dessins au bistre sur la même feuille, 179 liv. 19 s.
premier abbé de Saint-Michel. Les prélats de Tongerloo, L-i reine Pénélope travaillant il s(i tapisserie, Saint Palll
d'Averhode et de Middelbourgsont agenouillésauprès d'e lui. à Éphèse (dessins), 60 livres.
Ce tableau a longtemps été attribué à Rubens. VENTE NEYMAN, 1776.
— Le portrait d'un évoque, d'un
BERLIN.
— Clélie fuyant Porsenna: le Mariage de sainte beau caractère, coloré avec art; assis dans un fauteuil, il a la
Catherine. Van Diepenbeeck avait fait sur le même sujet un barbe et les cheveux gris; 50 livres.
superbe dessin, qui peut être considéré comme la première VENTE LEBRUN, 1791. — Les Préparatifs d'un sacrifice
pensée du tableau du Musée de Berlin. 'Ce dessin appartient dans le temple de Mars et de Vénus, composition de dix-sept
aujourd'hui à M. Émile Wattier, qui a bien voulu nous autoriser figures. Au fond, une tapisserie représentant le jugement de
à le faire graver pour illustrer cette biographie (V. page 5). Paris. Provenantde la vente Boyer de Fonscolombe (0'"46 sur
BRUXELLES.
— Saint François adorant le saint-sacrement. 0"'60 ; toile collée sur bois) ; 400 fr.
DRESDE. — Triomphe de Neptune. VENTE Dl; COMTE TIIIHAUDEAU, 1857. — Une assemblée:
MAYENCE.
— Les Dieux de l'Olympe (1652). dessin il la pierre noire, lavé de bistre, d'encre de Chine, et
MUNICH.
— Abraham et les trois anges ; Distribution de retouché il l'huile.
pain à des pauvres. VENTE DE LORD NORTIIWICK, 1859. — L'ne Dame avec iiii
STOCKHOLM.
— Diane avec ses nymphes. enfant endormi ; 18 guinées.
Sco-fe &âimande. %a&eaua> c/%idâwe eâ cie éeie,- g;o?ft?fat&
il décorait la première page de l'Année spirituelle, que faisait imprimerJuan de Palafox y Mendoça, évêque
d'Osma et membre du Conseil privé. On y voit un enfant que son bon ange tient par la main, en lui montrant
le ciel, tandis que Belzébuth lui saisit la jambe; plus bas, des têtes de damnés rôtissent dans le feu.
Insensiblement la dévotion fit aspirer Quellyn à la vie monastique. Ayant perdu sa femme, il se retira dans
l'abbaye de Tougerloo, où il termina tranquillement ses jours, le 11 novembre 1678, âge de 71 ans.
La manière de Rubens, le maître fougueux et dramatique, s'adoucit chez trois de ses élèves, prit sur
leurs tableaux une élégance, un charme poétique, dont on regrette parfois l'absence dans ses propres
ouvrages. Van Dyck, Érasme Quellyn et Jean van Hoeck forment cette gracieuse trinité. Quoique bien moins
célèbres que Van Dyck, les deux derniers ne lui étaient peut-être pas inférieurs; aussi beaucoup de leurs
tableaux sont-ils attribués journellement au peintre de Charles Ier. Quellyn a une délicatesse de formes,
une pureté de goût, une harmonie, un éclat, une suavité de couleur, qui autorisent à le mettre en
comparaison avec les princes de la palette. Quels chefs-d'œuvre éclipseraient le Saint Roch de l'église
Saint-Jacques, la Sainte Famille de l'église Saint-Sauveur, à Gand? Si on pouvait les placer dans une galerie
auprès des tableaux les plus fameux, ils soutiendraient sans désavantage cette rude épreuve. Le dernier
morceau représente une halte de la Fuite en Égypte; les trois personnages ont été surpris dans la solitude
par les ombres du soir; pour ne pas se perdre au milieu du désert, ils se sont arrêtés près d'une fontaine,
sous un palmier. Saint Joseph a pris l'enfant sur ses genoux, et la fille de David se tient debout devant lui,
les mains croisées; le nourrisson lui tend les bras dans un élan d'affection. Derrière la noble Israélite,
deux anges adultes paraissent attendre ses ordres. L'âne biblique, soigné par d'autres messagers divins,
se repose de ses fatigues. Des angelets folâtrent dans le ciel et dans la verdure des arbres. Telle est la
composition, que le langage peut expliquer; mais ce que ne peuvent rendre les mots, c'est le type admirable,
c'est le caractère majestueux du menuisier de Bethléem, l'exquise beauté de la Vierge et le profond
sentiment qui l'anime, la grâce des célestes envoyés, l'affectueuse expression du Christ et le goût parfait de
la disposition générale. L'œuvre entière annonce l'imagination d'un poëte. Le coloris, sombre et transparent
à la fois, comme l'exigeaient le moment où la scène a lieu et les nécessités de la peinture, émerveille
en
même temps par sa vigueur, par sa finesse, par son éclat et sa douceur.
Le Saint Roch d'Anvers enthousiasme à la première vue. Epuisé de douleur et de lassitude, le jeune
martyr se repose sur un tertre, où il appuie une de ses mains ; l'autre est soutenue par un bâton de voyage,
autour duquel il passe son bras. Son attitude et sa tête légèrement inclinée expriment la mélancolie; sa
Il
pâleur, ses yeuxmornes, ses traits fatigués attestent de longuessouffrances. regarde le ciel avec une résignation,
douce et triste. Ses beaux cheveux flottent amplement sur ses épaules. Il peut, du reste, passer pour l'image du
peintre, tant il lui ressemble. Deux anges adultes le soignent : l'un achève de panser la plaie de sa jambe,
l'autre s'apprête à le soutenir, s'il tombe en défaillance. Au pied du malade est couché le fameux chien
qui a donné lieu à un dicton populaire. Une forêt sombre et mystérieuse compose le fond du tableau. La
couleur, fine, intense, brillante et veloutée, n'est pas celle de Rubens : elle a un caractère spécial, un charme
irrésistible. Le dessin vaut le coloris, et l'habileté de la composition ne mérite pas moins d'éloges que le
dessin. On aurait peine à grouper dans un même espace plus de séductions pour l'esprit et pour les regards.
L'œuvre porte la signature du peintre et la date de 1660. Elle fut, sans le moindre doute, exécutée il
propos de la peste qui décima la population anversoise de 1658 à 1661.
Comment se fait-il que jamais un critique, un voyageur, un historien n'a publié une note pour signaler
ces deux merveilles à l'admiration publique? Tant de mérite et si peu d'appréciateurs! On répète
indéfiniment les mêmes observations sur quelques tableaux fameux, et l'on n'a pas consacré une ligne à
des toiles non moins excellentes ! Elles séjournent inconnues dans l'ombre de deux chapelles :
non-seulement la multitude passe auprès sans y faire attention, mais aucun artiste n'a eu l'idée de
les graver.
On a prétendu que la mort de Rubens affranchit, en quelque sorte, le talent de Quellyn, qu'il montra
depuis lors plus de hardiesse et d'originalité. Il serait difficile de révoquer en doute cette tradition ou de
la vérifier ; mais, si elle est exacte, le disciple fut affranchi de bonne heure, car il avait trente-deux ans
et quelques mois lorsque son maître cessa de vivre; or, il n'avait commencé l'étude de la peinture qu'à
l'âge de vingt-six ans. Jamais néanmoins il n'oublia les leçons du grand homme. Dans ses meilleurs
ouvrages, ses obligations envers lui s'effacent sans doute presque entièrement; l'élève a si bien transformé
la manière de son chef d'atelier qu'on en retrouve à peine des indices; mais quand sa verve s'attiédissait,
ou quand un souvenir de jeunesse passait, comme un rayon matinal, à travers sa fantaisie, on voyait
reparaître sur ses toiles le style de Pierre-Paul. L'Adoration des Bergers, par exemple, qui orne la cathédrale
de Saint-Rombaud, à Malines, dénote ces retours du peintre vers ses premières affections et ses premiers
travaux. La toile porte son nom et la date de 1669; il avait donc soixante-deux ans, lorsqu'il la couvrit de
personnages. Or, l'exécution rappelle tout à fait le goùt et les procédés de Rubens; ce sont les mêmes
chairs roses et abondantes, la même ampleur de formes, la même richesse de costumes. L'amarante
d'Otto Venius, qua Pierre-Paul aimait peu, reparaît sur les vêtements. La couleur, le dessin, l'aspect
général du tableau font immédiatement songer au chef de l'école anversoise. Les ombres sont seulement
plus fortes, d'où résulte une certaine exagération du clair-obscur, une opposition trop violente des parties
sombres et des parties lumineuses. Quoique la scène soit originalement conçue, l'élévation manque, aussi
bien que l'ardeur; le morceau. atteste une période passagère d'allanguissement.
La Cène qui décore, à Malines, l'église Notre-Dame et rappelle bien moins le style de Pierre-Paul,
dénote une plus vive inspiration. Le repas a lieu dans un portique sans toiture; un entablement soutenu
par d-e hautes colonnes se profile sur le ciel et sur des arbres majestueux. La noblesse et la variété des
types, les profonds sentiments qui animent les personnages, leurs excellentes attitudes, la puissance de
l'exécution et le charme de la couleur distinguent en même temps cet admirable
morceau. Je ne crois pas
que Van Dyck ait rien fait de mieux. Un jeune serviteur qui porte, sur le premier plan, deux vases de
cuivre attachés à un fléau, soutiendraitla comparaison avec les plus gracieuses créatures inventées
par le
génie de Raphaël. Les ombres étant d'ailleurs plus claires que dans les autres tableaux de Quellyn, l'œuvre
y gagne en harmonie.
C'est encore une production étonnante que le Christ sur le Calvaire, que possède l'église Saint-Nicolas,
à Gand. Le divin Martyr regarde le ciel avec un sentiment de douleur et de résignation merveilleusement
exprimé. Quelle belle tête que celle de la Madeleine, et quelles larmes tragiques tombent de
ses yeux
tournés vers le Rédempteur souffrant! Les autres acteurs du drame ne sont pas agités d'une moindre
émotion. La douleur de saint Jean ne pourrait s'accroître sans lui faire perdre connaissance. La toile est
sombre, parce que le soleil s'éclipse, mais toutes les formes demeurent nettes et distinctes dans
ces
ténèbres savantes.
Parmi les œuvres mystiques d Erasme Quellyn, il faut signaler le Triomphe de la Religion chrétienne, qui
orne l église Saint-Pierre, à Gand. Jamais figures emblématiques n'ont été peintes avec plus de bonheur.
Assise sur un char splendide et tenant en main l'ostensoir, la fille du Messie
avance malgré tous les obstacles.
Les roues du véhicule foulent l'Envie; l'Ignorance et la Sottise, chargées de liens, sont traînées à l'arrière.
Si le tableau mérite un reproche, c'est
que la jeune dialecticienne est trop belle : cette tête ravissante et ce
beau corps vous font oublier qu'on est devant un symbole, devant le songe gracieux d'un artiste. Une autre
allégorie, qu'on voit dans l'église Saint-André, à Anvers, n'a pas moins d'attrait poétique: elle représente
un
ange gardien protégeant son pupille contre les séductions du monde. Le sujet, clairement exposé, charme
l'esprit comme une légende, et le travail est digne de la composition. Le protecteur surnaturel, qui lutte
contre la Volupté, l'Ambition et l'Envie, a réellement l'apparence d'un être céleste. Dans
son regard brille
une colère profonde, mais digne et contenue, d'un caractère éminemment tragique. La toile porte une
signature complète : E. Quellinus fec. anno 1667, œtat. suce 59.
Si l auteur a su animer, rendre agréables de pareils motifs, c'est qu'il possédait
une imagination pleine de
grâce et de poésie : ses tableaux font quelquefois penser aux ballades septentrionales,
aux récits de la veillée,
aux contes populaires. Tel est celui qui représente le Ménagé de saint Joseph. Devant une cheminée où
se dressent de grands chenets flamands, la Vierge est assise dans un fauteuil d'osier, comme une simple
t
mère de famille. Le jeune Emmanuel dort sur ses bras, tout emmaiiloté. Un petit
ange suspend par les
deux coins un lange devant le feu, pour qu'il sèche. Près du foyer, on aperçoit
un vase plein de bouillie
•où trempe une cuillère. Un autre angelet bat les oreillers du Christ et met en ordre
son berceau. Tenant un
ciseau et un maillet, saint Joseph s'appuie sur le dossier du fauteuil et semble parler à la Vierge, qui l'écoute.
Ne dirait-on point un épisode des vieux contes publiés par l'évêque Percy,
par Clément Brentano et les
frères Grimm ?
Je suis persuadé qu'un grand nombre de toiles admirées comme des tableaux de Van Dyck, soit dans
les musées, soit dans les cabinets d'amateurs, sont dues au pinceau de Jean van Hoeck et à celui d'Erasme
Quellyn. Les marchands ont effacé la signature, ou ont profité de ce qu'elle manquait,
pour baptiser
ces pages d 'un nom qui augmentait leur valeur vénale. L'ignorance des acheteurs et leur vanité sont
devenues les complices de la fraude. Il serait donc important de bien examiner toutes les
œuvres qu'on
attribue au peintre de Charles Ier. Un homme qui connaîtrait parfaitementle style de Quellyn le vieux et la
manière de Van Hoeck pourrait ainsi leur restituer de magnifiques ouvrages. N'est-ce pas
une suprême
injustice de vouloir concentrer' toute la gloire sur un petit nombre d'individus,
comme on le fait
généralement, et, pour y parvenir, de reléguer les autres dans l'ombre, après avoir enlevé de leur front
des couronnes aussi bien méritées que celles des favoris du destin ?
Erasme eut pour élève son propre fils et un nommé Van den Kerkhove. Celui-ci fut un des artistes qui
contribuèrent à fonder l académie de Bruges, et son premier professeur. Il existe deux tableaux de sa main
dans l'église Saint-Jacques de la dernière ville : l'un représente le sacrifice d'Abraham, l'autre le jeune
Tobie conduit par l'Ange. On lui attribue une toile de l'église Saint-Gilles, où l'on voit le Pharisien le
et
Publicain priant à leur manière dans le temple, selon la parabole de l'Évangile.
Des hommes sans discernement ont voulu faire d'Erasme Quellyn le jeune le dernier grand peintre de
l école d 'Anvers. On
ne disait presque rien de son admirable père ; on ne disait rien surtout qui pût
expliquer à la foule inattentive, aux amateurs ignorants, son esprit poétique, le charme de
son dessin et
les merveilles de sa couleur. Jamais Descamps, si peu en garde contre les méprises,
ne s'est montré
moins judicieux que dans son chapitre sur Quellyn le jeune; il traite le père
avec un sans-façon ridicule
Piscine de Bethsaïde. Les trois morceaux qui représentent les martyrs de Gorcum sont aussi des œuvres
médiocres. Dans les deux premiers (n°' 325 et 326), toutes les têtes ont le calme de l'insignifiance.
Le Christ chez Simon le Pharisien ne mérite pas plus d'éloges. C'est un travail essentiellementmédiocre,
de la colonne
pour ne point dire mauvais. J'en pourrais citer d'autres qui ne valent pas mieux. Du sommet
triomphale dressée en l'honneur de Quellyn le jeune, il faut donc abattre son image et y substituer celle
de son père, si injustement voué à l'oubli.
ALFRED MICHIELS.
1M1MMK M MMMTOM
Le Musée du Louvre ne renferme aucun tableau d'Érasme Je regarde comme de Quellyn deux tableaux que renferme
Quellyn le vieux. l'église du Sablon, à Bruxelles: l'un ayant pour sujet la mort
L'église Saint-Sauveur, à Bruges, possède deux belles de sainte Barbe ; l'autre, une sainte qui refuse de sacrifier
pages de sa main : l'une représente une scène mystique, où aux idoles; et le saint Augustin offrant à Dieu un cœur
saint Augustin lave les pieds de Jésus; l'autre, le docteur enflammé que possède l'église de la Chapelle, dans la même
méditant sur le mystère de la Trinité. Le premier tableau ville.
porte la date de 1666; tous deux proviennent de l'ancien Comme Van Dyck, Érasme avait peint presque tous les
monastère des Augustins. artistes fameux de son temps. Que sont devenus ces portraits?
On attribue à Érasme une toile de la même église, figurant Une inscription placée sous son image, dans le Cabinet d'or
saint Antoine de Padoue, qui fait agenouiller un âne devant le de Cornille de Bie, nous apprend qu'il exécutait de petits ta-
Saint-Sacrement. bleaux ; il serait important de les rechercher. La même note
Deux tableaux inférieurs de Quellyn figurent dans le Musée assure qu'il entendait fort bien la perspective et brillait par
d'Anvers : le numéro 283 représente saint Bruno qui res- son talent d'architecte. Baldinucci (tome XVII, p. 54 et 55;
suscite un petit enfant ; le numéro 284, le même saint qui n'a fait que traduire cette inscription.
guérit un homme mordu par un serpent. Érasme a gravé des planches peu étendues, aussi bien
Une Sainte Famille, signée en toutes léttres, décore une d'après ses tableaux que d'après ceux de son maître. Bolswert,
chapelle située près de l'hôtel du gouvernement provincial, -,'l Pierre de Jode, Vorsterman, Pontius et d'autres artistes ont
Anvers. reproduit sur le cuivre ou l'acier quatre-vingts de ses toiles,
Une composition allégorique, signée et datée de 1665, orne sinon davantage. Notre Cabinet des estampes n'en possède
l'église Saint-Quentin, à Louvain; elle nous montre la Vierge qu'un très-petit nombre; les administrateurs devraient re-
tenant l'Enfant Jésus dans ses bras et écrasant la tête du garder comme indispensable d'acheter les autres.
serpent; au bas, saint Joachim et sainte Anne; dans le loin-
tain, Adam et Ève chassés du Paradis.
(o'co/e ^camanc/e. %úéæ?<e, I*eld re&Mfiuv.
et peut-être même à Paris. Nous compléterons de notre mieux ces indications trop sommaires. Le général
des mathurins, Louis Petit, songeait toujours à son église; il entreprit de faire reconstruire le maître-autel, et
il confia à van Tulden le soin de le décorer. Celui-ci peignit — nous citons ici Germain Brice « trois
JOSEPH CRAESBEKE
N'É VERS 160R. — MOUT E:X ¡(¡lil<,
plaisanteries un peu fortes, du genre de celles qui amusent les ivrognes, la justice d'Anvers crut devoir
intervenir, et Brauwer fut invité à évacuer le pays. Nos deux amis se séparèrent, et Craesbeke, dont la
jalousie s'était un instant réveillée, n'en fut peut-être que médiocrement affligé.
D'après le petit nombre de tableaux que ce peintre a laissés, on peut croire qu'il n'abandonna pas
complètement sa profession de boulanger et qu'il fit de la peinture seulement en amateur. Cependant
Craesbeke pouvait exercer son art à un autre titre, et ce fut vraiment un maître. Malheureusement il se plut,
non-seulement à observer la nature sans choix, mais à la représenter plus laide encore que le hasard ne la lui
offrait. Il semble que, non content de ne pas rechercher la beauté, il ait eu des préférences pour la laideur.
Ainsi les biographes nous apprennent qu'il aimait à peindre les plus ignobles grimaces et qu'il passait
quelquefois des heures entières devant son miroir à dessiner les contorsions volontaires de son visage et les
plis qu'y avait creusés la jovialité habituelle de son gros rire. Souvent, dit Houbraken, il se mettait un
emplâtre sur l'œil en ouvrant une bouche effroyable. C'est ainsi qu'il osa faire plusieurs fois son portrait,
notamment celui qui eut l'honneur de figurer dans le célèbre cabinet du comte de Yence, et que François
Basan a gravé. Par exception, il est arrivé à Craesbeke d'oublier les habitudes de sa vie et celles de son
esprit, pour peindre de beaux portraits dans un style décent, par exemple, ceux des principaux maîtres en
fait d'armes de la ville d'Anvers, dont il représenta dans le même tableau les différents exercices, tableau
qui se trouvait au dernier siècle dans la salle de leur confrérie, et qui peut-être y est encore. Mais, à part ce
caprice, les goûts dominants de Craesbeke se retrouvent dans presque toutes ses peintures, et celles-là sont
les meilleures, il faut bien le dire, parce qu'elles présentent les qualités du maître dans toute leur force,
c'est-à-dire que sa verve n'y est pas refroidie par ces convenances qu'on ne saurait observer avec fruit que
lorsqu'on en a un sentiment véritable. Chose surprenante que l'art du peintre! Partout où il est présent, la
laideur se tolère, la grossièreté disparaît, l'inconvenance s'oublie, et l'ignoble même, quoique impardonnable,
est cependant pardonné.
„
CHARLES BLANC.
Les tableaux de Craesbeke sont rares. On doit penser du le tome III du Musée Filhol et dans le Musée Landon. Mais
reste que plusieurs de ses ouvrages ont été attribués à ces diverses gravures ont fort mal rendu l'esprit du maître.
Brauwer. On ne le retrouve tout entier que dans une admirable litho-
LE LOUVRE ne possède qu'un seul tableau de Craesbeke, graphie faite par M. Gigoux en 1832, et publiée par le
mais qui peut passer pour son chef-d'œuvre.C'est celui qui journal la Liberté, Revue des arts.
est connu sous le titre : l'Atelier de Craesbeke. Ce tableau, Basan a gravé le portrait du peintre qui était dans le
dit le catalogue, fut acheté par M. d'Angivilliers comme une cabinet de Vence et qui le représente la bouche démesuré-
œuvre de Brauwer et on l'inscrivit au livret de la première ment ouverte, un emplâtre sur l'œil. In-fol.
exposition du Musée en 1793, sous ce titre : Atelier de Maleuvre a gravé pareillement in-folio, sous le titre de le
Brauwer peignant un portrait. Roupilleur, un gros Flamand assis devant une table servie.
LE MUSÉE DE BRUXELLES n'a qu'une Tabagie Flamande,
— Tiré de la mème collection.
mais le MUSÉE D'ANVERS n'a aucun tableau de Craesbeke, et L'attribution de quelques tableaux de Craesbeke à Brauwer
cela peut surprendre. explique pourquoi on rencontre si rarement dans les ventes
MUSÉE D'AMSTERDAM. Portrait en pied de Hugo de Groot publiques des tableaux du premier de ces deux maîtres.
(Grotius) dans son cabinetd'étude. VENTE COMTE DE VENCE Un buveur endormi sur sa
.
GALERIE DU BELVEDÈRE à Vienne. Trois soldats en conver- chaise; il est proche du poèle et d'une table servie de
sation avec deux femmes assises sur une muraille en différents mets, aussi bien touchés qu'ils paraissent exquis.
ruines. Le fond est un paysage avec des fabriques. Bois, seize pouces sur douze : -100 liv.
Descamps cite comme des tableaux connus de Craesbeke, Le portrait de Craesbeke faisant la grimace. Il tient
une Femme ratissant des carottes de la collection Lormier une pipe et un verre à boire. Bois, treize pouces environ
à la Ilaye, et un Ermite en prière qui appartenait du temps sur dix. On en a l'estampe gravée par Beauvarlet. (Le cata-
de ce biographe à M. Cauwerven de Middlebourg. Cet auteur logue se trompe ici : l'estampe est de Basan.) 21 liv.
cite encore comme étant dans son propre cabinet, à Rouen, VENTE CARDINAL FESCH, 18^0. Les dangers d'une orgie.
un tableau capital peint sur bois. Ce sont des paysans qui A la suite d'une partie de cartes et après avoir bu outre
s'égorgent dans une guinguette. « Tout y est renversé, mesure, deux rustres se sont pris de querelle. L'un est
dit-il, tables, pots, verres, hommes, femmes et enfants; saisi à la gorge et renversé par l'autre sur un tonneau qui
ici un des combattants est étendu mort, un autre tient à la est entraîné dans sa chute, ainsi que la table, les certes et
gorge celui qui l'a blessé d'un coup de couteau : ce tahleau le pot de bière. Leurs femmes cherchent à les séparer. La
est entièrement dans la manière de Brauwer. n mèlée devient générale. La composition est de plus de vingt
Craesbeke a été fort peu gravé. Le tableau du Louvre l'a figures : 121 scudi, fi52 francs.
été plusieurs fois, dans le Musée Laurent par Thomas, dans Voici le monogramme de Craesbeke
Henriette se sauver -en France et Charles Ier se réfugier: avec ses enfants dans la ville d'York. Le comte
d'Arundel songeait à émigrer; les Cavaliers se dispersaient, le temps des portraits splendides était passé.
Van Dyck, malade, épuisé, 'attristé d'ailleurs par un mariage qui n'était pas selon son cœur, conçut
néanmoins le projet d'aller à Paris solliciter les peintures de la grande galerie du Louvre. Il partit donc au
commencement de l'année 1641. Mais il trouva sur son chemin Nicolas Poussin, qu'on avait fait revenir de
Rome tout exprès pour décorer le Louvre, et qui lui-même allait être dégoûté et supplanté par les intrigues de
la jalousie. Van Dyck resta donc peu de temps à Paris. Toutefois il y laissa une trace de son passage dans le
portrait d'un éditeur d'estampes fort connu, Langlois dit Ciartres, qu'il représenta jouant de la cornemuse.
De retour à Londres, Van Dyck tomba dans un état de langueur qui annonçait sa mort prochaine. Charles If'r,
qui lui était vraiment attaché, promit 300 livres à son médecin s'il parvenait à guérir le malheureux peintre.
Mais les sources de la vie étaient taries en lui On essaya en vain des remèdes les plus héroïques. Houbraken
!
raconte qu'on égorgea une vache à laquelle on ouvrit le ventre, et que l'on y coucha le moribond pour
ramener quelque chaleur dans ses membres glacés1. Tout fut inutile. Van Dyck mourut à Blackfriars, le
9 décembre 1641, laissant une tille qui lui était née huit jours avant sa mort et qui s'appelait Justiniana. 11
fut enterré le 11 dans le chœur de l'ancienne cathédrale de Saint-Paul, près du tombeau de Jean de Gand.
Par son testament déposé à Doctor's Gommons et daté du 1er décembre 1641, il lègue 4,000 livres (sterling)
à une fille naturelle nommée Marie-Thérèse, en lui désignant sa sœur, Suzanne Van Dyck, béguine à Anvers,
pour tutrice. A une autre sœur, nommée Isabelle, il assure une pension de 250 florins. En cas que sa fille
Marie-Thérèse vînt à mourir sans être mariée, il faisait passer les 4,000 livres à une autre sœur qui avait
épousé M. Dirrick. A sa femme Marie et à sa fille Justiniana, née le jour même 1er décembre, il lègue, pour être
également partagés entre elles, tous ses tableaux, effets et toutes les sommes dues à lui en Angleterre par le
roi, la noblesse et toute autre personne. Il confie à Catherine Cowley l'éducation de sa fille, à laquelle il
alloue 10 livres par an jusqu'à ce qu'elle ait atteint sa dix-huitième année. Il laisse des dons en argent tl
ses exécuteurs testamentaires, 3 livres à chacun de ses serviteurs et 3 livres aux pauvres des paroisses de
Saint-Paul et de Sainte-Anne (Blackfriars)2.
La veuve de Van Dyck épousa sir Richard Pryse de Gogerdan, baronnet, de la province de Montgommery,
duquel elle n'eut point d'enfants. Justiniana fut mariée à sir John Stepney de Frendergast, dans la province
de Pembroke, troisième baronnet de ce nom, et leur postérité ne s'est éteinte que le 12 septembre 1825, dans
la personne de sir Thomas Stepney. Gratifiée par Charles II d'une pension qui fut fort mal payée, lady
Stepney, restée veuve, épousa en secondes noces Martin de Carbonell, dont les héritiers poursuivaient encore
en 1783 la remise des sommes dues à Van Dyck.
Plus noble que Rubens dans le choix des formes, Van Dyck eut moins de défauts que son maître, mais
peut-être aussi moins de grandeur. Il eut autant de charme dans son coloris sans avoir autant d'éclat. Il fut
dessinateur savant, mais sans pédantisme, et ses contours furent toujours conduits par le sentiment de la
grâce ou par le feu du génie. Rien près d'être égal au Titien dans ce grand genre des portraits où il apporta
d'autres qualités, Van Dyck s'est parfois élevé très-haut dans ses compositions historiques, et la beauté des
expressions y est souvent aussi admirable que l'excellence de la touche. Ce n'est pas seulement dans les
merveilleuses estampes deBolswert et de Vorsterman que son Couronnement d'épines et son Christ mort sur
les genoux de la Vierge sont des chefs-d'œuvre. Je ne connais guère de peintres qui aient fait des Christ plus
admirables. Tantôt on voit au pied de la croix des saintes en prière ou des anges qui recueillent dans des
coupes d'or le sang du sacrifice; tantôt le Fils de l'homme est représenté seul, au haut de la montagne, la
nuit, sur un ciel noir, tandis qu'on aperçoit au loin la triste Jérusalem dans une lueur crépusculaire. Tout
récemment, en visitant le cabinet d'un avocat célèbre 3,
je me suis trouvé en présence d'une de ces
pathétiques images, et j'en ai ressenti une émotion extraordinaire, tout à fait imprévue. Rien de plus touchant
à voir que cette victime ainsi abandonnée sur le Golgotha, au sein des ténèbres, quand les disciples se sont
retirés et que Marie elle-même a été entraînée loin de ce lieu maudit!.... Il est des peintres complètement
ignorés de la foule qui cependant occupent le premier rang dans l'art. Il en est d'autres qui ont le privilège
d'avoir un nom populaire et d'être admirés par les plus fins connaisseurs. De ce nombre est Van Dyck. Sa
gloire s'est répandue chez tous les peuples de l'Europe sans fatiguer les hommes d'élite qui font et qui
soutiennent les renommées. En peignant les héros de son temps, il s'est associé à leur immortalité ou les a
enveloppés dans la sienne. De sorte qu'en même temps qu'il a sa place marquée dans la galerie des grands
peintres, il demeure pour nous un personnage de la grande histoire.
CHARLES BLANC.
Van Dyck a gravé à l'eau forte vingt-trois pièces pleines WINDSOU. Dans la seule salle dite de Van Dyck (Van Dyck
de génie, et qui sont fort recherchées; ce sont pour la plu- room), on compte plus de trente morceaux du peintre:
part des portraits. !\ous en avons dressé le catalogue d'après voici les principaux: le portrait du peintre Snellinx ; ceux
l'excellent travail de M. Carpenter; le défaut d'espace nous du roi Charles -1er et de la reine Henriette; la duchesse de
force de supprimer ce catalogue. Nos lecteurs le trouveront Richmond, lady Venetia Digby, les deux jeunes fils de Buc-
dans un livre qui sera bientôt publié par nous, et qui aura kingham, George et François Villiers, Killegrew et Corew ;
pour titre : Le Trésor de la curiosité. le portrait équestre de Charles Ier si souvent reproduit :
il est accompagné d'un écuyer qui tient son casque.
Voici maintenant les tableaux de Van Dyck que possèdent MUSÉE DE MADRID.
— Vingt-deux tableaux de Van Dyck :
les collections nationalesde l'Europe. — la Vierge aux roses ; le portrait du peintre David
Ryckaert, celui de la duchesse d'Oxford; le comte de
LE MUSÉE DU LOUVRE ne contient pas moins de vingt et un Berglt en pied ; un Musicien, le comte de Bristol, etc.
tableaux de ce maître. Nous ne citerons que les principaux.
PALAIS DE GÈNES. —Celui de Giacomo Balbi renferme un
Ex voto. La Vierge et l'Enfant Jésus reçoiventl'hommage portrait équestre de François Balbi, un portrait de femme,
du donateur et de sa femme, qui les invoquentà genoux.
Les experts du Musée estimèrent ce tableau -120,000 francs. un Christ mort, une Femme et un enfant, le portrait de
Spinola dans son armure.
La Femme adultère — Saint Sébastien : ce dernier fut PALAIS BUIGNOLE-SALE.-Unportrait du prince d'Orange
estimé, sous l'empire, 12,000 francs. ;
Vénus accompagnée de l'Amour. Évalué 35,000 francs. une demi-figure du Sauveur portant sa croix, peinte sur
bois; le marquis Jules Brignole-Sale à cheval, la mar-
l'Embarquement d'Énée — Mars et Vénus.
Le portrait en pied de Charles 1er, estimé d'abord
quise Paola Adomo Brignole-Sale; le Denier de César.
80,000 francs, ensuite -100,000. Charles 1er ne l'avait payé On trouve encore de beaux Van Dyck au palais Spinola et
à l'artiste que -100 livres sterling. Mmc Dubarri l'acheta dans ceux de la famille Durazzo.
A ROME, dans la galerie Borghèse, on admire le Christ mort
24,000 livres en 1770, du comte de la Guiche, à la vente
duquel il avait été retiré au prix de 17,000 livres. sur les genoux de la Vierge, tableau fameux de Van Dyck
Le portrait de François II, celui d'un Charles Ier, duc gravé par Vorsterman, et dans la collection du préfet
de Bavière, et celui d'Isabelle-Claire-Eugénie, souve- français, M. Mangin, un Christ en croix regardé comme
raine des Pays-Bas. — Deux portraits de François de
Mon- un des chefs-d'œuvre de Van Dyck.
cade, l'un en buste, l'autre en grand et à cheval. Ce Nous avons dit qu'il en existe un admirable à Paris dans
dernier fut estimé sous l'empire 30,000 francs.-Leportrait le cabinet de Me Chaix d'Est-Ange.
L'ERMITAGE, à Saint-Pétersbourg, a huit Van Dyck : encore
en pied d'un homme et de sa petite fille. Il fut estimé
45,000 francs. Charles Ier et sa femme, portraits séparés; le comte de
Dembich; lord Thomas Weston ; Van der Wouwer (celui
MUSÉE D'AMERS.
— Six tableaux de Van Dyck. — Le por-
trait de Malderus, évèque d'Anvers ; — le Christ en croix; que Van Dyck a gravé à l'eau forte) ; le peintre François
Sneyders et sa femme ; une Fuite en Égypte ; Madeleine
— le Christ au bassin ; — le Christ au tombeau ; — un
autre Christ en croix, — et le portrait en pied de César- aux pieds de Jésus, copie d'un tableau de Rubens.
Alexandre Scaglia. Si les tableaux de Van Dyck sont nombreux dans les
MUSÉE DE BRUXELLES. Huit tableaux du maître : —un galeries publiques à Dresde, à Munich, à Berlin, à Vienne,
—
Christ en croix ; — Saint Antoine de Padoue tenant l'En- en revanche ils sont rares chez les particuliers et ne se
fant Jésus; — Saint François en extase; — le Martyre de produisent pas souvent dans les ventes.
saint Pierre ; — une esquisse heurtée de la tète du juif VENTE DE JULIENNE, -1707.
— Le portrait de l'archiduc
présentant le roseau à Jésus-Christ dans le Couronnement Léopold et de l'infante Eugénie, 310 livres. — Celui d'une
d'épines — Silène ivre soutenu par un berger avec une des bonnes amies de Van Dyck, dit le catalogue, 513
-
bacchante ; portrait d'un bourgmestre et d'un peintre. livres.— Deux hommes jouant aux cartes, H,OOO livres.
VENTE DE BRUNOY, ni7. — Un homme jouant de la
MUSÉE D'AMSTERDAM.— Trois Van Dyck :
— portrait du
bourgmestre Van der Borght. — portrait en pied de la guitare, 0,000 livres. — Le portrait de Cromwell, selon le
princesse Marie et de son frère ; — Femme en pleurs dans catalogue, 500 livres. — Celui de Thomas Parr, 600 livres.
VENTE PRINCE DE CONTI, 1777. — Un homme jouant de la
un Paysage.
MUSÉE DE LA HAYE. —' La Famille Huygens,
— le duc de
musette (c'est le portrait de Langlois dit dartres, célèbre
Buckingham, — la duchesse sa femme, — le peintre éditeur d'estampes). II a son chapeau en partie rabattu, et
Quintin Simons. il est vêtu de rouge; en bas, est une tète de chien, 8,001
GALERIE NATIONALE DE LONDRES. Le portrait de Rubens; livres.
—
VENTE RANDON DE BOISSET, 1777. — Le portrait du prési-
— Saint Ambroise refusant d'admettre dans l'église
l'empereur Théodose (c'est une copie, avec quelques dent Richardot (celui qui est au Louvre), 40,400 livres.
changements, du tableau de Rubens, qui se trouve à VENTE CIIOISEUL-PRASLIN,1793. — Le Joueur de musette, le
Vienne); — portrait de Gevaerts, ami de Rubens; — étude même que celui précédemment mentionné, 8,800 livres.
VENTE ÉUARD, 1832. — Le Baiser de Judas, 10,080 fr.
de chevaux.
HAl\IPTOl'\COUHT.-Portrait de Marguerite Lémon
;
trait de Charles ler — divers portraits de femmes; —
;-
por- VENTE CARDINAL FESCII, 4845.— La Madeleine repentante
3,410 scudi, soit 48,444 francs.
le duc de Buckinglwm.- L'Amour et Psyché,— deux La Vierge et l'.Enfant, adjugé à lord Netsford, 7,5(',0
Vierges. — Samson et Dalila. francs. —La Résurrection de Notre-Seigneur, (H5 scudi, —
soit 3,321 francs. — Enfin un portrait d'homme,4,320 francs. Voici cette pièce avec son orthographe.
VENTE GUILLAUME ROI DE HOLLANDE, 1850. — Portrait de MÉMOIRE POUR SA Mgtifo LE ROY.
Philippe Leroy, seigneur de Ravels (celui que Van Dyck a
Pour moulures du Vol, conte
gravé à l'eau forte), avec le pendant, Mme Leroy, 63,600
Une teste d'un veliant poete -sa-/, 12
florins, soit 444,944 francs.
Le prince Henry 1 50
Le portrait de Martin Pépin, 9,799 francs.
Le roi à la ciasse (à la chasse.) 2 SQQ JOO
La Madeleine repentante 5,697 francs.
Le prince Cariesa veq leducqde Jare, princesse
A tous ces renseignementsintéressants nous ajouteronsle
Marie, princesse P. S.Elisabet P. Anna.. aoo 100
plus curieux de tous et le moins connu : c'est le compte
Le roy vestu de noir au Monsr Morre avec sa
présenté au roi Charles -fer en 1638 par Van Dyck. La pièce
mollure 3J£ 2.6
originale se trouve aux archives de la reine, en Angleterre;
elle a été imprimée pour la première fois par M. Carpenter,
+ Une reyne en petite forme
dans les Pictorial notices. On y voit que l'artiste a donné à
ses tableaux une évaluation que le roi n'a que très-rarement
+ Une reyne vestue en blu
........... 30
1 Tous les articles de ce compte que le roi a fait précéder
approuvée. Aussi le chiffre posé par Van Dyck se trouve-t-il d'une croix étaient dus par la reine, qui devait en fixer le prix.
biffé par le roi, qui a mis en regard sa propre évaluation. 2 On présume que c'est le tableau qui est au Louvre.
&;01/: !7tllItande. tsénimaucc, ScuiWj/érfeé
JEAN FYT
NÉ EN 1609.
— MORT EN 1661.
t
II faut lire sur Fyt le Catalogue du Musée d'Anvers et quelques mots de M. Burger, Galerie Suermondt, 1860, p. 125.
2 Fyt était de retour en Flandre en 1645. Il peignit alors avec Jordaens un tableau dont Descamps parle en ces termes dans son
Vbyage en Brabant : « Dans la salle des Archers modernes, on trouve un très-beau tableau peint en 1645 par Jean Fyt. Il y a
du gibier de toutes les espèces, et cinq figures peintes par Jordaens. Ce tableau se gâte et mérite à tous égards d'être bien réparé. »
Rubens, il a travaillé avec ses élèves et notamment avec Jordaens. Sans parler du tableau qu'ils avaient
fait ensemble, en 1645, pour le Serment de l'Arc, il y avait autrefois dans la collection du cardinal Fesch
une composition un peu bizarre, la Rencontre d'un lion, qui était, paraît-il, l'œuvre de Jordaens et de Fyt.
En d'autres occurences, c'est avec Thomas Willeborts que le peintre d'animaux s'associait. Parmi les tableaux
qu'ils exécutèrent à eux deux, on doit citer le Repos de Diane, du Musée de Vienne (1650). L'ardente
chasseresse se repose de ses fatigues ; ses nymphes prennent soin des chiens ou mettent en ordre les pièces
de gibier qu'elles ont rapportées de leurs courses à travers les bois. Inutile de dire que, dans le concours
fraternel qui s'est établi entre les deux maîtres, ce n'est pas à Willeborts que la victoire est restée.
Et, en effet, qu'est-il besoin de figures mythologiques dans les tableaux de Jean Fyt? Pour composer une
peinture intéressante, il lui suffit d'un lièvre suspendu par la patte à un tronc d'arbre, de quelques oiseaux
morts détachant sur l'herbe verte les riches colorations de leur plumage, et d'un chien de chasse, gardien
intelligent et fidèle de ces richesses. L'invention est peu de chose dans les tableaux de Fyt, en ce sens que
les éléments que sa fantaisie met en jeu sont presque toujours les mêmes; mais elle doit être comptée pour
beaucoup si l'on songe à l'habileté avec laquelle, se renouvelant sans cesse, il sait varier la combinaison de
ces éléments de façon à ne se répéter jamais, à nous séduire toujours. Son dessin exact accuse les formes
avec une précision parfaite, et, sous la plume frissonnante de l'oiseau, sous le pelage léger de l'animal, on
sent le mouvement caché de la vie. Nous ne voulons citer, d'une manière particulière, aucune peinture
de Fyt. Les Deux Lévriers du Musée d'Anvers, le Garde-Manger du Louvre et vingt autres toiles, savamment
combinées et savamment peintes, montrent assez quel fut dans ce genre le talent du maître. Nous avons
dit quelles étaient la précision de son dessin, l'exactitude heureuse de son coloris, la fidélité patiente avec
laquelle il rend les détails ; mais ce soin précieux, cette infatigable conscience se concilient chez lui avec la
largeur du faire, et, même dans ses tableaux les plus finis, Jean Fyt demeure un Flamand de la grande
école.
Sneyders étant mort en 1657, Fyt se trouva naturellement appelé à lui succéder dans l'estime de tous
les bons juges. Il n'était pas indigne de cet honneur; et, s'il faut tout dire, bien que Sneyders soit un
maître considérable et au-dessus de la discussion, il nous semble que Fyt l'a dépassé quelquefois, non
par l'éclat de la lumière et le brio de l'exécution, mais par la sincérité de l'accent. Si Sneyders croit à
Rubens, Fyt croit à la nature, et il l'étudié avec la passion résolue d'un amoureux, avec le culte intelligent
d'un esprit qui déjà sait beaucoup, mais qui veut savoir encore davantage. Je dois remarquer toutefois
qu'il existe dans l'œuvre de Fyt une seconde série d'eaux-fortes qui attestent une certaine lassitude, un
respect moins profond pour la vérité du dessin. Ces eaux-fortes, qui, de même que celles du premier recueil,
sont au nombre de huit et qui représentent divers animaux, sont peut-être un ouvrage de ses dernières
années. Les épreuves que Bartscha décrites, et qui diffèrent sous ce rapport de celles que conserve le Cabinet
des estampes, portent une inscription indiquant qu'elles auraient été publiées en 1660, « à Paris, chez Van
Merlen, rue Saint-Jacques, à la Ville d'Anvers. » Il ne s'agit peut-être là que d'un nouveau tirage de gravures
antérieurement exécutées : toujours est-il que la série connue sous le titre de Différents animaux est bien
inférieure à celle dont nous avons parlé au début de cette Notice et qui représente des chiens.
La date de la mort de Jean Fyt a longtemps été ignorée; mais les auteurs du catalogue du Musée d'Anvers
nous ont éclairé sur ce point en citant un extrait des comptes de la paroisse Saint-André. Ce document
constate, à la date du 14 septembre 1661, une recette de douze florins payés aux deux marguilliers qui,
revêtus de leurs simarres, ont accompagné jusqu'à l'abbaye de Saint-Michel le convoi funèbre du « sieur Fyt.))
Or, celui que les comptables de Saint-André appellent tout simplement le sieur Fyt, c'est le peintre
éminent dont nous venons de raconter l'histoire.
PAUL MANTZ.
H lHl!(Cm<DÏÏ8
Nos lecteurs trouveront dans le livre de Bartsch (t. IV, aux Ours; Deux Chiens se disputant de la viande; Des Chiens
p. 205) la descriptiondétailléedes seizeeaux-fortes de Jean Fyt. gardant du gibier; Chasse au Sanglier ; Gibier sur une table.
Quant à ses peintures, les catalogues des musées et des col- VALENCIENNES.
— Lapins et Canards ; Lièvres et Perdrix
lections particulières nous fournissentles indicationssuivantes :
LOUVRE. — Gibier et Fruits ; le Garde-Manger; un Chien
dévorantdu gibier, signés Johannes Fyt (1651).
,
VIENNE. — Gibier et accessoires de Chasse ; Fruits et
Animaux (1652) le Repos de Diane (1650) (les figures sont
de Thomas Willeborts); des Perdrix et un Chien, signé
AIX-LA-CHAPELLE.—GALERIESUERMONDT. -Deux Chiens Johannes Fyt (1647). (Ce tableau, quia été gravé par J. Eiss-
de chasse, un Chevreuil et d'autre gibier (1649).— Voy. sur ner, est reproduit en tête de cette biographie.)
ce tableau l'Étude de M. Burger sur la Galerie Suermondt. VENTE DE L'ÉLECTEUR DE COLOGNE, 1764.-Deux Hérons
ANVERS. — Le Repas de l'Aigle (donné au Musée en 1845, poursuivispar des Faucons, 100 livres. — Lièvres. Perdrix
par M. C.-J. Stier d'Aertselaer) ; Deux Lévriers (peinture -
et Bécasses, 501 livres. Fruits et Gibier, 400 livres.
provenant dela commanderie de Pitsenbourg, à Malines). VENTE VAN LANEKER. — Anvers (1769). Un Chien et des
BRUXELLES. — CABINET DE M. DUBUS DE GISIGNIES. — Cailles, 60 florins.
Un tableau daté de 1646. VENTE DE MME LENGLIER (1788). — Un Chien, un
DRESDE. — Deux Perdrix suspendues. Lièvre et des attributs de Chasse, 170 livres.
GENÈVE. — Nature morte; tableau donné par M. Fabry. VENTE LANEUVILLE (1811). — Différentes pièces de gibier
LILLE.- Oiseaux et Lapins; Gibier et Ustensiles de Chasse. et un Chien qui semble les garder.
LONDRES.—GALERIE BRIDGEWATER.-Un Chien enchaîné VENTE DU CARDINAL FESCH (Rome, 1845). — Des Oiseaux
à son chenil (gravé dans la galerie Stafford). morts; la Rencontre du Lion (Figures de Jordaens).
LYON. — Un Lièvre, des Bouvreuils et d'autres Oiseaux. VENTE DU MARÉCHAL SOULT (1852). — Gibiergardé par des
MUNICH. — Chevreuils poursuivis par des Chiens; Chasse Chiens,2,050 francs.
Sca/e ffl/amanc/e. Yie'ned rlr, fa me rJJlCtJlrlr.
1 Voyez le Catalogue raisonné des tableaux de M. de Julienne, par Pierre Remy. 1767. Ecole des Va'ibas.
i Voyez dans cet ouvrage l'histoire de Ribera et l'aventure qui amena sa mort.
allaient ainsi d'Anvers à Bruxelles, offrant leur marchandise, et plus d'une fois ils eurent l'humiliation de
ne
point trouver d 'aclieteurs. Peut-être le goût des petites figures et des scènes populaires est-il né chez
Teniers le jeune des enseignements quotidiens de cet humble commerce, plutôt de l'exemple donné
encore que
par son père : les grandes compositions, la poésie, la pensée, le style, ne se vendent guère au marché. L'âne
rapportait les belles pièces et ne plaçait que les menues denrées. Or Teniers fut toute
sa vie fortement
préoccupé de la vente. Car il entendait que son existence fût riche
comme sa palette, facile comme son talent,
et nous verrons qu 'à ce genre d ouvrage il ne réussit pas moins qu'à tous les autres. Il est,
en peinture, le
créateur de l'improvisationqui donne des châteaux et des varlets, des justaucorps de satin, de beaux bahuts
en bois sculpté, des lustres en cuivre poli et de nobles dressoirs où brille la vaisselle d'or.
Un' jour Teniers, âgé d'environ quinze ans, peignait dans l'atelier de son père : entre Rubens. Tout se
trouble à l'apparition du grand peintre, et le jeune homme tremble, de peur? non, mais d'enthousiasme.
Rubens s'arrête devant le chevalet de l'élève, il promène sur le tableau commencé ce regard qui peuple les
toiles; puis, saisissant le pinceau de Teniers et conseillant à la fois de la main et de la parole, il lui donne
en quelques instants une leçon et un tableau. N'est-ce pas là une scène à peindre? Cet élève qui est Teniers,
ce maître qui est Rubens, et la tradition du génie se transmettant ainsi de vive voix ! Sans doute, de siècle
en siècle, les grands artistes s'inspirent les uns les autres; ils se servent ainsi de professeurs par la pensée,
et quand ils sont muets, leur œuvre parle encore; mais lorsque la leçon est vivante, cette transmission visible
est une émotion de plus pour la postérité. On aime ces rencontres dans le passé entre ceux qui doivent se
rencontrer dans l'avenir.
L'imitation passionnée des œuvres des grands maîtres est presque toujours la première forme de l'inspiration
chez la jeunesse. Trouver le talent d'autrui, c'est la première découverte du talent qui se cherche. Mais dans
la jeunesse de Tèniers, l'imitation offre cela de particulier qu'elle est une originalité véritable. Une copie faite
par Teniers n'est pas une copie, c'est un autre exemplaire du maître; il n'imite pas Titien, par exemple,
ou Paul Véronèse ou Rubens, il les recommence, et certes ce n'est pas à Teniers que peuvent s'appliquer
ces remarques du chevalier de Jaucourt : « Les faussaires en peinture contrefont plus aisément les ouvrages
« qui ne demandent pas
beaucoup d'invention, que ceux où toute l'imagination des artistes a eu lieu de se
« déployer.... Les faiseurs de
pastiches ne sauraient contrefaire l'ordonnance ni le coloris, ni l'expression des
« grands maîtres. On imite la
main d'un autre; mais on n'imite pas de même son esprit. »
Lui, Teniers, il avait la puissance de s'approprier tout. Son assimilation ne s'arrêtait pas à la manière
de manier le pinceau, d'employer les couleurs, de frapper les touches; il entrait si avant dans l'esprit du
peintre, il se pénétrait si profondément de son humeur, qu'il reproduisait à volonté la fermeté grave du Titien,
la fougueuse abondance de Rubens et le luxe de ses fraîches carnations, et ses airs de tête et le caractère
mouvementé de ses compositions. Si bien que Teniers, cet enfant de la cité d'Anvers, est le représentant
du génie national de la contrefaçon, et, par une autre singularité, ce sont des Flamands que ce Flamand
excelle à contrefaire, et toute la Belgique s'y trompe elle-même'. Rubens surtout, qui ne s'attendait pas à faire
un élève si fidèle, s'étonne de cette concurrence imprévue, qui le traduit ainsi dans sa propre langue. C'est à
s'y méprendre, en effet. Le cabinet de l'archiduc Léopold était peuplé de ces copies originales. Triest, évêque
de Gand, la reine de Suède, le roi d'Espagne en commandaient à Teniers; quelques amateurs, chose assez
piquante! poussaient la surprise jusqu'à la préférence. N'est-ce pas double fortune qu'un tableau de Rubens
qui est de Teniers?
C'est à David le fils que nous devons la célèbre collection de l'archiduc Léopold, qui fut publiée pour la
première fois, en 168-5, chez Abraham Teniers, frère de David, qui était marchand d'estampes à Anvers.
Mais cette publication ayant paru d'abord par planches séparées, le successeur d'Abraham fit de ces planches
un volume qu'il mit au jour sous ce titre : Théâtre des peintures de David Teniers, avec une préface qui dans
quelques exemplaires était en français, dans d'autres en espagnol, et dans le plus grand nombre en latin1. Plus
tard, les tableaux de l'archiduc ayant été transportés à Vienne, on joignit aux éditions subséquentes une gravure
qui représentait la vue perspective de ces tableaux rangés dans la galerie impériale. Mais dans la dernière
réimpression qu'on en fit en 1755, et qui est connue sous le titre : Le grand cabinet des tableaux de l'archiduc
Léopold-Guillaume, peint par des maîtres italiens, et dessiné par David Teniers, les éditeurs commirent une
faute en nommant David Teniers le vieux au lieu de David Teniers le fils. Le savant Heinecken a relevé cette
erreur dans son précieux livre.
Avec la nature, David Teniers en usait aussi familièrement qu'avec les grands maîtres. Il la contrefaisait,
elle aussi, et il lui dérobait non-seulementses formes, mais ses secrets, non-seulementses phénomènes, mais
son esprit. Et la facilité du travail, l'entrain de l'improvisation étaient chez lui des qualités prodigieuses, et
c'est par allusion à ces qualités que l'on raconte au sujet de Teniers des anecdotes plus ou moins arrangées sans
doute, mais conformes à son caractère et vraisemblables par ce côté. Il arrive un jour au village d'Oyssel avec
sa boîte à couleurs, revenant sans doute de quelque herborisation de peintre dans la campagne. Il avait faim,
mais il n'avait pas d'argent. Il entre dans une auberge et déjeune avec sécurité. Quand l'hôte lui présente la
note à payer, il prend ses pinceaux, et, en fort peu de temps, il transporte de la rue sur une toile un mendiant
qui jouait tranquillement de la cornemuse, sans se douter qu'il devenait un chef-d'œuvre. Un Anglais qui
déjeunait à côté de Teniers, de moins bon appétit sans doute, quoiqu'il eût des guinées plein ses poches,
s'approche du jeune Flamand et paraît fort surpris de voir ainsi payer un déjeuner en monnaie de peintre.
A la vue de ce mendiant qui, sur la toile, ne réclame plus la pitié, mais l'admiration, le riche amateur fait à
I Le titre latin etait Davidis Teniers antuerpiensis riCloris, etc. Theatrum picturarum. 1660, Antuerpice apud Henricum
Ametsens, in-folio.
l'artiste l'aumône de l'enthousiasme en pièces d'or et s'empresse d'emporter la copie, tandis que Teniers fait
déjeuner à son tour l'original et paie magnifiquement les deux repas à l'hôtelier stupéfait.
Cette aventure d'un déjeuner payé par un tableau, reproduite chaque jour, sous diverses formes, devait.
être l'histoire de la vie entière de Teniers. Dès que la gloire fut venue, il en fit du luxe, et chaque tableau
dut solder la fantaisie du jour. Jeune, brillant, admiré, sûr d'avoir toujours de la couleur au bout de son
pinceau, Teniers le jeune acheta le château des Trois-Tours pour y recevoir les princes ses amis, et commença
à dépenser en hospitalité les recettes quotidiennes de sa verve. Deux de ses tableaux, qui
ne se ressemblent
que par le talent, peuvent représenter parfaitement l'histoire de Teniers, sa vie de luxe, sa vie de travail,
l'une soutenue par l'autre : le premier de ces tableaux représente l'Enfant prodigue, non pas celui de
l'Évangile, mais l'enfant prodigue au XVIIe siècle, c'est-à-dire vêtu en gentilhomme, les cheveux tombant
sur
les dentelles, la plume au feutre et le talon éperonné. Déjà le chapeau, le manteau court et l'épée suspendue
au baudrier ont été déposés sur un siége. Nous sommes à la porte d'une hôtellerie, en plein air; le ciel est gai
et la campagne riante. Une table entourée de valets, servie par un page, porte la richesse et la joie du festin,
tandis qu'au premier plan, sur le sable, deux flacons de cristal pleins de liqueurs aux reflets dorés, brillent
et sont tenus au frais dans une large bassine de cuivre artistement ouvragée. L'enfant prodigue est assis entre
deux femmes habillées de soie, blondes, souriantes, faites pour l'amour; et sa main frémit dans la main de
la plus belle; je dis-la plus belle, car, sans voir sa figure, on la devine charmante. On croit savoir qu'elle a un
teint clair et frais, beaucoup de douceur dans le visage, rien qu'à en juger par la grâce, la rondeur et la
blancheur du cou, et aussi par cette légère coloration de la nuque à l'endroit où naissent des cheveux d'un
blond hasardé. Le plaisir est là, comme dans tous les tableaux de Teniers, mais cette fois c'est le plaisir dans
des conditions d'élégance, et, d'aventure, la beauté délicate s'y rencontre. Quant au gentilhomme qui fait les
honneurs du festin, si ce n'est pas Teniers lui-même, c'est peut-être son brillant ami, cet autre enfant
prodigue de la gloire, don Juan d'Autriche : voilà la dépense. Voici maintenant la recette : voyez dans ce
cabinet sombre, cet alchimiste p iché sur son œuvre mystérieuse. Les fourneaux sont allumés, les cornues
allongent contre les murailles leurs formes cabalistiques, les gothiques parchemins de la science sont ouverts,
et le hibou symbolique rêve dans son coin. Que fait là ce vieux docteur, sous son bonnet fourré? de l'or, de
l'or. C'est le secret de l'absolu. Et bien! à ce chercheur de transmutations, à ce vieillard ridé, chassieux et
barbu, enlevez ses lunettes, ôtez son bonnet, et voyez si ce n'est pas Teniers lui-même faisant de l'or avec des
couleurs. Heureux alchimiste dont l'alambic est une palette, le grand œuvre un chef-d'œuvre, et le laboratoire
la verte campagne des Flandres!
Ce fut là sa vie en effet : prodigalité et travail; deux plateaux d'une balance qui ne gardait pas toujours
l'équilibre, et c'est ainsi que, par l'improvisation de chaque jour, il se trouva, sans s'en apercevoir, avoir
fait ces deux lieues de tableaux qui n'ont fatigué personne, pas même l'auteur. On conçoit maintenant
pourquoi un grand nombre de ces toiles ont été appelées par les amateurs les après-diners de Teniers, nom
qui exprime à la fois le temps qu'elles lui coûtèrent et le motif qui les lui faisait peindre. Après dîner, il faut
payer la carte et rapidement. Les après-diners de Teniers sont donc le quart-d'heure de Rabelais. Chansons à
boire, scènes joyeuses de dessert, voilà ce que représentent ces petits tableaux de chevalet auxquels le peintre
mit si peu de prétention, auxquels nous mettons tant de prix. Aussi les faut-il regarder en sortant de table
:
c'est leur vrai jour.
« Montrez-moi une pipe, disait Greuze, et je vous dirai si elle appartient à une figure de Teniers. » Quel
caractère! quelle finesse d'observation cela ne suppose-t-il pas chez un peintre! mettre sa griffe sur tout,
signer de son nom le moindre détail, être reconnaissable dans une pipe! Quoi, lui, Teniers, si habile à
contrefaire ses devanciers ou ses amis, à dérober leur individualité, leurs airs de tête, leur procédé, leur
touche, leur esprit, il a lui-même une personnalité tellement tranchée, qu'on ne peut confondre sa manière
avec celle d'aucun autre! Oui, cet adroit voleur est, quand il veut, le mieux assuré des propriétaires. Tout à
l'heure, c'était le Protée de la peinture; il se glissait dans tous les ateliers, ramassait l'un après l'autre tous
les pinceaux, même au besoin cet illustre et redoutable pinceau du Titien qu'avait ramassé un empereur, il
colorait des tableaux à la façon vénitienne, il satinait des chairs avec la brosse de Rubens; il était tour à tour
Hollandais ou Espagnol, Tudesque ou Flamand,... et maintenant qu'il est retranché dans son cabaret, il est le
maître absolu chez lui; pas un artiste ne viendra dessiner un cruchon, peindre le ton d'un culot, toucher
le clair d'un tuyau de pipe, qu'on ne dise à l'instant : « Ceci n'est pas de David Teniers; je ne reconnais pas là
sa touche légère, spirituelle et décisive. » Non, dans toute l'histoire de la peinture chez les modernes, on ne
retrouverait pas un faiseur de pastiches aussi original, un imitateur aussi complètement inimitable.
Combien de peintres des Pays-Bas se sont attachés aux scènes de Bambochades! Les deux Van Ostade,
Brauwer, Corneille Béga et beaucoup d'autres ont rendu leur nom célèbre avec les mêmes sujets et presque
avec les mêmes personnages qui servirent de modèles à Teniers. Eh bien! parmi tant de maîtres, on démêle
sur-le-champ un buveur, un fumeur, une guinguette de Teniers. Et d'abord celles-ci se distinguent aisément
par la seule nature du sentiment que le peintre y a répandu, celui de la gaîté. David Teniers le jeune est
avant tout un philosophe enjoué, un observateurmalin, un peintre plein d'esprit, et dans la plus insignifiante
de ses après-dlners, on entrevoit toujours, au fond, une intention d'ironie familière. Introduisez, dans la
même tabagie, par exemple, AdI'Îen Ostade, Teniers, Brauwer. Aucun d'eux ne la verra des mêmes yeux
ni sous les mêmes couleurs. Aucun n'y verra les mêmes visages. Adrien Brauwer attendra, pour étudier
les physionomies, l'instant de la bataille. Il prendra ses pinceaux quand les buveurs échauffés saisiront les
cruches, les bancs, les chaises et les balais pour se les jeter à la tête. Adrien Van Ostade sera frappé de telle
pose naïve, de la quiétude d'un fumeur, de son silence. Il le peindra paisible, sérieux, méditatif, taciturne
et laid de toute sa bonne laideur; tandis que Teniers aura vu, au premier coup d'œil, le côté jovial,
le sourire goguenard; il aura choisi le moment où l'on devise sur les prouesses et les aventures de Monsieur le
bourgmestre de l'endroit. Ici on joue au trictrac sur une table ronde couverte d'un tapis. L'hôtesse assiste
à la partie, lance le gros mot pour rire et veut bien se laisser prendre la taille, pendant que son époux marque
sur une planche la bière qu'il vient de tirer. Là on boit à une accordée de village. Le père coupe des tranches
de jambon; le fiancé sourit d'un air niais, sans voir qu'on embrasse la mariée aux joues rebondies et
vermeilles. Cinq ou six paysans sont de la noce : celui-ci élève son verre, celui-là crie une santé; on rit enfin
et surtout l'on boit.... d'une trogne effroyable, comme dit Montaigne. Tout le monde est satisfait. Teniers
est ravi, car aucun détail de la scène ne lui a échappé; aucune expression de visage, si fugitive qu'elle fût, n'a
esquivé son crayon ou trompé son regard.
L'expression et la touche sont les deux grandes qualités par où brille Teniers le jeune. L'expression, plus
elle est grotesque, plus il se plaît à la poursuivre et mieux il la rend. C'est bien sous ce rapport le Scarron de
la peinture, et l'on peut dire qu'il a égalé la verve intarissable du chantre de Hagotin. Si les figures de Teniers
ressemblent si fort à ce héros du Roman comique, si elles sont courbes, voûtées, cagneuses, taillées à coups
de serpe, en revanche quelle justesse d'expression! Et si elles sont mal tournées dans la nature, comme elles
sont bien dessinées sur la toile! quelle vérité dans l'ensemble, quelle finesse dans les nuances! Chez Teniers,
le garçon d'auberge n'a pas les allures du paysan, le fermier de Perck ne danse pas comme le citadin de
Mali nés, et le magister du village a une façon particulière d'allumer sa pipe, de tenir ses cartes, de servir
du faro et de le boire. Que s'il vous arrive de rencontrer aux étalages des marchands de vieilles estampes les
Amusementsvillageois, arrêtez-vous un instant pour voir comme est rendue la passion des vieux joueurs de
boule. Il y a là un esprit, une ironie d'observation, un sentiment du burlesque, auxquels rien peut-être n'est
supérieur en ce genre. Un roi qui va jouer sa couronne, un amant qui risque la perte d'une maîtresse adorée,
un avare qui est sur le point d'aventurer son trésor, ne sont pas plus attentifs, plus intrigués, plus émus, ni sur
des épines plus tranchantes ou sur des charbons plus ardents que ce madré joueur de cochonnet au moment
où sa main cauteleuse vient de lancer la boule, longtemps pesée. Une fois partie, il ne veut plus qu'on lui
parle, c'est-à-dire qu'on parle à sa boule, car il soutient que le souffle d'une parole hostile pourrait en
détourner ou en arrêter la marche. Mais lui, il la suit de l'œil et du geste, l'encourage de la voix, la gourmande
si elle dévie, la caresse de quelques éloges sobrement ménagés, jusqu'à ce qu'évitant l'écart qu'allait lui
imprimerie heurt d'un caillou, elle arrive à destination, après avoir essuyé les feux croisés de cent yeux
braqués sur elle.
Exprimer avec tant de naturel et tant d'art ces scènes naïves, ces passions de soldats invalides, de villageois
grisonnants et endimanchés, ce n'est là pour Teniers qu'une des cent manières d'exercer son talent.
Parfois il rencontre la dignité, il s'élève jusqu'à la noblesse. On admirait naguère à la vente du cardinal
1
Fesch, à Rome, un Couronnementd'épines où Jésus, à demi-dépouillé de ses vêtements est représenté dans
l'intérieur d'un corps de garde. Il est assis sur une pierre et garrotté. « Ses longs cheveux tombent en
désordre sur ses épaules; sa tête affaissée sur sa poitrine se penche légèrement à droite, et ses regards abaissés
vers la terre expriment, comme tous les traits de son visage, une douleur profonde et résignée. Toute la
patience d'un Dieu outragé, toute la tendresse courageuse d'un homme, respirent sur ce beau visage
profondément empreint d'une mystérieuse mélancolie, où l'âme souffrante est venue s'épancher tout entière. »
Ainsi parle de ce tableau de Teniers un appréciateur qu'on peut en croire sur parole. Toutefois la souplesse
dont Teniers le jeune a fait preuve ici, et qu'il avait déjà déployée dans ses étonnants pastiches, ne l'empêche
pas d'avoir un caractère qui lui est parfaitement propre, et d'être facile à reconnaître, non-seulement à la
simple tournure d'une de ses pipes, comme disait Greuse, mais à la tournure ordinairement triviale de ses
sujets, et, pour les amateurs, à sa touche.
La touche est fort remarquable chez Teniers, et c'est peut-être de toutes ses qualités la plus caractéristique.
Son coloris fin, transparent, agréable, ses tons argentins suffisaient sans doute pour le distinguer des autres
peintres; mais il a un maniement de pinceau si franc, si léger, si facile, que c'est par là principalement
qu'il se trahit. Sa manière, du reste, paraît si naturelle, qu'on ne suppose pas au premier abord qu'il existe
une autre façon de peindre. Le procédé vulgaire et classique qui consiste à frotter les ombres et empâter
les lumières n'est écrit nulle part aussi simplement, aussi nettement et avec moins de peine que dans les
tableaux de Teniers : c'est un vrai modèle. Doué d'un tact sûr, d'un esprit fin, David Teniers savait d'ailleurs,
tout en restant lui-même, varier sa touche suivant les objets et leur donner ainsi une troisième fois l'accent
1 tableau, qui paraît ètre une des œuvres capitales de Teniers, est minutieusement décrit par
Ce M. George, peintre, dans
son excellent Catalogue raisonné de la galerie du cardinal Fesch. Rome, 1844.
de la réalité, s'il peignait des objets de nature morte; les apparences de la vie, s'il peignait des êtres animés.
Sa touche est donc au plus haut point intelligente, et si on la trouve si ferme, appliquée avec tant de résolution
et d'une main si libre, c'est qu'il avait beaucoup réfléchi, et que son pinceau était conduit, non par la routine,
mais par un sens exquis des formes, de la couleur et du pittoresque. Il sait que l'ivoire d'une clarinette ne doit
pas être touché comme le luisant d'un pot de grès, que le poli d'une cuirasse ou les reflets d'une batterie de
cuisine ne doivent pas être traités comme le nez qui bourgeonne sur le visage épanoui d'un ménétrier de
campagne.
Mais il y a chez Teniers le jeune une nuance plus importante encore à bien observer, c'est celle de la
perspective. Le coup d'œil de Teniers était si juste, que par le seul effet de la dégradation ou de la force des
teintes, de l'affaiblissement ou de la fermeté dans la touche, calculés avec une rare précision, il faisait fuir
ou avancer les objets, sans avoir besoin de ces grands repoussoirs, de ces sacrifices résolus, de ces partis
tranchés de lumière et d'ombre, dont peut se passer un savant artiste, à moins que le peintre n'y fasse
précisément consister son génie, à l'exemple de Ribera. Pour reculer, par exemple, un personnage revêtu
d'une couleur voyante, ou, si l'on veut, pour mettre à son plan une draperie rouge, Teniers n'a pas besoin
de l'alourdir par un gris nébuleux; il lui suffit de donner à ce rouge une teinte juste, c'est-à-dire d'y mêler
(lans une juste mesure ce ton général de l'air que les doctes connaisseurs appellent teinte évanouissante t.
Cependant, en l'absence même de la couleur et de la touche, et à ne considérer Teniers que dans les
gravures de Lebas, où il est reproduit si finement, le peintre reste encore un des plus expressifs, des plus
spirituels de son école et de bien d'autres. Sans doute si l'on arrive devant les tableaux de Teniers, comme y
arriva Louis XIV, entouré d'une cour brillante, avec la passion et les habitudes de la grandeur, infailliblement
l effet produit sera désastreux. Un héros qui donnerait le bras à la tière Athénaïs de Montespan,
ou qui tiendrait
la main de la duchesse de La Vallière, ne saurait prendre un vif intérêt à la représentation de scènes aussi
grossièrement triviales, et le mot de magots sera le cri de l'idéal effarouché. Un gouverneur des Pays-Bas
pourrait seul comprendre l'éternel épisode de l'homme tourné contre le mur; mais quand on s'occupe de David
Teniers, il ne faut pas oublier qu'on est entre Malines et Anvers, et que de là au Parthénon il y a quelque
douze ou quinze cents lieues, et des lieues de Brabant ! Il convient donc de fermer les portes sacrées de l'idéal
et d'entrer de bonne grâce dans le cabaret de Teniers, où pour toute ivresse nous nous contenterons de celle de
la bière, où pour toute poésie, nous accepterons la réalité.
Quels nuages de fumée! La pipe dans toutes les bouches, les cartes dans toutes les mains, des casseroles qui
reluisent aux murailles, une ménagère qui fait crier la friture sur un feu clair, les plus gourmands autour :
voilà l'intérieur. Mais qui sont ces gens-ci? Peut-être des matelots fraîchement débarqués des grandes Indes.
L'un joue le dix de pique; l'autre, les deux coudes levés, boit à même d'un cruchon ; un troisième vient
d'accrocherà un contrevent la charge du magister, croquée au charbon sur une méchante feuille de papier ;
celui-là embrasse la fille d'auberge et ne s'aperçoit point que l'hôtesse a ouvert une fenêtre donnant de l'escalier
du dehors dans le cabaret, sans doute pour surveillerd'un œil jaloux et d'une mine renfrognée les embrassements
illicites de la maritorne... Je me trompe, c'était pour fournir à Teniers un rayon de lumière dont il avait besoin
dans cet angle de son tableau. Eh quoi! sous cette même fenêtre s'est décemment retourné
un des buveurs
qui donne un libre cours aux effets de la bière nationale, celui de tous ces magots qui avait le plus scandalisé
Louis XIV !
Teniers n'eut pas seulement de commun avec Molière, son contemporain, le titre de valet de chambre d'un
prince, il eut aussi cette verve comique qui s'empare irrésistiblement des choses et les livre vivantes au rire
de la postérité. La gaieté n'abandonne jamais ni l'auteur ni ses personnages, mais c'est
une gaieté vraie,
intérieure, profonde et communicative. Dans la grande kermesse de Rubens, qui est au Louvre, on s'enivre
avec
passion, on s'embrasse avec fureur; dans les kermesses de Teniers, l'on rit, l'on boit et l'on danse
avec le
laisser-aller du plus parfait naturel. Il faut dire cependant que la gaieté de ce peintre se complique de raillerie
et de malice. S'il peint un charlatan qui crie son ratafia par les rues, s'il représente un arracheur de dents
qui propose à sa victime de soulager avec du genièvre le mal affreux que lui fait une molaire, arrachée
pourtant sans douleur, il est tout simple que l'expression de son pinceau soit d'une bonhomie caustique, mais
il n'est pas jusqu'à l'héroïsme que Teniers ne prenne par son côté trivial. Voici
un tableau qui porte pour titre
Apprêts militaires. Que pense-t-on que Teniers y ait placé? Un cavalier qui selle
son cheval? Non, c'est
Wouwermans qui l'eût compris de la sorte. Un gentilhomme qui saisit son casque? C'eût été l'affaire de
1 est aussi l expression dont se sert le savant M. Paillot de Montabert dans son Traité complet de la peinture; 10 vol. in-8,
C
Bohémiens disant la bonne aventure en pleins champs et se moquant de la crédulité de leurs pratiques;
alchimistes penchés sur leurs fourneaux et ridicules dans leur impuissant savoir; singes vêtus en gentilshommes,
l'épée au côté, le chapeau sur la tête devant l'homme, comme des grands d'Espagne devant le roi, et parodiant
ainsi les vanités humaines; sorcières préparant leurs chaudières au clair de lune; chats déchiffrant à livre
ouvert des cahiers de musique et contrefaisant la gravité des virtuoses : voilà les sujets favoris de Teniers, voilà -
les scènes où s'épanche sa verve railleuse. C'est là sa comédie de la vie. Teniers, dites-vous, a traité aussi des
sujets religieux? Oui, mais dans le martyrologe catholique, quel est le saint qui a eu toutes les préférences du
peintre? C'est saint Antoine. Quelle bonne occasion de rire! Autour du fervent ermite, réfugié dans l'extase,
cramponné aux ardeurs du mysticisme, répandre pour troubler son attention et son salut, les distractions les
plus irrésistibles, les monstres les plus grotesques, les cauchemars les plus cornus, les bêtes qu'on ne peut
voir sans éclater, quelle tentation pour Teniers lui-même! Aussi combien de fois n'a-t-il pas recommencé ses
entreprises bouffonnes contre la gravité du saint! Agenouillé dans sa grotte, le solitaire ridé et chenu joint
ardemment les mains, fixe les yeux avec désespoir sur les livres qui soutiennent et qui sauvent. Autour de lui
naissent et fourmillent les animaux les plus surprenants. Ils arrivent de partout, ils escaladent les rochers en
se faisant la courte échelle. Ceux qui ne peuvent entrer, collent aux fentes de la grotte des profils incroyables
qui suffisent à leurs mauvaises intentions. Debout à côté des livres pieux, des hiboux en lunettes lisent avec
non moins d'attention que le saint. De toutes parts crucifiées aux murailles, des chauve-souris regardent
l'infortuné chrétien pendant que des ptérodactyles et autres bêtes impossibles, inventées simultanément parla
fantaisie de Teniers et par l'imagination de Callot, avant d'avoir été reconstruites par le génie de Cuvier,
tirent par derrière la robe d'Antoine. Qui le croirait? Au milieu de" ce carnaval, le saint garde sa figure de
Carême. Ah ! si Teniers ne l'a pas fait rire, il y faut renoncer.
Le musée de Bordeaux renferme un beau tableau de Teniers, et fort rare par la vigueur inaccoutumée de
l 'effet. Une aussi vive opposition de lumière et d'ombre remarquable chez
un peintre qui avait l'habitude,
comme dit Gersaint, d'enlever des parties claires sur des fonds clairs1. Ce tableau, dont nous donnons ici la
gravure, porte le nom de Lecture diabolique. Ne serait-ce pas plutôt quelque drolatique variante du Saint
Antoine? Il me semble voir un loustic de cabaret, porteur d'une casquette de loutre et d'un
nez d'ivrogne,
qui est venu s'asseoir furtivement à la place du dévôt ermite, ayant à ses pieds les livres sainls et devant lui,
sur la table, la tête de mort obligée. En se voyant entouré de ces monstres encapuchonnés, ailés, enflammés,
qui le prennent apparemment pour le cénobite, il rit dans sa barbe des avances que lui font les
messagers de
Satan, comme s'il n'était pas des leurs!
« Le grand secret de Teniers, dit fort exactement M. Paillot de Montabert dans son Traité de la peinture,
« c'est sa grande connaissance et son grand sentiment de la perspective. Il la possédait à fond, et l'appliquait
« non-seulement aux formes, aux lignes, mais aux tons, aux teintes et à la touche. Outre ce moyen, le plus
« puissant de la peinture, Teniers entendait l'art de combiner le clair-obscur et beaucoup mieux encore,
« suivant moi, l'art de combiner les teintes.... Les effets de Teniers sont toujours très-débrouillés, ils sont
« aériens, naïfs et légers. Point de ce vaporeux qui n'est que la ressource de certains ignorants; point de
ces
« ténèbres générales au milieu desquelles scintille un point aigu de lumière... Son grand art, c'est de déguiser
« l'art, c'est de taire son secret. De prime abord, vous ne remarquez aucun artifice; il semble que le premier
« venu composerait, disposerait, éclairerait tout aussi bien que lui, tant son système est naturel; mais si l'on
« y réfléchit quelque temps, on découvre, malgré son adroite bonhommie, toutes les causes, tous les calculs,
« tous les artifices. Toujours sûr du résultat ou plutôt familier avec le principe de l'unité des clairs et des
« bruns, familier avec les moyens d'opposition, maître de jeter de la suavité par des objets demi-lumineux
ou
« de la fermeté par des contrastes très-ressentis, tantôt il place en se jouant un homme vêtu de blanc sur un
« ciel blanc lui-même, tantôt il place du gris sur du gris, du rouge sur du rouge; rien ne l'embarrasse et il
« se divertit, pour ainsi dire, en diversifiant les combinaisons8. »
On désire savoir quelle a été l'opinion de Teniers,
ce philosophe pratique, à l'endroit du mariage, et lequel
pouvoit demourer toute sa vie, Anne Breughel était mineure, et n'avait pas moins de trois tuteurs, Corneille
Schut, Van Balen et Rubens. Ce devait être une ravissante jeune fille et un précieux trésor qu'Anne Breughel,
à en juger par les trois illustres peintres que le Magistrat lui avait donnés pour gardiens. Un jour qu elle visitait
la galerie de l'archiduc Léopold, et qu'on lui faisait voir le tableau de Teniers, le peintre proposa à la jeune
fille de passer le pas. On rit Et c'est ainsi que Teniers devint l'époux d'Anne Breughel.
On peut voir, au sujet de Teniers, combien sont rares les bons livres de peinture. Certes, s 'il était un artiste
qui prêtât à la justesse des appréciations par la netteté de sa manière, par le caractère tranché de ses sujets et
de leur physionomie, enfin, par la clarté, ou pour mieux dire, par l'évidence de ses expressions, c était David
Teniers. Et cependant, on peut fouiller les livres d'art, les livres historiques surtout, on n 'y trouvera pas une
page qui ait de l'intérêt sur un peintre qui sut en donner à tant de modèles. C est à
peine si d 'Argenvilte
dit pas un mot, pas
consacre six lignes à Teniers le jeune dans la biographie de Teniers le père. Félibien n 'eii
même dans l'édition publiée en 1706, seize ans après la mort de Teniers; DJ Piles, qui a si dignement 1)[ll'h'.
de Rubens, n'a trouvé à dire sur Teniers que trois ou quatre lignes assez insignifiantes.
Dans ses Observations sur quelques grands peintres, Taillasson a bien dessiné en quelques traits cette figure
de Teniers le fils. « Teniers, dit-il, peint le moral de ses paysans aussi bien que leur physique. Leurs passions,
en effet, ne devaient pas avoir la même physionomie que celles des autres hommes. Dans ses tableaux, on les
entend raisonner, discuter, politiquer... Lorsqu'il les a peints jouant aux cartes, avec quelle justesse et quelle
chaleur il a saisi l'espèce d'expression de cette espèce de joueurs! Il sait distinguer les différents états des
habitants des campagnes, et depuis le mendiant jusqu'au seigneur de la paroisse, toutes les nuances y sont
clairement senties... Ses tons de couleur sont vrais et riches, vigoureux et argentins; ses tableaux sont toujours
harmonieux, sans affectation de sacrifices. Dans les scènes d'intérieur, dans celles qui se passent en plein air,
le clair-obscur semble senti si aisément, qu'on dirait que le peintre n'y a pas songé. Le talent de Teniers
est surtout caractérisé par une touche rapide et spirituelle qui, en se jouant, porte partout la lumière, la couleur,
la vie et l'expression. Ses ouvrages, remplis de vérité, paraissent avoir été faits en un instant ; rien n'y sent la
contrainte, rien n'est copié servilement; tout y semble créé. » Du reste, si les bonnes appréciations sont rares
dans les livres, en revanche la tradition les a conservées parmi les amateurs. Teniers, de tous les peintres dont
les tableaux courent les ventes, est un de ceux qu'estiment le plus les vrais connaisseurs; mais c'est aussi
un de
ceux que les demi-savants ont la prétention de connaître le mieux pour l'avoir entendu citer à tout propos,
pour l'avoir vu figurer au théâtre dans des vaudevilles, enfin, pour avoir vu cent imitations d'A.bshoven, de
Ryckaert et de quelques autres.
Teniers avait un talent fort remarquable, celui de vendre ses tableaux. Une anecdote, qui, si elle n'est pas
inventée, a peut-être inspiré à La Fontaine sa fable du chat qui fait le mort pour mieux prendre les souris,
prouverait que le dix-septièmesiècle n'était sur aucun point en arrière du nôtre. Les toiles de Teniers, avons-
nous dit, étaient avidement recherchées. Néanmoins, un moment arriva où l'offre fut supérieure à la demande :
les tableaux de Teniers occupaient déjà deux lieues en Europe, et la dépense s'improvisait plus facilement
encore que la peinture. L'alarme est au château des Trois-Tours. Comment soutenir ce luxe, cette hospitalité
généreuse à laquelle le peintre et ses illustres amis sont habitués? Produire davantage, produire à toute heure,
saisir d'un pinceau rapide tous les paysans qui passent ou qui dansent, tous les fumeurs qui boivent, tous les
buveurs qui fument, c'est avilir les prix, tuer le marché. Teniers cherche des remèdes et ne voit de salut
que
dans la mort. Mourir, c'est liquider l'admiration. C'en est fait : la triste nouvelle se répand. Teniers est mort !
Ce peintre si spirituel ne peindra plus; heureux qui possède de
ses tableaux ! Il en a laissé quelques-unsqui sont
des chefs-d'œuvre. On accourt, l'or se montre et sonne, la hausse se déclare. Cependant, retiré
au fond de
sa demeure, le pinceau à la main et le rire sur les lèvres, le peintre travaille à ses œuvres posthumes. On
achète, on s'étonne, Teniers ressuscite et la joie est générale, même parmi les amateurs rançonnés. Le mort
a saisi le vif.
Après quelques années de bonheur, Teniers perdit Anne Breughel et il dut vendre le château des
à
Trois-Tours. Ce manoir qu'il avait illustré fut acheté par Jean de Fresne, conseiller la cour de Brabant.
Mais Teniers eut la chance d'y rentrer en épousant la fille du
nouveau propriétaire. Un des fils de Teniers se
fit, dit-on, récollet et l'on prétend qu'il a laissé quelques écrits touchant la vie et la mort de
son père. Quant
au joyeux peintre des tabagies et des kermesses, des singes en pourpoint, des cigognes en lunettes, des moines
en tentation et des alchimistes à l'œuvre, il mourut, mais sérieusement cette fois, en 1694, à l'âge de
quatre-vingt-quatre ans,
CHARLES BLANC.
mlEŒimIlE
m(ClIIlE gM HlMMWiHS»
Il n'est pas de galerie ni de cabinet qui ne possède des tabagies, des sujets rustiques, des alchimistes, des diableries,
tableaux de Teniers, et une collection où il ne s'en trouverait des singeries, des batailles, des animaux, des sujets d'histoire
pas serait, à juste titre, considérée comme incomplète. et de sainteté, des paysages et des natures mortes; partout
Indépendamment de ses jolies kermesses, de ses noces de il a déployé cette légèreté d'exécution et cette touche fine et
village si animées, Teniers a traité avec une verve, une spirituelle qui ne furent jamais dépassées.
chaleur d'imagination étonnante, les scènes de cabaret, des Les meilleurs graveurs de tous les pays ont reproduit à
l'envi les compositions de Teniers; nous citerons Hollar, ivrognes, fumeurs et singes. — Au milieu de petits cadres
L. Surugue, T. Galle, P. Pontius, Ph. Lebas, Tardieu, que Teniers terminait dans une soirée et qui ont conservé
T. Major, excellent graveur, peu connu, F. Basan, P. Chenu, le nom <¥ Après-diners, on y rencontre quelques ouvrages
J. Beauvarlet, F. Van Steen, Muller, Coryn-Boel, Van saillants: d'abord deux grandes Fêtes villageoises, provenant
Bruggen, Alliamet, Aveline, Lépicié, Moitte, de La Bar-the, du cabinet de Voyer d'Argenson; un très-beau Corps de
Laurent, Truchy, N. Lemire, Daullé, Levasseur, Canot, garde; l' Intérieur d'une cuisine pleine de gibier, de poisson
Baron Chedel, Schwab F. Boëce Couché Boutrois, et de légumes. — La Vue de sa maison, dans le village de
, , , ,
Guttenberg, Niquet, etc., etc. Perck, entre Anvers et Malines. — Mais la Malmaison a livré
Mais aucun d'eux n'en a rendu l'esprit comme le célèbre à l'Ermitage une œuvre hors de ligne, une œuvre hors de
Lebas, qui a pour ainsi dire fait passer dans ses estampes la prix : c'est un grand tableau qui fut peint en 1643 pour la
finesse de touche et les tons d'argent des tableaux du célèbre confrérie de l'Arbalète et qu'on appelle les Arquebusiers
Flamand. d'Anvers. On n'y compte pas moins de quarante-cinq per-
D. Teniers a gravé plusieurs pièces à l'eau forte, et il a sonnages en figurines de 8 à 10 pouces. L'arrangement de
laissé quelques dessins à la mine de plomb, traités comme cette foule en perspective est merveilleux comme le rendu
ses peintures, avec une grande finesse et beaucoup d'esprit. de tous les détails. —Descamps le désigne avec raison comme
Dans tous les pays où le sentimentde la peinture a pénétré, le plus beau tableau de Teniers. Rien de plus considérable
on trouve des tableaux de Teniers le jeune. ni de plus parfait n'est sorti du pinceau de ce maitre fécond.
Au BELVÉDÈRE, à VIENNE, on ne compte pas moins de dix- (Viardot.)
neuf compositions de ce maître, réunies dans la chambre On trouve à BRUXELLES quelques tableaux de Teniers,
no 6. — Une Noce de paysans, signé et daté de 1648. — faibles échantillonsdu talent de ce maître.
Abraham et Isaac sur la montagne. — Une Jeune fille net- Les salles du MUSÉE de MADRID ne contiennent pas moins
toyant des ustensiles de cuisine. — La Faiseuse de saucisses. de soixante-seize tableaux de D. Teniers. Une désignation
— Une Fête de village. — Une toile représentant une partie exacte serait sans intérèt; mais nous croyons qu'il est utile
du cabinet de tableaux de l'archiduc d'Autriche Léopold- de mentionner ceux qui par l'excellence du travail, ou par
Guillaume. On y voit cinquante tableaux de maîtres italiens, la nature des sujets, sortent de la ligne ordinaire.
copiés exactement en petit. — Des Paysans tirant à l'arba- A ce double titre, il faut d'abord citer une Galerie de
lète. — Une Kermesse. — La Fête des arbalétriers, qui tableaux visitée par des gentilshommes. En signant cette
était célébrée chaque année à Bruxelles. Parmi la masse de toile, Teniers écrivit à la suite de son nom : Pintor de la
peuple qui couvre la place des Sablons, on remarque les caméra (pour camara) de S. A. S. Voici l'explication de ce
portraits de Teniers et de sa famille. La toile est signée et sujet et de cette devise espagnole : — L'archiduc Albert,
datée de 1652. gouverneur des Pays-Bas pour l'Espagne, avait chargé notre
L'ancienneetfameuse GALERIE de DUSSELDORFne renfermait peintre de lui composer non pas un cabinetd'amateur, mais
qu'un tableau de D. Teniers, c'était une Fête de village. une galerie de prince. Quand il eut rempli cette mission
La PINACOTHÈQUE de MUNICH est très-riche en compo- délicate, à la satisfaction de son commettant, Teniers eut
sitions de ce maître. On y voit quatorze tableaux qui tous l'idée d'en perpétuer le souvenir par un tableau. On y voit
méritent un éloge particulier. Il faut citer de préférence une l'archiduc, en compagnie de quelques seigneurs, entrer dans
Foire italienne, de huit pieds sur douze ; une Tabagie de la galerie où Teniers, qui s'est mis égalementen scène, lui
singes, composition très-spirituelle et très-amusante. — présente des dessins étalés sur une table. Du haut en bas des
Un Corps de garde. — Une Société de dix fumeurs ou murailles sont rangés les tableaux de son choix fidèlement
buveurs. — Des Singes occupés à faire la cuisine ; quelques- copiés et réduits à des proportionsmicroscopiques, mais où
uns sont masqués. — Un Concert de chats et de singes, l'on reconnait néanmoins très-clairement, outre le sujet, la
charmant d'invention et d'esprit. — Une Danse; une Noce touche de chaque maître. (Viardot.)
de paysans. Il n'y manque qu'une Tentation de saint An- On peut citer encore parmi les fantaisies de Teniers un
tuÍlw. excellent tableau d'animaux qui ferait envie à Paul Potter;
la GALERIE de DRESDE, vingt-troistableauxde D. Teniers.
— le Roi boit, charmante scène de table d'une gaité franche
A
— La Partie de trictrac. — Kermesse flamande. — Paysans et communicative.
jouant aux cartes. — Une Vieille à laquelle appa- Le MUSÉE DU LOUVRE contient quatorze tableaux de D.
raissent des dires fantastiques. — Saint Pierre délivré Teniers, tous d'une belle qualité et quelques-uns hors de
de prison. — Corps de garde.
— Deux Paysages. — Un ligne. Nous citerons une Tentation de saint Antoine, tableau
Chimiste. — Tentation de saint Antoine.
— Buveurs jouant d'une exécution et d'une finesse de touche admirables; deux
aux dés. — Danse de paysans. — Une autre Tentation de compositions capitales, l'Enfant prodigue à table avec des
saint Antoine. — Vieux dentiste qui vient d'arracher une courtisanes, — les OEuvres de miséricorde, — une Noce de
dent. — Paysage montueux. — Dans l'une des deux Tenta- village, — un Intérieur de tabagie, — le Rémouleur — et
tions de saint Antoine, chose à peine croyable (fait observer
une Chasse au héron.
M. Viardot), il manque l'éternel œuf-poulet. C'est l'unique Malgré l'innombrablequantité des œuvres de Teniers, le
fois, ajoute cet amateur, qu'à sa connaissance,Teniers ait prix de ses tableaux a égalé dans tous les temps celui des
oublié sa plaisante invention.
ouvrages les plus recherchés.
Dans le MUSÉE de BERLIN, quatre D. Teniers, dont aucun VENTE LoR,&NGÈRE 1744 (faite par Gersaint). — Un Sujet
très-capital. Il faut cependant distinguer un Alchimiste, et ,
de cuisine, dit le catalogue, fut adjugé pour 60 livres; une
une Tentation de saint Antoine, grande, belle et importante Tabagie pour 130 livres; un Paysage des plus fins pour 362
au milieu des cent autres. livres 5 sous; — l'Atelier de Teniers, orné de divers tableaux,
Al'ERMITAGE, à SAINT-PÉTERSBOURG,sur les quarante-sept fut poussé à 320 livres. — Un an après, à la vente du che-
tableaux qui composent le contingentde Teniers, on trouve valier de La Roque, une Tabagie ne monta qu'à 96 livres;
tous les genres qu'il a traités : paysages, cabarets, tabagies, une autre, même sujet, fut poussée à 412 livres; — un joli
kermesses, corps de garde, tentation de saint Antoine, inté- Paysage, gravé par Lebas, sous le titre : l'Arc-en-ciet, fut
rieurs, scènes grotesques, musiciens, alchimistes,pècheurs, adjugé pour 142 livres 5 sous; — le Château de Teniers,
gravé aussi par Lebas, fut abandonné pour 220 livres. guinguette flamande, tableau également gravé, se vendit
VENTE JULIENNE 1767. — Les choses s'y passèrent diffé- 2,205 livres à celle de VINCENT DOUJEUX, en 1791, où on ne
,
remment. — Une danse villageoise monta à 5,900 livres; — comptait pas moins de dix-neuf tableaux de D. Teniers; —
une Noce de village alla jusqu'à 7,202 livres ; — un Paysage les Cinq sens, adjugés à la vente du comte Dubarry, en
orné de figures se vendit 1,542 livres; — le Château de 1774, pour 1,020 livres, se vendirent 3,801 livres.
.Teniers, qui quelques années auparavant avait été estimé VENTE ROBIT, 1802.
— Un tableau du premier mérité,
220 livres, fut porté à 900 ; — le Paradis terrestre, à 800 connu dans la curiosité sous le titre du Déjeuner de jambon,
livres; — un Intérieur de cuisine, à 630 livres, — et des composition capitale de vingt-six figures, qui avait fait partie
Joueurs de cartes, quatorze figures, à 2,000 livres. des collections de Randon de Boisset et Lempereur, et,
Ce mouvememt ascensionnel se soutint. En 1770, à la avant, de celle du prince de Rubembré, fut adjugé au prix
vente de M. DE LA LIVE DE JULLY, une Fête flamande, prove- de 17,000 livres. — Celui qui a pour titre la Foire de Gand
nant du cabinet de MME la comtesse de Verrue, se vendit 6,800 s'éleva à la somme de 12,720 livres; — les autres : une Fêle
liv. ; — uit Chimiste dans son laboratoire, gravé par Lebas, flamande, 7,800 livres; un Paysage, 4,520 livres; enfin un
s'éleva à 3,500 livres. — A la vente LEMPEREUR, en 1773. Intérieur de tabagie, 3,892 livres.
une Fêle flamande, provenant de ce mème cabinet de M"" de VENTE LAPÉIUÈRE, 1817.
— Une Fête de village fut vendue
Verrue, fut adjugé pour tO,001 livres 7 sols; — une Guin- pour 7,100 francs; — un Intérieur de tabagie (deux hommes
guelte flamande, 8,040 livres ; une Marine, gravée par Lebas, jouant aux cartes sur une planche posée sur un tonneau;
2,551 livres. auprès d'eux, trois spectateurs dont deux debout; plus loin,
VENTE MARQUIS DE BRUNOY, 1776. — Une Féte flamande, près d'une cheminée, deux paysans dont un vu par le dos
gravée par Lebas, sous le titre : Environs d'Anvers, fut est endormi), fut vendu 6,510 francs.
vendue 6,000 liv. ; — deux autres tableaux représentant des VENTE ROBERT DE SAINT-VICTOR. — L'Arc en ciel, gravé
Fêtes flamandes,gravées également par Lebas, sous le titre : par Lebas, 2,920 francs; — la Ferme, gravée par le mème,
les Accords flamands et le Lendemain des noces, atteignirent 2,790 francs.
le prix de 10,999 livres 19 sols. A la seconde vente de M. LAPEYRIÈRE,une Tentationde saint
VENTE BLONDEL DE GAGNY, 1776.
— On y vendit pour Antoine, sur cuivre (hauteur 21 pouces, largeur 28 pouces
29,000 livres l'Enfant prodigue, cette magnifique composi- 6 lignes), fut adjugée 8,750 francs; — les Quatre saisons,
tion qui orne le Musée du Louvre et dont tout le monde figurées dans quatre tableaux, furent poussées à 30,000 fr.
connaît l'admirable gravure exécutée par Lebas. — Une Fête
— un Intérieur de corps de garde, sur cuivre (14 pouces sur
de village, composée de plus de cinquante figures, fut payée 18), atteignit 12,999 francs. — A la vente de M. le chevalier
11,000 livres; — un autre tableau gravé par Lebas, sous le ÉRARD, en 1832, on comptait douze tableaux de Teniers.
—
titre : les Pécheurs, monta à 4,820 livres ; — la Femme L'Enfant prodigue, sur bois (hauteur 19 pouces 3 lignes,
jalouse, gravée par le mème, 1,155 livres; —/a Vue de largeur 28 pouces), monta à 17,100 francs; — les Quatre
Flandre, gravée par le mème, 2,404 livres. — Nous en saiwns, de la vente de M. Lapeyrière, furent retirées à
passons un bon nombre, car cette vente n'en contenait pas 24,000 francs.
moins de trente et un. VENTE DUC DE BERRI, 1837. — Le Déjeuner de jambon, que
VENTE PRINCE DE CONTI 1777.
, — Les OEuvres de misé- nous avons vu vendre 19,999 francs et 17,000 francs, fut
ricorde, le beau tableau que possède le Musée du Louvre, adjugé cette fois à 24,500 francs à M. Demidoff, qui, pour
qui avait orné successivement les galeries de M. Gaignat et quatorze tableaux qu'il acheta, dépensa la somme de 225,120
de M. le duc de Choiseul, fut adjugé pour la somme de francs; — l'Homme à la chemise blanche resta à M. Hope
10,510 livres. pour 18.900 francs; — le Concert champêtre, gravé par
VENTE RANDON DE BOISSET, 1777.
— Nous trouvons encore Lebas, 6,051 francs; — une Kermesse, qui à la vente Robit
dix tableaux de Teniers, presque tous importants s'était vendue 7,800 francs, atteignit à celle-ci le prix de
— La
Cotir d'une ferme, 11,100 liv. ; — l'Intérieur d'une chambre 7,860 francs.
(on voit sur le devant une table servie sur laquelle est un VENTE AGUADO. — Le Corps de garde, 15,300 francs.
jambon; quatre figures autour; les figures ont 10 pouces de VENTE CARDINAL FESCH, 1845. — Un seul tableau de Teniers,
proportion ; il y en a en totalité vingt-six),19,999 liv. 19 sols. parmi les quatre ou cinq qui y figuraient, mérita de fixer
VENTE CHOISEUL-PRASLIN,1793.
— Les tableauxde Teniers, l'attention des amateurs : c'était le Couronnement d'épines.
au nombre de treize, se vendirent à des prix assez élevés. — Il fut adjugé au prince de Canino moyennant 4,500 scudi
Une Kermesse, gravée par Ph. Lebas, fut adjugée à 29,250 (soit plus de 24,000 francs).
livres. Cette composition comprend quatre cents figures for- D. Teniers a signé presque tous ses tableaux soit en toutes
mant divers groupes et toutes variées d'attitude. — La Petite lettres, soit par la marque ci-après, qui était celle de son père.
Les Recherches et Indications ci-dessus sont de M. Armengaud.
VENTE MECKLEMBOURG, décembre 1854. — Intérieur d'un cellier. Un majordome ordonne à un jeune valet d'enlever des fruits
déposés sur une table. Dans. le fond, une vieille servante à une porte. Les fruits sont de la main de David de Heem, et le tableau
porte la signature des deux maîtres. — Ce charmant tableau a été adjugé pour 5,500 francs à M. Adolphe Thibaudeau.
é/cole t^ë&éâinc/atée. JÆaJf{?Zed.
11 .•, r'y : :
BONAVENTURE PETERS
NÉ EN 1614. — MORT F.K 1652.
« prêts à être
engloutis; l'un se brise contre un
« écueil et l'autre
est en feu et saute en l'air : tout ce
« qu'il a
fait en ce genre est précieux. Il passait
« pour le
meilleur peintre de marines de son siècle;
« ses
sujets sont remplis de petites figures touchées
« avec
esprit et avec finesse. On ne sait pas comment
« il a pu représenter tout ce qu'il a fait avec autant
de vérité; elle est au point de donner de eliroi. »
Comme la plupart des peintres de marines, Bonaventure Peters naquit dans le voisinage de la mer. Anvers,
sa patrie, était alors une des plus florissantesvilles de l'Europe. L'Escaut
lui amenait des navii es partis de
tous les points du globe. Ses rues, aujourd'hui désertes, étaient dans ce temps-là remplies de
monde, encombrées
devait
de chariots et de marchandises. Berceau de tant de grands artistes, pépinière de marins, Anvers
être à cette époque une école toute formée pour un peintre de marines, puisqu elle offrait il ses études un<
les plus
population de matelots, une forêt de navires, presque un bras de mer, et pour modèles de peinture,
magnifiques morceaux de l'art flamand., Vers 1630, lorsque Bonaventure
Peters, âgé de seize ans, dut
commencer peindre, en le supposant aussi précoce que l'étaient en général ses compatriotes, l'école de
à
Hubens brillait de tout son éclat. Déjà elle était descendue des régions
de l'histoire sacrée ou profane, dans
le domaine de ce que
nous appelons le genre. Le grand François Sneyders peignit les chasses et les animaux
comme eût fait Rubens lui-même. Pierre Snayers avait inauguré le genre des batailles; le jésuite Daniel
Seghers introduisait dans la peinture, même historique,
ses fraîches guirlandes de fleurs et de fruits; les
scènes familières et grotesques exerçaient parfois le fier pinceau de Rombouts.
Enfin quelques Anversois,
tels que Van Uden, Wildens, Josse de Momper peignaient
en maîtres le paysage... Mais, par une singularité qui
mérite d être remarquée, cette nombreuse école d'Anvers n'avait
pas un seul peintre de marines! Breughel
de Velours et Adam Willaerts avaient représenté, il est vrai, des rivières chargées
de bateaux, des barques
de pêcheurs remplies de figures, des plages même; mais ni l'un ni l'autre n'avait
fait de la mer l'objet
principal de leurs tableaux. Bonaventure Peters fut, je crois, le premier Flamand qui fit de l'art à bord
d'un
vaisseau et prit pour sujet l'Océan;
car Van Minderhout, que l'on dit né à Anvers, était plus jeune que lui
de vingt-quatre ans.
On ne sait qui fut le maître de Peters ni
aucune particularité de sa vie. Les biographes nous apprennent
seulement qu'il fut poète et passa pour bien faire les
vers, c'est l'expression de Descamps. Ce qui est certain,
c est que tous ses ouvrages révèlent une intention de poésie. Peters peut être comparé au hollandais Van
Goyen; non pas pour leur similitude, mais au contraire pour la différence de sentiment dont leurs
marines
portent l'empreinte. L'un et l'autre ont peint les mers septentrionales roulant leurs
eaux jaunâtres et tristes
sous un ciel bas et brumeux. Mais Van Goyen n'a représenté que la mer calme, sillonnée
au loin par des
chasse-marées, ou des canaux paisibles à peine ridés
par un vent frais et qui portent de grosses barques
chargées de marchandises. Peters, au contraire, n'a jeté les
yeux sur la mer ou du moins ne l'a étudiée avec
intérêt que lorsqu elle était houleuse, mugissante, soulevée
par la tempête et menacée par de lourds nuages
que déchirent les éclairs. L'impression que produisent les marines de Van Goyen est une impression de
quiétude qui berce l'esprit et l'endort. En apercevant
ces navires qui voguent doucement sur une mer dont
l'horizon recule à perte de vue, on laisse aller à leur suite
ses pensées; l'imagination la plus inquiète peu à
peu se pacifie et le tableau monotone de cette mer tranquille, de ces plages unies et silencieuses vous plonge
dans une rêverie semblable à celle que procure au voyageur l'aspect ordinaire de la Hollande. Bien differente
est l'impression qu'on éprouve devant les marines de Bonaventure : l'image des ouragans qui les bouleversent
vous transporte au milieu des périls de la mer, et ses petits tableaux ne rappellent que les moments de
grande émotion. Tout y est en mouvement, la nature et les hommes, le ciel et' l'eau. Ici c'est
une frèle
embarcation qui est ballotée par les vagues et sur le point de se briser contre les rochers du rivage; plus
loin, c est un bâtiment qu 'on aperçoit en pleine mer, penché entre deux lames aussi hautes
que des
montagnes et qui semble près d'être englouti. Quelquefois un rayon de soleil se glisse entre deux nuées et
vient jeter une lumière sinistre sur cette scène de détresse, ou bien c'est la foudre qui éclate
sur un ciel noir.
En un mot, rien n'est oublié de ce qui doit faire une sensation forte sur le spectateur. Quant
aux figures,
elles ne sont pas sans doute aussi fines que celles de Van de Velde, ni aussi savantes
que celles de Backuysen,
ni aussi dramatiquement jetées sur le premier plan que celles de Joseph Vernet; elles sont suffisamment
bien touchées; mais, toujours secondaires, elles semblent n'avoir été mises là
que pour nous intéresser aux
tourmentes de la mer, en nous faisant songer qu'elles menacent des hommes et que nous pourrions périr
nous-mêmes dans les abîmes où ils vont périr.
Il nous est arrivé cependant de rencontrer des tableaux de Peters qui
ne représentaient qu'un simple coup
de vent, ce que les marins appellent un grain; mais là encore le peintre trouvait à satisfaire son goût pour
heffet, car ces brusques changements de l'atmosphère ne manquent pas de produire un contraste piquant
entre la sérénité d'un lointain clair et la bourrasque momentanée qui assombrit le centre du tableau. En
homme qui certainement a beaucoup navigué et que l'on peut regarder, d'après ses peintures,
comme un
véritable loup de mer, Bonaventure Peters a peint également et par exception des bonaces, et alors il
se
rappoche de Van Goyen, sans avoir sa transparence et les tons argentins de Teniers dont il cherche à imiter
la touche leste et spirituelle, surtout lorsqu'il laisse voir les côtes et introduit dans sa marine un morceau
de paysage.
Nous avons dit que les figures de Peters ne valaient pas celles de Van de Velde ou de Backuyserr. Et
toutefois il existe dans la galerie du Belvédère à Vienne un tableau de Peter Neefs dans lequel les figures sont
de Bonaventure. C'est une vue de la cathédrale d'Anvers, sur le devant de laquelle est représenté 1111
seigneur accueilli par le clergé. Sans avoir vu ce tableau, nous pouvons induire de ce seul fait de l'association
de Peter Neefs avec Bonaventure. que ce dernier savait peindre les figures et en avait même la réputation
à Anvers; car autrement, dans une ville qui était alors remplie d'artistes d'élite en tous genres, et où les
plus habiles ne dédaignaient pas d'orner de figurines les tableaux de leurs confrères, Peter Neefs n'aurait
pas eu recours à un peintre de marines, pour lui donner à peindre les petits personnages d'un tableau
d'architecture, ou comme l'on dit, d'une perspective. Des prêtres en chappe, des diacres en surplis, des
enfants de chœur, tout un clergé enfin, dans son allure solennelle, ce ne sont pas là des figures à demander
à un peintre qui saurait seulement indiquer la pantomime d'un matelot, suspendre un mousse aux cordages
ou courber un canotier sur sa rame. Il faut donc que Peters ait été renommé dans son pays pour qu 011
lui ait confié une besogne ordinairement dévolue à Breughel de Velours ou à Sébastien Franck. Le peu
Valenciennes qui
que nous avons à dire sur Bonaventure Peters, nous permettra de citer ici un passage de
semble se rapporter au peintre flamand, bien qu'il ait été inspiré par un tableau de Loutherbourg : « Pour être
bon peintre de marines, dit Valenciennes, il faut savoir bien dessiner les figures et connaître l art de les grouper
indispensable
avec variété, en suivant le costume du pays où se passe la scène que l'on représente. Il est surtout
de connaître parfaitement la construction des navires de toute espèce, depuis le vaisseau de ligne jusqu 'à la
chaloupe ou au canot, savoir distinguer la physionomie des vaisseaux de chaque nation maritime, avoir des
études particulières et détaillées de tout ce qui sert au grément et il l'équipement du navire; des instruments,
machines et munitions employés dans les arsenaux, sur les ports et pour la navigation; des fortifications
maritimes, de la forme et de la cassure des rochers, de la nature des dunes et falaises qui bordent la mer
Il est essentiel surtout d'avoir acquis une grande habitude de peindre au premier coup, pour pouvoir faire en
un jour le ciel, les fonds et une partie des eaux dans la même pâte de couleur, surtout lorsqu'il y a de l'orage
ou du brouillard. Enfin il est absolument nécessaire d'avoir voyagé non-seulementsur les côtes, mais en
pleine mer.
Lorsqu'on ne peint la- mer que le long des côtes et sur le rivage, on risque de ne pouvoir pas déployer tout
'(
l'intérêt que peut inspirer un naufrage. A la vérité, les vaisseaux brisés contre les rochers, les hommes lancés
ou tombés dans la mer; ceux qui, pour éviter la mort qui les menace, s'accrochent au premier objet flottant
sur les eaux; ceux qui grimpent sur le rivage escarpé, ceux enfin qui sur la côte cherchent à sauver les
naufragés en leur tendant des cordes ou en allant les chercher à la nage, doivent, par leur mouvement et leur
situation, émouvoir notre sensibilité. Mais cet intérêt est en quelque sorte affaibli par l'apparence des secours
qui sont donnés ou reçus de toutes parts Quelle différence, si la tempête se fait sentir en pleine mer!
Le vaisseau, triste jouet des vents et des ondes en fureur, ne peut résister à leurs violents efforts; les voiles
sont déchirées et leurs lambeaux emportés; les mâts crient, se rompent et tombent sur le pont; une lame
effroyable se brise contre la poupe, enfonce les sabords, emporte la dunette et couvre d'une vague écumeuse et
noirâtre toute l'étendue du navire. L'eau pénètre de toutes parts; plus d'espoir si l'on diffère. Une frèle
chaloupe est mise à la mer; tout l'équipage s'y précipite, et l'esquif emporté sur le sommet de la lame, à peine
éloigné du vaisseau, le voit tournoyer et s'engloutir dans l'abîme. »
Parmi les pièces gravées par Hollar, Basan2 et autres d'après Bonaventure, il en est qui prouvent bien que le
peintre a voyagé sur mer, par exemple la Vue du port de Louving en Irlande, celle du Port de Tyr en Palestine.
Peters a donc pu étudier la mer, comme Backuysen,à bord d'un navire et y essuyer courageusement les tempêtes
qti 'il voulait peindre. Au surplus, ses marines ont un caractère de rudesse, un accent de vérité et, pour ainsiparler,
une odeur de goudron qui nous fontjuger que l'auteur n'était pas un marin d'eau douce. Du reste, son humeur le
portait évidemment au tragique, et s'il lui arrivait par extraordinairede planter un instant son chevalet dans
les sables de Scheveling, pour faire un tableau de cette plage paisible, uniquement animée par des marchands
ou des acheteurs de poissons, il revenait bien vite à son naturel en peignant de sa touche la plus fougueuse ses
compléter un livre de géographie. Elles montrent bien en tout cas que Jean Peters dut naviguer comme son
frère, et qu'il put trouver la sombre poésie de ses marines dans la simple fidélité de l'imitation. Mais sur Jean,
de biographie : « Jean Peters, dit Descamps, était
pas plus que sur Bonaventure, nous n'avons aucun élément
On ne sait
aimable et recherché dans le monde. Il a peint aussi des combats de mer d'une vérité surprenante.
Il convient de joindre
comment la mémoire a pu lui fournir ou le génie lui inspirer tant de détails différents. »
il ces trois lignes celles qui sont consacrées à ce peintre par le
Catalogue du Musée d Anvets, dans lequel ont
ville :
été fondus les précieux documents trouvés dans les divers registres de la confrérie de Saint-Luc cette
de
et dans lesquels on promettait, comme toujours, au défunt l'immortalité de sa réputation el de son âme.
Son frère, Jean Peters, lui composa l'épitaphe que voici :
Après avoir transcrit cette épitaphe, Corneille de Bie ne put résister au plaisir d'y ajouter une vingtaine
de vers de sa façon. Nous épargnerons à nos lecteurs la poésie de ce rimeur intrépide, qui fut notaire et
procureur à Lyer et qui prend le titre de greffier de l'audience militaire de la dite ville. Qu'il nous suffise de
dire que le biographe versificateur, pour décrire dans de ronflants alexandrins les tempêtes de Bonaventure,
appelle à son secours et Pallas et Tethys, et les Vents et Neptune; après quoi le digne greffier nous apprend,
dans la langue d'Apollon, que Peters parla lui-même cette langue divine avec autant de grâce qu'Ovide, désigne
ici par son nom de Naso pour les besoins de la mesure et de la rime. Mais ce qui prouve de quel
renom jouissait
Peters dans son pays, c'est qu'on le jugea des plus dignes de figurer dans la galerie des peintres, sculpteurs,
architectes et graveurs que Jean Meyssens eut l'idée de publier à Anvers et que de Bie illustra de ses vers. Il est
assez curieux aujourd'hui de voir dans quel style on vanta les mérites de Peters au bas de son portrait gravé
par Hollar :
BONAVENTURE PEETERS. Très bon peindre de mers calmes et tempestes. Il s'entent bien aux navires. galères et batailles sur
mer. Cognoit l'orisont, ses elloignements sont douces, faict bien les villes et chateaux. On voit partout beaucoup de ses œures
dans les maisons des amateurs. Il est natif d'Anvers et fut né en l'an 1614.
Fort bien composés et très-intéressantsà regarder dans les gravures de Hollar, de Bacheley ou de Basan, les
tableaux de Peters sont peints lourdement et manquent de transparencedans celui de tous les genres qui
en
exige le plus. Sa triste palette se compose ordinairement de deux tons, le noir et le blanc. Tantôt il les
oppose
l'un à l'autre pour faire ressortir la blancheur de l'écume des vagues sur le flanc brun des navires, tantôt il les
mêle pour en composer diverses nuances de gris; mais jamais il n'arrive à ces gris argentins qui caractérisent
Teniers, ni à ces gris légers et fins qu'affectionnait Van Goyen et au travers desquels on voit transparaître
une
mince préparation de bitume et souvent même le simple ton du panneau. Chez Van Goyen, la monotonie des
couleurs est un charme et ne produit qu'une douce mélancolie qui effleure l'âme du spectateur, comme le
pinceau du maître a effleuré son tableau, tandis que l'uniformité sombre du coloris de Peters, qui du reste
' Het gulden cabinet van de edele ury schilder court inhoudende den lof van de vermarste schilders, architecte, Beldthowers
en de plaetmyders van de se eeuw, dow Cornelis de Bie. notaris tot Lyer, 1661.
a dû pousser au noir, n'inspire que la tristesse et l'horreur. Voilà pourquoi sans doute un artiste que tes
Anversois estimaient de son vivant le plus habile qui eût encore paru dans l'art de peindre les marines, est
aujourd'hui, sinon tout à fait oublié, du moins si peu recherché des amateurs, que ses ouvrages ne dépassent
guère le prix de cent écus et parfois même ne l'atteignent point. Ce qui a fait du tort à la mémoire de Peters,
c'est qu'il a été surpassé par ceux qui sont venus après lui ou ont vécu de son temps, tels que Bacluiysen,
Guillaume Van de Velde et Joseph Vernet. Et cependant si l'on y regarde bien, Bonaventure Peters paraîtra
encore, je crois, le plus marin de tous ces peintres de mannes.
CHARLES BLANC.
GONZALÈS COQUES
NÉ EN 1614. — MORT EN 1684.
avec les autres. Une corporation rivale, le Jeune Serinent de l'Arbalète, avait voulu, en 1663, astreindre à
certains services militaires un des membres de la gilde de Saint-Luc, Jean Geulincx. La compagnie des
peintres, qui prétendait être exempte de cette charge, et qui devait l'être en elïet, opposa à cette injuste
attaque la plus vive résistance. En arrivant au décanat, Gonzalès Coques trouva le procès engagé, et dès lors
il prit l'affaire en main. Le litige dura quatorze ans; le patient artiste n'épargna ni son temps ni sa peine, il
multiplia les démarches et les suppliques pour obtenir la solution désirée. Il triompha : le 2 juin 1677, le
conseil souverain de Brabant donna gain de cause aux maîtres de Saint-Luc; mais les vaincus protestèrent,
menaçant de recommencer, d'éterniser le débat. Il fallut, pour éviter les ennuis d'un procès nouveau,
composer avec les récalcitrants; une transaction, conclue en 1680, vint mettre fin à ces longues querelles.
Pendant tout le procès, Gonzalès avait défendu avec autant d'ardeur que d'habileté l'antique privilège de la
gilde menacée; aussi ses collègues de Saint-Luc voulurent le remercier de ses soins et lui donner t:ii
témoignage exceptionnel de leur reconnaissance : ils lui firent présent d'une somme de 1,550 florins,
pensant, non que le dévouement doit se payer, mais qu'une indemnité était justement acquise à l'artiste
qui avait consacré à la défense de la cause commune un temps si précieux.
Mais Gonzalès n'était pas seulement, Dieu merci, un homme expert aux difficultés judiciaires, une
intelligence habile à manœuvrer parmi les broussailles de la procédure; il était peintre avant tout, et l'on
pouvait même le considérer comme un des meilleurs parmi les maîtres de cette seconde génération qui,
après la mort de Rubens et de van Dyck, prolongea assez avant dans le dix-septième siècle le succès de
l'école flamande. Grâce au goût charmant, à la fantaisie élégante qu'il y faisait paraître, les portraits de
Gonzalès Coques étaient de véritables tableaux. Les curieux à qui il a été donné de voir les Treasures of art
réunis à Manchester, en 1857, n'oublieront jamais les trois peintures de Gonzalès qui brillaient à cette
exposition fameuse. Le tableau connu sous le nom de la Famille Ver Helst, et qui appartient à la reine,
représente un personnage flamand sa femme et quatre petites filles, prenant le frais sur la terrasse d'un
,
château seigneurial. Les figures sont groupées naïvement, et peintes avec une largeur qui fait songer à van
Dyck. C'est pourtant un assez petit tableau, car il n'a guère que deux pieds de largeur. La composition est
plus riche et plus étoffée dans le portrait du stathouder Henri, prince d'Orange, et de sa famille. Le prince,
vêtu d'une sorte de robe de chambre, est assis à son bureau, près de sa bibliothèque; la princesse est
debout derrière lui; à droite s'ouvre une échappée sur un paysage. M. Burger, dont le souvenir vient ici en
aide au nôtre, signale avec raison, dans cette peinture, «une délicatesse inimitable, sans minutie ni
maigreur. » Toutefoisil nous semble que Gonzalès est plus charmant encore dans le tableau qui avait été prêté
à l'exposition par M. John Walter, le Pick-Nick. C'est aussi une réunion de famille, mais en pleine campagne,
dans un beau paysageflamand. On a fait un repas sur l'herbe, le dîner vient de s'achever; le père et la mère,
noblement vêtus, sont debout sur le gazon; autour d'eux leurs cinq enfants jouent et font de la musique; un
domestique ramasse les miettes du festin. Les figures, très-colorées, s'enlèvent gaiement sur les verdures
du fond: c'est un tableau brillant et sérieux, où Gonzalès a été admirablementaidé par l'auteur du paysage,
Jacques van Artois.
Il est bon de dire à ce propos que Gonzalès Coques aimait à associer à ses œuvres la main de
collaborateurs habiles. Parfois, il se bornait à introduire de charmantes figurines dans les tableaux de ses
amis; le plus souvent, les personnages devant jouer dans la composition le rôle principal, il priait un de ses
camarades de peindre un intérieur d'appartement ou un fond de paysage pour servir de décor aux acteurs
qu'il voulait mettre en scène. Ainsi, malgré la différence d'âge, et bien qu'il fût beaucoup plus jeune que
Henri Steinwick le fils, Gonzalès paraît avoir uni son pinceau à celui de l'habile « architecturiste. » Ils
exécutèrent ensemble un tableau conservé aujourd'hui chez le duc d'Arenberg, et qui, en raison de
cette collaboration, comme par le choix du sujet, semble deux fois exceptionnel. On y voit, dans un de ces
clairs intérieurs comme Steinwick sait les peindre, trois figures colorées et vivantes, le Christ chez Marthe et
Marie. C'est une traduction familière de la scène évangélique. Gonzalès s'y montre très-inquietde la couleur.
Il a assis le Christ au milieu de l'appartement, et il l'a gaiement vêtu d'une robe lilas et d'un manteau rouge;
Marie est placée à droite; elle est assise, dans une belle toilette, robe de soie jaune avec des manches
bleues; la bonne ménagère Marthe est debout à gauche, très-simplement vêtue; elle s'occupe par avance du
repas du soir, et le souper sera bien servi, car la table est abondamment garnie d'oiseaux morts et de
gibier, et le parquet est couvert de corbeilles pleines de fruits éclatants. Ces fruits et ces oiseaux sont
vraisemblablementde Jean van Kessel, qui paraît avoir travaillé quelquefois avec Gonzalès.
Mais l'ingénieux artiste eut d'autres collaborateurs encore. Il existe au musée de La Haye une composition
importante et singulière, qui représente l'intérieur d'une galerie de tableaux. Les figures seules sont de
Gonzalès, et M. Burger, un peu sévère peut-être, déclare « qu'elles ne sont pas bonnes; » quant aux peintures
suspendues aux murailles de la galerie, elles sont l'œuvre d'artistes différents. L'auteur des Musées de la
Hollande a retrouvé dans le catalogue d'une vente faite à Anvers, en 1741, l'indication des tableaux en
miniature qui ornent ce cabinet imaginaire. Jordaens lui-même, Pierre Boel, Eyckens-le-Vieux, Théodore
Boeyermans, van Breda, Cossiers et d'autres encore avaient pris leur pinceau le plus tin pour peindre,
chacun dans son style, ces jolis petits tableaux. Ils l'avaient fait, on doit le croire, pour complaire à leur-
camarade Gonzalès, et le musée de La Haye doit être fier de posséder l'œuvre précieuse où travaillèrent
tant de mains amies1.
Ce n'est pas que Gonzalès Coques eût besoin, pour bien faire, que d'autres artistes vinssent à son aide.
Sorti de cette vaillante école d'Anvers qui touchait à toutes choses, il était homme à se suffire à lui-même, et
il pouvait, sans le concours d'autrui, exprimer librement, sa pensée. 11 l'avait déjà prouvé dans le portrait du
prince d'Orange, dans la Famille VerHelst, dans le Pick-Nick; il le montrà mieux encore dans un tableau qu'on
peut considérer comme son chef-d'œuvre, le Repos champêtre. Les amateurs de Paris se souviennent de cette
page exquise qui, lors de la vente du cabinet de M. Patureau, est
entrée, à la suite de coûteuses enchères,
dans la collection de lord Hertford. Nous reproduisons cette œuvre virile et charmante, et, désireux de
complaire à ceux qui nous lisent, nous empruntons à Théophile Gautier la description de ce tableau. « Le
apprend,
1 Cette composition n'est pas la seule que Gonzalès ait exécutée dans ce genre. M. Théodore van Lérius nous
le
dans le Supplément au catalogue'du musée d'Anvers, qu'à l'issue du procès soutenu par la corporation de Saint-Luc contre
Serment de l'Arbalète, les membres de la compagnie, et Gonzalès avec eux, peignirent pour le procureur van Bavegom
l'Intérieur d'un cabinet de tableaux. On ignore ce qu'est devenue cette peinture; mais, comme elle ne fut achevee qu en
de J. Cossiers (1671).
1683, on ne saurait la confondreavec le tableau qui est cité par M. Burger, et qui est antérieur à la mort
fond, écrit-il, représente un parc d'une végétation riche et touffue, de laquelle se détachent heureusement
les figures épanouies d'un bon seigneur et de sa femme : l'homme est vêtu d'un justaucorps de velours brun
que recouvre à moitié une houppelande grise; il a la tête découverte, et ses traits, fortement accentués,
respirent le bien-être, la cordialité et le contentement de soi-même; il tient par la main sa femme, un peu
mûre déjà, mais d'une opulente santé flamande, qui a pour coiffure un chapeau à longue plume et pour
vêtement une superbe robe de taffetas cerise; il lui montre une jeune villageoise apportant un panier dt'
fruits. A côté d'eux, leur fille, en robe de soie blanche, joue avec son éventail et laisse pendre son chapeau
de paille... Une fontaine de marbre où boit un paon, et qui représente un Neptune dont les chevaux lancent
de l'eau par les narines, deux lévriers, un mâtin, une gibecière, une poire à poudre, sont les accessoires
de cette luxueuse composition, d'un coloris excellent, d'une pâte solide et d'une exécution magistrale.))
Et lorsqu'il peignait ainsi, sous le clair rayon d'un soleil de printemps, la joie, la richesse, la sérénité
des heureux, Gonzalès Coques cherchait peut-être dans le travail une consolation aux peines de son cœur.
Le malheur était venu frapper coup sur coup à la porte de l'artiste. Gonzalès, nous l'avons dit, avait eu de
Catherine Ryckaert, une fille, dont nous avons raconté la naissance un peu romanesque. Curieux de se
distinguer en toutes choses, au lieu de donner à la chère enfant un prénom vulgaire, il l'avait appelée
Gonzalina, nom étrange qui fait songer à l'Espagne, et qui résonne à l'oreille comme un bruissement
de castagnettes. Gonzalina, qu'on aime à se figurer charmante, venait de se marier avec un M. Lonegrave,
personnage important et estimé, lorsqu'elle mourut en pleine jeunesse, le 11 octobre 1667. Elle laissait un fils ;
Gonzalès le perdit trois ans après. Enfin, Il vit mourir sa femme, le 2 juillet 1674. Il aurait pu se résigner, et,
riche de ses souvenirs, rester seul dans sa maison en deuil. Mais il avait cinquante-six ans, et il sentit que
l'isolement, qui n'est jamais bon, est mauvais surtout à cet âge où le pied commence à devenir moins
solide sur les chemins difficiles de la vie. Gonzalès avait une si grande habitude de l'existence à deux, il se
trouva tellement « dépareillé » après la mort de Catherine Ryckaert, que ses amis vinrent à son aide et se
hâtèrent de le remarier; il épousa, le 21 mars 1675, Catherine Ryshéuvels, dont nous ignorons l'âge, le
caractère, la fortune. Si Gonzalès eut encore quelques jours tranquilles, nous ne saurions le dire : en tout
cas, son bonheur ne fut pas de longue durée, puisque le vaillant maître mourut le 18 avril 1684, laissant
aux amateurs de l'art des œuvres qui n'ont qu'un défaut, celui d'être trop rares1.
C'est qu'en effet, parmi les peintres de la seconde période de l'école d'Anvers, Gonzalès Coques n'est pas
seulement un des bons, il reste un des meilleurs. Il avait demandé à l'étude assidue de la nature ce caractère
de vérité qui éclate dans ses portraits et même dans les intérieurs d'appartement où il aime à placer ses
personnages pour nous les montrer dans la familiarité de leur vie quotidienne; à van Dyck il avait
emprunté la distinction des attitudes et je ne sais quelle poétique élégance; bien plus, quand on considère
la hardiesse savante de ses colorations (surtout dans le Repos champêtre), on serait tenté de croire que
Rubens lui a appris quelque chose. Disons-le cependant, et marquons d'un trait plus net le caractère un
peu compliqué de ce talent qui semble appartenir à deux écoles. Gonzalès n'est pas un pur Flamand; peintre
de portraits de petite dimension, il est obligé de veiller sur son pinceau, et de discipliner son allure en
raison de l'étroitesse des cadres où il enferme sa fantaisie. L'élément décoratif, si cher à l'école d'Anvers, lui
est interdit; l'exubérance doit, chez lui, céder le pas à la sagesse; aussi son dessin est-il plus serré, sa
touche plus courte et d'autant plus exquise qu'elle est plus contenue; en un mot, aux mérites des peintres
flamands qui firent l'admiration de sa jeunesse, Gonzalès ajoute des qualités presque hollandaises; il va loin
dans le caractère des physionomies, dans l'étude du détail intime; il aurait comprisTerburg, il aurait admiré
1 Gonzalès Coques fut enterré dans une chapelle de l'ancienne église Saint-Georges, à Anvers. MM. van der Straelen et Burger
ont publié l'inscription funéraire qu'on avait gravée sur son tombeau: sauf une date qui est restée en blanc, elle confirme les
renseignements que nous avons donnés plus haut.— M. Rombouts a trouvé dans les registres de la corporation de Saint-Luc les
noms de deux élèves de Gonzalès, Corneille van den Bosch et Léonard-François.. Verdussen. Aucun d'eux n'a marqué dan,'j
l'histoire de l'école.
Me'su, sans cesser cependant d'être de son pays et de son temps. Chose étrange, en effet, el qui n'a pas
été assez remarquée ! Les deux écoles, si distinctes qu'elles soient dans leurs tendances et dans leur génie,
semblent parfois s'être rencontrées, et avoir, pendant quelques jours, quelques heures peut-être, marché
côte il côte dans des chemins parallèles. La contemporanéité est une loi rigoureuse à laquelle il est
difficile d'échapper : on ne se connaît pas, et l'on se ressemble ! Gonzalès Coques a été, à son insu sans
doute, l'instrument de cette alliance momentanée entre l'art flamand et l'art hollandais. Mais ces deux
éléments se sont fondus en lui d'une façon si intime qu'il est .resté harmonieux, simple, personnel. Quoi
qu'on puisse dire, et malgré ces complications involontaires, Anvers le réclame. Gonzalès a aimé par
dessus tout la lumière, la vérité et la vie, et plus nous étudions son œuvre, où tant de virilité se marie à
tant d'élégance, plus nous trouvons de charme et de sérieux dans ce van Dyck in-18.
PAUL MANTZ.
HT Î1MM!(ID1§
Les œuvres de Gonzalès Coques sont peu nombreuses, CABINET DE M. DUBUS DE GISIGNIES.
— Plusieurs portraits
même en Flandre, où il a passé sa vie, et le musée du Louvre de petite dimension.
DRESDE. — La Famille de Gonzalès Coques. Le catalogue
ne possèderien de ce maître excellent; mais d'autres galeries
sont mieux partagées, et nous avons pu réunir les indications du Musée mentionneaussi les Portraits de Charles 1er et de sa
suivantes : femme Henriette ; mais M. Burger pense que ces deux pein-
On trouve la reproduction de trois portraits de Gonzalès tures doiventêtre attribuées à Daniel Mytens.
dans le Gulden Cabinet, de Corneille de Bie : le sien (gravé LA HAYE.
— Intérieur d'une galerie de tableaux, œuvre
par Paul Ponce), celui de Robert van Hoeck (gravé par Cau- précieuse due à la collaboration de divers artistes, et dans
kerken), et celui de Faidherbe (gravé par Pierre de Jode). laquelleGonzalès n'a peint que les figures.
AIX-LA-CHAPELLE.— GALERIE SUERMONDT. — Portrait de NANTES.— Un Magistrat flamancl et sa famille.
Corneille de Bie (provenant des cabinets de M. Schamp VALENCIENNES. — CABINET DE M. DUBOIS. — Portrait
d'Aveschoot et du comte Cornelissen). Une Jeune fille, por- d'un armateur.
trait de grandeur naturelle. VENTE JACQUES DE WIT (Anvers, 1741). — Vue d'un Cabi-
ANGLETERRE. — BUCKINGHAM-PALACE. — Ver Helst et sa net de tableaux ; 300 florins (aujourd'hui au Musée de La
famille (provenant de la collection de lord Rastock). Haye).
BpiTisH-MusEUM. — Une Dame assise, dessin à l'encre de VENTE LORMIER (La Haye, 1763).- Le Christ chez Marthe
Chine. et Marie (l'architecture est de H. Steenwick); 260 florins.
CABINET DU RÉVÉREND F. LEICESTER. — Le Stathouder VENTE BLONDEL DE GAGNY (1776). — Un Enfant à mi-
Henri, prince d'Orange, avec sa famille. corps se regardant dans un miroir, 1,550 livres. C'est sans
CABINET DE M. JOHN WALTER. Un Pick-Nick, réunion de doute le tableau gravé par Macret sous le titre de : Les Pré-
plusieurs figures dans un paysage peint par van Artois. mices de l'amour-propre, et qui est reproduit en tête de cette
CABINET DE LORD ELLESMERE.— Frédéric, électeurpalatin ; biographie.
Élisabeth, sa femme (gravés tous deux dans la galerie Staf- VENTE GROS (1778). — Une Famille de six personnes sous
ford). Portrait de David Téniers,vêtu de noir (provenant du
cabinet Watson-Taylor).
CABINET DE M. ROBARTS.- Une Dame en robe bleue jouant
VENTE DE Mme LANCRET (1782). -
un riche péristyle (cuivre) ; 2,900 livres.
Le Prince d'Orange,
figure en pied et de grandeur naturelle; 393 livres.
de six per-
du luth : auprès d'elle un gentleman vêtu de noir. D'après VENTE ROBIT (1801).
— Famille hollandaise
M. Waagen, ce tableau est peint avec une habileté qui fait sonnes, tableau provenant de la vente Montulé et gravé par
Moitte dans la galerieLebrun ; 3,000 fr. Cette composition est
songer à Metsu. C'est vraisemblablementcelui qui figure sous
le n° 332 dans le catalogue des objets d'art conquis par la le Repos champêtre, que nous retrouverons dans les ventes du
Grande-Armée (1807), et qui a été gravé par Chataignerdans
le musée Filhol.
CABINET DE SIR ROBERT PEEL. — Une Famille composée
roi de Hollande et de M. Patureau.
VENTE VAN HELSLEUTER (1802). - Une Famille de six lJcr-
sonnes dans le vestibule d'une grande maison; sur cuivre, 27
du père, de la mère et de six enfants, dans un jardin. pouces de largeur ; 2,350 fr. (C'est vraisemblablementle tableau
STAFFORD-HOUSE. — Trois Cavaliers et deux Dames autour de la vente Gros.)
d'une table : le paysage et les animaux sont de Pierre Gysels, 'VENTE PAIGNON-DIJONVAL (1821). — Portrait de Gonzalès
l'architecture est de Ghéring. Coques, peint par lui-même en 1646, et gravé par Paul Pon-
CABINET DE M. HOPE. — Portrait de famille. tius; 2K; fr.
CABINET DE M. LABOUCHÈRE. — Un Père est assis au cla- VENTE DE M'e SIROT (1833). — La Promenade au bois
vecin ; ses enfants sont autour de lui. (cuivre); 6,100 fr.
CABINET DE M. LANSDOWNE. — Portrait d'un architecte et VENTE ScHAMp D'AVESCHOOT (Gand, 1840). — Portrait de
de sa femme. Faidherbe. 'Un autre portrait, celui de Corneille de Bie (au-
BLENHEIM. — Une Famille hollandaise dans un apparte- jourd'huichez M. Suermondt).
tement. VENTE DU CARDINALFESCH (Rome, 1845). — Portrait d'une
COLLECTION DU MARQUIS D'HERTFORD.— La Leçon de mu- femme peintre assise devant son chevalets
sique (provenant du cabinet Saceghem, à Gand) ; le Repos VENTE DE GUILLAUME II, ROI DE HOLLANDE (1850).- Un
champêtre, tableau acquis à la vente de M. Patureau. Cavalier, une Dame et leur Famille dans un jardin, auprès
ANVERS. — MUSÉE. — Portrait de femme à mi-corps d'une fontaine; tableau provenant de la collection de Lucien
(légué en 1859 par MME van den Hecke-Baut). Bonaparte, dans le cataloguede laquelle il est gravé au trait
CABINET DE M. DE CALESBERG. — Portrait d'homme, Por- par Leoneti; 7,200 florins.
trait de femme. VENTE PATUREAU (1887).—Le Repos champêtre, 45,000 fr.
AVIGNON. — Un Bourgmestre (acheté en 1842 aux héritiers C'est le tableau de la collection du roi de Hollande. Il fut
-
de M. de Montfaucon). acheté par lord Hertford : on en trouvera la gravure à la
BRUXELLES. — GALERIE D'ARENBERG. — Le Christ chez page 3 de cette biographie.
Marthe et Marie, trois figures dans un intérieur, de Henri VENTE VAN DEN ScHRIEcK (Louvain, 1861). — Portrait de
Steenwick le jeune. (C'est le tableau de la vente Lormier.) Famille ; 1,625 fr.
Scafe &famcmc/e. Jê^'éraiù, elA (-Ir-
t yr,//;.
FRANCOIS DUCllATEL
O
NÉ EN 1 6 4 G. — MORT EN 1 694.
[texte_manquant]
Les graveurs n'ont pasjugé il proposde reproduire les oeuvres éloge, le considère comme un de ceux où Duchàtel s'est le plus
de François Duchàtel: ses peintures sont d'ailleurs assez rares rapproché de Téniers.
et nos recherches ne nous fournissent, quant il présent, queles COPENHAGUE. —La Partie de tric-trac.
indicationssuivantes : G AND. —Fele célébréeà G and en 16G6, pour lu proclamation
cavalier et de deux de Charles 11, roi d'Espagne, en qualité de comte de Flandre
MUSÉE DU LOUVRE. — Portraits d'un
autresj)crsonnages.On ignore quand ce tableauest entré dans et de duc de Br(ib rnt. Ce tableau a été gravé en douze feuillet;
la collection nationale. Les catalogues du temps de l'Empire par Luc Yorsterman. Il est signé F. Duchastcl fecit vl°. 1668.
n'en font pas mention. Après avoir figuré dans les galeries la
Il était placé autrefois a l'nôtel-de-Ville,dans chambre de la
du Louvre, sous les règnes de Louis XVIII et de Chai les X, Cavalcade. V. -',l ce sujet le Peintre amateur, de Mensaert, II,
il fut transporté au palais de Compiègne, et il y était encore p. 51, et le Voyage pittoresqtte de la Flandre, par Descamps).
La dernière édition du catalogue du Musée de Gand
en 1837. Il est gravé pour la première fois dans la présente
Biographie. (1861) donne, avec le plus grand détail, la listedes personnages
AVIGNON. — Intérieur d'un corps de garde (provenant de historiques qui figurent dans le, tableau de Duchâtel. C'est
la collection Sauvan). dans cette composition que nous avons pris le portrait de
ANGLETERRE.—CABINET DE JJ. HOWARD-GALTON A HADZOR.
l'artiste, qui est reproduit en tète de cette biographie, et qui
Une réunion de paysans. M. Waagen, qui cite ce tableau avec n'avait pas encore été gravé.
rtcole ^famanc/e, ^âu^d, &rutâ), *Ammauœ.
le font mourir à Bréda, en 1696. Quant à Jean van Kessel le jeune, il a passé sa vie en Espagne, et Palomino
et Céan Bermudez lui ont consacré chacun une notice intéressante.
D'après l'auteur du Diccionario historico de los mas ilustres profesores, Jean van Kessel le fils, que
plusieurs écrivains ont confondu avec son père, arriva à Madrid en 1680 et se fit connaître par des portraits.
La reine Marie-Louise d'Orléans, ayant entendu parler de lui par quelques dames du palais, désira se
faire peindre par le nouveau venu. Le jeune van Kessel réussit si bien que, le 21 avril 1686, il fut nommé
peintre du roi Charles II. Après la mort de Marie-Louise, en 1689, il sut mériter les bonnes grâces
de la nouvelle souveraine. Marie-Anne de Neubourg, et il fit aussi son portrait. Le talent de van Kessel
le fils était goûté en Espagne; déjà la fortune lui souriait, il devenait plus habile, il devenait plus riche;
*
mais ces prospérités furent brusquement interrompues, lorsque, en 1700, Philippe Y arriva, amenant à
sa suite un groupe d'artistes français. Jean van Kessel fut dès lors relégué au second rang : il mourut
à Madrid en 1708, laissant la réputation d'un portraitiste fidèle, qui, en ses jours heureux, s'était attaqué,
sans trop de maladresse, à la peinture d'histoire et de mythologie.
Si sommaires qu'ils soient, les détails que nous venons de reproduire suffisent pour mettre en évidence
l'erreur des biographes qui, réunissant en un seul deux artistes différents, ont confondu le fils de van Kessel
avec son père. Tenons-nous-en donc désormais aux indications du catalogue du musée d'Anvers, complétées par
le témoignage de Céan Bermudez : distinguons Jean van Kessel le vieux, dont nous perdons la trace en 1662,
de Jean van Kessel le jeune, qui arrive en Espagne en 1680 et qui y achève sa vie sous Philippe V. Puis,
laissant là les textes, demandons à l'œuvre de chacun des deux maîtres ce que valut son talent. Ici, il n'y
a pas de confusion possible : le plus habile et le plus original des van Kessel, celui qui mérite de figurer
dans Y Histoire des Peintres, c'est Jean van Kessel le père, le laborieux et loyal artiste qui nous a laissé
tant de fines peintures, qui a aimé la nature avec une si ardente tendresse, et qui, dans le tableau du
musée du Louvre, que nous reproduisonsaujourd'hui, a prouvé qu'il savait, aussi bien que son grand-père
Breughel de Velours, peindre d'un pinceau délicat la fleur parfumée et vivante.
PAUL MANTZ.
ANVERS. -
L'un d'eux est daté de 1657.
Concert d'oiseaux. Ce tableau provient de l'an-
cienne commanderie de Pitsenbourg, à Malines.
Un bois traversé par un chemin sablonneux.
VENTE DU CARDINAL FESCH (Rome, 1845). — La Vierge,
l'Enfant Jésus et des Anges dans un paysage ; les figures
BORDEAUX. — Une table chargée de divers fruits (1653). sont de Jean van Balen.
Des fleurs groupées autour d'un cartouche renfermant une VENTE THIBAUDEAU. — La Tentation de saint Antoine,
grisaille. dessin à la plume lavé d'encre de Chine, sur papier bleu ;
FLORENCE.
— Des Poissons (deux tableaux). signé, J. van Kessel.
MADRID. — Une guirlande de fleurs; au centre, un mé- VENTE VÉRON (mars 1858). — Une Ménagère au milieu de
daillon par van Thulden. Portrait équestre de Philippe IV. Ce gibiers et de fruits; signé, J. van Kessel, 1650.
portrait est vraisemblablementl'œuvre de van Kessel le fils.
Scafe &famanc/e. Jffa/faaçe/)
ABRAHAM GENOELS
\Ii E\ 1640. — MORT EN 1723
1 Les dates de naissance et de mort de Genoels que nous donnons sont, non pas différentes, mais pl is précises que celles
qu'indiquent les historiens flamands. Nous les empruntons à Mariette, qui les tenait de Reynez, le concierge de l'Académie,
honnête homme qui prenait des notes sur tout et qui, de l'aveu de Mariette, « étoit l'exactitude même. »
2 Descamps donne à Backereel le prénom de Jacques; les auteurs du catalogue du Musée d'Anvers l'appellent Abraham. Il y a
Ii. une petite difficulté que nous ne sommes pas en mesure de résoudre; ce qui, à nos yeux, complique la question, c'est que
les deux Backereel que nous connaissons par les tableaux religieux exposés dans les églises de Bruges et au Musée de Bruxelles,
se nomment l'un Guillaume et l'autre Gilles. Ils paraissent être nés à Anvers, le premier en 1570, le second en 1372. La date
de leur mort n'est point connue; mais, si longue qu'ait été leur vie, aucun d'eux n'aurait pu être le maître de Genoels. Ils eurent
sans doute des fils et des neveux, et c'est dans cette descendance ignorée qu'il faudrait chercher le professeur de notre paysagiste.
1 Descamps, Yie des peintres flamands et hollandais, t. m.
p. 93
jalouse de son antique privilége, avait un surveillant à la porte de chaque maison, et elle faisait saisir
sans pitié le tableau ou la statue que l'imprudent artiste essayait d'élaborer et de mettre en vente
sans avoir satisfait aux charges de la maîtrise. C'était là le cas de Genoels. Sollicité d'abord de s'affilier a la
corporation, il avait froidement répondu à cette prière; les jurés eurent bientôt recours aux menaces.
Le danger devenait pressant. Genoels alla conter sa peine à de Sève , et celui-ci lui indiqua bien vite le
seul remède, l'unique refuge, c'est-à-dire l'Académie de peinture, qui, placée sous la protection directe du
roi et hors de la loi des jurandes, s'ouvrait volontiers aux victimes des tracasseries de la communauté des
lit
maîtres. Abraham Genoels fut à cette occasion présenté à Lebrun. L'affaire était simple; elle ne
aucune difficulté. Agréé le 1er février 1664, le jeune artiste reçut
l'ordre de peindre un paysage pour son
les registres de l'Académie nous
morceau de réception, et c'est aux formalités de cette réception que
faisaient assister tout à l'heure.
Ainsi les persécutions dirigées par la corporation de Saint-Luc contre Abraham Genoels
avaient été pour
lui l'occasion d'une double victoire. D'une part il était académicien, et d'autre part il
avait conquis la
alors au
faveur de Lebrun : c'était même là le bénéfice le plus clair de son aventure. Le glorieux maître,
commandé
faite de la puissance, travaillait depuis 1661 à cette série de tableaux dont Louis XIV lui avait
rapidité de son
d'emprunter le sujet à l'histoire d'Alexandre. L'œuvre était considérable, et malgré la
à Genoels
pinceau, Lebrun ne pouvait tout achever par lui-même. Ses biographes affirment qu 'il eut recours
et qu'il lui fit peindre les fonds et surtout les paysages de ses vastes tableaux. La nature extérieure 11e
joue, il est vrai, qu'un petit rôle dans ces compositions héroïques 01'1 tout est sacrifié aux personnages;
mais ici on voit un bout d'arbre, là un brin d'herbe, plus loin une colline noyée dans la brume ou la
poussière; c'est là l'œuvre de Genoels, et, si secondaire qu'elle soit, ce n'était pas alors un mince honneur
que d'e travailler, ouvrier obscur, aux tableaux du premier peintre de Louis XIV.
Le point important, c'est que, grâce à la protection de Lebrun, Genoels fut désormais attaché d'une
manière suivie aux travaux de la manufacture des Gobelins. Il y faisait des modèles, disons le mot, des
patrons destinés à être reproduits en tapisseries. Pour pouvoir indiquer d'une manière précise les divers
ouvrages exécutés par Genoels aux Gobelins, il faudrait dépouiller attentivement les comptes des bâtiments
royaux : nul n'a fait encore ce grand travail; toutefois des renseignements tirés des archives de la
manufacture nous permettent d'indiquer la part prise par Genoels à plusieurs de ces tapisseries. Il travailla
avec Yvart le père et Dubois à la tenture des Quatre Eléments, avec Ilouasse et de Sève il celle des
Saisons 1. Ce n'étaient pas là des tableaux proprement dits, mais de simples esquisses où la couleur,
vivement posée, indiquait aux ouvriers le ton des laines qu'ils devaient employer. L'œuvre achevée, les
modèles étaient ordinairement détruits.
Il est cependant une de ces peintures qui nous a été conservée. Lorsque le directeur des Gobelins reçut
r
l'ordre die. faire exécuter la fameuse tapisserie des Mois de année, il eut l'idée ingénieuse de représenter
dans chacun des panneaux de cette tenture l'une des résidences de Louis XIV, allusion transparente
aux douze maisons célestes du soleil, dont le roi était l'image sur la terre. On jugea à propos de
donner place dans cette série au château de Marimont, situé en Hainaut à quelque distance de Mons, et
qui venait d'être incorporé au domaine royal. Genoels reçut la mission d'aller prendre la vue de ce
château. Il partit avec deux des collaborateurs habituels de Van der Meulen, Iluchtemburg et Baudewyns.
C'était, nous dit Descamps, en 1669 ou 1670; Genoels ccdessina le château de Marimont de trois côtés, »
et après s'être un instant arrêté dans sa ville natale, où tout le monde fit fête à l'envoyé de Lebrun, il
revint à Paris et exécuta, dans d'e grandes proportions, le modèle qui devait être reproduit en tapisserie.
Cette peinture, dont l'histoire de L'art avait perdu la trace, se retrouve aujourd'hui au Musée de Versailles;
elle fait partie de cette suite des Douze mois- qui fut, sous la haute direction de Lebrun et de Van der Meulen,
l'œuvre commune de tous les artistes- qu'ils employaient aux Gobelins. C'est une esquisse facile, d'une
exécution sûre et précise et d'une coloration qui n'est pas sans vigueur. L'influence de Van der Meulen y
paraît évidente.
Ainsi employé par la haute direction des bâtiments du.noi, Abraham Genoels eût trouvé à Paris une vie
tranquille et peut-être même un peu de renommée; mais le mouvement était un besoin de sa nature
inquiète, et il avait à peine terminé sa peinture du Chdteau d'e Marimont, que, cédant à d'amicales
instances, il retourna à Anvers. Là, il se ressouvint qu'il était Flamand. Soit qu'il ait eu l'intention
réelle de planter désormais sa tente dans son pays, soit qu'il ait voulu faire acte de patriotisme, il se fit
recevoir membre de la ghilde de Saint-Luc (1672). Quelque temps après, il était si fraternellement uni aux
membres de l'association qu'onvoulut le nommer doyen. Ce fut à cette occasion que, désireux de s'exempter
de cette charge, il s'engagea, le 4. septembre 1673, à faire pour la aallede réunion, de. la compagnie un
tableau « digne de sa réputation. » Il. mit aussitôt la main à l'œuvre et acheva une composition pittoresque
dont le Musée d'Anvers a hérité.
Ce paysage, qui peut passer pour l'une des œuvres les mieux réussies du maitre, représente Minerve et
les Muses. Le lieu de la scène est emprunté à cette nature un. peu artificielle qui n'existe que pour les
académies. Au milieu d'une campagne élyséenne, fermée à gauche par. de grands arbres historiques, et à
droite par une sévère muraille de rochers, les Muses, réunies sur un petit monticule, reçoivent la visite
de Minerve leur souveraine. Ce paysage, visiblement entaché d'un parti-pris héroïque, appartient, comme
trouvait en France tant de lourds imitateurs. A le juger par cette œuvre, le talent de Genoels n'est pas
sans quelque analogie avec celui de Francisque Mile. Comme lui, il aime les entassements de rochers
systématiquement bâtis, les montagnes à plusieurs étages et surtout ces constructions aux formes
régulières que, dans le jargon des ateliers, on a si longtemps appelé des fabriques : ses paysages sont toujours
abondamment garnis de temples, de tombeaux, de fontaines et de colonnades1; il n'y manque guère que
la nature
Abraham Genoelsachevait à peine son tableau de Minerve et les Muses, qu'un désir, qui bien des fois déjà
avait traversé ses rêves, lui revint tout à coup en tête. Il voulut admirer dans leur réalité pittoresque et sous
le chaud rayon de leur vraie lumière ces campagnes romaines et ces ruines fameuses dont il avait si souvent
entendu parler à l'Académie de Paris, mais que, pour y bien croire, il lui fallait voir de ses yeux et pour
ainsi dire toucher de ses propres mains. Il se disposa donc à partir pour l'Italie. Toutefois le comte de
\lonterey, gouverneur des Pays-Bas, lui ayant demandé des modèles pour une vaste tenture de tapisserie, u'
dut satisfaire au désir du noble comte, et avec l'aide de quelques amis, il expédia rapidement une
1 Abraham Genoels, dit Papillon de la Ferté, « sçavoit enrichir ses tableaux de détails agréables, qui suppléoient à ce que le
local ne lui fournissoit pas. » Extrait dela Vie des Peintres, t. n, p. 215. « Les ordonnances de ses paysages, dit
de son côté
fait. »
Mariette, ne sont pas fort naturelles et la touche en est maniérée, mais il ne laisse pas d'y avoir du bon dans ce qu a
'il
portraits
ruisseau est absorbé par un grand fleuve. Lorsqu'il a voulu produire seul, il a peint quelques
d'une valeur secondaire et des paysages qui, laborieusement combinés en vue d'un succès
académique,
flamandes, a
n'ont jamais eu la fraîcheur, la poésie de la vraie campagne, Genoels, oublieux de ses origines
trop aimé le style italien du dix-septième siècle et pas assez les
réalités agrestes de la nature de tous les
la loi rigoureuse de la
temps. Professeur habile, il a appris aux écoliers de bonne volonté la perspective et
lumière. Et qui sait si l'enseignement de ces choses n'était pas sa meilleure aptitude et sa force
..
secrète?
Il est certain qu'en étudiant de près le désordre trop savant des
compositions de Genoels et la symétrie
du paysagiste,
harmonieuse et froide de ses lignes, on croit parfois reconnaître en lui, sous l'enveloppe
la rigidité sévère d'un géomètre mal déguisé.
l'AlL MANTZ.
MMMEMim in iniDiEiiTwiSo
Les tableaux d'Abraham Genoels sont assez rares. L'artiste célèbres du dix-huitième siècle en contenaient un assez bon
flamand a sans doute eu sa part dans l'œuvre de plus d'un nombre, et aujourd'hui encore on en voit passer quelquefois
maître illustre; il a travaillé avec Lebrun et Van der Meulen dans les ventes publiques.Cinq paysages, dessinés à la plume,
et il a puissammentcontribué à l'exécution des modèles des- ornaient le cabinet du prince de Ligne. M. Paignon-Dijonval
tinés aux Gobelins; mais il ne reste de lui qu'un petit nombre n'en possédait pas moins de dix-neuf, parmi lesquels nous
d'oeuvres originales et authentiques. Nous ne pouvons indiquer nous contenterons-de citer :
que les peintures suivantes : Vue d'une grotte ornée à l'extérieur de quelques arbres ;
MUSÉE D'ANVERS.
— Minerve et les Muses. D'après le au bas, deux figures assises; dessin à la plume, colorie
catalogue de cette collection, ce tableau aurait été peint par d'aquarelle.
Genoels en collaboration avec Kierings ; mais cette indication Deux autres Vues de grottes, à la plume, lavées d'encre de
ne paraît pas fondée, puisqu'on ne connaît aucun peintre Chine.
de ce nom qui ait vécu en même temps que Genoels et ait pu Vue intérieure d'une caverne, dessin lavé au bistre.
travailler avec lui. Cette composition provient de l'ancienne Quatre petites vues : forteresse sur le bord d'une rivière;
Société de Saint-Luc, à laquelle elle avait été donnée par intérieur d'un grand jardin; ruines d'un pont de pierre, etc.,
l'auteur lors de son départ pour l'Italie en 1673. Dans son dessins à la pierre noire lavés d'encre.
Voyage pittoresque de la Flandre, Descamps en parle comme Quatre Paysages ornés de fabriques dans le goût antique.
d'un « assez bon tableau. » Dessins à la plume.
MusÉE DE VERSAILLES.
— Le Château de Marimont. mo- Nos recherches ne nous fournissent aucun renseignement
dèle destiné à être exécuté en tapisserie. sur les prix atteints dans les ventes publiques par les tableaux
MUSÉE DE MOXTPELLIER.
— Paysage. Un voyageur se de Genoels. Il est vrai de dire que ses paysages sont quel-
repose sur le gazon. On voit dans le fond des fabriques en- quefois attribués à Francisque Mile. Nous sommes un peu
•
tourées de pins et de cyprès. Ce tableau a été gravé à l'eau- plus heureux pour les dessins et nous pouvons citer :
forte par l'auteur. Il y aurait lieu de rechercher si ce paysage VENTE NEYMAIN, Paris 1776.
— Un très joli paysage avec
n'est pas le morceau de réception présenté par-l'artiste à rochers, lointains et chute d'eau. Sur le devant, Saint-Jérôme
l'Académie de peinture en 1665. en prière. Dessin à la plume et au bistre. 6 pouces sur 7.
Abraham Genoels a pris soin de graver lui-même la plupart 29 livres.
de ses compositions.Presque toutes ces reproductions sont VENTE THIBAUDEAU (avril 1857).
— Tobic et l'Ange.
à l'eau-forte; mais, ainsi que le remarque lUariette, on a aussi paysage à plume et lavé d'encre de Chine. — 13 fr.
la
rie Genoels quelques paysages, « gravés d'une manière assez Vue d'un parc. Un escalier de quatre marches est placé à
singulière, qui imite le dessin, et qui a été pratiquée avant droite près de grands rochers formant grotte. Signé A. Genoels
lui par La Belle. » A.-F. Baudoins ou Baudewyns a reproduit alias Archimedes fecit œtatis 78 A" 1718 Augustus 26.— 25 fr.
d'après ses dessins quelques vues de jardins et de villas Autre vue d'un parc. Deux figures sont assises au premier
italiennes. Le cabinet des Estampes ne possède que deux plan. Ce dessin est également daté de 1718. — 10 fr.
de ces planches; mais elles sont lumineuses et larges, et Petit Paysage héroïque. Sur la droite, une rivière passe en
donnent une excellente idée des originaux. Mariette parle formantcascade sous une grandepierre plate, au-dessus de
,
aussi, dans les notes de son Abecedario de cinq paysages, laquelle on aperçoit quelques figures. Dessin à la plume sur
en rond, gravés par Chatillon d'après Genoels, et il ajoute : papier blanc. — 8 fr. 50 cent.
«. Ils sont mal exécutés et appesantis d'ouvrage. » Nous reproduisons les divers monogrammes de Genoels
Si les tableaux d'Abraham Genoels sont devenus rares; d'après ses eaux-fortes et tableaux et sa signature à l'Aca-
,
il n'en est pas de même de ses dessins. Lés collections démie française:
Sco/e tfflamaru/e. Jëciyjapeé.
La présence de ces rudes habitants imprime au tableau de Huysmans, en dépit de la belle nature de ses
arbres, une physionomie agreste toute particulière. Cela ne ressemble ni à la riante pastorale de Berghem,
ni à la mélancolie de Ruysdael, ni au grand goût un peu sauvage de Both d'Italie. Au premier coup d'œil,
on croirait que des bois si majestueux doivent recéler dans le mystère de leurs ombrages quelqu'un de ces
temples où la prêtresse merveilleuse des temps antiques rendait ses oracles; mais on n'y rencontrera ni
les colonnades arrondies de Cythère, ni la fontaine qui invite au repos les nymphes de la suite de Diane;
seulement on découvrira peut-être dans la demi-clarté d'un carrefour le toit d'une simple cabane, rustique
asile des braconniers.
Les figures de Huysmans étaient dessinées avec tant de naturel, si bien posées, touchées avec tant dp
facilité et d'adresse, que les paysagistes de son pays avaient souvent recours à son pinceau pour les figures
dont ils voulaient peupler leurs prairies. Le célèbre Van der Meulen, lors d'un voyage qu'il fit à Bruxelles,
sa patrie, voulut visiter Huysmans, et il le trouva digne d'être présenté à Louis XIV. On le sait, Van der
Meulen avait été appelé et retenu en France par les offres de Colbert, par les pensions et le sourire du roi.
En voyant que les paysages de Huysmans avaient le caractère de la grandeur, il pensa qu'un tel artiste était
fait pour être apprécié à la cour de Versailles, que la représentation de ces beaux arbres, étudiés par le peintre
dans la forêt de Soignies, conviendraient à merveille sur les toiles où lui, Van der Meulen, il peignait les
campements, les siéges, les pompeuses marches de Louis XIV et les carrosses qui conduisaient Montespan à la
guerre comme à une fête. Mais le naïf artiste ne voulut point quitter Matines ; il motiva son refus sur ce qu'il
ignorait la langue française et n'aimait que celle de son pays. Cependant, à la sollicitation de Van der Meulen,
il peignit pour ce maître, avec une étonnante franchise de pinceau et beaucoup de vigueur dans le coloris,
les Vues topographiques de Luxembourg et de Dinant et les environs de ces deux places fortes. Prises d'un
point très-élevé, ces Vues se déroulent, se comprennent clairement; mais l'exactitude du plan n'ôte rien au
charme de l'art. Depuis près de deux siècles que ces tableaux sont au Louvre, tout le monde les admire, et
il est bien difficile d'y soupçonner le mélange de deux palettes, tant il y a d'harmonie entre la cavalerie de
Van der Meulen et les fonds de Huysmans.
Il reste aujourd'hui peu de compositionsde ce grand paysagiste d'après lesquelles on puisse juger de son
vrai mérite, la plupart de ses tableaux ayant poussé au noir, par suite de la funeste habitude où il était
de les peindre sur des toiles imprimées en rouge. Lorsqu'on trouve un tableau bien conservé de ce maître, on
ne saurait y attacher trop de valeur. Le clair-obscur y est conduit dans le sentiment de Rembrandt, c'est-à-dire
que la lumière y étant très-épargnée y est aussi très-brillante. La pâle en est dorée comme celle de la Ronde
de nuit. La touche a une largeur facile qui semble appartenir à un peintre d'histoire, et si l'effet du paysage
est imposant, ce n'est pas aux dépens de la vérité. J'ai vu des Huysmans rappeler si bien la nature, qu'en
les apercevant au détour de l'escalier d'un palais, on les eût pris pour des fenêtres ouvertes sur la campagne.
Maintenant, quand on songe que la longue vie de Corneille s'est écoulée à Malines, qu'il vécut et peignit dans
cette ville jusqu'à l'âge de soixante-dix-neuf ans, car il y mourut en 1727, on est surpris sans doute qu'il
ait parfois les fières allures du Guaspre, et qu'il se soit élevé si aisément dela familiarité flamande à l'héroïque
poésie des grandes forêts; mais cela même prouve que l'art est vraiment en nous. La nature n'est que le
clavier où chacun vient à son tour exprimer les sentiments de son cœur.
CHARLES BLANC.
Tout récemment, à la VENTE DE M. DUGLERÉ, maître d'hôtel de M. de Rothschild, il s'est vendu une magnifique collection de douze
Huysmans,dont le prix moyen a été de 850 francs, la totalité des paysages de ce maître ayant produit la somme de 10,105 francs.
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•
heureux dans ce pays de la lumière et des vastes perspectives, il trouvait à chaque pas de si beaux sites
il reproduire, et, dans les galeries des grands seigneurs romains, tant de tableaux
à imiter, qu 'il oublia
peu à peu l'Escaut et ses bords humides, et que, fils adoptif des
régions heureuses « où résonne le SI:, »
il désappritbientôt sa langue maternelle.
Assurément il eut tort. C'est notre conviction profonde qu'un artiste, si bien doué soit-il, ne rompt pas
impunément avec toutes les traditions de la nationalité à laquelle il appartient, avec tous les instincts de a
chose,
famille et de son pays. A ces changements de religion et de patrie, le talent perd toujours quelque
de
l'originalité s'en va, les sources vives de l'inspiration se tarissent peu à peu, et tel qui, dans la mesure
plus que les faciles mérites d 'tiii
ses forces, eût pu devenir un artiste libre, et presque un maître, n 'a bientôt
imitateur heureux. Cette inévitable déchéance, cette triste diminution morale, que tant d autres avaient
*oloiistes
subies avant lui, van Bloemen les subit à son tour. Les. paysagistes flamands sont volontiers .
cette qualité lui fit défaut; volontiers aussi ils ont une manière puissante et large : van Bloemen adopta un
procédé plus méticuleux et plus froid. Gagna-t-il quelque chose à ce jeu plein de périls? L'examen
de son œuvre va nous le dire.
Van Bloemen fut autrefois très à la mode en France : aussi, bien qu'il n'ait jamais travaillé qu'en Italie,
est-ce dans nos collections nationales qu'il faut aujourd'hui chercher les plus importantes productions de
son pinceau : les musées de province en montrent de nombreux échantillons, et le Louvre n'a pas moins
de six tableaux de sa main. C'est beaucoup, c'est trop peut-être ; car un seul des paysages de van Bloemen
suffirait à faire connaître sa manière. C'est qu'en effet, si ses compositions ont un mérite, ce n'est pas celui
de la variété. Le système de ce maître, qui fut toujours plus érudit qu'inspiré, consiste à disposer dans un
ordre plus ou moins différent des motifs pittoresques dont nous ne prétendons pas discuter l'intérêt, mais
qui sont malheureusement presque toujours les mêmes. Le rocher aux formes symétriques, la tourelle à
demi ruinée, la cascade à l'écume blanchissante, la silhouette sévère d'une ville romaine, le tronc d'arbre
étendu tout exprès au bord de la route pour servir de siége au philosophe perdu dans sa rêverie : tels sont
les éléments principaux dont dispose, je ne dirai pas la fantaisie de van Bloemen, mais sa mémoire. Dans
la combinaison savante de son paysage académique, Orizzonte ne manque pas de donner place à quelques
personnages qui portent, parfois avec un peu de maladresse, l'austère costume de l'antiquité. Ici ce sont
des bergers qui gardent leurs troupeaux ou préludent à des danses rustiques; là, de jeunes filles qui viennent
de remplir à la source voisine leurs vases aux formes grecques ; plus loin, un vieux pâtre qui, appuyé contre
une colonne brisée, regarde le soleil se coucher derrière les montagnes et rêve à la brièveté des heures.
Le plus souvent, van Bloemen a pris la peine de peindre lui-même les figurines qui étoffent ses paysages, et
il n'y a pas trop mal réussi. Quelquefois au contraire, il a confié ce soin à un autre pinceau. Pilkington
fait mention d'un tableau de van Bloemen qui appartenait au marquis de Hastings, et dont les figures
avaient été peintes par Sébastien Conca, ce disciple maniéré de Solimène t. Nous n'avons pas vu ce
paysage, et nous éviterons sagement d'en rien dire, mais il nous semble que, mieux que tout autre, le
peintre flamand était en mesure d'animer par des personnages convenables ses compositions agrestes. Dans
ses œuvres bien venues, les acteurs sont faits pour le décor : ils se promènentnoblement, ils se reposent
avec emphase dans ses campagnes un peu théâtrales.
Ainsi Franz van Bloemen a peint l'Italie du Guaspre, et non l'Italie de la réalité. Mais s'il ressemble au
beau-frère de Poussin, à van der Kabel, à Francisque Millet, par les motifs qu'il leur emprunte et par le
caractère de sa composition correctement rhythmée, il se sépare un peu de ces maîtres par l'exécution. Le
Guaspre et ceux qui, comme lui, ont aimé les sombres verdures, sont souvent un peu noirs : van Bloemen
se plaît aux colorations plus tendres ; ses forêts et ses prairies sont parfois d'un vert assez lumineux, assez
printanier ; les montagnes lointaines qui, dans le fond de ses tableaux, dessinent un horizon « fait à souhait
pour le plaisir des yeux » sont souvent voilées de tons bleuâtres qui ne manquentni de justesse, ni de poésie ;
ses terrains, artistement modelés, ont de la vigueur et du relief ; enfin les feuillages de ses arbres, quoique
bien monotones dans leur dessin, sont d'ordinaire touchés assez largement, et quelquefois même avec
une négligence libre et aventureuse qui semble annoncer déjà les procédés décoratifs que le dix-huitième
siècle allait mettre en honneur.
Et ceci ne doit surprendre personne : par la seconde moitié de sa longue carrière, Franz van Bloemen
appartient à l'école spirituelle et inexacte qu'illustrèrent Lucatelli, Panini et bien d'autres encore. Il les a
connus, il les a vus à l'œuvre, et les gentilshommes romains, les cardinaux, les papes eux-mêmes
l'associèrent plus d'une fois à ces maîtres dans l'exécution de travaux importants. Van Bloemen peignit
deux grands paysages pour la décoration du Casino construit par l'architecte Fuga, dans les jardins du
palais pontifical, à Monte Cavallo 2. Le palazzo Colonna, si largement pourvu qu'il fût déjà des chefs-d'œuvre
de six eaux-fortes, qui sont assez rares ; mais le Cabinet des estampes, à Pans, les possède, et nous avons
froid l architecture et la statuaire
pu les étudier à notre aise 2, Ce sont des paysages 'uii aspect assez
d .
N° 1. - L'Obélisque. Au fond, une église; sur la droite, deux figures debout; à gauche, quelques autres personnages.
N° 2. — Les deux Statues. Paysage dans lequel on remarque, à gauche, deux statues sur
des piédestaux; a droite, une dame
cause avec un homme assis sur une pierre : au second plan, deux femmes et un enfant en costume du temps de Louis XIV.
N° 5. — L'Homme au Panier. Une rue aboutissant à une place
au fond de laquelle on voit une église à deux clochers, un
obélisque et diverses constructions : au premier plan, un homme porte sur l'épaule panier suspendu bout d'un bâton
un au : plus
loin, deux femmes debout causent avec un homme assis.
N 6. Les trois Hommes sous une arche. Vue de l'intérieur d'un cirque, prise d'une arche
sous laquelle trois hommes sont
en conversation.
Ces eaux-fortes sont signées Franc. Van Bloemen det. Horizonti mais elles
; ne sont malheureusement pas datées. On peut
voir, sur les gravures d'Orizzonte, Huber et Rost, VI, p. 266 et le Manuel du
graveur de M. Charles Le Blanc.
1 La date de la mort d 'Orizzonte n 'a pu encore être fixée
avec exactitude. Descamps le fait mourir vers 1740, le catalogue de
la galerie Bréra en 1742, le comte Orloff en 1749. La date
que nous indiquons, — sous toutes réserves cependant, — est celle
qui a été adoptée par le docteur Waagen, dans son Catalogue du musée de Berlin.
2 Catalogue du Musée d'Anvers. 1857,
p. 420.
en 1746. Les biographes n'en savent guère plus long sur sa vie. Il peignit, sans parvenir à se faire une
réputation, des portraits et des scènes de la vie intime, mais, comme son frère Peeter, il passe pour avoir
eu plus de bonne volonté que de talent, et, tout en reconnaissantqu'il a étudié la nature avec une passion
sincère, les écrivains qui, plus heureux que nous, ont pu voir des tableaux de sa main, lui reprochent de les
avoir enluminés d'une couleur «fausse et crue. »
Des trois van Bloemen, Franz est donc celui qui a su se faire la meilleure renommée. A ce point de vue,
il a peut-être agi sagement en demeurant en Italie; là, du moins, il était apprécié, compris, bien payé.
— et
Pour les amateurs de cette époque, pour les artistes qui avaient aimé le Guaspre, et qui regrettaient sa
grande manière, les paysages d'Orizzonte étaient une sorte de consolation et la poésie elle-même. Composés
savamment, ils paraissaient inspirés, et quelques juges indulgents allaient jusqu'à trouver dans ces
perspectives héroïques le mérite dont l'absence s'y fait peut-être remarquer davantage, — la vérité. Au
commencement de ce siècle, les historiens de l'art ultramontain, considérant avec raison van Bloemen
comme un des leurs, en parlaient encore avec une sympathie enthousiaste. Les éloges que lui décerne
Ticozzi ont de quoi surprendre les esprits sérieux qui n'accordent pas leur admiration au hasard. I suoi
paesaggi, écrit-il, sono di una straordinariabellezza, avendo saputo maravigliosamenteesprimere i naturali
effetti dell'acqua che si alza invapori nellecadute, dell'iride, delle nebbie, dell'aurora, etc... Mais si ces
éloges ont bonne grâce en cette langue où tout est charmant, même le mensonge, ils seraient intolérables
en français. L'appréciation de Ticozzi ne saurait donc être celle de la critique moderne. Pour nous, van
Bloemen est un émigré, et presque un déserteur : en prenant du service dans l'école italienne, il a perdu
sa qualité de Flamand.
PAUL MANTZ.
mw IHllKEfiTOHS
Dans le cours de sa longue vie, Franz van Bloemen a beau- MILAN. GALERIE BRÉRA.
— Paysage enrichi de petites
coup travaillé : ses tableaux sont donc en grand nombre. figures. Ce tableau est d'une coloration vigoureuse et même
Nous nous bornerons à indiquer ceux qui caractérisent le un peu sombre, qui n'est pas habituelle à van Bloemen.
mieux sa manière. MUSÉE DE ROTTERDAM.
— Deux Tableaux.
MUSÉE DU LOUVRE. — Première Vue d'Italie. Deux MUSÉE DE CAEN.
— Les Apprêts de la chasse; Chasse au
hommes assis au bord d'un chemin parlent à une femme cerf; deux autres paysages.
États romains.
debout. A droite, une fontaine où trois jeunes filles viennent MUSÉE DE LYON.
— Vue prise dans les
puiser de l'eau. Au fond, des fabriques et une vaste cam- (Légué au musée, en 1841, par M. Rayet, dessinateur en
pagne aux terrains accidentés. broderies.)
Deuxième Vue d'Italie. Un chemin tournant bordé à gau- MUSÉE DE MONTPELLIER. — Les environs de Grotta-Fer-
che par une rivière, et à droite par de grands arbres. Assis rata: on voit dans le lointain la plaine de Rome.
sur un rocher, un berger s'entretient avec une femme qui Un Paysage en hauteur. Un pont aboutit à une tour ados-
porte un paquet sur la tête. Au fond, de hautes montagnes, sée à une grande porte ; sur le devant deux figures.
une ville et des ruines antiques. (Gravé par Schroeder.) Le Pendnnt du précédent. Deux grands arbres sur le pre-
Troisième Vue d'Italie. Un homme et une femme assis cau- mier plan. Deux femmes assises à terre et un homme
sent avec un pâtre, sur une route qui serpente entre des debout. Un lac; quelques fabriques entourées d'arbres et
arbres et des rochers. Un homme étendu à terre demande des montagnes chargées de nuages.
l'aumône. Dans le lointain, une ville aux portes crénelées. Autre Paysage. Des terrains inclinés sur le revers d'une
(Gravé par B. Piringer (1812), par Godefroy, et en petit, par montagne.
De Saulx et Bovinet.) Ces quatre tableaux proviennent de la collection de
Des Pâtres gardant leurs troupeaux. Ils se reposent au X. Fabre, qui leb donna, en 1825, à la ville de Montpellier.
bord d'une rivière : adroite une femme montée sur un cheval. MUSÉE DE TOULOUSE.—Trois études d'après nature, pro-
Ce tableau, qui a été gravé par Eichler, était autrefoisattribué venant de la collection du cardinal de Bernis.
à Lucatelli. VENTE DE M. DE SELLE, 176i. — Une Marine et un Port
Deux autres Paysages, gravés par Duthenofersous le nom de mer, tableaux enrichis de figures 161 livres.
de Gaspard Dughet, et provenant de la collection de VENTE DE MADAME LAISCRET. 1782. — Des voyageurs dont
Louis XIV. Dans le premier, trois hommes accompagnés de un conduit des vaches. Le catalogue ajoute que ce tableau
deux lévriers, se sont arrêtés sur la pente d'un chemin est peint dans le goût de Berghem, ce qui pourrait faire
sinueux qui aboutit à un fleuve. Dans le second, trois bergers, douter de son authenticité.
revêtus d'un costume antique, se reposent sur le bord d'une VENTE GRIMALDIDE MONACO. 1802. — Deux Vues de Rome,
route. Plus loin, d'autres pâtres conduisent un troupeau près avec figures et animaux. (21 pouces sur 36). 667 francs.
de la rive d'un torrent. Dans le lointain, diverses fabriques VEl\TE ***. 11 juillet 1803. — Deux bons tableaux. Sujets
sur le sommet d'une montagne boisée. de chevaux et de figures de Napolitains, dans des sites de
CABINET DE M DUCLOS. — Un Paysage. C'est le" tableau paysages mêlés de rochers et de fabriques. — (Le catalogue,
que nous avons fait reproduire pour illustrer la présente rédigé par M. Delaroche,attribue ces tableaux à Franz van
biographie. (V. page 5.) Bloemen ; le genre des sujets donnerait à supposer qu'ils
MUSÉE DE BERLIN. — Apollon changeant en grenouilles sont l'œuvre de son frère Peeter, qui avait un talent parti-
les bergers qui avaient insulté Latone. Van Bloemen a placé culier pour peindre les chevaux )
cette scène dans un vaste paysage enrichi de beaux arbres, VENTE SCHAMPD'AVESCHOOT. (Gand, 1840.)— Des Ruines :
de rochers et de fabriques. Les principaux personnages sont dans le fond le château Saint-Elme et les environs de
au bord de l'eau, sur le premier plan. Plus loin, on aperçoit Naples.
des constructions dans le goût italien. VENTE DU COMTE THIBAUDEAU.1857. — Un Arc de triomphe
MUSÉE DE DRESDE. — Paysage avec de grands arbres. sous lequel ¡lasse un chemin conduisant à un grand escalier
Au premier plan, une rivière au bord de laquelle sont des de pierre. (Dessin à la plume et lavé de bistre sur Dapier
pêcheurs. blanc.)
(oco-fe mande. 5 Y'
e ,
,cpenN>.
PAUL MANTZ.
NICOLAS WLEUGHELS
NÉ VERS 1669. - MORT EN 1737.
essaye une traduction d ; l'Arctinu, de Lodo\ico Dotee?); les gens d'esprit faisaient état de son mérite; il
était homme de bonne mine, courtisan à l'occasion ; enfin — c'est Mariette qui l'assure — il avait même
Il un peu de charlatanerie. » Le surintendant des bâtiments du roi le prit tout à fait au
sérieux. Aussi, lorsque
Charles-François Poerson, qui était directeur de l'école de Home, eut révèle son insuffisance, c'est-à-dire
en 1724, Wleughels fut nommé il sa place. Il partit le 14 mai pour se rendre à son poste. Deux ans après, il
fut fait chevalier de Saint-Michel. Pendant son directorat, il eut le don de complaire au ministre, car il
s'acquittait de ses fonctions avec beaucoup de dignité, donnant des fêtes, recevant les ambassadeurs ou les
voyageurs de marque, et prenant, le plus possible, les attitudes officielles d'un véritable personnage. La mort,
survenant le 10 décembre 1737, l'arrêta au milieu de son rôle. Sa femme, Marie-Thérèse Gosset, et son
fils Bernard, lui firent ériger, à Saint-Louis-des-Français, un tombeau qui existe encore et pour la décoration
mélancoliquement une
duquel Michel-Ange Slodtz sculpta, dans le goût du temps, un petit génie tenant
-palette et des pinceaux désormais inutiles.
Nicolas Wleughels était-il digne du monument?... Les tableaux, assez rares,
qu'il nous a laissés,
(Valenciennes), montrent
Vulcain donnant à Vénus les armes d'b'llée (Toulouse), le Lever et la Toilette
dessin, indifférent au caractère. Il est tout juste aussi sérieux
en lui un peintre facile, peu soucieux du
qu'on pouvait l'être au temps de la comtesse de Parabère et de Mme de Prie. Comme Pater et comme
Lancret, Wleughels s'est complu à choisir ses sujets dans les contes de La
Fontaine; il y a fait paraître
trop peu de
quelque esprit et même quelque galanterie. L'antiquité, à laquelle il a touché trop souvent et avec
le bûcher, Pyrame et Thisbé sont
respect, ne l'a pas si heureusement inspiré : la Mort de Creuse, Didon sur
Wleughels a laissé aussi une série
des tragédies à la Coypel, des scènes sans émotion, mais non sans emphase.
gravé quelques-uns. Ces croquis ne
de costumes dessinés d'après nature en Italie; Moitte et Jeaurat en ont
comprendre
révèlent pas un talent bien spirituel, et l'on s'étonne que, vivant près deWatteau, Wleughelsn'ait su
ni sa mélancolie, ni son sourire.
personnalité. Mariette
Le malheur du chevalier Wleughels, c'est qu'il n'a jamais pu parvenir à se faire une
A peine savoit-il
lui a consacré quelques lignes qu'il faut reproduire ici, bien qu'elles soient un peu cruelles. «
plaisoient:
dessiner, écrit-il; il ne peignoit guère mieux; il avoit pourtant le secret de fairedes petitstableaux qui
quelque
c'est qu'il ne traitoit que des sujets agréables, et que ses figures, ainsi que ses compositions, avoient
des grands
chose de flatteur. Tout le monde n'étoit pas obligé de savoir qu'il les avoit pillées dans les œuvres
maîtres qui l'avoient précédé. Il ne faisoit aucune difficulté d'en copier des morceaux entiers et de les
reporter
lui en
dans ses tableaux. On le trouvoit continuellement entouré d'estampes où il fourrageoit, et personne ne
demandoit aucun compte... » Mais arrêtons-nous là : Mariette en a déjà trop dit, et il devient presque inutile
de rappeler le mot terrible de Dargenville, qui résume ainsi son opinion sur Nicolas
Wleughels : «On peut le
regarder comme le geai de la peinture. »
PAUL MANTZ
BEISBCIIS M IIIMMTOIS
de I.
Les œuvres de Wleughels ont été gravées par Étienne COMPIÈGNE. — Apelles et Campaspe, morceau
Jeaurat, Charles Simoneau, Larmessin, Chereau, N Tar- ception de Wleughels à l'Académie royale en 1716. Cette
dieu, Surrugue, C. Cochin, etc peinture est mentionnée sous le n° 161 dans la Notice des
Son portrait, peint par Antoine Pesne, est conservé au tableaux placés dans les appartements du palais de Com-
musée de Versailles; Jeaurat nous en a laissé une remar- pièyne, 1837.
quable gravure. TOULOUSE. — Vulcain donnant
à Vénus des armes pour
Ses tableaux se rencontrent assez rarement dans les galeries Enée. (Provenant de la collection du cardinal de Bernis.)
publiques et dans les ventes. VALENCIENNES. — Le Lever ; la Toilette
ANGERS. — La Diseuse de bonne aventure. — La Tête VENTE LALIVE DE JULLY, 1769. — La Fille d 'Hériodiade
de saint Jean-Baptiste. présentant à Hérode la tête de saint Jean-Baptiste.
$ce/e> ^auaa^ed, Scened mttdatNd.
était devenu doyen de l'Académie, en 1689, et qui peignait volontiers des batailles et des sujets militaires à la
\\ ouwermans. Nous ne savons pas exactement à quelle époque Jean van Bredael entra dans la corporation
de Saint-Luc; mais on affirme qu'à dix-huit ans, c'est-à-dire lorsqu'il quitta l'atelier de son père, il était
déjà habile dans les choses de son métier.
Quoique Descamps soit un guide peu sur, nous sommes bien forcé de nous en rapporter à lui, lorsqu'il
raconte, avec la plus grande vraisemblance d'ailleurs, que Jean van Bredael fit connaissance dans sa jeunesse
avec le marchand de tableaux Jacques de Witt, et qu'il travailla d'abord pour lui. Il se trouva que
Jacques de Witt possédait alors un certain nombre de peintures de Breughel de Velours. Van Bredael. qui
avait puisé dans les traditions de sa famille une admiration instinctive pour ce charmant maître, commença
par copier naïvement quelques-unes de ses œuvres, et il y réussit si bien que Jacques de Witt lui en fît
copier le plus possible. L'honnête marchand ne se faisait aucun scrupule de vendre ces imitations pour des
originaux, car le commerce n'était pas tellement candide, en ces époques reculées, qu'il n'eût déjà trouvé le
moyen de tromper les acheteurs et de leur donner du strass pour du diamant. On rencontre souvent de
ces faux Breughel sortis de l'officine de van Bredael et de son patron. Parfois, le jeune artiste y mettait plus
de réserve, et il se contentait de corriger le vieux maître. A la vente du cabinet de Sollier, en 1781, on a
vu passer un paysage de Breughel, dans lequel van Bredael avait jugé à propos d'ajouter quelques figures sur
les premiers plans, sans doute pour rajeunir l'œuvre du peintre et la mettre au goût du jour. Jacques de Witt
possédait aussi des Wouwermans : Van Bredael trouva là une autre mine d'étude et peut-être de contrefaçon .
il imita, dit-on, le maître hollandais au point de tromper les connaisseurs les plus exercés. Nous croyons
sincèrement que tout ceci a été un peu exagéré; toutefois, ce fut véritablement dans la boutique de Jacques de
AYitt que van Bredael fit
— pendant neuf ans — son éducation d'artiste. Son adresse dans l'art d'imiter
constitua toujours la moitié de son talent, et son originalité fut ainsi, dès le principe, réduite et atrophiée.
Jean van Bredael, se prenant désormais nu sérieux, partit bientôt pour l'Angleterre; mais nous ne saurions
admettre, comme le raconte Descamps, qu'il y arriva en même temps que le sculpteur Bysbrack. Nous savons
en effet, par le témoignage d'Horace Walpole, que Hyshrackvint s'établir à Londres en 1720. Or, van Bredael
l'y avait évidemment précédé, puisqu'il y connut le comte de Derwentwuter, conspirateur jacobite qui
fut, comme on sait, saisi après l'échauffourée de Preston, et supplicié en 1716. Quoi qu'il en soit, van
Bredael perdit dans le noble comte un protecteur ardent. Cette mésaventure n'altéra pas son courage; il
parvint à se faire des amis nouveaux,, il parut même vouloir se fixer à tout jamais à Londres, et, eu
1723, il y épousa une jeune Anglaise, Catherine Rick. De grands personnages, et le roi lui-même, assure-
l-un, employèrent plus d'une fois son pinceau. S'il en est ainsi, si les historiens ne nous ont pas trompé,
accueilli. Ln document curieux, et trop peu consulté peut-être, la liste des chefs de la corporation et de
l'Académie de Saint-Luc, qui est conservée au musée d'Anvers, nous apprend que van Bredael (Johannes
Francisais van Breda, dit le texte) fut élu doyen de la Compagnie en 1726. Il trouva dans cette dignité une
raison de plus de se montrer habile, et ses productions furent bientôt très-recherchées.Les Allemands et les
Hollandais étaient surtout curieux de les posséder. Yan Bredaelétait le dernier représentant de la famille; on
récompensait en lui un siècle de travail et de zèle; enfin, il était presque le seul alors à faire des Breughel.
I n fait important nous donne la mesure de la situation honorée que van Bredael
s'était acquise et qu il
conserva jusqu'à sa mort. Lorsque, à la suite de la campagne de Flandre, Louis XV fit son entrée à Anvers,
en juin 1746, on se hâta de lui présenter van Bredael comme l'un des plus illustres artistes de l'Académie.
Louis XV, qui connaissait les obligations imposées à un roi triomphant, acheta au célèbre peintre quatre
tableaux : Notre-Seigneurprêchant sur les bords de la mer, Jésus-Christ faisant un miracle, et deux
paysages dans lesquels, dit Descamps, on voyait «une multitude de figures si bien dans la manière de
Breughel de Velours, qu'il sera difficile dans quelque temps de les distinguer de ceux de ce peintre. )) Les
gentilshommesqui entouraient le roi, le prince de Soubise, le maréchal de Lowendael, imitèrent son exemple,
et firent aussi une provision de van Bredael. Ce n'était certes pas un mince honneur pour le vieil artiste.
Il en ressentit une joie si vive « qu'il tomba malade et fut réduit à la dernière extrémité. » Mais Descamps
a bien soin d'ajouter qu'il ne mourut pas de son émotion : sa vie glorieuse se prolongea, en effet, jusqu'au
19 février 1750.
Tel est, sous la réserve de quelques corrections que nous avons dû y apporter, le récit qu'on trouve dans
les livres. La renommée de Jean van Bredael a subi, depuis le siècle dernier, bien des mésaventures. C'est le
sort promis à tous les artistes qui n'ont pas d'originalité propre, à ceux surtout qui, quoique bien doués par la
nature, semblent se restreindre à plaisir en s'enrôlant dans le groupe anonyme des imitateurs. Parmi les curieux
qui ont entendu parler de Jean van Bredael, beaucoup ignorent ses œuvres; et comment en serait-il autrement,
alors qu'au lieu de se produire sous le nom de l'artiste dans les cabinets des amateurs et dans les ventes, elles y
figurent sous le pavillon de Breughel de Velours et quelquefoispeut-ètre sous celui de Wouwermans? Les van
Bredael authentiquessont donc devenus rares. Néanmoins, le musée d'Amsterdam possède un paysage qui porte
sa signature et qui est incontestable; c'est la Vue d'un village au bord d'une rivière : de nombreuses figurines,
des chevaux, des chariots se mêlent sur les premiers plans et se pressent comme s'ils avaient hâte de rentrer
dans le tableau de Breugheld'où ils sont sortis. Il y a également un van Bredael au Louvre : c'est un Campement
militaire : un corps d'armée a dressé ses tentes près d'un village, et là aussi les figures s'agitent en grand
nombre, là aussi les chevaux, que l'artiste a toujours peints avec soin, sont finement touchés. Mais ce qui
manque à van Bredael, au maître jadis célèbre que George Ier et Louis XV honorèrent de leur patronage, c'est
le caractère, la franchise, l'accent. Quoi qu'on en ait pu dire, les imitations qu'il a faites d'après Wouwermans
sont peu trompeuses ; on les reconnaît à une touche plus lourde, à une coloration moins délicate et moins
transparente. Sur ce terrain d'ailleurs, van Bredael a été battu par un pasticheur plus habile que lui, Charles
van Falens. —D'un autre côté, lorsqu'il essaie de lutter avec Breughel, il est vaincu d'avance par le manque de
sincérité. Les amateurs du dix-huitième siècle, et Descamps avec eux, n'ont pu sentir .cette nuance; ils étaient
trop près des choses pour les bien voir, mais nous apprécions plus sainement aujourd'hui tout ce qui touche
au passé, et nous mesurons mieux la distance qui sépare Breughel, toujours si loyal et si personnel, de son
paie copiste Jean van Bredael.
PAUL MANTZ.
miSMlSS IT iiaiDiKUlïMll
A l'époque où Descamps publiait son livre, il y avait, à • (provenant du cabinet van Heteren, et cité par Descamps).
Rouen, chez M. Horutner, deux Batailles de J. van Bredael. Ce tableau, gravé en tète de celte biographie, porte la signa-
L'auteur de la Vie des Peintres flamands possédait aussi ture du maître; nous la reproduisons ci-dessous.
deux Batailles, peintes sur cuivre, et « entièrement dans la DRESDE. — Un Cavalier faisant ferrer son cheval. —
manière de Wouwermans. » Chasse au Faucon
A défaut de ces tableaux, dont nous n'avons pas retrouvé DINAN — CAIUNET DE M. ROLLE.— Le Maréchal ferrant.
la trace. ncus indiquerons les œuvres suivantes : — Nous n'avons pas Vil ce tableau; mais un amateur dont le
MUSÉE DU LOUVRE. — Campement militaire (acquis de jugement nous inspire toute confiance, nous le signale comme
Mme Pelet, en 1821, au prix de 400 fr.) Ce tableau, qui n'avait une œuvre capitale de J van Bredael. Cette composition,qui
pas été gravé, est reproduit à la page 3 de cette Notice. mesure 1 m. 20 c. de hauteur sur 1 m. 70 c. de largeur,
AMSTERDAM. — Vue d'un Village aux bords d'une rivière. porte la signature de l'artiste et la date 1728
éco/e /J!ÍcUllanct. CéAa^/ed, JSayda^fi).
,
l'oiseau ornée d'architecture, ce qui donne à supposer qu'il fut d'abord associé à cette corporation.Mais
ce mince honneur n'était pas au niveau de son rêve : il fit un effort de plus, et le 29 novembre 1726,
il fut reçu à l'Académie royale de peinture comme peintre de paysages et de chevaux.
Le Musée du Louvre a hérité des deux tableaux que Van Falens exécuta pour sa réception à l'Académie :
ce sont les plus charmants qu'on connaisse de sa main. Dans l'un, le Rendez-vous de chasse, on voit une
dame de qualité, à cheval, adressant la parole à un écuyer qui a mis pied à terre. Autour d'eux se
groupent un chasseur portant un faucon sur le poing et un autre cavalier prenant un verre de vin que
lui présente une paysanne; plus loin se montrent diverses figures, ici des laveuses attentives à leur travail,
là un ménétrier qui joue du violon à la porte d'une auberge; au fond, on aperçoit un village perdu
dans les perspectives d'un paysage accidenté. L'autre tableau, la Halte de chasseurs, n est guère moins
compliqué : Van Falens y a fait entrer une dame à laquelle un page apporte des fruits, lin chasscur
qui s'appuie sur son mousquet et tient son cheval par la bride, un cavalier donnant quelque monnaie à
un mendiant, un berger conduisant un troupeau de chèvres, et bien d'autres personnages encore, car
si Van Falens n'avait pas beaucoup d'imagination, il avait au moins beaucoup de souvenirs, et il
ne
se cachait pas pour le montrer. Nature docile et comme absorbée dans le culte exclusif d'un maître
trop aimé, il n'a aucune personnalité, aucun accent, aucun génie. Philippe Wouwerman serait
en
droit de revendiquer dans ses peintures non-seulement les costumes, la proportion et les attitudes
des personnages, mais aussi la coloration argentée et douce de l'ensemble. Toutefois Wouwerman est
un maître : il a l'imagination qui invente et qui dispose, il a la main qui exécute et qui exprime. Dans sa
composition, Van Falens n'a guère que des réminiscences; quant à son pinceau, il est habile, il est
soigneux, mais ce n'est à tout prendre que le pinceau d'un copiste.
Van Falens en jugeait sans doute autrement. Devenu académicien, il se prit
au sérieux, et sans
abandonnerla restauration des tableaux, il continua il faire des Wouwerman. On vit de lui le Chasseur
fortuné, le Départ pour la chasse et surtout la Prise du Héron, qui est, à n'en pas douter, l'une de
ses
œuvres les plus fines. Un double honneur fut fait à ces peintures : en même temps qu'elles prenaient
place dans la galerie d'un éminent personnage, le comte de Briilh, elles étaient gravées
par le fin burin
de Lebas et de Moyreau, artistes à la main loyale qui croyaient à Van Falens et le reproduisaient
respectueusement, savamment, comme ils avaient accoutumé de faire pour Teniers ou pour Berghem.
Ainsi accepté et accueilli, Van Falens devint presque français; il avait épousé Marie-Françoise Slodtz, la
sœur des sculpteurs si souvent employés par Louis XV ; l'hospitalité royale le logeait dans la cour du
vieux Louvre; il était heureux et il ne songeait guère plus à la Flandre, lorsqu'il mourut à Paris le 26
mai 1733 (et non le 29 comme on l'écrit d'ordinaire). Après avoir annoncé
, sa mort, le Mercure de
France ajoute, peut-être avec plus de complaisance que de saine critique: « Il n'a fait
que de petites
figures, des animaux et du paysage, dans le goût de Berghem et de Wauvremens. Ses tableaux sont
d'une composition admirable et d'un coloris charmant. » Ce fut là la première oraison funèbre de Van
Falens. Mariette vint bientôt et il en fit une autre d'un goût un peu différent :
« Ses tableaux dit-il,
,
ne sont pas sans mérite, mais ils se ressentent trop d'une imitation servile. » La critique moderne a
sanctionné l'un de ces jugements : malheureusement pour Van Falens, ce n'est pas à celui du Mercure
qu'elle a donné raison.
PAUL MANTZ.
1KIlMÏK H1 IIDKO&ÏIKDIS»
Les tableaux de Van Falens sont assez rares. En dehors MusÉE DU LOUVRE. Rendez-vous de chasse ; Halte de chas-
des copies ou des pastiches de Wouwerman qui courent les seurs. Ces deux tableaux, peints par Van Falens pour sa ré-
ventes publiques, l'artiste flamand n'a signé qu'un petit ception à l'Académie, ont été gravés en 1736 par Moyreau.
nombre de peintures originales. Dans le premier, un monogramme formé des lettres c. v. F.
Lebas a gravé d'après lui, le Depart pour la chasse ; la est inscrit sur la croupe d'un des chevaux.
Prise dit Héron ; le Rendez-vous de chasse ; le Chasseur MUSÉE DE STOCKIIOLM. Un homme et des femmes il cheval.
fortuné. P. Aveline et Filleul ont reproduit l' Utile accident MusÉE DE DRESDE. Départ pour la chasse au héron.
et le Retour de campagne.
Les dessins de Van Falens ne sont pas non plus fort nom-
breux. Le cabinet Paignon-Dijonval en contenait un à l'en-
VENTE H.. 22 novembre 1856.
425 francs.
-
MusÉE DE BI ITL[N. Paysage enrichi de figures.
Le Pot an lait rc/w('rM',
cre de Chine : Des chasseurs se reposant. VENTE DE LA MARQUISE D'U... 16 février 1857.
— Une
Parmi les peintures, nous devons citer : Halte de chasse et son pendant, 805 fr.
Sco-fe &/amanc/e. Mxdéwre-,
PIERRE-JOSEPH VERHAGHEN
NÉ EN 1728; — MORT EN 1811.
Ces détails et la plupart de ceux qui vont suivre sont empruntés à une intéressante notice publiée par M. C. Piot dans le
Messager des Sciences historiques de Belgique. (Gand, 1839, p. 413.)
Ces tableaux, et d'autres encore, le tirent connaître des princes autrichiens, qui eurent plus d'une fois
recours à son pinceau. Dès 1770, Verhaghen peignait le grand tableau qui est aujourd'hui au musée de
Vienne, et où l'on voit saint lttienne, roi de Hongrie, recevant la couronne et les insignes de l'empire,
que le pape Sylvestre II lui a envoyés. Cette œuvre d'apparat et de luxe décoratif méritait une récompense.
Le 13 mai 1771, Yerhaghen recevait le titre de peintre du prince Charles de Lorraine, et quelques jours
après, l'impératrice Marie-Thérèse, prenant hautement l'artiste sous sa protection, l'autorisait à faire, aux
frais de la cassette impériale, un voyage d'étude en France et en Italie.
Parti le 16 mai avec son fils aîné, Verhaghen se dirigea vers Paris. Chose étrange, il y resta à peine un
mois. Le journal de Wille nous a conservé la trace de son passage. « Le 9 juin — écrit l'honnête graveur
service de l'impératrice-reine, vint chez moi et me fit voir de ses
— M. Verhaghen, peintre flamand au
accompagné de son fils, en Italie, pour y voir
ouvrages historiques qui portent un beau caractère. Il va,
ce qu'il y a de remarquable, le tout aux dépens de cette
princesse, qui lui a envoyé, en dernier lieu, cinq
flamand
médailles d'or, après avoir vu un tableau de sa main. Voila, depuis du temps, le premier peintre
qui promette quelque chose Il parut singulièrement content de plusieurs tableaux de mon
cabinet, entre
quitter »
autres, Sarah présentant Agar à Abraham, peint par M. Diétrich, qu il ne pouvoit pas .
connaisseur aurait dû faire le Diétiich
Après avoir admiré — peut-être un peu plus qu'un véritable ne 1
du Salon, qui se
de Wille, Verhaghen fit quelques visites à Pierre, à Cochin, et, sans attendre l'ouverture
commençait
préparait, il quitta Paris. Le 15 juin, il était à Lyon ; trois jours après, il travet sait les Alpes, et
ANDRÉ LENS
NÉ EN 1739. — MORT EN 1822
Lens eut la bonne fortune de rendre à ses collègues d'Anvers un important service. Jusque là les peintres
étaient restés soumis aux lois et règlements des corporations ouvrières; scandalisé de voir qu'on identifiait les
beaux-arts et les professions industrielles,l'admirateur de Boileau réclama auprès du gouvernementautrichien^
en 1770; sa tentative fut couronnée d'un plein succès en 1773. On put dès ce moment faire un libre usage
de la palette et du ciseau. Pendant un des voyages qui amenèrent dans les provinces belges l'empereur
Joseph II, ce prince, ayant visité Anvers, distingua spécialement André Lens et lui témoigna hautement son
estime. Ce n'était pas un connaisseur. Il proposa au panégyriste des anciens de le suivre a Vienne et de s y
établir, en fixant lui-même ses honoraires et sa position. Lens n'accepta pas; ni la perspectived'une brillante
carrière, ni l'espoir d'acquérir une belle fortune ne purent le résoudre à quitter sa patrie. Lens toutefois ne
demeura point dans la ville d'Anvers, et alla, en 1781, habiter Bruxelles, où il se maria.
C'était un homme aussi laborieux qu'épris de son art; il a exécuté une foule de morceaux de
chevalet, que possèdent les différentes collections de l'Europe et surtout les collections anglaises. Au nombre
de ses meilleurs ouvrages, il faut compter, suivant Immerzeel, les toiles qui ornaient jadis les salons du.
château de Laecken Elles lui avaient été demandées
par le duc de Saxe-Teschen, gouverneur des Pays-Bas et
amateur distingué; il les emporta dans la capitale de l'Autriche. Elles représentent des scènes
mythologiques.
Nous devons encore citer divers tableaux que renferme l'église de Lierre et dont
les sujets sont empruntés au
Nouveau-Testament;une Annonciation, destinée à Saint-Michel de Gand plusieurs grandes
; pages qui décorent
l'église Sainte-Madeleine de Lille, et figurent quelques épisodes fournis
par l'histoire de la célèbre pécheresse.
A Bruxelles, notre artiste peignit avec son élève François, chez le sieur Stevens, dé
les principales aventures
Bacchus.
Si, d 'après les théories de Lens, on croyait voir dans
ses tableaux un grand style, quelque chose de fier, de
noble et d'héroïque, une manière qui rappelle Phidias ou Michel Ange,
on serait complètementdéçu. Formes
rondes et atténuées jusqu'à la fadeur, attitudes empruntées, gestes gauches timides, voilà
ou les traits généraux
de son dessin. Les types de ses figures.... où les a-t-il trouvés? Où a-t-il découvert
ces têtes insignifiantes,
monotones, sans esprit, sans animation, sans caractère? Pourquoi
ces fronts bas, ces yeux microscopiques?
Et ces chairs roses comme une dragée teinte au carmin ? Est-ce le bon goût qui prescrit d'employer des
formes vulgaireset insipides? Est-ce l'idéal qui exige qu'on dénature à
ce point la couleur? Chose étonnante!
les prôneurs de l art sévère tombent dans des afféteries que les peintres de salon trouvent exagérées.
Sans doute, Lens compose d'une manière réfléchie, groupe
ses personnages avec soin, calcule leurs gestes,
leui s attitudes; sans doute il se conforme aux données historiques et géographiquesdans
les vêtements, les
armes, les. joyaux, les étoffes, les meubles et les monuments; il coordonne le sujet et le fond du tableau';
mais qu'on aimerait bien mieux de violents anachronismes et
un peu plus de fougue Comme on préférerait
!
André Lens, toutefois, est un peintre, un professeur dont la critique doit tenir compte. Il inauguré
a à Anvers
l'école historique moderne, pendant que son compatriote Ommegank (1755-1826) ressuscitait
le vieux génie
flamand. Les artistes du dix-huitème siècle, comme Pierre Ykens et Balthazar Besschey, les
maîtres de
Lens, suivaient négligemmentles traditions affaiblies de la grande école nationale fondée
par Rubens. Ce beau
fleuve perdu dans les sables n'avait laissé derrière lui que des flaques d'eau, où miroitait
encore la lumière, où
se réflétait un pan du ciel. Au lit desséché, il fallait rendre ses flots abondants, et, pour y parvenir, force
était de trouver des sources nouvelles. Quoique André Lens ne sût
pas manier adroitement la baguette de
coudrier qui révèle les eaux intérieures, il porta les esprits à la réflexion, il anima, stimula
ses contemporains
par son zèle, par ses théories, par ses travaux continus et ses innovations plus ou moins heureuses. Depuis
ce
moment, les efforts pour tirer l'art de sa torpeur n'ont point cessé en Belgique.
Lens atteignit une grande vieillesse ; quoiqu'il lui fût impossible de tenir le pinceau dans
ses dernières années,
il conservait un enthousiasme très-vif
pour son art, il en causait avec la passion de la jeunesse. Il mourut à
Bruxelles, le 30 mars 1822, la veille du jour où il aurait eu 83 ans accomplis.
ALFRED MICHI.ELS.
OMMEGANCK
:'1E EN Hoo. — MORT EN IN 21.
-
Balthazar-Paul Ommeganck était né à Anvers le 26 décembre J7J3. Son père exerçait le métier
d'encadreur, profession qui lui inspira peut-être tout jeune le goût des arts du dessin. Il eut pour maîlrc
Joseph Antonissen, son compatriote, bon peintre de paysages (1737-1794), fort épris de la lumière, ayant une
touche agréable et vivifiant d'ordinaire ses tableaux rustiques au moyen d'animaux et de petits personnages.
Dès ses débuts, il montra un grand zèle et une application extraordinaire. « Il était de ces hommes que
chacun de leurs progrès stimule, dit un contemporain, qui, ayant toujours devant les yeux la carrière infinie
de l'art, se mettent en garde contre la présomption et l'abattement, deux écueils où viennent échouer une
foule d'aspirants à la gloire ; il n'avait la conscience de ses dons naturels que dans la mesure nécessaire
pour fortifier son courage et soutenir son espérance1 ».
Mais si Antonissen lui apprit les éléments et la technique de la peinture, d'autres maîtres lui enseignèrent
la partie la plus élevée, la plus difficile de l'art; je veux dire ces grands hommes, depuis longtemps couchés
sous l'herbe des cimetières, qui donnent par leurs ouvrages d'immortelles leçons aux néophytes capables de
les comprendre. Il alla surtout à l'école de Pynacker, Dujardin et Moucheron; leurs tableaux tranquilles et
moelleux, oÙ la lumière abonde, enveloppe tous les objets, fond tontes les couleurs dans une même gamme,
ont évidemment séduit son imagination, exercé l'influence la plus vive sur son talent. Il était né pour ces
douces bucoliques, pour ces agrestes rêveries que ne trouble aucun orage. A vingt-cinq ans, il avait déjà
tracé au milieu de la nature les limites de son domaine. On vit alors avec surprise ce Flamand moderne
cultiver un genre que les Hollandais semblaient s'être réservé. Comme eux, il étudiait constamment la
nature, ses grands phénomènes et ses moindres caprices, cherchait il fixer sur la toile ses formes permanentes
et ses grâces fugitives. Montrant dès-lors pour les moutons une préférence décidée, il les reproduisait
d'une manière supérieure. Les spacieux herbages qui entourent sa ville natale lui fournissaient d'heureux
motifs; mais il allait passer une partie de la belle saison dans la province de Liège. On le rencontrait
principalement aux environs de Huy, de Dinant et de Chaufontaine, copiant un site pittoresque, dessinant
quelque troupeau, tachant de saisir un effet lumineux. Tous les ans, lorsqu'il retrouvait ses paysages bien
aimés, il disait sans doute comme le poète : « Les voilà ces rochers audacieux et abruptes, qui donnent un
caractère de solitude plus profonde il une campagne déserte et sauvage, associant la paix des champs au
calme des cieux. Le jour est enfin venu où je me repose de nouveau sous ce large sycomore et admire les
fraîches pelouses, les vergers touffus ; ornés de fruits naissants, ils forment dans la saison actuelle de
grandes nappes vertes, et, loin de contraster avec les tons du paysage, se confondent par leurs nuances
avec les forêts et les halliers. Je les revois, ces haies charmantes, vagabondes, à peine dessinées ,
ces fermes pastorales que l'herbe enveloppe jusqu'au seuil, et les spirales de fumées qui montent
silencieusement à travers les rameaux 2. »
En 1788 fut organisée il Anvers la Société des Beaux-Arts; elle se composait d'amateurs et d'artistes,
comme toutes les sociétés analogues, et avait pour but de répandre le goût, la connaissance des belles
choses, de soutenir les jeunes talents, d'honorer, de stimuler au travail les talents accomplis. Elle devait
faire chaque année une exposition publique. Ommeganck fut un de ses fondateurs et de ses membres les
plus actifs. Quelques villes flamandes imitèrent l'exemple que leur donnait Anvers, et plus tard la compagnie
primitive s'étant développée, enrichie, ayant obtenu après 1815 l'appui de l'autorité supérieure, s'intitula
fièrement Société royale pottr Vencouragement des Beaux-Arts.
Mais à peine venait-elle de s'établir que la révolution brabançonne troubla le pays, étonna l'Europe de
ses farces violentes et de ses pieuses pantalonnades. On vit des moines porter le sabre et faire le coup de
feu, comme pendant les scènes de la Ligue. A cette comédie larmoyante succéda bientôt le drame terrible
et salutaire de la révolution française. Pendant douze ans la tempête gronda sur les provinces belges.
La guerre et la politique, la haine et la passion des réformes, l'inquiétude et la peur firent négliger les
beaux-arts. Un double enthousiasme, une persévérance invincible furent nécessaires à ceux qui les
t
Lofrede op Balthazar Paulus Ommeganck, lIitgesJ)f(¡ken te AntwerjJe/l door lan. Adr. Soyas; 182G.
2 Wordsworth, Lines camposed a feio miles above Till/cm abbci/.
cxHivaient. Heureusement pour lui, Ommeganck portait cette armure défensive; rabattement et la tristesse
n'avaient pas prise sur lui. Pendant qu'on se disputait et se battait, que les vieilles lois sociales tombaient
en ruine, le studieux observateur cheminait ou dessinait sur les hautes Fagnes, ces grandes bruyères
des Ardennes, longeait les bords de la Meuse, errait dans les bois et cherchait la solitude. On ne put croire
qu'un homme fût préoccupe de moutons, de verdure et de beaux arbres, pendant que l'Europe tout
entière devenait une sanglante arène. Un détachement de troupes françaises prit Ommeganck pour un
espion qui dissimulait, l'arrêta et le mit sous les verroux; ses croquis et ses ébauches furent envoyés à
Paris comme pièces de conviction. Pendant qu'il attendait la réponse qui devait décider de si loin pourquoi
il se promenait sous l'ombrage des chênes, une personne de Dinant, avec laquelle il était fort lié, apprit
sa mésaventure. Ce digne ami s'occupa aussitôt de lui faire rendre la liberté, en prouvant que la guerre
et la politique ne l'intéressaientpas le moins du monde. Ommeganck alla de nouveau passer des journées
laborieuses et tranquilles dans les vallons où serpentent la Meuse, l'Ourte et l'Amblève, sur ces montagnes
poétiques où des roches calcaires opposent leurs teintes grises au noir feuillage des sapins, à la verdure
plus pâle et plus riante des hêtres.
Absorbé à ce point par l'amour du travail, par la contemplation de la nature, Ommeganck devait
perfectionner chaque jour sa manière. Il n'avait pourtant pas la physionomie d'un rêveur : c'était un homme
robuste, aux sourcils fortement dessinés, aux grands yeux, aux traits énergiques. Son insouciance pour
tout ce qui ne concernait point directement son art allait cependant si loin, qu'elle lui faisait même oublier
la gloire. Un de ses amis voulut réparer, autant que possible, les effets de cette indolence. Ommeganck avait
peint un dessus de piano, conformément à un ancien usage, et avait déployé dans ce morceau toutes ses
qualités. Son fidèle admirateur envoya le panneau en France, à l'Exposition de 1799. La démarche
clandestine eut un plein succès; la foule curieuse et les juges éclairés louèrent également l'œuvre pastorale,
qui obtint le premier prix de paysage.
L'Expositionde 1805 augmenta en France la réputation du peintre flamand. Un morceau qu'il y envoya
lui-même fut très-bien accueilli par le public. Le gouvernement l'acheta pour le Musée du Luxembourg, et
l'Institut nomma l'auteur un de ses membres correspondants. A l'Exposition de 1808, on lui décerna une
médaille d'or; Immerzeel prétend même que l'impératrice Joséphine voulut, dès ce moment, avoir
un
tableau de sa main chaque année. A force de labeur, il était devenu un homme célèbre, mais, héias! il avait
cinquante-trois ans.
L'âge, toutefois, ne pesait pas à sa vigoureuse constitution. Il n'avait rien perdu de sa force, de sa verve, de
son enthousiasme. Ses tableaux avaient la même fraîcheur que jadis et attestaient une plus grande
expérience. Il étudiait, composait avec autant de soin que pendant sa jeunesse. La nature, qui avait été son
institutrice, qui le conseillait encore, était devenue depuis longtemps pour lui une compagne indispensable,
une amie toujours recherchée. Il fallait à son imagination, comme à sa poitrine, l'air pur des hauts lieux,
l'haleine embaumée des forêts. Une légère brume flottant sur la campagne enchantait sa vue, un rayon de
soleil entre deux nuages l'exaltait. De là cette minutieuse vérité que l'on admire dans ses tableaux. Non
seulement on reconnaît au premier coup d'œil la saison de l'année qui s'y trouve peinte, mais la période
à laquelle cette même saison est parvenue; la couleur des arbres, les tons de la lumière, les fleurs
disséminées dans le gazon ne laissent aucun doute. L'heure du jour ne se manifeste pas moins évidemment.
La pâleur des premiers rayons lumineux et la longueur des ombres, la rosée qui brille sur l'herbe et sur
les feuilles, la vapeur qui nage dans l'air et affaiblit toutes les nuances indiquent assez le matin. Mais le
brouillard se dissipe, l'astre inépuisable verse des flots d'or; l'ombre s'est condensée autour des arbres, sous
leur tente de verdure; la fraîcheur s'y est aussi retirée; l'implacable soleil de midi n'embrase point encore
l'atmosphère, n'allourdit pas les rameaux. Notre artiste aimait beaucoup les heures qui précèdent ou qui
suivent l'extrême chaleur du jour; le flamboyant éclat du soleil à son zénith l'effrayait et le décourageait.
Une des gravures qui accompagnent cette livraison reproduit un tableau dans lequel l'artiste a parfaitement
exprimé la langueur d'une chaude après-midi. Le soleil penche vers l'horizon, mais la fraîcheur du soir ne
se fait pas encore sentir. Les rayons de l'astre puissant illuminent les nuages qu'il a formés lui-même et
dorent une campagne solitaire. Accablé par le poids du jour, un berger s'est endormi sur le gazon, derrière
un massif d'arbres élégants qui le protégent comme un rideau. Son sommeil tranquille fait plaisir à voir.
Un âne, des chèvres, des moutons, les uns couchés, les autres debout, occupent le milieu de la toile. A
gauche, une source environnée de fleurs et de blocs pierreux dort dans son bassin agreste. Un roc pavoisé
de buissons et d'arbres nains s'élève au-dessus. Des collines onduleuses, où un ancien château émerge de la
verdure comme une île qui sort des vagues, forment la perspective et se baignent joyeusement dans la
lumière. C'est une œuvre excellente, qui nous transporte en imagination au milieu du site embrasé;
pendant qu'on la regarde, il semble que la douce mollesse des heures brûlantes vous gagne peu
à peu.
En général, Ommeganck préférait le matin au soir; mais son imagination ne reculait point devant les
approches de la nuit, et, quand il l'a voulu, il a su très-bien les représenter. Le Louvre possède un tableau
de ce genre. Le soleil vient de disparaître après un long,jour d'été. Sa lumière flotte à l'occident au milieu des
nuages et des vapeurs. Fatigué par la température, le berger aux pieds nus qui garde ce troupeau s'est assis,
ou, pour mieux dire, s'est à demi couché sur l'herbe. Les moutons eux-mêmes ont pris sur le vert pâturage
l'attitude nonchalante du repos. Un seul, resté debout, frotte sa tête contre le tronc d'un chêne, qui projette
élégamment ses branches. Plus actives et plus tenaces, deux chèvres ont escaladé un bloc de pierre où les
attiraient des broussailles et des plantes échevelées. Des collines, qui montent de gauche à droite, composent
le fond du paysage. On voit bien que c'est le soir d'un beau jour. car le fluide éclatant pénètre partout,
enveloppe tous les objets. La suavité, l'harmonie de la couleur ajoutent au poétique effet du tableau: on
sent le calme de la nature qui se prépare au sommeil'.
Les animaux que Paul Ommeganck place dans ses agrestes perspectives ne sont pas moins bien rendus que
le site lui-même. Aucun artiste n'a mieux peint les moutons, avec leur laine serrée, leurs yeux tranquilles,
leurs pieds minces et délicats. Ses chèvres ont aussi toute la vivacité capricieuse, toute l'élégance de leur
race : elles font penser immédiatement aux prairies escarpées des hautes Fagnes. Et ces vaches, comme elles
ruminent lentement sur l'herbe ! Comme elles paraissent satisfaites de leur pâture, de la fraîcheur de
l'ombre et de la douceur de l'air! Dans d'autres tableaux, où la lumière les inonde, comme elles semblent
PAYSAGE.
chercher du regard un abri, quelque roche qui les protège contre les aiguillons brûlants du soleil!
« Sous le rapport du travail, dit Adrien Snyers , on ne peut méconnaître que son exécution est en
même temps moelleuse et très-finie. La plupart de ses ouvrages nous montrent une couleur chaude et
harmonieuse. Il arrive à de grands effets par des moyens très-simples, très-naturels. Peu d'artistesfameux
ont su reproduire plus habilement la lumière et faire plus savamment usage de la perspective, soit linéaire,
soit aérienne. Sous presque tous les rapports, il mérite d'être comparé aux vieux maîtres hollandais. »
La conversation d'Ommeganck excitait vivement l'intérêt de ses auditeurs; il avait beaucoup réfléchi et
connaissait à fond les secrets de son art. Aussi les peintres d'Anvers étaient-ils fort désireux de
l'accompagner dans ses promenades, pour entendre ses observations. L'âge avait beau blanchir ses cheveux,
1 N° 365.
il n'attiédissait point son amour de la poésie rustique et des scènes champêtres. A plus de soixante ans,
il pouvait dire encore avec Byron : « Que de fois nous oublions le cours du temps, lorsque
nous sommes
seuls, en admiration devant le trône immense de la nature, devant ses forêts, ses nappes d'eau, ses
déserts, profonde réplique de son intelligence à la nôtre ! Ne sont-elles pas vivantes, les étoiles et les
montagnes? Les flots n'ont-ils point une âme?Les grottes humides laissent-elles couler sans émotion leurs
larmes silencieuses? Non, non, tous les objets, toutes les puissances de la création nous recherchent, nous
attirent vers leurs sphères, brisent avant l'heure nos terrestres chaînes et plongent notre esprit dans le
grand océan, où nous perdons la conscience de notre égoïste et vaine identité. Qui pense il lui-même,
quand il regarde les deux? »
Quoique Paul Ommeganck se lïit livré sans partage à des travaux bien différents de l'histoire, non-
seulement il reconnaissait la supériorité de ce dernier genre, mais il parlait des peintres qui l'avaient le
mieux traité avec une sorte de vénération. Plus d'une fois on le vit comme fasciné devant un chef-d'œuvre.
Aucun membre de la Société des beaux-arts ne veillait plus attentivement à la conservation des tableaux
que possédait le musée d'Anvers ; aucun ne. ressentit une douleur plus vive quand on les transporta au
Louvre. Lorsque ses collègues et lui se réunirent, en juillet 1815, peu après la bataille de Waterloo, dans
le but d'aviser aux moyens de les recouvrer, il manifesta une extrême impatience d'atteindre ce but.
Montrant la. nécessité de mettre à profit d'heureuses circonstances, il rappela combien avait été douloureuse
pour la ville, et spécialement pour les artistes, la perte de ces œuvres excellentes, développa tous les
motifs qui autorisaient à les réclamer, fit sentir quels avantages en retirerait l'école nationale. On rédigea
conséquemment une pétition au roi, où figuraient la plupart de ses idées. Mais ce n'était pas une petite
affaire que d'obtenir la restitution des précieuses toiles. On nomma une commission pour aller à Paris faire
de pressantes démarches; Ommeganck, Pierre van Regemorter et Odevaere la composaient. Notre artiste
ne se ménagea point, et le succès fut dû, en grande partie, à son activité. Pour le réoompenser de son
zèle, le roi Guillaume le nomma chevalier du Lion néerlandais1.
Ommeganck avait épousé une demoiselle Parent, qui lui donna sept filles et un fils; le jeune homme
ne suivit point les traces de son père; mais une des jeunes personnes hérita, dans une certaine
mesure, des facultés brillantes et sérieuses qu'il possédait, que l'histoire ne laissera point tomber dans
l'oubli.
La nature ne lui avait pas donné ce caractère engageant qui facilite, qui anime les relations; il était
généralement taciturne, concentré en lui-même, presque sévère. Dominé par son amour du bien et du
beau, par sa passion pour l'art, il ne mettait de verve dans un entretien que s'il tombait sur des matières
conformes à ses prédilections. Mais là encore, il fallait que ses interlocuteurs n'eussent pas des opinions
trop différentes des siennes. Venaient-ils à le contrarier, il gardait le silence. Tenant par-dessus tout, comme
Immerzeel prétend que cette commission fut choisie en 1814, et que le peintre de paysages, devant surtout sa réputation
1
aux Français, crut bienséant de se tenir kt l'écart, de laisser agir ses collègues. On avait mal renseigné le biographe hollandais.
La réclamation n'eut pas lieu en 1814, mais en 1815, et Ommeganck fut loin de montrer la réserve inutile dont il parle. L'éloge
prononcé vingt-cinq jours après sa mort devant la Société des beaux-arts, où tout le monde l'avait connu, renferme ce passage
décisif: « Je n'ai pas besoin de vous dire, Messieurs, quelle part il a prise à la tâche difficile de recouvrer ces objets précieux,
que de chagrins, que de soucis elle lui occasionna, que de mouvement il dut se donner avec ses braves collègues; je ne vous
apprendrais rien. Il me suffira de déclarer pour l'honneur de sa mémoire que tous les bons Néerlandais lui devront, comme nous,
une éternelle reconnaissance,devront unir son éloge aux actions de grâces méritées par le souverain qui, dans les premiers
jours d'un règne bienfaisant, a su nous remettre en possession de ces magnifiques trésors. » Immerzeel a donc tort de nier les
démarches d'Ommeganck.Il affirme cependant que son intervention causa aux Français le plus violent dépit. Le peintre ayant
exposé à Paris, peu de temps après, un tableau peint sur bois, un patriote offensé le raya, dit-il, d'un coup de couteau. L'artiste
flamand tâchait de réparer le désastre, lorsqu'un amateur lui acheta le morceau comme il était, « afin de transmettre il la postérité
le souvenir d'un acte si odieux de vandalisme », ajoute le catalogue du musée d'Anvers. Les rédacteurs, en effet, n'ont pas
manqué de reproduire cette douteuse anecdote et les erreurs qui la précèdent.
*
beaucoup dJ10mmes supérieurs, à ses idées systématiques, il n'aimait point les voir mises en question et
ne voulait pas se donner la peine de les défendre. Que lui importait que l'on pensât de telle ou telle façon?
Étudiant, cherchant, travaillant pour lui-même, il se souciait peu de faire partager ses convictions et désirait
plutôt les abriter comme une arche sainte, les 'soustraire au contact des mains profanes. Cette réserve,
cette indépendance, cette concentration morale nuisent plus que tous les vices dans le commerce du
monde. La foule aime les hommes qui se livrent complétèment à elle, ou qui, du moins, paraissent s'y
livrer. La réflexion et le travail assidu communiquent pourtant aux manières une certaine raideur, à l'esprit
un goût marqué pour l'isolement. On devrait respecter ces indices de nobles habitudes, ces traces de
' laborieux efforts, comme on respecte les chevrons ou les cicatrices d'un vieux soldat. Mais le vulgaire ne
montre d'indulgence qu'à l'égard de ceux qui n'en méritent aucune;
On trouvait chez Ommeganck toutes les vertus généralement associées aux caractères comme le sien.
Malgré la froideur de son abord, c'était un ami sincère et dévoué ; il se montrait obligeant, cordial même
envers les personnes qu'il jugeait dignes de son estime. Il aimait l'ordre, la régularité; il était économe.
N'ayant point d'ambition et craignant les perfidies du sort, il n'aurait pas joué un bien positif contre une
amélioration douteuse, risqué des avantages certains dans l'espoir de faire fortune. Religieux par sentiment
aussi bien que par conviction, il édifiait la pieuse bourgeoisie d'Anvers. Toutes ses actions témoignaient
de la plus complète droiture, et on aurait pu le proposer comme modèle aux pères de famille.
L'heure où il devait quitter ce monde arriva néanmoins. Le scrupuleux artiste mourut à Anvers le
18 janvier 1826, âgé de soixante et onze ans, et fut enseveli le 21 du même mois, dans l'église de
Saint-Charles-Borromée, suivant un usage que l'on observe encore en Belgique pour les hommes célèbres
et pour quelques personnages de la haute aristocratie. Les dessins et tableaux qui se trouvaient chez lui
au moment de son décès furent vendus l'année suivante.
Paul Ommeganck n'a publié ni livre ni brochure. Toutefois, ayant été nommé membre de l'Académie
néerlandaise, il adressa deux Mémoires à la Société, l'un concernant le beau idéal, l'autre concernant les
procédés pour peindre sur un fond clair ou sur un fond de couleur sombre. Je ne crois pas qu'on les ait
jamais imprimés.
Indépendamment du mérite de ses tableaux, Ommeganck a droit à la sympathie des connaisseurs et des
artistes par l'influence capitale qu'il a exercée. La vieille école flamande était morte; Lens tâchait d'en
créer une nouvelle, qu'il aurait modelée sur un type grec et affublée d'une draperie antique. Ommeganck a
trouvé plus naturel et plus avantageux de ressusciter l'esprit national; il a évoqué le génie des vieux
artistes flamands, et depuis lors la peinture belge marche de progrès en progrès.
ALFRED MICIIIELS.
SKiiMiœ in RMUMirRMS
Ommeganck étant un peintre moderne, on trouve seule- La galerie de Cassel, peu visitée quoique très-curieuse,
ment un petit nombre de ses tableaux dans les galeries pu- olfre aux amateurs trois compositions d'Ommeganck.
bliques, réservées en général aux productions des vieux Sur la première toile, on admire un paysage très-éclairé.
maîtres. Il faut donc chercher les siennes dans les cabinets ou un chasseur, le fusil sous le bras, chemine à gauche,
d'amateurs. tandis que, sur la droite, quatre pêcheurs tirent un filet dans
Le Musée de Bruxelles toutefois possède deux ouvrages de une rivière ; une chute d'eau écume au dernier plan.
lui : le premier figurant un site des Ardennes; le second, des Le second tableau nous fait voir un berger qui tient par la
animaux qui broutent et ruminent dans la campagne. bride un cheval portant une femme, et pousse devant lui, il
Le Musée de La Haye renferme un paysage de sa main, travers un gué, trois moutons, une chèvre et quatre vaches.
avec des moutons et un chariot ; Une lumière abondante inonde le paysage. A droite, un chas-
La galerie de Leuchtenberg, il Munich, un paysage oii deux seur, escorté de son chien, se dirige vers un bois.
pasteurs gardeiit des moutons, sur une prairie aboutissant kt Le troisième morceau figure une campagne dans laquelle
des ruines. serpente une rivière. A gauche, un moulin a vent occupe le
Outre le morceau que nous avons décrit, le Louvre pos- sommet d'une petite butte. Au premier plan, sur un pont,
sède une autre toile d'Ommeganck, qui porte le n° 364 une femme cause avec un homme assis près de l'eau. Derrière
et la signature de l'artiste: B. P. Ommeganck, 178t. Le eux, on aperçoit plusieurs vaches et plusieurs chèvres, les
premier plan montre des vaches qui broutent, une chèvre unes debout, les autres couchées.
qui piétine dans un ruisseau ; le second, un berger debout et Ommeganck doit avoir fait usage de mauvaisesimpressions
une paysanne occupée à traire une chèvre, tandis qu'un en- ou de mauvaises couleurs, car un bon nombre de ses toiles
fant boit du lait, dans une écuelle, puis une femme et un sont affreusement craquelées.
homme conduisant un troupeau de moutons. Dans le loin- A la vente de la collection Bernet, un tableau de sa
tain, on aperçoit une rivière, des chaumières et des mon- main, représentant un paysage avec des moutons, fut acheté
tagnes. 1,010 florins de Hollande.
APPENDICE
'RIIIERRY BOUTS
SK \'r.!!S t.!'j). MORT l'N 1 V 7 5
La lumière commence à peine à se faire sur le grand artiste dont nous venons d écrire le nom. Van Mander
et les anciens historiens citaient comme un des meilleurs peintres du quinzième siècle un certain Thierry de
Harlem, que, de son côté, Vasari appelait Diric di Lovanio, mais dont on ne connaissait ni les œuvres, ni la
vie. Grâce aux intelligentes recherches de MM. Van Even et Wauters, nous en savons davantage aujourd'hui.
Thierry Stuerbout ou plutôt Bouts (car c'est ainsi que son nom est écrit dans les documents récemment
découverts et notamment sur un reçu signé par le peintre), naquit a Harlem, d après une tradition que
Van Mander nous a conservée, et vers 1391, d'après les conjectures du savant archiviste de Louvain. On
ignore quel fut son maître, mais on sait, par le témoignage de Jean Molanus, que son père mourut en 1400,
sans avoir eu le temps de lui apprendre l'art qu'il pratiquait lui-même. M.
Waagen suppose, non sans
vraisemblance, que Thierry Bouts, ayant quitté la Hollande de bonne heure, vint travailler sous la discipline
de Hubert van Eyck. Toute la première partie de la vie de l'artiste demeure encore dans l'ombre : un document
daté de 1461 nous apprend qu'il était alors fixé à Louvain, et donne même à penser qu'il habitait depuis
longtemps cette ville, dont il était devenu le peintre en titre d 'office. Lomain fut en réalité pour Bouts comme
du caractère de son œuvre, que nous l avons
une seconde patrie, et c'est pour cela, aussi bien qu 'en raison
rangé parmi les peintres de l'école flamande.
Thierry Bouts se maria d'abord, vers 1450, avec Catherine van der Bruggen, et il épousa ensuite, en
1473, une veuve nommée Élizabeth van Voshem. Il eut de son premier mariage deux fils, Thierry et
Albert, qui paraissent avoir été peintres. Quant au vieil artiste, il mourut en 1475.
Chargé de la décoration de deux chapelles à 1 eglise Saint-Pierre de Louvain, Bouts peignit, pour la
première, le Martyre de Saint Erasme, et pour la seconde, un grand tableau à compartimentsdont le panneau
central représente la Cène. Ce vaste travail ne fut achevé qu'en 1467. L 'aiinée suivante, Bouts exécuta,
aujourd'hui au Musée de Bruxelles, et qui,
pour l'hôtel de ville de Louvain, les beaux tableaux qui sont
inspirés par d'anciennes légendes, représentent la Sentence inique de l'empereur Othon III, et le même
décrire ici, avec le soin qu'elles mériteraient,
empereur réparant l'injustice qu'il a commise. Nous ne pouvons
ces deux pages superbes, d'un si frappant caractère, d'une
coloration si vive. Elles ont été longtemps
attribuées à Memling et elles ne sont pas indignes de lui. Naïvement attentif à l'expression morale, Thierry
maîtres
Bouts donne aux physionomies de ses personnages un accent intime et pénétrant ; il a, comme ses
de la grande école des Van Eyck, une intelligente passion pour la vérité du détail. Le Martyre de saint
Erasme et la Cène, qui sont encore à Louvain, et les deux tableaux du Musée de Bruxelles, montrent en lui
un coloriste robuste et éclatant. Au point de vue du dessin, les académiques reprocheraient peut-être à Bouts
d'avoir démesurément allongé ses figures et de tenir peu de compte de la loi rigoureuse des proportions
humaines. Mais il ne faut pas juger les artistes du quinzième siècle flamand d'après les théories de l'école
de David. Le sentiment, chez ces maîtres naïfs et puissants, tient plus de place que la correction banale
du dessin. La renommée de Thierry Bouts est nouvelle encore ; mais elle doit grandir et s'étendre, et le
temps n'est pas loin où la critique, rendue à la juste notion de l'art, placera le vieux maître de Louvain à
côté de Rogier van der Weyden.
ANVERS. La Vierge tenant l'Enfant Jésus. — Saint Chris- d'un 'évêque.M. Waagen considère ce tableau comme une
tophe (attribution contestée). des plus remarquables productions du maître.
LOUVAIN. ÉGLISE SAINT-PIERRE. Le Martyre de saint
BRUXELLES. La Légende de l'empereur Othon Ill. Ces deux
Érasme. La Cène.
tableaux, peints pour l'hôtel de ville de Louvain, furent
MUNICH. Judas arrêtant le Seigneur.
achetés, en 1827, par le roi des Pays-Bas, au prix de
M. Waagen attribue à Thierry Bouts le Martyre de saint
10,000 florins. Vendus en 1850, avec la collection de Guil-
Hippolyte, conservé à Bruges dans la cathédrale Saint-Sau-
laume II, ils appartenaient à M. Nienwenhuys, qui les
céda au gouvernement belge, en 1861, pour la somme de veur, et qui a longtempsété donné à Memling. Ce tableau ne
30,000 francs. nous semble pas tout à fait digne du maître, et nous hésitons
un peu à partager le sentiment du savant directeur du Musée
LONDRES. CABINET DE SIR CHARLES EASTLAKE. Funérailles de Berlin.
Les frères Van Eyck avaient à peine formulé l'idéal des écoles du Nord au quinzième siècle, que de
nombreux adhérents se groupèrent autour d'eux et adoptèrent leurs méthodes si naïves en apparence, mais
déjà si savantes. Parmi ces ouvriers de la première heure, un des plus habiles fut Pierre Christophsen, —
ou mieux Cristus, — sur le compte duquel on ne possède encore que des données incomplètes. M. Weale a
prouvé qu'il était né en Flandre, au hameau de Baerle ; mais la date de sa naissance n'est pas fixée. Il voyagea.
D'après Crowe et Cavalcaselle, il était à Cologne en 1438.Ils lls'établit plus tard à Bruges, où il obtint le droit de
bourgeoisie en 1444, et où il entra, en 1450, dans la corporation des peintres. Vasari, qui a entendu parler
de notre artiste, l'appelle Pietro Crista, et nous n'hésitons pas à le reconnaître dans le Pierre Cristus, de
Bruges, qui, ainsi que M. le comte de Laborde nous l'apprend dans son précieux livre, les Ducs de Bourgogne,
peignit en 1454, à la prière du comte d'Étampes, trois copies d'une image miraculeuse de la Vierge qui
appartenait alors à la cathédrale de Cambrai. Les récentes recherches de M. Weale nous montrent Cristus
peignant, en 1463, une grande représentation de l'Arbre de Jesse. En 1472, il vivait encore.
Il existe au Musée Stadel, à Francfort, un tableau de Pierre Cristus—la Vierge et l'Enfant Jesus-qui porte,
assure-t-on, la date de 1417 Cette date, qu'il ne nous a pas été donné de contrôler par nous-même, a été
contestée; mais nous ferons observer en passant que, pour en infirmer l'exactitude, il ne suffit pas, comme
on l'a fait, de dire que le tableau est peint à l'huile : nul n'ignore aujourd'hui que ce procédé était pratiqué
bien avant les Van Eyck. Quoi qu'il en soit, le tableau du Musée de Francfort révélerait, d'après les bons
juges, un coloriste vigoureux et savant, et cet accent de naturalisme que les deux grands peintres de Bruges
avaient mis en honneur. Le paysage sur lequel se détachent les figures appartient aussi à leur glorieuse école.
Une des plus intéressantes peintures de Pierre Cristus est celle qui a été exposée à Manchester, en 1857.
Ce tableau, qui appartenait alors au prince Albert, représente saint Pierre et sainte Dorothée, debout, se
détachant sur une tapisserie délicatement brodée d'or. Au-dessus, à peu près à la hauteur des têtes des
saints personnages, on aperçoit un paysage lumineux. Une exécution amoureusement soignée, le culte du détail
précis, un sentiment très-distingué de la couleur caractérisent, si nos souvenirs sont fidèles, l'œuvre de Pierre
Cristus. Bien que l'artiste ait aimé vers la fin de sa vie les formes un peu grêles, bien que son pinceau ait
vu diminuer son énergie, il ne doit pas moins être cité comme un des meilleursdisciples des Van Eyck.
ANVERS. Saint Jérôme. L'authenticité de ce tableau n'est avec saint Jérôme et saint François. Ce tableau, qui a fait
pas complétement établie. partie de la collection Aders, est signé : + PETRUS.XPR.ME.
BERLIN. Deux volets représentant l'Annonciation, la Nati- FECIT 1417 (?).
vité et le Jugement dernier (provenant d'une église de LONDRES. COLLECTIONDU PRINCE ALBERT. Saint Pierre et
Burgos). Le Jugement dernier porte l'inscription suivante : sainte Dorothée.
PETRUS XPR blE FECIT ANNO DOMINI MCCCCLIJ. MADRID. L'Annonciation, la Visitation, la Nativité et
COLOGNE. CABINET DE M. OPPENHEIM. Saint Éloi vendant l'Adoration des rois, quatre petits panneaux.
un anneau à des fiancés. Daté de 1449 et provenant de la SAINT-PÉTERSBOURG.Le Crucifiement, le Jugement dernier,
corporation des orfévres d'Anvers. volets d'un retable.
FRANCFORT. MUSÉE STADEL. La Vierge et l'Enfant Jésus,
La seule œuvre authentique qui nous reste de Gérard van der Meire (le Christ entre les deux larrons,
à Saint-Bavon) nous montre l'école des Van Eyck déjà affadie et dégénérée. Il est vrai que l'artiste gantois
n'a pu connaître Hubert, mort en 1426, et qu'à l'heure où mourut Jean, en 1410, il n'était encore qu'un
enfant, si, du moins, il est né en 1427, comme on est en droit de le supposer. Issu d'une famille qui
des Van Eyck, dont il fut
a fourni plusieurs peintres à la ville de Gand, il se forma d'après les œuvres
plutôt l'imitateur que l'élève, et il entra dans la gilde de Saint-Luc en 1452. La date de sa mort n'est pas
des peintres.
connue; nous savons seulement qu'en 1474 il faisait encore partie de la corporation
Le grand triptyque de Saint-Bavon fut probablement le chef-d'œuvre de Gérard van der Meire. Le
volets sont figurés le Serpent
panneau central représente le Christ crucifié entre les deux larrons; sur les
d'airain et Moïse frappant le rocher. Ce tableau est en mauvais état; un nettoyage exagéré lui a fait perdre
évidemment la vigueur de sa coloration primitive; quoi qu'il en soit, et même en tenant compte de l action
destructive du temps, cette œuvre ne donne pas une très-grande idée du talent de Gérard van der Meire :
les têtes sont monotones, les mêmes expressions se reproduisent sur les visages, les corps sont maigres et
contemple,avec toutes les tristesses de
pauvres; toutefois quelques figures, notamment celle de la Vierge, qui
distingué. Dans cette vaste composition, en trois
son cœur, le cadavre de son fils, révèlent un sentiment
parties, le paysage a une grande importance, mais il ne montre qu une coloration fade et délavée . les chairs
des personnages, au lieu d'être de ce beau ton chaud et bistré qu 'on admire dans les créateurs de l 'école,
débile
sont blafardes et pâlies; on sent dans l'œuvre de Gérard van der Meire la main d'un imitateur plus
et peut-être moins convaincu.
ANVERS. Le Portement de la croix, avec ses deux volets. rine, à Hoogstraeten. M. Waagen refuse formellement d'y
Le Christ en croix. Le Christ au tombeau. Un diptyque reconnattre la main de Gérard van der Meire.
représentant, d'un côté, la Vierge, et, de l'autre, un Portrait GAND. SAINT-BAVON. Le Christ entre les deux larrons.
de femme. LONDRES. NATIONALGALLERY. Un Gentilhomme agenouillé ;
Ces divers tableaux proviennent de l'église Sainte-Cathe- auprès de lui, son patron saint Ambroise. (Acheté en 1851.)
HENRI DE BLES
NÉ VERS 1 lao-MORT VERS 1 5 50.
Le nom véritable de ce peintre n'est, pas connu. Les Flamands l'appellent Henri Met de Bles, ou Henri à
la houppe, parce qu'il avait, dit Ticozzi, « una ciocca di capelli blanchi sopra lao fronte. » De leur côté, les
Italiens l'ont surnommé Civetta, ou le Maître à la chouette, parce qu'il prenait plaisir à introduire dans ses
tableaux cet oiseau sinistre, qui est devenu comme son monogramme. Il naquit vers 1480, à Bouvigncs, dans
les environs de Dinant. Les circonstances de sa vie sont d'ailleurs ignorées ; on sait seulement qu'il habitait
Malines en 1521, et il paraît être mort à Liège vers 1550. Lanzi le fait cependant mourir à Ferrare, mais il
ne cite pas son autorité. Il est certain, toutefois, que Henri de Bles a vécu en Italie, qu'il a travaillé à
Venise, et Ticozzi rappelle, dans son dictionnaire, qu'il a décoré une chapelle dans l'église Saint-Nazaire, à
Brescia.
Henri de Bles marque la transition entre la naïve école du quinzième siècle, qu'il a vue s'éteindre, et le *
style italianisé des flamands de la période suivante. Il a traité des sujets de divers genres, mais, quel que soit
le motif qui l'inspire, il aime à détacher ses figures sur des fonds de paysage qu'il peignait avec le plus grand
soin. C'était là, à vrai dire, le meilleur de son talent, un peu bizarre et maniéré quelquefois. Ses agrestes
perspectives, — forêts, montagnes ou gazons,
— sont surchargées de détails et compliquées de rochers ou de
verdures intenses et sombres. On retrouve en lui l'exagération du système naturaliste inauguré par Jean
van Eyck. Le Maître à la chouette est toutefois un peintre curieux et il mérite une place dans l'histoire du
paysage en Flandre.
ANVERS. Le Repos en Égypte. Au premier plan, saint DRESDE. Un colporteur depouillépar des singes.
Joseph endormi. On aperçoit, sur un arbre, une chouette, FLORENCE. L'Intérieur d'une mine.
qui est la marque et comme la signature du maître. Ce LONDRES. COLLECTION DU PRINCE ALBERT. Le Christ en
tableau a fait partie de la collection Van Ertborn. croix.
BALE. Une Sainte Famille, dans un paysage. MUNICH. La Salutation angélique. L'Adoration des mages.
BERLIN. Portrait d'homme, dans un paysage. Ce dernier tableau est signé : Henricus Blessius f. C'est la
BRUGES. ÉGLISE NOTRE-DAME. L'Annonciation et l'Ado- seule signature du maître que nous connaissions.
ration des mages, diptyque. VIENNE. La Fuite en Égypte. Prédication de saint Jean-
BRUXELLES. La Tentation de saint Antoine. (Acheté en Baptiste. Le Bon Samaritain. Les Disciples d'Emmaus.
1856 au prix de 400 francs.)
JOACHIM PATENIER
'l-É VERS i49 0. MORT VERS 1548.
—
Joachim Patenier ou Patenir est, avec Henri de Bles, un des premiers flamands (lui aient donné au
paysage une importance spéciale. Il était le compatriote et presque le voisin du Maître à la chouette, étant
né à Dinant, vers 1490. C'est sans doute en souvenir de sa ville natale qu'il ajoute d'ordinaire à son nom
la lettre D. Ayant de bonne heure quitté son pays, il vint se fixer-à Anvers, et en 1515, il y fut reçu maître de
Saint-Luc. Albert Durer, voyageant en Flandre en 1520, assista, comme il l'a raconté lui-même, au mariage
de Patenier, fit son portrait et se lia avec lui. C'est il peu près tout ce qu'on sait de la vie de Patenier.
Il mourut en 1545, d'après M. Waagcn, et en 1548, d'après le catalogue du musée d'Anvers.
Joachim Patenier, dont les œuvres sont précieuses et rares, a toujours peint ..comme un artiste qui,
ayant vu finir le quinzième siècle, persista à l'aimer d'un cœur fidèle. Son pinceau délicat et sincère se
plaît aux colorations puissantes. Les figures, presque toujours de petite dimension, qui animent ses paysages,
sont ordinairement d'une autre main que la sienne. Il paraît toutefois avoir peint quelques sujets religieux,
comme Henri de Bles, avec lequel Patenier a plus d'un point de contact, bien qu'il lui soit supérieur pour
la finesse de l'exécution et aussi pour le sentiment. Ami d'Albert Durer, dont il a certainement admiré les
œuvres viriles, il accumule les détails dans les fonds et il accuse d'une touche trop précise les particularités
locales qui devraient se noyer et se perdre dans le lointain des horizons. En cette époque intermédiaire, où
le paysage s'affirmait à peine, Patenier a toujours conservé quelque chose de la patience du miniaturiste.
ANVERS. La Fuite en Égypte ( lithographiéeen 1835 dans que les figures soient de Patenier. On les a attribuées à
le Messager des Sciences historiques). Ce tableau porte l'in- Mostaert.
scription suivante : opus IOACIIIM D. PATINIR. Nous la repro- LONDRES.COLLECTIONDU PRINCE ALBERT. Saint Christophe.
duisons ci-après. — Saint Jean dans l'île de
Pathmos. — La Madeleine. — L(,
BRUXELLES. La Vierge de douleurs. Au centre, la Vierge Crucifiement.
tenant le cadavre du Christ. De chaque côté, des médaillons MUNICH. La Fuite en Égypte.
représentant la Circoncision, la Fuite en Égypte, Jésus parmi VIENNE. Le Baptême de Jésus-Christ. Signé : OPUS.lOACIIIM.
les docteurs, le Portement de la croix, le Crucifiement D.PATlNIER. Le Martyre de sainte Catherine,dans un paysage.
et la Mise au tombeau. Fond de paysage. Il est douteux Saint Jérôme.
LANCELOT BLONDEEL
NE VERS 1 496 .— MORT EN 158 1.
Bien qu'il n'ait pas marqué au premier rang, Lancelot Blondeel mérite d'être cité parmi les artistes
flamands dont le talent se réchauffa aux tièdes rayons de la Renaissance. On sait qu'en 1520, il travaillait
déjà pour la ville de Bruges; quant à la date de 1496, indiquée comme celle de sa naissance, elle est tirée
d'un passage du vieux poëte brugeois Édouard de Dene, qui, dans des vers cités par M. James Weale, nous
apprend que Blondeel avait soixante-cinq ans lorsqu'il mourut, en 1561. Le même poëte raconte qu'avant
de pratiquer la peinture, il avait exercé le métier de maçon et qu 'il devint ensuite très-savant
dans
l'architecture. Blondeel n'a pas renié ces humbles origines : lorsqu'il signe ses tableaux, il ajoute d'ordinaire
une truelle aux initiales de son nom.
tard la
Lancelot Blondeel fut reçu, en 1530, dans la corporation des peintres de Bruges, qui lui conféra plus
dignité de Vinder. Il maria sa fille à Pierre Porbus, ainsi que nous l'avons dit dans la biographie de ce maître.
il donna les plans et le
Des travaux incessants et bien divers occupèrent sa vie. Architecte juré du Franc,
dessin de la grande cheminéequ'on admire aujourd'hui au palais de justice de Bruges. Il
était ingénieuraussi,
utilité municipale.
et les échevins eurent plus d'une fois recours à lui pour les grands travaux d
Il reste, en outre, de Lancelot Blondeel quelques tableaux curieux qui, presque tous,
sont encore à Bruges.
dorés d'un goût parfois
Ils sont faciles à reconnaître, parce que l'artiste se plaît à y introduire des ornements
un peu bizarre, mais inspiré par le style de la
Renaissance. Les tableaux que nous connaissonsde lui sont des
moins ce que nous savons
sujets religieux; Blondeel paraît cependant avoir touché à tous les genres. C est du
peintre ecceltente in far fuocchi,
par Vasari, qui l'appelle Lancilotto et qui le considère comme un
iiotti, splendori, diavoli e cose somigliante.
BRUGES. ACADÉMIE. Saint Luc peignant la Vierge. Ce SAINT-JACQUES. La Legende de saint Côme et de saint
tableau, qui appartenait autrefois à la corporation des pein- Damien, tableau en trois compartiments, peint en 1523,
tres, porte la date de 1545 et le monogramme du maître. pour la corporation des barbiers.
Nous le reproduisonsci-dessous. CONFRÉRIE DE SAINT-GEORGES. Saint Georges terrassant
CATHÉDRALE SAINT-SAUVEUR. La Vierge avec saint Luc et le dragon.
saint Éloi. 1545
Les érudits ont longtemps discuté sur la question de savoir si Jean van Hemessen doit être rangé dans
l école flamande ou dans l'école hollandaise. Pour
nous, nous croyons qu'il faut tenir quelque compte du
témoignage de Guichardin, qui, dans sa Description des Pays-Bas, prétend
que Van Hemessen est né aux
environs d'Anvers. Nous accepterions donc volontiers la conjecture émise par M. de Laet, et,
comme lui,
nous le croyons originaire de Hemixen, village situé auprès de cette ville. L'artiste aurait pris, dans ce
cas, le nom de son pays, ainsi qu'il était d usage à cette époque. Remarquons, à ce propos, que Vasari
ayant cité Van Hemessen dans son curieux chapitre sur les peintres des Pays-Bas, les derniers éditeurs du
biographe arétin ajoutent en note, qu'il y avait autrefois à Londres, dans la collection Woodhurn,
un portrait signé Johannes Sandel's de Hemessen pingebat, 1532. Nous ne voulons formuler ici aucune
affirmation hasardeuse, mais, s'il était prouvé que ce portrait fut de sa main, le nom véritable de Hemessen
serait Sanders.
Van Mander assure que Jean van Hemessen a habité Harlem. Un fait certain, c'est
que, dès 1537, il
était affilié à la gilde de Saint-Luc, à Anvers, et que, dix ans après, il exerçait les fonctions de doyen de
la corporation. C'est là, à peu près, tout ce qu'on sait de sa vie; mais des dates qu'il inscrites
a sur ses
tableaux on peut inférer qu'il n'est mort qu'après 1555
L 'œuvre de Van Hemessen révèle un artiste qui, bien
que l'art du seizième siècle eût déjà donné toutes
ses fleurs, tenait encore pour la peinture ancienne, et même, si l'on a le droit de le dire, pour la peinture
barbare. Son point de départ est dans Jean de Mabuse et dans Quentin Matsys; il les a imités quelquefois,
il ne les a pas compris. Ses types. sont violents, son dessin exagéré et
sauvage. Van Hemessen va, sans
méthode et. sans mesure, jusqu aux* contins de la laideur. Son coloris abonde
en tons bruns et durs ; ses
ombres sont lourdes; mais il y a chez lui une certaine recherche de l'expression, et sa naïve énergie
ressemble à de l'originalité.
Nous demandons pardon de répéter toujours la même chose, et d'avoir à dire, à propos de Josse van
Cleef, comme de tant d'autres, que nous ignorons les dates de sa naissance et de sa mort, ainsi que les
principales circonstances de sa vie. Mais ici, nous regrettons d'autant plus d'être si mal informé, que Josse
van Cleef est incontestablement un des meilleurs portraitistes flamands du seizième siècle, un de ceux qui se
rattachent de plus près à la grande école du maître de la sincérité, Hans Holbein.
Le nom de Van Cleef ou Van Clève se rencontrant fréquemmentdans les archives de la gilde de Saint-Luc
d'Anvers, il n'est pas certain que notre artiste soit le même que le Joos van Clève qui. d'après la nomenclature
conservée au musée de cette ville, fut trois fois doyen dela corporation, en 1519, 1520 et 1525. Dans la liste
que M. Alfred Michiels a publiée à la fin de son livre sur Rubens, figure aussi un Josse van Clève, qui, à la
date de 1520, aurait travaillé pour la cathédrale d'Anvers. On n'ose pas l'identifier avec notre Van Cleef,
qui fut, avant tout, portraitiste, et qui fut employé en cette qualité par François Ier. C'est du moins ce
qu'on sait par le témoignage de Vasari, qui le mentionne avec honneur : Gran coloritore, écrit-il, e raro in
far ritratti di naturale.
Josse van Cleef paraît avoir travaillé en Angleterre. Il y serait venu vers 1550, sous Edouard VI, et aurait
vécu à Londres jusqu'en 1556. Ce sont les dates données par Horace Walpole: nous ne sommes pas en
mesure de les contrôler. D'après l'historien anglais, Van Cleef, n'aurait réussi qu'à moitié pendant son séjour
en Angleterre, sa raison se serait plus ou moins altérée; de lit le nom qu'on lui donne parfois : « Van
Cleef-le-Fou. » De retour dans les Pays-Bas, il y serait mort pauvre et oublié.
Quoi qu'il en soit, il reste de ce savant artiste des portraits excellents, qui rappellent un peu ceux de son
contemporain Antoine More, et qui n'ont ni moins d'éclat ni moins de vérité. Les curieux qui ont étudié la
grande exhibition de Manchester, en 1857, n'oublieront jamais le superbe portrait de Josse van Cleef, peint
par lui-même, qui avait été prêté par lord Spencer, et deux autres portraits empruntés à une église d'Oxford.
« Van Cleef, écrivait à ce propos M. Charles Blanc, rappelle
l'intimité, la délicatesse du dessin d'Holbein,
l'agréable intensité de son coloris, ses fonds d'un vert décidé, son exécution attentive aux détails et charmante
par cela même. Il sert de transition entre Holbein et Antoine More. » Il n'y a, disons-le bien vite, aucune
trace de folie dans ces peintures loyales où la nature est admirablement étudiée et comprise.Les carnations
sont exubérantes de vie, lumineuses et peut-être un peu rouges. Il y a chez Josse van Cleef comme une
première aurore des tons flamboyants de Jordaens.
ANGLETERRE. CABINET DE LORD SPENCER, A ALTHORP. D'après Horace Walpole, Van Cleef n'aurait pas été seule-
Portrait de Josse van Cleef, en buste. L'artiste porte une ment un excellent portraitiste : Charles Ier possédait de sa
toque et un pourpointnoir. Sa barbe est brune. main un tableau, Mars et Vénus, et la collection de Jacques II
OXFORD. Deux portraits d'homme, exposés à Manchester renfermait un Jugement de Pâris et une Nativité. Le catalo-
en 1857. gue de Rubens mentionne, en outre, les Pélerins d'Emmaiis,
WINDSOR. Portrait de l'artiste et de sa femme. par Van Cleef-Ie-Foi.
LAMBERT SUSTERMAN
NÈ EN 150 G.
— MORT EN 1560
Lambert, Lombard, ou, pour lui rendre son véritable nom, Lambert Susterman, ne fut pas sans doute un
artiste de premier ordre, mais il exerça sur l'école flamande une influence capitale. Peintre, archéologue
et poëte, fut vraiment un homme du seizième siècle, se mêlant à toutes choses, et également attentif
il
au mouvement des esprits et aux progrès de l'art. Vasari, qu'il est toujours bon de consulter sur ses
contemporains, le qualifie de qran letterato, giudizioso pittore ed architetto eccellentissimo. Né à Liége,
en 1506, Lambert Susterman reçut quelques leçons d'un peintre peu connu, Arnold de Beer, et se lia
ensuite avec Jean Gossaert de Mabuse, qui fut son véritable maître, et qui, en lui parlant de l'Italie,
l'enflamma d'un beau zèle pour l'art ultramontain. Protégé par l'évêque de Liége, il s'attacha à la fortune du
cardinal Réginald Pole et le suivit en Italie; mais, s'il est vrai que ce voyage n'ait eu lieu qu'en 1538, les
auteurs du catalogue du Musée d'Anvers se sont mépris en affirmant que Lambert Susterman travailla sous
la discipline d'André del Sarte, qui, on le sait, était mort dès 1530. Les maîtres que l'artiste liégeois suivit
en réalité, ce furent ces peintres milanais qui continuaient de leur mieux Léonard. Comme eux, Lambert
chercha les séductionsdu modelé délicat, les carnations doucement caressées, enfin, ce qu'on appelle si bien
la morbidesse. De retour à Liége, à une époque que nous ne saurions préciser, il fut accueilli comme un
maître deux fois respecté, d'abord parce qu'il avait connu Jean de Mabuse, et ensuite parce que, revenant
de la Lombardie, il en conservait, dans sa peinture et dans sa parole, le parfum et la séduisante saveur.
Susterman ne fit pas souvent usage de son pinceau, mais il forma, par ses conseils bien plus que par ses
exemples, de nombreux élèves, parmi lesquels il suffit de citer Frans Floris. Il a peint des sujets
religieux et des portraits dans cette manière italico-flamande, qui eut alors tant de succès, mais qui, il
faut bien le dire, était un danger pour l'école, un moment menacée dans l'essor de son originalité native.
Dans ses curieuses études sur la ville de Liége, M. le baron de Villenfagne prétend que Lambert Lombard
vivait encore en 1565 : l'inscription qui figure sur l'estampe de son portrait, gravé par Théodore Galle,
indique qu'il est mort a.Liège en 1560. Cette date est adoptée par les rédacteurs du catalogue du Musée
d'Anvers et par M. Waagen, double autorité qui compromet quelque peu celle de M. le baron de
Villenfagne.
ANVERS. Portrait d'un jeune homme (provenantdu cabinet BRUXELLES. La Cène, tableau daté de 1531.
de M. Danoot, à Bruxelles). MUNICH. Le Christ mort, sur les genoux de la Vierge.
BERLIN. La Vierge avec l'Enfant Jésus endormi. VIENNE. L'Adoration des bergers.
JE AN SNELLINCK
NÉ EN 15 4'». EN 1 638.
— MOK T
On n'a longtempspossédé sur Jean Snellinck ou Van Snellinck que le superbe portrait que Van Dyck a
fait de l'artiste et les quelques lignes qui lui ont été consacrées par Van Mander et par Corneille de Bie.Mais
les érudits de la Belgique, toujours habiles à découvrir ce qu'on ignore, sont parvenus à tirer du néant la
biographie du peintre et à reconstituer en grande partie son œuvre. D'après les recherches de MM. Van
Lérius, Génard et Vander Meersch, Jean Snellinck, qu'il convient d'appeler le Vieux, pour le distinguer de
son fils, est né à Malines en 1544. Il vint de bonne heure se fixer à Anvers, ou du moins il s'y maria, en
1574, avec Hélène de Jode. Il mourut en 1638. Breughel de Velours, Pierre Breughel-le-Jeune, Jean de
AYael et la plupart des peintres de l'époque étaient les amis de Snellinck. L'archiduc Albert employa
souvent son pinceau, ainsi que le comte de Mansfeld, gouverneur de Luxembourg. Van Mander raconte
que Snellinck a peint des batailles. L'assertion n'a rien d'invraisemblable, mais nous devons dire que tous
es tableaux de lui que nous connaissons représentent des motifs religieux. Les églises et les couvents de la
Flandre firent beaucoup travailler Snellinck, qui a dessiné aussi des patrons de tapisseries. Ce fut d'après
ses modèles que Georges Ghuys, le tapissier d'Audenaerde, fit exécuter la
série de tentures qui raconte
l histoire de Zénobie, reine de Palmyre.
Un des tableaux les plus intéressants de Jean Snellinck est conservé au musée d'Anvers. C est une grande
composition, datée de 1597, et représentant le Christ entre les deux larrons. A cette époque Rubens
avait vingt ans. Mais — l'œuvre de Snellinck le prouve — l'école flamande se préoccupait déjà de peindre
des chairs lumineuses et pour ainsi dire vivantes. Les figures du vieux Snellinck montrent, dans ce tableau
du moins, ces carnations blanches et roses que Van Balen va imiter tout à l'heure, et qui séduiront plus tard
Rubens, Jordaens et tous les peintres d'Anvers.
ANVERS. MUSÉE. Le Christ entre les deux larrons, signé MAUNEs. SAINT-ROMBAUT. La Résurrection de Jésus-Chris
J. Van Snellinck 1.5.9.7. Tableau donné au Musée, en 1860, (1601).
ÉGLISE SAINTE-CATHERINE. La Descente du Saint-Esprit
par M. Moons van der Straelen.
AUDENAERDE. ÉGLISE NOTRE-DAME. Adam et Eve, trip- .
3606)
Nous reproduisons ci-dessous la signature du tableau du
tyque.
SAINTE-WALBURGE. La Transfiguration (1616). L'Exalta- Musée d'Anvers.
tion de la Vierge.
BARTHÉLÉMY SPRANGER
N'Il-, EN \
J;¡ 6. MORT EN 1 625.
A voir les tableaux de Barthélemy Spranger, on a quelque peine à comprendre qu'ils soient l'œuvre d 'un
pinceau flamand. Spranger — ou Sprangers — était cependant né à Anvers, en 1546; mais le génie italien
complétement la langue de son pays. Il
exerça sur lui une séduction si irrésistible, qu'il oublia presque
avait traversé la France : dans un passage curieux, et qui mériterait d'être expliqué, Descamps raconte
que Spranger était venu à Paris, en 1563, et qu'il avait
travaillé chez Marc, peintre de Catherine de
Médicis, qui faisait des portraits « en détrempe. » Est-ce Marc Duval? On l 'i«noi,e, et c est là un point
qu'il serait bon d'éclaircir. Quoi qu'il en soit, Barthélémy Spranger, arrivé en Italie, y mena d abord une
vie difficile et précaire; mais, la fortune s'étant enfin décidée à sourire à ses efforts, il travailla pour le
prolongea jusqu'en 1575. Il vint
pape Pie Y et pour plusieurs grands personnages. Son séjour à Rome se
ensuite, avec la recommandation de Jean de Bologne, se fixer en Allemagne, à la cour de Maximilien II,
patrie,
et il fit pour lui et pour son fils Rodolphe d'importants ouvrages décoratifs. Après avoir revu sa
M. Waagen.
en 1602, il retourna à Prague, et il y mourut en 1625, d'après
mythologies
Spranger, dont le talent est peu connu en France, avait cessé d'être flamand. Peintre de
ou de sujets religieux, il a les défauts violents, le
dessin exagéré des Italiens, qui déjà se hâtaient d'un
fidèle interprète. Toutefois, Spranger a montré
pas si rapide vers la décadence. Il a trouvé dans Goltzius un
ressemblance et la
plus de sagesse dans le portrait, dont il avait fait une étude spéciale. Il cherche la
vérité ; il est singulièrement attentif aux délicatesses du modelé. Spranger était un de ces maîtres qui
ont besoin d'être conseillés et soutenus par l'éternelle institutrice, la nature.
ANVERS. CABINET DE M. VERLINDE. La Madeleine. Venus et Mercure. Apollon et les Muses (signé Bar. Spran-
Hercule chez
FLORENCE. Portrait de l'artiste. gers f.). Les Vertus de Rodolphe II, allégorie.
TURIN. Le Jugement dernier. Omphale (signé Bar. SprangersAnt. fecit). Vulcain et Mata.
VIENNE. Ulysse chez Circe. Mercure surprenant Vénus Le Triomphe de la sagesse. Portrait de l'artiste. Portrait de
dans les bras de Vulcain. Circè tenant la coupe magique. sa femme.
ADAlVI VAN NOORT
KK EN 1557. — MORT E 1641
Le Musée d'Anvers possède seize tableaux de Lambert van Noort, qui fut, à vrai dire,
un peintre assez
ordinaire; mais il ne peut malheureusement montrer aucune œuvre de son fils, Adam
van Noort, l'habile
maître qui eut l'honneur de contribuer à former Rubens. Ses tableaux sont d'ailleurs d'une insigne rareté,
et les habitants d'Anvers ne se rendent vraiment compte du mérite de ce puissant coloriste
que depuis le
jour où un généreux amateur a fait don à l'église Saint-Jacques d'une peinture, qui est
sans doute le
chef-d'œuvre de Van Noort, et dont nous aurons tout à l'heure à dire un mot.
D après les documents, incomplets encore, qu'on possède
sur lui, Adam van Noort, né à Anvers en 1557,
fut élève de son père. Il n'est pas certain qu'il ait fait le voyage d'Italie, et il semble même résulter d'un
propos attribue à Rubens qu'il n'aurait pas quitté la Flandre. Nous remarquerons cependant que Van
Noort ne fut reçu maître de Saint-Luc qu'en 1587, réception tardive, qui semble impliquer
un voyage
antérieur. En 1598, Adam van Noort était doyen de la corporation; en 1600, il travaillait
pour la cathédrale
d 'Anvers. Il vit successivement entier dans son atelier divers élèves qui devinrent des maîtres, tels
que
Rubens et Jacques Jordaens, qui épousa sa fille en 1616. L'excellent artiste mourut
en 1641. On nous
permettra de rejeter comme fabuleux, ou tout au moins comme très-exagérés les contes si souvent répétés
qui font de Van Noort un pilier de tavernes, un homme brutal, odieux à sa famille et détesté de ses élèves.
S 'il en avait été ainsi, Rubens ne serait pas resté quatre
ans dans son atelier et la gilde de Saint-Luc ne
lui aurait pas confié le décanat. Nous croyons, toutefois, qu'Adam
van Noort ne fut pas des plus laborieux,
puisqu 'oii ne cite de lui qu'un très-petit nombre de tableaux. Nous
sommes également prêt à reconnaître
que son talent eut des inégalités et des défaillances.
Mais comment ne pas admirer Adam van Noort, comment
ne pas saluer en lui le véritable maître de
Rubens, lorsqu 'on a vu à l église Saint-Jacques son œuvre principale, Saint Pierre présentant à Jésus-Christ
le poisson qui contient la pièce d'argent du tribut? C'est là
une peinture excellente, de la coloration la
plus franche et la plus vive, une page d'une exécution magistrale. Il est difficile d'avoir
un pinceau plus libre
et plus fort, un sentiment meilleur de la lumière. Il n'est que juste de signaler aussi dans le 1ableau de Van
Noort une prescience intelligente de toutes les qualités qui devaient être, quelques années après, l'honneur
de l école d 'Anvers. Rubens et Jordaens ne sont-ils
pas contenus en germe et annoncés d'avance dans cette
page éclatante et virile?
A-,VERS. ÉGLISE SAINT-JACQUES. Saint Pierre présentant construites dans le goût italien. Au premier plan, une cor-
à Jésus-Christ le poisson qui contient la drachme du tribut beille remplie de fruits et de fleurs.
(donné en 1844 par M. Antoine van Camp). DARMSTADT La Femme adultère.
.
BRUXELLES. Jésus appelant à lui les petits enfants. Les GAND. ÉGLISE SAINT-MtCHEL. La Guérison d'un malade
figures sont groupées à l'entrée d'une rue bordée de maisons
par la médiation de la Vierge.
JOSSE DE MOMPER
:\É Y EKS 155 9. -MORT EN 163 4 OU 16 S 5.
Malgré la confusion qui règne encore entre les membres de la famille des Momper, on est autorisé à
penser que le plus habile d'entre eux, Josse ou Jodocus de Momper, est né, vers 1559, à Anvers. Il fut
inscrit en 1581, comme fils de maître, sur les registres dela gilde de Saint-Luc. Son œuvre semble prouver
qu'il a voyagé, car il se complaît dans les grandes perspectives accidentées, dans la représentation des
montagnes ; l'inscription qui figure au bas de son portrait le qualifie même de pictor montium. Josse de
Momper se maria à Anvers en 1590, devint doyen de Saint-Luc en 1611, forma un grand nombre d'élèves
dont les noms sont demeurés obscurs, et mourut pendant l'année administrative 1634-1635.
Momper, dont on rencontre assez fréquemment les paysages clairs, légers, un peu fantastiques, a eu
pour amis et pour collaborateurs Pierre Breughel, François Francken le jeune, Il. van Balen et le vieux
Teniers. Les naïves figurines dont ils ont étoffé ses tableaux s'enlèvent en vigueur sur ses perspectives, où
dominent les terrains d'un gris jaunâtre, où les horizons lointains s'estompent, dans le bleu. La peinture de
Josse de Momper n'est bien souvent qu'un frottis léger qui couvre à peine la toile. La plupart de ses
tableaux, où la chimère tient quelque place, ont subi par l'action du temps une décoloration qui les affadit
un peu.
WENCESLAS COEBERGER
:'i¡.: VI? IIS 1 5fiO. — MORT EN 163
Wenceslas Coeberger on Koeberger, qu'on suppose être né à Anvers en 1560, fut l'élève de Martin de
Vos : c'est assez dire qu'il se rattache à cette école intermédiaire, et peut-être trop savante, qui regardait
comme surannés les maîtres naïfs de la période primitive et ne prévoyait pas encore les grandes audaces
de Rubens. En sortant de l'atelier de Martin de Vos, Coeberger se rendit en Italie, en traversant la France;
il habita longtemps Rome et Naples, et ne revint à Anvers qu'en 1605. A son retour, il fut nommé maître
de Saint-Luc, et il obtint la protection de l'archiduc Albert, qui l'appela à Bruxelles et le chargea de travaux
de toutes sortes, car W. Coeberger était à la fois architecte, ingénieur et peintre. Il remplit même des
fonctions administratives, puisqu'il fut chargé de l'organisation et de la direction du mont-de-piété,
institution d'origine italienne que l'artiste a contribué à introduire en Flandre. Wenceslas était d'ailleurs un
lettré ; il avait le goût des antiquités et des médailles, et les archéologues du temps eurent souvent recours
à son érudition. Il mourut à Bruxelles en 1634.
Wenceslas Coeberger, constamment occupé d'architecture et de travaux d'utilité publique, n'a laissé qu'un
petit nombre de tableaux. Sa manière froide et patiente combine, non sans habileté, le principe italien avec
le style flamand.
ANVERS. ÉGLISE SAINT-JACQUES. Constantin adorant la - BRUXELLES. La Mise au tombeau, daté de 1605 et pro-
croix retrouvée par sainte Hélène (1605). Ces deux ligures venant de l'église Saint-Géry, qui a, dit-on, été construite
sont les portraits de Josse Robyns et de sa femme. d'après les dessins de Coeberger lui-même.
SÉBASTIEN VRANCX
NÉ VKRS 1 568. MORT EN 18i7.
ANVERS. CABINET DE M. L. REYNWIT. Blason de la cor- W. Hollar a gravé d'après Sébastien Yrancx un paysage, les
poration de Saint-Luc, peint en 1618 avec H. van Balen et Environs d'Anvers, qui ressemble tout à fait à un Breughel
FrançoisFrancken le Jeune. de Velours.
ROTTERDAM. Un Village pillé par des gens de guerre, signé On trouve dans le catalogue de la collection de Rubens la
S. Vrancx. mention de deux peintures de S. Vrancx : Une Bataille, et
VIENNE. L'Intérieurde l'église des Jésuites à Anvers, signé le sujet si souvent traité par le vieux Breughel, l'Aveugle
S. Vrancx.Un Convoi de marchandisespillé par des soldats. conduisant l'aveugle.
NICOLAS ROOSE
NÉ E:-i 1 57 S -- MORT EN 16 46.
Lorsqu'on admire, dans la cathédrale de Gand, le tableau célèbre où Rubens a représenté saint Bavon
distribuant ses richesses aux pauvres au moment d'embrasser la vie religieuse, on a les yeux trop éblouis
par cette lumineuse peinture, pour s'apercevoir qu'il existe dans la même chapelle un autre tableau qui
serait vraiment digne d'attention s'il n'avait à souffrir d'un aussi redoutable voisinage. Cette composition,
de la Vierge dans le ciel, — est l'œuvre d'un habile peintre gantois, Nicolas de Liemakere,
— VEntrée
surnommé Roose.
Né en 1575, Nicolas Roose travailla d'abord sous la discipline de Marc Gueraert ou Garrard le père,
ensuite sous celle d'Otto Venins, chez lequel il a du connaître Rubens. Cette liaison lui fut des plus
profitables; car, bien qu'il n'appartienne pas à la grande famille des maîtres d'Anvers, bien qu'il n'ait
jamais eu leur coloris éclatant et lumineux, Roose se rattache à Rubens par une sorte de fougue dans la
composition et par un luxueux talent de mise en scène. Sa vie n'offre pas d'épisode intéressant : deux fois
doyen de la corporation des peintres de sa ville natale, il eut, en 1635, l'honneur d'être associé à Corneille
Schut, à Crayer, à Rombouts, lors des cérémonies célébrées à l'occasion de l'entrée de l'archiduc Ferdinand.
C'est là le fait capital de la biographie de Roose, qui mourut à Gand en 1646.
Nicolas Roose n'a guère peint que des tableaux de sainteté : les églises de Gand 'et les couvents de la
province s'enrichirent de ses productions, empruntées pour la plupart à la légende mystique de la Yierge.
Il est, ou du moins il a essayé d'être le peintre de la cour céleste; mais il n'est religieux que d'intention,
sa peinture un peu lourde s'enveloppant trop souvent d'ombres épaisses et
noirâtres. C'est là le défaut de
sa Vierge triomphante de Saint-Bavon et de bien d'autres de ses tableaux. Les ciels de Nicolas Roose sont
snns profondeur et sans lumière. Ce qu'il faut louer chez lui, c'est une imaginationfacile, toujours
ingénieuse
à mêler les groupes, à varier les attitudes. S'il est vrai que Rubens ait fait, comme on l'assure, l'éloge de
Roose, on doit croire qu'il a voulu louer l'inventeur, en fermant généreusement les yeux sur les défauts
du peintre.
0
ROLAND SAVERY
NE EN 1 576. — MORT EN 1653.
Le point de départ de Roland Savery doit être cherché, croyons-nous, dans 1 'œuvre des miniaturistes
qui, à la fin du seizième siècle, ont peint à la gouache ces paysages d'une coloration arbitraire, ces
perspectives d'un bleu chimérique,¡-:';ù Breughel de Velours et Josse de Momper sont venus, eux aussi,
chercher leurs premières inspirations. Né à Courtrai, en 1576, Savery quitta son pays le plus tôt possible,
et se rendit en Allemagne. L'empereur Rodolphe II le prit en grande estime et le fit amplement travailler.
Notre Flamand voyagea dans le Tyrol ; il vit les montagnes, les cascades écumantes, les noirs sapins
suspendus aux bords des abîmes, et, riche de ces souvenirs, il composa un assez grand nombre de
Après la mort de
paysages d'une exécution parfois un peu lourde, mais d'un ton vigoureux et fort.
Rodolphe II, en 1612, il vint se fixer à Utrecht, où il vécut jusqu'en 1639.
Les paysages de Roland Savery sont conçus dans une manière quelque peu artificielle. Des gazons
plantureux, des arbres aux frondaisons d'un vert brunâtre occupent les premiers plans, tandis que les
fonds s'estompent dans ces teintes bleuissantes si chères à Breughel. Des animaux et des oiseaux de toutes
sortes animent ses tableaux, où l'on sent l'effort d'une volonté résolue et opiniâtre.
DAVID VINCKEBOONS
NÉ EN 1 578 —MORT EN 1 6 29.
David Vinckeboons — ou Vinkbooms — dont les paysages ne sont pas sans quelque analogie avec
ceux de Roland Savery, naquit à Malines en 1578. Son père, Philippe, qui peignait à la gouache, lui
donna ses premières leçons et le conduisit à Anvers. C'est là que David commença à peindre à l'huile.
Vers la fin du seizième siècle, le père et le fils allèrent se fixer à Amsterdam. Philippe y mourut en 1601
et David en 1629.
Il reste de David Vinckeboons des dessins, des aquarelles, des gouaches, qui permettent de le placer entre
Breughel de Velours et Savery. Ses tableaux, où le paysage domine, représentent des kermesses flamandes,
des chasses, des foires champêtres, et quelquefois aussi des scènes évangéliques traitées sur le mode familier.
Rottenhammer passe pour avoir étoffé plusieurs de ses compositions. Ainsi que Savery, David Vinckeboons
aime à percher sur ses arbres des groupes, d'oiseaux, parmi lesquels, on reconnaît le pinson (vink), qui
est comme sa marque habituelle et sa signature.
AMSTERDAM. Le Prince Maurice allant à la chasse. MUNICH. La Montée au Calvaire, signé David Vink-Booms
ANVERS. Kermesse flamande(gravéepar Nicolas de Bruyn). f. 1611. Les Patineurs.
BRUXELLES. CABINET D'ARENBERG. Intérieur de forêt. NANTES. Des voyageursattaquéspar des brigands, paysage,
DRESDE. Des mendiants demandant l'aumône. Kermesse signé D. Vinck-Boorns f. 160".
villageoise. VIENNE. Le Drucifiement de Jésus-Christ. Repos en Égypte.
FLORENCE. Un groupe de paysans sur un canal glacé. La Fuite en Egypte (les figures sont db Rottenhammer).Saint
LILLE. Une Foire à l'entrée d'un bois. Fulgence dans une grotte.
LOUIS FINSONIUS
NÉ VERS 1580.
— MORT EN 1 632.
La Belgique a trop oublié ce peintre vaillant, qui, il est vrai, quitta sa patrie de grand matin
pour aller
s'enrégimenter dans l'école de Caravage. Mais un écrivain français, M. de Chennevières, a pris soin de la
renommée de Finsonius, et c'est lui qui, il y a quinze ans, nous a fait connaître cet artiste, dont
nous avons
pu, depuis lors, étudier l'œuvre dans les musées et les églises de la France méridionale.
Louis Finson ou Finsonius (c'est de ce dernier nom qu'il signe d'ordinaire) est né à Bruges
vers 1580.
passa sa jeunesse en Italie, et s'inspira de la manière de Caravage, qui était alors si goûtée. On sait, par la
date d 'un de ses tableaux, qu'il travaillait à Naples en 1612. L'année suivante, il était à Aix, où
son double
talent de portraitiste et de peintre d'histoire paraît avoir été hautement apprécié. Finsonius peignit les
portraits de plusieurs conseillers au parlement et celui de Malherbe, qui, on le sait, vécut quelque temps à Aix,
sous le règne de Louis XIII. Les églises et les couvents de la Provence eurent souvent recours au pinceau de
Finsonius. D'après une tradition rapportée par M. de Chennevières, l'artiste flamand se noya dans le Rhône,
en 1632.
Plusieurs villes du Midi possèdent des œuvres de Finsonius. Nous avons vu, et nous avons encore présent à
la pensée son grand tableau de l'église Saint-Trophime, à Arles, le Martyre de saint Étienne, peint en 1614.
C'est une vaste composition pleine de mouvement et de fracas, où Finsonius a montré beaucoup de talent
et de fougue, mais en même temps une obéissance trop complète aux dangereux principes proclamés par
le Caravage. Finsonius est noir et brutal. S'il était revenu en Flandre, ses compatriotes auraient eu de la
peine à reconnaître comme un des leurs ce singulier adorateur de la violence et de la nuit. Nul n'est plus
que lui loin de Rubens et de sa lumière.
Portraitiste, Finsonius s'est montré plus attentif à la vérité. Le portrait de sa mère, qui est à Paris, est
une œuvre sérieuse, pleine de sentiment et de douceur. L'artiste y a retrouvé ses qualités natives. Mariette
ne s'est donc pas tout à fait trompé lorsqu'il a dit de Finsonius : « Ce peintre flamand, peu connu hors de
la Provence, où il avoit établi son séjour, a fait cependant, dit-on, des portraits qui peuvent aller de pair
avec ceux de Van Dyck. »
Aix. ÉGLISE SAINT-JEAN. Résurrection de Jésus-Christ, ARLES. Lapidation de saint Étienne (1614). Adoration des
signé LudovicusFinsonius Belga Brugensis fecit anno 1610. mages (161-4).
SAINT-SAUVEUR. Incrédulité de saint Thomas (1613). MARSEILLE (MUSÉE). Magdeleine mourante.
MUSÉE. Portrait de femme (1624). PARIS. CABINET DE M. DE CHENNEVIÈRES. Portrait de la
BIBLIOTHÈQUE. Portrait de GuillaumeDu Vair. mère de Finsonius.
PAUL DE VOS
lIIÉ VERS -
11190. MORT VERS 1 654.
L'auteur du catalogue du Musée du Louvre paraît s'être mépris en faisant naître Paul de Vos en 1600.
Nous savons d'une manière certaine qu'il est entré en 1605 dans l'atelier de David Remeus; nous savons,
né en 1585 : on est
en outre, qu'il était plus jeune que son frère, l'excellent portraitiste Corneille de Vos,
donc provisoirement autorisé à penser qu'il est venu au monde vers 1590. Sa sœur Margueriteayant épousé
F. Snyders en 1611, Paul de Vos travailla sous les yeux de son beau-frère et devint l'un de ses plus habiles
imitateurs. Les circonstances de sa vie ne nous sont pas connues ; savoir qu'il fut en 1629 parrain d'un des
fils de son frère Corneille, c'est savoir peu de chose. Pilkington le fait mourir en 1654; mais nous ne
croyons pas que cette date soit officiellement établie. Paul de Vos trouva, dit-on, un chaleurenx protecteur
dans le duc d'Aerschot : il travailla pour l'empereur, pour le roi d'Espagne, et nous remarquons, en effet,
que ses principales productions sont conservées à Madrid. Il excellait à peindre les
chasses, et surtout les
chiens. Par la gamme de son coloris, par ses tons lumineux, par la légèreté du faire, Paul de Vos ressemble
beaucoup à son beau-frère Snyders son dessin est cependant moins délicat, et il n 'a pas sa souveraine
:
élégance.
CAEN. Un cheval dévoré par des loups. L'inventairedressé après la mort de Rubens nous apprend
MADRID. Un chien. Combat de chats. Cerfs et chiens. Un que le grand maître possédait deux tableauxde Paul de Vos :
lévrier blanc. Un taureau poursuivi par des chiens. Ani- Des fruits et des oiseaux, et Des chats se battant dans une
maux et fruits, etc., etc. cuisine.
SCHLEISHEIM. COLLECTION DU ROI DE BAVIÈRE. Deux Les musées et les galeries particulières renferment, sous
chiens se disputant un morceau de viande. Un chevreuil le nom de Snyders, un assez grand nombre de tableaux de
poursuivi par des chiens. Paul de Vos.
JEAN COSSIERS
NÉ EN 1600. —MORT EN 1671.
Sans être un artiste distingué et puissant, Jean Cossiers est un peintre fécond, facile, inépuisable. 11 naquit
à Anvers, en 1600, et il eut l'honneur d'avoir un maître des plus habiles, Corneille de Vos. Il a dû voyager
dans sa jeunesse, mais son œuvre ne garde pas la trace d'études bien sérieuses. En 1628-1629, il entra
dans la corporation de Saint-Luc, dont il devait plus tard devenir doyen. Le catalogue du Musée d'Anvers
nous apprend, avec un grand luxe de détails, les noms de ses deux femmes et les prénoms de ses douze
enfants. On sait combien ces artistes flamands étaient féconds en toutes choses.
Jean Cossiers, qui mourut en 1671, laissa un bon nombre de tableaux d'église, quelques figures de
fantaisie et des portraits. Il se montre, dans les uns et dans les autres, infiniment au-dessous de Corneille
de Vos, dont il procède cependant. Son imagination active se plaisait aux compositions tumultueuses, et il
y a certainement des groupes heureux dans son grand tableau du Musée de Bruxelles, le Déluge. Mais
Cossiers pousse la facilité jusqu'à l'abus. Il est lâché de dessin, peu respectueux pour le caractère dans ses
portraits. Ses tableaux, peints trop vite, paraissent avoir souffert : son coloris abonde en tons jaunâtres ou
plutôt roux, qui marquent dans l'école d'Anvers le commencement de la décadence.
ANVERS (MUSÉE). L'Adoration des bergers. Le même sujet. LILLE. Saint Nicolas arrêtant le bras d'un bourreau prêt
Provenant tous deux de l'église des Jésuites. it trancher la tête d'un captif, signé J. Cossiers, 1660.
Un gentilhomme allumant sa pipe pendant qu'un valet lui LOUVAIN. Adoration des bergers (-J643).
apporte à boire (provenant de l'ancien palais des évêques MADRID. La Métamorphose de Lycaon. Prométhée. Narcisse.
d'Anvers). Nous reproduisons ci-dessous la signature de Cossiers.
La Flagellation (provenant de l'abbaye de Saint-Bernard).
Portrait d'un chirurgien, signé Cossiers FI.
BRUXELLES. Le Déluge universel.
JEAN BREUGHEL-LE-JEUNE
NE EN 1601. MORT APRÈS 1677.
—
On voit passer quelquefois, dans les ventes publiques, des paysages qui ressemblent singulièrement à ceux
de Breughel-de-Velours, mais qui sont moins vigoureux de ton et d'une exécution à la fois moins accentuée
et moins fine. Ces tableaux paraissent, en outre, accuser le faire d'un imitateur un peu plus moderne que
le maître: les catalogues, toujours téméraires, n'hésitent pas à les attribuer à Breughel-de-Velourslui-même:
la vérité nous oblige à déclarer qu'ils sont pour la plupart l'œuvre de son fils, Jean Breughel-le-Jeune.
Les biographes ne disent pas un mot de cet artiste; mais son existence nous a été révélée par un paysage
qui fut vendu à Paris le 20 mars 1857 et dont la date (1661) nous troubla profondément..Nous eûmes dès
lors le pressentiment vague que ce tableau et ceux que nous avions déjà vus de la même main devaient
être d'un fils inconnu de Breughel-de-Velours:le supplément au catalogue du Musée d'Anvers est venu
tout récemment donner une forme définitive à nos convictions ébauchées, en mettant en pleine lumière la
personnalité si longtemps indécise de l'artiste qui nous mquiétait.
Un sait que Breughel-de-VeIoursavait épousé en 1599 Isabelle de Jode, la fille du graveur. Il eut, au
mois de septembre 1601, un fils qui fut nommé Jean. C'est là notre peintre, Jean Breughel-le-Jeune.
Après avoir reçu de son père des conseils qui furent la leçon de sa vie et la raison d être de son talent,
il partit pour l'Italie, où Breughel-de-Veloursavait laissé de si bons souvenirs. Il
vit Gênes, Turin et Milan,
où il fut généreusement accueilli par l'archevêque Frédéric Borromée. De retour à Anvers en 1625, il épousa
l'année suivante Anne-Marie Janssens, la fille d'Abraham. Sa situation dans l'école contemporaine paraît
avoir été, sinon brillante, du moins honorée. Son père, Breughel-de-Velours, étant mort en 1625, Jean
hérita de la bienveillante amitié que lui avaient témoignée Rubens, Van Balen et les meilleurs maîtres du
temps. Breughel-le-Jeune fut même doyen de la gilde de Saint-Luc en 1630-1631. On ignore l'époque de
lui un tableau daté de 1661, et les
sa mort; mais, ainsi que nous l'avons dit plus haut, nous avons vu de
rédacteurs du catalogue du Musée d'Anvers nous apprennent qu'en 1677, il vivait encore.
Les tableaux de Jean Breughel-le-Jeune, ceux du moins qui peuvent lui être attribués avec certitude, sont
des réminiscences, parfois un peu effacées et affadies, des peintures de Breughel-de-Velours. Il peignait
Les grands artistes qui avaient
comme lui des paysages aux horizons bleus, des fleurs, des animaux.
travaillé avec son père ne dédaignèrent pas d'être ses collaborateurs. Ce fait prouve suffisamment qu'on
le tenait en quelque estime, ses tableaux sont d'ailleurs confondus le plus souvent avec ceux de Breughel-
de-Velours, bien qu'ils soient d'une exécution plus débile et d'une coloration moins vive. Nous croyons que
si l'on voulait étudier à fond la question, il serait facile de distinguer les œuvres du père de celles du fils.
DRESDE. Un petit paysage avec un cabaret, signé et daté VENTE DU 20 MARS 1857. Un paysage, signé Breughel,
1641. Un paysage boisé, Une tour au bord de la mer, datés 1661. Ce tableau, où dominaient les tons bleus pàles, est
tous deux 1642. évidemmentune œuvre de la vieillesse de l'auteur.
FRANÇOIS DENYS
NÉ VERS 1.6.. — MORT APRÈS 1655.
Une exposition de tableaux anciens, organisée à Anvers en 1855, nous a montré, à notre
grande surprise,
deux portraits de François Denys qui nous ont donné une haute idée de la valeur de ce maître inconnu.
Ces portraits, qui avaient été envoyés à l'exposition par Mme la baronne de Pret de
Calesbergh, sont ceux
fecit
de Pierre van Horne et de sa femme Barbe van Heylaer. Ils sont signés et datés François Denys
1637, et révèlent un artiste qui a dû connaître Van Dyck et qui le rappelle par la
sûreté de 1 exécution et
la rare élégance de ses attitudes.
Bien que, depuis l'exposition dont nous venons de parler, les érudits d'Anvers aient
entrepris quelques
explorations au sujet de François Denys, l'habile peintre demeure encore inconnu dans ses origines comme
'artiste, un
dans ses dernières années. Nous possédons toutefois, pour la période intermédiaire de sa vie d
commencement de preuve par écrit.
Martine
François Denys fut reçu maître de Saint-Luc à Anvers en 1631; il se maria l année suivante avec
de dire
Vleckhamer, qui lui donna sept enfants, et, vers 1655, il quitta la Flandre, sans qu'il soit possible
Musée d Anvers ne
où il alla se fixer et à quelle époque il mourut. Les rédacteurs du catalogue du
baronne de
connaissent d'ailleurs de François Denys que les deux portraits qui appartiennent à Mœe la
Calesbergh et dont nous avons dit un mot au début de cette note.
renseignement de
A ces informations, bien*incomplètes, mais déjà précieuses, nous pouvons ajouter un
quelque intérêt : il existe au Musée de Versailles un portrait de François Paulin de Brouchoven, seigneur
de Véchel, qui porte l'inscription suivante: François Denys fecit 1652. Le personnage,
jeune encore et non
main droite et s appuyant de la main gauche
sans élégance, est représenté debout, tenant son chapeau de la
sur le dossier d'une chaise. La figure est posée à la Van Dyck; mais, comme rien ne nous est plus cher
que la vérité, nous devons déclarer que ce portrait, d'une exécution lâchée et imparfaite, est infiniment
au-dessous des belles effigies de Pierre van Horne et de sa femme. C'est une œuvre de pratique et de
métier; c'est aussi, on peut le croire, la peinture d'un artiste vieillissant et déjà moins fort, parce qu'il est
moins sincère et moins près de son modèle Van Dyck. Ce portrait est curieux cependant, et nos amis
d'Anvers peuvent, dès à présent, en prendre note.
Il n'est pas inutile de' rappeler ici que Mariette a parlé de notre peintre, qu'il nomme François de Nys. Le
savant annotateur fait remarquer que Paul Pontius a gravé d'après lui les portraits de divers personnages
importants, et il en tire avec raison cette conséquence que l'habile portraitiste avait mérité l'estime de ses
contemporains.
François Denys laissa un fils nommé Jacques, qui naquit en 1644, travailla longtemps à Mantoue et à
Florence et ne fut jamais qu'un peintre médiocre. Nous ne le citons ici que pour mémoire, et seulement
pour mettre le lecteur en garde contre les éloges exagérés que lui donne Descamps. Le biographe des
peintres flamands semble le confondre avec son père: il cite de lui un Ecce homo « entièrement dans le
goût de Van Dyck. » Ne serait-ce pas là une œuvre de notre inconnu François Denys?
ANVERS. CABINET DE MME LA BARONNE DE CALESBERGH. ceux du baron de Beck, du comte de Hornes, du baron de
Portraits de Pierre van Horne et de sa femme (1637). Lamboy et du baron d'Oedt. — Corneille Waumans a gravé
VERSAILLES. Portrait de F.-P. de Brouchoven (1652). d'après le même maître un portrait de J. Gillis, abbé de
Les portraits que Pontius a gravés d'après F. Denys sont t.
Saint-Bernard-sur-l'Escau
SIMON DE VOS
NÉ EN 1603. MORT EN t676.
—
Malgré la similitude du nom, et quoi qu'on en ait pu dire, Simon de Vos n'est point le parent de l'excellent
portraitiste Corneille de Vos, mais il fut son élève, et au milieu de l'obscurité qui a si longtemps régné sur
la vie des artistes flamands, il est tout naturel qu'on se soit mépris sur le caractère des relations qu'eurent
ensemble des peintres du même nom. Toutefois on s'est plus gravement trompé, en attribuant à Simon de
Vos des portraits ou des tableaux religieux qui sont de Corneille, ou des animaux et des chasses qui sont
de Paul.
Né à Anvers en 1603, d'Herman de Vos et d'Élizabeth van Oppen, Simon ne fut pas, comme on l'a dit,
élève de Rubens. Il entra en 1615 dans l'atelier de Corneille de Vos, et cinq ans après, c'est-à-dire à
dix-sept ans, il fut reçu maître de Saint-Luc. Il épousa, en 1628, Catherine van Utrecht, la sœur du peintre
d'animaux. Nous ignorons s'il a fait le voyage d'Italie. Il vécut jusqu'en 1676, sans faire beaucoup parler
de lui.
A examiner les choses de près, il semble que Simon de Vos a injustement bénéficié des éloges dus à
ses homonymes. Reynolds, Mensaert, Descamps citent, en les admirant, des tableaux qui ne sont pas
ses œuvres, mais celles de Corneille de Vos. Mariette lui-même a failli s'y laisser prendre. Dans la réalité
des faits, si l'on enlève à Simon de Vos les ouvrages qui ne sont pas de sa main, il reste à dire quelle
fut sa valeur propre, et ici la difficulté commence, car ses tableaux authentiques sont assez rares. Ce
n'était pas cependant un médiocre artiste, puisque Rubens possédait un tableau de lui, et puisque Van Dyck a
fait son portrait, qui a été gravé avec la curieuse inscription : Simon de Vos in humanisfiguris majoribus
et minoribus Antverp. Il peignait donc, en grand et petit, tantôt des tableaux d'église ou des portraits,
tantôt des sujets de conversations, des festins, des scènes de fantaisie. Il fut le maître de Jean van Kessel.
Sa manière n'est pas sans quelque analogie avec celle de Corneille de Vos; mais son coloris est plus faible,
son exécution moins vigoureuse.
GRENOBLE. Portrait d'un jeune homme. petit tableau sur cuivre provenant du cabinet Desfriches.
LILLE. La Résurrection de Jésus-Christ. Rubens possédait dans sa collection un tableau de Simon
VENTE MIRON (1823). Les OEuvres de miséricorde, de Vos, l' Enfant prodigue.
Van Es, dont les biographes parlent à peine, est un excellent peintre de fruits, de gibier - et d'objets
inanimés. 11 fut baptisé à Anvers le 15 octobre 1606, et entra en 1620-1621 dans l'atelier d'un maître
inconnu, Omer van Lomnel ou Van Ommen. On a quelque raison de croire qu'au sortir de son apprentissage,
il fit une longue absence, car il n'obtint son brevet de maîtrise qu'en 1646-1647. Le portrait de Van Es a été
gravé par Wenceslas llollar, d'après Jean Meyssens. De récentes recherches de M. de Burbure ont prouvé
que notre artiste est mort entre le 18 septembre 1665 et le 18 septembre 1666.
Les tableaux de Van Es sont assez rares, ou du moins ils sont désignés, dans les collections d'amateurs
et dans les musées, sous un autre nom que le sien. Imitateur de Iléda, il se plaît à peindre des tables
chargées de victuailles, de flacons, de plats en métal ou en faïence. Sa manière est sobre, mais sans
sécheresse; il peint d'un pinceau léger et bien flamand. Son coloris est plein de finesse et d'harmonie. Le
temps n'est pas loin où l'on estimera à sa valeur ce maître encore si peu connu. i
ANVERS. Table chargée d'accessoires. Sur une table, recou- VIENNE. Un marché aux poissons. Boutique d'un mar-
verte d'un tapis verdâtre, se trouve une prune dans une chand de poissons. Les figures de ces deux tableaux sont
assiette d'étain, une coupe d'or, un couteau, un citron attribuées à Jordaens.
coupé, etc. (provenant du palais des évêques d'Anvers). Rubens avait chez lui deux peintures de Van Es : Un dé-
FRANCFORT. Des poissons sur une table de cuisine, signé jeuner et Un verre avec un jambon et un morceau de lard.
V:ES.f: Notre ami M. W. Burger possède deux excellents tableaux
LILLE. Un plat d'huîtres, une assiette de nèfles, un panier de Van Es.
contenant des raisins et des noix, etc. Ce charmant tableau.
qui provient de l'abbaye de Cysoing, est signé IV. ES. Nous
reproduisonscette signature.
MADRID. Un citron et des huîtres. Un verre de vin et des
raisins sur une table.
NICASIUS BERNAERT
NÉ VERS 1608. — MORT EN 1678.
ignoré en
Nicasius Bernaert a passé en France la plus grande partie de sa vie : aussi est-il presque
Flandre. D'après les registres de l'ancienne Académieroyale de peinture, il serait né à Anvers en 1608. On
le considère comme un élève de Snyders, et l'examen de son œuvre donne quelque
valeur à cette
apprend que
conjecture. Un document précieux, que nous avons contribué à mettre en lumière, nous
Nicasius- c'est ainsi qu'on l'appelait en France—était déjà fixé à Paris en 1643. Nicolas Wleughels
vint en France, vers
raconte, dans la curieuse notice qu'il a consacrée à son père, que, lorsque ce dernier
la fin du règne de Louis XIII, il fut accueilli par une compagnie d'artistes
flamands qui demeuraient au
qu'avant de
faubourg Saint-Germain, et parmi lesquels Nicasius était cité au premier rang. On suppose
l'Académie royale le
s'établir à Paris, il avait fait un voyage en Italie. Quoi qu'il en soit, il fut reçu à
17 octobre 1663, et donna, pour son morceau de réception, un tableau
représentant des fleurs et des fruits.
Lors de l'organisation de la manufacture des Gobelins, Nicasius fut attaché à l'établissement et Lebrun
l'employa à peindre, dans les patrons de tapisseries, des animaux et quelquefois des fonds de paysage. On
If
faisait cas de son talent. «M. Nicasius, a dit Claude-François Desportes, s'étoit acquis dans son genre une
réputation qu'il méritoit sans doute à plusieurs égards. Sans inventer ni dessiner d'un aussi grand goût que
son maître, il avoit fait paroître du génie dans ses compositions, de la correction dans son dessin, de la vie
et du mouvement dans les animaux, qu'il peignoit avec art.)) Le talent de Nicasius semble cependant avoir
subi, vers la fin de la vie de l'artiste, une éclipse presque complète. Lorsque notre habile peintre François
Desportes entra chez lui, vers 1674, le vieux Nicasius n'était plus que l'ombre de lui-même. « Il avoit, nous
dit-on, presque oublié totalement l'art de peindre et n'avoit conservé que la science de boire, dans
laquellgMl excelloit encore. Cette science fatale, qu'il avoit trop cultivée pendant le cours de sa vie, ne
l'avoit point du tout enrichi; il n'étoit plus question chez lui ni de cuisinière ni de cuisine; il n'avoit guère
de meubles, il avoit même peu de tableaux, et encore moins de dessins; aussi son école étoit-elle fort
déserte. »
Ces détails, que Claude-François Desportes tenait de son père, doivent être exacts. Nicasius Bernaert
mourut pauvre et oublié, le 16 septembre 1678. Ses tableaux, nombreux autrefois, sont devenus difficiles
à rencontrer. Sa manière est décorative et un peu lâchée, et, si l'on veut être juste, on ne peut considérer
Nicasius que comme un Snyders très-amoindri.
LOUVRE. Des lièvres et des oiseaux. — Un faisan, un ara du Palais-Royal, Nicasius avait envoyé un tableau repré-
et un oiseau aquatique. sentant des moutons et quelques chèvres.
DIJON. Un lièvre, un canard, un faisan et d'autre gibier. VENTE DU CARDINAL FESCH (Rome 1845). L'Abondance,
Il A l'exposition académiqueorganisée en 1673 dans la cour médaillon en grisaille, entouré de fruits et de fleurs.
t
VAN BOUCK
NÉ EN 16.. MORT EN 1673.
—
L'auteur du Cabinet des Singularitez, Florent Lecomte, a consacré à Van Bouck une note curieuse, et que
nous avons d'autant plùs d'intérêt à reproduire qu'elle constitue à peu près tout ce qu'on sait de la
biographie du maître. « Sneydre, écrit-il en son étrange. style, a fort bien fait les animaux morts et vivants,
comme aussi Van Boucle, son disciple, qui, par ses débauches, a toujours été gueux; mais, quoiqu'il soit
mort à l'Hôtel-Dieu de Paris, ses tableaux n'en sont pas moins estimez dans le cabinet du roi : ce dernier
mourut en 1673. »
Un autre renseignement sur Van Bouck nous est fourni par un document que nous avons déjà cité, le
mémoire de Nicolas Wleughels, sur la vie de son père. On y voit que, vers 1643, Van Bouck — ou Van
Boucle, selon l'orthographe française — faisait partie, avec Nicasius, Fouquières et quelques autres, du
groupe d'artistes flamands qui avaient établi au faubourg Saint-Germain le siége de leurs opérations. Le
Cabinet de M. de Scudery, publié en 1646, contient aussi un quatrain sur un grand tableau de fruits et de
fleurs, fait par Van Boucle, Linard et Louise Moilon. » Mais le nom de Van Bouck ne se retrouve pas dans
la liste des membres de l'Académie royale. Il paraît avoir travaillé aux Gobelins, et avoir été particulièrement
associé à l'exécution des modèles des tapisseries qui représentaient les Mois et dont les cartons sont
conservés au Musée de Versailles. Quant à sa mort misérable sur un lit d'hôpital, nous n'en savons que ce
que Florent Lecomte en a dit et nous aimerions à apprendre qu'il s'est trompé.
LOUVRE. Un valet gardant du gibier. quer nous donneraitl'initiale de son prénom, inconnu jusqu'à
DIJON. Un épagneul défend un morceau de viande qu'un présent.
levrier et un dogue viennent lui disputer. Signé P. V. B. DRESDE. Le catalogue rédigé par M. J. Hubner, attribue à
fecit anno 1643. S'il était prouvé que ce tableau est vérita- Van Bouck le portrait d'un Vieillard il barbe grise. Nous no
blement de Van Bouck, la signature que nous venons d'indi- savons ce qu'il faut penser de cette attribution.
JEAN VAN BOCKHORST DIT LANGEN-JAN
NÉ VERS 1610. MORT EC"i 1668.
—
Jean van Bockhorst, que ses camarades avaient surnommé Langen-Jan, à cause de sa liante taille,
n'est pas tout il fait un Flamand. Il est né à Munster, en Westphalie, vers 1fi10, mais il vint de bonne heure
étudier la peinture à Anvers, et il y choisit un maître excellent, Jordaens. Ses succès furent rapides : en
1633, il était maître de Saint-Luc. Sans obtenir jamais une réputation de premier ordre, il sut mériter
l'estime des corporations religieuses qui l'employèrent jusqu'à la fin de sa vie. Jean van Bockhorst, qui ne
paraît pas avoir quitté Anvers, mourut le 21 avril 1668 et fut enterré ï1 Saint-Jacques.
Malgré l'autorité qu'un maître tel que Jordaens devait exercer sur lui, Van Bockhorst ne fut'qu'à demi
lidèle aux leçons de ce grand peintre. Pour le suivre jusqu'au bout, il lui aurait fallu une fougue de pinceau,
une ardeur victorieuse qui lui manquèrent : aussi se tourna-t-il bien des fois du côté de Van Dyck. Il semble
surtout s'être inspiré de sa manière dans quelques portraits. Il a d'ailleurs touché à plus d'un genre : ses
grands tableaux d'église sont ceux qu'on rencontre le plus fréquemment; mais il a traité aussi des sujets
mythologiques,et l'on sait qu'il a peint des patrons de tapisseries.
ANVERS (MUSÉE). Le Couronnement de la Vierge, prove- LILLE. Le Martyre de saint Maurice et de ses compagnon,s
nant de l'abbaye de Saint-Bernard-sur-l'Escaut. (1661).
ÉGLISE SAINT-AUGUSTIN. Sainte Hélène tenant la vraie LONDRES. GALERIE BRIDGEWATER. L'Assomption de la
croix. Vierge. (Gravé dans la galerie Stafford.)
ÉGLISE DU BÉGUINAGE La Resurrectionde Jesus-Christ, avec MUNICH. Mercure, planant dans les airs, aperçoit Hersé,
. .
deux volets représentant Y Annonciation et YAscension. Ce fille de Cëcrops ; Ulysse découvre Achille déguisé en femme.
morceau, écrivait Descamps en 1754, est aussi beau que s'il — Ces deux tableaux forment pendants.
étoit de Van Dyck et entièrement dans sa manière. » VIENNE. Hersé se rendant au temple de Minerve.
GAND. SAINT-MICHEL.Conversionde saint Hubert (1666). VENTE SCIIAMP D'AVESCHOOT (Gand, 1810). Aaron, tête
L'ancien et le nouveau Testament. d'étude pour un tableau d'une église de Gand.
•
DAVID RYCKAERT
NÉ RN 1612. — MORT EN 16 61.
Divers artistes flamands ont porté le nom de Ryckaert, mais David, l'imitateur de Téniers, tut le plus
célèbre, et c'est d'ailleurs le seul dont il soit possible de caractériser le talent. Il naquit à Anvers en 1612;
il fut élève de son père, qui portait comme lui le prénom de David, et qui, d'après le témoignage de
Corneille de Bie, s'était acquis quelque réputation, en peignant, à peu près dans le style de Josse de Momper,
des paysages enrichis de montagnes, de rochers et de chutes d'eau. Mais David Ryckaert le fils adopta un
genre tout différent. Ami de Gonzalès Coques, qui avait épousé sa sœur, il se fit peintre de scènes familières
et de paysanneries. Il n'est pas douteux que le succès de Téniers n'ait beaucoup contribué à le pousser
dans cette voie.
Franc-maître de Saint-Luc en 1636, David Ryckaert épousa en 1647 Jacqueline Palmans, qui lui donna
huit enfants. En 1652, il devint doyen de la gilde. Il s'était attiré les bonnes grâces du gouverneur des
Pays-Bas, l'archiduc Léopold Guillaume, et il travailla beaucoup pour lui. Les amateurs de l époque
faisaient d'ailleurs grand cas de son talent ; aussi la fortune vint-elle frapper à la porte de son atelier.
David Ryckaert fit un bon emploi du produit de son travail : il possédait un cabinet de tableaux et d oeun,res
d'art. Il mourut à la fin de 1661 ou peut-être dans les premiers jours de 1662.
Ryckaert a beaucoup produit : par le choix de ses sujets, il peut être considéré comme un adhérent de
Téniers. Il aime il représenterles intérieurs de chaumière où des paysans prennent leurs repas, la taverne où les
buveurs se querellent, le chimiste au milieu de ses cornues, le médecin dans son officine, le peintre dans
son atelier. Parfois, lorsqu'il peint des figures isolées, il se plaît à les éclairer aux rayons d'une lampe, car
Ryckaert a plus d'une fois pensé à ses voisins les Hollandais, bien qu'il soit resté flamand par l'exécution.
Comparer Ryckaert il Téniers, ce serait lui rendre un mauvais service, ce serait donner cruellement la
mesure de la distance qui le sépare du lumineux peintre des kermesses, du brillant virtuose de la touche.
Ryckaert n'a point ce pinceau si habile à dire légèrement les choses; il n'a pas non plus ce coloris
argenté et cette transparence d'effet; mais il a de la verve, un certain sentiment de la comédie, des
colorations agréables et chaudes et sa négligence n'est pas sans esprit.
LOUVRE. L'Atelierd'un peintre. Sur un morceau de papier d'une lampe. Un Village pillé par des soldats, signé et daté
attaché à la muraille, on lit un monogramme à demi effacé, 1649.
et la date 1639.
VENTE SCHAMP D'AVESCIIOOT (Gand, 1840). Le Dîner à la
AMSTERDAM. L'Atelier d'un cordonnier.
ferme. La Partie de cartes.
ANVERS. La Fête villageoise (acheté en 1862 au prix de
1,705 fr.)
BRUXELLES. Un Chimiste dans son laboratoire, signé et
daté 1648. Nous reproduisonscette signature.
DRESDE. Une Famille de paysans. Même sujet.
FRANCFORT. Un tableau signé D. Ryckaert. a. 1639.
MONTPELLIER. Un Arracheur de dents (signé D. Ryckaert).
,)Iu,NicH Un Festin de paysans.
.
VIENNE. Une Sorcière. Foire de village, signé Davide Ry-
kaert fecit Antverpie 1648. Un vieillard lisant à la clarté
JACQUES D'ARTHOIS
NÉ EN 1613. —MORT EN 1 665.
Nous rendons à ce maître, qu'on appelle ordinairementJacques van Artois, le nom véritable qu'il a pris
soin d'inscrire lui-même sur ses tableaux. Né à Bruxelles en 1613, il ne paraît pas, ainsi qu'on l'a dit,
avoir reçu les leçons de Jean Wildens, mais bien celles d'un peintre peu connu, Jean Mertens, chez qui il entra
en apprentissage en 1625. Jacques d'Arthois étudia la nature dans les environs de Bruxelles : le genre
adopté par le paysagiste Louis de Vadder paraît aussi avoir exercé quelque influence sur son talent. Reçu
maître en 1634, il produisit beaucoup et parvint à s'enrichir; mais ayant dissipé un peu follement la
fortune qu'il avait amassée, il mourut pauvre en 1665.
Jacques d'Arthois n'est pas un paysagiste de la grande race; il avait cependant un pinceau facile, de
l'imagination, une manière large de voir la nature. :Dans ses tableaux de vaste dimension, il est quelque
peu lâché et décoratif. Les sites qu'il se plaisait à reproduire sont empruntés pour la plupart aux vertes
campagnes du Brabant, mais il trouvait cette nature trop familière, et il s'ingéniait à accidenter ses
perspectives, à élargir ses horizons. Nous préférons les paysages qu'il a traités dans le mode naïf.
Médiocrementhabile à peindre les figures, il eut souvent recours, pour étoffer ses tableaux, au pinceau, de
Van Herp et de David Téniers lui-même. Par contre, il a quelquefois peint des fonds de paysage dans les
compositions de Gaspard de Crayer et de Gérard Seghers. On doit donc avoir plus que de l'estime pour
Jacques d'Arthois; mais ce serait exagérer beaucoup que de dire avec Pilkington que la force de son
coloris fait songer à la puissance du Titien.
AIX-LA-CHAPELLE. GALERIE SUERMONDT. Un paysage. L'Hiver, figures de Pierre Bout. La Lisière du bois (aehett"
BRUGES. ACADÉMIE. Paysage boisé, signé: Jac. d'Arthois. 1,600 fr. en 1846). Deux autres paysages.
BRUXELLES. Le Retour de la kermesse, figures attribuées DRESDE. Trois paysages.
ilDavid Téniers le Vieux. Tableau signé Jacques d'Arthois, I)IUNICII. La Chasse au cerf.
et acheté en 180i, 242 fr. VIENNE. François (leborgia et son compagnon priant dans
un paysage. Saint Stanislas secouru par les anges. Les
figures de ces deux tableaux sont de Gérard Seghers.
VFNTÈ BLONDEL DE GAGNY. 1776,Chasse aucerf, 300 livres.
BERTHOLET FLÉMALLE
NÉ EN 1614. MORT EN 167o.
—
Les Archives de l'Art français ont publié sur ce peintre une lettre écrite par son neveu en 1711, et
qui nous autorise à substituer le nom de Flémalle à celui de Flemael, qui a été longtemps donné à notre
artiste. Né à Liége en 1614, Bartholomé ou Bertholet Flémalle tenait à une famille de peintres. Après
avoir étudié son art sous Gérard Douffet, il partit vers 1638 pour l'Italie et s'arrêta quelque temps à Rome
et à Florence. En revenant, il traversa Paris : nous n'avons encore que des données incertaines sur ce
premier séjour de Flémalle en France; mais nous savons que, protégé par de hauts personnages, -et
notamment par le chevalier Séguier, il fut chargé de travaux considérables.
Son œuvre principale fut la coupole de l'église des Carmes-Déchaussés, qui existe encore rue de
Vaugirard. « Les peintures dont le dôme est orné, dit Germain Brice, sont remarquables par leur beauté.
Elles sont de Bertholet Flemael peintre, originaire de Liége et chanoine de cette ville, qui y a représenté
l'enlèvement du prophète Élie dans un chariot de feu. Le saint prophète laisse tomber son manteau à
Elisée son disciple, qui tend les bras pour le recevoir, accompagné de plusieurs ligures diversement
disposées. Cette peinture est d'une grande manière. » Germain Brice ajoute que cette décoration a été
réparée en 1711 : nous croyons qu'elle a, en même temps, été rajeunie; certains détails, en effet, paraissent
inspirés par le goût maniéré qui allait prédominer au dix-huitième siècle. L'ensemble présente ce caractère
italico-français qui obtint tant de vogue sous Louis XIV. La gravité et le sentiment religieux font
complètement défaut à l'œuvre de Flémalle; mais il faut rendre à l'artiste cette justice que, chargé de
décorer une coupole assez faiblement éclairée, il a eu le bon esprit d'adopter un système de coloration
clair et lumineux, et qu'il s'est tiré habilement de la tâche difficile qui lui était imposée.
Après avoir exécuté à Paris quelques autres travaux moins importants, Bertholet Flémalle retourna dans
les églises de Liége ;
son pays vers 1647. Pinceau facile autant que laborieux, il travailla beaucoup pour
de grands personnages, et même .le roi de Suède surent aussi mettre à profit son talent. Mais ces succès ne
faisaient point oublier à l'artiste liégeois l'accueil qu'il avait reçu en France lors de son premier voyage.
11 résolut donc d'y revenir, et nous savons en effet qu'il était à Paris en 1670 : on
le traita suivant ses
mérites, et le 16 octobre il eut la joie d'être nommé membre de l'Académie royale de peinture, qui lui
conféra en même temps le titre de professeur. Toutefois Bertholet ne fit qu 'un court séjour à Paris, et après
avoir fait placer dans la grand'chambre du roi, aux Tuileries, un plafond représentant la Religion, il
retourna à Liège, où il devint chanoine de la collégiale de Saint-Paul. Il mourut dans sa patrie le
18 juillet 1675.
Bertholet Flémalle, il est à peine utile de le dire, avait presque complétement perdu dans ses voyages
développé
l'accent vigoureux de l'école flamande. Il s'est formé à Rome et à Florence, et c est à Paris qu 'il a
à
les germes de son talent. Sa grande peinture de l'église des Carmes est bien des égards une œuvre
inspirée
qui, par la liberté fastueuse
par le style des décorateurs italiens de la décadence ; c'est aussi une œuvre
prépare le
de son allure, la désinvolture des personnages et le mouvement des draperies volligeantes,
notions qu 'on peut
succès de l'école de Versailles. La manière de Bertholet Flémalle confond toutes les
d
a'voir sur la géographie : ne donne-t-elle pas à croire que Liége est à trois cents lieues Anvers
?
PARIS. ANCIENNE ÉGLISE DES CARMES. Le dôme, représen- tOUVRE. Les Mystères de l'Ancien et dit No?ti-('rit, Testa-
tant Y Enlèvementd'Elic. ment.
BRUXELLES. Le Châtiment d'Héliodore, tableau acheté à CAEN. Adoration des Bergers. Ce tableau, envoyé
par le
Liégeen18U, au prix de 2,415 fr. musée central en l'an XII, provientd'une église de Liège.
DRESDE. Pélopiclasprend les armes jiour chasser les Lace- VENTE DU COMTE DE FRAULA (Bruxelles 1738). Massacre
d,e'm,oniensde la forteresse de Cfldmée. des Innocents, 335 florins.
THÉODORE BOEYERMANS
NE EN 1620. MORT VERS 1 677.
—
PIERRE ROEL
:'iÉ EN 1 TFSI. — MonT YEnS 1702.
Dans la notice que nous avons consacrée à Jean Fyt, notice dont les principales données sont empruntées
au catalogue du musée d'Anvers , nous avons, comme tout le monde, attribué à l'heureux rival de Snyders
le tableau de ce musée qui représente deux aigles dévorant leur proie. Par son énergie et par la hardiesse de
1 exécution, cette peinture ne nous paraissait pas indigne de Jean Fyt : mais, dans ces délicates questions, il
y a toujours place pour une erreur. Les savants auteurs du catalogue d'Anvers ont examiné de nouveau le
Repas de l'aigle, et, tout bien considéré, il paraît vraisemblable aujourd'hui que ce tableau n'est pas de
Jean Fyt, mais de Pierre Boel.
Ce Pierre Boel est d'ailleurs un peintre vigoureux, qui mérite à bien des égards de figurer dans notre
galerie. Il naquit à Anvers en 1622 ; la première partie de sa vie est médiocrement connue, et l'on ignore
quel fut son maître. On peut toutefois supposer qu'il se forma par l'étude de Snyders et de Jean Fyt, avec
lequel il a surtout de l'affinité. Il n'est pas moins savant que lui dans le choix de ses colorations, qui sont
toujours harmonieuses et fines.
D'après Corneille de Bie, Pierre Boel fit dans sa jeunesse un voyage en Italie. Il séjourna quelques années
à Rome, et nous croyons qu'il traversa la France en revenant dans sa patrie. Quoi qu'il en soit, il se maria à
Anvers en 1650, et sa femme, Marie Blanckaert, lui donna deux enfants.
A une date que nous ne saurions fixer d'une manière précise, mais qui est postérieure à 1663, Pierre
Boel vint à Paris. La manufacture royale des Gobelins venait d'être organisée sous la conduite de Lebrun.
Pierre Boel paraît y avoir été employé à peindre, dans les patrons de tapisseries, des animaux et des oiseaux.
Nous croyons du moins le reconnaître dans le « Boëls, peintre d'animaux», que M. Lacordaire mentionne
au nombre des artistes employés à donner des modèles aux tapissiers de Louis XIV.
Félibien, qui a parlé
aussi des travaux de notre peintre, l'appelle Boule, l'usage étant alors d'accommoder à la française
l'orthographe des noms des artistes étrangers.
La date de la mort de Pierre Boel a longtemps été ignorée; mais les renseignements consignés dans le
supplément au catalogue du musée d'Anvers nous autorisent à penser que l'habile maître a du mourir en
1702 ou 1703.
ANVERS. Le Repas de l'aigle. (C'est le tableau qui était MADRID. UnLièvre mort, un Cygne, et d'autres oiseaux
autrefois attribué à Jean Fyt.) gardés par trois chiens, dans un paysage.
Diverses pièces de gibier et des attirails de chasse réunis MUNICH. Deux Chiens de chasse gardant du gibier.
ii l'entrée d'un parc, tableau provenant de la vente Van den VENTE PLATTENRERG, 1774. Gibier, dans un paysage (220.).
Schrieck (407 francs). Pierre Boel a gravé à l'eau-forte quelques pièces d'une
GA?<D. Un Lièvre morte, t d'autres gibiers, excellenttableau exécution spirituelle et hardie.
de la coloration la plus vive et la plus délicate. A la vente du comte Rigal, en 1817, une épreuve de la
Chasse au Sanglier, fut payée 60 fr.
Nous ne possédons sur Gilles van Tilborgh ou Tilborg que des données insuffisantes et incertaines.
Dépourvues de toute garantie authentique, les dates de sa naissance et de sa mort, telles que nous venons
de les indiquer, ne sauraient être considérées que comme approximatives. On le croit fils d'un peintre
d'Anvers qui aurait porté le même prénom que lui et qui serait mort en ,1632. Mais laissons Iii les
hypothèses. Deux faits seulement sont certains, c'est que Van Tilhorgh est né à Bruxelles et qu'il fut admis
dans la corporation des peintres de cette ville le 26 mars 1654. M. le comte de Vence possédait, au
dix-huitième siècle, un tableau de Tilborgh qui représentait un Estaminet de paysans, et qui était daté
de 1658. Les érudits de Bruxelles devraient vraiment nous rendre le service de compléter, par des
recherches nouvelles, la biographie si mal connue de ce maître.
A en croire les dictionnaires, Van Tilborgh aurait été l'élève de David Téniers : l'assertion n'a rien
d'invraisemblable, et pourtant, lorsque nous examinons son œuvre, il nous paraît bien plus voisin encore
de François Duchâtel. Il a pris à Téniers le choix de ses sujets : intérieurs de tavernes, festins de paysans,
kermesses champêtres; mais il semble avoir emprunté à Duchâtel, et aussi à David Ryckaert, ses colorations
chaudes et parfois un peu opaques. Van Tilborgh a d'ailleurs été un peintre facile et fécond, et il est étrange
qu'on sache si peu à propos d'un artiste qui paraît avoir joui d'un certain prestige aux yeux des amateurs
de son temps. Pilldngton va jusqu'à dire, — mais nous n'en voulons rien croire, — que ses tableaux
furent un instant préférés à ceux de Téniers.
BRUXELLES. Les Princes de Ligne, de Chimay, de Rubem- Scène familière, signé Tilborgh fec. et inl'. Nous reprodui-
pre, de la Tour-et-Taxis et le duc d'Aremberg sortant il sons ci-dessous cette signature.
cheval du palais des ducs de Brabant. (Acheté en 1830, VENTE nu CARDINAL FESCH (Rome, 1843). Un Banquet
165 florins.) villageois.
DRESDE. Kermesse flamande.
LILLE. Fête de village (signé d'un monogramme formé
d'un T et d'un B). Ce monogramme est suivi d'une date dif-
ficile à lire, mais dont les premiers chiffres paraissent être
un 1 et un 5. Si cette énigme était un jour expliquée, la Fcte
de village serait l'œuvre de Van Tilborgh le Vieux.
JEAN SIBERECI-ITS
NÉ EN 1 627. MORT EN 170
—
Descamps nous jette dans des surprises extrêmes, lorsqu'il prétend que les paysages de Jean Siberechts
peuvent être confondus avec ceux de Berghem et de Karle Dujardin. Loin de ressembler à ces maîtres,
Jean Siberechts est un pur flamand, qui n'a pas grand souci de l'Italie, qu'il ignore, et qui peint, sans se
préoccuper de ridéal, des prairies très-vertes, des terrains humides et des rangées de peupliers ou de sailles.
Issu d'une famille de sculpteurs, il naquit à Anvers en 1627 ; on ne sait trop quel fut son maître. Il fut
reçu dans la gilde de Saint-Luc en 1648-1649, et il épousa peu après Marie-Anne Croes, qui lui donna deux
enfants. Sans parvenir jamais à la gloire, sans pouvoir lutter avec Wildens et avec Van Uden, Siberechts
mena à Anvers une vie tranquillementoccupée. 11 y demeurait encore en 1662, alors que Corneille
deBie
publia son Gulden Cabinet.
Quelques années après, une autre existence commença pour Jean Siberechts. Le duc de Buckingham,
traversant la Flandre en revenant de Paris, entra en relations avec notre paysagiste, qui se laissa emmener
en Angleterre. Dès lors, c'est à Vertue et à Horace Walpole qu'il faut demander des renseignements
sur Siberechts. D'abord employé par le due, qui le fit travailler à Cliefden, il resta en Angleterre après la
mort de son protecteur, survenue en 1688. Au temps de Walpole, les résidences aristocratiques de la
Grande-Bretagne contenaient plusieurs peintures de Siberechts, et aussi des aquarelles ou des gouaches
qui, nous dit-on, étaient plus faciles à rencontrer que ses tableaux. Il mourut en Angleterre en 1703.
Siberechts a aimé la nature familière de son pays, et toujours il lui est resté fidèle. En bon Anversois
très-simples
qu il était, il s'est volontiers préoccupé de la couleur : nous avons vu de lui plusieurs paysages,
de motif, où il s'est complu à faire briller le vêtement rouge d'une femme sur les tendres verdures d'une
prairie; la combinaison harmonieuse de ces deux tons lui souriait plus que toute autre. Mais Siberechts,
comme Wildens et les élèves de Rubens, a peint quelquefois dans la gamme chaude et brûlée. Son pinceau,
médiocrement attentif à la précision du dessin, est plein de vigueur, de caprice et de liberté.
ADRIEN GRYEF
VIVAIT DANS LA SECONDE MOITIÉ DU tIX-SEPTIÈME SIÈCLE
porté au
Avouons loyalement notre ignorance. D'après les textes, deux peintres flamands paraissent avoir
dix-septième siècle le nom de Gryef; tous deux se sont distingués dans la représentation des animaux, des
pièces de gibier, des objets inanimés ; mais on' ne sait pas si, comme l assure Campo Weyerman, ils
étaient frères, ou si, comme on est tenté de le supposer, Gryef le Jeune est le fils de Gryef le Vieux. Le
prénom d'Adrien, que nous avons inscrit en tête de ces lignes, a même été contesté: Nagler prétend que
Gryef s'appelait Antoine. Les dates ne sont pas moins incertaines. Le catalogue du
musée de^ Lille nous
né à Anvers
apprend seulement, mais sans citer son autorité, qu'un Gryef — le second, sans doute,
en 1670, fut recu maître de Saint-Luc en 1700 et se fixa
ensuite à Bruxelles, où il mourut en 1715.
qui, d après le
Pour nous, et en ne tenant compte que des tableaux, nous ne connaissons qu 'un Gryef,
paraît pas
caractère de ses œuvres, a dû travailler pendant la seconde moitié du dix-septième siècle; il ne
peut-être a-t-il travaillé avec Jean Fyt.
avoir été élève de Snyders, dont il n'a ni la largeur ni la puissance;
les plumages des
Il excelle à peindre le gibier; son pinceau, exact sans minutie, rend très-habilement
Combien il
oiseaux, le pelage soyeux des lièvres, et aussi les colorations délicates des fruits et des plantes.
quelques lignes à la
est à regretter que les historiens de l'art n'aient pas jugé à propos de consacrer
'exéctitioii, se
biographie de ce peintre, qui annonce déjà la décadence, niais qui, par la finesse de l
recommande encore à la sympathie des curieux !
LOLVRE. Paysage O¡;f(' des pièces de gibier, signé, : VENTE Dt PRINCE DE KIBEMPRK (Bruxelles H65). Gibier.
.t. Gryef f. 1)70 florins.
ANGLETERRE. COLLECTION M COLONEL WYNI)IIA)I. Deux VENTE DU CARDINAL FESCH (Homo 1845). Gibiei mort.
sujets de chasse.
DIJON. Deux lièvres, des perdrix, une becasse, etc.
LILLE. Légumes et fruits, signé A. Gryef f. Nous repro-
duisons cette signature.
NANTES. Cavaliers débouchant dans un chemin creux.
L'authenticitéde ce tableau n'est pas établie.
GILLES SMEYERS
NK EN 16,15. - MORT KN 1710.
Nous touchons, avec Gilles. Smeyers, au moment où les écoles vont de plus plus mêler
en se et
se confondre,
ou l accent flamand va commencer à s'effacer. Aux peintres qui n'ont connu ni Rubens, ni Van Dyck,
il semble avoir manqué un puissant élément d'instruction. Gilles Smeyers fut
un de ceux-là. Né à Malines
en 1635, il entra dans l'atelier de Jean Verhoeven, et, dès sa jeunesse jusqu'à la fin de sa vie, il peignit,
sans faire beaucoup parler de lui, des tableaux religieux pour les églises et les couvents de la province.
On ignore s 'il a voyagé, et cependant. l examen de
son œuvre semble prouver qu'il a connu l'art
contemporain et même l'école française. Il mourut à Malines en 1710.
Mensaert, dans son Peintre amateur et curieux, Descamps, dans
son Voyage pittoresque, nous
fournissent quelques renseignements sur les tableaux dont Gilles Smeyers avait décoré les églises de
sa
ville natale. Il avait peint pour les Dominicains, saint Pierre,
saint Paul et saint Dominique; pour
Sainl-Rombault, l'Açsonîpti,*oîz de la Vierge, Il travailla aussi
pour les abbayes d'Afflighcm et de Ninove.
Tous ces ouvrages sont plus ou moins dispersés aujourd'hui; mais le musée de Bruxelles recueilli deux
a
tableaux
.
Saint Norbert consacrant deux diacres et la Mort de saint Norbert, — qui peuvent être cités
au premier rang dans l 'œuvre du maître. Ce sont de grandes peintures claires et faciles, bien composées
d 'ailleurs, et doucement harmonieuses dans leur coloration pâlie. Smeyers aimait les effets
tendres et
discrets; il mettait partout des tons gris, argentins, bleuâtres, qui sont évidemment
sans force, .mais qui
ne sont pas sans distinction. Nous ne voulons étonner personne; nous devons avouer, toutefois, que
Gilles Smeyers nous a bien souvent fait songer à Subleyras.
BRUXELLES. Saint Norbert consacrant deux diacres. MALINES. EGLISE SAINT-JEAN.— Jésus-Christ
— entouré de
Mort de saint Norbert. divers saints. Signé : G. Smeyers.
ADRIEN-FRANÇOIS BOUDEWYNS
NÉ EN 1644. — MORT VERS 1700.
de la
L'œuvre facile, mais sans caractère, de Jean van Orley marque un nouveau pas dans la voie
décadence. Bien qu'il ait eu, aux premières années du dix-huitième siècle, une sorte de réputation, nous ne
éloge. Nous trouvons cependant
voyons pas que les biographes aient pris grand soin de nous conserver son
dans le Peintre amateur, de G. Mensaert, quelques renseignements qui, à défaut d'autres, constituent un
né à Bruxelles le
commencement d'informations. A en croire l'artiste écrivain, Jean van Orley serait
4 janvier 1665; il fut élève de son oncle, qui était religieux récollet et
qui passait pour avoir du talent.
l 'ai-t, italien
Mais Van Orlev fut surtout ainsi mw. le prouve son œuvre. le disciple de son temps, a connu
il
tel (lue t'entendait Pierre de Coftone, il a connu les maîtres français du règne de Louis Xl\; aussi a-t-il
fait prédominer dans sa manière l'élément décoratif, l'improvisation, la recherche du succès facile. Une
partie de sa vie a été consacrée à donner des patrons pour les fabriques de tapisseries de Bruxelles. « Ce
travail, dit assez étrangement Mensaert, a été la cause qu'il est tombé de son coloris naturel, qui étoit assez
délicat, et qu'il a donné dans le goût des couleurs burlesques. » A vrai dire, le coloris de Jean van Orley
n'est pas plus « burlesque » que celui des peintres de son temps et de Mensaert lui-même. Mais l'artiste
était fort employé par les maîtres tapissiers; il fallait, pour leur complaire, peindre au galop, inventer des
allégories, rajeunir les vieux symboles mythologiques; la perfection du travail n'était plus qu'une question
secondaire. Jean van Orley était toujours prêt. Il peignit le plafond de la Chambre du Greffe à l'hôtel de
ville de Bruxelles, et de nombreux tableaux pour les églises et les couvents des environs. Il mourut
le 22 février 1735, « laissant à ses héritiers, dit Mensaert, de très-bonnes rentes en biens-fonds. »
Jean van Orley avait un frère aîné, nommé Richard, qui, dans un art différent, ne fut guère moins célèbre
que lui. Né à Bruxelles en 1663, il fut aussi l'élève de son oncle le récollet. Mensaert, qui parle avec
complaisance de Richard van Orley, raconte « qu'il donnoit dans la mignature, et qu'il lavoit à l'encre de
la Chine, sur papier blanc, d'une grande propreté». Nous connaissons, en effet, des miniatures de Richard
van Orley. Ce qui y manque le plus, c'est l'esprit; mais nous ne croyons pas qu'il soit possible de pousser
plus loin le soin scrupuleux de l'exécution et les caresses minutieuses du pinceau. Richard aimait à traiter
des sujets empruntés à la mythologie, et, pour le sentiment de la poésie antique, il est exactement à la
hauteur des Coypel. Il a dessiné au crayon, ou peint à la gouache, de nombreuses vignettes dontles libraires
de son temps ont illustré leurs livres; il a lui-même gravé quelques estampes d'après Rubens et d'après
son frère, car la complaisance de son éclectisme lui permettait d'aflmirer ce qui s'exclue. Descamps
prétend que Richard van Orley aurait produit encore davantage s'il n'avait accepté les fonctions de
contrôleur des rentes de la ville de Bruxelles. Il mourut, d'après Mensaert, le 6 juin 1732, et fut enterré,
comme son frère, à Saint-Géry, sous la pierre tombale de Bernard van Orley; ils avaient en effet l'un et
l'autre la prétention de descendre de l'habile artiste du seizième siècle, dont M. Wauters nous a raconté
l'histoire.
BRUGES. CATHÉDRALE DE SAINT-SAUVEUR. La Pêche mira- Le musée d'Anvers possède un tableau (la Rentréedu pape
culeuse. La Madeleineaux pieds du Christ. Innocent II à Rome), qui provient de l'abbaye de Tongerloo
On conserve dans la sacristie de la même église huit et que le catalogue attribue à Richard van Orley.
grandes tapisseries exécutées par Van der Borght, d'après On a vendu à Paris, le 2 mai 1862, deux miniatures mytho-
les dessins de Jean van Orley. logiques de Richard van Orley. L'une a été payée 830 fr.,
Richard van Orley a gravé, d'après les compositions de l'autre 2,130 fr. La première était signée R. V. Orley 1697.
son frère, une suite de vingt-huit sujets tirés du Nouveau Cette signature nous permet de rétablir le véritable nom de
Testament l'artiste, dont Mensaert avait altéré l'orthographe.
THÉOBALD MICHAU
NÉ EN 1476. —MORT VERS 1769.
Théobald Michau paraît avoir hérité, au commencement du dix-huitième siècle, de la vogue que s'étaient
acquisè les pinceaux fraternellement associés de Boudewyns et de Pierre Bout. Insatiables dans leur
curiosité, les amateurs demandaient toujours des perspectives animées de milliers de personnagesj
des marchés en plein vent, des danses rustiques au seuil des tavernes égayées. Michau donna
généreusement aux amateurs ce qu'ils exigeaient de son zèle. La date de sa naissance paraît pouvoir être
fixée à 1676; mais les uns le font naître à Bruxelles, les autres à Tournai. Pilkington ajoute, non sans
quelque vraisemblance, qu'il se forma dans l'atelier de Pierre Bout. Michau étudia aussi les paysanneries
de Téniers. Sa biographie reste d'ailleurs à faire. Si Descamps n'a pas parlé de lui, c'est que l'artiste vivait
Michau était allé se lixer à Anvers, et l'on
encore à 1 heure ou il écrivait son livre. Un peu avant 1755,
vente après décès, dont le catalogue nous a
assure qu'il y vécut jusqu'en 1769. Un fait certain, c'est que sa
des tableaux de sa
été conservé, eut lieu à Anvers le 15 juin 1772. Sa collection ne contenait guère que
main.
celle de Téniers, qui passe
Dans la manière facile et légère que Michau s'était faite, il reste bien peu de
dix-huitième siècle y sont au contraire nettement
pour avoir été son modèle. Les caractères de l'école du
dans
écrits. Michau n'est pas un peintre tout à fait sérieux : il compose avec esprit, il groupe savamment,
délavé, et ses peintures rustiques
des paysages gais, des multitudes de figurines; mais son coloris est pâle et
familier doit être cherché dans
ont peu d'accent, surtout lorsqu'on songe que le point de départ de cet art
Breughel.
VENTE PRINCE DE RUBIDIPRÉ (Bruxelles 1765). Quatre
CAEN. Un Paysage. DU
CHARLES BREYDEL
NÉ F. N 1677. —MORT EN 1744.
de ces artistes
Charles Breydel, ou le chevalier Breydel, ainsi qu'il aimait à se faire appeler, est un
après le succès, et
capricieux comme on en rencontre tant au dix-huitièmesiècle. Il a passé sa vie à courir
il paraît avoir été doué d'un singulier besoin de
locomotion. Son talent a souffert de ces mœurs voyageuses.
Né à Anvers en 1677, il fut élève de Pierre Rysbraeck, mais c'est en
Allemagne, à Francfort, à Nuremberg,
tard à Amsterdam, il se lia
à Cassel, qu'il apprit véritablement son métier. Dans une excursion qu'il fit plus
de Vos, qui l'employa à copier les œuvres de quelques maîtres plus
avec un marchand de tableaux, Jacques
quantité considérable
anciens, et entre autres de Jean Griffier. Charles Breydel peignit à cette époque une
de bateaux et bordé de montagnes ou
de vues du Rhin, ou plutôt d'un fleuve un peu chimérique, chargé
aussi d'un grand secours : il devint
de constructions pittoresques. L'étude des tableaux de Breughel lui fut
mieux qu 'il oubliait le mieux sa
savant dans le pastiche, et, chose triste à dire, il réussissait d'autant
propre personnalité.
Breydel revint ensuite à Anvers, se maria avec Anne Bullens, dont il eut
cinq enfants, et sans trop se
Bruxelles en 1724, à Gand en 1727, à
soucier de sa famille, il reprit sa vie errante : nous le retrouvons à
où Anne Bullens l'attendait toujours.
Bruxelles encore un peu plus tard, partout enfin, excepté à Anvers,
été le grand Rubens, il sentit le
Cependant Breydel vieillissait : tourmenté de la goutte, comme l'avait
fixer à Gand, et c'est là qu 'il
besoin d'asseoir enfin sa vie inquiète et dissipée : il revint, en 1737, se
mourut en 1744.
de l'art, meilleure que la première. Il avait
La seconde partie de la vie de Breydel fut, au point de vue
à renoncé au pastiche, et, après avoir étudié Van der Meulen et les autres peintres de sujets
peu peu
capable, à la peinture anecdotique des
militaires, il s'était consacré, avec toute la gravité dont il était
médiocrement historiques, mettent aux
batailles. C'est dans ce genre qu'il a le mieux réussi. Ses tableaux,
Breydel emmêle spirituellement les groupes.
prises des Allemandsinexacts avec des Turcs de fantaisie; mais
il peint assez bien les chevaux, et, grâce à des
qualités peu sévères, il jouit encore de quelque estime
auprès des curieux qui se plaisent aux batailles enjouées.
de cavalerie. Deux tableaux provenant tailles est signée C. Breydel. Nous reproduisonscette signa-
BRUXELLES. Chocs
de l'abbaye de Saint-Bernard-sur-l'Escaut. L'une de ces ba- ttire.
CABINET DU DUC D'ARENBERG. Combat de cavaliers.
VENTE GUIGNON (1774). Deux Batailles turques, 499
livres.
VENTE PARR (1802). Scènes des guerres civiles de h
Flandre, deux tableaux, 980 fr.
GUILLAUME-JACQUES HERREYNS
NÉ EN 1 748. —MORT EN 1827.
Guillaume Jacques Herreyns est, à bien des égards, le dernier des Flamands. Il a vu s'éteindre l'art
facile du dix-huitième siècle, il a assisté à la renaissance pseudo-antique inaugurée par l'école de David,
et s'il avait vécu quelques jours de plus, il aurait vu la peinture belge s'affranchir et se régénérer de
nouveau. Né à Anvers en 1743, il suivit les cours de l'Académie, et après y avoir remporté plusieurs prix,
il y professa, dès 1765, la perspective et le dessin d'après l'antique. Il reçut ensuite la mission d'organiser
l'académie de Malines, et, en 1780, il fut nommé peintre du roi de Suède.
Pendant la période révolutionnaire, Herreyns rendit à l'art des services de toutes sortes. Il déploya
le plus grand zèle pour sauver les tableaux et les statues des églises. En 1800, il devint professeur de
l'école spéciale de peinture d'Anvers, et lorsque l'Académie fut réorganisée, en 1803, il fut maintenu
dans ses fonctions, ses aptitudes le rendant éminemment propre à l'enseignement. Le vieux peintre mourut
à Anvers le 10 août 1827.
L'œuvre de Guillaume-Jacques Herreyns est un compromis entre le style des diverses écoles de son
temps. Son dessin est plus correct que celui des maîtres du dix-huitième siècle, mais il est froid et sans
accent. Herreyns eut pourtant la force de résister aux dangereuses doctrines qui, sous le règne de David,
traversèrent la frontière et envahirent la Belgique. Tout prouve qu'il avait conservé au fond du cœur le
souvenir des grandes traditions de l'école flamande ; seulement, le monde était si sage autour de lui qu'il
n'osait faire passer dans son œuvre l'ardeur secrète de ses vieilles admirations. Il a surtout péché par le
coloris : ses tableaux sont exécutés dans une gamme brune ou rougeâtre qui montre à quel point Rubens
et Van Dyck étaient peu compris à cette malheureuse époque de l'histoire de l'art. Le nom de Herreyns
ferme donc assez tristement la liste des glorieux maîtres de l'école flamande, et rien, dans son œuvre
trop prudent, ne pouvait faire prévoir l'heureux réveil qui s'est produit dans l'art de nos voisins, ou pour
mieux dire, de nos amis.
ANVERS. EGLISE NOTRE-DAME. La Cène. Le Musée de Malines possède, en outre, un certain nombrp
MUSÉE. Portraits de J. Ghesquière (1793), de Jacques de de dessins de G. Herreyns, exécutés de 1771 à 1775.
-
Bue, de G.Hermans, etdeJ.-J. deBrandt (1809). Le Der-
nier soupir du Christ, signé Pinxit G. Herreyns Beg. Suec.
pr. C'est cette signature que nous reproduisons ci-dessous.
EGLISE DE DEURNE. La Purification de la Vierge.
MALINES. EGLISE SAINT-JEAN. La Cène (1793).
INTERCALÉES DANS LE TEXTE
»
Le Pape Grégoire recevant la tête de Trajan
Descente de croix de Madrid
.. »
»
»
ETTLING.
» Philippe le Bon » »
,"....
Saint Norbert réfutant l'hérésiarque Tanchelin PAQU!ER. ETHER)NGTo\
Portrait de femmefemme......... E. BOCOURT. MÉAIJLLE
NOMS DES PEINTRES TITRES DES SUJETS DESSINATEURS .;RAVEURS
„
La Résurrection »
ROBERT.
»
Portrait de Van der Gheenste »
MÉAULLE.
»
L'Éternité est le fruit de nos études » »
»
Joconde » w
fi IIEL
REUG de Velours (Jean Breughel, dit). Son portrait BILLOTTE. QUARTLEY.
DUJARDIN.
Le Canal CATENACCI.
»
Le Chariot AUBER. PIERDON.
Vue des environs de Bruges PAQUIER. t'oTHEY.
u
La Chapelle du chemin ........ »
SARGENT.
NOMS DES PEINTRES TITRES DES SUJETS DESSINATEURS GRAVEURS
-
.........
» GAGNIET.
» Intérieur d'un corps de garde E. BOCOURT. »
...............
» Un Saint GAGNIET. DUPRÉ.
» Sainte-Famille »
ETHERlNGTON.
NOMS DES PEINTRES TITRES DES SUJETS DESSINATEURS GRAVEURS
»
ROBERT.
VERDEIL.
» Paysage et Bestiaux
Paysage
............ E. BOCOURT.
ALLONGÉ.
SOTAIN.
DUPRÉ.
» Paysage et Bestiaux
............. PAQUIER.
E. BOCOURT
DELANGLE.
BURGON.
TABLE ALPHABÉTIQUE
f) ES
LES PEINTRES DONT LE NOM EST PRÉCÉDÉ D'UN * SONT CEUX DONT LA BIOGRAPHIE SE TROUVE
DANS L'APPENDICE PLACÉ A LA FIN DU VOLUME.
1500?- 1555? * Hemessen (Jean van) 6 1585?- 1651 Vos (Corneille de)
1743 - 1827 * Herrevns (Guillaume-Jacques) 32 1531 - 1603 Vos (Martin de)
1598 - 1650 Hoeck (Jean van) 1590?- 1654? * Vos (Paul de) l j
1648 1727 Huysmans (Corneille de Malines) 1603 - 1676 * Vos (Simon de)
- 1568?- 1647 * Vrancx (Sébastien) Il
1567 - 1631 ? Janssens (Abraham)
1664 Janssens (Victor) 14.. ?- 1464 Wevden ( Roger van der:
- 1736 1584 - 1653 Wifdens (Jean)
1593 - 1678 Jordaens (Jacques) Wleughels (Nicolas)
1626 16..? Kessel (Jean van) 1669?- 1737
1739 - 1822
Lcns (André-Corneille)
TABLE
DE
L'HISTOIREDESPEINTRESDE L'ÉCOLEFLAMANDE
1
LES PEINTRES DONT LE NOM EST PRÉCÉDÉ D'UN * SONT CEUX DONT LA BIOGRAPHIE SE TROUVE
DANS L'APPENDICE PLACÉ A LA FIN DU VOLUME.
LES PEINTRES DONT LE NOM EST PRÉCÉDÉ D'UN * SONT CEUX DONT LA BIOGRAPHIESE TROUVE
DANS L'APPENDICE PLACÉ A LA FIN DU VOLUME.