Christianisme en Tunisie

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Histoire et identité chrétienne

de la Tunisie aux premiers siècles


(IIème au XIème siecles)
P. Silvio Moreno, IVE
Cathédrale de Tunis 2021
Pourquoi est-il important de considerer le
cristianisme primitif en Tunisie?
• C’est un dévoir de vérité: historiquement la Tunisie du II au XIème siecle
(Afrique proconsulaire) était très chrétienne. L’Eglise locale en Tunisie
jouait, aux premiers siécles, un rôle fondamental pour le dévelopement
de toute l’Eglise universelle.

• C’est un dévoir de reconnaissance envers tous les chrétiens d’origine


berbère qui ont donné leur vie pour le Christ et pour l’Eglise aux
premiers siécles.

• C’est une mise en valeur très enrechissante: Le pape saint Jean Paul II
nous invitait à mettre en valeur les richesses des différentes traditions
spirituelles qui ont nourri l’histoire de nos pays. «Elles ont souligné et
mis en évidence, disait-il, telle ou telle facette du trésor de l’Evangile: le
sens de la communauté et le gout de la communion fraternelle, le signe
de la pauvreté et la disponibilité envers le prochain, l’écoute attentive de
l’autre et le sens de la présence discréte et aimante, la joie d’annoncer
et de partager la Bonne nouvelle».
• Africa Proconsulaire (nord-ovest et centre Tunisie)
• Byzacène (est et sud-ovest Tunisie)
• Numidie (Algérie)
• Tripolitaine (Lybie- Tripoli)
- Les origines de la religion du Christ en Tunisie sont obscures. Nous ne
possédons aucun témoignage évident antérieur à l’année 180, ou moururent
les Martyrs Scillitains…(premier témoignage écrit dans toute l’Afrique).
- Installation des communautés juives dans les côtes de la méditerranée.
Prédication de l’Evangile tout d’abord aux juifs, puis aux païens.
- Saint Augustin a eu le mot juste : « C’est de toutes les régions de la
Méditerranée que l’évangile est venu en Afrique » (Epist. XLIII, 7).
À la fin du IIème siècle, la nouvelle religion
progresse rapidement dans la province. En
effet Tertullien a écrit en 197 : « Aux champs,
dans les forteresses, dans les îles, partout
des chrétiens; tous les sexes, tous les âges,
toutes les conditions, même les dignitaires
passent au nouveau culte… Nous ne
sommes que d’hier et nous remplissons tout :
les villes, les iles, les forteresses, les
municipes, les assemblées, les camps même,
les tribus, les palais, le Sénat, le Forum. Nous
ne vous laissons que les temples… Nous
sommes une multitude, nous formons
presque la majorité dans chaque ville ».
Depuis leur présence en Tunisie jusqu’au 313 (reconnaissance du culte chrétien), les
chrétiens ne semblent posséder hors les murs des villes que des cimetières
privés, où ils se réunissaient pour célébrer la fraction panis, l’office des morts ou
l’anniversaire d’un martyr (Les catacombes sont une exception en Tunisie: ex:
Sousse). Et à l’intérieure des villes des maisons privées appelées Domus ecclesiae.
Les premiers chrétiens étaient de juifs convertis, de berbères (ex: martyrs scillitains,
les 3 papes d’origine berbère, etc.), de romains convertis. La langue chrétienne était
le latin et l’apprentissage de la foi se faisait par écrit, par oral et par les images
(identité littéraire et symbolique). Voir l’art de la mosaïque.
La communauté chrétienne bien que discrète est toujours présidée par un évêque.
Au IIIème siècle il y avait en Tunisie une 100 d’évêques environs. En principe tous les
évêques d’Afrique sont égaux, mais en fait, dés le temps de Saint Cyprien (200-
258), l’évêque de Carthage joue dans toute la région, jusqu’en Maurétanie, le rôle
d’un primat: il agit en toute circonstance comme chef de l’Eglise d’Afrique. C’est
l’Eglise primatiale de Carthage.
Le IIème et IIIème siècle furent pour les chrétiens en Tunisie une époque des terribles
persécutions (du 180 au 305. La dernière persécution du Dioclétien est la plus
grave). Se construit donc une identité martyriale. Ainsi les plus connues en Tunisie
sont: les martyrs scillitains (+180); Perpétue et Félicité et leurs compagnons (+203);
la masse blanche d’Utique - 300 martyrs (+258); Saint Cyprien de Carthage (+258);
les martyrs d’Abitène (+304).
Carthage

Carthage

Sousse
Enfidaville - Upenna

Le Kef

Kelibia
Lamta

Lamta Bulla Regia


L’âge d’or du christianisme en Afrique du nord
Le IVème (313) et début du Vème siècle (jusqu’en 439 – prise de Carthage par les
Vandales) est vraiment l’âge d’or de l’Eglise en Tunisie.

- Expansion évidente: la religion du Christ n’est plus presque exclusivement la


religion des pauvres gens, elle a fait et va continuer à faire de brillantes conquêtes soit
dans l’administration, dans l’armée et dans l’aristocratie: Tertullien, saint Cyprien,
Arnob, Lactance, saint Augustin, Aurelius, etc.

- Identité architecturale: les 3 types de bâtiments chrétiens se développent par toute


la Tunisie: basilique ou cathédrale, baptistère, martyrium ou chapelle funéraire. Le
modèle de construction des basiliques en Tunisie est unique dans le monde chrétien
(occident et orient). Seulement 24 basiliques pour la ville de Carthage.

- Identité artistique: mosaïques, épitaphes, sarcophages avec bas-relief, carreaux de


terre cuites, etc. Le bas-relief de Notre Dame de Carthage (IVème).

- Identité générationnelle: rattachement à la foi des martyrs et vénération des morts


dans la foi (les basiliques chrétiennes se construisent sur les cimetières).
Tozeur

Sbeitla

Sbeitla

Sbeitla
El Ouara

Lamta
Tabarka

Hammam Lif Tabarka


Deux circonstances affaiblissent la présence chrétienne en Tunisie:

- 312 au 411: division interne de l’Eglise: le donatisme (division entre l’église d’Algérie
et celle de la Tunisie). Duration: un siècle. La conférence du 411 à Carthage. Saint
Augustin contre les donatistes: confirmation de la véracité de l’unique Eglise
catholique.

- 439: Arrivée des Vandales (arianisme: négation de la divinité de Jésus-Christ)


conséquence: destruction de l’Eglise catholique en Tunisie (presque 5000 martyrs).
Duration: un siècle.

Deux figures importantes pour l’église tunisienne de cette époque: Victor de Vita et saint
Fulgence de Ruspe.

En 533 le royaume vandale finit par s’effondrer et l’empereur byzantin Justinien


devient le nouveau maître de la Tunisie. Bélisaire, envoyé par Justinien, se présenta
comme un libérateur aux populations catholiques de Carthage. Le lendemain, fête de Saint
Cyprien, il se rendait solennellement, avec les officiers de son état-majeur, à la basilique de
l’illustre martyr, située sur les bords de la mer (sainte Monique de Carthage) qu’Hunéric avait
donné aux ariens, et il la restituait aux catholiques.
VIème siècle: les successeurs de Justinien continuent sa politique et pendant plus
de quatre-vingts ans l’Eglise catholique en Tunisie jouit de la faveur des empereurs
de Byzance : ses privilèges sont respectés, ses demandes exaucées ; et des
églises s’élèvent de tous côtés. A Carthage (colline de Byrsa), Justinien fait
construire dans le palais impérial une chapelle à la mère de Dieu, et en dehors du
palais, d’autres basiliques sont ou restaurées ou bâties entièrement. Beaucoup
des ruines chrétiennes que nous connaissons aujourd’hui en Tunisie
appartiennent à l’époque byzantine.

VIIème siècle: En 647 bataille de Sbeïtla. Première conquête musulmane. En 670


fondation de Kairouan et en 690 les arabes prenne Carthage aux Byzantins. La fin
des chrétiens en Tunisie (surtout à Carthage) s’annonce très doucement.

Sbeïtla

Carthage
Bekalta - Sousse
Fin des chrétiens en Tunisie
Nomination par les arabes: Al-Yaqubi à la fin du IXème siècle, qualifie les
Berbères chrétiens par le terme d'Afariqah ( qui parlaient dialecte inspiré du
latin). On leur applique aussi le terme « ajam ». Quant à celui de Rum, il
s’adresse uniquement aux populations d’origine byzantine dont il subsiste des
groupes assez denses à Carthage dont une importante communauté chrétienne
est attestée jusqu’en 983, de même qu'à Kairouan. En effet, à Kairouan la
communauté chrétienne était présente jusqu'à l'arrivée des Fatimides.

L'historien arabe Al-Bakri mentionne au


XIème siècle la persistance du
christianisme a Tunis par des pèlerinages
sur le tombeau de saint Cyprien à
Carthage et par la mise au jour
d’épitaphes chrétiennes, datées de 1007,
1019, 1046, dans les environs de Sbeitla
et à Kairouan (photo).
- On localise même autour de 1050 une basilique consacrée à saint Pierre,
desservie par un diacre byzantin dans l'ancienne cité romaine de Sicca
Veneria, le Kef. Ce bâtiment s'est maintenu comme lieu de culte chrétien
jusqu'au XIème siècle au moins, époque à laquelle il a été désaffecté.

Le Kef
Le Kef
Basilique de
Saint Pierre
CAUSES DE LA DISPARITION…
- Manque d’encadrement: Une des faiblesses des chrétiens de cette
époque au Maghreb est bien celle de leur encadrement. Une lettre de Léon IX
de 1053 nous apprend qu'il y a seulement en Tunisie cinq évêques à cette date.
Donc hormis quelques évêques, la seule autorité dont on trouve trace est celle
d'un civil, chef de communauté. Les inscriptions les plus tardives en témoignent
d'une réelle carence.

- Taxe de la loi musulmane: La lourde taxe, jiziya, à laquelle étaient soumis


les chrétiens a certainement poussé beaucoup à la conversion sans retour ou
bien à l’exile forcé.
- Le problème de la langue: une autre cause de la disparition progressive des
chrétiens au Maghreb procède d’une comparaison entre l’Orient et l’Occident.
En Orient, les chrétiens sont fortement enracinés dans la culture autochtone. Ils
sont portés par les langues vernaculaires : syriaque, copte, éthiopien, grec,
arménien, etc. En Afrique du Nord, même si le latin a connu une diffusion large,
il reste une langue d’importation. L’absence donc des chrétiens
berbérophones a été fortement préjudiciable à cet égard.

- La division interne de l’Eglise par le donatisme et la forte persécution


vandale: plus de deux siècles de persécution interne et externe a beaucoup
déséquilibré l’Eglise en Tunisie.
CONCLUSION
• Ce état de choses en Tunisie n’a fait qu’accélérer un processus
fondé sur l’incapacité des chrétiens africains à affirmer leur
identité face à la nouvelle religion musulmane, en grande partie
en raison aussi de l’opportunité qui leur était offerte de rejoindre le
gros de la chrétienté européenne toute proche.

• On estime qu’en 1160 au plus tard, les chrétiens en Afrique du Nord


sont parvenu à un état de ténuité extrême.

• Cependant le « christianisme » a été toujours présent en cette terre


tunisienne, puisque le sang des martyrs chrétiens l’a baignée
entièrement… et le sang des martyrs a été et le sera toujours
semence des nouveaux chrétiens (Tertullien).
Bibliographie de l’auteur
Livres publiés:
- 2013: « Carthage éternelle, un pèlerinage dans l’histoire et les ruines chrétiennes de
Carthage ».
- 2014: « L’archéologie et l’art chrétien au musée du Bardo en Tunisie ».
- 2014: « Los simbolos eucaristicos de Cartago »
- 2015: « Notre Dame de Carthage, archéologie, histoire et dévotion ».
- 2016: « Saintes Perpétue et Félicité, étude archéologique, historique et liturgique sur les saintes
africaines ».
- 2018: « La Cathédrale de Tunis, une lecture chrétienne de son historique et sa symbolique».
- 2018: « Saint Augustin et les basiliques chrétiennes de Carthage ».
- 2019: «Les pas de saint Augustin en Tunisie ; étude archéologique et patristique sur
l’identification des villes et prédications en dehors de Carthage».
- 2020: « Les chrétiens de Sicca Veneria (le Kef), un parcours historique et archéologique du
IIIème au VIIème siècle ».

Articles publiés sur :


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http://archeologiechretienne.ive.org/

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