Multéralisme

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L’OMC, UNE ORGANISATION EN CRISE ?

S’il y a crise à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ce n’est pas un phénomène totalement
isolé. La plupart, sinon toutes, les institutions économiques internationales, à commencer par le
Fonds monétaire internationale et la Banque mondiale, semblent en effet avoir été saisies par le
doute sous la poussée des remises en cause dont leurs modalités d’action, voire leurs missions et
leurs objectifs, sont l’objet. Mais il est vrai que la crise de l’OMC a pris un tour particulièrement
spectaculaire, puisque c’est à l’occasion d’une réunion de son instance la plus solennelle, la
Conférence ministérielle, à Seattle, en décembre 1999, que s’est manifestée avec le plus de visibilité,
au travers d’une confrontation parfois brutale, la contestation d’une mondialisation dont elle est
accusée d’être l’instrument, donc le symbole.

L’OMC une organisation jeune mais héritière de modes de comportements passés et dépassés.

L’attraction de l’OMC vient de ce qu’elle regroupe aussi bien des pays développés que des pays en
développement mais aussi de la prise de conscience que le fait de lier la négociation de certaines
questions à la libéralisation du commerce peut permettre d’obtenir des accords qui seraient
autrement hors de portée. L’obligation inscrite dans le droit de l’OMC de se doter d’une législation
protectrice des droits de propriété intellectuelle et d’adhérer aux accords internationaux existants en
la matière en est une bonne illustration. C’est une des conséquences de l’adoption du principe de
l’accord unique, qui a introduit une rupture avec la pratique des engagements à la carte en vigueur à
l’époque du GATT. Selon ce principe, un Etat ne peut être membre de l’OMC que s’il souscrit à un
ensemble prédéterminé d’accords, sans pouvoir ne s’abstraire d’aucun d’eux. Du fait de ce principe,
le droit de l’OMC peut être considéré comme le résultat d’un package deal. A cette perspective
d’accords inenvisageables sans cet « empaquetage global », s’ajoutent les effets de la structuration
juridique de l’ordre commercial et, en particulier, le constat que l’OMC a, notamment grâce au
mécanisme de règlement des différends, les moyens d’obtenir le respect des règles déterminées en
son sein. Annoncé comme la pierre angulaire du nouveau système, le mécanisme de règlement des
différends présente en effet la caractéristique d’être actionnable unilatéralement par les Etats, de se
dérouler dans des délais préfix et de déboucher sur des décisions obligatoires et fondées en droit
dont la mise en œuvre est contrôlée. Sans doute, le mécanisme est-il de ce dernier point de vue
inachevé puisque, tout en ayant à voir avec l’idée de justice internationale, il revient, en cas
d’inexécution, vers une logique de justice privée avec la possibilité qu’a alors le plaignant de prendre
des mesures de rétorsion dont il choisit librement la nature. Il peut notamment frapper des produits
ou des domaines sans rapport avec l’objet initial du litige (ce qui suscite l’incompréhension et la
révolte des « victimes »). Quoi qu’il en soit, nonobstant ses limites et les critiques que certaines
jurisprudences peuvent appeler, le mécanisme de règlement des différends est abondamment utilisé
par les Etats. Les normes de référence se trouvent donc sanctionnées, d’où la tentation d’attraire
vers l’OMC des règles dont le respect n’est pas par ailleurs assuré avec la même efficacité. Cette
tentation est enfin confortée par la conscience des limites substantielles du système, qui transparaît
dans le débat sur les « clauses » (en réalité, les lacunes. A ce titre, on envisage certes l’insuffisance
des règles permettant de garantir une concurrence saine mais aussi le problème de la prise en
considération des préoccupations non commerciales qui paraît insuffisante dans l’approche actuelle.
C’est ce qu’incarne notamment la tentative de discussion sur la « clause sociale » ou l’évocation
d’une « clause environnementale ».

le besoin de repenser les manières de négocier est plus profond. On a imputé à l’organisation la
charge d’y faire face et nombreux ont été les discours affirmant que l’organisation avait l’obligation
de se réformer. L’affirmation est un peu curieuse d’un point de vue juridique puisqu’elle suppose une
pouvoir normatif d’auto-organisation dont l’OMC ne dispose évidemment pas. C’est aux Etats que
revient cette tâche et donc la prise en charge d’un impératif de cohérence jusque-là différé ou
différemment situé. En effet, l’OMC est une institution internationale de petite dimension. Non
seulement elle n’a que peu de moyens matériels et en personnel mais elle est dépourvue d’un
mandat institutionnel comme celui de la Banque mondiale et du FMI et n’a pas la possibilité de
fabriquer du droit dérivé. Ce minimalisme institutionnel est le fruit d’un choix délibéré en faveur
d’une organisation simplement accompagnatrice d’un processus de libéralisation et non dotée d’une
capacité réelle d’autonomie et d’intervention. Si les objectifs changent, il faut ajuster les moyens et
c’est d’abord aux Etats que cette tâche incombe. Encore faut-il qu’il y ait, au-delà des discours, une
réelle volonté de faire évoluer les objectifs. Mais il est encore difficile d’apprécier le sens de la
présente crise de ce point de vue.

Revoir les dispositions des accords


Plus généralement, la réforme de certaines dispositions des accords de l’OMC s’impose. Les règles de
l’OMC datent de 1995. Or, durant ce quart de siècle, la globalisation a radicalement transformé
l’économie politique mondiale. Pour mener à bien cette réforme, trois chantiers sont envisageables :

Tout d’abord, une réforme des règles dérogatoires et d’exemption. Les articles XX du GATT et XXI
de l’AGCS, qui portent respectivement sur les tarifs douaniers et le commerce des services, devraient
s’ouvrir aux nouveaux enjeux qui mettent le libre-échange en défaut. Il en va de la soutenabilité du
système. C’est pourquoi une référence explicite au travail décent, aux changements climatiques, et à la
perte de biodiversité devrait figurer dans tous les accords de l’OMC. On pourrait envisager l’adoption
d’une dérogation expérimentale, en vue de permettre aux membres qui le souhaitent d’expérimenter
des politiques commerciales compatibles avec les impératifs climatiques. Ce que le langage de l’OMC
traduit par adopter un waiver climatique, avec une clause d’extinction progressive pour éviter que ne
se mette en place un protectionnisme climatique.
Ensuite, réformer l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires. Objectif : rendre les
subventions sur les énergies renouvelables, celles relatives à la décarbonisation, ou celles liées au
traitement des externalités environnementales non actionnables. La négociation sur les subventions à
la pêche pourrait par exemple servir de modèle.

Enfin, investir les négociations sur les biens et services environnementaux, celles probables sur la
concurrence, et sur la facilitation de l’investissement. Là encore, ces négociations doivent viser
clairement la réalisation du développement durable. On peut regretter que l’OMC demeure
aujourd’hui en retrait par rapport aux Objectifs de développement durable des Nations unies. Le
commerce ne doit pas être conçu uniquement comme un facilitateur des ODD, mais aussi comme un
accélérateur. Pour se faire, une dérogation ODD allant jusqu’à 2030 pourrait être introduite dans les
accords les plus significatifs : l’agriculture durable, l’Adpic et le transfert de technologies vertes, les
mesures concernant les investissements et liées au commerce, ou encore l’accord sur les subventions
et les mesures compensatoires. Nous n’avons pas tant besoin d’un accord sur la facilitation de
l’investissement que d’un accord sur la facilitation de l’investissement durable. Celui-ci pourrait
comporter, à titre d’exemple, des clauses incitatives au transfert et à l’adoption de technologies sobres
en carbone, ou des clauses de soutien à l’adaptation aux changements climatiques.
La seule stratégie de la croissance tirée par les exportations ne peut plus être le fondement de ce
compromis. Il s’agirait plutôt de viser l’amélioration des capacités productives en vue du
développement durable. Si la question de la différenciation est correctement traitée, celle de la
rénovation du traitement spécial ne devrait pas poser trop de problèmes du point de vue opérationnel et
technique.Autre rénovation à engager : le recours à des accords de « masse critique » en parallèle des
accords multilatéraux par consensus, et des accords plurilatéraux. Dans une économie globale
hétérogène et différenciée, il n’y a aucune raison que l’OMC se limite à un modèle unique de
coopération commerciale. Un multilatéralisme à géométrie variable, tant du point de vue géopolitique
que sectoriel, est tout à fait envisageable.
Cette option doit d’autant plus être envisagée que les négociations concernent de moins en moins
l’accès réciproque aux marchés, et de plus en plus les conditions de fonctionnement et de régulation
des marchés. Ce type de négociation a plus de chance d’aboutir lorsque les discussions regroupent un
nombre limité de pays aux préférences convergentes et, mais cela n’est pas une condition, au niveau
de développement comparable. L’intérêt d’accords de « masse critique » (ou minilatéraux), c’est leur
inscription dans la norme multilatérale mais aussi leur dimension évolutive puisqu’ils demeurent
ouverts à de nouveaux membres. L’institutionnalisation d’un minilatéralisme pourrait donc constituer
une réponse à la prolifération des accords commerciaux régionaux et bilatéraux ainsi qu’un moyen
d’avancer sur les questions dites OMC+ et OMC-extra. Évidemment, si cette option venait à se
concrétiser, des procédures de compensation en cas de marginalisation de certains pays seraient à
prévoir.

Il existe 459 accords commerciaux régionaux (ACR) et préférentiels notifiés à l’OMC, auxquels


s’ajoutent quelques 2 600 traités bilatéraux d’investissement. Par conséquent, la voie régionale ne peut
être négligée. D’autant plus que l’on assistera, à terme, à une multilatéralisation du régionalisme.
Certains pays investissent en effet actuellement dans les ACR avec l’objectif de créer une convergence
d’intérêts et de préférences en vue, justement, de futures négociations multilatérales. À cela s’ajoute la
vague actuelle d’ACR dits de 3ᵉ génération qui, dans une large mesure, est consacrée à la coopération
réglementaire internationale. Il s’agirait de faire des accords commerciaux régionaux et bilatéraux un
laboratoire institutionnel pour de nouveaux principes organisant la coopération économique
internationale : les communs, la soutenabilité, ou des principes innovants de compensation
internationale.

Le contexte actuel est propice à une réflexion renouvelée sur la gouvernance commerciale
internationale. Ce texte se veut une modeste contribution en vue d’une nouvelle architecture du
commerce et de l’investissement internationaux qui interroge, non seulement la gouvernance de
l’OMC, mais également la finalité du libre-échange multilatéral et régional. L’ère de la
« mondialisation heureuse » semble aujourd’hui s’achever. Certains interprètent le ralentissement
actuel du commerce international comme une fin de partie voire le signe d’un retour en arrière.
Certains s’en inquiètent, d’autres s’en réjouissent. Encore doit-on s’interroger sur ce retournement qui
rompt avec une loi que les économistes croyaient bien établie et selon laquelle le taux de croissance du
commerce mondial amplifiait celui de la production mondiale.

En cas de blocage des négociations multilatérales à l’OMC, les pays en développement ayant fait le
choix de l’ouverture se reporteront inévitablement sur les accords commerciaux régionaux : Alena,
Mercosur, Partenariat Euro-méditerranéen, Accords de partenariat économiques entre l’Union
Européenne et les pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique), Accord de libre échange des
Amériques... Est-ce une alternative à un blocage des négociations multilatérales ? Rien n’est moins
sûr.
En effet, les accords régionaux correspondent à un certain type de libéralisation. Il y a manière et
manière de libérer les échanges. On peut le faire vis-à-vis de tous et avec tous, c’est la voie
multilatérale suivie à l’OMC. On peut aussi libéraliser les échanges envers quelques-uns, sans
contrepartie de la part des bénéficiaires, comme dans les schémas préférentiels envers les pays les
moins avancés, ou en impliquant une réciprocité entre les partenaires, comme dans les accords
régionaux. Enfin, dernière distinction, la libéralisation peut être permanente ou temporaire. Les
schémas préférentiels, mis à part l’initiative européenne Tout Sauf Les Armes, sont temporaires et
soumis au bon vouloir des Etats accordant la préférence. Par contraste, l’OMC et les accords
régionaux reposent sur des règles définies de manière permanente, contribuant ainsi à fonder un
édifice de droit, aussi imparfait soit-il.
Les raisons du succès des accords régionaux tiennent donc en un mot, celui de « préférence ».
Dans le processus régional, les Etats pensent pouvoir mieux contrôler la libéralisation, en choisissant
les partenaires et les biens à libéraliser. Cette possibilité de contrôle est précieuse dans un contexte
d’internationalisation de la chaîne de production, où l’on n’échange plus des produits finis, mais des
composants ou sous-ensembles de ces produits.

Dans ce contexte, les accords régionaux créent des chaînes régionales de valeur ajoutée, notamment
grâce aux règles d’origine, qui édictent les conditions à remplir pour qu’un bien puisse bénéficier de
la préférence tarifaire. Pour le textile, dans l’accord de libre échange nord-américain (Alena), les
Etats-Unis ont ainsi repris d’une main ce qu’ils accordaient de l’autre, en octroyant une préférence
tarifaire élevée aux exportations mexicaines de vêtements, au prix de règles d’origine restrictives qui
obligeaient en pratique les Mexicains à acheter aux filateurs américains. D’ailleurs, le texte même de
l’accord de libre-échange fait une quinzaine de pages, tandis que l’annexe sur les règles d’origine en
fait trois cents. Les accords régionaux sont vraiment, au sens propre, du « sur-mesure ».
Sont-ils pour autant efficaces ? Pour les économistes, la libéralisation vis-à-vis de l’ensemble des
partenaires, sans distinction, comme à l’OMC, entraîne une baisse des prix (due à une réallocation
des facteurs et à la possibilité de faire jouer les rendements d’échelle), une augmentation du nombre
de produits disponibles et, à terme, une incitation pour les firmes à innover en raison d’une
concurrence accrue. Ici, le régionalisme et la préférence présentent des inconvénients : si l’on préfère
certains partenaires commerciaux, c’est bien au détriment d’autres qui seront exclus. De fait, les
gains purement économiques d’un accord régional sont faibles et dépendent de la perte représentée
par le fait de se priver de fournisseurs bon marché mais lointains (effet de diversion).
L’impact sur les échanges n’est cependant qu’un aspect de la question : ce que les pays en
développement espèrent en signant un accord régional, ce sont plutôt des effets sur la croissance ou
les investissements directs étrangers.
Le bilan purement économique des accords régionaux est donc mitigé. L’abandon du
multilatéralisme pour le régionalisme creusera l’écart entre pays émergents acteurs du régionalisme,
pays pauvres pouvant tirer partir des schémas préférentiels, et pays encore plus pauvres n’arrivant
pas à accéder aux marchés du nord par manque d’infrastructures essentielles.

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