Urgence Vasculaire Aortique
Urgence Vasculaire Aortique
Urgence Vasculaire Aortique
1
Pôle Urgences, SAMU, Réanimation médicale, CHU de Besançon, Université de Franche-Comté, 3 bd Alexander
Fleming, 25000 Besançon
2
Pôle d’Anesthésie-Réanimation chirurgicale, CHU de Besançon, Université de Franche-Comté, 3 bd Alexander
Fleming, F-25000 Besançon
POINTS IMPORTANTS
• La dissection aortique est due à l’entrée de sang dans la paroi aortique à travers une déchirure
intimale. Elle expose à un risque de rupture, d’extension de la dissection à la valve aortique et
aux coronaires, et un de défaut de perfusion cérébrale, rénale, digestive et/ou des membres.
• Le diagnostic doit être évoqué de principe devant une douleur thoracique, mais aussi devant
des signes d’hypoperfusion d’organe.
• Dans tous les cas, ces urgences vasculaires nécessitent une action coordonnée entre les équipes
préhospitalières et des services d’urgences, d’imagerie, de chirurgie et d’anesthésie.
La paroi de l’aorte comprend 3 tuniques : l’intima, mince couche de cellules endothéliales, en
contact avec le sang, la média structure élastique et résistante, et l’adventice, la plus extérieure,
fibreuse. Les urgences aortiques non traumatiques font référence à un groupe de pathologie
affectant l’aorte, incluant notamment la rupture d’anévrisme et la dissection de l’aorte (DA) [1].
Les premières heures sont fondamentales, car il s’agit d’urgences vitales immédiates, menaçant
le pronostic vital et fonctionnel du patient à très court terme [2]. L’objectif de cet exposé est de
préciser les principales phases du diagnostic et de la prise en charge initiale de ces patients.
DISSECTION AORTIQUE
Physiopathologie
Une DA survient lorsque se développe une déchirure de l’intima, qui permet l’entrée de sang
dans la paroi aortique, souvent fragilisée. Le sang progresse dans la paroi sur une distance
variable, de manière antérograde (mais aussi rétrograde parfois) créant un faux chenal. Lorsqu’il
existe une 2e déchirure à distance, le sang peut circuler dans le faux chenal. Plusieurs
classifications de l’extension de la DA existent, dont celle de Sandford, qui différentie très
simplement les DA de type A lorsque l’aorte ascendante est concernée, des DA de type B
lorsqu’elle ne l’est pas. La fragilisation de la paroi est liée à des facteurs génétiques et/ou des
facteurs acquis [2]. L’hypertension artérielle (HTA) est observée dans 75 % des DA. Les autres
facteurs sont le tabagisme, l’hyperlipémie, l’usage de la cocaïne, la grossesse et certaines
pathologies aortiques inflammatoires. Les facteurs héréditaires sont des maladies qui touchent à
des degrés divers le tissu conjonctif, notamment la maladie de Marfan et le syndrome d’Ehlers-
Danlos de type IV. Près de 20 % des patients ont une forme familiale de DA.
Épidémiologie
Avec une incidence annuelle de 2 cas/100 000 habitants, la DA n’est pas exceptionnelle.
Cependant, elle ne représente que 0,05 % des douleurs thoraciques admises aux urgences, ce qui
en fait un diagnostic difficile : la DA est diagnostiquée à l’admission du patient dans 15 à 43 %
des cas seulement et elle ne l’est qu’après la 24e heure dans plus de 50 % des cas [1]. Ceci n’est
pas sans importance, car non traitée, la mortalité de la DA de type A est de 1 % par heure,
atteignant 50 % à 72 heures et 90 % dans le mois qui suit [3].
Tableau 1. Symptômes présents lors de la prise en charge du patient pour une dissection aortique de
type A ou B ; * Douleur d’intensité sévère ou très sévère dans 90 % des cas, de survenue brutale dans
89 à 91 % des cas, migrante dans 15 à 25 % des cas. ** : anomalie ECG non spécifique, à type
notamment d’HVG, ou d’ischémie myocardique. D’après Golledge et al. [1]
Elle doit être coordonnée pour permettre d’affiner l’orientation diagnostique, mettre en route le
monitorage, orienter le patient, et débuter le traitement médical.
Confirmer le diagnostic de DA
Cela impose la réalisation d’examens complémentaires. La radiographie pulmonaire est
anormale dans près de 90 % des cas (anomalie du contour aortique ou déviation des structures
adjacentes, épanchement pleural, élargissement du médiastin), mais ces signes sont
insuffisamment spécifiques pour permettre le diagnostic de DA.
Un bilan sanguin doit être prélevé dès le diagnostic de DA suspecté. Il permet le groupage et la
recherche d’une complication hémorragique (taux d’hémoglobine), coronarienne (troponine I),
rénale (créatininémie), musculaire (CK). Une mesure des gaz du sang artériel peut montrer une
hypoxémie (épanchement pleural), ou une acidose lactique témoin d’une inadéquation du
transport en oxygène, globale ou localisée à certains organes (tube digestif). Il n’y a pas de
marqueur biologique spécifique de la DA. Les études sur le dosage de l’élastine ou de la chaine
lourde de la myosine, composants majeurs de la média aortique libérés après la DA paraissent
encourageantes mais doivent être confirmées. Le taux plasmatique de D-dimères s’élève dans la
DA, témoignant de l’activation de la coagulation au niveau du faux chenal. Il a été montré qu’un
taux normal excluait la DA avec une sensibilité de 94 %.
Quelque soit le faisceau d’arguments, seule l’imagerie de l’aorte permet de poser le diagnostic
de DA puis d’analyser l’extension de la DA, repérer la ou les brèches intimales, confirmer la
présence d’un faux chenal thrombosé ou circulant et évaluer si les branches de l’aorte sont
prises dans la dissection. Il faudra aussi évaluer la fuite aortique et l’extravasation péricardique,
pleurale ou médiastinale, qui conditionnent la suite de la prise en charge. L’échographie
transœsophagienne (ETO), le scanner spiralé injecté et l’IRM ont tous les 3 une spécificité
correcte (> à 95 %) pour le diagnostic de DA [4]. Le choix de l’imagerie dépend principalement
de la stabilité du patient et de la disponibilité locale de l’examen [2]. Le scanner spiralé est la
méthode la plus utilisée, par près es 2/3 des centres. Il permet de bien visualiser l’extension de la
DA (jusqu’aux artères iliaques), d’évaluer la perfusion des branches de l’aorte et des organes en
aval, et d’identifier les épanchements pleuraux et médiastinaux. Les inconvénients du scanner
sont la néphrotoxicité des produits de contraste, l’absence d’évaluation de la valve aortique et la
nécessité d’un transport supplémentaire imposant une certaine stabilité hémodynamique.
L’ETO, utilisée dans près d’un tiers des cas, est une alternative intéressante chez le patient
hémodynamiquement instable, car l’examen est rapide et peut être réalisé en salle d’accueil des
urgences. Elle permet une évaluation de la valve aortique, du péricarde et de la performance du
ventricule gauche, mais elle n’est pas disponible 24 h/24 dans tous les centres.
Stratégie thérapeutique
Schématiquement, les DA de type A nécessitent une correction chirurgicale qui consiste à
remplacer la partie (limitée) de l’aorte ascendante présentant la déchirure intimale [3,5]. C’est
une opération complexe, sous circulation extracorporelle, imposant parfois la réimplantation des
artères à destinées encéphaliques ou le remplacement de la valve aortique et la réimplantation
des artères coronaires. Le traitement de la DA de type B repose sur la poursuite du traitement
médical. Un geste chirurgical ou en radiologie interventionnelle est envisagé chez 20 % des
patients qui présentent une complication pariétale aortique ou des signes d’hypoperfusion
d’organe [6,7].
Épidémiologie
Un anévrisme de l’aorte est défini par une dilatation focale de l’aorte, de plus de 3 cm au niveau
abdominal. Bien qu’associé à l’athérome, un anévrisme est la conséquence focale d’une
pathologie vasculaire plus diffuse associant inflammation, altération de la matrice de la paroi et
des cellules musculaires vasculaires [8]. Il survient dans environ 80 % des cas sur la partie de
l’aorte abdominale (AAA) entre les artères rénales et la bifurcation aortique. Il est 4 à 6 fois plus
fréquent chez l’homme et est favorisé par le tabagisme et le vieillissement (fréquence de 1 %
des hommes entre 55 et 64 ans, puis augmentation de 2 à 4 % par décade). Les autres facteurs de
risque sont l’HTA, une histoire d’athérome symptomatique ou d’antécédent familial d’AAA.
Rupture de l’AAA
La plupart des AAA sont asymptomatiques et diagnostiqués fortuitement lors d’une imagerie
abdominale. Le principal risque de l’AAA est la rupture, dépendant de la taille de l’AAA (risque
annuel de rupture de 0,5 à 5 %, 3 à 15 % et > 20 % pour les AAA < 5 cm, entre 5 et 6 cm et > 6
cm, respectivement) et de la vitesse d’expansion de l’AAA (risqué élevé si > 0,5 cm/6 mois) [9].
Elle reste plus fréquente chez les fumeurs et les hypertendus mal contrôlés. Elle est
rétropéritonéale dans la plupart des cas, le rétropéritoine assurant un contrôle partiel et
transitoire de l’hémorragie. Dans 25 % des cas la rupture est intrapéritonéale, avec une
hémorragie en général rapidement fatale. Elle peut aussi se faire avec les structures contiguës,
créant une fistule avec la veine cave inférieure ou le tube digestif.
La rupture est responsable de 2 % des décès liés aux AAA, et est 10 fois plus fréquente chez
l’homme. Il s’agit d’une urgence vasculaire absolue dont le pronostic reste extrêmement
péjoratif avec une mortalité globale de 70 à 90 % selon les séries. Chez les patients admis
vivants à l’hôpital et opérés d’un AAA rompu, la mortalité reste très élevée (35 %) [10].
La triade symptomatique classique témoignant le plus souvent d’une rupture rétropéritonéale,
associe douleur abdominale ou dorsale, hypotension artérielle (souvent responsable d’un
malaise initial) et masse battante à l’examen clinique [11]. Cependant, elle n’est observée que
dans 25-50% des cas, et le diagnostic doit être évoqué devant toute douleur abdominale ou
hypotension de survenue brutale.
À l’arrivée à l’hôpital, les mesures générales à mettre en œuvre sont très proches de celles
décrites ci-dessus pour une DA. L’orientation immédiate dépend du degré de suspicion de
rupture d’AAA et de la stabilité hémodynamique et peut aller d’un transfert immédiat au bloc de
chirurgie vasculaire pour clampage aortique (voie externe ou endovasculaire par ballonnet
intraluminal et réparation aortique) à un transfert au scanner pour poser le diagnostic et
envisager un traitement endovasculaire (EVAR). Celle-ci, qu’elle soit utilisée seule ou
combinée au geste chirurgical a modifié la prise en charge peropératoire [12]. Bien que le
groupe Cochrane ait mis en évidence les difficultés d’une évaluation fiable de la technique
endovasculaire dans le traitement de l’[13]AAA rompu en raison d’une insuffisance de travaux
contrôlés, cette voie parait prometteuse. Sadat et coll. ont montré dans une méta-analyse récente
de 23 essais ayant 7.040 patients opérés d’un AAA symptomatique (730 par voie
endovasculaire) une réduction du saignement peropératoire. Le temps chirurgical et la mortalité
à 30 jours (odds ratio = 0,62, IC 95 % : 0,5-0,75, p< 0,001) étaient également réduits.
CONCLUSION
DA et la rupture d’un AAA sont des urgences vitales immédiates, qui posent les problèmes : 1)
de leur diagnostic parfois difficile, qu’il faut savoir évoquer devant des symptomatologies
incomplètes, 2) de l’orientation vers un centre disposant du plateau technique d’imagerie et
chirurgical adapté, 3) d’une bonne coordination entre les équipes pour permettre une prise en
charge rapide du patient, et 4) d’une stabilisation hémodynamique qui va du contrôle d’une
élévation tensionnelle à la gestion d’un état de choc hémorragique.
REFERENCES
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