FIDUCIE

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Sous l’encadrement de notre éminent

Professeur : Monsieur KETTANI

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Sujet de Recherche : LA FIDUCIE

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Réalisé par : Adam RAZI

Selon le professeur Cornu, La fiducie est un « acte juridique (contrat


ou dans certains cas legs) par lequel une personne, nommée fiduciant, transfère
la propriété d’un bien corporel ou incorporel à une autre personne, nommée
fiduciaire, soit à titre de garantie d’une créance (fiducie à fins de sûreté) sous
l’obligation de rétrocéder le bien au constituant de la sûreté lorsque celle-ci n’a
plus lieu de jouer , soit en vue de réaliser une libéralité (fiducie à fins de
libéralité) sous l’obligation de retransférer le bien à un tiers bénéficiaire après
l’avoir géré dans l’intérêt de celui-ci ou d’une autre personne pendant un certain
temps, soit afin de gérer le bien dans l’intérêt du fiduciant sous l’obligation de le
rétrocéder à ce dernier, à une certaine date (fiducie à fins de gestion) ».
Cette définition met en exergue l’ensemble des finalités pouvant être assignées
à la fiducie : sûreté, libéralité ou gestion. La souplesse et la sécurité qu’offrent
ce contrat sont les raisons pour lesquelles le législateur l’a introduit dans le Code
civil par la loi du 19 février 2007.
Toutefois, si la fiducie a été insérée tardivement dans le Code civil, elle n’était
pas pour autant inconnue des juristes français : - D’une part, ce contrat a de
profondes racines historiques ; - D’autre part, de nombreux contrats spéciaux
ainsi que diverses institutions utilisent un mécanisme fiduciaire.
- Historiquement, la fiducie est un contrat issu du droit romain. Celui-ci
distinguait la fiducia cum amico de la fiducia cum creditore : - La fiducia cum
amico avait pour objet la gestion d’un ou plusieurs biens. Il s’agissait, comme
son nom l’indique, d’un service d’ami par lequel le constituant entendait «
réaliser un dépôt ou un prêt à usage ou encore une donation ». Dans tous les cas,
l’opération prenait toujours la forme d’un transfert de propriété.
La fiducia cum creditore avait pour objet la garantie du paiement d’une créance.
Le débiteur transférait la propriété d’un bien à son créancier, à charge pour ce
dernier de rendre le bien lorsque la dette était payée.
En droit positif, de nombreux contrats spéciaux et certaines institutions ne sont
que des avatars de la fiducie. Ces différentes techniques sont les suivantes : la
cession des créances professionnelles à titre de garantie dite loi Dailly, les
dépôts translatifs de garantie opérés par des adhérents à des chambre de
compensation, la garantie des obligations financières, la pension, le prêt de
consommation de droit commun, le prêt de titres financiers, la vente à réméré, le
nantissement de comptes-titres, la convention de portage, le crédit-bail, la
fondation, la donation graduelle ou encore la donation résiduelle.
- La multiplication de ces « fiducies innommées » n’est pas juridiquement
satisfaisante. Elle a eu pour résultat la création de nouveaux contrats ou de
nouvelles institutions dont les applications demeurent strictement délimitées, ce
qui rend notre droit inutilement complexe. De fait, à chaque fois que les
praticiens ont besoin d’un mécanisme fiduciaire adapté à tel ou tel type de
finalité, le législateur français crée une nouvelle technique, généralement un
contrat spécial, inutilisable en dehors de la finalité particulière qui lui est
assignée. Il en résulte une inflation législative qui génère une instabilité et une
complexité croissante de notre droit des affaires, d’autant plus que certains de
ces contrats spéciaux sont « retouchés » fréquemment pour ne pas dire
frénétiquement.
- C’est pourquoi la fiducie devrait, à terme, se substituer à l’ensemble de ces
fiducies innommées. Toutefois, cela ne se fera pas sans apporter d’importantes
corrections à son régime tel qu’il est dessiné aux articles 2011 et suivants, 2372-
1 et suivants et 2488-1 et suivants du Code civil. Une fois ces corrections
opérées, la fiducie prendra toute sa place dans la pratique juridique et le droit
français s’en trouvera simplifié de deux manières :
- D’une part, il bénéficiera d’une simplification quantitative en étant débarrassé
de contrats ou d’institutions surnuméraires, à savoir les fiducies innommées ;
- D’autre part, il bénéficiera d’une simplification qualitative car un seul régime
juridique, un droit commun de la fiducie, remplacera une multitude de régimes
spéciaux.
L’avantage indéniable de la fiducie apparait à l’image sa nature temporaire. La
prise en compte de ce facteur temporaire n’est pas neutre du point de vue du
régime juridique de la fiducie car il en résultera que le cédant, dénommé
fiduciant, ne perdra pas tout contrôle sur les titres alors même que la propriété
aura bien été transférée au cessionnaire, dénommée fiduciaire. En d’autres
termes, la fiducie sera le seul contrat qui permette sans difficultés d’aménager
contractuellement les droits politiques et financiers des actions entre le cédant et
le cessionnaire, sans pour autant que soit mis en doute le transfert de propriété
nécessaire à ce type d’opération. Cet aménagement est crucial car le fiduciaire
ne sera que temporairement propriétaire des titres, ceux-ci n’intéressant que le
seul bénéficiaire final, à savoir le fiduciant lui-même ou un tiers désigné par lui.
Le droit étant devenu un enjeu majeur dans la compétition économique
internationale, l’immobilisme de la France s’est soldé par des mouvements de
capitaux au bénéfice de nos concurrents : les opérations juridiques que les
entreprises ne pouvaient réaliser en France étaient réalisées à l’étranger au profit
des économies et des finances publiques des pays d’accueil. Certes, les
entreprises françaises peuvent désormais recourir à la fiducie puisque celle-ci a
spécifiquement été conçue à leur profit. Mais le retard accusé par la France pour
introduire ce contrat en droit positif s’est déjà traduit par la « délocalisation »
d’opérations financières importantes. L’exemple de l’opération de défaisance1
réalisée par Peugeot en 1990 est emblématique : cette société française
souhaitait séparer de son patrimoine global des fonds détenus aux Etats-Unis. En
l’absence de fiducie en droit français, Peugeot n’a eu d’autres choix que
d’utiliser le trust américain. Ce phénomène, dénommé « law shopping », incite
les entreprises à choisir le lieu de leur activité en prenant en compte, parmi
d’autres paramètres, le niveau de contrainte juridique qu’exerce un état sur les
agents économiques.
- Quoi qu’il en soit, la fiducie devrait connaître un franc succès en droit français
pour peu que soient apportées à son régime juridique les corrections
nécessaires : « Sis entre le mandat et la transaction, ce nouveau contrat nommé,
aujourd’hui enserré dans des conditions drastiques telles que son utilité paraît
réduite à quelques opérations bancaires et financières complexes, aspire à
s’épanouir demain, une fois dissipées les craintes de fraude et d’évasion fiscale.
Au regard des éléments énoncés ci-dessus il serait judicieux de s’interroger sur
la Portée de la Fiducie à l’aune du droit comparé ?
Pour s’en convaincre, il convient successivement de présenter la fiducie
(Chapitre premier) puis d’étudier ses différentes applications possibles (Chapitre
second).
Chapitre 1 : La fiducie à l’aune du droit comparé :

Présenter un contrat introduit récemment en droit positif et dont le régime


juridique est régulièrement retouché n’est pas un exercice facile. Néanmoins,
deux méthodes permettent de cerner les contours de la fiducie en droit positif
Français comme en droit prospectif :
- D’une part, le droit comparé, c’est-à-dire l’étude d’une institution ou d’un
contrat présent dans les droits étrangers, permettra de cerner les avantages que
ces techniques procurent aux pays qui les connaissent depuis longtemps (Section
I) ;
- D’autre part, en droit Français, l’étude critique des dispositions relatives à la
fiducie, telle qu’elle a été adoptée par la loi du 19 février 20071298 puis
retouchée par l’article 18 de la loi du 4 août 2008, l’ordonnance du 30 janvier
2009 et la loi du 12 mai 2009, permettra à la fois de présenter cette convention
en droit positif et les évolutions qui paraissent nécessaires pour en faire un
véritable contrat de droit commun (Section II)
- L’étude du droit comparé, que l’on limitera ici à la sphère occidentale, révèle
la dualité des systèmes juridiques de source européenne : les pays de Common
law disposent depuis longtemps d’une institution dénommée « trust » tandis que
les pays de tradition Romano-Germanique se sont dotés du contrat de fiducie.
Les deux mécanismes reposent toutefois sur la même idée : le mot anglais trust
et le mot fiducie, du latin fiducia, signifient tous deux « confiance ».
- Seront successivement analysés le trust (§ 1) et la fiducie (§ 2) en droit
comparé, analyse qui portera sur les législations étrangères les plus
emblématiques.
Section 1 - Le trust :
- Selon l’article 2 de la convention de La Haye du 1er juillet 1985, relative à la
loi applicable au trust et à sa reconnaissance, « le terme trust vise les relations
juridiques créées par une personne, le constituant, par acte entre vifs ou à cause
de mort, lorsque des biens ont été placés sous le contrôle d’un trustee dans
l’intérêt d’un bénéficiaire ou dans un but déterminé ».
- Cette définition présente l’avantage de ne pas s’attarder sur la notion de
propriété, afin de rendre compatible les systèmes Anglo-Saxons et les systèmes
civilistes. En effet, le trust et la fiducie sont fondés sur deux systèmes de
propriété complètement dissemblables : Dans les systèmes civilistes, la propriété
s’entend comme le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus
absolue, ce qui permet au fiduciaire de recevoir seul la propriété pleine et entière
sur les biens mis en fiducie. Dès lors, il est nécessaire que la loi assure une
protection efficace des intérêts du fiduciant ou du bénéficiaire. Au contraire,
dans les systèmes de Common law, le trust confère deux types de propriété :
lorsque le settlor (constituant) remet des biens à un trustee (cessionnaire), celui-
ci acquiert uniquement la « legal property » tandis que le cestui que trust
(bénéficiaire) acquiert l’« equitable property ».
En d’autres termes, le droit anglais, à l’origine du trust, distingue la propriété
légale de la propriété équitable. La première permet au trustee d’agir librement
sur les biens tandis que la seconde assure « une très grande protection au
bénéficiaire en cas d’abus de la part du trustee ».
À noter également que le settlor peut lui-même se constituer trustee ou
bénéficiaire mais que le trustee ne doit jamais être entièrement bénéficiaire afin
de ne pas confondre totalement la legal property et l’equitable property.
- Plus largement, il convient de remarquer que la divergence des systèmes
Anglo-Saxons et Romano-Germaniques sur la notion de propriété entraîne une
conséquence majeure : l’impossibilité d’introduire le trust en droit français, à
moins de revoir complètement notre conception « absolutiste » de la propriété,
un des piliers du Code civil français.
- Cette première difficulté génère une seconde relative à la différence de nature
entre le trust Anglo-Saxon et la fiducie Romano-germanique : le trust est une
institution du droit des biens tandis que la fiducie est un contrat. Or, s’il est aisé
de créer en droit français un nouveau contrat, exercice où le législateur n’est que
trop chevronné, il est plus difficile de créer une nouvelle institution en droit des
biens, aux contours mal définis : « […] affirmer que le trust réalise un
démembrement de propriété n’est pas […] satisfaisant.
Plus qu’un démembrement, il s’agit d’une dualité de propriété, inconnue du
droit français car reposant sur la distinction de la Common law et de l’Equity »

En d’autres termes, introduire dans le droit Français le trust aurait bouleversé le


droit de propriété sans que l’on puisse recourir à une autre institution connue du
droit des biens tel que l’usufruit ou le droit d’usage : « faute d’Equity et de
Common law, il est impossible de concevoir le démembrement entre legal title
et equitable title que suppose le trust ».
Une autre solution aurait été de créer un nouveau démembrement de propriété.
Mais, selon certains auteurs comme Lucas, cela serait impossible en raison du
numerus clausus des droits réels qui s’oppose à la création de démembrements
de propriété non prévus par la loi. Toutefois, rien n’interdirait au législateur de
créer lui-même un nouveau démembrement de propriété. Quant à la valeur du
principe, elle est contestée par la doctrine depuis l’arrêt Caquelard, en date du 13
février 1834, qui autorise la création de droits réels par voie conventionnelle.
Quoi qu’il en soit, l’introduction du trust en droit français aurait supposé de
créer un nouveau droit réel, en passant outre le principe du numerus clausus, si
principe il y a, et surtout à définir les contours de ce nouveau droit réel. Dans ces
conditions, il était plus pertinent d’utiliser la fiducie car sa nature contractuelle
rendait son introduction en droit français plus souple.
- En outre, il convient de remarquer que le trust n’est pas une institution
monolithique en droit comparé. La frontière entre la propriété légale et la
propriété équitable peut sensiblement varier en fonction des législations
nationales. C’est pourquoi le droit anglais sera le seul qui retiendra notre
attention car il est la source d’inspiration de toutes les autres législations
relatives au trust et il demeure l’un des plus souples du genre.

Section 2 : La fiducie dans les pays Romano-Germanique :


- Dans les pays de tradition Romano-Germanique, la fiducie est généralement
préférée au trust car elle est elle-même issue du droit romain et, comme il a été
dit précédemment, sa nature contractuelle favorise son intégration dans les
systèmes juridiques héritiers du droit romain.
- Il convient de rappeler que ce dernier distinguait deux types de fiducie : -
D’une part, la fiducia cum amico, dont la finalité était de confier à un fiduciaire
la gestion d’un ou plusieurs bien, le constituant réalisant par ce biais un dépôt,
un prêt à usage ou une donation.
- D’autre part, la fiducia cum creditore, dont la finalité était de transférer à son
créancier la propriété d’un bien jusqu’à ce que la dette soit payée et le bien de
nouveau transféré au débiteur.
- Appliquée aux titres, en particulier aux actions, la fiducie adoptée par les droits
étrangers se révèle particulièrement efficace dans les trois domaines qui lui sont
traditionnellement assignés, à savoir les sûretés, les libéralités ou la gestion.
- Néanmoins, à l’instar du trust, la fiducie a mille visages. Chacun des pays
ayant intégré la fiducie dans son droit lui a donné une physionomie particulière :
consécration par la jurisprudence ou par la loi, application générale ou réservée
à des établissements financiers, contrôle étroit du juge ou liberté contractuelle,
etc.
- Parmi ces variantes, la plus importante est sans doute la consécration par la
jurisprudence ou par la loi. Cette distinction soulevée par un auteur se justifie
aisément : Les consécrations légales de la fiducie sont généralement récentes et
le régime juridique posé a souvent besoin d’être précisé. Au contraire, les
consécrations jurisprudentielles sont plus anciennes et ont été affinées depuis
lors, ne laissant plus de doutes quant à leur régime juridique.
- Seront successivement examinés deux exemples de fiducie en droit comparé :
*
- D’une part, la treuhand allemande, fiducie consacrée par la jurisprudence ;
- D’autre part, le contrat fiduciaire luxembourgeois, fiducie consacrée par la loi.
Dans les deux cas, il convient de préciser que la présentation de ces contrats doit
beaucoup aux travaux réalisés par le professeur Lucas.
Le droit allemand distingue l’« echte treuhand » ou fiducie authentique de l’«
unechte treuhand » ou fiducie non authentique, la différence entre les deux
reposant sur l’origine des biens mis en fiducie. La fiducie authentique est celle
où le fiduciant transfère la propriété de biens provenant de son propre
patrimoine au fiduciaire. Elle est la plus répandue en droit allemand.
Le fiduciaire, devenu propriétaire, dispose en conséquence de tous les pouvoirs
sur les biens, y compris le pouvoir de les aliéner. Le bénéficiaire, quant à lui, ne
dispose que d’un droit de créance sur le fiduciaire. Enfin, le fiduciant, bien que
n’étant plus titulaire de la propriété juridique, dispose néanmoins d’une
propriété économique qui lui confère un certain nombre de droits : il peut
notamment s’opposer à la saisie des biens par les créanciers du fiduciaire et les
retrancher de la procédure de faillite. Cette propriété économique du fiduciant
n’est pas sans rappeler la propriété équitable du droit anglais. La fiducie non
authentique est celle où les biens mis en fiducie ne proviennent pas du
patrimoine du fiduciant mais sont acquis directement par le fiduciaire. Cette
différence d’origine des biens a pour principale conséquence que le fiduciant ne
bénéficie plus de la propriété économique.
Il ne dispose pas du droit de s’opposer à la saisie des biens par les créanciers du
fiduciaire ni du droit de les retrancher de la procédure collective : « […] en
Allemagne, la jurisprudence n’assure la protection du fiduciant, censé être le
propriétaire économique des biens, qu’à l’égard de ceux [les biens] ayant
appartenu au fiduciant, à l’exclusion des biens acquis auprès de tiers, que ce soit
initialement ou en cours de fiducie, la protection jouant toutefois également pour
les fonds déposés dans des comptes fiduciaires quelle que soit leur provenance
».

* - le contrat fiduciaire luxembourgeois, fiducie consacrée par la loi


- Le contrat fiduciaire des établissements de crédit a été instauré par un
règlement grandducal en date du 19 juillet 1983, remplacé par la loi du 27 juillet
2003 relative au trust et aux contrats fiduciaires1344. Il s’agissait pour le
Luxembourg de se doter d’un contrat capable d’attirer les capitaux étrangers
dans un contexte de concurrence entre les places financières européennes : « les
banquiers luxembourgeois, désireux de bénéficier de la manne provenant des
opérations fiduciaires, estimée en 1983 à 11 milliards de dollars, ont obtenu le
règlement grand-ducal du 19 juillet 1983 . La principale particularité de ce
contrat est d’imposer la présence d’un établissement de crédit comme fiduciaire.
- Selon l’article 5 de la loi du 27 juillet 2003, « un contrat fiduciaire au sens du
présent titre est un contrat par lequel une personne, le fiduciant, convient avec
une autre personne, le fiduciaire, que celui-ci, sous les obligations déterminées
par les parties, devient propriétaire de biens formant un patrimoine fiduciaire ».
- La nature contractuelle du mécanisme appelle peu d’observations. La fiducie,
contrairement au trust, n’est pas une institution. Elle ne peut prendre que la
forme d’un contrat.
Plus intéressante est l’obligation de recourir comme fiduciaire à un
établissement de crédit ou à certaines sociétés ou organismes énumérés par
l’article 4 de la loi du 27 juillet 2003.
Le principal avantage de cette solution est de limiter les possibilités de fraude
car les établissements de crédit « sont soumis à des règles très contraignantes
relatives à leur agrément, au contrôle de leur activité et aux modalités de leur
éventuelle liquidation judiciaire. L’ensemble de ces règles destinées à protéger
les particuliers limite les risques de défaillance, ce qui est d’autant plus essentiel
lorsque le contrat repose sur la confiance. Avoir posé comme condition que le
fiduciaire soit une banque ou un établissement financier renforce la sécurité des
opérations et ne peut que contribuer au succès du mécanisme ».
De facto, les réglementations prudentielles encadrant l’activité des
établissements de crédit ont permis au législateur luxembourgeois de ne pas
avoir à réformer une grande partie de son droit civil. Le règlement introduisant
la fiducie au Luxembourg ne contenait initialement que 5 articles, de même que
la loi de 2003 n’en contient que 15.
Il convient de remarquer que le contrat fiduciaire luxembourgeois a servi
d’exemple à la France lorsque celle-ci a introduit la fiducie par la loi du 19
février 20071348 : en effet, selon l’article 2015 du Code civil français, la qualité
de fiduciaire était initialement réservée à quelques opérateurs financiers dont les
établissements de crédit. Depuis lors, l’article 18 de la loi du 4 août 2008 a
ouvert la qualité de fiduciaire aux avocats dont la profession est également
encadrée par le législateur1, même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’une
réglementation prudentielle.
- Une autre spécificité du contrat fiduciaire est que celui-ci n’est soumis à aucun
formalisme. C’est un contrat consensuel, ce qui signifie qu’il peut être conclu
verbalement. Toutefois, les parties prennent le soin de rédiger un écrit afin de se
ménager la preuve de leurs obligations mutuelles. Un tel contrat suppose
généralement une multitude d’obligations réciproques et il est invraisemblable
qu’un établissement de crédit ne rédige pas un écrit afin d’assurer la sécurité
juridique de l’opération.
CHAPITRE II LA FIDUCIE A L’AUNE DU DROIT POSITIF FRANÇAIS

- Le sénateur Marini, à l’origine de la proposition de loi sur l’introduction de la


fiducie en droit français, a défendu celle-ci en se fondant principalement sur les
deux arguments suivants :
En premier lieu, « La France ne peut pas rester insensible à la globalisation de
cet instrument juridique »1368. La plupart des pays du monde ont adopté cette
technique ou celle du trust. L’absence de fiducie en droit français a entraîné
certaines délocalisations d’opérations financières vers d’autres pays qui
connaissent le mécanisme. Ce fut le cas notamment pour l’entreprise Peugeot en
1990. Afin de réaliser une opération de défaisance, cette entreprise française a
eu recours au trust américain pour pallier l’absence de fiducie dans notre droit.
Ce type de délocalisation, motivé par une simple lacune juridique, engendre une
fuite des capitaux préjudiciable pour la France. C’est pourquoi « La volonté de
renforcer l’attractivité du droit français, en le dotant d’un instrument comparable
par sa finalité au trust des pays de common law ainsi qu’aux fiducies d’un
certain nombre de pays de tradition civiliste, a été le principal moteur de la
réforme ». En second lieu, l’existence de « fiducies innommées » n’est pas
satisfaisante car « il n’est pas souhaitable d’introduire des mécanismes en
cachant leur réalité juridique et en omettant de leur accorder la qualification qui
leur est appropriée ». La loi se doit d’être d’application générale, ce qui signifie
notamment qu’elle ne doit pas multiplier les régimes spéciaux alors qu’un
régime général permettrait de répondre aux besoins exprimés par les sujets de
droit. 938- La loi du 19 février 2007 instituant la fiducie, reprenant et modifiant
substantiellement la proposition de loi du sénateur Marini, a été adoptée pour
répondre aux défis précédemment énoncés. Désormais, il est établi dans le Livre
troisième du Code civil un Titre quatorzième intitulé « De la fiducie » et
comprenant les articles 2011 à 2030. Par ailleurs, il convient de rappeler que
l’article 18 de la loi du 4 août 2008, l’ordonnance du 30 janvier 2009 et la loi du
12 mai 2009ont apporté des modifications substantielles au régime de la fiducie.
C’est ainsi que l’ordonnance du 30 janvier 2009 et la loi du 12 mai 2009
introduisent dans le Code civil de nouvelles dispositions portant sur la fiducie-
sûreté en matière mobilière (les articles 2372-1 et suivants) et en matière
immobilière (les articles 2488-1 et suivants).
- L’article 2011 du Code civil définit la fiducie : « La fiducie est l’opération par
laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des
sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un
ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur propre patrimoine propre,
agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires ».
- La définition légale est souple dans certains domaines : - Le ou les constituants
peuvent transférer des biens, des droits ou des sûretés. Il en résulte que la fiducie
pourra avoir pratiquement n’importe quel objet. Néanmoins, un auteur remarque
que « Le tout est redondant : un bien est nécessairement un droit (droit réel), une
sûreté est aussi un droit (droit accessoire) ».
- Ces biens, droits ou sûretés peuvent être « présents ou futurs » ; - Il peut y
avoir un ou plusieurs constituants, un ou plusieurs fiduciaires et un ou plusieurs
bénéficiaires.
- Toutefois, dans le but de protéger les intérêts du Trésor public, les articles
2013 et 2015 du Code civil posent encore des conditions d’application
restrictives même si l’article 18de la loi du 4 août 2008 abroge l’article 2014 qui
réservait la qualité de fiduciant aux seules personnes morales soumises à l’impôt
sur les sociétés : Selon l’article 2013, « Le contrat de fiducie est nul s’il procède
d’une intention libérale au profit du bénéficiaire. Cette nullité est d’ordre public
». En d’autres termes, la fiducie libéralité, en ce compris la fiducie réalisée dans
le but de transmettre une entreprise, est totalement prohibée. Cette prohibition
est d’autant plus malvenue que le trust et la fiducie se voient traditionnellement
reconnaître la transmission à titre gratuit comme l’une de leurs applications
majeures1.
Selon l’article 2015, « Seuls peuvent avoir la qualité de fiduciaires les
établissements de crédit mentionnés à l’article L. 511-1 du code monétaire et
financier, les institutions et services énumérés à l’article L. 518-1 du même
code, les entreprises d’investissement mentionnées à l’article L. 531-4 du même
code ainsi que les entreprises d’assurance régies par l’article L. 310-1 du code
des assurances. Les membres de la profession d’avocat peuvent également avoir
la qualité de fiduciaire ».
En d’autres termes, la qualité de fiduciaire, hors le cas particulier des avocats,
est « réservée à des professionnels rompus à la valorisation d’actifs et présentant
de solides garanties prudentielles : établissements de crédit, entreprises
d’investissement et d’assurance, Trésor public, Banque de France, La Poste,
Caisse des dépôts, etc ».
Ce caractère restrictif ne permet pas de considérer la fiducie comme un contrat
de droit commun. Cependant, ce texte ouvre la qualité de fiduciaire à l’ensemble
des opérateurs sur les marchés financiers et s’inspire largement du contrat
fiduciaire luxembourgeois où le fiduciaire est nécessairement un établissement
de crédit. En outre, l’article 18 de la loi du 4 août 2008 a étendu aux avocats la
possibilité de devenir fiduciaires en créant l’alinéa second de l’article 2015.
Cette disposition permettra à terme d’ouvrir la qualité de fiduciaire à d’autres
professionnels, tels que les notaires, en raison de leur compétence dans la
gestion patrimoniale.
Le régime juridique de la fiducie pose une autre difficulté relative à la nature des
droits concédés au fiduciaire. La loi ne fait référence qu’à un « transfert » de
biens, de droits ou de sûretés, sans jamais évoquer un transfert de propriété : «
La méthode est évidemment critiquable, car le mot pêche par son imprécision ».
Néanmoins, le transfert de propriété ne fait aucun doute puisque le sénateur
Marini précise clairement la nature de la fiducie : « Il s’agit d’un contrat
synallagmatique translatif de propriété à titre temporaire et pour une fin
déterminée, impliquant une relation triangulaire ». Cette définition est partagée
par l’ensemble de la doctrine.
Une autre interprétation avait été proposée lors d’une précédente tentative
d’introduire la fiducie en droit français : selon le professeur Lucas, le fiduciaire,
lorsque la fiducie porte sur des titres négociables, ne serait être assimilé
uniquement à un propriétaire mais devrait être considéré plus largement comme
le titulaire d’un droit de créance. Selon cette conception, la fiducie réaliserait un
transfert sui generis de droits du constituant vers le fiduciaire, transfert qui ne
serait pas réductible à un transfert de propriété.
Le problème est que nul ne sait quel serait le régime juridique de ce transfert sui
generis et notamment quels seraient les droits dont dispose le titulaire. C’est
pourquoi cette interprétation doit être fermement rejetée : la fiducie telle
qu’introduite en droit français est translative de propriété et de nombreux
arguments plaident en faveur de ce choix :
- Historiquement, la fiducia du droit romain opérait toujours un transfert de
propriété1392. - L’étude du droit comparé démontre également que les fiducies
étrangères opèrent un transfert de propriété.
- Le sénateur Marini n’imagine pas que la fiducie introduite en droit positif, à
son initiative, soit autre chose qu’un transfert temporaire de propriété.
- Afin de mieux décrire tous les aspects de la loi du 19 février 2007, seront
successivement étudiés les conditions d’application de la fiducie (§ 1) et son
extinction (§ 2).
Section 1 - Les conditions d’application de la fiducie
- La fiducie étant soumise aux principes généraux du droit des obligations, la loi
n’envisage que les conditions inhérentes à ce contrat. On peut y distinguer de
pléthoriques conditions de fond (A) et de forme (B).
A - Les conditions de fond
- Les principales conditions de fond sont relatives aux parties (1) mais certaines
conditions relatives à l’objet nécessitent des précisions (2). 1 - Les conditions
relatives aux parties
- Seront successivement étudiées les situations du constituant (a), du fiduciaire
(b) et du bénéficiaire (c). a - Le constituant (fiduciant)
- Avant son abrogation par l’article 18 de la loi du 4 août 2008, l’article 2014 du
Code civil disposait que le constituant ne pouvait être qu’une personne morale
soumise de plein droit ou sur option à l’impôt sur les sociétés :
- Les personnes morales soumises de plein droit à l’impôt sur les sociétés sont
les sociétés à responsabilité limitée, les sociétés anonymes, les sociétés en
commandite par actions, les sociétés civiles qui exercent une activité
commerciale, les sociétés coopératives et les établissements publics.
- D’autres personnes morales peuvent opter pour l’impôt sur les sociétés, à
savoir les sociétés en nom collectif, les sociétés civiles, les sociétés en
commandite simple, les exploitations agricoles et les sociétés civiles
professionnelles.
- L’exclusion des personnes physiques et des autres personnes morales était
comme toujours justifiée par la crainte des fraudes fiscales1
. Pourtant, le régime de neutralité fiscale et l’interdiction de la fiducie-libéralité
suffisaient à éviter toute fraude.
L’une des conséquences de cette restriction était l’impossibilité d’utiliser la
fiducie aux fins de gérer les patrimoines des personnes vulnérables, ce qui était
l’une des principales motivations de la proposition de loi.
L’abrogation de l’article 2014 a pour conséquence positive de permettre
l’utilisation de la fiducie dans ce but.
- En outre, le législateur n’avait pas tiré toutes les conclusions logiques de cette
restriction : si les personnes physiques devaient être exclues de la fiducie, il eut
été judicieux de ne pas introduire celle-ci dans le Code civil, code des personnes
physiques par excellence, mais plutôt dans le Code monétaire et financier. Celle-
ci n’aurait pas dépareillé au milieu d’une infinité de contrats aux conditions
d’application luxuriantes. C’est pourquoi l’abrogation de l’article 2014, en plus
d’élargir le champ d’application de la fiducie aux personnes physiques, a
également le mérite de légitimer la présence de la fiducie dans le Code civil.
À ce titre, Maître Hohl commentait de la manière suivante l’exclusion des
personnes physiques : « De nombreuses raisons ont été invoquées par les
initiateurs de la loi sur la fiducie française pour expliquer l’exclusion des
personnes physiques. Il s’agit de motifs d’ordre politiques, liés à une doctrine
basée sur le soupçon envers les français en général et les entreprises en
particulier. En effet, jusqu’en 1968, l’exportation de capitaux était interdite, et
personne ne supposait que les délocalisations se produiraient malgré les carcans
juridiques ou fiscaux existants. Cette méfiance de l’Administration envers les
initiatives des particuliers ou des entreprises prend sa source dans des doctrines
colbertistes, marxistes ou interventionnistes. Ce n’est qu’en 1989 avec la chute
du mur de Berlin et l’effondrement du communisme que les yeux ont commencé
à s’ouvrir sur les méfaits de telles doctrines sur le fonctionnement des
économies nationales. C’est aussi la raison pour laquelle dès 1992 la
Chancellerie présentait un projet complet de fiducie, d’une dizaine d’articles,
suivis d’une réglementation fiscale et comptable tatillonne qui n’a pu permettre
d’aboutir. L’obsession du Service de Législation Fiscale était toujours le même :
empêcher l’évasion des capitaux et les délocalisations. Et celles-ci se sont faites
quand même ! Nous sommes le pays où il y a eu justement le plus de
délocalisations et de fuites des capitaux… en toute légalité ! ».
En dehors de cette restriction absurde et mort-née, il convient de remarquer que
si l’article 2016 du Code civil autorise expressément le constituant à devenir le
bénéficiaire ou l’un des bénéficiaires, il n’en est pas de même pour le cumul des
qualités de constituant et de fiduciaire : « Le constituant ou le fiduciaire peut
être le bénéficiaire ou l’un des bénéficiaires du contrat de fiducie » :
- L’interprétation a contrario de ce texte conduit nécessairement à envisager
l’impossibilité de cumuler les fonctions de constituant et de fiduciaire.
- Cette interprétation sort renforcée par les conditions propres à la qualité de
fiduciaire, posées par l’article 2015 du Code civil, qui demeurent restrictives
puisque cette qualité est ouverte aux seuls opérateurs sur les marchés financiers
et avocats.
De même, la lecture de l’article 2011 indique que le transfert de biens, de droits
ou de sûretés doit se faire obligatoirement à une autre personne1, ce qui interdit
encore le cumul des qualités constituant / fiduciaire.
- Pour conclure sur ce point, l’interdiction de cumuler les qualités de constituant
et de fiduciaire a vraisemblablement pour but de protéger les créanciers du
constituant contre une organisation frauduleuse de son insolvabilité.
La création d’un patrimoine d’affection dont le constituant serait le fiduciaire
reviendrait à diminuer l’actif de son patrimoine en le dissimulant. C’est
pourquoi l’interdiction du cumul des qualités de constituant et de fiduciaire doit
être approuvée, la fiducie ne devant pas devenir un instrument de fraude.
b - Le fiduciaire
- Selon l’article 2015 du Code civil, « Seuls peuvent avoir la qualité de
fiduciaires les établissements de crédit mentionnés à l’article L. 511-1 du code
monétaire et financier, les institutions et services énumérés à l’article L. 518-1
du même code, les entreprises d’investissement mentionnées à l’article L. 531-4
du même code ainsi que les entreprises d’assurance régies par l’article L. 310-1
du code des assurances Les membres de la profession d’avocat peuvent
également avoir la qualité de fiduciaire ». En d’autres termes, ne peuvent
accéder à la qualité de fiduciaire que les principaux opérateurs sur les marchés
financiers (établissements de crédit, entreprises d’investissement, entreprises
d’assurance, Trésor public, Banque de France, Banque Postale, Caisse des
dépôts)et, depuis la loi du 4 août 2008, les avocats.
- Les conditions relatives au fiduciaire pourraient à elles seules interdire de
compter la fiducie parmi les contrats de droit commun. Elles ont pour résultat de
faire de la fiducie un contrat spécial dont la place serait davantage dans le Code
monétaire et financier que dans le Code civil : le domaine légal de la fiducie «
est bancaire et financier, comme l’indique l’article 2015 du Code civil qui
présente les fiduciaires potentiels : établissements de crédit, entreprises
d’investissement ou d’assurance. Le contrat de fiducie offre dès lors un cadre
concurrent aux opérations financières complexes comme le portage ».
- Il n’en demeure pas moins que les restrictions pesant notamment sur le
fiduciaire permettent au législateur de s’assurer à bon compte de l’absence de
fraudes et de la sécurité de l’opération. En effet, les personnes morales retenues
pour être fiduciaires sont toutes soumises à des réglementations prudentielles, ce
qui les place de facto sous l’étroite surveillance des pouvoirs publics : « A vrai
dire, si les seules personnes morales mentionnées à l’article 2015 ont été
retenues, c’est essentiellement pour deux raisons plus précises mises en avant
par les parlementaires. D’une part, ces personnes font l’objet d’un double
contrôle : soumises à un agrément ou une déclaration lors de leur constitution,
leur activité est ensuite contrôlée par différentes autorités administratives
compétentes pour leurs secteurs respectifs, ces autorités étant dotées d’un
pouvoir de sanction administrative en cas de violation caractérisée de leurs
obligations déontologiques et pouvant saisir la justice en cas d’infraction pénale.
D’autre part, ces mêmes personnes morales doivent respecter un ensemble de
règles précises et fort contraignantes en matière de lutte contre le blanchiment de
capitaux (articles L. 562-2 et L. 563-1 du code monétaire et financier) ».
Cette remarque doit être étendue aux avocats puisque leur profession est elle-
même très encadrée par la loi. Dans ce sens, l’article 2029 du Code civil dispose
que le contrat de fiducie prend fin si le fiduciaire avocat subit une interdiction
temporaire, une radiation ou une omission du tableau : « Si la perte, même
temporaire, de la qualité d’avocat met fin à la fiducie, c’est bien que la fiducie
est une qualité attachée à celle d’avocat […] »
- Néanmoins, l’encadrement de la qualité de fiduciaire par l’article 2015 permet
à la majorité des opérateurs sur les marchés financiers d’accéder à cette
responsabilité. L’objectif de doter ces opérateurs d’un contrat sûr, basé sur le
transfert temporaire de propriété et d’application suffisamment générale, est
rempli.
De plus, le choix du législateur français n’est pas isolé puisqu’il s’inspire
directement du contrat fiduciaire luxembourgeois où le fiduciaire doit avoir la
qualité d’établissement de crédit.
- Pour conclure sur ce point, il convient de remarquer que si la fiducie porte sur
des portefeuilles de valeurs mobilières, cela permettra aux organismes de
placement collectif de remplir leurs obligations légales en matière de détention
de titres. Leur activité pourrait être confortée, notamment s’ils s’inspirent de la
treuhand allemande : la fiducie-gestion du droit allemand ou
verwaltungstreuhand est utilisée afin de réaliser des placements collectifs en
valeurs mobilières. L’opération prend la forme suivante en Allemagne : un
organisme de placement collectif en valeurs mobilières achète des titres qu’il
regroupe dans un patrimoine d’affectation. Il émet ensuite sur un marché
financier des certificats représentant une quote-part de ce patrimoine.
Généralement, l’opération prend la forme d’une fiducie authentique où
l’organisme de placement collectif devient propriétaire fiduciaire du portefeuille
tandis que les acheteurs de certificats disposent de la propriété économique.
En droit français, les O.P.C.V.M. qui répondent aux conditions de l’article 2015
du Code civil peuvent réaliser le même montage. Le sénateur Marini évoque
d’ailleurs cette possibilité lorsqu’il précise que la fiducie peut faciliter la
réalisation d’opérations financières complexes telles que la titrisation de
créances. Cela permettrait aux O.P.C.V.M. français de réaliser des profits en tant
que fiduciaires mais aussi de remplir leurs obligations légales de détention de
titres.
c - Le bénéficiaire
- La loi prévoit peu de conditions relatives au bénéficiaire. La solution est
justifiée car « le ou les bénéficiaires du contrat ne sont pas parties à celui-ci »
- Toutefois, l’article 2016 admet que « le constituant ou le fiduciaire peut être le
bénéficiaire ou l’un des bénéficiaires du contrat de fiducie ». L’expression paraît
recouper toutes les formes de fiducie. Elle est conforme aux indications du
sénateur Marini, dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi, selon lequel «
le fiduciaire pourra être le seul bénéficiaire. Ceci permettra notamment de
recourir à des fiducies-garanties ». Cette dernière énonciation, par l’usage du
mot « notamment », évoque la possibilité pour le fiduciaire d’être bénéficiaire
en dehors même des hypothèses de fiducies-sûretés : ce sera le cas dans d’autres
hypothèses telles que la fiducie-gestion.
- Une autre condition relative au bénéficiaire doit être abordée. L’article 2018 5°
du Code civil prévoit que le contrat de fiducie doit déterminer ou rendre
déterminable « L’identité du ou des bénéficiaires ou, à défaut, les règles
permettant leur désignation ». Ce texte a le mérite d’offrir aux parties une
grande souplesse dans la désignation du bénéficiaire. Il sera néanmoins conseillé
au constituant de conserver un droit de regard sur la désignation de ce dernier.
Qui paye commande.
- Enfin, il convient de rappeler que l’article 2013 du Code civil interdit, à peine
de nullité, la fiducie procédant d’une intention libérale au profit du bénéficiaire.
Cette disposition, même si elle a pour but d’éviter les fraudes aux droits de
mutation, constitue une limite importante au champ d’application de la fiducie.
Elle interdit au constituant d’utiliser la fiducie pour préparer sa succession alors
même que ce contrat se serait révélé un instrument salutaire pour transmettre les
entreprises, comme il le fait déjà dans de multiples droits étrangers.
Il aurait suffi de désigner les héritiers et légataires du constituant comme
bénéficiaires de la fiducie, en prenant les précautions nécessaires pour ne soient
pas heurtés les droits du trésor public ou encore ceux des héritiers réservataires.
Néanmoins, si l’interdiction d’utiliser la fiducie-libéralité a été posée dans le but
de vaincre les réticences de l’administration fiscale, on peut espérer que cette
forme de fiducie soit autorisée à l’avenir lorsque ce contrat fera l’objet d’une
plus grande confiance des pouvoirs publics. Il convient cependant de constater
que cette légalisation de la fiducie-libéralité n’est pas le moins du monde
envisagée par le législateur.
2 - Les conditions relatives à l’objet
- Selon l’article 2011 du Code civil, « La fiducie est l’opération par laquelle un
ou
plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un
ensemble de
biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires
qui, les tenant
séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un
ou plusieurs
bénéficiaires ».
- Lorsqu’il a déposé sa proposition de loi, le sénateur Marini définissait déjà
l’objet du
contrat comme « un transfert de droits (lesquels incluent nécessairement les «
biens »),
accompagné d’une charge de gestion, telle que définie dans le contrat ».
En d’autres termes, l’objet du contrat regroupe deux acceptions, couramment
admises par la
doctrine :
- Un sens matériel, les droits faisant l’objet du transfert (a) ;
- Un sens technique, la finalité de la fiducie (b).

« À l’origine, des difficultés de nature fiscale ont été un frein à l’adoption du


projet de loi instituant la
fiducie déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale le 20 février 1992.
[…]C’est dans cette perspective que
cette proposition s’inscrit. Afin d’éviter les difficultés fiscales et les risques de
fraudes en cas de transmission, il
y est prévu que « la fiducie ne peut pas, à peine de nullité, être utilisée aux fins
de transfert à titre gratuit de

a - Les droits faisant l’objet du transfert


- Il résulte de l’article 2011 que la fiducie peut porter sur tous les types de droits
réels et personnels :
- Droits réels principaux lorsqu’il s’agit de biens ;
- Droits réels accessoires lorsqu’il s’agit de sûretés réelles ;
- Droits personnels lorsqu’il s’agit par exemple de créances ou de valeurs
mobilières.
- Un auteur a néanmoins affirmé que ce texte n’envisageait pas le transfert de
dettes ou
d’obligations, ce qui limiterait le transfert de droits personnels aux seuls
éléments d’actifs.
Toutefois, aucune interdiction n’apparaît dans l’article 2011 ni dans toute autre
disposition de
la loi. C’est pourquoi le Conseil National de la Comptabilité valide la pratique
du transfert de
dettes tant que celles-ci ne sont pas isolées.
Quant à la doctrine, elle considère majoritairement que ce transfert est possible1.
À ce titre,
un auteur présente deux arguments irréfutables : « D’une part, la rédaction de
l’article 2011
du Code civil est identique à celle de la proposition de loi dont les auteurs
envisageaient
expressément cette finalité. D’autre part, des dispositions de la loi admettent le
transfert d’un
passif, lors de la constitution de la fiducie. La portée de l’article 2011 est
amoindrie par le
volet comptable de la loi ». L’article 12 de la loi du 19 février 2007 illustre
parfaitement
cette dernière assertion en faisant référence aux « éléments d’actif et de passif
transférés dans
le cadre de l’opération mentionnée à l’article 2011 ».
Ce transfert est néanmoins conditionné. Le rapporteur de la proposition de loi à
la
Commission des lois du Sénat, Monsieur De Richemont, précise que la fiducie
ne pourra pas
porter uniquement sur un transfert de dettes : « Il est en effet important d’éviter
que la fiducie
puisse permettre à une personne de se décharger de l’intégralité de son passif, au
mépris des
droits des créanciers .
Au final, cette possibilité de transférer également des dettes est déterminante
puisqu’elle
autorise la réalisation d’opération de défaisance : « La fiducie pourrait ainsi être
utilisée dans
le cadre d’opérations de defeasance, par lesquelles le constituant transférerait à
un fiduciaire
une partie de ses dettes accompagnées de certains actifs, le fiduciaire étant
chargé d’assurer
le service de la dette ».
Quoi qu’il en soit, l’article 2011 permet à la fiducie d’avoir un champ
d’application
étendu sur le plan de son objet matériel. Peuvent ainsi faire l’objet d’une
fiducie :
- Tous les biens corporels tels que les meubles ou les immeubles ;
- Tous les biens incorporels tels que les fonds de commerce, les titres financiers
dont les
actions, les contrats, les droits de créance, etc.
En outre, l’article 2011 précise que les biens, droits où sûretés peuvent être
présents ou
futurs. Ils peuvent même avoir un caractère conditionnel. La seule exigence
posée par la
loi est celle prévue par l’article 2018 1° selon lequel les biens, droits ou sûretés
doivent être
déterminables s’ils sont futurs.
- Enfin, il convient de remarquer que le transfert des créances mises en fiducie
prend la
forme d’une cession simplifiée depuis que l’article 18 de la loi du 4 août 2008 a
créé un
article 2018-2 qui dispose que « La cession de créance réalisée dans le cadre
d’une fiducie
est opposable aux tiers à la date du contrat de fiducie ou de l’avenant qui la
constate. Elle ne
devient opposable au débiteur de la créance cédée que par la notification qui lui
en est faite
par le cédant ou le fiduciaire ».

Cette « opposabilité simplifiée » permet aux cessions de créances à un fiduciaire


de ne pas
être « obérées par des règles désuètes, la lourdeur du formalisme de droit
commun (C.civ.,
art. 1690) n’étant pas adaptée à des cessions nombreuses de créances ».
Cette cession de créances simplifiée pourrait également permettre à terme de
remplacer la
cession Dailly par la fiducie, lorsque les conditions de fond et de forme de la
fiducie auront
été assouplies.

b - La finalité de la fiducie
- L’article 2011 donne une définition très large des finalités de la fiducie, à
savoir agir
« dans un but déterminé au profit d’un ou de plusieurs bénéficiaires ».
Néanmoins, il
convient de rappeler les dispositions de l’article 2013 selon lequel « Le contrat
de fiducie est
nul s’il procède d’une intention libérale au profit du bénéficiaire. Cette nullité
est d’ordre
public ». Le sénateur Henri de Richemont justifie cette interdiction par « la
consécration
récente du mandat à effet posthume de l’article 812 du Code civil ; de la
libéralité graduelle,
désormais licite (article 1048 du Code civil), de la libéralité résiduelle,
désormais élargie
(article 1049 du Code civil) ».
- En dehors de la fiducie-libéralité, toutes les fiducies, à fins de gestion ou de
sûreté, sont
autorisées tant qu’elles ne contreviennent pas à l’ordre public. Ces finalités
devront être
indiquées dans le contrat, en vertu de l’article 2018 6° selon lequel le contrat de
fiducie doit
déterminer, à peine de nullité, « la mission du ou des fiduciaires et l’étendue de
leurs pouvoirs
d’administration et de disposition ».
- On peut déjà évoquer quelques exemples de missions qui pourront être
affectées à une
fiducie d’actions :
- S’agissant de la fiducie-gestion, celle-ci drainera des capitaux dans le domaine
du
placement en valeurs mobilières. Comme il a été remarqué précédemment1438,
certains
opérateurs sur les marchés financiers, tels que les O.P.C.V.M., auront intérêt à
recourir à la fiducie. Il leur suffira d’acheter des titres afin de les regrouper dans
un patrimoine
d’affectation puis d’émettre ensuite des certificats représentant une quote-part de
ce
patrimoine sur un marché financier.
- S’agissant de la fiducie-sûreté, le sénateur Marini proposait « d’utiliser sous
une
nouvelle forme la propriété à titre de garantie ». La sûreté fiduciaire n’étant pas
accessoire à la créance garantie, cela signifie que le patrimoine fiduciaire, selon
les
termes du contrat, ne sera pas automatiquement restitué au constituant lors de
l’extinction de la créance initiale. Il pourra servir de garantie à une nouvelle
créance,
postérieure, sans nécessiter la création d’une nouvelle fiducie. À ce titre, « La
fiduciegarantie pourra porter sur des créances existantes ou futures, de manière
analogue à
ce qui est permis en matière de « cession Dailly » »
. Les vœux exprimés par le
sénateur ont été entendus puisque l’ordonnance du 30 janvier 20091442 encadre
cette
possibilité donnée aux parties aux articles 2372-5 du Code civil pour les
meubles et
2488-5 pour les immeubles.
- Pour conclure sur les conditions de fond de la fiducie, le constat est le suivant :
en plus
de l’interdiction de la fiducie-libéralité, critiquée par la doctrine, les conditions
relatives au
fiduciaire sont, en l’état, particulièrement restrictives, ce qui interdit de
considérer la fiducie
comme un véritable contrat de droit commun. Toutefois, la possibilité offerte
aux personnes
physiques de devenir constituants, depuis la loi du 4 août 2008, élargit
considérablement le
champ d’application de la fiducie. C’est un premier pas qui devra être suivi par
d’autres,
d’autant plus que des conditions de forme toutes aussi drastiques s’ajoutent aux
conditions de
fond.

B - Les conditions de forme


- Les conditions de forme sont :
- La rédaction d’un écrit (1) ;
- Des mentions obligatoires (2) ;
- L’enregistrement et la publicité foncière du contrat de fiducie et de ses
avenants (3) ;
- L’inscription à un registre national des fiducies (4).
1 - La rédaction d’un écrit
- La rédaction d’un écrit est requise, sous peine de nullité, par l’alinéa premier
de l’article
2012 : « La fiducie est établie par la loi ou par contrat. Elle doit être expresse ».
La fiducie est principalement un contrat solennel où la rédaction d’un écrit est
imposée « ad
validitatem ». En outre, l’ordonnance du 30 janvier 2009 a introduit un second
alinéa à
l’article 2012 précisant que « Si les biens, droits ou sûretés transférés dans le
patrimoine
fiduciaire dépendent de la communauté existant entre les époux ou d’une
indivision, le
contrat de fiducie est établi par acte notarié à peine de nullité ».
Quant à la fiducie établie par la loi, « La référence à la source légale a pu être
justifiée par la
volonté des sénateurs de réserver au législateur la création future de fiducies
spéciales ».
Cette constitution d’origine légale devrait néanmoins demeurer exceptionnelle.
- Le sénateur Marini justifiait la forme solennelle de la fiducie par la volonté de
faciliter
« certaines vérifications par les autorités de l’Etat, évitant ainsi des risques
d’abus ».
La rédaction d’un écrit « ad validitatem » a pour objectif premier de prévenir les
fraudes.
Cette exigence doit être approuvée car elle a permis de lever les inquiétudes de
l’administration fiscale pesant sur la fiducie. La proposition de loi Marini et la
loi de 2007 se sont ainsi démarquées du projet de loi de 1992 qui n’exigeait un
écrit qu’à titre probatoire1451
et a en partie échoué à cause de cette erreur.

Section 2 : Le dénouement de la fiducie

- Les principales causes d’extinction de la fiducie sont : - Les causes envisagées


par l’article 2029 du Code civil (1) ; - L’absence de bénéficiaire envisagé par
l’article 2030 du Code civil (2). 1 - Les causes envisagées par l’article 2029 du
Code civil 1048- L’article 2029 du Code civil, tel que modifié par la loi du 4
août 2008, prévoit les causes de résiliation suivantes : « Le contrat de fiducie
prend fin par le décès du constituant personne physique, par la survenance du
terme ou par la réalisation du but poursuivi quand celle-ci a lieu avant le terme.
Lorsque la totalité des bénéficiaires renonce à la fiducie, il prend également fin
de plein droit, sauf stipulations du contrat prévoyant les conditions dans
lesquelles il se poursuit. Sous la même réserve, il prend fin lorsque le fiduciaire
fait l’objet d’une liquidation judiciaire ou d’une dissolution ou disparaît par suite
d’une cession ou d’une absorption et, s’il est avocat, en cas d’interdiction
temporaire, de radiation ou d’omission du tableau ».
- Il résulte de ce texte que la fiducie prend fin par :
- Le décès du constituant (a) ;
- La survenance du terme (b) ;
- La réalisation du but poursuivi quand celle-ci a lieu avant le terme (c) ;
- La renonciation de la totalité des bénéficiaires (d) ;
- La disparition du fiduciaire ou la cessation de son activité d’avocat (e).

a - Le décès du constituant
- Dès lors que la loi du 4 août 2008 ouvrait la qualité de constituant aux
personnes physiques, il était logique qu’elle prévoit le dénouement de la fiducie
lors de leurs décès. Toutefois, ce dénouement de plein droit n’était pas sans
poser de problèmes en cas de fiducie-sûreté : en effet, l’alinéa second de l’article
2030 précise que « Lorsqu’il prend fin par le décès du constituant, le patrimoine
fiduciaire fait de plein droit retour à la succession ».
Il en résulte que le fiduciaire créancier pouvait être privé de sûreté en raison du
décès de son cocontractant. Cette solution était dangereuse pour le créancier et,
par conséquent, néfaste au développement de la fiducie-sûreté, même s’il est
possible d’atténuer ces inconvénients en stipulant « une déchéance du terme
automatique de la dette de la personne physique en cas de décès ». On peut
néanmoins douter que cette déchéance du terme soit acceptable pour les parties.
b - La survenance du terme
- Ce cas de dénouement de la fiducie ne pose pas de problèmes puisqu’il
correspond parfaitement aux prévisions des parties. Il convient seulement de
rappeler qu’en vertu de l’article 2018 2°, la fiducie ne peut excéder 99 ans, sous
peine de nullité. Cette disposition a pour but d’éviter l’inaliénabilité des biens
mis en fiducie.
Toutefois, rien n’interdit aux parties de conclure une nouvelle fiducie après
l’épuisement de ce délai.

c - La réalisation du but poursuivi quand celle-ci a lieu avant le terme

- Cette cause d’extinction est proche du cas précédent puisqu’elle est relative à
la réalisation de l’objet de la fiducie : il s’agit de nouveau d’éviter
l’inaliénabilité des biens mis en fiducie. Néanmoins, la réalisation du but
poursuivi avant le terme fixé signifiera généralement que le fiduciaire a été plus
efficace que ne le prévoyaient les parties. À ce titre, le contrat pourra envisager
l’octroi d’une prime au fiduciaire particulièrement diligent.
d - La renonciation de la totalité des bénéficiaires

- Selon l’alinéa second de l’article 2029, la renonciation de la totalité des


bénéficiaires entraîne la résiliation de plein droit de la fiducie sauf si le contrat
prévoit les conditions dans lesquelles celle-ci peut se poursuivre. Le fiduciaire
aura tout intérêt à insérer ces prévisions dans le contrat : à défaut, il suffira au
constituant de renoncer à ses droits de bénéficiaire pour obtenir la résiliation de
plein droit de la fiducie1582. Le fiduciaire peut parer ce risque en insérant une
clause contraignant le constituant à accepter le bénéfice de la fiducie dès sa
constitution.

e - La disparition du fiduciaire ou la cessation de son activité d’avocat

- L’alinéa second de l’article 2029 du Code civil envisage toutes les causes de
disparition possibles : liquidation judiciaire, dissolution, disparition à la suite
d’une cession ou d’une absorption ou, s’il est avocat, en cas d’interdiction
temporaire, de radiation ou d’omission de tableau.
- Cette cause d’extinction se justifie par la volonté de préserver le caractère
intuitu personae de la fiducie. La réputation du fiduciaire, notamment lorsqu’il
est un établissement de crédit, une entreprise d’investissement ou d’assurance,
est déterminante. C’est en considération de cette réputation que le constituant
contracte la fiducie. L’explication est transposable au fiduciaire avocat.
- Dès lors, il peut paraître logique que la fiducie soit résiliée lorsque le fiduciaire
perd son indépendance à la suite d’une cession ou d’une absorption. Cette perte
d’indépendance peut légitimement faire craindre au constituant ou au
bénéficiaire une gestion de moins bonne qualité de la part du nouveau fiduciaire.
Il n’en demeure pas moins que cette résiliation fragilise encore certains
créanciers : « le sort du contrat de fiducie en cas de cession ou d’absorption
d’entreprise est assez surprenant dans l’hypothèse d’une fiducie-sûreté. À
supposer qu’une fusion de banques intervienne, l’établissement absorbé ayant
par ailleurs un rôle de fiduciaire risquerait de voir sa sûreté disparaître du fait de
cette opération de restructuration ».
Toutefois, cette difficulté est aisément surmontable dans la mesure où l’alinéa
second de l’article 2029 permet aux parties de prévoir les conditions dans
lesquelles la fiducie se poursuit après une cession ou une absorption : une clause
appelée à devenir commune à toutes les fiducies-sûretés…
- Quant aux hypothèses de la liquidation judiciaire et de la dissolution, le
fiduciaire n’y perd pas seulement son indépendance mais son existence même,
ce qui rend impossible la continuation de la fiducie, à moins que le constituant
ou le bénéficiaire obtienne la nomination d’un fiduciaire provisoire ou le
remplacement du fiduciaire, en faisant jouer l’article 2027 du Code civil.
- Enfin, s’agissant du fiduciaire avocat, la résiliation de la fiducie, suite à une
interdiction temporaire, une radiation ou une omission de tableau, se justifie par
l’incapacité pour le praticien d’exercer sa profession mais aussi par la perte de
confiance qu’il peut inspirer. Une alternative à la résiliation est heureusement
possible : « La perte, même temporaire, de la qualité d’avocat pour l’avocat
fiduciaire mettant fin au contrat de fiducie, ce qui peut être d’une extrême
gravité pour le constituant et le bénéficiaire, il sera fortement souhaitable qu’un
seul avocat ne puisse être fiduciaire sauf pour des missions de courte durée »
f - L’absence de bénéficiaire envisagé par l’article 2030 du Code civil
– Cette cause d’extinction de la fiducie est prévue par l’article 2030 du Code
civil : « Lorsque le contrat de fiducie prend fin en l’absence de bénéficiaire, les
droits, biens ou sûretés présents dans le patrimoine fiduciaire font de plein droit
retour au constituant. Lorsqu’il prend fin par le décès du constituant, le
patrimoine fiduciaire fait de plein droit retour à la succession »
Hormis le cas du décès du constituant, introduit par la loi du 4 août 2008, ce
texte ne distingue pas les différentes hypothèses d’absence du bénéficiaire. C’est
pourquoi il convient d’y englober la renonciation de la totalité des
bénéficiaires.*
D’autres cas, évoqués à propos de la disparition du fiduciaire, sont
envisageables : on songe par exemple à la liquidation judiciaire du bénéficiaire
et à sa dissolution.
- Mais la comparaison avec le fiduciaire s’arrête là car la cession ou l’absorption
du bénéficiaire ne provoquera pas la résiliation de la fiducie et le retour des
droits dans le patrimoine du constituant. En effet, la résiliation se justifie quand
le fiduciaire disparaît car le constituant contracte avec lui en considération de sa
personne. Mais lorsque le bénéficiaire disparaît de cette façon, cela n’affecte pas
les intérêts du fiduciaire : celui-ci se moque de savoir qui est le bénéficiaire, il
ne contracte lui-même qu’en considération de la personne du constituant. Le fait
que le bénéficiaire change d’identité à la suite d’une cession ou d’une absorption
lui est indifférent. En outre, ce « nouveau » bénéficiaire tient ses droits dans la
fiducie parce qu’acheter ou absorber l’ancien bénéficiaire, c’est acquérir
l’ensemble de son patrimoine, y compris son droit de créance sur le patrimoine
fiduciaire. Ce droit de créance est transmis de plein droit au nouveau
bénéficiaire en tant qu’ayant droit de l’ancien bénéficiaire. 1063- Pour conclure
sur le dénouement de la fiducie, les difficultés qui peuvent surgir ne sont en
aucun cas imputables à la technique fiduciaire (la preuve en est donné par les
droits étrangers) mais sont la résultante d’une excessive rigidité de la loi de
2007. Ces difficultés disparaîtront lorsque l’administration et le législateur se
montreront moins méfiants vis-à-vis de la fiducie. Quant aux conséquences du
dénouement de l’opération, elles sont les suivantes :
- Les biens, droits et sûretés sont transférés vers le patrimoine du bénéficiaire ou
du constituant.
S’agissant des dettes nées de la gestion fiduciaire, le silence de la loi permet aux
parties de choisir librement entre deux formules : « soit liquider le patrimoine
fiduciaire avant sa transmission, soit le transmettre intégralement dans ses
éléments d’actifs et de passif ».
Dans ce dernier cas, le bénéficiaire prendra le risque de supporter des dettes sur
son patrimoine personnel.
- Le patrimoine fiduciaire disparaît. - Le transfert d’immeubles ou de droits
réels immobiliers doit être à nouveau publié.
- Le bilan de la fiducie en droit français est donc mitigé :
- D’une part, il est positif que le législateur se soit décidé à créer ce contrat
attendu depuis longtemps par la doctrine comme par les praticiens.
- D’autre part, force est de constater que le régime juridique de cette fiducie,
malgré les réformes du 4 août 20081598 et du 30 janvier 2009, est encore rigide,
que ce soit dans ses conditions d’application, ses effets ou même son
dénouement. Il en résulte que la fiducie ne peut, en l’état, être comptée parmi les
contrats de droit commun, malgré son introduction dans le Code civil.
C’est pour ces raisons qu’une nouvelle réforme apparaît nécessaire si l’on
souhaite enfin disposer d’un contrat capable de se substituer à la multitude des
fiducies innommées. En attendant cette réforme, le droit des contrats spéciaux
restera une véritable jungle : « Il est à craindre que l’étroitesse du cadre actuel et
la lourdeur du mécanisme ralentissent les progrès attendus et incitent les
contractants à se replier sur des voies classiques plus commodes et mieux
balisées ».

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