Esthétique Du Film, 120 Ans de Théorie Et de Cinéma (J. Aumont. Armand Colin, 2016)
Esthétique Du Film, 120 Ans de Théorie Et de Cinéma (J. Aumont. Armand Colin, 2016)
Esthétique Du Film, 120 Ans de Théorie Et de Cinéma (J. Aumont. Armand Colin, 2016)
ISBN : 978-2-200-61655-7
www.armand-colin.com
Table des matières
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Avertissement
1.1 L’analogie
1.1.1 L’image de film est une image analogique
1.2 L’espace
1.2.1 La double réalité de l’image
1.3 Le temps
1.3.1 Analogie temporelle : le mouvement
1.4 Le sonore
1.4.1 L’ analogie sonore
2.4.2 La postproduction
4. La matière de l’image
2 Cinéma et narration
1. Questions de frontières
3.2 Le récit
3.4.2 La durée
3.4.3 Le mode
3.5 La narration
3.5.1 Narration et énonciation
1.4.4 S. M. Eisenstein
1.6.3 La filmologie
2. Le langage et après
2.1.2 La sémio-pragmatique
2.1.3 La rhétorique
2.2.2 Le cognitivisme
3. Brève conclusion
1. Le spectateur de cinéma
4.3 L’image-cristal
6 La mutation numérique
4.4 Le montage
Références bibliographiques
1. P ’
1.1 L’analogie
1.1.1 L’image de film est une image analogique
Regarder une image, c’est en général y reconnaître quelque chose
du monde : l’image, dans la plupart de ses usages sociaux, est faite
pour figurer un référent, réel ou non. Cela est vrai quel que soit son
mode de fabrication : qu’elle ait été faite par une main déposant des
pigments sur une surface, par l’action de la lumière sur des sels
d’argent (comme dans les films qu’on dit désormais argentiques), ou
par son action sur des photocapteurs qui la transformeront en
information numérisée, exploitable ensuite sur divers appareils. De
grandes confusions règnent sur ce dernier point, surtout depuis que,
à l’imitation de la langue anglaise, on tend à opposer « numérique »
(ou, en anglais, digital) et « analogique ». Or c’est là mélanger deux
ordres de considérations, l’une génétique, l’autre phénoménale :
« numérique » désigne un traitement particulier de l’information
visuelle, différent du dessin, de la peinture ou de la photographie
argentique, mais ce traitement aboutit en fin de compte, pour nos
yeux, à une image analogique, c’est-à-dire ressemblante, comme le
savent les millions d’utilisateurs quotidiens d’appareils de photo ou
de vidéo, qui ne cherchent pas à produire des pixels ni des chiffres,
mais des vues de leur environnement.
On ne saurait trop insister, dans ce livre consacré aux principales
approches du film de cinéma dans ses définitions successives, sur le
fait que le numérique, s’il a changé énormément les modes de
production, n’a pas changé la relation fondamentale de l’image à la
réalité, qui est une relation de ressemblance (ou analogie). Cette
relation ne signifie pas que nous sommes devant l’image comme
devant la réalité ; voir une image de film n’est pas un double de la
perception naturelle, mais une expérience perceptive particulière
(Zernik, 2010), qui demande un apprentissage (désormais accompli
dans la petite enfance, en même temps que celui du langage). En
outre il existe des degrés de ressemblance, comme le sait n’importe
quel spectateur de film, qui ne confond pas un dessin animé avec un
documentaire et s’avère capable de reconnaître la réalité dans un
film en noir et blanc, en Technicolor ou en couleurs numérisées. Il
existe aussi des images qui, par une décision de leur auteur (ou
parfois, parce qu’elles sont « ratées »), ressemblent peu ou pas du
tout à un aspect du monde réel ; c’est le cas, typiquement, des films
dits « abstraits », tels les derniers films de Stanley Brakhage,
composés en disposant des pigments (solides ou liquides) sur un
support pellicule, ensuite refilmé ; ce peut être aussi le cas de
montages d’images très brèves que l’on aura à peine le temps
d’identifier, ou d’images raturées, ou extrêmement sombres… Bref,
l’analogie a des limites, qui tiennent à la variabilité de ses divers
paramètres (lumière, couleur, forme, vitesse…), et bien des films en
ont joué, sans que cela annule sa présence essentielle.
1.2 L’espace
1.2.1 La double réalité de l’image
L’espèce humaine est habituée depuis un siècle et quelque à ce que
les images bougent, et depuis des millénaires, à ce que des images
plates figurent des volumes, des espaces creux et habitables, des
fuites perspectives et autres phénomènes spatiaux. L’image est
capable de représenter des phénomènes mentaux aussi complexes
que la perception du mouvement ou celle de l’espace. Il n’en est que
plus remarquable qu’elle puisse le faire à partir d’une réalité
matérielle intrinsèquement réduite : une surface plane et limitée, où
se composent des taches colorées. Nous l’avons rappelé un peu
plus haut, devant une image nous voyons une telle surface, et en
même temps nous voyons un aspect d’un monde imaginaire.
Toutefois, le verbe « voir » n’a pas tout à fait le même sens dans les
deux cas : la surface colorée et cadrée appartient au même monde
réel que nous, tandis que l’aspect du monde représenté, si
convaincant soit-il (jusqu’aux frontières de l’illusion) ne partage pas
notre réalité sensible. C’est ce qu’on a parfois appelé la double
réalité de l’image (voir notamment Gombrich, 1982), expression
suggestive quoique approximative, car si l’image a une double
réalité, c’est qu’on prend le mot dans deux sens différents : soit
l’objet réel (un tableau, une photo, une vidéo…), soit sa capacité
représentative (ce qu’on y voit imaginairement).
L’image filmique, comme les autres, existe selon ces deux sens :
elle occupe une surface (rectangulaire), où elle définit une certaine
distribution de la lumière (et couleur), et en outre cette distribution
est incessamment changeante. D’autre part, et comme avant elle le
dessin ou la photographie, elle représente une réalité visible,
imaginaire et occupée par des « objets figuratifs » (Francastel,
1951), c’est-à-dire des objets reconnaissables en tant que tels mais
en outre chargés de valeurs socio-culturelles. Il y a donc deux
grandes façons de comprendre l’image de film : comme surface ou
comme profondeur fictive.
• « Faire le point », c’est régler l’optique de manière que seule l’image des objets à une certaine distance de l’objectif
soient nets. Dans ce plan du Sixième sens (Mann, 1986), on passe d’une mise au point sur les deux personnages
distants à une autre sur le personnage proche, forçant le spectateur à prendre conscience de ces deux choix
successifs.
• On peut jouer sur la tension entre surface et profondeur avec une image uniformément nette (avec une grande
« profondeur de champ »). Dans ce plan de La Soif du mal (Welles, 1958), les deux figures humaines sont nettes,
mais la disproportion entre elles et le creusement de l’espace dans la partie gauche donnent l’impression d’un
collage ; lorsque, par la suite, le personnage de gauche se rapproche, c’est l’éclairage qui distingue les deux figures
et produit le même effet de collage :
• Le procédé de la « transparence » consiste à filmer une scène devant un fond préalablement filmé, qui est projeté
derrière cette scène. Cela permet notamment de tourner en studio une scène censée se dérouler en extérieurs ; très
tôt, le cinéma s’en est aussi servi de manière ironique, pour « mettre à nu le procédé » de tournage, comme dans
cette scène de Hellzapoppin (Potter, 1941) où les deux héros s’aperçoivent tout à coup qu’ils ne sont plus dans
le bon film. (Avec le film numérique, ce trucage devient imperceptible, la matière du fond et celle de la scène
en premier plan étant identiques.) De même, la surimpression (ici dans Les Mauvaises Rencontres [Astruc, 1955])
« aplatit » l’une sur l’autre deux images différentes, souvent pour marquer une transition ou pour indiquer une relation
métaphorique.
On peut s’en prendre plus directement à la surface en la « découpant » en deux (ou plusieurs) surfaces autonomes,
reliées au plan sémantique. Ce plan de Sœurs de sang (De Palma, 1973) montre en split screen des actions
simultanées mais distantes ; dans Août (avant l’explosion) (2002), Avi Mograbi dédouble le personnage par un effet
similaire (en numérique).
1.3 Le temps
1.3.1 Analogie temporelle : le mouvement
Ce n’est pas hasard si les deux premières formes de ce qui
deviendrait le cinéma (le Kinetoscope d’Edison et le
Cinématographe des Lumière) portaient l’une et l’autre un nom tiré
du mot grec signifiant « mouvement ». Elles apportaient en effet une
seule nouveauté essentielle : ce sont des images mouvantes. En
matière de représentation de l’espace et des figures, elles sont très
proches de la photo (et des arts plastiques), mais le mouvement
n’avait, auparavant, jamais été reproduit.
Il faut insister sur le fait qu’il s’agit bien d’une reproduction, et pas
seulement d’une représentation : la représentation suscite un signe
d’un objet ou d’un phénomène absent, alors que le mouvement
perçu sur l’écran de cinéma est bel et bien présent. Pour être plus
précis, il est présent dans notre perception de spectateur. On a
souvent remarqué que la cinématographie, « écriture du
mouvement », consistait à fixer ce mouvement sous forme d’images
fixes imprimées sur une pellicule ; de là on a parfois conclu que le
mouvement perçu en projection n’était pas réel, et on l’a souvent
nommé « mouvement apparent ». Il est exact que l’écran qui reçoit
l’image est lui-même immobile, et que ce n’est que l’image projetée
– non tangible, donc souvent considérée (à tort) comme
immatérielle – qui est dotée de mouvement.
Il est assez vain de se battre sur une définition essentialiste de ce
mouvement, ou pour savoir s’il est réel ou apparent. Comme dans
beaucoup de questions relatives aux images, il est certainement
préférable de considérer l’usage et l’effet plutôt que l’essence.
Quelle que soit celle du mouvement des images de film, notre
appareil perceptif le perçoit comme un mouvement réel ; on a même
pu montrer que sa perception mettait en jeu les mêmes zones
corticales que la perception du mouvement d’un objet réel3, et que
par conséquent l’un et l’autre sont indistinguables. Il est donc inutile
de parler d’illusion à propos du mouvement de l’image de film.
• Ce qu’on appelle raccord vise à assurer une relation causale claire entre deux plans, même s’il prend une forme
inhabituelle. Dans cette scène d’Une place au soleil (Stevens, 1951), on passe du près au loin au moment crucial
où la barque verse et où la jeune femme tombe à l’eau. Ce petit choc perceptif accompagne un brusque recul
sur la scène jouée, et met le spectateur à distance de l’événement pathétique (la noyade).
• Une façon plus rare, mais expressive, d’enchaîner des plans consiste à maintenir leur relation en termes de contenu,
mais en accentuant le moment formel du passage, sous forme d’une brusque saute, comme dans cette scène
de Démineurs (Bigelow, 2009).
• Deux plans peuvent aussi se succéder selon une logique plus intellectuelle, de l’ordre de la métaphore
ou de la comparaison, comme dans la célèbre scène de La Grève (1924) où Eisenstein met sur le même pied
le massacre des manifestants et celui des bœufs à l’abattoir.
Le cinéma est une expérience du temps, mais il s’agit d’un temps
modulé et modelé par des événements représentés, et en outre,
d’un temps composé par le montage, qui ajoute de la discontinuité à
la continuité inhérente à chaque plan. L’expérience temporelle que
propose le film est donc singulière. Il montre un événement par
fragments enchaînés, selon un régime de temps pleins (plans) et de
sautes ou d’ellipses (passage d’un plan à l’autre), conçues de telle
sorte que le spectateur ait les moyens de les interpréter (parfois cela
est difficile, arbitraire ou hypothétique). Mais il offre tout cela dans
une forme qui elle-même possède une qualité temporelle – le
rythme, qui a obsédé la réflexion des avant-gardes historiques à
propos du cinéma, sans toutefois qu’elles en donnent jamais une
définition satisfaisante. Selon l’un et l’autre de ces aspects et ce,
quel que soit le film (documentaire ou fiction, film expérimental ou
grand public) le montage est l’outil mental qui gère cette donnée
essentielle : le rapport entre le visible et l’invisible. Le raccord, dans
son ambiguïté constitutive, est ce rapport.
1.4 Le sonore
1.4.1 L’analogie sonore
Durant la plus grande partie de son histoire, le cinéma a été sonore
ou parlant, c’est-à-dire que le film, tel qu’il est vu en projection ou en
diffusion vidéo, est à la fois visible et audible. L’audition est un
phénomène temporel, prêtant à une reproduction analogique plus
poussée que la vue, jusqu’au leurre éventuel ; il est possible de
prendre un enregistrement sonore pour la réalité, alors que cela ne
peut s’envisager d’un enregistrement visuel que dans des conditions
exceptionnelles. Il existe cependant, comme pour l’image, des
degrés d’analogie, de la reproduction quasi parfaite à la déformation
absolue, et, comme pour l’image, c’est le projet figuratif et
sémiotique du film qui détermine le type de représentation sonore
qu’on adopte – le même son pouvant être affecté de valeurs, d’une
présence et d’une « matière » différentes, selon le contexte. Les cris
des freux dans Les Oiseaux (Hitchcock, 1963) ou ceux des corbeaux
dans Nouvelle Vague (Godard, 1990) sont peut-être réalistes, mais
leur volume, une violence calculée qui provient de leur montage
abrupt, les rendent très différents des cris des mêmes oiseaux dans
un documentaire animalier. Dans un autre registre, on pourrait faire
un intéressant catalogue des bruits d’armes à feu dans l’histoire des
films, depuis les plus réalistes (Godard se vantant de n’avoir utilisé
que le son des armes figurées dans Les Carabiniers [1962])
jusqu’aux plus fantaisistes (par exemple Mars Attacks ! [Burton,
1996]).
Parmi les principales différences entre la réception de l’image et
celle du son, il y a la position imaginaire occupée par le spectateur :
devant un film, nous pouvons avoir un point de vue, mais l’idée d’un
point d’écoute n’est pas évidente. La technologie ici est intéressante
dans son évolution : à la source unique des débuts (un son
monophonique dans un seul haut-parleur) a succédé une série de
procédés visant à spatialiser le son dans la salle de cinéma ; à
l’heure actuelle, en France, une salle standard est équipée de cinq
sources sonores : trois haut-parleurs au niveau de l’écran, dont un
caisson de graves au centre, et deux autres haut-parleurs derrière
les spectateurs. Ce dispositif est surtout utilisé à plein dans des films
voulus sensationnels, mais même le mixage du plus simple
documentaire est réalisé en fonction de cette disposition. Pour
autant, le spectateur n’a pas dans cet univers sonore exactement le
même repérage que dans la réalité (pas plus qu’au plan visuel) : le
son d’un film est un artefact, et ne le laisse pas oublier. Si l’image
filmique est, nous l’avons vu, capable d’évoquer un espace
semblable au réel, le son est à peu près totalement dénué de cette
dimension spatiale. Ainsi, nulle définition d’un « champ sonore » ne
saurait se calquer sur celle du champ visuel, ne serait-ce qu’en
raison de la difficulté à imaginer ce que pourrait être un hors-champ
sonore (un son non perceptible, mais rattaché aux sons perçus :
cela n’a guère de sens).
2. G ’
2.1 L’image automate
2.1.1 Automatisme de l’analogie
Non seulement l’image de film est une image analogique, mais elle
l’est automatiquement, dans sa variante numérique comme dans sa
variante argentique. Il ne s’agit pas d’une analogie construite à
chaque fois, manuellement et ad hoc, mais d’une analogie
générique, garantie dans toutes les circonstances de prise de vues,
par construction de l’appareil. Cette analogie, qui a justifié le
développement d’une conception du cinéma comme technique
intrinsèquement réaliste, concerne plusieurs aspects de la réalité :
elle reproduit la durée réelle de l’événement ; elle produit une image
en perspective qui permet, dans certaines limites, de percevoir un
arrangement spatial ; elle donne un équivalent acceptable du relief
des objets ; elle donne aussi, depuis les années 1930, des
équivalents acceptables de leurs couleurs. Toutefois, cela n’en fait
pas une analogie parfaite : elle n’a pas de vrai volume, ses couleurs
sont différentes des couleurs réelles, l’effet de perspective dépend
de l’objectif utilisé, etc. ; en outre, elle peut être travaillée, durant le
tournage et encore davantage ensuite, depuis la simple interposition
d’un filtre coloré (ou d’une substance semi-transparente) jusqu’à
l’usage de logiciels plus ou moins sophistiqués. Surtout, cette
reproduction « mécanique » du monde, qui a frappé les théoriciens
des premières décennies, donne des sensations analogues à celles
qui affectent nos organes des sens (nos yeux surtout), mais elle le
fait sans le correctif des processus mentaux qui sont les nôtres dans
la vie réelle : le film a affaire à ce qui est matériellement visible, et
non pas vraiment à la sphère (humaine) du visuel.
L’automatisme de l’analogie (visuelle) filmique a donc une valeur
ambiguë : d’un côté, il assure que « ça ressemble », puisque c’est
une machine, sans humeurs ni états d’âme, qui l’a produite ; mais
cette réalisation « mécanique » et cette absence d’intentions en font
une analogie toujours incomplète, qu’il faut à chaque fois interroger
(ce n’est pas toujours le même aspect de l’expérience qui manque).
C’est là la source des deux grands courants théoriques et critiques
sur la question du « réalisme » du cinéma. D’une part, des
approches qui valorisent l’automatisme comme garantie de justesse,
comme celles de deux auteurs déjà cités (chap. 1.1 § 1.1.1), le
« réalisme ontologique » de Bazin et la « rédemption de la réalité
physique » de Kracauer. Pour l’un et l’autre, l’image filmique idéale,
non truquée, sans qualités expressives marquées, possède une
vertu essentielle non seulement de reproduction du visible, mais de
garantie d’existence (et, tendanciellement, de garantie de vérité),
parce qu’elle est le résultat d’un enregistrement opéré par une
machine, conçue pour donner une image mimétique fidèle. C’est un
point de vue incomplet, qui néglige le fait que toute machine est
conçue en fonction de certaines intentions (en l’occurrence,
répondant à une conception particulière de la mimésis, celle qui
provient de l’histoire de l’image plane en peinture et photographie).
C’est ce que souligne un autre type d’approche du réalisme,
théorisé de manière plus disparate mais toujours autour d’un souci
de la valeur – culturelle, sociale, idéologique voire politique – des
êtres et des événements filmés. Chez Vertov, le culte de la machine
cinématographique comme « super-œil », plus objectif que l’œil
humain, s’accompagne d’une conviction qu’on peut rendre compte
de la réalité de manière juste, en lui étant fidèle mais surtout en en
dégageant la signification, à la lumière de la « science » marxiste.
Près d’un demi-siècle plus tard, Comolli reprend un thème
analogue : la technique cinématographique, inventée dans un
contexte social et politique bien déterminé (la domination de la
bourgeoisie), n’est pas neutre, et le filmage de la réalité ne peut se
fier à cette seule technique ; le cinéaste doit introduire, par tous les
moyens, un point de vue critique et conférer du sens à ce qu’il filme.
• L’image argentique résulte d’un processus chimique, et c’est ce qu’ont voulu mettre en évidence certains films
« expérimentaux », qui exhibent des pellicules décomposées :
• Dans un cadre restant représentatif et narratif, cette mise en évidence aboutit souvent à souligner le grain
de l’image, comme dans le finale d’Une passion (Bergman, 1969) ; le personnage, filmé de loin dans une image
« normale », est grossi peu à peu, mais la pellicule l’est en même temps, exhibant sa structure granulaire :
• En vidéo (ou en numérique), la structure de l’image apparaît encore différemment, soit sous forme de granulation
semblable à celle de l’argentique, soit sous forme de pixellisation.
• Une autre manière de faire sentir la présence matérielle de l’image est de la figer (« arrêt sur image »).
En argentique, cela s’accompagne le plus souvent d’une apparition de grain, due au fait que l’image arrêtée provient
d’un refilmage au banc-titre – conséquence qui n’a pas lieu d’être en numérique.
• Enfin, la surimpression (déjà vue fenêtre 1.1) peut aussi avoir comme effet secondaire de faire prendre conscience
de la nature de l’image, surtout avec le procédé argentique, plus propice au fantasme de matérialité, comme dans
ces photogrammes de Napoléon (Gance, 1927), où le sujet figuré se noie dans la matière visuelle.
Quant au « grain », il n’a pas vraiment disparu des films en
numérique, mais là encore, c’est désormais un effet expressif sans
rapport immédiat avec la structure intime de la matière d’image. On
peut l’imiter (on peut, en numérique, imiter à peu près tout, comme
le savent bien les amateurs d’Instagram), mais cela ne relève plus
d’aucun hasard – alors que c’est précisément le caractère souvent
inattendu et parfois immaîtrisable de son apparition qui fascinait et
séduisait avec la pellicule. L’effet propre au numérique qui pourrait
lui être comparé est la « pixellisation », c’est-à-dire l’apparition dans
l’image d’une structure de petits carrés, assez gros pour être perçus
et perturber l’analogie iconique ; ce phénomène, généralement
considéré comme un défaut ou une gêne (notamment dans la
réception de la télévision), a parfois été retourné en effet esthétique,
mais plutôt dans des productions d’artistes (voir par exemple, en
France, certaines œuvres de Jacques Perconte).
2.4.2 La postproduction
Il est un peu artificiel de séparer les trucages au tournage et après le
tournage, car la plupart d’entre eux, en fait, sont travaillés lors des
deux étapes. Néanmoins, il existe depuis toujours, dans la
conception courante du cinéma, une différence entre le moment de
la prise de vues, moment indiciel par excellence, et le moment du
montage, où au contraire apparaissent à l’évidence la manipulation
et l’imposition d’un sens. À l’une et l’autre de ces étapes il y a une
tendance au trucage, depuis les manipulations temporelles au
tournage (ralenti, accéléré) jusqu’à l’étalonnage et au mixage, qui
changent, parfois considérablement, le résultat des enregistrements
visuel et sonore. L’étalonnage, rappelons-le, consiste à modifier les
couleurs, selon leurs trois paramètres (teinte, saturation, luminosité),
de manière à obtenir un résultat plus plaisant et plus homogène ; le
critère de l’homogénéité est relativement objectif, mais celui de
l’agrément ne l’est pas, et il existe donc, en étalonnage, des
tendances individuelles (en général, celles du chef opérateur,
principal responsable de cette étape du film) et des modes, variables
comme toutes les modes. Le numérique n’a pas changé la nature de
cette pratique, mais il l’a rendue plus souple et a augmenté la
capacité d’intervention sur l’image produite au tournage ; on peut,
même avec des logiciels grand public comme Final Cut, modifier
tous les paramètres de n’importe quelle zone de l’image, et avoir
sous les yeux immédiatement le résultat, ce qui permet de travailler
par approximations successives. On peut dire des choses
comparables du mixage, qui consiste à retravailler les sons
synchrones enregistrés au tournage (s’il y en a, ce qui n’est pas
toujours le cas), et le plus souvent à les mélanger avec des sons
provenant, soit du tournage (des « sons seuls »), soit d’une
sonothèque. Il n’est pas rare, ainsi, qu’on entende en voyant un plan
tout autre chose que ce qui était entendu au tournage de ce plan –
même dans les documentaires, où très souvent on « nourrit » la
bande sonore de bruits (cris d’animaux, moteurs…) parfois issus du
tournage, parfois non, et introduits au bon vouloir du mixeur, en vue
d’un plus grand « confort » et d’un plus grand vraisemblable (deux
notions également variables, subjectivement et en fonction des
modes dominantes).
En dehors de ces trucages élémentaires et omniprésents, le plus
spectaculaire est toute la part de trucage qui consiste à transformer
l’image après son tournage. Les outils numériques actuels
permettent de faire à peu près tout : changer une partie de l’image
pour enlever une figure ou en ajouter une, changer les qualités d’une
vaste zone du fond, etc. De très nombreux films des vingt dernières
années ont eu recours à des expansions de l’ancien procédé de la
transparence, utilisant des tournages spéciaux, sur un fond
monochrome (vert, en général), ensuite remplacé par un décor qui
peut, soit provenir d’un autre tournage cinématographique, soit d’un
travail infographique. Les making of omniprésents montrent
abondamment de tels tournages sur fond vert, notamment pour des
films du genre merveilleux (voir ceux, très didactiques, des séries
Harry Potter ou Le Seigneur des anneaux).
Plus généralement, le numérique a amplifié l’importance de la
notion de composition (on utilise souvent le mot anglais,
compositing). Cette notion par elle-même existait déjà auparavant ;
un exemple historique célèbre en est Qui veut la peau de Roger
Rabbit ? (Zemeckis, 1988), dont la réalisation eut lieu en deux
étapes successives, le tournage en studio (avec des marionnettes
en plastique représentant les futurs personnages dessinés), et
l’animation (utilisant la vieille technique du rotoscope) ; la
composition a consisté ensuite à superposer les deux couches
d’images résultantes, ce qui a été un travail long et minutieux. Le
numérique a simplifié ce genre d’opération, puisqu’il n’existe
désormais plus aucune différence de structure entre l’image
cinématographique et l’image animée, et qu’elles peuvent être
mélangées à loisir (et retouchées ou transformées au passage). Il
est par exemple instructif de comparer l’image de Qui veut la peau
de Roger Rabbit ? à celle de films plus récents comme la série Le
Monde de Narnia (2005-2010) ou L’Odyssée de Pi (Ang Lee, 2012),
qui comportent des animaux créés de toutes pièces en numérique et
bien intégrés au milieu des acteurs en chair et en os. Le compositing
est devenu un stade essentiel de la réalisation de films ; notons qu’il
n’est pas réservé aux blockbusters pour adolescents comme ceux
que nous avons cités, mais est employé également dans des films
« d’auteur » ; L’Arche russe, par exemple, a été copieusement
modifié après tournage : des objets ont été ôtés, des couleurs
corrigées, certains moments ont été recadrés et le déroulement
temporel de certains autres a été modifié… Il faut s’y faire : le
trucage règne désormais, dans une image cinématographique dont
la nature de simulacre s’est absolument affirmée.
• Ce trucage peut jouer dans la successivité : c’est le cas du premier de tous les trucages inventés, la « substitution »
par laquelle Méliès remplaçait une figure par une autre au prix d’un arrêt de la caméra. Dans Le Mélomane (1903),
le personnage qui vient de lancer sa tête sur la portée la récupère aussitôt (on voit la trace de la collure en haut
du photogramme).
• Le trucage peut affecter l’objet filmé. Hitchcock utilise tout simplement des modèles réduits pour filmer un chemin
de fer emballé (Numéro 17, 1932) ; plus finement, Lang utilise le procédé Schüfftan (le haut du décor, peint sur verre,
est ajusté au décor praticable où évoluent les acteurs) pour Metropolis (1926).
• Le corps humain est aussi l’un des objets privilégiés du trucage, depuis les nombreuses versions de l’homme
invisible jusqu’aux humanoïdes de la science-fiction. Voici deux exemples de transgressions figuratives par lesquelles
le cinéma nous permet d’imaginer l’intérieur d’un corps humain :
• Le cinéma récent, même et surtout mainstream, n’hésite pas à dévoiler tous les trucs : dans Hunger Games
3 (Lawrence, 2014), l’héroïne tourne un petit film de propagande ; on voit alternativement le tournage, devant un fond
neutre, et le résultat, devant le fond « habillé » :
3. L
3.1 Représentation de l’espace
3.1.1 Figure et mise en scène
Nous l’avons vu plus haut (chap. 1.1 § 1.1.1 et chap. 1.2 § 1.2.1), le
cinéma a été inventé, et continue d’exister, principalement pour offrir
à ses spectateurs des images mouvantes dans lesquelles ils
peuvent reconnaître un monde semblable au nôtre, au moins sous
certains aspects. Même dans le cas de films fantastiques ou
merveilleux, le monde imaginaire que nous présente un film possède
les catégories fondamentales de l’espace, du temps, de la causalité,
et le plus souvent, met en jeu des êtres et des choses semblables à
ceux qui peuplent notre univers humain. Autrement dit, la plupart des
films sont faits pour figurer une réalité imaginaire, et ce faisant,
représenter certains aspects de la réalité vécue.
Il existe une longue tradition théorique de la notion de figure, mais
elle a surtout été appliquée aux images faites à la main, celles de la
peinture au premier chef. Une première définition, concernant la
perception visuelle, souligne l’opposition entre figure et fond,
désignant un partage du champ visuel en deux zones, séparées par
un contour (bord visuel fermé). À l’intérieur du contour se trouve la
figure ; elle a une forme, elle est perçue comme étant plus près,
comme ayant une couleur plus visible ; elle est plus aisément
repérée et nommée, plus aisément rattachée à des valeurs
sémantiques, esthétiques ou émotionnelles. Le fond, au contraire,
est plus ou moins informe, plus ou moins homogène, et est perçu
comme s’étendant derrière la figure. Pour la Gestalttheorie, la
séparation figure/fond est une propriété organisatrice spontanée du
système visuel, mais cette conception est critiquée par les théories
analytiques, pour lesquelles cette séparation n’est pas un processus
premier par rapport à d’autres comme l’exploration visuelle, la vision
périphérique ou les attentes du spectateur, et les critères de
profondeur peuvent être insuffisants ou ambigus.
Une tout autre approche notionnelle insiste sur la valeur de
fabrication de la figure. Le terme français est issu du latin figura,
venant du verbe fingo, qui signifie initialement modeler ou façonner,
et qui a donné des termes comme effigies (portrait) et fictio
(façonnage, création, action de feindre). La figure est initialement le
résultat d’une action exercée sur une matière inerte ; son histoire
ultérieure l’a tirée vers plusieurs registres de sens : la forme
plastique, la copie, le semblant (Auerbach, 1944). C’est donc une
notion qui ressortit à l’art, au corps, et au langage ; elle touche au
concret (modelage, façonnage) mais aussi à l’abstrait ; elle touche à
la fois à l’imitation et à l’écart (ressemblance et dissemblance [Didi-
Huberman, 1990]). Le terme « figuratif » désigne ce qui relève de la
mimesis, surtout depuis que le e siècle lui a inventé des antonymes
(non figuratif, abstrait) ; par ailleurs, un important courant d’étude de
l’image à la fin du e siècle a mis en avant le sens actif de la
figuration, définissant l’image comme le site d’une activité
permanente, que le regard de son spectateur ou de son analyste n’a
plus qu’à rencontrer ou à déclencher.
L’image de cinéma est une image figurative dans ces deux sens.
Ce qu’on y voit se présente la plupart du temps comme des
actualisations du principe figure/fond ; c’est même l’un des ressorts
les plus constants de la mise en scène de cinéma, qui joue en
général de la situation d’une ou plusieurs figures humaines dans un
lieu (un décor) donné. La mise en scène, en effet, c’est d’abord la
mise en place des corps dans un espace, puis leur gestion – en
termes d’expressions, de postures, de mimiques –, qui reprend les
gestes de la mise en scène de théâtre (Aumont, 2006), mais les
traduit ou les importe dans le rectangle de l’image, par un cadrage
fixe ou mobile, et en outre, dans une suite de plans montés
ensemble. La mise en scène ne se réduit pas à l’art de disposer des
figures devant un fond, et sa relation intime au montage est toujours
complexe ; mais il s’agit presque toujours de distinguer entre des
êtres (plus rarement, des choses) mobiles et leur « fond » immobile,
et cette ségrégation perceptive est toujours là dans un film narratif.
Parallèlement, l’image de film est figurative, au sens ordinaire du
mot – proche de celui d’« analogique » que nous avons commenté
plus haut (chap. 1.1 § 1.1.1) – comme au sens plus spécialisé où on
l’entend dans la théorie de l’art. Toutefois la réflexion sur cette
dimension figurative de l’image filmique bute aussitôt sur une
évidence : alors qu’en peinture, l’action sur un matériau inerte (le
pigment coloré, la surface peinte) est immédiatement sensible, en
cinéma l’image se forme automatiquement et ne peut jamais se
toucher (même plus au montage). Parler de « figure » et de
« figuration » est donc toujours plus ou moins métaphorique à
propos de l’image de film. C’est un vocabulaire qui est avant tout
celui d’un certain type d’analyses de film, voulant mettre en évidence
une dimension plastique (autre terme connotant la mise en forme
d’un matériau) dans le film. Un exemple particulier mais révélateur
serait le cas de la couleur (et, dans une moindre mesure, de l’ombre
et de la lumière) ; ainsi, dans plusieurs de ses films du début des
années 1990, Ferrara produit des figures humaines entièrement
noyées dans une lumière bleue, qui les colore (King of New York,
1990) ou les noie (Snake Eyes, 1993) : dans l’un et l’autre cas, la
figuration perd en réalisme ce qu’elle gagne en expressivité.
• Étrangeté du très gros plan. Il existe de nombreux gros plans d’objets, mais lorsque le cadre isole un fragment
de corps (ou de visage) l’effet est toujours déroutant.
• Inversion du point de vue. Le point de vue le plus normal (celui de la vie quotidienne) est à hauteur d’œil. Montrer
des figures humaines en forte contre-plongée ou en plongée verticale est une bizarrerie, toujours remarquée.
• Point de vue hypersubjectif. Même dans des plans censés représenter un regard, on évite en général de montrer
le corps d’où émane ce regard ; d’où l’effet d’étrangeté de l’apparition dans le plan d’un morceau de ce corps (effet
acclimaté par le jeu vidéo, surtout le first person shooter).
• Point de vue asubjectif. Inversement, on peut vouloir marquer un point de vue comme n’étant celui d’aucun être
humain, mais d’une machine. C’est exemplairement le cas dans La Région centrale (Snow, 1971), où la caméra était
attachée au bras d’un appareil robotisé complexe, qui lui faisait prendre les positions les plus acrobatiques.
Le microphone est tout aussi mobile que la caméra, et le « point
d’écoute » aussi variable que le point de vue. Toutefois, notre oreille
n’est pas apte à distinguer aussi clairement que l’œil les distances et
les angles de prise de son, et il n’existe pas, en matière sonore,
d’équivalent du plan général ou du gros plan, encore moins de la
plongée ou du filmage de trois quarts. Cependant, le son joue un
rôle important dans la construction de l’espace filmique, en
particulier par sa distribution entre le champ et le hors-champ. Ces
deux notions ressortissent pleinement à l’ordre du visuel (il n’y a pas
de hors-champ sonore : ce qu’on n’entend pas n’est pas imaginable
comme l’est ce qu’on ne voit pas), et le son y joue un rôle
secondaire mais important. Une distinction traditionnelle est opérée
entre son in et son off ; un son in est un son dont la source est
dans le champ (visuel), un son off a sa source dans le hors-champ.
On voit aussitôt que cela pose le problème de l’attribution d’un son à
une source visible, qui le plus souvent est résolu devant un film
comme dans la réalité, par un travail (automatique) d’inférences
liées à nos habitudes. Si l’on voit un chat ouvrir sa gueule et qu’on
entend un miaulement, il sera logique de penser qu’on voit un chat
miauler (expression qui, prise à la lettre, n’a pas de sens : on ne voit
pas les sons). Telle est notre situation permanente devant l’image de
film : nous attribuons les sons à leur source visible la plus probable,
quitte à nous tromper ou à ce qu’on nous trompe – d’autant qu’en
cinéma, il existe des sons qui ne proviennent pas du monde de la
fiction, et au premier chef, la musique. Un gag assez souvent répété,
par exemple, consiste à faire entendre durant une scène une
musique qu’on prend pour un accompagnement sonore, jusqu’à ce
qu’un personnage éteigne un appareil (de radio ou autre) et que la
musique s’arrête : nous comprenons alors qu’il aurait fallu l’attribuer,
non à la bande musique du film, mais à une source diégétique.
Les relations scéniques entre son et image sont donc assez
difficiles à étudier rigoureusement. Dans les années 1970-1980,
diverses classifications ont été proposées (Chateau, 1976 ; Daney,
1977), en vue de dépasser la simplification du partage en in et off ;
malgré leur intérêt, et parfois leur sophistication, elles butent toutes
sur la même question de la source sonore et de la représentation de
l’émission d’un son. Quelle que soit la typologie proposée, elle
suppose en effet qu’on sache reconnaître un son « dont la source
est dans l’image » – ce qui, aussi fin soit le classement, déplace
sans la résoudre la question de l’ancrage spatial du son filmique.
Nous l’avons vu plus haut (chap. 1.1 § 1.3.3), l’unité de film est
habituellement le plan (au sens temporel), c’est-à-dire un morceau
de film résultant d’une seule prise de vues, et inséré entre deux
unités analogues. Soulignons de nouveau le caractère tautologique
de cette définition et ses difficultés : en dehors de considérations
génétiques (sa continuité et le fait que rien ne l’interrompt sinon le
passage à un autre plan) il n’est guère possible de définir en général
ce qui fait un plan. En projection, il est parfois difficile de dire avec
certitude où il s’arrête et commence. Plus largement, un film narratif
(c’est-à-dire l’immense majorité des films, incluant les
documentaires) représente le temps en jouant à la fois de la
continuité du plan et de la discontinuité du montage. Bazin (1952)
avait envisagé, à propos du « néoréalisme », l’utopie d’« un film
continu avec quatre-vingt dix minutes de la vie d’un homme à qui il
n’arriverait rien », mais cela ne signifiait pas qu’un tel film ne
comporterait pas plusieurs plans. En effet, comme l’a noté Pasolini
(1967), un plan-séquence infini ne serait pas une représentation
satisfaisante de la réalité. Ce sont de tels plans que produisent
journellement les caméras de surveillance, et on voit bien que, en
dehors de leur exploitation éventuelle comme témoignage, ils n’ont
aucun sens et n’expriment rien. La représentation délibérée et
significative commence lorsque la continuité du plan doit se
confronter à son contraire, la discontinuité du passage à un autre
plan, introduisant un autre point de vue et d’autres objets.
C’est l’enjeu de la notion de raccord (chap 1.1 § 1.3.3 et chap. 1.2
§ 2.3.2) qui dit bien qu’il s’agit, par le montage narratif, de créer un
lien entre deux plans successifs, là où a priori il n’y en avait pas. On
comprend que ce travail paradoxal (rendre continu ce qui est
discontinu) ait été très souvent considéré. Ainsi, Deleuze (1987)
soulignant le rôle de la main dans la connexion de « blocs de
durée/mouvement » ou, dans une perspective différente mais au
fond assez proche, l’éloquente métaphore de Tarkovski (1970-1986),
d’une « sculpture » du temps, jouant à la fois sur le déroulement
temporel dans chaque plan et le passage à d’autres morceaux de
temps avec le montage. Pour l’un comme pour l’autre, le temps n’est
pas assimilé à une simple durée mesurable ; c’est une donnée
vécue, intériorisée, corporelle, que le film offre au spectateur. En
outre, chez Tarkovski, dans l’expérience cinématographique, le
rapport au temps passé (la mémoire) et au temps qui passe est
simultané, et le premier détermine le second ; la tâche du cinéaste
est donc de traiter le temps (de le « sculpter ») : le recueillir, en le
reproduisant tel qu’il existe dans la vie (tel que le temps est vivant)
et, contradictoirement, lui donner forme. Cela le mène à une
conception singulière du montage, qui n’est pas pour lui un outil
expressif, mais le moyen d’une modulation du temps dans son cours
même (une idée que l’on retrouve, élargie, avec la notion d’« image-
temps » de Deleuze [1985]).
Avec la conception de Tarkovski, on est proche d’une notion
importante, malgré son vague et les confusions qu’elle suscite, celle
de rythme. Ce terme désigne l’agencement des phénomènes
temporels (la musique avant tout), et son origine (le verbe grec
rhein, couler) indique bien qu’il s’agit d’une modulation du temps.
Toutefois, il est aujourd’hui compris spontanément comme
synonyme de « rythme marqué », « scansion » ; les théories qui ont
envisagé un « montage rythmique » (Koulechov, Poudovkine), l’ont
défini comme montage de plans dont les longueurs seraient dans
des rapports simples (1/2, 2/3, 3/4…) ; Eisenstein (1929) proposa de
baptiser « métrique » cette forme de montage, et de réserver le
terme « rythmique » pour un montage qui tiendrait compte de la
longueur des plans, mais « pondérée » par leur contenu (à durée
égale, un gros plan paraît plus long qu’un plan moyen). L’idée du
montage métrique est reparue chez les cinéastes « structuraux »
autour de 1970 (Kubelka, Gidal notamment), sans être davantage
interrogée dans ses fondements perceptifs. La perception du rythme
temporel au cinéma reste en effet assez grossière, d’une part, parce
que l’œil – à la différence de l’oreille – apprécie mal les rapports de
durée (Mitry, 1965), d’autre part, parce que le contenu de l’image
joue un rôle trop important pour qu’on puisse facilement calculer et
déterminer des rythmes en ce sens. Tout le monde est sensible à la
vitesse du montage dans les scènes de fusillade du Cuirassé
« Potemkine », de La Horde sauvage (Peckinpah, 1969) ou
d’Antonio das Mortes (Rocha, 1969), mais cela ne veut pas dire
qu’on perçoit des rapports de durée très précis, a fortiori
quantifiables. La notion de rythme reste capitale en cinéma, y
compris comme métaphore musicale (André, 2007), mais le plus
souvent elle n’est que la traduction vague d’un certain souci du
temps des gestes dans la mise en scène (Zernik, 2010).
• Montage parallèle. Un autre cas notable est celui où deux espaces disjoints dans la réalité sont également montrés
comme disjoints dans le film fini, mais en établissant entre eux un rapport de simultanéité (montage alterné)
ou une comparaison (montage parallèle). Le montage devient alors un moyen d’énonciation, comparable à ceux dont
use la littérature (mais toujours plus implicite : le spectateur doit comprendre le rapport établi entre plans).
Dans ce raccord de Fanny et Alexandre (Bergman, 1984), le spectateur comprend aisément que, tandis que la grand-
mère reçoit, dans sa splendide maison de campagne, leur ancienne gouvernante qui s’inquiète pour les enfants, ceux-
ci sont enfermés dans leur chambre chez leur méchant beau-père. Mais en outre, cette alternance suscite un parallèle
(une comparaison) entre le monde bon enfant et luxueux de la famille et le monde sévère de l’évêché.
• « Montage dans le plan ». Dans l’histoire des théories du montage, on a souvent considéré celui-ci comme
un principe général, qui pouvait s’étendre à d’autres cas que le raccordement d’un plan à un autre plan (voir
par exemple, § 3.3.1, les propositions d’Eisenstein). On peut, ainsi, s’attacher à « calculer » l’effet global de toute
une séquence, ou à l’inverse, faire jouer ce principe de montage à l’intérieur d’un seul plan.
Dans ce plan (à gauche) de ¡ Que Viva Mexico ! (1931), Eisenstein obtient un effet
expressif singulier en accolant un agave au premier plan et la minuscule figure des deux
humains et de leur monture ; l’esprit peut comprendre que ces personnages sont
dans le lointain, mais l’œil est cependant dérouté par la disproportion entre les deux
éléments, et le sens de leur confrontation n’est pas évident. En jouant sur la différence
d’éclairage des deux parties de l’image, Sokourov (Alexandra, 2007) obtient aussi un effet
de défamiliarisation, donnant l’impression que la vieille femme, qui pourtant regarde
les soldats attablés, est une image « collée » au fond du plan.
• Le visage peut être rendu étrange par un point de vue inhabituel, comme les visages « à l’envers » que l’on trouve
souvent chez Bergman ; mais il peut suffire de le voiler par un léger flou (ici, pour rendre en « plan subjectif » la vision
d’un shérif myope).
• Filmer l’ombre d’un visage en refusant de le montrer est aussi une manière de le dé-figurer. On a été jusqu’à en faire
un support d’impression, déposant de l’encre sur une vitre : plus rien d’humain dans cette « boule » de l’époque
des machines à écrire.
• La défiguration est l’un des jeux préférés des films à « effets spéciaux », surtout depuis que ceux-ci peuvent être
réalisés par infographie :
Le figural est une idée élastique, et il existe plusieurs façons de
l’appréhender, qui n’ont en commun que les prémisses de Lyotard :
le figural ne figure ni ne signifie, il est l’être même de l’image ;
surtout, il est moins une notion qu’un principe d’intensification (voir
l’utile synthèse de Vancheri, 2011). Il peut singulariser, au choix et
selon les cas, des événements, des détails, des puissances (Dubois,
2001) ou des motifs (André, 2007). On peut par exemple identifier
comme instance du figural le jeu sur la durée pure, qu’ont pratiqué
depuis 2000 de nombreux cinéastes et artistes vidéo ; les vues
contemplatives de Jennifer Douzenel, certaines de celles
(généralement plus articulées en vue d’un effet) de Mark Lewis, des
moments des œuvres de cinéma qu’on a pu baptiser slow films,
peuvent être vus comme une manifestation très spécifiquement
filmique du principe figural (tel l’exemple déjà cité du dernier plan de
Chiens errants, où la très longue immobilité inexpressive des deux
acteurs fait échapper quasi totalement cette image durative à la
narration et même à la verbalisation, produisant un effet sensoriel
fort et paradoxal, dû au seul passage du temps).
Cinéma et narration
1. Q
Il est de tradition de délimiter dans le cinéma des zones selon le
public et le contenu : il y aurait le cinéma documentaire et le cinéma
de fiction (le cinéma pour découvrir et le cinéma pour rêver1), le
cinéma narratif et le cinéma non narratif (le cinéma dominant et le
cinéma rebelle), le cinéma professionnel et le cinéma amateur (le
cinéma de métier et le cinéma de loisir), mais aussi le cinéma
publicitaire, ou industriel ou scientifique ou encore ethnographique.
Ces délimitations, qui ont à la fois leur intérêt et leur fondement sont,
du point de vue de la théorie et au regard de la narration, tout à fait
questionnables puisqu’on peut par exemple considérer que tout film
est narratif, quoi qu’on en ait, ou que, comme cela a été soutenu,
tout film est un film de fiction (Metz, 1968)2. Il se peut aussi que ces
délimitations tiennent moins à l’objet cinéma, à son contenu supposé
ou à ses usages, qu’au positionnement théorique ou idéologique du
critique qui les promeut ou les reconduit en donnant le privilège à tel
ou tel aspect (comme Siegfried Kracauer pour qui tout plan renvoie à
la réalité [Kracauer, 1960]). On se propose ici dans un premier
temps de passer en revue certaines de ces délimitations pour en
cerner les fondements et la relativité.
2.2 La Conscience vengeresse (D.W. Griffith, 1914) : la toile d’araignée, allégorie du complot et de la lutte pour la vie.
Au finale, il ne semble pas y avoir de vocation documentaire du
cinéma8. Si au départ on s’en tient largement à la monstration, c’est
parce que les films sont très courts (les bobines de film sont
courtes), parce que le cinéma est muet, parce qu’on peut tourner en
extérieur (objectif court, pellicule sensible), parce que le tournage en
extérieur est gratuit (la lumière, le décor, les figurants), et parce que,
à quelques exceptions près, la réalisation est confiée au
caméraman9 puisque la compétence de réalisateur n’est pas encore
constituée pour le cinéma. Mais dès lors que la demande croît
(passage à la salle de cinéma vers 1907 avec le nickelodeon) et qu’il
faut fournir de façon régulière des films en planifiant en amont leur
production et leur réalisation, que les acteurs du music-hall et du
cabaret passent au cinéma avec leurs numéros à la fois
acrobatiques et narratifs, et qu’il devient plus efficace de produire de
la fiction que du documentaire, le cinéma dans le même mouvement
absorbe les compétences du théâtre (à commencer par les variétés,
le vaudeville, le café-concert, et le music-hall, plutôt que le théâtre
classique), y compris celles de décorateur, de costumier, de
régisseur et de metteur en scène. Il entre en compétition avec les
magazines, le théâtre et l’opéra, et cherche par tous les moyens à
s’en distinguer par la vitesse de changement de lieu et d’action
(montage), par la mobilité de la caméra (travelogue, découpage) et
donc le gros plan (explicatif, introspectif), par le tournage en
extérieurs réels, à la fois pour des questions de réalisme (« ceci
n’est pas une toile de fond peinte ») et de spectaculaire (masses de
figurants, actions impossibles au théâtre comme les incendies ou les
explosions), mais aussi pour des raisons d’économie (Mère Nature
est, pour ce qui est des décors, gratuite). Entre le caméraman des
premiers films et le réalisateur de plein droit (à qui l’on confie la
responsabilité du tournage), il y a l’acteur, à qui l’on confie la
réalisation (donc autorité sur la troupe et le caméraman) parce qu’il
sait jouer et faire jouer, parce qu’il sait mettre en scène et provoquer
les réactions du public (l’exemple le plus connu est Chaplin, mais ils
sont mille, dont Méliès ou plus près de nous George Clooney, et y
compris les actrices). Enfin l’acteur (et non pas le figurant anonyme)
est un facteur fort de fidélisation du public qui le reconnaît et le suit
de film en film.
C’est bien parce qu’il faut raconter des histoires pour fidéliser un
public avide de nouveauté que le cinéma développe, sur la base de
ses défauts (manque de profondeur, de couleur, de parole, manque
de matérialité – absence physique des éléments de représentation)
ses moyens artistiques, c’est-à-dire un système de représentation
propre, comme le souligne très pertinemment dès 1916 le très
kantien Münsterberg : la photo-connaissance est une chose, le
cinéma (qui offre des fictions) en est une tout autre. Et c’est bien
pour cela qu’il n’est pas (pleinement) l’héritier de la photographie
puisqu’il n’a pas pour visée la reconnaissance (familiale, sociale,
culturelle) mais la construction de fictions sans langue, sans
matières, sans profondeur et sans couleurs. Le mouvement, la durée
(bases de toute métamorphose), le cadrage et le montage seront les
ingrédients nécessaires à la construction du cinéma comme
raconteur d’histoires. C’est en tournant le dos à la réalité
(Münsterberg), en usant de ses « facteurs de différenciation » par
rapport à celle-ci (Arnheim), ou en se libérant des données
ordinaires du temps et de l’espace (Epstein) que le cinéma peut se
déployer en tant qu’art constructeur de fictions et producteur
d’émotions.
2. L :
’
Le cinéma narratif n’est pas le tout du cinéma, mais dans l’usage
courant, parler de cinéma, c’est parler de films de fiction, car ce sont
eux qui sont culturellement valorisés, qui font l’objet d’une pratique
sociale (plus ou moins) régulière, qui relèvent d’une actualité (leur
sortie, leur nouveauté) et sur quoi est majoritairement fondée
l’industrie cinématographique10. On a vu que narratif incluait tout
aussi bien les documentaires, mais la forme « noble » (le long
métrage) est celle de la fiction en raison des attraits dont elle a été
dotée : budgets conséquents, scénario efficace et mémorable,
brochette d’acteurs connus, prouesses techniques ou visuelles.
Rares ont longtemps été, en dehors de films d’archives, les
documentaires de long métrage sortant en salle (ce n’est pas le cas
pour la télévision et ce n’est plus le cas pour la salle), si ce n’était
certains documentaires animaliers grâce à de nouvelles techniques
de tournage (approches du monde sauvage) ou de dressage
(éthologie au service du filmage). En conséquence, les études
cinématographiques se sont surtout centrées sur les films de fiction
en tant qu’ils étaient des œuvres (des morceaux d’art) réputées
importantes au plan de la culture et de la société. Le cinéma n’est
pas nécessairement narratif, le cinéma narratif n’est pas
nécessairement de fiction, mais le film de fiction a fini par
représenter pendant des décennies le tout du cinéma comme art.
C’est ainsi, par exemple, qu’on en oublie ordinairement le
soubassement technique, documentaire ou scientifique de nombre
d’innovations dans le cinéma de fiction. Ainsi la part de l’armée, de
ses recherches techniques, de sa formation des opérateurs en
raison de ses besoins en images animées documentaires, dans
nombre de développements artistiques du cinéma, ou en fournissant
figurants et matériels pour la production. Les liens entre Stanley
Kubrick et la NASA (2001, l’Odyssée de l’espace [1968], Barry
Lyndon [1976]) ne sont plus à démontrer, et Busby Berkeley avait
commencé par organiser des parades militaires avant d’être recruté
par Hollywood pour mettre en scène des numéros musicaux. Jean-
Luc Godard est très heureux de pouvoir disposer, pour À bout de
souffle, du concours de la gendarmerie française pour la scène des
motards et la disposition de la N7, ainsi que de l’appui de Raoul
Coutard, caméraman tout juste revenu de la guerre d’Indochine où il
s’est formé.
3. N , ,
3.1 Sources de la narratologie
La sémiologie (dite de première génération, inspirée de la
linguistique structurale) a d’abord étudié comment était organisé le
signifiant cinématographique, et notamment les plans entre eux pour
produire du sens. Elle l’a fait prioritairement sur le film de fiction, sur
des longs métrages, alors qu’elle aurait tout aussi bien pu le faire sur
des documentaires (ils racontent eux aussi) et/ou des courts
métrages. Ce choix, qui a été contesté à l’époque (Lyotard, 1971 ;
Noguez, 1977), s’appuyait sur plusieurs raisons. Dans un premier
temps, les sémiologues sont des cinéphiles et portent au cinéma le
même amour que les autres : ils privilégient donc les œuvres, les
longs métrages de fiction qui ont une double qualité,
cinématographique (par la mise en scène) et culturelle (par leur
succès auprès du public et leur écho dans la société). Dans les
années 1960, le cinéma de fiction des années 1920 à 1950 apparaît
comme un classicisme, un raffinement et une stabilité dans les
modalités de mise en scène qui en font un objet adéquat pour une
étude formelle qui permettrait d’en rendre compte globalement (le
cinéma, en général) et pleinement (l’ensemble des règles), et non
pas film par film. Enfin, au moins pour certains, il y a la tentation, très
répandue à l’époque, de déconstruire le classicisme pour en lever la
fascination auprès du public dans un mouvement sinon
révolutionnaire du moins libératoire : le cinéma est encore vécu
comme un outil d’oppression et de propagande dont le peuple ne
doit plus subir le joug. En rendant explicite les modes de production
du sens dans un film de fiction, on en rompt la fascination et on
libère le public de son emprise imaginaire. D’où aussi cette idée que
le cinéma de fiction efface ses marques de production pour donner
le sentiment que le film se déroule tout seul, que l’histoire se raconte
toute seule, que tout se produit proprio motu. D’où également, à
partir de cette conception, un privilège donné au départ au récit (la
forme du film) et à l’histoire (ce qu’il raconte) où les marques de
production du récit auraient été volontairement effacées, gommées.
Ce n’est que dans un deuxième temps, au milieu des années 1970,
que se dégage de la première sémiologie une narratologie
cinématographique. Une première ébauche avait été opérée dans le
cadre de la filmologie par Étienne Souriau dans sa tentative d’établir
la liste exhaustive de toutes les situations dramatiques imaginables
(Souriau, 1950) puis de définir l’univers filmique (Souriau, 1953),
pour ce qui pourrait être considéré comme une narratologie du
contenu (les thèmes traités prioritairement par tel ou tel médium, tel
ou tel genre). Mais ce qui se dessine dans les années 1970 se situe
au croisement d’une part des travaux issus du formalisme (Propp,
1928) dans l’analyse du conte populaire, travaux relayés par Tsvetan
Todorov (Todorov, 1965), suivis de ceux d’Algirdas Julien Greimas
sur la sémantique structurale (structuration du contenu en paires
d’opposables [Greimas, 1966])12, d’autre part des analyses de
Gérard Genette sur l’organisation du récit, les modalités de sa
construction et de sa conduite, et sur les rapports entre récit et
histoire (Genette, 1972). Ce que propose Genette est la base d’une
narratologie modale, analysant les modes de construction des
relations entre récit et histoire, notamment par le biais de la notion
de point de vue, conçu comme un mode de délivrance narrative
d’informations relatives à l’histoire. On débouche ainsi sur un
ensemble de travaux s’attachant à l’organisation du récit, à la
structuration de l’histoire, et aux modes adoptés pour raconter.
3.2 Le récit
Le récit est l’énoncé qui, dans sa matérialité, prend en charge
l’histoire à raconter. Mais cet énoncé, qui n’est formé dans le roman
que de la langue, comprend au cinéma des images, des paroles,
des mentions écrites, des bruits et de la musique, mais aussi des
mouvements de caméra et des formes de raccord qui participent à la
construction et à la compréhension de l’histoire. À l’avènement du
cinéma sonore, s’est constituée une vaste polémique autour du rôle
qui devait être attribué respectivement à la parole, aux bruits et à la
musique dans le fonctionnement du récit filmique : illustration,
redondance, contrepoint ? À l’intérieur d’un débat plus large encore
sur la représentation cinématographique et sa spécificité, il s’agissait
de préciser la place qu’il convenait d’accorder à ces nouveaux
éléments dans la structure du récit. On notera au passage que, pour
des raisons complexes (prégnance de l’histoire de l’art, difficulté à
segmenter le tissu sonore… ?), l’attention des analystes du cinéma
narratif s’est surtout portée, jusqu’aux travaux de Michel Chion, sur
la bande image, au détriment de la bande son, dont le rôle est
pourtant fondamental dans l’organisation du récit filmique (on parle
même de double récit, l’un pris en charge par l’image et l’autre par le
son : Gaudreault & Jost, 1990). Parallèlement, l’étude des scénarios
(et a fortiori des découpages d’avant tournage) est restée
relativement rare (Vanoye, 1991 ; Curchod, 2012), sans doute en
raison du double privilège donné à la vision en salle et à l’image sur
le verbe : le travail sur archives qui se développe depuis une
vingtaine d’années pourrait infléchir cette tendance (Le Berre, 2014).
Le récit filmique est un énoncé qui se présente comme un
discours, puisqu’il implique à la fois un énonciateur (ou du moins un
foyer d’énonciation, nous y revenons un peu plus loin) et un
énonciataire (le spectateur). Ses éléments sont donc organisés et
mis en ordre selon plusieurs exigences.
Tout d’abord la simple lisibilité du récit filmique exige que des
modalités d’agencement des plans soient plus ou moins respectées
afin que le spectateur puisse comprendre à la fois l’ordre du récit et
l’ordre de l’histoire. Ainsi un plan d’ensemble (ville vue d’en haut par
exemple) en début de film indique que l’action va se dérouler dans
ce cadre (dans cet espace-temps) et que donc les actions partielles
présentées dans les plans suivants seront, sans autre mention,
réputées se dérouler dans ce cadre, jusqu’à indication contraire. Cet
ordonnancement doit permettre la reconnaissance des objets et des
actions montrés à l’image.
Ensuite, doit être établie une cohérence interne de l’ensemble du
récit, elle-même fonction de facteurs très divers comme le genre
auquel le film appartient, l’époque historique à laquelle le film est
produit (les ordonnancements admis évoluent au cours de l’histoire
du cinéma) ou encore le style adopté par le réalisateur. Ainsi, il est
généralement admis que l’acteur principal ne doit pas disparaître au
début du film, mais bien plutôt trouver une forme de bonheur à la
fin : c’est sur cette convention qu’Alfred Hitchcock s’appuie pour faire
assassiner au premier tiers du film le personnage interprété par son
actrice vedette, Janet Leigh, dans Psychose (1960). Film policier
toujours : si je veux faire sentir la solitude désespérée d’une victime
poursuivie par un gang aussi omniprésent qu’implacable, je situerai
la scène dans une ville de nuit (tout le monde dort, tout est désert et
fermé, aucune aide n’est à attendre, aucune issue n’est possible).
Hitchcock toujours : dans La Mort aux trousses (1959) ce type de
scène est délibérément situé, par simple inversion de la convention,
dans une rase campagne en plein jour. Dans un autre registre, pour
Les Deux Anglaises et le continent (1971), dont l’action se passe à
la fin du e siècle, Truffaut a recours pour les débuts et les fins de
séquence à des ouvertures et des fermetures à l’iris, procédé
d’exposition et de transition habituel dans le cinéma des années
1910 mais ayant depuis longtemps été abandonné : leur emploi est
ici à la fois anachronique (par rapport à la date de production) et
évocateur (du temps de l’histoire). L’usage assez systématique du
faux-raccord (comme dans À bout de souffle de Godard [1960]) a
marqué dans les années 1960 une évolution de la conception et du
statut du récit : celui-ci devenait plus heurté, moins transparent par
rapport à l’histoire, il se signalait ainsi en tant que récit.
Enfin l’ordre du récit et son rythme sont établis en fonction d’un
cheminement de lecture qui est de la sorte imposé au spectateur. Il
est donc conçu également en vue d’effets narratifs (suspense,
surprise, apaisement temporaire avant l’incident déclencheur…).
Cela concerne aussi bien l’agencement des parties du film
(enchaînement des séquences, rapport entre la bande image et la
bande son) que la mise en scène elle-même, entendue comme
ordonnancement à l’intérieur du cadre. C’est à cet ordre des choses
que se réfère Alfred Hitchcock lorsqu’il déclare : « Avec Psychose, je
faisais de la direction de spectateurs, exactement comme si je jouais
de l’orgue… Dans Psychose, le sujet m’importe peu, les
personnages m’importent peu ; ce qui m’importe, c’est que
l’assemblage des morceaux de film, la photographie, la bande
sonore et tout ce qui est purement technique pouvaient faire hurler le
spectateur. »
Puisque la fiction ne se donne à lire qu’à travers l’ordre du récit qui
la constitue peu à peu, une des premières tâches de l’analyste est
de décrire cette construction. Mais l’ordre n’est pas simplement
linéaire : il ne se laisse pas déchiffrer dans le seul défilement du film.
Il est aussi fait d’attentes, d’annonces, de rappels, de
correspondances, de décalages, de sauts qui font du récit, par-
dessus son déroulement, un réseau signifiant, un tissu aux fils
entrecroisés, un texte où un élément narratif peut appartenir à
plusieurs circuits, et au sein duquel le spectateur se livre à des
hypothèses, des projections, mais aussi des révisions, des retours
en arrière au fur et à mesure des éléments que le récit lui permet de
collecter. De plus, non seulement le récit est un discours, mais c’est
aussi un discours clos puisqu’il comporte inévitablement un début et
une fin, qu’il est matériellement limité. Dans l’institution
cinématographique, du moins dans sa forme sociale valorisée, les
récits filmiques n’excèdent guère 2 heures, plus volontiers 1 h 30,
quelle que soit l’ampleur de l’histoire dont ils sont les véhicules.
Cette durée et cette clôture du récit sont importantes dans la mesure
où d’une part elles jouent comme un élément organisateur du récit
conçu en fonction de sa finitude (ordre, rythme) et où d’autre part
elles permettent d’élaborer le ou les systèmes textuels que le récit
comprend et articule. Cette durée « standard » du récit, associée au
dispositif de la salle de cinéma, a pu être considérée comme un trait
définitoire du cinéma lui-même (Aumont, 2012). Cette finitude du
récit conduit à distinguer entre une histoire dite ouverte, dont la
résolution est laissée en suspens, ou qui peut donner lieu à
plusieurs interprétations ou suites possibles, et le récit qui est, lui,
toujours clos.
On notera par ailleurs qu’il suffit qu’un énoncé relate un
événement, un acte réel ou fictif (et peu importe son intensité ou sa
qualité), pour qu’il entre dans la catégorie du récit. De ce point de
vue, des films comme India Song de Marguerite Duras (1974) ou In
the mood for love de Wong Kar-wai (2000 – illus. 2.4) ne sont ni plus
ni moins un récit que La Chevauchée fantastique de John Ford
(1939) ou Usual Suspects de Bryan Singer (1995) : ces récits ne
relatent pas le même type d’événement, ils ne le racontent pas de la
même façon ; il n’en demeure pas moins que ce sont tous quatre
des récits.
2.4 Récit sans événement marquant (In the mood for love, Wong Kar-wai, 2000) ou avec action violente
(La Chevauchée fantastique, John Ford, 1939).
2.5 La vie quotidienne de la petite bourgeoisie : Tel père, tel fils (Hirokazu Kore-eda, 2013).
3.4.1 L’ordre
L’ordre comprend les différences entre le déroulement du récit et
celui de l’histoire : il arrive fréquemment que l’ordre de présentation
des événements à l’intérieur du récit ne soit pas, pour des raisons
d’énigme, de suspense ou d’intérêt dramatique, celui dans lequel ils
sont censés se dérouler. Il s’agit donc de procédés d’anachronie
entre les deux séries. On peut ainsi mentionner après coup, dans le
récit, un événement antérieur dans la diégèse : c’est le cas du flash-
back, mais aussi de tout élément du récit qui oblige à réinterpréter
un événement qui avait été présenté ou compris auparavant sous
une autre forme. Ce procédé d’inversion est extrêmement fréquent
dans le cas du film à énigme policière ou psychologique où l’on
présente « à retardement » la scène qui constitue la raison des
agissements de tel ou tel personnage. Dans La Maison du docteur
Edwardes, de Hitchcock (1945), ce n’est qu’après de multiples
péripéties et de nombreux efforts que le docteur fou réussit à se
souvenir du jour où, au cours d’un jeu d’enfants et par sa faute, son
jeune frère s’était empalé sur une barrière. Dans Les Tueurs, de
Robert Siodmak (1946), c’est presque tout le film qui est un flash-
back, puisqu’on nous montre dans les premières minutes la mort du
héros, avant de nous faire suivre l’enquête qui cherchera dans son
passé les raisons de sa mort. Depuis le milieu des années 1980 et
Retour vers le futur (Robert Zemeckis, 1985), les jeux sur le temps,
sur des séries temporelles parallèles et donc sur la mémoire (et ses
pièges) se sont démultipliés, à l’image de Memento (Christopher
Nolan, 2000 – illus. 2.6) ou Oblivion (Joseph Kosinski, 2013). À
l’inverse, on trouvera des éléments du récit tendant à évoquer par
anticipation un événement futur de la diégèse. C’est bien sûr le cas
du flash-forward, mais aussi de tout type d’annonce ou d’indice qui
permet au spectateur de devancer le déroulement du récit pour se
figurer un développement diégétique futur.
2.6 Un personnage amnésique qui ne peut faire le lien entre passé et présent (Memento, Christopher Nolan, 2000)
et un personnage pris dans des mondes parallèles étanches (Oblivion, Joseph Kosinski, 2013).
2.7 21 Grammes (Alejandro González Iñárritu, 2003) : des différences visuelles marquées mais une chronologie
brouillée.
3.4.2 La durée
La durée concerne les rapports entre la durée supposée de l’action
diégétique et celle du moment du récit qui lui est consacrée. Il est
rare que la durée du récit concorde exactement avec celle de
l’histoire comme c’est le cas dans La Corde, d’Alfred Hitchcock
(1948), film « tourné en un seul plan », ou encore dans Nous avons
gagné ce soir (Robert Wise, 1949 – illus. 2.8), dont le récit et
l’histoire se déroulent sur 70 minutes. Le récit est généralement plus
court que l’histoire, mais il se peut que certaines parties du récit
durent plus longtemps que les parties de l’histoire qu’elles relatent.
2.8 Nous avons gagné ce soir (Robert Wise, 1949) : une horloge au début et à la fin du film marque l’exacte
équivalence de durée entre récit et histoire.
3.4.3 Le mode
Gérard Genette observait qu’« on peut en effet raconter plus ou
moins ce que l’on raconte, et le raconter selon tel ou tel point de
vue ; et c’est précisément cette capacité, et les modalités de son
exercice, que vise [la] catégorie du mode narratif : la
“représentation”, ou plus exactement l’information narrative a ses
degrés » (Genette, 1972). Au terme de point de vue, qu’il trouve trop
métaphorique en littérature en raison de ses implications spatiales et
physiologistes, Genette préfère le terme de focalisation, pour tenir
compte du foyer (du filtre) choisi par l’auteur pour délivrer
l’information.
Le mode est relatif au point de vue qui guide la relation des
événements, qui régule la quantité d’information donnée sur l’histoire
par le récit. Nous ne retiendrons ici, pour ce type de rapports entre
les deux instances, que le phénomène de la focalisation. Il faut
distinguer la focalisation par un personnage de la focalisation sur un
personnage, tout en gardant présent à l’esprit que cette focalisation
peut très bien ne pas être unique et varier, fluctuer considérablement
dans le cours du récit. La focalisation sur un personnage est
extrêmement fréquente puisqu’elle découle très normalement de
l’organisation même de tout récit qui implique un héros et des
personnages secondaires : le héros est celui que la caméra isole et
suit. Au cinéma, ce procédé peut donner lieu à un certain nombre
d’effets : pendant que le héros occupe l’image et, pour ainsi dire,
monopolise l’écran, l’action peut se poursuivre ailleurs, réservant
pour plus tard des surprises au spectateur.
La focalisation par un personnage est également fréquente et se
manifeste le plus souvent sous la forme de ce qu’on appelle la
caméra subjective, mais de façon très « papillonnante », très
fluctuante à l’intérieur du film. Au début des Passagers de la nuit, de
Delmer Daves (1948), le spectateur ne voit que ce qui est dans le
champ de vision d’un prisonnier en train de s’évader, pendant que se
déclenche alentour l’alerte policière. Encore ne s’agit-il que d’une
impression générale : un examen attentif des plans et de leur
succession fait apparaître de nombreuses variations dans l’adhésion
à ce point de vue. Plus généralement, il est dans le régime normal
du film narratif de présenter sporadiquement des plans qui sont
attribués à la vision d’un des personnages (voir chap. 4.3 § 3.1
« Identification primaire » et § 3.2 « Identification secondaire »).
2.9 Maniac (Frank Khalfoun, 2012) : le point de vue étant celui du personnage, le regard « à la caméra » devient
ordinaire.
3.5 La narration
Toujours dans le fil de la linguistique (Émile Benveniste) et de la
narratologie littéraire (Gérard Genette), les études
cinématographiques commencent, dans le cadre d’une seconde
sémiologie, à s’intéresser au fait de raconter une histoire, de
construire un récit, à ce qui dans le récit renvoie à sa mise en
œuvre. En linguistique, ce sont dans la langue un certain nombre de
déictiques (« je, ici, maintenant »…) qui permettent de cerner la
position du locuteur, la situation à partir de laquelle le message est
produit. En littérature, sur les mêmes bases (présence dans le récit
d’indices de sa production), pour ce que Genette appelle la « voix »
(Genette, 1972), les choses sont moins claires dans la mesure où il
est nécessaire de faire la différence entre le narrateur réel (l’auteur),
le narrateur fictif produit par le récit (et qui ne se confond pas avec la
personne de l’auteur) et les différents types de narrateurs
« délégués » et qui peuvent prendre la forme de personnages de
l’histoire. L’étude de la narration a été un temps entravée par le
présupposé selon lequel le cinéma narratif masquait sa fabrication et
que le spectateur ne goûtait que l’histoire en ce qu’elle semblait se
dérouler toute seule. Cette conception à fondement idéologique (le
cinéma leurre son public) a depuis été battue en brèche par la
diffusion des making of, l’attention portée aux trucages (et à leur
efficace ou réussite) par la démultiplication qu’en permet le
numérique : le public de jeunes adultes des années 2000 est un
public expert quant au statut de l’image et aux conditions de sa
production.
2.10 Rio Bravo (Howard Hawks, 1959) et Ocean’s Eleven (Steven Soderbergh, 2001). Le groupe peut être
un personnage aux facettes variées et complémentaires.
Le film signifie :
cinéma et langage
1. B
Le film fait voir et entendre, il raconte, il signifie et vise un
spectateur. Il « signifie » veut dire qu’il produit un sens, ou plutôt un
ensemble de sens, au moyen d’images mouvantes et de sons. Il
offre au spectateur des significations. La signification est étudiée
par une science, la « sémiologie », définie au départ par le linguiste
suisse francophone Ferdinand de Saussure, et qui s’est surtout
développée dans les années 1960. Mais le processus de production
du sens propre au cinéma se retrouve dès les origines l’objet des
réflexions sur le cinéma, dès la fin des années 1910, et dans
plusieurs pays simultanément, depuis les États-Unis jusqu’à
l’Allemagne, en passant par la France, la Russie et l’Italie, malgré la
rareté des traductions d’un pays à l’autre. Le retard de ces
traductions, surtout en langue française, est à l’origine de nombreux
décalages dans l’influence de certains courants et de certains
concepts. Ce chapitre est consacré à une présentation historique du
problème de la signification au cinéma depuis les premières
théories. Nous avons particulièrement développé la présentation des
théoriciens antérieurs aux années 1980, sans doute plus oubliés que
les auteurs récents. Un livre de Francesco Casetti, Les Théories du
cinéma depuis 1945 (1993), apporte des développements plus
conséquents sur les principaux courants de pensée qui ont marqué
cette histoire déjà longue d’un siècle.
1.1 Deux précurseurs : Vachel Lindsay et Hugo
Münsterberg
1.1.1 Vachel Lindsay
L’un des premiers auteurs à définir le pouvoir de certaines formes
cinématographiques de produire un sens, par exemple le « gros plan
de visage », est le poète américain Vachel Lindsay (1879-1931) qui
publia dès 1914 un livre de critiques de cinéma, The Art of the
Moving Picture – traduit en français sous le titre De la caverne à la
pyramide en 2000, soit 86 ans plus tard1 ! Ce livre pionnier est sans
conteste le tout premier à défendre l’idée d’un cinéma comme partie
intégrante des Beaux-Arts, et non comme théâtre filmé. Pour cela,
Lindsay se sert essentiellement de comparaisons entre cinéma et
sculpture, peinture, architecture, danse. « Edison est le nouveau
Gutenberg. Il a inventé la nouvelle imprimerie », écrit Lindsay. Son
livre témoigne de sa conviction militante : du mythe platonicien et
des tâtonnements de la peinture pariétale aux beautés iconiques et
verbales des hiéroglyphes égyptiens, « de la caverne à la
pyramide » donc, tout invite l’homme moderne à « penser en
images » et l’Amérique à reconnaître dans le cinéma la seule
grammaire possible pour le lexique de son imaginaire national.
Assurément, pour Lindsay, le cinéma signifie et il le fait d’une
manière très personnelle, encore inédite dans l’histoire des
représentations visuelles. Par exemple, il s’émerveille qu’au cinéma
un personnage peut en signifier toute une catégorie, une jeune fille
pour « toutes celles qui vont au bal », et de ce qu’un gros plan peut
avoir une dimension symbolique, grâce à la capacité signifiante des
images. La comparaison entre le cinéma et les autres arts va
connaître une fortune considérable tout au long des développements
de la théorie, comme nous allons le vérifier au cours de ce trajet
historique.
Le livre précurseur de Lindsay sera remarqué par D.W. Griffith.
Celui-ci le fera même distribuer dans ses studios, d’où la renommée
du texte dans la tradition culturelle nord-américaine et sa
méconnaissance en France2.
É
1.4 L’École soviétique et le montage, les formalistes
russes
Pendant la même période, celle des premières années 1920, l’Union
soviétique naissante est un lieu d’effervescence dans le domaine de
la réflexion sur le cinéma. Celle-ci se développe d’abord au sein du
GTK (devenu VGIK à Moscou), première école de réalisation
cinématographique en 1920, créée par Lev Koulechov (1899-1970)
alors qu’il n’avait que 21 ans. Il eut comme élève Vsevolod
Poudovkine (1893-1953), auteur d’un essai théorique, La Technique
du film, dont la version anglaise aura une postérité exceptionnelle.
Tous les théoriciens travaillant dans cette constellation
professionnelle consacrent le montage comme le concept cardinal
de la création cinématographique, de Koulechov jusqu’à S.
M. Eisenstein, Poudovkine et Dziga Vertov.
1.4.4 S. M. Eisenstein
Sans doute le plus prolixe des cinéastes-théoriciens, d’autant qu’en
outre il fut durant plus de quinze ans enseignant à l’école
professionnelle de cinéma de Moscou (le VGIK), S. M. Eisenstein
(1898-1948) a accompagné constamment son activité de réalisateur
de films d’une activité théorique importante ; ses références ont
quelque peu évolué au fil des années, mais il demeure fidèle à des
problèmes et à des notions qui, par-delà les formulations différentes,
permettent de parler chez lui d’un véritable système théorique,
autour de trois questions principales :
– des concepts relatifs au matériau filmique : le fragment,
conduisant à développer une conception du montage qui ne
repose pas sur le primat du narratif, mais sur la recherche d’effets
de sens plus ou moins complexes (théorie du « montage
harmonique ») ; le monologue intérieur, tel qu’il est étudié par la
psychologie cognitive, et tel que la littérature d’avant-garde le
symbolise – et qui conduit à l’intuition du « montage
intellectuel » ; enfin le contrepoint orchestral du son et de l’image,
base du montage « vertical » ;
– des principes sémantiques et formels : la notion de conflit,
directement issue de la dialectique hégélienne et marxiste, et
suggérant l’idée que, de deux éléments (deux plans, par exemple)
peut surgir un troisième (une idée) ; un intérêt passager pour la
pensée « prélogique », dans laquelle au milieu des années 1930
Eisenstein pensa trouver un modèle possible pour un discours
filmique affranchi de la logique causale et narrative ; enfin, la
notion d’obraznost’, ou production d’images conceptuelles au sein
des images figuratives et avec elles ;
– une réflexion sur la visée spectatorielle, commençant avec la
notion d’attraction, se développant autour d’un thème d’époque,
celui du pathétique, dans les années 1930 et débouchant peu
après sur l’idée que la forme filmique doit avoir une nature
« extatique », seule à même de lui permettre de provoquer chez
son spectateur une adhésion émotionnelle forte.
« En référence au marxisme, S. M. Eisenstein place la dialectique
au cœur du montage, dialectique qui doit créer la dynamique d’un
conflit et doit apporter au final la résolution de ce même conflit. La
notion de “choc” est au centre du montage : il consiste à créer une
opposition soit au sein même du plan au moyen des différentes
composantes de ce même plan, soit entre les plans par le biais du
montage (voir Le Film, sa forme, son sens). Le “choc” intellectuel
issu de cette opposition, qui force à penser et qui met en branle
l’esprit, se double d’un choc pathétique. Le “choc” se divise in fine
en trois moments : de l’image au concept, puis du concept à l’image,
et enfin de l’identité des deux, qui pose l’unité de la Nature et de
l’homme, de l’individu et de la masse (voir La Non Indifférente
Nature). Cette dialectique au sein du film s’établit notamment au
moyen de l’alternance entre plans d’échelles différentes. À partir des
travaux de Koulechov sur le montage, Eisenstein élabora sa théorie
du “montage des attractions” :
“Dans notre conception du théâtre, l’attraction est le moment particulier durant lequel
tous les éléments concourent à déterminer dans la conscience du spectateur l’idée
qu’on a voulu lui communiquer en mettant celui-ci dans l’état d’esprit ou dans la
situation psychologique qui a suscité cette idée même […] Au lieu du reflet statique
d’un événement – où toutes les possibilités d’expression sont maintenues dans les
limites du déroulement logique de l’action – nous proposons une nouvelle forme : le
montage libre d’attractions arbitrairement choisies, indépendantes de l’action
proprement dite (choisies toutefois selon la continuité logique de cette action), le tout
concourant à établir un effet thématique final – tel est le montage des attractions.”
1.6.3 La filmologie
Le terme « filmologie » a été forgé en 1946, lors de la création de
l’Institut de filmologie à la Sorbonne. Ce dernier a existé de 1947 à
1959, et ses travaux ont été publiés par la Revue internationale de
filmologie19. La filmologie se voulut étude générale du fait filmique,
sans considération d’œuvres ou d’auteurs particuliers. Elle s’opposa
ainsi radicalement à l’approche critique, de même qu’à l’analyse de
films (au sens où celle-ci analyse des œuvres particulières). Elle
s’est développée autour de trois corps de disciplines préexistantes
(Cohen-Séat, 1946) et s’est directement posé le problème de la
signification au cinéma :
1° La psycho-physiologie de la perception s’est principalement
attachée à étudier la perception de film en tant que perception
visuelle. L’objet central de son étude fut « l’impression de réalité »
et les phénomènes de croyance provoqués par les images
mouvantes. L’image de film fut comparée aux autres images
artificielles, comme par exemple l’image du radar et l’image
électronique. Cette « impression de réalité » sera reprise et
commentée par Metz dans ses premiers articles.
2° À la croisée de la sociologie et de la psychologie de l’éducation,
la filmologie a étudié l’effet produit par la projection
cinématographique sur des publics scientifiquement sélectionnés. Il
s’agissait la plupart du temps d’un public d’enfants dont on testait le
niveau de compréhension des suites imagées. Le psychologue René
Zazzo s’interrogea sur le rôle du niveau mental dans la
compréhension du film, l’anthropologue anglais J. Maddison étudia
l’information mentale des peuples « primitifs » par le moyen du
cinéma. La filmologie sur son versant médical analysa les réactions
des enfants inadaptés, leur processus de mémorisation des images
filmiques, notamment. Les recherches cognitivistes se situent dans
cet héritage.
3° La filmologie s’est également efforcé de jeter les bases d’une
approche esthétique générale du fait filmique, notamment en
définissant les « grands caractères de l’univers filmique » (Souriau),
dans la perspective d’une esthétique comparée. L’univers filmique
est appréhendé à partir du corps de notions de la phénoménologie ;
il est fondé sur la dissociation entre perception écranique (platitude
de l’écran, dimension constante, durée objective : les jeux de
luminosité et d’obscurité, les formes, ce qui est visible) et
perception diégétique, purement imaginaire, reconstruite par la
pensée du spectateur, espace dans lequel sont censés se passer
tous les événements que le film présente, dans lequel les
personnages paraissent se mouvoir.
Ces recherches ont été reprises et prolongées par la sémiologie
après 1960. Elles sont également commentées en détails par Jean
Mitry (1963, 1965).
2. L
Les développements qui précèdent concernent pour l’essentiel la
période des origines des théories du cinéma jusqu’au début des
années 1980. Depuis, le modèle sémiologique qui a marqué la
période précédente s’est progressivement transformé en intégrant
de nouvelles dimensions, notamment le point de vue du spectateur.
Il a perdu la position hégémonique qui était la sienne dans les
années 1960-1975. Il a été contesté par les approches formalistes et
cognitives. La sémiologie structurale était fondée sur la notion
d’immanence. Elle restait par principe enfermée dans les frontières
du texte, excluant toute référence à la genèse de l’œuvre, comme à
la réception de celle-ci par un spectateur. De nouvelles inspirations
disciplinaires vont déplacer cette perspective en la renversant. C’est
pourtant une notion linguistique qui est à l’origine de ce mouvement,
celle d’« énonciation ».
2.1.2 La sémio-pragmatique
Le premier ouvrage important de Francesco Casetti, D’un regard
l’autre, le film et son spectateur (1986), traite de la question de
l’expérience spectatorielle, en se focalisant, non sur le dispositif (la
salle obscure, etc.), mais sur la relation entre le film et le spectateur :
comment le film s’adresse-t-il à ce sujet, comment le « préfigure »-t-il
et jusqu’à quel point le guide-t-il ?
On a pu proposer des modèles généraux de la façon dont un film,
en se laissant voir, rappelle et détermine un spectateur, soit les
divers rôles prévus pour le destinataire et prédéterminés par
l’émetteur, ou locuteur (Casetti, 1986) ; ou cerner la façon dont tout
film de fiction met en scène, à côté de l’histoire racontée, une sorte
de « théâtre de la communication » où sont représentées les façons
dont cette histoire est construite et doit être déchiffrée (Dayan, 1983,
1984). Le film, au lieu de déterminer des modèles de spectateurs
idéaux, suggère ainsi des comportements à assumer ou des options
à réaliser, à « performer », le film étant analysé comme moyen
d’action sur le spectateur.
La prise en compte, dans tout acte de langage, des locuteurs et
du contexte relève d’une discipline spécifique issue de la linguistique
qui est la pragmatique. Par analogie, une pragmatique du film le
relie au contexte social au sein duquel il apparaît, avec ses besoins,
ses habitudes, ses attentes, ses façons de faire ; au moment et au
lieu où il est produit et projeté ; à l’action de celui qui le réalise et de
celui qui le consomme, avec leurs orientations, intentions et
capacités respectives. Il est aussi relié à l’ensemble des textes qui
l’accompagnent, que ce soit matériellement (organisation de la
séance de cinéma) ou virtuellement (citations, hommages,
réélaboration). Le texte filmique est donc mis en relation avec son
contexte, c’est-à-dire avec le milieu où il se trouve, ou du moins où
il entend opérer.
L’orientation pragmatique a été généralisée par Casetti, Dayan
puis Roger Odin, dont l’axiome de départ est que le film ne possède
pas un sens en soi. Ce sont plutôt l’émetteur et le récepteur, par leur
projet et leur attente, qui lui donnent un sens à travers une série de
procédures à leur disposition dans l’espace social où ils opèrent.
Odin explore alors une série de modes de production du sens en
usage dans la société, et même des modes de production de
signifiés et de sentiments : un film a besoin d’être compris autant
que d’être vécu. Il les caractérise pour les effets que les films
cherchent à obtenir : le mode spectaculaire qui vise à distraire par la
vision d’un spectacle, le mode fictionnel qui vise à faire vibrer et
émouvoir au rythme des événements racontés, et requiert la
participation, le mode énergétique qui vise à faire vibrer au rythme
des images et des sons sans égard pour les contenus, le mode privé
qui vise à faire revenir sur son propre vécu (le film de famille), le
mode documentaire qui vise à informer, le mode artistique qui vise à
mettre en lumière la production d’un auteur, enfin, le mode
esthétique qui vise à créer un intérêt pour le travail des images et
des sons (les films expérimentaux). À la question « qu’est-ce qui
harmonise ou oppose les modes activés par celui qui fait et par celui
qui voit le film ? », Odin répond que c’est l’institution dans laquelle
les deux se situent, c’est-à-dire le contexte social auxquels ils se
réfèrent.
Les théories de l’énonciation ont permis de prendre en
considération la manière dont le texte filmique se dessine, s’enracine
et se retourne sur lui-même. La notion sert à mettre l’accent sur trois
moments de la production du texte filmique : le moment de sa
constitution, celui de sa destination, et son caractère auto-référentiel.
S’intéresser à l’énonciation filmique, c’est s’intéresser au moment
où on a cadré une image et au moment où le spectateur perçoit ce
cadre, mais c’est aussi s’intéresser au rythme du récit, à la couleur,
à la netteté de l’image ou son contraire, comme à l’ensemble de ses
relations à la bande sonore. L’énonciation filmique est
« impersonnelle » (Metz, 1991) ; elle se manifeste d’abord par toute
une série de procédés autoréflexifs : adresses directes au
spectateur, regard vers la caméra, commentaire prononcé par un
personnage dans le champ ou par un observateur invisible,
exhibition du dispositif par la présence de la caméra ou des micros
dans le champ, citations d’autres films, etc., et, bien entendu, les
inscriptions avec des informations supplémentaires, les titres de
début et de fin. « Dans tous ces procédés, le film se replie sur lui-
même, met en lumière les instances qui l’organisent et fait de sa
présentation un élément de comparaison » (Metz). Ces procédés
autoréflexifs présents chez Godard dès son premier film (« Si vous
n’aimez pas la mer… », interpelle Poiccard au début d’À bout de
souffle) se développent et prolifèrent tout au long de sa carrière
jusqu’à ses dernières œuvres, comme cela avait été le cas dans
l’histoire du cinéma américain, tant dans les comédies, les films
musicaux que les drames.
Ces procédés autoréflexifs semblaient essentiels au moment de
ces premières approches de l’énonciation au cinéma. L’énonciation
est aujourd’hui conçue plus largement, sans batterie spécifique de
« signes spécialisés », mais comme ce que perçoit le spectateur
(par exemple en appréciant un mouvement de caméra, un montage,
ou l’usage d’une musique) en cours de projection comme relevant
du travail d’énonciation.
Parce que la présence de marques d’énonciation dans l’énoncé
menace le régime d’adhésion à la fiction, certains théoriciens ont
alors opposé le « film narratif classique » qui privilégie l’effet de
leurre et la « transparence » en s’efforçant d’effacer les traces de
l’énonciation, à toutes les catégories de films modernes, dysnarratifs
ou expérimentaux qui, au contraire, exhibent leur dispositif énonciatif
(sur la narration, voir chap. 2.3 § 3.5).
2.1.3 La rhétorique
Ce prolongement de la réflexion sémio-linguistique a par la suite
intégré un autre type de lecture du film issu de la rhétorique : pour
savoir ce que le film signifie, il faut d’abord se demander comment
celui-ci s’adresse à nous, « comment le film nous parle », selon la
formule proposée par Soulez dans son livre portant sur les rapports
entre « rhétorique, cinéma et télévision » (2011).
La rhétorique, à proprement parler, désigne depuis l’Antiquité
l’ensemble des procédés de l’art de bien parler et de convaincre son
auditoire. Le cinéma est l’un des lieux où s’exerce celle-ci, quand il
est conçu comme mise en forme active et surgissement de la
signification. Pratiquement, l’étude de la rhétorique filmique a suivi
trois directions :
– celle des figures cinématographiques, étude souvent menée par
les « grammaires » traditionnelles du « langage
cinématographique », mais dont on trouve encore la trace chez
des théoriciens et critiques des années 1950 et 1960 ;
– celle des discours et « genres » filmiques, et de la diversité des
procédés qu’ils mettent en œuvre. Par exemple, le documentaire a
sa rhétorique propre, souvent assimilée à celle d’un discours
verbal rationnel, ou bien orienté vers une « vérité du réel » chez
Grierson ; le « film de famille » a une rhétorique fondée sur
l’émiettement narratif, l’absence de clôture, l’indifférenciation
spatiale, l’adresse à la caméra, comme l’a démontré Roger Odin ;
– celle du rhétorique en général, c’est-à-dire du « figural » dans le
film. C’est la direction suivie par le courant sémiotique chez Eco,
philosophique chez Lyotard et psychanalytique chez Metz et
Kuntzel, mais aussi le courant « déconstructionniste » influencé
par les théories de Derrida sur l’écriture, voire le courant
herméneutique issu de Ricœur. Cette rhétorique s’appuie
également sur l’opposition entre le « discours » et la « figure » que
propose Lyotard dans un livre qui porte ce titre et qui va être à
l’origine de tout un courant d’analyse de film après les années
1980 ; nous y revenons plus loin.
Plaidant plus récemment pour une approche plus strictement
rhétorique de la relation au spectateur, Guillaume Soulez se propose
d’étudier « le processus par lequel, dans le mouvement même de
constitution du film comme texte et comme discours, c’est le
spectateur lui-même qui considère que quelque chose dans le film le
conduit à penser que le film “lui parle” ». Il faut noter que la
conception qu’a Soulez de la rhétorique est très soucieuse de ne
pas limiter celle-ci à l’image étroite des « figures de rhétorique » (il
ne s’agit nullement pour lui de déceler dans des films de telles
figures). Il entend la rhétorique comme « méthode d’analyse
générale au même titre que la poétique (ou sa branche
narratologique) », comprenant trois branches, qui correspondent à la
tripartition canonique entre ethos, pathos et logos : la première
centrée sur le responsable du discours, la deuxième sur la réception
par le public, la troisième sur les formes argumentatives.
Comme Odin, Soulez considère que la production de sens du
film est déterminée par le contexte de lecture ; l’analyse rhétorique
ne vise donc pas un sens implicite, plus ou moins caché, immanent
(comme le faisait toujours l’approche sémiotique des années 1960-
1970), mais elle veut situer les films dans un espace social donné,
comme le fait Esquenazi à propos de Godard, de Hitchcock et du
film noir ; c’est donc « une théorie du public logée à l’intérieur d’une
théorie du discours », reposant sur la conviction que les films ont
une capacité de discussion avec leur destinataire. C’est sur cette
base que l’on peut en venir à l’analyse des formes filmiques, qui sont
lues comme transposant dans les agencements d’images et de sons
les dynamiques rhétoriques (telles qu’on les définit à partir du
langage verbal).
Dans sa proposition, Soulez annonce d’emblée que celle-ci vise à
permettre une lecture rhétorique des films, qu’il voit comme
différente des lectures socioculturelles ou des lectures « poétiques »
(notamment sur la question du figural), mais se situant sur le même
plan général – la différence étant pour lui entre une lecture
immanentiste (celle des analyses formelles) et une lecture
pragmatique (la sienne et celle d’Odin) : « Le sens n’est pas dans le
film, c’est le spectateur qui fabrique le sens à partir de ce qu’il voit et
entend. » Soulez remarque d’ailleurs que la lecture rhétorique ne
convient pas également à tous les films, certains s’y prêtant mieux
que d’autres ; il convoque un certain nombre de fragments de films,
qui illustrent son propos : un épisode de Jules et Jim (Truffaut, 1962)
permet de mettre en évidence plusieurs instances rhétoriques (voix
off, personnage délégué) et trois figures différentes du public ;
ailleurs, le point de vue rhétorique sur La Jetée (Marker, 1962),
appuyé sur une discussion méticuleuse de ses formes
syntagmatiques, permet d’y voir un film qui, allant de la
représentation au dispositif (et non, comme d’habitude, l’inverse), a
une portée remarquable vis-à-vis de son spectateur. Ces exemples
ne sauraient avoir vraiment valeur de démonstration, mais ils sont
intégrés à la réflexion de façon étroite, qui en fait quelque chose
comme des arguments.
Il analyse par exemple la célèbre première phrase d’Hiroshima
mon amour (Resnais, 1959), « Tu n’as rien vu à Hiroshima »,
comme s’adressant non seulement à l’héroïne (qui répond ensuite)
mais aussi au spectateur (qui ne peut répondre) ; il analyse en
détail, dans l’élocution, dans la voix (ressentie comme non française,
marquée d’un accent), dans l’étrangeté initiale du « tu », dans la
position off de cette voix, tout ce qui constitue un effet de « tribune »,
au moins sous-jacente, proposant une lecture rhétorique du film
autour de la question de la représentation. Mais c’est un passage de
la scène de ménage d’Une femme est une femme de Godard (1961
– illus. 3.6) qui parcourt tout son livre et illustre ses développements
argumentatifs.
3.6 Une femme est une femme (Jean-Luc Godard, 1961).
« À qui parle Angela, ou pour qui parle Angela ? La réceptivité du spectateur que présuppose le dispositif de Godard
s’oppose ici à la surdité d’Émile.
En évitant le champ/contrechamp et en soulignant le sentiment de défaite d’Angela, celui qui nous fait voir et entendre
cette dispute suggère sa position propre et, surtout, attend de nous une prise de position. »
2.2.2 Le cognitivisme
Le cognitivisme est au départ un courant de la psychologie pour
lequel la pensée peut être décrite comme un processus de
traitement de l’information. Il s’est constitué dans les années 1950,
de manière transversale à plusieurs disciplines : psychologie,
neurologie, anthropologie, et même philosophie dans sa variante
« analytique ». On a alors parlé de « sciences cognitives » pour
désigner ces approches qui ont en commun surtout leurs refus :
elles s’opposent tant à la tradition béhavioriste qu’aux théories
historicistes, et généralement à toute approche globale et a priori
des phénomènes de pensée et de perception.
Ce courant est inégalement représenté, sur le plan historique et
géographique, dans les études cinématographiques, où il est apparu
dans les années 1990, comme une solution de rechange après
l’impasse supposée de la sémiologie structuraliste et post-
structuraliste. Les théories cognitivistes se demandent notamment
comment nous reconnaissons les objets représentés sur l’écran ;
quelles relations les images écraniques entretiennent avec nos
images mentales ; comment le jugement émotionnel interfère avec le
jugement proprement cognitif, etc. – bref, elles ont vocation à traiter
de tous les problèmes relatifs à la situation de spectateur de film :
perception, attention, compréhension, émotion, affect, mémorisation,
comme l’avait indiqué dès 1916 Hugo Münsterberg (voir chap. 3.1
§ 1.1.2). Dans l’état actuel des recherches, les modèles proposés
sont toutefois très largement hypothétiques, et ne reposent encore
que sur bien peu d’expériences de type vraiment scientifique
(répétables et vérifiables) ; en revanche, le cognitivisme n’a pas été
avare de termes nouveaux, retombant souvent dans l’abstraction
qu’il reproche au structuralisme.
Noël Carroll s’est auto-proclamé représentant du courant
cognitiviste américain et s’est d’abord signalé par son hostilité sans
nuances à la théorie telle qu’on la concevait alors en Europe, plus
particulièrement en France et en Grande-Bretagne. Carroll publia
alors coup sur coup deux ouvrages dénonçant de supposées
faiblesses conceptuelles des théories le plus en vue, au nom d’une
conception de la philosophie d’obédience assez strictement
« analytique ». Cette veine polémique est en grande partie expliquée
par l’attachement de Carroll à une version « positive » de la
philosophie (dont la philosophie des sciences est pour lui le
modèle) : de toute réflexion théorique, il exige qu’elle interroge
constamment ses présupposés, et qu’elle questionne la validité de
ses résultats – ce qui n’est pas toujours évident dans le domaine
esthétique.
Face à la vigueur de ces attaques contre les théories inspirées par
la psychanalyse, le marxisme, le structuralisme, le féminisme, les
propositions positives de Carroll peuvent sembler décevantes,
l’excès de prudence épistémologique auquel il s’oblige l’amenant à
donner par exemple une définition peu contestable, mais abstraite et
très générale, de l’image mouvante. Aussi son principal apport reste-
t-il, paradoxalement, la méfiance qui est la sienne envers toute
« grande théorie », susceptible de tout expliquer, mais qui ne peut ni
prédire, ni même valablement décrire quoi que ce soit.
Le principal chercheur français qui ait commenté et partiellement
eu recours à certains aspects du cognitivisme est Laurent Jullier
avec ses ouvrages Cinéma et cognition (2002) et Analyser un film,
de l’émotion à l’interprétation (2012). Le premier de ces livres
s’affichait comme strictement cognitiviste avec une certaine raideur,
le second s’y référait avec plus de souplesse et d’invention. Ses
axes de recherche privilégient en effet l’investissement cognitif et
affectif des spectateurs dans les films qu’ils apprécient. Différents
outils, en provenance de l’esthétique du cinéma, de la psychologie
cognitive, de la philosophie morale, de la sociologie mais aussi de la
pragmatique sont mis à contribution pour décrire cet investissement.
Plus particulièrement, ces travaux ont jusqu’ici concerné : les
moyens stylistiques et techniques employés pour faire effet (la
bande son et les images de synthèse des blockbusters, les
mouvements de caméra « immersifs ») ; la construction et la
réception des films (ou des séries télévisées) comme des « leçons
de vie » ; la circulation des stéréotypes de genre ; la cinéphilie et les
raisons d’aimer certains films plus que d’autres. On notera
cependant que cette approche est nettement moins polémique et
normative que celles des chercheurs américains dont il s’inspire
parfois, bien que l’auteur s’en prenne souvent à une certaine forme
de cinéphilie dominante marquée par les choix et les goûts des
Cahiers du cinéma (voir Cinéphiles et cinéphilies, 2010, avec Jean-
Marc Leveratto).
1. L
Il y a plusieurs façons d’envisager le spectateur de cinéma.
On peut s’intéresser à lui en tant qu’il constitue un public, le public
du cinéma, ou le public de certains films – c’est-à-dire une
« population » (au sens sociologique du mot) qui se livre, selon
certaines modalités, à une pratique sociale définie : aller au cinéma.
Ce public est analysable en termes statistiques, économiques,
sociologiques. Cette approche du spectateur est plutôt, à vrai dire,
une approche des spectateurs du cinéma, et nous n’en parlerons
guère ici, car elle relève globalement d’une démarche et d’une
finalité théoriques qui ne sont pas tout à fait à leur place dans la
perspective « esthétique » de cet ouvrage. Bien entendu, nous ne
doutons pas qu’il y ait interaction entre l’évolution du public de
cinéma et l’évolution esthétique générale des films ; mais c’est plutôt
l’« extériorité » du point de vue du sociologue ou de l’économiste à
la relation du spectateur au film (de chaque spectateur à chaque
film) qui nous a conduits à l’exclure de notre champ actuel de
réflexion.
Ce qui va nous occuper essentiellement dans ce chapitre, c’est
donc surtout la relation du spectateur au film en tant qu’expérience
individuelle, psychologique, esthétique, subjective en un mot : nous
nous intéressons au sujet-spectateur, non au spectateur
statistique. Il s’agit là d’une question qui a été abondamment
débattue, souvent sous un éclairage psychanalytique que nous
aborderons dans quelques pages.
1.1 Le spectateur de la filmologie
Créé en 1947, l’Institut de filmologie s’est efforcé de rassembler des
universitaires et des hommes de cinéma, réalisateurs, scénaristes et
critiques (voir chap. 3.1 § 1.6.3).
L’institut publie à partir de l’été 1947 la Revue internationale de
filmologie dont les vingt numéros rassemblent jusqu’à la fin des
années 1950 des textes fondamentaux qui jettent les bases de la
théorie du cinéma postérieure. Dès le premier numéro, plusieurs
textes abordent la question du spectateur, par exemple « De
quelques problèmes psychophysiologiques que pose le cinéma »
(Henri Wallon) et « Cinéma et identification » (Jean Deprun), qui
renvoie explicitement à la théorie freudienne de l’identification.
Les études filmologiques s’intéressent d’abord aux conditions
psycho-physiologiques de la perception des images de film. Elles
appliquent les méthodes de la psychologie expérimentale et
multiplient les tests permettant d’observer les réactions d’un
spectateur dans des conditions données. L’étude de R. C. Oldfield
sur « La perception visuelle des images du cinéma, de la télévision
et du radar1 » (1948) se propose ainsi d’éclairer les problèmes
psychologiques de la perception des images filmiques, qu’il classe
dans la chaîne des images artificielles en les confrontant à
l’évolution de la technologie du radar. Il s’interroge sur la notion de
« ressemblance fidèle », suppose l’existence d’une échelle de
ressemblance et rappelle que l’image de film est un objet purement
physique, composé d’une certaine distribution spatiale d’intensités
lumineuses sur la surface d’un écran. Oldfield pose les limites de la
fidélité photographique de l’image à travers la texture de ses points
et l’altération des rapports de contraste et de direction. Il établit
clairement que l’image de l’écran est le résultat d’un processus
psychique qui peut être soumis à la mesure et à un traitement
quantitatif, et qu’il existe des critères objectifs précis de la fidélité.
Ces observations l’amènent à conclure que la perception visuelle
n’est pas un simple enregistrement passif d’une excitation externe,
mais qu’elle consiste en une activité du sujet percevant. Cette
activité comprend des processus régulateurs dont le but est de
maintenir une perception équilibrée. Ces mécanismes de constance
réalisent par exemple le maintien de la grandeur apparente de
l’écran, et des figures de cet écran, malgré la distance à laquelle
celui-ci se trouve du spectateur.
Un deuxième aspect de la recherche filmologique concernant la
perception des films est caractérisé par l’étude des perceptions
différentielles suivant les catégories de public. De nombreuses
études abordent ainsi la perception des enfants, des peuples
« primitifs », des adolescents inadaptés pour citer quelques
exemples caractéristiques qui marqueront l’essai d’Edgar Morin. Ces
études ont souvent recours à l’électroencéphalographie et analysent
les tracés obtenus suivant les séquences du matériel filmique
projeté :
Dans une autre direction, Étienne Souriau dans son étude
classique sur « la structure de l’univers filmique et le vocabulaire de
la filmologie », s’attache à définir les divers niveaux qui selon lui
interviennent dans la structure de l’univers filmique. Parmi ces
niveaux, il distingue celui qui concerne les « faits spectatoriels ». Le
plan spectatoriel est pour Souriau celui où se réalise en acte mental
spécifique l’intellection de l’univers filmique (la « diégèse ») d’après
les données « écraniques ». Il nomme « fait spectatoriel » tout fait
subjectif qui met en jeu la personnalité psychique du spectateur. Par
exemple, la perception du temps, au niveau filmophanique, celui qui
concerne la projection elle-même, est objective et chronométrable
alors qu’elle est subjective sur le plan spectatoriel. C’est celui qui est
en cause lorsque le spectateur estime que « ça traîne » ou que
« c’est trop rapide ». Il peut y avoir des phénomènes de
« décrochage » entre les deux niveaux. Si par exemple les données
écraniques connaissent des phénomènes d’accélération rapide, il
est possible que certains spectateurs ne suivent pas le rythme de
l’accélération et « décrochent » ; en ce cas ils cessent de « réaliser »
ce qui se passe et n’ont plus qu’une impression de désordre et de
confusion. Souriau précise également que les faits spectatoriels se
prolongent bien au-delà de la durée de la projection : ils intègrent
notamment l’impression du spectateur à la sortie du film et tous les
faits qui concernent l’influence profonde exercée par le film ensuite,
soit par le souvenir, soit par une sorte d’imprégnation productrice de
modèles de comportement. Il en est de même pour l’état d’attente
créé par l’affiche du film qui constitue par exemple un fait
spectatoriel pré-filmophanique2.
2. L ’
3. L
Pendant très longtemps, dans les écrits sur le cinéma, il n’y a pas eu
à proprement parler de « théorie » de l’identification mais par contre
un usage très largement répandu de ce mot, employé de façon
vague pour désigner le rapport subjectif que le spectateur pourrait
entretenir avec tel ou tel personnage du film, et qui consisterait à
partager, au cours de la projection, les espoirs, les désirs, les
angoisses, bref les affects et les sentiments de ce personnage, de
« se mettre à sa place », d’aimer ou de souffrir avec lui, en quelque
sorte par procuration. Cette expérience est peut-être le socle du
succès du cinéma comme art populaire, et les films visant un public
planétaire, quelle que soit l’évolution du cinéma, ne cessent de la
solliciter. Il n’est pas rare, à la sortie d’une projection de film, que la
discussion porte sur le point de savoir à qui chacun s’est plus ou
moins identifié.
Il ressort de cet usage courant de la notion d’identification – qui
recouvre bien sûr une certaine vérité sur le processus d’identification
au cinéma, même si c’est de façon très simplificatrice – qu’elle
désigne essentiellement une identification au personnage, c’est-à-
dire à la figure de l’autre, au semblable représenté sur l’écran.
Woody Allen, dans Match Point (2005), suscite notre identification à un homme qui
vient à l’instant d’assassiner une vieille dame (pour se forger un alibi) et qui se
prépare à tuer sa belle maîtresse. Il se trouve encore dans l’appartement de cette
vieille dame lorsqu’un voisin tape à la porte et insiste, inquiet qu’elle ne lui réponde
pas. Alors même que nous savons qu’il s’apprête à sortir de l’appartement pour
attendre l’arrivée imminente de sa maîtresse et abattre celle-ci d’un coup de fusil,
nous souhaitons de tout cœur (de spectateur) qu’il ne se fasse pas prendre, et donc,
par voie de conséquence, que le second meurtre ait lieu.
4. D
L’approche de la question du spectateur de cinéma, telle qu’elle a
été travaillée majoritairement dans les années 1960, 1970 et 1980 à
partir de la théorie psychanalytique de l’identification, comme on
vient de le voir, a été progressivement laissée en friche, à partir des
années 1990, dans la théorie du cinéma, qui a déplacé ses chantiers
vers d’autres terrains de recherche et d’autres références
conceptuelles. Mais contrairement à ce qui se passe parfois pour
des sciences mourantes, ou mortes, que plus rien ne vient travailler
ni actualiser, la psychanalyse est restée encore bien vivante comme
pratique sociale (la cure) et comme sujet de recherches et de débats
théoriques internes à son champ spécifique. Qu’elle ait été quelque
peu délaissée comme modèle possible pour l’analyse du cinéma
relève plus d’un changement de cap dans le champ de la recherche
sur le cinéma que d’une disqualification ou d’une disparition pure et
simple en tant que pensée opératoire.
4.3 L’image-cristal
Avec l’image-cristal, Deleuze affirme que ce qui est en jeu dans la
voyance (comme dans la boule de cristal d’une voyante, qui est
après tout un autre sens possible du mot) est le temps même du
film, en tant qu’il ne se réduit plus au seul « présent » linéaire des
événements et du défilement des images.
Le concept d’image-cristal a le mérite d’élargir le champ des films
et des époques de cinéma, par rapport à ceux qui étaient concernés
par la seule voyance, et de se poser, de ce fait, en outil théorique
d’un usage plus généralisable. Ces couches de temps dans une
même image, il les repère aussi bien dans le cinéma d’Ophuls, de
Resnais, de Fellini, de Renoir, de Buñuel, de Robbe-Grillet, de
Herzog, de Tarkovski, que dans une profondeur de champ chez
Welles ou dans un travelling de Visconti.
Quand le schéma sensorimoteur est bloqué, ou périmé pour des
raisons historiques extra-cinématographiques, c’est le temps qui
remonte à la surface des images, un temps d’une autre nature, non
linéaire, complexe et feuilleté, qui est une des caractéristiques
principales de l’image-temps en général et de l’image-cristal en
particulier, l’image-cristal étant une figure plus localisée, relevant
souvent de la séquence et non du film entier. L’image
cinématographique, pour Deleuze, n’est pas au présent, en tout cas
jamais seulement au présent. « Ce qui est présent, c’est ce que
l’image “représente”, mais non pas l’image elle-même. L’image-
temps rend sensibles, visibles, des rapports de temps qui ne se
laissent pas voir dans l’objet représenté, et ne se laissent pas
réduire au présent. »
Le concept d’image-cristal repose sur une pensée bergsonienne
du temps.
« L’image-cristal a beau avoir beaucoup d’éléments distincts, son irréductibilité
consiste dans l’unité indivisible d’une image actuelle et de “son” image virtuelle. Mais
qu’est-ce que cette virtuelle en coalescence avec l’actuelle ? Qu’est-ce qu’une image
mutuelle ? Bergson n’a cessé de poser la question, et de chercher la réponse dans
l’abîme du temps. Ce qui est actuel, c’est toujours un présent. Mais justement le
présent change ou passe. On peut toujours dire qu’il devient passé quand il n’est
plus, quand un nouveau présent le remplace. Mais cela ne veut rien dire. Il faut bien
qu’il passe pour que le nouveau arrive, il faut bien qu’il passe en même temps qu’il
est présent, au moment où il l’est. Il faut donc que l’image soit présente et passée,
encore présente et déjà passée, à la fois, en même temps […] Le présent, c’est
l’image actuelle, et son passé contemporain, c’est l’image virtuelle, l’image en
miroir. » (Deleuze, 1985, p. 105-106)
Le cinéma et l’art :
des relations ambiguës
1. L - ?
1.1 Du spectacle à la revendication d’art
Le cinéma est apparu d’abord comme une curiosité scientifique ; il
s’agissait, pour Edison comme pour les Lumière et les autres co-
inventeurs, d’abord de démontrer la possibilité d’enregistrer des
images photographiques dotées de mouvement (et non plus de les
produire à la main, comme avec le Praxinoscope d’Émile Reynaud
par exemple) ; de ce point de vue, l’expérience fut suffisamment
concluante pour susciter le fameux mot d’Auguste Lumière : « le
cinéma est une invention sans avenir » – puisqu’il avait, d’un coup,
donné le résultat espéré. Lumière toutefois fut aussitôt contredit par
le développement d’un artisanat, puis d’une industrie, produisant de
nombreux films (et non plus de simples vues) et visant leur
projection à titre de spectacle (et non plus d’expérience).
Dans tout cela, il n’était nullement question d’art, et les premiers
comptes rendus critiques des vues Lumière, comme des films de
Méliès ou de Pathé, ne s’y trompèrent pas : autant ils étaient
louangeurs pour ce qui ressortissait à la reproduction analogique (du
mouvement et du reste), autant ils insistaient lourdement sur les
limites de ces produits, notamment la naïveté, voire la puérilité, des
histoires racontées. À mesure même que certains producteurs
affichèrent des ambitions plus élevées, comme en témoigne dès
février 1908 la fondation du Film d’Art par le financier Paul Laffitte et
des sociétaires de la Comédie-Française, la critique en vint même à
user d’expressions assez virulentes (tel le critique littéraire Paul
Souday qualifiant le cinéma de « sous-crotte de bique »). À vrai dire,
ce n’est pas par la production de telles bandes « artistiques »,
cherchant leur légitimation culturelle dans des scénarios historiques
ou des adaptations théâtrales joués par de grands acteurs de
théâtre, que le cinéma obtint le statut d’art, mais par l’action de
quelques critiques plus lucides que d’autres.
L’une des premières tentatives suivies et cohérentes fut celle du
poète américain Vachel Lindsay, dans un essai écrit en 1914, qui
affirme le caractère artistique du cinéma en vertu de deux types
d’arguments : d’une part, le cinéma a des traits comparables (et que
Lindsay compare effectivement) aux autres arts, peinture, sculpture,
architecture ; d’autre part, il a, au bout de seulement deux
décennies, inventé des formes de récit et de spectacle entièrement
originales, et dans lesquelles il excelle. Ces deux arguments, qui
allaient être affinés et développés dans la décennie suivante, sont
d’inégale portée. La comparaison interartistique est souvent
artificielle, et tourne rarement à l’avantage du cinéma, du moins si on
se place sur le terrain des arts institués avant lui (voir chap. 5.2) ; au
mieux, elle peut faire ressortir des possibilités cinématographiques
encore mal aperçues, par différence (c’est le cas du gros plan de
visage, voir chap. 5.3 § 3.2). Quant aux genres du cinéma d’avant
1915, certains en effet (le film d’action, le film « de foule ») mettent
en évidence des qualités propres, en particulier l’aptitude à
enregistrer de manière expressive les mouvements de corps
humains ; d’autres (le film patriotique, le film religieux) relèvent
davantage d’une sociologie balbutiante que d’une évaluation
proprement artistique ; d’autres encore (le « drame intime », la
féerie) demanderont bien des précisions avant qu’on puisse dire en
quoi ils étaient spécifiques d’un art du cinéma.
À la même époque, Münsterberg (1916), qui part d’une enquête
psychologique méticuleuse sur les propriétés mentales originales du
cinéma (cf. chap. 3.1 § 1.1.2) – il fut le premier à bien comprendre la
nature du mouvement apparent –, conclut tout aussi nettement à la
spécificité esthétique du cinéma. Pour lui, le but de l’art n’est pas
de reproduire la réalité ni, comme la science, d’en découvrir la
rationalité, mais d’en donner une image aussi singulière que
possible, qui exalte l’objet représenté et le libère de ses attaches
avec le monde réel ; cette image est reçue par un spectateur
conscient de son caractère d’artefact, qui apprécie sa double nature,
formelle et représentative. Cette approche lui permit d’attribuer au
cinéma les caractères d’un art représentatif distinct de tous les
autres ; pour Münsterberg, qui était psychologue avant tout, cette
spécificité est précisément que le cinéma comme art s’adresse à nos
facultés mentales de manière originale, en les mettant toutes en jeu
et en les suscitant de manière particulièrement forte par un
simulacre visuel convaincant :
« Le drame filmé nous conte l’histoire humaine en dépassant les formes du monde
extérieur, à savoir l’espace, le temps et la causalité, et en ajustant les événements
aux formes du monde intérieur, à savoir l’attention, la mémoire, l’imagination et
l’émotion. »
• La « pureté » peut aussi être comprise comme conformité à la vocation à la fois indicielle et photogénique
du cinéma, et déboucher sur des films qui veulent avant tout rendre compte de la sensation « pure », débarrassée
notamment de toute teneur fictionnelle. C’est ce qu’on trouve chez les avant-gardistes américains de la modernité
et leurs héritiers.
• Le « cinéma pur » n’est plus une catégorie esthétique très actuelle, mais il reste de nombreux artistes et/ou
cinéastes qui travaillent dans l’optique d’une production de films non narratifs, non ou peu fictionnels, s’attachant
à produire des apparitions visuelles frappantes – que ce soit en cinéma, dans l’industrie du clip ou dans l’art
contemporain.
• Citer est un hommage, comme on le voit spécialement bien quand un acteur reprend des gestes ou des mimiques
d’acteurs du passé (ici, Belmondo débutant regardant avec un évident désir de mimétisme une image de Bogart, mort
deux ans plus tôt en pleine gloire).
• La citation postmoderne est tout aussi repérable, mais plus ludique, jouant par exemple de la différence de niveau
culturel, comme les nombreux échos d’Alexandre Nevski dans le dernier épisode du Hobbit, ou l’allusion à une
célèbre scène de Shining dans Kingsman :
2. L
Dire, comme Canudo, que le cinéma était « le septième art », cela
signifiait qu’il y en avait six avant lui (trois arts du temps, trois arts de
l’espace, selon la liste canonique depuis Lessing et son Laocoön
[1766]). Cela suggérait aussi qu’il pouvait entrer en relation, ou en
concurrence, avec chacun d’entre eux. Ce fut la préoccupation de la
critique des années 1920, cherchant les meilleurs arguments pour
démontrer que le cinéma était bien un art. Dans une perspective
moins défensive, mais encore militante, ce fut l’idée de « cinéma
impur » (Bazin, 1952), renversant l’épithète et en faisant une vertu :
c’est le fait même que le cinéma ne soit assimilable à aucun des arts
reconnus et les traverse tous qui est sa spécificité esthétique, et
artistique. Comme le dit, soixante ans après Bazin, Jacques
Rancière :
« L’art lui-même n’existe que comme une frontière instable qui a besoin, pour exister,
d’être incessamment traversée. » (Rancière, 2011)
• Une autre manière de citer la peinture est de la reconstituer dans le film, sur le mode du « tableau vivant » :
• Une œuvre de peinture peut être présente de manière souterraine, « invisible ». Il appartient alors au critique
de la mettre en évidence – travail qui demande les mêmes précautions que n’importe quelle interprétation. Ainsi Olga
Kobryn a-t-elle décelé la présence de Breughel chez Tarkovski (Fiant, 2014) :
2.5 Le cinéma dans le monde de l’art
Le statut du cinéma dans la pensée de l’art a énormément changé
depuis que, dans les années 1910 et encore 1920, on devait se
battre pour démontrer qu’il pouvait en être un. C’est une bataille
gagnée depuis longtemps, quoique de manière un peu confuse,
comme celle de l’auteur. Le cinéma continue d’être avant tout une
industrie et un commerce, pour lequel il est avantageux de pouvoir
en outre bénéficier de l’étiquette « art », mais de nombreux films
restent produits sans soulever la moindre question d’ordre artistique
ni esthétique. Dire que « le » cinéma est un art est donc une
simplification, et cela n’est pas vrai si on entend par là que tout film
quel qu’il soit ressortit à l’art.
Une des raisons de cette confusion est la ségrégation des
espaces sociaux de réception et de consommation des œuvres de
cinéma et de celles des autres arts (ou désormais, de ce qu’on
appelle l’« art contemporain »). Ce fut longtemps une des causes de
la résistance des élites intellectuelles à l’acceptation de l’idée du
cinéma-art : il ressemblait trop peu, par sa production industrialisée
et par sa diffusion en masse, où le circuit de l’argent était apparent,
à la production artisanale des œuvres de peinture ou de musique et
à leur diffusion dans des cercles limités, où les circulations d’argent
étaient moins ostensibles. Aujourd’hui encore, l’artiste et le cinéaste
n’exercent pas tout à fait le même métier ; leur perception par le
public (et surtout, par les médias) n’est pas identique ; les circuits de
diffusion des œuvres restent différents, et les institutions de
valorisation du milieu du cinéma (festivals et critique quotidienne)
sont tout à fait distincts de ceux du milieu de l’art (expositions et
critique beaucoup plus spécialisée).
Toutefois, depuis au moins deux décennies (voire davantage), le
monde du cinéma et le monde de l’art ont établi des communications
et des échanges, nombreux, bilatéraux et fluides. Depuis longtemps,
des artistes reconnus venaient au cinéma ; il suffit ici de rappeler
l’exemple majeur d’Andy Warhol, qui est sans doute davantage
perçu comme artiste que comme cinéaste, mais n’en a pas moins
réalisé, entre 1963 et 1973, une cinquantaine de films, et a par la
suite continué à en produire avec Paul Morrissey comme réalisateur.
À date plus récente, des exemples tout aussi significatifs seraient
ceux de Matthew Barney ou Steve McQueen, artistes l’un et l’autre
déjà très reconnus lorsqu’ils ont ajouté la réalisation de films de long
métrage à leurs activités (McQueen s’est si bien assimilé au milieu
cinématographique qu’il a obtenu la Caméra d’or à Cannes en 2008
et un Oscar en 2014) ; de même, un cinéaste nettement identifié
comme réalisateur de films personnels comme Weerasethakul a
mené simultanément une carrière d’artiste (notamment avec de
nombreuses installations).
En sens inverse, l’institution majeure du milieu de l’art, l’exposition
(que ce soit en musée ou en galerie) a depuis beau temps adopté
les œuvres du cinéma. Les films apparurent d’abord en quelque
sorte dans les marges d’expositions consacrées à des artistes ou à
des mouvements artistiques ; ils étaient des documents, des
témoignages ou parfois des compléments (tels les petits films
réalisés par Magritte). Très vite, cependant, ils gagnèrent en
importance, jusqu’à ce que, au tournant du siècle, de grandes
expositions internationales soient consacrées frontalement, non plus
à un artiste du milieu de l’art, mais à un cinéaste. Hitchcock (1999),
Kubrick (2012), Tim Burton (2014), Antonioni (2015) et bien d’autres
ont ainsi été « exposés » (Païni, 2002), comme le sont des
plasticiens ou des architectes – dans les mêmes lieux et, en grande
partie, pour le même public, cassant pour la première fois la
ségrégation sociale qui avait existé durant un siècle. Simultanément,
il ne manque pas de cinéastes qui ont perçu l’intérêt de travailler
aussi en direction du public des musées : Akerman, Kiarostami ou
Varda, depuis les années 1990, ont ainsi eu, en parallèle avec leur
œuvre filmique, une carrière d’artistes installationnistes (et parfois de
photographe et de décorateur) ; plus récemment, Godard a été
jusqu’à concevoir une exposition dont il était le commissaire,
Voyage(s) en Utopie (2006) (voir Marquez, 2014).
De manière générale, le nombre d’œuvres d’art contemporain
consistant en images mouvantes/animées ou en contenant a
augmenté considérablement. Un nouveau type d’œuvre,
l’installation, apparu dans la seconde moitié du siècle dernier, a pris
une extension énorme, au point de représenter aujourd’hui, dans sa
diversité, l’essentiel de ce qu’on voit dans les expositions d’art
contemporain. Une installation ne contient pas nécessairement
d’images mouvantes, mais il semble bien que ce soit le cas de la
majorité. On peut comprendre dès lors qu’il soit tentant de repenser
à neuf la notion de « cinéma », et de se demander si les frontières
de cet art n’ont pas décisivement changé depuis trente ans. C’est la
position que défendent plusieurs critiques, pour qui les deux
mouvements inverses – de l’art vers le cinéma et de la projection
cinématographique à l’exposition artistique – et la prédominance de
l’installation comme forme d’œuvre courante, signifient rien de moins
qu’un changement majeur dans la définition du cinéma (Vancheri,
2009). Comme toutes les entreprises critiques de ce genre (visant à
définir tout un art), celle-ci a donné lieu à des excès, notamment
autour de la reprise un peu précipitée de la notion confuse de
« cinéma étendu » (Youngblood, 1970) ; nous n’entrons pas ici dans
un débat encore en cours, et en pleine évolution. Pour l’heure, la
discussion se tient surtout en termes abstraits d’essence (est-ce ou
n’est-ce pas « du cinéma » ?) – auxquels comme dans tout le reste
de cet ouvrage nous préférons les considérations d’usage ; dans ces
termes-là, rien n’indique que le milieu du cinéma ait changé ni de
nature ni de structure. Ce qui est indéniable en revanche, c’est qu’il
existe, non seulement des allers et retours nourris entre les deux
milieux (en termes d’œuvres, de créateurs et plus rarement de
structures), mais un domaine esthétique qui, sans ressortir
nettement à l’un ni à l’autre, a suscité la pensée de ce que Raymond
Bellour a très justement baptisé l’« entre-images » (Bellour, 1990 et
surtout, 2012).
3. L
Nous avons déjà, au chapitre 1, abordé au passage certaines des
nouveautés que le cinéma a apportées en termes de sensation
(aisthesis). Dans la présentation qui suit, nous nous efforçons de ne
pas reprendre les mêmes considérations, ou au moins de les
éclairer autrement. L’amalgame de plus en plus fréquent entre
cinéma et art (contemporain), dont nous venons de parler, le dit
bien : le cinéma a été une invention majeure en termes esthétiques.
Il est impossible ici de donner un aperçu exhaustif de ce qu’il a
inventé, et nous nous concentrons sur trois points qui nous semblent
les plus saillants : le travail du temps, la valeur anthropique du
cinéma, et les puissances figuratives inédites qu’il a produites.
La mutation numérique1
1. U 30
1.1 Un bouleversement technologique et sociétal
Les années 2000 ont vu la généralisation du numérique, aussi bien
dans la fabrication des films que dans leur mode de diffusion. Ce
bouleversement a été à la fois technologique (remplacement
irréversible de la chaîne argentique par la chaîne numérique) et
sociétal (arrivée massive sur le marché de nouveaux supports de
visionnement d’images, de toutes sortes, qui ont instauré de
nouvelles pratiques de réception-consommation). Internet, dont la
montée en puissance a accompagné et démultiplié cette mutation, a
modifié en profondeur le mode d’accès aux films (et plus
généralement aux images animées) et leur réception. Cette mutation
a participé d’une évolution industrielle plus générale, et mondiale, du
commerce des images, dans le sens d’une consommation accélérée
des machines et des programmes où ces images, de plus en plus
indifférenciées quant à leur origine, ont été prises dans le même
tourbillon que les autres produits de consommation et que
l’information elle-même.
Le passage au tout-numérique et à Internet a modifié de façon
irréversible la pratique de faire, de recevoir et de penser le cinéma.
L’expérience même d’être spectateur en a été bouleversée. Cette
mutation a pris beaucoup de temps, une trentaine d’années, et
suscité de nombreux débats chez les professionnels du cinéma,
dont les tenants de l’argentique ont résisté longtemps à ce
changement de la pensée et des gestes de leur travail. Elle a été
entièrement consommée au début des années 2010.
3. C ’ :
Le cinéaste portugais Pedro Costa a pu mener à bien, lui aussi, grâce à ces mini-
caméras, un projet hors normes de production, Dans la chambre de Vanda (2000). Il
filme chez elle, au jour le jour, sans aucun scénario, dans le quartier cap-verdien de
Fontainhas, une jeune femme, Vanda, qui avait joué dans l’un de ses films
précédents. Elle sort rarement de sa chambre et de son lit où elle fume, se drogue,
tousse, parle avec sa mère, sa sœur, un petit garçon et des voisins tout aussi cassés
qu’elle. Pedro Costa a passé des journées entières, pendant un an, à l’écouter, à
l’observer, à la filmer dans des prises très longues, dans une proximité que n’aurait
pas permis une caméra pellicule, même petite.
6.4 De l’usage des caméras mini-DV par Agnès Varda (Les Glaneurs et la glaneuse, 2000), Alain Cavalier
(La Rencontre, 1996, Le Filmeur, 2004) et Abbas Kiarostami (ABC Africa, 2001).
Même si des petites caméras et enregistreurs 2K voire 4K (GoPro,
Canon 5D, Blackmagic, smartphones, etc.) sont devenues de plus
en plus accessibles à des prix très bas dans les années 2010, le
fossé n’a cessé de se creuser entre les images numériques que
chacun a pu désormais produire avec son smartphone, – et diffuser
via les réseaux sociaux et les plateformes d’accueil sur Internet –, et
les images numériques industrielles, produites par les grandes
compagnies américaines pour les films à effets spéciaux et les films
d’animation planétaires. Les petites caméras à hautes performances
techniques sont devenues des caméras de seconde équipe ou
d’appoint sur les grands tournages industriels, comme la Blackmagic
Cinema implantée sur les énormes enceintes de Mad Max : Fury
Road (George Miller, 2015), mais suffisamment petite pour être
invisible aux spectateurs.
4.4 Le montage
C’est au montage que le passage au numérique a produit une
véritable révolution dans les gestes et la pensée même de faire un
film.
En pellicule, le travail de montage était lourdement et
inévitablement linéaire. Chaque décision, même la plus simple, par
exemple celle de changer un plan de place ou de modifier une
coupe – qui est aujourd’hui instantanée à réaliser – mobilisait un
temps d’exécution très long : il fallait à chaque fois casser le
montage précédent, couper la pellicule de la copie de travail pour en
extraire le plan, la recouper et la recoller pour l’intégrer à sa nouvelle
place. Et il ne restait plus aucune trace du montage précédent, sinon
dans la mémoire du cinéaste et de sa monteuse. Pour certains
réalisateurs, ce temps de latence entre l’idée d’un montage et son
exécution était un temps de réflexion et de maturation nécessaire,
que certains regrettent. Avec les programmes de montage
numérique, le réalisateur peut voir en quelques minutes, là où il
aurait fallu plusieurs heures, voire plusieurs journées, un nouvel état
du montage d’une séquence, tout en conservant sur l’ordinateur tous
les états antérieurs, ce qui peut parfois se révéler inhibant au
moment de prendre la décision finale.
Le gain incontesté et majeur du passage au numérique a été la
possibilité d’esquisser et de voir instantanément, en vraie grandeur,
le résultat de la plupart des opérations qui nécessitaient auparavant
de passer par de lourdes et longues manipulations en laboratoire, à
la Truca, de la pellicule. Un simple fondu enchaîné, qui est obtenu
avec le numérique en 5 secondes, pouvait prendre trois jours au
laboratoire, et ce long travail devait être recommencé entièrement si
le résultat n’était pas satisfaisant, en termes de tempo par exemple.
Avec le montage numérique, le tandem réalisateur-monteur peut voir
quasi instantanément le rendu et le rythme d’un essai de fondu
enchaîné, de ralenti, d’incrustation de titre, et d’autres effets de
toutes sortes comme l’iris, la surimpression, l’écran multiple, ou le
jump cut.
Mais c’est dans la manipulation du rapport des images et des sons
que le gain du montage numérique a été l’avancée la plus
spectaculaire. On peut aujourd’hui visualiser directement et
simultanément les différentes pistes sonores, en modifier les
équilibres, couper au scalpel électronique entre deux syllabes d’un
mot, essayer instantanément une musique, un son d’ambiance,
changer une phrase ou un mot de place, bref esquisser pour une
écoute immédiate le futur montage son et le futur mixage du film.
Références bibliographiques
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du cinéma, 1985.
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Narrative, Vintage Books, 1984.
B , Nick, « Rhétorique du texte spéculaire », Communications,
n 23 « Psychanalyse et cinéma », Le Seuil, 1975.
o
A
abstrait (film) 1, 2
actantiel (modèle) 1, 2
acteur 1
anthropologie de l’acteur 1
expressivité 1
adaptation 1
adresses directes 1
affects 1
agencement 1
ambiguïté perceptive 1
analogie 1, 2, 3, 4, 5
mimesis 1, 2
analogie sonore 1
automatisme 1
analogique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
analyse de film 1, 2, 3, 4
angle de prise de vues 1
animagie 1
anthropologie 1, 2
appareil de base 1
arbitraire 1
argentique 1, 2, 3, 4
arguments 1, 2
arrêt sur image 1
art 1, 2, 3, 4, 5, 6
art contemporain 1, 2
exposition 1
installation 1, 2
mort de l’art 1
artisticité 1
attraction 1, 2
auteur 1, 2
politique des auteurs 1
autopoïétique 1
avant-garde 1, 2
axiologie 1
B
backstage musical 1
bande son 1, 2
accompagnement musical 1, 2
analogie sonore 1
silence 1
son direct 1, 2
son in/off 1
voix 1
blocage symbolique 1, 2
C
cadre 1, 2, 3, 4
cadrage 1, 2, 3, 4, 5
décadrage 1
gros plan 1, 2, 3, 4, 5
grosseur de plan 1, 2, 3, 4
mouvement d’appareil 1, 2, 3, 4
plongée 1, 2
profondeur de champ 1, 2
camera obscura 1
caméra-œil 1
carré sémiotique 1, 2
champ/hors-champ 1, 2
ciné-langage 1, 2
cinéma
comme extension de la photographie 1
comme forme d’existence 1
comme lieu de pensée 1
en tant qu’art 1, 2
en tant qu’œuvre de pensée 1
vs autres arts 1
cinéma de fiction 1
cinéma de poésie 1
cinéma expérimental 1, 2, 3
cinéma impur 1
cinéma muet 1
cinéma parlant 1, 2
cinéma pur 1, 2, 3
cinématographe intérieur 1
cinéma total 1
cinème 1
cinéphilie 1, 2, 3
ciné-stylistique 1
circuits cérébraux 1
citation 1, 2
classique (cinéma) 1, 2, 3, 4, 5
codes 1, 2
code cognitif de la réalité 1
code des codes 1
non spécifiques 1
spécifiques 1, 2
cognitivisme 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
cohésion 1
comédie du remariage 1
complexe d’Œdipe 1
compositing 1, 2
composition 1, 2, 3, 4, 5
concept 1, 2, 3, 4, 5
pratique conceptuelle 1
concordance/discordance 1
configuration 1
abstraite 1
interne 1
signifiante 1
signifiante extra-cinématographique 1
conflit 1, 2
conjonctions/disjonctions 1
connotations 1
conscience 1
contexte 1
copie étalon 1
corrélation sémantique 1
couleur 1, 2, 3
création 1
critique 1
moderne 1
croyance (phénomènes de) 1
cultural studies 1
D
décontructionniste 1
découpage 1, 2, 3, 4, 5
dénotatif/connotatif 1
dessin animé 1
dialectique 1
diégèse 1, 2, 3, 4, 5
différenciation 1, 2, 3
négative 1
discours/figure 1
discours filmique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
indirect libre 1, 2, 3
dispersion 1
dispositif 1, 2, 3, 4, 5, 6
distorsions optiques 1
documentaire 1
double 1
double réalité de l’image 1, 2, 3
dynamique textuelle 1
E
écran comme cache 1
émetteur/destinataire 1
émetteur/récepteur 1
empreinte du réel 1
énonciation 1, 2, 3, 4, 5, 6
procédés autoréfléxifs 1
entre-images 1
espace filmique 1, 2, 3
esthétique 1, 2, 3, 4, 5, 6
étalonnage 1, 2
études féministes 1
événement 1
expérience des objets 1
expérimentation 1
expression 1, 2
expressionnisme 1
expressivité cinématographique 1
F
fable 1
fiction 1, 2, 3
fictionnel (mode) 1
figural 1, 2, 3, 4, 5
figure 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
figure/fond 1
film de famille 1
filmologie 1, 2, 3, 4
fait filmique 1
filmophanique 1
cinématographique/extra-cinématographique 1, 2, 3
flicker 1
fond 1
formalisme 1, 2, 3
mise à nu du procédé 1
forme 1, 2, 3, 4, 5
sensible 1
temporelle 1
fragment 1, 2
G
genre 1
stéréotypes de genre 1
grammaire du cinéma 1, 2, 3, 4
grande syntagmatique 1
H
herméneutique 1
héros positif 1
homme visible 1, 2
homologie 1
hypnose 1, 2
I
icône 1
iconographie 1
iconologie 1
identification 1, 2, 3, 4
idéal du moi 1
place du spectateur 1
primaire 1, 2
secondaire 1, 2, 3
typage 1
idéologie 1, 2
image 1
artificielle 1, 2
composante intellectuelle 1
composantes de l’image 1
conceptuelle 1
-cristal 1
de synthèse 1
d’image 1
du réel 1
écranique 1
fidélité photographique 1
figurative 1
mentale 1
ressemblance fidèle 1
-signe 1
structure de l’image 1
virtuelle 1
visualité 1
imaginaire 1
immanence 1
impression de réalité 1, 2, 3
indice, indiciel 1, 2, 3, 4, 5
institution 1
institutionnalisation de la recherche 1
interprétation 1, 2, 3
intertitre 1
intervalle 1
J
jeu d’acteur 1, 2
L
langage 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
affectif 1
au second degré 1
de l’action 1
figuré 1
intérieur 1
verbal 1
visuel 1
langue 1, 2
audiovisuelle 1
spatio-temporelle 1
leçons de vie 1
lecture
documentarisante 1
fictionnalisante 1
figurative 1
pragmatique 1
lexique 1
linguistique
structurale 1
locuteur/auditeur 1
logique scientifique 1
lumière 1
M
machines désirantes 1
marxisme 1
matériau du cinéma 1, 2, 3, 4, 5
matière d’image 1, 2
matière signifiante 1
médium 1, 2, 3
métaphore vive 1
métaphysique 1
métapsychologie 1
méthode cinématographique 1
metteur en scène 1
mise au premier plan 1
mise en abyme 1
mise en scène 1, 2, 3, 4
modernité 1, 2
modes de production du sens 1
monde
filmique 1
possible 1
réel 1, 2
sensible 1
visible 1, 2
vu 1
monologue intérieur 1
monstration 1, 2
montage 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22
ellipse 1, 2
final cut 1
montage alterné 1
montage des attractions 1
montage intellectuel 1
montage interdit 1
montage linéaire 1
montage parallèle 1
montage vertical 1
raccord 1, 2
raccord sur le regard 1
mot audible 1
motif 1, 2
mouvement 1, 2, 3
image-mouvement 1
mouvement apparent 1, 2, 3, 4
moyen d’expression 1
musique (et cinéma) 1, 2
N
narration 1, 2, 3
fabula 1
narrateur 1
syuzhet 1
voix 1
narratologie 1, 2
néo-formalisme 1, 2, 3
neurologie 1
niveau de compréhension 1
norme/écart 1
nouveauté 1
NRI (cinéma) 1
numérique 1, 2, 3, 4, 5, 6
O
objet 1
figuratif 1
objet du désir 1
observateur extérieur 1
ontologique 1
opacité 1
P
paramètres formels 1
pathétique 1
peinture (et cinéma) 1, 2
pensée 1, 2, 3
pensée et perception (phénomènes de) 1
percept 1
perception 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
diégétique 1
différentielle 1
écranique 1
onirique 1
pensée du spectateur 1
psycho-physiologie de la perception 1
visuelle 1
personnage 1
actant 1
attribut 1
fonctions des personnages 1
immersion de l’auteur dans le personnage 1
sphère d’action 1
perspective 1, 2
phase du miroir 1
phénomène cinématographique 1
phénoménologie 1
philosophie 1, 2, 3
analytique 1
photogénie 1, 2, 3, 4
photogramme 1, 2, 3
physionomie 1, 2
plan 1, 2
film en un seul plan 1
plan-séquence 1, 2, 3, 4, 5
plastique 1, 2, 3, 4
poésie 1, 2
poétique du film 1
point de vue 1, 2, 3
auricularisation 1
focalisation 1, 2
multiplicité 1
observateur extérieur 1
ocularisation 1
poussée du sens 1
pragmatique 1, 2
principe signifiant 1
processus mentaux 1, 2
prosodie 1
psychologie 1, 2
cognitive 1
de la forme 1
de l’éducation 1
des perceptions 1
public 1
théorie du public 1
Q
qualification 1
R
réalisme 1, 2, 3, 4, 5
ontologique 1, 2
sonore 1
réalité 1, 2, 3
par la réalité 1
physique 1
récit 1, 2, 3, 4
flash-back 1
flash-forward 1
réel
brut 1
intégrité du réel représenté 1
perçu 1
représentation du réel 1
reproduction du réel 1, 2
visible 1
référent 1
refiguration 1, 2
regard 1
regard à la caméra 1
régression narcissique 1
relation imaginaire 1
représentation 1, 2, 3, 4
reproduction 1
ressemblance 1
révélation 1, 2
rhétorique 1
rhizome 1
rythme 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
S
scénario 1
scène primitive 1, 2
schizo-analyse 1
science de la signification 1
sémantique (élément) 1
sémiologie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
structuraliste 1
sémio-pragmatique 1, 2
sémio-psychanalyse 1
sémiotique 1, 2
peircienne 1
sens 1, 2, 3
production de sens 1
septième art 1
séquence-programme 1
séquences 1, 2
séries culturelles 1
signe 1, 2
dans le réel 1
sémantique 1
signes et symboles 1
signifiant 1, 2, 3
signification 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
signifié 1
simulacre 1, 2, 3
singularité 1
situation 1, 2
slow burn 1
sociologie 1
sous-texte 1
spécificité 1, 2, 3, 4
spectateur 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
activité cognitive 1
fait spectatoriel 1
identification 1, 2, 3
investissement cognitif et affectif 1
passif 1
pensée du spectateur 1
position spectatorielle 1
projection-identification 1
régime spectatoriel 1
situation 1
sujet-spectateur 1
visée spectatorielle 1
star-system 1
stéréoscopie 1
structure 1
style 1, 2
classique hollywoodien 1
stylistique 1, 2, 3
substantivation 1
sujet 1, 2
sujet-spectateur 1, 2
sujet tout-percevant 1
surimpression 1
symbole 1, 2, 3
symbolique 1
système
à dominante 1
de signes non linguistiques 1
expressif 1
formel 1
relationnel abstrait 1
significatif 1
textuel 1, 2
T
tabulaire 1
taxonomie 1
temps 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
durée 1, 2, 3, 4
image-temps 1
modulation du temps 1, 2, 3, 4
texte filmique 1
théâtralité 1
théâtre de la communication 1
théorie 1, 2, 3, 4, 5, 6
traitement de l’information 1
transclassiste 1
transnational 1
transparence 1, 2
travail du désir 1
travail du film 1
tropes 1
trucage 1
géographie créatrice 1
U
unités
distinctives 1
significatives 1
univers filmique 1, 2
V
verbalisation 1
vérité 1
du réel 1
visible/visuel 1, 2, 3, 4, 5
vision du monde 1
voyant/voyance 1, 2
Index des films
1. Il existe, en vidéo, divers procédés permettant d’éviter le port de lunettes ; ils sont depuis
quelques années commercialisés par certains fabricants de téléviseurs. La production des
deux images y est confiée à un réseau de microlentilles adapté sur l’écran, et représentant
des points de vue différents (au moins deux, mais souvent jusqu’à six ou plus).
2. Exemples : Tropical Malady (Weerasethakul, 2004) : 1,77 ; Pas sur la bouche (Resnais,
2004) : 1,85 ; King Kong (Jackson, 2005) : 2,35 ; Inglourious Basterds (Tarantino, 2009) :
2,40.
3. Cette découverte, due à Hubel et Wiesel dans les années 1960, leur valut le prix Nobel
en 1981.
4. Au sein de laquelle on pourrait plus finement distinguer, chronologiquement,
l’enregistrement magnétique (DAT), puis optique (CD, DVD), enfin électronique (SSD,
mémoire Flash).
5. Le tournage, mobilisant plus de 1 000 figurants, n’a duré qu’une journée (la 4e prise fut la
bonne), mais nécessita des mois de répétition.
6. Il fallut attendre en effet que la technique permette de synchroniser rigoureusement le
défilement de la pellicule dans le projecteur de la transparence et celui de la pellicule dans
la caméra, ce qui ne fut possible qu’à partir de 1930. Le premier film utilisant une
transparence fut Liliom, de Frank Borzage.
7. Rappelons que lors de la séance inaugurale du Cinématographe Lumière au Grand Café
(28 décembre 1895), la projection commençait par une vue fixe, qui parut banale, et
s’anima seulement au bout de quelques instants (et parut alors extraordinaire).
8. Rappelons que le film nitrate a été définitivement interdit en 1951 (et remplacé alors par
l’acétate de cellulose).
9. Voir l’exemple bien connu de la pluie ou de la neige, que certains logiciels de restauration
confondent avec des défauts de surface, et effacent tout simplement.
Notes
1. Cette distinction binaire entre documentation et distraction est une géographie doxale du
champ cinématographique. On verra plus loin que le documentaire est aussi narratif et que
la fiction permet par procuration des expériences existentielles, notamment sur les relations
interpersonnelles.
2. Pour sa part, Jacques Rivette critique posait que « tout film est un documentaire sur son
propre tournage ».
3. Cette attraction est aussi une publicité pour l’électricité à courant non alternatif que
produisait et vendait le même Edison. On reprendra ce point un peu plus loin.
4. À ne pas confondre avec Non Resident Indian, parfois utilisé pour désigner dans
Bollywood des réalisateurs ne résidant pas en Inde.
5. Il faut rappeler qu’À bout de souffle se tourne avec une caméra muette (ce qui permet le
tournage dans la rue sans interférence des bruits extérieurs), le film étant ensuite
postsynchronisé en studio, selon le modèle du cinéma français des années 1950.
6. On se souvient de la formule d’André Bazin pour rendre compte de la force dramatique
de l’image floue et tremblée d’un requin-baleine prise par les naufragés volontaires du Kon
Tiki : « ce n’est pas tant la photographie du requin que celle du danger ». André Bazin, « Le
cinéma et l’exploration », Qu’est-ce que le cinéma ? Le Cerf, 1975, p. 32.
7. Pierre Francastel, La réalité figurative, Denoël Gonthier, 1965.
8. Qu’il n’y ait pas de vocation native documentaire du cinéma ne veut pas dire qu’il n’y a
pas de production documentaire et des institutions qui l’entourent, dans des domaines aussi
divers que la formation, l’information, l’armée, la médecine, l’anthropologie…
9. En ce sens, les frères Lumière et Méliès sont des exceptions françaises : les premiers
sont des grands bourgeois rôdés au divertissement familial du théâtre, le second est déjà
metteur en scène au théâtre.
10. Cette prévalence culturelle de la fiction cinématographique est toujours d’actualité, mais
elle tend à se réduire depuis quelques années, le documentaire entrant de plus en plus
dans la conception courante du « cinéma ».
11. Pour une présentation plus détaillée des rapports entre spécifique et non spécifique,
voir le chapitre 3.
12. Voir plus loin chap. 2.4 « L’analyse structurale du récit ».
13. La sémantique structurale d’Algirdas Julien Greimas est un effort pour dépasser le
statisme du formalisme propprien et redonner à la narration une dynamique, mais elle le fait
dans le cadre d’une abstraction très forte pour des échanges entre les quatre pointes du
carré sémiotique.
14. Ainsi dans un récit de type The Hobbit, un magicien très âgé pourra soit faire partager
sa sagesse en donnant des conseils et des avertissements (savoir-faire), soit entrer en
action violente par magie (pouvoir-faire).
Notes
1. De la caverne à la pyramide. Écrits sur le cinéma 1914-1925 [The Art of the Moving
Picture], trad. de Marc Chénetier, Paris, Klincksieck, 2000 (rééd. 2012).
2. Nous reprenons ici en les reliant à la question du langage les notices du Dictionnaire
théorique et critique du cinéma (Aumont et Marie, 3e éd., 2016), et pour certains théoriciens,
citons les notices anonymes du Répertoire des critiques, historiens et théoriciens de la
Cinémathèque française.
3. Le Cinéma : une étude psychologique et autres essais, Genève, Éditions Héros-Limite,
2010, traduit 94 ans après son édition originale.
4. D’après le Répertoire des critiques, historiens et théoriciens, notices anonymes,
Cinémathèque française.
5. 2. Il existe deux éditions des Écrits de Jean Epstein, l’une en deux volumes, aujourd’hui
épuisée, chez Seghers (1974) et l’autre en cours aux éditions Independencia sous la
direction de Nicole Brenez, Joël Daire et Cyril Neyrat (depuis 2014) ; voir aussi la
biographie de Joël Daire : Jean Epstein. Une vie pour le cinéma, La tour verte, 2014.
6. D’après le Répertoire des critiques, historiens et théoriciens, op. cit.
7. L’Homme visible et l’esprit du cinéma, Circé, 2010. Un remarquable article de Michael
Iampolski, « Profondeurs du visible : à propos de Der sichtbare Mensch » (1895, no 62,
2010) situe le livre dans les courants de pensée germaniques de l’époque, celles de Georg
Simmel notamment, en développant l’hypothèse de « l’anthropomorphisation
physiognomonique du monde visible ».
8. D’après le Répertoire des critiques, historiens et théoriciens, op. cit.
9. D’après le Repertoire des critiques, historiens et théoriciens, op. cit.
10. François Delsarte (1811-1971), chanteur, pédagogue et théoricien français du
mouvement, à l’origine de la danse moderne.
11. Sur la nature indicielle de l’image cinématographique, voir chap. 1.1 § 1.1.2
« L’idéologie de la trace », où il est rappelé que l’indice est un signe qui repose sur une
relation de co-naturalité, par opposition à l’icône et au symbole. L’indice chez Peirce opère
par la contiguïté de fait vécue, entre deux éléments : par exemple entre la fumée et le feu.
Voir également chap. 1.4 « Cinéma et narrativité ».
12. D’après le Répertoire des critiques, historiens et théoriciens, op. cit.
13. D’après le Répertoire des critiques, historiens et théoriciens, op. cit.
14. D’après le Répertoire des critiques, historiens et théoriciens, op. cit.
15. La Gestalttheorie ou « psychologie de la forme » est une théorie psychologique selon
laquelle les processus de la perception et de la représentation mentale traitent
spontanément les phénomènes comme des ensembles structurés, les formes, et non
comme une simple addition ou juxtaposition d’éléments. La théorie gestaltiste définit un
système comme une unité dynamique à partir des relations entre ses éléments
psychologiques.
16. D’après le Répertoire des critiques, historiens et théoriciens, op. cit.
17. Traduit sous le titre Théorie du film, la rédemption de la réalité matérielle, Flammarion,
2010.
18. D’après le Répertoire des critiques, historiens et théoriciens, op. cit.
19. La filmologie a fait l’objet d’un numéro spécial de la revue Cinémas (vol. 19, no 2-3) d’un
grand intérêt. Voir en particulier « L’aventure filmologique » par Martin Lefebvre.
20. L’article de Metz « Cinéma, langue ou langage ? » paraît en 1964 dans le no 4 de
Communications en même temps que les Éléments de sémiologie de Roland Barthes.
21. D’après le Répertoire des critiques, historiens et théoriciens, op. cit.
22. Voir à ce sujet le chapitre 9 « La Sémiotique du cinéma » du livre de Francesco Casetti
(1999).
Notes
1. Notons que Imitation of Life (Sirk, 1959), qui donne son titre à l’article de Fassbinder,
était lui-même un remake (d’Imitation of Life de John Stahl [1934])…
2. « De même qu’il y a des gens insensibles à la musique, de même il y en a, et davantage,
qui sont insensibles à la photogénie. Du moins provisoirement. » (Epstein, 1921)
Notes