La Structure Sociale Chez Les Bamiléké
La Structure Sociale Chez Les Bamiléké
La Structure Sociale Chez Les Bamiléké
HURAULT
LA STRUCTURE SOCIALE
DES
BAMILÉKÉ
LE MONDE D'OUTRE-MER
PASSÉ ET PRÉSENT
DEUXI~ME SERIE
DOCUMENTS
BAMILÉKÉ
SOMMAIRE
Pages
INTRODUCTION
I. VIE MATÉRIELLE
L'habitat 7
- Les parcelles 7
- Les habitations 9
L'agriculture 12
- Sols; assolement 12
- Les clôtures 13
- Préparation du sol 14
- Principales plantes cultivées 15
- L'élevage 16
- ,Chasse et pêche 17
- Répartition entre les sexes des travaux agricoles et de l'élevage 17
- Les marchés 18
- Commentaire des planches II et II bis 19
- Le système agraire des Bamiléké et le milieu géographique 20
II. LE SYSTÈME DE PARENTÉ DES BAMILÉKÉ
- Adoption 33
- Transmission des noms 34
- Dieux des lignages 34
- La structure du lignage et les institutions sociales et politiques 34
Termes de parenté 36
III. COUTUME FAMILIALE ET DROIT COUTUMIER
La chefferie 59
- Nature du pouvoir du chef 59
- La chefferie 60
- Deuil et intronisation du nouveau chef 62
- La parenté des chefs 64
- Titres de noblesse 64
- Statut des fils de chef 65
- Statut des femmes du chef 66
- Statut des reines 67
Les serviteurs du chef 70
- Les lIo fo 70
- les rJwala 71
- Rapport entre les deux cadres de serviteurs 72
- les rJwàmbe 72
SOMMAIRE IX
- Les la mbueJ 73
- Le n.lheJ f}ge 73
Le droit de la f}kap du chef 74
Autres catégories de notables 75
- Les sous-chefs (f5nle) 75
- Les chefs réfugiés 75
- Les membres du kamvü' 75
La justice des chefs 76
- Justice coutumière 77
- Chef, notables et simples habitants 80
Les sociétés de la chefferie 81
- Fonctions et pouvoirs des sociétés 81
- Règles d'entrée dans les sociétés coutumières 85
- La société N ye 85
- La société Kw~/si 87
- La Mmjaf} du chef 88
La chefferie de Batié 88
- Généralités 88
- Les jours de la semaine 89
- La chefferie 89
- Sociétés de la chefferie 90
- Les serviteurs 92
La chefferie de Banjoun 93
- Historique 93
- Jours de la semaine et sociétés 94
- Différentes catégories de serviteurs 94
- Les sociétes de la chefferie 96
V. - LES QUARTIERS
- Le quartier 99
- Sous-quartiers 100
- Fonctionnement des quartiers 101
- Dégradation de l'organisation des quartiers 101
- Les sociétés de classes d'âge 102
Les sociétés de quartier 104
- Les « banques )) 104
- Les petites sociétés de quartier 105
Les sociétés KUf}gii (T), KUf}ge (N) 105
Inventaire d'une partie du quartier de Hyala (chefferie de Batié) 106
- Inventaire 107
- Appartenance 111
- Surface des concessions 111
- Groupes de parenté 111
- Localisation des patrilignages 112
x LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILEKE
Les populations dites Bamiléké du Cameroun ont fait l'objet de plusieurs ouvrages contenant
des renseignements précis sur leur origine, leur histoire, et l'organisation de leurs chefferies.
Toutefois, aucune étude approfondie de leur système de parenté et de leur structure sociale
n'avait pu être entreprise jusqu'à ces dernières années. En 1955, à l'occasion d'une mission de
l'Institut Géographique National effectuée en vue du complètement de la carte, nous nous
sommes efforcés de jeter les bases de cette étude, en nous limitant aux chefferies de la subdivi-
sion de Bafoussam.
La principale difficulté de cette étude est la grande variabilité des coutumes d'une chefferie
à l'autre; il n'y a pas deux chefferies identiques; chacune forme un univers indépendant ayant
ses lois, sa structure, ses croyances, sa langue. Un même schéma se devine partout, mais il est
difficile de le dégager d'une riche floraison de coutumes purement locales.
Devant ces difficultés, nous avons conduit l'enquête de la façon suivante:
- partir dans toute la mesure du possible des faits observés, et non d'un interrogatoire
théorique: chez les Bamiléké, comme partout en Afrique Noire, il y a une coutume théorique,
qu'on obtient facilement par l'interrogatoire; et il y a ce qu'on fait réellement, qui est profondé-
ment différent. Cette coutume réelle, la plupart des informateurs, même les meilleurs, n'en ont
pas clairement conscience; il faut la dégager d'une somme de faits soigneusement observés.
_. étudier parallèlement plusieurs chefferies, au moins deux. Les faits qui n'ont pas de
correspondance nette de l'un à l'autre peuvent être regardés comme secondaires.
Les chefferies étudiées ici sont Njo (Bandjoun) et Tè (Batié) groupant respectivement
30.000 et 7.000 personnes.
Les langues parlées dans ces deux groupements diffèrent assez sensiblement. Nous avons
fait suivre de (N) les expressions relatives à la langue de Bandjoun, de (T) celles relatives
à celle de Batié.
Quand rien n'est spécifié, les faits relatés sont semblables dans les deux chefferies et les
expressions qui les désignent à peu près identiques.
Depuis la première rédaction de cette étude en 1956, les événements ont marché vite. Les
institutions traditionnelles des chefferies Bamiléké ont été presque partout renversées, et l'on
ne peut dire ce qui en subsistera, quand la période troublée aura pris fin.
Nous n'avons pas cru néanmoins devoir modifier notre rédaction, et nous avons laissé
l'exposé au présent, bien qu'il se rapporte à des coutumes maintenant en grande partie altérées
ou disparues; il conserve une valeur de témoignage.
Cet ouvrage a bénéficié des entretiens que nous avons eu en 1956-59, dans le cadre
d'une étude sur la langue de Bandjoun, avec MM. Fokam-Kamga Paul, Jean Tamokoué
Kamga, Fotso Dieudonné et Foalem Fotso Joseph. Ils nous ont apporté d'utiles complé-
ments, notamment en ce qui concerne la coutume familiale. Nous leur adressons ici nos
remerciements.
2 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMIL~K~
Les langues Bamiléké n'ont pas fait l'objet d'études d'ensemble et demeurent mal connues.
La grande diversité d'origine des populations fondues dans le système Bamiléké a conduit à
une diversification des langues parlées dans l'ensemble du pays. Ces langues ont beaucoup en
commun quant à la grammaire et à la phonétique; cependant le système phonologique varie
légèrement d'une langue à l'autre, principalement par l'emploi d'une ou deux consonnes
étrangères aux langues des groupements voisins. Sans chercher à faire œuvre de linguiste, il
paraît donc utile, pour faciliter la corrélation avec les résultats d'autres études, de définir avec
autant de précision que possible les sons entendus.
Il importe de remarquer que ces groupes linguistiques sont entièrement indépendants des
affinités historiques.
Par exemple, la langue de Bandjoun est fort différente de celle de Baleng dont cette chefferie·
est issue, tandis qu'elle a les plus grandes ressemblances avec celle de Baham, chefferie
traditionnellement ennemie.
D'une langue à l'autre les différences sont assez considérables pour que les intéressés ne
puissent se comprendre couramment.
Certaines de ces différences ont un caractère systématique assez remarquable. On note
entre autres qu'on passe souvent d'un mot Bandjoun à un mot Batié par exemple, par une
alternance vocalique. A un mot de la première langue terminé par e correspond presque toujours
un mot de la seconde terminé par a.
ex. : Bandjoun ke (magie) Batié ka
ne guetteur na
~ procès Id
Consonnes. Seules sont indiquées ici les consonnes usuelles; on s'est efforcé de suivre l'ordre
alphabétique pour faciliter la lecture, bien que ce classement ne soit pas logique et ne mette
pas bien en évidence le système phonologique de la langue.
INTRODUCTION 3
Elle se rencontre:
- après une voyelle; ex. : kwo, jambe kwo', chaise
mu, enfant mu' , un certain ...
io, brûler io', commencer
- entre deux voyelles; ex. : la'a, village
L'articulation palatale des occlusives existe en Bamiléké, mais ne se rencontre que devant
certaines voyelles. On aura aussi parallèlement:
iyüm, cœur lia, choisir
ndyüm, hibou ndia, maison
Voyelles. Le Bamiléké possède 12 timbres vocaliques distincts. Nous ne donnerons ici des voyelles
qu'une description sommaire, et confondrons avec a deux voyelles centrales dont la notation
n'est pas indispensable à la précision de ~'exposé.
Il n'existe en Bamiléké qu'un seul a, mais par contre la langue distingue entre 0 ouvert et
o fermé.
a voisin de a antérieur français
fi a antérieur nasalisé (an du français).
o 0 ouvert; un peu plus ouvert que celui du français bol
o 0 fermé; entre 0 et ou français; ex. : ho, avoir tort; ho, trouver.
a 0 nasalisé (on du français)
a e du français Denis; très répandu
fi e nasalisé
e voisin du é français
s un peu plus ouvert que è français.
Il y a une opposition phonologique nette entre ces deux voyelles; ex. : pe champ; ps, rouge.
Contrairement à plusieurs langues africaines, notamment au Peul, ces deux voyelles sont en
Bamiléké bien timbrées et aisément discernables.
i voisin du i français ..
u voisin du ou français.
ü placée entre u et ou français. Cette voyelle est assez proche de u français pour qu'on puisse
conserver la notation Ü.
na isü, manger
u qu'on peut décrire comme placée entre e et ou français (1).
ex. : vû deuil, bien distinct de va, écrire.
Les tons n'ont pas été notés; ils ne paraissent pas jouer en Bamiléké un rôle aussi important
que dans les langues Bantou, ceci étant en rapport avec la plus grande richesse de la langue en
timbres vocaliques.
Transcription. Les noms de personnes et les noms de lieux ont été transcrits en Français selon
les principes formulés par l'Institut Français d'Afrique Noire. Quelques voyelles et consonnes
doivent faire l'objet de remarques:
(1) Cette voyelle est notée dans plusieurs ouvrages, traitant notamment des Bamoun, par un m renversé.
INTRODUCTION fi
LA VIE MATÉRIELLE
L'HABITAT
Les parcelles.
Le pays Bamiléké est un pays d'habitat dispersé. Nulle part, en dehors des centres adminis-
tratifs, on ne trouve de village groupé.
Chaque habitant vit sur ses terres, construisant sur sa « concession» (be) (T), pe (N), les
cases de ses femmes et de ses enfants non mariés; les enfants mariés sont établis sur une conces-
sion distincte, rarement à côté de celle de leur père, car il y a peu de terres libres.
Le terme be désigne à la fois la terre, les constructions et les habitants; les Bamiléké, quand
ils s'expriment en français, disent « le village de Untel»; nous emploierons de préférence le
terme de hameau.
Il s'agit effectivement d'une concession donnée par le chef et transmissible aux héritiers
successifs, mais toujours susceptible de révocation pour indignité. Les chefs n'exercent que rare-
ment ce droit, et toujours pour des fautes graves: vol qualifié, comportement antisocial. Mais
dans toutes les chefferies que nous avons connues, cette conception, une des bases du droit coutu-
mier Bamiléké, reste pleinement vivante et admise par tous. Le chef n'admet pas qu'un individu
vende sa terre; s'il l'apprenait, il l'expulserait pour donner la concession à un autre. Seule est
admise la vente des « champs de bambous », c'est-à-dire des portions de fonds de vallées maré-
cageux où l'on plante les palmiers-raphia indispensable aux constructions. Quand un homme veut
demander une terre au chef, on lui attribue en même temps une portion de champs de bambous;
mais ces portions ne sont pas adjacentes aux terres; mal repérées, sujettes à de constants
mouvements de location, vente, échange, elles donnent lieu à d'innombrables procès qui
encombrent les tribunaux coutumiers.
Il n'est pas d'usage de louer la terre contre de l'argent mais il est courant de donner le droit
de cultiver ou de faire paître pendant un an, sous réserve de laisser la clôture établie à cet effet
et de donner un panier de la récolte.
J
8 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILÉKÉ
même temps il leur donnait un nombre de femmes suffisant pour assurer la perpétuation de leur
lignage.
Mais avec le temps, la situation s'est modifié. L'accroissement continu de la population a
obligé les notables à faire place aux nouveaux venus, et à limiter leurs concessions à ce qui leur
était indispensable. Actuellement peu de notables ont une concession enclose supérieure à 3
hectares, et le simple habitant dispose de 1 hectare environ. Superficie bien faible, et qui suffit
à montrer le caractère aigü du problème agraire en pays Bamiléké.
Ces concessions sont souvent limitées par des lignes droites et forment des alignements peu
communs en Afrique Noire; cela tient à ce que les chefs de quartier, chargés d'installer les
nouveaux venus et les fils non héritiers des habitants, délimitent souvent par des piquets les
terres attribuées. La création de nouvelles concessions se poursuit sans cesse et dans nombre de
chefferies on approche du moment où on ne pourra plus installer personne, et où le seul recours
sera l'émigration; dans d'autres chefferies comme Batié, il reste encore beaucoup de place mais
sur des montagnes au sol pauvre, sujettes à l'érosion, où les habitants ne s'installent qu'à contre-
cœur.
Dans l'ensemble du pays Bamiléké, le morcellement des terres n'est pas admis, la terre
passe intégralement à l'héritier et les autres fils doivent demander une terre au chef, ou émigrer.
Il est peu probable que cette coutume soit rejetée, car elle est inhérente à la conception même
du lignage et de la parenté que nous exposerons plus loin; cela n'apporterait du reste aucun
remède à la surpopulation du pays, les terres cultivées étant déjà utilisées à la limite de leurs
possibilités.
•
Le paysage Bamiléké, là où les méthodes traditionnelles d'exploitation du sol se sont conser-
vées, offre trois niveaux bien distincts:
- Dans les fonds de vallée, les champs de « bambous» ou plus exactement de palmiers-
raphia, dont les nervures sont indispensables à la confection des clôtures et à la construction des
toits des cases, qui en absorbent des quantités prodigieuses;
- Sur les pentes, les terres cultivées, divisées en parcelles encloses d'épaisses haies vives et
ombragées par de grands arbres, kolatiers notamment, dissimulant les cases dont seuls les toits
émergent de la verdure;
- En haut des collines, les prairies, séjour du petit bétail qui est une des richesses du pays
Bamiléké. Chaque colline est regardée comme la propriété d'un grand notable, mais propriété
non exclusive, puisque on ne peut exercer un droit sur la terre qu'au nom du chef; en fait ces
zones constituent une propriété collective des habitants de l'endroit, dont l'usage s'ajoute à celui
de leurs concessions encloses.
Ces prairies résultent de la destruction par le feu de la forêt qui couvrait autrefois le pays;
elles sont régulièrement brûlées chaque année pour éviter qu'elles ne s'embroussaillent. Tous les
quatre ans environ, les habitants des terres environnantes, après avoir placé le bétail ailleurs,
les mettent en culture et y font une récolte de maïs; puis le cycle recommence. Mais la surpopu-
lation croissante du pays rompt cet équilibre et fait disparaître progressivement cet étage.
L'étage des cultures ne cesse de monter au flanc des collines, et dans certains quartiers de
Bandjoun il a tout recouvert; le bétail diminue de nombre, mais en revanche les feux disparais-
sent et l'arbre, lié à la colonisation agricole Bamiléké, reprend sa place.
Les Bamiléké, s'ils ne saisissent pas bien l'action néfaste des feux, comprennent parfaitement
en revanche le rôle de l'arbre pour la protection du sol et la lutte contrë l'érosion; on ne peut
qu'admirer la façon dont ils ont dans l'ensemble, su conserver leur sol soumis à une exploitation
intensive depuis des siècles.
LA VIE MATE:RIELLE 9
Les habitations.
Les hameaux des notables sont généralement groupés, pour des raisons de prestige, et
certains ressemblent à de petites chefferies; on retrouve notamment dans ces hameaux la dispo-
sition caractéristique du hameau du chef, l'allée centrale dirigée selon la ligne de plus grande
pente, les cases des femmes réparties symétriquement des deux côtés de cette allée, la maison
d'habitation et les dépendances à la partie inférieure, attenant à un petit bois sacré. Les simples
habitants préfèrent souvent disperser leurs trois ou quatre cases ou greniers sur la surface de
leur concession, pour diminuer le risque d'être entièrement ruinés par un incendie.
Les concessions étant entièrement clôturées, les simples habitants rentrent chez eux par
des échelles doubles placées à poste fixe. Les notables ont le privilège de posséder une case-
vestibule munie d'une porte.
D'une façon générale, l'organisation intérieure des concessions est dominée par deux
préoccupations principales:
- Canaliser la circulation des chèvres, qui doivent pouvoir circuler seules entre leur lieu
de pâturage et leur parc, placé à proximité immédiate de la maison du maître.
- Marquer son rang social par des constructions qui n'ont d'autre but que le prestige et
l'esthétique. Telles sont, notamment, par ordre de prestige décroissant, la place de lamentations
(muy~), l'allée centrale, la case vestibule, la grande case de prestige (Iii), les toits largement
débordants soutenus par une rangée de poteaux, formant galeries. Seuls les plus grands notables
sont autorisés par le chef à posséder ces marques de leur rang.
Il n'est pas inutile de donner ici le plan schématique d'une concession de notable, car cela
permet de mieux comprendre quelles préoccupations ont inspiré le plan beaucoup plus
complexe des chefferies.
1 Muy~, « place de lamentation ll. Sa possession est réservée aux principaux nota-
bles. Il semble qu'à l'origine, chez les principaux notables elle constituait un marché,
fonctionnant comme le marché de la chefferie.
2 Nb, allée descendante (on dit aussi kw~'~ nb, la pente de -) qui est elle aussi une
marqued'ostentation.
3 Tab, cour, marque d'ostentation; sert également aux cérémonies intérieures à la
concession, comme le deuil des jeunes enfants
4 K~'~, case vestibule; marque d'ostension.
5 Maison du maître. Sa porte peut être dirigée soit latéralement, comme sur la figure,
soit face à l'entrée, mais jamais en direction opposée, ce ne serait pas honorable
6 Parc à bétail; toujours placé au contact immédiat de la maison du maître.
7 Nie, grenier du maître.
8, 8 bis. Maisons des femmes.
9 Iii. Maison la plus importante de la concession, qu'on ne trouve que chez les prin-
cipaux notables:
- Marque d'ostentation
- Sert aux réunions de la société d'adolescents, rJgo'rJgha (N), si le maître de la
concession en a une
- Sert de cimetière; les enfants en bas âge sont enterrés sous la galerie exté-
rieure, les enfants plus âgés à l'intérieur (le maître de la concession lui-même est
enterré sous sa case ou à proximité; les femmes à proximité de leurs cases)
10 Cases des sociétés (Manj5rJ notamment) que préside le notable.
11 Lieux de culte.
/
10 • LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILÉICÉ
o o ~
c
cu
Co
De De bIS
cu
H passage par dessus la cloture
"C infranchissable aux chèvres,
.,
c
cu
o on
0"
(arrière plan)
chefferie case de cé libata;re
notable
case des autres
cheC de quartier
épouses
case de la le Cemme.
1 grenier
femme
12 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILEKÉ
L'AGRICULTURE
Sols; assolement.
Le pays Bamiléké comporte une très grande diversité de sol, depuis des sols brun-noir très
riches, que l'on rencontre principalement dans les régions volcaniques (Baleng, Bamougoum),
jusqu'à des sols sablonneux clairs, résultant de la décomposition du granit (Batié, Bandenkop).
L'implantation de la population sur le sol et les modes de culture ne sont pas sensiblement
différents de l'un à l'autre. Seuls varient la durée des jachères et le rendement global de la terre
à effort égal. Dans l'ensemble, la densité de la population est proportionnelle à la richesse des
sols, ceci devant être principalement attribué aux migrations et aux conquêtes, les régions
riches ayant, depuis l'origine, attiré les groupements les plus forts. Les régions au sol pauvre
sont avantagées en contrepartie par le fait que chacun peut, en pratique, cultiver autant de
terre qu'il le désire; d'autre part, à surface égale, la terre sablonneuse est plus vite retournée, et
l'élevage peut être pratiqué sur une plus grande échelle.
Compte tenu de ces divers éléments, il n'existait pas jusqu'à ces dernières années, une
différence frappante de richesse entre les habitants des diverses chefferies. Mais le développement
des cultures d'exportation, notamment le café et le tabac, donne actuellement un avantage
marqué aux occupants des sols riches.
. Le terroir Bamiléké, dans son organisation traditionnelle, comporte trois zones distinctes,
auxquelles chacun doit avoir accès :
1) Les zones de culture intensive, qui correspondent aux zones habitées, où la clôture est
obligatoire. Dans cette zone, chacun pratique des assolements, après avoir divisé sa terre en
quatre ou cinq portions par des haies intérieures; cette rotation comporte le stationnement
pendant un an du petit bétail sur chaque portion à tour de rôle.
2) Des zones de culture extensive situées loin des zones habitées, et qu'on appelle rJgu (T),
rJgo (N), « la campagne».
A Batié, la « campagne» est située sur les pentes abruptes qui regardent Bafang. A Bandjoun,
c'est la vallée du Noun, région basse au sol riche mais où la vie sédentaire est rendue dangereuse
par le paludisme. A la saison des cultures, les femmes descendent à l'aube dans la vallée et
remontent à la nuit tombante, portant un panier de la récolte.
Dans la « campagne» on ne doit traditionnellement, ni édifier de maisons, ni faire paître
du bétail. En conséquence il n 'y a pas de c1ôtu res. Dans certaines chefferies comme Bayangam, ce
type de culture, pratiqué sur des terrains en pente très forte, provoque une dangereuse érosion.
3) Des zones d'élevage du petit bétail, situées sur les collines. Ces zones sont soumises à
plusieurs régimes, selon les circonstances et l'accord que les habitants ont pu faire entre eux.
- Les unes ne sont pas clôturées, le bétail y circule librement en saison sèche, mais pas en
saison des pluies, car les habitants font un certain nombre de semis en dehors de leurs concessions,
sur les pentes des collines;
- d'autres sont clôturées et des chemins permettent aux chèvres de tous les habitants
d'alentour d'y circuler sans surveillance, en saison des pluies comme en saison sèche, et de
regagner le soir la maison de leurs « pères ». Ce système remarquable se rencontre notamment
à Bangam, où il couvre des montagnes entières.
Ces clôtures sont longues et coûteuses à établir, mais, une fois intallées, les habitants sont
débarrassés de tout souci et peuvent élever chèvres et moutons en grand nombre; mais il suffit
qu'un seul habitant se refuse à clôturer pour que tout le système s'écroule; il n'est donc conce-
vable que là où l'autorité coutumière reste indiscutée.
LA VIE MAT:gRIELLE 13
Terres cultivées
.._--
""""--- Chemins entre les clôtures
Les clôtures.
Ce qui précède montre l'importance fondamentale du système des clôtures dans l'agriculture
Bamiléké. C'est grâce à elles qu'ils ont pu réaliser une complète mise en valeur du sol, et lui
conserver dans l'ensemble ses qualités. Les clôtures ombragent le sol et le fixent. Elles sont le
principal moyen de lutte contre l'érosion par le vent et la pluie.
Ces clôtures sont formées d'arbres appartenant à plusieurs espèces, reliés par des « bambous»)
attachés horizontalement, jusqu'à hauteur d'homme. Quand elles sont en bon état, les chèvres
ne peuvent les franchir.
(1) Le travail à la houe, qui s'exerce toujours de haut en bas perpendiculairement aux courbes de niveau, a aussi pour
efTet de faire descendre la terre.
14 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMIL&K&
Les haies arbustives produisent également du bois de chauffage et du bois d'œuvre, introu-
vable ailleurs puisque tout le pays a été défriché et mis en culture.
Ce système de clôture, dans les régions habitées, repose traditionnellement sur une stricte
obligation, la sanction étant l'interdiction de tuer ou de maltraiter les chèvres qui auraient
réussi à franchir une clôture; ces affaires doivent se régler à l'amiable, le propriétaire du champ
doit surélever sa clôture et le propriétaire de la chèvre, l'entraver plus fortement. Mais, depuis
quelques années, on constate par endroits, une tendance à abandonner les clôtures: les habitants
ont entendu dire que la législation introduite par les européens donnait le droit de tuer les
animaux surpris dans leur champ. Il n'en faut pas plus pour que certains renoncent à entretenir
leurs clôtures; on cite de nombreux procès au sujet d'animaux tués ou mutilés parce qu'ils
s'étaient aventurés dans un champ non clôturé; dans ces zones, il devient pratiquement impos-
sible d'élever du petit bétail, les habitants y renoncent et le pays s'appauvrit d'autant (1).
Il y a là une menace très grave sur l'agriculture des Bamiléké, et, par contre-coup, sur
l'ensemble de leur organisation sociale. Dans plusieurs chefferies, notamment Bana et Bafang,
ainsi que dans la subdivision de Dchang, on commence à voir au bord des grandes routes des
zones où le système des clôtures a de proche en proche été abandonné; les plantations sont
aussi négligées et anarchiques que dans le Sud du Cameroun; le sol, privé de protection, paraît
gravement menacé par l'érosion et il est probable que sa fertilité ne se maintiendra pas.
Fait remarquable, ce phénomène apparaît d'abord au voisinage des grandes routes et des
centres urbains, alors que dans les quartiers reculés le système des clôtures reste pratiquement
intact.
Préparation du sol.
Les femmes, sur qui repose la totalité des travaux agricoles à l'exception de la culture des
plantains, retournent la terre avec des houes de fabrication européenne, dont le fer a la forme
et les dimensions d'un fer de pelle; elles établissent des billons presque toujours dirigés selon la
ligne de plus grande pente. Ce système paraît sans inconvénient dans les parcelles encloses de
petite dimension, car il a pour effet de diviser le ruissellement (2).
Il serait d'ailleurs fort difficile de procéder autrement car, pour retourner la terre, les femmes
se déplacent parallèlement au billon; sur de fortes pentes il serait très pénible de travailler des
journées entières avec un pied placé beaucoup plus haut que l'autre.
(1) Depuis H)57, à la suite de nombreux procès de ce genre, le chef de Bangang a interdit l'élevage du bétail sur la
totalité du territoire de la chefTerie.
(2) Cette intention de diviser le ruissellement apparait aussi nettement en pays Bamoun, conduisant à un parcellaire
laniéré, les lignes dc division des parcelles étant parallèles aux lignes de plus grande pente du terrain. Dans les zones
argileuses ou sablonneuses no se prêtant pas à l'édification de murettes, ce système permct do développer l'agriculture sur
de fortes pentes sans entratner d'érosion par ravinement.
LA VIE MATERIELLE 15
Sur le plateau Bamiléké la saison des pluies commence en avril-mai et s'achève en octobre,
. le maximum se situant en septembre.
La principale saison des cultures commence en mars; on plante simultanément, et souvent
mélangés, le maïs, l'arachide, le taro et les haricots (qui s'enroulent autour des tiges de maïs).
Après la récolte principale (août), on retourne de nouveau la terre pour planter les patates douces
et des haricots, ces végétaux pouvant achever leur maturation en pleine saison sèche. Cette
seconde récolte est effectuée en janvier-février.
Les ignames, dont il existe trois variétés principales, sont plantés en fin de saison sèche, en
février, dans des fosses garnies de fumier sur lesquelles on rassemble la terre en buttes. La récolte
est faite au bout d'un an.
Principales plantes cultivées à Bandjoun :
vuafa maïs
mbiye arachide
p~ taro
khuke macabo (planté dans les fonds humides)
yu'u igname long
là igname velu
yu'u mbaya igname à peau noire
m.ka a Nja haricots indigènes
m. ka a ndaq haricots européens
mvûvkhûm patate douce
tjlasam mamoc
kal5 plantain
nkanda banane
Autres cultures, pratiquées surtout dans les parcelles encloses : plantes servant de condi-
ments, notamment le piment (s~q), le gombo (yaye) , une courge dont les graines sont utilisées
pour la préparation des sauces (njü); les plantes cultivées servant de remèdes ou utilisées à des
fins magiques sont englobées sous le nom de mie.
Cultures arbustives :
tsa kolatier
kafe caféier
tsam « prunier 1) indigène
tsam ndaq avocatier
màvuu manguier
lemu citronnier
V. kha palmier raphia
Ces plantations, faites dans des champs clôturés et peu attaquées par les animaux sauvages
qui ont été presque entièrement détruits, ont un rendement régulier et proche de l'optimum.
Les ennemis principaux de l'agriculture sont les perdrix et les singes, qu'on n'a pas pu éliminer
complètement. Contre ces ennemis on imprègne les graines de maïs, avant les semailles, d'une
décoction d'écorce très amère. Toute l'année les enfants piègent avec ingéniosité les perdrix,
qu'ils vont vendre sur les marchés.
La principale culture arbustive est le kolatier, dont les noix sont mûres au mois d'août.
La vente des noix de kola est une des principales ressources du pays Bamiléké.
Depuis quelques années se développent, principalement dans les terres les plus riches, des
16 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILEKE
cultures d'exportation, notamment le caféier et le tabac. Ces deux cultures paraissent appelées
à un grand développement.
Les Bamiléké pensent qu'un lien religieux s'est établi entre les hommes et les végétaux les
plus anciennement cultivés et les plus nécessaires à la vie; les haricots indigènes, les graines de
courge et l'huile de palme sont employés de façon exclusive pour les offrandes aux ancêtres.
Le vin de raphia a le pouvoir de déceler les menteurs; par exemple si le mari soupçonne un
homme d'être l'amant de sa femme, il remplira devant lui un verre de vin de palme, en boira
la moitié et lui offrira le reste; l'autre, s'il est coupable, n'osera pas boire, car le vin le rendrait
malade.
Des libations de vin de palme, accompagnées d'imprécations, sont utilisées dans les sociétés
coutumières comme épreuve pour déceler les menteurs et les voleurs, et pour attirer des châti-
ments suprahumains sur un de leurs membres chassé pour indignité.
De même, un homme coupable d'adultère n'osera pas accepter l'offre du mari outragé de
partager une noix de kola. Deux hommes qui viennent de conclure un accord pour la location
d'un champ de bambou partagent un morceau de bambou cueilli dans le champ. Ce fragment
rendra malade celui des deux qui n'exécutera pas les clauses du contrat.
Les clôtures en lattes de palmier-raphia sont interdites aux gens du commun et réservées
aux chefs et aux principaux notables, appelés 'lJwambo (N), 'lJwambe (T).
L'élevage.
Il comprend, outre les petits troupeaux de bœufs appartenant aux chefs, les chèvres, les
moutons et les porcs.
Les chèvres s'élèvent facilement et sont d'un bon rapport. Ce sont des animaux de petite
taille, identiques à ceux qu'on trouve dans toute la zone forestière du Cameroun. L'élevage des
chèvres et des moutons, sujet à peu d'aléas, n'est limité que par la surface dont on dispose pour
les faire paître. Très développé dans les régions montagneuses au sol pauvre, il est réduit à peu
de chose dans les régions entièrement cultivées comme Bandjoun.
Les Bamiléké n'ont pas l'habitude de réunir les chèvres en troupeaux et de les faire paître
sous la conduite des enfants, loin des habitations; ils ne pratiquent qu'un élevage non gardé et,
s'ils ne disposent pas d'espace clôturé, ils y renoncent purement et simplement. Tous les animaux
domestiques portent, pendant la saison des cultures, un équipement qui les empêche de franchir
les clôtures; les chèvres portent autour du cou une pièce de bois en forme d'Y, les cochons, un
carcan en forme de cadre; les poules circulent avec une tige de bambou attachée transversale-
ment sous les ailes. Les animaux qui, malgré ces précautions, parviennent à faire des dégâts
dans les cultures, sont équipés plus sévèrement encore, non seulement pour les empêcher de
recommencer, mais pour les punir. On voit par exemple des chèvres attachées deux à deux à un
même carcan. Nous avons même vu un coq se déplacer péniblement, ses pattes prises dans deux
lourds sabots de bois.
L'élevage des cochons, très développé partout, est une des principales ressources du pays.
Chasse et pêche.
Dans la plus grande partie du pays Bamiléké, les animaux sauvages ont presque complè-
tement disparu et la chasse, encore pratiquée comme distraction, ne joue plus aucun rôle dans
LA VIE MAT:2RIELLE 17
l'économie. Il Y a encore quelques panthères dans les zones les moins cultivées, et des hyènes au
voisinage de la vallée ùu NOUll. Les hyènes In'isellt les clàtures avec leurs dents et dévorent les
cochons, ne s'attaquant pas d'ordinaire aux chèvres. Par endroits, on est obligé d'enfermer les
cochons la nuit dans des cases solides.
Les Bamiléké ne pratiquent pas la pêche. Jusqu'à présent, la création d'étangs artificiels
pour la pisciculture a eu peu de succès auprès d'eux.
Il est important de noter que des considérations de prestige s'attachent à certains végétaux
et animaux domestiques; ces considérations expliquent dans une large mesure la répartition des
travaux entre homme et femme.
Au plantain, ka15, s'attache une idée particulière de prestige, qui ne s'étend pas à la banane
douce. Les régimes de plantain constituent le cadeau habituel que le simple habitant va porter
au chef quand il va le saluer. Dans les repas de mariage, les plantains bouillis constituent le
plat de résistance. Ainsi le plantain est une culture d'homme; la femme n'intervient en rien
dans la préparation des fosses, le sarclage, etc.
Une croyance remarquable s'attache encore au plantain. On pense que si un homme est
un magicien possédant le pouvoir de se changer la nuit en panthère ou en un autre animal,
c'est par l'intermédiaire d'un des plantain de sa concession qu'il demeure lié à son corps au cours
de ses expéditions nocturnes. Ainsi s'explique, qu'une des sanctions appliquées à un homme
accusé de sorcellerie consiste à venir couper ses plantains.
A l'igname long et lisse, yu'u, d'un goût excellent, s'attache aussi une idée de prestige.
Il est cultivé par la femme, mais la récolte doit être entièrement remise au mari pour sa consom-
mation personnelle. La femme n'en reçoit une part que s'il subsiste un excédent.
Le yu'u, rangé en piles régulières dans de grandes corbeilles, sert aussi de façon exclusive
aux cadeaux que la belle-mère et les sœurs de la femme viennent faire au mari.
Les cultures arbustives sont regardées également, et pour la même raison, comme un travail
d'homme.
Le travail matériel qu'elles nécessitent, et qui est loin d'être négligeable (pour les palmiers
raphia il faut un repiquage; pour tous les jeunes arbustes il faut creuser des fosses, transporter
du fumier, etc.) est entièrement supporté par l'homme. La récolte est vendue à son profit exclusif.
En ce qui concerne les animaux domestiques, une idée de prestige s'attache à l'élevage
des bœufs, réservé aux chefs et aux principaux notables, et à un moindre degré à celui du petit
bétail (nza J, réservé aux hommes. A l'exception des mafo, les femmes ne peuvent élever de chèvres
ni de moutons. On admet qu'elles élèvent des cochons «()gan~mJ et des poules ('YJg~pJ à leur
profit. Cependant, jusqu'à une époque récente, il n'était pas admis qu'elles consomment elles-
mêmes volailles et œufs. Ces interdits sont de nature sociale et non religieuse, et les hommes les
interprètent unanimement comme une marque de la condition inférieure de la femme.
A l'exception de la culture des plantains et des cultures arbustives, la femme supporte tout
le poids du travail agricole : préparation de la terre, semailles, sarclages et récoltes. L'homme
fait les constructions, répare les clôtures et procure l'argent du ménage en se livrant à un travail
artisanal ou en faisant du commerce.
Traditionnellement la condition de la femme était dure, la division traditionnelle du travail
entre les sexes lui attribuant la plupart des travaux pénibles. Par exemple, lors des constructions
18 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILÉICÉ
de cases, les hommes coupent les « bambous II et les assemblent en fardeaux, et les femmes
transportent ces fardeaux jusqu'au lieu de la construction. Cette condition de la femme résulte
quasi nécessairement du système social des Bamiléké, l'homme devant disposer de la plus grande
partie de son temps pour assister aux réunions des sociétés coutumières, et gagner sa vie par le
commerce ou l'émigration temporaire dans les villes.
Cependant le travail est réparti de façon plus équitable qu'il ne paraît au premier abord.
Là où la société coutumière ne s'est pas dégradée et où n'apparaît pas le pseudo-commerce
parasitaire, les hommes travaillent activement. La construction et l'entretien des cases et des
clôtures représente déjà un très important travail; pour le reste, le travail effectué est très
variable d'un homme à l'autre. Il ne manque pas de gens sérieux qui, pour gagner le prix d'une
camionnette, vont à pied d'un marché à l'autre, portant des charges écrasantes; d'autres sont
des fainéants, ne fréquentant les marchés que pour palabrer et IJoire, vivant en fait du travail
de leurs femmes. Entre ces deux extrêmes il y a tous les stades possibles.
On a souvent dit que les femmes Bamiléké étaient des esclaves qui travaillaient comme des
bêtes de somme au profit de leur mari sans rien posséder en propre. C'est là une profonde erreur;
le système Bamiléké est peu différent de celui que l'on trouve partout ailleurs au Cameroun,
dans lequel la femme travaille en échange d'une complète tranquillité dans son petit domaine
personnel : enfants, case, lopin de terre. En fait, les femmes ont le monopole de la vente des
récoltes et la plupart des maris ne leur demandent pas compte de l'emploi de l'argent. Cela tient
à ce qu'en principe, cet argent est employé d'une part à l'entretien des enfants, et, d'autre part,
à l'achat d'objets ménagers, huile, sel, etc., nécessaires à la cuisine, achats dont l'homme ne se
préoccupe pas en général.
Plus une femme est âgée et plus ses ressources sont élevées. Cela tient à ce qu'elle a trouvé
dans sa famille, dans la famille de son mari, etc., un nombre toujours croissant de bonnes places
à cultiver, tandis qu'une jeune femme n'a que la terre attribuée par son mari. En fait, la jeune
femme est entièrement à la charge de son mari, tant pour les robes qu'il faut lui renouveler sans
cesse, que pour le maïs, les arachides, etc., qu'il faut compléter. Les notables polygames ont
l'habitude de constituer des réserves en prélevant les plus beaux épis sur les champs de toutes
leurs femmes. Ils distribuent ensuite, le moment de la « soudure» arrivé, à celles qui n'ont pu
cultiver assez.
La femme âgée subvient presque entièrement à ses IJesoins, son mari ne lui fournit plus que
deux robes par an.
L'homme se réserve l'entier bénéfice de la vente:
Du petit IJétail.
Des bananes, plantain.
Des noix de kola.
Du tabac et du café.
Les marchés.
Le marché joue en pays Bamiléké, un rôle essentiel. Les grands marchés, comme celui de
Bandjoun, attirent chaque semaine plus de dix mille personnes, dont une partie vient en camion
de chefferies éloignées. Il s'y fait d'importantes tractations portant sur les produits les plus
variés.
Le matin du grand marché de Bandjoun, des foules compactes de Bamiléké, revêtus de
loques européennes sales et déchirées qui leur donnent l'aspect le plus déplorable, envahissent
les chemins. Les femmes portent de lourdes charges de maïs, d'arachides, de patates ou de macabo.
LA VIE MATltRIELLE 19
Les hommes conduisent des troupeaux de chèvres, traînent des cochons récalcitrants, ou portent
des charges de colportage.
Des camionneurs Bamiléké, venus de Bafang, achètent chèvres et cochons pour les vendre
dans les villes du Sud; ils apportent en échange des fûts d'huile de palme, que le pays ne produit
pas en quantité suffisante et que les femmes regardent comme indispensable à la cuisine en
raison de sa belle couleur rouge. Le premier venu, s'il dispose d'une somme suffisante, achète un
fût et s'improvise grossiste. Il vend par touques à ceux qui se sont improvisés détaillants... et
qui s'assoient par terre en longues files, dans l'attente du simple habitant venu acheter une petite
calebasse d'huile.
On est frappé ici par l'attraction exercée sur l'habitat par la partie inférieure des pentes,
où le sol est plus favorable à l'agriculture. Tous les hameaux de fondation ancienne, reconnais-
sables au nombre des cases et aux grands arbres qui les ombragent, sont situés en bas des pentes,
au contact de l'ancienne galerie forestière remplacée par des plantations de palmier raphia.
Beaucoup de concessions de fondation récente, comme M, N, reconnaissables à l'absence
d'arbres et de haies intérieures, donnent l'impression d'établissements précaires. En fait, il en
est bien ainsi, et l'étude sur le terrain montre que seuls les hameaux des notables polygames
peuvent être considérés comme stables, la plupart remontant à plusieurs générations. Les céliba-
taires et les monogames ont du mal à exploiter le sol (les épouses constituant traditionnellement
la seule main-d'œuvre agricole) et beaucoup sont amenés à émigrer, abandonnant leur terre
qui est attribuée par le chef à un autre.
Un autre aspect de la structure sociale bien visible sur les photographies aériennes est une
tendance à une distribution égale des terres. Les grands notables n'ont pas une concession en
rapport avec le nombre de leurs épouses. Cela tient à ce que le système d'héritage Bamiléké
entraîne la fixité des limites des parcelles, et à ce que le principe de la concession donnée par le
chef, entraînant l'interdiction de vendre la terre, empêche la dépossession des pauvres par les
riches.
\.
20 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILEKE
Les chemins principaux sont tous établis sur les crêtes. Par endroits ils traversent des places
rectangulaires clôturées. Ce sont les « places de lamentation» des grands notables, marques de
leur dignité, où l'on célèbre les deuils survenus dans leur famille. Nous avons dans le fragment
étudié six concessions de grands notables, ABC D E F, ayant droit à une place de lamentation
(E est un hameau en décadence, correspondant à une lignée presque éteinte).
Tous ces hameaux ont une structure identique, calquée sur celle du hameau du chef. Les
cases sont réparties symétriquement de part et d'autre d'une allée principale dirigée selon la
ligne de plus grande pente. Les cases des femmes sont divisées en deux groupes égaux de part
et d'autre de cette ligne. A la partie inférieure de la concession se trouvent la maison du notable,
et une grande case servant aux réunions du groupement familial. La concession comprend
toujours un boqueteau ou un arbre sacré, lieu de culte du dieu du lignage.
La région est traversée par un ancien fossé datant des guerres entre chefferies. C'était
ainsi qu'autrefois on marquait la limite d'un territoire conquis.
Le système agraire des Bamiléké est intimement lié à des conditions de milieu très parti-
culières, résultant principalement de l'altitude et d'une pluviosité modérée. En examinant les
limites du peuplement Bamiléké vers le Sud et vers l'Ouest, on est frappé de la coïncidence très
nette qu'il présente avec les limites du haut plateau. Au-dessous de l'altitude 900 mètres, on
trouve encore des groupements Bamiléké, mais ils n'ont plus constitué de chefferies et tendent
à vivre du commerce ou de salaires obtenus de travaux manuels divers, souvent au profit de
planteurs autochtones. Leur système agraire ne s'est pas maintenu et, à l'exception d'une ten-
dance à constituer des parcs à petit bétail, ils exploitent le sol à peu près de la même façon que
les populations au milieu desquels ils se sont établis. On voit reparaître un parcellaire non perma-
nent, sans caractère défini et sans lien précis avec la topographie, les jachères de très longue
durée conduisant à des défrichements annuels sur brousse arbustive haute, système qui paraît
en fait le seul approprié au milieu équatorial humide.
Il est permis de penser que le système social si particulier des Bamiléké, sur lequel leur
structure agraire repose directement, et notamment le principe de l'héritier unique de la conces-
sion, ne se maintiendrait pas s'ils venaient à émigrer en masse hors de leur pays actuel. Ce système
social ne doit pas cependant être considéré comme inspiré par les conditions du milieu; c'est
une création originale, dont il ne faut pas chercher l'origine ailleurs que dans des croyances
religieuses; il est essentiel de remarquer en effet que, dans le même milieu géographique et
vivant à proximité immédiate des Bamiléké, les Bamoun et les Mbo ont un système social et
une implantation sur le sol radicalement différents. Il est permis de penser que les conditions
du milieu géographique n'ont pas suscité le système Bamiléké, mais qu'elles ont permis son
succès. Sans elles il eût végété, avant d'être anéanti par une guerre ou un bouleversement social
quelconque.
PL. II
On a souvent employé le terme de tribu, pour désigner l'ensemble des habitants d'une
chefferie. A notre avis, ce terme doit être évité, car il est généralement employé en Afrique
Noire pour désigner un groupement dont tous les membres se réclament d'une lointaine ascen-
dance commune. Or on ne trouve rien de semblable dans la société Bamiléké, qui peut au
contraire être définie comme un mode de groupement d'individus irrémédiablement détribalisés.
Il est indispensable, avant d'aborder l'étude du système de parenté, d'avoir une idée
d'ensemble du système politique dans lequel il s'intègre.
Comment s'est formée une chefferie? On peut le deviner avec une faible part d'hypothèse,
en considérant la structure actuelle. A une époque pas très éloignée (200 à 300 ans), un homme
énergique, fils de chef le plus souvent, quittant la chefferie où il était né, est venu s'établir dans
un territoire alors inhabité. Il avait avec lui un groupe de camarades et des esclaves, hommes
et femmes, provenant des prises de guerre; il a organisé son village selon un modèle déjà existant
(Qui a créé ce type de société? Ceci est un autre problème, que nous n'abordons pas ici). Prenant
pour lui une partie des femmes, il a engendré de nombreux enfants. Il a marié ses esclaves;
certains sont devenus ses familiers et ses dignitaires. Chacun s'est efforcé de fonder un patri-
lignage (1). Certains lignages ont avorté, d'autres ont pris une certaine extension. Nous nous
trouvons donc de nos jours en présence d'un grand nombre de petits lignages appartenant à
trois catégories :
1) Les descendants des chefs (chaque fils de chef non héritier est considéré comme fondateur
de lignage) ;
2) Les serviteurs du chef, qui représentent un nombre de personnes à peu près équivalent;
3) Les simples habitants, qui, dans certaines chefferies, comme Batié, représentent moins
de 25 % de la population.
Ces considérations expliquent que l'étude de la structure des chefferies ne mette pas en
évidence de clans ayant un nom et un culte se rattachant à un ancêtre mythique, mais seulement
des lignages, la plupart ne remontant pas au delà de quatre ou cinq générations; pour chacun
de ces lignages, tout a commencé avec son fondateur et tout est centré sur l'héritage du fondateur
à travers les générations; nous pouvons donc dès maintenant pressentir que nous allons nous
trouver en présence de conceptions juridiques et religieuses très particulières et différentes de
celles des populations dont l'organisation repose sur de grands lignages indifférenciés.
Le système politique des Bamiléké doit lui-même être situé par rapport à ceux des popu-
lations voisines; comme la plupart des faits sociaux africains, ce n'est pas une création ab nihilo,
mais le résultat d'une évolution dont les étapes sont plus ou moins visibles dans les institutions
des populations voisines. Dans l'ensemble du Centre et du Nord Cameroun, nous trouvons un
vaste ensemble de populations, englobant les l( Kirdi » et les tribus conquises par les Foulbé qui,
au premier abord, se rattachent à la civilisation des Soudanais cultivateurs de mil, dite paléo-
nigritique. Pourtant, elles présentent une institution remarquable qui nous a paru absolument
générale: chaque unité est constituée par la symbiose de plusieurs patrilignages ne se réclamant
d'aucune origine commune; la base de cette symbiose semble être, au moins assez souvent, la
croyance que chaque lignage possède un pouvoir religieux ou magique indispensable au fonction-
nement de la communauté. Le lignage du chef possède une organisation particulière; alors que
les lignages ordinaires ne possèdent qu'un doyen, ou un prêtre des ancêtres, il possède un véritable
chef à la fois religieux et politique, dont le pouvoir se transmet de père en fils. Le caractère
suprahumain attribué au chef commence à apparaître chez certaines populations Kirdi comme
les Kapsiki, chez lesquels les lignages ordinaires n'ont plus de culte des ancêtres séparé et ont
recours au chef pour les rites et prières. Cependant chaque lignage forme. encore une unité bien
caractérisée, souvent groupée en hameaux séparés.
Plus au Sud, nous trouvons chez les Tikar une nouvelle forme d'organisation. Le lignage
du chef prend une importance démesurée tandis que les lignages ordinaires n'ont qu'une faible
extension. Le caractère suprahumain du chef est parfaiLement caractérisé et le culte des ancêtres
du chef prend la première place dans la vie religieuse, mais il y a encore des groupes de lignages
indépendants du chef et se réclamant d'un même nom de clan.
Enfin, chez les Bamiléké, le chef est devenu le pivot unique de la société, et on peut dire
qu'à 25 % près, tous les habitants lui sont reliés, soit en tant que parents, soit en tant que
serviteurs.
PATRILIGNAGE ET MATRILIGNAGE
Chez les Bamiléké comme chez les Tikar et les autres populations semi-Bantou, la parenté
est comptée sur deux lignes distinctes, masculine et féminine, et chaque individu est relié à deux
groupements entièrement distincts: matrilignage et patrilignage.
Le patrilignage est l'élément le plus immédiatement apparent; ses membres sont dans
une certaine mesure groupés; leurs liens apparaissent à l'évidence à l'occasion des héritages.
Le matrilignage est un groupe beaucoup plus discret; ces membres ne vivent pas groupés
et peuvent même être des ressortissants de plusieurs chefferies distinctes; ils ne se réunissent
pas habituellement et les affaires qui les concernent ne vont qu'exceptionnellement devant la
justice. Aussi le matrilignage a-t-il été considéré comme une simple survivance, à laquelle les
individus ne se rattachent que par des liens affectifs, sans portée juridique; cette conception
nous apparaît comme une erreur; le matrilignage n'est pas seulement le pôle de la vie affective
des Bamiléké; il repose sur des conceptions fondamentales relatives au culte des ancêtres et
à la parenté; les droits et les devoirs qui en découlent occupent une place importante dans le
droit coutumier.
LE SYSTÈME DE PARENTE DES BAMILE]{E 23
Pour essayer de voir clair dans ces groupes de parenté, il faut d'abord définir à quels ancêtres
un homme est effectivement relié et peut sacrifier (1) utilement j c'est un point de vue essentiel
aux yeux des Bamiléké, car dans leur esprit ce culte répond à une nécessité vitale, à une utilité
matérielle et immédiate: Tel ancêtre a la possibilité de me rendre malade, soit pour me punir,
soit pour des raisons connues de lui seul j réciproquement, je peux lui demander de me protéger
et de nuire à mes ennemis. Tel autre est trop éloigné de moi pour influer sur ma vie. Je sacrifierai
au premier, tout au moins quand je serai malade, en me rendant chez celui de mes parents qui
est son héritier et détient son crÛne. Du second, je ne me préoccuperai à aucun degré.
Cette base posée, nous étudierons qui conserve ces crânes, comment ils sont transmis et
comment en est résultée la structure des groupements familiaux.
Nous allons d'abord étudier le cas où toutes les femmes envisagées à titre d'ascendantes
ou de descendantes ont été « cédées» comme disent les Bamiléké, c'est-à-dire mariées sous le
régime de la dot ainsi qu'il est courant en Afrique Noire. En pareil cas, je peux sacrifier utilement:
1) A ma mère, à la mère de ma mère et ainsi de suite jusqu'à la plus ancienne aïeule connue
en ligne maternelle;
2) Au père de ma mère; certains affirment qu'on peut et qu'on doit sacrifier au père de
chacune des aïeules de la lignée féminine j la plupart ne s'en préoccupent pas. Sur ce point,
il y a un flottement manifeste dans la coutume;
3) A mon père et à mon grand-père. Si je ne suis pas héritier de mon arrière-grand'père,
je m'arrête là. Si je suis héritier de mon arrière-grand-père, je fais le sacrifice à ce dernier, aux
aïeuls précédents s'il en était lui-même héritier, et si de ce fait, j'en suis moi-même héritier.
Nous voyons apparaître ici un des éléments essentiels de la parenté Bamiléké: l'appartenance
à une lignée masculine est intimement liée à l'héritage. En dehors de la ligne des héritiers, il ya
cou pu re après la deuxième génération ; il n'y a donc pas, chez les Bamiléké, de vrais patrilig nages.
C'est faute d'un terme mieux approprié que nous conserverons ce terme dans la suite de l'exposé;
4) A la mère de mon père;
5) A la mère de mon grand-père si je suis fils d'une femme achetée par mon grand-père et
léguée à sa mort à mon père; car en pareil cas, je suis, au regard du culte des ancêtres, fils de
mon grand-père au même titre que de mon père.
(1) Nous emploierons dans la suite de cet exposé le terme 1 sacrifice. de préférence à 1 olTrande " car un animal est
elTectivement sacrifié à cette occasion; le rite consiste à poser sur le crâne un morceau de viande de chèvre cuite à l'huile
de palme, pUJo Les Bamiléké qui s'expriment en français emploient couramment des expressions telles que: 1 je fais le sacrifice
à Untel., expressions qui seront utilisées dans la suite de l'exposé.
24 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMIL~K~
Voyons maintenant ce qui est modifié si les femmes considérées sont mariées sous le régime
ta ?Jkap (1) ; si Je marie ma fille sous ce régime je ne fais pas verser de dot, mais les filles à naître
me reviendront; c'est moi qui toucherai leur dot. Réciproquement, elles sont comme mes filles;
les fils qui naîtront d'elles ne seront pas seulement les fils de leur père physique; au point de vue
du culte des ancêtres, ils seront aussi mes fils et ils pourront être mes héritiers si je n'ai pas de
descendance mâle directe (2).
Par exemple, en supposant que ma mère et la mère de ma mère aient été mariées sous le
régime ta ?Jkap, Je suis considéré comme le fils de mon arrière-grand'père maternel et je lui dois
le sacrifice.
~ ~c;
Si le •ui.
d'une veuve héritée
fil.
/
~... ~'à de mon grand·père
%~~. ~
~~~ 1
~~'!-'I
Je m'arrête là le père 1
si j. ne suis _-,,-"':":'~-:-,~
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...
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~ ~ "'0"
~ \ .. .
:>~ il'""
ma petite fille'O \ .
.......... , ...
....;;.:.. descendante à la
na génération mariée
sou, le régime dotal
-t'------j~- coupure
filial ion
(1) rzkap signifie «argent, monnaie., et la rzkap peut être traduit par «père par l'argent •. Nous exposerons plus loin
le fonctionnement pratique de cette institution.
(2) Nous verrons plus loin (étude de l'héritage de Tatchèti) un exemple pratique de ce fait.
LE SYSTÈME DE PARENTE DES BAMILEKE 25
Inversement, si je marie ma fille sous le régime ta r;hap, puis la fille et la petite-fille de celle-ci,
les descendants de cette dernière sont mes fils et me devl'onL le sacrifice; le lien la 'iJkap s'éLend
à l'infini dans le temps; mais il est rompu totalement dès qu'une fille a été « cédée ll, c'est-à-dire
mariée sous le régime de la dot.
Ces considérations aident à comprendre la place du lien ta r;kap dans,le système de parenté des
Bamiléké; c'est une filiation fictive qui se superpose aux liens normaux de parenté, sans les
modifier; nous verrons plus loin qu'il ne change rien aux appellations de parenté; par le lien
ta r;kap, un homme se trouve relié à un ancêtre plus ou moins lointain, dont il peut Hre l'héritier,
en gardant la possibilité d'hériter de son propre père.
Dans la pensée des Bamiléké, l'action des ancêtres sur les vivants ne peut se produire que
si des conditions bien déterminées sont remplies:
1) La possession matérielle des crânes par l'héritier légitime est indispensable. Dans certains
cas (par exemple si un homme a été tué à la guerre et si on n'a pas retrouvé le corps), la coutume
admet le remplacement du crâne par une boule de terre recueillie par l'héritier légitime sur le
lieu présumé de sa sépulture; des rites sont effectués pour y faire entrer l'âme du défunt.
On admet aussi dans certains cas le remplacement du crâne par une pierre ayant été mise
au contact du crâne ou de la poterie dans laquelle il était contenu. C'est par exemple le procédé
employé quand le défunt est décédé loin de son pays natal, ou encore quand les crânes ont été
dérobés à leur légitime possesseur par un de ses frères qui conteste l'héritage; 1
2) Les ancêtres ne peuvent agir normalement que sur leurs descendants selon les liens de 1
1
parenté; mais l'héritier légitime a, par ses sacrifices, le pouvoir de les faire entrer en action
contre ceux de ses ennemis qui s'opposent injustement à l'accroissement de son lignage, par
exemple contre celui qui lui a volé une fille;
3) S'il n'y a plus d'héritier légitime, ou si l'héritier perd le possession matérielle des crânes,
les ancêtres sont privés de tout moyen d'action sur les vivants. Un jeune Bamiléké, qui venait
de recevoir une terre du chef, nous racontait qu'en creusant la terre il avait trouvé des crânes
conservés par un ancien titulaire de la concession mort sans enfant: « j'ai pris ces sales choses
et suis allé les jeter en brousse ll.
Exemple:
Voici à titre d'exemple la filiation d'un notable de Batié, r;wambe Gwo'wi, qui connaît ses
ancêtrcs jusqu'à la 7 e génération, ct dont les descendants s'étendent sur 3 générations.
r;wambe Gwo'wi sacrifie à son père Kamphœ et à son grand-père Kamganhalè, chef de Batié,
mais non à son arrière-grand-père Kamki, chef de Batié (c'est l'actuel chef de Batié, Youta,
qui à titre d'héritier sacrifie à Kamki).
Gwo'wi ne connaît pas bien le régimc sous lequel ont été mariécs ses aïeules (sa mèrc,
Koundom, a été cédée sous lc régime dotal) ; cependant il fait, ou admct la possibilité de faire
le sacrifice sur la tête du père dc chacune de ses aïeules (Nous avons dit que sur ce .point les
Bamiléké ne sont pas d'accord entre eux). Mais ce lien est très lâche et n'a ricn de commun avec
celui, regardé par tous comme fondamental, entre lc descendant et l'ancêtre reliés par les liens
du r;kap.
1
26 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILEl1Ê
Filiation
Héritiers suctessifs
Kamki
Chef de Balié peuvent lui sacrifier
les fils des veuves
héritées de Kamganhalè
par ses fils ,' .....,
, 1
,,').-"
, ,,
']wambe Gwo'wi s'arrête là
,
,,
car il n'est pas héritier
,,
IJwambe Gwo'wi
Youta
Chel de Ballé
lJwambe Gwo'wi
celui-ci feront le sacrifice à Gwo'wi ; le petit-fils de Fozœ s'arrêtera à Fozœ et ne sacrifiera pas
à Gwo'wi. Gwo\vi a une fille, Mpetchom, mariée sous le régime la ?Jkap et une peLite fille, Siliinja,
mariée sous le même régime; les enfants de Siliinja feront le sacrifice à Gwo'wi, mais pas leurs
enfants, sauf ceux de la fille de Siliinja si celle-ci est aussi mariée sous le régime la ?Jlrap et ainsi
de suite.
LE MATRILIGNAGE
Structure.
« Si je considère ma mère, la mère de ma mère, etc., aussi loin que je puisse connaître,
chaque femme descendant par les femmes de cette lignée d'aïeules est ma sœur; je ne peux
l'épouser; le fils de chacune de ces femmes est mon frère; mais les enfants de ce fils ne sont plus
mes frères )l.
C'est ainsi que les Bamiléké définissent le matrilignage, qu'ils englobent sous le nom expressif
de po m.wepiJ (N) « enfants de mes mères )l.
n importe de remarquer que le matrilignage comporte l'exogamie absolue, quel que soit
l'éloignement de l'aïeule commune.
Ce seul fait montre à lui seul l'importance du matrilignage dans la pensée des Bamiléké;
car la loi d'exogamie relative au patrilignage est, nous le verrons, moins sévère; elle s'arrête
au 4 e ancêtre.
Ainsi, si je me place en El, je peux dire:
Homme du malrilignage
o ------IWhl
o Femme étrangère au matrilîgnago
E
6
F __
Les femmes C 3 • D 4 , E 6 sont mes sœurs (en fait, en leur parlant je les appellerai autrement,
selon leur âge), D 3 et Es sont mes frères, mais E 4 , F 3 ne sont plus mes frères. De même mes enfants
F 1, F 2' ne font plus partie de mon matrilignage.
En fait, il n'y a pas rupture brutale. Je continuerai à considérer comme parents et à soutenir
s'ils en ont besoin E 4 et F 3; de même que mes enfants Flet F 2 peuvent faire le sacrifice à ma
mère Dl, E 4 peut faire le sacrifice à F 3' autre femme du matrilignage ; on conçoit donc qu'il
n'y ait pas rupture totale. D'ailleurs, même pour la génération suivante, on ne peut jamais dire
28 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMIL~[{~
que le lien soit complètement rompu. Il va seulement en s'affaiblissant; tant qu'il y a une aïeule
commune à la 4 e génération, quelle que soit la filiation, on se dit encore frères et une certaine
solidarité subsiste.
Le fait que les aïeules aient été mariées sous le régime ta rJkap ou sous le régime dotal n'inter-
vient en rien dans la constitution du matrilignage et ne modifie pas les termes de parenté.
Voici à titre d'exemple la famille maternelle de rJwambe Gwo'wi commençant à Youmné, seule
aïeule dont on connaisse à peu près complètement la descendance sur 5 générations:
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_ _ _ enfants en bas âg. - - -
L'héritière.
Chaque femme nomme parmi ses filles une héritière, à laquelle elle lègue ses biens propres
si elle en possédait (les femmes des chefs possèdent de la terre) :et surtout son crâne. L'héritière
fait les sacrifices sur le crâne de l'aïeule à la demande des membres du matrilignage qui lui
remettent à cet effet de la viande de chèvre et de l'huile de palme (1). L'héritière d'une aïeule
(1) Parfois, sur le conseil des devins, on fait une olTrande consistant à poser sur le crâne de l'aleule une petite pelle,
réduction de celle que les femmes emploient pour cultiver la terre.
LE SYSTÈME DE PARENTÉ DES BAMILÉHÉ 29
est l'objet du respect de tous les descendants de cette aïeule. Ils sont tenus de lui venir en aide
pour cultiver son champ si elle en a, pour réparer sa case et la refaire après un incendie, et de
l'aider à subsister si elle est âgée et veuve.
Cette obligation comporte comme toujours une sanction matérielle et immédiate: l'héritière
est en droit de refuser le sacrifice à celui de ses parents qui n'a pas rempli ses obligations vis-à-vis
d'elle; nous avons travaillé à Batié avec un jeune homme nommé Kamga qui depuis quelque
temps était en mauvaise santé. Les devins - les prophètes, comme disent des villageois quand
ils s'expriment en français - attribuaient cette maladie à la colère de la mère de son grand-père
(il était fils d'une veuve héritée de son grand-père par son père).
Kamga était fort anxieux, car n'ayant jusque-là jamais été malade, il avait totalement
négligé cette aïeule, et, chose plus grave, l'héritière de celle-ci, une jeune femme nommée
Nkoundem ; il se préoccupait de rentrer dans ses bonnes grâces par des cadeaux et des amabilités.
En désespoir de cause, il resterait la possibilité de pénétrer dans la case de Nkoundem en son
absence, d'atteindre la poterie où elle avait placé le crâne de l'aïeule, et de sacrifier clandestine-
ment.
Ainsi la femme est considérée par les Bamiléké de deux façons entièrement distinctes. En
tant qu'héritière d'une aïeule, elle est respectée et même redoutée par les membres de sa parenté
maternelle; en tant que fille, elle est cédée, échangée ou donnée sans autre considération que
l'intérêt de son père; en tant qu'épouse, elle est soumise par son mari à une stricte discipline;
les Bamiléké ne voient là aucune contradiction, car ces deux fonctions de la femme sont pour
eux entièrement distinctes.
Toute femme qui hérite d'une aïeule hérite en même temps des aïeules précédentes dont
celle-ci était héritière.
Ainsi dans la famille de !Jwambe Gwo'wi, le crâne de l'aïeule Youmné est allé à Mèmphœ,
puis à Koundom, et enfin à Fomo, sœur de Gwo'wi.
Chaque femme non héritière est considérée comme fondatrice d'une nouvelle ligne à l'inté-
rieur du matrilignage.
Si une femme n'a pas de fille, elle nomm.e héritier un de ses fils ; ce fils choisira lui-même
parmi ses filles une héritière à laquelle il remettra le crâne de sa mère et qui continuera la lignée.
Ainsi la coutume Bamiléké admet le remplacement d'un chaînon féminin manquant par
un chaînon masculin. Nous en verrons des exemples en étudiant les lignes de mafo de la chefferie
de Batié. .
Si une héritière meurt sans enfants, une de ses sœurs ou à défaut une de ses plus proches
parentes en ligne maternelle est désignée à sa place comme héritière par une reunion des membres
du matrilignage après consultation des devins. La nouvelle héritière reprendra les crânes que
possédait la défunte et assurera leur culte.
Si une femme n'a pas eu d'enfants, son crâne n'est pas recueilli; elle est regardée comme
ayant vécu pour rien et nul ne lui adressera de sacrifice.
Il importe de remarquer que si les liens de solidarité restent très forts à l'intérieur du matri-
lignage tant que les liens de parenté sont exactement connus, vis-à-vis du culte des ancêtres,
la plupart des Bamiléké ne se préoccupent en pratique que de leur mère et de leur grand-mère;
car en dehors de la ligne des héritières, l'influence d'une aïeule est regardée comme d'autant plus
forte que les liens de parenté sont pl us proches.
l'
J
30 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILIU{F;
Prohibition du mariage.
Il est interdit de prendre simultanément pour épouses deux femmes faisant partie du même
matrilignage. Mais si une femme vient à mourir ou à divorcer, son mari peut prendre une autre
femme dans le même matrilignage.
Cette interdiction paraît largement répandue dans les populations africaines qui admettent
la filiation matrilinéaire. On la trouve chez les Noirs Réfugiés de Guyane.
LE PATRILIGNAGE
Structure.
Ce que nous appellerons patrilignage, faute d'un terme mieux approprié est considéré par
les Bamiléké comme un groupement remontant à un fondateur, centré sur la ligne des héritiers
de ce fondateur.
Il est désigné par le terme collectif po m.tapa (N), cc enfants de mes pères ».
Est considéré com me fondateur de lignage tout homme qui n'est pas lui-même un héritier.
Fondateur
Filiation naturelle
\
\
LE SYST~ME DE PARENTÉ DES BAMILÉKÉ 31
Fig. 8. - Lignage indilTérentié correspondant aux conceptions courantes en Afrique Noire. Tous les
membres vivants du lignage se regardent comme héritiers collectifs de l'ancêtre fondateur. Leur
nombre va en augmentant à chaque génération.
A
- _ _ filiation
B _ héritage
des héritiers, donne au lignage Bamiléké une structure originale, fondamentalement différente
de la structure courante des populations patrilinéaires d'Afrique Noire, fondée sur le lignage
indifférentié.
Le lignage Bamiléké ne groupe, autour de l'héritier, qu'un nombre très réduit de personnes.
Il se fractionne à chaque génération, les fils non héritiers devenant fondateurs à leur tour. Nous
reviendrons plus loin sur cette particularité fondamentale, et nous montrerons que toute l'organi-
sation sociale des Bamiléké en découle de façon quasi mathématique.
On voit combien ces liens sont différents de ceux d'un patrilignage au sens rigoureux du
terme. Ici, tout est centré sur l'héritage des personnes et sur la possibilité d'action de tel ancêtre
sur tel descendant.
Il faut d'ailleurs bien comprendre que dans la pensée des Bamiléké, hériter ce n'est pas
seulement hériter des biens de son père, c'est le remplacer, c'est exercer ses droits. On ne
désignera plus l'héritier par son nom, mais par le nom ou le titre que portait son père et qu'il
tenait lui-même du fondateur de la lignée. Il ne faut pas voir là l'expression d'une croyance à la
réincarnation qui ne semble pas exister chez les Bamiléké, mais l'expression de l'idée que l'héritier
est le substitut du défunt.
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LE SYSTÈME DE PARENTÉ DES BAMILÉKÉ 33
lfukusa m.fa (T), société de frères. Il importe de remarquer que là encore il n'y a pas coupure
brutale; la première génération des exclus du sacrifice (comme les fils de Gœandjem) assistent
aux réunions de famille et sont englobés dans la solidarité familiale.
Ainsi les Bamiléké sont reliés à plusieurs groupes de parenté patrilinéaire. Par exemple
les fils de Gœandjem sont plus directement reliés au lignage du père de Gœandjem. Mais en fait,
certains groupements familiaux ne sont pas fortement constitués, soit qu'ils soient trop peu
nombreux, qu'ils ne réunissent que des gens insignifiants ou que la plupart de leurs membres
aient émigré. En pareil cas, un individu centre sa vie familiale sur un groupement auquel il est
relié par des liens moins directs, mais qui est plus fortement constitué.
Droits de l'héritier.
Quelle autorité effective l'héritier exerce-t-il, quels droits et quels devoirs comporte-t-elle ?
Il a un droit indiscuté sur les filles qui sont sous son autorité par le lien la '{)kap. Il perçoit leur dot
ou les donne à son tour sous le régime la '{)kap, les filles à naître lui revenant; ce droit lui est
reconnu par la coutume de façon absolue et imprescriptible, quel que soit l'éloignement de
l'ancêtre qui le lui a transmis. Mais sur les autres membres du lignage, l'héritier'n'a pas il propre-
ment parler de droits: les membres du groupe l'appellent « mon père» quel que soit son âge,
et lui demandent l'assistance qu'un enfant est en droit d'attendre de son père; il doit notamment
pourvoir au mariage de ses frères célibataires.
Les membres du lignage ont à l'égard de l'héritier une attitude respectueuse, mais nul
n'est obligé de lui obéir, ni d'assister aux réunions familiales.
Les sentiments affectifs se portent principalement sur le matrilignage. Le patrilignage peut
en comporter aussi, mais il est avant tout cimenté par le sentiment d'une impérieuse nécessité,
de cette même nécessité qui pousse l'individu à se rattacher à ses ancêtres.
Pour les villageois, remplir ses devoirs de famille, c'est conserver la possibilité de sacrifier
à ses ancêtres paternels; c'est pour chacun, être libéré de la crainte de se trouver seul devant
l'adversité, spécialement quand un incendie a ravagé son hameau; ce désastre ne peut être réparé
que par les efforts coordonnés d'un groupement familial nombreux.
On peut se demander avec inquiétude si la plus grande sécurité de l'individu contre
la maladie, par les soins médicaux, et contre l'incendie par la généralisation de l'emploi de la
tôle ondulée, n'aura pas pour contrepartie un affaiblissement général de la structure familiale
des Bamiléké. Plus redoutable encore est l'action des missions catholiques et protestantes, qui
luttent contre le culte des ancêtres sans vouloir admettre qu'il est la base de la morale familiale
et sociale. Si les groupements familiaux qui font la force de ce pays conservent dans l'ensemble
leur cohésion, c'est dans la mesure où leurs membres n'adhèrent pas réellement aux idées que nous
répandons.
Règle d'exogamie.
Si en remontant à la quatrième génération, on trouve un ancêtre commun en ligne paternelle,
un homme et une femme ne peuvent se marier.
Cette règle du quatrième ancêtre paraît être largement répandue dans les populations du
Cameroun admettant une double filiation.
Adoption.
Il n'y a pas d'adoption possible. Cependant il arrive qu'un enfant présumé adultérin ne soit
pas rejeté et soit élevé comme un enfant légitime.
34 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILÉKÉ
On admet qu'il devient effectivement le fils de celui qui le nourrit et l'élève, et pourra lui
sacrifier normalement.
A la partie inférieure de chaque concession, on trouve toujours un petit bois: c'est le bois
sacré, la résidence du dieu du lignage, ou plutôt du dieu de l'ancêtre fondateur. En ce lieu
l'héritier du lignage sacrifie à intervalles irréguliers, dans les temps de maladie et d'adversité.
Le fondateur d'un nouveau lignage cherche à se rattacher au dieu du lignage de son père.
L'héritier de son père prend dans le boqueteau sacré du lignage un rejeton qu'il vient planter
sur la terre de son frère. Si le rejeton se développe on pense qu'un nouveau dieu, issu du dieu du
lignage paternel, viendra protéger le hameau. Si le rejeton ne se développe pas, c'est un mauvais
présage; on pourra chercher un autre emplacement. C'est ce qu'on appelle lJü si (N), établir le
dieu; cet emplacement, devenu lieu d'offrande, est appelé lJiap.
Les femmes n'ont pas de lieu de culte particulier et vont sacrifier au dieu de leur père.
On sacrifie non seulement au dieu de son père mais aux dieux de ceux de ses ancêtres auquel
on est relié par le culte des cranes. Par exemple, si je peux sacrifier au crâne du père de ma mère,
je peux sacrifier aussi au dieu qu'il avait établi ou dont il continuait le culte.
Le groupe s'étend par bourgeonnement, aussi bien sur le plan matériel que sur le plan social.
Il arrive un moment où une scission se produit, entratnant l'émigration collective d'un segment
du lignage; le même processus se reproduit ailleurs autour d'un nouveau fondateur.
Quels liens sociaux existeront entre ces multiples petits lignages totalement indépendants
les uns des autres? Qui va recueillir les terres d'un lignage éteint? De toute évidence, pour
éviter le désordre et l'anarchie, une telle structure nécessite une autorité religieuse et sociale
placée sur un plan supérieur à celui du lignage ordinaire. Ce sera celle du chef; les lignages seront
considérés comme occupants des terres concédées par le chef; si un lignage vient à s'éteindre,
le chef interviendra pour donner les terres abandonnées au fondateur d'un nouveau groupe.
Les sociétés coutumières ont un rôle analogue: créer des liens entre des individus qui auraient
tendance à rester des étrangers les uns aux autres, établir une hiérarchie.
La structure particulière du lignage Bamiléké peut être regardée comme la cause du dyna-
misme de ces populations; elle explique leur capacité d'adaptation et leur supériorité sur les
populations tribales.
La grande originalité du système Bamiléké, c'est qu'il donne aux individus des droits et
des possibilités s'approchant beaucoup de ceux des sociétés européennes modernes, sans leur
enlever le soutien moral et matériel du culte des ancêtres.
36 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILltIClt
TERMES DE PARENTÉ
La nomenclature relative à la parenté est relativement pauvre; les Bamiléké ont un système
d'appellations descriptif; la plupart des termes ont une attribution assez peu précise et
s'appliquent indifféremment au matrilignage et au patrilignage.
Seuls sont précis les termes collectifs « mes pères» qui désigne l'ascendance en ligne paternelle
et « mes mères» qui désigne l'ascendance en ligne maternelle.
L'ensemble des membres du patrilignage est englobé sous le terme m.raa, mes frères et
mes sœurs. On s'adresse à chacun d'eux en lui disant « frère », sauf s'il s'agit d'un personnage
considérable ou beaucoup plus âgé, auquel cas on lui dit « mon père ». On emploie exactement
le même terme pour s'adresser aux membres du matrilignage. Les expressions « frère aîné de
mon père », « frère cadet de mon père» ne sont pas employées couramment. D'une façon générale
il est mal vu chez les Bamiléké d'employer des termes précis pour exprimer la parenté, car on est
accusé de « diviser la famille ».
Ces termes précis sont construits de la façon suivante: parenté-aîné ou cadet-sexe.
On dira par exemple: Untel ~ ~~~~ de ma mère, aîné, qui est homme.
On s'adresse à ses aînés par un terme de respect khüia (N), mwo (T) suivi de la première
syllabe de son nom.
Si le grand-père paternel est toujours vivant, on s'adresse à lui en lui disant « mon père »,
et on s'adresse à son père comme à un frère aîné. Les Bamiléké ne peuvent donner aucune justi-
fication de cette coutume (1). Une règle parallèle existe en ce qui concerne la mère et la grand-mère
maternelle.
Le tableau ci-contre donne les termes de parenté relevés à Bandjoun pour le patrilignage
et le matrilignage.
(1) Cet usage parait largement répandu en Afrique Noire; nous l'avons retrouvé chez les Fon du Dahomey, dont le
système social est entièrement difTérent.
LE SYSTÈME DE PARENT:t DES BAMIL:tK:t 37
1) Patrilignage
Terme En s'adressant à lui
~ '!Jge nz'éJa 1 .
Mon frère aîné de même père mu taa 1fi'éJ nZ'éJa \ yw mbe (1) khüia N .....
Ma sœur aînée de même père t \'!Jge nZ'éJa{ . m'j'üi (2) khüia N ....
mu aa) fi'éJ nZ'éJa ~ yze
~ yze.
fü
njüma (.
Mon frère cadet de même père mu taa tir. k' yze mbe (3) par son nom
mu k'a:J~
~fü njüma l.
Ma sœur cadette de même père mu taa 1yie mukatf~k' ~ yze mbe par son nom
Mon père taa ta
~ ta a ta
Le père de mon père ta
~ ta yie '!JgÜ'éJ
) ta ta a ta
Le père du père de mon père lia a ta yie '!JgÜ'éJ (4)
La mère de mon père ma a ta ma
La mère de mon gr.-père paternel ma a ta yie '!JgÜ'éJ
Le frère aîné de mon père '!Jge nz'éJ taa yie mbe (5) khüia N'O.
La sœur aînée de mon père '!Jge nz'éJ taa yie mjüi
Mon frère au sens large f'. \ Ii'éJ nZ'éJa 1 yie mbe ( fdzüia N... 1selon
(membre du patrilignage) laa 1 Jü njüma ~ 1 par son nom \ l'âge
Ma sœur au sens large
(membre ùu patrilignage )
faa
l
Ii'éJ nz'éJa
.
Jü Tl) üma
yze mjüi
Mon fils, ma fille
(au sens propre ou au sens large) mu a par son nom
Mon petit fils, ma petite fille mu a par son nom
Mon patrilignage po m. ta: pa (cc enfants de mes pères »)
2) Matrilignage.
Les termes de parenté suivent une nomenclature parallèle à celle du patrilignage, et leur
formation est identique.
Par exemple:
Mon arrière grand-mère ma a ma yie '!JgÜ'éJ
Mon matrilignage po m. we pa (cc enfants de mes mères»)
(1) Littéralement: enfant de mon père, qui passe devant moi, qui est homme.
(2) Enfant de mon père, qui passe devant moi, qui est femme.
(3) Enfant de mon père, qui reste derrière moi (qui est petit), qui est homme.
(3) Enfant de mon père, qui reste derrière moi (qui est petit), qui est homme. L'expression mukaifJk, petit, s'emploie
surtout pour désigner le plus jeune des frères.
(4) Père de mon père qui est âgé.
(5) Celui qui est devant mon père, qui est homme.
4
38 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMIU~KB
Nous n'avons observé aucune forme de parenté à plaisanterie, et d'une façon générale, rien
qui traduise des liens particuliers entre tels et tels lignages; ceci peut être en rapport avec la
faible dimension des groupes de parenté, et avec leur dissémination.
III
La coutume Bamiléké a fait l'objet de plusieurs études et ouvrages. Mais ces travaux,
bien que contenant nombre d'éléments utiles, manquent de base, n'étant pas appuyés sur une
étude ethnologique. Partant d'une définition erronée de la famille, ils cherchent à traduire
directement en termes juridiques européens des conceptions dont l'essence est avant tout
religieuse et magique.
Une étude ainsi comprise ne peut dégager les concepts fondamentaux de la population
étudiée, et peut même conduire à de nettes erreurs; il faut d'abord étudier le système de parenté
et les croyances sur lequel il est fondé. De ce système, le droit coutumier découle par une logique
rigoureuse.
C'est dans cet esprit que nous avons étudié les principales dispositions coutumières relatives
au mariage et à l'héritage, que l'on peut considérer comme le pivot du droit Bamiléké.
Nous ne chercherons pas ici à faire un exposé complet, même résumé, de la coutume familiale
des Bamiléké. Plusieurs aspects de cette coutume sont bien connus et sont décrits avec de nom-
breux détails dans les ouvrages consacrés à ces populations. Nous nous contenterons de les
résumer sommairement, en développant par contre les aspects qui expriment le plus clairement
le système de parenté et les croyances qui s'y rattachent.
Principe.
Cette forme de mariage peut être définie de la façon suivante. « Jete donne sans
dot, moyennant un simple cadeau, ma fille ou telle parente éloignée qui me revient par droit de
'Qkap,. les garçons nés de cette union sont pour toi, mais les filles me reviendront; quand elles
seront en âge de se marier, c'est moi qui arrangerai leur mariage; je percevrai leur dot, je les
échangerai, ou je les marierai à leur tour sous le régime ta 'Qkap à mon profit et à celui de mes
héritiers ». .
40 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILÉI(É
rJkap veut dire tout simplement argent. Celui qui exerce le droit de rJkap sur une fille est
dit son ta rJkap, « père pour l'argent» ; la fille est dite sa wa rJkap (T) ; on dit aussi qu'elle est
« dans son rJkap ». On trouve dans plusieurs ouvrages le terme « tankap » employé à tort dans le
sens de grand-père maternel. Cette confusion montre combien le système du rJkap est répandu.
En fait, dans les chefferies que nous avons étudiées, il semble bien que près de 80 % des femmes
de la génération précédente aient été mariées sous ce régime : il suffit pour s'en convaincre,
d'étudier les généalogies citées au cours de la présente étude, et qui ont été choisies strictement
au hasard; il semble bien que dans ces chefferies, 50 à 60 % des unions se fassent encore mainte-
nant sous ce régime.
Le mariage sous le régime ta rJkap peut être vu sous trois grands aspects:
1) C'est un moyen de « grossir son village», se La'a (N), c'est-à-dire d'accroître son patri-
lignage, préoccupation primordiale des villageois Bamiléké; il s'agit en somme d'appliquer à
l'accroissement de son lignage le principe de la capitalisation des intérêts; ce système suppose
que la population augmente régulièrement;
2) C'est un procédé particulier de circulation des femmes entre les groupes par l'intermédiaire
du chef. En effet, comme nous le verrons plus loin, non seulement le chef est un grand polygame,
mais il est par héritage « père de rJkap » d'un très grand nombre de filles. On peut estimer qu'il
arrange le mariage de 1/10 à 1/7 des femmes du groupement. Par exemple le chef d'un groupe-
ment de 20.000 habitants, comportant environ 10.000 personnes de sexe féminin, est « père de
rJkap » d'environ 1.500 d'entre elles.
Le chef ne perçoit pas de dot et marie ses « filles de rJkap » sous le même régime:
a) Il donne en mariage, à ses serviteurs, soit les filles d'autres serviteurs, soit même ses
propres filles ;
b) Il donne en mariage à ses fils des filles de serviteurs;
c) Il marie les simples habitants qui lui en dont la demande, en leur donnant sous le régime
ta rJkap des filles nées de l'une ou l'autre des catégories précédentes d'unions.
Par exemple: le chef prend la fille b du simple habitant B, auquel il avait donné une femme
sous le régime ta rJkap. Il la donne à son propre fils C qui lui rend ultérieurement la fille c. Le
chef marie c à son serviteur A qui lui rend en échange la fille a, et le cycle se poursuit indéfiniment.
Un autre cycle, dont sont exclus les fils du chef (pour éviter l'inceste) fait intervenir les
filles du chef, mariées aux grands serviteurs et aux chefs amis.
Ces mécanismes d'échange intéressent, rappelons-le, environ 1/7 des mariages. Bien entendu
ils sont associés pour les intéressés à d'autres mécanismes; par exemple A et D peuvent échanger
des filles nées de femmes qu'ils ont obtenues autrement.
Mais les droits du chef sont rigoureux et imprescriptibles;
3) Le mariage sous le régime ta rJkap peut être dans certains cas une survivance de
l'esclavage.
En effet, c'était lc régime normal de mariage des femmes esclaves. En pareil cas le ta rJ/wp
n'avait aucun lien de parenté avec sa wa rJkap et pas davantage bien entendu aucun avec les
descendants de celle-ci. Ces unions, ne comportant pas les garanties liées au culte des ancêtres,
donnaient lieu à des exactions; les filles à l'âge de 5 ou 6 ans étaient enlevées à leur mère et
vendues n'importe où. Cet aspect est celui qui a le plus frappé les européens au début de leur
installation dans le pays, et à la suite d'enlèvements d'enfants découverts vers 1927, le mariage
sous le régime ta rJkap a été interdit purement et simplement; les droits correspondants ne sont
COUTUME FAMILIALE ET DROIT COUTUMIER 41
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plus reconnus par les tribunaux. Il est certain que cette coutume prêtait à des abus et qu'elle
est entièrement contraire au droit européen; pourtant il nous semble que cette mesure d'inter-
diction, prise sans étude sérieuse du système de parenté des Bamiléké, a eu des résultats plus
nuisibles qu'utiles; le mariage sous ce régime fait partie intégrante du système de parenté et
du mécanisme de l'héritage. La mesure prise équivalait à intervenir dans un système de parenté
et par exemple à déclarer illégale la filiation matrilinéaire; il ne faut pas s'étonner qu'elle ait eu
pour principal résultat de faire passer dans une semi-clandestinité la vie familiale d'une popula-
tion de 500.000 personnes, et de faire apparaitre des formes dégradées d'échange ou d'achat,
beaucoup plus dommageables aux femmes qui en sont l'objet.
Nous reviendrons plus loin sur ces résultats fâcheux de l'intervention des pouvoirs publics
dans la vie coutumière.
sous cet angle et se demander: pour grossir son village, est-il plus intéressan~ de donner ses
filles sous ce régime que de les marier sous le régime dotal ?
Les Bamiléké répondent catégoriquement oui, sous les réserves suivantes:
1) Que la population aille en augmentant;
2) Que la coutume soit honnêtement observée.
En effet:
- Ce système permet à un jeune homme pauvre mais travailleur de prendre femme très
jeune et de commencer immédiatement la formation de son lignage.
- Il crée une situation absolument claire, alors que, nous le verrons, le mariage dotal est
une source d'interminables contestations qui empoisonnent les relations du gendre et du beau-
père.
- Les mariages sous ce régime créent une garantie contre l'extinction du lignage, car ces
droits, transmis de génération en génération, feront que les héritiers successifs trouveront
toujours des femmes à épouser; rappelons que les préoccupations du fondateur sont concentrées
sur la ligne de ses héritiers; les autres descendants mâles l'intéressent moins puisqu'il y a coupure
après deux générations.
Voici à titre d'exemple comment un notable de Bamendjou, que nous avons bien connu,
Wambo N ... , âgé en 1955 de 75 ans, a fondé un grand lignage.
N'étant pas héritier, il se trouva à 25 ans, vers l'année 1900, dans le plus grand dénuement;
en empruntant de l'argent ct en rassemblant tout ce qu'il possédait, il parvint à payer complè-
tement la dot de deux filles de serviteurs nommées Yinyé ct Machee.
Il eut de Yinyé un fils, Sonkamté, et deux filles, Njouka et Nkanyee.
COUTUME FAMILIALE ET DROIT COUTUMIER 43
_ _ _......... femme
Lignage C
Fig. 10. - Circulation des femmes entre les groupes sous le régime dotal. La dot,
perçue par les chefs des lignages circule en sens inverse des femmes j dans ce système,
aucun lignage ne tend à s'enrichir aux dépens des autres.
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_ _ _ _ Pouvoirs du t. 9kap
Fig. 10 bis. - Circulation des femmes sous le régime la rzkap. Le donneur A (la rzkap), conserve
ses droits sur les descendantes successives de la fille qu'il a donnée sans dot; les preneurs
B, C, D restent étrangers au circuit des prestations matrimoniales concernant leurs filles.
Vers 1920, il maria sous le régime la rJkap Njouka à un nommé Takoundou ; elle eut elle-
même deux filles, Makanté et Manyi ; vers 1935 il échangea Mankanté à un nommé Chènjou
contre une fille, Njouka 2 qu'il prit comme quatrième épouse, car, dans l'intervalle, il avait pris
une troisième femme.
De Machœ il eut trois filles : Kegnmwè, Nkanyœ et Mankamté, et un fils So.
44 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMIL~K~
Il maria sous le régime ta r;kap Kegnmwè à un nommé Tankam ; elle eut trois filles, M... ,
N ... et A... Il échangea M... à Nzafo Chènjou contre une fille, Njoungo, qu'il donna comme seconde
épouse à son fils So (il lui avait déjà procuré une première épouse complètement dotée, Njoumtè).
Il échangea N ... à Chènkam contre une fille qu'il prit lui-même comme cinquième épouse, etc.
Quand la première fille de sa troisième femme Mafongam fut en âge de se marier, il la céda
sous le régime dotal (vers 1945 ?) moyennant 15.000 francs et 2 tines d'huile. Avec cet argent
il paya un champ de bambous 3.000 francs, versa 4.000 francs à son fils aîné pour l'aider à accroître
son capital, 3.500 à son second fils, acheta huit chèvres pour 3.500 francs et rembOursa une
dette de 1.000 francs.
Nous avons résumé sur le tableau ci-contre les opérations très complexes auxquelles ont
donné lieu ces échanges. En 1955, ce notable, âgé de 75 ans, a plus de vingt femmes et il est
« père de r;kap» de près de quarante filles; son village, parfaitement tenu, ressemble à une
petite chefferie; l'art y fleurit, les traditions y sont maintenues d'une main ferme.
Le pays Bamiléké est parsemé de hameaux semblables, au milieu d'une poussière de cases
isolées, correspondant à des lignages qui ont avorté ou n'arrivent pas à se constituer. Il est
permis de penser que cette forme de mariage constitue un mécanisme de sélection, facilitant
la réussite des plus doués. Il est possible qu'il ait contribué à l'expansion de la société Bamiléké.
Signes conventionnels
par échange des femmes soumises aux droits du ta nkap
notable de Bamendjou
homme
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marié.
COUTUME FAMILIALE ET DROIT COUTUMIER 45
- Son gendre doit faire preuve de déférence à son égard et venir faire certains travaux
pour lui l:haque année tant qu'il vivra.
En fait, le gendre subit du fait -de toutes ces obligations, une charge fort lourde, quoique
ressentie moins durement qu'un paiement de dot parce que travaux et dépenses sont échelonnés
sur toute la durée de la vie des beaux-parents; il ne lui est donc pas possible de considérer ce
mariage à la légère et d'encourir l'aversion de ses beaux-parents. Si la fille était malheureuse
en ménage, ses parents lui conseilleraient en secret de s'enfuir et de se retirer dans sa famille
maternelle, jusqu'à ce que le mari soit contraint de demander le divorce.
auprès de son beau-père pour l'aider à ses constructions, etc. C'est après l'avoir durement exploité
qu'on se décide à lui donner la fille, soit sous le régime la r;kap, soit sous le régime dotal. Dans
ce cas, l'argent que le beau-père lui avait emprunté compte comme avance sur la dot, qui, dans
la région de Batié, variait en 1955 de 60.000 à 80.000 francs, non compris les cadeaux offerts
à la belle-mère.
Quand on vient lui remettre la fille, il faut encore faire des cadeaux importants aux personnes
de sa parenté qui viennent l'accompagner.
Les souffrances du gendre ne sont pas terminées; le principe est qu'en lui ayant donné une
fille complètement, on lui a fait un tel cadeau que toute sa vie ne parviendra pas à le payer.
Il faut qu'il continue à venir travailler pour son beau-père, à offrir des cadeaux à sa belle-mère,
à les soutenir s'ils sont malades; surtout, il est en proie au parasitisme des frères et sœurs de sa
femme, plus spécialement pendant la première année du mariage; tel jour, il voit arriver une
des sœurs qui lui offre un petit panier d'ignames; il comprend ce que cela veut dire, et offre
500 francs; puis c'est le tour d'un frère, etc.
Le malheureux gendre refrène sa rage; il ne peut mécontenter gravement sa belle-famille
car il a l'idée que la colère de ses beaux-parents aurait des effets néfastes sur les enfants nés de
son mariage.
Vis-à-vis du culte des ancêtres et du droit coutumier, le mariage par échange direct est
assimilé à un mariage dotal, car il est supposé que les deux parentés se sont mutuellement versé
une dot. Cette forme de mariage est très courante, principalement sous la forme suivante :
« je te donne ma fille, tu me donnes la tienne». L'échange direct d'une sœur maternelle qui
vous revient par droit d'héritage n'est pas admis; cela reviendrait dit-on, à « épouser sa sœur ».
Il faut que cet échange soit englobé dans une chaîne d'échanges indirects.
Ëchange indirect.
Quelles sont les formes de mariage usitées dans les centres urbains? En principe on se marie
sous le régime de la dot; en fait, on le pratique fort peu, par crainte de se charger de dettes;
COUTUME FAMILIALE ET DROIT COUTUMIER 47
du reste la plupart des Bamiléké émigrés dans les villes sont fort pauvres et incapables de
rassembler l'argent d'une dot.
En fait, chacun va chercher femme dans son village de brousse, et il se pratique ce qu'on
peut appeler l'échange indirect.
Voici un exemple précis observé à Bafoussam en 1955 (nous avons seulement changé les
noms).
Foyou Charles a une fille, Simone, en âge de se marier; Kamga, autre habitant de la ville,
la lui demande, offrant de payer la dot. Il refuse, demande à échanger Simone contre une fille
du même âge qu'il prendra comme deuxième épouse. Kamga va dans son village de brousse,
demande à son oncle maternel de lui céder une fille nubile, Marie; celui-ci accepte, sous réserve
que Kamga devra ultérieurement lui rendre une fille. Kamga échange Marie à Foyou qui la
prend comme deuxième épouse, contre Simone. Le mariage de Kamga et de Simone est enregistré
à l'état civil comme mariage sans dot. Comment fera Kamga pour s'acquitter vis-à-vis de son
oncle maternel, ou de l'héritier de celui-ci? Il se débrouillera comme il pourra; c'est une dette
absolue et imprescriptible que la mort n'éteindra pas; il donnera si possible une des filles issues
de son mariage; il faudra encore l'échanger puisque, étant apparentée à l'oncle maternel et
à ses descendants, elle ne peut être épousée directement.
Cette forme dégénérée de mariage par échange est beaucoup plus dommageable aux filles
que le régime la r;kap, car, pour un seul mariage, plusieurs échanges sont nécessaires; d'autre
part, la nécessité de rembourser rapidement, puisque les gens n'ont plus confiance les uns dans
les autres, et l'affaiblissement du culte des ancêtres, incite à bâcler les mariages.
Nous n'avons pas parlé du mariage sans dot véritable, car nous n'en avons pas entendu
parler en pays Bamiléké; les quelques exemples que l'on cite nous paraissent être en réalité
des mariages par échange.
L'adultère.
L'adultère est considéré par les Bamiléké comme une affaire des plus graves, spécialement
quand la faute a été suivie de la naissance d'un enfant.
C'est ce qu'on appelle na vù ya (N), expression qui s'applique indifféremment à l'homme
et à la femme, et qu'on peut traduire par « tomber dans le scandale ll. Au regard de la coutume
Bamiléké, la faute d'une jeune fille fiancée, suivie d'une naissance illégitime, est regardée comme
adultère au même titre que celle d'une femme mariée; (la faute d'une jeune fille non fiancée
48 LA STRUCTURE I:iOCIALE DES BAMILEKÉ
est généralement cachée par un mariage précipité). Le scandale, y:>, ne réside pas tant dans
l'adultère lui-même que dans la rupture du contrat passé entre les deux parentés, et dans l'outrage
fait aux ancêtres dont la lignée peut se trouver brisée.
L'adultère ne peut, chez les Bamiléké, s'arranger par des versements d'indemnité; la loi de
Bandjoun était particulièrement dure à cet égard. Le y:> entraînait un jugement par les rJwala (1)
puis, s'il était dûment établi, les deux coupables étaient expulsés du territoire de la chefferie;
la coutume défendait au chef de juger les affaires de y:>. n ne devait même pas voir les coupables,
il en serait résulté pour lui une souillure qui, indirectement aurait atteint tout le village.
Les coupables de y:> pouvaient en général assez facilement trouver refuge dans une chefferie
voisine. Mais le plus souvent ils partaient à la ville; il ne faut pas oublier que le peuplement
Bamiléké des faubourgs de Douala et de Nkongsamba comprend nombre de gens chassés pour
vol ou adultère.
Depuis quelques années, la coutume tend à s'assouplir, et seul l'adultère avec une femme
du chef entraîne l'expulsion. La plupart du temps les coupables se cachent pendant quelques
mois, puis reparaissent quand le scandale est apaisé. Le mari chasse sa femme, qui se réfugie
chez son amant. S'il s'agit d'une très jeune femme il peut réclamer le remboursement de la dot,
sinon il se contente d'exercer les droits du ta rJkap sur les filles à naître.
Capacité juridique.
Responsabilité individuelle.
Le lignage ne constitue pas une personne juridique. Le droit coutumier Bamiléké n'admet
que la responsabilité individuelle. Les membres d'un patrilignage ne peuvent être tenus pour
(1) Grands serviteurs du chef exerçant dans la plupart des chefferies la fonction de juges coutumiers de premiore
instance.
COUTUME FAMILIALE ET DROIT COUTUMIER 49
responsables des fautes de l'un d'eux, ni l'héritier du fondateur du lignage contraint de payer les
dettes contractées par un membre de sa parenté. Seul l'héritier supporte la responsabilité des
actes de son père, et cela parce que, au regard de la coutume, il en est le substitut.
La coutume admet la responsabilité du père vis-à-vis des actes de ses enfants mineurs,
entendant par là les enfants n'ayant pas atteint l'âge du mariage et vivant avec lui. Il supporte
de même la responsabilité des actes des enfants que ses femmes peuvent avoir eus d'un autre lit,
du seul fait que ces enfants vivent avec lui.
Si les frères d'un homme chargé de dettes l'aident le plus souvent, c'est par solidarité
familiale, et non par obligation juridique.
La coutume admet parfaitement qu'un frère plaide contre son frère, et même un fils adulte
contre son père.
L'HËRITAGE
Principes de l'héritage.
On peut considérer la société Bamiléké comme une société reposant sur des fondements
matrilinéaires, mais dans laquelle l'héritage se transmet de père en fils; la pensée de chacun
est centrée sur la ligne de ses héritiers, qui recueilleront son crâne et lui assureront la survie
après la mort.
On conçoit que, dans cet esprit, la séparation de l'héritage soit impensable; disloquer le
patrimoine, c'est réduire considérablement les chances de développement de la ligne principale,
au profit de lignes secondaires qui, au bout de deux générations, n'ont plus aucun lien avec le
50 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMIL~J(~
fondateur; c'est s'exposer, au bout d'une ou deux générations au néant définitif, par l'abandon
des sacrifices et la perte du crâne. '
On conçoit aussi qu'il soit fait une différence, dans le cas où un homme meurt sans descen-
dance, entre ce qu'il avait lui-même reçu de son père à titre d'héritier, et ce qu'il avait acquis
au cours de sa vie. La première partie de l'héritage retourne là d'où elle était venue, c'est-à-dire
à la famille paternelle; la seconde, selon un droit ancien qui n'est jamais tombé en désuétude,
va au matrilignage, c'est-à-dire aux frères maternels (1).
L'héritier est appelé nzü ndya (N), nza ndya (T), littéralement: « celui qui mange la maison ».
La désignation de l'héritier est intangible et imprescriptible; les contestations qui peuvent
survenir portent exclusivement sur le point de savoir si les intimes du défunt ont honnêtement
rapporté sa pensée, et ne se sont pas laissés circonvenir par l'un des fils. Seul le chef peut inter-
venir, en cas de faute grave ou d'incapacité notoire de l'héritier, pour annuler sa désignation et
mettre un de ses frères à sa place. Ce droit n'est exercé que très rarement.
Si l'héritier a émigré sans avoir donné de ses nouvelles depuis longtemps, ou encore s'il est
en prison pour des délits commis à la ville, on attendra autant d'années qu'il le faudra; ses
frères entretiendront le hameau. Tout ce qu'on peut faire est de répartir les veuves entre les frères.
Mais en aucun cas on ne peut révoquer l'héritier. S'il a disparu depuis des années, on consultera
les devins et si ceux-ci le déclarent mort, la succession sera ouverte. L'héritier adulte entre sans
délai en possession des biens du défunt, et des veuves quand le délai de deuil (trois mois) est
écoulé; les veuves ne peuvent être dévolues de force, elles peuvent si elles le désirent partir
épouser un homme quelconque, mais celui-ci doit, ou rembourser la dot, ou rendre à l'héritier
les filles qui naîtront de cette union.
L'héritier n'est pas obligé d'établir ses frères ni de les marier; son principal devoir, au
regàrd de la coutume, est d'assurer la perpétuation du lignage, donc de ne pas diviser les terres
et les femmes reçues du défunt. Mais si l'importance de l'héritage le permet, il est regardé comme
.
(1) Ce principe juridique, sur lequel l'attention ne parait pas s'être portée, nous semble être d'une grande importance.
Il est possible que cette conception soit largement répandue dans les sociétés africaines qui comptent simultanérroent la
parenté sur les deux lignes.
PL. V
honorable que l'héritier aide matériellement ses frères et pourvoie au mariage de ceux qui 30nt
encore célibataires, ainsi que l'eut fait leur père s'il avait vécu plus longtemps. Les frères déjà
mariés doivent s'abstenir de demander. Si l'héritage est très considérable, le chef intervient
personnellement pôur faire une répartition équitable des veuves et des filles et d'empêcher la
discorde... en gardant au minimum une fille pour prix de son intervention.
On cite des cas où l'héritier refuse d'entrer en possession de l'héritage; cela arrive par
exemple quand le père avait de lourdes dettes, ou n'avait ni femmes jeunes, ni filles à échanger;
l'héritage dès lors ne présente plus d'intérêt; mais l'héritier défaillant vit dans la crainte de la
vengeance des ancêtres dont le culte a été ainsi abandonné. Voici un cas relevé à Batié :
Nze Mboungyi, notable, est décédé vers 1934 sans laisser de veuves. Son fils, Tembouchœ,
également notable et n'ayant pas besoin de terres, laisse le village à l'abandon. En 1954, se
trouvant malade, un devin lui révèle que c'est par l'effet de la colère de son père; il nomme
alors héritier son fils Kegnmwè qui va relever le hameau de Nze Mboungyi.
(1) Cette assertion qui figure dans plusieurs coutumiers, nous paratt résulter de réponses mal interprétées.
52 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILÉI(É
On peut, à défaut de frère, prendre un parent éloigné du côté paternel, ou même un ami
du défunt, pour s'occuper du hameau pendant la minorité de l'héritier.
Celui qui est ainsi chargé d'entretenir la concession du défunt ne peut rien vendre, sinon
pour des opérations courantes ou pour payer les dettes du défunt, et il ne fait rien qu'en présence
de quatre témoins. S'il a bien géré la concession, l'héritier pourra lui laisser une fille en récom-
pense. La mère de l'héritier reste dans le village du défunt, même si elle s'est remariée; les
terres continuent à être cultivées par les veuves, les femmes des frères, etc., toujours à la recherche
de terres.
Tutelle.
Les veuves remariées emmènent leurs enfants en bas âge, dont la tutelle est assurée par
leur nouveau mari. Le tuteur de l'héritier ne supporte aucune responsabilité à cet égard.
La tutelle de l'héritier, s'il n'y a pas de frères, est assurée par le chef, s'il s'agit d'un notable
serviteur, sinon par un ami du défunt désigné par le chef; les fils de notables recueillis par le chef
en attendant d'être en âge de recueillir leur héritage sont les seuls serviteurs qui restent à la
plupart d'entre eux.
Si l'héritier meurt avant d'être arrivé à l'âge d'homme, le chef intervient pour désigner
à sa place l'un de ses frères.
Si l'héritier a plus de 12 ans, on le met d'office dans la succession et on attend qu'il soit en
âge d'épouser effectivement les veuves; on nous a cité le cas d'un notable de Batié, mort en 1953 ;
bien qu'ayant des fils de 35 ans, il désigna comme héritier un fils âgé de 15 ans. A son lit de mort
il fit appeler tous ses fils et après avoir réparti quelques veuves entre les plus âgés, il intima
à l'héritier, malgré ses répugnances, l'ordre d'épouser effectivement toutes les autres, y compris
les vieilles, disant qu'il ne voulait sous aucun prétexte voir diminuer son hameau.
La minorité de l'héritier d'un grand notable peut entraîner le passage définitif du titre dans
une branche collatérale; mais en aucun cas l'héritage des personnes ne peut sortir de la ligne
des héritiers légitimes. Voici un exemple caractéristique relevé dans la chefferie de Baméka :
il concerne le lignage formé voici trois générations par un ancien chef de Baméka, déposé dans
des circonstances obscures. On lui avait conservé le titre de chef et le pouvoir de s'asseoir sur
un siège sculpté. L'héritier du titre a conservé ces prérogatives.
Le premier héritier, Gangoum, étant mort alors que ses enfants étaient en bas âge, avait
nommé héritier de son titre, son frère Tènsi (B 2 ). Ainsi le titre est resté depuis dans la famille
de celui-ci, alors que l'héritage des personnes passait, ainsi que le veut la coutume, dans la
descendance de Gangoum. Cet exemple montre combien ce qui se passe en réalité est parfois
différent de la coutume théorique; car normalement l'héritier des biens de Gangoum, parvenu
à l'âge adulte, aurait dû recevoir le titre.
La figure 11 montre la scission de l'héritage; on a éliminé tous ceux, hommes et femmes,
qui sont morts sans descendance (rappelons qu'ils sont considérés comme ayant vécu en vain;
leurs crânes ne sont pas recueillis).
L'héritier du titre, Noukhé (E 4 ), ne peut élever aucune prétention à la possession des
personnes descendant directement de Gangoum, mais il est leur chef spirituel en tant qu'héritier
du titre. Il préside les réunions de famille et les sacrifices, bien que ce soit l'héritier direct,
Toukam (Dl)' qui conserve le crâne de Gangoum.
COUTUME FAMILIALE ET D/WIT COUTUMIER 53
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Fig. 11. - Descendants ùe Gangollm (1955).
" n'y a pas d'adoption possible; la pensée des Bamiléké sur ce point est très nette: on
remplace les chaînons masculins manquants par des chaînons féminins.
Le défunt désigne comme héritière une fille; mais il faut bien comprendre qu'elle n'est que
dépositaire du crâne, et de l'héritage; quand elle aura des fils, elle remettra la succession à l'un
d'entre eux, choisi comme héritier avec l'aide des devins.
Si elle n'a que des filles, l'une d'elles sera dépositaire de l'héritage, et ainsi de suite, jusqu'à
ce qu'au bout d'un nombre indéfini de générations naisse un descendant mâle; cela, que les
héritières successives aient été ou non mariées sous le régime la rJkap. L'héritier recueillera le
crâne et l'héritage, y compris le droit sur les personnes, qui résulte de la transmission des droits
du la rJkap, et continuera la lignée interrompue; mais il ne conservera pas les crânes des héritières
intermédiaires, qui iront à leurs propres héritières en ligne féminine.
Si les héritières intermédiaires ont été mariées sous le régime la rJkap, tous leurs fils vivants
au moment du choix de l'héritier sont considérés comme les fils du défunt et ont les mêmes
droits à l'héritage, sans considération de la génération à laquelle ils appartiennent.
Dans cette curieuse affaire, sur les trois générations considérées, matrilignage et patrilignage
se confondent au premier abord. Il est important de distinguer ces liens superposés, mais bien
distincts dans l'esprit des intéressés:
COUTUME FAMILIALE ET DROIT COUTUMIER 55
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Fig. 12. - Les descendanls de TalchèLi en 1955.
1) Les descendantes ùe Ndyèml.>ou ct leurs fils forment un matrilignage ; leurs liens à cet
égard sont tout à fait indépendants de Tatchèti ; ils doivent respect à Ndyèmbou et plus tard
à son héritière;
2) Toutes les personnes citées doivent le sacrifice à Tatchèti du fait que les femmes de la
lignée ont été mariées sous le régime ta r;kap. C'est à ce titre seul qu'ils doivent obéissance à
l'héritier de Tatchèti ; mais par exemple le fils de Fochœ (D,) ne devra pas obéissance à l'héritier
de Kamgan;
3) Kamgan, à titre 'd'héritier, exerce les droits de Tatchèti sur l'ensemble des descendantes
des femmes mariées sous le régime ta r;/rap. En particulier. il dispose des filles non mariées,
Mpetchom (sa sœur), Maambou et Magn 2, filles de Nkanyœ, puisque par une série de mariages
sous le régime ta flkap ces filles appartenaient à Tatchéti.
Effectivement, il a marié, toujours sous le même régime, les deux dernières, Maambou ct
Magn 2, et sc propose d'échanger ultérieurement les filles qu'elles viennent d'avoir et celles
qu'elles pourront avoir ultérieurement, contre des épouses pour lui et ses fils.
56 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILÉI{l:;
Quant à sa sœur Mpetchom, le chef Youta la revendiqua contre son fils Kamgan, prétendant
que la paternité du chef efface tout autre droit. Usant du droit du plus fort, il donna Mpetchom
en mariage au chef de Fondjomékwèt. Kamgan préféra s'incliner, ne voulant pas se brouiller avec
son père dont il est susceptible d'hériter un jour aussi.
C'est un exemple remarquable, mais pas très rare, du cas où un homme peut se trouver
hériter de deux ancêtres en même temps.
Voici comment Kamgan se propose, s'il devient héritier du chef Youta, de séparer les deux
héritages qui doivent rester distincts.
Supposons qu'il ait plusieurs fils. Il peut nommer de son vivant l'un d'eux héritier de Tatchèti
et lui remettre, avec le crâne de l'ancêtre, les droits sur les filles de « 'Okap » de celui-ci. A un
autre fils, il transmettra à sa mort l'héritage de son père.
Kamgan hérite de femmes dont une partie sont à Banjoun, mais il n'hérite d'aucune terre
ni bien matériel. On ne peut du reste pas hériter d'une terre située dans une autre chefferie.
On voit combien important est le rôle des femmes en pays Bamiléké. Ndyèmbou a géré le
patrimoine de Tatchèti et marié ses propres filles, puis ses petites-filles sous le régime ta 'Okap,
dans l'intérêt d'un héritier qui n'était pas encore né ; seule cette disposition de la coutume peut
permettre de perpétuer le culte d'un homme mort sans héritier mâle.
Cet exemple montre clairement combien il est illusoire d'étudier le droit coutumier isolé
de son support religieux et magique. Des cas de ce genre sont strictement incompréhensibles
tant qu'on n'a pas défini les rapports entre régime ta 'Okap et le culte des ancêtres. Ajoutons que
les droits du ta 'Okap n'étant pas reconnus par l'administration, elles ne peuvent être portées
devant les tribunaux et échappent de ce fait à toute recherche directe; ce n'est qu'en vivant
au contact étroit de la population des villages qu'on parvient quelquefois à les connaître.
Nous n'avons pu relever qu'un seul exemple récent d'héritage important partagé entre
les frères du mort; c'est une affaire qui s'est produite à Batié en 1953.
Un notable du quartier de Bali, Fowan, avait neuf femmes et trois fils; à sa mort son fils
Lénou, héritier, prit les neuf veuves et quelque temps après prit une dixième épouse, Mani, dont
il avait entièrement payé la dot.sur ses fonds personnels.
Il mourut peu de temps après sans descendance. Le chef Batié nomma à sa place héritier
de Fowan un des deux fils survivants, qui prit les neuf veuves dont son frère Lénou avait hérité.
Mais la femme Mani, considérée comme appartenant en propre à Lénou, fut attribuée à un
des frères maternels de ce dernier.
Là où on discute souvent, c'est sur le point de savoir si tel ou tel bien résultait de l'héritage
COUTUME FAMILIALE ET DROIT COUTUMIER 57
du père ou s'il avait été acquis personnellement. Le chef intervient toujours pour appuyer les
frères paternels, afin de ne pas voir l( gaspiller le village» du défunt; on pourrait croire que le
chef tend à s'opposer à la formation de patrilignages importants, susceptibles de constituer un
état dans l'état, mais il n'en est rien; son action est toujours dirigée vers l'accroissement des
noyaux existants.
Pour le cas d'un fondateur de famille (d'un non héritier, par exemple d'un fils de chef),
l'attribution de l'héritage (en l'absence d'héritier) aux frères maternels est automatique. Il n'y a
pas lieu à intervention du chef et les frères paternels n'ont rien à voir dans l'héritage. Les veuves
passent aux frères maternels, ou, si elles ne veulent pas les épouser, leur dot sera remboursée
aux frères maternels par leur nouveau mari.
La répartition entre les frères maternels se fait sur les bases suivantes: supposons qu'il y ait
100.000 fI'. à partager entre trois frères. L'aîné aura 40.000, le second 35 et le cadet 25 (quel que
soit l'âge, même si ce sont des enfants en bas âge). Si la mère est encore vivante, c'est elle qui fera
la répartition, aidée par un ami intime du mort, en qui il avait toute confiance. Si la mère est
encore vivante et s'il n'y a pas de frères, c'est elle qui prendra l'héritage. Si cet héritage comporte
une veuve, elle se fera rembourser la dot, ou la donnera comme épouse supplémentaire à son
propre mari.
Les sœurs reçoivent aussi leur part, mais beaucoup plus faible que celle des frères
(1/4 environ).
S'il n'y a pas de frères de même mère, l'héritage va aux enfants de la sœur maternelle de la
mère, ou aux plus proches parents utérins.
Dans tous les cas où il n'y a pas d'héritier, l'argent liquide est partagé entre les frères
paternels et maternels. Le plus souvent en fait, il n'est même pas suffisant pour payer les frais
de la l( lamentation ».
La terre du défunt peut être occupée par un de ses frères désigné par le chef. Il semble
(nous n'avons pas pu éclairer complètement ce point) qu'un homme sans descendance ne puisse
pas instituer un de ses frères légataire de ses biens, et que l'intervention du chef soit toujours
nécessaire si les frères n'ont pu se mettre d'accord; les recherches sur ce point sont difficiles, car,
nous l'avons dit, en pratique ces affaires sont rares.
Si un frère paternel reprend la terre, le crâne de l'homme mort sans enfant n'en est pas moins
laissé dans la tombe et ne fait l'objet d'aucun culte; mais si le défunt était lui-même héritier
et possédait des crânes, le frère reprend le culte de ces crânes.
S'il n'y a pas de frères maternels ou paternels, le chef n'admet pas qu'elle passe à un parent
éloigné; elle est abandonnée, les cases tombent en ruine et les crânes sont perdus; quelques
années après on ne saura même plus où elles étaient et le chef donnera la terre à un homme
quelconque.
PT.. VI
FONCTIONNEMENT DE LA CHEFFERIE
LA CHEFFERIE
(1) Il semble qu'on ait interprété à tort l'expression 0 (0 pu si el qui est fréquemment employée par les villageois,
spécialement pour exprimer leur stupeur devant une Causse accusation. Cette expression signifie en réalité: Ij'en appelle
au chef et à Dieu» 1 D'ailleurs la conjonction pu ne peut être employée que pour associer deux objets ou deux êtres dilTérents.
Si on voulait dire par exemple: le chef de N... est (à la Cois) cheC et député, on devrait employer la conjonction mba et dire:
(0 mba depute.
60 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMIL]t;K]t;
Ses ancêtres sont incomparablement plus puissants que ceux d'un lignage ordinaire, puisque leur
pouvoir s'étend à la totalité du territoire de la chefferie, mais il semble bien qu'on les regarde
comme de même nature.
On emploie la même expression, m.pft) si (N) « morts divins », pour les ancêtres d'un lignage
ordinaire et pour ceux du lignage des chefs. De même on emploie fort bien, mais seulement
quelques années après sa mort (1), l'expression pft) fa, « le feu chef », comme on dit pfaX, (1 feu
untel ».
L'atmosphère de mystère qui entoure la mort des chefs, les rites funéraires au cours desquels
on évite d'employer l'expression l( le chef est mort », ne sont pas une preuve évidente d'une nature
divine attribuée au chef. Les Bamiléké pensent qu'un lien religieux unit le chef, la terre et les
hommes. La force et la santé de la communauté tout entière sont en danger si le chef est malade
ou affaibli. C'est pourquoi on éprouve une répugnance extrême à dire: l( le chef est malade» ;
on dit: fa fhüité) (N), « le chef se repose ». On dit: « le chef dort », quand il est à l'article de la
mort. Ces préoccupations ne sont pas particulières aux Bamiléké et se retrouvent dans bien des
royaumes africains.
Quant à l'expression si, Dieu, qui revient souvent dans le langage, il n'est pas difficile de
voir que chacun y met un contenu très différent, selon ce qu'il exprime; il parle en général du
dieu de son lignage (si ta), du dieu du lignage de sa mère (si ma) ou encore d'une petite divinité
de quartier: jamais il ne parle du chef ou des ancêtres du chef, auquel il ne lui viendrait pas
à l'idée d'adresser directement une prière.
Si les ancêtres du chef ont un pouvoir sur les simples habitants, c'est indirectement, par leur
pouvoir sur le sol, né le jour où le premier chef prit possession du pays jusqu'alors inhabité. On
pense qu'ils peuvent, s'ils sont irrités, punir les habitants en amenant la sécheresse et la famine,
et que, réciproquement, ils peuvent accorder leur protection à tous ceux qui vivent sur leur sol.
Il semble donc qu'aux yeux des simples villageois, le chef soit un homme d'une nature
supérieure, revêtu d'un caractère sacré, mais non pas un dieu; avant tout il est l'intermédiaire
vivant entre eux-mêmes et ses ancêtres divinisés, possesseurs du sol. Aussi la désignation du
successeur par le chef a-t-elle un caractère absolu et imprescriptible. Si un usurpateur prenait sa
place, le culte serait interrompu et le pays serait frappé de stérilité.
On comprend aussi qu'un des attributs essentiels du pouvoir du chef soit le droit d'expulser
les voleurs et les malfaisants du sol qui leur a été attribué. Vues sous cet angle, les tentatives
faites pour introduire les principes européens de propriété foncière apparaissent comme une des
plus redoutables menaces contre la civilisation Bamiléké, car elles attaquent le pouvoir du chef
dans son principe même.
La chefferie.
On entend par chefferie le hameau du chef. Là vivent ses femmes, les serviteurs qui
constituent son état-major et ses représentants; là sont conservés les crânes des ancêtres du chef
et les objets sacrés; là se réunissent les sociétés coutumières qui constituent les cadres du pays.
Le hameau du chef est appelé N. tsa (N), No (T), ou TIwef (Baleng, Bamendjou). Cette
expression revient assez souvent dans la toponymie. Ex. : Fam No (T) « l'ancien emplacement
de la chefferie ».
La chefferie comporte un très grand nombre de cases, parfois plusieurs centaines, car chaque
femme, chaque serviteur dispose d'une case individuelle; chaque petite société, même si elle
(1) Quand le chef n'est mort que depuis peu de temps, on dit: fo pi, le chef est perdu.
FONCTIONNEMENT DE LA CHEFFERIE 61
ne se réunit que rarement, tient à avoir une case distincte; en outre, la chefferie doit pouvoir
abriter dignement les chefs amis, les notables venus à l'occasion des fêtes; de grandes cases sont
construites dans ce seul but et aussi pour orner la chefferie.
Les grandes chefferies forment encore un bel ensemble architectural, mais que l'on parvient
rarement à embrasser du regard, car il est le plus souvent placé dans un fond et masqué par de
grands arbres; il semble qu'on s'efforce de masquer la chefferie le plus possible, peut-être pour
la soustraire aux influences maléfiques, certainement en tout cas pour la protéger du vent qui,
en saison sèche, aggrave les risques de propagation des incendies.
Malgré ces précautions, les chefferies brûlent en moyenne tous les dix ans, sans qu'on puisse
rien faire; quand une case a pris feu, son toit épais se transforme en un volcan qui projette
à plusieurs centaines de mètres des blocs de paille enflammée.
Autrefois ces incendies avaient peu de conséquences. Tous les habitants, requis aussitôt,
avaient à cœur de la refaire plus belle qu'elle n'était. En quelques mois le malheur était réparé.
Maintenant chaque incendie laisse la chefferie diminuée et avilie.
Presque partout les belles cases aux murs de bambous jointés ont été remplacées par des
constructions plus simples, aux murs de briques crues; les poteaux et les portes sculptées ont
disparu; là où quelques sculpteurs travaillent encore, ils ne savent plus rien faire; leur produc-
tion a perdu toute originalité et toute valeur. Depuis quelques années, la tôle ondulée fait son
apparition dans les chefferies, les cases des sociétés coutumières sont progressivement remplacées
par des bicoques standard type « société africaine de prévoyance », ce qui satisfait tout le monde,
tout sens artistique ayant disparu du pays Bamiléké.
La chefferie comporte généralement une large allée centrale, dirigée selon la ligne de plus
grande pente du terrain, de chaque côté de laquelle sont groupées les cases de femmes, dont le
nombre peut atteindre une centaine; en bas de l'allée, se trouvent les bâtiments principaux,
qui s'étendent jusqu'au ruisseau; parfois le cours d'eau limite la chefferie, parfois elle comporte
de l'autre côté de l'eau un bois sacré.
C'est toujours à la partie supérieure que se trouve l'accès à la chefferie; là se trouve très
souvent la place du marché, où ont lieu les danses et les cérémonies coutumières.
La chefferie est divisée traditionnellement en trois parties :
- Le côté de la première femme du chef (en général à gauche de l'allée principale en
montant).
- Le côté de la deuxième femme du chef, de l'autre côté de l'allée principale.
- Le fond de la chefferie, ta n.tsa (N), tu na (T), partie du hameau proche du ruisseau qui
la limite; c'est là que se trouvent les bâtiments les plus importants.
Cette bipartition de la chefferie est une disposition absolument générale qui se retrouve
aussi dans les hameaux des notables.
Elle correspondait vraisemblablement à l'origine à des conceptions religieuses, peut être
aujourd'hui oubliées. On constate en effet qu'il y a deux lieux de culte différents pour les fils
de chef, selon qu'ils sont nés dans la partie droite ou dans la partié gauche de la chefferie.
La chefferie comporte une série d'édifices correspondant à des fonctions essentielles qui
s'exercent partout sous des noms à peine différents; mais ces édifices n'ont aucune place définie,
et sur ce point, les plans des diverses chefferies divergent entièrement.
1) Le fam ka'(fam place interdite (1) ; ka' élevé) où l'on garde les crânes des ancêtres des
chefs; il est généralement en haut de la chefferie, du côté de la première femme du chef. C'est là
que réside le rJwala ka', premier serviteur de la chefferie, qui entretient le feu dans la case des
crânes et assure avec ses adjoints, une garde permenente.
Le droit de pénétrer au ram ka', d'assister aux rites qui y sont pratiqués, est une faveur
particulièrement recherchée, accordée par le chef aux notables serviteurs les plus méritants,
contre un important paiement. Cette faveur ne peut jamais être accordée aux « fils de chef ll,
ceci très vraisemblablement, en raison de la crainte toujours présente d'une tentative d'usurpa-
tion. Rien ne marque mieux les rapports entre le chef et les deux grandes catégories de notables;
2) Le ram njia (njia = interdit), lieu très secret où se réunit le njia, société de magiciens qui
paraît avoir pour but de protéger le chef et son entourage des influences maléfiques; .
3) Le trésor de la chefferie, constitué par les objets hérités des premiers ancêtres du chef:
sac, pipes, ornements, ainsi que les objets sculptés: chaises, statues ornées de perles qui paraissent
être des représentations des ancêtres du chef;
4) La demeure du chef, entourée de quelques cases où vivent les tJo ro et quelques-unes
des plus jeunes femmes du chef, qui préparent sa nourriture. Le chef a plus confiance à cet égard
en de toutes jeunes femmes n'ayant pas encore enfanté qu'on appelle m.jüi rJghu'J (Il femmes
étrangères ll) que dans les femmes adultes, jalouses et intrigantes;
5) Une case marquant l'emplacement de la case du premier chef;
6) Un certain nombre de lieux sacrés provenant des anciens chefs, et dont l'origine est
oubliée. On sait seulement qu'un dieu réside dans tel bouquet d'arbres, et de temps à autre le
chef sacrifie une chèvre et répartit la chair au pied de ces divers arbres;
7) Des lieux sacrés (boqueteaux d'arbres) où peuvent sacrifier les fils de chef. En général,
il y en a deux, l'un à gauche de l'allée centrale, où sacrifient les fils de chef nés dans la partie
correspondante de la chefferie, l'autre à droite de l'allée pour les autres.
Les fils de chef viennent sacrifier là quand ils sont malades et quand les devins le leur
ont conseillé. Ce sacrifice s'appelle (1 jeter la poule» ; il consiste à placer une poule sur sa tête
devant le boqueteau en prononçant des paroles d'offrande et à la laisser s'envoler.
Ces « poules de dieu II vont en général se réfugier chez les femmes du chef; il n'est pas permis
de les tuer, mais on peut vendre leurs poussins au marché, en offrant au dieu sous forme de viande,
une partie du gain réalisé.
A la chefferie proprement dite, il convient de rattacher le marché, sim (N), sem (T), qui joue
un rôle essentiel dans la vie coutumière des Bamiléké; toutes les danses et les cérémonies se
déroulent sur la place du marché; on y trouve un certain nombre de cases appartenant chacune
à une des grandes sociétés coutumières et abritant un grand tambour de bois. Les membres de
la société frappent quelques coups sur ce tambour avant d'entrer à la chefferie.
Un peu à l'écart du marché se trouve une petite place dite sim ke (N) ou sem ka (T) « place
des magiciens ll, où se trouve l'enclos de danse de la société nye et une petite case entièrement
fermée dans laquelle ne pénètrent que les membres du kamvu' pour des rites secrets qui sont
exécutés tous les deux ans, les années dites de ke (Batié kà).
L'ouverture du deuil n'est pas marquée par une annonce publique de la mort du chef;
aucun habitant ne voudrait prononcer ces mots: « le chef est mort» car ce serait attirer le malheur
sur lui et les siens. Les rJwala font choix d'un homme de peu, sans famille et sans biens; ils le
conduisent sur la place du marché devant les habitants rassemblés et le battent jusqu'à ce qu'il
pleure, donnant ainsi le signal des lamentations; ce personnage, appelé ntu vu (( celui qui ouvre
le deuil ll) accompagne le nouveau chef au la'kam, séjour des 9 semaines de deuil, constitué
à Batié par deux cases dans l'enceinte de la chefferie. On lui construit une case.
PL. VII
Pendant les 9 semaines du deuil, le chef porte un voile rouge analogue à celui des rJwala
et se couvre le corps de poudre de bois rouge; il est l'objet de rites d'initiation de la part des
notables du kamvu' et d'un serviteur choisi parmi les pomwa et qu'on appelle le ta mbua. Il n'est
pas reclus, au contraire les habitants viennent le visiter en foule. .
Le nouveau chef entre au la'kam accompagné des femmes qu'il avait avant sa désignation,
dont la première épousée portera désormais le titre de rJ.k5, première femme du chef. En outre,
comme il ne doit pas, avant l'achèvement du deuil, avoir de rapports avec les femmes héritées
de son père, les principaux notables lui donnent quelques jeunes femmes, parmi lesquelles il
choisira la m.jüi lmm, titre honorifique qu'on peut traduire par seconde épouse du chef.
Ces titres sont donnés à vie. Si les premières et deuxièmes épouses du défunt chef sont
toujours vivantes, il y aura deux rJ.k5 et deux m ..iüi kam.
Si l'une des femmes qui ont vécu avec le chef se trouve enceinte à l'issue de son séjour au
la'kam, ce qui est regardé comme un présage favorable, l'enfant portera le nom de Ntoukam
(engendré au la'kam). .
Pendant les 9 semaines le Iltu vu a le droit de prendre ce qu'il veut sur le marché, ceci
marquant qu'il ne fait plus partie de la communauté et n'est plus soumis à la loi ordinaire.
A la fin des 9 semaines, doté d'une partie des vêtements et d'une chaise du chef défunt (1),
il quitte la chefferie. Le chef ne devra plus jeter les yeux sur lui sa vie durant; on démolit la case
du ntu vu et on en jette les morceaux au loin dans la brousse (si quelqu'un de la chefferie, femme
ou serviteur, y avait pénétré, le chef n'aurait pas pu non plus jeter les yeux sur lui sa vie durant).
Dans plusieurs chefferies le ntu vu, chargé de l'impureté accumulée sur la population par la .
mort du chef, était expulsé. Dans d'autres il demeurait à la chefferie en qualité de n. tha rJfJ8,
serviteur chargé des besognes obligeant à des ruptures d'interdit. C'était selon l'expression des
villageois un « homme sacrifié ». On dit de lui: e S[)q sua tJüm la'a, « il a lavé l'impureté (sua)
du village l).
Le ntu vu ne doit pas être confondu avec le ta fo, « père du chef », personnage dont la fonction
essentielle est de servir de substitut au chef en cas de veuvage. Le chef ne peut pas quitter ses
fonctions pour se soumettre à la réclusion de plusieurs semaines dans la case de la femme défunte,
comme le prévoit la coutume. Le ta fo exerce cette fonction à sa place. Ses fonctions ne sont pas
liées à une idée d'impureté et sont regardées comme honorables. Le chef lui remet chaque fois
en paiement des pagnes, et les vêtements qu'il portait au moment où on lui a appris la mort de
la femme.
Le ta fo est nommé à vie et peut exercer ses fonctions au profit de plusieurs chefs successifs.
Ces coutumes se retrouvent, avec des variantes, dans toutes les chefferies de la région de
Bafoussam; dans plusieurs d'entre elles on a renoncé au ntu vu qui est remplacé par un mouton
ou un chien; l'animal est traîné sur le S8m ka et on le bat pour le fraire crier, donnant ainsi le
signal des lamentations; puis on le chasse du territoire de la chefferie.
On trouve partout la notion que le nouveau chef n'occupe la chefferie que progressivement,
commençant par résider dans un bâtiment extérieur, et n'occupant la case de son père qu'en
dernier, après avoir eu soit un, soit plusieurs enfants nés à la chefferie. De même, tant qu'il n'a
pas eu un enfant à la chefferie, sa propre mère ne peut pas le voir.
(1) En 1958, à la mort du chef de Bafoussam, le nlu ua revendiqua une des voitures du chef, et il semble bien qu'on
la 1ui ai t donnée.
Le don de ces objets paraIt s'inspirer d'un souci parallèle à celui qui inspire la fonction du nlu uiz en ce qui concerne
les hommes; le sacrifice d'une partie des biens du chef permet de garder pur le reste de l'héritage.
64 LA STRUCTURE SOCIA.LE DES BAMILÉI(É
Quand le chef est encore jeune, les notables des sociétés coutumières le conseillent, lui
indiquent la manière de commander. On lui remet un bâton pour frapper les récalcitrants (le
chef ne doit frapper personne de la main).
Ceci posé, le culte des ancêtres des chefs se pratique exactement de la même façon que dans
un patrilignage ordinaire, et la parenté des chefs a exactement la même structure qu'une parenté
ordinaire.
Sont dits princes, po fo (singulier mu fo) :
- Les fils de chef.
- Les fils des fils du chef.
- Les fils des filles du chef.
C'est-à-dire ceux qui sont reliés au chef par les liens du culte des ancêtres et pourront lui
sacrifier après sa mort.
Dans plusieurs chefferies, tout lien est rompu après la seconde génération, et le fils d'un
petit-fils de chef peut être requis comme serviteur.
Dans d'autres chefferies, notamment Batié et Bandjoun, les descendants du chef à la
troisième et à la quatrième génération portent le titre de po ka fo, titre honorifique mais ne
comportant aucun droit particulier; aux générations suivantes, les gens se disent encore po Ica fo,
mais ce n'est plus pris au sérieux.
On ne peut donc pas dire que les descendants du chef constituent une caste. Mais la mère
et plusieurs des frères de chaque chef sont anoblis et leurs prérogatives sont transmises à la lignée
de leurs héritiers.
Titres de noblesse.
En même temps que son successeur, le défunt chef lui avait donné un adjoint qui porte le
titre de küipu. C'est le premier personnage de la chefferie après le chef, bien qu'il n'exerce aucun
commandement effectif; traditionnellement le küipu était chef de guerre, le chef ne pouvant
exposer sa précieuse personne aux hasards du combat.
On peut se demander s'il n'y a pas là une survivance de la bipartition de l'héritage, trait
caractéristique de certaines populations du Sud Cameroun.
Les héritiers des küipu des chefs précédents sont généralement chefs des principaux quartiers,
mais ce n'est pas une règle absolue; on en voit qui sont fort pauvres et ne remplissent aucune
fonction.
Le küipu reçoit un certain nombre de veuves du défunt chef et les droits de ta 1Jkap sur
plusieurs filles; il a donc de fortes chances de fonder un lignage durable, et en fait, la plupart
des küipu ont des hameaux importants.
Le 1Jwafo vient dans la hiérarchie après le küipu. C'est le premier frère cadet maternel du ~
chef, ou à défaut, son plus proche parent maternel. Sa nomination est automatique. Le 1Jwafo
reçoit aussi quelques veuves et filles sur l'héritage du défunt chef.
Le 1Jwafo est traditionnellement le confident et le soutien du chef, car les relations entre
frères maternels sont généralement exemptes de jalousie et de rancœur, alors que les relations
du chef avec le küipu sont généralement mauvaises.
FONCTIONNEMENT DE LA CIIEFFERIE 65
Le nzamafa (T), nzümafa (N), est un autre frère utérin ou proche parent maternel choisi
pal' le nouveau chef. Si ce n'est pas un frère de même mère, la mère du nzamafa est nommée
mafa et commence une lignée de mafa. Le titre de nzamafa est purement honorifique et ne
comporte que très peu d'avantages matériels.
Le premier s~p est nommé par le défunt chef; il reçoit aussi quelques « filles de 1)kap ».
D'autres s~p (trois ou quatre) sont nommés par le nouveau chef parmi ses fils arrivés à
l'âge d'homme, et qui se sont distingués par leur activité dans les sociétés coutumières de la
chefferie. Mais seul le premier s~p est considéré comme un grand notable.
Ces divers titres existent, sous des vocables à peine différents, dans toutes les chefferies de
la subdivision de Bafoussam ; il existe localement des titres d'importance secondaire comme
à Batié 1)wambe s~p.
Le fils aîné du chef (entendant par là l'aîné de ses fils né à la chefferie, car ceux qu'il pouvait
avoir eus avant d'être chef n'ont droit à aucun titre particulier) est l'objet d'une certaine consi-
dération et dans plusieurs chefferies reçoit un titre qui se transmet héréditairement. Il entre
de droit dans toutes les grandes sociétés de la chefferie.
Il s'agit à proprement parler de titres de noblesse, car ils confèrent une dignité qui est
intégralement transmise à la lignée des héritiers successifs; ces héritiers entrent de droit dans
toutes les sociétés réservées aux fils de chef.
Le titre porté par les héritiers successifs se compose du mot küipll, s~p, etc. suivi du nom
ùu fondateur. On dit par exemple 1)wafa Mbaka, s~p Nza1)ga. On désigne l'héritier du titre par
son titre suivi de son nom personnel, par exemple '!Jwafa Mbaka Chènjou, s~p Nza'!Jgà Kamga.
Chaque fils de chef, autre que l'héritier, est considéré comme fondateur de lignage.
Il « plante son dieu» de la même façon que le fils non héritier de n'importe qui; la seule
différence est qu'au lieu de partir de rien, de recevoir seulement de la terre, il reçoit (ou plutôt
il recevait) des serviteurs et quelques « filles de '!Jkap» du chef pour commencer son lignage.
Autrefois, un fils de chef né à la chefferie était, dans la portion de terre qui lui était attribuée,
un véritable potentat, redouté des simples habitants, car il participait à la nature sacrée du chef
et à sa toute puissance. L'usage était d'installer les fils de chef sur le pourtour extérieur de la
chefferie, et de leur donner une large portion des meilleures terres afin d'obliger ceux qui
viendraient s'installer là, à devenir leurs « clients» et leurs obligés. Il se créait autour d'eux des
noyaux de population vigoureusement commandés, qui formaient la première ligne de défense
de la chefferie en cas de guerre.
Les pa fa avaient le droit de voler impunément, en tous cas le chef n'était pas obligé de les
punir en pareille circonstance; cette notion remarquable se retrouve dans toutes les populations
du centre et du Nord Cameroun, et elle s'est implantée même dans les lamidats Foulbé: elle
résulte évidemment de l'idée que le fils du chef participe au pouvoir absolu du chef sur les hommes
et les choses.
Ces notions se sont considérablement affaiblies, mais elles subsistent encore, et les fils de
chef sont toujours craints. Chacun d'eux reçoit une portion de terre qui excède ses besoins, et
il rétrocède ce dont il n'a pas besoin à des gens de son choix (sans qu'il en résulte actuellement
pour eux d'obligations à son égard) ; il estime qu'il a des droits sur toutes les terres libres au
voisinage de la sienne.
66 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILÉKÉ
Par exemple, si un simple habitant devenu héritier va installer sa maison sur sa nouvelle
terre, en voulant continuer à cultiver l'ancienne, il arrive qu'un fils de chef du voisinage réquisi-
tionne la terre devenue libre et la donne à cultiver à ses femmes; l'habitant lésé va se plaindre
au chef, mais n'a pas forcément gain de cause, car le fils de chef n'a fait qu'appliquer une ancienne
coutume qui n'est pas encore tombée en désuétude.
Les filles du chef sont mariées aussitôt nubiles par le chef, sans être consultées le
plus souvent; selon la tradition, elles sont toujours mariées sous le régime ta 'lJkap et leurs filles
reviennent au chef.
C'est un principe si rigoureux qu'il s'étend, ainsi que nous le verrons, aux héritières des
mafo.
:f:tre femme de chef est pour une femme, la position sociale la plus élevée après celle de mafo.
Les femmes du chef reçoivent une portion de terre à cultiver dont elles gardent le produit
pour elles-mêmes sans rien donner au chef. Elles peuvent transmettre cette terre à leur héritière.
Il y a donc un certain nombre de femmes qui sont propriétaires de terrains.
Il n'y a pas de hiérarchie parmi elles, les titres de première et deuxième femme du chef
sont essentiellement honorifiques; il ne donne droit qu'à une maison plus grande et ù une part
plus importante dans les distributions.
Une jeune fille nouvellement épousée fait un séjour de plusieurs semaines dans la case d'une
des vieilles femmes du chef, qui sera sa marraine. Elle conservera par la suite, sa vie durant, un
respect particulier pour cette femme, qu'elle appellera « ma mère », et à laquelle elle demandera
d'arbitrer ses différends avec les autres épouses.
Les jeunes femmes qui n'ont pas encore enfanté n'ont pas droit à une case dans le quartier
des femmes, elles vivent ensemble dans des cases placées dans le fond de la chefferie, marquant
leur condition de « femmes étrangères ). A Bandjoun, l'emplacement réservé aux jeunes femmes
est situé sur la limite sud de la chefferie (nO 33 du plan). Quelques-unes vivent dans une maison
proche de celle du chef et sont chargées de préparer sa nourriture.
Toutes les femmes du chef ont librement accès chez lui et peuvent lui exposer de vive voix
leurs doléances.
De temps à autre, le chef fait une réunion de toutes ses femmes dans le là, une des plus
grandes cases de la chefferie; il leur parle familièrement, raconte des histoires, et la réunion
se termine tard dans la nuit par des chants et des danses; les plus jeunes femmes conservent une
attitude modeste et restent dans le vestibule de la salle de réunion.
Le chef fournit à ses femmes vêtements, sel, huile et fait entretenir leur maison. La possibilité
de vendre pour leur compte le produit de leur champ assure à la plupart des femmes de chef
une aisance relative (à noter qu'elles doivent assurer la nourriture et l'entretien de leurs enfants,
le chef ne s'occupe pas d'eux avant qu'ils aient atteint 8 à 10 ans).
Ces femmes sont respectées, circulent librement, vont vendre sur les marchés les produits
de leur récolte qui leur assurent une aisance très supérieure à celle des autres femmes ;" elles
voient rarement leur mari mais vivent parfaitement tranquilles, chacune maîtresse chez soi;
en fait, bien que l'affaiblissement de l'autorité traditionnelle leur donne la possibilité de s'enfuir,
la grande majorité d'entre elles n'ont aucune propension à quitter la chefferie. Non seulement
elles ne sont pas opprimées, mais dans plusieurs chefferies elles constituent les agents d'exécution
FONCTIONNEMENT DE LA CHEFFERIE 67
en lesquels le chef a le plus confiance, notamment quand il s'agit de convoquer les habitants
pour un travail.
Quand les rebelles furent maîtres de la chefferie de Batié, en 1~157, ils brûlèrent la chefferie,
chassèrent les femmes et emmenèrent avec eux en brousse le chef Youta, âgé et malade. Après
plusieurs mois de déplacements continuels, ils l'abandonnèrent au bord d'une route, parce qu'il
était épuisé et presque aveugle. On l'emmena à l'hôpital de Douala.
Il n'y avait plus de chefferie, plus de chef, et la structure traditionnelle paraissait à jamais
détruite. Les femmes de Youta avaient toutes les raisons possibles pour l'abandonner et rejoindre
qui leur plaisait. Pourtant la presque totalité lui demeurèrent fidèles.
Réfugiées chez leur père, chez leurs frères, pour les plus âgées chez leurs fils, elles continuèrent
à rester en relation entre elles, demandant des laissez-passer à l'administration pour aller à tour
de rôle visiter leur mari.
Autrefois l'adultère avec une femme du chef était puni de mort; maintenant il est sanctionné
par l'expulsion des deux coupables.
La fonction de première femme du chef est donnée à vie; elle résulte du choix, à la fois
par le chef et ses femmes. La première femme ne commande pas, mais peut arbitrer les différends.
Lors des danses, elle peut s'asseoir sur une chaise.:.statue ornée représentant une femme. Autre-
fois, quand une danse avait donné lieu à cette cérémonie, les femmes de la chefferie ne culti-
vaient pas le lendemain.
Dans toutes les chefferies, la première femme du chef commande les femmes dont les cases
sont situées d'un côté de l'allée principale; la seconde femme du chef commande de l'autre côté.
La première et la seconde femme du chef disposent souvent d'une maison construite, sur
ordre du chef, sur la terre qui leur est affectée et où elles pourront se retirer devenues veuves.
L'une et l'autre, ayant participé à l'initiation du chef au cours des neuf semaines de deuil,
sont réputées pouvoir comme lui, se changer en panthère et en divers animaux.
A la mort du chef, plusieurs de ses femmes quittent la chefferie pour s'établir sur leurs
terres, avec la possibilité de se remarier librement. Ce sont la mère de l'héritier (mafo), la mère
du küipll, la première et, dans plusieurs chefferies, la deuxième femme du chef.
Le statut des mafo a été décrit d'une façon tout à fait inexacte.
On compte par chef, soit deux, soit trois mafo :
- 1) Sa mère qui est la maro principale, ou si elle est déjà morte, son héritière;
- 2) La mère du nz~maro, s'il n'est pas de même mère avec le chef;
- 3) L'aînée des filles du chef nées à la chefferie.
Chacune d'elles reçoit le titre de maro X ... qui sera ensuite conservé par la ligne de ses
héritières.
Nous avons dit que la famille du chef était constituée de la même façon qu'une famille
ordinaire : la mafo joue exactement, vis-à-vis du chef, le rôle que joue auprès d'un homme
quelconque l'héritière de sa mère.
Quand il y a interruption de la ligne féminine, c'est-à-dire quand la mère du chef n'avait
pas d'héritière, on procède exactement comme pour une famille ordinaire: on nomme héritière
une fille du fils de la défunte, c'est-à-dire une fille du chef; elle recevra le crâne de la mafo et fera
68 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILÉKÉ
les sacrifices demandés par le chef; mais si la mafo était elle-même héritière et possédait des
crânes, ces crânes n'iront pas à l'héritière, mais à une sœur maternelle de la mafo ou à l'héritière
de celle-ci.
Voici par exemple comment ont été nommées à Batié trois mafo à l'avènement du chef Youta :
Mafo Boum
,
Nzamafo Youngce
""
"" ~
Ganhalè
Mwélice
Le chef Youta a nommé Nzamafo son cousin Youngœ. La mère de celui-ci, Mboum, a été
nommée mafo; d'autre part il a nommé mafo sa fille aînée Mwéliœ; enfin, sa mère Gangoum
étant morte sans héritière (elle n'avait que des fils), il a nommé héritière et mafo principale une
de ses filles Ganhalè qui a pris le titre de mafo Gangoum. Elle a reçu le crâne de Gangoum, mais
non les crânes de la mère et de la grand'mère de celle-ci dont elle était l'héritière. Ces crânes sont
allés à Mboum, sœur de Gangoum, ce qui est tout à fait normal, car cette attribution rétablit
entre N .'" M... , Mboum et les filles de celle-ci une ligne féminine continue.
Mpetchom
héritière
actuelle
Nkoundem était la mère du chef Kamgan, père du chef actuel de Batié, Youta. Elle est
morte sans avoir eu de fille, c'est pourquoi le chef Kamgan a choisi une héritière parmi ses
propres filles; l'héritière a actuellement 35 à 40 ans; elle détient, outre le crâne de Kkoundem,
celui de la mère de celle-ci, Ndoumnè, cela parce que la famille maternelle de Ndoumnè était
complètement éteinte.
Mafo Nkoundem a eu de nombreux descendants, car ses deux fils ont été de grands poly-
games. Nous prendrons seulement quelques exemples pour montrer que les liens du culte des
ancêtres sont les mêmes que dans une famille ordinaire.
FONCTIONNEMENT DE LA CHEFFERIE 69
Simo peut faire le sacrifice à mafo Nkoundem mais ses enfants ne pourront pas.
1\1petchom est dans le même caô.
Le chef Youta peut faire le sacrifice.
Pour les enfants de Youta, il y a deux cas :
1) Les enfants issus de veuves héritées de Kamgan peuvent faire le sacrifice car ils sont
considérés comme fils de Kamgan autant que comme fils de Youta ;
2) Les autres enfants ne le peuvent pas;
3) Pour l'héritière elle-même, sa fille héritière pourra faire le sacrifice (et toutes les autres
héritières après elle) mais ses autres enfants ne peuvent pas, car ils ne sont plus reliés à mafo
Nkoundem, comme ils l'auraient été s'il n'y avait pas eu rupture de la ligne féminine.
Pour établir la mafo, le chef lui donne comme à un de ses fils, une terre, un champ
de bambous, et quelques filles de serviteurs qu'elle mariera à son profit, sous le régime la '(}kap;
elle échangera leurs filles contre des femmes pour ses fils. Cet usage persiste de nos jours. Autrefois,
le chef donnait par surcroît à la mafo des serviteurs dont les descendants resteraient au service
de ses héritières successives. Actuellement cet usage a disparu, mais un certain nombre de
familles de serviteurs sont restées au service des mafo; quand on parle du village d'une mafo,
il faut entendre, outre sa maison, celle de ses serviteurs.
On a écrit que la mafo choisissait son mari et avait droit à l'adultère. Il faut bien distinguer
le cas de la mère du chef, qui, si elle est encore en âge de se remarier, choisit son mari, et celui
des héritières de mafa, qui sont mariées d'office par le chef comme n'importe laquelle de ses
filles, éventuellement à un serviteur, sous le régime la '(}kap. Les fils de la mafa appartiennent
à son mari, ses filles appartiennent au chef. C'est là une règle absolue qui ne comporte aucune
dérogation.
Quant au droit à l'adultère, il a peut-être existé localement, mais dans les chefferies étudiées
ici il n'est pas admis et il ne semble pas qu'il l'ait jamais été; le mari de la mafa peut avoir
d'autres épouses; en fait, comme pour les autres femmes, la vie de la mafo en tant qu'épouse,
est entièrement séparée de sa vie en tant qu'héritière d'une ligne d'aïeules.
La mafa partage sa vie entre le village de son mari et son propre village. Elle fait cultiver
ses terres par ses serviteurs.
Par exemple, la vie de la mafa N/wundam actuelle a été celle-ci: à l'âge de 7 ans son père
l'a fait appeler et lui a fait faire le sacrifice sur le crâne de sa grand'mère. L'ayant ainsi désignée
comme mafo, il lui a remis les bijoux et plus tard la terre de Nkoundem, lui a donné des champs
de bambous et des filles dont la dot serait pour elle (il les a en fait reprises ultérieurement).
A 18 ans, elle a été mariée comme n'importe quelle autre fille du chef. Elle vivait alternativement
chez son mari et sur sa terre qu'elle n'a jamais cessé de faire cultiver. Actuellement elle est
veuve et vit sur sa terre. Elle a une fille qui, considérée comme appartenant au chef, a été mariée
par lui.
La jeune mafa est admise dans la société coutumière fondée par le chef régnant (à Batié
le kwimlà). Pendant deux séances consécutives (à huit jours d'intervalle), elle régale la société.
Il faut ensuite qu'elle soit agréée par les héritières. des mafa précédentes.
Le titre de mafa est d'autant plus considéré qu'il se rattache à un ancêtre plus rapproché
du chef régnant.
Les héritières des mafo sont entourées d'une grande considération; elles entrent de droit
dans la société nye réservée aux fils du chef. Dans leurs quartiers elles président des sociétés de
femmes.
Dans plusieurs chefferies, notamment à Balessing, il y a des mafo chefs de quartier.
6
70 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILÉKÉ
Par serviteurs du chef on désigne les serviteurs en exercice, qui sont en très petit nombre,
et surtout les héritiers des serviteurs des anciens chefs; tout serviteur qui a terminé son temps
au service du chef, reçoit de lui une ou plusieurs femmes selon les fonctions qu'il a remplies
et la façon dont il a servi. S'il n'est pas lui-même héritier, il fonde un lignage et ses héritiers
successifs sont encore qualifiés de serviteurs, bien qu'en général ils ne remplissent aucune fonction
effective auprès du chef.
La qualité de serviteur du chef est regardée comme honorable et place au-dessus du simple
habitant; c'est que dans cette théocratie, la fonction de serviteur ne répond pas seulement-ù
une nécessité matérielle ; elle est comme une échelle placée entre l'homme et le divin; elle peut
mener aux plus hautes dignités.
Il n'y a qu'une classe de serviteurs, mais ils servent de deux façons entièrement différentes,
ct, comme disent les Bamiléké parlant français, dans deux « cadres II entièrement distincts.
Les lfo fo sont les serviteurs personnels du chef, qui vivent à proximité de sa résidence et
remplissent les fonctions domestiques; les plus doués d'entre eux sont les conseillers intimes
du chef, et sans recevoir aucun titre particulier, ont une grande influence sur lui.
Les lfo fo ne font partie d'aucune société coutumière (sauf une petite société d'entr'aide)
et ne peuvent pénétrer dans les places interdites de la chefferie.. Leur fonction ne comporte en
elle-même aucune hiérarchie, et au premier abord ils peuvent paraître irrémédiablement abaissés.
Nous verrons cependant qu'il n'en est rien.
Les lfo fo commencent leur service tout jeunes, à l'âge de 7 ou 8 ans. Autrefois, quand ils
étaient nombreux, un certain nombre d'entre eux étaient affectés au service des femmes du
chef, pour s'occuper des enfants. Chaque enfant de chef, garçon ou fille, commençant à marcher,
était porté et surveillé par un enfant serviteur de 7 à 8 ans, qui dormait dans la case de sa mère.
C'était ce qu'on appelait les nde fo (parrain du chef) ou za po (porteur d'enfant). Ce service durait
jusqu'à ce que l'enfant du chef eut atteint l'âge de 7 ou 8 ans. Le nde fo poursuivait son service
à la chefferie comme serviteur personnel du chef.
Un lien subsistait la vie durant entre le fils du chef et son « parrain ll. Le nde fo devait l'aider
à construire sa case et intervenir auprès du chef en sa faveur quand le temps était venu de lui
donner des filles en mariage... car, en pays Bamiléké, un serviteur peut parler familièrement au
chef, alors qu'entre lui et ses fils adultes règne le plus souvent la gêne et la méfiance.
L'institution des nde fo a duré jusqu'en 1930 environ. Les fils de chef qui ont, en 1955,
25 à 27 ans, sont les derniers à avoir eu des nde fo. Actuellement les plus grands des enfants du
chef s'occupent des plus jeunes. .
On continue à appeler familièrement nde fo les serviteurs du chef du cadre des lfo fo.
Parmi les lfo fo, un certain nombre des plus âgés et des plus sérieux recevaient le titre de
la ndia (père de la maison) et étaient chargés du commandement d'un groupe de jeunes avec
lesquels ils cohabitaient.
Les lfo fo n'avaient pas le droit de se marier jusqu'au moment où ils quittaient la chefferie.
Cette règle tend à s'assouplir; on voit actuellement dans plusieurs chefferies, des serviteurs
mariés qui rentrent chez eux le soir.
PL. VIII
L'influence occulte des IJo fo est considérable, car ils vivent en contact permanent avec le
chef. Dans plusieurs chefferies, comme Bandjoun, on admet que si, par extraordinaire un chef
mourait sans avoir régulièrement indiqué le nom de son successeur aux notables du kamvu',
on irait interroger ses IJo fo de confiance pour savoir quelle était sa pensée.
Au cours de notre séjour dans la chefferie de Bahouan, le chef (un vieux chef très respecté)
avait accepté de nous vendre un masque; il partit le chercher puis revint tout penaud, ses
serviteurs s'opposant à la vente! Il dut discuter ferme et partager le prix avec eux.
Les rJwala.
Le second cadre de serviteurs est constitué par ce qu'on peut appeler les serviteurs-prêtres,
bien qu'ils ne remplissent pas tous des fonctions sacrées, car, dès leur plus jeune âge, ils peuvent
pénétrer dans les places interdites de la chefferie. Ils ne vivent pas dans le voisinage immédiat
du chef et ne remplissent pas auprès de lui des fonctions domestiques.
Il y a dans ce cadre quatre fonctions constituant les échelons d'une hiérarchie; sous des
noms divers elles sont aisément reconnaissables' dans toutes les chefferies:
- Les pOrJwa (1) sont des enfants parmi lesquels sont recrutées les catégories suivantes;
ils commencent leur service à l'âge de 7 ou 8 ans et vivent par groupes de 4 ou 5 dans des cases
situées dans les places interdites de la chefferie, sous la direction de serviteurs plus âgés. Ils sont
chargés de la surveillance de ces places et servent d'aides aux serviteurs des catégories plus
élevées. Ils n'ont pas de costume ni d'insigne particulier.
- Les m.k~m rJgs (N) sont les gardiens des lieux de culte de la chefferie.
- Les m.kam ou adjoints de rJwa1a sont les représentants du chef dans les quartiers;
on les désigne dans quelques chefferies par l'expression la msnjia ou la lljia (père du chemin)
qu'il ne faut pas confondre avec la ndia (père de la maison).
Les rJwala-adjoints ont droit au pagne batik qui passe entre les jambes, et portent un voile
d'étoffe indigène rouge surmonté d'un bonnet noir sans ornement. .
- Les rJwa1a, à la fois ministres et prêtres des ancêtres du chef, disposent d'un pouvoir
considérable et ce sont eux en fait qui dirigent les affaires courantes de la chefferie; le ëhef
ne prend aucune décision sans les consulter. Leur nombre et leurs fonctions varient selon les
chefferies, mais on trouve partout la fonction de rJwa1a ka', premier serviteur de la chefferie,
chargé des sacrifices aux crânes des ancêtres du chef; le rJwala ka' commande en l'absence du chef.
Dans plusieurs chefferies, les rJwala jugent en conciliation et ne présentent devant le chef
que les causes les plus graves.
(1) Singulier mUT/wa; le mot signifie: enfants de T/wala, c'est-à-dire élèves T/wala.
72 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILÉIi:É
Les ?)wala portent le pagne batik et un voile coiffé d'un bonnet noir orné de cauris. Pendant
leur temps de service ils se font construire un hameau par les habitants et quand ils quittent la
chefferie, le chef donne à chacun d'eux plusieurs femmes. Les nombreux et importants lignages
fondés par les anciens ?)wala témoignent de l'importance qui est attachée par les chefs à leur
fonction.
Les ?)wala entrent de droit dans toutes les grandes sociétés coutumières de la chefferie.
On ne peut aller plus loin dans l'étude de cette catégorie de serviteurs qu'en étudiant indivi-
duellement une chefferie car leur nombre, leurs fonctions, leur temps de service, etc., varient
considérablement d'une chefferie à l'autre.
Il existe à ce sujet une règle absolument nette admise dans tout le pays Bamiléké.
- Le fils d'un ?)wala entrera à la chefferie comme lIa fa;
- Le fils d'un lIa fa entre à la chefferie comme pa?)wa c'est-à-dire élève ?)wala.
La justification que les Bamiléké donnent de cette règle est que nul ne peut être, du vivant
de son père, membre de la même société coutumière; mais il est permis de penser qu'il y a là
une intention plus profonde et qu'il est conforme à l'esprit de la société Bamiléké d'empêcher
la cristallisation d'une caste de privilégiés et d'une caste de parias. La fonction de serviteur est
une échelle placée entre l'homme et le divin; dans l'orbite du chef, nul ne doit être irrémédia-
blement abaissé. Si le lIa fa l'est dans sa personne, il ne doit pas l'être dans sa descendance.
Autrefois, chaque serviteur quittant la chefferie donnait un fils au chef quand il avait
enfanté un nombre suffisant de fils pour assurer sa descendance; sinon il ne devait rien.
Quand on compare les chefferies Bamiléké aux lamidats Foulbé, on ne peut manquer d'être
frappé par d'impressionnantes analogies; dans l'un et l'autre cas le chef tient la balance égale
entre les nobles, qu'il couvre d'honneurs mais en lesquels il n'a pas confiance, et les notables
serviteurs. Mais la chefferie Bamiléké, autrement enracinée dans la terre africaine, a su élaborer
des lois singulièrement plus humaines et plus intelligentes. On ne voit en pays Bamilékè rien
qui rappelle la dégradation, la misère morale des hommes de caste serve des lamidats Foulbé.
Le drame des serfs des Foulbé est que, mariés sans dot avec une femme serve; ils n'ont aucun
droit sur leurs enfants qui, aussi bien fils que filles, dès leur plus jeune âge entrent au service
du maître; l'instinct profond de l'Africain de constituer un lignage et de lui faire prendre racine
dans le sol s'éteint chez eux; ils ne sont plus que de pauvres gens sans ressort, courbés sous
l'arbitraire; maladies vénériennes, dénatalité, disparition de tout lien défini entre l'homme et
la terre sont les fléaux de cette population dont rien ne semble pouvoir enrayer la décadence.
En pays Bamiléké, rien ne peut altérer le lien entre le père et les fils et par conséquent rien
ne peut empêcher un homme de fonder un lignage; la circulation des femmes, sous le régime
la ?)kap ou sous le régime dotal, joue évidemment à cet égard un rôle important, mais l'essentiel
demeure le lien entre le père et les fils. Les chefs ont toujours favorisé la création de lignages
par leurs serviteurs, parce que leur commandement, loin d'être fondé sur l'arbitraire, ne peut
reposer que sur un équilibre harmonieux de la société.
Les ?)wcimbe.
Les ?)wumba (N), ?)wumbe (T), wumba (Bamendjou), représentent le sommet de la hiérarchie
des dignitaires serviteurs; ils sont assimilés aux fonle (sous-chefs). On a comparé cette nomination
à un anoblissement. C'est plus que cela. Le ?)wumbe participe à la qualité suprahumaine du chef
FONCTIONNEMENT DE LA CHEFFERIE 73
et reçoit les attributs de chef: chaise sculptée, droit d'orner ses portes de sculptures, droit de
fonder pour ses descendants une société nye analogue à celle des fils de chef, possédant l'instru-
ment magique küifo (double cloche en fer).
L'élévation au rang de rJwiimbe sanctionne une réussite sociale indiscutable et une fidélité
inébranlable au service du chef, pendant plusieurs générations d'une ligne d'héritiers de grands
serviteurs. Elle est très rarement accordée, d'abord parce que les chefs ne veulent pas en diminuer
le prestige, ensuite parce que le postulant doit verser au chef un paiement écrasant, notamment
7 filles (et non 7 chèvres comme les chefs interrogés sur cette question répondent habituellement).
Il n'y a pas d'ordinaire plus de 7 à 8 rJwiimbe par chefferie.
. (Il ne faut pas confondre avec le titre purement honorifique de rJwiimbe sap décerné dans
plusieurs chefferies, dont Batié, à quelques fils de chef. Un fils de chef ne reçoit jamais d'attributs
de la qualité de chef et ne peut jamais fonder de société nye.)
L'intronisation des rJwambe se fait d'une façon semblable à celle des chefs. Ils font retraite
pendant neuf semaines dans leur case, en compagnie de membres du kamvü' qui les initient et
font entrer en eux les forces magiques -le ke - qui transforment leur nature d'homme ordinaire
en une nature de chef.
Les rJwiimbe sont généralement nommés chefs de quartier, au moins chefs de sous-quartier;
on reconnaît le hameau d'un rJwiimbe à l'enclos carré en lattes de palmier de leur société nye,
visible dans un angle de leur Il place de lamentation ll. Pendant neuf semaines de l'année de ke,
un jour par semaine, différent pour chaque rJwiimbe, les membres de sa société nye, revêtus de
cagoules et dissimulés à l'intérieur de l'enclos, frappent le küifo, sur un rythme analogue à celui
de la société nye des fils de chef, mais plus simple (ils n'ont qu'un küifo au lieu de sept) et sans
pouvoir s'accompagner du tambour. On peut s'entr'aider d'une société nye à l'autre pour grossir
le nombre des exécutants. Les fils de chef peuvent assister aux séances de n'importe quelle
société nye et reçoivent à cette occasion des cadeaux en argent, mais la réciproque n'est pas
admise.
A la mort d'un rJwiimbe on partage son héritage comme on fait pour un chef, en nommant
un küipu.
Les ta mbua.
Les héritiers des ta mbua forment les cadres de la société Njia de la chefferie, société dont
l'activité est très secrète et qui semble avoir pour but de pratiquer la divination au profit du
chef et de son entourage, ainsi que des rites de protection et des rites agraires.
Le n.tha rJgs.
Le n.tha rJge est un serviteur du chef remplissant des fonctions particulières, dont on retrouve
l'équivalent dans bien des civilisations présentes et passées. C'est (1 l'homme impur ll, exerçant
des fonctions obligeant à enfreindre tous les interdits. C'est lui qui allume le jeu dans les cases
des sociétés coutumières avant les réunions, pénétrant dans les lieux interdits aux hommes
ordinaires. C'était autrefois l'exécuteur des hautes œuvres. Le n.tha rJge vit dans une case isolée
74 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILÉKÉ
dans les « fond)) de la chefferie. On ne peut le toucher, et le chef ne doit pas le voir. Il ne peut
se marier (on choisit en fait un vieillard sans famille). Réciproquement il n'est pas soumis aux
lois qui régissent la vie sociale. Il prélève ce qu'il veut sur les provisions apportées par les membres
des sociétés coutumières pour leurs réunions.
D'après des informations que nous n'avons pu vérifier, dans quelques chefferies le n.lha yys
serait l'homme qu'on a choisi à la mort du chef pour ouvrir le deuil, nlu vû, le chargeant ainsi
de l'impureté atteignant la population.
Dans les chefferies que nous avons visitées, c'est un personnage distinct du nlu vû.
Nous avons dit que le chef exerce par héritage les droits du la ykap sur environ un septième
des femmes de son territoire; la façon dont il exerce ce droit diffère assez sensiblement de la
coutume ordinaire; c'est pourquoi nous avons préféré revenir ici sur ce sujet.
Le chef peut céder ses « filles de ykap)) de deux façons :
1) A la façon ordinaire, moyennant le reversement de toutes les filles à naître: c'est ce qu'il
pratique vis-à-vis des simples habitants. Autrefois le chef mariait d'office, sous ce régime, les
célibataires de son territoire, car il fallait, pour assurer la survivance de la chefferie et réparer les
pertes des guerres, que tout le monde fût marié aussi jeune que possible. Actuellement le chef
ne dispose plus d'assez de filles pour cela, mais il est de son devoir d'en donner une à tout habitant
sans fortune qui lui en fait la demande. L'habitant fait à cet effet un cadeau au chef, en général
une chèvre et une caisse de bière.
2) Moyennant le reversement d'une seule fille. C'est ainsi qu'il pratique vis-à-vis de ses
serviteurs. Pour chaque femme reçue, le serviteur devra rendre une fille. C'est une dette absolue
et imprescriptible: si la femme n'a pas de filles, le serviteur (ou son héritier) devra donner une
fille née d'une autre femme.
3) Vis-à-vis de ses fils, le chef demande une fille pour l'ensemble des femmes données.
Par exemple si un fils de chef reçoit de son père cinq filles en mariage, il devra rendre une fille.
La nécessité d'établir ses fils entraîne donc une diminution constante du nombre des «filles
de ?Jkap» à la disposition du chef, et la coutume avait prévu les moyens de le renouveler sans
cesse (ce qui réduit à néant la légende d'une classe de pauvres femmes esclaves opprimées par
les chefs).
Ces moyens sont essentiellement les droits d'entrée dans les sociétés coutumières et les
héritages.
Pour chacune des grandes 'sociétés KW'l'si, Kwimlà, Kumnjia, le postulant doit donner une
fille au chef. Chaque héritier d'un ?Jwàmbe, pour pouvoir entrer en possession du titre, doit
verser une fille au chef (sinon celui-ci lui reprend l'instrument magique küifo).
Enfin, dans chaque héritage de grand notable où l'héritier est mineur, le chef intervient
pour partager les veuves entre les frères; il garde une ou deux filles pour prix de son intervention.
On peut estimer qu'à l'heure actuelle, les « rentrées» sont loin d'équilibrer les « sorties» et
que le nombre de « filles de ykap» des chefs va en diminuant rapidement dans la plupart des
chefferies. Cette diminution est particulièrement rapide dans certaines chefferies où des chefs
ivrognes et prodigues ont pris l'habitude (contraire aux usages anciens) de céder complètement
sous le régime dotal leurs « filles de ?Jkap», pour remplir leurs caisses constamment vides.
FONCTIONNEMENT DE LA CHEFFERIE 75
Les sous-chefs sont des chefs réduits à la vassalité, commandant un territoire inclus dans le
territoire de la chefferie, mais conservant une large autonomie interne. La sous-chefferie a une
organisation exactement semblable, en plus condensé, à celle de la chefferie; elle conserve ses
propres sociétés coutumières.
Les sous-chefs se tiennent à côté du chef pendant les cérémonies coutumières, notamment
quand il va rendre visite à un chef ami; ils occupent les premières places dans les grandes sociétés
de la chefferie.
A la même catégorie appartiennent les chefs réfugiés, que l'on trouve dans quelques chefferies.
On ne les a pas nommés sous-chefs parce qu'ils n'avaient pu sauver un noyau suffisant de leurs
sujets; ils vivent comme les simples habitants de la chefferie qui les a accueillis, mais conservent
leur titre fo X, chef de X et leurs attributs, notamment un siège sculpté. C'est le cas par exemple
de Fo Gengé dont la famille est réfugiée dans le quartier de Tousanhé à Bafoussam depuis
plusieurs générations.
français) en lesquelles peuvent se changer les neuf notables sont supposées résider dans une
petite case entièrement fermée, sans porte, placée sur le sim lu:.
Les membres du kam vû' interviennent dans la désignation du nouveau chef, en tant que
dépositaires des dernières volontés du chef défunt. Si par extraordinaire un chef mourait sans
avoir expressément désigné son héritier, ils pourraient être appelés à choisir parmi ses fils, le
successeur.
Une fois le chef nommé, ils ne constituent en aucune façon un conseil de gouvernement et
n'ont aucune part à la gestion de la chefferie; mais on pense que, s'ils marquaient leur désappro-
bation à l'égard du chef en cessant d'exercer leurs fonctions, il serait obligé de se démettre.
Justice coutumière.
La justice coutumière est rendue chaque semaine, le jour du marché; les causes sont d'abord
entendues en conciliation par des assesseurs qui, dans certaines chefferies sont les f)wala, dans
d'autres des notables de la famille du chef.
Les causes les plus couramment portées devant le chef sont par ordre de fréquence:
- Filouteries (dettes non remboursées, locations non payées sous prétexte qu'il s'agissait
d'un prêt, etc.). Ce genre d'affaires est aussi commun chez les villageois Bamiléké que dans le
reste du Cameroun: ils poursuivent avec âpreté le recouvrement de leurs créances, mais quant
à leurs dettes, la plupart d'entre eux ne les paient que contraints et forcés, après avoir usé de
toute la mauvaise foi possible. Cette tendance provoque de nombreux procès, assez facilement
réglés d'ordinaire, car la coutume possède un riche arsenal d'épreuves fondées sur la suggestion
et la peur, pour faire rendre gorge aux débiteurs malhonnêtes.
- Contestations sur les ventes ou locations des champs de bambous;
- Déprédation dans les champs par des animaux domestiques ayant franchi les clôtures,
et qui sont tués ou mutilés par le propriétaire du champ (ceci dans les chefferies où l'obligation
de clore n'est plus observée) ;
Contestation sur la désignation d'un héritier;
Enlèvement de filles ou de femmes; demande d'indemnités ou de remboursement de dot;
Plus rarement : accusation de meurtre par sorcellerie.
Dans la mesure du possible, le chef s'efforce de juger par application d'un point de droit
coutumier, en faisant appel à la jurisprudence, c'est-à-dire au souvenir conservé par les vieillards
de jugements rendus dans des cas semblables.
Si l'affaire est confuse, ce qui arrive souvent, on fait appel à des épreuves judiciaires (f)gwa).
Ces épreuves ne sont pas pratiquées en présence des européens, mais on ne fait pas de
difficultés pour leur raconter en détail ce qui s'est passé.
Les épreuves pratiquées couramment à Batié sont les suivantes :
- L'épreuve par la tortue est très généralement pratiquée pour les accusations de sorcel-
lerie, d'adultère, ou de malhonnêteté.
Le chef fait apporter une tortue; on la place devant l'accusé qui prononce sur elle ces
paroles: « le monde est méchant, je ne connais rien de cette affaire (dont on m'accuse) ; tu vas
retirer cette accusation de moi ».
Si la tortue se dirige vers le chef, l'accusé est innocent; dans le cas contraire, il est coupable.
En fait l'épreuve est rarement concluante, car l'accusé peut la récuser si elle lui est défavo-
rable, non qu'il en conteste le principe, mais en accusant les f)wala d'avoir faussé l'épreuve en
disposant les assistants de façon à effrayer la tortue et à perturber son mouvement vers le chef.
En fait, l'épreuve consiste après avoir tué la tortue, à en manger le cœur en prononçant une
imprécation contre soi-même au cas où l'on serait coupable. Si deux plaideurs s'accusent récipro-
quement, le chef peut leur ordonner de manger chacun la moitié du cœur de la tortue.
Cette épreuve donne toute satisfaction aux villageois Bamiléké qui ont en elle la plus grande
confiance; les accusés sont les premiers à demander à se justifier de cette façon.
- Faire arrêter l'homme accusé d'être un homme panthère malfaisant et le faire ligoter
pendant quelques jours; on pense en effet qu'ainsi réduit à l'impuissance, il ne peut plus faire
agir sa panthère. Si les déprédations ne cessent pas, on pourra conclure qu'il était innocent.
78 LA STRUCTURE SOCIALE DES RAMILÉIlÉ
La pierre sacrée de la chefferie, conservée dans la case de la société Msap. L'accusé est
invité à frapper le sol avec cette pierre en prononçant des imprécations contre lui-même au cas
où il mentirait. Sa mort surviendrait alors rapidement. On peut aussi lui imposer de prononcer
des imprécations contre lui-même (na ma' nzem), « jeter le serment)) devant un des lieux de
sacrifice, t/iap, de la chifferie.
- Pour l'accusation de meurtre par sorcellerie, l'accusé est invité à manger de la terre
du tombeau en prononçant « que Untel me tue si je suis son assassin )).
- Pour les dettes non remboursées aux héritiers d'un défunt, l'accusé est invité à « manger
la tête du mort)), c'est-à-dire qu'on gratte sur le crâne du défunt des parcelles d'os qu'il doit
avaler en prononçant la même imprécation.
- Les kadi (poisons d'épreuve) sont plus spécialement utilisés pour départager deux
plaideurs qui s'accusent réciproquement; il s'agit actuellement d'une épreuve par suggestion,
le liquide bu étant inoffensif; il est supposé amener la mort du coupable dans un délai plus ou
moins bref. .
Les maladies le plus communément imputées à la sorcellerie sont la toux persistante, les
crachements de sang (imputés aux moustaches de panthère) ; si un homme avant de cracher le
sang avait mangé chez quelqu'un, il l'accuse aussitôt.
La divination par l'araignée, couramment pratiquée par les Bamiléké, ne parait pas être
admise en justice.
Les malheurs frappant collectivement la population, tels que la sécheresse, les épidémies,
donnent lieu à des épreuves de justification ordonnées par le chef, et confiées à des magiciens
appelés mat/wa (N). Les habitants adultes du quartier en cause, ou même de toute la chefferie,
sont invités à passer l'un après l'autre devant le mat/wa, à boire un peu du liquide magique qu'il
a préparé en prononçant « si je connais quelque chose de cette affaire, que je meure)).
On peut s'étonner de voir des chefs disposant jusqu'à une époque toute récente, d'un pouvoir
absolu, s'en remettre à des épreuves judiciaires pour trancher la plupart des procès. En fait,
pour les Bamiléké comme pour les populations tribales en général, le véritable juge, c'est la
croyance; la véritable sanction, c'est la sanction suprahumaine, exercée par les ancêtres et les
dieux des lignages, sous forme de malheurs et de maladies. Dans ces conditions, juger, ce n'est
pas rechercher la vérité complète et trancher le procès selon l'équité rigoureuse (comment le
pourrait-on, d'ailleurs? La plupart des affaires sont confuses, la bonne foi des témoins douteuse,
les droits contestés remontent à plusieurs générations et sont impossibles à vérifier en l'absence
de preuves écrites).
Juger, c'est mettre les plaideurs dans l'obligation de prononcer contre eux-mêmes des
imprécations comportant une sanction suprahumaine, s'ils sont de mauvaise foi.
Ainsi, à moins que l'un des plaideurs n'ait agi d'une façon évidente à l'encontre du droit
coutumier, il est indispensable de recourir à l'épreuve judiciaire, qui résulte directement des
croyances religieuses. Le pouvoir de suggestion de ces épreuves est tel que le plaideur de mauvaise
foi perd souvent courage au moment de la subir.
Une autre fonction de l'épreuve judiciaire est de faciliter l'exécution des jugements. Les chefs
répugnent à employer la force pour faire exécuter des jugements de droit privé (remboursement
de dettes, etc.) ; la crainte des sanctions suprahumaines résultant du faux serment remplace
l'avoué et l'huissier.
Voici un exemple de cause jugée à plusieurs reprises devant les notables de Batié et dans
laquelle, à deux reprises, une épreuve judiciaire a eu raison de la mauvaise foi acharnée d'un
plaideur.
PL. IX
T ... , âgé de 14 ans en 1942, avait reçu de A... la promesse de lui donner en mariage sa fille B ... ,
alors âgée de 5 ans. T ... , avec l'aide de son père, commença à verser, donnant notamment
6 chèvres, une calebasse d'huile et 110 francs (1942). Sur ces entrefaites, A... mourut. T ... participa
aux lamentations, tirant de nombreux coups de fusil.
Too. attendit deux ans pour aller demander à l'héritier quelle suite il comptait donner à
l'affaire. Cet héritier, qui avait été son camarade d'école et avait assisté aux versements, répondit
évasivement, prétendant que A... , sur son lit de mort n'avait pas parlé de cette dette. Too. avait
sans doute versé des chèvres, mais qu'est-ce qui prouvait que ce n'était pas en remboursement
d'une dette antérieure?
Furieux, T... exigea alors d'être so.umis à l'épreuve judiciaire: (( manger la tête du père II
ce qui" eut lieu devant témoins. L'héritier s'inclina et reconnut la dette, mais il ne remboursa
pas pour autant.
Sur ces entrefaites, T... quitta le pays pour aller en ville apprendre un métier. Pendant son
absence la fille Boo. fut mariée à un habitant quelconque.
T ... laissa dormir l'affaire pendant 12 ans. Il considérait cette dette comme un capital dont
la valeur ne pouvait qu'augmenter, et qu'un jour on devrait lui rendre avec les intérêts: le croît
du troupeau.
En 1954, il alla en conciliation devant les notables de Batié. Ceux-ci décidèrent qu'on devrait
lui rendre 8 chèvres, une calebasse d'huile et 1.000 francs. Il n'accepta qu'à contre-cœur, préten-
dant qu'en 12 ans, ses 6 chèvres avaient quadruplé de nombre. Il demandait aussi le
remboursement des coups de fusil tirés aux obsèques de T ... : (( Si ce n'était à titre de gendre,
je ne pouvais pas, je ne devais pas tirer ces coups de fusil ll. Quant à l'héritier, il ne faisait toujours
pas mine de payer quoi que ce soit.
En février 1954, les enfants de A ... célébraient la lamentation de leur mère. T... surgit au
milieu de la cérémonie, arrêtant le tambour. Selon la coutume, on ne peut pas continuer la
cérémonie sans avoir arrangé le différend. Les enfants de A... étaient menacés de la vengeance
de l'âme de la défunte, privée de ses honneurs funèbres; la mort dans l'âme ils s'engagèrent par
écrit à verser dans les deux mois ce qui avait été prévu en conciliation. .
En juin 1955 ils n'avaient toujours rien versé.
Le plaignant ne perdait cependant pas espoir d'être remboursé: un jour ou l'autre, l'héritier
de A ... sera en proie à l'adversité, et les devins ne manqueront pas de lui représenter qu'il est
malade par l'effet de ses engagements non tenus: il s'empressera alors de payer sa dette.
A l'égard des accusations de sorcellerie que les habitants formulent sans cesse vis-à-vis les
uns des autres, le chef intervient en conciliateur, en empêchant toujours le pire, c'est-à-dire
l'explosion de la fureur populaire contre un malheureux accusé à la légère. A force de servir
d'arbitre dans des affaires de ce genre, le chef est sceptique, sinon sur le fond même de ces
accusations, tout au moins sur la possibilité de savoir la vérité, et n'emploie qu'avec une circons-
pection extrême les moyens prévus par la coutume. Son action consiste le plus souvent à faire
traîner l'affaire en longueur, sachant qu'à la longue l'accusation finira par tomber.
Par exemple, si des habitants viennent porter plainte contre un de leurs voisins, notoirement
connu comme (( ayant une panthère dans le ventre ll, parce qu'ils pensent que c'est sa panthère
qui égorge nuitamment leurs chèvres, le chef convoque l'accusé. S'il nie (( avoir une panthère II
on le soumet à l'épreuve de la tortue; cela n'est pas toujours convaincant pour les voisins, mais
ils ne peuvent poursuivre l'accusation. Si l'accusé reconnaît (( avoir une panthère II mais affirme
que cette panthère ne s'attaque jamais aux hommes ni aux animaux domestiques, le chef envoie
ses serviteurs parler aux principaux notables du quartier connus pour avoir une panthère et leur
demande de faire eux-mêmes la police à l'intérieur de leur société... pendant ce temps la panthère
peut avoir été tuée ou être partie, et l'accusation tombe.
80 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMIL~I(l~
En fait, il faut une série de coïncidences extraordinaires, jointes à une très mauvaise réputa-
tion, pour que le chef agisse effectivement contre un accusé. Il peut employer par ordre de gravité
les sanctions suivantes :
- Envoyer ses serviteurs lui « couper les plantains ), na ko kalo (N). Cette opération est
liée à la croyance que l'homme changé en animal reste relié à son corps par un des plantains
de sa concession. Si ses plantains sont coupés, il est mis hors d'état de poursuivre son action
magique.
- Le frapper d'une amende ou d'une corvée.
- L'expulser du territoire de la chefferie.
L'expulsion signifie en même temps la ruine matérielle et le déshonneur; c'est une sanction
si grave qu'elle n'est prononcée que dans des cas exceptionnels:
- Vol grave,
- Adultère avec une femme du chef,
- Refus systématique de remplir ses obligations coutumières et mauvaise volonté systéma-
tique à l'égard du chef. Il y a eu un cas d'expulsion à Batié en 1952 et deux en 1955. C'est dire
que cette coutume reste pleinement vivante.
Les membres de la société Manj[}'1J du chef se rendent chez le coupable pour lui « couper le
village )l, lm he (T) (1) ; cette pittoresque expression rend exactement compte de l'opération:
tout est coupé au ras du sol depuis les murs de la case jusqu'aux légumes. La cendre du foyer
est jetée au visage du coupable qui n'a plus qu'à s'enfuir et à se perdre dans les faubourgs de
Douala.
Le chef envoie ses femmes cultiver la terre devenue libre, ou la donne à n'importe qui.
Seuls les kolatiers, qu'on a respectés en raison du pouvoir magique qui leur est attaché, conservent
un lien avec les héritiers de celui qui les a plantés. Le nouvel occupant n'ose pas en cueillir les
fruits avant de les avoir achetés à leur possesseur. Seul un fils de chef se juge protégé de l'influence
magique et peut se dispenser d'acheter les arbres... car dans cet achat, le souci de dédommager
le propriétaire n'intervient à aucun degré; il s'agit d'un transfert de force magique.
La justice du chef est-elle acceptée sans murmure? Evidemment non. Les villageois
Bamiléké ont une forte tendance à l'irresponsabilité: tout ce qui arrive de fâcheux à un homme
n'est pas sa faute: c'est la faute de quelqu'un. Par conséquent, s'il perd son procès, c'est que son
adversaire a circonvenu le chef par magie, ou lui a versé de l'argent. Cela se dit notamment après
la mort d'un grand notable au moment de la proclamation de l'héritier par le chef, selon les
instructions du défunt. En fait, on le dit sans conviction, et cela n'empêche pas les plaideurs de
se présenter en foule devant le chef. D'ailleurs il est difficile de croire à la partialité systématique
du chef, car ici encore intervient le frein du culte des ancêtres: le chef a beau être revêtu d'un
caractère sacré, il n'est pas pour autant à l'abri de la vengeance des ancêtres. Supposons par
exemple que le chef ait accepté un cadeau important d'un homme pour lui donner une femme
sous le régime ta '1Jkap, et qu'il fasse semblant de ne plus s'en souvenir; s'il tombe malade quelques
mois plus tard, ses devins consultés lui révèlent immanquablement qu'il est malade par l'effet
de la colère de l'ancêtre qui attend sa descendance... le chef s'empresse alors de réparer ses torts.
A l'intérieur de la concession obtenue du chef, chacun est entièrement maître chez lui et
toLalement indépendanL ùe son voisin; grand notable comme simple habitant ont les mêmes
droits et les mêmes devoirs.
L'esclavage a existé en pays Bamiléké, mais il n'a jamais constitué comme dans les lamidats
Foulbé du Nord Cameroun la base de la vie sociale. Il a disparu rapidement quand les européens
ont établi leur administration dans le pays, ne laissant que de faibles traces (nous avons vu que
seuls les principaux chefs ont encore quelques serviteurs; encore s'agit-il de fonctions honori-
fiques et rétribuées par le don d'une ou plusieurs épouses). .
(1) Par contre cette exploitation apparaît partout où se constituent des groupements extra-coutumiers, notamment
dans la région de Nkongsamba, où tend à se constituer une clusse de riches planteurs Bamiléké, faisant travailler à leur
profit leurs compatriotes réduits à l'état de manœuvres.
82 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILÉKÉ
d'être. Il semble bien qu'à la chefferie, seuls ont une activité axée sur la magie, les notables du
Kamvû' et la société Njia. Cette société, rappelons-le, pratique la divination au profit du chef
elle détermine notamment les offrandes à faire aux divers lieux de culte (lfiap) de la chefferie.
Elle pratique aussi des rites de protection et des rites agraires. Par contre, les grandes sociétés
coutumières ont un rôle essentiellement politique et social; placées sous la direction du chef,
elles permettent à son influence personnelle de pénétrer toutes les couches de la chefferie; récipro-
quement elles lui permettent d'entrer directement en contact avec tous les éléments actifs de la
population, et de connaître leur pensée sans qu'une caste de dignitaires ou de serviteurs puisse
faire écran entre lui et le peuple, comme il arrive dans d'autres sociétés africaines.
Une autre fonction de ces sociétés est de matérialiser constamment, pour chacun, sa place
dans la hiérarchie complexe de la société Bamiléké. Un jour par semaine, chaque notable est
obligé de s'asseoir entre tel et tel, sur un siège de forme déterminée; c'est précisément parce que
la société Bamiléké ne comporte ni grands lignages, ni culte tribal qu'il est nécessaire de rappeler
constamment à chacun sa place. Si cette fonction n'existait pas, chaque grand notable aurait
vite fait de se prendre pour un chef et de faire sécession.
Enfin, ces sociétés représentent comme une échelle permettant aux meilleurs et aux plus
actifs de s'élever dans la hiérarchie. On peut observer à cet égard qu'un chef n'accorde aucun
titre honorifique à ses fils avant de les avoir fait entrer dans une des grandes sociétés coutumières
pendant un temps suffisant pour y faire leurs preuves.
Comment l'activité de chacun dans ces sociétés permet-elle de juger ses mérites? Il doit
faire preuve de fidélité, de continuité et de sérieux. Surtout il doit montrer à la fois sa richesse
et sa générosité, car pour entrer dans une société et y monter en grade, la condition essentielle
est de payer; payer à la société qu'on doit régaler à grands frais; payer au chef, à l'entrée d'abord,
puis à chaque distinction accordée. Que l'acte de payer prenne aux yeux des villageois une valeur
morale essentielle, cela ne doit pas surprendre, car il s'agit pour eux d'une action profondément
douloureuse, que les gens ordinaires n'exécutent que sous la menace de sanctions suprahumaines ;
payer généreusement et sans contrainte est la marque de qualités que le chef doit récompenser;
il est inutile d'insister par ailleurs sur la valeur magique attribuée au paiement dans les sociétés
africaines, en tant que transfert de forces; payer le chef, c'est accroîLre la force du chef.
L'étude des sociétés coutumières en tant que moyen d'élévation sociale monLre l'existence
de deux hiérarchies parallèles, avec correspondance de grades, entre les descendants des chefs
et les serviteurs. C'est un aspect fondamental de la société Bamiléké.
~{;,~,:1!~;;::.~_· I_K_K:_::_:----J: ~
Kw:)s; po fo 1 t r
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'"---
Nye 1
inférieures 1=========
descendants des cheh serviteurs
Fig. 15. - Schéma général des grandes sociétés coutumières dans les
chelTeries de la région de Bafoussam.
PL. X
o
o <>
o <)
o <)
o f)0~/,~~ ..
1 case de réception
2 case cie jour du che f
3 case de nuit du chef
o case de femme
o Case de servÎteur
o grenier
lieu cie culte
El
a.s arbre sacré
FONCTIONNEMENT DE LA CHEFFERIE 83
D'une façon générale on retrouve à peu près partout la correspondance de grade Rllivante :
Notables serviteurs Nobles
'!Jwéimbe fonte (sous-chef)
'!Jwa~ Gp
Pour les autres grades, la correspondance est variable d'une chefferie à l'autre. A chaque
grade correspond un type déterminé de siège, sur lequel peuvent s'asseoir cèrtaines catégories
de nobles et certaines catégories de serviteurs.
Les types de sièges et leur signification sont très variables d'une chefferie à l'autre.
Les chefferies de la région de Bafoussam comportent avcc quelques variantes, à peu près les
mêmes sociétés, jouant à peu près le même rôle; il Y a trois sociétés d'initiation de fils de chef:
Nye, Ma/wm et J(wJ'si po fo,. trois sociétés parallèles d'initiation de serviteurs. Quand ces trois
stades ont été franchis, ils donnent accès à l'une des grandes sociétés mixtes, c'est-à-dire où les
nobles et serviteurs sont admis simultanément: Kwimtéi et MSJp (1). La société J(umnjia, la plus
élevée et la plus fermée de la chefferie, est interdite aux « fils de chef >J à l'exception des héritiers
des küipu et de quelques autres dignitaires, variables selon les chefferies, qui y entrent de droit
à la mort de leur père.
On peut appartenir (si on en a les moyens) à ces trois grandes sociétés à la fois. L'appartenance
à l'une d'elles donne le titre de rJkam (notable), le droit d'avoir une « place de lamentation >J,
une allée et une case-vestibule à l'entrée de sa concession.
Il existe encore d'autres sociétés, variables d'une chefferie à l'autre, qu'il est difficile de
placer dans une échelle d'élévation sociale et qui paraissent correspondre à des buts particuliers;
par exemple l'appartenance à l'association ParJgwJp donne droit de danser avec une peau de
panthère dans le dos; c'est selon l'expression des villageois, une « société de vaniteux >J.
D'une façon générale, et c'est un aspect très remarquable du système social Bamiléké, la
coutume tend à freiner et à rendre difficile l'élévation sociale des « fils de chef >J, en leur imposant
le passage à travers plusieurs sociétés successives, ne pouvant accéder à chaque échelon qu'avec
l'assentiment du chef. Par contre, il n'est mis aucun obstacle à l'élévation sociale des serviteurs
et des simples habitants. Ils peuvent directement postuler à l'entrée dans les sociétés les plus
élevées, s'ils peuvent supporter les frais que cela comporte. Car à cet égard il y a entre les diffé-
rentes sociétés des différences très marquées.
Chaque nouveau chef crée une société; il est probable qu'il ne lui assigne pas dès l'abord
un but précis et qu'à la longue la société finit par trouver sa fonction dans la chefferie, par
imitation de ce qui a réussi ailleurs.
Il est déconcertant de trouver dans les diverses chefferies un schéma à peu près identique
pour les différentes sociétés, car la création de telle d'entre elles est très récente dans certaines
chefferies, plus ancienne dans d'autres. Par exemple à Batié c'est le chef actuc1 Youta qui a créé
la société Kwimta, qui existait à Bandjoun depuis deux générations.
Il n'est pas d'usage de réparer les cases des grandes sociétés; une fois construites, aussi
solidement que possible, on attend qu'elles soient entièrement tombées avant de les rebâtir,
exactement au même endroit. Cette conception paraît largement répandue en Afrique Noire
dans le domaine religieux. Ce qui a été dédié à des forces suprahumaines se trouve soustrait à
l'action des hommes. On ne doit plus y toucher, même pour des réparations.
(1) Cette société semble à l'origine avoir été une association de caractère militaire.
7
84 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILEKE
L'intérieur de ces cases est généralement presque complètement obscur; les assistants
s'éclairent avec des lampes. On ne trouve d'autre installation que des étagères, où chacun range
son siège pour le mettre à l'abri des termites, et où sont placées les cloches doubles (küifo J.
Il Y a toujours au milieu de la case une jarre enterrée, datant des premiers fondateurs; c'est là
que se pratiquent les épreuves visant à déceler les menteurs, les parjures et les coupables d'indéli-
catesses diverses; ils sont invités à jeter du vin de palme dans la jarre en prononçant des impréca-
tions contre eux-mêmes au cas où ils seraient coupables.
Dans les grandes sociétés mixtes, les assistants sont rangés sur trois faces d'un rectangle
allongé: les descendants des chefs sur une face, les serviteurs de l'autre; le chef et les rJwala en
exercice sur le troisième côté.
Fig. 16. - Disposition des membres des sociétés coutumières ùans les
réunions.
Les rJwéimbe et sous-chefs peuvent s'asseoir chez eux sur un siège sculpté, mais pas dans
les sociétés de la chefferie, où il est réservé au chef.
Quand un membre d'une société meurt, son héritier prend sa place, après avoir versé au chef
un paiement important; l'héritier est tenu, sous peine de lourdes amendes ou même d'expulsion,
de tenir la place de son père.
Dans la plupart des chefferies, les membres de chaque société viennent à leur réunion hebdo-
madaire vers 7 à 8 heures du matin, les héritiers des fondateurs arrivant avant les autres; on
parle des affaires de la chefferie, et la réunion est terminée avant midi, sauf si le chef a offert
un repas, ce qui arrive une fois par mois en moyenne; la réunion dure alors jusqu'à la fin de
l'après-midi.
Chaque société possède un dieu qui lui est propre et qui a été établi par son fondateur à la
façon dont on établit le dieu d'un lignage. On dit par exemple si KWJ'si, le dieu de la société
KWJ'si.
Ce dieu a pour abri un arbre proche du lieu de réunion de la société. On y procède à des
sacrifices exactement comme pour le dieu d'un lignage. S'il arrive qu'un membre de la société
soit chassé ignominieusement pour vol ou adultère avec une femme du chef, les membres de la
société se réunissent auprès de l'arbre et invoquent le dieu contre lui, prononçant des paroles
de malédiction tout en versant du «vin» de raphia. On dit par exemple: «KwJ'si pJ:t() Fomo (N),
le KWJ'si a maudit Fomo». L'homme ainsi maudit a de grandes chances dit-on, de mourir peu de
temps après.
Les membres des grandes sociétés coutumières sont appelés k()m. Traditionnellement, ils
étaient redoutés des simples habitants, car ces sociétés disposaient de pouvoirs importants (1.).
(1) On peut remarquer à ce sujet que les noms de plusieurs sociétés font allusion à des châtiments: Kwimlà = .clouer
les oreilles., Kamkhw~ = • percer las pieds •.
FONCTIONNEMENT DE LA CHEFFERIE 85
Le principe était que chaque jour de la semaine, à l'exception des jours du petit et du grand
marché, était réservé à l'une des grandes sociétés. Ce jour là, les membres de cette société étaient
maîtres absolus des grands chemins, et les simples habitants devaient rester confinés dans les
quartiers; cette règle avait pour but de préserver le secret de l'identité des membres de la société
qui, au moins en principe, n'étaient pas connus des habitants; circulant masqués et armés d'un
bâton, les kam avaient le droit de frapper impunément l'audacieux qui était resté sur leur chemin;
il était même interdit ces jours là de réparer les toits, car du haut des toitures on peut jeter un
regard indiscret sur les chemins par-dessus les haies; seules les femmes pouvaient circuler sur
les chemins pour les besoins de l'agriculture, mais quand elles rencontraient un kam elles devaient
poser leur charge et se tourner vers la haie.
Ces usages ont disparu peu après la guerre 1939-45, et les membres des grandes sociétés
ont beaucoup perdu de leur prestige. Ils demeurent cependant redoutés.
Nous décrirons ci-après quatre grandes sociétés qui jouent un rôle essentiel dans l'organisa-
tion des Bamiléké, et semblent fonctionner selon les mêmes règles dans la plupart des chefferies
de la subdivision de Bafoussam.
Les autres sociétés sont très variables d'une chefferie à l'autre, le même nom recouvrant une
composition et des attributions sensiblement différentes. Nous en donnerons un aperçu dans
l'étude consacrée aux chefferies de Batié et de Bandjoun.
arrivés à l'âge de 15 ans; en outre, à sa mort son héritier prendra sa place. Aucun fils de chef ne
peut prétendre à une dignité quelconque sans avoir été admis dans cette société et la fréquenter
assidûment.
On continue à appartenir à la société Nye même après être entré dans des sociétés de niveau
plus élevé.
L'admission à la société Nye représente une charge assez lourde, le postulant devant offrir
plusieurs repas à la société et verser de 10 à 20 dames-jeanne de 20 litres de vin de palme.
La société Nye exécute des rites particulièrement importants une année sur deux - les
années dites de ke ou des forces magiques - pendant une période de 9 semaines de huit jours (1).
Ces rites, qui semblent correspondre à l'idée d'un renouvellement des forces, débutent en général
vers le 15 mars, mais les dates ne se correspondent pas d'une chefferie à l'autre. Ils sont exécutés
de la même façon dans toutes les chefferies de la région de Bafoussam, et se terminent par la
danse de la société Kumnjia, première société coutumière de chaque chefferie, la plus remarquable
cérémonie du pays Bamiléké.
Le premier de ces rites est un sacrifice qui s'exécute un jour njunja (T) et dont le sens n'est
pas bien clair pour les intéressés. La société se réunit à 18 heures auprès du chef, qui donne des
haricots indigènes cuits et de l'huile de palme (ces haricots sont réputés être une des plus anciennes
cultures du pays). Sept ou huit de ses membres choisis par le chef se rendent en chantant, à la
tombée de la nuit, au bois sacré où doit avoir lieu l'offrande; ils sont marqués au front de poudre
de bois rouge; l'un porte dans une poterie la nourriture à offrir, un autre un tabouret ressemblant
vaguement à un cylindre ajouré; arrivés au bois sacré, ils se réunissent en silence au pied d'un
arbre où se trouve habituellement un certain oiseau. Celui qui a été désigné pour officier répand
la nourriture de la main gauche au pied de l'arbre. Tous se retirent sans regarder en arrière;
ils se rendent, toujours chantant, à la case où sont conservés les crânes des chefs; plusieurs coups
sont frappés du dehors. La cérémonie est terminée, sans qu'on ait expliqué aux participants
le sens du rite qu'ils ont exécuté; la nuit suivante ils ne doivent pas coucher sous le même toit
qu'une femme.
La période de neuf semaines est alors ouverte. Pendant cette période, les jours de marché,
les membres du nye président à la danse de ke des adolescents, dont ils constituent l'orchestre.
Dans les quartiers, la danse de ke est organisée par les sociétés nye que les notables rJwambo
ont le privilège de constituer chez eux. A la chefferie, c'est le nye du chef qui fait danser le ke.
Les membres de la société se réunissent dans leur enclos de lattes de palmier situé sur la place
dite sim lœ (N), sem ka (T), où, revêtus de cagoule, ils frappent les instruments dits küifo (cloches
doubles, au nombre de sept, formant un accord) accompagnés de deux tambours et de balafons.
Cette musique ne doit pas, sauf fatigue des participants, s'interrompre du matin au soir; les
joueurs se relaient; ils peuvent être aidés par les membres des sociétés Nye des autres chefferies.
Nous avons assisté plusieurs fois, au cours du printemps de 1955, aux séances des sociétés
Nye. A Batié il venait une trentaine d'hommes, âgés de 20 à 50 ans, deux jeunes héritières de
mafo, et une fillette de 12 ans, fille du chef Youta, qui était en quelque sorte la filleule de la société.
Son admission, contraire aux règles que nous venons d'exp9ser, montre combien il est illusoire
d'étudier la coutume par des interrogatoires théoriques; voici douze ans, une femme du chef
Youta ayant mis au monde deux jumelles, les membres du Nye allèrent la saluer, portant des
faisceaux de l'herbe sacré pfueka; quelque temps après, une des jumelles mourut. Le chef Youta
décida que l'autre fillette, si elle survivait, serait la filleule de Nye. Effectivement, à l'âge de
Il ans elle y fut admise et y tient sa place depuis avec le plus grand sérieux.
(1) Nous donnerons dans l'additif consacré aux croyances des Bamiléké quelques données complémentaires sur ces rites.
FONCTIONNEMENT DE LA CHEFFERIE 87
Les membres du nye se réunissent la nuit qui précède chaque danse, et commencent à jouer
vers minuit. La musique doit se poursuivre sans interruption toute la journée et se termine vers
20 heures. La danse de /ce proprement dite commence vers 15 heures et dure jusqu'à la tombée de
la nuit.
A la fin de l'après-midi le chef vient par sa présence encourager les musiciens et les danseurs.
Pendant toute la durée de ce rite les membres du nye demeurent enfermés dans leur enclos
et invisibles à la foule, ceci marquant vraisemblablement qu'ils sont d'une autre nature qu'elle;
rappelons en effet que le nye n'est accessible qu'aux descendants des chefs, tandis que le /ce
est une obligation qui incombe à tous les adolescents sans distinction d'origine.
On pratique dans le Nye un rite de magie (pas obligatoirement d'ailleurs) tendant à « mettre
un remède dans le ventre ». On mange un cœur de coq qui a été cuit avec certaines herbes; ce
remède est supposé rendre plus fort.
L'entrée dans la société MéJkéJm (N), simple prolongation du Nye, est assez coûteuse (2 chèvres
au chef, 1 porc à la société, du vin de palme, pas d'huile).
La société Kw)'si.
Elle est dans presque toutes les chefferies, divisée en deux sections: une pour les notables
serviteurs, l'autre pour les descendants des chefs. Ces deux sections se réunissent pour la danse
de Kwa'si.
Le chef fait entrer à [(wa'si ceux de ses fils qui se sont particulièrement. signalés par leur
activité aux sociétés Nye et MéJ/céJm. C'est seulement après leur entrée à Kwa'si qu'il peut nommer
sap les plus méritants d'entre eux.
Les conditions d'entrée à Kwa'si sont les suivantes:
1) :f:tre parrainé par un membre de Kwa'si;
2) :f:tre agréé par le chef et lui verser un paiement important; dans les grandes chefferies
on doit donner une femme; dans les petites chefferies on verse 8 à 10 chèvres (un fils de chef
versera seulement 2 chèvres) ;
3) Verser à la société 10 dames-jeanne de 20 litres de vin de palme et 100 à 200 litres d'huile
de palme, selon l'importance de la chefferie;
4) Fournir un repas au cours duquel est consommé un porc adulte entier.
On peut estimer qu'en 1955, ces versements représentent 100 à 150.000 francs C.F.A. selon
les chefferies.
Avant d'entrer à la société, l'intéressé achète 5 sacs de sel et les répartit entre les membres
de Kwa'si proportionnellement à leur grade, selon les conseils de son parrain. A la première
séance on le conduit à sa chaise; il ne doit pas parler. A partir de la deuxième séance il commence
les versements d'huile de palme exigés; quand il a fini, au bout d'un temps assez long, il peut
prendre la parole aux réunions, cela même si ses versements de vin ne sont pas terminés.
Il y a à l'intérieur de la case de réunion de Kwa'si, comme dans les autres sociétés, une divi-
sion en zones, les nouveaux venus étant confinés dans un enclos à part et n'ayant accès qu'avec
le temps au centre de la salle.
C'est le chef qui préside la réunion ou, en son absence, un küipu: tous les mois ou tous les
deux mois, le chef offre un repas à la société. Le Kwa'si ne pratique pas de rites autres que les
sacrifices à son propre dieu.
(1) Ce type de clôture est une marque de distinction, dont l'emploi est réservé aux chefs et aux 'lwàmbo.
88 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILEKE
LA CHEFFERIE DE BATIÉ
Cette chefferie compte à peu près 7.000 habitants; située à l'écart des grandes routes, dans
une région montagneuse au sol pauvre; jusqu'en 1955 elle avait peu subi l'influence
européenne (1).
D'après la tradition, le premier chef aurait été un chasseur, Tâtemdjœ, frère jumeau du
fondateur de la chefferie voisine de Baham ; ils venaient de la chefferie de yam (Bagam) de la
région de Tschang.
La chefferie est divisée en dix quartiers, dont trois sont des sous-chefferies:
Nom Nom administratif
Chepan (Bachépan) sous-chefferie
Motchéfondom Bametchuéfondom
Motchwèntchwa Bametchuencha
Hyala Bahiala quartier
Ton Langou Balangou 1
Njemgou Balangou II
Toufemgoum Bafangoum 1
Ka'femgoum Bafangoum II
Njengou Badjongou
Li Bali
(1) Toutefois depuis 1956 son territoire est traversé par la grande route Douala-Bafoussam, ee qui amène un apport
intense d'influences urbaines.
FONCTIONNEMENT DE LA CHEFFERIE 89
Cette division est largement antérieure à l'arrivée des européens, mais le fractionnement
des quartiers de Balaugou et de Bafaugoum a été efTecLué à la demande de l'administration.
On pense qu'il y a eu douze à quinze chefs depuis le premier fondateur, mais la filiation
est oubliée au delà du cinquième ancêtre du chef actuel:
y outa chef actuel
Kamgan
Kamphœ
Kamganhalè
Kamki
Yousou
r;junj~ Le chef reste enfermé dans la chefferie. Autrefois il se passait de la poudre de bois
rouge sur le front et portait un voile rouge comme les '1Jwala. Les femmes ne peuvent
travailler aux champs ni manier la houe.
Jour de la société Nd~mk~m, société propre à Batié, qu'on peut considérer comme
jumelle de la grande société Kumnji~.
le'1Jgà Jour où l'on peut procéder aux « lamentations» des défunts.
le'1Jk5 Jour de la société Kwimtii fondée par le chef Youta; s'oppose aux lamentations
et interdisait même de jouer du tambour.
temgu Jour de la société Kumnji~, première société de la chefferie (descendants des küipu,
'1Jwafo, premiers S[)P, et héritiers des '1Jwala ka').
le'ndju Jour de lamentations.
fente Jour de la société Kw[)'si (s'oppose aux lamentations).
'1Jkw[)'1Jkwa Jour du marché de Batié.
nzasso Jour de lamentations.
Les noms des 8 jours de la semaine ne se correspondent pas d'une chefferie à l'autre, sauf
le jour sacré njunj~, qui est le même à notre connaissance pour toutes les chefferies de la région
de Bafoussam.
Ce tableau montre que les sociétés les plus importantes sont Kumnji~, Kwimtà et Kw[)'si.
Les autres ne sont pas assez fortes pour interdire les manifestations funèbres; les raisons de cette
interdiction ne sont pas clairement exposées par les notables de Batié ; il est probable qu'elle
résulte de la crainte d'influences nocives liées aux deuils célébrés ce jour-là.
La chefferie.
La chefferie de Batié s'enorgueillit d'être la première chefferie entièrement en tôle ondulée.
Seules les cases des femmes ont été conservées dans le style traditionnel (1). C'est un spectacle
déconcertant et plutôt attristant pour l'européen. Les objets sculptés, vendus ou détériorés par
les insectes, ont totalement disparu. Il ne reste donc plus que ce qui correspond à une fonction
définie et à une utilité pratique.
(1) Rappelons que nous avons écrit ces lignes avant les troubles et les destructions de la période 1956-1960.
90 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILIt]{It
Il Y a deux arbres sacrés pour les fils de chef, selon qu'ils sont nés à droite ou à gauche de
la chefferie. Il y a aussi dix places sacrées (des boqueteaux d'arbres) où seul le chef sacrifie.
Le côté gauche en montant (côté de la première femme du chef) est le côté interdit aux fils
de chef; là se trouvent les places interdites, le fam ka' où l'on conserve les crânes des ancêtres,
et le Njia où l'on exécute des rites de divination et de protection. Pour des raisons que l'on
ignore, les trois derniers chefs ont demandé que leur crâne soit conservé dans le Njia.
Le voisinage des cases des grandes sociétés Kwimlâ, Ndamkam et Kumnjia est également
interdit aux fils de chef, à l'exception, bien entendu, de ceux qui en font partie.
Le sem kâ (place des magiciens) où se trouve l'enclos de danse de la société Nye, est considéré
comme en dehors de la chefferie. Là ont lieu les danses de Nye, de Kuyyâ et de Kumnjia. Il s'y
trouve comme dans les autres chefferies la petite case sans porte dont seuls approchent les
membres du Kamvû' avant les rites de Kuyyâ et les danses de Kumnjia. Le sem kâ est un endroit
redouté; les femmes qui portent de la nourriture ne doivent pas parler en passant là, sinon elles
ne peuvent plus consommer cette nourriture qui doit être soit jetée, soit donnée à un fils de chef
déjà initié à la société Nye. .
La chefferie est construite et entretenue selon un principe largement répandu en Afrique
Noire, qu'on retrouve notamment dans les lamidats Foulbé : chaque case est placée sous la
responsabilité d'un notable héréditaire; il doit la réparer quand elle menace ruine. Par exemple:
- La case de la première femme du chef est entretenue par ywambe Küiünd5, un küipu.
- La case occupée en 1955 par Masa, une des femmes du chef, est entretenue par Sala
Fafa, notable serviteur, descendant d'une famille de ywala.
Sociétés de la chefferie.
~égendc
Haie
Palissade
Chemin
.......................,..•'_ o.'···· CJ Cases démolies
00. s. o Circulation
Marché
8. s." Arbre sacré
..1.. ··•·•••·•· •.•••..••..•••.• b. s. 0 Bois sacré
;t o
:1 03 Tambours de la Société Kumnjia.
:1
;/ , 1''.:1 4 :. 2 Tambours de la Société Ndamkam.
}
J 6 bll :" ".
. . . .~. 3 Tambours de la Société Kwimta.
~
:/ ·····b. s. 4 Tambours de la Société KW~'5i p~ fo.
f/ ...., . ,.,.,' 1$) lJJ 5 Cases de passage.
:J
./ 6 Bois sacré (lieu de culte des fils de chef nés
.ï Cl 4) dens la partie droite de la chefferie).
.~I I:J 6 bh
J Femme~ du chof
1.. o •. s. ',. & Bois sacré (lieu de culte des fils de chef nés
J ° ". '<iJ o dans la pertie gauche de le chefferie).
;/
:/
ï
.;/
CI
0°
0°
f:l
tr° 7
a
9
2' femme du chef.
Société Ndamkem,
Résidence du I)waJa tJwandye.
} <>
.."fIt.._
.."1",\ - .....
<> <> <> 15 ~~6 10 Société Kwimlif•
:1 '\
.1. 14: \
....,
.... <6 4> 0
11 Société K~m Kw~'s; (Kw~'s; des .erviteurs),
/1
/:/. \\
\
\ \
\ 'a'kam
~'{16~9 10;
12
Ca. s.
13 Grande .alle de réunion; audience, ca ••
provi.oire de la société Man;~I).
14 Place de danse dite du I)wala ka'.
:1
:/
022
\
\
\
\ 17,'.:
<!J;. 15 1'" femme du chef.
'\.. ~:-.:
19 fam Ka', case des crânes des ancêtres du chef,
lieu de réunion de la société 'se puam .
.~
20 Société M,~p.
1
( 21 Société Makem.
;/11\0 •.
22 Résidence du I)wala ka '.
~ 26
°a.5.
23 Enclos de la société Nye.
s.
l!l@U 24 Place de la danse de Kumn;ia.
25 Case interdite Où ne pénètrent que les membres
du Kamvû' pour les rites magiques,
o a. ~.
1': .....
2;;1: 26 Société Kumnjia.
27 Société Kw~";Jia (Kwù; p~ fo).
2a Enclos des bœufs du chef.
29 Maison du chef et dépendances.
J. Hurault, le 20·7·1955
Echelle 1/2,500
FONCTIONNEMENT DE LA CHEFFERIE 91
_ _K_w_i_m_ta_ _ I~ \
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Pal)gw::>p OJ~ 91,
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e---Ms_,p I~ '\\
Kw;,"si pO fo 1 Kw::>'si 1 1 Tse PUa m
Nye 1 Nwal)g5
r
descendants des chefs serviteurs
Les sociétés d'initiation des serviteurs fonctionnent à peu près comme la société Nye mais
leur existence est beaucoup plus discrète et ne comporte aucune manifestation publique.
A ces sociétés, il faut ajouter:
- Tse puam, société secrète qui comprend les !Jwala en fonctions, les anciens '(}wala et les
héritiers de leurs prédécesseurs; elle se réunit la nuit dans le {am ka', le jour de le'(}k5.
- Njia, ou ku'(}ga du chef, se réunit secrètement le jour de lendju, dans le {am njia. Ses
membres arrivent masqués et passent par la brousse au fond de la chefferie. En principe on ne
les connaît pas, à l'exception du '(}wala Njia.
Le KU!Jga du chef danse chaque année devant les semences sur le sem ka.
92 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILgl(g
Il existe enfin une petite société d'entr'aide pour les serviteurs du cadre des lfo fo; cette
société n'a aucune connexion avec les précédentes.
Les serviteurs.
. Nous avons dit qu'il y avait trois degrés dans le cadre des serviteurs prêtres. Nous les
trouvons à Batié dans les formes suivantes :
1) Les rJwala. Ils sont au nombre de quatre; deux résident dans la partie gauche de la
chefferie et deux à droite.
Il y a 4 rJwala ayant chacun un adjoint:
rJwala ka' commande le côté gauche de la chefferie et dirige le culte des ancêtres du chef;
- rJwala Njia est chargé du fam njia.
- rJwala S~rJgu commande le côté droit de la chefferie.
- rJwala No en second la chefferie.
Les rJwala sont nommés vers 25-30 ans directement parmi les po rJwa.
On reste rJwala 9 ans. A la fin de la 7 e année, le rJwala commence à faire établir son hameau
par les habitants; le chef pouvait lui donner de 3 à 5 femmes.
A Batié, contrairement à l'usage le plus courant, les rJwala n'ont aucun pouvoir judiciaire.
Ce sont des notables proches parents du chef qui servent d'assesseurs et jugent èn conciliation.
2) Les adjoints de rJwala, un par rJwala, constituent le grade intermédiaire. Ce sont les
représentants du chef dans les quartiers pour les affaires courantes, les rJwala ne se dérangeant
en personne que pour des affaires graves.
Ils portent les titres suivants :
- sa' ka' adjoint de rJwala ka'
- sa' lfwandye rJwala SOrJgu
- sa' no rJwala No
- nzafo rJwala rJwala Njia
Ils sont choisis vers 25-30 ans parmi les po rJwa et n'ont pas d'avancement possible; ils ne
peuvent être nommés rJwala; ils restent à peu près sept ans en fonctions; à leur sortie de la
chefferie ils recevaient autrefois deux à trois femmes.
3) Les po rJwa, élèves rJwala, étaient autrefois chargés de surveiller la chefferie et d'arrêter
les voleurs.
En 1955, ce cadre de serviteurs était réduit à l'extrême: seuls étaient en fonctions trois
rJwala, le rJwala ka' parti n'ayant pas été remplacé; il n'y avait plus d'adjoints de rJwala et
il ne restait plus que trois ou quatre po rJwa.
Quant aux serviteurs du cadre des lfo fo, il n'en restait plus aucun. Le service courant du
chef était assuré par ses plus jeunes femmes et les travaux à la chefferie étaient faits par des habi-
tants réquisitionnés de loin en loin.
Niengou Quartier
• __
'::"_". limite de chefferies
Routes principales
LA CHEFFERIE DE BANDJOUN
Historique.
La chefferie de Bandjoun a été, selon la tradition, fondée par Ngwotwom, fils du premier
chef de Baleng ; il fonda son village au lieu appelé encore de nos jours Fam Len, c'est-à-dire
l'ancien Baleng.
Son fils Ngwotwom II transporta la chefferie à son emplacement actuel. D'après la légende,
il chassait les éléphants dans la vallée du Noun, vendait l'ivoire et, avec le produit de sa chasse,
achetait des esclaves pour augmenter sa population. Il est possible que le nom actuel de la
chefferie, Njo, fasse allusion à ce fait: njo est la forme de conjugaison du verbe na yo, acheter
Cette opinion est en tous cas répandue parmi les habitants; on doit constater que, dans les
différents dialectes du pays Bamiléké, on désigne la chefferie de Bandjoun par le mot qui signifie
acheter.
Liste des chefs :
Ngwotwom fondateur
Ngwotwom II
Ndyuunyechon
Kapto
Ngwotwom III
Kaptuœ
Kamga 1
Fotso
Fotso II
Kamga II chef actuel
La chefferie de Bandjoun était divisée traditionnellement en sept grands districts (njiéJ =
chemin)
Njie Mbem
Njie Se
Njie Tserhem
Njie Len (<< le chemin de Baleng)
Njie Mrhe (<< le chemin des étrangers »)
Njie Thelan
Njie Nkwo
L'autorité du chef s'exerce sur chacun d'eux par l'intermédiaire d'un grand serviteur appelé
kéJm ou ta njiéJ « père du chemin ». Les sous-chefferies étaient incluses dans les njiéJ.
Les nécessités du recensement ont amené la scission de ces grandes unités en trente-trois
quartiers ou sous-chefferies. Par exemple Njie Tserhem est scindé en cinq quartiers :
Njie Tserhem-Kamgo
Njie Tserhem-Tesé
Njie Tserhem-Hwa
Njie Tserhem-Ha
Tse (sous-chefferie).
94 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMIL~[(~
(Batié) Bandjoun
njunja njanjia J our sacré des Bamiléké; on ne doit pas travailler dans
les champs; autrefois le chef restait enfermé et
portait le voile rouge des 1)wala.
Jour du grand marché de Bandjoun.
Jour de réunion des sociétés Kamkhwa, Kamla' et Njia.
On compte comme à Batié deux grandes catégories, recrutées selon les mêmes normes : les
tfo fo et les serviteurs-prêtres (1)wala, leurs aides et leurs élèves). Mais la hiérarchie et les attribu-
tions de ce cadre sont sensiblement différentes de ce que nous avons décrit à Batié.
Les 1)wala et leurs aides sont divisés en trois catégories :
a) Les 1)wala sont au nombre de deux: le 1)wala ka' et le 1)wala sisi (ka' = en haut, sisi = en
bas) ; ils sont choisis par le chef dans la catégorie suivante.
Ils sont avant tout l~s prêtres des ancêtres du chef. Par ailleurs ils jugent en première
instance (à ce titre ils ne peuvent pénétrer sur le marché pour ne pas être à la fois juges et parties).
Ils participent en qualité de ministres du chef au commandement de la chefferie (le 1)wala ka'
s'occupe notamment de faire rentrer l'impôt).
Les 1)wala restent deux ans en fonctions. Pendant ce temps, ils font construire par les
habitants leur hameau et préparer leur plantation; quand ils quittent la chefferie, le chef leur
donne plusieurs femmes; ils gardent à vie et transmettent à leur héritier le titre de nzafo et le
droit de s'asseoir sur un tabouret à quatre pieds.
Lors du départ d'un 1)wala, le 1)wala ka' choisit le successeur parmi les ta njia. Le chef le
FONCTIONNEMENT DE LA CllEFFElUF: 95
nomme, et les ex rJwala viennent le conduire par la main à la case des crânes, lui remettant le
tabouret à quatre pieds,
Les ta njia qui n'ont pas été nommés rJwala restent environ trois ans en fonctions. Le chef
leur donne une femme.
b} Les k<Jm ou ta njia (pères du chemin) sont les agents du pouvoir exécutif. Ils sont au
nombre de 9 dont 7 surveillent chacun un secteur (njiiJ = chemin) du territoire, transmettant
les ordres du chef, surveillant l'exécution travaux, not.amment la construction et l'entretien
des chemins.
Ils portent comme les rJwala un pagne batik et une cape d'étoffe rouge surmontée d'une
coiffe noire; mais cette coiffe n'est pas ornée de, cauris comme celle des 'lJwala.
96 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILEI{l~
Deux kam sont spécialement affectés au service intérieur de la chefferie; ce sont les kam la'.
Ils surveillent les femmes du chef, partagent entre elles le bois de chauffage, et s'occupent du
logement et de la nourriture des étrangers.
Les kam sont nommés vers l'âge de 30 ans parmi les jeunes du cadre inférieur;
c) Les m.kam gs sont les gardiens des lieux de culte de la chefferie;
d) Les pOrJwa ou pomghûa (ghua = étranger, par extension apprenti) sont les élèves rJwala,
fils de serviteurs du cadre des lfo fo; ils commencent leur service dès l'âge de 7 à 8 ans, vivant
avec un kam auquel ils servent de petits domestiques.
Les lfo fo, serviteurs personnels du chef, vivent à proximité immédiate de sa maison.
A Bandjoun, on admet actuellement qu'ils soient mariés et rentrent chez eux le soir. Il peut
yen avoir une vingtaine. Ils ne reçoivent aucun grade (sauf le titre de la ndia (père de la maison)
donné aux plus méritants), mais ils ont beaucoup d'influence sur le chef avec lequel ils sont en
contact constant et dont certains sont ses conseillers intimes.
Kwimtà
Parygw:Jp
eX 4
'Jwala
r"
distingués par M.s:Jp
nommés Makam
Icom'
nommés
rywa/a 1
Mani:>/)
Meke Nye
du chef
POl)wa f
serviteurs simples habitilnts descendants des chefs
On appelle Makhu une société en sommeil depuis quelques années, chargée de la garde de
nuit sur tout le territoire de la chefferie; on voit ses postes de garde sur les principaux chemins.
Elle imposait un couvre-feu à partir de 10 heures du soir. De nos jours encore, celui qui circule
en pleine nuit sur les chemins du pays Bamiléké est un suspect et à Batié, le premier venu peut
exiger de lui qu'il laisse examiner ses bagages.
Les noms de plusieurs sociétés évoquent les pouvoirs de police qui leur sont attribués
Kwimtâ, « clouer les oreilles ».
Kamkhwa, « clouer les pieds» (na kam, enfoncer quelque chose dans le sol).
8
PL. XIII
Légende
1. Case ou se rend la justice. 20. Nye (société d'initiation des fils de chef) ;
case du premier chef.
2. Société Monio!}.
21. Société Msop (fils de chef et serviteurs).
3. • Société Pu' ntya.
22. Fam ka' (case des crânes des ancêtres du
4. Société Manio!} (autre case). chef).
5. • Société Kwo'sifye (fils de chef).
23. Tap lam (cases tam-tams des sociétés).
6. • N'ha nge (serviteur chargé des besognes 24. Case de conseils, utilisée par le Kamvü'.
. entraînant des ruptures d'interdit).
25. Grande case (Jàl utilisée pour les danses
7. Société Kumniia, des femmes du chef et des réunions .
,',.,',1,'",','j'j';'jljl,'!',
,',',1,',',',',',',',
.,I i ',· (1, khiia 5imlà Il,
8. • Société Pàr;gwop. 26. Case du père du chef actuel.
9. • Fam Njia, lieu interdit.
'1',1,',',""""',',',',','
'1'1,',';'1',','",1.1'
1
28. Cases des étrangers.
11.1.11 11 10. Fam Niia, case du trésor de la chefferie. Cases des sous-chefs.
1
29.
12. Société Kwimta. Case du nwa/a ka'
30.
13. Société Kamkhw".
31. Case du 2· chef.
14. Société Benia. la' kam (villa'ge de deuil du chef).
32.
15. Société Kom Kw,,'si (serviteurs).
Cases des jeunes femmes du chef qui
33.
Signes conventionnels 16. Société Makem. . prép.arent sa nourriture.
17. Société Mek€ (serviteurs). 34. Arbre sacré, lieu de sacrifice des fils de
chef nés dans la partie gauche de la
Notables, membre du Kamvü' Route 18. Case de la 1'· femme du c:hef décédée. chefferie.
18 0 " . Case de la 2· femme du chef. 35. Arbre sacré, lieu de sacrifice des fils de
C2l Champs des femmes du chef - - - Chemin 19. Niia (société de ta mbua) (case interdite
aux fils de chef).
chef nés dans la partie droite .de la
chefferie.
•
BJ
Case de type traditionnel
fin
\@31
lieu de culte
o
o
Femmes du chef o
o
o
Serviteurs du chef
Echelle 1 : 2.500
Va n.tsa
(Bois sacré de la cheiferie)
v
LES QUARTIERS
La division de la chefferie en quartiers n'est pas spéciale aux Bamiléké. On la trouve sous
la même forme dans d'autres populations du Cameroun, notamment chez les Kirdi; elle est
bien antérieure à l'arrivée des européens et constitue un trait caractéristique de l'organisation
de ces populations.
Il est permis de supposer que le système actuel dérive d'une organisation féodale. A l'origine,
quand le territoire de la chefferie était peu peuplé, le chef de préoccupait de faire valoir ses droits
sur toute son étendue, et spécialement au voisinage de ses frontières. Il donnait de vastes portions
de terre aux principaux notables, autour desquels venaient se grouper les nouveaux habitants (1).
Les principaux notables recevaient du chef un instrument essentiel du pouvoir, le droit de
constituer chez eux des sociétés (2), notamment:
- Une société Mmj'J'l) qui constituait une force armée.
- Une société de classe d'âges.
A mesure que la population augmentait, ces divers fiefs tendaient à Se joindre et à s'inter-
pénétrer.
Le chef était amené à intervenir pour obliger les notables à donner des terres aux nouveaux
venus, en leur rappelant que personne ne peut détenir de la terre si ce n'est en son nom. Il était
amené aussi à restreindre les droits des notables sur les habitants; les nécessités de la vie écono-
mique (entretien des chemins, paiement de l'impôt) ont amené la constitution de grands quartiers
englobant sur un pied d'égalité l'ensemble de la population comprise dans certaines limites,
sous l'autorité d'un seul grand notable choisi par le chef.
Les autres notables conservent un certain prestige personnel mais n'ont plus d'autorité sur
les habitants.
Le quartier.
Sous sa forme actuelle, le quartier correspond un peu à. ce qu'était le dème pour les anciens
Grecs par rapport au génos, à cette différence près qu'il constitue un lien superposé aux liens
de parenté, sans aucune connexion avec eux et les respectant entièrement.
Il) Cette organisation demeure parfaitement visible dans les chetTeries peu peuplées, notamment dans le Nord du pays.
(2) Le droit de constituer des sociétés chez soi est toujours considéré comme un privilège réservé aux principaux
notables.
100 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILEI(E
Un quartier est un secteur territorial aux limites précises, englobant des hameaux dont les
habitants peuvent appartenir à n'importe quel lignage, mais sont placés sous l'autorité d'un
représentant du chef pour un certain nombre de nécessités pratiques :
- La défense de la chefferie ;
- La collecte de l'impôt;
- Les travaux ordonnés par le chef.
Tout le reste de la vie sociale et religieuse dépend exclusivement du lignage, et le chef de
quartier n'a pas qualité pour donner dans ce domaine un ordre quelconque.
La division en quartiers est d'autant plus nécessaire aux Bamiléké que leur société, divisée
en petits lignages, ne possède d'autre organisation d'ensemble que celle imposée par le chef.
Sous-quartiers.
La plupart des quartiers sont divisés en trois, quatre ou cinq sous-quartiers, ayant eux aussi
des limites précises et connues de tous.
Ces sous-quartiers sont en général divisés eux-mêmes en un certain nombre de lieux-dits
ne correspondent pas à une organisation particulière. Le sous-quartier est l'unité territoriale
élémentaire de l'organisation Bamiléké.
Les chefs des sous-quartiers sont eux aussi en général des notables héréditaires. Dans
l'ancienne organisation de Bandjoun ils étaient commandés directement par le chef par l'inter-
médiaire des ta njia.
Dans la plupart des chefferies actuelles, les chefs de sous-quartiers sont responsables devant
le chef de quartier dont ils sont dits les aides (khüiateJ).
(1) hyala' signifie. commander le village» (n~ hya, littéralement appuyer sur, par extension dominer, commander).
LES QUARTIERS 101
Autrefois leurs fonctions étaient essentiellement militaires; actuellement ils aident princi-
palement à la collecte de l'impôt.
Cette organisation, qui est une des bases essentielles de la société Bamiléké, est gravement
menacée depuis quelques années par la façon dont est organisé le recensement; dans la majorité
des cas l'organisation traditionnelle des quartiers a été respectée et, pour Batié par exemple,
il est très facile de faire correspondre le recensement et l'implantation traditionnelle de la popu-
lation sur le sol. Mais dans plusieurs recensements, les employés des subdivisions, de leur propre
initiative, croient pouvoir trancher et rogner dans les quartiers, soit qu'ils jugent qu'un quartier
est trop peuplé, soit qu'ils désirent être désagréables aux chefs.
102 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILÉKÉ
Dans certaines chefferies, comme Bamougoum par exemple, le recensement a fait surgir des
quartiers artificiels que le chef ne connaît pas et dont les noms mêmes, ridiculement transcrits
par des employés ignares, ne lui évoquent rien; mais les chefs de sous-quartiers ainsi érigés en
chefs de quartiers ne veulent pas renoncer à la dignité qu'ils croient avoir reçue et deviennent
pour les chefs autant d'ennemis. Dans d'autres chefferies, le désordre est plus poussé encore,
la chefferie de Banganté par exemple a été disloquée en cinquante-huit quartiers; aucun comman-
dement n'est plus possible dans ces conditions. Si on laisse ainsi le sort des quartiers entre les
mains d'employés irresponsables, les chefferies seront d'ici quelques années dans le plus grand
désordre et le commandement naturel ne pourra plus s'exercer.
Plus il y a de quartiers et moins ils sont commandés, ne fut-ce qu'en raison des jalousies
et des rancœurs qu'on a suscitées. Ces quartiers trop petits, déco1,lpés au hasard, comportant des
enclaves, perdent toute signification aux yeux des habitants, leurs limites mêmes disparaissent.
Par exemple dans la chefferie de Bamendjou, les quartiers de Tchoum 1, Tchoum II et Toumi
n'offrent plus de limites précises; des groupes compacts de gens recensés étant dans l'une ou
dans l'autre de ces unités artificielles sont inextricablement imbriqués.
D'autre part, les sociétés coutumières de jeunes gens qui sont un des fondements tradi-
tionnels de la société, sont constituées dans le cadre du quartier. Si le quartier est. brisé, elles se
trouveront disloquées et incapables de se renouveler.
Ces sociétés ne sont pas des sociétés d'initiation; elles ne pratiquent pas de rites particuliers,
et ne comportent d'autre apprentissage que celui du fonctionnement d'une collectivité volon-
tairement créée. Elles participent aux rites des années de ke, préparant les adolescents à cette
danse qui constitue le rite de passage dans la société des adultes.
Cette activité est en nette décadence actuellement, la plupart des adolescents jugeant que
fréquenter l'école leur suffit. Là où elle existe encore, les réunions sont rares et de courte durée.
On pratique cependant toujours la danse de ke, rite peu astreignant auquel on continue d'attacher
une réelle valeur.
Les sociétés de classe d'âge sont parfois improprement appelées yi'!) (1).
Les sociétés de classe d'âge ont une forme et une activité très variables d'une chefferie à
l'autre. A Bandjoun ce sont des sociétés particulières appelées Ngo'nghéJ. A Batié et dans d'autres
chefferies, ce sont les sociétés Manja'!) de quartier qui remplissent ce rôle.
Elles se constituent par quartiers, à environ quatre ou cinq ans d'intervalle, toujours sur
l'initiative de quelques « fils de chef» qui y conserveront ensuite, non à proprement parler un
commandement, mais une influence prépondérante. La société se réunit chez un notable qui
est dit le « père de la société » ; il n'a pas pour fonction d'enseigner ou d'initier, mais seulement
de veiller à l'organisation matérielle des réunions. Il perçoit une partie des versements en nature
des nouveaux membres de la société. .
La société la plus récemment formée, on peut dire la plus jeune classe, participe aux danses
du ke (N), qui ont lieu d'abord chez les '!)wambe, puis à la chefferie. Tant qu'un jeune homme n'a
pas dansé le ke, il ne fait pas vraiment partie de la société des adultes.
Le droit de participer au ke doit être acheté par chaque membre de la nouvelle société,
qui doit à cet effet faire un important versement en nature à chacun des membres de la classe
précédente de la société formée chez le même notable. Ce versement n'est pas quelconque;
il consiste en graines de maïs et d'arachides et peut comprendre de la farine de maïs, mais non
des aliments préparés. Il est fort important et il faut parfois plusieurs années aux jeunes gens
pour s'en acquitter avec l'aide de leur famille. Le versement doit être fait à chacun des membres
de la classe précédente sans exception : si l'un d'eux a émigré, le versement est fait à son père
ou à sa mère.
Cela s'appelle na kwimlsa ke bi X ... (N), verser le droit de ke à X... (na kwim, verbe signifiant
remplir un panier de graines).
Si le versement n'a pas été jugé suffisant, l'aîné mécontent peut expulser le postulant de la
danse de ke, ce qui est une des pires humiliations qu'un adolescent puisse subir.
Chaque société comprend en général à sa formation trente à quarante participants âgés
de 15 à 18 ans. Chacun peut adhérer, s'il a l'âge requis, sans autre condition que d'offrir un
repas aux adhérents et de s'engager à verser ultérieurement ce qui lui sera demandé.
Une fois la société constituée, personne ne peut plus y entrer.
Traditionnellement la société se réunit chaque semaine. On y pratique la (( cotisation >l,
tfwa'a, c'est-à-dire le versement à tour de rôle sans intérêt; on s'occupe d'aider les malades, les
fiancés en cours de versement de dot, enfin de contribuer aux frais des « lamentations» des
parents des divers membres.
Aux lamentations du père ou de la mère d'un de ses membres, la société fait appel aux
sociétés de même âge des quartiers voisins.
La société ne se réunit jamais avec la classe précédente ou suivante dans l'échelle d'âge,
mais fréquemment avec les classes situées à deux intervalles (huit ans) plus haut ou plus bas;
à cette occasion les plus âgés instruisent les plus jeunes dans la coutume. Cette coutume tient
à ce que, au cours des travaux commandés par le chef, chaque classe exerce un contrôle sur les
retardataires et les manquants de la classe suivante: il importe donc qu'il n'y ait pas trop de
familiarité entre les membres de deux classes consécutives.
La société comporte indifféremment des « fils de chef», des po ka fo (lointains descendants
des chefs) et des gens ordinaires; au point de vue cotisations, déplacements, etc., il n'y a pas
de différence. Mais pour les repas, les po fo, po ka fo, et gens ordinaires s'assemblent en trois
groupes distincts.
Actuellement l'activité principale des sociétés d'âge est l'aide pour les ( lamentations»
des proches parents de leurs membres. Chacun apporte des vivres et tire deux coups de fusil.
Nous avons dit que les sociétés d'âge sont des groupes autonomes entièrements distincts
de la Mcmj~rJ du chef; cependant ils sont connus du chef et réquisitionnés par lui à l'occasion
de grands travaux.
Voici par exemple comment le chef a fait reconstruire en 1955 les principales cases de la
chefferie de Batié qui étaient tombées en ruines.
Les sociétés d'âge, qui n'avaient pas été convoquées depuis 1952, ont été requises par
quartier; pour chaque quartier on a requis 6 classes, correspondant aux âges de 15 à 40 ans.
Les constructions ont été réparties ainsi:
La case de Kwimtéi aux quartiers Balangou l et II
de N damkam Bafangoum l et II
du Fam ka' Bali
de Kumnjia Hyala
Dans chaque groupe, on a réparti les travaux entre les classes; les plus jeunes allaient puiser
de l'eau, le groupe suivant apportait de la terre, un autre pétrissait la boue, un autre moulait
les briques, etc. Le travail a duré environ trois semaines.
104 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILE:KE:
Compte tenu des absents (émigrés, gens en voyage, malades), il était venu environ 50 %
de l'effectif. On n'a signalé aucune absence non motivée.
Pendant l'exécution de ces travaux, la société Manj~'() du chef était chargée, selon l'usage,
de la réfection des clôtures de la chefferie.
Les « banques ».
Actuellement, il existe deux types de « réunions », basées sur des buts strictement utilitaires.
y participent des groupes d'amis (25 à 30 personnes) du même quartier. On peut appartenir
à autant de groupes qu'on le désire.
Le premier type, tfukuza (( banque») est basé sur le principe suivant : chacun verse régu-
lièrement des sommes qui sont gérées par un trésorier élu. Un membre du groupe, ayant la
perspective d'une bonne affaire, emprunte à la caisse du groupe, par exemple 30.000 francs.
Pour cet emprunt, qui est consigné par écrit, il se présente avec un témoin qui se porte personnelle-
ment garant du paiement. L'intérêt est de 5 % pour deux mois (délai normal de remboursement).
Nous avons vu à plusieurs reprises des cahiers de société qui sont rédigés de la façon suivante:
Nom séance du... séance du... séance du... total
(15 jours après) (1 an après)
A 40 fr. 50 fr. 45+50+ .
B 100 fr. 150 fr. 100+150+ .
z
total de la séance total de la séance total général
On commence par rembourser à chacun le total des sommes versées au cours de l'année,
puis on partage l'intérêt. Cet intérêt provient des emprunts faits à la caisse par les membres du
groupe. Pour répartir l'intérêt on ne calcule pas, on procède d'une façon « sauvage» comme disent
les villageois: on remet à chacun une somme égale à la mise moyenne qu'il donne par quinzaine
(car chacun s'efforce de donner toujours à peu près la même chose). On fait une seconde tournée
et quand on arrive au moment où il n'y a plus assez pour une nouvelle répartition, onj achète du
vin avec le reliquat. Il y a peu d'incidents, car le remboursement est absolument obligatoire, le
témoin de l'emprunteur étant lui-même responsable. On a signalé un cas où un individu refusant
de rembourser, la société est allée saisir ses enfants, menaçant de les vendre.
Dans une société comme celle des frères du chef, si quelqu'un a fait de mauvaises affaires,
on peut renoncer à l'intérêt mais il faut qu'il rembourse le capital emprunté. Si ses frères l'aident,
c'est en dehors de la société.
Toutes les « banques» Bamiléké fonctionnent exactement de la même façon, qu'elles gèrent
quelques milliers de francs ou plusieurs millions, comme celles que fondent entre eux les riches
commerçants Bamiléké de Douala.
Depuis quelques années, les femmes commencent à faire des banques entre elles, « jetant»
des sommes actuellement très faibles, mais comment cela finira-t-il? Les villageois marquent
quelque inquiétude devant cette émancipation.
LES QUARTIERS 105
Le second type de « réunion ll, IJwa'a, est analogue à ce que les habitants du Sud-Cameroun
appellent la « cotisation ll. X, Y, Z s'associent. Le premier mois c'est le tour de X d'encaisser.
y lui donne 500 francs; Z, 2.000 francs, etc. Vient le tour de Y ; X lui donne 500 francs, etc.
Si on est absent sans s'être fait représenter, on est frappé d'une amende: par exemple une
bouteille de Pernod.
La plupart des Bamiléké appartiennent à plusieurs sociétés. Par exemple, Kamgan, fils du
chef de Batié Y outa, appartient à trois sociétés: celle formée par des frères du chef Youta (plus
de 30 personnes), celle des amis du même âge, et une petite société de quartier.
La première comprend des « princes ll, tous riches et travaillant activement. L'un est
commerçant à Douala, un autre achète et vend d'un marché à l'autre, d'autres encore planteurs,
réparateurs de montres, etc. Ils font entrer dans leur société les fils du chef Youta à mesure qu'ils
atteignent l'âge d'homme.
La société comprend l'héritière de la mafa du chef précédent et va bientôt comprendre la
jeune héritière de la mère du chef Youta.
Il est important de remarquer qu'on n'admet pas dans une « réunion» un homme d'une
autre chefferie, car on ne disposerait d'aucune sanction contre lui s'il refusait de payer ses dettes.
Le recours suprême est la plainte au chef suivie de l'expulsion du coupable, punition qu'un chef
ne peut infliger que pour des délits commis sur son territoire.
Pour les femmes, ce sont des sociétés constituées presqu'exclusivement par des femmes de
chef ou leurs héritières, auxquelles s'ajoutent quelques femmes de rang ordinaire assez riches
pour subvenir aux frais des réunions.
Ces sociétés se réunissent autour des mafa. Elles dansent aux funérailles des mères de leurs
adhérentes.
Ces sociétés sont d'une nature entièrement distincte de celles que nous avons citées jusqu'ici.
Ce sont des sociétés de caractère magique, pratiquant notamment des rites pour la fécondité
des terres et la défense contre les influences maléfiques.
106 LA STRUCTURE SOCIALE DES B.1MILÉKÉ
Les KUrJgà de quartier sont relativement nombreux; dans certaines chefferies comme
Batié, on en compte jusqu'à dix par grand quartier. Ce sont des groupes entièrement autonomes,
dont chacun est groupé autour de l'héritier du fondateur qu'on appelle le « père de KUrJgà »,
pratique des rites qui lui sont propres et sur lesquels il garde le secret.
Les « pères de KUrJgu» sont au premier chef des gu ka (T), gs ks (N) (détenteurs de forces
magiques) ; ce sont très généralement:
Des notables du Kamvû'.
- Des rJwàmbo (N), rJwumbe m.warJkam (T).
- Des marJkhüi (magiciens détenant un pouvoir héréditaire).
Chaque « père de K urJgu » désigne une de ses filles pour être « reine» de KUrJgâ,. elle participe,
le visage découvert, aux danses pour lesquelles tous les autres membres de la société sont masqués.
La zone étudiée figure parmi les plus pauvres du pays Bamiléké; le sol sablonneux très
perméable ne permet que de maigres récoltes; le maïs est cultivé avec de faibles rendements;
l'arachide, seule, y vient de façon satisfaisante et constitue avec l'élevage des chèvres et des
moutons, la principale ressource du pays.
Près de 50 % de la surface du sol demeurait disponible en 1955 ; chaque année, de nouvelles
concessions sont accordées par le chef, et de nouvelles clôtures s'étagent au flanc des collines,
réduisant les possibilités d'élevage.
En dehors de la concession clôturée, les habitants pratiquent des cultures itinérantes sur
les flancs des collines. On peut admettre qu'un quart à un cinquième environ du sol }ndivis est
cultivé ainsi chaque année; la durée de la jachère est donc de quatre à cinq ans; la mise en culture
est précédée d'un feu d'herbes, vraisemblablement dommageable au sol, mais indispensable
pour fournir aux plantes une petite quantité de sels :minéraux.
Le développement désordonné des cultures en terrain non clôturé rend très difficile l'évalua-
tion des surfaces plantées annuellement, et de l'excédent de production disponible pour la vente.
En quasi totalité les habitants du quartier produisent leur nourriture, n'achetant que l'huile de
palme. Mais ils ne disposent que d'un faible excédent exportable, principalement représenté par
l'arachide, ne représentant guère que 10 à 20.000 francs C.F.A. par an et par ménage. Pour se
procurer de l'argent, beaucoup d'hommes pratiquent le commerce de colportage. Les plus
ingénieux ont appris des métiers, qu'ils exercent le plus souvent sur les marchés: tailleur, répara-
teur de bicyclettes, etc., ou à l'occasion d'une commande: charpentiers, menuisiers. Les femmes
pratiquent elles aussi, le colportage des denrées agricoles, transportant au marché de Bandjoun
des produits agricoles achetés sur petits marchés des chefferies isolées; leur bénéfice ne dépasse
pas 40 francs C.F.A. pour une dure journée de portage.
Nous nous plaçons ici au seul point de vue sociologique: l'inventaire de cette zone va nous
permettre de mieux comprendre l'implantation sur le sol du peuplement Bamiléké, et d'avoir
une idée approximative du pourcentage des divers éléments qui la constituent.
LES QUARTIERS 107
Inventaire.
Ancienneté
Titulaire Cases Observations
dn ha mean
1 1\1afo N do 5
2 Mafo NwiJ?Jg5 4
3 Mafo MaforJgii champ
4 Wcinto Minka 9 « fils de chef» (mu fo)
5 Ta mbua NwiirJkam champ héritier d'un grand serviteur
6 Dadji, femme du chef
7 Talam Fonkwé 3 héritier d'un rJwala,. fait partie du
Ndamkam
8 Tfeyèm, femme du chef champ
9 Nzafo Tafa 1 ~ ex ex rJwala sOrJgii,. habite au quartier Bali;
installation en cours
10 M afo Nkundam 1 ~ (a sa résidence principale au nO 66)
11 Nza Tenzi 2 ~~~ notable, membre du Kamvu.'
12 Mafo Ngii 8 ~~~
13 N za yiilfia K wino 4 ~~ mu ka fo (2) ; fait partie de Nye et de
Ms'Jp
14 Tindonkom 4 fils d'un rJwala
15 Simo mwentam 1 mu ka fo,. en cours d'installation
16 Nzengan 1 fils de Nza yiilfia (no. 13)
17 Ngomsu 3 simple habitant; membre du Kwimtii
18 Njekam, femme du chef 1 maison construite avec l'aide de sa
famille
19 concession abandonnée appartenant à un fils de rJwala mort en
1944 ; lignée éteinte
20 Soupon, femme du chef champ
21 Mwinga 1 ~ fils d'un notable serviteur (nO 22)
22 Tand'Jmbha Fokou 9 ~~~ héritier d'une lignée de serviteurs du chef
23 Kamgan 1 ~. fils de mafo Ngà (no 12)
24 Tcheiho 2 ~
25 Pyablè 6 ~
26 Gwonou 1 ~ fils d'un lfo fo (non héritier)
27 Mimbi 2 ~~ fils d'un fils d'une mafo Ngà
28 Kamgan 1 ~~
29 Kamgan 8 ?
30 . Chènjou 1 fils de mafo NW'Jlu
31 Mwotchimbé 4 fils cadet du précédent
32 Pfhetchom petit-fils d'une mafo N gii
36 concession abandonnée champ abandonné depuis 10 ans
37 Kemnowo 1 fils de la mafo N gà actuelle
38 Mafo NW'Jtu 2
Ancienneté
Titulaire Cases Observations
du hameau
Ancienneté
Titulaire Case Observations
du hameau
Ancienneté
Titulaire Case
du hameau
o bservn tions
. --.;. .
l&'"....
~-~-=-
•
CH EFFERI E DE BATI E ... ··:· /~
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Représentation au 1/50.000
LES QUARTIERS 111
Appartenance.
Les 151 concessions étudiées se répartissent ainsi:
6 (4, 51, 73, 105, 112, 123) à des fils et petits-fils de chef (po fo)
9 (13, 15, 16,47, 55, 75, 93, 128) à des po ka fo, c'est-à-dire à des descendants
d'un chef à la 3 e ou 4e génération
4 (50, 115, 122, 144) à des nobles (SiJp)
8 (1, 2, 56,3, 10, 12, 114, '153,
154) à des héritières de mafo
13 (23, 24, 25, 27, 28, 30, 31, 32,
37, 38, 111, 119, 131) à des descendants mâles des mafo
57 (5,7,9,14,19 (ab), 22, 26, 39, à des héritiers de serviteurs du chef et aux
41, 42, 43, 45, 46, 48, 49, 56, membres de leur lignage (fils et petit-fils,
57, 58, 59, 60, 62, 63, 71, 72, parmi lesquels trois grands notables (rJwambe)
76, 78, 79, 80, 85, 86, 87, 88, (nO 41, 101, et 146)
89, 91, 92, 94, 95, 96, 98, 99,
100, 101, 102, 103, 104, 110,
120, 125, 136, 139, 146, 148,
149, 155, 156, 157, 158, 162)
3 (11, 113, 145) à des notables membres du Kamvu'
43 (17, 40-44, 53, 54, 64, 65, 67, à de simples habitants, parmi lesquels cinq
68, 69, 70, 81, 82, 83,84, 90, réfugiés de Bandenkop rattachés à un même
97, 105, 106, 116, 117, 118, lignage
121, 126, 127, 129, 130, 132,
133, 134, 135, 137, 138, 139,
140, 142, 143, 147, 151, 152,
159, 160, 161, 163)
8 (6, 8, 18, 20, 52, 61, 74, 102) à des femmes du chef
total 151
Groupes de parenté.
On observe sur toute l'étendue de la zone étudiée une juxtaposition de concessions attribuées
à des personnes que l'on peut, à de rares exceptions près, considérer comme totalement indépen-
dantes les unes des autres. Simples habitants, notables serviteurs et nobles sont totalement
mélangés, ne formant aucun groupement défini.
112 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMIL~I{~
La société Bamiléké n'est pas orientée vers la formation de grands patrilignages localisés.
Elle tend au contraire à fixer au sol, puis à perpétuer à travers les générations un certain nombre
de noyaux de peuplement, établis par les fils préférés et les meilleurs serviteurs des chefs; les
institutions Bamiléké concentrent sur eux les plus grandes chances de perpétuer une ligne
d'héritiers successifs. Autour de ces noyaux stables, qui se développent ou se maintiennent,
les autres habitants essaient eux aussi de former leur lignage polygame ; la coutume ne leur
apporte aucune entrave, bien au contraire : chaque noyau stable est force et orgueil pour le
village; mais la plupart d'entre eux échouent; ainsi s'expliquent les observations que l'on
peut faire dans le quartier Hyala' de Batié comme dans l'ensemble du pays Bamiléké:
- Seuls les hameaux importants sont anciens. En faisant abstraction de ceux des maro,
il existe sur la superficie étudiée onze hameaux seulement remontant à plusieurs générations.
Ils ont en moyenne dix cases alors que la moyenne générale s'établit à quatre.
- La plupart des petites concessions sont d'occupation récente et changent de titulaire
à un intervalle inférieur à une génération: soit que l'occupant meure sans enfant (cas par exemple
des concessions 19 et 36 inoccupées depuis la mort du titulaire en 1944), soit qu'il demande
à échanger contre une concession qui lui convient mieux, et qui peut être située dans un autre
quartier (par exemple, au moment de l'enquête, les concessions 9,40 et 157 étaient en cours
d'occupation par des gens venus d'autres quartiers). Sur les ISO concessions étudiées, près d'une
centaine étaient d'attribution r é c e n t e . '
9
ADDITIF
Nous indiquerons ici parmi les croyances des Bamiléké celles qui ont un rapport direct
avec le système de parenté et l'organisation sociale, et peuvent aider à les mieux comprendre.
Le mbam, considéré par rapport aujüenya, peut être défini comme une parcelle divine attachée
à l'être humain, dont il tire sa vic. A la mort le jüenya retourne d'où il est venu, et perd tout
contact avec les hommes. Le culte des ancêtres ne s'adresse donc pas à lui.
Cette notion paraît être très répandue dans les civilisations de l'Afrique Noire. Une concep-
tion très semblable se retrouve chez des populations appartenant à des aires culturelles très
éloignées à tous égards, comme les Noirs réfugiés de Guyane. On la retrouve aussi, transposée
sur l'idée de l'ange gardien, chez les populations des Antilles.
Le mbam peut, sous un autre angle, être considéré comme le destin de l'homme, ou tout
au moins comme l'agent direct de ce destin. Si quelqu'un est frappé d'une adversité persistante,
ndo, il pense: « Mbam a paq (Mon mbam m'est devenu hostile) ».
Ici intervient une notion très importante, propre aux Bamiléké, qu'on peut considérer
comme une des bases de leur système métaphysique.
«Seuls les dieux, et mes propres ancêtres, peuvent agir sur mon mb3m ».
(1) On admet cependant que lejüenYi1 des hommes qui ont mal vécu ne peut quitter la terre et devient ce qu'on ap-
pelle "tEnYi1 ma (littéralement, déchet de quelqu'un), âme errante cherchant à nuire.
116 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMIL~K~
L'homme qui a un mauvais mbam se rend auprès d'un devin, qui incrimine très généralement:
- Soit l'action de tel ou tel ancêtre qu'on devra apaiser par des sacrifices;
- Soit l'influence d'un dieu local, irrité par un comportement irrespectueux ou qui, simple-
ment, demande un sacrifice.
Cette notion explique dans une large mesure, ainsi que nous le montrerons ci-après, les
formes particulières de magie existant en pays Bamiléké: Puisque je ne peux agir sur le mbam
de mon ennemi, il faut que j'essaie d'agir sur lui matériellement. D'où l'idée de rechercher, auprès
de sociétés de sorciers, le pouvoir de se transformer en animal capable de nuire.
Le mbam est souvent regardé comme inspirant les comportements de son porteur. On ne
doit pas cependant le considérer comme une conscience. Si l'on entend dire parfois: « Mon mbam
ne veut pas que je fasse le mal )J, un voleur peut très bien donner comme justification: « Mon
mbam veut que je vole >l.
On admet que la guérison d'un malade dépend du bon vouloir de son mbam. « Il guérira,
si son mbam le veut)J. Si quelqu'un paraît dans un état désespéré on dira: « Mbam e {ifJ'!] e (Son
mbam l'a vendu (abandonné) )J.
On admet aussi que le mbam peut avoir tendance à quitter son porteur, qui devient alors
insensé. Pour éviter cela on porte, comme dans bien d'autres populations d'Afrique Noire,
des amulettes en forme de liens, ayant pour but de renforcer le lien entre cet élément psychique
et le corps; notamment un anneau de fibres autour du gros orteil.
Les mbam des jeunes enfants ont pour support matériel de gros vers appelés 'mubyepnya,
assez rares, qu'on met quelquefois à jour en retournant la terre; si une femme a d'un coup de
pelle coupé un mubyepnya, elle abandonne son travail et court affolée chez un magicien pour se
faire purifier des conséquences de cet acte, car elle est persuadée qu'elle a causé la mort d'un
enfant.
Pour les gens ordinaires, il n'y a pas d'autre élément psychique que le ,nbam et le jüenya.
Mais pour les magiciens, qui possédaient de leur vivant le pouvoir de 'se changer en divers
animaux, on admet que les forces qu'ils contrôlaient survivent à leur mort, et si les rites pour
les neutraliser ne sont pas exécutés, elles deviennent des entités malfaisantes, p~, très redoutées.
Divinités locales.
On connalt l'existence de dieux exerçant leur pouvoir sur une vaste étendue de terrain
englobant plusieurs milliers de personnes. Dans la moitié Nord de la chefferie de Bandjoun
il y a deux dieux importants, l'un à Pou Mounye, à 2 kilomètres au Nord de la chefferie, l'autre
au lieu dit Kankan dans le quartier de Kamgo. Les limites sont assez floues et les gens ne sont
pas contraints de rendre un culte à l'un plutôt qu'à l'autre, mais en fait ils se préoccupent de celui
dont ils sont le plus près.
Ces dieux ont une grande importance dans la pensée des Bamiléké, car ils correspondent
à la notion la plus élevée qu'ils aient élaborée sur le plan religieux. Il s'attache à ce culte un
élément affectif qui est tout à fait absent des cultes domestiques.
Les habitants des quartiers ne cherchent pas à élaborer une cosmogonie, et nous n'avons
pu noter de conceptions mythiques se rapportant à ces dieux, cherchant à expliquer leur origine
et leur nature. On ne se préoccupe pas de savoir s'ils ont des rapports entre eux, et aucun d'eux
n'est regardé comme d'une essence supérieure aux autres. La notion d'un dieu suprême créateur
du monde ne paraît pas se rencontrer ici.
NOTES SUR LES CROYANCES DES BAMILÉKÉ 117
Ce qui caractérise ces dieux, c'est précisément qu'à l'encontre des dieux des lignages, ils
n'appartiennent en propre à personne. Le chef, pas plus que les autres hommes, n'a de pouvoir
sur eux. On considère qu'ils protègent l'ensemble des habitants qui vivent sur leur sol; ils ont
le pouvoir de faire tomber la pluie et d'assurer la fécondité des terres. On les invoque en cas de
sécheresse, ou devant une épidémie ou une calamité quelconque. On leur présente les prémices
des récoltes, notamment de la récolte de maïs. . .
A Kankan le service du dieu est assuré par un prêtre, vkam si, et une prêtresse, ma vkam si,
qui se consacrent entièrement à ce culte. Ils portent les cheveux longs et ornés de cauris tressés,
signe distinctif des êtres inspirés par un dieu. C'est le dieu qui les a choisis en leur apparaissant
en rêve et en leur parlant.
Le lieu de culte est un gros arbre au centre d'un boqueteau sacré, que les desservants tiennent
propre comme un jardin. Les offrandes (viande de chèvre cuite à l'huile de palme) sont déposées
sur des pierres plates au pied de l'arbre. .
Outre ces dieux importants, on connaît de petits dieux locaux, en certains points du terroir,
en lesquels on laisse se développer un petit bois sacré, les autres en plus grand nombre dans
les cours d'eau, le plus souvent dans les cascades (vaqva). Ces lieux sacrés sont très anciens
et on ne connaît plus les circonstances dans lesquelles ils ont été créés; ils portent en général
un nom qu'on croit être celui du dieu.
Le culte de ces divinités locales est des plus simples et n'intéresse que les habitants du
voisinage immédiat. Quelquefois l'habitant dont le terrain est le plus proche du bois sacré
construit pour le dieu une petite case avec le concours de ses voisins.
Si quelqu'un a des raisons d'attribuer l'adversité qui le frappe à l'un de ces dieux, il s'adresse
au vkam si, qui peut lui demander selon les cas :
- De faire le sacrifice d'un jeune bouc.
- De venir offrir une poule blanche qui est abandonnée vivante dans le boqueteau sacré
(<< jeter la poule »). .
- D'éviter de circuler sur certains chemins ou dans un certain quartier, où sa présence
irrite le dieu.
propres ancêtres? Aucun informateur n'a été capable de nous en donner une justification
satisfaisante. Dans l'esprit des Bamiléké, il ne s'agit pas de la même chose, ces épreuves agiraient
plutôt à la façon d'un poison, et davantage par l'effet de l'imprécation prononcée contre soi-même
que par l'action du mort.
Si cette imprécation n'est pas prononcée, le mort ne peut rien. Par exemple si je tue
quelqu'un, et si personne ne l'a su, je considère que je n'ai rien à craindre de son esprit.
On considère que de toutes façons l'influence de l'esprit d'un mort étranger au lignage n'est
pas par nature plus forte que l'influence d'un vivant. On peut s'en faire protéger en s'adressant
à des magiciens, et on considère qu'il n'est pas très grave de faire un faux serment dans ces
conditions.
Par contre l'imprécation prononcée devant ses propres ancêtres est un acte très grave.
La colère des ancêtres agit directement sur le mbam de l'homme et ne peut' être surmontée par
aucune intervention sur le plan humain. Elle ne peut être apaisée que par des sacrifices à leur
intention, et si ces sacrifices demeurent sans résultat, on ne peut absolument rien faire.
En fait, dans le système de pensée des Bamiléké, on ne peut nuire efficacement à un homme
que par l'intermédiaire d'une action matérielle. Le sorcier, ne pouvant agir sur les dieux ni
utiliser la force des ancêtres, est obligé d'agir sur le corps de son ennemi, ou sur ses biens. D'où
l'idée de se changer en animal pour pouvoir nuire impunément, ou d'envoyer à son ennemi des
animaux chargés d'un maléfice.
On voit combien cette conception est différente de celle des Haïtiens ou des Antillais par
exemple, qui admettent la possibilité de capturer les esprits des morts et de les utiliser contre ses
ennemis «< Voyé mort a su moun »). Ces formes de sorcelleries dans lesquelles on va dans les
cimetières recueillir des ossements pour en préparer des mixtures maléfiques n'ont pas de signi-
fication dans le système Bamiléké.
un rite pour transférer le ndo dans cet animal. L'intéressé va ensuite l'abandonner au loin dans
la brousse. Le chef fait de même un transfert quand on lui annonce la mort d'un ge sua (voir
ci-après).
L'action du sorcier.
Il n'existe pas dans la pensée des Bamiléké une démarcation bien tranchée entre magie
noire et magie blanche. Aucun pouvoir magique n'est en soi bon ou mauvais; tout dépend de
l'usage qu'on en fait. Le ge ke, (magicien) peut aussi bien protéger que nuire (1).
Les procédés d'action que l'on prête aux sorciers sont:
- Se transformer en panthère ou autre animal nuisible.
Nous reviendrons ultérieurement sur ce sujet.
- Agir en temps que ndyüm (littéralement, hibou, mais il ne s'agit pas dans la pensée des
gens de se transformer en hibou; il s'agirait plutôt de se rendre invisible). Le ndyüm pénètre
la nuit dans la maison de son ennemi et introduit dans son corps des aiguilles maléfiques, ?Jga
malumbu, des ossements ou des objets qui le rendent malades (Il arrive que le guérisseur présente
au malade certains objets qu'il dit avoir extrait de son corps).
- Envoyer des animaux maléficiés, et notamment le ke (( chien-tonnerre »). On a l'idée
que la foudre ne vient pas du ciel, mais qu'elle est portée par un chien maigre envoyé par un
sorcier. Le maléfice dont cet animal est chargé explose à proximité de l'individu visé, et l'on
affirme qu'en général il est seul atteint.
Ceux qui ont volé des femmes sont spécialement visés par les ge ke.
- Envoyer des maladies, en brûlant certaines herbes quand le vent souffie dans la direction
de la maison de ses ennemis.
(1) Seuls les m~lfw;J, connus de tous, n'exercent que des rites de protection. Mais les m~lfw;J sont peu nombreux, tandis
que chacun connaît nombre de gE kE:, et ne se fait pas faute de les consulter.
(2) Mme Denise PAULME, Les Gens du riz. Paris, Plon, 1954.
120 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILEKE
Sociétés «totémiques ».
Il existe un certain nombre de petites sociétés de magie, dont les membres recherchent le
ke (N), lui (T), c'est-à-dire la force magique, dont un des aspects est le pouvoir de se changer en
panthère, en chimpanzé ou en divers animaux. C'est ce que plusieurs auteurs ont appelé sociétés
(ctotémiques ».
. Les magiciens héréditaires (Marlkhüi) et les notables qui ont acquis le pouvoir magique
peuvent le communiquer à celui qui accepte des rites longs et coûteux, mais pas à n'importe qui.
Il faut déjà avoir par hérédité un degré élémentaire de force magique, ce que les Bamiléké
appellent « avoir le hibou dans le ventre ». Celui qui a le hibou peut déjà par ses propres moyens
se changer en hibou, soit pour surveiller ses biens, soit pour nuire. Insistons bien sur l'idée que
pour les Bamiléké ces pouvoirs ne sont ni bons ni mauvais en eux-mêmes, tout dépend de l'usage
que l'on en fait. On admet que celui qui a le hibou peut nuire en absorbant la force vitale de ses
ennemis, en les « mangeant ».
Cette forme de magie se pratique en marge de la vie sociale régulière; elle est tolérée par
les chefs, sous réserve qu'elle ne conduise pas à des activités anti-sociales. Ces sociétés n'ont
aucune activité publique et ne peuvent être regardées comme des institutions coutumières au
même titre que les sociétés de la chefferie.
Les membres de ces sociétés s'interdisent, en principe, de nuire à quiconque. Les postulants
sont soumis à un rite qui a pour but de contrôler la pureté de leurs intentions; ils doivent
dans l'obscurité choisir un os parmi un lot d'ossements divers qui leur est présenté. S'ils choi-
sissent un os humain ou un os d'animal domestique, leur candidature est refusée car ils feraient
un mauvais usage de leur pouvoir magique.
Le ke (N), ka (T) est recherché comme un moyen de défense, principalement contre les
mauvais hommes-panthères, qui ont acquis leur pouvoir dans des sociétés de magie noire.
Les ge ke (N), ga ka (T), c'est-à-dire ceux qui sont supposées avoir acquis ces pouvoirs
magiques, n'ont pas d'activités spécialement dirigées vers l'alliance avec tel ou tel animal, et
l'on cite tel d'entre eux qui notoirement « a» simultanément une panthère et un chimpanzé.
Le fait d'avoir comme disent les villageois cc une panthère dans le ventre » n'empêche pas d'avoir
également d'autres animaux.
Les ge ke sont environnés d'une crainte respectueuse. Personne ne leur demande compte
de l'usage qu'ils font de leur pouvoir, car ils sont supposés l'exercer en dehors du territoire de
la chefferie. Par exemple, un homme de Batié est supposé rôder la nuit, transformé en panthère,
sur le territoire de la chefferie de Bamendjou. Réciproquement la chefferie est supposée être le
champ d'action de forces maléfiques venues du dehors. L'action des sociétés J(urlgii a en partie
pour but de soutenir la lutte contre ces forces.
En fait, quand une chèvre est enlevée par une panthère, chacun est persuadé que c'était
son voisin ou l'un de ses ennemis intimes qui était dans l'animal, et on raconte à ce sujet de
nombreuses histoires, très semblables à celles que l'on peut recueillir dans toute l'Afrique Équa-
toriale et aux Antilles.
La magie en rapport avec la panthère, rlgüi, et le chimpanzé, pukap, parait être pratiquée
de façon assez variable d'une chefferie à l'autre. A Bandjoun on parle de sociétés d'hommes-
panthères et de sociétés d'hommes-chimpanzés, ces derniers plus spécialement axés sur la protec-
tion contre les hommes-panthères des autres chefferies.
Il semble qu'à Batié, de même que dans les petites chefferies, l'activité de ces sociétés de
magie est pratiquement confondue avec celle de sociétés kUrlga de quartier, dont chacune est
centrée sur un des principaux ga ka.
NOTES SUR LES GRO y ANGES DES BAMILl$Kl$ 121
En toute hypothèse, l'expression « société totémique ", utilisée par plusieurs auteurs, ne
nous parait pas à retenir, car elle préjuge des résultats de l'enquête et risque de l'orienter vers
des généralisations hasardeuses; au stade où elles en sont, les études sur les croyances des Bami-
léké ont tout à gagner à être rédigées dans le vocabulaire courant.
Si un homme meurt d'hydropisie, on dit que c'était un ge sua et qu'il a été ainsi châtié de
ses crimes. C'est une honte extrême pour ses proches, et on se hâte de faire ponctionner à l'article
de la mort, les malades dont le ventre gonfle. Si le scandale ne peut être évité, le défunt est
privé de lamentations. Ses plus proches parents maternels sont requis pour effectuer des rites
de protection comportant l'ouverture du cadavre; s'ils s'y refusent, ils sont considérés à leur
122 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILgKg
tout comme des gs sua car il est admis que ces pouvoirs maléfiques s'héritent en ligne maternelle
(par exemple qu'un homme peut les transmettre au fils de sa sœur).
D'autre part, les enfants du défunt se hâtent d'aller prévenir le chef en lui portant une
chèvre sur laquelle il exécute un rite de transfert; la chèvre est ensuite abandonnée dans la
brousse; ces rites de transfert expliquent pourquoi on ne recueille jamais les animaux (poules,
chèvres) trouvés dans la brousse; cette croyance paraît largement répandue en Afrique Équato-
riale et chez les Noirs d'Amérique.
Les parents en ligne paternelle de l'homme mort d'hydropisie ne sont pas inquiétés et
l'héritage a lieu normalement. Le défunt est enterré dans la brousse à une grande profondeur ;
en fait, au bout de quelques années, l'héritier va en secret recueillir le crâne... car le fait que
le défunt ait été sorcier n'enlève rien à sa valeur en tant qu'ancêtre.
case, les haillons les plus sales, etc., et vont nuitamment les jeter sur le territoire de la chefferie
voisine. Bien entendu les habitants de cette chefferie font de même. Si quelqu'un aperçoit ces
ordures le lendemain, il n'a rien à craindre, mais, s'il se trouve là au moment où la femme les
jette, il doit lui-même se purifier avec l'aide d'un devin. .
Ces rites sont les plus importants du pays Bamiléké, car ils concernent toute la population
et sont regardés comme indispensables à la vie et à la prospérité de la chefferie. Aucun de nos
informateurs n'était capable de se former une représentation d'ensemble de leur signification
et de leur but exact. On ne peut donc qu'en donner une description extérieure, qui permet de
les interpréter comme des rites agraires.
ke signifie au sens le plus général la magie; nous avons vu qu'il existe des sociétés secrè-
tes de magiciens -ge ke, qui visent à utiliser la force magique des animaux de la brousse. Les
rites du ke sont de nature toute différente, ils concernent l'ensemble de la population et les
sociétés qui y participent le font au grand jour.
Le ke est célébré une année sur deux - les autres années sont dites années de nje (nje =
balafon) ; - on n'y célèbre aucun rite.
Le ke commence fin mars au moment où on l'on prépare la terre en vue des semailles, du
maïs, et durent 9 semaines de 8 jours, soit jusqu'en fin juin. A Bandjoun, le signal est donné par
une société secrète appelée maso, qui se réunit dans un petit bois proche de la chefferie, et prévient
le chef par un rythme de tambour; cette nuit là, personne ne doit sortir de chez lui.
Il est intéressant de noter que dans l'esprit des simples habitants, les maso sont des
entités non humaines, venues d'un pays mystérieux et prenant la forme de fruits, d'animaux
domestiques, de tambours, etc. Après ces neuf semaines, ils repartent pour deux ans et on perd
tout contact avec eux. Il semble que ces rites ont pour but de capter cette force magique et d'en
faire bénéficier la terre et les hommes. On emploie pour le désigner l'expression na te ke, libérer
le ke, le même verbe serait employé pour dire: libérer un prisonnier.
Pendant ces neuf semaines, on peut dire que le pays Bamiléké vit sous une autre loi. Alors
qu'en temps normal les simples habitants doivent faire preuve de réserve et modeler leur compor-
tement selon la place dans la hiérarchie, la coutume veut que dans cette période ils rient et
chantent tout le jour, les femmes en travaillant les terres, les hommes en vaquant à leurs occupa-
tions. Dans ces chants on improvise tout ce qui vous vient à l'esprit, on se moque de ses voisins,
on clame toutes sortes de commérages vrais ou faux. L'essentiel est de rire et de faire rire tout
le jour. C'est ce qu'on appelle chanter le rJgam, coutume dont on retrouve l'équivalent dans bien
des civilisations africaines (1).
Au cours de cette période, un jour chaque semaine de huit jours, a lieu la danse de ke, rite
dont l'importance tend à se perdre, mais qui constituait autrefois une étape essentielle dans la
vie d'un adolescent. Quiconque n'avait pas dansé le ke n'était pas entré dans le monde des adultes.
Le rite de passage était fort simple et ne comportait ni retraite en brousse, ni apprentissage long
ou pénible. Les associations coutumières de jeunes gens, dont la fonction essentielle était de
(1) Les luttes symboliques de jeunes gens, fréquemment associés à ce type de rites, ne paraissent pas connues en pa)'s
Bamiléké, tout au moins de nos jours.
124 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILEKE
transmettre le droit de danser le ke, avaient des noms et un mode de fonctionnement très variables
d'une chefferie à l'autre, et en fait n'avaient qu'une activité élémentaire, les adolescents étant
abandonnés à eux-mêmes et se contentant d'imiter extérieurement le comportement d'une
société coutumière d'adultes. Mais on trouve partout une idée de base, exprimée toujours avec
beaucoup de force et de nettement; le droit de danser le 1re, d'être considéré désormais comme un
homme, doit être payé. Ce paiement est une très lourde charge, dont le postulant ne peut
s'acquitter qu'avec l'aide de sa famille; il doit faire un versement de grains de maïs à chacun
des membres de la classe d'âge précédente de la même société. C'est ce qu'on appelle na küimlsa
ke mbi N... , verser le droit de ke à N.
Ce paiement relativement très lourd, les démarches et les soucis qu'il impose, donnent aux
yeux des Bamiléké toute sa valeur au rite de passage, et l'on peut dire qu'ils en sont l'essence
même.
Quelques années après, l'adolescent recevra d'un plus jeune l'équivalent de ce qu'il aura
versé; ainsi se perpétue, à travers une chaîne de classe d'âges, un échange qui relie le nouvel
adulte aux premiers fondateurs de la chefferie.
Une femme de chef qui a eu des jumeaux peut entrer directement dans les sociétés coutu-
mières les plus fermées de la chefferie, où aucune femme à l'exception des héritières de mafa
ne peut normalement avoir accès.
La première fois qu'une femme a des jumeaux, ils reçoivent les noms suivants:
Le premier né Fonkam (garçon ou fille)
Le second Gamnœ (fille) ou Founwo (garçon)
NOTES SUR LES CROYANCES DES BAMILItI{É 125
La deuxième fois qu'une femme a des jumeaux (et les fois suivantes le cas échéant)
ils reçoivent les noms :
Le premier Foko ou Fotyce (garçon), Mènwo (fille).
Le second Kemnyœ, garçon ou fille.
L'enfant qui naît après des jumeaux est appelé Kannyœ - contraction de kii muny~
ICabriter les jumeaux ll.
Celui qui était né avant les jumeaux prend le nom de Nda mhak, « celui qui prend les
jumeaux ll.
Les père et mère de jumeaux changent leur nom en celui de Te'IJkhû, Me'IJkhù (cc Père des
enfants, mère des enfants »).
PL. XV
Les conceptions sur lesquelles repose la civilisation Bamiléké, système de parenté et système
social, sont d'une puissante originalité et diffèrent entièrement de ce qu'on rencontre chez les
autres populations du Cameroun.
Plus souples, plus efficaces que les systèmes ordinaires axés sur la formation de grands
lignages indifférentiés , elles donnent à la société Bamiléké un dynamisme et une capacité
d'adaptation qui expliquent son expansion.
Le système Bamiléké donne à l'individu une liberté et une initiative pratiquement complètes,
sans le priver du soutien matériel et moral du culte des ancêtres.
Mais la société Bamiléké repose entièrement sur le chef. La poussière de petits lignages
agglomérés sur le territoire d'une chefferie n'ont d'autres liens religieux que ceux qui les unissent
à la personne du chef, détenteur d'un pouvoir d'essence suprahumaine.
Cette position particulière du chef a fait dans le passé la force de la société Bamiléké; mais
elle constitue maintenant un grave danger; car le pouvoir du chef, combattu par des mouvements
politiques extérieurs à la vie des chefferies, ne s'exerce plus ou même a été renversé par la force.
Au moment où nous écrivons ces lignes, le désordre et la violence règnent sur l'ensemble du pays
Bamiléké, tendant à prendre un caractère endémique.
.Comment en est-on venu là ?
Le drame de la surpopulation.
culte des ancêtres et du système de parenté; d'ailleurs cette coutume n'a jamais été sérieusement
contestée parmi les villageois. Quand un héritage donne lieu à contestation, le revendicateur
ne demande pas le partage, il cherche à chasser l'héritier pour prendre sa place.
Au point de vue économique, il n'en serait résulté aucun avantage; diviser des terres déjà
insuffisantes et trop morcelées aurait entraîné une baisse sensible de la production agricole.
En réalité, la seule solution du problème Bamiléké eut été de faciliter la création de nouvelles
chefferies sur des terres situées en altitude, seules convenant à leur mode d'exploitation; mais
les Allemands, premiers occupants européens, préférèrent s'appuyer sur les Bamoun, consacrant
les droits de ceux-ci sur des terres dont ils venaient de s'emparer par la force, et qu'ils occupaient
avec une densité très faible, cultivant peu et de façon primitive. Ainsi s'est créé le malaise
Bamiléké, qui est allé en s'aggravant régulièrement, jusqu'à l'explosion actuelle. Pour améliorer
le niveau de vie, il aurait fallu développer les cultures en vue de l'exportation, et le manque de
terres l'empêchait. Les villageois mécontents ont prêté une oreille plus attentive à la propagande
des mouvements extrémistes, et sans approuver leur action, n'ont pas lutté activement contre
eux comme ils l'auraient fait naguère.
L'administration et la coutume.
Les conceptions qui ont prévalu dans les rapports entre l'administration et les chefferies
ont elles aussi beaucoup contribué à ruiner le pouvoir du chef et à enlever aux institutions
coutumières leur efficacité.
Le problème est d'ailleurs fort délicat, et la nouvelle administration camerounaise se trouvera
en présence des mêmes difficultés que l'administration française à laquelle elle succède. La mise
en place d'institutions imposées de l'extérieur ne les fera pas disparaître.
Le législateur ne combat pas la coutume et les pouvoirs publics ont fondé des tribunaux qui
jugent en fonction du droit coutumier; mais de quel droit coutumier?
La législation ne reconnaît pas toute la coutume. Elle retranche à priori de ses dispositions
tout ce qui est jugé immoral, contraire à la liberté individuelle ou par trop contraire aux principes
juridiques européens. Citons notamment:
- L'héritage des veuves dans le Sud Cameroun.
- Le mariage sous le régime ta 'l}kap chei les Bamiléké.
R&FLEXIONS SUR L'A VENIR DES INSTITUTIONS BAMIL&K& 129
En fait, il existe désormais deux juridictions coutumières distinctes, celle des chefs qui
applique toute la coutume, et celle des tribunaux qui l'applique partiellement. Les justiciables
ont tôt fait de comprendre qu'ils avaient intérêt à s'adresser tantôt à l'une, tantôt à l'autre.
Celui dont on a enlevé la fille ira au tribunal du chef demandant le versement d'une dot de
80.000 francs. Mais si à son tour il enlève une fille, il se présentera au tribunal de la subdivision,
essayant d'obtenir un jugement qui la lui attribuera moyennant le versement de 5.000 francs
prévu arbitrairement par la loi. Nous présentons cela sous une forme volontairement schéma-
tique; les choses sont plus nuancées dans la pratique, mais il importe de comprendre que dans
bien des cas, les plaignants qui se présentent devant les tribunaux des subdivisions cherchent
à jouer de cette différence d'interprétation pour obtenir un avantage personnel entièrement contraire
à la vraie coutume.
Est-ce bien là la façon de faire évoluer la coutume? on peut en douter. Dans aucune législa-
tion au monde on ne peut trancher arbitrairement. Un système juridique forme un bloc sans
fissures, dont on ne peut rien retrancher sans risquer de le faire tomber en poussière. Nous avons
montré par exemple que le mariage sous le régime la rJkap était intimement lié au culte des
ancêtres et au système de parenté; il est lié de façon tout aussi évidente à l'indivision de
l'héritage: un système social qui oblige les fils non héritiers à s'établir en partant de rien doit
absolument leur fournir les moyens de se marier sans rien débourser.
Mais ce n'est pas là le plus grave. Le grand reproche qu'on doit faire aux tribunaux officiels,
c'est qu'ils appliquent la coutume sans admettre les croyances sur lesquelles elle repose, et par
conséquent en la coupant entièrement de sa racine.
Il ne peut naître de là qu'une juridiction hybride aussi peu satisfaisante pour le juge que
pour le justiciable, et dans une large mesure, dépourvue de valeur pratique et de pouvoir. C'est
un fait bien connu qu'il devient de plus en plus difficile d'obtenir l'exécution des sentences des
tribunaux coutumiers. C'est précisément parce que ces tribunaux n'admettent pas les sanctions
coutumières, qui sont, nous l'avons vu, essentiellement d'ordre religieux et magique.
Il faut méconnaître singulièrement les réalités pour croire que la promulgation d'une loi
écrite, même élaborée par des juristes africains, puisse avoir une action même indirecte sur les
croyances et sur les comportements qu'elles inspirent. C'est là une démarche entièrement contraire
aux enseignements de l'histoire. N'est-il pas évident qu'au cours de l'évolution des sociétés, la
loi n'a fait que suivre les transformations de la coutume et des mœurs, sans jamais pouvoir rien
imposer?
Dans la mesure où elle est contraire à la coutume du pays, la loi écrite ruine les institutions
coutumières sans les remplacer réellement; elle crée dans la population un état de tension et de
malaise qui peut conduire, là où la population est dense et les problèmes sociaux aigus, à une
situation explosive.
La sanction.
Nous sommes ici au cœur du problème. Nous avons vu que la coutume n'édictait rien qui
ne comportât des sanctions matérielles et redoutables:
La punition infligée par le chef (amende, corvée, dans les cas graves expulsion).
La sanction que l'on peut appeler, faute d'un mot mieux approprié, suprahumaine.
Dans l'esprit des Bamiléké, des châtiments s'abattent sur le parjure par l'effet des impréca-
tions prononcées contre lui-même, appelant sur lui la colère de ses ancêtres ou de son dieu
familial.
10
130 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMIL~K~
Ceci aide à comprendre le rôle fondamental de l'épreuve Judiciaire dans la conduite des
procès coutumiers et dans l'exécution des sentences.
Puisque le crâne de mon père a un pouvoir sur mes frères et sur moi, il doit permettre de
nous départager, en attirant le malheur sur celui de nous qui en sa présence aura prononcé un
faux serment.
Or la législation officielle admet bien le culte des ancêtres, puisqu'elle admet l'indivision
de l'héritage, au profit d'un héritier unique dont la fonction véritable est de perpétuer le culte
du fondateur. Mais elle se refuse à admettre l'épreuve judiciaire, le serment sur le crâne, qui
résulte immédiatement de ce culte.
Croire que des jugements de droit privé, comme des remboursements de dot, peuvent être
exécutés par simple respect de la loi, c'est faire preuve de la plus profonde incompréhension de
la mentalité du villageois en général et du villageois Bamiléké en particulier. Le débiteur se
déclare en général insolvable, et il l'est effectivement, dans un grand nombre de cas; s'il n'est
. pas poussé par le sentiment d'une obligation absolue, il déploie pour différer le remboursement
de sa dette une mauvaise volonté ingénieuse qui défie tous les efforts.
Il est permis de trouver déplorable qu'une population soit astreinte à traiter ses affaires
de familles devant des juges qui n'admettent pas ses croyances et ne partagent pas ses mœurs.
Dans la société traditionnelle, le chef supporte en tant qu'administrateur les conséquences des
jugements qu'il a prononcés. S'il rend un jugement s'écartant de la coutume, il sait qu'il a créé
un précédent, et prévoit les répercussions de cette innovation sur l'ensemble de l'édifice social.
La législation coutumière officielle confie le soin de juger à des fonctionnaires que rien ne relie
aux institutions des chefferies et qui souvent, connaissant mal les fondements religieux de la
coutume, ne mesurent pas la portée de leurs décisions. Chefs et notables, responsables de l'admi-
nistration des chefferies, sont alors placés dans la quasi-obligation d'ignorer les jugements rendus
à l'encontre de la coutume, et de laisser celle-ci s'enfoncer dans la clandestinité. Les institutions
Bamiléké ont été presque entièrement ruinées par quarante années de ce régime.
L'administration et le chef.
Qu'est-ce que le chef pour les simples villageois? Si l'on interroge n'importe lequel
d'entre-eux, il répond toujours ceci:
- Le chef « juge le village ll.
- Le chef est maître de la terre.
Le chef étant juge suprême de la collectivité, il est clair que coutumièrement nul ne peut
plaider contre lui. En tolérant que n'importe quel habitant frappé d'une sanction coutumière
puisse assigner le chef au tribunal de la subdivision, l'administration sape le pouvoir du chef
à sa racine même.
Le chef, maître de la terre, à le pouvoir d'expulser coutumièrement ceux qui par des fautes
graves et répétées se sont mis en dehors de la vie de la collectivité. Or ce droit n'est pas reconnu
par l'administration.
Il semble qu'on souhaitait voir s'établir une forme de vie où le chef eut gardé son prestige
et son influence, où les habitants lui fussent restés fidèles par tradition, sans qu'il eût à exercer
des pouvoirs contraires au droit individualiste européen.
Mais ceci est une complète illusion: les villageois ne raisonnent pas ainsi: ils ont besoin
du chef parce que sans lui, le sol ne porterait pas de récoltes et le pays serait accablé de calamités.
Si le chef n'est plus maître de la terre, s'il ne peut plus expulser les voleurs et les malfaisants,
si on peut le braver impunément sur son propre sol, alors il n'est plus chef, il n'est plus rien,
on n'a plus besoin de lui.
On s'est trop longtemps abusé sur l'idée de « tradition ll. Croire que les villageois resteraient
fidèles, par tradition, à des institutions dont la fonction aurait disparu, comme les Jeux Floraux
ou la Commune Libre du Vieux Montmartre, c'est montrer la plus profonde incompréhension
de la psychologie africaine. L'Afrique ne s'attache qu'à des institutions vivantes: si le chef est
maître de la terre, il doit disposer d'un pouvoir effectif, et l'exercer.
La propriété du sol.
Menacée par l'altération du droit coutumier, la société Bamiléké l'est plus gravement encore
par le projet d'introduire les lois européennes sur la propriété foncière individuelle.
Reconnaître des droits fonciers aux occupants actuels du sol, qui ne détiennent qu'un droit
d'usage, révocable pour indignité, c'est frapper à mort le principe même sur lequel est établi
la vie sociale et religieuse des Bamiléké.
Le chef est maître de la terre, parce qu'héritier des ancêtres fondateurs, dont dépend la
fertilité du sol et la prospérité des habitants. Au cours de l'enquête menée en 1955, nous avons
trouvé cette notion tout à fait admise par les villageois. Les demandes de reconnaissances de
droits fonciers n'étaient formulées que très rarement, et seulement pour des zones situées dans
le périmètre d'extension des villes.
La révocation par le chef du droit d'usage accordé une portion de terre à un homme et à ses
héritiers successifs est exercée très rarement, et pour des faits très graves. Les habitants honnêtes
jouissent donc sur leur terre, eux et leurs héritiers, d'une sécurité quasi totale. Ils ne possèdent
qu'un droit d'usage, mais lui aussi de nature sacrée, garanti par le dieu que leur ancêtre a établi.
Le chef Intervient essentiellement pour reprendre les concessions abandonnées et les attribuer
à de nouveaux installés: fils non héritiers, émigrés de retour au pays.
Ainsi que nous l'avons montré par l'étude du quartier Hyala à Batié, il y a un mouvement
incessant dans l'attribution des concessions. Les deux tiers d'entre elles changent de titulaire à un
intervalle inférieur à une génération.
132 LA STRUCTURE SOCIALE DES BAMILl!:Kl!:
Il n'est pas difficile d'imaginer ce qui se passerait si des droits fonciers réels étaient attribués
aux occupants actuels: au bout de quelques années il y aurait autant de procès que de concessions.
Celui qui désirerait émigrer voudrait vendre ou louer sa parcelle à des prix exorbitants, sans
trouver facilement d'acquéreur. Ou bien les nouveaux arrivés s'installeraient de force sur les
terres inoccupées, provoquant palabres et procès, ou bien au bout d'un certain temps une impor-
tante proportion des terres demeureraient inutilisées, et l'émigration vers la ville se trouverait
dramatiquement accrue.
Une autre conséquence inéluctable de l'entière propriété et de la libre vente du sol, c'est
la dépossession rapide des pauvres par les riches, que le régime traditionnel de la chefferie tendait
précisément à éviter.
En se plaçant à un point de vue purement utilitaire, on peut affirmer que le régime tradi-
tionnel d'occupation des terres est le seul possible, vue la densité de la population et ses mouve-
ments incessants; c'est un régime commode et pratique qui permet une bonne utilisation du sol
en assurant à chacun une sécurité parfaite. Si le régime des chefferies est supprimé, les fonctions
du chef à cet égard devront être exercées, que ce soit par un comité politique local ou une autorité
de fait quelconque.
Les institutions.
Le drame de la société Bamiléké, c'est que ses institutions sont renversées par un mouvement
inspiré de l'extérieur, alors que le système de croyances sur lequel il repose demeure pratiquement
intact. Et ces croyances sont si particulières qu'on ne voit pas comment elles pourraient s'accorder
avec des institutions empruntées à d'autres populations. Au cours de l'enquête de 1955, nous
avons remarqué l'adhésion profonde des villageois au culte des ancêtres et à l'ensemble des
croyances et des comportements qui lui sont liés. Ceux d'entre eux qui ont été à l'école et qui
se déclarent chrétiens ont reçu d'autres idées et d'autres croyances, mais ils ne renient pas pour
autant les croyances traditionnelles, qui continuent à inspirer leur comportement de façon
presque exclusive.
La chefferie, avec ses institutions complexes, ses coutumes particulières, sa langue parfois
très différente de celle des groupements voisins, apparaît à la presque totalité d'entre eux comme
la nation, on peut même dire la patrie. Le chef est à leurs yeux le symbole vivant de cette nation,
ainsi que l'arbitre suprême des querelles familiales.
En 1955, on ne percevait pas parmi les villageois de véritable malaise; ils n'obéissaient pas
volontiers aux ordres du chef quand ils imposaient de lourdes obligations, et avaient volontiers
à son égard une attitude frondeuse, sachant que l'administration lui avait enlevé tout pouvoir
matériel. Mais la presque totalité d'entre eux étaient attachés aux institutions traditionnelles,
et désiraient d'autant moins un changement radical qu'ils étaient incapables d'en concevoir
d'autres. Nous sommes persuadés que la grande majorité des villageois Bamiléké ont vu avec
horreur et consternation une minorité armée venue des villes renverser leurs institutions par la
force.
Quel est maintenant l'avenir de la société Bamiléké? Les municipalités élues pourront-elles
fonctionner efficacement et remplacer les institutions renversées? Il est permis d'en douter.
Introduire à la place du régime des chefferies une municipalité élue est beaucoup plus difficile
que dans la plupart des sociétés africaines. Un village du Nord Cameroun par exemple est
constitué par l'association de quelques grands lignages, dont les chefs constituent, aux côtés du
chef de groupement qui est l'un d'eux, un conseil coutumier. Dans une élection, les membres
d'un lignage font bloc autour de leur chef; dans ces conditions une municipalité élue n'est pas
difficile à établir; le nouveau régime sanctionne ce qui existait en fait.
RÉFLEXIONS SUR L'AVENIR DES INSTITUTIONS BAMII ÉI{É 133
Il n'en est pas de même en pays Bamiléké en raison du fractionnement extrême des lignages,
de l'opposition entre les héritiers et les non-héritiers, entre les descendants des chefs et les autres
catégories de notables, etc. On se trouve en présence des mêmes problèmes que dans les popula-
tions détribalisées des villes; on sait à quelles difficultés se heurtent le fonctionnement des
municipalités dans des agglomérations possédant pourtant l'armature administrative et le
groupement matériel indispensables; ces difficultés seront aggravées ici par l'extrême dissémi-
nation de la population, répartie avec une densité uniforme sur tout le territoire de la chefferie,
et ne possédant ni chef-lieu, ni agglomération permanente. On ne voit pas dans ces conditions
qu'il soit possible de faire fonctionner efficacement des institutions importées de l'extérieur et
sans racines profondes dans la coutume du pays.
Et c'est peut-être là pour l'avenir un élément d'espoir. Les Bamiléké ne pourront en fait
compter que sur eux-mêmes pour résoudre leurs problèmes et élaborer de nouvelles institutions.
Il est malheureusement probable que la crise ouverte en 1956 sera longue, marquée encore par
bien des souffrances. Mais les nécessités de la vie obligeront tôt ou tard à trouver un nouvel
équilibre acceptable pour tous.
BIBLIOGRAPHIE
Nous n'avons pas jugé utile de faire figurer une bibliographie; l'ouvrage de M. C. Tardits :
Les Bamiléké de l'Ouest-Cameroun (1), contient une liste exhaustive de ce qui a été écrit sur
les Bamiléké depuis les premiers établissements européens, y compris les rapports manuscrits
figurant dans les archives locales, à laquelle on devra se référer.
(1) C. TARDITs,'Les Bamiléké de l'Ouesl-Cameroun, Paris, Berger-Levrault, Collection L'Homme d'Outre-Mer, nouvelle
série, T. IV, 1962.
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