Cours 1
Cours 1
Cours 1
Daniel PERRIN
Introduction
Ce chapitre a une grande importance didactique. Il s’agit de savoir sur
quelle axiomatique (implicite) est fondée la géométrie enseignée au collège et
au lycée et même s’il en existe une. En vérité, il y a deux grandes axiomatiques
possibles 1 : celle d’Euclide 2 (et de ses héritiers, notamment Hilbert) et celle
des espaces affines et vectoriels. Au début des années 1970, on a tenté d’in-
troduire cette deuxième axiomatique (au lycée). C’est l’épisode de la réforme
des maths modernes. Globalement, cela a été un échec. Pour une analyse de
ces tentatives, voir dans [Kahane] le chapitre concernant la géométrie.
Dans ce cours, nous allons présenter d’abord l’axiomatique d’Euclide.
Il faut savoir que le travail d’Euclide est extraordinaire, un sommet des
mathématiques. Cependant, nous y verrons, dès le début, des imperfections 3 ,
notamment sur les problèmes de position, qui conduiront Hilbert, vers 1900,
à en proposer une refonte. Dans un autre cours, nous discuterons l’un des
axiomes essentiels de la géométrie d’Euclide : le fameux postulat des parallèles
et nous verrons que son rejet a mené à la naissance de nouvelles géométries
dites non euclidiennes. Par paresse, j’ai inclus assez peu de figures dans ce
texte, mais le lecteur ne manquera pas de faire celles qui manquent.
1
1.1 Définitions
Définition 1 : Le point est ce qui n’a aucune partie.
Définition 2 : Une ligne est une longueur sans largeur.
Définition 3 : Les extrémités d’une ligne sont des points.
Définition 4 : La ligne droite est une ligne dont l’extension entre deux
quelconques de ses points est égale à la distance entre ces points.
Définition 5 : Une surface est ce qui a seulement longueur et largeur.
Définition 6 : Les extrémités d’une surface sont des lignes.
Définition 7 : La surface plane est celle dont l’extension entre deux quel-
conques de ses droites est égale à la surface comprise entre ces droites.
Définition 8 : Un angle plan est l’inclinaison mutuelle de deux lignes qui
se touchent dans un plan et qui ne sont point placées dans la même direction.
Définition 9 : Lorsque les lignes, qui comprennent ledit angle, sont des
droites, l’angle se nomme rectiligne.
Définition 10 : Lorsqu’une droite tombant sur une droite fait deux angles
adjacents égaux entre eux, chacun des angles égaux est droit et la droite
abaissée est dite perpendiculaire à celle sur laquelle elle s’arrête.
Définition 11 : L’angle obtus est celui qui est plus grand qu’un angle droit.
Définition 12 : L’angle aigu est celui qui est plus petit qu’un angle droit.
Définition 13 : Un contour est ce qui délimite quelque chose.
Définition 14 : Une figure est ce qui est compris à l’intérieur d’un ou de
plusieurs contours.
Définition 15 : Un cercle est une figure plane, comprise par une seule ligne
qu’on nomme circonférence et telle que toutes les droites issues d’un point
intérieur (unique) vers la circonférence sont égales entre elles.
Définition 16 : Et ce point se nomme centre du cercle.
Définition 17 : Le diamètre du cercle est une droite menée par le centre,
et terminée de part et d’autre par la circonférence du cercle : le diamètre
partage le cercle en deux parties égales.
Définition 18 : Un demi-cercle est la figure comprise entre un diamètre et
la circonférence d’un cercle.
Définition 19 : On appelle figures rectilignes les figures délimitées par les
lignes droites ; ainsi nous appellerons :
trilatères les figures délimitées par trois lignes droites ...
Définition 20 : Parmi les figures trilatères on appelle :
triangle équilatéral la figure qui possède trois côtés égaux,
triangle isocèle celle qui a seulement deux côtés égaux,
triangle scalène celle dont les trois côtés sont inégaux.
Définition 21 : On appelle de même :
triangle rectangle tout triangle qui possède un angle droit,
2
triangle obtusangle tout triangle qui possède un angle obtus,
triangle acutangle tout triangle qui a ses trois angles aigus.
Définition 22 : Parmi les figures quadrilatères, on appelle :
carré celle qui est équilatérale et rectangulaire,
rectangle celle qui est rectangulaire, et non équilatérale,
losange celle qui est équilatérale, et non rectangulaire,
parallélogramme celle qui a ses côtés et ses angles opposés égaux entre
eux, et qui n’est ni équilatérale ni rectangulaire,
trapèzes tous les autres quadrilatères (sic).
Définition 23 : Les parallèles sont des droites qui, étant situées dans un
même plan, et étant prolongées à l’infini de part et d’autre, ne se rencontrent
ni d’un côté ni de l’autre.
3
Axiome 7 : Les grandeurs qui sont les moitiés d’une même grandeur sont
égales entre elles.
Axiome 8 : Les grandeurs superposables sont égales entre elles.
Axiome 9 : Le tout est plus grand que la partie.
(Axiome 4 10 : Deux droites ne délimitent point d’aire.)
2.1 La proposition 4
Il s’agit de ce qu’on appelle le premier cas d’isométrie (on disait autrefois
d’égalité) des triangles. Voir ci-dessous une discussion sur l’utilisation de ce
résultat.
Proposition. Si deux triangles ont deux côtés égaux respectivement et les
angles compris entre ces côtés égaux, ils auront de même égaux les troisièmes
côtés et les triangles seront aussi égaux, ainsi que leurs angles restants op-
posés aux côtés égaux.
4
Par conséquent, le triangle ABΓ tout entier coı̈ncidera avec le triangle
∆EZ tout entier et il lui sera égal, et les angles restants de l’un coı̈ncideront
avec lesLaangles
preuverestants
d'Euclide
dedul’autre
premier
et cas
ils d'égalité des triangles égaux entre
seront respectivement
eux, à savoir : ABΓ = ∆EZ et AΓB = ∆ZE.
\ \ \ \
" B
A
! E
5
2.2 Une parenthèse : utilisation des cas d’isométrie
2.2.1 Introduction et historique
Les cas d’isométrie des triangles, ainsi que les cas de similitude, sont un
des outils essentiels de la géométrie d’Euclide. Pendant deux millénaires, ils
ont été aussi l’outil essentiel de tous les géomètres et des collégiens. Au début
des années 1970, la réforme dite des mathématiques modernes les a bannis,
parce qu’elle préférait à l’axiomatique euclidienne celle des espaces vectoriels
et aux cas d’égalité l’usage des transformations. Voilà par exemple ce que
disait à ce sujet Jean Dieudonné 9 :
... tout s’obtient de la façon la plus directe en quelques lignes de calculs
triviaux, là où auparavant il fallait ériger au préalable tout un échafaudage
complexe et artificiel de constructions de triangles auxiliaires, afin de se ra-
mener vaille que vaille aux sacro-saints “cas d’égalité” ou “cas de similitude”
des triangles ...
C’est l’un des points que je conteste le plus dans cette réforme et dont les
conséquences restent très importantes. Les cas d’égalité et de similitude sont
réapparus en seconde (ce qui n’est pas le bon endroit mais c’était mieux que
rien), en 2000. Ils viennent à nouveau d’être supprimés en 2009. Je pense,
j’ai dit, j’ai écrit un peu partout (voir notamment [Kahane]), que c’est une
grave erreur, mais j’ai l’impression de prêcher dans le désert ... Attention,
cela ne signifie pas que je sois hostile à l’usage des transformations 10 et des
groupes, bien au contraire.
Je vais expliquer ma position, avec des arguments mathématiques, puis
leur illustration didactique.
6
Lorsque le groupe n’est pas transitif, l’objectif est de décrire ses orbites,
c’est-à-dire de donner un critère commode pour savoir si deux éléments
peuvent ou non être transportés l’un sur l’autre. Beaucoup d’invariants géomé-
triques peuvent s’interpréter en ces termes de description d’orbites, en visant
un théorème du genre :
Deux éléments de X peuvent être échangés par l’action de G (i.e. sont
dans la même orbite) si et seulement si certains de leurs invariants sont les
mêmes.
Par exemple, deux segments peuvent être échangés par le groupe des
isométries si et seulement si ils ont même longueur. Deux couples de demi-
droites peuvent être échangés par le groupe des isométries si et seulement si
ils ont même angle.
Or, que font les cas d’isométrie des triangles ? Ils décrivent exactement
les orbites du groupe des isométries dans son action sur les triangles en
donnant des critères commodes qui permettent d’affirmer l’existence d’une
isométrie échangeant deux triangles (avec comme conséquence l’égalité des
autres éléments que ceux utilisés) sans être obligé, comme c’est le cas
actuellement, d’exhiber celle-ci. D’ailleurs leur démonstration est une
parfaite illustration de ce principe de transitivité : on envoie un sommet sur
un autre, puis une demi-droite sur une autre, etc. et peu importe qui est la
transformation finale. Parodiant le célèbre sketch de Pierre Dac et Francis
Blanche 11 on pourrait avoir ce dialogue :
— Votre sérénité, pouvez-vous envoyer ce triangle ABC sur cet autre
triangle A0 B 0 C 0 ?
— Oui
— Vous pouvez le faire ?
— Oui
— Il peut le faire !
7
cas d’isométrie ou de similitude dans lesquels cette voie est plus simple que
le recours aux transformations. À la lumière de ces exemples, je reprendrais
volontiers la citation de Dieudonné, en la renversant :
... tout s’obtient de la façon la plus directe en utilisant les “cas d’égalité”
ou “cas de similitude” des triangles, là où auparavant il fallait ériger au
préalable tout un échafaudage complexe et artificiel de constructions, afin de
se ramener vaille que vaille à la transformation pertinente ...
Soit ABC un triangle isocèle avec AB = AC > BC. On porte des points
D et E sur (AB) et (BC) tels que BD = CE = AB − BC. Montrer que
ADE est isocèle.
A
B E
C
C’est très facile avec les cas d’isométrie. En effet, on considère ACE et
EBD. Ils sont isométriques (deux côtés et un angle). On a donc AE = DE.
Bien entendu, on peut aussi traiter le problème par les transformations
(on peut toujours !). Il suffit de trouver la transformation qui passe de ACE à
EBD. L’examen du sens des angles montre que c’est une rotation 12 . On peut
donc la trouver comme composée de deux symétries en introduisant le point
F symétrique de E dans la symétrie σ1 par rapport à la médiane-hauteur
de ABC. On compose ensuite par la symétrie σ2 par rapport à la bissectrice
de ABC
\ et F vient en D (la droite (BC) vient sur (AB) et précisément la
demi-droite [BC) sur [BA) et on conclut en utilisant BF = BD). On en
conclut que, si ρ = σ2 σ1 , on a ρ(E) = D. Par ailleurs, on a σ1 (A) = A et
σ2 (A) = E (car le triangle ABE est isocèle en B donc la bissectrice est axe
de symétrie). On a donc aussi ρ(A) = E et, en définitive, EA = DE.
12. Et d’ailleurs, quand on sait cela, on peut préciser son centre ω. En effet, on doit
avoir ρ(E) = A, de sorte que ω est sur la médiatrice de [AE]. Comme on a AB = BE,
c’est aussi la bissectrice de l’angle ABE.
\ On doit aussi avoir ρ(C) = B et ω est donc sur
la médiatrice de [BC] donc sur la bissectrice de BAC.
\ En définitive, on voit que ω doit
être le centre du cercle inscrit dans ABC. Encore faut-il le prouver.
8
Plusieurs critiques sur cette démonstration.
0) Elle est moins visuelle : les surfaces (ici les triangles pleins) sont plus
faciles à percevoir que les lignes ou les points.
1) Il faut déjà repérer quelle est la transformation pertinente (en tous cas,
ici, on ne l’a fait qu’à partir des triangles !)
2) Elle nécessite une construction supplémentaire (le point F ).
3) Elle est nettement plus compliquée (cf. la discussion sur les demi-
droites) et nécessiterait de donner des indications aux élèves.
Proposition. Dans tout triangle isocèle les angles à la base sont égaux.
2.3.2 Discussion
Il y a une preuve bien plus simple, due à Pappus, qui consiste à dire que
les triangles ABC et ACB sont égaux (AB = AC, AC = AB et l’angle A b
commun). On en déduit B b = C.
b
Je ne sais pas pourquoi Euclide ne fait pas ça. Peut-être la répugnance à
utiliser le même triangle avec deux ordres d’énumération des sommets ? C’est
sans doute à ce type de preuve que Dieudonné pense dans la diatribe citée
plus haut.
2.4 La proposition 6
2.4.1 L’énoncé et la preuve d’Euclide
C’est la réciproque de la précédente :
9
Proposition. Si deux angles d’un triangle sont égaux, les côtés qui leur sont
opposés sont aussi égaux.
2.4.2 Discussion
La fin de la preuve est très suspecte. Ce qui est sous-jacent est sans doute
un argument d’aire, mais non explicité. On peut aussi utiliser le fait que, si
D est entre A et B on a BCD \ < BCA \ d’où une contradiction. Mais pour
que cela soit correct, il faut ajouter un axiome supplémentaire, par exemple
le suivant :
Si on a deux angles égaux ACB \ et DCB \ avec A, D du même côté de
(BC) les demi-droites [CA) et [CD) sont égales (et donc ici, A = D).
10
• Je fais une différence, au moins à ce niveau, entre lire les propriétés 13
“fermées” (alignement, concours, égalités d’angles ou de longueurs) et les
propriétés “ouvertes” (du même côté, à l’intérieur, etc.).
• Le professeur scrupuleux et angoissé peut 14 , lui, toujours établir ri-
goureusement (pour son usage personnel) les assertions de position. C’est ce
dont je veux vous convaincre dans les paragraphes suivants. Il suffit pour cela
d’avoir précisé soigneusement les axiomes et de faire un petit effort.
Attention, je répète que ce que je vais expliquer maintenant est à votre
usage, comme futurs professeurs, et absolument pas destiné aux élèves. Ce
serait un contre-sens de vous précipiter dans une classe de collège et de
démontrer les assertions de position évidentes sur la figure (vous risqueriez de
provoquer une émeute !). Au contraire, mon objectif est de vous convaincre,
sur quelques exemples, que c’est toujours possible et que donc ce n’est pas
un drame, ni un crime de lèse-mathématiques que de lire certaines choses
sur la figure, puisque si l’on vous y obligeait 15 , vous seriez capables de tout
démontrer.
11
Démonstration. En effet, si elles en avaient deux, disons a, b, on aurait une
contradiction avec l’axiome 3.1.
Rappelons qu’une relation d’ordre sur l’ensemble D est une relation notée
x ≤ y, qui est réflexive, transitive et telle que x ≤ y et y ≤ x impliquent
x = y. L’ordre est dit total si l’on a, pour tous x, y, soit x ≤ y, soit y ≤ x.
Cet axiome permet de définir le segment [ab] = {x ∈ (ab) | a ≤ x ≤ b},
ainsi que la demi-droite [ab) = {x ∈ (ab) | a ≤ x} (si a < b). Il y a deux
demi-droites opposées d’origine a sur une droite donnée. On a aussi la notion
de partie convexe.
3.5 Proposition. Une demi-droite et une droite sont des ensembles infi-
nis 19 .
Démonstration. On raisonne par récurrence sur |X|. C’est évident pour |X| =
1. Supposons la propriété établie pour |X| ≤ n et soit X de cardinal n+1. On
considère un point a ∈ X. S’il est le plus grand on a fini. Sinon, on considère
Y = {x ∈ X | x > a}. Il est non vide, fini et de cardinal ≤ n. Il admet donc
un plus grand élément b, qui est aussi le plus grand de X. En effet, si x est
dans X, comme l’ordre est total il est soit ≤ a, donc a fortiori ≤ b, soit > a,
donc dans Y , donc ≤ b.
18. Il y en a automatiquement deux, opposées l’une de l’autre. En choisir une revient à
orienter la droite. Si l’on préfère, on peut aussi se contenter de définir la relation “entre”.
Ainsi le segment [ab] sera l’ensemble des points m qui sont entre a et b.
19. En revanche pour qu’un segment non trivial soit infini, il faut un axiome. On sup-
posera désormais que tout segment [ab] avec a 6= b contient au moins un point c distinct
de a et b. Exercice : montrer qu’alors il est infini.
12
3.2.3 Axiome des demi-plans
3.7 Axiome. Une droite D partage le plan en trois parties non vides dis-
jointes : D et deux demi-plans ouverts notés E + et E − . Deux points a, b sont
dans le même demi-plan (on dit aussi “du même côté de D”) si et seulement
si [ab] ne rencontre pas D.
13
3) Appelons a un point de E + ∩ ∆ (il en existe, sinon o serait un plus
petit ou un plus grand élément pour ∆). Alors, on a ∆ ∩ (E + ∪ D) = [oa).
En effet, par 1), on sait que [oa) est inclus dans l’intersection et par 2) que
l’intersection ne contient aucun point de la demi-droite opposée.
14
les demi-droites sont confondues on convient que le secteur saillant qu’elles
définissent est égal à [oa) et le secteur rentrant à E tout entier. Si elles sont
opposées, on convient qu’elles définissent deux secteurs, considérés à la fois
comme saillants et rentrants : les deux demi-plans limités par (oa). On parle
alors de secteurs plats.
3.16 Remarques.
1) Si D est une droite passant par o, il résulte de 3.10 que l’une au plus des
deux demi-droites limitées par o est dans le secteur saillant [aob].
c Précisément,
une demi-droite [om) est dans le secteur [aob]c dès que l’un de ses points y est
(cf. 3.10).
2) Si [oa0 ) est la demi-droite opposée 21 à [oa), la réunion des secteurs [aob]
c
et [ad0 ob] est le demi-plan limité par (oa) qui contient b, et leur intersection
est [ob).
Le lemme principal sur les secteurs saillants (dont on verra l’utilité dans
ce qui suit) est le suivant 22
c
b'
a' o a
15
le demi-plan limité par (oc) qui contient a (resp. l’autre), comme a0 est dans
C − , [ca0 ) aussi, donc b0 aussi, donc [ob0 ) aussi et donc b est dans C − et on a
gagné.
On en déduit que [ab] coupe la droite (oc) et comme tous les points sont
dans A+ , il coupe la demi-droite [oc).
16
concours des médianes. Cet exemple est très révélateur des principes exprimés
au début :
• Pour un professeur, il est normal de se poser ces questions.
• Il n’est pas difficile de leur apporter une réponse rigoureuse à partir des
axiomes exprimés ci-dessus.
• Bien entendu, il n’est pas question de perturber les collégiens avec ce
genre de considérations (sauf si la question était soulevée par l’un d’eux, à
qui on pourrait répondre directement).
3.5 Quadrilatères
On adoptera ici la définition suivante 24 :
3.21 Définition. Soit (a, b, c, d) un quadruplet de points du plan, distincts
et tels que trois d’entre eux ne sont pas alignés. Le quadrilatère Q
associé à ce quadruplet est la réunion des segments [ab], [bc], [cd] et [da]. Les
points a, b, c, d sont les sommets de Q, les segments [ab], [bc], [cd] et [da]
ses côtés et les segments [ac] et [bd] ses diagonales. Deux sommets (resp.
deux côtés) sont dits adjacents s’ils sont les extrémités d’un côté (resp. s’ils
ont un sommet en commun). Deux sommets (resp. deux côtés) non adjacents
seront dits opposés. On notera Q = abcd.
Le point-clé est le suivant :
3.22 Proposition-Définition. Soit Q = abcd un quadrilatère. Les condi-
tions suivantes sont équivalentes :
i) Si [mn] est un côté de Q, les deux autres sommets sont dans le même
demi-plan limité par (mn).
ii) Les diagonales de Q se coupent.
Si ces conditions sont vérifiées, on définit le quadrilatère plein K(Q) as-
socié à abcd comme l’intersection des quatre demi-plans limités par les côtés
de Q et contenant les autres sommets. C’est une partie convexe et on dit que
Q est convexe.
Démonstration. i) =⇒ ii) Considérons le secteur [abc]. c Par hypothèse, d est
dans ce secteur, donc la demi-droite [bd) coupe le segment [ac] (c’est 3.17 qui
montre ici encore son intérêt). Le même raisonnement appliqué au secteur
[bad]
c montre que [ac) coupe [bd]. Les droites (ac) et (bd) se coupent donc en
un point qui est dans les deux segments [ac] et [bd].
ii) =⇒ i) Considérons par exemple D = (ab). Si c et d étaient de part et
d’autre de D, les segments [ac] et [bd] seraient de part et d’autre par 3.11,
donc ne se couperaient pas.
24. C’est ma proposition, mais il y a d’autres possibilités.
17
3.23 Corollaire. Soit Q = abcd un quadrilatère convexe et soient m, n deux
points distincts situés sur les côtés de Q. On a K(Q) ∩ (mn) = [mn].
Démonstration. Comme K(Q) est convexe, il est clair qu’il contient [mn].
Inversement, soit p un point de K(Q) situé sur (mn). Supposons par exemple
que m est sur le côté [ab]. Alors, K(Q) est tout entier dans le demi-plan limité
par (ab) qui contient c, d. Donc n est dans ce demi-plan. Comme l’intersection
du demi-plan et de (mn) est une demi-droite limitée par m, c’est [mn).
Comme K(Q) est dans le demi-plan, on voit que K(Q) ∩ (mn) est contenu
dans [mn). Mais le raisonnement marche de la même manière avec n et on a
gagné.
3.24 Proposition. Les parties K(Q) (et son intérieur) et E − K(Q) sont
connexes.
Démonstration. Pour K(Q) c’est parce qu’il est convexe. Pour l’extérieur,
on montre qu’on peut joindre deux points m, n quelconques par une ligne
brisée. C’est évident si m, n sont tous deux dans le mauvais demi-plan par
rapport à (ab) : on les joint par [mn]. Si m est dans ce demi-plan et n dans
le mauvais pour (bc) (ou (ad)) on prend a0 et c0 sur les demi-droites opposées
0 bc0 ]. On prend dedans un point p et
à [ba) et [bc) et on regarde le secteur [ad
on joint m, n par le chemin [mp] ∪ [pn]. Enfin, si n est du mauvais côté de
[cd] on fait deux fois cette manœuvre.
3.5.1 Le mal-aimé
On appelle parallélogramme un quadrilatère dont les côtés opposés sont
parallèles (il est alors convexe). Lorsqu’on a introduit la notion de distance,
on montre que ses côtés opposés sont égaux (de même longueur) et que ses
diagonales se coupent en leur milieu 25 . Inversement :
Démonstration. On mène la parallèle à (ad) passant par b. Elle n’est pas pa-
rallèle à (cd) (sinon (ad) et (cd) seraient parallèles par transitivité, attention
ici on utilise le cinquième postulat d’Euclide, voir plus loin), donc elle coupe
(cd) en un point c0 . Le quadrilatère abc0 d est un parallélogramme, de sorte
25. Il faut pour cela avoir précisé quelques autres axiomes pour disposer notamment des
cas d’isométrie. Voir [Euclide] ou [Hilbert].
18
qu’on a ab = dc0 = dc. Il suffit de montrer 26 que c et c0 sont du même côté
de d, ou encore de (ad). Mais, par la convexité de abcd, on sait que c est du
côté de b par rapport à (ad) et c0 y est aussi par le lemme de la parallèle.
Le point supplémentaire 27 vient du lemme de la bande 3.14. En effet, si
par exemple [ac] rencontre (bd) en e, le point e est dans la bande limitée par
(ab) et (cd), donc il est aussi dans le segment [bd].
3.26 Remarque. Bien entendu, le résultat est inexact si l’on ne suppose pas
que le quadrilatère est convexe (il peut être croisé). Le fait de devoir vérifier
cette condition (ou d’être obligé de la lire sur la figure) est la raison pour
laquelle les professeurs de collège n’aiment pas ce théorème.
19
3.5.3 Un exemple
Aires égales
Que pensez-vous de ce raisonnement ?
20
3.5.5 Un autre exemple : l’orthocentre
Dans l’exercice qui suit, on suppose qu’on a défini les notions d’angle et
d’orthogonalité et qu’on a prouvé que la somme des angles d’un triangle est
égale à π.
4 Références
[CF] COUSIN-FAUCONNET Annie, Enseigner la géométrie au collège,
Armand Colin (1995).
[DHP] DAVID Marie-Claude, HAGLUND Frédéric, PERRIN Daniel, Po-
lycopiés de déométrie affine et euclidienne.
[DPR] DUPERRET Jean-Claude, PERRIN Daniel, RICHETON Jean-
Pierre, Une illustration du rapport sur la géométrie de la commission Ka-
hane : analyse de quelques exercices de géométrie, Bull. APMEP 435, 2001.
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