PAROLES CONVENUES Mots Et Jeux de Mots Touaregs
PAROLES CONVENUES Mots Et Jeux de Mots Touaregs
PAROLES CONVENUES Mots Et Jeux de Mots Touaregs
-0 3 - 943
O.R. S.T. O. Ni. Fonds Docurhenfaire
A,
PAROLES CONVENUES
Mots et jeux de mots Touaregs
Edmond BERNUS
1. I1 faut noter des tentatives récentes pour en répandre l’usage (services de l’alphabé-
tisation, associations berEres etc...)
2. Le sujet a dé$ été abordé dans un précédent article : Bemus, 1972 : 89-94.
GRAINES DE PAROLE.
Ecrits pour Geneviève CALAME-GRIAULE
Editions du CNRS, Paris, 1989.
80 GRAINES DE PAROLE
I. LANGAGES
ET PAROLES DE CONNIVENCE :
a) Proverbes
Le proverbe, appelé anhi (pl. inhiouen) dans l’Ahaggar (Foucauld
1951-52 : 1346), anhi (pl. inhitän) chez les Iwellemmedan de l’Est
(Ghoubeïd, 1980 : 144), en¡ (pl. eniten) chez les Kel Ferwan où il est
“considéré comme la relation de faits réels mais très anciens, ou comme un
récit peut-être fictif, mais chargé de livrer un enseignement applicable dans
la vie réelle” (Casajus, 1985 : 2). Ce serait donc à la fois un conte moral
et un proverbe.
Les proverbes, comme dans toutes les civilisations, permettent de
replacer un événement quotidien dans un contexte plus général, de faire
un commentaire sur le geste ou l’action d’un de ses voisins ou de ses
familiers en se référant à une sagesse reconnue par tous. Ainsi, en donnant
au particulier la dimension d’une généralité, il est possible de faire passer
des messages que tout le monde comprend, sans offenser la personne visée.
Les proverbes commencent toujours par un préambule qui les situe
immédiatement dans l’ordre de la sagesse universelle; chez les Iwellemme-
dan, ce préambule est, le plus souvent, une phrase qui comporte plusieurs
versions :
annan kel awal les gens de la parole disent
annan kel tamajaq les Touaregs disent
annan kel eru les gens d’autrefois disent...
Ces trois expressions font référence à une parole reçue et que l’on retrans-
met, à une tradition de la culture touarègue et à un savoir issu de la nuit
des temps.
Nous nous limiterons ici à quelques exemples ; si chacun a bien, dans
le lot des proverbes frangais, un équivalent, on remarquera que, comme
cela était prévisible, il est inscrit dans un contexte précis : celui de la vie
pastorale.
annan kel awal / ajad iswa dagh anu inna :
disent les gens de la parole / l’âne qui a bu dans le puits a dit :
eqqalat aga / ibrejatat anu !
que retombe la puisette / que s’écroule le puits !
Traduction améliorée :“les gens de la parole disent : l’âne, une fois abreuvé,
s’écrie : la puisette peut retomber dans le puits et le puits s’écrouler”.
C’est la réplique du proverbe, “Après moi le déluge”, dont il est comme le
négatif; l’absence de l’eau se substituant à la surabondance du ciel.
annan kel awal / akufed n ahar
disent les gens de la parole / le petit animal sevré (ou l’enfant) du lion
MOTS ET JEUX DE MOTS TOUAREGS 83
b) Devinettes
Les devinettes sont appelées dans l’Ahaggar tunzart, (pl. tunzarin),
tanzurt, (pl. tinzoren) chez les Touaregs maliens, tamakarra, (pl.‘ tima-
kariawen) (Drouin, 1977 : 65) ou encore imeslan, au pluriel, chez les
Iwellemmedan de l’Est.
Les devinettes constituent un dialogue : lorsqu’on pose une devinette,
on commence obligatoirement par un appel, puis on dit la devinette et, enfin
on demande la réponse.
L‘appel varie d’une région à l’autre :
meslan, meslan : devinez, devinez, (chez les Iwellemmedan de l‘Est)
anfuregh kay : je pose une devinette, à toi, (chez les Touaregs maliens).
La question, elle, est invariable : Ma ymoos? Qu’est-ce que c’est?
Les devinettes les plus simples désignent des réalités relevant de la
vie quotidienne ou de la nature :
meslan, meslan / an tebutut n ama+l, ma ymoos? / täquft d’
0”
devinez, devinez, / le nombril de la terre, qu’est-ce que c’est? / La fourmil2re.
En zone sahélo-saharienne, les fourmilières se présentent le plus souvent
comme un monticule de forme circulaire avec, au centre, un orifice par ,i
lequel pénètrent les insectes (cf. photo).
MOTS ET JEUX DE MOTS TOUAREGS 85
Devinez, devinez ?
le nombril de la terre, qu’est-ce que c’est?
- La fourmilière,
3. I1 faut signaler qu’à quelques kilomètres au nord d’Agadez fut récemment construit
un centre important de Télécommunication, avec une immense antenne et un récepteur
parabolique, destinés à la fois aux P.T.T. .et à la Télévision : c’est à cette occassion que ces
expressions furent utilisées.
4. Forgeron des Kel Fadey.
5. Rappelons les trois expèces de gazelles vivant en zone sahélienne :
- ener, Gazella dama.
- idami, Gazella rujifrons. -.
- azankad, Gazella dorcas.
88 GRAINES DE PAROLE
“Une heure et demie” avait été compris comme le nom de deux des
gazelles les plus connues en zone sahélienne. De plus, takkast invoquée
par le chef goumier, est l’heure de la troisième prière qui se situe vers
17 heures (Gast, 1962, 211) et non vers 13h 30. La confusion est donc
double : sur la traduction des mots, et sur l’heure du rassemblement
invoquée; cette histoire montre comment, à partir d’un quiproquo, sans
doute réel, les Touaregs ont imaginé un scénario allant jusqu’au bout de
l’incompréhension, dans une logique de l’absurde qui les met en joie.
Sur ce même treme, nous avons recueilli des “contes satiriques”6 de
source amghid (imghad au pluriel, Touaregs tributaires, vassaux, plébéiens)
qui mettent en scène les inesleman (religieux), représentés comme ridicules,
repliés sur eux-mêmes, craintifs, incapables d’affronter le monde extérieur.
Ainsi, dans un de ces contes, il s’agit de deux religieux qui se rendent
au marché de B m o u 7 , pour y mettre en vente une génisse, un bœuf
et une vieille vache. Des paysans intéressés examinent les animaux et
parlent au commerçant chargé de la transaction. Un des deux religieux
entend trois mots prononcés en haoussa par les acquéreurs éventuels :
karsanaa (génisse), takarkarii (bceuf porteur) et guzumaa (vieille vache)
(cf. Levy-Luxereau, 1972 : 287) et croit comprendre en touareg : karrasat-
tan (trahissez-les); akridat-tan (attachez-les), agzemat-tan (égorgez-les).
Aussitôt les deux “religieux” se sauvent, laissant là leurs animaux et, de
retour au campement, ils se félicitent d’avoir sauvé leur vie. Ce quiproquo
imaginé par des imghad, vise à ridiculiser des inesleman, en les dépeignant
à la fois pleutres et stupides, confinés dans une religion qui les isole des
réalités du monde. Les jeux de mots peuvent être corrosifs et ces textes
constituent une satire sociale mordante.
6. Le texte intégral sera publié ailleurs. Signalons que ces deux inesleman, appelés ici
imazwaghan, appartiennent B la grande tribu des Kel Eghlal.
7. Barmou : gros marché hebdomadaire, au Niger, ? une
i soixantaine de kilomktres au
nord de Tahoua où, agriculteurs-vendeurs de céréales et élevem-vendeurs de bétail, se
rencontrent.
MOTS ET JEUX DE MOTS TOUAREGS 89
sa diversité, constitue une des clefs de voûte de la société touarègue et un
garant de sa cohésion.
OUVRAGES CITÉS
BERNUS
E.
1972 “Inconpïtés et mauvaises paroles touar6gues (Touaregs Iullemmeden Kel
Dinnik)”, Journal de la Société des Africanistes 42 (1) : 89-94.
0
1983 “Place et rôle du forgeron dans la soci&é touarkgue” in :Métallurgies
7
Africaines, Nicole Echard (Ed.) (Mémoire de la Société des Africanistes,
If
9) : 237-251.
1984 “La toponymie” in :La région d’In Gal1,‘Tegidda-n-Tesemt(Niger) t. 1,
E Introduction. Niamey (Etudes Nigériennes no 48), 196 p.
CASAJUS D.
1985 “Peau d’âne et autres contes touaregs”. Paris, l’Harmattan, 173 p.
DROUINJ.
1977 “La parole et le sens. Recherches sur quelques unités lexicales des Kel
Nan.”, Littérature Orale Arabo-berbère 8 : 56-80.
1984 “Sois belle et subtile ou l’art de la connivence chez les Touaregs”,Littérature
Orale Arabo-berbère 15 : 1-30.
FOUCAULD Père Ch. de
1951-52 Dictionnaire touareg-français, dialecte de l’Ahaggar. Paris, Imprimerie
Nationale, 4 vol., 2028 p.
GASTM.
1962 “Les mesures en Ahaggar 1. Mesure du temps.” in : Travaux de l’Institut de
Recherches Sahariennes, Université d’Alger, t. 21, ler sem. : pp. 207-214.
A.
GHOUBEÏD
1980 Lexique touareg-français. Copenhague, Akademisk Forlag, 284 p.
LEVY-LUXEREAU
A.
1972 Etude Etilnozoologique du pays Hausa en République du Niger. Paris,
Société d’Etudes Ethnozoologiques et Ethnobotaniques, Museum National
d’Histoire Naturelle, 341 p.
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