La Banlieue

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4 ÇA A CHANGÉ NOTRE VIE

L'industrialisation
Au XIXe siècle, les usines 1852 -
s'installent loin des centres-
villes. Les ouvriers migrent „ „ c r e e É .
en banlieue et lui donnent
son identité populaire.
Texte Karine Parquet

notre arrivée c'était merveilleux !


a banlieue
grâce au développement de l'industrie tex- milles aristocratiques, installées depuis le

An
Nous avions une salle de bains, des
toilettes, une cuisine. Nous regar-
dions avec bonheur nos enfants
courir dans l'immense salle de séjour». Les
joies du confort moderne, voilà ce que re-
tile, la population de Roubaix, au nord de
Lille, passe ainsi de 8 000 à 124 000 habitants.
A Paris, sous le second Empire,Napoléon III
et le préfet de la Seine, Georges Haussmann,
veulent embellir et assainir la capitale. Pour
xviic siècle à proximité de Versailles.
L'exode des ouvriers vers la banlieue s'ac-
centue après la Première Guerre mondiale,
avec l'accélération de l'industrialisation et
le développement du rail. Autour de Paris,
tient Pierre-Nicolas de son arrivée en 1957 ce dernier, il faut «accepter, dans une juste Lyon, Bordeaux, Lille, Le Havre ou Rouen,
dans le quatre-pièces tout neuf du grand en- mesure, la cherté des loyers et des vivres [... ] près d'un million de travailleurs achètent
semble de Sarcelles. Dans le livre de Linda pour défendre Paris contre l'invasion des des lopins de terre sur lesquels ils bâtissent
Bendali, Sarcelles; une utopie réussie? il ra- ouvriers de la province». de petites maisons avec potager, baptisées
conte son émerveillement devant cette di- les «Sam'suffit». Mais ces lotissements se
zaine d'immeubles surgissant de terre et qui L'exode des ouvriers vers la banlieue construisent dans le plus grand désordre. En
abriteront, en 1976, plus de 12 000 logements. s'accentue après 1918 1927, 185 000 lots ne sont pas desservis en
Moins de trente ans après, les pelleteuses A l'époque, les classes sociales sont plus eau potable et électricité, ni raccordés aux
sont de retour. Pour tout démolir. ou moins mélangées dans les mêmes quar- égouts. Pour le géographe Hervé Vieillard-
C'est à partir du xixe siècle que la banlieue tiers. Comme dans le Père Goriot de Balzac, Baron, la prolifération de ces logements dé-
connaît une croissance fulgurante. Pourtant, la distinction se fait par l'étage occupé dans fectueux donne, dès le début du xx c siècle,
dès le Moyen Age, commerçants et artisans l'immeuble : les riches au premier, les pau- «une image répulsive à la banlieue dont elle
s'y établissent pour échapper aux impôts, vres au dernier. Avec les travaux d'Hauss- ne parviendra guère à se défaire».Trompé
tout en restant soumis aux règles féodales. mann, grands immeubles, avenues et réseau par les lotisseurs et privé du confort mo-
Au xine siècle, les classes aisées s'y installent, moderne d'égouts sont construits à Paris, derne, le mal loti devient la figure embléma-
fuyant l'insalubrité et le surpeuplement des tandis que l'industrie, mais aussi les cime- tique de l'exclusion banlieusarde. En s'affi-
villes. On vante l'air pur des «maisons de tières et les asiles, sont repoussés en périphé- chant comme le défenseur de ces travailleurs,
campagne». La révolution industrielle met rie. L'ouest de Paris conserve cependant un le Parti communiste s'implante électora-
fin à leur quiétude, avec l'installation de caractère huppé, en raison d'une urbani- lement dans les communes ouvrières qui en-
nombreuses usines. Au cours du xix e siècle, sation plus tardive et de la présence de fa- serrent la capitale, donnant naissance à la

Cent cinquante ans d'espoirs, de crises et


• Inauguration du m, Destruction des mm Fin de la
chemin de fer à Rou- fortifications autour construction de
baix, à quelques kilomè- de Paris. Entre 1920 la cité de la Muette,
tres au nord de Lille, et 1939, implanta- à Drancy (93).
et accélération du déve- tion de 100 000 lo- Ses 1 500 loge-
loppement industriel gements HBM (habi- ments répartis en
tm Le terme banlieue est de la commune. Vingt tations bon marché, 6 blocs préfigurent
une notion juridique qui dé ans plus tard, plus ancêtres des HLM) les grands ensem-
signe le périmètre d'une de 35 000 personnes dont une quinzaine bles. Elle succède
lieue (4 km environ) entre travaillent dans les de n cités-jardins », au modèle des ci-
la ville et la campagne manufactures textiles mélange de loge- tés-jardins. Elle
où s'exerce le droit de ban de la ville. ments individuels servira de camp
(l'autorité du seigneur). et collectifs. d'internement de
1941 à 1944.

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de l'empereur
Les ouvrières sortent de la
Compagnie générale des lam-
pes a incandescence, à Ivry-
sur-Seine (Seine-et-Marne).
L'industrialisation de la ban-
lieue est encouragée par Na-
poléon III. Avec l'avènement
du second Empire, le chef de
l'Etat entreprend une rénova-
tion de Paris quir par contre-
coup, donne naissance à la
banlieue parisienne moderne.

« ceinture rouge ». Une singularité qui contri- continue au Haut-du-Lièvre à Nancy (Meur- parlent même de « sarcellite », un néologisme
bue à forger une identité banlieusarde autour the-et-Moselle)... Au début, les habitants désignant l'ennui et la déprime qui touchent
des valeurs ouvrières. sont enchantés. Dans les colonnes du jour- les habitants de ces quartiers.
nal Le Monde, Georges Gillet. un habitant Jusque dans les années 1970, le revenu
C'est la course au gigantisme avec de la cité des 4000 évoque le «temps béni » moyen des habitants des cités est à peu près
la cité des 4 0 0 0 à La Courneuve de son installation en 1969. « O n s'émer- similaire à celui de la moyenne française.
Après la Seconde Guerre mondiale, le veillait de marcher sur du parquet et de pos- Une mixité sociale fugace, car les grands en-
baby-boom et l'immigration créent de nou- séder une baignoire », ajoute-t-il. Entre 1965 sembles se ghettoïsent peu à peu. «Après
veau des besoins en logements. Aux portes et 1975, plus de deux millions de logements 1945, les classes moyennes sont venues ha-
de Paris, Lyon et Marseille, des milliers de sortent de terre. Mais tout est fait dans l'ur- biter les grands ensembles par manque de
personnes s'entassent dans d'énormes bi- gence. A Saint-Herblain, dans la banlieue logements, explique Hervé Vieillard-Baron.
donvilles. Pour résoudre la crise du logement, nantaise, on dresse un immeuble de 900 lo- Mais ce n'était qu'une étape contrainte par
l'Etal lance une politique volontariste. C'est gements sur 32 niveaux avec... une seule les circonstances.» Pendant les Trente Glo-
le début des grands ensembles. Mais il faut cage d'ascenseur. Il n'y a ni crèches, ni ma- rieuses, les familles de cadres partent peu
faire vite et pas cher. La capacité minimale gasins, ni équipements sportifs et culturels. à peu vers les banlieues pavillonnaires et le
des immeubles est fixée à 500 logements. Même si la solidarité se met en place et que centre-ville, abandonnant sur place les moins
C'est la course au gigantisme : 4 000 loge- certaines cités fonctionnent bien, les grands aisées. Avec la crise des années 1970, ces der-
ments pour la cité des 4000 à La Courneuve ensembles bétonnés commencent à inquié- nières sont rejointes par des populations en-
(Seine-Saint-Denis), 400 mètres de façade ter. Dans les années 1960, les journalistes core plus précaires, souvent issues de l'immi-
gration. Les quartiers se précarisent, le racisme
se développe sur fond de problèmes m m m
de contre-culture
• r Face à la crise m Avec la crise
du logement, l'abbé économique, l'in-
Pierre lance son dustrie périclite
appel en faveur des et le chômage aug-
sur Radio mente. Inquiets
pour la pérennité
de leur usine de
1954. Lancement Boulogne-Billan-
de la construction m Lancement du chantier de 9 villes nouvel- court, les ouvriers
des cités d'urgence les pour insuffler du dynamisme économique de Renault manifes-
en banlieue. et encourager la mixité sociale en banlieue. tent pour la modernisation du site.
Parmi elles, Sénart (Essonne), Villeneuve Il fermera finalement en 1992.
d'Ascq (Nord) ou encore Vaudreuil (Eure).

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mm» économiques et sociaux : les usines fer-
ment, comme celle du métallurgiste Mécano,
en 1978, à La Courneuve. Le chômage aug-
mente. La violence aussi. L'été 1981, à Vénis-
sieux et Vaulx-en-Velin (Rhône), des jeunes
enchaînent les cascades à bord de voitures vo-
lées. Us se donnent en spectacle devant les ca-
méras de télévision, avant de tout brûler. «A
cet instant la perception des banlieues prend
un nouveau tournant, note le sociologue Cy-
prien Avenel. Les jeunes de la cité prennent
le devant de la scène médiatique et vont cris-
talliser les peurs du moment. O n prend
conscience d'une réalité : la ségrégation et les
problèmes sociaux se concentrent dans ces
territoires. La stigmatisation et les regards por-
tés sur cette réalité vont l'aggraver.»

Lors des émeutes de 2 0 0 5 ,


la presse étrangère parle même
de «f guerre civile»
Mais l'image négative de la banlieue est an-
crée depuis longtemps. Dès la Restauration
(1814-1830), les hommes politiques opposent Bois (Seine-Saint-Denis), la presse étrangère La banlieue, enfin, est un lieu d'engage-
la noirceur des faubourgs périphériques à parle même de «guerre civile». Pourtant, les ment citoyen, à l'image de la Marche des
l'éclat de la ville lumineuse. En novembre médias contribuent aussi à relayer de nou- beurs de l'automne 83. A la suite de violents
1831, à Lyon, la révolte des Canuts (tisseurs velles formes culturelles. Issu des ghettos affrontements entre la police et des jeunes
de soie) suscite un grand émoi et le Journal noirs américains, le hip-hop prend son essor dans le quartier des Minguettes, près de
des débats écrit : «Les barbares qui menacent dans les quartiers français au milieu des an- Lyon, des habitants entament une longue
la société [...] sont dans les faubourgs des vil- nées 1980. Rap,breakdance et graffitis émer- marche pour l'égalité et contre le racisme
les manufacturières.» Un siècle plus tard la gent, répondant, selon Cyprien Avenel, à « un qui s'achève à Paris avec près de 100 000 per-
méfiance est toujours de mise : en 1987, le désir de visibilité sociale ». Une identité col- sonnes. Dans les années suivantes, les asso-
bruit court que des ménages des «4000» de lective se développe, notamment à travers le ciations militantes pour l'égalité des droits,
La Courneuve vont s'installer dans la petite langage où se mêlent verlan, argot et termes comme SOS Racisme, se multiplient en ban-
ville de Domont (Val d'Oise). Les logements issus des communautés immigrées, comme lieue. Mais le mouvement s'affaiblit vite, mar-
sociaux tout neufs sont soudain dévalués, per- «kiffer » (aimer), tiré de l'arabe, ou « daron » qué par des divergences internes. Surtout, la
çus comme un «repère de drogués». (père), du vieux français. Bien au-delà des lutte semble vaine. «Une coupure entre les
Des clichés entretenus par les médias qui banlieues, toute une jeunesse française se met représentants de ces associations et les ha-
raffolent d'images spectaculaires : voitures brû- à parler verlan et à écouter du rap. Le look bitants des quartiers s'opère, note Cyprien
lées, attaques de véhicules de police, luttes de «basket-baggy-sweat-shirt» touche tous les Avenel. Aucune réponse institutionnelle
gangs... «Les événements et les médias s'ali- milieux, le hip-hop se danse sur les scènes n'est donnée, personne ne trouve de relais
mentent en boucle, explique Hervé Vieillard- nationales du ministère de la Culture et le sur le plan politique.» Pourtant, la banlieue
Baron. La diffusion des images encourage les tag s'expose dans les musées, comme en 2009 est devenue la préoccupation des gouverne-
conduites spectaculaires.» Les images circu- sur les murs du Grand Palais, à Paris. ments, comme en témoignent la création
lent au-delà des frontières : lors des émeutes d'un ministère de la Ville en 1990 et l'an-
d'octobre 2005, qui ont démarré à Clichy-sous- nonce régulière de plans de rénovation.

Le 15 septembre, Premier concert


des policiers pénè- au Zénith de Paris du
trent dans la cité groupe NTM, issu des
de la Grappinière, quartiers populaires
à Vaulx-en-Velin, de Saint-Denis et fer
près de Lyon, pour de lance du rap fran-
procéder a l'arres- çais. Revendicatif, mi-
tation d'un voleur litant et provocateur,
de voiture, menacé le duo formé par Joey
d'expulsion. L'inci- Starr et Kool Shen
dent provoque des affrontements entre les forces est acclamé par plus
de l'ordre et certains habitants. C'est le premier de 6000 spectateurs.
événement du genre en France.

J | •imiDi^

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«Depuis le xixe siècle, la banlieue
est d'abord dans l'imaginaire
urbain le lieu des peurs sociales,
mais elle est aussi le terrain
d'expérimentations, d'utopies,
d'inventions et d'autonomie
populaire.»

«Vous avez là un pantalon

«Martin, disais-je à l'un,


vous avez là un pantalon qui
est légèrement banlieue; tâchez
de vous culotter autrement
«Mais il ne suffit pas de refaire des quartiers à la prochaine garde, mon
flambant neufs, il faut aussi mettre en place
une rénovation sociale», observe Cyprien
rallongés camarade.»

Avenel. Le sociologue prend l'exemple du L'essor des trains de banlieue permet «Les HLM.,, c'était
quartier de La Plaine-Saint-Denis (Seine- une forte extension géographique. En région le paradis»
Saint-Denis), proche du Stade de France, où parisienne, le temps moyen passé par un Maurice Bernard, ancien conseiller
des entreprises se sont installées en masse. banlieusard dans les transports en commun municipal de La Courneuve et habitant
« Ces réaménagements concernent peu les se situe entre 2 h et 2 h 30 par jour. de la cité des 4000. Cité par Marc
habitants. On a seulement créé des flux de Stébé, la Réhabilitation de l'habitat
populations qui y travaillent le jour et rejoi-
«Les HLM, on n'imagine pas
gnent le centre-ville le soir », déplore le cher- NOS RÉFÉRENCES aujourd'hui la chance que
cheur. Certains pionniers viennent s'instal-
ler en banlieue proche où lofts et ateliers complète de la formation des c'était pour nous! On quittait
sont très prisés des bobos. U n bouleverse- Livres banlieues par un géographe. les taudis pour s'installer dans
ment social en cours ? «Plutôt immobilier», • «Sarcelles, une utopie des constructions modernes,
• «Sociologie des quartiers
répond Hervé Vieillard-Baron. E n 2010, sensibles», Cyprien Avenel,
réussie?», Linda Bendali, conçues selon des normes d'hy-
Gulf Stream Editeur. giène strictes. Il faut se souvenir
la valeur du mètre carré à Montreuil, an- éd. Armand Colin. L'ouvrage
L'histoire du premier grand
cienne ville ouvrière de Seine-Saint-Denis, retrace la naissance du pro- de ce qu'était l'espace ouvrier
ensemble français. jusque dans les années 1930 :
a augmenté de 21,3 %. Chassées par cette blème des banlieues.
• «Sortir des banlieues», une pièce enclose d'un mur
nouvelle flambée des prix, les classes popu- • « Les Banlieues, des singu- S. Body-Gendrot et C. Withol
larités françaises aux réalités capable de contenir un lit. Alors
laires déménagent aujourd'hui vers le pé- de Wenden, éd. Autrement.
mondiales», Hervé Vieillard- Un plaidoyer pour repenser les HLM... c'était le paradis!»
riurbain lointain ou le rural profond. Un Baron, éd. Hachette. Une his- les politiques de la ville dans
éternel recommencement... • toire précise et une analyse les banlieues.

Mise en place de k Alors que des .. DE mm Pour interpeller


la loi Borloo pour la dizaines de cités s'em- les candidats à
rénovation urbaine. brasent dans toute la présidentielle, le
Près de 5 0 0 quar- la France, création du collectif ACIefeu (As- « La banlieue nord reste pre-
tiers sensibles sont Bondy Blog, animé sociation collectif mière en matière de hardcore
concernés par des par des habitants de liberté égalité frater- Première en matière de rap fort
travaux de destruc- Bondy (93). Ce site nité ensemble unis) Première en matière de police
tion, de reconstruc- Internet souhaite occupe provisoire- et de renfort
tion ou de réhabilita- montrer une image ment un hôtel parti- La banlieue nord a mis la terre
tion. 42 milliards des banlieues diffé- culier abandonné de entière sur son passeport
d'euros sont investis rente de celle véhi- Paris qu'ils rebapti-
dans des projets jus- A du son de gangster dans son
culée par les médias. sent «ministère de la
qu'en 2018. crise des banlieues». transistor...»

Le mois prochain
<4 Zà
r La diététique
ca dicte nos menus

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