Un Virus Très Politique

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ÉDITION AUGMENTÉE DU 6 AVRIL 2020

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COVID-19
UN VIRUS TRÈS POLITIQUE

30 MARS-13 AVRIL 2020 1, 2, 3

www.syllepse.net
Pour nous écrire : [email protected]

ÉDITIONS SYLLEPSE
6e édition, 4 mai 2020
Iconographie : DR.
Merci à Serge d’Ignazio pour la photo de la page 6.
SOMMAIRE

ANTIDOTES
1  Mai, jours d’après et jours d’avant
er
7
Une journée particulière 9
Le confinement ne protège pas du capitalisme 11

OUVERTURES
ÉDITION DU 4 MAI
À toutes les personnes qui n’en peuvent plus de cette gestion de crise calamiteuse 19
Le sentiment des personnels est que les administrations n’ont été d’aucune utilité et qu’une certaine
forme d’autogestion a constitué la bonne solution 21
Unis, unies, 1  Mai
er
23
Italie. Comme s’il avait été impensable de ne pas produire de boulons ou de voitures pendant quelques semaines ! 25
Mali. Si le coronavirus ne nous tue pas, la faim aura raison de nous 29
Iran. Le régime tue des prisonniers politiques et déclare qu’ils sont morts en prison du coronavirus 30
Italie. Il est nécessaire que les organisations liées au mouvement ouvrier remettent dans le débat public
la question du dépassement du capitalisme 32
Pologne. Dans les circonstances actuelles, ne travailler que là où c’est indispensable pour la société 36
Argentine. Il semble plus difficile de voir la fin du capitalisme que la fin du monde 39
État espagnol. Plus vite qu’on ne le pense, nous connaîtrons des explosions sociales 44
Corée. Défendre l’idée de l’autogestion et du contrôle des travailleurs et travailleuses 48
ÉDITION DU 27 AVRIL
Livreurs, Amazon : Des luttes dans le « nouveau monde » 53
Le retour de la faim ? Les alternatives sont là ! 56
Les Brigades de solidarité populaire 60
ÉDITION DU 20 AVRIL
Pour des changements permanents et pour que les salarié·es soient aux commandes 63
Production de masques : une coopérative à la place de l’usine Honeywell de Plaintel, dans les Côtes-d’Armor ? 65
La responsabilité des décideurs publics en période de crise sanitaire 68
Une épidémie prévisible 73

ÉPHÉMÉRIDE
ÉDITION DU 4 MAI
Éphéméride sociale (27 avril-3 mai) 79
ÉDITION DU 27 AVRIL
Éphéméride sociale (20 avril-26 avril) 98
ÉDITION DU 20 AVRIL

Éphéméride sociale (16 avril-19 avril) 113

3 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


DOCUMENTS
ÉDITION DU 4 MAI
Le virus a tout bouleversé, mais nos imaginaires sont restés pour ainsi dire sidérés 131
Vivre et mourir au foyer Romain-Rolland 135
La faim sur Clichy-sous-Bois - Montfermeil 138
Nous ne reviendrons pas à la normale, car c’était la normale le problème ! 141
le syndrome Détroit ? Vers une crise économique majeure dans Toulouse et sa région 142
ÉDITION DU 27 AVRIL
Monde. Pour un chemin de fer social, écologique, sûr, prenons la bonne voie et
choisissons dès maintenant les bons aiguillages ! 155
Royaume-Uni. Nous ne sommes pas tous ensemble ou la division raciale du Covid-19 158
États-Unis. Le Black Power au service de l’urgence 162
Féminisme. Sept thèses féministes sur le Covid-19 et la reproduction sociale 164
France. Trois scénarios pour explorer le champ des possibles à l’horizon de la sortie de crise 168
Catalogne. « Que ce confinement soit suivi de grèves, qu’il soit suivi de luttes » 185
France. Atelier d’arpentage du recueil Un virus très politique 187
ÉDITION DU 20 AVRIL
Catalogne. « Priorité aux finances de certains ou à la vie de tous ? » 191
Italie. Nous sommes des libraires, pas des symboles 194
Chine. Les protestations des chauffeurs de taxi se poursuivent malgré les mesures d’aide du gouvernement 197
France. Covid-19 : droit d’alerte national 199
Monde. Le monde va-t-il changer de base ? 203
États-Unis et au-delà. « Perspectives socialistes : le coronavirus et la présente crise » 205
France. Pour limiter la contagion, les gestionnaires doivent travailler avec les comités de résidents
et avec les délégués ! 214
France. Face à l’imposture de la « continuité pédagogique », ne laissons pas le ministère réécrire
l’histoire de l’école confinée ! 215

LES AUTEURS·ES DE SYLLEPSE FACE À LA PANDÉMIE


ÉDITION DU 4 MAI
Coronavirus, racisme d’État et néolibéralisme à la française 221
Le sens de la guerre, la peste et la famine 226
Produire des bagnoles ne justifie pas que l’on y risque sa vie 228
ÉDITION DU 27 AVRIL
Les femmes en première ligne face au Covid-19 235
Covid-19 et humeurs à Saint-Ouen 238
Verrà la morte e avrà i tuoi occhi 240

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 4


ÉDITION DU 20 AVRIL
La disparition des CHSCT, ce recul de plus d’un siècle, est encore plus cruel en période de crise sanitaire 243
Derrière le virus… 246
Pour sauver la planète : sortir du Covid-19 par l’autogestion 249
Venezuela : entre gestion autoritaire de la crise sanitaire et pressions états-uniennes 251
La mondialisation au temps du Covid-19 253

LE VIRUS ET LA PESTE BRUNE


Des extrêmes droites aux obsessions différentes 257

IMAGES ET SONS 260

5 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


ANTIDOTE N° 6

ÉDITION DU 4 MAI 2020


1ER MAI, JOURS D’APRÈS ET JOURS D’AVANT
Notre sixième édition couvre la journée internationale de luttes des travailleuses et des travail-
leurs. Elle y est largement consacrée. Confinement ou pas, il reste des travailleuses et des travailleurs,
il reste des luttes, et partout dans le monde, le 1er Mai 2020 en témoigne. La pandémie elle-même
porte tous ces éléments : c’est une crise sanitaire, mais aussi sociale et donc politique ; les capita-
listes portent la responsabilité de la propagation planétaire du virus, mais ils entendent maintenant
en tirer bénéfice par la restauration, voire l’accroissement, au plus vite, de leurs taux de profit ;
pour cela, il faut exploiter encore plus le « camp du peuple ». Ce peuple constitué des travailleuses
et des travailleurs, avec toutes ses différences, ses inégalités, ses contradictions, mais une unité qui
fonde l’existence de sa classe sociale : ce sont les femmes et les hommes qui n’ont pas confisqué les
moyens de production pour leur seul profit, les femmes et les hommes qui vivent  –  survivent trop
souvent  –  uniquement en mettant leur force de travail au service de la société. Même si cela met
mal à l’aise, précisons qu’à travers le monde, cette dernière catégorie comprend aussi des millions…
d’enfants.
Le 1er Mai a une histoire, des fondements, un héritage, parfois une mythologie ; dans une perspec-
tive d’émancipation sociale, il ne peut se limiter à une commémoration. Il s’inscrit dans notre lutte,
dans nos luttes : locales comme nationales ou internationales ; catégorielles ou globales ; féministes et
écologistes ; antiracistes et antimilitaristes ; anticolonialistes et antifascistes ; syndicales et politiques…
Dans un contexte certes particulier, 2020 s’inscrit dans cette histoire. Nous en livrons un aperçu :
Rouen, Séoul, Paris, Berlin, Grenoble, Barcelone, Guingamp, Sumatra, Montreuil, Istanbul, Bastia,
Nahba, Montpellier, Santiago, Villefranche-sur-Saône, Lisbonne, Marseille, Soweto, Douarnenez,
Ljubljana, Ivry, New York, Orléans, Manille, Jaujac, Sidney, Toulouse, Helsinki, Gap… Le
­montage-photos fait par Serge D’Ignazio est une autre forme de témoignage des résistances1.
Complétant ces esquisses, nous proposons huit interviews de syndicalistes, d’Europe, des Amériques,
d’Afrique et d’Asie :
n « Il est nécessaire que les organisations liées au mouvement ouvrier remettent dans le débat
public la question du dépassement du capitalisme », Marcelo Amendola, secrétaire national de la
Confederazione unitaria di base2 (Italie).
n « Défendre l’idée de l’autogestion et du contrôle des travailleurs et travailleuses », Wol-san Liem,

responsable des relations internationales du Korean Public Service and Transport Workers’ Union3
(Corée).
n « Il semble plus difficile de voir la fin du capitalisme que la fin du monde », Gonzalo Manzullo,

responsable des relations internationales de la Central de trabajadores de Argentina autónoma4


(Argentine).

1. Serge d’Ignazio a fait ce montage avec des autoportraits qui lui avaient été envoyés à sa demande.
2. La CUB (www.cub.it) est membre du Réseau syndical international de solidarité et de luttes (www.laboursolidarity.org).
3. La KPTU (www.kptu.net/english) est la fédération des transports de la confédération KCTU (http://nodong.org) ; celle-ci est affiliée
à la Confédération syndicale internationale  –  Asie Pacifique et à la Confédération syndicale internationale (CSI).
4. La CTA (www.ctanacional.org) est membre de la Confédération syndicale des travailleurs et travailleuses des Amériques et de la
Confédération syndicale internationale (CSI).

7 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


n « Plus vite qu’on ne le pense, nous connaîtrons des explosions sociales », Sandra Iriarte, secrétaire
ÉDITION DU 4 MAI 2020

aux relations internationales de la Confederación General del Trabajo5 (État espagnol).


n « Comme s’il avait été impensable de ne pas produire de boulons ou de voitures pendant
quelques semaines ! », Eliana Como, membre de la FIOM-CGIL, animatrice de Reconquistiamo - Il
sindacato è un’altra cosa6 (Italie).
n « Le régime iranien tue des prisonniers politiques et déclare qu’ils sont morts en prison du
coronavirus », Houshang Sepehr, coanimateur de La Solidarité socialiste avec les travailleurs7 (Iran).
n « Si le coronavirus ne nous tue pas, la faim aura raison de nous », Mahamame Thienta, secrétaire

générale du Syndicat des travailleurs du rail de l’Union nationale des travailleurs du Mali8.
« Dans les circonstances actuelles, ne travailler que là où c’est indispensable pour la société ».
n Marta Rozmystowicz, responsable des relations internationales de la confédération syndicale

Inicjatywa Pracownicza9 (Pologne).

5. La CGT (https://cgt.org.es) est membre du Réseau syndical international de solidarité et de luttes.


6. Riconquistiamo (https://sindacatounaltracosa.org) est un courant de gauche syndicale organisé dans la CGIL  –  celle-ci est membre
de la Confédération européenne des syndicats (CES) et de la Confédération syndicale internationale (CSI). La FIOM est la fédération
de la métallurgie de la CGIL et la principale implantation de ce courant au sein de la CGIL.
7. SSTI (www.iran-echo.com) est membre du Réseau syndical international de solidarité et de luttes.
8. SYTRAIL (www.untm-mali.org) est le syndicat des cheminots et cheminotes de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM).
L’UNTM est affiliée à la Confédération syndicale internationale – Afrique et de la Confédération syndicale internationale (CSI).
SYTRAIL est membre du Réseau syndical international de solidarité et de luttes.
9. IP (http://ozzip.pl/) est membre du Réseau syndical international de solidarité et de luttes.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 8


ANTIDOTE N° 5

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


UNE JOURNÉE PARTICULIÈRE
À la mémoire d’Albert Parsons (1848-1887). Soldat dans l’armée des esclavagistes pendant
la guerre civile américaine, militant pour les droits des esclaves affranchis, compagnon de
Lucy Parsons  –  anarchiste noire-mexicaine-indienne. Syndicaliste et anarchiste, Albert
Parsons est l’un des martyrs de Haymarket Square1 à Chicago.

La cinquième édition de ce livre paraît donc à la veille d’une journée particulière.


L’opus 2020 de la journée internationale des travailleurs et des travailleuses promet en effet d’être
une journée particulière.
Une journée particulière où il ne sera pas possible de manifester « comme d’habitude » pour cause
de confinement et d’interdiction.
Une journée particulière parce que la pandémie et ses conséquences frappent simultanément l’en-
semble de la planète, soulignant par là même l’unité du « genre humain » et la nécessaire solidarité
internationale.
Une journée particulière qui sera marquée par la double résistance à la pandémie et à l’offensive
patronale et étatique.
Une journée particulière parce que la nécessité que le monde « change de base » n’est plus une
simple idée, elle est plus que jamais à l’ordre du jour.
Une journée particulière parce qu’on sent battre partout sur la planète un tempo lancinant et
puissant : « Décrétons le salut commun ». Et le salut commun n’adviendra que si le mouvement
populaire parvient à dénouer, à desserrer et finalement à trancher les fils et les nœuds des pouvoirs
et des propriétés.
Au fil des éditions successives, depuis le 30 mars, et des quelque 350 pages publiées, les confiné·es
des éditions Syllepse ont essayé de rendre compte des résistances et des batailles qui, sur les cinq
continents en même temps, sont engagées pour faire respecter la justice et l’égalité, pour obtenir,
imposer et construire ce que les fondés de pouvoir refusent, par incurie ou par intérêt.
Avec ce livre en réédition permanente, les confiné·es des éditions Syllepse ont également voulu
donner un éclairage particulier aux capacités des mouvements sociaux à opposer leurs propres ins-
truments d’autodéfense et à proposer des esquisses d’alternative à la gestion capitaliste de la crise
et de la société.
À la veille de cette journée particulière, que faire d’autre à part imaginer, si nous avions pu des-
cendre dans la rue, des cortèges ouverts par le personnel soignant, les livreurs, les caissières, les
groupes d’entraide, les réquisitionneur·euses de toutes sortes, les brigades de solidarité, les organisa-
tions de q­ uartier, les syndicalistes des CHSCT-CSE, les Amazon, les éboueur·euses, les sans-papiers,
les femmes en lutte pour le droit à l’avortement et contre les violences, et bien d’autres encore ?
Tous et toutes ensemble ! Masqué·es et à un mètre de distance, cela va de soi !

1. Survenu à Chicago le 4 mai 1886, le massacre de Haymarket Square constitue le point culminant de la lutte pour la journée de huit
heures aux États-Unis et le moment fondateur du 1er Mai.

9 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


À la veille de cette journée particulière, que faire d’autre que former le vœu que les fondés de
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

pouvoir qui dirigent la planète, ceux qui n’ont rien voulu faire, ceux qui n’ont rien vu venir, ceux
qui ont esquinté et piétiné les services publics, ceux qui vont tenter de profiter de la crise pour
renforcer leur domination, ceux qui cherchent des boucs émissaires, ceux qui ne savent qu’employer
la force, sans oublier les dangereux qui pensent que l’eau de Javel… soient renvoyés dans leur foyer.
Sans indemnité ni rachat !
Finalement, à la veille de cette journée particulière, les paroles, un peu désuètes il est vrai, enton-
nées rituellement, sans y penser vraiment, de L’Internationale, reprennent du sens : « que le voleur
rende gorge », « producteurs sauvons nous-mêmes », « Soufflons nous-mêmes notre forge ».
« Battons le fer quand il est chaud » et la force sera avec nous !
25 avril 2020

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 10


ANTIDOTE N° 4

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


LE CONFINEMENT NE PROTÈGE PAS DU CAPITALISME
CHRISTIAN MAHIEUX1

Je ne prétends pas englober tous les aspects de la crise mondiale en cours. Cela, pour trois raisons.
Par manque de compétences, notamment sur les aspects médicaux ; des éclairages sont proposés
par d’autres, pertinents en ce domaine, mieux vaut s’y reporter. Accessoirement, on notera que
cette retenue volontaire à propos des avis médicaux n’est pas contradictoire avec une volonté auto-
gestionnaire persistante, même en temps de confinement. L’autogestion ne signifie pas que tout le
monde sait tout sur tout, que tout le monde fait tout, que tout le monde doit s’intéresser à tout ;
mais que rien n’est confisqué par quiconque et que tout se complète, que tout doit coopérer et qu’il
faut construire ensemble. Donc tous et toutes sont égaux socialement, à tous points de vue.
Par choix, pour ce qui est des analyses et des perspectives politiques. La période en facilite l’éclo-
sion. Là aussi, notre choix éditorial est de permettre de retrouver certaines d’entre elles. Mais la
situation est paradoxale : nous recevons un très grand nombre de textes et d’appels ; l’ébullition
intellectuelle collective est une bonne chose. Mais, justement, est-elle vraiment collective cette ébul-
lition ? N’est-elle pas le fait d’une minorité ? Situation habituelle, pourrait-on dire… À la différence
qu’en temps de non-confinement, une partie de celles et ceux qui produisent de telles analyses le
font dans des cadres collectifs, après des échanges, des controverses, des remises en cause, des enri-
chissements mutuels ; les innombrables conférences téléphoniques ne remplacent pas cela. Pour le
dire clai­rement, ce qui manque à nombre de ces contributions, c’est que bien souvent elles ne sont
pas liées à l’activité sociale et ne donnent guère d’indications pour la lutte concrète, aujourd’hui
comme pour le « jour d’après ». Bien sûr, c’est un problème qui ne se limite pas au temps de confine-
ment, mais le contexte renforce cela. En effet, qui, mieux que celles et ceux qui travaillent ensemble,
doit définir dans quelles conditions et avec quels moyens la sécurité est vraiment assurée ? Qui,
mieux qu’elles et eux, sait comment organiser le travail ?
Nous savons les enjeux mondiaux que soulèvent la pandémie et la crise mondiale majeure globale
qu’elle a déclenchée. Essayons de mettre en pratique l’internationalisme dont nous nous réclamons.
Indéniablement, la crise mondiale s’y prête. La portée de notre internationalisme, dans le contexte
actuel, est directement liée à nos pratiques. Et donc à leurs limites. Mais, à travers le monde, comme
le montre notre Éphéméride sociale, pourtant partielle dans le livre en édition permanente que nous
publions depuis le 30 mars, les mouvements populaires, les mouvements sociaux et le mouvement
syndical proposent et dessinent une autre politique.

DES INÉGALITÉS PARTIES PRENANTES DU CAPITALISME


Ce n’est pas le capitalisme qui a inventé le coronavirus. Mais il est responsable de sa propagation
planétaire et du désastre humain qui l’accompagne. Inutile de dire que nous nous serions bien

1. Christian Mahieux est éditeur aux éditions Syllepse, cheminot retraité, syndicaliste et membre du comité de rédaction de Cerises la
coopérative et de la revue de l’Union syndicale Solidaires, Les Utopiques.

11 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


­ assé·es de cette démonstration de l’inefficacité et du danger de ce système et de ses caractéris-
p
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

tiques : la propriété privée des moyens de production, bien sûr, mais aussi la confiscation des déci-
sions par quelques-un·es, le rôle de l’État et des pouvoirs dits publics, la hiérarchie, les inégalités, les
discriminations, la répression, etc. À partir de faits, de situations vécues et pleinement ressenties par
la majorité de la population, posons des questions concrètes sur l’après ; en commençant par nos
revendications, nos mots d’ordre, nos slogans et nos orientations politiques. Face au désastre de la
privatisation de nombre de secteurs économiques, on voit refleurir des demandes de nationalisation.
Nationaliser ? S’en remettre à l’État et aux pouvoirs dits publics pour gérer dans l’intérêt collectif ?
Est-ce vraiment une leçon de la crise actuelle ?
Une chose est sûre : pas plus que le système capitaliste, la crise sanitaire ne met « tout le monde
à égalité ». C’est pourtant ce qu’on veut nous faire croire, pour mieux défendre l’idée d’une unité
nationale. On voit que ce n’est pas vrai, ne serait-ce qu’en constatant que telle ou telle personnalité
« bénéficie » d’un dépistage qui est toujours refusé à la population ; ou encore que, tandis que des
SDF sont verbalisé·es pour ne pas être confiné·es dans un « chez eux » qu’on leur a retiré, le pré-
sident du Medef fait tranquillement des allers-retours entre Paris et son lieu de villégiature… Petits
exemples, grande réalité !
Les habitantes et habitants des quartiers les plus pauvres sont plus touché·es par la crise. Une fois
de plus, on ne compte pas les cas de violences policières. Certes, la violence d’État n’a nul besoin
du confinement pour s’exercer. Mais c’est une opportunité de plus pour réprimer et humilier celles
et ceux qui vivent dans ces quartiers, particulièrement les non-Blancs et non-Blanches. Gazages,
tabassages, LBD, etc. : on retrouve les pires moments des occupations policières lors des révoltes des
quartiers populaires. Le premier rapport de l’Observatoire de l’état d’urgence sanitaire confirme ce
constat :
Après quinze jours de confinement, les 2 millions d’habitants qui vivent sous couvre-feu,
les 6 millions de contrôles et 359 000 procès-verbaux dressés et l’immense majorité des
personnes qui ont subi des coercitions policières sont des habitant·es de quartiers popu-
laires et des territoires colonisés, non-blancs et de condition populaire. On observe ainsi
une continuité et un approfondissement des discrimination racistes, sexistes, capitalistes
et autoritaires dans le confinement. Il existe un lien historique et sociologique entre les
couvre-feux mis en place dans les (ex)-colonies et dans les quartiers populaires2.
La résistance et l’entraide se sont mises en place autour de collectifs et de structures préexistant
dans les quartiers. Si la dimension de classe n’y est pas forcément théorisée ni même assumée, c’est
pourtant bel et bien une composante de notre classe sociale qui s’organise avec les outils dont elle
dispose. Reste posée la question du lien avec l’organisation spécifique de cette classe, le syndicat.
Des choses se font, beaucoup trop peu. Mais nous le savions déjà. Le trop faible nombre d’unions
locales n’est pas dû au coronavirus.
Les initiatives comme la suspension du paiement des loyers, soutenue par de nombreuses orga-
nisations, à l’initiative de Droit au logement (DAL), sont des points d’appui importants. Car, faut-il
le rappeler, les conséquences économiques de la crise se paient plus fort et plus vite quand on ne
touche que 1 219 euros par mois. Et beaucoup  –  notamment les femmes  –  sont loin de percevoir
les 1 219 euros du salaire minimum de croissance (smic).
La situation dans les prisons et dans les centres de rétention administrative (CRA) est catastro-
phique. Là encore, on est tenté de dire : oui, comme en temps ordinaire. Et comme en temps ordi-
naire, la population qu’on y trouve est ultra-majoritairement constituée de personnes des milieux

2. https ://acta.zone/premier-rapport-de-lobservatoire-de-letat-durgence-sanitaire/.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 12


populaires. Ces lieux d’enfermement sont propices à la propagation du virus. Mépris habituel dans

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


ces zones où les droits élémentaires sont « abolis », qui se traduit par la non-prise en charge des
malades ou, au mieux, une prise en charge tardive. Masques, gel et autres protections n’existent pas
derrière les barreaux, où on subit en plus les conséquences de la suspension des parloirs. D’où les
révoltes dans les prisons et les CRA. Quelles sont les revendications des détenu·es ?
Nous voulons un dépistage au cas par cas pour chaque détenu et membre de l’administra-
tion pénitentiaire. Nous voulons que les agents pénitentiaires soient équipés de masques
car c’est eux qui rentrent et sortent de la prison. Nous voulons plus d’informations sur
cette situation : cantine/parloir/sac de linge. Nous voulons du gel désinfectant et des
masques pour chaque détenu.
La Cour européenne des droits de l’homme avait condamné la France pour ses conditions indignes
de détention. C’était le 20 janvier, avant l’instauration de l’état d’urgence sanitaire… Répression
violente, transferts de détenu·es sont les réponses de l’État. Les « récompenses » sont réservées à
celles et ceux qui auront accepté de mourir en silence :
Il sera tenu compte de cette situation exceptionnelle lors de l’examen des réductions
supplémentaires de peines (RSP). Il pourra être notamment envisagé d’octroyer la totalité
de RSP aux détenus ayant adopté un comportement calme et respectueux durant cette
période, à compter du 13 mars 2020 et jusqu’au terme de la crise3.
Autre lieu de quasi-enfermement d’une partie de la classe travailleuse : les foyers de travailleurs et
travailleuses immigré·es. Ici aussi, le confinement provoque des dégâts ; mais ce n’est pas cette déci-
sion le fond du problème : ce sont les conditions préexistantes. Comment parler de gestes-barrières
quand on est entassés à six dans des chambres minuscules ? Bien entendu, sans que soit fourni le
minimum de matériel de protection  –  en dehors de ce que peuvent faire, de manière autogérée, les
délégués des foyers, les Gilets noirs ou les Brigades de solidarité populaire. L’État n’intervient pas.
Les propriétaires, oui : mais seulement pour réclamer les loyers ! C’est une population particulière-
ment exposée, une partie non négligeable des résident·es sont âgé·es et, souvent, souffrent de divers
problèmes de santé liés à la surexploitation subie durant des dizaines d’années.
Pour les sans-papiers, les contrôles policiers d’autorisation de sortie signifient une quasi-obligation
de ne pas sortir du tout ; car, outre les attestations, il faut produire une pièce d’identité…
Le rapport de l’Observatoire de l’état d’urgence sanitaire explique :
L’autodéfense sanitaire immigrée s’est, dès le début, organisée. Elle passe par l’auto-or-
ganisation, l’entraide face au virus, l’organisation de la solidarité entre les foyers, par des
collectes et ravitaillements de produits empêchant le virus de se propager tout en per-
mettant que la vie continue, ainsi que le partage d’informations traduites dans les langues
à travers des textes écrits mais aussi lus et enregistrés. Ces pratiques de solidarité ne sont
pas seulement de l’ordre de la survie. Elles s’inscrivent dans un objectif plus large, celui
de lancer des ripostes et d’établir un rapport de force face à l’État et aux gestionnaires
de foyers qui n’ont engagé aucune mesure. […] Il s’agit alors pour les immigrés de ne
pas laisser entrer le Covid-19 dans les foyers mais aussi de reprendre du pouvoir dans le
foyer : l’autodéfense sanitaire se fait à la fois contre le virus, mais aussi contre l’État raciste
et les gestionnaires4.
Quant aux foyers pour personnes âgées, les établissements d’hébergement pour les personnes âgées

3. Courrier envoyé le 23 mars 2020 par la cour d’appel de Poitiers, le tribunal judiciaire de La Roche-sur-Yon et le service d’application
des peines, aux directeurs des maisons d’arrêt de La Roche-sur-Yon et de Fontenay-le-Comte, cité dans le rapport évoqué plus haut.
4. https ://acta.zone/premier-rapport-de-lobservatoire-de-letat-durgence-sanitaire/.

13 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


dépendantes (EHPAD), inutile de s’étendre sur la situation : on en connaît la mortalité particulière-
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

ment élevée. Il est clair que l’insuffisance de moyens, humains et matériels, dont dispose le personnel
a considérablement aggravé la situation. Cela avait été expliqué, argumenté et démontré, depuis
longtemps, par les organisations syndicales du secteur, ainsi que par celles de retraité·es. N’oublions
pas non plus d’attirer l’attention sur les personnes vivant dans les instituts médico-éducatifs (IME)
ou dans les établissements psychiatriques Elles aussi paient encore plus cher la pandémie.
Il en est de même pour les sans-abri, les SDF, les squatters. Marginaux ? Sous-prolétariat ?
Qu’importe ? Les travailleurs et travailleuses pauvres ne sont pas une création de la pandémie. Mais
par la déstructuration sociale qu’elle crée, celle-ci amplifie des situations déjà critiques.
Pour ce qui est des « confettis de l’empire », reportons-nous à cette récente communication du
Réseau syndical international de solidarité et de luttes :
Les populations des pays encore colonisés subissent une peine supplémentaire. Dans ces
régions du monde, toute l’économie est tournée vers les besoins des pays colonisateurs.
Cela a des conséquences dramatiques dans la crise que nous connaissons : infrastructure,
habitat, centres de soins, alimentation, structures sociales, etc., tout est largement en des-
sous des besoins ! Se laver les mains souvent est difficile quand il n’y a pas de point d’eau.
Une grande partie de la population de ces pays vit « ordinairement » dans des conditions
effroyables ; l’état sanitaire de beaucoup accentuera les conséquences dramatiques de la
pandémie. Les gouvernements, les patrons et les riches des pays colonisateurs méprisent
la population locale. Cela se traduit aussi en ces temps de crise sanitaire mondiale : le
matériel de protection y est insuffisant (ou composé de matériel hors d’état), les consignes
coloniales ne tiennent aucun compte des réalités locales. Alors que la population y est,
globalement, en moins bonne santé, c’est là que sont affectés moins de moyens5.
Le collectif Ni guerre ni état de guerre dénonce l’envoi de deux navires porte-hélicoptères, un
vers La Réunion, l’autre vers la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane : deux navires militaires
non médicalisés… Outre la claire menace d’intervention militaire en cas de révolte populaire, on
notera le mépris habituel : un des deux navires est présenté comme devant répondre aux besoins de
populations en se rendant à proximité « de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane » : mais il y
a 1 650 kilomètres entre la Guyane et la Guadeloupe ! Qui oserait annoncer l’envoi d’un navire vers
les rives européennes de l’océan Atlantique en affirmant qu’il répondra aux besoins du Portugal, de
l’Espagne, de la France, de la Grande-Bretagne et de la Belgique ? Quel sens ont les consignes de
confinement lorsque les populations n’ont pas l’eau courante ? C’est le cas de 30 % des logements
à Mayotte…
En Guadeloupe, l’Union générale des travailleurs de la Guadeloupe (UGTG)6 se bat contre les
décisions que prétend imposer un État situé à 6 700 kilomètres… Les moyens pour le secteur de la
santé faisaient partie des revendications lors du mouvement qui a secoué la Guyane en 2017 ; il y a,
en tout et pour tout, dix lits en réanimation dans ce pays. À La Réunion, les masques livrés étaient
moisis. Le couvre-feu est de règle en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane et en Polynésie, et
on comprend aisément les conséquences sur celles et ceux qui travaillent dans la rue, nombreux et
nombreuses dans ces pays.
Le « travail informel », parlons-en. 10 % des emplois, sans droits : travaux dans les maisons, répa-
rations automobiles, baby-sitting, cours particuliers, ventes de cigarettes, de produits stupéfiants,
etc. Pour des raisons diverses, mais toutes issues du contexte actuel (confinement, manque d’ap-
provisionnement), tout ceci s’est effondré. Là encore, les milieux populaires sont plus exposés que

5. Réseau syndical international de solidarité et de lutte, 1er avril 2020, www.laboursolidarity.org.


6. UGTG, http://ugtg.org/.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 14


la moyenne. Il faut aussi mentionner le travail gratuit des femmes : le confinement l’a sans doute

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


modifié mais pas forcément diminué… mais il est gratuit ! Dans le monde entier, le travail informel
touche une frange bien plus importante de la population, de l’ordre de 60 %. L’Organisation inter-
nationale du travail décrit la situation dans un rapport daté du 7 avril 2020 :
Environ 2 milliards de personnes travaillent dans l’économie informelle, la plupart d’entre
elles dans les pays émergents et dans les pays en développement. […] Les travailleurs de
l’économie informelle ne disposent pas de la protection de base dont on bénéficie générale-
ment dans l’économie formelle comme la couverture en matière de sécurité sociale. Ils sont
également désavantagés en ce qui concerne l’accès aux services de santé et se retrouvent
sans revenus de substitution s’ils arrêtent de travailler en cas de maladie. Les travailleurs
informels dans les zones urbaines tendent également à exercer leurs fonctions dans des
secteurs économiques dans lesquels non seulement il existe un risque élevé d’être infecté
par le virus mais aussi qui sont concernés directement par les mesures de confinement.
C’est le cas notamment des personnes qui recyclent les déchets, les vendeurs ambulants
et les serveurs, les ouvriers du bâtiment, les employés des transports et les travailleurs
domestiques. Le Covid-19 touche déjà des dizaines de millions de travailleurs informels.
En Inde, au Nigeria et au Brésil, le nombre de travailleurs dans l’économie informelle
affectés par des mesures de confinement et d’autres mesures de restriction est important.
En Inde, avec près de 90 % de la population évoluant dans l’économie informelle, ce sont
environ 400 millions de travailleurs de cette même économie informelle qui risquent de
s’enfoncer dans la pauvreté7.
Il y a urgence à comprendre et à prendre en compte cette situation du prolétariat mondial. Des
organisations syndicales et associatives interviennent dans ces secteurs. C’est particulièrement dif-
ficile, mais c’est indispensable. Plus de moyens militants doivent y être consacrés. Pour en revenir à
notre situation, ici, en France, cela signifie que les dimensions interprofessionnelles et internationales
de nos activités doivent être renforcées.

POUR CONCLURE
Laissons à nouveau la parole à l’Observatoire de l’état d’urgence sanitaire, qui relève une « férocité
contre les classes dominées et en particulier les plus pauvres, les non-Blanc·hes, les migrant·es, les
travailleur·euses illégalisé·es, les prisonnier·es, avec des conditions d’oppressions conjuguées pour les
femmes dans chaque catégorie. Les conditions de vie imposées aux personnes relèvent, elles aussi,
de l’écrasement voire de l’élimination. On remarque une communauté d’expériences du confine-
ment entre tous ces secteurs du champ de bataille. Il s’agirait d’aider à construire et consolider des
ponts entre chacun de ces territoires du confinement et entre toutes ces résistances. […] On voit se
révéler et surgir dans chaque secteur des formes d’auto-organisation populaires. C’est sans doute là
qu’il faut fournir de la force, des moyens et construire des liens, car à l’intersection des résistances
populaires, des groupes d’entraide et des brigades de solidarité pourront s’enclencher les luttes
contre la société de (post)-confinement8. »
18 avril 2020

7. Organisation internationale du travail, www.ilo.org.


8. https ://acta.zone/premier-rapport-de-lobservatoire-de-letat-durgence-sanitaire/.

15 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


OUVERTURES
ÉDITION DU 4 MAI
Mais quelque part la terre doit conserver le sillon de tes pas,
quelque part elle doit te bercer dans sa tendresse animale,
et faire revivre tes échos.
Où sont-ils tes milliers de jours ?
Où les as-tu cachés ?
Où sont ces jours prestigieux, prodigieux,
ces jours que tu jetais, les mains ouvertes,
le geste large,
en les semant sans limites par le monde ? 1
Pour Rafael Gómez Nieto, combattant de la Nueve, et José María (Chato)
Galante, militant antifranquiste, pour Luis Sepúlveda, écrivain, fauchés
comme tant d’autres par le corona.

« Notre collègue, ami et camarade, Éric Loupiac, médecin urgentiste à l’hôpital de


Lons-le-Saulnier a succombé hier à cette saloperie de virus, après une longue hospi-
talisation en réanimation.
Ancien médecin militaire, tu es devenu le délégué de l’Association des médecins
urgentistes de France pour le Jura, et tu as été la cheville ouvrière de la lutte pour le
maintien de la deuxième équipe de SMUR dans ton établissement.
Que de joyeux souvenirs avec ces rassemblements mêlant personnels hospitaliers,
Gilets jaunes, citoyens, élus locaux et même les motards en colère ! Tu n’étais pas le
plus grand en taille dans l’équipe syndicale mais quand tu prenais le micro, tes argu-
ments portés par une juste colère sonnaient juste et emportaient l’adhésion.
Au cours de cette lutte tu as rejoint la CGT et les camarades étaient fiers de toi, le
médecin qui n’avait peur de rien et qui était toujours le premier pour aller au combat.
Au début de l’épidémie, tu t’étais élevé contre le manque de moyens de protection.
C’est à ce moment que tu as été contaminé. Au début, tu te voulais rassurant, puis
quelques jours après la maladie s’est aggravée. Il y a eu des hauts et des bas, angoisse
et espoir… puis la virus a été le plus fort.
Tu nous as quitté. Tu laisses une épouse et des enfants effondrés. Sache que nous
ferons tout pour leur apporter notre soutien.
Et puis le maintien du SMUR 2 comme vous l’appeliez n’est pas acquise, car malgré
la crise les plans de restructuration-destruction de l’hôpital public continuent. Hôpital
public à l’avenir duquel tu étais si attaché. Nous allons continuer le combat en ton
nom et pour toi.
Adieu mon ami, adieu mon camarade. »
Dr Christophe Prudhomme

1. Mary Low, « La nuit est pour toujours », Sans retour, Paris, Syllepse, 2000.
BAS LES MASQUES !
À TOUTES LES PERSONNES QUI N’EN PEUVENT PLUS DE CETTE GESTION DE

ÉDITION DU 4 MAI 2020


CRISE CALAMITEUSE
APPEL

Nous sommes des soignant·es et professionnel·les de la santé d’horizons divers. Bouleversé·es et


en colère, nous décidons de nous lever et de crier haut et fort « Bas les masques ! » Nous disons stop
aux mensonges, à l’hypocrisie et au cynisme du gouvernement !
Nous lançons un appel à tous nos collègues professionnel·les de santé et du médico-social qui
partent travailler la boule au ventre.
Un appel aux « travailleurs et travailleuses essentiel·les », aux « premier·es de corvée », qui sont
exposé·es pour faire tourner la machine.
Un appel à toutes les personnes qui n’en peuvent plus de cette gestion de crise calamiteuse, de
ce qu’elles endurent depuis des années, d’un système économique, politique et social désastreux.
Retrouvons-nous dès maintenant pour construire un mouvement populaire. Partout, nous devons
nous organiser sans attendre un « après-crise » illusoire. Sans cela, les perspectives sont sombres.
L’endettement des États aujourd’hui servira de justification aux politiques d’austérité de demain.
Ces mêmes politiques qui ont déjà broyé nos services publics et nos systèmes de santé, d’éducation
et de justice. Au prétexte de l’état d’urgence sanitaire, des mesures seront mises en œuvre au service
de la surveillance généralisée, du tout sécuritaire faisant infuser dans les esprits la peur, le repli et
la stigmatisation.
Alors construisons ensemble dès aujourd’hui, des lendemains heureux. L’avenir sera ce que nous
déciderons d’en faire ! Le « monde d’après » nous le voulons juste, centré sur l’intérêt du plus grand
nombre et non sur la recherche du profit au bénéfice de quelques-uns.
Face à la crise actuelle, nos objectifs prioritaires sont clairs :
n Nous exigeons que des moyens urgents soient immédiatement réunis pour faire cesser la pénurie

d’équipements de protection.
n Nous exigeons des mesures d’urgence pour une vie digne pour les plus vulnérables.

n Nous exigeons que les aides financières octroyées avec l’argent public aillent en priorité à nos

services publics et que tous les professionnels essentiels à notre société soient enfin rémunérés à
leur juste valeur
n Nous voulons mettre fin à ce système qui broie les vies au nom du profit, et construire

ensemble une société plus juste, plus équitable, un monde où le soin et la solidarité seront enfin des
fondamentaux.
Les actions que nous proposons, pour le moment, sont simples :
À tous les professionnel·les de santé, du médico-social et du social qui se reconnaissent dans cet
appel : rejoignez-nous, partagez vos témoignages.
À tou·tes les travailleur·euses « essentiel·les », aux « premier·es de corvée » qui font tourner la
machine : rejoignez-nous également, partagez vos témoignages, construisons un mouvement large
au-delà de nos secteurs.
À toutes et tous : faisons de chaque mardi une journée de mobilisation à nos fenêtres pour la

19 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


défense d’un système de santé plus juste, et l’avènement d’un « monde d’après » égalitaire (concert
ÉDITION DU 4 MAI 2020

de casseroles, banderoles, etc.). Et continuons de déposer des plaintes en justice.


Sortons de l’isolement et retrouvons-nous (sur les réseaux sociaux dans un premier temps).
Partageons nos témoignages, nos idées, nos actions. Organisons-nous pour construire un grand
mouvement populaire !
« Bas les masques ! » n’est affilié à aucun parti, aucun syndicat, aucune organisation préexistante. Ça
n’est pas un collectif figé et délimité, mais une initiative plurielle ouverte à tous et toutes. N’hésitez
pas à la diffuser partout autour de vous !
POUR REJOINDRE L’INITIATIVE « BAS LES MASQUES ! » :
Site : www.baslesmasques.co
Facebook : www.facebook.com/BaslesMasques2020
Telegram : https://t.me/joinchat/I-4Qt07Bg3MzJZB0qG3_Bg
Twitter : https://twitter.com/BMasques
YouTube : www.youtube.com/channel/UCUsUjdVzFBsXE2YTbMFOOTQ
Pour signer l’appel : https://baslesmasques.co/index.php/je-signe-lappel/
Pour les collectifs/organisations : https://framaforms.org/
signature-de-lappel-bas-les-masques-1587756545

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 20


LE SENTIMENT DES PERSONNELS EST QUE LES ADMINISTRATIONS N’ONT

ÉDITION DU 4 MAI 2020


ÉTÉ D’AUCUNE UTILITÉ ET QU’UNE CERTAINE FORME D’AUTOGESTION A
CONSTITUÉ LA BONNE SOLUTION
ENTRETIEN AVEC CHRISTOPHE PRUDHOMME1

Christophe Prudhomme est médecin urgentiste au Samu 93, porte-parole de


­l’Association­des médecins urgentistes de France (AMUF) et syndicaliste à la CGT.
Il est en première ligne avec ses collègues depuis le début de l’épidémie.

Il y a une petite musique qui nous affirme que l’épidémie est en train de reculer et que
la pression sur les hôpitaux se relâche. Avez-vous les mêmes impressions sur le terrain ?

L’épidémie semble se stabiliser, mais le nombre de malades présents à l’hôpital, en particulier


en réanimation, reste élevé du fait des capacités réduites de notre système hospitalier ayant subi la
suppression de près de 100 000 lits en vingt ans. Un chiffre parle à lui seul : le nombre de malades
Covid-19 en réanimation est de près de 4 500 pour des capacités nationales théoriques de 5 000 lits.
Or l’activité « normale » de l’hôpital redémarre, ce qui est indispensable pour les patients qui ont été
« mis de côté » pendant le pic de l’épidémie car tous les moyens étaient dédiés à la prise en charge
des malades infectés par le virus. Nous étions déjà en sous-effectif avant la crise. Ce manque de
personnel est aggravé par les arrêts de maladie, il va donc être très difficile dans les semaines qui
viennent de gérer ces deux flux de malades à l’hôpital.

Il semble assez évident depuis le début de l’épidémie que l’impréparation du gouver-


nement et des hauts fonctionnaires de la santé publique est criante, pour ne pas dire
criminelle. Peut-on faire le même constat au niveau plus bas des directions d’hôpital ?
Comment cela est-il vécu par les personnels soignants ?

Les personnels sont épuisés mais surtout en colère. Colère renforcée par le fait que le gou­ver­
nement ne répond pas aux revendications posées depuis un an, notamment sur les augmentations
de salaire. L’annonce d’une simple prime aux « héros » pour solde de tout compte est très mal vécue.
Par ailleurs, les plans de restructuration et d’économies se poursuivent. Comme l’a annoncé
Édouard Philippe, après le limogeage du directeur de l’ARS du Grand-Est pour ses propos mal-
heureux  –  il disait en fait tout haut ce que ses collèges n’annoncent pas mais mettent en œuvre  –,
ces projets sont suspendus et non pas annulés. D’ailleurs, nos collègues de l’hôpital psychiatrique
du Vinatier, à Lyon ont déjà organisé des rassemblements dans la cour de l’hôpital pour demander
la réouverture de lits que la direction compte fermer définitivement à l’issue de la crise. Il n’est
pas question pour les personnels hospitaliers de revenir à la situation antérieure. Les revendications
restent et une réponse devra y être apportée par le gouvernement. Elles s’articulent autour de trois
axes : des emplois, des augmentations de salaire, l’arrêt des plans de restructuration et la réouverture
de lits autant que nécessaire.

1. Propos recueillis par Romain Descottes, éditeur aux éditions Syllepse.

21 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


On voit circuler des propos de soignants racontant la « débrouille » qui se met en place
ÉDITION DU 4 MAI 2020

dans un certain nombre d’établissements, notamment face à l’absence de matériel et


d’équipements. Parfois, ça à l’air de s’appuyer quasiment plus sur la solidarité locale
que sur l’État ! On le sait les personnels soignants sont mobilisés depuis plusieurs
années pour dénoncer le manque de moyens et des conditions de travail intenables.
Ces actions antérieures, liées au mouvement social et notamment aux groupes de
Gilets jaunes, jouent-elles un rôle dans cette solidarité actuelle ? Et si oui, cela se traduit
comment ?   

Tout à fait. La mobilisation de l’hôpital n’a reposé que sur l’initiative et la « débrouillardise » des
personnels. Les administrations et notamment les ARS ont été complètement défaillantes dans leur
mission principale qui était d’apporter les moyens, notamment logistiques, nécessaire pour répondre
à la crise. Non seulement elles n’ont pas su répondre à la pénurie de moyens, mais certaines d’entre
elles ont poursuivi leur politique de répression des agents qui protestaient. Leur seule aide a été de
nous fournir des tutoriels pour fabriquer des équipements de protection avec des sacs-poubelles.
Bien entendu, la solidarité locale, les applaudissements sont toujours appréciés, mais les soignants
attendent de la population qu’elle les soutienne plus activement dans leurs revendications. Le mou-
vement social à l’hôpital rejoint celui des Gilets jaunes car les causes de la colère ont la même
origine : la politique libérale de casse des services publics, de désertification des territoires avec ses
conséquences en termes de montée des inégalités.

Dans notre « Éphéméride sociale », qui rend compte des luttes sur les cinq continents,
on remarque une forme d’insubordination face aux autorités sanitaires. Aux États-Unis,
entre la répression des personnels trop bruyants et les résistances intenses des tra­
vailleur·euses au « manque de tout », c’est impressionnant. Est-ce que dans ton service
cela se retrouve, par exemple, dans des réorganisations du travail quotidien ou dans
une forme d’autonomisation des personnels vis-à-vis des directives venues d’en haut ?

En effet, le sentiment des personnels, toutes catégories confondues, est que les administrations
n’ont été d’aucune utilité dans la période et qu’une certaine forme d’autogestion s’appuyant sur
des initiatives individuelles a constitué la bonne solution. Cela ouvre des perspectives pour l’avenir
autour d’un vieux slogan qui n’apparaît plus si éculé que cela : le pouvoir aux travailleur·euses.

Pour finir, comment selon toi, en tant que médecin, syndicaliste CGT ou porte-parole
de l’AMUF, va s’articuler la suite avec la bataille des urgences, les comités pour la
défense de l’hôpital, et plus généralement celle pour une santé publique de qualité face
futur incertain qui nous attend ? Quelles mesures immédiates ?

La bataille ne se limite pas aux urgences, ni même à l’hôpital aujourd’hui. La question est de savoir
quel système de santé voulons-nous et comment doit-il être financé. Pour la CGT et l’AMUF, deux
principes doivent être mis en avant : le service public et le financement solidaire par une Sécurité
sociale intégrale. Service public : cela signifie une intégration de la réponse aux besoins de santé de
la naissance à la mort dans le cadre d’un grand service public. Cela signifie la fin de la médecine
libérale et la rémunération à l’acte telle qu’elle existe aujourd’hui, ainsi que la fin du secteur privé
à but lucratif dans la santé et le médico-social (cliniques et Ehpad). Sécurité sociale intégrale : cela
signifie la fin des assurances maladie complémentaires et un retour aux fondements de la Sécurité
sociale, collecteur unique de cotisations et financeur unique des dépenses de santé.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 22


UNIS, UNIES, 1ER MAI

ÉDITION DU 4 MAI 2020


APPEL

Devant l’impossibilité de manifester dans les rues, les organisations et les collectifs suivants :
COBAS, Confédération intersyndicale, CGT (État espagnol), Étudiants en mouvement,
Écologistes en action, Coordination Baladre, Coordination nationale des marées blanches,
Fridays for future, se sont mis d’accord avec ce manifeste pour le 1er Mai 2020.

En premier lieu, notre souvenir et respect pour toutes les victimes de la pandémie et notre soli-
darité avec les travailleurs qui œuvrent pour éradiquer la maladie.
Il y a un peu plus d’un siècle les « martyres de Chicago » sortirent dans la rue pour revendiquer un
droit auquel aujourd’hui nous ne pouvons renoncer, la limitation de la journée de travail à 8 heures
quotidiennes. Beaucoup de personnes furent assassinées par la répression étatique qui tentait d’em-
pêcher une conscience collective qui ne s’est pas arrêtée.
La situation actuelle nous unit dans une dignité de la classe travailleuse, qui combat en première
ligne contre la pandémie, faisant la démonstration qu’elle est l’unique classe capable de nous sortir
de cette crise sanitaire et de la débâcle de ce système social.
Nous abordons ce 1er Mai dans ce moment dramatique, ce qui renforce les raisons de se mobiliser
et d’exiger des États et du patronat que notre santé, notre vie et celle de la planète valent beaucoup
plus que leurs profits.
Il y a peu, des millions de personnes se mobilisaient dans le monde entier contre le changement
climatique, et plus récemment, pour l’égalité de genre et contre les violences machistes. Aujourd’hui,
plus que jamais, nous devons continuer ces justes luttes.
Défendre les services publics universels et de qualité, comme garants en termes d’égalité des
besoins et des droits de tous les individus, comme récupérer les entreprises qui ont été offertes
aux mains du privé, doivent être quelques-uns de nos engagements principaux. Nous avons vu ce
qu’une santé publique colonisée par la spéculation et les lois du marché fait : il y a plus de gens
qui meurent et moins de soignants pour nous soigner. Nous ne voulons ni héros, ni héroïnes, mais
des professionnels en nombre suffisant et bien traités au travail, économiquement et sanitairement.
Nous réaffirmons les propositions que nous avons déjà exigées du gouvernement pour faire face à
la pandémie, garantissant les moyens sanitaires pour défendre la vie et les moyens sociaux en inter-
disant les licenciements, en assurant les moyens donnant à tous la possibilité de vivre le confinement
avec des garanties.
Nous exigeons une santé et une éducation publiques éloignées des marchés spéculatifs, des pen-
sions publiques dignes et suffisantes pour tous, le droit de vivre dans la dignité, la mobilité avec des
transports publics accessibles, l’attention envers les personnes dépendantes et différentes, celles à
protéger dans le sens le plus large, sans oublier les « exclus » qui sont hors de l’emploi, du marché, etc.
Nous luttons pour l’abrogation des réformes du travail, pour la création d’un revenu de base
minimum d’égalité, pour garantir les droits des migrants, pour le droit des jeunes à se projeter dans
le futur, pour combattre la répression étatique avec ses lois et ses prisons, entravant les malades
mentaux par une désastreuse politique sanitaire, pour le droit à un environnement sain, pour agir
avec fermeté pour stopper le changement climatique, en évitant la perte de la biodiversité.
Nous posons le problème de l’accès à l’alimentation dans le monde et dans nos proches

23 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


communautés, les problèmes de la surexploitation de la terre et de beaucoup de travailleurs agri-
ÉDITION DU 4 MAI 2020

coles, la dépopulation et le vieillissement du monde rural. En bref, ne laisser personne en arrière et


faire le pari d’un monde plus juste et solidaire, mettant les personnes au centre de la vie.
En ce 1er Mai, il est aussi essentiel de ne pas perdre la mémoire historique, de récupérer les per-
sonnes enterrées dans les fosses communes, d’exiger réparation pour les victimes du franquisme et
l’abrogation de la loi d’amnistie afin que soient jugés tous les coupables de crimes contre l’humanité.
Nous devons nous préparer ensemble à la nouvelle récession qui se dessine à un niveau inter-
national et que, encore une fois, au-delà des grands discours sur l’« unité patriotique » et les pactes
sociaux, on envisage de faire payer à la classe travailleuse. Nous demeurerons vigilants devant les
nouveaux coups portés aux droits, sous prétexte de Covid-19, afin que ces droits ne soient diminués
à jamais. Les travailleurs les plus précaires sont ceux qui assurent les services essentiels. La fracture
numérique et ne pas disposer d’un logement digne dans lequel être confinés ont aggravé la situation
des plus défavorisés.
Pour l’obtenir, nous comptons sur toi qui risques ta vie pour nous aider, sans des moyens de pro-
tection que ni ton employeur, ni l’État ne te garantissent. Nous comptons sur vous, confinés qui êtes
en télétravail tout en prenant soin de vos petits et de vos grands, nous ne vous oublions pas, vous qui
n’êtes plus avec nous parce que le terrorisme patronal vous a ôté la vie, et pas seulement le maudit
coronavirus. En votre mémoire, comme à celle des martyres de Chicago, en englobant l’ensemble
des personnes qui croient qu’un changement est possible, nous devons nous lever et sortir le 1er Mai
prochain à nos fenêtres, sur nos balcons, comme dans les réseaux sociaux, pour exiger ce qui est à
nous, ce que nous produisons avec nos mains, notre temps, notre santé, nos impôts.
Quand nous pourrons retourner dans la rue, nous nous embrasserons tissant des réseaux de solida-
rité, d’autogestion, de soutenabilité, d’internationalisme et de liberté. Unis, unies, nous l’obtiendrons.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 24


ITALIE
COMME S’IL AVAIT ÉTÉ IMPENSABLE DE NE PAS PRODUIRE DE BOULONS OU

ÉDITION DU 4 MAI 2020


DE VOITURES PENDANT QUELQUES SEMAINES !
ELIANA COMO1

Quelle est la situation sanitaire du pays aujourd’hui ?

Avec plus de 25 000 décès dus au Covid-19, l’Italie est l’un des pays les plus touchés au monde
par la contagion. Et en particulier, la Lombardie, qui est l’une des régions les plus industrialisées,
polluées et densément peuplées d’Europe : 14 000 personnes y sont mortes, plus de la moitié du
total du pays.
Il est toutefois important de savoir que les données officielles sous-estiment le phénomène. On
considère que les chiffres réels deux fois plus importants que les officiels, car ces derniers ne
tiennent pas compte des nombreux décès survenus au domicile, sans avoir pu bénéficier du test
du Covid, ou dans les maisons de retraite. Dans celles-ci, une véritable hécatombe a eu lieu, en
raison de la décision irresponsable de la région de Lombardie d’y transférer les patient.es guéri.es
du Covid-19 sans mesures d’isolement appropriées. C’est comme si on avait lancé une allumette
allumée sur une botte de foin.
En particulier, dans la province la plus touchée, Bergame (où j’habite), on estime que plus de 5 000
personnes sont décédées depuis fin février, sept fois plus qu’au cours de la même période en 2019.
À tel point qu’à la mi-mars, des dizaines de cercueils ont été transportés sur des camions militaires
à l’extérieur de la province parce que le cimetière de la ville n’était plus en mesure de les recevoir.
C’est seulement depuis hier, après environ un mois, que les familles de ces victimes ont su où le
cercueil de leurs proches avait été amené.

Quelles dispositions ont été prises pour les travailleurs et travailleuses ?

La gestion de l’urgence Covid-19 a laissé de côté la santé de celles et ceux qui travaillent, et par
conséquent de l’ensemble de la communauté, pour satisfaire les intérêts des entreprises, qui n’ont
pas voulu, et ne veulent toujours pas, qu’on touche à leurs profits. Pendant des semaines, alors que le
nombre de contagions explosait, la décision de fermer ou pas a été laissée aux entreprises. Dans les
villes les plus touchées, ce choix a été criminel et a exposé les travailleuses et travailleurs au virus,
les transformant ainsi en un véhicule de contagion pour les membres de leur famille.
L’unique mesure de protection aurait dû être, dès le départ, la fermeture des entreprises non
essentielles, dont les usines, qui n’ont fermé que le 22 mars. Le rôle de Confindustria [le Medef
italien] a été déterminant dans ce choix. Début février, lorsque les premiers cas de contagion ont
commencé à émerger en Italie, dans la province lombarde de Lodi, le gouvernement a immédiate-
ment pris la décision de confiner pour quinze jours les municipalités où étaient apparus les premiers
foyers de contagion établissant la première « zone rouge ». Avec des effets positifs, car en peu de
temps l’infection a considérablement ralenti.

1. Eliana Como est membre de la FIOM-CGIL, animatrice de Riconquistiamo-Il sindacato è un’altra cosa (Italie).

25 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


Dans le même temps, d’autres foyers de contagion tout aussi importants étaient apparus dans la
ÉDITION DU 4 MAI 2020

province voisine de Bergame, en particulier dans la zone au nord de la ville (l’une des deux vallées
de Bergame, Val Seriana, l’un des centres industriels de la Lombardie). Mais la même procédure
n’a pas été mise en place. Prenant une lourde responsabilité, ni le gouvernement, ni la région, ni
les maires des communes concernées n’ont procédé à l’instauration d’une zone rouge. En l’absence
de toute mesure restrictive, pendant plus d’une semaine, cette épidémie a continué de s’étendre,
mettant en danger toute la province de Bergame et les provinces voisines. La principale raison qui a
empêché la création immédiate de la zone rouge autour de Bergame a été la pression des secteurs
économiques : même face à une urgence sanitaire, on devait continuer à faire des profits. Comme
s’il avait été impensable pour un pays comme l’Italie de ne pas produire de boulons, de voitures ou
de tuyaux en acier pendant quelques semaines !
Lorsque, entre le 8 et le 9 mars, le gouvernement a ordonné des mesures restrictives qui limite-
raient la circulation des personnes pendant les deux prochaines semaines (d’abord seulement dans
le Nord, le lendemain dans tout le pays), les mêmes décrets laissaient toujours la possibilité de se
déplacer pour aller travailler. Ainsi, alors que la population était informée de #jeresteàlamaison, des
centaines de milliers de travailleurs et travailleuses ont continué à se rendre au travail, s’entassant
dans les locaux des entreprises et dans les transports en commun. Même à Bergame, épicentre de la
contagion, nous avons continué à travailler comme si de rien n’était, alors qu’entre-temps le nombre
de décès avait augmenté de façon spectaculaire, avec l’effondrement du système hospitalier et la
saturation des unités de soins intensifs (violemment amputées par les politiques d’austérité au cours
des dernières décennies).
Ce n’est que le 22 mars que le gouvernement a finalement ordonné la fermeture des activités
non essentielles. Outre le retard dramatique (en particulier, pour les régions du Nord, qui étaient en
pleine urgence depuis des semaines), le décret s’est révélé largement inefficace, laissant trop de lati-
tude pour la définition de « l’activité essentielle » et, surtout, permettant à toute entreprise, par une
simple auto-attestation, de continuer à produire même si son activité n’est pas indispensable. Malgré
la prolongation des mesures restrictives par le gouvernement jusqu’au 3 mai, grâce à ce mécanisme,
les entreprises ont continué à produire, même après Pâques. Et maintenant, la perspective d’un redé-
marrage généralisé le 3 mai semble inévitable, malgré la situation sanitaire toujours critique.
Quelles sont les conséquences pour les travailleurs ? Pour la population la plus pauvre en général
(chômeurs et chômeuses, sans-abri, secteur informel, etc.) ?
Les travailleurs et travailleuses paient un lourd tribut dans ce contexte Les mesures prises par le
gouvernement italien depuis le début ont été très contradictoires et ont imposé un énorme fardeau
à celles et ceux qui travaillent. Un énorme effort a été demandé dans des domaines clés, souvent
sans les garanties de sécurité sanitaires minimales ; en particulier à celles et ceux qui travaillent dans
les services essentiels au public, à commencer par la santé, les maisons de retraite mais aussi la dis-
tribution alimentaire (les supermarchés sont toujours ouverts le dimanche, même en Lombardie), les
transports, les services d’assainissement et le nettoyage industriel, services publics, etc.
Là où le travail s’est vraiment arrêté (dans certains secteurs de manière globale : par exemple, le
tourisme, la restauration, le secteur artistique, la culture et les loisirs, la distribution commerciale,
etc.), une autre crise est survenue : les allocations ont été versées tardivement et de manière tota-
lement insuffisante : l’assurance-chômage ne couvre qu’une partie des salaires – pour un ouvrier
moyen, juste un peu plus de la moitié. Beaucoup n’ont même pas droit aux indemnités chômage,
en particulier les travailleurs et travailleuses précaires : seule une prime globale unique de 600 euros
a été allouée pour toute la période de non-travail (et à ce jour, personne ne l’a encore perçue). Les
salarié·es des petites entreprises sont couvert.es uniquement par le fonds dont le paiement est assuré
directement par l’INPS [Sécurité sociale] et cela ne leur parviendra pas avant quelques mois. Sans

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 26


oublier tous ceux et toutes celles, en particulier dans le Sud, qui travaillaient « illégalement » et qui

ÉDITION DU 4 MAI 2020


n’ont aucun revenu depuis deux mois.
Quelle est la résistance organisée par les mouvements sociaux et syndicaux ?
Dès que l’urgence a été déclarée début mars, les inquiétudes sur les lieux de travail ont commencé
à croître. C’était une situation schizophrène : d’une part, un gouvernement vous bombardant de
messages sur l’obligation de rester chez vous. Et d’un autre côté, le fait d’aller travailler tous les
jours comme si rien n’était. À ce stade, les centrales syndicales ont fait une erreur, elles n’ont pas
­compris­le ressenti des travailleurs et des travailleuses. Sur le plan national, ce n’est que le 22 mars
que CGIL, CISL ont demandé la fermeture des entreprises : le jour même où le gouvernement a
publié le décret et ce, malgré le fait qu’il ait été demandé, à juste titre, beaucoup plus tôt par les
dirigeants syndicaux régionaux de la Lombardie. Alors que la colère et la peur grandissaient, ces
centrales syndicales se sont plutôt focalisées sur un mot d’ordre irréaliste : celui de travailler en toute
sécurité, en signant un protocole avec Confindustria le 14 mars, qui aidait plus les entreprises à
rester ouvertes que les travailleurs et travailleuses à les faire fermer, et en même temps déchargeant
la responsabilité des conditions de sécurité sur les délégué·es du personnel.
Dans de nombreux emplois, le respect des règles de sécurité sanitaire était tout simplement
impossible. Il était également irréaliste de penser que des dispositifs de protection arriveraient, alors
qu’ils faisaient défaut même aux personnels de santé ! En effet, en disposer aurait été tout aussi
criminel : cela aurait signifié les retirer aux hôpitaux et aux activités essentielles. Et même s’il avait
été possible d’appliquer les règles de sécurité dans les usines plus grandes et syndiquées (mais je
ne le crois pas), cela n’était pas du tout les cas dans toutes ces PME et TPE sans présence syndicale
donc sans contrôle.
Heureusement, cependant, dans de nombreuses grandes usines et dans certains secteurs des trans-
ports, les délégués syndicaux ont commencé à bouger sous la pression des travailleuses et des travail-
leurs. Au début, les mouvements de grève ont été spontanés, puis ont été couverts par le syndicat,
du moins dans le secteur de la métallurgie. C’est à la mi-mars qu’entre colère et peur, une vague de
grèves a éclaté à travers le pays. Même alors, CGIL, CISL et UIL n’ont pas eu le courage de décla-
rer la grève générale (qui, bien sûr, n’aurait pas concerné les secteurs engagés en première ligne
dans les hôpitaux pour sauver des vies). Pourtant, avec la Confindustria lancée sans scrupule vers
la réouverture du 4 mai, les trois confédérations ne peuvent présenter la menace d’une grève avec
la même fermeté. Le risque pour les syndicats, aujourd’hui comme en mars, est de se limiter, à la
table des négociations avec le gouvernement, à freiner la ligne imposée par la Confindustria, dictée
par les entreprises. Et de laisser ainsi, les délégué·es dans les entreprises, dos au mur pour gérer le
redémarrage, en l’absence d’un cadre clair de règles.
D’un autre côté, si les pressions de la Confindustria ne peuvent être freinées, le 4 mai, nous serons
face à un paradoxe : les écoles resteront fermées parce que le danger sanitaire persiste, alors que les
entreprises seront susceptibles d’être toutes ouvertes et, par conséquent, les transports en commun
bondés. Mais si les écoles ne sont pas considérées comme sûres, comment les usines peuvent-elles
l’être ? Et admettons que les usines soient vraiment sûres : alors pourquoi garder les écoles fermées ?
Je ne pense pas que les écoles doivent rouvrir, le risque est encore trop élevé. C’est aussi vrai pour
les entreprises. Au contraire, une grande partie de la classe politique est désespérée parce que les
usines sont fermées, mais il semble qu’elle ne se soucie pas que les écoles le soient et que les enfants
soient confinés depuis des semaines. Une société démocratique doit accorder la priorité à la santé de
sa population. Mais quelle est cette société qui est plus pressée de rouvrir les usines que les écoles
ou les musées, les théâtres et les lieux culturels en général ?

27 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


La crise actuelle permet-elle de proposer de nouveau publiquement la question d’une
ÉDITION DU 4 MAI 2020

rupture avec le capitalisme ? Dans quelle perspective ? Avec quelles forces populaires ?

Je crains qu’on ne sorte de cette crise de la même façon que nous y sommes entré·es. Ce seront
toujours les classes populaires, les travailleurs et travailleuses qui paieront les conséquences de la
crise économique. Car dès que les entreprises pourront licencier, elles le feront. Pour l’instant, il y a
une interdiction des licenciements, même si nombre de travailleurs et travailleuses précaires ont déjà
perdu leur emploi car leur contrat n’a pas été renouvelé. Je doute qu’après cette crise, les rapports
de force changent et que s’ouvre une nouvelle phase. Et je ne pense pas que les salaires augmen-
tent parce qu’on aurait finalement compris que les travailleurs et travailleuses étaient importants
pour faire marcher le pays quoi qu’en dise la rhétorique de l’automatisation et des délocalisations.
D’autant plus que si l’Europe nous impose le MES, nous sortirons de cette affaire avec la corde des
politiques d’austérité au cou. Il est également difficile pour la classe politique de reconnaître les
véritables effets de la pollution, car c’est dans la vallée du Pô, qui est l’endroit le plus pollué et le
plus industrialisé d’Italie, que s’est davantage développé le virus.
Il est vrai, cependant, que la tragédie a démontré que certaines des revendications de la gauche
radicale ne peuvent plus être reportées et je pense que cela devrait devenir un terrain de lutte pour
la construction d’un modèle de société différent. Demain, il sera plus facile d’affirmer qu’il est
nécessaire de se battre et se mobiliser pour le budget de la santé et des services publics, que nous ne
pouvons plus donner un centime au système de santé privée, que sans les travailleurs et travailleuses
le pays s’arrête, qu’il est temps d’en finir avec la précarité et les salaires de misère, qu’un tel niveau
de pollution ne peut être toléré, que la vie vaut plus que les profits et surtout, que les patrons n’ont
aucun scrupule à envoyer ceux et celles qui travaillent pour eux au massacre (ils n’hésiteront pas à
licencier en masse lorsque cela les arrangera).
Ces concepts sont plus compréhensibles pour tous et toutes aujourd’hui. Mais ils ne se traduisent
évidemment pas immédiatement par des mobilisations. Peut-être, avant toute chose, après cette tra-
gédie, nous devrions essayer d’accomplir le miracle de réunir la galaxie de la gauche radicale autour
de ces quelques revendications simples.
28 avril 2020

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 28


MALI
SI LE CORONAVIRUS NE NOUS TUE PAS, LA FAIM AURA RAISON DE NOUS

ÉDITION DU 4 MAI 2020


MAHAMAME THIENTA1

Quelle est la situation sanitaire du pays aujourd’hui ?

La pandémie est bien là, malgré ce que certains disent. L’État malien a annoncé les mesures dites
« barrières » : lavage des mains, solutions hydroalcooliques, masques, distance de 1,50 mètre… Encore
faudrait-il que le matériel soit disponible et accessible à tous et à toutes. Un couvre-feu a été imposé
de 21 heures à 5 heures. Tout rassemblement de plus de 50 personnes est interdit. Les transports
sont limités.

Quelles dispositions ont été prises pour les travailleurs et les travailleuses ?

Aucune disposition réelle n’est prise, malgré de grandes déclarations à la télévision. Écoles, uni-
versités, hôtels, bars, cinémas, aéroports, etc. sont fermés.

Quelles sont les conséquences pour les travailleurs ? Pour la population la plus pauvre
en général (chômeurs et chômeuses, sans-abri, secteur informel, etc.) ?

Indépendamment de la crise liée au coronavirus, nous vivions déjà dans une situation très diffi-
cile. Pour les cheminot·es, nous en sommes, de nouveau, à quatre mois de salaires non payés. Sous
la pression de SYTRAIL, appuyé par la CDTM ainsi que par le Réseau syndical international de
solidarité et de luttes et la Fédération internationale des transports (ITF), l’État a fait, plusieurs fois,
des déclarations semblant répondre aux revendications ; elles sont restées sans suite. Plusieurs des
malades des séquelles de la grève de la faim de 2018-2019 (www.laboursolidarity.org/Cheminots-
maliens-combien-de-morts) sont dans un état grave. L’absence de revenus aggrave la situation.
Comme nous disons : « Si le coronavirus ne nous tue pas, la faim aura raison de nous. » Plus générale-
ment pour la population, on est dans une phase de survie. Le couvre-feu et les fermetures d’activités
créent un manque à gagner ; les prix des denrées de première nécessité ne cessent d’augmenter ; les
malades craignent d’aller dans les hôpitaux par peur du coronavirus ; la pauvreté s’accroît. Si l’après
Covid-19 n’est pas géré, maintenant et différemment, on va vers une famine.

Quelle est la résistance organisée par les mouvements sociaux et syndicaux ? La crise
actuelle permet-elle de reproposer publiquement la question d’une rupture avec le
capitalisme ; dans quelle perspective ? Avec quelles forces populaires ?

Les centrales syndicales s’organisent. Un recensement est fait, entreprise par entreprise, des mesures
à prendre et des revendications à défendre. La crise actuelle montre aussi combien le rôle des syndi-
cats est important, combien leur force est nécessaire pour imposer une alternative au système actuel.
28 avril 2020

1. Mahamame Thienta est secrétaire générale du Syndicat des travailleurs du rail de l’Union nationale des travailleurs du Mali
(SYTRAIL-UNTM).

29 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


IRAN
LE RÉGIME TUE DES PRISONNIERS POLITIQUES ET DÉCLARE QU’ILS SONT
ÉDITION DU 4 MAI 2020

MORTS EN PRISON DU CORONAVIRUS


HOUSHANG SEPEHR1

Quelle est la situation sanitaire du pays aujourd’hui ?

La situation est catastrophique. Officiellement, le bilan en Iran est de 4 869 décès et de 77 995
malades confirmé·es. Pourtant, depuis plusieurs jours, les déclarations citant des chiffres beaucoup
plus importants se multiplient de la part de responsables iraniens. Selon un membre du conseil
municipal de la ville de Téhéran, uniquement dans la capitale, entre 70 et 100 personnes meurent
chaque jour à cause du Covid-19. Le centre de recherche du Parlement a aussi publié, le 14 avril,
un rapport dans lequel le bilan des décès est estimé deux fois supérieur au chiffre officiel. Selon nos
informations, le nombre de décès se situe entre 20 000 et 40 000. Et aucune disposition n’a été prises
pour les travailleurs et les travailleuses.

Y a-t-il des demandes de réappropriation collective, d’autogestion, de contrôle des


travailleurs et travailleuses ? La crise actuelle permet-elle de reproposer publiquement
la question d’une rupture avec le capitalisme ; dans quelle perspective ? Avec quelles
forces populaires ?

Les syndicats sont interdits en Iran. Celles et ceux qui s’organisent tout de même, font des ras-
semblements ou des grèves, sont très durement réprimé·es. C’est la situation « normale », hors crise
liée au coronavirus. Le régime iranien tue des prisonniers politiques, arrêtés lors des émeutes de
novembre, et déclare qu’ils sont morts en prison du coronavirus…

Quelles sont les conséquences pour les travailleurs ? Pour la population la plus pauvre
en général (chômeurs et chômeuses, sans-abri, secteur informel, etc.) ?

Dans une lettre ouverte, adressée au ministre de la santé, un groupe de médecins iraniens a
appelé à la « transparence » et à la « responsabilité » dans la lutte contre le nouveau coronavirus. Les
signataires demandent que le nombre de personnes infectées, les méthodes de test, les voies de col-
lecte des détails et des informations, dont le nombre de morts, fassent l’objet de transparence. Ils
soulignent divers obstacles dus à la manière dont le ministère agit. Ils ont également demandé au
ministre de la santé d’améliorer les conditions de fonctionnement des hôpitaux et des centres médi-
caux, en tant que lignes de front de la lutte contre le Covid-19. De plus, les médecins ont appelé
à annoncer les vrais chiffres du coronavirus, loin des intérêts politiques. Alors que le premier cas a
été annoncé le 19 février, l’origine exacte de la maladie en Iran n’est pas bien connue. L’emploi
des avions de la compagnie Mahan pour rapatrier les ressortissants proche-orientaux de Chine est
avancé par certains. D’autres accusent un commerçant ayant voyagé en Chine. Les élèves chinois de
l’école coranique de Qom sont également mis en cause.
Les hôpitaux sont débordés et manquent de moyens ; les populations précaires sont privées de

1. Houshang Sepehr est coanimateur de La S‎ olidarité socialiste avec les travailleurs en Iran.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 30


ressources : la progression du Covid-19 est fulgurante. En Iran, le système de santé est particulière-

ÉDITION DU 4 MAI 2020


ment menacé. À cause des corruptions et spéculations internes, des millions de personnes ont déjà
des difficultés économiques, sont au chômage et sans ressource. Les taux de chômage et l’inflation
vont encore monter de façon drastique avec cette crise du Covid-19. Les pressions économiques,
autant que la courbe de progression, de la maladie écrasent la population.

31 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


ITALIE
IL EST NÉCESSAIRE QUE LES ORGANISATIONS LIÉES AU MOUVEMENT
ÉDITION DU 4 MAI 2020

OUVRIER REMETTENT DANS LE DÉBAT PUBLIC LA QUESTION DU


DÉPASSEMENT DU CAPITALISME
MARCELO AMENDOLA1

Quelle est la situation sanitaire du pays aujourd’hui ?

L’Italie est actuellement divisée : au nord, le virus s’est propagé de façon alarmante, surtout en
Lombardie où l’on enregistre 50 % des décès nationaux ; au centre et au sud, dans l’ensemble, les
chiffres de la contagion sont encore relativement contenus. Pourquoi cette propagation particulière ?
Divers facteurs ont certainement joué un rôle, dont deux plus particulièrement.
Tout d’abord, ni le gouvernement ni la région de la Lombardie n’ont rapidement déclaré la ferme-
ture en zone rouge de la région entre Nembro et Alzano Lombardo dans la province de Bergame.
Une décision influencée par les associations patronales, étant donné qu’il s’agit d’une zone à forte
concentration industrielle qui ressemble à une vaste coulée de béton, dans laquelle se succèdent les
grandes villes avec leurs entreprises collées les unes aux autres, qui s’étendent depuis Milan vers le
nord-ouest (à la frontière avec la Suisse) et vers le nord-est (les provinces de Bergame et de Brescia).
Le second facteur est dû au fait que le système de santé en Lombardie était devenu le centre
d’essai des projets de privatisation de notre système national de santé (SSN). Les hôpitaux publics
et les services de santé de proximité ont été fermés ou réduits, et, à la place, des cliniques privées,
souvent liées à la droite catholique, n’ont cessé de proliférer. Face à la saturation immédiate des lits
disponibles, la Région Lombardie a transféré les personnes infectées vers les résidences sanitaires
pour personnes âgées (RSA), des structures gérées par des entreprises privées qui sous-traitent les
services (infirmières, travailleurs et travailleuses sanitaires et sociaux, auxiliaires de vie sociale, net-
toyage, blanchisserie, entretien, etc.) à des coopératives, afin de diminuer le coût du travail grâce à
des services ultra-flexibles et précaires. Les RSA se sont immédiatement transformées en foyers de
contagion et de propagation du virus.

Quelles dispositions ont été prises pour les travailleurs et les travailleuses ?

Tout d’abord, le ministère de la santé n’a jamais déclaré obligatoire l’utilisation des masques ; au
contraire, dans les premières semaines, il a ouvertement découragé leur utilisation pour celles et
ceux qui ne présentaient pas de symptômes du coronavirus. Le 11 mars, le gouvernement a adopté
un décret invitant les entreprises à disposer de « protocoles anti-contagion » en rapport avec les spé-
cificités de leurs activités. Des protocoles avec qui ? Bien sûr avec les responsables de la sécurité de
l’entreprise mais aussi, lorsqu’il y en a, avec les représentants des travailleurs et travailleuses dans les
commissions santé et sécurité (RLS).
Le RLS est une institution dont les procédures électorales et les activités sont régies par des
accords signés entre les organisations patronales et CGIL, CISL et UIL, les trois confédérations

1. Marcelo Amendola est secrétaire national de la Confederazione unitaria di base (CUB), Italie.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 32


syndicales traditionnelles, désormais ouvertement modérées et libérales. Ces élections ne sont pas

ÉDITION DU 4 MAI 2020


vraiment libres puisque, dans la grande majorité des cas, les syndicats de base, malgré le suivi qu’ils
assurent auprès des travailleurs et travailleuses, ne peuvent pas participer : seuls ceux qui ont signé
les conventions collectives nationales peuvent y participer, c’est-à-dire CGIL, CISL et UIL quasi-ex-
clusivement. En outre, le RLS n’a pas de pouvoirs réels ni de droit de veto, la plupart du temps le
ou la RLS se contente de formuler des critiques. En réalité, ce n’est pas un organe indépendant de
l’entreprise et il n’a pas de réel pouvoir.
Les « protocoles anti-contagion » ont donc été établis avec une totale liberté par les entreprises et
de nombreux employeurs ont pu ne pas investir dans la protection des employé·es, en économisant
sur les équipements de protection individuelle, à commencer par les masques jugés inutiles, sauf
dans des cas très spécifiques.

Quelles sont les conséquences pour les travailleurs ? Pour la population la plus pauvre
en général (chômeurs et chômeuses, sans-abri, secteur informel, etc.) ?

Il est maintenant clair pour tout le monde que ce sont les travailleurs et les travailleuses qui
paieront cette crise. Quelques chiffres suffisent à le prouver : pour apporter de l’aide aux salarié·es
et aux indépendant.es qui se retrouvent sans activité, le gouvernement a financé des subventions à
hauteur, seulement, de 25 milliards d’euros. En revanche, les entreprises bénéficieront de 400 mil-
liards d’euros de liquidités, qui seront fournies par les banques et garanties par les impôts des contri-
buables, principalement des salariés et des retraités. Les travailleurs et travailleuses dont le travail
sera suspendu recevront une subvention appelée « fonds de licenciement », qui peut entraîner la perte
de la moitié de leur salaire normal. Le versement de ces prestations se fait lentement et on estime
qu’il y aura des retards de plus d’un mois dans la réception des paiements. Les « faux indépendants »
recevront une prime dérisoire de 600 euros. La plupart des travailleuses et travailleurs précaires res-
teront sans travail et probablement sans revenu. Des milliers de soignant.es et d’aides à domicile se
retrouveront aussi dans cette même situation.
Le « revenu de citoyenneté », le cheval de bataille du Mouvement 5 étoiles, est très limité ; et pour
beaucoup de personnes, ce revenu se traduira par le versement de seulement quelques centaines
d’euros par mois, en raison des conditions extrêmement strictes qui sont nécessaires pour y pré-
tendre. L’allocation de chômage (Naspi) dure deux ans, mais la plupart des personnes précaires en
sont exclues ; par ailleurs, son montant diminue chaque mois, de sorte qu’il est pratiquement divisé
par deux la seconde année. Depuis le début du mois d’avril, le gouvernement a promis de nouvelles
aides en faveur des groupes les plus défavorisés, mais rien n’a encore été versé.

Quelle est la résistance organisée par les mouvements sociaux et syndicaux ?

Après le désastre en Lombardie, le gouvernement a décrété la zone rouge dans toute l’Italie : on
ne peut pas quitter son domicile sauf pour des raisons de travail ou de santé ; on ne peut pas se
déplacer d’une région à l’autre. Fin avril, la Commission de garantie des grèves, l’organe national
qui réglemente l’exercice des grèves dans les services publics essentiels, a « invité » les syndicats à ne
pas déclarer de grève avant le 30 avril, sous peine de sanctions.
Le 21 mars, le président du Conseil, tout sourire, en direct à la télévision a annoncé la ferme-
ture des activités de production non strictement essentielles. Le lendemain, la liste des activités qui
pouvaient rester ouvertes a été diffusée : outre les activités liées à la protection de la santé et à la
distribution alimentaire, tous les secteurs industriels et leurs chaînes d’approvisionnement restaient

33 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


ouverts. Par conséquent, presque rien n’avait changé : c’était une nouvelle capitulation honteuse face
ÉDITION DU 4 MAI 2020

aux revendications de la Confindustria !


Dans les jours qui ont suivi, plusieurs grèves spontanées ont éclaté dans des entreprises indus-
trielles en raison du manque d’équipements de protection individuelle et de l’absence de mesures de
sécurité. Les confédérations CGIL, CISL et UIL, sollicités par le gouvernement et la Confindustria,
se sont empressés de signer un accord de sécurité qui ne change rien dans la pratique, mais qui a
réussi à temporiser les grèves. C’est pourquoi, jusqu’à présent, dans les entreprises ouvertes, le travail
s’est poursuivi sans grande protestation.
La CUB fait campagne pour exiger que la réouverture, ou la continuité de la production, ne
soit autorisée que pour les entreprises qui sont en mesure d’assurer la sécurité pleine et entière de
leurs employé·es. Nous déposons donc des plaintes auprès des institutions publiques et, lorsque les
conditions sont favorables, nous organisons des grèves. Dans la ville de Milan, qui représente le fer
de lance du capitalisme financier et des projets de privatisation des services publics et de précari-
sation des vies, nous promouvons également, un 1er Mai de lutte « virtuelle », sur une plateforme
revendicatrice et de lutte, avec les mouvements sociaux et les organisations politiques et syndicales
qui veulent s’opposer à cet état de fait.

Y a-t-il des demandes de réappropriation collective, d’autogestion, de contrôle des


travailleurs et travailleuses ?

La réappropriation collective, l’autogestion, le contrôle de la part des travailleurs et travailleuses,


doivent être la conséquence de vastes mouvements de lutte, dans un climat de participation déci-
sionnelle des travailleurs et des travailleuses. Des luttes qui influencent matériellement et aussi
culturellement les pouvoirs publics et la politique. En Italie, le rapport de forces des travailleurs
et travailleuses, et les luttes, se trouvent dans une situation d’extrême faiblesse. Depuis la fin des
années 1980, les gouvernements, le patronat et les confédérations CGIL, CISL et UIL ont construit
un système de relations sociales visant à adopter des contre-réformes d’austérité qui introduisaient
des mesures de flexibilité dans le monde du travail, des augmentations de productivité réparties en
faveur des patrons, une réduction des salaires, des coupes dans l’État-providence, un allongement de
l’âge de la retraite, etc.
La tâche de la CGIL, de la CISL et l’UIL était également de faire accepter docilement ces mesures
aux travailleurs et travailleuses. Par conséquent, par le biais de lois et d’accords « triangulaires », ils se
sont vus accorder le monopole de l’activité syndicale sur le lieu de travail : par exemple, elles seules
peuvent convoquer des assemblées de travailleurs et travailleuses, publier des communiqués dans
l’entreprise, s’asseoir à des tables de négociation, intervenir à des tables ministérielles en cas de crise
de l’entreprise, faire reconnaître le paiement des cotisations syndicales, etc. Ce système leur a permis
de garder le contrôle sur les travailleurs, les travailleuses et leurs représentant.es, en démobilisant le
mouvement ouvrier et en étouffant dans l’œuf toute tentative de protestation.
Ce n’est pas un hasard si un véritable climat de paix sociale règne en Italie depuis de nombreuses
années et si les « trois principaux syndicats » ne se sont même pas mobilisés face à des réformes
telles que le « Fornero », qui a porté l’âge de la retraite à près de 68 ans et la loi sur l’emploi, qui
a facilité les procédures de licenciement. Cette situation s’est encore aggravée lorsqu’en 2014, la
Confindustria et les confédérations CGIL, CISL et UIL ont signé un accord appelé « Testo Unico
sulla Rappresentanza (TUR) » (loi sur la représentation), par lequel elles ont étendu aux syndicats
de base la possibilité de bénéficier de ces privilèges syndicaux : dans certaines entreprises, la CGIL,
CISL et UIL réglementent les élections pour la représentation syndicale. Les syndicats de base qui
ont adhéré au TUR peuvent également prendre part à ces élections, en échange de quoi ils déclarent

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 34


accepter les conventions collectives, y compris les conventions régressives, signées par la CGIL,

ÉDITION DU 4 MAI 2020


CISL et UIL et se soumettent, sous peine de sanctions, à de lourdes restrictions de leur droit de
grève. Cela signifie que même une partie du syndicalisme de base a vendu son autonomie de lutte
et de manifestation, en échange de quelques sièges,
Au mouvement syndical qui étouffe les pulsions antagonistes des travailleurs et travailleuses contre
le système, s’ajoute une gauche radicale réduite à zéro, puisqu’elle a abandonné la défense des droits
sociaux en participant à la politique de boucherie sociale des gouvernements de « centre-gauche »,
et qu’à la protestation de rue elle préfère la présence dans les salons de la bourgeoisie ; ainsi que
dans les médias (télévision, journaux, radio, maisons d’édition…) qui ont fait du trash leur marque
de fabrique et qui sont aux mains de monopoles liés au berlusconisme ou au centre-gauche.
Nous avons ainsi identifié quelques éléments (et quelques responsables) de la situation des luttes
en Italie qui ont tendance à être peu nombreuses et très isolées. Nous sommes donc très loin des
conditions qui peuvent favoriser des expériences réelles de réappropriation collective, d’autogestion,
de contrôle de la part des travailleurs.

La crise actuelle permet-elle de reproposer publiquement la question d’une rupture


avec le capitalisme ; dans quelle perspective ? Avec quelles forces populaires ?

Cette crise sanitaire est survenue, sur notre continent, à un moment où les problèmes écono-
miques vont croissant. À cet égard, même l’économie allemande, notamment dans le secteur de la
production, commençait à montrer des signes de ralentissement au cours des mois précédents, en
raison des effets de la guerre commerciale engagée entre les États-Unis et la Chine. Par ailleurs,
tant le début des mobilisations syndicales en France, qui ont suivi celles des Gilets Jaunes, que le
développement de mouvements sociaux de dimension mondiale comme « Pas une de plus » ou « Les
vendredis pour le climat », ont marqué une prise de conscience des dégâts causés par les politiques
néolibérales et la logique plus générale du système capitaliste. Face à cette situation, cependant,
dans les différents pays européens, des forces politiques d’extrême droite ont émergé ces dernières
années, qui, tout en poursuivant leur politique d’attaque du monde du travail, ont réussi à détourner
le mécontentement social vers des questions telles que la gestion des flux migratoires.
Il est donc nécessaire, surtout dans une période comme celle-ci, que les organisations liées au
mouvement ouvrier remettent dans le débat public la question du dépassement du capitalisme. En
même temps, ce mot d’ordre doit s’adapter à une réalité profondément changée : pensons à cet
égard au développement des chaînes de production qui rendent désormais l’économie européenne
(sinon mondiale) profondément intégrée et interconnectée, ou à la croissance massive de l’emploi
dans le secteur des services. Ces deux exemples appellent une mise à jour théorique et pratique des
modes d’action mis en œuvre jusqu’à présent par les syndicats. Cette réflexion globale doit servir de
base à la construction de plateformes de revendication et d’action pour la transformation sociale, sur
la base desquelles il est possible de construire des moments d’unité et de lutte entre les syndicats de
différents pays, à commencer par les travailleurs des mêmes chaînes de production, et de dialoguer
avec les principaux mouvements sociaux en cours.
28 avril 2020

35 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


POLOGNE
DANS LES CIRCONSTANCES ACTUELLES, NE TRAVAILLER QUE LÀ OÙ C’EST
ÉDITION DU 4 MAI 2020

INDISPENSABLE POUR LA SOCIÉTÉ


MARTA ROZMYSTOWICZ1

Quelle est la situation sanitaire dans le pays ?

À ce jour (23 avril), nous avons 8 171 cas de coronavirus déclarés et un nombre total de 435 morts
en Pologne. Comme dans la plupart des pays du monde, le système de santé polonais s’est révélé
inefficace. De nombreux hôpitaux ont été réorganisés pour ne prendre en charge que les infections
au Covid-19, mais le personnel médical manque toujours de masques et de blouses de protection.
Dans tous les hôpitaux, le nombre de respirateurs est insuffisant. Les personnes qui téléphonent
pour demander de l’aide doivent attendre des heures avant qu’on les rappelle. La situation la plus
désastreuse se situe dans les établissements pour personnes âgées : le personnel est en nombre très
insuffisant et la population est à haut risque.

Quelles dispositions ont été prises pour les travailleuses et les travailleurs ?

Depuis le début de la menace épidémique, le gouvernement et le Parlement ont introduit trois fois
des changements légaux majeurs. Les points les plus importants sont les suivants :
n les employeurs peuvent réduire les salaires ou le temps de travail et modifier les horaires de

travail, si un accord est signé avec les représentant·es syndicaux.


n Dans l’éventualité d’une baisse d’activité, les employeurs peuvent limiter les temps de repos

quotidiens et hebdomadaires minimum des travailleurs et travailleuses.


n En cas de fermeture des jardins d’enfants, les parents peuvent bénéficier d’un fonds pour la garde

des enfants.
n Les visites médicales des travailleuses et des travailleurs ont été suspendues.

n Les employeurs peuvent mettre les salarié·es en télétravail, y compris en l’absence de contrat

régissant le travail à distance.


n Dans les infrastructures critiques (par exemple, la distribution d’eau, la production d’énergie) les

travailleurs et travailleurs peuvent être confiné·es sur leur lieu de travail.

Quelles sont les conséquences pour les travailleuses et les travailleurs ? Pour les popu-
lations les plus pauvres en général (chômeurs et chômeuses, sans-abri, personnes tra-
vaillant dans le secteur informel, etc.) ?

Les restrictions en termes d’emploi et de sécurité sociale se traduiront immédiatement par une
augmentation du chômage. Les autorités prennent des décisions dénuées de raison. D’une part, on
parle déjà de « dégeler l’économie » pour stopper la récession. D’autre part, les restrictions auront
pour effet une baisse drastique des revenus dans de nombreux foyers. Dans de telles circonstances,

1. Marta Rozmystowicz est responsable des relations internationales de la confédération syndicale Inicjatywa Pracownicza (Initiative des
travailleurs), en Pologne.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 36


il ne sera pas possible d’augmenter la demande. Dans une économie libérale, bien évidemment, les

ÉDITION DU 4 MAI 2020


plus pauvres (celles et ceux qui n’ont pas d’économies) en paieront le prix.
Comme à l’issue des mesures anticrise prises en 2008, nous verrons une augmentation des contrats
de « pacotille » (emplois occasionnels, contrats intérimaires, travail indépendant etc.) qui, par exemple,
ne garantiront pas des niveaux de santé et de sécurité adéquats. Marché du travail, le logement, la
santé constituent un système de vases communicants. La faiblesse des uns entraîne celle des autres.
Il ne serait donc pas surprenant que le nombre de personnes sans domicile augmente.

Quels sont les modes de résistance mis en place par les mouvements syndicaux ?

De nombreux syndicats mènent des campagnes d’information. À l’heure actuelle, notre priorité
est d’empêcher la mise en place d’accords défavorables dans les entreprises. Malheureusement, nous
recevons de nombreuses informations indiquant que beaucoup d’organisations signent ces accords,
sans aucune garantie de maintien de l’emploi. Nos deux plus importants comités, chez Volkswagen
et Amazon, ont mené un combat acharné pour que ferment leurs établissements. Ils ont obtenu gain
de cause à Volkswagen. Nous sommes d’avis que nous ne devrions travailler, dans les circonstances
actuelles, que là où c’est indispensable à la société. Nous avons surveillé la situation sanitaire et la
sécurité dans d’autres lieux de travail et nous sommes intervenus lorsque c’était nécessaire.

Existe-t-il des demandes pour une réappropriation collective, de l’autogestion, une


prise de contrôle des salariés ?

Nous demandons :
n la réduction de la journée de travail à sept heures, sans diminution de salaire, afin de faire baisser
le chômage.
n Des contrats à durée indéterminée pour tous les employé·es.

n Le respect de la règle du 3/1 pour fixer les salaires (le plus haut salaire ne pouvant être plus de

trois fois supérieur au plus faible).


n La simplification de la procédure des conflits collectifs pour permettre à tous et toutes de faire

grève.
n La possibilité pour tous les syndicats de participer aux « équipes de crise » des compagnies, qui

décident de l’organisation du travail dans ces périodes.


n La suspension de l’aide publique versée aux entreprises privées qui opèrent dans des zones éco-

nomiques spéciales.
n La désinfection régulière des lieux de travail.

n L’augmentation des allocations chômage et leur extension à de plus longues périodes.

L’universalisation du droit à une assurance santé et à l’accès gratuit aux services du système de santé.
n L’accès gratuit et universel pour tous aux soins de santé.

n La sauvegarde du système de retraite basé sur la solidarité et l’augmentation du minimum

retraite.
n Le gel des loyers et des remboursements d’emprunt. La suspension des expulsions, auxquelles

des milliers de personnes devront faire face à cause de la crise. Des expulsions de masse ne feront
que nous rapprocher d’un effondrement social.
n La priorité, au sein du budget de l’État, au financement du système de santé publique.

n L’établissement d’un programme de soutien financier pour le secteur de soins afin que les

besoins des personnes dépendantes et ceux de leurs soignants soient satisfaits.

37 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


La crise actuelle, permet, une fois de plus, de mettre en question ouvertement le capi-
ÉDITION DU 4 MAI 2020

talisme : selon quelles perspectives, d’après vous ? Avec quelles forces populaires ?

En y regardant de près, nous sommes en prise en Pologne avec ce qu’il convient d’appeler un
capitalisme dépendant (dans « La théorie de la dépendance de Wallerstein »). Ce système repose sur
les faibles coûts de la main-d’œuvre, la forte influence de sociétés étrangères et le paradigme de
« l’état bon marché ». Nous voyons qu’à l’heure actuelle ces piliers sont ébranlés. Mais pour parler de
rupture décisive avec le capitalisme nous avons besoin de la mobilisation générale des travailleuses et
travailleurs. C’est à cette seule condition qu’il sera possible d’introduire les principes d’une solidarité
sociale, dans laquelle le capital ne prévaudra pas sur le travail.
28 avril 2020

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 38


ARGENTINE
IL SEMBLE PLUS DIFFICILE DE VOIR LA FIN DU CAPITALISME QUE LA FIN DU

ÉDITION DU 4 MAI 2020


MONDE
GONZALO MANZULLO1

Quelle est la situation sanitaire du pays aujourd’hui ?

Depuis le 19 mars, le pays se trouve dans un « confinement social préventif et obligatoire » qui
touche toutes les activités productives, à l’exception des services considérés essentiels tels que les
transports, la santé, la sécurité, le secteur public à ses divers niveaux, la justice par roulement, les
cantines scolaires, les livraisons de repas, les industries liées à l’alimentation et aux fournitures
médicales, les télécommunications, la livraison et la logistique, les services de base et la chaîne de
production de combustibles. Il est à remarquer d’autre part, que les compagnies minières continuent
à travailler, une exception difficile à comprendre du point de vue sanitaire. Ce confinement avait
une date limite, initialement fixée au 26 avril, mais devrait être prolongé au moins jusqu’au 10 mai,
vu que les pics de contagion sont attendus pour mai et juin. Il serait donc illogique, du point de
vue sanitaire, de lever la quarantaine aujourd’hui. Toutefois, comme on pouvait s’y attendre, le lobby
économique exerce une forte pression pour relancer l’activité. C’est pourquoi des assouplissements
du confinement dans certaines zones et des autorisations pour certaines activités spécifiques sont
à l’étude. Sur le plan économique, on prévoit des pertes de 2 à 3 points du produit intérieur brut
pour cette année, sans compter les prévisions négatives pré-Covid. Pour l’Amérique latine, le Fond
monétaire international prévoit 5 points de perte.

Quelles dispositions ont été prises pour les travailleurs et les travailleuses ?

Le rôle du gouvernement a été dans l’ensemble positif, car des mesures ont été mises en place
pour garantir le congé de maladie payé, des aides salariales tant pour les travailleurs et travailleuses
déclaré·es que pour indépendant·es, artisan·es et informel·les, des aides financières pour les petites et
moyennes entreprises, un moratoire sur les loyers, les hypothèques et les crédits et, bien sûr, des ser-
vices de santé gratuits et accessibles à tous et toutes. À cela s’ajoute l’interdiction des licenciements
pour 60 jours et le décret de nécessité et d’urgence qui incorpore le Covid-19 comme maladie
professionnelle permettant à la fois les soins et la prévention. Mais au niveau régional et mondial,
l’Argentine est du côté de l’exception en offrant cette quantité de mesures pour protéger des vies
et des emplois. Des mesures nationales et spécifiques ont été prises pour stimuler et promouvoir
l’emploi et les revenus, ainsi que la santé et la sécurité au travail. Toutefois, toutes ces mesures ins-
taurées ne sont pas respectées par les employeurs et les patrons : par exemple, pour les licenciements
et les mises en chômage temporaire. Le non-paiement des salaires pose également des problèmes.
Toutes les mesures prises par l’État, dans le contexte de la pandémie de coronavirus, ont été
estimées, par les consultations menées à cet égard auprès des différents secteurs concernés et par
le gouvernement lui-même, comme nécessaires. Bien que le gouvernement ait fait appel à cette
instance de consultation, dans les termes établis par la Convention 144 de l’OIT, nous considérons

1. Gonzalo Manzullo est responsable des relations internationales de la Central de trabajadores de Argentina autónoma (CTA autónoma).

39 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


que l’instance de dialogue social prévue par la Convention 98 de l’OIT et la Déclaration des
ÉDITION DU 4 MAI 2020

droits fondamentaux de 1998, n’a pas été satisfaite, en particulier toutes les mesures qui impliquent
de résoudre des questions liées aux travailleurs et travailleuses. La mise en place d’un comité
de crise, dont l’État a pris l’initiative, est interministérielle, c’est-à-dire composé uniquement de
fonctionnaires.
Toutes les mesures annoncées sont généralement précédées de la consultation d’une partie de la
représentation des employeurs et d’une seule centrale syndicale. Cependant, les syndicats de notre
centrale liés aux activités essentielles, comme les travailleurs de l’État et les professionnels de la
santé (FESPROSA et ATE) ont eu des contacts et ont été consultés par différents niveaux du gou-
vernement, qui a repris plusieurs de nos propositions. Il y a quelques jours, ces deux syndicats ont
fait remonter au président de la nation et au ministre de la santé une proposition intitulée « Bases
pour un programme national de préservation de la santé des travailleuses et travailleurs de la santé »,
qui a été bien accueillie par le gouvernement. Il en est résulté une réunion au cours de laquelle le
gouvernement a exprimé un accord général sur la proposition et s’est engagé à promouvoir rapi-
dement un DNU (« ordonnance ») ou, à défaut, une résolution ministérielle dans ce sens, tout en
déclarant d’intérêt national la protection des travailleurs et travailleuses de la santé.
En ce sens, nous estimons nécessaire un dialogue tripartite fort où les travailleurs et travailleuses
seront assis à la table des négociations lorsqu’on décidera de l’assouplissement du confinement et
des conditions de la reprise des activités productives. En outre, malgré l’interdiction des licencie-
ments et les exigences en matière de santé, on observe de nombreuses violations de la législation
relative à la protection des travailleurs et des travailleuses, exposé·es inutilement à des risques.
Cela est particulièrement grave pour le personnel de santé. Mais on constate aussi d’autres cas
d’employeurs qui obligent des travailleurs et travailleuses à reprendre le travail dans le cas d’activités
non essentielles et non exemptées. La CTA autonome a transmis au gouvernement de nombreuses
propositions pour faire face à la crise, en mettant en avant le travail et les vies, dans un document
qui systématise plus de 70 plaintes et réclamations collectives de travailleurs et travailleuses de diffé-
rentes activités dans tout le pays. Ils et elles ont signalé, d’une manière ou d’une autre, un ensemble
de questions qui doivent être traitées d’urgence pour pouvoir faire face à l’urgence ; beaucoup ont
été reprises. Nous avons également dénoncé des cas de violation des droits de l’homme par les
forces de sécurité dans le cadre de violences institutionnelles. Nous exigeons donc que ce contexte
d’exception ne fonctionne pas comme un chèque en blanc pour promouvoir des comportements
autoritaires et répressifs.
En ce qui concerne la situation de vulnérabilité que vivent les femmes dans notre société, notre
centrale a également présenté des propositions au gouvernement, en comprenant que l’isolement
renforce certains problèmes existants, comme le fardeau de la responsabilité des soins et l’expo-
sition à la violence familiale. Dans le même sens, nous avons également exprimé des demandes
spécifiques pour protéger les personnes âgées, principale population à risque face au Covid-19
(www.agenciacta.org/spip.php?article31140). Nous avons fait de même pour la demande d’assou-
plissement des mesures de confinement pour les personnes handicapées (www.agenciacta.org/spip.
php?article31053). Enfin, alors que notre centrale abrite en son sein non seulement des syndicats
mais aussi des organisations sociales, nous sommes intervenus dans ce sens avec des demandes au
gouvernement pour faire face à la situation difficile des quartiers à faibles revenus (www.agenciacta.
org/spip.php?article31111).

Quelles sont les conséquences pour les travailleurs et les travailleuses ? Pour la popu-
lation la plus pauvre en général (chômeurs et chômeuses, sans-abri, secteur informel,
etc.) ?

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 40


L’Argentine fait face à l’un de ses plus grands défis depuis des décennies. La situation d’urgence

ÉDITION DU 4 MAI 2020


sanitaire provoquée par la pandémie s’ajoute à un contexte économique qui, en soi, soulevait déjà
de multiples questions difficiles à aborder dans le contexte précédent. Avec une économie fortement
frappée par la récession et l’austérité au cours des quatre dernières années, et avec le poids excessif
de l’endettement atteignant plus de 80 % du PIB national, l’arrivée de la pandémie a mis en évi-
dence les déficits en termes de développement qui existent déjà structurellement dans le pays. Avec
une pauvreté proche de 40 % de la population, des niveaux élevés de travail informel, un déficit
de logement et un chômage proche de 10 %, celles et ceux qui ont le plus de mal à mener une vie
digne ont été les plus frappé·es. Elles et ils ne peuvent pas faire face au chômage sans aide finan-
cière. La situation est plus critique pour les femmes, les personnes âgées et les enfants. Les femmes,
en particulier, assument une part disproportionnée des tâches de soins et, du fait de leur isolement,
sont davantage exposées aux violences familiales.
Le télétravail, dans les secteurs où il a été mis en œuvre, représente également un défi parce que
le droit de déconnexion n’est pas réglementé et les charges de travail sont plus grandes que dans
le contexte normal, avec des journées de travail plus longues. Les patrons exigent une disponibilité
totale des travailleurs et travailleuses en télétravail.

Quelle est la résistance organisée par les mouvements sociaux et syndicaux ?

Du côté des organisations de travailleurs et travailleuses, nous avons fait un énorme effort pour
rester en contact et renforcer l’organisation même dans ce contexte atypique de confinement. À
cette fin, nous avons mis en place des numéros téléphoniques de consultation et de conseil, tant
en ce qui concerne les droits du travail et syndicaux que pour les droits de l’homme, ainsi que des
consultations ponctuelles des syndicats de la fonction publique et des professionnels de la santé. De
leur côté, dans les secteurs qui continuent de fonctionner malgré le confinement obligatoire, les
assemblées sur les lieux de travail continuent d’avoir lieu pour organiser le respect des exigences
de santé et de sécurité au travail. De même, nous continuons, par les voies électroniques, à tenir les
réunions ordinaires de notre direction et nous sommes en contact permanent, tant à l’intérieur qu’à
l’extérieur du pays, en informant les organisations sœurs de la région et du monde des derniers
développements. Des contacts ont été établis avec d’autres organisations nationales pour apporter
un soutien aux salarié·es qui luttent contre les licenciements, les abus des employeurs et la répres-
sion des forces de sécurité. Enfin, des initiatives sont prises pour favoriser des activités électroniques
orientées vers la formation de nos adhérent.es et aussi pour leur apporter des matériels et des initia-
tives culturelles qui aident à supporter le confinement. De même, la solidarité d’un ensemble d’or-
ganisations sociales, syndicales et de la société en général s’est tissée comme un pôle de débat contre
la soumission au patronat, regroupés sous le mot d’ordre « personne ne se sauve seul ». Vous pouvez
le voir dans l’appel commun lancé il y a quelques jours : www.agenciacta.org/spip.php?article31092.

Y a-t-il des initiatives de réappropriation collective, d’autogestion, de contrôle des


travailleurs et travailleuses ?

Comme on peut l’imaginer, dans le cadre du confinement obligatoire, divers conflits ont surgi
avec le patronat et les entreprises qui cherchent à suspendre, licencier et s’attaquer aux droits du
travail dans ce cadre d’exception. Mais il est aussi plus difficile de coordonner des réponses telles
que l’organisation de réappropriation collective ou autogestionnaire d’entreprises qui mettent la
clé sous leurs portes. Cependant, ces derniers jours, un cas paradoxal a émergé, face auquel la
CTA autonome a montré son soutien. Au début du mois d’avril, la direction de l’entreprise frigo-
rifique Penta, de Quilmes, dans la province de Buenos Aires, a décidé de licencier plusieurs de ses

41 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


employé·es, qui avaient été choisi.es comme délégué·es syndicaux par leurs collègues. Parallèlement,
ÉDITION DU 4 MAI 2020

les patrons ont informé les travailleurs et travailleuses qu’ils ne leur verseraient pas les salaires de la
deuxième quinzaine de mars et qu’ils ne leur donneraient qu’une avance de 1 000 pesos. La crise
a pris de l’ampleur le 9 avril, lorsque la tension entre grévistes et non grévistes (administratifs et
encadrement) a servi de prétexte à une répression policière brutale, qui a été ensuite dénoncée par
les syndicats, les élus locaux et même la mairesse de Quilmes, Mayra Mendoza. Plusieurs manifes-
tant·es ont été blessé·es par des balles en caoutchouc.
Bien que la conciliation obligatoire ait été ordonnée, l’entreprise ne s’y est pas conformée et
empêche les travailleurs et travailleuses d’entrer dans l’usine. C’est pourquoi, hier, près de 250 ont
manifesté pour exiger une réponse. Bien que ces travailleurs et travailleuses soient regroupé·es au
sein du syndicat de la Fédération de la viande, affilié à la CGT, le lien avec la CTA autonome de
la province de Buenos Aires est très étroit. C’est pourquoi, de là comme de la CTA nationale, nous
sommes intervenus auprès du ministère du travail national et provincial pour qu’il durcisse sa posi-
tion auprès de l’employeur ; ce dernier a décidé de se déclarer en refus d’obéissance parce qu’il était
en désaccord avec l’élection des délégué·es et il a fermé l’usine en pleine pandémie. Non seulement
il coupe une chaîne de production alimentaire, mais il laisse aussi 140 personnes à la rue. Nous avons
exigé du gouvernement qu’il oblige l’employeur à redémarrer l’usine ou qu’il soutienne la position
des travailleurs et travailleuses et qu’elle fonctionne sous leur propre gestion. Aujourd’hui même, il y
aura une réunion des trois niveaux de l’État avec la présence de notre secrétaire générale provinciale
pour avancer vers un accord sur l’une des deux alternatives.

La crise actuelle permet à nouveau de soulever publiquement la question de la rupture


avec le capitalisme ; sous quel angle pensez-vous ? Avec quelles forces populaires ?

Comme certains théoriciens s’y sont déjà risqués, il semble plus difficile de voir la fin du capi-
talisme que la fin du monde. Nous croyons qu’avec la pandémie du coronavirus, il agira davantage
comme un catalyseur des tendances déjà présentes dans le monde que comme un nouveau facteur
de changements radicaux. En d’autres termes, le Covid-19 a accentué l’affaiblissement de la coo-
pération internationale et du multilatéralisme observé depuis quelques années déjà. Les tensions
internes entre les pays les plus riches et les plus pauvres de l’Union européenne sont mises en évi-
dence dans la discussion des aides mutuelles au sein de ce bloc face à la pandémie et des plans de
relance. C’est ce qui se passe avec la demande du Sud, alors que l’Espagne, la Grèce et le Portugal
exigent l’émission d’un emprunt européen pour lutter contre la pandémie et que les pays du Nord
s’y opposent. Ainsi, les Pays-Bas, les pays nordiques et surtout l’Allemagne recommandent une plus
grande discipline et une austérité budgétaire au Sud pour accéder à des financements bon marché.
La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine ajoute un nouveau chapitre à une sorte de
guerre froide pour voir qui peut relancer son économie plus rapidement et ne pas céder sa place
dans ce monde multipolaire. Les structures multilatérales qui, depuis la crise de 2008, n’ont pas
réussi à modifier un système économique mondial injuste, comme le G20, n’offrent pas de solutions
à la mesure des besoins des peuples.
Dans ce contexte, et dans le cadre d’un scénario de raccourcissement des réseaux internationaux
d’approvisionnement, il est probable que les efforts des principaux acteurs du commerce mondial
se tourneront vers des accords régionaux au détriment des accords multilatéraux. Les tendances
protectionnistes de certains grands acteurs de l’économie mondiale ne feront que s’exacerber. Qui
voudrait maintenant parier sur une plus grande interdépendance productive et commerciale au
niveau mondial, qui se ralentissait déjà ? La régionalisation pourrait être la nouvelle règle. Et cela

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 42


pourrait être particulièrement important pour l’Amérique latine, mais cela ne se produira pas sans

ÉDITION DU 4 MAI 2020


notre action propre en faveur du développement.
Ce que l’on voit, c’est la pauvreté et les déficits formels antérieurs, que la pandémie ne fait que
souligner. Et paradoxalement, il a fallu une pandémie pour que les tâches domestiques soient recon-
nues comme des emplois rémunérés. Nous ne pouvons pas permettre que cela se passe comme en
2008, lorsque le sauvetage des banques fut la priorité. Ce qui doit être clair, c’est qu’il ne s’agit pas
de « revenir à la normale », mais d’avancer vers de profondes transformations du système de pro-
duction, de consommation et de distribution des richesses, dont la pandémie n’a fait que mettre en
évidence l’urgence. Cela est particulièrement évident lorsque nous examinons les systèmes de santé,
dans le monde et dans la région. Ceux qui n’offrent pas de santé publique gratuite et de qualité,
ont laissé leur peuple livré à lui-même. Et ceux qui l’offrent, souffrent du manque de moyens et de
protection du personnel de santé. L’importance d’États forts, présents et régulateurs de la cupidité
des entreprises est également claire. La sortie de cette crise se fera en regardant au-delà de la pan-
démie, avec des mesures à moyen et à long terme pour résoudre les inégalités du capitalisme actuel,
avec un rôle qui doit être réellement actif et pas seulement défensif des organisations de travailleurs
et travailleuses, pour définir un modèle plus juste.
28 avril 2020

43 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


ÉTAT ESPAGNOL
PLUS VITE QU’ON NE LE PENSE, NOUS CONNAÎTRONS DES EXPLOSIONS
ÉDITION DU 4 MAI 2020

SOCIALES
SANDRA IRIARTE1

Quelle est la situation sanitaire à ce jour ?

Cela dépend des différents points de vue. Le patronat et les banques incitent le gouvernement
à normaliser au plus vite l’activité des entreprises, comme si les risques d’infection par le corona-
virus avaient été éliminés. En biaisant, ils transforment la « stabilisation » des nouvelles infections en
« disparition », alors que toutes les recommandations sanitaires publiques renouvellent des appels à
la prudence et à ne sortir de chez soi que pour ce qui est vital : s’approvisionner. Le gouvernement
s’appuie sur le fait que, par rapport aux plus des 1 000 morts quotidiens d’il y a un mois, il ne meurt
plus « que » 400 personnes par jour du Covid-19. Le pire, est que le taux de nouveaux cas diagnosti-
qués s’élève à plus de 4 000 personnes par jour. Cela montre que, même si les chiffres ont été réduits
de moitié, le Covid-19 continue à être une réalité présente dans notre quotidien, qui, tous les jours,
prend la vie de plus de 400 personnes.
Qui sont, majoritairement, ces morts ? La classe laborieuse, qui a été contaminée dans l’exercice
de son travail ou pendant les trajets domicile-travail ; et aussi les personnes dépendantes, les per-
sonnes âgées, parquées dans des maisons de retraite, qui se font du fric sur les soins. Cela veut dire
que l’État a cessé de donner le minimum vital à celles et à ceux qui ont trimé comme des bêtes et
encaissé toutes les crises sociales tout au long de leur vie : arrivé·es dans une situation de dépen-
dance, il les abandonne au marché. L’absence de centres garantissant la santé physique et sociale de
ces personnes, qui ne soient pas motivés uniquement par les bénéfices privés, explique que 65 % des
décès touchent cette catégorie de la population.
C’est pourquoi, la CGT a demandé au gouvernement que les malades de la classe ouvrière tou-
chés par le coronavirus soient considérés comme victimes d’accidents du travail. De plus, nous avons
demandé que le gouvernement garantisse, pour toutes les personnes qui devront sortir de chez elles
pour rejoindre leur poste de travail, la mise à disposition des équipements de protection de base.
Nous nous sommes également adressé·es au gouvernement pour qu’il veille aux mesures de pro-
tection et prévention des risques professionnels et plus particulièrement ceux associés au Covid-19.
D’un point de vue syndical, nous nous sommes engagé·es solidairement avec les travailleuses et
les travailleurs de la santé : non seulement les médecins, les infirmiers ou infirmières et assimilé·es,
mais aussi le personnel d’entretien, de transport et les aides à domicile. Malheureusement, beaucoup
continuent à être infecté·es et à mourir, jour après jour. Il est important de préserver leur mémoire
avec tous ces chiffres.
Aujourd’hui, la prévention s’est légèrement améliorée, grâce à davantage de moyens, mais toutes
les travailleuses et tous les travailleurs ne disposent pas en permanence à disposition d’un masque,
de gants et de gel. C’est pourquoi, nos sections syndicales doivent intervenir dans chaque entreprise
pour que la protection du personnel soit assurée. De son côté, l’inspection du travail se doit d’aller
sur les lieux de travail en cas de signalement syndical. Enfin, d’un point de vue plus global, je pense

1. Sandra Iriarte est secrétaire aux relations internationales de la Confederación General del Trabajo (CGT), État espagnol.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 44


que grâce au confinement, nous sommes en train de réduire les émissions et la pollution. C’est un

ÉDITION DU 4 MAI 2020


tournant qui démontre qu’il est possible d’améliorer la santé en réduisant réduisons réellement les
émissions de dioxyde de carbone, les plastiques et en cessant de polluer l’eau. La crise du Covid-19
a mis en avant un modèle de décroissance possible qui réduit le taux de mortalité annuel dû à la
pollution.

Quelles mesures a-t-on prises pour les travailleuses et les travailleurs ?

Comme je l’indiquais auparavant, en théorie, on part du principe qu’il est possible, pour les tra-
vailleuses et les travailleurs, d’éviter les transports publics et de maintenir les distances de sécurité.
Également, toujours en théorie, dans tous les lieux de travail qui sont ouverts, on fournit au person-
nel le matériel quotidien de prévention. Mais la réalité est tout autre. En mars déjà, nous dénoncions
les entreprises qui, sans être des centres de productions essentiels, ne voulaient ni faciliter le télétra-
vail ni fermer temporairement. Ces mêmes entreprises, qui n’ont pas été sanctionnées, continuent à
mettre en danger la santé des travailleuses et des travailleurs sans aucune mesure de prévention, en
particulier dans les secteurs du transport ou dans les centres d’appel.
Par ailleurs, on nous avait annoncé que tous les centres de production qui devaient fermer tem-
porairement, garantiraient le salaire, à hauteur de 70 % au moins, versés par la prise en charge du
service public de l’emploi [l’Inem, l’équivalent de Pôle emploi]. Or, les familles ne toucheront leurs
allocations que d’ici à deux ou trois mois. Et, nous parlons là, uniquement de travailleuses et tra-
vailleurs couvert·es par l’Estatuto general de los trabajadores [équivalent du Code du travail]. Par
exemple, les aides à domicile, sous un régime discriminatoire, ne sont considérées ni comme des
travailleurs et des travailleuses indispensables, ni ne peuvent prétendre aux prestations versées aux
autres salarié·es. Les travailleuses et les travailleurs indépendant.es ont aussi un régime spécial qui
les laisse sans revenus pour une durée encore inconnue. Le gouvernement a adopté des moratoires
pour repousser les délais de paiement des cotisations, factures et crédits, mais ces travailleur·euses
restent soumis.es aux dépenses liées à l’endettement et l’absence de revenus.

Quelles sont les conséquences pour les travailleuses et les travailleurs ? Pour la popu-
lation la plus pauvre en général (les sans-emploi, les sans-domicile-fixe, celle des sec-
teurs informels, etc.) ?

Le premier risque auquel sont exposé·es toutes et tous les travailleur.euses est surtout l’infection :
aussi bien lorsqu’ils et elles doivent se rendre sur leur lieu de travail, sans mesure de protection,
que pendant le trajet. On a, encore une fois, connu une division entre le personnel en « col blanc »
et celui en « col-bleu », entre le personnel qui sans occuper des emplois essentiels se voit obligé de
se rendre sur son lieu de travail et celui qui a eu la possibilité de travailler à distance. Cela divise
la classe ouvrière au moment de s’engager pour l’amélioration de ses conditions de travail, vu que
chaque partie se compare avec l’autre… et non avec les conditions de travail du patronat.
Mais la plupart des entreprises, autres que les services non essentiels, ont cessé momentanément
leurs activités en prenant des mesures de chômage partiel (ERTE) ou de licenciement. Nous avons
exigé qu’on ne tolère aucun licenciement tant que durera la crise sanitaire.
Par ailleurs, un grand nombre de personnes payées à l’heure ou à la journée ou qui travaillent sans
être déclarées, comme employé·es de maison ou encore dans les commerces, ne bénéficient actuel-
lement d’aucun revenu et d’aucune prestation. La CGT considère que c’est le moment ou jamais
de réclamer un revenu universel (RBI) pour pouvoir couvrir les besoins de base de tout un chacun.
Le drame social se retrouve dans le fait, qu’avant cette crise sanitaire, il y avait déjà, en Espagne,

45 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


5 millions d’enfants vivant en dessous du seuil de pauvreté ; 1 million de familles qui n’ont plus
ÉDITION DU 4 MAI 2020

aucune entrée d’argent depuis la précédente crise financière ; plus de 3 millions de personnes
sans emploi… Soit des millions de personnes dans une absolue précarité qui vivotaient, et qui,
aujourd’hui, n’arrivent même plus à survivre dans cette situation extrême qui les oblige à avancer
des économies qu’elles n’ont pas.
L’autre conséquence est que les services sociaux, tout comme le système de santé publique et
« la protection du bien-être », se sont écroulés par manque d’investissement dans tous les secteurs
publics fondamentaux : la santé, les prestations sociales, les services publics pour l’emploi, l’aide aux
personnes dépendantes, etc., réduisant le personnel, réduisant les ressources et les investissements,
réduisant les salaires, réduisant les budgets de la recherche et les mesures de prévention, tout en
laissant au marché le soin de subvenir aux besoins de la population en fonction de son pouvoir
d’achat. Nous nous trouvons aujourd’hui avec des familles qui mangent chaque jour en dépendant
de la « charité », des banques alimentaires, des ONG et des soupes populaires ; ainsi qu’avec des
familles brisées qui ne peuvent plus payer, depuis plus d’un mois (plus de 3,4 millions de salariées
et de salariés au chômage partiel et des centaines de milliers de travailleuses et de travailleurs qui
œuvraient dans des secteurs informels : migrant.es, employé·es et employés de maison, nourrices,
etc.), ni leur loyer, ni leurs crédits, ni les factures d’énergie de base, ni la nourriture ou les biens de
première nécessité.
Dans ce contexte, non seulement il y a eu une recrudescence du niveau des violences faites aux
femmes et aux mineur.es, mais aussi une augmentation des diagnostics de troubles psychologiques
en relation avec l’anxiété, la dépression, l’abus de certaines substances, la prise de médicaments… La
capacité de résilience et le #todovabien (« tout va bien ») de la classe ouvrière a ses limites ; elle en a
fait la démonstration au cours de la crise de 2008 et, dans cette nouvelle crise sanitaire, elle atteint
rapidement les limites, du point de vue de la santé, de ce qui est supportable, vivable.

Quelle est la résistance organisée par les mouvements sociaux et syndicaux ?

Les mouvements sociaux, au-delà des débats, réflexions, visioconférences, etc., n’existent pas dans
la vraie vie par leur incapacité à peser avec la force nécessaire pour que l’on prenne en compte, tant
les revendications essentielles, et non seulement sanitaires, face à cette pandémie, mais aussi sociales,
pour une autre forme de vie. Avec le confinement, une partie du tissu social de base, le voisinage,
s’est reconstitué pour s’entraider matériellement et humainement. Cependant, nous ne pensons pas
qu’il évolue, a posteriori, vers une structure revendicative avec des incidences politiques.
À la CGT, le nombre d’adhérent·es n’a pas diminué, et donc les sections syndicales et les syndicats
se maintiennent sur les lieux de travail. Cependant, l’interdiction de rassemblement rend difficiles les
assemblées et les moyens d’action, comme cela a été le cas dans le secteur sidérurgique après l’an-
nonce d’un retour à l’activité professionnelle. De notre côté, déjà avant la crise sanitaire, nous avions
ouvert un espace de travail commun avec d’autres organisations nationales de base et combatives.
À partir de cette plate-forme unitaire, on proposera les futures mobilisations après le confinement.
Plus vite qu’on ne le pense, nous connaîtrons des explosions sociales, vu que la crise sociale qui
découle de la crise économique et politique prend des dimensions encore plus dramatiques qu’en
2008. Les groupes alternatifs, tout comme les mouvements sociaux, nous « devons organiser et faire
partie de la gestion de l’explosion sociale » car, sans cela, l’écofascisme « prendra d’assaut le ciel » et
on cherchera des boucs émissaires (migrant.es, féministes, écologistes, communistes, etc.), qui seront
montrés du doigt, et poussés vers des « issues »… vers l’abîme.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 46


Avez-vous connaissance de revendications de réappropriations collectives, d’autoges-

ÉDITION DU 4 MAI 2020


tion, de contrôle de la part des travailleuses et des travailleurs ?

Au début de la crise, face au manque de masques, de gants, de gel hydroalcoolique et à la ferme-


ture de tant d’entreprises de productions non indispensables il y eut, en effet, des propositions de
la part des sections syndicales de récupérer la production en passant par la reconversion des entre-
prises. En fait, nous avons produit une liste d’entreprises pouvant se reconvertir, dont les sections fai-
saient le pari de l’autogestion collective, mais cela ne s’est pas concrétisé. Le temps a manqué pour
permettre un minimum d’organisation en vue d’une reconversion. Après la mort de plus de 22 500
personnes tuées par le Covid-19, la réouverture des lieux de travail, autres que ceux essentiels, a
été autorisée il y a plus d’une semaine. Le patronat s’est empressé de reprendre le contrôle absolu.
La peur de la contagion et les risques réels pour la santé ont conditionné et conditionnent notre
capacité d’organiser par nous-mêmes l’autogestion et le contrôle des entreprises, particulièrement
celles qui sont vitales : alimentation, eau, gaz, électricité, services de santé ; nous nous sommes cen-
trés sur des politiques de protection de la santé, parce que la vie et la santé ne nous sont garanties
que si on les impose. Nous n’avons pas de conscience sociale ni une organisation suffisamment
musclées, c’est-à-dire de contre-pouvoir, pour concrétiser le contrôle et l’autogestion, du moins dans
les entreprises de services essentiels.

La crise actuelle, permet-elle de reposer publiquement la question de la rupture avec


le capitalisme, quelles perspectives y voyez-vous ? Avec quelles forces populaires ?

Au début de la crise sanitaire et avec la rapidité à laquelle se succédaient les événements, il y a eu


de nombreuses protestations dénonçant la privatisation du système de santé, la précarité du travail
des doctoresses, des infirmières et du reste du personnel chargés de notre santé. À cela s’ajoutait le
mouvement écologiste : en décembre, il demandait un ralentissement des activités pour réduire les
émissions de dioxyde de carbone et le réchauffement global ; la crise a porté cette réflexion jusqu’au
grand public, en partant de chiffres réels, permettant de débattre sur la possibilité qu’ont tous les
pays, gouvernements et États, de réduire la pollution.
Nous pensons qu’avec tout cela, on aboutira à une conscience de classe et, bien entendu, à la
remise en question du capitalisme en tant que système injuste et prédateur, incapable de se mobi-
liser collectivement pour arrêter une épidémie. Cependant, les faits se sont déroulés avec une telle
rapidité et à un tel rythme, au sein du confinement, que ni l’élaboration collective à travers des
rencontres ni les échanges personnels n’ont été possibles. Bien que la ligne suivie par la CGT vise
à favoriser les conditions d’une révolution sociale et que nous ayons exigé du gouvernement des
changements courageux, réels et concrets, nous n’espérons pas que le tant attendu effondrement
du système capitaliste se produise. C’est pourquoi, par exemple, le 1er Mai nous sortirons sur les
balcons virtuels des réseaux sociaux pour publier les discours et tenir les concerts programmés.
Nous continuerons nos appels à la mobilisation après le confinement : nous avons de nombreux
droits à récupérer. La santé en est un des premiers.
28 avril 2020

47 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


CORÉE
DÉFENDRE L’IDÉE DE L’AUTOGESTION ET DU CONTRÔLE DES TRAVAILLEURS
ÉDITION DU 4 MAI 2020

ET TRAVAILLEUSES

WOL-SAN LIEM1

Quelle est la situation sanitaire dans le pays ?

Au 24 avril, il y avait 10 708 cas confirmés d’infection par le Covid-19 et 240 décès. Parmi les cas,
8 501 personnes ont été complètement guéries et ne sont plus en quarantaine et 1 967 sont toujours
en traitement. 579 920 tests ont été effectués. Environ 45 000 personnes sont en quarantaine parce
qu’elles ont été potentiellement exposées ou sont venues de l’étranger. Le Covid-19 a commencé
à se propager rapidement vers la mi-février, a atteint un pic à 909 nouveaux cas le 29 février, puis
a commencé à décliner. Il y a eu moins de 10 nouveaux cas par jour au cours des derniers jours.
Les premières éruptions massives de clusters ont eu lieu au sein de la secte religieuse Sincheongi,
se propageant rapidement dans la région de Daegu-Gyeongbuk. À cette époque, les hôpitaux
publics de la région étaient débordés, sans suffisamment d’espace pour accueillir les patients. Il y a
eu des cas de personnes qui n’ont pas pu être hospitalisées faute de chambre et se sont retrouvées
agonisant chez elles. Il y a également eu des cas, à Daegu-Gyeongbuk et dans tout le pays, de flam-
bées épidémiques dans des établissements de santé, en particulier dans des établissements de soins
infirmiers. Dans ces cas, une quarantaine a été imposée.
À Daegu en particulier et dans d’autres hôpitaux également, les EPI (équipement de protection
individuelle) ont été insuffisants, ce qui a entraîné une concurrence entre les hôpitaux. Le KPTU
et nos branches syndicales ont travaillé dur pour s’assurer que tous les travailleurs et toutes travail-
leuses, en particulier celles et ceux ayant des emplois non statutaires disposent d’EPI et des autres
mesures de santé et de sécurité dont ils ont besoin.

Quelles dispositions ont été prises pour les travailleurs et travailleuses ?

Le gouvernement a publié plusieurs directives sur la santé et la sécurité, notamment en ce qui


concerne la fourniture d’EPI et la recommandation de congés payés pour les personnes en qua-
rantaine ou infectées, de travail à domicile lorsque cela est possible, ou avec des horaires de travail
flexibles pour celles qui ont des soins. Mais il y a de nombreux cas où les travailleurs et travailleuses
n’ont pas été rémunérés et ont dû utiliser des vacances ou accepter des congés non rémunérés.
Aujourd’hui, l’emploi et la crise économique sont les premières préoccupations. Le gouvernement
a mis en œuvre des mesures d’aide aux entreprises qui sont obligées de fermer ou de mettre le
personnel en congé sans solde : à travers des indemnités de fermeture ou de congé (70 % du salaire
moyen). Selon la taille et le secteur dans lequel elles se trouvent, les entreprises peuvent demander
un soutien (par le biais de la caisse de l’assurance-emploi) jusqu’à 90 % de l’indemnité de ferme-
ture/congé jusqu’au 15 septembre, si elles conservent un emploi et ne licencient pas. D’autres pro-
grammes régionaux ont été mis en place pour soutenir les auto-entrepreneurs et les indépendants.

1. Wol-san Liem est responsable des relations internationales du Korean Public Service and Transport Workers’ Union (KPTU).

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 48


Mais ces politiques posent de nombreux problèmes. Si les entreprises ne demandent pas un finan-

ÉDITION DU 4 MAI 2020


cement et choisissent les licenciements, il est difficile de s’y opposer. De nombreuses petites entre-
prises sous-traitantes ne disposent pas des fonds nécessaires pour payer les 10 % supplémentaires des
indemnités et ont choisi de licencier.

Quelles sont les conséquences pour les travailleurs et travailleuses ? Pour la population
la plus pauvre en général (chômeurs et chômeuses, sans-abri, secteur informel, etc.) ?

La population en recherche d’emploi a, officiellement, diminué tout comme l’économie tout


entière qui a reculé. Cela signifie que de nombreuses personnes ayant perdu leur emploi ont
renoncé à chercher du travail.
Les propriétaires de petites entreprises indépendantes et autres auto-entrepreneurs ou indépen-
dants ou encore les travailleurs et travailleuses de plates-formes sont particulièrement touché·es, car
il leur est plus difficile d’accéder à l’assistance et ils ne sont pas organisé·es.
Bien sûr, ce sont ces groupes et toutes les personnes en emploi atypiques qui étaient également
les plus exclus des mesures de santé et de toute protection.
Les effets de la crise sanitaire sur les sans-abri ne sont pas documentés ou publiés. C’est une pré-
occupation, en particulier en cas de deuxième propagation du virus.

Quelle est la résistance organisée par les mouvements sociaux et syndicaux ?

Le KPTU et notre centrale nationale, la KCTU et les autres affiliés du KCTU, ont répondu en
premier à la crise sanitaire. Pour le KPTU, il était prioritaire de trouver où les salarié·es précaires
et atypiques étaient exclu·es des mesures de sécurité  –  par exemple dans les soins informels aux
patients, les maisons de soins infirmiers et les soins à domicile, ou encore les travailleurs et travail-
leuses du nettoyage, en sous-traitance dans les transports publics  –  et de préconiser leur inclusion.
Nous avons également fait de gros efforts pour déterminer les angles morts de la politique santé
ou dans les politiques de soutien du gouvernement et pousser celui-ci à apporter des améliorations.
Nous le faisons au mieux de nos capacités pour les travailleuses et travailleurs précaires et atypiques,
membres ou non de notre syndicat, mais il est parfois difficile ne serait-ce que de les localiser pour
évaluer leurs besoins.
Le secteur aérien a été très durement touché à l’échelle mondiale et nous avons déployé beau-
coup d’efforts pour que la région de l’aéroport d’Icheon (région de Yongjeong) soit désignée
zone de crise d’emploi, afin que tous les travailleurs et travailleuses, quel que soit leur secteur,
puissent recevoir un soutien. Nous avons également fait pression pour que l’assistance d’escale et les
sous-traitants soient inclus dans les mesures spéciales de soutien qui ont été appliquées au transport
aérien. Jusqu’à présent, nous avons réussi pour la seconde revendication, mais pas pour la première
(élargissement de l’application de la notion de zone de crise de l’emploi).
Nous demandons également que des conditions soient imposées au sauvetage financier des compa­
gnies aériennes (et d’autres grandes entreprises), notamment l’engagement de maintenir l’emploi,
le non-paiement de dividendes, la limitation des salaires des dirigeants et le partage des bénéfices
avec le public (le gouvernement prend une part dans les entreprises). Il semble que certaines de ces
exigences seront satisfaites. Nous voulons également que l’aide financière soit conditionnée à ce que
les entreprises donneuses d’ordres ne puissent pas résilier les contrats avec les entrepreneurs ou les
sous-traitants ; mais jusqu’à présent, le gouvernement ne l’a pas mentionné.
Plus largement, nous demandons, avec la KCTU, un moratoire temporaire sur les licenciements,
l’extension de l’emploi (même chose que l‘« assurance chômage ») à toutes les travailleuses et tous

49 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


les travailleurs, y compris les indépendant.es, l’investissement dans le secteur de la santé publique
ÉDITION DU 4 MAI 2020

(infrastructures et effectifs) et création d’emplois dans le secteur public.

Existe-t-il des demandes de réappropriation collective, d’autogestion, de contrôle des


travailleurs et travailleuses ?

KPTU a commencé à dire que le gouvernement devrait envisager la renationalisation des indus-
tries clés essentielles, mais nous n’avons pas concrétisé nos demandes dans ce domaine. Il existe
des groupes (marxistes) de gauche au sein du mouvement ouvrier (y compris le mien), qui ont
commencé à défendre l’idée de l’autogestion et du contrôle des travailleuses et travailleurs. Ces
idées sont discutées dans certains espaces syndicaux, mais il n’y a pour l’instant aucune proposition
concrète pour aller de l’avant. (De l’aide et de l’inspiration sur la façon de concrétiser ces idées et
de les mettre en œuvre par des collègues d’autres pays seraient les bienvenues !)

La crise actuelle permet de poser publiquement à nouveau la question d’une rup-


ture avec le capitalisme ; dans quelle perspective la pensez-vous ? Avec quelles forces
populaires ?

Je pense que les gens de gauche sont partagés : doivent-ils se concentrer sur une analyse de la
nature structurelle de la crise et sur une critique des mesures populistes (de gauche ou de droite),
qui ne peuvent pas être des solutions et ne peuvent qu’aggraver la crise  –  par exemple le revenu
de base universel ou les modèles de croissance néokeynésiens – ou devons-nous plutôt essayer
de privilégier des modèles non capitalistes ? Je pense qu’il y a une crainte (doublée d’une analyse)
que nous, en tant que classe ouvrière, n’ayons pas l’unité ou la capacité de lutter et d’obtenir
quelque chose de radicalement différent. Comme personne ne peut proposer un nouveau modèle
complet, il est effrayant et peut-être irresponsable de parler d’un système au-delà du capitalisme.
Personnellement, cependant, je pense que nous devons saisir l’opportunité de cette crise pour parler
et réfléchir sérieusement à des alternatives audacieuses au capitalisme basées sur l’autogestion, une
nouvelle compréhension de la valeur du travail (et de la « valeur en général ») et de contrôle de
l’économie ; tout en étant bien entendu conscient des vastes défis que représentent l’énorme dette
nationale et des entreprises, la précarité et le chômage accrus, globalement plus d’autoritarisme,
moins de solidarité et plus de nationalisme.
En Corée du Sud, il est vrai que le mouvement syndical n’est pas suffisamment uni ou développé
pour atteindre ces objectifs. D’un autre côté, le mouvement ouvrier continue d’être la force de
masse la plus forte ; il a donc la responsabilité de jouer ce rôle et nous devons le faire avancer dans
ce rôle. À cet égard, je crois que l’échange et la solidarité entre les syndicalistes et gens de gauche
radicaux du monde entier sont désormais d’une importance vitale pour se donner des idées et des
exemples concrets et élargir l’espace de débat, et aussi parce que de nombreux aspects de la crise
actuelle  –  du manque de masques suffisants à une dette publique massive - ne peuvent être résolus
qu’au niveau international.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 50


ÉDITION DU 27 AVRIL
LIVREURS, AMAZON : DES LUTTES DANS LE « NOUVEAU MONDE »

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


MARIANA SANCHEZ1

À l’ère du Covid-19, la résistance commence dans les entreprises du « nouveau monde ». En ces
temps de pandémie et de confinement avec, dans tous les pays, des attaques contre les droits et les
libertés, la première victoire juridique, la première manifestation de rue et la première grève inter-
nationale arrivent là où ne les attendait pas. Elles secouent les machines à cash de l’ère numérique
dont la face sociale nous rappelle le 19e siècle : ces zones de non-droit que sont le e-commerce
mondial tentaculaire d’Amazon et les plates-formes de livreurs-coursiers ubérisés. Là où le droit du
travail est au mieux bafoué (Amazon) au pire ignoré (les coursiers).

LES FORÇATS DU VÉLO FONT LA PREMIÈRE GRÈVE INTERNATIONALE CONFINÉE


La première action qui se veut internationale a eu lieu ce 22 avril pour une durée de vingt-quatre
heures, dans le silence des médias : c’est la grève des coursiers et livreurs de Glovo, Uber Eats,
Pedido ou Rapi des pays latino-américains (Argentine, Colombie, Costa Rica, Équateur, Guatemala,
Pérou…) ou européens (à ce jour, l’État espagnol). Ils dénoncent leurs conditions de travail, aggra-
vées par la crise du coronavirus, une baisse du tarif de la course et la précarité de leur statut (ils
sont tous à leur compte ou autoentrepreneurs). Les Espagnols ont réalisé la première manif de rue
bravant le confinement à Madrid le 18 avril (voir Éphéméride, p. 49).
Ces forçats du vélo, décrits comme le « maillon le plus fragile du monde du travail », on les a
découverts en France à l’été 2017 avec leur collectif Clap2, en grève pour de meilleures rémunéra-
tions. Ces jeunes avaient osé briser le miroir aux alouettes de l’autoentrepreunariat demandant non
seulement une hausse de leurs tarifs mais aussi des « plages de travail garanties », une esquisse de
salaire de base minimum. Le gouvernement de l’époque avait répondu avec un projet de loi relatif
à « la liberté de choisir son activité professionnelle », lisez choisir sa précarité, contribuant ainsi à
« pérenniser ce modèle d’esclavage », comme l’avait dénoncé le Clap.
Depuis, on ne compte plus les bagarres juridiques sur la couverture santé et la responsabilité ac­
cident, le lien de subordination de ces livreurs avec les plates-formes donneuses d’ordre (le statut),
les cadences, et bien évidemment les tarifs, etc. Mais le nombre de ces travailleurs n’a cessé de gran-
dir, à cause de la précarité du travail et des nouvelles habitudes de consommation (durant ce mois
de mars confiné, dans l’État espagnol, leur trafic a augmenté de 24 %). Les entreprises de tous les
pays, ayant supprimé leurs services de livraisons, font de plus en plus souvent appel à leurs services.
La situation de l’emploi et les bas salaires en Amérique latine et dans l’État espagnol poussent, plus
qu’ailleurs, de nombreux étudiants sans ressources mais aussi des travailleurs jeunes et moins jeunes
à chercher un complément de salaire dans cette activité.
Le Clap et autres Riders x Derechos ont d’abord été soutenus par des syndicats comme SUD, en
France, la CNT, la CGT et l’IAC dans l’État espagnol. Les grandes centrales syndicales réformistes
les avaient oubliés, entre manifestations contre des ordonnances qui ne semblent concerner guère
ces jeunes sans statut et réforme de retraites, auxquelles ils ne cotisent pas.

1. Mariana Sanchez est journaliste, syndicaliste et coordinatrice (avec Xavi Espinet) de Catalogne : la République libre, Paris, Syllepse, 2019.
2. Clap (Collectif de livreurs autonomes de Paris) : créé le 8 mai 2017 pour défendre les droits et les conditions de travail des livreurs avec
le statut d’autoentrepreneurs (Deliveroo, Foodora, Stuart, Uber, etc.).

53 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


Et voici qu’alors que le discours de guerre autour du Covid-19 tente de confiner résistances syn-
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

dicales et résistances collectives, l’on voit  –  notre « Virus » en rend compte toutes les semaines  –  se
multiplier les protestations : travailleurs et travailleuses « essentiel·les » d’abord ; puis petit à petit celles
et ceux qui devront après-demain en France ou en Italie, hier dans l’État espagnol, braver le métro
bondé pour se serrer à l’atelier, au bureau ou au guichet sans protection ; ceux dont les enfants ont
décroché du mirage numérique de Blanquer ; ceux qui ne figurent sur aucun registre épidémique
dans des centres de rétention ou dans les quartiers…
Les coursiers et autres livreurs ont continué de sillonner les rues depuis le 16 mars, en France et
ailleurs, ils ont eu droit à l’ausweis des travailleurs « essentiels » (dans l’État espagnol) et à la tolérance
en France pour livrer repas préparés, vêtements… Jusqu’à ce que les donneurs d’ordre osent baisser
des tarifs déjà dérisoires à ceux qui, sans gants ni masque, livrent des choses souvent bien peu essen-
tielles. Ces travailleurs, souvent de très jeunes gens souvent venus des quartiers les plus pauvres, mais
pas seulement, ont osé contester cette nouvelle brimade, se coordonner et prendre la rue à Madrid.
Puis appeler à des arrêts de livraisons dans tous les pays, en se déconnectant durant vingt-quatre
heures des plates-formes. Une belle leçon de combativité et d’internationalisme.
Incapables de négocier, les plates-formes ont d’abord réagi en tentant de soudoyer les non-gré-
vistes : ainsi, Glovo a annoncé qu’il multipliait par cinq le tarif des courses des non-grévistes durant
la journée du 22 avril ! Attisant la colère des grévistes : « S’ils l’ont fait aujourd’hui pourquoi pas tou-
jours ? » Des discussions semblent commencer par Internet avec certains donneurs d’ordre, notam-
ment l’espagnol Glovo. Cette fois, si avancées il y a, elles ne manqueront pas de faire tache d’huile.

L’EMPIRE AMAZON SECOUÉ PAR UN SYNDICAT FRANÇAIS ET PAR DES GRÉVISTES AMÉRICAINS
L’autre surprise, pour ceux qui croyaient l’empire Bezos et ce « nouveau monde » intouchables,
a été la condamnation d’Amazon par un tribunal français. Elle faisait suite à la décision de justice
enjoignant l’entreprise de se mettre aux normes après la plainte de l’Union syndicale Solidaires,
déposée le 8 avril, dénonçant les conditions sanitaires (voir Éphéméride du 8 avril et suivants).
Cinq cas de Covid avaient été détectés (on en compte quatorze depuis). Auparavant, le conseil des
prud’hommes avait été saisi sur le bien-fondé du droit de retrait de onze salarié·es des entrepôts
de Lauwin-Planque (Nord) et de Saran (Loiret), auxquels la société refuse de payer leurs salaires.
Pourtant Amazon, qui espérait réaliser des profits inédits (l’action avait bondi de 12 % en Bourse
dès le 23 mars) et profiter de la crise pour augmenter ses parts de marché et probablement absorber
ou détruire quelques-uns de ses concurrents, se croyait au-dessus de ces contingences sanitaires. À
Bergame, en plein pic de l’épidémie italienne, la multinationale avait obligé les salarié·es à se rendre
dans ses entrepôts pour assurer les commandes sans tenues adaptées, malgré les demandes des syn-
dicats. Les travailleurs des entrepôts de Torazza, Passo Corese, Castel San Giovanni ont ensuite fait
grève.
En France, Amazon a été confronté à un obstacle inattendu : le tribunal de Nanterre lui a ordonné
de procéder à une évaluation des risques épidémiques, y compris les risques psychosociaux, en y
associant les instances représentatives du personnel. Il a enjoint également l’entreprise, dans l’attente,
sous 24 heures et sous astreinte d’un million d’euros par jour de retard, de limiter l’activité de ses
six entrepôts aux produits dits « essentiels ».
Le géant a contesté évidemment la décision du tribunal, et annoncé la fermeture de tous ses sites
français (10 000 salarié·es) en attendant de se mettre en conformité. Il a saisi la cour d’appel, tout
en arrêtant ses distributions jusqu’au 24 avril. Grand seigneur, le mastodonte a « demandé » à ses
salarié·es de rester chez eux : elles et ils « percevront leur plein salaire », a annoncé la direction (ce
qui, entre parenthèses, n’est que la loi).

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 54


Durant ce bras de fer, Frédéric Duval, le directeur d’Amazon France, a fait de la surenchère popu-

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


liste fustigeant « l’action syndicale qui a conduit à ce résultat [et qui] aura des conséquences. De
nombreuses personnes en France pourront ne plus pouvoir recevoir des colis dans cette période de
confinement ». Amazon serait indispensable à la vie des Français ! Si l’on suit ce raisonnement, alors
il faudrait en faire une entreprise d’utilité publique et protéger ses salarié·es. Comme le rappelait
une tribune d’eurodéputé·es parue dans Libération le 11 avril :
Selon les chiffres des syndicats, seuls 10 % des produits sortants [durant le confinement]
sont des biens essentiels (nourriture, produits sanitaires…), alors que ceux-ci sont dispo-
nibles dans la plupart des épiceries ou grandes surfaces. Le maintien à tout prix du marché
vaut-il plus que la santé des personnes qui travaillent dans vos entrepôts ?
M. Duval ose aussi s’apitoyer sur les salarié·es qui devront rester chez eux, durant cette fermeture,
mais à part un appel à la reprise, partie d’une salariée de Planque, elles et ils veulent se mettre en
danger dans des entrepôts qui, avant le jugement de Nanterre, ne présentaient aucune protection
sanitaire ?
La cour d’appel de Versailles, le 24 avril, a confirmé l’injonction de réaliser une évaluation des
risques tout en élargissant la liste des produits de « première nécessité », et donc livrables (produits
de santé, d’alimentation, d’épicerie, boissons mais aussi informatique)3. Elle a également limité
l’astreinte par infraction constatée à 100 000 euros par infraction au lieu d’un million d’euros.
L’ensemble des syndicats s’en félicitent (voir la déclaration de Solidaires dans l’Éphéméride) : « La
cour confirme par cette décision l’urgence de faire de la santé des salarié·es une préoccupation
réelle pour Amazon. » « On s’est lancés dans un pari un peu fou […] Ce n’est pas parce qu’on est
un géant américain qu’on ne doit pas faire des efforts dans la période, personne n’est au-dessus des
lois », ajoute Laurent Degousée, de SUD-Commerce, dans Libération du 25 avril. Le tsunami qu’a
constitué cet épisode français devrait avoir des répercussions pour Amazon.
Car aux États-Unis aussi, Amazon affronte le « vieux monde » des grèves. En effet, 350 de ses sala-
riés ont annoncé leur intention de cesser le travail à cause des manquements sanitaires. Et ce à trois
jours d’une grève en ligne des codeurs et ingénieurs du groupe. « Les frustrations montent autour
de la défaillance de l’entreprise à protéger les travailleurs et la santé publique face à l’épidémie de
coronavirus », lit-on dans leur communiqué.
Le 30 mars, le leader du premier mouvement de grève en temps de Covid aux États-Unis, après
un premier cas de contagion dans les entrepôts de New York, Chris Smalls, avait été licencié. Il
demandait, avec ses collègues, la fermeture du bâtiment afin qu’il soit désinfecté, et que les salariés
soient payés. Smalls, soutenu par de nombreux rassemblements mais aussi par des personnalités, dont
la procureure de l’État de New York, ainsi que par des syndicats internationaux, a déclaré lors de
son licenciement : « Amazon préfère licencier les travailleurs plutôt que d’affronter son incapacité
totale à faire ce qu’il devrait pour nous garder nous, nos familles et nos communautés, en sécurité. »
Le « nouveau monde » des requins du e-commerce et des vraies-fausses start-up de livraison sans
salarié·es a été rattrapé par une pandémie qui a fait réagir travailleur·euses et précaires sur des
droits élémentaires à la santé et tout simplement à la vie. Á l’initiative d’un syndicat venu du « vieux
monde », Amazon a été rattrapé par une justice qu’il a l’habitude d’éviter et qui, parfois, rend leur
dû à ceux d’en bas, rappelant à l’ordre, temporairement, certes, les sbires arrogants de Bezos, des
habitués du mépris du droit du travail.
25 avril 2020

3. En appel, l’union syndicale s’est faite avec l’apport de la CFDT, de la CGT et de FO.

55 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


LE RETOUR DE LA FAIM ? LES ALTERNATIVES SONT LÀ !
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

ROMAIN DESCOTTES1

Le capitalisme a la constante nécessité de se renouveler face aux contradictions qu’il génère


inlassablement. Cette réalité historique n’a peut-être jamais été plus vraie que ces derniers mois,
depuis que l’ensemble de la planète est entré dans un temps d’épidémie. À mesure que les rangs
des personnes contaminées au virus ne cessaient de grossir, les gouvernements ont quasi systéma-
tiquement organisé des confinements, plus ou moins stricts selon les capacités des États à adopter
des stratégies de dépistage à grande échelle. Le coût politique d’un laissez-faire pour parvenir à la
fameuse « immunité collective » a été jugé trop dangereux et trop aléatoire par les bourgeoisies et
leurs mandataires étatiques. Ces décisions ont entraîné une paralysie économique touchant l’en-
semble de l’appareil productif et provoquant un coup d’arrêt à l’accumulation de capital probable-
ment sans précédent2.
Sans nul doute, il s’agissait d’un choix par défaut, néanmoins nécessaire au risque de voir les lieux
de travail désertés par les salarié·es ; et sans travail vivant à exploiter, point de plus-value possible3.
Comme cela a été régulièrement souligné, l’arrêt complet n’était pas non plus envisageable et c’est
en grande majorité des ouvrier·ères et des employé·es qui ont été envoyé·es au charbon, montrant
de fait que le rôle essentiel qu’ils et elles occupent était inversement proportionnel à la reconnais-
sance sociale et pécuniaire dont ils et elles jouissent. C’est d’ailleurs les résistances multiformes de
ces travailleuses et travailleurs dont nous cherchons à rendre compte dans notre Éphéméride. Bien
que ces luttes ne soient qu’une vision partielle et partiale d’une machine à produire qui continue
malgré tout de tourner, les craintes que la situation devienne ingérable pour le capital semblent du
moins fondées.
Très vite, à cette atmosphère électrique, est venu s’ajouter un problème de taille, pur produit des
dynamiques capitalistes : la faim. Déjà, en temps « normal », tout le monde ne mange pas à sa faim en
régime capitaliste. Bien qu’on estime l’agriculture mondiale en capacité de nourrir 12 milliards de
personnes, il faut des revenus pour acquérir de la nourriture et tout simplement survivre. Au temps
du Covid-19, encore plus qu’hier, pour les plus opprimés et les plus exploités l’accès à un salaire
permettant de se nourrir est devenu une chimère. Rappelons au passage que l’OIT estime à plus
de deux milliards le nombre de travailleur·euses informels dans le monde4 et que, pour beaucoup
d’entre elles et d’entre eux, revenus de remplacement et assurances sociales sont des termes étran-
gers. Tous les pays sont concernés, le Sud global en premier lieu, et pour qui parler d’un « retour » de
la faim relèverait de l’indécence, mais aussi des fractions de plus en plus larges des classes populaires
du Nord. Si la faim et la malnutrition y étaient déjà une réalité, elles semblent avoir fait un triste saut
qualitatif ces dernières semaines, ramenant sur le devant de la scène un monde social qu’on cherche
d’habitude à invisibiliser. Sans se hasarder à des chiffrages douteux5, on parle vraisemblablement de
centaines de millions de personnes à travers le monde.

1. Romain Descottes est éditeur aux éditions Syllepse.


2. alencontre.org.
3. Nous renvoyons ici vivement le lecteur vers l’analyse des scénarios possibles faite par Alain Bihr, dans ce volume, p. 90.
4. www.ilo.org.
5. À titre d’exemple, l’OIT mentionne dans son dernier rapport que ce sont 400 millions de personnes rien qu’en Inde « qui risquent
de s’enfoncer dans la pauvreté ».

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 56


Cette double crise, sanitaire et alimentaire, n’est pas étrangère aux atermoiements qu’on voit

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


paraître dans notre camp social autour de la stratégie du confinement6. Les témoignages critiques
d’habitant·es du Sud vis-à-vis du confinement qui les condamnait à la famine sont venus percuter
de plein fouet une lecture hégémonique au Nord sur son absolu nécessité en l’absence de mieux.
Le mimétisme des gouvernements du Sud n’était pas en adéquation avec la réalité sociale et éco-
nomique de leur pays, mais avec celle de leurs élites, comme l’exprimait bien un récent article
du Cetri intitulé « Le coronavirus n’a plus de vieux à tuer en Afrique7 ». Des médecins ivoiriens et
camerounais expliquaient récemment qu’il était de toute manière impossible d’appliquer un confi-
nement en Afrique et qu’il vaudrait mieux se concentrer sur des mesures mettant, par exemple, du
matériel sanitaire et hygiénique à disposition dans les lieux publics ou en renforçant les moyens des
établissements locaux en mesure d’apporter des réponses spécifiques à l’épidémie8.
À l’incapacité à apporter des réponses sanitaires réellement protectrices pour les travailleuses et
travailleurs se succède donc un choc économique qui plonge des populations chaque jour de plus
en plus nombreuses dans la précarité alimentaire. L’équation est simple, continuer à faire tourner la
machine à profit coûte que coûte ou entamer une réorganisation radicale de nos sociétés pour pré-
server la vie. C’est à ces contradictions que la classe capitaliste tente d’apporter ses propres réponses,
en limitant les concessions au strict nécessaire à la reproduction de la force de travail tout en restant
à l’offensive pour assurer la continuité de l’accumulation du capital. C’est aussi à celles-ci que les
classes laborieuses et leurs organisations doivent apporter les leurs. Utopie ? Et pourtant, c’est bien
cette histoire, imparfaite mais réelle, qu’on peut voir s’esquisser au fil de notre Éphéméride.

IRRATIONALITÉ DU CAPITAL ET RÉSISTANCES


Hasard du calendrier, la poussée épidémique coïncide avec le début des grandes récoltes au Nord.
À l’instar des personnels soignant en première ligne ou des travailleuses du care indispensables au bon
fonctionnement de nos sociétés, majoritairement des femmes, et souvent immigrées, la fermeture
des frontières entraîne une pénurie de main-d’œuvre mettant en péril le secteur. Le gouvernement
allemand, bien vite imité par d’autres, affrète des charters pour permettre à des travailleur·euses
roumains et bulgares de combler le manque de bras, le bien-fondé sanitaire des restrictions aux
frontières s’évaporant à l’occasion. Trump, au beau milieu de sa politique raciste de restriction des
visas, n’oublie d’ailleurs pas d’exempter les travailleurs agricoles si nécessaires aux grands produc-
teurs étasuniens. À l’inverse, des travailleurs boliviens, de retour des récoltes Argentine, se voient
interdits le passage à la frontière par leur propre gouvernement. Dans de nombreux pays africains,
la destruction de l’agriculture locale et l’addiction organisée aux denrées alimentaires du Nord se
paient une nouvelle fois au prix fort, spéculation aidant9. Si besoin il en était cela nous rappelle
ce que globalisation veut d’abord dire, la continuité d’un rapport d’exploitation vieux de plusieurs
siècles et la dépendance du Nord à l’exploitation du travail et des richesses du Sud, n’en déplaise
aux chantres xénophobes qui pullulent dans les médias. Et plus encore d’une exploitation de genre,
les femmes étant les premières touchées par ces politiques néocoloniales.
Face l’absurdité et la désorganisation capitalistes, d’autres chemins se dessinent pourtant déjà.
Comment ne pas citer le travail du réseau Via Campesina ? Fort de ces 200 millions de membres
à travers le monde, il suit au jour le jour les conséquences de l’épidémie et relaie la voix des

6. https://npa2009.org.
7. www.cetri.be.
8. www.lemediatv.fr.
9. www.oxfamfrance.org.

57 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


organisations qui le composent10. Il apporte depuis des années des réponses faisant tenir ensemble
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

la viabilité écologique des systèmes agricoles, droits des travailleuses et travailleurs et souveraineté
alimentaire non-exclusive. Dans la même veine, les paysans boliviens des plateaux de Potosi ont
appelé dès les premiers jours du confinement à l’instauration d’un contrôle des prix et à des mesures
de soutiens aux petits producteurs, sans omettre d’exiger du matériel de protection pour les per-
sonnels soignants des hôpitaux. En Italie, le syndicat USB Agricole répond à l’extrême droite et au
patronat souhaitant mettre au travail les bénéficiaires des revenus de quarantaine, les retraité·es et
les étudiant·es, qu’il suffirait de régulariser, de payer dignement, de garantir des conditions sanitaires
décentes et d’arrêter de criminaliser les milliers de travailleurs agricoles immigrés déjà présents sur
le territoire pour que l’activité agricole se fasse.
Plus haut dans la chaîne, pour la distribution et la transformation alimentaire, la donne n’est pas
bien différente. En France, la Confédération paysanne alertait récemment du pouvoir croissant des
grands distributeurs sur les prix et les marges11, monopole renforcé par la fermeture des marchés
et de la restauration collective et commerciale faisant d’eux le principal, voire unique, débouché
pour de nombreuses et nombreux paysans. Un rapport de force favorable qui n’a pas empêché
ces grandes entreprises de passer à l’offensive sur les droits des travailleurs. Au Pérou, comme
dans la grande majorité des pays, l’épidémie a été le prétexte à une extension du temps de travail
à 12 heures par jour pour les géants alimentaires nationaux, sous peine de licenciement. On ne
compte plus les défaillances aux mesures sanitaires les plus élémentaires dans les grandes surfaces
et les usines de transformation, entraînant d’incalculable drames pourtant évitables. La prime de
1 000 euros à la fin du mois de mai, qu’on a fait miroiter aux salariés de la grande distribution
française pour s’assurer qu’ils viennent au boulot malgré la peur, commence déjà à se décliner au
conditionnel. Cette réalité d’en bas n’a néanmoins pas découragé ces géants à verser de gracieux
dividendes à leurs actionnaires, ni les monstres du négoce international à continuer leurs pratiques
spéculatives. Business as usual.
Là encore, les résistances qui se font jour nous proposent un tout autre récit. Aux États-Unis, du
Colorado à la Géorgie, des grèves dans l’industrie de transformation ont imposé aux employeurs
la mise en place de protocoles sanitaires précis et des revenus de remplacement en cas de mala-
die. Dans les grandes enseignes de la distribution, les travailleuses et travailleurs de Whole Foods
demandent en outre l’accès à la couverture santé pour toutes et tous, quel que soit le statut contrac-
tuel. Les ouvriers de l’abattoir El Frigoral, en Argentine, suite à une plainte de la mairie contre
leur entreprise pour non-respect du décret gouvernemental, ont vu leur patron placé en détention
judiciaire. Celui-ci avait violé l’interdiction de continuer l’activité après la contamination de neuf
personnes, les travailleur·euses exigent, eux, la régularisation de leurs collègues immigrés et le
versement d’un salaire de quarantaine. Un son de cloche qu’on entend aussi résonner chez leurs
voisins de la livraison à domicile, des grèves internationales de livreurs à vélo en Amérique latine
à la limitation des livraisons aux biens essentiels gagnée par les travailleurs d’Amazon France12. À
l’évidence, quand l’autogestion des travailleuses et travailleurs se substitue à l’indigence patronale,
les réponses apportées sont diamétralement opposées.

L’ALTERNATIVE EST NON SEULEMENT POSSIBLE, ELLE EST INDISPENSABLE


Certes, ces différents exemples ne font pas un programme ou des alliances en soi, ni ne reflètent
l’inertie des rapports sociaux dans leur ensemble qui ne se conjugue pas si aisément avec autogestion.

10. viacampesina.org/fr.
11. www.confederationpaysanne.fr.
12.Voir l’article de Mariana Sanchez dans la présente édition, p. 13.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 58


Certes aussi, l’appel au « contrôle ouvrier sur la production, au contrôle populaire sur l’alimentation,

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


à la distribution des ressources et sur les installations de santé » d’un texte de militants pakistanais
publié dans la première édition de notre série « Un Virus très politique », ne signifie pas pratiques
populaires allant mécaniquement dans ce sens. Notre compréhension, à commencer par celle de
l’auteur de ces lignes, est toute relative, et encore plus quand il est question des réalités du Sud glo-
bal. Ce que nous avons voulu esquisser ici, c’est que parmi les résistances et les luttes des premiers
et premières concerné·es existe déjà un autre possible, possible sur lequel la tragédie actuelle offre
une exposition plus large qu’à l’accoutumée.
Cette communauté d’intérêts entre des groupes sociaux finalement pas si éloignés, on la retrouve
aussi dans les initiatives de solidarité qui se multiplient sur les territoires. Pour se limiter à l’exemple
français, des enseignant·es et parents d’élèves s’organisant pour des collectes alimentaires à la réqui-
sition du McDonald’s de Saint-Barthélemy, à Marseille, en passant par les Brigades de solidarité
populaire13, ce sont bien les actes et la volonté politique de ceux « d’en bas » qui l’emportent sur les
aides étatiques, dont on peine à voir la couleur. Un besoin qui ne s’arrêtera pas avec ce virus, tant
le désastre écologique en cours annonce un approfondissement des contradictions qu’on a souhaité
mettre en avant dans ce texte. « Nous n’avons pas le choix », pour reprendre la terminologie libérale.
Évidemment, la violence endémique, le chômage de masse et la mainmise décisionnelle et logis-
tique sur la production, autant d’armes en possession de la classe capitaliste, sont des obstacles de
taille sur ce chemin qu’on ne saurait jamais assez sous-estimer. Pour cette raison, s’il y a bien une
force capable de s’y opposer elle continue de se trouver, nous semble-t-il, dans les collectifs de tra-
vail. Et peu importe comment on nomme ce processus, il aura besoin pour s’imposer de rassembler
le plus grand nombre d’organisations (syndicats, associations, partis politiques, collectifs locaux,
usagers des biens et des services) enclines à se ranger derrière. Non pas pour modeler mais bien
pour mettre en réseau, appuyer logistiquement et faire remonter les revendications qui émanent des
actrices et des acteurs des luttes. À cet égard, il nous semble important de mentionner une proposi-
tion revendicative qui dans la période actuelle nous paraît en adéquation avec les aspirations du plus
grand nombre. Celle d’une sécurité sociale alimentaire, s’inspirant des travaux de Bernard Friot, la
proposition est le fruit d’un travail collectif d’ingénieur·es et de professionnel·les du secteur14. Bien
que les aspects techniques et pratiques soient francocentrés, elle invite à un débat fertile et concret
en posant les bases d’une socialisation et d’un contrôle populaire sur ce que tout projet d’émanci-
pation sérieux doit poser en préalable : garantir l’accès à une nourriture de qualité pour toutes et
tous. Ou dit autrement, que le consommateur·trice de grandes surfaces laisse la place à l’usager·e
alimentaire.

26 avril 2020

13.Voir l’interview de trois membres de la Brigade populaire Montreuil/Romainville/Fontenay dans la présente édition.
14. Ce texte et des débats sur le sujet : https://lvsl.fr/penser-lapres-crise. L’interview de Bernard Friot : https://la-bas.org/la-bas-magazine.

59 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


LES BRIGADES DE SOLIDARITÉ POPULAIRE
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

ENTRETIEN

D’où sortent ces brigades apparues en région parisienne et dans quelques autres villes
françaises ? Comment fonctionnent-elles ? Dans quels buts, avec quelles perspec-
tives ? Nous avons interviewé trois membres de la brigade Montreuil/Romainville/
Fontenay-sous-Bois, en région parisienne. Nathan Akina, Nathan et Khalil nous
expliquent.

Comment sont nées les brigades ?

Les premières brigades sont les Brigate Volontarie Per l’Ermengenza, les brigades volontaires
pour l’urgence, qui sont nées en Italie, à Milan. Comprenant que ce serait les classes populaires
qui seraient le plus fortement touchées par la crise sanitaire et ses impacts économiques, ils et elles
se sont organisé·es dans une perspective de solidarité de classe, à l’échelle locale, en gardant aussi
comme objectif de pointer la responsabilité des politiques actuelles dans cette crise. Par la suite,
l’idée s’est diffusée ; en France, ce sont les camarades proches du média Acta qui ont diffusé le projet
de Brigades de solidarité populaire, et pourraient certainement mieux parler de la naissance exacte
que nous.

Où sont-elles présentes ?

Internationalement, les Brigades qui suivent le modèle et les « bases idéologiques » des brigades
italiennes sont implantées dans plusieurs pays de l’Europe de l’Ouest. Mais on peut sûrement trou-
ver des réseaux d’entraide un peu similaires ou proches dans d’autres pays ; il y en a déjà certains en
France, comme peut l’être en partie le réseau Covid-Entraide.
En France, les Brigades sont bien présentes en Île-de-France (dans plusieurs quartiers de Paris et
certaines villes de proche banlieue), et se sont diffusées dans d’autres grandes villes : Nantes, Lyon,
Marseille, Saint-Étienne… Elles sont aussi présentes à Genève et à Bruxelles chez nos voisin·es. Mais
elles semblent, pour le moment, relativement absentes des zones périurbaines ou des banlieues un
peu moins proches de Paris ou plus enclavées, ou ce sont plutôt des réseaux d’habitant·es qui ont
l’air de s’organiser. Pour les zones rurales, ça doit être similaire.

Combien y a-t-il de monde dans ces Brigades ? Est-ce exclusivement des personnes
issues du milieu militant ?

En Île-de-France, début avril, alors que les Brigades n’étaient lancées que depuis deux semaines,
nous gravitions autour de 300 personnes impliquées, avec une base issue du milieu militant, mais pas
uniquement. Pour les autres zones, on ne saurait pas vraiment dire, ça doit varier.

Quelles sont leurs activités ?

Les Brigades sont très autonomes et chaque groupe local s’adapte aux réalités de son terrain. Il
y a donc une grande variété d’activités, dont une partie est plus au moins commune à toutes les

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 60


brigades. L’organisation de l’« autodéfense sanitaire » par exemple. Beaucoup de brigades fabriquent,

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


récoltent du matériel de protection comme des masques, gants, etc., qu’elles mettent à disposition
du personnel médical, des travailleurs, et des personnes les plus précaires, comme les personnes sans-
abri. Des Brigades d’éducation populaire prennent aussi forme, pour aider les enfants défavorisés
par le confinement, notamment en manque de matériel informatique, en lien avec des enseignant·es.

On peut parler des activités du groupe de Montreuil – que d’autres groupes font


sûrement  –  dans lequel nous sommes.

Un système de panier-repas a été mis en place : certains cuisinent et ceux qui peuvent, les
transportent aux personnes qui en ont besoin, par exemple les personnes dans les foyers.
On a, en effet, établi des liens avec différentes personnes et avec les foyers de sans-papiers, ­no­tamment
les foyers en lien avec les Gilets noirs. Pour pouvoir donner des produits de première nécessité à
ceux qui en ont besoin, on a ouvert deux permanences dans deux quartiers différents de la ville.
Les produits déposés sont en libre-service, sinon ils sont distribués. Des repas sont aussi préparés
aux permanences.
Les brigades, en plus d’apporter une aide concrète, portent une vision politique : elles sont cri-
tiques de l’action de l’État, ainsi que du capitalisme, qui a conduit à cette crise. En Île-de-France, la
« fédération » des Brigades a cinq revendications majeures : la réquisition des hôtels pour les sans-abri,
la régularisation des sans-papiers, le gel des loyers, l’arrêt du travail dans les secteurs non essentiels
et le revenu de confinement.

À plus long terme, quels sont leurs projets ?

Plusieurs Brigades ont l’objectif de se développer en réel réseau de lutte, et de ne pas s’arrê-
ter en même temps que le confinement ou la crise. En fait, beaucoup supposent même que la
crise ne fait que commencer, qu’elle se poursuivra au-delà du confinement, et que les luttes à
venir nécessitent des initiatives de solidarité de classe comme celle-ci. On peut également d’ores
et déjà commencer à discuter au sein de ce réseau de nos perspectives et de nos pistes d’actions
pour la suite. Certain·es imaginent déjà des luttes axées sur les centres de rétention administra-
tive et la régularisation des sans-papiers, d’autres imaginent se mettre en lien avec les syndicats
de lutte et mener une campagne pour l’autogestion des entreprises, d’autres encore songent aux
possibilités de réquisition de lieux pour former des Maisons du peuple… Les pistes sont multiples,
l’intelligence collective n’a plus qu’à faire son choix quant aux moyens pour les mettre en œuvre.

Quelles sont les relations avec le monde syndical ?

Il n’y a pas vraiment de lien, à ce qu’on a pu voir. Il y a des syndicalistes impliqué·es dans
les Brigades, mais les permanences ne sont pas (encore  ?) tenues dans des locaux syndi-
caux, à notre connaissance en tout cas, ou d’autres liens de ce genre qu’on pourrait imaginer.
Si on réfléchit à « l’après » et à développer et maintenir ce réseau dans une perspective de lutte, ce
serait en tout cas intéressant d’essayer de construire une relation. Les Unions locales pourraient en
tout cas clairement avoir un rôle à jouer dans la construction de ces solidarités de classe locales.
18 avril 2020

61 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


ÉDITION DU 20 AVRIL
POUR DES CHANGEMENTS PERMANENTS ET POUR QUE LES SALARIÉ·ES

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


SOIENT AUX COMMANDES
CORRESPONDANCE

Nous avons obtenu quelques transformations positives auxquelles les employeurs résistent
habituellement.
À Détroit, dans le Michigan, les conducteurs de bus ont déclenché une grève sauvage et obtenu
la gratuité des transports urbains pendant la durée de la crise sanitaire. Il en a été de même à
Birmingham, dans l’Alabama. Très rapidement l’exemple s’est étendu dans plusieurs villes des États-
Unis et du Canada où les compagnies de transports urbains ont dû céder et instituer la gratuité des
bus.
Il s’agissait ainsi de réduire la propagation du virus entre les chauffeurs et les passagers. Cela a
également permis d’augmenter la sécurité dans la mesure où la perception du prix du ticket est
souvent le déclencheur des conflits et de l’escalade de la violence. Ajoutons que la manière dont
nous devons payer nos transports est une manière régressive et dispendieuse de les financer, alors
qu’ils devraient l’être par l’impôt et par les grandes compagnies.
À Winnipeg, au Canada, les postier·es ont collectivement imposé la cessation provisoire de la
distribution de ce qu’ils appellent le « junk mail ». Ils et elles décident ensemble de ce qu’il faut dis-
tribuer et ce qu’il ne faut pas distribuer (publicités, etc.).
Les patrons voudront revenir en arrière dès que cela leur sera possible et il ne faudra pas laisser
ces avancées se perdre après la crise.
Nous avons démontré que ces méthodes fonctionnent, il ne faudra pas laisser les employeurs
enfermer à nouveau le génie dans la bouteille.
Labor Notes, www.labornotes.org

63 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


Avec la diminition de la pollution de l’air,
on peut maintenant voir le spectre du communisme hanter l’Europe.
PRODUCTION DE MASQUES : UNE COOPÉRATIVE À LA PLACE DE L’USINE

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


HONEYWELL DE PLAINTEL, DANS LES CÔTES-D’ARMOR ?
INTERVIEW DE SERGE LE QUÉAU1

Le 26 mars dernier vous avez dénoncé ce qui constituait à vos yeux un scandale
d’État, la fermeture de l’usine Honeywell à Plaintel (Côtes-d’Armor). Pourquoi cette
accusation ?

Serge Le Quéau. La pandémie du coronavirus partie de Chine s’est développée à travers toute la
planète à grande vitesse. Elle n’a évidemment pas épargné notre pays. Très vite nous nous sommes
aperçu·es comme tout le monde que les stocks d’équipements de protection sanitaire (masques,
vêtements) dont disposaient les autorités publiques pour protéger la population, étaient totalement
dérisoires. Après la pandémie virale, nous avons dû faire face à une dramatique pénurie de masques.
Face à cette situation, nous nous sommes souvenu·es, comme beaucoup de Costarmoricains, qu’il
existait dans notre département, les Côtes-d’Armor, une usine de fabrication de masques et de vête-
ments de protection sanitaires. Ses capacités de production étaient énormes. Cette usine Honeywell
de Plaintel pouvait produire 200 millions de masques par an, près de 20 millions par mois et était
équipée de 8 machines ultramodernes pouvant, pour certaines, fournir 4 000 masques à l’heure. Or,
cette usine avait été fermée à la fin 2018 par le groupe multinational américain Honeywell.
En tant qu’organisation syndicale interprofessionnelle, nous avons repris contact avec les ancien·nes
salarié·es de l’usine ainsi qu’avec les responsables des sections syndicales CGT et CFDT. L’objectif
était d’obtenir des informations sur les raisons avancées par Honeywell pour justifier la fermeture
de son usine. Nous voulions aussi comprendre pour quelles raisons, fin 2018, il n’y avait pas eu de
réactions, ou très peu, des autorités locales et nationales pour s’y opposer. C’est au cours de cette
enquête que nous avons découvert ce qui n’avait jamais été révélé avant la publication de notre
communiqué de presse du 26 mars dernier : non seulement Honeywell avait délocalisé sa production
de masques en Tunisie et en Chine, bénéficié d’aides publiques considérables, sans contreparties,
mais en plus, elle avait vendu ses machines ultramodernes et les avait fait détruire par un ferrailleur.
Nous voulions aussi comprendre pourquoi les appels à l’aide des sections syndicales CGT et CFDT
de l’usine de Plaintel, adressés au président de la République Emmanuel Macron et au ministre
de l’économie Bruno Le Maire étaient restés lettres mortes. Une fois bien informé·es, nous avons
voulu mettre en lumière, en le rendant public, l’ampleur du désastre, du point de vue sanitaire,
social, économique et politique, que représentait la fermeture de l’usine de production de masques
de protection sanitaire de Plaintel.
L’Union syndicale Solidaires qui est implantée dans un grand nombre d’hôpitaux et d’EHPAD
de la région, connaissait parfaitement les risques qu’encouraient les personnels soignants de ces
établissements, faute de moyens de protection. Nous nous sentions donc pleinement concerné·es et
ne pouvions pas ne pas agir.

1. Secrétaire de l’union départementale Solidaires des Côtes-d’Armor.

65 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


De plus, pour Solidaires, la fermeture de cette usine représente un condensé édifiant de tout ce
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

que le capitalisme financier international, soutenu par des politiques néolibérales, peut produire
comme horreurs économiques et sociales, comme absurdité, comme aveuglement. Condensé qu’il
fallait dénoncer avec force.
L’histoire de l’usine de Plaintel est exemplaire : de l’argent public a été dépensé pour casser des
capacités humaines et matérielles de production de haut niveau, sur le territoire national, dans
un domaine touchant à la sécurité sanitaire de tous et toutes. II y a seulement quelques mois, les
responsables des pouvoirs publics disaient : « Garder cette usine n’est pas un enjeu d’intérêt public.
Laissons faire les lois du marché ! Si, un jour, nous avons besoin de ces matériels, nous les impor-
terons de Chine ou de Tunisie ! » Nous avons vu le résultat de cette confiance aveuglément placée
dans le marché global. Nos territoires manquent toujours de masques, plus de deux mois après le
début de la crise.
Notre communiqué intitulé « Que se cache-t-il derrière la fermeture de l’usine Honeywell de
Plaintel ? Un scandale d’État ! » a eu un succès surprenant. En quelques jours, plus de 45 000 per-
sonnes l’ont lu sur le site Facebook de Solidaires Côtes-d’Armor, 1 100 l’ont également partagé et
commenté, dont plusieurs personnalités du monde associatif et politique, qui l’ont largement redif-
fusé sur les réseaux sociaux. Puis, ce sont les médias régionaux et nationaux qui s’en sont emparés,
que ce soit la presse écrite ou audiovisuelle, lui donnant un écho qui a finalement dépassé nos
frontières.

Vous proposez la création d’une société coopérative industrielle qui reprendrait les
activités. Pourquoi une coopérative et non pas la nationalisation qui permet d’avoir la
garantie de l’État ?

Serge Le Quéau. Dans notre communiqué du 26 mars, nous proposions, pour relancer la production
de masques et de vêtements de protection sanitaire la création d’un établissement public industriel
et commercial (EPIC) ou d’une société coopérative (SCOP). Dès le départ, nous pensions fortement
à une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) pour l’originalité de son statut, avec ses collèges
multiples (salarié·es, collectivités territoriales, usagers-clients bénéficiaires), mais nous voulions lais-
ser la proposition ouverte. Parallèlement à ces discussions en interne de Solidaires Côtes-d’Armor,
nous avons rapidement pris contact avec des militant·es avec qui nous travaillons habituellement,
notamment Attac, la Confédération paysanne ainsi que des associations environnementales et de
l’économie sociale et solidaire.
Assez rapidement, la SCIC est bien apparue pour tous et toutes, comme étant la structure la plus
adaptée à la situation. L’outil SCIC existe depuis 2001. Il n’a malheureusement pas suffisamment été
promu et utilisé. Il n’existerait aujourd’hui seulement que 2 000 SCIC en France. La SCIC permet
d’associer tous les acteurs et actrices du territoire régional, à commencer par les salarié·es, et de les
impliquer dans un projet de relocalisation de production industrielle, en ouvrant de manière large
le capital social aux structures « acheteuses » –  des acteurs sanitaires et médico-sociaux –  comme
aux secteurs d’activité grands consommateurs, et au-delà à tous les acteurs collectifs ou citoyens
régionaux désireux d’agir et soutenir un tel projet.
Un EPIC, et donc une entreprise nationalisée, pourrait répondre aussi à l’enjeu ; mais il nous paraît
moins adapté à l’impératif de prise en charge collective du projet. De plus, la décision de création
ne peut être prise qu’au niveau national, par l’État, donc loin du territoire concerné par la relance
de l’activité industrielle. Et puis, nous avons pensé que compter sur l’État pour prendre en charge
un tel dossier était vain ; qui plus est avec l’équipe « libérale » qui est au pouvoir aujourd’hui. Les
récentes déclarations du Président Macron laissent à penser qu’il pourrait faire une ouverture dans

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 66


le domaine de la santé, mais pour ce qui est de la production industrielle, il lui faudra sans doute

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


faire encore beaucoup d’efforts pour changer le logiciel néolibéral qui continue à guider sa pensée
économique.

Comment concevez-vous la table ronde que vous avez demandée au préfet ? Qu’en
pensent les ex-salarié·es de la boîte ?

Serge Le Quéau. Les ex-salarié·es attendent avec impatience la tenue de cette table ronde, car elle per-
mettra de réunir tous les acteurs et toutes les actrices concerné·es par le projet et de connaître pré-
cisément le positionnement de chacun et chacune : salarié·es et leurs organisations syndicales, repré-
sentant.es des collectivités territoriales (région Bretagne, communauté d’agglomération de Saint-
Brieuc, conseil départemental des Côtes-d’Armor), services déconcentrés de l’État (DIRECCTE,
DREAL, etc.), parlementaires déjà impliqué·es dans le projet. Si toutes les collectivités territoriales
citées ont pris officiellement position pour soutenir le projet, le président de la région Bretagne,
Loïg Chesnais-Girard, est allé plus loin : il a missionné officiellement Guy Hascoet, ancien secrétaire
d’État à l’économie sociale et solidaire du gouvernement Jospin, pour qu’il explore les possibilités
de relance d’un site de production industrielle de masques de protection sanitaire et présente un
rapport. Le préfet pourra réunir la table ronde dès qu’il connaîtra la position officielle du ministre
de l’économie et du gouvernement sur ce projet de création de SCIC.

Dans la situation actuelle de crise sanitaire quelles sont les réactions à votre p
­ roposition ?

Serge Le Quéau. Au départ, les salarié·es licencié·es de l’usine Honeywell de Plaintel ont accueilli
très favorablement la proposition de Solidaires, nous remerciant d’avoir sorti de l’oubli et révélé
au grand jour le scandale de la fermeture de leur usine. Ensuite, la CFDT, par l’intermédiaire de
ses structures départementales et régionales, est montée au créneau, y compris dans la presse, pour
dénigrer notre proposition. Selon elle, nous amènerions les ex-salarié·es d’Honeywell au casse-pipe
en les berçant d’illusions. Par contre, le président du département des Côtes-d’Armor, Alain Cadec,
a accueilli dès le départ plutôt favorablement notre proposition, sous réserve que la région Bretagne
s’engage également à ses côtés. Ce qui a été déterminant pour faire mûrir l’idée auprès des élu·es,
ce fut l’intervention enthousiaste et convaincante de Guy Hascoët, que nous avions contacté très
rapidement sur les conseils avisés d’un militant de la Confédération paysanne et écologiste, René
Louail. C’est Guy Hascoët qui a convaincu l’ensemble des élu·es du département et de la région de
la faisabilité du projet sur les plans humain, technique et financier, dès lors qu’il s’appuierait sur une
participation active des salarié·es, un soutien politique fort et une dynamique citoyenne. Quand ce
sont des syndicalistes, militant·es de Solidaires de surcroit, qui proposent des alternatives impliquant
une appropriation collective des moyens de production, les élu·es de droite comme de gauche,
biberonné·es par la pensée néolibérale depuis plus de trente ans, se méfient, dans un premier temps.
Quand c’est un ancien ministre qui fait la proposition d’un tel projet, ça a l’avantage de les rassurer.
À ce jour, le projet est toujours dans sa phase de construction. Des groupes de travail informels
se sont déjà constitués et travaillent en bonne intelligence. Un ancien directeur de l’usine, Jean-
Jacques Fuan, s’est également engagé, apportant son expertise dans le montage du dossier. L’Union
syndicale Solidaires des Côtes-d’Armor quant à elle, participera évidemment à son élaboration,
consciente de toutes les difficultés qui ne manqueront pas de se présenter et qu’il faudra surmonter.
Mais nous gardons toujours en mémoire la fameuse devise « On ne perd que les combats que l’on
ne mène pas ».

67 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


LA RESPONSABILITÉ DES DÉCIDEURS PUBLICS EN PÉRIODE
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

DE CRISE SANITAIRE
ARIÉ ALIMI1

« Et je pense que toutes celles et ceux qui cherchent déjà à faire des procès alors que nous n’avons
pas gagné la guerre sont irresponsables. Le temps viendra de la responsabilité. » C’est ainsi que le
président de la République s’est exprimé devant la nation s’agissant des nombreuses plaintes adres-
sées à la Cour de justice de la République ou au ministère public, contre des ministres en exercice
ou contre X s’agissant de la plus grande crise sanitaire depuis l’épidémie de grippe espagnole de
1918. Comme à son habitude, le procureur de la République, monsieur Rémy Heitz, s’est aligné
sur la position présidentielle en estimant que l’ouverture d’une enquête sur ce scandale sanitaire
pouvait attendre. Beaucoup s’interrogent sur la nécessité et sur l’efficacité des plaintes pénales visant
l’inaction des décideurs publics dans le cadre de la crise sanitaire que la France traverse. Pourquoi
rechercher la responsabilité pénale de décideurs politiques ou même la responsabilité administra-
tive de l’État dès lors qu’il n’a ni créé ni diffusé le virus et que, malgré des approches sanitaires
différentes, l’épidémie s’est installée sur toute la planète ? Peut-être parce que, selon les différentes
approches sanitaires et selon le délai de mise en œuvre de l’action sanitaire, l’évolution de l’épidémie
est variable d’un pays à l’autre. La France est l’un des pays au monde les plus touchés par l’épidémie
de Covid-19 et sa courbe d’évolution suit pour le moment celle de l’Italie, pays le plus durement
touché au monde en termes de mortalité. En comparaison, la Corée du Sud, premier pays après la
Chine à avoir subi l’épidémie, a vu rapidement la courbe de l’épidémie s’aplanir 2 et la létalité de
l’Allemagne est la plus faible au monde. Ensuite, parce que la France avait déjà connaissance du
développement de l’épidémie en Chine et en Italie, ce qui prive les décideurs politiques et admi-
nistratifs de l’excuse de la nouveauté et de la surprise. La nécessité d’une action judiciaire se voit
également opposer le réflexe de l’unité nationale, exacerbé par la métaphore guerrière filée par le
chef de l’État dans la lutte contre l’épidémie. La métaphore est malvenue dès lors qu’elle pourrait
faire accroire que le combat contre une épidémie pourrait avoir les mêmes ressorts qu’une action
militaire contre un pays ennemi. Elle est également malvenue quand on songe à l’essai d’histoire
du temps présent réalisé par Marc Bloch, L’Étrange défaite 3, qui, en tant que militaire et historien,
relatait les multiples impréparations, incompétences et négligences de l’État français et des officiers
de l’état-major ayant conduit à une défaite aussi rapide et inattendue de l’armée française en 1940.
Mais, puisque l’image de la « guerre » est la volonté du chef de l’État, il faut aussi se demander si elle
advient de son fait et si lui ou les décideurs publics pourraient en être comptables. L’unité nationale
doit-elle éteindre les voix de ces témoins qui peuvent apporter au temps présent les solutions à
une catastrophe sanitaire en devenir ? La tradition politique est ainsi faite que face aux défis his-
toriques, l’union sacrée est de mise afin de ne pas perturber l’efficacité de l’action politique. Elle
est surtout la volonté des oppositions politiques de laisser le leader du moment assumer seul les
conséquences de ses décisions, quitte à renoncer à son rôle de contre-pouvoir ou de conseil. L’unité

1. Arié Alimi est avocat au barreau de Paris. Le texte est initialement paru sur le site Dalloz actualités.
2. « Covid-19 : Séoul, l’élève modèle dans la lutte contre le coronavirus ? », Sciences et avenir, 11 mars 2020.
3. Marc Bloch, L’Étrange défaite, Paris, Société des Éditions Franc-Tireur, 1946.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 68


nationale est synonyme de renoncement. La critique ou l’action judiciaire peuvent s’inscrire dans

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


une morale démocratique lorsqu’elles n’ont pas vocation à fragiliser l’efficacité de l’action vers
l’objectif commun. Le consensus fait le reste. Et c’est peut-être en cela qu’il est impérieux de pro-
céder, au moment même où le combat se livre, à une analyse des mécanismes et des responsabilités
individuelles et collectives qui ont mené à cette catastrophe sanitaire. Et ce, afin de peser maintenant
sur les décisions publiques prises au quotidien et de contribuer, dans le cadre du débat intellectuel
et démocratique, à la victoire contre l’épidémie.

L’ILLÉGITIMITÉ DE L’OUTIL PÉNAL DANS LE CHAMP POLITIQUE


D’aucuns reprochent l’inadéquation de l’outil judiciaire et plus spécifiquement pénal dans un
champ éminemment politique. La symétrie y serait de mise et, partant, seule la réponse politique
serait légitime et adéquate. Cette critique fait fi de la position constitutionnelle et historique de
l’institution et de l’outil judiciaire conçus bien avant la révolution française et consacrés par les
Lumières comme des contre-pouvoirs aux carences et aux faillites de l’exécutif lorsque l’action
politique est mue notamment par des intérêts contraires à la sûreté des citoyens. Elle fait également
fi du contexte démocratique général et plus spécifiquement de celui en temps de confinement. La
5e République, conçue par le général de Gaulle, dépose entre les mains du chef de l’État, assisté par
une majorité législative, l’essentiel du pouvoir normatif, laissant un droit de parole et de critique à
l’opposition politique et à la société civile. Cette liberté de parole et de critique s’exprime essentiel-
lement dans le cadre du droit de manifester4, de se réunir5 ou de faire grève6. Le confinement exclut
les deux premiers de ces droits, lorsque le dernier est pratiquement impossible à mettre en œuvre.
L’outil judiciaire devient dès lors l’un des contre-pouvoirs survivants. Demeure le droit de vote.
Cependant, l’expérience des dernières élections municipales a révélé un nouvel abîme, celui de son
insincérité alors qu’une part importante des citoyens ne peut y participer, voire de sa contribution
à la catastrophe sanitaire, posant la question d’une éventuelle responsabilité pénale des décideurs
politiques7. Paradoxalement, les plus grands contempteurs de l’usage de l’outil pénal dans la sphère
du politique proviennent du sérail judiciaire. Nombreux sont les magistrats ou avocats qui, face à la
responsabilité politique, excluent l’outil pénal, d’abord pour des raisons de pureté du droit pénal qui
devrait ne se pratiquer que dans l’enceinte du tribunal, sans qu’il puisse polluer le fait politique, pour
éviter que le fait politique vienne en retour le polluer. Outre le fait que cette critique ne découle
que d’une vision éminemment subjective, elle ne saurait exister que dans une utopie où le politique
n’aurait pas de tout temps instrumentalisé l’action judiciaire pour réduire au silence l’opposant
politique, en menant une guerre asymétrique dès lors qu’il dispose du déclenchement de l’action
publique par l’intermédiaire du parquet qui lui est subordonné. Il ne saurait ainsi être reproché à
l’opposant politique d’user lui-même de l’outil pénal, sauf à inventer un nouvel évangile judiciaire.
D’autres critiques considèrent que la décision politique ne peut qu’être collective, c’est-à-dire
celle de l’État qui, de ce fait, ne pourrait être sanctionnée que par les juridictions administratives
et, en dernière instance, par le Conseil d’État, voire par le Conseil constitutionnel lorsqu’il s’agit de
critiquer la loi, a priori ou a posteriori, par voie de question prioritaire de constitutionnalité. S’agissant
des juridictions administratives, et malgré l’histoire indéniable de l’autonomisation du contentieux

4. DDHC 1789, art. 10.


5. Conv. EDH, art. 11.
6. Préambule de la Constitution, 27 oct. 1946, 7e al. ; Cons. const., 16 août 2007, n° 2007-556 DC, consid. 13, D. 2007. 3033, obs.
E. Dockès, F. Fouvet, C. Géniaut et A. Jeammaud ; ibid., 2008, 2025, obs. V. Bernaud et L. Gay ; Dr soc. 2007. 1221, étude V. Bernaud ;
RFDA 2007. 1283, chron. A. Roblot-Troizier.
7. « Municipales 2020 : la saisissante carte de l’abstention », Le Monde, 16 mars 2020 ; « J’ai agi en kamikaze de la démocratie » : les regrets
et la colère des assesseurs des municipales confrontés au coronavirus, Le Monde, 25 mars 2020.

69 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


administratif, l’expérience contemporaine et notamment le contentieux de l’état d’urgence et de
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

l’état d’urgence sanitaire nous ont cruellement rappelé que le Conseil d’État, du fait de son rôle,
de sa composition et de sa sociologie, ne pouvait jouer le rôle de contre-pouvoir et de sanction
qui lui incomberait naturellement8. Il en est de même du Conseil constitutionnel, qui a achevé de
transformer en illusions perdues les espoirs que d’aucuns lui portaient, en privilégiant une vision
schmittienne de la Constitution, en faisant primer la théorie des circonstances exceptionnelles sur la
lettre que l’on pensait inaltérable de la Constitution, dans sa décision du 26 mars 2020 portant sur
la loi organique du 22 mars 20209. Ainsi, pour le Conseil constitutionnel, le contrat social découle
de la décision politique et ne saurait l’encadrer définitivement, laissant ainsi présager des temps
sombres pour l’État de droit. Les dernières décisions des juridictions administratives saisies en référé
liberté par des syndicats de médecins qui sollicitaient d’enjoindre au gouvernement de contribuer
notamment à la fabrication de tests ou de masques, marquent l’aveu d’impuissance ou d’incompé-
tence de la juridiction administrative tout au moins en référé pour contraindre l’État à infléchir ses
mesures sanitaires10.
Ne reste alors dans l’éventail des outils à disposition de la société civile que le recours à l’outil
pénal. Son efficacité ne doit cependant pas s’appréhender qu’à l’aune de la possible sanction pénale
qui pourrait être prononcée par une juridiction, qu’il s’agisse de la Cour de justice de la République
ou d’un tribunal correctionnel. D’abord, pour qu’il y ait sanction, encore faut-il qu’il y ait enquête,
puis poursuites et jugement, ce qui nécessitera de très nombreuses années, voire une décennie si l’on
s’en réfère aux précédentes procédures judiciaires en la matière, comme celles de l’affaire du sang
contaminé ou bien encore de l’amiante. Ensuite, parce que le périmètre de la sanction pénale dans la
décision politique a été particulièrement restreint par la Constitution et la jurisprudence. S’agissant
du chef de l’État, sa fonction bénéficie d’une irresponsabilité pénale pour tous les actes et décisions
commis dans l’exercice de ses fonctions11, tandis que sa responsabilité pénale pourrait être engagée
pour tous les actes détachables de sa fonction, et uniquement après la cessation de ses fonctions en
vertu de l’article 67 de la Constitution. Les deux corps du roi sont ainsi parfaitement distingués. Il
en résulte qu’il bénéficie d’une immunité pleine et entière pour les décisions qu’il a prises ou qu’il
pourrait prendre pendant son mandat et plus spécifiquement pendant la crise sanitaire.
S’agissant des ministres, l’histoire récente et notamment la poursuite de Christine Lagarde et sa
déclaration de culpabilité à l’occasion de l’affaire dite de l’« arbitrage Tapie » a confirmé qu’il n’exis-
tait à leur égard pas d’immunité, mais juste un privilège de juridiction12. De facto, l’engagement
d’une enquête ou d’une poursuite devant la Cour de justice de la République est rarissime. Et pour
cause, la Cour de justice de la République est une juridiction d’instruction et de jugement mixte,
composée de douze parlementaires et trois magistrats de la Cour de cassation13. Or la Commission
des requêtes qui apprécie la recevabilité des plaintes est composée de trois magistrats de la Cour
de cassation, de deux magistrats de la Cour des comptes et de deux conseillers d’État14. Ainsi, la
majorité de cette commission émane d’un recrutement administratif qui laisse peu de chances à
la recevabilité des plaintes. Les statistiques d’ouvertures d’enquêtes et de poursuites sont infimes15.

8. J. Andriantsimbazovina, B. Francos, J. Schmitz et M. Touzeil-Divina (dir.), JDA 2016. Doss. 1, art. 48 ; « État d’urgence : face aux cri-
tiques des juges, le Conseil d’État défend son rôle », Le Monde, 19 janvier 2016.
9. Cons. const., 26 mars 2020, n° 2020-799 DC.
10. CE 28 mars 2020, SMAER, n° 439726, 439693 et 439765, Dalloz actualité, 1er avril 2020, obs. M.-C. de Montecler.
11. Constit., 4 octobre 1958, art. 67.
12. Cour de justice de la République, 19 décembre 2016, n° 2016/001, AJDA 2016. 2468 ; RTD com. 2017. 210, obs. L. Saenko.
13. Constit., 4 oct. 1958, art. 68-2.
14. L. org. n° 93-1252, 23 nov. 1993, sur la Cour de justice de la République, art. 12.
15. « Cour de justice de la République : une institution contestée, 13 oct. 2019 : depuis sa création en 1999, la Cour de justice de la
République a prononcé un jugement à l’encontre de sept ministres », Vie publique.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 70


Orienter directement une plainte pénale vers la Cour de justice de la République semble relever

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


d’une gageure qui n’a cependant pas arrêté un certain nombre de plaignants, médecins ou élus
contaminés au cours du premier tour de l’élection municipale16. La décision d’ouverture d’une
instruction par la Commission des requêtes sera longue et ne pourra résulter que de la pression
de l’opinion publique appelant à une transparence sur la prise de décision avant et au début de
l’épidémie. Une autre voie est celle de la plainte contre X adressée directement au procureur de la
République qui dispose de la faculté d’ouvrir une enquête préliminaire ou une instruction auprès de
l’un des deux pôles de santé publique au tribunal judiciaire de Paris ou de Marseille, afin de charger
un ou plusieurs juges d’instruction d’une enquête17. La saisine du procureur de la République est la
plus judicieuse dès lors qu’elle évite l’écueil du filtre de la Commission des requêtes de la Cour de
justice de la République et qu’elle n’écarte pas les responsabilités de tous les décideurs administratifs
qui ne relèveraient pas de la fonction ministérielle. Un trou de souris. C’est à cela que se résume le
droit positif du contrôle de l’action publique. Ce qui explique peut-être le scepticisme du monde
judiciaire qui semble néanmoins se justifier plus par un sentiment d’impuissance empirique que par
une infaisabilité théorique.
Le cadenas du contrôle de l’action publique n’est pas sans lien avec le sentiment de défaite démo-
cratique et l’apparition de la violence dans les rapports sociaux et politiques. Emprunter le trou
de souris de l’action pénale est peut-être aussi le dernier recours de ceux qui croient encore à la
fonction pacificatrice de la justice.
C’est finalement l’action de l’engagement de la procédure pénale, par le dépôt de plainte et
l’ouverture d’une enquête qui détient ontologiquement une vertu démocratique. La plainte pénale,
dès lors qu’elle met en cause la responsabilité individuelle et personnelle du fonctionnaire paré
habituellement de tous ses immunités et privilèges juridictionnels dans son action, est probablement
le dernier outil de puissance symbolique que détient la société civile sur le représentant de l’État.
Elle a également pour vertu de susciter le débat public et l’intérêt du média, agissant comme un
levier de puissance sur le haut fonctionnaire ou l’élu dans le moment de sa prise de décision. Enfin,
elle est la seule voie permettant la réalisation d’une enquête et la recherche de la vérité, puisque le
procureur ou le juge d’instruction sont les seuls à même d’obtenir les éléments et documents qui
ont déterminé l’action ou l’inaction publique.
Peut-être ne devrait-on pas se satisfaire d’avoir recours à l’action pénale mais elle est, en l’état
du droit et des rapports des forces institutionnelles, indispensable au maintien du fonctionnement
démocratique dans l’attente d’une réforme des institutions. Elle semble également être la dernière
solution pour gripper le fonctionnement désincarné et déshumanisé de la mécanique administrative.
Encore faut-il que les qualifications pénales soient justement choisies et crédibles pour permettre
l’ouverture de l’enquête pénale. Les infractions communément utilisées dans les affaires de santé
publique impliquant des décideurs publics sont des infractions dites non intentionnelles. Il s’agit
notamment des infractions de violences involontaires18, d’homicides involontaires19 ou bien encore
de l’abstention à mettre en œuvre les mesures permettant d’éviter un sinistre20. Le grand scandale
sanitaire dit du « sang contaminé » a donné lieu à un arrêt de la Cour de justice de la République du
9 mars 1999, dans lequel la Cour a reconnu coupable monsieur Edmond Hervé, secrétaire d’État à
la santé, des délits d’atteinte involontaire à la vie et d’atteinte involontaire à l’intégrité physique21.

16. « Covid-19 : le gouvernement face aux recours », Public Sénat, 26 mars 2020.
17. C. pr. pén, art. 39 s.
18. C. pén., art. 222-19.
19. C. pén., art. 221-6.
20. C. pén., art. 223-7.
21. C. just. républ., 9 mars 1999, n° 99/001.

71 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


Les délits non intentionnels sont traditionnellement soumis, au même titre que toutes les infrac-
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

tions similaires, à l’existence d’un lien de causalité entre le comportement constitutif de l’infraction
et le dommage causé22.
En raison du grave impact de ces scandales sanitaires sur l’intégrité physique d’un grand nombre
de victimes, le lien de causalité a subi une progressive transformation par la jurisprudence en
matière de délit de risques causés à autrui. Ce délit s’inscrit notamment dans une politique de
santé publique, et se retrouve ainsi dans les affaires d’exposition à l’amiante et des affaires du sang
contaminé.
Parmi les techniques utilisées par la jurisprudence pour retenir l’existence d’un lien de causalité
en matière de délit de risques causés à autrui, les juges du fond se concentrent sur la preuve d’un
lien de causalité unissant le comportement en cause à la naissance d’un risque23. La jurisprudence
a également recours à des présomptions simples, permettant d’alléger la charge de la preuve en
matière de causalité. De même le lien de causalité peut être établi par la démonstration de plusieurs
négligences, Ainsi, la jurisprudence relative à l’affaire du sang contaminé ne requiert que la preuve
d’une contamination virale survenue postérieurement à une transfusion sanguine et de l’absence
d’autre mode de contamination et requiert dès lors du centre de transfusion sanguine la preuve de
l’absence de vices dans les produits sanguins fournis24.
L’enjeu des procédures pénales qui verront peut-être le jour est de déterminer si ces critères
peuvent également s’appliquer à l’inaction gouvernementale au début de la crise sanitaire que nous
vivons. En définitive, la question se résume à savoir si, d’une part, les décideurs publics avaient
connaissance du risque encouru par la population et les soignants et si, d’autre part, ils ont pris en
connaissance de cause la décision de ne pas prendre les mesures nécessaires à la protection de la
population et des soignants. Si tel est le cas, la question morale sera celle de savoir pourquoi cette
décision. La négligence ou l’idéologie. L’attitude ambiguë du gouvernement et sa communication
malheureuse tendant à poursuivre toute activité économique même non indispensable avant et après
la décision de confinement, alors même qu’elle était de nature à contribuer à diffuser le virus, la
décision de ne pas renouveler les stocks stratégiques de masques, de privilégier la protection des
salariés d’Airbus au détriment des soignants et, de ce fait, de prétendre que le port du masque était
inutile25, la décision de ne pas fabriquer ou acheter des tests en contradiction avec les recomman-
dations de l’OMS depuis le 24 janvier 2020, le maintien du premier tour des élections municipales,
la carence dans la fourniture de tous matériels de protection aux soignants hospitaliers ou libéraux,
dont certains ont été contaminés et sont décédés, devront s’appréhender au regard des connais-
sances scientifiques disponibles26 et de la documentation administrative disponible27. La justice qui
s’inscrit dans l’État de droit que nous imaginons ne saurait fermer les yeux sur ces milliers de morts
et de contaminés qui auraient pu être évités. Dans le cas contraire, l’état d’exception que constitue
l’état d’urgence sanitaire aura eu raison de l’état de droit dans lequel nous avons vécu. Il faudra
au contraire, au sortir de cette « guerre », le renforcer en éliminant les scories qui paralysent et
soumettent les contre-pouvoirs que devraient constituer le Conseil constitutionnel, la justice admi-
nistrative et le ministère public. Dans le cas contraire, l’état de droit risque fort de devenir résiduel,
tel un souvenir heureux pour ceux qui l’ont connu, au profit d’une gestion rationnée des libertés.

22. M. Pochard, Fasc. 813 sur la responsabilité pénale des élus, LexisNexis, 9 mai 2019.
23. A. Simon, « Sanctionner la mise en danger grâce aux jeux de la causalité », RTD civ. 2019. 477.
24. Civ. 1re, 9 mai 2001, n° 99-18.161, D. 2001. 2149, rapp. P Sargos  ; RTD civ. 2001. 889, obs. P. Jourdain.
25.Y. Philippin, A. Rouget et M. Turchi, « Masques : les preuves d’un mensonge d’État », Mediapart, 2 avril 2020.
26. P. Marichalar, « Savoir et Prévoir. Première chronologie de l’émergence du Covid-1 », Collège de France.
27. Rapport d’information n° 451 de madame Nicole Bricq, Une approche critique de la mise en œuvre des moyens de lutte contre la
« grippe aviaire ».

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 72


UNE ÉPIDÉMIE PRÉVISIBLE

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


GÉRARD CHAOUAT1

ADDENDUM DU 17 AVRIL
Tout d’abord, quelques précisions sur la sortie du confinement annoncée pour le 11 mai.
Il est évident que  –  beau temps et problèmes psychologiques obligent  –  le confinement devient
de plus en plus dur à supporter. Pour autant, et la non-mention du conseil scientifique par Macron
lors de son allocution télévisée du 13 avril, en est un signe, il n’y a pas d’accord scientifique et
clinique sur la réouverture des écoles. L’étonnement de l’Ordre des médecins (entre autres) est très
significatif, car il va être impossible d’empêcher les enfants de se toucher dans les cours de récréa-
tion et donc de se contaminer mutuellement… et de transmettre tout ça à maman, papa, mamie
et papy. Et, bien sûr aux enseignant·es. Ajoutons que le nombre de points d’eau et de savons mis
à disposition dans une école rend le lavage des mains collectif long et, de plus, il est impossible de
mettre en pratique un tel lavage de mains de manière efficace dans une école.
Chacun le sait, il s’agit d’envoyer les enfants à l’école pour faire reprendre le boulot aux tra-
vailleur·euses. Le tout, d’ailleurs, avec peu de précautions réelles. Le premier mort chez PSA
en témoigne : le patronat/Medef s’en fout largement. On se rapproche de la fameuse séquence
« Moloch » de Metropolis, le film de Fritz Lang (1927).
Le tout avec des masques et des tests qui n’en finissent pas d’arriver !
À quoi il faut ajouter la petite chanson sur l’immunité de groupe, seule « alternative » à un vaccin
actuellement inexistant. Eh bien, c’est très simple : au maximum 10 à 15 % de la population ont été
infectés, alors qu’une immunité de groupe suppose qu’au moins 60 à 70 % de la population l’aient
été… Avec bien sûr une mortalité en conséquence.
S’ajoutent à cela de mauvaises nouvelles sur la faible durée de vie des anticorps. Et donc sur les
récidives possibles2…
Il y a plusieurs explications possibles. Elles tournent toutes autour du fait que la mémoire immu-
nitaire ne serait pas activée. La réponse anticorps nécessite en effet une « coopération » (en fait une
communication grâce aux interleukines  –  molécules de signalisation entre globules blancs et autres
cellules dont essentiellement les globules blancs  –  ou lymphocytes eux-mêmes) entre des cellules
dites B, qui produisent les anticorps, et des cellules dites T. La première partie de la réponse immu-
nitaire, « grossièrement visible », est faite d’anticorps ou immunoglobulines produites par les cellules
B activées par la reconnaissance directe du matériel étranger. La cellule sécrète dès le jour 5 après la
rencontre une « grosse » immunoglobuline, l’Ig (pour Immunoglobuline) M, ou IgM pentamérique,
c’est-à-dire répétant cinq fois la même molécule anticorps de base, ce qui lui permet de s’engager
contre plusieurs « corps étrangers » à la fois, d’où un fort pouvoir agglutinant et neutralisant. Elle
n’est secrétée que temporairement et a elle-même une faible durée de vie. Dans le même temps,
les cellules T activées elles aussi par la reconnaissance de l’agent étranger sécrètent une interleukine
(l’interleukine 2) aux cellules B, pour les faire activer en cellules mémoires et faire basculer leur

1. Gérard Chaouat est médecin, immunologiste et chercheur au CNRS.


2.Voir « Addendum » du 12 avril, « Une épidémie prévisible », Covid-19, un virus très politique, vol. 1-3.

73 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


sécrétion d’IgM à des anticorps dits IgG, dotés d’une longue durée de vie, et activent la « mémoire »
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

B. Ainsi, en cas de nouvelle rencontre avec le même étranger, la cellule B sécrétera immédiatement
de fortes quantités d’IgG.
Un taux anticorps faible évoque soit une réponse insuffisante IgG, soit une réponse IgM seule (au
pire, on a une réponse bloquée en IGM seule, dite « T indépendante », cas de la réponse à certains
sucres bactériens ou viraux).
Le pire du pire, c’est quand les virus ou les bactéries hyperactivent en plus une catégorie cellulaire
particulière, les « T suppresseurs » (ou Ts), ainsi nommés parce qu’ils régulent normalement l’ampli-
tude de la réponse immunitaire pour éviter, par exemple, un emballement inflammatoire, mais qui,
comme leur nom l’indique, sont capables de l’empêcher et de supprimer totalement une réponse
immunitaire, sécrétion d’IgM comprise et, y compris la réponse des cellules (T) tueuses, cellules
indispensables en immunité antivirale car elles détruisent les cellules infectées ; l’exemple le plus
connu est le pneumocoque SIII qui n’induit qu’une réponse Ts et IgM, d’où le caractère grave de
son infection avant l’utilisation de la pénicilline.
Cela ne veut pas dire qu’on ne puisse pas induire une réponse vaccinale en couplant l’antigène
microbien ou viral à une protéine porteuse qui peut être d’ailleurs un autre virus inactivé… le tout  
avec un « adjuvant » (dont les antivaccins parlent beaucoup).
Il est beaucoup trop tôt pour parler de succès ou d’échec d’un vaccin, pour la bonne raison que
ceux-ci sont encore tout simplement à l’étude, ou d’immunité non existante à distance de l’infec-
tion, même si les rapports commencent à signaler une très courte durée de la réponse anticorps et
l’existence de réinfections.
Mais une chose est sûre : un déconfinement mal conduit, c’est le risque d’une deuxième vague !
Le gouvernement Macron-Philippe, de ce point de vue, n’inspire aucune confiance.
PS. On reparlera de la chloroquine la semaine prochaine, une fois une étude quasi randomisée
menée à Détroit  –  et d’autres sans doute  –  officiellement publiée. Et du P4 de Wuhan et de Luc
Montagnier.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 74


ADDENDUM DU 24 AVRIL

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


Commençons brièvement par la Chine. Il est extrêmement peu probable que le virus Covid-
19 soit une fabrication humaine, a fortiori aux fins de guerre, tant sa structure mixte pangolin/
chauve-souris conforte un évènement naturel, alors que fabriquer une arme biologique est in­fi­
niment plus simple à partir d’un virus homogène connu par une mutation dirigée unique.
Mais, hélas, depuis son prix Nobel (et même avant), « saint Luc » Montagnier (un de ses surnoms
dans plusieurs labos de l’Institut Pasteur) n’a cessé de dériver de la papaye pour le pape à la mémoire
de l’eau revisitée. L’insertion de séquences du VIH dans la séquence du Covid-19 a été réfutée par
le laboratoire indien qui l’avait lui-même suggérée. Rideau.
Ce qui, par contre, est important tient en plusieurs études. Il apparaît à présent évident que
Covid ne touche pas seulement le poumon en tant que tel. Il y provoque aussi des micro, voire
des macro-embolies. Ce qui conduit à l’utilisation d’anticoagulants en phase pulmonaire aiguë,
et  –  désolé, c’est très technique  –  à la « réalisation d’un scanner pulmonaire avec visualisation des
artères par injection d’un produit de contraste au lieu du scanner thoracique simple, sans injection
actuellement recommandé » afin de visualiser les micro ou macro-embolies. De façon générale,
Covid-19 apparaît donc comme plus qu’une simple affection pulmonaire en ayant comme cibles
additionnelles foie, rein, cœur, système nerveux…
Autre avancée : l’étude épidémiologique du lycée de Crépy-en-Valois (Oise) réalisée par l’Institut
Pasteur. Les tests de détection du virus, associés à trois tests sérologiques développés par l’Institut
Pasteur, révèlent que 26 % de la population étudiée a été infectée par le SRAS-CoV-2 et possèdent
des anticorps contre celui-ci. Plus précisément, parmi les personnes fréquentant le lycée, 41 % ont
été infectées, alors que parmi leurs proches, elles ne sont que 11 % (MedRxiv). Notez la différence
entre la population (26 % de prévalence) et un milieu plus collectivisé (41 %). Le taux d’hospitali-
sation dans cette population jeune (âge médian de 37 ans) est de 5,3 %, sans décès, et la proportion
de personnes infectées sans symptômes pendant la période d’étude est d’au moins 17 %. Cette étude
qui montre aussi que les sujets fumeurs semblent moins infectés par le virus : 7,2 % des fumeurs de
l’étude sont infectés, contre 28 % des non-fumeurs3.
L’étude de Crépy-en-Valois pose bien la question des risques que l’on va prendre. Nous y revien-
drons en détail la semaine prochaine, à propos du déconfinement dans les transports, les usines, les
magasins et, comme on s’en doute, les écoles.
Nous reviendrons également la semaine prochaine sur les positions syndicales et associatives, mais
disons tout de suite que sur ce dernier point : « Blanquer confiance », c’est une nouvelle fois raté.
À signaler de surcroît pour tout arranger que, selon un article récent de Nature Medecine, Covid-19
pourrait être plus contagieux encore en période asymptomatique post-infection !
D’autant que le cafouillage continue au niveau des masques (de leur prix, de leur distribution payante
et non de leur gratuité !), et que d’autres anomalies pour le moins ahurissantes se dévoilent. Comme ces
8 500 respirateurs T 60 destinés au transport se révélant inadaptés à la réanimation… « L’heure n’est
pas à la polémique », selon le ministre de la santé… Mais quand même. Interrogé par Le Quotidien du
médecin, le Pr Jean-Michel Constantin, secrétaire général adjoint de la Société française d’anesthé-
sie et de réanimation (SFAR), confirme les informations des enquêteurs. Selon lui, les respirateurs
Osiris sont de « mauvais ventilateurs de transport pas adaptés » à la prise en charge des patients
atteints du Covid-19 et dangereux pour les soignants. Le gouvernement aurait contacté la SFAR
« mi-mars » pour lui demander de valider la commande, relate-t-il. « Le ministère nous a dit : “C’est
ça ou rien !” », raconte le Pr Jean-Michel Constantin. Sous pression, à un moment où « il aurait été

3. Autre étude, bien involontaire, en milieu « de travail » celle-là… les centaines de marins contaminés du Charles-de-Gaulle…

75 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


déraisonnable d’estimer le nombre de patients en réanimation que nous allions avoir », la SFAR a
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

fini par accepter la proposition. « On a finalement signé la demande à la condition que les ventila-
teurs soient utilisés en dernier recours et sous certaines conditions », explique l’anesthésiste-réanima-
teur. Depuis, la SFAR a publié un certain nombre de recommandations d’utilisation des respirateurs
Osiris à destination des soignants.
Tout cela tombant alors que les vaccins n’en sont, au mieux, qu’en phase 1 (essai d’innocuité)
et que nous n’avons aucun traitement confirmé. Pour ne pas être accusé de servilité macronienne,
je poste ici d’abord les recommandations du panel d’experts du NIH américain. On notera qu’il
dézingue aussi pas mal de médicaments « Big Pharma ». (On m’a accusé d’être vendu : j’ai, par
exemple, eu droit à ce post : « Mais bon, on est en droit de s’interroger sur qui a financé votre
longue et belle carrière ? », ce qui insinue que j’ai été – grassement – payé par le privé pour en
arriver à être, par exemple, dans ma carrière active membre du conseil de l’International Union
of Immunological Societies. Or, je suis, ou plutôt j’étais  –  étant à présent émérite  –  fonctionnaire
CNRS et n’ai jamais touché de fonds du privé, ni pour moi ni pour ma recherche.)
OPTIONS THÉRAPEUTIQUES POUR COVID-19 ACTUELLEMENT À L’ÉTUDE
À l’heure actuelle, aucun médicament ne s’est avéré sûr et efficace et aucun n’a été approuvé par
la Food and Drug Administration (FDA). Bien que des rapports, parus dans la littérature médicale et
dans la presse profane, fassent état de traitements efficaces avec divers agents, des données d’essais
cliniques définitives sont nécessaires pour identifier les traitements optimaux pour cette maladie. La
prise en charge clinique recommandée pour les patients atteints de Covid-19 comprend des mesures
de prévention et de contrôle de l’infection et des soins de soutien, y compris l’apport d’oxygène
supplémentaire et l’assistance respiratoire mécanique lorsque cela est indiqué. Comme pour la ges-
tion de toute maladie, les décisions relatives au traitement incombent en dernier ressort au patient
et à son fournisseur de soins de santé.
Les données cliniques sont insuffisantes pour recommander ou non l’utilisation de la chloroquine
ou de l’hydroxychloroquine pour le traitement de Covid-19. Si la chloroquine ou l’hydroxychloro-
quine est utilisée, les cliniciens doivent surveiller le patient pour détecter les effets indésirables, en
particulier l’allongement de l’intervalle QT4.
Il n’existe pas non plus suffisamment de données cliniques pour recommander ou non l’utilisation
de l’antiviral expérimental, le remdesivir. Celui-ci fait actuellement l’objet d’essais cliniques et est
également disponible par le biais d’un accès élargi et de mécanismes d’utilisation compassionnelle
pour certaines populations de patients.
Sauf dans le cadre d’un essai clinique, le groupe d’experts sur les directives de traitement de Covid-
19 recommande de ne pas utiliser les médicaments suivants : la combinaison d’hydroxychloroquine
et d’azithromycine (risque de toxicité), le lopinavir/ritonavir et les autres inhibiteurs de la protéase
du VIH (pharmacodynamique défavorable et essais cliniques négatifs), les modificateurs de l’hôte,
la thérapie immunitaire (données cliniques insuffisantes pour recommander ou non l’utilisation de
plasma de convalescence ou d’immunoglobuline hyper-immune), inhibiteurs de l’interleukine-6 et
1 (données cliniques insuffisantes). Enfin, sauf toujours dans le cadre d’un essai clinique, le groupe
d’experts recommande de ne pas utiliser les immunomodulateurs, tels que les interférons, en raison
de leur manque d’efficacité dans le traitement du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) et du
syndrome respiratoire du Moyen-Orient (SRM) et de leur toxicité.

4. L’intervalle QT sur l’électrocadiogramme correspond à la durée électrique de la contraction du cœur. Son allongement traduit un
trouble du calcium circulant pouvant être en rapport avec la prise d’un médicament et entrainer une fibrillation venticulaire mettant en
jeu le pronostic vital.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 76


POUR LA SUITE, OPINION PERSONNELLE QUI N’ENGAGE QUE MOI

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


a) Il existe une série de données mélangeant études sur hydroxychloroquine seule, hydroxychlo-
roquine + azythromycine, à des stades divers y compris précoces qui ne montrent aucun effet sur la
mortalité finale, sinon au contraire une aggravation, qui dans le cas extrême (Brésil) a conduit a un
arrêt d’urgence.
b) Chaque étude a sa faiblesse (en attendant celle de Détroit soumise au New England Journal of
Medicine), mais hormis celle faite en Chine, sur laquelle s’appuyait Didier Raoult au départ, elles
vont toutes dans le même sens. Hydroxychloroquine seule ou hydroxychloroquine plus azytromy-
cine n’ont pas d’effet significatif sur la maladie, voire augmentent les complications, essentiellement
mais non exclusivement cardiaques.
c) Les hôpitaux suédois ayant arrêté hydroxychloroquine seule ou hydroxychloroquine plus
azytromycine en raison de ces complications ne manifestent pas d’intention de revenir sur cette
décision. Au contraire, car ils ont une amélioration de leurs statistiques de succès.
d) En l’absence de « bras contrôle » – c’est-à-dire un groupe sans hydroxychloroquine seule ou
hydroxychloroquine plus azytromycine, et de randomisation de l’étude de Raoult, on ne peut que
constater qu’il teste tout le monde puis traite tous les positifs précoces. Le contrôle en l’absence
de « bras contrôle » de l’étude auquel on peut se référer devient donc de facto le taux de mortalité
spontané (en l’absence de tout traitement) mondial. Je cite Axel Kahn pour « la seconde étude sans
groupe témoin », elle « porte sur 80 personnes recevant 600 mg d’hydroxychloroquine et de l’AZT.
Onze développent une forme sévère, trois vont en réanimation, une meurt. Ce sont là à peu près
les statistiques mondiales ». Autrement dit, le traitement Raoult produit le même résultat que l’évo-
lution spontanée.
e) Très récemment, une petite ville d’Allemagne, Gangelt, a été testée sur une large partie de sa
population et les positifs systématiquement suivis : le taux de mortalité de l’étude est de 0,37 % à
comparer aux 0,4 % de Raoult.
Autrement dit, on n’a pas de drogue miracle, big pharma ou pas (pas plus que de vaccin).
Voilà. Croyez bien que ça ne me plaît guère que scthroumpfonavir ou machinchloro, on n’ait pas
de traitement autre que symptomatique…

77 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


ÉPHÉMÉRIDE
ÉDITION DU 4 MAI
27 AVRIL

ÉDITION DU 4 MAI 2020


Grande-Bretagne. Cette journée est régulièrement marquée par des événements publics organisés par les
syndicats, souvent sous forme de commémorations des victimes du travail. D’ailleurs elle est plus connue
sous le nom de Workers’ Memorial Day. Cette année on pense aux salarié·es victimes du coronavirus (il y
a eu presque 30 décès d’employé·es des transports londoniens, par exemple). Les syndicats appellent à une
minute de silence à 11 heures, et certains syndicalistes s’organisent pour la prolonger par des arrêts de travail
(https://www.journee-mondiale.com/145/journee-mondiale-sur-la-securite-et-la-sante-au-travail.htm).
Canada. La Fédération des travailleurs et travailleuses du Nouveau-Brunswick (FTTNB) organisera un
événement en direct sur Facebook le mardi 28 avril à midi en vue de se souvenir des travailleur·euses qui
ont perdu la vie ou se sont blessés au travail. Cette année, la cérémonie visera également à assurer que les
travailleurs·euses de première ligne aient accès à ce qu’ils et elles ont besoin pour rester en sécurité au tra-
vail. Les participants peuvent accéder à l’événement en direct à partir de la page Facebook de la FTTNB :
NewBrunswickFederationOfLabour.
Liban. À Tripoli, ville la plus pauvre du pays, des centaines de manifestants ont bravé lundi soir le confine-
ment pour exprimer leurs inquiétudes face à l’inflation galopante. Face à eux, l’armée a tenté de les repous-
ser alors qu’ils s’avançaient vers le domicile d’un parlementaire auquel ils s’opposent. Bilan de la soirée : un
mort et une vingtaine de blessés.
Pakistan. La Fédération nationale des syndicats (NTUF) et la Fédération des travailleuses à domicile ont
distribué samedi des rations aux ouvriers confrontés à des difficultés financières en raison du confinement
imposé par le gouvernement, pour contenir l’avancement de la pandémie. Selon Nasir Mansoor du NTUF, la
ration a été distribuée à 350 familles nécessiteuses de différentes régions, notamment Ayesha Manzil, Orangi,
Baldia Town, Yousaf Goth, Lasi Goth et New Karachi.
Italie. Dans le Centre permanent pour les rapatriements, au moins cinq personnes ont été testées positives
au virus. Les sans-papiers détenus dans ce « centre » ont organisé une protestation pour demander leur libé-
ration immédiate. Une répression violente s’en est suivie.
États-Unis. N’ayant pas obtenu l’installation par la direction d’écrans en Plexiglas pour les guichets (accueil,
caisses…), les syndicats des trois CHU de Washington ont décidé de fabriquer leurs propres écrans et de les
installer eux-mêmes : « On est allé acheter du Plexiglas et du PVC, on a fabriqué les écrans, on les installés
et on a montré l’incurie des employeurs », explique Leanne Kunze.
Afrique du Sud. Des syndicats représentant les agents de santé demandent que leurs membres employés
dans les secteurs privé et public bénéficient d’exonérations fiscales. Le Health and Other Services Personnel
Trade Union of South Africa (Hospersa) s’est dit préoccupé par l’augmentation du nombre d’agents de santé
infectés (328). Le secrétaire général de l’Hospersa, Noel Desfontaines, a déclaré que le nombre croissant de
cas positifs parmi les agents de santé justifie leur demande d’exonération fiscale pour toutes les catégories
d’agents de santé. Il a fait valoir que les agents de santé mettaient leur vie en danger quotidiennement, tra-
vaillant dans des établissements manquant de ressources et de personnel.
Italie. Les chauffeurs de bus de l’entreprise publique ATC de Capri ont décidé d’arrêter de venir au bou-
lot. Ce n’est pas seulement l’absence de mesures sanitaires sérieuses qui rebutent les travailleurs mais aussi
qu’aucun salaire ne leur ait été versé depuis deux mois.
Jamaïque. Le Syndicat jamaïcain des travailleurs domestiques (JHWU) appelle à l’aide. Nombre de leurs
6 200 membres ont été licenciés sans salaire à cause du coronavirus. Ils et elles ne sont plus les bienvenus
chez leurs anciens employeurs qui ne veulent pas prendre le risque d’attraper le virus. Certains d’entre eux
sont sans emploi depuis plus de six semaines ! Le syndicat a lancé une campagne de collecte de fonds sur le
site Internet (www.mightycause.com/story/Jhwu-Help-Fund).
Afrique du Sud. « Les cadavres ne peuvent ni être enseignés ni enseigner. » C’est la position du Syndicat des
enseignants démocratiques de l’Afrique du Sud (SADTU) en prévision de la réouverture des écoles. « La
priorité absolue est la sécurité de tous nos établissements d’enseignement parce que nous ne pouvons pas

81 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


nous permettre de perdre des vies », a déclaré son secrétariat, soulignant que toutes les précautions sanitaires
ÉDITION DU 4 MAI 2020

nécessaires doivent être prises au sérieux pour « éviter que les écoles et les collèges ne soient de nouveaux
épicentres du virus ». « Il ne peut y avoir d’hygiène des mains sans approvisionnement continu en eau [ce] qui
signifie la livraison de camions-citernes où cela est nécessaire. […] Toutes les salles de classe et les ateliers
doivent être équipés de désinfectants pour être utilisés à l’entrée et à la sortie », a ajouté le syndicat.
Mali. Pour non-respect des engagements pris par le gouvernement, le personnel de santé de Bamako et
de Kati projette une grève de 192 heures. Selon les responsables syndicaux, c’est à l’issue des assemblées
générales des travailleurs convoquées à cet effet dans les différentes structures courant mars et avril 2020
que les militants ont exigé la satisfaction de leurs revendications. Les syndicats demandent, entre autres, le
paiement intégral de leurs arriérés de salaire, la prise en charge gratuite des soins médicaux du personnel
socio-sanitaire ; l’amélioration des conditions de travail dans les CHU et les hôpitaux concernés à travers le
recrutement du personnel qualifié ; l’amélioration et l’adaptation des plateaux techniques en tant compte de
nouveaux défis sanitaires ainsi que l’octroi et l’augmentation substantielle de primes de fonction spéciales,
de primes de garde, etc.
Russie. Les vakhtoviki (travailleurs « saisonniers ») qui sont bloqués sur un gisement de gaz au fin fond de
la Iakoutie se sont rebellés. Aucune mesure sanitaire n’avait été prise sur leur lieu d’habitation (des foyers
de travailleurs) et de travail. Il y aurait des dizaines de cas sur 10 500 salariés. L’employeur est le « modeste »
géant gazier Gazprom, il n’a sans doute pas les moyens d’acheter masques et gants…

Pakistan. Des dizaines de médecins et personnels soignants sont en grève de la faim depuis dix jours à
Lahore pour protester contre le manque de matériel de protection contre le nouveau coronavirus. « Nous
n’avons pas l’intention de nous arrêter tant que le gouvernement ne nous entendra pas », a expliqué le Dr
Salman Haseeb, qui a cessé de s’alimenter depuis le 16 avril. « Nous sommes aux avant-postes face au virus.
Et si nous ne sommes pas protégés, alors toute la population est en danger », a ajouté ce dirigeant de la
Grande alliance pour la santé, le syndicat médical à l’origine du mouvement. D’après cette organisation,
une trentaine de personnes sont actuellement en grève de la faim dans les locaux de la direction de la santé
de la province du Pendjab. Jusqu’à 200 manifestants se relaient tous les jours pour soutenir les grévistes.
Le Pendjab, dont Lahore est la capitale, est la province la plus peuplée du pays, avec plus de 100 millions
d’habitants.
Grande-Bretagne. Des ingénieurs des télécommunications ont déclaré qu’ils étaient menacés et harcelés
par des gens qui pensent que le Covid-19 est lié à la 5G. Certains ont même subi des agressions selon
leurs syndicats. « Nous avons en fait eu des cas où des gens ont été menacés d’être poignardés, menacés de
violence physique et, dans certains cas, menacés de mort », explique Andy Kerr, secrétaire général adjoint
du Communication Workers Union (CWU), le principal syndicat au Royaume-Uni dans le domaine des
télécommunications.
France. La porte-parole de la CGT de l’hôpital de Lézignan-Corbières, Magali Astruc, ne décolère pas.
« C’est une catastrophe ! L’Agence régionale de santé (ARS) refuse de nous considérer comme un centre
Covid et on se bat pour obtenir du matériel. Le personnel n’en peut plus et est en sous-effectif, car on ne
trouve personne pour remplacer les agents confinés. C’est la Berezina à l’Ehpad et au long séjour. […] Nous
avons quinze cas de virus chez le personnel, dont un agent en réanimation, avec le refus de la direction d’une
reconnaissance en maladie professionnelle. Nous, on soigne les malades du Covid, mais on n’a droit à rien !
Nous allons interpeller l’Agence régionale de santé pour être équipés comme un centre Covid. Concernant
les dotations d’État, les blouses ressemblent à des sacs-poubelles dans lesquels il faut faire des trous pour
passer les bras et agrafer des manchons… Et c’est le sauna là-dedans ! »
France. Une assemblée générale tenue physiquement à Montreuil le samedi 25 avril après-midi a décidé
d’appeler à manifester dans les rues de la ville le 1er Mai. Nous reproduisons son appel adopté à l’unanimité :
« Nous, habitant·es de Montreuil, réuni·es à plus de 50 le 25 avril, décidons de nous rassembler et de mani-
fester le 1er Mai, pour dénoncer la gestion catastrophique de la crise sanitaire et sociale par le gouvernement
Macron et plus globalement sa politique au service des patrons. Nous serons dans les rues pour défendre
la Sécu, parce que l’éducation nationale ne doit pas être la garderie du Medef, pour défendre les droits des

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 82


travailleuses et des travailleurs, avec ou sans papiers, avec ou sans emploi, pour cette journée internationale

ÉDITION DU 4 MAI 2020


de lutte. Nous manifesterons en respectant les distances de sécurité et en étant masqué·es. Nous appelons
l’ensemble du mouvement social de tout le pays à en faire de même partout où c’est possible. »
France. Déclaration des élu·es École émancipée au bureau de la FSU : « L’intersyndicale qui a mené la
lutte contre la réforme des retraites est […] le cadre pertinent de la réponse syndicale à la situation faite
aux travailleuses et travailleurs. […] L’élaboration d’une parole experte sur la santé au travail, sur les sec-
teurs essentiels, sur la réorientation industrielle, les relocalisations ainsi que les mécanismes de redistribution
des richesses et de soutien à toutes et tous doit y être menée. L’appel des 18 « Plus jamais ça : construisons
ensemble le jour d’après » ouvre un nouvel espace où peuvent être traitées de façon unitaire les probléma-
tiques sociales et écologiques, qui pourrait se traduire par la constitution de groupes locaux. […] L’ampleur
de la déflagration ouvre la voie à des agrégations nouvelles, entre syndicalisme, mouvements écologistes,
mouvements de solidarité, mouvements féministes, antiracistes, politiques, mais aussi collectifs locaux de
citoyens, de Gilets jaunes… L’idée d’États généraux de la vie avec le virus et du monde d’après, appuyée sur
une démarche citoyenne « en bas » peut être une idée partagée. À nous d’être attentifs aux surgissements de
ces possibles, de les cultiver, de les initier, pour que les plus riches ne soient pas encore les ordonnateurs du
monde d’après. »
Catalogne. Quand la solidarité remplace l’État : plus de 5 500 personnes de l’aire métropolitaine de
Barcelone ne se nourrissent désormais que grâce à la solidarité de leurs voisins. Depuis le début du confine-
ment, des dizaines de réseaux se sont organisées dans des quartiers de Barcelone et les communes alentour,
souvent à partir de collectifs d’habitants, avec la participation du Syndicat des vendeurs ambulants et d’as-
sociations de migrants. Ils ont publié un appel, « Les Jeux de la faim 2020 » (allusion au film Hunger Games),
où ils dénoncent la situation de ces zones déshéritées. « Nous sommes passés de l’approvisionnement de
2 500 personnes à 5 500 », explique un des animateurs. Même si des mairies assurent des distributions (la
mairie de Barcelone affirme qu’elle a multiplié par trois le nombre de repas quotidiens), cela ne suffit plus.
Les services sociaux ne répondent pas. Et les bénévoles de ces collectifs sont souvent verbalisés pour avoir
violé le confinement.
Barcelone : distribution de produits alimentaires.

28 AVRIL
Afrique du Sud. Le ministre de l’éducation, Angie Motshekga, devait informer lundi les médias de la date
de réouverture des écoles et des mesures à prendre pour empêcher la propagation du coronavirus parmi
les apprenants, mais la réunion a été reportée indéfiniment. Dans une déclaration publiée cette semaine
par le Syndicat des enseignants démocratiques (SADTU), des inquiétudes ont été exprimées concernant la
sécurité des enseignants, du personnel et des apprenants. « Surtout, nous sommes préoccupés par l’état de
préparation en ce qui concerne la disponibilité des éléments essentiels de santé et de sécurité qui doivent
être mis en place dans les établissements d’enseignement au moins deux semaines avant que toute activité
puisse avoir lieu », a déclaré le secrétaire général du SADTU, Mugwena Maluleke. Les écoles sont fermées
depuis le 18 mars.

83 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


Bangladesh. Le Fonds humanitaire des Métallos canadiens offre 50 000 dollars au Centre de solidarité
ÉDITION DU 4 MAI 2020

des travailleuses et travailleurs du Bangladesh comme fonds d’assistance aux travailleuses et travailleurs de
l’industrie textile qui ont perdu leur emploi dans le contexte de la pandémie de Covid-19. « Alors qu’elles
reçoivent depuis des années des salaires de misère, les femmes qui fabriquent nos vêtements n’ont aucune
épargne financière où puiser. Sans travail ou revenu, elles risquent maintenant de sombrer dans la pauvreté
extrême », a déclaré Ken Neumann, responsable canadien du Syndicat des Métallos et président du Fonds
humanitaire des Métallos.
Martinique. En pleine pandémie, les usager·es qui sont privé·es régulièrement d’eau potable, n’en peuvent
plus. Stéphane, usager, lance un appel aux usager·es victimes des coupures d’eau et appelle à un blocage
d’Odyssi ce mercredi 29 avril 2020. « Plusieurs quartiers sont privés d’eau depuis une semaine, pour beau-
coup d’entre eux. Le Lamentin, et surtout Acajou, en fait partie. Que fait Odyssi ? Silence radio… Ainsi, ils
ne sont pas, et ne seront pas en mesure de rétablir l’eau de façon durable dans les quartiers privés d’eau,
rapidement. Dans ces conditions, que doivent faire les usagers ? Rester passifs ? Attendre comme des mou-
tons ? Continuer à vivre dans ces conditions sanitaires inacceptables ? Non !!! Habitants de Morne-Pavillon,
de Basse-Gondeau, de Long-Pré, de Californie, d’Acajou, d’AcajouProlongé, etc., descendons massivement
manifester devant le siège d’Odyssi, à la zone franche de Dillon, et exigeons des comptes. »
Philippines. Un syndicat des travailleurs des centres d’appels aux Philippines affirme que les salariés
­ orment dans leur bureau dans des conditions potentiellement dangereuses en raison du risque de corona-
d
virus. Des photos montrent des travailleurs philippins de l’entreprise Cebu dormant ensemble sur des mate-
las à l’étage du bureau où ils ont été engagés pour travailler pour Amazon. Mylene Cabalona, présidente du
syndicat local BPO Industry Employees Network, a déclaré avoir également reçu une plainte concernant un
bureau Teleperformance à Manille où le service client est effectué pour Telstra, car les travailleurs dormaient
dans une salle de formation.
Italie. Une étude de l’Institut supérieur de la santé révèle que sur le nombre total de contaminés dans le
pays depuis le début de l’épidémie environ 15 à 20 % sont des personnels soignants. À la date du 24 avril,
au moins 150 d’entre elles et d’entre eux avaient perdu la vie.
États-Unis. Cinquante employés d’Amazon dans un centre de distribution de Shakopee (Minnesota) ont
déclenché dimanche matin une grève spontanée suite au licenciement d’une travailleuse, Faiza Osman, qui
était restée à la maison pour protéger ses deux enfants du coronavirus. Le débrayage de Shakopee fait suite à
des grèves dans les installations d’Amazon à Staten Island, Chicago et Detroit. Les travailleurs de Shakopee
ont déclaré qu’Amazon avait accepté de reprendre la licenciée et de lui permettre de retourner au travail
plus tard cette semaine.
Turquie. Selon le syndicat des travailleurs de la construction, Dev, plus de 15 000 travailleurs de la construc-
tion à Istanbul ont été licenciés alors qu’ils travaillaient sur de grands projets, la plupart sans recevoir de
compensation, les sites ayant commencé à interrompre leurs activités ou à réduire leurs effectifs. Le syndicat
estime qu’environ 295 000 personnes sont employées dans la construction à Istanbul, et plus d’un million
dans tout le pays. Il affirme que ceux qui restent employés se sont vus offrir peu de protections contre les
coronavirus dans une profession déjà dangereuse où il est difficile d’imposer une distanciation sociale.
États-Unis. La Ontario Federation of Labour (OFL) et Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé
représentant 315 000 membres mettent en garde le cadre de relance économique du gouvernement de l’État
sur son manque de consultation avec les membres des syndicats, ce qui se traduit par un plan qui ne prend
pas en compte la sécurité des travailleurs pendant la pandémie de Covid-19. « Les décisions liées à la reprise
économique et à un retour au travail en toute sécurité en Ontario doivent être prises en consultation avec
les travailleurs », a déclaré Patty Coates, présidente de l’OFL, dans un communiqué.
Organisation internationale du travail. Dans un communiqué, l’OIT alerte sur le danger d’une nouvelle
vague de propagation du virus, à défaut de protection suffisante des travailleuses et des travailleurs. « Il faut
protéger les travailleurs dès maintenant et après l’assouplissement du confinement. » L’OIT met en garde
contre la possibilité d’une deuxième vague de propagation du virus si les mesures de protection suffisantes
ne sont pas prises pour le personnel qui reprend le travail. Ainsi, les mesures de contrôle des risques doivent

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 84


être adaptées de manière spécifique aux besoins des travailleurs qui se trouvent en première ligne de la

ÉDITION DU 4 MAI 2020


pandémie. Cela concerne notamment les personnels de santé, les infirmières, les médecins, les employés
des services d’urgence ainsi que ceux des commerces alimentaires et des services de nettoyage. Par ailleurs,
l’OIT souligne également les besoins des travailleurs et des commerces les plus vulnérables  –  notamment
ceux de l’économie informelle – ainsi que des travailleurs migrants et des travailleurs domestiques. Les
mesures spécifiques pour ces personnes comprennent, notamment, l’éducation et la formation à des pra-
tiques respectant la sécurité et la santé au travail, la mise à disposition gratuite d’équipements de protection
individuelle (EPI) quand cela est nécessaire, l’accès aux services de santé publique ainsi qu’à des moyens
de subsistance alternatifs. Le directeur général de l’OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, explique
que « la pandémie de Covid-19 a mis en évidence le besoin urgent de programmes conséquents au niveau
national afin de protéger la sécurité et la santé de l’ensemble des personnels de santé, du corps médical, des
intervenants des services d’urgence et de beaucoup d’autres travailleurs qui risquent leurs vies pour nous » ;
il ajoute : « J’appelle l’ensemble des pays à assurer à l’ensemble des personnels de santé des conditions de
travail bien définies, décentes et sûres. » Voir le communiqué : www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/
news/WCMS_742910/lang--fr/index.htm.
Catalogne. La CGT de Catalogne a présenté une plainte auprès de l’inspection du travail contre les mises
au chômage technique (ERTO en Catalogne) de permanents du syndicat UGT de la région. Selon la CGT,
l’UGT fait porter à la collectivité, sous prétexte de crise du Covid-19, le coût des salaires de certains de ses
permanents, alors que la centrale réformiste prétend qu’elle n’a pas perdu d’adhérents (et donc pas de coti-
sations). Ce alors que le Parlement de Catalogne vient de voter une dotation extraordinaire pour les CCOO
et l’UGT (6,1 millions d’euros) pour faciliter la « concertation sociale ». Selon la CGT, l’UGT, si prompte à
signer des ERTO sans contrôle dans les entreprises, veut aussi « gagner de l’argent en prétendant que certains
de ses salariés ne seraient pas présents au travail ». Le ministère catalan du travail étant entre les mains d’un
ancien cadre de l’UGT, Chakir el Homrani, on doute que cette plainte aboutisse…
Italie. À Bologne, alors qu’approche le moment de payer les loyers, c’est un bâtiment entier qui a décidé de
faire bloc en entamant une grève des loyers. La cinquantaine de personnes vivant dans l’immeuble a envoyé
une lettre collective à leur propriétaire annonçant leur intention. « Au début de l’épidémie on a vite compris
qu’il n’y aurait aucun retour à la normalité », dit l’un d’eux. « Le travail disparaît mais pas notre droit à une
maison », conclut une autre.

29 AVRIL
États-Unis. Un syndicat qui représente plus de 4 000 infirmières du Wexner Medical Center de l’État de
l’Ohio a déclaré que des milliers de travailleurs avaient été exposés à un risque de coronavirus, dans une
plainte déposée auprès de la Occupational Safety and Health Administration et de l’Ohio Division of Safety
and Hygiene déposée mardi. La plainte détaille 14 cas dans lesquels elle affirme que les travailleurs n’ont pas
reçu de formation ou de protection appropriée. Les zones touchées du centre médical comprennent l’unité
des services correctionnels, le quatrième étage du centre de réadaptation Dodd qui a entraîné la mise en
quarantaine des infirmières, une unité au cinquième étage de l’hôpital Ross Heart qui a fermé ses portes
afin de mettre le personnel en quarantaine, ainsi que l’unité d’accouchement qui avait au moins 12 membres
testés positifs au Covid-19, explique la plainte.
Kenya. La grève imminente de professionnels de la santé, qui demandent de meilleures conditions de
travail, pourrait paralyser les opérations dans les hôpitaux et les centres de quarantaine à un moment où le
pays est aux prises avec la pandémie. Les infirmières, les cliniciens, et d’autres catégories de personnel de
santé demandent au gouvernement et aux comtés d’améliorer leur sécurité. La Kenya Health Professionals
Society (KHPS), devrait émettre un préavis de grève demain en dernier recours. Hier, des représentants des
travailleurs ont accusé le gouvernement de prendre leur sécurité avec désinvolture. Une dizaine d’agents de
santé ont contracté le virus et quatre luttent encore pour leur vie.
France. Le syndicat SUD-Santé du CHU de Rennes déclare avoir installé lui-même des vitres en plexiglas
pour protéger les personnels de l’hôpital de la contamination au coronavirus. « Suite aux refus répétés de la

85 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


direction » d’installer ces panneaux, le syndicat Sud Santé déclare avoir déposé une déclaration de danger
ÉDITION DU 4 MAI 2020

grave et imminent le 15 avril.


États-Unis. Les travailleuses des maisons de soins infirmiers du centre de réadaptation et de soins de santé
Alden Debes de Rockford prévoient de faire grève à l’échelle de l’État le 8 mai. Elles affirment que les pro-
priétaires « ont refusé de fournir un équipement de protection individuelle (EPI), des protocoles de sécurité
améliorés, une prime de risque appropriée et une compensation de base ». La grève, prévue pour le 8 mai,
aura un impact sur 40 maisons de soins infirmiers de l’Illinois. Le SEIU Healthcare, le syndicat de travailleurs
des soins de santé et des maisons de soins infirmiers, à l’origine de cet appel à la grève, exige en outre un
contrat d’un an qui fixe un salaire minimum de 15 dollars pour toutes les salariées.
France. À Bouc-Bel-Air, un salarié du groupe de sécurité Seris vient d’être exclu du site Amazon après
avoir fait valoir son droit de retrait face au risque de contagion par le Covid-19. Une décision dénoncée
par la CGT du groupe qui met en avant les dernières décisions de justice prises à l’encontre du géant de
vente en ligne. L’agent de sécurité embauché en CDI et par ailleurs délégué du personnel CGT a appris
son éviction par un simple mail de son employeur reçu ce samedi, courriel dans lequel Seris évoque une
décision prise par la direction d’Amazon. La CGT du groupe Seris réclame une intervention de l’inspec-
tion du travail. Par ailleurs le syndicat exige a minima la mise en conformité sanitaire du site, sinon l’arrêt
­complet de son activité « pour mettre en sécurité les salariés Seris et plus généralement tous les salariés mis
en danger par Amazon ».
Italie. Le sous-traitant en charge du nettoyage des bus publics de Naples, dont le contrat expirait le
30 avril, s’en est allé avec tout le matériel de nettoyage et les protections individuelles. Si la désinfection a
pu continuer de manière précaire grâce au sens de la responsabilité des travailleurs sous-traitants et du maté-
riel fourni par l’entreprise de transport, la solution n’est pas viable. Les salariés de l’entreprise de transport
demandent à la mairie de prendre elle aussi ses responsabilités au risque de voir les bus arrêter de circuler
dans la ville.
Équateur. Les dirigeants des principales centrales syndicales FUT (Front unitaire des travailleurs), UGTE
(Union générale des travailleurs équatoriens), UNE (Union nationale des personnels de l’éducation) et de
la Conaie (Confédération des nationalités indigènes d’Équateur) ont tenu une conférence de presse virtuelle
pour appeler à l’action le 1er Mai. « C’est un 1er Mai extraordinaire où les travailleurs du monde ne pourront
pas crier “à bas l’exploitation”, “vivent les travailleurs” de vive voix dans les rues et les places […] mais cela
ne signifie pas que nous allons nous taire. » Les organisations appellent à faire une démonstration massive de
l’unité des travailleurs et des organisations sociales « pour exiger de la nourriture et des soins pour le peuple ».
Une forte critique des réformes du droit travail introduites dans la Ley humanitaria (équivalent de l’état
d’urgence sanitaire) et une opposition totale au chantage de l’oligarchie et du néolibéralisme s’exprimeront.
Il y aura aux fenêtres les drapeaux rouges de la classe ouvrière et les drapeaux équatoriens, tous avec des
rubans noirs de deuil en l’honneur des travailleuses et travailleurs de première ligne qui ont péri en combat-
tant le Covid-19. Les quatre organisations soulignent que le pays n’est pas préparé à lever le confinement.
La Conaie  –  qui réclame la prolongation du confinement dans les territoires indigènes  –  a précisé que le
1er Mai il y aura des casserolades : « Nous ne serons pas indisciplinés, nous ne sortirons pas dans les rues, nous
le ferons dans nos territoires, dans la forêt », a précisé Vargas, de la Conaie.
France. La CGT de l’usine Punch Powerglide de Strasbourg (Alsace), qui construit des boîtes de vitesses
et des composants automobiles, dénonce le chantage à la flexibilité auquel se livre la direction. Celle-ci
promettait un maintien à 100 % des salaires des ouvriers en chômage partiel (comme elle le fait pour les
cadres), contre la signature par les syndicats d’un accord flexibilité, que la CGT refuse depuis sa présentation.
La direction tente d’imposer des périodes de travail pouvant aller jusqu’à six jours sur sept sur plusieurs
semaines consécutives ainsi que l’individualisation du travail. Les heures sup’ seraient dès lors seulement
majorées de 10 %, et ne seraient payées qu’en fin d’année. Un marché de dupes.
Panama. Confinés depuis plus de quarante jours, les Panaméens ont pris les rues dans plusieurs villes du
pays pour manifester mardi 28 avril. N’ayant plus de revenus à cause de l‘épidémie et des nombreux secteurs

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 86


à l’arrêt, dont tous les petits boulots de rue, ils demandent au gouvernement d’augmenter les aides alimen-

ÉDITION DU 4 MAI 2020


taires sous forme de bons d’alimentation, de paniers de nourriture et d’eau potable.
Organisation internationale du travail. « Au fur et à mesure de l’évolution de la pandémie et de la crise de
l’emploi, le besoin de protéger les plus vulnérables devient de plus en plus pressant », affirme Guy Ryder,
Directeur général de l’OIT. « Pour des millions de travailleurs, l’absence de revenus signifie plus rien à man-
ger, et l’absence totale de sécurité et d’avenir. Des millions d’entreprises à travers le monde ont du mal à
tenir la tête hors de l’eau. Elles n’ont pas d’épargne ou pas d’accès au crédit. Voilà pourtant le vrai visage
du monde du travail. Si nous ne leur venons pas en aide dès à présent, elles vont disparaître, tout simple-
ment. » Au niveau mondial, plus de 436 millions d’entreprises font face à des risques élevés, elles exercent
leur activité dans les secteurs économiques les plus touchés, 232 millions d’entre elles dans la vente en gros
et au détail, 111 millions dans l’industrie, 51 millions dans l’hôtellerie et la restauration, et 42 millions dans
l’immobilier et d’autres activités commerciales. Près de 1,6 milliard de travailleurs de l’économie informelle
ont subi une réduction sévère de leurs capacités à gagner leur vie, sur un total mondial de 2 milliards et
une main-d’œuvre mondiale de 3,3 milliards. Sans sources de revenus alternatives, ces travailleurs et leurs
familles n’auront plus de moyens de subsistance. Ainsi près de la moitié de la main-d’œuvre mondiale doit
désormais faire face au danger immédiat de voir ses moyens de subsistance anéantis. La situation a empiré au
niveau régional. Dans les Amériques, l’estimation s’établit à 12,4 pour cent de perte d’heures travaillées au 2e
trimestre, elle est de 11,8 pour cent pour l’Europe et l’Asie centrale. Les estimations pour les autres régions
du monde sont assez proches, toutes étant supérieures à 9,5 pour cent. Lien vers l’étude de l’OIT détaillée :
www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---dgreports/---dcomm/documents/briefingnote/wcms_743155.pdf.
État espagnol. Dans les Asturies, la solidarité ouvrière est une tradition. Le secrétaire national du syndicat
asturien Courant syndical de gauche (CSI), Nacho Fuster, mis au chômage par l’entreprise d’amortisseurs
Vauster, s’est organisé avec d’autres camarades, notamment des ouvrières du textile, pour fabriquer 500
masques par jour. Ce syndicat, né d’une scission des CCOO dans les années 1980, n’a pas de permanents :
tous ses responsables travaillent. L’administration autonome des Asturies ayant montré peu d’intérêt pour
leur production, les syndicalistes approvisionnent des travailleurs d’autres entreprises de la région de Gijón.
Ils ont également fait une donation de 25 000 euros, tirés de leurs cotisations, pour l’achat de protections
sanitaires pour les soigant·es.
États-Unis. La ville de Warwick licenciera jusqu’à 50 employés à la suite de discussions entre le maire
Joseph Solomon et la section locale 1 651 de l’Union. Compte tenu de la perte de revenus prévue due au
Covid-19, le maire Solomon a proposé à la section locale 1 651 de l’Union de renoncer à l’augmentation de
salaire prévue, affirmant que cela aiderait à éviter les licenciements. Le syndicat, selon la ville de Warwick,
a déclaré au maire Solomon qu’il préférait une mise à pied. Le maire Solomon a déclaré qu’il ne serait pas
juste de demander aux contribuables de payer la crise. Le syndicat est resté silencieux sur ces sujets.
État espagnol. Des vacataires de l’hôpital Severo Ochoa de Madrid ont organisé un rassemblement devant
le secrétariat de la région à la santé exigeant leur intégration et menaçant de ne plus signer de contrats
mois à mois. En effet, seulement 12 % des 802 médecins des urgences de la communauté de Madrid sont
en CDI. La majorité sont des femmes. Une des internes, Angeles Martín, a témoigné : six ans aux urgences
et 40 CDD enchaînés. Irene Cabrera, qui multiplie les CDD depuis trois ans, a été atteinte de Covid-19 et
ignore ce qu’elle deviendra en reprenant en mai. Elles ne signeront pas de contrat de moins de six mois :
« Nous ne sommes pas en renfort. Nous faisons partie des effectifs du service. » Malgré cela, elles ont assuré
le pic de l’épidémie en mars : « Il y a 800 lits dans cet hôpital, dont 80-90 aux urgences : je me suis occupée
de 350 malades à la fois, jusqu’à quatre fois nos capacités d’accueil. » Les 25 médecins en CDI de Severo
Ochoa les soutiennent.
Italie. Quand il s’agit de se débarrasser de celles et ceux qui travaillent, l’imagination du capital est
sans limite. À Modène, 70 salarié·es de la transformation bovine avaient été licenciés en 2017 suite à une
intense lutte de protestation contre leurs conditions de travail. La justice s’était saisie de l’affaire et devait
rendre un avis le 20 juin, mais entre-temps l’entreprise en difficulté a été rachetée par un fond vautour qui
vient de décider de licencier pour raison économique les 70 salarié·es pourtant déjà licencié·es. Absurde ?
« L’opération et la procédure sont correctes », répond l’organe de curatelle mandaté par le tribunal.

87 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


Grande-Bretagne. Les dernières semaines ont vu des débrayages sauvages de la part de postiers dans des
ÉDITION DU 4 MAI 2020

dépôts partout dans le pays, alors que la peur et la colère grandissent face à la dureté avec laquelle Royal
Mail gère la crise du coronavirus pour ses travailleurs. Cela fait suite à leur expérience d’un vote majoritaire
pour la grève au cours de la période récente, à la suite d’une série d’attaques contre l’emploi, les pensions
et les conditions de travail. Malgré l’obtention d’une majorité massive et d’un taux de participation élevé,
leur vote pour la grève organisé par le Communication Workers Union a été jugé illégal par la Haute Cour.
États-Unis. Les travailleur·euses d’une maison de soins infirmiers de Galesburg se joindront à leurs homo-
logues dans 39 autres établissements de l’État pour déclencher une grève d’une semaine à partir de vendredi.
Le syndicat SEIU Healthcare Illinois a déclaré dans un communiqué que les employés se réuniraient le
8 mai chez Aperion Care à Galesburg, ainsi que dans d’autres installations principalement dans la région de
Chicago, mais également dans d’autres quartiers du sud de l’État. Le syndicat affirme que les employés des
installations n’ont pas reçu d’équipement de protection individuelle amélioré, ni d’EPI, ni d’autres choses
comme des protocoles de sécurité avancés, une prime de risque ou la transparence concernant les cas de
Covid-19 dans les installations. Le syndicat réclame également un contrat d’un an dans chaque établissement
avec des augmentations de salaire les mettant à un salaire supérieur à 15 dollars de l’heure.
France. « Le télétravail a été une solution d’urgence et de facilité pour beaucoup d’employeurs, qui
a entraîné pour les salariés des difficultés particulières avec entre autres une coupure du lien social »,
­commence Olivier Masini, le secrétaire général de la CGT varoise, alors qu’une nouvelle audioconférence
vient de démarrer avec en ligne des télétravailleurs de circonstance. À l’appui, des témoignages de salarié·es.
Baudouin Guyon, cadre au département, explique : « Je commence ma journée à la même heure qu’avant
sauf que je la termine très souvent beaucoup plus tard. Si j’ai commencé un rapport, je le finis. » Véronique
Preleur travaille à Pôle emploi et souligne des phénomènes liés à isolement et l’aggravation « des problèmes
typiquement physiques ». Et des salariés qui se retrouvent avec « du matériel pas toujours très ergonomique
quand ce n’est pas sur une chaise de cuisine ». Michèle est assistante sociale au département : « Pour nous, le
télétravail, c’est totalement en contradiction avec notre métier. Cela bouleverse nos pratiques fondées sur
le lien. »
Grande-Bretagne. GMB Union, le syndicat des travailleurs d’ASOS, a dénoncé l’entreprise pour avoir
licencié des travailleurs pendant la crise du Covid-19 et délocalisé vers des centres d’appels aux Philippines.
ASOS prévoit de licencier jusqu’à 300 travailleurs des centres d’appels sur son site de Leavesden. Des
membres du GMB ont indiqué qu’ils avaient déjà commencé à recevoir des lettres confirmant leur licen-
ciement. Steve Garelick, organisateur GMB London Region a déclaré : « L’entreprise licencie des travailleurs
sous le couvert d’une crise nationale afin d’économiser de l’argent en délocalisant leur emploi. »
États-Unis. Le président Trump a invoqué la Defense Production Act pour garder ouvertes les usines de
conditionnement de viande aux États-Unis pendant la pandémie. Les travailleurs de l’emballage de viande
dans plusieurs États ont protesté contre l’ouverture des usines. Mardi, dans le Nebraska, certains des 2 000
travailleurs d’une usine de porcs de Smithfield Foods à l’extérieur de Lincoln ont brièvement quitté le travail
pour protester contre les plans visant à maintenir ouvert leur entreprise qui a signalé 48 cas de Covid-19. Le
syndicat United Food and Commercial Workers a déclaré qu’il partageait ces préoccupations plus générales
concernant l’approvisionnement alimentaire américain. Il a demandé des tests quotidiens sur le coronavirus
dans certaines installations d’emballage de viande et un meilleur accès à des équipements de protection
individuelle tels que des masques et des gants.
Bangladesh. Des milliers de travailleurs de l’habillement sont retournés travailler le mardi 28 avril sans
avoir touché leurs salaires pour le mois de mars. Il existe également une incertitude quant au sort de
­milliers d’autres travailleurs migrants qui viennent dans la capitale, Dacca, de différentes parties du pays à la
recherche d’un emploi. Sur un total de 7 602 usines de confection dans le pays, 2 916 ont ouvert mardi. Les
travailleurs de l’habillement exigent le paiement de leur salaire. Même si une partie a été payée après les
protestations des travailleurs et les interventions des syndicats, le paiement intégral des salaires est toujours
en suspens. Le Bangladesh est le deuxième exportateur mondial de vêtements confectionnés
Afrique du Sud. Le plus grand producteur mondial de minerais de platine, de manganèse et de chrome, laisse

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 88


ses mines fonctionner à mi-capacité après un confinement national. « La réouverture des mines sans régle-

ÉDITION DU 4 MAI 2020


mentation appropriée en place est une très mauvaise idée pour les travailleurs et les communautés dont ils
sont issus », a déclaré Richard Spoor, avocat de l’Association sud-africaine des mineurs et de la construction
(AMCU), qui représente plus de 250 000 mineurs. L’AMCU a déposé une action en justice la semaine der-
nière pour exiger des normes nationales de sécurité pour les mines, y compris des procédures de désinfection
à l’échelle nationale et une norme minimale pour les équipements de protection.
Afrique du Sud. Mardi, plus de 40 membres du personnel se sont mis en grève à l’hôpital de jour Laetitia
Bam à KwaNobuhle, Uitenhage, invoquant un manque d’équipement de protection. Porteurs de panneaux
de protestation, des infirmières et d’autre personnel de l’hôpital se sont assis dans la cour. Des dizaines de
patients ont regardé à travers la clôture de la palissade avant d’être refoulés par des gardes de sécurité qui
leur ont dit que Laetitia Bam était désormais « dangereux ». « Nous exigeons maintenant d’être tous testés.
La direction veut désinfecter uniquement la section de traumatologie où le patient contaminé a été soigné,
mais nous disons que tout l’hôpital doit être désinfecté », a déclaré Cakwebe du syndicat National Education,
Health and Allied Workers’ Union.
Irak. Depuis la mi-mars, les contestataires irakiens appellent à suspendre la mobilisation pour contrer la
propagation du Covid-19. La majorité de ceux qui campaient sur les places fortes de la révolution décide de
rentrer chez eux, tandis qu’une minorité reste pour protéger les tentes des incursions des forces de sécurité
(FDS) et des milices. Surtout, les contestataires organisent des initiatives de prévention sanitaires et mettent
en œuvre des collectes de fonds et de denrées de première nécessité pour les plus vulnérables, doublement
marginalisés par les conséquences économiques de la crise pétrolière et d’un confinement qui les ampute de
leurs revenus journaliers. « Le Covid-19 est un cadeau du ciel pour le pouvoir. Le gouvernement en profite
pour faire passer ce qu’il veut, c’est-à-dire contourner la demande des manifestants de désigner des dates
précises pour des élections législatives et la constitution d’un gouvernement dans lequel ne participerait
aucune des forces qui sont actuellement au pouvoir », avance Tahsine, journaliste indépendant et activiste
irakien de Diwaniyeh.
État espagnol. La grève des loyers se poursuit et s’étend. En avril, 16 000 personnes se sont déclarées en
grève des loyers dans tout l’État. Certaines sont parvenues à un accord avec les bailleurs sur des reports ou
des réductions. D’autres n’y arrivent pas. La campagne « Grève de loyer », qui est présente dans 20 provinces
avec plus de 80 comités, lance un nouvel appel pour que, à partir du 1er Mai, celles et ceux qui n’y arrivent
plus se déclarent en grève : « Cette grève est le seul vaccin contre un désastre socio-économique comme
celui de 2008. » Fin avril, on recense officiellement 14,4 % de chômeurs et 3,7 millions de salarié·es sont au
chômage partiel sans avoir encore touché un centime : l’État a prévenu que ce n’est qu’en mai que les gens
commenceront à percevoir leurs allocations. Comment pourraient-ils payer un loyer ?
France. Le SNUipp-FSU Paris a déposé un préavis de grève couvrant la période du 11 mai au 4 juillet.
Selon le syndicat, à moins de dix jours de la réouverture des écoles, le plus grand flou demeure sur des points
fondamentaux : les publics d’élèves qui doivent être obligatoirement accueillis et les personnels enseignants
qui devront être obligatoirement en poste en présentiel. Le refus de la réouverture des écoles parisiennes
le 11 mai est maintenant unanime parmi les organisations syndicales parisiennes SNUipp-FSU, Snudi-FO,
SE-Unsa, Sud-Éducation, CNT-STE et CGT-Éduc’Action.
Euskadi. La caisse de résistance féministe BiziHotsa (www.bizihotsa.eus/) lance un crowfunding pour récol-
ter des fonds (elle espère recueillir 60 000 euros) afin d’acheter des produits alimentaires et de première
nécessité pour soutenir des populations en détresse, notamment parmi les migrants. Cette caisse de résistance
face au Covid-19 a été lancée par différents collectifs féministes et antiracistes d’Euskadi, avec des syndicats
et des réseaux coopératifs qui ont recensé les secteurs délaissés par l’administration basque. Une partie des
fonds collectés serviront à organiser une permanence juridique contre les violences machistes.
Cambodge. Plus de 130 usines de confection suspendent leurs activités et licencient environ 100 000 travail-
leurs ; les travailleurs s’inquiètent pour leurs moyens de subsistance et du manque de soutien des marques.
États-Unis. Les employés fédéraux exigent une meilleure protection contre le Covid-19, citant des milliers
de collègues déjà malades et tués par la pandémie mondiale, certains en raison d’une sécurité au travail

89 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


inadéquate. Le syndicat fédéral, l’American Federation of Government Employees, s’est prononcé contre
ÉDITION DU 4 MAI 2020

toute réintégration rapide du personnel en télé-travail. Un autre important syndicat d’employés, le National
Treasury Employees Union, a publié une nouvelle liste de « conditions de santé et de sécurité », que les
agences doivent respecter avant que les employés fédéraux soient obligés de retourner au travail.

30 AVRIL
Indonésie. La Fédération des syndicats indonésiens de la métallurgie (FSPMI) a annoncé jeudi que ses
membres continueraient de commémorer la journée internationale des travailleurs le 1er Mai au milieu de la
pandémie de Covid-19, sous la forme de rassemblements virtuels sur toutes les plateformes sociales en ligne.
Les syndicats prévoient de mettre en avant trois revendications lors du rassemblement du 1er Mai : le rejet
de la loi anti-sociale sur la création d’emplois, le refus des licenciements massifs dus à la pandémie, et enfin
l’exigence que les entreprises paient l’allocation de vacances des travailleurs (THR) et leur salaire intégral.
Hong Kong. A l’occasion de la Journée internationale des travailleur·euses, la centrale syndicale HKCTU, 64
syndicats sectoriels ou locaux, ainsi que 68 élu·es aux Conseils de districts ont déclaré : « Du début de l’été
au rigoureux hiver 2019, les Hongkongais·es ont mené un combat sans précédent revivifiant la lutte contre
la tyrannie. […] La “révolution de notre temps” est ancrée dans la vie quotidienne des Hongkongais·es. De
multiples fronts de lutte se sont développés, le prototype d’une résistance universelle a été forgé : sur le front
économique, la résistance s’appuie sur le “cercle économique jaune” [le jaune est la couleur de l’opposi-
tion] ; au niveau des quartiers, dans le cadre de la vie politique locale ; sur le front international, par le biais
du lobbying et de la veille depuis l’étranger ; dans la rue au travers d’actes de résistance ainsi que de “murs
John Lennon”. »
Afrique du Sud. Vendredi 1er Mai, des manifestations symboliques auront lieu devant l’hôpital Chris Hani-
Baragwanath de Soweto et d’autres cliniques pour soutenir des millions de travailleurs en Afrique du Sud
qui n’ont pas d’équipement de protection individuelle, tout en soulignant les demandes d’autres services
de santé. Le 1er Mai, reconnu comme la Journée internationale des travailleurs dans le monde entier, sou-
cieux de l’éloignement social lors de la pandémie, des représentants syndicaux et un groupe de travailleurs
de santé de première ligne se réuniront devant l’hôpital, ont déclaré jeudi de nombreux syndicats dans un
communiqué.
France. La pétition « Plus jamais ça ! Construisons ensemble le jour d’après » signée par de nombreuses
organisations (CGT, Solidaires, FSU, Alternatiba, Convergence des services publics…) a recueilli 158 604
signatures.
Aérien. La direction de Ryan Air annonce la suppression de 3 000 postes pour cause de Covid-19 et des
réductions de salaires, tout en dénonçant l’absence d’aide financière des gouvernements (alors que nombre
des aéroports où atterrit la compagnie sont de véritables zones franches en termes de droits sociaux et d’im-
pôts, à l’image de celui de Beauvais, près de Paris). Il n’y aura pas de reprise de ses vols avant juillet. Balpa,
un des syndicats des pilotes de Ryan Air, a réagi et déplore l’absence de concertation et de consultation des
instances, comme résignées face au tsunami social qui frappe le secteur aérien.
France. Les féministes regroupées dans le collectif #On arrête toutes exigent un « plan d’urgence écono-
mique et sociale » pour « les femmes, en première ligne pour combattre le Covid-19 ». Ces mesures d’urgence
sociale doivent s’accompagner d’une « revalorisation salariale pour l’ensemble des métiers féminisés, de la
fin des bas salaires pour des métiers dont l’utilité sociale a été démontrée, de l’arrêt effectif des inégalités
salariales entre les femmes et les hommes ».
Irak. Depuis la mi-mars, les contestataires appellent à suspendre la mobilisation pour contrer la propaga-
tion du Covid-19. La majorité de ceux qui campaient sur les places fortes de la révolution décide de rentrer
chez eux, tandis qu’une minorité reste pour protéger les tentes des incursions des forces de sécurité (FDS)
et des milices. Surtout, les contestataires organisent des initiatives de prévention sanitaires et mettent en
œuvre des collectes de fonds et de denrées de première nécessité pour les plus vulnérables, doublement
marginalisés par les conséquences économiques de la crise pétrolière et d’un confinement qui les ampute de

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 90


leurs revenus journaliers. « Le Covid-19 est un cadeau du ciel pour le pouvoir. Le gouvernement en profite

ÉDITION DU 4 MAI 2020


pour faire passer ce qu’il veut, c’est-à-dire contourner la demande des manifestants de désigner des dates
précises pour des élections législatives et la constitution d’un gouvernement dans lequel ne participerait
aucune des forces qui sont actuellement au pouvoir », avance Tahsine, journaliste indépendant et activiste
irakien de Diwaniyeh.
France. Affrontements à Compiègne entre jeunes du quartier du Clos-des-Roses et « forces de l’ordre
venues contrôler le respect du couvre-feu ».

1ER MAI
France. Les Rosys du Puy de Dôme (appelées aussi les Grandes Gagnantes du 63) ont diffusé un clip par-
ticipatif dans une volonté de convergence des luttes : https://vimeo.com/413614524.
France. #DéPisterLaMarseilleSolidaire revient sur la réquisition du McDo de Sainte-Marthe par les habi-
tant·es et les ex-salarié·es qui ont « rendu ce lieu à leurs quartiers pour en faire une plateforme logistique
alimentaire ». Kamel Guemari, membre du Syndicat des quartiers populaires de Marseille et syndicaliste chez
McDo revient « sur les valeurs portées par une telle initiative, les lendemains que cela laisse entrevoir, la
reconnaissance de l’expertise des travailleurs et des collectifs citoyens et l’auto-organisation à des fins d’uti-
lité publique » : www.facebook.com/sqpm13/videos/603508866923488/.
Corée. Le Syndicat des travailleurs de la fonction publique et des transports (KPTU) a célébré le 1er Mai
avec un rassemblement à la gare de Séoul, l’une des nombreuses actions à petite échelle organisées par les
affiliés de la Confédération coréenne des syndicats (KCTU) à travers le pays. La KCTU demande un mora-
toire sur les licenciements, la garantie de revenus pour les groupes plus fragiles, et la suppression du travail
précaire. « C’est le travail des employés du secteur public qui a permis d’arrêter la propagation du Covid-19
et de maintenir la société en marche », a déclaré le président du KPTU, Junsik Choi, s’adressant au groupe
d’environ 700 participants. Après le rassemblement, les manifestants se sont rendus au siège de Korean Air,
appelant le gouvernement à exiger que toutes les entreprises de l’industrie maintiennent l’emploi.
Slovénie. Quelques milliers de cyclistes ont manifesté contre le gouvernement à travers la capitale,
Ljubljana. Les protestataires entendaient dénoncer la corruption autour de l’acquisition d’équipements de
protection et de ventilateurs.
États-Unis. Le National Nurses United, un syndicat national d’infirmières, a appelé à manifester devant
139 hôpitaux de 13 États. Le syndicat demande plus d’équipements de protection individuelle lorsque les
infirmières traitent des patients atteints de Covid-19. Plus de 60 infirmières à travers le pays sont mortes du
virus, selon le NNU. Le syndicat affirme cependant que ce nombre est probablement plus élevé en raison
d’un manque de tests. « Les infirmières se sont engagées pour prendre soin de leurs patients. Elles ne se sont
pas engagées à sacrifier leur vie en première ligne de la pandémie de Covid-19 », a déclaré Bonnie Castillo,
responsable exécutive du NNU.
Allemagne. Environ un millier de personnes ont ignoré l’interdiction de groupes de plus de 20 à se réu-
nir à Berlin pour marquer la fête pour les droits des travailleurs. Les autorités ont déployé 5 000 policiers
pour disperser les manifestations non autorisées. Alors que la plupart des travailleurs allemands ont célébré
le 1er Mai en ligne, plus de 1 000 personnes se sont rassemblées illégalement dans le quartier berlinois de
Kreuzberg, le centre traditionnel des manifestations de gauche.
France. #DéPisterLaMarseilleSolidaire revient sur la réquisition du McDo de Sainte-Marthe par les habi-
tant·es et les ex-salarié·es qui ont « rendu ce lieu à leurs quartiers pour en faire une plate-forme logistique
alimentaire ». Kamel Guemari, membre du Syndicat des quartiers populaires de Marseille et syndicaliste chez
McDo, revient « sur les valeurs portées par une telle initiative, les lendemains que cela laisse entrevoir, la
reconnaissance de l’expertise des travailleurs et des collectifs citoyens et l’auto-organisation à des fins d’uti-
lité publique » (www.facebook.com).
Catalogne. L’Intersyndicale alternative de Catalogne (IAC) et Lutte internationaliste avaient demandé

91 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


l’autorisation pour organiser une manifestation le 1er Mai, limitée à 50 personnes et respectant les distances
ÉDITION DU 4 MAI 2020

de sécurité à Barcelone. L’Intérieur l’a interdite. En plus de rendre hommage aux « travailleur·euses essen-
tiels », ils voulaient dénoncer le budget de la Generalitat, la nouvelle « llei mordasa » (qui restreint les libertés
sous prétexte d’épidémie) et la réforme du travail : « L’état d’urgence est utilisé pour réduire les prérogatives
d’action des syndicats. » Avec le soutien de la CGT (voir l’appel intersyndical dans nos Documents), qui par
ailleurs faisait des apparitions à différents endroits de la ville, dont la délégation du ministère du travail et un
hôpital, de plusieurs associations indépendantistes et de la CUP. La justice rejetant l’appel des syndicats, de
nombreuses rencontres et protestations ont eu lieu sur les réseaux sociaux. Des associations ont également
organisé des petits rassemblements dans les quartiers. Les CCOO et l’UGT ont tenu sagement une confé-
rence de presse devant un établissement hospitalier sur le port de Barcelone.
Turquie. La police a arrêté au moins 15 personnes à Istanbul, y compris des dirigeants syndicaux qui
ont tenté d’organiser une marche du 1er Mai au mépris de l’interdiction des manifestations, sur la place
Taksim. La Confédération des syndicats progressistes de Turquie, DISK, a tweeté que son responsable Arzu
Cerkezoglu et plusieurs autres dirigeants syndicaux avaient été arrêtés près de la place, où ils voulaient
déposer des couronnes d’œillets.
Indonésie. De nombreux travailleurs se sont rendus sur Internet pour célébrer le 1er Mai afin d’éviter de
propager et de contracter le coronavirus, réitérant leur rejet de la loi antisociale sur la création d’emplois et
exigeant une protection pendant la crise économique causée par la pandémie. Vendredi, une coalition des
trois principaux syndicats du pays, l’Assemblée des travailleurs indonésiens (MPBI), qui prévoyait auparavant
de tenir le rassemblement dans les rues, a distribué des équipements de protection et du désinfectant aux
hôpitaux du Grand Jakarta et d’autres régions du pays. « Nous avons investi notre argent pour eux, les tra-
vailleurs de première ligne travaillant à l’hôpital », a déclaré Prihanani, vice-présidente de la Confédération
des syndicats indonésiens (KSPI) et membre du MPBI. À Medan, dans le nord de Sumatra, plusieurs travail-
leurs ont célébré le 1er Mai en organisant un « rassemblement de distanciation sociale » devant le bâtiment du
conseil législatif de la province, gardé par la police. Les manifestants ont respecté les distances et portaient
des masques pendant cette action de trente minutes. Des rassemblements impliquant un petit nombre de
personnes ont également eu lieu dans plusieurs usines de certaines régions du pays.
Inde. Des syndicats ont hissé des drapeaux dans quelques usines à travers le pays. Ils se sont également
réunis en petit nombre dans certains de leurs bureaux régionaux. À Bengaluru, les dirigeants syndicaux, qui
avaient un laissez-passer pour les secours, se sont rendus au bureau du commissaire au travail et ont remis
aux autorités une liste de revendications. À Nabha, dans l’État du Penjab, les travailleurs ont manifesté. Les
ouvriers ont fait sonner leurs outils. Ils ont brandi des pancartes sur lesquelles étaient inscrits « Animaux
errants ». Ils estiment que les ouvriers étaient traités comme des animaux errants pendant le confinement.
« Pendant l’isolement, la majorité des travailleurs journaliers à Nabha n’ont reçu aucune ration ni aucune
autre aide du gouvernement », a déclaré Lakhvir Singh, un manifestant du village de Kansuha.
Chili. La police de Santiago a arrêté plus de 50 manifestant·es, qui se sont rassemblés sur la place centrale
de Santiago, et dénonçaient la forte augmentation des licenciements. Les appels à se rassembler sur les
réseaux sociaux avaient demandé aux manifestants « d’utiliser des gants, des masques et du gel d’alcool »,
mais la police a déclaré que les participants.es n’avaient pas respecté la loi interdisant les concentrations de
plus de 50 personnes. Les policiers vêtus de casques à écran plastique ont emmené des manifestants dans des
véhicules de police, tandis que des canons à eau prenaient position sur la place.
Portugal. Des centaines de personnes se sont rassemblées à Lisbonne, à l’appel du syndicat CGTP obser-
vant des règles strictes de distanciation. Beaucoup portaient des masques et brandissaient des drapeaux syn-
dicaux. Environ un travailleur sur cinq au Portugal a été licencié depuis la pandémie, le chômage grimpant
en flèche à 380 832 personnes, soit 6,4 %. « Ces travailleurs précaires sont les premiers à être licenciés », a
expliqué Isabel Camarinha, secrétaire du syndicat CGTP.
Afrique du Sud. Le 1er Mai, les travailleurs de première ligne dans les hôpitaux, les cliniques, les municipali-
tés et les communautés d’Afrique du Sud ont exigé des équipements de protection individuelle pour toutes
les personnes qui entrent en contact avec des patients soupçonnés d’avoir le Covid-19. Des syndicats et des

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 92


organisations de la société civile ont déclaré que si leurs demandes n’étaient pas satisfaites dans les cinq

ÉDITION DU 4 MAI 2020


jours, « nous n’aurons pas d’autre choix que de prendre des mesures syndicales décisives, et nous sommes
convaincus que la grande majorité du public sera derrière nous parce qu’ils savent que notre système de
santé a été privatisé, sous-financé et laissé pourrir pendant des années. Donnez-nous tous des vêtements de
protection ou nous ferons grève. » Parmi ces organisations il y a la Fédération des syndicats d’Afrique du
Sud, le Syndicat national des syndicats de la fonction publique, le Syndicat des jeunes infirmières d’Indaba,
le Syndicat démocratique des travailleurs municipaux, le Syndicat national des travailleurs sociaux. Hier,
des manifestations symboliques ont eu lieu devant l’hôpital Chris Hani Baragwanath de Soweto et d’autres
cliniques.
Grèce. Des travailleurs et des étudiants portant des masques et des gants se sont alignés devant le Parlement
pour commémorer le 1er Mai, défiant l’interdiction imposée par le gouvernement de circuler pour lutter
contre le coronavirus. À l’aide de marqueurs en plastique colorés placés sur le sol pour les aider à respecter
les règles de distance, des centaines de manifestants ont rejoint un rassemblement organisé par le syndicat
PAME. Les manifestants ont agité des drapeaux, scandé des slogans et brandi des banderoles : « Aucun sacri-
fice pour les patrons ».
France. Une dizaine de personnes ont tenté de manifester à Paris, place de la République, affichant des
slogans : « Le capitalisme est le virus, la révolution, c’est le vaccin » ou « Nos vies ou leurs profits ». Quelques
manifestant·es ont été interpellé·es, certain·es de manière musclée. Plus tard dans la journée, d’autres ten-
tatives de rassemblement ont eu lieu dans la capitale ou en banlieue parisienne, à Montreuil ou devant la
mairie du 18e. Dans le 11e arrondissement, c’est une trentaine de militant·es qui se sont retrouvé·es place
Léon-Blum, avec des affichettes à la main dénonçant les carences de la politique sanitaire du gouvernement.
Aucune arrestation n’a été signalée. à Ivry (94), il y a eu plusieurs rassemblements, quartier par quartier,
près des lieux d’habitation et, un peu plus important sur une place du centre-ville. À Mantes-la-Jolie, au
rond-point du Régent au centre-ville, une dizaine de membres d’Uni.es pour le climat et de l’Assemblée
de lutte ont déambulé pendant une heure respectant les distances, masqué·es, avec pancartes et slogans.
Un apéro au « communard » maison a été offert par un militant qui va tous les ans au mur des Fédérés du
Père-Lachaise. La presse locale s’en fait l’écho « Un 1er Mai “déconfiné” à Mantes-la-Jolie », a-t-elle titré. Aux
Mureaux, devant l’Union locale, sur la plus grande avenue de la ville, une quinzaine de membres de l’AG
interpro ont installé des banderoles « Comme toujours : 1er Mai le combat continue - Nos vies avant leurs
profits », drapeaux, pancartes. Espacé·es et masqué·es, certain.es avec des photos pastiches des membres du
gouvernement, des tee-shirts ou chapeaux militants, ont distribué des tracts bien appréciés des passant·es
pendant trente minutes. Dans les deux cas : aucune interpellation et satisfaction d’avoir fait le « minimum
syndical », explique une participante. À Orléans ou à Rouen, des rassemblements de courte durée, avec une
poignée de personnes masquées ont été filmés et relayés par des syndicats. À Toulouse, une quinzaine de
personnes a manifesté devant une galerie marchande pour dénoncer l’ouverture de supermarchés avec des
caisses automatiques, en entonnant le chant de ralliement des Gilets jaunes, On est là, on est là. Sur l’en-
semble du territoire devant les hôpitaux, quelques rassemblements ont eu lieu. « Ce seront des moments
très courts, avec prise de photos et vidéos, puis les gens partiront », explique Mireille Stivala (CGT), qui a
elle-même organisé une initiative dans la matinée devant l’hôpital parisien Saint-Louis. À Marseille, devant
l’Institut hospitalo-universitaire (IHU), le centre de traitement et de recherche sur les maladies infectieuses,
une quarantaine de personnes se sont réunies derrière une grande banderole : « Ni médaille ni charité : des
moyens pour l’hôpital public ». Par ailleurs, une centaine de personnes, ont aussi remonté la Canebière,
dans le centre Marseille. À Montpellier, une vingtaine de militants de la Ligue des droits de l’homme, de
la Cimade et de Réseau Éducation sans frontières (RESF) ont déployé des banderoles et des affiches au
milieu de la rue, tout en respectant la distanciation physique. À l’initiative de l’union syndicale Solidaires
du Loiret, une action symbolique a eu lieu en fin de matinée, avec quatre manifestants sur la place de la
République à Orléans. Dans les rues du centre-ville de Villefranche-sur-Saône, quelques irréductibles ont
décidé de « se promener », slogans à la main. Une dizaine de personnes se sont ainsi rendues place des Arts,
devant la préfecture. L’appel avait été lancé par la CGT et suivi, notamment, par le collectif Femmes Égalité.
Sept personnes ont été verbalisées pour non-respect du confinement. À Gap, une centaine de personnes
ont manifesté en passant devant le tribunal, la prison, le commissariat, la préfecture, mais aussi la bourse

93 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


du travail. Auparavant, une collecte d’aliments avait été organisée pour les habitant·es du Cesaï, un squat
ÉDITION DU 4 MAI 2020

qui accueille des personnes migrantes. À Narbonne, la CGT n’a pas manifesté mais a organisé une action
symbolique devant Géant Casino qui avait ouvert ses portes et ses caisses automatiques. « Ils sont ouverts ce
1er Mai, c’est scandaleux, en plein confinement. Quel cynisme ! », s’est indigné Jacques Beinet, le secrétaire de
l’union locale de la CGT. Avec une poignée de militants, masqués pour la bonne cause et à distance respec-
table, ils sont venus devant les portes de l’hypermarché pour exprimer leur colère avant que la police ne les
enjoigne de quitter les lieux dans le calme. À Grenoble, cinq rassemblements ont eu lieu ; les manifestant.es
se tenant à 2 mètres d’écart. La police a distribué des dizaines d’amendes et procédé à des arrestations. En
Ardèche, à Jaujac, une vingtaine de manifestant·es respectant les espaces de distanciation ont pu manifester.
À Douarnenez, une centaine de personnes ont manifesté dans les rues de la ville. Plusieurs véhicules de la
gendarmerie ont suivi le défilé, filmant le passage des personnes, toutes masquées. Sauf Hugues Tupin, élu
d’opposition et tête de la liste Douarnenez, Terre citoyenne, arrivée en tête au premier tour des municipales
de mi-mars. Un gendarme a rappelé à l’élu que la manifestation était interdite par la préfecture et qu’il serait
convoqué plus tard. « C’était une initiative individuelle dans le cadre de l’autorisation de promenade dans
un rayon d’un kilomètre autour du domicile, a expliqué l’élu, il était aussi important d’être dans la rue pour
soutenir tous ceux qui travaillent actuellement dans des conditions difficiles. » À Guingamp, une vingtaine
de militants de l’union locale CGT a décidé d’improviser un petit défilé. Répartis des véhicules afin d’être
seuls à bord, les manifestants, masqués et drapeaux syndicaux dehors, sont passés alors devant l’hôpital, « en
soutien aux collègues sous pression de la direction », puis devant l’Ehpad de Kersalic. Mais alors qu’ils se
séparaient sur le parking Saint-Sébastien, le petit comité a reçu la visite des gendarmes, qui ont procédé à
des contrôles d’identié, avant de verbaliser 17 personne pour absence d’attestation. Une amende que les
cégétistes comptent bien contester.
Corse. À Bastia, des militants CGT ont défilé en voiture. Les véhicules avec des drapeaux du syndicat sont
partis de l’hôpital de Falconaja pour exprimer leur soutien au personnel soignant et terminer devant les
grilles de la préfecture.
Australie. Plus de 200 personnes en voiture ou à vélo ont marqué à Sydney le 1er Mai et se sont rassem-
blées pour les droits des travailleurs malgré les restrictions Covid-19 interdisant les déplacements non essen-
tiels. Étaient présents des membres du Maritime Union of Australia et des groupes de soutien aux réfugiés.
« Lorsqu’il s’agit de garantir le 1er Mai et de respecter le droit de manifester, cela relève clairement d’un
motif d’excuse raisonnable », a déclaré un manifestant. Le convoi a klaxonné vers la rue Macquarie devant
les bureaux du Parti libéral et la Fair Work Commission à Woolloomooloo. Les panneaux sur les voitures
affichaient « Le virus ne vérifie pas le statut des visas - Solidarité avec les réfugiés » et « Non au capitalisme,
pas de suppressions d’emplois ».
Finlande. Les rassemblements ouvriers du 1er Mai sont traditionnellement précédés d’énormes pique-
niques. Mais seule une poignée de manifestants se sont rassemblés autour de la statue de Manta, sur la place
du marché, embarqués par la police pour n’avoir pas respecté l’interdiction de rassemblement de plus de
dix personnes.
Philippines. Trois étudiants de l’université des Philippines Diliman et quinze autres ont été arrêtés vendredi
après-midi pour avoir organisé une manifestation. Le rapport de police de Quezon City indique que les
manifestants avaient organisé un rassemblement le long de l’avenue Kalaraan, au coin de Maparaan. Certains
d’entre eux ont crié le long de la route et accordé des interviews aux médias tandis que d’autres tenaient
des pancartes et des banderoles.

2 MAI
États-Unis. La semaine dernière, le président de l’UAW, Rory Gamble, a déclaré qu’il était « trop tôt et
trop risqué » pour rouvrir les usines automobiles et relancer l’économie du Michigan au début du mois de
mai, citant « les carences des connaissances scientifiques, de tests, de données pour garantir la sécurité des
lieux de travail ». Le syndicat est en discussion avec les entreprises, mais n’a pas rendu public d’accord pour
une date de reprise. La quasi-totalité de la production automobile aux États-Unis s’est arrêtée en mars. À

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 94


l’usine d’assemblage de Fiat Chrysler à Toledo, dans l’Ohio, où sont construits des SUV et des pick-up, les

ÉDITION DU 4 MAI 2020


travailleurs sont très proches les uns des autres sur la ligne, a déclaré Bruce Baumhower, président de l’UAW
Local 12. « L’installation de ceintures de sécurité place trois ou quatre travailleurs à l’intérieur d’une voiture »,
a-t-il ajouté.
Pakistan. Des centaines de travailleur·euses, dont de nombreuses femmes, se sont rassemblé·es devant une
usine de confection dans le district oriental de Karachi, la capitale commerciale du Pakistan, pour protester
contre leur licenciement. À quelques kilomètres de là, une autre manifestation a eu lieu devant une célèbre
entreprise textile, qui a également licencié des centaines de travailleur·euses. « Les travailleurs sont licenciés
sans préavis », a déclaré Shams-ur-Rehman Swati, président de la Fédération nationale du travail (NLF), un
conglomérat de différents syndicats au Pakistan. Les travailleurs informels  –  qui, selon les syndicats, repré-
sentent 75 % des 65 millions de travailleurs du pays  –  sont les plus touchés par cette perte d’activité, selon
lui.
France. Péters Surgical veut fermer son site de production de matériels médicaux de Bobigny (Seine-
Saint-Denis), mettant 60 salariés au chômage. Pourtant, avec la crise du Covid, l’usine a fait la preuve de
son utilité, tournant à plein régime pour produire des sondes Motin, indispensables aux services de réani-
mation et impossibles à se procurer en Inde. La CGT en appelle à l’intervention de l’État. « Quel cynisme. Si
l’épidémie avait eu lieu en juin, nous n’aurions pas pu répondre à la demande des hôpitaux », déplore Julien
Faidherbe, délégué syndical de l’entreprise.
Aérien. La vague de licenciements annoncée par la compagnie aérienne British Airways devrait concerner
plus de 1 100 pilotes, soit plus d’un quart des effectifs, le sort de la base de Londres-Gatwick étant en outre
remis en question. Plus grave, son plan global de suppression toucherait 12 000 postes pour réduire les coûts.
Len McCluskey, secrétaire général du syndicat Unite, affirme que la décision de British Airways est à la fois
illégale et immorale. « Les contribuables britanniques n’ont pas remis leur argent à British Airways pour qu’il
se lance dans un processus opportuniste de réduction des emplois », a-t-il ajouté. Chez Lufthansa, le syndicat
VC affirme que les pilotes sont prêts à sacrifier 45 % de leurs salaires pendant deux ans, pour l’aider à passer
la crise liée à la pandémie de Covid-19. Et l’aéroport de Berlin-Tegel fermera ses portes le mois prochain.
Afrique du Sud. Le syndicat des enseignants Naptosa a rejeté un projet de réouverture la semaine prochaine
des écoles pour les élèves de 7e et 12e la semaine prochaine. Des questions se posent sur la préparation des
écoles en termes d’alimentation scolaire, de transport, d’alimentation en eau et de nettoyage. Le responsable
du syndicat enseignant National Professional Teachers’ Organisation of South Africa, Basil Manuel, a déclaré
« Nos écoles ne sont pas prêtes, elles n’ont certainement pas tout l’équipement… Et puis il y a ces questions
à un million de dollars pour le transport et l’eau. »
États-Unis. Le plus important syndicat d’enseignants de l’État a déclaré au gouverneur Ned Lamont que
le Connecticut devait mettre au point une série de protocoles de sécurité avant de décider de rouvrir les
écoles. Jeff Leake, président de la Connecticut Education Association, a déclaré que les écoles devront être
désinfectées quotidiennement, notamment les salles de classe, y compris les ordinateurs et les bureaux. « Et
ce n’est que le début, a ajouté Leake, ce qui est encore plus vital pour le processus de réouverture de notre
État, c’est la quantité d’équipements de protection individuelle et la capacité à effectuer des tests. » De leur
côté, les travailleurs de la santé du Connecticut ont déclaré jeudi que les établissements de soins de longue
durée de l’État continuaient de faire face à de manques et qu’il manquait des équipements pour la sécurité
des résidents et des travailleurs.
Afrique du Sud. Le Syndicat national des métallurgistes d’Afrique du Sud (Numsa) a condamné jeudi la
direction de la mine Village Main Reef Tau Lekoa pour avoir « oublié » de payer les salaires des travailleurs
pendant le confinement. De plus, Village Main Reef a lancé des préavis de licenciement pendant le confi-
nement. « En raison de la cruauté de cette entreprise, des membres ont été contraints de sortir dans la rue
pour protester contre cette situation risquant d’être arrêtés pour avoir violé le confinement, mais ils estiment
qu’ils n’ont pas le choix car leur survie est menacée », dénonce le syndicat.
Hong Kong. Des militants pro-démocratie du secteur de la santé ont fondé un nouveau syndicat, le Hospital
Authority Employees Alliance, or HAEA, devenu l’un des plus importants de la ville, avec 20 000 membres,

95 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


soit 25 % des employés de l’administration hospitalière. Au début de l’épidémie de coronavirus, la HAEA a
ÉDITION DU 4 MAI 2020

lancé une grève sans précédent qui a exhorté le gouvernement à fermer la frontière de la ville avec la Chine
continentale pour empêcher la propagation du coronavirus. Plus de 8 000 médecins et infirmières ont rejoint
le mouvement, ce qui a affecté les services d’urgence des hôpitaux publics. La grève a pris fin cinq jours
plus tard après que le gouvernement ait annoncé la fermeture de certains points frontaliers et obligé tous
les visiteurs du continent à se mettre en quarantaine.
États-Unis. La mobilisation des syndicats et des travailleurs d’Amazon en France (voir l’article « Des luttes
dans le “nouveau monde” », 4e édition du 20 avril) et les jugements favorables obtenus pour arrêter les
activités des entrepôts face aux conditions de sécurité non-assurées impressionnent et se diffusent aux Etats-
Unis. Le New York Times titre un long article sur « Comment les travailleurs français ont réussi à faire plier
Amazon », où il expose et met en valeur la mobilisation des syndicats pour encourager à l’étendre sur le
territoire américain, y compris dans le champ politique. Et de conclure : « Comme le montre le bras de fer en
France, de solides protections juridiques peuvent venir compléter l’action des salariés afin d’améliorer leur
sécurité et leurs conditions de travail. »
Nicaragua. Sous le titre « Le 1er Mai : rien à fêter ! », le Mouvement María Elena Cuadra, qui organise les
travailleuses des maquilas (industries textiles des zones franches, voir Éphéméride du 26 mars), a présenté un
nouveau bilan du Covid-19 sur l’emploi dans ce secteur, qui compte 83 980 salarié·es. Selon son enquête
dans 42 entreprises : 13 045 travailleur·euses sont en « vacances prolongées » (avec six jours de salaire) ; 23 000
en suspension collective du contrat (sans salaire) ; et 5 768 ont vu leur contrat résilié (licencié·es). Le 30 avril,
42 167 salarié·es continuaient de travailler. Le Réseau centraméricain de solidarité avec les travailleurs des
maquilas (Redcam) a dénoncé l’inégalité de traitement entre les salarié·es des zones franches et les autres
dans toute la région. Le syndicat officiel nicaraguayen, la Centrale sandiniste des travailleurs (CST), qui
reconnaît aussi les pertes d’emplois (3200), a participé au 1er Mai de Daniel Ortega. Le président est encore
parti en guerre contre toute idée de confinement et contre les mesures de protection ou de distanciation.
France. Dans un communiqué de presse, la CGT, Solidaires et la FSU des Côtes-d’Armor rappellent que
concernant la relance de la production de masques après la fermeture de l’usine Honeywell de Plaintel (voir
l’interview de Serge Le Quéau dans l’édition n° 4, 20 avril), « la création d’une coopérative reste, et de loin,
l’option la plus adaptée à la situation de crise que nous connaissons aujourd’hui. En effet, la société coopé-
rative d’intérêt collectif (SCIC) permet d’associer tous les acteurs du territoire régional et de la filière, en
les impliquant dans un projet de relocalisation d’une production industrielle d’intérêt général. Elle permet
également de contrôler au plus près l’utilisation les fonds publics investis. De plus la SCIC combine deux
avantages : le contrôle démocratique (élection des dirigeants) et la vertu économique (absence d’enrichis-
sement privé). »

3 MAI 2020
Afrique du Sud. La pandémie et le confinement ont eu un effet dévastateur sur la vie des travailleur·euses
domestiques et de leurs familles à travers le pays. Beaucoup ont été licencié·s injustement ou mis en congé
sans solde. Une enquête menée au début du mois par Izwi Domestic Workers Alliance à Johannesburg a
révélé que seuls 38 % des 600 personnes interrogées percevaient le plein salaire pendant la période de ver-
rouillage. « Nous sommes les femmes qui prennent soin de ce pays. Nous sommes noires, nous sommes des
femmes de couleur, nous sommes immigrées. Derrière des portes closes, nous sommes confrontés au harcè-
lement, aux abus et à la discrimination. Nous nous unissons pour rendre nos lieux de travail sûrs et dignes.
Nous sommes invincibles », rappelle l’association basée à Johannesburg (www.izwi.org.za/).
Russie. « Le gouvernement de Saint-Pétersbourg publie un arrêté demandant à ce que soient faites systéma-
tiquement des enquêtes sur les raisons de la maladie des médecins victimes du virus. Au cas où ils seraient
eux-mêmes coupables de n’avoir pas pris assez de précautions, ils ne toucheraient pas 100 % d’indemnités.
J’ai vérifié sur le site du gouvernement, le document existe… À savoir aussi que dans presque toutes les
régions de Russie, faute de moyens, les hôpitaux ne procurent ni masques ni blouses au personnel soignant.
Mais celui-ci est “obligé” par la hiérarchie d’avoir masques et blouses, qu’ils doivent se procurer eux-mêmes.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 96


La face hideuse de la “débrouille” au pays du super-capitalisme sauvage. On me signale que 60 à 70 %

ÉDITION DU 4 MAI 2020


des médecins seraient contaminés à Moscou. De toute façon, il n’y a pas assez de médecins, la vague des
réformes “néomanagement” ayant abouti à la diminution des effectifs. Les anesthésistes, surtout, manque-
raient. » (Correspondance).
Maroc. L’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) s’inquiète de la situation des femmes
précaires en cette période de crise du Covid-19. Du « fait que l’effectif des femmes dans le secteur informel
est sous-estimé ; les femmes cheffes de ménages ne disposant pas de la carte Ramed et qui doivent soumettre
une demande d’aide risquent d’être exclues vu les critères d’éligibilité ; certaines femmes travaillant dans
le secteur formel ne sont pas déclarées ». L’association demande « la garantie des revenus pour les femmes
travaillant dans le secteur formel mais non déclarées (employées des bains maures, salons de coiffure, ven-
deuses, etc.) par l’incitation des employeurs en mesure de le faire, de maintenir leurs salaires pendant le
confinement », ainsi que la mise en place d’une nouvelle cartographie de la pauvreté basée sur le genre.
Cameroun. Pour contribuer à la riposte à l’épidémie, Maurice Kamto (opposant politique) souhaitait faire
don de 10 000 masques barrières, 6 800 masques chirurgicaux et 950 tests de dépistage du Covid-19. Mais
les autorités expliquent avoir refusé car sa structure Survie Cameroun n’est pas homologuée. Pour Sylvain
Nga Onana, président du Syndicat national des personnels des établissements et entreprises du secteur de la
santé au Cameroun (Cap-Santé), cette décision est « contraire au bon sens. Pour moi, vraiment, c’est regret-
table. Nous avons encore besoin aujourd’hui de masques, de gants, de solutions hydro-alcooliques, de bottes,
pour non seulement nous protéger, mais aussi mieux prendre en charge les malades atteints du Covid-19.
Je travaille dans un hôpital où on ne donne encore aujourd’hui qu’un seul masque par jour alors qu’il en
faut trois ».
France. Lancement d’une pétition pour la gratuité des masques et leur distribution en pharmacie : « La
gratuité est la meilleure solution, si on veut vraiment réduire les risques et briser la transmission qui nous
menace tous. »

97 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


ÉDITION DU 27 AVRIL
ÉPHÉMÉRIDE SOCIALE D’UNE PANDÉMIE (20 AVRIL-26 AVRIL)
20 AVRIL
France. Trois syndicats de l’éducation : FSU, CGT et Solidaires ont interpellé le recteur de l’académie
d’Aix-Marseille, le préfet de région et les collectivités territoriales sur l’urgence sanitaire et sociale, que ce
soit en période de confinement ou après ouverture progressive des établissements scolaires. Ils demandent
la mise en place d’une cellule de veille sociale, comme il en existe une pour le suivi de la continuité péda-
gogique. Cette cellule académique serait chargée du volet social de la crise et veillerait à ce que les besoins
soient correctement identifiés au niveau des établissements. « En tout état de cause l’État doit abonder les
fonds sociaux en tenant compte des implications économiques et sociales de cette crise pour de très nom-
breuses familles et de très nombreux jeunes, par une dotation d’urgence dans l’immédiat, et par une rééva-
luation pour la rentrée prochaine », affirment les organisations syndicales.
Italie. Le ministre de la défense Lorenzo Guerini a annoncé l’achat de quinze nouveaux hélicoptères de
guerre AW-169 M, produit à l’usine Leonardo dans le Piémont, pour la somme de 337 millions d’euros. Un
coup de force pour l’entreprise, qui vient s’ajouter aux dizaines de milliers de réouvertures d’entreprises
sans l’autorisation formelle des préfectures. « Un sacré pari quand on compare ces 337 millions aux 400 mil-
lions alloués aux collectivités locales pour remédier à l’urgence sociale », commentent deux dirigeants de
Rifondazione Comunista. La coordination FIOM-CGIL de Leornado appelle à l’application du protocole
sanitaire de sécurité et demande des précisions sur les revenus de remplacement pour les salariés exclus de
l’activité.
États-Unis. Dimanche, des centaines de manifestants se sont rassemblés à Denver pour protester contre
les ordonnances de confinement de l’État. Cette manifestation, appelée « Opération Gridlock », a vu cer-
tains manifestants rester dans leur voiture en brandissant des pancartes « Votre “santé” ne remplace pas mon
droit » et « Liberté contre la peur », tandis que d’autres ont ignoré les obligations de distanciation et se sont
rassemblés sur la pelouse du Capitole de l’État. Des infirmières et des personnels de santé ont organisé une
contre-manifestation, les bras croisés, portant leurs équipements de protection. Les manifestant·es ont carac-
térisé de « criminel » ce rassemblement au Capitole de l’État qui empêchait les ambulances et autres services
essentiels de fonctionner efficacement.
France. L’entreprise Renault Trucks, basée à Saint-Priest, a décidé de relancer son activité dès cette
semaine dans la région. Selon la CGT, « cette décision va casser le confinement non seulement pour les
salariés de Renault Trucks, mais aussi pour l’ensemble des sous-traitants, prestataires et intérimaires. Et pour
l’instant, au niveau de la sécurité et de la fourniture de matériel de protection, on a surtout eu droit à des
intentions de la part de la direction mais peu de concret, à part sa volonté de redémarrer la production et
de monter très rapidement les cadences ». Le syndicat dénonce également une perte de salaire de 8 % pour
les employés, mais également des congés imposés pendant cette période d’activité partielle qui devrait se
poursuivre jusqu’au mois de juillet.
Italie. Le réseau de luttes contre les violences faites aux femmes, Dire, révèle que les données de 80
centres antiviolence font état d’une augmentation de 74,5 % des appels à l’aide depuis le 3 mars. Le réseau
demande où se trouvent les 33 millions promis aux territoires par le gouvernement. Personne n’en a encore
vu la couleur.
France. La Coordination nationale de l’éducation (Chaîne des bahuts et des écoles), les Stylos rouges,
Bloquons Blanquer, la Coordination lycéenne nationale et Parents pas confiants déclarent dans un com-
muniqué : « Alors que le président du conseil national de l’Ordre des médecins estime que la réouverture
progressive des crèches, des écoles et des lycées fait courir un risque inutile […], Macron et le gouvernement
ont accédé ce lundi 13 avril aux demandes pressantes du Medef pour renvoyer les travailleurs et travailleuses
dans la production. […] Nous ne ferons pas courir de “risque inutile” aux personnels, aux élèves et à leurs
familles  –  notamment dans les classes populaires plus vulnérables  –  ou à la santé publique. […] Le 11 mai,
ce sera donc sans nous. L’école n’est pas la garderie du Medef. »

99 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


Russie. Révolte contre le confinement à Vladikavkaz dans le Caucase russe. Les gens ont perdu leur emploi
et n’ont plus d’argent.
Japon. Les syndicats reçoivent un nombre croissant de rapports de victimes de discrimination de la part de
leurs patrons et de harcèlement de la part de clients frustrés par la pénurie de marchandises. La Confédération
japonaise des syndicats, Rengo, a déclaré avoir reçu des informations faisant état d’agression lié au virus, par
exemple un patron qui pulvérise un désinfectant sur un subordonné.
France. Dans la nuit du 19 au 20 avril, l’inspection du travail a débarqué sur le site RATP de bus de
Belliard, dans le 18e arrondissement de Paris, à la demande des élus CGT et du CSST (la commission santé,
sécurité et conditions de travail) de l’entreprise. Elle a constaté des manquements dans la sécurité sanitaire
des salarié·es et des usager·ères. Les bus sont nettoyés en temps record d’une minute trente, dans le noir
absolu. Une procédure de danger grave et imminent a été déposée par le CSST. Voilà comment la direction
de la RATP poursuit les économies dans la rubrique ménage de son budget en temps de Covid, au mépris
de la santé de toutes et tous !
Tunisie. L’Union générale tunisienne du travail (UGTT), le ministre des affaires sociales Mohamed Habib
Kchaou et le président de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA) ont
signé un accord concernant le versement des salaires du mois d’avril pour les salariés du secteur privé. Cet
accord prévoit d’abord le versement de la totalité du salaire du mois d’avril aux 1,5 million employés du
secteur privé, selon la formule suivante : l’État va verser une aide exceptionnelle occasionnelle de 200 dinars
alors que le reste de la rémunération sera pris en charge par l’entreprise.
Turquie. Le centre de recherche de la Confédération syndicale progressiste de Turquie (DISK-AR) a publié
un rapport concernant les effets de la nouvelle pandémie de Covid-19 selon lequel « le taux de cas positifs
de Covid-19 parmi les travailleurs est au moins trois fois plus élevé que la moyenne en Turquie ». Considéré
par secteur d’activité, le nombre le plus élevé d’affaires Covid-19 a été enregistré dans le secteur de la
métallurgie. Selon les chiffres de la Confédération, la production a été arrêtée dans 48 lieux de travail où le
DISK est présent et a concerné au moins 12 000 travailleur·euses.

21 AVRIL
États-Unis. La New York State Nurses Association de l’État de New York (42 000 membres) a déposé
plainte contre le département de la santé de l’État et deux hôpitaux lundi, affirmant que les entités ont man-
qué à leur « devoir fondamental de protéger les travailleurs de la santé et le grand public ». Le plus important
syndicat des infirmières de l’État affirme que le ministère de la santé a émis des directives ordonnant aux
travailleurs de la santé qui ont contracté le Covid-19 de retourner au travail après sept jours, malgré les
réglementations d’urgence qui leur permettent de rester à la maison pendant deux semaines. Les infirmières
et autres travailleurs de première ligne ont déclaré qu’à moins qu’elles ne puissent prouver qu’elles avaient
le virus avec un test réel, certains hôpitaux les obligeaient à utiliser leurs congés payés accumulés durant ces
sept jours. Le syndicat dénonce le manque de moyen de protection. Au moins 84 infirmières membres du
syndicat ont été hospitalisées avec le virus, et au moins six infirmières sont décédées.
Italie. La Fiom Milano lance une campagne #NonSiamoSacrificabile (on n’est pas sacrifiables) pour
dénoncer la reprise du travail. Ils demandent au gouvernement d’assurer aux syndicats de pouvoir inspecter
les conditions sanitaires des lieux de travail, la nécessité d’un contrôle syndical sur les réouvertures et de
réelles sanctions pour les entreprises ne respectant pas ces conditions.
France. Quinze organisations syndicales et associatives s’adressent aux organisations politiques en vue de
débattre dans la situation d’épidémie et, pour le futur, de « repenser aussi les formes du débat démocratique
et l’articulation entre les mouvements sociaux et les organisations politiques ».
Luxembourg. Une prime, c’est bien. De bonnes conditions de travail, c’est encore mieux. Tel est en résumé
le principal message délivré par Pitt Bach, le secrétaire central du syndicat Santé, services sociaux et éduca-
tifs, au cours d’une conférence de presse virtuelle. Il a estimé qu’« il faut écouter les gens du secteur qui sont

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 100


en première ligne dans la crise sanitaire, et surtout ne pas se rabattre sur des sociétés privées externes si nous
voulons tirer les bonnes leçons de cette période difficile ». Pour Pitt Bach, « tous ceux qui permettent de faire
fonctionner le système la méritent [la prime], des femmes de ménage aux administratifs jusqu’au personnel
de santé ». Il ajoute : « Nous n’avons pas besoin d’un pansement, mais bien d’une réforme de fond en comble.
Un pourboire ne nous permettra pas d’acheter de meilleures conditions de travail. »
Mexique. Depuis le 6 avril, de nombreux débrayages ont eu lieu dans les zones franches de Mexicali et
d’autres communes de Basse-Californie, au nord du Mexique. Ces grèves ont eu lieu après que le gouver-
nement fédéral a pris un arrêté, le 25 mars, suspendant les activités non essentielles pour cause du Covid-19.
Cet arrêté prévoit que le salaire sera intégralement versé aux travailleur·euses mais cette clause n’a pas été
respectée par de nombreux employeurs. Des grèves ont eu lieu à Honeywell Aerospace, Gulfream Aerospace
et Skyworks, entre autres, des entreprises qui, dans leur pays d’origine, avaient cessé leurs activités et qui
au mexique voulaient forcer les salarié·es à venir travauller tout en refusant de verser les salaires. Les tra-
vailleur·euses ont dénoncé les menaces et intimidations des services des ressources humaines, les retenues
de salaires et les pressions pour leur faire accepter des « licenciements volontaires temporaires » ou des jours
de repos non rémunérés. Ces grèves ont contraint le gouvernement à prendre des mesures pour que ces
entreprises ferment temporairement, tout en exigeant d’elles de payer les salaires.
Italie. Si le décret Cura Italia a imposé de réels obstacles aux procédures de licenciement collectif, il a
aussi imposé d’énormes restrictions aux tribunaux du travail, qui ne doivent traiter que les procédures qui
produisent « un grave préjudice aux parties ». Dans les faits, seuls le tribunal et la cour d’appel de Rome
continuent de fonctionner, et notamment à traiter les cas de licenciements individuels ou de discrimination
syndicale. « On veut rendre justice à ceux qu’on appelle par ailleurs des héros ? », demande l’avocat Pierluigi
Panici, signataire avec d’autres professionnels du secteur d’un appel contre la paralysie de la Justice au travail.
États-Unis. Des centaines d’employés d’Amazon devraient faire grève à partir de ce mardi pour protester
contre les conditions jugées dangereuses et exiger une meilleure protection sur le lieu de travail contre la
pandémie de coronavirus. « Il s’agit de la plus grande action de masse des travailleurs à ce jour, alors que les
frustrations montent autour de l’échec de l’entreprise à protéger les travailleurs à la suite de l’épidémie de
coronavirus », a déclaré la coalition Athena (https://athenaforall.org/) un groupe d’organisations de défense
des droits des travailleurs. « Pendant des semaines, les travailleurs d’Amazon ont tiré la sonnette d’alarme
sur les conditions dangereuses dans les installations », explique Athena, qui indique les 130 entrepôts où les
travailleurs ont contracté le Covid-19, certains « avec plus de 30 cas confirmés ».
France. Le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, annonce une reprise étalée à partir
du 11 mai, pour arriver à celle de tous le 25 mai. La fédération SUD-Éducation note que cela concerne
« 12 393 400 élèves soit 18,5 % de la population française » : « Le ministre n’apporte aucune garantie en matière
de sécurité et de prise en charge des élèves : l’annonce des cours en demi-effectif indique qu’à l’échelle de
certaines écoles, dans les collèges ou dans les lycées, plusieurs centaines d’élèves et de personnels pourraient
se côtoyer sans respect des distances recommandées. Le ministre n’apporte aucune information sur le maté-
riel (masques, savon, gel hydroalcoolique) mis à disposition des personnels et des élèves, ni rien non plus
sur les tests. Il est manifeste que ces matériels ne seront pas disponibles en quantités suffisantes pour cette
période. Il est incapable de donner des règles claires concernant le transport scolaire, l’internat, les élèves
en situation de handicap, l’exiguïté des locaux, et la restauration scolaire. […] La réouverture précipitée des
écoles n’a pour objet que de servir les profits des capitalistes en renvoyant leurs parents au travail. […] Pour
SUD-Éducation, l’urgence est d’abord sanitaire : le gouvernement et le ministre n’apportent toujours aucune
garantie pour la santé et la sécurité des personnels. À défaut des garanties indispensables, SUD-Éducation
appellera les personnels à ne pas se rendre dans leur école ou établissement le 11 mai dans le cadre de leur
droit de retrait ou de leur droit de grève. »
Italie. Une lettre ouverte et une pétition à l’initiative de syndicats et d’associations pour la régularisation
complète et la formalisation des contrats de travail des centaines de milliers de travailleuses et travailleurs
aides à domicile et auxiliaires de soin, ont été envoyées au président du Conseil et au ministère du travail.
Outre l’absence intolérable de matériel de protection qui les met en danger eux et leurs patients, l’appel

101 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


dénonce aussi « une condition qui les oblige à se rendre invisibles, qui les expose et les rend encore plus
vulnérables au risque de contamination ».
France. Les syndicats de la FSU ont écrit au ministre de l’éducation nationale pour l’informer des préa-
lables à la reprise de l’activité dans les établissements scolaires : « Présenter devant le Parlement un avis du
conseil scientifique attestant de la non-dangerosité globale à la date du déconfinement […] ; soumettre le
déconfinement à la possibilité de tester massivement les adultes et les élèves […] ; soumettre le déconfi-
nement à la capacité des collectivités territoriales de garantir [leurs] missions ; […] équiper en matériel de
protection les personnels et le public […]. Le déconfinement progressif doit être envisagé en pleine compa-
tibilité avec les capacités de production et de livraison connues du matériel nécessaire à ces opérations. Les
instances représentatives des personnels, les CT et les CHSCT, aux niveaux national, académique et dépar-
temental devront être consultés sur la réouverture des établissements […]. Dans les EPLE, les représentants
des personnels devront être associés aux discussions sur les modalités de réouverture au public (CA et/ou
CHS). »
États-Unis. Communications Workers of America (CWA), le plus important syndicat des communications
et des médias du pays (700 000 membres), menace d’annuler sa convention d’août 2021, qui doit se tenir
au New Orleans Ernest N. Morial Convention Center, si ce centre de congrès n’accorde pas une aide de
100 millions de dollars aux dizaines de milliers de travailleurs du tourisme de la Nouvelle-Orléans au
chômage en raison du Covid-19. « Le centre ne devrait pas laisser 184 millions de dollars d’actifs nets non
affectés dans ses livres restés inutilisés, pendant que les travailleurs de la Nouvelle-Orléans font face à des
licenciements, des pénuries alimentaires et des expulsions », a indiqué le syndicat. Sur place, à la Nouvelle-
Orléans, une coalition de 21 sections syndicales locales, organisations de défense des droits et autres groupes,
porte la même revendication.
État espagnol. Les coursiers indépendants (non-salariés, « autònomos ») travaillant pour l’entreprise de livrai-
son Glovo, à Madrid, ont organisé une manifestation de motos et de vélos, casqués et masqués, le 18 avril,
la première durant l’état d’urgence sanitaire. Glovo a décidé de réduire leurs tarifs de plus de la moitié
(les courses passent de 2,50 euros à 1,20). « On nous considère comme une entreprise essentielle mais nos
conditions de travail, en tant que faux indépendants, sont une exploitation totale », lit-on sur leur plateforme,
Riders x Derechos (pour leurs droits). Ils demandent également à être requalifiés en CDI : « Nous sommes
des salariés pas des indépendants. » Ces coursiers se plaignent de l’aggravation de leur situation avec l’épidé-
mie : « Nous avons été classés parmi les secteurs essentiels alors que nous livrons des pizzas ou des hambur-
gers à domicile… Nous avons été obligés de travailler sans équipements sanitaires, sans formation, alors que
nous sommes en contact avec les gens et en plus, on baisse nos tarifs de moitié. » Les adhérents des Riders
en Catalogne ont dénoncé au ministère de la santé le fait que Glovo se vante de livrer des repas gratuits aux
soignants en utilisant leurs services sous-payés. Une première manifestation exemplaire sous confinement.

22 AVRIL
France. Deux infirmier·es de l’Ehpad de La Cépière à Toulouse ont été mis·es à pied, fin mars parce qu’il
et elle avaient froissé leur hiérarchie en réclamant régulièrement des protections. Sylvie, trente ans à son
poste, avait demandé d’utiliser les 600 masques stockés dans l’établissement. Younes, lui, a dû quitter son
poste en plein service, escorté par quatre policiers appelés par la direction.
Italie. Le secteur agricole continue d’être au cœur des débats : d’abord avec la propagande de la droite et
de certains secteurs patronaux souhaitant faire travailler les « privilégiés » bénéficiant des revenus de qua-
rantaine et qui sont radicalement opposés à la mise en place d’un revenu de citoyenneté. Ensuite, avec une
demande de régularisation complète des personnes immigrées travaillant régulièrement dans les champs
(voir Éphéméride du 2 avril, éd. 1-2-3, p. 77). Les organisations de travailleurs agricoles, notamment l’USB
Agricole, rappellent ainsi que des centaines de milliers de personnes travaillent diffcilement car ils subissent
violences, contrôles policiers intempestifs et vivent dans des conditions sanitaires telles qu’il est difficile de se
prémunir contre la diffusion du virus. C’est de contrat de travail formel, d’accès à la nourriture, de logements
et de conditions hygiéniques décentes dont a besoin le secteur affirme le syndicat.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 102


Kanaky. Le Sénat coutumier s’oppose à l’arrivée de personnels militaires et administratifs de l’État français :
« ces personnes viennent du quatrième pays le plus contaminé par le Covid-19 et qui compte 20 000 décès.
Le monde coutumier océanien s’oppose à ces arrivées, [qui auraient lieu] malgré la promesse d’un confi­
nement strict, au moins jusqu’à la levée du confinement en France ».
France. « Les coop-habitants sont habituées à s’auto-organiser en temps normal, alors les nouvelles règles
de vie que nous impose l’épidémie comme la distanciation sociale s’est faite rapidement en toute intelli-
gence, dans la confiance », selon Thomas Berthet, d’Abricoop à Toulouse. Dans les coopératives d’habitants,
les pièces communes sont transformées en bureau pour les parents en télétravail. « Le Covid-19 ne fait
qu’accentuer l’urgence de faire apparaître d’autres formes d’habitat. Un habitat plus résilient, plus inclusif et
plus écologique » (Habicoop). (On Vaulx Mieux que ça !).
Bangladesh. Le Bangladesh, poursuivra les propriétaires d’usines qui ne paient pas leur personnel pendant
le confinement, a averti un responsable gouvernemental, des dizaines de milliers de travailleurs du textile,
après la fermeture des usines, n’ont pas touché le salaire de mars. Le gouvernement a déclaré qu’au moins
350 propriétaires d’usines n’avaient pas encore payé leurs salaires en mars, soit 150 000 travailleur·euses
touché·es, bien que les syndicats affirment que le chiffre réel est beaucoup plus élevé. L’industrie textile
représente plus de 80 % des exportations du Bangladesh, et emploie environ 4 millions de personnes, prin-
cipalement des femmes. « Je reçois toujours des appels de travailleurs chaque jour qui disent qu’ils n’ont
pas été payés et qu’ils ont du mal à vivre. Ils ne le méritent pas », a déclaré Nazma Akter, responsable de la
Fédération Sommilito Garments Sramik, qui représente 100 000 travailleur·euses.
Canada. Selon le président de la section 401 des Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce
(TUAC), JBS Canada a offert une prime de quart de 4 $ de l’heure aux travailleurs de son usine d’emballage
de viande à Brooks, Alberta. Mais ce n’est pas suffisant a déclaré le responsable syndical. Entre 500 à 1 000
travailleurs ne se sont pas présentés à l’usine, au point que celle-ci a dû réduire sa production. Cette usine
est la deuxième dans la région à avoir été frappée par une éclosion du coronavirus.
Italie. Face aux problèmes d’approvisionnement rencontrés par le secteur sanitaire des professionnels, des
intellectuels et des ONG demandent à ce que le système de brevets des accords de l’OMC ne limite pas l’ac-
cès aux médicaments, aux tests et aux vaccins pour les personnes et pays qui ne pourraient se le permettre.
Ils rappellent au gouvernement qu’une procédure de l’OMC, gagnée par des associations de lutte contre le
Sida, permet déjà en cas de crise sanitaire de passer outre les brevets et les licences. Des résolutions dans ce
sens ont été adoptées par les parlements allemand, chilien, équatorien et israélien.
France. Redémarrage de l’usine de Plaintel : l’État esquisse un geste ? La secrétaire d’État auprès du
ministre de l’économie et des finances déclare ce jour : « En fonction du calendrier de la production du site
de Plaintel, il sera possible d’étudier l’achat par l’État d’une partie des volumes produits » ; elle s’empresse
d’ajouter : « Si les porteurs du projet confirment sa faisabilité et sa compétitivité » ; un message vers celles et
ceux qui portent le projet de redémarrage en coopérative. C’est sûr que fermée en 2018 par Honeywell,
l’usine est sans doute plus compétitive !
État espagnol. On les appelle les « Kellys ». Elles sont les femmes de chambre des hôtels de luxe. Comme
leurs collègues de l’Ibis Batignolles, à Paris, elles se battent depuis des années pour leur statut (elles
dépendent majoritairement de sous-traitants) et leurs conditions de travail. Aujourd’hui, la crise du Covid-
19, c’est la double peine pour elles. Une de leur porte-parole à Barcelone, Miriam, a dénoncé que, alors que
les patrons vont toucher des millions du plan de sauvetage de l’État pour préserver l’emploi (200 milliards,
dont 17 milliards aux secteurs « non essentiels », dont le tourisme), 95 % des femmes de chambre d’étage des
établissements barcelonais sont déjà sur le carreau. Elles ne sont pas couvertes par le dispositif de chômage
technique car les contrats de sous-traitance se sont arrêtés. Seules 5 % d’entre elles ont un contrat direct
avec ces hôtels. Dans ce dernier cas, elles bénéficient du chômage partiel et touchent 70 % de leurs salaires
de misère. Avant même la crise, ces femmes demandaient déjà une « loi Kelly » afin d’être intégrées aux éta-
blissements pour lesquels elles travaillent.
France. Depuis plusieurs semaines, les patrons de Bombardier (59) font pression pour redémarrer l’activité
sur plusieurs sites. À chaque fois, ils doivent présenter leur plan de reprise partielle ; et à chaque fois, les

103 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


élu·es (SUD, CGT, CFDT) expliquent qu’ils et elles ne sont pas en capacité de rendre leur avis et utilisent
le délai légal de réflexion d’un mois. La direction attend.
Grande-Bretagne. L’un des plus importants syndicats britanniques Unison a annoncé avoir enregistré une
explosion de son nombre d’adhérents dans un communiqué diffusé le 20 avril. Depuis le début de l’année,
près de 16 000 salariés ont ainsi décidé d’adhérer à l’organisation, précisément en mars et début avril, période
où la pandémie de Covid-19 a commencé à toucher sévèrement la Grande-Bretagne. « Les gens rejoignent
notre syndicat pour avoir des conseils et bénéficier d’une sécurité durant cette période inquiétante », a
commenté le secrétaire général d’Unison, Dave Prentis. Selon lui, cette forte hausse est d’ailleurs « un signe
indiquant combien les gens sont inquiets » face à la crise sanitaire. Sur les 15 755 nouveaux adhérents, environ
un tiers travaille dans des écoles, a précisé le syndicat, qui reste le leader syndical historique du service public.
Au total, Unison compte aujourd’hui plus de 1,3 million de membres.
France. Dans un communiqué daté du 18 avril, et sobrement intitulé « Précisions sur les gels hydroalcoo-
liques », la direction de France Télévisions annonce que les gels distribués dans l’entreprise audiovisuelle sont
défectueux et « invite les collaborateurs qui ne l’auraient pas encore fait » à les rapporter à leurs supérieurs
hiérarchiques… « Une sobriété lexicale qui contraste avec la gravité des faits, souligne le SNJ CGT. Ce
sont les élus qui, grâce à la vigilance de leurs collègues sur le terrain, ont alerté la direction sur l’absence
de garantie de ce produit fabriqué en Turquie et distribué par un site belge de vente de… cadeaux d’en-
treprise ! » Pendant plusieurs semaines les salariés de France Télé croyaient se protéger avec un gel à 27 %
d’éthanol au lieu des 60 % minimum, « totalement inefficace contre le Covid-19 ! », comme le rappelle le
communiqué du syndicat de journalistes. Qui a cru que le « jour d’après » serait différent d’hier pour ceux
qui tiennent les cordons de la bourse dans les entreprises ?
France. Le Conseil d’administration de France Télécom a décidé de maintenir un solde de dividende
au titre des résultats d’Orange en 2019 (pour rappel : 3,3 milliards de bénéfice net). Ce solde représentera
532 millions d’euros à décaisser, qui s’ajoutent aux 798 millions d’euros d’acomptes versés en décembre ! Au
total, Orange aura versé 1,3 milliard d’euros en dividendes aux actionnaires au titre des résultats 2019, soit
41 % du bénéfice net dégagé par le travail des salarié·es du groupe. 798 millions piqués par les actionnaires
de France Télécom, ça aurait permis de nourrir quelques familles directement touchées par la crise sanitaire,
par exemple.
France. L’usine Jeanneau SPBI de Cholet a fermé le 18 mars, les salarié·es qui le pouvaient furent mis en
télétravail. Les autres ont dû prendre des congés ou RTT avant d’être mis en chômage partiel à compter
d’avril. Une partie des activités a repris dès le 31 mars, une nouvelle vague est programmée par les patrons
le 4 mai. Quelle est cette activité essentielle à la vie du pays ? La fabrication de bateaux de luxe.
Afrique du Sud. Les infirmières de l’unité d’isolement du The Young Nurses Indaba Trade Union (YNITU)
ont tenu un point de presse pour discuter du premier cas de coronavirus (Covid-19) à l’hôpital Tygerberg du
Cap occidental le 11 mars 2020. Le Syndicat des jeunes infirmières et infirmiers d’Indaba (YNITU), affilié à
la Fédération sud-africaine des syndicats (Saftu), dit qu’elles se sentent négligées par le gouvernement, ayant
soulevé des problèmes de manque d’équipement de protection individuelle (EPI), de transport coûteux et
des « salaires au niveau de la pauvreté ». Le syndicat représentant environ 15 000 infirmières dans les éta-
blissements de santé publics et privés, menace d’un retrait de masse à partir du 1er Mai si le gouvernement
ne répond pas à leurs demandes de longue date. Cependant, le porte-parole du ministère de la santé, Popo
Maja, a déclaré que si le syndicat appelait à un retrait, ce serait « une infraction pénale conforme à la loi sur
la gestion des catastrophes » que la police pourrait examiner.
France. L’usine de Thouarcé (49) du groupe Morgan TCF est restée en activité pendant toute l’épidémie.
Le CSE s’est réuni toutes les semaines, et 2 réunions par semaine ont eu lieu avec l’ensemble des salariés.
C’est au compte-gouttes que masques, distance sociale et mesures barrières ont été mis en place. Maintenant,
pour des raisons économiques et pas du tout pour la santé des salarié·es, la direction évoque la mise en place
du chômage partiel pour mai ou juin.
Afrique du Sud. KAP Industrial, qui possède des activités automobiles, chimiques et logistiques, a réduit
les salaires de certains de ses employés de 20 % pendant trois mois, pour consolider ses finances pendant la

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 104


pandémie de Covid-19. Les réductions toucheront les employés non couverts par les conventions collectives.
Ils ne recevront pas non plus d’augmentation annuelle liée à l’inflation pour la période comprise entre fin
juillet 2020 et fin juin 2021. Des négociations ont également été engagées par le biais du conseil de négo-
ciation et des structures syndicales concernées afin de reporter les accords salariaux qui n’ont pas été mis en
œuvre depuis 12 mois, a indiqué le groupe.
État espagnol. Deux cents associations de locataires et des collectifs pour le droit au logement jugent les
mesures prises par le gouvernement insuffisantes : suspension des expulsions pour non-paiement durant six
mois, prolongation des baux pour éviter des hausses, microcrédits à taux zéro. Elles maintiennent l’appel à
la grève des loyers à partir du 22 avril (« Si je ne suis pas payé, je ne paye pas »), malgré un cadre juridique
incertain (voir Éphéméride du 28 mars). « Nous sommes conscients que c’est une grève de fait, pas de droit,
explique Jaume Palomera, du Syndicat des locataires de Barcelone. Nous avons un but politique : faire pres-
sion sur le gouvernement pour qu’il suspende dans certains cas le paiement des loyers pendant la période
d’urgence pour les familles et certaines entreprises. » Il rappelle que le droit de grève dans le monde du
travail a été arraché en… « faisant des grèves lorsqu’elles étaient illégales ». Face à ceux qui brandissent le
risque d’expulsion, l’avocate des associations, Silvia Beltrán, plaide pour un « débordement de la justice » : si
les grévistes sont très nombreux « les tribunaux n’arriveront pas à traiter toutes les plaintes ».
Nicaragua. L’ensemble des organisations étudiantes du Nicaragua critiquent le conseil universitaire, qui
s’est aligné sur l’absence de préconisations du gouvernement Ortega-Murillo contre l’épidémie. Ils exigent
des mesures de protection sanitaire pour reprendre les cours après la pause de Pâques et la mise en place
d’un enseignement numérique. Ce furent les étudiants déjà qui, le 18 avril 2018, avaient déclenché le sou-
lèvement contre le régime, commémoré ces jours-ci sur les réseaux sociaux. Ortega, lui, fête cette date par
la répression, comme le rapportent les associations de défense des droits humains : « Il y a eu 138 cas de
surveillance ou de harcèlement à domicile, 10 cas de perquisitions, 11 menaces directes, 16 agressions et 39
arrestations arbitraires par les forces policières sou paramilitaires. »

23 AVRIL
Jamaïque. Un certain nombre de travailleurs domestiques, poussés au chômage par le coronavirus, ont
récemment lancé un fonds pour aider à amortir le coût social de la maladie infectieuse, mais après trois
semaines, ils sont loin de leur cible. Les aides  –  des femmes qui travaillent dur pour aider les familles jamaï-
caines des classes moyennes et supérieures  –  n’ont pu, jusqu’à hier, lever que 805 dollars alors que l’objectif
avait été fixé à 10 000 dollars. Pour le Jamaica Household Workers’ Union (JHWU), on est encore loin de
l’objectif. « Cette nouvelle maladie le coronavirus a plongé le monde dans le chaos, et la Jamaïque ne fait
pas exception. Les travailleuses domestiques vivent un drame [car] beaucoup d’entre nous ont été renvoyées
chez elles sans salaire et nous ne sommes donc pas en mesure de prendre soin de nous […] et par exten-
sion de nos familles. S’il vous plaît, aidez-nous. Nous parlons ici d’environ 58 000 travailleurs, dont 80 % de
femmes », a déclaré Nicola Lawson, vice-président du syndicat, dans un message vidéo lors du lancement
du fonds.
États-Unis. Marge Harvey, une conductrice d’UPS dans le Vermont qui travaille avec UPS depuis 1987, a
déposé une plainte après son licenciement le 10 avril pour avoir soulevé des problèmes de sécurité concer-
nant le Covid-19 dans l’établissement où elle travaillait. Les travailleurs des centres de distribution d’UPS au
Vermont ont organisé des manifestations de protestation devant certains des six sites de l’entreprise. Harvey,
qui vit à St. Johnsbury, a déclaré mercredi dans une interview qu’elle avait commencé à faire part de ses
préoccupations concernant les problèmes de sécurité de Covid-19 au début du mois de mars, bouleversée
par le manque d’équipement de protection individuelle, pas de savon dans les salles de bains et aucune ligne
directrice pour l’éloignement social. Elle a déclaré que son patron avait dit qu’il la licenciait à cause de la
« malhonnêteté » dont elle faisait preuve sur les photos et vidéos qu’elle avait prises pendant son travail et
publiées sur Facebook.
Zambie. Le gouvernement devrait renoncer à la taxe sur les tarifs d’électricité et suspendre les factures
d’eau pour permettre aux ménages d’avoir un revenu disponible pour subvenir aux besoins. Le secrétaire

105 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


général du Congrès des syndicats de Zambie (ZCTU), Cosmas Mukuka, a déclaré hier que la levée de la
taxe sur l’électricité et la suspension des factures d’eau permettront aux pauvres de subvenir aux besoins de
base tels que la nourriture, les désinfectants et l’acquisition de masques.
Italie. La FLC CGIL, en collaboration avec des pédagogues, des psychologues et surtout des professeurs,
vient de publier un manifeste en sept points pour « une didactique inclusive », intitulé « à distance, mais pas
trop ». Le document se veut l’ouverture d’un débat impliquant tous les professionnels du secteur visant à
éviter que les outils numériques se substituent à la relation éducative et permettent une réappropriation
pédagogique par les acteurs, en opposition à une école tournée vers la privatisation et marquée par les iné-
galités croissantes depuis très longtemps déjà.
France. Pendant la pandémie, les fermetures d’unités hospitalières continuent. C’est ce que dénonce la
fédération SUD-Santé sociaux, à travers l’exemple du centre hospitalier Le Vinatier, dans le Rhône. 50 lits
supprimés, et 25 autres annoncés aujourd’hui. Le plan comptable vit sa vie.
Zimbabwe. Le Congrès des syndicats du Zimbabwe (ZTCU) a exprimé son profond mécontentement à
propos de la décision de la ville de Harare de démolir les stands de vente en bordure de route pendant le
confinement et a qualifié cette décision de stupide et d’insensible. À propose de la destruction des étals à
Mbare et Chishawasha, le ZCTU a déclaré : « Seule la stupidité peut conduire un gouvernement à démolir
des sources de revenus sans plan sur la façon de nourrir la nation pendant l’isolement et après l’ère du
Covid-19. ».
France. Pétition pour une coopérative d’intérêt collectif fabricant des masques. Il faut appuyer le projet
présenté dans l’interview parue dans notre édition n° 4 : une coopérative à Plaintel (22), là où Honeywell a
abandonné l’usine en 2018. Une pétition est à signer : www.change.org/p/tous-les-citoyen-nes-de-notre-pays.
Palestine. Sabotage des initiatives de lutte contre le coronavirus par l’armée d’occupation. Jérusalem-Est :
arrestation des groupes distribuant du matériel de secours ; démantèlement d’un centre de dépistage installé
dans les bâtiments d’une mosquée (Haaretz, 15 avril). Vallée du Jourdain : confiscation du matériel servant à
la construction d’une clinique de campagne.
France. Solidaires, CGT et CFDT exigent une négociation afin que la direction s’engage sur le respect
du droit de retrait et que soient définies les modalités d’évaluation des risques et de mise en place des
protections. Effectifs, sécurité, santé, droits des travailleurs et travailleuses : on est encore loin du compte,
précisent-elles.
Grèce. La coopérative autogérée VIOME à Thessalonique qui produit depuis 2012 des savons et lessives
écologiques n’a plus d’alimentation électrique. Que s’est-il passé ? Les travailleurs de Viome Coop dénoncent
la décision agressive du gouvernement de couper l’électricité de l’usine. Ils essaient par tous les moyens de
ne pas arrêter la production des produits, qui sont actuellement les plus nécessaires à la société. « Avec la
contribution sans fin des personnes solidaires, nous pouvons  –  en général  –  travailler et satisfaire tous ceux
qui soutiennent notre lutte en achetant nos produits. Aujourd’hui, nous demandons l’aide du mouvement
mondial de solidarité pour acquérir un générateur, afin que nous puissions continuer la production sans
obstacles et nous aider à devenir plus indépendants. Nous appelons donc tous les syndicats, collectifs, cama-
rades grecs, européens et mondiaux à nous aider à l’obtention d’un générateur avec capacité de biodiesel.
La solidarité est notre arme » déclare la coopérative. (https://power.viomecoop.com/).
France. Les salariés-sociétaires de la coopérative SCOP-TI ont mis en place une nouvelle organisation des
postes de travail (désinfection des locaux, éloignement des postes, lieux de vie en commun). Ils ont organisé
la distribution de matériel de protection aux soignant·es, un millier d’équipements de protection aux hôpi-
taux de la région de Marseille.
Palestine. Près de 50 000 travailleurs ont quitté les territoires palestiniens pour travailler en Israël ces
derniers jours, après que la Palestine et Israël ont conclu un accord leur permettant de travailler et de res-
ter en Israël pendant une période pouvant aller jusqu’à deux mois. Cette mesure, prise pour contrôler la
propagation du nouveau coronavirus, s’applique aux travailleurs titulaires de permis de travail spéciaux dans
des secteurs tels que la construction et l’agriculture. De nombreux travailleurs palestiniens disent qu’ils sont

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 106


confrontés au choix difficile de rester en sécurité chez eux sans aucun revenu ou de risquer une exposition
au virus en se rendant en Israël. Cette décision fait suite au retour, le mois dernier, de centaines de milliers
de travailleurs palestiniens d’Israël, dont beaucoup affirment qu’ils faisaient face à des conditions de travail et
de vie inacceptables à mesure que le Covid-19 se répandait. Les travailleurs de la construction, par exemple,
ont déclaré avoir passé la nuit sur les sites où ils travaillaient.
France. Depuis un mois des habitants et habitantes de la Roseraie à Toulouse avaient affiché sur leur façade
une banderole « Macronavirus à quand la fin ? ». Le 21 avril, la police leur a ordonné de décrocher la ban-
derole, ce qu’ils ont fait même si aucun motif légal n’était avancé. La police a aussi demandé qu’un ou une
des locataires donne son identité. Le 22 avril, les « forces de l’ordre » sont revenues, rentrant dans le jardin
sans autorisation, pour lui remettre une convocation pour une audition le 23 avril. Elle s’y est rendue et a
immédiatement été mise en garde à vue. Motif ? Outrage au chef de l’État ! Elle a été interrogée en vue de
donner l’identité de ses colocataires, ce qu’elle a refusé tout comme le chef d’inculpation. Cette habitante
est sortie après 4 heures de garde à vue, mais on lui a fait comprendre que cette affaire n’était pas terminée
et que ses colocataires allaient également être convoqués. Plusieurs organisations toulousaines exigent que
le dossier soit refermé sans suite.

24 AVRIL
Zimbabwe. Le Zimbabwe Diamond Allied Minerals Workers Union (ZDAMWU) a déclaré vouloir sur-
veiller le fonctionnement des mines et protéger la santé des employés dans le sillage du Covid-19. Le
gouvernement a autorisé les mines à continuer de fonctionner pendant le verrouillage national, qui a vu
la fermeture de la plupart des industries considérées comme des services non essentiels. « Nous sommes
troublés par des informations très répandues selon lesquelles certains employeurs renvoient des travailleurs
chez eux en congé sans solde en violation de la loi sur le travail, une évolution qui va perturber les relations
professionnelles et entraîner par la suite des perturbations de la productivité dans les mines », a déclaré le
syndicat dans un communiqué.
Russie. Dans des cas de plus en plus fréquents, le personnel soignant est sommé par sa hiérarchie de se
procurer lui-même le matériel de protection. Les gants et les blouses sont déclarés obligatoires, et le person-
nel n’est pas admis à l’hôpital s’il n’en est pas muni (et donc n’est pas payé puisqu’il s’agit d’une faute pro-
fessionnelle). Mais rien n’est fait par la direction pour fournir le matériel de protection. Certains médecins
contrevenants ont déjà été mis à pied. Les syndicats alternatifs du personnel soignant protestent et alertent
l’opinion publique.
Chili. Le Sindicato Autogestionado Trabajadores Ambulantes (SATA, le syndicat autogéré des travailleurs
de rue, www.facebook.com/Sindicato-Autogestionado-Trabajadores-Ambulantes) a été fondé la semaine
dernière pour fournir un instrument de défense pour les personnes qui vendent et travaillent dans la rue,
sont sans aucun moyen de gagner un revenu et ne bénéficient d’aucun soutien pendant la période de
confinement. Organisée selon des principes non hiérarchiques, la SATA exige qu’une allocation de 300 000
pesos (325 euros) soit versée à tous les travailleurs de rue et migrants pendant la pandémie, quelles que
soient les circonstances, qu’ils aient ou non des papiers. Dans un communiqué, le syndicat a déclaré : « Dans
diverses villes du pays, une multitude de travailleurs et de travailleuses sont contraints de vivre avec le risque
de perdre leurs marchandises lors de saisies, de subir des arrestations par des carabiniers ou sont dénoncés
comme des “criminels potentiels”, ce qui est censé légitimer la violence contre eux. »
France. L’intersyndicale CFDT-CGT-FO et SUD-Santé a déposé un avis de « danger grave et imminent » à
la direction du CHU Henri-Mondor. Elle alerte sur « l’épuisement » des soignants. « Depuis la semaine der-
nière, on nous fait travailler à deux fois douze heures, soit près de 50 heures par semaine, ce qui conduira
à 50 heures supplémentaires au bout de quatre semaines. Les conditions de travail sont catastrophiques. On
parle de diminution du nombre de patients en réanimation, mais il n’y a rien de flagrant, nous avons toujours
85 patients en réanimation », argumente David Jacquelin de SUD-Santé.
France. Le syndicat Sud-Santé Sociaux du Centre hospitalier du Centre-Bretagne, à Noyal-Pontivy

107 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


(Morbihan), s’inquiète des conditions de travail des étudiants infirmiers et aides-soignants en pleine crise
sanitaire. Le syndicat a interpellé François Goulard, président du conseil départemental du Morbihan, pour
que ces étudiants puissent être rémunérés sur la base de leur travail effectif et non sur la base de leur statut
de stagiaire. « On les met dans les services, en priorité à l’Ehpad de Kervénoaël à Pontivy et dans le service
Covid-19 à l’hôpital. À Kervénoaël, ils font des remplacements pour combler le manque d’effectifs, ils font
le travail des titulaires et sont payés comme stagiaires… Dans le service Covid, il y a déjà un gros stress des
équipes, et en plus, on leur envoie des stagiaires : les équipes n’ont pas le temps de les former », accuse le
syndicat.
Russie. Le gouvernement a déposé un projet de loi abrogeant dans les faits le Code du travail puisque
lui donnant la possibilité de légiférer en matière de relations de travail par simples décrets, et ce jusqu’à fin
2020, afin d’adapter les règles aux nécessités de la lutte contre le Covid-19. Des confédérations syndicales
alternatives (la Confédération du travail de Russie et la Fédération des syndicats des travailleurs du trans-
port maritime) ont protesté dans une lettre publique adressée au gouvernement. L’initiative a tout de même
toutes les chances de passer étant donné la majorité parlementaire dont dispose le gouvernement.
Allemagne. L’association des employeurs a annoncé aux employés du secteur du commerce de détail - hier
encore appelés des héros  –  que les augmentations de salaire convenues en avril ou en mai seront reportées
à la fin de l’année. Cela affecte également les travailleurs du secteur alimentaire, qui travaillent actuellement
dans des conditions particulièrement difficiles. Le syndicat Ver.di a déjà annoncé qu’il n’accepterait pas la
baisse de salaire.
Colombie. Depuis le 24 mars, tous les établissements non essentiels ont été fermés. De nombreux employés
ont perdu leur emploi. Les hôtels, les restaurants et les sociétés de transport, en particulier, licencient une
grande partie de leurs effectifs. Les nombreux travailleurs du secteur informel, comme les nombreux mar-
chands ambulants, voient également leurs revenus chuter et les supermarchés ont déjà été pillés dans cer-
taines villes. Cependant, au lieu d’introduire des mesures de soutien de l’État, le gouvernement a jusqu’à
présent réagi principalement en augmentant la présence militaire dans les rues. Parallèlement, l’État profite
de la crise pour réformer la législation sociale. Le gouvernement travaille actuellement sur une nouvelle loi
pour faire passer l’âge de la retraite de 62 à 65 ans.
Sri Lanka. Dans les usines de confection, la production est arrêtée depuis le 20 mars sur ordre du gouver-
nement jusqu’à nouvel ordre. Sous la pression de la FTZ & GSEU et d’autres syndicats, le gouvernement a
ordonné à toutes les usines de payer l’intégralité des salaires d’avril. De plus, les travailleurs ont droit à une
prime légale pour marquer le nouvel an bouddhiste. Il n’est cependant pas clair si les travailleurs recevront
cette prime. La société américaine NEXT a déjà annoncé qu’elle ne paierait que 50 % du bonus aux tra­
vailleurs de ses usines au Sri Lanka en raison des pertes financières causées par les fermetures de magasins
en Europe et aux États-Unis.
France. Plus d’un millier d’universitaires, relayés par des syndicats étudiants, ont signé une tribune dans
Le Monde daté du 15 avril, « Privés de jobs, cloîtrés, les étudiants les plus démunis sont tenaillés par la faim
et l’angoisse », demandant la suspension des loyers CROUS (l’opérateur du service public pour la vie étu-
diante). Les jeunes qui vivent dans des résidences universitaires sont parmi les plus précaires.
Nicaragua. L’apprenti sorcier Daniel Ortega licencie les chercheurs et les médecins qui le gênent dans
son déni de la crise épidémique. Le Comité nicaraguayen de défense des droits humains (Cenidh) dénonce
la destitution par la direction de l’Université nationale du Nicaragua (UNAN) du directeur du Centre de
recherches et d’études de la santé (CIES) et de trois autres titulaires de cette équipe qui, depuis des décen-
nies, forme les épidémiologistes. Fin mars, la directrice de l’hôpital de Granada (sud) avait déjà été mise à
pied. Ces évictions, dictées par le gouvernement Ortega-Murillo, privent ces scientifiques de travail et le
pays de leurs conseils. Selon le Cenidh, le pouvoir veut ainsi « faire taire des voix qualifiées et éviter leurs
critiques à l’encontre d’un système de santé qui n’a pas pris de mesures préventives contre le Covid-19. »
Le Cenidh lance de nouveau un appel aux Nicaraguayens pour que, contrairement aux conseils officiels, ils
restent confinés.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 108


25 AVRIL
Brésil. Face à la propagation du coronavirus dans les prisons, le ministère de la justice souhaite mettre les
contaminés potentiels à l’isolement dans des containers, sans point d’eau ni aération. Un texte s’opposant à
cette mesure a déjà reçu la signature de 16 organisations militant auprès des prisonniers (https://midianinja.
org/news).
France. Le 14 avril, Amazon France disposait d’un délai de 24 heures pour « restreindre l’activité de ses
entrepôts aux seules activités de réception des marchandises, de préparation et d’expédition des commandes
de produits alimentaires, de produits d’hygiène et de produits médicaux, sous astreinte d’un million d’eu-
ros par jour de retard et par infraction constatée ». Le géant américain avait fait appel de cette décision. La
condamnation rendait justice en faveur du syndicat Union syndicale Solidaire. Le 24 avril la cour d’appel a
confirmé l’ordonnance rendue.
France. Les dirigeants des entreprises multinationales françaises Renault, L’Oréal, Danone, Saint Gobain,
Nestlé, Engie et Suez viennent de signer une tribune dans Le Monde et plusieurs médias européens, aux côtés
notamment de Pascal Canfin (député européen LREM, ex-écologiste), Laurent Berger (secrétaire général
de la CFDT), Elisabeth Borne (ministre de la transition écologique) ou encore Yannick Jadot (député euro-
péen écologiste), appelant à mettre en œuvre des « investissements pour la relance verte et la biodiversité »,
qui doivent « servir d’accélérateurs de la transition vers la neutralité climatique et des écosystèmes sains ».
Un document révèle le lobbying mené actuellement par les grandes entreprises françaises auprès de la
Commission, notamment du secteur automobile, pour reporter ou annuler toute régulation européenne en
matière climatique ou écologique. Bien loin de l’image verte qu’elles tentent de se donner dans les médias.
France. Dans un tract publié ce jour, le syndicat SUD-Industrie francilien propose ces revendications :
1. Socialisation de tout ce qui a rapport à la santé et à ce qui est nécessaire à la population pour vivre. 2.
Reprise et soutien par l’État de toutes les entreprises en difficulté dans une démarche de développement des
activités socialement et environnementalement responsables. 3. Création par l’État d’entreprises nécessaires
pour couvrir les besoins de la population sans dépendre d’autres pays. 4. Poursuites pénales contre l’en-
semble des responsables de la catastrophe sanitaire. 5. Interdiction des licenciements. 6. Réduction du temps
de travail à 32 heures par semaine sans flexibilisation ni heures supplémentaires. 7. Rétablissement de tous
les acquis sociaux issus du Conseil national de la Résistance et qui ont été supprimés depuis. 8. Droit de
véto des CSE sur les orientations économiques des entreprises. 9. Hausse du SMIC, des pensions de retraite,
des allocations-chômage, du RSA etc. à 2000 euros nets par mois. 10. Gel des prix des denrées de première
nécessité, plus aucun produit de denrée ne doit être en bourse. 11. Socialisation des biens accaparés par les
classes aisées.

26 AVRIL
Brésil. Depuis le début du confinement, une campagne menée sur les réseaux sociaux incite les employeurs
de domestiques à laisser ces dernières se confiner chez elles tout en continuant à leur verser leur salaire.
Selon une enquête menée par l’Instituto locomotiva, 39 % des employeurs appliquent cette mesure, 22 %
continuent de faire travailler leurs domestiques normalement et 39 % ont mis leur personnel au chômage
sans compensation financière.
Afrique du Sud. Les syndicats ont réussi à faire rejeter la requête devant un tribunal déposée par le groupe
Mondi, une multinationale spécialisée dans la production de papier et d’emballages, de ne pas payer les
heures supplémentaires effectuées par ses employés durant la période de confinement mis en place pour
enrayer l’épidémie de Covid-19. Le Groupe Mondi cherchait à obtenir la permission de prolonger les postes
de huit à douze heures durant la période de confinement au mépris des conventions collectives.
Argentine. Les travailleuses et travailleurs des entreprises récupérées Zenon, Neunquen et Stefani de Cutral
Co, ont déposé une demande à la mairie pour recommencer leurs activités. Ayant essuyé des refus des auto-
rités quand ils ont proposé de reconvertir leur production pour répondre au besoin lié à la crise sanitaire,

109 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


et ensuite pour obtenir un revenu de remplacement, elles et ils se disent au pied du mur, et pour beaucoup
dans l’incapacité de nourrir leur famille.
États-Unis. Parmi les nombreuses exceptions faites à la suspension des demandes de Green Card annoncée
par Donald Trump, on trouve notamment les travailleurs du secteur agricole. Ils et elles sont des millions de
travailleurs journaliers, indispensables pour les grands producteurs américains. Xénophobe oui, mais prag-
matique tout de même.
Mexique. Des protestations ont été organisées devant les locaux par les salariés des entreprises Legrand et
Hyundai situés à Tijuana. Ils dénoncent des directions qui les maintiennent « séquestrés » sans prendre aucune
mesure pour nettoyer les locaux, alors que déjà 6 cas de Covid ont été confirmés. Les directions refusent de
leur payer leur salaire si les activités s’arrêtent. Des travailleurs font aussi remarquer que Hyundai a cessé la
plupart de ces activités en Corée du Sud, mais qu’au Mexique tout fonctionne comme à la normale.
Brésil. L’acharnement de Bolsonaro à nier l’existence de la pandémie de Covid-19 divise jusqu’au som-
met de l’appareil d’État. Sergio Moro, juge ayant emprisonné Lula avant de devenir ministre de la justice de
l’actuel gouvernement, vient de démissionner en présentant dans la presse des extraits de ses conversations
avec le président. En cherchant à sauver son statut de présidentiable pour l’élection de 2022, il présente des
preuves de crimes de responsabilités commis par le président (tentatives d’obstructions à la justice), ce qui
pourrait déboucher sur sa destitution. Affaire à suivre.
Argentine. Les agents du service de néonatologie de l’hôpital Garrahan à Mendoza, ont mis en place
une commission d’hygiène et de sécurité pour suivre au jour le jour les conditions de travail et éviter les
risques d’exposition pour eux-mêmes et les patients. Pour remédier à l’incapacité de la direction à prendre
les mesures minimales, elles et ils souhaitent dorénavant prendre en charge l’organisation de l’hôpital, en
particulier pour affronter le pic épidémique qui est loin d’être atteint.
Kenya. Le Dock Workers Union (DWU) a accordé au Kenya Ports Authority (KPA, 7 000 travailleur·euses)
trois jours pour corriger ce qu’il appelle des lacunes flagrantes qui pourraient facilement aider à la pro-
pagation du coronavirus dans le port de Mombasa. « Nous disons à la direction de la KPA que la DWU est
déterminée à garantir que son personnel reste protégé contre le coronavirus, comme tous les autres Kenyans.
S’ils ne répondent pas à notre appel, nous demanderons à nos membres de ne pas travailler », a déclaré le
secrétaire général du DWU, Simon Sang. Le KPA répond avoir établi 149 points de lavage des mains dans
le port et adopté l’utilisation de désinfectants dans les postes de travail et les bureaux.
Argentine. Suite à des contaminations des membres de l’équipage de deux bateaux de pêche à Mar del
Plata, les organisations de travailleurs ont demandé des tests systématiques avant embarquement pour les
8 000 pêcheurs qui partent en mer régulièrement. Ils menacent de rester à terre si aucune mesure n’est prise.
Équateur, Argentine, Costa Rica, Guatemala, Pérou, ÉTAT ESPAGNOL. Grève internationale des livreurs à vélo des
plateformes Glovo, Rappi Uber et Pedidos Ya sous le sigle #YoNoReparto (Moi je ne livre pas). L’assemblée
des livreurs de Rappi réunis à Cordoba, en Argentine explique notamment dans son communiqué : « On doit
pédaler jusqu’à 12 heures par jour 7 jours sur 7 pour à peine parvenir à couvrir nos besoins basiques suite
à l’augmentation des prix liée au confinement. »
Argentine. Les travailleuses et travailleurs de la coopérative ouvrière Madygraff, ayant rapidement recon-
verti leur ligne de production pour produire du matériel de biosécurité, ont fait don d’une partie de leur
production à l’hôpital Petronal V de Cordero.
Venezuela. Scènes de révolte dans les rues de Upata, les manifestants protestent contre la dramatique pénu-
rie alimentaire qui s’approfondit, s’ajoutant à la défaillance des services publics et l’augmentation du prix de
l’essence. La répression a fait au moins un mort et de nombreux blessés.
Argentine. L’entrepreneur Genaro Morrone, patron de l’abattoir El Federal à Quilmes, a été placé en
détention. Il lui est reproché d’avoir violé la fermeture imposée par la municipalité qui, en référence au
décret gouvernemental, avait signifié à l’entreprise l’obligation d’arrêter son activité suite à la découverte
de contaminations au Covid-19. Les travailleurs de l’entreprise, où l’on compte 9 cas de Covid dont un

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 110


décès, revendiquent des tests systématiques, le paiement de l’intégralité des salaires pendant la fermeture et
la régularisation des collègues travaillant au noir.
Argentine. Suite à l’hospitalisation d’un collègue en charge du nettoyage dans la ligne E du métro de
Buenos Aires et le retour au travail d’un autre collègue présentant pourtant les symptômes, des délégués ont
été mandatés par les travailleurs pour imposer l’application du protocole sanitaire. Trois d’entre eux ont été
placés en détention. En solidarité avec leur collègue de la ligne E, les agents de la ligne B ont entamé une
grève jusqu’à la libération immédiate de leurs camarades.
Grèce. 150 enseignants et de lycéens, portant masques et gants pour la plupart, ont manifesté vendredi
24 avril à Athènes contre une réforme de l’éducation, la première manifestation depuis le confinement
général en Grèce. Respectant la distanciation sociale, ils se sont rassemblés sur la place Syntagma face au
Parlement derrière une banderole : « Un projet de réforme de l’éducation en pleine pandémie ? Je n’y ai
jamais pensé ».
France. Le Groupe d’Associations de Bagnolet (GAB). Un entretien avec Youcef Brakni par Frédéric
Taddeï pour son émission sur RT. Il est question des récentes révoltes dans les quartiers populaires en France.
La question de la surmortalité en Seine-Saint-Denis avec le coronavirus. Des luttes de l’immigration et de la
responsabilité des mouvements de gauche qui entravent les luttes des quartiers (www.youtube.com).
Afrique du Sud. Le Syndicat national des travailleurs de la fonction publique et des services (NUPSAW)
a dénoncé le non-respect de la loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST) et des règlements de confi-
nement de l’hôpital Bertha Gxowa et de la direction de l’hôpital Steve Biko. NUPSAW a recueilli des
plaintes de non-conformité de la part du personnel des services alimentaires de l’hôpital Bertha Gxowa (le
personnel a signalé la viande pourrie à la direction). NUPSAW souhaite que le ministère de l’emploi et du
travail intervienne dans le cadre d’une enquête immédiate concernant la violation de la loi sur le travail et
la sécurité dans les hôpitaux.
Inde. Vendredi, huit syndicats d’employés d’Air India ont demandé au ministre de l’aviation civile, Hardeep
Singh Puri, de demander à la compagnie aérienne de revenir sur sa décision déclenchée par le confinement
Covid-19 de réduire de 10 % le salaire de ses employés. Air India a annulé cette réduction, tout en se féli-
citant de la décision d’Indigo Airlines de revenir sur sa décision de réduire les salaires, annoncée le mois
dernier pour ses cadres supérieurs.
France. Deux syndicats du centre hospitalier de Saint-Malo (Sud Santé et CGT) s’inquiètent du manque
d’informations concernant l’attribution d’une prime aux soignants mobilisés contre le Covid, annoncée par
le ministère de la santé. « Beaucoup de collègues sont déçus, explique un syndicaliste. Nous avons soigné
beaucoup de patients atteints du Covid-19, c’est une injustice et cela jette un froid terrible. » Les deux syn-
dicats ont déposé un préavis de grève illimitée ce vendredi 24 avril et il prendra effet le 29 avril.
France. Fermé en 2015, le service de réanimation de l’hôpital d’Arpajon a rouvert pour lutter contre
l’épidémie de Covid-19. Le syndicat Sud-Santé a lancé une pétition pour le maintenir après la crise. Et les
soutiens sont nombreux avec près de 4 000 signatures. « Il s’avère que ce service est indispensable pour nos
concitoyens et il aura fallu la crise sanitaire liée au Covid-19 pour que l’Agence régionale de santé (ARS)
demande sa réouverture ponctuelle, écrit le syndicat. Nous ne pouvons accepter d’avoir une réanimation
« kleenex » qui, une fois la crise passée, pourrait de nouveau être fermée au nom d’une décision politique
plus qu’arbitraire. »
État espagnol. Des collectifs de travailleur·euses et des syndicats (CGT, CNT, AST Hôtellerie de Madrid,
Solidarité ouvrière, la CUT galicienne, la CTA et le SAT en Andalousie) appellent à mener des actions le
1er Mai dans tout l’État espagnol. Le gouvernement de Pedro Sánchez a annoncé qu’il avait l’intention de
les interdire. Afin de respecter les mesures de sécurité, des caravanes de voitures défileront dans différentes
villes : Alcalá de Henares, Madrid (une chaîne humaine espacée), Saragosse en voiture, à moto et à vélo,
Cadix, et dans toute la Galice. Dans cette région autonome, d’ailleurs, le syndicat CUT a saisi les tribunaux
contestant l’interdiction gouvernementale.
France. L’enseigne culturelle FNAC demande aux syndicats d’accepter des semaines allant jusqu’à

111 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


43 heures de travail et des congés payés imposés en échange d’un maintien de salaire en chômage partiel.
Un chômage partiel indemnisé à 100 % en échange d’une modulation accrue du temps de travail à la sortie
du confinement : c’est le marché que tente de négocier la Fnac actuellement avec les syndicats de l’enseigne
culturelle. Sous couvert d’adaptation à l’impact de la pandémie de Covid-19, le groupe exige des sacrifices
de la part de ses salariés.
Inde. Alors que le reste de la capitale pratique la distanciation sociale et reste confiné, le personnel d’en-
tretien qui nettoie les 18 auberges et le restaurant de l’université Jawaharlal Nehru affirme qu’il n’a pas été
payé depuis trois mois. Il n’a reçu aucun équipement de protection tel que des masques ou des gants et n’a
pas le luxe d’opter pour le travail à domicile ou partir sans salaire. Apeksha Priyadarshini, membre de l’or-
ganisation étudiante The Bhagat Singh Ambedkar Students Organisation (BASO), a déclaré que la plupart
de ces travailleurs gagnent un faible salaire et n’ont pas d’argent pour acheter des masques ou des gants.
Le BASO a décidé de collecter des fonds pour acquérir pour les travailleurs de l’assainissement des « kits
Covid-19 » qui se composent d’un désinfectant pour les mains, d’un masque facial et d’une paire de gants.
Pakistan. Les agents de santé se sont plaints pendant des semaines que les hôpitaux du pays souffrent d’une
pénurie chronique d’équipements de sécurité, ce qui a provoqué l’arrestation de plus de 50 médecins qui
ont demandé plus de fournitures dans la ville de Quetta au début du mois. Les manifestants ont continué à
travailler dans leurs hôpitaux tout en manifestant à tour de rôle devant les bureaux des autorités sanitaires
de Lahore, la capitale de la province. Des dizaines de médecins et d’infirmières pakistanais·es ont lancé
une grève de la faim exigeant un équipement de protection adéquat pour le personnel de première ligne
soignant les patients atteints de coronavirus, a déclaré samedi un responsable de la manifestation. La Grand
Health Alliance a déclaré qu’environ 30 médecins et infirmières étaient en grève de la faim, avec jusqu’à
200 membres du personnel médical se joignant à eux chaque jour pour des manifestations. Le syndicat des
agents de santé du Punjab soutient l’Alliance et exige également des conditions de quarantaine adéquates
pour le personnel médical.
Turquie. La plate-forme des syndicats des travailleurs d’Istanbul (Istanbul Scisçi Sendikalari Subeler
Platformu) a exhorté le gouvernement à améliorer les conditions de travail dans le cadre de l’épidémie de
Covid-19 avant le 1er Mai. « À quelques jours du 1er Mai, notre demande de ne pas mourir est devenue plus
urgente que jamais. Il est devenu obligatoire que des tests approfondis soient mis en œuvre », a déclaré le
porte-parole du syndicat, Sinan Ceviz qui a noté que de nombreux lieux de travail restent ouverts pendant
les couvre-feux du week-end car ils sont exemptés de confinement Des millions de travailleurs n’ont pas pu
non plus recevoir d’allocations de chômage ou de prêts du gouvernement, même si les grandes entreprises
ont été indemnisées, a ajouté Ceviz.
Kenya. Vendredi, les agents de santé de l’hôpital de Garissa se sont mis en grève, en raison d’un retard de
paiement en mars de leur salaire, paralysant les opérations dans un centre de référence qui dessert également
les comtés voisins de Wajir, Tana River et Kitui. Agitant des pancartes avec des messages « Pas de salaire, pas
de services de santé », « Pas de salaire, pas de dialyse », le comté de Garissa plaisante avec le Covid-19, les
travailleurs ont juré de ne pas reprendre le travail tant qu’ils n’auraient pas touché leur salaire, entre autres
demandes. La grève a concerné tous les secteurs de l’hôpital.
Maroc. Le gouvernement marocain avait décidé le 14 avril dernier, en accord avec des centrales syndicales,
de prélever trois jours sur le salaire net des fonctionnaires de l’État, des établissements publics et des collec-
tivités territoriales, qui devaient être reversés au Fonds corona pour la gestion de la pandémie du Covid-19.
Une décision qui n’a été pas été du goût d’un syndicat de l’enseignement. Dans une lettre ouverte, le bureau
national de ce syndicat, lié à la Confédération démocratique du travail (CDT), a demandé l‘annulation des
prélèvements sur le salaire des fonctionnaires de l’enseignement. Il exige que « la contribution garde un
caractère volontaire et d’arrêter tout prélèvement sur les salaires des enseignant·es ». Les prélèvements sur
les salaires des fonctionnaires au profit du Fonds spécial dédié à la gestion de la pandémie du Covid-19 ne
sont pas « obligatoires », a finalement affirmé samedi, le ministre du travail et de l’insertion professionnelle,
Mohamed Amekraz.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 112


ÉDITION DU 20 AVRIL
ÉPHÉMÉRIDE SOCIALE D’UNE PANDÉMIE (13 AVRIL-19 AVRIL)

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


13 AVRIL
Italie. Les réouvertures d’entreprises autorisées par les préfets se multiplient dans les zones de Milan,
Bergame ou encore Brescia, des villes pourtant à l’épicentre de l’épidémie. Les syndicats dénoncent à
l’unisson ces pratiques et rappellent quelques chiffres : « Dans l’aire métropolitaine de Milan ce sont 520 000
travailleurs qui continuent de se déplacer jusqu’à leur entreprise chaque jour, auxquels des autorisations
concernant 40 000 à 50 000 travailleurs se sont ajoutées ces derniers jours », explique la FIOM de Milan. À
Bergame, où les taux de mortalité liés au Covid-19 ont atteint des sommets mondiaux, c’est « près de la moi-
tié des entreprises métallurgiques qui n’ont jamais cessé leurs activités ; les produits chimiques ont toujours
fonctionné à plein régime ; un nombre important d’entreprises du secteur de la construction s’autocertifient
pour reprendre ou poursuivre leurs activités », raconte la CISL de Bergame. Si la situation ne change pas,
la FIOM se prépare à relancer le mouvement de grève du 25 mars dernier qui avait imposé les fermetures
d’un certain nombre d’usines.
France. 92 associations et collectifs s’associent pour saisir conjointement sept rapporteurs des Nations
unies en charge des questions de pauvreté extrême, de santé, d’accès à un logement décent, à la nourriture,
à l’eau potable et à l’assainissement.
Inde. Le Centre des syndicats indiens (CITU) dénonce la volonté du gouvernement d’amender la loi sur
les usines de 1948 pour augmenter les heures de travail quotidiennes à 12 heures. La situation créée par le
Covid-19 ne doit pas être utilisée au profit des entreprises selon le CITU. Par ailleurs, le syndicat dénonce
les pratiques de plus en plus nombreuses d’entreprises, comme la Classlap India Pvt Ltd, qui a appliqué
une réduction de salaire de 50 % tout en ne payant pas encore le salaire de mars à tous les employés ou la
Erevmax Technologies, où 80 % des employés ont été mis en congé forcé sans solde.
Italie. Les initiatives de solidarité locale se multiplient pour atténuer la grave crise sociale qui touche le
pays, et plus particulièrement les régions méridionales. À Naples, le réseau des Maisons du peuple a mis en
place un téléphone rouge pour « dénoncer les manquements aux consignes de sécurité dans les entreprises
et dénoncer les employeurs profitant illégitimement des aides publiques », et a coordonné des distributions
alimentaires basées sur le don en distribuant deux fois par semaine des biens essentiels à des centaines de
famille. À Reggio de Calabre, les militants de la Maison du peuple « Nuvola Rossa » ont lancé une campagne
pour la création « d’un fonds de solidarité populaire » permettant de financer les distributions alimentaires et
« réfléchissent à d’autres activités mutualistes ». À Lecce, en plus des distributions alimentaires à domicile, des
campagnes de donations d’ordinateurs et de mutualisation des réseaux Wi-Fi sont organisées par la Maison
du peuple « Silvia Picci ». L’ensemble des militants interviewés dénoncent des mesures gouvernementales
absolument insuffisantes et qui ne serviront dans bien des cas qu’à « payer les taxes locales ».
Canada. Informée de l’adoption prochaine d’un arrêté ministériel visant l’affectation de travailleuses et
de travailleurs de l’éducation et de l’enseignement supérieur vers les établissements de santé dans certaines
régions, notamment les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), la Centrale des syn-
dicats du Québec (CSQ) déplore que le gouvernement agisse unilatéralement sans aucune consultation.
France. La Carmagnole (https://lacarmagnole.fr/presentation/), bar associatif et coopérative à Montpel­
lier, s’organise pour rester un lieu de solidarité et de combats politiques : distribution deux fois par semaine
dans les locaux de la coopérative de denrées alimentaires en lien avec la Banque alimentaire ; participation au
débat d’idées avec le lancement d’une série de vidéos d’interventions avec des scientifiques et des militant·es.
sur différents sujets d’actualité.
Afrique du Sud. Lorsque l’Afrique du Sud a fermé son industrie minière pour contenir le coronavirus, plus
de 450 000 travailleurs ont été renvoyés chez eux en 24 heures. Les mineurs sont particulièrement vulné-
rables, travaillant dans des puits exigus à plus de 3 kilomètres sous terre, avant de retourner dans des loge-
ments surpeuplés et des bidonvilles. L’Association of Mineworkers and Construction Union, un syndicat clé

115 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


dans ce secteur, a proposé de travailler avec les sociétés minières et les représentants du gouvernement pour
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

élaborer un nouveau code de bonne pratique contre le Covid-19, avant le redémarrage de la production.
L’industrie sud-africaine des métaux précieux génère environ 12 milliards de dollars de chiffre d’affaires.
Selon le South Africa Minerals Council, qui représente les plus gros producteurs, la production minière
devrait chuter de 4,5 % cette année, en supposant que les activités reprennent en douceur le 17 avril.
France. L’usine Toyota, près de Valenciennes (Nord), doit rouvrir ses portes le 21 avril. Elle compte 2 000
salariés. « Nous devons produire et livrer 35 000 Yaris de la génération actuelle. Elles ont été commandées
par des clients qui attendent leur livraison dans les prochaines semaines », explique la direction du groupe
automobile. « La direction utilise la force pour nous faire revenir à l’usine et nous fait prendre le risque de
tomber malades », dénonce Éric Pecqueur, délégué syndical CGT, qui pointe « l’irresponsabilité des action-
naires, de la direction, et du gouvernement qui a donné son aval ».
Femmes. D’après les statistiques de l’Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE), les femmes représentent 70 % de la main-d’œuvre mondiale dans le domaine des soins. 85 %
d’entre elles sont infirmières ou sages-femmes et peu occupent des places dans les sphères de décision.
Bénin. Bien que les pouvoirs publics béninois aient annoncé la fermeture des écoles du pays, les élèves et
les enseignant·e·s doivent néanmoins reprendre les cours le 14 avril. Les pouvoirs publics ont également pris
la décision de recruter du personnel enseignant par le biais d’agences d’intérim, suscitant une vive opposi-
tion de la part des syndicats d’enseignants. Pour ces derniers, cette situation s’apparente à une privatisation
déguisée du système éducatif du pays sous couvert de la pandémie de Covid-19.
Québec. Des employées du CHSLD du Manoir-de-Verdun (Centre d’hébergement et de soins de longue
durée), dans le sud-ouest de l’île de Montréal, ont été contraintes de demeurer dans l’établissement pour
prolonger leur quart de travail. La gestionnaire du centre d’hébergement aurait ordonné de verrouiller les
portes pour empêcher le personnel de quitter les lieux. « C’était prévisible. Le centre d’hébergement fonc-
tionne à la limite du supportable depuis bien avant la pandémie », explique Françoise Ramel, présidente du
syndicat des professionnelles en soins de santé FIQ-SPSS, qui représente les infirmières sur place. Le syndicat
dénonce aussi l’intimidation dont le personnel serait victime. Françoise Ramel soutient que des infirmières
ont été menacées de sanctions ou d’être réaffectées si elles refusaient de prolonger leur quart de travail.
Bangladesh. Le 13 avril, des milliers d’ouvrières et ouvriers du textile ont manifesté. Elles et ils deman-
daient leurs salaires, non payés depuis deux mois. Prétexte invoqué par les patrons : la crise du coronavirus.
Illustrant la tragique situation dans bien des régions du monde, une manifestante explique : « Si nous n’avons
pas de nourriture dans notre estomac, à quoi bon suivre le confinement ? »
Pédagogie des confiné·es. La revue N’Autre école (www.questionsdeclasses.org/) devient N’Autre école l’hebdo,
le temps du confinement ; elle sortira en format PDF gratuit avant d’être éditée en format papier, plus tard.
L’équipe de la revue juge « important que les réflexions, les démarches et les témoignages puissent se dif-
fuser rapidement, afin de nous aider à penser l’école telle qu’elle est actuellement, d’aiguiser notre regard
critique et d’infléchir encore nos pratiques ». Il s’agit s’essayer de « tracer quelques pistes d’une pédagogie
des confiné·es : pédagogie de crise, par et pour les confiné·es eux-mêmes, qui n’attend pas le déconfinement
pour refuser l’isolement ».
Colombie. « Personne ne peut forcer à travailler dans des conditions qui menacent la vie. » Le syndicat
colombien SINALTRAINAL (www.sinaltrainal.org/web/), cite un article publié dans le magazine Semana,
dans lequel le président de la Fédération médicale colombienne dénonce la grave situation que vivent les
travailleurs et travailleuses de la santé en Colombie face à la pandémie de coronavirus : « Des démissions
massives de personnel du secteur de la santé peuvent se produire parce que personne ne peut les forcer à
travailler dans des conditions qui menacent leur vie, s’ils n’attribuent pas des éléments de biosécurité et
de bonnes conditions de travail. » Alors que 3 à 7 mois de salaires sont déjà dus au personnel soignant, les
directions des centres hospitaliers ont annoncé une réduction de salaire de 45 % ! L’article fait référence
à l’enquête de la Fédération médicale colombienne, qui indique que 88 % des travailleurs et travailleuses
n’ont pas de masque, 92 % n’ont pas de combinaisons pour se protéger de la propagation du coronavirus.
SINALTRAINAL dénonce cette situation « criminelle, car même en l’absence de pandémie, la loi exige que

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 116


les travailleurs et travailleuses soient muni.es de tous les équipements de sécurité ». La fédération pointe aussi

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


la pénurie de lits, de respirateurs artificiels.

14 AVRIL
Rwanda. Le principal syndicat a mis en garde les employeurs contre le licenciement abusif de leurs
employés en raison de la crise provoquée par le Covid-19. « Nous sommes préoccupés par les licenciements
massifs de main-d’œuvre, en particulier dans le secteur privé, où les entreprises sont confrontées à des défis
commerciaux sans précédent en raison de la pandémie Covid-19 », a déclaré Africain Biraboneye, secrétaire
général adjoint de la Confédération des syndicats des travailleurs du Rwanda (CESTRAR).
Italie. Les syndicats FIOM, UILM et FIM ont réussi à stopper la réouverture des usines Whirlpool en Italie
voulue par la direction. Ils pointent l’absence de mesure de sécurité alors que l’épidémie est loin d’être finie
et demande la mise en place d’un protocole sanitaire sérieux en vue de la réouverture le 3 mai. Ils rappellent
aussi que 80 % de la production italienne est destinée à l’export et demande à la direction à qui exactement
ils comptent vendre le matériel électroménager ? Plus généralement, c’est la situation de l’usine napolitaine
qui est au cœur des communications syndicales, celle-ci devant être fermée et relocalisée dans l’est de l’Eu-
rope en octobre prochain. « C’est impensable qu’une entreprise puisse toucher des aides de l’État et ensuite
continuer sa politique de délocalisation ! », affirme Rosario Rappa, secrétaire du syndicat FIOM-Naples.
Inde. Des centaines de travailleurs du fret à l’aéroport international Indira Gandhi (IGI) de New Delhi
n’auraient pas touché de salaire pendant le confinement du pays imposé par le gouvernement indien depuis
le 24 mars. Environ 70 % des quelque 1 200 travailleurs employés par l’intermédiaire de l’entrepreneur JAC
Air Services Pvt. Ltd n’ont été payés et près de 840 travailleurs du fret ont vu leur paie diminuée selon
Ranjeet Singh, secrétaire général du Syndicat des employés de l’aéroport.
Organisation internationale du travail. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), « environ 2 mil-
liards de personnes travaillent dans l’économie informelle, la plupart d’entre elles dans les pays émergents
et dans les pays en développement… Les travailleurs informels dans les zones urbaines tendent également
à exercer leurs fonctions dans des secteurs économiques dans lesquels non seulement il existe un risque
élevé d’être infecté par le virus, mais aussi qui sont concernés directement par les mesures de confinement.
C’est le cas notamment des personnes qui re­cyclent les déchets, les vendeurs ambulants et les serveurs, les
ouvriers du bâtiment, les employés des transports et les travailleurs domestiques. Le Covid-19 touche déjà
des dizaines de millions de travailleurs informels. En Inde, au Nigeria et au Brésil, le nombre de travailleurs
dans l’économie informelle affectés par des mesures de confinement et d’autres mesures de restriction est
important. En Inde, avec près de 90 % de la population évoluant dans l’économie informelle, ce sont environ
400 millions de travailleurs de cette même économie informelle qui risquent de s’enfoncer dans la pauvreté
durant la crise. »
Tunisie. Des organisations de la société civile, des députés et des personnalités publiques ont appelé dans
une déclaration commune, à renforcer la protection des migrants et des réfugiés en Tunisie contre le Covid-
19, afin de garantir le droit à la santé pour tous. Les signataires ont exhorté le gouvernement à garantir leur
droit à la santé au même titre que les Tunisiens et les Tunisiennes. Ces organisations ont en outre appelé
le gouvernement à examiner les alternatives à la détention des réfugiés et des migrants vulnérables aux
maladies et bloqués dans les centres El Ouardia et Ben Guerdan, étant donné le risque élevé de tomber
gravement malade ou même de mourir en cas d’infection. 30 organisations nationales et de la société civile,
dont l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), le Forum tunisien des droits économiques et sociaux
(FTDES), la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) se sont jointes à cet appel.
asie du sud-est. Des centaines de milliers de travailleurs d’usine au Cambodge, au Myanmar et même
au Bangladesh sont confrontées à des pertes d’emplois alors que les magasins de détail du monde entier
­ferment­leurs portes pour empêcher la propagation du coronavirus. « Les travailleurs ont reçu leur salaire de
mars dans de nombreux cas, mais en avril, je pense que ce sera le chaos complet », a déclaré Aruna Kashyap,
avocate du secteur des droits des femmes de Human Rights Watch. Au Myanmar (ex-Birmanie), environ

117 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


20 000 migrants sont rentrés de Thaïlande le mois dernier après avoir perdu leur emploi en raison de ferme-
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

tures d’usines. Par exemple, 684 travailleurs qui travaillaient pour H&M, Next et d’autres marques ont été
licenciés la semaine dernière après que les patrons de l’usine de confection Yongan à Yangon (Myanmar) ont
annoncé que les acheteurs avaient annulé leurs commandes.
États-Unis. Roger Marenco, président du syndicat Transit Workers Union of America de San Francisco qui
représente 2 300 conducteurs, a déclaré qu’un arrêt total des bus pourrait être le moyen le plus sûr contre
le Covid-19. « Je dis toujours à tout le monde qu’avec les bus Muni, nous donnons vie à cette ville, mais en
ce moment, nous sommes devenus la seringue qui pourrait potentiellement infecter la ville et le comté de
San Francisco en transportant ce virus. »
Suisse. Le Syndicat des services publics (SSP), lors d’une vidéoconférence, a dénoncé la manière dont
est traité le personnel de santé genevois. Selon David Andenmatten, représentant syndical, douze heures de
travail en continu ont été imposées aux soins intensifs et aux urgences adultes, sans aucune concertation. En
parallèle, d’autres services sont désœuvrés. Or, la proposition de personnes sous-occupées de soulager leurs
collègues aurait été refusée par la direction. « La direction adopte un comportement autoritaire qui est loin
de la bienveillance qu’elle affiche dans sa communication officielle », affirme le délégué syndical.
Liban. Les syndicats des employés des services généraux du Liban (GSTU) ont appelé le gouvernement
libanais à créer un fonds de réponse pour les travailleurs humanitaires qui ont perdu leur emploi et d’autres
moyens de subsistance à cause de la pandémie de Covid-19. Le secrétaire général du GSTU, Antoun Antoun,
a déclaré que le fonds devrait être géré par un organisme indépendant, transparent et crédible. Le syndicat
a signé un accord avec Holcim Lafarge pour payer à ses employés, y compris les salariés journaliers, l’inté-
gralité de leur salaire jusqu’au 29 mars 2020. L’accord a été conclu après que Holcim Lafarge a décidé de
suspendre toutes ses activités de production et de fabrication en raison de la crise sanitaire.
Canada. Selon un arrêté signé par la ministre de la santé, Danielle McCann, le gouvernement peut redé-
ployer des enseignants du collégial sur la ligne de front dans la lutte au coronavirus. Par exemple des pro-
fesseurs en soins infirmiers, en travail social ou en analyses biomédicales pourraient être contraints d’aller
œuvrer dans le réseau de la santé, où les besoins sont criants. « On met la charrue avant les bœufs, a déclaré
Caroline Quesnel, la présidente de la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec
(FNEEQ). Est-ce que ça va être obligatoire ou du volontariat ? Ça jette une certaine confusion, déjà qu’on
n’en manquait pas. »
France. Des pendules pour les hôpitaux. À Cholet, depuis la mi-mars, la quasi-totalité des 179 salarié·es de
l’entreprise Bodet Time & Sport est en chômage partiel, une petite partie en télétravail. Lundi 6 avril, lors
d’un CSE extraordinaire par téléphone, la direction annonce la reprise du travail sur site pour le 13 avril.
Le syndicat SUD-Industrie a dénoncé l’irresponsabilité d’une telle décision. La reprise n’aura pas lieu cette
semaine ; mais elle est de nouveau annoncée pour la semaine prochaine. Selon le patron, c’est pour aider le
personnel soignant : il s’agira de produire des pendules pour les hôpitaux.

15 AVRIL
Grande-Bretagne. La campagne « Safe and Equal » (https://safeandequal.org/) a été lancée publiquement
le 13 avril. Elle a pour objectif l’égalité des droits à un salaire de confinement complet pour tous les tra-
vailleurs, quel que soit leur statut professionnel. Dans un trop grand nombre de lieux de travail, le salarié
est obligé de choisir entre, d’une part une baisse de 94 livres par semaine de l’indemnité légale de maladie,
et d’autre part aller au travail malade ou potentiellement contagieux. Safe and Equal est né du travail des
militant·es de l’hôpital East London Foundation Trust (ELFT), où une campagne d’affiches et de courrier a
déjà fait de grands pas en avant pour l’indemnité de confinement. Le personnel de l’ELFT qui a mené cette
campagne a contacté des syndicalistes d’autres secteurs pour lancer une campagne plus large sur le même
sujet : renforcer les droits des travailleurs confrontés à la pire exploitation.
Italie. Faisant suite à la décision du tribunal de Florence exigeant la distribution de matériel aux livreurs à
vélo, les tribunaux de Rome et de Bologne lui ont emboîté le pas. Celle-ci s’organise petit à petit. La mairie

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 118


de Milan a mis à disposition environ 1 000 masques pour les livreurs de la ville à retirer dans des guichets

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


commu­naux, pendant que les entreprises du secteur se sont engagées à envoyer des kits de protection chez
les livreurs. Pour les syndicats de livreurs cela n’est pas suffisant, le syndicat Deliverance (Milan) attend
encore les masques et gants promis par les entreprises et demande l’application de ses « Dix propositions
pour une livraison sûre ». Même son de cloche chez le syndicat Riders Union (Bologne), qui rappelle que le
véritable enjeu est la reconnaissance de l’ensemble des droits de ces travailleurs, notamment celui du revenu
de quarantaine pour celles et ceux qui ne souhaitent pas continuer à livrer #Nonpernoimapertutti (Pas pour
nous mais pour tout le monde).
Inde. Des dirigeants syndicaux, principalement associés à Joint Forum, un conglomérat de plus de 23 syn-
dicats de l’industrie du thé, ont décidé de porter plainte pour violation du confinement dans l’industrie du
thé. Suite à plusieurs demandes des propriétaires, il a été permis par les autorités publiques aux planteurs de
commencer leurs opérations dans les plantations de thé du nord du Bengale. « Aucune autorité n’est présente
dans et autour des plantations de thé de l’État pour faire respecter les normes liées à Covid-19 sur la distan-
ciation sociale, l’hygiène et le paiement de la totalité des salaires non perçus pendant les jours de fermeture
liés au confinement », a déclaré Zia ul Alam, responsable du Joint Forum.
Argentine. Alors qu’un premier cas de coronavirus était détecté par le personnel, le syndicat (Asociación
Gremial de Trabajadores del Subte y Premetro) (http://sindicatodelsubte.com.ar/) a fait fermer la ligne B
du métro de Buenos Aires. Les pressions patronales sont fortes, mais le syndicat maintient son mot d’ordre,
privilégiant la santé des salarié·es et des usager·es.
France. Le 14 avril, le tribunal de Nanterre a donné tort à Amazon et accordé une victoire syndicale.
L’assignation déposée par Solidaires réclamait la fermeture de tous les entrepôts. « C’est une bombe sani-
taire et sociale qui est en train d’exploser et qui concerne plus de 10 000 travailleurs directs, mais aussi une
armée d’intérimaires et de livreur·euses qui apportent y compris le virus à domicile : après des dizaines de
salarié·es atteint·es des symptômes du Covid-19, des cas avérés ont depuis été détectés sur plusieurs des
sites et un premier employé est toujours en réanimation », indiquait le syndicat qui réclamait un arrêt de
l’activité. Ou à défaut, que l’on impose à Amazon Logistique France de ne plus livrer que les marchandises
essentielles  –  soit 10 % de son actuel débit. « Cette lutte se mène également en coordination avec les travail-
leur·euses européen·nes et états-unien·nes de la multinationale », précise le syndicat. Le jugement du tribunal
impose à Amazon France de « restreindre l’activité de ses entrepôts aux seules activités de réception des
marchandises, de préparation et d’expédition des commandes de produits alimentaires, de produits d’hygiène
et de produits médicaux, sous astreinte, d’un million d’euros par jour de retard et par infraction constatée ».
Le tribunal condamne en outre Amazon à verser des dommages à Solidaires à hauteur de 4 800 euros.
Italie. Alors que les prix alimentaires ne cessent d’augmenter (+25 % en moyenne pour les fruits) dans un
contexte de perte de revenus importante, voire totale, pour des millions de personnes, le danger de famine
se fait de plus en plus fort chaque jour. C’est, comme ailleurs en Europe, la réalité du secteur agricole qui
explose à la face du pays. Plus de 350 000 travailleurs étrangers qui viennent chaque année au moment des
récoltes ne seront pas là cette fois, entraînant une intense pression inflationniste sur les prix. Face à l’urgence
les syndicats patronaux du secteur, appuyés par la droite et l’extrême droite (Lega, Fratelli d’Italia et Italia
Viva), souhaitent mettre au travail les bénéficiaires du chômage partiel ou du revenu de citoyenneté, retraités,
étudiants, en réintroduisant les voucher  –  contrat à la prestation, sans aucun droit salarié  –  ainsi que par
des aménagements fiscaux pour les entreprises de la filière. Répondant à ces propositions inacceptables, la
Coordination des travailleurs agricoles de l’USB appelle à la régularisation complète des travailleurs immi-
grés sur le territoire, la formalisation des contrats de travail et la mise en place du principe « Travail égal,
salaire égal » dans l’agriculture. Ils rappellent aussi que « la sortie de la crise ne se fera pas par une nouvelle
marginalisation et dévaluation du travail agricole ou par des ressources supplémentaires pour les entreprises,
mais par des interventions qui assurent une vie et un travail dignes à ceux qui, quotidiennement, mettent de
la nourriture sur nos tables ».
France. Pour le SNUEP-FSU, avant tout retour dans les établissements scolaires, il est indispensable de réu-
nir les CHSCT pour recueillir leur avis et leur accord afin d’« évaluer les risques professionnels » : « La reprise
pourra se faire quand les conditions sanitaires seront réunies. Chaque personnel et chaque élève devra être

119 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


équipé en masques et testé, du matériel désinfectant devra être disponible dans chaque classe et les gestes
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

barrières devront pouvoir être respectés  –  cette dernière condition est de fait impossible à tenir au regard
du nombre d’élèves par classe. » Enfin, le SNUEP-FSU déclare qu’il « prendra ses responsabilités syndicales »,
si les conditions sanitaires ne sont pas réunies lors des réouvertures des établissements.
Malawi. Des dizaines d’agents de santé dans la capitale commerciale du Malawi, Blantyre, ont organisé un
sit-in pour protester contre les conditions de travail pendant la pandémie de coronavirus et dénoncer une
pénurie « critique » d’équipements de protection individuelle (EPI) nécessaires pour traiter les patients. Des
images circulant sur les réseaux sociaux mardi montrent des médecins et des infirmières en uniforme à l’ex-
térieur de l’hôpital central Queen Elizabeth portant des pancartes avec des slogans tels que « Nous n’allons
pas en mission suicide » et « Ma famille devrait-elle souffrir à cause de mon appel ? ».
Afrique du Sud. Le Syndicat national des mineurs (NUM) a déclaré qu’il n’avait pas été consulté par Impala
Platinum sur les plans de l’entreprise de reprendre ses activités cette semaine. L’entreprise a envoyé des
SMS à ses employés dimanche pour retourner au travail mardi. Le NUM a appelé ses membres à ne pas se
présenter pour le moment dans les sociétés minières.
Belgique. Alors que le gouvernement vient à peine de constituer le comité d’experts qui va définir les
contours du déconfinement, les organisations patronales du bâtiment mettent déjà la pression afin de redé-
marrer les activités du secteur de manière globale. Le secteur de la construction a basculé dans la catégorie
des secteurs essentiels pour les travaux urgents. Pour les organisations syndicales CG-FGTB et ACV-BiE, on
doit permettre aux travailleurs de reprendre le travail sur une base volontaire. Les organisations patronales
ont refusé catégoriquement l’établissement d’une telle liste.
États-Unis. À Hawaï, le gouverneur a proposé une réduction salariale stupéfiante de 20 % pour « la plupart »
des fonctionnaires dès le 1er Mai, selon deux syndicats du secteur public. « Nous pensons que la réduction des
salaires de dizaines de milliers de fonctionnaires est irréfléchie et nuira encore plus à notre État », a déclaré
Corey Rosenlee de la Hawaii State Teachers Association qui représente près de 43 000 membres dans tout
l’État et qui rejette cette proposition.
France. À la gare de Toulouse-Matabiau, le personnel de nettoyage exerce son droit de retrait. Le syndicat
SUD a déposé une alerte pour danger grave et imminent : « Nous n’avons pas de masques nous permettant
d’éviter la contamination par aéroportation des personnes circulant dans la gare », écrit le syndicat SUD dans
l’alerte déposée pour danger grave et imminent. Il demande aussi le ramassage et le lavage des vêtements de
travail, de manière à ne pas risquer de contamination. Sans réponse des patrons de l’entreprise sous-traitante
(La Pyrénéenne), et face au silence de la SNCF, une partie du personnel exerce son droit de retrait.
Canada. Une nouvelle enquête révèle que de nombreux travailleurs de soutien du secteur de la santé, en
première ligne de la pandémie de Covid-19, subissent du racisme anti-asiatique. C’est l’une des conclusions
d’un sondage du Syndicat canadien de la fonction publique auprès de 1 877 membres qui travaillent dans
le secteur manitobain de la santé. Un membre sur cinq qui a répondu au questionnaire du SCFP et qui se
déclare d’origine asiatique, a personnellement été victime de racisme ou de sectarisme au travail au cours
du dernier mois.
État espagnol. Dans le cadre de sa campagne « Sauvons les familles pas les banques », la CUP, organisation
politique indépendantiste catalane qui siège désormais aussi aux Cortès de Madrid, dénonce l’ouverture
au Luxembourg d’une succursale de la banque espagnole CaixaBank, qui aurait déjà sa « fiche bancaire »
prête dans le paradis fiscal. Cette filiale prévoit, dès juillet, d’accueillir des comptes d’au moins 50 000 euros.
CaixaBank déclare espérer recueillir 2 milliards en deux ans, selon le quotidien espagnol El Diario. Alors que
140 milliards espagnols se baladent déjà dans les paradis fiscaux, selon la CUP. La CUP rappelle que cette
banque, comme les établissements bancaires espagnols, avait été sauvée lors de la crise de 2008 avec 50 mil-
liards des contribuables et qu’ils n’ont évidemment jamais rien rendu. À ce jour, le gouvernement espagnol
n’a débloqué qu’une somme de 17 milliards d’euros pour venir en aide aux ménages espagnols frappés par
les soubresauts économiques de la crise du Covid-19. Deux poids deux mesures.
Australie. L’United Workers Union (www.unitedworkers.org.au) publie un plan de lutte contre le

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 120


Covid-19 : contre les licenciements, pour le maintien des salaires et le gel du remboursement des emprunts

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


immobiliers. Le syndicat se prononce pour que « les industries essentielles deviennent propriété publique ».
Si de l’argent public est versé aux entreprises, celles-ci doivent être « socialement utiles, notamment devant
l’urgence climatique ». Et si elles sont d’utilité publique, « pourquoi sont-elles dirigées pour le profit privé? ».
Elles doivent « devenir bien commun » et être « restructurées de façon à ce que les travailleurs et les com-
munautés publiques aient le dernier mot dans la gestion quotidienne ». Le syndicat, qui réclame « le droit de
consultation des travailleurs sur les réponses patronales contre le virus », rappelle que depuis le début de la
pandémie de nombreuses actions de retrait ont eu lieu dans le pays.
Kurdistan. Pendant la pandémie, les massacres continuent. Le Conseil démocratique kurde en France
dénonce « l’armée turque [qui] a bombardé mercredi 15 avril la région de Behdinan ainsi que le camp de
Makhmour au Sud-Kurdistan. Dans ce dernier, trois femmes ont été tuées alors qu’elles étaient occupées
à faire paître du bétail dans une zone de pâturage. Le camp de Makhmour, situé au sud de Hewlêr (Erbil),
capitale du Sud-Kurdistan (Irak), abrite principalement des réfugié·es qui ont fui la répression sanglante
exercée par le régime turc dans le Nord-Kurdistan (Turquie), au cours des années 1990. Les bombardements
sont intervenus dans un contexte d’embargo imposé au camp par le gouvernement régional du Kurdistan
(KRG) depuis maintenant 9 mois. Par ailleurs, le camp observait depuis plusieurs jours des mesures de confi-
nement, en prévention d’une propagation du Covid-19. Selon Nuran Sezgin, coordinatrice de l’assemblée
des femmes du camp, l’une des victimes est décédée du fait de la situation d’embargo qui a empêché les
secours d’arriver à temps ».

16 AVRIL
France. Chez Allard Emballages à Aubigné-Racan (Sarthe), la grève a pris fin mardi 14 avril 2020. Les
délégués syndicaux et représentants du personnel ont paraphé un accord, mettant un terme au mouvement
initié vendredi 10 avril 2020. Les salariés grévistes ont obtenu le nettoyage quotidien des parties communes
de l’entreprise et notamment des sanitaires, chose qui n’était plus assurée par un service dédié depuis de
long mois. Cette revendication s’inscrivait dans le cadre de l’épidémie de Covid-19. Les ouvriers de tout le
groupe (305 salariés) ont également arraché de la direction une prime « exceptionnelle de pouvoir d’achat »
d’un montant de 600 euros net.
Afrique du Sud. Le Syndicat national de l’éducation, de la santé et des travailleurs assimilés (Nehawu) a réagi
avec colère à la décision du gouvernement de ne pas augmenter les salaires des fonctionnaires entre 4,4 %
et 5,4 %. Le gouvernement n’a pas augmenté les salaires de ses employés en violation de l’accord salarial
conclu au Conseil de coordination des négociations sur la fonction publique (CFPC) en 2018. Nehawu a
ajouté que « lorsque le confinement prendra fin le 30 avril, des travailleurs émergeront, militants, forts, éner-
giques et inspirés pour mener une véritable bataille contre le gouvernement ».
Afrique du Sud. La Haute Cour de North Gauteng a rejeté la demande présentée par les avocats de Lawyers
for Human Rights (LHR) au nom des récupérateurs de déchets, demandant leur reconnaissance en tant que
travailleurs des services essentiels. Entre 60 000 et 90 000 récupérateurs sont chargés de collecter 80 à 90 %
des emballages usagés et du papier recyclé en Afrique du Sud, selon une étude du Council for Scientific and
Industrial Research. Pendant le confinement, les récupérateurs avaient espéré la permission de continuer à
travailler : « Nous sommes l’épine dorsale de l’économie du recyclage ». Ce qui a été refusé.
France. Le retour de la Grande Muette ? Une dépêche de France Info fait état des déclarations d’un marin
(anonyme) du porte-avions Charles-de-Gaulle : « L’Armée a joué avec notre santé, notre vie. » En effet, le
navire est « rentré prématurément de mission » le 12 avril avec une cinquantaine de cas de Covid-19. Le
marin, « confiné » sur une base militaire du Var, déclare avoir « l’impression d’être un mouton parqué dans une
chambre ». Selon ses dires, à la mi-mars, le commandant du navire avait demandé à interrompre la mission
et de confiner l’équipage (le navire faisait alors escale à Brest) dès l’apparition des premiers cas, ce qu’au-
rait refusé le ministère des armées. Toujours selon France Info, le ministère n’a pas « précisé l’information ».
Rappelons que c’est sur la base aérienne de Compiègne que l’épidémie dévastatrice de l’Oise a débuté (voir
Covid-19 : un virus très politique, 1re édition, 30 mars). Fidèle à elle-même, l’Armée impose le silence à son

121 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


personnel et le secret vis-à-vis de la population. Ça ne vous rappelle rien ? Le soldat, sous l’uniforme reste
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

toujours un confiné. (Voir « Guadeloupe », Covid-19 : un virus très politique, 3e édition, 16 avril.)
Norvège. Dans les pays « du dialogue social exemplaire et des syndicats forts ». Mettant en avant la baisse de
trafic liée à la pandémie de coronavirus, la compagnie ferroviaire norvégienne Vy licencie 1 100 de ses 9 500
salarié·es. Les dirigeants de l’entreprise parlent d’une « mesure temporaire dédiée à la stabilisation financière
de l’entreprise », faisant suite à des discussions avec les syndicats.
État espagnol. Les étudiants des universités de Galice sont en grève à partir du 17 avril pour exiger que
l’année universitaire s’arrête. L’organisation étudiante Anega a lancé le mot d’ordre : « Si les recteurs n’ar-
rêtent pas l’année, nous l’arrêterons nous ». Ils appellent les étudiants des trois universités galiciennes à la
grève reconductible des cours. Il y a trois semaines, les universités galiciennes avaient décidé avec la Xunta
(le gouvernement régional) la fin des cours « en présence » pour l’année 2019-2020, lors de la promulgation
de l’état d’urgence sanitaire. Les jeunes protestent aujourd’hui contre les cours télématiques : « Au vu de
l’inefficacité des méthodes d’enseignement [en ligne], les universités font fi de l’impossibilité pour les étu-
diants de suivre les cours. » Il faut savoir que si les cours continuent, les examens auront lieu dans tout l’État
(le ministère en discute les modalités, dont la possibilité de les organiser en ligne). Partout les étudiants se
plaignent de l’inefficacité et de l’inadaptation de cours dispensés par internet. De plus, les boursiers, nom-
breux dans l’État espagnol, qui rateraient des matières à cause des méthodes inadaptées ou qui devraient les
repasser à la rentrée perdraient leur bourse.
Nicaragua. Le 15 avril, les 11 000 salarié·es de la zone franche de Gildàn, une des plus grandes entreprises
textiles du pays, renvoyé·es le 23 mars en « vacances » forcées, lors de la fermeture de ces usines, faute de
commandes et de matières premières, ont appris qu’il n’y aura pas de reprise avant le 7 juin. Les dirigeants
des syndicats ont communiqué au moyen de messages vocaux Whatsapp avec les ouvrier·ères : « Nous
sommes parvenus à un accord [avec la direction] et à compter du 13 avril vous toucherez 50 % de votre
salaire en guise de don [sic !] de l’entreprise. » Cela fait référence à l’accord signé par des syndicats pro-gou-
vernementaux le 25 mars, autorisant les employeurs à procéder à des ruptures de contrats de travail (voir
p. 67, Éphéméride, édition du 13 avril). Un des salariés réagit sur le site Confidencial : « Je suis soulagé parce
que nous ne sommes pas licenciés, mais comment vivre avec à peine la moitié de mon salaire ? » Il touchera
une aumône de 800 cordobas par semaine [l’équivalent de 23 dollars], alors que le panier de base mensuel
officiel pour une famille de cinq personnes est estimé à plus de 15 000 cordobas.
La dirigeante du Mouvement des femmes Maria Elena Cuadra, Sandra Ramos, qui défend les ouvrières
des maquilas, a rappelé que 2 775 personnes ont déjà été licenciées dans les zones franches en moins d’un
mois. La multinationale japonaise Yazaki a aussi arrêté la production depuis fin mars mettant 10 000 per-
sonnes au chômage technique avec 50 % du salaire. Le gouvernement Ortega-Murillo, lui, continue dans
le déni. Après un mois d’autoconfinement, le 15 avril, le président a encore répété que les pays les plus
frappés ne sont pas « socialistes révolutionnaires » et que, malgré la crise, le Nicaragua continue de travailler :
« Personne ne mourra de faim… »
État espagnol. Les Anticapitalistes andalous ont déclaré la guerre à certains jeux vidéo, dont Fortnite ou
Call of Duty. La porte-parole de ce courant d’Unidas-Podemos, Adelante Andalucía, Teresa Rodríguez, en
guerre avec la direction de Madrid, part aussi à la bataille contre ces jeux qui accaparent en ces jours de
confinement les réseaux sociaux des plus jeunes. Rodríguez refuse que l’avenir du pays se forme avec ces
loisirs violents, de coups de feu et de guerres : « Ce serait génial que les enfants puissent échanger de façon
virtuelle avec leurs copains et leurs copines sans se tirer dessus, non ? », écrit-elle sur son compte Twitter.
Pour mémoire, un jeu comme Fortnite, qu’adorent les plus jeunes, comptait 250 millions de comptes ouverts
avant le confinement ! Cinq fois la population de l’État espagnol.

17 AVRIL
États-Unis. Les infirmières du Providence Saint John’s Health Center déclarent aujourd’hui victoire, après
que la direction de l’hôpital a annoncé que les travailleurs de la santé de l’ensemble du système de Providence
recevront des masques respiratoires N95 à porter lorsqu’ils prendront soin de patients Covid-19. Au cours

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 122


de la semaine dernière, au moins quinze infirmières ont refusé de prendre des affectations de patients à

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


moins d’avoir reçu des masques N95 et dix de ces infirmières ont été suspendues et renvoyées chez elles.
L’hôpital avait des masques N95 en sa possession, mais refusait de les fournir aux infirmières. Samedi, plus
de 50 infirmières ont organisé une manifestation socialement distante à l’extérieur de l’établissement pour
protester contre les politiques de contrôle des infections de l’hôpital. « C’est une victoire », a déclaré Chelsea
Halmy, une infirmière médico-chirurgicale qui travaille à l’unité Covid-19 et qui fait partie des infirmières
suspendues. À ce jour, les dix autres infirmières sont toujours suspendues dans l’attente d’audiences d’en-
quête. Les infirmières de Saint John’s, avec le soutien de leur syndicat, l’AIIC, demandent à la direction
de réintégrer immédiatement les infirmières sans sanctions disciplinaires et de résoudre les problèmes de
sécurité en suspens.
Afrique du Sud. La police du Cap a été appelée par la grande surface Pick n Pay pour expulser 70 salariés
que le magasin accusait d’avoir fait grève. Pendant le confinement, qui a été prolongé jusqu’à la fin du mois,

les travailleurs essentiels ont un droit de grève limité. Les travailleurs ont été sommairement licenciés, bien
qu’il n’ait pas fait grève. En réalité, ils avaient refusé de signer un accord dans lequel la direction leur pro-
posait de leur verser une prime de 500 rands à la fin avril et une autre de 500 rands à la fin mai.
France. Brest. Sortie du n° 3 de Tousse Ensemble (https://tousseensembleblog.wordpress.com/) « animé par des
Brestoises et des Brestois qui se sont rencontré·es dans les luttes sociales ces dernières années ». Ils et elles
proposent « de mettre en commun des informations locales et globales sur les pratiques qui se développent
dans cette période de crise sanitaire et politique ». Au sommaire de ce numéro, on trouve notamment un
témoignage provenant du CHRU de Bret, l’interview d’une éboueuse et les coordonnées de permanences
téléphoniques syndicales associatives.
Nicaragua-Costa Rica. Des paysans nicaraguayens réfugiés dans le nord du Costa Rica depuis deux ans,
fuyant la répression du régime Ortega-Murillo après le soulèvement populaire de 2018, ont fait don d’une
partie de leur récolte à l’association d’entraide SOS-Nicaragua. Ils veulent partager leur production avec

123 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


170 autres familles exilées, plus récemment arrivées dans ce pays d’Amérique centrale, et frappées de plein
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

fouet par la crise sanitaire et économique du coronavirus (626 cas recensés le 15 avril par San José). Le
Costa Rica a recensé 100 000 réfugiés nicaraguayens sur son territoire. Le groupe de Francisa Ramírez, la
dirigeante paysanne qui conduisit la lutte contre le canal interocéanique au Nicaragua, s’est organisé pour
louer et semer des terres. Dans le contexte de la crise sanitaire qui commence aussi à frapper le Costa Rica,
ces paysans ont décidé d’aider d’autres exilés qui n’ont ni travail ni terres. Voir le témoignage de Francisca
Ramírez, depuis le Costa Rica, sur le combat des paysans exilés entre répression au Nicaragua et Covid-19
et crise économique au Costa Rica : www.facebook.com/nicaraguaactual/videos.
France. Quatre syndicats d’inspecteurs du travail (CGT, FSU, SUD et CNT) accusent le ministère du
travail d’entrave organisée aux contrôles de l’inspection du travail. Ils vont saisir le Bureau international
du travail. « On a une crispation de notre hiérarchie vis-à-vis des contrôles normaux de l’inspection du
travail », explique Pierre Mériaux, inspecteur du travail à Grenoble, responsable national de la FSU-Travail
qui parle au nom de l’intersyndicale du ministère du travail, et qui ajoute : « Ils ont installé une censure sur
nos messageries professionnelles. Quand on utilise les termes “pressions extérieures indues” qui figurent
dans la convention OIT 81, le mail n’arrive jamais. Il est bloqué par le système de messagerie. » Lors d’une
conférence de presse téléphonique jeudi, les syndicats ont fait état de plusieurs dizaines de témoignages
d’inspecteurs du travail dissuadés ou empêchés de se rendre sur des sites d’entreprise par leur hiérarchie
depuis le début de la crise du Covid-19. Ils dénoncent également la mise à pied mercredi d’Anthony Smith,
inspecteur du travail de la Marne.

18 AVRIL
Argentine. Les enseignants et les élèves du lycée technique de Jujuy (nord-ouest) fabriquent des masques
alors que les autorités n’ont mis en place aucun plan sanitaire.
États-Unis. Le personnel hospitalier de l’hôpital Saint-Joseph de Providence a acheté des stocks de feuilles
de vinyle et du ruban industriel pour fabriquer des masques et des surblouses.
France. Les étudiant·es infirmier·ères mobilisé·es contre l’épidémie perçoivent une indemnité de 38 à
50 euros… par semaine. Une prime devrait leur être versée par les ARS. Beaucoup n’ont pas de masques
ou doivent laver eux·elles-mêmes leurs tenues. Par ailleurs, le syndicat CGT Maison-Blanche a déposé une
plainte en référé contre l’ARS pour manquement à l’obligation légale de garantir la sécurité à l’égard des
salarié·es comme le stipulent les articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail.
Argentine. Production de gel hydroalcoolique par les coopératives ouvrières FarmaCoop (province de
Buenos Aires) et La Terre (province de Mendoza).
Chili. À l’initiative de la Fédération nationale des coordinations de base dans la santé publique, une protesta-
tion en deux temps pour exiger des protections pour les personnels de santé a été organisée. Rassemblement,
photos et actions en tout genre le matin devant les établissements et centres de santé, puis manifestation
numérique le soir sur les réseaux sociaux avec pour mots d’ordre : #SueltenLosInsumosYa #TestMasivos
#FueraMañalich (des moyens tout de suite, des tests en masse et démission Mañalich, le ministre de la santé).
France. Ce vendredi, le syndicat Force ouvrière a appelé les employés de l’usine MSSA (fabrication
de produits chimiques) de Saint-Marcel (Savoie) à se mettre en grève pour une durée illimitée. Norbert
Gandon, délégué syndical FO à MSSA Saint-Marcel dénonce les « risques sanitaires pris quotidiennement
par les employés pour continuer de travailler ». Selon lui, 120 employés, dont 96 % du personnel en poste de
production, ont répondu à l’appel. La direction, elle, en a compté seulement 20. « La grève consiste à rester
chez soi, puisque nous n’avons pas le droit de nous rassembler. Nous continuerons tant que nous n’aurons
pas de signes de la direction. »
Argentine. Le plus important grossiste du pays pour supermarchés, PDV notamment fournisseur de
Carrefour, refuse de payer les salaires aux personnels ayant contracté le Covid-19. Par ailleurs, les travailleurs
de l’Hiperhuelche de Viedma (Río Negro), grossiste du secteur de la construction, ont entamé une rétention

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 124


des produits. Ils réclament le paiement complet des salaires. L’entreprise avait déclaré plus de 25 millions de

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


dollars de bénéfices l’an passé.

19 AVRIL
Argentine. Les travailleurs de l’hôpital central de Mendoza (nord-ouest) se sont réunis en assemblée
générale, ils exigent les outils de protection sanitaire et la fin de la précarité salariale pour le personnel
soignant, une augmentation de leur salaire au niveau du panier de biens de base et des contrats permanents
pour toutes et tous. Malgré la violente répression policière de la semaine passée, les 250 travailleurs de
l’entreprise frigorifique Penta ont de nouveau manifesté devant les locaux de leur entreprise. Ils dénoncent
le non-paiement des salaires depuis 24 jours à la suite de l’annonce du confinement et se battent contre le
plan patronal qui souhaite profiter de la crise pour licencier 200 travailleurs et relancer la production avec
un effectif réduit.
Monde. Le leader mondial des centres d’appels Teleperformance est poursuivi devant l’OCDE par UNI
Global Union (présente dans 150 pays) et par les syndicats français CFDT, CGT et FO pour des conditions
de travail « dangereuses » dans dix pays face à l’épidémie de Covid-19. « Dans dix pays, dont la France, les
Philippines, la Colombie, le Royaume-Uni, l’Albanie, le Portugal et la Grèce, la plainte fait état de conditions
dangereuses dans des établissements offrant des services clientèle pour des clients tels qu’Apple, Google et
Amazon », indiquent ces organisations syndicales dans un communiqué.
Cambodge. Les chiffres officiels montrent que l’épidémie de Covid-19 a entraîné l’arrêt de la production
de 91 ateliers de confection et que 91 500 travailleuses et travailleurs de l’habillement ont été licencié·es.
D’après les syndicats, une famille ouvrière ne peut survivre avec 70 dollars par mois, bien en dessous du
salaire minimum de 190 dollars. « Nous espérons que les marques peuvent prendre une part du fardeau et
verser 40 % du salaire minimum pour soutenir les travailleuses et les travailleurs de l’habillement. Les fabri-
cants devraient porter leur quote-part à 40 %, compte tenu des bénéfices qu’ils engrangent depuis des années
au Cambodge », déclare Athit Kong, le président de la Coalition des syndicats démocratiques cambodgiens
du vêtement (CCAWDU).
États-Unis. Les travailleur·euses de deux immeubles résidentiels de luxe à Manhattan (New York) ont fait
grève, affirmant que leur employeur ne les payait pas suffisamment et ne leur fournissait pas d’équipement
de sécurité approprié. Ils et elles accusent leur employeur de les empêcher de s’affilier au syndicat SEIU
32BJ. Ils et elles disent également que Planned n’a pas fourni suffisamment de masques et de gants pour les
protéger au travail. Plus tôt dans la journée, celles et ceux qui étaient prévu·es dans cinq bâtiments du New
Jersey avaient également organisé un débrayage dénonçant leurs conditions de travail.
Bolivie. Alors que la saison des récoltes se termine en Argentine, les travailleurs boliviens se voient refuser
le passage à la frontière par leur propre gouvernement, notamment près de la ville d’El Arazay. Une partie
de ces familles ont été hébergées en urgence dans le gymnase de la ville argentine, mais sans accès à l’eau
potable, sans produits d’hygiène ni d’alimentation. Ce sont les dons des organisations et les locaux solidaires
qui leur permettent de tenir. Les travailleurs boliviens appuyés par le PTS-FIT, comme dans d’autres régions
du nord de l’Argentine, demandent la mise à disposition immédiate de bus pour acheminer les familles
jusqu’à leur ville d’origine. Ils demandent aussi qu’en attendant, chaque province argentine leur garantisse
des conditions d’hygiène et de sécurité ainsi que de la nourriture et des hébergements.
Sénégal. Le syndicat SNC/BTP (construction et BTP) s’est félicité de l’annonce faite par le gouvernement,
le 3 avril, de l’interdiction des licenciements et de la garantie des revenus des travailleurs au chômage pen-
dant la pandémie Covid-19. Le niveau de rémunération d’un chômeur ne peut être inférieur au salaire mini-
mum interprofessionnel garanti ou à 70 % de son salaire net moyen pour les trois derniers mois d’activité.
Hong Kong. Des militants sont intervenus dans les quartiers populaires de Tuen Mun et de Tai Kok Tsui
pour fournir des masques aux travailleurs du nettoyage : le manque de protection contre le Covid-19 s’était
déjà fait sentir lors de manifestations. À Seattle ou à New York, des Hongkongais et des Chinois de la

125 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


diaspora ont également travaillé pour fournir des masques et d’autres ressources aux travailleurs médicaux
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

et à d’autres communautés à risque.


France. Une petite victoire pour les précaires dans la tempête du corona qui souffle sur la presse.
L’intersyndicale des syndicats de journalistes SNJ, CGT, CFDT et FO soutenue par la CNT et des associa-
tions ou collectifs (voir Éphéméride du 6 avril) ont réussi à obtenir que les pigistes soient couverts par un
décret du ministère de la culture en cas de mise au chômage technique. Désormais, ces précaires détenteurs
ou pas de la carte de presse (celle-ci étant soumise à des conditions de ressources, nombreux sont les journa-
listes qui la perdent) seront couverts par les mesures de chômage comme les autres salariés des entreprises de
presse qui feraient appel à de telles mesures. Restera maintenant à faire respecter ce texte par les employeurs,
toujours prêts à enfreindre la loi quand il s’agit des droits de cette armée de réserve.
Argentine. Les travailleurs de la municipalité de Santa Victoria Este, à Salta, ont occupé la mairie pendant
plusieurs heures, avant de lever l’occupation pour les obligations sanitaires. Ils réclament, entre autres, le
paiement des deux derniers mois de salaire, des frais de scolarité et une augmentation des salaires de 15 %. À
Rosario, les personnels et auxiliaires de l’éducation, titulaires et remplaçants, ont organisé une manifestation
devant leur ministère. Ils se déclarent en état d’urgence et réclament un revenu d’urgence, une amélioration
immédiate de la nourriture dans les cantines pour eux et leurs élèves souffrant de la faim, l’accès à la pro-
tection sociale pour les remplaçants et autres personnels contractuels, le paiement immédiat des journées de
travail effectué et du matériel de protection sanitaire. Le secrétaire du syndicat ATE de Rosario, Juan Pablo
Pozzi, a déclaré de son côté : « Nous proposons que les banques soient nationalisées, mais ils ne le font pas
parce qu’ils misent tout sur le profit. Nous devons également nationaliser le commerce extérieur et les ports
afin de sortir par le haut de cette situation. L’enjeu ici, c’est la santé des gens ou le capital. »
États-Unis. Dix infirmières de l’hôpital Santa Monica, à Los Angeles, ont été suspendues car elles refusaient
de travailler sans masque. « Je suis infirmière depuis vingt-cinq ans ; je n’ai pas besoin que le Center for
Disease Control (CDC) me dise quand j’ai besoin d’un masque N95 », a déclaré Cline, l’une des infirmières.
« Quand j’ai un patient qui me tousse au visage… Je n’irai pas dans cette chambre à moins qu’ils ne m’en
fournissent un. »
Argentine. Mouvement de grève national des chauffeurs de bus Intercités organisé à l’initiative du syndi-
cat UTA. Pas un seul bus ne sortira pendant 24 heures, prévient le syndicat, qui demande le paiement des
salaires et des mesures de d’hygiène et de sécurité pour les bus.
Colombie. Après avoir souffert d’une distance de sécurité inadéquate, d’un manque d’équipements de pro-
tection individuelle et de conditions insalubres, un groupe de près de 100 travailleurs a spontanément cessé
le travail, le 26 mars, dans un centre d’appels de Bogota. En représailles, le 30 mars, quatre des porte-parole
du groupe ont été licenciés par la direction, selon les syndicats.
États-Unis. Le Teamsters for a Democratic Union a obtenu que les salarié·es mis·es au chômage soient
indemnisé·es à 100 % pendant huit semaines par leur assurance TeamCare. Par ailleurs, 15 000 employé·es
d’UPS ont signé une pétition et ont obtenu deux semaines d’arrêt-maladie pour les victimes du virus.
Birmanie. Les travailleuses de Myan Mode, principalement des jeunes femmes venues des villages ruraux
(la main-d’œuvre du vêtement au Myanmar est composée à plus de 90 % de femmes), ont refusé leur licen-
ciement pour cause de crise sanitaire. Des centaines de membres du syndicat ont établi un camp fin mars
devant les portes de l’usine, une tactique syndicale courante en Birmanie. Les propriétaires ont offert une
compensation aux membres du syndicat pour qu’ils acceptent le licenciement et lèvent le camp de protes-
tation. Le noyau de syndicalistes, près de 100, qui est resté a été rejoint, le 6 avril, par 40 non-syndiqués qui
ont choisi de faire grève par solidarité.
Zimbabwe. Le syndicat des infirmières et infirmiers du conseil urbain et rural du Zimbabwe a dénoncé le
manque de vêtements de protection. « Nos membres sont gravement handicapés en termes d’équipement
de protection, ils craignent donc aussi pour leur vie », écrit le syndicat, qui menace de faire grève, dans une
lettre du 10 avril.
France. La prime « forfaitaire » de 1 000 euros promise fin mars par le distributeur Auchan aux 65 000

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 126


salariés présents dans le contexte du coronavirus sera proportionnelle au temps de travail effectif, a-t-on

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


appris mercredi. Selon la CFDT et FO, les salariés ayant travaillé en magasin plus de 28 heures par semaine
du 15 mars au 18 avril toucheront 1 000 euros, ceux qui ont travaillé entre 10 et 28 heures toucheront une
prime au prorata des heures travaillées, et ceux ayant fait moins de 10 heures, comme les étudiants le week-
end, 50 euros.
Guatemala. Le syndicat de la construction SINCS-G a indiqué que le ministère guatémaltèque du travail
et de la sécurité sociale a récemment approuvé l’accord ministériel 140-2020, qui autorise les employeurs à
procéder à des suspensions de contrats de travail à temps plein dans tous les secteurs sans versement d’in-
demnités aux travailleurs. Le gouvernement a déclaré que cette mesure ne sera mise en œuvre que tempo-
rairement en raison de l’état national de catastrophe et du confinement.
Canada. Alors que les districts scolaires de la province d’Alberta commencent à licencier leur personnel
de soutien, le syndicat du personnel affirme que de nombreux employés ne reviendront pas à l’automne en
raison des suppressions de postes imposées par le gouvernement Kenney (Premier ministre de l’Alberta.)
« Lorsque les élèves retourneront à l’école en septembre, il y aura moins d’employés pour s’occuper de plus
d’enfants », prévient le président du syndicat SCFP-Alberta, Rory Gill. Selon lui, plus de 7 500 employés
de soutien scolaire ont déjà reçu un préavis de licenciement et plusieurs districts n’ont pas encore annoncé
leurs chiffres. La plupart des licenciements auront lieu le 1er Mai. Par ailleurs, 6 000 enseignants suppléants
seront aussi remerciés.
France. Par la voix de son secrétaire général, la CFDT plaide pour « des protocoles de déconfinement et
de reprise d’activité », « négociés » et « discutés » avec les salariés et leurs représentants. Certes, on sait ce que
signifie « négocier » sur des thèmes importants lorsque cela est renvoyé entreprise par entreprise.
Zimbabwe. L’entrepreneur chinois Hydro-Sino Corporation travaillant sur le projet d’extension (1,4 mil-
liard de dollars) de la centrale électrique de Hwange est embourbé dans une nouvelle controverse après
avoir licencié ceux des travailleurs qui se sont plaints de leur exposition au coronavirus. Il est accusé d’avoir
forcé au moins 400 travailleurs à camper sur le site pendant les 21 jours de fermeture du chantier. Les tra-
vailleurs ont déclaré que leurs patrons chinois leur infligeaient des châtiments corporels et les maltraitaient
souvent verbalement. Fungai Simbine, président du syndicat des travailleurs de Sino Hydro, a déclaré que
les employés craignaient pour leur vie car l’entreprise ne suivait ni les recommandations du gouvernement
ni celles de l’Organisation mondiale de la santé. Le syndicat ZCATWU a menacé d’aller en justice après la
fin du confinement pour forcer les Chinois à respecter les droits des travailleurs et à demander réparation
pour leur exposition au Covid-19.

127 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


DOCUMENTS
ÉDITION DU 4 MAI
LE VIRUS A TOUT BOULEVERSÉ, MAIS NOS IMAGINAIRES SONT RESTÉS POUR

ÉDITION DU 4 MAI 2020


AINSI DIRE SIDÉRÉS
PATRICK CHAMOISEAU1

Comment vivez-vous cette situation inédite ?

Je suis assez contemplatif et immobile, avec tant de lectures, de besognes et d’écritures en retard
que cela ne me pose pas de problème particulier. En revanche, je rumine tous les jours sur l’emprise
mondiale du néolibéralisme, et comment cette emprise fait montre partout des mêmes impré-
voyances, d’une même aptitude à saccager l’intérêt général, le bien commun, ou simplement l’hu-
maine condition. Donc, je ne me demande pas quand ce confinement s’arrêtera, mais plutôt où
se trouve la sortie véritable de ce cauchemar planétaire ? On sera forcés de s’accommoder d’une
manière ou d’une autre au virus. Mais, pour la survie de cette planète et celle de notre espèce, on
est sommés de trouver au plus vite comment se débarrasser du capitalisme et de sa fermentation
néolibérale…

Souffrez-vous de l’isolement ?

Rien de changé fondamentalement. Les situations d’écriture sont des situations de confinement
en soi, mais ce « confinement » est volontaire et créatif : ce n’est pas un isolement, c’est une solitude.
Je vis pleinement ce paradoxe qui ramène tout confinement à une possibilité de construire sa soli-
tude. La solitude est une lente élaboration de soi, laquelle autorise une relation sensible à l’ailleurs
et au mouvement du monde. La haute solitude, c’est à la fois une étendue et une profondeur.

Comment analysez-vous la situation à l’échelle collective ?

De fait, comme l’a bien souligné le philosophe Abdennour Bidar, ce « confinement sanitaire » a
éjecté la plupart d’entre nous d’un vaste confinement invisible : celui d’une domination de nos
imaginaires par le dogme néolibéral. Nous n’avons pas été éjectés du contact avec les autres ou de
la vie, mais des mécaniques du boulot-dodo-boulot, des compulsions consuméristes, de la course
aux loisirs névrotiques, au driving du Caddie, aux grenouillages corporatistes… Une existence sans
idéal, sans engagement, sans rien qui dépasse ses propres étroitesses. Cette passion sans ailes a fini
par creuser un immense vide à l’intérieur de chacun d’entre nous. Dès lors, de par le monde, en
plus d’une immersion dans des réduits de pauvreté et de misère matérielles, des millions de couples
se découvrent invivables et morts depuis longtemps. Des familles se révèlent à elles-mêmes inca-
pables de faire famille avec des enfants qui leur apparaissent, au mieux comme des étrangers, au
pire comme des monstres. Et quand ces enfants sont des anges, des millions de personnes ne savent
plus comment faire-parents, vivre-avec, rire-avec, œuvrer-avec tout simplement, sans permissivité

1. Né en 1953 à Fort-de-France, en Martinique, Patrick Chamoiseau est l’auteur de nombreux romans et essais, dont Texaco, qui a valu
le prix Goncourt, en 1992.

131 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


démissionnaire ou fuite dans la consommation compulsive de loisirs… Tout cela ne serait pas perçu
ÉDITION DU 4 MAI 2020

dans le « confinement à l’air libre » du néolibéralisme. Dans l’actuel « confinement sanitaire », qui est
de fait un « déconfinement-politique-et-humain », et malgré la pédagogie des psychologues et psy-
chiatres de médias, notre vacuité nous devient perceptible de manière plus ou moins douloureuse,
plus ou moins obscure. Ce qui peut laisser craindre le pire…

Quel serait le pire ?

Peut-être le non-événement. Ce déconfinement-politique-et-humain est paradoxalement pour


nous angoissant. Il risque de susciter un immense retour-sauve-qui-peut-général vers la cage anes-
thésiante du système dominant, comme dans un moment libérateur. Là encore, le néolibéralisme
risque de se retrouver triomphant en distribuant une myriade d’aides sociales pour dégripper son
économie et l’aider à sortir (non pas d’une crise interne) mais de sa mise volontaire sous coma
artificiel. Pourtant, nos réclusions perçoivent bien comment le bien commun, les services publics,
l’État protecteur, le souci du plus faible, ont été sacrifiés sur l’autel de l’optimisation des profits.
On compte les morts et on se voit mourir. Sur le porche des hôpitaux, on trie entre la souffrance-
qui-peut et la souffrance-qui-risque-de-ne-pas-pouvoir. On guette des descentes de graphiques.
On euthanasie les grandes personnes dans des mouroirs scellés… Des pulsions superficielles nous
viennent, on écrit, on proclame, on fait journal, on se persuade qu’une aurore est à nos portes,
que les assassins d’aube seront cette fois-ci laminés et vaincus… Hélas, les assassins d’aube risquent
de ne pas avoir à sortir leurs coutelas : le virus a tout bouleversé, mais nos imaginaires sont restés
pour ainsi dire sidérés : sans « révolution », ni « ré-évolution », juste en attente du top départ pour le
déconfinement…

Comment espérer un avenir rénové ?

C’est cela qui me préoccupe vraiment. Je pense aux étranges vers d’Aimé Césaire : « Les rêves
échoués desséchés font au ras de la gueule des rivières/de formidables tas d’ossements muets/les
espoirs trop rapides rampent scrupuleusement/en serpents apprivoisés… », etc. Ces rêves échoués, ces
utopies desséchées, ces espoirs trop rapides et finalement apprivoisés dont parle Césaire au moment
de sa douloureuse vieillesse sont pour moi toutes ces idées humanistes et justes, tous ces diagnostics
portés sur le capitalisme, toutes ces alternatives possibles au néolibéralisme, toutes les listes minu-
tieuses des voies du changement, de notre rapport au vivant, des recettes pour sauver la planète,
redéfinir nos humanismes, respecter le vivant, se changer soi-même avant de pouvoir changer le
monde, etc. Tout cela, nos intellects scintillants l’ont déjà formulé. J’ai moi-même écrit de nombreux
manifestes. Tout cela nous a été ressorti en masse par les médias durant ce confinement-déconfine-
ment. On est heureux de les entendre, et on s’enivre d’avance d’une fin du néolibéralisme et d’une
remise en question radicale du capitalisme… Seulement, ce que l’histoire nous a montré, c’est que
ces fulgurances prophétiques si justes et si précieuses se sont seulement accumulées au long des
fleuves, rivières et ruisseaux de nos imaginaires. Elles ont fini par constituer des embâcles que nos
imaginaires se sont toujours évertués à contourner. Je l’ai vu en 2009 en Martinique, on l’a vu ici
avec les Nuits debout ou les gilets jaunes… Notre problème n’est donc pas d’alimenter l’embâcle,
comme on le ferait d’un « culte désaffecté », mais de trouver comment l’habiter dans une débâcle
qui nous aiderait à concrétiser un « après » véritable. Comment concrétiser ce que nous avons déjà
pensé ? Comment en faire un actif partagé ? C’est le plus difficile à régler, cela ne peut plus être
différé, et c’est cela qui à présent nous engorge.

Que faire ?

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 132


Vivre la question, peut-être. C’est en l’habitant obstinément qu’on peut envisager de défaire

ÉDITION DU 4 MAI 2020


l’embâcle, d’organiser la débâcle génésique de toutes nos pensées et utopies triomphales. Conserver
leur principe actif en nous sans la dose de triomphe illusoire. Rappelons-nous ces vers de Césaire :
« J’habite l’embâcle, j’habite la débâcle, j’habite le pan d’un grand désastre ! » Ne pas s’enfermer dans
une pensée de système ou système à penser des réponses, mais s’installer dans une lucidité qui fait
blessure-rapprochée-du-soleil, à la manière de René Char. Une lucidité questionnante dont l’in-
confort stimule nos imaginations, et rend désirables de vraies accroches aux utopies, aux possibles,
aux ferveurs restés noués dessous nos énergies. Habiter cet impossible sans grand récit, vivre la
question comme un indépassable qu’il faut à tout prix dépasser, l’éprouver ainsi, au difficile, sans
enthousiasme théâtral, dans un devenir-moléculaire, juvénile, placide et obstiné comme l’aurait aimé
Deleuze ; ne pas craindre, cette désespérance peut servir d’écrin à l’espoir-sans-contraire : ce « déci-
dé-malgré-tout » capable de nous mettre en mouvement contre la gloire du désastre. C’est la tâche
d’une haute politique. Sans pathos, réquisitoire ou accusation, avec juste un essaim des possibles
et d’images vibrantes. Quand je dis « politique », l’image qui me trotte dans la tête n’est pas celle
d’un art du « vivre-ensemble », mais bien du « vivre-en-relation de nos individualités questionnantes,
solitaires et solidaires ». La relation comme l’entendait Glissant est une solidarité interactive. Elle
demande que chacune de ses composantes accède à un accomplissement optimal… sinon pas de
relation !

Comment envisager des individualités solidaires sans individualisme ?

En soignant l’individuation. L’individualisme est une perversion exacerbée par le néolibéralisme.


L’individuation, c’est le soin porté à chacun par lui-même et par les autres. C’est donc la possibilité
pour chacun de vivre en responsable les questions de prime abord indépassables, et avec elles de
s’accomplir en tant que personne. L’individu néolibéral est isolé, même évidé, il n’a plus de ques-
tions sinon celle de sa précarité grandissante. La personne en relation est solitaire et solidaire, et
donc pleine de questions à vivre, pleine du souci de soi dans le souci de l’intérêt général. Elle cla-
rifie en elle ce qu’elle veut, ce qu’elle ne veut plus, ce qui l’empêche de s’en débarrasser. Elle fixe
sans cligner des yeux ses propres impossibles. Elle identifie jour après jour ce qui est essentiel et ce
qu’elle devrait être capable d’abandonner. Quand elle ne sait pas répondre, elle regarde la question,
elle en fait une vision. Elle est politique au sens noble, ce sens inconnu du néolibéralisme !… Il
nous faudra aussi faire vision du fait que cette personne devra se surmonter elle-même dans quatre
« devenirs » déterminants, au sens où l’entendait Deleuze : « devenir-nature », du fait de la crise bioé-
cologique ; « devenir-urbain », écosystème a­ ujourd’hui incontournable ; « de­venir-numérique » avec le
risque redoutable du fascisme digital et de l’intelligence artificielle ; et « devenir-cosmique », où s’ac-
tivent les forces qui vont conditionner à terme notre survie planétaire. Le « devenir » n’est pas une
réponse ni un chemin, c’est un mouvement de soi qui s’accomplit dans un mouvement d’ensemble.
Ce qui aura réussi notre mise en mouvement personnel sera la clé offerte à la mise en mouvement
de tous. Et je suis persuadé que le moindre mouvement de chacun pourra offrir suffisamment de
résonances pour induire la mise-en-mouvement de tous.

Quelles leçons y aura-t-il à tirer du désastre ?

Juste de se rappeler que les systèmes sont plus fragiles que les poétiques, que les civilisations le
sont encore plus, mais que le néolibéralisme, lui, n’est pas un système, ni une civilisation, mais un
« blob » de voracités proliférantes, animées par l’idée du profit maximal, aveugle et écocide ! C’est
pourquoi il est protéiforme, capable de muter de manière transversale dans presque toutes les
situations. C’est lui le véritable virus contre lequel nous n’avons pas encore trouvé de traitement,

133 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


ni dégagé de vaccin, et face auquel notre imaginaire ne dispose pas, hélas, du bouclier d’anticorps
ÉDITION DU 4 MAI 2020

utiles à sa disparition.

Savez-vous comment cela se passe à la Martinique ?

Patrick Chamoiseau. Je suis de loin ce qui se passe dans la Caraïbe et à la Martinique car j’étais à
Paris lorsque le confinement a été décidé. C’est du souci. Les incuries du néolibéralisme sont démul-
tipliées par un cadre colonial archaïque que nous n’avons pas encore réussi à dépasser. Notre lutte
contre le « cadre archaïque » nous fait oublier que l’ennemi de tout « devenir » est le néolibéralisme.
Qu’il faut penser non plus en termes d’indépendance, ni de République-une-et-indivisible, mais de
« République unie », là où des peuples responsables gèrent en égale dignité leurs interdépendances.
Entretien réalisé par Muriel Steinmetz et Publié dans l’Humanité

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 134


VIVRE ET MOURIR AU FOYER ROMAIN-ROLLAND

ÉDITION DU 4 MAI 2020


COMMUNIQUÉ 23 AVRIL 20201

CINQ RÉSIDENTS MORTS, UN AUTRE TUÉ PAR LA POLICE, DES RÉSIDENTS CONFINÉS DANS 7,50 M², DES ASCENSEURS EN
PANNE OU À L’ARRÊT, DES HABITANTS QUI DEVIENNENT FOUS ET DANGEREUX…
Le foyer Romain-Rolland à Saint-Denis, c’est un FTM, un foyer de travailleurs migrants, foyer-
tour de 13 étages construit en 1971 par la Sonacotra pour y encaserner un peu plus de 300 tra-
vailleurs immigrés, dans des chambrettes de 7,50 m² avec cuisine, WC et douches à chaque étage
pour 24 résidents. Après une période de luttes (grande grève de 1974 à 1980), de résistances, de
vie conviviale et solidaire, les résidents ont vieilli, sont morts ou partis, découragés par le non-droit
(fermeture des espaces collectifs du RCH, pas le droit à la vie privée…), le mauvais entretien des
chambrettes et des espaces communs et les pannes d’ascenseurs incessantes.
La Sonacotra-Adoma a abandonné le foyer (tout en encaissant les loyers, augmentés en 2020 au
maximum !) et a traîné des pieds pour réhabiliter ce foyer (le plan de « traitement » des FTM date
de 1997 !). Aujourd’hui, une partie des résidents a été relogée dans une « résidence sociale » rue
Bailly, l’autre partie attend son relogement dans le quartier Saint-Rémy. Les chambres libérées sont
attribuées aux demandeurs d’asile (après rafraîchissement) et aux grands précaires (avec un bail
temporaire).
Quand on rentre aujourd’hui dans ce foyer, on est saisi par la dégradation des lieux, par une
impression d’abandon, de tristesse, de solitude et quand on parle avec les résidents, par leur colère
et leur désespoir.

ÊTRE CONFINÉ AU FOYER ROMAIN-ROLLAND


Le confinement leur est tombé dessus. Les bus à Saint-Denis étaient bondés, les tramways aussi, la
ligne 13 aussi, les marchés et supermarchés aussi. Les consignes « se laver les mains » et « garder une
distance barrière » avaient quelque chose de surréaliste. Du jour au lendemain confinement. Les rési-
dents doivent se croiser, sans aucune protection, dans les cuisines, les WC, les douches, les escaliers…
Les vieux se retrouvent complètement isolés et, sans ascenseurs (arrêtés pour éviter la trop grande
proximité), complètement démunis. Les réfugiés, les précaires déjà sous pression, se désespèrent un
peu plus. Le mélange des publics dans des chambrettes de 7,5 m² sonores et non isolées, la « mixité »
des modes de vie, des histoires et habitudes différentes, la grande précarité et le stress permanent de
beaucoup, l’alcoolisme, les résidents qui multiplient les problèmes psychologiques… tout cela rend la
vie difficile et, depuis le confinement, encore plus difficile avec, par exemple, des résidents bruyants
la nuit qui empêchent les autres de dormir.
Aucune préparation, aucune anticipation des difficultés que vont rencontrer les résidents, juste des
affiches « Lavez-vous les mains… »

UN RÉSIDENT TUÉ PAR LA POLICE


« C’était un réfugié afghan, il était gentil au début. Puis, il s’est mis à parler tout seul, puis peu à
peu il est devenu violent. Il sortait le couteau tout le temps. Nous les délégués, nous l’avons signalé,

1. Foyer Romain-Rolland, 93 avenue Romain-Rolland à Saint-Denis.

135 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


il y a déjà au moins huit mois. Nous l’avons signalé et re-signalé à plusieurs reprises à l’association
ÉDITION DU 4 MAI 2020

qui s’occupe des réfugiés, aux vigiles, à l’Adoma, à la directrice territoriale… Rien, personne n’a
rien fait. Le gars est allé au parc, c’est pas loin du foyer, la police lui a demandé le papier de sortie,
alors il a sorti le couteau. Les policiers lui ont tiré dessus et l’ont tué. C’était le mercredi 15 avril. Les
policiers ont dit qu’ils ont cru à un terroriste, pourtant ils étaient plus nombreux et lui était seul. »

NOUS LES DÉLÉGUÉS, ON N’EST PAS ÉCOUTÉS


« Si Adoma nous avait écoutés, le gars aurait pu être soigné ou hospitalisé et aujourd’hui, il ne
serait pas mort. » « Si Adoma nous avait écoutés, le foyer serait plus habitable, moins dégradé et ses
habitants moins fragiles ; la protection des vieux résidents aurait été organisée. »

UN AUTRE EXEMPLE : LA FEMME FOLLE QUI DORT EN CE MOMENT DANS LES TOILETTES DU 12E ÉTAGE
Elle aussi, on l’a signalée et resignalée aux vigiles, à l’Adoma, à la directrice territoriale… la
femme de ménage et les résidents ne peuvent plus entrer dans les toilettes. Elle a déjà mis le feu au
2e étage, il y a plus d’un an, ça a fait une grande panique. Elle n’est pas agressive mais elle ne se lave
pas, elle aurait besoin d’un suivi psychiatrique. Si jamais ça lui reprend de mettre le feu au 12e étage,
ça sera une grande catastrophe, on n’a pas d’ascenseurs, les résidents qui paniquent vont prendre les
escaliers… Adoma n’a rien fait pour cette dame.

CINQ MORTS DU COVID-19


« Je [c’est le président du comité de résidents qui parle] connais trois vieux Algériens qui sont
morts. Il y en a deux qui sont morts à l’hôpital mais Kader, lui, au 7e étage, est mort tout seul dans
sa chambre. Une semaine plus tôt, j’ai entendu qu’il était malade. C’est quand les médecins sont
venus le 14 avril, qu’il a été découvert, mort, dans sa chambre, mort, tout seul. » « Je connais [dit un
autre délégué] deux résidents qui sont morts ; l’un c’était le monsieur qui nourrissait les chats qui
errent en bas du bâtiment, l’autre, il adorait jouer avec les enfants dans la rue. »
Les vieux résidents sont des personnes à risque mais est-ce que ces vieux résidents auraient pu
être soutenus, mieux informés et mieux pris en charge ?

QUI EST RESPONSABLE DE L’INSÉCURITÉ DANS LE FOYER ?


Les délégués doivent se confiner dans un foyer où tout le monde se croise. Ils ne
connaissent pas les nouveaux résidents, des réfugiés et des précaires. Le foyer est complè-
tement pourri, c’est compliqué pour eux, sans protection, d’aller voir les gens, et puis, Adoma
ne les écoute pas, ni pour les dangers et l’insécurité qu’ils signalent, ni pour les pannes et
l’arrêt des ascenseurs qui pénalisent gravement les plus vieux, les fragiles, les malades et
les empêchent de descendre, ni pour les sanitaires et les cuisines complètement dégradés.
Adoma sans cesse critique les résidents et les délégués et dit que notre façon de vivre collective est
source d’insécurité et qu’elle dépense beaucoup d’argent pour le foyer.
Faux, Adoma fait du bénéfice sur le foyer et c’est l’inaction d’Adoma face aux dangers bien réels
qui a mis et met en danger les résidents anciens et nouveaux. Adoma doit se soucier des résidents,
de tous les résidents du foyer.
Nous attendons des explications d’Adoma : pourquoi rien n’a été fait pour le réfugié afghan fou
et pour la femme folle qui a déjà mis le feu ?
Nous demandons à Adoma que soient organisés un système de portage des courses et une aide à
descendre et monter les escaliers pour tous ceux qui sont bloqués dans les étages et particulièrement

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 136


dans les étages élevés ; nous demandons que les vigiles montent dans les étages la nuit pour faire

ÉDITION DU 4 MAI 2020


cesser les tapages nocturnes et que les délégués aient leur numéro de téléphone.
Adoma doit nous écouter, nous sommes les représentants élus des résidents. Nous demandons à
Adoma un vrai travail en partenariat (au téléphone pendant le confinement) :
n sur la protection des résidents (masques, gants, gel en grand nombre, nettoyage – très peu et très

mal fait aujourd’hui) 7 jours sur 7 et désinfections régulières des parties communes, numéros d’appel
pour ceux qui n’ont pas de médecin traitant, solutions de confinement et d’isolement accompagné
pour les malades… ;
n sur la présence des équipes Adoma et les réfugiés ;

n que chaque résident puisse avoir un double de sa clé ;

n sur les réparations indispensables à programmer avant le déménagement ;

n sur notre future résidence.

Nous demandons à Adoma de différer le paiement des redevances, revues à la baisse pour tous et
particulièrement pour ceux qui sont privés de revenus.
Contact : 06 48 51 87 37

137 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


REPORTAGE
LA FAIM SUR CLICHY-SOUS-BOIS - MONTFERMEIL
ÉDITION DU 4 MAI 2020

JEAN TORTRAT1

La dernière barre d’immeubles de Montfermeil va être dynamitée cet été et la population de ce


quartier populaire a faim. Cette cité construite dans les années 1960 qui couvre les communes de
Montfermeil et de Clichy-sous-Bois, dans le 93, a été « rénovée », reconstruite depuis moins d’une
dizaine d’années, mais la misère est toujours là. Le déclenchement du confinement a déclenché
la fermeture des marchés. Cette mesure, compensée dans le reste du pays par le maintien des
­commerces d’alimentation, a été ici une catastrophe. En effet, le marché des Bosquets, qui se tient
trois fois par semaine, a deux énormes avantages : il est situé au pied des immeubles de la cité et
les prix pratiqués sont très bas. Sa fermeture, conjuguée avec la fermeture des cantines des écoles,
a entraîné dans toutes les familles fragiles économiquement, un point de rupture dramatique. Une
mère de cinq enfants habitante de Clichy-sous-Bois vivant seule explique :
Je suis seule avec mes cinq enfants, avec le confinement, c’est un peu compliqué, on est
une famille nombreuse, çà consomme… Avant, il y avait les marchés, et les enfants bou-
geaient, on oubliait… Et puis il y avait la cantine, c’était un autre repas et il y avait aussi
le goûter. Avant, je travaillais et on m’a mise à la porte, ça fait un mois, moi, je faisais
les personnes âgées, à gauche, à droite, au black, on va dire… On fait avec. Alors on va
à Leclerc, mais les prix augmentent. Sincèrement, c’est ce qui nous arrangeait, même au
niveau vestimentaire, on achetait des fringues, il y avait les marchés, on allait chez Kiabi,
et maintenant tout est fermé à part le Leclerc. On ne peut pas se le permettre dans des
villes comme ça. Il y a aussi les classes modestes (sic), les gens qui travaillent, avec un
salaire qui ne s’en sortent pas. Et les factures qui rentrent, moi, il y a des factures, je les
ai mises de côté, je suis bloquée… pour nourrir mes enfants. J’ai un petit ; le dernier il lui
faut des couches, il lui faut le lait…
Avec ce témoignage, on peut constater qu’une mère de famille seule avec cinq enfants qui s’en
sortait à la limite en perdant ses revenus « au noir » doit aujourd’hui faire des pieds et des mains pour
se nourrir, ses enfants et elle.

« ON EST SUR UNE POUDRIÈRE »


Cette situation n’est pas nouvelle, en témoigne le débat organisé en 2008 sur Mediapart avec
Edwy Plenel et Ouafia Kheniche pour la rédaction, Claude Dilain, maire de Clichy-sous-Bois de
l’époque, Mohamed Mechmach, le président de l’association ACLeFeu, et Jérôme Bouvier, jour-
naliste et président de l’association « Journalisme et Citoyenneté » (www.mediapart.fr/journal/
culture-idees/070208/debat-mediapart-a-clichy-sous-bois). Des situations comparables sont bien
sûr fréquentes en ce moment dans les quartiers populaires. Le drame de Villeneuve-la-Garenne fait
craindre un embrasement des banlieues.
Dans une interview au Monde, mardi 21 avril, le maire de Clichy-sous-Bois faisait part de son
inquiétude : « Ça peut déraper à tout moment. On est sur une poudrière, la situation est très tendue
depuis le début du confinement. L’étincelle, ça peut être la faim, ça peut être un jeune homme blessé

1. Jean Tortrat est membre du SNJ-CGT. Il a été dix ans instituteur dans les années 1980-1990 dans le 9-3.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 138


lors d’un accident impliquant la police… » Alors que le ramadan doit débuter à la fin de la semaine,

ÉDITION DU 4 MAI 2020


le risque de tensions aux conséquences imprévisibles monte d’un cran.
Le durcissement des positions policières n’arrange rien. Les propos du préfet Didier Lallement, le
préfet de police de Paris, affirmant la « corrélation très simple » entre « ceux qu’on trouve dans les
réanimations et ceux qui n’ont pas respecté le confinement », n’ont pas non plus apaisé le climat !
Louise Couvelaire, journaliste au Monde, explique très justement : « Il y a ceux qui ont encore un
travail et prennent tous les risques pour le garder. Ceux qui craignent pour l’avenir de leurs enfants.
Et il y a ceux qui ont faim. Ce sont souvent les mêmes. »

LES PANIERS REPAS PASSENT DE 190 À 900 !


Organisées par le collectif ACLeFeu et le centre social Toucouleurs, avec le soutien de la Fondation
Abbé-Pierre, les distributions alimentaires auxquelles j’assiste le mercredi 22 avril sont les quatrième
et cinquième en moins de quinze jours. 190 personnes ont reçu un panier-repas (légumes divers,
œufs, jus de fruits, etc.) la première fois, 490 la deuxième, 750 la troisième, 390 la quatrième, 900
la cinquième fois.
La maman de cinq enfants avec qui j’ai discuté me dit qu’elle a appris l’existence de cette distri-
bution d’aliments par le compte Facebook de la mairie de Clichy-sous-Bois, qui prête les locaux
accueillant les bénévoles. « Il faut remercier les gens qui nous aident, pas Macron ou Brigitte
Macron. Les riches pourraient nous aider, mais non les riches prêtent aux riches. » Zahia, fondatrice
de Toucouleurs, a organisé avec ACLeFeu ces distributions :
La précarité ne date pas d’aujourd’hui dans les quartiers. Pas mal d’associations ont œuvré
pour dénoncer cette inégalité sociale qui crée beaucoup de frustration sociale. Cela génère
aussi dans ces familles des pathologies psychiques. On parle souvent de la faim, mais il
y a aussi la santé mentale et on n’en parle pas beaucoup. Nous, on voit des familles qui
développent des pathologies par rapport à leur situation de vie et là aujourd’hui, cette
pandémie en rajoute au niveau des difficultés sociales et économiques, mais elle développe
aussi des pathologies chez ces personnes parce qu’elles sont angoissées par ce qu’elles
peuvent entendre. Ce flux d’informations et de contre-informations, chacun l’interprète
à sa façon.
Ahmed raconte son quotidien, il est bénévole, il est là pour donner « un coup de main » pour aider
l’association, mais comme il l’explique, il repartira avec un panier, parce que, finalement la frontière
entre la population qu’il aide et sa propre situation est très tenue :
La vie est dure, vous le savez bien, quand on a payé le loyer, il ne nous reste plus rien,
heureusement qu’il y a des aides, sinon on ferait comment ? Moi, j’ai un F2, je vis tout
seul, je suis marié et séparé avec cinq enfants, actuellement je touche 1 300 euros, je paye
un loyer de 600 euros, je donne à mes enfants 300 euros, il ne me reste plus grand-chose
pour payer mon assurance, remplir mon réfrigérateur et partir en vacances. Je suis en
accident du travail, je travaille dans un groupe de multimédia. Je suis en galère par rapport
à la Sécurité sociale parce que je dois remettre mon arrêt de travail à la Poste, qui est
fermée et les délais pour me rembourser sont de trois à quatre semaines, cette situation
dure depuis deux mois. Je ne peux pas payer mon loyer, je dois me nourrir et nourrir
mes enfants, donc je viens faire du bénévolat et récupérer de quoi m’en sortir. Je ne vais
pas me voiler la face, j’en ai besoin.
André Valverde, de la compagnie de théâtre Le Chapiteau, installée à Clichy-sous-Bois depuis
1998, est présent le mercredi 29 avril et apporte son aide au Secours populaire et l’association
ACLeFeu :

139 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


Cette épidémie est un révélateur, comme un révélateur photo, nous, habitants vivant sur
ÉDITION DU 4 MAI 2020

place, nous connaissons toutes les problématiques et là, d’un seul coup, elles se révèlent
aux Français de façon plus évidente. Il est sûr qu’un grain de sable pour des gens qui
vivent dans des habitats précaires, qui sont familialement précaires, la conséquence est
un effondrement. On parle de l’effondrement de l’économie, moi, je préfère parler de
l’effondrement des humbles, on va les appeler les humbles. J’aimerais que les Français
se souviennent de leurs proches grands-parents, qu’ils se souviennent que l’on fait tous
partie de ces humbles.

LA SOLIDARITÉ DES PAUVRES EST UNE RÉALITÉ


Les liens de solidarité sur Clichy-sous-Bois-Montfermeil sont forts, la solidarité des pauvres est
une réalité, j’ai pu le constater, en témoigne la présence forte des bénévoles du quartier : institu-
trices, travailleurs sociaux, acteurs du monde culturel comme André Valverde ou Amina, 28 ans, qui
fait du bénévolat depuis de nombreuses années, comme elle l’explique elle-même :
J’ai aidé le Secours catholique, le Secours populaire et je fais partie des Musulmans de
France [ex-UOIF], j’aide plus la communauté musulmane, mais je ne suis pas fermée,
j’aide l’humain avant tout, pour moi, la pauvreté n’a pas de frontières et la générosité non
plus, je me dois d’aider mon prochain comme je peux, ma religion appuie ces valeurs-là
et je voudrais faire ressentir par ma présence ici ce côté positif de ma religion afin que
les gens nous perçoivent autrement. C’est aussi mon message, un message de tolérance,
de paix, de fraternité, de solidarité…
Michel Cadot, le préfet de la région Île-de-France, explique au Canard enchaîné du 22 avril : « Mon
principal risque dans les quinze jours qui viennent est, si l’on excepte le risque sanitaire, le risque
alimentaire. » Il rajoute : « L’économie souterraine, de rapine, “l’uber-économie” et l’effondrement de
l’intérim ont provoqué une baisse importante et brutale des revenus des précaires de Seine-Saint-
Denis. » Parmi les plus touchés « les enfants et les collégiens, qui ne vont plus à la cantine », seule
occasion pour eux de prendre un vrai repas.
Durant mon reportage, j’ai posé plusieurs fois la question de savoir comment les gens présents
avaient eu connaissance de la date et du lieu des distributions alimentaires. Quels étaient les canaux
d’information, sachant que la mairie de Clichy-sous-Bois ne fait aucune publicité sur le site internet
et que sur les réseaux sociaux, aucun groupe n’a été constitué… J’ai eu la réponse assez tard : le
bouche-à-oreille. De l’aveu même d’un organisateur des marchés gratuits : « Si l’on fait trop de publi-
cité, nous serions dans l’incapacité de répondre aux besoins de tous les demandeurs qui seraient
beaucoup trop nombreux. »
Mercredi, Kamel le magicien, connu pour ses interventions à Canal +, était présent. Je n’ai pas osé
lui demander s’il avait la capacité, grâce à son métier, de faire disparaître le virus et la faim, mais il
m’a confié :
Je suis originaire de Clichy-sous-Bois, je suis né ici, j’ai grandi ici et je suis content que
l’association ACLeFeu mette tout en œuvre pour aider les plus démunis. Je ne voudrais
pas tirer sur l’ambulance, mais on manque de masques et de tests et quand j’apprends
que les masques coûtent en pharmacie plus de 7 euros, que les gens ici n’ont pas de quoi
manger, comment pourraient-ils s’en acheter ?
La CAF vient d’annoncer qu’elle verserait une aide de 150 euros par foyer aux bénéficiaires de
diverses prestations (RSA, ASS) ainsi que 100 euros par enfant à charge… Mais à partir du 15 mai.
En attendant, les habitants du 93 ont faim.
29 avril 2020

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 140


NOUS NE REVIENDRONS PAS À LA NORMALE, CAR C’ÉTAIT LA NORMALE

ÉDITION DU 4 MAI 2020


LE PROBLÈME !
APPEL DES GILETS JAUNES DE PANTIN

Nous, habitant·es de Pantin et Gilets jaunes, nous ne reviendrons pas à la « normale ». La crise
sanitaire actuelle ne fait que confirmer notre détermination à renverser un système ignoble qui
sacrifie notre santé, nos services publics et notre planète sur l’autel d’une croissance qui ne profite
qu’à quelques privilégié·es.
Nous sommes déterminé·es à ne pas reprendre notre travail avec un salaire qui ne permet pas de
vivre dignement. Nous sommes déterminé.e.s à en finir avec ce monde injuste, qui ne tient que par
la violence, les violences policières et la répression judiciaire.
Le confinement a montré que c’est le peuple qui nous permet de manger, de nous soigner, de
vivre, et pas les privilégiés qui décident pour nous.
Après avoir poursuivi la destruction de l’hôpital public et géré la situation de façon calamiteuse,
le gouvernement Macron veut nous faire payer la facture pour remettre « en marche » une économie
qui détruit les humains et la planète.
Dans les prochains mois, certains d’entre nous vont voir leurs revenus baisser ou perdre leur
emploi. Pour traverser ce moment, nous sommes solidaires les un·es avec les autres, ici à Pantin, avec
Solid19 ou les brigades de solidarité, ou en approvisionnant les familles avec des fruits et légumes
frais.
Organisons la résistance face à celles et ceux qui nous gouvernent et qui utilisent la pandémie
pour renforcer leur domination, comme avec la loi sur l’état d’urgence sanitaire.
Non aux mesures liberticides et aux dispositifs de contrôle totalitaire. Imaginons de nouvelles
formes de lutte, manifestons en respectant les gestes barrières. Portons le gilet jaune au quoti-
dien. Préparons le déconfinement avec tous ceux qui veulent se battre pour une société juste et
démocratique.
Décidons par nous-mêmes la société que nous voulons :
1. Le droit de manger : soutien aux petits agriculteurs et aux petits commerces, circuits courts,
coopératives, plantations d’arbres fruitiers et légumes dans l’espace public
2. Le droit de se loger : réquisition des logements vides, 0 SDF
3. Le droit à la santé : masque et dépistage pour tous, ce qui rend le confinement inutile, soutien
à l’hôpital public et aux soignants, soins gratuits pour tous
4. Le droit à un environnement sain : produire et consommer selon nos besoins, dans le respect de
la planète. En finir avec le martyr des animaux et la destruction de leur habitat naturel qui favorisent
les pandémies.
5. Le droit à décider par nous-mêmes : RIC en toute matière, nouvelle constitution
Pour la justice sociale, fiscale, écologique.
Pour le droit de vivre en bonne santé, dans la paix et la liberté.
26 avril 2020

141 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


LE SYNDROME DÉTROIT ? VERS UNE CRISE ÉCONOMIQUE MAJEURE DANS
ÉDITION DU 4 MAI 2020

TOULOUSE ET SA RÉGION
PASCAL GASSIOT, PIERRE BONNEAU, GILLES DARÉ, JEAN-PIERRE CRÉMOUX1

COUP DE TONNERRE DANS UN CIEL BLEU OU BIEN DESCENTE AUX ENFERS ?


Nous avions eu droit à une première alerte. Souvenez-vous, en avril 2010, le volcan islandais au
nom imprononçable, l’Eyjafjallajökull, entrait en éruption et projetait dans le ciel un panache de
cendres volcaniques. Devant la dangerosité potentielle de ce nuage et l’absence de normes IATA en
ce domaine, un certain nombre de compagnies aériennes avaient très largement restreint leur trafic
provoquant ainsi, pour quelques jours la plus longue interruption du trafic aérien de l’après-guerre
avec 100 000 vols annulés dans onze pays européens, laissant au sol 10 millions de passagers et pro-
voquant la perturbation ou l’annulation de nombreux évènements politiques, sportifs ou culturels.
Et puis, nous sommes passés à autre chose en ne gardant comme souvenir que ces magnifiques ciels
bleus au-dessus de Toulouse, vierges de toutes les traînées blanches liées à la condensation de la
vapeur d’eau émise par les réacteurs. Aujourd’hui, en ces temps de pandémie, nous retrouvons ces
mêmes ciels d’un bleu azur. Mais, là, cela semble parti pour durer…
Flottes entières d’avions clouées au sol, aéroports fonctionnant au ralenti comme ceux de Blagnac
(seuls quelques vols internes d’Airbus perturbent, encore et toujours, le sommeil des riverains), celui
de Roissy (5 % de son trafic habituel) ou bien carrément fermés comme celui d’Orly… Toutes les
activités qui touchent de près ou de loin au transport aérien, le tourisme en particulier, sont lourde-
ment impactées. Plus un passager à transporter… Selon les informations disponibles en cette mi-avril
2020, le trafic aérien a chuté de 98 % en France.
Les projections qui se multiplient actuellement sont très diverses mais elles vont toutes dans le
même sens ; la chute est donc vertigineuse. Et personne ne prévoit un redémarrage significatif (si
celui-ci a lieu…) du transport aérien avant douze à trente-six mois. Situation à laquelle il convient
d’ajouter que les conditions de redémarrage du trafic vont être, au moins à court et moyen terme,
complexes.
Les syndicats, les dirigeants des compagnies aériennes réfléchissent actuellement à la gestion
de l’après-confinement, même s’il y a encore beaucoup d’incertitudes reconnaît Jean-François
Dominiak – directeur général d’ASL Airlines France. « Nous allons transporter des passagers,
­comment va-t-on faire ? Il faudra mettre des masques ? Comment va-t-on accueillir les voyageurs
dans les aéroports ? Comment va-t-on les faire voyager ? Il va aussi falloir avaler le manque à gagner.
Tout va aussi dépendre des pays de destination. Dans beaucoup de pays les frontières sont fermées. »

LA FILIÈRE AÉRONAUTIQUE DANS L’AIRE URBAINE DE TOULOUSE : LA MONO-INDUSTRIE. UN COLOSSE AUX PIEDS D’ARGILE
En 2018, 4,3 milliards de passagers ont embarqué sur l’une des 1 300 compagnies aériennes à
travers le monde. Plus que le nombre de passagers en valeur absolue, c’est la croissance fulgurante
du secteur qui frappe. Tous les quinze ans, le transport aérien voit son nombre de passagers doubler.

1. Pascal Gassiot (Fondation Copernic,Toulouse), Pierre Bonneau (Attac Toulouse), Gilles Daré (Université populaire de Toulouse), Jean-
Pierre Crémoux (Amis du Monde diplomatique Toulouse).

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 142


On peut aussi appréhender le trafic aérien par la taille de la flotte mondiale : plus de 24 000 avions

ÉDITION DU 4 MAI 2020


commerciaux (transportant des passagers) parcourent le monde. En 2018, ces avions ont réalisé plus
de 38 millions de vols vers l’un des 3 500 aéroports commerciaux.
En dépit de profits relativement faibles, rien ne semble (semblait) arrêter la croissance du secteur
aérien. Selon les prévisions réalisées par Boeing et Airbus avant la crise actuelle, à l’horizon 2037-
2038 les compagnies aériennes devraient transporter plus de 8 milliards de passagers par an  –  soit
deux fois le nombre actuel de passagers.
Pour cela, la flotte d’avions devrait elle aussi doubler pour compter plus de 48 000 avions dans les
airs en 2038. La majorité de ces avions seront des « mono-couloirs », c’est-à-dire des petits avions
de la taille de ceux que l’on prend généralement pour un vol domestique à l’intérieur de l’Europe.
Au-delà des fortes commandes d’avions actuelles, ce secteur économique présente de nombreuses
caractéristiques qui peuvent l’assimiler à une bulle financière. Quand on entend, par exemple, les
dirigeants d’Airbus dire qu’ils comptent sur le développement des classes moyennes des « pays émer-
gents » pour qu’en 2033 il y ait 66 % de celles-ci qui voyagent en avion (contre 22 % aujourd’hui),
c’est une vision largement linéaire et « optimiste » qui semble peu crédible. D’autant plus aujourd’hui
quand on voit la situation mondiale et la dépression économique qui suivra la crise sanitaire et qui a
déjà un impact très important sur le secteur aérien et donc sur l’aéronautique ! Comme le concèdent
les patrons de l’industrie aéronautique eux-mêmes, la question est davantage de savoir quand aura
lieu le point de bascule (l’inversion de la courbe) plutôt que de savoir s’il aura lieu. Comme le dit
un syndicaliste CGT du secteur aéronautique dans un entretien à l’Université populaire de Toulouse,
dans un tel scénario, « on sera face à un appareil productif énorme, fait pour produire de très grosses
quantités et qu’il faudra sous-utiliser ; ce qui veut dire qu’on sera confrontés à une vague importante
de licenciements et de fermetures d’usines. Les opérateurs du secteur regardent aussi avec inquié-
tude l’Asie (qui représente 40 % des commandes des vingt prochaines années), et notamment l’Asie
du Sud-Est, comme potentiel “annulateur” massif de commandes. »
Une entreprise de la filière aéronautique et spatiale du Grand Sud-Ouest sur quatre travaille
exclusivement pour le marché aérospatial et une sur cinq est fortement dépendante de ce marché
(plus de 75 % de son chiffre d’affaires est dédié à cette filière). Une entreprise sur quatre seulement
est davantage diversifiée (moins de 25 % de son chiffre d’affaires dédié à la filière).
En 2018, la filière aéronautique représentait 159 000 emplois dans le Sud-Ouest, dont 69 % en
Occitanie avec la majorité en Haute-Garonne, autour de Toulouse (Airbus, Safran, ATR, Thales,
Alenia Space…) ; soit 110 000 salariés en Haut-Garonne dont 70 000 rien que sur le territoire de la
métropole toulousaine. Sachant qu’un emploi industriel permet, selon l’Insee, de créer 1,5 emploi
indirect et 3 emplois induits dans le reste de l’économie, ce sont donc 165 000 emplois directs et
indirects et 330 000 emplois induits, soit près de 500 000 emplois au total sur 620 000 (soit 80 % !) qui
sont concernés rien que sur le département de la Haute-Garonne et 385 000 emplois sur le territoire
métropolitain sur 452 000, (soit 85 % !).
L’aspect un peu mécaniste, il faut en convenir, de ces chiffres (en particulier le lien entre emplois
directs, indirects et induits qui peut laisser un peu songeur) ainsi que leur présentation un peu brute
peut générer une forme de scepticisme. Mais, ils sont quand même très révélateurs de la situation
mono-industrielle de l’emploi sur Toulouse et, plus largement, sur l’ancienne région Midi-Pyrénées.
Le possible (et aujourd’hui vraisemblable) effondrement de la commande d’avions ne se traduira
pas par une disparition sèche et immédiate de tous les emplois du secteur aéronautique (nous y
reviendrons ultérieurement) mais la violence de la crise qui s’annonce ne doit surtout pas être
sous-estimée…
La reprise d’activité espérée du secteur aéronautique par certains dépendra en grande partie,

143 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


essentiellement en fait, des compagnies aériennes qui sont en grande difficulté comme les construc-
ÉDITION DU 4 MAI 2020

teurs et leurs sous-traitants. Si elles, les compagnies, ont transporté plus de 4 milliards de passagers
en 2019, Airbus s’attend à ne recevoir aucune commande de leur part pour le reste de l’année 2020.
Une année noire en quelque sorte qui fait ressortir la hantise des « queues blanches » (les avions
fabriqués et stockés sur le tarmac et qui ne sont pas siglés car ils n’ont pas trouvé preneur) qui ont
alimenté la chronique toulousaine du secteur dans les années 1980. Comme le dit si bien l’éditoria-
liste de La Dépêche du Midi en ce 17 avril 2020 en conclusion de son éditorial :
Dans le contexte de crise actuel, ce qui a fait pendant plus d’un demi-siècle la force
économique de notre région, pourrait soudainement se transformer en faiblesse. On ne
va pas feindre de découvrir qu’en se consacrant tout entière à l’industrie aéronautique,
la région s’est mise en situation de vulnérabilité. Alors qu’en 2019, Airbus est devenu le
premier constructeur mondial, qui osera lui en faire reproche ?
À la région, aux décideurs locaux ou à Airbus…

UNE CRISE DE LA DEMANDE : MOINS DE PASSAGERS, MOINS D’AVIONS…


Rappelons une évidence : si on conçoit, fabrique et vend des avions, c’est parce qu’il y a des
passagers pour les utiliser. Et s‘il n’y avait plus de passagers ? Mais surtout, si leur nombre baissait
drastiquement, les avions continueraient-ils d’être fabriqués ? La réponse est dans la question… Une
fois brossé, donc, le panorama de la fabrication, évoquons maintenant celui de l’évolution du trans-
port aérien. « L’industrie aéronautique va être très fortement touchée car le trafic aérien de passa-
gers va diminuer en 2020 et 2021, voire 2022, avant de retrouver un niveau normal. Cela aura un
impact majeur sur la commande de nouveaux avions, mais aussi sur la maintenance, l’autre pilier de
ce secteur. Si moins d’avions volent, les besoins en maintenance seront considérablement réduits »,
s’inquiète un analyste toulousain de la filière cité par La Tribune le 9 avril.
Surtout que l’on peut s’interroger sur le présupposé de cet analyste comme quoi le trafic aérien
devrait retrouver un niveau normal.
Cela voudrait dire que la pandémie liée au Covid-19 que nous vivons actuellement avec ses
conséquences directes et indirectes ne serait qu’un accident de parcours. Cela mérite d’être analysé
et mis en perspective. Il est vrai que la précédente crise sanitaire de même nature, (celle du SRAS-
CoV en 2002 et 2003 qui a fait, selon les chiffres de l’OMS, 800 morts pour 8 000 cas détectés) a
été assez rapidement endiguée. Ceux et celles qui utilisaient le transport aérien à l’époque se sou-
viennent surtout de l’apparition, dans les aéroports français et européens, de passagers équipés de
masques de protection individuelle (c’était considéré comme « exotique » par beaucoup…) et d’affi-
chettes de consignes sanitaires apposées dans les lieux de passage des aéroports ; et puis, surtout, ce
n’était pas « chez nous »… Donc, cela ne nous concernait pas…
Pourtant, et comme l’écrit l’historien Jérôme Baschet dans son article paru le 13 avril dans la
revue Lundi Matin, cette crise du SRAS-CoV s’inscrit, à partir des années 1980, dans « un emballe-
ment du rythme des nouvelles zoonoses : VIH, grippe aviaire H5N1, qui refait surface périodique-
ment depuis 1997 et notamment en 2006, SARS en 2003, grippe porcine en 2009, MERS en 2012,
Ebola en 2014, jusqu’au Covid-19 (la liste n’est pas exhaustive) ». L’historien met aussi l’accent sur
la rapidité de diffusion de la pandémie et les routes empruntées pour sa diffusion ; il cite, en par-
ticulier, la « célèbre » épidémie de peste noire qui a suivi les routes commerciales de l’époque (des
plateaux du Tibet jusqu’aux rives occidentales de la Méditerranée) mais qui a mis à l’époque 70 ans,
entre 1270 et 1346, pour atteindre Messine et Gènes puis le reste de l’Europe ; le Covid-19 a lui, mis
quelques toutes petites semaines (jours ? heures ?) pour aller de Wuhan en Chine à l’Italie du Nord…
Marc Barthélémy, chercheur au CEA avec une équipe mixte CEA-CNRS- université de l’Indiana

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 144


qui a modélisé la diffusion des épidémies à partir des bases de données de l’IATA, conclut en 2008

ÉDITION DU 4 MAI 2020


que « l’avion est le facteur clé de propagation (des épidémies) au niveau mondial. […] Les lignes sur
lesquelles il y a de gros flux de passagers créent des chemins préférentiels pour la maladie ».
Est-il possible d’imaginer que les gens reprendront l’avion sans barguigner dans les mois et les
années qui viennent sachant ce mode de transport, l’avion, qui implique proximité corporelle et
mélanges en tous genres, a été le vecteur de la diffusion du virus (il en ira de même d’ailleurs mais
pour d’autres raisons  –  le temps long du voyage en particulier  –  pour les croisiéristes maritimes) ?
Difficile d’y croire…

L’AVION, UN BESOIN VITAL ?


Les passagers loisirs, que rien de vital n’oblige en fait à recourir au transport aérien, vont-ils
oublier la séquence en cours qui, à la différence des épidémies récentes, conduit à un confinement
chez soi propice, pour beaucoup, à une information en profondeur sur l’origine et les conditions
d’apparition et de développement de la pandémie. Difficile, là aussi, de le croire ou bien à sous-es-
timer notablement le niveau d’éducation individuel et collectif de la population.
La question est celle du seuil de tolérance qu’ont les populations face à ce genre de menaces de
contracter une maladie fortement létale. Il est vrai que des pandémies extrêmement meurtrières ont
eu lieu au 20e siècle. Pour ne citer qu’elle, on pourrait faire référence à la grippe dite espagnole (en
fait, elle est née dans un camp d’entraînement de l’armée américaine au Kansas et donc sur le sol
américain) qui a tué, selon les sources, entre 20 et 100 millions de personnes entre 1918 et 1920
(dont 2,3 millions en Europe  –  0,5 % de la population). Nous sommes bien loin des 150 000 morts
du Covid-19 actuellement recensés à l’échelle planétaire. Mais, en 1918, l’Europe sortait tout juste
de l’effroyable massacre de la « Grande guerre »… Le seuil de tolérance face à l’« injustice » de la mort
avait donc été fortement augmenté.
Dans un tout autre genre, toujours pour illustrer l’évolution de la tolérance de nos sociétés face à
la perspective de décès « non naturels », on peut, par analogie, évoquer l’accidentologie automobile.
Environ 3 000 morts et des dizaines de milliers de blessés graves dans les accidents de la route en
France actuellement. Il n’y a pas si longtemps, au milieu des années 1970, il y en avait cinq fois plus
(chaque lundi matin, les journaux faisaient un recensement de deux à trois cents morts du week-
end et les services d’urgence des hôpitaux travaillaient jour et nuit pour essayer de sauver les blessés
graves poly-fracturés. Les urgentistes un peu âgés évoquent encore cette boucherie…). Il y avait une
forme de fatalisme, une sorte de prix à payer au progrès, à la liberté de se déplacer. Imagine-t-on
aujourd’hui revenir à cette situation. Nul ne l’imagine et « la » société ne le supporterait pas. Le seuil
d’acceptabilité face aux causes de mortalité « évitable » a considérablement évolué à la baisse.
Tout ceci pour dire qu’il semble difficile qu’avec le niveau d’information qui est maintenant le
sien, la population puisse reprendre l’avion pour aller en vacances (les touristes sont, nous allons le
voir, le premier segment de clientèle des compagnies aériennes) comme si de rien n’était…

UN MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT OBSOLÈTE


Même si une partie de l’économie devait redémarrer générant par là même des besoins de dépla-
cement, il faut bien avoir à l’esprit que le transport aérien, le profil des passagers, a changé de nature
ces trente dernières années. Nous sommes passés d’un transport aérien réservé aux déplacements
professionnels et à la partie la plus aisée de la population à un transport de masse via le développe-
ment des compagnies low cost et l’alignement, plus ou moins marqué, des compagnies « historiques »
sur ce modèle.

145 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


Selon une étude de la DGAC en 2018 sur le transport aérien en France, la clientèle des com-
ÉDITION DU 4 MAI 2020

pagnies aériennes est une clientèle qui voyage majoritairement, à 48 %, pour des motifs de loisirs
(vacances, achats, évènements sportifs ou culturels). Les motifs professionnels représentent, eux,
25 % des voyages et les motifs privés 22 %. De fait, 65 % des passagers ont payé eux-mêmes leur
billet (dans 21 % des cas, c’est leur entreprise). Cette segmentation des clientèles françaises peut
vraisemblablement être extrapolée dans la majorité des pays émetteurs. Prendre le risque, pour un
Européen, de contracter un virus potentiellement létal pour aller découvrir le Machu Picchu ou
bien aller se prélasser sur une plage de la République dominicaine dans un séjour « all inclusive »,
est-ce que cela est encore imaginable ? Et la même question peut se poser pour un touriste du sud-
est asiatique venant voir la tour Eiffel, le Louvre ou bien les châteaux de la Loire ?
Les professionnels du tourisme que nous avons interrogés appréhendent bien l’ampleur de la
crise qui s’annonce ; et rappelons comme nous l’avons indiqué précédemment que le tourisme est
le principal vecteur de développement des compagnies aériennes qui sont, elles-mêmes, et de très
loin, les premiers acheteurs d’avions (en direct ou bien via les loueurs).
Selon Didier Arino, directeur général du réseau Protourisme et consultant pour de nombreux
médias, que nous avons contactés le 21 avril : « La crise du transport aérien avait déjà commencé
avant la crise actuelle comme le montre la chute marquée des voyages en Asie constatée en 2019. »
Celui-ci enfonce le clou voyant dans la situation actuelle et à venir d’autres menaces :
Les crises sanitaires liées à des pandémies virales qui ne font sans doute que commencer
[…] et d’autres tendances lourdes qui vont aussi impacter le secteur comme la désaffec-
tion d’une partie notable de la jeunesse envers l’utilisation de l’avion, déjà constatée dans
certains pays du nord de l’Europe et liée à la prise de conscience de la crise climatique et
des dangers qu’elle fait peser. Même le secteur des déplacements professionnels, ­souvent
rentable pour les compagnies, va être touché et les visioconférences qui connaissent
aujourd’hui une progression fulgurante vont sans doute être appelées à devenir la « norme ».
Si on ajoute à ce tableau la crise économique profonde qui s’annonce, il semble difficile
d’imaginer que le secteur du transport aérien puisse rebondir de manière significative.
Diagnostic partagé par Claudine Chaspoul, rédactrice en chef de la revue Espaces tourisme et loisirs,
qui coordonne actuellement un numéro spécial à paraître en juillet sur la crise actuelle et le devenir
du tourisme international. En particulier son analyse sur le modèle « low cost » est sans détour : « Ce
modèle, dont la réussite est liée au développement du tourisme de masse, devrait être très largement
remis en cause, voire disparaître », dit-elle dans une interview qu’elle nous a accordée le 21 avril. Et
elle ajoute : « Les clients garderont en mémoire ce qui se passe actuellement avec les voyageurs pris
dans la tourmente et incapables de rentrer chez eux ; cette insécurité va marquer durablement les
esprits. » Elle avoue aussi que « personne n’y voit clair actuellement mais que le nouveau Monde en
train de naître ne pourra repartir sur les mêmes bases ; nous entrons donc dans une période de très
forte incertitude mais le nombre de passagers aériens ne retrouvera sans doute jamais les volumes
des années passées. La crise actuelle est d’une autre nature et d’une ampleur sans comparaison
avec les crises précédentes du secteur ». Dans une interview accordé le 19 avril à la newsletter du
magazine spécialisé L’Écho touristique, Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du Monde, confirme ce
changement de paradigme intégrant une modification du comportement des touristes, confirmée
par les interlocuteurs précités. À la question : « Croyez-vous qu’à terme il y ait moins de touristes,
plus de voyageurs ? », celui-ci répond :
Les gens vont partir plus longtemps, moins souvent. Nous voyagerons moins, mais mieux
[…]. La bonne nouvelle, c’est que nous allons revenir aux origines du voyage. Avec moins
de touristes, plus de voyageurs. Nous limiterons ainsi le surtourisme, la Disneylandisation,
le non-respect des populations locales.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 146


Les avis semblent converger et l’hypothèse la plus vraisemblable semble donc être, a minima, un

ÉDITION DU 4 MAI 2020


arrêt de la croissance sans fin du nombre de passagers et donc du nombre d’avions nécessaires pour
les transporter (resteront quand même les besoins de renouvellement des flottes).
Un marché risque de sortir « gagnant » de la crise, c’est celui de l’occasion. De nombreuses compa-
gnies de taille moyenne vont sans doute disparaître en laissant leurs actifs en plan. Nombre d’avions,
qu’ils appartiennent en propre à ces compagnies ou bien qu’ils soient, comme c’est la plupart du
temps le cas, propriété de loueurs comme AerCap, Gecas ou Avolon (selon le CSE central d’Air
France, les avions en leasing représentent 41 % de la flotte mondiale), vont venir alimenter un mar-
ché de l’occasion qui retardera d’autant la fabrication et la vente de nouveaux avions…
Le transport aérien et son corollaire l’aéronautique ne retrouveront pas, jamais sans doute, le
niveau de croissance qui a été le leur ces dernières années ; et il est vraisemblable qu’ils auront même
de la difficulté à revenir au niveau qui précédait l’actuel coup d’arrêt. La bulle va se dégonfler…
Nous l’évoquions précédemment, cet arrêt net de la croissance du secteur aéronautique sera aussi
le cas, et de manière encore plus marquée, pour la construction des paquebots géants de croisière.
La région de Saint-Nazaire avec les Chantiers de l’Atlantique risque de connaître, elle aussi, un
retournement de conjoncture extrêmement marqué. D’autant plus que le second pilier historique
de l’économie de cette région est l’aéronautique…

UN PAS VERS L’ABIME…


Il est maintenant nécessaire d’intégrer d’autres considérations plus structurelles et liées à l’évolu-
tion du capitalisme financiarisé et mondialisé et ses conséquences sur l’organisation de la production
des avions.
D’abord, il convient de ne pas oublier que, si la production d’avions répond à une demande, celle
de se déplacer, elle est organisée aussi et surtout pour permettre à des actionnaires de se servir en
dividendes. Le temps est maintenant loin où la production d’avions était considérée comme un enjeu
de politique industrielle publique. Les État (et la France n’y échappe pas) se sont désengagés de ce
secteur industriel (comme de bien d’autres) et ce sont des actionnaires privés qui tiennent désor-
mais la barre. Airbus (enfant, très lointain maintenant, de Sud-Aviation et de la SNIAS) a désormais
comme fonction première de rémunérer des capitaux. Airbus est aujourd’hui une structure quasi
totalement financiarisée. Et peu importe où et comment sont fabriqués les avions. La délocalisation
de la production a déjà commencé par la création de lignes d’assemblage en Chine et aux États-
Unis. Il est avancé pour justifier cette évolution que celle-ci est nécessaire pour garder la main sur
les marchés (comme en Chine) ou bien en conquérir de nouveaux (comme aux États-Unis). Mais
cela ne suffit pas à comprendre totalement comment cette situation fragilise profondément la filière
dans notre région. Car une autre évolution, celle-là dans l’organisation même de la production des
avions, est lourde de menaces et se conjugue avec la délocalisation. Imaginons que la crise sani-
taire actuelle, qui en annonce d’autres comme nous l’avons évoqué précédemment, aboutisse, par
exemple, à une organisation de la production qui soit plus respectueuse des conditions de travail et
génère donc des « coûts » de production supplémentaires, que feront les actionnaires ? Ils feront ce
qu’ils savent faire : maltraiter encore plus les sous-traitants et fournisseurs, comprimer toujours plus
la masse salariale. Mais surtout, délocaliser, aller là où la main-d’œuvre est moins chère et/ou moins
bien organisée. Pour contrer cet argument, il a souvent été avancé le fait que le savoir-faire central
restait entre les mains du donneur d’ordre, Airbus en l’occurrence. C’est là qu’intervient l’évolution
de l’organisation de la production. Il fut un temps où la production d’avions se jouait « à deux » : le
constructeur (Airbus en l’occurrence) et sa myriade de sous-traitants. Une sorte de circuit court…
Depuis maintenant plusieurs années, un troisième larron est apparu : ce sont les « systémiers ». Ils ont

147 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


pour nom Thalès, Safran ou bien Goodrich. Ils conçoivent et fabriquent de manière intégrée des
ÉDITION DU 4 MAI 2020

pans entiers des aéronefs. Le circuit est donc maintenant composé du constructeur (peut-on encore
l’appeler ainsi ?), des systémiers et des sous-traitants. La part d’ingénierie et de savoir-faire dans la
conception et la construction transférée du constructeur au systémier affaiblit de fait le constructeur.
Et le systémier peut aller vendre ses compétences à qui veut bien les acheter, en Chine ou bien aux
États-Unis.
Sans compter qu’on peut très bien imaginer aussi que ce soit Airbus, société financiarisée, qui
décide elle-même de mettre en compétition ses propres sites de production. Rien n’exclut cette
hypothèse considérée comme vraisemblable par de fins connaisseurs du secteur comme Gabriel
Colletis (il est possible de se reporter à son interview, très éclairant, donné dans le cadre de Toulouse
2031 et disponible sur le site de l’Université populaire de Toulouse).
Donc, au-delà de la crise qui se profile à court terme avec la chute prévisible de commandes dans
les mois qui viennent (cette baisse des commandes a déjà commencé ; Easy jet annonce vouloir
annuler la commande de 107 Airbus et 39 ventes ont déjà été annulées par des compagnies comme
Qantas ou des loueurs comme Avolon), nous sommes actuellement dans une situation de bascule
plus profonde, plus structurelle. Les capitalistes régionaux du secteur regardent par exemple avec
inquiétude l’Asie (qui représente 40 % des commandes des vingt prochaines années), et notamment
l’Asie du Sud-Est, comme potentiel « annulateur » massif de commandes (voir les chiffres de 2019
du transport aérien en Asie). Tout ceci pour dire que, si se profile une crise « conjoncturelle » (liée
aux conséquences prévisibles de la pandémie), couplée avec l’évolution du secteur (délocalisations,
perte de maîtrise d’une partie de l’appareil productif), celle-ci va ouvrir une autre crise, profonde
et durable celle-là, du secteur.

SORTIR DE LA MONO-INDUSTRIE
Au-delà de ces constats, certains évoquent la capacité de sortir de cette mono-industrie aéronau-
tique. Mais le chemin risque d’être long. Dans un article du 9 avril 2020, le journal La Tribune écrit :
« Face à cet incident économique – que tout le monde craignait à Toulouse –, les politiques
locaux ont engagé depuis quelques années désormais plusieurs initiatives pour faire émerger de
nouvelles filières dans l’espoir de mettre fin à cette monoculture économique. Certains fruits de
ce travail montrent le bout de leur nez, à l’image de la filière émergente sur les véhicules auto-
nomes, du projet Aniti sur l’intelligence artificielle, ou encore de l’Oncopole et du tissu autour de
la recherche et de la santé qu’il embarque avec lui. […] Il est certain qu’un jour la filière aéronau-
tique perdra de son importance, en nombre d’emplois, à Toulouse. Mais il faudra des années voire
des décennies pour que ces filières émergentes prennent le relais et puissent créer des emplois en
masse », estime un dirigeant d’un sous-traitant aéronautique de premier ordre. Enfin, La Tribune cite
un analyste toulousain de la filière qui confirme et s’inquiète :
L’industrie aéronautique va être très fortement touchée car le trafic aérien de passagers
va diminuer en 2020 et 2021, voire 2022, avant de retrouver un niveau normal [on voit
bien qu’il est ici question de retrouver un trafic antérieur ; il n’est pas question de retrou-
ver une croissance du secteur - NDLR]. Cela aura un impact majeur sur la commande
de nouveaux avions, mais aussi sur la maintenance, l’autre pilier de ce secteur. Si moins
d’avions volent, les besoins en maintenance seront considérablement réduits.
Les compagnies aériennes estiment, actuellement, l’impact du Covid-19 à 250 milliards de dollars
en 2020, sur un chiffre d’affaires annuel à près de 894 milliards au global. Cela aura un effet sur les
avionneurs et leurs fournisseurs et par effet domino, l’économie régionale va être fragilisée, résume

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 148


en conclusion d’un article paru dans la presse Philippe Robardey, PDG de Sogeclair et président de

ÉDITION DU 4 MAI 2020


la Chambre de commerce et d’industrie de Toulouse.

LA FIN DU MODÈLE « LOW COST »


Et, pour en finir, il est aussi question, en ces temps de pandémie et de mesures sanitaires, de la
pertinence du modèle économique devenu dominant dans le secteur aérien, celui du low cost
(voir les réactions des professionnels du tourisme que nous avons interrogés). Le président du
Syndicat des compagnies aériennes autonomes s’interroge aussi sur la demande commerciale après
le confinement.
Si on met à disposition des avions de ligne pour les faire voler à 30 ou 50 % ça ne sert à
rien. Ce qui fait le succès du low cost, c’est quand les avions sont bien remplis, au-delà
de 90 % en moyenne. Si on autorise uniquement les avions avec un siège sur deux d’oc-
cupés [pour cause de mesures « barrière »], personne ne le fera. On ne peut pas voler avec
seulement 60 % de remplissage.
Les syndicats, les patrons de compagnies aériennes réfléchissent donc à la gestion de l’après-confi-
nement, même s’il y a encore beaucoup d’incertitudes reconnaît Jean-François Dominiak dans la
presse :
Nous allons transporter des passagers, comment va-t-on faire ? Il faudra mettre des
masques ? Comment va-t-on accueillir les voyageurs dans les aéroports ? Comment va-t-on
les faire voyager ? Il va aussi falloir avaler le manque à gagner. Tout va aussi dépendre des
pays de destination. Dans beaucoup de pays les frontières sont fermées.
France Bleue y va aussi de ses constats dans un article du 15 avril :
Aujourd’hui, près de 20 % des sous-traitants ont déjà des problèmes de trésorerie selon
Aerospace Valley. Et le problème va encore durer longtemps pour une crise qui s’annonce
déjà « très spécifique » selon Patrick Désiré, directeur général : « Le secteur aéronautique
était un secteur florissant, en croissance depuis plusieurs années et se retrouve du jour au
lendemain menacé. Les commandes d’avion ne reviendront pas à la normale en quelques
mois, et il faudra du temps. » Selon les professionnels du secteur, la situation ne devrait
pas revenir à la normale avant un ou deux ans.

EN L’ÉTAT, LES ALTERNATIVES AU TOUT AÉRONAUTIQUE RESSEMBLENT À UN LEURRE


Au-delà de la confirmation du futur passage à vide du secteur, on retiendra que la fin de la mono-
culture économique sur Toulouse et sa région repose actuellement sur des microsecteurs d’activité
qui mettront des dizaines d’années pour constituer une alternative au « tout aéronautique ». Et sur-
tout, au regard des éléments que nous venons de décliner, rien ne prouve que le secteur du transport
aérien retrouvera un niveau d’activité et de production dit normal ; et que vraisemblablement, il va
falloir faire une croix sur la poursuite de la croissance du secteur. Ce qui aura des conséquences
lourdes, encore difficiles à quantifier mais certaines, sur le tissu économique de la région. Le carnet
de commandes de près de 8 000 avions, représentant plusieurs années de production, dont se ren-
gorgent les patrons d’Airbus risque de se réduire à une peau de chagrin…
Et nous ne pouvons manquer de nous interroger sur cette cécité collective qui a conduit diri-
geants politiques, industriels et autres décideurs à ne miser que sur un secteur d’activité depuis
trente ans maintenant quitte à se (nous) retrouver dans une situation qui évoque de plus en plus
celle de la sidérurgie en Lorraine ou bien les mines dans le Nord-Pas de Calais au début des années
1970… Et ce ne sont pas les touristes chinois venant visiter les châteaux cathares dans l’Aude ou
bien faire des dégustations de truffe et de vin dans le Quercy qui seront une alternative crédible. Et

149 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


le pire est que, s’ils viennent ces touristes chinois, ce sera dans des Comac C919 (monocouloirs de
ÉDITION DU 4 MAI 2020

type A320) fabriqués à Shanghai ou à Tianjin grâce aux transferts de technologie et avec l’aide des
systémiers qui auront déserté les rives de la Garonne…
Si la demande d’avions se contracte et si Airbus s’engage vers la contraction/relocalisation de sa
production, il semble bien que nous allions tout droit vers un séisme industriel qui va ravager le
tissu économique et social de toute une région et plus particulièrement celui de l’aire urbaine de
Toulouse.
L’hypothèse d’un arrêt complet et à effet immédiat de la filière aéronautique, avec ses consé-
quences en cascade sur l’emploi (voir les éléments de chiffrage de l’emploi évoqués précédemment),
est bien sûr peu vraisemblable. Mais, à coup sûr, nous allons droit vers une crise d’ampleur, profonde
et dévastatrice. Toulouse est-elle un futur Détroit (ancienne capitale étasunienne de l’automobile
devenue aujourd’hui une ville presque fantôme passée d’1 500 000 habitants en 1970 à 713 000 en
2010) ? Il n’est pas déplacé d’avancer aujourd’hui cette comparaison.

LA CRISE DE BOEING : UN AMORTISSEUR, UNE CHANCE POUR AIRBUS ?


Et Boieng, l’autre géant du secteur ? L’arrêt de la production du 737 Max, dont tous les exem-
plaires sont cloués au sol depuis les deux crash de 2018 et 2019, date d’avant la pandémie. Et les
annulations de commande de ce modèle se multiplient (150 en mars, 98 depuis le début du mois
d’avril). 400 avions fabriqués mais non livrés sont stockés sur les tarmacs à Seattle. Boeing doit
(devait) normalement livrer 4 000 exemplaires du 737 Max dans les années qui viennent et l’avenir
s’annonce donc sombre pour le géant américain. Surtout que des spécialistes du secteur disent, à
mots couverts, que cet avion n’a pas d’avenir et qu’il est « mal né »… Alors et comme le dit l’adage
« le malheur des uns faisant le bonheur des autres », est-ce une chance pour Airbus ? Oui, bien sûr.
Par contre, c’est une catastrophe pour les salariés de l’industrie aéronautique américaine ; et, de cela,
nous ne pouvons nous réjouir. La « part du gâteau » pour Airbus (le marché des avions de ligne qui
était à 50/50 avant la crise du 737 Max) va sans doute augmenter dans les années qui viennent mais
pour un gâteau dont la taille va sans doute se réduire drastiquement. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas
que cet éventuel effet d’aubaine serve de prétexte à nier la crise de la demande, la crise structurelle
du secteur que nous venons de décrire.

ET LA CRISE CLIMATIQUE QUI EST LÀ…


Enfin, question de noircir encore le tableau, se profile une autre crise. En fait, elle est déjà là. C’est
la crise climatique. Nul besoin de s’interroger sur son existence. Le consensus scientifique autour
des travaux du GIEC est avéré. Nous savons que le maintien de notre modèle de développement et
nos modes de production, d’échanges et de consommation (dans lequel le transport aérien prend
toute sa place), avec leurs conséquences sur l’écosystème humain, est une pure folie. Ce que nous
vivons actuellement dans le cadre de la pandémie liée au Covid-19 n’est qu’un avant-goût de ce qui
nous attend si nous ne faisons pas un grand pas de côté, si nous n’initions pas collectivement une
bifurcation radicale pour prendre le chemin d’un autre modèle ; modèle qui conjuguera décroissance
de certains secteurs (comme le transport aérien – les carburants verts annoncés par certains n’y
changeront rien…) avec la mise en œuvre de nouveaux modes de vie et de consommation. Il n’y a
pas d’avenir pour le transport aérien de masse (le modèle actuel) dans le projet de société à mettre
en œuvre pour espérer un futur qui ne sera pas synonyme de crises à répétition voire de guerres. Et
nous n’avons pas cinquante années devant nous. L’échéance du basculement, c’est dix ans !

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 150


ADIEU TOULOUSE 2030. PRENONS NOS AFFAIRES EN MAIN.

ÉDITION DU 4 MAI 2020


Revenons au poids de l’aéronautique dans le tissu économique. Comme nous l’avons pointé, la
quasi-totalité de l‘emploi sur Toulouse et sa région (mais pas que) dépend directement, indirecte-
ment ou de manière induite de cette filière.
Bien évidemment, l’alignement mécaniste de chiffres et de données ne suffit pas ; et peut même
conduire à des contresens. Quand un emploi disparaît dans la filière dominante, les emplois indirects
et induits ne sont pas immédiatement menacés. Il faut un effet de masse pour cela. Et puis, il existe
des amortisseurs liés aux systèmes de protection sociale et de solidarité collective. Mais on peut déjà
affirmer, sans risque de se tromper, que les pertes d’emplois directs et indirects vont se compter par
dizaines de milliers dans les mois et les années qui viennent. Comme nous l’avons déjà dit, on peut
craindre, sans trop se tromper et nous le répétons, un scénario proche de ceux des mines et de la
sidérurgie dans les années 1970 et 1980.
Et lorsqu’il est question d’une crise comme celle qui s’annonce et que tout le développement
d’une région dépend d’un seul secteur économique, qui peut arguer que l’on peut continuer comme
si de rien n’était. 3e ligne de métro (financée aux deux tiers par la taxe transport payée par les
entreprises de plus de 10 salariés), projets TESO et Tour Occitanie dans le quartier Matabiau lar-
gement contestés, parc des expositions d’Aussonne, le MEETT, pensé sur la base d’un modèle de
développement devenu largement obsolète désormais, projets immobiliers multiples comme celui
de la Grave destiné à accueillir les nouveaux habitants, des cadres majoritairement, générés par
la croissance sans fin (sic) du secteur aéronautique, muséification de l’hypercentre pour accueillir
les touristes (en rejetant à la périphérie les pauvres voire les classes moyennes), le projet, intitulé
Toulouse 2030, porté par le maire de Toulouse et président de la Métropole Moudenc, les banquiers
et les promoteurs, a du plomb dans l’aile. Comme des lapins pris dans les phares d’une voiture, les
décideurs, de tous bords, sont tétanisés face à la double crise qui s’annonce (la première est celle
issue de la pandémie, la seconde est celle liée au dérèglement climatique). Personne n’ose « mettre
les pieds dans le plat » malgré certaines dissonances qui pourraient se faire jour. Cela remettrait en
cause toutes leurs certitudes.
C’est à nous citoyens, avec l’aide de nos organisations, de nos syndicats, de nos associations et
collectifs de lutte de prendre nos affaires en main. Il faut très vite que se coordonnent les initiatives
visant à rendre possible un autre modèle. Un modèle qui repose sur un changement de paradigme.
Non, la croissance économique (en plus mono industrielle comme à Toulouse) n’est plus l’alpha et
l’oméga de notre vie en commun. Il convient de multiplier les contributions comme celle que nous
produisons à travers ce texte pour vérifier la pertinence du diagnostic, en vérifier les fondements,
élaborer des pistes, générer des convergences pour préparer l’action.
Il y a urgence. Vraiment.

LES MESURES ESSENTIELLES POUR CHANGER LA DONNE


Arrêter ou geler immédiatement tous les grands projets (3e ligne de métro, TESO, Tour Occitanie,
LGV, Parc des expositions…) et ouvrir un débat citoyen sur leur devenir.
Consacrer tous les moyens au développement du transport ferroviaire de petite et moyenne proxi-
mité sans obsession de la vitesse ; mailler et conjuguer tous les moyens de transport qu’ils soient
individuels ou collectifs.
Initier des assises sur le devenir économique de Toulouse et de sa région pour élaborer une straté-
gie alternative au tout aéronautique avec l’objectif impérieux de reconvertir les outils de production
pour produire des biens en rapport avec la bifurcation écosocialiste rendue nécessaire par la conju-
gaison de la crise sanitaire et de la crise climatique.

151 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


Mobiliser les syndicalistes et les salariés de l’aéronautique en s’appuyant sur leur connaissance
ÉDITION DU 4 MAI 2020

« interne » des enjeux et perspectives (réorientation des outils de production en particulier).


Organiser à l’échelle de la métropole et du département les solidarités pour faire face aux consé-
quences humaines et sociales de la profonde dépression économique qui s’annonce.
Coordonner les actions avec l’ensemble des territoires de l’aire urbaine de Toulouse et des agglo-
mérations sous influence de la métropole.
Profiter des élections municipales pour dégager ceux qui ont construit toute leur politique sur
cette impasse de la mono-activité industrielle.
Dans un cadre national où la parole et les moyens de décider appartiennent aux citoyens via leurs
collectifs, leurs associations et syndicats, sont créés dans les entreprises, les administrations, les écoles,
partout des collectifs pour l’auto-organisation des travailleurs (en réquisitionnant les entreprises si
leurs dirigeants refusent le changement de la donne), les circuits courts de production, de distribu-
tion et de consommation sont priorisés.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 152


ÉDITION DU 27 AVRIL
MONDE
POUR UN CHEMIN DE FER SOCIAL, ÉCOLOGIQUE, SÛR, PRENONS LA BONNE

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


VOIE ET CHOISISSONS DÈS MAINTENANT LES BONS AIGUILLAGES !
RÉSEAU SYNDICAL INTERNATIONAL DE SOLIDARITÉ ET DE LUTTE

Nous assistons actuellement à une crise sanitaire mondiale liée au Covid-19 qui frappe malheu-
reusement, jour après jour, de plus en plus de victimes. Nous l’avons dit depuis plusieurs semaines :
ce ne sont pas les patrons ou les gouvernements qui ont créé le virus mais ils sont responsables de
sa propagation planétaire et des conséquences dramatiques.
Les pouvoirs publics ont montré leur inefficacité et confirmé, une fois de plus, que l’intérêt de la
collectivité n’est pas leur problème. Consignes contradictoires, insuffisance du matériel, des produits
de protection et des tests, maintien en activité de nombreux secteurs professionnels sous la pression
des patrons, etc.
Le ferroviaire est aussi concerné ; le transport ferroviaire, mais aussi toutes les autres activités
ferroviaires : nettoyage, maintenance, restauration, prévention/sécurité… Dans notre secteur aussi,
nous subissons l’injonction contradictoire consistant à ressasser l’impérieux besoin de confinement
(bien réel !), mais en l’accompagnant de mesures visant à envoyer au travail un grand nombre de
salarié·es dont l’activité ne relève pas des services absolument indispensables aux besoins essentiels
de la collectivité.
Le droit de se retirer du travail face à une situation dangereuse pour la santé est une mesure de
salubrité publique : les directions d’entreprise en contestent l’application et les pouvoirs publics les
appuient ! C’est une décision dont les responsables assumeront les conséquences… Actuellement, il
circule encore des trains de fret dont la seule utilité est d’acheminer du matériel pour faire tourner
des usines, des chantiers, qui devraient être à l’arrêt pour protéger les salarié·es ! Mais les action-
naires de ces entreprises, du BTP ou de l’automobile par exemple, n’en ont cure !
Par ailleurs, partout, le patronat s’attache à faire en sorte de pénaliser celles et ceux qui sont
effectivement confiné·es (chômage partiel, garde d’enfants, télétravail…) en rognant sur des droits,
avec l’aval et l’appui des pouvoirs publics. Celles et ceux dont la présence sur le lieu de travail est
suspendue à cause de la crise sanitaire doivent bénéficier de 100 % de leur salaire, quelle que soit
leur situation administrative !
Le confinement est le seul moyen de protéger l’ensemble de la population. C’est en partie la
conséquence de l’incurie des pouvoirs publics en matière de prévention et de santé publique, mais il
doit s’appliquer à toutes et tous, à la seule exception des services d’utilité publique dans la période.
Dans ces derniers, c’est à celles et ceux qui travaillent de définir l’organisation à mettre en place ;
pas aux directions qui ne sont pas sur le terrain, là où est le danger de mort !
Les actionnaires des entreprises privées veulent profiter de la crise sanitaire. Sans scrupule, ils
demandent de l’argent public. Ainsi, Alliance of Rail New Entrants (Allrail), qui regroupe notam-
ment NTV, Rail Freight Group, Westbahn, MTR, Transdev, FlixTrain, Leo express, Ilsa, se félicite
des premières annonces faites par la Commission européenne, qui ouvrent la voie vers des subven-
tions, directes et indirectes, aux opérateurs privés. Mais ils demandent plus encore : l’octroi de prêts
d’État, le report du paiement des impôts et des charges sociales, l’octroi de garanties d’État sur les
crédits contractés, la possibilité de reporter le paiement des redevances de leasing pour le matériel
roulant qu’ils exploitent et la suspension du paiement des redevances d’utilisation des infrastructures

155 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


(publiques) jusqu’à la fin de 2021 ! Les entreprises privées hors Europe ont, bien sûr, les mêmes exi-
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

gences ! En Afrique notamment, s’y ajoutent les conséquences du colonialisme qui aggrave encore
la situation.

LES ORGANISATIONS MEMBRES DU RÉSEAU SYNDICAL INTERNATIONAL DE SOLIDARITÉ ET DE LUTTES, ET DU RÉSEAU RAIL
SANS FRONTIÈRE, EXIGENT :
n la limitation des activités ferroviaires au strict nécessaire dans la période.
n La mise en place, partout où l’activité doit continuer, de toutes les mesures de protection de la

santé et de la vie des cheminots et cheminotes : matériaux et produits de protection individuelle,


organisation du travail permettant les gestes barrières, réduction du temps de travail pour tenir
compte de toutes les difficultés extérieures…
n La remise en cause des privatisations, la mise en place de services publics ferroviaires aux éche-

lons adéquats (régions, pays, continents), selon les besoins définis par la population, non pas en fonc-
tion des besoins des capitalistes comme aujourd’hui. De ce point de vue, la situation actuelle montre
aussi l’urgence de dépasser la seule « nationalisation » quand celle-ci signifie donner le pouvoir aux
gouvernements. C’est à celles et ceux qui travaillent de décider : dans l’entreprise, comme dans la
commune ! Plus que d’autres secteurs, le ferroviaire ne peut se limiter à la dimension locale : mais il
y a longtemps déjà que nous connaissons la coopération !
Enfin, en tant que travailleurs et travailleuses du rail, nous réaffirmons que le chemin de fer est
un mode de transport à privilégier, pour des raisons écologiques, sociales et de sécurité. Mais nous
disons aussi qu’il faut remettre en cause les transports inutiles, relocaliser les productions et leur
distribution. C’est l’avenir de la planète qui est en jeu.
14 avril 2020

LES ORGANISATIONS MEMBRES DU RÉSEAU SYNDICAL INTERNATIONAL DE SOLIDARITÉ ET DE LUTTE


Central Sindical e Popular Conlutas (CSP-Conlutas)  –  Brésil ; Confederación General del Trabajo (CGT)  –  État
espagnol ; Union syndicale Solidaires (Solidaires) – France ; Confederazione Unitaria di Base (CUB) – Italie ;
Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B)  –  Burkina ; Confederation of Indonesia People’s Movement
(KPRI) – Indonésie  ; Confederación Intersindical (Intersindical) – État espagnol  ; Confédération générale
autonome des travailleurs en Algérie (CGATA) – Algérie ; Batay Ouvriye – Haïti ; Unione Sindacale Italiana
(USI)  –  Italie ; Confédération nationale des travailleurs - Solidarité ouvrière (CNT-SO)  –  France ; Sindicato de
Comisiones de Base (CO.BAS) – État espagnol ; Organisation générale indépendante des travailleurs et travail-
leuses d’Haïti (OGTHI) – Haïti ; Sindacato Intercategoriale Cobas (SI COBAS) – Italie ; Confédération natio-
nale du travail (CNT-f) – France ; Intersindical Alternativa de Catalunya (IAC) – Catalogne ; Union générale
des travailleurs sahraouis (UGTSARIO) – Sahara occidental ; Ezker Sindikalaren Konbergentzia (ESK) – Pays
basque ; Confédération nationale de travailleurs du Sénégal Forces du changement (CNTS/FC) – Sénégal ;
Sindicato Autorganizzato Lavorator COBAS (SIAL-COBAS) – Italie  ; General Federation of Independent
Unions (GFIU) – Palestine  ; Confederación de la Clase Trabajadora (CCT) – Paraguay  ; Red Solidaria de
Trabajadores  –  Pérou ; Union syndicale progressiste des travailleurs du Niger (USPT)  –  Niger ; Union nationale
des syndicats autonomes du Sénégal (UNSAS)  –  Sénégal ; Unión Nacional para la Defensa de la Clase Trabajadora
(UNT)  –  El Salvador ; Solidaridad Obrera (SO)  –  État espagnol ; Independent Workers Union of Great Britain
(IWGB)  –  Grande-Bretagne ; Ogólnopolski Zwiczek Zawodowy Inicjatywa Pracownicza (OZZ IP)  –  Pologne ;
Centrale démocratique des travailleurs de Martinique (CDMT) – Martinique ; Associazione Diritti Lavoratori
Cobas (ADL COBAS)  –  Italie ; Pakistan Labour Federation (PLF)  –  Pakistan.
National Union of Rail, Maritime and Transport Workers (RMT/TUC) – Grande-Bretagne ; Centrale natio-
nale des employés – Confédération syndicale chrétienne (CNE/CSC) – Belgique  ; Sindicato Nacional de
Trabajadores del Sistema Agroalimentario (SINALTRAINAL/CUT) – Colombie ; Trade Union in Ethnodata -
Trade Union of Empoyees in the Outsourcing Companies in the financial sector  –  Grèce ; Syndicat national des

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 156


travailleurs des services de la santé humaine (SYNTRASEH) – Bénin ; Sindicato dos Trabalhadores da Fiocruz

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


(ASFOC-SN) – Brésil  ; Organizzazione Sindicati Autonomi e di Base Ferrovie (ORSA Ferrovie) – Italie  ;
Union nationale des normaliens d’Haïti (UNNOH)  –  Haïti ; Confederazione Unitaria di Base Scuola Università
Ricerca (CUB SUR) – Italie ; Coordinamento Autorganizzato Trasporti (CAT) – Italie ; Syndicat des travail-
leurs du rail – Centrale démocratique des travailleurs du Mali (SYTRAIL/CDTM), Mali ; Gıda Sanayii Isçileri
Sendikası  –  Devrimci Isçi Sendikaları Konfederasyonu (GIDA-IS/DISK)  – Turquie ; Syndicat national des travail-
leurs du Petit Train bleu/SA (SNTPTB) – Sénégal ; Asociación Nacional de Funcionarios Administrativos de la
Caja de Seguro Social (ANFACSS)  –  Panama ; Palestinian Postal Service Workers Union (PPSWU)  –  Palestine ;
Union syndicale étudiante (USE)  –  Belgique ; Sindicato dos Trabalhadores de Call Center (STCC)  –  Portugal ;
Sindicato Unitario de Trabajadores Petroleros (Sinutapetrolgas)  – Venezuela. ; Alianza de Trabajadores de la Salud
y Empleados Publicos – Mexique ; Syndicat autonome des postiers (SAP) – Suisse ; Canadian Union of Postal
Workers / Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (CUPW-STTP), Canada ; Federación nacional
de trabajadores de la educación (SUTE-Chili) – Chili ; Plateforme nationale des organisations professionnelles
du secteur public – Côte d’Ivoire ; Fédération nationale des ouvriers et collectivités locales – Union maro-
caine du Travail (UMT-Collectivités locales)  –  Maroc ; Centrale générale des services publics FGTB, Cheminots
(CGSP/FGTB Cheminots)  –  Belgique ; Botswana Public Employees Union (BOPEU)  –  Botswana ; Organisation
démocratique du rail-Organisation démocratique du travail (ODR/ODT) – Maroc ; Federação Nacional dos
Trabalhadores em Transportes Aéreos do Brasil (FNTTA) – Brésil  ; Federação Nacional dos Metroviários
(FENAMETRO)  –  Brésil ; Namibia Football Players Union (NAFPU)  –  Namibie ; Palestinian Electricians’ Trade
Union (PETU)  –  Palestine ; Missão Publica Organizada  –  Portugal.
Trades Union Congress, Liverpool (TUC Liverpool)  – Angleterre ; Sindacato Territoriale Autorganizzato, Brescia
(ORMA Brescia) – Italie ; Fédération syndicale SUD Service public, canton de Vaud (SUD Vaud) – Suisse ;
Sindicato Unitario de Catalunya (SU Metro)  –  Catalogne ; Türkiye DERI-IS Sendikasi, Tuzla et Izmir (DERI-IS
Tuzla et Izmir)  – Turquie ; L’autre syndicat, canton de Vaud (L’autre syndicat)  –  Suisse ; Centrale générale des ser-
vices publics FGTB, Ville de Bruxelles (CGSP/FGTB Bruxelles)  –  Belgique ; Arbeitskreis Internationalismus IG
Metall, Berlin (IG Metall Berlin)  – Allemagne ; Sindicato Unificado de Trabajadores de la Educación de Buenos
Aires, Bahia Blanca (SUTEBA/CTA de los trabajadores Bahia Blanca)  – Argentine ; Sindicato del Petróleo y Gas
Privado del Chubut/CGT – Argentine ; UCU University and College Union, University of Liverpool (UCU
Liverpool) – Angleterre ; Sindicato di base Pavia (SDB Pavia) – Italie ; United Auto Workers local 551 Ford
Chicago (UAW Ford Chicago) – États-Unis ; Sindicato Uno Prodinsa, Maipú – Chili ; Asociación Gremial de
Trabajadores del Subterráneo y Premetro, Buenos Aires (SUBTE/CTAt)  –  Argentine ; Syndicat des travailleurs du
transport de Téhéran et sa banlieue (VAHED)  –  Iran.
Industrial Workers of the World ï International Solidarity Commission (IWW) ; Courants, tendances ou réseaux
syndicaux ; Transnationals Information Exchange Germany (TIE Germany)  – Allemagne ; Emancipation tendance
intersyndicale (Emancipation)  –  France ; Globalization Monitor (GM)  –  Hong Kong.
Courant syndicaliste révolutionnaire (CSR) – France ; Fronte di lotta No Austerity – Italie ; Solidarité socia-
liste avec les travailleurs en Iran (SSTI) – France ; Basis Initiative Solidarität (BASO) – Allemagne ; LabourNet
Germany – Allemagne ; Resistenza Operaia – Operai Fiat-Irisbus – Italie ; Workers Solidarity Action Network
(WSAN) – États-Unis ; United Voices of the World (UVW) – Grande-Bretagne ; Unidos pra Lutar – Brésil ;
Corriente Político Social Sindical 1° de Mayo de Buenos Aires  – Argentine ; Coordinamento Nazionale Unitario
Pensionati di oggi e di domani (CONUP)  –  Italie ; National Association of Human Rights Defenders  –  Palestine ;
Red de Trabajadores  –  Argentine.

157 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


ROYAUME-UNI
NOUS NE SOMMES PAS TOUS ENSEMBLE OU LA DIVISION RACIALE DU
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

COVID-19
DÉCLARATION DU BLACK SOUTH WEST NETWORK1

Le langage trompeur entourant le Covid-19, comme les suggestions du gouvernement selon les-
quelles le virus peut être vaincu en faisant preuve de courage, ignore les circonstances auxquelles
sont confrontées les communautés pauvres et BAME2. Le grand nombre de décès de personnes
BAME en raison du coronavirus a rapidement été réfuté par l’affirmation selon laquelle la pandémie
est un « grand niveleur » et a, au contraire, mis en évidence les nombreux maux sociaux du monde.
Si le coronavirus ne fait pas de discrimination, pourquoi les personnes BAME en portent-elles le
plus grand poids ? Pourquoi un tiers de ceux qui meurent dans les services de soins intensifs sont
des BAME ?

« COVID-19 EN TANT QUE GRAND NIVELEUR EST UN MYTHE QUI DOIT ÊTRE DÉMYSTIFIÉ »
LA RECHERCHE
De nouvelles recherches indiquent que le coronavirus a un impact inégal sur ces communau-
tés – des taux de mortalité disproportionnés des personnes BAME au « droit de tousser » des
commu­nau­tés d’Asie du Sud-Est3. La recherche sur les premiers patients gravement malades dans les
hôpitaux britanniques montre que les Noirs et les Asiatiques sont plus susceptibles d’être gravement
touchés par le virus que les Blancs. Le Centre national de recherche et d’audit des soins intensifs a
constaté que 35 % des quelque 2 000 patients étudiés étaient BAME, soit le triple de leur proportion
de 13 % de la population totale.
LE CLIVAGE DE CLASSE
Pour beaucoup, le confinement n’est pas un moment de réflexion, mais plutôt un moment de
difficultés dans une lutte constante pour la survie. Souvent comparée à la Seconde Guerre mon-
diale, cette crise a conduit à des mises à pied et à des licenciements alors que d’autres qui pouvaient
travailler, travaillent. Pour les classes moyennes, le verrouillage a signifié l’isolement avec compen-
sation, mais pour beaucoup, ce n’est pas le cas.
Cela fait trois semaines que le Royaume-Uni a été placé sous lock-out [confinement] et cela a
déjà mis en évidence les divisions de classe sans cesse croissantes dans notre société. Gubbi Bola,
expert en santé publique, fait valoir que ce que le virus a le mieux illustré est la relation entre
l’inégalité et la santé en Grande-Bretagne et le mauvais classement des personnes BAME dans les
indicateurs socio-économiques, tels que la pauvreté et la privation  –  un résultat du racisme insti-
tutionnel de longue date des politiques gouvernementales en matière d’immigration, de logement,
de justice pénale et de protection sociale. Comme la plupart des déterminants de la santé sont
sociaux, il s’ensuit donc logiquement que le fait que la privation socio-économique qui affecte de

1. Le Black South West Network (BSWN) est une association de Bristol qui milite pour l’égalité raciale et mène des recherches sur les
problèmes sociaux et économiques qui affectent les minorités ethniques.
2. Acronyme pour « Black, Asian and Minority Ethnic », Noirs, Asiatiques et autres minorités ethniques.
3. Allusion aux stigmatisations observées envers des Asiatiques qui toussaient dans les rues britanniques.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 158


manière disproportionnée les personnes BAME devient un précurseur de l’impact du virus sur ces

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


communautés.
AUTO-ISOLEMENT
Le gouvernement a confirmé que les logements surpeuplés sont plus susceptibles d’impacter les
minorités ethniques. Dans tous les groupes socio-économiques, âges, régions et tranches de revenu
(qu’ils soient locataires ou propriétaires), les Blancs britanniques sont plus susceptibles de disposer
de logements sous-occupés (au moins deux chambres de plus que nécessaire) que tous les autres
groupes ethniques réunis. En fait, dans le Sud-Ouest, ils sont deux fois plus susceptibles d’être
sous-occupés. En comparaison, les personnes BAME sont quatre fois plus susceptibles de vivre dans
des logements surpeuplés dans le Sud-Ouest que les Blancs britanniques  –  comment s’auto-isoler
dans des logements surpeuplés ?
Dans la ville de Bristol, les Noirs représentent 24 % des ménages sans-abri alors qu’ils ne repré-
sentent que 6 % de la population totale. L’auto-isolement sera pour la majorité des BAME et des
pauvres très différent de celui envisagé par les règles affichées de confinement. En tant que déter-
minant social clé de la santé, le logement est essentiel pour comprendre ces disparités en matière de
santé. Dans le Sud-Ouest, 70 % des ménages britanniques blancs sont propriétaires de leur maison
contre 40 % des ménages BAME, et les personnes BAME sont trois fois plus susceptibles d’être
locataires que les White British. Bien que beaucoup de ceux qui sont propriétaires ont remboursé
leur hypothèque ou peuvent demander une renégociation de leur remboursement, ceux qui louent
doivent toujours dépenser la majorité de leur salaire (déjà limité) en loyer.
Avec l’espace vital, les jardins et les environnements locaux (ou leur absence) permettant un bien-
être, l’écart entre les riches et les pauvres n’a jamais été aussi évident. Ceux qui vivent à Clifton,
par exemple, près des Downs et de la multitude de parcs, ressentiront un sentiment d’isolement très
différent de ceux de Lawrence Hill.

POUVOIR ET MAINTIEN DE L’ORDRE


Les Noirs sont déjà près de dix fois plus susceptibles d’être contrôlés et fouillés et quatre fois
plus susceptibles d’être arrêtés que leurs Britanniques blancs, au risque de subir des amendes de la
part de la police, dont certains membres profitent de leurs pouvoirs étendus de contrôle social, et
beaucoup ressentiront un sentiment très différent de liberté perdue contrairement à la population
blanche majoritaire. Cela est illustré plus récemment par un homme noir qui a été menacé de
gazage et été arrêté par la police de Manchester pour avoir livré des denrées aux membres d’une
famille en difficulté et qui est représentatif d’un récit qui se répète de l’utilisation de l’hystérie pan-
démique comme justification de la violence envers les minorités socioculturelles.

DES TRAVAILLEURS ESSENTIELS MEURENT


Nos expériences du confinement sont façonnées par la race et la classe et cela est flagrant lorsque
les travailleurs essentiels meurent au travail.
Notre service de santé dépend fortement des travailleurs migrants. Le personnel du National
Health Service4HS qui est exposé au virus provient de façon disproportionnée de groupes eth-
niques minoritaires. Les huit premiers médecins décédés venaient d’Égypte, du Nigeria, du Pakistan,
d’Inde, du Soudan et du Sri Lanka, ce qui ne fait que confirmer la dépendance du NHS à l’égard
des travailleurs migrants. C’est un signe du racisme systémique qui imprègne notre société alors

4. Service national de santé.

159 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


que les médecins blancs dominent les disciplines prestigieuses tandis que les médecins étrangers
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

n’obtiennent du travail qu’en première ligne.

L’ENVIRONNEMENT HOSTILE
#CharitySoWhite a publié une déclaration appelant à une action contre l’impact inégal du virus
sur les communautés BAME et a abordé les différentes manières dont l’ethnicité, la race et le statut
d’immigration jouent un rôle dans ces disparités. Ce que nous avons, c’est un système d’avantages
conçu pour dissuader les gens de l’utiliser, en particulier si les niveaux de mélanine dans votre peau
sont plus élevés que ceux « d’ici ». Cela est particulièrement vrai pour la part des impôts finan-
çant le NHS (2 200 livres/an pour une famille de quatre personnes) alors que tous les migrants,
y compris ceux qui travaillent pour le NHS, doivent payer en plus des taxes et remet en question
l’idée d’égalité d’accès. L’environnement hostile du gouvernement (illustré le plus récemment par
les déportations en Jamaïque en février de cette année, censé ramener les criminels « violents » là
« d’où ils viennent ») permet et impose directement des attitudes racistes à l’égard des migrants et
des personnes de couleur.
Un récent rapport d’ITV News en octobre 2019 a indiqué que les abus racistes contre le per-
sonnel du NHS avaient presque triplé et montré que les attaques racistes contre le personnel du
NHS avaient augmenté de 145 % en 2018. Les migrants, dont beaucoup n’ont pas les compétences
linguistiques ou les connaissances nécessaires pour négocier les avantages compliqués du système,
doivent naviguer sur un site en ligne sans assistance supplémentaire et souvent disposent d’un accès
médiocre à Internet ou aux ordinateurs  –  en particulier à cause de la fermeture des bibliothèques
publiques. Par exemple, 30 % de la population de Lawrence Hill, à Bristol, ne parle pas anglais
comme première langue et 7 % ne parlent pas du tout anglais.

PAUVRETÉ ET SANTÉ
Les personnes BAME sont confrontées à des obstacles constants dans l’accès aux soins de santé,
courent un risque plus élevé de développer des problèmes de santé graves et à long terme et sont
donc surreprésentées chez celles qui sont identifiées comme vulnérables au Covid-19. Un tiers des
personnes analysées qui étaient gravement malades étaient des BAME. S’il existe peu de données
sur l’origine ethnique et l’espérance de vie, le lien entre la privation et l’espérance de vie moyenne
est incontestable. Un niveau de privation plus élevé est lié à de moins bons résultats sanitaires et les
rapports montrent systématiquement que les personnes BAME sont beaucoup plus susceptibles de
vivre dans des zones plus défavorisées.
En 2011, par exemple, plus de 50 % des personnes appartenant aux groupes ethniques bangladais
et pakistanais vivaient dans 20 % des zones les plus défavorisées d’Angleterre. À Bristol, 45 % des
enfants du quartier de Hartcliffe sont issus de familles à faible revenu contre moins de 1 % des
enfants dans la plupart des régions de Clifton. Avec plus de la moitié des enfants bangladais et
pakistanais vivant dans la pauvreté, l’impact des fermetures d’écoles sur les familles à faible revenu
qui dépendent régulièrement du repas scolaires gratuits peut être dévastateur, sans parler de l’impact
des annulations certificat général de fin d’études secondaires (GCSE) et du diplôme de fin d’études
(A-level) sur la mobilité sociale des enfants les plus pauvres et de ceux issus de minorités à qui ont
prédit des notes plus basses que les notes qu’ils finissent par atteindre.

LES DISPARITÉS RACIALES ONT UNE HISTOIRE


Les disparités raciales ont une histoire et nous le voyons non seulement dans les différentes
réponses au virus dans le monde (comme le débat français pour tester les vaccins contre le Covid-19

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 160


sur les Africains), mais aussi dans les disparités raciales des taux de mortalité dans le monde entier, le

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


plus évident étant dans les taux de mortalité aux États-Unis (Chicago a une population afro-améri-
caine de 30 % qui représente 70 % de la mortalité, la Louisiane a une population afro-américaine de
32 % avec un taux de mortalité de 70 %, la liste est longue). Les politiques ne peuvent être neutres
sur le plan de la race et le fait de traiter tout le monde de la même manière ne fera qu’entraîner
des inégalités.

RECONNAÎTRE LA DIFFÉRENCE DE CIRCONSTANCES


Ainsi, s’il est important de se réunir en temps de crise, il est tout aussi important de reconnaître
les différences autant dans les défis face à nous que dans les circonstances présentes. Les communau-
tés BAME sont surreprésentées dans de nombreux groupes vulnérables, souvent sans recours aux
fonds publics, et il est donc essentiel de lutter contre les inégalités structurelles pour lutter contre
la pandémie. Comme le soutient Guppi Bola, nous devons suspendre les impôts payés pour financer
le NHS, soutenir les migrants détenus et, dans l’ensemble, comprendre les importantes disparités
raciales non seulement dans le virus mais aussi dans les stratégies de contrôle du gouvernement. Par
exemple, les ménages BAME sont souvent multigénérationnels et l’auto-isolement n’est donc pas
la seule réponse pour protéger les personnes âgées. La question de la race est au cœur de la lutte
contre le virus et, comme le note #CharitySoWhite, « sans une approche intersectionnelle ciblée
centrée sur les communautés BAME, l’épidémie entraînera de graves conséquences et renforcera
encore les inégalités raciales dans notre société ».
Avril 2020
black south west network

161 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


ÉTATS-UNIS
LE BLACK POWER AU SERVICE DE L’URGENCE
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

CORRESPONDANCE

Cela faisait quelque temps que le fondateur de Cooperation Jackson1 (Mississippi), Kali Akuno,
rencontrait un certain scepticisme quand il demandait que le « mouvement pour le pouvoir noir et
la démocratie » fasse l’acquisition d’imprimantes 3D pour son atelier de fabrication. « La raison, la
voilà », a-t-il déclaré, en faisant référence aux choix politiques de Donald Trump face à la pandémie.
« La mortalité due au virus est beaucoup plus importante dans les communautés noires et marrons
[les Latinos]. Pourquoi ? Parce que les discriminations, le racisme environnemental, les différences de
revenus… mettent en relief les états de santé des personnes. Les inégalités sont une comorbidité. »
[…]
Modestement mais de manière significative, le réseau coopératif de Jackson – la capitale du
Mississippi compte 81 % d’Afro-Américain·es  –  s’est engouffré dans la brèche ouverte par le retard
au déploiement des capacités de production du pays en matière de matériel médical et de protection.
Les masques étant, selon le collectif, la clé de la protection de la communauté, le « fab-lab » de
Cooperation Jackson a créé une ligne de production de masques. « Nous avions été avertis de la
virulence du virus par des camarades de Milan et de Naples, qui nous avaient indiqué qu’il ne fallait
pas commencer à organiser l’entraide sans avoir de protection. »
Nous savions aussi que le virus était particulièrement mortel chez les personnes souffrant de dia-
bète ou de maladies respiratoires, lesquelles sont particulièrement nombreuses dans le quartier où
nous sommes installés.
Alors que le Mississippi compte plus de 218 000 diabétiques et une mortalité très importante
due à l’asthme […], le gouverneur de l’État, Tate Reeves, a attendu le 1er avril pour décréter le
confinement.
Le 2 avril, le quotidien The Clarion-Ledger rapportait que le chef du département de la santé de
l’État ne voulait pas révéler « le nombre de ventilateurs dont disposait l’État ni les établissements
où l’épidémie sévissait ni le nombre de professionnels de santé infectés. » […] Quant à Jim Craig,
haut-fonctionnaire du département de la santé, s’il admettait qu’il y avait des disparités raciales dans
la diffusion de l’infection, « il ne savait pas pourquoi ». […]
Pour répondre à la situation, le collectif de production coopératif a lancé la production de masques
avec ses imprimantes 3D et ses machines à coudre. La cadence de production a pu augmenter jour
après jour grâce à l’expérience et à une organisation adéquate de la production.
Des vidéos ont été réalisées pour diffuser le savoir-faire en s’appuyant sur le modèle du Do it
Yourself (« Faites-le vous-même ») qui est au cœur de la tradition radicale noire-américaine.
« Nous savons que les pouvoirs publics de ce pays ne travaillent pas vraiment pour nous. Malgré
nos efforts de changer cela, nous ne bénéficions pas souvent des améliorations sociales générales.
[…] Mais quand la société au sens large échoue, quand elle vous abandonne à la merci du marché
à un moment où il n’y a pas d’emplois, comment pouvons-nous survivre ? »
Le collectif Cooperation Jackson fait le pari de s’appuyer sur les capacités propres de production
de la communauté, sachant que si West Jackson se rassemble pour prendre en charge les besoins

1.Voir L’Encyclopédie internationale de l’autogestion, Paris, Syllepse, 2019, vol. 7, p. 56, www.syllepse.net.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 162


matériels (en fabriquant et en distribuant équitablement des masques), il serait alors possible de

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


jouer un rôle plus important en faveur de la démocratie dans le Mississippi, notamment dans l’éco-
nomie solidaire.
Le collectif, qui adhère aux principes de coopération de Mondragón2, a distribué les masques au
prix coûtant à la population du quartier et gratuitement au personnel soignant, montrant ainsi qu’il
est possible de satisfaire les besoins sociaux sans exploitation. « Agissant ainsi, nous voulons que les
gens questionnent le système. Nous construisons ce que nous pouvons pour combattre l’Enfer ! »,
déclare Kali Akuno, « parce que la révolution socialiste n’arrivera pas toute seule. Et il faut une cer-
taine ténacité pour soutenir pleinement ceux qui construisent des alternatives qui iront au-delà de
la crise actuelle. »
avril 2020
cooperationjackson.org

2. Le groupe Mondragón Corporacíon, basé au Pays basque, est une organisation unique au monde. Composé d’environ 120 coopéra-
tives dirigées par leurs travailleurs et coordonné par une direction démocratiquement élue, ce groupe a connu une progression insolente
depuis sa création, dans les années 1950.

163 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


FÉMINISME
SEPT THÈSES FÉMINISTES SUR LE COVID-19 ET LA REPRODUCTION SOCIALE
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

COLLECTIF FÉMINISTE MARXISTE1

Alors que la pandémie de Covid-19 continue de sévir dans le monde entier, il


apparaît de plus en plus clairement que les intérêts de l’économie mondiale sont
en contradiction avec la préservation de la vie. Ainsi a été rendue visible aux yeux
de tou·tes l’importance fondamentale de celles et ceux qu’on trouve en première
ligne  –  les infirmier·ères et les autres personnels de santé, les ouvrier·ères agricoles,
des usines alimentaires, les employé·es des supermarchés, etc.  –, celles et ceux dont
l’emploi permet la reproduction de la vie même. À travers ces sept thèses, le col-
lectif féministe marxiste montre combien la théorie de la reproduction sociale peut
nous aider à penser l’épidémie, mais aussi à dresser des pistes pour abolir le monde
qui l’a produite.

1) LE CAPITALISME PRIVILÉGIE LE PROFIT SUR LA VIE : NOUS VOULONS INVERSER CETTE LOGIQUE
Cette pandémie et la réponse qu’y donne la classe dirigeante illustrent de manière claire et tra-
gique l’idée qui est au cœur de la théorie de la reproduction sociale : la production de la vie se plie
aux exigences du profit.
La capacité du capitalisme à produire son propre flux vital  –  le profit  –  dépend de la « produc-
tion » quotidienne de travailleurs. Autrement dit, elle dépend du processus de création de la vie
qu’il ne contrôle ou ne domine pas entièrement ni directement. Dans le même temps, la logique
de l’accumulation exige de maintenir au plus bas tant les salaires que les impôts qui soutiennent la
production et la préservation de la vie. Il s’agit là de la contradiction majeure qui est au cœur du
capitalisme : il dénigre et sous-évalue précisément celles et ceux qui produisent la vraie richesse
sociale : les infirmier·ères et les autres personnels de santé, les ouvrier·ères agricoles, les ouvrier·ères
des usines alimentaires, les employé·es des supermarchés et les livreur·euses, les collecteur·trices de
déchets, les enseignant·es, celles et ceux qui s’occupent des enfants ou des personnes âgées. Ce sont
les travailleuses racialisées, féminisées, que le capitalisme humilie et stigmatise en leur imposant des
salaires bas et des conditions de travail souvent dangereuses. Pourtant, la pandémie actuelle montre
clairement que notre société ne peut tout simplement pas survivre sans elles. La société ne peut pas
non plus survivre avec des sociétés pharmaceutiques qui se font concurrence pour les profits et qui
exploitent notre droit à rester en vie. Et il est évident que la « main invisible du marché » ne pourra
pas créer et gérer l’infrastructure sanitaire planétaire dont la pandémie actuelle montre bien que
l’humanité a besoin.
La crise sanitaire oblige donc le capital à se concentrer sur la vie et le travail qui la rendent pos-
sible, comme le travail sanitaire, social, la production et la distribution alimentaires. Nous exigeons
que cela reste une priorité après la pandémie, afin que la santé, l’éducation et les autres activités
génératrices de vie soient démarchandisées et rendues accessibles à tou·tes.

1. Le Collectif féministe marxiste se compose de Tithi Bhattacharya, Svenja Bromberg, Angela Dimitrakaki, Sara Farris et Sue Ferguson.
Nous organisons le stream féministe lors des conférences Historical Materialism.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 164


2) LES TRAVAILLEUSES DE LA REPRODUCTION SOCIALE SONT DES TRAVAILLEUSES ESSENTIELLES : NOUS EXIGEONS

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


QU’ELLES SOIENT RECONNUES COMME TELLES À L’AVENIR
Alors que la plupart des entreprises productrices de marchandises manquant de travailleur·se·s ont
vu leurs bénéfices et la valeur de leurs actions chuter précipitamment, elles se retrouvent redevables
envers les organisations, les communautés, les ménages et les individus qui assurent leur fonction-
nement. Mais comme le capitalisme doit donner la priorité à la recherche de profits plutôt qu’à la
production de la vie, ces organisations, communautés, ménages et individus sont à peine équipés
pour relever le défi. Le Covid-19 n’est pas seul responsable des ravages parmi les travailleur·se·s des
soins de santé, des transports publics et des commerces alimentaires, ainsi que parmi les bénévoles
du social et d’autres domaines. Des années et des années de démantèlement des services sociaux
essentiels au nom de l’austérité ont conduit à une réduction sans précédent de la force de travail
nécessaire à la reproduction sociale et du nombre d’associations communautaires, dont les ressources
n’ont cessé de diminuer.
Face à la crise, afin de compenser des décennies de négligence, de nombreux États et entreprises
capitalistes revoient leurs priorités, mais de manière partielle et temporaire. Ils envoient des chèques
aux ménages, étendent l’assurance chômage aux travailleur·euses précaires, ordonnent aux construc-
teurs automobiles de passer de la production de voitures à la production de masques et de ventila-
teurs. En Espagne, l’État a temporairement repris le contrôle des hôpitaux privés ; aux États-Unis, les
compagnies d’assurance renoncent aux franchises pour les tests de dépistage du Covid-19. Tout cela
montre notamment à quel point sont facilement disponibles et abondantes les ressources nécessaires
à répondre réellement aux besoins des gens, lorsque la volonté politique est là.
Nous exigeons que les travailleuses des secteurs de la reproduction sociale  –  infirmières, agentes
d’entretien des hôpitaux, enseignantes, personnel d’enlèvement des ordures, fabricants de produits
alimentaires et employées de supermarchés – soient reconnues en permanence pour le travail
essentiel qu’elles produisent, et que leurs salaires, leurs avantages et leur statut social soient amélio-
rés pour refléter leur importance dans la préservation de la société dans son ensemble.

3) SAUVER LES PERSONNES ET NON LES BANQUES


Nos dirigeants consacrent bien plus de ressources au sauvetage des entreprises, dans l’espoir d’évi-
ter un effondrement total de la valeur capitaliste. Pour des profits produits, pour rappel, par la force
de travail que fournit le travail social reproductif. Les PDG des chaînes d’hôtels et de restaurants, des
sociétés de technologie et des compagnies aériennes, et d’autres encore, se débarrassent de millions
de travailleurs, tout en préservant largement leurs propres salaires et avantages astronomiques. En
effet, le système capitaliste exige que la contradiction entre la vie et le travail salarié soit toujours
résolue au profit du capital plutôt que de la vie des personnes.
Nous exigeons que toutes les ressources financières et tous les plans de relance soient investis dans
le travail de reproduction de la vie, et non dans le maintien en activité des entreprises capitalistes.

4) OUVRIR LES FRONTIÈRES, FERMER LES PRISONS


Cette pandémie frappe très durement les migrant·es et les détenu·es : les personnes enfermées
dans des prisons ou des centres de rétention aux conditions d’hygiène indécentes et sans moyens
sanitaires, celles qui sont sans papiers et souffrent en silence de peur de chercher de l’aide et d’être
expulsées, celles qui travaillent dans des activités productrices de vie (santé et aide sociale, agricul-
ture, etc.) et qui sont plus exposées au risque d’infection parce qu’elles n’ont pas d’autre choix que
de travailler (sans équipement de protection adéquat), celles qui sont en transit entre différents pays

165 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


pour tenter de rejoindre leur famille et celles qui ne peuvent pas quitter leur pays en raison des
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

interdictions de voyager et des sanctions.


Pandémie ou pas, Trump maintiendra les sanctions contre l’Iran (où les taux d’infection et de
mortalité montent en flèche). Et ni Trump ni l’Union européenne ne feront pression sur l’État israé-
lien pour qu’il lève les sanctions qui privent les 2 millions de personnes emprisonnées à Gaza des
fournitures médicales dont elles ont tant besoin. Cette réponse différenciée à la pandémie renforce
l’oppression raciste et coloniale, fondement du capitalisme.
Nous exigeons que les besoins de soins aient la priorité sur toute réglementation en matière
d’immigration, que les personnes emprisonnées pour la plupart des crimes soient libérées immédia-
tement et que des sanctions alternatives sensées soient trouvées pour les personnes malades, que les
centres de détention et toutes les autres institutions carcérales visant à discipliner la vie plutôt qu’à
la nourrir soient fermés.

5) LA SOLIDARITÉ EST NOTRE ARME : UTILISONS-LA CONTRE LE CAPITAL


La pandémie a révélé au monde entier que les travailleur·euses en situation de crise s’en sortent
toujours grâce à l’invention d’un large éventail de stratégies de survie créatives. Pour la plupart,
cela implique de compter sur sa famille et ses ami·e·s proches. Certain·es, cependant, s’en sortent
grâce à des initiatives d’entraide. Pour les sans-abri et ceux que la société capitaliste a rejetés comme
un fardeau, le soutien est venu d’initiatives héroïques de bénévoles de la reproduction sociale qui
n’offrent aux autres rien de moins que le droit à la vie. Dans tout le Royaume-Uni, des quartiers
créent des groupes Whatsapp pour rester en contact avec les plus vulnérables et les aider à obte-
nir de la nourriture et des médicaments. Les écoles envoient des bons d’alimentation aux familles
pauvres dont les enfants ont droit à des repas gratuits. Le nombre de bénévoles augmente dans les
banques alimentaires et les organisations caritatives. Les biens communs de reproduction sociale
apparaissent comme une nécessité urgente. Mais nous avons également tiré les leçons du passé : nous
ne permettrons pas aux gouvernements capitalistes d’utiliser les biens communs de reproduction
sociale pour justifier le retrait de l’État de ses responsabilités.
En tant que féministes marxistes, nous devons aller plus loin, travailler ensemble pour réclamer
l’approvisionnement public de tout ce qui est nécessaire à l’épanouissement de la vie humaine. Cela
signifie qu’il faut construire une solidarité entre les différentes communautés qui sont inégalement
touchées et dotées en ressources. […] Cela implique d’exiger que l’État reconnaisse le travail de
reproduction sociale comme la pierre angulaire de l’existence sociale.
Nous exigeons que les gouvernements apprennent des gens et reproduisent en termes politiques
ce que les gens font au quotidien pour s’aider et se soutenir mutuellement.

6) SOLIDARITÉ FÉMINISTE CONTRE LA VIOLENCE DOMESTIQUE


Les mesures de confinement adoptées par la plupart des pays pour contenir la propagation du
Covid-19, bien qu’absolument nécessaires, ont de graves conséquences pour les millions de per-
sonnes qui vivent des relations violentes. Les cas de violence domestique contre les femmes et
les personnes LGBTQ se sont multipliés lors de la pandémie, les victimes étant contraintes de
vivre enfermées avec des partenaires ou des parents violents. Les politiques de confinement qui
ne tiennent pas compte de la situation spécifique de la violence domestique sont particulièrement
inquiétantes dans un contexte où des années de néolibéralisme rampant ont entraîné une baisse
conséquente des ressources allouées aux refuges et aux services de lutte contre les violences.
Nous exigeons que les gouvernements rompent immédiatement avec des années de politiques

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 166


d’austérité dans les financements des services de lutte contre les violences, et fournissent les moyens

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


dont les organismes ont besoin pour fonctionner et faire largement connaître leur action.

7) LES TRAVAILLEUSES DE LA REPRODUCTION SOCIALE ONT UN POUVOIR SOCIAL : NOUS POUVONS L’UTILISER POUR
RÉORGANISER LA SOCIÉTÉ
Cette pandémie doit être un moment où notre camp propose un programme concret sur la
manière de soutenir la vie plutôt que le profit, en vue de dépasser le capitalisme. Cette pandémie
a déjà montré combien le capitalisme a besoin de personnes pour effectuer le travail social repro-
ductif  –  salarié et non-salarié  –  dans les hôpitaux et les travaux d’infrastructure, dans les ménages,
dans les communautés. N’oublions pas cela ni le pouvoir social que détiennent ces travailleuses.
Le moment est venu, en tant que travailleuses de la reproduction sociale, de prendre conscience
du pouvoir social qui est le nôtre, dans nos contextes nationaux, à travers les frontières qui nous
divisent, et dans le monde entier.
Si nous nous arrêtons, le monde s’arrête. Cette prise de conscience peut être à la base de poli-
tiques qui respectent notre travail ; elle peut aussi être au fondement d’une action politique qui
construit les grandes lignes d’un programme anticapitaliste renouvelé dans lequel ce n’est pas le
profit mais la vie qui anime nos sociétés.
14 avril 2020
Spectre, traduit par Acta

167 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


FRANCE
TROIS SCÉNARIOS POUR EXPLORER LE CHAMP DES POSSIBLES À L’HORIZON
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

DE LA SORTIE DE CRISE
ALAIN BIHR1

La crise déclenchée par la pandémie de Covid-19 présente un caractère doublement global :


elle est à la fois mondiale et multidimensionnelle (non seulement sanitaire mais aussi économique,
sociale, politique, idéologique, psychique…). À ce double titre, elle déstabilise gravement le pouvoir
capitaliste dans ses différentes composantes en le mettant au défi de se renouveler, en inventant et
développant de nouvelles modalités au-delà de la réinstauration des anciennes mises à mal.
Du même coup, cette crise constitue aussi un défi lancé à toutes les forces anticapitalistes, lui aussi
double. Défensivement, il doit anticiper sur la mise en œuvre de ces nouvelles modalités de domi-
nation capitaliste tout en cherchant, offensivement, à tirer profit de l’affaiblissement conjoncturel
du pouvoir capitaliste pour faire évoluer le rapport de force en sa faveur, voire ouvrir des brèches
susceptibles de s’élargir sur des perspectives révolutionnaires.
Les lignes qui suivent n’ont d’autre ambition que d’exposer quelques thèses concernant l’un et
l’autre de ces deux aspects de la crise et de contribuer ainsi à la discussion qui s’est déjà amorcée à
ce sujet dans les rangs anticapitalistes2.
1. C’est au niveau de ses instances gouvernementales que le pouvoir capitaliste s’est trouvé
­ éstabilisé de la manière la plus évidente par la pandémie et la crise sanitaire qui s’est ensuivie. Le
d
déni d’abord3, la procrastination ensuite, les demi-mesures pour continuer, transformant une néces-
sité créée de toutes pièces (car dictée par l’état déplorable d’un appareil sanitaire affaibli par des
décennies de restrictions budgétaires, ordonnées aux politiques néolibérales, en dépit des alertes et
mobilisations des personnels soignants) en une vertu mensongère (le dépistage systématique serait
inutile, les masques de protection ne serviraient à rien…) et, enfin, un amateurisme ubuesque dans
leur exécution, qui ferait rire en d’autres circonstances, ont gravement compromis le crédit de
l’immense majorité des gouvernants. Et ce, même lorsque l’imbécillité ignare (comme dans le cas
d’un Donald Trump, d’un Andrés Manuel López Obrador ou d’un Jair Bolsonaro) ou le cynisme
néodarwiniste inspirant la thèse de l’immunité de groupe (comme dans le cas d’un Boris Johnson,
d’un Mark Rutte4 ou d’un Stefan Löfven5) n’y ont pas rajouté une couche d’ignominie criminelle.
Il est désormais évident, pour une majeure partie des populations qui ont eu à en subir les
conséquences, que ces gouvernants sont prêts à tout pour masquer leur impéritie, leur absence de
prise sur des événements, surtout leur responsabilité dans l’insuffisance notoire de la capacité de

1. Alain Bihr est l’auteur de la trilogie, Le Premier âge du capitalisme (1415-1763), Lausanne/Paris, Page 2/Syllepse, 2018-2019.
2. Merci à Roland Pfefferkorn et Yannis Thanassekos de m’avoir permis, par leurs suggestions et remarques, d’améliorer la version pri-
mitive du texte que je leur avais soumise.
3. Le pompon en la matière revient incontestablement aux autorités de la République populaire de Chine, épicentre de la pandémie,
qui en ont nié l’existence, alors qu’elle n’en était encore qu’à l’état d’épidémie, du 17 novembre 2019 (date à laquelle un premier cas est
signalé à Wuhan, en Chine centrale) jusqu’au 20 janvier 2020, allant même jusqu’à arrêter début janvier pour « propagation de fausses
nouvelles » le Dr Li Wenliang, qui avait lancé l’alerte et qui décédera victime du coronavirus le 7 février.Voir www.lemonde.fr/interna-
tional, 6 avril 2020.
4. Actuel Premier ministre libéral-conservateur des Pays-Bas.
5. Actuel Premier ministre social-démocrate de la Suède.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 168


réaction d’un appareil sanitaire qu’ils ont sciemment affaibli, au prix de mensonges redoublés que

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


leur redoublement même finit par trahir. C’est à six reprises, pas moins, que, lors de son allocution
du 16 mars, Emmanuel Macron a répété : « Nous sommes en guerre ». Le recours à cette métaphore
abusive devrait nous alerter. C’est le moment de se souvenir qu’« on ne ment jamais autant qu’avant
les élections, pendant la guerre et après la chasse », selon un bon mot de Georges Clemenceau,
un fin connaisseur dans cette triple matière. Et, comme Clausewitz nous l’a appris, la guerre n’est
que la continuation de la politique par d’autres moyens : en l’occurrence, en cherchant à aggraver
la panique engendrée par la pandémie, il s’agit de provoquer le réflexe d’unité nationale, voire
d’« union sacrée », propre à regrouper le peuple apeuré autour du chef des armées et de son État, en
dénonçant par avance toute critique comme une haute trahison.
Ont cependant fait exception les gouvernements de la Corée du Sud, de Taïwan, de Hong Kong
et de Singapour, qui ont, d’emblée, mis en œuvre la seule stratégie efficace de lutte contre la diffu-
sion du Covid-19 à base de dépistage de tous les cas suspects, de confinement et de traitement des
seules personnes infectées et de celles qui les ont approchées et qui ont pu être identifiées, de port
obligatoire de masques et de tracking dans l’espace public pour toutes les autres6. Encore fallait-il
disposer du matériel, du personnel et des infrastructures appropriés à ces fins (sans compter une
bonne dose de discipline collective), qui faisaient précisément défaut dans les cas précédemment
mentionnés, pour les raisons que l’on sait.
2. C’est cependant bien plus profondément que dans les seules sphères gouvernementales que le
pouvoir capitaliste se trouve aujourd’hui ébranlé. Ce sont en fait les bases mêmes de la produc-
tion capitaliste qui se trouvent mises en cause, tant ses exigences les plus immédiates et les formes
qu’elles ont prises durant ces dernières décennies que la dynamique proprement infernale dans
laquelle elle a entraîné l’humanité et la planète entières.
En premier lieu, il faut se rappeler qu’il n’y a de capital qu’à la condition qu’il y ait du travail
vivant à exploiter.Valeur en procès, le capital ne peut conserver et accroître sa valeur, ce qui est son
but propre indéfiniment poursuivi dans un cycle aussi ininterrompu que possible, qu’à la condition
qu’il trouve sur le marché une force de travail humaine qu’il puisse s’approprier et exploiter. Si cette
force fait défaut, c’est son existence même qui est menacée.
Or la pandémie de Covid-19 confronte le capital au risque d’un pareil défaut. Ce défaut est
d’ores et déjà effectif, sous la forme de la désertion d’une partie des travailleurs, faisant valoir leur
droit de retrait, faute que les directions capitalistes des entreprises ne soient pas plus capables que
les gouvernements de leur assurer les protections sanitaires indispensables sur leurs lieux de travail
(chantiers, ateliers, entrepôts, magasins, bureaux, etc.) ; sous la forme aussi du chômage technique
entraîné par la désorganisation de la production, tant vers l’amont (du côté des fournisseurs ou des
sous-traitants) que vers l’aval (du côté des distributeurs) ; sous la forme enfin de la désertion des
consommateurs finaux, qui se trouvent être massivement des travailleurs salariés. Et ces effets d’in-
terruption, de ralentissement et de désorganisation de la production seront d’autant plus graves et
dommageables pour le capital que la pandémie durera. Si cette dernière devait se prolonger, s’am-
plifier et récidiver, comme cela est fortement probable lors de la levée du confinement, la crise de
valorisation du capital (correspondant en fait à une dévalorisation relative ou même absolue d’une
bonne partie de ce dernier) prendrait une dimension catastrophique, amplifiant du même coup la
déconfiture du capital financier dans sa composante fictive (les marchés boursiers), amorcée en fait
avant la crise sanitaire et que celle-ci n’aura fait que précipiter et amplifier. Mais ce défaut de travail

6. Au 15 avril 2020,Taïwan n’a ainsi enregistré que six morts sur une population de quelque vingt-quatre millions d’habitants. À la même
date, la Corée du Sud compte 222 morts pour quelque cinquante-et-un millions d’habitants.

169 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


vivant pourrait prendre des formes encore plus catastrophiques si la pandémie devait finalement
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

entraîner une mortalité de masse, en privant le capital de main-d’œuvre et en y rééquilibrant en


faveur du travail un rapport de force sur le marché du travail que le chômage déséquilibre actuel-
lement en faveur du capital. Et ce sans considérer, pour l’instant, les inévitables explosions sociales
qui accompagneraient un pareil scénario catastrophe. D’où finalement le choix contraint du confi-
nement, faute des moyens qui auraient permis l’option Sud-Est asiatique (coréenne, taïwanaise,
etc.), quoi qu’il doive en coûter immédiatement au capital.
De tout cela, les directions capitalistes (gouvernementales et patronales) ont plus ou moins
conscience. D’où leurs pressions répétées sur les travailleurs pour qu’ils continuent de travailler, en
dépit des risques de contamination qu’elles leur font ainsi courir, en dépit de leur droit au retrait
et des avis favorables donnés en ce sens par les inspections du travail ou même des tribunaux7 ;
pressions modulées cependant selon qu’il s’agit de cadres (incités à pratiquer le télétravail) ou
de prolétaires (ouvriers et employés), qui sont sommés de continuer à se présenter à leur poste
tous les jours, modulations dont le caractère de classe n’échappera à personne. D’où aussi leur
injonction contradictoire : « Restez tous chez vous ! », mais « Continuez à aller travailler autant que
possible ! » alors même que les éléments de protection les plus élémentaires (distances de sécurité,
gants et masques, gels hydroalcooliques) font défaut ou sont impossibles à assurer sur les lieux de
travail. D’où enfin et surtout leur impatience à sortir du confinement qui se heurte cependant à
la difficulté de réunir les conditions matérielles (tests de dépistage, port de gants et de masques)
et sociales (réorganisation en conséquence d’un appareil sanitaire au bord de l’effondrement) de
l’opération, pour qu’elle ne risque pas de virer au fiasco en relançant la pandémie8.
Par ailleurs, cette pandémie met en œuvre une contradiction majeure à l’œuvre dans l’actuelle
phase de la « mondialisation » capitaliste, en fragilisant du coup le pouvoir capitaliste à un autre
niveau encore. Contrairement à ce que la vulgate néolibérale renforcée par de nombreuses études
académiques laisse entendre depuis des décennies, la « globalisation » n’a nullement rendu caducs et
inutiles les États, y compris dans leur forme et dimension nationales (les États-nations). Certes, le
procès immédiat de reproduction du capital, unité de son procès de production et de son procès de
circulation, s’est « mondialisé » : en témoignent la « mondialisation » de la circulation des marchan-
dises et des capitaux tout comme la « mondialisation » des « chaînes de valeur » (la segmentation
des procès de production entre des lieux dispersés, en l’occurrence situés dans différents États, en
faisant appel à des forces de travail inégalement qualifiées et productives et inégalement rému-
nérées), en donnant ainsi une dimension planétaire à « l’usine fluide, flexible, diffuse et nomade »
qu’affectionnent les entreprises transnationales. Mais il n’en a pas été ainsi, ou alors à un bien
moindre niveau, de la production et reproduction de l’ensemble des conditions sociales géné-
rales du procès immédiat de reproduction du capital, dont les États restent les maîtres d’ouvrage
et même, en bonne partie, les maîtres d’œuvre. Par exemple, via l’appareil familial (la famille
nucléaire, sa division inégalitaire du travail entre sexes et ses tutelles étatiques), l’appareil scolaire,
l’appareil sanitaire, l’appareil policier et judiciaire…, la reproduction de la force sociale de travail
(dont nous avons vu qu’elle est indispensable à la valorisation du capital) reste toujours et encore
l’affaire des États-nations, tant dans leurs instances centrales que dans leurs instances décentralisées

7. On trouvera un panel d’exemples de telles pressions dans « Éphéméride sociale d’une épidémie », Covid-19 : un virus très politique,
p. 49-95, www.syllepse.net, édition du 30 mars au 13 avril 2020.
8. Ces injonctions contradictoires et la recherche de leur difficile (voire impossible) solution sont même au cœur de toute une réflexion
d’économistes anxieusement penchés au chevet de l’économie capitaliste en berne ; voir Michel Husson, « Sur l’inanité de la science
économique officielle : de l’arbitrage entre activité économique et risques sanitaires », alencontre.org, 14 avril 2020.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 170


(régions, métropoles, communes…). C’est ce qui justifie de parler non pas de « mondialisation » ou

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


de « globalisation » mais plus justement de transnationalisation du capitalisme9.
Cette division du travail reproductif du capital, qui semble fonctionnelle et qui l’est dans le cours
ordinaire de la reproduction, manifeste au contraire dans les conditions actuelles la contradiction
potentielle sur laquelle elle repose : celle entre un espace de reproduction immédiate du capital aux
dimensions planétaires tandis que les appareils assurant la (re)production de ses conditions sociales
générales restent dimensionnés et normés à l’échelle nationale. D’une part, si un virus apparu
courant novembre sur quelques marchés locaux de la Chine centrale autour de Wuhan a pu don-
ner naissance à une pandémie planétaire en à peine quelques semaines, c’est bien évidemment à
l’extension et à l’intensification de la circulation des marchandises et des hommes, inhérentes à la
« mondialisation » du procès de reproduction immédiat du capital, qu’on le doit et à son noyau qu’est
le modèle de l’« usine diffuse et nomade », dont les réseaux couvrent la planète entière10 ; tandis que
ce phénomène pathologique mondial est censé être jugulé par des États-nations agissant en ordre
dispersé et chacun pour leur compte propre, érigeant en priorité la défense de l’état sanitaire de leur
population respective, conduisant à transformer un monde la veille encore ouvert aux quatre vents
de la « mondialisation » (pourvu qu’on ne soit pas un migrant « économique », un requérant d’asile
ou un réfugié « climatique ») en une mosaïque d’États qui se ferment les uns aux autres, en rééri-
geant des barrières à leurs frontières et en réaffirmant manu militari le principe de leur souveraineté
territoriale11. D’autre part, dans ces conditions, non seulement les appareils sanitaires nationaux sont
privés de coopération entre eux, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) se contentant de jouer
le rôle de lanceur d’alertes répétées et d’émetteur de recommandations de bonnes pratiques, mais
ils vont rapidement être mis en concurrence dès lors qu’ils vont s’adresser tous en même temps
aux seules industries capables de leur fournir médicaments, équipements et appareils sanitaires pour
lutter contre le Covid-19. Concurrence d’autant plus aiguë et féroce que, enfin, la « mondialisation »
du capital aura opéré aussi au sein de ces industries, conduisant à les délocaliser et concentrer dans
certains « États émergents » (la Chine et l’Inde, notamment), en privant du coup nombre d’États
(y compris en Europe) de toutes ressources de cet ordre sur leur propre territoire, réalisant à ce
moment-là combien ce processus, par ailleurs encouragé par les politiques néolibérales de restric-
tions budgétaires, les a rendus dépendants et a précarisé leur sécurité sanitaire.
En troisième lieu, la crise actuelle met en question le modèle de développement inhérent au
mode capitaliste de production dans la mesure où, du fait notamment de son productivisme et
de son caractère globalement incontrôlable, de son hubris en somme, il ne peut que détruire
l’écosystème planétaire. Car, comme lors d’autres pathologies antérieures, plus ou moins sévères,
notamment le VIH/sida (apparu en 1981), le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) qui a sévi
entre novembre 2002 et juillet 2003 (déjà occasionné par un coronavirus), la grippe aviaire en 2004
due au virus H5N1, la grippe A (due au virus H1N1) en 2009, la grippe aviaire A (due au virus
H7N9) apparue en 2013, le Covid-19 semble bien avoir mis en jeu une transmission entre espaces
animales et espèce humaine, mettant en cause les conditions sanitaires de certains élevages (surtout

9. Voir « Introduction générale au devenir-monde du capitalisme », La Préhistoire du capital, Lausanne, Page 2, 2006, p. 9-90, http://clas-
siques.uqac.ca.
10.Voir Kim Moody, « How “just-in-time” capitalism spread Covind-19.Trade roads, transmission, and international solidarity », https ://
spectrejournal, 8 avril 2020.
11. Y compris au sein de l’Union européenne, au sein de laquelle l’intégration des États-nations en un bloc continental d’États s’est
avancée le plus loin, au point de servir d’exemple (sinon de modèle) à d’autres tentatives du même ordre : le Mercosur en Amérique
latine, la CDEAO (la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest) ou encore l’Anase (Association des nations de l’Asie du Sud-Est).
Il suffit de voir comment l’Italie a été abandonnée à son sort (pendant des semaines, elle a reçu plus d’aide de la Chine, de la Russie et
même de Cuba que des autres États membres de l’UE !) et les querelles de chiffonniers qui opposent aujourd’hui les États européens
pour l’acquisition du matériel de base, par exemple les masques (L’Express, 1er avril 2020).

171 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


en Asie mais aussi en Europe : cf. l’épisode d’encéphalopathie spongiforme bovine responsable de la
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

maladie de Creutzfeldt-Jakob) et surtout les empiétements destructeurs sur certains milieux fores-
tiers tropicaux et autres biotopes naturels, du fait de la pression exercée sur eux par l’agriculture
et notamment l’élevage, l’industrie extractive, la concentration et la diffusion urbaines, l’extension
des réseaux de transports routiers, le développement du tourisme de masse, la création de parcs
animaliers, etc. Ces empiétements favorisent la virulence de certains microbes (bactéries, virus,
parasites) et leur transmission d’espèces animales, sur lesquelles elles peuvent être bénignes, à l’es-
pèce humaine, sur laquelle ils sont ou deviennent pathogènes, d’autant plus que cette transmission
s’accompagne souvent de leur mutation : le lentivirus du macaque est ainsi devenu le VIH12. Sans
compter que les risques de morbidité du Covid-19 se trouvent visiblement accrus par toute une
série de maux engendrés véhiculés par la « civilisation » capitaliste (sédentarité, surpoids et obésité
liés à la malbouffe, pollution atmosphérique, résistance bactérienne aux antibiotiques du fait de la
surconsommation de ces derniers…) Dans ces conditions, la récurrence accélérée au cours des der-
nières décennies de ce type de pathologies, pouvant prendre un caractère pandémique, s’explique
et fait craindre que la pandémie actuelle ne soit qu’un signe avant-coureur de ce qui nous attend si
nous ne mettons pas fin à cette course à l’abîme dans laquelle le capitalisme nous a engagés.
3. À l’heure qu’il est, il est évidemment difficile et, pour partie, aventureux de tenter de prévoir
ce qui va se passer une fois que la pandémie actuelle aura été jugulée – si elle peut l’être. Car
tout dépendra de l’état démographique, économique, social, politique, psychique… des formations
sociales qu’elle aura affectées. État qui variera d’abord en fonction de la durée de celle-ci et de
l’efficacité des stratégies socio-sanitaires mises en œuvre pour la juguler. Cet exercice de prospective
est néanmoins nécessaire si nous ne voulons pas subir une nouvelle fois les événements.
Tout exercice de ce genre conduit à distinguer différents scénarios. En présupposant que le rap-
port de force entre capital et travail constituera le facteur clé de ce qui se produira alors et même
d’ici là, il est possible de distinguer trois scénarios, entre lesquels des combinaisons partielles ne
sont évidemment pas exclues. Ces scénarios doivent se comprendre comme des situations stylisées,
en fonction desquelles il doit être possible d’interpréter les événements en cours et ceux qui sont
susceptibles de se produire dans les prochains mois mais que, inversement, ces événements doivent
conduire à préciser et infléchir au fur et à mesure de leur avènement. Ils ne fourniront donc des
clefs d’intelligibilité qu’à cette condition d’en faire usage avec souplesse.

SCÉNARIO 1. LA REPRISE ET LA POURSUITE DU BUSINESS AS USUAL NÉOLIBÉRAL


Il présuppose que le rapport de force entre capital et travail restera ce qu’il a été globalement ces
dernières décennies, c’est-à-dire fondamentalement favorable au capital. Et c’est clairement dans
cette optique que se sont placés les gouvernements actuels, en mettant déjà en place les moyens
nécessaires à cette fin.
Relayant ou anticipant même la demande des entrepreneurs capitalistes, leur priorité est la relance
de l’« économie », entendons le procès de production et de circulation du capital, permettant le
redémarrage de la valorisation et l’accumulation de ce dernier à grande échelle. Cela suppose de
contraindre les travailleurs à reprendre au plus vite et le plus massivement possible le chemin vers
leurs lieux d’exploitation ; et les pressions en ce sens, qui n’ont pas cessé depuis le début de la
pandémie, augmenteront au fur et à mesure où celle-ci régressera. Elles opéreront par le biais de la
cessation de l’indemnisation du chômage technique, mise en place pour permettre précisément à

12.Voir Sonia Shah, « Contre les pandémies, l’écologie », Le Monde diplomatique, mars 2020 ; et Serge Morand, « Alors que la biodiversité
s’éteint progressivement, les maladies infectieuses et parasitaires continuent d’augmenter », alencontre.org, 18 mars 2020.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 172


l’« économie » de redémarrer au plus vite après le « trou d’air » qu’elle connaît actuellement, et de la

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


menace du licenciement pour les récalcitrants.
Pour autant, cette relance ne pourra pas être un pur et simple retour au statu quo ante. D’une part,
en dépit des mesures de soutien à la trésorerie des entreprises (via le report ou même l’annulation
partielle des impôts et cotisations sociales et la prise en charge du chômage partiel) et de l’ouver-
ture de larges possibilités d’emprunts, garantis pour certains par l’État13, il faut prévoir la faillite de
nombreuses entreprises, et pas seulement parmi les PME qui sont les plus exposées, et une passe
difficile pour de nombreuses autres, du fait de la désorganisation des relations interentreprises (en
amont et en aval de chacune) que ces faillites vont entraîner. Cela va se traduire par une concen-
tration et centralisation accrues du capital dans tous les secteurs et branches, dont l’emprise sur
l’« économie » va donc s’accroître, mais aussi par une hausse de leur taux de profit, du fait de la
disparition d’une partie du capital en fonction, actuellement en état de suraccumulation. Cependant
que les perspectives d’investissement vont être obérées par la dévalorisation de leur capital que les
investisseurs institutionnels viennent d’enregistrer en Bourse, qui va les rendre à la fois plus frileux
et plus exigeants en termes de garantie de retour sur investissement. Avec pour résultante globale
une augmentation du chômage, que ne palliera pas entièrement le redémarrage de la consommation
(productive et improductive) qui suivra la fin du confinement, et qui viendra déséquilibrer un peu
plus encore le rapport de force sur le marché du travail en faveur du capital.
D’autre part, celles des entreprises qui parviendront à s’en sortir, et pour s’en sortir précisément,
chercheront à accroître l’exploitation du travail, en jouant principalement sur sa durée et son inten-
sité, la hausse des gains de productivité ralentissant régulièrement depuis quelques décennies14. À
cette fin, elles pourront évidemment profiter de la hausse du chômage pour activer un peu plus
encore le chantage au licenciement ; mais elles pourront aussi bénéficier de l’appui des gouverne-
ments sous la forme d’un durcissement des conditions légales d’emploi, de travail et de rémunéra-
tion. En France, par exemple, elles pourront s’appuyer sur l’ensemble des mesures dérogatoires à ce
qu’il reste du Code de travail qui ont été adoptées dans le cadre de la loi instituant l’« état d’urgence
sanitaire » qu’il suffira de proroger en « état d’urgence économique ». Rappelons que ces dérogations
concernent « la facilitation du recours à l’activité partielle ; la possibilité d’autoriser l’employeur à
imposer ou à modifier les dates de prise d’une partie des congés payés dans la limite de six jours
ouvrables, en dérogeant aux délais de prévenance, ou d’imposer ou de modifier unilatéralement les
dates des jours de réduction du temps de travail, des jours de repos prévus par les conventions de
forfait et des jours de repos affectés sur le compte épargne-temps du salarié ; l’autorisation donnée
aux entreprises particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie
économique et sociale de déroger aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles
relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical ; à titre exceptionnel, les
dates limites et les modalités des versements au titre de l’intéressement ou de la prime exception-
nelle de pouvoir d’achat pourront être modifiées15 ». Et signalons qu’à ce jour (15 avril) le décret
devant préciser les secteurs dans lesquels ces dérogations ne devaient pas s’appliquer n’est toujours
pas paru.
Enfin, la crise économique qui aura accompagné la crise sanitaire n’aura pas mis à mal seulement
la trésorerie des entreprises : elle aura également brutalement dégradé l’état des finances publiques,

13. En France, la loi de finances rectificative votée par le Parlement mi-mars a porté cette garantie à la hauteur de 300 milliards d’euros
14.Voir Michel Husson, « Le grand bluff de la robotisation », alencontre.org, 10 juin 2016 : repris dans http://hussonet.free.fr/robobluff.pdf.
15. www.lemonde.fr.

173 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


du fait tant du gonflement des dépenses occasionnées par les plans de soutien à l’« économie16 »
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

que de la contraction des recettes fiscales liées à la panne d’une partie de cette même « économie »
(notamment du côté de l’impôt sur le capital et des impôts indirects taxant la consommation)17, en
provoquant un surcroît de déficit public18, couvert comme d’habitude par recours à l’emprunt. D’où
d’ores et déjà une brusque hausse des taux d’intérêt sur les emprunts publics auparavant orientés à
la baisse, même nuls dans certains cas, que les principales banques centrales ont tenté de prévenir et
limiter par une nouvelle vague de quantitative easing19. D’où aussi la relance de projets d’eurobonds
(surnommés en l’occurrence covibonds) : d’émissions de titres de crédit par l’ensemble des États de
l’Union, par le biais de la BCE, revenant donc à mutualiser ce surcroît de dettes publiques pour venir
en aide aux États membres les plus affectés par la pandémie dont les conditions d’emprunts sur les
marchés financiers sont aussi les moins favorables (Italie, Espagne, Portugal) ; ce qu’ont refusé, pour
l’instant, comme à l’ordinaire l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche et la Finlande, faisant prévaloir
leur souveraineté nationale sur une opération qui aurait représenté un pas en avant sur la voie de la
constitution d’un État fédéral européen20.
Dans la perspective de ce premier scénario, cette dégradation des finances publiques aurait pour
conséquence à peu près certaine le redoublement de la politique austéritaire précédemment prati-
quée par les gouvernements, impliquant aussi bien une hausse des impôts et des cotisations sociales
portant sur le travail et la consommation finale qu’une baisse des dépenses publiques, partant des
coupes claires dans les budgets affectés à la couverture des besoins sociaux les plus élémentaires :
logement, transport, éducation et même santé. Car la crise que nous subissons actuellement du
fait de décennies de sous-investissement public sanitaire pourrait ne pas infléchir les orientations
antérieures en la matière, si l’on en juge, par exemple, par l’étude que vient de remettre la Caisse
des dépôts et consignations, laquelle envisage de s’en remettre à des partenariats public-privé pour
pallier le défaut d’investissements publics dans les hôpitaux21. Ou si l’on s’en remet aux déclarations
du directeur de l’Agence régionale de santé de la région Grand-Est, selon lesquelles une fois la pan-
démie passée il y aura lieu de poursuivre le plan d’économies prévu pour l’hôpital de Nancy en y
supprimant 598 emplois et 174 lits22 ! Même orientation aberrante en Suisse, où, en pleine crise du
Covid-19, le conseil fédéral planifie une diminution des recettes des hôpitaux de 5 à 600 millions
de francs au minimum23.

16. France : 45 milliards d’euros d’aides économiques et sociales sous forme de reports d’impôts et de cotisations sociales, de fonds de
soutien aux PME, de prise en charge partielle du régime de chômage technique, de maintien des indemnités de chômage échues en
mars… Annoncées le 17 mars, ces aides ont été portées à 100 milliards d’euros le 9 avril.
17. En France, la loi de finances rectificative votée par le Parlement mi-mars a chiffré cette baisse à quelque 10,7 milliards d’euros.
18. En France, selon la loi de finances rectificative votée par le Parlement mi-mars, le déficit budgétaire passerait ainsi en 2020 de 2,2 %
à 3,9 % du PIB. Mais, dès le 10 avril, le déficit prévu est chiffré à 7,6 % du PIB (du jamais vu !), ce qui porterait la dette publique à 112 %
du PIB : www.lesechos.fr, 9 avril 2020. Mais la vertueuse Allemagne ne fait pas mieux : le Bundestag a voté une rallonge budgétaire de
156 milliards d’euros, représentant une hausse du budget fédéral de 43 % et portant le déficit budgétaire prévisible sur l’année à 4,3 %
du PIB, pulvérisant du même coup le dogme de l’équilibre budgétaire pratiqué depuis cinq ans ; voir www.lesechos.fr, 28 mars 2020.
19. Le quantitive easing (assouplissement quantitatif) consiste en des opérations d’achat massif d’obligations (titres de crédit) d’États sur le
marché boursier, ce qui a pour effet de faire baisser les taux auxquels les États peuvent accéder à de nouveaux prêts. La Banque centrale
européenne (BCE) a ainsi annoncé qu’elle s’apprête à racheter des titres de dettes publiques pour un montant de 750 milliards d’euros
et la Fed (la Banque centrale états-unienne) pour un montant de 1 500 milliards de dollars. Ce n’est en somme qu’une nouvelle forme
de la vieille pratique consistant à « faire fonctionner la planche à billets » : à émettre de la monnaie sans contrepartie de production de
valeur, avec des risques évidents d’inflation.
20. Seule a été envisagée la mise en œuvre du Mécanisme européen de stabilité (MES) dont l’activation est subordonnée à la mise en
œuvre de politiques d’austérité budgétaire, alors que c’est tout le contraire qui devrait être à l’ordre du jour.Voir Marco Parodi, « Le virus
de l’Union européenne et le faux vaccin du comte Dracula », alencontre.org, 10 avril 2020.
21.Voir Laurent Mauduit et Martine Orange, « Hôpital public : la note explosive de la Caisse des dépôts », Mediapart, 1er avril 2020.
22.Voir https://france3-regions, 5 avril 2020. Ce directeur a été limogé le 8 mars.
23.Voir alencontre.org, 7 avril 2020.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 174


Et, pour boucler le tout, afin de prévenir tout mouvement social qui s’opposerait à un pareil

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


rétablissement de l’état et de la dynamique catastrophiques antérieurs, impliquant de passer la crise
sanitaire et ses conséquences sociales par pertes et profits et de blanchir les gouvernants en place de
toute responsabilité en la matière, ces derniers pourraient toujours compter sur le maintien voire le
durcissement du régime de restriction des libertés publiques mis en place pour faire face à la pandé-
mie, dont le Syndicat de la magistrature lui-même s’est ému en France24. Et ils sauraient à coup sûr
tirer parti du nouveau seuil de surveillance généralisée que le confinement aura permis de franchir,
à coups de surveillance des espaces publics par drones et capteurs de chaleur et des déplacements
individuels par tracking des téléphones portables. « Big Brother » deviendrait un compagnon aussi
intrusif qu’inévitable dès lors que l’on sortirait de chez soi. S’ils devaient y parvenir, il parachèverait
du même coup des évolutions amorcées à l’occasion de la lutte contre cet autre ennemi invisible,
l’ainsi dénommé « terrorisme », qui aura inauguré une restriction chronique des libertés publiques et
la marche vers un pouvoir panoptique de surveillance, de contrôle et de répression.
Enfin, ils pourraient également compter sur les effets persistants de l’état psychique créé par cette
pandémie et les mesures de confinement qui ont été imposées pour y faire face : l’autodiscipline
dans l’acceptation de l’état d’exception comme forme normale du gouvernement ; l’attitude de
méfiance envers les autres comme envers soi-même comme sources possibles de menace (facteur
d’infection), s’exprimant à travers leur mise à distance, les gestes barrières, le port de gants et de
masques ; plus profondément, enfin, une perte de confiance dans le monde. Pour ne rien dire du
traumatisme subi par ceux et celles qui auront perdu l’un·e des leurs, sans avoir même pu se recueil-
lir auprès de leur dépouille, rite pourtant nécessaire à tout travail de deuil. Autant d’éléments peu
propices au développement de mobilisations collectives.
En somme, ce premier scénario répéterait la séquence que l’on a vu jouer à l’issue de la crise
financière de 2007-2009, dite crise des subprimes, en pire. Alors, la remise en cause des dogmes
néolibéraux par la crise aura été l’occasion pour les gouvernants de réaffirmer autoritairement
ces dogmes, en tirant argument de ce que la crise n’aurait pas résulté de leur application mais, au
contraire, des insuffisances de cette même application, qu’il convenait par conséquent de poursuivre
et redoubler25. Fidèles à la « stratégie du choc » (Naomi Klein) qui leur a toujours réussi jusqu’à
­présent­, il ne fait guère de doute que « nos » gouvernants vont tenter de profiter du choc écono-
mique, financier, social, psychologique de la crise (sanitaire) actuelle pour prolonger et redoubler la
mise en œuvre de ces politiques, en cherchant ainsi à masquer et à faire oublier la lourde responsa-
bilité de ces dernières et d’eux-mêmes qui les ont administrées dans le déclenchement et la gestion
calamiteuse de cette crise.
Les faiblesses d’un pareil scénario sont cependant multiples. Outre qu’il n’est pas assuré que les
gouvernants parviennent à maîtriser si facilement les mouvements sociaux que sa mise en œuvre ne
manquerait pas de produire, sauf à faire prendre une allure dictatoriale à leur mode de gouverne-
ment (comme c’est déjà le cas en Hongrie), il fait surtout l’impasse sur les deux derniers des défis
lancés par l’actuelle pandémie au pouvoir capitaliste précédemment mentionnés. Il ne remédierait
en rien à la contradiction inhérente à la transnationalisation du capital que j’ai pointée, qui fait
reposer en définitive sur les épaules des seuls États-nations la (re)production des conditions géné-
rales de ce rapport social, alors même qu’il se déploie quotidiennement au-delà de leurs frontières
et de leur espace de souveraineté. Quant au fait que la pandémie actuelle se présente vraisembla-
blement comme un simple développement particulier, mais particulièrement aigu, de la catastrophe

24. « Nos observations sur l’état d’urgence sanitaire », www.syndicat-magistrature.org, 23 mars 2020.
25.Voir à ce sujet l’article « Crise » dans Alain Bihr, La Novlangue néolibérale : la rhétorique du fétichisme capitaliste, Lausanne/Paris, Page 2/
Syllepse, 2017.

175 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


écologique planétaire dans laquelle le mode capitaliste de production a engagé l’humanité tout
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

entière, la poursuite des politiques néolibérales en aurait d’autant moins cure qu’elles sont par
définition totalement aveugles aux « externalités négatives » du procès capitaliste de production26.
Autrement dit, la réalisation d’un pareil scénario ouvrirait grandes les portes à la réédition à court
ou moyen terme de pareilles crises, y compris à plus vastes échelles encore.

SCÉNARIO 2. UN TOURNANT NÉOSOCIAL-DÉMOCRATE


La gestion calamiteuse de la crise sanitaire par les gouvernants, qui risque de se prolonger voire
de s’aggraver au moment de la levée des confinements, les mesures austéritaires qu’ils pourraient
être amenés à prendre pour relancer l’« économie », les tentatives de reprise et de prolongement
du programme de « réformes » néolibérales qui leur a servi d’agenda avant la présente crise, tout
cela peut aussi bien provoquer, par réaction, des mouvements sociaux leur demandant des comptes
quant à leur responsabilité dans cette affaire et leur imposant des inflexions par rapport aux orienta-
tions antérieures. Ces mouvements trouveraient facilement à s’alimenter au discrédit de ces mêmes
gouvernants, né du spectacle de leur impéritie, de la colère et des frustrations engendrées par le
confinement, de la volonté de trouver des responsables et des coupables à ce fiasco de grande
ampleur, discrédit qui pourrait rejaillir sur l’ensemble des politiques néolibérales antérieures dont le
caractère néfaste et proprement criminel même a été démontré à grande échelle par la crise sani-
taire engendrée par le délabrement du service public de santé, dont ces politiques sont directement
responsables.
Il ne fait pas de doute que les personnels de santé seraient en première ligne de pareils mouve-
ments, tout particulièrement ceux des hôpitaux publics, qui tout au long de l’année dernière n’ont
cessé de dénoncer la casse de l’appareil sanitaire en obtenant pour seules réponses au mieux le
mépris des irresponsables qui leur tiennent lieu de supérieurs, quand ce n’est pas les gaz lacrymo-
gènes et la matraque, et qui, au péril de leur vie, auront été en première ligne dans la lutte contre
la pandémie. Ils seraient, espérons-le, appuyés par tous ceux et celles qui auront été sauvés par leurs
soins, accompagnés de leurs proches ; mais aussi de tous ceux et celles dont l’un·e des leurs est
mort·e dans des conditions indignes, alors qu’une autre politique de santé publique aurait pu les
sauver ; et, plus largement, de tous ceux et celles qui auraient pris conscience à cette occasion de la
nécessité de se mobiliser pour faire cesser pareille casse. Et ils et elles seraient certainement relayé·es
par tous les chercheur·euses qui auront vu leurs recherches sur les virus littéralement sabordées sous
l’effet des restrictions budgétaires27.
On peut également espérer que le confinement aura rendu insupportable à un grand nombre
l’insuffisance, quantitative et qualitative, du logement social et, plus largement, leurs conditions de
logement, notamment en milieu urbain, tout en leur faisant prendre conscience de la nécessité d’en-
gager un plan massif de construction et de rénovation. Sans même vouloir évoquer les conditions
misérables et indignes dans lesquelles auront été confinées, en France mais sans doute aussi ailleurs,
les personnes incarcérées28, celles maintenues dans les centres de rétention administrative29 ainsi que
celles internées pour raison psychiatrique30, que le confinement aura particulièrement éprouvées,
elles aussi bien que leurs proches et soutiens.
Il est évidemment difficile de prévoir sur quelles perspectives politiques globales pourraient

26. Une externalité négative est une nuisance ou dommage produit par un agent économique et dont celui-ci n’a pas à assumer le coût.
27.Voir Bruno Canard, « En délaissant la recherche fondamentale, on a perdu beaucoup de temps », L’Humanité, 19 mars 2020.
28.Voir https://oip.org/covid19-en-prison-lessentiel/, 9 avril 2020.
29.Voir www.defenseurdesdroits.fr, 23 mars 2020.
30.Voir www.lesechos.fr, 2 avril 2020.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 176


déboucher de pareils mouvements sociaux, s’ils devaient se produire. Quoi qu’il en soit, ils condui-

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


raient à une inflexion du rapport de force entre capital et travail. L’ampleur et la durée de cette
inflexion dépendraient évidemment du degré de leur radicalité et, partant, de leur orientation
dominante.
Cela conduit à envisager un deuxième scénario qui déboucherait sur un nouveau compromis entre
capital et travail du même ordre que celui qui avait soldé, dans les années 1930 et 1940, la crise
structurelle que le capitalisme avait traversée à l’époque et les luttes sociales et politiques, nationales
et internationales, qui l’avaient accompagnée  –  compromis ordinairement qualifié de fordiste ou de
social-démocrate. Destinée à remettre le capitalisme en selle tout en en infléchissant notoirement le
fonctionnement, la réalisation d’un tel scénario supposerait que les différents défis lancés par la crise
actuelle, précédemment détaillés, soient relevés d’une manière ou d’une autre. Dans cette mesure
même, elle supposerait de combiner des inflexions majeures selon trois axes différents.
En premier lieu, une rupture nette avec les politiques néolibérales. Parmi les points de rupture
majeurs, il conviendrait, d’une part, de procéder à un partage de la valeur ajoutée plus favorable au
travail par des créations d’emplois et par une hausse généralisée et substantielle des salaires réels,
davantage d’ailleurs du salaire indirect que du salaire direct. D’autre part, en rapport avec le point
précédent, il faudrait procéder à une augmentation de la dépense publique en faveur de la protec-
tion sociale, des services publics (en priorité l’éducation et la santé) et des équipements collectifs
(notamment du logement social). Enfin, et en conséquence des deux points précédents, s’imposerait
une inflexion sérieuse des prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales), impliquant
notamment une baisse de la fiscalité directe (CSG : contribution sociale généralisée) et indirecte
(TVA et autres taxes sur la consommation) pesant sur les salaires et une hausse de la fiscalité pesant
sur les entreprises (impôt sur les sociétés), sur les hauts revenus (via la réintroduction de tranches
supérieures d’imposition sur le revenu) et les gros patrimoines, visant tant leur possession (par réin-
troduction et augmentation de l’impôt sur la fortune) que leur transmission31.
L’inflexion du rapport de force entre capital et travail passerait, en deuxième lieu, par une « démon-
dialisation » partielle du procès immédiat de reproduction du capital. Cela supposerait, pour com-
mencer, de définir un champ de souveraineté économique national32, autrement dit un ensemble de
secteurs ou de branches dont le contrôle par l’État est considéré comme stratégique du point de
vue de la sécurité de sa population ; un tel champ devrait inclure, a minima, outre l’agroalimentaire,
le logement social, le sanitaire33, l’éducatif et la recherche scientifique. Cela pourrait impliquer, par
conséquent, la (re)nationalisation des entreprises placées en position de monopole ou d’oligopole
dans chacun des secteurs ou branches précédents (au premier chef desquelles les industries pharma-
ceutiques) ; plus largement, la subordination étroite de l’ensemble des entreprises opérant dans ces
secteurs et branches à des règles, propres à assurer une telle souveraineté, en ce qui concerne leurs
décisions d’investissement ou de désinvestissement, de recherche et de développement, d’allocation
de leurs profits. Et, pour compléter le tableau, il ne faudrait pas oublier de taxer l’ensemble des
entreprises transnationales de telle manière à limiter drastiquement leurs opérations d’optimisation
et de fraude fiscale, en les imposant en due proportion des opérations qu’elles réalisent sur le sol
national.

31. Les exemples précédents sont empruntés au cas français. Mais les mêmes orientations peuvent se décliner dans les différents États en
fonction des spécificités de leur système de prélèvements obligatoires.
32. Ou continental, dans le cas de la formation d’un bloc d’États continental reprenant à son compte les orientations ici déclinées, par
exemple dans le cadre de l’Union européenne.
33. Car il n’est pas normal qu’un État (la France ou n’importe quel autre) soit devenu dépendant pour son approvisionnement en
médicaments et en matériels de première nécessité de chaînes transnationales que son appareil sanitaire ne contrôle plus, avec pour
conséquence de fréquentes pénuries, perceptibles bien avant l’actuelle pandémie.Voirr RFI, 6 mars 2020.

177 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


En troisième lieu, en s’inspirant des projets de Green New Deal34, il s’agirait de mettre en œuvre
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

un plan massif d’investissements publics en faveur de la lutte contre la catastrophe écologique, en


ciblant en premier lieu le réchauffement climatique et la dégradation de la biodiversité, impliquant
notamment : des aides au développement des énergies renouvelables, l’isolement thermique des
bâtiments, privés et publics, le développement des transports publics, notamment dans les espaces
ruraux et périurbains, la reconversion de l’agriculture vers le bio et les circuits courts, etc.
Se pose alors une première question : celle des conditions de possibilité subjectives d’un pareil
scénario, autrement dit celle de savoir quelles forces sociales et politiques seraient susceptibles
de prendre en charge un pareil projet et programme réformiste et, le cas échéant, comment elles
seraient en mesure de faire bloc à cette fin. Pour l’instant, aucun mouvement social, aucune forma-
tion politique constituée, à capacité gouvernementale, ne défend un tel programme. On ne trouve
rien de tel du côté de ce qu’il reste des partis soi-disant socialistes, social-démocrates ou travaillistes,
qui pourraient pourtant utilement se renouveler à cette occasion, englués et dilués qu’ils restent dans
leur ralliement antérieur, honteux ou tapageur, au néolibéralisme35. Pas davantage ne trouve-t-on
quelque chose de cet ordre du côté des formations écologistes. Europe Écologie-Les Verts en reste
pour l’instant à dénoncer les causes immédiates de la crise sanitaire36 et réduit le Green New Deal à
« une fiscalité plus redistributive : à situation exceptionnelle impôt exceptionnel, en particulier pour
les grandes fortunes et les assurances qui engrangent des profits indus pendant le confinement37 ».
Même les propositions soumises par la Convention citoyenne pour le climat s’avèrent minimales38.
Après avoir noté très justement que « la perte de biodiversité, la destruction des milieux naturels
sont des témoins de la crise écologique, mais sont aussi pointés comme des facteurs importants de la
crise sanitaire d’aujourd’hui » et que « la multiplication des échanges internationaux et nos modes de
vie globalisés sont à l’origine de la propagation rapide de l’épidémie », elle se contente de souhaiter
que « la sortie de crise qui s’organise sous l’impulsion des pouvoirs publics ne soit pas réalisée au
détriment du climat, de l’humain et de la biodiversité », elle se contente en tant que préconisations
de suggérer que « des grands travaux soient lancés pour réduire la dépendance de la France aux
importations, favoriser l’emploi en France et réduire les émissions de gaz à effet de serre » et de
rappeler « qu’il est nécessaire de relocaliser les activités des secteurs stratégiques pour assurer notre
sécurité alimentaire, sanitaire et énergétique » ainsi que « l’importance des solidarités internationales
pour une action efficace ». Bref, de bonnes intentions sans plan plus précis pour les exécuter.
Tout juste perçoit-on pour l’instant quelques voix reprenant les propositions précédentes. Des
voix dispersées qui sont loin encore de constituer un chœur. Il faudrait donc compter sur la mobili-
sation collective précédemment envisagée pour leur permettre de s’amplifier et de s’unifier.
D’ores et déjà, certaines organisations syndicales se sont placées dans une telle perspective réfor-
miste. La CGT, par exemple, a adressé au président de la République une lettre ouverte dans
laquelle elle lui demande d’infléchir l’ensemble de sa politique antérieure en lui soumettant les
propositions suivantes :

34. Voir Alain Lipietz, Green Deal. La crise du libéral-productivisme et la réponse écologiste, Paris, La Découverte, 2012 ; Naomi Klein, Tout
peut changer : Capitalisme et changement climatique, Arles, Acte Sud, 2015 ; Naomi Klein, Plan B pour la planète : le New Deal vert, Arles, Acte
Sud, 2019. Pour une approche critique de cette thématique, voir John Bellamy Foster, « Écologie. En feu, cette fois-ci », alencontre.org,
19 décembre 2019.
35. Symptomatiquement, les deux candidats à l’investiture démocrate pour les prochaines élections présidentielles aux États-Unis qui se
référaient sérieusement au Green New Deal, Bennie Sanders et Elizabeth Warren, ont été éliminés de la course.
36. https://eelv.fr, 11 avril 2020.
37. https://eelv.fr/audition-par-le-premier-ministre, 11 avril 2020.
38. La contribution de la Convention citoyenne pour le climat au plan de sortie de crise, www.conventioncitoyennepourleclimat.fr,
9 avril 2020.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 178


Relocalisation des activités, dans l’industrie, dans l’agriculture et les services, permettant

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


d’instaurer une meilleure autonomie face aux marchés internationaux et de reprendre le
contrôle sur les modes de production et d’enclencher une transition écologique et sociale
des activités.
Réorientation des systèmes productifs, agricoles, industriels et de services, pour les rendre
plus justes socialement, en mesure de satisfaire les besoins essentiels des populations et
axés sur le rétablissement des grands équilibres écologiques.
Établissement de soutiens financiers massifs vers les services publics, dont la crise du
coronavirus révèle de façon cruelle leur état désastreux : santé publique, éducation et
recherche publique, services aux personnes dépendantes […].
Une remise à plat des règles fiscales internationales afin de lutter efficacement contre
l’évasion fiscale est nécessaire et les plus aisés devront être mis davantage à contribution,
via une fiscalité du patrimoine et des revenus, ambitieuse et progressive39.
Et il n’est pas même exclu que, du côté des gouvernants, de pareilles propositions soient e­ n­tendues
et reprises pour partie. C’est Emmanuel Macron qui, après s’être lamenté du « pognon de dingue »
que coûteraient les minima sociaux et avoir affirmé haut et fort sa volonté d’y mettre bon ordre par
la responsabilisation des assurés sociaux, découvre brusquement que « la santé gratuite sans condi-
tion de revenu, de parcours ou de profession, notre État-providence ne sont pas des coûts ou des
charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe40 ». Et, même brus-
que révélation du caractère néfaste des politiques néolibérales outre-Rhin chez sa collègue Angela
Merkel : « Bien que ce marché [celui des masques de protection] soit actuellement situé en Asie, il est
important que nous tirions de cette pandémie l’expérience que nous avons également besoin d’une
certaine souveraineté, ou au moins d’un pilier pour effectuer notre propre production, en Allemagne
ou en Europe », a-t-elle défendu41. Certes, on sait d’expérience ce que valent ces déclarations faites
dans le feu du désarroi par des dirigeants qui se sont rendus coupables de ce à quoi ils promettent
de remédier, avant de revenir à leurs anciennes amours et pratiques à peine la crise passée. Mais il
n’en est pas moins significatif que les « premiers de cordée » du néolibéralisme pur et dur au niveau
européen se soient laissés aller à de pareils propos.
Mais cette perspective réformiste soulève encore une seconde question : celle de ses conditions
de possibilité objectives, soit celle des obstacles et limites auxquelles sa réalisation se heurterait
dans l’état actuel du mode capitaliste de production. Deux de ces limites sautent immédiatement
aux yeux. D’une part, le rééquilibrage du partage de la valeur ajoutée en faveur du salaire et au
détriment du profit, assorti d’une augmentation des prélèvements obligatoires pour financer tant
la remise à niveau des équipements collectifs et des services publics que le plan massif d’investis-
sements publics en faveur de Green New Deal, des mesures qui se recoupent et se chevauchent
pour partie, certes, ne se heurteraient pas moins à la baisse tendancielle des gains de productivité
précédemment signalée. Autrement dit, les gains de productivité ne seraient sans doute plus suf-
fisants pour financer à la fois la valorisation du capital (via les profits), la hausse des salaires réels
et la hausse des dépenses publiques en faveur d’un vaste programme d’investissement à but social
et écologique. En somme, il existe une sorte de triangle d’incompatibilité entre ces trois objectifs.
D’autre part, si un Green New Deal est en mesure d’atténuer les effets écologiquement désastreux
de la poursuite d’une accumulation du capital débridée, de freiner par conséquent la dynamique

39. « Lettre ouverte de Philippe Martinez au au président de la République », www.cgt.fr, 7 avril 2020.
40. Allocution du 12 mars 2020.
41. www.leparisien.fr, 6 avril 2020.

179 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


de la catastrophe écologique globale engendrée par cette dernière, il est parfaitement incapable de
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

résoudre la contradiction entre la nécessaire reproduction élargie du capital (son accumulation), qui
ne connaît pas de limite, et les limites de l’écosystème planétaire. Pour le dire autrement et plus
simplement, il peut y avoir des capitaux verts mais pas de capitalisme vert42. Sous ce rapport aussi,
le capitalisme a sans doute atteint ses limites et le réformisme avec lui. Et, s’il devait se produire, le
tournant néo-social-démocrate aurait de ce fait toute chance de nous engager dans une impasse à
moyen terme.

SCÉNARIO 3. OUVRIR DES BRÈCHES EN VUE D’UNE RUPTURE RÉVOLUTIONNAIRE


On est dès lors en droit d’imaginer un troisième scénario, bien qu’il semble a priori plus impro-
bable encore que le précédent. Il part de l’hypothèse selon laquelle plus une crise du mode de pro-
duction capitaliste est profonde, plus elle manifeste ses contradictions insurmontables et ses limites
indépassables, plus elle crée les conditions à l’ouverture de brèches par lesquelles peuvent s’engouf-
frer les forces sociales et politiques œuvrant à une rupture révolutionnaire, qui trouvent leur base
naturelle dans le salariat d’exécution (ouvriers et employés, tous secteurs et branches confondus)
qui définit aujourd’hui le prolétariat.
Or c’est bien un pareil processus qui est d’ores et déjà actuellement engagé, au cœur de cette crise,
fût-ce de manière encore embryonnaire mais significative. Donnons-en quelques exemples. Contre
les pressions redoublées des gouvernants et des employeurs et leur double langage, ce sont les tra-
vailleurs et travailleuses qui, par leur retrait spontané, leurs débrayages ou même par des grèves, ont
imposé l’arrêt de la production ou sa poursuite à la seule condition du respect de normes de sécurité
(distance, port de gants et de masques, désinfection des locaux…), dans le simple but de préserver
leur santé et leur vie43. Ce qu’ils et elles ont ainsi clairement affirmé, c’est qu’ils et elles sont les
seuls maîtres en dernière instance du procès de production : que ce sont eux et elles qui produisent
toute la richesse sociale et qui sont aussi en capacité de faire cesser cette production.Vérité foncière
que toute l’idéologie dominante dans ses différentes facettes occulte sans cesse en temps ordinaire.
S’est aussi imposée dès lors, dans la pratique même mais aussi dans la conscience réflexive qui l’a
accompagnée, la nécessité de distinguer entre les activités productives strictement nécessaires à la
poursuite de la vie sociale (santé, alimentation, services de base : eau, gaz, électricité…), et qu’il a
fallu poursuivre sous certaines conditions de sécurité, et celles qui sont superflues, voire nuisibles,
dont on peut se passer ou qu’il est même souhaité de mettre à l’arrêt (la production automobile,
l’industrie militaire, les chantiers navals – liste non exhaustive). Même si elle n’est pas facile à
opérer, tant les activités productives sont imbriquées les unes dans les autres dans tout appareil de
production socialisé44, et précisément parce qu’elle n’est pas facile à opérer, cette distinction soulève
la question de ce que, dans un processus de transition socialiste, il conviendrait de maintenir de l’ap-
pareil de production existant, au moins dans un premier temps et en le transformant, et de ce qu’il
conviendrait d’abandonner immédiatement ou de reconvertir profondément, dans le cadre d’une
planification de la production en fonction de la nécessité et de l’urgence de satisfaire les besoins
sociaux les plus fondamentaux. De telles reconversions ont d’ailleurs d’ores et déjà commencé : on
a vu des entreprises textiles se lancer dans la confection de masques chirurgicaux, des parfumeries

42. Daniel Tanuro, L’Impossible capitalisme vert, La Découverte, 2012 ; et l’article « Capitalisme vert », dans La Novlangue néolibérale, op.cit.
43. Pour de nombreux exemples de tels mouvements un peu partout dans le monde, voir là encore « Éphéméride sociale d’une épidé-
mie », op.cit.
44. Ce qu’est l’appareil de production capitaliste en dépit du fait qu’il repose sur la propriété privée des moyens de production. Ce
double caractère, propriété privée + production sociale, fait d’ailleurs partie des contradictions fondamentales du procès immédiat de
reproduction du capital.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 180


dans la production de gel hydroalcoolique, des entreprises automobiles dans la mise au point d’ap-

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


pareils d’assistance respiratoire…45
Sous la pression de la nécessité mais aussi sous l’effet de la solidarité entre « ceux et celles d’en
bas » conscient·es de l’incurie et de l’indifférence de « ceux et celles d’en haut », on a vu se mettre en
place et se développer, un peu partout, au niveau local, des pratiques et des réseaux d’entraide pour
faire face aux difficultés et problèmes résultant du développement de la pandémie et des mesures
de confinement, notamment en faveur des plus démunis d’entre ces expropriés que sont par défi-
nition les prolétaires : travailleurs précaires et chômeurs, femmes et enfants victimes de violences
intrafamiliales, personnes âgées isolées, mal logés et SDF, étrangers sans papiers, réfugiés… Selon le
cas et les lieux, il s’est agi de la préparation de paniers-repas, de collectes (nourriture, produits de
protection et d’hygiène, vêtements, livres, DVD…), de soins à domicile, de lutte contre la solitude
et l’isolement, de mises en place de structures d’aide scolaire à destination des enfants confinés et
privés de scolarité, de réquisitions de chambres d’hôtel, d’interventions en préfecture pour y obtenir
des régularisations… Ces actions ont eu d’autant plus de consistance qu’elles ont pu s’appuyer sur
des collectifs ou des réseaux préexistants, tels les Amap46 dont l’utilité s’est illustrée en ces temps
où le ravitaillement en grandes surfaces est devenu problématique. L’importance de ces pratiques
et réseaux ne se mesure pas seulement à leurs effets immédiats en termes de solidarité concrète
mais encore en ce qu’ils sont autant d’occasions de mettre en évidence et en accusation les défauts
actuels des appareils de protection sociale et plus largement des pouvoirs publics, conséquences
de leur étranglement financier par les politiques néolibérales mais aussi de leur structure bureau-
cratique traditionnelle. Surtout, en tant qu’éléments d’auto-organisation populaire, ils c­onstituent
autant de préfigurations de cette autogestion généralisée que serait une société libérée de toute
structure d’exploitation et de domination ; et c’est à ce titre qu’ils méritent de figurer ici47.
Enfin, en cette période où l’« économie » est en bonne partie en panne, où les marchandises et
l’argent circulent avec peine, où la survie dépend moins des échanges marchands que de la solidarité
interpersonnelle ou associative et de la distribution de la manne étatique, on a vu (ré)apparaître
partout la gratuité. Aiguillonnés par la peur de perdre le contact avec leurs clients cloués chez eux,
les éditeurs se sont mis à proposer gratuitement une (toute petite) partie de leur fonds, différents
producteurs de cinéma et différentes plates-formes de vidéos à la demande en ont fait autant. Pour
intéressée et temporaire que soit cette gratuité, elle n’en indique pas moins ce que devrait être l’ac-
cès à la culture dans une société libérée de l’emprise de la propriété privée et du marché : un service
public et gratuit à la portée immédiate de tout un chacun.
Au titre des autres bénéfices paradoxaux de la panne actuelle de l’économie capitaliste, il faut
signaler la chute spectaculaire des différentes formes de pollution que celle-ci engendre dans son
cours ordinaire. Baisse de la pollution atmosphérique un peu partout dans le monde : en Chine48,

45. Il est vrai que la plupart de ces reconversions, pas toutes cependant, se sont produites à l’initiative des directions capitalistes, tant il
est vrai que la valorisation du capital est indépendante de la nature des marchandises produites. Il n’est pas moins vrai qu’elles n’ont pu
avoir lieu sans le savoir et le savoir-faire des travailleurs et travailleuses de la base, augurant ainsi de la capacité de pareilles reconversions
sous leur direction.
46. Les Amap (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) regroupent des petits producteurs agricoles et des consomma-
teurs dans des circuits de distribution courts, dans le but de préserver et de développer une agriculture socialement, équitablement et
écologiquement saine et durable.
47.Voir l’appel « Covid-Entraide » reproduit dans Covid-19 : un virus très politique, op. cit., p. 132, www.syllepse.net.
48. « Les satellites ont déjà mesuré les changements en Chine, où le suivi de la NASA (National Aeronautics and Space Administration)
a montré que les émissions de dioxyde d’azote ont diminué de 30 % en février 2020 », alencontre.org, 19 mars 2020.

181 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


en Europe49, en Inde50. Baisse sensible de la pollution sonore liée à la circulation automobile, qui
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

permet d’entendre à nouveau le souffle du vent dans les frondaisons et les chants d’oiseaux. Baisse
de la pollution publicitaire sur les ondes. Quasi-disparition de la pollution de la communication
téléphonique du fait de la fermeture des centres d’appels. Autant de manifestations in vivo que l’on
vit mieux sans le capitalisme, dont seules les mesures de confinement qu’il continue à nous imposer
nous empêchent de profiter pleinement.
Bref, de multiples manières, la crise actuelle ouvre des brèches dans le système des rapports, des
pratiques et des représentations par lesquels s’exerce ordinairement la domination du capital, avec
son inévitable lot de nuisances, qui laissent clairement apercevoir qu’un autre monde est possible et
qu’il est même nécessaire et souhaitable, dès lors que cette domination fait faillite, comme c’est en
bonne partie le cas actuellement. Ce sont précisément ces brèches que, dans la perspective de ce
troisième scénario, il va falloir chercher à élargir à la faveur des luttes en cours et qui vont s’exa-
cerber dès lors que les directions capitalistes, gouvernementales et patronales, chercheront à revenir
au statu quo ante.
Ces luttes vont avoir pour premier enjeu les conditions dans lesquelles va s’opérer la reprise de la
production. Alors que le coronavirus responsable de la pandémie n’aura pas été totalement éradiqué
et en l’absence de tout vaccin, les travailleurs et travailleuses vont devoir se battre pour imposer
que cette reprise se fasse aux conditions qu’ils et elles sont parvenu·es à imposer jusqu’à présent :
distinction entre les activités socialement nécessaires et le reste, sécurisation des espaces de travail
(chantiers, ateliers, bureaux) avec strict respect des normes de sécurité (distance, port de gants et de
masques, désinfection des locaux…), mesures qu’il faudra étendre plus largement à l’ensemble de la
population, qu’elle soit active ou non. Ils et elles vont de même devoir se battre contre les tentatives
d’aggraver leur exploitation en augmentant la durée et l’intensité de leur travail pour permettre au
capital d’effacer une partie des pertes (des manques à gagner, de la baisse des profits et des taux
de profit) qu’il aura enregistrées durant la crise, moyennant la suspension ou même la suppression
des dispositifs du Code du travail à ce sujet : dans une situation où le chômage aura augmenté du
fait de la faillite d’un grand nombre d’entreprises, le mot d’ordre « travailler moins pour travailler
tou·tes, tout en travaillant autrement » sera plus que jamais à l’ordre du jour. Autrement dit, s’il faut
se retrousser les manches pour regagner le terrain perdu, que cela se fasse sous forme d’embauches
massives, permettant une diminution du temps de travail pour chacun·e, et non pas sous celle d’un
surcroît d’exploitation des seul·es salarié·es en emploi. Dans le même ordre d’idées, il va leur falloir
imposer que les revenus des actionnaires (dividendes) et ceux des managers (leurs sursalaires) soient
rognés ou même abolis pour faire face aux difficultés des entreprises et mis à profit pour relancer
les investissements. Enfin, pour pallier la vague de faillites et de licenciements collectifs qui résultera
presque à coup sûr de l’arrêt prolongé de la production, les travailleur·euses devront se mobiliser
pour imposer la socialisation, sous leur contrôle, des entreprises dont la production sera considé-
rée comme socialement nécessaire, rendant du même coup la distinction précédente d’autant plus
opératoire.
En second lieu, il n’est pas question d’oublier les enseignements de la présente crise. Au contraire,
il s’agira d’en tirer les conséquences et quant à la réorganisation nécessaire de l’appareil de produc-
tion et quant aux orientations des dépenses publiques. La priorité est de reconstituer un appareil sani-
taire impliquant notamment : l’annulation de la dette des hôpitaux publics ; l’arrêt des subventions

49.Voir « Coronavirus : l’effet du confinement (et son impact sur la pollution en Europe) se voit aussi depuis l’espace », www.20minutes.
fr, 1er avril 2020.
50.Voir « Coronavirus en Inde : l’Himalaya vu à 200 kilomètres de distance grâce… à la baisse de la pollution », www.20minutes.fr, 9 avril
2020.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 182


aux cliniques privées et l’interdiction des dépassements d’honoraires en médecine de ville ; un plan

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


pluriannuel d’embauche de personnels soignants, de réouverture de services et d’établissements,
de dotations budgétaires pour la recherche, libérée de toute tutelle et dépendance capitalistes ; une
nationalisation des grands groupes pharmaceutiques comme plus largement de toutes les entreprises
produisant du matériel médical ; le tout sous le contrôle des travailleurs du secteur et de leurs orga-
nisations syndicales, en association avec la population qui est directement concernée par le sujet, en
sa double qualité de contribuable et de bénéficiaire potentiel de ce service public51. Objectifs qu’il
faudra imposer par des mobilisations collectives prolongées : grèves, manifestations, occupations,
interpellations de responsables politiques, boycotts…
Mais c’est plus largement en faveur d’un investissement massif dans l’ensemble des équipements
collectifs et services publics assurant la satisfaction des besoins sociaux les plus fondamentaux : en
plus de la santé, le logement, l’éducation, la recherche scientifique, là encore en les plaçant sous le
contrôle des salariés de ces secteurs et de leurs organisations syndicales.
En troisième lieu, il faut profiter de ce que la suspension durable de l’« économie » a mis en évi-
dence que la société ne nécessitait, pour satisfaire ses besoins essentiels, qu’un nombre restreint
d’entreprises, d’équipements collectifs et de services publics, mais aussi un pilotage de l’ensemble
par l’État, en contradiction complète des dogmes néolibéraux, pour exiger la reconversion en consé-
quence de l’ensemble de l’appareil productif, mais cette fois-ci sous contrôle des travailleurs et de
leurs organisations syndicales. Et, pour piloter cette reconversion, l’expropriation des banques pri-
vées, des compagnies d’assurance et des fonds d’investissement, sans indemnisation de leurs action-
naires, et leur fusion en un organisme public d’investissement, sous contrôle de ses salariés et, plus
largement, de l’ensemble des citoyens conviés à un débat sur les orientations prioritaires à donner
aux investissements en question52.
En dernier lieu, enfin, il va falloir se battre pour imposer une annulation pure et simple de l’en-
semble des dettes publiques, doublée d’une réforme des prélèvements obligatoires de manière à
taxer le capital, les hauts revenus et les grandes fortunes. Car les dettes publiques procèdent pure-
ment et simplement de l’accumulation des arriérés d’impôts et de cotisations non exigés de la part
d’entreprises et de ménages qui auraient pourtant eu les capacités contributives et partant l’obliga-
tion de les acquitter, puisqu’ils ont trouvé les moyens de se faire les créanciers des États avec l’argent
que ceux-ci ne leur ont pas demandé53.
Il n’échappera à personne qu’un certain nombre d’axes de lutte selon lesquels devrait se déve-
lopper ce scénario de rupture recoupent certains des objectifs du scénario précédent, d’orientation
réformiste. C’est que, radicalisés, les objectifs de ce dernier peuvent conduire à ouvrir des brèches
dans le système existant et ne pas seulement contribuer à sa reconduction sous de nouvelles formes.
C’est bien pourquoi j’indiquais plus haut que l’issue des mobilisations collectives qui vont se dessi-
ner dans les prochains mois est incertaine et dépendra essentiellement de leur degré de radicalité.
D’emblée cependant, deux éléments distinguent ce scénario de rupture du précédent. C’est, d’une
part, l’importance primordiale qu’il demande d’accorder aux initiatives prises par la base (« les gens »,
les travailleurs, leurs organisations) dans le but de promouvoir de nouvelles pratiques et structures

51. Pour un inventaire plus détaillé, voir « Pour une socialisation de l’appareil sanitaire », alencontre.org, 18 mars 2020.
52. Voir des propositions plus détaillées dans Sam Gindin, « Perspectives socialistes : le coronavirus et la présente crise », alencontre.org,
13 avril 2020 et dans Covid-19 : un virus très politique, op. cit., 4e édition, p. 53, www.syllepse.net.
53. Voir à ce sujet l’article « Dette publique », dans La Novlangue néolibérale, op.cit. C’est également la position défendue par François
Chesnais : « L’occasion historique s’ouvre de faire pas seulement de la suspension du paiement des dettes publiques, mais de leur annula-
tion, une revendication commune aux pays industriels avancés impérialistes et aux pays à statut économique colonial et semi-colonial. Il
était inévitable que le poids des dettes publiques des pays avancés donne lieu, avec l’aggravation de la crise, à la question de leur légitimité
et la nécessité de leur annulation/répudiation », alencontre.org, 12 avril 2020.

183 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


d’émancipation. C’est, d’autre part, l’objectif qu’il vise d’imposer des mesures de « contrôle popu-
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

laire » sur la production (sa finalité et ses modalités : que doit-on continuer à produire ? que faut-il
maintenir ? que faut-il abandonner ? que faut-il réquisitionner ? à quelles conditions ?) pour imposer
sa réorganisation dans le cadre d’une planification démocratique orientée en fonction de la défini-
tion des besoins sociaux.
En conclusion, il s’agit de ne pas laisser se perdre ce que cette crise nous aura appris : la nécessité
et l’urgence de sortir du capitalisme… et la possibilité d’y parvenir. Nécessité et urgence qui s’ali-
mentent tout simplement au constat que, au stade actuel de son développement, le capitalisme est
voué de plus en plus à n’engendrer que la mort : la mort biologique qu’enregistre la sinistre comp-
tabilité de la croissance quotidienne des victimes de la pandémie actuelle, en attendant que, demain,
l’aggravation de la catastrophe écologique ne nous confronte à bien pire encore ; mais aussi la mort
sociale à laquelle sont condamné·es les rescapé·es par le confinement et la suspension (pour com-
bien de temps encore ?) des libertés individuelles et collectives, à laquelle ils et elles se soumettent
en espérant que la Grande Faucheuse ne les rattrapera pas, contraint·es en attendant pour certain·es
de vivre comme des rats ; quand ce n’est pas la mort psychique pour ceux et celles qui ne trouvent
pas en eux et elles les ressources permettant de faire face à ce type d’épreuve et qui sombrent dans
la dépression ou recourent au suicide.
Depuis un siècle, combien de fois n’a-t-on pas répété la formule d’Engels reprise par Rosa
Luxemburg : socialisme ou barbarie ? Il est temps de prendre conscience que l’alternative est
aujourd’hui beaucoup plus radicale : elle est tout simplement entre le communisme et la mort.
15 avril 2020
À l’encontre

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 184


CATALOGNE
« QUE CE CONFINEMENT SOIT SUIVI DE GRÈVES, QU’IL SOIT SUIVI DE

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


LUTTES »
MIREIA VEHÌ1

Naomi Klein parle de la doctrine du choc ou du capitalisme du désastre pour expliquer comment
les entreprises multinationales dans des situations de catastrophe en profitent pour faire des affaires :
à La Nouvelle-Orléans avec Katrina, ou au Sri Lanka avec le tsunami. Lors de la dernière plénière,
nous vous avons demandé d’être courageux, de défendre le bien commun, le bien public, les gens
simples, de distribuer les richesses surtout. Mais vous êtes en train de faire une gestion de la crise
digne du pire des capitalismes du désastre, qui profite de la peur, du choc et de l’incertitude pour
laisser faire les rapaces des banques et des grandes entreprises.
M. le Président, vous avez dit que ce n’est pas le moment de s’affronter publiquement. Au
contraire, c’est le moment de l’affrontement politique car c’est notre vie qui est en jeu, beaucoup
de vies. Vous avez décidé de défendre une raison d’État dans laquelle les banques gagnent toujours.
Premièrement, en mettant fin au confinement obligatoire des secteurs non essentiels pour la vie
alors que nous comptons plus de 15 000 morts [le 9 avril]. Nous comprenons que cela vient d’un
diktat de l’Ibex2, comment comprendre ça autrement.

« VOUS PERSISTEZ AVEC VOTRE RHÉTORIQUE MILITAIRE D’“UNITÉ” VIDE DE DROITS »


Deuxièmement, vous ne faites même pas allusion au fait que les banques pourraient rembourser
les plus de 60 milliards d’euros du sauvetage [par l’État, lors de la crise de 2008]. Mais vous obligez
les familles plus fragiles à s’endetter auprès des banques pour pouvoir payer leurs loyers, que vous
ne voulez pas suspendre.
Troisièmement, vous suspendez le paiement de services publics, mais lors du prochain budget de
l’État nous dédommagerons les entreprises hydroélectriques3 de leurs pertes. Ces entreprises, il y
a peu, ont distribué 5,5 milliards d’euros de dividendes. Et nous attendons toujours l’accord que
vous serez capables de négocier avec l’Union européenne… Avec la panique que peut provoquer un
mémorandum comme celui qui avait été appliqué aux Grecs et aux Grecques, après référendum, qui
nous condamnerait à des décennies de misère.
Et en plus, vous persistez avec votre rhétorique militaire d’« unité » vide de droits, que vous
construirez sans les gens, par-dessus les droits des peuples. Nous avons une Generalitat sans une once
de souveraineté. Parce que vous continuez de mettre plus d’amendes que vous ne réalisez de tests
du Covid. Vous continuez de permettre aux laboratoires pharmaceutiques de faire des affaires avec
un vaccin qui ne vient jamais. Vous continuez de ne pas imposer les grandes fortunes. Sans annon-
cer un revenu universel de base. Et vous faites ça avec une rhétorique d’unité, de paix, de pactes
de la Moncloa. Echenique4 parlait tout à l’heure : il faisait un récit du triomphe constitutionnel. Les

1. Intervention de Mireia Vehì, députée de la CUP (Candidature d’unité anticapitaliste), devant les Cortès, réunies le 9 avril 2020 pour
valider une série de décrets sur le monde du travail, dont celui prévoyant la reprise des secteurs économiques non essentiels dès le 14 avril.
2. Le CAC 40 espagnol.
3. Elles sont pour beaucoup privées.
4. Député d’Unidas-Podemos.

185 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


pactes de la Moncloa ont représenté en plus et surtout des baisses de salaires, la paix sans justice
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

ni mémoire, des consensus sans les droits des travailleurs, sans que les syndicats aient eu voix au
chapitre, et ils ouvrirent la porte au néolibéralisme.

« VOUS ÊTES UN VRAI RÉGIME DE 78 »


Du Parti socialiste ouvrier espagnol, ça ne nous surprend pas : il est, encore une fois, la face
aimable de l’appareil d’État. Il va soutenir l’oligarchie, la monarchie et les patrons, se plaçant à la
droite de l’orthodoxie néolibérale européenne, qui va jusqu’à envisager la nationalisation de secteurs
stratégiques et des revenus minimums garantis. Mais venant d’Unidas-Podemos, ça nous attriste.
Nous n’allons pas nous appesantir sur ça à cette tribune. Nous allons citer une chanson, qui pour
nous, a été la biographie de nombreuses histoires militantes : « Nous avons confondu la lune avec les
lampadaires », chantions-nous.
Vous êtes un vrai régime de 785, vous tirez profit de la pire des crises qu’ait traversées l’État espa-
gnol depuis des lustres pour renforcer le pouvoir du marché et l’autoritarisme.
Hier, nous avons appris que la procureure générale de l’État demande neuf ans de prison pour
deux des jeunes arrêtés6 de façon préventive à la suite de la sentence du procès [contre les dirigeants
catalans]. La Generalitat, elle, demandait trois ans de prison !

« C’EST UNE INVITATION À LUTTER ENSEMBLE »


Sincèrement, vous ne nous laissez pas d’autre choix que de redescendre dans les rues.
[Mireia Vehi passe au catalan] Aux gens des pays catalans : merci pour soutenir notre pays dans de
tels moments. Nous leur ferons payer l’addition, nous dresserons un mémorandum des griefs collec-
tifs car nous, les peuples, nous avons de la mémoire. Et nous, nous nous engageons à construire un
pays, malgré notre État et malgré la mauvaise gouvernance chez nous.
[Elle revient au castillan] Aux gens du reste de l’État, aux peuples du reste de l’État : ça, c’est une
invitation à lutter ensemble, pour nos grands-mères, pour nos filles, pour les soignantes qui sont en
première ligne sans matériel, pour nous toutes, pour sauver la vie.
Que ce confinement soit suivi de grèves, qu’il soit suivi de luttes tous ensemble, car ce sera la
seule façon de sauver la vie matérielle et biologique de nos communautés.
Retranscription et traduction : Mariana Sanchez

5. Date de la Constitution qui mit fin à la transition politique, après la mort de Franco, sur un consensus et sans toucher à l’appareil
franquiste.
6. Accusés d’avoir attaqué un fourgon des Mossos à Gérone en octobre 2019.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 186


FRANCE
ATELIER D’ARPENTAGE DU RECUEIL UN VIRUS TRÈS POLITIQUE

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


DES MEMBRES DE L’AG INTERPRO DES MUREAUX ET DE L’AG DE LUTTE DU MANTOIS

Le 18 avril 2020, six membres de l’AG interprofessionnelle des Mureaux et alentours


(Yvelines) et deux de l’AG de lutte du Mantois ont participé à un atelier inspiré de
l’arpentage.
L’arpentage est une méthode de lecture collective d’un document, qui permet
notamment de se l’approprier en peu de temps pour acquérir des savoirs communs,
des références communes pour sortir des dominations par le savoir et découvrir
des informations, pensées, auteurs ou théories, qu’on ne serait pas forcément allé
chercher. L’atelier avait pour objectifs d’agir collectivement, de prendre du recul
par rapport au flux d’informations mainstream, de s’approprier des informations et
réflexions sourcées et d’avoir un échange critique sur la situation.
Il a été décidé de travailler à partir du recueil Covid-19 : un virus très politique1, publié par
les éditions Syllepse. Car les textes qu’on y trouve permettent, dans cette période de
confinement individuel et national, de prendre connaissance d’expériences vécues,
de luttes (actions, grèves…) et de réflexions, y compris au-delà de nos frontières. De
plus, étant en ligne gratuitement, ce recueil était accessible par chacun·e. L’atelier
s’est déroulé en audio/visio conférence de deux heures. Six membres ont choisi
et lu, en amont, un texte qu’elle ou il a présenté en cinq minutes (raisons de son
choix, points essentiels, questionnement), puis a eu lieu un échange collectif et, en
fin d’atelier, un rapide bilan a été fait qui a donné l’envie de continuer.

Fabienne a résumé « Les travailleuses en première ligne dans la lutte contre le coronavirus », China
Labour Bulletin. En regard avec la situation actuelle de nos hôpitaux, mais avec des conditions sani-
taires encore plus graves, décrites dans les hôpitaux de trois villes chinoises, le personnel hospitalier
très majoritairement féminin a été mis à très rude épreuve sans protection et avec un taux important
de contaminations suivis de décès. Et surtout, les soignantes ont eu à subir une révoltante invisibilité
puisque ce sont les hommes qui ont été honorés, même symboliquement, par le gouvernement.
Les syndicats officiels ne les ont pas soutenues dans leurs revendications de protection élémentaires.
Gilles a présenté « Les grèves du coronavirus et leurs enjeux ». Cet article de Dan La Botz porte sur
les grèves sauvages aux États-Unis. Il interroge l’action syndicale en cette période de « distanciation ».
Selon l’auteur, pas de grèves massives mais des grèves révélatrices car se déroulant dans plusieurs
États, différents secteurs et tailles d’entreprises. Des travailleuse·eurs quittent leurs postes de travail
pour défendre leur santé et leur sécurité sans responsables syndicaux à la manœuvre. Ces grèves
éclatent, à la base, en l’absence de syndicats ou de responsables syndicaux combatifs. Elles seraient
l’expression d’une volonté de reprise du pouvoir des travailleuses·eurs sur la production et sur leurs
syndicats. Cela a déjà eu lieu, lors d’autres crises, notamment dans les années 1930 (dans le privé) et
1960-1970 (enseignant·es et fonctionnaires). Elles ont été à l’origine de la création de syndicats ou
ont secoué des syndicats peu combatifs. Les salarié·es se rendant compte de leur pouvoir élargissent
leurs revendications. Elles devraient continuer, peut-être sous d’autres formes, mais risquent d’être

1. Covid-19: un virus très politique, Paris, Syllepse, 2020, éd. 1, 2 et 3, www.syllepse.net.

187 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


freinées, comme précédemment, par le chômage de masse. Pas forcément annonciatrices de la grève
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

générale qui renverserait le capitalisme, si elles continuent à grande échelle, elles pourraient changer
la direction de syndicats pour en faire des organisations combattantes de la classe ouvrière. Le texte
participe à étayer la réflexion sur la nécessité d’articuler actions à la base et regroupements pour
peser au-delà de l’entreprise, pour bousculer le syndicalisme institutionnalisé peu en phase avec la
lutte de classe et pour renforcer l’internationalisme syndical car le capitalisme est mondial.
Yasmin a présenté « Sur la nécessité d’alternatives créatives et à long terme » de Vilkap Sangam,
une plateforme indienne de plus de 50 mouvements regroupant des individus qui travaillent « sur
des projets justes, équitables et durables pour le bien-être humain et écologique ». Des mesures à
long terme y sont proposées, notamment un moratoire sur les détournements des écosystèmes natu-
rels à des fins d’exploitations minières et commerciales, sur le soutien prioritaire au système de santé
communautaire et au secteur de la santé publique, la promotion d’une conception écologique des
moyens de subsistance et de l’agriculture, le renforcement de l’autonomie locale, populaire, écono-
mique et démocratique. Il suggère aussi de repenser les agglomérations urbaines et semi-urbaines.
Le texte interpelle car on découvre que dans ce pays qui souffre énormément, des solidarités, des
formes d’unité sociale se construisent malgré tout, notamment dans le secteur de la santé (où la
pratique des soins naturels avec des plantes est une solide tradition), pour les besoins de base, pour
renforcer une économie locale.
Bernard a présenté « Comment l’élite mondiale va tenter d’exploiter la pandémie2 », traitant de la
« stratégie du choc » par Naomi Klein en 2007. La crise est l’occasion de faire passer des politiques
impopulaires dévoilant ce capitalisme catastrophe déjà expérimenté aux États-Unis lors de la crise
de 1929, pour faire payer aux travailleurs la propre incurie du système, des solutions calculées et
de libre marché qui exploitent et exacerbent les inégalités existantes. But suivi par George W. Bush
avec les guerres en Afghanistan et en Irak. Le choc est traité de manière à maximiser la confusion et
à minimiser la protection. Donald Trump met en place un plan de relance de 700 milliards de dollars
qui comprend des réductions de charges sociales (plan qui dévastera la sécurité sociale). Aujourd’hui
le Covid-19, c’est l’arbre qui cacherait la forêt de la crise financière et économique qui couvait. La
solution du New Deal ne suffira pas à calmer le jeu.
Christophe a présenté « Le jour d’après a déjà débuté » de Patrick Silberstein. Cet article revient
sur le but de l’initiative des éditions Syllepse : « Montrer les mille et une façons dont le mouvement
social, dans sa diversité, en France et dans le monde, réagit pour faire face à la fois au virus, aux
carences majeures de l’État et des fondés de pouvoir du capitalisme, au patronat, en construisant des
solidarités et des réponses faisant la démonstration pratique de la nocivité des politiques néolibérales
et de la possibilité d’une autre gestion de la société. » Après avoir décrit de nombreux exemples
concrets de résistances et alternatives possibles, il affirme : « Il est plus que temps que nous disions
à la société que ses affaires ne peuvent être bien traitées que par elle-même. Pour cela, il nous faut
articuler engagement direct dans la bataille sanitaire, alternative, contrôle et autogestion. La crise
sanitaire (sans parler des autres) nous fournit, si je puis dire, l’occasion de faire une critique pratique
du pouvoir capitaliste. »
Marie-Pierre a sélectionné dans l’Éphéméride internationale du 6 au 13 avril, des exemples
concrets de résistances dans les entreprises en France et en Guadeloupe : une interpellation par
l’intersyndicale de la préfète de l’Orne pour lui demander d’assurer la protection des personnels
exposés et de mettre en œuvre la reconnaissance des contaminations comme accident du travail ;

2. zintv.org/naomi-klein.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 188


des brigades de banlieue qui vont au-devant des agents de propreté ; une dénonciation des risques

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


encourus ; des décisions de retrait du personnel (à Liffré, chez Amazon, par les éboueurs à Poitiers)…
Découverte étonnante du nombre et de l’inventivité d’initatives quasiment ignorées, notamment
par les médias. Alors que des mobilisations, voire des grèves, ont permis des avancées comme c’est
le cas pour les caissières à Auchan. À Mayotte, seule la répression a été prévue par les autorités :
l’armement des policiers !
Carole, en écoutant ses camarades, constate que partout dans le monde les États pensent à sauver
l’appareil productif et donc l’économie avant de protéger la vie de la population. Ils profitent de la
sidération des peuples pour faire voter des lois liberticides.
Fati remarque que le peuple s’est autogéré, soit par le biais de syndicats ou d’associations, soit de
façon individuelle pour se protéger de ce virus, alors que les différents États profitent de ce moment
de flou pour maximiser la protection du système capitaliste.
Le débat qui a suivi a souligné la pertinence de tous ces témoignages, inconnus du plus grand
nombre, y compris dans nos assemblées de lutte. La notion de reprise en main de nos propres vies,
de notre travail nous a semblé essentielle ainsi que la dimension internationale, souvent oubliée,
alors qu’elle enrichit nos luttes et nos réflexions et s’avère indispensable face au capitalisme mon-
dialisé. L’organisation à la base est le vecteur commun de ces résistances et d’une transformation
sociale à construire en alternative à ce système économique et politique mortifère et destructeur.
L’autogestion étant revenue régulièrement dans nos échanges, nous avons donc décidé de pro-
grammer un nouvel atelier d’arpentage dans deux semaines en nous attaquant à L’Encyclopédie inter-
nationale de l’autogestion3, qui s’avère être une mine pour notre réflexion et notre élaboration.

Blog AG des Mureaux : http://aglesmureaux.over-blog.com


Contact : [email protected]
Assemblée de lutte du Mantois : [email protected]
Page facebook : L’Assemblée de lutte du Mantois

3. L’Encyclopédie internationale de l’autogestion, 7 volumes parus, Paris, Syllepse, 2018-2019, www.syllepse.net/autogestion.

189 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


ÉDITION DU 20 AVRIL
CATALOGNE
« PRIORITÉ AUX FINANCES DE CERTAINS OU À LA VIE DE TOUS ? »

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


MARC SALLAS1

Entretien réalisé le vendredi 10 avril 2020.

Quelles mesures le gouvernement de Pedro Sánchez, selon vous, aurait-il dû prendre


face à la crise ?

Le gouvernement Sánchez est au service de l’oligarchie et pas de la majorité de la population. Et


contrairement aux gouvernements du Portugal ou de l’Italie, il n’a pris aucune mesure courageuse
de suspension des loyers ou de gel des factures des services de base […] Pourquoi ne pas avoir taxé
les patrimoines supérieurs à un demi-million d’euros ? Pourquoi ne pas demander le remboursement
des 60 milliards de cadeaux faits à la banque ? Pourquoi maintenir des dépenses militaires dispro-
portionnées ? Pourquoi ne pas imposer les sicav [des fonds d’investissement] ? Avec seulement 5 %
de taux d’imposition nous récolterions 1,5 milliard d’euros. Comme toujours, en Espagne, l’accent
a été mis sur l’effort que devront faire les travailleurs. Comment devront-ils rendre au patron les
heures de fermeture des entreprises alors que nous étions tous confinés à la maison pour sauver nos
vies ? Au lieu d’essayer de préserver la santé des gens. Sánchez est plus préoccupé par les finances
de certains que par la santé de tous.

Que deviendra l’« autorisation d’absence attribuable » qui a permis aux travailleurs de


ne pas se rendre à leur poste, tout en étant payés, durant le confinement ?

Le décret du 29 mars donne tout pouvoir de négociation à l’entreprise pour que le travailleur
récupère ses heures. S’il n’y a pas un accord entre le salarié et l’entreprise, ce décret donne le dernier
mot à l’employeur. Hier, j’ai lu le communiqué des CCOO regrettant que le patronat catalan ne
soit pas décidé à négocier un accord ! Un peu tard, non ? Où étaient-ils lorsque le décret du 29 mars
a été adopté concédant le dernier mot aux patrons ? Évidemment, les patrons ne veulent pas d’ac-
cords : ils n’en ont pas besoin. En l’absence d’accord, ce sont eux qui commandent.

Comment évaluez-vous la situation des travailleurs dits « autonomes2 », nombreux dans


votre pays ?

En Catalogne, il y a trois millions de salariés et un demi-million de gens à leur compte, souvent


des faux autonomes (autònoms). Des gens qui de fait ne travaillent que pour un seul client, comme
les coursiers. En Allemagne, par exemple, il y a eu des aides, dans le cadre de la crise, versées direc-
tement à ces travailleurs par l’État. […] Inimaginable chez nous !
La grande différence, et ces jours-ci on l’a vu, c’est entre un État qui fonctionne et un État qui ne
fonctionne pas. L’État espagnol est un désastre. Et la Generalitat de Catalogne, pire, elle n’est rien.

1. Marc Sallas est un des porte-parole de l’intersyndicale CSC (Confédération syndicale catalane), syndicat indépendantiste fondé en
1990.
2. Travailleurs contraints de facturer à leur compte.

191 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


Une des grandes leçons de cette crise : la Generalitat ne sert à presque rien car l’État a recentralisé
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

et avalé ses anciennes compétences dans le domaine de la santé. Tout comme dans le domaine éco-
nomique, du travail, de la sécurité sociale…

Mais la Generalitat garde bien des compétences…

Le statut [d’autonomie] lui donne des compétences dans l’emploi mais elles ont été recentralisées
[à Madrid]. Le statut lui donne des compétences dans le domaine de l’inspection du travail mais le
gouvernement [de Catalogne] ne peut même pas organiser un concours pour recruter des inspec-
teurs du travail. Alors qu’il nous faudrait aujourd’hui une bonne inspection du travail. Nous avons
essayé de faire bouger les choses chez nous, sans succès. Tout est saturé, bloqué. C’est dramatique.

Mais c’est la Generalitat qui décide, en fin de compte, si une entreprise peut lancer un
ERTO3, non ?

[…] La plupart des ERTOS sont validés si l’administration ne se manifeste pas. Tout ça est donc
bien une mauvaise farce. Nous n’avions pas d’instruments, en tant qu’État [catalan] pour affronter
cette crise. Et ça va nous coûter cher. Après la crise sanitaire, ce sera la crise économique. Avec des
situations dramatiques.
Un exemple. L’article 41 du Statut des travailleurs [l’équivalent du Code du travail adopté et
modifié par décrets] : si les conditions économiques sont substantiellement modifiées à un instant T,
le patron peut modifier unilatéralement un contrat de travail. Tu veux continuer de bosser ? Eh bien,
tu toucheras 300 euros de moins…

Vous me faites peur…

Évidemment, ce sera un sujet chaud. La grosse crise qui nous guette viendra aussi de ce genre de
dispositions légales. […] Imaginez-vous une récession du PIB de 6 % en Espagne, où on n’ose même
plus faire de calculs ! La question, c’est qui va payer tout ça ? L’État en a-t-il les moyens ? Qui sera
le gentil bienfaiteur qui prêtera de l’argent à l’Espagne, endettée comme elle est ? J’insiste : pourquoi
l’Espagne casse son alliance avec l’Italie au lieu de faire un front du Sud ? Même Der Speigel, qui en
2008 n’a fait preuve d’aucune compassion vis-à-vis de la Grèce, écrit que le Nord devrait être plus
généreux cette fois. Et l’Espagne est incapable de s’allier avec l’Italie ?

Quel jugement portez-vous sur le rôle des organisations syndicales durant cette
pandémie ?

Un détail : la ministre du travail espagnole vient des CCOO4 et le ministre (conseller) catalan du
travail, de l’UGT5. As-tu entendu une quelconque critique forte de la part des grands syndicats à
ce qui se fait actuellement ? Non, ils ont applaudi toutes les mesures. Et ce sont eux qui ont 90 %
des mandats syndicaux en Catalogne ! […] Pourquoi l’appareil syndical majoritaire après la tran-
sition finit-il toujours par déprécier les ouvriers ? Pourquoi parlent-ils aujourd’hui des pactes de
la Moncloa ? Ceux-ci, entre autres, avaient réduit le pouvoir des tra­vailleurs. Le PCE et le PSOE

3. Mise au chômage partiel ou technique.


4.Yolanda Díaz, issue d’une famille de syndicalistes, était une des dirigeantes d’Esquerda Unida en Galice, responsable de la commission
sociale.
5. Le sociologue Chakir El Homrani Lesfar, militant d’ERC, était syndiqué à l’UGT.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 192


avaient alors fait accepter à CCOO et à l’UGT une diminution du rôle des ouvriers. C’est ça, les

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


pactes de la Moncloa aussi.

Que pensez-vous du retour au travail mardi prochain, le 14 avril ?

En termes de santé publique, c’est une aberration. Priorité aux finances de certains ou à la vie de
tous ? Ensuite, comment vont faire ceux qui ont des enfants si les écoles sont fermées ? Et je suis sûr
qu’elles le seront. Tout semble très mal conçu.

Quelles anomalies avez-vous relevées, dans cette crise, dans le monde du travail ?

Nous avons découvert des mesures de chômage technique dans les entreprises qui travaillent sur…
les risques professionnels. Les boîtes qui devraient contrôler si les distances de sécurité sont res-
pectées mettent leur personnel au chômage technique ! Ce sont elles qui devraient être mobilisées
et elles renvoient leurs employés chez eux. Voilà le genre de désastre que provoque le gouverne-
ment espagnol avec ses directives et son organisation. Certaines entreprises présentent un ERTO
le 30 mars daté du 14 mars, et celui-ci est validé par la non-réponse de l’administration. Résultat :
ils ont fait bosser leurs salariés deux semaines et nous, nous allons payer quinze jours de salaire.
Tout cela montre la mauvaise planification de l’entrée et de la sortie de crise. Y a-t-il un État fort
pour planifier l’entrée et la sortie de crise ou pas ? Non, en Espagne, non. Et aujourd’hui, cela a été
démontré.
Propos recueillis par Andreu Barnils
Vilaweb, 11 avril 2020

193 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


ITALIE
NOUS SOMMES DES LIBRAIRES, PAS DES SYMBOLES
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

COLLECTIF1

Nous publions une lettre ouverte qui est le fruit d’un travail collectif de discussion
et de confrontation au sein du groupe LED (Libraires, éditeurs et distribution en
ligne) en espérant contribuer à un débat constructif sur la réouverture des librairies
prévue en Italie pour le 14 avril.

Le nouveau décret annoncé par le chef du gouvernement italien, Giuseppe Conte, prévoit, dès le
14 avril, la réouverture des librairies, celles-ci étant largement reconnues comme des lieux essentiels
pour l’activité sociale et culturelle de notre pays.
En tant que libraires, cette attention soudaine à l’égard de notre travail nous rend heureux. On
aurait cependant aimé en bénéficier aussi avant la mise en place des mesures gouvernementales de
confinement face à la pandémie et nous aimerions, surtout, continuer à en bénéficier une fois le
confinement terminé. Si les librairies sont des lieux essentiels pour l’activité culturelle de notre pays,
alors cette fonction devrait nous être reconnue de façon structurelle et permanente, à travers une
série de mesures économiques de soutien de notre activité au quotidien.
Tandis que les mesures qui contraignent les gens à rester chez eux et qui mettent en suspens la
mobilité sont toujours en vigueur, on nous demande à nous autres, libraires, et, donc à nos lecteurs
de sortir pour se rendre dans les librairies.
Nous avons tous fait en sorte, tout d’abord en tant que citoyens, de respecter les règles visant à
protéger les autres et nous-mêmes ; nous nous sommes arrêtés et avons réfléchi, en cherchant des
modalités alternatives pour rester en contact, pour ne pas arrêter le travail culturel et, lorsque c’était
possible, assurer la continuité de l’activité.
Nous nous sommes réinventés sur les réseaux numériques, nous avons raconté des livres à dis-
tance, nous avons étudié les bonnes formules pour permettre aux livres d’arriver chez les gens sans
que personne ne soit mis en péril ; nous avons mis en place des modalités telles que les livraisons à
domicile en l’absence d’une règlementation claire et unique, afin de ne pas perdre le contact avec
nos lecteurs.
Si la décision de la réouverture s’est appuyée sur des lettres et des appels se fondant sur la valeur
et le réconfort apporté par les livres, la première question qu’il faut se poser est : à quelles condi-
tions ? Et pourquoi, parmi les signataires de ces appels, les libraires sont-ils les grands absents ?
Nous sommes nombreux à avoir une série de doutes et à être perplexes face à la proposition de
rouvrir les librairies :
n le gouvernement a-t-il donné des indications précises pour la sécurité de notre travail, comme

l’adoption d’un dispositif spécifique ? Si oui, lesquelles ? Le travail du libraire prévoit, en effet, un
temps long de communication en face à face, pratique qui, lorsqu’elle n’est pas réglementée avec
précision, implique dans la période présente des risques évidents sanitaires. Il est de bon usage pour
ceux qui fréquentent les librairies de prendre, toucher, manipuler une grande quantité des livres
disposés sur nos étagères. Le gouvernement a-t-il élaboré une procédure pour la désinfection des

1. On trouvera en fin d’article la liste des participant·es.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 194


livres et des locaux ? Sans compter l’inévitable reprise du travail pour tous les travailleurs impliqués

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


dans le fonctionnement de la filière (livreurs, employés logistiques, commerciaux, etc.) dont la santé
doit être protégée comme celle de tout le monde.
n Le gouvernement a-t-il pris la mesure de ce que signifie, du point de vue de la sécurité sanitaire

minimale, de faire se déplacer tous les libraires d’Italie jusqu’à leur lieu de travail, ainsi que tous nos
lecteurs, à une période où l’on demande aux citoyens italiens de rester chez eux autant que pos-
sible ? Le déplacement vers les librairies implique que les lecteurs sortent de chez eux, prennent leur
voiture ou des moyens de transport public, passent du temps entre les rayons, en touchant des livres
et en cherchant le dialogue avec les libraires. Le choix d’un livre se fait par le biais d’un contact
direct et d’un échange d’idées, sans parler du fait que le livre passe de main en main. Comment
fait-on pour gérer tout cela ?
En dépit de la réouverture des librairies, les mesures de restriction limitant la liberté de mouve-
ments et de circulation des personnes restent en vigueur. Aller acheter un livre sera-t-il considéré
comme une justification valable pour sortir, tout autant qu’aller au supermarché ?
n A-t-on considéré ce que signifie, dans le cadre de la possibilité de se mettre d’accord sur une

réduction convenable de l’encadrement des loyers (art. 1623 c. c), l’intervention d’une disposition
nous donnant la faculté de rouvrir nos activités face à une prévisible et conséquente réduction des
ventes ? L’aide aux librairies, reconnues en tant que lieux de production de culture, ne devrait-elle
pas plutôt prévoir une norme permettant aux propriétaires de nos locaux de bénéficier d’un crédit
d’impôt équivalent à la réduction du prix du loyer qu’ils nous accorderaient ?
n Pourquoi ne pas créer un fonds national ou un partenariat avec les services postaux, s’inspirant

des initiatives actuellement soutenues sur la libre contribution des éditeurs, mais financé par l’État,
afin d’aider les librairies à faire face à la gestion économique des formes de vente alternatives qui
sont à présent mises en place (livraisons Intercités, livraisons à domicile, etc.) ?
Des mesures de protection sociale sont actuellement en vigueur (possibilité de bénéficier du
chômage partiel, accès à des aides publiques, allégements fiscaux) pour contribuer à la soutenabilité
économique des magasins et boutiques. Quelles certitudes avons-nous que de telles mesures seront
maintenues après la réouverture « symbolique » ?
La réouverture des librairies ne peut être considérée comme un geste purement symbolique. Elle
doit se configurer comme une action structurée, gérée dans toute sa complexité, comme cela devrait
d’ailleurs être le cas pour toutes les activités nécessaires à la vie sociale.
Les librairies sont des lieux d’activité culturelle qui vivent en construisant des relations. Ce sont
des lieux ayant un poids dans la création de communautés culturelles et sociales, des espaces qui
créent des débats, qui travaillent à la promotion et à la diffusion de la lecture et de la culture au sens
le plus large, qui organisent des événements et des occasions d’échange. Lorsqu’on sépare une librai-
rie de ces interconnexions, lorsqu’on ne regarde pas l’ensemble des activités qu’elle met en place et
qu’on la réduit à un simple lieu de vente de marchandises, non seulement l’on trahit le rôle qu’elle
joue dans le territoire, mais l’on fait semblant de ne pas voir la différence entre la consommation et
la participation, entre le client et le citoyen.
Nous sommes nombreux à n’avoir pas cessé de travailler, sans pour autant avoir l’assurance d’un
soutien économique. D’autres n’ont pas pu continuer à accomplir leur travail quotidien. Pourtant,
jamais nous n’avons cessé de faire du travail culturel ; nous avons continué à dialoguer avec notre
communauté de lecteurs, en utilisant tous les moyens à notre disposition. Nous n’avons maintenant
aucune intention de nous exposer uniquement dans l’objectif de feindre une « reprise culturelle des
esprits », qui ne pourra avoir lieu que lorsque tous nos corps seront mis en sécurité.
En l’absence de garanties sur les demandes ici exposées, beaucoup d’entre nous se réservent le

195 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


droit de ne pas rouvrir leurs activités, pas même après l’entrée en vigueur de ce décret, jusqu’à ce
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

qu’il soit possible d’exercer notre travail dans les conditions et avec les protections adéquates.
11 avril 2020
1. Annamaria Cenni, libraia, Genova, 2. Bookish libreria, Roma, 3. Libramente Caffè Letterario, Salerno, 4.
Kublai  –  Libreria Dolceria, Lucera, 5. Libreria Periferica, Albinia, 6. Colibrì, Milano, 7. Libreria Il pensiero meri-
diano, Tropea, 8. La libreria del Golem, Torino, 9. Libreria Le Notti Bianche, Vigevano, 10. Libreria Fatti di carta,
Noci, 11. Liberamente, Ravenna, 12. Libreria W. Meister & co, San Daniele del Friuli, 13. Stefano Sancio, Cento
Fiori Finale Ligure. Del Conte, Loano, 14. Prinz Zaum, Bari, 15. La Piccola Libreria, Levico Terme, 16. LibrOsteria,
Padova., 17. Libreria Controvento, Telese Terme, 18. I libri di Eppi, Torino, 19. Libreria Virginia e Co., Monza, 20.
Libreria On the road, Montesilvano, 21. Libreria Dovilio, Caltagirone, 22. Libreria Namastè Book and Coffee,
Tortona, 23. Libreria Nina, Pietrasanta, 24. Empatia Libri, Teramo, 25. Libreria Campus, Bari, 26. Libreria Tra Le
Righe, Pisa, 27. la Libreria Volante, Lecco, 28. Francesca Dell’Orso, libraia, Pescara, 29. Il Mio Libro, Milano, 30.
La confraternita dell’uva // Libreria  –  Cafè  – Wine Bar, Bologna, 31. Skribi Parole Suoni Gusto  –  Conversano,
32. Book Morning  –  Libreria e Servizi Editoriali, Genova, 33. Libreria Kindustria, Matelica, 34. Libreria Diari di
bordo, Parma, 35. Libreria Fogola, Ancona, 36. Rachele Palmieri, libraia, Roseto degli Abruzzi, 37. Libreria Dante,
Ravenna, 38. Libreria Trebisonda, Torino, 39. Prospero / Enoteca letteraria, Palermo, 40. Barbara Catalano, libraia,
Milano, 41. La libreria Millelibri  –  Poesia e altri mondi, Bari, 42. Arturo Balostro, libraio, Bologna, 43. Libreria
Ghibellina, Pisa, 44. Gennaro Pecora, libraio, Pomigliano d’Arco, 45. Carla Bosi, libraia, Bologna, 46. Libreria La
Gang del Pensiero, Torino, 47. Libreria 101, Bari, 48. Libreria Pagina dodici, Verona, 49. Libreria nuova macelleria
Patella, Altamura, 50. Libreria Trame, Bologna, 51. Todo Modo, Firenze, 52. Libreria Roma Ubik Pontedera, 53.
Libreria Therese, Torino, 54. libreria tralerighe Conegliano, 55. Lo Spazio Diviadellospizio, Pistoia, 56. Libreria
à la Page, Aosta, 57. Le mille e una pagina, Mortara, 58. Nora Book & Coffee, Torino, 59. Libreria Liberi Tutti,
La Spezia, 60. Luna’s Torta, Torino, 61. Libreria Bacco, Puegnago del Garda, 62. Libreria Fahrenheit, Pistoia, 63.
Libreria Libri al Sette, Carugo, 64. Cartolibreria Dueccì, Mira, 65. Tempo Ritrovato Libri, Milano, 66. Allegra
Mercuri, libraia, Sesto San Giovanni, 67. Monica Calanca, libraia, Bergamo, 68. Stefano del Lungo, libraio, Firenze,
69. Cristiana Zoli, libraia, Ravenna, 70. Barbara Catalano, libraia, Milano, 71. Stefania Mazzone, libraia, Pescara,
72. David Poeta, libraio, Firenze, 73. Katia bianco, libraia, Milano, 74. Federica Iorio, libraia, Milano, 75. Luca
Di Natale, libraio, Roma, 76. Valentina Ghilardi, libraia, Milano, 77. Daniela Battistini, libraia, Reggio Emilia, 78.
Franca Gerli, libraia, Milano, 79. Vincenzo Di Matteo, libraio, Napoli, 80. Dora Cocco, libraia, Roma, 81. Emilia
di Domenico, libraia, Napoli, 82. Gaia Possenti, libraia, Roma, 83. Davide Predosin, libraio, Roma, 84. Ilaria Di
Cesare, libraio, Milano, 85. Cinzia Zanfini, libraia, Firenze, 86. Astrid Hovstadius, libraia, Firenze, 87. Jessica Giusti,
libraia, Pisa, 88. Roberta Rapallino, libraia, Genova, 89. Iva Pruneti, libraia, Firenze, 90. Isabella Grosso, libraia,
Biella, 91. Letizia Casana, libraia, Milano, 92. Stefania Mangani, libraia, Genova, 93. Veronica Barbuto, libraia, Pisa,
94. Giulia De Maio, libraia, Napoli, 95. Serena Visci, libraia, Pescara, 96. Alessandra Dugini, libraia, Firenze, 97.
Daniela Carrera, libraia, Biella, 98. Umberto Apicerni, libraio, Milano, 99. Daniela Nannavecchia, libraia, Milano,
100. Angela Pecorella, libraia, Palermo, 101. Morleo Mino, libraia, Milano, 102. Cristina Minozzi, libraia, Milano,
103. Debora Ragnacci, libraia, Perugia, 104. Enrica Antonini, libraia, Milano, 105. Antonella Del Giacco, libraia,
Milano, 106. Toni Viceconti, libraia, Milano, 107. Elena Vignali, libraia, Milano, 108. Benedetta Bruni, libraia Pistoia,
109. Aurelia Calì, libraia, Catania, 110. Chiara Vaghi, libraia, Assago, 111. Monica Iudica, libraia, Milano, 112.
Rosaria Laurino, libraia, Napoli, 113. Fabiola Brizi, libraia, Roma, 114. Monica Federico, libraia, Milano, 115. Irene
Lambiase, libraia, Milano, 116. Melissa Messere, libraia, Trieste, 117. Massimo De Marino, libraio, Napoli, 118. Paolo
Siena, libraio, Palermo, 119. Nicoletta Marchese, libraio, Genova, 120. Marilena La Penna, libraia, Napoli, 121.
Daniele Marini, libraio, Roma, 122. Michela Nardi, libraia, Roma, 123. Valeria Sarro, libraia, Palermo, 124. Paola
Taraschi, libraia, Pistoia, 125. Caterina Castiglione, libraia, Palermo, 126. Albamonte Sabrina, libraia, Palermo, 127.
Lena Ferrigno, libraia, Palermo, 128. Cristina Gallina, libraia, Milano, 129. Roberta Capobianco, libraia, Napoli,
130. Gabriele Falangi, libraio, Milano, 131. Libreria Vicolo Stretto, Catania, 132. Legatoria Prampolini, Catania,
133. Quivirgola, Schio, 134. Chiara Collini, libraia, Milano, 135. Mannaggia  –  libri da un altro mondo, Perugia,
136. Libreria IoCiSto, Napoli, 137. Fabio Zambetta, libraio, Milano, 138. Libreria del Mondo Offeso, Milano, 139.
Paola Pedalino, libraia, Palermo, 140. Salvo Cellura, libraio, Palermo, 141. Libreria dell’Arco, Matera, 142. Vittorio
Tomaselli, libraio, Pescara, 143. Libreria Laformadellibro, Padova, 144. Pagina27, Cesenatico, 145. Il Libraio di
Notte, Popoli, 146. Libreria Zabarella, Padova, 147. Marco Mario Davide Todaro, libraio, Milano, 148. Francesco
Preiato, libraio, Milano, 149. Marina Occhipinti, libraia, Fiumicino, 150. La Bottega dell’Invisibile, Forlimpopoli,
151. Eugenio Candi, libraio, Modena, 152. Marcello Marzano, libraio, Lecce, 153. Bianca Corso, libraia, Palermo,
154. Libreria Gogol & Company  –  Milano

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 196


CHINE
LES PROTESTATIONS DES CHAUFFEURS DE TAXI SE POURSUIVENT MALGRÉ

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


LES MESURES D’AIDE DU GOUVERNEMENT
CHINA LABOUR BULLETIN

Alors que la Chine reprend progressivement une activité économique normale, les 2,6 millions
de chauffeurs de taxi du pays sont encore sous le choc de l’impact économique dévastateur de la
pandémie de coronavirus. Des conducteurs de plus en plus désespérés organisent des manifestations
à grande échelle exigeant une réduction des frais qu’ils doivent payer aux compagnies de taxi ou le
droit de se retirer complètement de l’entreprise sans pénalité.
De nombreux chauffeurs éprouvaient déjà des difficultés financières avant la pandémie et il y avait
une augmentation notable des protestations vers la fin de l’année dernière, principalement en raison
de la réglementation du gouvernement local, de la gestion des compagnies de taxis et, en particulier,
de la concurrence des conducteurs de voitures à la course et des conducteurs sans licence.
Au plus fort de la pandémie, de nombreux chauffeurs de taxi ne pouvaient pas travailler du tout,
et même après la levée des mesures de contrôle dans diverses régions du pays, les chauffeurs avaient
encore du mal à gagner leur vie en raison du manque de clients. Dans la ville de Nanning, dans le
sud-ouest du pays, par exemple, les chauffeurs ne gagnaient en moyenne que 120 yuans par jour en
mars, selon le Nanning Daily, environ 80 % de moins que leur revenu moyen au cours de la même
période l’année dernière.
Dans le même temps, de nombreuses compagnies de taxis exigeaient encore plusieurs milliers
de yuans par mois de location de véhicules de leurs chauffeurs, ce qui signifie que les chauffeurs
perdaient en fait de l’argent chaque mois.
Depuis le début de cette année, notre carte des grèves a enregistré 25 protestations de chauf-
feurs de taxi (contre 54 pour l’ensemble de l’année dernière), dont la majorité comprenait des
demandes de réductions de loyer ou d’annulations. Plus récemment, le 13 avril, plusieurs centaines
de chauffeurs d’un certain nombre de sociétés de taxis de Shenzhen ont organisé une manifestation
de masse, demandant une aide contre les locations et les frais excessifs ou le droit de restituer leur
véhicule sans pénalité. Cela a été suivi par une manifestation de conducteurs dans la petite ville de
Ganzhou, dans le Jiangxi, le 14 avril, demandant également une réduction des frais.
Plusieurs gouvernements locaux, y compris le gouvernement municipal de Pékin, ont maintenant
introduit des mesures pour alléger le fardeau des chauffeurs de taxi grâce à des loyers réduits ou à
des subventions supplémentaires, mais beaucoup ne l’ont fait qu’après une grève des conducteurs.
À Liuzhou, dans le Guangxi, par exemple, des milliers de chauffeurs de taxi ont organisé une
manifestation de masse le 10 mars, exigeant que les compagnies de taxis réduisent ou renoncent à
tous les frais de contrat, qui à l’époque se situaient entre 130 et 200 yuans par jour selon le type de
véhicule. Les autorités locales des transports ont tenu une réunion d’urgence avec les compagnies de
taxi ce jour-là et ont promis une réponse aux chauffeurs dans les cinq jours. Finalement, les autorités
ont convenu d’une réduction continue de 50 % des redevances et de subventions supplémentaires
pour le carburant.
Dans d’autres villes comme Dalian, cependant, certaines compagnies de taxis refusent de faire des
concessions même après les protestations des chauffeurs et insistent pour que les chauffeurs paient
leurs frais de location comme d’habitude.

197 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


D’autres griefs de longue date portant sur les droits de propriété des conducteurs et les efforts
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

pour convertir tous les taxis en véhicules électriques ont également été mis en évidence par la
crise du coronavirus. De nombreux conducteurs se plaignent que même s’ils sont propriétaires de
leur voiture, les compagnies de taxis conservent toujours certains droits d’exploitation et peuvent
facturer les conducteurs en conséquence, ce qui alourdit déjà considérablement la facture pour les
conducteurs. De plus, selon les conducteurs, les forcer à passer aux véhicules électriques à l’heure
actuelle est à la fois peu pratique et déraisonnable.
Des tensions persistantes se manifestent également par des confrontations fréquentes entre les
chauffeurs de taxis réguliers et les chauffeurs VTC au sujet du partage de la clientèle. Il est clair
que les gouvernements locaux devraient faire beaucoup plus pour garantir la protection des droits
et des intérêts des conducteurs1.
15 avril 2020

1. Pour une analyse plus détaillée des récentes manifestations contre les compagnies de taxis, voir clb.org.hk/.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 198


FRANCE
COVID-19 : DROIT D’ALERTE NATIONAL

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


FÉDÉRATION SUD-SANTÉ SOCIAUX

La fédération SUD-Santé Sociaux dénonce depuis le début de la crise Covid-19 le manque de


moyens sur le territoire et les mensonges du gouvernement. Porte-parole de toutes celles et ceux
des secteurs de la santé, du social et médico-social qui sont en danger et risquent leur vie au travail
tous les jours, elle a déposé un droit d’alerte national. La fédération informe aussi que, « partout
où l’obligation de protection ne serait pas mise en œuvre, et là où les équipes subiraient un risque
grave et imminent de contamination pouvant aller jusqu’à perdre la vie », elle les aidera « à exercer
leur droit de retrait légitime ». Nous reprenons ici l’essentiel du texte ; il illustre, parfaitement et
dramatiquement, la situation dans ces secteurs. Il montre aussi comment le personnel, « en première
ligne »  –  comme se gargarisent les « responsables » qui sont, eux, bien à l’arrière  –  assume toutes ses
responsabilités, y compris celles de s’organiser collectivement, résister, défendre ses droits, préparer
l’avenir. […]

CONCERNANT LE MATÉRIEL DE PROTECTION INDIVIDUELLE


Pendant de nombreuses semaines, il a manqué dans la majorité des établissements sanitaires, médi-
co-sociaux et sociaux, des masques chirurgicaux, FFP2, surblouses à usage unique, des gels hydroal-
cooliques, gants, lunettes, etc. Pire, sur la base de la doctrine fluctuante en la matière, les directions
ont sciemment désinformé les professionnels sur l’utilité des différents masques, sur les circonstances
dans lesquelles ils devaient être portés. La focalisation a été mise sur le port uniquement en présence
de personnes dont la contamination était avérée, ignorant sciemment la particularité du virus véhi-
culé par une écrasante majorité de porteurs sains ou très peu symptomatiques.
Le gouvernement, le ministère, les agences régionales de santé (ARS), les directions d’établisse-
ments, et y compris les cellules d’hygiène hospitalières ont fait le choix du parti pris de mentir sur
les moyens et pratiques de protection proposées aux professionnel·les face aux risques de contami-
nation du Covid-19. Ce parti pris consiste à prioriser la gestion des stocks de matériel, insuffisante
en quantité disponible autant qu’en capacité réelle de protection des professionnel·les face à la
contamination.
n Les protocoles d’hygiène, les préconisations, les bonnes pratiques hospitalières, les consignes

données et les protocoles institutionnels fournis par ces instances dirigeantes, en déclinant ce parti
pris dans les consignes de sécurité, renforcent la mise en danger des professionnel·les qui les
appliquent.
n Le manque de matériel, mais aussi la qualité déficiente du matériel fourni, est un facteur aggra-

vant supplémentaire du danger grave et imminent qui est imposé à l’immense majorité des salariés
de ce secteur.
n L’absence totale de prise en compte de la période de 14 jours d’incubation asymptomatique,

néanmoins contagieuse, est un facteur aggravant supplémentaire de l’exposition des profession-


nel·les à la contamination au Covid-19 dans le cadre de leur travail. Ce déni volontaire est pourtant
patent de la part des autorités sanitaires et des directions. Il ne fait que potentialiser le danger grave
et imminent encouru par les professionnel·les.
n Les choix du gouvernement de ne pas réquisitionner en urgence et de manière massive tous les

199 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


moyens possibles de fabrication d’équipements de protection individuelle (EPI), laissant cette initia-
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

tive à la bonne volonté des particuliers de manière symbolique, coupent toute perspective d’obtenir
rapidement ces EPI indispensables à la protection des professionnel·les. C’est un facteur aggravant
supplémentaire au danger grave et imminent auquel sont exposés ces professionnel·les.
n Le manque de tests et l’absence de perspective d’en avoir en nombre suffisant pour un dépistage

massif des professionnels et de la population, eu égard à la dangerosité de la période d’incubation


asymptomatique mais contagieuse, est un nouveau facteur aggravant du danger grave et imminent.
Nous vous alertons également sur la note de mars n° 2020-28, qui relaie la possibilité de mettre
au lavage des surblouses pourtant prévues à usage unique, et de distribuer des masques artisanaux
(ni chirurgicaux ni FFP2) aux professionnel·les de santé et aux patients dépistés positifs. Cette note
est une préconisation irresponsable de plus et une grave mise en danger. Elle relève bien de votre
seule responsabilité. […]

CONCERNANT L’ENTRAVE AUX INSTANCES REPRÉSENTATIVES DU PERSONNEL, EN PARTICULIER DES CHS-CT ET DES CSE
Dans de nombreux établissements relevant de votre ministère, les instances représentatives du
personnel ont été purement et simplement suspendues, sans aucune base réglementaire. Et même
après la promulgation de la loi instaurant l’état d’urgence sanitaire, qui fixait le principe du maintien
de leur consultation dans les délais impartis et des ordonnances en organisant les modalités dans
les secteurs publics et privés, de trop nombreux employeurs refusent de reprendre le fil de leurs
obligations.
En ce qui concerne les CHS-CT et les CSE/CSSCT, de trop nombreux droits d’alerte et décla-
rations de danger grave et imminent ont été purement et simplement ignorés par les employeurs.
Ils n’ont alors donné lieu ni à un constat conjoint ni à la réunion de l’instance réglementairement
prévue.
Par ailleurs, en violation des dispositions du Code du travail, les instances représentatives du per-
sonnel ne sont pas informées des cas de professionnels dépistés positifs au Covid-19, empêchant
notamment les CHS-CT et CSE/CSSCT de jouer leur rôle dans la prévention et la protection des
professionnel·les.
Votre gouvernement et les précédents sont responsables de l’affaiblissement des services publics
et notamment hospitaliers, mais aussi de la fragilisation des associations qui interviennent sur les
secteurs précités. Vous êtes responsables de ne pas avoir anticipé notamment en matière de stocks
(masques, tests, respirateurs…) et matériel. Nous constatons que ce défaut d’anticipation a amplifié
l’impact de la pandémie et sans nul doute un surcroît de malades et de morts. Les professionnel·les
qui interviennent dans ces établissements payent durement leur dévouement. Certain·es le payent
de leur vie ou de celles de leurs proches.

CONCERNANT LES RISQUES PSYCHOLOGIQUES SUBIS PAR LES PROFESSIONNEL·LES


Nos équipes nous font remonter l’état d’anxiété extrême des collègues travaillant dans des établis-
sements de première ligne, comme dans des établissements médico-sociaux, face à l’obligation de
venir travailler sans protection adéquate, en prenant le risque de contaminer leurs patients/résidents,
leurs collègues et, à leur retour chez eux, leur propre famille.
Nous avons également des témoignages sur des retards concernant le déploiement des plans de
continuité de l’activité, qui ont entraîné le maintien en poste de professionnel·les en surnombre
pendant plusieurs jours alors que leur présence était non nécessaire et que la nécessité du confi-
nement les concernait également. Dans le secteur public, d’autres directions ont préféré chercher

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 200


à imposer la prise de congés plutôt que de mettre en place les autorisations spéciales d’absence,

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


pourtant préconisées par vos services.
Nous vous déposons cette alerte en vous demandant d’assumer vos responsabilités d’employeur
et de ministre. Nous n’accepterons pas qu’en l’absence de tenue de protection complète et en bon
état nos collègues soient contaminés, dont certains avec des séquelles importantes.
Nous vous rappelons que l’exigence de sécurité de résultat s’applique également à vous.
Nous ne pouvons pas accepter sans réagir que des salarié·es meurent, soient contaminé·es et
subissent pour certain·es des séquelles à vie.
NOUS EXIGEONS
n la mise en œuvre de l’ensemble des dispositions prévues par le Code du travail lorsqu’il est

question de l’exposition à un agent biologique pathogène de groupe 3 au sens de l’article R 4421-3


et 4 à savoir :
n que des tenues complètes de protection soient rapidement et réellement mises à disposition des

salarié·es des services et associations, publics comme privés, qui interviennent dans les établisse-
ments sanitaires, médico-sociaux ou sociaux ;
n que ces moyens de protection individuels, non réutilisables, soient traités comme des déchets

contaminés ;
n de tenir à la disposition des travailleur·euses intéressé·es et du comité d’hygiène, de sécurité et

des conditions de travail ou, à défaut, des élu·es du CSE les informations suivantes :
1. les activités au cours desquelles les travailleur·euses sont exposé·es à des agents biologiques
pathogènes, les procédures, les méthodes de travail et les mesures et moyens de protection et de
prévention correspondants ;
2. le nombre de travailleurs et travailleuses exposé·es ;
3. le nom et l’adresse du médecin du travail ;
4. le nom de la personne qui, le cas échéant, est chargée par l’employeur, et sous sa responsabilité,
d’assurer en cette matière la sécurité sur le lieu de travail ;
5. un plan d’urgence pour la protection des travailleurs et travailleuses contre l’exposition aux
agents biologiques des groupes 3 ou 4 en cas de défaillance du confinement physique ;
n d’établir en collaboration avec les services de santé au travail la liste des professionnel·les

­exposé·es  ;
n lorsqu’il s’avère qu’un travailleur ou une travailleuse est atteint·e du Covid-19, que celles et

ceux susceptibles d’avoir été exposé·es sur le même lieu de travail fassent l’objet d’un examen
médical, assorti éventuellement d’examens complémentaires ;
n que des chiffres soient publiés régulièrement pour connaître le nombre de professionnel·les de

santé, du social et du médico-sociale contaminé·es ;


n que chacun·e d’entre eux·elles soit reconnu·e en maladie imputable au service dans le secteur

public, en accident de travail pour le secteur privé, et de lever l’ensemble des freins réglementaires
trop souvent invoqués par des employeurs qui manifestement n’ont pas entendu votre promesse
formulée lors de votre point presse du 23 mars dernier ;
n que cette reconnaissance et des garanties identiques soient étendues à l’ensemble des travail-

leuses et travailleurs de tous les secteurs qui ont dû continuer à travailler à partir de l’instauration
du confinement.
Notre fédération pourrait fournir des milliers d’exemples d’ordres hiérarchiques, de protocoles

201 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


d’hygiène, d’organisations institutionnelles, de décisions prises fournies par les autorités de tutelle
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

ou par les directions, de bidouillages des préconisations et de bonnes conduites…


Nous pourrions apporter des milliers de témoignages validant l’exposition massive des sala-
rié·es des secteurs hospitaliers, des secteurs médicaux associatifs, privés ou libéraux, des secteurs
­médico-sociaux et sociaux.
Nous le ferons quand ce sera le moment.
Mais une chose est constante : cette période d’épidémie a vu apparaître des fonctionnements de
prise de décisions centralisés, mettant à l’écart les organismes représentatifs du personnel. L’État, le
ministère, les ARS et tutelles, les directions… À tous les niveaux de décision, c’est un fonctionne-
ment en toute-puissance qui a appliqué le parti pris gouvernemental d’exposer, dans l’exercice de
leurs fonctions, tou·tes les professionnel·les de ces secteurs à la contamination du Covid-19, par les
mécanismes que nous avons évoqués plus haut !
Les professionnel·les de ces secteurs sont obligé·es de mettre leur vie en danger et celles de leurs
proches à chaque journée de travail. Et rien de ce que propose le gouvernement ne va améliorer
cette situation, qui semble même être une stratégie, tant les décisions prises sont à l’inverse des
besoins des professionnel·les.Vous les obligez à choisir entre se protéger ou travailler dans les condi-
tions évoquées ci-dessus, essayer de préserver leur santé ou mener à bien leur mission auprès de
publics qui ont besoin d’elles et eux… Injonction paradoxale qui rajoute de la souffrance au travail
à l’exposition à un danger grave et imminent.
Cette situation légitime à elle seule toute action de la part des professionnel·les.
La fédération SUD-Santé Sociaux vous informe, partout où votre obligation de protection ne
serait pas mise en œuvre, et là où les équipes subiraient un risque grave et imminent de contami-
nation pouvant aller jusqu’à perdre la vie, que notre intention est de les aider à exercer leur droit
de retrait légitime.
15 avril 2020

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 202


MONDE
LE MONDE VA-T-IL CHANGER DE BASE ?

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


NARA CLADERA1

Dans son dernier article publié le 3 avril dans le Wall Street Journal 2, Henry Kissinger3 ne craint
pas les ravages de cette pandémie pour la population, le nombre exponentiel de mort·es, de privé·es
d’emploi et d’aides ; non, ce monsieur n’a jamais fait dans le social. Le stratège clé de la construction
de l’empire et complice de tant de génocides, cible le cœur du dilemme : le monde va-t-il changer
de base ?
Sans surprise, il commence par encenser le bon vieux temps du plan Marshall4 et du projet
Manhattan5 : les deux programmes qui ont permis aux États-Unis d’être propulsés comme puissance
mondiale impérialiste hégémonique de la seconde moitié du 20e siècle. Ce qui l’amène à dire que
l’empire s’est bâti dans la « croyance que ses institutions pouvaient prévoir les calamités, arrêter leur
impact et restaurer la stabilité. Lorsque la pandémie du Covid-19 arrivera à sa fin, on s’apercevra
que les institutions de nombreux pays ont échoué ». Puis, à poser la question suivante : « Après le
Covid-19, les principes de l’ordre mondial pourront-ils être préservés ? »

LE MONDE VA CHANGER DE BASE : NOUS NE SOMMES RIEN, SOYONS TOUT !


Que Kissinger lui-même craigne l’après Covid-19 est de très bon augure… Certes, augure ne
fait pas partie de notre champ lexical révolutionnaire ; sans doute, je l’avoue, la série Vikings prend
beaucoup de place dans ces temps de confinement !
Kissinger est celui qui a orchestré personnellement la mise en place des diktats du FMI par les
coups d’État en Uruguay, au Chili et en Argentine, celui qui a mis en place l’opération Condor6
et j’en passe. Qu’il ait peur pour son monde confirme que les conséquences de cette crise, qui ne
sont pas que sanitaires, pourraient sonner le glas des politiques néolibérales, du capitalisme dans son
ensemble et renforcer notre camp.
Car comme il le dit lui-même, le système repose bien sur une « croyance », celle que le système
capitaliste était infaillible et le seul axe possible à la société moderne. Le fameux « There is no
alternative » de Thatcher. Ce système, qui repose sur l’exploitation sans limite des humains et des
ressources de la planète, présente au bout de deux mois de crise sanitaire, seulement deux mois, les
tremblements d’un sevrage forcé de sa « sacro-sainte finance » et un répit réjouissant pour la nature.

1. Nara Cladera est enseignante, militante à SUD-Éducation (Union syndicale Solidaires) et participe à la coordination du Réseau syn-
dical international de solidarité et de luttes.
2. www.wsj.com/articles/the-coronavirus-pandemic-will-forever-alter-the-world-order-11585953005.
3. Henry Kissinger était conseiller à la sécurité nationale et secrétaire d’État lors des présidences de Johnson et Nixon (1969-1977).
4. Le plan Marshall était un programme américain de prêts accordés aux différents États de l’Europe en 1947. Ces prêts étaient assortis
de la condition d’importer pour un montant équivalent d’équipements et de produits américains. En quatre ans, les États-Unis ont prêté
à l’Europe 16,5 milliards de dollars (l’équivalent de 173 milliards de dollars de 2019).
5. Manhattan est le nom de code du projet de recherche qui produisit la première bombe atomique durant la Seconde Guerre mondiale.
6. L’opération Condor est le nom donné à une campagne d’assassinats et de lutte antiguérilla, conduite conjointement par les services
secrets du Chili, de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay, avec le soutien des États-Unis, au milieu des années
1970. Les dictatures militaires alors en place en Amérique latine  –  dirigées à Santiago du Chili par Augusto Pinochet, à Asuncion par
Alfredo Stroessner, à Buenos Aires par Jorge Rafael Videla, à Montevideo par Juan Bordaberry, à Sucre par Hugo Banzer et à Brasilia
par Ernesto Geisel  –  ont envoyé des agents secrets poursuivre et assassiner les opposant·es politiques jusqu’en Europe (France, Italie,
Portugal, Espagne…) et aux États-Unis.

203 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


La situation actuelle met en lumière que ce sont bien ceux et celles qui « ne sont rien » qui « sont
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

tout » ; car sans les aides-soignantes, sans les infirmières, sans les caissières, les boulangères, les pos-
tières, les éducatrices, les femmes de ménage, les éboueuses, les agricultrices7, etc., sans cette masse
laborieuse des villes et des champs, il n’y aurait pas d’activités essentielles à la vie. Nous sommes
des millions : inventons, créons, rendons possible, « les jours d’après ». Kissinger, le Medef et consorts
sont déjà dedans… Partout dans le monde, les pouvoirs, dits publics, ont failli ; ils ont aussi menti,
volé, dissimulé, réprimé, colonisé, discriminé, exploité, divisé… Les périodes de crise ouvrent iné-
vitablement des perspectives nouvelles. Saisissons-en nous, avant que d’autres nous imposent leurs
décisions afin que « tout change pour que rien ne change ».
La peur de nos ennemi·es de classe me réjouit et je comprends la crainte de Kissinger, il a raison :
ceux et celles qui sont tout pourraient bien ne devenir, finalement, rien.

7. Le féminin exclusif est un choix, il sert à rappeler que, même s’il y a des hommes, la grande majorité de ces tâches-là est effectuée par
des femmes et que 70 % des « travailleurs pauvres » sont des travailleuses.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 204


ÉTATS-UNIS ET AU-DELÀ
« PERSPECTIVES SOCIALISTES : LE CORONAVIRUS ET LA PRÉSENTE CRISE »

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


SAM GINDIN1

« Tant de choses se sont passées de façon étrange ces derniers temps, qu’Alice a commencé
à penser que très peu de choses étaient vraiment impossibles », Lewis Carroll, Alice au
pays des merveilles.

Les crises  –  non pas des récessions régulières mais des crises majeures  –  se caractérisent par l’in-
certitude qu’elles apportent. Elles interrompent le cours normal des choses et exigent des réactions
anormales, encore à découvrir pour que nous puissions aller de l’avant. Au milieu de ces calamités
périodiques, nous ne savons pas comment, ni même si nous en sortirons, ni à quoi nous attendre
si elles prennent fin. Les crises sont, par conséquent, des moments d’agitation avec des possibilités
pour de nouveaux développements politiques, bons et/ou mauvais.
Comme chacune de ces crises modifie la trajectoire de l’histoire, la crise qui s’ensuit se produit
dans un contexte modifié et présente donc ses propres caractéristiques. La crise des années 1970,
par exemple, a impliqué une classe ouvrière militante, un défi lancé au dollar états-unien et une
accélération qualitative du rôle de la finance et de la mondialisation. La crise de 2008-2009, en
revanche, a impliqué une classe ouvrière largement battue, a confirmé le rôle central du dollar au
niveau mondial et a donné naissance à de nouvelles manières de gérer une économie très forte-
ment dépendante de la finance. Comme la crise précédente, la crise de 2008-2009 a donné lieu à
une financiarisation encore plus néolibérale, mais cette fois-ci, elle a également ouvert les portes
du populisme de droite, parallèlement à une désorientation aiguë des partis politiques traditionnels.

LA CRISE CETTE FOIS : LA SANTÉ CONTRE L’ÉCONOMIE


Cette fois-ci, la crise est unique dans son genre, et cela d’une manière particulièrement transpo-
sée. Le monde, comme Alice le dirait, devient « de plus en plus curieux ». Lors des crises capitalistes
passées, l’État est intervenu pour tenter de relancer l’économie. Cette fois, l’objectif immédiat des
États n’est pas de relancer tout de suite l’économie, mais de la restreindre davantage. Cela est évi-
demment dû au fait que l’économie n’a pas été mise à genoux par des facteurs économiques ou des
luttes venues d’en bas, mais plutôt par un mystérieux virus. Mettre fin à son emprise sur nous est
la première priorité. En introduisant les termes de « distanciation sociale » et d’« ­auto-quarantaine »
(confinement) pour faire face à l’urgence, les gouvernements ont suspendu les interactions sociales
qui constituent une bonne partie du monde du travail, de la consommation et du « monde de
l’économie ».
Macron n’était pas le seul à faire des efforts pour faire marche arrière. Des politiciens de tous
bords ont émis l’idée de limiter la production des usines aux produits socialement nécessaires
comme les ventilateurs, les lits d’hôpitaux pour réanimation, les masques et les gants de protection.
Il est devenu courant de dire aux entreprises ce qu’elles devraient produire. Le Premier ministre
conservateur du Royaume-Uni, Boris Johnson, a appelé les entreprises automobiles à « passer de la

1. Sam Gindin a été directeur de recherche des Canadian Auto Workers de 1974 à 2000. Il est coauteur (avec Leo Panitch) de The
Making of Global Capitalism, Londres,Verso, 2013 et coauteur avec Leo Panitch et Steve Maher de The Socialist Challenge Today, Chicago,
Haymarket, 2020.

205 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


construction de voitures à la fabrication de ventilateurs ». Le président Trump, allant étonnamment
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

plus loin, a « ordonné » à GM de fabriquer des ventilateurs dans le cadre du Defense Production
Act. […]
En même temps, pour ceux qui avaient auparavant fermé les yeux, la crise a mis en évidence
l’extrême fragilité des revenus des classes laborieuses. Avec un si grand nombre de personnes
confrontées à de graves privations et à la menace du chaos social, toutes les instances des gouver-
nements ont été contraintes de répondre aux besoins fondamentaux des gens en matière de santé
et de survie. Aux États-Unis des républicains se joignent maintenant aux démocrates pour proposer
une législation visant à reporter les paiements hypothécaires, à renforcer le contrôle des loyers et à
annuler les paiements d’intérêts sur la dette des étudiants. Leurs désaccords ne portent généralement
pas sur la question de savoir s’il faut donner plus d’argent aux travailleurs contraints de rester à la
maison et améliorer radicalement les indemnités de maladie et de l’assurance chômage, mais sur
l’ampleur de ces aides. Pendant la Grande Dépression des années 1930, un changement politique
similaire a légitimé les programmes sociaux et les droits du travail. Cependant, ce développement a
été une concession à la mobilisation populaire. Cette fois, c’est une réponse à l’ampleur de la pan-
démie sanitaire et à la nécessité de maintenir les gens éloignés du travail.
Cela ne veut pas dire que l’« économique » est ignoré, mais seulement que sa priorité traditionnelle
passe, dans l’immédiat, après le social, c’est-à-dire la menace pour la santé. Il reste un effort pro-
fond et concerté pour préserver suffisamment d’infrastructures économiques (production, services,
commerce, finances), pour faciliter un retour à un semblant de normalité « plus tard ». Cela conduit
à des renflouements massifs et, cette fois, contrairement à la crise de 2008-2009, l’argent ne va pas
seulement aux banques, mais aussi à des secteurs comme le transport aérien, les hôtels et les restau-
rants, et en particulier aux petites et moyennes entreprises. […]

CONTRADICTIONS ISSUES DE L’IMPRESSION DE LA MONNAIE


Partout, les gouvernements ont trouvé comme par magie un moyen de financer toutes sortes de
programmes et de soutiens qui étaient auparavant considérés comme impossibles. Le ciel, semble-
t-il, est la limite. Mais si l’on laisse de côté la question cruciale de savoir si, après des années de
réduction des budgets et des dépenses pour la formation dans de nombreux secteurs, les États ont-
ils la capacité administrative de mettre pleinement en œuvre de tels programmes, tout cela peut-il
vraiment être payé en imprimant simplement de l’argent ?
La critique courante est que, dans les économies où le plein-emploi est atteint ou presque, de
telles injections massives de fonds seront inflationnistes. Même s’il y aura des goulets d’étranglement
et une possible inflation dans certains secteurs, dans la réalité actuelle de la surcapacité de produc-
tion, la préoccupation inflationniste peut être ignorée. Et comme tous les pays sont tenus de prendre
les mêmes mesures face à la pandémie, la discipline habituelle en matière de sorties de capitaux
est inopérante  –  il n’y a nulle part où aller. Pourtant, les contradictions existent, même si dans les
circonstances actuelles, elles prennent une forme différente.
Tout d’abord, il n’y a, en fait, pas de repas gratuit. Une fois la crise passée, les dépenses d’urgence
devront être payées. Cela se fera dans un contexte où, ayant fait l’expérience de la possibilité de
programmes qualifiés auparavant de peu praticables, les attentes des gens auront été revues à la
hausse. Comme l’a exprimé Vijay Prashad : « Nous ne reviendrons pas à la normale, car le problème
était la normalité » (Tricontinental, 26 mars).
Lorsque l’économie fonctionnera à nouveau à plein régime, il ne sera plus possible de répondre
aux nouvelles attentes de la classe ouvrière en faisant tourner les presses à imprimer des billets.
Il n’y a pas assez de main-d’œuvre et de ressources naturelles et il faudra faire des choix sur qui

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 206


reçoit quoi. Les questions d’inégalité et de redistribution seront  –  compte tenu de l’histoire avant

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


et pendant la crise  –  au centre de tensions importantes.
Ensuite, lorsque la crise commencera à s’estomper, cela se produira de manière inégale. Ainsi, le
flux de capitaux peut redémarrer, et s’il sort des pays qui souffrent encore, cela soulèvera de grandes
questions sur la « moralité » des flux de capitaux [d’où le problème de leur contrôle]. Et même
lorsque tous les pays auront échappé à la pandémie sanitaire, ils auront hâte de passer à autre chose.
Dans la mesure où la « discipline » financière reviendra, les gens pourraient ne pas apprécier que leur
rétablissement et leur développement soient sapés par des flux de capitaux égoïstes qui fuient. Et
encore plus après un deuxième sauvetage  –  en une douzaine d’années (2008)  –  qui a finalement
été financé par le reste d’entre nous. L’hypothèse selon laquelle les marchés financiers sont intou-
chables ne tiendra peut-être plus. Les gens pourraient en venir à penser, comme Alice, que « très peu
de choses étaient vraiment impossibles ». À la rébellion contre l’ampleur des inégalités, on pourrait
ajouter une réaction en chaîne appelant au contrôle des capitaux. […]
Il est vrai que le statut mondial du dollar permet un certain degré d’exceptionnalisme étasunien.
En période d’incertitude  –  et même lorsque, comme dans le cas de la crise hypothécaire américaine
de 2007-2009, ce sont les événements aux États-Unis qui furent à l’origine de cette incertitude  –  la
demande de dollars est généralement plus forte. Mais, là aussi, il y a une limite. Tout d’abord, la
hausse du taux de change du dollar qui en résulte peut rendre les produits étasuniens moins compé-
titifs et étouffer encore davantage l’industrie manufacturière. Mais surtout, la confiance internatio-
nale dans le dollar ne repose pas seulement sur la force des marchés financiers américains, mais aussi
sur le fait que les États-Unis sont un refuge sûr étant donné une classe ouvrière économiquement et
politiquement « docile ». Si cette classe ouvrière devait se rebeller, le dollar en tant que valeur refuge
serait moins affirmé. L’ampleur et la direction des flux de capitaux pourraient devenir plus problé-
matiques, même pour les États-Unis (et même si cela n’entraînait pas le remplacement du dollar par
une autre monnaie, cela pourrait contribuer à un grand chaos financier national et international).

DES OUVERTURES À GAUCHE ?


Nous ne savons pas combien de temps durera cette crise ; il est clair que beaucoup dépend de
cette éventualité. Nous ne pouvons pas non plus dire avec certitude comment ce moment imprévi-
sible et fluide affectera la société et influencera nos notions de ce qui était autrefois « normal ». En
ces temps d’incertitude et d’anxiété, ce que la plupart des gens désirent ardemment, c’est un retour
rapide à la normale, même si ce qui était normal auparavant ne manquait pas de grandes frustrations.
De telles inclinations peuvent s’accompagner d’une déférence envers l’autorité pour « nous » avoir
permis de surmonter la calamité, ce qui inquiète certains pour ce qui a trait à une nouvelle vague
d’autoritarisme d’État.
Nous ne devons bien sûr jamais sous-estimer les dangers venant de la droite. Et qui sait ce que la
dynamique d’une crise qui s’étend au-delà de l’été peut apporter. Mais les contours de cette crise
suggèrent une autre possibilité : une prédisposition, plutôt, à de plus grandes ouvertures et opportu-
nités pour la gauche politique. Les exemples cités plus haut montrent que, du moins pour l’instant,
les marchés ont été mis sur la touche. L’urgence de la répartition du travail, des ressources et des
équipements a mis de côté les considérations de compétitivité et de maximisation des profits privés
pour réorienter les priorités vers ce qui est socialement essentiel.
De plus, alors que le système financier se dirige à nouveau vers des territoires inexplorés et qu’il
envisage un nouveau sauvetage sans limite par les banques centrales et l’État, une population qui
regarde avec exaspération l’histoire se répéter pourrait, comme nous l’avons évoqué plus haut, ne
pas être aussi passive qu’il y a une douzaine d’années. Les gens accepteront sans doute à nouveau,

207 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


certes à contrecœur, leur dépendance immédiate à l’égard du sauvetage des banques, mais les poli-
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

ticiens ne peuvent s’empêcher de craindre une réaction populaire si, cette fois, aucune contrepartie
efficace n’est imposée aux banquiers.
De plus, un changement culturel  –  encore trop difficile à évaluer  –  est peut-être à l’horizon. La
nature de la crise et les restrictions sociales indispensables pour la surmonter ont mis à l’ordre du
jour la mutualisation et la solidarité, contre l’individualisme et la cupidité néolibérale. Une image
indélébile de la crise voit cette fois-ci des Italiens, des Espagnols et des Portugais, en confinement
mais inventifs, sortir sur leur balcon pour chanter, acclamer et applaudir collectivement et rendre
hommage au courage des travailleurs/travailleuses de la santé, souvent mal payés, qui accomplissent
le travail le plus essentiel sur les lignes de front de ladite guerre mondiale contre le coronavirus.
Tout cela ouvre la perspective  –  mais seulement la perspective  –  d’une réorientation des pers-
pectives sociales au fur et à mesure que se développent la crise et les réponses de l’État à celle-ci.
Ce qui était autrefois considéré comme « naturel » peut maintenant être soumis à des questions plus
larges sur la façon dont nous devrions vivre et nous comporter.
Pour les élites économiques et politiques, cela comporte clairement des dangers. L’astuce, pour
elles, consiste à s’assurer que les actions qui sont actuellement inévitables et dont l’issue éventuelle
est imprévisible soient limitées dans leur portée et dans le temps. Une fois la crise confortablement
passée, les idées inconfortables et les mesures hasardeuses doivent être remises dans leur boîte et le
couvercle bien fermé. Pour les forces populaires, en revanche, le défi consiste à garder cette boîte
ouverte en profitant des perspectives idéologiques prometteuses qui se sont fait jour, en s’appuyant
sur certaines des mesures politiques positives – voire radicales – introduites et en explorant les
diverses actions créatives qui ont été prises localement en tant d’endroits.

DE CHACUN SELON SA CAPACITÉ DE PAYER, À CHACUN SELON SES BESOINS


Le changement idéologique le plus évident provoqué par la crise a été l’attitude à l’égard des soins
de santé. […]. Alors que nous cherchons à consolider ce nouvel état d’esprit, nous ne devrions pas
nous contenter de jouer sur la défensive. C’est le moment de réfléchir de manière plus ambitieuse
et d’insister sur une notion beaucoup plus complète de ce que recouvre le terme « soins de santé ».
[…] Se pose aussi la question de savoir si toute la chaîne des prestations de soins de santé, y compris
la fabrication des équipements sanitaires, ne devrait pas relever du domaine public, dans lequel les
besoins présents et futurs pourraient être correctement planifiés.
Penser plus grand s’étend : aux liens entre l’alimentation et la santé ; à la politique du logement et
à la contradiction entre l’insistance sur la distanciation sociale et la persistance de refuges surpeu-
plés pour les sans-abri ; à la garde d’enfants […]. Cela prend en compte également l’« universalité »
suffisamment importante pour devoir l’étendre aux migrant·es qui travaillent dans nos champs [sans
papiers] et aux réfugié·es qui ont été forcés de quitter leurs communautés (souvent en raison de
politiques internationales adoptées par « nos » gouvernements). Plus généralement, si nous gagnons
et consolidons le principe des soins de santé « de chacun selon sa capacité de payer, à chacun selon
ses besoins » (la capacité de payer étant déterminée par une structure fiscale progressive), cette vic-
toire serait une source d’inspiration et un élan stratégique pour étendre le principe fondamental de
la médecine socialisée à l’ensemble de l’économie.
Le besoin existentiel d’antidotes pour éviter les pandémies fait peser une responsabilité particu-
lière sur les entreprises pharmaceutiques mondiales. Elles nous ont laissé tomber. […] Le fait est que
la fourniture de médicaments et de vaccins est trop importante pour être laissée aux entreprises pri-
vées avec leurs priorités de profits privatisés. Si les grandes firmes pharmaceutiques ne se chargent
de la recherche sur les futurs vaccins risqués que si les gouvernements prennent en charge ce risque,

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 208


financent la recherche et se retrouvent à financer les capacités de fabrication correspondantes ainsi

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


qu’à coordonner la distribution de ces médicaments et de ces vaccins à ceux qui en ont besoin,
une question évidente se pose : pourquoi ne pas éliminer cet intermédiaire intéressé par le profit ?
Pourquoi ne pas mettre tout cela directement entre les mains du public dans le cadre d’un système
de santé intégré ?

LA PROCHAINE PANDÉMIE
Le manque de préparation au coronavirus envoie l’avertissement le plus clair et le plus effrayant
non seulement sur la prochaine pandémie possible, mais aussi sur celle qui nous saisit déjà. La crise
environnementale imminente ne sera pas résolue par la distanciation sociale ou un nouveau vaccin.
Comme pour le coronavirus, plus nous attendrons pour y faire face de manière décisive, plus elle
sera catastrophique. Mais contrairement au coronavirus, la crise environnementale ne vise pas seu-
lement à mettre fin à une crise sanitaire temporaire, mais aussi à réparer les dommages déjà causés.
En tant que telle, elle exige de tout transformer dans notre façon de vivre, de travailler, de voyager,
de jouer et de nous comporter les uns envers les autres. Il faut pour cela maintenir et développer les
capacités de production nécessaires à la réalisation des changements requis dans nos infrastructures,
nos maisons, nos usines et nos bureaux.
Aussi conventionnelle que soit aujourd’hui l’idée de reconversion, il s’agit en fait d’une idée radi-
cale. Le slogan bien intentionné d’une « transition juste » semble rassurant, mais il est loin d’être suf-
fisant. Ceux qu’il vise à convaincre se demandent à juste titre « qui se chargera de cette garantie ? ».
Le fait est que la restructuration de l’économie et la priorité donnée à l’environnement ne peuvent
se faire sans une planification d’ensemble. Et la planification implique une remise en cause des droits
de propriété privée dont jouissent aujourd’hui les entreprises.
Au minimum, une agence nationale de reconversion devrait être créée, avec pour mandat d’inter-
dire la fermeture des installations qui pourraient être converties pour répondre aux besoins envi-
ronnementaux (et sanitaires) et de superviser cette reconversion. Les travailleurs/travailleuses pour-
raient faire appel à cette agence en tant que lanceurs d’alerte s’ils pensent que leur firme se dirige
vers des licenciements. L’existence d’une telle institution encouragerait les travailleurs/travailleuses
à occuper des lieux de travail fermés, ce qui serait plus qu’un acte de protestation ; plutôt que de
faire appel à une entreprise qui n’est plus intéressée à utiliser la capacité productive en place, leurs
actions pourraient se concentrer en direction de l’agence de reconversion et la pousser à remplir
son mandat.
Une telle agence nationale devrait être jumelée avec une commission nationale du travail chargée
de coordonner la formation et la réaffectation de la main-d’œuvre. Elle serait également complétée
par des centres régionaux de reconversion technologique employant des centaines, voire des milliers
de jeunes ingénieurs enthousiastes à l’idée d’utiliser leurs compétences pour relever le défi existen-
tiel de la crise environnementale. Des conseils environnementaux élus au niveau local surveilleraient
les conditions de vie de la collectivité, tandis que des conseils de développement de l’emploi élus
au niveau local feraient le lien entre les besoins de la collectivité et de l’environnement ainsi que
des emplois, de la reconversion des entreprises et le développement des capacités des salarié·e·s et
des usines – tous financés au niveau fédéral dans le cadre d’un plan national et tous également
enracinés dans des comités de quartier et des comités de salarié·es actifs.

LES BANQUES : UNE FOIS ÉCHAUDÉES CRAIGNENT L’EAU FROIDE


Tout ce que nous espérons faire dans la voie d’un changement significatif devra faire face à
la domination sur nos vies des institutions financières privées. Le système financier a toutes les

209 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


caractéristiques d’un service public : il lubrifie les rouages de l’économie, tant au niveau de la pro-
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

duction que de la consommation ; il sert de médiateur pour les politiques gouvernementales et est
considéré comme indispensable lorsqu’il est lui-même en difficulté. Cependant, nous n’avons ni le
pouvoir politique ni la capacité technique de prendre en charge la finance aujourd’hui et de l’utiliser
à des fins différentes.
La question est donc double : 1° premièrement, il faut inscrire la question à l’ordre du jour public ;
si nous n’en discutons pas maintenant, le moment ne sera jamais venu de la soulever ; 2° deuxiè-
mement, nous devons réserver des espaces spécifiques au sein du système financier, à la fois pour
réaliser des priorités particulières et pour développer les connaissances et les compétences qui nous
permettront, à terme, de gérer le système financier dans notre propre intérêt.
Un point de départ logique consiste à créer deux banques publiques particulières : l’une pour
financer les besoins en infrastructures qui ont été si gravement négligés, l’autre pour financer le
Green New Deal et la reconversion. Si ces banques doivent se faire concurrence pour obtenir des
fonds et obtenir les rendements nécessaires pour rembourser ces prêts, peu de choses changeront.
La décision politique d’établir ces banques devrait inclure, comme le soutient Scott Aquanno dans
un document à venir, des infusions de liquidités déterminées politiquement pour faire ce que les
banques privées ont fait de manière inadéquate : investir dans des projets qui ont un rendement
social élevé, bien que risqué, et de faibles profits selon les mesures conventionnelles. Ce financement
initial pourrait provenir d’un prélèvement sur toutes les institutions financières  –  en fait, un rem-
boursement pour les renflouements massifs qu’elles ont reçus de l’État. (Avec une base financière
solide en place, ces banques publiques pourraient également emprunter sur les marchés financiers
sans leur être redevables.)

PLANIFICATION DÉMOCRATIQUE : UN OXYMORE ?


Lorsque la gauche parle de planification démocratique, elle fait référence à un nouveau type
d’État – un État qui exprime la volonté du public, encourage la participation populaire la plus
large possible et développe activement la capacité populaire à participer, par opposition à la réduc-
tion des gens à des salarié·es réduits au statut de force de travail marchandise, à des chiffres, à des
citoyens passifs. Les sceptiques se moqueront, mais l’expérience remarquable que nous venons de
vivre  –  qui montre comment ce qui était « évidemment » impossible hier peut être « évidemment »
très évident aujourd’hui – suggère des raisons pour ne pas passer cela par pertes et profits de
manière aussi cavalière.
Ce n’est pas tant la « planification » elle-même qui fait peur aux gens. Après tout, les ménages pla-
nifient, les entreprises planifient, et même les États néolibéraux planifient. Ce qui suscite les doutes,
les craintes et les antagonismes habituels, c’est le type de planification extensive que nous évoquons
ici. Le malaise que suscite ce type de planification ne peut être écarté en se contentant de blâmer
les préjugés des entreprises et des médias et l’héritage de la propagande de la guerre froide. Les
soupçons à l’égard des États puissants ont une base matérielle non seulement dans les expériences
ratées ailleurs, mais aussi dans les interactions populaires avec les États qui sont en effet des institu-
tions bureaucratiques, arbitraires, souvent gaspilleuses et distantes.
L’ajout de l’adjectif « démocratique » ne résout pas ce dilemme. Et bien que les exemples inter-
nationaux puissent inclure des politiques et des structures évocatrices, la vérité est qu’il n’existe
pas de modèles totalement convaincants. Cela nous amène à répéter inlassablement nos critiques
du capitalisme ; pourtant, aussi essentiel que cela soit, ce n’est pas suffisant. Les sceptiques peuvent
encore répondre de manière fataliste que tous les systèmes sont inévitablement injustes, insensibles

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 210


à l’« homme du commun » et dirigés par et pour les élites. Alors pourquoi se risquer sur des chemins

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


incertains qui pourraient, au mieux, ne nous laisser qu’à peu près au même endroit ?
Ce que nous pouvons faire, c’est commencer par nous engager sans ambiguïté à assurer que nous
ne préconisons pas un État tout-puissant et que nous apprécions les libertés libérales gagnées histo-
riquement : l’extension du droit de vote aux travailleurs/travailleuses, la liberté d’expression, le droit
de réunion (y compris la syndicalisation), la protection contre les arrestations arbitraires et la trans-
parence de l’État. Et nous devrions insister sur le fait que la prise au sérieux de ces principes exige
une vaste redistribution des revenus et des richesses afin que chacun, en substance et pas seulement
sur le plan formel, ait une chance égale de participer.
Nous devrions également rappeler aux gens à quel point nous sommes loin de la caractérisation
du capitalisme comme un monde de petits propriétaires. Amazon, pour ne prendre qu’un exemple,
était déjà – fidèle aux conditions de la réussite sous le capitalisme – adepte de la soumission
de dizaines de milliers de petites entreprises avant la crise, cherchant à maximiser ses profits et à
« contrôler et marchandiser la vie quotidienne ». Dans le sillage de la crise et de l’effondrement des
petits détaillants, cette monopolisation est sur le point de devenir un tsunami. Ce résultat sera encore
renforcé par la récente décision du gouvernement canadien de confier à Amazon le rôle de principal
distributeur d’équipements de protection individuelle face au Covid-19 dans tout le pays, ignorant
froidement le manque d’attention d’Amazon à fournir à sa propre main-d’œuvre une protection
adéquate contre le virus.
L’alternative à cette gigantesque entreprise qui ne répond qu’à elle-même est, comme l’a suggéré
Mike Davis, de la reprendre et d’en faire un service public, une partie de l’infrastructure sociale de
la façon dont les marchandises vont d’ici à là  –  une extension, par exemple, du bureau de poste.
Le fait qu’elle nous appartienne, plutôt qu’à l’homme le plus riche de l’univers (Jeff Bezos), offre la
possibilité que ses activités soient planifiées démocratiquement au profit de la collectivité.
Pour réaliser l’aspect démocratique de la planification, il est crucial de se pencher sur les méca-
nismes et institutions spécifiques qui pourraient faciliter de nouveaux modes et niveaux de partici-
pation populaire. Dans le cas de l’environnement, où il est particulièrement évident que la planifica-
tion à l’échelle de la société doit être fondamentale pour faire face au « danger évident et présent »,
un nouveau type d’État devrait inclure non seulement de nouvelles capacités centrales, mais aussi
une série de capacités de planification décentralisées telles que celles que nous avons mentionnées
précédemment : centres de recherche régionaux, conseils sectoriels dans les industries et les services,
conseils élus localement pour l’environnement et le développement de l’emploi, et comités sur le
lieu de travail et de voisinage.
La crise sanitaire a notamment mis en évidence la nécessité et le potentiel du contrôle de leur
lieu de travail par ceux et celles qui accomplissent le travail. Cela est particulièrement évident lors-
qu’il s’agit de maximiser leur protection contre les risques et les sacrifices qu’ils font en notre nom.
Mais cela s’étend aux travailleurs/travailleuses, qui, grâce à leurs connaissances directes, agissent
également en tant que gardiens de l’intérêt public  –  utilisant la protection de leurs syndicats pour
dénoncer les raccourcis et les « économies » qui affectent la sécurité et la qualité des produits et des
services. Les syndicats en sont récemment venus à apprécier plus largement la priorité d’obtenir le
soutien du public pour gagner leurs batailles lors de négociations collectives.
Mais il faut aller plus loin, en établissant un lien plus formel avec le public dans le cadre de
revendications politiques plus larges (comme le font les enseignants et les travailleurs de la santé
de manière informelle dans une certaine mesure). Cela pourrait, par exemple, signifier une lutte au
sein de l’État pour établir des conseils mixtes travailleurs-collectivités afin de contrôler et de modi-
fier les programmes de manière continue. Dans le secteur privé, cela pourrait signifier des comités

211 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


de reconversion des lieux de travail et des conseils sectoriels sur les lieux de travail, agissant pour
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

présenter leurs propres plans ou agissant en opposition aux plans nationaux traitant de la restructu-
ration économique prévue et de la reconversion face à la nouvelle réalité environnementale.
Trois points sont essentiels à cet égard. Premièrement, la participation généralisée des travailleurs/
travailleuses exige l’expansion de la syndicalisation afin de fournir aux travailleurs un collectif ins-
titutionnel pour contrer le pouvoir des employeurs. Deuxièmement, une telle participation locale et
sectorielle ne peut être développée et soutenue sans impliquer et transformer les États afin de lier
la planification nationale et la planification locale. Troisièmement, ce ne sont pas seulement les États
qui doivent être transformés, mais aussi les organisations de la classe ouvrière.
L’échec des syndicats au cours des dernières décennies  –  tant en ce qui concerne l’organisation
que la satisfaction des besoins de leurs membres  –  est indissociable de leur engagement obstiné en
faveur d’un syndicalisme fragmenté et défensif au sein de la société telle qu’elle existe actuellement,
par opposition à un syndicalisme de lutte de classe fondé sur des solidarités plus larges et des visions
radicales plus ambitieuses. Cela exige non seulement de « meilleurs » syndicats, mais aussi des syndi-
cats différents et plus politisés.

CONCLUSION : L’ORGANISATION DE LA CLASSE


Un développement particulièrement important au cours de la dernière décennie a été le passage
de la protestation à la politique : la reconnaissance par les mouvements populaires des limites de la
protestation et la nécessité qui en découle de s’adresser au pouvoir électoral et à l’État. Pourtant,
nous sommes toujours en train de nous demander quel type de politique peut alors, en fait, trans-
former la société. Malgré l’espace impressionnant créé par le corbynisme et Bernie Sanders par l’in-
termédiaire des partis établis, tous deux se sont heurtés aux limites de ces partis : Corbyn a disparu
et l’« insurrection » de Sanders semble s’essouffler. Le grand danger politique est qu’après être arrivé
jusqu’à ce point et avoir été déçu, de plus sans domicile politique clair, la combinaison de l’épuise-
ment individuel, de la démoralisation collective et des divisions sur la voie à suivre puisse conduire
à la dissipation de ce qui se développait de manière si positive.
Les déclarations fanfaronnes sur l’effondrement imminent du capitalisme ne nous mèneront pas
très loin. Elles peuvent être populaires dans certains milieux, mais en exagérant l’inévitabilité de l’ef-
fondrement imminent du capitalisme, elles obscurcissent aussi ce qu’il faut faire pour s’engager dans
une longue, dure et indéfinie bataille pour changer le monde. C’est une chose de tirer de l’espoir de
la crise profonde que traverse le capitalisme et de sa folie permanente, mais une autre chose réside
au sein de la crise révélatrice, ce sur quoi nous devons nous concentrer : c’est-à-dire la crise interne,
celle à laquelle est confrontée la gauche elle-même. En ce moment précis, les quatre éléments sui-
vants semblent fondamentaux pour soutenir et construire une politique de gauche pertinente.
1° DÉFENDRE LES TRAVAILLEURS À TRAVERS LA CRISE ACTUELLE
Répondre directement aux besoins immédiats des travailleurs (au sens large) est un point de
départ fondamental, surtout dans la situation d’urgence actuelle. Aux États-Unis, la « Réponse d’ur-
gence à la pandémie de coronavirus » de Bernie Sanders est une ressource précieuse à cet égard,
même si elle ne va pas dans une direction socialiste.
2° RENFORCER/MAINTENIR LES CAPACITÉS INSTITUTIONNELLES
En l’absence d’un parti politique de gauche aux États-Unis, et avec l’affaiblissement des possibi-
lités électorales de Bernie Sanders, la question pour la gauche qui a opéré au sein du Parti démo-
crate est de savoir comment maintenir une certaine indépendance institutionnelle par rapport à
l’establishment du Parti démocrate. La seule façon prévisible pour la gauche de le faire semble être

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 212


de choisir stratégiquement deux ou trois campagnes nationales et de se concentrer sur celles-ci.

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


L’environnement pourrait en être une et la lutte pour l’universalité des soins de santé semble être
un second choix logique. La troisième pourrait être la réforme du droit du travail, qui est non seule-
ment importante en soi après la vague de licenciements, mais aussi cruciale pour modifier l’équilibre
des pouvoirs de classes aux États-Unis.
3° FORMER DES SOCIALISTES
[…] Nous devons mettre en place des écoles qui créent un « cadre » socialiste capable de lier la
réflexion analytique et stratégique à l’apprentissage de la manière de parler aux travailleurs et tra-
vailleuses peu convaincus, de les organiser, et de jouer un rôle, comme l’ont fait les socialistes dans
les années 1930, non seulement dans la défense des syndicats, mais aussi dans leur transformation.
Les campagnes, les écoles, les groupes d’étude, les forums publics et les magazines et revues d’in-
formation (comme Jacobin et Catalyst) seraient tous des éléments de base d’un éventuel futur parti
de gauche.
4° ORGANISER LA CLASSE
La crise [actuelle] a été déclenchée par une pandémie sanitaire. Le défi lancé à l’autorité du
capitalisme provient de la façon dont les États ont réagi. Alors que des principes arbitraires des
capitalistes l’un après l’autre étaient balayés  –  plafonnement des déficits fiscaux, manque de fonds
pour améliorer l’assurance emploi, impossibilité de convertir les usines qui ferment, glorification de
la recherche du profit par les entreprises par-dessus tout, dévalorisation des salarié·e·s qui nettoient
nos hôpitaux et s’occupent des personnes âgées  –  nous serions sûrement plus prêts pour un chan-
gement radical.
Peut-être. Mais il n’a jamais été utile à la gauche d’imaginer que des changements substantiels
puissent se produire à partir de conditions objectives uniquement, sans mettre en place les forces
dont nous avons besoin pour tirer parti de ces conditions. Le changement repose sur le développe-
ment de la compréhension collective, des capacités, des pratiques, des connaissances stratégiques et
surtout des institutions organisationnelles démocratiques pour y parvenir. Nous devons convaincre
tous ceux qui devraient être avec nous mais ne le sont pas, élever les attentes et les ambitions popu-
laires, et nous dresser avec confiance face à ceux qui nous feront obstacle.
10 avril 2020
Socialist Project
Traduction et publication en français: À l’encontre

213 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


FRANCE
POUR LIMITER LA CONTAGION, LES GESTIONNAIRES DOIVENT TRAVAILLER
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

AVEC LES COMITÉS DE RÉSIDENTS ET AVEC LES DÉLÉGUÉS !


COMITÉ DE RÉSIDENTS DU FOYER COMMANDERIE (COPAF)1

Mercredi 8 avril, un jeune directeur territorial d’Adoma (CDC HABITAT, ex-Sonacotra) entre
dans le foyer Adoma 15-21 bd de la Commanderie, Paris 19e, à côté de la Porte de la Villette.
Accompagné d’une dame chargée de la médiation sociale, il se lance dans les couloirs, tapant sur
les portes des chambres à la recherche des résidents âgés. Ils entrent dans les chambres, et s’ils ne
voient pas la présence de résident âgé, posent des questions sur sa localisation, ses habitudes, etc.
Cette intervention s’est faite du début à la fin sans que les délégués élus des résidents soient
informés. Après leur départ, les résidents se sont adressés aux délégués pour leur demander de quoi
il s’agissait. Un délégué a appelé le jeune directeur territorial en question. Le délégué a expliqué
que le directeur n’avait aucun droit à entrer dans les chambres, et qu’il fallait informer le comité de
résidents et travailler en collaboration avec les délégués, s’il voulait faire ce genre d’intervention. Le
jeune technocrate s’est énervé et a fini par dire (nous paraphrasons) : « J’entre dans le foyer quand
je veux et je sors quand je veux. » Bref, « je suis chez moi ici ». Sauf que le jeune homme n’est pas
chez lui, il visite le domicile privé d’adultes majeurs, qui ne sont pas sous tutelle, et qui peuvent très
bien le foutre dehors ou lui interdire d’entrer s’ils le souhaitent.
Deux jours plus tard, en collaboration avec la Ville de Paris, mais sans informer les délégués ou
demander quoi que ce soit de leur part, Adoma installe un algéco dédié aux tests de présence du
coronavirus sur le trottoir à deux mètres de l’entrée du foyer. En respectant la distanciation sociale,
il devient impossible pour le flux des 400 résidents d’entrer et sortir du bâtiment. Du coup, au
regard de l’attitude cavalière, voire coloniale, des personnels d’Adoma, les résidents boycottent le
programme de tests. Cette triste histoire est bien l’expression du racisme, du mépris et des attitudes
de supériorité coloniale qui restent persistantes chez les gestionnaires des foyers. Elle explique
pourquoi il est si difficile d’obtenir une collaboration ou une participation des résidents et de leurs
délégués aux programmes de prévention.
Les délégués ont l’habitude de travailler avec des intervenants ­sanitaires, par exemple lors des
contrôles radiographiques de tuberculose, et ils savent où placer les camions et les installations pour
que cela ne gêne ni les résidents ni les passants. En passant outre une collaboration avec les délé-
gués élus et le comité de résidents, le gestionnaire devient responsable d’une réaction de rejet et de
l’échec de toute initiative de prévention venant de leur part. Ils deviennent complices de la maladie.
Nous appelons tous les gestionnaires de foyers et de résidences sociales à abandonner ces attitudes
et pratiques indignes, héritage d’un autre temps, et de passer systématiquement par un dialogue
avec les délégués et les comités de résidents avant de fixer tout programme d’intervention, d’in-
formation, de sensibilisation sanitaire ou de testing dans les foyers ou résidences. Il est vrai que de
tels programmes sont plus que nécessaires et souhaitables. Mais à force de violenter les gens, de les
traiter comme des inférieurs et des moins que rien, les gestionnaires provoquent le contraire de ce
qu’ils disent vouloir obtenir. La prévention sanitaire ne peut pas se passer du respect des droits et de
la participation démocratique des intéressés.

1. Contact : [email protected].

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 214


FRANCE
FACE À L’IMPOSTURE DE LA « CONTINUITÉ PÉDAGOGIQUE », NE LAISSONS

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


PAS LE MINISTÈRE RÉÉCRIRE L’HISTOIRE DE L’ÉCOLE CONFINÉE !
AG ÉDUCATION DU MANTOIS

Née à l’occasion de la lutte contre la réforme des retraites 2019-2020, l’AG Éducation
du Mantois s’est réunie en ligne pour faire le bilan de ces trois semaines de « conti-
nuité pédagogique ». Il en ressort un constat accablant…

LE MINISTRE L’A CLAIRONNÉ SUR TOUS LES TOITS : « NOUS SOMMES PRÊTS » ! MAIS QUI ÉTAIT PRÊT·E ?
Ici, dans le Mantois, loin des plateaux télés où sont distillées à longueur de journée les fables
ministérielles, chacun et chacune peut témoigner de la responsabilité de J.-M. Blanquer dans l’im-
préparation totale à laquelle nous avons été confronté·es. Avant-hier « jamais les écoles ne ferme-
ront », hier « tout est prêt », aujourd’hui « seulement une poignée d’élèves ont décroché », et demain ?
Au lieu de laisser aux personnels, aux élèves, aux familles, le temps d’anticiper, de se coordon-
ner – et surtout de se protéger – nous voilà traité·es en piétaille éducative de la « nation appre-
nante ». C’est par les médias que nous découvrons, jour après jour, les dernières élucubrations du
général Blanquer, contredites dès le lendemain. Et peu importent les conséquences en termes de
renforcement des inégalités sociales, de souffrances, de culpabilisation : lui parade, mais c’est à nous
de monter au front, de travailler, de télé-enseigner, d’exiger, de corriger, d’évaluer, de surveiller, de
dénoncer, de boucler le programme… en marche ou crève !
Le ministre confond continuité pédagogique et télé-réalité ! À travers nos témoignages, le partage
de pratiques, la coordination et la solidarité entre les personnels, les familles et les élèves, nous
devons nous organiser pour reprendre la main, dénoncer l’absurdité, la brutalité des injonctions
hiérarchiques et construire ensemble, dès à présent, une éducation socialement égalitaire et collec-
tivement émancipatrice.

PRÊTS, LES PERSONNELS DE DIRECTION…


Dans le Mantois, lorsque les chef·fes d’établissement ne brillaient pas par leur absence ou leur
mol accompagnement des équipes en ces premières semaines de « continuité pédagogique », elles
et ils entamaient une politique d’ingérence jamais vue, parfois même avec l’appui des personnels
d’inspection : intrusion dans les cahiers de texte, les dossiers de cours, ou les classes virtuelles des
enseignant·es ; commentaires sur le travail donné ; rappel à l’ordre et culpabilisation des personnels
pas assez « performant·es » ; missions hors cadres, etc. Par excès de zèle en l’honneur de leur carrière
et de leur ministre, ces chef·fes n’hésitent donc pas à piétiner la liberté pédagogique et à malmener
les personnels.

PRÊTES POUR L’ÉPUISEMENT ?


À défaut d’assurer, la communication gouvernementale tente de rassurer, mais derrière ces mots qui
mettent en récit une organisation millimétrée, la situation concrète vécue par la communauté éduca-
tive est toute autre. Les équipes enseignantes ont été contraintes de trouver et mettre en place dans

215 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


l’urgence des supports informatiques permettant de maintenir le lien avec les familles  –  jusqu’alors
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

inexistants dans le premier degré  –, de gérer la saturation des serveurs informatiques, les obligeant
à devoir poster le travail pendant la nuit. Certain·es collègues du Mantois, soutenu·es par nos supé-
rieur·es hiérarchiques, se sont retrouvé·es à assurer ladite continuité en distribuant le travail au sein
des quartiers, au mépris du danger occasionné par le contournement des règles de confinement.
Pour les familles et les élèves, ce fameux concept pèse lourd : ils déplorent une explosion de la
charge de travail. La pression qui repose sur leurs épaules devient de plus en plus difficile à suppor-
ter. Faute d’explications ou de directives claires concernant le travail à distance, face à l’isolement,
aux sollicitations diverses et aux nombreuses difficultés au sein de la communauté éducative ou des
familles, chacun·e s’est débrouillé avec ses propres outils, ses propres compétences et surtout limites.
Mais aujourd’hui, tous·tes sont au bord de l’épuisement.

PRÊT·ES À RENFORCER LES INÉGALITÉS ?


Autre fait saillant en ce contexte de confinement : l’indifférence froide avec laquelle sont consi-
dérées une fois de plus les inégalités entre élèves, elles-mêmes miroir souvent fidèle des inéga-
lités sociales. Derrière les formules à la sauce start-up de « nation apprenante », peu de cas est
fait des conditions réservées aux dit·es apprenant·es à distance. Dans le Mantois, les directions se
cachent derrière un prêt de matériel (tablettes) souvent nettement insuffisant, laissant en réalité
les élèves seul·es avec leurs difficultés. Seul·es, avec bien souvent des moyens matériels inadaptés à
des apprentissages sereins : les statistiques dans nos établissements nous montrent que le principal
outil des élèves pour récupérer les travaux en ligne est… leur smartphone !. Et lorsqu’ordinateur il
y a, comment assurer le travail au quotidien, lorsque le matériel doit être partagé entre plusieurs
enfants, voire avec des parents qui télétravaillent ? Seul·es, enfin, à devoir se préoccuper avant tout
de travailler, et ce dans des conditions de logement parfois difficiles comme nous les connaissons ici,
accentuées par le contexte de confinement.

PRÊTES POUR LES ATTAQUES CONTRE LES DROITS ET LES MISSIONS DES PERSONNELS ?
L’administration aime utiliser le chantage à la « mission de service public » bien faite pour imposer
aux personnels des tâches qui ne relèvent pas de leurs obligations de service. La « continuité péda-
gogique » sous confinement devient l’argument massue pour exploser des statuts déjà bien attaqués.
Par exemple, l’accueil d’enfants de soignants a été demandé à des personnels n’ayant pas de travail
présentiel à fournir auprès des élèves (directeur·ices déchargé·es, ZIL…) ; certain·es AESH ont été
invité·es à remplacer du personnel dans les instituts accueillant des personnes lourdement handica-
pées (sans avoir aucune formation adéquate) ; des élèves d’écoles privées hors contrat (la Boussole
à Mantes) ont dû être accueilli·es par l’école publique… De plus, pour le télétravail  – mis en place
hors de tout cadre légal  –, les outils numériques défaillants et inadaptés doivent être compensés par
l’utilisation du matériel personnel des travailleur·euses de l’éducation, et par le recours à des outils
en contradiction avec le règlement RGPD (Facebook…).
Ainsi des AED, avec des salaires indécents, se voient sommé·es d’appeler toutes les familles de
différents collèges avec leur téléphone particulier ; des AVS/AESH chargé·es d’effectuer les aména-
gements des cours que les collègues déposent sur les espaces collaboratifs de l’ENT pour les élèves
en ULIS ; et les prêts de matériel informatique par l’établissement - quand ils sont mis en place -
sont bien insuffisants.

LA RÉALITÉ EST QUE NOUS N’ÉTIONS PAS VRAIMENT PRÊT·ES


Il nous a manqué du temps pour préparer cette période de confinement, en équipe (pour se

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 216


coordonner, s’organiser, réfléchir aux approches les plus pertinentes), et avec nos élèves (pour les

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


accompagner dans la mise en route et l’appropriation de ces nouvelles façons de travailler). Le résul-
tat de cette impréparation : épuisement et culpabilisation des personnels, des élèves et des familles,
décrochage et aggravation des inégalités dans l’accès à l’éducation pour tous et toutes.
Le seul qui était prêt, c’était le ministre ! Prêt à nous tomber dessus comme à son habitude pour
nous abrutir d’injonctions contradictoires, prêt à sacrifier notre santé, à sacrifier les élèves qui n’ont
pas la chance d’avoir de bonnes conditions d’études au sein de leur lieu de vie. Prêt à profiter de
l’aubaine pour brader des pans entiers de l’éducation au secteur marchand, qui était lui aussi prêt à
s’en emparer avidement.
De nouveau, ce sont les personnels qui devront reconstruire la relation pédagogique après ces
semaines de confinement qui auront malmené les un·es et les autres : reconstruire les relations de
confiance, retisser le lien avec les élèves écrasé· es et gommé·es par la « continuité pédagogique »,
retrouver, avec les jeunes et les familles, le goût de l’école, le plaisir d’apprendre.
Les personnels de l’éducation du Mantois se mobilisent d’ores et déjà pour organiser, avec les
familles, une résistance à la souffrance et au rythme imposés par l’institution, et ils/elles n’attendront
pas les consignes ministérielles pour se lancer dans le difficile labeur de préparer l’après-confinement.
Car, du ministre, il n’est rien à attendre…
L’assemblée générale Éducation du Mantois, 6 et 7 avril 2020

217 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


LES AUTEURS·ES DE SYLLEPSE
FACE À LA PANDÉMIE
ÉDITION DU 4 MAI
Si nous acceptons la distanciation physique, nous refusons la distanciation sociale. C’est pourquoi
nous avons demandé à nos auteur·es de reprendre leur plume pour nous donner leur vécu ou leur
point de vue sur la crise sanitaire.
CORONAVIRUS, RACISME D’ÉTAT ET NÉOLIBÉRALISME À LA FRANÇAISE

ÉDITION DU 4 MAI 2020


COLLECTIF AFROFÉMINISTE MWASI1

La crise sanitaire que nous vivons révèle tous les dysfonctionnements de l’État néolibéral f­rançais
et des choix faits ces dernières années : restrictions budgétaires dans les hôpitaux publics, suppres-
sions d’emplois, dégradation de la prise en charge des patients et pour finir un manque criant
d’anticipation et des manquements graves dans la gestion de cette crise qui compte plus de 15 000
personnes décédées au 15 avril 2020. Ce que révèle également cette crise sanitaire sans précédent,
c’est que les inégalités sociales et raciales et les choix du gouvernement français rendent encore
plus vulnérables certaines populations et poussent les populations noires davantage dans la précarité.

LE PERPÉTUEL ÉTAT D’EXCEPTION : RENFORCEMENT DU TOUT-SÉCURITAIRE


Au lendemain de l’annonce du confinement, des interpellations très violentes de personnes faisant
leurs courses sont relayées dans les médias et réseaux sociaux, alors que la porte-parole du gouver-
nement déclarait que le premier jour du confinement les policiers feraient preuve de pédagogie. Qui
pouvait réellement croire à une telle déclaration ? Il était évident que cette déclaration ne pouvait
pas concerner des territoires qui ont été construits comme en dehors du droit commun et dont les
populations majoritairement non blanches sont sous constante surveillance de l’État.
Cette crise ne fait qu’exacerber et renforcer les positions subalternes d’un ensemble de groupes :
les personnes non blanches, les pauvres, les personnes détenues et incarcérées, les femmes.

ENCORE PLUS DE VIOLENCE ET DE RÉPRESSION…


On retrouve dans les témoignages de victimes de ces violences policières : « Ils [les policiers] se
croient encore plus tout permis qu’à l’accoutumée. Encore plus d’impunité, encore plus de violence :
dans la guerre contre le coronavirus tout est permis » ; « On interpelle, on tase, on plaque, on tabasse. »
Cette violence n’a pas pour but d’arrêter la propagation du virus, d’ailleurs, elle s’exerce dans des
cadres qui enfreignent les mesures de distanciation. Le but de la violence est le rappel continu de la
place de chacun, quand d’autres peuvent se balader au parc Monceau, car c’est leur droit, certains
doivent être contrôlés et surveillés car intrinsèquement dangereux et désobéissants.

ARRÊTÉS PRÉFECTORAUX ET COUVRE-FEU…


Dans leurs tentatives d’enrayer le virus, certaines municipalités choisissent de mettre en place des
arrêtés préfectoraux. Des arrêtés d’un genre particulier pour certaines villes de Seine-Saint-Denis,
de Château-Rouge dans le 18e arrondissement de Paris et dans les colonies départementalisées :
interdiction de se déplacer entre 20 heures et 5 heures du matin à Aubervilliers (arrêté jugé illégal
depuis le 25 mars), en Martinique et en Guadeloupe également. À Noisy-Le-Sec les grandes sur-
faces et les commerces de ventes à emporter sont fermés de 20 heures à 6 heures ; à Château-Rouge
les commerces sont ouverts de 8 heures à 10 heures et de 14 heures à 16 heures seulement.
Les habitants de Seine-Saint-Denis, de Château-Rouge et des colonies départementalisées sont-ils
les seuls à ne pas respecter le confinement ? Où sont les arrêtés préfectoraux pour les Parisiens qui
sortent en masse au moindre rayon de soleil ?

1. Le collectif Afroméfiniste Mwasi a publié Afrofem, Paris, Syllepse, 2018.

221 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


L’État ne fait pas face à ses responsabilités : manque d’anticipation de la crise sanitaire, manque de
ÉDITION DU 4 MAI 2020

masques et de moyens dans les hôpitaux, logements insalubres (qui rendent le confinement beau-
coup plus difficile), pauvreté, politique ultralibérale. L’une des seules manières que l’État et sa police
ont de se montrer actifs contre la propagation du virus ; sans totalement remettre en question leurs
politiques qui ont mené à la gestion désastreuse de cette crise ; c’est d’interpeller encore plus et par
conséquent d’être encore plus violent avec les mêmes populations et de désigner les mêmes boucs
émissaires.

LE CAPITAL, L’ÉCONOMIE AU-DESSUS DE L’HUMAIN


La crise du coronavirus est d’une portée et d’une ampleur jamais connues auparavant. Cependant,
la gestion désastreuse du gouvernement français n’est pas seulement liée à l’envergure de la pandé-
mie, mais aussi et surtout au fonctionnement et aux logiques capitalistes et néolibérales.
C’est, en effet, dans une logique de rentabilité et par le biais de plans d’austérité que bon nombre
de secteurs vitaux pour le fonctionnement égalitaire du pays ont été progressivement privatisés ou
réorganisés. Ce fut le cas du secteur des transports, de l’éducation mais également de la santé. Les
hôpitaux ont ainsi été amenés à fonctionner en flux tendu, faisant du personnel et de l’ouverture de
nouveaux lits disponibles une variable d’ajustement à la « demande » et ce afin de diminuer les coûts
de production pour l’État français.

LE RACISME, L’UN DES PILIERS DU CAPITALISME


Il est important de rappeler dans ce contexte que le capitalisme se nourrit du racisme, c’en est
même l’un des piliers. Ce sont en effet des choix politiques racistes qui ont permis de mettre en
place des textes de loi visant à mettre à disposition à bas coût, voir gratuitement, une force de travail
noire. C’était la logique de l’esclavage. C’est la même logique qui sévit encore aujourd’hui dans les
quartiers populaires, où les personnes noires, entre autres, sont maintenues dans une très grande pré-
carité par un système scolaire inadapté ou des institutions policières, judiciaires et carcérales volon-
tairement violentes et répressives. Ces populations n’ont donc pas d’autre choix que d’accepter des
emplois précaires et mal payés. Cette logique régit également la politique d’immigration. L’arrivée
massive de migrants issus majoritairement des anciennes colonies qui représentent, en effet, une
force de travail exploitable à merci. Particulièrement parce qu’ils ne possèdent pas de titres de séjour
ou sont dans des situations très précaires. L’appel aux réfugiés du préfet de Seine-et-Marne pour
l’aide aux agriculteurs l’illustre particulièrement bien.
C’est sur cette force de travail que repose l’économie française et de fait, les privilèges d’une
bourgeoisie blanche aujourd’hui confinée dans des appartements spacieux, alors même que les cais-
sières, aides-soignantes, éboueurs, employés du bâtiment, livreurs, etc. continuent d’aller travailler
au péril de leurs vies. Une majorité de personnes noires exerçant des emplois précaires travaille en
effet encore à ce jour. Par conséquent, les populations noires se retrouvent très dangereusement
exposées au virus, contraintes à travailler dans des conditions de grande vulnérabilité, et sont les plus
violemment touchées par cette pandémie. C’est ce qui explique que le département comprenant le
plus de morts liés au Covid-19 soit la Seine-Saint-Denis. C’est ce qui explique également le nombre
important de morts dans les foyers de sans-papiers.
Les habitants de la Seine-Saint-Denis, tout comme les habitants des foyers, en plus de continuer
à travailler, vivent dans une très grande promiscuité, au sein de logements exigus et bien souvent
insalubres, alors même que la France compte 3 millions de logements vides. Il est important de rap-
peler que le choix de la distanciation sociale et du confinement est un choix politique. Pouvoir vivre
reclus chez soi sans risque pour sa santé mentale et physique, pouvoir respecter une distance de 1

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 222


mètre minimum ou faire du télétravail est un privilège de classe, c’est le fruit d’une hiérarchisation

ÉDITION DU 4 MAI 2020


sociale créé par le capitalisme.
Ce sont ces populations que le capitalisme sacrifie et sacrifiera, afin de survivre, ou pour reprendre
l’extrait d’un article paru sur Mars Infos : « Nous accélérons vers un avenir où une classe privilégiée
connectée numériquement effectue un travail virtuel en isolement tandis qu’un État policier massif
les protège d’une sous-classe sacrifiable qui prend la plupart des risques. »

UN CAPITALISME NÉOCOLONIALISTE
Cette logique néolibéraliste ne sévit pas que dans les pays occidentaux. En effet, au cours des
vingt-cinq dernières années les institutions internationales telles que le Fonds monétaire interna-
tional ou la Banque mondiale ont conditionné leurs aides financières aux pays du Sud à la mise en
place de réformes libérales touchant de fait le système de santé. Le but était d’ouvrir de nouveaux
marchés aux pays du nord. Les difficultés pour protéger leur population de la pandémie du Covid-
19 que rencontreront potentiellement les pays du Sud seront directement liées au néocolonialisme.

L’HUMAIN COMME VARIABLE D’AJUSTEMENT


Dans la logique capitaliste, tous ceux qui ne servent pas le capital ou sont facilement remplaçables,
sont sacrifiables et sacrifiés. C’est le cas des migrants primo-arrivants ainsi que des prisonniers.
En effet, les prisons et les centres de rétention administrative, qui comptent une forte population
noire, sont de fait des lieux de violences et d’humiliations difficilement vivables et souvent meur-
triers. Ajoutez à cela, la fin des parloirs, imposée en raison de l’épidémie, ainsi que l’insalubrité, la
grande promiscuité et l’incapacité de sortir, ils en deviennent des lieux particulièrement propices à
une contamination et donc à des décès massifs. Conscient de ces risques, les prisonniers des CRA
[centre de rétention administrative], des centres de détention et des maisons d’arrêt ont protesté en
mettant le feu à leurs cellules ou en refusant de revenir de promenade. Les associations ont éga-
lement tiré la sonnette d’alarme en saisissant le conseil d’État. La réponse du gouvernement et de
l’administration pénitentiaire, a été de nier la dangerosité du maintien en détention et l’envoi systé-
matique des équipes régionales d’intervention et de sécurité afin de mater les mutineries.
Dans cette même logique de considérer les populations noires prolétaires comme une source de
main-d’œuvre exploitable et remplaçable, la France a fait le choix au début de l’épidémie de ren-
voyer les migrants à la frontière italienne. Alors que l’Italie était particulièrement touchée par l’épi-
démie du Covid-19, les migrants étaient arrêtés par les pouvoirs publics français, sans précautions
particulières  –  pas de quarantaine pour les personnes malades du Covid-19  –  puis raccompagnés
à la frontière Italienne, où il n’y avait aucune prise en charge.
Le nombre de morts et la paupérisation des minorités noires, est donc en très grande partie le
résultat de choix politiques et non celui d’une pandémie que personne ne pouvait prévoir. C’est le
système capitaliste et par là, le racisme systémique et le néocolonialisme qu’il faut mettre en cause.
Il ne faut donc pas tomber dans un discours de responsabilité individuelle qui permet à l’État de
justifier la mise en place d’un arsenal répressif dirigé encore une fois contre nos communautés.

MÉDECINE FRANÇAISE, MÉDECINE COLONIALE


Les déclarations sur LCI de Camille Locht et de Jean-Paul Mira2, qui évoquait de tester des

2. NdE : Le 1er avril sur la chaîne LCI, Jean-Paul Mira, chef de service à l’hôpital Cochin de Paris, propose de faire des tests de vaccin
contre le Covid-19 en Afrique. Son interlocuteur, Camille Locht, directeur de recherche à l’Inserm, répond favorablement à cette
proposition.

223 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


traitements, n’ont rien d’étonnant. Des médecins français qui prennent les corps noirs pour des
ÉDITION DU 4 MAI 2020

terrains d’expérimentation, c’est l’histoire de la médecine coloniale occidentale. Ils ne sont que les
héritiers d’une France qui a savamment orchestré la stérilisation et l’avortement forcés de 8 000
femmes réunionnaises dans les années 1970 ; c’est encore cette France qui impose la Lomidine (un
traitement censé guérir la trypanosomiase africaine, couramment appelée maladie du sommeil) aux
populations africaines colonisées, un traitement qui fera des milliers de victimes : gangrène gazeuse,
nécrose, fesses et cuisses enflées, des muscles présentant des signes d’éclatement et de pourriture. La
gynécologie occidentale n’échappe pas au racisme non plus, si elle a pu faire les progrès dont elle
se targue aujourd’hui, c’est « grâce » aux expérimentations répétées et sans anesthésie sur le corps de
femmes noires mises en esclavage.
Nos besoins de soutien psychiatrique, psychologique, socio-économique et politique peuvent être
amplifiés pour certaines dans cette situation de crise. Alors que l’Observatoire français des drogues
et toxicomanies observe une recrudescence des troubles anxieux et des états psychotiques, ce n’est
que le 23 mars que le ministère des solidarités et de la santé publique publie une liste de recomman-
dations pour les services de psychiatrie. Début avril à Bordeaux, un centre de soins signalait deux
décès par surdose liée au confinement. L’absence de préparation du centre de soins psychiatriques
est directement liée à la structuration néolibérale du système médical et exacerbe les inégalités
socio-économiques dans lesquelles nous nous trouvons. Certains organismes ont tout simplement
interrompu la majorité de leurs services. De ce fait, les personnes vivant dans des situations pré-
caires, avec des neuro-divergences et des traumatismes sont plus susceptibles de ne pas supporter le
confinement. Les pensées suicidaires, les crises de panique et les addictions redoublent d’intensité.
Les personnes ayant vécu l’exil font face à des problèmes de traduction, d’hébergement dans des
structures insalubres, à l’angoisse face à la police, l’inquiétude pour les proches qui résident ailleurs
et la peur des persécutions de la police. Dans un contexte où le milieu psychiatrique est déjà en
grande difficulté et où le confinement est susceptible de s’étendre au-delà de la mi-mai, il est donc
essentiel de relayer les initiatives de permanences psy dématérialisées adaptées à nos besoins comme
celle du collectif psy noires.

DES COLONIES DÉPARTEMENTALISÉES DAVANTAGE FRAGILISÉES


Ignorant les mises en garde, l’État français continue de mettre à risque des populations déjà
vulnérables : le Conseil d’État qui annule l’ordonnance du tribunal administratif de Basse-Terre,
en Guadeloupe, qui imposait à l’Autorité régionale de santé (ARS) de commander tests et traite-
ments en quantité suffisante en est une énième preuve. Il s’agit d’une opportunité de plus d’ana-
lyser la réalité de la souveraineté des territoires d’outre-mer. Trois ans après l’incendie du CHU
de Guadeloupe, il n’y a toujours que 22 lits de réanimation pour 395 000 habitants3 : en somme,
les responsables politiques locaux n’ont toujours pas tenu leurs promesses de reconstruction. À
la négligence envers le milieu hospitalier s’ajoutent l’infantilisation de la population et le régime
d’exception : en témoigne la mise en place d’un couvre-feu en Guadeloupe et Martinique avec une
interdiction de se déplacer entre 20 heures et 5 heures du matin.
L’État français compromet aujourd’hui la sécurité de la population de ces colonies. Le 10 mars
2020, Philippe Gustin, préfet de Guadeloupe, facilitait l’arrivée de 200 touristes italiens en croisière
sur le territoire alors même que l’Italie devenait l’épicentre de la pandémie. Quand il ne met pas en
danger la population qu’il est censé servir, il rejette les arrêtés des maires guadeloupéens proposant
l’interdiction des rotations de bateaux touristiques. En Martinique, ce sont des habitant·es qui se

3.Voir la Lettre de Mme Lincertin, présidente de la région Guadeloupe à Nicolas Tavernost.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 224


déplaçaient pour bloquer les aéroports et les stations routières pour exiger le dépistage des touristes.

ÉDITION DU 4 MAI 2020


À la Réunion et à Mayotte, aucun contrôle sanitaire à l’arrivée des bateaux et des avions n’a été
entrepris avant la mi-mars. Avec 4 % de la population officiellement contaminée en Martinique et
3,5 % en Guadeloupe, ce sont les deux seules îles des Caraïbes enregistrant le plus fort taux de
personnes atteintes par le virus.
Il nous est primordial à nous, populations noires, de comprendre, d’analyser le système négro-
phobe et néolibéral dans lequel nous vivons. S’indigner des énièmes propos racistes de tel médecin
ou tel homme politique est vain, si nous ne nous attardons pas à trouver des solutions et plus que
tout n’oublions pas : si nous subissons tous la négrophobie nous ne sommes pas tout·es logé·es à la
même enseigne, prêtons plus d’attention, soutenons les plus vulnérables d’entre nous : les travailleurs
sans papiers entassés dans des foyers, les migrant·es, les travailleur·euses pauvres…
Médiapart, 17 avril 2020

225 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


LE SENS DE LA GUERRE, LA PESTE ET LA FAMINE
ÉDITION DU 4 MAI 2020

PABLO L. LUNA1

Notre ami Pablo nous livre cet extrait de La Guerre du Péloponnèse de Thucydide2.
Selon la formule consacrée, toute ressemblance avec la situation actuelle est fortuite.

La maladie [s’y] déclara […] ; elle s’était abattue, disait-on, auparavant en plusieurs endroits […]
mais nulle part on ne se rappelait pareil fléau et des victimes aussi nombreuses. Les médecins étaient
impuissants, puisqu’ils ignoraient dès le début la nature de la maladie ; de plus, en contact plus étroit
avec les malades, ils avaient été, eux aussi, plus particulièrement atteints. Toute science humaine était
inefficace ; […] en vain on avait recours aux oracles […] ; tout était inutile. […]
Le mal [qui avait fait son apparition à l’étranger] s’y déclara subitement […] on colporta le bruit
[qu’on avait] empoissonné les puits […] chacun, médecin ou non, se prononça selon ses capacités
sur les origines probables de cette épidémie, sur les causes d’une pareille perturbation, […] je me
contenterai d’en décrire les caractères et les symptômes capables de faire diagnostiquer le mal au
cas où il se reproduirait. Voilà ce que je me propose de faire, en homme qui a été lui-même atteint
par la maladie et qui a vu souffrir d’autres personnes […]
Cette année-là, de l’aveu général, la population avait été particulièrement indemne de toute
maladie. […] En général on était atteint par le mal sans indice précurseur, subitement, en pleine
bonne santé. On éprouvait de violentes chaleurs à la tête ; les yeux devenaient rouges et enflammés ;
à l’intérieur, le pharynx et la langue [rendaient] la respiration irrégulière, l’haleine fétide. À ces
symptômes succédaient l’éternuement et l’enrouement ; peu de temps après la douleur gagnait la
poitrine, s’accompagnant d’une toux violente ; quand le mal s’attaquait à l’estomac, il y provoquait
des troubles et déterminait, avec des souffrances aiguës, toutes les sortes d’évacuations. […]
Au toucher, la peau n’était pas très chaude ; elle n’était pas livide non plus, mais rougeâtre avec
une éruption de phlyctènes et d’ulcères […] La plupart mouraient au bout de neuf ou de sept jours.
[…] Le mal, qui commençait dans la partie supérieure du corps et qui avait au début son épicentre
dans la tête, gagnait ensuite le corps entier et ceux qui survivaient aux accidents les plus graves en
gardaient aux extrémités les séquelles […] ; quelques-uns même perdirent la vue. D’autres, aussitôt
guéris, n’avaient plus de souvenir de rien, oubliaient leur personnalité et ne reconnaissaient plus
leurs proches. […]
La maladie […] sévissait avec une violence qui déconcertait l’entendement humain […] Pendant
sa durée, aucune des affections ordinaires n’atteignait l’homme ; s’il en survenait la moindre, elle
aboutissait à ce mal […] Aucun remède, pour ainsi dire, ne se montra d’une efficacité générale ;
car cela même qui soulageait l’un, nuisait à l’autre. […] Les gens se contaminaient en se soignant
réciproquement et mouraient. […] C’est ce qui fit le plus grand nombre de victimes. Ceux qui
par crainte évitaient tout contact avec les malades périssaient dans l’abandon : plusieurs maisons se
vidèrent ainsi, faute de secours. […]
C’étaient ceux qui avaient échappé à la maladie qui se montraient les plus compatissants pour les

1. Pablo L. Luna est historien et chercheur à l’Université Paris Sorbonne. Il a publié, avec Niccoló Mignemi, Prédateurs et résistants : appro-
priation et réappropriation de la terre et des ressources naturelles (16e-20e siècles), Paris, Syllepse, 2017.
2. Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, Paris, Charpentier, 1852, Livre 2, La Peste à Athènes.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 226


mourants et les malades, car connaissant déjà le mal, ils se sentaient en sécurité. En effet les rechutes

ÉDITION DU 4 MAI 2020


n’étaient pas mortelles. Enviés par les autres, dans l’excès de leur bonne fortune présente, ils se
laissaient berner par l’espoir d’échapper à l’avenir à toute maladie […] Toutes les coutumes aupara-
vant en vigueur pour les sépultures furent bouleversées. On inhumait comme on pouvait. Beaucoup
avaient recours à de sépultures de fortune, on manquait d’objets nécessaires, depuis qu’on avait
perdu tant de monde. Les uns déposaient leurs morts sur des bûchers qui ne leur appartenaient pas,
devançant ceux qui les avaient construits et y mettaient le feu ; d’autres sur un bûcher déjà allumé,
jetaient leurs morts par-dessus les autres cadavres et s’enfuyaient. […]
La maladie déclencha également dans la ville d’autres désordres plus graves. Chacun se livra à
la poursuite du plaisir avec une audace qu’il cachait auparavant. À la vue de ces brusques change-
ments, des riches qui mouraient subitement et des pauvres qui s’enrichissaient tout à coup des biens
des morts, on chercha les profits et les jouissances rapides, puisque la vie et les richesses étaient
également éphémères. Nul ne montrait d’empressement à atteindre avec effort un but honnête ; car
on ne savait pas si on vivrait assez longtemps pour y parvenir. Le plaisir et tous les moyens pour
l’atteindre, voilà ce qu’on jugeait beau et utile. Nul n’était retenu ni par la crainte des dieux, ni par
les lois humaines ; on se moquait de la piété et de l’impiété, puisque l’on voyait tout le monde périr
indistinctement ; de plus, on ne pensait pas vivre assez longtemps pour avoir à rendre compte de ses
fautes. Ce qui importait [c’était] tirer de la vie quelque jouissance. […]
Tels furent les maux dont les Athéniens furent accablés : à l’intérieur les morts, au dehors la
dévastation des campagnes. Dans le malheur, comme il est naturel, on se souvint de ce vers que les
vieillards déclaraient avoir entendu autrefois :
Viendra la guerre […] et avec elle la peste
Mais une contestation s’éleva aussitôt : les uns disaient que dans le vers ancien il n’était pas ques-
tion de la peste (loimos), mais de la famine (limos) ; bien entendu, vu les circonstances présentes,
l’opinion qui prévalut fut qu’il s’agissait de la peste. Car les gens faisaient concorder leurs souvenirs
avec les maux qu’ils subissaient. À mon sens si jamais éclate une autre guerre […] et qu’il survienne
une famine, vraisemblablement ils modifieront le vers en conséquence.

227 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


PRODUIRE DES BAGNOLES NE JUSTIFIE PAS QUE L’ON Y RISQUE SA VIE
ÉDITION DU 4 MAI 2020

JEAN-CLAUDE VESSILIER1

« Est-ce vraiment absolument nécessaire de produire des voitures dans une telle période ? » Cette
question lie explicitement les risques de travailler à plusieurs milliers en pleine épidémie avec le fait
de produire des voitures. « Tout le monde a bien conscience que produire des voitures alors qu’on en
est à 15 000 morts n’a pas de sens », confirme un ouvrier de l’usine PSA de La Janais près de Rennes,
au début du mois d’avril. Continuer à produire des voitures : la bagnole est devenue le représentant
de ces produits « non essentiels » qui imposent pour les fabriquer des conditions de travail dange-
reuses aux risques mortels avec l’épidémie. Du « Pas de bagnoles sans nous » scandé, en particulier
lors des manifestions devant le Salon de l’automobile qui en étale le luxe, on est passé lors de l’épi-
démie à « ne pas crever pour produire des bagnoles ». Ce véritable renversement de perspectives est
à la mesure de la crise d’ensemble qui frappe cette société capitaliste et que l’épidémie a contribué
à encore aggraver dans toutes ses dimensions.

UNE INDUSTRIE DÉJÀ MALADE


L’automobile, industrie reine de la deuxième moitié du 20e siècle, n’en finit pas de connaître des
crises. La plus récente, celle de la récession de 2008, n’avait trouvé une issue que par la destruction
d’anciennes capacités de production et l’irruption de la Chine comme premier marché mondial. Les
premiers signes d’une nouvelle crise sont apparus en Chine depuis presque un an avec une baisse
inédite des ventes d’automobiles et des surcapacités de production apparaissant comme dans tout
pays capitaliste. Les firmes automobiles étaient de plus en plus confrontées aux conséquences du
changement climatique les amenant à envisager d’autres motorisations que les moteurs à essence
ou diesel. Pour sauver leur essentiel, l’automobile, ce produit vendu chaque année à environ cent
millions d’unités dans le monde au prix moyen de 20 000 euros.
Un « virus très politique » doit savoir que les dégâts sont d’autant plus prononcés que le sujet
atteint est déjà en mauvaise santé. C’était le cas de l’industrie automobile avant l’épidémie, avec des
signes très marqués en Chine et en Allemagne, peut-être moins en France.
Brutalement, l’épidémie a abouti partout dans le monde à un effondrement des ventes et de la
production d’automobiles. Les chiffres du mois d’avril amplifieront ceux déjà recensés pour les
mois de février et mars 2020. L’arrêt synchronisé des usines automobiles dans une grande partie
du monde est sans précédent. Depuis la Seconde Guerre mondiale où de nombreuses usines auto-
mobiles avaient été reconverties pour fabriquer des armements, le monde n’a jamais vu une telle
fermeture autant coordonnée des usines automobiles.

PSA ET RENAULT CONTRE LE CONFINEMENT


Dans cette situation, le singulier n’est pas la fermeture des usines de Renault et PSA en France
et en Europe, mais au contraire la ténacité avec laquelle ces firmes ont essayé de faire obstacle au
confinement général.

1. Jean-Claude Vessillier est retraité de chez Renault. Il a participé au livre de Clara et Henri Benoits, L’Algérie au cœur : révolutionnaires et
anticolonialistes à Renault-Billancourt, Paris, Syllepse, 2014.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 228


Dans les faits, ni Renault ni PSA, ainsi que toute l’industrie, n’ont accepté le confinement. Ayant

ÉDITION DU 4 MAI 2020


chacun des capitaux publics parmi leurs actionnaires, ils ont laissé au Centre national de la pro-
fession automobile le soin de parler au nom des constructeurs, équipementiers et garagistes réunis
dans un même groupe de pression. Celui-ci, maintenant animé par l’ancien ministre de l’éducation
de Sarkozy Luc Chatel, déclarait dès le 11 avril : « Pour le secteur automobile, gagner la bataille du
redémarrage de l’appareil industriel constitue désormais un enjeu d’intérêt national et suppose un
engagement fort des pouvoirs publics », déclarait-il le 11 avril. Une bataille ? Les impératifs d’un
appareil d’État en charge de la reproduction de l’ordre social existant et donc ayant finalement à
rendre compte des milliers de morts de la pandémie, ne coïncident pas avec ceux de chaque firme
capitaliste. Preuve est en a été fournie lors de cette crise, comme ensuite a été démontré l’aplatisse-
ment du même Macron qui, supprimant le mot « essentiel » de son discours, a donné le feu vert aux
entreprises pour redémarrer à leur convenance.
Production et ventes : tout se tient. Le même CNPA s’est retrouvé à la manœuvre pour affirmer
que « la priorité, c’est de permettre le plus rapidement possible la reprise des activités commerciales,
c’est-à-dire la livraison des véhicules et la réouverture des points de vente, complément indispen-
sable au redémarrage des usines ». Une exigence qui, si elle avait abouti, aurait permis la réouverture
des vitrines automobiles alors que librairies continuent d’être fermées. Le comble est que cette
demande a reçu le soutien des syndicats de PSA autres que la CGT, exprimé dans une lettre adressée
le 23 avril aux ministres de l’économie, du travail et de la santé.

UNE REPRISE CHAOTIQUE REMPLIE D’OBSTACLES


Entre ces injonctions et une reprise réelle de la production, il y a la réalité des obstacles qui
tiennent à une incontestable résistance des salariés à une reprise en plein confinement maintenu
pour la population. Les volontaires, lorsqu’il y a appel à volontaires pour reprendre la production,
sont souvent « incités » ou contraints. Mais ces obstacles tiennent aussi à une situation sanitaire et
économique non maîtrisée par les dirigeants tant politiques que patronaux. Quels que soient leurs
souhaits, cela ne concourt pas à une reprise des ventes de voitures. Leur horizon, borné par l’obses-
sion du taux de marge, les rend incapables d’anticiper une épidémie dont son universalité ne s’était
encore jamais vue.
Carlos Tavarès, le président de PSA expliquait à la presse le 3 mars 2020, donc à quelques jours du
confinement général de la population : « PSA maîtrise les conséquences du coronavirus. Nous avons
réussi à protéger l’outil industriel européen qui tourne à plein. Les carnets de commandes sont très
bons, voire excellents. C’est évidemment le résultat de l’agilité des équipes. Nous avons des tensions
qui sont gérables. Elles ne sont pas plus importantes que d’autres et tirons profit de notre stratégie. »
Du déni déraisonnable au sens strict !
Et de fait, les tentatives bien réelles de PSA de faire repartir la production ont échoué avec des
premiers tests manqués le 31 mars dans les usines de Valenciennes consacrées à la fabrication de
boîtes de vitesses, et de Douvrain fabriquant des moteurs. L’opposition de tous les syndicats, le
mécontentement local et l’effondrement persistant des ventes ont fait reculer PSA. La reprise envi-
sagée a été différée.
Toutefois, l’activité n’a jamais complètement cessé dans l’industrie automobile. Les centres d’études
de Renault ont continué à fonctionner en mêlant télétravail et présence sur site de centaines de sala-
riés. « Pour maintenir des activités soi-disant vitales pour l’entreprise, 400 salariés en moyenne sont
présents quotidiennement au Technocentre et à Aubevoye pour réaliser des essais, des validations et
des prototypes », relate le syndicat SUD du Technocentre de Renault.
Outre les fournitures de pièces chez Renault et PSA, les grands équipementiers ont continué à

229 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


vendre à travers le monde - l’effondrement de la production n’étant pas totalement synchrone selon
ÉDITION DU 4 MAI 2020

les continents et les pays, la Corée du Sud et la Chine ayant été atteints plus tôt que l’Europe et
ayant redémarré en conséquence. Michelin et Valéo sont parmi les firmes qui n’ont jamais arrêté
totalement leur production en France. Le centre de pièces et logistique de PSA à Vesoul a continué
à fonctionner bien que, en date du 1er avril, sur 128 cas de coronavirus suspectés 24 aient été dia-
gnostiqués par l’infirmerie du centre.

LA PRODUCTION D’AUTOMOBILES RALENTIE


À la fin du mois d’avril l’usine Toyota d’Onnaing près de Valenciennes a été la première usine
d’assemblage de voitures à redémarrer le 24 avril. Mais pour produire seulement après quelques
jours 150 voitures par jour contre une moyenne habituelle de 1 000 voitures. Cet exemple largement
relayé par les médias illustre davantage les obstacles à une reprise normale que sa réussite.
Renault est plus en avance que PSA avec un redémarrage effectif dans la semaine précédant le
1er Mai des usines de Flins et de Sandouville.
Dans toutes les usines qui ont repris, les effectifs ne sont pas au complet avec un fonctionnement
en équipes réduites par rapport à l’habituel. Et partout le nombre de voitures ou de pièces produites
est très inférieur aux standards d’avant l’épidémie.
Les mesures barrière ne se réduisent pas à de la signalétique supplémentaire dans les ateliers et
les services. Elles créent en fait de nombreuses contraintes et gênes supplémentaires, détériorant
donc considérablement les conditions de travail. Le port du masque, indispensable et obligatoire
est pénible à supporter tout au long d’une session de travail de 8 heures, et cela d’autant plus si les
objectifs de productivité restent les mêmes. Et c’est encore plus pénible, lorsque le port d’un masque
chirurgical FFP2 est imposé, dans les situations où moins d’un mètre sépare chacun de son collègue.
Le contrôle de l’air ambiant dans les ateliers et services n’est pas secondaire. Comme il a été
démontré que climatisation, ventilation ou brumisateurs pouvaient contribuer aux déplacements
des gouttelettes porteurs de virus, tous les dispositifs sont suspendus dans le cadre de l’application
des mesures barrière. Cela deviendra vite insupportable dans les mois d’été où la température dans
certains ateliers d’usinage peut dépasser les 40 degrés.
La suppression de tous les appareils de distribution de boisson et de nourriture sont autant d’obs-
tacles mis à un fonctionnement normal, qui a été gagné au fil des ans avec quelques aménagements
face à un travail de plus en plus contraint.
Ces conditions de travail dégradées s’observant déjà dans les cas actuels de reprise pourtant très
partiels le seront d’autant plus lors des reprises plus générales. C’est bien une période chaotique qui
s’ouvre. Les affrontements entre les impératifs de retrouver le niveau de production d’avant et ceux
déterminés par la préservation de la santé et la vie de chacun, rythmeront cette période marquée
par la menace d’une nouvelle vague de l’épidémie.

LE RETOUR DE VIEILLES RECETTES


L’industrie automobile toujours en crise : aux facteurs à l’œuvre dès avant l’épidémie va s’ajouter
la crise économique ravageuse qui pointe, synchronisée dans tous les pays au tempo de l’épidémie.
Les vieilles recettes fondées sur l’octroi massif de primes finançant l’achat de voitures neuves seront
des rustines remises au goût du jour, en favorisant les véhicules électriques ou hybrides au détriment
des anciens modèles essence ou diesel.
Les voitures neuves sont maintenant achetées en Europe pour moitié par des entreprises et socié-
tés, et pour l’autre moitié par la population la plus riche et la plus âgée. D’éventuelles primes les
serviraient en priorité. Et les voitures électriques ainsi favorisées nécessiteraient en France la mise

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 230


en service de plus de centrales nucléaires. Dans ce cas, bonjour le développement écologique de ce

ÉDITION DU 4 MAI 2020


monde d’après. Épidémie ou pas, les firmes automobiles n’ont pas d’autre objectif que de vendre
plus de voitures à ceux et celles ayant des revenus ou rentes suffisants pour les acheter.
Les restructurations à venir sont déjà programmées : Renault annonce un plan d’économies de
deux milliards d’euros pour la mi-mai, intégrant l’arrêt de plusieurs modèles, la suppression ou la
délocalisation d’activités pour les nouveaux modèles, et la fermeture éventuelle d’usines. PSA sous
la houlette de Tavares accélère les préparatifs de la fusion avec Fiat, en activant la chasse aux dou-
blons pour supprimer usines, emplois et activités à l’exemple de ce qui a été mis en œuvre chez
Opel.

QUELLE RECONVERSION POUR L’INDUSTRIE AUTOMOBILE


Les lendemains de l’épidémie verront dans l’automobile, et de façon peut être plus aiguë
­ u’ailleurs, la crise sociale rattraper la crise sanitaire. La défense de l’emploi sera à l’ordre du jour.
q
Face aux crises de cette ampleur, les questions de la socialisation d’une industrie expropriée de ces
« saigneurs » (l’expression utilisée à Renault-Billancourt en 1936 pour désigner Louis Renault le
fondateur exproprié en 1944) et de sa reconversion au service des besoins les plus essentiels sont
nécessairement posées. La reconversion de l’industrie automobile est ainsi inscrite au programme de
nombreux courants radicaux.
Pour concrétiser la possibilité d’une reconversion de l’industrie automobile, le seul exemple cité
pendant longtemps était celui de la Seconde Guerre mondiale où les firmes automobiles avaient été
contraintes de produire du matériel militaire. Cela avait été rappelé par Lars Erikssonn un ouvrier
militant chez Volvo en Suède, après la crise de 2008. Lors de la dernière grève de General Motors à
l’automne 2019, la caravane de la solidarité avait aussi cité cet exemple. Le fait que les critiques de
l’usage de l’automobile n’aient d’autres exemples que celui-ci datant de trois quarts de siècles, était
révélateur des difficultés à étayer une reconversion possible de l’industrie automobile.
Lors de cette épidémie, aux États-Unis comme en Europe, les constructeurs automobiles ont pu
« techniquement » contribuer à la fabrication de masques et de respirateurs. Pour un résultat ridicule
en comparant l’ampleur des besoins avec les capacités en investissement de firmes comme General
Motors ou PSA. Il n’empêche que la demande pour la fabrication de respirateurs s’est tournée vers
les constructeurs automobiles, et avec une intensité plus grande aux États-Unis qu’en France.
En France, selon PSA, une soixantaine de volontaires ont été rassemblés dans un atelier de l’usine
de Poissy pour fabriquer des modules mécaniques livrés ensuite pour l’assemblage final sur le site
d’Antony d’Air Liquide. La CGT de PSA est « bien évidemment d’accord avec la fabrication de res-
pirateurs médicaux avec une sécurité sanitaire maximum pour les salariés, car c’est une production
vitale et urgente pour sauver des vies. Mais que de temps perdu par ces deux constructeurs quand
on sait la pénurie inacceptable de respirateurs médicaux dans les hôpitaux ».
Depuis cette annonce on a appris que l’initiative relevait davantage de la communication que de
la participation effective à une « mobilisation » contre le virus. Radio France a en effet révélé que sur
les 10 000 respirateurs produits par le regroupement autour d’Air Liquide et de PSA, 8 500 sont des
appareils légers faits pour être utilisés dans les ambulances, mais pas dans les salles de réanimation.
Un médecin du CHU de Nantes interrogé par Radio France précise : « Si vous vous en servez pour
un syndrome respiratoire aigu, vous avez un risque de tuer le patient au bout de trois jours. Parce
que ce n’est pas fait pour ça. »
Plusieurs autres firmes relevant de la filière automobile ont aussi fabriqué des masques d’abord
pour leur besoin interne, montrant ainsi qu’en peu de temps d’autres objets que des pièces automo-
biles pouvaient être fabriquées dans des mêmes installations. Le recours aux imprimantes 3D et à

231 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


leur polyvalence témoigne d’une aptitude nouvelle à pouvoir produire pour d’autres fins que celles
ÉDITION DU 4 MAI 2020

initialement installées.
En pratique, PSA et Renault ont montré qu’elles étaient plus championnes en communication
qu’en fabrication de biens essentiels. Mais cela n’est pas une découverte. Le nouveau est qu’il a
été montré, à une échelle certes très réduite, la possibilité de produire autre chose que des pièces
automobiles, et que les firmes capitalistes étaient incapables sur une grande échelle de satisfaire ces
besoins urgents. Cet exemple même détourné par les firmes automobiles vaut bien autant que celui
de la reconversion des usines automobiles en fabrication de matériel de guerre pendant la Seconde
Guerre mondiale.

À LA POPULATION ET AUX SALARIÉS DE CHOISIR CE QUI EST ESSENTIEL


Les comportements sociaux face à une telle épidémie sont comme un phénomène de loupe
permettant de distinguer ce qui est « essentiel » du reste. Ce n’est pas une discussion de salon : la
priorité d’affectation des masques pour les soignants des hôpitaux est une question à laquelle toute
la population se montre sensible. Si en raison de cette priorité il n’y a plus de masques disponibles
pour produire des voitures, c’est la production de voitures qui doit s’arrêter et la santé de ceux qui
y concourent sauvegardée. Les bagnoles ne font pas ou plus partie de l’essentiel et ne justifient pas
que l’on risque sa vie à les fabriquer.
Le recours à jusqu’à 80 % d’intérimaires sur les chaînes de production, la participation de centaines
de prestataires aux projets de nouveaux véhicules sapent l’attachement des salariés à leur entreprise
et à la voiture, renforçant la très ancienne séparation entre le produit achevé et le travail morcelé
de chacune ou chacun.
Une crise de cette importance condense toujours le rythme des séquences. Les mêmes appelés
aujourd’hui à être volontaires pour faire redémarrer les usines au plus vite peuvent être sur les listes
de suppression de poste ou emploi. Le cheminement de la mise en cause des finalités d’une produc-
tion qui n’arrive même plus à trouver d’acheteurs, peut poser la nécessaire défense de l’emploi en
des termes plus efficaces, oui plus efficaces, que la défense de la bagnole devenue le temps de cette
épidémie un symbole des biens « non essentiels ».
30 avril 2020

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 232


ÉDITION DU 27 AVRIL
LES FEMMES EN PREMIÈRE LIGNE FACE AU COVID-19

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


RACHEL SILVERA1

Les femmes sont plus que jamais en première ligne, tant sur le front du travail que sur le plan de
la vie familiale, comme le souligne ONU Femmes France, le 27 mars 20202.

LES EMPLOIS VITAUX DANS NOTRE SOCIÉTÉ : UNE MAJORITÉ DE FEMMES AUX PROFESSIONS DÉVALORISÉES
Plusieurs professions sont directement confrontées à la pandémie : on pense en premier chef au
secteur de la santé et du soin. En 2017, parmi le million d’agent·es de la fonction publique hos-
pitalière (hôpitaux et Ehpad), on compte 77,6 % de femmes, et même 90 % parmi les infirmières
et aides-soignantes. On pense également aux aides à domicile, aux assistantes maternelles et bien
sûr aux caissier·ères de la grande distribution ou encore aux agent·es d’entretien. Or ces profes-
sions sont toutes à prédominance féminine, les femmes y sont dévalorisées et invisibles  –  jusqu’à
aujourd’hui  –  au regard de leurs diplômes et du travail effectué3.
Ces services, très féminisés, se sont construits autour de compétences présumées naturelles des
femmes. Ils sont moins bien couverts par les conventions collectives, moins bien définis dans les
classifications et donc moins bien rémunérés, sous prétexte qu’il ne s’agirait pas de « vrais métiers4 ».
Toutes ces professions, y compris et surtout dans la fonction publique, sont caractérisées par des
revenus faibles, la détérioration de leurs conditions de travail, une dévalorisation symbolique et sala-
riale, renforcée par des années de restriction budgétaire dans les services de santé. À cela s’ajoutent
pour certaines professions comme le nettoyage, l’aide à domicile et les hôtes·ses de caisse, des temps
partiels imposés, avec des horaires atypiques incompatibles avec des charges familiales.
Prenons l’exemple des infirmier·ères : en France, leur salaire est l’un des plus bas de tous les pays
développés. Selon l’OCDE, en 2017, il est inférieur de 9 % au salaire moyen français, alors qu’en
Allemagne, un·e infirmier·ère gagne 10 % de plus que le salaire moyen allemand et 28 % de plus
en Espagne. La dernière revalorisation de 2010, très faible en réalité, s’est traduite par un chantage
puisqu’elle s’est accompagnée d’un recul du droit à la retraite de 55 ans à 62 ans. Or selon un rap-
port de la Caisse de retraite des agents des collectivités locales, une infirmière vit en moyenne six
ans de moins qu’une autre femme française.
Le cas des aides-soignant·es est tout aussi déplorable, et il aura fallu la crise du Covid-19 pour
que l’on annonce une prime exceptionnelle pour les fonctionnaires mobilisé·es. Rien, en revanche,
n’est annoncé pour toutes les infirmières en libéral, les aides à domicile ou les aides ménagères plus
que jamais isolées, alors même que les soins qu’elles assurent auprès des personnes dépendantes

1. Rachel Silvera est économiste, à l’Université Paris-Nanterre et co-directrice du réseau de recherche MAGE (Marché du travail et
genre en Europe). Elle est co-coordinatrice de Le Genre au travail, à paraître aux éditions Syllepse (2 020). Ce texte reprend certains points
de l’article paru dans la Lettre éco de la CGT, n° 36, mars-avril 2020.
2 ONU Femmes France, www.onufemmes.fr.
3. Certes, d’autres secteurs sont aussi en première ligne, comme la police, les pompiers, les routiers, les surveillants pénitentiaires ou les
éboueurs. Ces professions à prédominance masculine, moins nombreuses, n’ont pas subi la même dévalorisation que les métiers à pré-
dominance féminine. Même s’il s’agit pour la plupart de métiers difficiles, ils sont mieux défendus syndicalement et leur technicité est
mieux reconnue.
4. Pour en savoir plus, voir Rachel Silvera, Un Quart en moins : des femmes se battent pour en finir avec les inégalités de salaire, Paris, La
Découverte, 2014.

235 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


sont indispensables et risqués. Rien n’est prévu non plus pour tout le personnel des Ehpad, qui avait
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

alerté, bien avant le Covid-19, de la difficulté de bien traiter les patient·es, vu le manque de per-
sonnel et de moyens, et pour qui la situation est catastrophique5. Rien pour les agent·es d’entretien,
rien pour les caissier·ères.
C’est pour toutes ces raisons que nous avons lancé, avec Séverine Lemière, une tribune parue
dans Le Monde le 18 avril 2020, signée par une dizaine d’autres chercheur·euses et par toutes les
organisations sociales6.

FACE AU CONFINEMENT, QUI S’OCCUPE DE NOS ENFANTS ?


D’après la dernière enquête de la Dares, fin mars, un quart des salarié·es a continué à travailler,
un quart est au chômage partiel, et environ un quart est en télétravail7. On sait que depuis cette
enquête, le télétravail a augmenté. Selon les estimations de l’OFCE, les catégories socioprofes-
sionnelles les plus concernées sont d’abord les cadres, puis les professions intermédiaires dont les
enseignant·es, et enfin les employé·es qualifié·es, notamment dans l’administratif. On peut donc
indirectement en déduire que les femmes sont nombreuses, voire majoritaires, en télétravail.
Mais à cela s’ajoutent, pour les « parents », le suivi scolaire et la prise en charge des enfants, du fait
de la fermeture de toutes les écoles et crèches, sauf pour les enfants de soignant·es. Or les femmes
assument toujours le gros des tâches domestiques et familiales : 72 % des tâches domestiques et
65 % des tâches familiales, selon la dernière enquête « Emploi du temps » de 2010. Ces données
sont confirmées par un sondage IFOP de 2019 où 73 % des femmes interrogées disent faire plus de
tâches domestiques que leur conjoint8. C’est donc une double journée intenable et de nombreux
témoignages montrent que ce déséquilibre risque de se renforcer avec le confinement : lorsque les
deux parents télétravaillent, la priorité est donnée plus souvent au travail de Monsieur (plus de res-
ponsabilités, un meilleur salaire…), l’accroissement des tâches domestiques lié au confinement (repas
supplémentaires, suivi scolaire, organisation de la journée…) étant assuré par les femmes9.
Cette situation est particulièrement difficile pour les mères élevant seules leurs enfants (18 % des
enfants sont dans ce cas) car elles ne peuvent pas refuser le télétravail si leur entreprise l’exige,
comme le prévoit la loi (article L. 1 222-11 du Code du travail). La mise en place d’un congé mala-
die (sans jours de carence) pour garde d’enfants est une bonne chose, sauf que le gouvernement a
conditionné cet arrêt maladie au fait de ne pas pouvoir télétravailler : comment imaginer pouvoir
télétravailler tout en prenant en charge ses enfants, a fortiori quand il faut leur faire la classe ? C’est
cette réalité que vivent les enseignant·es  –  une majorité de femmes également  –  obligé·es de jon-
gler entre les cours à distance à assurer et le suivi de leurs enfants. Et que dire des femmes qui n’ont
pas le capital culturel pour assurer ce suivi scolaire ? Car ces inégalités de genre face au confinement
se croisent avec un accroissement des inégalités sociales. Ainsi, selon le sociologue Antonio Casilli :
Pour ceux qui vivent dans quelques mètres carrés ou qui ont des situations familiales
difficiles, surtout pour les femmes, le télétravail peut se transformer en une double peine :
en plus de la pénibilité et des rythmes de leur propre travail dans des logements qui ne
sont pas toujours adaptés, il y a le travail du suivi des enfants ou des personnes âgées à
assurer en même temps10.

5.Voir les mobilisations importantes du personnel des Ehpad en janvier et mars 2018.


6. « Coronavirus : il faut “revaloriser les emplois et carrières à prédominance féminine” », Le Monde.
7. Dares, « Activité et conditions d’emploi de la main-d’œuvre pendant la crise sanitaire Covid-19 », Enquête Acemo, avril 2020.
8. https://consolab.fr.
9. Alice Raybaud, « Confinement et tâches domestiques : une augmentation des inégalités dans le couple est à craindre », Le Monde,
25 mars 2020.
10. Libération, 26 mars 2020.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 236


Tout ceci se confirme, dans une enquête menée du 31 mars au 8 avril 2020 auprès d’environ 2 000

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


salarié·es11 : les femmes sont plus nombreuses en détresse élevée (22 % sont dans ce cas pour 14 %
chez les hommes). Une différence que l’enquête explique par une charge mentale alourdie et un
cumul des rôles plus important chez les salariées.
Enfin, une recrudescence de plus d’un tiers des violences intrafamiliales est déjà constatée avec le
confinement. Il est important de prévoir des mesures conséquentes, comme en Espagne, pour faire
face à ces situations, d’autant qu’en cas de violences survenues au domicile, pendant le télétravail,
l’employeur est responsable.
21 avril 2020

11. Sondage effectué par OpinionWay pour le cabinet Empreintes sociales.

237 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


COVID-19 ET HUMEURS À SAINT-OUEN
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

ROBERT KOSMANN1

Le confinement généralisé pour la moitié de la population mondiale et pour la totalité de la


population en France est un événement pénible qui pose des centaines de questions auxquelles un
individu isolé, sans autre information que la presse écrite et audiovisuelle, n’a de réponse.
Je ne suis ni économiste, ni médecin (infectiologue ou pas), ni statisticien, encore moins « touto-
logue », selon l’expression qui caractérise les éditocrates qui se prononcent à longueur de chaînes
TV info sur tout et surtout sur rien… (Apathie, Elkrief, Pujadas, Bourdin, etc. La liste est trop longue
pour être complète) mais aussi tous les « spécialistes » qu’ils soient médecins spécialisés ou autres, à
la recherche de la visibilité médiatique que leur offrent avec délectation les journalistes chargés de
la bonne parole gouvernementale. Ancien ouvrier chez Renault, j’ai publié récemment un ouvrage
chez Syllepse et c’est à ce titre que j’ai répondu à la demande de mon éditeur, celui-ci ayant insisté
auprès de ses faiseurs de livres pour produire des témoignages sur la situation nouvelle que nous
connaissons.
Confiné (et respectueux de ce confinement par rapport aux autres Audoniens), habitant en HLM
à Saint-Ouen, je supporte mal cet enfermement et surtout la propagande incessante déversée sur
la protection et la dangerosité de la maladie, accompagnée de niaiseries télévisées. C’est le fait des
quatre chaînes d’informations en continu, plus les généralistes (TF1 et France 3) qui déversent
exactement les mêmes informations inquiétantes à longueur de journée (sans compter les messages
gouvernementaux récurrents sur la protection nécessaire).
Je l’ai dit, je n’ai aucune légitimité à parler de cette pandémie mais je suis lassé d’entendre les
chiffres macabres annoncés plusieurs fois par jour. Sans en tirer de conclusion, la presse « moins
gouvernementale » fait remarquer qu’à ce jour (22 avril 2020) le Covid-19 a fait 20 000 victimes
alors que la grippe de Hong Kong, en 1969, en avait fait 30 000 en France, quant à celle de 1957,
elle en avait occis 100 000. J’étais en 1957 préadolescent et en 1969 (après la grève de 1968 !)
adulte en pleine forme. Je n’ai, comme tout un chacun, aucun souvenir de ces drames réels qui
sont passés dans l’oubli le plus complet. Je ne relativise pas, je rappelle une info où n’existaient ni
réseaux sociaux, ni Internet, ni pression médiatique effrayante. Par contre, je suis à même de consta-
ter les mensonges réitérés de nos « élites » politiques, scientifiques et autres, qui, pour ne prendre
qu’un exemple, expliquaient l’inutilité d’un masque quand ils en avaient supprimé les stocks et qui,
désormais, vont le rendre obligatoire dans les transports. Il est inutile de rappeler les déclarations de
l’ex-ministre de la santé, qui expliquait que l’épidémie était limitée à ces pauvres Chinois et qu’il
n’y avait aucun danger en France. J’en passe… Là aussi, la liste de cette désinformation serait trop
longue. À ce jour il n’existe toujours pas de masques disponibles en pharmacie à Saint-Ouen et je
n’en mets pas.
Je n’ai aucune qualification pour approuver ou non les traitements de la maladie à l’hydroxy-
chloroquine mais on m’assomme de débats entre infectiologues sur lesquels je n’ai ni autorité ni
connaissance pour me prononcer. Les débats entre médecins ne sont sûrement pas une nouveauté
et ne faisaient pas jusqu’à présent le miel des médias. Surinformé par Internet, la télévision, les
messageries et autres smartphones où coexistent tout et rien (surtout rien !), je ne peux sortir que

1. Robert Kosmann est l’auteur de Sorti d’usines, la « perruque » : un travail détourné, Paris, Syllepse, 2018.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 238


dans les quartiers de la ville où la vie sociale a cessé (le parc et même le cimetière sont fermés).

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


Heureusement, on y rencontre parfois des groupes de jeunes solidaires. Cette solidarité existe en
même temps que des relents glauques de l’occupation nazie où des citoyens (le terme est suréva-
lué les concernant) dénoncent les groupes de jeunes dans les cités qui jouent au ballon et donc ne
respectent pas le confinement légal.
À 20 heures Je n’applaudis pas les personnels soignants, je préférerais qu’on leur donne des
moyens et des primes de dangerosité. La terminologie de « héros du quotidien » (éboueurs, infir-
mières, caissières de supermarché…) m’insupporte alors qu’avant l’épidémie, l’immense majorité du
corps médical exigeait des personnels et du matériel sans aucune réponse du gouvernement.
Syndicaliste ouvrier, j’ai toujours considéré les métiers socialement dévalorisés comme des emplois
indispensables, utiles et très mal payés. Voilà des décennies que le mouvement ouvrier se bat pour
faire reconnaître leur dignité. Souvent immigrés, ceux qui les exercent sont en butte au racisme et
deviennent bru­ta­lement des « héros du quotidien », c’est tapageur et révoltant.
Révoltant également, les politiques de traitement de la crise. Il manquait trois milliards il y a
quelques mois pour financer l’assurance chômage, c’était un « drame » et le gouvernement avait
prévu de faire payer les chômeurs en réduisant leurs allocations. Même chose pour le long conflit
des retraites pour lesquelles nous nous sommes battus et qu’il fallait absolument financer sous peine
de drame économique et social. Seule bonne nouvelle, on ne parle plus de ces contre-réformes…
pour l’instant. En même temps, le gouvernement français dégage des centaines de milliards (!) pour
l’indemnisation du chômage partiel et la relance à venir de l’économie. Thierry Breton en charge de
la relance pour l’Union européenne annonce une enveloppe de 540 milliards (!) et aux États-Unis,
le président débloque 2 000 milliards. La planche à billets est en pleine activité… On est inquiet de
savoir comment sera payée la note.
Surtout, je manque de lien social. Les êtres humains ne sont pas faits pour vivre avec la seule
technologie. Le télétravail, les vidéoconférences pour les scolaires et les travailleurs ont leurs limites,
même si je suis content de retrouver mes petits-enfants sur Skype de temps à autre. Je suis un grand
lecteur et la tournée régulière des libraires me manque, sans compter les rencontres de férus d’his-
toire et de cinéma spécialisé (les films programmés sur France 2 l’après-midi avec Louis de Funès
ont du mal à me faire rire malgré leur abondance de grimaces… !)
Je ne crie pas après les Parisiens qui ont pu partir s’aérer avant les décisions de confinement.
Tant mieux pour eux. Je me soucie en revanche des autres, notamment, à Saint-Ouen, les travail-
leurs immigrés du foyer ADEF obligés de partager des locaux exigus, les personnes en Ehpad qui
souffrent du manque de lien social, tous les petits métiers arrêtés (avec ou sans-papiers) et probable-
ment peu ou pas indemnisés, les SDF toujours présents dans les rues et qui continuent la mendicité
avec moins de résultats !
Ce billet d’humeur  –  très (trop) personnel  –  n’apprendra pas grand-chose à ses lecteurs. Mais il
se contente de réaffirmer le besoin pour les êtres humains de partager, de se rencontrer, d’échanger
les mille questions que la majorité ne sait résoudre (malgré les tombereaux de discours creux assé-
nés partout). J’attends avec impatience la fin de cette épreuve qui risque de ne se terminer qu’au
début de l’été. Malgré les conseils, les décideurs ont prévu de relancer les grandes usines. Je souhaite
bien du courage à ces ouvriers qui reprennent le travail avec parfois l’inquiétude et la crainte au
ventre. Je pense aussi aux probables milliers de chômeurs qui vont se retrouver à Pôle emploi à la
fin de l’épidémie. Je souhaite à tous les lecteurs de Syllepse de continuer à se mobiliser pour changer
le monde… dès que ce sera possible.
Saint-Ouen, 22 avril 2020

239 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


VERRÀ LA MORTE E AVRÀ I TUOI OCCHI
ÉDITION DU 27 AVRIL 2020

JEHAN VAN LANGHENHOVEN1

Après, il n’y a rien.


Avant, tout.
Mourir en réclamant un cure-dents. Ou taillant ses rosiers alors qu’on s’était promis de mourir les
armes à la main. Il en fut et vous le savez bien.
Mourir de La Peste, cf. Camus, le plus souvent à l’ordre désastreux du jour a contrario de la Mort à
Venise2. Serait-ce donc à dire que, pareil au joueur perdu d’avance, on ne saurait plus passer la main
lorsqu’en guise d’ultime porte de secours/escalier d’incendie le hasard vous invite à entrevoir le joli
corps, la charmante frimousse apte à d’un coup vous faire oublier la pourriture ambiante ; qu’elle
relève du choléra d’hier ou du corona d’aujourd’hui et de demain sans doute
Serait-ce donc à dire qu’au détriment des élégances premières on ne saurait plus s’éclipser béat,
idiot au vu de la beauté qui, sur fond de carnage, viendrait à se profiler alors que, néolibéralisme
carnassier à la manœuvre, ça commence à de toutes parts sérieusement sentir l’irréversible pouacre…
Le curare manque. L’hôpital se fissure. Les derniers de cordée : brancardiers, aides-soignantes,
infirmières, tiennent vacillants/d’une main ferme le monde à bout de bras. On songe néanmoins, ce
que rien ni personne ne saurait interdire, pas même les GPS de nos portables, au long bec pointu et
blanc des oiseaux noirs qui au comble de l’épidémie désinfectèrent la Venise des Doges, à quelques
savants fous fumant des oreilles penchés sur leurs microscopes sauvant ainsi l’humanité à l’aide de
souris blanches mélancoliquement modifiées à l’heure du dernier whisky, on songe impuissants qu’il
en est alors peut-être, sûrement désormais fini de l’insouciance d’être et pourquoi pas de la frater-
nisation en tout genre des chairs…
Et pourtant, plus ou moins conscients de l’ampleur du naufrage, cautionnant les sournois relents
de judéo-christianisme incurablement rivés à nos godasses réifiées, au simple nom de l’instinct de
survie (terrain vierge que chacun exploitera à sa façon) nous faut-il en D8 et Dolby Stéréo  –  per-
manence du spectacle oblige  –, sur fond de ballets d’ambulances, à présent coûte que coûte tenir.
Tenir…
Avec toutefois afin de sauver l’honneur et la mise, tel le noyé revenant à la surface, la permanence
opiniâtre du jeu - drôle de jeu  –,ceux de l’amour et du hasard, bien sûr, afin de perpétuer la belle
aventure d’être. Et antidote à toute tentation religieuse ou mystique, ne perdant jamais de l’œil
l’histoire, du politique encore…
La mort échapperait-elle à ce domaine ? La mort relèverait-elle alors de quelque région neutre
d’où rien ne saurait filtrer du chant des camarades ?
C’était là-bas, en Espagne, en un temps de terrible éruption où les écrans n’avaient pas encore
droit de cité, les uns criant Viva la muerte et les autres pourtant aux parfaites antipodes d’alors leur
répondre Viva la muerte…

1. « Enfance dans les banlieues populaires et rouges. Marques indélébiles », poète, Jehan Van Longen a publié Madame Bonaparte, Paris,
Syllepse, 2004.
2. Thomas Mann/Luchino Visconti. On est là, dans l’esthétisme le plus extrême de la Venise belle époque alors que le choléra approche,
s’installe, alors que passe, passe le bel adolescent, offrant ainsi divin spectacle et fatale antidote à celui qui, en dépit de son visage suant
dans le miroir, finira par oublier le mal qui déjà irréversiblement le ronge.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 240


Le dernier survivant de la Nueve  –  première division à entrer dans Paris libérée  –  dont il fallut

ÉDITION DU 27 AVRIL 2020


du temps pour révéler l’existence vient de mourir… Dérisoire anecdote et concert réitéré d’am-
bulances filant au grand galop dans la ville déserte pendant qu’au téléphone voix de R., riant aux
éclats, m’informant de son refus à se faire mettre ainsi que de son besoin vital autant que stylistique
(dixit) à plus que jamais leur tenir la dragée haute avant que de sans transition, comme s’il s’agissait
là d’une évidence, m’entretenir du prix de revient en Inde d’un sachet de…
Les vieux meurent. Ce qui est tout dire de la nature de ce système avouant chaque jour un peu
plus le cynisme de ses travers esclavagistes et macabres. Les enfants résistent. Ce qui est tout dire des
grands mystères de la vie. Et, clin d’œil à Victor, enfin prennent le pouvoir. Sans mansuétude aucune
pour le ventre mou des grandes têtes molles : spécialistes, experts et autres figures prépondérantes
du sinistre barnum attendant confinés bavards de vite reprendre leur place.
La mort rôde. L’économie s’écroule. Les lèvres s’inquiètent : plus de patins cet été à rouler sur la
plage ou dans les nights ? Les enfants rient. Et, réclamant un cure-dents, rit aussi le poète.
Verrà la morte e avrà i tuoi occhi3…
OK, Cesare ! OK.
Ménilmuch’ in sogno, 5 avril 2020

3. Cesare Pavese, « La mort viendra et elle aura tes yeux ».

241 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


ÉDITION DU 20 AVRIL
LA DISPARITION DES CHSCT, CE RECUL DE PLUS D’UN SIÈCLE, EST ENCORE

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


PLUS CRUEL EN PÉRIODE DE CRISE SANITAIRE
PHILIPPE SAUNIER1

Depuis quand la loi a-t-elle estimé qu’il était nécessaire d’avoir des délégués spécifiquement char-
gés de se préoccuper de la santé des travailleurs ? On entend dire régulièrement que les CHSCT
auraient été créés, parfois en 1968, parfois en 1982. En fait la première origine remonte deux siècles
en arrière lorsque l’on considérait déjà, avec la loi du 18 juillet 1890, qu’il fallait dans les mines
désigner des délégués spécifiquement missionnés sur la sécurité. On les appelle communément les
délégués mineurs.
Il y a maintenant un siècle, sur le plan industriel cette fois, le décret du 4 août 1911 crée les comi-
tés de sécurité avec des délégués spécifiques pour « associer les travailleurs aux tâches de protection
contre les risques professionnels ».
Pétain, qui réprime tout, crée néanmoins des délégués à la sécurité en 1941.
Dans la foulée de la Libération, ensuite, le ministre du travail et de la sécurité sociale signe le
1er août 1947 un décret qui leur donne un rôle plus politique. Le CHS est créé en tant que commis-
sion spéciale du CE, avec des délégués supplémentaires désignés ensemble par les élus DP et ceux
du CE. La plupart des prérogatives de ce que nous connaissons aujourd’hui comme les enquêtes
accidents du travail, le registre de danger grave et imminent proviennent de ce décret. Le texte
insiste sur les relations nécessaires entre les CTN et les CTR (comités techniques nationaux et
régionaux) de la Sécurité sociale avec le CHS.
À partir de 1947, jusqu’à très récemment, le rôle du CHSCT est constamment renforcé. En
1975, l’accord du 17 mars sur l’amélioration des conditions de travail, étendu ensuite par la loi,
intégrera les représentants syndicaux pour les établissements de plus de 300 salariés. En 1976, la
loi du 18 ­juillet­intègre l’environnement dans les prérogatives du CHS. En 1982, avec la loi du
23 décembre, le CHS devient CHSCT, y associant les conditions de travail. Cette loi augmente le
nombre de délégués dans cette instance, ajoute la consultation préalable en cas de modification des
conditions de travail, le droit d’expertise et d’autres dispositions. Il en fait une institution à part
entière. En 1992, un décret du 22 février, intègre les conditions d’utilisation de la sous-traitance
dans le périmètre du CHSCT.
En 2002, la loi dite de modernisation sociale du 17 janvier ajoute « la protection de la santé men-
tale » à la protection de la santé physique. Elle introduit aussi la prévention du harcèlement moral.
En 2003, la loi dite Bachelot du 30 juillet, ajoute plusieurs dispositions pour les établissements
dits Seveso. Entre autres, il y a les CHSCT élargis avec de nouveaux délégués qui représentent la
sous-traitance qui sont ajoutés. En 2012, la loi du 6 août, qui sera reprise dans la loi du 8 août 2016,
ajoute la prise en compte de la prévention du harcèlement sexuel.
En 2013, le 16 avril, un nouveau registre est créé. Il concerne le droit d’alerte des salariés et des
représentants du personnel au CHSCT en matière de santé publique et d’environnement. En 2014,

1. Philippe Saunier est syndicaliste CGT chez Total et co-coordonnateur (avec Rémy Jean) de AZF/Total, responsable et coupable, Paris,
Syllepse, 2018.

243 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


un rapport de la DARES de novembre donne le chiffre de 158 000 membres de CHSCT. On mesure
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

avec ce chiffre où se situe l’enjeu.


Avec du retard sur le privé, le CHSCT se mettra en place dans la fonction publique.
On voit donc dans ce rappel historique que le législateur, devant les faits et les exigences des
travailleurs n’a fait qu’élargir les missions et renforcer la nécessité d’avoir des délégués spécifiques.
Aujourd’hui, l’absence de délégués non dédiés seulement à la santé au travail, fait reculer consi-
dérablement la prise en compte de tous les risques complexes ou ceux qui nécessitent des actions
de longue haleine. C’est ce qu’on apprend avec tous les gros dossiers que nous connaissons comme
l’histoire des 44 cancers du rein à Commentry. C’est aussi ce que nous apprennent les cas de sui-
cides au travail. Pour l’amiante, qui fait encore des victimes aujourd’hui, impossible de réagir sans
délégués dans les CHSCT disponibles. Idem pour les cas de harcèlement, les radiations ionisantes,
les risques émergents…
Lors de l’explosion de l’usine AZF, les délégués du CE et des DP étaient submergés par la réso-
lution du devenir des salariés survivants et par l’aide morale et matérielle des familles des victimes
et des blessés. La recherche de l’origine de l’explosion passait au second plan sauf pour les élus au
CHSCT.

LA CONTRE-RÉVOLUTION DES ORDONNANCES MACRON


Dans chaque établissement où il existe un CHSCT vivant, on a pu mesurer historiquement, tout
ce qui a pu être découvert, dénoncé, traité, dans l’intérêt des salariés. Dans ce domaine comme dans
d’autres, l’ordonnance Macron est une contre-révolution. Nous n’oublions certes pas qu’il restait
encore à conquérir la création des CHSCT dans les petites entreprises.
Cette ordonnance Macron a supprimé des bras et des têtes pour la prévention, elle a aussi sup-
primé des missions. Les aspects de ces modifications sont moins connus :
n depuis 1947, le Code du travail demandait à ses délégués de « veiller au respect des règles rela-

tives à l’hygiène… » Formule consolidée en 1974 : « s’assure de l’application des prescriptions législa-
tives et réglementaires… » Cette formulation disparaît, comme celle issue de la loi de 1982, qui parle
explicitement de « contribution à l’amélioration des conditions de travail. » En 2017, Il n’est plus
question d’amélioration mais de « promotion de la santé, de la sécurité et des conditions de travail ».
n Le rôle de contrôle du respect de l’application de la réglementation a complètement disparu !

n Disparaîtront aussi les prérogatives sur le règlement intérieur, sur les inspections trimestrielles,

certaines consultations obligatoires…

UNE REPRÉSENTATION DU PERSONNEL AMPUTÉE FACE À LA CRISE SANITAIRE


Nos délégués désormais polyvalents sont submergés par les questions d’emploi, de remise en
cause des garanties collectives, de diktats dans tous les domaines. Il leur est beaucoup plus difficile
en étant moins nombreux de « quadriller le terrain », d’informer les salariés, plus difficile de lancer
des procédures de danger grave et imminent, de se coordonner avec les structures syndicales, de
se sortir de la désinformation sur le risque biologique, de gérer des sujets aussi lourds avec encore
moins de moyens.
Avec la complicité du gouvernement, qui publie des informations généralistes et incomplètes, de
nombreuses entreprises affirment qu’elles font tout bien. Comment arriver sans CHSCT à prouver
que, d’une part, le discours est sans rapport avec la réalité ; d’autre part, qu’il manque des mesures
sur l’hygiène ou sur la prise en charge d’un collectif dans lequel une suspicion de contamination
est connue ?

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 244


Tout cela sans parler de toutes les formes de dissuasions patronales et gouvernementales pour

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


qu’ils ne puissent exercer leur mandat pendant cette double crise.
Avec moins de délégués, moins de militants formés sur des sujets difficiles, il y a obligatoirement
plus de salariés qui ne sont plus protégés, plus de victimes, plus de contagion, plus de morts.

245 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


DERRIÈRE LE VIRUS…
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

NICOLAS BÉNIÈS1

Le coronavirus est un révélateur  –  au sens photographique  –  implacable. D’abord du néolibéra-


lisme dans ses caractéristiques fondamentales : privatisation comme modalité de fonctionnement de
la société avec comme conséquences la déstructuration des services publics et un développement
anarchique faisant éclater les secteurs stratégiques tout autant que les fonctions régaliennes à l’ex-
ception des forces de répression. C’est le double aspect du néolibéralisme : la volonté de détruire la
forme sociale de l’État  –  i.e. le welfare state, l’État-providence  –  et s’orienter vers la forme répres-
sive de l’État, une tendance qui trouve des résistances sociales importantes.
Ce constat est manifeste. La crise sanitaire est une crise du service public de santé. Tous les gens
qui applaudissent à 20 heures devraient d’abord tirer ce constat des effets du néolibéralisme et se
battre pour l’augmentation des crédits, revendications portées par les personnels de santé depuis plus
d’un an par des grèves à répétition.

LA FORME DE LA MONDIALISATION

Le virus ne dévoile pas seulement cette évidence. Plus profondément, il rend lisible la forme de
la mondialisation actuelle. Les entreprises transnationales, dans cette atmosphère de déréglementa-
tion  –  qui se poursuit dans l’urgence sanitaire  –  ont conçu une stratégie court-termiste minimale.
Investir au niveau mondial avec comme seul critère le coût de production – particulièrement le
coût du travail  –  le plus faible, le plus bas. La chaîne de valeurs mondiale repose sur la seule compé­
ti­ti­vi­té-prix. Le gouvernement chinois a beaucoup joué sur cette corde, au moins jusqu’à la crise
systémique de 2007-2008. Le résultat est visible. La chaîne de valeurs est incohérente et remet en
cause les fondements de la souveraineté des États qui dépendent d’autres États. Dans un contexte
d’inégalités croissantes, de surexploitations des salarié·es, de précarisation généralisée liée à l’élargis-
sement du secteur informel, celui qui n’est pas couvert par le droit du travail même affaibli. Cette
population est la première touchée. Aux États-Unis, les Africains-Américains sont les premières
victimes.

TOUTES LES CRISES SE DONNENT RENDEZ-VOUS


Le virus, c’est encore moins analysé, révèle aussi toutes les crises latentes depuis l’entrée dans la
crise systémique de 2007-2008. Après avoir dit vouloir lutter contre le capitalisme financier, Sarkozy
parlait même de « moraliser la finance », les gouvernants ont poursuivi « comme avant » se confinant
dans l’idéologie libérale sans analyse de la crise systémique elle-même. Ces gouvernements ont
démissionné laissant les banques centrales gérer les répliques de la crise. Relancer était un gros
mot. La politique budgétaire est restée dans l’orbite de la baisse des déficits et de celle de la dette
publique laissant agir les forces de destruction de ce capitalisme désormais mort-vivant.
Seule restait la politique monétaire pour enrayer momentanément le processus des crises. Ainsi la

1. Nicolas Béniès est chargé de cours d’économie à l’Université populaire de Caen. Collaborateur du Monde diplomatique, de L’Université
syndicaliste Magazine, il est l’auteur de Petit Manuel de la crise financière et des autres…, Paris, Syllepse, 2009 et du Basculement du monde,
Paris, Le Croquant, 2016.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 246


BCE – comme ses homologues, y compris l’institut d’émission chinois – ont mis en pratique le

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


Quantitative Easing (Q/E), création monétaire jamais vue pour racheter sur le marché secondaire la
dette publique et une partie de la dette privée des grandes entreprises. Cette création monétaire a
permis aussi la baisse jamais vue non plus des taux d’intérêt allant jusqu’à des taux d’intérêt néga-
tifs. Le résultat : une croissance énorme des dettes privées qui auront un effet boomerang si les taux
d’intérêt renouent  –  ce qui est vraisemblable  –  avec la hausse.
La crise financière est désormais une réalité tangible. Le CAC 40 est passé de plus de 6 000
points à 4 000 suivant la descente du Dow Jones à la Bourse de New York. Les Bourses sont toutes
orientées à la baisse. Comme dans la crise des années 1930, la brutalité de la baisse permet des
achats à bon compte qui permettent d’afficher des remontées à l’air spectaculaire. Ce n’est qu’un
répit. Toutes les contradictions accumulées se traduiront par des chutes profondes. Les interventions
des banques centrales sont là pour témoigner de l’actualité de la crise financière profonde qui se
répercutera sur la récession. Tous les avertissements, depuis au moins 2015  –  le 15 août les Bourses
chinoises dévissaient  –  n’ont pas été pris en compte. Les gouvernements ont laissé faire les banques
centrales pour « régler » la crise. Comme à l’habitude, le crédit ne fait que différer l’entrée dans la
crise ouverte.
Les crises de la dette des pays latino-américains comme la dépression économique étaient des
réalités avant même le virus. L’Inde était dans la même situation et la Chine connaissait une baisse
remarquable de son taux de croissance et les Bourses chinoises étaient orientées à la baisse.
Crise économique et crise financière s’inscrivaient déjà dans le contexte. Le virus a préci-
pité  –  dans tous les sens du terme  –  les explosions et implosions en cours.
La chute brutale des cours du pétrole, résultat non pas du virus mais de la géopolitique, l’affron-
tement entre l’Arabie saoudite et la Russie, est venue accentuer la chute des Bourses qui devrait
se poursuivre et s’approfondir. Par l’intermédiaire des ETF, exchange traded funds, en français « fonds
cotés en Bourse ». Ces produits financiers ont connu une très forte progression après l’entrée dans la
crise systémique. Ils reposent sur une spéculation non pas sur le physique  –  par exemple, le pétrole
ou les actions  –  mais sur les indices. Il est possible de spéculer sur un panier d’indices, de matières
premières, par exemple. Si la spéculation est à la hausse, le panier d’indices monte, les indices aussi
et les matières premières sur lesquelles reposent ces indices. Même processus pour la baisse. Lorsque
le cours du pétrole chute, l’indice chute et les ETF qui incluent l’indice chutent aussi. Les ETF
deviennent ainsi un diffuseur de baisse. Il est aussi des ETF sur le CAC 40 et le mécanisme est le
même lorsque l’indice de la Bourse de Paris baisse.
La résistance relative des Bourses actuellement – mi-avril – ne s’explique que par la politique
monétaire des banques centrales renouant avec le Q/E et des taux d’intérêt très faibles sinon néga-
tifs. Ce soutien n’aura qu’un temps.
Le monde est à la veille d’une récession économique profonde. Une dépression qui suppose autre
chose qu’un timide plan de relance. Celui décidé par l’UE est un placebo auquel personne ne peut
croire. Cinq cents milliards d’euros, c’est peu et surtout cette somme ne permet pas de répondre à
la profondeur des crises qui suppose d’orienter l’investissement dans les secteurs stratégiques, prio-
ritaires tout en luttant contre les mutations climatiques et la crise écologique. Il y faut d’énormes
investissements et une planification pour construire une autre société en répondant à toutes les
crises.
Il faut préciser que ces 500 milliards sont en trompe-l’œil. Ils se répartissent en 240 milliards
pour le MES, Mécanisme européen de stabilité, une société privée dont le siège est au Luxembourg
compo­sée de tous les États de la zone euro. Le MES date de la crise de l’euro et du « soutien »
apporté à la Grèce face aux vautours de la finance. La première grande crise de la construction

247 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


européenne. La deuxième est en train de commencer. Ces 240 milliards permettront aux États de se
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

prêter  –  avec un taux d’intérêt  –  mutuellement des capitaux. Ce sera un jeu étrange dans lequel
on ne saura plus qui gagne les billes et qui les remet en circulation. La Grèce a montré que ce n’était
pas une solution.
Deux cents milliards pour l’aide aux entreprises. Il reste à définir les contreparties et suppose de
discuter de l’avenir de la construction européenne et de son actualité.
Enfin 100 milliards pour soutenir le chômage partiel, soit une nouvelle aide aux entreprises…
Où est la stratégie ? Quel avenir ? Comment construire et non pas reconstruire à l’identique. Ce
modèle, ce régime d’accumulation est fini. La finance a obéré le taux d’accumulation, provoqué
l’accélération de la désindustrialisation et a créé des riches et des très riches assis sur cette sphère
financière.
Nous entrons dans un moment révolutionnaire… ou de régression si la prise de conscience n’est
pas au rendez-vous.
D’autant que la crise politique se poursuit qui accentue la remise en cause des libertés démocra-
tiques comme solution à cette crise fondamentale qui touche toutes les « élites ». Faute de légitimité,
les gouvernants choisissent le mode de la répression pour affirmer leur pouvoir et conserver les
privilèges des plus riches corrupteurs. Les émeutes deviennent actuelles faute d’une vision d’avenir
qui pourrait structurer les révoltes.
Qui aurait parié sur un virus pour faire apparaître au grand jour la réalité d’un capitalisme !

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 248


POUR SAUVER LA PLANÈTE : SORTIR DU COVID-19 PAR L’AUTOGESTION

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


BENOÎT BORRITS1

La pandémie de Covid-19 a provoqué une récession jamais envisagée auparavant avec des effets
immédiats sur l’environnement. Sera-t-il possible de sortir par le haut de cette pandémie en orien-
tant notre économie sur une voie écologique qui assurera un avenir à notre humanité ?

UN GIGANTESQUE DÉTOURNEMENT DE L’ARGENT PUBLIC


Face à la récession, le mot d’ordre « sauver l’économie » avec son corollaire « sauver les entreprises »
est dans tous les commentaires politiques. Mais de quelle entreprise parle-t-on ? Du collectif de
travail qui réalise une production de biens et de services ou de la société de capitaux, l’association
d’investisseurs qui mettent à disposition de l’entreprise leur capital dans l’objectif de le valoriser ? La
différence entre les deux porte sur la façon d’appréhender la valeur ajoutée.
La valeur ajoutée est la différence entre la valeur de la production vendue par l’entreprise et les
achats et l’usure des équipements. C’est la valeur que le travail a apportée. Un indépendant ou une
Scop sont des entreprises dans lesquelles les travailleur.ses s’approprient la totalité de ce qu’ils ont
produit. Dans la société de capitaux, les travailleur.ses ne reçoivent qu’une partie de la valeur ajou-
tée qui est la masse salariale, l’autre partie constituant le profit que s’approprient les actionnaires.
Lorsqu’il y a baisse de la valeur ajoutée, ce qui apparaît souvent dans une récession, la masse salariale
peut être supérieure à la valeur ajoutée et faire disparaître les profits. La tentation est alors grande
de licencier, ce qui détruit les collectifs de travail, sans parler des faillites en série.
En France, l’État a immédiatement mis sur la table 21 milliards d’euros de reports de cotisations
sociales et 8 milliards pour le chômage partiel. Cela évitera certes de nombreuses faillites et sau-
vegardera les emplois. Mais une question ne peut être éludée : l’État se substitue aux actionnaires
dans leurs obligations de payer les salaires et les cotisations sociales. Ce n’est alors pas l’entreprise
en tant que collectif de travail que le gouvernement tente de sauver mais la société de capitaux en
tant qu’association d’investisseurs. Or, la vocation de l’argent public n’est pas de se substituer aux
obligations des actionnaires pour sauver leurs patrimoines. Si les salaires et cotisations sociales sont
garantis par de l’argent public, la contrepartie de cette aide doit être le départ des actionnaires et le
transfert du pouvoir dans les entreprises aux salarié·es.

CE « SAUVETAGE DE L’ÉCONOMIE » EST CONTRADICTOIRE AVEC LA SAUVEGARDE DE LA PLANÈTE


Cette pandémie est aussi l’occasion de découvrir l’évidence. La chute de la production en Chine
a provoqué une baisse des émissions de gaz à effet de serre de 25 % sur les deux premiers mois
de l’année. Les Vénitiens sont stupéfaits de revoir des poissons dans des eaux devenues subitement
claires. L’air est désormais moins asphyxiant dans nos villes. Beaucoup se mettent à espérer que la
sortie de la pandémie soit l’occasion de repenser nos modes de production et de vie, de conjurer
le péril écologique qui menace notre humanité. D’autant que moins de production signifie plus
de temps libre, plus de temps pour soi. Et si nous éliminions les productions inutiles ? Et si nous

1. Benoît Borrits est l’auteur de Virer les actionnaires : pourquoi et comment s’en débarrasser, Paris, Syllepse, 2020 et de Coopératives contre
capitalisme, Paris, Syllepse, 2015. Il anime le blog economie.org.

249 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


arrêtions les stratégies d’obsolescence programmée des entreprises ? Et si, plutôt que de recycler les
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

emballages, source de nouvelles pollutions, nous nous engagions dans une démarche de zéro-dé-
chet ? Et si, en ayant considérablement baissé le transport des marchandises, nous changions nos
modes de transport individuels pour privilégier le rail au détriment de l’avion et de la voiture ?
Ceci suppose de revenir sur les plans de privatisation du rail. Et si nous arrêtions de considérer le
non-marchand comme une « charge » qui pèse sur l’économie marchande mais une partie constitu-
tive de l’économie ? Ceci nous permettrait enfin de disposer d’une santé publique à la hauteur d’une
société humaine et digne.
Mais tout ceci suppose que nous soyons en mesure de décider de ce que nous voulons produire
ou de ne pas produire. Or le plan de « sauvegarde de l’économie » du gouvernement vise à conserver
le pouvoir économique des actionnaires. Une nouvelle orientation de l’économie plus écologique
et non centrée sur la croissance suppose la reprise en mains des entreprises par les salarié·es et le
pouvoir donné aux usagers de déterminer ce qu’il faut produire. Mais pour devenir réalité, une telle
perspective passe par une socialisation démocratique de nos revenus et de nos investissements.

LE PRINCIPE D’AUTOGESTION DOIT PRÉVALOIR DANS L’ENSEMBLE DE L’ÉCONOMIE


Cette crise économique nous montre combien l’économie marchande est synonyme d’insécurité
dans la formation des revenus. Plus que jamais, la formation des revenus doit se faire, pour une
grande partie, hors marché. Cela suppose que toutes les unités productives réalisent une mutuali-
sation des revenus afin de les redistribuer en fonction du nombre de personnes dans chaque entre-
prise de façon à garantir à toutes et à tous un revenu quel que soit le comportement économique
de son unité de production. Il faudra reconnaître les qualifications et moduler cette redistribution
en fonction de celles-ci. Faut-il que tout ou partie de ces revenus soient inconditionnels, comme
le préconisent certains ? Ces questions sont ouvertes et méritent d’être débattues : c’est à la société
tout entière d’en décider.
Plutôt que de se morfondre du creusement des inégalités pour n’envisager que des mesures de
correction par la fiscalité, il est indispensable de s’en prendre à la source même de leur formation
et d’interdire la propriété dominante et lucrative, celle que l’on n’utilise pas pour soi mais dont
on laisse l’utilisation à d’autres contre rémunération. Il ne sera ainsi plus possible de posséder un
logement que l’on loue à autrui ; il ne sera plus possible de posséder une entreprise dans laquelle
on ne travaille pas. Le seul actif financier possible sera alors une monnaie qui ne rémunère plus et
dont la seule fonction est la conservation d’un pouvoir d’achat. Ceci signifie se passer de la notion
même de capital, à savoir d’argent mis à disposition de l’entreprise contre la direction de celle-ci,
afin d’obtenir des profits et une valorisation de ce capital. Ceci suppose donc que l’ensemble des
actifs des entreprises soient financés par emprunts, non plus privés, mais auprès d’un système finan-
cier socialisé, démocratiquement géré par les citoyen·nes qui détermineront ensemble les grandes
orientations de l’économie.
De telles dispositions permettront de rendre possible une nouvelle orientation écologique de
l’économie avec des plans massifs de reconversion professionnelle reconnaissant les qualifications
dans une logique qui ne laisse plus personne en situation d’exclusion économique. Une telle éco-
nomie autogérée nous permettra de reprendre en main notre destin, de décider de ce que nous
voulons produire ou ne pas produire, de réduire notre temps de travail pour bénéficier de plus de
temps libre. Le principe de démocratie dans toutes les unités productives, marchandes comme non
marchandes, passe par cette rencontre permanente entre celles et ceux qui produisent et celles et
ceux qui utilisent cette production. Cette perspective est en contradiction totale avec le sauvetage en
cours des sociétés de capitaux que mène le gouvernement Macron. Allons-nous reprendre le travail
dans ces mêmes conditions à l’issue de cette crise sanitaire ?

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 250


VENEZUELA: ENTRE GESTION AUTORITAIRE DE LA CRISE SANITAIRE ET

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


PRESSIONS ÉTATS-UNIENNES
THOMAS POSADO1

Le Venezuela connaît une crise multiforme, à la fois politique, économique et sociale, depuis main-
tenant plusieurs années. Le pays connaît sa septième année de récession et le pouvoir d’achat des
salariés a diminué de 99,99 % face à l’effondrement monétaire. Les pénuries d’aliments et de médi-
caments sont récurrentes. Les sanctions adoptées par Donald Trump en août 2017, pour interdire à
l’État vénézuélien de contracter de la dette auprès d’entreprises ou de particuliers états-uniens et
surtout en janvier 2019, pour empêcher les ventes de pétrole vénézuélien, étranglent encore davan-
tage une économie aux abois.
Ainsi, l’épidémie de Covid-19 pourrait avoir des conséquences dramatiques parmi une population
déjà très fragilisée. Seules 136 municipalités sur 335 du pays reçoivent de l’eau courante au moins
une fois par semaine (même si souvent ce n’est que pour un nombre d’heures limité), 71 n’ont pas
eu d’approvisionnement ces trente derniers jours et 18 d’entre eux n’ont pas reçu une goutte depuis
au moins un an2. Cette détérioration des services publics les plus élémentaires rend hypothétique
l’accomplissement du lavage des mains régulier, la recommandation la plus basique pour combattre
la pandémie. Les pénuries d’essence prennent, ces derniers jours, une ampleur inégalée, atteignant la
capitale Caracas, habituellement épargnée pour d’évidentes raisons politiques. Même les travailleurs
de la santé et les agriculteurs, pourtant prioritaires, ont du mal à s’approvisionner pour exercer leurs
activités vitales pour la population.
Le 16 avril, l’épidémie demeure d’une ampleur modeste dans le pays avec 204 cas et neuf décès
recensés. Cette contention est, en partie, due à la mise en place par le gouvernement de Nicolás
Maduro de mesures de quarantaine dès le 16 mars lorsque le pays ne comptait que 17 personnes
malades. Deux facteurs sont à l’origine de cette anticipation. D’une part, la pénurie d’essence aurait
paralysé le pays de force et le gouvernement a ainsi pu le décider au nom de la santé publique.
D’autre part, l’exécutif a conscience de la fragilité du système de soins face à une crise de cette
ampleur.
La propagation de l’épidémie dans le pays aurait des conséquences démesurées non seulement
à l’intérieur de ses frontières mais également dans toute l’Amérique latine au vu de l’ampleur de
l’émigration vénézuélienne. Ainsi, les sanctions états-uniennes sont d’autant plus criminelles. En
temps de pandémie, ce n’est pas seulement les partisans de Nicolás Maduro et les militants anti-im-
périalistes qui remettent en cause leur principe mais également l’ONU, l’Union européenne, le pape
François et même le Financial Times ! Plus de 300 Vénézuéliens universitaires ou militants de diverses
orientations politiques en appellent à leur levée partielle par le biais d’accords politiques immédiats3.
Pourtant, la politique de l’administration Trump est diamétralement opposée. Le 26 mars, le

1. Thomas Posado est docteur en sciences politiques à l’université Paris-8 et chercheur associé au CRESPPA-CSU. Il est coauteur (avec
Jean Baptiste Thomas) de Révolutions à Cuba (de 1868 à nos jours) : émancipation, transformation, restauration, Paris, Syllepse, 2020.
2. « Solo 17 de 335 municipios del país tienen agua constante durante la cuarentena », El Pitazo, 7 avril 2020, https://elpitazo.net/
reportajes/servicio-en-cuarentena-solo-17-de-los-335-municipios-del-pais-tienen-suministro-de-agua-constante/.
3.Voir www.unir-esfuerzos-venezuela.org.

251 UN VIRUS TRÈS POLITIQUE


département de la justice états-unien et deux juridictions fédérales ont annoncé des poursuites
ÉDITION DU 20 AVRIL 2020

pour narcotrafic contre Nicolás Maduro et une dizaine d’autres dirigeants vénézuéliens et offrent
15 millions de dollars pour toute information permettant l’arrestation ou la condamnation du chef
de l’État vénézuélien. Il est toujours complexe de se prononcer sur des affaires de drogue. On peut
cependant constater la géométrie variable des poursuites engagées en comparant avec le sort réservé
à Juan Orlando Hernández, président du Honduras. Ce dernier a été accusé par un procureur fédéral
new-yorkais d’avoir été financé à hauteur d’un million de dollars par l’ex-chef de cartel mexicain
« El Chapo » Guzmán mais jouit toujours de relations diplomatiques très cordiales avec Washington.
Le 1er avril, le commandement Sud des États-Unis, c’est-à-dire leur force militaire pour la Caraïbe
et l’Amérique latine, a été déployé par Donald Trump au large des côtes vénézuéliennes. Cet acte
s’inscrit dans la doctrine trumpienne de la « pression maximale » destinée à terroriser les gouverne-
ments non subordonnés à Washington, sans déclencher une guerre dont l’Oncle Sam n’a vraisem-
blablement pas les moyens politiques et militaires de mener à bien au vu des bourbiers afghan et
irakien dont elle n’est toujours pas parvenue à se sortir de manière victorieuse. Cette démonstration
de forces permet surtout à Donald Trump de détourner le regard de sa gestion criminelle du Covid-
19 sur son propre territoire et de capitaliser le vote anticastriste déterminant pour les élections
présidentielles de novembre prochain dans le swing state de Floride.
Au-delà de ces manœuvres militaro-médiatiques, les sanctions économiques états-uniennes
contraignent de plus en plus les exportations de pétrole et les importations d’essence (la production
vénézuélienne ayant besoin d’être raffinée), ainsi que des produits de santé les plus élémentaires. Le
soutien à ces mesures de l’opposition vénézuélienne dirigée par Juan Guaidó est criminel, d’autant
plus en ces temps de pandémie.
Cet acharnement étatunien ne doit pas pour autant absoudre Nicolás Maduro. Sa responsabilité
dans l’effondrement économique du pays et dans le délabrement du système de santé est majeure.
L’arrestation d’un infirmier Rubén Duarte pour avoir exigé des gants et des masques trahit cette
volonté de gestion autoritaire de la crise sanitaire plutôt que de l’approvisionnement des personnels
soignants en protections nécessaires à leur santé4.
La politique impitoyable de Donald Trump à l’égard du Venezuela risque d’accroître encore
davantage la propagation du Covid-19 dans le monde. Cela n’absout pas, pour autant, l’incurie des
autorités vénézuéliennes.

4. « Provea denuncia detención de enfermero por exigir dotación de equipos de bioseguridad para enfrentar el Coronavirus », aporrea.org,
18 mars 2020, www.aporrea.org/actualidad/n353395.html.

UN VIRUS TRÈS POLITIQUE 252


LA MONDIALISATION AU TEMPS DU COVID-19

ÉDITION DU 20 AVRIL 2020


FRÉDÉRIC THOMAS1

Par le biais du Covid-19 se donne à voir l’état du monde et des inégalités. L’un des défis que
pose le confinement actuel est de ne pas céder au repli, et d’être à la hauteur d’une réelle solidarité
internationale.
Le 23 mars, il y avait près de 340 000 cas confirmés de personnes atteintes du Covid-19 de par le
monde. Après la Chine, l’Europe et l’Iran sont les plus touchés. Ces derniers jours, Haïti et Gaza ont
enregistré leurs premiers cas. Encore s’agit-il là d’un panorama largement sous-estimé, puisque peu
ou pas de tests n’ont été faits. À ce jour, 186 pays et territoires sont affectés. Et le virus continue à
s’étendre.
La pandémie du coronavirus donne à voir le pire et le meilleur de la mondialisation : depuis
les explosions de racisme envers le virus « étranger », jusqu’au « cadeau » de millions de masques
­d’Alibaba, en passant par la tentative de Donald Trump d’acheter l’exclusivité d’un futur vaccin à
un laboratoire allemand, et l’aide des médecins cubains à l’Italie. Elle offre surtout un état des lieux
des politiques étatiques et des inégalités mondiales au prisme de l’accès à la santé.

UN RÉVÉLATEUR
La solennité des discours, la rhétorique guerrière d’un Emmanuel Macron, le volontarisme par-
tout affiché ne peuvent occulter le fait que le Covid-19 est d’abord le résultat d’une faillite col-
lective, et le révélateur de choix dont nous payons aujourd’hui le prix. L’absence de conditions
sanitaires acceptables dans un marché local en Chine, combinée à une accélération des échanges,
éclatés sur des chaînes de production mondialisées, dans un contexte de non-prise en compte des
aspects socio-environnementaux, a constitué le terreau favorable.
Dans un premier temps, le Covid-19 a été « confiné » à un problème local de pays lointain, insuf-
fisamment civilisé, dans les esprits occidentaux emplis d’un complexe de supériorité. Ensuite, sa
nécessaire prise en charge a été subordonnée à des enjeux économiques et politiques, voire élec-
toralistes. Enfin, au moment de répondre à la pandémie, les gouvernements « découvrent » le déla-
brement d’un secteur public de la santé, bousillé par plusieurs décennies de mesures néolibérales.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), au moins la moitié de la population n’a pas
accès aux services de santé essentiels. Si, comme elle l’affirme, les dépenses publiques sont au cœur
de la couverture de santé universelle, celles-ci n’ont eu de cesse de buter contre les règles d’austé-
rité, la privatisation et l’esprit managérial qui justifient et exacerbent les inégalités. Il y a, en France
ou en Belgique, trois fois plus de lits d’hôpital (pour 10 000 habitants), qu’au Chili, neuf fois plus
qu’en Haïti ou en Angola, vingt-et-une fois plus qu’au Népal… Mais, entre 2002 et 2013-2014, le
nombre de lits a diminué en France de près d’un quart, passant de 85 à 65, et de 17 % en Belgique,
passant de 76 à 63.
Près d’un milliard de personnes étaient confinées ce dimanche. Cela n’en reste pas moins un luxe,
tant, au niveau mondial, la majorité de la population n’a pas les moyens du confinement. Ainsi,

1. Frédéric Thomas, est docteur en sciences politiques, chargé d’étude au CETRI (Centre tricontinental, www.cetri.be) qui publie la
revue Alternatives Sud, Paris, Syllepse.

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60 % des travailleurs dans le monde (85 % en Afrique) sont actifs dans le secteur informel, n’ayant
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d’autres ressources que de continuer à travailler. Une personne sur quatre vit dans des bidonvilles
et des quartiers informels, et 40 % ne disposent pas d’équipements de base pour se laver les mains
à la maison. Sans compter plus de 25 millions de réfugiés et tous les prisonniers. Sans compter non
plus la charge inégale du confinement entre hommes et femmes.

DES LEÇONS TIRÉES ?


À l’heure de l’état d’urgence, où les droits sont mis en suspens, plutôt que de se reposer sur une
prétendue gouvernance technique fondée sur l’expertise scientifique, il nous faut demeurer vigi-
lants. Demain  –  aussi éloigné que soit ce demain  –, nous aurons canalisé les risques du Covid-19.
Mais au prix peut-être d’un plus grand contrôle sur nos vies et d’un accroissement du pouvoir
d’un système qui a démontré son irresponsabilité. Comme l’affirmait une pancarte de la dernière
manifestation du Hirak à Alger : « Avec le corona, on a 97 % de chances de s’en sortir. Avec vous, on
n’en a aucune ».
Espérer que les leçons de cette expérience seront tirées est pour le moins naïf. D’abord, parce que
ces leçons, loin d’être consensuelles, correspondront à des positionnements distincts, des analyses
divergentes, et, en fin de compte, à des choix de société antagonistes. Ensuite, parce que l’é­vé­nement
tend à se dissoudre dans le flux des échanges marchands. Enfin, parce que, comme l’écrivait Walter
Benjamin, « le cours de l’expérience a chuté ». Mieux vaut dès lors prendre exemple sur l’Armée
zapatiste de libération nationale (EZLN), qui, en annonçant la fermeture de son territoire, en appe-
lait « à ne pas abandonner la lutte » et « à ne pas perdre le contact humain, mais à changer temporai-
rement nos façons de faire pour nous reconnaître ».
J’écris ces lignes depuis chez moi. Je n’habite pas Kinshasa, Idlib, Port-au-Prince ou les bidonvilles
de Dhaka. Je vis dans un pays riche où le secteur de la santé n’a pas (encore) été (entièrement)
démantelé par les mesures néolibérales. Mon contrat et mes conditions de travail me permettent
(pour l’instant) de faire front. Je ne suis pas une marchande informelle de Dessalines, un travailleur
de township, une ouvrière de la sous-traitance textile de la banlieue de Phnom Penh, une femme
seule de n’importe quelle mégalopole du monde. Mais j’écris ces lignes en pensant à vous. Et, à
20 heures, tous les soirs, à ma fenêtre, pour remercier et encourager le personnel de santé de mon
pays, c’est aussi vous que j’applaudis.

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LE VIRUS ET LA PESTE BRUNE
DES EXTRÊMES DROITES AUX OBSESSIONS DIFFÉRENTES

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DES MEMBRES DE LA COMMISSION ANTIFASCISME DE L’UNION SYNDICALE SOLIDAIRES

Depuis le début de la crise liée au coronavirus, l’extrême droite et ses différentes chapelles a du
mal à trouver un positionnement clair et fédérateur, chacune en profitant pour mettre en avant ses
obsessions, et assumer le rôle qu’elles se sont fixées dans cette galaxie.
Le Rassemblement national joue la carte du « parti de gouvernement », évitant les provocations
trop visibles, pointant principalement les incohérences gouvernementales et sa communication
chaotique, sans trop en rajouter officiellement…, et disant, comme toujours, un peu tout et son
contraire…
L’exemple du « confinement » est assez éclairant. Le Rassemblement national n’a pas de position
claire dessus, pas plus que sur la « reprise » du 11 mai, sur laquelle ses cadres s’expriment peu. Mais
d’autres à l’extrême droite ont des positions plus tranchées.
Ceux qui ne jouent pas la carte de la « responsabilité », comme Riposte laïque ou Égalité et
Réconciliation, surfent sur le complotisme, minimisant la crise sanitaire (« fin mai, plus personne ne
se souviendra de ce virus »), qui ne serait qu’une diversion pour empêcher le « peuple de France »
de renverser Macron ou permettre à Bill Gates de faire plus de profits (comme s’il avait besoin de
ça !)… Même s’il est compliqué de savoir si ce complot est fomenté par les Juifs comme l’affirme
Soral, ou les mondialistes vendus à l’Islam comme en détient les preuves Riposte laïque… Il n’y a
donc pas de surprise, on peut seulement regretter que ces thèses complotistes, nettoyées du racisme
ou de l’antisémitisme (encore que !) puisse trouver parfois un écho dans « notre camp ».
Le Parti de la France fait lui campagne pour la fin rapide du « déconfinement », lançant un appel
à la réouverture urgente des églises, parce que ça ne peut plus durer que « comme aux plus belles
heures de l’URSS et des « démocraties populaires », sous prétexte du confinement, les catholiques
français sont privés de messe dans leur paroisse ». À Saint-Nicolas-du-Chardonnet, et avec la compli­
ci­té de la police, les catholiques intégristes n’ont pourtant pas eu de souci pour se réunir.
Plus prudente, l’extrême droite qui se veut respectable met en avant le grotesque de certaines
verbalisations concernant le non-respect du confinement (et ça ne manque pas !) dont sont victimes
de « braves citoyen·nes », le quotidien Présent faisant régulièrement une page sur huit sur le sujet… Et
partant de là, l’extrême droite joue sa petite musique comme quoi, à l’inverse, il y aurait une plus
grande tolérance pour les habitant·es des quartiers populaires, de la même façon que Marine Le Pen
regrette que des mesures soient parfois prises pour aider les migrant·es plutôt que pour donner des
moyens aux Ehpad : encore une fois, faire le tri entre les « pauvres » plutôt que de s’en prendre aux
possédant·es, l’extrême droite est constante !

UNIS POUR S’EN PRENDRE AUX « RACAILLES »


Les révoltes qui ont eu lieu dans plusieurs quartiers populaires suite à la violente intervention
policière à Villeneuve-la-Garenne le 18 avril ont permis à l’extrême droite de s’unifier pour s’en
prendre aux « racailles ».
Bien sûr, chacun·e garde son style. Quand le Rassemblement national lance une pétition pour
« neutraliser les racailles » et demander l’instauration d’un couvre-feu dans « ces » quartiers, Français
de souche prétend lister heure par heure toutes les « violences », sans faire preuve de trop de mesure,

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le but n’étant pas d’informer mais bien de stigmatiser. Mais encore une fois, c’est Riposte laïque qui
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va le plus loin, parlant de « Djihad contre la France » pour parler d’une révolte sociale, regrettant le
bon temps où « Clemenceau aurait fait tirer dans le tas » et demandant au passage l’interdiction du
Ramadan !
Mais quel que soit leur style, les différents courants de l’extrême droite montrent que les ques-
tions sociales ne sont pas leur grille de lecture. Nous n’avons décidément rien de commun avec ces
gens-là, et ceux qui leur font les yeux doux. Pour notre part, nous nous retrouvons dans cet appel :

APPEL : LA COLÈRE DES QUARTIERS POPULAIRES EST LÉGITIME (23 AVRIL)1


Dans la nuit du 19 au 20 avril, plusieurs quartiers populaires ont connu des nuits de révolte.
La veille au soir, un homme a failli perdre sa jambe à Villeneuve-la-Garenne après une
violente tentative d’interpellation policière et c’est bien cela qui a mis le feu aux poudres.
Les populations qui vivent dans les quartiers populaires sont en première ligne face à la
crise sanitaire : elles sont parmi celles qui travaillent dans les « secteurs essentiels », celles
qui permettent à notre société de ne pas s’effondrer aujourd’hui.
Pourtant, les inégalités sociales, déjà criantes, sont renforcées par la gestion du coronavirus
et vont exploser avec la crise économique et sociale à venir. Ce dont témoigne déjà, entre
autres, la surmortalité particulièrement élevée en Seine-Saint-Denis depuis le début de
l’épidémie.
Les discriminations racistes, déjà insupportables, sont renforcées par l’impunité policière
et les violences et humiliations se multiplient dans les quartiers populaires. On peut y
ajouter le couvre-feu discriminatoire imposé aux habitant·es de ces quartiers par la ville
de Nice. Ces injustices flagrantes sont documentées, nul ne peut les ignorer.
Alors nous le disons très clairement : nous refusons de renvoyer dos à dos les révoltes des
populations dans les quartiers populaires et les violences graves et inacceptables exercées
par la police.
Nous n’inversons pas les responsabilités et nous le disons tout aussi clairement : ces révoltes
sont l’expression d’une colère légitime car les violences policières ne cessent pas.
Les inégalités et les discriminations doivent être combattues avec vigueur et abolies :
avec les populations des quartiers populaires, nous prendrons part à ce juste combat pour
l’égalité, la justice et la dignité.

ET PENDANT CE TEMPS-LÀ
Dans sa vidéo hebdomadaire, Dieudonné continue à faire de la pub pour ses masques, avec un
argument massue : « c’est de la bonne qualité, je les ai testés » !
Sur les plateaux télés, c’est toujours libre antenne à la parole raciste décomplexée, Zemmour

1. Parmi les organisations signataires : Association pour la taxation des transactions financières et l’action citoyenne, Association des
travailleurs maghrébins de France, Collectif contre l’islamophobie en France, Centre d’études et d’initiatives de solidarité internatio-
nale, Confédération générale du travail, CGT de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, Collectif de la Cabucelle (Marseille),
Collectif du 5 novembre (Marseille), Collectif du 10 novembre contre l’islamophobie, Comité Adama, Confédération nationale du
Travail-Solidarité ouvrière, Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie, Ensemble !, Fédération des asso-
ciations de solidarité avec toutes et tous les immigré·es, Fédération SUD-Éducation, Fédération SUD-PTT, Fédération SUD-Rail,
Féministes révolutionnaires, Femmes égalité, Femmes plurielles, FO-Sauvegarde de l’enfance 93, Fédération des Tunisiens pour une
citoyenneté des deux rives, Front uni des immigrations et des quartiers populaires, Juives et juifs révolutionnaires, Marche des solidarités,
Mémoires en marche (Marseille), La Révolution est en marche, Mwasi Collectif Afroféministe, Nouveau parti anticapitaliste, Le Paria,
Parti communiste des ouvriers de France, Pour une écologie populaire et sociale, Syndicat national des personnels de l’éducation et du
social PJJ de la FSU, Syndicat des quartiers populaires de Marseille, Union communiste libertaire, Union locale villeneuvoise, Union juive
française pour la paix, Union syndicale Solidaires, Union des Tunisiens pour l’action citoyenne

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pouvant déclarer sur C News que « l’immigration est très dangereuse pour les pays occidentaux. Il

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faut supprimer le regroupement familial, supprimer le droit du sol, il faut des expulsions »…
Du côté des souveraino-complotistes de l’UPR, ça ne chôme pas, on espère que la crise sani-
taire va accélérer la fin de l’Union européenne, on publie une « enquête exclusive sur l’efficacité in
vitro de la chloroquine contre le premier coronavirus »… et on voit comme un « excellent signe » la
publication dans la presse à scandales d’un article visant Asselineau, sa gestion et son comportement
envers ses salariés, « signe indubitable que François Asselineau, parce qu’il est Monsieur Frexit, est
un homme à abattre pour les européistes ».
Confinement oblige, nous passons beaucoup de temps sur le net et les réseaux sociaux, et parta-
geons souvent trop vite des choses, sans bien les lire ou regarder d’où elles proviennent. Pour éviter
d’en rajouter dans la confusion, le groupe de travail Ripostes syndicales face à l’extrême droite a
publié une fiche sur les médias d’extrême droite qu’il peut être utile de garder en tête : solidaires.
org/ATTENTION-aux-medias-d-extreme-droite.
Et toujours la très utile cartographie de l’extrême droite faite par le collectif La Horde : lahorde.
samizdat.net.

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IMAGES ET SONS
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et n’oubliez pas que nous avons besoin de vous
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COVID-19
UN VIRUS TRÈS POLITIQUE

30 MARS-13 AVRIL 2020 1, 2, 3

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