Volume 1 Marine Propulsion Et Technique Thèse Publiée Sylviane Llinares 1994
Volume 1 Marine Propulsion Et Technique Thèse Publiée Sylviane Llinares 1994
Volume 1 Marine Propulsion Et Technique Thèse Publiée Sylviane Llinares 1994
VOLUME I
1994
UNIVERSITE DE PARIS-SORBONNE
PARIS-IV
CENTRE DE RECHERCHES
SUR LA CIVILISATION DE L'EUROPE MODERNE
(U.R.A. CNRS 100)
Directeur de recherches :
Monsieur le professeur Jean Meyer
11
REMERCIEMENTS
A Monsieur le professeur Jean Meyer qui a bien voulu diriger nos recherches,
pour son enseignement, ses conseils bienveillants et ses encouragements
soutenus.
A Madame Martine Acerra pour son aide précieuse et dont la disponibilité ne
s'est jamais démentie au cours de ces années de recherches. Nous avons souvent
fait appel à son remarquable fichier informatisé des navires de guerre français,
nous permettant ainsi d'identifier plusieurs bâtiments avec rapidité et avec
précision.
A Madame Madeline Astorkia, chef du centre de documentation et de
recherche de l'arrondissement maritime de Toulon ; à Monsieur Marc Fardet, chef
du centre de documentation et de recherche de l'arrondissement maritime de
Rochefort ; à Mesdames les bibliothécaires et documentalistes du Musée de la
Marine ; ainsi qu'à René Lair, Jacques Gay et Thomas Adams.
INTRODUCTION
L'histoire des techniques a pris en compte les progrès réalisés dans le domaine de
l'armement naval aux XVIIe et XVIIIe siècles. La montée en puissance des marines
de guerre européennes est sans précédent et de fait, l'avance technologique est
14
devenue un enjeu stratégique. Pour maintenir une flotte de guerre à un réel niveau
d'efficacité, outre le problème des effectifs, innover est indispensable. Mais tout
progrès réduisant la valeur du matériel existant, contrôler la nouveauté devient
aussi un impératif.
La maîtrise de l'innovation suppose la mise en oeuvre par les gouvernements de
différents moyens tels que la formation des hommes, l'importation ou l'acquisition
illicite de techniques étrangères. La politique d'espionnage engagée par Colbert, la
contribution du monde des savants ou bien la création de l'école des ingénieurs de
la marine en 1765 témoignent de la volonté française de dominer le secteur très
technologique de la construction navale.
Quatre thèmes de recherche ont été définis autour de l'idée-force d'un progrès
technique rapide et continu.
Les deux derniers thèmes de recherches ont un domaine de réflexion commun avec
l'étude des résultats d'un progrès technique continu.
Il est essentiel, en premier lieu, d'observer le fonctionnement du navire en mer.
La qualité et l'abondance des sources concernant la flotte de la guerre
d'Indépendance américaine et les unités qui la renouvellent par la suite ont
déterminé notre choix de la période 1760-1790. Dans la première moitié du XVIIIe
siècle, la marine française a voulu compenser son infériorité numérique par une
supériorité technologique4. La défaite de la guerre de Sept Ans conduit à
s'interroger sur la réalité de cette supériorité. Nous avons toujours retenu
l'hypothèse d'une défaillance technique pour chaque conflit bien qu'elle ne soit pas
nécessairement la seule explication à un échec naval. Un budget trop faible est à
l'origine de bon nombre de problèmes comme l'absence d'entretien de la flotte ou le
manque d'entraînement à la mer des hommes d'équipage et des officiers.
Nous avons travaillé le plus souvent avec des documents d'archives et des
manuscrits. La matière de cette étude a été puisée dans les fonds Marine conservés
aux Archives Nationales (Paris) au Service Historique de la Marine (Château de
Vincennes) et dans les dépôts d'archives portuaires de Brest, de Rochefort et de
Toulon. Les sources imprimées n'ont pas été négligées car il existe une littérature
technique abondante. La consultation des nombreux ouvrages publiés au XVIIIe
siècle (traités touchant à la construction navale, spécialement l'Encyclopédie
Méthodique Panckouke) est indispensable5.
Les données concernant les mâtures des navires ont été collectées dès le départ.
Le fichier des mâtures6 rassemble toutes les dimensions des mâts et des vergues
relevées de manière systématique. Ces dimensions proviennent en partie des devis
de campagne, de la série D1 (Construction Navale), de manuscrits rédigés par des
constructeurs et enfin de traités imprimés. Il était logique de distinguer les
dimensions théoriques des dimensions réelles. Les proportions théoriques formant
la première série7sont intéressantes pour apprécier l'évolution séculaire du
gréement. Les dimensions théoriques ont été données par les ingénieurs de la
marine pour un type de navire, elles indiquent simplement un ordre de grandeur8.
La troisième série9 comprend toutes les dimensions attribuées à des bâtiments
ayant réellement existé dans la flotte de guerre française.
Nous avons retenu au total 164 documents, soit 50 pour les dimensions
théoriques et 114 pour les bâtiments de guerre identifiés (les trois quarts des
dimensions du fichier datent de la seconde moitié du XVIIIe siècle, dix-sept
concernent des bâtiments de la marine de Louis XIV).
Gabares avisos
Corvettes 13%
10% 7%
Frégates Vaisseaux
32% 38%
17
Nous avons voulu dans le cadre d'une troisième et dernière partie mettre en
évidence la difficulté qu'implique la mise au point du navire de guerre à voile. La
recherche du vaisseau idéal équivaut à résoudre plusieurs types de contradictions.
Les qualités nécessaires à la réussite d'un bâtiment ne sont pas toutes compatibles.
Les différents moyens existants et utilisés pour obtenir la meilleure marche d'un
navire sont détaillés au chapitre un. La performance sous voile est aussi un objectif
militaire. A terre, la correction de certains défauts originels est possible. En mer, la
multiplicité des réglages permet de travailler dans ce sens. Le dernier chapitre est
consacré à la difficile coexistence entre des exigences d'uniformisation et de
performance dans la politique technique suivie par la marine française. L'analyse
des effets induits de la normalisation du matériel naval à la fin du XVIIIe siècle est
riche d'enseignements. La dernière étape du programme d'uniformisation de la
flotte de guerre française correspond à la création d'un ultime règlement, très strict,
sur l'équipement des vaisseaux. La mise au point de cette nouvelle réglementation
va provoquer une expérimentation officielle de multiples innovations, révélant par
la même occasion bien des faiblesses sur les vaisseaux français.
PREMIÈRE PARTIE
ÉOLE MAITRISÉ
21
Chapitre premier
innover la première. Les nouvelles voiles ne sont pas les seuls facteurs
d'amélioration du moteur éolien. Le réglage des surfaces de voilure, la coupe et la
couture des voiles doivent être prises en compte. Le travail des maîtres-voiliers
guidé par les officiers qui commandent les bâtiments apporte les premiers indices
d'une uniformité seulement apparente du système propulsif.
Le gréement des derniers vaisseaux de guerre à voile des années 1830-1840 doit
être considéré comme l'aboutissement de trois siècles de recherche pour la
maîtrise du vent. Mais le navire à voile atteint son apogée avec les navires de
commerce de la fin du XIXe siècle. Les progrès réalisés dans le traitement de
l'acier vers 1880 permettent son utilisation pour les coques, les mâtures et
certaines pièces du gréement. Les bâtiments de guerre se transforment
radicalement, la technique acier-vapeur remplace celle du bois et de la voile. Sur
les navires marchands le système acier-voile maintient dans un dernier sursaut un
mode de propulsion condamné. Les gréements s'adaptent aux grandes dimensions
de ces navires qui dépassent les 100 mètres de longueur de coque. Le France I de
l'armement Bordes, lancé en 1889, porte cinq mâts et mesure 114 mètres de
long1.
Avec ces nouveaux types de gréement, le classement des bâtiments de commerce
s'est fait à partir du nombre et de la disposition des mâts et des types de voiles.
La typologie des navires de guerre est très différente, elle correspond au
système d'armes sans tenir compte du type de gréement. Une remarque
préliminaire s'impose avec évidence.
Le nombre de mâts d'un vaisseau des années 1660 est le même que celui d'un
vaisseau des années 18402. Ces deux bâtiments portent trois mâts, le mât de
beaupré placé horizontalement n'étant jamais comptabilisé pour la définition d'un
type de gréement. La plupart des voiles appartiennent à la catégorie des voiles
carrées. Le même type de comparaison faite cette fois sur différentes catégories
de vaisseaux pour une même période aboutirait à la même constatation.
Dans le système bois-voile, les navires de guerre n'ont jamais dépassé les 65
mètres de longueur de coque. La résistance des matériaux et les techniques de
construction ont imposé des limites 4.
La forme des voiles entre aussi dans la définition du type de gréement. Sur les
vaisseaux de guerre la voile carrée, voile de propulsion transversale, est
majoritaire et prend la forme d'un trapèze régulier. C'est le seul type de voile qui
permet l'augmentation des surfaces de voilure sur un plan vertical avec la
superposition de plusieurs étages, basses voiles, huniers, perroquets, cacatois.
Elle autorise la multiplication du nombre des mâts dans le plan longitudinal du
navire. Les voiles carrées peuvent recevoir latéralement des voiles additionnelles
de beau temps, les bonnettes5. Voile idéale pour les allures du vent arrière et
largue, passé le vent de travers, elle ne permet pas de remonter suffisamment
dans la direction du vent devant.
Les voiles axiales complètent le gréement à trois mâts carrés, placées dans le
plan longitudinal chacune des deux faces de la voile peut être utilisée pour serrer
le vent. La voile latine d'artimon des vaisseaux de guerre appartient à cette
catégorie. Son avantage au près est indéniable mais la longueur de l'antenne et la
fragilité du gréement ne permet pas d'augmenter la surface de ce type de voile
sans entraîner des difficultés pour la manoeuvrer et soutenir la force du vent. Elle
se prête difficilement à l'étagement dans le sens vertical, sauf avec de très petites
voiles. Peu efficace au vent arrière, elle présente un inconvénient majeur dans les
virements de bord où l'antenne doit être amenée et dépassée pour éviter que la
toile ne se scinde en deux poches6.
Situés à l'avant du navire, les focs, voiles axiales, ont une position très
avantageuse pour faire arriver (s'éloigner du vent) le navire, contrebalancer la
voilure de l'arrière et naviguer à l'allure du près. Les voiles d'étai, autre série de
voiles axiales, servent à appuyer le navire et à serrer le vent au près ou à la cape.
Il existe d'autres types de voiles qui ne sont pas utilisées sur les vaisseaux de
guerre. La voile au tiers de forme quadrangulaire est enverguée et fixée au tiers
de la longueur du mât. Avantageuse sous toutes les allures, elle présente le même
inconvénient que les voiles latines lors des virements de bord. En conservant des
proportions raisonnables, la multiplication des voiles au tiers est possible dans le
plan vertical (huniers et perroquets volants) et horizontal (trois mâts). C'est la
voilure type du chasse-marée, bateau de pêche des côtes bretonnes et de la
Manche, du lougre de guerre9.
« Ils ne donnent guère chasse passé cinq à six lieues à moins qu'ils ne
gagnent sensiblement, ils sont communément fort élongés, ras, et il y
en a qui vont bien, particulièrement au plus près.
Ils ont généralement leurs grands mâts et leurs mâts de misaine courts
de manière qu'ils ont peu de chute de basses voiles et augmentent à
proportion leurs mâts de hune... , ce qui leur donne un avantage
26
Je leur ai vu plusieurs menues voiles dont l'usage n'est point dans nos
navires...
Le foc présentement usité en France dans les petits bâtiments est de
toute les menues voiles celle qui porte le mieux au plus près, ils en
mettent jusqu'aux navires de 60 canons... , l'inconvénient du foc est de
fatiguer la tête du mât de hune dans un tangage, aussi ne s'en sert-on
que dans le beau temps16. »
L'utilité des voiles d'étai pour la marche est contestable, elles peuvent diminuer
le sillage au vent de travers et accroître la dérive au près18. Le nombre des voiles
d'étai a pourtant augmenté, passant de quatre voiles à huit sur les frégates de la
fin du XVIIIe siècle. Les premières voiles d'étai étaient de forme triangulaire,
elles deviennent par la suite trapézoïdales. Parmi les premières voiles d'étai
utilisées sur les vaisseaux, la voile d'étai du petit hunier située à l'avant du mât de
misaine s'est avérée à l'usage être beaucoup plus efficace que la voile de
perroquet de beaupré, préfigurant ainsi l'installation des focs19.
Certaines voiles d'étai peuvent être utiles lorsqu'un bâtiment est à la cape. On met
à la cape pour maintenir la route et faire peu de sillage par mauvais temps ou en
navigation côtière :
« Chaque vaisseau à une voilure de cape qui lui convient mieux que
les autres, c'est l'expérience des officiers à juger et à employer celle
qui mérite la préférence20. »
Une nouvelle voile de cape mise au point par le lieutenant de vaisseau Verdun
de La Crenne21 équipera les navires de guerre français en 1775. Un mémoire sur
l'utilité de cette voile est présenté à l'Académie de marine en 1773. A la demande
27
Cette voile sera classée dans la panoplie des focs sous le nom de trinquette, cape
ou tourmentin.
Les vaisseaux anglais ont porté des bonnettes sur les voiles de hunes à partir des
années 1680. Le premier document attestant la présence de bonnettes sur les
huniers date de 1719, il s'agit du manuscrit de l'officier Colomb. Il y a donc là
encore un décalage par rapport à la marine anglaise25. L'installation des bonnettes
sur les perroquets s'est faite par contre à la même époque, en 1773 sur les
bâtiments de guerre anglais d'après Brian Lavery, peut-être plus tôt sur les
vaisseaux français. Les aquarelles de Nicolas Ozanne n'interdisent pas de le
penser, de même qu'un plan de voilure daté de 1770 du port de Brest où figurent
des bonnettes sur les grand et petit perroquets26. Le maître-voilier François
Pauquet a représenté des bonnettes dans son « Traité sur la voilure » , rédigé en
1773. Sa description des voilures comprend les bonnettes maillées qui équipaient
encore les vaisseaux français dans les années 1750. François Pauquet embarqué
sur le vaisseau le Sage en 1754 a montré au commandant, le marquis de La
Galissonnière, l'inutilité de ces voiles qui ne servent plus qu'à entourer le poste
des malades :
28
Dans la catégorie des voiles de beau temps que l'on gréé par petit vent
s'ajoutent les cacatois (ou perroquets volants ou perruches), quatrième étage de
voilure placé au dessus des voiles de perroquet. Les royals sont introduits sur les
vaisseaux anglais à partir de 1779. En France, ils sont utilisés sur les frégates
avant la guerre d'Indépendance américaine28. Pour les vaisseaux, les documents
iconographiques leur assignent une date antérieure. Mais les devis de campagnes
sur lesquels sont portés les dimensions de mâture ne font pas état des vergues de
cacatois, et très rarement pour les frégates de la fin des années 1780. Leur
équipement en série est par contre manifeste sur les bâtiments de l'Empire. Il est
fort probable que l'utilisation de ces voiles soit restée exceptionnelle avant la
période révolutionnaire29.
Mais il ne parle pas de la bôme sur laquelle est enverguée la base de la voile et
qui caractérise la brigantine. La guerre d'Indépendance correspondrait alors à la
période d'adoption générale sur tous les vaisseaux de l'artimon anglais, la voile à
bôme étant seulement testée sur quelques bâtiments.
L'analyse des maquettes et des dessins pourrait conduire à des erreurs. En les
confrontant aux archives de la Marine nous avons pu constater que cette
documentation iconographique n'était pas toujours fiable. Le modèle de la frégate
de 12 la Sultane lancée en 1765 exposé au Musée naval de Toulon grée un
artimon à corne, alors que le devis de campagne de la frégate en 1788 fait état
d'une vergue latine d'artimon. L'aquarelle de Frédéric Roux du vaisseau de 74
canons le Patriote, sur lequel l'amiral Willaumez est embarqué en 1790-1791, a
un artimon à corne, sur le devis de campagne de 1786 le vaisseau gréé une voile
de brigantine. Le devis de la gabare la Lionne de 1788 indique la présence d'une
brigantine, tandis que l'aquarelle illustrant une campagne de l'amiral Willaumez
en 1785-1786 représente ce bâtiment avec un artimon à corne34.
Nous avons regroupé par année de devis de campagne les bâtiments de notre
fichier des dimensions de mâture ayant un artimon à corne ou une brigantine. La
date de lancement du navire ne peut être retenue comme étant celle de
l'installation de la voile. La corvette la Blonde lancée en 1781 à Toulon n'a pas de
brigantine sur le devis de 1782, sur celui de 1786 les dimensions de la bôme et du
pic sont indiquées36. Le vaisseau le Conquérant n'est pas le seul bâtiment à
expérimenter une voile de brigantine, mais il est vrai que c'est le seul gros
31
Nous tenterons d'analyser le cas des frégates en se basant sur la flotte de 1789
qui totalise 63 bâtiments de ce type. Le fichier constitué à partir des dimensions
de mâtures totalise 22 frégates dont la radiation est postérieure à 1789. Sur ces 22
bâtiments, 8 (36%) ont un artimon à corne ou une brigantine. Ces 22 frégates
représentent un peu plus du tiers de la flotte réelle, soit 35%. Notre échantillon
est insuffisant, mais il peut toutefois indiquer une tendance.
Dans le détail quelques remarques s'imposent. Pas une seule frégate lancée à
Toulon entre 1778 et 1787 ne dispose d'une brigantine. Cette innovation est
présente uniquement sur les bâtiments lancés dans les ports du Ponant. Sur les 5
frégates construites entre 1784 et 1787, 4 portent une brigantine.
Cette nouvelle voile est probablement mise en série sur les frégates à partir des
années 1784-1785. Le nouveau projet de règlement des mâtures de 1784 prévoit
comme pièces supplémentaires un gui et une bôme38.
A partir de 1788, la proportion de tous les types de bâtiments portant une
brigantine dépasse celle des bâtiments ayant un artimon à corne. Ce système
intermédiaire qui équipe les vaisseaux après la guerre d'Indépendance américaine
sera utilisé pendant une période relativement courte d'environ dix années. Les
voiles à corne ne font pas l'unanimité, on préfère conserver l'antenne latine pour
gréer la voile aurique quadrangulaire :
« Beaucoup de vaisseaux ont des cornes à l'artimon au lieu de vergue,
mais elles sont d'un mauvais usage dans ce cas, parce qu'il n'est pas
aisé de les manoeuvrer à volonté, de les tenir au roulis, qui les faisant
aller d'un côté à l'autre, malgré les palans à itaque, que l'on place sur le
bout de la corne, elles donnent de forte secousse au mât de perroquet
de fougue39. »
Ce texte exprime la longue prévention des marins pour ce type de voile et
conséquemment pour la brigantine, dangereuse à manoeuvrer, instable au vent
arrière, inconvénients qui se retrouvent sur les cotres de guerre gréant des voiles à
bôme bien avant les vaisseaux.
Les chiffres ci-dessous indiquent le nombre de voiles établies sur chaque mât
et entre les mâts pour trois périodes correspondant chacune à une étape de
l'évolution du gréement des vaisseaux.
32
Ces chiffres sont bien sûr théoriques, nous avons retenu le nombre maximum et
minimum pour les voiles d'étai et voiles additionnelles de bonnettes. Le nombre
de voiles ne sera pas le même sur un vaisseau et sur une frégate40. Les vaisseaux
portent trois focs, les frégates cinq. Il existe aussi des différences remarquables
entre les ports. Les états de dépense pour un jeu de voiles d'un vaisseau de 74
canons envoyés par les arsenaux en 1787 donnent à Brest, 37 voiles d'après
l'intendant et 35 selon le commandant, 38 voiles à Toulon, 37 voiles à Rochefort
et 39 voiles à Lorient41. Les termes employés pour désigner le quatrième étage de
voilure ne sont pas les mêmes : perruche de grand mât à Brest, perroquets volants
ou cacatois à Toulon. Le port de Brest donne trois focs, Lorient quatre. La
quantité d'aunes de toiles nécessaire à la confection d'un jeu de voile est la plus
forte à Brest, la plus faible à Toulon.
A l'indépendance des ports s'ajoute aussi l'individualisme des commandants qui
bénéficient d'une grande liberté pour installer et modifier les voilures à bord des
vaisseaux42.
L'évolution des voilures n'est appréciable que sur le long terme. En un siècle,
le nombre des voiles a plus que doublé sur les vaisseaux de guerre. La part la plus
importante de cet accroissement est due aux voiles de bonnettes, voiles d'étai et
voiles de focs. Les voiles transversales de propulsion passent de 13-15 à 30-32 à
la fin du XVIIIe siècle, les voiles évolutives axiales de 5-7 à 13-15. La
multiplication du nombre des focs et l'allongement du mât de beaupré par un
troisième tronçon, le bâton de clinfoc, justifie l'adoption de la brigantine à
l'arrière pour équilibrer la voilure de l'avant. Une voilure d'appoint apparaît au
début du XIXe siècle sur l'artimon en complément de la brigantine, la bonnette de
tapecul et la flèche en cul placée entre la corne et le mât de perroquet de
fougue43.
L'augmentation du nombre des voiles sur les vaisseaux s'accompagne aussi d'une
amélioration des moyens de réduction des surfaces pour les adapter à la force du
vent avec les prises de ris.
33
n°2 : Evolution du nombre des prises de ris sur les navires de guerre.
mâts MB MM GM MA total
étages 1 1 2 3 1 2 3 1 2 3
1680-1690 1 1 2 - 1 2 - 1 1 - 9
1760- 1 1 3 - 1 3 - 1 2 - 12
1770
1790-1800 - 1 4 1 1 4 1 2 3 - 17
L'évolution est sensible sur les voiles de hune. Le texte de l'officier Daire cité
précédemment concernant le vaisseau anglais le Kine montre tout l'avantage
d'une troisième prise de ris sur les huniers. Ce troisième ris ne semble pas avoir
existé sur les vaisseaux français avant la guerre de Sept Ans. L'utilisation d'une
deuxième prise de ris s'est fait très probablement à partir des années 1670. Le
constructeur Coulomb précise dans son Livre de construction des vaisseaux daté
de 1683 que la pratique d'une double prise de ris sur les vaisseaux est récente :
« Vergue de grand hunier, on a donné jusqu'à présent pour sa longueur
deux pieds de moins que ce que produisait la trente cinquième partie
de la grande vergue, mais à présent que l'on fait double ris au grand
hunier on est obligé d'augmenter la dite vergue de quatre pieds44. »
Au tout début du XIXe siècle, les huniers recevront quatre prises de ris permettant
de réduire la voile d'un peu moins de la moitié (2/5). Les deux prises de ris de la
fin du XVIIe siècle réduisaient 20% de la voile, 30% avec trois ris pendant les
années 1760-1770 45.
n°4 : Evolution des surfaces des voiles carrées du grand mât 47.
date nom art. VGM1 VGM2 VGM3 total m²
17 - 110 473 508 132 1 113
19
1719 - 66 326 317 82 725
1719 - 30 190 147 38 375
1773 LANGUEDOC 80 517 518 186 1 221
1773 CÉSAR 74 449 431 132 1 010
1773 LYON 64 408 386 121 915
1773 MIGNONNE 26 283 288 85 656
1787 SUPERBE 74 430 386 138 954
La comparaison entre les deux vaisseaux de 110 et 80 canons fait apparaître une
augmentation sur toutes les voiles.
Les dimensions du Languedoc sont plus grandes que celles du vaisseau de 110
canons de 1719 : 61,10 mètres de longueur de coque pour 56,20 mètres. La
différence sur la largeur est par contre négligeable : 15,59 mètres en 1719 et
15,76 mètres en 1773. A contrario, le grand hunier (VGM2) du vaisseau de 74
canons le César en 1773 est plus grand que celui du vaisseau le Superbe portant
le même nombre de canons en 1787. Les dimensions de carène du Superbe
dépassent pourtant celles du César : 55,90 m de longueur et 14,46 m de largeur
en 1787, 54,60 m de long et 13,97 m de largeur en 1773.
35
Ces quelques remarques posent le problème de l'évolution des hauteurs des mâts
et des longueurs des vergues. Les dimensions de mâture sont de ce point de vue
déterminantes car elles commandent celles des voiles et de l'ensemble du grée-
ment. La diversité de ces dimensions contraste avec l'uniformité du gréement à
trois mâts carrés présent sur tous les grands navires de guerre.
§ 4- Des voilures particulières, le savoir-faire des maîtres-voiliers.
Dans son Dictionnaire de marine publié en 1702, Nicolas Aubin définit clai-
rement les difficultés propres au travail des voiliers :
Dans bien des cas, ce sont les officiers qui décideront de la configuration des
voiles. Si les règlements imposent que les voiles soient taillées sur des
dimensions proportionnées à celles de la mâture, ils n'interdisent pas aux
36
Indispensables sur les navires, les voiliers le sont aussi à terre. L'intendant du port
de Dunkerque réclame un maître-voilier entretenu par le roi pour surveiller les
ateliers où l'on travaille à « prix fait ». Il constate que les voiles sont mal coupées
et mal cousues :
L'embarquement des voiliers sur les vaisseaux est obligatoire, un par navire, plus
selon le type de vaisseau et la durée de la campagne :
MAÎTRE-VOILIER 1 1 1 0 0
40-60 livres/mois
SECOND VOILIER 1 1 1 1 0
28-36 livres/mois
AIDE VOILIER 2-3 1-2 1 1 1
En période de guerre les effectifs des ports sont insuffisants pour assurer la
confection, la réparation des voiles et pourvoir aux embarquements. L'intendant
de Brest, en janvier 1780, informe le ministre qu'il a commandé tous les voiliers
du département mais « qu'il y aura impossibilité à s'en procurer cent60. »
Les maîtres-voiliers sont peu nombreux. Dans les ports de guerre, ce sont les
membres d'une même famille qui vont se succéder à la tête des ateliers. C'est le
cas des MICHEL à Brest. Joseph Michel maître-voilier en 1709 est remplacé à sa
mort pas son frère Pierre. L'intendant Clugny de Nuis note en 1768 que la famille
travaille depuis un siècle pour le port de façon très satisfaisante. Jean Marie
Michel travaille depuis dix ans avec son père mais il est encore trop jeune pour
prendre la place de second maître-voilier. L'intendant laissera le poste vacant
pendant une année. Un autre membre de la famille, Jean Joseph Marie Michel, a
été victime de la foudre en 1760 à bord de la frégate la Malicieuse commandée
par le chevalier de Goimpy. Le chirurgien-major qui l'examine en 1767 indique
dans son rapport qu'il est sujet à de très graves crises d'épilepsie et de démence et
par conséquent qu'il est inapte au service. Le commissaire de la marine de Brest,
Marchais, autorise son « enfermement » avec une demie solde de dix livres par
mois compte tenu des états de service de la famille. Les postes de premier maître
39
et de second maître sont réservés aux Michel, ils dirigeront l'atelier des voiles de
Brest pendant plus de cent ans62.
L'exemple des Michel de Brest trouve son équivalent à Toulon avec les
PAUQUET. La Marine a ainsi permis l'installation de véritables dynasties de
voiliers pour la direction de ses ateliers. Le cas de François Pauquet est de ce
point de vue très représentatif. L'intendant Hurson intercède en sa faveur auprès
du ministre :
« C'est un sujet d'une grande distinction et même au-dessus de son
état, de plus fort honnête homme et fort instruit, ce serait un malheur
pour le service si cet homme était obligé de le quitter63. »
L'intendant demande 1 200 livres d'appointements pour François Pauquet qui n'a
que 720 livres, traitement habituel des premiers maîtres dans les ports. François
Pauquet est sollicité par son beau-père pour prendre la direction de sa
manufacture de toiles et voilerie à Marseille. Le ministre Praslin accordera 240
livres et le maître-voilier restera à Toulon. En 1778, c'est le commandant de la
marine, le chevalier de Fabry, qui appuie une nouvelle demande du maître
Pauquet. D'autres chefs d'atelier moins anciennement entretenus que lui ont un
traitement de 1 200 à 1 500 livres. Sartine accorde 200 livres64. Parmi d'autres
mesures favorables, le père de François Pauquet et son frère disposent des rebuts
des vieilles voiles et des ralingues jugées hors service. Pour éviter « l'esprit de
soupçon » les rebuts sont vendus au nom du roi et le bénéfice est ensuite distribué
aux maîtres-voiliers et à l'écrivain de la voilerie65.
l'atelier dès qu'elles ont des enfants et justement au moment où elles sont
formées69. Dans un mémoire retraçant l'histoire de l'adjudication de la couture
des voiles, l'intendant de Toulon, de Villeblanche, rappelle qu'en 1724 les
conditions du marché70 obligent l'entrepreneur à n'employer que des hommes et à
former six élèves à ses frais.
De la couture des toiles dépend la résistance des voiles. Les dirigeants de la
Marine ont jugé que ce travail pouvait être confié à des particuliers, en fixant des
normes précises à respecter. La coupe, par contre, demande des ouvriers
spécialisés. En favorisant quelques familles, la marine de guerre assure le renou-
vellement et la formation de ses maîtres-voiliers par la transmission des
compétences et du savoir-faire de père en fils.
A la fin du XVIIIe siècle, les gréements latins semblent voués à l'abandon. Leur
usage est exclusivement réservé à la navigation en Méditerranée. Les bâtiments
latins comme les célèbres chébecs ont été en quelque sorte «
bâtardisés » pour naviguer au-delà de Gibraltar sous toutes les allures.
Comme nous l'avons observé pour l'évolution du gréement à trois mâts carrés,
la marine française imitera aussi l'Angleterre pour ses petits navires. L'avance
anglaise est particulièrement nette pour les cotres (ou cutters) :
Mais il faut attendre 1770 pour voir la Marine royale armer des cotres réalisés sur
les plans des constructeurs Jacques et Daniel Denys à Dunkerque. Le devis de
construction du cutter la Puce donne le détail de la mâture et de la voilure. Le
cotre a un grand mât surmonté d'un étage de hunier et de perroquet. La bôme
(gui) et la corne (pic) confirment la présence d'une voile de brigantine. La Puce
totalise onze voiles : un grand foc, un deuxième foc, un troisième foc, un
tourmentin et un « flingib » (flying jib : clin foc), une grand-voile, une voile de
vent arrière, un perroquet, un hunier, une voile d'étai, une bonnette. Auxquelles
s'ajoutent comme moyen de propulsion secondaire, 18 avirons74.
Quelques années plus tard, des lougres sont mis en chantier. La Marine
expérimente encore un navire de course, une version très évoluée du
chasse-marée. Les constructeurs Denys donneront les plans des premiers lougres
de guerre français.
Les mêmes remarques sur l'évolution des dimensions des cutters s'appliquent aux
lougres : 45 pieds (14,62 m.) de longueur pour les premiers construits à partir de
1773 ; 73 pieds (23,72 m.) et plus, pour ceux lancés entre 1776 et 178277.
Les années qui précèdent la guerre permettent de tester avec les escadres
d'évolution ces petits bâtiments. Les officiers sont partagés sur les qualités de ces
deux types de navires, tels les commandants de Bavre qui s'est occupé
spécialement des lougres et de Villehouquais qui trouve les cutters plus
avantageux78.
Le commandant de Bavre est favorable aux lougres. Pendant la campagne de
Guichen en 1775, il commandait le lougre l'Espiègle. Il a obtenu une supériorité
43
de marche sur toute l'escadre et notamment sur les trois cutters qui en faisaient
partie.
La première critique du commandant de Villehouquais concerne les accidents de
démâtage. Pour le commandant de Bavre, ce sont les cutters qui ont le plus
souvent ce type d'accident et ils sont obligés de « relâcher » fréquemment pour
réparer leur mâture. De Villehouquais pense que les ponts des lougres, peu élevés
au-dessus de l'eau, peuvent provoquer dans les longues campagnes des cas de
scorbut car « les matelots seront souvent mouillés. »
La difficulté de manoeuvrer les lougres est réelle, mais une plus grande surface
de voilure divisée sur trois mâts offre plus de ressources pour régler la marche du
bâtiment en fonction de la force et de la direction du vent. Un élément essentiel
plaide en faveur des lougres : un cutter n'a qu'un seul mât, un lougre en a trois
avec trois jeux de voiles. Le commandant de Villehouquais constate que les
lougres demandent des équipages plus nombreux, les smugglers (contrebandiers
anglais) les ont d'ailleurs abandonnés. Le commandant de Bavre assure en avoir
vu encore à Dunkerque, mais beaucoup ont été transformés en cutters.
Les critiques portent aussi sur la durée des virements de bord, 14 minutes pour un
lougre, 7 minutes pour un cotre. De Bavre répond qu'il faut des équipages
familiarisés avec ce type de manoeuvre. Chaque fois qu'il a navigué en escadre
avec un lougre, il était le premier à virer. Pour ce qui regarde le projet d'acheter
des grands cutters anglais que l'on voit fréquemment à Dunkerque, il juge
préférable de faire des essais sur un bâtiment construit par le charpentier Denys.
Ces grands cutters ont des liaisons faibles, au moindre abordage ils sont percés79.
Le choix du cotre est pourtant discutable, car la vitesse acquise avec ces sloops de
guerre se fait souvent au détriment de la stabilité. Si la brigantine est très efficace
pour remonter au vent, le bâtiment est par contre désavantagé aux allures du vent
arrière. La brigantine est même une voile dangereuse et spécialement sur les
derniers cutters qui sont sur dimensionnés. Sur la Puce, en 1770, la bôme (gui)
dépasse les 13 mètres de long. Sur les cutters des années 1779-1780, elle atteint
les 25 mètres. Cette voile instable au vent arrière entraîne des empannages
violents qui provoquent des accidents. Des hommes sont blessés ou tués, le mât
ébranlé va même jusqu'à tomber81. Ce type de gréement exige du barreur
beaucoup d'adresse. Enfin, un seul mât s'avère être un gros handicap. En cas de
démâtage, le bâtiment désemparé sera pris très facilement.
44
Pierre Forfait écrit en 1788 que « la réputation des cutters commence à tomber ».
Les lougres gréés avec deux mâts jouissent d'une réputation prestigieuse comme
navires de contrebande. Mais ils ont aussi leurs défauts, le principal étant celui
des virements de bords qui obligent à amener les voiles comme sur les bâtiments
à voiles latines.
Il n'est pas sûr que la marine française soit arrivée au même niveau d'efficacité
avec ces types de petits navires que la Royal Navy. Le constructeur Denys, dans
une lettre adressée au maréchal de Castries en 1780, donne des conseils pour
utiliser les nouveaux cutters. Bien que les officiers soient satisfaits de ces cutters,
Denys estime qu'ils peuvent mieux marcher, ceux des Anglais sont plus
performants :
« Ils ne sont pas si chargés par les hauts par du bastingage, leurs
équipages ne sont pas si nombreux, ils ont moins d'effets en tout
genre, il s'y trouve plus de place et sont mieux logés. Nos bâtiments au
contraire sont trop bastingués, ce qui les rend lourds et les fait
beaucoup dériver dans les routes obliques.
Il faut un bastingage qui met les hommes à l'abri de la mitraille mais
qu'on puisse ôter et remettre quand il faut82. »
Il est certain que les conditions de vie à bord de ces bâtiments de 26 mètres de
long, très bas sur l'eau, avec 100 hommes d'équipage, chiffre maximal donné par
Denys, concilient difficilement confort, sécurité et vitesse.
La raison principale de l'abandon par la Marine des cotres et des lougres tient
probablement plus à la consommation accrue de bois de mâture, provoquée par
des démâtages fréquents, qu'au problème de manoeuvre et d'efficacité des
équipages. En juillet 1780, l'ingénieur Guignace du port de Brest suggère au
ministre de renoncer à faire construire quatre nouveaux cutters. Les bâtiments
projetés exigent pour leur mâture très élevée des pièces en bois du Nord
équivalentes par leurs dimensions aux mâts de hune de vaisseaux de 80 canons,
type de mât rare et dont le port de Brest est totalement dépourvu en cette période
de guerre83.
vergues de hune, vergues de perroquet et vergues des bas mâts sur L'Alerte. La
normalisation des mâtures est donc suivie sur les petits bâtiments.
Le Gerfaut, brick lancé en 1782 (le devis date de 1788) et dont les dimensions
principales sont différentes, a lui aussi la plupart des éléments de sa mâture
égaux. Ce système n'existe pas sur l'Hypocrite, bâtiment pris aux Anglais en
1781, qui présente un rapport longueur/largeur moindre. Le brick anglais est
beaucoup moins long que les bricks français. La hauteur des mâts est
proportionnellement moins grande sur l'Hypocrite89.
Toutes ces différences ne jouent pas réellement sur la marche de ces navires.
Les devis de campagnes indiquent que ces bricks marchent mal à l'allure du vent
arrière, moyennement à mal au près et au largue. Le commandant du Gerfaut dit
avoir tout essayé pendant la campagne pour améliorer la marche du bâtiment sans
obtenir de résultats90. Le brick l'Alerte a démâté deux fois de son petit mât de
hune. Le navire tangue et fatigue beaucoup sa mâture. Le commandant pense
qu'il faudrait reculer le grand mât de quatre à cinq pieds, « les voiles de l'arrière
dans l'état actuel ne balancent pas celles de l'avant sans la grande inclinaison
donnée au mât91 », les mouvements du roulis sont vifs.
De gros progrès sont encore à faire pour rendre les bricks plus performants. La
construction des petits navires est un genre difficile. L'avis du chevalier de Borda,
inspecteur général des constructions, sur un aviso construit à Rochefort témoigne
de cette difficulté :
«
Les lignes de l'avant sont très bien conduites, mais celles de l'arrière
me paraissent trop maigres et je ne crois pas que cette partie du
bâtiment soit assez soutenue. Le maître-couple me paraît aussi un peu
trop fin et je crains qu'en tout le bâtiment ne porte pas assez bien la
voile.
Au reste comme on ne connaît pas assez les petits bâtiments pour
pouvoir se prononcer davantage sur leurs défauts ou bonnes qualités,
je crois qu'il convient d'exécuter toujours celui ci comme essai... En
général nos ingénieurs ne se sont jamais distingué dans la construction
des petits bâtiments, il serait à désirer que quelqu'un s'attachat à les
perfectionner et que ce fut toujours le même92. »
Il existe un autre type de navire susceptible de convenir aux fonctions d'un aviso,
la goélette, mais elle a été très peu utilisée par la Marine avant la Révolution.
Ce type de bâtiment porte deux mâts qui gréent des voiles auriques, une
brigantine sur le grand mât et une voile aurique à corne sur le mât de misaine. La
goélette est originaire d'Amérique, c'est le schooner des côtes de Nouvelle
47
Angleterre. Ces bâtiments à coques fines sont rapides. Du Labrador aux Antilles,
on les utilise pour le cabotage, la pêche et bien sûr la course93. Les grandes
goélettes « de découverte » ou de commerce portent des huniers et des perroquets
carrés pour naviguer au vent arrière, mais la voilure de base est surtout très
avantageuse pour l'allure du près.
Gréement des bâtiments fraudeurs pour Pierre Forfait, les goélettes ont remplacé
les sloops pour le commerce interlope des Antilles. Les « bermudiens » les ont
adoptées avec parfois des dimensions de mâture très élevées ainsi que la « jeune
marine des Etats-Unis »94. Les premières goélettes de la Marine ont
probablement été armées au port de Rochefort en 1766. Ces nouveaux navires
sont à la mode et les cas de l'Afrique et la Gorée sont de ce point de vue de bons
exemples. A l'origine, le constructeur Chevillard a prévu de gréer ces deux
bâtiments destinés à naviguer sur les côtes d'Afrique en cotre, avec un seul mât
par conséquent, un gui et une corne, une vergue sèche pour y gréer une voile
carrée de fortune et un perroquet :
« Cette voilure convient parfaitement aux petits bâtiments , elle leur
fait bien pincer le vent et doubler un cap avec facilité, d'ailleurs il faut
beaucoup moins de monde que pour tout autre disposition de
mâture 95. »
L'année suivante, les officiers commandant ces deux navires, Le Large et Morel,
critiquent leurs qualités de marche. Sur la Gorée, les fonds sont jugés mal
configurés et la mâture mal placée. Le navire marche très mal au près, les focs
portent mal, il dérive et tangue96. Les deux bâtiments sont mâtés en goélette et
non en cotre. Chevillard attribue la mauvaise marche au nouveau gréement qui
n'est pas adapté aux dimensions des deux navires :
Chevillard précise en outre que le capitaine Morel présent lors de la mise en place
des mâts aurait pu faire ses critiques à ce moment là et « ne pas attendre d'être à
Gorée pour désapprouver ce qui s'est fait sous ses yeux ». Le constructeur se
défend vigoureusement, le ton est ferme et les officiers sont désignés comme
48
Le nombre de goélettes figurant sur les listes des états de la Marine reste très
faible : trois seulement en 1780. Rochefort semble d'ailleurs le seul arsenal à
employer des goélettes avec sept navires de ce type d'après un état de mars 1784.
Ces goélettes sont destinées au service du port. Transportant les munitions
navales, elles sont rangées dans la catégorie des bâtiments de servitude98.
Nous citerons un dernier exemple connu d'utilisation d'une goélette. La Galibi,
petit bâtiment armé de 10 canons, construit à Toulon à la demande de Daniel
Lescallier en poste à Cayenne, commissaire général de la colonie. Ce bâtiment
destiné à naviguer le long des côtes guyanaises est une grande felouque équipée
de 13 avirons mâtée en goélette. Sa mâture est très simple sans huniers et
perroquets99.
A la fin des années 1780, la marine de guerre a choisi comme navire aviso type le
brick. Les modèles américains, les cotres et surtout les goélettes, ont été écartés.
Les chébecs sont réputés pour leur vitesse et pourraient sans aucun doute
rivaliser avec les lougres, les goélettes ou les cutters. Ce sont certainement les
meilleurs bâtiments appartenant à la catégorie des gréements à voiles latines
traditionnels de la Méditerranée. Rapides, fins et légers, marchant à la voile ou à
la rame, les chébecs, bâtiments des pirates barbaresques sont des navires de
combat. La marine française a fait construire deux séries de quatre chébecs au
port de Toulon en 1751 et en 1762. Leur armement est de 24 ou 20 canons de 8
livres et de 18 canons de 6 livres100.
L'état des bâtiments de la Marine pour l'année 1754 donne des informations sur la
destination des quatre premiers chébecs :
«
Les 4 chébecs qu'un constructeur de Majorque est venu construire à
Toulon ont été éprouvés l'année dernière avec succès, ils pourront
servir utilement contre les corsaires barbaresques, il en sera construit
par la suite quelques autres101. »
Le devis de campagne du chébec le Requin, commandé par le chevalier de Fabry,
permet de juger du résultat de ces essais. Le Requin, qui compte 150 hommes
d'équipage, porte bien la voile, sa dérive est peu sensible, sa marche la plus
avantageuse est au plus près du vent et au largue. Il vire de bord vent devant et
vent arrière facilement et gouverne parfaitement bien :
49
« Tous les avantages d'un chébec consistent dans les voiles latines, il
est vrai qu'on ne peut pas toujours s'en servir, il est dangereux de se
laisser surprendre par un gros temps avec cette voilure, la manoeuvre
en est très délicate et peut entraîner la perte de beaucoup de monde et
même celle du bâtiment102. »
Les avantages de ce type de bâtiment pour une marine de guerre sont donc à
nuancer. Un chébec demande un équipage nombreux, sa voilure est impropre
pour naviguer à l'allure du vent arrière, dangereuse dans le mauvais temps et par
vent fort, d'où la nécessité de porter des voiles carrées :
« Les avantages qu'on retire de cette façon de gréer sont de pouvoir
ménager plus ou moins de voiles selon la force du vent et de les
manoeuvrer facilement, plus facilement qu'avec les voiles latines dont
les antennes sont dures à manier et sujettes à se casser surtout
lorsqu'on en n'a pas une grande expérience103. »
D'après Pierre Forfait, avec cette combinaison mixte de la voilure, les chébecs se
comportent assez bien, leur marche n'est pas trop altérée, sauf au près. C'est le
système adopté sur les grands chébecs espagnols104 armés pendant la guerre en
1778.
Le problème majeur des voiles latines reste celui des virements de bord et des
prises de ris, manoeuvres complexes et dangereuses. En cas de roulis, par vent
fort, la prise d'un ris sur des antennes de plus de 30 mètres de long est
acrobatique. Dans les virements de bord, il faut amener et dépasser l'antenne,
manoeuvre qui demande beaucoup de temps105.
Ces bâtiments par leur faible tirant d'eau entrent dans presque tous les
ports, ils peuvent longer les côtes de très près. La supériorité de leur
marche, leur bonne qualité leur permettent de se déhaler à la faveur de
leurs avirons dans bien des circonstances difficiles, ils n'appréhendent
pas le calme à la faveur des mêmes avirons106. »
Même avec une description si avantageuse, le futur ministre de la marine
(11/1795), Laurent Truguet, avait annoté le mémoire de la façon suivante :
Le gréement latin des chaloupes canonnières sera modifié comme celui des
chébecs pour les adapter aux conditions de navigation de la Manche et de
l'Atlantique. Ces petits bâtiments à rames et à fond plat sont armés d'un canon sur
l'avant et portent un mât gréé d'une voile latine et un foc. Utilisés pour la protec-
tion des côtes, la défense ou l'attaque des rades et des ports, ils apparaissent en
nombre pendant la guerre de Sept Ans. Prévus pour soutenir un débarquement en
Angleterre, plan qui aboutit au désastre des Cardinaux en novembre 1759, ces
navires serviront en fait à défendre les ports, défense rendue nécessaire par le blo-
cus et les attaques anglaises.
Sur les côtes de Provence la situation n'est guère meilleure. En 1758, un officier
du port de Toulon juge nécessaire d'utiliser des chaloupes canonnières. Pendant la
guerre de Succession d'Autriche, les Anglais ont navigué très près des côtes. Les
batteries côtières se sont avérées insuffisantes. Employer des grosses chaloupes
armées d'un canon de 24 livres serait plus efficace. Le constructeur Coulomb
estime que ces chaloupes pourront supporter la force de ce calibre. Leur gréement
ne sera plus latin, elles seront mâtées à gui, avec une voile de brigantine108. Le
texte accompagnant
une très belle aquarelle de Nicolas Ozanne explique que ce genre de bâtiment
n'est propre que pour « la mer belle et des traversées courtes109 » .
L'adaptation aux conditions de navigation des ports du Ponant pose un réel
problème.
Un projet110 de 1759 prévoit pour les chaloupes deux types de gréement, l'un en
goélette pour naviguer par mauvais temps et faire des traversées, l'autre tradi-
tionnel avec une voile latine pour croiser en rade. La même année, le constructeur
Ginoux propose de modifier l'artillerie des chaloupes. Les quatre chaloupes
armées d'un canon de 24 livres qui assurent la défense du Havre sont obligées de
s'éloigner de l'ennemi pour recharger. Leur puissance de feu n'est pas assez
soutenue. Ginoux prévoit d'augmenter la longueur des chaloupes de façon à leur
faire porter un canon à l'avant et un canon à l'arrière111. Ces nouvelles chaloupes
51
de course, mais c'est encore la marine anglaise qui rend ces innovations
nécessaires.
Chapitre II
VERS LA NORMALISATION
I - UN SYSTÈME MODULAIRE.
Les constructeurs ont suivi de façon constante la même méthode pour calculer les
dimensions des mâtures. Les vaisseaux des marines de guerre européennes sont
conçus différemment. Il est important de relever ces différences sur les mâtures.
Les dimensions théoriques présentent quelques caractéristiques de l'évolution des
mâtures des navires français.
réduire la hauteur des mâts tout en augmentant l'envergure (la largeur des voiles).
La démarche de Pierre Bouguer, bien qu'intégrée au cours de la deuxième moitié
du XVIIIe siècle, n'a pas pour autant généré une autre méthode permettant de
calculer les surfaces de voilures.
En 1788, l'ingénieur
Pierre Forfait compare les différents systèmes de voilure «classés dans l'ordre
naturel qu'indique le nombre de mâts verticaux » . Il donne pour chaque type de
gréement « les lois suivant lesquelles on proportionne les mâts et les vergues et la
relation des voilures qui en résulte » . Il a traduit sous forme de tables ces règles.
Les proportions des mâts sont calculées en millièmes parties de la largeur, celles
des vergues en millièmes parties de la longueur. Ce calcul est fait à partir de
dimensions réelles, mais le principe reste le même que dans le passé. Il faut
souligner que Pierre Forfait ne prétend pas avoir donné des règles invariables :
« Ceux qui ont donné sur cette matière des tables générales, qu'ils
regardent comme des lois fixes, ne connaissaient point l'art dont ils
parlaient8. »
Mais il présente une justification de l'utilisation de ces règles de proportions qui
est d'un grand intérêt :
Nous avons trouvé fréquemment, jusqu'au début du XVIIIe siècle, des tables où
l'on ajoute ou retranche quelques pieds ou pouces selon le rang du navire. Dans
l'ouvrage de F. Dassié, publié en 1695, ces additions ou soustractions sont
systématiques18. Il faut aussi remarquer que les éléments de la mâture haute sont
proportionnés à ceux de la mâture basse. La longueur du mât de grand perroquet
correspond à la moitié de celle du grand mât de hune et le grand mât de hune aux
deux tiers du grand mât. Après 1730, la règle devient unique, générale. Tous les
calculs sont traduits en fraction de maître-bau. Les dimensions en pieds/pouces
pour chaque type de navire sont plus fréquentes, soit qu'il s'agisse d'une
application de la règle générale aux différentes catégories de vaisseaux prévus
54
par les règlements, soit, comme l'ont fait Nicolas Romme et Pierre Forfait, de
dimensions de mâtures réelles pour des bâtiments représentatifs de leur catégorie.
France Angleterre
MÂTURE moins haute, plus grosse plus haute, plus menue
ENVERGURE plus large plus étroite
55
DÉDUCTION :
- le vaisseau anglais et plus long que le vaisseau français.
- le vaisseau anglais est plus rapide, coupe plus facilement l'eau,
porte mieux la voile et marche mieux à l'allure du près.
« Le vaisseau français est sans contredit plus subtil et plus saillant par
avant pour bien fendre l'eau et si quelques uns ne vont pas si bien à la
voile que les anglais c'est que les mâts, cordages et poulies des
français sont plus grossiers et par conséquent plus pesants, c'est à quoi
l'on a dessein de remédier à Brest20. »
Toulon ne trouve pas les vaisseaux anglais plus rapides. Pour les avantages à la
voile les navires construits en Provence l'ont toujours emporté. Le conseil
reconnaît toutefois une « trop grande différence de fabrique » entre le Ponant et le
Levant21. Pour la mâture, la différence s'explique par la qualité des bois. Les
Anglais utilisent des « mâts du Nord choisis » d'où la possibilité de mâter plus
haut avec des bois d'un diamètre moindre. Les bois du Nord qui arrivent à Brest
ne sont pas de premier choix.
Pour le conseil de Rochefort les vaisseaux français sont mâtés sur de bonnes
proportions. La différence entre la mâture et l'envergure telle qu'elle existe dans
le système anglais a la réputation de rendre le vaisseau meilleur « boulinier »
[allure du près]. Mais le conseil de Rochefort a constaté, au cours des dernières
campagnes, que ce système avait ses défauts, dont celui de provoquer des
démâtages22.
Le conseil de Toulon justifie aussi la moindre hauteur des mâts par la mauvaise
qualité des bois, ce qui implique de donner plus d'envergure pour compenser la
perte sur la hauteur. Il faut remarquer que dans le système français les mâts de
hune sont plus hauts, ce qui annule en fait la différence sur la hauteur totale. Le
conseil de Toulon ne croit pas que le système anglais soit plus avantageux pour la
navigation au près. Vent arrière et vent largue les vaisseaux français sont
supérieurs, au près l'avantage des vaisseaux anglais n'est pas décisif.
La conception française n'est pas remise en cause, mais on décèle à travers ces
56
A la fin du XVIIIe siècle, les systèmes de mâture relevés par Seignelay ont
évolué, mais les différences entre les marines subsistent.
Pierre Forfait compare les systèmes anglais, français et espagnol. Il constate des
différences dans la position du centre de voilure, accordant sa préférence au
système anglais. Sur les bâtiments français, il trouve à peu près le même rapport
pour un vaisseau de 110 canons et une frégate de 12, considérant cette uniformité
comme un défaut. Plus un bâtiment est long, plus le centre de voilure doit tomber
vers la proue. Sur les vaisseaux à trois ponts, qui sont plus élevés à l'arrière et
dont la différence de tirant-d'eau est faible, le centre de voilure doit être plus
rapproché de l'avant, sur les frégates il doit être plus près du milieu.
54 Experiment 0,114
50 Romulus 0,110
F1 Minerve 0,122
8
F1 Calypso 0,109 Santa Barbara 0,093
2
F8 Minerva 0,081
centre de voilure est moindre. Cette diminution est progressive sur les bâtiments
anglais et espagnols où le centre de voilure est placé le plus près du milieu sur les
petits vaisseaux et les frégates. Pierre Forfait ne considère pas la position du
centre de voilure sur les vaisseaux français comme un défaut. On y remédie
facilement par des changements dans la disposition des voiles, « c'est à l'art du
manoeuvrier à redresser les erreurs du constructeur ».
L'autre point de comparaison porte sur les dimensions de mâture et plus
spécialement sur la différence entre la mâture et l'envergure. Les Anglais et les
autres pays du Nord de l'Europe donnent moins de hauteur à leurs mâts et font
l'envergure au moins égale. Les bâtiments espagnols portent moins de voilure.
Les proportions de leurs mâtures sont identiques à celles des vaisseaux français,
mais leur envergure est diminuée.
Nous disposons de trois types de données pour apprécier l'évolution des mâtures
: les proportions théoriques, les dimensions théoriques et les dimensions réelles.
Les proportions théoriques concernent le XVIIIe siècle. Les tables du XVIIe
siècle donnant des proportions auxquelles s'ajoutent des pieds et des pouces ne
58
peuvent être exploitées et comparées avec les règles générales. Les dimensions
théoriques des constructeurs Coulomb et Hubac permettent toutefois de combler
cette lacune.
Les cinq tables de proportions théoriques retenues sont valables pour n'importe
quel type de bâtiment. Les proportions de 1784 sont un projet d'extension
d'égalité des mâtures du règlement de 178125.
T1 - Ce tableau compare les hauteurs totales pour les mâts et les vergues mises
bout à bout. L'augmentation de la longueur sur le mât de beaupré correspond à
l'installation du bout-dehors de beaupré et à la multiplication du nombre des focs.
La progression sur le mât d'artimon s'explique par la mise en place du troisième
étage de voilure, le mât de perruche d'artimon. On remarque, d'une manière
générale, l'augmentation de la hauteur sur chaque mât jusqu'en 1778. La
différence entre le grand mât et le mât de misaine se réduit : 0,50 en 1719, 0,08
en 1784( cf. G1). Pour les vergues l'égalité est totale en 1784. Il faut souligner la
progression de l'envergure sur les deux mâts principaux sans tenir compte de la
règle de 1784. Une autre remarque s'impose, les trois premières tables présentent
des proportions identiques. Les chiffres de 1778 suggèrent une augmentation
possible après 1750, ceux de 1784 l'arrêt de cet accroissement.
T4 - La tendance pour les huniers est d'avoir plus d'envergure, le rapport est
négatif pour la règle de 1784. Les perroquets ont par contre plus d'envergure que
de mâture avec les trois premières règles, mais la différence reste faible après
1778. Pour les basses vergues la différence sera toujours positive, il faut tenir
compte de la partie du mât qui traverse la carène.
G2 - Nous avons traduit sous forme de courbes l'évolution des mâts de hune.
59
Avec la règle de 1778, l'espace entre le petit mât de hune et sa vergue se réduit, il
est nul pour la courbe du grand mât de hune. La règle de 1784 inverse les
courbes, les vergues se situent au dessus de leurs mâts.
Avec les tables des dimensions théoriques en pieds et pouces pour lesquelles
nous avons calculé les proportions, nous pouvons introduire une analyse
particulière pour chaque type de navire.
Selon la provenance des bois, les dimensions des mâts seront différentes. Ce type
de modification des règles de proportions est assez fréquent jusqu'au début du
XVIIIe siècle. Les constructeurs brestois Laurent et Etienne Hubac augmentent
les diamètres des mâts lorsqu'ils sont fabriqués avec des bois de France. Ils
enlèvent un pouce et demi sur le diamètre des bas mâts lorsqu'ils sont en bois du
Nord27. Le constructeur Coulomb enlève 1/10 sur le diamètre des mâts et des
vergues fabriqués avec des bois du Nord28. La qualité des résineux français
contraint les constructeurs à faire des mâtures moins hautes et d'un diamètre plus
fort.
La règle de base est aussi modifiée en fonction du rang du navire. Le principe est
simple : plus un bâtiment est petit, plus sa mâture doit être élevée. Cette
différence est appliquée par les constructeurs à la fin du XVIIe siècle entre un
vaisseau et une frégate. François Coulomb explique la raison pour laquelle il
donne plus de mâture aux frégates du cinquième rang :
diminue. Pour les chiffres de 1678 la progression est régulière sur les deux mâts
principaux et leurs vergues. Le phénomène est encore plus remarquable avec les
proportions de 1683. La différence mâture-envergure est moindre sur les petits
bâtiments et suppose tout de même une compensation sur la surface des voiles.
Les proportions de 1744 ne traduisent pas de variations importantes pour les
différents types de vaisseaux, signe d'un changement par rapport au XVIIe siècle,
mais la catégorie des frégates manque. Les chiffres de 1767 correspondent au
projet d'un officier de marine, le chevalier Forbin d'Oppède, il n'y a pas non plus
de gros écarts entre les trois types de vaisseaux de 80, 74 et 64 canons.
Le projet du chevalier Forbin d'Oppède mérite une analyse car il tient compte
du rapport entre vitesse et artillerie, lest et tirant-d'eau pour chaque type de
bâtiment. Cet officier juge les proportions de mâture en usage mauvaises et
nuisibles à la vitesse du navire. Reprenant la théorie de Pierre Bouguer, il remet
en cause le principe de la règle générale :
Nous pouvons amorcer une ébauche de l'évolution des mâtures. Sur un siècle
l'accroissement est général, il est dû en partie à l'augmentation des perroquets. La
forme des voiles est modifiée, l'envergure tend à dépasser la hauteur de la mâture.
Dans le détail, les conséquences de l'uniformisation des mâtures doivent être
étudiées avec finesse. De même l'évolution des mâts de hune qui peut indiquer
des difficultés d'approvisionnement en bois de mâture (dimensions des fûts), les
bas mâts étant fabriqués avec plusieurs pièces34. L'analyse des dimensions réelles
devrait permettre de confirmer ou d'infirmer la période 1750-1760 comme étant
celle de l'augmentation maximale, de vérifier si le système de mâture des frégates
est différent sur les vaisseaux du XVIIIe siècle comme il l'est pour les bâtiments
du XVIIe siècle.
A terme, c'est l'interchangeabilité entre les différents types qui est souhaitée.
Cette uniformisation passe nécessairement par la normalisation des vaisseaux de
guerre. Mais paradoxalement, le règlement de mars 1781, qui réunit dimensions
62
Ainsi ce n'est pas assez de connaître les corps flottants les plus propres
pour les routes directes et obliques, il faut encore savoir placer et
élever sur ces mêmes corps dans des proportions relatives , une mâture
qui n'affaiblisse ni ne détruise les bonnes qualités résultant d'une
configuration.
Les premières tentatives sont dues à la Compagnie des Indes. Fait significatif,
qu'il s'agisse de la Compagnie des Indes ou de la marine de guerre, les auteurs du
projet sont tous deux officiers. La paternité en revient à Jacques Bourdé de
Villehuet, officier de la Compagnie, auteur du célèbre Manoeuvrier ou Essai sur
la théorie et la pratique des mouvements du navire et des évolutions navales.
L'ouvrage est publié en 1765, l'année même où Bourdé de Villehuet présente son
projet d'égalité des mâtures au conseil de construction de la Compagnie.
La présence dans les archives de la marine de guerre d'un gros dossier constitué
de copies de procès-verbaux, lettres et délibérations provenant du conseil de la
Compagnie de Lorient couvrant l'année 1765 est à remarquer40.
La marine de guerre a contribué, à partir de 1755 et par le biais de ses ingénieurs,
au renouvellement de la flotte marchande de la Compagnie. Pendant la guerre de
Succession d'Autriche, l'utilisation par la marine royale des vaisseaux de la
Compagnie a révélé la mauvaise aptitude au combat de ces navires, dont le défaut
principal est d'avoir une hauteur de batterie insuffisante. Les constructeurs Joseph
Coulomb, Blaise Ollivier et surtout Antoine Groignard travailleront à l'intégration
des navires de la Compagnie dans les escadres de la marine de guerre. Pour
obtenir une équivalence avec les vaisseaux de guerre de 74 et 64 canons, le
constructeur Antoine Groignard a conçu les plans de bâtiments d'un port égal où
supérieur à 1 200 tonneaux. Mais ces gros navires sont impropres à la navigation
64
sur le Gange d'où l'obligation de maintenir des tonnages inférieurs de 900 et 700
tonneaux41. D'une manière générale, les constructeurs ont dû améliorer les
qualités nautiques de ces bâtiments, ne serait-ce que pour échapper aux escadres
anglaises.
La flotte de la Compagnie avant sa suppression se compose de trois types de
navires : 1 200, 900 et 700 tonneaux. L'homogénéisation de la flotte de la
Compagnie est effective. Elle autorise la « standardisation » des mâtures, l'année
1765 correspondant au point d'aboutissement de dix années d'expérimentation.
Le projet de Jacques Bourdé arrive trop tard, il est clair que le conseil qui vient
d'arrêter les dimensions de mâture ne souhaite pas revoir sa copie et engager la
Compagnie dans une nouvelle période d'expérimentation.
essais d'un tel système. L'Académie des sciences, qui s'intéresse aux travaux du
conseil de Lorient, n'est pas non plus convaincue des avantages du système
d'égalité des mâtures. L'académicien Le Monnier croit que l'égalité entre le grand
et le mât de misaine rendra le vaisseau trop ardent et qu'il arrivera [abattre]
difficilement47.
L'argument avancé par Briqueville pour l'égalité des mâts de hune et de perroquet
est simple. Il subsiste très peu de différence entre la hauteur totale du grand mât
et du mât de misaine :
« Au reste, les Anglais qui sont ainsi que nous très occupés des
moyens de perfectionner l'art de naviguer ne pensent pas sans doute
qu'il soit nécessaire d'avoir une si grande différence de l'envergure à la
bordure dans les huniers de leurs vaisseaux puisqu'ils en ont moins que
nous n'en observons sur les nôtres52. »
Nous retrouvons ici la différence entre marine anglaise et marine française, mais
cette fois, l'Angleterre est plus avancée dans la réduction de l'écart entre la mâture
et l'envergure sur les huniers, contrairement aux années 1670-1700. La
commission conclut son rapport en indiquant que les changements ne pourront se
faire que sur les nouveaux bâtiments ou sur ceux qui ont besoin d'une mâture
neuve. Si le conseil de marine de Brest a approuvé à l'unanimité le rapport de la
commission, la décision finale appartient au ministre53.
La délibération du conseil fait apparaître un point important du système
d'égalité, celui des approvisionnements en bois de mâture. La dépense sera à peu
près la même avec une légère différence en faveur du projet Briqueville. Mais
l'augmentation de la longueur du petit mât de hune implique de trouver des arbres
d'une taille supérieure, et la diminution du grand hunier n'entraîne qu'une faible
compensation. Il sera plus difficile de trouver deux arbres moyens de même
dimension qu'un grand et un petit. Cette première délibération présente à la fois
les arguments qui décideront de l'adoption du système Briqueville et ceux qui à
terme réduiront ces avantages à presque rien.
Le premier reproche concerne les dimensions pour lesquelles cet officier n'a
68
donné aucune indication, ce qui autorise toutes sortes d'hypothèses, une mâture
trop haute ou trop basse, des voiles trop petites ou trop grandes, et par la même
les critiques. Il considère que ce problème doit être résolu par les ingénieurs.
Ceux-ci doivent savoir quelle est la voilure qui convient au bâtiment, de même la
position des mâts et la différence qui doit exister entre les bas mâts et les basses
vergues. Les critiques portent aussi sur la configuration des voiles, la division du
plan de voilure et le centre de gravité. Il répond que tout ce qui se pratique
actuellement sur les vaisseaux a été déterminé par tâtonnements, « la théorie des
rigoristes » est insuffisante pour condamner son système de mâture. Il existe une
part d'inconnu dans ce projet. On comprend mieux la réticence des ports, d'autant
que son concepteur est un officier et non un ingénieur. Le conseil de Brest est
cependant resté favorable au projet :
est favorable à l'égalité des diamètres des mâts de hune, mais contre celle de leur
longueur.
- M. le comte de Grasse : presque tous les vaisseaux sont trop ardents. Il cite
en exemple les expériences faites par le commandant de Beaussier sur deux
vaisseaux où l'on a placé le deuxième grand mât de hune de rechange à la place
du petit mât de hune (misaine). « Ces vaisseaux se sont mieux comportés et ont
eu une marche soutenue. »
Des écarts même d'un demi-pied sur les diamètres des mâts sont incompatibles.
Les bas mâts et les basses vergues sont d'assemblage, par conséquent ils ne
peuvent être retaillés.
Nous avons traité les dimensions de mâture des vaisseaux identifiés de la même
façon que les dimensions théoriques, en divisant la longueur de chaque élément,
mât et vergues, par le module de la largeur de la coque. La grande majorité des
dimensions de notre fichier concerne des bâtiments de la deuxième moitié du
XVIIIe siècle. Ce qui nous permet de les classer par séries : trois ponts , 80, 74,
64 canons, frégates portant du calibre 18, 12 et 8 en batterie, corvettes, navires de
charge (flûtes et gabares). Nous avons inclu dans ces séries des bâtiments lancés
pendant les années 1660-1730 qui sont armés d'un nombre de canons à peu près
identiques. Bien qu'étant différents par leurs dimensions et la répartition des
calibres dans les batteries, le calcul des proportions de mâture par la largeur reste
tout de même valable.
Le gain sur les hauteurs totales est dû aux mâts de perroquet. Les mâts de hune
de misaine ont augmenté avec le règlement de 1781. Le grand mât de hune
semble avoir atteint une proportion maximale de 1,41, soit pour les vaisseaux de
50 pieds de large, une dimension plafond de 71 pieds (23,07 m.)74.
B - Vaisseaux de 80 canons75.
Il n'existe pas d'exemples pour la première moitié du XVIIIe siècle, remarque
qui est également valable pour les trois ponts. L'activité des arsenaux s'est
considérablement ralentie à partir des années 1700 jusqu'à la guerre de
Succession d'Autriche. Peu de bâtiments ont été lancés, un seul trois ponts en
1727, le Foudroyant76. Les vaisseaux de 80 canons n'apparaissent comme navires
de second rang qu'à partir des années 174077.
La proportion du grand mât de hune définie par le règlement de 1781 est de 1,43,
soit une dimension maximale de 69 pieds (22,42 m.) pour des vaisseaux de 48
pieds (15,60 m.) de large. La baisse par rapport aux vaisseaux de 1756, 1765 et
1779 n'est pas négligeable, environ 2 ou 3 pieds (0,97 m.).
Les vaisseaux de Toulon, l'Océan et le Triomphant se distinguent très nettement
par un écart inversé sur la différence entre les mâts et vergues de hune79.
C - Vaisseaux de 74 canons80.
Avec cette série nous nous trouvons en présence de plusieurs bâtiments ayant une
mâture uniformisée. Nous n'aborderons pas la période expérimentale du système
Briqueville81. Nous étudierons l'évolution des proportions comme pour les séries
précédentes.
L'augmentation caractéristique sur les longueurs totales est ici moins évidente.
Les mâtures uniformisées compliquent l'analyse. Si l'on excepte les proportions
uniformisées semblables au règlement de 1781, le vaisseau de 1766 marque la
période où l'on atteint les proportions les plus fortes. Le cas du Séduisant de 1783
paraît exceptionnel. Avec le Marseillais de 1766, ces deux vaisseaux construits à
Toulon présentent la plus forte élévation sur le grand mât de tous les vaisseaux de
la liste. L'accroissement du mât de misaine pour les mâtures uniformisées est
remarquable82.
Le Séduisant de l'ingénieur Coulomb semble surmâté, les proportions de
l'envergure totale sont supérieures à toutes celles des autres bâtiments.
L'ingénieur s'est conformé pour les proportions du mât de misaine au règlement
de 1781. Mais n'appliquant pas l'égalité des mâts de hune et de perroquet, les
proportions du grand mât ont été déterminées comme dans le système
traditionnel. La réduction de l'écart entre les mâts principaux est aussi visible
pour tous les vaisseaux dont la mâture est uniformisée.
L'analyse des proportions des petits mâts de hune (G13) ne traduit pas un
accroissement réel malgré le nouveau règlement de 1781. Il faut souligner que les
proportions des mâts de hune sont plus faibles avec la deuxième version du
règlement en 1784. L'augmentation de deux pieds sur la longueur de coque et de
un demi pied sur la largeur a pour conséquence une réduction des proportions.
Les deux règlements imposent une dimension plafond de 63 pieds (20,47 m.). On
remarque dans le détail que l'augmentation générale est due à celle des mâts de
77
perroquet (G14) et non pas à celle des mâts de hune. En 1787, le système
d'égalité des mâts et des vergues est supprimé sur le Léopard, mais les nouvelles
proportions des mâts de hune restent en dessous du maximum imposé.
La différence entre les mâts et vergues de hune est supprimée sur les derniers
vaisseaux de la liste ayant une mâture uniformisée. Nous retrouvons la spécificité
toulonnaise, une envergure supérieure à la mâture pour les vaisseaux le
Marseillais et le Séduisant83. Le cas du Dauphin-Royal présente un intérêt
particulier : l'écart étant négatif pour le petit mât de hune et positif mais minime
pour le grand mât de hune. Ce bâtiment a été construit à Brest sur les plans de
Blaise Ollivier. La famille des constructeurs Ollivier est originaire de Toulon. Le
père passe à Rochefort en 1720, à Brest en 172484. Ce qui pourrait expliquer ces
résultats, différents des usages de Brest.
D - Vaisseaux de 64 canons85.
Grâce à cette série des 64 canons, nous pouvons apprécier les changements
consécutifs aux refontes. Nous disposons des dimensions de mâture des vaisseaux
l'Artésien et le Bizarre à des dates postérieures et antérieures à la refonte.
Le vaisseau le Bizarre a reçu au moins trois mâtures dont les dimensions sont
différentes, celles (malheureusement incomplètes) données par le constructeur
Geyffroy en 1753, celles de Rochefort en 1771 citées par Nicolas Romme en
1778, qui figurent sur le tableau à la date du lancement) et enfin celles de Brest
en 1778 après la refonte du bâtiment87. Tous les vaisseaux de cette liste ont
d'ailleurs été refondus à l'exception du Sphinx. Les proportions pour la Provence
ont été calculées à partir des dimensions portées sur le devis de campagne de
1783, soit après la refonte qui date de 1774. Le Vengeur a subi deux refontes en
1765 et en 1778, les proportions correspondent à la dernière refonte. Le vaisseau
l'Artésien a été refondu en 1777. Nous pouvons ainsi comparer les dimensions
initiales prévues par le constructeur Ollivier et celles du devis de 1784
postérieures à la refonte. Tous ces vaisseaux faisaient partie, à l'exception de la
Provence, de l'escadre de Suffren pendant la campagne des Indes de 1781-
78
178488.
L'examen des longueurs totales (G15) montre que les proportions maximales
sont atteintes avec la Provence en 1763. Les refontes des deux vaisseaux
l'Artésien et le Bizarre, dont la largeur a été légèrement augmentée (1/2 pied),
entraînent une réduction des proportions. Si l'on inclut le Vengeur, refondu en
1778, les années qui précèdent la guerre de 1778 se caractérisent par un
raccourcissement des mâts. Nous retrouvons avec la Provence de l'ingénieur
Gautier, la pratique du port de Toulon qui donne plus d'envergure que de mâture.
La réduction des mâtures après les refontes (G16) s'explique par celle des bas
mâts et des mâts de hune, mais l'allongement des mâts de perroquet ne compense
pas la perte sur la hauteur totale. Les nouvelles proportions des mâts de hune des
vaisseaux l'Artésien et le Bizarre sont très proches de celles du règlement de
1781. La dimension fixée par le règlement est de 59 pieds (19,17 m.), soit une
réduction de 2 à 3 pieds sur les longueurs ordinaires.
L'uniformisation des mâtures annule toute différence entre les mâts de hune et les
vergues de hune(G17).
E - Vaisseaux de 56 à 48 canons89.
A - Frégates de 1891.
L'évolution des hauteurs des mâts de hune montre une évolution qui est pour la
première fois contraire au schéma habituel résultant de l'uniformisation94. On ne
retrouve pas la baisse des proportions du grand mât de hune. Le règlement fixe
les dimensions des deux mâts de hune égaux à 52 pieds (16,90 m.). Sur
l'Iphigénie et la Cléopâtre le grand mât de hune mesure 57 pieds (18,52 m.). Les
petits mâts de hune conservent la hauteur fixée par le règlement, 52 pieds.
80
L'évolution générale, frégates avec une mâture plus élevée et non uniformisée,
remet en cause la politique de normalisation suivie dans les années 1780. Elle
donne rétrospectivement raison aux adversaires du système Briqueville. Elle nous
permet aussi de formuler l'hypothèse suivante : la normalisation, qui se situe entre
deux phases d'accroissement des mâtures, 1750-1760 et 1810-1820, aurait bloqué
toute évolution en imposant des dimensions réduites et l'interchangeabilité des
mâts et des vergues.
B - Frégate de 1295.
Les caractéristiques des frégates portant du calibre 12 ont été fixées après la
guerre de Sept Ans. Elles sont percées à 13 sabords pour 26 canons. Pendant la
guerre d'Indépendance Américaine la longueur des frégates de 12 augmente de
130-134 pieds à 136-137 pieds. Certaines sont percées à 14 pour 28 canons en
batterie96. Dans notre fichier les frégates la Néréide, la Friponne, la Concorde et
celle du règlement de 1781, sont percées à 14, les autres à 13.
Dans le groupe des frégates présentant des mâts de hune égaux, les différences
sur les proportions proviennent des ingénieurs qui donnent un peu plus ou un peu
81
Quelle tendance se dégage en regroupant les trois formules ? Une courbe des
hauteurs maximales du grand mât et du mât de misaine déterminées pour cinq
périodes nous semble plus appropriée99. Le plus haut niveau se situe dans la
période 1770-1780 et correspond au système d'égalité des mâts de hune.
L'uniformisation abaisse la courbe en 1781-1785. En 1796, le grand mât rattrape
les niveaux antérieurs au règlement de 1781, la proportion du mât de misaine
diminue. La frégate la Dédaigneuse, lancée en 1766, mais dont les dimensions
datent de 1778, vient fausser les proportions du mât de misaine pour la période
1765-1769, ses mâts de hune sont égaux. La proportion maximale ne devrait pas
dépasser 4,52 soit la même que celle de 1796, ce qui apparaîtrait sur une courbe
des proportions minimales. Nous pouvons en déduire, comme pour les frégates de
18, que la normalisation a fixé des proportions minimales à ne pas dépasser. La
non application du règlement en 1796 confirme la tendance à l'accroissement des
mâts sur les bâtiments au début du XIXe siècle.
L'évolution des mâts de hune vient nuancer celle des hauteurs totales. Les
proportions du grand mât de hune de 1785 et 1796 (mâture non uniformisée)
restent inférieures aux proportions antérieures au règlement de 1781. La
tendance sur le long terme est bien à la réduction des mâts de hune, les normes du
règlement de 1781 ne seront pas dépassées. L'accroissement des années 1785-
1796 s'est fait sur les mâts de perroquet. Dans le système traditionnel les
dimensions du grand et du petit mât de hune sont de 55 et 51 pieds, de 52 pieds
pour le système des mâts de hune égaux, de 50 pieds pour le règlement de 1781 et
1784, de 50 et 44 pieds pour la mâture non uniformisée de 1796.
Compte tenu des corrections qui peuvent être faites par les commandants, les
82
voilures des frégates de la flotte des années 1780 sont très éloignées de la «
standardisation » .
C - Frégates de 8101.
Les frégates armées de 26 canons de calibre 8 ont été remplacées par les frégates
de 12. Les dernières102 ont été lancées en 1774. Le règlement d'uniformisation
des mâtures de 1784 inclut cette catégorie de frégate, armant 24 canons de 8.
L'analyse des proportions est limitée par le nombre restreint de bâtiments. La
différence sur les hauteurs totales, entre la Mignonne construite à Toulon et la
Flore construite à Brest, est remarquable. La particularité de Toulon se remarque
de nouveau avec la différence mâture-envergure. Elle est encore plus nette pour
les mâts et vergues de hune (G24) qui présentent des résultats négatifs. Mais le
règlement de 1784 donne lui aussi plus d'envergure que de mâture sur les mâts de
hune.
A - Corvettes103.
La corvette la Flèche est mâtée à pible, c'est à dire d'un seul tenant sans hunes, ce
qui explique ses proportions plus faibles que sur les autres corvettes. Mais cette
moindre hauteur des mâts est compensée par une envergure très supérieure à la
mâture.
Les proportions de la corvette le Rossignol sont les plus élevées, elle semble
surmâtée. Mais seulement sur la hauteur, car la différence mâture-envergure
donne un résultat positif et très supérieur en faveur de la mâture. Dans le détail
cette grande élévation est due aux mâts de perroquet. Ce bâtiment pose problème,
construit à Brest sur les plans de l'ingénieur Ollivier en 1767, le devis sur lequel
figurent les dimensions de mâture date de 1789. La mâture a pu être transformée,
mais nous ignorons à quelle date. Ce bâtiment jouit en tout cas d'une bonne
réputation. Le conseil de marine de Rochefort le présente comme modèle de
référence pour cette catégorie de navire en 1775, ayant « les formes les plus
avantageuses104. »
B - Flûtes et Gabares105.
Nous disposons d'une bonne série de gabares construites dans les années 1780
et qui constituent l'essentiel de la flotte basée à Rochefort. Si l'on juge
généralement ces bâtiments plutôt lents, lourds et robustes, à l'image des flûtes
hollandaises, navires de référence, les bâtiments de la marine de la fin du XVIIIe
siècle sont différents. Le rapport longueur-largeur est toujours supérieur à 4. Les
proportions des mâtures sont assez proches de celles des frégates. Très souvent,
les proportions sur les deux mâts principaux sont supérieures à celles des frégates
et des corvettes. Les vaisseaux n'atteignent jamais de telles proportions. En
84
comparaison des autres types, les flûtes et les gabares sont manifestement
surmâtées.
1766. Un seul bâtiment présente une mâture uniformisée : la Tamponne. Mais les
dimensions, qui datent de 1788, sont probablement différentes de celles de la
mâture originelle de 1766. Tous les bâtiments de cette liste ont des proportions de
mâture très différentes qui les individualisent, il nous semble difficile de dégager
une évolution pour ce type de navire. Ces bâtiments ont toutefois en commun une
mâture élevée, considérée par Pierre Forfait comme le défaut de tous les navires
de charge attachés au service de la marine109.
Le détail des longueurs n'apporte pas d'informations supplémentaires, tous les
éléments de mâture ont pour la plupart des proportions extrêmes. L'augmentation
des mâts et des vergues de perroquet est très nette à partir de 1766.
Le règlement de 1781 n'a été traité jusqu'à présent que dans une perspective
globale de l'évolution des mâtures. Il nous reste à définir les étapes
expérimentales qui ont conduit à la normalisation. L'analyse des proportions de
mâture des frégates a révélé l'existence de plusieurs systèmes de mâtures. Le
système proposé par Briqueville en 1773 n'a pas conduit à un seul type
d'expérience sur quelques bâtiments. Nous avons regroupé par séries tous les
bâtiments présentant à des degrés divers un système uniformisé. Là où nous
manquions d'informations, le traitement des données du fichier des dimensions de
mâtures a en quelque sorte dépassé notre objectif.
Une remarque s'impose, lorsque Briqueville rédige son rapport en mars 1781, il
cite quatre vaisseaux de 74 canons et quatre frégates de 12 soumis à
expérimentation. En réalité, il ne peut faire la preuve du succès de son système
d'égalité qu'avec les vaisseaux. Pour les frégates, il n'en reste qu'une, l'Astrée.
Deux ont été prises par les Anglais, la Fortunée le 22 décembre 1779 et la
Nymphe le 10 août 1780. La Vénus s'est perdue sur les Glénans en août 1780110.
On peut s'étonner de la rapidité avec laquelle le règlement a été adopté. Les
arguments en faveur du nouveau système ne manquent pas.
86
C'est reconnaître que les chantiers des ports ont des pratiques différentes, que le
bois, matériau vivant, annule en partie les effets de la « standardisation » .
Briqueville n'a d'ailleurs pas avancé ce type d'argument. Il insiste essentiellement
sur les possibilités de rechange supplémentaire des mâts et des vergues pour les
vaisseaux.
Trois systèmes de mâtures ont été observés à partir des données du fichier. La
première combinaison donne des diamètres égaux aux mâts de hune, la seconde
des mâts de hune égaux tant sur la longueur que sur le diamètre, la troisième
correspond au système d'égalité du projet de 1773 et par conséquent à celui du
règlement de 1781. A l'intérieur de chaque combinaison des variantes existent,
étendues ou réduites à d'autres éléments de la mâture116.
La formule n°1 serait donc empruntée au système anglais et testée sur les
vaisseaux français lancés après la guerre de Sept Ans.
Pour les frégates, toutes les combinaisons sont représentées. Une tendance
particulière se dégage pour la formule n°2, avec une variante donnant des
diamètres égaux aux mâts de perroquet, combinaison adoptée sur les frégates
lancées à Rochefort.
On remarquera là encore, l'absence de bâtiments construits à Toulon pour la
formule n°3 jusqu'en 1781. Toulon lance à cette date une frégate de 12 dont les
diamètres des mâts de hune sont égaux, alors que Brest, Rochefort, Lorient et
Saint-Malo ont déjà construit plusieurs frégates mâtées avec les systèmes n°2 et
n°3. La situation est différente avec les frégates de 18, nouveau type construit à
partir de 1782, Toulon n'échappe pas à l'uniformisation. La formule n°3 est
toutefois aménagée, le règlement de 1781 est appliqué dans une version restreinte
qui ne conserve sur les mâts de hune que l'égalité des diamètres. Cette
combinaison, qui singularise les frégates de Toulon, nous la retrouvons sur
l'Impérieuse en 1787.
Partisans et adversaires du règlement se sont surtout affrontés sur le principe de
l'égalité des mâts de hune. Les constructeurs de Toulon ont évité ou contourné ce
problème. Les systèmes de mâture des frégates lancées après 1796 leur donnent
raison.
Les autres catégories de navires présentent des combinaisons aussi variées. Le
système en place sur les corvettes de Rochefort est une version étendue du
règlement de 1781119. Pas un seul type de navire de la marine n'a été épargné, du
vaisseau aux navires de charges et aux bricks aviso, où toutes les formules sont
représentées.
DEUXIÈME PARTIE
Chapitre premier
ORIGINES ET COURANTS DE LA NOVATION,
SCIENCE FRANÇAISE ET TECHNIQUE ANGLAISE
Sciences et savants ont dominé en France les recherches sur la conception des
navires. Nous avons recherché des indices de cette prépondérance scientifique à
86
travers les ouvrages de marine publiés au XVIIIe siècle et les préoccupations des
académies, l'Académie des Sciences et plus spécialement l'Académie de marine.
Une question reste cependant posée : celle des progrès réels et des acquis de la
théorie. Les sciences ont-elles résolu tous les problèmes posés par la construction
navale ? A la fin du XVIIIe siècle certaines incertitudes demeurent. Il convient de
s'interroger sur ces zones d'ombres qui s'opposent à l'élaboration d'une théorie
définitive de la conception du navire.
À cette domination des matières s'ajoute celle des auteurs : des savants, des
mathématiciens, des géomètres, des astronomes, pour la plupart membres ou
correspondants de l'Académie royale des sciences. Les ingénieurs-constructeurs
n'ont rien publié5. Ceux qui ont proposé des mémoires en vue d'une publication
ne sont pas nombreux et n'appartiennent pas à la catégorie des brillants ingénieurs
de la Marine. Ils vont se heurter au jugement des savants, officiers et
académiciens.
Pour la carène:
Le système de carène présenté par l'ingénieur Pic nous est connu grâce à un
mémoire de l'intendant du port de Rochefort, Ruis-Embito. Pic a déjà construit
librement selon ses idées un chasse-marée. Lorsqu'il est choisi avec le
constructeur Chevillard pour donner les plans d'une frégate de 16 canons,
l'intendant hésite à prendre le risque de le laisser appliquer ses idées. L'ingénieur
Clairain Deslauriers, directeur des constructions à Rochefort, vise le plan de
Chevillard, celui de Pic présente une nouvelle forme de carène dont on se méfie.
La longueur est plus grande, le creux plus important, le déplacement plus lourd.
La mâture plus élevée sera moins bien soutenue, le bâtiment aura moins de
stabilité :
« Nous savons bien que dans l'ancienne marine les vaisseaux étaient
sphériques dans leur maître-couple et qu'en diminuant ceux de l'avant
et surtout ceux de l'arrière les lignes devenaient extrêmement
concaves, que la construction moderne a corrigé ces défauts par le
moyen d'une plus grande longueur sur la largeur9. »
L'ingénieur Pic a poussé plus loin cette correction, qui selon l'intendant aboutit à
la forme inverse, convexe.
Pic propose une nouvelle fois l'édition de son mémoire en 1775. Le ministre
Sartine demande au chevalier de Borda d'examiner le mémoire. Comme Etienne
Bezout, Borda juge la publication inutile. Pic mérite cependant une récompense
pour ses efforts. Borda, d'accord sur le fond avec l'analyse de Bezout, ajoute
quelques remarques sur la nouvelle forme de carène projetée par Pic :
aisée et si l'on doit juger de ceux des nations étrangères par les plans
de nos navires français que j'y ai vus et que je connais, cette collection
entière mérite bien peu de confiance et ainsi que les résultats des
calculs faits sur des plans dont les dimensions m'ont paru aussi
hasardées que la figure16. »
L'ouvrage de Chapman n'est pas admis dans sa globalité. Vial du Clairbois a
d'ailleurs fait observer, tout comme l'Académie de marine, à propos de la
stabilité, que le constructeur avait fait une « faute d'analyse considérable ». Il
n'est pas facile de contredire les travaux des savants, comme ceux de Pierre
Bouguer, sans avoir établi au préalable une solide théorie. La traduction de Vial
du Clairbois est une traduction critique. D'après Vial, elle « a fait du bruit dans la
marine de Suède... , le calcul m'a prouvé que l'on pouvait mettre la proposition de
M. Chapman au rang des vérités mal établies17».
Ce sont des officiers de marine qui ont rédigé, à la demande des ministres, les
livres sur la construction navale destinés à l'instruction des gardes de la marine.
Dans son Instruction élémentaire et raisonnée sur la construction pratique des
vaisseaux, publiée en 1771, Duranti de Lironcourt fait référence aux ouvrages de
Duhamel du Monceau. Le capitaine de vaisseau du Maitz de Goimpy, fait l'éloge
des théories élaborées par Pierre Bouguer et Léonard Euler dans son Traité sur la
construction des vaisseaux édité en 1776. Toutefois, la place de la construction
navale dans l'intérêt manifesté par les officiers pour la « science navale » doit être
relativisée. La lettre de Pierre Lévêque, professeur de mathématiques, demandant
91
Les prix de l'Académie royale des sciences sont représentatifs de l'intérêt accordé
par le monde scientifique au domaine maritime. Le prix annuel de l'Académie a
été créé pour répondre à des questions définies autour de deux grands thèmes :
l'un général portant sur la physique du globe, l'autre plus spécifique portant sur
les sciences de la navigation et particulièrement sur le calcul de la longitude en
mer23. Dans cette dernière catégorie de prix qui intéresse directement la marine
de guerre, d'autres types de sujets seront proposés, très éloignés du problème du
calcul du point en mer.
Sur les quarante-huit sujets proposés par l'Académie entre 1720 et 1787, vingt-
trois prix concernent directement la marine. Onze sujets se rapportent au
problème spécifique du calcul du point (boussole, chronomètre, astronomie),
deux prix portent sur le « flux et reflux de la mer » et sur « la force des courants
», et enfin dix prix intéressent la construction navale. Ces derniers ont été
proposés entre 1727 et 1765. Les sujets d'astronomie l'emportent par la suite24.
Fait significatif, le dernier prix de l'Académie des sciences est remporté en 1791
par Nicolas Romme, professeur de mathématiques et d'hydrographie à Rochefort,
92
« Brest est pour nous autres théoriciens, une excellente école parce que
les opérations pratiques observées par tant de milliers d'hommes qui
naviguent doivent s'éclairer et servir de préliminaire aux réflexions les
plus importantes. On ne peut donc les résoudre qu'en réunissant la
pratique et la théorie. Nos meilleurs marins en sont aujourd'hui si
convaincus qu'ils ne trouvent plus étrange de recommencer plusieurs
fois une même expérience25. »
Pour cet académicien, le comte de Roquefeuil, commandant de la marine de Brest
et membre de l'Académie royale de marine, « très versé dans la théorie »,
appartient à ce groupe des meilleurs marins. Ceux-ci critiquent de la même façon
que les savants les dernières réalisations des ingénieurs de la marine :
« L'opinion actuelle de nos constructeurs est montée à ce degré de
fantaisie de vouloir donner une mâture trop forte et trop de rentrée à
leur vaisseau26. »
Nous avons borné l'étude de ces inventions à celles relatives aux moyens de
propulsion du navire en distinguant deux types de projets : ceux qui conservent
l'énergie éolienne par la modification des gréements en usage et ceux qui
cherchent à s'en passer. Les « machines » pour faire avancer un navire par temps
calme sont fréquentes. Mais la plupart de ces inventions ne sont pas adaptées aux
grands vaisseaux de guerre. Il convient de remarquer le petit nombre de projets
ou d'inventions ayant trait à la propulsion éolienne. A l'évidence le système à trois
mâts carrés apparaît comme le seul type de gréement efficace pour assurer la
propulsion des navires de guerre.
Les modifications qu'il a imaginées sont originales35. Les mâts de perroquet sont
supprimés, ainsi que les hunes, et le bâtiment n'a plus que deux mâts. Jugeant les
basses voiles carrées trop grandes et trop difficiles à manoeuvrer, Raymond de
Radouay les divise en deux et ajoute sur la partie basse des deux mâts, des voiles
auriques à cornes. Ce nouveau gréement permettra, selon cet officier, de gagner
en vitesse, légèreté et stabilité, grâce à la réduction de la hauteur des mâts, à
l'augmentation de la longueur des vergues, à la suppression de nombreuses
manoeuvres, aux nouvelles voiles qu'il a imaginées.
95
Les essais faits en 1763 sur la corvette la Calypso sont d'un tout autre genre et
marquent par ailleurs un terme dans l'expérimentation par la Marine royale de
nouveaux gréements sur ses vaisseaux. En janvier 1763, le sieur Le Roy obtient
du ministre Choiseul l'autorisation de se rendre à Brest pour faire des essais de
son nouveau système de voilure42.
Le projet de David Le Roy consiste à remplacer les voiles carrées des vaisseaux
par des voiles latines. Il doit s'entretenir de son projet avec l'académicien Pierre
Le Monnier qui se trouve à Brest pour observer les expériences faites sur le
97
Le dimanche 14 août, à six heures du matin, la Calypso fait voile. Elle rentre en
piteux état avec un gréement de fortune assemblé de bric et de broc. La Calypso
jette l'ancre dans la rade de Brest le dimanche 21 août à six heures de l'après-midi
pour le plus grand soulagement des officiers, de la maistrance et des matelots qui
ont bien failli ne pas revenir de cette courte campagne.
Le journal de bord de l'enseigne de Godinec donne des renseignements sur les
dangers et les péripéties de cette semaine de navigation45.
La corvette armée de 14 canons de 4 livres a reçu sur chacun des trois mâts des
voiles latines triangulaires. Premier inconvénient rencontré dès le départ, un seul
des canots est embarqué, les deux empilés sur le pont auraient gêné le
mouvement de la grande vergue, qui est ici une antenne latine. La Calypso ne
rattrape pas une « petite barque » suédoise partie une heure avant. La corvette
dérive beaucoup. Le lendemain du départ les ennuis commencent :
une voile carrée sur le mât de misaine. Malheureusement les ennuis continuent,
c'est finalement le grand mât qui éclate dans une violente secousse. Le grand mât
de hune est lui aussi coupé pour soulager le bas mât. Le vent est faible, mais la
mer est encore formée, le tangage de la corvette est trop fort :
Nous avons retrouvé la même confiance, la même opiniâtreté des inventeurs avec
des projets où la propulsion est assurée par d'autres moyens que celui du vent.
Rames, roues à aubes et avirons, actionnés par divers mécanismes, ont été
imaginés pour suppléer à l'action du vent sur les voiles. Ces inventions sont
fréquentes, certaines figurent dans le Recueil des machines approuvées par
l'Académie royale des sciences52.
Les rames tournantes de François Duquet, testées par la marine de guerre ont été
approuvées par l'Académie. En 1693, des expériences sont faites à Marseille avec
une galère équipée de rames tournantes et une galère ordinaire. La galère équipée
du système de François Duquet est la plus rapide, mais sur une même distance
parcourue la différence entre les deux galères n'est que de quelques minutes53.
En 1737, de nouveaux essais de rames tournantes sont faits à Toulon. Le sieur
Cicéri a présenté « une machine pour faire mouvoir un vaisseau par temps calme
». Cette machine est composée de « rames à pattes d'oie ». L'intendant de
l'arsenal de Toulon, de Villeblanche, note dans son rapport au ministre, qu'il y a
beaucoup de génie dans son invention, mais qu'elle est trop embarrassante pour
un vaisseau. Il trouve par contre la machine de M. de Beaudinard plus simple.
Plus rapide, elle présente cependant le même inconvénient que la machine
précédente du sieur Cicéri :
100
« On ne croit pas qu'elle puisse servir en grand par les difficultés qu'on
trouve à la placer54. »
La difficulté d'adapter ce genre de système sur les vaisseaux n'a pas découragé
les inventeurs. En 1769, le commissaire de la marine du Havre, Mistral, accède à
la demande du sieur de Brossard, capitaine de navire à Honfleur, qui propose
« une machine pour faire marcher par temps calme les bâtiments de mer ». Le
plan de la machine est envoyé aux bureaux du ministère55. Mistral visiblement
agacé par les demandes réitérées de ce capitaine juge le projet ridicule. Il
n'apprécie guère le personnage. Il le considère comme étant un « gentilhomme
indigent56 » qui n'a aucune éducation et qui ne connaît rien à la mécanique, un
capitaine « borné et médiocre ».
Borda considérait, en 1787, que tous les projets examinés par l'Académie ou le
département de la Marine n'avaient jusqu'à présent pas paru applicables sur les
grands vaisseaux. Le citoyen Acher ne s'était pas découragé pour autant. Il
attribuait « à l'événement de la Révolution » le fait que son système n'ait pas été
expérimenté par la Marine60.
101
Les voyages d'étude des officiers français en Angleterre, qui sont en fait des
missions d'espionnage déguisées, permettent de voir qu'un nombre important de
nouvelles techniques manquent à la marine française. Ces officiers ont
conscience des progrès réalisés par le France dans la conception des navires.
Leurs mémoires traduisent une belle assurance dans ce domaine et leur confiance
en la théorie. Le renseignement porte sur d'autres aspects de la construction
navale qui sont autant de révélateurs des points faibles du matériel naval français.
« Tous les vaisseaux d'Angleterre depuis les plus petits jusqu'au Royal
Chartes gouvernent avec une roue qui est d'un bien autre usage pour
assujettir le gouvernail et faire une route ligne directe que la manuelle
dont nous nous servons ; cette roue est cependant en usage en France
depuis plusieurs années chez des particuliers, et tous ceux qui
connaissent son utilité par expérience conviennent que rien n'a jamais
été mieux inventé, mais comme il navigue peu de vaisseaux du Roy
depuis longtemps, peu d'officiers ont connaissance de l'usage de cette
roue, ce qui fait que peu l'approuvent, cependant on ne pourrait mieux
faire que de l'introduire ainsi que les Anglais dans tous les vaisseaux
du Roy ... Lorsqu'on a goûté la roue on ne veut plus entendre parler de
la manuelle63. »
La mise au point de ce nouveau système s'est faite en Angleterre au début des
années 1690. Le gouvernail à roue est adopté sur les vaisseaux de guerre
anglais64 vers 1700-1710. La marine française accuse un retard d'une trentaine
d'années. Le capitaine Daire a rédigé son mémoire en 1723, époque où le
gouvernail à roue est seulement utilisé sur des bâtiments privés. Ce retard est
consécutif à la période d'abandon du début du XVIIIe siècle. Avec le
redressement des années 1725-1730, le retard accumulé depuis la guerre de
Succession d'Espagne sera comblé.
La supériorité du gréement des vaisseaux anglais est pourtant évidente dès les
années 1660-1670. Nous avons remarqué des différences sensibles dans un
mémoire daté de 1672 décrivant l'arsenal de Chatham65. Sur les grands vaisseaux,
les réas des poulies sont faits avec du bois de gayac [bois tropical très dur
provenant des Antilles] :
« Ils approuvent fort son usage parce qu'ils durent plus longtemps et ne
courent point le risque de se rompre dans les mauvais temps, et
d'ailleurs parce que les rouets de bois venant à s'user, les manoeuvres
s'engagent aussitôt entre la poulie et le rouet66. »
Les manoeuvres sont jugées plus légères que celles employées sur les vaisseaux
français, les chuquets des mâts sont aussi plus légers et « plats par en haut », le
brasseyage des vergues est efficace grâce à un double palan placé sur les hunes,
103
« Usages que j'ai observés dans les ports et sur les vaisseaux du Roi » :
-
Voiles : Toiles plus fines, plus serrées, plus légères.
- Cordages : Brins de chanvre moins gros, « commettage plus uni » , ils ne suent
pas le goudron.
-
Artillerie : Usage des refouloirs-écouvillons dont les manches sont en cordes. «
Un canonnier placé entre deux canons passe d'un côté l'écouvillon dans l'un et
bourre l'autre avec beaucoup de vivacité. Ces refouloirs ne sont points sujets à se
casser durant le combat et à ralentir par là le feu de l'artillerie68. »
-
Arrimage : Les câbles sont rangés dans le milieu de l'entrepont sur des pièces de
bois pour ne pas abîmer la charpente et non sur l'avant du vaisseau.
-
Construction : Le nombre de clous et de chevilles en fer est limité dans
l'assemblage des membrures et des bordages, les Anglais estiment que la rouille
du fer pourrit le bois très vite.
-
Décoration : Les figures de proue sont toutes uniformes sur les vaisseaux anglais
[figure d'un lion]. « Les officiers disent reconnaître tout de suite les vaisseaux
français qui portent différentes figures qui caractérisent toujours le nom du
navire, leur apprennent avec une liste un peu exacte de quelle force est celui avec
qui ils sont prêts d'avoir à faire. »
-
Lancement : Il se fait par la poupe, évitant les secousses violentes des câbles de
retenue lors des lancements par la proue. Un seul câble avec une petite ancre
arrête la course du vaisseau.
-
Aménagements : Les soutes aux poudres sont doublées d'une rangée de briques
maçonnées avec un revêtement69.
104
« Les Anglais qui n'avaient il y a dix ans aucun livre de tactique sur
cette partie étudient aujourd'hui nos constructeurs et travaillent d'après
nos modèles, ils pensent que les vaisseaux de 74 sont les meilleurs soit
pour la mer, soit pour le combat, ils en construisent plusieurs de cette
proportion, ils suivent aussi le goût de nos frégates qu'ils trouvent être
des chefs-d'oeuvre, au reste ils donnent moins de hauteur à leur mâture
et un peu plus de batterie72.»
Les remarques à propos des frégates méritent une analyse. Donner moins de
hauteur à la mâture et plus d'élévation à la batterie semble indiquer que les
frégates françaises sont surtoilées et ne peuvent utiliser leur artillerie dans toutes
les conditions de navigation. Cette artillerie serait en fait trop importante par
rapport à la capacité du bâtiment.
Les rapports d'inspection des officiers anglais sur les prises effectuées pendant la
guerre de Succession d'Autriche et la guerre de Sept Ans vont dans ce sens. Les
frégates françaises ne sont pas faites pour durer et coûtent chères à entretenir73.
Les constructeurs français ont privilégié la vitesse en donnant à leurs vaisseaux
des coques fines et légères. Cette légèreté explique les performances sous voiles,
mais en contrepartie, la faiblesse des liaisons et un trop grand usage de clous
nuisent à la durée de conservation du navire. Autre conséquence pour ces frégates
légères : elles ne peuvent pas embarquer le même nombre de canons et porter
autant de voilure que les frégates anglaises. Pour R. Gardiner, vitesse et légèreté
caractérisent la construction navale française de cette époque :
« Il apparaît que la légèreté est un élément conscient de l'architecture
navale visant à produire des navires rapides mais qui ne donnent le
meilleur d'eux-mêmes que lorsqu'ils sont encore relativement
neufs74. »
105
Il existe pourtant des défauts sur les bâtiments français reconnus par les officiers
et cités par le chevalier d'Oraison. Le gréement est particulièrement critiqué. Les
mâts sont jugés trop hauts, ceux des bâtiments anglais sont proportionnellement
plus courts. Il serait utile de s'inspirer des méthodes et des proportions anglaises
pour les cordages :
« Tout est fermé aux gens inconnus et étrangers, quoique j'ai éprouvé
qu'on trompe leur exactitude, mais on ne saurait être trop exact en
France, car il m'est tombé entre les mains un mémoire sur la marine de
France très circonstancié avec des plans de Toulon faits en 1757 et
donnés à l'Amirauté anglaise76. »
force nécessaire à son maniement tout en épuisant la même quantité d'eau que les
pompes ordinaires.
Malgré les interdictions faites aux étrangers de visiter les arsenaux, François de
Rosily passe outre et trompe la surveillance assez facilement :
mettre à terre sur le rivage du côté des chantiers dont elle a fait le
tour. »
La rencontre avec le mécanicien anglais est plus importante qu'il n'y paraît.
François de Rosily va découvrir grâce à William Cole l'existence d'un nouveau
procédé de fabrication des poulies :
« Il s'agit d'une machine qu'il est défendu de montrer même aux
Anglais et pour laquelle il a été employé... , une machine qui force les
poulies en un clin d'oeil, qui tourne et perce le fer avec plus d'aisance
que nous tournons les bois en France et propre à mille autres choses
pour la marine85. »
Cette machine a été inventée par un mécanicien de Southampton, Walter Taylor,
aidé par William Cole pour sa construction. D'après François de Rosily, Walter
Taylor a dépensé 30 000 livres pour construire sa fabrique et il aurait gagné
jusqu'à présent 400 000 livres. Ces poulies fabriquées mécaniquement sont
utilisées sur les vaisseaux anglais depuis 176286.
L'amélioration des procédés de fabrication des poulies grâce à la mécanisation
pourrait expliquer l'efficacité et la rapidité de manoeuvre reconnues des
équipages anglais. Le ministre Sartine a d'ailleurs demandé au comte de Rosily de
s'informer sur tout ce qui touche au gréement :
« Je vous demande de mettre à profit votre séjour et de prendre toutes
les connaissances dans la marine anglaise, et particulièrement sur le
gréement, toujours supérieur au nôtre avec des cordages meilleurs,
quoique moins gros que ceux de France, par conséquent plus légers,
plus commodes pour le service87. »
François de Rosily explique cette supériorité par la qualité des cordages et des
poulies fabriqués en Angleterre :
« Le vingt de ce mois, j'ai eu l'honneur de vous marquer que
j'attribuais la supériorité accordée généralement aux Anglais dans l'art
de gréer les vaisseaux, principalement à la nouvelle invention des
poulies, quant à la qualité du cordage, s'il est meilleur que le nôtre,
cela peut provenir de l'attention particulière qu'ils donnent à cette
partie88. »
108
Pour les cordages, il n'est pas question d'une innovation technique particulière,
mais du soin apporté lors des différentes étapes de la fabrication, le filage et le
goudronnage notamment.
Compte tenu des succès remportés par les escadres françaises pendant le conflit
américain et des efforts consentis pour développer la flotte de guerre, la mise à
niveau tant numérique que technique semble réelle. Pourtant la spectaculaire
défaite de la bataille des Saintes en 1782 vient contredire cette impression
première. Les Anglais disposent d'une nouvelle arme, la caronade. Cette arme
destructrice, utilisable à courte distance accompagne la révolution tactique
engagée par l'amiral Rodney dans cette bataille navale89. Il est donc indispensable
d'examiner l'état de la technologie anglaise à la fin du XVIIIe siècle.
spécialement celle du gréement, des poulies et des cordages. Il n'est d'ailleurs pas
certain que la perfection des carènes compense ces défauts, défauts qui pénalisent
d'autant le travail des ingénieurs de la Marine.
Deux innovations adoptées par la Royal Navy sont jugées essentielles par le
comte de Kersaint, le doublage des carènes en cuivre et les nouvelles caronades :
« L'un tend à donner une supériorité de vitesse à ses vaisseaux qui
puisse rendre ses marins maîtres de choisir le moment et la distance
dans les combats, l'autre d'égaler les forces d'un vaisseau du dernier
rang à celles d'un vaisseau du premier et de les envoyer au besoin dans
la ligne comme un vaisseau et dans les croisières et les convois comme
frégate92. »
Pour ce qui concerne le doublage en cuivre, les Anglais ont résolu le problème de
l'électrolyse en adoptant une « nouvelle clouture » entièrement en cuivre. Les
clous en fer ont été supprimés. Kersaint juge qu'il faut impérativement équiper
tous les vaisseaux de caronades car « ni l'Art, ni la fortune, ni le courage ne
pourraient sauver une nation de sa destruction » qui n'utiliserait pas ce type
d'arme.
Par rapport aux voyages précédents, celui-ci présente une nouvelle région
d'investigation avec la côte ouest et le port de Bristol 93.
Armand de Kersaint a observé la construction sur les chantiers privés des
vaisseaux de guerre. Il remarque qu'en Angleterre les vaisseaux sont construits là
où se trouvent les bois. Bristol qui reçoit tous les bois du pays de Galles est un
site très favorable. « On doit considérer Bristol comme le port le plus intéressant
après Londres. » Il souligne les avantages du système anglais, économique,
assurant la formation et l'entretien d'une main d'oeuvre à la charge du secteur
privé :
« Je ne fais aucun doute que le Roi d'Angleterre puisse construire 50
vaisseaux à la fois, sans embarrasser aucun des ports principaux dont
toutes les ressources pourraient être dirigées vers les radoubs et les
armements94. »
L'idée, généralement répandue, que l'Angleterre manque de bois est totalement
fausse pour Kersaint. Tous les vaisseaux qu'il a vus sont construits en bois du
pays. Les bâtiments sont commandés très longtemps avant leur mise en chantier
et les paiements se font à long terme. Les entrepreneurs construisent avec lenteur,
« lorsqu'ils sont assurés dans un canton de la quantité de bois suffisante, ils
contractent avec le gouvernement et l'ouvrage se commence ».
Portsmouth, « le premier port du monde », n'est pas défavorisé par sa rade, le
Spithead, réputée dangereuse :
Autre avantage signalé par le comte de Kersaint : les garde chips. Ces vaisseaux
garde-côtes anglais naviguent avec des équipages réduits mais opérationnels :
« La tenue de ces vaisseaux est admirable, je ne puis m'empêcher de
considérer les vaisseaux de garde en Angleterre et les stations au-
dehors comme les deux principes de la supériorité de la marine
anglaise96. »
Sur les chantiers londoniens, Deptford et Blackwall, il observera de près, la
manière dont les Anglais doublent leurs vaisseaux. Ils n'utilisent plus de fer dans
la partie submergée mais des chevilles en cuivre et des gournables en bois. Ils
doublent les carènes à moitié avant la mise à l'eau à Deptford, le doublage est
achevé à l'arsenal de Woolwich. Armand de Kersaint remarque aussi que les
sabords des vaisseaux neufs anglais sont plus grands que ceux des vaisseaux de
construction ancienne.
Il se dit « extrêmement surpris » par le nombre de bâtiments de 44 canons, tous
neufs, d'autant qu'il n'a pas vu une seule frégate d'une batterie en construction. Le
comte de Kersaint en déduit que l'Amirauté va armer ses vaisseaux du sixième
rang en frégate avec des caronades de 68 et de 62 livres, abandonnant ainsi la
construction des frégates équipées de 28 canons de 18 livres, frégates qui ne
peuvent pas prendre place dans la ligne des vaisseaux au combat. L'idée,
essentielle et juste, retenue par Kersaint, est qu'à terme les caronades pourront
déclasser les navires de rang supérieur et même remplacer l'artillerie classique.
Le dernier voyage qui nous intéresse est celui de Pierre Forfait et Daniel
Lescallier, effectué juste à la veille de la Révolution. A la différence des
voyageurs précédents, ce ne sont pas des officiers de marine. Mais leur activité et
leur compétence sont, dans ce cas et compte tenu de la date, très importantes.
Daniel Lescallier est un administrateur, commissaire de la Marine. Pierre Forfait
est ingénieur-constructeur, il a collaboré à la rédaction de l'Encyclopédie
Méthodique et a publié en 1788 un Traité sur la mâture. Daniel Lescallier a
publié en 1776 un Vocabulaire franco-anglais des termes de marine, les
111
Les circonstances dans lesquelles ils effectuent leur séjour sont aussi différentes.
Ils n'obtiennent pas l'autorisation de visiter les arsenaux anglais et ils n'essaieront
pas d'y pénétrer d'une manière ou d'une autre. Les « observateurs espions » du
ministre La Luzerne voient donc leur terrain d'investigation réduit.
Paradoxalement, ils ne considèrent pas cette limitation comme un handicap. Les
chantiers privés de Londres, celui de la Compagnie des Indes à Blackwall
notamment, leur permettent de rédiger un imposant mémoire d'une soixantaine de
pages :
De sorte que l'étude des pratiques suivies dans les grands chantiers
particuliers... , donne encore matière à des observations très
importantes, dont on chercherait vainement l'évocation ailleurs98. »
Cette « interdiction sévère et irrévocable » de visiter les arsenaux militaires
anglais tranche avec le laxisme et la facilité décrits dans les mémoires précédents.
Ce qui semble indiquer un changement de politique de la part de l'Amirauté. Mais
la plupart des informateurs parviennent à compenser ce verrouillage des ports
grâce aux particuliers, manufacturiers, inventeurs qui sont en général plus
bavards. Si les patentes accordées par le gouvernement anglais ont protégé un
certain temps, assez efficacement, les nouvelles techniques de l'exportation, elles
n'empêcheront pas l'espionnage et la copie, ni les offres financièrement très
intéressantes destinées à attirer procédés et inventeurs en France.
Les ateliers de sciage des bois sont plus performants et ont retenu leur attention.
Les Anglais n'utilisent pas de chevalets mais une fosse. Les pièces ne se brisent
pas après le sciage, la sécurité du travail est renforcée et la main d'oeuvre est
réduite. Ces fosses sont complétées par une autre innovation : une scie différente
de celles en usage dans les ports français. Les Anglais se servent du passe-
partout, en France c'est encore la scie à bras [de long] qui est utilisée. Bien que le
passe-partout soit connu en France, Pierre Forfait et Daniel Lescallier ramènent
dans leurs bagages deux scies de ce type pour servir de modèle.
Pour expliquer la qualité de l'ouvrage, le système de l'entreprise est pris en
compte :
ouvriers anglais ; il est très probable que ces qualités précieuses sont
exitées par leur propre intérêt parce que le plus souvent ils travaillent à
l'entreprise et pas conséquent ils emploient bien leur temps et ils
cherchent encore les méthodes qui abrègent le plus la main d'oeuvre...
Cette assiduité dans le travail tient probablement à l'éducation et au
caractère national... , ce qu'on vient de dire s'applique non seulement
aux charpentiers mais à toutes les classes d'ouvrier99. »
- Construction :
« C'est une opinion généralement reconnue que les constructeurs
anglais sont moins instruits que les nôtres en théorie, nous ignorons si
cette opinion est fondée mais il est certain que leurs développements
pour l'exécution de leurs vaisseaux sont plus savants que les
nôtres100. »
- Goudron minéral :
Le goudron minéral est utilisé par les constructeurs anglais sur les navires
marchands. Ils le jugent efficace contre la piqûre des vers qui ronge les carènes.
Ce goudron est utilisé pour faire des peintures, pour goudronner les cordages,
pour enduire les mâts, les vergues, les balustrades et les tonneaux. Pierre Forfait
et Daniel Lescallier ont remarqué un « usage considérable » de cette matière en
Angleterre :
Le fil de caret est moins tord et goudronné de manière plus égale grâce à un
appareil qui purge par pression le fil à la sortie de l'auge à goudron. Pierre Forfait
a rapporté des dessins de ce type d'appareil, utilisé à La Corogne en 1783. Les
arsenaux espagnols bénéficient de la technologie anglaise. Les fosses destinées
au sciage des bois existent aussi à La Corogne en 1783. Forfait indique que
l'armée du comte d'Estaing « y avait tiré en ce temps le plus grand des services » .
Ils ont vu deux navires construits à Bombay avec ce type de bois, « de pareils
vaisseaux naviguent longtemps sans avoir besoin de radoubs ».
Il semble aussi que le tournant de la guerre de Sept Ans ait creusé l'écart entre la
France et l'Angleterre, avec d'un côté une avance théorique empreinte de sciences
qui se traduit concrètement par de réels progrès dans la conception des vaisseaux,
et de l'autre une avance technologique jalousement protégée, qui se maintient et
évolue à un tel niveau qu'elle devient difficilement rattrapable.
113
Chapitre II
TECHNIQUES ET PROGRÈS
pieds (22,75 m.) de hauteur, ce qui correspond à des mâts de 23 palmes (66,7 cm.
de diamètre et plus), la technique d'assemblage est fréquemment utilisée. En
1786, ordre est donné à tous les ports de réserver les mâts bruts de 20 palmes (58
cm de diamètre) et au-dessus, pour faire les mâts de hune des vaisseaux du
premier et du second rang5.
« On pourrait dans bien des circonstances, faire une erreur très forte, si
l'on voulait calculer avec précision les ressources de la Marine d'après
les inventaires de ses dépôts8. »
Laurent Hélié doit former les mâteurs de Toulon pour qu'ils utilisent au mieux les
différents types de bois de l'arsenal avec économie : sans réduction sur les grosses
pièces, pour employer les arbres tels qu'ils se présentent, en plaçant les adents
correctement, en suivant le mouvement des fibres du bois et sans multiplier le
nombre de clous.
117
Les assemblages les plus simples sont bien sûr préférables. Mais entre la théorie
et la pratique, c'est à dire la disponibilité des bois d'un arsenal, les maîtres-
mâteurs n'ont pas nécessairement la possibilité de faire des assemblages de quatre
ou cinq pièces.
En 1743, la mâture du vaisseau de 80 canons le Tonnant pose bien des
problèmes à l'intendant du port de Toulon. Avec des mâts du Dauphiné qui ne
sont pas encore à l'arsenal, mais qui ont été visités et marqués par le sous-maître
du port, le grand mât et le mât de misaine seront faits avec cinq pièces, leurs
grandes vergues avec deux pièces. Avec des mâts du Nord choisis dans les
réserves de l'arsenal, le grand mât aura treize pièces, le mât de misaine sept et la
grande vergue quatre pièces. Si les mâts du comté de Nice visités et marqués sont
utilisés, le grand mât sera fait avec treize ou quatorze pièces, le mât de misaine
avec dix ou onze pièces et les basses vergues avec 14 pièces15.
Les roustures et cercles de fer qui maintiennent les assemblages et qui gênent le
coulissement de la vergue sur le mât interdisent l'utilisation de mâts de hune
fabriqués avec plusieurs pièces. Les basses vergues sont par contre rarement
amenées et l'emploi de drosses [cordages] à la place de racages à pommes [boules
de bois] permet de franchir les cercles si cette opération s'avère nécessaire18.
Mais si techniquement il avait été possible de supprimer les cercles de fer, la
marine française aurait très certainement utilisé des mâts de hune d'assemblage.
118
Barbé constate que cet accident est devenu « trop ordinaire ». Les vaisseaux
embarquent toujours des jumelles de rechange qui sont utilisées pour renforcer
les mâts ayant reçu des boulets. Cette opération suffit généralement à maintenir le
mât et permet de ramener le vaisseau au port. Le maître-mâteur propose de mettre
en place ces jumelles sur les vaisseaux de 60 canons et plus, dès leur
construction, car leurs bas mâts sont composés d'un nombre de pièces plus
important. Les jumelles seront posées après le cerclage22 :
« Chaque cercle y sera logé dans toute son épaisseur et ensuite on fera
les roustures sur la jumelle et le mât. Je précise que cette liaison seule
suffirait pour le grand arc et rendrait le mât plus capable des forces qui
lui seront propres, cette méthode était pratiquée sur les mâts du
Northumberland lorsqu'il a été pris23. »
Il ne fait aucun doute, pour le maître Barbé, que les mâts d'assemblage et
spécialement ceux assemblés en couches doivent être préservés le plus longtemps
possible. Sa proposition sera acceptée.
Cet exemple montre que les maîtres sont généralement écoutés par les directions
des ports. En 1770, l'intendant Hurson, du port de Toulon, écrit au ministre qu'il
n'a qu'un seul bon maître, qui a une grande autorité et « qui fait ce qu'il veut ».
Comme il travaille bien, on ferme les yeux sur cette autonomie d'exécution24.
L'usage du port de Brest de clouer les jumelles d'assemblage a été adopté par tous
les ports pendant la guerre d'Indépendance américaine25. Cette méthode a fait
l'objet d'une discussion entre l'arsenal de Brest et celui de Rochefort. L'intendant
Ruis-Embito avait proposé, alors qu'il était encore en poste à Rochefort, une
mâture d'assemblage non cloutée26. L'utilisation de clous, même en très petit
nombre, peut couper le fil du bois, favoriser les infiltrations d'eau, faire éclater les
pièces et accélérer le pourrissement du mât.
Pour juger du système de mât non clouté, tel qu'il a été expérimenté sur le
vaisseau le Bizarre (64 canons), le conseil de marine de Brest a nommé en 1773
une commission27. Le grand mât du Bizarre a un arc de 7 pouces un quart. Aussi
paradoxal que cela puisse paraître, l'usage des clous est préférable. Les pièces
sont mieux assemblées et les mâts résistent mieux. Le mât du vaisseau le Bizarre
a beaucoup d'adents qui ne portent pas avec précision sur les mortaises; il existe
même un jour entre la mèche et les jumelles. C'est la méthode brestoise qui
s'imposera dans tous les ports, d'autant que l'assemblage du mât du Bizarre
comportait plus de pièces que les mâts des vaisseaux de 64 canons construits à
Brest28.
Le port de Brest supprime par contre la même année dans les hauts des mâts les
clous servant à fixer les pièces, les barres et les jottereaux, qui supportent les
plates-formes de hune. Les clous sont remplacés par des vis29. Ce changement
proposé par le comte d'Hector, qui s'est beaucoup intéressé aux moyens de
120
conserver les mâts oeuvrés, est destiné à ménager les bois lors des désarmements.
D'Hector a soumis au maître-mâteur Barbé, « homme plein de connaissances et
de talents pour son état », son projet d'utiliser des vis à la place des clous30.
Seize années séparent cette invention de son adoption, seize années pendant
121
lesquelles les bois de mâtures sont devenus plus chers et surtout plus rares. En
1792, il n'est plus jugé inutile de réparer en mer avec les pièces endommagées de
façon à économiser le rechange des pièces brutes embarquées.
L'économie sera recherchée pour tous les types de bois. En 1791, le conseil de
Brest demande l'approbation du projet d'un contre-maître charpentier de l'atelier
des hunes. Yves Le Goaz fabrique des chuquets et des jottereaux d'assemblage.
Les chuquets composés de plusieurs pièces, en bois d'orme, sont entourés de
bandes de fer traversées de chevilles recevant des écrous à vis permettant de
resserrer l'assemblage. L'arsenal est alors dans l'impossibilité de se procurer des
bois d'un échantillon assez fort pour fabriquer les chuquets d'une seule pièce des
vaisseaux de 74 canons et plus :
« On y emploie plus que de simples rognures qui proviennent des
pièces de membrures rebutées sur les chantiers. »
« Il s'en faut de beaucoup qu'il n'y ait qu'à ordonner dans une corderie,
pour que les cordages soient faits comme nous le demandons. J'ai bien
éprouvé le contraire quand j'ai fait commettre les manoeuvres pour la
Vénus ; le maître-cordier de Brest y prêtait toute son attention ; je ne
sortais presque pas de la corderie, un contremaître était chargé de
suivre les fileurs et malgré cela ils retombaient très souvent dans leur
routine43. »
Les nouveaux cordages ont été testés en mer sur des vaisseaux, des frégates et des
flûtes. Duhamel du Monceau cite plusieurs lettres des commandants de ces
navires reconnaissant l'avantage pour la manoeuvre et la durée de conservation
des cordages44. L'utilisation en mer confirme la supériorité des méthodes suivies
par Duhamel. Plus souples et plus légers, les cordages roulent dans les poulies
sans faire de coques, le haut du navire est moins chargé45. La manoeuvre se fait
sur la frégate la Vénus avec un tiers moins de monde que d'habitude. Ces
cordages s'allongent moins, la mâture est mieux tenue. Ils sont plus résistants
avant, pendant et après la campagne. Duhamel du Monceau a d'ailleurs mis au
point toute une série d'appareils pour tester la force des cordages46.
Quand les cordages durs sont devenus mous par le service on les
124
Tous ces conseils pour améliorer la qualité des cordages ne sont pas nouveaux.
Ils ont toutefois le grand mérite d'être précis et justifiés par l'expérimentation.
En 1680, l'usage suivi à Brest est de faire un fil rond « point tordu car il perd de
sa force au commettage ». L'année suivante, le ministre Seignelay se plaint de la
mauvaise qualité des cordages du port. Il demande que les chanvres soient mieux
préparés49. A Toulon, le chanvre n'est pas espadé car on croit lui enlever de sa
force en l'amollissant50. En 1705, l'intendant du port du Havre trouve que les
cordages ne sont pas assez commis car les manoeuvres se détériorent
rapidement51.
Les travaux de Duhamel du Monceau n'ont pas été suivis d'une uniformité dans
les pratiques des corderies des ports. Le chanvre n'est toujours pas espadé à
Toulon en 1770. Brest et Rochefort préparent les fils de manière différente. A
Brest, on extrait d'un quintal de chanvre 55 livres de chanvre du premier brin et
35 à 37 livres du second brin. Le deuxième brin est aussi bon que le premier car
le chanvre est soigneusement épuré. A Rochefort, on extrait 80 à 90 livres de
chanvre du premier brin. Avec le chanvre du second brin, filé plus gros à 6
125
L'intendant de Brest, Clugny de Nuis, plaide pour la méthode suivie par les
corderies de l'arsenal. La grosseur des manoeuvres a été réduite d'un tiers, le
chanvre est mieux épuré, le fil plus fin. Le commettage entre le tiers et le quart
permet d'avoir des cordages plus résistants. Mais l'allégement résulte d'abord de
l'augmentation des dimensions des vaisseaux et de leurs mâtures pour lesquels les
cordages ont conservé leurs anciennes proportions52.
Les manoeuvres devront servir à tous les vaisseaux d'un même rang et le
classement dans les magasins s'effectuera par type de vaisseau et non pas
individuellement pour chaque bâtiment. C'est donc la suppression des magasins
particuliers qui est exigée. La « standardisation » des dimensions est prioritaire et
imposée avant celle des méthodes de fabrication et la qualité du produit.
Les corderies des arsenaux pourront de toute façon continuer à travailler selon
leurs habitudes. L'ordonnance de 1776 le permet, donnant quelques conseils sans
réelle précision pour avoir de bons cordages. Le chanvre doit être bien espadé,
bien peigné, filé fin, les cordages pas trop commis avec une marque distinctive,
un fil de caret bleu dans chaque toron54.
une marche régulière au carré55. Le tortillement est égal sur toute la longueur du
cordage. En mai 1772, la machine est expérimentée et approuvée par les officiers,
l'intendant et le commandant du port de Toulon :
La gratification accordée par Sartine en 1776 ne sera versée à Marc Tirol que
pendant deux années. En décembre 1800, Marc Tirol réclamait toujours cette
pension. De Normandi, liquidateur de la dette publique, demande des
renseignements sur son invention au ministre de la marine, à l'époque Pierre
Forfait. Il souhaite savoir si la machine est utilisée dans les arsenaux57. Dans une
lettre adressé à Pierre Forfait, Marc Tirol explique que sa machine n'est en usage
qu'au port de Toulon :
« Chaque port a sa pratique et une bonne invention d'un port est
souvent perdue pour les autres ports58. »
En janvier, une commission examine une nouvelle fois la machine. Vial du
Clairbois, Burgues de Missiessy et Segondat émettent un avis très favorable59. Le
18 février 1801, Marc Tirol reçoit l'ordre de se rendre à Brest pour surveiller
l'exécution de sa machine. En juillet, la commission de Brest trouve que « le carré
simple fait tout aussi bien l'affaire, seule l'expérience pourra en faire apprécier
l'usage ». Une autre commission, à Paris, donne à nouveau un avis favorable.
Honoré Vial du Clairbois et François Rosily-Mesros soulignent que Duhamel du
Monceau n'avait pas trouvé le remède pour supprimer l'inégalité de tension du
commettage :
« Les conceptions du plus grand homme ne sont pas infinies et le
progrès des arts dépend des générations et des hommes60. »
Marc Tirol a demandé des gratifications pour ceux qui l'ont aidé à Brest.
Soixante-dix ans plus tard, le travail et les observations de Duhamel du Monceau
semblent toujours d'actualité :
Nord66. En 1666, le sieur Bernard Gaignard doit fournir à l'arsenal de Toulon 600
quintaux de goudron du pays, conforme à celui fabriqué par le sieur Elias Ähl,
maître-brûleur suédois. La même année, Honoré Cauvin, chargé de la
manufacture de goudron de Vidauban, doit livrer 2 000 quintaux de goudron du
pays, de la même qualité que celui fabriqué par le sieur Elias « Maître-brûleur de
goudron du Roy, Suédois67 » .
Malgré les efforts de Colbert, le goudron du Nord sera toujours préféré et utilisé
pour les cordages. En juin 1786, l'apothicaire major de la Marine à Brest exécute
des « expériences de chimie » sur le goudron de Bayonne. La commission du port
juge ce goudron « très acide », celui du Nord lui restant toujours supérieur68.
« ... ce qui pourrait indiquer que la liqueur qui rend le goudron fluide
le décompose en quelque façon et le rend plus siccatif d'où il s'en
suivrait une diminution de la force des cordages lorsqu'on les
conserverait quelque temps en magasin73. »
En 1784, Brun Sainte-Catherine soumettra une nouvelle fois au ministère sa
méthode de goudronnage a froid, sans succès :
Les articles rédigés par Pierre Forfait dans L'Encyclopédie Méthodique sont
précieux. Ils permettent de faire l'historique de l'introduction en France de cette
nouvelle technique, des différentes méthodes suivies par la marine pour appliquer
les plaques de doublage, des solutions proposées et expérimentées pour résoudre
le problème de la corrosion des fers lié au phénomène d'électrolyse79.
Le doublage des carènes avec des plaques de cuivre est testé par la marine
anglaise pendant la guerre de Sept Ans, en 1761, sur la frégate l'Alarm. Le
procédé est connu en France dès la fin de la guerre, assurément en 1764. La lettre
du chevalier d'Oraison, citée précédemment, informait le ministre Choiseul des
essais en cours faits par l'Amirauté sur la disposition des plaques de cuivre80. La
réponse du commandant de la marine de Toulon, de Bompar, à une lettre de
Choiseul en novembre 1764 confirme cette date. Le port de Toulon doit donner
son avis sur l'utilité de doubler en cuivre « les vaisseaux destinés aux voyages
d'Amérique et des autres lieux où la piqûre des vers est dangereuse ».
« J'ai entendu dire dans le temps que c'était deux frégates qu'ils avaient
construit en bois de pin afin de les rendre plus légères pour la course et
qu'ils les avaient doublé de tôle, ces bâtiments ne devant servir, eu
égard à la qualité des bois dont elles étaient construites, qu'environ
l'espace de deux ans et comptant se dédommager de la dépense par les
prises qu'elles seraient en état de faire83. »
La première expérience tentée par la marine française sera faite sur la goélette la
Gorée construite à Rochefort en 1766 et destinée à faire campagne sur les côtes
d'Afrique. Sur le devis de 1767, le doublage de la goélette est jugé en bon état par
son capitaine84. Pierre Forfait ne parle pas de cette expérience dans son article sur
le doublage en cuivre publié dans L'Encyclopédie Méthodique. Il cite par contre
les essais faits sur la corvette L'Expérience et sur la frégate la Belle- Poule.
La frégate est doublée à Brest en 1771. Elle est commandée par le chevalier de
Ternay. La Belle-Poule sera dédoublée à son arrivée à l'Ile de France en 1772 , «
quoiqu'il n'y eut aucune altération à sa carène » . La corvette l'Expérience,
doublée au Havre en 1768, passe à Rochefort et ensuite à Brest, où « après être
restée désarmée pendant quelques années, elle a été vendue au commerce, ainsi
ne peut on rien conclure de ces premiers essais85 ».
Si dans le cas de la Belle-Poule l'absence de résultats s'explique assez mal, il est
possible pour la corvette l'Expérience de formuler quelques hypothèses.
132
Cette corvette a été construite d'après les plans du sieur Boux et sa carène est
d'une conception nouvelle. Boux est un « officier bleu », bien introduit auprès des
ministres Praslin et de Boynes, mais considéré comme un intrus par les officiers
généraux et par les ingénieurs-constructeurs de la Marine royale. Il sera écarté
avec l'arrivée de Sartine au ministère en 177486. Mais ce sont probablement les
mauvais résultats obtenus avec la corvette l'Expérience et les autres bâtiments
conçus sur les plans du sieur Boux qui ont provoqué cette mise à l'écart, annulant
du même coup les expériences sur le doublage en cuivre. La corvette est testée à
Rochefort en 1769 :
Le comte de Kersaint a joué par la suite un rôle qui n'est pas négligeable. En
juillet 1778, il ramène un cutter anglais doublé en cuivre et obtient l'accord du
ministre Sartine pour faire doubler l'Iphigénie.
En novembre, deux autres frégates seront doublées, la Gentille et l'Amazone. Le
programme de doublage des frégates se poursuit en 1779. Il s'étend aux vaisseaux
en 1780. En 1783 les plus gros vaisseaux, les trois ponts de 110 canons sont
doublés en cuivre90.
A la fin de la guerre, tous les ports dressent le bilan de ces cinq années
133
Reste le problème de la corrosion des fers. Chevillard explique que tout a été
tenté. L'étamage des ferrures du gouvernail n'a pas donné de bons résultats.
Mastic, cire, toile enduite, feuille de plomb, aucun de ces procédés appliqués sur
les clous, n'a permis d'empêcher l'oxydation des fers. La seule solution
134
envisageable pour ne pas se priver des avantages du doublage en cuivre est celle
adoptée par les Anglais depuis 1783 qui consiste à cheviller et clouer en cuivre
les membrures et les bordages de la coque. L'ingénieur Chevillard s'interroge sur
la solidité des ces clous de cuivre et juge que la dépense sera considérable. Mais
c'est bien cette solution qui sera retenue par le maréchal de Castries en 1785. Les
informations rapportées d'Angleterre par le comte de Kersaint la même année
n'ont fait que conforter le ministre dans sa décision de suivre la méthode anglaise.
Ces exportations frauduleuses, auxquelles Pierre Forfait a fait allusion dans son
article, vont se doubler d'une fuite de la technologie anglaise. Un des nouveaux
fournisseurs de la marine, Michel Le Camus de Limare, crée en 1782 à Romilly
sur Andelle un établissement destiné à fondre et à laminer le cuivre.
Romilly n'a alors laminé que des tables coulées en Angleterre et en Allemagne.
Les livraisons faites dans les ports portent sur de petites quantités, mais les
échantillons révèlent une excellente fabrication. Pierre Forfait ne se prononce pas
sur l'avenir de Romilly qui n'a pas encore de fourneaux, bien que toutes les
machines et les ouvriers soient venus d'Angleterre. Aussi, il présente son projet
de machine à laminer le cuivre111.
L'article « Réduction » du tome III, publié en 1787, contraste avec les articles
précédents, Pierre Forfait est ici enthousiaste :
cuivre, en novembre 1778, juste après l'Iphigénie, première d'une longue série et
commandée par le comte de Kersaint de 1778 à 1782114.
Plusieurs propositions ont été faites à la Marine pour remplacer le cuivre par
d'autres matériaux moins onéreux et qui soient d'un approvisionnement facile car
la France ne possède pas de mines de cuivre. Un fondeur de Paris, le sieur Tournu
a mis au point en 1782 un alliage composé de plomb, de zinc et d'antimoine. Les
essais faits sur des balises de la rade de Brest donnèrent de très mauvais résultats,
les feuilles étant couvertes de coquillages et d'algues. Ce nouvel alliage a par
contre servi à couvrir « la superbe coupole de la Halle de Paris118. »
Il est tentant d'établir un rapprochement entre l'adoption du doublage en cuivre
pour les vaisseaux de guerre et les « nouveaux métaux » destinés aux toitures des
habitations. De même, entre la création de Romilly et la concurrence que se
livrent plusieurs compagnies pour obtenir un privilège exclusif de fabrication de
ces couvertures métalliques.
La Compagnie Defèves demandait en 1787 d'être subrogée au privilège accordé
en 1782 au sieur Fabre Dubosques, ayant acheté son secret pour le doublage des
vaisseaux et la couverture des maisons. La Compagnie Defèves s'engageait à ne
pas nuire à celle des sieurs Bernard et Canler dont la production est protégée par
un arrêt du 28 décembre 1784119.
Le citoyen Somer, facteur d'orgues « au faubourg Martin », propose en 1794 un «
nouveau métal » pour doubler les vaisseaux de guerre de la Marine qui est utilisé
pour les toitures. Le prospectus de 1785 vantait déjà les mérites de ces
couvertures métalliques qui ont à Paris le plus grand succès : économiques,
139
solides, mettant à l'abri des dangers du feu les maisons voisines, elles sont aussi
utilisées pour fabriquer tuyaux, gouttières, cuvettes et réservoirs. Une toise carrée
de cette couverture ne coûtait que 66 livres tournois, « toute posée » 120.
La faible dépense que représente les poulies, 1/8 du prix total du gréement, est
sans aucun rapport avec leur utilité sur un vaisseau car elles sont des auxiliaires
essentielles de la force humaine dans toutes les manoeuvres. La quantité
nécessaire de ces petites pièces sur un bâtiment de guerre n'est pas négligeable.
S'il faut environ 500 poulies pour le gréement, ce chiffre double avec celles
utilisées pour le gréement de l'artillerie. Au total, avec le rechange embarqué, ce
sont plus de 2 000 pièces qui entrent dans l'équipement d'un vaisseau de 110
canons, 1 800 pièces pour un vaisseau de 74 canons et 1 400 pièces pour une
frégate121.
Nous n'avons retrouvé que très peu d'indications sur les défauts éventuels des
poulies. La difficulté de manoeuvre du gréement est généralement attribuée à la
lourdeur et la raideur des cordages. Il faut attendre les années 1780, et
particulièrement l'armement du vaisseau le Léopard en 1787 par le comte de
Kersaint, pour découvrir les types de défaut de fabrication des poulies. Ces
défauts inhérents au travail manuel ne seront corrigés qu'avec des machines qui
scient, percent et tournent les bois avec régularité. Il convient toutefois de
mentionner un mémoire daté de juillet 1760 où l'auteur dénonçait la
consommation excessive des poulies sur les vaisseaux de guerre, double de celle
des bâtiments de commerce. Le grand nombre de poulies à réa de fonte utilisées
sur les vaisseaux du roi était jugé inutile. Ce type de poulie était cher. Trop
pesante, elle se manie moins facilement. Des réas en bois de gayac, aussi solides,
mais plus légers, sont préférables124.
Les machines de Walter Taylor ne semblent pas être connues en France avant le
séjour en Angleterre du comte de Rosily en 1774, cette découverte se faisant par
ailleurs de manière indirecte. François de Rosily est entré en contact avec
William Cole, fabricant de pompes, qui a travaillé à la construction de la
manufacture de Walter Taylor. William Cole est présenté à Turgot, Trudaine et
Sartine en mai 1775. Il fait bonne impression et retourne en Angleterre pour y
chercher des pompes et des poulies qui seront testées à Brest125. En octobre 1775,
les pompes rapportées par William Cole sont expérimentées à Brest. La pompe à
chaîne anglaise avec 10 hommes pour l'actionner épuise 210 tonneaux d'eau ; la
pompe royale française, 150 tonneaux avec 14 hommes pendant le même laps de
temps :
« L'avantage est si prodigieux et si frappant qu'il est inutile de
chercher à le démontrer plus amplement126. »
Le jugement de Brest sur les poulies est plus nuancé. Elles sont jugées plus
élaborées dans leur fabrication que les poulies françaises, plus solides et sujettes
à moins de frottement :
« Elles ont des essieux ajustés avec une si grande précision qu'il ne
peut y avoir aucune fausse position de la part du rouet lorsque la
poulie travaille. Les caisses des grosses poulies sont faites
d'assemblage, leurs surfaces intérieures travaillées au rabot les rendent
plus polies et occasionnent moins de frottement127. »
141
Ces grosses poulies ont été critiquées, car on les trouve plus lourdes que les
poulies françaises. Elles ne pourront être admises que pour le service du port sur
la machine à mâter, sur les pontons de carène et seulement pour les principales
manoeuvres basses des vaisseaux. Si les poulies françaises « frottent » un peu
plus, du moins sont-elles plus légères. Le mécanicien anglais a d'ailleurs fait
observer que ces poulies sont utilisées sur les vaisseaux anglais uniquement pour
les manoeuvres basses.
Les propositions faites par Turgot à William Cole en juillet 1775 prévoyaient
la création d'une manufacture à Paris équivalente à celle de Londres et le
versement d'une pension de 10 000 livres pendant vingt ans. William Cole estime
préférable de faire construire des manufactures dans les ports de Brest, Rochefort
et Toulon, pour éviter les frais de transport entre Paris et les arsenaux128. Le
ministre de la marine Sartine a approuvé le projet du mécanicien anglais. Les
machines seront d'abord installées à Brest, et par la suite dans les autres ports si la
fabrique de Brest donne satisfaction129. Au mois d'avril 1776 rien n'est encore
décidé. En mars, le conseil de marine de Brest avait rendu un nouveau jugement
cette fois très favorable aux poulies de Willam Cole. Le conseil indiquait qu'il
fallait se procurer la machine « à forer et à tourner » pour avoir la certitude de la
vitesse, de la perfection et de l'économie de l'ouvrage130.
main. S'il les voit opérer, je suis assuré qu'il me mettra en état de vous
faire passer les détails suffisants...
Je vais continuer mes recherches et je ferai en sorte de connaître
quelques ouvriers de cette manufacture, et s'il y en a de mécontents
comme on me l'a assuré, de leur faire inspirer l'envie d'aller monter un
semblable établissement en France...
Je ne ferai pas d'imprudence... Je vous prie de me faire écrire une
lettre ostensible au moyen de laquelle je puisse échauffer le zèle de
l'homme que j'emploie137. »
Les deux mémoires soulignent l'avantage des machines de Taylor et les mesures
prises par le gouvernement anglais pour les protéger de toute exportation vers
l'étranger et aussi pour empêcher leur diffusion en Angleterre138. Le Turc réussira
à obtenir tous les renseignements nécessaires sur les machines de Deptford qu'il
construira à Lorient à la fin de l'année 1786.
Les premières poulies sorties des ateliers de Lorient seront testées sur le
vaisseau le Léopard. Ces premiers essais, qui ne donnent pas d'excellents
résultats, et l'opposition manifestée par le port de Brest, auront pour conséquence
l'arrêt du projet de construction de nouvelles fabriques prévues par le maréchal de
Castries avant son départ146. Le projet suit son cours pendant l'intérim assuré par
le comte de Montmorin. En septembre 1787, Le Turc, qui vient une nouvelle fois
de séjourner à Londres pour y acheter les machines des futures fabriques de Brest
et de Toulon, demande et obtient des gratifications supplémentaires pour les trois
146
La lettre de Thévenard datée du mois de juillet 1796 contient une information fort
intéressante qui nous a permis d'identifier une maquette exposée au Musée naval
de Brest sans autre précision qu'un simple carton indiquant « machine de
poulierie à manège ». La consultation des dossiers de maquettes et modèles du
Musée de la marine ne nous a pas fourni de renseignements supplémentaires151.
Dans sa lettre, Thévenard précise qu'il avait fait faire une maquette de la poulierie
de Lorient152. Il subsiste un doute quant à la date d'exécution de ce modèle. Une
lettre de Segondat, ordonnateur à Lorient, faisant état de l'envoi de cette maquette
147
à Paris, indique que le modèle aurait été fait à Lorient en l'an II ou en l'an III153.
La comparaison de ce modèle avec les plans de l'ingénieur Le Turc de 1787 ne
laisse par contre aucun doute sur son identité. Il s'agit bien des machines et du
manège de poulierie construits à Lorient par Le Turc. Toutefois les arcs-boutants
de bois placés sous la grande roue horizontale n'existent pas sur le plan de 1787.
Le Turc indique dans sa description qu'il a dû les supprimer :
« La hauteur du rez-de-chaussée ne me permettant point de me servir
d'arc-boutants, j'y ai substitué quatre cylindres de bois de gayac d'un
pied de diamètre, situés quadrangulairement au-dessous de la grande
jante aux endroits où reposent les roues verticales154. »
Cette maquette représenterait le projet initial conçu par Le Turc pour la fabrique
de Lorient. Elle correspond au système utilisé dans la fabrique de Walter Taylor
copié avec exactitude par Le Turc155.
Ce nouveau système, à l'époque où le baron Tupinier rédige son rapport, n'en est
plus un. Il a été mis au point en 1801, ironie du sort, par un français. Marc
Isambard Brunel, royaliste, a émigré en Amérique. En 1796, il devient ingénieur
civil de la ville de New York. Il épouse en 1798 en Angleterre Sophia Kingdom
dont le frère est sous-secrétaire au Navy Bord. Il entre alors en contact avec
Samuel Bentham, inspecteur général des constructions navales, qui travaille à
l'établissement des machines à vapeur dans les arsenaux anglais.
Les machines de Portsmouth ont été installées en 1802157.
La marine française est donc une nouvelle fois en retard sur l'Angleterre, retard
que l'on peut estimer à 35 années. Toutefois, le baron Tupinier précise que tous
les arsenaux disposent de machines de détail dues à l'ingénieur polytechnicien
Hubert. La poulierie mécanique de Brunel coûterait 1 200 000 francs. Cette
148
dépense ne pourrait être amortie qu'en fabricant pour tous les ports militaires et la
marine de commerce :
« ... cette dernière condition est impossible à concilier avec nos lois de
finance158. »
Une question doit être posée par rapport à l'isolement technique dans lequel se
trouve la marine de guerre pendant la Révolution. L'exemple des poulies pourrait
indiquer que la France est à cette période dans l'incapacité de copier et de
fabriquer des machines du type de celles utilisées à Brest et à Lorient. La fabrique
de Brest a été construite en 1794 avec les machines ramenées de Londres en 1787
par l'ingénieur Le Turc. Par la suite, aucune fabrique ne sera construite et les
premières machines de détail mises au point par l'ingénieur Hubert datent des
années 1810-1820.
TROISIÈME PARTIE
LE VAISSEAU IDÉAL
147
Chapitre premier
LA MARCHE DU NAVIRE
Les devis de retour de campagne sont une excellente source pour apprécier les
qualités nautiques des bâtiments de guerre. Ce type de document apparaît au
début du XVIIIe siècle. Nous avons retenu les séries des devis imprimés de la fin
du XVIIIe siècle (1778-1790) qui sont les plus nombreux. Cet échantillon
concerne la flotte des bâtiments qui ont participé à la guerre d'Indépendance
américaine et des unités qui la renouvellent par la suite. Notre analyse reste une
approche ponctuelle, un test pour évaluer les performances des navires de guerre
français. L'exploitation de ce type de document a surtout permis de relever les
différents types de défaut et leurs conséquences sur la marche des navires,
spécialement pour le gréement. Un traitement systématique des devis de
148
Les qualités exigées pour un vaisseau de guerre ne sont pas toutes compatibles
entre elles, certaines correspondent à des formes de carène différentes. Un
bâtiment à varangues plates, c'est à dire avec une grande capacité, aura une
hauteur de batterie élevée, au contraire d'une carène dont les façons (extrémité
inférieure) sont resserrées. Un vaisseau bon voilier marchant particulièrement
bien à l'allure du près n'aura pas une hauteur de batterie élevée, ni des
mouvements de tangage et de roulis doux1. Les ingénieurs sont par conséquent
obligés à un choix. Toute l'évolution de la construction navale tend à réduire ces
contradictions pour parvenir à un résultat satisfaisant. Au-delà du problème de
conception, il existe des moyens pour parfaire, corriger ou compenser les défauts
résultant du choix des concepteurs.
Les qualités exigées pour un navire marchand sont différentes de celles d'un
vaisseau de guerre. Obtenir à la fois vitesse, manoeuvrabilité, stabilité et
puissance de feu, complique le travail des ingénieurs de la marine.
Le constructeur Ollivier a donné dans son Traité de construction daté de 1743 la
liste des qualités nécessaires à un bâtiment de guerre dont il faut tenir compte
pour déterminer ses dimensions et ses gabarits :
150
3 - Bien gouverner.
4 - Ne rouler ni ne tanguer rudement.
On retrouvera énoncé chez Duhamel du Monceau les mêmes qualités qui doivent
guider les constructeurs :
« ... avoir une belle batterie, bien porter la voile, être fin voilier, bien
aller de l'avant, bien gouverner4. »
« Il semble que l'on ait oublié que la qualité de bien gouverner est la
plus essentielle dans les combats, car on a fait tout ce qu'il fallait pour
assurer aux Anglais cet avantage... , un navire français qui est au vent,
ne peut dans l'état actuel de la construction, aborder un navire anglais
qui est même fort près de lui8. »
152
Plus un bâtiment est long, plus il aura du mal à virer vent devant avec une mer
grosse et un vent frais. La surface du gouvernail des vaisseaux français serait
moitié moindre que celle des gouvernails des vaisseaux anglais.
On trouvera pourtant l'opinion contraire chez le Comte de Bélinguant qui
commande le vaisseau anglais de 70 canons le Northumberland [prise de 1744] et
qui fait partie de l'escadre du maréchal de Conflans en 1759. Le Northumberland
ne gouverne pas facilement même s'il marche bien, il est jugé trop ardent par son
commandant :
« ... les poulies n'ont pas assez de jour pour les manoeuvres qui y
passent ce qui a retardé la célérité de la manoeuvre12. »
« Le chef d'escadre Guébriant considérait que sur les 750 hommes qui se
trouvaient à bord de son vaisseau, il ne disposait que d'un vingtaine ou trentaine
153
de vrais loups de mer13. » Nul doute que la manoeuvre ait été laborieuse sur
certains vaisseaux français.
Pourtant le chevalier de Guébriant trouve que l'Orient est un excellent bâtiment,
sa conception est bonne, et c'est là tout le paradoxe.
Ce que nous avons tenté de démontrer dans les chapitres précédents sur la
spécificité de l'avance anglaise trouve ici une confirmation. Le retard dans
l'accumulation de plusieurs innovations a priori négligeables, notamment sur le
gréement, ne permet pas à la marine française d'optimaliser les progrès réalisés
dans la conception des carènes.
Les dimensions de mâtures sont importantes, sur ce type de vaisseau encore plus,
parce qu'elles commandent celles du gréement. Le conseil de marine de l'arsenal
de Toulon constate en 1772 que la manoeuvre sur ces grands bâtiments est longue
et pénible :
1 - La marche.
2 - La stabilité.
3 - La sensibilité au gouvernail.
7 - La résistance à la dérive .
8 - L'élévation de batterie.
Il est démontré que plus un bâtiment est long, mieux il doit marcher.
Sur ce principe on augmenterait la longueur des vaisseaux à l'infini,
mais l'on a éprouvé qu'il faut que cette dimension soit en rapport de la
largeur que son excès occasionne des inconvénients tels que la
difficulté des mouvements de manoeuvre et d'évolution et de la facilité
de prendre de l'arc et de se rompre20. »
Dans leur énumération des qualités, les ingénieurs de Brest ont placé la marche
du bâtiment en tête, la hauteur de batterie est citée en huitième position dans la
liste. Par rapport aux textes précédents, du constructeur Ollivier et de Duhamel
du Monceau, c'est un changement notable. La hauteur de batterie n'est plus la
préoccupation majeure. Par contre, la manoeuvrabilité apparaît à la troisième et à
la quatrième place. On retrouve ici le « défaut de bien gouverner », relevé par du
Maitz de Goimpy, consécutif à l'allongement excessif des carènes.
« Nous pensons que dans l'état actuel de nos forces navales, un général
156
On le répète une nation qui adopte un seul mouvement ne peut pas être
tacticienne et l'on ne saurait croire que des capitaines qui ne serrent les
files que dans le seul cas de combat puissent exécuter deux
mouvements de suite sans se désunir ou se saborder, on fait toujours
mal en pareil cas ce qu'on n'a jamais fait21. »
Manoeuvrer vite et bien, c'est s'assurer avant et pendant le combat une force
supplémentaire. Ces qualités ne dépendent pas que des seuls ingénieurs. Des
cordages souples et des poulies bien fabriquées ont aussi leur importance dans la
rapidité des manoeuvres. A deux ans du conflit américain, le problème de
l'entraînement des équipages et des officiers apparaît une nouvelle fois.
- qualité de gouverner.
- port de la voile.
- mouvements de tangage.
- mouvements de roulis.
157
- faux côté22.
Bien porter la voile signifie pouvoir porter le plus de voiles possible selon les
circonstances tout en conservant au navire sa stabilité, « c'est un avantage
considérable que tous les vaisseaux n'ont pas au même degré23 » .
Bien gouverner est essentiel, le navire doit obéir à son gouvernail quelle que
soit sa vitesse.
La répartition de la charge, la position des mâts, la coupe des voiles peuvent
être modifiées pour corriger certains défauts. Si le vaisseau est trop ardent, s'il a
tendance à remonter au vent [loffer], le lest sera déplacé vers l'arrière pour
soulager l'avant, l'inclinaison et l'emplacement des mâts seront corrigés.
En 1765, l'Académie propose une seconde fois un sujet sur le lest et l'arrimage
des vaisseaux. Ces sujets correspondent aux préoccupations de la Compagnie des
Indes. La question à l'ordre du jour en juillet 1765 au conseil de Lorient concerne
justement l'arrimage des vaisseaux de la Compagnie : « faut-il mettre l'eau au
milieu du navire ? ». Le volume utile de la cale est occupé par la cargaison, les
futailles d'eau sont placées à l'avant et le biscuit à l'arrière. Ces emplacements
sont différents dans un vaisseau de guerre, l'eau étant placée au milieu de la cale.
Mais sur le principe de la répartition des poids à adopter, les conclusions sont
valables pour n'importe quel type de navire. Les officiers de la Compagnie
estiment qu'il est avantageux de charger le centre du vaisseau plutôt que les
extrémités. La cale sera plus accessible et le navire se conservera mieux parce
qu'en allégeant l'avant on obtient des mouvements de tangage doux25.
pas à la pratique, elle serait même aberrante. Tous les marins, les ingénieurs et les
officiers, savent depuis longtemps quels sont les effets du roulis et du tangage et
la manière dont on peut y remédier. Ici, la théorie infirme la réalité. La
contribution scientifique à l'étude du phénomène est inutile, elle devient même un
facteur de stagnation.
Qui doit-on croire ? C'est la question que pose le chevalier de Trémergat aux
membres de l'Académie de marine. Dans un mémoire daté de 1771, il propose de
faire une « expérience propre à faire connaître si on augmente la vivacité des
mouvements du tangage en portant le poids vers les extrémités ou en les
rassemblant au milieu du vaisseau27 » .
Dans son Traité du navire [1746] , Pierre Bouguer a démontré qu'il fallait
rassembler les poids au milieu du vaisseau pour réduire les mouvements du
tangage. La proue et la poupe doivent être plus légères, les retombées seront plus
lentes, on obtient ainsi un « pendule synchrone » . Les deux mathématiciens
savants, Jean Euler et l'abbé Bossut, disent exactement le contraire dans leurs
mémoires avec lesquels ils ont remporté le prix de l'Académie des sciences en
1761. Selon eux, la charge doit être portée sur les extrémités. Le chevalier de
Trémergat pense que Pierre Bouguer a raison :
Il existe par contre des innovations qui font appel aux techniques plus qu'aux
sciences pures et qui permettraient d'arrimer les vaisseaux avec plus d'efficacité.
Une grande importance est accordée au tirant d'eau pour la meilleure marche et
160
pour la hauteur de batterie sur les devis de campagne. Ces données doivent servir
de point de repère pour régler l'assiette du vaisseau à chaque campagne selon la
quantité de munitions [bouche et guerre] embarquée. C'est à partir de ces
indications que les officiers modifient la répartition de la charge lorsqu'ils
cherchent à améliorer les qualités nautiques du bâtiment. La différence entre le
tirant d'eau avant et arrière semble minime [deux pieds et quelques pouces sur les
vaisseaux]. Ces variations sont toutefois suffisantes pour modifier le
comportement du vaisseau et dans ce domaine il n'y a aucune règle :
Des essais d'un instrument à peu près semblable ont été faits sur la frégate la
Gracieuse en 1764. L'enseigne de vaisseau Dalbaret a présenté au conseil de
marine de Toulon en janvier 1764 « un niveau propre à trouver en tout temps la
vraie assiette d'un vaisseau ». Le commandant de la marine de Toulon, de
Bompar, écrit au ministre que cette « découverte sera expérimentée sur les
prochains armements34 ».
En novembre de la même année, de Bompar rend compte des essais faits à bord
de la frégate :
« Ce niveau en lui-même n'est pas une chose nouvelle, mais ce qui est
nouveau se trouve dans l'intérieur des tuyaux et des tubes qui
composent le niveau, ce qui le rend moins vif et moins vacillant et
donne plus de loisir à voir la différence du tirant d'eau de l'avant à
l'arrière malgré le tangage des vaisseaux35. »
Le journal des essais montre que les relevés faits avec le niveau de l'enseigne
Dalbaret concordent avec ceux faits de manière traditionnelle, l'instrument paraît
fiable. Dalbaret pense d'ailleurs que les relevés sont plus justes avec son niveau.
Nous n'avons pas retrouvé de document indiquant que cet instrument ait été
adopté sur les bâtiments de la Marine. L'avantage majeur de ce niveau est,
comme pour le différenciomètre de 1783, de faciliter les relevés du tirant d'eau en
mer36 .
Hommes de guerre mais d'abord hommes de mer, les officiers doivent tirer le
maximum des bâtiments qu'ils commandent. Ils essaieront d'obtenir la meilleure
marche. Cette compétence s'acquiert en mer. A chaque campagne il faut
« régler » le navire. Ce « bricolage » sur les vaisseaux est incessant, quels que
soient l'âge et la valeur du bâtiment. Les contraintes réglementaires sont ici
faibles et chacun est libre de mettre en pratique ses idées, son expérience. Faire
évoluer de la meilleure façon qui soit un navire est une priorité, du trois ponts au
brick de guerre.
Mais pour y obvier, j'ai établi les câbles vis à vis de la grande
écoutille et j'ai continué mes plans d'eau jusqu'au toucher de la cloison
en arrière du mât de misaine, qui par sa consommation journalière m'a
fait balancer la frégate ainsi que je l'ai voulu.
renouvelle ses vivres pour trois mois en décembre 1777, le commandant est
obligé de prendre « deux barquées de lest », qu'il fait placer sur l'arrière et au
centre de la frégate. Il maintient la différence de tirant d'eau à 14 pouces et la
hauteur de batterie à 7 pieds.
Les constructeurs ont prévu des charges minimales et maximales qu'il est
difficile de dépasser. La répartition et le poids des charges embarquées
déterminent aussi les qualités nautiques du bâtiment. Lorsque les résultats à la
mer sont décevants, une polémique peut même s'engager entre officiers et
constructeurs, entre Louis de Bougainville et Antoine Groignard par exemple.
Bougainville trouve que le vaisseau de 74 canons le Bien-Aimé n'a pas assez de
capacité et de stabilité. Il est impossible d'ouvrir les sabords de la batterie basse.
Défaut majeur pour un vaisseau qui le ramène au rang d'une frégate. L'ingénieur
Groignard affirme que c'est un bon bâtiment et juge que Bougainville a raté son
arrimage45.
Que la campagne soit d'une durée de deux, trois ou six mois, le lest, les
munitions et les vivres doivent être harmonisés de manière à trouver le juste
équilibre qui convient au vaisseau.
Les indications données par les constructeurs ne sont pas toujours applicables ou
satisfaisantes. Le vaisseau le Hardi de 64 canons doit avoir une différence de
tirant d'eau avant et arrière de 18 pouces. Le vaisseau avec cinq mois et demi de
vivres et cent jours d'eau pour 553 hommes d'équipage navigue avec une
différence de 20 pouces. Le Hardi marche très mal au près, il dérive beaucoup et
vire très lentement vent devant. Un second ravitaillement donne au bâtiment
quatre mois de vivres et d'eau. Le commandant Le Roy de La Grange prend «
deux barquées et demie » de lest en plus, dispersé de l'avant à l'arrière entre les
futailles. La différence de tirant d'eau est portée à 22 pouces. Le vaisseau dérive
moins, « il va un peu mieux » . Lors d'une troisième campagne quatre mois de
vivres et cent jours d'eau sont embarqués, la différence est de 24-25 pouces. Le
vaisseau marche mieux et vire de bord plus rapidement. Mais il dérive encore et
le mât de misaine est porté en arrière. Le commandant estime qu'il faudrait
reculer un peu plus encore ce mât, mais cela ne sera possible qu'en modifiant les
étambrais. Et ce type de changement ne peut être fait qu'avec l'autorisation du
conseil de marine du port d'attache du bâtiment46.
166
Il est une autre charge, en surface, qui influe sur la marche du vaisseau. La
mâture, selon son emplacement et l'inclinaison donnée aux mâts, peut modifier
l'assiette initiale du bâtiment. Cette partie du gréement est soumise à des réglages.
Sur les devis de campagne que nous avons consultés ce procédé est relativement
courant. Il est nécessaire de distinguer emplacement et inclinaison des mâts. Il est
possible de jouer sur l'emplanture du pied des mâts et sur l'espace qu'il reste à
l'intérieur des étambrais dans lesquels passent les mâts au niveau des ponts.
La situation des mâts a une incidence sur la marche du navire aux différentes
allures et sur les mouvements du tangage. Les dimensions de la mâture doivent
être calculées sur de bonnes proportions en rapport avec la carène pour assurer le
maintien et la solidité des mâts. Le commandant du vaisseau de 80 canons le
Saint-Esprit ne juge pas utile de réduire la hauteur des mâts. Le gréement
dormant doit pourtant être repris régulièrement car le bâtiment a une « grande
rentrée » :
« Mais comme ces opérations ont été trop multipliées nous tombions
dans un autre inconvénient qui était de voir arquer le mât plus
promptement qu'il ne l'aurait certainement fait avec moins de
longueur47. »
Pendant la campagne de 1763, le comte du Maitz de Goimpy a fait passer sur la
corvette la Bergère les vergues de l'arrière à l'avant pour augmenter la marche.
En 1764, le commandant estime que la mâture de la corvette doit être réduite, le
navire aura « moins de bricole » et la mâture sera « mieux tenue » 48. Le comte de
Trémis, commandant de la corvette l'Alouette, déplore des mouvements de
tangage très vifs. La corvette embarque de l'eau par l'avant. Il attribue ce défaut à
la mâture de l'avant qu'il juge trop haute. Le mât de misaine doit être réduit, et
d'une manière générale il faudrait donner à la mâture de l'Alouette plus
d'envergure et moins de hauteur49.
hune. Le conseil de marine de Brest a approuvé ces réductions qui n'ont pas altéré
la marche de la frégate. Elle portait très bien la voile avant et après les
changements faits à la Martinique50.
* : de la longueur du vaisseau.
Le mât de beaupré repose sur le pont de la deuxième batterie dans les vaisseaux
et sur le pont de la première batterie dans les frégates. L'inclinaison du mât varie
de 35° à 30° pour les vaisseaux et de 20° à 25° pour les petits bâtiments. La mât
d'artimon reposant sur les ponts est une particularité française. D'après Pierre
Forfait, « toutes les nations étrangères le font ordinairement descendre jusque
dans la cale », la méthode française est préférable57.
La position des mâts est modifiée au niveau des étambrais58. Les trous pratiqués
dans les ponts ont un diamètre supérieur à celui des mâts laissant 14 à 16 pouces
d'espace dans lequel viennent se placer des coins en bois qui calent le mât. Sur les
frégates l'espace est de 10 à 12 pouces. Pierre Forfait signale des expériences
faites sur des étambrais de forme ovale qui permettraient de faire avancer ou
reculer les mâts facilement. Il cite encore une autre modification, les fausses-
carlingues qui augmentent la force des carlingues en divisant la pression exercée
au pied du mât sur la quille :
« On s'est aperçu que le fond des vaisseaux après deux ou trois ans de
service fléchissait sous le poids du grand mât, la pression qu'il exerce
sur les carlingues, la membrure et la quille, augmentée encore par le
ridage des haubans, causent dans toutes ces pièces une courbure dont
la convexité regarde le fond de la mer; les bordages en souffrent, leur
calfatage est ébranlé, ce qui cause des voies d'eau. On n'est pas encore
en mesure de juger du succès de cet expédient car les vaisseaux où la
fausse carlingue a été employée n'ont pas assez de service pour en tirer
des conclusions59. »
Nous avons rassemblé sous forme de tableau, par type de navire, les indications
relatives à la position des mâts figurant sur les devis de campagne. Les positions
théoriques définies par l'usage sont les suivantes :
Les indications laissées par les commandants sur les devis ne sont pas toujours
précises. Le problème se pose surtout pour les mâtures dites perpendiculaires sans
que l'on sache toujours par rapport à quoi [à la ligne d'eau ou à la quille].
L'inclinaison naturelle consécutive à la différence des tirants d'eau avant et arrière
peut être accentuée en déplaçant les mâts dans les étambrais. Sur nos listes, les
mâts inclinés sur l'arrière l'ont été par ce moyen. Même sans indication chiffrée
de la pente du mât, nous avons retenu comme caractéristique l'inclinaison arrière
du mât61.
Pour la catégorie des vaisseaux le mât de misaine n'est jamais incliné sur l'arrière
à l'exception du Léopard, vaisseau expérimental. Dans l'ensemble la position
droite, d'aplomb et perpendiculaire à la ligne de flottaison domine ; le mât est
donc toujours vertical. Contrairement à ce qui a été observé sur la position
170
théorique des grand mât et mât d'artimon, ceux ci sont très souvent droits ou
d'aplomb sur les vaisseaux de 110 à 74 canons. L'inclinaison arrière de ces mâts
est majoritaire sur les vaisseaux de 64 canons. Au contraire, cette inclinaison
arrière n'est pas dominante sur les frégates.
Nous retrouvons cette pratique à chaque période, avec des devis des années 1750-
60 et des devis des années 1780.
Il semble inutile de chercher à établir une relation entre l'inclinaison sur
l'arrière des mâts et la longueur ou le type de bâtiment ou bien encore l'époque à
laquelle le navire est construit ou armé. L'âge du bâtiment ne fournira aucune
explication. Les deux frégates, la Friponne et la Modeste, ont le même âge, trois
ans à la date du devis. L'une porte sa mâture [grand mât et mât d'artimon] inclinée
sur l'arrière, l'autre droite.
D'une campagne à l'autre les positions changent, comme sur les deux frégates la
Diane et l'Aurore. Avec la catégorie des frégates et des corvettes nous pourrions
voir dans l'inclinaison arrière du grand mât et du mât d'artimon une des
conséquences du système des égalités de mâture, du règlement de mars 1781.
Mais les cas des vaisseaux l'Achille, le Fougueux et le Patriote contredisent cette
hypothèse. Il est par conséquent difficile de tirer des enseignements de ces listes.
Une tendance se dégage toutefois pour la série des vaisseaux de 74 canons qui
portent leur mâture droite. Mais notre échantillon est insuffisant pour l'affirmer
avec certitude.
« ... on n'a rien remarqué qui put exiger un déplacement dans aucun
des mâts, cependant on donnera un inclinaison de 6 pouces au mât de
misaine pour faciliter l'arrivée du bâtiment63. »
- Sur la corvette la Belette
(appartenant à la même série construite à Toulon entre 1779 et 1781 que la
corvette précédente) le commandant trouve le mât de misaine trop en avant :
« il doit être porté 6 à 8 pouces en arrière, les voiles s'orienteront
mieux et feront plus d'effets, sa marche sera plus rapide64. »
Nous pourrions multiplier les exemples de changements réalisés sur les
vaisseaux, les frégates et tous les bâtiments de la Marine par les officiers qui les
commandent. La durée de ces commandements semble aussi importante.
L'efficacité des réglages dépend de l'expérience des officiers et un bonne
connaissance du navire permet d'accroître cette efficacité.
La lecture des devis de campagne montre que marche et puissance de feu sont
fondamentales. Avec les frégates et les corvettes, la marche est même prioritaire.
L'exemple de la suppression des dunettes sur les frégates vient confirmer cette
priorité. Les gaillards d'arrière des frégates sont surchargés par les dunettes qui
servent à loger les officiers. L'élévation des oeuvres mortes et du centre de
172
§
2 - Essai pour une analyse de la marche des bâtiments de guerre, 1770-1790.
La comparaison avec les frégates est intéressante. C'est toujours l'allure largue
qui est la plus avantageuse avec trois cas négatifs sur 33 devis correspondant à 26
bâtiments. L'allure la plus défavorable pour les frégates est celle du près avec 14
cas négatifs, celle du vent arrière est meilleure avec 8 cas. La différence entre les
deux types de virement de bord n'est pas significative. Ces frégates sont par
contre plus ardentes que lâches, ce qui pourrait indiquer qu'elles sont surtoilées
dans les routes obliques au près. Toutefois, comme le port de la voile est bon, ces
frégates doivent soutenir la force du vent en portant des surfaces de voilure
maximales. Il reste que ces bâtiments rapides ne semblent pas être performants
dans le louvoiement lorsqu'il est nécessaire de serrer le vent. Ce qui n'est pas sans
conséquence par rapport aux zones de navigation (courants et alizées des
Antilles, courants et vents contraire de la Manche).
La série des corvettes confirme qu'un port de la voile excellent n'implique pas
une marche supérieure aux trois allures. Sur 13 devis (13 bâtiments), une seule
corvette porte mal la voile. Par contre, neuf marchent mal au près et au vent
arrière. C'est toujours l'allure du vent largue qui l'emporte. Les corvettes roulent
plus qu'elles ne tanguent et gouvernent toutes bien sans exception.
L'étude des navires de charge a réservé quelques surprises. Sur 12 devis (11
bâtiments), toutes les flûtes ou gabares gouvernent « bien à très bien ». Une seule
porte mal la voile. Huit bâtiments roulent, ce qui est logique compte tenu du type
de navire et de la configuration de la carène [maître-couple arrondi pour gagner
en capacité] . L'allure la plus favorable au contraire de tous les autres bâti-ments
est celle du près. Trois de ces navires marchent mal au près et quatre au vent
largue. Par contre, l'allure la plus mauvaise, conséquence du roulis, est celle du
vent arrière pour la presque totalité des devis, neuf cas sur onze.
Les navires de charge, « bâtiments à tout faire » de la Marine royale, naviguent
par tout temps et très souvent toute l'année. Destinés au service des colonies, ils
remplissent aussi une fonction essentielle qui est celle du ravitaillement des ports,
du transport des munitions navales. La navigation côtière implique certaines
qualités dont celle du louvoiement. Dans l'ensemble, si l'on excepte les défauts
originels et propres au type de navire, roulis et allure du vent arrière, ces
bâtiments ne marchent pas plus mal que les navires de guerre. Les ingénieurs de
la marine ont réussi manifestement à distinguer ces bâtiments des navires de
commerce. Les officiers qui commandent ces flûtes ou ces gabares évaluent leurs
qualités pour la marche en fonction de celles des vaisseaux et des frégates. Mais
174
très souvent, nous avons pu constater sur les devis qu'ils comparent leurs
bâtiment à tous les navires de commerce croisés en chemin. En général les flûtes
et les gabares de la marine de guerre naviguent mieux et plus vite que les
bâtiments du commerce69.
Pour être comparables ces vitesses devraient être obtenues dans les mêmes
conditions de navigation [l'état de la mer et la force du vent] , auxquelles il
conviendrait d'ajouter l'état de la carène, la coupe des voiles, l'arrimage, la
position des mâts et l'habileté du barreur. Nous avons cependant constaté que les
indications de vitesse du sillage des vaisseaux sont plus fréquentes sur les devis
de la fin du XVIIIe siècle. La vitesse est réellement observée à un moment donné
et non plus calculée en fonction de la distance parcourue entre deux points. On
passe des vitesses moyennes aux vitesses ponctuelles, aux vitesses de pointe.
Pour mesurer le sillage des vaisseaux, les commandants ne disposent pas d'un
instrument très précis :
« L'imperfection du loch est trop généralement reconnue pour qu'il soit
nécessaire d'en parler73. »
des frottements sur l'eau, le loch n'est pas fixe par rapport au navire, il est attiré
par le vaisseau.
En modifiant l'instrument, tel que Pierre Bouguer l'a proposé en 1747-1748, les
défauts du loch ordinaire qui prend la vitesse du courant pourront être supprimés.
Le nouveau loch de Pierre Bouguer est lesté d'un « plongeur » à 50 pieds et prend
la vitesse sur le fond, soit la cinquième partie de la vitesse du courant. La
différence observée sur les deux lochs permet d'avoir une mesure plus précise.
D'après l'article de l'Encyclopédie Méthodique, le projet de Pierre Bouguer est
resté oublié pendant près de 25 ans. Il a été expérimenté par le capitaine Phipps
avec succès pendant son voyage74 au pôle boréal en 1773.
La vitesse est évaluée avec l'oeil, elle n'est pas encore une donnée de référence
pour juger la marche des vaisseaux.
171
Chapitre II
NORMALISATION ET PROGRÈS
Il convient de dire d'emblée que cette dernière tentative échouera. L'échec est ici
très révélateur et pose le problème de la relation contradictoire entre
normalisation et progrès. Ce qui caractérise les quelques années qui précèdent la
Révolution n'est pas l'absence d'expérimentations, du moins jusqu'au départ du
maréchal de Castries, mais leur non-aboutissement et l'amorce de critiques
sévères sur le système en place.
En reprenant les étapes qui ont conduit à l'uniformisation des vaisseaux nous
constatons que le blocage s'effectue sur la question de l'équipement.
L'adoption des plans types fait appel aux compétences des ingénieurs de la
Marine et le programme est mené à bien. Avec le règlement des mâtures de 1781
et surtout le système Briqueville, les officiers entrent dans la polémique et
dénoncent les effets pervers de ce règlement. Lorsque des normes doivent être
fixées pour l'armement des vaisseaux, on réduit leur liberté, on touche à leur
indépendance, à une de leurs fonctions essentielles qui consiste à tirer le
maximum d'un navire, tant pour la marche que pour la manoeuvre. L'apport
personnel est fondamental, chacun pouvant apporter des modifications, du
logement des hommes à la cuisine, de la coupe des voiles au réseau des
manoeuvres, de la répartition du lest aux dispositions pour le combat. Nous avons
conduit notre analyse dans ce sens.
utilisant la liste générale des bâtiments et celle des mâtures uniformisées nous
essaierons d'apporter quelques éléments de réponse2.
Dans la catégorie des vaisseaux, aucun bâtiment construit à Toulon après 1781 ne
possède un système de mâture prescrit par le règlement. Le Commerce de
Marseille, vaisseau de 118 canons lancé en 1786, n'a pas une mâture uniformisée.
D'après les indications données par le chevalier de Borda3, les nouveaux trois
ponts de 118 canons doivent conserver les mêmes dimensions de mâture que les
vaisseaux de 110 canons malgré l'augmentation de la longueur de coque. Les
dimensions fixées par le règlement restent valables et devraient logiquement être
suivies sur le Commerce de Marseille. Citons un autre exemple avec le cas du
Séduisant, vaisseau de 74 canons lancé à Toulon en 1783, qui se distingue très
nettement des autres bâtiments de la série tant par ses dimensions de coque que
son surmâtage.
La situation est par contre différente pour les ports du Ponant. Toutes les
dimensions de mâture des bâtiments lancés à Brest et à Lorient sont uniformisées.
Les trois vaisseaux de 74 canons lancés en 1785, le Patriote, le Borée et le
Fougueux, indiquent une mise en série des normes et du principe d'égalité des
mâtures de 1781.
Si l'on jette un coup d'oeil sur ce règlement on verra qu'il ne reste que
8 à 9 pièces de mâture que l'on n'a pas jugé convenable dans ce même
conseil de rendre uniformes dans la crainte de nuire à la facilité de
manoeuvre et aux qualités des vaisseaux...
Malgré cet avis défavorable, qui suppose une fin de non recevoir, le fichier des
mâture a pourtant révélé une expérimentation de cette extension du règlement de
17818. Quatre corvettes de 6, lancées à Rochefort en 1783, 1784 et 1785,
présentent des égalités sur les basses vergues. Contrairement aux expériences
précédentes, ce sont les petits navires qui ont été choisis. Rochefort a joué de ce
point de vue un rôle important puisque la frégate de 18 la Pomone, lancée en
1785, est mâtée dans une version maximaliste du règlement jamais atteinte. Les
basses vergues sont égales ainsi que le diamètre des bas mâts. Cette nouvelle
combinaison anticipe même le dernier projet du capitaine de Briqueville. Il
propose en 1786, à l'Académie de marine, une égalité totale entre tous les
éléments, les mâts et les vergues du grand mât et du mât de misaine, qui inclue
cette fois les bas mâts9.
Pour adapter cette nouvelle mâture au navire et équilibrer la voilure, Briqueville
prévoit de changer la position des mâts. Le mât de misaine sera reculé car il porte
une surface de voilure trop grande. Dans leur rapport, les commissaires de
l'Académie, sans condamner le projet, font preuve de prudence, attitude
désormais caractéristique. S'abritant derrière la théorie, ils reconnaissent qu'elle
est encore insuffisante pour déterminer la position et les dimensions des mâts.
C'est l'expérience qui a permis de fixer leur emplacement et leur grandeur. Par
conséquent, ils n'envisagent qu'un seul moyen pour se prononcer sur les
avantages du nouveau système par rapport à l'ancien, l'essai sur un vaisseau10.
Trois mois plus tard, la Pénélope, en route pour les Indes orientales, fait naufrage
le 17 octobre 1788 au cap de Bonne-Espérance. Le 28 août 1789, les flûtes le
Dromadaire et le Chameau venant de l'Ile de France et du Cap jettent l'ancre dans
la rade de Brest. Le comte d'Hector informe le ministre du sauvetage réussi des
canons de la Pénélope ramenés à bord des deux flûtes15. L'agent français du Cap,
Trublet de la Flandrais, a rendu compte au ministre du naufrage dans une lettre
datée du 22 décembre 1788. Les troupes et l'équipage de la Pénélope ont été
embarqués sur les quatre autres bâtiments16 destinés à la « station des
Indes ».
Nous n'avons retrouvé aucun renseignement sur les essais du nouveau système de
mâture de la Pénélope. Ce naufrage marque par conséquent un terme dans
l'expérimentation de nouvelles combinaisons de mâture.
L'expérience a très vite démontré que le système d'égalité des mâtures avait des
conséquences malheureuses sur la marche des bâtiments. Le premier objectif du
comte de Kersaint, lorsqu'il est chargé par le ministre de Castries de mettre au
point un règlement pour l'équipement des vaisseaux, sera de supprimer ce
système qu'il qualifie « de vicieux dans ses principes et pernicieux dans ses
conséquences ».
Dans le mémoire qu'il présente au maréchal de Castries en septembre 1786, il
dresse un bilan accablant. Il est résolument contre toute extension du règlement
de 1781 et souligne d'ailleurs le changement d'attitude du conseil de marine de
l'arsenal de Brest en 1784 :
« Il est aisé de voir que le Conseil, frappé en 1781 des avantages qui
pourraient résulter de l'égalité des mâts et des vergues de hune et de
perroquet pour la commodité de la manutention dans les arsenaux et la
multiplication des ressources à la mer, commençait en janvier 1784 à
avoir quelques doutes sur l'utilité réelle de ce système19. »
Kersaint n'est pas favorable au principe de l'égalité et il critique le règlement de
1781 qui ne permet pas d'établir une mâture solide sur les vaisseaux. La plupart
des arguments avancés par le comte de Kersaint sont imparables. Sa franchise
étonne. Du moins est-elle salutaire, car elle nous apprend que bon nombre
d'officiers étaient du même avis au bout de deux années de mise en pratique du
nouveau règlement. Kersaint a d'ailleurs pu apprécier les inconvénients des
égalités des mâts de hune sur l'Iphigénie, frégate de 12 qu'il commande pendant
toute la guerre d'Amérique.
Les vergues de petit hunier se brassent difficilement sur les vaisseaux. C'est le cas
du Patriote, bâtiment de 74 canons lancé en 1785 à Brest. Le règlement de mars
178
Reste l'aspect essentiel de cette normalisation, très bien analysé par Kersaint :
« Il
[Briqueville] n'envisage la question que dans des rapports d'ordre et
d'économie, il nous semble cependant que ses rapports tout important
qu'ils sont doivent être subordonnés à la destination principale des
vaisseaux et on ne peut nier que ce soit la mer et la manoeuvre, et pour
la guerre même, c'est encore par sa supériorité à la mer qu'une bonne
marine peut l'emporter à la longue sur celle de ses ennemis, est-elle
inférieure en ce point, ses formidables flottes deviennent inutiles,
qu'on se rappelle ce qu'il en a coûté à la France dans la guerre qui vient
de finir pour n'avoir qu'une partie de ses vaisseaux doublés en cuivre...
L'analyse de Forfait est d'un grand intérêt car elle détruit un des arguments
majeurs qui jusqu'à présent n'avait pas été remis en cause : l'aspect économique
du règlement.
Il cite les mêmes inconvénients relevés par Kersaint sur la conservation des
vaisseaux qui sont dus à l'augmentation des mâts et des voiles de misaine
surchargeant l'avant du navire. C'est toujours dans la partie qui répond au mât de
misaine que « les premiers signes de caducité » sont aperçus. Le petit mât de
hune se met en place difficilement. Il doit passer dans le chuquet le long du bas
mât de misaine. L'allongement du petit mât de hune rend l'opération laborieuse et
parfois irréalisable. Il est alors nécessaire de percer le pont. L'égalité des mâts a
dû être supprimée sur plusieurs bâtiments. Le petit mât de hune du vaisseau de 80
canons l'Auguste a été raccourci de trois pieds à son premier armement. En mer et
par mauvais temps, cette mise en place exige dans la plupart des cas que l'on
réduise le mât. Dans ces conditions, à quoi sert l'accroissement du rechange, s'il
n'est utilisable que sur le grand mât ?
Enfin, il démontre clairement que les économies réalisées avec l'égalité des mâts
de hune sont négligeables. Deux mâts de hune de 72 pieds de longueur pour un
vaisseau de 110 canons coûtent 2 890 livres. Deux mâts inégaux, l'un de 75 pieds
et l'autre de 69 pieds, coûtent 2 945 livres. Il est même très probable qu'au lieu de
simplifier les achats de bois de mâture, ce système ne les complique. Autre effet
pervers et qui stratégiquement a son importance. Il sera toujours plus facile de
180
trouver dans les dépôts de mâts bruts des ports, une pièce de 75 pieds et une de
69 pieds, que deux de 72 pieds
« ... surtout quand la consommation de ces précieux et rares végétaux
sera considérable comme elle l'est toujours dans une guerre active. »
Mais dans sa critique Pierre Forfait est allé beaucoup plus loin que le chevalier
de Kersaint. Si l'opposition s'est surtout manifestée sur le principe de l'égalité
c'est à dire de l'interchangeabilité, personne et pas même Kersaint n'a encore
remis en cause la fixation des dimensions. Pierre Forfait a raisonné logiquement
et posé le problème plus général de la normalisation des vaisseaux de guerre.
Il dénonce les conséquences malheureuses de la « standardisation », plaidant ainsi
en faveur de la liberté d'exécution des ingénieurs-constructeurs de la marine de
guerre. Ses remarques pertinentes sont teintées d'une certaine prudence, étant lui
même ingénieur. On peut toutefois remarquer que le réalisme et les jugements
sans complaisance l'emportent très souvent :
C'est ce règlement qui établit la borne contre laquelle tous les talents
viendront continuellement se heurter : c'est cette adoption qui éteint le
génie, anéantit les recherches, ensevelit dans l'oubli les observations
les plus utiles...
Pour ces ingénieurs, la manière dont les choix exclusifs ont été faits par Borda est
contraire aux pratiques des académies. On retrouve certains aspects de cette
revendication dans l'Encyclopédie Méthodique Marine. A l'article Examen,
l'ingénieur Vial du Clairbois réclame un jugement impartial :
II - INNOVATION ET NORMALISATION.
L'armement du Léopard permet surtout d'établir une bilan précis des points
faibles du vaisseau de guerre français à la fin du XVIIIe siècle. Le retard
technologique et les conséquences de la normalisation pourraient bien décider
dans l'avenir de la supériorité de la marine anglaise. L'échec du comte de
Kersaint, échec dont il n'est pas responsable, sera lourd de conséquences. Même
si les enjeux ont été bien compris par les officiers généraux, le projet du maréchal
de Castries, largement ouvert aux innovations, n'aura servi qu'à mettre au grand
jour rivalités et jalousies au sein de la Marine. Il est donc indispensable de
comprendre les raisons de l'échec des dernières expérimentations de la marine
française à la veille de la Révolution.
Ses périodes d'inactivité sont rares. Embarqué pour la première fois à l'âge de 13
ans avec son père, il aura consacré presque les trois quarts de sa vie au service de
la marine. Son expérience à la mer est indéniable. Par ses faits d'armes, la carrière
de cet officier offre l'exemple d'une belle réussite. Il a à son actif, au début de la
guerre d'Amérique, plusieurs prises anglaises. Par ses fréquentes campagnes aux
Antilles, il connaît parfaitement toute cette région, de la Guyane aux côtes
américaines. Il réussit avec une petite division à reprendre aux Anglais en 1782 la
colonie hollandaise de Guyane, Essequibo-Demerary et Berbice31. Il convient de
souligner un trait caractéristique de son activité maritime. Armand de Kersaint a
très peu navigué en escadre, son expérience du combat naval est plus individuelle
que collective. Il aura été peu commandé tout au long de sa carrière à partir du
moment où il accède à un grade de responsabilité. Remarquons aussi qu'il n'a
jamais commandé un vaisseau de 74 canons avant l'armement du Léopard.
Individualisme et liberté de commandement caractérisent ses campagnes.
Le maréchal de Castries donnera son accord, mais il posera aussi des conditions.
La mâture du vaisseau ne doit pas être modifiée pour vérifier si l'amélioration
résulte du nouveau gréement :
186
Pour Kersaint, tout règlement général sur le gréement restera illusoire tant que les
procédés de fabrication des cordages ne seront pas fixés : la qualité du chanvre, la
grosseur du fil, le degré de commettage et le type de cordage pour les manoeuvres
dormantes et courantes. En utilisant des chanvres de qualité supérieure, on fera
des cordages « forts, légers et flexibles ». Kersaint dénonce le laxisme et l'énorme
gaspillage de cordages dans les arsenaux. Il attribue une part de cette
consommation excessive au remplacement abusif des manoeuvres sur les
vaisseaux. « Le désir d'avoir du neuf » chez les officiers à chaque campagne
multiplie ces rechanges. Les maîtres peuvent échanger avec beaucoup de facilité
au magasin des cordages neufs contre des vieux qui pourraient encore servir.
Le bilan qu'il dresse pour les voiles n'est guère meilleur. Si les toiles à trois fils
utilisées pour les basses voiles sont réputées bonnes, Kersaint les trouve
beaucoup au contraire trop dures et trop pesantes :
188
« Les hommes n'ont qu'un certain degré de force et ces toiles une fois
mouillées et durcies par le froid ou fortement gonflées par le vent
consomment pendant des quarts entiers la force de tous les équipages
sans qu'on puisse parvenir à les serrer39. »
Il propose d'offrir des primes aux fabricants pour qu'ils fabriquent des toiles plus
légères, plus souples. Les toiles légères, toiles à deux fils et mélis simple
employées pour les voiles de hune et de perroquet, ne sont pas bonnes :
« Ce sont les voiles faites avec ces toiles légères qui décident de la
supériorité de la marche dans les temps ordinaires de la navigation40.
»
Kersaint a fait toutes ses observations à partir du travail des ateliers de l'arsenal
de Brest qu'il connaît bien. Un rapport de l'Inspection générale des bureaux de la
Marine confirme des pratiques différentes selon les ports. Ce rapport,
communiqué à Kersaint, permet aussi d'apprécier la rapidité avec laquelle les
ports intègrent les innovations, des innovations anglaises pour la plupart. Ce
document montre l'importance qu'il faut accorder à l'accumulation de ce type de
« micro-améliorations » qui décident de la supériorité du gréement des vaisseaux
anglais :
- les étais des bas mâts à l'anglaise sont adoptés à Brest ; Rochefort
les juge sans inconvénient et Toulon préférables.
- les chuquets à l'anglaise sont adoptés par tous les ports, étant plus
légers, plus solides et « plus faciles à trouver relativement aux
dimensions des bois ».
Cette perte de 129 mètres carrés de surface de voilure sera compensée par
l'accroissement des focs, des voiles d'étais et des perroquets volants [cacatois] :
« ... dont la mâture sera mieux tenue et permettra d'en faire usage
plus fréquemment et les fera entrer dans le système essentiel des
vaisseaux47. »
Les calculs font apparaître une surface de voilure très légèrement supérieure pour
le Léopard. Le vaisseau aura quatre nouvelles voiles : le cacatois de perruche sur
l'artimon, une voile d'étai de grand perroquet, une voile d'étai de perroquet
d'artimon et un clin-foc.
Pour les voiles de chasse [cacatois] , les toiles de mélis simple ont été fabriquées
avec un mélange de fils de chanvre et de coton. La chaîne est en fil de chanvre et
la trame en fil de coton, coton qui provient d'Amérique. Ces toiles ont été jugées
souples et légères52.
Tout ce qui a été demandé n'est en rien exceptionnel. Kersaint est très proche de
la démarche de Duhamel du Monceau. Le temps n'a pas effacé l'hostilité des
ouvriers et des maîtres-cordiers à tout ce qui peut modifier leurs habitudes. Les
corderies de Brest semblent d'ailleurs particulièrement conservatrices de leurs
usages, ce que Duhamel du Monceau avait déjà remarqué et condamné.
Les poulies du vaisseau seront fabriquées à Lorient sur les nouvelles machines
installées par l'ingénieur Le Turc. La primeur qui est réservé au Léopard n'est pas
sans inconvénient, car le bâtiment va tester les toutes premières pièces sorties des
ateliers de Lorient. Kersaint a d'ailleurs visité la nouvelle poulierie avant de se
rendre à Brest. Si les machines sont achevées, aucune poulie n'a encore été
fabriquée57.
Il reste encore des points dans l'armement pour lesquels l'aspect technique et
l'avance anglaise sont déterminants, notamment les caronades, nouvelle arme
redoutable et meurtrière. Quatorze caronades seront installées à bord du Léopard,
huit de 48 livres en bronze sur les gaillards et six de 36 livres en bronze sur les
dunettes. C'est un des points du nouvel armement sur lequel le comte de Kersaint
a beaucoup insisté :
A cet effet, ils font refouler la vapeur d'eau bouillante par des tuyaux
très minces en cuivre placés dans les parties les plus profondes du
vaisseau. La chaleur qui est très grande raréfie l'air et le purifie sans
cesse. J'ai vu la même utilisation de ce système dans un établissement
dont le but est de sécher des draps de laine et cela fonctionne très bien.
Pour atteindre le but souhaité, il faudrait alors perfectionner les
marmites et les fourneaux de manière à économiser le charbon64. »
« Les tuyaux de toile, tels gros qu'ils sont, ne produisent qu'un faible
palliatif, ils ne déracinent point le mal. Ils n'ont plus la réputation
qu'ils avaient dans le principe et l'on ne peut tarder à les abandonner
entièrement67. »
Le premier du genre a été mis au point par le docteur Hales en 172068. Les
ventilateurs français sont assez ressemblants. Pierre Forfait indique que le compte
d'Estaing en à fait établir sur tous les vaisseaux de son escadre en 1778. La
capacité du ventilateur Hales est de 3 240 pieds cubes d'air à la minute. Son
efficacité n'a pas été réellement prouvée sur les vaisseaux français pendant la
guerre d'Indépendance américaine, l'effet étant trop restreint par manque de
tuyaux. Il semble d'ailleurs qu'ils aient été mal installés.
Un autre type de ventilateur appelé roue à soufflet a été inventé par Desaguliers,
mais il reste très inférieur au ventilateur anglais de Hales, sa capacité est de 1 490
pieds cubes d'air par minute69. Un autre système, d'un mécanisme analogue à
celui employé dans les fonderies, a été imaginé par les Suédois en 1741. Ce
ventilateur portable rend 603 pieds cubes d'air par minute70.
Les ventilateurs actionnés manuellement ne sont, au même titre que les manches
à vent, que des palliatifs. Sutton en Angleterre et Duhamel du Monceau en France
ont cherché à utiliser la chaleur des foyers des cuisines pour la ventilation des
vaisseaux. La prévention bien compréhensible des marins envers le feu a eu
raison de ces nouveaux procédés73. La marine française n'emploie que des
ventilateurs de type Hales.
Pierre Forfait, chargé de l'examen du ventilateur Weurlesse, et s'inspirant des
expériences aérostatiques des frères Montgolfier, proposa au ministre, le
maréchal de Castries, une machine de son invention exécutée au port de Brest en
1784. Pour apprécier l'effet de sa future machine, l'ingénieur dit ne pas pouvoir
recourir au calcul mais seulement à l'expérience :
Le Léopard est mis à l'eau le 22 juin 1787, il est mâté le premier juillet, le 18
août Kersaint reçoit l'ordre de mettre à la voile au premier vent78.
Lâche : non.
Ardent : non
Une nouvelle commission du port de Brest doit inspecter le bâtiment pendant son
désarmement. Le point essentiel qui sera condamné concerne les
emménagements. D'Hector et d'Albert de Rions, tous deux commandant
respectivement la marine à Brest et à Toulon, vont s'opposer au plan adopté par
Kersaint sur le Léopard :
« J'ai restitué à l'équipage une place presque égale à celle occupée par
les officiers..., les divisions où l'on a heureusement profité des cloisons
mitoyennes donnent à chacun plus de commodités91. »
A Toulon, un autre argument contre cette nouvelle disposition a été avancé. Il
concerne le branle-bas de combat. L'obligation de placer des canons dans les
sabords à l'arrière aurait pour conséquence la destruction des nouveaux
204
Léopard, vaisseau dont il a conçu les plans et adopté pour la série des 74 canons.
Faut-il voir, là encore, une rivalité entre le directeur et le sous-directeur des
constructions de l'arsenal de Brest ?
bâtiment.
Plus grave nous semble le jugement porté sur les poulies. Le procès-verbal de
désarmement fait état d'un quart de la garniture en poulie à réparer99. La
consommation de poulies pendant la campagne est jugée trop importante.
207
Beaucoup de pièces ont leurs réas bloqués car le bois des caisses des poulies a
gonflé. Non sans un certaine ironie, le conseil de marine de Brest trouve ces pou-
lies « trop parfaites » . A tel point qu'il a été impossible de les démonter,
beaucoup ont été brisées au moment de leur ouverture100. Le conseil de Brest
pense qu'il faut changer la méthode de fabrication et rejette complètement
l'utilisation de celles provenant de Lorient. C'est l'avenir de la fabrique de Lorient
qui est remis en cause et surtout l'établissement des futures poulieries de Brest et
de Toulon.
« Dès que le comte d'Hector les a acceptées, tous les ouvriers se sont
tournés du côté de nos deux contremaîtres101. »
Cette réaction témoigne à la fois de la méfiance des ouvriers de Brest envers un
nouveau procédé de fabrication d'origine étrangère et du pouvoir de persuasion
des officiers, celui du comte d'Hector, commandant de la marine de Brest sans
aucun doute.
Le rapport du conseil de Brest donne malheureusement un jugement négatif. Le
mécanicien Le Turc va même jusqu'à parler de complot dans une lettre adressée à
Kersaint. Il précise que les caisses des poulies ont été fabriquées avec du bois
vert, il avait pourtant demandé un bois sec. Toutes les poulies qui ont été
examinées n'ont pas été graissées. Les trous pour les essieux étaient pourtant
assez grands lors du perçage des caisses et des réas102.
Il n'est pas sûr que Kersaint rejette l'entière responsabilité de cet échec sur La
Luzerne. Ce sont d'abord les commandants des ports qu'il a critiqués et contre
lesquels il s'est battu105. Il existe manifestement des tensions au sein de la marine
française. L'arrivée de La luzerne n'explique pas tout, pas plus que le
remplacement d'une équipe dirigeante par une autre qu'il serait logique
d'envisager car Borda et Fleurieu sont toujours présents.
Les auteurs de l'Encyclopédie Méthodique ont fait allusion à ces abus qui
génèrent des tensions, en dénonçant le pouvoir des officiers, l'ignorance de
certains membres des conseils des ports et des directions des constructions :
« Le souverain du génie le plus vaste ne peut conduire à lui seul un
grand empire... , il est obligé de mettre les détails entre les mains de
ministres qui doivent être assez puissants pour opérer le bien et rendre
la justice ; s'il sont mus par le crédit des corps ou de quelques
particuliers, la balance penche du côté des passions et des vues
personnelles, il n'y a plus ni justice, ni équité106. »
209
« Il n'y a pas de règle fixe pour imposer des bornes à la fantaisie des
capitaines. Il faudrait de bons règlements et les faire respecter. »
« J'ai pris la haute mer, dites vous et vous râpez la terre, pardonnez
cette manoeuvre à l'expérience d'un vieux marin qui suit cette route
pour arriver plus tôt et plus sûrement, les écueils sont près de la
côte111. »
212
CONCLUSION
Les modifications des dimensions de mâture sont plus complexes à définir. Des
différences remarquables existent là encore entre les navires français et anglais,
particulièrement dans le rapport entre la longueur des mâts et des vergues. A la
fin du XVIIe siècle, les vaisseaux anglais ont une mâture plus élevée et une
envergure plus étroite. La marine française a réduit l'écart en raison de la
faiblesse des bois qu'elle utilise. L'option française, suivie par la Navy au XVIIIe
siècle, s'avère à long terme excellente, confirmée par la théorie avec les travaux
de Pierre Bouguer et imposée en pratique par l'épuisement général des résineux
de qualité provenant d'Europe du Nord. Lorsqu'on examine les voiles carrées
d'après les dimensions de mâture, voiles majoritaires sur les vaisseaux et les
frégates, la supériorité anglaise remarquée pour la voilure peut dans ce cas être
nuancée.
213
différence entre d'une part l'hydrostatique bien maîtrisée (le navire immobile) et
d'autre part l'aérodynamique et l'hydrodynamique (le navire en mouvement) pour
lesquels il n'existe pas de théories fiables. La réussite d'un vaisseau de guerre est
loin d'être acquise pour les ingénieurs de la marine. Ils apprécient mal l'effort du
vent sur les voiles et la pression de l'eau sur les carènes. L'architecture navale
demeure une science incomplète.
Les milieux scientifiques ont certainement contribué à la renommée de la
construction navale française pour laquelle ils ont beaucoup travaillé. Sciences et
académies sont à la mode au XVIIIe siècle. Les officiers membres de l'Académie
royale de marine n'y échappent pas. L'intérêt qu'ils portent à la théorie est peut-
être excessif. Ce sont les sciences de la navigation, pilotage et point
astronomique, qui les attirent le plus, négligeant l'aspect pratique ou plus
technique de la manoeuvre, de l'armement ou de la fabrication du matériel naval
en général.
L'Académie des sciences s'est occupée de manière permanente du calcul de la
longitude en mer. Sa période la plus active pour la marine de guerre se situe entre
1730 et 1760. Elle s'intéresse particulièrement à un superbe problème de
mécanique posé par les mouvements du roulis et du tangage des navires. Les
effets de ces mouvements et les moyens de les réduire, la manière de lester et
d'arrimer les vaisseaux, sont des sujets de prix fréquemment donnés pendant les
années 1750-1760. La réponse des savants, sauf celle de Pierre Bouguer, est
contraire à la pratique des marins qui savent très bien comment supprimer ce
genre de défauts. Ce dont ils ont besoin, plus que de théories confuses, c'est d'un
instrument simple et fiable pour mesurer le tirant d'eau du navire. L'innovation
sera anglaise, le différenciomètre équipait en série les bâtiments de la Navy
pendant la guerre d'Indépendance américaine.
critiques portent toujours sur le gréement. Il s'agit d'un handicap originel pour les
bâtiment français qui s'explique par la médiocrité des fabrications. Dès 1680, on
constate une plus grande souplesse et légèreté des cordages sur les vaisseaux
anglais. De mauvaises poulies ralentissent aussi le fonctionnement du réseau des
manoeuvres. La fabrication mécanisée de ces pièces en Angleterre a permis de
réduire le nombre d'hommes d'équipage pour manoeuvrer les voiles.
Le cas des techniques nouvelles a été analysé à travers deux exemples d'origine
anglaise. Si le retard pour la technique du doublage en cuivre est très vite
surmonté, il perdure par contre jusqu'au XIXe siècle pour celle de la fabrication
des poulies. On remarquera que la réussite de l'une s'est faite avec des capitaux
privés et l'échec touchant l'autre technique implique les fonds publics de la
marine du roi.
Le conflit de la guerre d'Indépendance américaine a accéléré le processus
d'adoption du doublage en cuivre. Si en 1778 la situation est inquiétante, cinq ans
plus tard la marine française a expérimenté et mis en série le nouveau procédé.
Mais en réalité, le problème technique se situe ailleurs. La France ne produit pas
de cuivre et ne fabrique pas les plaques de doublage. La création rapide de
Romilly, coulage en 1785 et laminage en 1784 est remarquable. Les besoins de la
marine de guerre seront largement couverts par la production de la nouvelle
fabrique. Cette nouvelle industrie métallurgique grâce au soutien du négoce
rouennais, à l'appui du Contrôle général et à la venue d'ouvriers spécialisés
anglais est ici une réussite.
Vingt-cinq ans seront par contre nécessaires pour introduire dans les arsenaux
français la fabrication mécanisée des poulies. La tentative d'importation directe
avec le mécanicien anglais William Cole ayant échoué, la filière anglaise se
trouve fermée avant l'entrée en guerre de 1778. Reste la filière française avec le
frères Périer, certainement les plus aptes pour procurer à la marine cette
technologie déjà ancienne, mais qui n'aboutit pas en raison du conflit. A force
d'espionnage, le maréchal de Castries réussit à obtenir les plans des machines de
Taylor avec le concours d'un mécanicien français en exil à Londres. Ce n'est
toutefois qu'un demi-succès car seul l'arsenal de Lorient bénéficie de nouvel
équipement. Le port de Brest ne sera doté d'un nouvel atelier de poulierie qu'en
1795 et encore ce dernier a été construit avec les machines achetées par le
mécanicien Le Turc en 1787 à Londres. Le projet du maréchal de Castries de
faire établir dans chaque port de guerre une poulierie mécanicienne est
immédiatement abandonnée après sa démission. D'une manière générale, le
départ du ministre n'est pas sans conséquences sur la poursuite des
expérimentations concernant le matériel naval, 1787 est un coup d'arrêt.
des Indes des années 1760 est relativement homogène avec des dimensions fixes
qui rendent effective l'uniformisation externe de la mâture. Par contre
l'interchangeabilité interne au bâtiment (système des égalités entre les mâts et
entre les vergues) proposée par Jacques Bourdé de Villehuet ne sera jamais
réalisée. C'est la marine de guerre qui va l'expérimenter sur ses bâtiments avec le
système Briqueville.
L'adoption du règlement de 1781 qui met en oeuvre ce système unique en Europe
ne s'explique que par les circonstances de guerre difficiles pour l'arsenal de Brest
qui arme et répare toutes les escadres pendant le conflit américain. Avec
l'argument du doublement du rechange, Briqueville se trouve dans une situation
idéale pour faire aboutir son projet, auquel viennent s'ajouter la rapidité des
armements et la simplification des approvisionnements. L'application du
règlement inaugure en pleine guerre une période d'expérimentation de différentes
sortes de systèmes de mâture.
L'analyse des frégates a montré la complexité et la diversité de ces essais. Le
tableau chronologique de l'uniformisation des mâtures a été construit à partir des
trois combinaisons de base qui possèdent chacune plusieurs variantes :
- n°1 : égalité des diamètres des mâts de hune.
- n°2 : égalité des mâts de hune.
- n°3 : règlement de 1781.
Toutes les catégories de navires, du trois ponts au brick, navires de charge
compris, sont touchées par ces expérimentations :
- le système n°1 et n°3 sur tous les bâtiments.
- le système n°2 sur les frégates seulement.
Le système n°1 est emprunté aux mâtures des vaisseaux anglais, il est testé après
la guerre de Sept Ans. Il apparaît que l'arsenal de Toulon est resté à l'écart de
cette uniformisation :
- aucun vaisseau n'a une mâture uniformisée.
- le système n°1 seulement sur des frégates de 12 et après 1778.
- le système n°3 dans une version restreinte sur des frégates de 18.
Mais les ingénieurs toulonnais ont, semble-t-il, respecté les dimensions
minimales imposées par le règlement de 1781.
Le capitaine de Briqueville aura poussé aussi loin que possible les égalités
entre mâts et vergues. En 1785, Brest refusera toute nouvelle extension.
Les officiers commandant des bâtiments sur lesquels le règlement de 1781 est
suivi lui sont très vite devenus hostiles. La marche des navires se trouve altérée :
- surcharge de l'avant,
- nuisance pour la solidité et la cohésion du bâtiment,
- difficulté à brasseyer,
- voiles qui s'orientent mal à l'allure du près et inutiles au vent arrière.
- la nouvelle configuration de la voilure serait un signe distinct
permettant d'identifier facilement les vaisseaux français.
218
D'autres effets pervers sont à craindre avec l'uniformisation des vaisseaux. Les
ingénieurs ont critiqué le choix partial des plans types de Sané. L'exécution
durable de ces plans représente à leur yeux un danger car la perfection est loin
d'être atteinte. L'armement du Léopard par le comte de Kersaint permet de s'en
persuader aisément. Ce vaisseau de 74 canons servira de modèle pour les futures
inspections de la marine de guerre. La dernière étape du plan d'uniformisation de
la flotte touche cette fois directement les officiers parce qu'il s'attaque à
l'équipement des vaisseaux, aménagements intérieurs, arrimage et gréement, pour
lesquels ils jouissent d'une grande liberté. Le comte de Kersaint va se trouver
confronté à toutes sortes de polémiques et de jalousies émanant des officiers
généraux. Ces rivalités cachent peut-être un objectif majeur qui est d'arrêter la
normalisation en cours du matériel naval puisqu'elle limitera leur liberté d'action
et les exposera au jugement de commissions d'inspection.
de Castries restait très ouvert aux innovations. Sur le Léopard, toutes les égalités
de mâture ont été supprimées et leurs dimensions corrigées. Kersaint privilégie la
mâture haute et mise sur les voiles de beau temps (perroquets et cacatois). Le
doublage en cuivre ayant égalisé la marche des bâtiments, seule la voilure pourra
d'après lui faire la différence et accroître la vitesse du navire. On retrouve
dénoncé par cet officier, le point faible des vaisseaux français depuis cent ans qui
concerne le gréement (voiles, poulies et cordages), trop lourd, trop rigide avec
comme conséquence la difficulté de manoeuvrer vite et correctement. A défaut
d'obtenir une réelle amélioration des fabrications, le maréchal de Castries est
quotidiennement informé de tous ces défauts produits par des techniques
archaïques et une main d'oeuvre routinière. Le chevalier de Kersaint teste un
nouvel armement avec des caronades et équipe son vaisseau de nouvelles
cuisines, de nouveaux fours et ventilateurs pour la cale et les ponts, d'un nouveau
gouvernail.
Le maréchal de Castries a probablement négligé le problème des emménagements
concernant le logement des officiers qui méritait une réflexion collective. Le
front du refus s'est concentré sur cet aspect de l'armement à Brest comme à
Toulon. Malgré les succès remportés pendant les deux campagnes d'essai,
l'armement du Léopard n'aura finalement servi à rien. L'individualisme marqué
dans la manière d'armer ses navires est un trait caractéristique de la marine
française qui se maintiendra jusqu'au XIXe siècle.
NOTES
Introduction.
1. P. A. FORFAIT, Traité élémentaire de la mâture des vaisseaux, 1788.
4. Ibid., 1988.
6. Volume II p. 300-344.
7. Ibid., p. 300.
8. Ibid., p. 308.
9. Ibid., p. 327.
10. Des explications sur la méthode utilisée seront données au chapitre deux de la
première partie et dans le volume II p. 300 et 305, pour les abréviations des tableaux et
des graphiques se reporter à la liste p. 276 et 277.
11. Volume II p. 278-299.
217
PREMIÈRE PARTIE
9. La voile à livarde, légère et facile à manoeuvrer, est utilisée sur des navires de faible
tonnage. Un autre type de voile est mentionné par Pierre Forfait : la voile d'houari. Les
houaris sont des petits bâtiments (14.18 mètres) naviguant uniquement dans les rades et
rivières anglaises, voir volume II p. 377.
13. R.
DUGAY-TROUIN, Mémoires, in 4°, éd. 1740, voir volume II p. 386.
14. Traité général des manoeuvres pour les vaisseaux, Veuve Gruchet, au Havre de
Grâce, 1732.
Les sources iconographiques confirmeraient la période 1720-1730 pour l'adoption des
focs sur les vaisseaux, voir volume II p. 395.
15. Il faut souligner que les planches de la Grande Encyclopédie (1751-1766) ne sont
pas représentatives de la marine de Louis XV. Les vaisseaux portent des perroquets de
beaupré, détail caractéristique des mâtures des bâtiments de la marine de Louis XIV,
voir volume II p. 392.
16. A.N., Marine B7 474 n°14, « Mémoire sur les navires garde-côtes anglais servant
dans la Manche et sur les précautions nécessaires pour reconnaître l'armée des ennemis
dans les rades de l'isle d'wic (sic) et de Torbay », Paris, Brodeau, 18/1/1697.
21. Cette nouvelle voile fut testée pendant la croisière de la frégate la Flore,
commandée par Verdun de La Crenne, en 1770-
219
1771, croisière destinée aux essais des chronomètres de marine des horlogers Pierre
Leroy et Ferdinand Berthoud, avec les astronomes Borda et Pingré.
23. B.N., NAL 4670, « Livre de construction des vaisseaux », Coulomb 1683.
26. S.H.M., SH 316 n°18-19, plan de voilure d'un vaisseau (aquarelle), fait à Brest en
1770, Deslonchamp, voir volume II p. 399.
27. B.N., NAF 4080, « Traité de la voilerie », François Pauquet maître.voilier du port de
Toulon, 1773, voir volume II p. 419 et 420.
29. Dimensions des mâtures : la Calypso A.M. Rochefort 2G2 34 n°367 et l'Iphigénie
A.N. Marine D1 16 f°18-14.
30.
A.N., Marine B7 474 n°24, « Mémoire des remarques que j'ai faites en Angleterre qui
concernent quelques établissements nouveaux dans leurs vaisseaux soit pour la manière
de les agréer ou ce qui concerne la mâture, les voiles ou autres choses délicates pour la
navigation », Toulon, M. Daire, 1/8/1723.
D'autres innovations anglaises (gouvernail, cordages, four) sont citées dans le mémoire,
cf. infra, chapitre premier de la deuxième partie. Guindant : hauteur.
DAIRE
-> enseigne de vaisseau 1/1/1682, capitaine de vaisseau 1/5/1694, chevalier de Saint-
Louis 1705, retiré le 30/8/1728 (A.N., Marine C1 160).
36. A.M. Toulon, 1L 440 n°32, 1782 et A.M. Rochefort 2 G2 22 n°25, 1786. Voir
volume II p. 293, nouvelle voile d'artimon.
37. 69 vaisseaux et 55 frégates en 1788, chiffres donnés par Martine Acerra et Jean
Meyer dans Marines et Révolution, 1988.
45. BONNEFOUX et PARIS, Dictionnaire de marine à voile, 1848. La prise de ris dans les
huniers demande beaucoup de matelots pour faire cette manoeuvre : 255 hommes pour
prendre un ris dans les trois huniers (J. BOUDRIOT, op. cit., tome IV, 1977). La surface
du grand hunier d'un vaisseau de 74 canons est d'environ 400 m², pour un poids qui
approche les 600 kg. , il faut 37 hommes sur la grande vergue pour prendre un ris. A.N.,
Marine D1 27 n°5, Brest, 26/6/1787 : {
poids du grand hunier : 1 376 livres.
{
poids du petit hunier : 1 269 livres.
{ poids du perroquet de fougue : 436 livres.
47. S.H.M., Colomb, 1719, cf. note 12 ; B.N., F. Pauquet, 1773, cf. note 27 ; A.D.
Yvelines, E 1433 Kersaint, 1787.
61. A.N., Marine B3 294 f°411, 1763 et A.N., Marine B3 627 f°200, 1776.
- 206 en 1785, dont 5 contremaîtres, A.N., Marine B3 769 f°31, 14/2/1785.
-
141 en 1788, dont 4 contremaîtres, A.N., Marine B3 790 f°165, 17/6/1788.
223
Il est indiqué sur les états de service des deux cousins, Jean-Marie et Jérôme-Marie
Michel, en 1784 : « classe précieuse de maître-voilier ».
68. A.N., Marine D2 44 f° 89-110, « Manière dont les ateliers d'un arsenal de marine
sont distribués », Toulon, 1680 et f° 253-254, Toulon, 6/1684 : « Comme jusqu'à présent
on a remarqué que les voiliers travaillent avec peu de diligence, il s'appliquera tous les
soirs à mesurer les cueilles qu'ils auront cousues », au moins 25 aunes en hiver et 36
aunes en été.
73. A.N., Marine D1 18 f°5-7, mémoire adressé au duc d'Aiguillon et transmis au duc de
Choiseul, Brest, Desgenette (pilote au port de Brest) , 6/12/1762.
78. En 1776, de Bavre est à Dunkerque pour surveiller la construction des lougres le
Chasseur et le Coureur (A.N., Marine B3 624 f° 25).
225
79. A.N., Marine D1 18 f°45-48, réponse au ministre Sartine sur les observations du
commandant de Villehouquais, Brest, de Bavre, 7/1/1778.
A.N., Marine B5 16, « Liste des bâtiments du Roi en 1781 » (5 cutters pris aux
Anglais). Le rôle de cette petite marine n'est pas négligeable et les prises sont parfois
heureuses : celle du Jackal en 1779 où l'on trouve les signaux des escadres anglaises et
celle du Lively pour la technique du doublage en cuivre des coques (cf. infra, chapitre
deux de la deuxième partie).
Allant et venant sans cesse d'Amérique en France et le long des côtes, portant dépêches
et informations stratégiques, accompagnant les escadres, ces navires aviso sont devenus
indispensables pendant la guerre d'Indépendance américaine.
87. Ibid., f° 10, décision de faire construire à Saint-Malo deux avisos sur le chantier du
sieur Benjamin Dubois, 3/11/1785 et f° 158, gratification aux sous-ingénieurs Forfait et
Doucet et au maître-charpentier de Brest chargé sous leurs ordres de la construction des
deux avisos ( 500 livres pour les sous-ingénieurs, 200 livres pour le maître). Le Furet et
le Papillon sont mis à l'eau le 28 avril 1786.
88. L'Alerte A.M. Toulon 1L 440 n°76, 1/5/1788 et P. FORFAIT, op. cit., 1788.
226
89. L'hypocrite A.M. Rochefort 2G2 33 n°269, 12/1/1788 et le Gerfaut A.M. Toulon 1L
440 n°80, 31/9/1788.
93. « Petit bâtiment fort usité parmi les Anglais et surtout ceux de l'Amérique et dans
nos colonies » , Encyclopédie Méthodique Marine, tome II, art. « Goélette », p. 490,
1786 ;
voir volume II p. 380.
96. Ibid., f° 17, copie du devis de la goélette du roi la Gorée, Le Large, 30/7/1767.
98. A.N., Marine B5 16, 1780 : l'Alerte de 8 canons de 4 livres et le Vanneau portant du
3 (probablement des prises anglaises) et l'Afrique (1766) de 8 canons de 4 livres du
constructeur Chevillard et Marine B5 25, port de Rochefort, mars 1784.
99. A.N., Marine B1 100 f°185-186, Lescallier, 1/1/1786 et f°187, Toulon, Brun,
20/7/1786 ; Galibi : nom d'une peuplade de la Guyane.
-> Pendant la guerre de Sept Ans, en 1761, deux des trois chébecs restants de la série de
1751 sont armés en course par des particuliers, le Requin par le sieur Daniel et le Ruzé
par le sieur Raymond, A.N., Marine B5 4, État de la Marine, 10/1761.
106. A.N., Marine D1 17 f° 153, « Mémoire sur une classe de bâtiments propres à
nuire au commerce anglais dans l'Archipel et la Méditerranée », Toulon, Le Roy,
23/8/1795.
{ 7 de 3 canons de 18 livres.
113. P. FORFAIT, op. cit., 1788.
114. A.N., Marine D1 20 f°72-77, Forfait, 12/1792, avec un autre mémoire daté du
10/1793.
PIERRE-ALEXANDRE FORFAIT (1752-1807), né et décédé à Rouen, famille rouennaise
de négociants drapiers, marié en décembre 1790 au Havre avec Aimée Feret fille d'un
négociant de Rouen. Élève surnuméraire (très brillant) à l'École des ingénieurs de la
marine de Paris le 1/4/1773, brevet de sous-ingénieur en 1777 à Brest. Suit en 1778 la
construction de l'Auguste et du Royal-Louis sous les ordres de l'ingénieur Guignace. A
Cadix, avec le comte d'Estaing en 1782, chargé avec l'ingénieur Segondat de la
réparation des vaisseaux, rentre sur l'Invincible en janvier 1783 avec le grade d'enseigne
de vaisseau. Membre de l'Académie de marine en 1785. Nommé ingénieur-constructeur
le 1/5/1786. Il construit en 1787-1788 les paquebots pour l'Amérique à Saint-Malo, les
avisos de la marine de guerre, une flûte « en bois tord ». Opinion du chevalier de Borda
à propos de son Traité sur la mâture publié en 1788 : « M. Forfait est un sujet très
distingué qui joint beaucoup de talent à beaucoup de zèle », (S.H.M., Marine CC7 900,
DP PIERRE FORFAIT, lettre adressée à Fleurieu, Paris, le 18/4/1789). En 1789, il est
directeur des constructions au Havre, il devient membre correspondant de l'Académie
des sciences et il effectue un voyage en Angleterre avec Daniel Lescallier (cf. infra
chapitre un de la deuxième partie). Député de la Seine-Inférieure à l'Assemblée
législative en 1791, en poste à Toulon, il passe au Havre en 1792, construction de la
frégate la Seine, bâtiment remarquable par ses nouveaux aménagements, arrêté comme
suspect et destitué pendant la Terreur, rapidement libéré. Étude, choix du site et création
de l'arsenal d'Anvers en 1796 avec Rosily, il est à Venise en 1797, ordonnateur de
l'expédition d'Égypte, il met au point un nouveau type de canonnière pour le défense du
Havre. Nommé ministre de la Marine de novembre 1799 à octobre 1801. Concepteur de
la flottille du camp de Boulogne en 1804 et inspecteur général. Préfet maritime au Havre
et à Gênes en 1805. Écarté par Decrès, il est révoqué pour avoir manqué la construction
d'un vaisseau, sans même avoir été entendu (cf. J. BOUDRIOT et H. BERTI, Le bateau de
Lanvéoc, 1988, ouvrage dans lequel on trouvera une biographie rapide de l'ingénieur
Pierre Forfait).
9. Ibid., 1788.
13. S.H.M., SH 144, « Traité de la mâture », frontispice aux armes de Colbert, XVIIe
siècle.
14. S.H.M., SH 145, « Traité des manoeuvres et de l'agrès d'un navire », aux armes du
chevalier É. de Crussol, duc d'Uzès, XVIIIe siècle.
15. S.H.M., SH 158A, « Constructions navales, canons, pavillons »,
CIRCA 1690.
19. D'autres missions de renseignements ont été confiées à des spécialistes à la même
époque : en 1669 le constructeur Étienne Hubac de Brest, en 1670 le commissaire
général de Toulon Pierre Arnoul, ils séjournent en Angleterre et en Hollande
(M. ACERRA et J. MEYER, La grande époque de la marine à voile, 1987).
24.
Un vaisseau de guerre ne combat généralement qu'avec ses huniers.
B. LAVERY, The ship of the line, volume II, 1983
. Proportion vergue de grand hunier/ grande vergue : 0,50 en 1678 - 0,55 en 1710 et 0,72
en 1719.
Proportions françaises vers 1670-1680 : 0,60 - vers 1743 : 0,65 - vers 1750-1760 : 0,75.
31. Voir volume II la liste des références p. 308, les tableaux p. 320-324 et les
graphiques p. 325-326.
32. S.H.M., Archives Académie de Marine n°67 (tome IV), « Mémoire sur les
proportions de la mâture des vaisseaux porté au Conseil de construction de Toulon au
mois de mai 1767 par M. le Chevalier Forbin d'Oppède », séance du 11/1/1770.
attendra que la Cie ordonne si elle veut cette grandeur de vaisseau propre pour la guerre
et la marchandise ou purement propre pour la marchandise ».
Voir volume II p. 309-310, les dimensions des mâtures des vaisseaux de 900 et 700
tonneaux.
43. A.N., Marine D1 29 n° 31, Lorient, Caro, Lévêque, Cambry, Groignard, Thévenard,
Le Brun, Danican, de Sanguinet, de La Chaize, Delamarre, Lavigne Buisson, séance du
16/4/1765.
51. A.N., Marine B3 606 f° 14v°, Brest, d'Estaing commandant la marine à Brest,
2/1/1773.
57. S.H.M., Archives Académie de marine n°106 (tome II) n°2, séance du 1/7/1773.
59. A.N., Marine D1 4 f°32.36, Brest, Briqueville, 23/7/1778. A.M. Brest 3A 91 n°260,
séance du conseil de marine de Brest, 2/1/1779, mémoire de Briqueville du 26/10/1778.
64. A.M. Brest 3 A92 n°50, Brest, « Mémoire sur la mâture des vaisseaux », Briqueville,
15/3/1781.
93. A.M. Toulon, 1L 440 n°70, 9 mois (Côtes d'Afrique), comte de Flotte, 1787.
97. Les noms des constructeurs et le port de lancement sont indiqués sur la liste générale
des navires identifiés, voir volume II p. 278.
107. A.N., Marine D1 17 f°81-88, « Observations sur les flûtes de 300 à 800 tonneaux
de port non compris les munitions de bouche et de guerre dont les plans m'ont été
ordonnés », Le Havre, Ginoux, 26/5/1769.
237
119. Les nouveaux essais concernant les projets d'extension du système Briqueville sont
traités au chapitre premier de la troisième partie « Normalisation et progrès ».
DEUXIÈME PARTIE
12. S.H.M., Archives Académie de marine n°74 (tome XI) p. 43-49, Rapport des
commissaires Briqueville, Forbin, Verdun de la Crenne et d'Arros, Brest, 14/10/1779
(même document, A.N., Marine D1 25 n°19).
13. Ibid.
20. A.N., Marine D1 25 n°22, « Lettre de M. Lévêque relative à l'ouvrage de Don Jorge
Juan, chef d'escadre des armées navales d'Espagne », Nantes, 9/10/1779.
Jorge Juan (1713-1773) participe avec Antonio de Uolla en 1735 à l'expédition du Pérou
pour la mesure du méridien, aux côtés de Pierre Bouguer, Charles de La Condamine et
Louis Godin. Il séjourne en Angleterre et ramène des constructeurs et des techniciens
anglais en 1749 pour moderniser les arsenaux et les vaisseaux espagnols, (J.MERINO, La
Armada Espanola en el s. XVIII, Madrid, 1981).
22. Cf. note 20. Pierre Lévêque est professeur d'hydrographie et de mathématiques à
Nantes à partir de 1772, il a publié un Guide du navigateur, en 1779.
23. Rouillé de Meslay, conseiller au Parlement, octroie à l'Académie des sciences par
une légation testamentaire, en 1714, une rente de 4 000 livres, à condition que celle-ci
propose tous les ans un prix équivalent à la moitié de la rente. Rouillé de Meslay est
mort en 1715. Après un procès entre le fils et l'Académie à propos de la légation
testamentaire, l'Académie entre en possession de la rente en 1718. Le règlement du prix
241
annuel de l'Académie des sciences est promulgué en 1719. Ce prix répondait à celui
institué par le Parlement anglais en 1714 pour la mise au point d'une méthode
permettant de trouver la longitude en mer à 1/2 degré près, (E. MAINDRON, Les
fondations de prix de l'Académie des sciences, Paris, 1931).
346-347.
25. A.N., Marine D1 13 f°61, Le Monnier, 4/4/1763.
Pierre Le Monnier, astronome, mathématicien, pensionnaire de l'Académie des sciences,
a participé à la campagne géodésique de Laponie (1736-1737) avec Maupertuis,
Clairaut, Camus, Celsuis et l'abbé Outhier. Le Royal-Louis est un trois ponts de 116
canons, lancé en 1759.
27. Cf. supra, chapitre II de la première partie (note 32), 1770 Forbin d'Oppède.
S.H.M., Archives Académie de Marine n°64 (tome I) p. 50-52, « Observations sur la
construction actuelle des vaisseaux et sur une nouvelle méthode de conduire leurs
fonds », de Roquefeuil, 1769.
29. S.H.M., ibid., n°64 à 75 et n°76 à 79, auxquels s'ajoutent deux registres de
mémoires et manuscrits originaux n°105 et 106 (1752-1789).
Les innovations repérées dans ces archives sont utilisées pour la plupart au chapitre
deux de la deuxième partie.
32. id., n°70 (tome VII) p. 176.177, 257.259, Séance du 10/5/1775. Le chevalier de
Trémergat avait proposé l'armement annuel d'un bâtiment pour l'entraînement à
l'astronomie pratique en mer, projet approuvé par le ministère.
242
36. A.N., Marine B2 292 f°49, à l'intendant du port de Brest, Robert, 18/1/1733, la
mâture et la voilure du Triton seront mises en réserve pour servir à un autre bâtiment.
Ibid. f°73, à M. de Radouay, 25/1/1733, le ministre Maurepas est satisfait des dessins
envoyés par Radouay.
Nous n'avons pas retrouvé ces dessins dans le fond marine des Archives nationales mais
à la Bibliothèque Nationale,
voir volume II p. 407 et 408, dessins provenant du Cabinet des Estampes (B.N., Série
IC3).
37. S.H.M., SH315 f°28-32, « État de la dépense particulière du vaisseau le Triton par
rapport aux changements que M. de Radouay a fait sur la mâture, voilure et garniture »,
s.l.n.d.
Prix de la mâture : 22 116 livres, de la n
ouvelle voilure : 13 667 livres, des
cordages et des poulies : 18 012 livres.
39. A.N., Marine B4 41 f°185.190, Journal du Triton armé de 48 canons avec 4 mois de
vivre, 1733 : parti de Brest le 31/8/1733, rentré le 1/12/1733, désarmé le 3/12/1733 ;
pas d'avaries pendant la campagne. Avec son nouveau gréement, le Triton a une hauteur
de batterie de 4 pieds 6 pouces (1,46 m.). Pendant la campagne de 1730, cette hauteur
était de 2 pieds 10 pouces (0,92 m.).
243
158 pieds -> 133 pieds (-) ; VMM longueur totale142 pieds -> 158 pieds (+).
41. Voir volume II p. 407 et 408.
45. A.N., Marine D1 7 n°52, « Journal de la campagne que je viens de faire sur la
corvette la Calypso, pour essayer la nouvelle voilure inventée par le sieur Le Roy », de
Godinec, Brest, 21/8/1763.
-> La corvette la Calypso est réarmée avec son gréement d'origine et part pour une
campagne à Cayenne et Saint-Domingue. C'est toujours l'enseigne de vaisseau de
Godinec qui commande la corvette. Pendant la campagne, la Calypso marche bien et
porte bien la voile (A.M. Rochefort 2 G2 12 n°21, départ de Brest le 15/12/1763, retour
à Rochefort le 18/7/1764).
47. A.N., Marine D1 7 f°63-93, dossier et lettres du sieur Geste de Lyon, 1765-1775.
244
Christophe Geste, natif de Givors, est prisonnier au fort de Brescou, interné sur lettre de
cachet à la demande de sa tante veuve Thomas en 1763.
60. A.N., Marine G 118 f°41, Paris, Borda, 16/7/1787 et f°121-122, Acher, 5/4/1798.
62. A.N., Marine B7 474 n°24, « Mémoire des remarques que j'ai faites en Angleterre,
M. Daire, officier de la Marine à Toulon», 1723.
63. Ibid.,
voir volume II p. 447.
L'abandon de la manuelle sur les vaisseaux français s'est fait dans les années 1730-1735.
Dans ce système l'action de la barre franche du gouvernail se fait avec un levier. L'action
du gouvernail à roue est plus efficace sur la barre grâce à un système de palans
(cordages et poulies).
J. BOUDRIOT, « La manuelle », in Neptunia, 1978/I, n°129, p. 57-62. Voir volume II p.
455.
65. A.N., Marine B7 474 n°9, « Mémoire sur la marine d'Angleterre », anonyme, 1672.
Il peut s'agir du voyage du fils de Colbert, Seignelay, le nom du constructeur brestois
Hubac est mentionné.
68. Écouvillon : instrument servant à nettoyer l'âme du canon et à éteindre le feu après le
tir. L'écouvillon en peau de mouton est emmanché sur une gaule en bois de frêne.
« On fait souvent le manche de l'écouvillon en cordes de 6 à 8 pouces de circonférence
bien toisés et bien goudronnés pour les affermir, ce sont les meilleurs et les plus
maniables », Encyclopédie Méthodique Marine, tome II, 1786.
Refouloir : instrument servant à pousser la charge au fond du canon. Le refouloir
(cylindre de bois) est fixé sur un manche en bois.
« Refouloir de corde : le manche est fait d'un cordage de 6 à 8 pouces et qui est plus
commode parce qu'il est plus maniable et moins sujet à se rompre » Encyclopédie
Méthodique Marine tome III, 1787. Le système anglais combine les deux instruments
placés à chaque extrémité d'un même cordage.
L'usage systématique des machines à mâter flottantes donc mobiles n'est pas
négligeable. Seul Rochefort est équipé de ce système, Brest et Toulon ont des machines
à mâter fixes établies sur les quais (une seule par arsenal).
70. A.N., Marine B7 475 n°11, Henri d'Oraison, 1765.
80. Seules les circonstances de la découverte nous intéressent ici, le séjour de William
Cole en France et l'expérimentation de pompes à chaînes anglaises par la marine
française sont traités au chapitre deux de la deuxième partie. Comme l'a souligné Brian
Lavery, il faut insister sur la portée générale de ce type d'innovation, intéressant ici deux
ministères.
Australes (abandonné par Kerguélen sur la chaloupe, rentre sur le Gros Ventre en mars
1773), 1774 scorbutique, débarqué au bout de 14 mois de campagne, voyage en
Angleterre, membre de l'Académie de marine, Guerre d'Indépendance américaine,
commande le lougre le Courreur (combat de la Belle-Poule 17/6/1778, fait prisonnier,
jusqu'en février 1780), campagne des Indes avec Suffren 1782-1784, campagne de
Chine sur la Vénus 1784-1790, directeur général du Dépôt de la Marine en 1795 (choix
d'Anvers avec Pierre Forfait et instructions pour la campagne d'Égypte).
->
La documentation sur son voyage en Angleterre, mission approuvée par le ministre
Sartine, est éparpillée. Le mémoire de la sous-série marine B7 (A.N.) doit être complété
par ceux de la série G (mélanges), G 108 et G149 (A.N.). Son Dossier Personnel CC7
(S.H.M.) contient plusieurs lettres du ministre Sartine envoyées pendant son séjour en
Angleterre.
90. A.N., Marine B7 475 n°20, « Vues générales sur l'état actuel de la marine
d'Angeterre », 8/1785.
Le cursus du comte de Kersaint est étudié au chapitre deux de la troisième partie, une
249
96. id.
98. A.N., Marine B7 475 n°24, « Mémoire de Messieurs Forfait et Lescallier, par lequel
ils rendent compte à M. de La Luzerne de leurs observations sur la Marine pendant leur
séjour en Angleterre », 1788.
Les conséquences de cette interdiction se font tout de même sentir sur le type
d'informations receuillies, l'aspect purement militaire est passé sous silence. Ce qui rend
les observations du comte de Kersaint encore plus essentielles.
100. Id..
102. Voir pour le texte sur le déclin et les difficultés de la pêche françaisele volume
II p. 352, les baleines venaient parfois s'échouer sur les côtes bretonnes et leurs habitants
ne savaient qu'en faire.
251
5. A.N., Marine B3 785, Rochefort, 6/1/1787, courrier de Fleurieu pour le ministre daté
du 9/12.
9. Ibid., : « Expression admise par les ouvriers pour désigner l'opération par laquelle
on détermine les diamètres ou les broches des mâts et des vergues »
.
252
B.N., NAL 4670, « Livre de construction des vaisseaux », Coulomb, 1683 : « Pour
savoir une juste règle de laquelle on doit se servir pour faire toute sorte de mâts grands
et petits, il faut prendre le plus gros diamètre du mât qui sera la longueur de la ligne A.B
aux deux bouts de laquelle vous formerez deux arcs de cercle en manière de mitre en
ouvrant vôtre compas suivant la longueur de ladite ligne. », voir le volume II p. 425.
10. A.N., Marine D2 44 f°89-109, « Manière dont les ateliers d'un arsenal de marine
sont distribués », Toulon, 1680.
11. A.N., Marine D2 44 f°341-386, Toulon, Delacroix, 8/12/1719.
12. Encyclopédie Méthodique Marine, tome I, art. « Assemblage » (rédigé par Honoré
Vial du Clairbois) p. 79-80, 1783.
19. S.H.M., Archives Académie de marine n°74 (tome XI) f°150-159, séance du
27/9/1781.
24. A.N., Marine B3 590 f°244, « Mémoire sur les ateliers du port de Toulon », Hurson,
18/6/1770.
27. A.N., Marine B3 606 f°29, Brest, 9/1/1773, sont nommés : Guignace, Monteclerc,
Vialis et Gouet, « le sieur Barbé, maître-mâteur sera appelé pour donner son avis ».
29. A.N., Marine B3 606 f°57, Brest, 30/1/1773, approuvé par le ministre.
instruction soient imprimées pour faire connaître cette invention dans tous les ports :
« Afin que la connaissance de cette vergue ne demeure pas inconnue comme elle l'a été
depuis 1776, époque à laquelle le citoyen Perrain Père l'avait proposé au Conseil... Le
Conseil termine par rendre la justice que l'on doit aux citoyens Perrain Père et Fils qui
n'ont jamais cessé de donner les plus grandes preuves d'activité et d'intelligence dans
toutes les parties qui leur ont été confié », A.N., Marine D1 6 f°95-96, copie de la
délibération du conseil du port, Rochefort le 8/1/1793, approuvée par Monge.
37. A.N., Marine D1 6 f°98, « Proposition de substituer le fer au bois pour les mâts des
vaisseaux », Mayence, Bressy, 15/6/1794.
44. De 1739 à 1745, plusieurs campagnes (côtes de France, Espagne, Antilles, Océan
Indien), il faut souligner le rôle du ministre Maurepas qui a permis ces expériences en
mer sur : - 3 frégates la Vénus, l'Amazone, la Mégère.
49. A.N., Marine D3 24 f° 3-10, « Manière de bien faire les cordages », Brest, de
Flacourd, 6/7/1780, le port commet les manoeuvres au tiers.
A.N., Marine D2 23 f°49-56, « Mémoire de ce qui doit être observé à Brest et être
fait à Brest », Seignelay, 13/5/1681.
52. A.N., Marine D2 45 f°274-349, « Mémoire sur le prix des marchandises à Toulon
», 1770 et Marine B3 583 f°93-100, « Mémoire en réponse à la lettre de M. de Ruis,
257
53. A.N., Marine B3 626 f°139-141, Brest, de Ruis, 10/5/1776 (réponse à une lettre du
ministre Sartine du 12/4/1776).
54. A.N., Marine A1 166, 27/9/1776 (Article 286 Titre XI : Directeur du Port).
L'expérience de 1785 n'était pas inutile, Faujas de Saint-Fond avait fait retirer « le coak
» dont le goudron est extrait et remarqué son utilité pour les hauts fourneaux et les
foyers domestiques [Encyclopédie Méthodique Marine, tome II, 1786, p. 491, procès-
verbal du 15/4/1785].
A.N., Marine B2 378 f°14, Brest, commandant Trobriand, 27/5/1765 et B2 378 f°128,
ordre à Brun Sainte-Catherine de retourner à Toulon, 13/5/1765.
76. A.N., Marine D3 26 f°77-78, « Mémoire sur les causes principales du prompt
dépérissement des cordages en usage sur les vaisseaux du Roy », Paris, Giraud,
19/7/1783.
77. A.N., Marine B3 755 f°235, Brest, d'Hector, 17/11/178 et f°236-237, procès-verbaux
des épreuves faites sur les cordages imprégnés de goudron épuré et de goudron du
Nord, Brest, 15/11/1784 et A.M. Brest, 3A 93 n°5, séance du conseil de marine, Brest,
28/11/1784.
78. J. BOUDRIOT et H. BERTI, La Belle-Poule frégate de 12, 1765, Ancre, 1986, p. 48-
59 « Doublage et protection des carènes ».
260
81. A.N., Marine B3 564 f°41, Toulon, de Bompar, 15/11/1764 et f°43, Toulon,
Truguet, 11/11/1764.
82. A.N., Marine D1 8 f°40-41, « Projet du sieur Boux, lieutenant de frégate », rapport
mentionnant les réponses du commandant Froger de l'Éguille et de l'intendant Ruis-
Embito.
85. Encyclopédie Méthodique Marine, tome II p. 77, article de Pierre Forfait, 1786.
A.N., Marine B3 577 f°87, Mistral commissaire général ordonnateur au Havre,
14/7/1768, L'Expérience doit passer à Rochefort pour être remise à M. d'Arros.
88. Le commandant du port de Brest, d'Estaing, avait constaté l'altération des ferrures de
gouvernail de la corvette l'Expérience et demandé une étude à l'Académie de marine (cf.
supra, chapitre I de la deuxième partie) .
261
89. Le 16/5/1778, cité par J. MICHEL (côtes d'archives non précisées), Du Paris de Louis
XV à la Marine de Louis XVI, tome II « La reconquête de la liberté des mers » p. 69,
1984.
90. A.N., Marine B3 738 f°278, Brest, d'Hector, 24/12/1783, cinq vaisseaux à trois
ponts sont doublés.
92. A.N., Marine B3 738 f°120-122, « Réflexion sur le doublage en cuivre », Brest,
d'Hector et Guignace, 16/4/1783.
93. Ibid., f°275-276, Brest, d'Hector, 22/12/1784.
Il veut faire de nouvelles expériences sur « plusieurs secrets » qui lui ont été proposés :
vernis, mastic, toiles imprégnées de suif, qu'on applique sur la coque avant les feuilles
de cuivre.
94. A.N., Marine D1 29, « Mémoire sur le doublage en cuivre », Rochefort, Chevillard
le cadet, 14/8/1784.
98. Dujardin de Ruzé livrait avant la guerre au prix de 32 à 35 sols la livre pesante, des
feuilles de cuivre de différentes épaisseurs et dimensions, et au prix de 2 livres 10 sols,
les clous de cuivre. Le cuivre est utilisé pour les pompes royales, les pompes à incendies
et différentes pièces de garnitures à bord des vaisseaux. Ces prix sont ceux qui figurent
sur le marché passé en juillet 1775 par le ministre Sartine pour les ports du Ponant. Le
prix est majoré de 10% pour le port de Toulon comme toutes les marchandises
provenant du Nord (bois, chanvres, goudron), de 15% en période de guerre (A.M.
Toulon, 5E 181 f°70, Paris, 25/7/1775, pour 6 ans à dater du 1/1/1776). Dujardin de
Ruzé s'est trouvé confronté à une demande accrue à partir de 1779, demande qu'il ne
pourra satisfaire.
104. Ibid., f°265, soumission du 29/8/1782 et f°262, 9/1782, le marché des sieurs
Vinck & Cie est compris dans la fourniture de 1783 pour 20 000 feuilles au prix de 33
263
->La fourniture générale pour l'année 1783 se monte à 98 000 feuilles, (ibid., f°126,
8/11/1782) .
106. Le port de Toulon préfère les clous, chevilles et ferrures de gouvernail en cuivre
rouge forgé. En octobre 1780, le port avait passé un marché avec la manufacture de
Fleur Cadet Beauquier à Besançon pour ce type d'ouvrages forgés. Le conseil du port de
Toulon préfère les clous forgés aux clous coulés car ces derniers ne peuvent servir
qu'une seule fois. L'ingénieur Coulomb a envoyé à Besançon des modèles en bois pour
ces clous (A.M. Toulon, 5 E 185 f°87, marché du 4/9/1780 et décision de conseil de
marine 18/9/1780). Toulon n'a commencé à doubler des vaisseaux qu'à partir de 1782.
Le Camus de Limare finira par imposer la méthode anglaise malgré une expérience qui
parle en faveur des ferrures en cuivre forgé plus maniables et fournies par la
manufacture de Besançon, contrairement à celles en cuivre coulés livrées par le sieur
Hiss de Hambourg. Le Camus de Limare estime que ses ferrures pourront être
travaillées à froid et auront la même maniabilité [A.N., Marine D1 8 f°55-56, lettres de
Le Camus de Limare 10/3/1782 et 28/8/1782 et f°57-58, réponse aux observations du
chevalier de Fabry et de l'intendant Malouet, 28/8/1782 ; Marine B1 97 f°144,
soumission du sieur Hiss négociant à Hambourg, Paris, 2/3/1781, à 40 sols la livre de
garniture en cuivre, d'étambot et de gouvernail] .
107. A.N., Marine B1 97 f°128, 8/12/1782, Le Camus de Limare doit fournir 24 000
feuilles à 33 sols 6 deniers la livre.
108. Ibid., et
A.M. Toulon, 5E 181 f°81, Paris, 17/6/1785, marché pour l'arsenal de Toulon : « ces
commandes seront suffisantes pour remplir la cargaison d'un navire attendu qu'il n'y a
pas de liaison régulière entre l'Angleterre et Toulon ».
109. A.N., Commerce et Industrie F12 1308 [Manufactures, Cuivre, Romilly sur
Andelle, 1783-An II, Dossier I(5)] : Versailles, lettre du maréchal de Castries et
mémoire de Le camus de Limare, 2/6/1783.
»
113. G. RICHARD, Noblesse d'affaires au XVIIIe siècle, 1974.
Le capital de la société est porté en 1787 à 1 760 000 livres.
114. La Pérouze et Kersaint ont vraisembablement tous les deux le même banquier ou
avocat, un membre de la famille Le Coulteux, probablement Le Coulteux de la Noraye
qui fournit les piastres espagnols aux Monnaies de France, il est correspondant de la
banque Saint-Charles fondée par Cabarrus. Il est aussi associé à son cousin Le Coulteux
du Molay, un des principaux banquiers de Paris, administrateur de la Caisse d'Escompte
[M. BRUGUIERE, Gestionnaires et profiteurs de la Révolution, l'administration des
finances françaises de Louis XVI à Bonaparte, 1986 et A.D. Yvelines, Titre de Famille
E 1435 n°2, Kersaint Correspondance et O. MEISNER, La Pérouze, 1986 ] .
115. A.M. Toulon, 5E 191 f°483, Rouen, Élie-Lefebvre, 7/12/1786, (vu et approuvé de
Castries à compter du 1/1/1787).
La soumission du sieur Le Camus de Limare du 12/11/1783 est annulée.
116. A.N., Marine B3 794 f°218, Rouen, Élie-Lefebvre, 20/1/1788 et f°239, Rouen, Le
Coulteux, 13/12/1788.
119. A.N., Commerce et Industrie F12 992 Brevets d'invention, Cie Defèves, arrêt
signé le 20/2/1787 prolongeant la privilège jusqu'au mois de mars 1792.
121. Traité des manoeuvres des vaisseaux, 1732 : 485 poulies (gréement).
122. A.N., Marine D2 44 f°101bis, Toulon, 1680 et Marine E 186 f°76-77, Saint-Malo,
Duguay commissaire de la marine, 12/02/1691. Marché avec J. Moinet, maître-poulieur
à Saint-Malo, à 20 sols la pièce pour des poulies doubles ou simples. Il livre 2 450
poulies en mars et en avril 1691, 4 500 poulies au mois de juin.
123. A.N., Marine B3 667 f°200, Brest, 8/1777 ; B3 769 f°31, Brest, 14/2/1785 ;
B3 790 f°165, Brest, 16/7/1788 ; B3645 f°52, Toulon,2/3/1777 ; B3751 f°123, Toulon,
1783.
125. A.N., Marine G 108 f°32-33, « Pompes et poulies » (mémoire récapitulatif des
bureaux de la marine), 4/1776.
126. A.N., Marine G 108 f°27, Brest, Thévenard capitaine de port, 4/11/1775,
« Expériences faites à Brest le 5, 6 et 8 octobre 1775 ». La pompe anglaise est plus
facile à réparer, il faut moins d'homme pour la servir, elle est à l'abri du canon pendant
les combats. Mais elle coûte 1 000 livres, alors que la pompe royale, aspirante et
refoulante, coûte 800 livres. Un essai en mer doit être fait sur le premier bâtiment qui
sera armé à Brest ; A.N., Marine G 108 f°21, Brest, Marchais commissaire général
ordonnateur, 13/12/1775.
128. A.N., Marine G 108 f°13, « Observations que M. Cole prend la liberté de faire
aux ministres de Sa Majesté sur l'établissement d'une manufacture en France » (portant
mention d'une lettre de Turgot du 19/7/1775), Paris, William Cole, 29/11/1775 .
130. A.N., Marine G 108 f°37, Brest, Ollivier, Thévenard, d'Hector, La Tullaye,
Monteclerc, Marchais, Ruis-Embito, d'Orvilliers, 6/3/1776.
Le conseil avait décidé d'installer une pompe à chaîne sur un vieux vaisseau. La
première pompe à chapelets (à chaîne) est installé sur le vaisseau de 74 canons le
Conquérant (bâtiment lancé à Brest en 1765). Dans une lettre du 10 août 1796,
Thévenard indique que cette installation avait été faite sur son ordre en 1778 (A.N.,
Marine DD2 1025 n°3, Toulon, 2 thermidor an IV).
133. A.N., Marine G 108 f°32-33, « Pompes et Poulies du Sieur Cole », 4/1776.
Une partie de la ville reçoit l'eau grâce à deux pompes à feu. J. Périer demandait un
privilège de 15 années et un franchise sur les droits du charbon.
Les académiciens dans leur rapport avaient noté : « Cette consommation tendra à
favoriser l'exploitation des mines de charbon dans les provinces de France où elles sont
très abondantes et ou le manque de débit laisse enfouies dans la terre de grandes
richesses pour la Nation ». Parmi les signataires du procès-verbal, on relève les noms de
Borda et Bezout, tous deux attachés au service de la marine de guerre (Institut, Archives
de l'Académie des sciences, volume 95, année 1776, procès-verbal du 9/3/1776,
chevalier d'Arcy, de Borda, Le Roy, Bezout et l'abbé Bossut).
136. A.N., Marine D1 7 f°107 « Mémoire sur les poulies », Paris, Le Camus de
Limare, 25/3/1786.
138. Pour le mémoire de Le Turc sur les poulies anglaises, voir volume II p. 356 .
139. Voir volume II p. 356-357 et p. 357-362 les pièces du dossier A.N., F12 2204,
concernant l'affaire Le Turc.
140. Voir volume II p. 450 les plans en couleur de Le Turc et p. 447-448 la poulierie de
Walter Taylor.
Une gratification de 1 000 livres est accordée par le ministre à Le Turc, A.N., Marine
D2 31 f°354, 21/4/1787.
143. Les outils qui sont ajustés dans les machines sont représentés sur le plan général
de l'atelier en bas à gauche (voir volume II p. 450).
269
144. A.N., Marine C4 207, Matricule des ouvriers du port de Lorient en 1786 et
Marine B3 796 f°207, « Époque à laquelle le port réunissait tous les ouvriers qui lui sont
propres, au 1/7/1788 ». Les effectifs baissent en janvier 1789, les poulieurs ne sont plus
que 77 : « les ouvriers ayant été réduits le 1/12/1788 [dans tous les ateliers] en raison
soit de la disette des bois, soit de l'économie nécessitée par les circonstances »,
Thévenard, 1/1789.
-> Nombre de poulieurs dans les autres ports :
148. A.N., Marine DD2 1025, Toulon, Thévenard, 1/4/1794, portant mention de la
décision du C.S.P. du 29 nivôse an II.
149. A.N., Marine DD2 911, « Rapport relatif à la machine servant à faire les
poulies », Brest, Geffroy, Gaude, Ricault, Guignace, Devaulx, 20 brumaire an IV,
11/11/1795. Les membres de la commission demandent une augmentation de salaire
pour Édouard Dyat et le titre « d'ingénieur-mécanicien des ports », il est dans une
situation misérable et a beaucoup souffert pendant la Terreur. Le ministre Truguet, en
poste depuis novembre 1794, a communiqué le rapport de la commission de Brest à
l'ingénieur Jean-François Gautier. Truguet souhaite avoir son avis sur l'augmentation à
donner au mécanicien anglais. La lettre de Gautier, qui par ailleurs juge inutile cette
augmentation, est intéressante car elle fait référence à la période qui précède la
Révolution. Pour Jean-François Gautier, ce sont des « motifs chèrement économiques »
qui ont décidé le choix de Lorient en 1786, il précise que le mécanicien Dyat n'est pas
l'inventeur de cette machine comme il le prétend : « Je connais cette machine établie
depuis quelques années à Lorient, d'abord et comme nouveauté, elle éprouva d'injustes
préventions de la part des autres ports, mais elle a toujours mérité les suffrages de ceux
qui ont suivi avec attention le mécanisme et les résultats » (A.N., Marine DD2 911,
Paris, Gautier au Citoyen Ministre, 14 pluviôse an IV, 2/2/1796) .
270
155. On distingue des arcs-boutants sur le manège de Walter Taylor, voir volume II p.
451 et 447 pour la reproduction de la poulierie anglaise.
156. A.N., Marine DD2 948 n°5, Lorient, 23/7/1824 et 6/8/1824, le port demande des
fonds pour construire un nouvel atelier.
TROISIÈME PARTIE
2. Père HOSTE, L'art des armées navales, Lyon, 1697, « de la Compagnie de Jésus,
professeur de mathématiques dans le séminaire royal de Toulon, aumônier de Tourville
et spectateur de ses campagnes » .
3. S.H.M., SH314, « Traité de construction pour servir à mes enfants, par M.Ollivier
Ingénieur de la Marine » , 1743.
7. Ibid., 1776.
8. Id., 1776.
14. A.N., Marine D1 3 f°213-216 : « Mémoire sur les vaisseaux à trois ponts », Paris,
Coulomb, 21/7/1761.
19. Corvette lancée à Brest en 1756, la même que celle dont nous avons relaté
l'expérimentation malheureuse de la nouvelle voilure latine du sieur Leroy en 1763, cf.
supra, chapitre un de la deuxième partie.
20. A.N., Marine D1 17 f°118.123, « Mémoire sur la construction des corvettes et autres
petits bâtiments pour répondre à la lettre de M. le duc de Praslin du 16/1/1768 » , fourni
par les ingénieurs-constructeurs de Brest, joint à la lettre de M. Clugny de Nuis, Brest,
29/1/1768. Avec ces nouvelles corvettes, le ministre souhaite réduire les dépenses
d'armement. Elles remplaceront, aux Antilles, les frégates.
273
21. A.N., Marine G 149 n°55, conseil de marine de Rochefort, du Pavillon, 5/1/1776.
Le chevalier du Pavillon a mis au point en 1773 un système de signaux pour la
transmission des ordres qui utilise pavillons, guidons et flammes.
22. Faux côté : déformation de la carène, lorsqu'un côté est plus renflé ou plus pesant
que l'autre, provoquée soit par un défaut de construction (bois de différentes pesanteurs,
dessication de la charpente, couples mal balancés), soit par un échouage.
26. A.N., Marine D1 26 n°14, « Mémoire sur la distribution de la charge d'un vaisseau
armé en flûte » , Lorient, Thévenard, 15/6/1762. Le père d'Antoine Thévenard était
capitaine de vaisseau au service de la Compagnie des Indes et il embarqua avec lui dès
l'age de 14 ans. Antoine Thévenard est généralement présenté comme l'inventeur des
premières canonnières en France, construites sur ses plans à Saint-Malo et qui
protégèrent la navigation sur les côtes de la Manche pendant la guerre de Sept ans (cf.
supra, note 110 du chapitre un de la première partie). Il entre au service de la marine
royale en 1769 avec le grade de capitaine de port (cf. Biographies des malouins
célèbres, 1824) .
27. S.H.M., Archives Académie de Marine n°72 (tome IX) p. 248-251, Brest,
12/12/1771.
29. Idem.
30. Encyclopédie Méthodique Marine, tome III, art. « Tirer beaucoup d'eau » , 1787.
Cette opinion est empruntée à Jacques Bourdé de Villehuet dans son Manuel des marins
paru en 1773.
274
35. A.N., Marine B3 544 f°47, Toulon, 20/11/1764 et f°49, « Journal des comparaisons
faites entre la différence du tirant d'eau de la Gracieuse observée sur l'étrave et sur
l'étambot et la différence du même tirant d'eau trouvée par la moyen du niveau » ,
2/8/1764 au 23/9/1764, Dalbaret.
36. On ne trouve mention, nulle part dans L'Encyclopédie Méthodique Marine, de cette
innovation. Nous avons utilisé la définition du terme différenciomètre donnée dans le
Dictionnaire de marine à voile et à vapeur, BONNEFOUX et PARIS, 1863.
40. A.M. Toulon, 1L 440 n°1, campagne de 11 mois en Méditerranée (Italie, Alger), de
Gineste capitaine de vaisseau, Toulon, 16/3/1778.
275
41. A.M. Toulon, 1L 440 n°47, 19/7/1783, voir volume II p. 456 pour le plan du lest.
42. A.M. Rochefort, 2G2 21 n°45, devis de campagne (Cadix), commandant Rivière,
1782.
43. A.M. Toulon, 1L 440 n°57, devis de campagne, 16 mois (Amérique), Mac Nemara,
15/2/1783.
46. A.M. Toulon, 1L 440 n°10, 21/07/1779, devis de campagne du 4/1777 au 7//1778.
50. A.N., Marine B3 606 f°211, Brest, séance du 17/7/1773 et f°213, extrait du devis,
23/10/1772.
59. P. FORFAIT, op. cit., voir volume II p. 424 les figures du haut.
63. A.M. Toulon, 1L 440 n°15, Toulon, lieutenant de vaisseau Héraud, 10 mois côtes
d'Italie, 10/9/1780. Sur le devis de 1782 (1L 440 n°34) le mât de misaine est d'aplomb.
- La Badine, la mât de misaine doit être porté sur l'arrière, le bâtiment fatiguant avec
les voiles de l'avant lorsqu'il y a du vent frais ou du tangage (1L 440 n°40, de Vernet,
1783).
Nous n'avons rencontré qu'un seul cas ou le mât de misaine ait été avancé. Le
commandant du vaisseau de 74 canons le Dictateur, de La Clüe, estime que ce
changement est avantageux pour mieux gouverner, car le bâtiment est «
prodigieusement ardent » (A.M. Toulon, 1L 440 n°46, 9 mois France/Espagne,
26/4/1783)
65. A.M. Toulon, 1L 440 n°14, devis de campagne (8 mois Levant, Syrie), Toulon,
4/10/1780.
69. L'Utile, en 1784, file à 9 noeuds par vent fort au près et à 6 noeuds et demi au
portant (A.M. Rochefort, 2 G2 20 n°73, Bayonne/Rochefort). En 1786, la gabare
« marche mieux à toutes les allures que les bâtiments marchands que nous avons
rencontrés » (A.M. Toulon, 1L 440 n°65, de Foucauld, Rochefort/Toulon, 12/10/1786) .
Autres exemples de devis où les bâtiments marchent mieux que les vaisseaux
marchands croisés en route : la Chèvre (A.M. Rochefort, 2 G2 20 n°70, 11 mois,
Antilles, chevalier Darras, 1786) ; le Gave (A.M. Rochefort, 2 G2 23 n°90, 11 mois,
Riga, Saint-Vallier, 1786) .
73. Encyclopédie Méthodique Marine, tome II, art. « Loch » rédigé par Duval Le Roy,
p. 586-588, 1786.
278
75. A.N., Marine B3 577 f°68 et Marine B1 91 f°134, « Il mesure avec précision la
route des vaisseaux » , décision : « envoyer son instrument » , 18/6/1779.
10. S.H.M., Archives Académie de Marine n°76 p. 370, Brest, séance du 7/12/1786, de
Flotte, de Fortin, Lescan.
15. A.N., Marine B3 796 f°71, Brest, d'Hector commandant de la marine, 28/8/1789.
24. A.N., Marine D1 5 f°94, 29/12/1787, le chevalier de Borda, inspecteur général des
constructions, a choisi le plan de l'ingénieur Sané.
281
29. Toute la période qui précède l'armement du vaisseau peut être traitée à partie de ces
sources.
Des doubles des mémoires conservés aux Archives Nationales se trouvent au Service
Historique de la Marine à Vincennes (SH 322, mémoire sur le gréement de 1786).
Les séries, Marine B3 (correspondance des ports), B4 (campagnes), 2JJ (papiers
d'hydrographes) sont trop lacunaires pour étudier l'armement, le jugement des
commissions et le travail des ateliers de l'arsenal de Brest, les deux séries 2 JJ 113 et
2 JJ 114 sont décevantes car la plupart des lettres et mémoires énoncés dans la table des
matières ne s'y trouvent pas
. Les archives de la période révolutionnaire sont importantes, période où l'activité
politique remplace celle de l'officier de marine novateur. Armand de Kersaint a
demandé officiellement sa mise à la retraite le 18 septembre 1789, elle ne lui sera jamais
accordée (A.N., Marine C7 153 DP KERSAINT). Seule son activité jusqu'en 1789 a
retenu notre attention.
Député à la Convention, Kersaint ne vote pas la mort du roi, il est arrêté le 2 octobre
1793. Après un procès inique, comme tant d'autres, le Tribunal révolutionnaire le
condamne à mort pour conspiration. Armand Guy Simon de Coëtnemprun est guillotiné
à Paris, place de la Révolution, le 4 décembre 1793 (A.N., W 300 n°297, Tribunal
révolutionnaire, minutes du procès) .
30. Série E, Féodalité, Titres de famille : E1426 à E1453. Ce fond est indispensable, il
permet de cerner l'homme, sa famille, sa carrière et sa personnalité.
Dix cartons contiennent des documents sur les essais du Léopard : E1432, E1434
(mâture et voilure) ; E1430, E1431, E1434, E1435 (correspondance, de Castries, de La
Touche, Sané, Le Turc, Thévenard, etc... ) ; E1437, E1438 (journaux de bord). Ce fond,
très riche, provient d'un don fait par la famille Kersaint en 1937, la branche actuelle de
la famille de Kersaint est celle du frère Guy-Pierre (1747-1822) , capitaine de vaisseau
en 1786, il émigre en 1790 et rentre en France en 1803, ami de Decrès et recommandé à
Napoléon, chef militaire d'Anvers en 1806, direction de la création du canal de l'Escault
282
33. A.N., Marine B5 28 f°57-60, état de situation des vaisseaux du port de Brest au
1/6/1786, le Léopard est en construction depuis le 26/11/1785, sa mâture est en état.
38. Id.
39. Id.
40. Id.
41. A.D. Yvelines, E 1434 n°1, « Articles relatifs au règlement projeté sur le gréement
des vaisseaux, extrait du travail de l'Inspection Générale », s.l.n.d.
42. S.H.M., Archives Académie de Marine n°106 (3), « Mémoire sur les avantages des
283
43. A.N., Marine B3 606 f°52, Procès-verbal joint à la lettre du comte de Breugnon,
Brest, 25/1/1773.
44. A.N., Marine B3 600 f°269, Brest, D'Hector, 8/12/1772.
Le ministère avait donné son accord le 25/12/1772 pour le changement des barres de
hune (A.N., Marine B3 606 f°13v°, conseil de marine de Brest, d'Estaing, 2/1/1773).
Le rapport de l'Inspection générale, utilisé par Kersaint, indique que les clans sont
adoptés à Brest et à Lorient, ils sont jugés sans inconvénient à Rochefort, Toulon les
trouve d'un usage désavantageux.
La réponse fréquente du port de Rochefort, « sans inconvénients », est ambiguë, il n'est
jamais précisé si le procédé est réellement adopté.
48. A.D. Yvelines, E 1433, s.l.n.d., le Superbe, lancé à Brest en 1784, a une mâture
uniformisée.
49. A.D. Yvelines, E 1435 n°9, 6/8/1787, arrivée des toiles anglaises à Brest en
provenance de Boulogne.
50. Les manufactures des ports ont été supplantées par les manufactures royales (toutes
créées dans les années 1750-1760) de toiles à voiles de Strasbourg, Rennes, Agen et
notamment celles d'Angers et Beaufort qui approvisionnent l'arsenal de Brest. En
période de paix, la marine de guerre ne peut pas maintenir en activité les manufactures
de ses ports. Elle préfère soutenir ou entretenir la production des manufactures royales.
Cf. notre article, S. CRÉTEUR (LLINARES), « Le vent et le chanvre, les toiles à voiles des
navires de guerre français au XVIIIe siècle », Neptunia, n°171/III, 1988, p. 30-37.
51. A.D. Yvelines, E 1433, Brest, 4/5/1787.
Toile à trois fils : la chaîne est composée de trois fils qui passent ensemble dans la
trame.
52. Les toiles de coton ou cotoninnes n'ont jamais été admises pour la voilure des
vaisseaux de guerre. Elles sont plus souples et surtout plus légères que les toiles de
284
chanvre mais leur durée d'utilisation est moindre. La manufacture de l'arsenal de Toulon
fabrique des cotoninnes qui sont utilisées sur les bâtiments gréant des voiles latines,
comme les chébecs. Les voiles des canots et des chaloupes des vaisseaux de Toulon sont
souvent faites avec des cotoninnes.
Le coton employé à Toulon provient du Levant (Jérusalem, Alexandrie). Son prix est
très supérieur à celui du chanvre, ce qui pourrait aussi expliquer sa faible utilisation par
la marine, avant les arrivages massifs de coton américain. Mais les vaisseaux de guerre
continueront jusqu'à leur disparition à gréer des voiles confectionnées avec des toiles de
chanvre. ->
285
25/03/1772 140 livres 5 sols le quintal (100 livres) (5E 180 f°22)
-> Le prix moyen du chanvre (France, Nord et Italie) dans les années 1770-1780
s'établit autour de 30 à 35 livres le quintal.
53. A.D. Yvelines, E 1434 n°4, « Proportions du gréement proposé pour le Léopard » ,
1/9/1786.
54. A.D. Yvelines, E 1435 n°2, Brest, Kersaint au ministre, 7/5/1787.
56. A.D. Yvelines, E 1435 n°41, « A bord du Léopard en rade de Malaga », Kersaint,
11/1/1788.
58. A.D. Yvelines, E 1435 n°10, Brest, Kersaint au maréchal de Castries, 7/6/1787,
voir volume II p. 445.
286
59. A.D. Yvelines, E 1435 n°19, Brest, Kersaint, 3/4/1787. Un sabord de chasse
supplémentaire sera percé à l'avant à la première batterie et le premier sabord de la
seconde batterie recevra une caronade de 68 livres. Sané, Briqueville, Verdun et
Grandin ont déterminé l'emplacement de ce nouveau sabord, à 9 pieds 4 pouces en avant
du premier sabord.
Toutes ces modifications ont été approuvées par le maréchal de Castries ( A.D.
Yvelines, E 1436 n°25, Versailles, de Castries, 11/4/1787).
65. Encyclopédie Méthodique Marine, tome III, art. « Ventilateur » p. 815-826, 1787.
68. Ce ventilateur a été vu par Pierre Forfait sur le vaisseau anglais, l'Ardent, pris par le
comte d'Orvilliers en 1779, voir volume II p. 454 (fig. 1267 à 1269).
69. Un ventilateur de ce type a été embarqué sur les deux navires de l'expédition La
Pérouze, l'Astrolabe et la Boussole (d'après Pierre Forfait, cf. note 65).
JEAN-THEOPHILE DESAGULIERS (1683-1743), physicien, a quitté la France très jeune
avec son père après la révocation de l'édit de Nantes pour l'Angleterre. Membre de la
Royal Society, enseigne la physique à Oxford, protégé et ami de Newton. Il a publié un
opuscule original intitulé : Nouvelle manière de construire les cheminées, Londres,
1715.
71. A.N., Marine G 179, expériences des ventilateurs du sieur Hales, Toulon, De
Bompar et Brun Sainte-Catherine commissaire du bord, 30/6/1762. A Toulon, en 1764,
des « doubles ventilateurs » sont placés dans les cales de chaque vaisseau avec lesquels
on renouvelle l'air facilement. Ces ventilateurs sont utilisés à bord des vaisseaux
désarmés et seulement dans cet arsenal (A.N., Marine B3 544 f°28-30, Toulon, Truguet,
6/6/1764).
73. D'après Forfait les essais du système proposé par Duhamel du Monceau furent
médiocres. Le système anglais donnait de meilleurs résultats grâce au combustible, du
charbon de terre. Mais le docteur Sutton eut du mal à faire adopter son projet par
l'Amirauté, malgré une efficacité inégalée.
Deux tuyaux partant des cuisine et descendant dans la cale « aspiraient tant de vent à 30
pieds du foyer qu'une chandelle allumée, présentée à leur ouverture était aussitôt éteinte,
leur aspiration dure encore douze heures après que le feu n'existe plus, parce qu'il
suffisait des restes de la chaleur dans la cheminée pour la produire » ( op. cit., 1787).
75. Les avantages sont d'autant plus intéressants que le ventilateur à feu mis au point
par Pierre Forfait coûterait 590 livres avec le combustible pour six mois de campagnes.
Les « soufflets Weurlesse » qui sont utilisés à bord des vaisseaux coûtent 100 louis
(2 400 livres). L'autre argument en faveur du ventilateur à feu est qu'il peut être mis en
route par le plus « ignorant de tous les matelots ».
76. A.D. Yvelines, E 1435 n°61, Kersaint, 6/8/1787.
78. A.N., Marine B1 102 f°109, gratification de 1 200 livres pour l'ingénieur Sané et
de 300 livres pour le contremaître Guillot
et A.N., Marine B4 274 f°46, Instruction du 18/8/1787.
79. Vaisseau de 74 canons, plan type Sané, mêmes dimensions, même forme et même
tirant d'eau que le Léopard, lancé en 1784, mâture uniformisée.
80. A.D. Yvelines, E 1437 n°29, extrait du journal du Léopard, du 23/8 au 3/9/1787.
Au retour, avec les perroquets en doublant Pen-March par vent frais de nord-est [au
largue par conséquent] , la vitesse du Léopard est de 10 à 12 noeuds.
82. AD. Yvelines, E 1436, 4/8/1787, copie de la lettre du ministre au comte d'Hector.
Le ministre souhaite avoir l'opinion de cette commission particulièrement sur le nouvel
arrimage. Elle devra vérifier si les quatre mois d'eau et sept mois de vivres peuvent être
embarqués sans embarrasser le faux-pont.
84. A.D. Yvelines, E 1436, Montmorin, 15/9/1787, cette décision porte la mention
« pour vous seul ».
92. A.D. Yvelines, E 1440, « Notice à un ami sur la manière dont on m'a jugé à Brest,
Toulon et Rochefort », (s.l.n.d).
93. A.N., Marine B3 606 f°286, Toulon, d'Albert de Rions, 6/11/1787. Le commandant
de la marine de Toulon, d'Albert de Rions, avait même suspendu les travaux d'armement
des vaisseaux selon le modèle du Léopard concernant la disposition et l'arrimage de la
cale et les emménagements du faux-pont, annulant ainsi une décision du roi de sa propre
autorité.
94. Ibid.
95. A.D. Yvelines, E 1435 n°37, Toulon, Kersaint au ministre, 19/10/1787. Il convient
d'ajouter une fait très significatif à propos de l'obstruction qui est faite au projet de
normalisation de l'équipement des vaisseaux. Qu'il s'agisse de Brest où de Toulon,
Kersaint n'a jamais pu « frapper une planche » des dispositions des gaillards et de
l'accastillage du Léopard. Il dit en avoir toujours été empêché.
100. A.M. Brest, 3A 96 n°61, « Rapport de la commission nommée par le Conseil pour
examiner les consommations du Léopard », séance du 10/5/1788, Lelarge, Guignace,
Fraboules.
état d'une connivence entre ces deux hommes, relation d'autant plus invraisemblable car
indépendamment de leurs opinions politiques totalement opposées, Kersaint n'a jamais
repris contact avec son beau-frère après la campagne du Léopard de 1788 : « Nous
croyons qu'il [Kersaint] a concouru à livrer Toulon aux Anglais et qu'il ne peut-être que
l'agent de Marigny, capitaine de vaisseau comme lui, qui commande les rebelles de la
Vendée pour faire massacrer les républicains et proclamer Louis 17, puisqu'il a tant
défendu la vie de Capet dans la Convention. » ( A.N., Tribunal Révolutionnaire W 300
n°297, Sèvres, le 23/9/1793).
106. Encyclopédie Méthodique Marine, tome II, art. « Marine », 1786.
Conclusion.
1. Cf. notre article, S. CRETEUR (LLINARES), « Espionnages et approvisionnements de
la marine de guerre française au XVIIIe siècle », in Rochefort et la mer, Publications de
l'université francophone d'été Saintonge-Québec, CERMA ,1986, p. 93-98.
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