Ciences Umaines: La Force de Vivre
Ciences Umaines: La Force de Vivre
Ciences Umaines: La Force de Vivre
HISTOIRE
SOCIÉTÉ
du mythe
LE POINT SUR
mondiale ?
Pirates des
ENTRETIEN
Caraïbes, au-delà
disent de nous
Ce que nos poils
Où va la démographie
LES NOUVELLES
FRANÇOIS DUBET
DE RESSENTIMENT
INÉGALITÉS, SOURCE
La force
de vivre
Comment
une épreuve ?
se relever après
pour l’été
12 livres
SCIENCES HUMAINES
30 ans
d’aventure intellectuelle
Ce document est la propriété exclusive de ROBERT COSTEA ([email protected]) - 25-12-2020
Par téléphone au 03 86 72 07 00
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SAS Sciences Humaines communication
Sommaire
Mensuel – N° 328S – Août-septembre 2020 – 6,70 €
Principal associé Jean-François Dortier
FONDATEUR : Jean-François Dortier
REPRÉSENTANTE LÉGALE ET DIRECTRICE
DE PUBLICATION : Nadia Latrèche
DIRECTRICE GÉNÉRALE : Héloïse Lhérété
VENTES ET ABONNEMENTS
8 à 19 A ctuAlité
03 86 72 07 00 - Bénédicte Marrière - Magaly El Mehdi Mélina
Lanvin - Sylvie Rilliot
Histoire - Pirates des Caraïbes, au-delà du mythe
RÉDACTION Sociologie - Le désespoir du tracteur
RÉDACTRICE EN CHEF
20 à 25 P oints sur …
Héloïse Lhérété - 03 86 72 17 20
RÉDACTEURS EN CHEF ADJOINTS
Martine Fournier - 03 86 72 07 09
Christophe Rymarski - 03 86 72 07 10
Où va la démographie mondiale ?
CONSEILLÈRE DE LA RÉDACTION
Martha Zuber
RÉDACTEURS 26 à 29 E ntrEtiEn AvEc …
Hugo Albandea - 03 86 72 17 34
Hélène Frouard - 03 86 72 17 31 (cheffe de rubrique Actu)
François Dubet
Nicolas Journet - 03 86 72 07 03 (chef de rubrique Lire) Les nouvelles inégalités, source de ressentiment
Jean-François Marmion - 03 86 72 07 09
30 à 59 DossiEr
Maud Navarre - 03 86 72 07 16
Hermance Triay/Opale/Leemage
(cheffe de rubrique Point sur)
Clément Quintard - 03 86 72 07 13
SECRÉTARIAT DE RÉDACTION ET RÉVISION
Renaud Beauval - 03 86 72 17 27
DIRECTION ARTISTIQUE :
La force de vivre
Brigitte Devaux - Isabelle Mouton coorDonné PAr HéloïsE lHérété
ICONOGRAPHIE : Hugo Albandea - 03 86 72 17 34
DOCUMENTATION : Alexandre Lepême - 03 86 72 17 23
SITE INTERNET : [email protected]
32 Revivre après une épreuve
WEBMESTRE : [email protected] HéloïsE lHérété
MARKETING - COMMUNICATION
DIRECTRICE COMMERCIALE ET MARKETING 36 Un traumatisme rend-il plus fort ?
Nadia Latreche - 03 86 72 07 08
MArc olAno
PROMOTION/PUBLICITÉ :
Patricia Ballon - 03 86 72 17 28
39 La résilience, promesse d’une vie éternelle ?
Derek Shapton
[email protected]
DIFFUSION HélènE FrouArD
• En kiosque : MLP. Contact : À juste titres,
Stéphanie TROYARD - 04 88 15 12 48
Titre modifiable sur le portail-diffuseurs :
40 La maladie, combat intime
www.direct-editeurs.fr JustinE cAnonnE
• En librairie : Pollen/Dif’pop - 01 43 62 08 07
ÉDITIONS SCIENCES HUMAINES 43 Ce que guérir veut dire
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de la rédaction.
Commission paritaire :
Ce que nos poils disent de nous
0522 D 81596
Un encart «Sciences Humaines» est broché sur une partie des magazines Août-septembre 2020 ScienceS HumaineS 3
N° 328
Nouvelle collection
Comprendre l’essentiel
d’un sujet grâce à ses
concepts majeurs.
conduit à la déchéance complète, jusqu’à la conclusion : les ressources pour rebondir après un drame, combien
un arrêt cardiaque. de traumatisés à vie ?
Je pense aussi à un couple d’amis qui a traversé une Si on voulait être vraiment lucide, la seule leçon
terrible épreuve : ils ont perdu leur fils, âgé de 20 ans. irrévocable à tirer des épreuves serait celle-ci : la vie est
La mère est désormais une dépressive chronique, alors un éternel combat qui finit toujours mal.
que son conjoint a continué à mener sa vie tambour Et encore : ce n’est même pas sûr !
battant. Il m’a confié un jour : « J’ai toujours été quelqu’un J’ai assisté récemment à l’enterrement d’un ami, mort
d’heureux. Maintenant, je le suis encore, mais un peu au terme d’une longue maladie dégénérative. Toute la
moins. » famille et les proches s’accordaient à considérer que
sa mort était finalement une délivrance pour
À vrai dire, j’ai du mal à tirer des leçons lui, et un soulagement pour tous ceux qui
générales de ces expériences. l’ont accompagné. Son enterrement fut
Je suis très sceptique envers ces belles leçons générales somme toute assez joyeux.
telle que : « Une crise est une opportunité » ou « Ce qui ne Ce qui prouve que dans certains cas, la
vous tue pas vous rend plus fort ». meilleure issue n’est donc pas de « revivre
Une crise est une opportunité ? Oui, dans certains cas : après l’épreuve » mais plutôt de « mourir
un licenciement, une rupture amoureuse, une maladie après l’épreuve ». ■ JEAN-FRANÇOIS DORTIER
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AKG
Pirates des Caraïbes,
au-delà du mythe
Mais qui étaient vraiment les pirates ? temps restés cantonnés au parcours, plus
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«O
r, cruzados, piastres et poudre disparition laisse immédiatement place à la « Lorsque nous voulons fouiller des épaves
d’or » : ce butin extraordi- légende, grâce notamment à la publication pirates, nos collègues nous soupçonnent
naire est celui accumulé par en 1724 de Histoire générale des pirates de courir après un fantasme. » Mais depuis
Thomas Dulain à la tête du Sans-Pitié. par Charles Johnson – probablement en quinze ans, explique G. Buti, la recrudes-
L’homme est un de ces célèbres pirates réalité Daniel Defoe. cence de la piraterie contemporaine, de
qui ont écumé les Caraïbes à partir des La fascination pour ces écumeurs des Malacca à la Somalie, a conduit quelques
années 1560. Ils ont profité de l’accéléra- mers, perroquet à l’épaule et drapeau noir chercheurs à rouvrir le dossier.
tion des flux commerciaux dans l’espace hissé haut, a perduré jusqu’à nos jours. K. Porcher vient ainsi de publier un long
atlantique, souligne l’historien Gilbert Buti, Mais les connaissons-nous vraiment ? Sur article consacré à Thomas Dulain. Celui-
et de la faiblesse du pouvoir dans ces îles ces hors-la-loi, « on a beaucoup écrit, mais ci naît en 1704 près de La Baule, d’un
éloignées des métropoles européennes. on a mal écrit », estime l’historien Kevin Por- père avocat qu’il perd l’année de ses
Dans les années 1720, une politique mêlant cher, chargé d’enseignement à l’université 12 ans. S’engageant à 14 ans avec son
amnistie et sanctions lourdes – dont la des Antilles. Les nombreux ouvrages grand frère dans la marine marchande, dont il
pendaison – met fin à cette criminalité. Leur public parus au fil du temps sont long- déserte lors d’un séjour en Martinique, il
Pirates ou corsaires ?
Contrairement aux corsaires, qui
agissent comme des « mercenaires »
devient vagabond puis flibustier et enfin – moins d’une dizaine connue à ce jour.
au service d’une nation, les pirates
pirate. En 1729, il revient en métropole et L’or y est rare : les richesses de l’époque
se rend aux autorités : on perd alors toute ne respectent aucun pavillon. étaient aussi composées de sucre ou
trace de lui. Pour déconstruire la légende, Au début du 18e siècle, explique la d’épices. Enfin, les premières fouilles de
l’historien s’est astreint à un fastidieux juriste Clémentine Lacrotte, leurs bivouac terrestres confirment la frugalité de
travail dans les archives. Les rapports agissements conduisent à la mise la vie des pirates. Ainsi la porcelaine retrou-
de navigation par exemple sont précieux, vée est avant tout une monnaie d’échange
en place d’un droit international
mais exigeants : écrits avec de l’encre qui sert à acheter armes, vivres, vêtements
permettant à n’importe quel pays
de mauvaise qualité, à la va-vite, avec ou faire réparer le bateau. Les pirates, eux,
de nombreuses abréviations qu’il s’agit d’arraisonner et de juger ces continuent à manger dans des timbales en
de décrypter avant toute exploitation. Le « ennemis du genre humain ». étain ou de la vaisselle en bois.
jeu en vaut la chandelle : des minutes de Cette construction juridique est au
procès aux lettres d’officiers, les traces fondement du droit actuel de la L’historien et le forban
retrouvées donnent à voir une autre vision Tous ces travaux permettent de mieux
piraterie. n H.F.
de la piraterie. À côté des grandes figures comprendre les relations sociales dans les
de pirates, celles qui font « carrière », on Caraïbes et d’enrichir nos connaissances
trouve ainsi toute une population hétéro- quelques vaisseaux sont repérés par les sur les circuits commerciaux de la première
clite, faite de déserteurs, de marins fuyant autorités à Terre-Neuve, sur les côtes afri- mondialisation. Mais pour A. Coulaud ou
la dure discipline des vaisseaux ou d’en- caines, voire dans l’océan Indien. Mais le K. Porcher, ces travaux ont une autre vertu :
gagés : ces derniers sont des ouvriers ou plus souvent, les pirates sévissent au sein ils peuvent permettre de faire découvrir à
des agriculteurs venus de métropole avec des Antilles. Comme l’explique K. Porcher, un public friand d’histoires de forbans la
des contrats longs. Une fois leur temps ils prennent d’assaut des « embarcations de démarche scientifique des historiens et
terminé, ils peinent à trouver leur place, faible tonnage destinées aux déplacements archéologues. Voilà pourquoi, alors que
à une époque où le recours à l’esclavage entre îles », plus petites et plus faciles à atta- Disney prépare, dit-on, une nouvelle version
se multiplie. On trouve aussi des Amé- quer que les vaisseaux qui font la traversée de Pirates des Caraïbes, K. Porcher conti-
rindiens, des « Nègres marrons » réfugiés de l’Atlantique. Ce faisant, les hors-la-loi nue à se pencher patiemment sur l’écriture
en ville après avoir fui l’esclavage et des contribuent à faire circuler les marchan- en pattes de mouche du 18e siècle, tandis
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« libres de couleur » (anciens esclaves dises au sein de l’espace caribéen, dans le que A. Coulaud prépare déjà sa prochaine
affranchis). cadre d’une économie « grise » qui implique, plongée à l’île Maurice dans l’épave du
aussi, les populations locales. Les femmes Speaker. n
Recel dans les cabarets y jouent probablement un rôle important. Hélène Frouard
La piraterie apparaît dès lors moins comme Malgré quelques figures iconiques comme
un engagement pour construire une contre- Anne Bonny et Mary Read, elles montent Pour aller plus loin…
société fondée sur la démocratie directe et rarement à bord des vaisseaux pirates. En • « “Faire le métier de pirate” dans les Antilles,
le partage qu’une solution provisoire pour revanche, à la tête de commerces, cabarets l’exemple de Thomas Dulain (1728-1729) »
Kevin Porcher, Annales de Bretagne et des pays de
survivre. Même l’entrée en piraterie du ou maisons closes, certaines servent proba-
l’Ouest, 2020/1
célèbre Thomas Dulain semble « subie et blement de receleuses et d’intermédiaires • Archéologie de la piraterie des 17e-18e siècles.
ne se produire qu’au terme d’une margina- – y compris avec l’aristocratie des îles. Étude de la vie quotidienne des flibustiers de la
lisation de plus en plus importante », selon Ces travaux historiques sont enrichis par mer des Caraïbes à l’océan Indien
les mots de K. Porcher. Après l’expérience l’archéologie. Comme le souligne A. Cou- Jean Soulat (dir.), Mergoil, 2019.
• Association Archéologie de la piraterie des
pirate, ceux qui ont échappé aux autorités laud, les épaves de pirates ont d’abord été
17e-18e siècles
ou bénéficié d’une amnistie reviennent à pillées par des chercheurs de trésor. Mais www.archeologiedelapiraterie.fr
terre. Certains ont réussi à amasser un des campagnes de fouilles sont désormais • « À la découverte des pirates »
capital : ils s’établissent comme colons, mises en place. Des signes caractéris- Collectif, Dossiers d’archéologie, n° 394, juillet-
commerçants ou cabaretiers. Les autres tiques – par exemple une cargaison hété- août 2019.
• Dictionnaire des corsaires et des pirates
replongent dans la misère. Comme le sou- roclite mêlant meubles anglais et français
Gilbert Buti et Philippe Hrodej (dir.), CNRS, 2013.
ligne G. Buti, la piraterie est une loterie où et porcelaines chinoises ou un armement • Histoire des pirates et des corsaires.
peu gagnent… surdimensionné – permettent d’identifier De l’Antiquité à nos jours
Cette piraterie est souvent locale. Certes, avec certitude ces rares navires pirates Gilbert Buti, Philippe Hrodej (dir.), CNRS, 2016.
PSYCHOLOGIE
Jean-Marc Zarosky/Gamma/Rapho/Getty
Ils nous séduisent parfois au point de créer de nous-mêmes le doute et la
de réels liens d’attachement. Dans son dernier confusion.
ouvrage, le psychiatre Serge Tisseron nous
Que proposez-vous pour
alerte sur les risques possibles. prévenir ces risques ?
D’abord, que la mise en route
Dans votre livre, vous Selon vous, la synthèse de ces machines soit toujours
évoquez le fait que les vocale risque de clairement signalée par l’énon- SERGE TISSERON,
enfants acceptent plus compliquer nos relations ciation explicite, et à haute psychiatre et docteur en
facilement de ranger un avec nous-mêmes voix, de la phrase suivante : psychologie, a fondé
aspirateur dans un placard et nos semblables. « Bonjour, à partir de main- l’Institut pour l’étude des
qu’un robot. Pourquoi ? Dans quel sens ? tenant, je suis à votre écoute relations homme-robots
L’apparence anthropomorphe D’abord, les robots conversa- et j’enregistre tout ce qui se (IERHR) en 2013. Il vient
du robot crée chez les enfants tionnels vont remplacer l’éco- dit autour de moi. » Il faudrait de publier L’Emprise
une attitude empathique. Ils nomie de l’attention sur Inter- également donner aux utilisa- insidieuse des machines
l’intègrent dans leur réseau net par une économie de la teurs d’assistants vocaux un parlantes (Les liens qui
relationnel au même titre qu’un confidence : tout ce que nous droit de rectification de leurs libèrent, 2020).
camarade. Mais du coup, il leur confions sera enregistré et données avant leur transmis-
leur devient difficile de pen- exploité. Ensuite, à la différence sion, d’autant plus que tout
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ser que ce n’est pas une des moteurs de recherche ce que disent les enfants sera Malgré l’illusion que nous
vraie personne ! Interagir avec entretenons au sujet
une machine comme avec un des robots, vous affirmez
humain conduit forcément
Interagir avec une machine comme avec qu’aucune machine
à lui attribuer des émotions un humain conduit forcément à ne sera jamais l’égale
humaines, même si l’on sait que lui attribuer des émotions humaines. de l’homme.
ce n’est pas le cas. En êtes-vous si sûr ?
Une machine pourra rivaliser
que nous consultons sur nos capturé aussi. Et de la même avec l’intelligence humaine
écrans, une machine parlante façon qu’il existe un droit à dans certains domaines, mais
ne fournit qu’une seule réponse l’image, il faudrait un droit à la elle sera forcément différente.
à nos questions. C’est évidem- voix. Autrement dit, personne Le robot, avec son corps de
ment une limitation de notre ne devrait avoir le droit d’imiter matériaux inertes et de plas-
liberté, mais c’est si confortable la voix d’un vivant ou d’un dis- tique, ne pourra jamais ressen-
que nous risquons de prendre paru sans son accord. Enfin, il tir et éprouver comme nous.
l’habitude de nous en remettre à faudrait interdire à nos enfants Peut-être qu’un jour des robots
une machine pour des choix de d’interagir avec ces machines fabriqués avec des matériaux
plus en plus importants, sans avant qu’ils soient en âge de biologiques pourront avoir des
nous rendre compte qu’il s’agit comprendre en quoi consiste équivalents de nos émotions.
de ceux de son programmeur. la capture des données per- Mais ce ne seront plus alors
Enfin, en nous donnant toujours sonnelles, soit aux alentours des robots. n
raison, le robot conversation- de 6 ans. ProPos reCuiellis Par marC olano
Aix-Marseille pendant et à
reprendra vie qu’une fois
l’issue du confinement pour
transplanté au receveur. Sont
étudier les effets de divers
ainsi valorisés les receveurs,
messages de santé publique
sur les comportements des comme Christophe, qui assume
Français : leur motivation à avoir « le visage d’un autre »,
rester confinés, leur santé mais considère qu’il s’agit d’un
physique et mentale, la pré- d’établir un classement des rage direct sont bien plus simple « masque » sur lequel il a
paration au déconfinement, plus convaincants. Le mes- efficaces que ceux faisant dû réimprimer sa
etc. Une douzaine de mes- sage ayant le plus d’impact appel au sentiment d’unité du personnalité. n t.u.
sages a été analysée, incluant est simple, épuré d’argu- collectif français ou de la
les divers types d’argumen- ments : « Face à la pandémie nation. n
Marie Le Clainche-Piel, « Faire du visage
tations proposés pour inciter de covid-19, il faut rester Justine Canonne
un organe anonyme. Chirurgiens et patients
les Français à ne pas sortir chez vous. » Autre point Université Aix-Marseille, étude transplantés aux prises avec la politique du
de leur domicile. Parmi ceux- notable : les messages fai- scientifique « Com-Covid-19 ». En don anonyme en France », Sociologie,
ci, les résultats ont permis sant appel à protéger l’entou- ligne sur www.imsic.fr/com-covid-19/ 2020/2.
ÉDUCATION
L
e confinement imposé par
la covid-19 a entraîné la
scolarisation à domicile de
Klaus Vedfelt/Getty
millions d’élèves français, dans
un mélange d’enseignement à
distance et de contrôle parental.
Pour 30 000 élèves, soit un peu
moins de 0,4 % de la population et Élise Tenret, viennent de leur informels. Une famille qui affiche l’autonomie de l’enfant et son
d’âge scolaire, cette situation consacrer un article nourri d’ob- un « capital culturel élevé » fera ouverture vers l’extérieur soient
spéciale constitue une réalité servations de contrôles au domi- plus souvent l’objet d’un juge- valorisées. Enfin, les contrôleurs
quotidienne : l’« instruction dans cile des familles et d’entretiens ment positif, sauf si elle tient « puérocentrés » valorisent beau-
la famille », autorisée dès la loi dans trois académies (1). un discours très critique envers coup le point de vue des parents
de 1882 sur l’enseignement pri- l’institution scolaire, auquel cas sur le bien-être de l’enfant et leur
maire obligatoire, connaît actuel- La validité pédagogique l’effet peut être inverse. Une prodiguent des conseils péda-
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lement une popularité croissante. Ces inspecteurs doivent juger enquête publiée en 2019 par gogiques, comme pour les aider
Il s’agit, pour une grosse moitié la « validité pédagogique » de la sociologue Pauline Proboeuf dans leur « métier » d’éducateur.
des cas, d’élèves pour qui une l’enseignement mais disposent montrait que le choix parental de Différentes attitudes qui, au final,
scolarité classique est jugée d’une marge d’interprétation l’instruction à domicile pouvait ne débouchent que rarement sur
impossible (les jeunes sportifs importante, les familles n’étant en effet refléter un refus d’une un conflit ouvert : lors de l’année
de haut niveau, par exemple) pas tenues au suivi progressif « forme scolaire » jugée aliénante scolaire 2016-2017, seulement
et qui bénéficient gratuitement du programme tant que le socle et compétitive (2). 7 % des premiers contrôles réa-
des services du Centre national commun est atteint. Rarement Comme l’écrivent les auteures, lisés dans les familles ont été
d’éducation à distance (Cned). informés des conclusions de « l’instruction dans la famille jugés insatisfaisants. n
Pour l’autre moitié, soit environ l’enquête sociale, ils évaluent le conduit (…) l’institution scolaire Jean-marie Pottier
14 000 élèves, la décision relève bien-être de l’enfant et le bien- à se regarder elle-même ». Dans (1) Géraldine Farges et Élise Tenret,
d’un choix des parents. Cette fondé de cette forme d’instruc- un précédent article, elles iden- « Évaluer l’instruction en dehors
seconde catégorie fait l’objet tion : autonomie, formation d’un tifiaient, à partir de leur travail de l’école. Une enquête sur la fabrication
du jugement des inspecteurs dans
d’une attention soutenue : tan- projet professionnel… Une d’entretiens, trois idéaux-types
les contrôles de l’instruction dans la
dis que les municipalités mènent évaluation d’autant plus impor- de contrôleurs (3). Les contrô- famille », Sociologie, 2020/2.
une enquête sociale, des ins- tante que l’instruction dans la leurs « républicains », qui privilé- (2) Pauline Proboeuf, « S’affranchir
pecteurs contrôlent chaque famille peut faire soupçonner gient une éventuelle rescolarisa- de l’institution scolaire pour émanciper
année la réalité de l’instruction une dérive sectaire ou une radi- tion des enfants, mènent souvent l’enfant ? », Émulations, n° 29, 2019.
(3) Géraldine Farges et Élise Tenret,
et les progrès de l’enfant dans calisation religieuse. des contrôles à base d’exercices
« Les inspecteurs et les “fondamentaux”
l’acquisition du « socle com- Ce double contrôle peut se précis. Les contrôleurs « inclu- de l’éducation à l’épreuve des contrôles
mun ». Deux sociologues de fonder sur des grilles précises sifs » laissent plus de marge sur de l’instruction dans la famille », Revue
l’éducation, Géraldine Fargues mais aussi sur des critères plus l’aspect éducatif, pour peu que française de pédagogie, n° 205, 2018/4.
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Des malades
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et d’accompagnement. Bien que ces jeunes praticiens Expire le Date et signature obligatoires :
témoignent d’une empathie pour la souffrance des Cryptogramme
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que les droits dont vous disposez (accès, rectification, effacement, opposition, portabilité, limitation
Aline Sarradon-Eck, Maïté Dias et Renaud Pouchain, « Ces patients des traitements, sort des données après décès), consultez notre politique de confidentialité à l’adresse
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“particuliers”. Comment les jeunes médecins (dé)médicalisent les symptômes données à Sciences Humaines BP 256 – 89004 Auxerre Cedex ou [email protected]
médicalement inexpliqués ? », Sciences sociales et santé, n° 38, 2020/1.
SOCIOLOGIE
Le désespoir du tracteur
suicide anomique du suicide a repris l’exploitation de ses
fataliste (l’un vient d’un défaut parents avec son compagnon.
de normes, et donc de repères, Ils y vivent tous les quatre.
l’autre d’un excès de normes, Le jeune couple veut en faire
qui deviennent oppressantes). une exploitation biologique ;
Ce dernier type ne fait l’objet les parents résistent. Juliette
que de quelques lignes dans est prise dans un conflit de
l’ouvrage d’É. Durkheim, qui loyauté insoluble à l’égard de
précise en avoir trouvé trop sa famille. Elle leur est rede-
peu d’exemples pour l’appro- vable, et pourtant est sommée
fondir. Cette apparente fai- de mener à bien son « projet
blesse du cadre théorique personnel » comme les autres
durkheimien a été pointée jeunes de sa génération. Pour
du doigt par ses critiques Anthony comme pour Juliette,
au cours du 20 e siècle. Pour toute fuite ou repli stratégique
N. Deffontaines, le « suicide est impossible : l’exploitation
Westend61/Getty
«P
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roblèmes finan- mettent en lumière le poids des célibataire, endetté et isolé. dans cette profession (75 %
ciers et isolement tensions familiales dans les d’agriculteurs sont fils d’agri-
poussent de plus exploitations où sont survenus Juliette et Anthony culteurs), et la norme contem-
en plus d’agriculteurs à la ces drames. N. Deffontaines y Anthony a repris l’exploitation poraine d’individualisation des
dépression, voire au suicide », voit une configuration produc- de ses parents et est installé trajectoires, de « découverte
pouvait-on lire dans « SOS trice de « suicide fataliste », un avec son épouse dans une de soi ». Résultat : une équa-
paysans en détresse », un des quatre types de suicides dépendance de la maison tion impossible, qui place
article paru dans Libération en identifiés par Émile Durkheim. principale. Les tensions entre l’agriculteur dans une situation
2013. La surmortalité par sui- la belle-fille et les beaux- « inéluctable sur laquelle il ne
cide dans cette profession est Les causes sociales parents sont fréquentes. Un peut rien », pour reprendre la
généralement attribuée à des du suicide jour, la mère d’Anthony lui dit : définition du suicide fataliste
difficultés économiques. Dans son étude fondatrice « C’est elle ou moi. » Tiraille- chez É. Durkheim. Les exploi-
Mais un suicide est toujours sur le suicide parue en 1897, ment insoluble : Anthony est tations familiales sont de
multicausal. Le sociologue É. Durkheim montre que le sui- redevable de ses parents. Il véritables « Cocotte-Minute
Nicolas Deffontaines, qui a cide ne relève pas seulement leur doit l’héritage de l’exploi- sociales » sans issue. Anthony
consacré sa thèse à ce sujet, d’un choix individuel, mais tation et ne peut d’ailleurs pas s’est pendu, Juliette aussi. n
propose une nouvelle piste qu’il a des causes sociales. la faire tourner sans eux. Mais Gaétane Poissonnier
pour tenter de les comprendre. Il distingue le suicide égoïste comme les autres jeunes de
Les témoignages de « proches du suicide altruiste (l’un vient sa génération, la norme est à
Nicolas Deffontaines, « Le suicide
éloignés » d’agriculteurs suici- d’un défaut d’intégration dans la rupture vis-à-vis du mode fataliste revisité. Les agriculteurs,
dés qu’il a recueillis (collègues, le groupe de référence, l’autre de vie parental, à l’indépen- une loupe sociale pour l’étude
voisins, travailleurs sociaux…) d’un excès d’intégration) et le dance et l’initiative. Juliette de ce type oublié », Sociologie, 2020/2.
HISTOIR E
repartir… n
hélène frouard les démocrates et députés,
chantée par des officiers à
Belfort en 1790. D’autre part,
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ÉTHOLOGIE
A RCH ÉOLOGIE
que des os, une centaine de les uns des autres.
cairns et les bases d’un abri en Par d’autres sources histo-
pierre. Des recherches ulté- riques, on sait que la vallée de
rieures ont suivi. Les cairns et la rivière Otta, au pied de cette
les vestiges de l’abri ne peuvent montagne, avait été colonisée
pas être datés directement, dès le milieu du 1er millénaire.
mais le matériel associé (une Les nouvelles découvertes
tunique complète, des chaus- montrent que Lendbreen était
tude empruntée depuis l’âge du 4 e siècle a attiré l’attention du bronze (1) et daté entre 790 à lui, aura été fatal au site en
bronze. Un article vient de faire des archéologues. Une pre- et 540 av. J.-C., a ainsi été faisant fondre les dernières
la synthèse de ces recherches mière prospection a permis de retrouvé en quatre morceaux couches de glace, mettant à
menées dans le cadre du Gla- découvrir d’autres objets, ainsi dispersés jusqu’à 250 mètres nu quelques ultimes objets :
une boîte en bois, une raquette
en bois pour cheval… et beau-
Le carbone 14 n’est plus ce qu’il était coup de crottin. n
vinCent CaPdePuy
«É cologie » et « féminisme » : telle est la militante Françoise d’Eaubonne. Si l’éco- significative des effets du
combinaison qui a donné lieu au féminisme a rapidement essaimé dans le changement climatique, près
terme « écoféminisme ». Un mouvement qui monde anglo-saxon, il n’a en revanche pas d’un tiers de l’humanité serait
a la spécificité d’articuler étroitement ces connu le même destin sur le sol français, où condamné à vivre en zone
deux notions. Que postule l’écoféminisme ? il fut accusé d’essentialisme, en raison du désertique. C’est ce que pointe une
Qu’il existe des liens entre la domination parallèle qu’il opère entre femmes et nature. étude internationale faisant appel
masculine et le modèle économique res- Or, « les féministes françaises, imprégnées au concept de « niche » ou
ponsable de la crise écologique, que l’op- de la pensée de Simone de Beauvoir, se « enveloppe » écologique : chaque
pression des femmes dans les sociétés méfient bien trop de l’idée de nature pour
espèce occupe en effet une zone
patriarcales et la destruction de la planète s’engouffrer pleinement dans la direction
géographique où les conditions
ne sont pas des phénomènes distincts mais de l’écoféminisme », explique J. Burgart
sont optimales pour qu’elle
relèvent d’une même matrice idéologique. Goutal dans son essai.
Elles sont « deux formes de la même vio- Ailleurs, ses inspirations – et inspiratrices – prospère. Les communautés
lence », pointe l’écoféministe chilienne Mary sont nombreuses, allant de la lutte antico- humaines se concentrent ainsi
Judith Ress, citée par la philosophe Jeanne loniale, avec la militante indienne Vandana depuis des millénaires sur des
Burgart Goutal, auteure du récent Être éco- Shiva, jusqu’au féminisme radical d’une zones caractérisées par une
féministe. Théories et pratiques (1). Ainsi, il Susan Griffin, ou d’influence marxiste de température moyenne annuelle
est impossible de se contenter de réformes Silvia Federici, à l’écologie sociale d’Ynes- oscillant entre 11 et 15 °C (1) .
et luttes ciblées : c’est plutôt une révolution tra King, en passant par la philosophe Caro- Dans un scénario business as usual
écologique globale qui permettrait d’abolir lyn Merchant ou l’écrivaine et sorcière Sta- – si rien n’est fait pour contrer
les structures de domination. rhawk… Un « patchwork bigarré », observe
le changement climatique –,
Particulièrement actif aux États-Unis dans J. Burgart Goutal, et vivace, qui réémerge
cette « niche écologique » humaine
les luttes des années 1980 contre le à la faveur de l’urgence écologique et des
pourrait s’amenuiser, à tel point
nucléaire, la pollution et la mondialisation, luttes féministes actuelles. n J.C.
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et du sous-continent indien. n J.C.
Où va
la démographie
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mondiale ?
La « bombe P » ne va probablement pas exploser, mais plusieurs grands défis
nous attendent dans les années à venir : vieillissement de la population,
développement des migrations, gestion des ressources naturelles,
nouvelles puissances démographiques…
bRUNO tERtRAIS
Politologue, directeur adjoint de la Fondation
pour la recherche stratégique, il a publié
Le Choc démographique, Odile Jacob, 2020.
Au centre
de Katmandou (Népal).
estivillml/Getty
fera apparaître deux géants démo- intervenir dès 2027 alors qu’ils auront d’un haut degré d’éducation qu’en aura
graphiques, l’Inde et la Chine, suivis des 1,44 milliard d’habitants chacun ; en 2050, son grand voisin, et cet avantage ira
États-Unis avec une population nette- le premier pays pourrait compter 1,40 mil- croissant. L’Inde pourrait ainsi être un
ment inférieure, puis de trois « méga- liard d’habitants et le second 1,63. relais important de la croissance écono-
émergents » : l’Indonésie, le Nigeria et le En effet, la Chine achève sa transition mique mondiale.
Pakistan (1). Des incertitudes demeurent démographique et sa population en âge
quant à la capacité de ces trois pays à de travailler décline. « La fin de 2 500 ans Des fortunes diverses
faire de leur force démographique une de tradition familiale sera un saut dans Les États-Unis, eux, continueront de
force économique, notamment pour les l’inconnu pour la civilisation chinoise – et bénéficier d’un dynamisme démogra-
deux derniers, politiquement instables et Pékin n’est manifestement pas préparée phique remarquable et pourraient comp-
où règne souvent la violence collective. pour ce grand bond imminent (2). » La ter 434 millions d’habitants en 2100. Par le
La population du continent européen, Chine va « vieillir avant d’être riche », sou- passé, ce dynamisme tenait notamment
quant à elle, aura décliné. ligne l’économiste Nicholas Eberstadt. à une fécondité restée élevée, pour des
L’Inde et la Chine resteront les deux pôles Et quand la Chine grisonnera… l’Inde raisons culturelles, notamment chez les
de la population mondiale, avec deux s’éveillera. La transition démographique hispanophones. D’ici à 2050, la popu-
régions qui détiennent des records abso- y est achevée dans le Sud. Vers 2027, sa lation en âge de travailler s’accroîtra de
lus de densité : la zone côtière du nord-est population active dépassera celle de son 20 millions et l’âge moyen n’y sera que
chinois et la plaine du Gange. Mais ils grand voisin. Entre 2015 et 2035, elle aura de 42 ans. L’espérance de vie y présente
connaissent désormais des évolutions gagné 220 millions de jeunes alors que la toutefois une évolution préoccupante :
divergentes : le vieillissement pour la Chine en aura perdu 90 millions à niveau elle a baissé depuis 2014. Et le maintien
Chine, l’explosion de la population en âge moyen d’éducation équivalent. En 2040, d’une fécondité élevée n’est pas assuré
de travailler pour l’Inde. Le croisement elle aura bien davantage d’hommes et de sur le long terme : elle n’était que de 1,73
est devenu négatif au moment de l’indé- exploitées dans le monde. Il suffit d’une réchauffement climatique. Comme l’a
pendance et a encore chuté par la suite. augmentation constante mais modeste montré l’économiste de la population
À l’ère Poutine, la Russie a semblé un de la productivité pour réduire considé- Julian Simon, un enfant qui naît aura
temps en voie de remonter la pente. Mais rablement le besoin de nouvelles terres. davantage de chance d’être un contri-
le problème reste entier car le pays subit Il existe bien un problème nutritionnel buteur net à la société que d’en être un
de plein fouet une « triple peine démogra- spécifique à l’Afrique – mais il est d’ordre débiteur net. n
phique » : chute de la natalité ; forte morta-
lité, notamment masculine ; émigration.
Depuis 2000, 1,6 à 2 millions de Russes
sont partis, et ce phénomène touche
désormais les élites. Les efforts du Krem-
lin pour inverser la tendance n’ont pas eu
jusqu’ici les résultats escomptés. L’Onu
prévoit que la Russie poursuivra sa lente
descente aux enfers démographique :
145 millions d’habitants aujourd’hui,
126 en 2100. n
Jihn Gress/Corbis/Getty
le Mexique, le Maroc, la Turquie, la Grèce, migrants qui quittent leur pays pour des avec eux ou « retournent au pays ».
l’Italie, l’Espagne appartiennent désormais raisons politiques – viennent essentiel- Quant à la notion de « réfugiés clima-
à ces trois catégories. En revanche, il reste lement d’Asie centrale, du Moyen-Orient tiques », elle suscite des interrogations
et des débats, à la fois sur sa pertinence
et sur sa gravité. Sa pertinence peut être
discutée : la migration est en effet presque
toujours multifactorielle. En outre, cette
expression recouvre souvent des mouve-
ments de populations disparates, parfois
sans aucun lien avec le réchauffement
climatique : ouragans, inondations et
sécheresses ne relèvent pas nécessai-
rement de cette tendance à long terme.
C’est l’une des raisons pour lesquelles le
Giec ne trouve pas de pertinence à cette
Tijuana (Mexique).
Des migrants expression. Par ailleurs, sa gravité reste
d’Amérique en débat, dès lors que les prévisions les
centrale tentent
Andrew Lichtenstein/Getty
Une « ruée
vers l’Europe » ?
Irfan Khan/Getty
de Los Angeles
c’est de plus en plus pour se rendre le 22 mai 2020, durant
dans des zones du monde en plein la pandémie de covid-19.
vers les pays de l’OCDE est annuelle était de l’ordre de 13 millions. étaient quasiment ou totalement fer-
aujourd’hui de l’ordre… de 0,07 % Ce n’est plus le cas aujourd’hui. mées, sur tous les continents. La réversi-
(soit 700 000 à 800 000 Africains). La covid-19 n’aura qu’un impact limité, bilité de ces phénomènes dépendra de la
en termes de mortalité, sur l’espèce durée et de l’intensité de la pandémie. Si
Il reste que l’émigration africaine
humaine. Le rythme d’accroissement elle était maîtrisée avant la fin de l’année,
augmente (+ 5,3 millions entre 2010
de la population mondiale (+ 80 millions des flux inverses se manifesteront rapi-
et 2017), du fait de la croissance par an) est en effet encore tel qu’il peut dement. On a déjà vu l’Allemagne faire
démographique, des conflits, largement absorber un excès ponctuel de venir des travailleurs roumains par char-
mais aussi tout simplement mortalité. On pourrait par ailleurs assis- ters pour la récolte des asperges…
de l’enrichissement d’une partie ter à un baby-boom postpandémique : Il est probable en revanche que la pan-
celui de 1920 doit en effet être attribué au démie rende les pays d’immigration
de la population qui a désormais
moins autant aux conséquences socié- encore plus méfiants vis-à-vis de celle-ci.
les moyens de « partir ». Sa part
tales de la pandémie grippale qu’à celles Un récit pourrait fleurir : « Les migrants
transcontinentale également : de la guerre. étaient déjà un risque économique et un
en 2013, il y avait 13 millions La pandémie altère en revanche signi- risque terroriste, ils sont désormais un
d’Africains dans les pays de l’OCDE, ficativement les mouvements de popu- risque sanitaire. » Les Africains qui cher-
et ils pourraient être 18 millions lation. Il y a d’abord eu un phénoménal cheront à émigrer vers l’Europe seront
effet de « retour à la maison », à la fois au sûrement encore plus indésirables aux
en 2040. Selon une projection du FMI,
sein des États, par exemple en Inde, mais yeux d’une partie de la population euro-
les seuls émigrés subsahariens
aussi d’un pays à l’autre (Ukrainiens en péenne. Même si, pour l’heure, ce sont
dans les pays de l’OCDE pourraient Pologne), voire d’une région du monde plutôt les Européens qui ne sont pas les
être 34 millions en 2050. n b .t. à l’autre (travailleurs d’Asie du Sud dans bienvenus sur le continent noir… n
François Dubet
Les nouvelles inégalités,
source de ressentiment
Le confinement a eu des effets Vous qui avez récemment publié un essai sur
les « passions tristes », diriez-vous que la covid-19
ambivalents : moment y a encore plus plongé la société française ?
J’ai le sentiment que du point de vue de ses pratiques
de solidarité et de reconnaissance quotidiennes, la société s’est plutôt ressoudée, avec un
pour les uns, il a aussi attisé réflexe de relative fraternité. Tout le monde s’est inquiété
pour sa famille, a redécouvert que la vie sociale et les
des sentiments d’injustice et autres avaient de la valeur. Les passions tristes, je les ai
plutôt vues chez les intellectuels et les politiques, qui
de défiance. Sommes-nous entrés pour beaucoup d’entre eux se sont assez mal contrôlés,
dans l’âge du ressentiment ? ont donné dans l’invective, l’accusation… L’expérience
F
du confinement a plutôt été celle de la solidarité, mais les
rançois Dubet mettait la dernière main, avec représentations qui en ont été faites m’ont donné le sen-
sa consœur Marie Duru-Bellat, à un ouvrage timent d’une société assez profondément déchirée, prise
à paraître fin août, L’école peut-elle sauver la de panique et dans laquelle, au fond, tout pouvait être dit.
démocratie ?, quand est survenu le confine-
ment imposé par la pandémie de covid-19. La pandémie a-t-elle encore accentué
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de l’eau, 2019).
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ou professeur. Aujourd’hui, on est dans une situation bonne société accepte les conflits, les régule et les négo-
très étrange parce que ces destins sociaux fonctionnent cie. Il faut que les intérêts s’organisent et s’affrontent,
toujours, mais les individus sont tenus de les construire que cela débouche sur des compromis négociés et sur
à partir de leurs performances, de leurs choix de vie, de l’appréhension d’enjeux communs. Le ressentiment,
leurs résultats scolaires… Au début des années 1980, c’est le contraire : un système de haine diffuse envers
j’avais demandé à des sidérurgistes lorrains de 50 ans ceux qui sont au-dessus, parce qu’ils vous méprisent,
pourquoi ils étaient devenus sidérurgistes ; ils répon- et envers ceux qui sont en dessous, parce qu’ils sont
daient que c’était parce que leur père l’était. Quarante « assistés », étrangers, dangereux. Or, même si les choses
ans après, quand j’ai posé la même question à des bougent très vite, avec le Brexit, Donald Trump ou Jair
ouvriers, ils répondaient : « Parce que j’ai échoué à l’école. » Bolsonaro, on a pu avoir le sentiment que le ressentiment
Les inégalités restent un mécanisme social impertur- était beaucoup plus important que le conflit.
bable mais produit par les stratégies des acteurs eux-
mêmes. D’où ce paradoxe : les gens ont un sentiment On mentionne souvent les fortes inégalités entre
d’injustice, tout en se sentant responsables de leur vie, générations en France, mais on a vu les jeunes se
de leurs succès et de leurs échecs. confiner pour protéger leurs aînés de la pandémie.
Je crois qu’on a vécu cette crise dans une ambivalence
Avec ces inégalités multiples et individualisées, généralisée. D’un côté, on a choisi de protéger les per-
ne risque-t-on pas de vivre dans une société sonnes âgées car le contraire aurait fait scandale. Mais
du ressentiment généralisé ? dans le même temps, on a choisi de sacrifier les jeunes,
Je souhaite que nous retrouvions une société du conflit. notamment les cohortes qui vont arriver sur le marché
En ce sens, je me sens toujours social-démocrate : la du travail. Je ne veux pas défendre ce choix, ni dire non
(
Nous avons été tellement obsédés par « Les progrès de l’État providence n’ont jamais été
aussi grands qu’au lendemain des guerres »,
l’emploi que nous avons fini par perdre écriviez-vous dans La Préférence pour l’inégalité
(2014). Ce constat peut-il s’appliquer
de vue le travail. à un lendemain de pandémie ?
Pour le cas français, de toute évidence, il y a une rupture.
Je n’entends pas beaucoup de voix s’élever pour dire que
plus qu’il fallait en faire un autre, car la pandémie a créé l’on a eu tort de dépenser sans compter pour sauver les
une situation très étrange où on ne pouvait faire que des petites entreprises ou pour financer le chômage tech-
mauvais choix : je n’aurais pas aimé être ministre ! (rire). nique, ou pour dire que l’hôpital ou l’éducation coûtent
C’est pourquoi, aujourd’hui, ceux qui disent « Y avait trop cher… De ce côté-là, on a changé d’époque. Je crois
qu’à » ou « Il fallait » me font penser aux médecins de par ailleurs qu’il y a eu une longue tendance, non pas à
Molière, plus habiles à établir des constats de décès qu’à délaisser l’État providence – les taux de prélèvement et
proposer des thérapies. de redistribution restant exceptionnellement élevés en
France –, mais à multiplier les ayants droit, les dispositifs
Comment analysez-vous le passage au premier spéciaux et les droits particuliers. Nous avons ainsi créé
plan de ceux qu’on a appelés les « premiers une sorte de concurrence générale entre des citoyens qui
de corvée », caissières, infirmières ou routiers ? ont tous des droits singuliers parce qu’ils ont tel revenu,
Cela m’a ravi. On s’est rendu compte, comme dans vivent à tel endroit, ont tel âge, telle situation familiale…
le vieux récit socialiste, que tous ceux que l’on vouait Peut-être faudrait-il revenir à l’idée qu’il y a des droits
à des emplois mal payés et méprisés parce qu’ils universels, des droits qui ne sont pas indexés sur trop
n’avaient pas les bons diplômes étaient au cœur de la de singularités, des droits qui ne sont pas concurrents.
vie sociale et que les « premiers de cordée », chers au
macronisme, n’étaient peut-être pas plus utiles que les L’idée d’un revenu universel est d’ailleurs revenue
autres. Pour dire les choses de manière un peu triviale, dans le débat public avec la pandémie…
en tant que sociologue, le confinement m’a rendu assez Le revenu universel est une question sur laquelle j’ai
durkheimien, avec le retour du thème de la solidarité beaucoup de mal à me faire une opinion stable. Je suis
organique : en dépit des inégalités sociales, chacun évidemment favorable aux minima sociaux, mais je reste
contribue à la vie de la société. Or, ce qu’on appelle persuadé que le travail est le grand vecteur d’intégration
de manière toujours trop rapide et commode le néo- sociale. L’idée que chacun contribue au bien commun
libéralisme est le contraire de cette représentation de reste à mes yeux une utopie préférable à celle d’une
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la vie sociale en mettant l’accent sur les créateurs de société dans laquelle chacun aurait droit à un minimum
richesse, en valorisant les vainqueurs, en oubliant les et pourrait s’en satisfaire ou l’améliorer en travaillant
autres dont on s’étonne qu’ils soient indispensables. plus ou moins. Une société à deux vitesses ainsi définie
Est-ce que cela va rester dans les têtes et les esprits ? Je exploserait parce qu’un jour, ceux qui travaillent et
n’en sais rien mais c’est quand même une bonne chose paient pourraient ne plus vouloir le faire. On accepte
de redécouvrir cette solidarité. des sacrifices pour les autres quand on a le sentiment
de leur devoir quelque chose. Je reste aussi un peu
Faites-vous un lien entre la valorisation « archaïquement » attaché à l’idée que le travail est une
de ces professions et le récent mouvement des Gilets dimension essentielle de la vie sociale et de l’expérience
jaunes ? humaine. Bien avant la pandémie, toutes les enquêtes
Le monde du peuple, des « gens d’en bas », n’est pas montrent que la première souffrance des chômeurs,
un monde homogène. Les Gilets jaunes parlaient des c’est de perdre le sentiment d’une existence sociale et
élites mais quasiment jamais des patrons, ils avaient d’une réalisation de soi dans le travail. Et pas seulement
l’impression d’être dévorés par des inégalités multiples la perte de revenus.
et abandonnés, mais ils parlaient très peu de leur travail.
Ils représentent plutôt la crise d’un monde populaire, La façon dont les Français ont travaillé pendant
alors que ce qu’on a vu là, ce sont plutôt des salariés qui deux mois, avec un télétravail quasi généralisé,
appellent au travail et qui sont plus proches des mouve- ne pose-t-elle pas plus largement la question
ments syndicaux traditionnels. Ces salariés vivent d’ail- du sens du travail ?
leurs davantage dans des cités ou des HLM, un monde Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, a écrit
« divers » auquel les Gilets jaunes ne semblaient pas très un petit livre très intelligent, Au boulot ! Manifeste pour
favorables. le travail, où il explique que nous avons été tellement
obsédés par l’emploi que nous vons fini par perdre de vue Un des grands clivages politiques oppose aujourd’hui les
le travail. C’est-à-dire la qualité du travail, les conditions vainqueurs de la compétition scolaire aux vaincus. Il faut
de travail, l’épanouissement au travail. Le télétravail a abandonner cette idée selon laquelle seuls les vaincus
permis à beaucoup des gens de travailler, mais on voit n’auraient qu’à s’en prendre à eux-mêmes. M. Duru-Bel-
bien que beaucoup disent que leur ont manqué leurs lat et moi ne trouvons pas seulement cette idée mora-
collègues, la machine à café, les horaires, le fait de se lement discutable : elle est socialement désastreuse.
déplacer… Le fait que le travail et la vie personnelle se Je caricature quelque peu, mais quand vous aviez une
confondent est souvent terrifiant. bourgeoisie libérale et en face un mouvement ouvrier
social-démocrate, ces gens s’opposaient violemment
Le fonctionnement de l’école durant la pandémie mais avaient aussi quelques valeurs communes, alors
a été un enjeu essentiel. Qu’en avez-vous pensé ? que là, les sentiments de solidarité et l’attachement à la
Plusieurs choses m’ont frappé. La pandémie a rappelé démocratie sont profondément déchirés par les inégali-
à quel point l’école était plus que l’école : il faut qu’elle tés scolaires : grossièrement, les vainqueurs choisissent
soit ouverte pour que les parents puissent travailler le libéralisme social et cosmopolite, les vaincus choi-
et que la vie sociale s’organise. Cela a l’air tout bête sissent les populismes autoritaires et nationalistes. Se
mais on avait fini par l’oublier. La deuxième observa- battre pour l’égalité scolaire ne veut pas dire que tout le
tion, c’est qu’un grand nombre d’enseignants se sont monde doit entrer à Polytechnique mais que les « vain-
mobilisés d’une manière qu’on aurait difficilement cus » de la sélection doivent s’en tirer le mieux possible.
pu imaginer, alors que le monde scolaire est générale- C’est très difficile à faire comprendre à des Français qui
ment plutôt conservateur. D’une certaine manière, il sont toujours persuadés que l’école est plus juste que l’est
y existe un gisement d’enthousiasme et de générosité la société. Cela nécessite de refaçonner les hiérarchies
que l’Éducation nationale n’utilise jamais. La troisième scolaires et peut être de rompre avec un système où on
observation, très étrange pour le modèle scolaire ne joue qu’un « coup », celui de l’école. Après tout, sans
français, c’est que l’on pensait que l’école était d’abord faire de la Scandinavie un paradis, dans les grandes
une machine à trier les élèves pour qu’ils obtiennent universités suédoises, la moitié des étudiants sont des
les diplômes les plus rentables et, d’un seul coup, on a salariés qui se forment en travaillant. En France, vous
découvert que la vie scolaire avait une valeur éducative allez à l’université, vous avez un diplôme et c’est fini,
en soi, que les élèves voulaient aller à l’école pour être vous êtes gagnant ou perdant.
avec d’autres. Cela pourrait être un levier de transfor-
mation de notre système, qui reste extrêmement sco- M. Duru-Bellat et vous écrivez aussi que notre école
laire sans obtenir pour autant les meilleurs résultats au n’a pas réussi à instaurer le « règne de la raison
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monde, loin s’en faut. critique ». Un constat que les nombreuses rumeurs
sanitaires qui ont circulé pendant la pandémie
Avec M. Duru-Bellat, vous écrivez que notre semblent confirmer.
système scolaire sélectionne par « distillation C’est un échec de la massification scolaire. Le niveau
continue ». La pandémie ne risque-t-elle pas d’information a incontestablement monté, notamment
de constituer une étape importante de cette grâce à Internet, mais le niveau de défiance aussi. Dans
distillation ? les démocraties traditionnelles, les autorités légitimes
Avec la rareté des emplois qui se profile, on peut craindre pouvaient dire ce qu’étaient la vérité, la science, la
un double mécanisme. D’une part, une exacerbation de raison… et le bon peuple était tenu d’y croire ou de se
la concurrence scolaire et donc des inégalités : on va se taire. Aujourd’hui, ce système a complètement explosé,
battre encore plus pour les formations rentables, pour chacun peut se faire une opinion et surtout, peut la dire
faire partie des « vainqueurs ». La deuxième tendance, sur la Toile. Mais les opinions publiques deviennent
complètement contradictoire mais qui va aussi se déve- incontrôlables et se passent des partis et des organisa-
lopper, c’est de dire que puisqu’on ne peut pas mettre les tions. Le mouvement des Gilets jaunes est exemplaire
jeunes au travail, autant les garder à l’université le plus en la matière puisque chacun est devenu un mouvement
longtemps possible, dans une forme d’attente, jusqu’à ce social à lui tout seul. On a vu s’exacerber des méca-
que l’horizon s’éclaircisse. nismes de défiance, de rumeur et de complot. Du point
de vue de l’énorme effort d’allongement de la scolarité,
Dans Les Places et les Chances (2010), ceci a quelque chose d’un peu déprimant : le diplôme,
vous estimiez que « l’égalité des places », c’est-à-dire sauf à très haut niveau peut-être, ne protège pas des
des positions socioprofessionnelles, devait passer croyances les moins rationnelles. n
avant « l’égalité des chances »… ProPos recueillis Par Jean-Marie Pottier
C
omment se relever après un deuil,
une maladie, un accident, une catastrophe,
un échec, une ruine, une rupture ?
Où puiser, alors, la force de vivre ?
De la psychologie de la résilience aux philosophies
existentialistes en passant par la sociologie clinique,
de nombreux penseurs, scientifiques et écrivains
se sont demandé comment on pouvait reprendre
le cours de son existence, après une cassure intérieure.
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fcscafeine/Getty
La force
de vivre
Revivre
après une épreuve
Les grandes épreuves ébranlent notre identité et menacent notre survie.
Qu’il s’agisse de maladie, de perte d’emploi, de rupture ou de crise économique,
deux questions les traversent : faut-il donner du sens à ce qui nous arrive ?
Et comment s’en sortir ?
Héloise lHérété
L
a pandémie de covid-19, suivie « éprouvée » dans sa chair, une douleur pelle C. Marin. De même, les sentiments
d’un confinement planétaire, a ou une peine. L’épreuve a donc ce double d’isolement, de désarroi et d’abandon
constitué une épreuve. Elle a sens, passif et actif, évoqué par Paul peuvent briser autant qu’un virus (p. 40).
frappé les corps, inquiété les Ricœur (1) : à la fois probation et peine, Les humains sont des êtres d’attache-
esprits, révélé nos fragilités personnelles elle vient éprouver nos ressources et ment, qui se construisent dans la rela-
et collectives. En faisant surgir le spectre notre résistance, mais elle est aussi ce qui tion, l’amour et l’échange. « Autrui, pièce
de la maladie et de la mort, elle a rappelé nous affecte, nous menace et imprime sa maîtresse de mon univers…, découvre
à chacun sa vulnérabilité fondamentale. marque sur notre parcours de vie. À ces Robinson Crusoé dans la solitude de
Il a suffi de quelques jours pour que pro- deux connotations s’en ajoute enfin une son île. Je mesure chaque jour ce que je
jets et routines sociales soient mis entre troisième. À l’instar de l’épreuve d’impri- lui devais en enregistrant de nouvelles
parenthèses. L’illusion d’immortalité, merie, l’épreuve révèle les qualités tout fissures dans mon édifice personnel. » À
qui tient lieu de socle à nos conduites comme les fautes à corriger… En ce sens, l’échelle collective, ce sont des entre-
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ordinaires, s’est fissurée. elle met en évidence une perfectibilité. prises, des peuples ou des civilisations
« Elle est ce par quoi une réforme est pos- entières qui entrevoient un risque mortel
Qu’est-ce qu’une épreuve sible, ce qui peut être le principe d’une sous l’effet d’une crise, d’une guerre ou
de vie ? amélioration », souligne la philosophe d’une épidémie (pp. 52 et 55).
Par son ampleur, cet événement a renou- Claire Marin dans L’Épreuve de soi (2003).
velé la réflexion sur la notion d’épreuve. À quoi reconnaît-on une épreuve ? Le De la vie biologique à
Ce terme polysémique, qui désigne aussi psychologue Gustave-Nicolas Fisher la sphère sociale
bien l’examen passé par l’étudiant, l’essai distingue dans Le Ressort invisible six Les Grecs distinguaient pour leur part
d’imprimerie, la probation du condamné catégories d’expériences extrêmes (enca- deux formes de vie : zoé (la vie biologique)
ou le drame existentiel, plonge ses dré). Toutes ont pour point commun et bios (la vie biographique). Une épreuve
racines dans l’Antiquité. On le retrouve d’« ébranler la vie » : la maladie potentiel- vitale ne menace pas seulement la vie
chez Sénèque, où il renvoie à la « mise à lement mortelle, le viol, l’expérience de la biologique, celle-là même qu’ont tenté
l’épreuve » de soi face à l’adversité de la souffrance, de la blessure, de la torture, de préserver au maximum les gouverne-
vie. Dans chacune des religions mono- la dépendance liée à l’âge (p. 38) en font ments lors de la récente pandémie. « Il en
théistes, il apparaît comme une proba- partie. Le simple fait de vivre, de conti- existe une autre forme, souligne l’anthro-
tion envoyée par Dieu. En envoyant une nuer à exister, qui va de soi quand tout va pologue Didier Fassin, plus riche, plus
série d’épreuves à Job, Dieu teste ainsi sa bien, se voit brutalement questionné et dense, que Hannah Arendt caractérise
persévérance et sa foi. Dans la philoso- menacé. Moins directement mais avec par le fait d’être constituée d’événements
phie existentialiste et la psychologie de une cruauté parfois redoutable, la sépa- qu’il est possible de raconter (2). » Les
la santé, débarrassée de sa part trans- ration amoureuse et le deuil peuvent sciences sociales, notamment la sociolo-
cendante, cette notion prend un sens également engendrer une spirale mor- gie clinique, documentent combien une
plus passif. Elle est d’abord une difficulté tifère. « On meurt encore d’amour », rap- maladie grave, un deuil, une séparation
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ou un licenciement peuvent entraîner consistera plutôt à modifier son attitude muer en un acharnement déraisonnable,
une césure dans la trame existentielle. face au problème, en prenant de la dis- aussi vain qu’épuisant pour celui qui la
Ils font « sortir une vie sociale de sa tra- tance, en cherchant du soutien émotion- conduit.
jectoire escomptée » (Danilo Martuccelli), nel, en méditant ou en prenant soin de
enclenchent une « rupture avec les rou- soi. Enfin, le coping évitant relève de la Les vertus de la fuite
tines de l’existence » (Vincent Caradec). fuite. La personne se déconnecte, fuit le Vaut-il alors mieux fuir ? Dans nos socié-
Lorsqu’on se sent malade ou épuisé, problème et se réfugie ailleurs (dans des tés, la fuite est souvent perçue comme
lorsqu’on perd son emploi ou sa com- drogues, des relations sans lendemain, une lâcheté, une forme de capitulation,
pagne, la vie sociale s’amenuise, les pro- le sport ou le voyage). Le neurobiolo- un mensonge fait à soi-même. Or, on peut
jets se réorientent, la dignité est affectée, giste français Henri Laborit rassemblait fuir de différentes manières : errer et se
de nombreux aspects de la personnalité cette gamme d’attitudes dans Éloge de perdre, ou bien rompre pour se recons-
se trouvent dévalués (on se sent mau- la fuite (1974) : « Confronté à une épreuve, truire ailleurs, autrement. H. Laborit
vaise mère ou mauvais fils…). Les cercles l’homme ne dispose que de trois choix : rappelle que la fuite recèle des vertus
amicaux se recomposent ; le corps abîmé, combattre, fuir, ne rien faire. » dans les situations inexorables. S’enfuir
amputé ou vieilli, renvoie une image dif- L’une de ces stratégies est-elle plus pro- d’un pays en guerre, quitter un conjoint
férente dans le miroir. Certaines « bles- tectrice que les autres ? À première vue, violent, changer de cap professionnel
sures morales », comme les appelle Axel l’attitude de combat semble le mieux à quand l’horizon se bouche, s’extraire
Honneth, peuvent apparaître. Le rapport même de nous sauver. Elle est aussi la d’une amitié toxique sont autant de
à soi et aux autres change, tout comme plus valorisée : « Il faut vous battre ! », dit façons de prendre son destin en main.
se transforment nos manières de voir le l’avocat à la victime. « Il faut vous battre ! », Ce sont des actes de courage plutôt que
monde et de nous y comporter. de renoncement.
C’est pourquoi les épreuves engagent
toujours un processus réf lexif. Qu’il
u De même, « ne rien faire » correspond en
réalité à un vaste camaïeu de postures :
s’agisse de maladie, de divorce, de deuil, « Ce bonheur était le la loyauté de l’épouse trompée qui reste
de perte d’emploi, d’accident de la route, au foyer par habitude ou sens du devoir,
de crise sanitaire ou économique, elles bonheur fragile d’un petit l’apathie de l’agent épuisé ou déclassé,
font surgir de l’incertitude et du ques- roi impuissant, immobile dont la résistance aurait un coût psy-
tionnement : faut-il donner du sens à ce chique trop important, le repli du malade
qui nous arrive ? S’agit-il d’un simple et improvisé, mais qui préserve ce qui lui reste de forces et
accident ou d’un avertissement ? d’une d’humanité. Le sociologue Vincent de
parenthèse ou d’une rupture ? d’une d’un roi malgré tout, Gaulejac s’est notamment intéressé aux
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chance ou d’une malédiction ? Et com- enfin livré à lui-même victimes des camps de concentration,
ment s’en sortir ? d’attentats ou de viol. Il a souvent observé
et à ses ressources. » un moment de « déconnexion », qui peut
Rompre ou plier ? PHiliPPe lançon passer pour de la passivité, où le sujet
Les réponses apportées à ces questions semble comme absent à lui-même. Il s’agit
varient beaucoup selon les individus et u plutôt selon lui d’une façon de se fabri-
les contextes. Certaines personnes vont quer un cocon protecteur, pour mieux
se placer dans une posture de combat, se recentrer. La déconnexion, souligne
se documenter intensément, chercher dit le médecin au malade. Mais cette le sociologue, permet de « ne pas avoir
à reprendre le contrôle de la situation ; injonction n’est pas toujours audible. à réfléchir, à choisir, à se tourner vers son
d’autres à l’inverse vont fuir ou se décon- Car comment trouver la force de lutter passé ou son avenir, mais vivre juste le
necter. Les Anglo-Saxons ont un mot quand on est au fond du trou, dévasté moment présent, pour ne plus se poser de
pour exprimer ces différentes manières par le chagrin ou épuisé par la maladie ? questions. Juste se préoccupper de savoir
de « faire face » (to cope with) : le coping. Et contre qui, contre quoi, quand il n’y a “comment survivre” en abandonnant la
Ils en distinguent trois formes princi- pas d’ennemi tangible ? « Sotte question, question du sens : “Pourquoi vivre” (3). »
pales. Le coping centré sur le problème réplique l’écrivain et psychanalyste Marc On retrouve une telle posture dans les
est orienté vers l’action. Il s’agira, par Soriano, terrassé par une myasthénie, récits de Primo Lévi ou Robert Antelme,
exemple, de s’informer tous azimuts sur son lit d’hôpital. En fait tout se décide prisonniers des camps (4), ou dans les
sur sa maladie, de tester un nouveau pour nous, sans nous, en nous dans cette témoignages des victimes de tortures (5).
traitement, de lancer un vaste plan jungle où s’entremêlent nos racines » (Le Cette attitude est encore celle du chroni-
pour reprendre le contrôle d’une situa- Testamour, 1982). Lorsque la situation est queur Philippe Lançon, grièvement blessé
tion… Le coping centré sur les émotions hors de contrôle, la bataille peut aussi se dans l’attentat du 7 janvier 2015 à Charlie
une estime de soi, de pouvoir compter sur plier et de nous replier face au malheur, traversée, les amis perdus dans l’atten-
des proches aimants, de donner du sens mais aussi de nous redresser fièrement et tat, le corps abîmé, la vie bouleversée.
à son histoire, de se tourner vers de nou- rebondir après l’épreuve. « Pourtant, j’écris. C’est ici qu’apparaît la
veaux projets, de refaire confiance quand L’épreuve vitale serait-elle finalement une chronique, la souplesse et le bavardage mil-
l’autre nous a blessé, de rouvrir l’énigme chance ? Chance de mieux se connaître, limétré de la chronique. C’est bizarre, mais
de l’heure de sa mort prématurément chance de s’améliorer, de repenser ses c’est comme ça : quoiqu’elle vaille, elle survit
résolue par l’épreuve vitale. priorités ? La philosophe C. Martin, dans à tout et m’aide à survivre à tout. C’est un
Le formidable succès de la notion de Ruptures (2019), met en garde contre ce fil à la patte, mince et résistant, qui permet
résilience témoigne de cette aspiration mirage de la flexibilité généralisée. On de s’envoler comme un ballon d’enfant. » n
fondamentale : tout humain espère qu’il peut également rompre après un mal-
est possible de recouvrir sa force et sa heur, finir en morceaux, cassé, abîmé
joie de vivre après la traversée d’un cata- avec des cicatrices à jamais. On peut aussi
clysme. Peut-être même pourrions-nous mourir, ne jamais se relever. Ou encore se (1) Paul Ricœur, Sur la traduction, 2004, rééd.
Les Belles Lettres, 2016.
découvrir, dans le creux de l’épreuve, les voir confronté à la chronicisation du mal,
(2) Didier Fassin, « La valeur des vies . Éthique
ressources pour s’inventer une vie plus ne jamais tout à fait en sortir, alterner sur de la crise sanitaire », Par ici la sortie, juin 2020.
belle, plus libre, plus authentique ? C’est la durée les phases de répit et de crise. Le (3) Vincent de Gaulejac, Qui est « je » ? Sociologie
ce que postule le courant de la croissance neuropsychiatre Boris Cyrulnik, qui a clinique du sujet, Seuil 2009.
posttraumatique (p. 36). G.-N. Fisher, qui pourtant largement participé au succès (4) Primo Levi, Si c’est un homme, 1947, rééd. Robert
Laffont, 2017, et Robert Anthelme, L’Espèce humaine,
en est le plus célèbre représentant franco- de la notion de résilience, affirme lui-
1947, rééd. Gallimard, coll. « Tel », 2014.
phone, insiste sur ce point : toute épreuve, même qu’un malheur n’est jamais mer- (5) Muriel Montagut, L’Être et la Torture, Puf, 2014.
qu’elle soit individuelle ou collective, veilleux. « C’est une fange glacée, une boue (6) Boris Cyrulnik, Un merveilleux malheur, Odile
nous permet de découvrir nos « ressorts noire, une escarre de douleur » dont on sort Jacob, Paris, 2002.
Un traumatisme
rend-il plus fort ?
Le courant de la croissance posttraumatique postule
qu’un traumatisme pourrait, à terme, représenter une chance. En nous rendant
plus humain, plus attentif, plus résistant, il nous changerait, en mieux.
Marc OlanO
Journaliste scientifique.
C
omment survit-on à un attentat, pathologiques d’un traumatisme, la psy- professeur honoraire de psychologie,
tel que celui du Bataclan en chologie positive s’intéresse aux leviers qui spécialisé en psychologie de la santé, « la
2015 à Paris ? La confrontation nous permettent de le surmonter. Dans sa croissance posttraumatique est un pro-
imminente avec la mort peut- méthodologie, elle s’attache aux expé- cessus de métamorphose qui va mobiliser
elle nous rendre plus philosophe, plus riences individuelles pour en tirer des lois chez la personne des forces psychiques tout
empathique, plus résistant ? Ou bien générales sur le fonctionnement humain. à fait nouvelles ».
risque-t-elle de nous fragiliser à vie ? Le Les psychologues américains Richard Mais tout trauma est-il forcément salu-
courant de la croissance (ou développe- Tedeschi et Lawrence Calhoun, de l’uni- taire ? Dans le livre Rupture(s) (2018), la
ment) posttraumatique (posttraumatic versité de Caroline du Nord à Charlotte, ont philosophe Claire Marin affirme que
growth) prétend qu’un évènement de été les premiers à élaborer des hypothèses la plupart des évènements adverses ne
nature traumatique (une agression, des sur la croissance posttraumatique, en nous apprennent rien et seraient même
maltraitances ou sévices sexuels dans questionnant des victimes (1). susceptibles de nous inscrire dans une
l’enfance, des catastrophes naturelles, des spirale d’échec. Selon elle, les ruptures
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conflits armés, une maladie grave…) serait Cinq critères de croissance seraient avant tout des blessures pro-
susceptible d’améliorer les facultés d’adap- posttraumatique fondes qui nous rendraient plus fra-
tation de la personne. « Le terme “résilience” Ces auteurs parviennent à dégager cinq giles. Les dégâts peuvent être de nature
stricto sensu renvoie à l’idée qu’un matériau critères de croissance posttraumatique à multiple : anxiété, phobies, dépression,
reprenne sa forme initiale après avoir subi partir de différents récits : sentiment de culpabilité, irritabilité,
un choc. Pour ce qui est des êtres humains, l une meilleure appréciation de la vie en ruminations mentales incessantes, dou-
on ne peut pas dire qu’ils redeviennent général (une prise de conscience de ce leurs somatiques… Autant de symp-
comme avant après un trauma. Ils auront que représente la vie et de son caractère tômes qu’on retrouve dans les troubles
développé de nouvelles ressources », estime précaire) ; du stress posttraumatique. Loin d’être
Charles Martin-Krumm, président de l des relations plus authentiques et cha- antinomiques, stress et croissance post-
l’Association française et francophone de leureuses avec sa famille et ses amis ; traumatique pourraient souvent aller
psychologie positive. L’hypothèse que des l un sentiment d’être plus fort et résistant de pair. Différentes recherches ont en
formes extrêmes de souffrance puissent qu’auparavant (ce qui paraissait insur- effet montré que la croissance posttrau-
avoir des effets positifs ne date pas d’hier. montable ne l’est plus) ; matique augmente de façon linéaire en
On la retrouve dans les écrits religieux de l la découverte de nouveaux possibles fonction du niveau de stress subi. Plus le
toutes les confessions depuis des millé- (une nouvelle trajectoire professionnelle, choc est important, plus les gens seraient
naires. « Ce qui ne me tue pas me rend plus de nouveaux buts dans la vie, de nouvelles donc susceptibles d’en tirer profit. Mais
fort », écrivait Friedrich Nietzsche, de son priorités…) ; seulement jusqu’à un certain seuil, au-
côté, en 1888 (encadré). Cette idée refait l un enrichissement de la foi religieuse delà duquel cette relation s’inverse. Des
surface avec le courant de la psychologie ou de sa philosophie de vie (les théories niveaux de stress trop intenses, comme
positive en Amérique du Nord dans les sur le monde sont chamboulées). lors d’une attaque terroriste vécue en
années 2000. Davantage qu’aux suites Ainsi, pour Gustave-Nicolas Fischer, direct par exemple, seraient donc, a
priori, néfastes au développement post- correspond à rien de connu ou d’assimi- sort avec une conception modifiée de son
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traumatique. Mais ceux qui arrivent à lable. Pour l’intégrer dans notre système existence », commente G.-N. Fischer.
s’inscrire dans une démarche de crois- de raisonnement, il faut donc procéder Plusieurs facteurs peuvent favoriser ce
sance souffriraient moins de stress post- à des ajustements. Si l’on veut donner processus, notamment la verbalisation.
traumatique, dépression ou anxiété six un sens à l’évènement (qui parfois relève Raconter son vécu à un thérapeute ou
mois après l’évènement (2). Le dévelop- de l’insensé), il faut changer de point de tout simplement à un proche, le parta-
pement posttraumatique permettrait vue. C’est là que le traumatisme, malgré ger au sein d’un groupe de parole, en
donc, sur le long terme, de diminuer les ses effets délétères, peut représenter une faire un récit écrit… toutes les façons de
effets nuisibles du choc subi. Mais tout chance. Celle d’interroger ses croyances, mettre en mots l’horreur peuvent aider
dépend aussi de la nature du trauma. ses habitudes, son mode de vie. Dans les à s’en dégager. Un caractère extraverti,
Les victimes d’agression sexuelle par mois qui suivent, l’évènement trauma- une nature optimiste, un réseau social
exemple se relèveraient beaucoup plus tique revient souvent sous forme de rumi- et familial aimant et étayant, des facultés
difficilement d’un tel choc que les sur- nations mentales. Selon R. Tedeschi et naturelles de « rebond », la pleine présence
vivants d’une catastrophe naturelle (3). L. Calhoun, dans l’hypothèse d’une évo- (capacité à être dans l’ici et maintenant)
lution positive, les ruminations mentales seront autant d’atouts dans ce défi. Pour
Ruminations stériles et vont peu à peu devenir plus délibérées G.-N. Fischer, un autre facteur a toute
transformation des croyances et constructives, ce qui permet d’ana- son importance, notamment dans les
R. Tedeschi et L. Calhoun comparent le lyser l’événement et de l’inscrire au sein situations d’agression humaine (attentats,
trauma à un séisme psychologique qui d’un récit qui fait sens. Ne plus le subir maltraitances, violences sexuelles…) : le
bouscule en profondeur nos construc- de manière répétitive, mais parvenir à le pardon. « Pardonner consiste à stopper
tions mentales. L’évènement traumatique, penser. « L’évènement grave a fait écrouler la haine de celui qui a fait du mal, c’est se
totalement imprévisible, fait irruption les raisons même de vivre. C’est une expé- libérer du passé, de l’expérience d’avoir été
dans la vie de la personne. Souvent, il ne rience de transformation de soi dont on détruit ou humilié. C’est un chemin théra-
DR
Mais il supprime les connotations de telles épreuves, tandis que le plus
morales du texte d’Emerson : le « mal » détriment les unes des autres. Nous grand nombre finirait « décadent »,
devient chez lui un pronom indéfini serions donc constamment en proie hébété voire broyé… Lui-même
(« ce qui ») ; l’idée de bienfaisance est à des confrontations, des dangers pensait alors faire partie d’une telle
abandonnée au profit d’un concept et des malheurs. Au lieu de nier élite, « aristocratique ». Mais peut-être
de renforcement. Pour Nietzsche, en cet état de fait, de vouloir atténuer à tort, puisqu’il sombrera dans la folie
somme, ce n’est pas une question de la douleur ou de lui prêter des qualités l’année suivante. n
bien et de mal. La vie est une guerre rédemptrices – comme le font nombre FaBIen TrécOurT
permanente entre des formes de vie, de philosophies et de religions –,
Pour aller plus loin…
des individus ou encore des peuples nous gagnerions à l’accepter. • Dictionnaire Nietzsche
– ce qu’il appelle des « forces »… – Admettre que l’existence est une mise Dorian Astor (dir.), Robert Laffont, 2017.
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peutique qui consiste en une forme d’inver- peut-on réellement parler de croissance ses valeurs ? Un évènement positif, telles
sion psychique d’un état d’anéantissement posttraumatique ? Pas vraiment, affirme une rencontre amoureuse, la décou-
vers une reprise de sa vie », affirme-t-il. G.-N. Fischer ! « L’impact de l’épidémie n’a verte d’une vocation professionnelle, une
pas été suffisamment perturbant et bou- démarche artistique…, ne ferait-il pas
Vers un salut collectif ? leversant pour cela. Il aurait fallu un réel aussi l’affaire ? Autrement dit : faut-il for-
Notre période actuelle, celle du « monde effondrement de nos valeurs, qui empêche cément souffrir pour changer en mieux ? n
d’après covid », peut nous amener à nous de repartir sur les anciennes bases. Cet
poser la question de la dimension collec- effondrement n’a pas eu lieu, car nous (1) Richard Tedeschi et Lawrence Calhoun,
tive de la croissance posttraumatique. avons su trouver des solutions d’adapta- « Posttraumatic growth. Conceptual foundations
Après deux mois de vie confinés, sau- tion à la situation en nous appuyant sur and empirical evidence », Psychological Inquiry, vol. XV,
n° 1, 2004.
rons-nous tirer les leçons de nos vies nos anciennes modalités de fonctionne-
(2) Alex Linley et al., « Positive changes in outlook
hypermodernes ? Saurons-nous repérer ment. » Il semblerait donc qu’on ne puisse following trauma and their relationship to subsequent
ses travers et réorganiser nos existences pas mettre sur un même niveau remise posttraumatic stress, depression, and anxiety », Journal
plus sainement ? Comme pour la liberté en question de nos valeurs après une crise of Social and Clinical Psychology, vol. XXVII, n° 8,
d’expression après les attentats de Charlie et processus de transformation radicale 2008.
(3) Jane Shakespeare-Finch et Janine Lurie-Beck,
Hebdo, certains espèrent une mobilisa- suite à un choc. Enfin, le débat sur la crois-
« A meta-analytic clarification of the relationship between
tion collective autour de valeurs fonda- sance posttraumatique pose encore une posttraumatic growth and symptoms of posttraumatic
mentales : la solidarité, nos liens familiaux autre question : faut-il obligatoirement distress disorder », Journal of Anxiety Disorders,
et amicaux, la santé pour tous… Mais passer par un choc violent pour modifier vol. XXVIII, n° 2, mars 2014.
«R
ésilience, 5 conseils S’élargissant de l’individu au
pour rebondir après groupe, la notion se diffuse dans
u n e é p r e u v e », d’autres domaines. Dans Pen-
« L’étonnante résilience des ser la décroissance, un ouvrage
géants de la grande consomma- collectif de 2013, le chercheur
tion », « Une conférence sur la Hugo Carton explique son arri-
résilience alimentaire » : de vée dans le vocabulaire de l’éco-
Femme actuelle au Figaro, la logie à partir des années 1970
résilience a envahi nos journaux p ou r dé c r i r e u n s y s t è me
– et nos vies. Psychologues, éco- capable de subir des perturba-
nomistes, ingénieurs ou mili- tions extrêmes et d’y répondre
taires, tous nous invitent à être en se transformant en profon-
« résilients ». Pourtant, dans les deur. Peu à peu, elle envahit
années 1980 encore, les seuls en l’ensemble du champ scienti-
France à se passionner pour fique. On parlera d’ingénierie
cette notion étaient les amou- de la résilience dans le domaine
AlexSava/Getty
La maladie,
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combat intime
L’annonce d’une maladie grave sidère et bouleverse. Quand bien même
la guérison survient, l’épreuve traversée scelle un impossible retour à la vie d’avant.
Justine Canonne
Journaliste scientifique.
«O
n ne s’émeut plus mera jamais, mais qui ronge, un à un, sans avalanche, sans bruit, comme la
d’exposer un corps tous les pans de son existence. La mala- neige lascive au soleil. » C’est ensuite
plusieurs fois ouvert die de C. Marin, c’est d’abord, lorsque la l’impression que son savoir intime de
et refermé. (…) Mon douleur redéfinit tous les gestes du malade vaut si peu, face au savoir scien-
corps n’est pas un sanctuaire, il ne m’ap- quotidien, « une chute dans son propre tifique et technique des soignants.
partient pas, je n’ai ni pouvoir ni droit corps », écrit-elle : « Les effets conjugués Ainsi la philosophe exprime-t-elle,
sur lui. L’intimité est interdite au de la maladie et des traitements pro- dans ces pages, la violence muette
malade. » Dans son ouvrage Hors de mettent un affaissement progressif. Fonte d’une conversation – d’une confronta-
moi (1), la philosophe Claire Marin des muscles, faiblesse osseuse, mon corps tion ? – avec un représentant du corps
décrit cette maladie qu’elle ne nom- s’écroule insensiblement, sans fracas, médical.
se confrontent pour vivre normalement. » capacité d’endurance, ou cette aptitude à Niederland, qui a également travaillé
Ce coût humain et social de la maladie tenir bon, à résister… « Lorsque j’ai appris auprès de survivants de l’Holocauste,
se paie au prix fort, et parfois longtemps. ma maladie, je me suis d’abord renfer- résumait ainsi son point de vue sur ce
Plus fondamentalement, « l’identité du mée sur moi-même, je l’ai cachée à mes syndrome (1) : « Le survivant s’identifie
malade phagocyte toutes les autres, écrit deux filles adolescentes et je souffrais en au mort aimé qu’il croit devoir rejoindre
C. Marin. La maladie fait peur et éloigne. silence, témoigne Lydie, quinquagénaire
dans la mort… Le survivant se vit
Elle lasse, elle inquiète, elle creuse la dis- atteinte d’un double cancer du sein, citée
inconsciemment comme un traître
tance. Elle est une expérience absolue. » par G.-N. Fischer. Au fur et à mesure de
envers ses parents, ses frères
mon traitement chimiothérapique, j’ai vu
… qui se vit seul d’autres femmes à l’hôpital qui, comme et sœurs décédés, et rester en vie
D’où l’urgence de ne pas s’attarder : cer- moi, avaient le cancer, et qui parfois souf- constitue un conflit permanent ainsi
taines relations s’effilochent, d’autres fraient plus que moi, étant en plus seules et qu’une source constante de culpabilité
s’évaporent dans le néant, des amis que sans famille. C’est là que j’ai commencé à et d’angoisse. » n J.C.
l’on croyait sûrs sont perdus de vue… m’intéresser à elles et à leur parler, j’ai pu
« Dans le même temps, de nouveaux liens ensuite en parler à mes enfants… Grâce (1) William Niederland, « The survivor syndrome.
plus vrais, plus forts se créent et se déve- à elles, j’ai pu me regarder en face et j’ai Further observations and dimensions », Journal
of the American Psychoanalytic Association, vol. XXIX,
loppent avec d’autres malades vivant la trouvé la force de lutter. » n° 2, 1981.
même expérience, avec certains soignants Que reste-t-il enfin de cette expérience
particulièrement disponibles, avec des de la maladie dès lors que se profile
membres de la famille jusque-là distants, l’horizon d’une rémission, voire d’une
retrace Gustave-Nicolas Fischer. Mais possible guérison ? La « santé retrouvée »
c’est plus directement au sein du couple ayant peu à voir avec la santé d’avant
D
ans la haute Antiquité, les mala-
d ies sont d’abord perç ues
comme des punitions divines
résultant de fautes ou de déséquilibres
perpétrés par les humains. Les premiers
soignants sont des prêtres exerçant des
rituels jugés purificateurs (1). Avec l’essor
de l’école hippocratique, entre les 5e et
4e siècles av. J.-C., la médecine devient
plus empirique et rationnelle. Soigner
quelqu’un suppose d’étudier scrupuleu-
sement la maladie, de comprendre son
évolution et de proposer un accompa-
gnement thérapeutique adapté. Les dis-
ciples d’Hippocrate partent du principe
que la nature a une faculté automédica-
trice, et que le corps tend naturellement
AKG
à revenir vers un état d’équilibre. L’enjeu
est d’encourager cet effort spontané sans Hippocrate soignant un malade (1876), gravure sur bois, anonyme.
trop intervenir, en recommandant un proximité des mots « guérir » et « guerre ». tivité des patients, et ce que ces derniers
régime alimentaire adapté ou des exer- L’idée est d’empêcher la maladie de nuire souhaitent pour eux-mêmes en termes
cices physiques par exemple. Au Moyen au corps, de la même façon que l’on com- de guérison. Dans le sillon de cette cri-
Âge, la médecine hippocratique pro- bat un envahisseur prenant d’assaut une tique, des philosophes comme Michel
gresse surtout dans le monde arabo- citadelle : en débarrassant le malade de Foucault ou Guillaume Le Blanc envi-
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musulman, mais est marginalisée en cet assaillant et en ramenant le corps à sagent que l’injonction au soin, à guérir
Occident sous l’influence du christia- son état de bonne santé initial (3). Cette ou à être en bonne santé, même quand
nisme (2). Le soin n’y relève plus de la conception de la guérison n’a plus vrai- on s’estimerait spontanément bien por-
médecine mais de la charité au sens ment cours aujourd’hui, notamment tant, puisse être contraire à l’épanouis-
large. La souffrance corporelle passe en parce que la maladie est considérée sement personnel. Cette question se
outre pour rédemptrice et n’appelle donc comme provoquant des changements retrouve très concrètement au cœur de
plus tant à être atténuée… irréversibles. Même un simple rhume débats sur l’acharnement thérapeutique
modifie notre système immunitaire et et la fin de vie par exemple. Selon la phi-
D’une norme physiologique donc notre constitution. La guérison losophe Céline Lefève, un enjeu encore
à une autre n’est donc plus définie comme un retour crucial aujourd’hui serait de concevoir
Il faut attendre la Renaissance et sur- à un état de santé initial, antérieur à la une « guérison » plus individualisée, per-
tout le 19e siècle pour qu’une approche maladie, mais comme le passage sans sonnalisée, mais en prenant garde à ne
scientifique revienne sur le devant de cesse renouvelé d’une norme physiolo- pas faire porter sur les patients l’entière
la scène. Sous l’influence du physiolo- gique à une autre. responsabilité de leur état de santé. n
giste Claude Bernard notamment, les Au 20 e siècle cependant, la médecine Fabien tréCourt
médecins s’efforcent d’identifier plus scientifique inspirée de C. Bernard est (1) Claude Chastel, « Une brève histoire
objectivement les causes des maladies de plus en plus critiquée, considérée de la médecine », in Catherine Halpern (coord.),
et leurs effets sur les corps, puis d’éla- comme trop technique ou parfois déshu- La Santé. Un enjeu de société, éd. Sciences
Humaines, 2010.
borer des protocoles thérapeutiques en manisante. Le philosophe Georges Can-
(2) Céline Lefève, « La philosophie du soin », La Matière
conséquence. Le concept de « guérison » guilhem notamment, dans Le Normal et l’Esprit, n° 4, université de Mons-Hainaut, avril 2006.
s’inscrit implicitement dans un registre et le Pathologique (1966), préconise de (3) Jean Starobinski, « Guérison », in Dominique
presque militaire, comme en témoigne la prendre davantage en compte la subjec- Lecourt, Dictionnaire de la pensée médicale, Puf, 2004.
Jean-Michel Tallec/EyeEm/Getty
Peut-on rebondir
à tout âge ?
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Deuils, isolement, perte d’autonomie…, nos aînés ont-ils encore les ressources
pour rebondir après tant d’épreuves ?
Marc OlanO
Journaliste scientifique.
L
a résilience, cette faculté de nières : entre 60 et 70 ans, c’est la perte de la personne âgée se voit dans un miroir,
reprendre le cours de sa vie l’activité professionnelle et du lien social cela la déstructure autant qu’un enfant.
après une rude épreuve, est sou- associé à celle-ci. Entre 80 et 90 ans, ce sera Parfois, elle ne se reconnaît plus dans cette
vent évoquée chez les enfants, la crise du grand âge avec des change- image vieillissante et risque alors de se
les adolescents ou jeunes adultes. Mais ments physiques importants : les cheveux réfugier vers ses tout premiers souvenirs,
peut-on encore parler de résilience au qui tombent, les dents, la mémoire qui un temps où frustration et deuil n’exis-
grand âge ? Perte du conjoint, perte s’évapore, l’autonomie qui devient pré- taient pas encore. Avec la démence, beau-
d’amis, ralentissement physique et men- caire », illustre Audrey Gros-Ambrosio, coup retournent dans leur monde d’en-
tal, inversion des rôles parentaux, entrée psychologue travaillant depuis dix ans fance et oublient leur vie récente. Parfois,
en institution…, les deuils s’accumulent en Ehpad. À ce sujet, le psychiatre Jack ils réinvestissent même des poupées ou
en fin de vie. « Il existe deux périodes char- Messy parle de « miroir brisé (1) ». « Quand doudous pour se rassurer. » Aux nom-
la résurgence de traumatismes anciens intime, il ne peut donner sens aux évé- correspondant à ses loisirs. Le personnel
qu’un environnement bienveillant et une nements de sa vie qu’en adressant son soignant est là pour valoriser la personne
vie épanouissante ont permis de mettre récit à quelqu’un. » Partager un malheur âgée, l’écouter, la rassurer et essayer de
de côté un temps. En l’absence de ces le rend plus supportable, le raconter à mobiliser ses capacités restantes afin de
points d’appui habituels, le retour de quelqu’un met à distance les émotions l’aider à s’adapter au mieux à sa vie en
telles images pénibles peut être vécu trop vives. Le style d’attachement peut, résidence », témoigne A. Gros-Ambrosio.
comme un choc brutal. Si certains lui aussi, jouer un rôle. Des liens solides Ceux qui parviennent à investir les lieux,
risquent de s’enfoncer dans la dépres- avec ses propres parents dans l’enfance, les activités et les personnes arrivent en
sion, d’autres trouveront, malgré tout, les des figures parentales rassurantes et général à tirer leur épingle du jeu. Pour
moyens de s’accrocher à la vie. structurantes et donc un attachement les autres, cet ultime passage se fera avec
« sécure » pourraient bien renforcer les plus de peine. Il faudra alors redoubler
Deux facteurs de résilience : facultés de résilience plus tard. Des per- d’efforts pour réveiller cette étincelle de
le lien et le sens sonnes au style d’attachement sécure vie qui sommeille en chacun d’eux et
« Un des facteurs les plus fiables de ont plus de facilité à faire confiance que, parfois, un simple regard ou une
la résilience âgée peut être évalué en à leurs proches et aux professionnels main tendue permet de raviver. ■
demandant aux personnes de dénommer et à se saisir de leur aide, alors que les
leurs relations affectives et de compter « insécures » sont davantage méfiantes
le nombre de rencontres ou de coups et ont tendance à ne compter que sur
(1) Jack Messy, La personne âgée n’existe pas.
de téléphone pendant la semaine, écrit elles-mêmes. Certaines personnes vont
Une approche psychanalytique de la vieillesse, 1997,
le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, s’appuyer sur leur potentiel créatif. rééd. Payot, 2002.
auteur de nombreux ouvrages sur la Elles n’hésiteront pas, au moment de la (2) Louis Ploton et Boris Cyrulnik (dir.), Résilience
résilience. Un âgé abandonné a peu retraite, à se lancer dans de nouvelles et personnes âgées, Odile Jacob, 2014.
Dix façons
de se reconstruire
DES THÉRAPIES PLUS EFFICACES QUE D’AUTRES ?
L es psychothérapies d’inspiration
cognitive et comportementale font
aujourd’hui partie des outils privilégiés
muette, risque de ne pas convenir à des
personnes encore tétanisées et en
recherche de soutien moral avant tout.
davantage sur des explications neuro-
biologiques. Dans la pratique, les thé-
rapies analytiques s’intéressent plutôt à
dans le traitement du psychotrauma- La formule plus souple des psychothéra- l’analyse globale du récit de vie, tandis
tisme. Si la psychanalyse a longtemps pies dites d’inspiration analytique, où le que les TCC ciblent plutôt des réflexes
imposé ses conceptions du traumatisme thérapeute se montre davantage empa- comportementaux précis et des pensées
en France, on assiste depuis quelques thique et loquace, semble mieux conve- déformées, mis en place à l’issue d’un
années à une montée en puissance des nir dans ces situations. traumatisme (accident, agression, deuil
approches cognitives et comportemen- Sur le fond, les théories cognitives ont brutal…). Selon l’approche cognitive, un
tales (TCC). Sur la forme, le cadre psy- conduit à un changement de paradigme. traumatisme bouleverse nos croyances
chanalytique type, tel que défendu par La névrose traumatique, concept clé de d’invulnérabilité, de contrôle, de pré-
les puristes, avec un positionnement la psychanalyse, a cédé sa place au visibilité des évènements. Le drame
passif, une expression neutre, voire stress posttraumatique, s’appuyant ne correspond à rien de comparable
en mémoire pour celui qui le subit. À
défaut de sens, c’est l’émotion brute qui
prédomine (flashs, pensées intrusives,
cauchemars…). Tout ce qui rappelle la
situation traumatique va réactiver les
mêmes réactions de peur, d’évitement,
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sibilisation et retraitement par les mou- des doigts manquants et le visage
vements oculaires), recommandée déchiqueté, il est rapatrié en Angleterre.
notamment par la Haute Autorité de Après une douzaine d’opérations
santé dans le traitement du trauma- chirurgicales, il retrouve peu à peu
tisme. Cette méthode singulière s’inscrit un visage humain et une bonne mobilité.
dans la logique des TCC. C’est une sorte stimulations bilatérales (gauche/droite) Lorsqu’on l’interroge sur les ressorts de
de reformatage cognitif des souvenirs principalement oculaires, mais occa- sa reconstruction, il répond : « Ma femme,
traumatiques qui consiste à associer des sionnellement aussi sonores ou tactiles. ma fille, mes chiens. » Mais il ajoute qu’il
idées positives aux images traumatiques Ces stimulations seraient susceptibles a intégré Horseback UK, un organisme
pour chasser les conceptions négatives. de renforcer le travail de restructuration de bienfaisance qui propose aux vétérans
« je peux dire » doit se substituer à « je ne cognitive. Mais l’utilité des mouvements d’Irak et d’Afghanistan « de retrouver
peux rien dire », « j’ai de la valeur » rem- oculaires dans ce processus est discutée leur mobilité perdue grâce à la pratique
placer « je ne vaux rien », etc. L’EMDR et ne fait pas l’unanimité. n du cheval ».
a la particularité de s’appuyer sur des marC olano Selon Jock Hutchison, son fondateur,
« au cheval est associée une idée de
liberté. C’est un peu comme nager avec
un dauphin dans l’océan. L’animal ouvre
CELLULES PSYCHOLOGIQUES : à l’aventure, il vous donne un sens de
l’accomplissement de soi, vous emmène
RIEN NE SERT DE COURIR… vers une pensée spirituelle. »
L’objectif était d’orienter les appelants ressenti, puis informées sur leurs symp- des vétérans britanniques présentent
vers des intervenants spécifiques, le cas tômes (l’ippi, ou intervention psycho- un stress posttraumatique).
échéant. Qualifier de « cellule d’aide psy- thérapeutique postimmédiate, est une Cette prise en charge des anciens
chologique » une plateforme de routage version française du débriefing, initiée combattants se développe aussi
pour des sujets angoissés frôle l’abus de par le psychiatre Louis Crocq en 1997). au Canada, où le gouvernement finançait
langage : au sens strict, une cellule d’aide Dans un troisième temps, une thérapie à hauteur de 300 000 dollars, en 2015,
psychologique est proposée après expo- de groupe ou individuelle peut assurer un des recherches sur l’efficacité
sition directe à un événement traumati- accompagnement au long cours. de l’équithérapie. En 2017, la Chambre
sant (agression, accident, qu’on soit vic- De telles prises en charge, defusing et des communes du Canada intégrait cette
time, témoin ou aidant), et non en débriefing surtout, doivent impérati- pratique au Project Trauma Support
réponse à une peur diffuse occasionnée vement être diligentées avec discerne- à destination des vétérans.
par la marche du monde. ment par des professionnels spécifique- Quant à J. Hare, aujourd’hui salarié de
Il existe trois temps dans la prise en ment formés (1). Par exemple, plusieurs Horseback UK, il affirme ne plus souffrir
charge consécutive à un traumatisme. séances « sauvages » et précipitées de de douleurs liées au membre fantôme,
Formalisé en 1993 par le psychologue débriefing individuel risquent de remuer et surtout ne plus faire de cauchemars. n
américain Jeffrey Mitchell, le defusing, inutilement le couteau dans la plaie, et Christophe rymarski
pratiqué immédiatement après l’événe- de faire apparaître plus à vif encore la Pour aller plus loin…
ment, remplit une fonction d’accueil et blessure censée cicatriser. n • Visages de guerre. Les gueules cassées,
de la guerre de Sécession à nos jours
de mise en sécurité plus que d’expression Jean-François marmion
Sophie Delaporte, Belin, 2017.
approfondie de la parole et des émotions. (1) Robyn Robinson, « Reflections on the debriefing • www.canada.ca/fr/nouvelles/archive/2015/07/
Le débriefing psychologique, formalisé debate », International Journal of Emergency Mental gouvernement-appuie-recherche-supplementaire-
en 1983 par le même J. Mitchell (à l’origine Health, vol. X, n° 4, 2008. equitherapie.html
LE RIRE, CACHE-MISÈRE
OU POTION MAGIQUE ?
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tifs) ou un processus d’adaptation à des rites sociaux
complexes (ne pas rire de tout avec n’importe qui).
Visuel ou langagier, il constitue un atout dans le jeu
« ÉCRIRE POUR NE PAS SOMBRER » de la séduction (les hommes adorent les femmes qui
rient de leurs blagues). Depuis une quinzaine d’an-
retrouvés orphelins de père ou de main sur son expérience, qu’elle ser d’autres émotions s’exprimer. Surtout, apprendre
mère. Dans un autre registre, la remodèle par l’organisation tex- à rire de soi, voire de ses propres malheurs, sans se
chanteuse Anne Sylvestre écrit en tuelle, l’agencement prosodique, dénigrer pour autant, autorise une prise de distance,
1985 Écrire pour ne pas mourir, la recherche d’une musicalité une nouvelle perspective, de nouvelles formulations
l’un de ses textes les plus boule- poétique. La sensualité des mots, et interprétations à des problématiques qui parais-
versants alors même qu’elle tra- leur résonance affective permet saient figées à force de rumination, ou impossibles
verse l’épreuve du cancer : « Écrire d’accéder à une vérité intime, tan- à mettre en mots, encore moins en récit. Même
pour ne pas sombrer/Écrire, au lieu dis que la composition verbale simuler le rire semble efficace en thérapie, selon le
de tournoyer, écrire et ne jamais donne sens et matérialité à l’ab- médecin espagnol Ramon Mora-Ripoll (4). Le « fou »
pleurer rien que des larmes de surdité, à l’injustice, à la perte ou à rire est la grâce des sains d’esprit. Il est nécessaire à
stylo/Qui viennent se changer en la douleur. Grâce à la neuro-ima- notre santé mentale et physique. Mais pas suffisant,
mots… » gerie, nous savons aujourd’hui bien sûr. Et ça, c’est d’un triste… n J.-F.m.
Faut-il en déduire que la souf- que ce sont les mêmes neurones,
(1) Robert Provine, Le Rire, sa vie, son œuvre. Le plus humain
france est un passage obligé préfrontaux, qui permettent l’éla-
des comportements expliqué par la science, Robert Laffont, 2003.
pour développer un talent litté- boration de scénario et la régu- (2) Michael Miller et Catherine Kepper, Heal Your Heart, Rodale
raire ? Ou qu’il suffirait d’écrire lation émotionnelle ; ils peuvent Books, 2014.
pour guérir du malheur ? De se retrouver anesthésiés par un (3) Natalie van der Wal et Robert Kok, « Laughter-inducing
telles équations, trop simplistes, malheur trop grand, et re-stimu- therapies. Systematic review and meta-analysis », Social Science
and Medicine, n° 232, juillet 2019.
seraient évidemment fausses. lés par une activité créative. n
(4) Ramon Mora-Ripoll, « Potential health benefits of simulated
Mais l’écriture, comme d’ailleurs héloïse lhérété
laughter. A narrative review of the literature and recommendations
la musique, le dessin, le rap ou le (1) Boris Cyrulnik, La nuit, j’écrirai des soleils, for future research è, Complementary Therapies in Medicine, vol. XIX,
théâtre, recèle une vertu. L’acti- Boris Cyrulnik, Odile Jacob, 2019. n° 3, juin 2011.
L es guerres civiles, les massacres, les crimes, les autres tombant sous le coup
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Le dirigeant de la société
dictatures sanglantes sont des trau- allemande IG Farben, de la justice ordinaire. Après deux
matismes dont les sociétés ont peine à Georg von Schnitzler, années d’audiences, trois ans de délibé-
lors du procès de
sortir. Le procès de Nuremberg en 1946, Nuremberg en 1947.
rations et 1 312 amnistiés, la Commission
celui de hauts responsables nazis comme jugera que son travail est accompli et la
Adolf Eichmann en 1962, ont fait date en paix civile rétablie. En Argentine, selon la
qualifiant le génocide et les crimes contre juriste Claudia Hilb, la volonté de faire
l’humanité, en appelant à la punition des justice à tout prix n’a pas permis de solder
coupables et, autant que faire se peut, à la les comptes vingt ans après : les accusés
réparation des préjudices subis. Des cas n'ont pas avoué, la vérité est inconnue et
plus récents montrent cependant qu’il les disparus restent des disparus, que
existe plusieurs manières d’envisager le leurs familles réclament (1). Refonder un
rôle réparateur de la justice. En 1983, monde commun après de grands crimes
l’Argentine sort de sept années d’une demande à connaître la vérité, et pour
dictature militaire sanglante qui a fait l’obtenir, il est parfois nécessaire de
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au début des années 2000, où la scène Quelle forme prennent ces créations rwandaise Kantarama Gahigiri au jour-
artistique bat son plein, une décennie postcatastrophe ? Pour certains, la ten- nal Le Temps en 2019 : le génocide, expli-
après la fin de la guerre civile (1). De tation est grande de rembobiner la pelli- quait-elle, « c’était il y a vingt-cinq ans.
telles explosions artistiques après des cule et revenir avec nostalgie au monde En tant qu’artiste, on a le droit de parler
années noires sont assez fréquentes. d’avant. Mais ces retrouvailles sont sou- d’autre chose ». Lorsque les artistes récla-
Après la Grande Dépression de 1929 vent un leurre. La reconstruction de la ment le droit de tourner la page, alors,
par exemple, la vitalité de la peinture France après la guerre de 1914-1918 en peut-être, est-ce le signe que le temps du
américaine fut remarquable, et s’accom- est un bon exemple. Dans la Picardie deuil est enfin refermé. n
pagna de la création de grands musées dévastée, la reconstruction « à l’iden- hélène Frouard
comme le MoMA (novembre 1929) tique » – mot d’ordre de l’après-guerre –
ou le Whitney Museum (1931) (2). En laisse en réalité place aux nouveaux (1) Eileen Hofer, « Au Rwanda, entre boom culturel
Toscane, après la seconde épidémie matériaux que sont briques creuses ou et art du pardon », Le Temps, 19 octobre 2019,
de peste noire de 1363, le « dégoût des ciment armé, y compris dans les églises et Sarah Rogers, « L’art de l’après-guerre à Beyrouth »,
La Pensée de midi, n° 20, 2007/1.
choses du monde, encouragé depuis le et chapelles (4). Un siècle après, leur
(2) Muriel Adrien, « La peinture américaine des années
13 e siècle par les ordres mendiants, se modernité saute aux yeux malgré leur 1930. Exposition », Transatlantica, n° 1, 2016.
mue en son contraire, nous explique esthétique néoromane ou néogothique. (3) Samuel Cohn, « Piété et commande d’œuvres d’art
l’historien Samuel Cohn, c’est-à-dire en Beaucoup d’artistes, d’ailleurs, tournent après la peste noire », Annales. Histoire, sciences
une obsession nouvelle des traces que le le dos sans hésiter à la tentation du sociales, HSS n° 3, 1996.
(4) Jean-Charles Cappronnier et al., « L’art sacré
croyant laisserait sur Terre (3). » D’où une revival. « Repartir à zéro comme si la
entre les deux guerres : aspects de la première
multiplication de commandes pour des peinture n’avait jamais existé », écrit le reconstruction en Picardie », In Situ, n° 12, 2009.
chapelles, des monuments funéraires, peintre américain Barnett Newman, (5) Michael Ferrier, « Visualiser l’impossible,
des fresques et des tableaux d’autel, un proche de Jackson Pollock, après la l’art de Fukushima », Artpress, n° 423, juin 2015.
Brasserie fermée
pendant l’épidémie
de covid‑19.
Les entreprises
dans la tourmente
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L’
histoire retiendra qu’au prin- qu’en 2020, le recul du PIB mondial sera nement, certains se tournaient vers la
temps 2020, face à un virus de 6 % (et de 10 % en Europe), entraî- banque alimentaire comme dernier
menaçant, les principaux nant dans de nombreux secteurs des recours alors que d’autres découvraient
dirigeants de la planète ont faillites d’entreprises et des vagues de les joies du télétravail à la campagne ;
décidé de mettre leur économie à l’arrêt. licenciements. nombre d’entreprises en panne de tré-
L’histoire retiendra aussi que l’écono- Mais les chiffres ne sont que des abs- sorerie demandaient des prêts à leur
mie mondiale allait subir dans le sillage tractions pour ceux qui ne font pas banquier tandis que des millions de
une onde de choc de grande ampleur, partie des secteurs directement tou- particuliers épargnaient leur argent
comparable à la grande crise de 1929. chés. D’où cet étrange climat : au prin- comme jamais ils ne l’avaient fait ; les
L es e x per t s de l’OCDE est i ment temps 2020, en pleine période de confi- uns s’angoissaient pour leur emploi et
1
certains géants du commerce en ligne, suscite moins de compassion, et parce
comme Alibaba, ce fut une période qu’eux-mêmes le cachent. Pourtant, les La stratégie
faste. Pour les coiffeurs, l’activité a repris études d’Olivier Torrès, spécialiste de du redressement
aussitôt après la période d’ouverture la santé du dirigeant, sont sans équi- La stratégie du redressement repose sur
– les cheveux ayant continué à pousser l’espoir d’une reprise et d’un prochain
durant la période de confinement. En retour à la normale. Si on admet que la
revanche, le secteur du tourisme va crise sera passagère, l’objectif princi-
encore être affecté pendant des mois : u pal est donc de « tenir », maintenir en
impossible de mesurer l’ampleur des l’état l’outil de production, et absorber le
pertes et donc la capacité à « tenir » et
Ce qui est vrai pour choc en attendant des jours meilleurs.
rester à flot. les individus face En fait, cette stratégie « attentiste » est
Pour une entreprise, comme pour un moins un choix raisonné qu’un compor-
être vivant, la capacité à résister dépend à la maladie l’est aussi tement d’autodéfense spontané. Le stress
évidemment de l’ampleur du choc ; mais intense provoqué par une crise paralyse
il dépend aussi de son état de santé. Ce
pour les entreprises. la réflexion, provoque une certaine pros-
sont les plus fragiles qui meurent les
u tration où se mêlent le déni de réalité (ou
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2 La restructuration
de conscience, la décision, l’annonce, la titres qui ont misé trop tôt sur les
mise en œuvre, puis la reprise d’activité « applis » dédiées ont perdu beaucoup
La « restructuration », ou « réorganisa- avec des effectifs réduits. Elle est parfois d’argent dans l’affaire. La mutation est
tion », est un mot pudique pour ne pas salutaire, et permet de rebondir. Parfois, un choix possible et il existe de beaux
dire crûment « plan de licenciement ». Les hélas, ce n’est que le début d’une mort exemples de reconversions réussies.
dirigeants des grands groupes sont rom- lente. Cette stratégie relève du dilemme Mais l’histoire des longues reconversions
pus à l’exercice. Dans les années 1990, du chirurgien qui ampute un membre des régions industrielles (de la Lorraine à
le « reengenering » faisait partie de la pour sauver une vie. Parfois, c’est insuf- Detroit) montre que ce sont les nouveaux
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panoplie de tout bon manager. On faisait fisant, et les plans de restructuration entrants qui innovent le plus, et rarement
appel à des « cost killers », des sortes de se succèdent comme dans une longue les entreprises existantes, prisonnières
mercenaires du profit, dont la mission agonie. C’est ce qu’ont vécu, à partir des de leur organisation.
était de « réduire la voilure » avec d’autant années 1970, la plupart des entreprises
moins d’états d’âme qu’ils n’étaient pas de la sidérurgie ou du textile en Europe. De la destruction créatrice
en contact direct avec les salariés. Dans ces secteurs, seules quelques entre- Redressement, restructuration ou réin-
Des restructurations, il y en a dans les prises ont réussi à s’en sortir. Comment ? vention ? Dans les faits, ces trois options
grands groupes et les petites structures, En se réinventant. peuvent évidemment se combiner. Et
dans l’industrie sidérurgique, le textile, c’est souvent par le mélange ou la succes-
3 La métamorphose
le commerce, les assurances. La presse sion de ces stratégies que les directions
n’a pas été épargnée par ce processus cherchent les solutions de survie.
« d’involution ». Aucun titre de presse L’entreprise en difficulté peut opter pour La vie des entreprises n’est pas un long
quotidienne nationale ou régionale n’y une troisième voie : celle de la métamor- fleuve tranquille. Joseph Schumpeter
a échappé depuis les années 2000 – Le phose. Le slogan est bien connu : toute décrivait l’évolution économique comme
Monde, Libération, Le Figaro, L’Huma- crise serait une opportunité. Pourquoi un processus de « destruction créatrice ».
nité, Ouest-France et bien d’autres – et ne pas profiter de la crise pour se réin- Dans ce processus, les uns meurent,
ce, quelle que soit la structure de l’entre- venter ? L’agriculteur traditionnel, dont d’autres naissent et la plupart s’efforcent
prise, société anonyme ou scop, entre- l’activité est en péril, rêve de se recon- de survivre dans des eaux agitées. n
prise familiale ou grand groupe. vertir dans le bio, d’aménager sa ferme
Toute restructuration est un épisode en gîte, de s’affilier au réseau des circuits (1) Olivier Torrès (dir.), La Santé du dirigeant.
dramatique et déstabilisant, encore plus courts… L’entreprise La Poste, confron- De la souffrance patronale à l’entrepreneuriat salutaire,
pour des artisans, commerçants ou diri- tée à une chute continue du courrier pos- 2e éd., De Boeck, 2017.
Les épidémies ont souvent dévasté les sociétés. À l’échelle de l’histoire, comment
les survivants ont-ils construit les « mondes d’après » ?
Laurent testot
E
n 1347, la peste frappe l’Europe. Journaliste, auteur notamment manité future, qui n’aura pas connu ces
de Cataclysmes. Une histoire environnementale
Née en A sie au début des de l’humanité, Payot, 2017 ;
misères et qui, par chance, reléguera nos
années 1340, la pandémie se La Nouvelle Histoire du Monde, éd. Sciences témoignages au rang de fables. »
diffuse d’est en ouest par les Humaines, 2019. Si ce qui est arrivé alors à l’Occident est
voies du commerce international et de la largement documenté, le séisme épidé-
guerre. Entre 1347 et 1352, elle fauche désarroi qui saisit ses contemporains : miologique dévaste toutes les sociétés de
entre le tiers et la moitié de la population « Dans quelles annales trouvera-t-on l’Ancien Monde, de la Chine à l’Afrique
européenne – 25 à 45 millions de morts, mention de ce que les maisons étaient du Nord. Au moins un quart de l’huma-
qui s’ajoutent à un tribut au moins double vides, les cités désertées, les campagnes nité périt entre 1330 et 1355, au mini-
en Asie et équivalent dans le monde abandonnées, les cimetières trop étroits mum 100 millions de personnes. L’héca-
musulman. Alors que certaines villes pour les morts, alors que plane un senti- tombe s’inscrit dans un essoufflement
perdent neuf habitants sur dix, le poète ment terrifiant et universel de solitude sur de la démographie mondiale, après une
italien Pétrarque s’efforce de restituer le la Terre entière ? (…) Bienheureuse l’hu- grande expansion. Du 9e au 13e siècle, la
population a été multipliée par deux ou pose l’homme et non plus Dieu comme
trois suivant les régions, l’Angleterre pas- Ibn al-Khatib, référence, et s’emploie à chercher des lois
sant de 1,7 million de personnes en 1086 le visionnaire naturelles. Jusqu’à la Réforme, qui par
à 4,9 millions en 1290. Alors que l’ensemble du monde ses réflexions sur la Grâce, s’interroge sur
À partir de la seconde moitié du 13e siècle, médiéval voit dans la peste une la prédestination et le plan divin.
des éruptions volcaniques refroidissent Justifié par la nécessité de produire plus
épreuve envoyée par Dieu, un vizir
le climat mondial. Les rendements agri- de textes alors que les copistes, décimés
se distingue vers 1374. Ibn
coles décroissent. Les famines se mul- par la peste, sont moins nombreux, le
al-Khatib, médecin et vizir de l’émir
tiplient dès les années 1310. En Europe développement de l’imprimerie permet
comme en Asie, des gens meurent de de Grenade, rédige un traité sur de diffuser en Europe les thèses protes-
faim, des cités comme Florence mettent la peste et prend position contre tantes, puis les antithèses développées
en place des systèmes d’approvisionne- l’exégèse islamique. Sur la base par l’Église catholique à partir du concile
ment en grain pour éviter la spéculation. de trente ans d’observations, de Trente (1542-1563), puis des savoirs
Les pauvres fuient des campagnes sinis- il soutient que le mal se transmet généraux propices au développement
trées, les villes et royaumes prennent des de malade à malade, que des scientifique, technologique et institu-
mesures pour gérer les stocks de céréales communautés isolées restent tionnel, telles des réflexions sur la meil-
et les mouvements de populations. Ce épargnées. Il n’hésite pas à écrire leure façon de gouverner. En Islam, l’im-
sont des sociétés déjà affaiblies, prises qu’« un hadîth doit être interprété primerie sera dans l’ensemble interdite
à un piège malthusien*, que la peste jusqu’au 19e siècle, au motif que ce serait
d’une façon allégorique quand
frappe… souiller la Parole de Dieu que ne pas la
l’observation et l’inspection
copier à la main. Quant à la maladie, elle
prouvent le contraire, et en
Un différentiel sera très majoritairement interprétée en
entre Chrétienté et Islam ? l’occurrence c’est le cas ». Mais sa termes fatalistes : il est inutile de prendre
Ce sont aussi des sociétés qui, toutes, prise de position est périlleuse, des mesures pour la contenir, car elle fait
prennent des mesures pour s’adapter à la et nul autre médecin ne la suivra partie d’un plan de Dieu pour tester la foi
nouvelle donne. Depuis les années 1980, en Islam. n L.t. des fidèles, et que des hâdith* excluent
certains historiens anglo-saxons, à la qu’il y ait contagion.
suite de David Herlihy (1), ont posé une
hypothèse : la façon dont les sociétés L’Europe du 15e siècle,
avaient réagi aux atteintes de la peste taux (bimaristan) et des universités dans un monde d’après ?
aurait influencé leur puissance à venir. les grandes villes (même si les méde- On voit ici une question (Dieu est-
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D. Herlihy synthétise sa thèse en ces cins recourent de part et d’autre de la il Juste ?), un facteur technologique
termes : « La peste brisa (le piège mal- Méditerranée à l’astrologie plus qu’aux (l’imprimerie), un contexte politique
thusien), et permit aux Européens de méthodes expérimentales). marqué par un rapport différent aux
reconstruire leurs systèmes économique et Reste qu’en Chrétienté comme en Islam, autorités religieuses, des vulnérabilités
démographique selon des axes plus favo- la religion encadre strictement les pen- environnementales…, tout un mélange
rables à un développement futur. » sées : l’idée générale est que le sort des de phénomènes qui interfèrent les uns
L’hypothèse est retenue, en France, par hommes est entre les mains de Dieu. Or avec les autres et mènent à des trajec-
l’historien Gabriel Martinez-Gros (2) : selon D. Herlihy et ses émules, la peste toires différentes. En d’autres termes,
la réaction des sociétés européennes va pousser à mettre en cause cette jus- l’histoire est indéterminée, nul ne peut
au cataclysme de la peste aurait, en tice divine : comment croire qu’un Être programmer un « monde d’après » la
conjonction avec bien d’autres facteurs, omniscient et bienveillant puisse tuer crise. Tout était possible au moment où
entraîné un ensemble de bouleverse- au hasard tant d’innocents ? La question la peste a frappé l’Europe et l’Islam, et
ments féconds. A contrario, le monde appelle deux réponses antagonistes : des millions de décisions prises par des
musulman, victime de la même pandé- le conservatisme religieux en Islam millions d’acteurs, contraints pour partie
mie, connaît une sévère récession, qui contre la réforme spirituelle en Europe. par les institutions, les imaginaires, les
le mettra en position de faiblesse face à Si les instances de pouvoir musulmanes ressources, les limites, ont abouti à des
l’expansion européenne. gardent le contrôle et étouffent l’opposi- trajectoires diverses qui ne pouvaient pas
Pourtant, le monde musulman semble tion en achevant la fermeture des portes être anticipées.
mieux armé pour affronter la pandémie. de l’ijtihâd*, les autorités séculières En Europe occidentale, le choc pandé-
Davantage urbanisé, il jouit d’une nette d’Europe, opposées à la toute-puissance mique est suivi d’une évolution sociétale
avance en termes de science, d’hygiène papale, laissent parfois prospérer la chaotique. Les salaires du monde d’après
et de médecine. On trouve des hôpi- contestation. Jusqu’à l’humanisme, qui la peste explosent en raison de la pénurie
Survivre
à la fin de notre monde
Les adeptes du « survivalisme » se préparent pour résister à un effondrement
de nos sociétés. Entraînement physique, mental, technique…
Ils espèrent ainsi se réserver une place de choix dans « le monde d’après ».
Fabien TrécourT
Journaliste scientifique
L
e survivalisme est un mouve- côté, précise B. Vidal, beaucoup louent le en se formant. Ils apprennent à faire du
ment né dans les années 1960 en caractère salvateur de la nature » : l’apoca- feu, à chasser, à s’abriter ou encore à se
Amérique du Nord, en pleine lypse nous obligerait à renouer avec nos battre. Ils testent leur aptitude à la survie,
guerre froide. Craignant une origines animales, supposées plus saines en passant quelque temps en forêt avec
frappe russe et un hiver nucléaire, ses et authentiques que les comportements un minimum de matériel, par exemple,
adeptes, à l’époque issus de l’extrême culturels propres aux sociétés modernes. et en se soignant autant que possible avec
droite et de mouvances néonazies, se ter- Pour peu que l’on sache s’y prendre, des remèdes naturels. Ils regardent aussi
raient en rase campagne dans des bun- l’environnement offrirait ainsi tout ce des documentaires et des fictions inspi-
kers remplis de boîtes de conserves, de dont nous aurions besoin pour vivre rantes comme La Guerre du feu (1981).
réserves d’eau ou encore d’armes pour et pourrait même révéler notre vraie « Sociologiquement, signale B. Vidal,
chasser, se défendre… « Cette image d’Épi- nature. « Mais d’un autre côté, beaucoup ce sont plutôt des personnes cultivées et
nal n’a plus cours aujourd’hui », selon le ne croient pas que ce nouveau monde sera diplômées. Elles consultent énormément
sociologue Bertrand Vidal, auteur de une partie de plaisir, ni que l’entraide y de documents, de livres d’histoire, de
Survivalisme. Êtes-vous prêts pour la fin sera la norme. » Plus proches de Thomas témoignages sur la survie en temps de
des temps ? (2018). Ce mouvement a en Hobbes et de Friedrich Nietzsche que de guerre ou sur des peuples très isolés, en
effet évolué en fonction des peurs collec- Jean-Jacques Rousseau, ils partent du Amazonie par exemple. » Elles se docu-
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tives de chaque époque. Une tendance principe que les humains redeviendront mentent aussi sur l’effondrement lui-
néonazie existe encore, comme en a des loups pour leurs congénères, et que même, en lisant les rapports du Giec
récemment témoigné la fuite de messages la guerre de tous contre tous sera de nou- sur le climat, ou du FMI sur la situation
publiés par des policiers xénophobes et veau permanente. « Seuls les meilleurs et économique. Depuis l’essor du Web
survivalistes. Mais une tendance plus les mieux préparés pourraient survivre », social, elles naviguent également dans
large touche aussi des activistes modérés, résume le sociologue. les réseaux survivalistes d’Internet, com-
collapsologues de gauche ou néohippies prenant ses blogueurs vedettes et ses
par exemple. « Aujourd’hui, les néosurvi- Retour à la guerre du feu youtubeurs. Des salles de sport pro-
valistes anticipent surtout un déclin du Pour cette raison, les néosurvivalistes posent aussi des cours dédiés. Le survi-
modèle industriel, de la société de consom- voient le reste de la population comme valisme a même son salon depuis deux
mation et des écosystèmes naturels. » Ils les cigales de la fable de La Fontaine : ans en France, reporté cette année pour
considèrent que l’effondrement est inéluc- insouciantes, inconséquentes, droguées cause de pandémie ! Ironie du sort, il
table et qu’un brutal retour à la vie sau- au loisir et à la consommation. Dému- devait se tenir du 20 au 22 mars à Paris,
vage s’ensuivra. nies dans un monde postapocalyptique, en plein confinement…
Lorsqu’ils envisagent ce monde d’après, elles deviendront ce que les survivalistes
leur imaginaire entremêle, selon les appellent des « zombies » – des personnes « Ça y est, ça commence ! »
orientations politiques, une vision très incapables de se prendre en charge, Avec la covid-19, « certains y ont cru,
romancée de la nature, dans le sillon de risquant par conséquent de les attaquer constate B. Vidal. Ceux que j’ai pu ren-
la forêt enchantée façon Disney, et une pour piller leurs précieuses ressources. contrer me disaient : “Ça y est, ça com-
conception plus violente et menaçante, Eux se voient au contraire comme les mence !” Ils étaient heureux par certains
version Mad Max, un classique des fourmis. Ils se préparent en stockant du côtés. » Dans le monde d’après, les néo-
blockbusters postapocalyptiques. « D’un matériel, des vivres, des outils, et surtout survivalistes pensent avoir une place
est bien plus profond qu’une simple de la terreur » nucléaire durant la guerre cLéMenT QuinTarD
volonté, chez leurs auteurs, de susciter froide et, enfin, la crise écologique,
l’effroi. Parce qu’ils figurent une vision de viennent encore façonner la littérature
l’avenir, ils sont un moyen de lutter contre apocalyptique. Son étude permet (1) James Berger, After the End. Representations
of post-apocalypse, University of Minnesota Press,
l’Apocalypse – la vraie. Le genre prend de confronter deux visions de la
1999.
sa coloration moderne au cours du catastrophe : l’une imminente, « toujours (2) Jean-Paul Engélibert, Fabuler la fin du monde.
19e siècle : les fables de fin du monde se à venir, toujours conjurée », l’autre La puissance critique des fictions d'apocalypse,
sécularisent et deviennent alors des immanente, qui « révèle le présent » La Découverte, 2019
de choix. Pendant que la majorité des la pandémie n’ait pas eu l’effet escompté a confinement est allée à l’encontre de tout
humains seraient en train de se battre été une déception pour beaucoup d’entre ce qu’ils imaginaient, poursuit B. Vidal :
pour acheter les derniers rouleaux de eux », poursuit le sociologue. Pour cause, cela a beaucoup bénéficié aux technologies
papier toilette, avant de succomber à la les néosurvivalistes peuvent investir numériques, aux plateformes de strea-
catastrophe, eux seraient déjà réfugiés beaucoup d’énergie et d’argent dans leur ming, à la livraison… Bref, aux nouveaux
dans une « base autonome durable » préparation. Pas facile d’envisager que modes de consommation et de loisir qu’ils
(BAD), avec leur famille et leurs proches. cela pourrait ne jamais servir… décrient le plus souvent. » Comme le résu-
Ils bénéficieraient d’un dispositif pou- La plupart considèrent en outre que la mait le romancier Michel Houellebecq,
vant produire de l’énergie, comme un catastrophe sera l’occasion d’une tabula dans une lettre ouverte publiée sur France
moulin. Ils auraient creusé leur puits et rasa, d’une remise à plat d’un modèle Inter, à rebours de tout l’imaginaire sur-
pourraient commencer à labourer des de société et d’un système de valeurs vivaliste, le monde d’après pourrait fina-
champs en permaculture… « Le fait que qu’ils jugent décadents. « Or la période de lement être « le même, en un peu pire ». ■
C
Professeur émérite d’anthropologie
ontrairement aux mutilations dis que les jeunes filles les traquent sur
à l’université d’Aix-Marseille. Il a dirigé
d’organes qui sont définitives de février 2006 à septembre 2008 l’Institut
leurs jambes et sur leur visage pour les
(la circoncision, l’excision par français de recherche en Iran. Il est l'auteur faire disparaître. C’est que le lisse fémi-
exemple), les modifications de Le Sens du poil. Une anthropologie nin et le dru masculin ont constitué, à
que l’on apporte aux poils et aux cheveux de la pilosité (2010, rééd. Créaphis, 2015). quelques exceptions remarquables près
sont temporaires et réversibles. Ces pha- (l’étonnant 18 e siècle notamment), le
nères, ou excroissances épidermiques, se calvitie naissante. Ainsi, le moins que paradigme de la beauté et de la normalité
prêtent aux arrangements les plus divers l’on puisse dire est que les sociétés dans l’histoire de l’Occident. À l’ostenta-
sans risque biologique majeur et sans en prennent leurs aises avec ces poils censés tion des signes pileux de la virilité (barbe,
compromettre la repousse. On peut les protéger leurs membres. Et c’est précisé- moustache, poils sur le torse) s’oppose
couper, les raser, en modifier la forme et ment parce que la pilosité est un vestige traditionnellement la dissimulation de la
le volume, les friser, les défriser, les crê- largement inutile qu’elle se prête sans chevelure féminine associée à la séduc-
per, les dresser en crête, les tresser, les problème à autant de bricolages sociaux tion. « Femme en cheveux/Viens si tu
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natter, les tisser, les exhausser à l’aide et esthétiques, et qu’elle offre de singu- veux », disait naguère un proverbe… Et
d’un cimier comme dans les coiffures lières propriétés pour symboliser les dif- faut-il rappeler l’attrait de la moustache,
africaines, les oindre et les modeler avec férences entre les sexes, entre les statuts que vante un personnage féminin de
des corps gras, voire de l’argile, les allon- sociaux, entre populations voisines ou Maupassant (« Vraiment, un homme sans
ger par des fibres végétales ou par des lointaines… Mais aussi entre soumis et moustache n’est plus un homme ») et que
cheveux humains (faisant l’objet d’un rebelle, moine tonsuré et ermite hirsute, portaient les vedettes masculines de
commerce lucratif à longue distance), les civilisé et sauvage, culture et nature, naguère, tel Clark Gable ?
teindre, les déteindre, etc. Ces manipula- beau et laid, catégories variables selon les Dorénavant la moustache, tout comme
tions sont d’autant plus loisibles que la sociétés et les époques. le torse velu (affleurant généreusement à
pilosité ne sert plus, biologiquement et travers le col ouvert de la chemise), appa-
physiologiquement, à grand-chose : sa La barbe contre-attaque raissent comme les témoins attardés
fonction de thermorégulation a complè- Tout d’abord, considérons la distinc- d’un autre âge. Le schéma traditionnel
tement disparu chez Homo au fil de l’évo- tion entre le masculin et le féminin. s’avère en effet bouleversé depuis ces
lution, depuis Homo ergaster voici La pilosité est, comme la poitrine ou la dernières décennies. Les poils sur le
1,7 million d’années. Et sa fonction de hauteur de la voix, une caractéristique torse ont désormais mauvaise presse. Le
protection, elle, est infirmée par les du dimorphisme sexuel. Ces différences corps glabre s’inscrit dans un processus
usages culturels : on s’épile les sourcils, que la nature a posées, nos cultures (et général de désanimalisation, de désodo-
originellement voués à retenir la sueur les cultures en général) ont eu tendance risation, d’hygiénisme, caractéristique
s’écoulant du front et risquant d’atteindre à les creuser. Chez nous, les adolescents du temps présent. La chevelure féminine
les yeux ; les chauves s’accommodent du guettent ainsi avec fébrilité l’apparition s’est affranchie, dans nos sociétés, des
soleil ; et la mode, chez les hommes, est de leurs premiers poils, la transforma- coiffes, foulards, chapeaux qui la dissi-
de se raser l’ensemble du crâne dès la tion de leur duvet en moustache, tan- mulaient. Longue, flottante, mais lisse,
David Sacks/Getty
elle est le symbole par excellence de la tante… Cette révolte contre les normes nait tandis que s’épanouissait un style
jeunesse et de la séduction. Le pouvoir pileuses imposées prend une forme limi- minimaliste dans l’architecture, la déco-
esthétique et politique de la chevelure tée quand, en République islamique ration, le design, la musique, mais aussi
dévoilée est tel que les mouvements d’Iran, les femmes et les filles laissent la coiffure. La barbe est, en revanche,
qui militent contre les discriminations échapper une mèche blonde de leur revenue en force dans les années 2010
sociosexuelles en ont fait leur emblème : foulard, ou exacerbée quand elles se (encadré p. 62).
ainsi les féministes juives, protestant dévoilent dans des lieux publics. Quant
contre le rasage de la chevelure imposée au traitement des poils faciaux mascu- Les blondes au Panthéon
lors du mariage par les traditionalistes, lins dans nos sociétés, il a sensiblement La couleur des cheveux accentue le
se placent sous le patronage de Lilith, évolué au cours des trente dernières contraste entre le masculin et le féminin.
première femme (rebelle) d’Adam selon années. Dans les années 1990, période En Occident, depuis l’Antiquité, la beauté
la tradition kabbalistique, et arborent, durant laquelle les distinctions de genre féminine s’est déclinée en blond, à l’ex-
comme elle, une chevelure libre et flot- étaient moins marquées, le glabre domi- ception d’une longue période qui court
de la fin du 17e au début du 20e siècle, et ou brillant), tout comme les saintes, thuriféraires de chacune de ces nuances
des trente dernières années où la fasci- et la première d’entre elles, la Vierge, se la disputent… En fait, cette chevelure,
nation pour les blondes est contrecarrée dans la peinture classique italienne. étiquetée « blond vénitien », combine le
par la mauvaise réputation intellectuelle Faut-il aussi rappeler que l’adjectif fair blond (connotant la pureté et la grâce)
qui leur est attachée. Témoignage de en anglais désigne à la fois le beau, le et le roux (qui évoque, à côté d’autres
cette fascination qui demeure : selon bon et le blond ? Mais les engouements stigmates, la séduction tentatrice).
L’Oréal, 22 % des Françaises seraient esthétiques, même si certaines ten- Utilisé pour souligner les différences (ou
blondes, mais seulement 12 % naturelle- dances dominent à travers les âges, ne les rapprochements) entre les genres,
ment… Les déesses du Panthéon antique sont jamais pérennes. Des années 1660 le poil l’a été aussi pour symboliser les
sont blondes, telle Aphrodite sculptée à la fin du 19e siècle, le blond s’estompe statuts sociaux, qu’il s’agisse des âges
par Praxitèle au IVe siècle avant J.-C. jusqu’à un retour en force au terme de de la vie, de l’appartenance de classe
Les héroïnes des chansons de geste la période romantique, qui valorisait le ou d’une fonction particulière. Tout
(Iseult, Nicolette…) ont une « crine sor » naturel, et grâce à la mise sur le marché rite de passage a une sanction pileuse.
(blond doré) ou « ghaume » (blond vif dans les années 1860 de solutions d’eau Une des fonctions des rites suivant la
oxygénée facilitant la décoloration. naissance est ainsi de marquer la sépa-
Les vedettes féminines de cinéma (Jean ration progressive entre le nouveau-
Harlow, Rita Hayworth, Marlene Dietrich, né et sa mère, d’instituer l’enfant en
Le tsunami Marilyn Monroe, Jayne Mansfield…), tant que personne sociale. Il n’est pas
de la barbe avant et après la Seconde Guerre mon- étonnant que le thème de la coupure
diale, enfiévrèrent cette blondeur sym- (du cordon ombilical, du prépuce, des
Une récente enquête fait apparaître bolisant le sex-appeal, la douceur sou- cheveux) soit une constante de ces rites
que 92 % des 25-34 ans portent une mise et mièvre, le mystère parfois. Leur de séparation. Symboliquement, sinon
barbe ! La barbe constitue bien, de beauté fatale pouvait être rehaussée par pratiquement, circoncision et première
nos jours, un signe d’entrée dans la une chevelure en blond platine, une tein- coupe de cheveux sont des opérations
vie adulte. Alors qu’elle fut longtemps ture inventée en 1931. Mais le blond peut équivalentes, souvent effectuées par la
un marqueur de la vieillesse, souvent aussi incarner des valeurs plus positives : même personne, le coiffeur barbier, qui,
portée après la retraite, un signe la droiture, le charme, la jeunesse, la en de nombreux cas, est également cir-
réussite, le pouvoir, associés à des per- conciseur. Dans plusieurs sociétés des
de retrait de la vie professionnelle,
sonnages aussi divers que la princesse Balkans et d’Amérique latine existe un
on ne compte plus désormais, à partir
Diana ou Hillary Clinton. parrain (ou une marraine) de la coupe
de 50 ans, que 32 % de barbus… de cheveux, distinct de celui du bap-
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Ce qui frappe, c’est donc cette Rites de passage, tême, qui intervient à un moment cru-
inversion des usages et des rites de rasage cial de la vie de l’enfant (lors du sevrage,
significations. Cette différence À quoi tient donc cette fascination pour quand les destinées des garçons et
de génération se reflète aussi dans le blond féminin ? On invoquera volon- des filles prennent des chemins diffé-
les appréciations des femmes : tiers l’or, donc l’éclatant et le précieux, rents…). Cette scansion pileuse des âges
les jeunes femmes en couple sont
mais aussi la pureté suggérée par la de la vie est manifeste dans nos sociétés
blondeur. Allons plus loin. Des analyses quand on compare la chevelure longue
peu séduites par des visages
menées sur un grand nombre de socié- des jeunes filles et les cheveux courts
complètement rasés (17 %), alors que
tés (1) font apparaître une prédilection de leur mère et de leurs grand-mères,
42 % des femmes de plus de 35 ans masculine universelle pour le clair. chaque changement de statut (mariage,
apprécient ce style. Mais de quelle Or comme la poitrine, la hauteur de premier enfant, entrée dans la vie pro-
barbe s’agit-il ? Non plus de la barbe la voix, la pilosité corporelle moindre fessionnelle…) entraînant un chan-
négligée du retraité, de la barbe et la chevelure plus fournie, la clarté gement d’apparence. En Iran, comme
hirsute du révolutionnaire ou de est un trait distinctif de la féminité. Le dans la plupart des pays musulmans, il
l’ermite, mais d’une barbe séduisante désir masculin semblant universelle- est de tradition que les jeunes filles ne
ment stimulé par tous les attributs par s’épilent pas jusqu’à leur mariage. La
et non dominatrice, entretenue,
lesquels se marque le dimorphisme veille de la cérémonie nuptiale, l’épi-
taillée à la tondeuse à sabots,
sexuel, la blondeur accentuerait donc latrice, maniant avec dextérité fil, pâte
et ointe. Rien à voir avec la barbe les attributs de la féminité et, ainsi, de la dépilatoire à base de chaux, rasoir, cire,
et la moustache drues séduction. Un des symboles de la beauté transforme leur corps poilu de fille
des hommes de naguère exerçant féminine serait la Vénus de Botticelli. en corps entièrement lisse de femme ;
des professions d’autorité… n C.B. Mais est-elle blonde ou rousse ? Les une attention particulière est portée
Des livres
pour l’été
C es derniers mois, les Français, cloués
à la maison, ont beaucoup lu, et d’après
ce que constatent certains éditeurs, aussi
beaucoup écrit. On doit s’attendre à ce qu’une
fois enfin gagnée la plage, la campagne ou
la montagne, l’appel du plein air et celui du
clair de lune soient plus forts que tout. Aussi,
la tâche n’a pas été facile de sélectionner
pour vous une douzaine de livres à emporter
qui soient à la fois instructifs, agréables
et un peu hors du commun. En tout cas,
ils nous ont plu.
Getty
plongée dans les archives de même, pour les apprentis sor- on aujourd’hui. Eugénie reste
la Salpêtrière, l’historien ciers de la pédagogie, de les irrémédiablement crétine,
Antoine de Baecque a tiré un civiliser. imperméable au progrès. L’ex-
vrai roman, publié d’ailleurs Aussi, en 1835, deux méde- plication, quelqu’un la tenait
dans une collection littéraire. cins, Jean Itard et Jules Falret, pourtant déjà : un chimiste
Au centre de l’intrigue, Eugé- partent-ils dans le Queyras isolé, Jean-Baptiste Boussin-
nie, « crétine des Alpes », traquer des crétines. Eugénie, gault, soutenait que le créti-
nabote, difforme, ventrue, arrachée à son village, nisme relevait d’une simple
incontinente, pommettes sail- débarque à Paris, à la Salpê- carence en iode, aux effets
lantes, lèvres pendantes, le trière, sous l’œil des badauds. irréversibles sur le cerveau. Il
cou doublé d’un goitre impo- Cobaye et bête de foire, car on aura fallu près d’un siècle de
sant. Eugénie ne parle pas, ne découvrira que sa voix rauque palabres pour qu’on ajoute de
pense pas. Autant de raisons lui permet de chanter, ce qui l’iode au sel de table, et qu’en
d’exciter l’intelligentsia de son laisse présager un talent, elle quelques années, autour de
EUGÉNIE temps, qui y voit un prodigieux subira pendant quatorze ans 1920, le crétin des Alpes
Antoine de Baecque objet d’étude. Trente ans mille tortures, prétendument s’éteigne à jamais. Il n’en
Stock, 2020, reste, pour la postérité, qu’une
après la découverte de Victor, pour son bien.
208 p., 18,50 €.
l’enfant sauvage, et dix ans L’histoire, entre fable et journal insulte tonnante du capitaine
avant les démonstrations de savant, offre une tragique Haddock, et désormais cette
Jean-Martin Charcot sur les matière à réflexion. Car toutes délicate stèle littéraire façon-
hystériques, l’époque est à la ces méthodes, issues de la née par A. de Baecque. n
« crétinomanie ». On veut voir psychologie et de la pédago- Héloïse lHérété
semblé claires aux yeux des archéologues. déjà ancienne faite au Mexique. Il s’agit
Comme l’écriture et l’État qui l’organise, d’un jouet précolombien zoomorphe équipé
la roue serait née en Mésopotamie vers - 3150. de roulettes qui fonctionnent parfaitement. Or
Puis elle se serait diffusée et on la retrouve les Mayas, Incas et Aztèques, en dépit du haut
plus tard dans bien d’autres régions du degré de développement de leurs civilisations,
monde. Mais ces vestiges connus n’autorisent ne fabriquaient et n’utilisaient aucun
pas à présumer de trouvailles futures, avec équipement à roues. D’où une réflexion
de nouvelles datations, et ce d’autant plus que à laquelle invite Raphaël Metz sur le fait que
l’invention de la roue n’implique pas certains Amérindiens au moins connaissaient
obligatoirement son usage. Qu’est-ce à dire ? le principe, mais ne l’ont pas trouvé utile,
Il est possible que l’usage premier de la roue en raison peut-être de l’absence d’animaux
n’ait pas été technique mais rituel. Ce n’est de trait et de la configuration de leur territoire.
en effet que vers - 2850 que son utilisation est Ou bien peut-être était-ce un choix politique ?
attestée par l’exhumation d’une charrette Avec la roue apparaît certes la commodité du
à deux roues, vraisemblablement tirée par un transport mais également la vitesse, source de
âne. productivité, en somme le progrès. Ce progrès
Par ailleurs, une découverte archéologique même à l’aune duquel on a longtemps jugé du
faite en Pologne près de Cracovie sème le degré de civilisation des autres cultures. Mais
doute depuis 1974. Sur un vase est représenté aujourd’hui, à force d’aller plus vite, à force
ce qui semble être un véhicule à quatre roues d’aller plus loin, où sommes-nous arrivés ? n
tiré par un animal. La datation indique - 3500. tHierry Jobard
L’éducation féminine, limitée, se centre Cette dernière crée un club éducatif féminin
sur les arts ménagers. Il faudra attendre 1861 et un journal, La Voix des femmes, en 1848.
pour qu’une femme, Julie-Victoire Daubié, La journaliste Jeanne Deroin publie
obtienne le baccalauréat pour la première La Politique des femmes, une série d’articles
fois. La gent féminine ne peut accéder sur les dispositifs juridiques familiaux utiles
à aucun diplôme ouvrant sur des métiers à la défense des droits de ses consœurs.
qualifiés, à l’exception de l’enseignement, Progressivement, les femmes s’instruisent,
car pour former les femmes, il faut d’autres en commençant par les milieux bourgeois,
femmes. C’est ainsi qu’en 1815, un diplôme en plein essor. Quelques postes sont créés
de maîtresse d’école laïque est créé et la loi pour elles dans la haute fonction publique :
Pelet de 1836 invite à ouvrir les écoles inspectrices d’écoles pour jeunes filles,
normales aux femmes. En bas de l’échelle déléguées au contrôle des garderies,
sociale, les femmes travaillent beaucoup superviseures de maisons d’arrêt pour
pour peu. Les plus pauvres, même mariées, femmes. Artistes, musiciennes, journalistes,
doivent parfois recourir à la prostitution. candidates aux élections législatives percent
La situation n’est guère plus favorable dans le plafond de verre vers le milieu du
les hautes sphères sociales. En 1805, 19e siècle. Les brèches restent étroites,
les écrivaines, par exemple, représentaient conclut É. Viennot, mais n’en sont pas moins
plus de 40 % de la profession. Mais en but réelles et ouvrent la voie aux évolutions qui
au dénigrement de leurs collègues masculins s’enclencheront quelques années plus tard. n
et des maisons d’édition, leur nombre maud navarre
007 revisité
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l’auteur. « Guetter les signes de développe- bébés de cet âge n’avaient pas la notion de
ment de son enfant en dit parfois plus sur les permanence de l’objet…
parents que sur le bébé lui-même ! », ajoute- Quant au « stade du miroir », cette théorie
t-il, n’hésitant pas à manier l’humour pour chère au psychologue H. Wallon vaudra à la
décrire son couple en train de fondre devant petite fille de multiples manipulations paren-
leur enfant. tales ! Naissance des représentations, com-
Trois ans, c’est la période nécessaire aux préhension de l’intentionnalité, « bond dans
enfants pour maîtriser le langage, se l’imaginaire » sont passés au crible des ac-
construire une « théorie de l’esprit » permet- tions d’Athéna. Tout comme l’attachement et
tant de se relier aux autres, forger leur iden- le rôle des émotions : « On devient intelligent
tité et apprendre à connaître le monde. C’est avec le cœur autant qu’avec le cortex »,
l’occasion aussi pour l’auteur d’expliciter et conclut l’auteur qui, tout au long de son ou-
de discuter les théories sur ces questions. vrage, souligne la différence avec les ani-
Ainsi sont rappelés les débats fondateurs sur maux, auxquels on a parfois trop tendance à
le langage (le langage précède-t-il la pensée prêter une intelligence humaine.
ou est-ce la pensée qui le génère ?) et les Mais l’histoire d’Athéna, c’est aussi la mise
avancées de la psycholinguistique dévelop- en récit d’une synergie familiale, faite de
pementale, qui voit dans l’élaboration du solidarité, de respect mutuel et d’amour, note
parler enfantin une rencontre entre une ce papa attentif. Lorsqu’il conduit sa fille pour
grammaire innée et une construction par son premier jour d’école, le ton devient un
l’expérience. « J’étais témoin d’un phénomène peu nostalgique : « On ne peut protéger ses
merveilleux, multidimensionnel qui prenait enfants à tout jamais ! » n m.F.
L’Amazonie en Seine-et-Marne
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Bonjour, paresse
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